COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Document non officiel
N 2016/6
Le 7 décembre 2016
Immunités et procédures pénales
(Guinée équatoriale c. France)
Requête et demande en indication de mesures conservatoires (par. 1-19)
La Cour commence par rappeler que, par requête déposée au Greffe le 13 juin 2016, la
Guinée équatoriale a introduit une instance contre la France au sujet d’un différend ayant trait à
«l’immunité de juridiction pénale du Second Vice-Président de la République de
Guinée équatoriale chargé de la Défense et de la Sécurité de l’Etat [M. Teodoro
Nguema Obiang Mangue], ainsi qu[’au] statut juridique de l’immeuble qui abrite
l’Ambassade de Guinée équatoriale en France, tant comme locaux de la mission
diplomatique que comme propriété de l’Etat».
Le 29 septembre 2016, la Guinée équatoriale a présenté une demande en indication de
mesures conservatoires tendant notamment à ce que la France suspende toutes les procédures
engagées contre le vice-président équato-guinéen ; qu’elle veille à ce que l’immeuble sis au 42
avenue Foch à Paris soit traité comme locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale
en France et, en particulier, garantisse son inviolabilité ; et qu’elle s’abstienne de prendre toute
autre mesure qui pourrait aggraver ou étendre le différend soumis à la Cour.
Faisant suite à une demande exprimée en ce sens par la Guinée équatoriale, le vice-président
de la Cour, faisant fonction de président en l’affaire, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l’article 74 du Règlement, a appelé l’attention de la France «sur la nécessité d’agir de manière que
toute ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir
les effets voulus».
Contexte factuel (par. 20-30)
La Cour expose ensuite le contexte de l’affaire. Elle explique que, à partir de 2007, des
associations et des personnes privées ont déposé des plaintes auprès du procureur de la République
de Paris à l’encontre de certains chefs d’Etat africains et de membres de leurs familles, pour
«détournements de fonds publics dans leur pays d’origine, dont les produits auraient été investis en
France». La Cour précise que l’une de ces plaintes, déposée le 2 décembre 2008 par l’association
Transparency International France, a été déclarée recevable par la justice française et qu’une
information judiciaire a été ouverte des chefs de recel et complicité de détournement de fonds
publics, abus de biens sociaux et complicité d’abus de biens sociaux, recel de chacune de ces
infractions. Elle ajoute que l’enquête diligentée a notamment porté sur le mode de financement de
biens mobiliers et immobiliers acquis en France par plusieurs personnes, dont le fils du président de - 2 -
la Guinée équatoriale, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, qui était à l’époque ministre de
l’agriculture et des forêts de la Guinée équatoriale.
La Cour précise que les investigations ont plus particulièrement concerné les modalités
d’acquisition par M. Teodoro Nguema Obiang Mangue de divers objets de très grande valeur et
d’un immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris. Elle précise que, bien qu’il ait protesté contre les
mesures prises à son encontre et invoqué à plusieurs reprises l’immunité de juridiction dont il
estimait pouvoir jouir compte tenu de ses fonctions, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a été mis
en examen. Par ailleurs, l’immeuble de l’avenue Foch a fait l’objet d’une saisie pénale
immobilière et divers objets s’y trouvant ont été saisis.
La Cour indique enfin que, au terme de l’enquête, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a
été renvoyé devant le Tribunal correctionnel de Paris pour y être jugé des infractions qu’il aurait
commises entre 1997 et octobre 2011. Le procès devrait se tenir du 2 au 12 janvier 2017.
I. Compétence prima facie (par. 31-70)
La Cour fait tout d’abord observer que, lorsqu’une demande en indication de mesures
conservatoires lui est présentée, elle n’a pas besoin, avant de décider d’indiquer ou non les mesures
demandées, de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire ; elle
doit seulement s’assurer que les dispositions invoquées par le demandeur semblent, prima facie,
constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée.
La Cour note que la Guinée équatoriale entend fonder sa compétence, d’une part, sur
l’article 35 de la convention contre la criminalité transnationale organisée, pour ce qui est de sa
demande relative à l’immunité de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, et, d’autre part, sur le
protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, pour
ce qui est de sa demande relative à l’inviolabilité des locaux sis au 42 avenue Foch à Paris. Elle
relève que, tant le paragraphe 2 de l’article 35 de la convention contre la criminalité transnationale
organisée que l’article I du protocole de signature facultative subordonnent la compétence de la
Cour à l’existence d’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention à
laquelle ils se rapportent. Elle recherchera donc si, prima facie, un tel différend existait à la date du
dépôt de la requête, puisque, en règle générale, c’est à cette date que, selon sa jurisprudence, sa
compétence doit s’apprécier.
1) La convention contre la criminalité transnationale organisée (par. 41-50)
La Cour observe que la Guinée équatoriale fait valoir qu’il existe un différend entre les
Parties au sujet de l’application de l’article 4 de la convention contre la criminalité transnationale
organisée. Cette disposition, intitulée «Protection de la souveraineté», est rédigée comme suit :
«1. Les Etats Parties exécutent leurs obligations au titre de la présente
Convention d’une manière compatible avec les principes de l’égalité souveraine et de
l’intégrité territoriale des Etats et avec celui de la non-intervention dans les affaires
intérieures d’autres Etats.
2. Aucune disposition de la présente Convention n’habilite un Etat Partie à
exercer sur le territoire d’un autre Etat une compétence et des fonctions qui sont
exclusivement réservées aux autorités de cet autre Etat par son droit interne.»
La Cour relève que la Guinée équatoriale allègue que l’article 4 de la convention ne constitue
pas une simple «directive générale» à la lumière de laquelle il conviendrait d’interpréter les autres
dispositions de la convention. Les principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention
auxquels cette disposition se réfère engloberaient d’importantes règles de droit international
coutumier ou général, en particulier celles qui touchent aux immunités des Etats et à l’immunité de - 3 -
certaines personnes de rang élevé dans l’Etat. Consacrées par les principes susvisés, les règles en
question seraient, d’après la demanderesse, contraignantes pour les Etats lorsqu’ils appliquent la
convention. La Guinée équatoriale prétend en conséquence que, en engageant des poursuites à
l’encontre du vice-président équato-guinéen, la France était tenue, dans la mise en œuvre de la
convention, de respecter les règles relatives à l’immunité ratione personae du vice-président de la
Guinée équatoriale, découlant de l’article 4 de cet instrument.
Pour sa part, la France nie l’existence d’un différend au sujet de l’application de la
convention, et en conséquence la compétence de la Cour. Selon elle, la référence, à l’article 4, aux
principes de l’égalité souveraine et de l’intégrité territoriale des Etats, et à celui de la
non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats, indique simplement la manière
dont les autres dispositions de la convention doivent être appliquées. Elle ajoute que les
dispositions de la convention dont la Guinée équatoriale prétend qu’elles n’ont pas été mises en
œuvre dans le respect des principes posés à l’article 4 de cet instrument se limitent, pour la plupart,
à obliger les Etats à légiférer ou réglementer.
La Cour constate qu’il ressort du dossier que les Parties ont exprimé des vues divergentes sur
l’article 4 de la convention contre la criminalité transnationale organisée. Pour autant, à l’effet
d’établir, même prima facie, si un différend au sens du paragraphe 2 de l’article 35 de la
convention existe, la Cour ne peut se borner à constater que l’une des Parties soutient que la
convention s’applique alors que l’autre le nie. Elle doit rechercher si les actes dont la Guinée
équatoriale tire grief sont, prima facie, susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet instrument et
si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour connaître ratione
materiae en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de la convention.
La Cour relève que les obligations prévues par la convention consistent principalement à
contraindre les Etats parties à introduire dans leur droit interne des dispositions incriminant
certaines infractions de nature transnationale et à prendre des mesures en vue de lutter contre ces
infractions. La Cour indique que l’article 4 de la convention a pour objet de garantir que les Etats
parties à cette convention exécuteront leurs obligations dans le respect des principes de l’égalité
souveraine, de l’intégrité territoriale des Etats, et de la non-intervention dans les affaires intérieures
d’autres Etats. Selon elle, cette disposition n’apparaît pas créer de nouvelles règles concernant les
immunités des personnes de rang élevé dans l’Etat ou d’incorporer des règles de droit international
coutumier concernant de telles immunités. Tout différend qui pourrait surgir au sujet de
«l’interprétation ou [de] l’application» de l’article 4 de la convention ne pourrait en conséquence
porter que sur la manière dont les Etats parties exécutent leurs obligations au titre de la convention.
Or, il appert à la Cour que le différend allégué n’a pas trait à la manière dont la France a exécuté
ses obligations au titre des articles de la convention invoqués par la Guinée équatoriale ; il semble
en réalité porter sur une question distincte, celle de savoir si le vice-président équato-guinéen
bénéficie en droit international coutumier d’une immunité ratione personae et, le cas échéant, si la
France y a porté atteinte en engageant des poursuites à son encontre.
En conséquence, la Cour estime qu’il n’existe pas, prima facie, de différend entre les Parties
susceptible d’entrer dans les prévisions de la convention contre la criminalité transnationale
organisée, et donc de concerner l’interprétation ou l’application de l’article 4 de celle-ci. Dès lors,
elle n’a pas compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de cet instrument pour
connaître de la demande de la Guinée équatoriale relative à l’immunité de M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue.
2) Le protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations
diplomatiques (par. 51-70)
La Cour rappelle que l’article I du protocole de signature facultative à la convention de
Vienne sur les relations diplomatiques, que la Guinée équatoriale invoque pour connaître de sa
demande relative à l’inviolabilité des locaux sis au 42 avenue Foch à Paris, lui confère compétence - 4 -
pour connaître des différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la convention de
Vienne sur les relations diplomatiques. Elle rappelle en outre que la Guinée équatoriale fait valoir
qu’il existe un différend entre les Parties au sujet de l’application de l’article 22 de ladite
convention, lequel prévoit notamment, en son paragraphe 3, que les «locaux de la mission, leur
ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission,
ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution». La Cour
recherche en conséquence si, à la date du dépôt de la requête, un différend relatif à l’interprétation
ou à l’application de la convention de Vienne paraissait exister entre les Parties.
A cet égard, la Cour note que les Parties apparaissent bien s’être opposées, et s’opposer
aujourd’hui encore, sur la question du statut juridique de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris.
Alors que la Guinée équatoriale a soutenu en diverses occasions que celui-ci abritait les locaux de
sa mission diplomatique et devait, en conséquence, jouir des immunités reconnues par l’article 22
de la convention de Vienne, la France a toujours refusé de reconnaître que tel était le cas, et
soutient que le bien n’a jamais acquis en droit la qualité de «locaux de la mission». De l’avis de la
Cour, tout porte donc à croire qu’un différend existait entre les Parties, à la date du dépôt de la
requête, quant au statut juridique de l’immeuble en cause.
A l’effet d’établir sa compétence, même prima facie, la Cour doit encore rechercher si pareil
différend est de ceux dont elle pourrait connaître ratione materiae sur le fondement de l’article I du
protocole de signature facultative. A cet égard, elle relève que les droits apparemment en litige
sont susceptibles de relever de l’article 22 de la convention de Vienne, qui garantit l’inviolabilité
des locaux diplomatiques, et que les actes allégués par la demanderesse s’agissant du bâtiment de
l’avenue Foch paraissent pouvoir porter atteinte à de tels droits. En effet, les locaux dont la Guinée
équatoriale soutient qu’ils abritent sa mission diplomatique en France ont fait l’objet de plusieurs
perquisitions ainsi que d’une saisie pénale immobilière; ils pourraient en outre être soumis à
d’autres mesures de même nature.
La Cour est d’avis que les éléments susmentionnés établissent de façon suffisante, à ce stade,
l’existence entre les Parties d’un différend susceptible d’entrer dans les prévisions de la convention
de Vienne et de concerner l’interprétation ou l’application de son article 22. En conséquence, elle
estime qu’elle a, prima facie, compétence en vertu de l’article I du protocole de signature
facultative à la convention de Vienne pour connaître de ce différend.
Elle considère qu’elle peut, sur cette base, examiner la demande en indication de mesures
conservatoires de la Guinée équatoriale en ce qu’elle a trait à l’inviolabilité de l’immeuble sis au
42 avenue Foch à Paris. Elle ajoute que, à défaut d’incompétence manifeste, elle ne saurait accéder
à la demande de la France tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle.
II. Les droits dont la protection est recherchée et les mesures demandées (par. 71-81)
La Cour rappelle que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de
l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de
l’affaire, les droits revendiqués par chacune des parties. Il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper
de sauvegarder, par de telles mesures, les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre
pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre des parties. Aussi ne peut-elle exercer ce pouvoir que si
elle estime que les droits invoqués par la partie qui sollicite des mesures de cette nature sont au
moins plausibles. Par ailleurs, un lien doit exister entre les droits qui font l’objet de l’instance
pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire et les mesures conservatoires sollicitées.
La Cour commence donc par s’interroger sur le point de savoir si les droits que la Guinée
équatoriale revendique au fond, et dont elle sollicite la protection, sont plausibles. S’étant déclarée
incompétente, prima facie, pour connaître des violations alléguées de la convention contre la
criminalité transnationale organisée, la Cour ne s’intéresse qu’au droit prétendu de la Guinée - 5 -
équatoriale à «l’inviolabilité des locaux de sa mission diplomatique», au titre duquel est invoqué
l’article 22 de la convention de Vienne.
La Cour relève à cet égard que la Guinée équatoriale avance avoir acquis l’immeuble sis au
42 avenue Foch le 15 septembre 2011 et l’avoir affecté à sa mission diplomatique en France à
compter du 4 octobre 2011, et prétend l’avoir indiqué à plusieurs reprises à la défenderesse. Elle
note par ailleurs que la Guinée équatoriale soutient que, depuis cette date, l’immeuble en question a
fait l’objet de plusieurs perquisitions ainsi que d’une saisie pénale immobilière, autant d’actes qui,
selon la demanderesse, portent atteinte à l’inviolabilité desdits locaux.
La Cour est d’avis que, étant donné que l’inviolabilité des locaux diplomatiques est un droit
prévu à l’article 22 de la convention de Vienne, que la Guinée équatoriale affirme avoir utilisé le
bâtiment en cause comme locaux de sa mission diplomatique en France depuis le 4 octobre 2011 et
que la France reconnaît que, depuis l’été 2012, certains services de l’ambassade de Guinée
équatoriale semblent avoir été transférés au 42 avenue Foch, il apparaît que la Guinée équatoriale a
un droit plausible à ce que les locaux utilisés aux fins de sa mission bénéficient de la protection
requise par l’article 22 de la convention de Vienne.
La Cour en vient ensuite à la question du lien entre les droits revendiqués et les mesures
conservatoires demandées. A cet égard, elle considère que, par leur nature même, ces mesures
visent à protéger le droit à l’inviolabilité du bâtiment que la Guinée équatoriale présente comme
abritant les locaux de sa mission diplomatique en France. Elle en conclut qu’il existe un lien entre
le droit invoqué par la Guinée équatoriale et les mesures conservatoires demandées.
III. Risque de préjudice irréparable et urgence (par. 82-91)
La Cour rappelle qu’elle a le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’un
préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige, et que ce pouvoir ne sera exercé que
s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit
causé aux droits concernés.
Rappelant une nouvelle fois qu’il ressort du dossier de l’affaire que la France n’admet pas
que l’immeuble fasse partie des locaux de la mission diplomatique équato-guinéenne en France et
qu’elle refuse de lui accorder l’immunité conférée à de tels lieux en vertu de la convention de
Vienne, et, partant, la protection correspondante, la Cour estime qu’il existe un risque continu
d’intrusion. Elle note que, bien que les Parties soient en désaccord sur le point de savoir si des
perquisitions se sont déroulées récemment, elles reconnaissent que de tels actes ont bien eu lieu en
2011 et 2012. Or, étant donné qu’il est possible que, durant l’audience au fond, le Tribunal
correctionnel, d’office ou à la demande de l’une des parties, fasse procéder à un supplément
d’information ou à une expertise, il n’est pas inconcevable que l’édifice de l’avenue Foch fasse
l’objet d’une nouvelle perquisition. Si tel était le cas, et s’il était avéré que le bâtiment abrite les
locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, les activités journalières de cette
mission, représentation d’un Etat souverain, courraient le risque d’être sérieusement entravées, du
fait par exemple de la présence de policiers ou de la saisie de documents dont certains pourraient
être hautement confidentiels.
La Cour estime qu’il découle de ce qui précède qu’il existe un risque réel de préjudice
irréparable au droit à l’inviolabilité des locaux que la Guinée équatoriale présente comme étant
utilisés aux fins de sa mission diplomatique en France. En effet, toute atteinte à l’inviolabilité de
ces locaux risquerait de ne pas pouvoir être réparée, puisqu’il pourrait se révéler impossible de
rétablir le status quo ante. Ce risque est en outre imminent dès lors que les actes susceptibles
d’infliger un tel préjudice aux droits allégués par la Guinée équatoriale peuvent intervenir à tout
moment. Il est donc également satisfait, en l’espèce, au critère de l’urgence. - 6 -
La Cour rappelle que la Guinée équatoriale lui demande également d’indiquer des mesures
conservatoires en ce qui concerne les objets qui se trouvaient au 42 avenue Foch, dont certains ont
été enlevés par les autorités françaises. S’agissant de ces derniers, la Cour relève que la Guinée
équatoriale n’a pas démontré l’existence d’un risque de préjudice irréparable et d’un caractère
d’urgence que la Cour a jugés avérés pour ce qui est du bâtiment sis au 42 avenue Foch. Dès lors,
elle considère qu’il n’y a pas lieu d’indiquer des mesures conservatoires relatives à ces objets.
IV. Conclusion et mesures devant être adoptées (par. 92-98)
La Cour conclut de l’ensemble des considérations ci-dessus que les conditions requises par
son Statut pour qu’elle indique des mesures conservatoires concernant l’immeuble sis au 42 avenue
Foch à Paris sont remplies. Elle est d’avis que, dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, les
locaux présentés comme abritant la mission diplomatique de la Guinée équatoriale au 42 avenue
Foch à Paris devront jouir d’un traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention
de Vienne, de manière à assurer leur inviolabilité. En ce qui concerne la saisie immobilière de
l’immeuble sis au 42 avenue Foch et le risque de confiscation, la Cour note qu’il existe un risque
que cette confiscation se produise avant la date à laquelle elle rendra sa décision finale. Elle
considère donc que, afin de préserver les droits des Parties, il devra être sursis à l’exécution de
toute mesure de confiscation avant cette date. Enfin, bien que la Guinée équatoriale l’ait priée
d’indiquer des mesures tendant à la non-aggravation du différend, la Cour indique que, en l’espèce,
elle ne juge pas nécessaire, compte tenu des mesures qu’elle a décidé de prendre, d’indiquer des
mesures supplémentaires de cette nature.
Dispositif (par. 99)
Le texte intégral du dernier paragraphe de l’ordonnance se lit comme suit :
«Par ces motifs,
L A COUR ,
I. A l’unanimité,
Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :
La France doit, dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, prendre toutes
les mesures dont elle dispose pour que les locaux présentés comme abritant la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris jouissent d’un
traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne sur les
relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité ;
II. A l’unanimité,
Rejette la demande de la France tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle.»
Mme la juge X UE joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges
G AJA et GEVORGIAN joignent des déclarations à l’ordonnance ; M. le juge ad hoc ATEKA joint à
l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle.
___________ Annexe au résumé 2016/6
Opinion individuelle de Mme la juge Xue
A ce stade préliminaire, la juge Xue tient à faire état de ses réserves sur l’interprétation que
la Cour fait de l’article 4 de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée (ci-après la «convention»), même si cette interprétation n’est pas définitive.
La juge Xue rappelle que la Cour déclare au paragraphe 49 de son ordonnance que l’article 4
ne crée pas de règles concernant les immunités des personnes occupant un rang élevé dans l’Etat.
En conséquence, tout différend au sujet de l’interprétation ou de l’application de l’article 4 ne
pourrait porter que sur la manière dont un Etat partie exécute ses obligations au titre de la
convention. Or, la Cour estime que le différend allégué entre les Parties porte sur une question
distincte qui n’est pas susceptible d’entrer dans les prévisions de la convention ; partant, elle
considère qu’elle n’a pas compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de cet
instrument.
La juge Xue estime que cette interprétation soulève un certain nombre de questions.
Premièrement, l’intention des Etats parties, telle qu’elle ressort des travaux préparatoires de
l’article 4, de ne pas incorporer, dans la convention, de nouvelles règles de droit international
coutumier concernant les immunités ne saurait être interprétée de telle manière que les règles
existantes en la matière seraient exclues dans l’application de cet instrument. Au contraire, en tant
que directive, l’article 4 constitue un cadre juridique en référence auquel les autres dispositions
doivent être exécutées. Ce qui relève du principe de l’égalité souveraine des Etats en droit
international général devrait demeurer intact et applicable, lorsque les circonstances d’une affaire le
requièrent. Il en va ainsi des règles relatives à l’immunité de juridiction d’un Etat et de ses biens et
des règles relatives à l’immunité de juridiction pénale étrangère dont jouissent les personnes
occupant un rang élevé dans l’Etat, deux des régimes pertinents en l’espèce, qui découlent
directement de ce principe.
Deuxièmement, la question de l’immunité de juridiction ratione personae concerne «la
manière» dont un Etat partie exécute ses obligations au titre de la convention. Elle ne met pas
moins en jeu le principe de l’égalité souveraine qu’une opération menée sur un territoire étranger.
Dans le cas d’espèce, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue est un ressortissant étranger occupant
un rang élevé dans son pays. Bien que l’ensemble des actes allégués par la Guinée équatoriale
aient eu lieu sur le territoire et relèvent du droit interne français, le différend entre les Parties porte
essentiellement sur l’applicabilité de la convention.
Troisièmement, la question de savoir si le président ou le vice-président en exercice d’un
Etat jouit de l’immunité de juridiction pénale étrangère en vertu du droit international coutumier
n’est pas une «question distincte» n’entrant pas dans les prévisions de la convention. En exécutant
ses obligations au titre de l’article 6 («Incrimination du blanchiment du produit du crime»), de
l’article 12 («Confiscation et saisie»), de l’article 14 («Disposition du produit du crime ou des biens
confisqués») et de l’article 18 («Entraide judiciaire»), un Etat partie pourrait devoir agir
différemment en cas d’applicabilité des règles relatives à l’immunité de juridiction. Telle est du
reste précisément la question qui semble ici en cause.
Compte tenu de ce qui précède, la juge Xue continue de penser que la Cour a compétence
prima facie en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de la convention. - 2 -
Déclaration de M. le juge Gaja
Dans ses ordonnances en indication de mesures conservatoires, la Cour, lorsqu’elle indique
certaines des mesures demandées, ne déclare pas dans le dispositif qu’elle en rejette d’autres. En la
présente espèce, le dispositif ne fait nulle mention de la demande concernant l’immunité de
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, alors même qu’une partie importante de l’ordonnance lui est
consacrée. Dans l’intérêt d’une plus grande transparence, le dispositif de ce type d’ordonnances
devrait consigner les décisions prises sur chacune des grandes questions en jeu, ainsi que le vote de
chacun des juges.
Déclaration de M. le juge Gevorgian
Le juge Gevorgian souscrit aux conclusions et au raisonnement exposés dans l’ordonnance.
Il estime néanmoins nécessaire, en ce qui concerne le paragraphe 49 de celle-ci, de préciser que les
règles d’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’Etat découlent du principe
de l’égalité souveraine mentionné à l’article 4 de la convention de Palerme, ce qu’étayent, à son
avis, les récents travaux de la Commission du droit international et la jurisprudence de la Cour.
Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Kateka
1. S’il a voté en faveur de la mesure conservatoire indiquée par la Cour, le juge Kateka se
dissocie de l’ordonnance sur deux grandes questions. En premier lieu, s’il admet la jurisprudence
de la Cour relative à la compétence prima facie, il estime peu élevé le seuil à partir duquel cette
compétence est établie. Aussi ne peut-il souscrire à l’interprétation que fait la Cour de l’article 4 de
la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (ci-après la
«convention de Palerme» ou la «convention») ni à la conclusion selon laquelle elle n’a pas
compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de cet instrument. En particulier,
il conteste la conclusion de la Cour selon laquelle il n’existe pas entre les Parties de différend
susceptible d’entrer dans les prévisions de la convention et donc de concerner l’interprétation ou
l’application de l’article 4 de cet instrument.
2. Le juge Kateka ne partage pas l’avis de la Cour selon lequel l’article 4 ne porte que sur la
manière dont les Etats parties exécutent leurs obligations au titre de la convention de Palerme et
n’incorpore pas de règles de droit international coutumier concernant les immunités des personnes
de rang élevé dans l’Etat, car il considère que la Cour n’a pas examiné l’article 4 dans le contexte
approprié. Lui-même a comparé la genèse de cette disposition à celle du paragraphe 2 de l’article 2
de la convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances
psychotropes de 1988, rédigé dans les mêmes termes, comparaison dont il ressort que l’article 4 de
la convention de Palerme est autonome et peut créer des obligations pour les Etats parties.
3. Après examen des arguments avancés tant par la Guinée équatoriale que par la France sur
l’article 4 de cet instrument, le juge Kateka souligne que le vice-président de la Guinée équatoriale
est poursuivi en France pour un série d’infractions, notamment le blanchiment d’argent, dont
l’article 6 de la convention impose l’incrimination. Cette infraction relève du champ d’application
de la convention, en vertu du paragraphe 1 de l’article 3, car elle est non seulement «grave» et «de
nature transnationale», mais constitue aussi l’une des infractions visées à l’article 6. De l’avis du
juge Kateka, la condition relative à l’implication d’un «groupe criminel organisé» est remplie, car
certaines des accusations portées à l’encontre du vice-président de la Guinée équatoriale incluent la
«complicité», qui, par définition, suppose la participation de tiers. - 3 -
4. Pour conclure sur ce premier point de divergence, le juge Kateka affirme que les
conditions de nature procédurale énoncées au paragraphe 2 de l’article 35 de la convention de
Palerme sont par ailleurs remplies, la France ayant refusé de négocier avec la Guinée équatoriale
pour régler le différend. En résumé, il existe un différend entre les Parties, qui concerne
l’interprétation et l’application de l’article 4 de la convention ; le seuil de la compétence
prima facie est donc franchi et, partant, la Cour aurait dû connaître de la demande de la Guinée
équatoriale relative à l’immunité ratione personae de son vice-président. En outre, le juge Kateka
estime plausible l’existence, au regard de la convention, d’un droit de la Guinée équatoriale à
l’immunité de son vice-président, en tant que numéro deux du Gouvernement. Le critère de
l’urgence est également rempli, puisqu’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice
irréparable soit causé au droit de la Guinée équatoriale, le procès pénal qui doit avoir lieu devant le
Tribunal correctionnel de Paris en janvier 2017 contre son vice-président étant susceptible
d’entraver celui-ci dans l’exercice de ses fonctions.
5. En second lieu, le juge Kateka estime insuffisante la mesure conservatoire indiquée. Il
n’approuve pas la formulation adoptée par la Cour, à savoir que la France doit prendre toutes les
mesures dont elle dispose pour que les locaux présentés comme abritant la mission diplomatique de
la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris jouissent d’un traitement «équivalent à celui
requis par l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques». Il conteste
l’emploi du terme «équivalent» et souligne que l’article 22 est clair : les locaux de la mission sont
inviolables. La Cour aurait donc dû indiquer une mesure dépourvue de toute équivoque, ainsi que
l’avait demandé la Guinée équatoriale, dont l’objet aurait été que «la France veille à ce que
l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris soit traité comme locaux de la mission diplomatique de
la Guinée équatoriale en France, et, en particulier, assure son inviolabilité …».
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Résumé de l'ordonnance du 7 décembre 2016