Demande en indication de mesures conservatoires du Nicaragua

Document Number
17692
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document
Document File
Document

Lettre en date du 11 octobre 2013 adressée au greffier
par l’agent de la République du Nicaragua

[Traduction]

J’ai l’honneur de me référer aux affaires relatives à la Construction d’une route au
Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) et à Certaines activités menées

par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), lesquelles ont fait l’objet
d’une jonction d’instances. Je me réfère en particulier à l’ordonnance de la Cour en date
du 30 septembre 2013 (réf. n 142552), prévoyant l’ouverture d’audiences publiques aux fins de
l’examen de la demande en indication de nouvelles mesures conservatoires présentée par le
Costa Rica.

Le Nicaragua tient à préciser que, bien qu’il ait introduit une instance contre le Costa Rica
concernant la construction d’une route (route 1856) , les dommages causés au fleuve par la
construction de ladite route constituent également une aggravation du différend à l’examen dans

l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan
(Nicaragua c. Costa Rica). Ces dommages sont indissociablement liés à l’affaire relative à
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ;
ainsi que le Nicaragua l’a exposé dans ses écritures, les travaux de construction de cette route
entrepris par le Costa Rica ont entraîné un brusque accroissement de la charge sédimentaire du

fleuve San Juan, qui a contraint le Nicaragua à prendre des mesures énergiques, y compris de
dragage, afin de préserver la qualité et la quantité des eaux du fleuve. Ainsi que la Cour l’a rappelé
dans son ordonnance du 17 avril 2013,

«[les deux affaires] sont … fondées sur des faits en rapport avec des travaux exécutés
sur le San Juan, le long de ce fleuve ou à proximité immédiate de celui-ci, le
Nicaragua se livrant à des activités de dragage du fleuve et le Costa Rica ayant
entrepris de construire une route le long de sa rive droite. Les deux instances ont pour

objet les conséquences de ces travaux pour l’environnement local et la liberté de
navigation sur le San Juan et leur incidence sur l’accès au fleuve. A cet égard, les
Parties font l’une et l’autre état d’un risque de sédimentation du San Juan.

Dans la présente affaire comme dans l’affaire Nicaragua c. Costa Rica, les

Parties mettent par ailleurs en avant les conséquences néfastes qu’auraient les travaux
menés sur le San Juan ou le long de sa rive pour l’écosystème fragile du fleuve
(qui comprend des réserves naturelles protégées).» 2

Dans le contre-mémoire du 6 août 2012 qu’il a présenté en l’affaire relative à

Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua),
le Nicaragua a précisé que la construction, par le Costa Rica, d’une route de 160 kilomètres le long
de la rive du fleuve San Juan constituait une violation flagrante de l’ordonnance rendue par la Cour
le 8 mars 2011, dans laquelle celle-ci avait indiqué à l’unanimité la mesure suivante : «3) Chaque

Partie s’abstiendra de tout acte qui risquerait d’a3graver ou d’étendre le différend dont la Cour est
saisie ou d’en rendre la solution plus difficile[.]»

Comme la Cour le sait, le Costa Rica a obstinément refusé de fournir au Nicaragua les

informations voulues concernant le projet de route. De fait, il a nié avoir l’obligation de procéder à
une évaluation de l’impact sur l’environnement ou de fournir un tel document au Nicaragua.

1
Voir la requête introductive d’instance du Nicaragua contre la République du Costa Rica du 21 décembre 2011.
2Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), jonction
d’instances, ordonnance du 17 avril 2013, par. 20-21.

3Mesures conservatoires, ordonnance, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 27, point 3 du dispositif. - 2 -

Comme celui-ci l’a signalé, il a, au mois d’octobre 2012, dépêché une équipe internationale
constituée d’experts de l’environnement et de la construction de routes pour inspecter le fleuve.
Ces experts ont confirmé que le Costa Rica n’avait pris aucune mesure pour faire cesser ou
simplement atténuer les graves dommages causés au fleuve San Juan de Nicaragua . En prévision

de la deuxième saison des pluies depuis le début de la construction de la route, le Nicaragua a
envoyé la même équipe effectuer une deuxième mission au mois de mai 2013. Les experts ont
souligné qu’il convenait de mettre en œuvre d’urgence les mesures d’atténuation qu’il avait
présentées à la Cour.

Alors que nous arrivons au plus fort de la saison des pluies et qu’une quantité encore plus
importante de sédiments se déverse dans les eaux du fleuve, le Costa Rica n’a toujours pas
communiqué au Nicaragua les informations requises, et n’a pas non plus pris les mesures
nécessaires le long de la route de 160 kilomètres afin d’éviter ou d’atténuer les dommages

irréparables causés au fleuve et au milieu environnant, notamment à la navigation, ainsi qu’à la
santé et au bien-être de la population riveraine.

J’ai l’honneur d’appeler l’attention de la Cour sur le fait que, dans le cadre de la demande du
Costa Rica tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires
5
rendue par la Cour le 8 mars 2011 , le Nicaragua lui-même avait présenté une demande tendant à la
modification des mesures conservatoires. La Cour avait alors décidé de ne pas examiner la
demande du Nicaragua, au motif que, «même si la situation invoquée dans l’affaire
Nicaragua c. Costa Rica justifiait l’indication de mesures conservatoires, la voie appropriée pour
ce faire ne saurait être la modification de l’ordonnance rendue dans l’affaire
6
Costa Rica c. Nicaragua» . Conformément à cette décision, le Nicaragua sollicite non pas la
modification des mesures existantes, mais l’indication de nouvelles mesures conservatoires dans le
cadre de l’affaire Nicaragua c. Costa Rica.

Puisque le Costa Rica cherche de nouveau à faire modifier les mesures conservatoires

initialement indiquées en l’affaire Costa Rica c. Nicaragua, le Nicaragua estime que les audiences
qui auront lieu du 14 au 17 octobre 2013 fourniront une occasion propice à l’examen de sa propre
demande en indication de mesures conservatoires, afin d’empêcher qu’un préjudice irréparable ne
continue d’être causé à ses droits.

Les mesures exposées ci-dessous sont connues du Costa Rica et ne sauraient avoir pour lui
aucun effet de surprise. Le Nicaragua n’a jamais cessé, depuis le début des travaux de construction
de la route, de souligner et de rappeler de diverses façons l’importance du partage de l’information
et de la prise de mesures correctives, et a demandé l’indication de celles-ci, d’une manière ou d’une

autre, dans les deux instances jointes par la Cour.

En conséquence, le Nicaragua prie respectueusement la Cour d’indiquer d’urgence, pour
empêcher que d’autres dommages soient causés au fleuve et que soit aggravé le présent différend,
les mesures conservatoires ci-après :

1) que le Costa Rica fournisse immédiatement et inconditionnellement au Nicaragua l’évaluation
de l’impact sur l’environnement ainsi que tous les rapports techniques et évaluations concernant
les mesures nécessaires pour atténuer les dommages graves qui pourraient être causés au fleuve,

4 G. Mathias Kondolf, Danny Hagans, Bill Weaver et Eileen Weppner, «Environmental Impacts of
Juan Rafael Mora Porras Route 1856, Costa Rica, on the Río San Juan, Nicaragua», décembre 2012 («rapport Kondolf»),
(MN, vol. II, annexe I).
5Demande tendant à la modification de l’ordonnance du 8 mars 2011 présentée en l’affaire affaire relative à
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), 21 mai 2013.
6 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ;
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), ordonnance du
16 juillet 2013. - 3 -

2) que le Costa Rica prenne immédiatement les mesures d’urgence suivantes :

a) réduire l’ampleur et la fréquence des effondrements et glissements de terrain dus à
l’affaissement du remblai dans les secteurs où la route rencontre les pentes les plus
escarpées, et en particulier dans les zones où se sont accumulés ou sont susceptibles de
s’accumuler dans le San Juan les débris de l’érosion ou de l’effondrement des sols.

b) éliminer ou réduire sensiblement les risques futurs d’érosion et de dépôt de sédiments à
tous les points de passage de cours d’eau le long de la route 1856.

c) réduire immédiatement l’érosion du revêtement routier et le dépôt de sédiments en
améliorant la dispersion du ruissellement des eaux provenant de la route, et en augmentant
le nombre et la fréquence des structures de drainage de voirie.

d) maîtriser l’érosion superficielle et les dépôts consécutifs de sédiments provenant de sols
nus dans les zones exposées aux activités de dégagement, d’arrachage et de construction
menées depuis plusieurs années.

3) qu’il soit ordonné au Costa Rica de ne reprendre aucune activité de construction de la route tant
que la Cour demeurera saisie de la présente instance.

Le Nicaragua se réserve le droit d’amender ou de modifier les mesures sollicitées en fonction
de l’évolution de la situation.

Veuillez agréer, etc.

___________

Document file FR
Document
Document Long Title

Demande en indication de mesures conservatoires du Nicaragua

Links