Contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l'indemnisation

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150-20170602-WRI-01-00-EN
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14705
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À CERTAINES ACTIVITÉS MENÉES PAR LE NICARAGUA
DANS LA RÉGION FRONTALIÈRE
(COSTA RICA C. NICARAGUA)
CONTRE-MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA
SUR LA QUESTION DE L’INDEMNISATION
2 JUIN 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE 1. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
I. Historique de la procédure ......................................................................................................... 1
II. Présentation du contre-mémoire ............................................................................................... 2
CHAPITRE 2. LES TRAVAUX DU NICARAGUA ET LEURS CONSÉQUENCES ........................................... 5
I. L’état de la zone litigieuse avant les travaux du Nicaragua ....................................................... 5
II. Le caño de 2010 ....................................................................................................................... 6
III. Les caños de 2013 ................................................................................................................... 9
CHAPITRE 3. LES PRINCIPES RÉGISSANT LES DOMMAGES ................................................................ 14
I. L’arrêt de la Cour du 16 décembre 2015 ................................................................................. 14
II. Une indemnisation ne peut être accordée que si un lien de causalité direct et certain est
établi entre un préjudice donné et un fait internationalement illicite ..................................... 15
III. Le Costa Rica doit établir au moyen de preuves claires et convaincantes l’existence de
chacun des éléments requis pour qu’une indemnisation puisse être octroyée ....................... 19
IV. Aucune indemnisation ne peut être accordée à raison de dommages que l’Etat lésé
aurait pu éviter ou auxquels il a contribué ............................................................................. 21
CHAPITRE 4. LES INDEMNITÉS RÉCLAMÉES PAR LE COSTA RICA AU TITRE DES DOMMAGES
ENVIRONNEMENTAUX ALLÉGUÉS ................................................................................................ 23
I. Le «coût social» allégué des travaux du Nicaragua ................................................................. 23
A. La méthode utilisée par la Fundación Neotrópica est impropre à l’évaluation de
dommages causés à l’environnement ............................................................................... 25
B. Le rapport de la Fundación Neotrópica contient de graves erreurs entraînant une
surestimation considérable des dommages ....................................................................... 27
II. Futures «mesures de restauration» ......................................................................................... 32
III. Mesures de remise en état en rapport avec le caño oriental de 2013 .................................... 33
IV. La juste évaluation des dommages matériels causés par les travaux du Nicaragua .............. 34
CHAPITRE 5. LES INDEMNITÉS RÉCLAMÉES PAR LE COSTA RICA AU TITRE DE SES FRAIS DE
SURVEILLANCE ALLÉGUÉS .......................................................................................................... 36
I. Les indemnités réclamées au titre de la rémunération des forces de sécurité .......................... 36
A. Les travaux du Nicaragua sur le territoire litigieux n’étaient pas la cause immédiate
du déploiement par le Costa Rica de ses forces de sécurité .............................................. 36
B. Les forces de sécurité du Costa Rica n’ont pas été déployées en application de
l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le
8 mars 2011 ....................................................................................................................... 38
C. La rémunération que le Costa Rica prétend avoir versée à ses agents de sécurité en
raison des travaux du Nicaragua l’aurait été même en l’absence desdits travaux ............ 40
D. La rémunération que le Costa Rica prétend avoir versée à ses agents de sécurité
n’est pas étayée par des éléments de preuve ..................................................................... 43
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II. Les indemnités réclamées au titre d’autres dépenses alléguées en rapport avec le
déploiement des forces de sécurité costa-riciennes ................................................................ 44
A. Les indemnités réclamées au titre des survols .................................................................. 45
B. Les indemnités réclamées au titre de la surveillance alléguée de l’environnement .......... 46
C. Les indemnités réclamées au titre des images satellite ..................................................... 48
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 51
CERTIFICATION ................................................................................................................................. 52
LISTE DES ANNEXES ......................................................................................................................... 53
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1. En application de l’ordonnance rendue le 2 février 2017 par la Cour, qui a fixé les dates
d’expiration des délais pour le dépôt des pièces écrites relatives à la question de l’indemnisation, le
Nicaragua soumet respectueusement le présent contre-mémoire en réponse au mémoire déposé par
le Costa Rica le 3 avril 2017. Conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 49 du
Règlement, il répond dans son contre-mémoire aux arguments de fait et de droit exposés dans le
mémoire et recense, ce faisant, les points d’accord et de désaccord existant entre les Parties.
I. HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE
1.2. Le 16 décembre 2015, la Cour a rendu son arrêt sur le fond de la présente affaire,
adjugeant au Costa Rica la souveraineté sur une portion litigieuse de zone humide inhabitée et
située non loin de l’embouchure du fleuve San Juan, qu’elle a définie comme une zone d’«environ
trois kilomètres carrés comprise entre la rive droite du caño litigieux, la rive droite du fleuve
San Juan lui-même jusqu’à son embouchure dans la mer des Caraïbes et la lagune de
Harbor Head»1.
1.3. Compte tenu de sa décision sur la souveraineté, la Cour a également déclaré que le
Nicaragua avait manqué à ses obligations internationales «en creusant trois caños et en établissant
une présence militaire» sur le territoire litigieux2. Sur cette base, elle a conclu qu’il avait
«l’obligation d’indemniser le Costa Rica à raison des dommages matériels ... causés par» ces actes3
et prescrit que, «au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet dans un délai de
12 mois à compter de la date d[e l’]arrêt, elle procédera[it], à la demande de l’une d[’elles], au
règlement de la question de l’indemnisation due au Costa Rica»4.
1.4. Le Nicaragua a pleinement accepté l’arrêt de la Cour, y compris l’obligation qui lui
incombe de fournir une indemnisation conformément à celui-ci et aux règles pertinentes du droit
international.
1.5. Par une note diplomatique en date du 7 juin 2016, le Costa Rica a présenté au Nicaragua
sa demande d’indemnisation, dans laquelle il affirmait avoir subi des dommages matériels d’un
montant de 6 723 476,48 dollars5.
1.6. Le Nicaragua a été choqué par le montant réclamé par le Costa Rica, qui lui semblait
exorbitant. Néanmoins, agissant de bonne foi, il a rapidement constitué une équipe interinstitutions
afin d’examiner les différents éléments de cette demande. Il a également engagé des experts pour
1 Ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011, par. 55 ; arrêt du 16 décembre 2015,
par. 69.
2 Arrêt du 16 décembre 2015, par. 229 1)-3).
3 Ibid., par. 229 5) a).
4 Ibid., par. 229 5) b).
5 Lettre ECRPB-043-16 en date du 7 juin 2016 adressée à M. Carlos Argüello Gómez, agent du Nicaragua, par
M. Sergio Ugalde, coagent du Costa Rica, p. 2. Mémoire du Costa Rica sur la question de l’indemnisation (ci-après le
«MCRI»), vol. II, annexe 35, p. 598.
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l’aider dans cette évaluation. Sur la base de leur examen, le Nicaragua et ses experts ont conclu que
nombre d’éléments de la demande du Costa Rica n’étaient pas étayés par des pièces justificatives.
En conséquence, le 18 novembre 2016, le Nicaragua a demandé au Costa Rica de fournir des
justificatifs à l’appui de sa demande6. Celui-ci a répondu le 14 décembre 2016 en produisant
quelques pièces supplémentaires7.
1.7. Le 16 janvier 2017, avant que le Nicaragua ou ses experts n’aient eu la possibilité
d’examiner pleinement les pièces présentées le mois précédent par le Costa Rica, celui-ci a
demandé à la Cour de régler la question de l’indemnisation8.
II. PRÉSENTATION DU CONTRE-MÉMOIRE
1.8. Le présent contre-mémoire se compose de cinq chapitres, suivis des conclusions du
Nicaragua.
1.9. Le chapitre 2, qui suit la présente introduction, expose les faits pertinents aux fins de
l’indemnisation. Le Nicaragua y décrira tout d’abord les travaux qu’il a entrepris sur le territoire
litigieux, qui ont simplement consisté à dégager un petit chenal (ou caño) en 2010, puis deux
autres encore plus petits en 2013, et à abattre quelques arbres à cet effet. Comme on peut le voir sur
des images satellite postérieures à l’achèvement de ces travaux, il n’a pas fallu longtemps pour que
chaque caño se remplisse à nouveau de sédiments, tant sous l’effet de processus naturels qu’en
raison de la mise en place d’une petite digue en 2015. De même, la végétation a rapidement
repoussé aux alentours, là encore sous l’action de la nature. Les caños s’étant remplis de sédiments
et la végétation s’étant reconstituée, la seule conséquence subsistant des travaux du Nicaragua
réside dans la perte d’arbres. Les images montrent que, au total, 180 ont été abattus.
1.10. Le chapitre 3 est consacré au droit applicable à la demande d’indemnisation du
Costa Rica. Le Nicaragua y commencera par examiner la portée et la nature de l’indemnisation due
au Costa Rica à la lumière de l’arrêt de la Cour, qui la limite aux «dommages matériels» que ses
actes illicites ont causés sur le territoire litigieux. Il montrera ensuite que le Costa Rica n’a droit à
une indemnisation au titre de dépenses ou de pertes que dans la mesure où il peut prouver que
celles-ci a) ont réellement été engagées ou subies, b) présentent un lien de causalité direct et certain
avec les activités illicites du Nicaragua, et c) sont quantifiées sur la base de preuves et non de
conjectures ou de spéculations. Il incombe au Costa Rica d’établir chacun de ces éléments au
moyen de preuves claires et convaincantes. En conclusion de ce chapitre, le Nicaragua montrera
que le Costa Rica n’a pas droit à une indemnisation à raison des pertes ou dépenses dues à des actes
tenant à sa propre volonté.
1.11. Les chapitres 4 et 5 répondent point par point à la demande d’indemnisation du
Costa Rica.
6 Lettre HOL-EMB-280 en date du 18 novembre 2016 adressée à M. Sergio Ugalde, coagent du Costa Rica, par
M. Carlos Argüello Gómez, agent du Nicaragua, p. 2. MCRI, vol. II, annexe 37, p. 608.
7 Lettre ECRPB-148-16 en date du 14 décembre 2016 adressée à M. Carlos Argüello Gómez, agent du Nicaragua,
par M. Sergio Ugalde, coagent du Costa Rica. MCRI, vol. II, annexe 38.
8 Voir MCRI, par. 1.8.
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1.12. En particulier, le chapitre 4 traite des prétentions relatives aux conséquences alléguées
des travaux du Nicaragua sur l’environnement, au titre desquelles le Costa Rica réclame une
indemnisation de 3 076 416,84 dollars. Il y sera notamment démontré que le rapport technique sur
lequel le Costa Rica fonde son évaluation environnementale –– rapport établi par la
Fundación Neotrópica, une organisation non gouvernementale costa-ricienne –– est entaché de
vices graves qui ont pour effet de gonfler considérablement le résultat.
1.13. Ces vices sont exposés dans deux rapports d’experts joints au présent contre-mémoire,
à savoir :
 un rapport d’experts rédigé conjointement par Mme Cymie Payne, de l’Université Rutgers, qui
a exercé les fonctions de conseiller juridique auprès du comité de commissaires chargé des
réclamations environnementales au sein de la Commission d’indemnisation des Nations Unies,
et par M. Robert Unsworth, de l’entreprise Industrial Economics, Inc., qui a exercé les
fonctions de conseiller technique principal auprès de ce même comité ;
 un rapport d’expert établi par M. G. Mathias Kondolf de l’Université de Californie (Berkeley),
expert en géomorphologie fluviale et, plus particulièrement, dans la gestion et la restauration
des fleuves.
1.14. Ces rapports démontrent que l’évaluation réalisée par la Fundación Neotrópica est
foncièrement viciée puisqu’elle repose sur une méthode impropre pour évaluer de tels dommages.
C’est la raison pour laquelle cette méthode n’est pas suivie par les autorités environnementales
nationales lorsqu’il s’agit d’apprécier des dommages causés à l’environnement.
1.15. Il ressort également de ces rapports que la Fundación Neotrópica, non contente
d’adopter une méthode impropre, l’applique à mauvais escient. Par exemple, elle attribue de
manière arbitraire une valeur pécuniaire à de prétendus «services écosystémiques» auxquels il n’a
en réalité pas été porté atteinte. Elle surestime aussi considérablement la valeur commerciale des
arbres abattus en postulant, contre toute logique, que ces mêmes arbres auraient pu être récoltés
chaque année pendant 50 ans. En outre, la Fundación Neotrópica ne tient pas dûment compte de la
régénération de la zone. Une fois ces erreurs et d’autres corrigées, le montant de l’évaluation tombe
à moins de 3 % de celui réclamé par le Costa Rica. Si l’on évalue les dommages à l’aide de la
technique adéquate, il est même plus bas encore.
1.16. Le chapitre 5 répond à la demande d’indemnisation présentée par le Costa Rica à raison
de la «surveillance» qu’il prétend avoir exercée. Il y sera démontré en particulier que la demande
principale du Costa Rica, qui porte sur plus de 3 millions de dollars de salaires versés aux agents de
police costa-riciens, ne peut faire l’objet d’une indemnisation, notamment parce que ceux-ci ont été
déployés pour parer à d’éventuelles tentatives futures du Nicaragua d’occuper un territoire costaricien,
et notamment à une «invasion» nicaraguayenne supposée. Ces effectifs n’ont pas été mis en
place pour remédier à un quelconque dommage que le Nicaragua aurait causé à l’environnement, ni
en raison de la présence de celui-ci sur le territoire litigieux. Contrairement à ce que le Costa Rica
cherche à faire croire, ils n’ont pas non plus été envoyés comme suite à l’ordonnance en indication
de mesures conservatoires du 8 mars 2011 de la Cour, qui a été rendue après leur déploiement. Il
sera également démontré dans ce chapitre que, en tout état de cause, le salaire des intéressés ne
peut donner lieu à indemnisation puisque le Costa Rica s’est borné à réaffecter des agents déjà en
poste dans d’autres parties de son territoire. Enfin, le Nicaragua établira que les divers autres frais
que le Costa Rica affirme avoir engagés en matière de surveillance ne sont soit pas indemnisables,
soit pas étayés par des éléments de preuve, voire ni l’un ni l’autre.
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1.17. Le présent contre-mémoire s’achève avec les conclusions du Nicaragua, à savoir que
l’indemnisation due au Costa Rica à raison des dommages matériels causés par les actes illicites du
Nicaragua ne saurait excéder 188 504 dollars.
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CHAPITRE 2
LES TRAVAUX DU NICARAGUA ET LEURS CONSÉQUENCES
2.1. Dans le présent chapitre, le Nicaragua expose les faits pertinents pour apprécier la
demande d’indemnisation du Costa Rica. A la section I, il présente l’écologie de la zone litigieuse
avant les travaux qu’il a effectués, une zone dont une grande partie avait été transformée en
pâturages pour le bétail. A la section II, il rend compte des travaux qu’il a entrepris en rapport avec
le caño dégagé en 2010, un chantier qui avait nécessité l’abattage de 180 arbres. Il montre ensuite
que, au milieu de l’année suivante, le chenal s’était à nouveau rempli de sédiments et que, compte
tenu du dynamisme de l’environnement, la végétation avait rapidement repoussé aux alentours.
Enfin, à la section III, il présente les deux caños plus petits qui ont été dégagés en 2013. L’un d’eux
était de taille si négligeable que le Secrétariat de la convention de Ramsar a conclu qu’aucune
remise en état n’était nécessaire ; en ce qui concerne le second, la construction d’une petite digue
en 2015 a permis la remise en état de l’environnement. Comme pour le caño de 2010, la végétation
a rapidement repoussé dans les zones situées à proximité des caños de 2013.
I. L’ÉTAT DE LA ZONE LITIGIEUSE AVANT LES TRAVAUX
DU NICARAGUA
2.2. Pour évaluer les conséquences des travaux du Nicaragua sur l’environnement de la zone
litigieuse, il faut tout d’abord connaître l’état préalable de celle-ci. Ni le mémoire du Costa Rica ni
les rapports techniques y annexés ne contenant de description de son état antérieur, il revient au
Nicaragua de le présenter.
2.3. Lorsque le Nicaragua a entrepris ses travaux en octobre 2010, la zone litigieuse,
quoiqu’inhabitée, pouvait difficilement être considérée comme vierge, tant s’en faut. Le Costa Rica
y avait déjà permis l’exercice d’activités agricoles, autorisant notamment le défrichage de terres (et
l’abattage d’arbres) pour la création de pâturages destinés à l’élevage du bétail. Le Costa Rica l’a
reconnu dans un rapport qu’il a présenté le 28 octobre 2011 au Secrétariat de la convention de
Ramsar9. Il y décrivait la zone comme un lieu ayant subi «une extension des superficies agricoles
par l’aménagement de pâturages faiblement boisés»10, et relevait la présence d’«une zone de
pâturage s’étendant à l’est jusqu’à une zone de forêt inondée»11.
2.4. Cette description concorde avec celle que la mission consultative Ramsar a elle-même
faite de la Humedal Caribe Noreste, site Ramsar qui englobe la zone litigieuse, faisant observer que
«[l]’utilisation des sols [était] principalement affectée au développement des activités agricoles et
d’élevage du bétail, du tourisme et de la pêche»12. D’après les propres estimations du Costa Rica,
37 % de la zone litigieuse n’étaient pas boisés, une bonne partie de celle-ci étant consacrée aux
9 Ministère de l’environnement, de l’énergie et des télécommunications du Costa Rica, rapport technique adressé
au Secrétariat de la convention de Ramsar, intitulé «examen et évaluation de l’état de l’environnement dans la
Humedal Caribe Noreste [zone humide du nord-est des Caraïbes], conformément à l’ordonnance de la Cour internationale
de Justice», 28 octobre 2011 (ci-après le «rapport technique de 2011 adressé par le Costa Rica au Secrétariat de la
convention de Ramsar»). MCR, vol. IV, annexe 155.
10 Rapport technique de 2011 adressé par le Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar, p. 56.
11 Ibid., p. 13.
12 Rapport de la mission consultative Ramsar no 69 : zone humide d’importance internationale du nord-est des
Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica, 17 décembre 2010. MCR, vol. IV, annexe 147, p. 87.
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pâturages13. Pour le reste, il s’agissait principalement d’une zone dynamique sur le plan
géomorphique constituée de forêt inondée et de marais, où des caños naturels apparaissaient et
disparaissaient et où les sédiments étaient déposés et redistribués continuellement14.
II. LE CAÑO DE 2010
2.5. En octobre 2010, le Nicaragua a entrepris de dégager manuellement un petit chenal, le
caño de 2010, reliant le fleuve San Juan à la lagune de Harbor Head15. Sur approximativement les
deux tiers de sa longueur16, le caño traversait des terres non boisées que le Costa Rica a qualifiées
de «zones de pâturage».
2.6. Les travaux ont nécessité l’abattage de 180 arbres17 d’essences communes sur deux
parcelles non contiguës : un lot de 2 hectares attenant à une vaste aire de pâturage ; et un lot de
0,48 hectare adjacent à la lagune de Harbor Head18. Ils n’ont touché que 0,003 % du site Ramsar
Humedal Caribe Noreste dans lequel la zone litigieuse est située19.
2.7. L’autorisation délivrée pour le projet précisait que seuls des outils manuels pouvaient
être utilisés et que le caño ne pouvait pas dépasser 1560 mètres de long et 30 mètres de large20. Les
travaux réalisés ont, selon les calculs du Costa Rica, abouti à un caño de 350 mètres plus court que
la longueur autorisée21. Sa largeur maximale n’a jamais excédé 15 mètres22.
13 Rapport technique de 2011 adressé par le Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar, p. 16. MCR,
vol. IV, annexe 155, p. 238.
14 Rapport de la mission consultative Ramsar n° 77 : zone humide d’importance internationale du nord-est des
Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica, 10-13 août 2014 (ci-après le «rapport Ramsar de 2014»), p. 6. Pièce
jointe no 5 de la lettre ECRPB-090-2014 en date du 22 août 2014 adressée à M. Philippe Couvreur, greffier de la Cour
internationale de Justice, par M. Sergio Ugalde, coagent du Costa Rica. MCRI, vol. II, annexe 22, p. 362. Rapport de
G. Mathias Kondolf : examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica concernant le delta du fleuve San Juan,
mai 2017 (ci-après le «rapport Kondolf de 2017»), p. 2-3. Contre-mémoire du Nicaragua sur la question de
l’indemnisation (ci-après «CMNI»), vol. I, annexe 2.
15 Voir CMN, par. 5.107, 5.194-5.196.
16 Rapport technique de 2011 adressé par le Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar, p. 13. MCR,
vol. IV, annexe 155, p. 235.
17 CMN, par. 2.67 et 5.212 ; voir également les audiences sur la demande en indication de mesures
conservatoires, CR 2011/2, p. 45-46, par. 44 et p. 50, par. 54 (Reichler et sources citées).
18 Rapport technique de 2011 adressé par le Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar, p. 44. MCR,
vol. IV, annexe 155, p. 266. Les informations du Nicaragua, qui font état de 180 arbres abattus, concordent avec celles du
Costa Rica qui en recensent 197. Voir réseau national des zones de conservation (SINAC), estimation de l’âge maximum
moyen des arbres abattus dans les zones de forêt primaire situées dans le secteur costa-ricien de Punta Castilla, dans le
district du Colorado, sis dans le canton Pococí de la province de Limón, comme suite à son occupation par l’armée
nicaraguayenne au prétexte du dégagement d’un chenal existant, décembre 2010. MCR, vol. IV, annexe 145, p. 49.
19 Voir la liste de Ramsar annotée des zones humides d’importance internationale : Costa Rica, 10 janvier 2000.
MCR, vol. IV, annexe 141, p. 18 (où il est indiqué que la Humedal Caribe Noreste couvre 75 310 hectares au total).
20 Ministère de l’environnement et des ressources naturelles du Nicaragua (MARENA), arrêté no 038-2008-A1 du
30 octobre 2009. CMN, vol. III, annexe 34, p. 92-93. Voir également CMN, par. 5.107.
21 Rapport technique de 2011 adressé par le Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar, p. 15. MCR,
vol. IV, annexe 155, p. 237.
22 Voir le rapport de M. Colin Thorne, octobre 2011 (ci-après le «rapport Thorne de 2011»), p. iv, I-36. MCR,
vol. I, appendice 1, p. 311, 360.
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2.8. Le fleuve San Juan charriant de grandes quantités de sédiments et la zone étant
naturellement propice aux dépôts, le caño s’est rapidement rempli de sédiments23. Sa largeur, qui
était en moyenne de 10 mètres entre la mi-novembre et la fin novembre 201024, n’était plus que de
6 mètres en moyenne à la fin décembre 201025. Le caño a également perdu de sa profondeur,
celle-ci n’atteignant plus qu’un mètre en moyenne à la fin du mois de décembre 201026.
2.9. Le caño s’est comblé totalement peu après. L’expert du Costa Rica, M. Colin Thorne, a
relevé dans son premier rapport que «la portion excavée du … caño [de 2010] se serait envasée»27
avant de se «ferm[er]  [fermeture] due à l’envasement  au milieu de l’été 2011»28. Il a ajouté
que la sédimentation rapide avait «perm[is] aux zones affectées durant la construction de
commencer un processus de récupération»29 et constaté une «repousse de la végétation»
immédiate30. En juillet 2011, huit mois après les travaux du Nicaragua, M. Thorne déclarait que
«les arbustes et le sous-bois sembl[aient] repousser»31.
2.10. La régénération de la végétation dans la zone peut être constatée en comparant la
figure 2.1, qui est une image satellite prise en novembre 2010, soit immédiatement après les
travaux du Nicaragua, avec la figure 2.2, qui est une image de la même zone prise en avril 201532.
Sur les deux images, la zone dans laquelle des arbres ont été abattus est délimitée en jaune. La
repousse de la végétation apparaît clairement.
23 Rapport Kondolf de 2017, p. 2–3. CMNI, vol. I, annexe 2.
24 Voir le rapport Thorne de 2011, p. I-36 (citant le rapport de l’UNITAR/UNOSAT de 2011 a)). MCR, vol. I,
appendice 1, p. 360 ; voir également le rapport de suivi technique du MARENA établi sur la base de la visite d’inspection
effectuée du 24 au 26 novembre 2010. CMN, vol. II, annexe 14, p. 291.
25 Audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires, CR 2011/2, document no 17, seconde
déclaration de M. Lester Antonio Quintero Gómez, 23 décembre 2010.
26 Ibid.
27 Exposé écrit de M. Colin Thorne, mars 2015 (ci-après l’«exposé Thorne de 2015»), par. 5.15.
28 Rapport Thorne de 2011, p. I-63. MCR, vol. I, appendice 1, p. 387. Devant la Cour, M. Thorne a confirmé que
le caño était fermé au milieu de l’été 2011
«en raison de la baisse du niveau des eaux, de dépôts de sable à l’embouchure et de l’envasement sur le
reste de sa longueur … Le canal d’entrée, à l’extrémité [du caño relié à] la lagune de Harbor Head, est
resté ouvert, et l’est encore à ce jour. Il s’agit d’un bras mort de la lagune. Il n’est ni envasé ni fermé. Il
est toujours là, comme c’est le cas depuis deux cent trente ans.»
Audiences sur le fond, CR 2015/3, p. 32 (Reichler et Thorne). Voir également le rapport Kondolf de 2017, p. 3.
CMNI, vol. I, annexe 2.
29 Exposé Thorne de 2015, par. 5.2.
30 Rapport Thorne de 2011, p. I-59. MCR, vol. I, appendice 1, p. 383.
31 Ibid. p. I-56.
32 Voir également le rapport Kondolf de 2017, p. 3, et les images de l’appendice. CMNI, vol. I, annexe 2.
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Figure 2.1
Image satellite de la zone litigieuse aux environs du caño de 2010, prise le 19 novembre 2010,
peu après les travaux du Nicaragua ; les secteurs déboisés sont délimités en jaune.
Figure 2.2
Image satellite de la zone litigieuse aux environs du caño de 2010, prise le 20 avril 2015 ;
les secteurs déboisés sont délimités en jaune.
2.11. La figure 2.3 montre la même zone en janvier 2017. Le tracé du caño de 2010 était
alors devenu presque invisible et la végétation avait totalement repoussé dans les secteurs déboisés.
Il importe de noter qu’aucune opération de remise en état n’a été requise ou entreprise par le
Costa Rica s’agissant du caño de 2010 ou de ses environs.
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Figure 2.3
Image satellite de la zone litigieuse aux environs du caño de 2010, prise le 17 janvier 2017 ; les secteurs déboisés sont
délimités en jaune. L’on peut voir dans les zones voisines, sur lesquelles les travaux du Nicaragua n’ont eu aucune
incidence, les ravages causés par l’ouragan Otto, qui a touché terre à la fin du mois de novembre 2016.
III. LES CAÑOS DE 2013
2.12. En septembre 2013, le Nicaragua a creusé deux petits chenaux plus près de
l’embouchure du fleuve San Juan, dans une zone que le Secrétariat de la convention de Ramsar a
décrite comme une zone de «prairies inondées» et de «forêts marécageuses ou inondées»33.
M. Thorne a déclaré que ces chenaux étaient situés «beaucoup plus au nord» que le caño de 2010 et
«sur des terres beaucoup plus jeunes», où «le sol et la végétation [étaient] par nature» très
différents34. Il a précisé en particulier que ce sol «n’éta[nt] pas aussi vieux et bien établi», les arbres
étaient plus jeunes que ceux situés à proximité du caño de 201035.
2.13. Les travaux du Nicaragua ont également consisté à creuser une petite tranchée à travers
le banc de sable situé à l’extrémité du caño oriental. Avant la fin de l’année 2013, le Nicaragua a
comblé la tranchée et reconstitué la végétation conformément à l’ordonnance rendue par la Cour le
22 novembre 201336.
2.14. Sur la base d’une visite sur les lieux effectuée en mars 2014, le Secrétariat de la
convention de Ramsar a conclu que celui des deux caños de 2013 qui se trouvait à l’ouest n’était
33 Rapport de la mission consultative Ramsar n° 77 : zone humide d’importance internationale du nord-est des
Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica, 10-13 août 2014, p. 6. Pièce jointe no 5 de la lettre ECRPB-090-2014 en
date du 22 août 2014 adressée à M. Philippe Couvreur, greffier de la Cour internationale de Justice, par
M. Sergio Ugalde, coagent du Costa Rica. MCRI, vol. II, annexe 22, p. 362.
34 Audiences sur le fond, CR 2015/3, p. 42 (Thorne).
35 Ibid.
36 Voir l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 22 novembre 2013, par. 40, 59 2) B) ; MCRI,
par. 3.33 f) («la tranchée creusée à travers [le banc de sable] avait été comblée, comme la Cour l’avait prescrit dans son
ordonnance en indication de mesures conservatoires de 2013») ; exposé Thorne de 2015, par. 6.9 («En novembre 2013, la
Cour a prescrit de combler la tranchée traversant la plage entre le caño oriental et la mer des Caraïbes et d’y faire
repousser la végétation. Cela a été fait et le risque de déviation du fleuve en a été réduit d’autant.») Le Costa Rica ne
demande aucune indemnisation au titre de la tranchée.
16
- 10 -
«pas très développé» et ne méritait pas que l’on s’y intéresse davantage37. Le Costa Rica concède
qu’il n’a été causé aucun «dommag[e] quantifiabl[e] … à [son] environnement» du fait de ce caño
et ne demande aucune indemnisation à cet égard38.
2.15. Le caño oriental de 2013 était situé «au niveau où la distance entre la rive droite du
fleuve et la plage bordant le littoral [était] la plus réduite»39. Le Costa Rica reconnaît que la zone
touchée n’excède pas 0,43 hectare40 et a été remise en état avec succès grâce à la construction
d’une petite digue en mars 201541. De fait, lorsque les travaux de construction de la digue ont
commencé, le caño s’était déjà refermé en grande partie sous l’action de la nature42. En
conséquence, le chantier de remise en état «a nécessité moins de matériaux que ceux prévus lors de
la conception d’origine»43.
2.16. En juillet 2015, des agents du Costa Rica chargés de surveiller la digue ont «confirmé
que le processus de régénération avait progressé par rapport à ce qui avait été observé lors du
[dernier] survol», effectué le mois précédent44. Trois mois plus tard, en octobre 2015, le Costa Rica
a conclu que, «[l]e processus de régénération naturelle ayant progressé dans le secteur où elle
a[vait] été construite, la digue n’[était] plus directement visible»45. L’inspection effectuée par le
Costa Rica a confirmé l’absence de «signe visible indiquant que sa structure aurait subi des
dommages intentionnels ou une érosion, ce qui porte à croire que la digue reste intacte et favorise
le processus de régénération naturelle»46.
2.17. Conformément au caractère mineur des travaux effectués en 2013, M. Thorne a déclaré
que leur incidence ne pouvait pas être qualifiée d’«important[e]»47 et fait observer que la
37 Rapport Ramsar de 2014, p. 2. MCRI, vol. II, annexe 22, p. 358.
38 Voir MCRI, par. 2.2 a) (où il est indiqué que les «dommages matériels que le Costa Rica a subis en
conséquence directe» des activités du Nicaragua ne comprennent que «les dommages quantifiables que [celui-ci] a causés
à l’environnement en creusant un premier caño en 2010-2011, puis un autre en 2013», et non deux caños en 2013) (les
italiques sont de nous).
39 Rapport du ministère de l’environnement et de l’énergie du Costa Rica (MINAE) daté du 12 août 2014, p. 1.
Pièce jointe no 4 de la lettre ECRPB-090-2014 en date du 22 août 2014 adressée à M. Philippe Couvreur, greffier de la
Cour internationale de Justice, par M. Sergio Ugalde, coagent du Costa Rica. MCRI, vol. II, annexe 22, p. 323.
40 MCRI, par. 3.11.
41 Ibid., par. 3.41 et 3.42 ; ministère de l’environnement et de l’énergie du Costa Rica (MINAE), rapport en date
du 16 avril 2015 concernant les travaux réalisés du 26 mars au 10 avril 2015 dans le cadre de l’application du plan
d’investissement VI, conformément au décret n° 36440-MP (ci-après le «rapport MINAE de 2015»), p. 26. MCRI, vol. I,
annexe 4, p. 228.
42 Voir le rapport MINAE de 2015, p. 14 («nous avons observé que le processus de sédimentation avait contribué
à réduire la profondeur du [caño]»). MCRI, vol. I, annexe 4, p. 216. Voir également ibid., p. 15 (où il est fait état d’une
«sédimentation visible» le long des rives du caño).
43 Ibid., p. 26. Voir également le rapport Kondolf de 2017, p. 3. CMNI, vol. I, annexe 2.
44 Rapport de suivi du 8 juillet 2015, p. 151, annexé à Commission nationale du Costa Rica pour la prévention des
risques et la gestion des situations d’urgence (CNE), département des processus de reconstruction, rapport sur les
dépenses engagées, 4 avril 2016 (ci-après le «rapport de la CNE de 2016 sur les dépenses»). MCRI, vol. II, annexe 15,
p. 168.
45 Rapport de suivi du 3 octobre 2015, p. 155, annexé au rapport de la CNE de 2016 sur les dépenses. MCRI,
vol. II, annexe 15, p. 172.
46 Ibid.
47 Audiences sur le fond, CR 2015/3, p. 42 (Robinson et Thorne).
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- 11 -
«végétation se rétabliss[ait] très rapidement dans ces régions»48. Le Secrétariat de la convention de
Ramsar a noté de la même façon que la végétation de la zone située à proximité du caño présentait
un «fort potentiel de régénération»49.
2.18. Les figures 2.4 à 2.7, qui sont des images satellite prises en avril 2015 (soit
immédiatement après la construction de la digue), en décembre 2015, ainsi qu’en janvier et en
mars 2017, montrent la fermeture du caño de 2013 et la repousse de la végétation correspondante.
Force est de constater que, sur l’image de mars 2017, le caño n’apparaît plus clairement et que la
repousse de la végétation a rendu la zone préalablement touchée quasiment indiscernable des zones
voisines.50
Figure 2.4
Image satellite de la zone litigieuse aux environs du caño de 2013, prise le 20 avril 2015,
peu après l’achèvement de la construction de la digue par le Costa Rica le 6 avril 2015.
48 Audiences sur le fond, CR 2015/3, p. 42 (Thorne).
49 Rapport Ramsar de 2014, p. 14. MCRI, vol. II, annexe 22, p. 370.
50 Voir le rapport Kondolf de 2017, p. 3. MCRI, vol. I, annexe 2.
19
- 12 -
Figure 2.5
Image satellite de la zone litigieuse aux environs du caño de 2013, prise le 15 décembre 2015.
Figure 2.6
Image satellite de la zone litigieuse aux environs du caño de 2013, prise le 17 janvier 2017.
20
- 13 -
Figure 2.7
Image satellite de la zone litigieuse aux environs du caño de 2013, prise le 10 mars 2017.
*
* *
2.19. En résumé, les travaux effectués par le Nicaragua dans la zone litigieuse n’ont causé
que des perturbations mineures auxquelles il a été remédié rapidement, par l’action conjuguée de la
nature et de la digue construite en 2015. Le seul dommage matériel causé par les activités du
Nicaragua concerne l’abattage d’arbres à proximité du caño de 2010.
21
- 14 -
CHAPITRE 3
LES PRINCIPES RÉGISSANT LES DOMMAGES
3.1. Dans le présent chapitre, le Nicaragua exposera les principes de droit international qui
sont applicables à la demande d’indemnisation du Costa Rica. Il commencera par analyser les
termes de l’arrêt du 16 décembre 2015, dans lequel la Cour a limité la réparation aux «dommages
matériels» causés par les activités menées dans la zone litigieuse dont elle a jugé qu’elles étaient
illicites. Il rappellera ensuite quels éléments sont requis pour que le Costa Rica puisse établir son
droit à indemnisation, ainsi que pour évaluer le montant de celle-ci.
I. L’ARRÊT DE LA COUR DU 16 DÉCEMBRE 2015
3.2. Le point de départ pour déterminer la réparation due est l’arrêt du 16 décembre 2015,
par lequel la Cour a conclu que «le Nicaragua a[vait] l’obligation d’indemniser le Costa Rica à
raison des dommages matériels qu’il lui a[vait] causés par les activités illicites auxquelles il
s’[était] livré sur le territoire costa-ricien»51.
3.3. Ainsi, aux termes de l’arrêt, le Costa Rica n’a droit qu’à une indemnisation pour
«dommages matériels». Aucune autre forme de réparation, y compris pour préjudice moral, ni de
dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, n’est permise52. Conformément aux règles applicables
en matière de responsabilité des Etats, le dommage matériel est limité au «dommage causé à des
biens ou à d’autres intérêts de l’Etat … [qui est ] susceptible d’être évalué en termes pécuniaires»53.
3.4. Dans son arrêt, la Cour définit en outre la réparation ratione materiae et ratione loci, en
la limitant aux pertes ou dépenses causées par les activités menées dans la zone litigieuse dont elle
a jugé qu’elles étaient illicites. Aucune indemnisation n’est due pour une autre activité, quelle
qu’elle soit.
3.5. Les limites ainsi établies par la Cour dans son arrêt traduisent le principe selon lequel
l’indemnisation a pour fonction de «remédier aux pertes effectives subies en conséquence du fait
internationalement illicite … Elle n’a pas pour but de punir l’Etat responsable et n’a pas non plus
un caractère «expressif» ou exemplaire.»54 Ce principe a été reconnu il y a longtemps par la
commission mixte de réclamations germano-américaine, qui a décidé, dans les affaires Lusitania,
qu’«il ne sera[it] pas accordé de dommages-intérêts à titre d’exemple ou de punition»55. La
51 Arrêt du 16 décembre 2015, par. 229 5) a).
52 Voir Commission du droit international, projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite (ci-après le «projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat»), Annuaire de la
Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, commentaire de l’article 36, par. 1 («L’expression
«susceptible d’évaluation financière» a pour objet d’exclure ce que l’on nomme parfois le «préjudice moral» causé à un
Etat, c’est-à-dire l’affront ou le préjudice causé par une violation de droits non accompagnée d’un dommage réel aux
biens ou aux personnes…»).
53 Ibid., commentaire de l’article 31, par. 5.
54 Ibid., commentaire de l’article 36, par. 4.
55 Opinion in the Lusitania Cases, Mixed Claims Commission (United States and Germany), 1 November
1923-30 October 19[3]9 [décision du 1er novembre 1923], Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. [VII]
(2006), p. 36 (ci-après la «décision dans les affaires Lusitania»).
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24
- 15 -
commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie a quant à elle rappelé que
«[l]’indemnisation se limite à un rôle correctif, et non punitif»56.
3.6. Il découle de ce principe que l’indemnité doit être proportionnelle au préjudice
effectivement subi. Elle ne saurait constituer un bénéfice pour l’Etat qui la reçoit, parce que son
objectif est seulement de «compenser, dans la mesure où cela se peut, le dommage subi par l’Etat
lésé du fait de la violation»57. Ainsi qu’il a été dit dans les affaires Lusitania, «[l]a réparation doit
être proportionnelle au préjudice»58.
II. UNE INDEMNISATION NE PEUT ÊTRE ACCORDÉE QUE SI UN LIEN DE CAUSALITÉ
DIRECT ET CERTAIN EST ÉTABLI ENTRE UN PRÉJUDICE DONNÉ
ET UN FAIT INTERNATIONALEMENT ILLICITE
3.7. Dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, la Cour, tenant «compte de la pratique d’autres
juridictions et commissions internationales», a rappelé qu’il convenait de procéder en trois étapes
pour déterminer s’il y a lieu d’indemniser et, le cas échéant, fixer le montant dû. Elle a ainsi
expliqué :
«Pour chacun de ces chefs, la Cour examinera si l’existence du préjudice est
établie. Ensuite, elle «rechercher[a] si et dans quelle mesure le dommage invoqué par
le demandeur est la conséquence du comportement illicite du défendeur», en analysant
«s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite … et
le préjudice subi par le demandeur» … Une fois que l’existence du préjudice et le lien
de causalité avec les faits illicites auront été établis, la Cour procédera à l’évaluation
de ce préjudice.»59
Nous décrirons ci-après chacune des trois étapes, en montrant notamment comment cette démarche
a été suivie dans l’examen de demandes d’indemnisation pour dommages environnementaux.
3.8. Premièrement, étant donné qu’un Etat n’est tenu de réparer que «le préjudice causé par
le fait internationalement illicite»60, aucune indemnisation ne saurait être accordée en l’absence de
préjudice61. L’existence du préjudice ne peut pas être simplement alléguée par le demandeur ou
supposée par la Cour : elle doit être démontrée au moyen de preuves valables. C’est ainsi que la
Cour, dans l’affaire Diallo, a rejeté certaines des demandes d’indemnisation de la Guinée au motif
56 State of Eritrea and Federal Democratic Republic of Ethiopia, Eritrea-Ethiopia Claims Commission, Final
Award, Eritrea’s Damages Claims, 17 August 2009, par. 26, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales,
vol. XXVI (2009).
57 Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 36, par. 4.
58 Décision dans les affaires Lusitania, p. 39.
59 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisation, arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (ci-après «affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation»), p. 324, par. 13-14 (citant Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, par. 462) (omissions dans l’original).
60 Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, art. 31, par. 1.
61 Affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation, par. 14 («Pour chacun de ces chefs, la Cour examinera si l’existence
du préjudice est établie») ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p 168, par. 260 (où la Cour dit que la RDC, pour établir son droit à réparation, devait
«démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a[vait] subi du fait des actions spécifiques de l’Ouganda
constituant des faits internationalement illicites dont il [était] responsable»).
25
26
- 16 -
que celle-ci n’avait pas apporté suffisamment d’éléments démontrant qu’elle avait effectivement
subi les pertes alléguées62.
3.9. La Commission d’indemnisation des Nations Unies a appliqué la même règle à des
demandes concernant des dommages environnementaux allégués résultant de l’invasion et de
l’occupation du Koweït par l’Irak. Le Koweït affirmait que quelque 11 millions de barils de pétrole
avaient été déversés dans ses eaux territoriales, endommageant l’habitat de la flore et de la faune
aquatiques, et demandait donc une indemnisation pour la perte ainsi subie63. La Commission a
rejeté sa demande, estimant qu’il n’avait pas suffisamment démontré qu’un préjudice eût
effectivement été causé au biote aquatique64. Elle a de même refusé d’accorder une indemnisation à
des demandeurs qui n’avaient pas été en mesure de démontrer la réalité d’un impact négatif sur
l’environnement, estimant que l’existence du préjudice n’avait pas été établie même s’il y avait «de
bonnes raisons de supposer» qu’un dommage avait pu être causé65.
3.10. Deuxièmement, même lorsque le préjudice a été établi, une indemnisation ne peut être
accordée que s’il est également démontré qu’il existe «un lien de causalité … entre le fait
illicite … et le préjudice subi par le demandeur»66. Le lien de causalité requis fait défaut lorsque le
préjudice serait survenu en l’absence du fait internationalement illicite. C’est ainsi que, dans
l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
62 Voir affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation, par. 31 (où la Cour rejette une demande d’indemnisation pour la
perte d’effets personnels, au motif que la Guinée n’a «pas réussi à établir l’étendue de la perte subie par M. Diallo en ce
qui concerne ses biens personnels») ; ibid., par. 34 (où la Cour rejette une demande d’indemnisation pour la perte
d’objets personnels de grande valeur qui se seraient trouvés dans l’appartement de M. Diallo, au motif que «[l]a Guinée
n’a présenté aucune preuve que M. Diallo possédait ces articles au moment de son expulsion, que, à supposer que tel ait
été le cas, ceux-ci se trouvaient dans son appartement, ou qu’ils ont été perdus en conséquence du traitement qui lui a été
infligé par la RDC») ; ibid., par. 35 (où la Cour rejette une demande d’indemnisation pour la perte présumée d’avoirs
détenus sur des comptes en banque, au motif que la Guinée n’a «donné aucune information sur le montant total des
sommes ainsi détenues ni sur le solde de tel ou tel compte, non plus que sur le nom des établissements bancaires
concernés») ; ibid., par. 41-42 (où la Cour rejette une demande d’indemnisation pour la perte présumée de revenus
professionnels d’un montant mensuel de 25 000 dollars des Etats-Unis, au motif que la Guinée n’a «apport[é] aucune
preuve» de cette rémunération et que «certains éléments tendent à montrer que M. Diallo ne touchait pas, avant ses
détentions, une rémunération mensuelle d’un montant de 25 000 dollars des Etats-Unis») ; voir également la déclaration
jointe à cet arrêt par M. le juge Greenwood, p. 391, par. 3-4.
63 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations du comité de commissaires
concernant la cinquième tranche de réclamations «F4», Nations Unies, doc. S/AC.26/2005/10 (ci-après le «rapport de la
Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la cinquième tranche de réclamations «F4»»), 30 juin 2005,
par. 430 et 433.
64 Ibid., par. 440.
65 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations du comité de commissaires
concernant la première partie de la quatrième tranche de réclamations «F4», Nations Unies, doc. S/AC.26/2004/16,
9 décembre 2004, par. 153-154 («Le Comité pense que s’il y a de bonnes raisons de supposer que les récifs coralliens ont
pu être endommagés du fait de la présence de réfugiés, la Jordanie n’a présenté aucun élément établissant qu’ils l’avaient
été du fait de l’invasion et de l’occupation du Koweït par l’Irak ni que de tels dommages persistaient auxquels il fallait
remédier … En conséquence, le Comité ne recommande aucune indemnité…») ; voir aussi, par exemple, ibid., par. 87
(où le comité conclut qu’il n’a pas été suffisamment démontré que des polluants provenant des puits de pétrole incendiés
aient causé un dommage durable à la végétation ou aux sols) ; ibid., par. 93 (où le comité conclut qu’il n’a pas été
suffisamment démontré que des polluants provenant des puits de pétrole incendiés aient causé un dommage aux eaux
souterraines) ; ibid., par. 296 (où le comité rejette une demande d’indemnisation pour des dépenses engagées au titre d’un
programme de remise en état, estimant que «même si les dépôts de suie ont endommagé les végétaux au moment des
incendies de puits de pétrole, l’Arabie saoudite n’a pas apporté la preuve de dommages résiduels persistants qui
nécessiteraient une remise en état des sols») ; ibid., par. 340 (où le comité juge que la Syrie n’a pas suffisamment
démontré, pour qu’une indemnisation lui soit accordée, qu’une pollution due aux incendies de puits de pétrole ait causé
des dommages à ses eaux de surface).
66 Affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation, par. 14.
27
- 17 -
génocide67, la Cour, après avoir conclu que la Serbie-et-Monténégro avait manqué à son obligation
de prévention du génocide, s’est attachée à rechercher s’il existait un lien de causalité entre ce
manquement et les dommages résultant des actes de génocide commis68. Elle a conclu qu’«[u]n tel
lien de causalité ne pourrait être regardé comme établi que si [elle] était en mesure de déduire de
l’ensemble de l’affaire, avec un degré suffisant de certitude, que le génocide de Srebrenica aurait
été effectivement empêché si le défendeur avait adopté un comportement conforme à ses
obligations juridiques»69. Les éléments de preuve en sa possession n’étayant pas une telle
conclusion, elle a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’accorder une indemnisation70.
3.11. L’existence avérée d’un lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice allégué ne
suffit pas, en soi, à justifier une demande d’indemnisation71. La raison en est que l’indemnisation
n’est pas due pour «toutes les conséquences de ce fait»72 ; au contraire, comme la Cour l’a rappelé
maintes fois, le lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice doit être «direct et certain»73.
D’autres juridictions internationales ont employé des termes tels que «cause immédiate» ou
«prévisibilité»74. Quel que soit le terme, le sens est le même : la perte, le dommage ou le préjudice
qui est «trop indirect, trop éloigné et trop incertain» n’est pas susceptible d’indemnisation75.
3.12. L’application de ces principes a conduit la Commission d’indemnisation des
Nations Unies à refuser d’indemniser la Jordanie pour des dépenses relatives à des projets
d’infrastructures76. La Jordanie affirmait avoir été «obligée d’entreprendre» lesdits projets à titre
préventif afin de faire en sorte que l’afflux de réfugiés ne vienne pas entamer davantage les
ressources en eau de quatre de ses bassins77. Il n’était pas contesté qu’elle avait bien entrepris ces
projets et augmenté ses investissements dans le domaine de l’approvisionnement en eau. Le comité
de commissaires a cependant refusé de lui accorder une indemnisation, estimant que, au vu des
données fournies, il était non seulement «difficile de déterminer la part éventuelle de
l’augmentation des investissements qui [était] attribuable à la présence de réfugiés», mais aussi
évident que les projets en question avaient été entrepris dans «toutes les régions de la Jordanie» et
67 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 43.
68 Ibid., par. 450 et 459.
69 Ibid., par. 462.
70 Ibid.
71 Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 31, par. 10 («l’existence d’un
lien de causalité est en fait une condition nécessaire mais non suffisante» de l’indemnisation).
72 Ibid., commentaire de l’article 31, par. 9.
73 Affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation, par. 14 (les italiques sont de nous) ; Application de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007, p. 43, par. 462.
74 Voir, par exemple, Eritrea-Ethiopia Claims Commission, Decision No. 7 : Guidance Regarding Jus ad Bellum
Liability, 27 July 2007, par. 7 et 13-14 ; projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de
l’article 31, par. 10.
75 Trail Smelter Arbitration (United States, Canada) (ci-après l’«arbitrage de la Fonderie de Trail»), sentences du
16 avril 1938 et du 11 mars 1941, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. III (2006), p. 1931 ; voir
également Protocol V, Record of the proceedings of the Tribunal of Arbitration at the fifth conference held at Geneva, in
Switzerland, on the 19th of June, 1872, dans «Report of J. C. Bancroft Davis, Agent of the United States, Alabama
Arbitration», 21 September 1892, Report of the Agent of the United States Before the Tribunal of Arbitration at Geneva
(1873), p. 21-22.
76 Rapport de la Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la cinquième tranche de réclamations
«F4», 30 juin 2005, par. 330-336.
77 Ibid., par. 330.
28
29
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n’étaient par conséquent pas limités aux quatre bassins qui auraient été touchés par l’afflux de
réfugiés78.
3.13. Troisièmement, même à supposer que l’Etat qui demande réparation ait établi
l’existence à la fois d’un préjudice et d’un lien de causalité direct et certain entre ce préjudice et le
fait illicite, il lui reste encore à justifier le quantum, c’est-à-dire la valeur pécuniaire de la perte79.
L’objectif de l’indemnisation est en effet de réparer les «pertes effectives»  ni plus, ni moins 
subies par l’Etat lésé80.
3.14. C’est ainsi que la Cour, dans l’affaire Diallo, a rejeté une demande d’indemnisation
pour perte de revenus, estimant que la Guinée n’avait pas suffisamment démontré la réalité des
revenus que M. Diallo aurait touchés de certaines entreprises avant sa détention, ni produit des
éléments de preuve, tels que des relevés de comptes en banque ou des documents fiscaux, qui
auraient permis d’apprécier le montant desdits revenus81. La Commission d’indemnisation des
Nations Unies a rejeté de même des demandes d’indemnisation au motif que le demandeur n’avait
pas «attest[é] … le montant des dépenses invoquées»82.
3.15. Ce principe s’applique de la même manière aux réparations pour dommages causés aux
ressources naturelles, y compris celles qui ne sont pas commercialisées. Il a été reconnu dès
l’arbitrage de la Fonderie de Trail, et encore récemment dans le cadre des travaux de la
Commission d’indemnisation des Nations Unies, qu’une valeur pécuniaire ne saurait être attribuée
à ce type de dommages sur la base d’une «simple spéculation ou conjecture»83. En outre, toute
inférence intervenant dans l’évaluation du montant doit être «juste et raisonnable»84. Le comité
chargé des réclamations de la catégorie F4 au sein de la Commission d’indemnisation des
Nations Unies a estimé qu’une prudence particulière s’imposait lorsqu’il s’agissait d’attribuer une
valeur pécuniaire à des biens et services non commercialisés, ajoutant qu’il ne pourrait accepter
78 Rapport de la Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la cinquième tranche de réclamations
«F4», 30 juin 2005, par. 333-334.
79 Affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation, par. 14 («Une fois que l’existence du préjudice et le lien de
causalité … auront été établis, la Cour procédera à l’évaluation»).
80 Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 36, par. 4. Ainsi que l’a dit la
Cour permanente de justice internationale dans l’affaire relative à l’Usine de Chorzów, «la réparation doit, autant que
possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte
n’avait pas été commis» (Usine de Chorzów, demande en indemnité, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 9, p. 47).
Le principe de la réparation intégrale veut qu’il y ait à la fois un seuil et un plafond d’indemnisation.
81 Affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation, par. 44 («La Cour conclut donc que la Guinée n’a pas établi que
M. Diallo percevait d’Africom-Zaïre et d’Africontainers-Zaïre une rémunération mensuelle dans la période qui a précédé
immédiatement ses détentions, en 1995-1996, ni que cette rémunération mensuelle s’élevait à 25 000 dollars des
Etats-Unis.») ; voir également Usine de Chorzów, demande en indemnité, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 9,
p. 56 (où la Cour rejette une demande d’indemnisation faute d’éléments suffisants pour déterminer non seulement
l’existence mais également l’étendue du dommage) ; Eritrea-Ethiopia Claims Commission, Final Award, Eritrea’s
Damages Claims, 17 August 2009, par. 1 («Une indemnisation ne peut être allouée que dans le cas où l’étendue du
dommage … a été suffisamment prouvée en l’espèce.»).
82 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations du comité de commissaires
concernant la première tranche de réclamations de la catégorie «F4», Nations Unies, doc. S/AC.26/2001/16 (ci-après le
«rapport de la Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la première tranche de réclamations «F4»»),
22 juin 2001, par. 189, 232, 382 et 408.
83 Rapport de la Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la cinquième tranche de réclamations
«F4», 30 juin 2005, par. 80 (citant l’arbitrage de la Fonderie de Trail, p. 1920).
84 Ibid.
30
31
- 19 -
une valeur donnée qu’une fois acquise «la certitude que l’évaluation de l’ampleur des dommages et
la quantification de l’indemnité demandée [étaient] appropriées et raisonnables dans chaque cas»85.
III. LE COSTA RICA DOIT ÉTABLIR AU MOYEN DE PREUVES CLAIRES ET CONVAINCANTES
L’EXISTENCE DE CHACUN DES ÉLÉMENTS REQUIS POUR QU’UNE INDEMNISATION
PUISSE ÊTRE OCTROYÉE
3.16. A chacune des trois étapes décrites plus haut –– établissement du préjudice, du lien de
causalité et justification du montant de l’évaluation –– , il incombe à la partie qui demande à être
indemnisée d’apporter des preuves claires et convaincantes, une indemnisation n’étant due à raison
d’un «dommage susceptible d’évaluation financière [que] dans la mesure où celui-ci est établi»86.
3.17. C’est à la partie qui demande à être indemnisée qu’il incombe de démontrer son droit à
indemnisation. Ainsi que l’a dit la Cour, «c’est à la partie qui allègue un fait à l’appui de ses
prétentions qu’il appartient d’en démontrer l’existence»87. Cette règle générale s’applique tout aussi
bien aux demandes d’indemnisation, comme l’illustre l’affaire des Activités armées, dans laquelle
la Cour a conclu qu’il revenait à la République démocratique du Congo de «démontrer, en en
apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a[vait] subi du fait» des actes internationalement
illicites de l’Ouganda88. Cette démarche est également suivie par d’autres juridictions
internationales, dont la Commission d’indemnisation des Nations Unies et la Commission des
réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie89.
3.18. Pour s’acquitter de la charge de la preuve lui incombant, la partie qui réclame une
indemnisation doit produire des éléments de preuve clairs, crédibles et convaincants à l’appui de
ses demandes90. Si celles-ci ont trait à des dépenses qu’elle affirme avoir engagées, elle doit
85 Rapport de la Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la cinquième tranche de réclamations
«F4», 30 juin 2005, par. 81.
86 Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, art. 36, par. 2 (les italiques sont de nous).
87 Affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation, par. 15 ; voir également Application de l’accord intérimaire du
13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 644, par. 72 ;
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 14, par. 162.
88 Activités armées sur le territoire du Congo, par. 260.
89 Voir Commission d’indemnisation des Nations Unies, règles provisoires pour la procédure relative aux
réclamations, Nations Unies, doc. S/AC.26/1992/10, 26 juin 1992, art. 35, par. 1 («Chaque requérant devra soumettre des
preuves documentaires et autres établissant de manière satisfaisante qu’une réclamation ou un groupe de réclamations
donnés est recevable en application de la résolution 687 (1991) du Conseil de sécurité.») ; Eritrea-Ethiopia Claims
Commission, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, 17 August 2009, par. 87 (où la Commission a jugé qu’elle ne
pouvait accorder une indemnisation à l’Erythrée «que lorsque celle-ci avait soumis des éléments de preuve raisonnables
et crédibles»).
90 Pour un examen général de la pratique de la Cour en matière de preuve, voir Jean-Flavien Lalive, «Quelques
remarques sur la preuve devant la Cour permanente et la Cour internationale de Justice», Annuaire suisse de droit
international, vol. 7, p. 77 (1950) ; Keith Highet, «Evidence, the Court, and the Nicaragua Case», American Journal of
International Law, vol. 81, p. 1 (1987) ; Eduardo Valencia-Ospina, «Evidence before the International Court of Justice»,
International Law Forum, vol. 1, p. 202 (1999) ; Maurice Kamto, «Les moyens de preuve devant la Cour internationale
de Justice à la lumière de quelques affaires récentes portées devant elle», German Yearbook of International Law,
vol. 49, p. 259 (2006) ; Ruth Teitelbaum, «Recent Fact-finding Developments at the International Court of Justice», Law
and Practice of International Courts and Tribunals, vol. 6, p. 119 (2007) ; S. Exc. Peter Tomka et Vincent-Joël Proulx,
«The Evidentiary Practice of the World Court», in Liber Amicorum Gudmundur Eiriksson (Juan Carlos Sainz-Borgo
(dir. publ.), parution en 2016). Pour la pratique d’autres cours et tribunaux internationaux en matière de preuve, voir, de
manière générale, J.C. Witenberg, «La théorie des preuves devant les juridictions internationales», Recueil des cours de
l’Académie de droit international de La Haye, tome 56, p. 1 (1936-II), annexe 19 ; Durward Sandifer, Evidence Before
International Tribunals (1975) ; Chittharanjan Amerasinghe, Evidence In International Litigation (2005).
32
33
- 20 -
présenter des pièces justificatives — telles que des récépissés, factures ou autres documents de
base — attestant le paiement et son montant91. Ainsi, en l’affaire Diallo, un inventaire des biens
personnels décrits comme ayant été perdus par l’intéressé lors de son expulsion a été jugé
insuffisant pour étayer le montant réclamé à titre d’indemnisation92.
3.19. D’autres juridictions internationales ont rejeté des demandes d’indemnisation pour des
raisons analogues. A titre d’exemple, la Commission d’indemnisation des Nations Unies a rejeté :
 une demande d’indemnisation au titre des frais afférents à une étude d’impact environnemental
déjà réalisée, au motif qu’elle n’était étayée que par un «rapport et un budget d’une page»93 ;
 une demande d’indemnisation au titre des frais afférents à un projet d’étude de la pollution
provoquée par des incendies de puits de pétrole, au motif que le requérant n’avait pas fourni de
«pièces ... appropriées ... telles que contrats, factures, récépissés, bordereaux de salaire et/ou
pièces comptables»94 ;
 des demandes d’indemnisation au titre des frais afférents à certaines études de suivi déjà
réalisées, au motif que le requérant n’avait «fourni que des informations succinctes sur le coût
de [celles-ci]», sans joindre «ni factures ni reçus»95 ; et
 une demande d’indemnisation au titre des frais afférents à une étude de suivi étayée
uniquement par «un document d’une page et demie» dans lequel était exposé, «sous forme de
généralités ... , le bien-fondé des dépenses invoquées»96.
3.20. La Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie n’a, elle non plus, pas
admis comme éléments de preuve des «inventaires» d’objets pillés qui n’étaient pas assortis de
pièces justificatives97. Elle a également jugé insuffisantes une «ébauche de liste de biens indiquant
le montant en dollar des pertes estimées»98 et la «déclaration d[’un] propriétaire d’hôtel, qui n’était
ni circonstanciée ni étayée par des documents»99.
3.21. S’agissant des demandes d’indemnisation au titre de dommages environnementaux
allégués, il ne suffit pas de désigner un impact et de lui attribuer une valeur pécuniaire pour
s’acquitter de la charge de la preuve. Comme indiqué plus haut, toute inférence intervenant dans
91 Voir le rapport de la Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la première tranche de
réclamations «F4», 22 juin 2001, par. 52 («Dans le cas des réclamations concernant des activités de surveillance et
d’évaluation déjà achevées, aucune indemnisation n’a été recommandée si les éléments de preuve présentés au comité
n’étaient pas suffisants pour démontrer que les dépenses invoquées avaient bel et bien été effectuées.»).
92 Affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation, par. 27, 31-33.
93 Rapport de la Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la première tranche de réclamations
«F4», 22 juin 2001, par. 187-190.
94 Ibid., par. 243-247.
95 Ibid., par. 381, 407.
96 Rapport de la Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la première tranche de réclamations
«F4», par. 716 ; voir également ibid., par. 232, 724, 727-728 (rejetant les réclamations faute d’éléments de preuve
suffisants).
97 Eritrea-Ethiopia Claims Commission, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, 17 August 2009, par. 108.
98 Ibid., par. 161.
99 Ibid., par. 174.
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- 21 -
l’évaluation doit être «juste et raisonnable»100. Cela exige, à tout le moins, de montrer que les
hypothèses qui sous-tendent l’évaluation sont appropriées et exactes101. Sur cette base, le comité de
commissaires chargé des réclamations de la catégorie «F4» au sein de la Commission
d’indemnisation des Nations Unies a rejeté des évaluations fondées sur des «hypothèses relatives [à
des] fonctions disparues et [à des] périodes attendues de restauration» qui étaient «soit inexactes
soit déraisonnables»102.
IV. AUCUNE INDEMNISATION NE PEUT ÊTRE ACCORDÉE À RAISON DE DOMMAGES
QUE L’ETAT LÉSÉ AURAIT PU ÉVITER OU AUXQUELS IL A CONTRIBUÉ
3.22. Le droit international reconnaît d’autres limitations en matière d’indemnisation : ainsi,
un Etat peut notamment perdre son droit d’être indemnisé dans la mesure où il n’a pas atténué le
dommage qui lui a été causé103. Comme la Cour l’a précisé en l’affaire relative au Projet
Gabčíkovo-Nagymaros :
««[C]’est un principe [général] de droit international qu’une partie lésée du fait
de la non-exécution d’un engagement pris par une autre partie doit s’employer à
atténuer les dommages qu’elle a subis.»
Il découlerait d’un tel principe qu’un Etat lésé qui n’a pas pris les mesures
nécessaires à l’effet de limiter les dommages subis ne serait pas en droit de réclamer
l’indemnisation de ceux qui auraient pu être évités.»104
3.23. De même, un Etat ne saurait être indemnisé au titre de pertes ou d’un préjudice
lorsqu’il y a contribué par des actions ou des omissions, de manière intentionnelle ou par
négligence105. En l’affaire LaGrand, la Cour a ainsi fait observer que le retard avec lequel
l’Allemagne avait signalé l’existence d’une violation et introduit une instance aurait pu lui être
reproché si celle-ci avait réclamé une indemnisation106.
3.24. Ces limitations reflètent le principe cardinal selon lequel «[m]ême la victime
totalement innocente d’un comportement illicite est censée agir raisonnablement face au
100 Rapport de la Commission d’indemnisation des Nations Unies concernant la cinquième tranche de
réclamations «F4», 30 juin 2005, par. 80 (citant l’arbitrage de la Fonderie de Trail, p. 1920).
101 Voir ibid., par. 177-179 (où la Commission a considérablement réduit le montant de l’indemnisation accordée
à l’Iran au motif que l’évaluation de celui-ci reposait sur des hypothèses non étayées ou erronées concernant l’étendue de
la zone touchée, l’état dans lequel celle-ci se trouvait avant d’être envahie et occupée par l’Iraq, et les causes des
dommages éventuels) ; ibid., par. 439 (où la Commission a rejeté la réclamation du Koweït fondée sur des modèles
informatiques de la perte de biomasse due à la pollution pétrolière au motif que ces modèles étaient entachés
d’«incertitudes importantes et non chiffrables»).
102 Voir ibid., par. 424 ; voir également ibid., par. 606 (où la Commission a rejeté une demande d’indemnisation
fondée sur une analyse des équivalences d’habitat soumise par l’Arabie saoudite et dans laquelle «certaines des
hypothèses et ... des valeurs ... appliquées par [celle-ci] pour déterminer l’intensité des dommages et les délais de
régénération [étaient] inappropriées»).
103 Voir le projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 31, par. 11.
104 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7, par. 80.
105 Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, art. 39.
106 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 466, par. 57 et 116.
36
- 22 -
préjudice»107. En conséquence, lorsqu’un Etat, en répondant à un fait internationalement illicite,
décide de prendre des mesures qui ne sont pas raisonnablement nécessaires or proportionnelles au
préjudice, le lien de causalité est rompu, et aucune indemnisation ne saurait être accordée au titre
des dépenses engagées ou des pertes subies à cette occasion108.
*
* *
3.25. Dans les deux chapitres qui suivent, le Nicaragua appliquera les principes exposés plus
haut à la demande d’indemnisation présentée par le Costa Rica au titre des dommages causés à son
environnement et de ses activités de surveillance, respectivement, et démontrera que, dans bien
plus de 90 % des cas, celui-ci ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait.
107 Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 31, par. 11. En l’affaire du
Vapeur Wimbledon, la Cour permanente de Justice internationale a accordé une indemnisation basée sur le retard subi par
le Wimbledon après que l’Allemagne lui eut refusé l’accès au Canal de Kiel, tout en considérant que ce navire «était
fondé à attendre, pendant un délai raisonnable, avant de poursuivre son voyage» par un autre itinéraire. Affaire du
Vapeur Wimbledon, arrêt du 17 août 1923, C.P.J.I. série A no 1, p. 31 (les italiques sont de nous).
108 La CDI a fait observer qu’il existait une relation conceptuelle entre les principes de la contribution et de
l’atténuation, et qu’il devait y avoir un lien de causalité suffisamment étroit, précisant ce qui suit au sujet de la
contribution :
«On peut envisager des situations où le préjudice en question est entièrement imputable au
comportement de la victime et pas du tout à celui de l’Etat «responsable». Les situations de ce type sont
couvertes par l’exigence générale de la cause directe [proximate cause], visée à l’article 31...» Projet
d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, art. 39, note [660] (p. [298]).
Dans la mesure où les principes de la contribution et de l’atténuation imposent à un Etat d’agir de manière
raisonnable face à un préjudice, la condition de la cause immédiate [proximate cause] (similaire au lien de causalité direct
et certain exigé par la Cour) exclut toute indemnisation pour les pertes et dépenses qui n’étaient pas raisonnablement
prévisibles par l’Etat responsable. Voir Decision Number 7: Guidance Regarding Jus ad Bellum Liability, 27 July 2007,
par. 13 («[L]a Commission conclut que la notion communément employée de «cause immédiate» est la mieux à même de
caractériser le lien requis. Pour apprécier s’il est satisfait à ce critère, et s’il existe une chaîne de causes suffisamment
proches dans une situation donnée, elle prend en considération le fait que le dommage spécifique aurait ou non
raisonnablement dû être prévisible pour un acteur commettant le délit international en question.»).
37
- 23 -
CHAPITRE 4
LES INDEMNITÉS RÉCLAMÉES PAR LE COSTA RICA AU TITRE
DES DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX ALLÉGUÉS
4.1. Dans le présent chapitre, le Nicaragua répond aux prétentions costa-riciennes relatives
aux dommages qu’auraient causés à l’environnement ses travaux dans la zone litigieuse,
c’est-à-dire le dégagement des caños de 2010 et 2013, ainsi que les activités associées d’abattage
d’arbres et d’élimination du sous-bois109.
4.2. S’agissant de ces dommages allégués, le Costa Rica dénombre trois chefs
d’indemnisation :
 la valeur du «coût social», c’est-à-dire la «perte de biens et services écosystémiques»
prétendument causée par les activités nicaraguayennes, qu’il évalue à 2 823 111,74 dollars110 ;
 le coût des «mesures de restauration», soit essentiellement les «coûts de remise en état des
sols», que le Costa Rica évalue à 57 634,08 dollars111 ; et
 les dépenses qu’il affirme avoir engagées pour construire la digue à travers le caño oriental de
2013, à raison desquelles il réclame 195 671,02 dollars112.
4.3. A l’appui des deux premiers chefs allégués, le Costa Rica invoque un rapport technique
établi pour son compte par la Fundación Neotrópica, une organisation non gouvernementale
costa-ricienne, qui est reproduit à l’annexe 1 du mémoire113. Toute sa thèse repose sur le rapport de
cette organisation costa-ricienne de défense de l’environnement. Le Costa Rica ne fournit aucun
document de source non costa-ricienne.
I. LE «COÛT SOCIAL» ALLÉGUÉ DES TRAVAUX DU NICARAGUA
4.4. Le rapport de la Fundación Neotrópica vise essentiellement à tenter d’attribuer une
«valeur pécuniaire» à ce qui y est décrit comme le «coût social» qui aurait résulté des travaux
109 Le Costa Rica admet que seul le caño oriental de 2013 a eu un impact susceptible d’ouvrir droit à
indemnisation, le caño occidental n’en ayant eu aucun.
110 Fundación Neotrópica, «Evaluation pécuniaire des dommages à l’environnement résultant de la construction
de caños et de l’arrachage d’arbres et de végétation par le Gouvernement nicaraguayen sur le territoire costa-ricien
d’Isla Portillos, déposée en application de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 16 décembre 2015» (ci-après le
«rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica»), 3 juin 2016, p. 61, 63. MCRI, vol. I, annexe 1, p. 147,
149.
111 Ibid.
112 MCRI, p. 69-70, tableau 3.4.
113 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016. MCRI, vol. I, annexe 1. La
Fundación Neotrópica a également apporté certains éclaircissements à son premier rapport sous la forme d’addenda
explicatifs. Voir les addenda explicatifs au rapport intitulé «Evaluation pécuniaire des dommages à l’environnement
résultant de la construction de caños et de l’arrachage d’arbres et de végétation par le Gouvernement nicaraguayen sur le
territoire costa-ricien d’Isla Portillos, déposée en application de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du
16 décembre 2015», 8 décembre 2016 (ci-après les «addenda explicatifs de la Fundación Neotrópica à son rapport
d’évaluation pécuniaire». MCRI, vol. I, annexe 2.
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40
- 24 -
menés par le Nicaragua dans la zone litigieuse114. Neotrópica évalue à cet effet les «biens et
services écosystémiques» qui ont, selon elle, pâti de ces activités115. Elle les répartit en six
groupes :
 bois sur pied ;
 autres matières premières (fibres et énergie) ;
 régulation des gaz et de la qualité de l’air ;
 atténuation des risques naturels ;
 formation du sol/lutte contre l’érosion ; et
 habitat et renouvellement des populations (biodiversité)116.
4.5. La Fundación Neotrópica attribue à chacun de ces types de services une valeur
pécuniaire qu’elle applique chaque année sur une période de 50 ans (à raison de 4 % d’actualisation
par an), période qui, selon elle, «correspond à la durée de restauration de l’écosystème à l’état
antérieur aux dommages causés»117. Elle affirme, sur cette base, que l’élimination par le Nicaragua
de 2,48 hectares d’arbres et de 3,71 hectares de sous-bois a causé à l’environnement des dommages
se montant au chiffre astronomique de 2 823 111,74 dollars118.
4.6. Cette évaluation  qui aboutit à plus de 456 000 dollars par hectare  est totalement
irréaliste. A titre de comparaison, la construction par le Costa Rica de la route 1856 a entraîné le
déboisement de 83,2 hectares de forêts119 et de 2,3 hectares de «zones humides naturelles»120.
Suivant la logique de la Fundación Neotrópica, les dommages causés à l’environnement dans cette
zone se chiffreraient à près de 39 millions de dollars. Or, à l’issue d’une évaluation écologique
réalisée pour le Gouvernement costa-ricien, il a été conclu que les activités de dégagement liées à
la construction de la route n’avaient eu, au pire, que des effets «modérés» sur l’environnement121.
4.7. Compte tenu de cet énorme décalage, il n’est guère étonnant de trouver dans le rapport
de la Fundación Neotrópica de graves erreurs entraînant une surestimation considérable des
114 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016, p. 60, tableau 14. MCRI, vol. I,
annexe 1, p. 146.
115 Ibid.
116 Ibid.
117 Ibid., p. 51.
118 Le Costa Rica prétend que le rapport présente une évaluation «très prudente» (MCRI, par. 3.17), puisqu’il a
été décidé de ne pas comptabiliser la valeur de certains services environnementaux allégués. Ibid. Toutefois, les services
en question n’entrent clairement pas en ligne de compte ici : tel est le cas, par exemple, des «services culturels et
d’agrément, dont les services historiques, spirituels, esthétiques, artistiques, ainsi que les sciences et les loisirs». Ibid.,
par. 3.14, 3.17.
119 Il est question de «14,9 hectares de forêt secondaire et 68,3 hectares de forêt primaire altérée» dans le «rapport
de suivi et de contrôle, diagnostic de l’impact sur l’environnement, route 1856  volet écologique» établi en 2015 par le
Centre de sciences tropicales (Centro científico tropical, CCT) du Costa Rica, p. 21. Affaire relative à la Construction
d’une route, DCR, vol. III, annexe 14, p. 461.
120 Ibid.
121 Ibid., p. 64-65, tableau 6-1.
41
42
- 25 -
dommages causés à la zone litigieuse. Ces erreurs sont analysées de manière approfondie dans les
deux rapports joints au présent contre-mémoire. Le premier a été établi par Mme Cymie Payne (de
l’Université Rutgers) et M. Robert Unsworth (d’Industrial Economics, Inc.), respectivement
conseillers juridique et technique auprès du comité de commissaires chargé des réclamations
environnementales au sein de la Commission d’indemnisation des Nations Unies122 ; le second est
un rapport de M. G. Mathias Kondolf, expert en géomorphologie spécialisé dans la gestion et la
restauration environnementales des fleuves123. Voici un résumé de leurs explications concernant les
erreurs de la Fundación Neotrópica.
A. La méthode utilisée par la Fundación Neotrópica est impropre
à l’évaluation de dommages causés à l’environnement
4.8. Dans son rapport, la Fundación Neotrópica part du principe qu’il convient d’appliquer
une méthode dite du «coût social» ou des «services écosystémiques» pour évaluer les dommages
prétendument causés à l’environnement de la zone litigieuse124. Toutefois, cette méthode n’est pas
conçue pour chiffrer des dommages environnementaux et elle est manifestement inadaptée à ce
type d’application. Le rapport Payne et Unsworth expose que «la méthode d’évaluation pécuniaire
utilisée par Neotrópica n’est pas conforme à la pratique acceptée en matière d’estimation des
dommages causés aux ressources naturelles», et que «l’évaluation des dommages ainsi obtenue
n’est ni fiable ni appropriée à des fins d’indemnisation»125.
4.9. Pour être plus précis, la méthode suivie par la Fundación Neotrópica n’est qu’un outil
destiné à aider les décideurs à mesurer la valeur des ressources naturelles afin de les aider dans
leurs travaux. Selon le rapport Payne et Unsworth, elle a été conçue pour «appeler l’attention sur
les diverses contributions des écosystèmes au bien-être des populations et inciter à en mesurer la
portée»126. Ainsi, pour utile que cette méthode puisse être à cette fin limitée, «il est souligné dans la
littérature économique qu’elle est impropre lorsqu’il s’agit de procéder à une véritable évaluation
des services écosystémiques»127.
4.10. Il ressort clairement de la pratique dans ce domaine que la méthode dite des services
écosystémiques adoptée par la Fundación Neotrópica n’est pas utilisée pour chiffrer des dommages
causés à l’environnement. Par exemple, comme il est exposé dans le rapport Payne et Unsworth,
l’Union européenne a mis au point une «panoplie d’outils … destinée à mettre en évidence les
meilleures pratiques en matière d’évaluation environnementale». Il convient de relever que, ce
faisant, l’Union européenne «n[’a pas] consid[éré] … l’approche des «services écosystémiques»
utilisée par Neotrópica comme une méthode acceptée»128.
4.11. De la même manière, le Federal Resources Management and Ecosystem Services
Guidebook récemment publié par le National Ecosystem Services Partnership (un partenariat mis
122 Cymie R. Payne et Robert E. Unsworth, rapport d’évaluation des dommages causés à l’environnement, 26 mai
2017 (ci-après le «rapport Payne et Unsworth»). CMNI, vol. I, annexe 1.
123 Rapport Kondolf de 2017. CMNI, vol. I, annexe 2.
124 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016. MCRI, vol. I, annexe 1, p. 87-158.
125 Rapport Payne et Unsworth, résumé. CMNI, vol. I, annexe 1.
126 Ibid., p. 17.
127 Ibid.
128 Ibid., p. 18.
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- 26 -
sur pied avec l’appui de l’agence américaine pour la protection de l’environnement et mobilisant
«plus de 150 experts issus d’organismes fédéraux, d’universités, d’ONG et de groupes de réflexion
américains»  résume les failles théoriques et pratiques de la démarche de la Fundación
Neotrópica129. Entre autres failles, il faut s’attendre à
«des erreurs importantes ou à des estimations inexactes dues, notamment, à
l’agrégation incorrecte de valeurs marginales, à la non-prise en compte des relations
spatiales des écosystèmes avec leurs bénéficiaires humains et de leur évolution dans le
temps, ainsi qu’à d’autres erreurs de généralisation»130.
4.12. La Fundación Neotrópica tente de justifier sa démarche en invoquant des documents
publiés par le Secrétariat de la convention de Ramsar. Cependant, loin d’en étayer le bien-fondé
aux fins de l’évaluation de dommages causés à l’environnement, les études en question confirment
qu’une telle méthode n’a vocation qu’à éclairer l’élaboration des politiques. L’une d’elles, intitulée
Evaluation économique des zones humides – Guide à l’usage des décideurs et planificateurs, la
décrit comme un instrument pouvant «contribuer à améliorer l’utilisation rationnelle et la gestion
des ressources mondiales en zones humides» et, ainsi, aider les décideurs à «peser les avantages du
développement et les dommages que ce développement peut causer aux zones humides»131. L’autre
rapport Ramsar invoqué par la Fundación Neotrópica précise que cette méthode s’adresse à ceux
qui, «en vue de prendre une décision, … souhaitent … évaluer le pour et le contre d[u] maintien ou
de l[a] transformation [des zones humides]»132. Aucun de ces deux documents n’approuve son
utilisation pour l’évaluation de dommages causés à l’environnement.
4.13. D’ailleurs, abstraction faite du rapport qu’elle a elle-même établi pour le ministère
costa-ricien de l’environnement aux fins d’une affaire d’exploitation minière portée devant les
juridictions nationales, la Fundación Neotrópica ne cite aucun cas dans lequel la méthode qu’elle
prône d’adopter aurait été utilisée pour évaluer des dommages environnementaux. Elle admet au
contraire que, selon un rapport publié en 2006 par le bureau régional pour l’Amérique latine et les
Caraïbes du Programme des Nations Unies pour l’environnement, il n’existe «aucune étude
attestant qu’elle ait été largement appliquée»133. De fait, le rapport du PNUE ne mentionne aucun
129 Rapport Payne et Unsworth, p. 20 et note 78.
130 Ibid., p. 20 (citant National Ecosystem Services Partnership (NESP), Federal Resource Management and
Ecosystem Services Guidebook (2e éd., 2016), disponible à l’adresse https ://nespguidebook.com (dernière consultation le
26 mai 2017)).
131 Edward B. Barbier et al., «Evaluation économique des zones humides – Guide à l’usage des décideurs et
planificateurs» (1997), p. ix, vi. Ce document, cité par la Fundación Neotrópica, est disponible à l’adresse
http ://www.ramsar.org/sites/default/files/documents/library/lib_valuation_f.pdf (dernière consultation le 25 mai 2017).
132 Rudolf de Groot et al., «Evaluation des zones humides  Orientations sur l’estimation des avantages issus des
services écosystémiques des zones humides» (novembre 2006), rapport technique Ramsar no 3, série des publications
techniques de la CBD no 27, p. v. Ce document, qui est cité par la Fundación Neotrópica, est disponible à l’adresse
http ://www.ramsar.org/sites/default/files/documents/pdf/lib/lib_rtr03_f.pdf (dernière consultation le 25 mai 2017). La
Fundación Neotrópica se réfère également à un rapport de 2010 de l’initiative baptisée «Economie des écosystèmes et de
la biodiversité» («TEEB»), dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’environnement ; toutefois, ce rapport
concerne là encore essentiellement l’élaboration des politiques, et non l’évaluation des dommages. Voir Pushpam Kumar
(dir. publ.), «The Economics of Ecosystems and Biodiversity, Ecological and Economic Foundations» (2010), disponible
à l’adresse http ://www.teebweb.org/our-publications/teeb-study-reports/ecological-and-econ… (dernière
consultation le 25 mai 2017).
133 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016. MCRI, vol. I, annexe 1, p. 123.
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cas dans lequel cette méthode aurait été utilisée pour l’évaluation de dommages environnementaux,
et non pas simplement pour l’élaboration de politiques134.
4.14. C’est également en vain que la Fundación Neotrópica invoque une étude de 1997 de
Costanza et al. Selon le rapport Payne et Unsworth, une mise à jour ultérieure de cette étude,
publiée en 2014, «ne mentionne pas l’évaluation de dommages au nombre des applications
envisagées»135, mais souligne que la méthode peut être utile en «favorisant la prise de conscience
de l’importance des services écosystémiques et aider à en prendre toute la mesure»136.
4.15. En résumé, la méthode adoptée par la Fundación Neotrópica est impropre à
l’évaluation de dommages causés à l’environnement. Elle ne constitue donc pas une base fiable
pour évaluer les effets des travaux du Nicaragua sur l’environnement.
B. Le rapport de la Fundación Neotrópica contient de graves erreurs
entraînant une surestimation considérable des dommages
4.16. Même si la méthode des services environnementaux qu’elle propose de suivre était
appropriée pour évaluer les dommages causés à l’environnement (ce qui n’est pas le cas), la
Fundación Neotrópica l’utilise à mauvais escient, de sorte que les dommages causés au territoire
litigieux se trouvent considérablement surévalués. Le rapport Payne et Unsworth décrit en détail les
graves vices dont l’analyse de Neotrópica est entachée. Voici un résumé de trois de ses principales
erreurs, à savoir : i) Neotrópica postule à tort l’existence de services qui ne sont en réalité pas
assurés par l’environnement du territoire litigieux ; ii) elle évalue mal la valeur des services de
régulation de la qualité de l’air et des gaz dans la zone touchée ; et iii) elle table à tort sur une durée
de cinquante ans pour l’ensemble des effets137.
i) Les hypothèses erronées de la Fundación Neotrópica au sujet des «services
environnementaux»
4.17. La Fundación Neotrópica suppose à tort que les travaux réalisés par le Nicaragua ont
eu une incidence sur des services environnementaux qui ne sont en réalité pas concernés : il s’agit
plus précisément des services relatifs à a) la formation du sol et à la lutte contre l’érosion, et à
b) l’atténuation des risques naturels. La Fundación Neotrópica postule que ces services ont été
touchés sans se demander s’ils étaient réellement assurés par cet environnement. Il convient de
noter que le Costa Rica n’a pas présenté de rapport établi par M. Thorne alors que ce dernier aurait,
en tant que spécialiste de la géomorphologie fluviale l’ayant conseillé au sujet des effets des
activités du Nicaragua sur l’environnement du territoire litigieux, eu qualité pour dire si les services
relatifs à la formation du sol et à la lutte contre l’érosion ou à l’atténuation des risques naturels
s’étaient trouvés compromis. En postulant, au mépris des preuves, que ces services ont pâti des
134 Voir M. Castañón del Valle, «Valoración del Daño Ambiental» (2006), bureau régional pour l’Amérique
latine et les Caraïbes du Programme des Nations Unies pour l’environnement, disponible à l’adresse
http ://www.pnuma.org/gobernanza/documentos/Valoracion_Dano_Ambiental.pdf (dernière consultation le 27 mai
2017).
135 Rapport Payne et Unsworth, p. 18-19. CMNI, vol. I, annexe 1.
136 Ibid., p. 19.
137 Dans leur rapport, Payne et Unsworth font observer que, même si «Neotrópica fournit plusieurs tableaux
présentant des éléments ayant contribué à son analyse, ainsi que des tableaux récapitulatifs des résultats», «les
informations fournies ne permettent pas de parvenir aux mêmes résultats». Ibid., p. 24. Ils recensent aussi «plusieurs cas
où Neotrópica semble faire des erreurs de calcul». Ibid.
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activités nicaraguayennes, la Fundación Neotrópica chiffre erronément à plus de 1,3 million de
dollars les dommages causés par le Nicaragua.
a) L’incidence supposée sur «la formation du sol et la lutte contre l’érosion»
4.18. La Fundación Neotrópica indique que les travaux du Nicaragua ont eu une incidence
sur ce qu’elle appelle «la formation du sol et la lutte contre l’érosion»138. La perte alléguée de ces
services compte pour pas moins de 1 179 924 dollars dans la demande d’indemnisation139.
4.19. Le Costa Rica n’a toutefois droit à aucune indemnisation pour une perte en matière de
formation du sol ou de lutte contre l’érosion, car il n’a pas subi de telle perte. Personne ne conteste
que les caños dégagés par le Nicaragua en 2010 et en 2013 se sont rapidement remplis de
sédiments et sont à présent recouverts de végétation140. En outre, ainsi qu’exposé dans le rapport
Kondolf, le secteur dans lequel les caños ont été dégagés est une zone de dépôt, de sorte qu’il n’est
pas sujet à une érosion contre laquelle il faudrait lutter141. Au contraire, ce secteur reçoit en
permanence d’énormes quantités de sédiments charriées par le fleuve San Juan142. Compte tenu de
cette réalité, Payne et Unsworth concluent dans leur rapport que rien ne justifie d’évaluer d’une
façon ou d’une autre une éventuelle perte concernant la lutte contre l’érosion ou la formation du
sol143.
b) L’incidence supposée sur l’atténuation des risques naturels
4.20. C’est de manière tout aussi infondée que la Fundación Neotrópica prête aux travaux du
Nicaragua une incidence sur la capacité du territoire litigieux d’atténuer les risques naturels, un
service qu’elle définit comme «la prévention et l’atténuation des risques naturels tels que les
tempêtes et autres conditions météorologiques difficiles»144. Elle estime à 184 581 dollars la valeur
de la perte à cet égard145.
4.21. Le Costa Rica n’a toutefois droit à aucune indemnisation pour une perte en matière
d’atténuation des risques naturels, car il n’a pas subi de telle perte. De fait, la Fundación
Neotrópica ne désigne aucun risque naturel que la zone affectée aurait permis d’atténuer ; elle se
contente d’affirmer que les ressources naturelles peuvent, d’une manière générale, «protéger des
inondations et des tempêtes»146.
138 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016, p. 60, tableau 14. MCRI, vol. I,
annexe 1, p. 146.
139 Voir le rapport Payne et Unsworth, p. 32, pièce no 1. CMNI, vol. I, annexe 1.
140 Voir par. 2.8-2.11, 2.15-2.18, supra.
141 Rapport Kondolf de 2017, p. 2-4. CMNI, vol. I, annexe 2.
142 Ibid.
143 Rapport Payne et Unsworth, p. 29. CMNI, vol. I, annexe 1.
144 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016, tableau 3. MCRI, vol. I, annexe 1,
p. 103.
145 Ibid., tableau 14.
146 Ibid., p. 18.
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4.22. En réalité, la zone litigieuse ne joue aucun rôle dans l’atténuation des risques
naturels147, et la Fundación Neotrópica n’explique jamais de quelle manière cette zone humide, que
le Costa Rica et le Secrétariat de la convention de Ramsar ont qualifiée de zone de «prairies
inondées» ou de «forêts marécageuses ou inondées»148, pourrait protéger des inondations. Elle
n’explique pas davantage en quoi les travaux du Nicaragua auraient pu avoir une incidence sur un
quelconque service d’atténuation des risques naturels149. De fait, comme le montrent les figures 2.3,
2.6 et 2.7 ci-dessus, ils n’ont nullement influé sur les dommages causés par l’ouragan Otto, qui a
frappé le territoire litigieux en novembre 2016150. Payne et Unsworth concluent en conséquence
que «ce type de perte ne devrait pas être inclus dans la demande d’indemnisation formulée par le
Costa Rica»151.
ii) L’évaluation erronée par la Fundación Neotrópica des «services de régulation des gaz et
de la qualité de l’air»
4.23. La Fundación Neotrópica affirme que les travaux du Nicaragua ont eu une incidence
sur la capacité du secteur de réguler les gaz et la qualité de l’air, un service qu’elle définit comme
la contribution de «la couverture forestière et des écosystèmes marins» à «la purification de l’air»
et à «la stabilisation des gaz à effet de serre»152. Elle chiffre les dommages ainsi causés à près d’un
million de dollars (937 509 dollars)153. Là encore, cette prétention est si exorbitante qu’elle confine
purement et simplement au fantasme.
4.24. En particulier, la Fundación Neotrópica surestime considérablement la valeur des
services de régulation des gaz qui auraient pâti des travaux du Nicaragua. Elle retient la valeur la
plus élevée figurant dans les documents qu’elle a analysés — soit 14 955 dollars par hectare —
sans démontrer que l’habitat auquel cette valeur a été attribuée est comparable à celui du territoire
litigieux, et sans tenir compte des études qui retiennent des chiffres moins élevés154. La Fundación
Neotrópica ne fournit aucune justification convaincante à ce choix, qui est d’autant plus
inexplicable qu’il est fondé sur la thèse de master d’une étudiante costa–ricienne qui n’a été ni
publiée, ni revue par des pairs, et ce «en dépit des nombreuses autres études de référence qui ont
été trouvées»155, dans lesquelles la valeur de l’hectare était beaucoup moins élevée : entre 105,11 et
3367,07 dollars156.
147 Quand bien même tel serait le cas, les localités et infrastructures des environs qui bénéficieraient de tels
services se situent au Nicaragua et non au Costa Rica, ce que reconnaît d’ailleurs la Fundación Neotrópica. Voir ibid.,
p. 53 ; addenda explicatifs de la Fundación Neotrópica à son rapport d’évaluation pécuniaire, 8 décembre 2016, p. 5-6.
MCRI, vol. I, annexe 2, p. 165-166. Voir aussi le rapport Kondolf de 2017, p. 4-5. CMNI, vol. I, annexe 2.
148 Voir, par exemple, le rapport Ramsar de 2014, p. 6. MCRI, vol. II, annexe 22, p. 362.
149 Rapport Kondolf de 2017, p. 4. CMNI, vol. I, annexe 2.
150 Ibid., p. 5.
151 Rapport Payne et Unsworth, p. 30. CMNI, vol. I, annexe 1.
152 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016, p. 18. MCRI, vol. I, annexe 1,
p. 104.
153 Rapport Payne et Unsworth, p. 32, pièce no 1. CMNI, vol. I, annexe 1.
154 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016, p. 53 et appendice 3. MCRI, vol. I,
annexe 1, p. 139, 158.
155 Addenda explicatifs de la Fundación Neotrópica à son rapport d’évaluation pécuniaire, 8 décembre 2016, p. 5.
MCRI, vol. I, annexe 2, p. 165.
156 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016, appendice 3. MCRI, vol. I,
annexe 1, p. 158.
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4.25. A supposer même que son choix de retenir la valeur la plus élevée était justifié, la
Fundación Neotrópica se méprend sur la nature de cette valeur. Comme il est expliqué dans le
rapport Payne et Unsworth, le chiffre de 14 955 dollars par hectare correspond à la valeur totale de
l’ensemble du carbone piégé dans un hectare, y compris dans «la végétation, le sol, les feuilles
mortes et les débris ligneux»157. Il s’agit donc de la valeur maximale des effets liés au carbone par
hectare qui pourraient, en théorie, avoir été causés par les travaux du Nicaragua, en supposant que
ces travaux aient libéré dans l’atmosphère l’ensemble du carbone qui était piégé. Même si tel avait
été le cas dans les 2,91 hectares pour lesquels la Fundación Neotrópica considère que les services
de régulation des gaz et de la qualité de l’air ont été compromis, les dommages ne s’élèveraient
qu’à 47 778 dollars, soit environ 5 % des 937 509 dollars que le Costa Rica réclame à titre
d’indemnisation pour ces services158.
4.26. Par ailleurs, la Fundación Neotrópica postule, à tort, que les bénéfices de la régulation
des gaz ne profitent qu’au Costa Rica ; or, les bienfaits des forêts, où qu’elles se trouvent, qui
réduisent les effets des émissions de gaz à effet de serre profitent au monde entier. Comme
expliqué dans le rapport Payne et Unsworth, le «coût social du carbone … reflète la valeur des
impacts évités à la population mondiale, et pas simplement les coûts épargnés aux citoyens
costa-riciens»159. Ainsi, pour autant qu’il puisse demander une quelconque indemnisation pour la
perte de tels bienfaits, le Costa Rica n’aurait droit qu’à sa minuscule part du total mondial.
iii) La Fundación Neotrópica table à tort sur une durée de cinquante ans pour l’ensemble des
effets
4.27. Un autre vice fondamental de l’analyse de la Fundación Neotrópica réside en ce que,
comme nous l’avons relevé plus haut, celle-ci attribue à chaque service environnemental
prétendument affecté une valeur initiale qu’elle applique ensuite à une période de cinquante ans, en
y appliquant un taux d’actualisation de 4 % par an. Ce faisant, elle postule manifestement qu’un
délai de 50 ans constitue, pour le territoire litigieux, la «période établie pour que l’écosystème
puisse récupérer sa capacité minimale à fournir les services écosystémiques perdus»160. Cette
hypothèse n’est toutefois pas fondée sur la réalité.
4.28. Premièrement, ainsi qu’exposé plus haut, le Costa Rica n’a droit à aucune
indemnisation au titre d’effets supposés sur la formation du sol ou la lutte contre l’érosion, ou sur
l’atténuation des risques naturels, car ces services n’existent pas dans cet environnement et n’ont
donc pas été perdus161. En conséquence, il n’a certainement pas droit à une indemnisation pour de
tels effets sur une période de cinquante ans. Une fois cette erreur corrigée, le montant global de
l’évaluation diminue considérablement : l’estimation sur 50 ans des effets sur ces services
représente plus de 40 % de la demande totale du Costa Rica concernant les «coûts sociaux»162.
157 Rapport Payne et Unsworth, p. 27 (citant l’Union internationale pour la conservation de la nature). CMNI,
vol. I, annexe 1.
158 Ibid., p. 32, pièce no 1.
159 Ibid., p. 28 (les italiques sont dans l’original).
160 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016, p. 59. MCRI, vol. I, annexe 1,
p. 145. Voir aussi le rapport Kondolf de 2017, p. 5-6. CMNI, vol. I, annexe 2.
161 Voir ci-dessus, par. 4.17–4.22.
162 Voir le rapport Payne et Unsworth, p. 32, pièce no 1. CMNI, vol. I, annexe 1.
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- 31 -
4.29. Deuxièmement, s’agissant de la valeur des arbres abattus, la Fundación Neotrópica
affirme que la somme astronomique de 462 490 dollars est due au Costa Rica alors que, comme
l’expliquent Payne et Unsworth, la valeur marchande la plus élevée possible de ce bois sur pied
(sur la base des hypothèses émises par la Fundación Neotrópica quant au nombre et aux essences
d’arbres) n’est que de 30 175 dollars163. La Fundación Neotrópica aboutit à cette conclusion en
partant du principe que le bois est récolté chaque année pendant cinquante ans. Or, comme Payne et
Unsworth le signalent dans leur rapport, il s’agit d’une grave erreur, les arbres ne pouvant être
récoltés qu’une seule fois164. En conséquence, même à supposer, pour les besoins de
l’argumentation, que les autres éléments du calcul du Costa Rica sont exacts (ce qui n’est pas le
cas), la correction de cette erreur réduit le montant estimé d’environ 95 %165.
4.30. Et encore, il se peut que même cette estimation de la valeur du bois soit en réalité
excessive étant donné que, selon Payne et Unsworth, rien n’indique que la Fundación Neotrópica
ait tenu compte des frais de récolte et de transport de ce bois, ce qui est contraire à la méthode
d’évaluation généralement admise166. Au surplus, l’existence d’un marché réel pour le bois n’est
pas établie, de sorte que l’évaluation relève de la pure spéculation167.
4.31. Troisièmement, le Costa Rica se fourvoie en appliquant son chiffre  déjà excessif 
calculé pour la régulation de la qualité de l’air et des gaz à chaque année sur une période de 50 ans.
Comme Payne et Unsworth l’expliquent dans leur rapport, le montant de 14 955 dollars par hectare
que la Fundación Neotrópica utilise correspond à la valeur de l’ensemble du carbone piégé, lequel
ne pourrait être libéré dans l’atmosphère qu’une seule fois168. En outre, ainsi qu’indiqué plus haut,
il est absurde de postuler que la zone touchée ne fournira aucun service de régulation des gaz ou de
qualité de l’air pendant tout un demi-siècle, la végétation ayant déjà nettement repoussé169.
4.32. Quatrièmement, c’est une erreur que de tabler, comme le fait la Fundación Neotrópica,
sur une période de cinquante ans pour voir disparaître les dommages causés aux services
concernant «l’habitat et le renouvellement des populations (biodiversité)» et les «matières
premières (fibres et énergie)» dans la zone litigieuse. Eu égard à la régénération rapide de cette
163 Ibid.
164 Ibid., p. 24-25.
165 Voir ibid., p. 32, pièce no 1.
166 Ibid., p. 25.
167 Ibid. La Fundación Neotrópica se trompe encore en supposant que les données relatives aux arbres recueillies
au cours du «recensement» effectué en rapport avec le caño de 2010 (dont le Nicaragua a contesté l’exactitude à maintes
reprises) peuvent également être appliquées au caño de 2013 : «l’estimation du nombre d’arbres en ce qui concerne [le
caño oriental de 2013] … reposait sur l’inventaire réalisé pour le Caño Pastora [c’est-à-dire le caño de 2010]». Addenda
explicatifs de la Fundación Neotrópica à son rapport d’évaluation pécuniaire, 8 décembre 2016, p. 9. MCRI, vol. I,
annexe 2, p. 169. Cela ressort également du tableau 16 de son rapport, qui (d’après la modification apportée à la page 3
de l’annexe 2) suppose que les mêmes essences ont été abattues au cours du creusement des deux caños. Il n’y a rien dans
le dossier qui permette de supposer que se trouvaient, à l’emplacement du caño de 2013, le même type ou la même
répartition d’arbres qu’à l’endroit où a été creusé le caño de 2010. Bien au contraire, M. Thorne a indiqué à la Cour, à
l’audience, que «la végétation que travers[ait] le premier caño étai[t] par nature différent[e] de c[elle] qui se trouv[ait] à
l’emplacement des deuxième et troisième caños, qui [étaient] situés beaucoup plus au nord et sur des terres beaucoup
plus jeunes» (audiences sur le fond, CR 2015/3, p. 42 (Thorne)). Par ailleurs, le Costa Rica n’a signalé qu’en mars 2014
au Secrétariat de la convention de Ramsar que «plusieurs arbres de type Pterocarpus officinalis et des plantes de type
Raphia taedigera avaient été coupés» lors de la construction du caño de 2013 (ministère costa-ricien de l’environnement
et de l’énergie, rapport final au Secrétariat de Ramsar (mars 2014), p. 8 ; rapport de mise en oeuvre, annexe CR-1).
168 Voir le rapport Payne et Unsworth, p. 28. CMNI, vol. I, annexe 1.
169 Ibid.
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zone, comme nous l’avons vu aux paragraphes 2.8 à 2.11 et 2.15 à 2.18, il est évident que celle-ci a
recouvré sa capacité d’assurer un «habitat et le renouvellement des populations (biodiversité)» ainsi
que de fournir d’«autres matières premières (fibres et énergie)»170. En conséquence, même si elle
avait initialement attribué une juste valeur à ces biens et services, à savoir 1896 et 832 dollars171, la
Fundación Neotrópica a largement gonflé cette estimation en avançant les chiffres de 40 730 et
17 877 dollars, respectivement, au motif que les pertes se feraient sentir pendant cinquante ans172.
II. FUTURES «MESURES DE RESTAURATION»
4.33. La Fundación Neotrópica postule par ailleurs que, au titre du «coût de restauration», le
Costa Rica a droit à une indemnité unique de 57 634,08 dollars173, dont la quasi-totalité
(54 925,69 dollars) correspond à la «valeur … du remplacement du sol excavé» qui a été enlevé
lorsque les caños ont été dégagés174.
4.34. Toutefois, comme il a été exposé ci-dessus aux paragraphes 2.8 à 2.11 et 2.15 à 2.18,
un tel remplacement n’est nullement nécessaire puisque les deux caños sont déjà comblés : celui de
2010 l’était à la mi-2011 par suite de processus naturels, et celui de 2013 l’a été par suite de la
construction d’une digue en 2015. La Fundación Neotrópica ne tient compte d’aucun de ces deux
faits175.
4.35. D’ailleurs, dans son mémoire, le Costa Rica ne fait nulle mention d’une quelconque
intention de mener d’autres travaux de restauration, et aucun des quatre rapports cités par la
Fundación Neotrópica comme «prônant l’inclusion de mesures de remise en état» ne laisse
entendre que des travaux supplémentaires devraient être réalisés, au-delà de la construction de la
digue érigée en 2015176.
170 Voir le rapport Kondolf de 2017, p. 1, 3, 6. CMNI, vol. I, annexe 2.
171 Même ces estimations initiales sont infondées et vraisemblablement excessives. S’agissant des prétendus
services en matière d’«habitat et [de] renouvellement des populations (biodiversité)», l’évaluation initiale de la
Fundación Neotrópica repose sur un transfert des valeurs contenues dans une «étude réalisée en Thaïlande aux fins de
l’élaboration de politiques, avec des paramètres écologiques, économiques et culturels différents». Rapport Payne et
Unsworth, p. 31. CMNI, vol. I, annexe 1. En ce qui concerne les «autres matières premières (fibres et énergie)», la
Fundación Neotrópica n’a démontré ni que les valeurs transposées (dont elle se contente de faire la moyenne à partir de
diverses sources) se rapportent à des habitats analogues, ni qu’il existe réellement un marché pour ces matières premières
s’agissant du territoire litigieux. Ibid., p. 25-26.
172 Voir ibid., p. 32, pièce no 1.
173 Rapport d’évaluation pécuniaire de la Fundación Neotrópica, 3 juin 2016, p. 61 et 63. MCRI, vol. I, annexe 1,
p. 147 et 149.
174 Ibid., p. 61. 33 610,69 dollars pour le caño de 2010 et 21 315 dollars pour celui de 2013.
175 Les 2708,39 dollars restants correspondent à «929,79 dollars des Etats-Unis par ha pour les coûts de
restauration d’une zone humide dans la région humide transfrontalière située entre le Costa Rica et le Nicaragua». Ibid.
La Fundación Neotrópica prétend que ces coûts incluent «le repeuplement d’espèces, le contrôle, la surveillance et les
infrastructures» (ibid., p. 52 (p. 138)), mais ne mentionne aucune mesure de restauration qui serait en cours ou prévue.
176 Voir ibid., p. 51 (citant les sources nos 4, 10, 12 et 13 du tableau [12]). MCRI, vol. I, annexe 1, p. 137.
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- 33 -
III. MESURES DE REMISE EN ÉTAT EN RAPPORT
AVEC LE CAÑO ORIENTAL DE 2013
4.36. Indépendamment des indemnités qu’il réclame pour la perte de services
environnementaux, le Costa Rica demande 195 671,02 dollars au titre des dépenses qu’il aurait
engagées en 2015 pour la construction d’une digue à travers le caño oriental dégagé en 2013. S’il
reconnaît qu’une indemnisation peut être justifiée pour les dépenses raisonnablement engagées, le
Nicaragua estime cependant que la demande du Costa Rica est exagérée.
4.37. En particulier, le Costa Rica demande 156 446,27 dollars d’indemnisation à raison des
«[m]atériaux de construction et [de la] location d’un hélicoptère civil à une entreprise privée pour
transporter le personnel et le matériel»177. Or, cette somme correspond à une plus grande quantité
de matériaux que celle réellement utilisée pour construire la digue. A l’annexe 4 du mémoire, il est
reconnu que «[l]a construction a nécessité moins de matériaux que ceux prévus lors de la
conception d’origine» et qu’«[i]l restait notamment des petits et grands sacs contenant du sable
prélevé au niveau du delta de la lagune d’Agua Dulce, soit un total de 2451 petits sacs synthétiques
essentiellement contenus dans 79 grands sacs, et 564 petits sacs en toile de jute contenus dans
25 grands sacs»178. Il est en outre indiqué que le surplus pouvait être «utilisé pour contenir l’érosion
à l’extrémité de la lagune d’Agua Dulce, près de son embouchure»179. Le coût de ces matériaux ne
saurait raisonnablement être imputé au Nicaragua. En le déduisant du montant de la demande,
celui-ci diminue d’au moins 9000 dollars180.
4.38. Le Costa Rica réclame également 33 041,75 dollars pour les trois survols effectués a
posteriori (les 9 juin, 8 juillet et 3 octobre 2015)181 afin, dit-il, «d’évaluer les travaux de
construction de la digue dans le caño oriental»182. Toutefois, ces survols avaient, au moins en
partie, des visées étrangères aux activités que la Cour a déclarées illicites. En effet, à chaque fois
ont été survolés d’«autres points d’intérêt de la zone humide «Humedal Caribe Noreste»»183, dont
au moins une fois «la route frontalière»184. Ces dépenses ne sont donc pas susceptibles
d’indemnisation.
177 MCRI, tableau 3.4, p. 69.
178 Rapport MINAE de 2015, p. 26. MCRI, vol. I, annexe 4, p. 228.
179 Ibid.
180 Le Costa Rica a soumis une liste des matériaux acquis pour la construction de la digue qui comprend les
quantités achetées et le prix unitaire. MCRI, vol. II, annexe 15, p. 157. Cette liste peut être comparée à celle des
«[m]atériaux utilisés pour la construction de la digue dans le caño artificiel», qui se trouve dans le tableau 3 du rapport
MINAE de 2015 (MCRI, vol. I, annexe 4, p. 224). Il ressort de cette comparaison qu’au moins 9112,50 dollars de
matériaux n’ont pas été utilisés.
181 MCRI, tableau 3.4, p. 70.
182 Ibid., par. 3.42.
183 Voir le rapport de la CNE de 2016 sur les dépenses, p. 145, 147–148 et 152. MCRI, vol. II, annexe 15, p. 162,
164–165 et 169.
184 Ibid., p. 154. MCRI, vol. II, annexe 15, p. 171.
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- 34 -
IV. LA JUSTE ÉVALUATION DES DOMMAGES MATÉRIELS CAUSÉS
PAR LES TRAVAUX DU NICARAGUA
4.39. Dans le rapport Payne et Unsworth, il est exposé que «l’approche classique pour
apprécier les dommages causés aux ressources naturelles consiste à évaluer les réclamations y
afférentes au regard des coûts de restauration ou de remplacement»185. A titre d’exemple, il s’agit
de l’approche que le comité de commissaires chargé des réclamations environnementales au sein de
la Commission d’indemnisation des Nations Unies a suivie s’agissant des «plus importantes
réclamations pour dommages environnementaux» qu’il ait eu à examiner, lesquelles concernaient
des «[d]ommages causés à l’environnement côtier de l’Arabie saoudite» par des déversements
d’hydrocarbures186. La décision du comité comportait deux volets : le premier concernait a) les
«coûts de remplacement», qui étaient «évalués sur la base du coût des réserves littorales
susceptibles de procurer des services écologiques supplémentaires pour remplacer les services
perdus» ; et le second, b) les «coûts de restauration», «évalués sur la base du coût d’un programme
de remise en état adapté aux sites touchés»187.
4.40. Payne et Unsworth estiment qu’«une telle méthode est appropriée afin d’évaluer les
réclamations du Costa Rica pour dommages environnementaux» puisqu’elle permettrait de
«parvenir à une mesure précise des pertes» sans se heurter aux «failles inhérentes à la démarche de
Neotrópica»188.
4.41. S’agissant des coûts de remplacement, Payne et Unsworth relèvent que,
«[d]ans le cadre d’une évaluation de dommages subis par certaines ressources
naturelles, il est fréquent que les parties effectuent des versements auprès de banques
de conservation des sols, telles que des banques de zones humides, ou payent des
propriétaires terriens pour la conservation ou la protection de l’habitat, afin de
compenser les dommages causés à l’environnement»189.
«Cette méthode est privilégiée car elle garantit l’accès à un même niveau de
services environnementaux que celui qui aurait existé en l’absence des dommages en
question.»190
Comme il a déjà été indiqué, c’est ainsi que la Commission d’indemnisation des Nations Unies a
procédé concernant les dommages causés au littoral saoudien, en octroyant des indemnités d’une
valeur suffisante pour établir des réserves dans des zones comparables.
4.42. Il serait opportun et simple d’utiliser une méthode similaire à l’égard des dommages
causés à la zone litigieuse car, ainsi qu’exposé dans le rapport Payne et Unsworth, «le Costa Rica
185 Rapport Payne et Unsworth, p. 33. CMNI, vol. I, annexe 1.
186 Ibid.
187 Ibid.
188 Ibid.
189 Ibid.
190 Ibid.
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- 35 -
dispose d’un marché actif qui dédommage les propriétaires terriens et les communautés afin
d’assurer la fourniture de services écosystémiques par la gestion de l’habitat»191.
4.43. A cet égard, dans le cadre du régime de protection du Costa Rica, la somme la plus
importante qui ait été versée en 2012 s’élevait à 294 dollars par hectare et par an, soit 309 dollars
par hectare et par an en dollars courants (2017)192. Payne et Unsworth expliquent que, si ce montant
était appliqué aux 6,19 hectares prétendument endommagés par les travaux du Nicaragua, et ce, sur
une période de 20 à 30 ans (une durée raisonnable compte tenu de la régénération des zones
touchées193), «cela impliquerait un coût de remplacement de 1913 dollars/an, soit une valeur
actuelle de 27 034 à 34 987 dollars sur vingt à trente ans»194.
4.44. Sur cette base, Payne et Unsworth concluent que l’indemnisation due au Costa Rica au
titre des coûts de remplacement ne saurait excéder 34 987 dollars195.
4.45. Quant aux coûts de restauration, le montant réclamé par le Costa Rica correspond à
des dépenses en rapport avec la digue construite en 2015 pour remédier aux conséquences du caño
oriental de 2013. Le Nicaragua reconnaît qu’il doit indemniser le Costa Rica pour ces dépenses, à
l’exception de celles relatives aux matériaux non utilisés pour la construction de la digue et aux
vols effectués pour la surveillance d’autres endroits que la zone litigieuse. Une fois ces dépenses
non indemnisables déduites du montant réclamé par le Costa Rica, les coûts de restauration
susceptibles d’indemnisation n’excèdent pas 153 517 dollars196.
4.46. En conséquence, selon la pratique habituellement suivie en la matière, y compris au
sein de la Commission d’indemnisation des Nations Unies, l’indemnisation que le Nicaragua est
tenu de verser au Costa Rica au titre de ses réclamations pour dommages environnementaux ne
saurait excéder 188 504 dollars. Tel est le montant de la somme nécessaire pour financer la
protection d’une zone équivalente à celle endommagée par les travaux du Nicaragua
(34 987 dollars)197, ajoutée aux frais de remise en état raisonnablement engagés par le Costa Rica
concernant le caño oriental de 2013 (153 517 dollars)198.
191 Rapport Payne et Unsworth, p. 33. CMNI, vol. I, annexe 1.
192 Ibid.
193 Rapport Kondolf de 2017, p. 3-4. CMNI, vol. I, annexe 2.
194 Rapport Payne et Unsworth, p. 34. CMNI, vol. I, annexe 1.
195 Ibid., p. 33-34.
196 Voir ci-dessus, par. 4.36-4.38.
197 Voir ci-dessus, par. 4.44.
198 Voir ci-dessus, par. 4.45. Le Costa Rica réclame le paiement d’intérêts compensatoires et d’intérêts moratoires
au motif que ce sont «deux formes d’intérêts bien établies dans la pratique internationale». MCRI, par. 2.29. Cependant,
«on ne peut pas dire que l’Etat lésé ait automatiquement droit à des intérêts» ; au contraire, «[l]’allocation d’intérêts
dépend des circonstances de chaque espèce, et surtout de la question de savoir si elle est nécessaire aux fins de la
réparation intégrale». Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, commentaire de l’article 38, par. 7. Le
Costa Rica n’explique à aucun moment en quoi les circonstances de l’espèce justifieraient le paiement d’intérêts, pas plus
qu’il ne tente de justifier le taux de 6 % qu’il demande à la Cour d’appliquer.
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CHAPITRE 5
LES INDEMNITÉS RÉCLAMÉES PAR LE COSTA RICA AU TITRE
DE SES FRAIS DE SURVEILLANCE ALLÉGUÉS
5.1. Dans le présent chapitre, le Nicaragua répond aux prétentions du Costa Rica visant à
obtenir le remboursement des frais de «surveillance» qu’il affirme avoir engagés, des frais dont la
quasi-totalité correspond en fait à la rémunération des forces de sécurité qu’il a déployées pour
parer à la menace supposée d’une nouvelle occupation de la zone litigieuse par le Nicaragua et,
surtout, d’une occupation par celui-ci d’autres parties du territoire costa-ricien. En tant que telles,
ces prétentions sont dépourvues de tout lien avec les dommages matériels causés par les travaux du
Nicaragua dans le territoire litigieux, et n’ont absolument aucune place dans le cadre d’une
demande d’indemnisation.
I. LES INDEMNITÉS RÉCLAMÉES AU TITRE DE LA RÉMUNÉRATION
DES FORCES DE SÉCURITÉ
5.2. La quasi-totalité des frais de surveillance pour lesquels le Costa Rica demande à être
indemnisé (à hauteur de 3 092 834,17 dollars) correspond à la rémunération que celui-ci prétend
avoir versée aux agents affectés entre mars 2011 et décembre 2015 aux postes de police qu’il a
construits à Laguna Los Portillos et Laguna de Agua Dulce199. Aucun de ces frais n’est susceptible
d’indemnisation.
A. Les travaux du Nicaragua sur le territoire litigieux n’étaient pas la cause immédiate
du déploiement par le Costa Rica de ses forces de sécurité
5.3. Le déploiement policier pour lequel le Costa Rica demande à être indemnisé n’avait
aucun rapport avec un quelconque dommage causé à l’environnement par le Nicaragua, ni même
avec la présence de celui-ci sur le territoire litigieux ; le Costa Rica voulait uniquement parer à de
futures tentatives du Nicaragua de réoccuper le territoire litigieux ou, surtout, d’occuper d’autres
parties du territoire costa-ricien, et notamment se protéger contre une invasion nicaraguayenne
imaginaire. Pour le constater, il suffira à la Cour d’examiner les documents que le Costa Rica a
lui-même produits à l’appui de sa demande d’indemnisation.
5.4. En particulier, dans le dossier qu’il a soumis au Nicaragua au mois de juin 2016, le
Costa Rica exposait sa demande d’indemnisation en détail et justifiait les 3 092 834,17 dollars
réclamés au titre des «[s]alaires d’agents de la force publique [Fuerza Pública] et de la police des
frontières [Policía de Fronteras]» en déclarant que des policiers avaient été déployés «pour parer à
toute revendication de souveraineté du Nicaragua sur d’autres territoires de la région»200. Il
déclarait en outre que «[c]es agents de police devaient surveiller les activités de l’armée
nicaraguayenne»201. En elles-mêmes, ces déclarations battent en brèche les prétentions du
199 MCRI, par. 3.29 c). Ministère de la sécurité du Costa Rica, département des salaires et traitements, rapport sur
la rémunération versée au personnel de la police de mars 2011 à décembre 2015 (ci-après «ministère de la sécurité du
Costa Rica, département des salaires et traitements, rapport sur la rémunération des policiers déployés»). MCRI, vol. II,
annexe 13.
200 Tableau synoptique des informations fournies par les institutions chargées de la gestion des dommages causés
par le Nicaragua dans la zone d’Isla Portillos (non daté, communiqué au Nicaragua le 7 juin 2016), p. 2, lignes 8 et 9.
CMNI, vol. I, annexe 3. Le Costa Rica a également tenté de se justifier en invoquant –– à tort, comme nous le verrons
plus loin –– l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 8 mars 2011.
201 Ibid., ligne 8.
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- 37 -
Costa Rica et constituent un aveu de sa part, à savoir que le déploiement de membres de sa «Fuerza
Pública» et de sa «Policía de Fronteras» ne visait pas à répondre, ni à remédier, à des dommages
matériels causés par les travaux du Nicaragua au territoire litigieux.
5.5. L’annexe 13 du mémoire, qui contient une liste des agents de police pour la
rémunération desquels le Costa Rica demande à être indemnisé, est également révélatrice. Cette
liste s’intitule «Ministère de la sécurité du Costa Rica, personnel posté à Delta Costa Rica et Agua
Dulce en raison de l’invasion nicaraguayenne» (les italiques sont de nous), ce qui démontre là
encore que le Costa Rica réclame une indemnisation au titre des salaires versés aux agents qu’il a
déployés par crainte d’une «invasion nicaraguayenne»202. Conformément à cet objectif, l’annexe 13
démontre également que les agents en question étaient stationnés en des lieux très éloignés du
territoire litigieux. Agua Dulce se trouve en effet à quelque 8 kilomètres de là et Delta Costa Rica,
à environ 19 kilomètres. Fait remarquable, il n’est fait mention d’aucune présence policière à
Isla Portillos.
5.6. Le Costa Rica confirme lui-même dans son mémoire que le déploiement de ses forces à
Isla Portillos ou à proximité ne faisait pas suite aux travaux du Nicaragua sur le territoire litigieux.
A l’alinéa c) du paragraphe 3.29, il indique avoir dû «affecter des agents à ces postes de police [de
Laguna de Agua Dulce et d’Isla Portillos], et ce, en nombre suffisant pour surveiller les activités du
Nicaragua dans les environs du territoire litigieux (et à l’intérieur), et pour assurer la sécurité de la
zone, ainsi que la Cour l’avait prescrit»203. Les activités que ces forces avaient mission de surveiller
étaient, comme le révèlent les propres documents du Costa Rica, d’éventuels préparatifs ou autres
mouvements de militaires nicaraguayens pouvant trahir une intention d’entrer en territoire
costa-ricien et d’en occuper une partie204. Ainsi que le Costa Rica l’a expliqué dans un rapport de
juillet 2013 à l’intention du Secrétariat de la convention de Ramsar, ses agents de police avaient été
déployés en raison d’«actes d’hostilité» qui, à l’en croire, «démontraient que le Nicaragua entendait
ne tenir absolument aucun compte du régime frontalier»205. Entre autres actes d’hostilité, le
Nicaragua aurait ainsi «menacé de reprendre la province costa-ricienne de Guanacaste»206. Dans
son rapport, le Costa Rica décrivait la construction de tours de surveillance aux postes au sujet
desquels il réclame aujourd’hui une indemnisation, des tours dont chacune était équipée
d’«appareils de prises de vues à longue portée (15 kilomètres)», «au service de la stratégie
nationale de sécurité dans la zone frontalière»207.
5.7. Ces déploiements ne visaient donc nullement à remédier, ni même à répondre, aux
dommages que les travaux nicaraguayens auraient causés à l’environnement de la zone litigieuse,
ou à la présence du Nicaragua dans celle-ci.
202 Ministère de la sécurité du Costa Rica, département des salaires et traitements, rapport sur la rémunération des
policiers déployés. MCRI, vol. II, annexe 13, p. 124.
203 MCRI, par. 3.29 c) (les italiques sont de nous).
204 Voir le tableau synoptique des informations fournies par les institutions chargées de la gestion des dommages
causés par le Nicaragua dans la zone d’Isla Portillos (non daté, communiqué au Nicaragua le 7 juin 2016), lignes 8 et 9.
CMNI, vol. I, annexe 3.
205 Ministère des affaires étrangères du Costa Rica, «nouveaux travaux dans la zone humide du nord-est des
Caraïbes», rapport à l’intention du Secrétariat exécutif de la convention de Ramsar sur les zones humides, juillet 2013
(ci-après le «rapport de juillet 2013 adressé par le Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar), p. 3. MCRI,
vol. I, annexe 3, p. 180.
206 Ibid.
207 MCRI, par. 3.26. Rapport de juillet 2013 adressé par le Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar,
p. 6 (les italiques sont de nous). MCRI, vol. I, annexe 3, p. 183.
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- 38 -
B. Les forces de sécurité du Costa Rica n’ont pas été déployées en application
de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires
rendue par la Cour le 8 mars 2011
5.8. Le Costa Rica ne peut tenter de justifier l’indemnisation qu’il réclame au Nicaragua à
raison de son déploiement policier en invoquant l’ordonnance en indication de mesures
conservatoires rendue par la Cour le 8 mars 2011208. Cette ordonnance enjoignait aux Parties
d’exercer une surveillance dans le territoire litigieux afin «d’éviter que des activités criminelles ne
s[’y] développent … en l’absence de forces de police ou de sécurité de l’une ou l’autre Partie»209.
Premièrement, le déploiement auquel a procédé le Costa Rica ne pouvait être motivé par cette
ordonnance puisqu’il est antérieur à son prononcé : l’affectation d’agents à Laguna de Agua Dulce
a débuté en décembre 2010 ; or, ce n’est que le 8 mars 2011 que la Cour a indiqué ses mesures
conservatoires.
5.9. Deuxièmement, l’ordonnance prescrivait cette surveillance afin «d’éviter que des
activités criminelles ne se développent sur le territoire litigieux en l’absence de forces de police ou
de sécurité de l’une ou l’autre Partie»210. Ainsi, si le Costa Rica avait affecté des agents de sécurité
à la zone litigieuse comme suite (et non préalablement) à l’ordonnance de la Cour, il ne lui aurait
été permis de le faire qu’aux fins de prévenir des activités criminelles, et non de surveiller les
travaux du Nicaragua ou un quelconque dommage causé à l’environnement par ceux-ci. En réalité,
au moment où l’ordonnance a été rendue, en mars 2011, le Nicaragua avait déjà achevé ses travaux
et retiré son personnel de la zone litigieuse. Cela ressort clairement de l’ordonnance. A la suite du
retrait du personnel nicaraguayen, il n’y avait plus aucun agent de sécurité dans la zone, ce qui la
rendait vulnérable aux activités criminelles. C’est pourquoi la Cour, qui en a par ailleurs largement
interdit l’accès, a enjoint aux Parties de la surveiller afin «d’éviter que des activités criminelles ne
s[’y] développent»211.
5.10. Dans sa déclaration sous serment, M. Mario Zamora Cordero, ancien ministre de la
sécurité publique du Costa Rica, confirme que le déploiement des forces de sécurité de son pays ne
s’inscrivait pas dans le cadre d’un projet destiné à prévenir les activités criminelles dans la zone
litigieuse en réaction à l’ordonnance de la Cour. Au contraire, il visait à empêcher le Nicaragua
d’occuper d’autres parties du territoire costa-ricien212. M. Zamora Cordero précise que
«le Costa Rica a posté aux environs d’Isla Portillos des agents de police chargés
d’assurer la sécurité et d’apporter l’assistance nécessaire aux communautés vivant
dans cette région et, lorsque cela était possible, de protéger le territoire costa-ricien
d’autres avancées des forces militaires nicaraguayennes»213.
5.11. Certes, l’ancien ministre affirme, dans sa déclaration sous serment (établie aux fins de
la présente affaire six ans après les faits), que le déploiement à long terme d’agents de sécurité dans
la zone litigieuse constituait une réponse à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires
208 MCRI, par. 3.26.
209 Ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011, par. 78.
210 Ibid. ; les italiques sont de nous.
211 Ibid.
212 Voir la déclaration sous serment de M. Mario Zamora Cordero, ancien ministre de la sécurité publique du
Costa Rica, en date du 22 mars 2017 (ci-après la «déclaration sous serment de M. Zamora Cordero (2017)»). MCRI,
vol. I, annexe 5, p. 238.
213 Ibid.
69
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rendue par la Cour214. Mais quand bien même tel aurait été le cas, cette réponse n’aurait été
appropriée que si elle avait visé la prévention d’activités criminelles dans la zone litigieuse, et non
les travaux du Nicaragua dans cette zone ou les dommages que ceux-ci auraient causés.
5.12. En tout état de cause, la déclaration de l’ancien ministre à cet égard est contredite par
des documents officiels du Gouvernement costa-ricien datant de l’époque des faits. En avril 2011,
M. José María Tijerino Pacheco, prédécesseur de M. Zamora, a ainsi élaboré un rapport décrivant
en détail ce qui avait été réalisé dans le cadre de son mandat de ministre de la sécurité publique. Il y
exposait que, «[d]u fait de certains événements intervenus à la frontière septentrionale au cours des
derniers mois, il a[vait] été décidé de rétablir d’urgence la police des frontières afin de garantir la
sécurité des citoyens et le respect de la souveraineté nationale»215, précisant que cet objectif
s’appliquait à «l’intégralité de la frontière terrestre» et aux «infrastructures requises pour ces
opérations», lesquelles comprenaient les 45 «avant-postes de police» qui avaient été ou allaient être
construits216. Il est significatif que, dans son rapport, M. Tijerino ne se soit pas référé à
l’ordonnance en indication de mesures conservatoires de la Cour pour justifier le déploiement
policier. Le ministre n’a pas davantage mentionné la moindre nécessité d’exercer une surveillance,
ou de prendre quelque autre mesure, relativement aux travaux menés par le Nicaragua dans la zone
litigieuse ou à un quelconque dommage qu’ils auraient pu y causer.
5.13. Qui plus est, une telle surveillance, fût-elle exercée en réponse à l’ordonnance du
8 mars 2011 –– quod non –– aurait été disproportionnée par rapport à une éventuelle nécessité de
prévenir des activités criminelles dans la zone litigieuse. En effet, avant de procéder à son
déploiement de policiers, le Costa Rica n’en avait jamais posté dans cette zone, ni où que ce soit à
proximité217. Il n’y avait assurément pas lieu d’y affecter un grand nombre d’agents, répartis dans
deux postes distincts et assurant une permanence vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours
sur sept. Et il n’y a absolument pas lieu de demander au Nicaragua de payer pour ces activités.
214 Ibid. («Après que la Cour eut indiqué des mesures conservatoires le 8 mars 2011, j’ai donné des instructions
visant à organiser une présence policière durable à Isla Portillos, afin d’assurer la sécurité de ce que l’on appelait alors le
«territoire litigieux».»)
215 Rapport de fin de mandat de M. José María Tijerino Pacheco pour la période comprise entre le 8 mai 2010 et
le 30 avril 2011, ministère d’Etat et de la police et ministère de la sécurité publique, avril 2011, p. 26-27. CMNI, vol. I,
annexe 4.
216 Ibid.
217 Voir la déclaration sous serment de M. Suban Antonio Yuri Valle Olivares (commissaire principal de police)
en date du 15 décembre 2010, p. 1 («La seule présence costa-ricienne était celle de membres de la garde rurale ou du
détachement de la force publique cantonnée au point Delta ; entre ce point et l’embouchure du San Juan, nous n’avons
jamais constaté la moindre présence d’autorités civiles ou de membres de la force publique costa-ricienne.»). CMN,
vol. III, annexe 84, p. 360. Voir également la déclaration sous serment de M. José Magdiel Pérez Solis (commissaire
principal de police) en date du 15 décembre 2010, p. 1 («De deux mille huit (2008) à ce jour, je n’ai jamais constaté de
présence costa-ricienne dans cette zone.»). CMN, vol. III, annexe 80, p. 336. Déclaration sous serment de M. Gregorio de
Jesús Aburto Ortiz (commissaire principal de police) en date du 15 décembre 2010, p. 2 («Je dois dire qu’en 2004 et
2005, les autorités ou forces publiques du Costa Rica n’étaient nullement présentes dans la zone de Harbor Head.»).
CMN, vol. III, annexe 81, p. 343. Déclaration sous serment de M. Luis Fernando Barrantes Jiménez (commissaire
principal de police) en date du 15 décembre 2010, p. 1 («[N]ous n’avons [jamais] constaté la moindre présence [d’une
autorité ou de la force publique costa-ricienne].»). CMN, vol. III, annexe 82, p. 348. Déclaration sous serment de
M. Douglas Rafael Pichardo Ramírez (commissaire principal de police) en date du 15 décembre 2010, p. 2 («Nous
n’avons cessé de patrouiller dans l’ensemble de la zone de Harbor Head et de ses cours d’eau, de la rivière Indio, de la
lagune et du fleuve San Juan, et n’avons jamais rencontré de représentant des autorités ni de fonctionnaire costa-ricien.»).
CMN, vol. III, annexe 83, p. 355.
72
- 40 -
C. La rémunération que le Costa Rica prétend avoir versée à ses agents de sécurité
en raison des travaux du Nicaragua l’aurait été
même en l’absence desdits travaux
5.14. Bien que les traitements versés aux agents de police costa-riciens puissent, en principe,
faire l’objet d’une indemnisation, un Etat n’a le droit d’être indemnisé qu’à raison de dépenses
extraordinaires, telles que celles afférentes au recrutement de nouveaux agents ou au paiement
d’heures supplémentaires. Par exemple, le comité de commissaires de la Commission
d’indemnisation des Nations Unies chargé des réclamations de la catégorie «F2» a estimé que seuls
les paiements au titre des compléments de salaire et des heures supplémentaires étaient susceptibles
d’indemnisation218. Il a défini ces paiements supplémentaires comme suit :
«[M]ontants versés en sus des montants habituels au personnel permanent en
conséquence directe de l’invasion et de l’occupation du Koweït [par l’Iraq] ainsi que
les salaires et heures supplémentaires versés au personnel recruté spécialement par
suite de l’invasion et de l’occupation du Koweït. Dans tous les cas, pour donner lieu à
indemnisation, il faut que les montants versés au titre des salaires et des heures
supplémentaires aient été raisonnables.»219
D’autres comités de commissaires de la Commission d’indemnisation des Nations Unies ont, eux
aussi, conclu que seules les dépenses de personnel venant s’ajouter à celles que le requérant aurait
engagées en l’absence du fait internationalement illicite pouvaient donner lieu à une
indemnisation220. Cela découle inexorablement de la condition selon laquelle pareil fait doit être la
cause réelle de la perte pour qu’une indemnisation soit justifiée221.
5.15. Les rémunérations et autres indemnités ordinaires qui auraient été versées en l’absence
d’un fait illicite ne peuvent donc donner lieu à indemnisation222. En conséquence, le comité de
commissaires chargé des réclamations de la catégorie «F4» a rejeté certaines demandes lorsqu’il
218 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations du comité de commissaires
concernant la deuxième tranche de réclamations de la catégorie «F2», Nations Unies, doc. S/AC.26/2000/26 (ci-après
«Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la deuxième tranche de
réclamations de la catégorie «F2»»), 7 décembre 2000, par. 52-58.
219 Ibid., par. 53.
220 Voir, par exemple, Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations du comité de
commissaires concernant la deuxième tranche de réclamations de la catégorie «F4», Nations Unies,
doc. S/AC.26/2002/26 (ci-après «Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations
concernant la deuxième tranche de réclamations de la catégorie «F4»»), 3 octobre 2002, par. 30 (adoptant l’approche
d’«autres comités de commissaires qui ont estimé que les salaires et autres frais de personnel assumés par un requérant
ouvraient droit à indemnisation si les frais en question avaient été engagés par suite de l’invasion et de l’occupation du
Koweït par l’Iraq et s’ils étaient de caractère extraordinaire» (autrement dit, s’ils venaient en sus des dépenses que le
requérant aurait dû prendre en charge en temps normal)) ; voir également Commission d’indemnisation des
Nations Unies, rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la troisième tranche des réclamations
de la catégorie «E2», Nations Unies, doc. S/AC.26/1999/22, 9 décembre 1999, par. 100 («De nombreux requérants, en
particulier dans le secteur maritime, affirment avoir dû assumer un surcroît de dépenses de personnel, sous forme de
paiement d’heures supplémentaires et de primes d’incitation, afin de pouvoir poursuivre leurs activités au Moyen-Orient
pendant les hostilités... Le Comité conclut que ces suppléments de rémunération, lorsqu’ils concernent les zones et
périodes d’indemnisation fixées ... donnent lieu à indemnisation à condition que leur montant ait été raisonnable.»). (Les
italiques sont de nous.)
221 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, par. 462 (où la Cour rejette une demande
d’indemnisation au motif que les éléments de preuve n’établissaient pas que le préjudice ne serait pas survenu en
l’absence de la violation).
222 Voir Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la deuxième
tranche de réclamations de la catégorie «F4», 3 octobre 2002, par. 30.
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74
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n’existait pas d’éléments suffisants pour démontrer que les dépenses de personnel revêtaient un
caractère extraordinaire223, considérant que «les salaires et frais connexes versés aux employés
permanents d’un requérant n’ouvr[aient] pas droit à indemnisation lorsqu’il s’agi[ssait] de dépenses
qui auraient été engagées indépendamment de l’invasion et de l’occupation» du Koweït par
l’Iraq224.
5.16. Cette règle s’applique même lorsque des agents sont détournés de leurs autres tâches
pour faire face aux conséquences d’un fait illicite. Les comités de commissaires de la Commission
d’indemnisation des Nations Unies ont ainsi souvent rejeté des demandes d’indemnisation à raison
de dépenses ordinaires de personnel, telles que :
 les salaires et l’équipement de 1700 agents de police permanents qui avaient été réaffectés pour
assurer une protection aux personnes évacuées et fournir des services supplémentaires dans
tout le pays225 ;
 les dépenses que l’Université du Koweït affirmait avoir engagées pour créer un nouveau
département de recherche chargé d’étudier les incidences de l’invasion et de l’occupation
iraquiennes, le comité ayant estimé que le Koweït n’avait pas démontré que l’Université avait
recruté de nouveaux chercheurs pour réaliser les études, et non simplement réaffecté des
ressources d’autres départements226 ;
 la solde de l’équipage d’un navire dépollueur envoyé pour apporter son concours à la lutte
contre des marées noires dans le golfe Persique227 ; et
 les salaires d’agents gouvernementaux permanents envoyés à Bahreïn et au Qatar pour fournir
une assistance technique et des services de formation en vue de prévenir une pollution de l’eau
potable par les hydrocarbures228.
223 Voir, par exemple, ibid., par. 213-219, 240-248 et 249-257 ; voir également Commission d’indemnisation des
Nations Unies, rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la première tranche de réclamations
de la catégorie «F2», Nations Unies, doc. S/AC.26/1999/23 (ci-après «Commission d’indemnisation des Nations Unies,
rapport et recommandations concernant la première tranche de réclamations de la catégorie «F2»»), 9 décembre 1999,
par. 101 (rejetant une réclamation pour le même motif). Le Tribunal international du droit de la mer est parvenu à la
même conclusion en l’affaire du Navire «Saiga», alors qu’il était saisi d’une demande d’indemnisation à raison des
«dépenses résultant du temps consacré par des fonctionnaires d[e Saint-Vincent-et-les-Grenadines] au problème de
l’arraisonnement et de l’immobilisation du navire ainsi qu’à celui de la détention de son équipage». Affaire du Navire
«Saiga» (No. 2) (Saint-Vincent-et-les-Grenadines c. Guinée), arrêt du 1er juillet 1999, TIDM Recueil 1999, par. 177. Le
Tribunal a rejeté la demande, jugeant que toute dépense engagée relativement aux fonctionnaires était «supportée ... en
tant que dépense faite dans le cadre des fonctions normales de l’Etat du pavillon» et ne pouvait donc faire l’objet d’une
indemnisation. Ibid.
224 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la deuxième tranche
de réclamations de la catégorie «F4», 3 octobre 2002, par. 30 ; voir également Commission d’indemnisation des
Nations Unies, rapport et recommandations concernant la deuxième tranche de réclamations de la catégorie «F2»,
7 décembre 2000, par. 54 et 57 («Le comité conclut que les montants versés au titre des salaires et heures
supplémentaires au personnel qui s’occupait de l’aide aux réfugiés dans le cadre de ses fonctions habituelles ne donnent
pas lieu en principe à indemnisation dès lors que ces versements auraient été effectués indépendamment de l’invasion et
de l’occupation du Koweït par l’Iraq ... [L]es paiements versés au personnel qui s’occupait de la mise en oeuvre des
dispositifs d’urgence et autres mesures de prévention et de protection dans le cadre de ses tâches habituelles ne donnent
pas lieu en principe à indemnisation dès lors que ces paiements auraient été effectués indépendamment de l’invasion et de
l’occupation du Koweït par l’Iraq.»).
225 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la première tranche
de réclamations de la catégorie «F2», 9 décembre 1999, par. 100 i) et 101.
226 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la cinquième tranche
de réclamations «F4», 30 juin 2005, par. 533-543.
227 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la deuxième tranche
de réclamations de la catégorie «F4», 3 octobre 2002, par. 245.
75
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5.17. Ces décisions sont corroborées par les précédents cités dans le mémoire du Costa Rica.
Dans l’une, le comité des commissaires n’a accordé une indemnisation qu’au titre des dépenses
extraordinaires de personnel, telles que les primes et les heures supplémentaires, que les intéressés
n’auraient autrement pas touchées229. Dans l’autre, le comité a limité l’indemnisation aux
«paiements au titre des compléments de salaire et des heures supplémentaires ... versés en sus des
montants habituels»230. Le Costa Rica ne cite aucune source à l’appui de sa proposition selon
laquelle les dépenses relatives au personnel permanent — fût-il réaffecté — pourraient faire l’objet
d’une indemnisation231.
5.18. En l’espèce, le Costa Rica n’a pas engagé la moindre dépense extraordinaire, puisqu’il
a simplement redéployé des agents qui étaient déjà en poste dans d’autres parties de son territoire.
Cela ressort clairement de la déclaration sous serment de son ancien ministre de la sécurité
publique :
«[N]ous avons été contraints de redéployer des agents de nombreuses unités
urbaines pour fournir les effectifs nécessaires à l’établissement d’une présence dans la
zone d’Isla Portillos. Nombre des forces de police réaffectées à cette zone provenaient
d’unités situées dans la région de la Vallée centrale, plus précisément de San José,
Cartago, Heredia et Alajuela mais, plus généralement, les ressources redéployées
venaient de presque toutes les unités de police du pays.»232
5.19. De même, l’ancien ministre se réfère dans sa déclaration au «redéploiement des agents
de police» et à la nécessité de «réaffecter à Isla Portillos des agents d’unités oeuvrant dans des
228 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la deuxième tranche
de réclamations de la catégorie «F4», 3 octobre 2002, par. 254. En conséquence, l’assertion non étayée du Costa Rica
selon laquelle des «réclamations ont ... été admises, en principe, au titre de personnel ou de responsables détournés de
leurs fonctions habituelles» est erronée. Voir MCRI, par. 2.17. Au contraire, le fait que des agents aient été détournés
d’autres tâches qu’ils auraient accomplies ne suffit pas à rendre leurs salaires indemnisables, comme cela a été démontré
plus haut. Seules les dépenses supplémentaires engagées relativement au personnel réaffecté — telles que le paiement
d’heures supplémentaires, de primes d’affectation ou d’indemnités journalières qui n’auraient pas été versées en
l’absence du fait illicite — peuvent donner lieu à indemnisation.
229 Voir MCRI, par. 2.15 et 2.21 ; voir également Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et
recommandations concernant la cinquième tranche de réclamations «F4», 30 juin 2005, par. 258-259 ; Commission
d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la deuxième tranche de réclamations de la
catégorie «F2», 7 décembre 2000, par. 55-57.
230 Voir MCRI, par. 2.16 (citant la Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations
concernant la deuxième tranche de réclamations de la catégorie «F2», 7 décembre 2000, par. 53).
231 Le Costa Rica ne gagne rien à invoquer deux sentences arbitrales en matière d’investissement. Voir MCRI,
par. 2.18. Ainsi qu’il le reconnaît à la note 36 de son mémoire, le tribunal constitué en l’affaire Pope & Talbot a jugé que
la valeur du temps consacré à la gestion ne pouvait pas faire l’objet d’une indemnisation, au motif que, même si la
direction s’était «occupée de questions couvertes par la ... réclamation», le requérant n’avait pas engagé de dépenses
supplémentaires, puisque les «salaires [des dirigeants] auraient été versés indépendamment des activités professionnelles
entreprises par ces derniers». Pope & Talbot Inc. v. The Government of Canada, CNUDCI, sentence relative aux
dommages, 31 mai 2002, par. 82. Les «honoraires» cités par le Costa Rica (voir MCRI, par. 2.18), au titre desquels le
tribunal a accordé une indemnisation, étaient des frais juridiques et comptables, et non des salaires. Pope & Talbot
v. Canada, par. 85-87. En l’affaire Lemire, le tribunal n’a pas accordé d’indemnisation à raison du temps consacré à la
gestion, considérant simplement que ce temps (qu’il n’a pas quantifié) était pertinent pour estimer le montant investi par
le requérant. Joseph Charles Lemire v. Ukraine, CIRDI affaire no ARB/06/18, sentence, 28 mars 2011, par. 302. Le
tribunal ne s’est pas appuyé sur le montant investi pour évaluer celui des dommages, faisant au contraire observer
qu’«[i]nvestissements et dommages [étaient] bien évidemment deux notions distinctes». Ibid., par. 300. Au lieu de cela, il
a considéré le montant investi comme un «critère du caractère raisonnable» de celui des dommages, déterminé au moyen
d’une évaluation fondée sur la méthode des flux monétaires actualisés. Ibid., par. 298-299.
232 Déclaration sous serment de M. Mario Zamora Cordero, ancien ministre de la sécurité publique du Costa Rica,
en date du 22 mars 2017 (les italiques sont de nous). MCRI, vol. I, annexe 5, p. 237.
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villes et villages au service des communautés et des citoyens du pays»233. S’agissant de la création
d’une «unité de police des frontières spécialisée», il précise, «[p]ar souci de clarté, ... que cette
unité a été mise sur pied en prélevant des ressources humaines et financières sur d’autres
structures opérationnelles de la police»234. Autrement dit, le Costa Rica n’a ni recruté de nouveaux
agents ni débloqué des crédits supplémentaires pour payer ceux affectés aux postes au titre
desquels il réclame une indemnisation.
5.20. Plus simplement, le Costa Rica n’a engagé aucune dépense extraordinaire, mais
réclame de façon inadmissible le remboursement de traitements qu’il aurait de toute façon versés à
ses agents de sécurité235.
D. La rémunération que le Costa Rica prétend avoir versée à ses agents
de sécurité n’est pas étayée par des éléments de preuve
5.21. La demande d’indemnisation présentée par le Costa Rica à raison de la rémunération
qu’il a versée à ses agents de sécurité doit également être rejetée au motif que cet Etat n’a pas
produit d’éléments attestant la réalité des dépenses alléguées. Les seuls documents qu’il a soumis
pour justifier les plus de 3 millions de dollars qu’il réclame à ce titre sont les tableaux figurant à
l’annexe 13, qui sont bien loin de satisfaire à la charge de la preuve lui incombant236.
5.22. S’agissant des traitements qui auraient été versés entre mars 2011 et septembre 2013, le
Costa Rica se contente de présenter ce qu’il appelle une «estimation»237, à laquelle n’est jointe
aucune pièce justificative. En outre, cette «estimation» concerne aussi bien le poste d’Agua Dulce
que celui de Delta Costa Rica  alors même que, dans son mémoire, le Costa Rica reconnaît que la
rémunération du personnel affecté à ce dernier poste n’est pas susceptible d’indemnisation , et il
est impossible de savoir ce qui relève de l’un ou de l’autre238.
5.23. Pour ce qui est de la période ultérieure, débutant à la référence «2e sem. 2013», le
tableau recense pas moins de 45 personnes censées avoir été en poste à Delta Costa Rica239. Il
233 Déclaration sous serment de M. Mario Zamora Cordero, ancien ministre de la sécurité publique du Costa Rica,
en date du 22 mars 2017 (les italiques sont de nous). MCRI, vol. I, annexe 5, p. 238 (les italiques sont de nous).
234 Ibid., p. 239 (les italiques sont de nous).
235 De fait, sa demande d’indemnisation inclut des dépenses aussi ordinaires que les «charges sociales», «prime[s]
de Noël» et «allocations scolaires». Ministère de la sécurité du Costa Rica, département des salaires et traitements,
rapport sur la rémunération des policiers déployés. MCRI, vol. II, annexe 13, p. 121-122. Rien ne vient étayer
l’affirmation formulée dans le mémoire selon laquelle de nouveaux agents auraient été recrutés. MCRI, par. 3.29 c).
L’unique source citée (MCRI, annexe 39) fait simplement état de fluctuations du nombre total de policiers employés par
le Costa Rica, ce nombre étant plus élevé certaines années que d’autres, ce qui n’a rien d’étonnant. Il n’est présenté aucun
élément indiquant que l’augmentation du nombre d’agents soit imputable à la nécessité d’affecter du personnel aux deux
postes de police au titre desquels le Costa Rica réclame une indemnisation.
236 Voir affaire Diallo, arrêt sur l’indemnisation, par. 27 et 31-33 ; Commission d’indemnisation des
Nations Unies, rapport et recommandations concernant la première tranche de réclamations de la catégorie «F4»,
22 juin 2001, par. 187-190, 232, 243-247, 381-382, 407-408, 716-717, 724 et 727-728 (rejetant des réclamations pour des
motifs similaires) ; voir, dans le même sens, Eritrea-Ethiopia Claims Commission, Final Award, Eritrea’s Damages
Claims, 17 August 2009, par. 108, 161 et 174.
237 Ministère de la sécurité du Costa Rica, département des salaires et traitements, rapport sur la rémunération des
policiers déployés (tableau intitulé «Estimation des indemnités versées aux agents de police des forces publiques en
service»). MCRI, vol. II, annexe 13, p. 122.
238 Ibid.
239 Ibid., p. 124-126.
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couvre également les prétendues dépenses engagées au «1er sem. 2016», en dépit du fait que le
Costa Rica réclame seulement le remboursement des traitements versés jusqu’au
16 décembre 2015, date à laquelle la Cour a rendu son arrêt240. Vu le caractère limité des
informations que le Costa Rica a fournies et la manière obscure dont il a calculé les indemnités
qu’il réclame au titre des traitements versés à ses agents, il est impossible de dissocier ceux qui, de
son preuve aveu, ne sont pas indemnisables de ceux dont il sollicite le remboursement.
II. LES INDEMNITÉS RÉCLAMÉES AU TITRE D’AUTRES DÉPENSES ALLÉGUÉES
EN RAPPORT AVEC LE DÉPLOIEMENT DES FORCES DE SÉCURITÉ
COSTA-RICIENNES
5.24. Le Costa Rica demande une indemnisation pour diverses autres dépenses alléguées en
rapport avec son déploiement policier. Il réclame ainsi 29 459,40 dollars pour la rémunération qu’il
affirme avoir versée à des agents de la garde côtière qui auraient assuré des services de transport
fluvial dans ce contexte241. Il demande également à être indemnisé à raison de l’acquisition
d’équipements prétendument utilisés dans ses postes de police, allant de quatre véhicules tous
terrains (pour lesquels il réclame 81 208,40 dollars)242 à une pléthore d’articles variés, dont un
mixer, une cafetière, des machines à laver et du matériel de bureau (pour lesquels il réclame
24 065,87 dollars)243.
5.25. Aucune de ces dépenses n’est susceptible d’indemnisation car, comme il a été exposé
ci-dessus (aux paragraphes 5.3 à 5.13), elles concernent toutes le déploiement, par le Costa Rica, de
forces de sécurité en vue de parer à la menace supposée d’une invasion nicaraguayenne d’autres
parties de son territoire, et non de parer ou de remédier aux effets de l’un quelconque des
dommages matériels (abattage d’arbres ou arrachage du sous-bois aux fins du dégagement des
caños) causés par le Nicaragua entre octobre 2010 et janvier 2011 ou, sur une plus courte période,
en septembre 2013.
5.26. En tout état de cause, aucune de ces diverses dépenses n’est indemnisable. La demande
relative à la rémunération des agents de la garde côtière n’est pas admissible car le Costa Rica n’a
pas engagé de nouveaux agents pour transporter ses forces de sécurité, pas plus qu’il n’a versé de
suppléments aux agents en poste pour leurs activités. Il a simplement chargé des membres de son
personnel permanent d’assurer ces services de transport en leur versant leur rémunération
habituelle. Une telle dépense, comme il est démontré ci-dessus (aux paragraphes 5.14 à 5.20), ne
revêt pas un caractère extraordinaire et n’est pas susceptible d’indemnisation.
5.27. Le Costa Rica n’est pas davantage fondé à demander une indemnisation pour les
équipements qu’il dit avoir fournis aux forces de sécurité transportées à Isla Portillos et à Laguna
de Agua Dulce (cette dernière se trouvant à une certaine distance de la zone litigieuse) à d’autres
fins que pour remédier aux dommages matériels causés par les travaux du Nicaragua. Comment
l’abattage d’arbres et l’élimination de sous-bois effectués par le Nicaragua pourraient-ils être la
cause immédiate de l’acquisition, par le Costa Rica, d’une machine à laver, d’un mixer ou de
240 Ministère de la sécurité du Costa Rica, département des salaires et traitements, rapport sur la rémunération des
policiers déployés (tableau intitulé «Estimation des indemnités versées aux agents de police des forces publiques en
service»). MCRI, vol. II, annexe 13, p. 124-126.
241 Le Costa Rica demande en particulier 6780,60 dollars pour la période allant d’octobre 2010 à mars 2011 et
22 678,80 dollars pour celle allant de mars 2011 à décembre 2015. MCRI, par. 3.24 e), 3.29 d) et tableaux 3.3 et 3.4.
242 MCRI, p. 56, tableau 3.3.
243 MCRI, par. 3.29 b).
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matériel de bureau, sans parler des quatre véhicules tous terrains ? Cette question montre en ellemême
toute l’absurdité des prétentions du Costa Rica.
5.28. Toujours est-il que rien, dans les éléments produits par le Costa Rica, ne vient étayer
ces prétentions. En particulier, aucun élément ne prouve que les agents de la garde côtière ont
effectivement assuré des services de transport dans le cadre du déploiement policier244. Les
justificatifs présentés concernant l’acquisition alléguée d’équipements sont également insuffisants.
A l’annexe 14, censée contenir les justificatifs requis, le prix de chaque élément inventorié n’est
pas libellé en dollars, et le Costa Rica n’indique pas le taux de change utilisé lors de ses calculs.
Quoi qu’il en soit, le compte n’est pas bon, et il est impossible de déterminer quels équipements
précis sont considérés comme susceptibles d’indemnisation245.
A. Les indemnités réclamées au titre des survols
5.29. Le Costa Rica demande à être indemnisé de plusieurs vols qu’il aurait effectués
au-dessus de la zone litigieuse en octobre et novembre 2010 puis en avril 2011, pour l’ensemble
desquels il réclame 56 696,40 dollars au titre des frais de carburant et de maintenance, et
2062,37 dollars au titre de la rémunération du personnel navigant246.
5.30. Bien que le Costa Rica affirme que «ces vols étaient nécessaires pour vérifier les
informations faisant état de la présence et des activités illicites nicaraguayennes en territoire
costa-ricien»247 et pour «évaluer l’état de l’environnement de la zone» litigieuse248, ce n’est pas ce
qui ressort des journaux de bord. En effet, pas moins de 14 vols transportaient des journalistes de
divers médias (Tico Times, La Nación, Associated Press, Canal 44, Xinhua, Prensa Libre,
Radio Nacional, Canal 13, Canal 7, Canal 42, Extra, Costa Rica Hoy, Reuters et Radio
América)249. D’autres acheminaient par exemple des «caisses de légumes» et des «civières»250. Les
journaux de bord d’autres vols ne contiennent aucune mention dans la case réservée au «motif du
vol» et aucun nom de passager, de sorte qu’il est impossible de déterminer le lien entre le vol
effectué et les actes du Nicaragua251.
244 Voir garde côtière nationale du Costa Rica, département des salaires et traitements, rapport sur les heures de
travail effectuées par le personnel de la garde côtière, 21 octobre 2010-19 janvier 2015. MCRI, vol. II, annexe 7. Garde
côtière nationale du Costa Rica, département des salaires et traitements, tableau indiquant la rémunération moyenne des
garde-côtes, 2010-2015. MCRI, vol. II, annexe 8.
245 Voir ministère de la sécurité du Costa Rica, direction de la police des frontières, rapport sur les frais de
maintenance et d’équipement du poste de police d’Agua Dulce, factures à l’appui, mars 2016. MCRI, vol. II, annexe 14.
De plus, nombre des articles pour lesquels le Costa Rica demande une indemnisation ont été acquis entre mai et
décembre 2015, c’est-à-dire peu avant le prononcé de l’arrêt de la Cour, et plus de deux ans après les derniers actes
illicites du Nicaragua. Ibid.
246 Plus précisément, le Costa Rica demande 37 585,60 dollars pour le coût du carburant et de la maintenance et
1044,66 dollars pour la rémunération de l’équipage en ce qui concerne les vols d’octobre et novembre 2010, et
20 110,84 dollars pour le coût du carburant et de la maintenance et 1017,71 dollars pour la rémunération de l’équipage
s’agissant des vols d’avril 2011. MCRI, par. 3.24 a), tableau 3.2 (p. 42) et par. 3.29 a), tableau 3.3 (p. 55–57).
247 MCRI, par. 3.24 a).
248 MCRI, par. 3.29 a).
249 Service national de surveillance aérienne du Costa Rica, département des opérations aéronautiques, journaux
de bord, 14 avril 2016. MCRI, vol. II, annexe 12, p. 71, 86, 87, 92, 93, 95, 96, 97, 99, 101, 105, 106, 107 et 108.
250 Voir, par exemple, ibid., p. 66, 70, 82, 83 et 91.
251 Ibid., p. 67, 72, 74, 77, 79, 84 et 88.
82
83
- 46 -
5.31. En outre, bien que le Costa Rica présente sa demande comme relative au «carburant» et
à la «maintenance», les justificatifs qu’il a fournis révèlent que sont en réalité inclus des frais
d’assurance et «divers» frais non détaillés252. En tout état de cause, le Costa Rica n’a pas produit de
factures ou d’autres documents pour étayer ses demandes. Enfin, il n’a pas droit à une
indemnisation pour la rémunération ordinaire du personnel naviguant, qui faisait partie des effectifs
gouvernementaux existants253.
B. Les indemnités réclamées au titre de la surveillance alléguée
de l’environnement
5.32. Le Costa Rica demande une indemnisation pour les dépenses qu’il aurait engagées dans
le cadre de la surveillance des effets des travaux du Nicaragua sur l’environnement de la zone
litigieuse, en particulier à raison de la rémunération des agents de la zone de conservation de
Tortuguero (ACTo), des frais d’approvisionnement en eau et en vivres et des frais de transport, ainsi
que des dépenses occasionnées par la construction d’une station biologique près de Laguna
Los Portillos254.
5.33. Pour être susceptibles d’indemnisation, les frais relatifs à la surveillance de
l’environnement doivent, comme toute autre dépense, présenter un lien de causalité direct et certain
avec les activités que la Cour a déclarées illicites. Selon la Commission d’indemnisation des
Nations Unies, «il ne faut pas accorder d’indemnisation pour les activités de surveillance et
d’évaluation qui ont un caractère purement théorique ou hypothétique, ou qui n’ont qu’un vague
rapport avec les dommages résultant» des actes illicites255.
5.34. Il faut ainsi des éléments de preuve attestant que la surveillance revêt un caractère
«raisonnable» eu égard aux effets potentiels sur l’environnement examinés256. Le Costa Rica ne
conteste pas ce point, reconnaissant que seules les «dépenses raisonnablement engagées pour
surveiller» les effets sur l’environnement sont indemnisables257. La partie qui demande à être
indemnisée doit donc prouver l’existence du lien de causalité requis avec le projet de surveillance
dans son ensemble, ainsi qu’avec les dépenses particulières dont elle réclame le remboursement.
252 Service national de surveillance aérienne du Costa Rica, département des opérations aéronautiques, rapport sur
les dépenses liées aux opérations, 2 mars 2016. MCRI, vol. II, annexe 9, p. 45.
253 MCRI, par. 3.24 b). De surcroît, les frais salariaux allégués sont seulement «estimés». Voir service national de
surveillance aérienne du Costa Rica, département des salaires et traitements, rapport sur les rémunérations versées
d’octobre 2010 à avril 2011 (colonne intitulée «Moyenne mensuelle»). MCRI, vol. II, annexe 10, p. 53–56.
254 Voir MCRI, par. 3.24 et 3.29.
255 Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la première tranche
de réclamations de la catégorie «F4», 22 juin 2001, par. 31.
256 Ibid., par. 29.
257 MCRI, par. 2.19 (les italiques sont de nous) ; voir aussi ibid., par. 2.13 (citant, comme «indications ... quant
aux types de coûts et dépenses susceptibles d’indemnisation», une décision du conseil d’administration de la Commission
d’indemnisation des Nations Unies qui mentionne simplement «un contrôle et une évaluation raisonnables»).
84
- 47 -
Cela nécessite, à tout le moins, des éléments de preuve sur les paramètres et la méthode de travail
retenus ; à défaut, la demande doit être rejetée258.
5.35. Or, le Costa Rica n’a produit aucun élément de preuve concernant l’objet de la
surveillance, tels que le mandat ou les instructions donnés aux agents chargés de cette mission. En
fait, il n’a même pas fourni les rapports établis par ces agents, qui existent pourtant de toute
évidence. A cet égard, il ressort de la lettre d’accompagnement figurant à l’annexe 6 que l’ACTo a
transmis au ministère des affaires étrangères du Costa Rica deux classeurs contenant des «copies de
journaux d’enregistrement[,] de rapports [et d’autres documents] rendant compte de l’action menée
par les représentants du gouvernement et les agents de l’ACTo pour résoudre les problèmes
engendrés par l’invasion nicaraguayenne d’Isla Calero»259. Aucun de ces éléments n’a été présenté
à la Cour. Il n’est donc pas possible de déterminer si la surveillance menée par le Costa Rica était
raisonnablement liée aux activités qui ont été jugées illicites, ou si cette surveillance (si tant est
qu’elle ait effectivement eu lieu) concernait d’autres questions, comme le dragage du
fleuve San Juan par le Nicaragua, la recherche écologique d’une manière générale ou encore les
différends des Parties quant à leurs frontières terrestre et maritime260.
5.36. Quoi qu’il en soit, pour les motifs exposés ci-dessus, la rémunération des agents de
l’ACTo (26 471,31 dollars) n’est pas susceptible d’indemnisation puisque le Costa Rica s’est
contenté de réaffecter son personnel existant261. De plus, il n’a pas fourni d’éléments de preuve
suffisants pour étayer les diverses autres dépenses de «surveillance» qu’il prétend avoir engagées et
dont il demande le remboursement262.
258 Voir Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant la première
tranche de réclamations de la catégorie «F4», 22 juin 2001, par. 752 (rejet d’une demande relative aux dépenses de
surveillance et d’évaluation pour laquelle «la Syrie n’a pas donné de précisions quant à la méthodologie qu’elle entendait
suivre et ... n’a pas indiqué non plus comment l’étude projetée rattacherait la mortalité chez les ovins à la pollution
atmosphérique résultant de l’invasion et de l’occupation du Koweït par l’Iraq») ; ibid., par. 759 (rejet d’une demande
relative aux dépenses de surveillance et d’évaluation pour laquelle «la Syrie n’a donné aucune précision quant à la
méthodologie qu’elle se proposait de suivre et qu’elle n’a pas indiqué non plus comment se ferait, dans l’étude, la
distinction entre la végétation contaminée à la suite de l’invasion et de l’occupation du Koweït par l’Iraq et la végétation
contaminée par d’autres sources»).
259 Zone de conservation de Tortuguero, réseau national des zones de conservation, rapport sur les dépenses
engagées pour gérer la situation découlant de l’occupation d’Isla Calero par le Nicaragua (ci-après «zone de conservation
de Tortuguero, réseau national des zones de conservation, rapport sur les dépenses»), 8 janvier 2016. MCRI, vol. II,
annexe 6, p. 5.
260 Il ressort en réalité du dossier que la surveillance portait en grande partie sur d’autres questions. Dans un
rapport destiné au Secrétariat de la convention de Ramsar, le Costa Rica expose que certains des objectifs de la station
biologique vont au-delà de la surveillance liée aux activités du Nicaragua. Voir ministère des affaires étrangères du
Costa Rica, «nouveaux travaux dans la zone humide du nord-est des Caraïbes», rapport à l’intention du Secrétariat
exécutif de la convention de Ramsar sur les zones humides, juillet 2013, p. 7. MCRI, vol. II, annexe 3, p. 184.
261 MCRI, par. 3.29 g) ; Commission d’indemnisation des Nations Unies, rapport et recommandations concernant
la deuxième tranche de réclamations de la catégorie «F4», 3 octobre 2002, p. 31, 33 et 36 (rejet de plusieurs demandes
d’indemnisation pour la rémunération du personnel chargé du nettoyage de l’environnement et des travaux de
surveillance au motif que le requérant n’avait pas démontré avoir engagé de dépenses extraordinaires).
262 Zone de conservation de Tortuguero, réseau national des zones de conservation, rapport sur les dépenses,
8 janvier 2016 (présentant seulement un tableau récapitulatif de l’«estimation des frais de gestion» qui auraient été
engagés pour le personnel, l’alimentation, le transport par bateau et le transport terrestre). MCRI, vol. II, annexe 6, p. 7 ;
ibid. (indiquant seulement que «[l]es frais d’alimentation ont été estimés indirectement, à partir des barèmes
correspondants agréés par le bureau du contrôleur général national») ; MCRI, par. 3.29 f) (où n’est pas justifiée de
manière adéquate la dépense de 35 500 dollars pour l’achat d’un tracteur prétendument nécessaire «pour effectuer
certains travaux dans le périmètre de la station [biologique], afin d’en assurer l’entretien et l’accès») ; ibid., par. 3.29 j)
(où n’est pas justifiée de manière adéquate la dépense de 42 752,76 dollars pour l’achat de deux véhicules tous terrains et
de trois remorques qui auraient «tout d’abord été utilisés pour construire la station puis pour y accéder et y acheminer
matériel, personnel et provisions depuis le poste de Laguna de Agua Dulce»).
85
86
- 48 -
C. Les indemnités réclamées au titre des images satellite
5.37. Enfin, le Costa Rica demande une indemnisation au titre de l’acquisition d’images
satellite prises entre décembre 2010 et septembre 2015 (178 304 dollars)263 et de rapports établis
par l’UNITAR et l’UNOSAT (43 143 dollars)264.
5.38. Le Costa Rica a beau les présenter comme des frais de surveillance, il s’agit en réalité
de frais de procédure non susceptibles d’indemnisation, puisqu’il a commandé une part importante
de ces éléments dans le contexte de ses exposés sur le fond et, surtout, de sa revendication de
souveraineté sur le territoire litigieux et de sa demande, infructueuse, relative aux dommages qu’il
faisait grief au Nicaragua d’avoir causés à l’environnement en draguant le fleuve San Juan ; telles
sont les fins auxquelles il les a utilisés265.
5.39. Par exemple, dans ses exposés sur le fond, le Costa Rica s’est abondamment servi des
rapports de l’UNITAR et de l’UNOSAT, qu’il a annexés à son mémoire266 et cités à l’appui de ses
arguments concernant la question de savoir si le caño de 2010 existait avant d’être dégagé267, les
effets allégués de ces travaux sur l’environnement268 et le dragage du fleuve San Juan par le
Nicaragua269. M. Thorne, l’expert du Costa Rica, s’est également appuyé sur l’un de ces rapports
pour établir le sien, que le Costa Rica a intégré à son mémoire270.
5.40. Dans son argumentation sur le fond, le Costa Rica a également recouru aux images
satellite au titre desquelles il demande à présent un remboursement. Sa demande d’indemnisation
porte notamment sur l’image datée du 7 juin 2011 qui était reproduite en tant que croquis 5.1 de
son mémoire271. L’une des factures qu’il a présentées concerne une image prise le 28 août 2011 qui
semble correspondre à la figure I.42 du rapport Thorne272. Et la facture afférente à l’image prise le
22 décembre 2013 semble correspondre à celle de la figure 5.3 du rapport Thorne en l’affaire
263 Ministère des affaires étrangères et des cultes, rapport et factures relatifs aux dépenses engagées par le
ministère pour l’acquisition d’images satellite et le traitement de données géospatiales correspondant à la zone
d’Isla Portillos et de l’embouchure du fleuve San Juan, 1er décembre 2010-2 octobre 2015 (ci-après, «rapport et factures
du ministère des affaires étrangères (1er décembre 2010-2 octobre 2015)»). MCRI, vol. II, annexe 16, p. 183.
264 MCRI, p. 57 ; voir également ibid., p. 42.
265 Voir, par exemple, UNITAR/UNOSAT, «évaluation de l’évolution morphologique et environnementale du
bassin du fleuve San Juan (y compris Isla Portillos et Calero), Costa Rica» (Genève, 2011), 4 janvier 2011 (ci-après le
«rapport UNITAR/UNOSAT de janvier 2011»), MCR, vol. IV, annexe 148 ; UNITAR/UNOSAT, «évaluation de
l’évolution morphologique et environnementale du bassin du fleuve San Juan (y compris Isla Portillos et Calero),
Costa Rica» (Genève, 2011), 8 novembre 2011 (ci-après le «rapport UNITAR/UNOSAT de novembre 2011»), MCR,
vol. IV, annexe 150.
266 Voir le rapport de l’UNITAR/UNOSAT de janvier 2011, MCR, vol. IV, annexe 148 ; voir aussi le rapport
UNITAR/UNOSAT de novembre 2011, MCR, vol. IV, annexe 150.
267 Voir, par exemple, MCR, par. 3.108, figure 3.9, p.125 ; ibid., par. 4.55.
268 Voir, par exemple, ibid., par. 3.111 et 3.113.
269 Voir, par exemple, ibid., par. 5.108 et 5.115.
270 Voir, par exemple, le rapport Thorne de 2011, p. I-34-I.36 (invoquant et reproduisant une image du rapport
UNITAR/UNOSAT de janvier 2011), MCR, vol. I, appendice 1, p. 358-360 ; voir également ibid., tableau II.1.
271 Comparer MCR, croquis 5.1, p. 229 (image satellite datée du 7 juin 2011) et rapport et factures du ministère
des affaires étrangères (1er décembre 2010-2 octobre 2015), MCRI, vol. II, annexe 16, p. 255 (facture relative à une
image satellite datée du 7 juin 2011).
272 Comparer rapport et factures du ministère des affaires étrangères (1er décembre 2010-2 octobre 2015), MCRI,
vol. II, annexe 16, p. 254 (facture relative à des images satellite radar prises à partir du 28 août 2011) et rapport Thorne
de 2011, figure I.42, p. I-72 (images satellite radar datées du 28 août 2011), MCR, vol. I, appendice 1, p. 396.
87
88
- 49 -
relative à la Construction d’une route, que le Costa Rica a également utilisée aux fins du
contre-interrogatoire des experts du Nicaragua273. Il est donc clair que, lorsqu’il a commandé ces
éléments, l’objectif principal du Costa Rica n’était pas de «surveiller» la zone litigieuse mais de
fourbir ses arguments et contre-arguments au fond. De ce fait, il s’agit de frais de procédure non
susceptibles d’indemnisation.
5.41. En tout état de cause, seule une petite partie des images satellite acquises par le
Costa Rica montre véritablement les 3 km2 de zone litigieuse, la grande majorité montrant d’autres
secteurs. Sur les 26 séries d’images pour lesquelles le Costa Rica demande une indemnisation, la
plus petite zone représentée mesure 15 km2 274. Seules trois couvrent une zone de moins de
100 km2 275, et une couvre plus de 1100 km2 276.
5.42. Cela bat en brèche la quasi-totalité des prétentions du Costa Rica concernant les images
satellite, puisque celles-ci lui ont été facturées au kilomètre carré. Ainsi, la facture datée du 5 mai
2014 concerne une série d’images «couvrant la zone de l’embouchure du fleuve San Juan et le delta
de ce dernier, le long de la frontière septentrionale avec le Nicaragua», soit la totalité du cours
inférieur du fleuve San Juan277. Le Costa Rica s’est vu facturer 28 dollars au kilomètre carré pour
cette zone de 180 km2 278, et il demande le remboursement de l’intégralité de la facture, qui se
monte à 5040 dollars279. Toutefois, il n’a aucun droit à remboursement pour ces images, pas plus
que pour celles montrant également d’autres lieux que le territoire litigieux. Il n’existe en effet
273 Comparer rapport de M. Colin Thorne, février 2015 (ci-après le «rapport Thorne de 2015»), figure 5.3, p. 240
(image du satellite Pleiades datée de décembre 2013, également utilisée par le Costa Rica le 20 avril 2015 au cours de son
contre-interrogatoire des experts du Nicaragua) dans l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long
du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), appendice A, et rapport et factures du ministère des affaires étrangères
(1er décembre 2010-2 octobre 2015), MCRI, vol. II, annexe 16, p. 216 (facture concernant l’image datée du 22 décembre
2013 prise par le satellite Pleiades et couvrant la zone de Finca La Chorrera). Le Costa Rica semble demander le
remboursement d’autres images satellite qu’il a utilisées pour étayer son argumentation au fond. Par exemple, l’une de
ses factures concerne des images satellite de «décembre 2010». Ibid., p. 258. La description correspond à plusieurs
images, datées de décembre 2010, sur lesquelles le Costa Rica et M. Thorne se sont appuyés. Voir, par exemple, le
rapport Thorne de 2011, figure I.18, p. I-27 (image datée du 14 décembre 2010), MCR, vol. I, appendice 1, p. 351 ; ibid.,
figure I.42, p. I-72 (image datée du 29 décembre 2010). Nombre d’autres factures et images du Costa Rica coïncident de
la même façon. Comparer rapport et factures du ministère des affaires étrangères (1er décembre 2010-2 octobre 2015),
MCRI, vol. II, annexe 16, p. 259 (facture relative à des images satellite datées de «novembre 2010») et rapport Thorne de
2011, figure I.17, p. I-26 (image satellite datée du 19 novembre 2010), MCR, vol. I, appendice 1, p. 350 ; comparer
rapport et factures du ministère des affaires étrangères (1er décembre 2010-2 octobre 2015), MCRI, vol. II, annexe 16,
p. 225 (facture relative à une image datée du 27 juillet 2012 prise par le satellite WorldView-2 ) et rapport Thorne de
2015, figure 5.3, p. 240 (image satellite datée de juillet 2012 portant la référence «WV02»), Construction d’une route au
Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), appendice A.
274 Voir rapport et factures du ministère des affaires étrangères (1er décembre 2010-2 octobre 2015), MCRI,
vol. II, annexe 16, p. 183 (tableau fourni par le Costa Rica résumant les acquisitions d’images satellite à raison desquelles
il demande à être indemnisé).
275 Voir ibid., p. 183. Le Costa Rica a présenté un total de 28 factures ; deux d’entre elles n’indiquent pas la zone
couverte par l’image dont il a fait l’acquisition.
276 Ibid., p. 227-228.
277 Ibid., p. 206-207.
278 Ibid.
279 Ibid.
89
90
- 50 -
aucun lien de causalité entre l’acquisition de ces images et les actes illicites du Nicaragua, lesquels
étaient limités à la zone litigieuse280.
*
* *
5.43. En résumé, le Costa Rica n’a pas démontré qu’il avait droit à une indemnisation pour
l’un quelconque de ses frais de «surveillance» allégués.
280 Voir, par exemple, ibid., p. 185-186 (facture relative à des images représentant un territoire de 227 km2 qui
«couvre l’embouchure du fleuve Colorado, le secteur de Laguna Aguadulce, le Río Taura et la Laguna Portillos») ; ibid.,
p. 191-192 (facture relative à des images représentant un territoire de 318 km2, dont 230 km2 ont été facturés, qui «couvre
la zone de Trinidad et l’embouchure du fleuve San Juan») ; ibid., p. 203-204 (facture relative à des images représentant
un territoire de 177 km2 qui «couvre la zone allant de Delta Costa Rica à l’embouchure du fleuve San Juan, le long de la
frontière avec le Nicaragua») ; ibid., p. 195 (autres images du «delta du fleuve San juan» et de «l’embouchure du fleuve
San Juan») ; ibid., p. 210 (autres images de «Delta Costa Rica» et de «l’embouchure du fleuve San Juan 
Isla Portillos») ; ibid., p. 213 (autres images de «Delta Costa Rica» et de «l’embouchure du fleuve San Juan») ; ibid.,
p. 216 (autres images de «l’embouchure du fleuve San Juan» et de «Finca Las Mercedes, Finca La Chorrera, Linea
Fronteriza (frontière)») ; ibid., p. 219-220 (autres images de «l’embouchure du fleuve San Juan», de «Delta Costa Rica»
et de «Trinidad-Delta Costa Rica»). Certaines factures ne contiennent aucune précision quant à la zone couverte. Voir,
par exemple, ibid., p. 246-247, 249-250, 252, 254-255 et 257. Dans d’autres encore, il est simplement indiqué que les
images montrent la «frontière septentrionale avec le Nicaragua», mais les dimensions de la zone visée montrent
clairement que ces images couvrent bien davantage que le territoire litigieux. Voir, par exemple, ibid., p. 225, 228, 232,
235, 237 et 240.
- 51 -
CONCLUSIONS
Pour les motifs exposés ci-dessus, la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger
que la somme due à la République du Costa Rica à raison des dommages matériels causés par les
actes illicites du Nicaragua ne saurait excéder 188 504 dollars.
Fait à La Haye, le 2 juin 2017.
L’agent de la République du Nicaragua,
M. Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
91
- 52 -
CERTIFICATION
J’ai l’honneur de certifier que le présent contre-mémoire et les documents y annexés sont des
copies exactes et conformes des documents originaux et que leur traduction anglaise établie par la
République du Nicaragua est exacte.
Fait à La Haye, le 2 juin 2017.
L’agent de la République du Nicaragua,
M. Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
___________
93
- 53 -
LISTE DES ANNEXES
ANNEXE Document Page
1 Rapport d’évaluation des dommages causés à l’environnement, par
Mme Cymie R. Payne (de l’Université Rutgers) et M. Robert E.
Unsworth (d’Industrial Economics, Incorporated), 26 mai 2017.
54
2 Examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica concernant le
delta du Río San Juan, par. G. Mathias Kondolf, mai 2017.
88
3 Tableau synoptique des informations fournies par les institutions
chargées de la gestion des dommages causés par le Nicaragua dans la
zone d’Isla Portillos, transmis le 7 juin 2016.
116
4 Rapport de fin de mandat de M. José María Tijerino Pacheco pour la
période comprise entre le 8 mai 2010 et le 30 avril 2011, ministère
d’Etat et de la police et ministère de la sécurité publique, avril 2011.
120
- 54 -
ANNEXE 1
CYMIE R. PAYNE ET ROBERT E. UNSWORTH, RAPPORT D’ÉVALUATION DES DOMMAGES
CAUSÉS À L’ENVIRONNEMENT
26 MAI 2017
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À CERTAINES ACTIVITÉS MENÉES PAR LE NICARAGUA DANS LA RÉGION
FRONTALIÈRE (COSTA RICA C. NICARAGUA)
(INDEMNISATION)
RAPPORT D’ÉVALUATION DES DOMMAGES CAUSÉS À L’ENVIRONNEMENT
PROFESSEUR CYMIE R. PAYNE,
RUTGERS UNIVERSITY
ET
ROBERT E. UNSWORTH,
INDUSTRIAL ECONOMICS, INCORPORATED,
26 MAI 2017
- 55 -
RÉSUMÉ
Le Costa Rica sollicite une indemnisation de 2 880 745,82 dollars des Etats-Unis au titre de
dommages environnementaux, en tant que l’un des volets de la réparation qu’il demande à raison
du préjudice matériel causé par le Nicaragua. Lesdits dommages incluent plusieurs pertes de
services écosystémiques : bois sur pied, matériaux bruts (fibres et énergie), régulation des
gaz/qualité de l’air, atténuation des risques naturels, formation des sols/lutte contre l’érosion, et
services d’habitat et de pépinière.
Le droit international, et nombre de régimes juridiques nationaux, considèrent que les
dommages environnementaux ouvrent droit à indemnisation. La Commission d’indemnisation des
Nations Unies (CINU), en particulier, a élaboré des dispositifs de procédure approfondis destinés à
estimer, vérifier et évaluer de tels dommages. Les allégations de dommages environnementaux,
telles que celles du Costa Rica, sont assujetties à l’établissement de la preuve de la perte constatée
qui est liée causalement à l’acte illégal, et à l’obligation qui incombe à l’Etat lésé d’atténuer le
préjudice. La restitution aussi bien que la compensation constituent des moyens d’indemnisation
adaptés au titre de dommages environnementaux.
Etant donné que le champ des dommages ouvrant droit à indemnisation recouvre à la fois les
ressources dotées d’une valeur marchande pouvant être établie et les dommages purement
écologiques, des méthodes d’évaluation pour ces derniers ont été mises au point. Pour son
évaluation des services environnementaux, le Costa Rica recourt à une analyse menée à bien par
Fundacion Neotropica qui applique une démarche «économico-écologique» pour estimer les
dommages pécuniaires résultant de la construction de deux caños et de l’arrachage d’arbres et de
végétation par le Nicaragua sur le territoire costa-ricien d’Isla Portillos. Cette démarche suppose
l’identification préalable de six «services écosystémiques» fournis par l’habitat sur le site avant les
actions du Nicaragua. Ces six services ont été évalués au moyen d’estimations de valeur existantes
qui découlent de travaux antérieurs et de la littérature économico-écologique traitant des valeurs de
ces services en d’autres lieux.
Il nous semble que la méthode d’évaluation pécuniaire utilisée par Neotropica n’est pas
conforme à la pratique acceptée en matière d’estimation des dommages causés aux ressources
naturelles, et que l’évaluation des dommages ainsi obtenue n’est ni fiable ni appropriée à des fins
d’indemnisation. Plus précisément,
 certains services n’ayant pas disparu ont été évalués (formation du sol et atténuation des
risques naturels, par exemple) ;
 les estimations de valeur capitalisée sont traitées en tant que valeurs annuelles, et ainsi
décomptées plusieurs fois au cours de la période de l’analyse (par exemple, la valeur du bois
coupé est incluse pour chacune des 50 années de l’analyse) ;
 aucune reconstitution des services n’est envisagée durant cette période de 50 ans ;
 pour représenter certaines valeurs en l’espèce, des valeurs issues de publications qui traitent de
circonstances très différentes sont utilisées ;
 des erreurs sont commises dans la manière d’associer les valeurs de stock de services
environnementaux aux valeurs de flux.
Afin de fournir une mesure plus plausible des dommages pécuniaires dans la situation
présente, nous estimons les pertes en suivant la démarche adoptée par Neotropica, correction faite
des erreurs figurant dans son analyse et ses hypothèses sans fondement. Nous obtenons ainsi une
évaluation corrigée des «services écosystémiques» égale à 84 000 dollars des Etats-Unis.
- 56 -
Nous évaluons séparément les dommages environnementaux en question au moyen d’une
technique de monétisation plus adaptée, qui implique de calculer le coût des actions de
conservation destinées à compenser le préjudice décrit par le Costa Rica. Selon nous, la mise en
oeuvre de cette méthode débouche sur une valeur pécuniaire des préjudices en l’espèce comprise
entre 27 034 dollars des Etats-Unis et 34 987 dollars des Etats-Unis, ce qui correspond aux fonds
nécessaires pour étayer un programme de substitution sur 20 à 30 ans, sur la base du coût d’achat
de crédits de conservation.
QUALIFICATIONS DES AUTEURS
Cymie Payne est professeur associée à la Rutgers University, dans l’Université d’Etat du
New Jersey, où elle enseigne le droit de l’environnement, le droit des changements climatiques et
le droit international de l’environnement. Ses domaines de recherches portent sur le droit
international lié à l’environnement et aux ressources naturelles. Elle a exercé les fonctions de chef
d’équipe et juriste dans le cadre du programme relatif aux allégations de dommage
environnemental de la Commission d’indemnisation des Nations Unies à Genève en Suisse, durant
l’examen desdites allégations et pour le programme de suivi des récompenses environnementales
(Follow-up Programme for environmental awards). Conseillère juridique pour le compte de
l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) auprès du Tribunal international du
droit de la mer, dans le cadre d’affaires requérant un avis consultatif pour l’exploitation minière des
grands fonds marins et les pêches, elle est actuellement conseillère juridique pour la délégation de
l’UICN auprès du comité préparatoire en vue de l’élaboration d’un instrument international
juridiquement contraignant, en vertu de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, la
conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones situées au-delà des
limites des juridictions nationales. Elle a été directrice de Global Commons Project et directrice
associée du Centre du droit, de l’énergie et de l’environnement de l’Université de Californie à
Berkeley, et exerce le droit des ressources naturelles et de l’environnement auprès du département
américain de l’intérieur et du cabinet juridique de Goodwin Procter. Autrefois membre du Conseil
exécutif de l’American Society of International Law, elle est aujourd’hui membre de la
Commission mondiale du droit environnemental (World Commission on Environmental Law) de
l’UICN et du comité de l’Association du droit international sur la gestion des ressources naturelles
durables pour le développement. Titulaire d’un doctorat en jurisprudence délivré par la faculté de
droit de l’Université de Californie à Berkeley, elle a également obtenu une maîtrise auprès de la
Fletcher School of Law and Diplomacy.
Robert Unsworth, directeur principal d’Industrial Economics Incorporated (IEc) à
Cambridge dans le Massachusetts, est un expert internationalement reconnu dans le domaine de
l’économie des ressources naturelles et de l’évaluation des dommages environnementaux. Ses
travaux portent principalement sur l’identification de méthodes appropriées pour évaluer les
changements environnementaux dans le cadre d’actions complexes intentées dans le domaine de
l'environnement, l’élaboration de réglementation, la gestion des ressources naturelles, et la prise de
décisions et mesures publiques. Durant ses 32 années d’activités, il a eu l’occasion d’aborder
l’ensemble des problèmes rencontrés dans le cadre de l’évaluation des dommages causés aux
ressources naturelles et de la restauration environnementale qui s’ensuit. À ce sujet, il a publié des
articles dans des revues spécialisées, notamment la revue fondatrice Habitat Equivalency Analysis.
Expert auprès des tribunaux dans le cadre d’affaires relatives à des allégations de dommages
environnementaux provoqués par des incendies de végétation, des émissions de déchets anciens
dangereux et la modification illégale des écosystèmes, il est également l’auteur de documents
d’orientation sur les meilleures pratiques en matière d’évaluation des ressources naturelles et de
l’environnement, qui incluent en particulier des axes de réflexion pour évaluer les dommages
causés aux zones humides, aux écosystèmes forestiers et aux systèmes aquatiques, les impacts sur
les communautés autochtones, les ressources culturelles et de loisirs, et les eaux souterraines.
- 57 -
Parmi ses réalisations pertinentes en l’espèce, on peut citer le concours qu’il a apporté à la
Commission d’indemnisation des Nations Unies lors de l’identification et l’analyse de méthodes
existantes pour évaluer les dommages environnementaux résultant de la guerre du Golfe de
1990-1991. Il a notamment élaboré, pour la Commission, des rapports sur les méthodes disponibles
pour l’évaluation économique et le calcul des coûts, en soulignant les forces et faiblesses de ces
méthodes dans le contexte d’allégations de dommage environnemental. Il a exercé les fonctions
d’économiste expert pour des agences d’Etat et fédérales agissant comme mandataires pour les
ressources naturelles, lors de négociations avec BP portant sur les dommages du fait de la marée
noire provoquée par la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon. Par ailleurs, il a été conseillerexpert
dans le cadre de propositions et travaux liés à l’élaboration de méthodes permettant de fixer
les indemnisations pour préjudice environnemental en vertu de la directive de l’Union européenne
sur la responsabilité environnementale. Pour le compte de la Commission mondiale sur les
barrages, il a établi un rapport décrivant les utilisations possibles de l’économie du bien-être pour
une évaluation fiable des impacts environnementaux et sociaux des projets de barrage
hydro-électrique à l’échelle mondiale. Récemment, il a été invité à faire une présentation lors d’un
séminaire sur la protection de l’environnement en relation avec les conflits armés, sous l’égide des
missions permanentes de la Suède, du Danemark, de la Finlande, de l’Islande et de la Norvège
auprès de l’Organisation des Nations Unies, à l’appui des travaux en cours de la Commission du
droit international des Nations Unies.
M. Unsworth est diplômé de l’Université de Yale en sciences forestières (avec une
spécialisation en économie des ressources naturelles et de l’environnement), et titulaire d’une
licence ès sciences, mention bien, en sylviculture (spécialisation en économie forestière) délivrée
par le College of Environmental Science and Forestry de l’université d’Etat de New York. Il fait
par ailleurs des conférences sur le thème de l’évaluation des dommages environnementaux à
l’Université de Tufts, l’Université de Yale, l’école de droit du Boston College, et le Centre de droit
de l’université de Houston, et participe à de nombreux séminaires d’experts.
Leurs curriculum vitae figurent en annexe B.
I. INTRODUCTION
Nous avons été sollicités pour fournir notre avis en tant qu’experts sur les aspects juridiques
et techniques de l’estimation et l’évaluation de la réparation à raison des dommages
environnementaux résultant de la construction de deux caños et l’arrachage d’arbres et de
végétation par la République du Nicaragua (le Nicaragua) dans la République du Costa Rica (le
Costa Rica) en 2010 et 2013. Par ailleurs, notre tâche était de déterminer si l’évaluation pécuniaire
des dommages figurant dans le rapport établi par Fundación Neotropica (Neotropica) pour le
compte du Costa Rica concordait avec la pratique acceptée en matière d’évaluation des dommages
causés aux ressources naturelles, et si l’estimation pécuniaire des dommages présentée par la
fondation était fiable et se prêtait à leur indemnisation. Enfin, nous avons été priés d’émettre un
avis indépendant sur les dommages en la matière.
Afin de pouvoir formuler cet avis, nous avons examiné le rapport de Neotropica1, divers
documents liés aux allégations du Costa Rica2, des textes publiés ou non publiés sur le droit de
l’environnement international, ainsi que la littérature sur l’économie écologique et
environnementale afférente.
1 Fundacion Neotrópica, rapport sur l’évaluation pécuniaire, 3 juin 2016, mémoire du Costa Rica, vol. I,
annexe 1.
2 Mémoire du Costa Rica, vol. I et vol. II. Kondolf, G. Mathias, 2012, Chenaux défluents du San Juan coulant au
Nicaragua et au Costa Rica : analyse des rapports de Thorne, UNITAR, Ramsar, MINAET et Araya-Montero. Kondolf,
G. Mathias, 2014, Erosion et dépôt de sédiments de la route 1856 dans le fleuve San Juan.
- 58 -
En premier lieu, nous nous pencherons sur les règles juridiques des réparations à raison de
dommages environnementaux et les normes et principes économiques d’une évaluation fiable de
tels dommages. Nous comparerons ensuite l’axe de réflexion suivi par Neotropica à ces normes et
principes, examinerons de manière détaillée les hypothèses et calculs utilisés par Neotropica, et
présenterons une estimation corrigée des pertes sur la base de cet axe de réflexion. Enfin, nous
formulerons notre avis quant à une mesure pécuniaire raisonnable des pertes en la matière, sur la
base des méthodes d’évaluation environnementale standard.
II. PRINCIPES JURIDIQUES DES RÉPARATIONS À RAISON
DE DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX
Evaluer l’obligation d’un Etat à fournir des réparations à raison de dommages causés à des
ressources naturelles nécessite d’appliquer le droit international des réparations au thème
relativement nouveau des préjudices environnementaux. Le versement d’une indemnisation pour
préjudices environnementaux est devenu une pratique de plus en plus courante. Des instances
internationales telles que la Commission d’indemnisation des Nations Unies (CINU)3, des entités
régionales comme l’Union européenne, et des systèmes juridiques nationaux comprenant les
27 Etats membres de l’Union européenne4 et les Etats-Unis fournissent des dédommagements au
titre de pertes environnementales tant marchandes que non marchandes, ainsi que le préconise le
Principe 22 de la Déclaration de Stockholm5. La pratique la plus courante dans ce domaine se
retrouve dans le programme environnemental de la CINU et les indemnisations au titre des
dommages causés aux ressources naturelles des Etats-Unis6. La directive sur la responsabilité
environnementale de l’Union européenne, fondée sur les principes du pollueur payeur et du
développement durable, fixe des normes minimales concernant la responsabilité environnementale
et l’indemnisation7. Le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution
3 La Commission d’indemnisation des Nations Unies a été constituée par la Résolution 687 du Conseil de sécurité
de l’ONU ; elle a examiné 168 allégations à raison de pertes environnementales causées par l’invasion illégale et
l’occupation du Koweït par l’Iraq en 1990-1991. Sur les 85 milliards de dollars des Etats-Unis revendiqués, la
Commission a accordé 5,3 milliards de dollars des Etats-Unis dans le cadre de 109 demandes qui ont abouti. Toutes les
indemnisations au titre de dommage environnemental ont été pleinement versées aux requérants. Ainsi, le programme
environnemental mené avec les fonds d’indemnisation de la CINU et en partie supervisé par cette même commission a
été décrit comme le projet de remise en état de l’environnement le plus important et le plus complexe de l’histoire de
l’humanité. CINU, Post-Conflict Environmental Restoration (2013) 3, uncc.ch.
4 Commission européenne, rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen conformément à
l’article 18, paragraphe 2, de la directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la
prévention et la réparation des dommages environnementaux (2016) 2.
5 Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, Stockholm, 5-16 juin 1972. Voir également le
principe 13 de la Déclaration de Rio, rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le
développement, Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992, vol. I : résolutions adoptées par la conférence, résolution 1, annexe I.
6 U.S. Comprehensive Environmental Response, Compensation, and Liability Act de 1980 (CERCLA), 42 U.S.C.
Sec. 9601 et seq. ; U.S. Oil Pollution Act de 1990, 33 U.S.C. 2701 et seq. ; Federal Register: The Daily Journal of the
United States, Consumer Price Index Adjustments of Oil Pollution Act of 1990, Limits of Liability—Vessels, Deepwater
Ports and Onshore Facilities, 80 Fed. Reg. 72342 (2015) (cette loi des Etats-Unis sur la pollution par les hydrocarbures
est destinée à prévenir les incidents et manquements à la législation en vertu du principe pollueur-payeur).
7 Directive du Conseil de l’Union européenne 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité
environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, JO L143/56
(2004), modifiée par la directive du Conseil 2006/21/CE, JO L102, la directive du Conseil 2009/31/CE, JO L140, et la
directive du Conseil 2013/30/UE, JO L170, préambule (14), article 2 1).
- 59 -
par les hydrocarbures fonctionne d’une manière quelque peu différente8. Ces traités portant sur la
responsabilité civile  qui figurent parmi les tout premiers  font une place de choix à la
répartition des risques pour contribuer à la viabilité financière des envois maritimes
d’hydrocarbures persistants, tout en prévoyant une mesure de remise en état pour les victimes des
marées noires qui peuvent en résulter9.
A. Evaluation des indemnisations à raison de
dommages environnementaux
Dans cette partie du rapport, nous examinerons l’évaluation des indemnisations à raison de
dommages environnementaux en nous fondant en premier lieu sur la pratique de la CINU.
Toute allégation de dommage environnemental est assujettie à l’établissement de la preuve
de la perte constatée qui est liée causalement à l’acte illégal. Une demande d’indemnisation à
raison de perte environnementale doit être étayée par la preuve suffisante des circonstances et de
l’étendue des dommages ou de la perte10. Etant donné le contexte  indemnisations internationales
dans le sillage d’un conflit armé majeur , la CINU a adopté une approche active d’établissement
des faits en engageant ses propres experts-conseils, ce qui, dans une certaine mesure, a allégé la
charge pesant sur les requérants. Néanmoins, l’impossibilité de fournir une preuve suffisante de
l’existence de dommages, de l’étendue et l’emplacement des dommages, du lien de causalité avec
les actes illégaux de l’Iraq, et de la valeur des dommages constituaient pour la CINU les principaux
motifs de contestations ou de minorations du montant de l’indemnité11. Les minorations, effectuées
pour diverses raisons, notamment le manque de preuve, étaient substantielles : le montant total
accordé, à savoir 5,3 milliards dollars des Etats-Unis, représentait environ 6 % du montant total
demandé, soit 85 milliards dollars des Etats-Unis.
8 Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les
hydrocarbures, 1992 ; convention internationale portant création d’un fonds international d’indemnisation pour les
dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, 1992. La portée de ce rapport ne permet pas d’examiner d’autres
accords internationaux visant la responsabilité environnementale et l’indemnisation, tels que la convention internationale
de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute (convention sur
les hydrocarbures de soute), document IMO LEG/CONF.12/DC/1, ou encore la convention de Vienne de 1963 relative à
la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires, 2 ILM (1963) 727 et son Protocole.
9 Le Fonds, qui découle de la convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la
pollution par les hydrocarbures de 1969, apporte une définition des dommages ouvrant droit à indemnisation causés par
la pollution qui exclut les dommages purement écologiques. convention internationale sur la responsabilité civile pour les
dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1992, articles I(6), III. Ceci ne concorde pas avec les décisions
internationales actuelles et peut également être incompatible avec la loi nationale des pays dans lesquels se produisent des
incidents, à l’instar de l’octroi de 4,3 millions d’euros par la Cour de Cassation en France à raison de dommages
purement écologiques découlant de la marée noire de l’Erika. FIPOL, IOPC/APR13/3/3, Incidents impliquant le
FIPOL  Fonds de 1992 : Erika, sections 4.12, 5.2, 5.5 (2013), consultable sur http://documentservices.iopcfunds.org/
meeting-documents/download/docs/3688/lang/en/. Voir Joe Nichols, Scope of Compensation for Environmental Damage
under the 1992 Civil Liability Convention and the 1992 Fund Convention, Marine Resource Damage Assessment,
Liability and Compensation for Environmental Damage, p. 59–66 (F. Maes (éd.) Springer, 2005).
10 Décision du conseil d’administration de la CINU no 10 (règles provisoires), S/AC.26/1992/10 (2010),
art. 35 3). («Les demandes des gouvernements doivent être étayées par des documents justificatifs et autres preuves
appropriées suffisants pour illustrer les circonstances et l’étendue des pertes alléguées.») ; décision du conseil
d’administration de la CINU no 7, S/AC.25/1991/7/Rev.1 (1991, rev. 1992), par. 37 («Etant donné que ces demandes
porteront sur des sommes conséquentes, elles doivent être étayées par des documents justificatifs et autres preuves
appropriées suffisants pour illustrer les circonstances et l’étendue des pertes alléguées.») ; décision du conseil
d’administration de la CINU no 46, S/AC.26/46 (1998). Dans le droit des Etats-Unis, le «préjudice» est défini comme «un
changement néfaste observable ou mesurable d’une ressource naturelle ou une altération d’un service d’une ressource
naturelle» ; c’est pourquoi l’obtention d’une indemnisation à raison de dommage causé à une ressource naturelle
nécessite de fournir la preuve d’un tel changement. Titre 15 du C.F.R. par. 990.30, titre 43 du C.F.R. par. 11.14 v).
11 Par exemple, CINU, troisième tranche F4, par. 38-39.
- 60 -
Il est souvent difficile de procéder à la quantification de dommages environnementaux car,
pour bien faire, celle-ci suppose la mesure fondamentale des aspects de l’environnement lésés du
fait de ces dommages, mais aussi la mesure réelle de leur état au moment du prononcé de la
décision de justice ; la reconstitution naturelle qui, le plus souvent, s’amorce immédiatement après
le préjudice devrait être prise en considération. Ce genre d’informations est rarement facile à
obtenir12.
A titre d’exemple du type d’informations requises, l’Iran a sollicité 900 millions de dollars
dans le cadre de la remise en état de ressources de son patrimoine culturel qui aurait été souillées
par la pollution provoquée par les incendies de puits de pétrole au Koweït, mais sa demande n’a pas
abouti car, comme le précise le rapport de la CINU, l’Iran
«ne décrit ni n’identifie clairement la nature et l’ampleur des dégâts infligés aux objets
et sites du patrimoine culturel faisant l’objet de la réclamation. … [L’]Iran n’a pas
présenté d’éléments de preuve suffisants quant aux emplacements précis, aux
matériaux et au degré de pollution des sites en cause qui, d’après ses assertions, ont
été endommagés.»13
Les demandes au titre des dépenses engagées pour les pertes environnementales restent
subordonnées aux exigences standard en matière de preuve. Ainsi, la CINU n’a accordé aucune
indemnité sur la base des études relatives à la pollution des eaux souterraines, car le Koweït n’avait
pas fourni de document probant pour les coûts, tels que factures et reçus, même si ses demandes
avaient été suffisamment étayées par ailleurs14.
Les demandes d’indemnisation au titre de dommages causés à l’environnement sont
également subordonnées à l’obligation qui incombe à l’Etat lésé d’atténuer le préjudice subi. Ainsi,
le groupe d’évaluation environnementale de la CINU précise que cette obligation est «une
conséquence nécessaire de la préoccupation commune, qui est de protéger et de conserver
l’environnement, ce qui comporte des devoirs envers la communauté internationale et les
générations futures»15. Selon lui, «la cause directe des dommages réside dans le fait que le Koweït
n’a pas pris les mesures qui s’imposaient face à un risque manifeste [compte tenu du mauvais
stockage des munitions], ce qui a rompu le lien de causalité de telle sorte que l’Iraq ne peut pas être
tenu responsable des dommages»16. Par ailleurs, la CINU a déclaré que pour des situations dans
lesquelles un requérant était confronté à plusieurs menaces de dommage environnemental grave et
12 CINU, Rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la première tranche de
réclamations de la catégorie «F4», Nations Unies, doc. S/AC.26/2001/16, par. 34, ci-après première tranche F4 de la
CINU.
13 CINU, Rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la cinquième tranche de
réclamations de la catégorie «F4», S/AC.26/2005/10 (2005), par. 204, 207, ci-après cinquième tranche F4 de la CINU.
14 Première tranche F4 de la CINU, par. 381-383.
15 CINU, rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la troisième tranche de réclamations
de la catégorie «F4», Nations Unies, doc. S/AC.26/2003/31 (2003), par. 42, ci-après troisième tranche F4 de la CINU.
Voir également la décision du conseil d’administration de la CINU no 15, S/AC.26/1992/15 (1992) par. 9 d) ;
Peter H. Sand, Environmental Principles Applied, in Gulf War Reparations and the UN Compensation Commission:
Environmental Liability (CR Payne and PH Sand, eds. Oxford University Press 2011)186-187, ci-après Payne & Sand ;
David D. Caron, The Profound Significance of the UNCC for the Environment, in Payne & Sand, p. 271-272.
16 CINU, rapport et recommandations du comité de commissaires concernant la première partie de la quatrième
tranche de réclamations de la catégorie «F4», Nations Unies, doc. S/AC.26/2004/16 (2004), par. 206 et 216 (le Koweït a
sollicité 653,8 millions de dollars des Etats-Unis au titre de ses deux demandes, et n’a obtenu aucune indemnisation),
ci-après partie 1 de la quatrième tranche F4 de la CINU.
- 61 -
n’était pas en mesure de faire face à toutes ces menaces, le caractère raisonnable des mesures prises
devait être évalué à la lumière des circonstances17.
Les projets d’articles de la Commission du droit international (articles 34, 35, 36 et 37)
indiquent qu’une pleine réparation peut consister, par ordre de préférence, en une restitution, une
indemnisation et une satisfaction. La structure de la CINU ne permet qu’une indemnisation
financière. Néanmoins, dans d’autres dispositifs de dommages environnementaux, il est fréquent
que la partie responsable ait l’autorisation, mais aussi soit tenue, de procéder elle-même à des
réparations18. Les Etats peuvent coopérer dans la mesure où la restitution est possible, l’Etat
responsable entreprenant alors des activités de restauration environnementale au sein de l’Etat lésé.
Cette démarche peut se révéler la plus efficace et la plus judicieuse ; fréquemment aux Etats-Unis,
le règlement d’affaires impliquant des dommages infligés aux ressources environnementales
s’effectue par le biais d’arrangements qui débouchent sur des bénéfices environnementaux
supérieurs, pour un coût inférieur, à ce qu’une décision judiciaire aurait permis d’obtenir.
Lorsqu’un manquement à une obligation entraîne un préjudice pour l’environnement, des
indemnisations peuvent être dues au titre de plusieurs aspects du dommage. Conformément à la
décision 7, paragraphe 35, du Conseil de direction de la CINU, ces aspects incluent : les coûts des
formalités relatifs à la réduction et la prévention des dommages environnementaux ; la surveillance
et l’évaluation des dommages entreprises dans le but «d’évaluer et de réduire le dommage et de
restaurer l’environnement» ; les mesures raisonnables déjà prises ou les mesures à venir qui
peuvent être considérées comme raisonnablement nécessaires pour nettoyer et restaurer
l’environnement ; la surveillance de la santé publique ; et l’épuisement de ressources naturelles ou
le dommage qui leur est causé19.
De la même manière, aux Etats-Unis la loi intitulée «Oil Pollution Act» prévoit une
compensation pour les coûts suivants : la restauration, la remise en état, le remplacement ou
l’acquisition de l’équivalent des ressources naturelles souillées pour les rétablir à leur état
«initial»20 ; la diminution de la valeur de ces ressources naturelles en attendant leur restauration ; et
le coût raisonnable de l’évaluation des dommages subis21.
Des termes comparables sont utilisés dans la directive de l’Union européenne sur la
responsabilité environnementale, qui prévoit la remise en l’état de l’environnement ayant subi des
dommages (réparation primaire) ; et des réparations «complémentaires» et «compensatoires» pour
les pertes environnementales lorsque la réparation primaire n’aboutit pas à la remise en l’état initial
17 Troisième tranche F4 de la CINU, par. 43.
18 «En vertu du principe du pollueur-payeur, l’exploitant responsable doit prendre les mesures de prévention ou
de réparation nécessaires et supporter la totalité des coûts. Les dommages sont considérés comme réparés lorsqu’un
retour de l’environnement à l’état antérieur aux dommages est obtenu.» Commission européenne, rapport de la
Commission au Conseil et au Parlement européen conformément à l’article 18, paragraphe 2, de la directive 2004/35/CE
sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages
environnementaux, COM/2016/0204 (2016) 2. Voir également REMEDE, Deliverable N° 7: Assessment of Current
Practice Regarding Environmental Liability in Member States (2007), tableau 3.4.
19 Par. 35 de la décision no 7 du conseil d’administration de la CINU.
20 L’état initial est celui de la ressource avant le dommage. Cet aspect concorde avec la règle en matière
d’indemnisation de l’Usine de Chorzów, bien qu’il n’en découle pas.
21 Oil Pollution Act, 33 USC 2706. Les règlements d’application définissent en outre la restauration comme
«toute mesure … ou ensemble de mesures … permettant la restauration, la remise en état, le
remplacement ou l’acquisition de l’équivalent des ressources naturelles et services endommagés. La
restauration inclut : a) la restauration primaire, qui consiste en toute mesure, notamment la reconstitution
naturelle, permettant de rétablir les ressources naturelles à leur état initial ; et b) la restauration par
compensation, qui consiste en toute mesure prise pour compenser les pertes intermédiaires de ressources
naturelles et services survenues à compter de la date de l’incident jusqu’à leur reconstitution.» Titre 15 du
Code of Federal Regulations (Code des règlements fédéraux des Etats-Unis), par. 990.30.
- 62 -
de l’environnement, parfois appelées pertes intermédiaires (réparation secondaire), ainsi que «le
coût de l’évaluation des dommages environnementaux, de la menace imminente de tels dommages,
les options en matière d’action, ainsi que les frais administratifs, judiciaires et d’exécution, les
coûts de collecte des données et les autres frais généraux, et les coûts de la surveillance et du
suivi»22. Pour la CINU, ces mesures constituent collectivement un dédommagement qui cadre avec
les projets d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats et la
norme en matière d’indemnisation dans l’affaire relative à l’Usine de Chorzów23.
Certains exemples de la CINU illustrent ces catégories de dommages : suivi et évaluation ;
réparation primaire ; et réparation compensatoire. Le Royaume d’Arabie saoudite (Arabie saoudite)
a présenté plusieurs réclamations pour surveillance et évaluation, parmi les 107 réclamations
examinées par la CINU au titre de la surveillance et l'évaluation «des dommages causés à
l'environnement et de la perte de ressources naturelles, de la surveillance de la santé publique, ainsi
que des tests médicaux»24. Dans l’une d’elle, l’Arabie saoudite  dont la côte du golfe Persique a
été souillée par la majeure partie des 6 à 12 millions de barils de pétrole déversés lors du
conflit  a demandé une indemnisation au titre de la surveillance et l’évaluation du dommage
causé par la marée noire à ses ressources côtières et marines25. Le pays a reçu une indemnité pour
une étude approfondie des côtes, qui a été rapidement menée à bien ; cette étude indiquait que plus
de 600 kilomètres de côtes avaient été pollués par des hydrocarbures en raison du conflit, ce qui
avait causé des dommages environnementaux graves et persistants aux fonctions écologiques de la
zone intertidale26.
Sur la base de ces résultats et d’autres données, la CINU a émis l’avis que le préjudice
découlait du conflit27 et accordé une indemnité à l’Arabie saoudite en se fondant sur les coûts d’un
programme de réparation primaire consistant à nettoyer l’environnement côtier souillé et le
remettre en état28. Les travaux de restauration de la côte devaient durer entre 25 et 40 ans,
notamment parce que la CINU a estimé qu’une remise en état active entraînerait des dommages
plus importants et qu’une reconstitution naturelle serait plus judicieuse  une situation susceptible
d’entraîner des pertes intermédiaires. Aussi l’Arabie saoudite a-t-elle tenté d’obtenir une remise en
état compensatoire, ce qui incluait un projet visant à créer plusieurs réserves côtières29. La CINU a
convenu que la restauration primaire pour laquelle avait été fournie une indemnisation ne
compenserait pas entièrement les pertes, et qu’une remise en état compensatoire était appropriée,
déclarant que :
«deux réserves littorales d’une superficie totale de 46,3 mètres carrés et exploitées
pendant une période de 30 ans suffiraient, à titre de réparation, pour les pertes de
22 Directive sur la responsabilité environnementale de l’Union européenne, article 2, alinéa 16, annexe II 1) ;
ministère finlandais de l’environnement, Remediation of Significant Environmental Damage Manual on Procedures
(Helsinki, 2012), p. 55, ci-après Manual on Procedures, Finlande.
23 Affaire relative à l’Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A n° 17, p. 47 ; commentaires des
articles 31 et 36 des projets d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, rapport de la
Commission du droit international sur le travail lors de sa cinquante-troisième séance, documents officiels de
l’Assemblée générale des Nations Unies, 56e séance, supp. no 10, Nations Unies, doc. A/56/10 (2001).
24 Première tranche F4 de la CINU, par. 3 ; Thomas H. Mensah, avant-propos, Payne & Sand, xviii-ix («en tant
que moyen de protection environnementale et base sur laquelle ces activités peuvent légitimement être compensées»).
Thomas Mensah était le président du comité de commissaires qui examinaient les réclamations en matière
d’environnement.
25 Première tranche F4 de la CINU, par. 538.
26 Troisième tranche F4 de la CINU, par. 172.
27 Troisième tranche F4 de la CINU, par. 176-8.
28 Troisième tranche F4 de la CINU, par. 184-186.
29 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 611.
- 63 -
services écologiques subies par l’Arabie saoudite sur son littoral intertidal. Le Comité
considère que ces réserves, implantées dans des habitats analogues à ceux qui ont été
endommagés, procureraient des avantages écologiques du type de ceux qui ont été
perdus. Le Comité estime que ces réserves sont réalisables, qu’elles sont d’un bon
rapport coût-efficacité et qu’elles présentent un faible risque de retombées néfastes. Le
Comité note aussi que ces réserves profiteraient à la faune et à la flore sauvages tout
en permettant de réparer les dommages aux habitats infratidaux…»30
La somme accordée se montait à 46 millions de dollars des Etats-Unis, soit une baisse par
rapport aux 5,36 milliards demandés par l’Arabie saoudite, sur la base d’ajustements de certains
coûts, l’élimination d’autres coûts en raison de l’absence de preuves, et «des différences au niveau
de la gravité de la pollution pétrolière, des pertes de services écologiques et des durées de
régénération escomptées dans les différentes zones», une variabilité dont l’Arabie saoudite n’avait
pas pleinement tenu compte31.
Certaines des exigences devant être remplies par les requérants se retrouvent dans d’autres
réclamations de l’Arabie Saoudite formulées au titre de réparation compensatoire n’ayant bénéficié
d’aucune indemnisation. L’une, fondée sur la perte de faune et de flore sauvages, a été rejetée pour
cause d’informations insuffisantes32. Une autre réclamation pour pertes écologiques liées aux
pêcheries de crevettes et mérous entre 1990 et 2001, d’après les chiffres des prises et les
programmes prévus pour la reconstitution des stocks, a été refusée en raison de l’insuffisance des
éléments fournis et du caractère inopportun de la méthode utilisée33. Enfin, une réclamation
proposant des projets compensatoires a été rejetée car les informations soumises ne permettaient
pas à la CINU d’évaluer les bénéfices techniques du programme ni sa pertinence par rapport aux
pertes spécifiques, et de voir s’il ne risquait pas de recouper d’autres projets proposés par l’Arabie
saoudite34.
Ainsi que le montrent les exemples de la CINU ci-dessus, les dommages environnementaux
ouvrant droit à indemnisation peuvent inclure les préjudices subis par des ressources naturelles qui
présentent des valeurs marchandes faciles à déterminer, telles que le bois d’oeuvre ou les poissons,
ainsi que des biens et services environnementaux non marchands, tels que l’habitat intertidal ou la
séquestration du carbone. La Commission internationale du droit décrit l’indemnisation comme un
transfert financier susceptible de «couvrir tout dommage financièrement mesurable»35. Certains
allèguent que la perte de ressources qui ne sont pas commercialisées n’est pas «financièrement
mesurable»36, de sorte que l’indemnisation de telles pertes n’est pas fondée en droit. Toutefois, ceci
revient à ne pas tenir compte de l’explication de la Commission du droit international selon
laquelle «la qualification «de financièrement mesurable» est destinée à exclure les indemnisations
pour outrage ou préjudice causé par une violation des droits qui n’est pas liée à des dommages réels
à des biens ou personnes»37. Ainsi, la qualification de «financièrement mesurable» n’a pas pour
objet d’exclure les pertes infligées aux ressources non commercialisables, qui sont des «dommages
30 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 630, 632.
31 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 631, 633.
32 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 650-663.
33 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 664-675.
34 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 676-682.
35 Commission du droit international, art. 36 ; Usine de Chorzów, p. 29.
36 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 46.
37 Commission du droit international, «Projets d’articles sur la responsabilité des Etats», p. 99.
- 64 -
réels». D’après la CINU, «l’affirmation selon laquelle le droit international général exclut
l’indemnisation pour les dommages purement écologiques n’est pas fondée»38.
B. Evaluation des dommages environnementaux non marchands
Cette partie traite des méthodes d’évaluation des dommages environnementaux non
marchands, y compris celles mises en oeuvre par la CINU.
L’apparente nouveauté que constituent les réclamations au titre de dommages purement
écologiques découle de l’accroissement considérable des connaissances scientifiques relatives au
fonctionnement des systèmes environnementaux  notamment le cycle de l’eau, la biodiversité, la
formation du sol et le cycle du carbone  au cours de ces 50 dernières années, et de la perception
du fait que la société humaine est fondamentalement tributaire de leur intégrité39. Aussi la CINU, la
directive de l’Union européenne sur la responsabilité environnementale et d’autres régimes
juridiques sont-ils destinés à évaluer les indemnisations au titre de dommages purement
environnementaux. Pour ce faire, la CINU a appliqué la norme de Chorzów  d’après laquelle
l’indemnisation devrait permettre de rétablir la situation qui, selon toutes probabilités, aurait existé
si l’action n’avait pas été commise  en tenant compte du «lieu où se trouvent les ressources
endommagées et l’usage qui en est fait ou qui pourrait en être fait, la nature et l’ampleur du
dommage, la possibilité d’effets nocifs ultérieurs, la viabilité des mesures de remise en état
proposées, et la nécessité d’éviter des dommages collatéraux pendant et après leur application»40.
En particulier, la CINU a mis l’accent sur «le rétablissement de l’environnement dans l’état où il se
trouvait avant l’invasion du point de vue de son fonctionnement écologique global, plutôt que sur
l’élimination de tel ou tel contaminant ou sur le rétablissement de l’environnement dans un état
physique particulier»41. En conséquence, tant pour le Koweït que pour l’Arabie saoudite, la
Commission a refusé de financer l’élimination, onéreuse et préjudiciable pour l’environnement, des
résidus huileux dans les zones désertiques et côtières, même si cela signifiait que ces endroits
resteraient visuellement souillés suite au conflit pendant fort longtemps encore42.
Un autre aspect propre aux réclamations environnementales est qu’elles sont généralement
traitées comme des réclamations publiques, le gouvernement se comportant comme en mandataire
38 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 58. Voir également l’alinéa 14 du préambule de la directive de l’Union
européenne, qui exclut les champs suivants : dommages corporels, et dommages aux biens privés et aux pertes
économiques. Sa portée est analogue à celle d’autres dispositifs relatifs aux dommages causés aux ressources naturelles,
notamment les dommages causés aux espèces protégées et aux habitats naturels, à l’eau et au sol.
39 Voir par exemple l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, évaluation des écosystèmes pour le
millénaire, 2005. Les écosystèmes et le bien-être de l’Homme : un cadre d’évaluation. Island Press, Washington, DC.
Consultable sur : http://www.millenniumassessment.org/documents/document.356.aspx.pdf.
40 Troisième tranche F4 de la CINU, par. 47.
41 Troisième tranche F4 de la CINU, par. 48.
42 Troisième tranche F4 de la CINU, par. 126-129, 179-182.
- 65 -
fiduciairement responsable d’un «intérêt communautaire à réparer pleinement le dommage»43. Le
comité d’évaluation environnementale de la CINU a expliqué que l’environnement relevait d’une
préoccupation commune, qui «comporte des devoirs envers la communauté internationale et les
générations futures»44. La directive de l’Union européenne sur la responsabilité environnementale
précise que les pertes intermédiaires «ne peuvent donner lieu à une compensation financière
accordée au public», et souligne la nature communautaire de la perte45. A propos de ce type de
relation, le professeur David Caron parle d’un gouvernement agissant «comme un agent pour
l’environnement, pour un intérêt communautaire dans ce même environnement»46.
En conséquence, les systèmes juridiques aux niveaux international (CINU), régional (UE) et
national (Etats-Unis) prescrivent que le gouvernement requérant doit utiliser l’indemnisation
financière qui lui a été accordée pour remédier aux dommages environnementaux. La CINU a mis
en place deux programmes  suivi pour la surveillance et l’évaluation, et suivi des réclamations de
fond  afin de garantir que l’indemnisation servirait aux projets pour lesquels elle a été attribuée47.
Cet aspect est tout particulièrement important dans les cas de pertes liées à des services  tels que
la séquestration du carbone  qui relèvent de l’intérêt de la communauté internationale toute
entière. En 2013, après avoir administré le programme de suivi huit années durant, le Conseil de
direction de la CINU a déclaré que l’Iran avait achevé de mener à bien ses projets
environnementaux et que la Jordanie, le Koweït et l’Arabie saoudite avait mis en place de manière
satisfaisante les dispositifs et contrôles nécessaires, que les derniers financements seraient versés, et
que le mandat du programme avait été rempli48. En vertu de la directive de l’Union européenne sur
la responsabilité environnementale, «les mesures de réparation compensatoire devraient procurer
43 Sand, Environmental Principles Applied, in Payne & Sand, p. 173-190 ; David D. Caron, The Place of the
Environment in International Tribunals, in The Environmental Consequences of War: Legal, Economic and Scientific
Perspectives, p. 253, 256 (J. E. Austin & C. E. Bruch eds., Cambridge: Cambridge University Press 2000) ; David
D. Caron, Finding Out What the Oceans Claim : The 1991 Gulf War, the Marine Environment, and the United Nations
Compensation Commission, in Bringing New Law to Ocean Waters (David D. Caron and Harry N. Scheiber (eds),
Nijhoff, Leiden 2004) p. 394 ; UN Register of Damage, Rules and Regulations Governing the Registration of Claims,
article 11 1), 19 juin 2009. (Le Registre de l’Organisation des Nations Unies, constitué en 2009, peut recevoir les
réclamations dans sa catégorie réclamations publiques concernant les dommages environnementaux causés par la
construction du mur par Israël) ; accord entre l’Erythrée et l’Ethiopie, 12 décembre 2000, 2138 R.T.N.U. 94, 40 I.L.M.
260 (l’Ethiopie demandait réparation au titre des pertes subies concernant les gommiers et plantes résineuses, ainsi que
les terrasses dans la région de Tigré, à hauteur d’environ 1 milliard de dollars des Etats-Unis, et pour les pertes en termes
de faune et flore sauvages) ; décision du conseil d’administration de la CINU no 7, S/AC.26/1991/7/Rev.1 (1992)
(réclamations au titre de dommages environnementaux devant être examinées en tant que réclamations du
gouvernement) ; Cymie R. Payne, Developments in the Law of Environmental Reparations : A Case Study Of The UN
Compensation Commission in Carsten Stahn, Jens Iverson, & Jennifer Easterday, eds. Environmental Protection and
Transitions from Conflict to Peace: Clarifying Norms, Principles and Practices, (Oxford University Press, à paraître en
2017).
44 Troisième tranche F4 de la CINU, par. 42 ; rapport et recommandations du comité de commissaires concernant
la quatrième tranche de réclamations F4, Nations Unies, doc. S/AC.26/2004/17 (2004) par. 38 ; et cinquième tranche F4
de la CINU, par. 40.
45 Directive de l’Union européenne sur la responsabilité environnementale, annexe II 1) d).
46 David D. Caron, The Profound Significance of the UNCC for the Environment, in Payne & Sand, 268. Caron
relie cette modification de perspective à un changement équivalent, consistant à passer d’un gouvernement prenant en
charge les réclamations de ses citoyens (et résidents) à l’approche de la CINU, selon laquelle le gouvernement agit
comme un agent pour les requérants individuels. Tenant compte de la pratique antérieure, un tribunal britannique a estimé
que le gouvernement britannique avait dûment refusé de verser des sommes reçues du gouvernement chinois à un
citoyen, «au motif de dettes dues aux sujets britanniques», en précisant que la relation ne correspondait pas à
«l’obligation d’un agent à l’égard d’un supérieur, ni d’un mandataire à un bénéficiaire de fiducie». Rustomjee c. la Reine,
II Q. B. D. 74, cité dans Marjorie M. Whiteman, Damages in International Law, vol. III (1943), p. 2051-2052.
47 Décision du conseil d’administration de la CINU n° 132, S/AC.26/Dec.132 (2001) ; décision du conseil
d’administration de la CINU n° 258, S/AC.26/Dec.258 (2005) ; Cymie R. Payne, Oversight of Environmental Awards
and Regional Environmental Cooperation in Payne & Sand.
48 Décision du conseil d’administration de la CINU n° 270, S/AC.26/Dec.270 (2013) et décision du conseil
d’administration de la CINU n° 271, S/AC.26/Dec.271 (2013).
- 66 -
des ressources naturelles et services de mêmes type, qualité et quantité pour compenser les pertes
intermédiaires»49.
III. PRINCIPES DES MÉTHODES ÉVALUANT LES
DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX
Les économistes considèrent depuis longtemps que l’environnement naturel peut produire
des biens et services de valeur pour les êtres humains50, et ils ont élaboré tout un éventail de
moyens reconnus pour mesurer cette valeur51. Une évaluation environnementale peut être réalisée
pour améliorer la compréhension du public quant au rôle de la protection environnementale, à des
fins de détermination de politiques publiques (c’est-à-dire pour équilibrer les coûts
environnementaux d’une politique ou action par rapport aux bénéfices escomptés), ou pour
l’évaluation de dommages environnementaux (c’est-à-dire pour attribuer des valeurs à payer en tant
que dommages pour le préjudice environnemental d’une action ou d’un événement).
La démarche la plus courante et la plus communément admise consiste à se fonder sur les
prix du marché pour les services environnementaux qui se vendent sur des marchés
raisonnablement compétitifs dans la zone d’étude. Ainsi, le prix escompté d’une parcelle de forêt
peut servir à estimer la valeur économique potentielle de produits forestiers découlant de la parcelle
au fil du temps (tels que rondins, bois de chauffage, etc.)52. Dans de nombreux cas, toutefois, on ne
peut observer aucune valeur marchande qui permettrait d’estimer la valeur de services
environnementaux. Pour ce genre de cas, les économistes ont mis au point des méthodes
«indépendantes des marchés» afin d’attribuer des valeurs aux services environnementaux. La
valeur de certains services non marchands peut être estimée au moyen de techniques de «préférence
révélée», qui supposent l’observation du comportement des individus confrontés à des choix. Par
exemple, si nous ne pouvons pas trouver de prix marchand pour l’intérêt esthétique que procurent
les parcs au grand public, nous pouvons nous fonder sur les informations utilisées par les
professionnels des loisirs pour opérer un choix entre des sites offrant des qualités esthétiques
différentes, pour mettre en évidence la valeur de la beauté d’un paysage. Dans les cas où aucun
marché ni comportement ne peut être observé, les économistes recourent aux méthodes de
«préférence déclarée»  à savoir des enquêtes auprès du public  pour attribuer des valeurs aux
biens et services environnementaux. Ces enquêtes consistent à présenter aux personnes interrogées
des choix hypothétiques entre plusieurs états de l’environnement à des coûts qui varient. En outre,
certains environnements nous procurent des services qui devraient autrement être fournis par un
environnement bâti. La littérature fait référence à l’utilisation du coût implicite de la fourniture de
services environnementaux sous le terme de méthode «des coûts évités». Ainsi, une zone humide
côtière peut permettre le traitement et l’absorption des écoulements urbains. En l’absence de ce
service, les communautés devraient construire des installations onéreuses de traitement des eaux
pour faire face aux écoulements urbains.
49 Manuel de procédures, Finlande, p. 61.
50 Freeman, A. Myrick, 2003. The Measurement of Environmental and Resource Values. Resources for the
Future, Washington, DC.
51 Freeman, A. Myrick, III, J. Herriges, et C. Kling. 2014. The Measurement of Environmental and Resource
Values: Theory and Methods. 3e ed. Washington, DC: Resources for the Future. Champ, Patricia A., Kevin J. Boyle and
Thomas C. Brown (Eds.). 2003. A Primer on Nonmarket Valuation. Kluwer Academic Publishers;
https://www.amazon.com/Nonmarket-Valuation-Economics-Non-Market-Resourc… ref=sr_1_1?ie=
UTF8&qid=1495630788&sr=8-1&keywords=A+Primer+of+Nonmarket+Valuation.
52 Les prix des terres reflètent généralement les utilisations les meilleures et de la plus haute qualité, et sont donc
tout indiqués pour l’évaluation des flux de services environnementaux pour des cas dans lesquels le bien en question (ici,
les produits forestiers) est le meilleur et de la plus haute qualité sur le marché concerné. Il va sans dire que nombre de
services environnementaux ne sont pas représentés sur les marchés.
- 67 -
Dans un contexte de dommages environnementaux, les économistes se fondent par ailleurs
sur les coûts de remplacement, ou les coûts de restauration, pour l’attribution des dommages. Ainsi,
une marée noire peut provoquer la disparition d’une zone humide, ce qui nécessite alors de
replanter la zone afin de restaurer les services procurés. Si les coûts de restauration ne sont pas des
valeurs53, ils peuvent servir dans certaines circonstances pour comprendre la perte subie ou le gain
perçu par le grand public face une modification de l’environnement. Plus précisément, les coûts de
restauration constituent une mesure acceptable des pertes dans certaines conditions : les efforts de
restauration doivent déboucher sur des services similaires à ceux qui ont été perdus (à la fois en
termes de qualité et de quantité), être techniquement réalisables, et représenter la démarche du
moindre coût permettant d’atteindre l’objectif de restauration, tandis que leur coût ne doit pas être
excessivement disproportionné par rapport à la valeur des services fournis. En règle générale, ce
dernier aspect ressort lorsqu’il est démontré que ces efforts ont été mis en oeuvre par le grand
public dans des contextes similaires ou sont prescrits par des lois ou principes directeurs (tels que
des mesures imposant à des promoteurs d’entreprendre des travaux pour atténuer les impacts subis
par les zones humides).
Les approches fondées sur les coûts de restauration sont les plus communément appliquées
pour l’évaluation des dommages environnementaux, et ce en raison de deux facteurs. Tout d’abord,
il n’existe pas toujours de valeurs et méthodes permettant d’attribuer une valeur économique à un
préjudice environnemental, et l’évaluation économique peut être onéreuse et laborieuse. Les coûts
de restauration sont généralement plus faciles et moins onéreux à estimer. En outre, nombre de lois
sur l’environnement préconisent d’utiliser les fonds récupérés aux fins de restauration et de
remplacement de l’environnement lésé. Ainsi, il est aisé de prendre en compte le coût d’une telle
restauration.
Si les économistes peuvent entreprendre des recherches primaires pour comprendre la valeur
attribuée par le public à un bien ou service environnemental, il est parfois possible d’utiliser des
valeurs existantes tirées de la littérature à des fins d’évaluation. En économie, le recours à de telles
valeurs dans une nouvelle situation est appelée «transfert de bénéfice». Ce transfert est utilisé par
les économistes environnementaux depuis les années 197054, et les normes relatives à son
application font l’objet d’un large consensus55. Ces normes visent à garantir la qualité de l’étude de
base, et la similarité du bien ou service évalué. Comme le prévoient les directives de l’Agence
américaine de protection de l’environnement, il doit y avoir une similarité des termes de «1) la
définition du bien environnemental évalué (ce qui inclut l’ampleur et l’existence de produits de
remplacement) ; 2) la ligne de base et l’étendue des changements environnementaux ; et 3) les
caractéristiques des populations touchées»56.
Quelle que soit la démarche adoptée, plusieurs principes décisifs permettent de réaliser une
évaluation valable des dommages environnementaux. En premier lieu, les analyses doivent être
présentées clairement de manière à garantir la transparence et la possibilité de reproduire toutes les
hypothèses et tous les calculs. En second lieu, il convient de veiller à éviter le double comptage des
catégories de bénéfices (par exemple, si l’on utilise les coûts de remplacement, l’évaluation ne doit
pas inclure la perte future des services pour la même ressource remplacée). Les caractéristiques de
53 Prendre en considération le coût de la restauration de certains environnements peut tout simplement se révéler
bien plus onéreux que n’importe quelle valeur perdue du fait d’un impact, ou bien moins onéreux que les valeurs
produites par les environnements.
54 Sorg et Loomis (1984). http://recvaluation.forestry.oregonstate.edu/brief-history.
55 Johnston, R.J., J. Rolfe, R. Rosenberger, et R. Brouwer (Eds.). 2015. Benefit Transfer of Environmental and
Resource Values: A Guide for Researchers and Practitioners. Springer ; Service du budget et de la gestion (Office of
Management and Budget, OMB). 2003. Circulaire A-4 : To the Heads of Executive Agencies and Establishments.
Septembre 17 ; U.S. EPA (Agence américaine de protection de l’environnement), 2010. Guidelines for Preparing
Economic Analyses. EPA 240-R-10-001. Décembre.
56 U.S. EPA. 2010. Guidelines for Preparing Economic Analyses. EPA 240-R-10-001. Décembre, p.7-46.
- 68 -
départ de la ressource doivent également être prises en considération (quels étaient les services
fournis par la ressource au départ, ou en l’absence de la condition de l’événement). Il importe tout
particulièrement de définir les caractéristiques de départ d’une ressource naturelle pour
l’application du transfert des bénéfices, lorsqu’il est nécessaire d’avoir une similarité entre les
environnements évalués dans l’étude existante et l’affaire concernée pour permettre un transfert
viable. Enfin, dans des cas supposant une évaluation des changements de la qualité
environnementale du fait d’un événement ou d’une action, l’analyse devra refléter la reconstitution
probable du système au fil du temps.
Bien que le droit international ne prescrive ni n’interdise aucune technique d’évaluation en
particulier57, l’on peut considérer que certaines d’entre elles constituent les meilleures pratiques
pour l’évaluation de ressources naturelles non marchandes. La CINU recourt le plus fréquemment à
la valeur estimée des coûts des mesures correctives et/ou de restauration des ressources
endommagées. La réclamation de l’Arabie saoudite au titre de la remise en état de ses côtes,
mentionnée ci-dessus, en est un exemple caractéristique. L’un des commissaires du programme
relatif aux allégations de dommage environnemental soulignait ce qui suit :
«Tout d’abord, les réclamations au titre d’indemnisation doivent être bien
étayées et ne pas reposer sur de simples conjectures et spéculations. Dans la mesure où
l’on recourt à des experts scientifiques et techniques pour étayer ces réclamations, les
techniques et méthodologies employées par les experts à l’appui de leurs conclusions
doivent se conformer aux principes scientifiques généralement admis. En outre, les
méthodes d’évaluation utilisées pour quantifier les dommages causés aux ressources
naturelles doivent être fiables et se fonder sur les circonstances factuelles propres à la
réclamation.»58
Dans certains cas, l’ampleur de la restauration appropriée peut être établie au moyen de
l’analyse des équivalences d’habitat ou l’analyse de l’équivalence de ressources  techniques qui
tiennent compte en bonne et due forme des dommages résultant de préjudices antérieurs, ainsi que
des délais de reconstitution de l’environnement et de la manière dont se reconstitue une ressource
suite à un préjudice. Ces techniques permettent aux analystes de déterminer l’ampleur adéquate de
la restauration au vu de l’ampleur du préjudice59. Une fois que l’on connaît l’ampleur de la
restauration appropriée, il est possible d’attribuer des dommages pécuniaires sur la base des coûts
associés des actions de restauration.
La CINU s’est fondée sur l’analyse des équivalences d’habitat pour évaluer l’ampleur des
pertes dans les zones intertidales en Arabie saoudite60. La Jordanie a recouru à cette méthode pour
calculer que les dommages causés aux terres de parcours et aux réserves naturelles du fait de la
circulation de véhicules, du surpâturage dû au bétail des réfugiés, et de l’utilisation de végétaux
comme combustibles par les réfugiés nécessiteraient une indemnisation à hauteur de
2,4 milliards dollars des Etats-Unis61. Toutefois, la mise en oeuvre de ce projet tel qu’il était
proposé aurait supposé plus de terres que la Jordanie n’en disposait. La CINU a accepté l’analyse
des équivalences d’habitat sur le plan des principes et, compte tenu du nombre limité de terres
disponibles, accordé 160,3 millions dollars des Etats-Unis. Cette somme reflétait les coûts d’un
programme de remplacement dans le cadre duquel les utilisateurs et administrateurs géreraient les
57 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 80.
58 José Allen, Points of Law, in Payne & Sand, p. 168.
59 Robert E. Unsworth & Richard C. Bishop, Assessing Natural Resource Damages Using Environmental
Annuities, 11 Ecological Economics (1994) ; Huguenin, Donlan, Van Geel, and Paterson, Assessment and Valuation of
Damage to the Environment in Payne & Sand, p. 78-79. Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 611-636.
60 Voir la section II.
61 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 353-366, annexe I.
- 69 -
ressources de manière concertée62. Cet exemple et d’autres concernant l’application de l’analyse
des équivalences d’habitat illustrent une procédure de monétisation au titre des dommages
environnementaux qui peut être mise en oeuvre pour compenser la perte de ressources
environnementales non commercialisées sur le marché63.
Une autre méthode permet d’évaluer la perte d’un ou de plusieurs services en particulier.
Ainsi, l’Iran a utilisé le transfert  l’une des formes les plus simples du transfert des
bénéfices64 , pour quantifier la perte environnementale, en multipliant une valeur de service
écologique des terres de parcours par l’estimation de la surface des terres de parcours
endommagées du fait de la présence de réfugiés, en postulant la perte de tous les services
écologiques de la zone pendant un an65. Cependant, aucune indemnisation n’a été octroyée sur la
base de cette méthode. Dans le cas de la réclamation de l’Iran au titre de la perte de service des
terres de parcours, ainsi que le relate l’un des commissaires, «la Commission a écarté le calcul
théorique des pertes des services écologiques pour les parcours susceptibles d’avoir été
endommagés au motif qu’elles étaient surestimées, et a alors mis en oeuvre l’estimation des coûts
d’opportunité sur la base des prix applicables au fourrage du commerce»66.
IV. PRINCIPES ÉCONOMIQUES DE L’INDEMNISATION AU TITRE DU PRÉJUDICE
ENVIRONNEMENTAL
A. L’approche adoptée par Neotropica
Dans sa tentative de fixer une valeur pécuniaire pour les dommages environnementaux
résultant de la construction de deux caños et de l’enlèvement d’arbres et de végétation par le
Nicaragua en 2010 et 2013, Neotropica adopte une approche de «services écosystémiques»
destinée à classer les services procurés par la zone d’étude, qui suppose de répertorier l’ensemble
des biens et services fournis par l’écosystème avant les actions de 2010 et 2013. Pour mettre en
62 La somme accordée reflète en outre une réduction tenant compte des «lacunes en termes de données fournies
par la Jordanie ainsi que le fait que la Jordanie n’a pas pris de mesures pour atténuer le dommage, en particulier du fait
qu’elle n’a pas réduit la pression pastorale sur les parcours». Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 362-363.
63 Voir également la réclamation à hauteur de 194,1 millions de dollars des Etats-Unis formulée par le Koweït au
titre de la perturbation des services écologiques et activités humaines dans ses zones désertiques. Le Koweït a sollicité
des mesures correctives compensatoires pour ses zones désertiques endommagées par le béton de goudron, le sable
apporté par les vents, les lacs de pétrole secs, les lacs de pétrole humides, les tas de déblais contaminés et les tranchées
remplies de pétrole, les déversements, les fortifications militaires, et les zones de brûlage à l’air libre/détonation non
confinée. Les services écologiques qui, selon le Koweït, ont été perturbés incluaient la stabilisation du sol, les
micro-organismes du sol, l’habitat pour la faune et la flore sauvages et la diversité de la végétation ; les activités
humaines temporairement diminuées incluaient le pâturage des animaux et le camping dans le désert (une forme de loisirs
populaire et culturellement importante). Le Koweït a reçu des indemnités au titre, d’une part, des coûts d’évaluation des
dommages environnementaux causés par les lacs de pétrole découlant des incendies de puits de pétrole et, d’autre part, de
la technique d’évaluation pour remédier à ces dommages. Par ailleurs, la CINU a attribué une indemnisation au Koweït
pour le nettoyage et la restauration de l’environnement du fait des dommages terrestres causés par les oléoducs,
tranchées, mines et autres restes de la guerre. Concernant les réclamations au titre des mesures correctives
compensatoires, la CINU a considéré que l’application de l’analyse des équivalences d’habitat par le Koweït était
adéquate, mais a rejeté sa réclamation au motif que les pertes étaient surévaluées et que les réparations déjà prévues par
d’autres indemnisations suffiraient à les compenser. Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 413-428.
64 Pour les «transferts de valeur», une valeur unique ou une moyenne de valeurs est déduite d’une ou plusieurs
études publiées. Cette démarche contraste avec le transfert de fonction de bénéfice pour lequel une relation est établie
entre les valeurs de la littérature et les attributs du bien évalué, la fonction d’évaluation étant alors utilisée pour
l’attribution de valeurs dans le cas concerné.
65 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 175.
66 Peter H. Sand, Environmental Principles Applied, in Payne & Sand, p. 182-183 ; cinquième tranche F4 de la
CINU, par. 178. Parmi les autres facteurs entrant en ligne de compte dans l’évaluation de la réclamation par la CINU
figuraient l’absence de preuves à l’appui de l’ampleur des dommages et la probabilité que des causes sans rapport avec
l’invasion du Koweït par l’Iraq avaient contribué aux dommages. Ibid., p. 177.
- 70 -
oeuvre cette approche, Neotropica utilise un cadre de «transfert des bénéfices», ou des valeurs
existantes tirées de la littérature et d’autres situations, afin de définir des estimations de dommages
pour une sous-catégorie de services qu’elle considère diminués du fait des actions du Nicaragua67.
L’étude de Neotropica classe les services écosystémiques selon un modèle élaboré à
l’origine dans l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, en les divisant en quatre groupes :
services d’approvisionnement ; services de régulation ; services de soutien ; et services culturels.
Cette évaluation vise à appeler l’attention sur les diverses contributions des écosystèmes au
bien-être des populations et inciter à en mesurer la portée. Par rapport à ces objectifs, le modèle
taxonomique de l’évaluation est bien adapté. Néanmoins, il est souligné dans la littérature
économique qu’elle est impropre lorsqu’il s’agit de procéder à une véritable évaluation des services
écosystémiques68. En particulier, ce modèle de classification ne différencie pas les processus et
fonctions écosystémiques des valeurs ou bénéfices des systèmes écosystémiques. Ainsi, les
«services de support» (tels que formation du sol, habitat et pépinière) et certains «services de
régulation» (régulation de la qualité de l’air, notamment) sont des fonctions écosystémiques qui
contribuent à la fourniture d’un service écosystémique mais peuvent être considérées de manière
plus juste comme des «intermédiaires» ou facteurs de la fonction de production d’un service
écosystémique69. La réunion des fonctions et services écosystémiques n’est pas qu’une question de
sémantique, mais suscite la confusion en ce qui concerne les critères à évaluer pour éviter un
double comptage.
Sur les six services écosystémiques monétisés dans le rapport de Neotropica, quatre sont
classés en tant que services de régulation et de soutien. Ces services  régulation des gaz/qualité
de l’air, atténuation des risques naturels, formation du sol/lutte contre l’érosion, et habitat et
pépinière  sont autant d’intermédiaires qui rentrent en ligne de compte dans les valeurs que la
population tirent du site considéré, mais ne sont pas ces valeurs à proprement parler. Une
évaluation séparée de ces écosystèmes et leur ajout à d’autres catégories (à savoir fourniture de
bois d’oeuvre et d’autres matières premières) risqueraient de se traduire par un double comptage.
Une fois les catégories adéquates de services écosystémiques identifiées, le rapport de
Neotropica suit un axe de réflexion simplifié pour estimer les pertes, en évaluant six catégories de
services écosystémiques qui, selon la fondation, ont disparu du fait des actions du Nicaragua. Pour
chacun de ces services, Neotropica estime une quantité de services perdus, qui est ensuite
multipliée par une valeur pécuniaire afin de générer une perte annuelle, ou estimation des
dommages de la «première année». Cette démarche représente une application extrêmement
simplifiée du transfert des bénéfices. Comme indiqué plus haut, si les économistes
environnementaux recourent au transfert de bénéfice théorique depuis les années 1970 et les
critères en matière de transfert viable ont été clairement définis dans la littérature économique
publiée, la démarche de Neotropica est décrite comme une approche d’évaluation «rapide»70
nécessitant peu de données propres à un site pour définir les valeurs économiques de biens et
services environnementaux.
67 Neotropica explique que ses estimations sont prudentes (c’est-à-dire susceptibles de sous-estimer les pertes
actuelles) puisque tous les services pris en compte n’ont pas été monétisés. Cela étant, elle ne présente aucune donnée
confirmant la perte ou l’utilité de ces services pour le cas considéré.
68 Boyd et Banzhaf, 2007 ; La Notte et al., 2017.
69 Boyd et Banzhaf, 2007.
70 «La technique d’évaluation dite du transfert des bénéfices s’est répandue dans les années 1990. Cette technique
rapide a fait des adeptes grâce aux travaux de Costanza et al. (1997) diffusés dans notre hémisphère notamment par
l’Institut économique Gund de l’Université du Vermont aux Etats-Unis et l’ONG Earth Economics.» (P. 24.) Comme
nous le précisions ailleurs dans notre rapport, le transfert des bénéfices est une méthode antérieure aux travaux de
Costanza.
- 71 -
Lors de la définition d’approches acceptables pour l’évaluation de la valeur pécuniaire de
préjudices environnementaux, l’Union européenne a élaboré une «panoplie d’outils» à usage des
pays membres, qui est destinée à mettre en évidence les meilleures pratiques en matière
d’évaluation environnementale et, notamment, ne considère pas l’approche des «services
écosystémiques» utilisée par Neotropica comme une méthode acceptée71. Il convient de noter que
l’ouvrage de Costanza et al. (2014), qui propose une mise à jour du document de 1997 sur lequel se
fonde Neotropica, ne mentionne pas l’évaluation de dommages au nombre des applications
envisagées, mais souligne le rôle que peut jouer l’évaluation de services écosystémiques en
«favorisant la prise de conscience de l’importance des services écosystémiques et aider à en
prendre toute la mesure»72.
B. Les méthodes de transfert employées dans l’étude de Neotropica
ne procèdent pas de principes économiques viables
Neotropica estime les valeurs de quatre des six catégories de services écosystémiques en
appliquant des méthodes de transfert des bénéfices. Comme indiqué plus haut, le transfert de
bénéfices est le processus consistant à adapter des estimations de valeur existantes à de nouvelles
situations. Les économistes emploient couramment les méthodes de transfert de bénéfices dans le
cadre d’études d’évaluation économique pour lesquelles les contraintes de temps et de ressources
ne permettent pas une recherche primaire. Le transfert de bénéfices peut supposer l’application
d’une valeur unique, moyenne ou médiane, issue d’études adéquates («transfert d’unité»), le
calibrage d’une fonction de bénéfice découlant d’une étude unique («transfert de fonction») ou
l’estimation d’une fonction de bénéfices issue de plusieurs études («transfert méta-analytique»).
L’étude de Neotropica combine plusieurs approches d’évaluation : la forme la plus simple du
transfert de bénéfices pour certains services écosystémiques, les prix de marché pour d’autres, et
l’estimation des coûts de remplacement pour d’autres encore73.
La précision et la fiabilité des analyses de transfert des bénéfices dépendent de manière
déterminante de la similarité du contexte environnemental et économique entre la recherche initiale
et l’application du transfert, ainsi que de la qualité de l’étude sous-jacente. Les directives en
matière de meilleure pratique font l’objet d’une analyse approfondie dans la littérature consacrée à
l’économie des ressources et sont prescrites, notamment, dans les documents d’orientation du
71 Resource Equivalency Methods for Assessing Environmental Damage in the EU. Juillet 2008. Deliverable 13 :
Toolkit for Performing Resource Equivalency Analysis to Assess and Scale Environmental Damage in the European
Union. http://web.archive.org/web/20100602054339/http://www.envliability.eu:80/ docs/ D13MainToolkit_and_
Annexes/REMEDE_D13_Toolkit_310708.pdf. D’autres travaux sur les techniques d’évaluation économique figurent
dans : Resource Equivalency Methods for Assessing Environmental Damage in the EU. July 2008. Deliverable 13 :
Annexes to the Toolkit. http://web.archive.org/web/20090617012240/http://www.envliability.eu:80…
MainToolkit_and_Annexes/D 13_All%20Toolkit%20Annexes_July%202008.pdf.
72 Costanza et al. 2014. «Changes in the global value of ecosystem services». Global Environmental Change,
vol. 26, p. 153. Costanza et al. expliquent par exemple que «l’évaluation consiste à estimer des contreparties» et qu’elle
n’inclut pas l’évaluation des pertes comme une utilisation de l’évaluation de services écosystémiques. Une remarque tirée
du rapport TEEB du Programme des Nations Unies pour l’environnement reflète également cette position :
«Etant donné que la plupart des études d’évaluation, dont celle de Costanza et al. (2014),
n’évaluent pas toute la plage des services écosystémiques, le rapport TEEB (2010) a souligné que
l’évaluation est particulièrement utile pour estimer les conséquences de changements découlant d’options
de gestion de remplacement, plutôt que pour estimer la valeur totale du système.». Katona et al.,
Navigating the Seascape of Ocean Management, OpenChannels : Forum for Ocean Planning and
Management (2017).
73 Comme indiqué plus haut, dans certains cas Neotropica confond ces approches : la «valeur» utilisée par
Neotropica pour l’atténuation des risques naturels correspond en fait à un coût de remplacement (c’est-à-dire le coût de
construction de défenses côtières afin de remplacer un écosystème tampon).
- 72 -
service américain du budget et de la gestion de l’Agence américaine de protection de
l’environnement, pour déterminer la manière de mener à bien l’analyse économique74.
L’étude de Neotropica cite les travaux de Costanza et al.75 et les recherches menées à bien
par l’ONG Earth Economics comme modèles pour le transfert de bénéfices réalisé pour évaluer les
services écosystémiques dans la zone humide dite la «Humedal Caribe Noreste». Ce
cadre  l’étude de Costanza et al. en particulier  est largement critiqué et rejeté par le courant de
pensée économique prédominant, qui le considère incompatible avec des principes et pratiques
économiques viables76. En général, ces études, parfois qualifiées «d’évaluations rapides»,
établissent une classification des types de couverture du sol (par exemple zone humide, forêt et
prairie) et précisent les catégories de services écosystémiques s’y rattachant. En se référant à la
littérature existante, les chercheurs estiment alors des valeurs pour chaque catégorie de service
écosystémique et chaque type de couverture du sol, puis additionnent les valeurs des services
écosystémiques à prendre en compte pour calculer une valeur (ou plage de valeurs) par acre (ou
hectare) pour chacun de ces types. Le cas échéant, ces études additionnent les valeurs pour les
types de couverture du sol afin d’estimer une valeur pour la zone étudiée, qui peut être un bassin
versant, un pays ou, dans le cas de Costanza et al., la terre dans son ensemble. Le guide de gestion
des ressources fédérales américaines et des services écosystémiques77, récemment paru, récapitule
les questions théoriques et pratiques associées à cette démarche :
«Nombre des transferts appliqués dans la littérature antérieure portant sur les
services écosystémiques (en particulier dans les revues non économiques) et dans les
outils d’évaluation de services écosystémiques mettaient en oeuvre des méthodes
susceptibles de donner lieu à des erreurs importantes ou à des estimations inexactes
dues, notamment, à l’agrégation incorrecte de valeurs marginales, à la non-prise en
compte des relations spatiales des écosystèmes avec leurs bénéficiaires humains et de
leur évolution dans le temps, ainsi qu’à d’autres erreurs de généralisation.»78
L’étude de Neotropica affine quelque peu cette méthode «d’évaluation rapide» en se
concentrant sur les services écosystémiques qui présentent une utilité démontrée pour les habitats
perturbés sur le site concerné. Toutefois, cette analyse est la proie de plusieurs pièges courants de
«l’évaluation rapide». Tout d’abord, elle omet les facteurs propres au site qui compromettent la
production de services, en ne tenant pas compte des variations du fonctionnement écologique, de
74 Service américain du budget et de la gestion (OMB). Circulaire A4 : Regulatory Analysis. 17 septembre 2003 ;
Agence américaine de protection de l’environnement, Guidelines for Preparing Economic Analyses, septembre 2000.
75 Costanza, R., R. dArge, R. de Groot, S. Farber, M. Grasso, B. Hannon, K. Limburg, S. Naeem, R. V. Oneill,
J. Paruelo, R. G. Raskin, P. Sutton, et M. vandenBelt. 1997. «The value of the world's ecosystem services and natural
capital». Nature, no 387.
76 Bockstael, Nancy E., A. Freeman, III, R. J. Kopp, P.R. Portney, et V. Smith. 2000. «On Measuring Economic
Values for Nature», Environmental Science & Technology, no 34. Dans «Secretariat of the Convention on Biological
Diversity, (2007), An Exploration of Tools and Methodologies for Valuation of Biodiversity Resources and Functions»,
Technical Series n° 28, Montréal, Canada, les auteurs indiquent que
«les méthodes qui sous-tendent ces initiatives, et les chiffres qu’elles produisent, restent controversés ; en
outre, comme le précise l’Evaluation des écosystèmes pour le millénaire, leur utilité à des fins de
définition de mesures est limitée, car il est rare que tous les services écosystémiques aient complètement
disparu et, même dans ce cas, une perte totale ne se produirait généralement qu’au fil du temps» (p. 10).
77 National Ecosystem Services Partnership (NESP). 2016. Federal Resource Management and Ecosystem
Services Guidebook. 2nd ed. Durham : National Ecosystem Services Partnership, Duke University,
https://nespguidebook.com. Ce partenariat de services écosystémiques national résulte d’une initiative du Nicholas
Institute for Environmental Policy Solutions de l’université de Duke, et a été élaboré avec le soutien de l’Agence
américaine de protection de l’environnement.
78 Le Federal Resource Management and Ecosystem Services Guidebook est publié par le National Ecosystem
Services Partnership aux Etats-Unis, avec la participation de plus de 150 experts issus d’organismes fédéraux,
d’universités, d’ONG et de groupes de réflexion américains.
- 73 -
l’état ou de la qualité du système naturel étudié par rapport aux systèmes naturels examinés dans
les études sources. L’étude de Ramsar mentionnée dans le rapport de Neotropica souligne la
nécessité de rendre compte de ces facteurs qui perturbent les fonctions de production écologique
lors de l’évaluation des services écosystémiques des zones humides :
«Cependant, toutes les zones humides ne remplissent pas la totalité de ces
fonctions hydrologiques dans la même mesure, à supposer même qu’elles le fassent.
En effet, certaines d’entre elles remplissent des fonctions hydrologiques qui peuvent
être contraires aux besoins humains, à l’instar des zones humides ripariennes
susceptibles d’agir comme des zones de production de ruissellement, accroissant ainsi
le risque d’inondation en aval. C’est pourquoi il est essentiel de quantifier les
fonctions d’une zone humide avant de l’évaluer.»79
La mesure dans laquelle un hectare donné d’un écosystème produira des services spécifiques
dépend en outre de sa situation dans le site au sens large. Ainsi, une pente descendante de terre
cultivée en zone humide peut procurer un service précieux, en filtrant les ruissellements chargés
d’azote et diminuant la quantité totale des nutriments qui parviennent jusqu’à une alimentation en
eau, tandis qu’il est tout simplement improbable qu’une zone humide entourée de forêt intercepte
un tel ruissellement, de sorte qu’elle ne peut donc pas procurer ce service. L’étude de Neotropica
ne compare pas explicitement les fonctions écologiques des écosystèmes de zone humide dans les
études sources avec la surface de zone humide endommagée dans la Humedal Caribe Noreste,
omettant ainsi une étape analytique décisive nécessaire pour produire des résultats défendables
découlant de tout exercice de transfert des bénéfices.
En outre, en se fondant sur des études propres à un site qui évaluent ces types de services
dans d’autres zones (notamment certaines études axées sur des sites aussi éloignés qu’en
Thaïlande), l’étude de Neotropica ne prend pas en compte les différences potentielles de valeurs
associées aux différences de contexte socio-économique entre les sites. Ainsi, la valeur
d’atténuation des risques naturels des zones humides de mangrove dans l’étude sur laquelle se
fonde Neotropica reflète l’ajout du coût des mesures prises pour remplacer le service d’atténuation
des risques par une digue aménagée80. Cette valeur dépend considérablement de l’ampleur et du
type de protection construite, de la période pour laquelle les mesures d’atténuation des risques sont
requises, et même de la question de savoir si elles seraient tout simplement entreprises ou non dans
le cadre du préjudice décrit ici. En transférant des valeurs de services écosystémiques issues
d’autres recherches, l’étude de Neotropica ne semble pas prendre en compte le contexte écologique
et socioéconomique qui a une incidence sur ces valeurs. Pourtant, le rapport TEEB mentionné par
Neotropica cite explicitement les évaluations de services écosystémiques comme un moyen
d’étudier le contexte local :
«Nombre de valeurs de services environnementaux, en particulier celles liées
aux avantages locaux, sont propres au contexte. Cette situation reflète la véritable
diversité de l’environnement naturel et le fait que les valeurs économiques ne sont pas
une propriété naturelle des écosystèmes mais sont étroitement associées aux divers
bénéficiaires et au contexte socio-économique. Le rôle d’une zone tampon sur la côte
comme protection contre les phénomènes météorologiques extrêmes peut être
primordial ou marginal, selon l’endroit où l’on vit. La régularisation des eaux est
vitale dans certaines conditions, et un simple appui utile dans d’autres. Le tourisme est
une source majeure de revenus dans certaines zones, et sans intérêt dans d’autres, etc.
79 Barbier, Edward B., Mike Acreman, et Duncan Knowler. 1997. Economic Valuation of Wetlands : A Guide for
Policy Makers and Planners. Bureau de la convention de Ramsar, Gland, Suisse.
80 Barbier, E.B. 2007. Valuing Ecosystem Services as Productive Inputs. Economic Policy, vol. 22 ; Barbier,
E.B., I. Strand and S. Sathirathai. 2002. Do Open Access Conditions Affect the Valuation of an Externality? Estimating
the Welfare Effects of Mangrove-Fishery Linkages in Thailand. Environmental and Resource Economics, vol. 21.
- 74 -
Cette dépendance aux conditions locales explique la variabilité des valeurs et implique
qu’en général la valeur d’un service mesuré dans un lieu ne peut être extrapolée à des
sites et contextes similaires que si l’on opère les ajustements nécessaires.»81
Par ailleurs, en estimant, pour un service donné, une valeur égale au fil du temps pour tous
les hectares d’habitat, indépendamment du niveau de qualité ou de fonctionnement, l’analyse ne
procure aucune donnée étayant une étude des changements progressifs des services
écosystémiques. Cet aspect est particulièrement important pour des systèmes écologiques qui se
remettent des dommages au fil du temps. La reconstitution d’un habitat endommagé signifie un
accroissement graduel de la fourniture de services spécifiques (par exemple pour les fibres et
matériaux bruts et la régulation des gaz)82. Les données présentées dans l’analyse de Neotropica ne
montrent pas clairement si cet aspect est pris en compte, mais les résultats indiqués reflètent une
présence ou absence binaire de la pleine valeur par hectare de ces services sur le site (c’est-à-dire
aucun service pour les cinquante prochaines années, puis un brusque rétablissement des services).
En conséquence, l’analyse ne rend pas compte de manière valable des services écosystémiques sur
le site au fil du temps.
V. MÊME SI LE CADRE ÉTAIT CORRECT ET APPLICABLE À L’ÉVALUATION
DES DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX, L’ANALYSE
PRÉSENTÉE EST ERRONÉE
Comme indiqué plus haut, la méthode du transfert des bénéfices «rapide» utilisée par
Neotropica n’est généralement pas acceptée pour l’évaluation des dommages environnementaux,
mais elle est en revanche préconisée dans le cadre de la sensibilisation à l’importance de disposer
d’environnements sains. Indépendamment de notre véritable inquiétude quant à l’utilisation de
cette approche à des fins d’évaluation de dommages environnementaux, l’analyse effectuée par
Neotropica présente de graves déficiences. Dans cette partie, nous examinerons quels auraient été
les résultats si la fondation avait correctement mené à bien l’analyse décrite, en utilisant sa propre
méthode. Nous avons identifié des erreurs majeures, que nous répertorions ci-dessous. Le rapport
de Neotropica ne comporte pas suffisamment de détails pour permettre la transposition de certains
des calculs effectués, et plusieurs chiffres fournis semblent erronés. Comme nous l’indiquons ici,
une fois les calculs et hypothèses de Neotropica corrigés, la valeur totale des dommages ne
représente plus que 3 % environ de celle avancée par la fondation. Plus précisément, l’analyse de
Neotropica est erronée pour les raisons suivantes.
 Certains services n’ayant pas disparu sont évalués (tels que la formation du sol et l’atténuation
des risques naturels).
 Les estimations de valeur capitalisée sont traitées comme des valeurs annuelles, et sont ainsi
comptées plusieurs fois au cours de la période d’analyse (par exemple, la valeur du bois
d’oeuvre qui a été coupé est incluse pour chacune des cinquante années de l’analyse).
 Aucune reconstitution des services n’est escomptée sur cinquante ans.
 Des valeurs tirées de la littérature traitant de circonstances fort différentes sont utilisées pour
représenter certaines valeurs dans le cas présent.
81 TEEB. Février 2011. The Economics of Ecosystems and Biodiversity for National and International Policy
Makers. http://www.teebweb.org/publication/teeb-in-national-and-international-p….
82 C’est la raison pour laquelle l’Equivalence d’habitat et de ressources est utilisée dans de nombreuses
réclamations au titre de dommage environnemental, comme nous l’indiquons plus loin.
- 75 -
 Il existe des erreurs dans la manière dont les valeurs de réserves de services environnementaux
sont combinées avec les valeurs de flux.
En raison de ces erreurs, on ne peut souscrire à l’affirmation des auteurs selon laquelle les
valeurs résultant de l’analyse sont «prudentes» (c’est-à-dire plus susceptibles de sous-évaluer que
de surévaluer les pertes). Le seul examen de l’ampleur des dommages calculés par Neotropica pour
chaque hectare soulève des inquiétudes. Plus précisément, les auteurs allèguent qu’une superficie
totale d’environ 6,2 hectares serait perturbée à divers degrés par les actions du Nicaragua. Les
pertes totales des services écosystémiques sont estimées à 2,8 millions de dollars des Etats-Unis, ce
qui équivaut à des pertes de 455 340 dollars des Etats-Unis par hectare, ou 184 348 dollars des
Etats-Unis par acre. Ainsi que nous l’expliquons plus bas, le coût de l’achat de crédits de services
écosystémiques au Costa Rica pour compenser tout dommage environnemental causé par les
actions du Nicaragua serait inférieur de plus d’un ordre de grandeur à ces estimations.
Nous rappelons brièvement ci-dessous la démarche suivie par Neotropica pour chaque
catégorie de service prétendument perdu, et décrivons nos propres inquiétudes quant à l’analyse
réalisée et aux allégations faites. Comme indiqué, l’approche de ces chercheurs est, d’une manière
générale, celle du transfert des bénéfices, avec une quantité présumée de pertes pour chaque
catégorie de service multipliée par une valeur pécuniaire. Les unités utilisées dans le rapport de
Neotropica pour décrire l’ampleur des pertes de services écosystémiques varient selon les
catégories de service (par exemple, volume de bois sur pied, mètres cubes de sol, hectares
d’habitat), et les valeurs pécuniaires utilisées reflètent diverses estimations issues de la littérature et
d’évaluations antérieures. Les six valeurs annuelles pour les six services écosystémiques examinés
par Neotropica sont additionnées pour générer une valeur annuelle totale. Enfin, Neotropica part du
principe que ces pertes annuelles surviendront sur une base annuelle pour les prochaines
cinquante années, présumant ainsi de l’absence de reconstitution de services monétisés au cours de
cette même période. Sur la base de ce délai de perte supposée, les auteurs calculent une estimation
de perte totale de la valeur présente en se fondant sur l’hypothèse d’un taux d’actualisation de 4 %.
On notera que Neotropica fournit plusieurs tableaux présentant des éléments ayant contribué
à son analyse, ainsi que des tableaux récapitulatifs des résultats. Toutefois, les informations
fournies ne permettent pas de parvenir aux mêmes résultats, et nous avons identifié plusieurs cas où
Neotropica semble faire des erreurs de calcul83.
Dans les calculs que nous avons réalisés ci-dessous, ces erreurs ont été corrigées. Le détail
de nos hypothèses et calculs figurent dans l’appendice A.
A. Réserve de bois sur pied
Comme le montre l’annexe 1, Neotropica estime la valeur de la réserve de bois sur pied
coupé sur les sites de C2010 et CE2013. Pour ce faire, elle multiplie la réserve supposée de bois
avant les actions entreprises au niveau de C2010 et CE2013 par un facteur de coupe, qui reflète
l’hypothèse de l’auteur selon laquelle 50 % (la moitié) de la réserve d’arbres sur pied auraient pu
être exploités pour être vendus en l’absence d’actions de la part du Nicaragua. Elle multiplie
ensuite cette quantité de bois, exprimée en mètres cubes, par le prix sur le marché costa-ricien pour
83 Par exemple, en ce qui concerne la régulation des gaz/la qualité de l’air, tout comme l’atténuation des risques
naturels, Neotropica n’a visiblement pas ajusté son estimation de la perte totale à la valeur du dollar américain de 2016 ;
et concernant la formation du sol/la lutte contre l’érosion, le document source de Neotropica (Colegio Federado de
Ingenieros y Arquitectos de Costa Rica, 2007) indique un coût unitaire pour le sol de 5,78 dollars, tandis que Neotropica
utilise la valeur de 5,87 dollars.
- 76 -
les espèces poussant sur le site84. Par ailleurs, Neotropica considère qu’en sus de la coupe de 50 %
du stock sur pied il aurait été possible de supprimer de manière viable la moitié de la croissance
annuelle des arbres dans la zone d’étude chaque année, et multiplie cette valeur par ce même prix.
L’addition de ces deux valeurs donne une valeur totale annuelle (ou «dommages de première
année») qui est ajustée à la valeur du dollar américain de 2016 au moyen d’un déflateur du PIB.
Enfin, une valeur actuelle est calculée pour la période du préjudice supposé, soit cinquante ans. De
ces calculs, Neotropica tire une valeur des dommages pour ladite période égale à 462 490 dollars
des Etats-Unis.
Dans l’annexe 1, nous indiquons les estimations des dommages et calculs corrigés. L’aspect
le plus notable est que l’analyse considère, de manière erronée, la valeur pécuniaire de la moitié de
la réserve d’arbres sur pied coupés en 2010 et 2013 comme une valeur annuelle, alors que cette
valeur ne devrait être appliquée qu’une seule fois (au moment de l’action) et ajoutée à la valeur
actuelle du taux de croissance annuel85. En d’autres termes, Neotropica estime quel était le volume
de peuplement forestier sur pied (c’est-à-dire le bois) sur le site avant les actions du Nicaragua. La
fondation pose en principe que la moitié de ce volume aurait pu être coupé, et qu’il présentait donc
une valeur marchande qui a été perdue. De manière erronée, elle évalue ensuite ce volume de
réserve sur pied comme s’il avait pu être coupé chaque année, alors que dans les faits il n’aurait été
disponible qu’après la repousse de la forêt. En plus de prendre en considération la valeur de la
réserve sur pied, l’analyse de Neotropica part du principe que ces arbres auraient continué à
pousser chaque année, et attribue une valeur de marché à ce volume supplémentaire de croissance
présumée. Comme le montre l’annexe 1, une simple correction de ce facteur réduit l’estimation de
la perte de valeur actuelle sur cinquante ans à 30 175 dollars des Etats-Unis, soit environ 6,5 % de
l’estimation de Neotropica.
Cette estimation, bien qu’inférieure, pourrait toutefois surestimer les dommages pour les
raisons suivantes.
 Rien ne permet de dire avec certitude si les valeurs utilisées sont des valeurs de bois sur pied
(qui reflètent le prix payé pour les rondins, diminué du coût de coupe) ou les prix des rondins.
S’il s’agit des prix du bois récolté, ces valeurs surestiment la valeur du bois sur pied.
 Même si les prix utilisés sont corrects, aucune information n’est fournie pour étayer l’idée
selon laquelle cette zone aurait été exploitée de manière viable. En l’absence de telles preuves,
notamment de l’existence d’un marché pour le produit coupé, les valeurs présentées
correspondent à une surestimation de la valeur du bois sur pied. En d’autres termes, il se peut
que ces zones ne possèdent aucune valeur marchande en tant que forêts denses exploitables.
 Etant donné que le site est en cours de reconstitution, et retournera vraisemblablement à un état
forestier, il fournira de fait de futurs services en termes de bois d’oeuvre. Ainsi, l’analyse
élaborée par Neotropica peut surestimer la perte de croissance annuelle (c’est-à-dire qu’une
telle croissance pourrait se produire à l’avenir malgré les actions de 2010 et 2013). Supprimer
la perte de croissance annuelle des calculs ci-dessus déboucherait sur une nouvelle diminution
des dommages estimés.
84 Les ressources naturelles comportent souvent une composante «réserve» et une composante «flux». La
«réserve» est la qualité ou le niveau initial d’un service (par exemple le volume de bois exploitable sur un hectare de
terre, ou la quantité de carbone séquestré à un moment donné dans un écosystème). La composante «flux» est l’ajout à
cette réserve escompté chaque année. Un écosystème mâture peut continuer à produire un flux de services, par exemple
s’il est géré de manière à optimiser la production de bois d’oeuvre, ou rester à un état stable.
85 L’analyse menée par Neotropica revient à utiliser une valeur du marché pour un hectare de forêt (achat avec
intérêt en fief) en tant que valeur annuelle des services de bois d’oeuvre fournis par cette forêt, alors qu’il s’agit en réalité
de la valeur actuelle du flux de services escomptés pour l’avenir.
- 77 -
Compte tenu de ces facteurs, la perte subie par le Costa Rica en termes de services de bois
sur pied n’excède pas 30 175 dollars des Etats-Unis.
B. Autres matières premières
L’analyse de Neotropica concernant la valeur «d’autres matières premières» susceptibles
d’être utilisées pour leurs fibres ou en tant qu’énergie présente de nombreux problèmes analogues à
l’estimation de la valeur du bois sur pied. Plus précisément, Neotropica estime que la valeur
d’autres matières premières équivaut au produit d’une valeur présumée par hectare multipliée par le
nombre d’hectares touchés, ajusté à la valeur du dollar américain de 2016 au moyen d’un déflateur
du PIB. A partir de cette valeur, elle obtient une perte de valeur actuelle de 17 877 dollars des
Etats-Unis. Il convient de préciser que Neotropica n’a pas pu transposer la valeur de «première
année» rapportée dans le tableau 14, mais a accepté cette valeur aux fins de l’analyse.
Dans l’annexe 1, nous indiquons les résultats corrigés. Tout comme pour la réserve de bois
sur pied, Neotropica part de l’estimation de la valeur de réserve de matières premières (par hectare)
endommagées sur le site, et calcule une valeur actuelle. Toutefois, un tel volume ne pourrait pas
être supprimé chaque année durant cinquante ans, et le préjudice initialement causé est supposé se
réparer au fil du temps. A ce titre, il conviendrait d’utiliser la valeur annuelle de 1200 dollars des
Etats-Unis pour représenter la valeur actuelle de ce flux de service, ou environ 7 % de la valeur
présentée dans le tableau 14 de Neotropica pour ce service écosystémique.
Bien que cela reflète la perte de valeur actuelle corrigée, d’autres aspects suscitent notre
inquiétude.
 La littérature cite trois études qui fourniraient des estimations de la valeur par hectare «d’autres
matières premières», dont la moyenne combinée est intégrée dans les calculs. Ces valeurs vont
de 2,02 dollars des Etats-Unis à 467,94 dollars des Etats-Unis par hectare, soit plus de deux
ordres de grandeur. Ainsi, l’utilisation de la valeur la plus basse déboucherait sur une
évaluation de seulement 1 % de la valeur présentée, et celle de la valeur la plus élevée sur une
valeur égale à plus du double du résultat. Dans de tels cas  c’est-à-dire lorsque les valeurs de
la littérature ne sont pas cohérentes , il convient de retenir la valeur issue de l’étude la plus
adaptée au problème d’évaluation et au site considéré, ce qui n’a pas été fait par Neotropica.
 Le rapport de Neotropica n’indique en rien que la végétation coupée aurait été utilisée
localement pour ses fibres ou en guise de combustible. En l’absence d’une telle utilisation, la
mesure d’évaluation correcte pour cette catégorie de service écosystémique serait égale à zéro.
 Neotropica n’a pas tenté d’ajuster le délai de reconstitution de ce flux de service à travers le
site, mais est au contraire partie du principe que les services étaient perdus pour cinquante ans.
Il est probable que cette végétation se reconstituera bien avant ce délai. Pour cette raison, et
étant donné que toute la végétation du site a été évaluée la première année, nous pensons qu’il
n’y a pas lieu de présumer une perte future de services au-delà de la première année.
C. Régulation des gaz
Le rapport de Neotropica prend en compte la perte des services de «régulation des gaz» sur
le site, qui correspond à la disparition des services de séquestration de carbone du fait de
- 78 -
l’élimination de la végétation au niveau des caños C2010 et CE2013. Comme l’indique le groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat86,
«les écosystèmes terrestres fournissent un mécanisme actif (la photosynthèse) pour
l’élimination biologique du CO2 de l’atmosphère. Ils agissent comme des réservoirs
de C fixé par photosynthèse en le stockant sous ses formes diverses dans les tissus
végétaux, les matières organiques mortes et les sols. Les écosystèmes terrestres
procurent en outre un flux de produits exploitables qui, non seulement, contiennent du
carbone mais concurrencent en outre les combustibles fossiles sur le marché ainsi que
d’autres matériaux de construction (comme le ciment) et peuvent servir à d’autres fins
(tels que le plastique) qui ont également des répercussions sur le cycle global du
carbone. Ce cycle se compose des divers stocks de carbone dans le système terrestre et
des flux de carbone entre ces stocks.»
Dans le cadre de l’évaluation du rôle joué par un écosystème dans l’élimination et le
stockage du carbone, il importe de décrire comme il convient le rôle de l’écosystème en termes
d’emmagasinage d’un «stock» de carbone, par opposition au rôle d’une nouvelle séquestration de
carbone («le flux»). L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature en propose des
définitions fort utiles87 :
 Stocks : le terme stock de carbone terrestre correspond à la somme des stocks de carbone, ou
réservoirs, de tous les écosystèmes terrestres. Le réservoir de carbone de chaque écosystème est
défini par plusieurs éléments, tels que le carbone dans la végétation, le sol, les feuilles mortes
et les débris ligneux.
 Flux : les flux de carbone font référence aux échanges annuels de carbone entre un système, tel
que l’atmosphère, et un autre, tel que la biosphère. A l’instar des stocks, les flux diffèrent selon
la structure de chaque écosystème. En règle générale, la prise en compte des échanges de
carbone inclut la photosynthèse, l’accumulation de carbone dans la végétation, le sol et la
couverture de feuilles mortes (assimilation), la décomposition de ces matières, ainsi que la
production de carbone gazeux tel que le CO2 (respiration), et les émissions produites par des
perturbations, telles que la déforestation et les incendies. Ces flux changeront périodiquement
en fonction des utilisations anthropogéniques des terres et des cycles naturels.
Afin de produire une estimation de valeur actuelle, Neotropica multiplie le nombre
d’hectares touchés par une valeur tirée de la littérature pour le stockage potentiel du carbone
(exprimée en dollars) pour un hectare d’habitat. Elle ne fournit aucun détail au lecteur pour lui
permettre d’appréhender le niveau de similarité entre cet habitat (avant la perturbation) et l’habitat
considéré dans la littérature de laquelle est tirée cette valeur. La valeur utilisée pour établir une
estimation de dommage pécuniaire est de 14 995 dollars des Etats-Unis par hectare, à laquelle
Neotropica ajoute 26,83 dollars des Etats-Unis, pour prendre en compte la valeur annuelle de
carbone séquestré par hectare. Neotropica convertit ensuite cette valeur en dollars des Etats-Unis de
2016 au moyen d’un déflateur de PIB, puis calcule la valeur actuelle sur cinquante ans. Elle obtient
alors une estimation de perte de valeur actuelle pour cette catégorie de service d’environ
937 509 dollars des Etats-Unis.
L’estimation des dommages corrigée est présentée en annexe 1. On notera en particulier que
la valeur du stock de carbone sur le site avant le dégagement de la végétation pour C2010 et
86 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Troisième rapport d’évaluation. 2001. 4.2
Land Use, Land-Use Change, and Carbon Cycling in Terrestrial Ecosystems. http://www.ipcc.ch/ipcc
reports/tar/wg3/index.php?idp=158.
87 Union internationale pour la Conservation de la Nature. 2009. The Terrestrial Carbon Budget : Stocks and
Flows. Draft report. https://www.iucn.org/sites/dev/files/import/downloads/terrestrial_carbo….
- 79 -
CE2013 ne devrait pas être appliquée chaque année durant cinquante ans, et que l’accroissement
annuel ne devrait pas non plus être ajouté à cette valeur. Le résultat correct, si l’on se fonde sur la
valeur de Neotropica, est égal à 47 778 dollars des Etats-Unis (la valeur tirée de la littérature
utilisée par Neotropica, mais interprétée correctement en tant que valeur de stock), soit environ 5 %
de l’estimation de la valeur actuelle de Neotropica.
Les estimations de la valeur de la perte en termes de services de séquestration sur une
parcelle de terre végétalisée spécifique peuvent être compliquées à réaliser, et étroitement liées au
site. Cette situation résulte notamment de la complexité inhérente à la mesure du stock de carbone
séquestré sur le site avant l’événement en question, du fait de savoir si le site endommagé
continuait de piéger du carbone (ou constituait une zone parvenue à maturité dans un état stable),
de la future utilisation escomptée des terres sur le site, et du taux de croissance du site après
l’événement. Par exemple, étant donné que ces sites endommagés connaissent une repousse, les
services de séquestration du carbone ont recommencé sur le site et pourraient à l’avenir surpasser
leur perte estimée.
Il n’est pas nécessaire d’ajouter à cette valeur de stock la valeur de la séquestration annuelle
à venir, contrairement à ce que fait l’analyse de Neotropica. Tout d’abord, aucun élément ne donne
à penser que les sites endommagés ne séquestrent pas bel et bien du carbone ; en effet, puisque
l’habitat se reconstitue après les dommages subis et que la végétation repousse sur le site, celle-ci
piégera à nouveau du carbone, éventuellement à un taux supérieur à celui qui prévalait avant les
actions du Nicaragua. Par ailleurs, les calculs relatifs aux dommages subis par le bois d’oeuvre et
les matières premières décrits ci-dessus supposent l’exploitation de ces produits pour en tirer le
bénéfice économique allégué en tant que perte. Si une telle exploitation avait lieu, le carbone ne
serait plus séquestré. L’inclusion de ces deux services entraîne manifestement un double comptage
des dommages : soit les arbres restent sur pied et fournissent ainsi un service de séquestration, soit
ils sont coupés, ce qui met fin à ce service. L’analyse ne devrait pas partir du principe qu’une
même zone de terre est susceptible de fournir ces deux services88.
La valeur de séquestration du carbone utilisée dans cette analyse est destinée à refléter le
coût évité marginal des dommages associés au changement climatique. Cela signifie que si nous
pouvions piéger le CO2  ou en éviter l’émission , les effets du changement climatique seraient
atténués. Cette valeur renvoie au coût social du carbone, dont la valeur a été estimée par diverses
organisations gouvernementales et non gouvernementales. Elle reflète la valeur des impacts évités
à la population mondiale, et pas simplement les coûts épargnés aux citoyens costa-riciens, et
pourrait être interprétée comme une surévaluation des dommages causés au Costa Rica.
D. Formation du sol/contrôle de l’érosion
Neotropica présente une valeur pour ce qu’elle considère comme la perte des services de
formation du sol et de lutte contre l’érosion. Elle l’estime en multipliant le volume de déblais
«évacués» par un prix de remplacement du sol, tiré des estimations de coût pour un autre site89. Elle
utilise ensuite cette valeur pour estimer ce qu’elle considère comme correspondant au coût sur
cinquante ans, ajusté au moyen du déflateur du PIB90. A partir de ces valeurs, Neotropica crée ce
88 Comme indiqué plus haut, l’une des préoccupations concernant cette approche des services écosystémiques est
de savoir si les services supposés peuvent bel et bien être fournis ensemble, ou si certains services (tels que la protection
côtière) disparaissent lorsque d’autres services (la coupe du bois) ont lieu.
89 Le site duquel elle tire ces informations inclut une zone minière, et diffère donc du cas présent tant en termes
de caractéristiques que d’ampleur.
90 Comme indiqué plus haut, les auteurs rapportent une valeur de 5,87 $US/mètre cube, qui devrait être en fait
5,78 $/mètre cube.
- 80 -
qu’elle appelle une estimation de dommage annuel de 54 926 dollars des Etats-Unis, pour une
valeur actuelle d’environ 1 180 000 dollars des Etats-Unis pour la période de cinquante ans.
Neotropica part implicitement du principe que le sol déplacé sur les sites touchés est «perdu»
pour ce site, alors qu’il n’est en fait que réparti différemment91. En outre, les caños se sont remplis
de sédiments entretemps, de sorte qu’aucune action n’est requise pour remplacer le service de
formation de sol/lutte contre l’érosion. Pour cette raison, nous pensons que la valeur corrigée
devrait être zéro, et que cette catégorie de perte ne devrait pas être incluse dans la réclamation au
titre de dommages formulée par le Costa Rica.
Même si ce service avait disparu, l’approche de Neotropica devrait partir du principe,
compte tenu des rectifications présentées, que la valeur de 54 926 dollars des Etats-Unis ne sert pas
à créer une valeur présente ; le coût de remplacement de l’ensemble des déblais déplacés sur le site,
qui ne se produirait qu’une seule fois, déboucherait sur une valeur actuelle corrigée égale à environ
5 % de celle rapportée par Neotropica.
E. Atténuation des risques naturels
Neotropica définit «l’atténuation des risques naturels» comme incluant les services fournis
par un écosystème qui atténuent les risques et dangers naturels, tels que les tempêtes et autres
conditions météorologiques défavorables. Cela signifie que les systèmes naturels peuvent servir
soit de tampon entre les communautés humaines et les effets d’évènements pluvieux (tels que les
inondations côtières), soit de puits pour l’excédent des eaux de surface en cas de tempête.
En l’espèce, aucun élément ne prouve que ce service ait disparu ; nous en concluons donc
que ce type de perte ne devrait pas être inclus dans la demande d’indemnisation formulée par le
Costa Rica. En d’autres termes, aucune des informations présentées par Neotropica ne permet de
supposer que les altérations physiques faites par le Nicaragua, et auxquelles a remédié le
Costa Rica, se traduiront par un risque accru d’inondation côtière pour les infrastructures et
communautés voisines en cas de tempête. En outre, le changement du paysage physique en
l’espèce  de l’ordre de plusieurs hectares  n’est pas comparable aux changements analysés
dans l’étude sur laquelle se fonde Neotropica pour réaliser son évaluation pécuniaire (une perte de
plusieurs milliers d’hectares de mangroves côtières).
Neotropica précise que son analyse relative à la perte des services d’atténuation des risques
naturels sur ce site repose sur des valeurs tirées d’une étude de Barbier et al. (2002)92 ; quoi qu’il
en soit, cette évocation est sans rapport avec la situation présente. Il est possible que Neotropica
fasse référence à l’étude de Barbier (2007)93, également citée, qui adopte ce qui est désigné comme
une approche de l’évaluation écosystémique reposant sur les «coûts de remplacement» (ce que
nous appelons «coûts évités»). En d’autres termes, l’auteur considère que le coût de la construction
de brise-lames et barrières le long de la côte se déduit de la valeur des mangroves qui constituent
91 Le rapport de 2011 établi par le Costa Rica pour la convention de Ramsar (à savoir l’annexe 155 au mémoire
du Costa Rica sur le fond, correspondant au numéro 6 dans le tableau 2 de Neotrópica) indique (en référence au caño de
2010) que «les matériaux extraits durant la construction du canal artificiel [de 2010] avaient été déversés sur les deux
berges du cours d’eau ainsi creusé» (annexe 155 au mémoire du Costa Rica, p. 32-33). Dans son rapport de mars 2014 à
la convention de Ramsar (numéro 12 dans le tableau 2 de Neotrópica), le Costa Rica relate qu’en décembre 2013 une
visite sur place du caño oriental (de 2013) avait permis d’observer que «les déblais excavés depuis le canal avaient été
entassés le long de la berge» (rapport du Costa Rica à la convention de Ramsar en mars 2014, CR-1, mai 2014, rapport de
conformité (Compliance Report), p. 11, figure 4).
92 Barbier, E.B., I. Strand and S. Sathirathai. 2002. Do Open Access Conditions Affect the Valuation of an
Externality? Estimating the Welfare Effects of Mangrove-Fishery Linkages in Thailand. Environmental and Resource
Economics, vol. 21.
93 Barbier, E.B. 2007. Valuing Ecosystem Services as Productive Inputs. Economic Policy, vol. 22.
- 81 -
un tampon littoral naturel. En tant que telle, l’étude de Neotropica décrit de manière erronée les
valeurs présentées comme «un coût évité dans la destruction des infrastructures et des propriétés»,
puisque la valeur correspond en fait au coût de la protection du littoral. De cette valeur, la
fondation Neotropica en déduit une estimation des dommages en valeur actuelle égale à environ
126 700 dollars des Etats-Unis, qui couvre à la fois les zones du C2010 et du CE2013.
L’étude de Barbier visait à fournir des données pour permettre aux hauts responsables
d’envisager des mesures de protection des mangroves côtières en Thaïlande, en leur offrant la
possibilité de décrire les avantages de ces systèmes. Néanmoins, les valeurs présentées constituent
des estimations de coûts de remplacement propres au littoral étudié, et non des valeurs
économiques calculées par les pouvoirs publics pour une telle protection. L’étude du cas de la
Thaïlande traite d’une situation dans laquelle on constate une disparition régionale et généralisée
des mangroves (décrite comme équivalant à 3,4 kilomètres carrés par an), supposée déboucher sur
une vulnérabilité accrue aux tempêtes. Pour les sites C2010 et CE2013, rien n’indique que la
création de telles barrières côtières serait nécessaire, qu’un tel coût serait justifié par l’atténuation
des risques obtenue, et qu’une telle protection serait préconisée pour les cinquante années de
l’analyse. Nous ne pensons donc pas que ce service écosystémique devrait être inclus dans
l’estimation finale des dommages94.
F. Habitat et pépinière
L’étude de Neotropica décrit la perte de «services d’habitat et de pépinière» et évalue ces
services à partir d’une moyenne des valeurs tirées de la littérature publiée. Plus précisément, les
auteurs calculent la moyenne de quatre estimations de service d’habitat supposément tirées de trois
études publiées (voir l’annexe 3 du rapport de Neotropica). Les valeurs citées par Neotropica telles
que rapportées dans la littérature couvrent une très large plage  2,02 dollars des
Etats-Unis/hectare à 4 432 dollars des Etats-Unis/hectare  et sont toutes présentées en tant que
valeurs annuelles. La moyenne de ces valeurs est ensuite ajustée à la valeur du dollar américain de
2016 au moyen d’un déflateur du PIB, et une valeur actuelle est calculée pour les cinquante années
de préjudice supposé. Il en résulte une estimation des dommages égale à 40 731 dollars des
Etats-Unis pour cette catégorie de services écosystémiques.
Etant donné que la moyenne utilisée par Neotropica est centrée sur la partie supérieure des
estimations qui auraient été faites par Barbier et al. (2002)95, nous avons examiné cette source ainsi
que l’ouvrage de Barbier afférent (2002)96. Dans Barbier (2002), l’auteur estime que les services
d’habitat et de pépinière pour les mangroves de Thaïlande sont de l’ordre de 55 dollars des
Etats-Unis/hectare (p. 205). Dans Barbier et al. (2002), les auteurs considèrent que ces services
pour le même habitat en Thaïlande correspondent à une plage approximative de 4 à 136 dollars des
Etats-Unis/hectare (ou une moyenne de 70 dollars des Etats-Unis/hectare) en valeur actuelle
(p. 358). Nous ne sommes pas parvenus à trouver les valeurs utilisées par Neotropica dans les
rapports de Barbier. Quoi qu’il en soit, nous pensons qu’il s’agit de valeurs actuelles, mais les
traiter comme des estimations annuelles déboucherait sur une baisse de l’estimation de Neotropica,
passant ainsi de 40 731 dollars des Etats-Unis à approximativement 1342 dollars des Etats-Unis en
valeur actuelle (p. 358). Cela signifie que si nous acceptons l’approche de Neotropica, la valeur
correcte ne dépasserait pas 13 % de l’estimation de Neotropica.
94 Nous ne sommes pas parvenus à identifier la source de la valeur unitaire de l’atténuation des risques utilisée
dans le rapport de Neotropica, et n’avons donc pas pu déterminer si l’analyse débouche sur un calcul correct des
dommages de la valeur actuelle.
95 Barbier, E.B., I. Strand and S. Sathirathai. 2002. Do Open Access Conditions Affect the Valuation of an
Externality ? Estimating the Welfare Effects of Mangrove-Fishery Linkages in Thailand. Environmental and Resource
Economics, vol. 21.
96 Barbier, E.B. 2007. Valuing Ecosystem Services as Productive Inputs. Economic Policy, vol. 22.
- 82 -
Enfin, nous notons avec préoccupation la transposition au cas présent d’une étude réalisée en
Thaïlande aux fins de l’élaboration de politiques, avec des paramètres écologiques, économiques et
culturels différents. En particulier, l’analyse de la Thaïlande se fondait sur la perte généralisée et
permanente de l’habitat de mangroves côtières, et non la perte intermédiaire d’habitat dans l’attente
d’une reconstitution. C’est pourquoi nous pensons que, dans le cas qui nous intéresse, même la
valeur ajustée indiquée dans l’annexe 1 surestime les pertes réelles en termes de services d’habitat.
G. L’évaluation au moyen de la méthode de Neotropica,
une fois les erreurs corrigées
En résumé, si nous corrigeons les erreurs de Neotropica, comme nous l’expliquons ci-dessus,
et omettons les services écosystémiques non pertinents pour le site et le préjudice concernés ici,
nous estimons que la perte de valeur actuelle n’excède pas 84 296 dollars des Etats-Unis, soit
environ 3 % de l’estimation de Neotropica. Il nous semble que cette valeur reflète l’application
correcte de l’approche utilisée par Neotropica.
Annexe 1 :
Valeurs originales et
corrigées pour un
bien ou service
écosystémique
Année du
dommage
initial
Neotropica :
valeur actuelle sur
50 ans (en dollars
E.-U. (2016))
Analyse corrigée :
estimation des
dommages de la
valeur actuelle
(en dollars E.-U.
(2016))
Correction faite
Bois sur pied
2010 420 162 27 248 Correction en valeur
ponctuelle
2013 42 327 2 927
Total 462 490 30 175
Matières premières
(fibres et énergie)
2010 17 058 1 121 Correction en valeur
ponctuelle
2013 819 79
Total 17 877 1 200
Régulation des
gaz/qualité de l’air
2010 797 827 41 050 Correction en une
valeur unique
2013 139 682 6 728
Total 937 509 47 778
Atténuation des risques
naturels
2010 157 080 0 Sans conséquence
pour la zone
2013 27 501 0 endommagée
Total 184 581 0
Habitat et pépinière
(biodiversité)
2010 34 662 4 384 Ajustement à la
valeur actuelle
2013 6 069 760
Total 40 730 5 144
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Formation du sol/lutte
contre l’érosion
2010 722 031 0 Sans conséquence
pour la zone
2013 457 893 0 endommagée
Total 1 179 924 0
Total
2010 2 148 821 73 803
2013 674 291 10 494
Total 2 823 112 84 296
VI. MONÉTISATION DES DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX
AU MOYEN DES TECHNIQUES STANDARD
Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, l’approche classique pour apprécier les dommages
causés aux ressources naturelles consiste à évaluer les réclamations y afférentes au regard des coûts
de restauration ou de remplacement. Il nous semble qu’une telle méthode est appropriée afin
d’évaluer les réclamations du Costa Rica pour dommages environnementaux, et permettrait de
parvenir à une mesure précise des pertes sans se heurter aux failles inhérentes à la démarche de
Neotropica.
Les plus importantes réclamations pour dommages environnementaux présentées devant la
CINU se fondaient sur cette approche97. Un ensemble de coûts de restauration et de remplacement
a permis de prendre en compte les dommages causés à l’environnement côtier de l’Arabie saoudite
évoqués dans la partie II.A. Les coûts de restauration ont été évalués sur la base du coût d’un
programme de remise en état adapté aux sites touchés en Arabie saoudite, au moyen des techniques
de restauration admises qui étaient supposées éviter le risque inacceptable d’incidences néfastes sur
l’environnement découlant de la remise en état proprement dite98. Les coûts de remplacement ont
été évalués sur la base du coût des réserves littorales susceptibles de procurer des services
écologiques supplémentaires pour remplacer les services perdus99.
Dans le cadre d’une évaluation de dommages subis par certaines ressources naturelles, il est
fréquent que les parties effectuent des versements auprès de banques de conservation des sols,
telles que des banques de zones humides, ou payent des propriétaires terriens pour la conservation
ou la protection de l’habitat, afin de compenser les dommages causés à l’environnement. Cette
méthode est privilégiée car elle garantit l’accès à un même niveau de services environnementaux
que celui qui aurait existé en l’absence des dommages en question. Dans le cas présent, le
Costa Rica dispose d’un marché actif qui dédommage les propriétaires terriens et les communautés
afin d’assurer la fourniture de services écosystémiques par la gestion de l’habitat100. Les sommes
97 Outre la réclamation de l’Arabie saoudite mentionnée ci-dessus (réclamation no 5000451), il s’agissait
également de celle du Koweït concernant les zones souillées  par les hydrocarbures sous la forme de lacs de pétrole, les
tas de déblais contaminés, les tranchées remplies de pétrole, les déversements d’hydrocarbures depuis les oléoducs ,
physiquement perturbées par l’excavation de tranchées puis leur remplissage avec du pétrole et par la construction
d’oléoducs par les forces iraquiennes pour transférer les hydrocarbures et remplir lesdites tranchées. Quatrième tranche
F4 de la CINU, partie II, par. 73-79, 89-102 (réclamation no 5000454, somme de 1,97 milliards de dollars des Etats-Unis
accordée pour ce volet de la réclamation ; dans le paragraphe 93, la Commission a déclaré que «les mesures de remise en
état devraient être axées sur la restauration des fonctions écologiques dans les zones touchées et qu’il faut en particulier
se soucier de la stabilité des sites, des processus d’infiltration et du cycle des nutriments»), et cinquième tranche F4 de la
CINU, par. 411-475 (réclamation no 5000460 au titre de pertes de diverses ressources naturelles).
98 Troisième tranche F4 de la CINU, par. 181-187.
99 Cinquième tranche F4 de la CINU, par. 620-622, 630-636.
100 Porras, I., Barton, D.N, Miranda, M. and Chacón-Cascante, A. (2013). Learning from 20 years of Payments
for Ecosystem Services in Costa Rica. Institut international pour l'environnement et le développement, Londres.
- 84 -
versées pour de tels accords sont généralement fixées à un niveau qui dédommage les propriétaires
terriens et les communautés pour la perte de valeur économique de la terre concernée lorsqu’elle
est mise en état de conservation tout en permettant la poursuite de certaines activités d’une manière
viable. L’Institut international pour l'environnement et le développement au Royaume-Uni dresse
la liste des sommes versées à des organismes privés pour la conservation, la gestion et la
valorisation de parcelles de terre pour qu’elles procurent des services écosystémiques. Comme
indiqué dans ce document, le prix le plus élevé que le Costa Rica ait payé pour des services
écosystémiques se montait à 294 dollars des Etats-Unis/hectare/an (p. 16), soit 309 dollars des
Etats-Unis/hectare/an en valeur de 2017 (prix converti au moyen d’un déflateur du PIB). Dans
l’hypothèse de modalités de paiement sur vingt à trente ans pour les 6,19 hectares endommagés
(c’est-à-dire à supposer que la reconstitution progresse sur le site endommagé et que le
remplacement ne se révèle nécessaire que jusqu’à son rétablissement)101, cela impliquerait un coût
de remplacement de 1 913 dollars/an, soit une valeur actuelle de 27 034 à 34 987 dollars sur vingt à
trente ans (ce qui correspond aux fonds nécessaires pour soutenir un programme de remplacement
sur vingt à trente ans, en posant comme hypothèse un taux d’abattement réel de 4 % sur les coûts
futurs).
Il convient de noter que la plage d’estimations des coûts présentée ci-dessus est inférieure de
plusieurs ordres de grandeur à celle des dommages allégués par le Costa Rica, ce qui reflète à la
fois la surestimation des dommages dans le rapport de Neotropica et l’existence de marchés
efficaces pour des crédits écosystémiques.
(Signé) Cymie R. PAYNE. (Signé) Robert E. UNSWORTH.
Date : Le 26 mai 2017.
101 Comme indiqué ci-dessus, Neotropica présente peu d’éléments prouvant que le préjudice en question
persistera durant 50 ans, ou qu’il ne diminuera pas au fil du temps. C’est pourquoi nous choisissons une période plus
raisonnable pour cette estimation des coûts de remplacement.
- 85 -
APPENDICE A
CALCULS DÉTAILLÉS
Bien ou service
écosystémique
Année du
dommage
initial
Analyse corrigée :
estimation des
dommages en valeur
actuelle (en dollars
E.-U. (2016))
Formule Notes explicatives
Bois sur pied
2013 27 247,87 (2,48 hectares x 50 % du taux
de récolte x 211 m3 de perte
par hectare x 64,65 $ de coût
unitaire) + (21,482 de facteur
d’ajustement de la valeur
actuelle (VA) x 2,48 hectares
x 50 % du taux de récolte x
6 m3/taux de croissance
annuelle x 64,64 $ de coût
unitaire)
Perte de valeur actuelle :
pour le stock éliminé de
bois sur pied, le nombre
d’hectares perdus a été
multiplié par le volume en
mètres cubes de perte par
hectare, un taux de récolte
unique et un coût unitaire
par hectare.
2010 2 926,73 0.43 hectares x 50 % du taux
de récolte x 211 m3 de perte
par hectare x 40,05 $ de coût
unitaire) + (21,482 de facteur
d’ajustement de la VA x
0,43 hectares x 50 % du taux
de récolte x 6 m3/taux de
croissance annuelle x 40,05 $
de coût unitaire)
La valeur du stock éliminé
a été ajoutée à la valeur
actuelle de bois poussant
les années suivantes. La
valeur actuelle de la
croissance a été calculée en
tant que produit du facteur
d’ajustement de la VA, des
hectares, du taux de
récolte, du taux de
croissance, et du coût
unitaire. Le coût unitaire a
été déduit des calculs de
Neotropica, qui a estimé la
moyenne du prix du bois
sur pied par mètres cubes
pour plusieurs espèces
d’arbres inventoriées.
Matières
premières (fibres
et énergie)
2013
2010
1 120,50
79,07
5,76 hectares x 175,76 $ de
coût unitaire x 1,1068 du
facteur de correction du PIB
0,43 hectares x 175,76 $ de
coût unitaire x 1,0462 du
facteur de correction du PIB
Perte unique : le coût
unitaire par hectare a été
multiplié par le nombre
d’hectares perdus, puis les
dommages ont été corrigés
selon l’année du préjudice
initial (2013 ou 2010) en
valeur du dollar de 2016.
Le coût unitaire par hectare
a été déduit des calculs de
Neotropica, ce qui donne
les moyennes de 2,02 $ et
292,45 $, et de 109,66 $ et
4 432,19 $, les valeurs des
matières premières étant
tirées de la littérature.
- 86 -
Régulation des
gaz/qualité de
l’air
2013 41 050,16 2,48 hectares x 14 955 $ de
coût unitaire x 1,1068 du
facteur de correction du PIB
Perte unique : le coût
unitaire par hectare a été
multiplié par le nombre
d’hectares perdus, puis les
dommages ont été corrigés
selon l’année du préjudice
initial (2013 ou 2010) en
valeur du dollar de 2016.
Le coût unitaire par hectare
a été déduit des calculs de
Neotropica, qui a pris en
compte la somme de
14 955 $ (valeur de stock)
et 26,83 $ (valeur de flux,
soit la moyenne de 15,56 $
et 38,10 $).
2010 6 727,59 0,43 hectares x 14 955 $ de
coût unitaire x 1,0462 du
facteur de correction du PIB
Atténuation des
risques naturels
2013 0,00 Sans objet
2010 0,00 Sans objet Non pertinent pour la zone
endommagée ;
l’atténuation des risques
naturels a donc été exclue
de cette analyse.
Habitat et
pépinière
(biodiversité)
2013 4 384,30 2,48 hectares x 62,50 $ de
coût unitaire x 1,3167 du
facteur de correction du PIB x
21,482 de facteur d’ajustement
de la VA
Perte de valeur présente : le
facteur d’ajustement de la
VA de 21 482 a été
multiplié par le nombre
d’hectares perdus, le coût
unitaire par hectare, et le
facteur de correction de
PIB (pour convertir le coût
unitaire de 2002 en
équivalent dollars de
2016). Le coût unitaire par
hectare a été déduit de
Barbier 2002, cité par
Neotropica.
2010 760,18 0,43 hectares x 62,50 $ de
coût unitaire x 1,3167 du
facteur de correction du PIB x
21,482 de facteur d’ajustement
de la VA
Formation du
sol/lutte contre
l’érosion
2013 0,00 Sans objet Non pertinent pour la zone
endommagée ; la formation
du sol/la lutte contre
l’érosion ont donc été
exclues de cette analyse.
2010 0,00 Sans objet
Entrées
supplémentaires
Entrée Valeur Formule Note explicative
Facteur d’ajustement de la VA 21,48218462 (1-1,04-50)/0,04 Valeur présente d’une
annuité : la valeur actuelle
d’un ensemble de flux de
trésorerie à l’avenir,
compte tenu d’un délai de
50 ans et d’un taux
d’abattement de 4 %.
- 87 -
APPENDICE B
CURRICULUM VITAE DE M. ROBERT E. UNSWORTH ET
DE MME CYMIE R. PAYNE
[Appendice non traduit]
___________
- 88 -
ANNEXE 2
G. MATHIAS KONDOLF, EXAMEN DE LA DEMANDE D’INDEMNISATION DU COSTA RICA
CONCERNANT LE DELTA DU FLEUVE SAN JUAN
MAI 2017
Examen de la demande d’indemnisation du Costa Rica concernant le delta du fleuve San Juan
G. Mathias Kondolf
Mai 2017
Introduction et portée
Je suis géomorphologue fluvial, spécialisé dans la planification environnementale et la
restauration des cours d’eau. Depuis 29 ans, je suis rattaché à l’université de Californie à Berkeley,
où j’enseigne l’hydrologie, la restauration des fleuves, la planification environnementale et les
sciences de l’environnement.
J’étudie la géomorphologie de la région du fleuve San Juan, et plus particulièrement de la
zone litigieuse, depuis 2012. J’ai notamment réalisé des études sur l’érosion et les dépôts
sédimentaires le long du fleuve et sur les changements du fleuve dans le cours inférieur du
San Juan, ainsi que des analyses afférentes. Dans le cadre de ces travaux, j’ai effectué cinq survols
de l’embouchure du fleuve entre octobre 2012 et octobre 2016 et trois visites sur site au cours de la
même période, la toute dernière en octobre 2016. J’ai témoigné devant la cour lors des auditions
d’avril 2015.
Dans le cadre de sa demande d’indemnisation, le Costa Rica a présenté un rapport élaboré
par Fundación Neotrópica («Neotrópica») daté du 3 juin 2016, qui évalue l’impact
environnemental des travaux du Nicaragua dans la zone litigieuse1. J’ai examiné ce rapport, ainsi
que les Addenda explicatifs en date du 8 décembre 20162. Enfin, j’ai étudié le mémoire du
Costa Rica sur la question de l’indemnisation auquel ces documents sont annexés.
Le présent rapport traite de trois aspects de l’évaluation de Neotrópica : 1) son évaluation des
services de «formation du sol/lutte contre l’érosion» ; 2) son évaluation des services «d’atténuation
des risques naturels» ; et 3) son utilisation d’une période de reconstitution de cinquante ans pour les
impacts des travaux du Nicaragua.
Concernant ces aspects, il me semble que : 1) les travaux du Nicaragua n’ont pas eu de
répercussion sur les services de formation du sol ou de lutte contre l’érosion ; 2) les travaux du
Nicaragua n’ont également eu aucune répercussion sur la capacité de la zone litigieuse à atténuer
les «risques naturels» ; et 3) la reconstitution qui a déjà commencé à l’heure actuelle sur le site
laisse présumer des périodes de reconstitution réalistes de un à deux ans pour le remblai des caños,
un à cinq ans pour la repousse des herbes et du sous-bois, et quatre à cinq ans pour la reconstitution
1 Fundación Neotrópica, «Evaluation pécuniaire des dommages à l’environnement résultant de la construction de
caños et de l’arrachage d’arbres et de végétation par le Gouvernement nicaraguayen sur le territoire costaricien
d’Isla Portillos, déposée en application de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 16 décembre 2015»
(3 juin 2016), annexe 1 au mémoire du Costa Rica sur la question de l’indemnisation.
2 Fundación Neotrópica, «addenda explicatifs» au rapport du 3 juin (8 décembre 2016), annexe 2 au mémoire du
Costa Rica sur la question de l’indemnisation.
- 89 -
de forêts adéquates afin qu’elles réalisent la plupart des fonctions escomptées de la part d’une zone
boisée3.
1. Formation du sol/lutte contre l’érosion
Neotrópica part du principe que les travaux du Nicaragua ont perturbé les services de
«formation du sol/lutte contre l’érosion» dans la zone litigieuse. Toutefois, ces services ne sont pas
fournis par la zone concernée et n’ont donc pas subi de diminution du fait des travaux du
Nicaragua.
Généralement, les préoccupations liées aux services de formation du sol et de lutte contre
l’érosion concernent principalement les terres d’altitude, où la déforestation et d’autres
perturbations risquent d’accélérer l’érosion et le dépôt de sédiments fins sur les pentes
descendantes. Dans de tels environnements, l’élimination de la végétation stabilisatrice ou le
raclage de la surface du sol est susceptible de provoquer ce genre d’impacts.
De telles préoccupations ne s’appliquent pas au territoire litigieux, à savoir un delta de fleuve
actif qui constitue une zone de dépôts de sédiments érodés dans les parties supérieures du bassin
hydrographique [figure 1]. Le terrain est plat et la surface des eaux forme à peine une pente en
direction de la mer. De très lourdes charges sédimentaires atteignent cette zone de dépôt naturel.
Les taux élevés de dépôts ont rapidement entraîné la sédimentation et le remplissage de la baie du
San Juan au 19e siècle. Depuis le milieu du 20e siècle, les charges sédimentaires ont été multipliées
au moins par dix (Andrews, 2015 ; Kleinn et al., 2002).
Figure 1
Bassin hydrographique idéalisé montrant des zones d’érosion, de transport et de dépôt (adapté de Schumm,
1977). L’embouchure du fleuve San Juan se situe dans la zone de dépôt, de sorte qu’elle reçoit
naturellement d’importantes charges sédimentaires et subit un changement
de chenal dynamique.
Légende :
Landslide = Glissement de terrain
Erosion of individual grains = Erosion de particules individuelles
3 Neotrópica répertorie 14 sources fournissant des données pour cette évaluation (tableau 2). J’ai examiné
préalablement la plupart de ces rapports, et renvoyé la Cour à la critique que j’ai formulée dans mon premier
compte-rendu, «Chenaux défluents du San Juan coulant au Nicaragua et au Costa Rica : analyse des rapports Thorne,
UNITAR, Ramsar, Minaet et Araya-Montero» (juillet 2012), soumis en appendice 1 au contre-mémoire du Nicaragua
dans l’affaire qui nous préoccupe.
- 90 -
Terrace deposit = Dépôt de terrasse
Point bar = Barre de méandre
Zone of deposition = Zone de dépôt
Zone of transport = Zone de transport
Zone of erosion = Zone d’érosion
Pour ces raisons, l’érosion n’est pas un problème dans la zone litigieuse. Il s’agit au contraire
d’une zone dans laquelle les dépôts sédimentaires se produisent constamment et rapidement, et les
petites irrégularités de la surface du sol (telles que les excavations) se trouvent vite aplanies par les
dépôts sédimentaires. Ainsi, l’ensemble de la zone doit son existence au dépôt de sédiments
transportés depuis des sites en amont. A l’instar des autres deltas, cette zone dynamique se
caractérise par un complexe de nombreux défluents se déplaçant (caños), qui s’ouvrent et se
ferment au rythme des flux et dépôts élevés de sédiments. A grande échelle, la forme du delta peut
être perçue comme résultant de l’équilibre, d’une part, entre l’arrivée de sédiments provenant de
l’amont et leurs dépôts dans le delta, contribuant ainsi à la constitution du delta et, d’autre part,
l’affaissement naturel (du fait du compactage des sédiments) et l’érosion côtière par les vagues,
tendant à réduire le delta.
En raison de la nature de la région du delta, propice aux dépôts, les caños creusés en 2010 et
2013  qui n’étaient à l’origine que des éléments de dimensions restreintes  se sont rapidement
remplis de sédiments et le couvert végétal s’est reconstitué. Cet aspect est étayé par l’imagerie
aérienne et les éléments de preuve sur le terrain4. Le caño de 2010 s’est rempli en moins d’un an, et
le caño oriental de 2013 s’était considérablement rempli au moment où le Costa Rica y a construit
une digue en mars 2015. A cette époque, ses dimensions étaient inférieures à celles escomptées par
le Costa Rica, comme l’indique l’annexe 4 au mémoire du Costa Rica sur la question de
l’indemnisation (p. 14-15), du fait de la rapidité des dépôts naturels et de la restauration du couvert
végétal. Une fois la digue édifiée, la sédimentation du caño s’est poursuivie.
Les éléments de preuve sur le terrain présentés dans divers rapports laissent clairement
apparaître que les sites se sont déjà reconstitués dans une large mesure : les caños se sont remplis
de sédiments et le couvert végétal s’est reformé. Par exemple, dans leur rapport de 2014
(mission 77), les membres de la mission consultative Ramsar mentionnent la «capacité élevée de
régénération naturelle de la végétation dans cette zone» (p. 14). Cette remarque concorde avec
l’avis exprimé par le professeur Thorne5.
Les images satellites séquentielles de 2010 à 2017 (voir l’annexe A6) montrent distinctement
l’ampleur des perturbations associées au creusement du caño de 2010 (image du 19/11/2010), et la
rapidité de son remplissage, qui a majoritairement eu lieu l’année suivante (image du 26/12/2011).
L’on s’attend à une sédimentation rapide du caño dans cet environnement, étant donné que les taux
4 Je note également que les déblais excavés des caños n’ont pas été «retirés» de la zone humide mais répartis le
long des berges. Annexe 155 au mémoire du Costa Rica, p. 32-33 ; Thorne, 2013, p. 3 (qui indique que «les sédiments
fraîchement dragués» extraits durant les travaux du Nicaragua en 2013 étaient visibles par «amas … sur la plaine
d’inondation entourant le nouveau caño oriental», après y avoir été déposés par les «tuyaux de dragage» fixés à la
drague).
5 Témoignage du professeur C. Thorne l’après-midi du 14 avril 2015 (CR 2015/3, p. 42) : «la végétation se
régénère très rapidement dans ces zones».
6 Outre l’imagerie satellitaire du caño de 2010 mentionné dans ce rapport, l’annexe A inclut également des
images satellites de la zone d’abattage des arbres en 2010, ainsi que d’autres du site du caño 2013, de 2013 à 2017.
- 91 -
de dépôts tendent à être plus importants dans les dépressions, de sorte que la topographie des
plaines alluviales et des plaines de delta tend à s’égaliser au fil du temps.
Les images séquentielles attestent par ailleurs de la rapidité de la reconstitution des forêts,
qui a eu lieu dans une large mesure quatre ans plus tard (images du 26/09/2014), et montrent
nettement les différents arbres. Ces images ne permettent pas de mesurer leurs hauteurs, mais leurs
formes planes visibles sur les images présentent des contours et dimensions similaires à ceux des
zones boisées environnantes en 2014. Les images font également apparaître la vaste zone de
chablis due à l’ouragan de novembre 2016, clairement identifiable sur l’image du 02/12/2016.
La rapidité de la resédimentation des deux caños montre bien que le service de «lutte contre
l’érosion» à ces emplacements est dénué de pertinence. Même si le site des caños procurait le
«service» allégué de lutte contre l’érosion, il n’y aurait pas de préjudice permanent puisque les
caños se sont remplis et reboisés, ainsi que le prouvent les images satellites séquentielles.
2. Atténuation des «risques naturels»
Neotrópica fait état de pertes en termes de services «d’atténuation des risques naturels», se
référant évidemment à la «protection contre les crues et les tempêtes … la capacité des
écosystèmes à réduire les risques et désastres naturels» (p. 18). Il n’existe aucune base
géomorphologique étayant cette observation.
A cet égard, le rapport de Neotrópica ne décrit pas comment les sols ni la végétation dans les
sites des caños régulent les inondations. Dans les faits, il s’agit de forêts inondées, qui sont souvent
naturellement sous les eaux. L’excavation d’un petit caño ou l’enlèvement de poches de végétation
dans cet environnement ne perturberait pas la régulation naturelle des inondations.
Neotrópica présume l’existence d’un «impact hydrologique sur la zone»7. Néanmoins, d’un
point de vue scientifique, il n’y a eu aucun impact hydrologique matériel découlant des caños,
même si ceux-ci sont restés ouverts. Aucune des sources citées par Neotrópica ne suggère qu’un tel
impact a eu lieu8. En revanche, ces sources posent en principe l’existence de certains risques, tels
que la rupture du cordon littoral dans la lagune de Harbor Head, la capture du fleuve, l’intrusion
d’eau salée dans la petite lagune à l’extrémité du caño 2013, la rupture du banc de sable, des
«mécanismes complexes de processus réactionnel», et «une dégradation grave et irréversible de la
morphologie et de l’environnement». Aucun de ces risques ne s’est concrétisé.
Si l’on considère le site dans un contexte plus large, même si la zone des caños de 2010 et
2013 aurait pu procurer une fonction «d’atténuation» (c’est-à-dire de réduction) des inondations, il
n’existe aucune zone de peuplement, tant en amont qu’en aval, susceptible d’être touchée. Aussi
l’allégation de Neotrópica selon laquelle son équipe a établi que «le service d’atténuation des
risques naturels a été considéré d’une importance majeure pour la zone, les infrastructures et les
villes voisines, notamment car ces sites sont particulièrement exposés aux effets du changement
climatique» (p. 45) est démentie par les conditions sur le terrain. La seule zone de peuplement est
San Juan del Norte au Nicaragua, située approximativement à 4 kilomètres à l’ouest des caños de
2013 et environ 6 kilomètres à l’ouest du caño de 2010, sur un cours d’eau différent, le Río Indio.
7 Voir le tableau 12, comportant une description de cet «impact» en tant que «données requises» pour cet aspect
de l’évaluation.
8 Néotrópica indique que les 14 rapports cités fournissent des données pertinentes pour l’évaluation de l’impact
causé à «l’atténuation des risques naturels» prétendument causés par les travaux du Nicaragua (tableau 12). A l’exception
du rapport no 11 (qui n’apparait pas dans le bilan et ne semble pas accessible au public), j’ai examiné tous ces documents
et, pour certains, inclus une critique dans mon rapport de juillet 2012.
- 92 -
Tout changement induit par ces caños, même pendant qu’ils étaient dégagés, n’aurait pu avoir
d’incidence sur l’inondation ou les impacts d’autres risques naturels à San Juan del Norte9.
Il est à noter que l’ouragan Otto a touché la côte de la zone litigieuse en novembre 2016.
Rien ne prouve que les caños ou le dégagement afférent des arbres et des sous-bois ont eu une
incidence significative sur la manière dont la tempête a impacté la zone litigieuse ou les
communautés ou infrastructures environnantes.
3. Délai de reconstitution
Neotrópica part du principe que cinquante années seront nécessaires pour permettre à la zone
litigieuse de se remettre des impacts découlant des travaux du Nicaragua. La base de ce délai de
reconstitution n’est pas explicitée clairement, mais elle semble reposer sur deux hypothèses
inadéquates.
En premier lieu, Neotrópica indique ce qui suit (p. 31) : «Etant donné que l’action peut avoir
des répercussions sur une ou plusieurs ressources, le temps nécessaire à cette restauration doit
correspondre à la ressource nécessitant le plus long temps de reconstitution». Or, il n’existe aucune
raison scientifiquement valable d’appliquer le temps de reconstitution le plus long pour la ressource
qui se reconstitue le plus lentement  à savoir les arbres, d’après Neotrópica  à tous les éléments
du site, notamment le sol, les herbes et les arbustes, dont la reconstitution est nettement plus rapide.
En second lieu, Neotrópica précise que la période de reconstitution de cinquante ans pour les
arbres repose sur l’hypothèse selon laquelle les arbres abattus avaient en moyenne 115 ans, 46 %
d’entre eux étant plus que centenaires (addenda explicatifs p. 9). Ces chiffres reposent sur des
données concernant le caño 2010 rapportées dans les annexes 145 et 154 au mémoire du
Costa Rica. Cependant, comme indiqué dans la critique contenue dans mon rapport de juillet 2012,
ils ont été calculés avec des taux de croissance probablement inférieurs à la moitié du taux de
croissance correct (ce qui donne des âges trop élevés pour les arbres), et en incluant seulement les
arbres dont les diamètres sont supérieurs à dix centimètres, ce qui fausse l’ensemble des données et
augmente artificiellement le pourcentage de la zone qui aurait été boisée par de plus gros arbres10.
Cela signifie que l’âge moyen des arbres et les valeurs de distribution pour la zone du caño 2010
utilisés par Neotrópica sont incorrects.
En outre, Neotrópica applique ces valeurs erronées au site du caño 2013. Rien ne justifie de
le faire puisque, comme l’explique le professeur Thorne, le caño 2013 a été creusé à un
9 La zone du point Delta du San Juan diffère sensiblement des mangroves côtières, des zones humides et des
récifs décrits dans les quatre études desquelles Neotrópica tire ses valeurs écosystémiques estimées pour les services
d’atténuation des risques (p. 158). Pour ces cas précis  à savoir la Thaïlande, le Mexique, et le Belize,
respectivement , les mangroves, zones humides et récifs en question étaient situés au large, et constituaient des
éléments linéaires le long de la côte, faisant office de véritable barrière face à l’énergie des vagues, et donc de protections
pour les établissements humains le long du littoral (Barbier et al., 2002 ; Barbier, 2007 ; Camacho-Valdez et al., 2014 ;
Cooper et al., 2009). En revanche, les petites zones de forêt inondée, perturbées par les caños qui ont été dégagés par le
Nicaragua, ne sont pas assez vastes pour protéger les sites de peuplement avoisinants ou ne sont pas situées de manière à
permettre une telle protection (c’est-à-dire en formant une ligne de protection entre l’océan et les établissements humains
ou les infrastructures).
10 En effet, les rapports du Costa Rica sur lesquels se fonde Neotrópica mentionnent des âges pour les arbres qui
sont en contradiction avec l’estimation du professeur Thorne concernant l’âge du terrain sur lequel ils poussent. Dans son
rapport de 2015 (p. 16), Thorne estime que les arbres les plus anciens abattus dans la zone du caño 2010 avaient 248 ans.
Dans le rapport du Costa Rica sur lequel s’appuie Neotrópica, leurs âges sont estimés à pas moins de 296 à 353 ans. Voir
les annexes 145 et 154 au mémoire du Costa Rica.
- 93 -
emplacement où la végétation était différente et plus jeune11. En conséquence, Neotrópica ne
devrait pas en déduire qu’il faudra en moyenne cinquante ans aux arbres pour se reconstituer.
Au regard des éléments d’appréciation existants, on peut escompter de manière réaliste les
délais de reconstitution suivants : un à deux ans pour le remplissage des caños, principalement sur
la base d’observations empiriques découlant de l’imagerie aérienne, et quatre à cinq ans pour la
reconstitution des forêts (ce qui reflète les taux de croissance rapide dans cet environnement). Les
arbres poussant en quatre à cinq ans ne seraient pas équivalents aux spécimens plus gros dont on a
rapporté la coupe durant le dégagement du caño 2010, mais ils réaliseraient la plupart des fonctions
escomptées pour une zone boisée, notamment en termes d’habitat et de fourniture de ressources
alimentaires.
En se fondant sur ces principes et sur les changements observés sur les images satellites,
j’estime les délais nécessaires à la reconstitution d’autres fonctions et de leurs bénéfices potentiels
comme suit :
 pour les herbes et les sous-bois, un à cinq ans, selon les modèles de reconstitution observés sur
les images satellites ;
 pour l’absorption du carbone par les arbres, un à cinq ans selon la reconstitution observée sur
les images aériennes et compte tenu du fait que les arbres en pleine croissance absorbent plus
rapidement le carbone que les arbres adultes et anciens (un aspect important pour l’atténuation
des émissions des gaz à effet de serre par la séquestration du carbone dans la végétation) ;
 pour l’habitat et la biodiversité, dix à vingt ans, ce qui reflète le fait que si les fonctions
écosystémiques de base peuvent être restaurées en un à deux ans, les arbres les plus gros
présentent une plus grande complexité en termes d’habitats. Ainsi, pour accroître la complexité
de l’habitat, la reconstitution devrait permettre la croissance d’arbres plus gros, qui s’effectue
rapidement dans cet environnement (comme le montrent les images aériennes) mais ralentit au
bout de dix ans environ.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11 Témoignage du professeur C. Thorne l’après-midi du 14 avril 2015 (CR 2015/3, p. 42) :
«A mon avis, le sol et la végétation que traverse le premier caño étaient par nature différents de
ceux qui se trouvent à l’emplacement des deuxième et troisième caños, qui sont situés beaucoup plus au
nord et sont beaucoup plus jeunes puisqu’ils font suite à la progradation du delta, de nombreuses années
après la formation du territoire à la base de celui-ci. En conséquence, puisque ce sol n’était pas aussi
vieux et bien établi, il ne portait pas d’arbres aussi âgés que ceux qui ont été éliminés lors du creusement
du premier caño. C’est pourquoi j’estime que l’impact des deuxième et troisième caños sur
l’environnement a été moindre que celui du premier.»
- 94 -
APPENDICE A
Images satellitaires du caño 2010,
2009-2017
- 95 -
- 96 -
- 97 -
- 98 -
- 99 -
- 100 -
- 101 -
- 102 -
- 103 -
Zones d’abattage du caño 2010
- 104 -
- 105 -
- 106 -
- 107 -
- 108 -
Images satellitaires du caño 2013,
2013-2017
- 109 -
- 110 -
- 111 -
- 112 -
- 113 -
- 114 -
- 115 -
___________
- 116 -
ANNEXE 3
TABLEAU SYNOPTIQUE DES INFORMATIONS FOURNIES PAR LES INSTITUTIONS CHARGÉES DE LA
GESTION DES DOMMAGES CAUSÉS PAR LE NICARAGUA DANS LA ZONE D’ISLA PORTILLOS
TRANSMIS LE 7 JUIN 2016
(Extrait)
- 117 -
Tableau récapitulatif des informations fournies par les organismes chargés de remédier aux dommages
causés par le Nicaragua dans la zone d’Isla Portillos
N° Institution Catégorie Description Lien avec les dispositions de l’arrêt de la CIJ Somme
(en dollars E.-U.)
1 Zone de
conservation de
Tortuguero
(ACTo)1
Salaires Inclut les coûts occasionnés par le
paiement des salaires du personnel par
jour de travail, ce qui correspond à
l’attention portée aux activités de
protection environnementales sur Isla
Portillos.
Le personnel de la zone de conservation de
Tortuguero est celui directement en charge de la
protection de l’environnement dans la région
litigieuse. En ce sens, il est responsable de toutes
les actions nécessaires pour surveiller, évaluer et
atténuer les dommages provoqués par
l’excavation des trois «conduits» et le forage des
zones environnantes par le Nicaragua. Du fait des
actions du Nicaragua, ce personnel a dû consacrer
un temps considérable en réunions de
coordination interne et institutionnelle,
patrouilles, missions conjointes avec le personnel
du Secrétariat de la convention de Ramsar,
mesures et analyses de données, et atténuation qui
auraient autrement été inutiles.
29 412,88
………… ………………… …………………… ……………………………………… …………………………………………………… ………………...
8 Ministère de la
sécurité
Salaires d’agents de
la force publique et
de la police des
frontières
Inclut les salaires des 48 responsables
de l’application des lois qui avaient été
affectés à la zone contiguë aux lagunes
de los Portillos et Agua Dulce de mars
2011 à septembre 2013, et ceux des
46 agents de police des frontières
affectés à ces mêmes postes avancés
entre octobre 2013 et décembre 2015.
Les actions du Nicaragua sur le territoire
costa-ricien, conformément à la décision de Cour,
requéraient des autorités costa-riciennes
l’affectation de forces de police provenant
d’autres régions du pays pour créer de nouveaux
postes de police avancés ainsi qu’une nouvelle
division de police des frontières, en premier lieu
pour parer à toute revendication de souveraineté
3 092 834,17
1 Correspond à 162 visites (entre le 10 octobre 2010 et le 16 novembre 2015) de la zone litigieuse par le personnel de la zone de conservation de Tortuguero dans le cadre de missions de
surveillance et de conservation environnementale, de la maintenance du matériel, et de la coordination de réunions conjointes du Secrétariat de Ramsar, notamment celles organisées le 22 et le
25 octobre 2010, le 7 janvier et les 5 et 6 avril 2011, le 30 janvier et le 3 août 2012, le 7 mars, le 18 septembre, le 10 décembre et le 11 décembre 2013, le 11 mars, le 25 juillet, le 12 novembre,
le 5 décembre et le 17 décembre 2014, du 26 mars au 10 avril, le 9 juin, le 8 juillet et le 3 octobre 2015.
- 118 -
Le nombre total des agents se
décompose en deux groupes, qui
s’alternent en équipes de travail
continu pendant 10 jours sur la zone et
de repos pendant 10 jours hors de la
zone. Lors de leur séjour dans la
région, les agents travaillent par
équipes pendant 12 heures.
du Nicaragua sur d’autres territoires de la région,
et en second lieu pour assurer la sécurité du
territoire litigieux depuis la zone adjacente, en
vertu de l’ordonnance en indication de mesures
conservatoires du 8 mars 2011. Ces forces de
police devaient surveiller les activités de l’armée
nicaraguayenne et assurer la sécurité depuis le
territoire non litigieux sous la souveraineté du
Costa Rica. Le poste de police avancé contigu à la
lagune de Los Portillos, à proximité immédiate de
la zone litigieuse, devait être assisté du poste
avancé de la lagune Agua Dulce. Aucun de ces
postes avancés n’existait avant le début du conflit.
La police des frontières a été créée en réponse à la
présence militaire du Nicaragua sur le territoire
costa-ricien, et la division de la police, une fois
suffisamment organisée, a pris le commandement
des postes avancés dans la lagune Agua Dulce et
la zone adjacente de la lagune de Los Portillos en
octobre 2013.
9 Ministère de la
sécurité
Coûts opérationnels
des postes de police
avancés
Inclut les coûts de construction et
d’équipement des postes de police
avancés dans la zone adjacente aux
lagunes de Los Portillos et Agua
Dulce.
Les actions du Nicaragua sur le territoire,
conformément à la décision de la Cour,
requéraient de la part des autorités costa-riciennes
l’affectation de forces de police provenant
d’autres régions du pays pour créer de nouveaux
postes de police avancés ainsi qu’une nouvelle
division de police des frontières, en premier lieu
pour éviter que le Nicaragua ne revendique la
souveraineté de territoires supplémentaires dans la
région, et en second lieu pour assurer la sécurité
du territoire litigieux depuis la zone adjacente, en
vertu de l’ordonnance en indication de mesures
conservatoires du 8 mars 2011. Afin de se
conformer à ces objectifs, il a été nécessaire de
construire deux postes de police avancés : l’un
dans la zone immédiatement contiguë au territoire
litigieux, sur le bord de la lagune, et l’autre à
82 062,17
- 119 -
proximité dans un lieu accessible par les bateaux
de la garde côtière dans la lagune Agua Dulce.
10 Commission
nationale
d’urgence
Coûts de transport
du personnel de la
mission Ramsar et
du ministère costaricien
de l’environnement
et de
l’énergie (MINAE)
Inclut les coûts des heures de vol
nécessaires pour transporter le
personnel de la mission Ramsar et du
MINAE jusqu’au territoire litigieux le
25 juillet 2014.
Afin de déterminer le niveau et le type de risques
environnementaux générés par la construction de
l’oléoduc oriental, il a été nécessaire de
coordonner une mission conjointe du personnel
affecté à la protection environnementale du
MINAE et celui du Secrétariat.
11 282,00
___________
- 120 -
ANNEXE 4
JOSÉ MARÍA TIJERINO PACHECO, RAPPORT DE FIN DE MANDAT DE M. JOSÉ MARÍA
TIJERINO PACHECO POUR LA PÉRIODE COMPRISE ENTRE LE 8 MAI 2010 ET
LE 30 AVRIL 2011, MINISTÈRE D’ETAT ET DE LA POLICE ET MINISTÈRE
DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
AVRIL 2011
Extrait
(traduction anglaise)
Rapport de fin de mandat
Période du 8 mai 2010 au 30 avril 2011
Ministères de l’État, de la police et de la sécurité publique
José María Tijerino Pacheco
Avril 2011
Références juridiques
Conformément à la directive R-CO-61 en date du 24 juin 2005, publiée dans
La Gaceta no 131 du 7 juillet 2005, et à l’article 12 de la loi générale sur les mesures de contrôle
intérieur, qui dispose que les chefs et titulaires de fonctions subordonnées doivent présenter un
rapport de fin de mandat et mettre officiellement leur entité ou agence respective à la disposition de
leur successeur, le soussigné présente le rapport ci-dessous pour la période durant laquelle il a servi
en tant que ministre de l’Etat, de la police et de la sécurité publique, aux termes de l’Accord
présidentiel no 001-P en date du 8 mai 2010. Certificat de remise de bien daté du 25 août 2010.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un projet d’investissement est constitué d’un ensemble d’actions qui, dans leurs phases de
préinvestissement, d’investissement et d’exécution, permettent à l’administration d’apporter une
solution globale assortie d’une planification adéquate pour le système juridique et le contrôle
institutionnel des ressources économiques disponibles  aspect nécessaire pour une gestion
transparente du budget distribué.
Dans ce contexte, les responsables du maintien de l’ordre ont élaboré un ensemble de projets
qui, en raison de leur importance majeure, méritent une mention particulière.
Réactivation de la police des frontières
Du fait de certains événements intervenus à la frontière septentrionale au cours des derniers
mois, il a été décidé de rétablir d’urgence la police des frontières afin de garantir la sécurité des
citoyens et le respect de la souveraineté nationale en assurant la planification, l’organisation, la
direction et l’exécution des actions requises pour un tel objectif.
La zone d’opération correspond à l’intégralité de la frontière terrestre, qui s’étend sur
300 kilomètres dans la zone septentrionale et 363 kilomètres dans la zone méridionale.
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Durant cette période, des mesures ont été prises afin de constituer la police des frontières.
Les 150 premiers policiers affectés aux régions frontalières ont reçu une formation, et
400 uniformes complets ainsi que 400 armes ont été achetés à leur intention. Pour le milieu du
trimestre, nous préconisons le recrutement de 1850 agents supplémentaires.
Parallèlement, la création de deux bureaux régionaux placés sous la structure
organisationnelle du ministère de la sécurité publique est actuellement soumise à l’approbation du
ministère de la planification nationale et de la politique économique : l’un dans la région
septentrionale de Chorotega avec les comtés [cantones] de La Cruz, Los Chiles et Upala, et l’autre
dans la région frontalière des Caraïbes avec les comtés de Sarapiquí, Talamanca et Pococí.
Lors de l’examen de la zone, nous avons collaboré avec le ministère des travaux publics et
des transports, qui a autorisé un itinéraire depuis La Aldea jusqu’à Fátima de Sarapiquí et, de là,
jusqu’à Delta Costa Rica dans la région septentrionale. Une autre voie de transport devrait être
ouverte entre Boca San Carlos et Puerto Lindo ; en outre, un projet prévoit la construction d’un
pont à la source du fleuve Colorado pour permettre la circulation des transports jusqu’à l’île Calero.
Concernant les infrastructures requises pour ces opérations, nous travaillons à la
remodélisation et la construction des trente premiers avant-postes de police, sur les quarante-cinq
prévus, avec une capacité de quarante agents chacun.
Mise en place de groupes motorisés
Ces groupes ont été mis en place pour apporter une réponse immédiate aux communautés
vulnérables dans le centre des villes, où la circulation dense ou la mauvaise planification routière
empêche l’intervention immédiate des forces de police. En recourant à des patrouilles en moto, qui
facilitent et améliorent les déplacements, nous pensons réduire le temps de réaction, renforcer les
relations entre la police et la collectivité, et diminuer les frais de fonctionnement.
Pour y parvenir, la nécessité d’acquérir des motos présentant les spécifications techniques et
les performances requises pour répondre aux objectifs visés a fait l’objet d’une étude de faisabilité.
Nous avons prévu d’acheter quarante-trois motos hors route 400 cc de type dual sport, qui sont des
véhicules adaptés à la mise en oeuvre de ce projet.
Programme de communautés unifiées, sûres et en bonne santé
Ce programme a permis de mener des interventions globales dans des communautés urbaines
marginalisées afin de lutter simultanément contre les problèmes de santé, de logement, de sécurité,
d’éducation, de garde de personnes à charge, et de transport, et d’améliorer la préparation au
monde du travail.
Les communautés choisies la première année étaient les quatre districts centraux de San José
(Merced, Hospital, Catedral et Carmen), San Pedro de Montes de Oca, San Juan de Dios de
Desamparados, León XIII à Tibás, San Francisco (Guararí) à Heredia, Quepos dans le canton de
Aguirre et Barrio Cristóbal Colón (Cieneguita) à Limón.
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Contre-mémoire du Nicaragua sur la question de l'indemnisation

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