Contre-mémoire de la République du Nicaragua

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165-20170418-WRI-01-00-EN
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Note : Cette traduction a été préparée par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
14588
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À LA FRONTIÈRE TERRESTRE DANS
LA PARTIE SEPTENTRIONALE D’ISLA PORTILLOS
(COSTA RICA c. NICARAGUA)
CONTRE-MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA
18 avril 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE I. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
A. Compétence de la Cour ............................................................................................................ 1
B. Incidence limitée de la jonction ................................................................................................ 1
C. Structure du contre-mémoire .................................................................................................... 2
CHAPITRE II. LA PORTÉE DU DIFFÉREND ET LA TÂCHE DE LA COUR ................................................. 3
A. La portée de l’arrêt du 16 décembre 2015 ................................................................................ 4
B. L’incidence du caractère fluctuant du tracé de la frontière terrestre sur la tâche
de la Cour ................................................................................................................................ 9
C. La tâche de la Cour en l’espèce .............................................................................................. 10
CHAPITRE III. LES PRINCIPES APPLICABLES AUX FINS DE LA DÉTERMINATION DU TRACÉ
DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE ..................................................................................................... 12
A. La méthode adoptée par le général Alexander ....................................................................... 12
B. Le caractère fluctuant de la frontière terrestre ........................................................................ 15
C. Le point de départ de la frontière terrestre a été fixé ne varietur ........................................... 17
CHAPITRE IV. LE CAMPEMENT MILITAIRE EST SITUÉ EN TERRITOIRE NICARAGUAYEN .................. 19
Section 1. Le tracé de la frontière terrestre entre la lagune de Harbor Head et
l’embouchure du fleuve San Juan .......................................................................................... 19
A. L’application de la méthode du général Alexander sur le terrain ..................................... 19
B. La position du Nicaragua est confirmée par les vues de longue date du Costa Rica ........ 32
Section 2. L’emplacement du campement militaire .................................................................... 37
CONCLUSIONS ................................................................................................................................. 44
CERTIFICATION ................................................................................................................................ 45
LISTE DES ANNEXES .......................................................................................................................... 46
- ii -
LISTE DES FIGURES
Page
Figure 2.1 : Géographie générale ................................................................................................. 6
Figure 2.2 : Les trois points terminaux de la frontière terrestre du Costa Rica et la lagune
enclavée .................................................................................................................. 10
Figure 3.1 : Croquis annexé à la première sentence Alexander (1897) ..................................... 15
Figure 4.1 : Le contexte géographique, image satellite d’octobre 2016 utilisée par le
Costa Rica ............................................................................................................... 20
Figure 4.2 : Image aérienne de 1960 .......................................................................................... 21
Figure 4.3 : Captures des enregistrements vidéo effectués par drone lors de la visite sur
les lieux de décembre 2016, avec indication de chaque emplacement ................... 22
Figure 4.4 : Captures des enregistrements vidéo effectués par drone lors de la visite sur
les lieux de mars 2017, avec indication de chaque emplacement ........................... 23
Figure 4.5 : Images satellite utilisées par le Costa Rica ............................................................. 24
Figure 4.6 : Le chenal actuel reliant la lagune de Harbor Head au fleuve San Juan .................. 25
Figure 4.7 : Carte du port de San Juan del Norte ou Greytown (1890) ..................................... 26
Figure 4.8 : Carte du port de Greytown (commission du canal du Nicaragua (1899)) .............. 27
Figure 4.9 : Carte de Greytown au fleuve Colorado (1903)....................................................... 27
Figure 4.10 : Carte de San Juan del Norte établie par le US Corps of Engineers (1966) ............ 28
Figure 4.11 : Carte de Punta Castilla établie par l’institut géographique national du
Costa Rica (IGN) (1970) ........................................................................................ 28
Figure 4.12 : Carte de Barra Colorado, IGN, Costa Rica (1970) ................................................. 29
Figure 4.13 : Image aérienne de 1961 .......................................................................................... 29
Figure 4.14 : Image satellite de 1981 ........................................................................................... 30
Figure 4.15 : Cadastre national du Costa Rica (2006) ................................................................. 31
Figure 4.16 : Représentation de la frontière sur une image satellite de 2017 .............................. 32
Figure 4.17 : Frontières reconnues par le Costa Rica .................................................................. 33
Figure 4.18 : Planche topographique de Punta Castilla établie par l’IGN en 1988 ..................... 34
Figure 4.19 : Planche topographique de San Juan del Norte établie par l’INETER en 1988 ...... 35
Figure 4.20 : Représentation constante de la frontière terrestre par le Costa Rica ...................... 36
Figure 4.21 : Le campement militaire en 2010 ............................................................................ 38
Figure 4.22 : Déplacement du campement militaire en 2010 ...................................................... 39
Figure 4.23 : Le campement militaire en 2013-2017 ................................................................... 40
___________
CHAPITRE I
INTRODUCTION
1.1. La présente instance a été introduite par une requête du Costa Rica déposée le
16 janvier 2017. Par ordonnance du 2 février 2017, la Cour internationale de Justice a fixé les
dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire et du contre-mémoire1. Le présent
contre-mémoire est déposé conformément à cette ordonnance.
A. COMPÉTENCE DE LA COUR
1.2. Dans son mémoire, le Costa Rica entend fonder la compétence de la Cour sur
l’article XXXI du traité américain de règlement pacifique du 30 avril 1948 (dit pacte de Bogotá)2
ainsi que sur les déclarations d’acceptation faites par lui-même, le 20 février 1973, et par le
Nicaragua, le 24 septembre 1929, en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour3. Le
Nicaragua fait sien le point de vue du Costa Rica et accepte la compétence de la Cour en l’espèce.
B. INCIDENCE LIMITÉE DE LA JONCTION
1.3. Dans son ordonnance du 2 février 2017, la Cour a également décidé de joindre la
présente affaire à celle relative à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan
Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) (ci-après l’affaire relative à la «Délimitation maritime»)4.
1.4. Deux facteurs limiteront toutefois l’effet pratique de cette jonction :
 le segment de côte situé entre l’embouchure du fleuve San Juan et la lagune de Harbor Head
n’a qu’une très faible incidence  si tant est qu’il en ait une  sur le tracé de la frontière
maritime, aucun point de base pertinent n’ayant été déterminé sur la côte par l’une ou l’autre
des Parties5 ; et
 la délimitation de la frontière terrestre et celle de la frontière maritime sont deux questions
distinctes.
1 Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) et Frontière
terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua), ordonnance du 2 février 2017, point 1)
du dispositif.
2 Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua), mémoire du
Costa Rica (MCR), par. 1.11.
3 Ibid., par. 1.10.
4 Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) et Frontière
terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua), ordonnance du 2 février 2017, point 2)
du dispositif.
5 Voir Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), mémoire
du Costa Rica, p. 64, croquis no 4.8, et contre-mémoire du Nicaragua, p. 107, figure IId-1.
- 2 -
C. STRUCTURE DU CONTRE-MÉMOIRE
1.5. Outre cette introduction, le présent contre-mémoire comprend trois chapitres. Au
chapitre II, le Nicaragua montrera que la tâche de la Cour consiste à déterminer le tracé de la
frontière terrestre à proximité du segment de côte qui va de la lagune de Harbor Head à
l’embouchure du fleuve San Juan. Cette délimitation sera nécessairement temporaire, puisque,
comme les Parties en conviennent désormais6, la ligne frontière sera adaptée «aux changements
géographiques, ainsi qu’il était prévu dans la deuxième sentence Alexander»7. Le chapitre III sera
consacré aux principes qui sont pertinents aux fins de la détermination du tracé de la frontière
terrestre. Au chapitre IV, le Nicaragua démontrera ensuite que le campement militaire est bien
situé sur son territoire si l’on applique le traité de limites Jerez-Cañas du 15 avril 1858 ainsi que les
interprétations arbitrales et judiciaires successives qui en ont été données. Enfin, il énoncera ses
conclusions.
6 Voir plus loin, par. 2.21 et 2.22.
7 MCR, par. 2.2.
- 3 -
CHAPITRE II
LA PORTÉE DU DIFFÉREND ET LA TÂCHE DE LA COUR
2.1. Dans son mémoire, le Costa Rica indique que le présent différend porte sur deux points :
«Le différend entre le Costa Rica et le Nicaragua porte sur l’emplacement précis
de la frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos, c’est-à-dire celle
qui sépare aujourd’hui la lagune de Los Portillos/Harbor Head d’Isla Portillos. Il
concerne également l’établissement illicite, par le Nicaragua, d’un campement
militaire sur la plage d’Isla Portillos, un territoire qui appartient au Costa Rica, ainsi
que la Cour l’a confirmé dans son arrêt du 16 décembre 2015 en l’affaire relative à
Certaines activités.»8
2.2. Cette description appelle trois remarques, qui seront développées successivement dans le
présent chapitre.
2.3. Premièrement, le Costa Rica cherche à tort à limiter la portée géographique de sa
première demande au banc de sable séparant la lagune de Harbor Head de la mer des Caraïbes. La
Cour, comme elle l’a expressément précisé, n’a pas déterminé l’emplacement de la frontière
terrestre entre l’embouchure du fleuve San Juan et la lagune de Harbor Head dans l’arrêt qu’elle a
rendu le 16 décembre 2015 en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans
la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), jointe à l’affaire relative à la Construction d’une
route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) (ci-après l’affaire
relative à «Certaines activités»). La question de la frontière le long de l’intégralité de ce segment
de côte demeure ouverte (sect. A)9.
2.4. Deuxièmement, même à supposer, pour les besoins du débat, que la Cour ait déterminé
l’emplacement de la frontière terrestre (quod non), le caractère fluctuant de celle-ci impose, en
l’espèce, d’en revérifier le tracé à partir du point de départ fixe défini par l’arbitre Alexander. En
effet, ainsi que les Parties en conviennent désormais10, la ligne frontière évoluera en fonction des
changements géographiques. Il faut donc en déterminer le tracé au moment où un problème surgit
entre elles (sect. B).
2.5. Troisièmement, il s’ensuit que le seul objet en l’espèce est la détermination, par la Cour,
de l’emplacement de la frontière entre l’embouchure du fleuve San Juan et la lagune de Harbor
Head, dans le seul but d’établir si le campement militaire du Nicaragua se trouve sur son territoire
ou sur celui du Costa Rica (sect. C).
8 MCR, par. 1.8.
9 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)
et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 697, par. 70.
10 Voir plus loin, par. 2.21 et 2.22.
- 4 -
A. LA PORTÉE DE L’ARRÊT DU 16 DÉCEMBRE 2015
2.6. Le Costa Rica affirme que, du fait de l’arrêt rendu en 2015, la tâche de la Cour en
l’espèce se limite à «déterminer l’emplacement précis de la frontière séparant la plage
d’Isla Portillos de chacune des extrémités du banc de sable de la lagune de
Los Portillos/Harbor Head»11. Selon lui, la Cour ne peut rechercher de nouveau l’emplacement du
segment de frontière entre l’embouchure du fleuve San Juan et la lagune de Harbor Head, puisque
cette question a été tranchée dans son arrêt de 2015 et est par conséquent revêtue de l’autorité de la
chose jugée12. Or, cette affirmation est directement contredite par l’arrêt en question.
2.7. Rappelant le principe de l’autorité de la chose jugée, le Costa Rica cite le paragraphe 59
de l’arrêt que la Cour a rendu le 17 mars 2016 en l’affaire relative à la Question de la délimitation
du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie) :
«Il ne suffit pas, pour l’application de l’autorité de la chose jugée, d’identifier
l’affaire en cause, caractérisée par les mêmes parties, le même objet et la même base
juridique, il faut encore déterminer le contenu de la décision dont il convient de
garantir le caractère définitif. La Cour ne saurait se contenter de l’identité des
demandes qui lui ont été présentées successivement par les mêmes parties, elle doit
rechercher si et dans quelle mesure la première demande a déjà été tranchée
définitivement.»13
2.8. La Cour est pourtant allée plus loin dans cet arrêt. Citant celui qu’elle avait rendu
en 2007 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), elle a précisé ceci :
«Si un point n’a en fait pas été tranché, ni expressément ni par implication
logique, l’arrêt n’a pas force de chose jugée sur celui-ci ; et il peut être nécessaire de
lire une conclusion générale dans son contexte afin de déterminer si elle recouvre tel
point en particulier» (C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 95, par. 126).»14
2.9. Il s’ensuit que les différentes déclarations faites par les Parties au cours de la procédure
ne sont pas pertinentes pour la portée de l’application du principe de l’autorité de la chose jugée,
contrairement à ce que le Costa Rica voudrait faire accroire à la Cour15. Pour déterminer la portée
précise de la décision rendue en 2015, il faut s’intéresser à l’arrêt proprement dit. Les Parties
conviennent que les paragraphes essentiels de ce dernier sont les paragraphes 69 et 7016, qui se
lisent comme suit :
11 MCR, par. 2.11.
12 Ibid.
13 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), arrêt du 17 mars 2016, par. 59.
14 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), arrêt du 17 mars 2016, par. 59.
15 Voir MCR, par. 2.21.
16 Voir ibid., par. 2.11.
- 5 -
«69. Puisqu’il n’est pas contesté que le Nicaragua a mené certaines activités
dans le territoire litigieux, il y a lieu, pour rechercher si la souveraineté territoriale du
Costa Rica a été violée, de déterminer lequel des deux Etats a souveraineté sur ce
territoire. Dans son ordonnance du 8 mars 2011 portant indication de mesures
conservatoires, la Cour a défini le «territoire litigieux» comme «la partie
septentrionale [d’]Isla Portillos, soit la zone humide d’environ trois kilomètres carrés
comprise entre la rive droite du caño litigieux, la rive droite du fleuve San Juan
lui-même jusqu’à son embouchure dans la mer des Caraïbes et la lagune de Harbor
Head» (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 19, par. 55). Le caño dont il est ici question est
celui que le Nicaragua a dragué en 2010. Ce dernier n’a pas contesté cette définition
du «territoire litigieux» et le Costa Rica l’a expressément adoptée dans ses conclusions
finales (point 2 a)). La Cour s’en tiendra à la définition du «territoire litigieux»
qu’elle a énoncée dans son ordonnance de 2011. Elle rappelle que, dans son
ordonnance en indication de mesures conservatoires du 22 novembre 2013, elle a
précisé qu’un campement militaire nicaraguayen «se trouv[ant] sur la plage elle-même
à la lisière de la végétation», à proximité d’un des caños dragués en 2013, était «situé
sur le territoire litigieux tel que défini par elle dans son ordonnance du 8 mars 2011»
(C.I.J. Recueil 2013, p. 365, par. 46).
70. La définition précitée du «territoire litigieux» ne traite pas spécifiquement
du segment de la côte caraïbe qui s’étend entre la lagune de Harbor Head, dont les
deux Parties admettent qu’elle est nicaraguayenne, et l’embouchure du San Juan. Les
Parties ont bien, dans leurs plaidoiries, exprimé des vues divergentes sur ce point,
mais elles n’ont pas abordé la question de l’emplacement précis de l’embouchure du
fleuve, et n’ont pas davantage présenté d’information détaillée concernant la côte.
Elles n’ont ni l’une ni l’autre demandé à la Cour de préciser le tracé de la frontière
par rapport à cette côte. La Cour s’abstiendra donc de le faire.»17
2.10. Cette situation est comparable à celle qui prévalait en l’affaire du Temple de
Préah Vihéar (demande en interprétation) de 2013, dans laquelle la Cour a considéré que la
conclusion figurant dans son arrêt de 1962, selon laquelle «le temple de Préah Vihéar [était] situé
en territoire relevant de la souveraineté du Cambodge», «d[evait] être considérée comme
renvoyant, ainsi que les deuxième et troisième points [du dispositif de l’arrêt de 1962], à l’éperon
de Préah Vihéar, dans les limites exposées au paragraphe 98 du présent arrêt», sans estimer
«nécessaire de se pencher plus avant sur la question de savoir si la ligne frontière entre le
Cambodge et la Thaïlande a[vait] été déterminée avec force obligatoire par l’arrêt de 1962»18.
2.11. De même, il ressort des paragraphes 69 et 70 de l’arrêt de 2015, lus dans leur sens
ordinaire, que la Cour, en l’espèce, n’avait besoin de déterminer l’emplacement précis de la
frontière à aucun point situé entre l’extrémité nord-ouest de la lagune de Harbor Head et
l’embouchure du fleuve San Juan. Elle ne s’est pas seulement abstenue de déterminer le tracé de la
frontière dans la zone située à proximité du banc de sable qui sépare la lagune de Harbor Head de
la mer des Caraïbes, comme le soutient le Costa Rica19.
17 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)
et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 696-697, par. 69 et 70 — les italiques sont de nous.
18 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 317, par. 103 et 104.
19 MCR, par. 2.40.
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Figure 2.1 : Géographie générale
Légende :
Greytown airstrip = Piste d’atterrissage de Greytown
Río San Juan = Fleuve San Juan
Harbour Head lagoon = Lagune de Harbour Head
Imagery date : 17 January 2017 = Date de l’image : 17 janvier 2017
2.12. Au paragraphe 69 de son arrêt de 2015, la Cour a défini le «territoire litigieux» aux fins
de l’affaire relative à Certaines activités. Cette définition n’indique pas, même implicitement,
quelles sont les limites précises du territoire en question. Au paragraphe 70, la Cour a précisé que
sa définition «ne trait[ait] pas spécifiquement du segment de la côte caraïbe qui s’étend[ait] entre la
lagune de Harbor Head, dont les deux Parties admett[aient] qu’elle [était] nicaraguayenne, et
l’embouchure du San Juan»20. Autrement dit, elle s’est clairement et expressément abstenue de
prendre position, ne se prononçant ni sur le segment de côte en jeu dans la présente affaire, ni
même sur ses limites précises.
2.13. Le Costa Rica s’évertue à trouver une explication à cette exclusion. Sans fournir la
moindre précision ou preuve à l’appui de ses dires, il déclare que la phrase en question «explique
simplement que la définition du «territoire litigieux» n’exclut pas la possibilité qu’existe un
territoire au-delà du territoire litigieux sur lequel le Nicaragua exerçait ses activités en l’affaire
relative à Certaines activités» et qu’elle signifie que, «s’il existait un quelconque autre territoire
susceptible d’appropriation en vertu du droit international, au-delà de la plage d’Isla Portillos
 dont la Cour venait de dire qu’elle était costa-ricienne —, pareil territoire ne faisait pas l’objet
de son arrêt de 2015»21. Il soutient également, une fois de plus sans étayer son argumentation, que,
«[c]ertes, le Nicaragua revendiquait l’existence d’un autre territoire au large d’Isla Portillos, mais
[que] cette question a été considérée comme échappant à la compétence de la Cour»22. C’est là le
pur fruit de son imagination.
20 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)
et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 696, par. 70  les italiques sont de nous.
21 MCR, par. 2.39.
22 Ibid.
- 7 -
2.14. Au paragraphe 70 de son arrêt de 2015, la Cour a donné deux raisons d’exclure le
segment de côte compris entre l’embouchure du fleuve San Juan et la lagune de Harbor Head :
 premièrement, les Parties n’avaient pas «abordé la question de l’emplacement précis de
l’embouchure du fleuve» ; et
 deuxièmement, elles n’avaient pas «présenté d’information détaillée concernant la côte»23.
2.15. Il n’est pas fait mention, que ce soit au paragraphe 70 ou ailleurs dans l’arrêt de 2015,
d’un quelconque territoire situé au large d’Isla Portillos tel que celui mentionné par le Costa Rica,
ni des prétendues revendications y afférentes que celui-ci attribue au Nicaragua.
2.16. Enfin, la Cour a relevé qu’aucune des deux Parties ne lui avait demandé de déterminer
l’emplacement précis de la frontière à proximité du segment de côte s’étendant de la lagune de
Harbor Head à l’embouchure du fleuve San Juan24. Elle en a logiquement conclu ne pas être en
mesure d’effectuer pareille opération25. Le libellé de son arrêt de 2015 est on ne peut plus clair :
«[les Parties] n’ont ni l’une ni l’autre demandé à la Cour de préciser le tracé de la frontière par
rapport à cette côte. La Cour s’abstiendra donc de le faire.»26 A l’évidence, la Cour n’a pas fixé
les limites du «territoire litigieux»27.
2.17. Ce point est confirmé par deux déclarations faites par MM. les juges Gevorgian et
Guillaume. Selon ce dernier :
«18. Cette solution s’imposait d’autant plus que la Cour ne disposait pas de tous
les éléments nécessaires pour se prononcer clairement. Elle a d’ailleurs
soigneusement évité de le faire. Tout en reconnaissant la souveraineté du Costa Rica
sur le territoire litigieux, elle s’est en effet abstenue d’en fixer les limites. Elle a certes
défini ce territoire comme «la partie septentrionale [d’]Isla Portillos … comprise entre
la rive droite du caño litigieux, la rive droite du fleuve San Juan lui-même jusqu’à son
embouchure dans la mer des Caraïbes et la lagune de Harbor Head» (par. 69). Par
voie de conséquence, elle a reconnu, en accord avec les Parties, la souveraineté du
Nicaragua sur cette lagune et sur la formation sableuse qui en marque la limite. Elle a
également constaté la souveraineté du Costa Rica sur le territoire litigieux. Mais elle a
aussi relevé que les Parties avaient exprimé des vues divergentes sur la localisation de
l’embouchure du fleuve San Juan dans la mer des Caraïbes sans aborder la question de
son emplacement précis. Elle a par suite décidé de ne pas se prononcer sur ce point
(par. 70). Elle a tenu le même raisonnement pour le segment de la côte caraïbe qui va
de la lagune de Harbour Head à l’embouchure du San Juan (ibid.).
19. Je comprends les scrupules de la Cour sur ces deux derniers points. Le
dossier est muet sur le premier et incomplet sur le second. Je note en particulier que le
23 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J.
Recueil 2015 (II), p. 696, par. 70.
24 Ibid.
25 Ibid.
26 Ibid., par. 69 et 70.
27 Dans la même veine, voir l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire du Temple de Préah Vihéar — se reporter à la
note 18.
- 8 -
professeur Thorne, expert du Costa Rica, ne traite pas de cette seconde question dans
son rapport. Le professeur Kondolf, expert du Nicaragua, précise par contre que «la
lagune semble être reliée sous l’angle hydrologique à Greytown Harbor à l’ouest, via
un chenal se trouvant derrière le cordon littoral» (rapport figurant en appendice du
contre-mémoire du Nicaragua, vol. I, sect. 2.7). En outre ce chenal apparaît sur
certaines photos récentes. Enfin il figure sur les cartes les plus fiables produites par le
Costa Rica. J’aurais par suite tendance à penser que la description des lieux faite par
le Nicaragua est plus proche de la réalité que celle défendue par le Costa Rica. Le
silence de la Cour n’en demeure pas moins compréhensible.»28
2.18. Pour sa part, M. le juge Gevorgian a relevé ceci :
«5. La première [raison] est que les Parties n’ont pas abordé la question de
l’emplacement exact de l’embouchure du fleuve ou de la frontière sur la côte, comme
il est indiqué à juste titre au paragraphe 70 de l’arrêt. Bien que, ainsi qu’il a été dit
plus haut, le Costa Rica ait fait référence au «territoire litigieux» dans sa conclusion
finale relative à sa souveraineté, aucune des Parties n’a présenté d’informations
suffisantes sur toute l’étendue de celui-ci. La Cour s’est donc délibérément abstenue
de définir les limites géographiques du «territoire litigieux», un choix dont témoigne
le croquis no 1. En conséquence, j’estime que la Cour n’était pas en position de statuer
en pleine connaissance de cause sur cette conclusion finale du Costa Rica.»29
2.19. L’interprétation du Nicaragua est également confirmée par le fait que l’affaire relative
à Certaines activités portait sur la responsabilité, et non sur une délimitation. Dans sa requête, qui
devait contenir l’«objet du différend»30 et la «nature précise de la demande»31, le Costa Rica
précisait que l’affaire portait sur «l’incursion en territoire costa-ricien de l’armée nicaraguayenne,
l’occupation et l’utilisation d’une partie de celui-ci, ainsi que les violations par le Nicaragua
d’obligations lui incombant envers le Costa Rica»32. Aussi la détermination du «territoire
litigieux» était-elle simplement accessoire par rapport à la demande formulée par le Costa Rica,
comme le reflète du reste l’arrêt de 2015. La Cour y a en effet relevé, au paragraphe 65, que la
demande du Costa Rica était «fond[ée] sur la prémisse ainsi formulée : «le «territoire litigieux», tel
que défini par la Cour dans ses ordonnances des 8 mars 2011 et 22 novembre 2013, relève de la
souveraineté de la République du Costa Rica»»33. Au paragraphe 69, elle a ensuite conclu ceci :
28 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)
et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 833, déclaration de M. le juge ad hoc Guillaume, par. 18 et 19 — les italiques sont de nous.
29 Ibid., p. 831, déclaration de M. le juge Gevorgian, par. 5  les italiques sont de nous.
30 Paragraphe 1 de l’article 40 du Statut de la Cour.
31 Paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement de la Cour.
32 Requête du 18 novembre 2010, par. 1.
33 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015(II), p. 696, par. 65.
- 9 -
«Puisqu’il n’est pas contesté que le Nicaragua a mené certaines activités dans le
territoire litigieux, il y a lieu, pour rechercher si la souveraineté territoriale du
Costa Rica a été violée, de déterminer lequel des deux Etats a souveraineté sur ce
territoire.»34
Point n’était toutefois besoin de délimiter précisément le «territoire litigieux», ce qui explique
pourquoi la Cour ne l’a pas fait aux fins de l’affaire relative à Certaines activités. Il ne lui avait
tout simplement pas été demandé de déterminer l’emplacement de la frontière terrestre entre le
Nicaragua et le Costa Rica : où que celle-ci se trouve, la Cour a conclu que les activités contestées
étaient menées sur le territoire costa-ricien.
2.20. La mention, faite au paragraphe 69 de l’arrêt de 2015, d’un campement militaire «se
trouv[ant] sur la plage elle-même à la lisière de la végétation»35 ne sert pas la cause du Costa Rica.
Premièrement, le campement au coeur de la présente instance n’est pas situé au même endroit que
celui auquel la Cour s’est référée dans son arrêt de 2015. Deuxièmement, le paragraphe 69 doit être
lu en conjonction avec le paragraphe 70, où il est précisé que
 la description donnée par la Cour du territoire litigieux ne se référait pas spécifiquement à la
côte ; et que
 la Cour s’est abstenue de définir la frontière terrestre à proximité de cette côte.
B. L’INCIDENCE DU CARACTÈRE FLUCTUANT DU TRACÉ DE
LA FRONTIÈRE TERRESTRE SUR LA TÂCHE DE LA COUR
2.21. Comme nous le verrons plus en détail au chapitre III36, dans le traité de limites de
1858, le Costa Rica et le Nicaragua se sont entendus sur une «frontière fluctuante», dont le tracé
s’adapterait «aux changements géographiques»37.
2.22. Ce qui s’ensuit est simple :le tracé exact de la frontière terrestre dépend de la situation
géographique sur le terrain et doit, par conséquent, être défini chaque fois qu’un problème se pose,
et dès que celui-ci se pose38. En l’absence de problème, la détermination de ce tracé serait
dépourvue d’intérêt car, effectuée un jour X alors qu’il n’existe aucun problème entre les Parties,
elle devra l’être de novo le jour Y où il faudra régler un différend précis.
34 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015(II), p. 696, par. 69.
35 Ibid.
36 Voir plus loin, par. 3.10-3.17.
37 MCR, par. 2.2. Voir également les par. 2.55 et 2.57.
38 Voir la deuxième sentence de l’arbitre E. P. Alexander sur la question de la frontière entre le Costa Rica et le
Nicaragua, rendue le 20 décembre 1897 à San Juan del Norte (ci-après la «deuxième sentence Alexander») et réimprimée
dans Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXVIII (2007), p. 224 (annexe 2-3).
- 10 -
C. LA TÂCHE DE LA COUR EN L’ESPÈCE
2.23. Dans la présente affaire, il est demandé à la Cour de déterminer si le territoire sur
lequel le campement militaire contesté a été établi appartient au Nicaragua ou au Costa Rica. A
cette seule fin, la Cour doit tout d’abord déterminer le tracé de la frontière terrestre entre les Parties
à proximité du segment de côte allant de l’extrémité nord-ouest de la lagune de Harbor Head
jusqu’à l’embouchure du fleuve San Juan telle qu’elle existe aujourd’hui. Cette détermination ne
sera toutefois que provisoire en ce sens qu’elle ne changera pas le caractère fluctuant de la
frontière. A l’exception de son point de départ sur la côte, qui demeure fixé39, le tracé de la
frontière peut se modifier à l’avenir en raison de l’évolution naturelle de la géographie.
2.24. Dans son mémoire, le Costa Rica fait référence au «point terminal primaire de la
frontière terrestre»40. Cette formule prête à confusion pour au moins trois raisons :
 Premièrement, il n’existe pas de «point terminal primaire de la frontière terrestre». Ni le traité
de limites de 1858, ni les sentences arbitrales du président Cleveland et du général Alexander,
ni le droit international général ne reconnaissent de point terminal «primaire» à une frontière
terrestre.
 Deuxièmement, si la Cour devait admettre la position du Costa Rica, la frontière terrestre aurait
trois points terminaux sur la mer des Caraïbes, définissant différents segments de côte
appartenant à l’une ou à l’autre des Parties, et générant dans la mer des projections qui se
chevauchent, comme le montre la figure 2.2 ci-dessous.
Figure 2.2 : Les trois points terminaux de la frontière terrestre du Costa Rica
et la lagune enclavée
Légende :
Nicaraguan territorial sea = Mer territoriale du Nicaragua
Equidistance according to Costa Rica = Ligne d’équidistance selon le Costa Rica
Costa Rican territorial sea = Mer territoriale du Costa Rica
Harbor Head lagoon = Lagune de Harbor Head
39 Voir l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), mémoire du Costa Rica, par. 2.32.
40 MCR, note de bas de page 24 (les italiques sont de nous) ; voir également par. 2.8.
- 11 -
Pareille situation serait inhabituelle et ne s’accorderait assurément pas avec le raisonnement
du général Alexander ; et
 Troisièmement, en réalité, il n’existe qu’un seul point terminal, celui que le général Alexander
a défini dans sa première sentence41.
2.25. Pour les raisons exposées dans le présent chapitre, si la Cour devait faire droit à la
demande du Costa Rica tendant à obtenir une description verbale de la frontière42 (ce qui ne semble
pas être essentiel pour se prononcer sur les conclusions du Costa Rica), il lui suffira de reproduire
la formule «Alexander» selon laquelle
«[d]e tels changements, qu’ils soient progressifs ou soudains, auront nécessairement
des incidences sur la ligne frontière … Mais, concrètement, les conséquences ne
pourront être déterminées qu’en fonction des circonstances particulières à chaque cas,
conformément aux principes du droit international applicables.»43
Cette description verbale figure dans les sentences Alexander et est revêtue de l’autorité de la chose
jugée44.
41 Voir plus loin, par. 3.3-3.8.
42 Voir MCR, conclusion a). Voir également par. 2.2 et par. 2.57 et 2.58.
43 Voir la deuxième sentence Alexander, RSA, vol. XXVIII (2007), p. 224 (annexe 2-3).
44 Voir plus loin, par. 3.14.
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CHAPITRE III
LES PRINCIPES APPLICABLES AUX FINS DE LA DÉTERMINATION DU TRACÉ
DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE
3.1. Les Parties s’accordent sur le fait que, aux fins de la détermination du tracé de la
frontière terrestre, le droit applicable découle du traité de limites de 1858, tel qu’interprété par la
sentence Cleveland et les sentences Alexander45. Le traité de limites de 1858 et l’interprétation qui
en est faite dans lesdites sentences sont maintenant bien connus de la Cour. Dans l’affaire relative
à Certaines activités, le Nicaragua a analysé ces textes46 et la Cour les a elle-même interprétés47.
Le Nicaragua limitera donc son analyse aux points concernant directement la présente affaire : la
méthode à appliquer pour établir le tracé de la frontière (sect. A), le caractère fluctuant de la
frontière terrestre entre les deux pays (sect. B) et l’exception à cette fluctuation que constitue son
point de départ, qui a été fixé ne varietur (sect. C).
A. LA MÉTHODE ADOPTÉE PAR LE GÉNÉRAL ALEXANDER
3.2. La frontière terrestre entre le Nicaragua et le Costa Rica a été fixée en vertu de
l’article II du traité de limites de 1858, qui dispose :
«La limite entre les deux républiques, à partir de la mer du Nord, partira de
l’extrémité de Punta de Castilla, à l’embouchure du fleuve San Juan de Nicaragua,
puis suivra la rive droite de ce fleuve jusqu’à un point distant de trois milles anglais de
Castillo Viejo, cette distance devant être mesurée à partir des fortifications extérieures
du château…»48
3.3. En 1888, les Parties prièrent M. Grover Cleveland, président des Etats-Unis
d’Amérique, de régler un certain nombre de points de désaccord entre elles. Dans la sentence qu’il
rendit à cette occasion, M. Cleveland précisa l’emplacement du point de départ de leur frontière
terrestre, énonçant ce qui suit :
«La frontière entre la République du Costa Rica et la République du Nicaragua
du côté de l’Atlantique commence à l’extrémité de Punta de Castilla à l’embouchure
du fleuve San Juan de Nicaragua, en leur état respectif au 15 avril 1858. La propriété
de tous atterrissements à Punta de Castilla sera régie par le droit applicable en la
matière.»49
45 Voir MCR, par. 2.43. Voir également Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua
c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 697, par. 71.
46 Voir, dans l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua), le contre-mémoire du Nicaragua, p. 29-36 et 51-60, et CR 2015/5, p. 19-25, par. 1-11 (Pellet).
47 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 697-700, par. 71-76.
48 Traité de limites entre le Costa Rica et le Nicaragua du 15 avril 1858 (aussi appelé le traité «Jerez—Cañas»),
article II (annexe 1).
49 Sentence arbitrale du président des Etats-Unis d’Amérique relative à la validité du traité de limites entre le
Costa Rica et le Nicaragua du 15 juillet 1858 (ci-après «sentence Cleveland»), rendue le 22 mars 1888 à
Washington D.C. et réimprimée dans Nations Unies, RSA, vol. XXVIII (2006), p. 209, par. 1 du troisième point
(annexe 2-1).
- 13 -
3.4. Huit ans plus tard, les Parties signaient la convention de démarcation Pacheco-Matus
«afin de définir et marquer de manière appropriée la ligne frontière entre les Républiques du
Costa Rica et du Nicaragua, conformément aux dispositions du traité du 15 avril 1858» et à la
sentence Cleveland de 188850. En application de cette convention, le président Cleveland désigna
le général Alexander en qualité d’arbitre disposant «de vastes pouvoirs pour trancher tout différend
susceptible de se faire jour dans le cadre de l’une ou l’autre [des] opérations [des parties], et [dont
l]a décision sera[it] définitive»51. Le général Alexander rendit cinq sentences, dont la première est
décisive et revêtue de l’autorité de la chose jugée à l’égard des questions en jeu dans la présente
espèce.
3.5. Dans cette première sentence, le général Alexander rappelait tout d’abord le quid pro
quo fondamental auquel étaient parvenus le Nicaragua et le Costa Rica dans le traité de limites de
1858, le résumant ainsi :
«Le Costa Rica devait avoir comme ligne de démarcation la rive droite ou
sud-est du fleuve, considéré comme un point de sortie pour le commerce, à partir d’un
point situé à 3 milles au-dessous de Castillo jusqu’à la mer.
Le Nicaragua devait avoir le sumo imperio qu’il prisait sur toutes les eaux de ce
même point de sortie pour le commerce, également de manière ininterrompue jusqu’à
la mer.
Il convient de noter que cette démarcation impliquait aussi, à l’évidence, la
propriété, par le Nicaragua, de toutes les îles dans le fleuve ainsi que de la rive et du
promontoire gauche ou nord-ouest.»52
Il précisait ensuite qu’«il n’y a[vait] qu’un seul point de départ possible pour cette ligne, à savoir le
promontoire droit de la baie»53.
3.6. Et le général Alexander de poursuivre :
«La côte continentale située à l’est de Harbor Head ayant ainsi été indiquée de
manière générale comme l’emplacement du point de départ de la ligne frontière, il faut
maintenant définir ce point avec plus de précision afin que ladite ligne puisse être
exactement localisée et marquée de façon permanente. L’emplacement exact du point
de départ est donné dans la sentence arbitrale rendue par le président Cleveland : c’est
l’extrémité de Punta de Castillo, à l’embouchure du fleuve San Juan de Nicaragua, en
leur état respectif au 15 avril 1858.»54
50 Convention sur la démarcation frontalière conclue entre la République du Costa Rica et la République du
Nicaragua, signée au Salvador le 27 mars 1896 (convention Pacheco-Matus), RSA, vol. XXVIII, p. 211-212. Voir MCR,
annexe 47.
51 Ibid., p. 211.
52 Première sentence de l’arbitre E.P. Alexander sur la question de la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua,
rendue le 30 septembre 1897 à San Juan del Norte (ci-après la «première sentence Alexander») et réimprimée dans
Nations Unies, RSA, vol. XXVIII (2007), p. 217 (annexe 2-2).
53 Ibid., le «promontoire droit» est le promontoire est de la lagune de Harbor Head.
54 Ibid., p. 219-220.
- 14 -
3.7. Il dressa ensuite, dans le cadre de ces travaux de 1897, le constat suivant :
«Une étude attentive de toutes les cartes disponibles et des comparaisons entre
celles qui ont été établies avant le traité, celles qui l’ont été plus récemment par les
groupes d’ingénieurs et de fonctionnaires de la société du canal, et celle que nous
avons nous-mêmes établie pour accompagner la présente sentence permet d’affirmer
un fait très clair : l’emplacement exact où était l’extrémité du promontoire de Punta de
Castillo le 15 avril 1858 est depuis longtemps recouvert par la mer des Caraïbes et il
n’y a pas assez de convergence dans les cartes anciennes sur le tracé du rivage pour
déterminer avec une certitude suffisante sa distance ou son orientation par rapport au
promontoire actuel. Il se trouvait quelque part au nord-est et probablement à une
distance de 600 à 1600 pieds, mais il est aujourd’hui impossible de le situer
exactement. Dans ces conditions, la meilleure façon de satisfaire aux exigences du
traité et de la sentence arbitrale du président Cleveland est d’adopter ce qui constitue
en pratique le promontoire aujourd’hui, à savoir l’extrémité nord-ouest de ce qui paraît
être la terre ferme, sur la rive est de la lagune de Harbor Head.»55
3.8. Ainsi que la Cour l’a relevé dans son arrêt de 2015, le général Alexander
«procéda ensuite à la délimitation du premier tronçon de la frontière, à partir de la mer
des Caraïbes, dans les termes suivants :56
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
«J’ai en conséquence personnellement inspecté cette zone et je déclare que la
ligne initiale de la frontière sera la suivante :
Son orientation sera nord-est sud-ouest, à travers le banc de sable, de la mer des
Caraïbes aux eaux de la lagune de Harbor Head. Elle passera au plus près à 300 pieds
au nord-ouest de la petite cabane qui se trouve actuellement dans les parages. En
atteignant les eaux de la lagune de Harbor Head, la ligne frontière obliquera vers la
gauche, en direction du sud-est, et suivra le rivage autour du port jusqu’à atteindre le
fleuve proprement dit par le premier chenal rencontré. Remontant ce chenal et le
fleuve proprement dit, la ligne se poursuivra comme prescrit dans le traité.»57
55 Première sentence Alexander, RSA, vol. XXVIII (2007), p. 220 (annexe 2-2).
56 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)
et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 698, par. 73.
57 Première sentence Alexander, RSA, vol. XXVIII (2007), p. 220 (annexe 2-2).
- 15 -
3.9. Telle est la méthode à appliquer pour déterminer le tracé de la frontière terrestre à
proximité du «segment de la côte caraïbe qui s’étend entre la lagune de Harbor Head, dont les deux
Parties admettent qu’elle est nicaraguayenne, et l’embouchure du San Juan»58, détermination que la
Cour s’est abstenue de faire dans son arrêt de 201559. Pareil tracé varie en fonction de la situation
géographique sur le terrain60.
Figure 3.1 : Croquis annexé à la première sentence Alexander (1897)
B. LE CARACTÈRE FLUCTUANT DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE
3.10. Ainsi qu’on l’a vu plus haut au chapitre II, les Parties s’accordent aujourd’hui sur le
fait que, si la frontière terrestre a un point de départ fixe et immuable, son tracé précis varie au gré
des changements géographiques61. Dans la section qui suit, le Nicaragua se contentera de rappeler
que les Parties sont convenues que leur frontière terrestre serait fluctuante, à la seule exception de
son point de départ.
58 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)
et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 697, par. [70].
59 Ibid. Voir plus haut, par. 2.6-2.20.
60 Voir plus loin, par. 4.3-4.21.
61 Voir plus haut, par. 2.21 et 2.22.
- 16 -
3.11. Le caractère fluctuant du fleuve San Juan a été reconnu par le général Alexander dans
sa deuxième sentence interprétative du traité de limites de 1858, rendue le 20 décembre 189762.
3.12. La deuxième sentence du général Alexander a réglé le désaccord suivant entre le
Nicaragua et le Costa Rica :
«La commission du Costa Rica a proposé que nous réalisions les mesures se
rapportant à la ligne qui, à partir du point de départ, suit le rivage de Harbor Head,
contourne, le long du rivage, le port jusqu’au moment où elle atteint le fleuve
San Juan proprement dit, par le premier chenal rencontré, puis remonte le long de la
rive du fleuve jusqu’à un point situé à trois milles en aval de Castillo Viejo, que nous
en dressions la carte et consignions le tout dans le procès-verbal quotidien. La
commission du Nicaragua a soutenu que les travaux de mesurage et de levé de ce
tronçon ne présentaient aucun intérêt puisque, selon la sentence rendue par le général
E.P. Alexander, la frontière était constituée par la rive [droite] de Harbor et du fleuve,
et que la ligne de séparation n’était donc pas permanente, mais sujette à altération. En
conséquence, la carte et les données obtenues, quelles qu’elles soient, ne
correspondront jamais à la ligne de séparation réelle. A cet effet, les deux
commissions ont décidé d’entendre la décision que rendra l’arbitre dans un délai d’une
semaine, sur la base des arguments soumis par chacune d’elles à cet égard.»63
3.13. «Pour mieux comprendre la question», le général Alexander a noté ceci :
«[L]e fleuve San Juan traverse, dans sa partie inférieure, un delta plan et
sablonneux, et ... il est bien sûr possible non seulement que ses rives s’élargissent ou
se resserrent de manière progressive, mais aussi que ses chenaux soient radicalement
modifiés. De tels changements peuvent survenir de manière assez rapide et soudaine,
et ne pas être toujours la conséquence de phénomènes exceptionnels, tels des
tremblements de terre ou de violentes tempêtes. Nombreux sont les exemples
d’anciens chenaux aujourd’hui abandonnés et de rives qui se modifient sous l’effet
d’expansions ou de contractions progressives.»64
3.14. Le général Alexander a ensuite conclu sans la moindre ambiguïté :
«De tels changements, qu’ils soient progressifs ou soudains, auront
nécessairement des incidences sur la ligne frontière actuelle. Mais, concrètement, les
conséquences ne pourront être déterminées qu’en fonction des circonstances
particulières à chaque cas, conformément aux principes du droit international
applicables.»65
62 Deuxième sentence Alexander, RSA, vol. XXVIII (2007), p. 223-225 (annexe 2-3).
63 Ibid., p. 223-224.
64 Ibid., p. 224.
65 Ibid. Comme le relève le Costa Rica (MCR, par. 2.47), cette conclusion a été consignée par la Cour dans son
arrêt du 16 décembre 2015 (par. 74).
- 17 -
3.15. Dans l’affaire relative à Certaines activités, les Parties ont examiné le caractère
fluctuant de la frontière terrestre. A l’audience, le Nicaragua a déclaré qu’il était «donc tout à fait
clair que, dans l’esprit d’Alexander, c’[était] d’une frontière mobile qu’il s’agi[ssait], appelée à
changer en fonction des fluctuations à long terme du fleuve et de ses chenaux»66. Pour sa part, le
Costa Rica a exprimé une certaine préoccupation. Tout en critiquant le Nicaragua pour le peu de
cas que celui-ci, à son sens, faisait du principe de la stabilité des frontières67, il n’en a pas moins
exposé que, en raison de changements géographiques, le tracé de la frontière à proximité de
l’embouchure du fleuve San Juan et de la lagune de Harbor Head s’était modifié68.
3.16. En tout état de cause, le Costa Rica a fini par faire sienne la position du Nicaragua.
Dans le mémoire qu’il a déposé en la présente affaire, il précise ainsi clairement que
«la géographie étant susceptible de continuer à changer dans cette zone côtière,
l’utilisation de coordonnées exactes est peu appropriée pour définir la frontière ; une
description verbale serait suffisamment précise et permettrait d’adapter le tracé de la
ligne aux changements géographiques, ainsi qu’il était prévu dans la deuxième
sentence Alexander»69.
3.17. Il est donc clair que les Parties s’accordent aujourd’hui sur ce point.
C. LE POINT DE DÉPART DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE
A ÉTÉ FIXÉ NE VARIETUR
3.18. Comme indiqué plus haut70, il existe une exception au caractère fluctuant de la
frontière terrestre, puisqu’il a été convenu que celle-ci commencerait à un point fixe. Si le tracé de
la frontière, là où elle est constituée par la rive droite du fleuve, est susceptible de changer, il n’en
va pas de même de son point de départ.
3.19. Le traité de limites de 1858, la sentence Cleveland de 1888 et les deux premières
sentences Alexander des 30 septembre et 20 décembre 1897 indiquent clairement que le point de
départ de la délimitation était réputé être un point fixe situé à Punta de Castilla, tandis que le tracé
de la frontière à partir de là pouvait varier au gré des changements du cours du fleuve.
3.20. La sentence du 22 mars 1888 est dénuée de toute ambiguïté à cet égard, le président
Cleveland ayant déclaré, au point 3 1) de ses décisions sur les questions posées par le Nicaragua,
que «[l]a frontière entre la République du Costa Rica et la République du Nicaragua du côté de
l’Atlantique commen[çait] à l’extrémité de Punta de Castilla à l’embouchure du fleuve San Juan de
Nicaragua, en leur état respectif au 15 avril 1858»71.
66 CR 2015/5, p. 17, par. 10 (Pellet).
67 CR 2015/14, p. 23 (Kohen).
68 Ibid., p. 24-26, par. 20-27 (Kohen).
69 MCR, par. 2.2. Voir également les par. 2.55 et 2.57.
70 Voir plus haut, par. 2.23.
71 Sentence Cleveland, RSA, vol. XXVIII, p. 209, point 3 1) (annexe 2-1) (les italiques sont de nous).
- 18 -
3.21. Le président Cleveland n’a pas décidé que la frontière aurait son point de départ à
l’embouchure du fleuve. Il a décidé qu’elle commencerait à l’extrémité de Punta de Castilla à
l’embouchure du fleuve San Juan de Nicaragua, en leur état respectif au 15 avril 1858, c’est-à-dire
à un point fixé et inaltérable qui ne dépend pas des transformations de l’embouchure du fleuve.
3.22. Lorsque la question du point de départ de la délimitation a été soumise au général
Alexander, la situation est devenue parfaitement claire. Cette question est traitée dans la première
sentence du 30 septembre 1897, où la Cour ne trouvera aucune indication que le général Alexander
cherchait l’embouchure du fleuve dans sa configuration de l’époque. En revanche, il a consacré de
longs passages de sa sentence à l’emplacement de Punta de Castilla, car tel était le point de départ
fixé pour la frontière. C’est pour cette raison qu’il s’est donné tant de mal pour déterminer en mer
quel avait été l’emplacement approximatif de Punta de Castilla désormais submergé. Il n’y
cherchait évidemment pas l’embouchure du fleuve. C’est pour cette raison qu’il s’est donné la
peine de placer des bornes et de définir l’emplacement du point de départ, alors qu’aucune autre
borne, pas plus que des points de repère permanents, n’ont été mis en place sur les près de
150 kilomètres sur lesquels la frontière suivait les méandres du fleuve.
3.23. Ainsi que le Nicaragua l’a exposé dans son contre-mémoire en l’affaire relative à la
Délimitation maritime, il existe des
«indications [qui] suffisent largement pour définir avec précision et certitude
l’emplacement du point où la frontière terrestre s’achève dans la mer des Caraïbes
après avoir traversé le banc de sable séparant celle-ci de la lagune de Harbor Head. Si
l’on considère que Punta de Castilla est située à l’angle de la lagune de Harbor Head, à
l’orée de la forêt, il faut prolonger la frontière terrestre approximativement vers le
nord-est jusqu’à ce qu’elle rencontre la laisse de basse mer quelque 50 mètres plus
loin — distance qui équivaut à la largeur de la plage. Il s’ensuit que le point terminal
de la frontière terrestre, qui est aussi le point de départ de la délimitation maritime, est
situé par 10° 55' 49,7" de latitude nord et 83° 40' 0,6" de longitude ouest.»72
72 Contre-mémoire du Nicaragua en l’affaire relative à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et
l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), par. 3.48.
- 19 -
CHAPITRE IV
LE CAMPEMENT MILITAIRE EST SITUÉ EN TERRITOIRE NICARAGUAYEN
4.1. Ainsi qu’il a été exposé au chapitre II, la mission de la Cour, dans la présente affaire,
consiste à établir l’emplacement de la frontière terrestre entre le Nicaragua et le Costa Rica (voir
section 1 ci-après) afin de déterminer si le campement militaire litigieux a été installé en territoire
nicaraguayen ou costa-ricien (voir section 2 ci-après). Le Nicaragua soutient qu’il est situé sur son
territoire.
SECTION 1
LE TRACÉ DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE ENTRE LA LAGUNE
DE HARBOR HEAD ET L’EMBOUCHURE DU FLEUVE SAN JUAN
4.2. Pour déterminer le tracé que suit aujourd’hui la frontière, il conviendra de considérer la
situation géographique actuelle au regard des dispositions pertinentes des instruments
applicables — c’est-à-dire le traité de limites de 1858, tel qu’interprété par la sentence Cleveland et
les sentences Alexander. Le Nicaragua montrera que la frontière terrestre longe de manière
ininterrompue la rive droite du fleuve San Juan dès son point de départ à Punta Castilla (voir
sous-section A ci-après), comme le confirment les vues exprimées de longue date par le Costa Rica
sur la question (voir sous-section B ci-après).
A. L’application de la méthode du général Alexander sur le terrain
4.3. Les Parties conviennent que d’importants changements géographiques se sont produits
depuis la signature du traité Jerez-Cañas, le 15 avril 185873. Elles sont toutefois en désaccord quant
aux conséquences qu’ont aujourd’hui ces changements sur le terrain.
4.4. S’appuyant sur une image satellite du 3 octobre 201674, le Costa Rica soutient que :
«a) Premièrement, il apparaît clairement que le fleuve San Juan se jette directement
dans la mer des Caraïbes.
b) Deuxièmement, du fait de l’érosion massive de ce qui formait auparavant sa rive
gauche ou septentrionale, le chenal qui reliait le fleuve à la lagune a complètement
disparu.
c) Troisièmement, la lagune de Los Portillos/Harbor Head est aujourd’hui fermée par
un étroit banc de sable s’étirant à l’est et à l’ouest entre les deux extrémités de la
terre ferme d’Isla Portillos.
d) Quatrièmement, l’intégralité du segment côtier d’Isla Portillos entre l’embouchure
du fleuve San Juan et la lagune de Los Portillos/Harbor Head jouxte directement la
mer des Caraïbes.»75
73 Voir notamment MCR, par. 2.5 et 2.52.
74 MCR, figure 2.1.
75 MCR, par. 2.7.
- 20 -
Figure 4.1 : Le contexte géographique, image satellite d’octobre 2016 utilisée par le Costa Rica
Légende :
Carribean Sea = Mer des Caraïbes
San Juan River = Fleuve San Juan
Harbor Head Lagoon = Lagune de Harbour Head
4.5. Cette description de la situation sur le terrain appelle un certain nombre d’observations.
4.6. Premièrement, l’image satellite en question, prise à un stade avancé de la saison sèche
au Nicaragua et au Costa Rica, ne reflète pas un état permanent. Une situation similaire s’était
présentée lors de la procédure d’arbitrage du général Alexander (première sentence). Le Costa
Rica prétendait que, à la date de signature du traité, le 15 avril 1858 (soit pendant la saison sèche),
l’île de San Juan76 était intégrée à la côte costa-ricienne, puisqu’«il existait une continuité entre l’île
et le promontoire est, [et] que cela transformait l’île en partie du continent»77. Le général
Alexander a écarté cette allégation, soulignant que, même s’il existait effectivement, en avril 1858,
une continuité entre l’île et le continent, «il serait déraisonnable de supposer qu’une telle continuité
temporaire puisse avoir pour effet de modifier de façon permanente le caractère géographique et la
propriété politique de l’île»78. Cela est également vrai aujourd’hui, pour ce qui est de la situation
de l’île tout autant que celle du banc de sable.
4.7. Deuxièmement, le cours inférieur du San Juan se jette aujourd’hui directement dans la
mer des Caraïbes (voir figure 4.2), et il en est ainsi depuis au moins cinquante ans79. Or, ainsi qu’il
76 Le général Alexander décrivait cette île en ces termes : «La principale caractéristique de la géographie de cette
baie, depuis les descriptions les plus anciennes que nous en avons, est l’existence d’une île à son embouchure, appelée
sur certaines cartes anciennes l’île de San Juan.» Cette formation, qui existe toujours, est représentée comme relevant du
Nicaragua sur toutes les cartes costa-riciennes produites devant la Cour jusqu’à la fin de l’année 2011.
77 Première sentence Alexander, RSA, vol. XXVIII (2007), p. 218 (annexe 2-2).
78 Ibid.
79 Voir le contre-mémoire présenté par le Nicaragua en l’affaire relative à Certaines activités menées par le
Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), vol. IV, photographies/images satellite/images
aériennes.
- 21 -
sera démontré plus loin80, le Costa Rica n’a jamais contesté le tracé de la frontière terrestre le long
du chenal qui relie le cours inférieur du fleuve à la lagune de Harbor Head. Cela est en
contradiction directe avec la position qu’il adopte aujourd’hui dans la présente instance, soutenant
que la frontière est composée de deux segments81.
Figure 4.2 : Image aérienne de 1960
4.8. Troisièmement, dans son arrêt de 2015, la Cour a relevé «le manque de clarté que
présentent, de manière générale, les images aériennes et satellite»82. Il convient donc, afin
d’apprécier au mieux la situation sur le terrain, de compléter ces images de photographies prises au
sol et d’enregistrements vidéo réalisés à l’aide de drones à une altitude suffisamment basse. Le
Costa Rica n’a annexé à son mémoire aucune photographie ni aucun enregistrement vidéo de la
sorte. Il est donc justifié de la part du Nicaragua de produire, à l’appui de son contre-mémoire, des
photographies prises par drone dans la zone en question83, lesquelles sont présentées ci-dessous aux
figures 4-3 et 4-4.
80 Voir plus loin, par. 4.22-4.31.
81 Voir MCR, figure 2.4.
82 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua)
et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 701, par. 81.
83 Voir également annexe 3, et annexe 4 (enregistrement vidéo).
- 22 -
Figure 4.3 : Captures des enregistrements vidéo effectués par drone lors de la visite sur les lieux de
décembre 2016, avec indication de chaque emplacement
Captures des enregistrements vidéo effectués par drone lors de la visite sur les lieux de
décembre 2016, avec indication de chaque emplacement (partie orientale)
Image satellite du 2 décembre 2016
Figure 4.3 A
Captures des enregistrements vidéo effectués par drone lors de la visite sur les lieux de
décembre 2016, avec indication de chaque emplacement (partie occidentale)
Image satellite du 2 décembre 2016
Figure 4.3 B
- 23 -
Figure 4.4 : Captures des enregistrements vidéo effectués par drone lors de la visite sur les lieux de
mars 2017, avec indication de chaque emplacement
Captures des enregistrements vidéo effectués par drone lors de la visite sur les lieux de mars 2017,
avec indication de chaque emplacement (partie occidentale)
Image satellite du 10 mars 2017
Figure 4.4 A
Captures des enregistrements vidéo effectués par drone lors de la visite sur les lieux de mars 2017,
avec indication de chaque emplacement (partie orientale)
Image satellite du 10 mars 2017
Figure 4.4 B
- 24 -
4.9. Quatrièmement, le chenal reliant le cours inférieur du San Juan à la lagune de
Harbor Head existe encore aujourd’hui.
4.10. L’on peut en voir certaines parties sur les photographies satellite et aériennes les plus
récentes (voir figures 4.3 et 4.4 ci-dessus), y compris sur celles qui sont reproduites dans le
mémoire du Costa Rica (voir figure 4.5)84. L’on ne saurait, à cet égard, se fier aux figures 2.4 et
2.11 du mémoire du Costa Rica85, qui représentent Isla Portillos comme une zone de terre ferme
entre le fleuve San Juan et la mer des Caraïbes, en niant totalement l’existence du chenal86.
Figure 4.5 : Images satellite utilisées par le Costa Rica
Figure 3.2 du MCR : Image satellite du 30 juin 2013
Figure 2.8 du MCR : Image satellite du 14 septembre 2013
84 Voir MCR, figures 2.1 et 2.8.
85 Voir MCR, p. 16 et p. 44.
86 Voir également annexe 5.
- 25 -
4.11. De récentes photographies prises au sol (voir plus haut, figures 4.3 et 4.4) ainsi que des
enregistrements vidéo de drone confirment l’existence du chenal87. La Cour a connaissance de ces
enregistrements, que le Nicaragua a communiqués par courrier électronique adressé au greffier et
au Costa Rica le 9 décembre 2016. Il est intéressant de relever que le Costa Rica s’est opposé à ce
que ces éléments soient transmis aux experts désignés par la Cour88. C’est précisément pour cette
raison que le Nicaragua tient aujourd’hui à les présenter à l’appui de son contre-mémoire.
Figure 4.6 : Le chenal actuel reliant la lagune de Harbor Head au fleuve San Juan
Légende :
Barrier sand bar = Barrière de sable
Channel = Chenal
Channel/lagoon = Chenal/lagune
Harbour Head lagoon = Lagune de Harbour Head
Rio San Juan = Fleuve San Juan
4.12. Cet élément de preuve photographique, tout comme les enregistrements vidéo,
confirme la présence d’un chenal qui coule de l’embouchure du fleuve San Juan à la lagune de
Harbor Head, où est situé le point de départ de la frontière terrestre. Ce chenal est partiellement
envahi par la végétation et les arbres en surplomb le cachent à la vue, en certains points, sur les
images aériennes, mais il correspond à celui auquel s’est référé le général Alexander, et qui est
représenté sur le croquis annexé à sa première sentence89. La formation sableuse visible sur la rive
gauche du chenal est désignée «plage d’Isla Portillos» par le Costa Rica, ce qui donne une
impression inexacte. En réalité, cette «plage» et le banc de sable constituent une seule et même
formation sableuse. Plus exactement, il s’agit des vestiges de la barrière de sable qui séparait la
lagune de la mer des Caraïbes à quelques kilomètres plus au nord de là où elle se trouve
87 Voir annexe 4 (enregistrement vidéo).
88 Voir lettre ECRPB-146-16 en date du 13 décembre 2016 adressée au greffier par le coagent de la République
du Costa Rica.
89 Voir plus haut, figure 3.1.
- 26 -
aujourd’hui, ainsi que des vestiges de l’île de San Juan. Bien que la mer l’ait repoussée vers le
continent, cela ne change en rien sa nature : elle reste une formation distincte, séparée du continent.
Cela apparaît sur les cartes et images figurant ci-dessous, qui illustrent l’évolution de la lagune et
de la partie septentrionale d’Isla Portillos sur la façade caraïbe.
4.13. La carte ci-dessous (figure 4.7) montre, au nord, qu’un banc de sable s’étend vers
l’ouest à partir de Punta Castilla, bien que la lagune de Harbor Head soit encore largement ouverte
sur la mer des Caraïbes.
Figure 4.7 : Carte du port de San Juan del Norte ou Greytown (1890)
4.14. La figure 4.8 montre la situation qui prévalait deux ans après que le général Alexander
eut rendu sa première sentence. L’on peut y voir, au nord-ouest d’Isla Portillos, l’ancienne île de
San Juan. L’on y voit également le banc de sable de la lagune de Harbor Head, dont il convient de
noter qu’il s’est nettement étendu vers l’ouest de ladite lagune.
- 27 -
Figure 4.8 : Carte du port de Greytown (commission du canal du Nicaragua, 1899)
4.15. La carte de 1903 (figure 4.9) fait apparaître deux points importants. Premièrement,
contrairement à ce que l’on pouvait voir sur celle dressée en 1890 (figure 4.7), la barrière de sable
sépare maintenant l’intégralité d’Isla Portillos et de la lagune de Harbor Head de la mer des
Caraïbes. Deuxièmement, cette barrière a été quelque peu repoussée vers le continent.
L’embouchure du fleuve San Juan se trouve à présent au nord de Greytown, à peu près au même
endroit qu’aujourd’hui.
Figure 4.9 : Carte de Greytown au fleuve Colorado (1903)
- 28 -
4.16. La figure 4.10 (carte de l’armée américaine de 1966) et les figures 4.11 et 4.12 (cartes
costa-riciennes de 1970) montrent également que la barrière de sable a été repoussée vers le
continent. Le banc de sable de la lagune de Harbor Head s’étend vers l’ouest sur toute la longueur
d’Isla Portillos. Aucun chenal ne traverse cette barrière qui va de la lagune à l’embouchure du
fleuve à Laguna Santa Lucia.
Figure 4.10 : Carte de San Juan del Norte établie par le US Corps of Engineers (1966)
Figure 4.11 : Carte de Punta Castilla établie par l’institut géographique national
du Costa Rica (IGN) (1970)
- 29 -
Figure 4.12 : Carte de Barra Colorado, IGN, Costa Rica (1970)
4.17. L’image ci-après de 1961 (fig. 4.13), également utilisée par M. Thorne dans le rapport
qu’il a joint au mémoire du Costa Rica déposé en l’affaire relative à Certaines activités90, souligne
que l’entrée du chenal en question était alors plus large qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Figure 4.13 : Image aérienne de 1961
Légende :
“T-shaped bifurcation” = Bifurcation en forme de T
Wide channel entrance = Entrée du chenal de grande largeur
Area labelled “Monkey Island” in map of 1840 = Zone appelée «Monkey Island» sur la carte de 1840
Source : Certaines activités, mémoire du Costa Rica, p. 342 (rapport Thorne).
90 Voir l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), mémoire du Costa Rica, p. 342.
- 30 -
4.18. Sur l’image ci-après de 1981 (figure 4.14), obtenue par télédétection et également
utilisée dans le rapport Thorne91, l’on voit que le chenal est rempli d’eau et qu’il sépare toujours
distinctement une île du continent.
Figure 4.14 : Image satellite de 1981
Légende :
Channel entrance = Entrée du chenal
Source : Certaines activités, mémoire du Costa Rica, p. 344 (rapport Thorne).
4.19. En réalité, en 2006, le Costa Rica lui-même a fait un relevé de la situation sur le terrain
pour ses registres cadastraux92, et cette représentation montre elle aussi l’existence du chenal reliant
le fleuve à la lagune :
91 Voir l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), mémoire du Costa Rica, p. 344 — les flèches ont été ajoutées à l’image originale.
92 Voir l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), mémoire du Costa Rica, vol. V, annexe 216.
- 31 -
Figure 4.15 : Cadastre national du Costa Rica (2006)
4.20. Si l’on applique à la situation sur le terrain la méthode suivie par le général Alexander
dans sa première sentence93, le tracé de la frontière terrestre entre le Nicaragua et le Costa Rica est
donc le suivant : la frontière terrestre part de l’extrémité nord-est du banc de sable séparant la
lagune de Harbor Head de la mer des Caraïbes, traverse ce banc de sable et suit le rivage de la
lagune jusqu’à atteindre le chenal reliant celle-ci au cours inférieur du San Juan. Elle suit ensuite le
contour d’Isla Portillos jusqu’au San Juan inférieur, le «fleuve proprement dit»94.
4.21. A des fins purement illustratives, le tracé est représenté ici sur une photographie
satellite récente de la zone pertinente (figure 4.16). Il résulte de ce tracé que le segment de côte qui
s’étend de la lagune de Harbor Head à l’embouchure du fleuve San Juan appartient au Nicaragua.
93 Voir plus haut, par. 3.8.
94 Première sentence Alexander, RSA, vol. XXVIII (2007), p. 220 (annexe 2-2).
- 32 -
Figure 4.16 : Représentation de la frontière sur une image satellite de 2017
Légende :
Río San Juan = Fleuve San Juan
Land boundary = Frontière terrestre
Harbour Head lagoon = Lagune de Harbour Head
Greytown airstrip = Piste d’atterrissage de Greytown
Imagery date: 17 January 2017 = Date de l’image : 17 janvier 2017
B. La position du Nicaragua est confirmée par les vues
de longue date du Costa Rica
4.22. Dans la présente affaire, le Costa Rica prétend que «l’érosion et la disparition de la rive
gauche ou septentrionale de la lagune, ou du chenal, … a eu comme résultat que la rive droite ou
méridionale jouxte à présent la mer des Caraïbes»95. Il en conclut qu’«[a]ujourd’hui, le seul
territoire nicaraguayen dans la zone d’Isla Portillos est … une enclave comprenant la lagune de
Los Portillos/Harbor Head et le banc de sable séparant celle-ci de la mer des Caraïbes»96.
4.23. Outre qu’elle est, comme l’a démontré le Nicaragua, dépourvue de fondement factuel97,
cette allégation marque un revirement complet par rapport à la position adoptée jusqu’à présent par
le Costa Rica. Elle s’écarte, de fait, radicalement des affirmations formulées en 2010, au début de
la procédure relative à Certaines activités, le Costa Rica s’employant, dans tout le chapitre II de
son mémoire en cette affaire, à expliquer abondamment que les frontières avaient déjà été
convenues entre les Parties, et à démontrer où le fameux caño visé dans la première sentence de
l’arbitre Alexander était situé.
95 MCR, par. 2.53 b).
96 Ibid., par. 2.54. Voir également point a) des conclusions.
97 Voir plus haut, par. 4.1-4.21.
- 33 -
Figure 4.17 : Frontières reconnues par le Costa Rica
Source : Certaines activités, mémoire du Costa Rica, annexe 153.
4.24. Au paragraphe 2.49 de son mémoire en l’affaire relative à Certaines activités, le
Costa Rica a reconnu que «[l]e «chenal» décrit dans la première sentence Alexander appara[issait]
parallèlement à la côte». Cette concession est également confirmée à l’annexe 153 dudit mémoire,
qui présente en page 5 [de la version anglaise] les cartes reproduites à la figure 4.17 ci-dessus.
4.25. Les cartes officielles du Costa Rica représentent le tracé de la frontière tel que celui-ci
l’entend ; ce tracé n’avait, jusqu’à très récemment, jamais varié. Dans l’affaire relative à Certaines
activités, le Costa Rica fondait ses revendications territoriales sur sa propre cartographie et sur les
cartes officielles de tiers indépendants98. Il importe de souligner qu’il a confirmé, dans cette
affaire, la conformité de ces cartes aux sentences Alexander99.
98 Voir mémoire du Costa Rica en l’affaire relative à Certaines activités, annexes 175, 222, 178, 184, 159 et 189.
99 Voir ibid., par. 2.50.
Figure 2 : Frontières reconnues par le Costa Rica (A) et par le Nicaragua (B) jusqu’à l’année 2010 et
nouvelle frontière tracée unilatéralement par le Nicaragua en 2011 (C)
- 34 -
4.26. Lors des audiences consacrées à sa demande en indication de mesures conservatoires,
le Costa Rica a affirmé :
«Il est essentiel de rappeler à cet égard que sur les cartes de la région de
San Juan del Norte/Punta Castilla qui ont été établies et utilisées par les deux pays
jusqu’à la fin de l’année dernière ou presque, la frontière suit clairement le cours du
véritable premier chenal déterminé par Alexander et ne montrent pas du tout le
prétendu nouveau «premier caño» artificiellement créé par le Nicaragua.»100
4.27. En outre, dans la même affaire, le Costa Rica a accordé une grande importance aux
cartes établies en 1988 par son propre institut, l’IGN, et par l’institut nicaraguayen d’études
territoriales (INETER)101. Lors des audiences de 2015 sur le fond, son conseil a exposé à cet
égard :
«Les deux cartes de la zone, produites en 1988 par les institutions
cartographiques officielles de chaque Etat, la carte de San Juan del Norte produite par
l’INETER du Nicaragua et la carte de Punta Castilla produite par l’IGN du
Costa Rica, montrent avec une remarquable coïncidence la configuration
géographique de la zone et par où passe la frontière.»102
Figure 4.18 : Planche topographique de Punta Castilla établie par l’IGN en 1988
100 Observations du Costa Rica sur les réponses écrites du Nicaragua aux questions posées par MM. les juges
Simma, Bennouna et Greenwood, mesures conservatoires (2011), 20 janvier 2011.
101 Ces cartes sont également annexées à son mémoire en la présente affaire, voir annexes 61 et 62.
102 CR 2015/2, p. 68, par. 61 (Kohen).
- 35 -
4.28. La figure 4.18 (figure 2.8 du mémoire en l’affaire relative à Certaines activités)
reproduit la carte topographique de 1988 de l’IGN, qui représente clairement le «tracé de la ligne
frontière [lorsqu’il suit le contour] … de la lagune de los Portillos»103, et jusqu’à l’embouchure du
fleuve San Juan. Le mémoire du Costa Rica en cette affaire a été déposé le 5 décembre 2011, soit
plus d’un an après la naissance du différend avec le Nicaragua ; les vues qui y sont formulées
étaient donc le fruit d’une réflexion approfondie.
4.29. Dans le cadre de cette même instance, le Costa Rica a en outre souligné l’accord
existant de longue date entre les Parties s’agissant du tracé de la frontière terrestre. Critiquant la
carte de 2011 de l’INETER (figure 4.19)104, il a exposé : «[a]insi, non seulement l’INETER mais
aussi l’armée du Nicaragua ont toujours considéré que le chenal visé par le général Alexander était
effectivement le chenal parallèle à la côte, et donc qu’Isla Portillos appartenait dans sa totalité au
Costa Rica».
Figure 4.19 : Planche topographique de San Juan del Norte établie par l’INETER en 1988
4.30. De même, lors des audiences de 2015 sur le fond, le conseil du Costa Rica a affirmé
devant la Cour que la «carte officielle [de 2003] du département du Rio San Juan revê[tait] elle
aussi une importance considérable dans cette affaire»105, insistant sur le fait qu’elle précisait
«explicitement» que «[l]es limites [avaient] été vérifiées par la direction générale de
l’aménagement du territoire INETER»»106. Sur cette carte, le segment de la côte caraïbe est
clairement représenté comme relevant du territoire nicaraguayen.
103 Certaines activités, mémoire du Costa Rica, par. 2.50.
104 Voir ibid., par. 2.54-2.58.
105 CR 2015/2, p. 68, par. 62 (Kohen).
106 Ibid., p. 68-69, par. 62 (Kohen).
- 36 -
Figure 4.20 : Représentation constante de la frontière terrestre par le Costa Rica
Cartes tirées du mémoire du Costa Rica en l’affaire relative à Certaines activités
A. Annexe 193.
B. Figure 4.10.
C. Annexe 178.
D. Annexe 179.
E. Annexe 180.
E. Annexe 184.
F. Annexe 195.
- 37 -
4.31. Il ressort avec évidence de la position adoptée par le Costa Rica que celui-ci, jusqu’à
très récemment, estimait à juste titre que la frontière terrestre suit la rive droite ou méridionale du
chenal qui relie la lagune de Harbor Head à l’embouchure du fleuve et que, par conséquent, le
segment côtier situé sur la rive gauche ou septentrionale du chenal, ainsi que le chenal lui-même,
appartiennent au Nicaragua (voir la série de cartes, toutes cohérentes à cet égard, qui sont
reproduites à la figure 4-20). Le Costa Rica n’a fourni aucune preuve pour étayer son allégation
selon laquelle la zone en question aurait à ce point changé que la ligne frontière ne suit plus
 contrairement à ce qu’il a lui-même affirmé à maintes reprises devant la Cour  la rive droite
ou méridionale du chenal qui relie, parallèlement à la côte, l’embouchure du fleuve à la lagune de
Harbor Head.
SECTION 2
L’EMPLACEMENT DU CAMPEMENT MILITAIRE
4.32. Vu le tracé de la frontière terrestre entre le Nicaragua et le Costa Rica, la conclusion
suivante s’impose inévitablement: étant donné que le segment de côte qui va de l’embouchure du
fleuve à la lagune de Harbor Head appartient au Nicaragua, le campement militaire est situé en
territoire nicaraguayen.
4.33. Le Costa Rica soutient qu’il a introduit la présente instance «en réaction à
l’établissement, par le Nicaragua, d’un campement militaire sur la plage d’Isla Portillos … en
septembre 2016, ou aux alentours de cette date»107. Or, ainsi que l’a souligné le Nicaragua dans
l’affaire relative à Certaines activités, l’armée nicaraguayenne a toujours effectué des patrouilles
dans la zone de Harbor Head, et notamment le long de «l’intégralité du segment de la côte caraïbe
qui s’étend entre la lagune de Harbor Head et l’embouchure du fleuve San Juan»108 ; et en 2010
elle a renforcé certains points de sécurité autour de la zone afin d’assurer la protection des
personnes chargées du nettoyage et du dragage du fleuve.
4.34. Plus précisément, le 13 octobre 2010, le Nicaragua a établi un campement militaire à
environ 500 mètres au nord de l’angle nord-est de la lagune de Harbor Head, ainsi que l’illustre la
figure 4.21 ci-dessous. Ce campement a toutefois dû être déplacé, le 2 décembre 2010, plus près de
l’angle nord-ouest de la lagune, en raison de la rupture du banc de sable qui fait face à celle-ci. Les
photographies reproduites ci-après témoignent de cet épisode particulier.
107 MCR, par. 3.1.
108 Lettre MRE/DMC/250/11/16 en date du 17 novembre 2016 adressée au Costa Rica par le Nicaragua (MCR,
annexe 57) (les italiques sont dans l’original).
- 38 -
Figure 4.21 : Le campement militaire en 2010
- 39 -
Figure 4.22 : Déplacement du campement militaire en 2010
4.35. Depuis décembre 2010, le campement est resté, pour l’essentiel, au même endroit, à
proximité de l’angle nord-ouest de la lagune, sur le banc de sable qui est séparé de la mangrove
d’Isla Portillo par le chenal partant de la lagune. Le Costa Rica n’a jamais protesté contre la
présence du campement et des militaires qui l’occupent, alors même qu’il effectue, depuis 2010,
une surveillance constante de la zone. Cela confirme en outre que les deux Etats considéraient l’un
et l’autre que l’intégralité du banc de sable relevait du territoire nicaraguayen et qu’en
conséquence, les éventuels déplacements du campement étaient sans incidence.
4.36. Les images reproduites ci-dessous en ordre chronologique attestent la présence
continue du personnel militaire nicaraguayen à ce même emplacement, dont le Costa Rica prétend
aujourd’hui qu’il se trouve sur son territoire. Par ailleurs, pour des raisons de sécurité, le
Nicaragua a souvent disposé d’un poste d’observation installé à quelque distance du campement
principal, comme le montrent certaines des images ci-dessous.
- 40 -
Figure 4.23 : Le campement militaire en 2013-2017
- 41 -
- 42 -
- 43 -
4.37. Par sa lettre du 14 novembre 2016109, dans laquelle il protestait contre l’installation du
campement militaire à l’endroit en question, le Costa Rica visait uniquement à préparer la présente
instance, qu’il a introduite au prétexte que le campement avait été déplacé. Les images ci-dessus
montrent exactement l’inverse, et le Costa Rica le sait depuis fort longtemps. N’étant pas parvenu,
malgré ses efforts, à abuser la Cour sur l’étendue du territoire en litige en l’affaire précédente, ainsi
que l’a confirmé l’arrêt du 16 décembre 2015, il lui fallait présenter une nouvelle requête, et créer à
cet effet une «situation nouvelle».
4.38. En tout état de cause, le fait que le campement militaire ait été réinstallé quelques
mètres plus loin est sans incidence aucune, puisque l’intégralité de la côte appartient au Nicaragua.
Celui-ci était parfaitement en droit de déplacer le campement à l’intérieur de son territoire et de
l’établir là où il se trouve aujourd’hui.
109 MCR, annexe 56.
- 44 -
CONCLUSIONS
Pour les raisons exposées dans le présent contre-mémoire, la République du Nicaragua prie
la Cour de dire et juger que :
1) le segment de la côte caraïbe qui s’étend entre la lagune de Harbor Head et l’embouchure du
fleuve San Juan est territoire nicaraguayen ;
2) le campement militaire établi par le Nicaragua se trouve sur le territoire nicaraguayen ; et qu’en
conséquence
3) les demandes et conclusions de la République du Costa Rica sont rejetées dans leur intégralité.
Fait à La Haye, le 18 avril 2017.
L’agent de la République du Nicaragua,
(Signé) Carlos J. ARGÜELLO GÓMEZ.
- 45 -
CERTIFICATION
J’ai l’honneur de certifier que le présent contre-mémoire et les documents y annexés sont des
copies exactes et conformes des documents originaux, et que leur traduction anglaise établie par la
République du Nicaragua est exacte.
Fait à La Haye, le 18 avril 2017.
L’agent de la République du Nicaragua,
(Signé) Carlos J. ARGÜELLO GÓMEZ.
___________
- 46 -
LISTE DES ANNEXES
Annexe Document Page
Traités et sentences arbitrales
1 Traité de limites entre le Costa Rica et le Nicaragua conclu le 15 avril 1858 47
2 1) Sentence arbitrale du président des Etats-Unis d’Amérique relative à la
validité du traité de limites entre le Costa Rica et le Nicaragua
du 15 juillet 1858 (sentence Cleveland), rendue le 22 mars 1888 à
Washington D.C. et réimprimée dans Nations Unies, Recueil des sentences
arbitrales, vol. XXVIII (2006), p. 207-211
52
2) Première sentence de l’arbitre E. P. Alexander sur la question de la
frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, rendue le 30 septembre 1897 à
San Juan del Norte et réimprimée dans Nations Unies, Recueil des
sentences arbitrales, vol. XXVIII (2007), p. 215-221
56
3) Deuxième sentence de l’arbitre E. P. Alexander sur la question de la
frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, rendue le 20 décembre 1897 à
San Juan del Norte et réimprimée dans Nations Unies, Recueil des
sentences arbitrales, vol. XXVIII (2007), p. 223-225
63
Cartes, vidéos et image satellite
3 Figures du contre-mémoire [non reproduites]
4 Enregistrement par drone fait lors de la visite de décembre 2016 (vidéos
des 6 et 7 décembre 2016) (voir DVD à la fin du volume original)
5 Image satellite du 10 mars 2011 69
___________
- 47 -
ANNEXE 1
TRAITÉ DE LIMITES ENTRE LE NICARAGUA ET LE COSTA RICA, 15 AVRIL 1858
[TRADUCTION DU GREFFE]
ARGUMENT
SUR LA QUESTION DE LA VALIDITÉ DU TRAITÉ DE LIMITES ENTRE LE COSTA RICA
ET LE NICARAGUA
ET
AUTRES POINTS CONNEXES SUPPLÉMENTAIRES
SOUMIS À L’
ARBITRAGE DU PRÉSIDENT DES ETATS-UNIS D’AMÉRIQUE
DÉPOSÉ AU NOM DU GOUVERNEMENT DU COSTA RICA
PAR
PEDRO PÉREZ ZELEDÓN
son envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire aux États-Unis
(traduit en anglais par J. I. Rodriguez)
WASHINGTON
Gibson Bros, Printers and Bookbinders
1887
TRAITÉ DE LIMITES ENTRE LE COSTA RICA ET LE NICARAGUA,
CONCLU LE 15 AVRIL 1858
Nous, Máximo Jerez, ministre plénipotentiaire du Gouvernement de la République du
Nicaragua, et José María Cañas, ministre plénipotentiaire du Gouvernement de la République du
Costa Rica, ayant été chargés par nos gouvernements respectifs d’élaborer un traité de limites entre
les deux républiques destiné à mettre un terme à tous les litiges qui ont nui à la bonne entente et à
l’harmonie devant prévaloir entre elles pour leur sécurité et leur prospérité ; ayant échangé nos
pouvoirs respectifs, lesquels ont été examinés par S. Exc. Don Pedro R. Negrete, ministre
plénipotentiaire du Gouvernement de la République d’El Salvador, exerçant les fonctions de
médiateur fraternel dans les présentes négociations, qui les a trouvés en bonne et due forme,
comme pour notre part nous avons trouvé en bonne et due forme les pouvoirs présentés par ce
ministre ; ayant dûment examiné tous les aspects pertinents, en présence du représentant
d’El Salvador et avec son concours, avons rédigé et signé le présent traité de limites entre le
Nicaragua et le Costa Rica.
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Article I
La République du Nicaragua et la République du Costa Rica déclarent en les termes les plus
solennels et les plus exprès que, si elles ont un temps été sur le point de se combattre pour des
questions de délimitation ou d’autres questions dont chacune considérait qu’elles relevaient du
droit ou de l’honneur, les Hautes Parties contractantes, s’étant mutuellement donné des gages
réitérés de leur volonté d’entente, de paix et de vraie fraternité, souhaitent aujourd’hui s’engager
formellement à faire en sorte que la paix heureusement rétablie se renforce de jour en jour entre
leurs gouvernements et leurs peuples, non seulement pour le bien et dans l’intérêt du Nicaragua et
du Costa Rica, mais aussi pour le bonheur et la prospérité que leurs soeurs, les autres républiques
d’Amérique centrale, pourront dans une certaine mesure en retirer.
Article II
La limite entre les deux républiques, à partir de la mer du Nord, partira de l’extrémité de
Punta de Castilla, à l’embouchure du fleuve San Juan de Nicaragua, puis suivra la rive droite de ce
fleuve jusqu’à un point distant de trois milles anglais de Castillo Viejo, cette distance devant être
mesurée à partir des fortifications extérieures du château. Elle suivra à partir de ce point une
courbe de trois milles anglais de rayon dont le centre sera constitué par lesdites fortifications, pour
rejoindre un autre point situé à deux milles de la rive du fleuve en amont du château. De là, la
ligne se poursuivra en direction de la rivière Sapoá, qui se jette dans le lac de Nicaragua, et longera
la rive droite du fleuve San Juan en suivant toujours ses méandres à une distance de deux milles,
jusqu’au débouché du lac dans ce fleuve ; de ce point, elle suivra la rive droite du lac jusqu’à la
rivière Sapoá, où cette ligne parallèle à la rive du lac se terminera. Du point où la ligne rejoint la
rivière Sapoá — point qui, comme indiqué plus haut, sera situé à deux milles du lac —, une droite
astronomique sera tracée jusqu’au centre de la baie de Salinas dans la mer du Sud, marquant le
point terminal de la frontière entre les deux républiques parties au présent traité.
Article III
Tout levé qui pourrait être nécessaire pour délimiter partiellement ou intégralement cette
frontière sera effectué par des commissaires nommés par les deux gouvernements, lesquels
conviendront aussi des délais dans lesquels ce levé devra être effectué. Ces commissaires auront la
faculté de dévier quelque peu de la courbe autour du château, de la ligne parallèle aux rives du
fleuve et du lac ainsi que de la droite astronomique entre la Sapoá et Salinas, s’ils conviennent
entre eux que des limites naturelles peuvent leur être avantageusement substituées.
Article IV
La baie de San Juan del Norte ainsi que la baie de Salinas seront communes aux deux
républiques, en conséquence de quoi seront également partagés les avantages liés à leur usage et
l’obligation d’assurer leur défense. Pour la partie qui lui revient des rives du fleuve, le Costa Rica
sera tenu de concourir à la garde de celui-ci, de même que les deux républiques concourront à sa
défense en cas d’agression extérieure, faisant tout ce qui est en leur pouvoir pour s’acquitter
efficacement de cette obligation.
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Article V
Tant que le Nicaragua n’aura pas recouvré la pleine possession de ses droits sur le port de
San Juan del Norte, l’usage et la possession de Punta de Castilla seront communs et également
partagés entre le Nicaragua et le Costa Rica ; tant que durera cette communauté, le cours entier du
Colorado en marquera la limite. Il est en outre stipulé que, tant que le port de San Juan del Norte
restera un port franc, le Costa Rica n’imposera pas de droits de douane au Nicaragua à
Punta de Castilla.
Article VI
La République du Nicaragua aura le dominium et l’imperium exclusifs sur les eaux du fleuve
San Juan depuis son origine dans le lac jusqu’à son embouchure dans l’océan Atlantique ; la
République du Costa Rica aura toutefois un droit perpétuel de libre navigation sur lesdites eaux,
entre l’embouchure du fleuve et un point situé à trois milles anglais en aval de Castillo Viejo, à des
fins de commerce soit avec le Nicaragua soit avec l’intérieur du Costa Rica, par la
rivière San Carlos, la rivière Sarapiquí ou toute autre voie de navigation partant de la portion de la
rive du San Juan établie par le présent traité comme appartenant à cette république. Les bateaux
des deux pays pourront accoster indistinctement sur l’une ou l’autre rive de la portion du fleuve où
la navigation est commune, sans qu’aucune taxe ne soit perçue, sauf accord entre les
deux gouvernements.
Article VII
Il est convenu que la délimitation territoriale opérée par le présent traité ne saurait avoir
aucune incidence sur les obligations contractées par des traités internationaux ou des contrats de
canalisation ou de passage conclus par le Gouvernement du Nicaragua antérieurement à la
conclusion du présent traité ; il est au contraire convenu que le Costa Rica assumera ces obligations
à l’égard de la partie de territoire qui lui revient, sans préjudice de l’imperium ou des droits
souverains qu’il exerce sur celle-ci.
Article VIII
Si les contrats de canalisation ou de passage signés par le Gouvernement du Nicaragua avant
la conclusion du présent traité venaient, pour quelque raison que ce soit, à être annulés, le
Nicaragua s’engage à ne pas conclure d’autres contrats aux mêmes fins avant d’avoir entendu l’avis
du Gouvernement du Costa Rica quant aux inconvénients que pourrait avoir une telle transaction
pour les deux pays, à condition que cet avis soit émis dans les trente jours suivant la réception de la
demande, si le Nicaragua a précisé que la décision était urgente ; dans le cas où la transaction n’est
pas de nature à nuire aux droits naturels du Costa Rica, l’avis requis n’aura qu’un caractère
consultatif.
Article IX
En aucun cas, pas même si elles devaient malheureusement se trouver en état de guerre, les
Républiques du Costa Rica et du Nicaragua ne seront autorisées à se livrer à de quelconques actes
d’hostilité l’une envers l’autre, que ce soit dans le port de San Juan del Norte, sur le
fleuve San Juan ou sur le lac de Nicaragua.
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Article X
Les dispositions de l’article précédent revêtant une importance fondamentale pour la défense
du port et du fleuve contre une agression extérieure qui nuirait aux intérêts généraux du pays, leur
exécution est placée sous la garantie spéciale qu’est prêt à offrir et qu’offre effectivement, au nom
du gouvernement médiateur, le ministre plénipotentiaire ici présent, dans l’exercice des pouvoirs
qui lui ont été conférés à cet effet par son gouvernement.
Article XI
En témoignage de la bonne et cordiale entente établie entre elles, les Républiques du
Nicaragua et du Costa Rica renoncent mutuellement à toute créance qu’elles pourraient avoir l’une
à l’égard de l’autre, à quelque titre que ce soit, à la date du présent traité ; les deux parties
renoncent également par le présent traité à toute demande d’indemnisation qu’elles pourraient
s’estimer fondées à présenter à l’autre partie.
Article XII
Le présent traité devra être ratifié et les instruments de ratification devront être échangés à
Santiago de Managua, dans un délai de quarante jours suivant la signature.
En foi de quoi, en présence de M. le ministre d’El Salvador, nous avons signé le présent
instrument en trois exemplaires en la ville de San José du Costa Rica, le quinze avril de l’an de
grâce mil huit cent cinquante-huit, sous contreseing des secrétaires de légation.
(Signé) Máximo JEREZ,
José M. CAÑAS,
Pedro Rómulo NEGRETE.
Le secrétaire de la légation du Nicaragua,
(Signé) Manuel RIVAS.
Le secrétaire de la légation du Costa Rica,
(Signé) Salvador GONZÁLEZ.
Le secrétaire de la délégationd’El Salvador
(Signé) Florentino SOUZA.
Acte additionnel
Les soussignés, ministres du Nicaragua et du Costa Rica, désireux de témoigner
publiquement leur haute estime et leur gratitude à la République d’El Salvador et à son digne
représentant, le colonel Don Pedro R. Negrete, sont convenus que le traité de limites territoriales
sera accompagné de la déclaration suivante :
«Attendu que le Gouvernement d’El Salvador a apporté aux Gouvernements du
Costa Rica et du Nicaragua le témoignage le plus authentique de ses nobles sentiments
et de l’importance que revêt à ses yeux la nécessité de cultiver une entente fraternelle
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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ANNEXE 2
1) SENTENCE ARBITRALE DU PRÉSIDENT DES ETATS-UNIS D’AMÉRIQUE RELATIVE À LA
VALIDITÉ DU TRAITÉ DE LIMITES ENTRE LE COSTA RICA ET LE NICARAGUA
DU 15 JUILLET 1858 (SENTENCE CLEVELAND), RENDUE LE 22 MARS 1888 À
WASHINGTON D.C. ET RÉIMPRIMÉE DANS NATIONS UNIES, RECUEIL DES SENTENCES
ARBITRALES, VOL. XXVIII (2006), P. 207-211 [TRADUCTION DU GREFFE]
2) PREMIÈRE SENTENCE DE L’ARBITRE E. P. ALEXANDER SUR LA QUESTION DE LA FRONTIÈRE
ENTRE LE COSTA RICA ET LE NICARAGUA, RENDUE LE 30 SEPTEMBRE 1897 À SAN JUAN
DEL NORTE ET RÉIMPRIMÉE DANS NATIONS UNIES, RECUEIL DES SENTENCES ARBITRALES,
VOL. XXVIII (2007), P. 215-221 [TRADUCTION DU GREFFE]
3) DEUXIÈME SENTENCE DE L’ARBITRE E. P. ALEXANDER SUR LA QUESTION DE LA
FRONTIÈRE ENTRE LE COSTA RICA ET LE NICARAGUA, RENDUE LE 20 DÉCEMBRE 1897 À
SAN JUAN DEL NORTE ET RÉIMPRIMÉE DANS NATIONS UNIES, RECUEIL DES SENTENCES
ARBITRALES, VOL. XXVIII (2007), P. 223-225 [TRADUCTION DU GREFFE]
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1) SENTENCE ARBITRALE DU PRÉSIDENT DES ETATS-UNIS D’AMÉRIQUE RELATIVE À LA
VALIDITÉ DU TRAITÉ DE LIMITES ENTRE LE COSTA RICA ET LE NICARAGUA
DU 15 JUILLET 1858 (SENTENCE CLEVELAND), RENDUE LE 22 MARS 1888
À WASHINGTON D.C. ET RÉIMPRIMÉE DANS NATIONS UNIES,
RECUEIL DES SENTENCES ARBITRALES, VOL. XXVIII (2006),
P. 207-211
- 53 -
LA SENTENCE
Grover Cleveland, président des Etats-Unis d’Amérique, à qui de droit :
Les fonctions d’arbitre ayant été conférées au président des Etats-Unis en vertu d’un traité
signé en la ville de Guatemala le 24 décembre 1886 par la République du Costa Rica et la
République du Nicaragua, traité par lequel il a été convenu que la question qui se pose actuellement
entre les Etats parties au sujet de la validité du traité de limites qu’ils ont conclu le 15 avril 1858
serait soumise à l’arbitrage du président des Etats-Unis d’Amérique ; que, si l’arbitre juge le traité
valide, il devra dire aussi dans la même sentence si le Costa Rica a le droit de naviguer sur le fleuve
San Juan avec des bateaux de guerre ou des bateaux des douanes ; et que, de la même manière, en
cas de validité du traité est valide, l’arbitre devra se prononcer sur tous les autres points
d’interprétation douteuse que l’une ou l’autre des parties auront pu relever dans le traité et qu’elles
auront indiqués à l’autre partie dans les trente jours suivant l’échange des ratifications dudit traité
du 24 décembre 1886 ;
La République du Nicaragua ayant dûment indiqué à la République du Costa Rica
onze points d’interprétation douteuse relevés dans ledit traité de limites du 15 avril 1858 et la
République du Costa Rica n’ayant pas indiqué à la République du Nicaragua de point
d’interprétation douteuse qu’elle aurait relevé dans ce traité ;
Les Parties ayant l’une et l’autre présenté en bonne et due forme leurs thèses et leurs pièces à
l’arbitre, puis leurs réponses respectives aux thèses de l’autre partie, comme le prévoit le traité du
24 décembre 1886 ;
Et l’arbitre ayant, conformément à l’article 5 de ce traité, délégué ses pouvoirs à l’honorable
George L. Rives, secrétaire d’état adjoint, lequel, après examen et analyse desdites thèses, pièces et
réponses, a remis son rapport à ce sujet par écrit à l’arbitre ;
En conséquence, je soussigné Grover Cleveland, président des Etats-Unis d’Amérique, rend
par le présent acte la décision et sentence suivante :
Premièrement, le traité de limites susmentionné signé le 15 avril 1858 est valide.
Deuxièmement, la République du Costa Rica, en vertu dudit traité et des dispositions de son
article VI, n’a pas le droit de naviguer sur le fleuve San Juan avec des bateaux de guerre, mais elle
peut naviguer sur ledit fleuve avec des bateaux du service des douanes dans l’exercice du droit
d’usage de ce fleuve «aux fins du commerce» que lui reconnaît ledit article, ou dans les cas
nécessaires à la protection de ce droit d’usage.
Troisièmement, en ce qui concerne les points d’interprétation douteuse indiqués par la
République du Nicaragua comme il est dit plus haut, je décide ce qui suit :
1. La frontière entre la République du Costa Rica et la République du Nicaragua du côté de
l’Atlantique commence à l’extrémité de Punta de Castilla à l’embouchure du fleuve San Juan
de Nicaragua, en leur état respectif au 15 avril 1858. La propriété de tous atterrissements à
Punta de Castilla sera régie par le droit applicable en la matière.
2. Pour déterminer le point central de la baie de Salinas, on tracera une ligne droite à travers
l’entrée de la baie et on déterminera mathématiquement le centre de la figure géographique
fermée formée par cette ligne droite et la laisse de basse mer le long du rivage de la baie.
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3. Le point central de la baie de Salinas s’entend du centre de la figure géométrique formée de la
manière susindiquée. La limite de la baie du côté de l’océan est une ligne droite tracée de
l’extrémité de Punta Arranca Barba, presque plein sud jusqu’à la partie la plus à l’ouest des
terres aux environs de Punta Sacate.
4. La République du Costa Rica n’est pas obligée de s’entendre avec la République du Nicaragua
sur les dépenses nécessaires pour empêcher l’obstruction de la baie de San Juan del Norte, pour
assurer une navigation libre et sans encombre sur le fleuve ou dans le port, ou pour améliorer
celle-ci dans l’intérêt commun.
5. La République du Costa Rica n’est tenue de contribuer à aucune part des dépenses que pourra
engager la République du Nicaragua pour l’une quelconque des fins susmentionnées.
6. La République du Costa Rica ne peut empêcher la République du Nicaragua d’exécuter à ses
propres frais et sur son propre territoire de tels travaux d’amélioration, à condition que le
territoire du Costa Rica ne soit pas occupé, inondé ou endommagé en conséquence de ces
travaux et que ceux-ci n’arrêtent pas ou ne perturbent pas gravement la navigation sur ledit
fleuve ou sur l’un quelconque de ses affluents en aucun endroit où le Costa Rica a le droit de
naviguer. La République du Costa Rica aura le droit d’être indemnisée si des parties de la rive
droite du fleuve San Juan qui lui appartiennent sont occupées sans son consentement ou si des
terres situées sur cette même rive sont inondées ou endommagées de quelque manière que ce
soit en conséquence de travaux d’amélioration.
7. L’affluent du fleuve San Juan connu sous le nom de Colorado ne saurait, en aucune partie de
son cours, être considéré comme la frontière entre la République du Costa Rica et la République
du Nicaragua.
8. Le droit de navigation de la République du Costa Rica sur le fleuve San Juan avec des bateaux
de guerre ou des vedettes des douanes est établi et défini au deuxième article de la présente
sentence.
9. La République du Costa Rica peut refuser à la République du Nicaragua le droit de dévier les
eaux du fleuve San Juan lorsque cette déviation arrêterait ou perturberait gravement la
navigation sur ledit fleuve ou sur l’un quelconque de ses affluents en tout endroit où le
Costa Rica a le droit de naviguer.
10. La République du Nicaragua demeure tenue de n’octroyer aucune concession à des fins de
canalisation au travers de son territoire sans avoir demandé au préalable l’avis de la République
du Costa Rica, comme le prévoit l’article VIII du traité de limites du 15 avril 1858. Les droits
naturels de la République du Costa Rica visés dans cette disposition sont les droits que, eu
égard aux frontières arrêtées par ledit traité de limites, elle possède sur les terres reconnues dans
cet instrument comme étant sa propriété exclusive, les droits qu’elle possède sur les ports de
San Juan del Norte et la baie de Salinas, et les droits qu’elle possède dans la partie du fleuve
San Juan située à une distance de plus 3 milles anglais en dessous de Castillo Viejo, mesurée à
partir des fortifications extérieures dudit château en l’état qui était le leur en l’an 1858, ainsi
éventuellement que d’autres droits qui ne sont pas énoncés expressément ici. L’atteinte à ces
droits est présumée dès lors que le territoire appartenant à la République du Costa Rica est
occupé ou inondé, que l’un ou l’autre desdits ports subit une intrusion qui porterait préjudice au
Costa Rica, ou que le fleuve San Juan est obstrué ou dévié d’une manière qui arrête ou perturbe
gravement la navigation sur ledit fleuve ou sur l’un quelconque de ses affluents en un endroit
où le Costa Rica a le droit de naviguer.
11. Le traité de limites du 15 avril 1858 ne donne pas à la République du Costa Rica le droit d’être
partie aux concessions que le Nicaragua peut octroyer pour des canaux interocéaniques ;
toutefois, dans les cas où la construction du canal porterait atteinte aux droits naturels du
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Costa Rica, l’avis de celui-ci, mentionné à l’article VIII du traité, ne devrait pas avoir un
caractère seulement «consultatif». Il semblerait que, dans de tels cas, le consentement du
Costa Rica soit nécessaire et que celui-ci puisse exiger une compensation pour les concessions
qu’il serait prié de faire à cet égard ; toutefois, le Costa Rica ne peut prétendre de plein droit à
une part des bénéfices que la République du Nicaragua pourrait se réserver en contrepartie des
faveurs et privilèges que, de son côté, elle pourrait concéder.
En foi de quoi, j’ai signé la présente sentence et fait apposer sur celle-ci le sceau des
Etats-Unis.
Fait en trois exemplaires dans la ville de Washington le 22 mars de l’an 1888,
cent douzième année de l’indépendance des Etats-Unis.
Le président des Etats-Unis d’Amérique,
(Signé) Grover CLEVELAND.
Le secrétaire d’Etat,
(Signé) T. F. BAYARD.
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2) PREMIÈRE SENTENCE DE L’ARBITRE E. P. ALEXANDER SUR LA QUESTION DE LA FRONTIÈRE
ENTRE LE COSTA RICA ET LE NICARAGUA, RENDUE LE 30 SEPTEMBRE 1897 À SAN JUAN
DEL NORTE ET RÉIMPRIMÉE DANS NATIONS UNIES,
RECUEIL DES SENTENCES ARBITRALES,
VOL. XXVIII (2007), P. 215-221
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San Juan del Norte, Nicaragua, le 30 septembre 1897
A l’attention des commissions des limites du Costa Rica et du Nicaragua
Messieurs : Conformément à la mission qui m’a été confiée en tant qu’ingénieur-arbitre de
vos deux organes, ayant reçu pouvoir de prendre une décision définitive sur tous points de
divergence qui pourraient surgir lors du tracé et du marquage de la ligne frontière entre les
deux républiques, j’ai examiné avec attention tous les arguments, contre-arguments, cartes et
documents qui m’ont été soumis concernant l’emplacement approprié de ladite ligne frontière sur
la côte caraïbe.
La conclusion à laquelle je suis parvenu et la sentence que je suis sur le point de rendre ne
concordent pas avec les avis des deux commissions. Par conséquent, par respect pour les très
excellents et très sérieux arguments exposés si fidèlement et loyalement par chaque commission
pour sa partie respective, j’indiquerai brièvement mon raisonnement et les considérations qui m’ont
semblé primordiales pour trancher la question ; et, parmi ces considérations, la principale et celle
qui domine les autres est que nous devons interpréter le traité du 15 avril 1858 et lui donner effet de
la manière dont il était compris à l’époque par ses auteurs.
Chaque commission a présenté un point de vue détaillé et bien argumenté selon lequel la
formulation du traité est conforme à sa revendication qui consiste à situer le point initial de la ligne
de démarcation à un endroit qui procurerait de grands avantages à son pays. Ces points sont situés
à plus de 6 milles l’un de l’autre et sont indiqués sur la carte qui accompagne la présente sentence.
Le point revendiqué par le Costa Rica se situe sur la rive gauche ou le promontoire ouest du
port ; celui revendiqué par le Nicaragua, sur le promontoire est de l’embouchure de
l’affluent Taura.
Sans tenter de répondre en détail à chaque argument avancé par l’un et l’autre côté à l’appui
de sa revendication, il suffira, pour répondre à toutes les questions, de montrer que les auteurs du
traité entendaient et avaient en vue un autre point, à savoir le promontoire est à l’embouchure du
port.
Il s’agit du sens donné par les personnes qui ont conçu le traité que nous devons examiner, et
non d’un sens éventuel que l’on peut imposer de force à des termes ou des phrases isolés. Et le
sens donné par ces personnes me semble tout à fait clair et évident.
Le traité n’a pas été rédigé à la hâte ou de manière peu consciencieuse. Chaque Etat avait été
amené par des années de vaines négociations dans un état de préparation à la guerre pour défendre
ce qu’il considérait comme ses droits, comme l’indique l’article premier. En réalité, la guerre avait
été déclarée par le Nicaragua le 25 novembre 1857 lorsque, par la médiation de la République
d’El Salvador, un dernier effort a été fait pour l’éviter, une autre convention a été tenue, et le
présent traité en est le fruit. Nous pouvons à présent trouver l’accord réciproque auquel les auteurs
sont parvenus en cherchant tout d’abord dans le traité pris globalement l’idée, le système ou le
compromis général sur lequel ils ont pu tomber d’accord. Ensuite, nous devons vérifier si cette
idée générale du traité est en totale harmonie avec toute description détaillée qui est donnée de la
ligne de démarcation et avec les noms précis des localités utilisées, ou non utilisées, dans ce cadre,
car la non-utilisation de certains noms peut être aussi importante que l’utilisation d’autres. Or, il
ressort de l’examen général du traité dans son ensemble que le système de compromis apparaît clair
et simple.
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Le Costa Rica devait avoir comme ligne de démarcation la rive droite ou sud-est du fleuve,
considéré comme un point de sortie pour le commerce, à partir d’un point situé à 3 milles
au-dessous de Castillo jusqu’à la mer.
Le Nicaragua devait avoir le «sumo imperio» qu’il prisait sur toutes les eaux de ce même
point de sortie pour le commerce, également de manière ininterrompue jusqu’à la mer.
Il convient de noter que cette démarcation impliquait aussi, à l’évidence, la propriété, par le
Nicaragua, de toutes les îles dans le fleuve ainsi que de la rive et du promontoire gauche ou
nord-ouest.
La démarcation fait passer la ligne frontière (à supposer qu’elle soit tracée vers le bas le long
de la rive droite à partir du point à proximité de Castillo) à travers les bras Colorado et Taura.
Elle ne peut suivre ni l’un, ni l’autre, car aucun n’est un point de sortie pour le commerce,
puisqu’ils n’ont ni l’un ni l’autre un port à leur embouchure.
Elle doit suivre le bras restant, appelé le San Juan inférieur, à travers son port et dans la mer.
L’extrémité naturelle de cette ligne est le promontoire droit de l’embouchure du port.
Prêtons maintenant attention au libellé de la description utilisée dans le traité pour indiquer
où la ligne doit commencer et comment elle doit se poursuivre, en laissant de côté pour l’instant le
nom donné au point initial. La ligne doit commencer «à l’embouchure du fleuve San Juan de
Nicaragua, puis [suivre] la rive droite dudit fleuve jusqu’à un point distant de trois milles anglais de
Castillo Viejo».
Ce libellé est évidemment soigneusement choisi et précis, et il n’y a qu’un seul point de
départ possible pour cette ligne, à savoir le promontoire droit de la baie.
Nous en arrivons enfin au nom donné au point de départ, «l’extrémité de Punta de Castillo».
Cette dénomination de Punta de Castillo ne figure sur aucune des cartes originelles de la baie de
San Juan qui ont été présentées par l’une ou l’autre partie, et qui paraissent inclure toutes celles qui
ont pu être publiées avant ou après la conclusion du traité. C’est un fait important et sa
signification est évidente. Punta de Castillo devrait être et est certainement resté un point dépourvu
d’importance, politique ou commerciale, pour avoir si complètement échappé à toute mention sur
les cartes. Cela concorde parfaitement avec les caractéristiques de la côte continentale et du
promontoire droit de la baie. L’endroit reste à ce jour peu connu et inoccupé, à l’exception d’une
cabane de pêcheur. Cependant, son identification est d’autant moins douteuse qu’est incidemment
mentionné, dans un autre article du traité, le nom Punta de Castillo.
A l’article V, le Costa Rica accepte temporairement de permettre au Nicaragua d’utiliser la
partie costa-ricienne du port sans payer de droits portuaires et le nom de Punta de Castillo lui est
clairement appliqué. Nous avons donc à la fois l’idée générale de compromis qui ressort du traité
dans son ensemble, la description littérale de la ligne dans le détail et la confirmation du nom
donné au point initial par sa mention incidente dans une autre partie du traité, et par le fait que, de
tous les auteurs de cartes de tous les pays, aucun, ni avant ni depuis la conclusion du traité, n’utilise
ce nom pour aucune autre partie du port. Cela pourrait sembler un argument suffisant sur ce point,
mais, pour présenter l’ensemble de la situation encore plus clairement, une brève explication de la
géographie locale et d’une caractéristique particulière de cette baie de San Juan n’est pas inutile.
La principale caractéristique de la géographie de cette baie, depuis les descriptions les plus
anciennes que nous en avons, est l’existence d’une île à son embouchure, appelée sur certaines
cartes anciennes l’île de San Juan. Cette île était assez importante pour être mentionnée en 1820
par deux auteurs éminents, cités dans la réponse du Costa Rica à l’argumentation du
- 60 -
Nicaragua (p. 12), et c’est encore aujourd’hui une île, qui figure comme telle sur la carte jointe à la
présente sentence. La particularité de cette baie, qu’il convient de relever, est que le fleuve a un
très faible débit durant la saison sèche. Lorsque cela est le cas, notamment ces dernières années,
des bancs de sable, découvrants lors des marées ordinaires mais plus ou moins submergés par les
vagues aux grandes marées, se forment, fréquemment reliés aux promontoires adjacents, si bien
qu’il est possible de traverser à pied sec.
Toute l’argumentation du Costa Rica repose sur la présomption selon laquelle le
15 avril 1858, date de la conclusion du traité, il existait une continuité entre l’île et le
promontoire est, que cela transformait l’île en partie du continent et déplaçait le point initial de la
frontière jusqu’à l’extrémité occidentale de l’île. A cette argumentation il y a au moins
deux réponses, qui me paraissent toutes deux concluantes.
Premièrement, il est impossible de déterminer avec certitude l’état exact du banc ce jour
précis, ce qui est pourtant indispensable pour en tirer des conclusions importantes.
Toutefois, comme cette date se situait près de la fin de la saison sèche, il est très probable
qu’il existait une telle continuité entre l’île et le rivage est du Costa Rica ; mais, même si cela est
vrai, il serait déraisonnable de supposer qu’une telle continuité temporaire puisse avoir pour effet
de modifier de façon permanente le caractère géographique et la propriété politique de l’île.
Ce même principe, s’il était admis, attribuerait au Costa Rica toutes les îles du fleuve qui se seraient
ainsi rattachées à son rivage durant cette saison sèche. Or, dans tout le traité, le fleuve est
considéré comme un débouché en mer pour le commerce. Cela implique qu’il est considéré en
moyenne comme en eau, condition indispensable pour qu’il soit navigable.
Mais la considération majeure en l’espèce est que, en utilisant le nom de Punta de Castillo
pour le point de départ, et non pas le nom de Punta Arenas, les auteurs du traité entendaient
désigner le continent à l’est du port. Cela a déjà été débattu, mais aucune réponse directe n’a été
donnée à l’argumentation du Costa Rica, qui cite trois auteurs appliquant le nom de
Punta de Castillo à l’extrémité occidentale de l’île susmentionnée, point invariablement appelé
Punta Arenas par tous les officiers de marine et autres, géomètres et ingénieurs qui l’ont
cartographié.
Ces auteurs sont L. Montufar, un Guatémaltèque, en 1887, J. D. Gamez, un Nicaraguayen,
en 1889, et E. G. Squier, un Américain, à une date non précisée mais postérieure à la conclusion du
traité. Et même, de ces trois auteurs, les deux derniers n’ont utilisé qu’une fois chacun le nom de
Punta de Castillo au lieu de Punta Arenas. Face à ces sources, nous avons premièrement une
quantité innombrable d’autres auteurs qui méritent clairement davantage qu’on leur fasse
confiance, deuxièmement les auteurs originaux de toutes les cartes comme il a déjà été indiqué, et
troisièmement les auteurs du traité lui-même, qui utilisent la dénomination Punta de Castillo à
l’article V.
Il faut garder à l’esprit que, avant la conclusion du traité, Punta Arenas était depuis quelques
années de loin le point le plus important et le plus connu de la baie. On y trouvait des docks, des
ateliers, des bureaux, etc. de la grande société de transports Vanderbilt, qui contrôlait la ligne
New York-San Francisco durant la folie de l’or du début des années 1850. Là navires océaniques
et bateaux fluviaux se rencontraient et échangeaient passagers et marchandises. C’était le point que
cherchaient à contrôler Walker et les pirates.
Le village de San Juan était peu de chose en comparaison et il serait certainement facile de
produire des centaines de références à ce point désigné comme Punta Arenas, venant d’officiers de
marine et de diplomates de toutes les grandes nations, de résidents et de fonctionnaires éminents, et
d’ingénieurs et de géomètres qui constamment examinaient le problème du canal et avaient tous
une connaissance personnelle de l’endroit.
- 61 -
Etant donné tous ces éléments, l’attention scrupuleuse avec laquelle chaque partie a défini ce
qu’elle laissait à l’autre et ce qu’elle conservait, l’importance de l’endroit, l’unanimité de toutes les
cartes initiales concernant le nom, et sa notoriété universelle, j’estime inconcevable que le
Nicaragua ait concédé ce vaste et important territoire au Costa Rica et que le représentant de ce
dernier n’ait réussi à faire mentionner le nom de Punta Arenas dans aucune disposition du traité.
Et, pour des raisons tellement similaires qu’il n’est pas nécessaire d’y revenir, il est également
inconcevable que le Costa Rica ait accepté le Taura comme sa frontière et que le représentant du
Nicaragua n’ait réussi à faire mentionner le nom de Taura dans aucune disposition du traité.
La côte continentale située à l’est de Harbor Head ayant ainsi été indiquée de manière
générale comme l’emplacement du point de départ de la ligne frontière, il faut maintenant définir
ce point avec plus de précision afin que ladite ligne puisse être exactement localisée et marquée de
façon permanente. L’emplacement exact du point de départ est donné dans la sentence arbitrale
rendue par le président Cleveland : c’est l’extrémité de Punta de Castillo, à l’embouchure du
fleuve San Juan de Nicaragua, en leur état respectif au 15 avril 1858.
Une étude attentive de toutes les cartes disponibles et des comparaisons entre celles qui ont
été établies avant le traité, celles qui l’ont été plus récemment par les groupes d’ingénieurs et de
fonctionnaires de la société du canal, et celle que nous avons nous-mêmes établie pour
accompagner la présente sentence permet d’affirmer un fait très clair : l’emplacement exact où était
l’extrémité du promontoire de Punta de Castillo le 15 avril 1858 est depuis longtemps recouvert par
la mer des Caraïbes et il n’y a pas assez de convergence dans les cartes anciennes sur le tracé du
rivage pour déterminer avec une certitude suffisante sa distance ou son orientation par rapport au
promontoire actuel. Il se trouvait quelque part au nord-est et probablement à une distance de 600
à 1600 pieds, mais il est aujourd’hui impossible de le situer exactement. Dans ces conditions, la
meilleure façon de satisfaire aux exigences du traité et de la sentence arbitrale du
président Cleveland est d’adopter ce qui constitue en pratique le promontoire aujourd’hui, à savoir
l’extrémité nord-ouest de ce qui paraît être la terre ferme, sur la rive est de la lagune de
Harbor Head.
J’ai en conséquence personnellement inspecté cette zone et je déclare que la ligne initiale de
la frontière sera la suivante :
Son orientation sera nord-est sud-ouest, à travers le banc de sable, de la mer des Caraïbes
aux eaux de la lagune de Harbor Head. Elle passera au plus près à 300 pieds au nord-ouest de la
petite cabane qui se trouve actuellement dans les parages. En atteignant les eaux de la lagune de
Harbor Head, la ligne frontière obliquera vers la gauche, en direction du sud-est, et suivra le rivage
autour du port jusqu’à atteindre le fleuve proprement dit par le premier chenal rencontré.
Remontant ce chenal et le fleuve proprement dit, la ligne se poursuivra comme prescrit dans le
traité.
Veuillez agréer, etc.
E. P. ALEXANDER.
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Croquis du port de Greytown (1897)
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3) DEUXIÈME SENTENCE DE L’ARBITRE E. P. ALEXANDER SUR LA QUESTION DE LA FRONTIÈRE
ENTRE LE COSTA RICA ET LE NICARAGUA, RENDUE LE 20 DÉCEMBRE 1897
À SAN JUAN DEL NORTE ET RÉIMPRIMÉE DANS NATIONS UNIES,
RECUEIL DES SENTENCES ARBITRALES,
VOL. XXVIII (2007), P. 223-225
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DEUXIÈME SENTENCE ARBITRALE RENDUE LE 20 DÉCEMBRE 1897, À SAN JUAN DEL NORTE,
SUR LA QUESTION DE LA FRONTIÈRE ENTRE LE NICARAGUA ET LE COSTA RICA
Conformément à la mission qui m’a une nouvelle fois été confiée en tant
qu’arbitre-ingénieur entre vos deux commissions, il m’incombe de trancher la question qui m’a été
soumise en vertu du paragraphe ci-après du procès-verbal en date du 7 courant :
«La commission du Costa Rica a proposé que nous réalisions les mesures se
rapportant à la ligne qui, à partir du point de départ, suit le rivage de Harbor Head,
contourne, le long du rivage, le port jusqu’au moment où elle atteint le fleuve
San Juan proprement dit, par le premier chenal rencontré, puis remonte le long de la
rive du fleuve jusqu’à un point situé à trois milles en aval de Castillo Viejo, que nous
en dressions la carte et consignions le tout dans le procès-verbal quotidien. La
commission du Nicaragua a soutenu que les travaux de mesurage et de levé de ce
tronçon ne présentaient aucun intérêt puisque, selon la sentence rendue par le général
E. P. Alexander, la frontière était constituée par la rive [droite] de Harbor et du fleuve,
et que la ligne de séparation n’était donc pas permanente, mais sujette à
altération… A cet effet, les deux commissions ont décidé d’entendre la décision que
rendra l’arbitre dans un délai d’une semaine, sur la base des arguments soumis par
chacune d’elles à cet égard.»
Lesdits arguments ont été reçus et dûment examinés. Il convient de noter, pour mieux
comprendre la question, que le fleuve San Juan traverse, dans sa partie inférieure, un delta plan et
sablonneux, et qu’il est bien sûr possible non seulement que ses rives s’élargissent ou se resserrent
de manière progressive, mais aussi que ses chenaux soient radicalement modifiés. De tels
changements peuvent survenir de manière assez rapide et soudaine, et ne pas être toujours la
conséquence de phénomènes exceptionnels, tels des tremblements de terre ou de violentes
tempêtes. Nombreux sont les exemples d’anciens chenaux aujourd’hui abandonnés et de rives qui
se modifient sous l’effet d’expansions ou de contractions progressives.
De tels changements, qu’ils soient progressifs ou soudains, auront nécessairement des
incidences sur la ligne frontière actuelle. Mais, concrètement, les conséquences ne pourront être
déterminées qu’en fonction des circonstances particulières à chaque cas, conformément aux
principes du droit international applicables.
Le mesurage et la démarcation proposés de la ligne frontière seront sans incidence sur
l’application desdits principes.
Le fait que la ligne ait été mesurée ou démarquée ne renforcera ni n’affaiblira la valeur
juridique qui aurait pu être la sienne si ces opérations n’avaient pas eu lieu.
Ce mesurage et cette démarcation auront pour seul effet de permettre de déterminer plus
aisément la nature et l’ampleur des modifications futures.
Il y aurait sans nul doute un avantage relatif à être en tout temps capable de situer la ligne
originelle. Des divergences peuvent cependant se faire jour quant au temps et aux ressources à
consacrer à la recherche de cet avantage relatif. Tel est, aujourd’hui, le point de désaccord entre les
deux commissions.
Le Costa Rica souhaite que cette possibilité existe à l’avenir alors que le Nicaragua, pour sa
part, estime que l’avantage attendu ne justifie pas la dépense.
Afin de déterminer laquelle de ces positions doit l’emporter, il me faut m’en tenir à l’esprit et
à la lettre du traité de 1858 et déterminer si l’un ou l’autre contient des éléments applicables à la
question. Je trouve les deux choses dans l’article 3.
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L’article 2 décrit, dans son entier, le tracé de la ligne de démarcation, de la mer des Caraïbes
au Pacifique. L’article 3 se lit comme suit :
«Les mesures correspondant à cette ligne de partage seront relevées, en tout ou
en partie, par les commissaires du gouvernement, qui s’entendront sur le temps voulu
pour procéder à ces mesures. Les commissaires auront la faculté de s’écarter
légèrement de la courbe autour d’El Castillo, de la ligne parallèle aux rives du fleuve
et du lac, ou de la droite astronomique entre la Sapoá et Salinas, à condition qu’ils
soient d’accord pour ce faire, afin d’adopter des repères naturels.»
Cet article, dans son intégralité, prescrit la manière dont les commissaires doivent s’acquitter
de leur tâche. Il leur est permis de ne pas se préoccuper de certains détails, attendu qu’il est précisé
que la ligne pourrait être délimitée en tout ou en partie et qu’il est sous-entendu que l’exactitude est
moins importante que l’établissement de repères naturels. Cependant, la condition expressément
énoncée concernant ce second point  et clairement sous-entendue concernant le premier  est
que les deux commissions doivent s’entendre.
A défaut, la ligne doit être mesurée dans son intégralité, en suivant chacune des étapes
énoncées à l’article 2.
Il est donc clair qu’en cas de désaccord quant au degré de précision des mesures à effectuer,
c’est la position de la partie favorable à une plus grande exactitude qui doit prévaloir.
Je rends en conséquence la sentence suivante : les commissaires entreprendront
immédiatement de mesurer la ligne, depuis le point de départ jusqu’à un point situé à trois milles en
aval d’El Castillo Viejo, ainsi que proposé par le Costa Rica.
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ANNEXE 3
FIGURES DU CONTRE-MÉMOIRE
[NON REPRODUITES]
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ANNEXE 4
ENREGISTREMENT PAR DRONE FAIT LORS DE LA VISITE DE DÉCEMBRE 2016
(VIDÉOS DES 6 ET 7 DÉCEMBRE 2016)
(voir DVD à la fin du volume original)
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ANNEXE 5
IMAGE SATELLITE DU 10 MARS 2011
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Contre-mémoire de la République du Nicaragua

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