14718
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À CERTAINES ACTIVITÉS MENÉES PAR LE NICARAGUA
DANS LA RÉGION FRONTALIÈRE
(COSTA RICA c. NICARAGUA)
RÉPLIQUE DU COSTA RICA SUR LA QUESTION
DE L’INDEMNISATION
8 AOÛT 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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CHAPITRE 1. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
CHAPITRE 2. LA MÉTHODE APPROPRIÉE POUR QUANTIFIER LES DOMMAGES CAUSÉS
À L’ENVIRONNEMENT .................................................................................................................... 4
A. L’évaluation des dommages causés à l’environnement selon la méthode des services
écosystémiques ........................................................................................................................ 4
B. Les éléments à prendre en considération dans le cadre de la méthode des services
écosystémiques ........................................................................................................................ 9
1. Incidence sur la formation du sol et la lutte contre l’érosion ............................................... 9
2. Incidence sur l’atténuation des risques naturels ................................................................. 10
3. Incidence sur la régulation des gaz et de la qualité de l’air ............................................... 11
4. Délais de reconstitution ...................................................................................................... 11
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 16
CERTIFICATION ................................................................................................................................. 17
LISTE DES ANNEXES ......................................................................................................................... 18
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1. Le différend des deux Etats concernant les activités du Nicaragua à Isla Portillos (et sa
revendication ultérieure de souveraineté sur ce territoire) a été soumis à la Cour par le Costa Rica et
constitue l’objet de l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région
frontalière (Costa Rica c. Nicaragua).
1.2. Dans le dispositif de l’arrêt sur le fond qu’elle a rendu en décembre 2015, la Cour a
conclu que «le Nicaragua a[vait] l’obligation d’indemniser le Costa Rica à raison des dommages
matériels qu’il lui a[vait] causés par les activités illicites auxquelles il s’[était] livré sur le territoire
costa-ricien»1.
1.3. Le 16 janvier 2017, le Costa Rica a prié la Cour de déterminer le montant de
l’indemnisation qui lui était due en conséquence du comportement internationalement illicite du
Nicaragua. Conformément à l’ordonnance de la Cour en date du 2 février 2017, le Costa Rica a
déposé son mémoire le 3 avril 2017 et le Nicaragua, son contre-mémoire le 2 juin 2017.
1.4. Ensuite, par une ordonnance en date du 18 juillet 2017, le président de la Cour a fixé au
8 août 2017 la date d’expiration du délai pour le dépôt d’une réplique du Costa Rica, et au 29 août
2017 celle du délai pour le dépôt d’une duplique du Nicaragua, sur la seule question de la
méthodologie retenue dans les rapports d’experts respectivement présentés par les Parties dans leur
mémoire et leur contre-mémoire sur la question de l’indemnisation due en l’espèce. La présente
réplique est soumise en application de cette ordonnance.
1.5. Dans son contre-mémoire, le Nicaragua estime que le montant des indemnités réclamées
par le Costa Rica est «exorbitant»2 ; il affirme que
«les travaux effectués par [lui] dans la zone litigieuse n’ont causé que des
perturbations mineures auxquelles il a été remédié rapidement, par l’action conjuguée
de la nature et de la digue construite en 2015. Le seul dommage matériel causé par
[ses] activités … concerne l’abattage d’arbres à proximité du caño de 2010».3
1.6. Bien qu’en désaccord avec cette appréciation sur les plans juridique et factuel4, le
Costa Rica constate que la divergence des Parties quant à l’étendue des dommages
environnementaux lui ouvrant droit à réparation tient, pour l’essentiel, à la question de la méthode
utilisée par les experts respectifs des Parties. La position du Costa Rica, qui est exposée plus avant
au chapitre 2 ci-dessous, est que la méthode utilisée par ses experts est appropriée et que le
Nicaragua la conteste sur la base d’une méthode impropre qui ne tient pas compte de la véritable
1 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt du
16 décembre 2015, par. 229 5) a).
2 CMNI, par. 1.6.
3 Ibid., par. 2.19.
4 Pour éviter toute ambigüité, le Costa Rica ne considère pas que l’obligation d’indemniser est limitée aux
«travaux» du Nicaragua sur le territoire litigieux. Il estime en effet qu’elle devrait couvrir toutes les prétentions qu’il a
exposées dans son mémoire sur la question de l’indemnisation.
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ampleur des dommages causés à l’environnement, notamment à celui de la zone humide
Caribe Noreste, à la biodiversité particulièrement riche. A cet égard, il convient de noter que :
a) Selon la convention de Ramsar : «[u]ne zone humide devrait être considérée comme un site
d’importance internationale si elle contient un exemple représentatif, rare ou unique de type de
zone humide naturelle ou quasi naturelle de la région biogéographique concernée»5.
b) Toujours selon la convention de Ramsar, «[l]es zones humides qui sont inscrites sur la liste [des
zones protégées sur le plan international] acquièrent un nouveau statut au niveau national et,
aux yeux de la communauté internationale, prennent une importance non seulement pour le
pays ou les pays où elles se trouvent mais aussi pour toute l’humanité»6.
1.7. Le Nicaragua, qui n’ignorait assurément rien de l’impact négatif que ses activités
risquaient d’avoir sur cette zone humide costa-ricienne, n’en a pas moins procédé à l’abattage de
nombreux arbres, dont certains étaient âgés de plusieurs siècles, et creusé plusieurs caños (agissant
également au mépris de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires de la Cour), sans se
soucier aucunement des conséquences. En ce qui concerne l’impact effectif de ces activités illicites,
la méthode adoptée par les experts du Nicaragua tend à ne pas reconnaître ni comptabiliser de
dommages s’agissant des conséquences spécifiques et durables subies par cet environnement
particulier. Par opposition, et ainsi qu’exposé dans la présente réplique, la méthode retenue par les
experts du Costa Rica pour l’évaluation des dommages causés à l’environnement par le Nicaragua
est largement reconnue et permet à la Cour d’accorder l’indemnisation appropriée.
1.8. Au chapitre 5 de son contre-mémoire, le Nicaragua examine les frais de surveillance
engagés par le Costa Rica en conséquence de la présence de militaires nicaraguayens dans la zone
d’Isla Portillos. La méthode utilisée par le Nicaragua pour évaluer ces dépenses repose sur deux
propositions erronées : premièrement, celles-ci auraient été engagées en raison d’une «menace
supposée d’une nouvelle occupation [par lui] de la zone litigieuse» ou «d’autres parties du territoire
costa-ricien» ; et, deuxièmement, elles seraient «dépourvues de tout lien avec les dommages
matériels causés par les travaux du Nicaragua dans le territoire litigieux»7. Pour être clair, le
Costa Rica estime que ces propositions sont totalement infondées mais, conformément à
l’ordonnance de la Cour sur le dépôt de pièces écrites supplémentaires en l’espèce, il ne reviendra
pas sur l’objet des dépenses en question.
1.9. Le présent mémoire s’accompagne de deux annexes, contenues dans le volume I, à
savoir :
a) Un rapport de la Fundación Neotrópica sur la question de la méthode retenue pour l’évaluation
des dommages causés à l’environnement (2017) (ci-après le «rapport Neotrópica de 2017»,
RCRI, annexe 1), dont l’un des principaux auteurs est M. Bernardo Aguilar-González, qui a
plus de vingt ans d’expérience en économie de l’environnement. La Fundación Neotrópica, qui
est basée au Costa Rica, a été fondée en 1985 et a mis en oeuvre des projets techniques dans le
monde entier, et plus particulièrement en Amérique latine. Elle jouit d’une expérience
particulière dans le domaine de l’économie de l’environnement. Outre l’expertise de ses
auteurs, le rapport contient des références aux principaux ouvrages sur la quantification des
dommages en matière d’environnement et est étayé par des appendices exposant l’opinion
d’éminents professeurs d’université, parmi lesquels M. Robert Costanza (titulaire d’une chaire
5 Voir http://www.ramsar.org/sites/default/files/documents/library/ramsarsite_….
6 Voir http://www.ramsar.org/sites/default/files/documents/library/sitelist.pdf.
7 CMNI, par. 5.1.
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de politique publique à l’Université nationale d’Australie) et M. Rudolf de Groot, président
d’Ecosystem Services Partnership et professeur associé à l’Université de Wageningen.
b) Une analyse du rapport de M. G. M. Kondolf (CMNI, annexe 2), par M. Colin R. Thorne
(2017) (ci-après le «rapport Thorne de 2017», RCRI, annexe 2). M. Thorne, professeur de
géographie physique à l’Université de Nottingham, est bien connu de la Cour puisqu’il lui a
présenté des exposés écrits et oraux dans la présente instance, ainsi que dans celle relative à la
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica).
- 4 -
CHAPITRE 2
LA MÉTHODE APPROPRIÉE POUR QUANTIFIER LES DOMMAGES
CAUSÉS À L’ENVIRONNEMENT
2.1. Dans le présent chapitre, le Costa Rica répond aux questions méthodologiques qui
opposent les experts des Parties s’agissant des 2 823 111 dollars des Etats-Unis qu’il demande à
raison des dommages causés à son environnement ainsi que des 57 634 dollars des Etats-Unis
réclamés au titre des mesures de restauration nécessaires, (principalement) pour remplacer le sol
excavé par le Nicaragua pour construire ses caños en territoire costa-ricien. Les divergences entre
les Parties et leurs experts sont très marquées. Le Nicaragua prétend en effet que les dommages
environnementaux ne se chiffrent qu’à quelque 35 000 dollars des Etats-Unis.
A. L’ÉVALUATION DES DOMMAGES CAUSÉS À L’ENVIRONNEMENT
SELON LA MÉTHODE DES SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES
2.2. L’écart important entre les chiffres susmentionnés est essentiellement dû à l’utilisation
de méthodes très différentes pour évaluer les dommages causés à l’environnement.
2.3. Les experts du Costa Rica ont eu recours à la méthode dite des services écosystémiques,
qui est internationalement reconnue, moderne et adaptée à la zone humide dont la convention de
Ramsar impose la protection et à laquelle le Nicaragua a porté atteinte.
2.4. Le Nicaragua présente cette méthode sous un faux jour et déclare, de manière tout aussi
fallacieuse, qu’elle n’est «qu’un outil destiné à aider les décideurs à mesurer la valeur des
ressources naturelles» et non une méthode d’évaluation de dommages environnementaux8. A la
section V de son rapport de 2017, la Fundación Neotrópica décrit cette méthode plus en détail et
montre qu’elle est largement reconnue au niveau international, notamment dans le domaine de la
conservation de la biodiversité9.
2.5. A cet égard, il est permis de citer les «directives pour l’élaboration d’une législation
nationale sur la responsabilité, l’intervention et l’indemnisation en cas de dommages causés à
l’environnement par des activités dangereuses», qui ont été adoptées en 2010 par le conseil
d’administration du Programme des Nations Unies pour l’environnement10. Selon l’alinéa b) du
paragraphe 3 de la directive 3, on entend par «dommages causés à l’environnement» les effets
défavorables ou négatifs sur l’environnement qui sont «estimés importants, à partir de divers
facteurs tels que ... iii) [l]a réduction ou la perte de capacité de l’environnement à fournir des biens
et des services de façon permanente ou temporaire». Comme exposé en détail plus loin, la
conférence des parties à la convention sur la diversité biologique (que le Costa Rica et le
8 Voir CMNI, par. 4.8-4.10.
9 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, sect. V, p. 13-15.
10 Voir Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), «Directives pour l’élaboration d’une
législation nationale sur la responsabilité, l’intervention et l’indemnisation en cas de dommages causés à l’environnement
par des activités dangereuses», adoptées par le conseil d’administration du PNUE dans la partie B de sa décision SS.XI/5
du 26 février 2010.
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Nicaragua ont l’un et l’autre ratifiée) a notamment invité les parties à tenir compte de ces
directives, en tant que de besoin, dans les efforts déployés pour élaborer ou adapter leurs lois ou
mesures administratives concernant la responsabilité et la réparation en cas de dommages causés à
la diversité biologique.
2.6. Les experts du Nicaragua ont, en revanche, suivi la méthode que le comité de
commissaires chargé des réclamations environnementales au sein de la commission
d’indemnisation des Nations Unies a utilisée pour statuer sur des réclamations consécutives à la
première guerre du Golfe. Or, le fait est non seulement que l’environnement de la zone humide
concernée en l’espèce est radicalement différent de celui qui faisait l’objet desdites réclamations,
mais aussi que ces dernières années ont vu apparaître de nouvelles méthodes –– notamment dans le
cadre des travaux des Nations Unies et de la conférence des parties à la convention sur la diversité
biologique –– qui tendent à reconnaître toute l’ampleur, et parfois la persistance, des dommages
causés à l’environnement.
2.7. La méthode du coût de remplacement retenue par les experts du Nicaragua est décrite et
analysée plus avant à la section VIII du rapport Neotrópica de 201711. A ce sujet, la Fundación
Neotrópica a consulté M. Rudolf de Groot, auteur du rapport technique Ramsar de 2006 intitulé
«Evaluation des zones humides»12, qui a déclaré ce qui suit :
«d’après mes connaissances de la littérature et mon expérience, la méthode du coût de
remplacement (à l’échelle de l’écosystème) constitue en réalité la moins adaptée de
toutes les méthodes pour apprécier la valeur (effet sur le bien-être) des bienfaits
procurés par les écosystèmes (et leurs services) et, partant, les éventuelles
répercussions de la perte d’un écosystème, car elle n’est pas liée aux bienfaits
(valeurs) effectivement associés à l’écosystème intact»13.
2.8. Ainsi qu’exposé dans le rapport Neotrópica de 2017, le Nicaragua s’appuie
essentiellement sur la pratique de la commission d’indemnisation des Nations Unies, ce qui pose
problème car celle-ci a conclu son examen des réclamations concernées en 2005, soit l’année
même de la publication de l’instrument fondamental qui a généralisé l’emploi de la méthode et de
la terminologie des «services écosystémiques» –– à savoir l’évaluation des écosystèmes pour le
millénaire14, instrument qui, en 2006, a reçu un accueil favorable de la conférence des parties à la
convention sur la diversité biologique15.
11 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, sect. VIII, p. 40 et suiv.
12 Ibid., appendice [2].
13 Ibid., appendice [2], cité p. 41.
14 Ibid., p. 13.
15 Voir la décision VIII/9 adoptée par la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique lors de
sa huitième réunion, intitulée «Implications of the Millenium Ecosystem Assessment» [implications des conclusions de
l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire]», doc. UNEP/CBD/COP/DEC/VIII/9, 15 juin 2006, en particulier
par. 19, 21 et 22.
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2.9. A ce propos, comme la Cour s’en souviendra, le paragraphe 2 de l’article 14 de la
convention sur la diversité biologique se lit comme suit :
«La Conférence des Parties examine, sur la base des études qui seront
entreprises, la question de la responsabilité et de la réparation, y compris la remise en
état et l’indemnisation pour dommages causés à la diversité biologique, sauf si cette
responsabilité est d’ordre strictement interne.»
2.10. En 2014, lors de sa douzième réunion, la conférence des parties a adopté la
décision XII/14 intitulée «Responsabilité et réparation dans le contexte du paragraphe 2 de
l’article 14 de la Convention». Au paragraphe 2 de cette décision, la conférence des parties :
«Invite les Parties à tenir compte, selon qu’il convient, des éléments suivants,
dans les efforts prodigués pour élaborer ou adapter les politiques générales, la
législation, les lignes directrices ou les mesures administratives concernant la
responsabilité et la réparation en cas de dommages causés à la diversité biologique :
a) ...
b) [l]es [directives] du Programme des Nations Unies pour l’environnement sur
l’élaboration d’une législation nationale sur la responsabilité, l’intervention et
l’indemnisation en cas de dommages causés à l’environnement par des activités
dangereuses ;
c) [l]es conclusions du Groupe d’experts juridiques et techniques sur la responsabilité
et la réparation dans le cadre du paragraphe 2 de l’article 14 de la convention sur la
diversité biologique ;
d) [l]e rapport de synthèse sur les informations techniques relatives aux dommages
causés à la diversité biologique et aux méthodes d’évaluation et de réparation des
dommages causés à la diversité biologique, ainsi que [sur l]es informations
[concernant] les mesures et les expériences nationales et régionales ;
e) [l]es orientations relatives à la restauration des écosystèmes telles que contenues
dans la décision XI/16 ainsi que dans les documents d’information
UNEP/CBD/COP/11/INF/17 et UNEP/CBD/COP/11/INF/18) ;
f) [l]es outils d’évaluation écologique mentionnés dans l’annexe de la
décision VIII/25.»16
16 Décision XII/14 adoptée par la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, intitulée
«Responsabilité et réparation dans le contexte du paragraphe 2 de l’article 14 de la convention»,
doc. UNEP/CBD/COP/DEC/XII/14, 17 octobre 2014, par. [2].
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2.11. Il a déjà été fait référence aux directives du PNUE précédemment. Ainsi qu’exposé
dans le rapport Neotrópica de 2017, le «rapport de synthèse» visé à l’alinéa d) revêt également de
l’importance dans le présent contexte17. En particulier, ses paragraphes 12 à 14 se lisent comme
suit :
«12. ... La Conférence des Parties a défini «l’appauvrissement» comme étant «la
réduction qualitative ou quantitative, permanente ou à long terme, des éléments
constitutifs de la diversité biologique et de leur potentiel de biens et de services
mesurables aux plans mondial, régional et national.»
13. Même s’ils ont été élaborés pour mesurer l’application de la convention, les
principaux éléments de cette définition sont utiles dans le contexte de la responsabilité
et la réparation. Par exemple, les règles de la responsabilité et la réparation pour la
biodiversité peuvent utilement référer à une réduction mesurable, qualitative ou
quantitative des éléments de la biodiversité.
14. Les règles de responsabilité et de réparation peuvent concerner non
seulement la perte physique d’éléments de la biodiversité en [eux-mêmes], mais aussi
leur incapacité à offrir des biens ou services réels ou potentiels. Ainsi, il faudrait
créer un lien entre la structure et la fonction de l’écosystème, tel que le décrit
l’évaluation pour le millénaire[,] et les contributions écologiques et économiques des
écosystèmes sur la qualité environnementale et le bien-être humain. [Cela
constituerait un élément clé de t]oute évaluation des dommages et [de] la
détermination qui en découle[,] nécessaire pour établir des mesures primaires,
complémentaires et compensatoires [afin de] réparer les dommages causés à la
biodiversité et [d’en attribuer] la responsabilité ... (voir section III).»18
2.12. Le Nicaragua a donc tort de soutenir que la méthode des services écosystémiques ne
saurait être considérée comme appropriée pour évaluer les dommages environnementaux19. Ce
point est approfondi à la section V C du rapport Neotrópica de 201720, où il est notamment fait
référence à la pratique des Etats, dont le Nicaragua a cherché à se prévaloir. A titre d’exemple,
17 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 14 ; «Responsabilité et réparation dans le cadre du
paragraphe 2 de l’article 14 de la convention sur la diversité biologique, rapport de synthèse sur les informations
techniques concernant les dommages causés à la diversité biologique et les méthodes d’évaluation et de restauration des
dommages causés à la diversité biologique[,] ainsi que [sur l]es informations [concernant] les mesures prises et les
expériences au niveau national/intérieur», doc. UNEP/CBD/COP/9/20/Add.1, 20 mars 2008.
18 «Responsabilité et réparation dans le cadre du paragraphe 2 de l’article 14 de la convention sur la diversité
biologique, rapport de synthèse sur les informations techniques concernant les dommages causés à la diversité biologique
et les méthodes d’évaluation et de restauration des dommages causés à la diversité biologique[,] ainsi que [sur l]es
informations [concernant] les mesures prises et les expériences au niveau national/intérieur», doc. UNEP/CBD/
COP/9/20/Add.1, 20 mars 2008, par. 12-14 (les italiques sont de nous).
19 Voir CMNI, par. 4.10-4.11.
20 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 15-18.
10
- 8 -
comme Neotrópica le fait observer21, les juridictions fédérales des Etats-Unis ont reconnu
l’importance de tels services pour l’évaluation des dommages environnementaux dans le contexte
de trois grandes lois nationales sur l’environnement22. En outre, ainsi qu’exposé à la section VI du
rapport23, la méthode que la Fundación Neotrópica a employée est d’usage courant dans les pays
tropicaux, à la biodiversité très riche24.
2.13. Le Nicaragua prétend aussi que les documents de référence utilisés dans le rapport
Neotrópica de 2016 montrent que la méthode des services écosystémiques n’est pas appropriée
pour évaluer des dommages et n’est qu’une aide pour l’élaboration de politiques25. Or, cette
affirmation est expressément réfutée par deux des auteurs auxquels le Nicaragua s’est lui-même
référé, à savoir MM. de Groot (de l’Université de Wageningen, Pays-Bas) et Costanza (de
l’Université nationale d’Australie)26. Comme l’explique Neotrópica dans son rapport de 2017, la
validité de sa méthode est également reconnue par le Secrétariat de la convention de Ramsar27. De
fait, il est expressément rappelé dans le rapport de la mission consultative Ramsar no 69, qui
évaluait les changements survenus dans la région à la suite des actions illicites menées par le
Nicaragua en 2010, que, «[c]onformément à la convention de Ramsar, les Parties contractantes ont,
par l’effet du point j) de l’annexe A de la résolution IX.1, adopté les aspects pertinents des services
écosystémiques assurés par les zones humides qui sont énumérés dans l’évaluation des écosystèmes
pour le millénaire» ; le tableau 1 du rapport recense les services d’approvisionnement, les services
de régulation et les services culturels qui sont utilisés pour identifier toute modification de
caractéristiques écologiques due à une intervention humaine28. Ainsi, en ayant recours à la méthode
des services écosystémiques, le Costa Rica se conforme aux obligations que lui impose la
convention de Ramsar. Telle est également la méthode que ses juridictions ont coutume d’utiliser29.
2.14. Enfin, relevons que la méthode utilisée par les experts du Nicaragua est d’autant plus
inappropriée que, pour parvenir à leur estimation du coût de remplacement, ceux-ci se basent sur
les tarifs pratiqués par le FONAFIFO (fonds national costa-ricien de financement des forêts), qui
ne sont pas appliqués aux zones publiques protégées et ne sont pas conçus pour les zones humides.
D’ailleurs, comme l’explique le directeur du FONAFIFO, les tarifs auxquels les experts du
Nicaragua se réfèrent visent à favoriser la conservation des forêts, et non à servir à l’évaluation de
dommages environnementaux :
21 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 16.
22 Voir les références contenues dans le rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 16.
23 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 22-23.
24 Ibid., p. 22.
25 CMNI, par. 4.12-4.14.
26 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 17-18.
27 Ibid., p. 22.
28 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), MCR,
vol. IV, annexe 147, Secrétariat de la convention de Ramsar, «Rapport de la mission consultative Ramsar no 69 : zone
humide d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica», 17 décembre 2010,
p. 94-95.
29 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 23-29. Bien que le Nicaragua semble ne pas en tirer
argument, le rapport Payne et Unsworth critique les valeurs estimées par la Fundación Neotrópica suivant la méthode du
transfert de bénéfices. Pour les raisons exposées dans le rapport Neotrópica de 2017 (RCRI, annexe 1, sect. VIII D), les
valeurs retenues par Neotrópica sont parfaitement fondées et justifiées.
11
- 9 -
«Enfin, je tiens à répéter qu’il n’est pas correct de considérer le mécanisme de
financement des services environnementaux établi par le Fonds national de
financement des forêts comme un moyen d’indemniser ou de chiffrer des dommages
causés à l’environnement. Ces services ont été définis et leur valeur, estimée dans le
but de favoriser des initiatives de conservation des forêts –– il s’agit d’une modeste
rétribution offerte par la société en contrepartie des efforts déployés dans le domaine
de la conservation...
Les dommages environnementaux, eux, font intervenir une notion différente sur
les plans juridique et technique : il s’agit non plus de la protection des forêts mais
d’actions humaines qui leur ont porté atteinte et touchent, au-delà de la forêt
elle-même, un écosystème plus vaste dont différents éléments, biotiques ou abiotiques,
peuvent subir des dommages successifs ou d’ampleur variable. L’évaluation des
dommages causés à l’environnement ne saurait aboutir au versement d’une somme
modique, par exemple au titre du service assuré par l’environnement pendant une
certaine durée (généralement un an), car une telle somme ne rendrait jamais compte du
prix de remplacement de la ressource ou de sa valeur estimée. Les dommages à
l’environnement sont infiniment plus complexes ; leur portée temporelle excède une
année, et la remise en état peut prendre des décennies, voire se révéler impossible.»31
B. LES ÉLÉMENTS À PRENDRE EN CONSIDÉRATION DANS LE CADRE
DE LA MÉTHODE DES SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES
2.15. Le Nicaragua tente de discréditer la méthode adoptée par Neotrópica en affirmant que
celle-ci a tenu compte de facteurs dépourvus de pertinence, ce qui a entraîné une surestimation des
dommages. Il cible en particulier ses critiques sur la prise en considération d’impacts sur les
services de formation du sol et de lutte contre l’érosion, d’atténuation des risques naturels, de
régulation des gaz et de la qualité de l’air ; il conteste également le temps de reconstitution sur la
base duquel les chiffres définitifs ont été calculés. Pour les raisons exposées ci-après, du point de
vue méthodologique, la démarche suivie par Neotrópica est tout à fait appropriée et aboutit à une
évaluation raisonnable et justifiée des dommages occasionnés par les activités illicites du
Nicaragua.
1. Incidence sur la formation du sol et la lutte contre l’érosion
2.16. L’une des critiques du Nicaragua contre le rapport de Neotrópica consiste à soutenir
que les services de formation du sol et de lutte contre l’érosion n’auraient pas dû être inclus dans
l’évaluation des services environnementaux touchés32. Il s’appuie à cet égard sur les points de vue
exprimés par M. Kondolf33 et par Mme Payne et M. Unsworth34, lesquels partent du principe que la
zone pertinente est «un delta de fleuve actif qui constitue une zone de dépôts de sédiments érodés
dans les parties supérieures du bassin hydrographique»35. M. Kondolf considère que, des sédiments
alluvionnaires étant venus se déposer dans les zones excavées, il n’y a pas de problème d’érosion.
30 [Note manquante dans original.]
31 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 42.
32 CMNI, par. 4.17.
33 M. Mathias Kondolf, examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica concernant le delta du fleuve
San Juan, mai 2017 (ci-après le «rapport Kondolf de 2017»), CMNI, annexe 2, p. 2-4, cité dans CMNI, par. 4.19.
34 Cité dans CMNI, par. 4.19.
35 Rapport Kondolf de 2017, CMNI, annexe 2, p. 2-4.
12
13
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2.17. S’agissant de la méthode appropriée, le service de formation du sol doit effectivement
être ajouté au nombre des services environnementaux touchés. La raison en est que, ainsi
qu’exposé par M. Thorne, il faut établir une distinction entre les dépôts récents de sédiments
minéraux charriés par le fleuve et la formation à long terme –– sur des dizaines d’années –– d’un
sol organique par des processus naturels, biochimiques et physiques36. Selon M. Thorne,
«il faudra nécessairement des décennies pour que la teneur en matières organiques et
la fertilité des sols actuellement en voie de constitution grâce aux dépôts de sédiments
dans les caños approchent celles des sols situés sous les arbres anciens ou adultes que
le Nicaragua a abattus pour creuser lesdits caños»37.
2.18. En outre, M. Thorne explique que les microbes présents dans le sol forment autour des
systèmes radiculaires des plantes, et surtout des arbres, une rhizosphère qui constitue elle-même un
élément essentiel de tout écosystème sain. Lorsque la terre est excavée, la fertilité des sols laissés
intacts s’en ressent, ce qui rend les nouvelles pousses vulnérables aux attaques d’agents pathogènes
et allonge le temps de reconstitution38.
2.19. Par ailleurs, les sédiments qui s’accumulent généralement dans les zones excavées sont
constitués de sable fin et de vase et sont donc plus susceptibles d’être déplacés, contrairement aux
sédiments et aux sols consolidés par les racines de plantes vivantes qui, eux, sont beaucoup plus
résistants à l’érosion. Il s’ensuit que, même si les fonctions relatives à la lutte contre l’érosion se
rétabliront, «il faudra des décennies pour que l[a] résistance à l’érosion retrouve son niveau
d’origine»39.
2.20. Il est donc tout à fait justifié de recourir à une méthode qui tienne compte des
répercussions sur la formation du sol et la lutte contre l’érosion, comme l’a fait Neotrópica dans
son évaluation des dommages environnementaux en l’espèce40.
2. Incidence sur l’atténuation des risques naturels
2.21. Le Nicaragua critique également la méthode d’évaluation adoptée par Neotrópica au
motif qu’il n’y aurait pas lieu de prendre en considération les répercussions éventuelles de ses
travaux sur la capacité de la zone d’atténuer les risques naturels, comme les tempêtes et autres
phénomènes dangereux41. Cette critique est basée sur l’affirmation de M. Kondolf selon laquelle,
dans une zone humide, des travaux d’excavation tels que ceux réalisés par le Nicaragua «ne
perturberai[ent] pas la régulation naturelle des inondations» et n’auraient «aucun impact
hydrologique matériel»42.
2.22. C’est faux. Ainsi qu’exposé par M. Thorne, du point de vue méthodologique, il est
approprié de comptabiliser l’incidence des travaux sur la fonction d’atténuation des risques naturels
36 Rapport Thorne de 2017, RCRI, annexe 2, p. 7.
37 Ibid., p. 9.
38 Ibid.
39 Ibid., p. 9-10.
40 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 30-31.
41 CMNI, par. 4.19-4.22.
42 Rapport Kondolf de 2017, CMNI, annexe 2, p. 4-5.
14
15
- 11 -
dans une zone humide telle que celle où se trouve le territoire litigieux. Ces risques comprennent
les inondations côtières, l’intrusion saline et l’érosion côtière. En effet, «la zone humide d’eau
douce et son écosystème constituent en eux-mêmes de précieuses ressources qui sont exposées aux
risques naturels associés à la faible altitude de cette zone et à sa proximité de la mer des
Caraïbes»43. Cette conclusion est étayée par le rapport no 69 du Secrétariat de la convention de
Ramsar, qui indique que toute modification du régime d’écoulement de l’eau douce, y compris par
creusement de chenaux, influe sur la répartition et l’abondance des espèces. Il y est également
expliqué qu’une telle perturbation peut affecter à la fois l’équilibre hydrodynamique de la zone
humide relativement à l’intrusion d’eau salée, et la prévention des inondations44. Le fait qu’il
s’agisse d’une zone humide ne signifie pas que des travaux d’excavation n’ont aucune incidence
sur la capacité de ladite zone d’atténuer les risques naturels45. Il s’ensuit que, du point de vue
méthodologique, il est approprié de tenir compte des répercussions sur la capacité de la zone
d’atténuer de tels risques.
3. Incidence sur la régulation des gaz et de la qualité de l’air
2.23. Dans le cadre de son évaluation des dommages environnementaux, Neotrópica
comptabilise l’incidence des activités illicites du Nicaragua sur la capacité de la zone de réguler les
gaz et la qualité de l’air46. Le Nicaragua conteste cette démarche au motif que les répercussions ne
pourraient être envisagées qu’à l’échelle mondiale, et non pas simplement à celle du Costa Rica et
de ses habitants47. Or, ainsi que l’indique Neotrópica, cette critique est malavisée car ces
répercussions font partie des dommages causés par le Nicaragua48 et, comme l’a dit la Cour,
celui-ci est tenu «d’indemniser le Costa Rica à raison des dommages matériels qu’il lui a causés par
les activités illicites auxquelles il s’est livré sur le territoire costa-ricien»49. Le fait que certains des
services écosystémiques perdus auraient pu bénéficier aux populations d’autres pays ne dispense
nullement le Nicaragua de son obligation d’indemniser le Costa Rica pour les dommages qu’il lui a
causés du fait de ses activités illicites.
4. Délais de reconstitution
2.24. Comme le Costa Rica l’a expliqué dans son mémoire, une fois chiffrée la perte
correspondant à la première année, Neotrópica en a calculé la valeur actuelle nette sur une période
de cinquante ans, en appliquant un taux d’actualisation de 4 %. Cette démarche est appropriée pour
les raisons suivantes :
43 Rapport Thorne de 2017, RCRI, annexe 2, p. 12. Voir aussi p. 13-16.
44 Secrétariat de la convention de Ramsar, «Rapport de la mission consultative Ramsar no 69 : zone humide
d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica», 17 décembre 2010,
Certaines activités, MCR, annexe 147, p. 108-109, 112, 114 et 119.
45 Rapport Thorne de 2017, RCRI, annexe 2, p. 12-15. Voir également le rapport Neotrópica de 2017, RCRI,
annexe 1, p. 31.
46 Fundación Neotrópica, «Evaluation pécuniaire des dommages à l’environnement résultant de la construction de
caños et de l’arrachage d’arbres et de végétation par le Gouvernement nicaraguayen sur le territoire costa-ricien
d’Isla Portillos, déposée en application de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 16 décembre 2015», 3 juin 2016
(ci-après le «rapport Neotrópica de 2016»), MCRI, annexe 1, p. 104.
47 CMNI, par. 4.26, citant le rapport d’évaluation des dommages causés à l’environnement établi par Mme Cymie
R. Payne (de l’Université Rutgers) et M. Robert E. Unsworth (d’Industrial Economics, Incorporated), 26 mai 2017
(ci-après le «rapport Payne et Unsworth»), CMNI, annexe 1, p. 28.
48 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 36.
49 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt du
16 décembre 2015, par. 229 5) a).
16
- 12 -
a) Certains des arbres abattus par le Nicaragua étaient vieux de plus de 200 ans (leur âge moyen
était de 115 ans50). La période de cinquante ans retenue aux fins de l’évaluation représente donc
une durée modeste, car il faudra beaucoup plus longtemps pour que les forêts retrouvent leur
état d’origine, probablement plus d’un siècle51. En outre, bien que les experts du Nicaragua lui
reprochent d’avoir postulé que le bois de ces arbres serait récolté chaque année pendant
cinquante ans52, Neotrópica précise n’avoir rien fait de tel, puisque des arbres faisant partie
d’une zone humide protégée ne peuvent être récoltés. Voici ses explications :
«Nous ne postulons pas qu’il aurait été possible d’abattre, de manière viable, la
moitié des arbres tous les ans. Notre hypothèse est que la dégradation de l’actif se
traduira chaque année dans les comptes physiques naturels et économiques du
Costa Rica par une diminution de la valeur pécuniaire du patrimoine naturel du pays,
jusqu’à ce que l’actif soit complètement reconstitué. C’est la raison pour laquelle nous
comptabilisons la perte sur une base annuelle, en déduisant de la valeur annuelle le
volume reconstitué au moyen du taux d’actualisation.»53
De plus, Neotrópica rappelle que le fait de surveiller et d’inventorier les actifs
environnementaux est une pratique de plus en plus courante, d’où la nécessité de comptabiliser
et de chiffrer de tels dommages sur une base annuelle jusqu’à ce que les actifs soient
reconstitués, en calculant la valeur actuelle d’une annuité et en tenant compte de la perte de
valeur subie chaque année54. Il s’ensuit également qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il
existe un marché pour le bois ni de comptabiliser des coûts de récolte. Le prix du bois sur pied a
été utilisé pour représenter la valeur de la ressource sur une base annuelle55. Comme l’explique
Neotrópica, c’est une estimation modeste car uniquement fondée sur la croissance continue des
arbres jusqu’à la date de l’évaluation, et non sur l’ensemble de la période de reconstitution56.
Une telle démarche est en outre conforme à la jurisprudence récente des juridictions
costa-riciennes, qui ont retenu une période de cinquante ans dans des affaires où l’âge moyen
des arbres abattus dans les deux zones dégagées était respectivement de 112 et 83 ans57.
b) Le taux d’actualisation de 4 % est supérieur à ceux employés dans la jurisprudence récente des
juridictions costa-riciennes58, et sensiblement supérieur à ceux proposés dans des études de
premier plan (à titre d’exemple, l’initiative TEEB préconise le recours à un taux d’actualisation
nul)59. Plus ce taux est élevé, plus l’indemnisation demandée sera basse, puisqu’il a pour effet
de réduire la valeur actuelle.
50 Fundación Neotrópica, «Addenda explicatifs au rapport intitulé «Evaluation pécuniaire des dommages à
l’environnement résultant de la construction de caños et de l’arrachage d’arbres et de végétation par le Gouvernement
nicaraguayen sur le territoire costa-ricien d’Isla Portillos, déposée en application de l’arrêt de la Cour internationale de
Justice du 16 décembre 2015», en réponse à la demande d’éclaircissements formulée par le Nicaragua dans sa lettre
HOL-EMB-280 en date du 18 novembre 2016 adressée à l’ambassadeur du Costa Rica, M. Sergio Ugalde»,
8 décembre 2016 (ci-après les «addenda explicatifs de Neotrópica à son rapport de 2016»), MCRI, annexe 2, p. 9 ;
rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 44.
51 Rapport Neotrópica de 2016, MCRI, annexe 1, p. 50 ; addenda explicatifs de Neotrópica à son rapport de 2016,
MCRI, annexe 2, p. 7-9 ; voir également le rapport Thorne de 2017, RCRI, annexe 2, p. 16.
52 CMNI, par. 4.29, citant le rapport Payne et Unsworth, CMNI, annexe 1, p. 24-25.
53 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 32.
54 Ibid., p. 38.
55 Ibid., p. 32.
56 Ibid., p. 32-33.
57 Addenda explicatifs de Neotrópica à son rapport de 2016, MCRI, annexe 2, p. 7-9.
58 Ibid., p. 10.
59 Ibid., p. 10-11.
17
18
- 13 -
2.25. Le Nicaragua soutient qu’un «vice fondamental» de la méthode adoptée par le
Costa Rica tient à l’utilisation d’un taux d’actualisation sur cinquante ans60. Il concentre toutefois
ses critiques sur l’inclusion de divers éléments (services de formation du sol et de lutte contre
l’érosion, d’atténuation des risques naturels et de régulation de la qualité de l’air et des gaz)61, et ne
répond pas aux raisons avancées par Neotrópica dans ses rapports antérieurs pour justifier le choix
d’une période de cinquante ans62. Ainsi que Neotrópica l’explique dans le rapport annexé à la
présente réplique, une période de cinquante ans est pertinente dans la situation actuelle, car il s’agit
d’une estimation modeste du temps requis pour que les arbres coupés par le Nicaragua se
régénèrent ; or, ce sont les arbres qui, au fil du temps, contrôlent la dynamique de l’écosystème tout
entier de cette zone humide63.
2.26. Le seul réel argument concernant la durée de reconstitution appropriée figure dans le
rapport de M. Kondolf. Ce dernier affirme que les «périodes de reconstitution réalistes vont de 1 à
2 ans pour le comblement des caños, de 1 à 5 ans pour la repousse des herbes et du sous-bois, et de
4 à 5 ans pour la reconstitution de forêts»64. Pour l’habitat et la biodiversité, M. Kondolf table sur
une période de dix à vingt ans65. S’agissant des forêts, il conteste l’estimation à 115 ans de l’âge
moyen des arbres abattus66. En ce qui concerne le comblement des caños ainsi que la repousse de
l’herbe et du sous-bois, il se contente de dire que ses estimations reposent sur les «éléments
d’appréciation existants», qui semblent eux-mêmes reposer sur «des observations empiriques
découlant de l’imagerie aérienne»67.
2.27. Nonobstant ces estimations avancées par M. Kondolf, le Nicaragua affirme dans son
contre-mémoire que les effets de ses travaux sur l’habitat, le renouvellement des populations et
certaines matières premières se sont déjà totalement dissipés68. Rien ne vient étayer cette
conclusion, pas même son propre expert.
2.28. Les autres experts du Nicaragua, Mme Payne et M. Unsworth, semblent eux non plus
ne tenir aucun compte des estimations de M. Kondolf quant aux délais de reconstitution : dans
l’évaluation des dommages qu’ils ont effectuée en se servant de la méthode adoptée par
Neotrópica, mais «en en corrigeant les erreurs», notamment en ce qui concerne le temps de
reconstitution, ils n’ont pas appliqué les délais suggérés par M. Kondolf mais ont seulement chiffré
la perte en valeur actuelle, essentiellement sur la base de valeurs ponctuelles69.
2.29. En résumé, le Nicaragua n’a avancé aucune raison valable démontrant que l’utilisation
d’une période de cinquante ans pour estimer les dommages durables qui ont été causés à
l’environnement serait inappropriée.
60 CMNI, par. 4.27. Voir également par. 4.16.
61 Ibid., par. 4.28 et 4.31.
62 Voir le rapport Neotrópica de 2016, MCRI, annexe 1, p. 50 ; addenda explicatifs de Neotrópica à son rapport
de 2016, MCRI, annexe 2, p. 7-9.
63 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 35. Voir également p. 37-39.
64 Rapport Kondolf de 2017, CMNI, annexe 2, p. 1.
65 Ibid., p. 6.
66 Ibid., p. 5.
67 Ibid., p. 6.
68 CMNI, par. 4.32.
69 Rapport Payne et Unsworth, CMNI, annexe 1, tableau 1, p. 135.
19
- 14 -
2.30. Les estimations avancées par M. Kondolf sont censées reposer sur ses survols, visites
sur les lieux et observations d’images aériennes. Or, selon M. Thorne, une telle démarche
compromet la validité scientifique et technique desdites estimations :
«A l’annexe 2, M. Kondolf précise que, dans le cadre de l’affaire relative à
Certaines activités, il a «effectué cinq survols de l’embouchure du fleuve entre
octobre 2012 et octobre 2016 et trois visites sur site au cours de la même période, la
toute dernière en octobre 2016».
Il est clair que M. Kondolf a non seulement survolé la zone touchée par les
activités du Nicaragua mais aussi effectué une visite sur les lieux pas plus tard qu’en
octobre 2016. Ce survol et cette visite lui offraient une occasion d’observer et de
constater personnellement l’état des zones touchées. S’il l’avait voulu, il aurait pu
prendre des photographies, mesurer les variables essentielles (telles que la hauteur des
arbres) et recueillir des données techniques (par exemple des mesures définissant les
propriétés des sédiments qui comblaient les caños). Il aurait alors été à même
d’analyser et d’interpréter ses observations et données comme il se doit pour se forger
une opinion sur le niveau de régénération des zones excavées et dégagées par le
Nicaragua. Aux fins de l’élaboration de l’annexe 2, cela aurait constitué une démarche
rigoureuse sur les plans scientifique et technique.
Compte tenu des lacunes entachant la démarche de M. Kondolf, j’estime que les
avis exprimés dans l’annexe 2 du contre-mémoire du Nicaragua n’ont aucune validité
scientifique ou technique.»70
2.31. S’agissant des prévisions formulées par M. Kondolf sur la base de ses observations
d’images aériennes (dont le Nicaragua et ses autres experts ne tiennent aucun compte), M. Thorne
précise dans son rapport qu’elles sont par trop limitées :
«[S]i elles étaient admises, les opinions de M. Kondolf rendraient largement
inopérante la protection actuellement conférée aux zones humides d’importance
internationale du Nicaragua par leur inscription sur la liste des sites Ramsar. En effet,
que cela soit intentionnel ou non, l’expertise de M. Kondolf pourrait donner à penser
que les dommages causés par dragage, excavation de chenaux ou déforestation à des
zones humides protégées en vertu de la convention de Ramsar sont pour l’essentiel
anodins et sont, en tout état de cause, limités dans le temps, puisque les zones touchées
seraient censées se régénérer en l’espace de cinq ans si ce n’est moins.»71
2.32. Pour ce qui est de la période de reconstitution relative aux arbres abattus, M. Thorne
relève ceci :
«[P]lusieurs des fonctions les plus précieuses d’une forêt primaire telle que celle
que le Nicaragua a abattue ne peuvent jamais être assurées de la même manière par
une forêt secondaire, et il faut attendre des dizaines d’années voire des siècles pour
qu’une forêt secondaire se soit développée au point de pouvoir fournir la plupart des
fonctions attendues d’une forêt primaire.»72
70 Rapport Thorne de 2017, RCRI, annexe 2, p. 3.
71 Ibid., p. 6.
72 Ibid., p. 7.
20
21
- 15 -
Cette position est étayée par la littérature citée par M. Thorne dans la section C de son rapport73.
2.33. Ni le Nicaragua ni ses experts n’ont traité les raisons et les sources faisant autorité qui
plaident en faveur du recours à une période de cinquante ans en vue d’estimer les pertes causées à
l’environnement du Costa Rica par les actes illicites du Nicaragua. Pour les raisons énoncées dans
le rapport de Neotrópica, le fait de retenir une telle période ne pose pas de problème de double
comptabilisation et est justifié et raisonnable en toutes circonstances74.
*
* *
2.34. Pour les motifs ci-dessus exposés, les critiques émises par le Nicaragua quant à la
méthode utilisée par les experts du Costa Rica afin de chiffrer les dommages causés à
l’environnement procèdent d’une démarche impropre qui ne tient pas compte de la véritable
ampleur desdits dommages, notamment eu égard à la grande diversité environnementale de la zone
humide Caribe Noreste. La méthode suivie par les experts du Costa Rica aux fins de l’évaluation
des dommages causés à l’environnement par le Nicaragua est largement reconnue et permet à la
Cour d’accorder une indemnisation appropriée.
73 Voir le rapport Thorne de 2017, RCRI, annexe 2, p. 16-23.
74 Rapport Neotrópica de 2017, RCRI, annexe 1, p. 35-37.
22
- 16 -
CONCLUSIONS
1. Le Costa Rica prie respectueusement la Cour de rejeter les conclusions du Nicaragua et
d’ordonner à ce dernier de lui verser immédiatement :
a) la somme de 6 711 685,26 dollars des Etats-Unis ; et
b) la somme de 501 997,28 dollars des Etats-Unis correspondant au montant total des intérêts
compensatoires pour la période allant jusqu’au 3 avril 2017, montant qui devra être ajusté en
fonction de la date à laquelle sera rendu l’arrêt de la Cour sur la présente demande
d’indemnisation.
2. Dans l’hypothèse où le Nicaragua ne verserait pas immédiatement les sommes demandées,
le Costa Rica prie respectueusement la Cour d’ordonner à celui-ci de verser des intérêts moratoires
au taux annuel de 6 %.
Fait à La Haye, le 8 août 2017.
Le coagent du Costa Rica,
ambassadeur,
(Signé) M. Sergio UGALDE.
___________
23
- 17 -
CERTIFICATION
J’ai l’honneur de certifier que les documents annexés à la présente réplique sont des copies
exactes et conformes des documents originaux et que leur traduction anglaise établie par le
Costa Rica est exacte.
Fait à La Haye, le 8 août 2017.
Le coagent du Costa Rica,
ambassadeur,
(Signé) M. Sergio UGALDE.
___________
25
- 18 -
LISTE DES ANNEXES
ANNEXE Document Page
1 Rapport de la Fundación Neotrópica sur la question de la méthode
retenue pour l’évaluation des dommages causés à l’environnement
(2017)
19
2 Analyse du rapport de M. G. M. Kondolf (CMNI, annexe 2), par
M. Colin R. Thorne (2017)
98
___________
- 19 -
ANNEXE 1
RAPPORT DE LA FUNDACIÓN NEOTRÓPICA SUR LA QUESTION DE
LA MÉTHODE RETENUE POUR L’ÉVALUATION DES DOMMAGES
CAUSÉS À L’ENVIRONNEMENT (2017)
Bernardo Aguilar-González
Marcia Carranza-Vargas
Marco Hidalgo-Chaverri
Adriana Fernández-Sánchez
Rafael Monge-Vargas
Mariano Castro-Jiménez
I. Résumé analytique
En règle générale et en présence d’un régime conventionnel spécifique, la norme en matière
d’indemnisation des dommages environnementaux est «la réparation intégrale du préjudice causé».
Les principes et méthodologies que la Cour internationale de Justice (CIJ) est censée appliquer
pour déterminer les éléments constitutifs d’une réparation intégrale ne sont pas juridiquement fixés
à l’avance et devront donc être sélectionnés discrétionnairement par les Juges en fonction des
circonstances de l’espèce.
Le présent rapport aborde uniquement la question de la méthodologie adoptée dans les
rapports d’experts relatifs à la compensation due dans l’affaire relative à Certaines activités menées
par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua). Compte tenu du délai fixé
par la Cour internationale de Justice, il constitue une contribution technique à la réponse en la
matière du Gouvernement costa-ricien au contre-mémoire du Nicaragua
Nous avons essayé de démontrer que :
a) l’affirmation du Nicaragua selon laquelle la méthodologie utilisée pour procéder à une
évaluation pécuniaire des dommages environnementaux provoqués par l’incursion illégale dans
la zone humide d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste
ou HCN) est infondée ;
b) notre méthode d’évaluation pécuniaire s’appuie sur de solides références internationales
récentes concernant l’estimation des dommages environnementaux dans les pays tropicaux
riches en biodiversité notamment dans leurs zones humides ;
c) notre méthode d’évaluation pécuniaire correspond aux normes juridiques et à la pratique les
plus courantes au Costa Rica, c’est-à-dire dans le pays où se situe la zone endommagée d’Isla
Portillos ; toute norme plus édulcorée serait en contradiction avec la législation nationale en
vigueur ;
d) la méthodologie proposée par le Nicaragua sous-estime nettement les dommages
environnementaux, y compris en recourant à une comparaison déplacée avec des dommages
survenus au début des années 1990 dans des conditions quasiment désertiques ; elle se fonde
également sur des hypothèses incompatibles avec le cadre juridique applicable et les faits avérés
de l’espèce.
- 20 -
Nous avons présenté une série de précédents juridiques, politiques et judiciaires corroborant
l’approche méthodologique utilisée dans notre rapport d’évaluation. Nous les avons complétés par
des informations techniques et des rapports d’experts pertinents. En bref, nous pensons avoir
démontré que :
1) La méthodologie utilisée par la Fundación Neotrópica est largement reconnue au niveau
international notamment en ce qui concerne l’évaluation dans des pays comme le Costa Rica
riches en biodiversité.
Dans cet ordre d’idées, nous avons résumé pour faciliter la compréhension du lecteur les
deux phases ayant permis de procéder à notre étude (la définition d’un cadre méthodologique en
trois parties et son application en sept étapes). Nous nous sommes ensuite concentrés sur les
sources juridiques et économiques au niveau international permettant de valider deux des trois
composants dudit cadre : l’approche axée sur les services écosystémiques et la technique
d’estimation des transferts d’avantages (parfois désignée sous son acronyme anglais BTM pour
Benefits Transfer Method) que Payne et Unsworth (2017) ont décrites comme n’étant pas
suffisamment fiables et reconnues pour être utilisées dans ces types d’estimations pécuniaires.
Nous avons produit suffisamment de preuves du caractère infondé de cette opinion. Les
précédents juridiques et la doctrine, de même que l’évolution de la littérature économique,
démontrent que les exemples de pratiques internationales invoquées par le Nicaragua
[principalement les normes de la commission d’indemnisation des Nations Unies (UNCC)] pour
justifier leurs affirmations sont dépassées et antérieures à l’approche majoritaire basée sur les
services écosystémiques, notamment en ce qui concerne la préservation de la biodiversité. Les
décisions les plus récentes de la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique,
l’évolution de la jurisprudence aux Etats-Unis et en Europe, ainsi que l’opinion autorisée d’experts
dans ce domaine (comme Robert Constanza et Rudolf de Groot) démontrent que l’approche axée
sur les services écosystémiques est reconnue dans la pratique internationale et ne saurait être
considérée comme un simple «outil de sensibilisation».
En ce qui concerne la technique d’estimation des transferts d’avantages, nous avons apporté
la preuve entre autres de son utilisation courante. Sur la base des décisions de la conférence des
parties à la convention sur la diversité biologique, de documents et d’articles économiques à
caractère technique, nous sommes parvenus à identifier les efforts visant à améliorer l’applicabilité
de cette technique en facilitant son utilisation notamment pour les pays à revenu faible ou moyen.
Ces sources reconnaissent que la méthode a le mérite de pouvoir être utilisée lorsque les auteurs de
l’évaluation disposent de ressources insuffisantes pour appliquer tout l’éventail des méthodes
d’estimation pécuniaire de la valeur totale dans le délai requis en vue de pouvoir prendre des
décisions politiques ou judiciaires pertinentes. Les efforts déployés dans ce domaine ont permis de
fixer récemment une série de critères à utiliser dans le cadre de l’évaluation des différentes
applications de cette méthodologie bien établie.
Nous avons également présenté la littérature et communiqué l’opinion d’experts concernant
la manière dont différents documents RAMSAR reconnaissent la validité à la fois du cadre des
services écosystémiques et de la méthode basée sur le transfert d’avantages, parmi toutes les
méthodes d’estimation de la valeur totale estimée pour l’évaluation de la valeur économique
desdits services et des dommages environnementaux. De plus, nous avons documenté l’application
de l’approche axée sur les services écosystémiques et de la méthodologie de la valeur totale
estimée dans l’évolution juridique de pays tropicaux riches en biodiversité comme le Costa Rica,
en soulignant l’utilisation spécifique de l’étude fondatrice réalisée par Constanza et autres (1997)
dans ces instances.
2) La méthodologie utilisée par la Fundación Neotrópica est compatible avec la pratique
couramment observée par les tribunaux et les milieux universitaires costa-riciens.
- 21 -
Nous avons documenté l’évolution des théories juridiques et économiques au Costa Rica en
analysant la législation progressiste en vigueur et des décisions judiciaires novatrices prouvant que
notre méthodologie est compatible avec la pratique couramment observée par les tribunaux et les
milieux universitaires costa-riciens. Ce constat valide le troisième composant de notre cadre
méthodologique : la méthode IPS d’évaluation des dommages environnementaux. Les critères et la
pratique du tribunal administratif pour l’environnement (TAA), ainsi que le protocole du réseau
national des zones de conservation (SINAC) définissant les normes en matière d’évaluation des
dommages environnementaux, corroborent notre choix en faveur de cette méthodologie — qui s’est
largement imposée dans le pays — pour parvenir aux objectifs recherchés. Cette reconnaissance
dépasse les milieux universitaires costa-riciens puisque, en raison de sa fiabilité, la méthodologie
IPS est appliquée dans différents pays d’Amérique latine.
Nous avons consacré un passage spécifique à l’application actuelle — par le centre
international pour les politiques économiques de développement durable (CINPE) de l’Université
nationale — de la méthodologie basée sur le transfert d’avantages aux fins d’évaluation de sept
zones humides RAMSAR au Costa Rica. Cette étude constitue un outil de mise en oeuvre de la
politique nationale de conservation des zones humides et démontre l’acceptation de ladite
technique d’estimation parmi les universitaires les plus estimés du pays.
3) Les calculs de la valeur pécuniaire des dommages ont été effectués de manière prudente,
pertinente et circonspecte.
Nous avons répondu aux allégations de Payne et Unsworth (2017) et aux allusions de
Kondolf (2017) sur notre application de cette méthodologie. Plus spécialement, nous avons
recommencé le processus de sélection et de production de preuves justifiant le choix des services
écosystémiques à évaluer. Nous formulons la conclusion selon laquelle notre processus sélectif
nous a permis de réduire la possibilité de choix redondants.
Nous avons notamment répondu, en invoquant l’opinion d’experts et des rapports
techniques, à la critique de ces auteurs selon laquelle ni l’érosion/formation du sol ni l’atténuation
des risques naturels ne devraient être incluses. Thorne (2017) nous a permis de rejeter cette opinion
en se basant sur l’étude scientifique des sols dans ce type de zones humides et sur l’importance de
ces dernières compte tenu de leur reconnaissance internationale et de leur statut de zone publique
protégée. En outre, nous avons de nouveau apporté la preuve que cette région est habitée par une
population dépendante dudit service. De plus, les preuves techniques communiquées par le SINAC
soulignent l’importance du service dans la zone de Portillos après le passage de l’ouragan Otto.
En ce qui concerne l’application des méthodes d’évaluation choisies, nous avons
soigneusement examiné les doutes et les objections du Nicaragua relatifs aux estimations effectuées
dans le cadre d’une évaluation directe ou des méthodologies axées sur la préférence révélée (en ce
qui concerne les arbres sur pied et la formation/prévention de l’érosion du sol). De plus, nous avons
examiné les choix opérés en ce qui concerne l’application de la méthode basée sur le transfert
d’avantages aux quatre services écosystémiques choisis et aux critères ayant présidé à notre
sélection. Nous concluons également que, dans toute la mesure du possible, nous avons réduit la
possibilité de parti pris — concernant l’identification des transferts pertinents — susceptible
d’affecter l’application de la méthode.
Le Nicaragua prétend, en ce qui concerne nos estimations de l’ensemble des services
écosystémiques, que leur annualisation pendant une période de récupération pouvant aller jusqu’à
cinquante ans aboutit à une double comptabilisation. Nous avons réfuté cet argument en
démontrant la nécessité d’inclure lesdits systèmes dans la valeur nette actuelle de chaque annuité,
compte tenu des engagements souscrits par le pays en matière de génération de rapports. Cette
pratique, loin d’aboutir à une double comptabilisation, correspond à une application adéquate de la
méthodologie IPS. En ce qui concerne notre estimation prudente d’une période de récupération de
cinquante ans, l’analyse par Thorne de l’objection de Kondolf mentionne suffisamment de preuves
- 22 -
scientifiques pour écarter la critique du Nicaragua. La même analyse renforce la conclusion selon
laquelle les composants de l’écosystème dans la zone endommagée qui mettront le plus longtemps
à récupérer sont les arbres abattus, dont l’âge moyen atteignait plus de 100 ans.
En ce qui concerne la comptabilisation de plusieurs services écosystémiques choisis, le
Nicaragua avance que nous avons commis une erreur en écartant l’hypothèse d’une reprise de la
fourniture des services au fil du temps. Nous prétendons avoir tenu compte de la récupération de
l’écosystème en choisissant notre taux d’actualisation aux fins d’estimation de la valeur actuelle
nette. Nous sommes également parvenus à la conclusion que notre choix est suffisamment prudent,
à l’issue d’une comparaison de celui-ci avec les données de Thorne relatives aux stades successifs
et au taux de reconstitution de la forêt tropicale, tels qu’ils apparaissent dans des articles ou études
publiés récemment.
Nous terminons notre analyse méthodologique en soulignant deux des principaux défauts de
la méthode d’évaluation proposée par le Nicaragua. Tout d’abord, cette méthode est obsolète et
inadéquate dans la mesure où elle tend à sous-évaluer les dommages comme cela ressort de l’avis
autorisé de Rudolf de Groot et de l’évolution de la littérature et des normes juridiques tels que nous
les avons documentés. Plus préoccupant, le choix d’une valeur basée sur des taux de paiement ESP
au Costa Rica indique une incompréhension de la nature de ces taux par Payne et Unsworth (2017),
dans la mesure où des raisons ne tenant pas uniquement à leur caractère s’opposent à leur
utilisation à bon escient en l’espèce. De plus, lesdits taux sont inapplicables aux zones protégées
appartenant à l’Etat.
Nous soumettons, aux appendices 6 et 11, deux avis autorisés portant sur la pertinence de
nos estimations et émanant respectivement de David Batker, président de Earth Economics, et de
Joshua Farley, professeur à l’Université du Vermont. Nous nous ne doutons pas de la supériorité de
l’approche que nous avons choisie et de l’application que nous en avons faite sur les deux
propositions du Nicaragua. Nous maintenons par conséquent notre estimation de
2 880 745,82 dollars des Etats-Unis comme valeur pécuniaire des dommages environnementaux
provoqués par les activités analysées par la Cour dans sa décision de décembre 2015.
II. Références de l’équipe technique
Fundación Neotrópica (FN)
La Fundación Neotrópica (FN) a été fondée en 1985 par un groupe de Costa-riciens
préoccupés par la situation environnementale régnant dans leur pays, dans le but d’élargir la portée
des analyses et des perspectives élaborées par d’autres ONG dans le cadre de leurs efforts de
préservation de l’environnement. La Fundación Neotrópica est née pour apporter des solutions aux
problèmes empêchant la préservation durable des zones tampons constituées d’aires protégées au
Costa Rica et pour aider les communautés à devenir les plus grands partisans d’une protection
efficace de l’environnement. Nous n’avons de cesse d’apporter notre soutien aux petits et moyens
entrepreneurs écologiques et de promouvoir l’utilisation des meilleures pratiques en matière de
viabilité et de systèmes de production durables.
La FN a mené à bien des projets techniques dans l’ensemble du Costa Rica et aussi à
l’étranger dans des pays tels que le Panama, le Guatemala, Cuba, le Paraguay et le Bénin. Depuis
2009, elle concentre son travail sur la conservation des zones humides costa-riciennes et
transfrontières (et plus particulièrement des mangroves) par le biais de son programme de carbone
bleu axé sur les communautés (PCAC).
La FN a également défendu la première le recours à des concepts novateurs — comme
l’annulation de créances en échange d’actions en faveur de la nature — en matière de protection de
l’environnement et de développement durable. Elle s’est imposée comme l’une des voix techniques
- 23 -
les plus crédibles dans le pays et, au-delà, dans toute l’Amérique centrale. Elle a mené, au début de
son existence, plusieurs projets ayant eu un grand retentissement (voir l’historique de la Fundación
dans l’appendice 12) dans la région d’Osa (qui abrite l’une des plus riches biodiversités au monde)
et d’autres parties du pays.
Fidèle à son esprit novateur, la FN s’attache actuellement à exploiter de nouvelles
disciplines, réflexions et recherches scientifiques dans des domaines tels que l’économie ou la
politique écologique. Elle encourage le recours à des processus participatifs dans le cadre de la
résolution de différents environnementaux et la promotion de concepts avancés comme les
évaluations fondées sur plusieurs critères, l’évaluation des services et des dommages
environnementaux, la dette écologique et la comptabilité biophysique au moyen d’outils comme
l’empreinte écologique, hydrique et carbone ou le métabolisme social. Dans le cadre de ses efforts,
la Fundación investit beaucoup dans le domaine de l’évaluation des services et des dommages
écosystémiques, ce qui lui a valu d’intervenir dans des différends nationaux ou internationaux
portant sur l’environnement.
Un travail précurseur en matière d’analyse économique des points d’impacts
environnementaux révèle que l’auteur de l’analyse économique élargie requise à cette fin accepte à
la fois les implications de l’économie du bien-être et la nécessité d’un travail multidisciplinaire. « Il
est inhabituel qu’une seule et même personne dispose de l’éventail des connaissances requis pour
évaluer convenablement à la fois les effets économiques et environnementaux d’un projet
quelconque » (Dixon et autres, 1994). C’est la raison pour laquelle, aux fins de la préparation de
l’évaluation pécuniaire en question (Aguilar-González et autres, 2016) et du présent rapport,
Neotrópica a constitué une équipe technique multidisciplinaire disposant d’une expérience et d’une
étendue de connaissances suffisantes pour relever le défi posé.
Bernardo Aguilar-González (coordinateur de l’équipe : économie écologique, droit de
l’environnement, écologie politique)
Bernardo Aguilar-González est le directeur exécutif de la Fundación Neotrópica : une ONG
environnementale technique créée au Costa Rica en 2008 et ayant déjà mené des projets spécialisés
et des missions de conseil de grande ampleur dans différents domaines scientifiques associés à la
durabilité comme l’économie écologique ou l’écologie politique. Il est professeur associé à la
School of Earth Sciences and Environmental Sustainability de la Northern Arizona University et
membre de l’Institute for Environmental Diplomacy de l’Université du Vermont. Il a enseigné au
Prescott College (Arizona, Etats-Unis) où il a notamment présidé le programme d’études
culturelles et régionales. En 24 ans de carrière universitaire, il a acquis une vaste expérience en
matière d’économie écologique, d’écologie politique, de développement durable, d’études
latino-américaines et de droit de l’environnement (et plus particulièrement de l’évaluation des
services écosystémiques et de l’analyse des différends écologiques). Il prépare actuellement un
doctorat en gestion des cultures de l’environnement dans le cadre du programme interuniversitaire
UNED-UNA-ITCR de sciences naturelles pour le développement au Costa Rica. Il est également
titulaire d’une maîtrise en droit agraire et de l’environnement et d’une licence en droit de
l’Université du Costa Rica. Il possède aussi une maîtrise en économie agricole et appliquée (bourse
Fulbright en économie appliquée, commerce international et économétrie) de l’Université
d’Athens, Géorgie, Etats-Unis. Ses publications incluent un livre, plusieurs chapitres de livres, des
articles parus dans des revues après approbation du comité de lecture, des critiques de livres, des
rapports techniques, ainsi que de nombreux éditoriaux dans divers périodiques. Parmi ses autres
activités professionnelles et bénévoles, il convient de citer des discours liminaires, des conférences,
des présentations, des interviews radiophoniques et la participation active à plusieurs associations
professionnelles et groupes de défense. Depuis 2010, il est président de la société méso-américaine
et caribéenne pour l’économie écologique
- 24 -
Marcia Carranza-Vargas (écologie et gestion des ressources marines côtières)
Marcia Carranza-Vargas est coordinatrice de projets techniques à la Fundación Neotrópica
où elle travaille depuis huit ans. Sa tâche consiste principalement à coordonner des projets, à
organiser des formations et à mener des recherches dans le domaine de la gestion et de la
restauration des écosystèmes des zones humides côtières. Dans le cadre de son travail, elle a acquis
une vaste expérience en matière de recherche et de suivi des écosystèmes constitués de mangroves,
y compris le développement de technologies de culture en pépinière, de méthodes de reforestation,
d’enseignement du respect de l’environnement et d’engagement des communautés. Dans ce
domaine, elle assume notamment la direction technique du programme de carbone bleu axé sur les
communautés (PCAC) de la FN, lequel a obtenu des distinctions internationales. Elle possède aussi
une vaste expérience en matière de conservation et de gestion de projets visant des aires protégées
pour le compte du réseau national des zones protégées (SINAC) du Costa Rica et du programme
national d’annulation de créances en échange d’actions en faveur de la nature. Plus spécialement,
elle dirige le développement de la zone protégée de Cerros de Escazú et des plans de gestion de la
zone protégée de Tivives, le plan de gestion de la zone de conservation marine de Cabo Blanco et
la création d’un arboretum dans la réserve forestière de Golfo Dulce. Elle dirige aussi un projet
pour la consolidation du modèle de gouvernance en matière de conservation de la réserve naturelle
nationale Barra del Colorado (qui fait partie de la Humedal Caribe Noreste [zone humide
d’importance internationale du nord-est des Caraïbes]). Ses diplômes universitaires incluent : une
licence en biologie (écologie et développement durable) de l’Universidad Latina de Costa Rica.
Elle termine actuellement une maîtrise en gestion des ressources marines côtières de l’Universidad
Nacional de Costa Rica et compte soumettre une thèse sur la biomasse et le carbone dans les
mangroves de la lacune de Gandoca (située dans la réserve naturelle de Gandoca-Manzanillo sur la
côte caribéenne du Costa Rica).
Marco Hidalgo-Chaverri (conservation et gestion de la faune-biologie tropicale)
Directeur du centre de l’OEA pour les études et l’autonomisation des communautés
Alvaro Wille Trejos à Rincón, Marco Hidalgo-Chaverri est assistant technique depuis 2010. Il a
collaboré du point de vue technique à plusieurs projets de la FN : élaboration des plans de gestion
des zones protégées de Cerros de Escazú et de Tivives, création d’un arboretum dans la réserve
forestière de Golfo Dulce et consolidation du modèle de gouvernance de la réserve naturelle
nationale Barra del Colorado (qui fait partie de Humedal Caribe Noreste). En sa qualité de
consultant indépendant, il dispose d’une vaste expérience en matière d’élaboration de plans de
gestion. Il a ainsi dirigé l’élaboration du plan de gestion de la baie de Golfito, dans le cadre du
projet Golfos de la Fundación Marviva, en collaboration avec le SINAC (grâce à un financement
du Fonds pour l’environnement mondial). Il a poursuivi des études de maîtrise en conservation et
gestion de la faune dans le cadre du programme régional de gestion de la faune de l’Université
nationale du Costa Rica et obtenu une licence en biologie tropicale (option gestion des ressources
naturelles) de l’école des sciences biologiques de la même Université.
Adriana Fernadez-Sánchez (ressources naturelles et gestion de l’environnement)
Adriana Fernadez-Sánchez travaille depuis cinq ans à la FN en qualité d’assistante technique
en gestion des ressources naturelles et en gestion de l’environnement. Elle apporte son concours à
l’exécution de projets communautaires de conservation de mangroves, à des programmes
d’éducation environnementale, à des initiatives en matière de tourisme rural au niveau local, à des
évaluations économiques de l’environnement, à l’étude de différends environnementaux et à la
gestion de zones protégées. Son travail inclut la rédaction de rapports techniques, la documentation,
la systématisation et l’analyse d’informations, l’organisation d’ateliers dans des communautés très
diverses, le soutien technique et logistique de propositions de projets, des services de consultant et
la préparation de plans de gestion de l’environnement et des déchets solides. Les diplômes
- 25 -
d’Adriana de l’UNED [Universidad Estatal a Distancia] (Costa Rica) et une licence en gestion de
l’environnement de l’Université nationale du Costa Rica
Rafael Monge-Vargas (politique et économie environnementales)
Rafael Monge-Vargas est conseiller politique auprès du cabinet du ministre de
l’environnement et de l’énergie (MINAE). Il a soutenu le processus d’adhésion du Costa Rica à
l’OCDE. Il est le coordinateur du Costa Rica pour l’initiative WAVES en ce qui concerne
l’évaluation du capital naturel. Il représente également le MINAE dans le cadre du programme de
certification environnementale « label bleu écologique ». Ses domaines d’expertise incluent le
changement climatique, la croissance verte, l’information environnementale et le renforcement des
marchés du carbone au Costa Rica. Il a également assumé la tâche de conseiller politique du bureau
du vice-ministre de l’eau, des mers, des côtes et des zones humides au sein du MINAE.A ce titre, il
était chargé de l’agenda marin international et de la coordination du programme de surveillance et
de contrôle marins relevant du plan de développement national. Sa formation universitaire inclut
des études au niveau de la maîtrise en gestion environnementale et en audit sur le changement
climatique. Il possède également un diplôme de premier cycle et une licence en économie de
l’Université du Costa Rica.
Mariano Castro-Jiménez (droit international)
Mariano Castro-Jiménez travaille depuis six ans comme consultant en droit et politique
environnementaux dans les domaines des partenariats public-privé, de la conservation marine, de la
création de pêcheries, de la protection d’espèces menacées, de la consolidation des zones marines
protégées, des modèles de gouvernance applicable à la haute mer, du changement climatique et
d’autres. Dans ces domaines, il travaille avec les communautés locales, la société civile, les
organismes officiels compétents, le secteur privé, des ONG locales et internationales, ainsi que les
autorités judiciaires et répressives, afin de renforcer l’utilisation durable des ressources naturelles.
Ses diplômes universitaires incluent une licence en droit international (option Paix, justice et
développement) de l’Université de Leyde (Pays-Bas), ainsi qu’un diplôme en droit notarial et
cadastral et un certificat de premier cycle de l’Universidad Escuela Libre de Derecho (Costa Rica).
Il est également titulaire d’un diplôme international en protection des droits de l’homme délivré par
l’Université pour la paix (Université de Heidelberg et institut Max Planck).
Le curriculum complet de notre organisation et de notre coordinateur d’équipe figure à
l’appendice 12.
III. Introduction
En règle générale et en présence d’un régime conventionnel spécifique, la norme en matière
d’indemnisation des dommages environnementaux est « la réparation intégrale du préjudice
causé »1. Les principes et méthodologies que la Cour internationale de Justice (CIJ) est censée
utiliser pour déterminer les éléments constitutifs d’une réparation intégrale ne sont pas
juridiquement fixés à l’avance et devront donc être sélectionnés discrétionnairement par les Juges
en fonction des circonstances de l’espèce.
Le présent rapport aborde uniquement la question de la méthodologie adoptée dans les
rapports d’experts relatifs à la compensation due dans l’affaire relative à Certaines activités menées
1 Article 34 des articles de la Commission du droit international (CDI), dont le commentaire fait référence à
l’affaire relative à l’Usine de Chorzów. Le rapport Payne et Unsworth de 2017, déposé par le Nicaragua, confirme que tel
est le cas.
- 26 -
par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua). Compte tenu du délai fixé
par la Cour internationale de Justice, il constitue une contribution technique à la réponse en la
matière du gouvernement costa-ricien au contre-mémoire du Nicaragua
Nous avons essayé de démontrer que :
a) l’affirmation du Nicaragua selon laquelle la méthodologie utilisée pour procéder à une
estimation de notre évaluation pécuniaire au titre des dommages environnementaux provoqués
par l’incursion illégale dans la zone humide d’importance internationale du nord-est des
Caraïbes (Humedal Caribe Noreste ou HCN) est infondée ;
b) notre méthode d’évaluation pécuniaire s’appuie sur de solides références internationales
récentes concernant l’estimation des dommages environnementaux dans les pays tropicaux
riches en biodiversité notamment dans leurs zones humides ;
c) notre méthode d’évaluation pécuniaire correspond aux normes juridiques et à la pratique les
plus courantes au Costa Rica, c’est-à-dire dans le pays où se situe la zone endommagée d’Isla
Portillos ; toute norme plus édulcorée serait en contradiction avec la législation nationale en
vigueur ;
d) la méthodologie proposée par le Nicaragua sous-estime nettement les dommages
environnementaux, y compris en recourant à une comparaison déplacée avec des dommages
survenus au début des années 1990 dans des conditions quasiment désertiques ; elle se fonde
également sur des hypothèses incompatibles avec le cadre juridique applicable et les faits avérés
de l’espèce.
Les cinq sections qui suivent développent ces objectifs et permettent de renforcer les
arguments en faveur de notre estimation pécuniaire de 2 880 745,82 dollars des Etats-Unis au titre
des dommages environnementaux et des coûts de restauration imputables selon nous au Nicaragua.
Une fois ces points démontrés, nous ajouterons les appendices correspondants afin de corroborer
nos affirmations.
IV. Critiques du rapport du Nicaragua sur la méthodologie utilisée
par la Fundación Neotrópica
Le Nicaragua cherche à disqualifier les estimations du Costa Rica en invoquant plusieurs
arguments :
a) L’approche axée sur les services écosystémiques n’est pas adaptée aux évaluations pécuniaires
des dommages environnementaux. Les auteurs du rapport du Nicaragua avancent — sur la base
de plusieurs précédents économiques et juridiques à caractère international et plus
particulièrement de la position de l’UNCC — que cette approche n’est pas une meilleure
pratique en économie.
b) Les auteurs du rapport du Nicaragua avancent que, même si l’on accepte l’approche axée sur les
services écosystémiques, notre travail repose sur des techniques d’estimation inappropriées. A
leurs avis, nous utilisons essentiellement la méthode d’estimation du transfert d’avantages de
façon erronée. Ils dénoncent en outre une prétendue double comptabilisation, une série alléguée
d’erreurs dans la sélection des services écosystémiques pertinents en vue de l’évaluation (dont
le manque de preuves) et d’autres facteurs qui aboutiraient à une surévaluation de notre
estimation pécuniaire d’environ 3 %.
c) En appliquant ce qu’ils qualifient de techniques « standards », les consultants du Nicaragua
avancent une estimation encore plus basse basée sur une utilisation très particulière de
- 27 -
l’approche axée sur le coût de remplacement, laquelle s’élève à 34 987 dollars des Etats-Unis
dans le meilleur des cas (soit 1,2 % de notre estimation initiale) (Payne & Unsworth, 2017).
Reprenons maintenant leurs affirmations.
V. La méthodologie utilisée par la Fundación Neotrópica est largement
reconnue au niveau international
A. Le Nicaragua déforme la méthodologie utilisée par la Fundación Neotrópica
Il convient en premier lieu de clarifier la manière dont les experts du Nicaragua déforment
notre cadre méthodologique dans le contre-mémoire. Dans notre rapport initial, nous avons
présenté les phases de notre méthode de manière séquentielle et organisée. Dans le but de
contribuer à la procédure judiciaire, nous avons jugé opportun d’illustrer l’application de ladite
méthode à l’aide de la figure 1.
La méthodologie inclut deux phases. Une première phase vise la sélection des éléments
théoriques et techniques appropriés en vue de permettre l’encadrement et l’exécution de
l’estimation pécuniaire en tenant compte du contexte socioécologique de l’application. En l’espèce,
nous avons considéré opportun de choisir deux éléments empruntés aux pratiques internationales
les plus récentes. La seconde phase est conforme aux paramètres établis au niveau international ;
elle a été élaborée et adoptée officiellement par le Costa Rica avant d’être exportée vers d’autres
pays d’Amérique latine.
Le premier élément correspond au cadre des services écosystémiques et permet une
évaluation ordonnée impartiale tout en évitant la double comptabilisation. Le deuxième élément
inclut les techniques d’estimation pécuniaire autorisant l’estimation des valeurs d’usage et de nonusage
en fonction des informations, des ressources et du temps disponible. Ces techniques sont
désignées sous le terme de techniques d’estimation de la valeur totale (EVT).
- 28 -
Figure 1
Aperçu synthétique du cadre méthodologique utilisé par Aguilar-González
et autres (2016) selon les auteurs eux-mêmes
Figure 1 - Aperçu synthétique du cadre méthodologique utilisé par Aguilar-González et autres (2016) selon les
auteurs eux-mêmes.
Légendes :
Stage 1 : Selection of… = Phase 1 : Sélection du cadre approprié d’évaluation des dégâts environnementaux en
fonction du contexte socioécologique
Ecosystem Services Framework = Cadre des services
écosystémiques
World recognized… = Reconnu au monde
entier et adopté par diverses normes et pratiques
Allows ordered… = Permet l’évaluation
ordonnée et prévient la comptabilisation partielle
ou double
Total Value Estimation Techniques = Techniques
d’estimation de la valeur totale (EVT)
Represent the state… = Représentent la
tendance la plus récente en matière d’attribution
d’une valeur monétaire à l’usage et au non-usage
des stocks et des flux de capital naturel
Includes methodologies… = Incluent des
méthodologies d’évaluation plus ou moins
rapides en fonction des ressources et des données
disponibles
IPS Environmental Damage Valuation Method =
Méthode IPS d’évaluation des dommages
environnementaux
Measures the damage… = Mesure les
dommages imputables à l’auteur de l’infraction
en tenant compte des conditions de base du site
endommagé
Requires monetary… = Exige l’estimation
pécuniaire du coût biophysique et social pour
toute la période allant de la commission des
dommages jusqu’à la reconstitution/restauration
du site endommagé
Stage 2 : Estimation… = Phase 2 : Estimation de la valeur pécuniaire des dommages environnementaux (la couleur
des formes représente l’élément du cadre le plus utilisé). Pendant la dernière étape, tous les éléments se superposent
1. Assessment of base… = 1.
Évaluation de la situation de base
6. Field visit… = 6. Visite sur le
terrain afin de valider les
7. Monetary Valuation Report…
= 7. Rapport d’évaluation
- 29 -
par rapport aux conditions
régnant après la commission des
dommages pour trois sites en
fonction des preuves disponibles
conditions de reconstitution et
notamment l’estimation du temps
requis
pécuniaire
Includes… = Inclut la description
qualitative des services
écosystémiques qui ne figuraient
pas dans l’estimation pécuniaire
et l’estimation pécuniaire des
systèmes choisis en fonction des
preuves et des données
disponibles pour la première
année et pour toutes les années
suivantes jusqu’à la récupération
complète
2. Selection of… = 2 Sélection
des services écosystémiques à
inclure dans l’évaluation en
fonction des données disponibles
dans le cadre de la procédure
5. Determination of… = 5.
Détermination du temps et de la
vitesse de reconstitution de
l’écosystème en fonction des
données disponibles et de l’avis
d’experts
3. Selection of… = 3 Sélection
des techniques d’évaluation
pécuniaire sur la base des
données disponibles dans le
cadre de la procédure
4. Application of… = 4.
Application des techniques
d’évaluation pécuniaire
sélectionnées
Figure 1 - Aperçu synthétique du cadre méthodologique utilisé par Aguilar-González et autres (2016) selon les
auteurs eux-mêmes.
Les méthodes EVT (estimation de la valeur totale) incluent celles utilisées dans les situations
où l’on dispose d’un délai, de données et de ressources suffisants : méthode d’évaluation directe (à
l’aide d’informations relatives au prix sur le marché), méthodes axées sur le prix virtuel (à l’aide
d’informations visant des biens ou services étroitement liés à ceux de l’écosystème évalué) et
méthodes axées sur des enquêtes (également connues sous le nom de méthode de la préférence
révélée ou de l’évaluation contingente). Elles incluent aussi les méthodes de transfert d’avantages
dans les situations où l’on dispose d’un délai, de données et de ressources suffisants.
Le troisième composant de notre cadre méthodologique est la méthode dite IPS (du nom de
l’institut l’ayant inventée) d’évaluation des dommages environnementaux. Elle impose la prise en
considération de l’état de la zone concernée avant la commission des dommages
environnementaux, de manière à déterminer la part de responsabilité imputable aux actes de
l’auteur de l’infraction. Elle recommande l’application de méthodes d’estimation VTE pour
déterminer le coût monétaire des dommages sociaux et biophysiques. Elle prescrit également
l’estimation de ce coût pour l’avenir jusqu’à ce que l’écosystème en cause retrouve sa capacité à
fournir des fonctions et des services au même niveau que celui qui prévalait avant la commission
des dommages environnementaux. Comme nous aurons l’occasion de le démontrer, le cadre IPS
constitue la méthode officielle la plus utilisée en pratique par les tribunaux costa-riciens
La deuxième phase de notre méthodologie consiste à appliquer le cadre sélectionné en trois
parties en marquant sept étapes comme illustré dans la figure 1. Ces étapes sont censées nous
permettre de :
1) évaluer équitablement la situation de base qui prévalait avant la commission des dommages
environnementaux ;
2) effectuer un choix ordonné et étayé des services écosystémiques perdus en fonction des preuves
techniques figurant dans le dossier ;
3) choisir et 4) appliquer les méthodes d’évaluation pécuniaire VTE les plus appropriées aux
pertes de services écosystémiques les plus importantes et les mieux corroborées ;
5) déterminer et 6) valider au moyen d’une visite sur le terrain le temps de reconstitution
nécessaire aux services écosystémiques évalués ; et
7) signaler les pertes qualitatives et pécuniaires imputables aux dommages pour toute la période
allant de la commission des actes dommageables à la reconstitution.
Analysons maintenant les arguments employés dans le rapport de l’équipe technique du
Nicaragua pour contester notre pratique. Examinons dans un premier temps spécifiquement les
- 30 -
questions du caractère approprié de l’approche axée sur les services écosystémiques et de la
technique d’estimation de la VTE basée sur le transfert d’avantages.
B. Les précédents en matière de pratique internationale invoqués par le Nicaragua pour
justifier sa thèse datent et précèdent l’intégration de l’approche axée sur les services
écosystémiques, notamment en ce qui concerne la préservation de la biodiversité
Le Nicaragua s’appuie essentiellement sur la pratique de la commission d’indemnisation des
Nations Unies (UNCC) et, dans une moindre mesure, des Etats-Unis et des pays européens. Cette
attitude pose problème dans la mesure où l’UNCC a mis fin à son traitement des demandes
d’indemnisation en 2005, c’est-à-dire l’année même de la publication du principal instrument
généralisant la méthode et la terminologie axées sur « les services écosystémiques », à savoir
l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire.
Les implications de cette évaluation pour le millénaire ont été analysées par la conférence
des parties à la convention sur la diversité biologique en 2006 dans le cadre de sa huitième réunion.
Cet exercice a débouché sur l’adoption d’une décision appelant notamment à mener des recherches
sur « l’évaluation de la biodiversité » et demandant à un organe subsidiaire « de prendre note dans
ses délibérations des liens entre la biodiversité et les questions et analyses socioéconomiques
pertinentes, y compris ... l’évaluation de la biodiversité et de ses composants ainsi que des services
écosystémiques fournis »2 [traduction du Greffe].
Dans le cadre de la même conférence des Etats parties, la CBD a adopté une décision relative
à des mesures d’incitation : application d’outils d’évaluation de la biodiversité, ainsi que des
ressources et fonctions connexes. Elle appelle spécifiquement les parties et les autres
gouvernements à envisager, dans la mesure de leurs possibilités, les méthodologies exposées dans
son appendice « ... comme des intrants possibles en vue de l’analyse, au moment d’envisager
volontairement l’application de méthodes d’évaluation des changements de valeur des ressources et
fonctions de la diversité biologique, ainsi que des services écosystémiques connexes, résultant de
leur processus de prise de décision »3 [traduction du Greffe]. De plus, elle « encourage les instituts
de recherche nationaux, régionaux et internationaux à renforcer leurs activités ... afin de
promouvoir une interprétation commune aux gouvernements et aux parties prenantes des
techniques d’évaluation en ce qui concerne notamment : A) l’intégration des valeurs des ressources
et fonctions de la diversité biologique et des services écosystémiques connexes dans la comptabilité
et le processus de prise de décisions nationaux en tenant compte du cadre conceptuel de
l’évaluation des écosystèmes en début de millénaire de l’ONU »4 [traduction du Greffe].
L’article 14, par. 2, de la convention sur la diversité biologique se lit comme suit :
«La Conférence des Parties examine, sur la base des études qui seront
entreprises, la question de la responsabilité et de la réparation, y compris la remise en
2 COP à la CBD, décision adoptée lors de la huitième réunion ordinaire de la conférence des parties à la
convention sur la diversité biologique : Implications des conclusions de l’évaluation des écosystèmes en début de
millénaire, 2006, UNEP/CBD/COP/DEC/VIII/9, par. 19 et 21, disponible uniquement en anglais
3 Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, décision adoptée lors de la huitième réunion
ordinaire de la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique : Mesures d’incitation : application des
outils d’évaluation de la diversité biologique et des ressources et fonctions de la diversité biologique, 2006,
UNEP/CBD/COP/DEC/VIII/25, paragraphe 2, disponible uniquement en anglais.
4 Ibid., par. 7.
- 31 -
état et l’indemnisation pour dommages causés à la diversité biologique, sauf si cette
responsabilité est d’ordre strictement interne. »5
Lors de sa 12e réunion tenue en 2014, la conférence des parties à la convention sur la diversité
biologique a adopté une décision relative à la responsabilité et à la réparation dans le contexte de
cette disposition6.
En particulier, la décision dissipe tout doute possible concernant la pertinence de l’approche
axée sur les services écosystémiques en invitant spécifiquement les parties « pour tout effort visant
à développer ou adapter la politique, la législation, les lignes directrices ou les mesures
administratives nationales en matière de responsabilité et de réparation pour les dommages causés à
la biodiversité, à prendre en compte, entre autres : a) les dispositions et approches pertinentes du
Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation ; b) les lignes
directrices du PNUE pour l’élaboration des législations nationales sur la responsabilité, les mesures
d’intervention et l’indemnisation pour des dommages causés par des activités dangereuses pour
l’environnement ; c) les conclusions du Groupe d’experts juridiques et techniques sur la
responsabilité et la réparation ; et d) le rapport de synthèse sur l’information technique relative aux
dommages causés à la biodiversité et les approches pour l’évaluation et la réparation des
dommages causés à la biodiversité, ainsi que les informations sur les mesures et les expériences
nationales/internes ; e) les consignes en matière de restauration des écosystèmes contenues dans la
décision XI/16, ainsi que dans les documents d’information UNEP/CBD/COP/11/INF/17 et
UNEP/CBD/COP/11/INF/18 ; f) les outils d’évaluation écologique mentionnés dans l’annexe à la
décision VIII/25 »7.
Il convient plus spécialement de signaler, parmi les éléments répertoriés ci-dessus, le rapport
de synthèse de 2008 sur l’information technique relative à la biodiversité et sur les approches
permettant d’évaluer les dommages lui ayant été infligés et la manière de les réparer, ainsi que les
informations sur les mesures et les expériences nationales/internes8. Il est notamment déclaré dans
ce document que « [à] travers différents cadres, la définition de l’appauvrissement de la
biodiversité pourrait constituer un point de départ utile à l’élaboration d’une définition des
dommages causés à la biodiversité pour les besoins des règles sur la responsabilité et la
réparation ». Par « appauvrissement de la biodiversité », ces auteurs entendent « la réduction
qualitative ou quantitative, permanente ou à long terme, des éléments constitutifs de la diversité
biologique et de leur potentiel de biens et de services mesurables aux plans mondial, régional et
national»9.
De plus, ce rapport déclare expressément que l’évaluation «des biens ou services réels ou
potentiels» devrait jouer un rôle majeur dans «[t]oute évaluation des dommages et la détermination
qui en découle[,] nécessaire pour établir des mesures primaires, complémentaires et compensatoires
[afin de] réparer les dommages causés à la biodiversité et [d’en attribuer] la responsabilité»10.
5 Convention sur la diversité biologique adoptée le 5 juin 1992 et entrée en vigueur le 29 décembre 1993,
1760UNTS79.
6 Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, décision adoptée de la conférence des parties
à la convention sur la diversité biologique : Responsabilité et réparation dans le contexte du paragraphe 2 de l’article 14
de la convention, 2014, UNEP/CBD/COP/DEC/VII/14.
7 Ibid., par. 2.
8 Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique : Responsabilité et réparation dans le contexte
du paragraphe 2 de l’article 14 de la convention sur la diversité biologique : Rapport de synthèse sur l’information
technique relative aux dommages causés à la biodiversité et les approches pour l’évaluation et la réparation des
dommages causés à la biodiversité, ainsi que les informations sur les mesures et les expériences nationales/internes, 2008,
UNEP/CBD/COP/9/20/Add.1.
9 Ibid., par. 11 et 12.
10 Ibid., par 14.
- 32 -
Même si le rapport suggère que, en 2006, soit peu de temps après l’évaluation pour le
millénaire, la pratique des Etats ne mentionnait toujours pas spécifiquement les dommages causés à
la biodiversité en eux-mêmes, préférant recourir à des références plus larges aux dommages causés
à l’environnement ou à des ressources naturelles, « [d]ans chacun des cas, ces approches plus
traditionnelles pour définir les dommages causés à l’environnement font référence aux éléments de
la biodiversité et aux services qu’elle fournit »11. Le rapport examine en outre toute une série de
concepts et de techniques d’évaluation et de réparation/compensation des dommages infligés à la
diversité biologique illustrant l’évolution conceptuelle avant et peu de temps après la publication de
l’évaluation pour le millénaire. Cette évolution — qui remonte déjà à près de 10 ans — corrobore
notre affirmation selon laquelle la conception limitée défendue par le Nicaragua pour rejeter
l’approche axée sur les services écosystémiques est dépassée.
C. L’approche axée sur les services écosystémiques utilisée par la Fundación Neotrópica est
reconnue dans la pratique internationale et ne constitue pas un simple «outil de
sensibilisation»
Compte tenu de l’évolution décrite plus haut, un certain nombre d’études et de lignes
directives — liées notamment à la restauration, à l’évaluation de la biodiversité et à l’abaissement
de la diversité biologique — ont été produites au cours des 10 dernières années. Nous sommes
donc à même de certifier la reconnaissance actuelle de l’approche axée sur les services
écosystémiques comme pratique internationale valide en matière d’évaluation des dommages
environnementaux.
Nous attribuons une grande importance, de même que la décision XII/14 de la conférence
des parties à la convention sur la diversité biologique sur la responsabilité et la réparation dans le
contexte du paragraphe 2 de l’article 14 de la Convention, à la définition des dommages
environnementaux telle qu’elle figure dans les lignes directrices du PNUE. Adoptée par le conseil
d’administration du programme des Nations Unies pour l’environnement en 2010, la ligne
directrice 3, paragraphe 2, alinéa f) définit les «dommages» comme englobant les dommages
environnementaux. Le paragraphe 3, alinéa b) définit les «dommages causés à l’environnement»,
comme «les effets défavorables ou négatifs sur l’environnement … estimés importants, à partir de
divers facteurs tels que : … (iii) La réduction ou la perte de la capacité de l’environnement à
fournir des biens et des services de façon permanente ou temporaire»12. Le Nicaragua a ratifié la
CBD le 20 novembre 1995 et il est donc partie à cet instrument, de même que le Costa Rica. Dans
le cadre de leur soumission à leurs obligations internationales énoncées dans la CBD, les deux pays
devraient tenir compte de ces paramètres dans leurs efforts visant à élaborer ou à adapter leur
politique, leur législation, leurs lignes directrices, ainsi que leurs mesures administratives relatives
à la responsabilité et à la réparation des dommages infligés à la diversité biologique.
Signalons ici également que la pratique des Etats mentionnée dans Payne et Unsworth (2017)
n’est pas aussi claire que le Nicaragua le prétend. Les Etats-Unis reconnaissent depuis longtemps la
pertinence des «services» pour l’évaluation des dommages environnementaux. De plus, l’évolution
récente enregistrée en Europe suggère que la pratique n’est pas aussi uniforme que l’avance le
Nicaragua.
Les juridictions fédérales des Etats-Unis ont reconnu l’importance de tels services pour
l’évaluation des dommages environnementaux dans le contexte de trois grandes lois nationales sur
l’environnement, telles qu’interprétées par ces instances, à savoir le Comprehensive Environmental
Response, Compensation, and Liability Act (CERCLA), le Clean Water Act (CWA) et le Oil
11 Ibid., par. 21.
12 Directives pour l’élaboration d’une législation nationale sur la responsabilité, l’intervention et l’indemnisation
en cas de dommages causés à l’environnement par des activités dangereuses, décision SS.XI/5, partie B, 26 février 2010.
- 33 -
Pollution Act (OPA). Le meilleur exemple est fourni par ce dernier dont les règlements
d’application mentionnent expressément les services.
Dans une série de trois arrêts de principe13, les juridictions fédérales ont émis les
propositions suivantes : «1) la mesure des dommages est égale à la somme du coût de la
restauration des ressources endommagées et de leurs services et d’une compensation au titre de la
valeur perdue momentanément en attendant la récupération desdits services et ressources, y
compris la valeur d’usage direct et la valeur d’usage indirect ; 2) les administrateurs ne sont pas
limités aux méthodes d’évaluation spécifiquement identifiées dans la réglementation et n’ont pas
besoin de fournir des normes détaillées concernant le recours à telle ou telle méthode ; et 3) la
méthode de l’évaluation contingente permet de mesurer valablement la valeur d’usage directe »
(Jones & DiPinto, 2017).
En Europe, à la suite des décisions rendues par la Cour de cassation française14 et la Cour
suprême espagnole15, la possibilité d’une conception élargie des dommages environnementaux
provoqués par les déversements accidentels d’hydrocarbures au-delà du cadre étroit de la
convention de 1992 sur la responsabilité civile et de la convention internationale portant création de
fonds internationaux d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures
(FIPOL) a généré des initiatives visant à appréhender les dommages environnementaux dans le
cadre d’un système volontaire. Ce dernier serait entièrement basé sur le concept de service
écosystémique16.
Suite à l’affaire Erika, le Code civil français a été modifié pour définir «le préjudice
écologique » de manière plus large en mentionnant notamment les fonctions des écosystèmes et les
avantages collectifs que l’homme retire de l’environnement. Le nouvel article 1247 adopté en
août 2016 se lit comme suit : «est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le
préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des
écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement»17.
La valeur des services écosystémiques est mentionnée dans divers instruments tels que
la directive de l’UE sur l’eau18 qui reconnaît dans son article 9 le principe de la récupération des
coûts des services liés à l’utilisation de l’eau et de sa relation étroite avec le principe du
pollueur-payeur. De plus, le forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF), organe subsidiaire
créé par le conseil économique et social, a adopté un instrument non juridiquement contraignant
concernant tous les types de forêts19 dans lequel il encourage les gouvernements, dans le cadre de
leurs politiques et mesures nationales, à reconnaître la valeur découlant des biens et services
13 En commençant par l’Ohio (880 F2d 432 State of Ohio v. United States Department of the Interior Asarco
National Wildlife Federation, 1989, confirmé par Kennecott (88 F3d 1191 Kennecott Utah Copper Corporation v. United
States Department of Interior, 1996) et General Electric (128 F3d 767 General Electric Company v. United States
Department of Commerce, 1997).
14 Dans l’affaire Erika (Crim 25 sep 2012, N/H 10-82.938 FP-P+B+R+I N/3439).
15 Dans l’affaire Prestige [STS Madrid, de 14 enero 2016 (ECLI:TS:2016:11).
16 Les fonds internationaux d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL).
“Proposed consideration of a voluntary supplementary fund for environmental damage within the IOPC funds”.
206.0PC/OCT16/4/2/3, paragraphe 3.3.
17 « Article 1386-20. – Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique
consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés
par l’homme de l’environnement. Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et
des paysages.
18 Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une
politique communautaire dans le domaine de l’eau.
19 2007/40 Instrument juridiquement non contraignant concernant tous les types de forêts, adopté lors de la
septième session du forum des Nations Unies sur les forêts.
- 34 -
fournis par les forêts et les arbres situés hors des forêts, ainsi qu’à chercher les moyens de refléter
cette valeur sur le marché20.
L’importance des services écosystémiques se reflète de plus en plus dans les instruments
juridiques et les politiques adoptés. A cet égard, le Conseil de l’Union européenne a identifié un
«besoin urgent d’inverser la tendance persistante à la perte de biodiversité et à la dégradation des
écosystèmes»21. Cette reconnaissance d’un besoin figure également dans la version modifiée de la
directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant
l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement22.
On peut trouver d’autres exemples d’études consacrées à l’évaluation des services
écosystémiques pour différentes régions du monde. L’OCDE a analysé l’utilisation récente de ce
type d’approche aux fins de l’analyse coûts-avantages des différentes politiques et mesures liées à
l’environnement dans des domaines tels que la biodiversité, l’agriculture, les forêts, les
écosystèmes d’eau douce et les habitats marins. La littérature révèle que les méthodes d’évaluation
varient considérablement de même que la gamme des services écosystémiques couverts
(Markandya, 2016), preuve s’il en était besoin de la consolidation de cette approche.
Il convient de signaler que, dans leur tentative de disqualification de l’approche axée sur les
services écosystémiques en vue d’évaluer les dommages environnementaux, Payne et Unsworth
(2017) paraphrasent le travail de Constanza et autres (2014) ; leur objectif est de démontrer que ces
derniers, en leur qualité d’utilisateurs majeurs de ladite approche, reconnaissent qu’elle ne se prête
pas à l’évaluation des dommages environnementaux. De plus, ils prétendent que ce cadre, de même
que l’étude de Constanza et autres (1997) — l’une des plus pertinentes concernant l’utilisation de
l’approche — ont été largement critiqués et rejetés par les économistes traditionnels en raison de
leur incompatibilité avec les principes et pratiques économiques sains (Payne et Unsworth, 2017).
Les auteurs du rapport technique du Nicaragua non seulement recourent de nouveau à des
références datant d’au moins 10 ans pour étayer leur point de vue, mais déforment également la
teneur des travaux qu’ils citent.
Nous avons consulté le premier et le deuxième auteurs de ces études, à savoir Robert
Constanza et Rudolf de Groot, pour solliciter leur opinion professionnelle sur cette interprétation
(voir les appendices 1 et 2).
Robert Constanza, président de l’école de sciences politiques de la Crawford School of
Public Policy (Université nationale d’Australie) nous a déclaré :
«Le tableau 1 dans Costanza et autres auquel se rapporte ce commentaire
répertorie «certaines utilisations potentielles de l’évaluation des services
écosystémiques» … . Il est précédé d’une remarque indiquant que la liste n’est pas
exhaustive et il n’exclut pas expressément l’évaluation des dommages comme l’une
des applications. Cette évaluation peut être considérée comme une forme d’«analyse
des politiques», c’est-à-dire une évaluation incluse dans la liste.»
Rudolf de Groot, professeur associé du groupe d’analyse des systèmes environnementaux de
l’Université de Wageningen (Pays-Bas) et président du partenariat Ecosystems Services
Partnership (ESP) nous a répondu :
20 2007/40 Instrument juridiquement non contraignant concernant tous les types de forêts, adopté lors de la
septième session du forum des Nations Unies sur les forêts, engagement V, paragraphe (j).
21 Conclusions du Conseil européen des 25 et 26 mars 2010.
22 Modification de la Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011
concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.
- 35 -
«Je ne suis pas certain de bien comprendre la logique de l’affirmation selon
laquelle nous n’aurions pas … inclus l’évaluation de la perte de l’écosystème dans
l’évaluation de l’utilisation des services de l’écosystème» de sorte que l’approche SE
[axée sur les services écosystémiques] n’est pas suffisamment solide pour calculer les
coûts de la perte de l’écosystème. De toute façon, NOUS AVONS BIEN inclus
«l’évaluation de la perte de l’écosystème» dans notre calcul de la valeur économique
totale (VET) des écosystèmes intacts ; ainsi, le coût des dommages évités constitue
une méthode d’évaluation importante et acceptée, dans la mesure où elle insiste sur les
services gratuits fournis par la nature — notamment les services de régulation comme
la purification de l’eau, la prévention de l’érosion, la pollinisation, la séquestration du
carbone et bien d’autres — et les sommes colossales que la société devrait acquitter en
l’absence desdits services pour parer les conséquences de cette perte en matière de
santé, d’érosion, de perte des récoltes, de changement climatique, etc.»
En ce qui concerne la critique et le rejet de l’approche par les économistes du courant
majoritaire en raison de son incompatibilité avec les principes et pratiques économiques sains, tels
qu’ils sont mis en avant par Payne et Unsworth, Robert Constanza a déclaré :
«Sur ce point les auteurs mentionnent notre article novateur et fondateur de
1997 : Constanza, R., R. d’Arge, R. de Groot, S. Farber, M. Grasso, B. Hannon,
K. Limburg, S. Naeem, R. V. Oneill, J. Paruelo, R. G. Raskin, P. Sutton et M. van den
Belt, «The value of the world’s ecosystem services and natural capital», Nature
387:253-260. Ils relèvent certaines des premières critiques suscitées par ledit article,
lesquelles ont toutes été réfutées comme erronées ou découlant simplement d’une
mauvaise interprétation de nos résultats (voir, par exemple, Constanza et autres,
2014). Cet article de 1997 a été par la suite cité plus de 17 000 fois dans Google
Scholar ce qui le classe, selon l’ISY Web of Science, à la deuxième place parmi toutes
les parutions citées dans le domaine de l’écologie/environnement. Il a suscité une
augmentation sensible du nombre de recherches scientifiques consacrées aux services
écosystémiques qui constituent désormais le thème de plus de 3 000 articles par an. Il
a également inspiré des projets et des initiatives institutionnelles supplémentaires, dont
l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire [Millennium
Ecosystem Assessment] ; le rapport du PNUE sur l’économie des écosystèmes et de la
biodiversité (TEEB) ; TruCost ; le partenariat Ecosystem Services Partnership
(ESP) ; l’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem
Services (IPBES) ; le document d’orientation « Biodiversité, stratégie de l’UE à
l’horizon 2020 » ; et bien d’autres. Toutes ces initiatives attestent que l’approche axée
sur les services écosystémiques est désormais reconnue et largement acceptée.»
D. La technique d’estimation basée sur le transfert d’avantages est une pratique
internationalement acceptée s’appuyant sur des critères d’application bien définis
Comme il l’a déjà fait avec l’approche basée sur les services écosystémiques, le Nicaragua
prétend que la méthode axée sur le transfert d’avantages n’est généralement pas acceptée en
matière d’évaluation des dommages environnementaux et prétend limiter son emploi en la
réduisant à un simple outil de sensibilisation à l’importance d’un environnement sain. Cette
hypothèse est, elle aussi, infondée dans la mesure où elle fait l’impasse sur l’évolution de la
littérature pertinente.
Tout d’abord, rappelons que cette méthodologie sert dans des situations où l’obtention
d’informations sur la base de méthodologies plus lentes s’avère onéreuse ou impossible (par
exemple dans le cadre de situations extrêmement conflictuelles) en raison de diverses limitations.
L’extrapolation de valeurs citées dans d’autres études au cas d’espèce dépend de l’existence
- 36 -
d’études relatives à des écosystèmes présentant des caractéristiques analogues et d’informations
fiables concernant les pourcentages de terres utilisées dans la zone analysée.
Jones et DiPinto (2017) reconnaissent, dans leur description de l’utilisation de l’approche
axée sur les services écosystémiques dans les litiges en matière de responsabilité portant sur des
ressources naturelles aux Etats-Unis que, dans les contextes où la contribution des services
écologiques à l’usage direct par des hommes (s’agissant par exemple du rôle des zones humides
dans la protection de la qualité de l’eau potable et dans la protection des terres et des infrastructures
côtières contre les ondes de tempête) est claire, la méthode axée sur le transfert d’avantages sert à
évaluer la modification des utilisations par l’homme grâce à la production de modèles caractérisant
ces relations. Son utilisation abondante transparaît dans le nombre de citations de l’étude de
Constanza de 1997, tel qu’il est mentionné par l’auteur lui-même dans sa lettre (soit plus de
17 000).
Cette augmentation appréciable du recours à ladite méthode a suscité des craintes quant à la
précision des résultats qu’elle génère et provoqué l’élaboration d’une série de critères visant à les
apaiser. A titre d’exemple, la décision VIII/25 de la conférence des parties à la convention sur la
diversité biologique, telle qu’elle est mentionnée plus haut, admet spécifiquement que le transfert
d’avantages a fait l’objet en son temps (2006) de vives controverses dans les ouvrages d’économie
et invite à respecter les critères inclus dans l’annexe relative aux options en matière d’application
des outils d’évaluation de la diversité biologique et des ressources et fonctions de cette diversité.
Cette annexe reconnaît expressément que :
«Le transfert d’avantages peut générer des estimations valables et fiables dans
certaines conditions. Il faut notamment que : i) le produit de base ou le service faisant
l’objet de l’évaluation soit très semblable sur le site de référence et sur le site cible ;
ii) la population affectée présente, elle aussi, des caractéristiques très semblables ; et
iii) les estimations originales transférées soient elles-mêmes fiables. Lorsqu’elle est
utilisée avec prudence, cette méthode peut atténuer les problèmes inhérents au manque
de données primaires et à l’insuffisance des fonds alloués fréquemment rencontrés
dans les situations d’évaluation. Pourtant, elle est encore au stade de l’élaboration. Il
faudrait que d’autres travaux soient réalisés afin de vérifier sa validité dans les études
où elle sert à évaluer la biodiversité. Une application prudente et un affinement de la
méthode s’imposent par conséquent.»23 [Traduction du Greffe.]
En raison de cette évolution, l’une des sources de l’évaluation des dommages
environnementaux auxquelles nous avons eu recours pour étayer notre estimation a été publiée par
le bureau régional du PNUE pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Le document pertinent
reconnaît la méthode basée sur le transfert d’avantages comme l’une des techniques d’estimations
valides de la VTE. Il prône un système complet d’évaluation des dommages environnementaux au
sein duquel toutes les méthodes s’intégreraient et se compléteraient de façon harmonieuse
(Castañón del Valle, 2006).
Déjà, le rapport de synthèse UNEP/CBD/COP/9/20/Add.1 (2008) reconnaît que la méthode
basée sur le transfert d’avantages s’applique à l’évaluation des dommages environnementaux. Plus
spécialement, il reconnaît la nécessité d’adapter les techniques d’évaluation aux besoins nationaux.
Il déclare notamment qu’
«une application soigneuse des méthodologies d’évaluation demande beaucoup de
capacité et de temps et que les principales contraintes seront probablement les coûts
d’application, compte tenu de la complémentarité des approches, et la pénurie de
spécialistes qualifiés, surtout pour les pays en développement, plus particulièrement
23 Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique. Mesures d’incitation : Application des outils
d’évaluation de la diversité biologique et des ressources et fonctions de la diversité biologique, op. cit.
- 37 -
les pays les moins développés et les petits Etats insulaires parmi ceux-ci, et les pays à
économies en transition».
Il prône ensuite des techniques d’évaluation comparativement faciles et rapides à utiliser, avant de
reconnaître que :
« [l]e transfert des bénéfices est une méthode relativement économique et rapide. Elle
consiste à utiliser les estimations obtenues (par une méthode ou une autre) dans un site
ou un cas particulier pour estimer les valeurs d’un autre site ou dans d’autres cas. Le
transfert des bénéfices est l’objet d’une grande controverse dans la littérature
économique, parce qu’il a souvent été utilisé à mauvais escient. Selon l’évaluation des
écosystèmes en début de millénaire, il commence à être généralement admis que le
transfert de bénéfices peut se révéler une méthode d’estimation valide et fiable dans
certaines conditions .... Comme il faut moins de temps et de ressources pour obtenir
des estimations grâce au transfert des bénéfices qu’avec les études primaires, on peut
dans certains cas préférer des chiffres rapides et économiques au détriment de la
précision, à condition que des normes de qualité minimales soient respectées.»24
En 2010, deux sources importantes ont présenté dans le détail les normes d’application de la
méthode basée sur le transfert d’avantages. La première relève d’études spécialisées ayant servi à
générer le rapport du PNUE sur l’économie des écosystèmes et de la biodiversité (le rapport
TEEB). Cette source reconnaît qu’à condition de choisir avec soin le site cible (auquel les valeurs
pécuniaires transférées seront appliquées) et le site ayant fait l’objet d’études spécifiques (le site de
référence dont les valeurs pécuniaires transférées proviennent) ou d’ajuster les valeurs pour tenir
compte des différences importantes entre sites, la méthode peut constituer une approche utile en
matière d’estimation de la valeur des services écosystémiques (Pascual et autres, 2010).
Le rapport identifie quatre catégories de méthodes axées sur le transfert d’avantages : i) le
transfert de valeurs unitaires, ii) le transfert de valeurs unitaires avec correction, iii) le transfert de
fonctions et iv) le transfert de fonctions méta-analytique. La plus simple est le transfert de valeurs
unitaires qui consiste à estimer la valeur d’un service écosystémique sur un site cible en multipliant
une valeur unitaire moyenne — estimée sur un site de référence — par la quantité du service
écosystémique sur le site cible. Les valeurs unitaires sont généralement exprimées sous forme de
valeurs par ménage ou de valeurs par unité de superficie. Dans le premier cas, leur agrégation se
fait en fonction de la taille de la population pertinente détenant les avantages provenant de
l’écosystème en question. Dans le deuxième cas, l’agrégation des valeurs se fait en fonction de la
surface pertinente de l’écosystème (Pascual et autres, 2010).
La méthode basée sur le transfert de valeurs unitaires avec correction est celle résultant de
l’ajustement des valeurs transférées en vue de refléter les différences entre les caractéristiques
respectives des deux sites. L’ajustement le plus courant vise à tenir compte des différences de
revenus entre le site cible et le site de référence, ainsi que des différences de niveau de prix au fil
du temps. Le transfert de fonctions de valeur vise des fonctions estimées en recourant à des
applications d’évaluation d’un site de référence et à des informations sur les valeurs des paramètres
sur le site cible. Enfin, le transfert de fonctions méta-analytique utilise une fonction de valeur
estimée sur la base de plusieurs résultats d’études, ainsi que des informations relatives aux valeurs
des paramètres sur le site cible pour procéder à des estimations (Pascual et autres, 2010).
Pascual et autres (2010) ont identifié huit types de défis en matière d’application de la
méthode basée sur le transfert d’avantages. Premièrement, ils mentionnent les erreurs de transfert
24 COP à la convention sur la diversité biologique, Responsabilité et réparation dans le contexte du paragraphe 2
de l’article 14 de la convention sur la diversité biologique. Rapport de synthèse sur les informations techniques
concernant les dommages causés à la diversité biologique et les méthodes d’évaluation et de restauration des dommages
causés à la diversité biologique ainsi que des informations sur les mesures prises et les expériences au niveau
national/intérieur.
- 38 -
pouvant être associées à des erreurs dans l’estimation initiale des valeurs monétaires sur les sites de
référence. C’est la raison pour laquelle ils recommandent vivement d’utiliser les meilleures
estimations initiales disponibles.
Les erreurs peuvent également provenir d’une mauvaise généralisation dès lors que les
valeurs des sites étudiés sont transférées sur des sites cibles dissemblables, sans que les différences
pertinentes soient pleinement prises en considération. Ces dernières peuvent concerner soit les
caractéristiques de la population (revenus, culture, démographie, niveau d’instruction, etc.) soit des
caractéristiques environnementales/physiques (quantité et/ou qualité du bien ou service,
disponibilité de substituts, accessibilité, etc.). Ce problème peut également découler de l’utilisation
d’études de site très anciennes ne tenant pas compte des méthodologies récentes, ce qui provoque
une généralisation au fil du temps (Pascual et autres, 2010).
Le parti pris au niveau de la sélection des publications se fait sentir lorsque le processus de
publication servant à diffuser les résultats de l’évaluation dans le cadre d’une bourse de savoir
disponible orientée vers certains types de résultats n’est pas conforme aux besoins d’information
des praticiens du transfert de valeurs. Ce problème exige, en ce qui concerne les pays en
développement ou à revenu moyen, de briser la barrière de la littérature publiée et de se plonger
dans les thèses, les rapports officiels, etc. qui, après un examen minutieux, peuvent fournir des
données valables n’ayant pas encore été publiées dans un magazine spécialisé ou dans une revue
dotée d’un comité de lecture (Pascual et autres, 2010).
L’agrégation des valeurs constitue, elle aussi, un défi identifié dans cette étude. Les
évaluations fondées sur la méthode basée sur le transfert d’avantages doivent procéder à l’ajout de
services avec la plus grande prudence, de manière à éviter la double comptabilisation de valeurs de
services écosystémiques. Tant que lesdits services sont totalement indépendants, l’ajout des valeurs
demeure possible. Le problème est beaucoup plus compliqué s’agissant d’agréger un grand nombre
de services : un exercice soumis au risque d’ajout de valeurs mutuellement exclusives ou
redondantes (Pascual et autres, 2010).
Les défis inhérents à l’échelle constituent également un problème dont il faut tenir compte.
La prise en considération de l’échelle spatiale de la fourniture des services écosystémiques et de
l’emplacement des bénéficiaires est importante s’agissant d’agréger des valeurs pour calculer la
valeur économique totale (VET) desdits services et pour gérer l’hétérogénéité des sites et des
caractéristiques propres au contexte (Pascual et autres, 2010).
Il convient de reconnaître la variation des valeurs en fonction des caractéristiques et du
contexte de l’écosystème et de procéder aux ajustements requis. Parmi ces derniers, l’étude
recommande la prise en considération du capital lorsque les caractéristiques socioéconomiques sont
particulièrement dissemblables au niveau des revenus. Les autres défis mentionnés concernent le
fait que bon nombre de valeurs de services écosystémiques sont dépourvues de rendements
d’échelles constants (Pascual et autres, 2010). De plus, la valeur de bon nombre de services
écosystémiques est censée diminuer au fur et à mesure que la distance entre les bénéficiaires et
l’écosystème s’accroît (Pascual et autres, 2010).
Les annales de la New York Academy of Sciences constituent une autre étude riche en
enseignements relatifs à l’application prudente de la méthode basée sur le transfert d’avantages en
matière d’évaluation des dommages environnementaux. Cet ouvrage consiste en une enquête sur la
théorie et la pratique de l’évaluation des services écosystémiques. Il se concentre sur la méthode
basée sur le transfert d’avantages considérée comme la deuxième meilleure option dans les cas où
l’évaluation primaire s’avère impossible. L’étude contient deux contributions importantes à
l’évaluation du caractère approprié des études basées sur le transfert d’avantages répertoriées dans
le tableau 4 de notre propre étude d’évaluation pécuniaire. La capacité de transférer des valeurs
d’un contexte à l’autre est spécifique à chaque service. Certains services écosystémiques peuvent
être fournis à une échelle où les avantages sont facilement transférables. En revanche, les valeurs
- 39 -
des services à l’échelle locale se prêtent parfois mal au transfert. Le tableau permet également de
vérifier facilement si les études du site de référence appliquent les techniques d’évaluation de la
valeur totale estimée la plus appropriée en synthétisant celles qui sont le plus couramment utilisées
dans la littérature. Cette manière de procéder illustre le fait que certains outils d’évaluation
conviennent mieux que d’autres à l’évaluation de services écosystémiques spécifiques (Liu et
autres, 2010).
Cette évolution dans la littérature corrobore de toute évidence les déclarations faites par
de Groot dans l’avis technique qu’il a fait parvenir sous forme de lettre adressée au vice-ministre
des affaires étrangères du Costa Rica et selon lesquelles :
«En ce qui concerne la solidité des études d’évaluation SE, et notamment des
études VET : en raison de la complexité des écosystèmes (en qualité de fournisseurs
des services écosystémiques, c’est-à-dire de l’offre) et de la société humaine (en
qualité d’utilisatrice des systèmes écosystémiques, c’est-à-dire de la demande), tout
calcul de la VET est intimement lié à une période et un contexte donnés et, par
conséquent, comporte une grande marge d’incertitude. Nous voulions simplement
lancer un avertissement dans notre article de 2014 pour que les gens prennent
conscience de la nécessité d’utiliser les valeurs pécuniaires indiquées dans nos études
et celles des tiers avec prudence et pour recommander d’effectuer un travail empirique
dans le cadre de tout processus de prise de décision. Pourtant, ces études d’évaluation
de l’écosystème initial requièrent beaucoup de temps, d’argent et de ressources
souvent indisponibles de sorte que, en pareilles circonstances, les études dites de
«transfert d’avantages» constituent la seule option réaliste. Le nombre des études
d’évaluation des services écosystémiques et de bases de données SE augmentant
rapidement [c’est notamment le cas de celles produites dans le cadre du partenariat
Ecosystem Services (www.es-partnership.org)], la solidité desdites études de transfert
d’avantages croît, elle aussi, à un rythme soutenu et je ne doute pas que, à condition
d’être convenablement effectuées, elles traduisent mieux l’effet de bien-être réel que
les calculs (estimations) avancés par les tenants d’une utilisation de remplacement (par
exemple un barrage, une ferme d’élevage de crevettes ou bien le développement de
sites récréatifs sur la côte) lesquels se fondent sur les valeurs du marché et sur des
prévisions pouvant changer précipitamment en fonction des circonstances politiques
économiques et, par définition, excluent la plupart des externalités.»
E. Le Secrétariat de la convention de RAMSAR lui-même reconnaît la validité de ce cadre
d’évaluation de la valeur économique des services écosystémiques et des dommages
environnementaux
Le rapport de la mission consultative no 69, tel qu’il figure au dossier de la présente affaire,
indique :
«Conformément à la convention de Ramsar, les Parties contractantes ont, par
l’effet du point j) de l’annexe A de la résolution IX.1, adopté les aspects pertinents des
services écosystémiques assurés par les zones humides qui sont énumérés dans
l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire. Dans ce contexte, les avantages que
les gens peuvent retirer des écosystèmes sont définis .... Ils incluent la fourniture de
services tels que de la nourriture et de l’eau ; des services de régulation comme le
contrôle des inondations, de la sécheresse, de la dégradation des sols et des maladies ;
des services de soutien comme la formation du sol ; et des services culturels comme la
contribution aux loisirs, à la spiritualité ou à la religion ; et d’autres avantages non
matériels.» (Secrétariat de la convention de RAMSAR, 2010).
- 40 -
Le rapport technique de Ramsar no 3 (CBD Technical Series N.27) apporte lui aussi la
preuve que l’approche axée sur les services écosystémiques et la méthode basée sur le transfert
d’avantages sont toutes deux utilisables en l’instance. Ledit rapport a été préparé pour répondre à la
demande spécifique — exprimée dans la résolution VIII.7 — d’un avis et de consignes pratiques en
vue de «l’évaluation des valeurs et fonctions, biens et services fournis par les zones humides».
Dans cet esprit, il contient des consignes en matière d’identification et de détermination de la
valeur des services écosystémiques (au niveau écologique, socioculturel et économique) fournis par
les zones humides et analyse les avantages et les inconvénients des différentes méthodes
d’évaluation (de Groot et autres, 2006).
S’agissant de commenter le recours à l’évaluation dans le cadre de l’appréciation d’impacts
environnementaux, de Groot et autres, 2006 déclarent :
«En cas de déversement accidentel, l’évaluation économique démontre les
dommages directs et indirects infligés aux systèmes côtiers et fournit une base à
l’indemnisation des populations locales au titre de la perte de services écosystémiques.
Souvent, ces dommages indirects, généralement négligés dans le passé, sont nettement
plus élevés que les coûts directs de nettoyage et de réparation des dommages. Par
exemple, le naufrage du pétrolier Prestige Oil au large des côtes de France et
d’Espagne en 2002 a généré des coûts de nettoyage de plus de 2 milliards d’euros,
tandis que les dommages indirects infligés aux pêcheurs, au secteur du tourisme, aux
moyens de subsistance des populations locales et au cadre naturel ont été estimés à
plus de 5 milliards d’euros.»
Plus loin, dans le cadre de l’élaboration des techniques d’estimation de la valeur économique
totale, le même auteur aborde spécifiquement la méthode basée sur le transfert d’avantages : une
quantité croissante d’informations est disponible dans la littérature et sur Internet. Cette littérature
ne cesse de s’agrandir et les bases de données deviennent de plus en plus complètes et élaborées.
Un bon point de départ consiste à effectuer une étude minutieuse sur dossier avant d’appliquer les
techniques de transfert d’avantages (de Groot et autres, 2006).
VI. La méthodologie utilisée par la Fundación Neotrópica est couramment
employée dans les pays tropicaux riches en biodiversité
Depuis 2005, les références aux services écosystémiques sont de plus en plus fréquentes
dans les pays tropicaux qui, comme le Costa Rica, sont riches en biodiversité. La pratique des
Etats, telle qu’elle est analysée dans la présente section, révèle en outre que la pratique de l’UNCC
ne convient pas et ne reflète plus la façon actuelle d’appréhender les dommages environnementaux.
Une étude de 2015 analyse les tendances relatives à la responsabilité au titre des dommages
environnementaux dans sept pays tropicaux (le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, le Nigéria,
les Philippines et la République démocratique du Congo). Ils ont tous en commun une forêt
couvrant une partie importante de leur territoire et une riche biodiversité, ainsi qu’une législation
naissante reconnaissant la responsabilité environnementale. Les auteurs estiment que, malgré des
défis en matière de gouvernance et une expérience limitée, les définitions des dommages
environnementaux tendent à s’élargir au-delà du cadre en usage aux Etats-Unis ou dans l’UE
(Jones et autres, 2015).
En Indonésie, la réglementation d’application définit des catégories de biens et services
environnementaux et fixe des lignes directrices permettant de calculer les dommages. Au niveau de
la jurisprudence pertinente, il convient de citer l’affaire Kallista Alam dans laquelle une entreprise
produisant de l’huile de palme — titulaire d’une concession d’exploitation forestière faisant l’objet
d’une contestation — a été reconnue responsable de l’abattage d’arbres des tourbières sur
- 41 -
1 000 hectares avec, pour conséquence, la perte de services écosystémiques comme la fonction de
stockage d’eau ou de séquestration/réduction du carbone (Jones et autres, 2015).
Au Mexique, la loi fédérale sur la responsabilité environnementale, adoptée en 2013, définit
les dommages environnementaux comme «la perte, la détérioration, la diminution, l’affectation ou
la modification mesurable des conditions chimiques, physiques et biologiques d’habitats,
d’écosystèmes, d’éléments naturels et de ressources, ainsi que de leur interaction et des services
environnementaux qu’ils fournissent» (Jones et autres, 2015).
Au Brésil, le décret fédéral no 43349/02 définit la politique nationale en matière de
biodiversité. Il prévoit que « la valeur d’usage de la biodiversité est déterminée par les valeurs
culturelles et inclut l’usage direct et indirect, la faculté d’un usage futur et, également, la valeur
intrinsèque y compris les valeurs écologiques, génétiques, sociales, économiques, scientifiques,
éducatives, culturelles, récréatives et esthétiques » (Jones et autres, 2015). Dans deux cas tranchés
au cours des dernières années, en 201225 et 201526 respectivement, la Cour supérieure de justice a
interprété cette disposition — conjointement avec le principe de réparation intégrale des
dommages — comme imposant entre autres l’indemnisation au titre de la perte des services
écosystémiques interrompus. Ces services ont notamment servi à évaluer les dommages inhérents à
l’abattage d’arbres natifs et exotiques dans une zone entourant un parc national, conformément à
une méthodologie élaborée dans une étude brésilienne inspirée elle-même de l’étude de Constanza
et autres (1997) contestée par le Nicaragua et par le rapport Payne et Unsworth. La perte estimée
s’élève à près de 14 millions de dollars des Etats-Unis27.
VII. La méthodologie utilisée par la Fundación Neotrópica est compatible
avec la pratique couramment observée par les tribunaux
et les milieux universitaires costa-riciens
Conformément à la tendance observée dans d’autres pays tropicaux riches en biodiversité, le
Costa Rica a également élaboré une série de lignes directrices et de pratiques en matière
d’évaluation des dommages environnementaux. La Cour internationale de Justice ayant affirmé
dans son arrêt du 16 décembre 2015 que la souveraineté sur le territoire litigieux appartient au
Costa Rica et que le Nicaragua, en établissant une présence militaire et en creusant trois caños,
avait violé la souveraineté territoriale du Costa Rica, nous estimons que ces normes et pratiques
devraient être sérieusement prises en considération par la Cour.
Le Costa Rica a élaboré sa réglementation en matière environnementale relativement tôt,
dans les années 1990, et a ainsi adopté une série de textes progressistes comme la loi sur les forêts,
la loi sur la biodiversité, la loi organique sur l’environnement, la révision de l’article 50 de la
constitution, etc.). Les dommages environnementaux sont définis comme «toute perte ou réduction
importante, infligée à un ou plusieurs composants de l’environnement, difficile à réparer voire
impossible en cas par exemple de disparition d’une espèce»28.
Les tribunaux et la doctrine reconnaissent au moins deux types de dommages
environnementaux : les dommages purs ou écologiques et les dommages écologiques non purs ou
privés (González & Peña, 2015). Les dommages écologiques affectent le patrimoine commun de
toute la population (biens publics) : eau, air, sol, biodiversité, etc. (Montero-Bustabad, 2012). La
même résolution de la Sala Primera [première chambre] de la Cour suprême déclare à propos de ce
type de dommages environnementaux qu’il
25 S.T.J., n° 1180078/MG, Rel. Ministre Herman Benjamin, Second Class, DJE 28/02/2012.
26 REsp N° 1410698/MG, Rel. Ministre Humberto Martins, Second Class, arrêt du 23 juin 2015.
27 Enquête civile n° 007/2011 (DOC-0145-2012-FLORA).
28 Sala Primera de la Corte Suprema de Justicia. N.675-2007 de las 10:40 horas del 21/09/2007.
- 42 -
«affecte la flore, la faune, le paysage, l’air, l’eau, le sol c’est-à-dire l’environnement.
Ces dommages affectent l’écosystème en inhibant ses fonctions naturelles. Ils portent
atteinte ou affaiblissent les composants de la nature et de l’environnement ... Il s’agit
de dommages portés à l’environnement sous forme d’une altération ou d’une
destruction totale ou partielle affectant indirectement la qualité de vie de tous les êtres
vivants de la planète.»29
Parmi les notions juridiques progressistes associées à ce concept figurent des critères relatifs à la
charge de la preuve et à l’obligation pour l’État d’agir en présence de dommages
environnementaux purs. En ce qui concerne la charge de la preuve, la jurisprudence penche en
faveur de son renversement en cas de dommages environnementaux, compte tenu du principe de
précaution tel qu’il est appliqué dans la loi costa-ricienne sur la biodiversité. Comme indiqué à
l’article 109 de cette même loi : «La charge de la preuve de l’absence de contamination,
dégradation ou effets illégaux pèse sur la personne ayant sollicité une autorisation, un permis ou un
accès à la biodiversité ou qui est accusée d’avoir commis des dommages environnementaux»30. En
ce qui concerne l’obligation pour l’État d’agir en présence de dommages environnementaux purs,
les critères juridiques indiquent l’absence de tout délai de prescription (Montero-Bustabad, 2012).
Dans le même ordre d’idées, la doctrine juridique prône l’évaluation exhaustive des dommages
environnementaux (González & Peña, 2015). Au Costa Rica, cette doctrine reconnaît également
que, malgré la difficulté inhérente à l’évaluation pécuniaire de bon nombre de ces dommages et aux
risques d’arbitraire pesant sur cet exercice, on ne saurait considérer un dommage environnemental
comme non susceptible d’indemnisation pour la simple raison qu’il est difficile à apprécier
(Montero-Bustabad, 2012).
Ces concepts ont été exprimés de manière méthodique par les tribunaux et les milieux
universitaires. En ce qui concerne la littérature économique, plusieurs études exposent les pratiques
d’évaluation pécuniaire les plus récentes. Dans notre rapport consacré à l’évaluation pécuniaire en
l’instance, nous mentionnons l’étude de Mary L. Moreno décrivant l’expérience acquise au Costa
Rica jusqu’en 2005 en matière d’évaluation économique « des services fournis par la biodiversité »
pour reprendre les termes de cet auteur (l’étude est parue l’année de l’évaluation par les Nations
Unies des écosystèmes pour le millénaire).
L’étude démontre l’évolution radicale des études d’évaluation qui portent désormais sur
plusieurs types d’écosystèmes et appliquent toute la gamme des méthodes VTE. En matière
d’évaluation pécuniaire des dommages environnementaux, la tendance actuelle consiste à appliquer
la méthode dite IPS puisqu’elle a été élaborée par l’Instituto de Políticas para la Sostenibilidad
[institut des politiques de durabilité (IPS)] du Costa Rica (Moreno, 2005).
L’année dernière, un autre rapport — basé sur les connaissances les plus récentes et publié
par le centre international des politiques en faveur du développement durable de l’Université
nationale (CINPE-UNA) — a procédé à l’analyse des tendances de la littérature spécialisée et à son
évolution. Il confirme l’application, dans les publications récentes consacrées aux dommages
environnementaux, d’approches inspirées du cadre élaboré par l’IPS (Aguilar-González & Segura
Bonilla, 2016).
L’appendice 3 au présent rapport confirme cette tendance des scientifiques en reproduisant
une opinion technique de Moreno qui est le coordinateur des recherches au sein du CINPE-UNA
(l’un des centres universitaires les plus prestigieux spécialisés dans l’environnement et l’économie
écologique au Costa Rica) et de Segura qui est chercheur au sein de la même institution. Pour
reprendre les propos de l’intéressé :
29 Ibid.
30 Tribunal Contencioso Administrativo, Sección IV. N. 4399-2010 de las 10:40 horas del 14/12/2010.
- 43 -
«Nous avons analysé minutieusement les références théoriques sur les
méthodologies d’évaluation économique des services environnementaux et
d’évaluation des dommages causés aux services écosystémiques au Costa Rica et
appliqué plusieurs de ces méthodologies aux niveaux national et international. Parmi
les différentes méthodologies utilisées pour évaluer le dommage causé à
l’environnement que nous avons trouvées et qui ont été utilisées dans des travaux ... la
méthodologie de l’Instituto de Polìticas de Sostenibilidad, IPS [institut des politiques
durables] est la plus utilisée au Costa Rica.»
Au niveau des tribunaux, le Costa Rica ne dispose pas à proprement parler d’une juridiction
spécialisée compétente en matière d’environnement. Dans ce domaine, la plupart des affaires
pénales et civiles sont jugées par les juridictions pénales et agraires. De plus, les affaires dans
lesquelles l’Etat est mis en cause en sa qualité d’autorité chargée d’appliquer la loi et les normes
juridiques environnementales relèvent du tribunal administratif des contentieux. Toutes ces
juridictions ont progressivement évolué de manière à acquérir les compétences techniques requises
pour juger des affaires portant sur l’environnement. Néanmoins, compte tenu de sa nature, le
tribunal administratif pour l’environnement (Tribunal Ambiental Administrativo, TAA) du
ministère de l’environnement est de loin celui qui jouit de la plus grande expérience en la matière.
Dans la prochaine section, nous examinerons plus en détail la jurisprudence la plus récente de cette
instance — concernant l’application de méthodes d’évaluation pécuniaire des dommages
environnementaux à la pointe du progrès — de manière à compléter la justification de notre choix
en faveur du cadre méthodologique utilisé dans le présent rapport.
A. Pratique du tribunal administratif pour l’environnement du Costa Rica en matière
d’évaluation des dommages environnementaux
Le tribunal administratif pour l’environnement (TAA) a été créé en 1995 par une loi31 afin de
conférer davantage de célérité et de transparence à la justice environnementale au Costa Rica par
rapport aux procédures existantes. Le TAA est une instance décentralisée rattachée au ministère de
l’environnement (MINAE) et compétente dans l’ensemble du pays. Il peut agir sur demande ou de
sa propre initiative. Son domaine de compétence inclut les procédures et les sanctions à l’encontre
des auteurs de dommages environnementaux32. Pour s’acquitter de ses devoirs, il peut déterminer le
montant de l’indemnisation appropriée des dommages. A cette fin, il a recours aux divers services
spécialisés du MINAE pour l’aider dans son travail. Ces services sont légalement tenus de lui
prêter assistance.
Dans sa pratique, le TAA n’a pas choisi de méthodologie officielle d’évaluation pécuniaire.
Certains dénoncent cette attitude (Sánchez, 2009). Nous pensons quant à nous qu’il a agi
judicieusement en appliquant progressivement plusieurs méthodologies selon la spécificité du
contexte socioécologique et des circonstances de chaque affaire et en n’hésitant pas à recourir
fréquemment à de nouvelles méthodes.
Le TAA a publié en 2014 un guide des indicateurs pour l’évaluation économique des
dommages environnementaux infligés aux ressources marines côtières. Cet ouvrage — parrainé par
le conservatoire de la nature et rédigé avec la collaboration de l’ONG technique PRETOMA — a
pour objet, selon ses auteurs, «d’amener les membres du TAA à utiliser ces concepts en vue de
déterminer, en fonction de leurs propres critères, si un rapport d’évaluation de dommages
environnementaux englobe les éléments nécessaires pour lui conférer une fiabilité technique et si
les indicateurs d’évaluation des dommages environnementaux dans divers environnements marins
côtiers sont suffisamment pertinents pour assurer ladite fiabilité » (MINAE-Tribunal ambiental
Administrativo, 2014).
31 Costa Rica. Loi organique sur l’environnement, 28 septembre 1995, articles 103 et suiv.
32 Ibid., art. 111.
- 44 -
Le guide suggère un cadre englobant trois composants et définissant au profit du TAA une
méthode à la pointe du progrès fondée sur l’approche axée sur les services écosystémiques, les
techniques d’estimation de la VET et la méthode IPS d’évaluation pécuniaire des dommages
environnementaux (MINAE-Tribunal ambiental Administrativo, 2014). Il convient de relever que
ce cadre composite est exactement celui que nous avons adopté pour procéder à notre propre
estimation pécuniaire en l’instance.
Le guide contient en outre un chapitre relatif aux indicateurs applicables aux écosystèmes
des mangroves en vue de permettre l’application du cadre fondé sur les services écosystémiques à
ce biome particulier. Il contient une remarque intéressante sur l’évolution des applications
d’évaluation formulée à l’issue d’une comparaison entre une évaluation faite en Colombie par la
cour des comptes en 1998 et une autre évaluation faite en 2010 en recourant à l’approche axée sur
les services écosystémiques. L’évaluation effectuée en 2010 a abouti à une valeur pécuniaire
13 fois supérieure à celle de 1998 (MINAE-Tribunal ambiental Administrativo, 2014). Le guide
figure en tant que document officiel sur le site Web du TAA à l’adresse http :
tribunalambiental.go.cr/portfolio-item/manual-de-indicadores-para-la-valoracion-economica-dedanos-
ambientales, d’où il ne peut toutefois pas être téléchargé. Pour procéder au téléchargement, il
convient de procéder depuis le site Web de l’ONG PROTEMA (http://www.premota.org/wpcontent/
uploads/2015/01/VALORACI%C3%93N-ECON%C3%93MICA-MARINOCOSTERA.
pdf).
De plus, le réseau national des zones de conservation (SINAC) est l’entité la plus active en
matière de fourniture au TAA d’évaluations pécuniaires des dommages environnementaux. Nous
avons demandé au TAA de nous indiquer quelle est la méthodologie la plus couramment utilisée
dans ce domaine. L’appendice 4 au présent rapport contient deux notes du tribunal dans lequel
celui-ci admet avoir «tenu compte des dossiers administratifs dûment finalisés par [lui] en 2015 et
2016, que ce soit par le biais de l’adoption d’un acte final ou bien de l’homologation d’un accord
de conciliation». Dans la même note, il est précisé que : «dans les 69 dossiers complétés devant le
tribunal administratif pour l’environnement pendant les années susmentionnées, la méthodologie
IPS domine largement s’agissant d’évaluer les dommages environnementaux, puisqu’elle a été
utilisée dans 34 % des cas.» (Solano, 28 juillet 2017).
B. Protocole du SINAC et méthodologie de l’IPS
Il me semble important pour comprendre les conclusions du TAA d’expliquer les paramètres
que le SINAC utilise aujourd’hui pour procéder à ces évaluations. Comme indiqué dans la note du
tribunal, «en vertu de la directive SINAC-DE-1156 du 23 mai 2014, l’évaluation des dommages
environnementaux effectuée par le personnel du réseau national des zones de conservation doit
obligatoirement respecter les lignes directrices du ‘Protocole d’évaluation économique des
dommages environnementaux’ publiées la même année. Selon ce document, quatre méthodologies
permettent de procéder à cette évaluation économique au prix d’un ajustement en fonction des
circonstances de l’espèce :
a) la méthodologie IPS d’évaluation économique des dommages environnementaux qui est
recommandée s’agissant de modifier l’utilisation d’un terrain, les feux de forêt et les dommages
infligés à des zones humides, même si elle peut être appliquée à la quasi-totalité des situations
affectant des ressources naturelles ;
b) la méthodologie ACOSA d’évaluation économique des dommages environnementaux qui est
recommandée en cas d’extraction (de produits ou de produits dérivés), de braconnage et de
trafic d’espèces appartenant à la flore ou à la faune sauvages ;
c) la méthodologie AC-HN d’évaluation économique des dommages environnementaux qui est
recommandée en cas de dommages provoqués par l’abattage et la récolte d’arbres dans des
- 45 -
zones agricoles et non forestières, dans les régions dépourvues de forêts riveraines et dans les
zones de protection de la forêt ; et
d) la méthodologie ACMIC d’évaluation économique des dommages environnementaux —
conçue à l’origine pour la zone de conservation marine de l’île de Coco — qui est
recommandée dans les cas impliquant des dommages pour l’environnement marin, s’agissant
notamment de pêche illégale ou d’exploitation illégale d’espèces marines.
Le protocole ne limite pas expressément les options d’évaluation à ces quatre méthodologies,
mais encourage l’adoption de critères communs de sélection d’une méthode. De plus, il fournit des
détails sur le contenu des rapports d’évaluation, sur le personnel censé intervenir (en prônant un
travail multidisciplinaire en présence de situations complexes) et sur d’autres questions juridiques
et procédurales (SINAC, 2014).
Il convient de rappeler que la méthodologie IPS tente de mesurer les dommages
environnementaux en déterminant l’état de l’environnement avant et après son endommagement
(voir la figure 2). Selon notre propre rapport d’évaluation pécuniaire33, il convient lors de son
application de distinguer entre trois composants. Le premier est le coût de la réparation c’est-à-dire
la valeur du dommage biophysique. Le deuxième est le coût social généré par la perte d’avantages
consécutive aux effets des dommages sur l’état de conservation de l’environnement naturel et sur la
qualité et la quantité des flux fournis par le capital naturel. Le troisième est la valeur de la
production totale extraite s’agissant d’activités extractives (Barrantes & Di Mare, 2001).
33 Voir l’équation numéro 5, page 30.
- 46 -
Figure 2
Représentation graphique d’un dommage environnemental.
Source : Barrantes & Di Mare, (2001)
Figure 2 : Représentation graphique d’un dommage environnemental. Source : Barrantes & Di Mare, (2001)
Légendes :
Quality of an… Qualité d’un facteur environnemental
Evolution of a factor… Évolution d’un facteur ou de l’environnement « hors»
de toute action
Environmental Impact Impact environnemental
Evolution « with» action Évolution «en présence» d’une action
Period of Interest Période à prendre en considération
Moment when… Moment où l’action débute
Time Temps
La méthodologie propose l’évaluation de l’état initial des ressources naturelles concernées en
mesurant le potentiel de fourniture des flux ou des services écosystémiques bénéficiant à la société.
L’estimation des coûts sociaux considère les avantages perdus en raison des dommages
environnementaux causés. Il est donc nécessaire de déterminer le groupe d’avantages fourni par
l’environnement naturel ayant été affecté et la manière dont ces avantages ont diminué en raison de
la perturbation dudit environnement (Barrantes & Di Mare, 2001 ; Vega, 2004).
Gerardo Barrantes de l’IPS rend compte de l’usage répandu de la méthodologie dans la note
reproduite à l’appendice 5. Il signale que, en raison de sa reconnaissance internationale, la
méthodologie est appliquée dans divers pays latino-américains et sert par exemple à élaborer des
politiques et à régler des contentieux en Equateur et en Colombie, ainsi qu’à former le personnel
des organismes compétents au Paraguay et au Honduras.
C. Application de la méthodologie du transfert d’avantages par le CINPE-UNA en vue de
l’évaluation des zones humides costa-riciennes
Une observation finale s’impose pour prouver la validité du cadre méthodologique appliqué
dans notre rapport d’évaluation. Comme Morano et Segura l’ont signalé dans leur note
(appendice 3), ils «nous travaillons actuellement sur un projet de recherche intitulé «Valoración de
los Servicios Ecosistémicos de siete humedales Ramsar de Costa Rica» [évaluation des services
écosystémiques de sept zones humides RAMSAR du Costa Rica] pour le réseau national des zones
- 47 -
de conservation (SINAC) et ledit ministère. A cette fin, nous avons recours à la méthodologie
internationalement reconnue sous le nom de transfert de valeurs. Il est généralement recouru au
transfert d’avantages — plus généralement désigné sous l’appellation transfert de valeurs — en cas
d’impossibilité de procéder à une étude détaillée par manque de ressources budgétaires et/ou de
temps, lorsque le but de l’exercice est de mesurer les avantages (Morano & Segura,
20 juillet 2017).
Cette affirmation confirme incontestablement la validité du recours à la méthode basée sur le
transfert d’avantages dans notre rapport d’évaluation pécuniaire. De plus, dans sa lettre au
vice-ministre costa-ricien des affaires étrangères, David Batker cite un exemple d’application de la
méthode dans le domaine de l’élaboration de politiques pertinentes en Amérique latine
(appendice 6). Earth Economics (www.eartheconomics.org/) est l’une des ONG techniques les plus
importantes se consacrant à l’évaluation des services écosystémiques au monde entier. En
Amérique latine, elle utilise entre autres la méthode basée sur le transfert d’avantages dans le cadre
de ses travaux réalisés en Équateur, en Colombie, au Costa Rica, au Panama et au Pérou (Batker,
28 juillet 2017).
Nous pensons avoir prouvé sur la base des antécédents et des preuves techniques et
juridiques présentés jusque-là que notre cadre méthodologique en trois parties constitue une
synthèse valable des méthodes les plus récentes en matière d’évaluation des dommages
environnementaux au niveau international et plus particulièrement dans les pays tropicaux riches en
biodiversité comme le Costa Rica. Nous avons produit suffisamment de preuves du respect des
normes imposées au Costa Rica par ledit cadre et de son applicabilité plausible à des zones
humides telles que la zone humide d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (reconnue
par RAMSAR).
Examinons maintenant les allégations des experts du Nicaragua concernant notre choix de
services écosystémiques avant de rejeter leur remise en cause de nos calculs spécifiques.
VIII. Les calculs de la valeur pécuniaire des dommages ont été effectués
de manière prudente, appropriée et circonspecte
Nous allons maintenant développer les arguments déjà présentés, dans le cadre de la présente
procédure, dans notre rapport d’évaluation et dans nos addenda explicatifs de novembre 2016 afin
de rejeter la remise en cause par le Nicaragua, sur la base du rapport de Payne & Unsworth (2017),
de notre application du cadre méthodologique. En vue de valider encore mieux ladite application,
nous soumettons à l’examen de la Cour une note technique dans laquelle l’ONG spécialisée Earth
Economics évalue la solidité de notre rapport d’évaluation pécuniaire (appendice 6). Selon un
membre de cette organisation, «[e]n ce qui concerne l’affaire spécifiquement en cause et l’analyse
fournie par Neotrópica, j’estime cette dernière solide et prudente» (Batker, 28 juillet 2017).
A. Sélection minutieuse et circonspecte des services écosystémiques à évaluer
Comme indiqué dans nos addenda explicatifs, le processus de sélection des services
écosystémiques à prendre en compte en tant que pertes dans l’évaluation pécuniaire des dommages
environnementaux a été mené avec minutie, dans le délai imparti et conformément aux
informations techniques disponibles confirmant les dommages. A cette fin, le rapport décrit le
contexte technique environnemental de l’évaluation et cite en particulier les documents et
contributions utiles, ainsi que leur emplacement spécifique. Dans le tableau 234, nous avons mis en
évidence les faits pertinents sur le plan technique qui corroborent les pertes attestées. Les faits
constatés et les éléments d’appréciation techniques disponibles — tels qu’ils ont été communiqués
34 Voir la page 11 de la traduction anglaise du rapport d’évaluation
- 48 -
par des professionnels qualifiés — constituent le lien de causalité avec les dommages allégués.
Nous avons en outre évalué les faits et leur lien de causalité avec notre équipe technique
multidisciplinaire en consultation avec le SINAC. Comme nous l’avons illustré plus haut dans la
figure 1, nous avons ensuite cherché à valider notre analyse en effectuant une inspection sur le
terrain sous la forme d’un survol aérien (Aguilar-González, 18 novembre 2016).
Sur la base de ces preuves, nous avons procédé à une sélection préliminaire de biens et
services écosystémiques en vue d’une évaluation. Le tableau 8 de la traduction anglaise du
rapport35 présente cette liste préliminaire (Aguilar-González et autres, 2016). Il indique, pour mieux
démontrer la sélectivité de notre processus, le degré de facilité de réalisation d’une évaluation des
biens et services concernés et de transférabilité, selon les règles énoncées par Liu et autres (2010),
des valeurs pécuniaires estimées — depuis des écosystèmes analogues situés à d’autres endroits —
aux fins de l’application de la méthode basée sur le transfert d’avantages. Nous avons également
documenté dans ce tableau l’ampleur des dommages de chaque catégorie dans la zone étudiée, les
réserves et les flux perceptibles dans cette dernière et la mesure dans laquelle il était possible (à
l’époque de la rédaction du rapport) de vérifier les pertes provoquées. Nous sommes parvenus à
une liste de 11 catégories de biens et services présélectionnés. A l’issue d’un examen approfondi
des données disponibles, nous n’en avons retenu que six pour l’évaluation pécuniaire des
dommages imputables et nous avons sélectionné huit catégories pour une description qualitative,
comme indiqué dans les tableaux 8 et 1136 de notre rapport d’évaluation (Aguilar-González,
18 novembre 2016).
Il convient de noter que la sélection méticuleuse des services écosystémiques destinés à être
évalués sur le plan pécuniaire réduit sensiblement le risque de redondance. De ce point de vue,
nous pouvons affirmer que le fait d’avoir sélectionné seulement 6 catégories parmi les
22 susceptibles de faire l’objet d’une évaluation pécuniaire a permis d’abaisser considérablement
ledit risque. Ce choix est même considéré comme excessivement circonspect dans l’avis qualifié de
Joshua Farley (appendice 11) de l’Université du Vermont qui, après avoir également étudié notre
rapport, a conclu : «[l]e rapport a été méticuleusement préparé et repose sur une solide
documentation. Il utilise les techniques les plus modernes pour déterminer la valeur pécuniaire des
services écosystémiques» (Farley, 1er août 2017).
Une certaine redondance fonctionnelle des écosystèmes est naturelle. Comme indiqué dans
un rapport publié récemment par la Commission européenne, la diversité fonctionnelle
« reflète la diversité des rôles écologiques indispensables au fonctionnement d’un
écosystème. Lorsque plusieurs espèces semblent assumer le même rôle, on présume
être en présence d’une «redondance fonctionnelle» : en d’autres termes, on suppose,
sur la base des connaissances actuelles, que toutes les espèces ne sont pas
indispensables au fonctionnement de l’écosystème ... Pourtant, face au changement
global, le fait de disposer de différentes espèces jouant des rôles analogues pourrait
constituer un avantage vital. La stabilité pourrait en effet être confortée dès lors que
plus d’une seule espèce s’acquitte du même rôle dans la mesure où le déclin d’une
espèce pourrait être compensé par le maintien ou l’accroissement de la population
d’une autre, surtout si chacune d’entre elles réagit différemment aux perturbations et
aux modifications de l’environnement.» [Traduction du Greffe.]
Le Nicaragua accepte notre sélection de la plupart des services écosystémiques dans notre
évaluation pécuniaire, tout en rejetant notre inclusion du contrôle de la formation/érosion des sols
et de l’atténuation des risques naturels. En adoptant cette position, il fait fi des 14 sources de
preuves produites au cours de la procédure pour justifier l’inclusion de l’atténuation des risques
naturels et des 12 autres sources identifiées pour justifier le contrôle de la formation/érosion des
35 Ibid., page 43.
36 Ibid., page 48.
- 49 -
sols dans le tableau 1237 de notre rapport d’évaluation. Ledit tableau répertorie ces sources,
lesquelles ont déjà fait l’objet d’une numérotation et d’une explication dans le tableau 238, ainsi que
d’une description détaillée des données techniques pertinentes qu’elles contiennent et de leur
emplacement dans le dossier (Aguilar-González et autres, 2016).
Cette inclusion est approuvée dans les remarques scientifiques formulées par Colin Thorne
dans le cadre de son analyse du rapport Kondolf rédigé afin de justifier cette exclusion dans le
contre-mémoire du Nicaragua (Kondolf, 2017). Ledit avis scientifique prouve que les conclusions
de Kondolf sont incorrectes en ce qui concerne le contrôle de la formation/érosion des sols. Pour
Thorne :
«Sur la base des preuves susmentionnées et de notre compréhension actuelle de
la formation, de la fertilité et de l’érodabilité du sol ainsi que de la résilience des
plantes au stress physique, aux maladies et aux agents pathogènes influant sur la santé
de leurs rhizosphères, les activités du Nicaragua ont sans aucun doute exercé un
impact sur les services de contrôle de la formation de l’érosion du sol dans les zones
affectées et il faudra au moins plusieurs décennies pour que les sédiments déposés par
le fleuve et remplissant les caños se transforment en sol totalement fonctionnel. Il en
va ainsi parce que les processus de formation du sol sont indissociablement liés à la
croissance et à la maturation de la forêt secondaire se développant dans les zones
dégagées, un phénomène qui ... prend entre plusieurs dizaines d’années et plusieurs
siècles. Dans la mesure où ..., la forêt secondaire ne pourra jamais remplacer la forêt
primaire que le Nicaragua a abattue et le sol qui vivait en harmonie avec les arbres
anciens ne pourra jamais être totalement recréé.» (Thorne, 2017.)
De plus, Thorne informe également la Cour de la conclusion incorrecte formulée dans le
contre-mémoire du Nicaragua concernant la pertinence du service d’atténuation des risques
naturels dans la zone :
«[e]n concluant que les activités du Nicaragua n’ont eu aucun impact sur la capacité
de la zone contestée à atténuer les risques naturels, Kondolf laisse totalement de côté
le fait que la zone humide d’eau douce et son écosystème constituent eux-mêmes des
biens précieux risquant aussi d’être victimes de risques naturels inhérents à la faible
altitude des zones humides et à leur proximité de la mer des Caraïbes. ... A mon avis,
les risques naturels atténués par la zone humide incluent les inondations côtières,
l’intrusion d’eau salée et l’érosion côtière. » (Thorne, 2017.)
Dans le même ordre d’idées, Thorne met en avant la perte de ce service pour toutes les personnes
bénéficiant d’une zone humide Ramsar, en l’occurrence le peuple costa-ricien qui est propriétaire
de ce bien public et, également, les habitants d’autres pays (dans la mesure où ladite zone a été
désignée comme revêtant une importance internationale).
Pourtant, il convient de reconnaître que les populations locales dépendent également de ce
service. Nous avons mentionné dans notre rapport d’évaluation une étude effectuée en 2013 par des
techniciens de la zone de conservation de Tortuguero (ACTo) pour évaluer un changement de
catégorie de gestion de la zone protégée de Calero, Machuca et des îles Portillos39. Cette étude
contient le témoignage de 26 détenteurs d’un permis d’utilisation de terrains situés près du site
endommagé et d’un nombre à peu près égal de propriétaires d’infrastructures, y compris des
membres de la communauté d’El Jobo (Monge et autres, 2013). Par conséquent, nous disposons de
37 Ibid., pages 50 et 51 de la traduction anglaise du rapport d’évaluation.
38 Ibid., page 11 de la traduction anglaise du rapport d’évaluation.
39 Le rapport peut être consulté et téléchargé à l’adresse :https://drive.google.com/file/d/0B2p
WR5tBjIFTamFhbE4ydE5aUzg/view?usp=sharing.
- 50 -
suffisamment de preuves attestant non seulement que la zone humide elle-même (et ceux qui en
bénéficient en tant que zone protégée publique et site Ramsar), mais également les habitants locaux
dépendent du service écosystémique d’atténuation des risques naturels fourni par la zone
endommagée.
Il nous paraît important de mentionner, comme preuve de la pertinence de ce service pour la
zone, les conséquences ou l’absence de conséquences du coup direct lui ayant été porté en 2016 par
l’ouragan Otto. Nous avons donc reproduit dans l’appendice 9 une note technique émanant de
Laura Rivera, directrice de la zone de conservation de Tortuguero où l’intéressée traite de cette
question.
Dans sa note, Rivera déclare :
«aux endroits où la couverture forestière était très dense, une bonne partie des troncs
d’arbres sont restés debout, même si d’autres sont tombés. Après avoir observé
d’autres zones affectées dépourvues de couverture forestière, nous avons pu conclure
que l’effet du vent sur les arbres isolés est apparemment supérieur, parce que la
plupart d’entre eux gisaient à terre. Nous suggérons donc qu’une forte densité végétale
permet un «filtrage» des courants d’air qui se traduit par une réduction de la pression
exercée sur chaque arbre ou palme ... Certains bâtiments ont été affectés,
principalement ceux situés dans des zones ouvertes ou sur les bords des lagunes. Dans
la zone de Puerto Lindo, la ressource forestière a été fortement endommagée, tandis
que les maisons près des forêts ou entourées de forêts ne semblent pas avoir souffert.»
(Rivera, 31 juillet 2017.)
La même note contient également des preuves photographiques des déclarations de son auteur.
B. Estimation prudente de la valeur du bois sur pied
Concernant ce sujet, le Nicaragua émet plusieurs critiques que nous avons recensées dans
une liste pour y répondre de manière méthodique. Payne et Unsworth réprouvent notre approche
consistant à multiplier l’inventaire des arbres abattus par les prix obtenus de sources officielles,
après application d’une réduction par un facteur de volume exploitable d’environ 50 %.
1) Les experts du Nicaragua déforment notre approche. Selon eux, nous supposons que 50 % du
stock de bois sur pied auraient pu être récoltés en vue de leur vente si le Nicaragua n’avait pas
commis les actions qui lui sont reprochées. De plus, ils prétendent que nos calculs sont obscurs
dans la mesure où nous n’avons pas précisé si les prix utilisés sont ceux du bois sur pied.
2) Les experts du Nicaragua déforment également nos calculs en affirmant que nous supposons
qu’il aurait été possible de maintenir une exploitation durable en prélevant la moitié de la
croissance annuelle des arbres. De plus, ils nous reprochent de ne pas avoir produit de preuves
suffisantes de la capacité de la zone endommagée à être exploitée de manière durable.
3) Les experts du Nicaragua critiquent notre comptabilisation de la croissance potentielle des
arbres depuis l’année où ils ont été abattus jusqu’à la date de notre estimation (ce que nous
désignons sous le terme de « coût d’opportunité ») en faisant valoir qu’elle est incorrecte.
4) Les experts du Nicaragua critiquent notre soi-disant absence de prise en considération de la
récupération potentielle des services écosystémiques au fil du temps (Payne & Unsworth,
2017).
En ce qui nous concerne :
- 51 -
1) Nous ne formulons aucune hypothèse quant au stock de bois sur pied qui aurait pu être récolté
si le Nicaragua s’était abstenu de toute action. En fait, ce bois n’aurait jamais dû être exploité de
toute façon. Notre application d’un taux de déflation au volume du bois sur pied dans
l’hypothèse que seule une partie aurait pu être utilisable vise uniquement à aboutir à une
estimation annuelle plus prudente. Force est d’admettre que, lorsque nous avons rempli les
tableaux reprenant les données du prix du bois, nous avons oublié d’indiquer qu’il s’agissait
effectivement de prix applicables au bois sur pied (comme indiqué par l’office costa-ricien des
forêts)40 comme le veut l’usage en cas de description d’un stock de ressources n’étant pas censé
être enlevé. Le Nicaragua a illégalement supprimé une zone appartenant au patrimoine national
et incluant du bois sur pied comme l’un de ses biens.
2) Nous ne postulons pas qu’il aurait été possible d’abattre, de manière viable, la moitié des arbres
tous les ans. Notre hypothèse est que la dégradation de l’actif se traduira chaque année dans les
comptes physiques naturels et économiques du Costa Rica par une diminution de la valeur
pécuniaire du patrimoine naturel du pays, jusqu’à ce que l’actif soit complètement reconstitué.
C’est la raison pour laquelle nous comptabilisons la perte sur une base annuelle, en déduisant de
la valeur annuelle le volume reconstitué au moyen du taux d’actualisation. Cette approche est
compatible avec l’établissement par le pays de comptes nationaux verts conformément à
l’initiative WAVES, telle qu’elle est décrite en détail dans la section VIII.E.
3) Nous avons supposé que la croissance des arbres se serait poursuivie jusqu’à la date de
l’évaluation. Nous aurions pu supposer qu’elle se poursuivrait jusqu’à la récupération complète,
mais nous avons préféré nous en abstenir afin de rester prudents dans nos estimations. Notre
comptabilisation des pertes de biens ne repose sur aucune hypothèse en matière de croissance
du volume du bois sur pied dans la zone endommagée pendant la période allant de 2016 à 2066.
4) Enfin, comme explicité dans la suite du présent rapport (voir la section VIII.E.), nous avons
supposé une récupération potentielle du volume du bois sur pied et, par conséquent, décidé
d’appliquer un taux d’actualisation à la valeur actuelle nette du dommage à un horizon
prévisionnel de cinquante ans. Les études récentes concluent à un taux moyen de récupération
après abattage dans les forêts d’Amérique centrale de 95 % au bout de 141 ans (soit environ
0,71 % par an). Au niveau mondial, les estimations de la même étude concluent, sur la base de
l’observation de 166 événements de même nature (Cole et autres, 2014), à un taux de
récupération annuelle de 0,41 % après des bouleversements dus à l’action humaine. En pareil
cas, le temps de récupération approcherait les 244 ans. En supposant un taux d’actualisation de
4 % pour les calculs de la valeur actuelle nette dans le cadre de notre évaluation pécuniaire,
nous partons en fait de l’hypothèse d’un taux de récupération élevé de 1,71 % par an.
40 Dans les données de l’office, ils sont exprimés en « pie (col/plt) » qui peut être traduit par « bois sur pied
(colones/pouce costa-ricien de bois) ». Ces valeurs représentent généralement entre 20 et 35 % du prix du bois scié sur le
marché selon les rapports de l’office costa-ricien des forêts.
- 52 -
Figure 3
Valeur pécuniaire de la perte associée à la disparition d’arbres sur pied
pour C2010 et CE2013 avec un taux d’actualisation de 4 % sur cinquante ans
Figure 3. Valeur pécuniaire de la perte associée à la disparition d’arbres sur pied pour C2010 et CE2013 avec un
taux d’actualisation de 4 % sur cinquante ans.
Source : auteurs du présent rapport
Légende :
Valeur pécuniaire de la perte associée à la disparition d’arbres sur pied pour C2010 et CE2013 avec un taux
d’actualisation de 4 % sur cinquante ans
Comme indiqué dans la figure 3, la valeur du dommage supporté annuellement par les biens sur l’axe C2010 diminue en
passant de 19 558,64 à 277,25 dollars des Etats-Unis. On suppose une réduction en pourcentage analogue dans
l’estimation pour CE2010.
C. Estimation prudente relative à la formation du sol et à la prévention de son érosion
Nous avons utilisé une approche basée sur le coût de remplacement pour estimer les pertes
associées à ce service consécutives aux actions destructrices du Nicaragua. Ce dernier conteste les
calculs en faisant valoir que le service n’a pas été perdu et que nous supposons un enlèvement
constant pour chaque année pendant toute la période de récupération de cinquante ans (Payne &
Unsworth, 2017).
Nous avons déjà présenté suffisamment de preuves de l’inexactitude de l’hypothèse selon
laquelle le service n’aurait pas été perdu du fait des actions du Nicaragua. De plus, le rapport de
Colin Thorne confirme clairement que la qualité perdue des sols pourrait ne jamais être récupérée
au fil du temps.
A propos de nos calculs, Payne et Unsworth (2017) relèvent (dans la note 83 à la page 24 de
la version anglaise de leur rapport) une prétendue erreur, à savoir que nous avons utilisé une valeur
- 53 -
de 5,87 dollars des Etats-Unis au lieu de la valeur de 5,78 telle qu’elle est mentionnée dans le
document source dont nous nous sommes inspirés (lequel émane du Colegio Federado de
Ingenieros y Arquitectos de Costa Rica, 2007). Ces deux auteurs ont effectivement découvert une
faute de frappe qui n’affecte en rien la validité de nos calculs, puisque la simple multiplication du
volume du sol enlevé par le chiffre correct qu’ils citent correspond exactement aux valeurs
pécuniaires annuelles que nous avançons. Ces estimations sont extrêmement prudentes, puisque le
coût de l’excavation et des travaux de terrassement dans la source que nous avons utilisée ne tient
pas compte : 1) des qualités du sol enlevé de la zone endommagée telles qu’elles sont décrites dans
le rapport de Thorne et 2) des difficultés d’accès à ladite zone, lesquelles alourdiraient très
probablement ce coût.
A titre de remarque importante, il serait incorrect de supposer qu’en utilisant un coût de
remplacement et en le projetant sur une période prospective en vue d’estimer la valeur actuelle
nette du service écosystémique, nous partons de l’hypothèse que cet enlèvement se reproduira
chaque année. Premièrement, le coût de remplacement traduit une approche de préférence révélée
ou de prix virtuel et non une évaluation directe. Il s’agit d’une valeur approximative correspondant
plus ou moins à la valeur pécuniaire du service écosystémique. Deuxièmement, la perte est
également le résultat du dragage illégal du sol dans une zone relevant du patrimoine national.
D. Sélection prudente des valeurs aux fins d’estimations à l’aide de la méthode basée sur le
transfert d’avantages
De manière générale, nous avons adopté une approche fondée sur le transfert d’avantages
sous forme de valeurs unitaires ajustées en fonction de l’inflation, en raison de contraintes de temps
et de ressources. Parmi ces dernières, il convient de signaler l’absence d’accès aux sites
endommagés à l’époque où les dommages ont été commis, l’absence d’information sur les prix
locaux et le coût élevé — en temps et en ressources — qui aurait dû être supporté pour appliquer
les méthodes de la préférence déclarée ou de la préférence révélée ou bien pour créer une fonction
de transfert d’avantages. Nous avons agi ainsi pour les quatre services écosystémiques récents
repris dans le rapport (matières premières, régulation des émissions de gaz, atténuation des risques
naturels, habitat et frayère).
Nous avons utilisé des paramètres rigoureux dans le cadre du processus de sélection, de
manière à réduire le plus possible le risque d’erreurs de transfert. Nous avons vérifié l’utilisation
des méthodologies sur le site de référence. Nous avons également choisi uniquement des services
écosystémiques dotés d’une capacité moyenne ou élevée de transfert (voir le tableau 841)
(Aguilar-González, 18 novembre 2016). Ces pratiques nous ont permis de pallier les problèmes liés
aux erreurs commises sur le site de référence et une partie des erreurs de généralisation signalées
dans les études de Liu et autres (2010) et Pascual et autres (2010).
Nous nous sommes également fixé pour règle de sélectionner des études portant sur des sites
de référence dotés d’écosystèmes analogues, à savoir des zones côtières humides situées dans des
régions tropicales (la plus grande partie de la littérature porte sur des mangroves), ayant été
publiées dans des revues après avoir été soumises à un comité de lecture et dont les auteurs se sont
efforcés de contrôler les erreurs inhérentes à la généralisation et au site de référence. En ce qui
concerne la littérature «grise», nous avons utilisé le processus d’examen d’Earth Economics afin de
garantir une qualité des études analogue à celle des publications approuvées par un comité de
lecture. Cette manière de procéder nous a paru importante compte tenu du nombre d’études
publiées disponibles dans les nations en voie de développement (Aguilar-González et autres, 2016).
Précisons également pour être encore plus clairs que, dans le but de contrôler les erreurs de
généralisation inhérentes à la date des études, nous avons utilisé uniquement des études parues
après l’année 2000 (comme indiqué dans les appendices 1 et 3 de notre rapport d’évaluation). Nous
41 Page 43 de la traduction anglaise du rapport.
- 54 -
avons estimé qu’un délai de 10 ans avant la commission des dommages serait suffisamment
rigoureux pour réduire au minimum ce type d’erreurs.
En règle générale, nous avons adopté l’approche de Constanza et autres (1997) qui consiste à
faire la moyenne des valeurs des différents sites de référence, de manière à formuler une estimation
ponctuelle. Pourtant, en l’instance, nous avons appliqué d’autres critères en raison des
circonstances spécifiques de l’espèce.
Pour répondre aux critiques du Nicaragua relatives aux estimations auxquelles nous avons
procédé à l’aide de cette approche, examinons d’abord la question du calcul des matières
premières. Dans le tableau 1442, nous indiquons une valeur moyenne du service écosystémique par
hectare de 175,76 dollars des Etats-Unis sur la base d’une moyenne (Constanza et autres, 1997) des
valeurs ajustées en fonction de la devise et de l’inflation indiquée dans la base de données
consultée (appendice 343). Nous avons multiplié cette valeur par le nombre d’hectares affectés
dans C2010 et CE2013. En ce qui concerne les matières premières, les zones où les arbres ont été
abattus sans être enlevés ont également été comptabilisées (Aguilar-González, 18 novembre 2016).
Les experts du Nicaragua prétendent que, compte tenu de l’intervalle des différentes valeurs,
il serait opportun de sélectionner la valeur dans l’étude répondant le mieux aux problèmes de
l’évaluation sur le site de référence (Payne & Unsworth, 2017). Ils n’indiquent toutefois pas celle
qui conviendrait le mieux dans cette optique. A supposer que nous appliquions les critères
d’analogie en matière de proximité, de méthodologie et de milieu socioculturel, cette proposition
irait à l’encontre des intérêts du Nicaragua, dans la mesure où l’étude la plus récente — produite à
l’aide d’une meilleure méthodologie (télédétection) et réalisée dans un contexte socioculturel et
écologique semblable — est celle de Camacho-Valdez, V. et autres (2014). Or, son application
entraînerait la sélection d’une valeur par hectare environ trois fois supérieure. A supposer que les
experts du Nicaragua déterminent la pertinence de l’étude sur la base du nombre de fois où elle a
été citée, ce procédé pourrait s’avérer délicat à mettre en oeuvre pour deux raisons : certaines
sources n’indiquent pas les statistiques relatives aux articles parus dans toutes les langues et,
comme nous l’avons déjà dit, la littérature grise constitue une source importante dans les pays en
voie de développement. De plus, on peut raisonnablement prévoir que les articles les plus récents,
écrits sur la base de méthodologies révisées, seraient également ceux ayant été le moins cités. Nous
préférons donc rester sur notre position [utiliser la méthode recommandée par Constanza et autres
(1997)], de sorte que nos estimations revêtent un caractère prudent.
En outre, le périmètre concerné constituant un patrimoine national et une zone RAMSAR,
nous n’avons pas à prouver qu’il est effectivement utilisé. Il constitue un bien appartenant à
l’humanité et au public costa-ricien et ayant été illégalement détruit. Pourtant, dans la mesure où
nous avons établi précédemment la présence de petites communautés et de maisons (en faible
nombre, il est vrai) dans la zone, il est évident sur la base des preuves fournies que les personnes
concernées, en raison de leur éloignement, font usage des ressources naturelles locales.
Les experts du Nicaragua se déclarent également offusqués parce que nous n’avons pas
modélisé le temps de récupération de ce service écosystémique. Un tel effort serait superflu. Nous
disposons de données fiables sur l’élément qui aura besoin du plus de temps pour se reconstituer, à
savoir les arbres qui, selon le rapport de Thorne, détermineront la dynamique de tout l’écosystème
au fil du temps. Sur la base de la méthodologie IPS et comme indiqué dans notre étude d’évaluation
et dans la note envoyée par Barrantes (appendice 5), il s’agit donc là de l’élément qui devrait servir
de paramètre pour estimer le temps nécessaire à la reconstitution de tout le système (ce qui coïncide
avec les conclusions de Thorne sur les étapes successives et la restauration).
42 Page 60 de la traduction anglaise du rapport.
43 Page 72 de la traduction anglaise du rapport.
- 55 -
En ce qui concerne nos estimations relatives à la régulation des émissions de gaz, rappelons
que, malgré l’identification de plusieurs études de référence, nous avons décidé de nous baser sur
les calculs contenus dans l’étude publiée en 2015 par Maureen Arguedas du Centro Agrícola
Tropical de Investigación y Enseñanza (CATIE) sous la supervision de Miguel Cifuentes, le
principal expert du Costa Rica en matière d’estimation des réserves de carbone dans les zones
humides. Ce document offre l’avantage de se fonder sur des études contenant des estimations du
carbone fixe dans les zones humides costa-riciennes (aussi bien dans la biomasse que dans le sol).
Il contient en outre une estimation du stock et de la fixation annuelle (flux) par hectare pour les
zones couvertes de mangroves du golfe de Nicoya (Arguedas, 2015). En raison des avantages
inhérents à un tel niveau de spécificité et compte tenu du fait que des mangroves ont été identifiées
dans la zone affectée (Aray & Mena, 2013), nous avons décidé d’utiliser ces chiffres pour estimer à
la fois le stock et les flux perdus de ce service écosystémique. La figure 944 de notre rapport
d’évaluation démontre la présence de mangroves dans les zones endommagées. S’agissant d’une
thèse non publiée dont le Nicaragua conteste la qualité, nous avons cru bon de reproduire dans
l’appendice 8 une lettre de Muhammad Ibrahim, directeur général du CATIE dans lequel l’intéressé
déclare :
«[l]a thèse sous forme d’enquête mentionnée plus haut a été conçue, élaborée, publiée
et approuvée conformément aux lignes directrices et au processus en vigueur au sein
de l’école supérieure du CATIE qui est le plus ancien établissement d’enseignement
de troisième cycle dans le domaine de l’agriculture et des ressources naturelles. Les
résultats de l’enquête sont conformes aux exigences universitaires en matière de
rigueur et de validité.» (Ibrahim, 21 juillet 2017.)
Payne et Unsworth déclarent n’avoir pas tenu compte de l’état respectif des sites. L’étude
d’Argueras a en fait été réalisée dans le golfe de Nicoya, c’est-à-dire une zone ayant été davantage
affectée que celle de l’île de Portillos située à moins d’un kilomètre du littoral. Dans la mesure où
les mangroves dans la zone de cette île sont disposées en minces bandes, nous concluons que les
différences entre les deux sites ne sont pas suffisamment importantes pour disqualifier l’estimation
utilisée.
En ce qui concerne l’objection tenant à la double comptabilisation qui résulterait de notre
hypothèse tenant à l’extraction de matières premières, il s’agit d’un argument fallacieux comme
nous l’avons déjà expliqué. Récapitulons : le flux annuel d’accumulation de carbone est
comptabilisé comme un actif qui sera perdu chaque année jusqu’à ce que l’écosystème se
reconstitue ; il est l’un des éléments expliquant la complexité fonctionnelle des zones humides
tropicales recouvertes de forêts dotées d’une capacité extraordinaire de fixation du carbone dans
leur biomasse et dans leur sol hydromorphique (Arguedas, 2015). De plus, la question de la
surestimation de la valeur de ce service en raison des avantages qu’il procure à la fois aux
Costa-riciens et au monde entier est hors sujet, le Costa Rica s’étant vu confier la gestion de son
territoire après avoir enregistré la zone humide comme un site Ramsar. Cette constatation vaut pour
tous les services écosystémiques évalués. Les puits de carbone — qu’ils soient enfouis dans la
biomasse ou dans le sol — sont situés au Costa Rica. En raison de leur statut de biens publics, ils
appartiennent à l’ensemble de la nation. Par ailleurs, l’exercice d’évaluation des dommages
environnementaux en cause porte sur la question de savoir si les actions du Nicaragua ont affecté la
capacité du Costa Rica à fournir ces actifs naturels ou services écosystémiques, et non sur celle de
savoir qui en bénéficie.
En ce qui concerne l’estimation de l’atténuation des risques naturels, nous confirmons le
choix de notre source : Barbier et autres (2002). Cette étude cite une valeur de 2 387,42 dollars des
Etats-Unis par hectare et par an pour la prévention des inondations, valeurs que nous avons ajustées
en fonction de l’inflation. Nous convenons avec Payne et Unsworth (2017) que, en l’espèce, il
aurait été préférable de recourir à l’approche fondée sur les moyennes, à l’étude la plus récente (en
44 Page 55 de la traduction anglaise du rapport.
- 56 -
provenance du Mexique) ou à la valeur établie dans le contexte le plus proche (c’est-à-dire à
Belize). Dans tous les cas, l’estimation obtenue aurait été supérieure à la nôtre, comme indiqué
dans l’appendice 345. Ainsi que nous l’avons précisé dans nos addenda explicatifs, nous avons
choisi la valeur la plus faible parmi toute la gamme des études sélectionnées. Ceci parce que,
comme indiqué dans les rapports techniques et confirmé à l’issue de la visite sur le terrain, la zone
concernée est faiblement peuplée : les villes voisines sont situées à quatre kilomètres, quelques
maisons sont bâties sur les méandres du fleuve, le SINAC dispose d’une infrastructure du côté
costa-ricien et on trouve une piste d’atterrissage du côté nicaraguayen (Aguilar-González,
18 novembre 2016). Nous allons démontrer, comme nous l’avons déjà fait, que l’annualisation de
cette perte n’entraîne aucune double comptabilisation.
En ce qui concerne les allégations du Nicaragua relatives aux estimations portant sur les
services d’habitat et de frayère, rappelons que les valeurs ont été estimées sur la base de la
moyenne des études visant des zones humides côtières abritant des mangroves au Mexique, aux
Philippines et en Thaïlande (voir l’appendice 3). Enfin, il convient de noter qu’il s’agit là d’un
service environnemental dont les valeurs peuvent, elles aussi, être facilement transférées.
E. La prise en compte des valeurs annuelles des pertes pendant tout le temps nécessaire à la
reconstitution ne s’analyse pas en une double comptabilisation, mais en une application
adéquate de la méthodologie IPS
Le Nicaragua prétend, en ce qui concerne toutes nos estimations, que nous avons procédé à
une double comptabilisation dans la mesure où nous annualisons la valeur des pertes en vue de
calculer la valeur actuelle nette des dommages. Comme nous l’avons déjà suggéré, les flux et les
stocks de ressources endommagées par le Nicaragua appartiennent certes au patrimoine de
l’ensemble des Costa-riciens et, au-delà, du genre humain, mais ils n’en sont pas moins placés sous
la gestion du Costa Rica. Par conséquent, ce pays souffre d’une perte de sa capacité à garantir la
fourniture de ces ressources pendant tout le temps nécessaire à leur reconstitution.
Dans le cadre de leurs obligations internationales, les Etats parties à la convention sur la
biodiversité sont de plus en plus tenus de surveiller l’application de cet instrument et de rendre
compte. Le Nicaragua et le Costa Rica, comme les autres parties, ont par conséquent le devoir de
présenter périodiquement leur rapport national à la conférence des parties. Le Costa Rica a procédé
à six inventaires de ses émissions depuis 1996, afin de mesurer le succès de sa politique en matière
de conformité à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(CCNUCC) et, notamment, de vérifier l’atteinte de ses objectifs en matière de neutralité carbone.
De plus, le Costa Rica est l’un des 18 pays qui, depuis quelques années, participent à un projet
pilote parrainé par la Banque mondiale visant à élaborer des comptes monétaires verts annuels dans
le cadre du programme WAVES.
Comme l’a confirmé Edgar Gutiérrez du ministère de l’environnement du Costa Rica
(appendice 7) :
«Dans le cadre de son initiative WAVES (Wealth Accounting and Valuation of
Ecosystem Services), la Banque mondiale a soutenu la création des premiers comptes
environnementaux au Costa Rica. Un comité directeur a été formé pour piloter ce
processus. Il comprenait des représentants du ministère de l’environnement et de
l’énergie (MINAE), du ministère des finances, du ministère des politiques et de la
planification économiques (MIDEPLAN), de l’institut national des statistiques et des
recensements (INEC) et de la banque centrale du Costa Rica (BCCR). La banque
centrale du Costa Rica est l’institution chargée de l’élaboration technique des comptes.
En novembre 2016, l’unité des statistiques environnementales a été créée au sein de la
45 Page 72.
- 57 -
division économique de la BCCR. Cette entité est responsable de l’élaboration des
comptes environnementaux qui seront publiés et mis à jour un rythme
annuel ... En 2014, le pays a formellement entamé la création de comptes pour l’eau et
la forêt. En juin 2015, il a également entamé la création du compte de l’énergie. Les
premiers résultats de ces comptes environnementaux ont été publiés au niveau national
et à celui de la Banque mondiale en mai 2016.» (Gutiérrez, 1er août 2017.)
Par conséquent, ces dommages et leur valeur pécuniaire doivent être annualisés et ladite
valeur doit être calculée — pendant tout le temps nécessaire à la reconstitution — comme la valeur
présente d’une annuité, de manière à déduire chaque année la perte en valeur de l’actif concerné.
C’est pourquoi ils doivent être estimés de la même manière que la valeur actuelle nette (VED)
d’une source d’avantages à caractère social exprimée sous forme de la somme des futurs avantages
(ou perte desdits avantages comme c’est le cas en l’occurrence) à caractère social. L’équation
s’écrirait donc comme suit46 :
où
SC = le coût social au moment t,
BSE = la valeur pécuniaire de la perte des avantages générée par les effets sur l’état de
conservation de l’environnement naturel, ainsi que sur la qualité et la quantité des flux de biens et
services (sélectionnés comme étant représentatifs de l’ensemble des biens et services fournis par
l’écosystème) qui étaient fournis initialement par le capital naturel de la zone HCN affectée,
R = le taux d’actualisation utilisé pour calculer la valeur actuelle du flux de biens et services
fournis par l’écosystème,
t = le temps qui sera nécessaire à la zone HCN pour revenir à son état initial de conservation ou, à
supposer qu’un tel processus s’avère impossible, à un état de reconstitution réputé suffisant.
Cette méthode convient pour comptabiliser lesdites pertes annualisées, contrairement à celle
proposée par Payne et Unsworth (2017). Pour un exemple d’application conviviale de l’équation
susmentionnée, voir le site https://financialmentor.com/calculator/present-value-of-annuitycalculat…
qui permet notamment de vérifier des estimations.
Le manuel de la FAO sur les comptes environnementaux et économiques en matière
d’exploitation forestière applique une approche analogue pour estimer les actifs forestiers. Plus
spécialement, en ce qui concerne la valeur actuelle nette du bois sur pied, il utilise les équations
suivantes :
avant d’expliquer : « La valeur totale du bois sur pied, V, est la somme de v (la valeur par hectare
des arbres de la même classe d’âge) pondérée par A (la superficie totale des arbres de la classe
d’âge en cause), tandis que T représente l’âge au moment de l’abattage, p t le prix du bois sur pied
et qT le rendement du bois à l’âge réel au moment de l’abattage. La valeur est réduite selon un taux
r correspondant au temps restant jusqu’à la récolte T» (Lange, 2004).
46 Comme présenté dans l’équation (7) dans notre rapport d’évaluation, page 49.
- 58 -
Comme Gerardo Barrantes l’a fait remarquer en analysant cette question (appendice 5) :
«[e]n ce qui concerne le coût social, il est nécessaire de procéder au moins à une
quantification portant sur la période requise par les opérations de restauration, dans la
mesure où par la suite la fonctionnalité des écosystèmes sera rétablie, de sorte que la
population jouira des nouveaux avantages qu’ils offrent. Pendant cette période, il est
nécessaire d’indemniser la population affectée au titre de la perte de certains avantages
comme les effets des biens et services fournis gratuitement par l’écosystème
notamment en mettant à sa disposition des infrastructures, des services sociaux et des
structures de santé.»
Nous avons opté pour la prudence en choisissant une période de temps de cinquante ans,
dans la mesure où nous estimons — comme indiqué dans notre rapport d’évaluation — que les
arbres dans la zone endommagée étaient bien plus âgés. Le rapport de Thorne confirme notre
estimation, puisqu’il avance un temps de récupération bien plus long que celui indiqué dans l’avis
de Kondolf (Thorne, 2007). Par conséquent, nous soutenons que, contrairement aux affirmations de
Payne et Unsworth, notre annualisation des pertes pendant cinquante ans ne génère aucun problème
de double comptabilisation.
F. Le taux d’actualisation choisi correspond au rythme de reconstitution de l’écosystème
Le Nicaragua prétend que nous avons commis une erreur dans la comptabilisation de
plusieurs services écosystémiques sélectionnés en excluant toute reprise de la fourniture des
services au fil du temps. Ce n’est pas le cas. L’une des raisons pour lesquelles nous avons
soigneusement opté pour un taux d’actualisation de 4 % dans notre évaluation tient à ce que ledit
taux doit correspondre à la vitesse de récupération de l’écosystème. Par conséquent, comme
indiqué dans la figure 1247 de notre rapport d’évaluation, la valeur annuelle des dommages
environnementaux diminuera progressivement au fur et à mesure de la récupération des services
écosystémiques.
Comme indiqué dans nos addenda explicatifs, notre sélection d’un taux d’actualisation se
fonde sur la littérature récente. Selon le rapport TEEB, différents taux sociaux d’actualisation
devraient être utilisés en fonction des scénarios, avec un taux nul en cas d’investissement en faveur
de la durabilité environnementale et d’autres taux en cas d’investissement public d’un autre type
(Vardakoulias, 2013).
L’une des principales économistes de Synapse Economics, Liz Stanton, a résumé en 2010 la
situation concernant les taux d’actualisation utilisés en affirmant que la sagesse commande de
choisir un taux comparable au taux d’intérêt à court terme ( 3 à 5 %) pour calculer la valeur
aujourd’hui d’actifs qui existeront dans les 20 à 30 ans à venir et un taux légèrement inférieur pour
les actifs prévus dans une période prospective plus longue (Stanton, 2010). L’administration
Obama a opté pour une position plus prudente en recommandant un taux d’actualisation compris
entre 2,5-3 et 5 % pour déterminer le coût social du carbone dans le cadre d’une analyse portant sur
plusieurs centaines d’années à venir (Interagency Working Group on Social Cost of Carbon,
United States Government, 2010).
Goulder et Williams (2012) décrivent les taux d’actualisation implicites utilisés dans trois
études influentes relatives aux politiques visant à lutter contre le changement climatique, lesquels
varient entre 1,4 et 4,3 %. Lesdites études incluent l’ouvrage décisif publié par Nicholas Stern en
2007 et intitulé «The Economics of Climate Change : The Stern Review». Cette étude reconnaît la
nécessité de distinguer entre les taux de performance financiers et les taux utilisés dans des
situations où l’essentiel tient à l’effet sur le bien-être social comme c’est le cas en l’espèce. L’étude
47 Page 61.
- 59 -
confirme les difficultés inhérentes à la gestion de la subjectivité en matière de définition des
fonctions de bien-être social. De plus, elle considère l’effet de l’incertitude sur ces estimations,
lequel appelle à une diminution des taux à long terme (Goulder et Williams, 2012). Cette dernière
proposition a été retenue dans d’autres rapports qui constatent de nouveau l’absence de consensus
sur des taux spécifiques et suggèrent le recours à des taux dégressifs dans le cadre d’une approche
pragmatique en se référant à des études recommandant des taux de 4 % pour les cinq premières
années, de 3 % pour la période allant de la 6e à la 25e année, de 2 % pour la période allant de la
26e à la 75e année, de 1 % pour la période allant de la 76e à la 300e année et de 0 % pour les
périodes prospectives à plus long terme (Cunninghmam, 2009).
Le Royaume-Uni utilise une approche à peu près analogue pour actualiser les coûts et les
avantages des projets sociaux, qui consiste à appliquer un taux de 3,5 % pour les 30 premières
années et un taux inférieur pour les années suivantes (Vardakoulias, 2013). Compte tenu de la
constatation au niveau international de la difficulté liée à la définition de points d’inflexion dans les
situations où des taux différentiels pourraient être utilisés et de la poursuite des débats
internationaux sur la question, notre étude adopte une approche prudente consistant à appliquer un
taux légèrement plus élevé que ceux généralement trouvés dans la littérature et les études réalisées
pour Crucitas au Costa Rica, à savoir 4 %. Il représente la moyenne des taux présentés par Stanton
(2010) et suggérés par l’administration Obama pour le coût social du carbone. Il constitue
également le taux le plus modéré suggéré par Goulder et Williams (2012).
Dans le cadre d’une méta-analyse portant sur 283 événements ayant perturbé des forêts et sur
la reconstitution de ces dernières, tels qu’ils sont décrits dans 71 études portant sur quatre régions
tropicales, des scientifiques ont estimé que, dans la plupart des cas, la reconstitution à 95 % de
l’environnement prend entre 100 et 500 ans, corroborant ainsi la position adoptée par Thorne dans
son rapport. En Amérique centrale, pour les 85 événements recensés, la durée médiane est de
141 ans. Comme indiqué plus haut (voir la section VIII.B. consacrée à l’estimation prudente de la
valeur du bois sur pied), l’étude estime aussi que les taux annuels de reconstitution (reforestation)
varient entre une valeur médiane de 2,84 % en présence de graves perturbations peu fréquentes à
0,41 % en présence de changements climatiques et de perturbations provoqués par des activités
humaines (Cole et autres, 2014). Au vu de ces taux, notre choix paraît circonspect.
IX. La méthodologie proposée par le Nicaragua sous-estime gravement
les dommages environnementaux
A l’issue de cette analyse des préoccupations exprimées dans les rapports techniques du
Nicaragua, nous ne doutons pas de la supériorité de l’approche que nous avons choisie et de
l’application que nous en avons faite par rapport aux deux propositions du Nicaragua. Les
hypothèses formulées dans lesdits rapports sont erronées depuis la comparaison déplacée entre des
dommages environnementaux survenus au début des années 1990 dans des conditions quasiment
désertiques jusqu’aux nombreux postulats posés en complète contradiction avec les faits avérés de
l’espèce tels qu’ils ont été prouvés au cours de la présente instance. Les hypothèses des experts du
Nicaragua étant incorrectes, les résultats de leurs calculs aboutissent à une sous-évaluation de la
valeur pécuniaire des dommages provoqués à Isla Portillos. Deux points méritent d’être soulevés
concernant leur calcul final, prétendument plus adéquat, qui débouche sur une estimation
pécuniaire de presque 30 000 dollars des Etats-Unis.
A. L’approche axée sur le coût de remplacement ne convient pas à l’estimation de ce type de
dommages
Les experts du Nicaragua proposent l’application d’une approche axée sur le coût de
remplacement et reposant sur les normes datées de l’UNCC. Pour reprendre les mots de
Rudolf de Groot,
- 60 -
«pour autant que je connaisse la littérature pertinente et sur la base de mes propres
études, le coût de remplacement (au niveau des écosystèmes) est en fait celui qui
convient le moins parmi toutes les méthodes d’évaluation de la valeur (effet de
bien-être) des avantages des écosystèmes (et de leurs services) et, par conséquent, de
ce que deviendrait ledit effet de bien-être après la perte d’un écosystème, dans la
mesure où ce coût n’est pas lié aux avantages réels (valeurs) fournis par l’écosystème
intact. Les valeurs indiquées dans l’article de 2014 se fondent en fait sur un ouvrage
de ma plume paru en 2012 qui dresse un aperçu détaillé des valeurs monétaires
établies pour tous les principaux biomes (complexes écosystémiques) et pour les zones
humides côtières qui, je suppose, constituent l’objet du présent différend. La valeur
totale des zones humides côtières, y compris les mangroves, est d’au moins
190 000 dollars des Etats-Unis par hectare et par an (elle a été établie sous la forme
d’une moyenne entre 139 points de valeur, ce qui fait de ce type de biomes l’un des
mieux étudiés au monde). Sur ces 139 points, seuls une quinzaine ont été calculés avec
la méthode du coût de remplacement, les autres méthodes — qu’il s’agisse des prix
sur le marché, du revenu des facteurs et du coût des dommages évités — ayant eu les
faveurs des auteurs des études dans la grande majorité des cas.» (de Groot,
28 juillet 2017.)
B. Les taux incitatifs appliqués aux paiements au titre de services écosystémiques sont
erronés
Le choix discutable d’une méthodologie de remplacement dans le rapport de Payne et
Unsworth (2017) est aggravé par un autre choix malheureux, à savoir celui d’une valeur pécuniaire
pour calculer leur «coût de remplacement». Ces auteurs admettent utiliser le même prix que celui
versé aux entités privées pour conserver, gérer et améliorer des parcelles de terre en vue de la
fourniture de services écosystémiques, en choisissant le tarif pratiqué par l’International Institute
for Environment and Development (IIED) au Costa Rica. Ils supposent que ce prix constitue une
valeur appropriée qu’il convient de multiplier par le nombre d’hectares endommagés. Ils appliquent
ensuite la version non annualisée de l’estimation de la valeur actualisée à un temps de récupération
qui leur semble approprié sur la base des informations de Kondolf.
Le premier problème tient à leur raisonnement selon lequel les tarifs pratiqués par le
FONAFIFO (Fonds national pour le financement des forêts) constituent de bons indicateurs du
marché. Le mécanisme de paiements au titre de services écosystémiques (PES) du Costa Rica est
loin de constituer un système de permis négociables dans des conditions de marché pures. La
grande majorité des fonds utilisés dans le cadre du PES proviennent d’une taxe de vente prélevée
sur les transactions portant sur les combustibles fossiles (Sánchez & Navarrete, 2017).
De plus, ces tarifs ne s’appliquent pas aux zones protégées relevant du domaine public,
lesquelles sont exclues du système PES du FONAFIFO. Par ailleurs, aucun PES en vigueur au
Costa Rica n’a été conçu pour les zones humides. En outre, même en ce qui concerne les forêts, ce
système n’envisage pas tous les services écosystémiques supplémentaires qui devraient être pris en
considération dans le cadre d’une évaluation de dommages environnementaux. Tous ces facteurs
expliquent que les tarifs proposés sont extrêmement peu fiables en tant que mesure de la valeur
pécuniaire des services écosystémiques du Costa Rica et mènent forcément à une sous-estimation.
Pour reprendre les termes du directeur du FONAFIFO, Jorge Mario Rodríguez
(appendice 10) :
« Il me paraît important de clarifier qu’il s’agit là d’un mécanisme utilisé par le
Gouvernement costa-ricien pour verser une compensation monétaire à certains
propriétaires de forêts au titre de leurs efforts de conservation, compte tenu du fait que
la société dans son ensemble bénéficie d’une variété de services fournis par cette
- 61 -
végétation sous forme de protection et d’amélioration de l’environnement (... Par
conséquent, les propriétaires de ces forêts supportent un fardeau supérieur à celui des
autres citoyens et assument des responsabilités qu’il convient de reconnaître,
notamment lorsque l’utilisation de leurs biens est soumise à certaines contraintes telles
que celles formulées à l’article 19 de la loi sur les forêts ... En ce qui concerne les
deuxième et troisième questions relatives aux zones humides qui correspondent au
périmètre ayant souffert des dommages environnementaux provoqués par le
Nicaragua, il nous paraît indispensable de rappeler que, depuis ses débuts en 1997, le
programme de paiements au titre de services environnementaux exclut les zones
appartenant au gouvernement costa-ricien, lesquelles sont gérées par le réseau national
des zones de conservation (SINAC). Cette exclusion répond à plusieurs
considérations : premièrement, s’agissant de biens appartenant à l’Etat, aucun bois ne
peut être récolté par le détenteur dans la mesure où la législation couvrant les zones
sauvages protégées (quel que soit le type de gestion dont elles font l’objet) empêche
l’utilisation de leurs ressources ; deuxièmement, le programme de paiements au titre
de services environnementaux est un instrument conçu pour influer sur le
comportement des propriétaires de forêts privées et non pour bénéficier à l’Etat.
Depuis 20 ans qu’il existe, ce programme n’a jamais permis le moindre paiement à
l’Etat ou au réseau national des zones de conservation : les seuls paiements autorisés
sont ceux versés à une personne privée physique ou morale. ...
Enfin, je tiens à répéter qu’il n’est pas correct de considérer les mécanisme de
financement des services environnementaux établi par le Fonds national de
financement des forêts comme un moyen d’indemniser ou de chiffrer des dommages
causés à l’environnement . Ces services ont été définis et leur valeur, estimée dans le
but de favoriser des initiatives de conservation des forêts –– il s’agit d’une modeste
rétribution offerte par la société en contrepartie des efforts déployés dans le domaine
de la conservation...
Les dommages environnementaux, eux, font intervenir une notion différente sur
les plans juridique et technique : il s’agit non plus de la protection des forêts mais
d’actions humaines qui leur ont porté atteinte et touchent, au-delà de la forêt ellemême,
un écosystème plus vaste dont différents éléments, biotiques ou abiotiques,
peuvent subir des dommages successifs ou d’ampleur variable. L’évaluation des
dommages causés à l’environnement ne saurait aboutir au versement d’une somme
modique, par exemple au titre du service assuré par l’environnement pendant une
certaine durée (généralement un an), car une telle somme ne rendrait jamais compte du
prix de remplacement de la ressource ou de sa valeur estimée. Les dommages à
l’environnement sont infiniment plus complexes ; leur portée temporelle excède une
année, et la remise en état peut prendre des décennies, voire se révéler impossible…
Pour les raisons susmentionnées, les tarifs sur lesquels reposent les paiements
environnementaux effectués par le FONAFIFO ne sauraient en aucune circonstance
être considérés comme une référence pour procéder à une estimation économique de
l’indemnisation de dommages environnementaux, dans la mesure où, comme cela
ressort de la pratique administrative et de la jurisprudence, la valeur desdits dommages
est nettement supérieure.» (Rodríguez, 20 juillet 2017.)
A nos yeux, le raisonnement qui précède est solide et démontre amplement le caractère
totalement sujet à caution de l’estimation de Payne et Unsworth. La validation de cette dernière,
caractérisée par une minoration marquée, aggraverait les dommages infligés aux intérêts
costa-riciens et créerait un précédent en matière de responsabilité au profit des auteurs d’actions
illicites analogues à celle commise par le Nicaragua dans la région costa-ricienne d’Isla Portillos.
- 62 -
IX. Conclusion
Afin de permettre au Costa Rica de respecter le délai lui ayant été imparti par la Cour pour
traiter de la question de la méthodologie utilisée pour estimer la valeur pécuniaire des dommages
environnementaux causés par le Nicaragua en l’instance, nous avons présenté des précédents
juridiques, politiques et judiciaires justifiant le choix de l’approche adoptée dans notre rapport.
Nous avons complété ces précédents par des informations techniques pertinentes et des avis
d’expert. Pour résumer, nous pensons avoir apporté la preuve que :
1) La méthodologie utilisée par la Fundación Neotrópica est largement reconnue au niveau
international, y compris en ce qui concerne l’application à des pays riches en biodiversité
comme le Costa Rica
A cet égard, nous avons résumé — pour faciliter la compréhension du lecteur — les deux
phases de notre étude, à savoir la définition d’un cadre méthodologique en trois parties et son
application en sept étapes. Nous nous sommes ensuite concentrés sur l’examen des sources
juridiques et économiques internationales afin de trouver des preuves validant deux des trois
composants dudit cadre : l’approche axée sur les services écosystémiques et la technique
d’estimation des transferts d’avantages que Payne et Unsworth (2017) ont décrites comme n’étant
pas suffisamment rigoureuses et reconnues pour être utilisées dans ce type d’estimations
monétaires.
Nous avons communiqué suffisamment de preuves attestant du caractère infondé de cette
opinion. L’étude de la jurisprudence et de la doctrine, ainsi que l’évolution de la pensée
économique, confirment que les précédents en matière de pratiques internationales invoqués par le
Nicaragua (principalement les normes de l’UNCC) pour justifier son argumentation sont datés et
antérieurs à la reconnaissance de l’approche axée sur les services écosystémiques, notamment en
matière de conservation de la biodiversité. Les décisions récentes de la conférence des Parties à la
convention sur la diversité biologique, l’évolution de la jurisprudence aux Etats-Unis et en Europe
ainsi que l’avis autorisé d’experts dans ce domaine (comme Robert Constanza et Rudolf de Groot)
démontrent que l’approche axée sur les services écosystémiques utilisée par la Fundación
Neotrópica est reconnue dans la pratique internationale et ne saurait être assimilée à un simple
«outil de sensibilisation».
Nous avons également démontré que la technique d’estimation axée sur le transfert
d’avantages est largement utilisée. Bien plus, sur la base de décisions de la conférence des Parties à
la convention sur la diversité biologique, de documents et d’extraits de la littérature économique,
nous avons retracé les efforts visant à améliorer l’applicabilité de la technique et à tirer parti de sa
facilité d’utilisation dans les pays disposant de revenus faibles ou moyens. Ces sources
reconnaissent que l’avantage de la technique tient à ce qu’il n’est pas toujours possible d’affecter
les ressources requises pour appliquer tout l’éventail des méthodes d’évaluation pécuniaire dans les
délais impartis par les décideurs politiques ou les tribunaux. Les efforts menés jusqu’à une période
récente ont permis de fixer une série de critères facilitant le choix entre les différentes applications
de cette méthodologie d’estimation largement reconnue.
Nous avons également présenté des extraits de la littérature pertinente et des avis d’experts
concernant la manière dont les différents documents RAMSAR reconnaissent la validité — parmi
toute la gamme des méthodes d’évaluation pécuniaire de la VTE — à la fois du cadre fondé sur les
services écosystémiques et de la méthode axée sur le transfert d’avantages. De plus, nous avons
documenté l’influence de l’approche axée sur les services écosystémiques et de la méthodologie du
transfert d’avantages sur l’évolution juridique récente constatée dans des pays tropicaux riches en
biodiversité comme le Costa Rica et plus particulièrement l’utilisation spécifique de l’article
fondateur de Constanza et autres (1997) dans ces cas de figure.
- 63 -
2) La méthodologie utilisée par la Fundación Neotrópica est compatible avec la pratique
couramment observée par les tribunaux et les milieux universitaires costa-riciens
Nous avons documenté l’évolution juridique et économique du Costa Rica en soulignant le
caractère progressiste de sa législation et de sa jurisprudence et la conformité de notre
méthodologie à la pratique courante observée par les juridictions et les milieux universitaires
costa-riciens. Ce constat nous permet de valider le troisième composant de notre cadre
méthodologique, à savoir la méthodologie IPS d’évaluation des dommages environnementaux. Les
critères et la pratique du tribunal administratif pour l’environnement, ainsi que le protocole
énonçant les normes en matière d’évaluation des dommages environnementaux élaboré par le
SINAC, confortent notre décision de recourir à cette méthodologie dans la mesure où elle est la
plus employée dans le pays aux fins requises. Cette reconnaissance dépasse les milieux
universitaires costa-riciens. En raison de sa solidité, la méthodologie IPS est en effet appréciée et
appliquée dans plusieurs pays d’Amérique latine.
Il convient de signaler l’application actuelle par le centre international des politiques en
faveur du développement durable (CINPE) de l’Université nationale de la méthodologie du
transfert d’avantages aux fins d’évaluation de sept zones humides RAMSAR au Costa Rica. Cette
étude contribuera à mettre en oeuvre la politique relative aux zones humides dans l’ensemble du
pays et démontre l’acceptation de cette technique d’estimation dans les plus hautes sphères
universitaires.
3) Les calculs de la valeur pécuniaire des dommages ont été effectués de manière prudente,
appropriée et circonspecte
Nous avons examiné les allégations de Payne et Unsworth (2017) — et aussi, indirectement,
de Kondolf — relatives à notre application de cette méthodologie. Plus spécialement, nous avons
de nouveau décrit le processus de sélection et les preuves produites pendant la procédure en vue de
justifier notre sélection des services écosystémiques à évaluer. Nous concluons que ledit processus
nous a permis de réduire le risque de redondance.
Nous nous sommes particulièrement attachés, en invoquant des avis d’experts et des rapports
techniques, à réfuter les arguments du Nicaragua selon lesquels ni l’érosion/formation du sol ni
l’atténuation des risques naturels ne devraient être prises en considération. Thorne (2017) nous a
permis de rejeter cette critique en détaillant la composition des sols dans ce type de zones humides
et l’importance de la zone considérée compte tenu de sa reconnaissance internationale, de son statut
de zone relevant du domaine public et de sa capacité à se protéger elle-même. En outre, nous avons
de nouveau apporté la preuve que la région est habitée par une population dépendant de ce service.
Par ailleurs, les preuves techniques communiquées par le SINAC attestent de l’importance de ce
même service dans la zone de Portillos, compte tenu des événements naturels survenus récemment
en rapport avec l’ouragan Otto.
En ce qui concerne l’application des méthodes d’évaluation choisies, nous avons écarté les
doutes et réfuté les objections du Nicaragua relatives aux évaluations effectuées sur la base des
méthodologies de l’évaluation directe ou de la préférence révélée (pour le bois sur pied et la
formation/prévention de l’érosion du sol). De plus, nous avons passé en revue les choix opérés en
matière d’application de la méthodologie du transfert d’avantages aux quatre services
écosystémiques sélectionnés, ainsi que les critères sur lesquels ils reposent. Nous en concluons que
nos calculs sont appropriés et prudents dans les limites des informations disponibles. Nous
concluons également que, dans toute la mesure du possible, nous avons réduit la possibilité de parti
pris susceptible d’affecter l’application de la méthodologie du transfert d’avantages.
Le Nicaragua fait valoir qu’en annualisant nos estimations des services écosystémiques
pendant une période de reconstitution pouvant aller jusqu’à cinquante ans, nous procédons en fait à
- 64 -
une double comptabilisation. Nous avons réfuté cet argument en démontrant la nécessité de traiter
lesdits services comme la valeur actuelle nette d’une annuité, compte tenu des engagements du
pays en matière de génération de rapports environnementaux. Cette pratique n’équivaut pas à une
double comptabilisation, mais à une application adéquate de la méthodologie IPS. En ce qui
concerne notre période prospective de reconstitution de cinquante ans, l’analyse par Thorne de
l’objection de Kondolf apporte suffisamment de preuves scientifiques pour réfuter l’argumentation
du Nicaragua. Elle conforte également nos prévisions selon lesquelles les composants de
l’écosystème de la zone endommagée qui mettront le plus de temps à se reconstituer sont les arbres
abattus (puisque les arbres plantés à leur place mettront en moyenne plus de 100 ans pour atteindre
une taille comparable).
En ce qui concerne la comptabilisation d’une partie des services écosystémiques choisis, le
Nicaragua prétend que nous avons commis une erreur en écartant d’emblée toute possibilité de
reprise de l’offre desdits services au fil du temps. Nous prétendons pour notre part que, en
appliquant un taux d’actualisation pour estimer la valeur actuelle nette, nous avons pris en
considération la reconstitution de l’écosystème. Nous avons comparé ce choix avec les données de
Thorne relatives aux stades successifs et aux taux de reconstitution de la forêt tropicale dans la
littérature récente et sommes parvenus à la conclusion qu’il était suffisamment circonspect.
Nous avons terminé l’analyse méthodologique en identifiant deux erreurs majeures dans la
méthode d’évaluation proposée par le Nicaragua. Tout d’abord, elle est datée et inadéquate et tend
par conséquent à sous-estimer les dommages comme cela ressort de l’avis autorisé de Rudolf de
Groot et de l’évolution de la littérature et des normes juridiques que nous avons mentionnées. Plus
inquiétant, le choix d’une valeur sur la base du tarif des paiements effectués au Costa Rica dans le
cadre du PES traduit une incompréhension de la nature de ce système par Payne et Unsworth
(2017) dans la mesure où de multiples raisons s’opposent à ce que ledit tarif soit utilisé en l’espèce.
En outre, il n’est tout simplement pas applicable aux zones protégées relevant du domaine public.
Nous avons demandé à deux experts de rédiger des notes afin d’évaluer nos estimations.
Nous avons sollicité l’aide de David Batker de Earth Economics, l’une des ONG internationales
ayant acquis le plus d’expérience dans ce domaine et un ardent défenseur de l’évaluation pécuniaire
de l’écosystème (appendice 6). Nous avons également sollicité — à titre d’examen par un pair — le
concours de Joshua Farley de l’Université du Vermont (appendice 11) connu pour ne pas croire en
l’évaluation pécuniaire. Ces deux spécialistes ont conclu que notre rapport constituait une
application méthodologique appropriée. Nous soumettons leur opinion, dans le cadre du présent
rapport, aux fins d’examen par la Cour.
Pour terminer, nous ne doutons pas de la supériorité de l’approche que nous avons choisie et
de l’application que nous en avons faite sur les deux propositions du Nicaragua. Nous maintenons
par conséquent notre estimation de 2 880 745,82 dollars des Etats-Unis
X. Références
[Non reproduites]
- 65 -
APPENDICE 1
NOTE DU PROFESSEUR ROBERT CONSTANZA
Australian National University
Crawford School of Public policy
26 juillet 2017
Vice-ministre des affaires étrangères et des cultes
République du Costa Rica
Cher vice-ministre,
L’objet de la présente lettre est de dissiper quelques malentendus et erreurs concernant ma
recherche telles qu’elles figurent dans le rapport de Cymie R. Payne et Robert E. Unsworth
relatif à l’évaluation des dommages environnementaux — daté du 26 mai 2017 et préparé dans
le cadre de l’examen de l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la
région frontalière—Indemnisation (Costa Rica c. Nicaragua).
Selon les auteurs dudit rapport : « Costanza et autres (2014), dans leur actualisation d’un
document de 1997 sur lequel se fonde Neotrópica, n’incluent pas l’évaluation des dommages
comme l’une des applications examinées selon eux dans le cadre de cette approche » [traduction
non officielle] (p. 18 et 19). Le tableau 1 dans Costanza et autres auquel se rapporte ce
commentaire répertorie « certaines utilisations potentielles de l’évaluation des services
écosystémiques » (p. 154). Il est précédé d’une remarque indiquant que la liste n’est pas exhaustive
et il n’exclut pas expressément l’évaluation des dommages comme l’une des applications. Cette
évaluation peut être considérée comme un mode d’«analyse des politiques», c’est-à-dire une
application incluse dans la liste.
Les auteurs prétendent également que «[c]e cadre, et plus particulièrement l’étude de
Costanza et autres, est vivement critiqué et rejeté par les économistes classiques en raison de son
incompatibilité avec les principes et pratiques sains pertinents en la matière». Sur ce point les
auteurs mentionnent notre article novateur et fondateur de 1997 : Constanza, R., R. d’Arge, R. de
Groot, S. Farber, M. Grasso, B. Hannon, K. Limburg, S. Naeem, R. V. Oneill, J. Paruelo,
R. G. Raskin, P. Sutton et M. van den Belt, «The value of the world’s ecosystem services and
natural capital», Nature 387: 253-260. Ils relèvent certaines des premières critiques suscitées par
ledit article, lesquelles ont toutes été réfutées comme erronées ou découlant simplement d’une
mauvaise interprétation de nos résultats (voir, par exemple, Constanza et autres, 2014). Cet article
de 1997 a été par la suite cité plus de 17 000 fois dans Google Scholar ce qui le classe, selon l’ISY
Web of Science, à la deuxième place parmi toutes les parutions citées dans le domaine de
l’écologie/environnement. Il a suscité une augmentation sensible du nombre de recherches
scientifiques consacrées aux services écosystémiques qui constituent désormais le thème de plus de
3 000 articles par an. Il a également inspiré des projets et des initiatives institutionnelles
supplémentaires, dont l’évaluation par les Nations Unies des écosystèmes pour le millénaire
[Millennium Ecosystem Assessment] ; le rapport du PNUE sur l’économie des écosystèmes et de la
biodiversité (TEEB) ; TruCost ; le partenariat Ecosystem Services Partnership (ESP) ;
l’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES) ; le
document d’orientation « Biodiversité, stratégie de l’UE à l’horizon 2020 » ; et bien d’autres.
Toutes ces initiatives attestent que l’approche axée sur les services écosystémiques est désormais
reconnue et largement acceptée.
L’évaluation des dommages environnementaux s’avère difficile, se heurte à des problèmes et
suscite des controverses sur des points de détail. Il en sera toujours ainsi et, de fait, il ne saurait en
être autrement compte tenu du caractère complexe de ces systèmes et des services qu’ils
- 66 -
fournissent. Pourtant, l’approche axée sur lesdits services est devenue un moyen important et fiable
de comprendre et de les évaluer ainsi que d’apprécier les dommages qui leur sont infligés.
Veuillez agréer, etc.
Le titulaire de la chaire de politique publique,
Crawford School of Public policy,
Australian National University,
132 Lennox Crossing,
Canberra ACT 0200, Australie,
(Signé ) Professeur Robert CONSTANZA.
___________
- 67 -
APPENDICE 2
NOTE DE RUDOLF DE GROOT
Wageningen University
Wageningen UR
Groupe des sciences de l’environnement, analyse des systèmes environnementaux
Date : 28 juillet 2017
Adresse postale : P.O. Box 47
6700 AA Wageningen
Pays-Bas
Adresse pour les visiteurs
Campus Wageningen
Building 100
Droevendaalsesteeg, 3a
6708 PB Wageningen
Adresse Internet : www.wageningenuniversity.nl
Courrier électronique : [email protected]
Téléphone : + 00 31 (0) 317 48 22 47
Fax : + 00 31 (0) 317 41 90 00
Destinataire : Alejandro Solano Ortiz
Vice-ministre des affaires étrangères
Concerne : Votre lettre du 17 juillet concernant la demande d’indemnisation introduite contre le
Nicaragua au titre des dommages environnementaux infligés aux zones humides costa-riciennes
Cher Monsieur Ortiz,
Merci pour votre lettre du 17 juillet. Je crois comprendre que deux questions principales sont
en jeu : 1) l’équipe technique du Nicaragua prétend que seule la méthode du coût de remplacement
(CR) convient pour calculer le coût économique (pécuniaire) de la perte des zones humides
costa-riciennes et 2) selon l’article que j’ai publié en 2014 (et dont l’auteur principal est
Robert Constanza), l’approche d’évaluation axée sur les services écosystémiques (SE) n’est pas
suffisamment rigoureuse pour calculer les coûts des pertes infligées à l’écosystème, dans la mesure
où nous «n’incluons pas l’évaluation de ces pertes en tant qu’utilisation de l’évaluation des services
écosystémiques».
Ces deux affirmations sont totalement imprécises et, en fait, erronées :
1) En ce qui concerne le premier point : d’après mes connaissances de la littérature et mon
expérience, la méthode du coût de remplacement (à l’échelle de l’écosystème) constitue en
réalité la moins adaptée de toutes les méthodes pour apprécier la valeur (effet sur le bien-être)
des bienfaits procurés par les écosystèmes (et leurs services) et, partant, les éventuelles
répercussions de la perte d’un écosystème, car elle n’est pas liée aux bienfaits (valeurs)
effectivement associés à l’écosystème intact. Les valeurs communiquées dans l’article de 2014
se fondent en fait sur ma publication de 2012 qui donne un aperçu détaillé des valeurs
pécuniaires de tous les principaux biomes (ensembles écosystémiques) et des zones humides
côtières qui, je suppose, sont en jeu dans le présent différend. La valeur totale des zones
humides côtières, y compris les mangroves, est d’au moins 190 000 dollars des Etats-Unis/ha/an
(soit la moyenne de 139 points de valeur, ce qui en fait l’un des types de biomes les plus étudiés
au monde). Sur ces 139 points de valeur, environ 15 seulement se fondent sur le CR, car la
plupart correspondent au prix du marché, au revenu des facteurs et au coût des dommages
évités
- 68 -
2) Je ne suis pas certain de bien comprendre la logique de l’affirmation selon laquelle nous
n’aurions pas « inclus l’évaluation de la perte de l’écosystème dans l’évaluation de l’utilisation
des services de l’écosystème » de sorte que « l’approche SE [axée sur les services
écosystémiques] n’est pas suffisamment solide pour calculer les coûts de la perte de
l’écosystème». De toute façon, NOUS AVONS BIEN inclus «l’évaluation de la perte de
l’écosystème» dans notre calcul de la valeur économique totale (VET) des écosystèmes intacts ;
ainsi, le coût des dommages évités constitue une méthode d’évaluation importante et acceptée,
dans la mesure où elle insiste sur les services gratuits fournis par la nature — notamment les
services de régulation comme la purification de l’eau, la prévention de l’érosion, la
pollinisation, la séquestration du carbone et bien d’autres — et les sommes colossales que la
société devrait acquitter en l’absence desdits services pour parer les conséquences de cette perte
en matière de santé, d’érosion, de perte des récoltes, de changement climatique, etc.
En ce qui concerne la solidité des études d’évaluation SE, et notamment des études VET : en
raison de la complexité des écosystèmes (en qualité de fournisseurs des services écosystémiques,
c’est-à-dire de l’offre) et de la société humaine (en qualité d’utilisatrice des systèmes
écosystémiques, c’est-à-dire de la demande), tout calcul de la VET est intimement lié à une période
et un contexte donnés et, par conséquent, comporte une grande marge d’incertitude. Nous voulions
simplement lancer un avertissement dans notre article de 2014 pour que les gens prennent
conscience de la nécessité d’utiliser avec prudence les valeurs pécuniaires indiquées dans nos
études et celles des tiers et pour recommander d’effectuer un travail empirique dans le cadre de tout
processus de prise de décision. Pourtant, ces études d’évaluation de l’écosystème initial requièrent
beaucoup de temps, d’argent et de ressources souvent indisponibles de sorte que, en pareilles
circonstances, les études dites de « transfert d’avantages » constituent la seule option réaliste. Le
nombre des études d’évaluation des services écosystémiques et de bases de données SE augmentant
rapidement [c’est notamment le cas de celles produites dans le cadre du partenariat Ecosystem
Services (www.es-partnership.org)], la solidité desdites études de transfert d’avantages croît, elle
aussi, à un rythme soutenu et je ne doute pas que, à condition d’être convenablement effectuées,
elles traduisent mieux l’effet de bien-être réel que les calculs (estimations) avancés par les tenants
d’une utilisation de remplacement (par exemple un barrage, une ferme d’élevage de crevettes ou
bien le développement de sites récréatifs sur la côte) lesquels se fondent sur les valeurs du marché
et sur des prévisions pouvant changer précipitamment en fonction des circonstances politiques
économiques et, par définition, excluent la plupart des externalités.
J’espère que vous trouverez ces informations utiles et je vous souhaite de réussir dans cette
entreprise, dont je vous prierai de me communiquer l’issue.
Veuillez agréer, etc.
Le groupe des sciences de l’environnement,
analyse des systèmes environnementaux
et président du partenariat Ecosystem Services
(www.es-partnership.org),
(Signé) Rudolf DE GROOT.
P.-S. : J’ai également communiqué à M. Aguilar-Gonzalez l’étude de 2012, ainsi que le supplément
contenant des informations extrêmement détaillées sur la valeur pécuniaire des services
écosystémiques des principaux biomes.
___________
- 69 -
APPENDICE 3
UNA
Université nationale
Costa Rica
CINPE
Centre international des politiques en faveur du développement
durable
20 juillet 2017
UNA-CINPE-DI-OFIC-048-
2017
M. Alejandro Solano Ortiz,
Vice-ministre des affaires
étrangères et des cultes
San José, Costa Rica
Cher Monsieur,
En réponse à votre demande telle qu’elle est exposée dans la note DVM-137-2017, les
soussignés — Mary Luz Moreno Diaz et Olman Segura Bonilla — tous deux économistes dûment
enregistrés auprès de l’Association professionnelle des sciences économiques, professeurs et
chercheurs spécialisés dans le domaine de l’économie des ressources naturelles et de l’écologie et
membres du Centre international des politiques en faveur du développement durable (CINPE) de
l’Universidad Nacional — déclarent et attestent ce qui suit :
Nous avons analysé minutieusement les références théoriques sur les méthodologies
d’évaluation économique des services environnementaux et d’évaluation des dommages causés aux
services écosystémiques au Costa Rica et appliqué plusieurs de ces méthodologies aux niveaux
national et international. Parmi les différentes méthodologies utilisées pour évaluer le dommage
causé à l’environnement que nous avons trouvées et qui ont été utilisées dans des travaux tels que
« La Valoración económica de los servicios que brinda la biodiversidad : la experiencia de
Costa Rica » [évaluation économique des services fournis par la biodiversité : l’expérience
costa-ricienne] rédigé par M. Moreno pour l’INBio-National Biodiversity Institute, 2005
[INBio-institut national pour la biodiversité] et « Estado del Arte en Metodologías de Valoración
de los Servicios Ecosistémicos y el Daño Ambiental » [état des connaissances en matière de
méthodologies d’évaluation des services écosystémiques et des dommages environnementaux] paru
en 2016 et dont M. Segura est l’un des auteurs, la méthodologie de l’Instituto de Políticas de
Sostenibilidad, IPS [institut des politiques durables] est la plus utilisée au Costa Rica.
En 2001, l’IPS a créé une méthodologie destinée initialement au Sistema Nacional de Áreas
de Conservación [réseau national des zones de conservation] sous l’égide du ministère costa-ricien
de l’environnement et de l’énergie (MINAE).
Par ailleurs, nous travaillons actuellement sur un projet de recherche intitulé «Valoración de
los Servicios Ecosistémicos de siete humedales Ramsar de Costa Rica » [évaluation des services
écosystémiques de sept zones humides RAMSAR du Costa Rica] pour le réseau national des zones
de conservation (SINAC) et ledit ministère. A cette fin, nous avons recours à la méthodologie
internationalement reconnue sous le nom de transfert de valeurs. Il est généralement recouru au
transfert d’avantages — plus généralement désigné sous l’appellation transfert de valeurs — en cas
d’impossibilité de procéder à une étude détaillée par manque de ressources budgétaires et/ou de
temps, lorsque le but de l’exercice est de mesurer les avantages
- 70 -
Il convient de noter que, à ce stade de l’étude, nous ne saurions avancer les valeurs calculées
des services écosystémiques des différentes zones humides, dans la mesure où les chiffres dont
nous disposons résultent d’un calcul préliminaire et où les données doivent être encore calibrées et
ajustées. Nous nous sommes engagés à compléter l’étude d’évaluation d’ici la fin août 2017. Les
résultats obtenus serviront à faciliter la mise en oeuvre de diverses mesures au titre des politiques
nationales, telles que la politique sur les zones humides.
Veuillez agréer, etc.
Docteur en économie,
(Signé) Mary Luz MORENO DIAZ.
Docteur en économie,
(Signé) Olman Segura BONILLA.
___________
- 71 -
APPENDICE 4
Tribunal administratif pour l’environnement
Ministère de l’environnement et de l’énergie
San José, 18 juillet 2017
722-17-TAA
M. Arnoldo Brenes Castro
Ministère des affaires étrangères
S.O.
Monsieur,
J’ai l’honneur de répondre à votre note 07-AM-2017.
En ce qui concerne votre demande de communication de statistiques sur l’utilisation de la
méthodologie IPS aux fins de l’évaluation économique des dommages environnementaux effectuée
par le ministère de l’environnement et de l’énergie du Costa Rica (MINAE) au cours des deux
dernières années, nous avons tenu compte des dossiers administratifs dûment finalisés par ce
tribunal en 2015 et 2016, que ce soit par le biais de l’adoption d’un acte final ou bien de
l’homologation d’un accord de conciliation.
Cette analyse révèle que le réseau national des zones de conservation (SINAC) a recours à
plusieurs méthodologies pour procéder à l’évaluation économique des dommages
environnementaux, à savoir : IPS, VALCA, ACOPAC et d’autres. Dans le cas présent et afin de
pouvoir répondre à votre question, je peux affirmer que, dans les dossiers complétés devant le
tribunal administratif pour l’environnement (TAA) pendant les années susmentionnées, la
méthodologie IPS était plus fréquemment employée que les autres. Il convient de noter que ladite
évaluation constitue un outil technique essentiel dans la résolution des affaires soumises à notre
instance.
Afin de vous fournir davantage d’informations concernant les méthodologies d’évaluation
économique des dommages environnementaux utilisés par le réseau national des zones de
conservation (SINAC), je joins à la présente note le document SINAC-SE-PPC-183-2017 du
3 juillet 2017, tel qu’il est signé par Juan Carlos Villegas Arguedas en qualité de directeur
intérimaire du service de prévention, protection et contrôle, ainsi que le protocole pour l’évaluation
économique des dommages environnementaux préparé lui aussi par le SINAC (document
SINAC-DE-1156), daté du 23 mai 2014 et signé par Rafael Guttierez Rojas en qualité de directeur
exécutif.
Je demeure à votre entière disposition pour toute question supplémentaire.
Veuillez agréer, etc.
La vice-président,
Tribunal administratif pour l’environnement,
(Signé) Maricé MONTOYA NAVARRO.
- 72 -
Tribunal administratif pour l’environnement
Ministère de l’environnement et de l’énergie
San José, 28 juillet 2017
734-17-TAA
M. Arnoldo Brenes Castro
Ministère des affaires étrangères
S.O.
Cher Monsieur,
J’ai l’honneur de clarifier la réponse qui vous a été communiquée par ce bureau dans sa
note n° 772-17-TAA du 18 juillet 2017.
Comme indiqué dans ladite note, pour rédiger notre réponse, nous avons tenu compte des
dossiers administratifs ayant été dûment finalisés par ce tribunal en 2015 et en 2016, que ce soit
dans le cadre de l’adoption d’un acte final ou de l’homologation d’un accord de conciliation.
A cet égard, il convient de mentionner que, en vertu de la directive SINAC-DE-1156 du
23 mai 2014, l’évaluation des dommages environnementaux effectuée par le personnel du réseau
national des zones de conservation doit obligatoirement respecter les lignes directrices du
«Protocole d’évaluation économique des dommages environnementaux» publiées la même année.
Selon ce document, quatre méthodologies permettent de procéder à cette évaluation économique au
prix d’un ajustement en fonction des circonstances de l’espèce :
a) la méthodologie IPS d’évaluation économique des dommages environnementaux qui est
recommandée s’agissant de modifier l’utilisation d’un terrain, les feux de forêt et les dommages
infligés à des zones humides, même si elle peut être appliquée à la quasi-totalité des situations
affectant des ressources naturelles ;
b) la méthodologie ACOSA d’évaluation économique des dommages environnementaux qui est
recommandée en cas d’extraction (de produits ou de produits dérivés), de braconnage et de
trafic d’espèces appartenant à la flore ou à la faune sauvages ;
c) la méthodologie AC-HN d’évaluation économique des dommages environnementaux qui est
recommandée en cas de dommages provoqués par l’abattage et la récolte d’arbres dans des
zones agricoles et non forestières, dans les régions dépourvues de forêts riveraines et dans les
zones de protection de la forêt ; et
d) la méthodologie ACMIC d’évaluation économique des dommages environnementaux
conçue à l’origine pour la zone de conservation marine de l’île de Coco — qui est
recommandée dans les cas impliquant des dommages pour l’environnement marin, s’agissant
notamment de pêche illégale ou d’exploitation illégale d’espèces marines.
Ce point étant clarifié et pour répondre à votre demande d’information formulée dans la
note no 07-AM-2017, je peux vous indiquer que dans les 69 dossiers complétés devant le tribunal
administratif pour l’environnement pendant les années susmentionnées, la méthodologie IPS
domine largement s’agissant d’évaluer les dommages environnementaux, puisqu’elle a été utilisée
dans 34 % des cas. Il convient également de noter que l’évaluation économique des dommages
environnementaux constitue un outil technique essentiel, dont il convient de tenir compte pour
résoudre les affaires traitées par cette instance.
- 73 -
Je demeure à votre disposition pour toute question supplémentaire.
La vice-présidente,
Tribunal administratif pour l’environnement,
(Signé) Ruth SOLANO VASQUEZ.
___________
- 74 -
APPENDICE 5
26 juillet 2017
M. Alejandro Solano Ortiz,
Vice-ministre des affaires étrangères et des cultes
République du Costa Rica
Cher Monsieur,
Vous m’avez demandé, dans la note DVM-137-2017, de vous indiquer les pays où la
méthodologie de l’Instituto de Políticas para la Sostenibilidad (IPS) [institut des politiques de
durabilité] d’évaluation économique des dommages environnementaux sert ou a servi.
Permettez-moi tout d’abord d’apporter quelques précisions.
1) La méthodologie a été appliquée dans plusieurs affaires au Costa Rica, telles que celles
mentionnées ci-dessous et auxquelles j’ai participé. Ces affaires ont été examinées dans le cadre
de différentes procédures judiciaires au niveau national :
a) Evaluation des dommages environnementaux provoqués par l’incendie ayant ravagé
Químicos Holanda dans la province de Limón. Cette étude avait été commandée par le
Secretaria Técnica Nacional Ambiental [secrétariat technique national à l’environnement]
(SETENA), juin-avril 2008.
b) Evaluation économique des dommages environnementaux infligés au fleuve Pacuare :
affaire Cooperativa agroindustrial de Palma de Aceite RL (fichier 38-01-TAA ). Ce projet
a été réalisé par l’Instituto de Políticas para la Sostenibilidad (IPS) [institut des politiques
de durabilité] en collaboration avec le tribunal administratif pour l’environnement (TAA),
ministère costa-ricien de l’environnement et de l’énergie (MINAE), Costa Rica, avril
2004.
c) Evaluation des dommages environnementaux provoqués dans le parc national de Palo
Verde par les eaux de drainage du district d’irrigation d’Arenal Tempisque. Ce rapport a
été rédigé par la commission pour l’évaluation des dommages environnementaux de la
zone de conservation d’Arenal Tempisque rattachée au réseau national des zones de
conservation (SINAC), juillet 2003.
d) Evaluation économique des dommages environnementaux infligés au fleuve Bebedero par
l’épandage de vinasse. J’étais membre de l’équipe affectée à ce projet par l’Institut des
politiques de durabilité (IPS). Le projet a été réalisé à la demande de la zone de
conservation d’Arenal Tempisque, Costa Rica, septembre 2001-janvier 2002.
Il convient de noter que la méthodologie IPS est l’une des trois ayant été formalisées au
Costa Rica par le bureau du procureur général de la République [Procuraduría General de la
República] en vue de son application dans les affaires de dommages environnementaux et que,
dans plusieurs cas de figure, le réseau national de zones de conservation (SINAC) l’applique
systématiquement.
2) La méthodologie IPS a également été appliquée par le Programa de Reparación Ambiental
Social [programme de réparation environnementale et sociale] (PRAS) du ministère équatorien
de l’environnement (MAE) dans deux projets auxquels j’ai participé :
- 75 -
a) Evaluation économique des dommages environnementaux : affaire des oléoducs de pétrole
brut. Programme de réparation environnementale et sociale (PRAS), ministère équatorien
de l’environnement, 2011.
b) Evaluation économique des dommages environnementaux : affaire des exploitations
minières illégales en Équateur. Programme de réparation environnementale et sociale
(PRAS), ministère équatorien de l’environnement, 2011.
Le PRAS s’est également servi de la méthodologie IPS dans le cas d’autres affaires portant
sur des dommages environnementaux, ce qui en fait un outil d’usage courant au sein de
l’institution.
3) Il est important d’ajouter que la méthodologie IPS a servi d’outil d’évaluation des dommages
environnementaux dans une procédure engagée en Colombie contre une société d’exploitation
pétrolière du nom de HOCOL au titre du lancement d’un programme dit Programa Sísmico
Clarinero Norte 3D [programme sismique en 3D de Clarinero Norte]. Cette affaire est née
d’une dénonciation par la famille Arismendi, laquelle a suscité la participation de
CORPPORINOQUIA, du bureau du procureur général, du ministère de l’environnement et de
l’autorité nationale de délivrance des autorisations environnementales. Compte tenu de
l’évolution de la situation, HOCOL a été contrainte de procéder à une analyse des dommages
environnementaux lui étant imputés.
En dehors de ces activités consacrées à l’application de la méthodologie dans plusieurs
affaires au cours de la période 2002-2016, l’IPS dispense également plusieurs programmes de
formation en Amérique latine à l’intention de praticiens et d’agents publics de différentes
disciplines. Ces programmes visent à renforcer la gestion et l’évaluation des dommages
environnementaux. En ce qui concerne la formation du personnel d’organismes officiels, des cours
ont été dispensés par l’institut au personnel technique du bureau du procureur général du Paraguay
et également du ministère public du Honduras.
En général, l’évaluation des dommages environnementaux implique l’établissement de l’état
de conservation des écosystèmes avant et après la commission desdits dommages, grâce à
l’application d’indicateurs soigneusement pondérés et valorisés. La différence entre les deux états
de conservation traduit l’ampleur des dommages causés. Du point de vue économique, il convient
d’examiner deux dimensions fondamentales des dommages : le coût de la restauration des
conditions des écosystèmes affectés et le coût social des avantages perdus en raison de
l’endommagement desdits écosystèmes
En ce qui concerne le coût de la restauration, il est nécessaire de déterminer les ressources à
restaurer, l’ampleur des dommages causés, ainsi que les exigences liées au processus de
restauration et le temps requis pour mener celui-ci a bien. En ce qui concerne le délai de
restauration, il importe d’identifier la ressource qui sera la plus longue à restaurer, de manière à ce
que les autres ressources puissent être reconstituées dans l’intervalle. Dans la mesure où un acte
donné peut affecter simultanément une ou plusieurs ressources naturelles, le coût total doit
correspondre à la somme de tous les coûts particuliers associés à la reconstitution de chacune des
ressources affectées.
En ce qui concerne le coût social, il est nécessaire de procéder au moins à une quantification
portant sur la période requise par les opérations de restauration, dans la mesure où par la suite la
fonctionnalité des écosystèmes sera rétablie, de sorte que la population jouira des nouveaux
avantages qu’ils offrent. Pendant cette période, il est nécessaire d’indemniser la population affectée
au titre de la perte de certains avantages comme les effets des biens et services fournis gratuitement
par l’écosystème notamment en mettant à sa disposition des infrastructures, des services sociaux et
des structures de santé.
- 76 -
Je reste volontiers à votre disposition pour vous aider dans toute la mesure du possible
Programme de mastère en politique économique orienté plus
particulièrement vers l’écologie et le développement durable
email : [email protected]
Tél : + 506 8303 3226
(Signé) Gerardo Barrantes MORENO M.Sc.
___________
- 77 -
APPENDICE 6
NOTE DE DAVID BATKER (EARTH ECONOMICS)
28 juillet 2017
Destinataire : S.E. M. Alejandro Solano Ortiz,
Vice-ministre des affaires étrangères
Costa Rica
Expéditeur : David Batker
Président, Earth Economics
Tacoma, Washington, Etats-Unis
Concerne : Cour de justice internationale, affaire relative à Certaines activités menées par le
Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)-Indemnisation
Cher vice-ministre Solano Ortiz,
Veuillez trouver ci-joint mes commentaires concernant l’utilisation des outils d’évaluation
des services écosystémiques dans le cadre de l’évaluation des dommages environnementaux.
En dehors du contexte de l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua
dans la région frontalière-Indemnisation (Costa Rica c. Nicaragua), actuellement examinée par la
Cour de Justice internationale, Earth Economics est heureux de communiquer des informations
concernant son travail en matière d’évaluation des services écosystémiques et l’application de cet
outil aux évaluations des dommages environnementaux. L’annexe A contient des détails sur cet
aspect de notre travail.
En ce qui concerne l’affaire spécifiquement en cause et l’analyse fournie par Neotrópica,
j’estime cette dernière solide et prudente. Neotrópica s’est contenté d’examiner les zones
directement impactées alors que les actes sanctionnés/avalisés par le gouvernement nicaraguayen
pourraient avoir altéré toute l’hydrologie de la zone en raison du creusement des nouveaux canaux.
La zone affectée sera probablement plus étendue que celle des canaux creusés, des forêts abattues
et des zones humides bouleversées. Par exemple, l’abattage d’arbres entraîne fréquemment des
pertes supplémentaires dues au chablis, c’est-à-dire au déracinement des arbres voisins qui ne sont
plus protégés.
L’analyse effectuée par la Fundación Neotrópica est de type classique et correspond aux
meilleures pratiques des économistes du monde entier. L’évaluation des services écosystémiques
est une approche valide en matière d’évaluation des dommages environnementaux. La Fundación
Neotrópica est parvenue à identifier six services écosystémiques ayant été affectés et évalués, ainsi
que huit services supplémentaires ayant été affectés, mais pas évalués. La simple existence de ces
derniers signifie que les résultats représentent une sous-estimation de l’intégralité des dommages.
De plus, Neotrópica n’a pas calculé les dommages qui se feront encore ressentir au bout de
cinquante ans alors que, faute d’une restauration suffisante, les effets nocifs pourraient persister
pendant une période beaucoup plus longue.
Neotrópica a évalué 6 des 14 services écosystémiques identifiés comme ayant été
endommagés. Les paragraphes qui suivent contiennent mes commentaires sur ces six services, sur
- 78 -
la manière dont Neotrópica les a évalués, ainsi que sur les critiques formulées par le Nicaragua à
propos de ladite évaluation.
Bois d’oeuvre : Le rapport des experts nicaraguayens admet pleinement que des arbres ont
été endommagés et que ces dommages représentent une perte financière qui doit être compensée.
La valeur avancée par Neotrópica est raisonnable. Plus les arbres sont épais, plus leur quantité de
fibres augmente chaque année. Ainsi, les arbres ayant été abattus auraient vu leur circonférence et
leur quantité de fibres augmenter annuellement beaucoup plus rapidement que celles des arbres
plantés pour les remplacer. De plus, la quantité brute de bois d’oeuvre produite ne «rattrapera pas»
la production de la forêt originale au cours des 50 prochaines années. Les consultants du
gouvernement nicaraguayen atténuent l’importance du bois d’oeuvre et n’avancent pas une valeur
crédible. Ce bois est une ressource appréciable dont la valeur augmente chaque année. Il s’agit d’un
bien public que le système de comptabilité nationale devrait impérativement évaluer chaque année
au même titre que les autres comptes verts. En fait, le Costa Rica est l’un des 18 pays pour lesquels
la Banque mondiale travaille, dans le cadre de son programme WAVES, sur l’intégration de la
valeur des écosystèmes dans le système de comptabilité nationale.
Fibres et énergie : Le rapport des experts nicaraguayens admet pleinement que des matières
premières ont été endommagées et que ces dommages représentent une perte financière qui doit
être compensée. Il s’agit en effet de ressources renouvelables récoltées chaque année et l’approche
adoptée en la matière par Neotrópica paraît judicieuse.
Régulation des émissions de gaz : Le rapport des experts nicaraguayens admet pleinement
que la séquestration de carbone (régulation des émissions de gaz) a été affectée et que ce dommage
représente une perte financière qui doit être compensée. Le fait d’appartenir à l’Organisation des
Nations Unies et d’être partie au statut de la Cour internationale de justice équivaut presque
complètement à adhérer aux obligations énoncées dans l’accord de Paris sur le climat conclu sous
l’égide de l’ONU. La Cour ne saurait continuer à trancher les différends entre Etats parties ou à
appliquer le droit international sans reconnaître que les actes alimentant le changement climatique
génèrent des dommages environnementaux et que les mêmes nations ont reconnu le coût social du
carbone. L’approche de Neotrópica est correcte en ce sens qu’elle procède à l’estimation de la
diminution de séquestration du carbone et qu’elle reconnaît que cette perte se reproduit chaque
année.
Atténuation des risques naturels : J’ai étudié la valeur des écosystèmes en termes
d’atténuation des risques naturels depuis 1985 et rédigé des rapports pour l’Etat de Louisiane ainsi
que pour l’agence fédérale des situations d’urgence des Etats-Unis [US Federal Emergency
Management Agency (FEMA)]. Cette dernière a adopté le système de valeurs en dollars par acre
que Earth Economics avait utilisé dans son outil avantage/coût pour l’étude de l’atténuation des
dommages inhérents aux inondations et aux ouragans infligés aux infrastructures privées et
publiques dans chacun des 50 Etats fédérés. Earth Economics a été sélectionné à deux reprises par
la FEMA pour calculer les valeurs BTM (c’est-à-dire les valeurs obtenues à l’aide de la méthode
des transferts d’avantages) de l’atténuation des risques naturels, lesquelles ont été reprises dans la
politique adoptée par cet organisme.
Les nations d’Amérique centrale sont particulièrement vulnérables aux ouragans et aux
inondations. Ces deux risques naturels sont atténués par les écosystèmes et par les éléments
endommagés par les actions du gouvernement nicaraguayen. Le rapport des experts nicaraguayens
prétend à tort que les zones endommagées ne contribuent pas à l’atténuation des risques naturels.
Au contraire, les grosses tempêtes s’affaiblissent lorsqu’elles rencontrent des obstacles physiques.
La norme en matière de mesure de la valeur d’atténuation d’un système naturel repose sur une
estimation par unité de superficie (en l’occurrence l’hectare) et a été appliquée scrupuleusement par
Neotrópica. Les ondes de tempête (marées géantes, vagues gigantesques et tsunamis) perdent de
leur force au contact des barrières de corail, des vasières, des mangroves, des plages, du bois sur
pied et des sinuosités des fleuves et des deltas. Les actes du gouvernement nicaraguayen ont
- 79 -
clairement perturbé les systèmes procurant ces avantages, lesquels sont désormais perdus. D’autres
études menées en Louisiane et en Europe révèlent des valeurs en dollars par hectare supérieures
aux sommes totales très prudentes avancées par Neotrópica.
Habitat et frayère : Le rapport des experts nicaraguayens admet pleinement que des zones
d’habitat et de frayère ont été endommagées et que ces dommages représentent une perte financière
qui doit être compensée. Pourtant, les mêmes experts tentent de diminuer la valeur desdites zones
comme s’il s’agissait d’un stock et non d’un flux. Or, la valeur de l’habitat et des frayères constitue
un flux annuel appréciable. Par exemple, tout estuaire sert chaque année à la fois de frayère et
d’habitat pour les larves de poissons, ce qui permet une activité de pêche commerciale et de
subsistance sur le littoral. Neotrópica a judicieusement et avec prudence assimilé le calcul des
futurs dommages pour l’habitat et la frayère comme un flux (et non un stock d’avantages comme
l’avancent les consultants nicaraguayens dans le cadre d’une approche incorrecte).
Formation des sols / Contrôle de l’érosion : Les forêts tropicales créent des sols et
réduisent leur érosion. Les aires de coupe sont sujettes à des glissements et des mouvements de
terrain, ainsi qu’à l’érosion. Ces services écosystémiques sont clairement présents en l’espèce,
possèdent une valeur en dollars et devraient être inclus dans l’évaluation des dommages.
Neotrópica aborde le problème en recourant à une méthodologie et des valeurs pertinentes. Le
rapport des experts nicaraguayens est à la fois incorrect et incomplet, de sorte qu’il sous-estime
gravement les dommages infligés au Costa Rica
De plus
Le dragage des canaux facilite l’intrusion des eaux salées jusqu’à un point situé plus en
amont du fleuve. En réduisant la sinuosité de ce cours d’eau et en ouvrant une voie directe vers
l’intérieur des terres, les canaux véhiculent également l’eau des orages plus haut dans le bassin, ce
qui a pour effet d’accroître le volume des inondations. De plus, l’arrivée massive d’eau salée en cas
de gros orages risque de tuer la faune et la flore d’eau douce dans la réserve.
Les dommages se sont produits dans une zone d’habitat critique que la population
costa-ricienne a érigée en zone protégée pour des raisons tenant à la fois à la beauté du lieu, à la
nécessité de préserver la diversité biologique, à la volonté de préserver ce lieu pour les générations
futures et au désir de conserver ces ressources. Nombre de Costa-riciens ont été lésés par cette
invasion et cette destruction illicites d’un trésor national, tout comme le serait une famille victime
d’une intrusion et d’un vol à son domicile. Ce coût-là n’a pas été pris en considération et la Cour
devrait comptabiliser ce dommage important. Sur la base de mon expérience en matière de
dommages environnementaux, j’estime que ce coût est à lui seul aussi élevé, si ce n’est plus, que
celui des dommages commerciaux et écosystémiques évalués par Neotrópica.
Globalement, le rapport des experts nicaraguayens recommande l’imposition d’une amende
dérisoire de 84 294 dollars des Etats-Unis qui, si elle était confirmée, équivaudrait à une parodie de
justice, dans la mesure où huit services écosystémiques endommagés n’ont pas été évalués dans
l’étude, que des dommages affectant un périmètre allant au-delà de la zone directement impactée
n’ont pas été comptabilisés dans l’évaluation en dollars et que chaque évaluation (à l’exception de
celle du bois d’oeuvre) a été calculée avec la plus grande prudence. Il est donc clair que la valeur
avancée par Neotrópica est largement inférieure au montant réel des dommages et qu’elle devrait
donc être adoptée en l’état par la CIJ, voire augmentée dans la mesure où le préjudice autre que les
dommages sur le marché n’a pas été évalué en dollars.
En près de 20 ans d’existence, Earth Economics a travaillé à de nombreuses reprises sur des
projets d’évaluation de services écosystémiques. Nous estimons que cette méthode convient à la
résolution des différends nationaux et internationaux, car elle permet d’estimer l’ampleur relative
des dommages environnementaux et de calculer une indemnisation adéquate. L’annexe A au
présent document répertorie des affaires judiciaires, des consultations et divers projets sur lesquels
- 80 -
Earth Economics a travaillé et qui prouvent que la méthode ESV est largement reconnue comme un
outil précis d’estimation des dommages environnementaux. De plus, ces exemples illustrent la
manière dont la méthode peut être légalement appliquée en matière d’élaboration d’une politique
ou de prise de décisions.
Veuillez agréer, etc.
Le président,
(Signé) David BATKER.
___________
- 81 -
APPENDICE 7
San José, 1er août 2017
DM-725-2017
République du Costa Rica
Ministère de l’environnement et de l’énergie
Cabinet du ministre
M. Manuel González Sanz
Ministre des affaires étrangères
Cher ministre González,
Dans le contexte de la préparation des pièces écrites à laquelle travaille actuellement le
ministère des affaires étrangères et des cultes en vue de leur soumission à la Cour internationale de
Justice en vue d’exiger du Nicaragua la réparation de dommages en l’affaire Certaines activités
menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et conformément à
votre demande orale, j’ai le plaisir de vous communiquer des informations relatives au système
costa-ricien de comptabilisation du capital naturel.
Le système de comptabilisation du capital naturel (CCN) costa-ricien a été élaboré en
recourant aux normes du système de comptabilité environnementale et économique des
Nations Unies, tel qu’il a été approuvé par la commission de statistique de l’ONU. Les comptes
créés dans le CCN permettent la quantification intégrée de la valeur biophysique et économique des
ressources naturelles et de leur impact sur la richesse nationale. Ils permettent également de générer
une série d’indicateurs favorisant l’analyse de l’offre et de l’utilisation des ressources naturelles,
ainsi que de leur interaction avec les différentes activités économiques du pays. Les comptes
environnementaux sont censés former un outil utile au processus de prise de décision et
d’élaboration de politiques publiques.
Le cadre central du système de comptabilité économique et environnementale (cadre central
du SCEE) est la norme de statistique internationale servant à l’établissement des comptes
environnementaux au Costa Rica. Il respecte une structure comptable cohérente conforme au
système de comptabilité nationale (SCN) de 2008. Ces deux normes sont directement alignées et le
SCN est la principale source des concepts, définition et normes comptables à la base du SCEE. Les
comptes environnementaux composent un système de comptabilité satellite dérivé du SNC.
Dans le cadre de son initiative WAVES (Wealth Accounting and Valuation of Ecosystem
Services), la Banque mondiale a soutenu la création des premiers comptes environnementaux au
Costa Rica. Un comité directeur a été formé pour piloter ce processus. Il comprenait des
représentants du ministère de l’environnement et de l’énergie (MINAE), du ministère des finances,
du ministère des politiques et de la planification économiques (MIDEPLAN), de l’institut national
des statistiques et des recensements (INEC) et de la banque centrale du Costa Rica (BCCR). La
banque centrale du Costa Rica est l’institution chargée de l’élaboration technique des comptes.
En 2014, le pays a formellement entamé la création de comptes pour l’eau et la forêt. En juin 2015,
il a également entamé la création du compte de l’énergie. Les premiers résultats de ces comptes
environnementaux ont été publiés au niveau national et à celui de la Banque mondiale en mai 2016.
- 82 -
En novembre 2016, l’unité des statistiques environnementales a été créée au sein de la
division économique de la BCCR. Cette entité est responsable de l’élaboration des comptes
environnementaux qui seront publiés et mis à jour un rythme annuel. Des efforts sont déployés
actuellement pour renforcer les comptes existants et en élaborer d’autres comme le compte des
services écosystémiques (CSE) ou le compte des dépenses liées à la protection de l’environnement
(CDPE). Le CDPE sera publié pour la première fois d’ici la fin de l’année avec le soutien de la
CEPALC. La création d’autres comptes environnementaux devrait suivre dans les prochaines
années.
Les premiers résultats des comptes peuvent être consultés à l’adresse suivante :
http:www.bccr.fi.cr/cuentas_ambientales. Des tableaux statistiques et des documents de travail sont
aussi publiquement disponibles. Les informations contenues dans les comptes environnementaux
servent à concevoir des politiques et des stratégies en faveur du développement durable dans des
domaines tels que la gestion des ressources en énergie et en eau, la surveillance et l’exploitation
des ressources forestières et l’interaction entre ces richesses et l’économie.
Veuillez agréer, etc.
Le ministre de l’environnement et de l’énergie,
(Signé) Edgar E. GUTIÉRREZ ESPELETA.
[cachet du ministère costa-ricien de l’environnement et de l’énergie]
___________
- 83 -
APPENDICE 8
CATIE
Solutions pour l’environnement et le développement
21 juillet 2017
DG-368/2017
Alejandro Solano Ortiz
Vice-ministre des affaires étrangères et des cultes
Costa Rica
Cher Monsieur le vice-ministre Solano,
Merci pour votre aimable note du 17 juillet dernier dans laquelle vous demandez à
Miguel Cifuentes de soutenir et de valider les résultats exposés dans la thèse de maîtrise de notre
collègue Maureen Argueda intitulée «Evaluation économique des services écosystémiques
découlant de la mangrove du golfe de Nicoya».
M. Cifuentes a subi hier une intervention chirurgicale et n’est donc pas en mesure de
répondre. Je lui ai cependant parlé, ainsi qu’à d’autres collègues, pour préparer la présente réponse.
La thèse sous forme d’enquête mentionnée plus haut a été conçue, élaborée, publiée et
approuvée conformément aux lignes directrices et au processus en vigueur au sein de l’école
supérieure CATIE qui est le plus ancien établissement d’enseignement de troisième cycle dans le
domaine de l’agriculture et des ressources naturelles. Les résultats de l’enquête sont conformes aux
exigences universitaires en matière de rigueur et de validité.
N’hésitez pas à me contacter de nouveau en cas de besoin.
Le directeur général,
(Signé) Muhammad IBRAHIM, Ph.D.
___________
- 84 -
APPENDICE 9
Réseau national des zones de conservation
Zone de conservation de Tortuguero
Direction des ressources forestières et de la vie sylvestre
Service de la gestion forestière
[logo du réseau national des zones de conservation (SINAC)]
[logo du ministère costa-ricien de l’environnement et de l’énergie (MINAE)]
3 août 2017
ACTo-GMRN-EPMF-2017
M. Alejandro Solano Ortiz
Vice-ministre
Ministère des affaires étrangères et des cultes
SUJET : Quelques observations sur les effets de l’ouragan Otto sur les espaces inclus dans la
zone de conservation de Tortuguero
Cher vice-ministre,
Après le passage de l’ouragan Otto le 24 novembre 2017 sur la zone de conservation de
Tortuguero (ACTo), nous avons organisé un survol des espaces affectés le 26 novembre.
Cette initiative visait plusieurs objectifs, dont l’observation des dégâts laissés par le passage
de l’ouragan et, également, la détection de changements ayant éventuellement modifié le paysage.
Certaines observations sont répertoriées ci-dessous.
EN CE QUI CONCERNE LES DÉGÂTS
Globalement, les principaux dégâts sont concentrés sur les forêts et les zones humides
situées à l’intérieur de la réserve naturelle nationale Barra del Colorado et du couloir frontalier
entre le Costa Rica et le Nicaragua. Une perte de la canopée a pu être établie à la fois dans la zone
de Ceros Coronel, Puerto Lindo et Laguna Samay, surtout entre Laguna Aqua Dulce, Laguna de
Atrás, Isla Portillos et l’embouchure du fleuve San Juan ; la chute de branches, de cimes d’arbres
ou d’arbres entiers a provoqué une déchirure complète de la canopée et un impact visuel très fort.
Il convient de mentionner que, aux endroits où la couverture forestière était très dense, une
bonne partie des troncs d’arbres sont restés debout, même si d’autres sont tombés. Après avoir
observé d’autres zones affectées dépourvues de couverture forestière, nous avons pu conclure que
l’effet du vent sur les arbres isolés est apparemment supérieur, parce que la plupart d’entre eux
gisaient à terre. Nous suggérons donc qu’une forte densité végétale permet un «filtrage» des
courants d’air qui se traduit par une réduction de la pression exercée sur chaque arbre ou palme.
Certains bâtiments ont été affectés, principalement ceux situés dans des zones ouvertes ou
sur les bords des lagunes. Dans la zone de Puerto Lindo, la ressource forestière a été fortement
- 85 -
endommagée, tandis que les maisons près des forêts ou entourées de forêts ne semblent pas avoir
souffert.
EN CE QUI CONCERNE LA MODIFICATION DU PAYSAGE
Comme indiqué plus haut, la forêt a été la ressource la plus endommagée par Otto dans la
zone de conservation Barra del Colorado et le couloir frontalier entre le Costa Rica et le Nicaragua.
L’exubérance et la verdure de la zone ont définitivement cédé la place à un environnement plus
désolé, ce qui crée un choc visuel. Cependant, l’ampleur des dégâts varie, dans la mesure où les
zones éloignées du littoral ont été moins touchées et où les effets les plus visibles concernent les
endroits situés le plus près de la trajectoire de l’ouragan. On passe ainsi de zones dont quelques
branches ont été brisées et où des palmes ont perdu quelques feuilles à d’autres zones où les arbres
privés de cimes et de palmes sont plus nombreux et où les feuilles sont toutes disposées dans la
même direction et, enfin, à des zones où la canopée a disparu et où les palmes ont été couchées par
la force du vent.
CONSIDÉRATIONS
Les ressources forestières (y compris les écosystèmes des zones humides) constituent la
ressource la plus affectée par l’ouragan.
Le paysage a été profondément modifié, les dégâts étant de plus en plus apparents au fur et à
mesure que l’on se rapproche de la trajectoire de l’ouragan.
La densité accrue des zones forestières a permis à de nombreux arbres de rester debout après
avoir perdu leurs cimes, tandis que dans les zones moins denses ou sans couverture forestière la
plupart des arbres ont succombé aux effets du vent.
On peut affirmer que la présence de zones forestières a permis de «filtrer» (atténuer) les
courants d’air et de protéger jusqu’à un certain point la ressource contre les forces ayant
endommagé l’écosystème. On peut donc considérer ce phénomène comme un service
écosystémique. Par le jeu du hasard, dans le cadre de la journée internationale des zones
humides (2 février), la convention relative aux zones humides d’importance internationale
particulièrement comme habitats de la sauvagine (plus connue sous le nom de «convention de
Ramsar») a publié un ouvrage sur le thème des zones humides en tant que facteur de réduction
des catastrophes.
Il s’avère que les infrastructures entourées de zones forestières ont moins subi des dommages
directs que les autres.
Les quelques photographies et images qui suivent illustrent nos propos.
- 86 -
Photographies nos 1 et 2. Vue partielle d’une maison située sur la berge du fleuve San Juan (à Finca Aragón) avant et
après (voir le cercle en pointillé dans le coin inférieur droit de la photographie n° 2) le passage de l’ouragan Otto. On peut
noter que ce bâtiment est situé dans une zone dépourvue de forêts et qu’il a été fortement endommagé.
No 1
Lieu : Finca Aragón (Isla Portillos) et fleuve San Juan
Coordonnées géographiques : 10,927989/-83,985713
Référentiel : WGS 84
Date de la photographie : 21 novembre 2016
No 2
Lieu : Finca Aragón (Isla Portillos) et fleuve San Juan
Coordonnées géographiques : 10,927989/-83,985713
Référentiel : WGS 84
Date de la photographie : 21 novembre 2016
- 87 -
Photographies nos 3 et 4. Cas opposés des effets de l’ouragan. Alors que la maison de la photographie n° 3 a été
totalement détruite, celle de la photographie n° 4 est intacte (malgré la présence de zones affectées à proximité, voir les
cercles en pointillé). Notez la différence de la couverture forestière dans chaque cas. Les deux photographies ont été
prises le même jour (26 novembre 2016).
No 3
Lieu : Barra de Colorado, près de l’embouchure du fleuve
Coordonnées géographiques : 10,80550/-83,59609
Référentiel : WGS 84
Date de la photographie : 26 novembre 2016
No 4
Lieu : Cerros Coronel
Coordonnées géographique : 10,69583/-83,64570
Référentiel : WGS 84
Date de la photographie : 26 novembre 2016
- 88 -
Photographies nos 5 et 6. Vue partielle de la forêt affectée et des maisons qu’elle abrite. Notez que, dans ce cas précis, les
maisons n’ont subi aucun dommage alors qu’elles se trouvent dans une zone où l’écosystème a beaucoup souffert.
No 5
Lieu : Cerros Coronel
Coordonnées géographiques : 10,691753/-83,648426
Référentiel : WGS 84
Date de la photographie : 21 novembre 2016
No 6
Lieu : Cerros Coronel
Coordonnées géographiques : 10,692167/-83,650290
Référentiel : WGS 84
Date de la photographie : 26 novembre 2016
- 89 -
Photographie n° 7. Vue partielle d’une zone déboisée où de nombreux arbres ont été déracinés. En revanche, dans les
zones couvertes de forêt, seules les cimes ont été arrachées et les arbres sont restés debout. On peut distinguer la rive du
fleuve San Juan dans le coin supérieur droit de la photographie.
Photographie n° 8. Vue partielle d’une image satellite de la zone apparaissant dans la photographie n° 7 avant le passage
de l’ouragan
No 7
Lieu : Santa Teresita, Isla Portillos
Coordonnées géographiques : 10,89418/-83,66677
Référentiel : WGS 84
Date de la photographie : 21 novembre 2016
No 8
Lieu : Isla Portillos
Coordonnées géographiques : 10,89418/-83,66677
Référentiel : WGS 84
Date de la photographie : 7 novembre 2016
- 90 -
Photographie n° 9. Vue partielle d’une image satellite de la zone apparaissant dans la photographie n° 7 après le passage
de l’ouragan. Notez comment la zone abritant des arbres isolés est totalement dépourvue de protection, contrairement aux
zones boisées dont la structure est bien différenciée.
Lieu : Isla Portillos
Coordonnées géographiques : 10,89418/-83,66677
Référentiel : WGS 84
Date de la photographie : mars 2017
Veuillez agréer, etc.
La directrice,
zone de conservation de Tortuguero,
(Signé) Laura RIVERA QUINTANILLA.
___________
- 91 -
APPENDICE 10
Ministère costa-ricien de l’environnement et de l’énergie (MINAE)
Fonds national pour le financement des forêts (FONAFIFO)
Vendredi 23 juin 2017
DG-OF-154-2017
M. Alejandro Solano
Vice-ministre
Ministère des affaires étrangères et des cultes
Cher Monsieur,
J’ai l’honneur de répondre à la question relative au tarif appliqué par le Fonds national pour
le financement des forêts dans le cadre du programme actuel de paiement des services
environnementaux.
A ce propos, il convient de mentionner que, selon l’article 22 de la loi sur les forêts no 7575
du 16 avril 1969, les paiements au titre de services environnementaux
« visent à compenser les propriétaires ou les occupants d’une parcelle pour les services
environnementaux qu’ils rendent à la société dans le cadre de leur effort de
conservation, à condition qu’ils n’aient pas abattu d’arbres au cours des deux ans
précédant la demande de certificat et pendant la durée de validité de ce dernier».
Il importe de préciser que les paiements effectués par le FONAFIFO relèvent d’un mécanisme
financier visant à préserver les zones forestières fournissant des services environnementaux et non
à financer la restauration de zones de ce type ou à compenser la perte de tels services.
Il convient de rappeler que le concept de paiement au titre de services environnementaux
renvoie à des actions et des politiques à caractère économique ayant pour but d’appliquer des
mesures conservatoires ou de prévention afin que les écosystèmes et les forêts importants ne
subissent pas de dommages et soient préservés à l’intention des générations futures. Ce concept se
fonde sur le fait que les personnes physiques ou morales possédant ces ressources supportent un
fardeau disproportionné par rapport aux bénéfices engrangés par la société et, par conséquent,
devraient être indemnisées. En fait, compte tenu des avantages que la société retire de leurs efforts
de protection des ressources naturelles — et plus particulièrement des forêts (protection des
ressources hydriques, diminution des émissions de gaz à effet de serre, protection des sols,
biodiversité et bien d’autres services) —, ces propriétaires devraient voir leur rôle reconnu par le
biais d’une rémunération équitable au titre de leur action importante. Ce mécanisme pourrait être
financé de nombreuses manières : impôts, droits, contributions volontaires, etc.
On aurait tort de considérer les paiements au titre de services environnementaux comme des
indemnités versées en raison d’un dommage environnemental subi, dans la mesure où il n’existe
aucune correspondance entre les biens endommagés (contamination, perte de végétation, impact
sur les ressources hydriques, atteinte à la biodiversité, etc.) et les paiements effectués dans le but de
favoriser la conservation d’une forêt ou d’un écosystème. En ce qui concerne le Fonds national
pour le financement des forêts, le tarif établi pour les différentes catégories de paiement des
- 92 -
services environnementaux a été conçu comme un moyen de promouvoir les efforts de
conservation et de permettre aux propriétaires de financer des initiatives durables.
Le paiement des services environnementaux n’implique ni une indemnisation au titre de la
dépréciation des biens ni un paiement des prix sur le marché — ou d’une valeur pécuniaire
équivalente — au titre de services environnementaux spécifiques. Parmi les autres aspects jouant
un rôle, il convient de mentionner la prise en considération impérative des valeurs sociales,
politiques et environnementales au moment d’élaborer des politiques et de rendre des décisions.
Dans le cas spécifique du Costa Rica, les facteurs majeurs suivants doivent être pris en compte afin
de définir la valeur à payer pour chaque hectare : disponibilités budgétaires du pays et nombre
d’hectares censés être protégés dans le cadre du système. Ces éléments n’apparaissent pas dans
l’équation d’évaluation économique des services environnementaux.
De même, il convient de rappeler que le concept de dommages inclut des actions beaucoup
plus complexes, lesquelles doivent être évaluées dans une perspective multidisciplinaire des
sciences environnementales et autres. Lesdites actions doivent être quantifiées et suivies pendant
des années, voire des décennies, compte tenu de l’équilibre délicat de ses ressources.
Au vu des raisons mentionnées plus haut, les tarifs établis par le FONAFIFO ne sauraient en
aucune circonstance être considérés comme un paramètre de calcul de la valeur économique aux
fins de réparation de dommages environnementaux, valeur qui est nettement plus élevée que celle
reconnue par la pratique administrative et la jurisprudence du pays.
Veuillez agréer, etc.
Le directeur général,
Fonds national pour le financement des forêts,
(Signé) Jorge Mario RODRIGUEZ ZÚÑIGA.
Ministère costa-ricien de l’environnement et de l’énergie (MINAE)
Fonds national pour le financement des forêts (FONAFIFO)
San José, 20 juillet 2017
DG-OF-174-2017
M. Alejandro Solano Ortiz
Vice-ministre des affaires étrangères et des cultes
Cher Monsieur,
J’ai le plaisir de faire suite à votre note DVM-137-2017 envoyée cette année et de répondre à
vos questions dans l’ordre où elles ont été posées :
1) Vous indiquez que, selon les représentants nicaraguayens, le Fondo Nacional de
Financiamiento Forestal (Fonds national pour le financement des forêts) verse 294 dollars des
Etats-Unis par hectare au titre des services environnementaux et que ce montant peut servir de
référence pour estimer les dommages environnementaux.
Il me paraît important de clarifier qu’il s’agit là d’un mécanisme utilisé par le gouvernement
costa-ricien pour verser une indemnisation à certains propriétaires de forêts au titre de leurs
efforts de conservation, compte tenu du fait que la société dans son ensemble bénéficie d’une
- 93 -
variété de services fournis par cette végétation sous forme de protection et d’amélioration de
l’environnement (la loi no 7575 sur les forêts cite aux titres desdits services°: « […]
l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (fixation, réduction, séquestration, stockage
et absorption) ; la protection des eaux à usage urbain, rural ou hydroélectrique ; la protection
durable de la biodiversité ; les applications scientifiques et pharmaceutiques ; la recherche en
génétique ; la protection des écosystèmes et de diverses formes de vie ; ainsi que la préservation
d’un site naturel splendide à des fins touristiques et scientifiques ») (art. 3, par. K). Par
conséquent, les propriétaires de ces forêts supportent un fardeau supérieur à celui des autres
citoyens et assument des responsabilités qu’il convient de reconnaître, notamment lorsque
l’utilisation de leurs biens est soumise à certaines contraintes telles que celles formulées à
l’article 19 de la loi sur les forêts (voir plus haut).
Cette intention ressort clairement du premier paragraphe de l’article 22 de la loi sur les forêts
qui correspond au début du chapitre II intitulé « Incitations à la conservation ». Ledit
paragraphe prévoit expressément que : « [l]e certificat de conservation d’une forêt a été créé en
vue de rémunérer le propriétaire ou l’occupant au titre des services environnementaux générés
par la conservation de leurs forêts, à condition que l’intéressé n’ait procédé à aucune coupe de
bois au cours des deux années précédant la demande de certificat ou bien pendant la durée de
validité de ce dernier, laquelle ne peut pas être inférieure à 20 ans […] ».
2) En ce qui concerne les deuxième et troisième questions relatives aux zones humides qui
correspondent au périmètre ayant souffert des dommages environnementaux provoqués par le
Nicaragua, il nous paraît indispensable de rappeler que, depuis ses débuts en 1997, le
programme de paiements au titre de services environnementaux exclut les zones appartenant au
gouvernement costa-ricien, lesquelles sont gérées par le réseau national des zones de
conservation (SINAC). Cette exclusion répond à plusieurs considérations : premièrement,
s’agissant de biens appartenant à l’État, aucun bois ne peut être récolté par le détenteur dans la
mesure où la législation couvrant les zones sauvages protégées (quel que soit le type de gestion
dont elles font l’objet) empêche l’utilisation de leurs ressources ; deuxièmement, le programme
de paiements au titre de services environnementaux est un instrument conçu pour influer sur le
comportement des propriétaires de forêts privées et non pour bénéficier à l’Etat. Depuis 20 ans
qu’il existe, ce programme n’a jamais permis le moindre paiement à l’État ou au réseau national
des zones de conservation : les seuls paiements autorisés sont ceux versés à une personne privée
physique ou morale. L’article 46 de la loi sur les forêts déclare explicitement que les
mécanismes de promotion et la création du Fonds national pour le financement des forêts visent
à financer les petits et moyens producteurs. Cette disposition se lit comme suit : « Le Fonds
national pour le financement des forêts a été créé dans le but de financer, au bénéfice des petits
et moyens producteurs et au moyen de l’attribution de crédits et autres incitations, la gestion
(avec ou sans intervention) des zones forestières, le boisement ou la reforestation […] ».
3) Enfin, j’aimerais rappeler qu’il est incorrect d’assimiler le paiement de services
environnementaux institué par le Fonds national pour le financement des forêts à un mécanisme
d’indemnisation ou d’évaluation de dommages environnementaux. Ces services se sont vus
affecter une valeur dans le cadre des mesures positives visant à encourager les initiatives de
conservation de la forêt au titre d’une modeste rétribution par la société des efforts de
préservation déployés par les propriétaires.
4) Les dommages environnementaux relèvent d’un concept différent sur les plans juridique et
technique. Il ne s’agit plus de protéger la forêt, mais de réagir à des actions humaines l’ayant
endommagée et de transcender la notion de forêt pour considérer celle-ci comme un large
écosystème ayant subi divers bouleversements du point de vue de son intégrité biotique et
abiotique. L’évaluation des dommages environnementaux ne saurait se limiter à de modestes
mesures comme le paiement du service environnemental disparu pendant une certaine période
(généralement d’un an), dans la mesure où ledit paiement ne tient jamais compte du coût de
remplacement de la ressource ou de sa valeur estimée. Les dommages environnementaux sont
- 94 -
donc bien plus complexes : leurs effets se font ressentir pendant plus d’un an et leur réparation
peut prendre plusieurs dizaines d’années et même, dans certains cas, s’avérer impossible.
Pour les raisons susmentionnées, les tarifs sur lesquels reposent les paiements
environnementaux effectués par le FONAFIFO ne sauraient en aucune circonstance être considérés
comme une référence pour procéder à une estimation économique de l’indemnisation de dommages
environnementaux, dans la mesure où, comme cela ressort de la pratique administrative et de la
jurisprudence, la valeur desdits dommages est nettement supérieure.
Veuillez agréer, etc.
Le directeur général,
(Signé) Jorge Mario RODRIGUEZ ZÚÑIGA.
___________
- 95 -
APPENDICE 11
NOTE DU PROFESSEUR JOSHUA FARLEY
Université du Vermont
Département du développement communautaire et
de l’économie appliquée
1er août 2017
En réponse à une demande du vice-ministre des affaires étrangères du Costa Rica,
Alejandro Solano Ortiz, j’ai soigneusement étudié le rapport intitulé «Evaluation pécuniaire des
dommages à l’environnement résultant de la construction de caños et de l’arrachage d’arbres et de
végétation par le Gouvernement nicaraguayen sur le territoire costa-ricien d’Isla Portillos, déposée
en application de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 16 décembre 2015» par la
Fundación Neotrópica. Les paragraphes qui suivent résument mon analyse.
Le rapport a été méticuleusement préparé et repose sur une solide documentation. Il utilise
les techniques les plus modernes pour déterminer la valeur pécuniaire des services écosystémiques.
Bien que cet exercice soit quelque peu controversé, il est fréquemment utilisé par les décideurs
politiques et les juridictions du monde entier s’agissant de déterminer les coûts et avantages de
diverses politiques ou actions. Par exemple, les auteurs du rapport appliquent les méthodes et citent
les travaux de Earth Economics, dont les évaluations sont désormais utilisées par l’agence fédérale
des situations d’urgence des États-Unis (FEMA).
Les auteurs soulignent à maintes reprises la prudence dont ils ont fait preuve pour procéder à
leurs estimations pécuniaires. Personnellement, je crains qu’ils aient fait preuve d’une prudence
excessive et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement et de toute évidence, l’étude ne précise la valeur pécuniaire que de six
catégories de services écosystémiques tout en procédant à une analyse qualitative de huit autres et
en en mentionnant encore huit autres. Le mot « écologie » est construit sur la racine grecque oikos
qui signifie aussi maison. La valeur d’une maison est déterminée par tous les avantages qu’elle
procure. Exclure systématiquement la valeur pécuniaire de la plupart de ces avantages conduirait à
une sous-estimation grossière de la valeur de la maison. Il en va de même en ce qui concerne
l’exclusion systématique de la valeur de divers avantages procurés par les écosystèmes.
Deuxièmement, la plupart des études consacrées à l’évaluation de services écosystémiques, y
compris plusieurs travaux utilisés dans l’étude en question, se fondent sur le consentement à payer
ou CAP. La vraie question n’est pas de savoir combien les Costa-riciens sont prêts à payer pour des
services écosystémiques qu’ils possèdent déjà, mais plutôt le montant de l’indemnisation qu’ils
auraient exigée pour renoncer volontairement à ces services (consentement à recevoir ou CAR). De
nombreuses études révèlent que les évaluations pécuniaires des services écosystémiques basés sur
le CAR dépassent largement celles basées sur le CAP (Horowitz & McConnell, 2002).
Troisièmement, les ressources essentielles au bien-être de l’homme sont caractérisées par
une demande inélastique. Par définition, une diminution de 1 % de la quantité entraîne une
augmentation de la valeur supérieure à 1 %. Par exemple, la faible réduction de l’offre de pétrole
pendant l’embargo décrété par l’OPEC en 1973-74 a provoqué une augmentation des prix de
400 %. Toute vie dépend des services écosystémiques fournis par des systèmes sains, de sorte que
- 96 -
lesdits services sont encore plus essentiels que le pétrole alors que la quantité et la qualité des
écosystèmes du monde entier vont en diminuant. Leur valeur pécuniaire devrait augmenter
rapidement et la valeur des transferts d’avantages ajustée à la hausse en conséquence. Dès lors,
l’analyse des auteurs de l’étude devra également tenir compte de l’augmentation rapide des valeurs
pendant les 50 prochaines années.
Quatrièmement, j’avance qu’un taux d’actualisation de 4 % est bien trop élevé pour les
services écosystémiques au cours des 50 prochaines années, notamment parce que l’analyse
suppose des valeurs constantes desdits services. Garantir la fourniture durable de services
écosystémiques est une question d’éthique et de justice, tandis que les justifications en faveur d’une
actualisation se basent uniquement sur l’efficacité (Daly, 2014). A supposer qu’on insiste pour les
utiliser, les taux d’actualisation appliqués aux ressources durables devraient être aussi faibles que
possible (Stern, 2006 ; Voinov et Farley, 2007 ; Weitzman, 1998).
J’aimerais également commenter l’argument apparent du Nicaragua selon lequel ce pays ne
devrait supporter que les coûts de remplacement et non la valeur des services perdus. Si le
Nicaragua avait détruit des maisons et d’autres infrastructures construites de la main de l’homme et
non des écosystèmes, il serait manifestement déraisonnable de prôner le remplacement de ces
infrastructures au cours des 50 prochaines années, dans la mesure où une telle solution ne tiendrait
pas compte des 50 années de service que celles-ci auraient pu autrement fournir. La même logique
s’applique en l’espèce.
Pour conclure, j’aimerais formuler quelques observations au risque d’énoncer des arguments
peu pertinents du point de vue strictement juridique. Dans les affaires de droit civil, il s’agit
généralement d’apporter réparation à l’individu lésé. Cela s’applique certainement en l’espèce.
Dans les affaires de droit pénal, en revanche, il s’agit souvent de pénaliser l’auteur de l’infraction
afin de dissuader ceux qui seraient tentés à l’avenir de l’imiter. De mon point de vue, la destruction
environnementale en question était un acte criminel et il serait plus efficace de pécher par une
indemnisation excessive que par une indemnisation insuffisante.
Veuillez agréer, etc.
Le professeur de développement des communautés et
d’économie appliquée,
membre de l’Institut Gund pour l’économie écologique,
205 B Morrill Hall
Université du Vermont
Burlington, VT 05405
Tél. : 802-656-2989
Fax : 802-656-1423
(Signé) Joshua FARLEY.
Références bibliographiques :
Daly, H. (2014). From Uneconomic Growth to a Steady-State Economy. New York: Edward
Elgar.
Horowitz, J.K. & McConnell, K.E. (2002). A Review of WTA/WTP Studies. Journal of
Environmental Economics and Management, 44(3), 426-447.
Stern, N. (2006). Stern Review: The Economics of Climate Change. Retrieved from
Cambridge.
- 97 -
Voinov, A. et Farley, J. (2007), “Reconciling sustainability, systems theory and
discounting”, Ecological Economics, 63(1), 104-113.
Weitzman, M.L. (1998). “Why the Far-Distant Future Should Be Discounted at Its Lowest
Possible Rate”, Journal of Environmental Economics and Management, 36(3), 201-208.
___________
- 98 -
ANNEXE 2
ANALYSE DU RAPPORT DE M. G. M. KONDOLF (CMNI, ANNEXE 2),
PAR M. COLIN R. THORNE (2017)
Analyse du rapport de G.M. Kondolf (annexe 2)
dans le
CONTRE-MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA
SUR LA QUESTION DE LA RÉPARATION
(2 juin 2017)
par
Colin R. Thorne
Le 28 juillet 2017
Contexte
Je m’appelle Colin Thorne et suis professeur de géographie physique à l’Université de
Nottingham. J’ai été prié par le Costa Rica de préparer un rapport d’expertise indépendant pour la
Cour internationale de justice en réponse à l’annexe 2 au Contre-mémoire du Nicaragua, qui a été
soumis à la Cour le 2 juin 2017, dans l’affaire relative à Certaines activités menées par le
Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua). L’annexe 2, qui date du mois de
mai 2017, a été élaborée par G. Mathias Kondolf. Elle est intitulée «Examen de la demande
d’indemnisation du Costa Rica dans le delta du fleuve San Juan». Son texte figure aux pages 151 à
162, et les images justificatives aux pages 163 à 188.
Mes qualifications
J’occupe la chaire de géographie physique de l’université de Nottingham, au Royaume-Uni.
Titulaire d’une licence et d’un doctorat en sciences de l’environnement délivrés par l’Université
d’East Anglia (Royaume-Uni), je compte plus de 40 années d’expérience professionnelle dans des
domaines relatifs à la géographie physique et aux sciences de l’environnement. Mes recherches
portent essentiellement sur l’hydraulique fluviale et le transport des sédiments dans les fleuves
naturels, modifiés et gérés, notamment en ce qui concerne leurs incidences sur l’érosion, la
sédimentation et les risques d’inondation.
Mes rapports d’expertise soumis à ce jour dans le cadre de l’affaire sus-mentionnée
Dans l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région
frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), j’ai préalablement soumis les documents ci-dessous.
1. Un rapport d’expert indépendant intitulé «Évaluation de l’impact physique des travaux
effectués par le Nicaragua depuis octobre 2010 sur la géomorphologie, l’hydrologie et la
- 99 -
dynamique sédimentaire du fleuve San Juan, ainsi que de leur impact environnemental en territoire
costaricien»48 qui constitue l’appendice 1 au mémoire du Costa Rica (le premier rapport). Dans
ce rapport, j’analyse l’impact du caño construit entre le San Juan et la lagune de Harbor Head (le
caño de 2010), ainsi que du programme de dragage dans ce même fleuve par le Nicaragua.
2. Un autre rapport indépendant intitulé «Rapport sur l’impact de la construction de deux
nouveaux caños sur Isla Portillos»49 daté du 10 octobre 2013, élaboré suite aux travaux ultérieurs
du Nicaragua dans la partie septentrionale d’Isla Portillos en 2013, et dans le cadre des audiences
relatives à la demande en indication de mesures conservatoire formulée par le Costa Rica à
l’encontre du Nicaragua (le second rapport). Dans ce second rapport, j’analyse l’impact des
deuxième et troisième caños construits entre le San Juan et la mer des Caraïbes (les caños
occidental et oriental).
3. Un exposé écrit50 pour le contre-interrogatoire mené dans le cadre des audiences sur le
fond dans cette l’affaire, élaboré en mars 2015.
Récapitulatif de la méthode de M. Kondolf
La base méthodologique du rapport de M. Kondolf figurant à l’annexe 2 au contre-mémoire
du Nicaragua repose sur l’interprétation qualitative d’images de télédétection des zones touchées
par les activités du Nicaragua qui sont reproduites aux pages 163 à 188 de ce contre-mémoire.
M. Kondolf ne fournit aucune autre observation, mesure ni donnée scientifique ou technique pour
étayer ses opinions, qui sont en substance les suivantes :
1) les travaux du Nicaragua n’ont pas eu de répercussion sur les services de formation du sol ou de
lutte contre l’érosion51 ;
2) ces travaux n’ont également eu aucune répercussion sur la capacité de la zone litigieuse à
atténuer les «risques naturels»52 ; et
3) la reconstitution qui a déjà commencé à l’heure actuelle sur le site laisse présumer des périodes
de reconstitution réalistes de 1 à 2 ans pour le remblai des caños, 1 à 5 ans pour la repousse des
herbes et du sous-bois, et 4 à 5 ans pour la reconstitution d’une forêt susceptible de réaliser la
plupart des fonctions escomptées de la part d’une zone boisée53.
48 C. Thorne, «Evaluation de l’impact physique des travaux effectués par le Nicaragua depuis octobre 2010 sur la
géomorphologie, l’hydrologie et la dynamique sédimentaire du fleuve San Juan, ainsi que de leur impact
environnemental en territoire costaricien», octobre 2011 ; contre-mémoire, appendice 1.
49 C. Thorne, «Rapport sur l’impact de la construction de deux nouveaux caños sur Isla Portillos», 10 octobre
2013 ; demande en indication de nouvelles mesures conservatoires déposée par la République du Costa Rica,
23 septembre 2013, annexe 33.
50 C. Thorne, «Exposé écrit», mars 2013 ; demandé par la CIJ dans le cadre des audiences relatives à Certaines
activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua).
51 G. M. Kondolf, «Examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica dans le delta du fleuve San Juan»,
mai 2017 ; contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l’indemnisation, annexe 2, p. 4 (158).
52 Ibid., p. 5 (159).
53 Ibid., p. 6 (160).
- 100 -
Mon évaluation récapitulative de la méthode de M. Kondolf
Dans l’annexe 2, M. Kondolf indique que dans le cadre de l’affaire en l’espèce, il a «effectué
cinq survols de l’embouchure du fleuve entre octobre 2012 et octobre 2016 et trois visites sur site
au cours de la même période, la toute dernière en octobre 2016»54.
Il est indéniable que M. Kondolf a survolé la zone touchée par les activités du Nicaragua et
s’est également rendu sur le site pas plus tard qu’en octobre 2016. Ce survol et cette visite lui ont
permis d’observer et de constater directement la situation dans les zones touchées. S’il l’avait
souhaité, il aurait pu prendre des photos, procéder à des mesures de variables déterminantes (telles
que la hauteur des arbres) et recueillir des données techniques (par exemple des mesures précisant
les propriétés des sédiments remplissant les caños). Ainsi, cela lui aurait permis d’analyser et
interpréter ses observations et informations comme il convenait, afin de se forger une opinion quant
au niveau de reconstitution de l’environnement dans les zones excavées dont la végétation a été
enlevée par le Nicaragua. Lors de la préparation de l’annexe 2, cette démarche aurait constitué une
méthode scientifique et techniquement fiable.
Les insuffisances de sa méthode me donne à penser que les opinions exposées dans
l’annexe 2 au contre-mémoire du Nicaragua sont dépourvues de validité scientifique et technique.
Dans la suite du présent rapport, j’explique de manière détaillée les raisons qui m’ont mené à cette
conclusion.
Contexte à prendre en compte pour évaluer la méthode de M. Kondolf
Afin d’évaluer les dommages découlant des activités qui sont le sujet de l’affaire en l’espèce,
il convient selon moi de prendre en considération le contexte, à savoir le fait que les zones humides
touchées ont été désignées d’importance internationale en vertu de la convention de Ramsar
relative aux zones humides (telle que définie à Ramsar en 1971) et que le Nicaragua a donc été
malavisé de creuser le caño de 2010 (pour les motifs exposés dans le Rapport Ramsar 2010). Il
s’ensuit que le creusement de caños supplémentaires en 2013 était tout aussi malencontreux. Afin
de cerner le contexte, il est utile de rappeler la teneur de ces deux documents.
La convention de Ramsar (1971) spécifie ce qui suit :
a) le principal critère permettant de considérer une zone humide comme un site d’importance
internationale est qu’elle «contient un exemple représentatif, rare ou unique de type de zone
humide naturelle ou quasi naturelle de la région biogéographique concernée»55. L’importance
des zones humides désignées comme étant d’importance internationale est ensuite expliquée par
la vision pour la Liste de Ramsar concernant une telle désignation, qui est : «[é]laborer et
maintenir un réseau international de zones humides importantes pour la conservation de la
diversité biologique mondiale et la pérennité de la vie humaine, en préservant leurs
composantes, processus et avantages/services écosystémiques».56
b) Le but de désigner une zone humide en tant que site d’importance internationale est clairement
explicité dans l’objectif 3 relatif à cette désignation : «[e]ncourager la coopération entre les
Parties contractantes, les Organisations internationales partenaires de la Convention et les
acteurs locaux lors du choix, de l’inscription et de la gestion des Sites Ramsar»57 en vue de
54 Ibid., p. 1 (155).
55 Secrétariat de la convention de Ramsar, 1971. Convention relative aux zones humides d’importance
internationale : cadre stratégique et lignes directrices pour orienter l’évolution de la Liste des zones humides
d’importance internationale de la convention sur les zones humides, Ramsar (Iran), sect. 6.1.1, critère 1.
56 Ibid., sect. 3.1, par. 10.
57 Ibid., sect. 3.2, objectif 3.
- 101 -
rechercher «des occasions de conclure des accords de jumelage ou de gestion en coopération
avec d’autres Parties contractantes, pour des zones humides situées le long des voies de
migration des espèces, de part et d’autre de frontières communes ou possédant des types de
zones humides ou espèces semblables»58 et entreprendre «d’autres formes d’actions en
coopération entre Parties contractantes, pour démontrer comment parvenir à la conservation et à
l’utilisation durable à long terme des Sites Ramsar et des zones humides en général ou aider à le
faire»59.
c) Lors de l’évaluation des zones humides, le Secrétariat de la convention de Ramsar a approuvé
«l’équation de la valeur totale»60 publiée par le Programme des Nations Unies pour
l’environnement (DeGroot et al. 2006). Cette équation prend en compte non seulement la valeur
commerciale ou de consommation d’une zone humide, mais également sa valeur intrinsèque, ce
qu’Emmanuel Kant définissait sur le plan philosophique comme sa dignité (Kant, 1781). Les
composantes de la valeur économique totale du PNUE reconnaissent aux zones humides et à
leurs écosystèmes le droit d’existence, sur la base de leurs contributions à la vie sur Terre. Pour
cette raison, une zone humide d’importance internationale devrait faire l’objet d’une gestion
avisée, car sa valeur revêt une importance au niveau mondial même si sa protection et sa
conservation placent ses ressources naturelles au-delà d’une portée commerciale.
Afin de mettre en contexte ma réponse aux insuffisances méthodologiques du rapport de
M. Kondolf, je m’en réfère plus spécifiquement au «Rapport de la mission consultative
Ramsar no 69 : zone humide d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe
Noreste), Costa Rica», publié par le Secrétariat de la convention de Ramsar le 17 décembre 201061,
suite à la construction du caño de 2010, mais avant que le Nicaragua ne poursuive l’enlèvement de
la végétation et le dragage pour construire les caños occidental et oriental.
Le rapport Ramsar 2010 se fonde sur une mission Ramsar menée entre le 27 novembre et le
1 décembre 2010. Il précise les points suivants :
a) La Humedal Caribe Noreste (HCN), dont fait partie la zone touchée, a été désignée zone
humide d’importance internationale le 20 mars 1996.
b) Cette zone humide inclut des lacs, forêts inondées, fleuves et lagunes d’estuaire qui revêtent
une grande importance en tant que site de repos pour les oiseaux migratoires néotropicaux. Elle
abrite également plusieurs espèces endémiques de salamandres.
c) L’importance internationale de la zone humide repose sur les critères suivants.
i) Elle constitue une zone humide unique ou représentative, étant donné qu’il s’agit d’un site
naturel caractéristique de la zone littorale caraïbe du Costa Rica.
ii) Elle abrite des espèces et sous-espèces végétales et animales vulnérables ou menacées
d’extinction.
iii) Elle constitue un haut lieu de la diversité génétique et écologique de la région.
58 Ibid., sect. 3.1, par. 21.
59 Ibid., sect. 3.2, par. 22.
60 De Groot, R.S. Stuip, M.A.M.Finlayson, C.M.Davidson, N., «Valuing wetlands : guidance for valuing the
benefits derived from wetland ecosystem services», Rapport technique Ramsar no 3 (2006)/CBD Technical Series No 27,
2006, p. 6.
61 Secrétariat de la convention de Ramsar «Rapport de la mission consultative Ramsar no 69 : zone humide
d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica», 17 décembre 2010 ; publié
par le Secrétariat de la convention de Ramsar le 17 décembre 2010 ; mémoire du Costa Rica sur le fond, vol. IV,
annexe 147.
- 102 -
iv) Elle représente une étape obligée pour les oiseaux migrateurs d’Amérique du Nord, et sert
de refuge à plus d’un million d’oiseaux qui viennent s’y reposer et s’y nourrir.
v) On y dénombre 8 familles, 25 genres et 54 espèces de poissons d’eau douce. Les
communautés de ce type de poissons dans les lagunes d’eau douce (80 espèces) sont plus
diversifiées que celles vivant dans la mer à proximité (42 espèces) en raison de la grande
hétérogénéité structurelle qui y règne, avec toute une variété de végétation aquatique,
d’arbres submergés, de vase, de débris, etc.
vi) Les écosystèmes aquatiques de la zone humide constituent un site d’étape pour les
poissons migrateurs et un site de reproduction pour 26 espèces de poisson. Ils abritent
l’une des deux populations de lépisostés tropicaux du Costa Rica et la seule population de
lamantins du pays une espèce déclarée menacée d’extinction.
vii) On y trouve 134 espèces d’oiseaux migrateurs essentiellement aquatiques, ainsi que les
principales parcelles de yolillo des Caraïbes costa-riciennes.
viii) Ces zones humides constituent une source de produits de la pêche pour les habitants de la
région.
ix) Les zones de plage servent d’aires d’alimentation et de fraie aux tortues vertes (Chelonia
mydas) et luths (Dermochelys coriacea).
x) Sur les 779 espèces végétales présentes, 36 sont endémiques au Costa Rica.
xi) Ces zones humides abritent un tiers des espèces de la faune du pays qui sont déclarées
comme étant menacées d’extinction.
xii) Elles comptent probablement quelque 54 espèces d’amphibiens et 110 espèces de reptiles,
la plupart relevant de la conservation.
d) Les données disponibles portant sur la richesse et l’abondance de la faune et la flore terrestres et
aquatiques mettent clairement en lumière l’intérêt de la zone en termes de biodiversité,
étroitement lié aux caractéristiques de ses écosystèmes terrestres et d’eau douce. De ce fait, la
zone humide revêt une importance majeure pour la conservation d’espèces propres au
Costa Rica.
e) Il est essentiel d’assurer la pérennité des profils d’écoulement de l’eau douce afin de préserver
la salubrité et la viabilité de cette zone humide à long terme.
f) Il convient d’éviter la déforestation afin de prévenir l’érosion et la baisse de la recharge de la
nappe phréatique.
g) Afin de maintenir les conditions écologiques de la zone humide, il est nécessaire de restaurer
les profils de ruissellement.
h) Compte tenu de l’état actuel de la zone humide et à la lumière des situations envisagées, il est
conseillé d’inclure le site Ramsar Caribe Noreste au Registre de Montreux (qui constitue une
liste des zones humides en danger).
i) L’inscription de sites sur la Liste des zones humides d’importance internationale devrait se
fonder «sur leur importance internationale du point de vue écologique, botanique, zoologique,
limnologique ou hydrologique» (art. 2.2, par. 2). L’article 3, paragraphe 1, de la convention
prévoit que les Parties contractantes «élaborent et appliquent leurs plans d’aménagement de
façon à favoriser la conservation des zones humides inscrites sur la Liste et, autant que possible,
l’utilisation rationnelle des zones humides de leur territoire».
- 103 -
j) Le concept d’utilisation rationnelle est l’un des trois piliers de la convention et fait référence au
maintien de leurs caractéristiques écologiques, par la mise en oeuvre d’approches
écosystémiques dans le contexte du développement durable.
Le rapport de la mission consultative Ramsar a établi clairement ce qui suit :
«La construction du canal artificiel [à savoir le caño 2010] transformera la
lagune de los Portillos [lagune de Harbor Head] et l’île de la zone humide …, cet
écosystème présentant une grande variété d’habitats (hétérogénéité structurelle) ne
constituant plus qu’un habitat unique, plus vaste, dominé par les conditions imposées
par le fleuve San Juan … L’inondation partielle de la zone humide liée à la
construction du canal artificiel et au dégagement de la végétation risque d’entraîner
une modification de la répartition et de l’abondance des espèces terrestres du fait de la
perte d’habitat et de la diminution des ressources alimentaires et des abris ; [elle
isolerait une partie importante de la zone humide] du reste des zones humides
présentes sur Isla Portillos, la transformant en un obstacle pour la faune terrestre à
mobilité réduite.»62
En dépit des recommandations de Ramsar, le Nicaragua a construit deux autres caños, suite à
la publication de ce rapport de mission.
C’est dans le contexte de la vision globale et des valeurs partagées par toutes les parties à la
Convention (Ramsar 1971), et plus précisément des motifs permettant d’identifier les zones
humides situées dans la HCN comme des sites d’importance internationale endommagés par les
activités du Nicaragua et, de ce fait, en danger (Ramsar 2010), que j’ai examiné la méthode de
M. Kondolf afin d’y faire suite.
Réponse synthétique à l’opinion de M. Kondolf
L’approche méthodologique de M. Kondolf l’a conduit à se forger l’opinion que les travaux
du Nicaragua n’avaient pas eu de répercussion sur les services de formation du sol et de lutte contre
l’érosion, n’avaient eu aucune répercussion sur la capacité de la zone litigieuse à atténuer les
«risques naturels», et que la reconstitution qui a déjà commencé à l’heure actuelle sur le site laissait
présumer des périodes de reconstitution réalistes de 1 à 2 ans pour le remblai des caños, 1 à 5 ans
pour la repousse des herbes et du sous-bois, et 4 à 5 ans pour le rétablissement de forêts adéquates
pour réaliser la plupart des fonctions escomptées de la part d’une zone boisée.
Selon moi, compte tenu des insuffisances dont souffre la méthode scientifique de
M. Kondolf concernant la formation du sol, le processus d’érosion, le risque d’inondation et le
remplacement des forêts primaires et secondaires, ses vues sont dépourvues de fondement. Cet
aspect est lourd de conséquence car, si ses opinions étaient acceptées, elles rendraient inopérantes
la plupart des mesures de protection actuellement mises en oeuvre pour les zones humides
d’importance internationale au sein du Nicaragua du fait de leur inscription sur la Liste de Ramsar.
En effet, les vues de M. Kondolf pourraient être interprétées, sciemment ou involontairement,
comme signifiant que les dégâts causés par le dragage, le creusement de canal et le déboisement
dans les zones humides protégées en vertu de la convention de Ramsar sont, dans une large mesure,
sans importance et, en tout état de cause, limités dans le temps, une reconstitution étant escomptée
dans un délai de cinq ans tout au plus.
62 Secrétariat de la convention de Ramsar «Rapport de la mission consultative Ramsar no 69 : zone humide
d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica», 17 décembre 2010 ;
mémoire du Costa Rica sur le fond, vol. IV, annexe 147, p. 124-125.
- 104 -
Réponse détaillée
Dans les sous-parties ci-dessous, j’étaye ma réponse synthétique par mon analyse des
insuffisances de la méthode scientifique qui constitue le fondement des première et deuxième
opinions de M. Kondolf (relatives aux services de formation du sol ou de lutte contre l’érosion, et à
l’absence d’impact sur la capacité de la zone litigieuse à atténuer les risques naturels), en ce qui
concerne :
a) le temps nécessaire aux sédiments déposés par le fleuve et remplissant les caños pour se
transformer en sols de zone humide, et ;
b) la raison pour laquelle les perturbations ont sensiblement diminué la capacité des zones
humides à atténuer les risques naturels, et le temps requis pour que le niveau de capacité
antérieur aux perturbations soit restauré.
Dans ma réponse à la troisième opinion de M. Kondolf (selon laquelle 4 à 5 ans de
croissance secondaire seraient suffisants pour permettre la reconstitution de forêts remplissant la
plupart des fonctions escomptées de la part d’une zone boisée), j’analyserai sa méthode scientifique
en faisant appel à la littérature spécialisée et évaluée par des pairs applicable en l’espèce, afin
d’étayer mon avis selon lequel :
c) en écologie forestière, il est admis que plusieurs des fonctions les plus utiles d’une forêt
primaire, telle que celle abattue par le Nicaragua, ne peuvent pas être reproduites par une forêt
secondaire, et que quelques dizaines d’années à plusieurs siècles sont nécessaires pour que les
arbres d’une forêt secondaire parviennent à maturité et soient en mesure de fournir la plupart
des fonctions attendues de la part d’une forêt primaire.
a) Impact des sédiments déposés par le fleuve qui remplissent les caños et temps nécessaire
pour qu’ils se transforment en sols de zone humide
L’opinion de M. Kondolf selon laquelle les travaux du Nicaragua n’ont pas eu d’impact sur
les services de formation du sol ni de lutte contre l’érosion dans les zones boisées humides en
raison du remplissage rapide des caños est erronée. En effet, il existe une immense différence entre
les dépôts récents de matériaux minéraux, de sédiments fluviaux et de sol, et la formation d’un sol
organique par des processus naturels biochimiques et physiques nécessite entre des dizaines
d’années et plusieurs millénaires. A la page 157 de son rapport, M. Kondolf indique que «les caños
se sont remplis de sédiments»63. Dans le contexte en l’espèce, il est intéressant de constater qu’il
confirme qu’il s’agit bien de sédiments et non de sol en cours de dépôt dans les caños.
A ce sujet, à la page 119 du rapport de la mission Ramsar de 2010, les scientifiques ont
noté :
«[o]n peut s’attendre à des changements du sol … Ceci débouchera sur des
modifications des caractéristiques géochimiques du sol … Les sédiments du fleuve
San Juan modifieront la structure initiale du sol dans la zone humide d’Isla Portillos,
puisque les particules du sol de différentes tailles (sable, limon, argile) et les échanges
d’ions avec la saturation de surface se mêleront aux différents sédiments et à la qualité
63 G. M. Kondolf, «Examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica dans le delta du fleuve San Juan»,
mai 2017 ; contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l’indemnisation, annexe 2, p. 3 (157).
- 105 -
de l’eau provenant du fleuve San Juan et détournés vers la lagune de Los Portillos par
le biais du canal artificiel…»64
Le fait est que les propriétés des sédiments et du sol divergent pour ainsi dire en tous points,
principalement en raison de l’absence relative de matière organique, d’humus et de vie microbienne
dans les premiers et de leur abondance dans le second. Il existe des différences considérables entre
une masse de sédiments fluviaux récemment déposés (appelés alluvions) et une masse de sol
évolué ; dans les paragraphes ci-dessous, j’expliquerai brièvement en quoi sédiments et sols
diffèrent et les raisons pour lesquelles quelques dizaines d’années à plusieurs siècles sont
nécessaires pour que les processus biologiques, biophysiques et biochimiques de formation du sol
convertissent de manière naturelle les sédiments en sol.
Mon compte rendu concorde avec, et se fonde sur, un ensemble croissant de documents qui
sont fort bien recensés dans le sixième chapitre d’un ouvrage récent intitulé «The Hidden Half of
Nature» (Montgomery and Biklé, 2015). C’est pourquoi je me suis principalement appuyé sur ce
chapitre et ces références pour élaborer ce qui suit.
Afin d’expliquer les raisons pour lesquelles les activités du Nicaragua ont nui aux fonctions
(ou «services» pour reprendre la terminologie des «services écosystémiques») des sols, de la
pédogenèse et de la lutte contre l’érosion naturelle dans les zones touchées, il convient en premier
lieu de préciser que 1) si la création des canaux artificiels s’est faite par excavation du sol de la
plaine alluviale, ces canaux ont été rempli par des sédiments déposés par le fleuve, et que 2) le sol
retiré et/ou exposé du fait du creusement de ces canaux et de l’enlèvement de la végétation s’est
formé parallèlement au développement des arbres de la forêt ancienne qui y ont ancré leurs racines.
Le terme sédiment est un terme général qui englobe les particules granulaires issues au
départ de l’altération de la roche et présentant un très large éventail de tailles, depuis les blocs de
plus de 256 mm de diamètre jusqu’aux particules d’argile de moins de 0,0064 mm (trop petites
pour être visibles à l’oeil nu). Les sédiments déposés sur le lit du cours inférieur du San Juan sont
essentiellement classés comme sable (entre 0,0125 et 2 mm de diamètre), avec toutefois un peu de
limon (0,0064 à 0,0125 mm). On trouve peu d’argile dans le lit du fleuve. Les sédiments déposés
hors du canal (sur la plaine d’inondation et dans les zones humides adjacentes) sont généralement
plus fins, et constitués pour l’essentiel de limon et d’argile. Les photos et échantillons révèlent que
les sédiments remplissant les caños et s’accumulant dans les zones dégagées sont le plus souvent
des sédiments qui ont été déposés dans le lit du fleuve, à savoir un mélange de sable et de limon,
avec un peu d’argile.
Le dépôt de ces sédiments procure les matières premières requises pour reconstituer le sol
qui a été retiré, mais l’on sait depuis fort longtemps que 1) plusieurs autres composants doivent
s’ajouter aux sédiments pour créer un sol, notamment des matières organiques, et 2) que ces
matières ont besoin de temps pour se décomposer et produire les composants qui assurent pour
l’essentiel la fertilité des sols, ainsi que l’humus qui participe à conférer au sol sa texture et sa
structure ouverte caractéristique.
Sous les tropiques, les températures chaudes et l’abondant apport de matières organiques
provenant de peuplements végétaux et forestiers denses génèrent habituellement des processus de
pédogenèse bien plus puissants que ceux des climats plus froids. Réciproquement, dans des régions
humides telles que la HCN, il faut une grande quantité de matières organiques pour créer et
maintenir la fertilité des sols, car l’infiltration et le suintement de l’eau du sol entraîne le retrait
d’une grande quantité de nutriments. D’une manière générale, il convient de retenir que la
transformation des sédiments en sol par des processus naturels de pédogenèse peut prendre entre
64 Secrétariat de la convention de Ramsar «Rapport de la mission consultative Ramsar n° 69 : zone humide
d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica», 17 décembre 2010 ;
mémoire du Costa Rica sur le fond, vol. IV, annexe 147, p. 119.
- 106 -
plusieurs dizaines d’années et plusieurs siècles dans des régions chaudes et humides bénéficiant
d’apports abondants en matières organiques et de vigoureux processus de pédogenèse, et nécessiter
plusieurs millénaires dans des régions froides et sèches caractérisées par un faible apport en
matières organiques et des processus de pédogenèse lents.
Les sols qui soutiennent les forêts âgées et matures dans la HCN ont mis plusieurs siècles à
se développer et quantité de matières organiques arrivent tous les jours sur la couverture morte sous
forme de feuilles, graines, fruits, noix, écorces, brindilles et branches cassées tombant des gros
arbres sur pied, mais aussi de végétaux morts dans les sous-bois, d’excréments d’animaux et,
régulièrement, de carcasses en décomposition des animaux eux-mêmes.
Cependant, le long des caños, les apports en matières organiques sont diminués, car les
arbres âgés ou mûrs ont été abattus et retirés pour laisser la place aux canaux, la végétation jeune
qui leur a succédé n’a pas encore constitué une biomasse suffisante pour apporter aux nouveaux
sédiments des quantités substantielles de matières organiques, et nombre des habitats requis pour
attirer la faune n’existent plus.
Pour ces seuls motifs, plusieurs dizaines d’années sont nécessaires pour que les matières
organiques et la fertilité des sols qui forment actuellement les sédiments de remplissage des caños
puissent se rapprocher de l’état caractéristique des sols qui soutenaient les peuplements forestiers
anciens/mâtures enlevés par le Nicaragua pour céder la place aux caños.
Les explications ci-dessus reposent sur la pédologie «classique», qui met l’accent sur la
physique et la chimie en tant qu’éléments moteurs fondamentaux de la pédogenèse. Or,
l’importance de la biologie du sol, en particulier de la microbiologie, est de plus en plus prise en
considération et apporte un nouvel éclairage sur la manière dont les activités du Nicaragua ont
endommagé d’autres aspects relatifs aux sols, aux processus de pédogenèse et aux fonctions du sol,
non seulement le long des caños, mais également dans les zones dégagées qui abritaient des forêts
matures et/ou anciennes.
De nouvelles recherches (récapitulées brièvement au chapitre 6 de Montgomery et Biklé,
2015) mettent en lumière le rôle prépondérant joué par les micro-organismes notamment les
microbes tels que bactéries, champignons, archées et protistes dans la pédogenèse et la fertilité
des sols. Il y a peu encore, l’on pensait que les microbes étaient tout simplement responsables de la
décomposition des matières organiques, qui libéraient des nutriments sous formes solubles
accessibles aux végétaux. Or, de nouvelles connaissances scientifiques montrent que jusqu’à 80 %
des matières organiques d’un sol peuvent en fait être constitués des restes des microbes
proprement-dits.
Par ailleurs, nous savons aujourd’hui que les microbes transforment les matières organiques,
et (lorsqu’ils sont morts) se transforment eux-mêmes, en aliments végétaux, et qu’ils nouent en
outre des relations symbiotiques complexes avec tous les végétaux vivants, en particulier, les
arbres. Ils forment une colonie, ou «halo vivant», autour des racines des arbres matures et anciens,
appelée rhizosphère. Cette colonie microbienne absorbe les déchets de la photosynthèse exsudés
par les arbres, se nourrit par le recyclage de ces déchets, puis les renvoie aux arbres sous la forme
de nutriments et métabolites essentiels à leur croissance et à leurs fonctions (voir la figure 1
ci-dessous).
Cela étant, la relation entre les arbres et les microbes ne se limite pas à cet échange de
déchets en guise de nourriture. Si l’immense majorité des microbes forment des relations
mutuellement bénéfiques (voir la figure 2 ci-dessous), un petit nombre de microbes pathogènes
(virus et certains champignons) attaquent les arbres, les endommagent et vont même jusqu’à
entraîner leur mort. Les alliés microbiens des arbres les aident à lutter contre ces assaillants dans un
autre type de symbiose. Comment les microbes savent-ils qu’un arbre subit une attaque ? Ce
dernier les informe par le biais de signaux et marqueurs chimiques et microbiologiques
- 107 -
sophistiqués que l’on a cerné dans leur ensemble, mais pas de manière détaillée (voir la figure 3
ci-dessous).
L’utilité de toutes ces informations dans le cadre des activités du Nicaragua et des
dommages qu’elles ont causé aux sols et aux processus de pédogenèse est la suivante : lorsque les
caños ont été creusés et la végétation dégagée, ce ne sont pas seulement les arbres et les
écosystèmes aviaires, aquatiques et terrestres visibles au-dessus du sol qui ont été dévastés ; sous le
sol, un microbiome invisible (constitué de centaines de rhizosphères, comptant plusieurs milliards
de microbes distincts) a également été détruit, réduisant ainsi la capacité des zones touchées à se
rétablir ou à maintenir leur fertilité, laissant la repousse à la merci des attaques pathogènes, et
allongeant le temps nécessaire à la formation d’un nouveau sol dans les zones excavées dans
lesquelles la végétation a été enlevée.
Enfin, concernant les fonctions (ou services) de lutte contre l’érosion naturelle, pour
expliquer les raisons pour lesquelles les activités du Nicaragua ont eu un impact négatif sur ces
fonctions, il suffit de souligner deux aspects liés à l’érodabilité des sédiments et des sols. Tout
d’abord, on sait que les sables et limons fins qui présentent les tailles caractéristiques des sédiments
remplissant les caños constituent les matériaux granulaires les plus facilement entraînés par l’eau
sur la Terre. Ainsi, lors d’une inondation fluviale ou côtière majeure, les vitesses de l’eau au sein
de la zone humide peuvent sans conteste dépasser celles nécessaires pour entraîner de nouveau, et
retirer, les sédiments de la taille des grains de sable et de limon fins, en particulier le long du tracé
des caños où l’enlèvement de gros arbres permet un écoulement plus rapide qu’avant les
perturbations, car le dégagement de ces arbres a entraîné une diminution de la résistance de
frottements. Par ailleurs, on sait depuis longtemps que les sédiments et les sols consolidés par les
racines de végétaux vivants sont jusqu’à 10 000 fois plus résistants à l’érosion qu’une surface de
terre nue équivalente sur le plan des autres aspects.
Si la pédogenèse et la repousse de la végétation indiquent une reprise des fonctions de
contrôle de l’érosion dans les zones touchées par les activités du Nicaragua, ces zones ont toutefois
été malmenées et plusieurs dizaines d’années seront nécessaires pour que leur résistance à l’érosion
retrouve des valeurs antérieures aux perturbations.
D’après les faits décrits ci-dessus et nos connaissances actuelles concernant la pédogenèse, la
fertilité et l’érodabilité, ainsi que la manière dont la résilience des végétaux aux contraintes
physiques, aux maladies et aux pathogènes est liée à la santé de leurs rhizosphères, il ne fait aucun
doute que :
1) les activités du Nicaragua ont eu des répercussions sur les services de pédogenèse, de fonction
du sol et de lutte contre l’érosion dans les zones touchées ; et
2) plusieurs dizaines d’années seront nécessaires pour que les sédiments déposés par le fleuve qui
remplissent les caños et recouvrent les zones dégagées puissent remplir toutes les fonctions
escomptées de la part de sols de forêts matures.
Telle est la situation, car les processus de pédogenèse sont indissociables de la repousse et la
maturation de la forêt secondaire qui se développe dans les zones dont la végétation a été dégagée,
un processus qui (comme nous l’expliquons dans la partie C ci-dessous) nécessite plusieurs
dizaines d’années. Il s’ensuit que (ainsi que nous le détaillons également plus loin) la forêt
secondaire ne pourra jamais entièrement se substituer à la forêt primaire abattue par le Nicaragua,
et que les sols qui la soutenaient, en harmonie avec les arbres anciens, ne pourront jamais
complètement être remplacés.
- 108 -
Figure 1
Diagramme présentant le cycle et le recyclage des microbes dans le sol pour fertiliser le sol et alimenter
les végétaux. Source : http//serc.carleton.edu/eslabs/carbon/5a.html
Légende :
Atmospheric nitrogen (N2) = Azote atmosphérique (N2)
Plants = Végétaux
Assimilation = Assimilation
Nitrogen-fixing bacteria living in root nodules = Bactéries fixatrices d’azote vivant dans les nodules de
racine des légumes
Decomposers (aerobic and anaerobic bacteria and
fungi)
= Agents de décomposition (champignons et bactéries
aérobies et anaérobies)
Nitrates (NO3-) = Nitrates (NO3-)
Ammonification = Ammonisation
Nitrification = Nitrification
Nitrifying bacteria = Bactéries de nitrification
Ammonium (NH4-) = Ammonium (NH4-)
Nitrites (NO2-) = Nitrites (NO2-)
Nitrogen-fixing soil bacteria = Bactéries du sol fixatrices d’azote
Nitrifying bacteria = Bactéries de nitrification
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Figure 2
Diagramme montrant l’éventail des impacts essentiellement positifs
des microbes sur les végétaux.
Légende :
Growth and development = Croissance et développement
Nutrient acquisition = Acquisition des nutriments
Tolerance to abiotic stress = Tolérance au stress abiotique
Protection against pathogens = Protection contre les agents pathogènes
Physiology/metabolism = Physiologie/métabolisme
Immune response = Réponse immunitaire
The rhizosphere MICROBIOME = MICROBIOME de la rhizosphère
The GOOD = Les BONS
The BAD = Les mauvais
The UGLY = Les terribles
Plant diseases = Maladies des végétaux
Food contamination = Contamination alimentaire
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Figure 3
Diagramme illustrant la manière dont les végétaux et les microbes communiquent entre eux par
signaux. Source : http ://cell.com/trends/plants-science/abstract/S-1360-1385(16)00006-6
Légende :
Plant-microorganism signaling = Signaux des végétaux aux micro-organismes
Rhizomicrobiome shaping = Formation du microbiome dans les rhizomes
Recruitment of beneficials = Recrutement de bénéficiaires
Symbiosis, mutualism = Symbiose, mutualisme
Recognition (PRRs, signal receptors) = Reconnaissance (récepteurs de reconnaissance de motifs
moléculaires, récepteurs des signaux)
Activation of desirable microbe traits = Activation de caractéristiques microbiennes désirables
Confusion/inhibition strategies = Stratégies d’inhibition/de confusion
Microorganism-plant signaling = Signaux des micro-organismes aux végétaux
Recognition (MAMPs, signal) = Reconnaissance (motif moléculaire associé aux microbes,
signaux)
Priming and induction of systemic defenses (ISR, SAR) = Amorce et induction de défenses systémiques (RSI, RSA)
Immune suppression = Immunosuppression
Effects on plant gene expression, hormonal balance (SA, JA,
ET), development, metabolism and stress response
= Effets sur l’expression génique des végétaux, l’équilibre
hormonal (acide salicylique, acide jasmonique, éthylène), le
développement, le métabolisme et les réactions de stress
Caryophyllenes = Caryophyllenes
Acarosides = Acarosides
Flavonoids = Flavonoïdes
Nod-LCOs Nod-LCO
Rhizobia Rhizobium
Nematodes Nématodes
PGPR Rhizobactéries favorisant la croissance des plantes
PGPF Champignons favorisant la croissance des plantes
LuxR-binding Liaison Lux-R
Plant compounds Composés végétaux
QS mimics Mimétiques QS
QS molécules Molécules QS
Antimicrobials Antimicrobiens
VOCs, phytohormones COV, hormones végétales
Strigolactones Strigolactones
Cutin monomers Monomères de cutine
Myc-LCOs Myc-LCO
Mycorrhiza Mycorhize
- 111 -
Microbial communication etc. Signaux de communication microbienne pour la coordination
de la population, du comportement, de la croissance et de
l’activité :
- molécules QS (AHL, DSF, DKP, pyrones)
- Antimicrobiens (phloroglucinols, phénazines)
- COV (butane-2,3-diol, indole)
- Hormones végétales (auxines, cytokinines)
Intra- and interspecies signaling among microorganisms Signaux intra-espèces et inter-espéces parmi les
micro-organismes
b) Manière dont les zones humides atténuaient les risques naturels avant les perturbations et
temps requis pour le rétablissement des effets d’atténuation
En concluant que les activités du Nicaragua n’ont eu aucun impact sur la capacité de la zone
litigieuse à atténuer les risques naturels, M. Kondolf passe complètement à côté du fait que la zone
humide d’eau douce et son écosystème sont eux-mêmes des atouts précieux menacés par des
risques naturels associés à la faible altitude de la zone et sa proximité avec la mer des Caraïbes. Ces
risques incluent les inondations côtières et l’intrusion d’eau salée.
Le rapport de la mission consultative Ramsar comporte des observations majeures à cet
égard, notamment concernant la lutte contre les inondations. Aux pages 108 et 109, il est indiqué
que la HCN est constituée d’une «mosaïque de masses et cours d’eau qui accumulent le volume
d’eau provenant des fleuves San Juan et Colorado durant les périodes d’inondation et le
redistribuent. Malgré l’absence d’établissement humain dans la zone, cette capacité à absorber les
inondations permet le développement normal de processus écologiques et d’activités
d’écotourisme»65, et page 114 que «tout changement de ce modèle [d’écoulement des eaux] dû à
des processus naturels (tels que des inondations) ou des événements anthropiques (canalisation,
transfert d’eau, retenue) modifierait par conséquent la répartition et l’abondance des espèces»66.
Concernant l’intrusion d’eau salée, le rapport indique, page 112, qu’il est «très important de
prendre en considération l’écoulement de la nappe souterraine dans les aquifères tant locaux que
régionaux, car ils assurent le maintien de l’équilibre hydrodynamique de l’intrusion d’eau salée
dans le secteur de la HCN»67, et concernant les modifications de l’hydrologie de surface, il est noté,
page 119, que «le processus et la capacité à retenir les sédiments et nutriments sur et aux alentours
de la zone humide d’Isla Portillos qui a été touchée seront modifiés et un changement radical se
produira en termes de lutte contre les inondations et de flux de sédimentation»68. Il s’ensuit que les
activités réduisant la capacité de cette zone humide à atténuer les risques naturels mentionnée par le
rapport de la mission consultative Ramsar (2010) sont inconsidérées et, de ce fait, inacceptables
dans une zone humide d’importance internationale.
Selon moi, les risques naturels qui mettent en péril la zone humide sont non seulement les
inondations côtières et l’intrusion d’eau salée, mais aussi la menace bien plus importante d’érosion
côtière.
Concernant les inondations côtières, la construction des caños a créé des trajectoires
d’écoulement artificiel à travers les zones boisées humides, sous la forme de liaison d’eau de
surface entre la lagune de Harbor Head et le San Juan dans le cas du caño 2010, et de lignes de
moindre résistance dans le banc de sable séparant le San Juan de la mer des Caraïbes dans le cas du
caño occidental et, plus particulièrement, du caño oriental.
65 Secrétariat de la convention de Ramsar «Rapport de la mission consultative Ramsar no 69 : zone humide
d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica», 17 décembre 2010 ;
mémoire du Costa Rica sur le fond, vol. IV, annexe 147, p. 108-109.
66 Ibid., p. 114.
67 Ibid., p. 112.
68 Ibid., p. 119
- 112 -
Les changements hydrologiques de la couche superficielle sont liés à ces trajectoires
d’écoulement de l’eau de surface. Ainsi, le remplacement d’un sol de zone humide mâture par des
sédiments déposés par le fleuve, relativement grossiers et non compactés (à savoir du sable pour
l’essentiel, et non des limons) créé un couloir d’infiltration présentant une conductivité hydraulique
de couche superficielle anormalement élevée le long du tracé du caño, même après son
remplissage. Il s’ensuit une modification de l’hydrologie de la nappe souterraine qui, dans une zone
humide, interagit avec le réseau des eaux de surface pour entraîner le repositionnement du front
salin (c’est-à-dire la ligne séparant la nappe phréatique salée de l’eau souterraine douce), avec des
impacts potentiellement marqués sur l’écosystème de la zone humide.
Pour ces deux raisons, la construction du caño 2010 a réduit l’efficacité de la forêt ancienne
et de la zone humide en tant que barrière entre la lagune de Harbor Head et le fleuve San Juan
susceptible d’atténuer les risques naturels associés à la fois aux inondations côtières et à l’intrusion
saline (au niveau tant de la surface que de la couche de subsurface), non seulement dans la lagune
d’Harbor Head et le site directement touché par la construction, mais également dans les environs
des zones humides et en amont le long du San Juan.
La construction des caños occidental et oriental, et en particulier de ce dernier, a annulé les
effets du banc de sable et du cours inférieur (c’est-à-dire l’estuaire) du San Juan, qui atténuait les
risques naturels associés à l’intrusion d’eau salée et aux dépôts de sédiments marins à l’intérieur
des terres et le long du canal principal du San Juan, ainsi que des cours d’eau douce et plans d’eau
qui y sont reliés.
Le Costa Rica a obstrué le caño oriental afin d’empêcher qu’il ne devienne le cours principal
du San Juan, conformément aux mesures conservatoires prises par la Cour. D’un point de vue
géomorphologique, ce barrage d’obstruction peut être considéré comme susceptible de ne fournir
qu’une protection temporaire. Bien qu’il ait tenu jusqu’à présent, s’il cède sous la charge produite
par les effets d’une inondation côtière causée par une onde de tempête ultérieure, l’eau salée et les
sédiments marins pénétreront à l’intérieur des terres le long du fleuve San Juan plus loin que cela
n’aurait été le cas avant son creusement, ce qui présente un risque accru pour les écosystèmes et les
services écosystémiques sur l’Isla Los Portillos.
Selon moi, à moins que le caño oriental ne se remplisse complètement et ne se reboise
entièrement, et tant que cela ne sera pas le cas, il demeure un risque faible mais non négligeable
que le barrage cède sous la charge et que le caño oriental capte le reste de l’écoulement du San
Juan durant ou suite à une onde de tempête. Il s’ensuit que le caño oriental a réduit la capacité de la
zone boisée humide à atténuer les risques liés aux inondations côtières et aux intrusions salines, et
étendu la zone menacée dans la partie septentrionale d’Isla Portillos.
Dans son rapport étayant le contre-mémoire du Nicaragua dans l’affaire relative à Certaines
activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière, M. Kondolf considérait la destruction
de l’écosystème existant dominé par l’eau douce dans et aux environs de la lagune de Harbor Head,
et son remplacement subséquent par un écosystème d’eau saumâtre ou salée, comme un effet
potentiellement bénéfique de la construction du caño 201069. Toutefois, l’écosystème de zones
humides actuel dominé par l’eau douce est un site d’importance internationale et, de ce fait, toute
activité menaçant cet écosystème d’effondrement serait à l’évidence inopportune. C’est
précisément pourquoi Ramsar recommande d’inclure la HCN au Registre de Montreux (qui
constitue une liste des zones humides en danger).
Même si la position de M. Kondolf était acceptée et si l’on décidait que des mesures
susceptibles de détruire l’actuel système dominé par l’eau douce, associées à son remplacement par
un système dominé par l’eau salé, constituaient une gestion «raisonnable», il se produirait un
69 G. M. Kondolf, «Chenaux défluents du San Juan coulant au Nicaragua et au Costa Rica : analyse des rapports
Thorne, UNITAR, Ramsar, MINAET et Araya-Montero», juillet 2012 (CMN sur le fond, appendice 1, p. 483-484).
- 113 -
décalage entre l’effondrement de l’écosystème existant et la maturation du nouvel écosystème
d’estuaire. Durant cette période, la majeure partie de la valeur de la zone humide serait perdue, ce
qui n’est tout simplement pas acceptable. Quoi qu’il en soit, il n’existe aucune garantie que le
nouvel écosystème se révèle plus précieux que celui grandement menacé par les activités du
Nicaragua du fait de la création du caño 2010 et du caño oriental.
Dans le cas du caño 2010, si le banc séparant la lagune de Harbor Head de la mer des
Caraïbes est recouvert et/ou rompu et quand il le sera à l’avenir , l’eau de mer pourra pénétrer
bien plus facilement dans les systèmes d’eau saumâtre et saline le long du caño 2010, qui a créé
une trajectoire d’écoulement préférentielle pour l’eau des inondations côtières déferlant sur
l’intérieur des terres depuis la lagune d’Harbour Head et dans les zones humides intérieures et le
fleuve. Cette faiblesse est permanente car la forêt, pour les motifs exposés ci-dessous dans la
sous-partie C, ne retrouvera jamais entièrement son niveau de résilience aux inondations côtières
antérieur aux perturbations.
Le caño occidental et, plus particulièrement, le caño oriental ont créé de la même manière
des trajectoires préférentielles permettant au flot marin, aux ondes, aux sédiments et aux
organismes d’accéder jusqu’à l’intérieur de la zone humide, au fleuve et aux lagunes d’eau douce
qui y sont reliées.
L’érosion côtière présente un type complètement différent de risque pour la zone humide et
la forêt primaire, celui de l’anéantissement. Si les impacts de l’intrusion saline et des inondations
côtières accrues sont désastreux, ceux de l’érosion côtière sont potentiellement catastrophiques.
Lorsqu’à la page 156 de son rapport M. Kondolf explique que «l’érosion n’est pas un
problème dans la zone litigieuse»70, il fait référence à l’érosion fluviale. Toutefois, page 157, il
poursuit en concluant que «la forme du delta peut être perçue comme résultant de l’équilibre, d’une
part, entre l’arrivée de sédiments provenant de l’amont et leurs dépôts dans le delta, contribuant
ainsi à la constitution du delta et, d’autre part, l’affaissement naturel (du fait du compactage des
sédiments) et l’érosion côtière par les vagues, tendant à réduire le delta»71, ce qui est sans conteste
erroné.
Il suffit d’examiner la séquence historique des cartes et images satellite reproduites aux
pages I-4 à I-29 du premier rapport Thorne72 pour en comprendre les raisons. Ces cartes et images
indiquent que la côte au nord et à l’est de la zone perturbée par les activités du Nicaragua a reculé
d’un kilomètre environ en un peu plus d’un siècle – soit un taux d’érosion annuel moyen de
10 mètres par an. Sur la base de mon analyse scientifique de la géologie, la géographie et la
géomorphologie du micro-delta (présentée dans le premier rapport Thorne et non contestée par
M. Kondolf), il n’y a pas lieu de supposer que l’offensive de l’érosion de la mer des Caraïbes sur
cette partie de la côte diminuera, pour autant qu’on puisse le prévoir. En résumé, la forme terrestre
du delta ne saurait être perçue comme résultant de l’équilibre, d’une part, entre l’arrivée de
sédiments provenant de l’amont et leurs dépôts dans le delta ontribuant ainsi à la constitution du
delta et, d’autre part, l’affaissement naturel (du fait du compactage des sédiments) et l’érosion
côtière par les vagues, tendant à réduire le delta. L’erreur de M. Kondolf provient d’un défaut
méthodologique fondamental, en ce qu’il a choisi de limiter la base scientifique de son rapport à
l’interprétation des images satellite prises entre 2010 et 2017, en omettant ainsi de tenir compte
d’éléments de preuve à plus long terme directement visibles sur des cartes historiques.
70 G. M. Kondolf, «Examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica dans le delta du fleuve San Juan»,
mai 2017 ; contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l’indemnisation, annexe 2, p. 2 (156).
71 G. M. Kondolf, «Examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica dans le delta du fleuve San Juan»,
mai 2017 ; contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l’indemnisation, annexe 2, p. 3 (157).
72 C. Thorne, «Evaluation de l’impact physique des travaux effectués par le Nicaragua depuis octobre 2010 sur la
géomorphologie, l’hydrologie et la dynamique sédimentaire du fleuve San Juan, ainsi que de leur impact
environnemental en territoire costaricien», octobre 2011 ; contre-mémoire, appendice 1, p. I-4 à I-29 (328-353).
- 114 -
Auparavant, l’érosion côtière a détruit des terres formées quelques années ou dizaines
d’années plus tôt seulement par les dépôts de sable et de limon transportés jusqu’à la côte et utilisés
par le San Juan pour constituer son micro-delta. La capacité de ces terres à résister à l’érosion était
faible en raison de l’absence d’arbres mûrs et de forêts anciennes autant de végétaux qui
procurent une résistance face à l’érosion naturelle , atténuant ainsi les risques naturels que
constituent les vagues, ondes de tempête et courant côtiers. L’érosion s’est ralentie depuis peu, à
mesure que la côte se rapproche de la forêt mature plus ancienne à l’extrémité proximale du
micro-delta, comme le révèle une observation même superficielle des images satellite dans le
premier rapport Thorne.
Il suffit de reconnaître que les activités du Nicaragua ont entraîné la destruction de la forêt
(augmentant ainsi l’érodabilité des zones touchées, et créant des trajectoires qui permettent aux
eaux côtières de pénétrer facilement dans la zone humide par le biais du caño 2010 et, plus
particulièrement, du caño oriental) pour comprendre comment et pourquoi ces activités ont réduit
la capacité des zones boisées humides à se protéger de l’érosion côtière.
En substance, toute chaîne de défense côtière n’est aussi solide que son chaînon le plus
faible ; en coupant la forêt et en dégageant des voies qui permettent aux inondations côtières et aux
eaux des ondes de rompre cette défense naturelle, le Nicaragua a réduit, voire compromis, la
capacité naturelle de la zone humide boisée à atténuer les risques posés par l’érosion côtière.
L’obstruction du caño oriental et l’envasement naturel du caño 2010 ont rétabli une partie de
la capacité d’atténuation perdue, mais en aucun cas son intégralité : tant que le caño oriental n’est
pas pleinement rempli et que la zone n’est pas entièrement reboisée par des arbres mûrs, le barrage
construit par le Costa Rica reste exposé à l’érosion en cas de recouvrement et/ou de rupture au
cours d’une onde de tempête. Une repousse secondaire le long du tracé du caño 2010 ne
remplacera jamais complètement la grande vigueur et la résistance élevée à l’érosion de la forêt
primaire antérieure. En bref, la capacité de la zone boisée humide à atténuer les risques de l’érosion
a été diminuée de manière permanente par les activités du Nicaragua.
c) Comparaisons et contrastes entre les forêts primaires et secondaires et leurs écosystèmes, et
rétablissement des services écosystémiques suite à la destruction de la forêt ancienne
Il existe une littérature fournie qui compare les forêts primaires et secondaires, dans les
biomes tempérés aussi bien que tropicaux. Les étapes de la croissance des arbres, les modèles de
succession des espèces, les tendances associées à la biodiversité, et les fonctions et valeurs
écologiques dans les forêts anciennes qui sont absentes au cours des premiers stades de la
croissance des peuplements forestiers sont, d’une manière générale, similaires dans les forêts
tempérées et tropicales. La principale différence réside dans le fait que les forêts tropicales (telles
que celles au Costa Rica) atteignent dans l’ensemble leur climax plus rapidement que les forêts
tempérées (telles que celles de la côte pacifique nord-ouest, où je mène des recherches
depuis 1983).
La plupart du temps, mieux vaut une forêt secondaire, voire dans certains cas des plantations
forestières, que pas de forêt du tout. Toutefois, forêts secondaires et plantations forestières ne
sauraient compenser une incapacité à protéger les forêts primaires en termes de conservation de la
biodiversité, pour le simple fait que certaines espèces sont dépendantes d’habitats qui ne sont
fournis que par des forêts anciennes (par exemple, nombreux arbres creux, pourvus de cimes
brisées, dont les écorces sont tombées et/ou craquelées, et qui présentent des cavités dues à la
détérioration ; gros rondins abattus etc.). En substance, c’est la complexité croissante des forêts
anciennes qui augmente la variété des niches écologiques selon des mécanismes essentiels au
soutien de l’accroissement de la biodiversité.
- 115 -
L’ouvrage de Franklin and Spies (1991) est un manuel qui porte sur les caractéristiques
écologiques des forêts, c’est-à-dire leur composition, leur structure et leur fonction. Cet ouvrage
explique que l’abondance des espèces est plus importante dans les forêts anciennes que dans des
peuplements forestiers plus jeunes qui leur sont par ailleurs similaires, car les peuplements anciens
possèdent des attributs qui diffèrent sensiblement des peuplements plus jeunes, ou sont tout
simplement absents chez eux. Si certaines informations spécifiques de Franklin and Spies sont
aujourd’hui dépassées, l’interprétation d’ensemble des auteurs restent valable. Par exemple, les
forêts anciennes ont tendance à présenter une plus grande diversité structurelle (par exemple, tailles
d’arbre variées, couches de canopées multiples et complexes, bois mort de grande taille,
sous-étages complexes, larges chicots, arbres déformés ou dont la cime est brisée ; les détails
figurent pages 74 à 76 de leur ouvrage). Ce que je souhaite souligner ici, c’est que ces données ne
constituent pas des connaissances scientifiques particulièrement nouvelles.
Guariguata et Ostertag (2001) ont étudié les changements de structure et de fonction de la
forêt tropicale au cours de la succession des espèces. Les principaux aspects à retenir sont les
suivants :
Si la richesse des espèces végétales dans les forêts secondaires peut se rapprocher des niveaux
de forêt ancienne quelques dizaines d’années après des perturbations, le rétablissement d’une
composition d’espèces similaire aux forêts anciennes est un processus bien plus long, qui
nécessite au moins un siècle selon certaines études (voir p. 195).
Le temps nécessaire aux forêts secondaires pour accumuler de la biomasse ressemblant à celle
de la forêt ancienne précédente est indéterminé, mais à ce jour certaines études concluent que
les niveaux de biomasse dans les forêts secondaires n’atteignent toujours pas les niveaux des
forêts anciennes au bout de 50 à 80 ans, car ces forêts requièrent, pour ce faire, la présence de
très gros arbres, qui mettent plus d’un siècle à pousser (voir p. 198).
Le tableau 4 p. 200 (reproduit ci-dessous en tant que tableau A, pour des questions de
commodité) présente une séquence conceptuelle de la succession des espèces dans la forêt tropicale
et des délais, structures et fonctions associés.
L’ouvrage de Franklin et al. offre un aperçu intéressant des changements structurels et
fonctionnels subis par les forêts au cours de leur vieillissement sur la côte pacifique nord-ouest. Les
tableaux 1 et 2 (reproduits ci-dessous dans le tableau B, à des fins de commodité) récapitulent de
manière judicieuse la séquence de caractéristiques structurelles importantes qui se développe au fil
de la maturité des arbres. Ainsi que le montrent clairement les tableaux 1 et 2, quantité de niches et
d’habitats précieux ne se forment que lorsque la densité croissante et la mortalité naturelle
commencent à entraîner la diminution des espèces végétales et ligneuses pionnières : il est
manifeste qu’un peuplement d’arbres âgés de 4 à 5 ans qui a tout juste atteint un état de canopée
fermée ne peut réaliser la plupart des fonctions escomptées de la part d’une zone boisée mâture, et
encore moins de la part d’une forêt primaire ancienne.
- 116 -
Tableau A. Tableau tiré de Guariguata et Ostertag (2001)147
Tableau 4
Modèle conceptuel montrant une séquence posée comme hypothèse pour les processus qui se produisent durant la succession des
espèces dans une forêt secondaire, par rapport à la situation dans une forêt ancienne. Le point décisif de ce modèle est que la
composition des espèces dans les étages supérieurs ressemble à celle des forêts anciennes lors de la dernière étape de la séquence ;
d’autres caractéristiques et processus forestiers peuvent ressembler bien avant à ceux d’une forêt ancienne. Les délais sont indiqués
à titre d’orientation pour illustrer l’échelle de temps de ces processus, mais ils reposent sur des données empiriques très limitées.
Processus Végétation de la canopée Échelle de temps
(années)
Notes
Colonisation
initiale
Graminées, herbes, fougères 1 à 5 Les facteurs qui influent sur la colonisation initiale
incluent :
1. les caractéristiques du paysage (distance jusqu’à
la forêt, topographie) ;
2. le climat et le microclimat ;
3. la présence/l’absence de végétation antérieure
(banque de semences, rejets, restes d’arbres et
d’arbustes) ;
4. les caractéristiques du site (disponibilité des
nutriments, compactage du sol, mycorhizes, type
et intensité de l’utilisation antérieure des terres) ;
5. les interactions entre espèces (prédation des
graines, herbivores, possibilité de perchage,
agents pathogènes, concurrence, stade
phénologique).
Développement
forestier initial
Espèces pionnières à vie courte 5 à 20 ans Les stades initiaux du développement forestier
incluent :
1. la fermeture du couvert forestier ;
2. des niveaux de biomasse de racines fines proches
de ceux de forêts mâtures ;
3. des niveaux d’écoulement supercortical et
d’égouttement de la frondaison proches de ceux
d’une forêt mature ;
4. des taux élevés de chute de litière, PPN et
rotation des nutriments ;
5. une accumulation rapide de la biomasse,
accompagnée d’une éclaircie naturelle et de
l’apparition d’arbres morts sur pied ;
6. une accumulation d’espèces, et la possibilité que
la richesse des espèces des sous-étages soit
analogue à celle d’une forêt mature.
Développement
forestier tardif
Espèces pionnières à vie longue 20 à 100 Les derniers stades du développement forestier
incluent :
1. des perturbations à petite échelle plus fréquentes,
en particulier de petites trouées dans la canopée ;
2. la prévalence d’une régénération avancée ;
3. un plus grand stockage des nutriments dans la
biomasse, éventuellement des taux inférieurs de
PNN et de chute de litière ;
4. une faible hétérogénéité spatiale dans les
niveaux de lumière des sous-étages.
Forêt ancienne Arbres tolérants à l’ombre 100 à 400 Forêt ancienne caractérisée par :
1. une composition d’essences très variées dans
l’étage supérieur ;
2. une prévalence de grosses trouées dans la
canopée, et d’autres perturbations chroniques ;
3. des arbres très gros ;
4. une très grande hétérogénéité spatiale dans les
niveaux de lumière des sous-étages.
147 Guariguata, M. R. et Ostertag, R., 2001. Neotropical secondary forest succession : changes in structural and
functional characteristics. Forest ecology and management, 148 (1), p. 200.
- 117 -
Tableau B. Il s’agit des tableaux 1 et 2 extraits de Franklin et al. (2002)1
Tableau 1
Certaines caractéristiques structurelles des peuplements forestiers, incluant des éléments structurels
individuels et des modèles spatiaux d’éléments structurels
Attributs importants
Structures individuelles
Arbres vivants
Espèces, densité, diamètre moyen, plage de
diamètres, hauteur, profondeur de la canopée
Arbres vivants à large diamètre Espèces, densité, décadence (y compris présence de
colonnes de pourriture), état de la cime,
caractéristiques de l’écorce
Branches de gros diamètre Espèces, densité, taille, branche individuelle ou
ensembles de branches, présence de «sol» arboricole
Communauté d’arbres à canopée basse Composition, densité, hauteur
Communauté dans la terre Composition, densité, arbres caducs/à feuilles
persistantes
Arbres morts sur pied (chicots) Espèces, taille, état de décomposition, densité
Gros débris ligneux (bûches) Espèces, taille, état de décomposition, volume,
masse
Déracinement (mottes racinaires et trous) Densité, taille, âge
Couches organiques Profondeur, propriétés chimiques et physiques,
biotes
Modèles spatiaux
Répartition verticale du feuillage/de la canopée Profondeur, continuité, répartition cumulative
Répartition horizontale des structures Modèle spatial (par exemple, aléatoire, dispersé, ou
agrégé)
Trouée et zones d’ombre (anti-gaps) Taille, forme densité
Tableau 2
Quelques-uns des processus structurels en oeuvre durant l’évolution de la succession des espèces
dans les peuplements forestiers par ordre approximatif de leur première apparition
Perturbation et création de legs
Établissement d’une nouvelle cohorte d’arbres ou de végétaux
Fermeture de la canopée par la couche des arbres
Exclusion compétitive (ombrage) de la flore dans la terre
Disparition d’arbres de petite taille dans la canopée
Mort et élagage des systèmes ramifiés inférieurs
Accumulation de la biomasse
Mortalité des arbres en fonction de la densité
Mortalité due à la concurrence parmi les formes vivantes d’arbres ; mortalité par éclaircie
Mortalité des arbres indépendamment de la densité
Mortalité due à des agents tels que le vent, la maladie ou les insectes
Début et extension de trouée dans la canopée
Production de débris ligneux grossiers (chicots et bûches)
Déracinement
Perturbation de la terre et du sol et création de structures
Redéveloppement de sous-niveau
1 Franklin, J.F., Spies, T.A., Van Pelt, R. Carey, A.B., Thornburgh, D.A., Berg, D.R., Lindenmayer, D.B.,
Harmon, M.E., Keeton, W.S., Shaw, D.C. et Bible, K., 2002. Disturbances and structural development of natural forest
ecosystems with silvicultural implications, using Douglas-fir forests as an example. Forest Ecology and Management,
155 1), p. 402.
- 118 -
Couches d’arbustes et d’herbes
Établissement d’essences tolérantes à l’ombre
Hypothèse selon laquelle la cohorte pionnière est constituée d’espèces intolérantes à l’ombre
Développement de zones d’ombre (anti-gaps)
Maturation de cohorte d’arbres pionniers
Atteinte d’un niveau maximal de taille et de couvert vertical au sol
Élaboration de la canopée
Développement d’une canopée continue ou à plusieurs couches par :
Croissance d’espèces tolérantes à l’ombre en position codominante dans la canopée
Rétablissement de systèmes ramifiés inférieurs sur les espèces dominantes intolérantes
Développement de décadence d’arbre vivant
Plusieurs cimes, cimes mortes, trous et pourriture descendante, cavités, formation de balais
Développement de branches et systèmes ramifiés de grosse taille
Développement associé de riches communautés épiphytes sur les grosses branches
Perte de cohorte pionnière
Michel et Winter (2009) ont chiffré ces différences. Ils ont ainsi identifié des différences
statistiquement importantes en termes d’abondance de micro-habitats entre des peuplements
naturels anciens et des peuplements plus jeunes faisant l’objet d’une gestion. Les peuplements
gérés depuis peu ne comptaient en moyenne que 115 micro-habitats/ha. Les jeunes peuplements qui
n’étaient pas gérés depuis peu enregistraient un bien meilleur résultat, avec en moyenne
520 micro-habitats/ha. Quant aux peuplements anciens devenus adultes de manière naturelle, ils
affichaient un résultat encore supérieur, avec environ 745 micro-habitats/ha2. Ce qu’il convient de
retenir ici, c’est que l’opinion de M. Kondolf selon laquelle une forêt secondaire peut «réaliser la
plupart des fonctions escomptées de la part d’une zone boisée» n’est pas forcément fausse, mais
elle est parfaitement inapplicable dans le cas de la «zone boisée» dégagée par le Nicaragua, qui
constituait une forêt ancienne naturelle irremplaçable.
En ce qui concerne la littérature axée sur les forêts tropicales, Barlow et al. (2007) ont étudié
la biodiversité dans les forêts primaires, secondaires et de plantation dans l’Amazonie brésilienne.
Ils ont observé que les réponses variaient entre les taxons en termes de richesse et de pourcentage
des espèces présentes uniquement dans les forêts primaires (voir les figures 1 et 2 extraites de leur
ouvrage, reproduites ci-dessous à des fins de commodité en tant que figures 4 et 5), mais que
pratiquement tous les taxons indiqués montraient des différences de structure et de composition des
communautés dans ces trois types de forêts (voir leur figure 3, page 18557 de Barlow et al., 2007).
Les forêts secondaires et les plantations se sont révélées aptes à accueillir plusieurs taxons, donnant
ainsi à penser qu’elles sont susceptibles d’offrir une meilleure valeur de conservation, en particulier
si elles sont entourées de forêts primaires intactes, ce qui semble être le scénario du «meilleur
cas»3. Sur cette base, il est raisonnable d’escompter qu’une nouvelle croissance secondaire dans les
zones dégagées par le Nicaragua peut, dans le futur, procurer plusieurs taxons présentant un bon
niveau de biodiversité, bien que cela soit encore loin d’être le cas et ne se produira pas avant
plusieurs dizaines d’années. Cependant, l’étude de Barlow et al. fournit quelques-unes des preuves
empiriques les plus explicites qui existent actuellement pour démontrer l’importance unique des
forêts tropicales primaires non perturbées, telles que celles de la HCN.
Les figures 4 et 5 correspondent aux figures 1 et 2 reproduites d’après l’ouvrage de Barlow
(2007)4.
2 Michel, A.K. and Winter, S., 2009. «Tree microhabitat structures as indicators of biodiversity in Douglas-fir
forests of different stand ages and management histories in the Pacific Northwest, USA». Forest Ecology and
Management, 257, p. 1456.
3 Barlow, J., Gardner, T.A., Araujo, I.S., Ávila-Pires, T.C., Bonaldo, A.B., Costa, J.E., Esposito, M.C., Ferreira,
L.V., Hawes, J., Hernandez, M.I. and Hoogmoed, M.S., 2007. Quantifying the biodiversity value of tropical primary,
secondary, and plantation forests. Proceedings of the National Academy of Sciences, 104(47), p. 18556-18557.
4 Ibid.
- 119 -
Figure 4
Fig. 1 : Courbes d’accumulation des espèces en fonction des individus pour les forêts primaires (lignes continues, avec
des intervalles de confiance de 95 % représentés par l’ombre), les forêts secondaires (traits discontinus) et les plantations
d’eucalyptus (lignes constituées de point et de traits). (Lettres a à e) Cinq types de réponse, regroupant les taxons en
fonction de nos critères analytiques (voir «Materials and Methods»), qui ont montré ce qui suit : différences majeures
entre les échantillons provenant de tous les types d’habitat (lettre a), pas de différence majeure nette entre les échantillons
provenant de forêts secondaires et de plantations d’Eucalyptus (lettre b), pas de différence majeure nette entre les
échantillons des forêts primaires et secondaires (lettre c), pas de véritable différence entre les habitats (lettre d), et forêt
primaire apparaissant moins riche en espèces que d’autres habitats forestiers (lettre e).
Légende :
Tree and lianas = Arbres et lianes
Leaf litter amphibians = Amphibiens des couches de feuilles mortes
Birds = Oiseaux
Fruit-feeding butterflies = Papillons piqueurs de fruits
Epegeic arachnids = Arachnides épigés
Lizards = Lézards
Species = Espèces
Dung beetles = Stercoraires
Bats = Chauves-souris
Large mammals = Gros mammifères
Small mammals = Petits mammifères
Fuit flies = Mouches des fruits
Orchid bees = Abeilles à orchidées
Scavenger flies = Sepsidae
Grosshopers = Sauterelles
Moths = Mites
Individuals = Individus
- 120 -
Figure 5
Fig. 2. Pourcentage d’espèces propres aux forêts primaires, secondaires et de plantation (A) et pourcentage d’espèces
enregistrées dans les forêts primaires qui ont également été consignées dans les forêts secondaires et de plantations (B).
Les forêts primaires, secondaires et de plantation sont représentées respectivement par des barres grisées, des ronds noirs
et des ronds blancs.
Légende :
Tree and lianas (TL) = Arbres et lianes (TL)
Birds (BI) = Oiseaux (BI)
Leaf-litter amphibians (AM) = Amphibiens des couches de feuilles mortes (AM)
Lizards (LZ) = Lézards (LZ)
Dung beetles (DB) = Stercoraires (DB)
Small mammals (SM) = Petits mammifères (SM)
Fruit-feeding butterflies (BU) = Papillons piqueurs de fruits (BU)
Bats (BA) = Chauves-souris (BA)
Moths (MO) = Mites (MO)
Grosshopers (GH) = Sauterelles (GH)
Epegeic arachnids (AR) = Arachnides épigés (AR)
Fuit flies (FF) = Mouches des fruits (FF)
Large mammals (LM) = Gros mammifères (LM)
Scavenger flies (SF) = Sepsidae (SF)
Orchid bees (OB) = Abeilles à orchidées (OB)
% of species unique to each habitat = % d’espèces propres à chaque habitat
% of primary forest species held = % d’espèces dans les forêts primaires
- 121 -
Chazdon (2008) a étudié les modèles et processus des dynamiques de la végétation durant la
succession des espèces dans les forêts tropicales secondaires. Il a constaté que la biodiversité et les
voies de succession diffèrent entre les forêts primaires et secondaires notamment en fonction de la
mesure de diversité retenue, la nature des environs de la forêt, et le type et le niveau de
perturbation. Les points ci-dessous sont déterminants dans le cas présent.
La phase d’initiation de peuplement (début de la succession immédiatement après les
perturbations) est la période durant laquelle le peuplement est le plus vulnérable aux espèces
invasives, ce qui peut avoir des effets durables sur la succession forestière ainsi que la diversité
et la composition des espèces, qui persistent dans certains cas tout le long de la trajectoire de
succession (p. 388). Ceci laisse supposer que si des espèces invasives ont colonisé les zones
perturbées de la HCN durant les sept dernières années, leur influence sur la succession future,
ainsi que sur la diversité et la composition des espèces, pourrait être permanente.
Ce n’est que lorsque les forêts tropicales se trouvent dans la phase de ré-initiation de sous-étage
(généralement 10 à 20 ans après une perturbation) qu’elles connaissent un changement
progressif en termes d’abondance et de composition des essences qui perdure sur plusieurs
dizaines d’années, voire plusieurs siècles. Lorsque les forêts secondaires se rapprochent du
stade de forêt ancienne (au bout de plusieurs dizaines d’années à plusieurs siècles), la canopée
commence à renfermer des espèces qui n’étaient pas présentes durant les étapes de succession
antérieures, développant alors des structures verticales et horizontales complexes avec de vieux
arbres très gros (certains vivants, d’autres morts), de gros rondins abattus et des éléments de
décomposition, et une végétation variée dans la canopée et les sous-étages (voir p. 388 à 389).
Il arrive que les forêts qui se régénèrent après le dégagement de la forêt primaire n’atteignent
jamais une richesse et une composition en termes d’essences similaires à celle de la forêt
primaire antérieure (voir p. 400)5.
Morris (2010) a étudié la littérature sur la biodiversité de la forêt tropicale, en soulignant le
fait que nous ne devrions pas seulement prendre en considération les changements en termes de
richesse et diversité des espèces lors de la comparaison des forêts primaires et secondaires, mais
également examiner les interactions entre espèces et leurs fonctions écosystémiques, sur lesquelles
nous savons comparativement peu de choses. Sur ce sujet majeur, Morris suggère que les
dommages causés aux interactions entre espèces et à leurs fonctions écosystémiques dans les forêts
primaires peuvent augmenter proportionnellement en fonction de l’intensité des perturbations, ce
qui soulève les préoccupations suivantes : même si la richesse et la diversité des espèces se
rétablissent après les perturbations, tels ne sera pas forcément le cas des interactions entre espèces
(Morris, page 3715, 2010)6. Étant donné que les activités du Nicaragua ont été des plus
préoccupantes, il semble probable que la disparition des interactions entre espèces et de leur
fonctions écosystémiques dans les zones touchées seront irréversibles.
Dans le cadre d’un examen élargi, Gibson et al. (2001) ont appliqué une méta-analyse à des
données issues de pas moins de 138 études portant sur les différences de biodiversité entre les
forêts primaires et secondaires exposées à diverses perturbations anthropogènes. Les auteurs
rapportent que la déforestation et la replantation d’arbres (c’est-à-dire la transformation d’une forêt
primaire en forêt secondaire) réduisent systématiquement et sensiblement la biodiversité dans les
paysages de forêts tropicales à travers le monde. S’il est apparu que l’abattage sélectif avait un
impact considérablement plus faible que d’autres perturbations plus draconiennes, il n’en demeure
pas moins qu’il présente un effet néfaste. Les activités réalisées par le Nicaragua figureraient sans
5 Chazdon, R.L., 2008. Beyond deforestation : restoring forests and ecosystem services on degraded lands.
science, 320 (5882), p. 400.
6 Morris, R.J., 2010. Anthropogenic impacts on tropical forest biodiversity : a network structure and ecosystem
functioning perspective. Philosophical Transactions of the Royal Society of London B : Biological Sciences, 365 (1558),
p. 3715.
- 122 -
aucun doute au tout premier rang de ce que Gibson et al. (2001) considèrent comme des
«perturbations draconiennes».
Ces mêmes auteurs ont constaté que les forêts secondaires d’âges divers étaient susceptibles
de retrouver des niveaux intermédiaires de biodiversité, en fonction de l’âge de la forêt et de ses
antécédents en termes d’utilisation des terres, niveaux qui restent toutefois nettement inférieurs à
ceux des forêts primaires (voir p. 380, colonne 2)7. Cela étant, la conclusion générale des auteurs
est sans équivoque aucune : en termes de soutien à la biodiversité, les forêts primaires sont
irremplaçables.
Cette rapide analyse de la littérature publiée, que l’on peut facilement consulter en ligne, me
conduit à formuler ma dernière critique la plus sévère à l’égard de la méthode de
M. Kondolf, à savoir qu’il se fie de manière démesurée aux images de télédétection et a omis de
procéder à des mesures scientifiques et de recueillir des données scientifiques lors de sa visite sur
site en octobre 2016, sans parler de son manquement à mettre à profit son survol pour prendre des
photos ou effectuer des observations directes des zones touchées.
Aux pages 157 et 158 de son rapport, M. Kondolf indique que «ces images ne permettent pas
de mesurer leurs hauteurs [pages 163 à 188 de son rapport] mais leurs formes planes visibles sur les
images présentent des contours et dimensions similaires à ceux des zones boisées environnantes en
2014»8. Un expert de l’environnement rigoureux aurait effectué des mesures précises de la hauteur
des arbres (anciens et nouveaux) sur le terrain en octobre 2016 au moyen d’un ruban d’arpentage et
d’un clinomètre une méthode simple mais efficace.
De fait, la repousse des herbes, broussailles et essences pionnières dans les zones dégagées
par le Nicaragua a été rapide. L’on pouvait s’y attendre dans cette région tropicale humide.
Toutefois, en raison de sa décision de ne se fier qu’aux images satellite, M. Kondolf n’est pas en
mesure de fournir un quelconque compte-rendu scientifique ou technique des espèces de plantes
qui colonisent les zones dégagées, et la mesure dans laquelle les espèces invasives ont profité des
activités du Nicaragua pour s’établir n’est pas identifiée. Un expert de l’environnement rigoureux
aurait recouru à un échantillonnage par quadrats pour dénombrer et identifier la végétation
colonisatrice, ce qui aurait permis d’établir des comparaisons directes avec les assemblages de
végétation dans les zones adjacentes qui n’ont pas été dégagées par le Nicaragua pour faire place à
ses caños.
Le verdissement des zones dévastées du fait de la recolonisation rapide est effectivement
visible dans la série chronologique d’images aériennes fournies par M. Kondolf à la fin de son
rapport9. Toutefois, sur la base de la littérature examinée ci-dessus, il ne fait aucun doute qu’en
termes de hauteur et de complexité, les arbres qui poussent désormais dans les zones de
rétablissement ne ressemblent en aucun cas à la forêt ancienne arrachée par le Nicaragua en 2010.
Des mesures sur le terrain en octobre 2016 auraient montré ces aspects ; en omettant d’effectuer
(ou tout au moins de faire état) de telles mesures et en se contentant de se fier aux changements
observés sur les images satellite, M. Kondolf commet une grave erreur de méthodologie.
7 Gibson, L., Lee, T.M., Koh, L.P., Brook, B.W., Gardner, T.A., Barlow, J., Peres, C.A., Bradshaw, C.J.,
Laurance, W.F., Lovejoy, T.E. and Sodhi, N.S., 2011. Primary forests are irreplaceable for sustaining tropical
biodiversity. Nature, 478(7369), p. 380.
8 G. M. Kondolf, «Examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica dans le delta du fleuve San Juan»,
mai 2017 ; contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l’indemnisation, annexe 2, p. 3 (157).
9 Ibid., appendice A, p 174-178.
- 123 -
Conclusion
Accepter les opinions de M Kondolf reviendrait (sciemment ou non) à suggérer que les
dommages résultant de l’excavation de canaux artificiels et du dégagement des forêts primaires et
anciennes au sein des zones humides protégées par la Convention de Ramsar d’importance
internationale le long du San Juan sont temporaires, et que le rétablissement sera achevé en
substance dans un délai de 5 ans. Cela irait totalement à l’encontre de l’objectif de la Convention
qui est de fournir une protection aux zones humides désignées. Par ailleurs, cela constituerait un
prétexte au dragage et à la déforestation d’autres zones humides protégées par la Convention de
Ramsar à l’échelle mondiale.
D’après les observations découlant de mon analyse, les opinions de M. Kondolf reposent
trop sur l’interprétation qualitative des images satellite. M. Kondolf n’a pas été en mesure d’estimer
ne serait-ce que la plus élémentaire des propriétés de repousse dans les zones dégagées (à savoir la
hauteur des arbres) à partir de ces images, mais il a pourtant choisi de mesurer la hauteur des arbres
ou d’autres aspects durant son survol et sa visite sur site en octobre 2016, ce qui constitue
une erreur méthodologique incompréhensible pour un expert de l’environnement, qui plus est un
expert jouissant d’une telle expérience. Ses remarques concernant la formation du sol, l’érosion,
l’atténuation des risques naturels et les services écologiques procurés par la forêt secondaire sont en
désaccord avec la littérature scientifique pertinente en l’espèce. Du fait de ses erreurs
méthodologiques et du manque de concordance avec ladite littérature, il me semble que le rapport
de M. Kondolf est dépourvu de base technique et de validité scientifique et qu’il convient de ne pas
en tenir compte.
(Signé) Professeur Colin THORNE,
2 Parker Gardens,
Nottingham, Royaume-Uni.
Le 28 juillet 2017.
Références
[Non reproduites]
___________
Réplique du Costa Rica sur la question de l'indemnisation