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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À L’OBLIGATION DE NÉGOCIER UN ACCÈS À L’OCÉAN PACIFIQUE
(BOLIVIE c. CHILI)
EXPOSÉ ÉCRIT DE L’ETAT PLURINATIONAL DE BOLIVIE SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE D’INCOMPÉTENCE PRÉSENTÉE PAR LE CHILI
7 novembre 2014
[Traduction du Greffe]
Table des matières
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I. INTRODUCTION .......................................................................................................................... 1
Vue d’ensemble .......................................................................................................................... 1
Plan de l’exposé écrit de la Bolivie ............................................................................................ 2
II. LE DROIT APPLICABLE .............................................................................................................. 3
III. LA NATURE ET L’OBJET DE L’EXCEPTION SOULEVÉE PAR LE CHILI ..................................... 3
IV. L’EXCEPTION SOULEVÉE PAR LE CHILI EST MANIFESTEMENT DÉPOURVUE DE FONDEMENT ......................................................................................................................... 4
Le Chili fait une interprétation erronée de l’objet du différend .................................................. 4
Décision sur le fond .................................................................................................................... 8
V. L’ARTICLE VI DU PACTE DE BOGOTÁ NE SAURAIT FONDER L’EXCEPTION DU CHILI .......... 9
L’interprétation de l’article VI ................................................................................................... 9
La demande de la Bolivie n’a pas pour objet la revision ou l’annulation du traité de 1904 ..................................................................................................................................... 10
La Constitution de 2009 ........................................................................................................... 11
Le retrait de la réserve à l’article VI ......................................................................................... 12
L’accord de 1895 ...................................................................................................................... 12
Les accords et déclarations ultérieurs ....................................................................................... 13
L’obligation du Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer est indépendante du traité de 1904 ................................................................................................. 14
VI. LE TRAITÉ DE LIMA DE 1929 .................................................................................................. 15
VII. OBSERVATIONS FINALES ET CONCLUSIONS ........................................................................... 16
___________
I. INTRODUCTION
Vue d’ensemble
1. Le 24 avril 2013, l’Etat plurinational de Bolivie (ci-après la «Bolivie») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance (ci-après la «requête») contre la République du Chili (ci-après le «Chili») ayant trait à un différend concernant «l’obligation du Chili de négocier de bonne foi et de manière effective avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord assurant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique»1. Le différend porte à la fois sur l’existence de cette obligation et sur son inobservation par le Chili. Dans sa requête, la Bolivie a invoqué l’article XXXI du traité américain de règlement pacifique (ci-après le «pacte de Bogotá») comme base de compétence de la Cour.
2. La Bolivie a déposé son mémoire le 15 avril 2014, dans le délai que la Cour avait fixé dans son ordonnance du 18 juin 2013. La Bolivie y prie la Cour de dire et juger que :
a) le Chili a l’obligation de négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord assurant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique ;
b) le Chili ne s’est pas conformé à cette obligation ; et
c) le Chili est tenu de s’acquitter de ladite obligation de bonne foi, de manière prompte et formelle, dans un délai raisonnable et de manière effective, afin que soit assuré à la Bolivie un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique.
3. Il est clairement indiqué dans le mémoire que le Chili a, à maintes reprises, déclaré qu’il s’engageait à négocier avec la Bolivie un accès souverain à la mer et affirmé lui-même que cette obligation était tout à fait indépendante des questions déjà réglées par le traité de paix et d’amitié conclu par les deux Etats en 1904 (ci-après le «traité de 1904»)2. Le mémoire établit par ailleurs clairement que la question de l’accès souverain de la Bolivie à la mer n’était pas abordée dans ce traité.
4. Le 15 juillet 2014, le Chili a, conformément au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour, soulevé une exception préliminaire (ci-après l’«exception») dans laquelle il prie celle-ci de dire et juger que «la demande présentée par la Bolivie à son encontre ne relève pas de la compétence de la Cour»3. Il soutient que le traité de 1904 a réglé, et régit, les questions de la souveraineté territoriale et de la nature de l’accès de la Bolivie à l’océan Pacifique, et que l’article VI du pacte de Bogotá exclut la demande de la Bolivie de la compétence de la Cour, au motif que cette demande se rapporterait à des questions réglées et régies par le traité de 1904.
5. Par ordonnance en date du 15 juillet 2014, le président de la Cour a fixé (au 14 novembre 2014) la date d’expiration du délai dans lequel la Bolivie pouvait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur l’exception préliminaire soulevée par le Chili. La Bolivie a déposé le présent exposé écrit dans le délai ainsi prescrit.
1 Voir la requête de la Bolivie (ci-après «RB»), par. 1.
2 Voir le mémoire de la Bolivie (ci-après «MB»), par. 10, 93, 150 b), 345, 351.
3 Voir l’exception préliminaire du Chili (ci-après «EPC»), par. 5.2.
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6. La Bolivie soutient respectueusement que l’exception soulevée par le Chili doit être rejetée et que la Cour devrait dire et juger que la demande présentée par la Bolivie relève de sa compétence.
7. Le Chili ne tient aucun compte des faits que la Bolivie a exposés dans sa requête et son mémoire. La question de l’accès souverain à la mer n’a pas été réglée par le traité de 1904, ce qu’attestent les multiples accords et la série de déclarations unilatérales intervenus au cours des décennies suivantes, qui ont confirmé que l’obligation de négocier un tel accès était une question indépendante de cet instrument. Outre qu’il ignore ces faits, le Chili cherche à obtenir, à ce stade préliminaire, un jugement à l’effet qu’il n’existe pas, indépendamment du traité de 1904, d’obligation de négocier un accès souverain à la mer, ce qui reviendrait clairement à ce que la Cour statue sur le fond du différend.
8. Non seulement l’exception du Chili retarde le cours régulier de la procédure par des arguments injustifiés, mais elle va également à l’encontre de l’économie de procès préconisée par la Cour4. Parmi les annexes déposées par le Chili figurent en effet certains documents déjà soumis par la Bolivie5 et d’autres déjà divulgués ou aisément accessibles6, ou encore sans rapport avec l’affaire7.
9. Le Chili ayant délibérément décidé de regrouper ses arguments relatifs à la compétence et ceux qui ont trait au fond de l’affaire, la Bolivie n’a d’autre choix que de traiter, dans le présent exposé écrit, certains points qu’elle a déjà développés dans son mémoire.
10. En réponse à l’exception soulevée par le Chili, la Bolivie relèvera les récentes déclarations du président et du ministre des affaires étrangères du défendeur, selon lesquelles, «[s]i le Gouvernement bolivien a estimé qu’il devait saisir la Cour de La Haye de la question maritime, c’est à La Haye que cette question sera débattue» et, «[s]i la Bolivie décide de soumettre sa prétention à un accès à la mer à la Cour de La Haye, il nous faudra traiter cette question à La Haye»8. La Bolivie déplore que, plutôt que d’accélérer la présente instance afin de régler un différend de longue date entre les Parties, le Chili ait choisi de fermer toutes les portes, qu’elles soient diplomatiques ou juridictionnelles, et de présenter une exception à la compétence de la Cour manifestement infondée.
Plan de l’exposé écrit de la Bolivie
11. L’exposé écrit de la Bolivie se divise en sept sections. Après la présente introduction, la Bolivie exposera, dans la deuxième section, le droit applicable aux exceptions préliminaires. La troisième section contient un résumé de l’exception d’incompétence soulevée par le Chili. Dans la quatrième section, la Bolivie clarifiera la nature et l’objet exacts de sa demande et démontrera que
4 Voir le paragraphe 7 de l’article 79 du Règlement de la Cour et l’instruction de procédure III.
5 Voir EPC, annexes 1 à 4 et 8, 10, 17, 27, 29, 48, 52.
6 Ibid., annexe 61.
7 Ibid., annexes relatives à l’application du traité de 1904 : 45 A) à G), 46, 47 A) à G), 50, 60, 67, 69, 70 et 74.
8 Déclaration du ministère des affaires étrangères : «si Bolivia decide radicar el tema de su aspiración marítima en La Haya, nosotros tendremos que tratar ese tema en La Haya», peut être consultée sur le site Internet suivant : http://www.estrategia.cl/detalle_noticia.php?cod=93627, et déclaration du président du Chili : «Si el gobierno Boliviano estimó que debía llevar el tema del mar a La Haya, es el lugar para verlo», peut être consultée sur le site Internet suivant : http://www.eluniverso.com/noticias/2014/03/16/nota/2383191/michelle-bac….
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l’exception du Chili est manifestement infondée. Elle expliquera, dans la cinquième section, pourquoi l’article VI du pacte de Bogotá n’est pas applicable en la présente affaire. Dans la sixième, elle examinera l’inapplicabilité à son égard du traité de Lima de 1929. Enfin, la septième section contient l’énoncé des conclusions de la Bolivie, qui prie la Cour de dire et juger qu’elle a compétence pour connaître de la demande présentée par la Bolivie contre le Chili.
II. LE DROIT APPLICABLE
12. L’article 79 du Règlement dispose que, après examen de l’exception à la compétence de la Cour soulevée par le défendeur, celle-ci «statue dans un arrêt par lequel elle retient l’exception, la rejette ou déclare que cette exception n’a pas dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusivement préliminaire»9. Si la Cour rejette l’exception ou déclare que celle-ci n’a pas un caractère exclusivement préliminaire, elle fixe les délais pour la suite de la procédure. Cette règle a pour but de contribuer à l’efficacité de l’administration de la justice et de servir les intérêts de l’économie judiciaire.
13. Pour examiner la nature de l’exception, la Cour doit tout d’abord définir l’objet du différend en se référant aux termes de la requête et aux conclusions présentées par le demandeur10.
III. LA NATURE ET L’OBJET DE L’EXCEPTION SOULEVÉE PAR LE CHILI
14. Les Parties conviennent que le pacte de Bogotá est en vigueur entre elles11. Le seul motif invoqué par le Chili à l’appui de son exception à la compétence de la Cour est l’article VI du pacte, qui est libellé comme suit :
«[c]es procédures ne pourront non plus s’appliquer ni aux questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties, ou d’une décision arbitrale ou d’une décision d’un tribunal international, ni à celles régies par des accords ou traités en vigueur à la date de la signature du présent Pacte»12.
15. Le Chili soutient que l’article VI comporte deux volets, dont chacun, «pris isolément, permet d’exclure la demande de la Bolivie de la juridiction de la Cour». Il affirme que le premier volet exclut les «questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties» et le second, «celles» qui sont «régies par des accords ou traités» en vigueur en avril 194813.
9 Voir le paragraphe 9 de l’article 79 du Règlement de la Cour.
10 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, par. 29-35 et opinion dissidente de M. le juge Vereshchetin, par. 4. Voir également l’opinion dissidente de M. le juge Al-Khasawneh, vice-président, dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 882, par. 13.
11 Voir EPC, par. 3.18. Cet instrument est en vigueur entre le Chili et la Bolivie depuis le 10 avril 2013.
12 Texte espagnol : «Tampoco podrán aplicarse dichos procedimientos a los asuntos ya resueltos por arreglo de las partes, o por laudo arbitral o por sentencia de un tribunal internacional, o que se hallen regidos por acuerdos o tratados en vigencia en la fecha de la celebración del presente Pacto.» Texte anglais : «The aforesaid procedures, furthermore, may not be applied to matters already settled by arrangement between the parties, or by arbitral award or by decision of an international court, or which are governed by agreements or treaties in force on the date of the conclusion of the present Treaty.» Texte portugais : «Não se poderão, igualmente, aplicar os processos supracitados aos assuntos já resolvidos por entendimentos entre as partes, ou por laudo arbitral, ou por sentença de um tribunal internacional, ou que estejam regulados por acôrdos ou tratados, em vigor, na data da assinatura do presente Tratado.»
13 Voir EPC, par. 3.3.
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16. Le Chili fait valoir que, en l’espèce, les questions en cause sont «la souveraineté territoriale et la nature de l’accès de la Bolivie à l’océan Pacifique», et que ces questions ont été «réglées au moyen d’une entente» dans le traité de 1904 ou sont «régies par ce même instrument, qui était en vigueur en 1948, date de la conclusion du pacte de Bogotá»14.
17. Le Chili affirme en particulier que,
«[l]a souveraineté territoriale et la nature de l’accès à la mer de la Bolivie étant des questions qui ont été réglées par le traité de 1904 et restent régies par celui-ci, l’article VI du pacte de Bogotá exclut la demande bolivienne de la compétence de la Cour»15.
18. L’argument essentiel du Chili est donc le suivant : «[d]ans la présente affaire, la Bolivie reformule [sa] demande tendant à l’annulation ou à la «revision» du traité de paix de 1904»16 et, «[q]ue la Bolivie sollicite directement la revision du traité ou fasse valoir une obligation de négocier pour parvenir au même résultat, pareilles demandes sont exclues de la compétence de la Cour par l’effet de l’article VI du pacte de Bogotá»17.
19. Dans les sections suivantes, la Bolivie démontrera que l’exception est infondée, qu’elle fait fi de nombreux éléments de preuve et qu’elle ne correspond pas à la vérité.
IV. L’EXCEPTION SOULEVÉE PAR LE CHILI EST MANIFESTEMENT DÉPOURVUE DE FONDEMENT
Le Chili fait une interprétation erronée de l’objet du différend
20. Ainsi que cela a été indiqué ci-dessus, il y a lieu, pour déterminer l’objet du différend, de se référer aux termes de la requête et du mémoire ; la requête de la Bolivie doit donc se lire et s’interpréter telle qu’elle est libellée.
21. Le présent différend a pour objet l’existence de l’obligation, à laquelle le Chili a consenti, de négocier un accès souverain à l’océan Pacifique, et le non-respect de cette obligation. Comme la Bolivie l’a exposé dans son mémoire du 15 avril 2014, «[l]e présent différend porte sur le non-respect par le Chili de son obligation de négocier de bonne foi en vue d’assurer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique, et sur le refus du Chili de reconnaître cette obligation»18.
22. La Bolivie soutient que cette obligation existe, le Chili ayant accepté de négocier en vue de lui assurer un accès souverain à l’océan Pacifique, indépendamment du traité de 1904, et qu’il n’y a pas été satisfait19. La demande de la Bolivie a donc pour objet une question de droit
14 Voir EPC, par. 3.4.
15 Voir EPC, par. 1.6.
16 Voir EPC, par. 2.1.
17 Voir EPC, par. 2.4.
18 Voir MB, par. 3.
19 Voir requête et MB. La Bolivie a clairement indiqué que le présent différend concernait non pas le traité de 1904 mais l’existence d’une obligation de négocier en vue de lui assurer un accès souverain à la mer, et le manquement à cette obligation (voir, notamment, requête, par. 1, 4 et 32).
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international (paragraphe b) de l’article XXXI du pacte de Bogotá), qui se rapporte à l’existence et à la violation d’un engagement international contracté par le Chili indépendamment du traité de 1904, par voie d’accords et de déclarations, consistant à négocier avec la Bolivie un accès souverain à la mer (paragraphe c) de l’article XXXI), et au meilleur moyen de réparer cette violation (paragraphe d) de l’article XXXI).
23. Le Chili conteste à la fois l’existence et l’inobservation de ladite obligation. Ainsi, dans la note verbale no 745/183 du 8 novembre 2011, le ministère chilien des affaires étrangères, se référant à la lettre que la Bolivie avait adressée au greffier de la Cour en l’affaire du Différend maritime (Pérou c. Chili), a affirmé ce qui suit :
«Aucun des éléments mentionnés dans la lettre du 8 juillet 2011 ne vient étayer la thèse selon laquelle le Chili aurait d’une quelconque manière reconnu l’existence d’une obligation de négocier un accès souverain à la mer, ou d’un droit à un tel accès, comme semble le laisser entendre l’Etat plurinational de Bolivie.»20
24. Il n’est nullement question, ni dans la requête ni dans le mémoire, d’un différend concernant la revision ou l’annulation du traité de 1904. Rien dans la requête ne confirme ni ne donne à penser que la Bolivie «[c]herche [] aujourd’hui à remettre en cause un accord territorial auquel elle a pourtant consenti en 1904»21, ni qu’elle demande à la Cour, directement ou de manière implicite, de prescrire au Chili de reviser contre sa volonté le traité de 1904 conclu avec la Bolivie.
25. La Bolivie a tout à fait conscience que le droit international ne permet pas de reviser un traité territorial sans le consentement des deux parties. Cependant, elle attache une grande importance au fait que le Chili a, à de nombreuses reprises, réaffirmé son intention de négocier avec elle indépendamment du traité de 1904. C’est pourquoi la Bolivie a introduit la présente instance, en priant la Cour de dire que le Chili a l’obligation de négocier, obligation qu’il est tenu, au regard du droit international, d’exécuter de bonne foi.
26. Aussi est-ce sans fondement aucun que le Chili sème le doute devant la Cour en prétendant que le présent différend a trait à la revision ou à l’annulation du traité de 1904. Ce n’est pas la même chose de dire que le Chili s’est engagé à négocier en vue d’assurer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique indépendamment du traité de 1904 et a manqué à cette obligation position effectivement défendue par la Bolivie et de dire que le traité de paix de 1904 est nul et non avenu, et qu’il doit donc être annulé ou revisé ce que le Chili présente comme étant la prétention de la Bolivie.
20 Voir MB, vol. II, première partie, annexe 82, p. 332. Dans l’affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie), la Cour a souligné que,
«[a]ux fins de vérifier l’existence d’un différend d’ordre juridique en l’espèce, il [était] sans importance de déterminer [quel était] le «différend véritable»… A tort ou à raison, [le demandeur] a[vait] formulé des griefs en fait et en droit à l’encontre [du défendeur] et c[elui]-ci les a[vait] rejetés. Du fait de ce rejet, il exist[ait] un différend d’ordre juridique.» (Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 100, par. 22.)
En la présente affaire, la Bolivie a fait valoir que le Chili était soumis à une obligation de négocier en vue de lui assurer un accès souverain à la mer, qu’il ne s’était pas conformé à cette obligation et qu’il en contestait l’existence.
21 Voir EPC, par. 3.39.
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27. Contrairement aux affirmations trompeuses du Chili, la demande de la Bolivie ne consiste pas à remettre en cause le principe pacta sunt servanda ni à menacer la stabilité des frontières en invoquant la nullité du traité de paix de 1904 ; la Bolivie ne cherche pas davantage à «se soustraire au règlement auquel les Parties sont parvenues dans le traité de paix de 1904»22. Bien au contraire, elle demande que le principe pacta sunt servanda soit appliqué en ce qui concerne des accords autres que le traité de 1904, qui résultent de l’engagement du Chili de négocier en vue de lui assurer un accès souverain à la mer.
28. De fait, depuis 1904, le Chili lui-même a considéré à maintes reprises que le traité de 1904, d’une part, et, d’autre part, l’obligation de négocier en vue d’assurer à la Bolivie un accès souverain à la mer qui, ainsi que cela a été démontré dans le mémoire de la Bolivie23, découle d’accords bilatéraux et d’actes unilatéraux ultérieurs constituaient des questions distinctes et indépendantes. Les deux Parties sont donc convenues que le traité de 1904 n’avait pas réglé entre elles la question de l’accès souverain.
29. On rappellera par exemple que, dans un mémorandum de la légation chilienne en Bolivie daté du 9 septembre 1919, soit après 1904, le Chili a déclaré qu’«il accept[ait] d’entamer de nouvelles négociations, sans préjudice des dispositions du traité de paix de 1904, afin de répondre aux aspirations du pays ami…»24. De même, dans le protocole d’accord du 10 janvier 1920, le Chili a indiqué qu’il «accept[ait] d’entamer de nouvelles négociations, sans préjudice de la situation définitivement réglée par les dispositions du traité de paix et d’amitié de 1904, en vue de répondre aux aspirations de son voisin et ami…»25. Dans ces deux documents, le Chili reconnaissait que la question de l’accès pleinement souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique était une question «indépendante» du traité.
30. Après l’entrée en vigueur du pacte de Bogotá en juin 1950, l’ambassadeur de Bolivie au Chili a réitéré la prétention de la Bolivie à un accès souverain à la mer26, ce à quoi le ministre chilien des affaires étrangères a répondu ce qui suit :
«le Gouvernement du Chili est parfaitement disposé à examiner, dans le cadre de négociations directes avec la Bolivie et sans préjudice de la situation juridique créée par le traité de paix de 1904, la possibilité de répondre au voeu [du] gouvernement [bolivien] et ce, dans le respect des intérêts du Chili»27.
22 Voir EPC, par. 1.8. Voir la récente allocution (24 septembre 2014) du président Morales devant l’Assemblée générale des Nations Unies, dans laquelle il a déclaré que
«[la] demande [bolivienne] ne vis[ait] pas à modifier l’ordre international des limites et frontières, et [que la Bolivie] n’entend[ait] pas non plus menacer les traités internationaux comme v[oulait] le faire accroire le Gouvernement du Chili. Bien au contraire, la Bolivie invoque le droit international et ses principes pour régler de façon concertée et de bonne foi la question de son accès souverain à l’océan Pacifique.» Voir http ://www.un.org/fr/ga/69/meetings/gadebate/24sep/bolivia.shtml.
23 Voir MB, par. 335-387.
24 Voir MB, annexe 19.
25 Voir MB, annexe 101.
26 Voir MB, par. 358.
27 Voir MB, par. 129 et annexe 109 B.
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31. De même, dans un mémorandum de juillet 196128, le Chili, confirmant les engagements de 1950, a de nouveau affirmé qu’il «a[vait] toujours été disposé, sans préjudice de la situation juridique établie par le traité de paix de 1904, à examiner directement avec la Bolivie la possibilité de satisfaire aux aspirations de celle-ci tout en préservant ses propres intérêts»29.
32. Dans le cadre de la réunion de Charaña entre les présidents chilien et bolivien, M. Patricio Carvajal, ministre des affaires étrangères du Chili, a, le 19 décembre 1975, confirmé l’intention de son gouvernement «de négocier en vue de céder à la Bolivie une côte maritime souveraine reliée au territoire bolivien par une bande de terre elle aussi souveraine»30, déclaration qui était assortie de la description géographique précise du territoire que le Chili entendait ainsi céder à la Bolivie. La proposition chilienne précisait que «cette cession tiendrait compte des intérêts des deux pays, sans entraîner aucune modification des dispositions du traité de paix et d’amitié signé par le Chili et la Bolivie le 20 octobre 1904»31.
33. Il s’agit là d’un point capital, puisque la solution géographique proposée par le Chili dans le cadre des négociations de Charaña était clairement présentée comme étant distincte des questions qui avaient été réglées par le traité de paix de 190432. Une fois encore, le Chili lui-même confirmait donc qu’un nouvel accord assurant à la Bolivie un accès souverain à la mer était indépendant du traité de 1904. De plus, lorsqu’il a, dans la note du 19 décembre 1975, proposé de céder à la Bolivie un couloir d’accès à la mer, le ministre chilien des affaires étrangères a précisé que cet Etat devait accepter ladite proposition comme une solution définitive, reconnaissant par là même que, à cette date, une question demeurait en suspens entre les Parties33.
34. Cette série de déclarations du Chili révèle le caractère artificiel de la position qu’il défend aujourd’hui, selon laquelle «[l]e seul moyen pour la Bolivie de se voir assurer l’accès souverain à l’océan Pacifique qu’elle revendique serait d’obtenir que soit revisé l’arrangement, conclu en 1904, concernant la souveraineté territoriale et la nature de son accès à la mer»34. Cette affirmation contredit les engagements et déclarations antérieurs du Chili.
35. Dans son exception préliminaire, le Chili reconnaît lui-même que, tant dans le cadre de l’échange de notes de 1950 que des négociations de Charaña, il avait «souligné que le fait qu’il était disposé à examiner la question de l’accès souverain de la Bolivie à la mer n’entamait d’aucune manière la validité [du] traité» de 190435. Le Chili mentionne également le mémorandum du 10 juillet 1961 dans lequel il avait une fois encore indiqué que, «[t]out en tenant à préserver la situation juridique établie par le traité de paix de 1904, [il] a[vait] toujours été disposé à examiner, dans le cadre de négociations directes avec la Bolivie, la possibilité de satisfaire à la fois les aspirations de celle-ci et ses intérêts propres»36.
28 Mémorandum de M. Manuel Trucco, ambassadeur du Chili à La Paz.
29 Voir MB, par. 136 et annexe 24.
30 Voir MB, annexe 73.
31 Voir MB, par. 150 et annexe 73.
32 Voir MB, figure VI, p. 65.
33 Voir MB, par. 151, et annexe 73.
34 Voir EPC, par. 2.4.
35 Voir EPC, par. 4.11.
36 Voir EPC, par. 4.12.
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36. Autre preuve de la volte-face opérée par le Chili sur cette question, la duplique qu’il a présentée en l’affaire Pérou c. Chili se réfère expressément au «corridor vers la mer qu[’il] envisageait alors de céder à la Bolivie»37. Il y est également fait mention des «négociations menées entre le Chili et la Bolivie en 1975-1976, à propos d’un projet d’échange de territoires qui, si les négociations avaient abouti, aurait octroyé à la Bolivie un couloir terrestre situé entre le Pérou et le Chili, lui donnant ainsi accès à la mer»38. L’argument qu’avance aujourd’hui le Chili est donc en contradiction manifeste avec la position qu’il a longtemps défendue, avant que la Bolivie n’introduise la présente instance devant la Cour.
37. De surcroît, ainsi que la Cour l’a rappelé en l’affaire Pérou c. Chili, en 1975, «le Chili a[vait] entamé des négociations avec la Bolivie à propos d’un projet d’échange de territoires destiné à assurer à celle-ci un «accès à la mer» et un espace maritime adjacent»39. La proposition chilienne, formulée en des termes parfaitement clairs, confirmait que les efforts déployés par les Parties en vue de régler le problème de l’accès souverain de la Bolivie à la mer étaient sans rapport avec le traité de paix de 1904.
Décision sur le fond
38. Le Chili invoque l’article VI du pacte de Bogotá pour se soustraire à la juridiction de la Cour, faisant valoir que la question a été réglée, ou est régie, par le traité de 1904. Cette exception d’incompétence est tout à fait spécieuse. En effet, le véritable argument du Chili n’est pas que la question a été réglée par le traité de 1904 ou qu’elle est régie par celui-ci, mais que les différents documents sur lesquels se fonde la Bolivie ne démontrent pas l’existence d’un accord, intervenu entre les Parties indépendamment du traité de 1904, quant à la conduite de négociations concernant un accès souverain à la mer. Autrement dit, par cet artifice, le Chili met l’accent sur le traité de paix de 1904, tout en faisant fi des nombreux accords et déclarations ultérieurs ayant trait à cette même question de l’accès souverain à la mer, comme s’ils n’avaient pas existé ou étaient dépourvus de toute conséquence juridique.
39. Or ce n’est pas sur la base du traité de 1904 que le présent différend doit être tranché, mais sur la base des actes par lesquels les Parties ont par la suite consigné leur accord quant à l’attribution à la Bolivie d’un accès souverain à la mer, et ce, indépendamment du traité de paix de 1904.
40. L’exception préliminaire soulevée par le Chili ne fait que confirmer l’existence d’un différend entre les Parties quant à l’existence d’un accord entre elles sur la conduite de négociations visant à assurer à la Bolivie un accès souverain à la mer.
41. En conséquence, la Bolivie affirme respectueusement que l’exception du Chili est dépourvue de tout fondement car elle fait abstraction des éléments de preuve matériels présentés par la Bolivie, qui démontrent l’existence d’une obligation indépendante du traité de paix de 1904, et ne correspond pas à l’objet du différend dont la Bolivie a saisi la Cour.
37 Voir Différend maritime (Pérou c. Chili), duplique du Chili, notamment par. 1.43, p. 28, et p. 92-96 ; par. 3.16 à 3.18, p. 140-142, et par. 3.25 à 3.28, p. 144-146.
38 Voir ibid., par. 3.16.
39 Voir Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, par. 131-133.
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V. L’ARTICLE VI DU PACTE DE BOGOTÁ NE SAURAIT FONDER L’EXCEPTION DU CHILI
42. Le libellé de l’article VI du pacte de Bogotá a été reproduit au paragraphe 14 ci-dessus. La limitation de compétence pertinente concerne les «questions» déjà «réglées au moyen d’une entente» entre les Parties ou «régies par des accords ou Traités en vigueur à la date de la signature [dudit] Pacte».
43. L’article VI du pacte n’est pas applicable en la présente espèce, étant donné que :
a) la demande de la Bolivie n’a pas pour objet la revision ou l’annulation du traité de 1904 ; le présent différend porte sur l’existence d’une obligation de négocier un accès souverain à la mer et sur le manquement à cette obligation, ces questions n’étant ni réglées ni régies par ledit traité ;
b) le traité de 1904 n’a pas empêché — et ne pouvait empêcher — un éventuel accord ultérieur des Parties sur une question non réglée par ses dispositions, la Cour étant fondée, en vertu du pacte de Bogotá, à statuer sur un différend relatif à l’existence de pareil nouvel accord et au respect de celui-ci ; et que
c) le Chili a toujours reconnu que la négociation de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique était indépendante du traité de 1904.
44. Avant de traiter successivement ces éléments, la Bolivie examinera tout d’abord la manière dont il convient d’interpréter l’article VI.
L’interprétation de l’article VI
45. Ainsi que cela ressort clairement du libellé de l’article VI, qui fait référence à la juridiction de la Cour ainsi qu’à d’autres procédures prévues par le pacte, cette disposition a pour objet d’éviter que celles-ci ne soient invoquées pour rouvrir des différends déjà réglés. Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par les travaux préparatoires40.
46. Le Chili convient que l’article VI «vis[e] clairement à» empêcher que les procédures de règlement des différends prévues par le pacte, et en particulier les recours judiciaires, puissent être utilisés «afin de rouvrir des questions déjà réglées entre les parties au pacte par une décision judiciaire internationale ou par un traité»41 ; telle est bien la signification juridique de l’article VI du pacte.
40 Voir EPC, annexe 12.
41 Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 858, par. 77 ; EPC, par. 3.5. La Cour a considéré que le traité de 1928, qui était invoqué dans cette affaire, était en vigueur en 1948 et qu’il avait réglé la question de la souveraineté s’agissant des îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, mais pas des autres îles et cayes constituant l’archipel ni des autres formations maritimes, pas plus que celle du tracé de la frontière maritime. Sur ces points, elle a donc jugé que l’article VI du pacte de Bogotá ne s’appliquait pas et s’est déclarée compétente en vertu de l’article XXXI de cet instrument (par. 83-120). Il est également intéressant de noter que, au moment où le président du Chili a transmis le pacte au Congrès pour approbation en vue de la ratification, il a instamment prié celui-ci de faire preuve de diligence, «étant donné que, lors de la prochaine conférence interaméricaine, organisée à Rio de Janeiro, deux propositions visant à remplacer le pacte de Bogotá [devaient] être présentées et que, contrairement à l’article VI de cet instrument, elles ne cont[enaient] ni l’une ni l’autre une quelconque disposition destinée à empêcher la revision de traités en vigueur…» (Chambre des députés du Chili, session 42 du 12 mai 1965, p. 3266-3267). Cela confirme le sens ordinaire qui doit être attaché à l’article VI.
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47. Le Chili cherche à conférer aux expressions «questions déjà réglées» et «questions régies» par l’article VI un sens plus large qu’elles n’ont pas, puisqu’elles revêtent au contraire une signification juridique bien précise et supposent l’existence d’un différend relatif à une question particulière. Dans la version espagnole du texte, il est en effet indiqué «asuntos resueltos por arreglos … o regidos por acuerdos o tratados», et non pas «asuntos resueltos por … o materias regidas por». Le texte français emploie, quant à lui, le terme «questions» et le texte portugais, le mot «assuntos». Il convient de noter à cet égard que, dans bien des cas, y compris dans le contexte de l’application du pacte de Bogotá, la Cour a assimilé le terme «question» à celui de «différend», tant en français qu’en anglais, ce qui est conforme à son Statut ; dans la version anglaise de ce texte, le terme «matters» est en effet systématiquement employé pour désigner un différend (c’est-à-dire un désaccord sur un point de droit ou de fait) devant être réglé42.
48. La Cour a eu l’occasion de se pencher sur le terme «réglé» et l’expression «régi par» figurant à l’article VI du pacte de Bogotá dans l’affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et la Colombie43. Elle a conclu que, dans les circonstances propres à cette espèce, «aucune distinction quant aux effets juridiques n’était à faire, aux fins de l’application de l’article VI du pacte, entre une question «réglée» et une question «régie» par le traité de 1928» et que, pour cette raison, elle «utilisera[it] dans la suite de l’arrêt le mot «réglée»»44. Les travaux préparatoires45 ne contiennent aucune indication donnant à penser que ces deux termes auraient un sens différent.
49. En tout état de cause, il est clair que, dans les circonstances de la présente espèce, il n’y a pas de différence importante entre l’application des deux membres de la phrase. Le point essentiel est que le traité de 1904 n’a pas réglé la question de l’octroi, à la Bolivie, d’un accès souverain à la mer, ni celle de l’existence d’une obligation de négocier à cet effet. De fait, en exposant son exception, le Chili lui-même n’a pas établi de distinction entre l’application des deux parties de la phrase46.
La demande de la Bolivie n’a pas pour objet la revision ou l’annulation du traité de 1904
50. Le Chili dénature la demande de la Bolivie pour la faire correspondre à son interprétation de l’article VI du pacte, et la Bolivie s’oppose catégoriquement à ce que cette demande qu’elle a présentée à la Cour soit qualifiée de tentative d’obtenir la revision ou l’annulation du traité de 1904 et, partant, de question entrant dans les prévisions de l’article VI. Dans sa requête, la Bolivie a en effet clairement distingué sa demande de toute question découlant du traité de 1904 en précisant que,
42 Voir le paragraphe 3 de l’article 24, les paragraphes 1 et 6 de l’article 36, ainsi que l’article 37 du Statut de la Cour.
43 Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 832.
44 Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 848, par. 39. Dans cette affaire, la Cour a recherché si tous les aspects du différend avaient ou non été «réglés» par un traité datant de 1928, et confirmé qu’elle avait compétence pour connaître des questions qui ne l’avaient pas été conformément à son interprétation de l’instrument. Le seul fait qu’un traité concernât «une question» (en l’occurrence la souveraineté sur des îles) ne suffisait pas à ce que l’article VI du pacte soit applicable.
45 Comme la Cour l’a déjà signalé il y a plus de vingt-cinq ans, «les différents stades de la rédaction des textes lors de la conférence de Bogotá n’ont pas tous fait l’objet de procès-verbaux détaillés» (Actions armées frontalières et transfrontalières, compétence de la Cour et recevabilité de la requête (Nicaragua c. Honduras), C.I.J. Recueil 1988, p. 86, par. 37).
46 Voir EPC, par. 3.8-3.10 et 3.15.
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«[s]ans préjuger de la compétence de la Cour pour connaître de la présente affaire, [elle] se réserv[ait] le droit de demander la constitution d’un tribunal arbitral, conformément à l’obligation énoncée à l’article XII du traité de paix et d’amitié conclu avec le Chili le 20 octobre 1904 et au protocole du 16 avril 1907, au cas où un différend s’élèverait à propos dudit traité»47.
51. A cet égard, il est révélateur que, entre 1947 et 1950 — c’est-à-dire non seulement pendant l’élaboration du pacte mais aussi après sa signature —, la Bolivie et le Chili soient expressément convenus de mener des négociations visant à assurer à celle-ci un accès souverain à la mer48. Cela montre bien qu’aucune des Parties n’était d’avis que le traité de 1904 avait déjà «réglé» cette question ou que l’article VI du pacte s’appliquait à celle-ci.
52. Pour étayer son allégation selon laquelle l’article VI ferait échec à la compétence de la Cour, le Chili établit en outre un lien indéfendable entre la présente affaire et la Constitution bolivienne de 200949, tire des conclusions erronées du retrait de la «réserve» formulée par la Bolivie en ce qui concerne l’article VI du pacte50 et déforme totalement la position de celle-ci quant à la pertinence de l’accord de cession territoriale de 189551. Par ailleurs, il fait fi des accords et déclarations postérieurs au traité de 1904, par lesquels il a contracté l’obligation de négocier l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique52. Ces arguments seront développés tour à tour ci-après.
La Constitution de 2009
53. Les conclusions du Chili fondées sur la Constitution bolivienne de 2009 sont sans pertinence. La prétention de la Bolivie étant antérieure à ce texte, l’argument selon lequel la requête déposée en la présente espèce serait dictée par une prescription constitutionnelle est manifestement dénué de fondement.
54. Ni la Constitution de 2009, ni les décisions ou déclarations de la Cour constitutionnelle bolivienne, ni le système juridique bolivien dans son ensemble ne contiennent un quelconque élément exigeant la revision ou l’annulation du traité de 1904 ; en tout état de cause, cet instrument n’est pas pertinent en ce qui concerne les accords internationaux distincts et indépendants visant à négocier un accès souverain à l’océan Pacifique.
55. La Bolivie ne demande pas à la Cour de contraindre le Chili à renégocier ou à reviser le traité de 1904 ; elle demande que soient mis en oeuvre les accords conclus entre les deux Etats en vue de négocier un accès souverain à la mer.
47 Voir RB, par. 34.
48 Voir MB, par. 124-126.
49 Voir EPC, par. 2.3, ainsi que les annexes 62, 71 et 73.
50 Ibid., par. 3.13-3.19.
51 Ibid., par. 4.2-4.8.
52 Ibid., par. 4.9-4.13.
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Le retrait de la réserve à l’article VI
56. Quant à la réserve à l’article VI du pacte de Bogotá que la Bolivie avait formulée, elle a été retirée. A la suite de ce retrait, le pacte est clairement entré en vigueur entre la Bolivie et le Chili, ce dernier étant tenu de se conformer aux dispositions de cet instrument dans ses relations avec la Bolivie53.
57. Compte tenu de l’objet de la demande de la Bolivie, tout autre commentaire au sujet du retrait de sa réserve est superflu ; si un motif doit être attribué à ce retrait, c’est assurément que la Bolivie avait l’intention de soumettre à la Cour un différend qui ne portait pas sur la revision du traité de 1904.
L’accord de 1895
58. En ce qui concerne l’accord de cession territoriale de 1895, le Chili dénature totalement la position de la Bolivie. Il allègue que celle-ci «tente de se soustraire à l’important traité de paix de 1904 en soutenant que l’accord de cession territoriale de 1895 (ci-après l’«accord de 1895») constitue une source du droit à un accès souverain à l’océan Pacifique qu’elle revendique», ajoutant qu’elle «omet totalement d’informer la Cour que l’accord de 1895 est «dépourvu de tout effet», par suite de celui auquel les deux Etats sont parvenus dans un échange de notes de 1896»54. Il affirme par ailleurs que, tout au long de son mémoire, «la Bolivie s’appuie sur l’accord de 1895 en tant que fondement de son droit allégué à un accès souverain à l’océan Pacifique»55. Selon le Chili, la Bolivie fait valoir que «l’accord de cession territoriale de 1895 refléta[it] ainsi l’entente des Parties sur le fait qu[’elle] devait avoir un accès souverain à la mer»56, mais «omet … d’informer la Cour que l’accord en question n’est jamais entré en vigueur»57. Le Chili affirme de surcroît qu’aucun des autres traités conclus à la même date n’est entré en vigueur58.
59. Il s’agit là d’une présentation manifestement erronée des faits que la Bolivie a exposés dans son mémoire, et ce, pour les raisons exposées ci-après.
60. Premièrement, la Bolivie a correctement présenté le statut de l’accord de 1895 dans son mémoire. Bien qu’ayant précisé que celui-ci avait été ratifié59 et publié par le Chili60, elle a en effet expressément reconnu que «le régime conventionnel de 1895 constituait un «tout indivisible»»61 et que l’échange des instruments de ratification de certains protocoles «n’a[vait] pas eu lieu»62. L’échange de notes de 1896, sur lequel insiste le Chili, a conduit à la rédaction du protocole du
53 Voir la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, art. 22 ; pacte de Bogotá, art. LIV, par. 3.18.
54 Voir EPC, par. 1.5.
55 Ibid., par. 4.2.
56 Ibid., par. 4.3.
57 Ibid., par. 4.4.
58 Ibid., par. 4.5-4.8.
59 Voir MB, par. 342.
60 Voir MB, par. 88 et 344.
61 Voir MB, par. 88.
62 Voir MB, par. 85.
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30 avril 1896, dont la Bolivie a annexé le texte intégral à son mémoire63. En outre, les notes échangées en 1950, que la Bolivie a également annexées à son mémoire, faisaient expressément mention de l’accord de 189564, précisant que celui-ci avait «été conclu avec la Bolivie, mais pas ratifié par les organes législatifs respectifs»65. L’exception soulevée par le Chili fait donc clairement abstraction des éléments contenus dans le mémoire de la Bolivie.
61. Deuxièmement, le Chili interprète mal la référence faite par la Bolivie à l’accord de cession territoriale de 1895, laissant entendre qu’elle attribue à cet instrument une importance manifestement incompatible avec la manière dont elle l’a présenté dans son mémoire. Dans cette pièce, la Bolivie fait mention de l’accord de 1895 en tant que précédent66, ce qui, de fait, est indéniable. Or il ressort de cet instrument que, même avant 1904, les Parties établissaient une distinction entre deux questions, ce qu’illustre le fait que deux accords distincts ont été conclus, à savoir : i) celui portant sur la cession au Chili du département bolivien occupé de Litoral (le traité de paix) ; et ii) celui qui concerne l’accès souverain de la Bolivie à la mer en passant par d’autres territoires situés au nord (l’accord de cession). De surcroît, en signant l’accord de cession territoriale de 1895, le Chili a formellement reconnu la nécessité impérieuse pour la Bolivie de disposer d’un accès libre et naturel à la mer.
62. Quel que soit le statut de l’accord de 1895, cet instrument a créé un précédent qui a continué de façonner les accords et engagements unilatéraux pris ultérieurement, et notamment à partir de 1950, en vue de négocier un accès souverain. A cet égard, le fait que, dans leur échange de notes de 1950, les Parties se soient expressément référées à l’accord de 1895 est particulièrement révélateur ; cela démontre que, quel que soit son statut officiel, cet instrument conserve son importance67.
Les accords et déclarations ultérieurs
63. Dans sa requête et son mémoire, la Bolivie a consacré d’importants développements aux accords spécifiques et déclarations répétées par lesquels des représentants chiliens ont consenti à négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer, sans pour autant contrevenir à l’obligation de respecter le traité de 1904 en tant qu’instrument juridiquement contraignant68. Ces accords et déclarations expriment la nature même de l’obligation du Chili de négocier avec la Bolivie en vue d’assurer à celle-ci un accès souverain à l’océan Pacifique.
64. L’importance et la portée juridique de ces instruments seront examinés lors de la phase de l’examen au fond. Aux fins présentes, il suffit d’observer qu’ils apportent la preuve irréfutable de ce que : 1) la question de l’accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique n’a été réglée par aucun traité ou accord avant l’entrée en vigueur du pacte de Bogotá ; et 2) il existe une distinction claire entre l’obligation de négocier pareil accès et les questions qui ont été réglées dans le cadre du traité de 1904, distinction que les représentants du Chili ont soulignée à maintes reprises.
63 Voir MB, annexe 106.
64 Voir MB, par. 367 et 368.
65 Voir MB, annexe 109 A.
66 Voir MB, par. 338-345.
67 MB, par. 364-369, et annexes 109 A et B.
68 MB, chap. I, et annexes y afférentes. Voir également RB, par. 15-24.
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65. Le Chili déclare qu’il examinera «succinctement» les échanges diplomatiques postérieurs au traité de 1904 «afin de démontrer qu’ils ne sauraient emporter consentement à la compétence de la Cour à l’égard de questions que l’article VI du pacte de Bogotá en a exclues». Selon lui, les échanges diplomatiques postérieurs au traité de 1904 portent sur «les questions qui avaient déjà été réglées et étaient régies par ce traité» ; ils sont l’un des moyens employés par la Bolivie «pour tenter de tourner le règlement auquel les Parties sont parvenues en 1904»69.
66. Le laconisme du Chili sur ce point est surprenant, surtout si l’on considère les longues digressions qu’il consacre à plusieurs questions dépourvues de pertinence ; cette stratégie ne fait que refléter la faiblesse de l’exception qu’il a soulevée70. Le Chili mentionne à peine l’échange de notes de 1950, dans lequel il a pourtant confirmé71 qu’il «[était] disposé à entamer officiellement des négociations directes afin de trouver une formule permettant à la Bolivie de disposer de son propre accès souverain à l’océan Pacifique»72, ou encore sa note en date du 19 décembre 1975, dans laquelle il a pourtant confirmé qu’il «serait disposé à négocier avec la Bolivie au sujet de la cession d’une bande de territoire au nord d’Arica jusqu’à Linea de la Concordia»73. En résumant son argumentation dans le dernier paragraphe de son exception préliminaire74, le Chili omet de mentionner la pléthore d’instruments adoptés après 1904, insistant en revanche sur l’accord de cession territoriale de 189575.
67. De plus, le Chili n’explique pas comment il peut à présent affirmer que la demande de la Bolivie met en péril le traité de 1904, alors qu’il a lui-même soutenu si souvent le contraire et même entamé des négociations en vue d’assurer à la Bolivie un accès souverain à la mer, négociations qui ont débouché sur la conclusion des accords susmentionnés de 1950 et de 1975.
68. En tout état de cause, il est parfaitement illogique d’avancer qu’un traité plus ancien pourrait avoir réglé des questions qui ont fait l’objet d’accords et de déclarations ultérieurs et indépendants, si ce n’est que cela permet d’empêcher qu’il soit recouru au pacte de Bogotá pour régler des différends relatifs à ces accords et déclarations. Il est impossible que le traité de 1904 ait réglé, ou régisse, des questions qui ont fait l’objet de l’accord conclu, par exemple, en 1950 en vue de négocier un accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique. Le traité de 1904 n’a pas réglé les questions de l’existence et de la violation des accords conclus ultérieurement par la Bolivie et le Chili en vue de négocier un accès souverain à la mer.
L’obligation du Chili de négocier l’accès souverain de la Bolivie à la mer est indépendante du traité de 1904
69. En soutenant que la Cour n’a pas compétence pour connaître de la présente affaire au motif que les questions qui lui sont soumises auraient été réglées à jamais par le traité de 1904, le Chili se fourvoie totalement. Comme cela a été exposé ci-dessus, la demande de la Bolivie (qui a été rejetée par le Chili en 2011 et constitue l’objet du présent différend) repose précisément sur le fait que le Chili a, indépendamment du traité de 1904, consenti à négocier avec la Bolivie en vue
69 Voir EPC, par. 4.1.
70 Ibid., par. 4.9-4.13.
71 Ibid., par. 4.10 et 4.11.
72 Voir MB, annexe 109.
73 Ibid., par. 150, et annexe 73.
74 Voir EPC, par. 5.1.
75 Ibid., par. 5.1 d).
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d’assurer à celle-ci un accès souverain à l’océan Pacifique. C’est parce que cette question n’a pas été «réglée» par le traité de 1904 que les deux Parties sont par la suite convenues de négocier à cette fin.
VI. LE TRAITÉ DE LIMA DE 1929
70. Une fois que la Cour aura jugé qu’il existe une obligation de négocier un accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique, les Parties s’accorderont, par voie de négociation, sur les modalités précises de cet accès. La Bolivie s’étant scrupuleusement abstenue d’énoncer ou de proposer pareilles modalités dans le cadre de la présente instance76, l’allégation du Chili selon laquelle elle revendiquerait le territoire d’Arica est dépourvue de pertinence. Le fait que le défendeur invoque, à l’encontre de la Bolivie77, le traité de 1929 et son protocole complémentaire — qu’il a conclus avec le Pérou —, est plus inacceptable encore, étant donné que ce dernier a montré que le Chili cherchait à se dérober aux promesses qu’il avait faites à la Bolivie s’agissant de l’octroi d’un accès souverain à l’océan à travers les territoires de Tacna et d’Arica, et que ledit instrument est res inter alios acta à l’égard de celle-ci.
71. Sans donner la moindre explication convaincante, le Chili observe dans trois paragraphes que l’article VI du pacte de Bogotá «s’applique également à la question de la souveraineté sur les provinces de Tacna et d’Arica que le Chili et le Pérou ont réglée dans le traité de Lima de 1929»78.
72. Il appert que le Chili tente d’établir un lien entre le traité de Lima de 1929 et le fait que, selon lui, «la Bolivie demande»79 à pouvoir accéder à la mer «par la province d’Arica». Le Chili fait valoir que l’article VI du pacte de Bogotá exclurait également de la compétence de la Cour toute initiative visant à modifier le traité de 1929 qu’il a conclu avec le Pérou.
73. Ces renvois au traité de 1929 entre le Chili et le Pérou sont totalement hors de propos, la véritable question étant celle de la compétence de la Cour en ce qui concerne un différend opposant la Bolivie au Chili. Il est demandé à la Cour de dire que ce dernier a l’obligation, envers la Bolivie, de négocier pour assurer à celle-ci un accès souverain à l’océan Pacifique. Le traité de 1929 n’est pas applicable en l’espèce, puisqu’il est res inter alias acta vis-à-vis de la Bolivie. Il paraît en effet bien singulier d’affirmer que la Cour n’est pas compétente à l’égard d’un différend entre la Bolivie et le Chili au motif qu’un traité auquel celle-ci n’est pas partie aurait réglé le différend en question ou le régirait au sens de l’article VI.
76 Voir MB :
«La Bolivie prie la Cour d’ordonner aux parties de reprendre les négociations [concernant son accès souverain à l’océan Pacifique] de bonne foi, comme elles sont convenues de le faire à maintes reprises depuis le dix-neuvième siècle. Les deux Etats négocieront eux-mêmes les conditions exactes de cet accès souverain.» (Par. 3.)
«Ainsi qu’elle l’a indiqué au début du présent mémoire, la Bolivie ne demande pas à la Cour de déterminer la portée ou les modalités précises du droit à un accès souverain à la mer…» (Par. 497.)
«[L]a Bolivie prie la Cour de juger que les Parties doivent reprendre les négociations de bonne foi en vue de trouver un moyen de mettre en oeuvre le droit de la Bolivie de disposer d’un accès souverain à l’océan Pacifique. Les deux Etats négocieront ensuite eux-mêmes les termes précis de cet accès, en tenant compte de bonne foi des propositions déjà formulées.» (Par. 498.)
77 Voir EPC, par. 4.14 et 4.16.
78 Voir EPC, par. 4.1.
79 Voir EPC, par. 4.16.
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74. Le traité de 1929 et son protocole ne sont pertinents que parce qu’ils confirment que la question de l’accès souverain de la Bolivie à la mer est indépendante du traité de 1904, lequel n’a pas réglé et ne régit pas cette question, ce qu’il ne pouvait et ne peut d’ailleurs pas faire. Cela est évident, étant donné que : i) le traité de 1904 ne portait que sur la cession du département bolivien occupé de Litoral ; ii) ce même traité n’a pas abordé et ne pouvait aborder la question des territoires péruviens occupés au nord (Tacna et Arica), leur statut n’étant pas encore réglé ; iii) le Chili a proposé à maintes reprises, tant avant qu’après la conclusion du traité de 1904, d’octroyer à la Bolivie un accès souverain à l’océan Pacifique par les anciens territoires péruviens occupés qui lui avaient été cédés ; et que iv) le protocole complémentaire au traité de 1929 a expressément envisagé la possibilité que le Chili cède à l’avenir une partie des anciens territoires péruviens à un Etat tiers (en toute logique la Bolivie), ainsi que cela s’est produit au cours des négociations de Charaña de 1975-197680.
75. Loin d’exclure la compétence de la Cour en l’espèce, l’invocation du traité de Lima de 1929 par le Chili démontre que cette question était encore en suspens lorsque celui-ci et le Pérou se sont mis d’accord sur le statut de Tacna et d’Arica, et que celle de l’accès souverain n’était pas, à l’époque, réglée entre la Bolivie et le Chili.
VII. OBSERVATIONS FINALES ET CONCLUSIONS
76. L’exception du Chili est dépourvue de tout fondement et dénature la demande de la Bolivie. En effet, celle-ci ne cherche pas à obtenir une revision ou une annulation du traité de 1904, mais demande seulement que le Chili honore son obligation de négocier un accès souverain à la mer, conformément aux différents accords qu’il a conclus et aux nombreuses déclarations unilatérales qu’il a faites, en soulignant que cette question était indépendante du traité de 1904. La Bolivie appelle le Chili à répondre à sa demande telle que celle-ci a été soumise à la Cour.
77. Le Chili lui-même n’a cessé de déclarer que la question de l’accès de la Bolivie à la mer et la demande de celle-ci concernant l’obligation de négocier un accès souverain à l’océan Pacifique étaient totalement indépendantes du traité de 1904. L’article VI du pacte de Bogotá n’est donc pas applicable et ne saurait faire échec à la compétence de la Cour.
78. La Bolivie ne demande pas à la Cour de remettre en cause le principe pacta sunt servanda ; bien au contraire, elle la prie de donner effet à ce principe en jugeant que, à maintes reprises et indépendamment du traité de 1904, le Chili et la Bolivie sont convenus de négocier un accès souverain à la mer.
79. Avant que le Chili ne répudie son obligation, en 2011, il ressortait clairement des négociations menées des décennies durant que la question de l’accès souverain à la mer demeurait en suspens entre les Parties. L’article VI du pacte de Bogotá ne s’appliquant pas aux questions qui n’ont jamais été réglées entre celles-ci, il ne fait pas obstacle à la compétence de la Cour en l’espèce. Celle-ci doit donc rejeter l’exception d’incompétence que le Chili a soulevée en se prévalant de l’article VI du pacte.
80 Voir MB, annexe 107.
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80. Le pacte de Bogotá a pour vocation de permettre le règlement pacifique et définitif des différends, et il ne devrait pas être interprété comme excluant ceux qui ont un objet autre que la revision d’un traité ou d’une décision judiciaire. Ainsi que la Cour l’a fait observer, «il ressort nettement du pacte que les Etats américains, en élaborant cet instrument, ont entendu renforcer leurs engagements mutuels en matière de règlement judiciaire»81. C’est précisément là ce que la Bolivie cherche à faire au travers de la présente instance, et les tentatives indéfendables du Chili de s’opposer à la compétence de la Cour sont incompatibles avec l’objet et le but du pacte, c’est-à-dire de permettre le règlement judiciaire des différends qui subsistent entre des Etats membres de l’OEA.
81. En conséquence, la Bolivie prie respectueusement la Cour de :
a) rejeter l’exception d’incompétence soulevée par le Chili ;
b) dire et juger que la demande présentée par la Bolivie relève de sa compétence.
Le 7 novembre 2014.
L’agent de l’Etat plurinational de Bolivie,
(Signé) Eduardo RODRÍGUEZ VELTZÉ.
___________
81 Voir Actions armées frontalières et transfrontalières, compétence de la Cour et recevabilité de la requête (Nicaragua c. Honduras), C.I.J. Recueil 1988, p. 90, par. 46.
Exposé écrit de la Bolivie sur l’exception préliminaire du Chili