Observations écrites de la Thaïlande

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12724

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

DEMANDE EN INTERPRÉTATION DE L’ARRÊT DU 15JUIN 1962 EN L’AFFAIRE DU

TEMPLE DE PRÉAH VIHÉAR (CAMBODGE c.THAÏLANDE)

(CAMBODGE c. THAÏLANDE)

OBSERVATIONS ÉCRITES DU
ROYAUME DE THAÏLANDE

VOLUME I

21 novembre 2011

[Traduction du Greffe] T ABLE DES MATIÈRES

Pages

Chapitre I. Introduction...................................................................................................................... 1

A. Aspects procéduraux................................................................................................................ 1
B. L’arrêt de 1962 et la demande en interprétation présentée par le Cambodge ......................... 1

C. L’exécution de l’arrêt de 1962 par la Thaïlande....................................................................... 3

D. La remise en cause du statu quo par le Cambodge .................................................................. 5

E. Les incidents à la frontière........................................................................................................ 6
F. Plan des présentes observations écrites..................................................................................... 7

Chapitre II. Le différend faisant l’objet de l’instance initiale (1959-1962)....................................... 9

A. La portée du différend au stade des exceptions préliminaires.................................................. 9
1. Le contexte historique.......................................................................................................... 9

2. La question faisant l’objet de la requête présentée par le Cambodge en 1959 .................. 10

3. Le traitement de la question au stade des exceptions préliminaires................................... 11
B. La portée du différend dans les exposés écrits et oraux des Parties sur le fond ..................... 13

1. L’objet du différend initial était lim ité à la souveraineté sur le temple de
Phra Viharn....................................................................................................................... 13

a) L’existence de revendications de souveraineté concurrentes sur le temple................ 14
b) La portée territoriale du différend était circonscrite au terrain sur lequel se

trouve le temple.......................................................................................................... 18
2. L’objet du différend ne s’étendait pas à la détermination de la frontière .......................... 21

a) Le rôle de la carte de l’annexe I dans l’argumentation du Cambodge........................ 22

b) La ligne de la carte de l’annexe I invoquée aux fins d’é tablir l’emplacement du
temple ......................................................................................................................... 23

c) Les Parties ne s’intéressaient pas à la ligne de la carte de l’annexe I en tant que
frontière ...................................................................................................................... 26
3. Le petitum tel qu’il était défini dans les conclusions recevables des Parties ..................... 29

C. Conclusion.............................................................................................................................. 38

Chapitre III. Sens et portée de l’arrêt de 1962 ................................................................................. 39
A. Introduction............................................................................................................................ 39

B. La portée et la teneur du dispositif......................................................................................... 40

C. La portée étroite du différend tel que l’a défini la Cour......................................................... 42
1. Le lien avec l’arrêt de la Cour sur les exceptions préliminaires ........................................ 42

2. La portée limitée du différend, dans l’interprétation de la Cour........................................ 42

3. La portée et le contenu du dispositif circonscrits par le petitum........................................ 44
D. L’objet du différend tel que circonscrit par les termes employés par la Cour ....................... 46

1. Le sens du mot «temple» employé au premier point du dispositif..................................... 46 - ii -

2. Le sens de l’expression «dans le temple ou dans ses environs situés en territoire
cambodgien» [«at the Temple, or in its vicinity on Cambodian territory»] employée

au deuxième point du dispositif........................................................................................ 47
3. Le sens de l’expression «zone du temple» [«Temple area»] au troisième point du
dispositif de l’arrêt de la Cour .......................................................................................... 49

4. Le sens du terme «région»................................................................................................. 52

E. La place, dans le raisonnement de la Cour, de la ligne de la carte de l’annexe I ................... 53
F. Conclusion.............................................................................................................................. 56

Chapitre IV. Incompétence de la Cour et irrecevabilité de la demande en interprétation................ 57

A. Absence de contestation sur le sens et la portée de l’arrêt ..................................................... 59

1. Absence de contestation sur le sens ou la portée du dispositif de l’arrêt de 1962............. 60
a) Absence de contestation sur le premier point du dispositif........................................ 61

b) Absence de contestation sur le deuxième point du dispositif ..................................... 62

2. Absence de contestation quant à l’exécution par la Thaïlande de l’arrêt de 1962............. 63
a) Les documents de 1962 .............................................................................................. 65

b) Pèlerinage du prince Sihanouk au temple le 5 janvier1963 et expression
subséquente par le Cambodge de sa satisfaction quant à l’exécution de l’arrêt ......... 69

c) Après 1963 : nouveaux affrontements a rmés et poursuite des négociations en
vue du rétablissement des relations diplomatiques..................................................... 73

d) Après 1990.................................................................................................................. 76
e) En tout état de cause, les différends portant sur l’exécution n’entrent pas dans
le champ de l’article 60............................................................................................... 78

B. Non-respect, par le Cambodge, du principe de la chose jugée............................................... 79

1. La demande du Cambodge n’a pas pour objet les points tranchés avec force
obligatoire par la Cour...................................................................................................... 81

2. La requête du Cambodge a pour objet de réintroduire une demande de délimitation
déclarée irrecevable en 1962............................................................................................. 86
a) La Cour a déclaré irrecevable la demande du Cambodge concernant la

délimitation................................................................................................................. 86
b) La demande du Cambodge révèle un différend concernant la délimitation de la
frontière ...................................................................................................................... 88

Conclusion .................................................................................................................................. 91

Chapitre V. Interprétation erronée, par le Cambodge, du sens et de la portée de l’arrêt de
1962............................................................................................................................................. 92

A. Le but apparent de la demande en interprétation du Cambodge............................................ 92
B. Sans égard pour l’arrêt de 1962, le Cambodge affirme à tort que la Cour a dit que la
frontière devait être tracée suivant la ligne de la carte de l’annexe I..................................... 93

1. En prétendant que c’est sur la base de la ligne de la carte de l’annexe I que doit être
tracée la frontière, le Cambodge fait litière du refus expressément formulé par la
Cour en 1962 de se prononcer en ce sens ......................................................................... 93

2. Dans sa requête, le Cambodge exige de la Cour qu’elle reconnaisse aujourd’hui
force de chose jugée à d’autres questions en rapport avec la carte de l’annexe I
qu’elle n’a absolument pas abordées dans son arrêt de 1962 ........................................... 94 - iii -

a) L’allégation du Cambodge selon laquelle, dans son arrêt de 1962, la Cour
aurait décidé que la frontière ne suivrait pas la ligne de partage des eaux ................. 95

b) La requête du Cambodge passe outre au fait que la Cour, dans son arrêt
de 1962, ne s’est pas prononcée sur le désaccord entre les Parties quant à la
possibilité pratique de transposer sur le terrain la ligne représentée sur la carte

de l’annexe I ............................................................................................................... 99
3. Le Cambodge a tort d’affirmer que la question de la souveraineté sur le temple
imposait de déterminer l’emplacement exact de la frontière.......................................... 101

a) En prétendant aujourd’hui que la procédure initiale portait sur l’établissement
d’une frontière, le Cambodge méconnaît l’objet véritable du différend tranché
par la Cour en 1962 .................................................................................................. 101

b) La thèse du Cambodge selon laquelle la détermination de l’emplacement précis
de la frontière aurait été essentielle à l’arrêt de 1962 n’est pas convaincante .......... 103

4. Le Cambodge fait abstraction de la pratique ultérieure des Parties, qui révèle que la
Cour n’avait pas déterminé l’emplacement exact de la frontière.................................... 107

a) Le mémorandum d’accord du 14 juin 2000................................................................ 107
b) Les Etats tiers considéraient clairement que la question frontalière n’avait pas

été réglée par l’arrêt de 1962.................................................................................... 108
5. Le Cambodge tente aujourd’hui d’attribuer à la carte de l’annexe I une finalité que
la Cour s’est expressément refusée à lui prêter en 1962................................................. 109

C. Le Cambodge mélange l’obligation générale et continue de respect mutuel de
l’intégrité territoriale incombant aux Etats et la décision spécifique rendue par la Cour
en 1962................................................................................................................................. 110

D. L’allégation du Cambodge selon laquelle la Thaïlande n’aurait pas opéré le retrait
prescrit par l’arrêt de 1962 est dépourvue de tout fondement.............................................. 112

1. Le Cambodge n’a pas défini la zone supplémentaire dont il soutient maintenant que
la Thaïlande ne se serait pas retirée................................................................................ 113

2. Le Cambodge a reconnu, à plusieurs reprises, que la Thaïlande avait opéré le retrait
prescrit par l’arrêt de 1962.............................................................................................. 115
a) Les déclarations du Cambodge devant l’Assemblée générale de l’Organisation

des Nations Unies qui confirment explicitement le respect, par la Thaïlande, de
l’arrêt de 1962........................................................................................................... 116
b) La visite de l’autre prince ........................................................................................... 116

c) Les allégations du Cambodge en 1966....................................................................... 117

d) Le long silence observé par le Cambodge dans la période qui suivit......................... 118
e) Pratique récente du Cambodge................................................................................... 119

E. Conclusion............................................................................................................................ 119

Chapitre VI. Les problèmes que pose la transposition sur le terrain de la ligne représentée
sur la carte de l’annexe I........................................................................................................... 121

A. Introduction.......................................................................................................................... 121
B. Les erreurs et insuffisances de la carte de l’annexe I ........................................................... 122

1. La déviation de la ligne frontière par rapport à la ligne de partage des eaux................... 122

2. L’écart entre les lignes à l’extrémité occidentale de la carte de l’annexe I ..................... 123 - iv -

3. Erreurs de localisation...................................................................................................... 124

4. Erreurs topographiques.................................................................................................... 125

5. Problèmes d’échelle......................................................................................................... 125
6. Conclusions concernant les erreurs et insuffisances de la ligne représentée sur la
carte de l’annexe I........................................................................................................... 125

C. L’erreur de repérage et la version revisée de la carte........................................................... 126

D. Transposition de la ligne de la carte de l’annexe I sur le terrain.......................................... 128

E. Conclusion............................................................................................................................ 130
Chapitre VII. Observations finales................................................................................................. 132

Conclusions............................................................................................................................... 134 C HAPITRE I

INTRODUCTION

A. A SPECTS PROCÉDURAUX

1.1. Le 28 avril 2011, le Royaume du Cambodge introduisait par requête auprès de la Cour,

conformément à l’article 60 du Statut de celle -ci et à l ’article 98 du Règlement, une demande en
interprétation de l ’arrêt du 15 juin 1962 en l ’affaire du Temple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (ou temple de «Phra Viharn» en thaï) (la «demande») ainsi qu ’une
2
demande en indication de mesures conservatoires . La Cour en informait le jour même le
Royaume de Thaïlande en lui communiquant les originaux des pièces déposées par le Cambodge.

1.2. Le 18 juillet 2011, la Cour rendait son o3donnance sur la demande en indication de
mesures conservatoires présentée par le Cambodge .

1.3. Le 20 juillet 2011, le greffier informait la Thaïlande que la Cour, conformément au
paragraphe 3 de l’article 98 de son Règlement, avait fixé au 21 novembre 2011 la date d’expiration
du délai pour le dépôt d’observations écrites par la Thaïlande.

1.4. Les présentes observations écrites ont été déposées conformément à cette décision de la
Cour.

B. L’ARRÊT DE 1962 ET LA DEMANDE EN INTERPRÉTATION
PRÉSENTÉE PAR LE C AMBODGE

4
1.5. Dans le dispositif de son arrêt du 15 juin 1962 , la Cour a dit

«que le temple de Préah Vihéar [était] situé en territoire relevant de la souveraineté du
Cambodge [premier point] … [et,] en conséquence,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

que la Thaïlande [était] tenue de retirer tous les éléments de forces armées ou de
police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a[vait] installés dans le temple ou dans ses
environs situés en territoire cambodgien ; [deuxième point]

[et] que la Thaïlande [était] tenue de restituer au Cambodge tous objets des catégories
spécifiées dans la cinquième conclusion du Cambodge qui, depuis la date de

1Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962, C.I.J. Recueil 1962,
p. 6.

2Demande en interprétation de l’arrêt du juin 1962 en l’affaire du Tempde Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011 ; et ibid., mesures conservatoires,
28 avril 2011.
3
Demande en interprétation de l’arrêt du juin 1962 en l’affaire du Temple de PrVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, par. 69.
4Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962, C.I.J. Recueil 1962,

p. 36-37. - 2 -

l’occupation du temple par la Thaïlande en 1954, [avaient] pu être enlevés du temple
ou de la zone du temple par les autorités thaïlandaises [troisième point].»

1.6. Si, dans sa demande, le Cambodge ne soumet expressément aucune question à
l’interprétation de la Cour, le but qu’il poursuit transparaît au paragraphe 45 reproduit ci-dessous :

«Etant donné «que le temple de Préah Vihéar est situé en territoire relevant de

la souveraineté du Cambodge» (premier point du dispositif), ce qui est la conséquence
juridique du fait que le temple est situé du côté cambodgien de la frontière telle qu’elle
fut reconnue par la Cour dans son arrêt, et sur la base des faits et arguments juridiques
développés ci-dessus, le Cambodge prie respectueusement la Cour de dire et juger
que :

l’obligation pour la Thaïlande de «retirer tous les éléments de forces armées ou de
police ou autres gardes ou gardiens qu’ elle a installés dans le temple ou dans ses
environs situés en territoire cambodgien» (deuxième point du dispositif) est une

conséquence particulière de l ’obligation générale et continue de respecter l ’intégrité
du territoire du Cambodge, territoire délimité dans la région du temple et ses environs
par la ligne de la carte de l’annexe I sur laquelle l’arrêt de la Cour est basé.» 5

1.7. Cette de mande en interprétation repose ainsi sur une mise en relation quelque peu
tortueuse des premier et deuxième points du dispositif de l ’arrêt de 1962. Le Cambodge présente
en effet le premier de ces points, non contesté, selon lequel le temple est « situé en territoire
relevant de [sa] souveraineté», comme une conséquence du fait que le temple se trouverait du côté
cambodgien d’une «frontière reconnue par la Cour dans son arrêt» . 6

1.8. Cette conclusion hâtive que tire le Cambodge, ou plutôt, ce postulat dont il part, est au
cŒur de sa demande expresse tendant à ce que la Cour déclare que le deuxième point du dispositif

de l’arrêt de 1962, prescrivant à la Thaïlande de «retirer tous les éléments de forces armées ou de
police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a installés dans le temple ou dans ses environs situés en
territoire cambodgien», est une conséquence de «l ’obligation générale et continue de respecter
l’intégrité du territoire du Cambodge», territoire qui, selon celui -ci, serait délimité «dans la régi on
du temple et ses environs par la ligne de la carte de l’annexe I» . 7

1.9. En apparence, donc, le Cambodge prie la Cour de reconnaître que la Thaïlande est
aujourd’hui tenue, en vertu du deuxième point du dispositif, de se retirer de toute zone située du
côté cambodgien de la ligne de l’annexe I. En réalité, ce qu’il cherche à obtenir, c’est que la Cour

déclare que la ligne de la carte de l’annexe I marque la frontière entre les deux pays.

1.10. En somme, en invoquant le deuxième point du dispositif com me s’il était litigieux, le
Cambodge cherche en réalité à obtenir de la Cour qu ’elle en interprète le premier point, qui lui

n’est pas contesté. Sous le couvert de l ’interprétation d ’un arrêt qui ne fait l ’objet d ’aucune

5
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 45.
6 Ibid.
7
Aux fins des présentes observations écrites, la carte de l’annexI désigne la carte annexée à la requête
introductive d’instance déposée auprès de la Cour par le Cambodge le 15 septembre 1959 (Mémoires, Temple de Préah
Vihéar, plaidoiries, vol. I, p. 17). Les termes «ligne de l’annexe I» ou «ligne de la carte de l’annexe I» désignent la ligne
représentée sur cette carte. Le chapitre VI de ces observations écrites t raite des implications de l’existence d’autres
versions de la carte de l’annexeI. - 3 -

contestation, son objectif est don c bien de faire dire à la Cour que la ligne de l ’annexe I est une
frontière  ce que la Cour s’est expressément refusée à faire en 1962.

1.11. Le désir du Cambodge de voir cette ligne reconnue comme une frontière contraignante
entre les deux Parties est t el qu’il le conduit à évoquer la carte de l ’annexe I de manière erronée
dans les annexes cartographiques jointes à sa demande en interprétation . Il affirme ainsi qu’elle a

été jointe à l’arrêt de la Cour, alors qu’ elle était en fait annexée à ses propres pièces de procédure
versées au dossier. Il décrit l’agrandissement de la carte de l’annexe I comme «adopté par la Cour»
quand l’arrêt de la Cour ne comporte en réalité aucune carte. Cette présentation inexacte l ’amène
au paragraphe 5.2 de sa requête introductive d’instance à employer l’expression impropre de «carte
9
de la Cour» pour désigner l ’agrandissement de la carte de l ’annexe I . Il va même jusqu’ à
qualifier, dans ses annexes cartographiques, la ligne figurant sur cette carte de «frontière reconnue
par la CIJ en 1962» alors que la Cour n’a jamais reconnu la moindre frontière. Tout cela n ’est que
tentatives désespérées de sa part de présenter la carte de l ’annexe I comme un élément revêtu de

l’autorité de la chose jugée , ce que de toute évidence ell e n’est pas, comme il sera démontré dans
les présentes observations écrites.

1.12. La Thaïlande établira, dans ces observations, que la Cour n ’est pas compétente pour

fournir l’interprétation demandée par le Cambodge. Dans la mesure où il n ’existe de contestation
entre les Parties sur l’interprétation ni du deuxième ni du premier point du dispositif, une demande
en interprétation sur le fondement de l ’article 60 du Statut est irrecevable. Il apparaîtra également
que la Cour n’ a, dans son arrêt de 1962, aucunement rendu le type de conclusion que lui prête

aujourd’hui le Cambodge, refusant même expressément de le faire. Pour ces raisons, la demande
du Cambodge, tendant à obtenir la détermination d’une frontière sous le couvert d’une demande en
interprétation de l’arrêt de1962, doit être rejetée.

C. L’EXÉCUTION DE L ’ARRÊT DE 1962 PAR LA T HAÏLANDE

1.13. L’arrêt de 1962 provoqua de vives réactions politiques en Thaïlande. Pourtant le

3 juillet 1962, la Thaïlande annonçait, malgré d’ évidentes difficultés que, en tant que membre de
l’Organisation des Nations Unies, et bien qu’ elle contestât la décision de la Cour, elle honorerait
les obligations mises à sa charge par la Charte . Cette déclaration fut communiquée dans une note
du 6 juillet 1962 adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, puis transmise

à l’ensemble des Etats membres, dont le Cambodge ; elle se lisait comme suit :

«en tant que membre de l ’Organisation des Nations Unies, le Royaume de Thaïlande
honorera les obligations qui lui incombent en vertu de ladite décision, conformément à
ses engagements au titre de l ’article 94 de la Charte. Il est précisé qu ’en décidant de

se soumettre à la décision de la Cour internationale de Justice en l ’affaire relative au
temple de Phra Viharn, le Gouvernement de Sa Majesté entend se réserver
expressément tous droits qu’il pourrait ou pourra faire valoir pour recouvrer le temple

8
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de PVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instanc e, 28 avril 2011, annexes cartographiques.
9Ibid., requête introductive d’instance,par. 5.2.
10
Cabinet du premier ministre thaïlandais, communiqué du gouvernement dujuillet 1962 (annexe 11)o Voir
également ministère des affaires étrangères du Royaume de Thaïlande, Foreign Affairs Bulletin, vol. I, n 6,
juin-juillet 1962, p. 128-130 (annexe 36). - 4 -

de Phra Viharn en usant de tous recours juridiques existants ou qui viendraient à être
11
applicables.»

1.14. Le 15 juillet 1962, les troupes thaïlandaises se retiraient du temple, conformément au

deuxième point du dispositif de l ’arrêt par lequel la Cour ordonnait à la Thaïlande de « retirer tous
les éléments de forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens q u’elle a[vait] installés
dans le temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien». Le conseil des ministres

thaïlandais avait défini, à partir de l’arrêt de la Cour, la zone que les troupes thaïlandaises devaient
évacuer, une clôture barbelée devant être mise en place pour marquer le secteur dont elles avaient
été (et seraient à l ’avenir) exclues. La zone délimitée par les barbelés était signalée par des

panneaux indiquant «I12 COMMENCENT LES ENVIRONS DU TEMPLE DE
PHRA VIHARN» ; un autre panneau, orienté face au temple de manière à être clairement visible
des Cambodgiens présents sur le site, annonçait : «LES ENVIRONS DU TEMPLE DE
13
PHRA VIHARN NE S’ETENDENT PAS AU-DELÀ DE CETTE LIMITE» .

1.15. Le Cambodge était parfaitement au fait de ces mesu res de la Thaïlande. Il objecta à la

mention par laquelle celle-ci, dans sa note du 6 juillet 1962 aux Nations Unies, se réservait le droit
de reprendre ultérieurement possession du temple, estimant qu ’une telle réserve constituait, en soi,
un manquement aux obligations imposées par l’arrêt de 1962. En 1963, le Prince Sihanouk déclara

que la clôture barbelée empiétait sur le territoire cambodgien, mais qu14cet empiètement, de
quelques mètres à peine, ne méritait pas qu’il y fût donné suite .

1.16. Entre 1962 et 1966, un certain nombre d’ incidents survinrent le long de la frontière
entre le Cambodge et la Thaïlande, notamment dans la zone de Phra Viharn, reflétant une
dégradation générale des relations entre les deux camps. Bien que le Cambodge se soit pl aint

auprès de l’Organisation des Nations Unies de ce que les actions de la Thaïlande constituaient une
méconnaissance de sa souveraineté sur le temple et par conséquent, un défaut d’exécution de l’arrêt
de la Cour, il n’ a jamais saisi le Conseil de sécuri té, comme l ’y autorise le paragraphe 2 de
l’article 94 de la Charte des Nations Unies, ni invoqué un manquement de la Thaïlande à
15
l’obligation de retrait que lui impose le deuxième point du dispositif de l’arrêt de 1962 .

1.17. Durant les 40 années qui su ivirent, de 1967 à 2007-2008, bien qu’il fût clair pour les
deux Parties que subsistaient entre elles des problèmes de frontière, la question de l ’arrêt de 1962
ne fut jamais soulevée. Ce n ’est qu’avec l’introduction, par le Cambodge, d’ une demande en
interprétation que cette question s ’est trouvée posée. Le Cambodge l ’a d ’ailleurs lui- même

reconnu dans sa requête en interprétation et dans les plaidoiries relatives à sa demande en
indication de mesures conservatoires . 16

11 o
Note n (0601)22239/2505 du 6 juillet 1962 adressée au Secrétaire général de l’Organisation des NationsUnies
par le ministre des affaires étrangères du Roy aume de Thaïlande (anneoe 14). Voir également ministère des affaires
étrangères du Royaume de Thaïlande, Foreign Affairs Bulletin, vol. I, n6, juin-juillet 1962, p. 128-130 (annexe 36)
[Traduction du Greffe].
12
Cliché du panneau placé sur les lieux en exécution de l’arrêt de 1962 (annexe 40A). Voir également par. 4.35
ci-dessous.
13Cliché du panneau placé sur les lieux en exécution de l’arrêt de 1962 (annexe40B).

14Voir par. 4.45 et 5.68 ci-dessous.
15
Voir par. 4.43-4.55 et 5.67-5.73 ci-dessous.
16Voir par. 4.56-4.58 ci-dessous. - 5 -

1.18. La Thaïlande montrera ici qu’il n’existe actuellement entre elle et le Cambodge aucune
divergence concernant l’exécution de l’arrêt de 1962 et que, même s ’il en existait un e, la Cour ne
serait pas compétente pour en connaître. La compétence de la Cour se limite à l ’interprétation

 elle exclut la résolution des différends portant sur des questions d’exécution. En prétendant agir
sur le fondement d’un défaut d’exécution de l’arrêt de 1962, le Cambodge fabrique de toutes pièces
une contestation sur l ’«interprétation» du deuxième point du dispositif, afin d ’obtenir de la Cour
qu’elle tranche le différend qui oppose aujourd’hui les Parties sur leur frontière.

D. L A REMISE EN CAUSE DU STATU QUO PAR LE C AMBODGE

1.19. Le 14 juin 2000, les Gouvernements du Royaume de Thaïlande et du Royaume du
Cambodge signèrent un mémorandum d’ accord 17 instituant une procédure conjointe de levé et de
démarcation de la frontière terrestre entre les deux pays, y compris dans le secteur des Dangrek.

Les Parties étaient donc bien en désaccord au sujet de cette frontière, et le mémorandum devait
permettre de résoudre à l’amiable ce différend ainsi que d’autres différends frontaliers.

1.20. Avec ce mémorandum, les Parties tentaient de tourner définitivement la page. Les

questions frontalières en suspens, y compris quant à Phra Viharn, devaient faire l ’objet de
négociations au sein de la commission conjointe thaïlando -cambodgienne sur la démarcation de la
frontière terrestre (la «commission conjointe sur la frontière» ou «JBC» , suivant le sigle anglais).
Les docu ments sur lesquels devait s ’appuyer la commission étaient mentionnés dans le

mémorandum : il s’agissait des traités de 1904 et de 1907, ainsi que des cartes résultant des travaux
des commi18ions de délimitation et d ’autres documents en rapport avec les traités de 1904 et
de 1907 . Il n’était pas fait référence à l ’arrêt de 1962, preuve s’il en est que celui -ci n’était pas
pertinent aux fins de la détermination de la frontière autour de Phra Viharn et encore moins dans
toute la zone traversée par la ligne de l’annexe I.

1.21. Les relations amicales qui existaient alors entre les Parties promettaient d ’être plus
fructueuses encore. En 2004, un comité ministériel établi par un conseil de ministres conjoint entre
la Thaïlande et le Cambodge se réunit à Bangko k pour discuter de la possibilité pour les deux pays

de soumettre ensemble une proposition d’ inscription du temple sur la liste du patrimoine mondial
de l’Unesco. Or, cette même année, le Cambodge, sans en informer la Thaïlande, soumettait
unilatéralement à l’Unesco une proposition en ce sens, définissant la zone concernée de manière à
ce qu’elle inclue un pan important du territoire thaïlandais. La Thaïlande émit naturellement des
objections et, si, en dernière instance, elle ne s ’est pas opposée à l’inscription du temple sur la liste

du patrimoine, elle n’a jamais admis que le Cambodge puisse inclure dans son «plan de gestion» du
temple des parties de son territoire. Aussi le Cambodge n ’a-t-il pas été à même d ’établir un tel
«plan de gestion» .19

1.22. Tel est le contexte qui semble être à l ’origine de la décision du Cambodge de présenter
une demande en interprétation. Au lieu de la considérer comme un secteur dans lequel la frontière
doit être déterminée, comme il le faisait dans le mémorandum d ’accord, le Cambodge entend
maintenant traiter la zone en cause comme ayant déjà fait l ’objet d’une délimitation dans le cadre
de l’arrêt rendu par la Cour en 1962. Ce faisant, il abandonne la position qui était la sienne

17
Mémorandum d’accord entre le Gouvernement du Royaume de Thaïlande et le Gouvernement du Royaume
du Cambodge sur le levé et la démarcation de la frontière terrestre, 14juin 2000 (annexe 91).
18Ibid., article premier.

19Voir par. 4.114 ci-dessous. Voir également Département des traités et des affaires juridiques, Historique des
négociations en vue de l’inscription du temple sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, novemb2011
(annexe 100). - 6 -

depuis 1962  à savoir que la Thaïlande a exécuté l’arrêt de 1962 , pour soutenir à présent que
la Thaïlande ne respecte pas les obligations que lui impose le deuxième point du dispositif,
cherchant ainsi à créer, de façon artificielle, une contestation sur le sens de ce point.

1.23. Tout cela n’ est qu’un subterfuge, car le Cambodge veut en fait amener la Cour à
déclarer que la ligne de l ’annexe I est une frontière. Or il s ’agit là d’un différend contemporain et
non d’une question d’interprétation de l’arrêt de 1962. Force lui est donc de prét endre qu’il existe

aujourd’hui un désaccord sur le deuxième point du dispositif de celui-ci.

1.24. Ainsi, contrairement à ce qu ’il soutient, c ’est le Cambodge qui a bouleversé le
statu quo dans la zone en renonçant à Œuvrer en collaboration avec la Thaïlande en vue de résoudre

les divergences existant en matière de frontière, pour tenter de faire reconnaître sa souveraineté sur
la zone ; il l’a fait en saisissant la Cour d’une demande en interprétation. Or, comme le démontrera
la Thaïlande dans les présentes observations écrites, le Cambodge ne saurait, sous le couvert d ’une
demande en interprétation du deuxième point du dispositif de l’arrêt, étendre aux motifs de cet arrêt

l’autorité de la chose jugée dont est revêtu le premier point de son dispositif en vue d’obtenir de la
Cour qu’elle statue aujourd ’hui sur une question que, précisément, elle s ’était refusée à trancher
en 1962.

E. L ES INCIDENTS À LA FRONTIÈRE

1.25. En dehors de ce que le Cambodge appelle dans sa requête les «accrochages» 20 qui se
sont produits en juillet et août 1962, à l’époque où la Thaïlande retirait ses troupes du temple et de

ses environs en application de l ’arrêt de 1962, ainsi que de ceux de 1966, les principaux incidents
ayant eu lieu dans la zone frontalière aux environs du temp le datent de 2007 et des années
suivantes. Ceux qui s ’étaient déroulés entre 1975 et le début des années 1990 le long de la
frontière, y compris à proximité du temple, étaient des incidents limités au sol cambodgien
découlant de luttes entre factions rivales dans le pays ou d ’interventions étrangères ; ils n’étaient

pas liés à la souveraineté sur le temple.

1.26. Plus récemment, le Cambodge a entrepris d ’intensifier sa présence dans la zone située
au-delà du temple, de son côté de la ligne de l ’annexe I, encourageant sa population civile à s’ y

installer. Par une note en date du 25 novembre 2004, la Thaïlande a 21otesté auprès du Cambodge
contre cette évolution intervenant «à une vitesse alarmante» et entraînant une pollution nocive
pour les villages thaï landais alentours. Dans sa note, elle a également fait part de ses
préoccupations au sujet de la construction de bureaux pour les autorités locales et fait valoir que le

Cambodge était tenu, en vertu de l’article V du mémorandum, de ne pas «effectuer … de travaux se
traduisant par des changements de l’environnement de la zone frontalière».

20Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de PréaVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 12.
21 o
Note n 0803/1015 du 25 novembre 2004 adressée au conseiller du Gouvernement royal du Cambodge chargé
des frontières de l’Etat et co -président de la commission conjointe thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la
frontière terrestre par le conseiller du ministre des affaires étrangères-président de la commission conjointe
thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre (annexe93). - 7 -

1.27. La Thaïlande a de nouveau fait part22e ses préoccupations au Cambodge dans une note
qu’elle lui a communiquée le 8 mars 2005 , évoquant en outre les travaux de construction et
d’amélioration entrepris par le Cambodge sur une route qui relie le village de Komui (province de
Phra Viharn) au temple en passant par des localités relevant de la souveraineté thaïlandaise. Une
fois encore, elle y invoquait l’articleV du mémorandum.

1.28. Entre novembre 2007 et avril 2008, la commission conjointe sur la frontière a discuté
d’arrangements temporaires qui pourraient être mis en Œuvre aux alentours de Phra Viharn, tels un
redéploiement des troupes et des opérations de démina ge conjointes dans les zones fortement

minées, et a abordé la question de la communauté cambodgienne installée dans la zone.

1.29. Malgré ces tentatives pour résoudre à l ’amiable les divergences entre les Parties, des
incidents armés ont éclaté dans la région du temple en octobre 2008, février 2009 et février 2011.
Ils résultaient tous du renforcement de la présence militaire et civile du Cambodge dans la zone, la

Thaïlande réagissant en état de légitime défense à des attaques armées menées par les forces
cambodgiennes jusque sur des pans de territoire relevant incontestablement de sa souveraineté.

1.30. Toutefois, les forces thaïlandaises n’ ont jamais, lors de ces incidents, commis

d’incursion dans la zone du temple  correspondant, aux termes du deuxièm e point du dispositif,
«au temple ou [à] ses environs situés en territoire cambodgien». Depuis leur retrait des «ruines du
temple» en 1962, les troupes thaïlandaises n ’ont jamais pénétré dans cette zone, respectant la
conclusion rendue par la Cour en 1962 selon laquelle le temple était situé en territoire relevant de la
souveraineté du Cambodge. Les incidents frontaliers de ces dernières années tiennent au fait que le

Cambodge cherche à affirmer son autorité sur une zone bien plus vaste que celle dont il s ’était
jusque-là contenté. Ils ne constituent nullement une preuve que la Thaïlande ne se serait pas
conformée à l’arrêt de 1962.

F. P LAN DES PRÉSENTES OBSERVATIONS ÉCRITES

1.31. Au chapitre II ci-dessous, la Thaïlande exposera la demande formulée par le Cambodge
dans le cadre de l’instance initiale ainsi que la manière dont la Cour avait défini à l ’époque l’objet
du différend au stade des exceptions préliminaires. Elle examinera ensuite comment les Parties
l’ont traité dans leurs écritures et plaidoiri es. La Thaïlande démontrera que la question soumise à

la Cour était uniquement celle de la souveraineté sur le temple. La carte de l ’annexe I avait été
invoquée dans le but d’ établir cette souveraineté, et non dans celui d’ obtenir une décision sur la
frontièreen tant que telle.

1.32. Au chapitre III, la Thaïlande établira que la Cour a défini le «seul différend» qui lui
était soumis comme relatif à la souveraineté sur le temple. Les termes employés dans chacun des
trois points du dispositif de son arrêt circonscrivaient la question dont elle était saisie aux environs
immédiats du temple. La Cour rejeta la tentative du Cambodge de modifier l ’objet du différend
pour l’amener à se prononcer sur le statut de la carte de l ’annexe I et sur la frontière entre les

Parties.

22Note n 0803/192 du 8 mars 2005 adressée au conseiller du Gouvernement royal du Cambodge chargé des
frontières de l’Etat et co-président de la commission conjointe thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la frontière
terrestre par le conseiller du ministre des affaires étrangères et co-président de la commission conjointe
thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre (annexe94). - 8 -

1.33. Au chapitre IV, la Thaïlande démontrera que, en l ’absence d’une contestation sur le
sens et la portée de l ’arrêt de 1962, la Cour n’ est pas compétente pour connaître de la présente

demande en interprétation. Le véritable objectif que poursuit le Cambodge, sous le couvert d’ une
requête en interprétation introduite en vertu de l ’article 60 du Statut de la Cour, est d’ obtenir une
décision sur la frontière entre les Parties ; or une telle demande, relative à une question qui n ’était
pas sub judice en 1962, n’est pas recevable.

1.34. Au chapitre V, la Thaïlande montrera à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour se
déclarerait compétente, que, dans sa requête, le Cambodge donne une interprétation erronée de

l’arrêt de 1962. La Cour n ’a en effet pas déterminé de frontière entre les Parties, pas plus qu ’elle
n’a conféré de statut à la ligne de l ’annexe I. Pour trancher la question de la souveraineté sur le
temple, la Cour n ’a pas eu besoin de déterminer l ’emplacement de la frontière entre l es Parties,
dont la pratique ultérieure atteste du reste que, en effet, elle n’a rien fait de tel. Le Cambodge opère
en outre un amalgame entre l’obligation générale qu’ont les Etats de respecter l’intégrité territoriale
des autres Etats et la décision sp écifique rendue par la Cour dans le cadre de son arrêt de 1962. Il
n’a d’ailleurs trouvé dans celui-ci aucun élément sur lequel appuyer son allégation selon laquelle la

Thaïlande aurait l’obligation de se replier au -delà de la zone dont elle s ’était retirée, en 1962, en
application de la décision de la Cour.

1.35. Au chapitre VI, la Thaïlande démontrera également que la Cour ne saurait avoir conclu
que la carte de l’annexe I représentait la frontière car il est impossible de transposer sur le terrain la
ligne qui y est figurée. Cette carte contient de très nombreuses ambiguïtés et erreurs qui seraient
sources de problèmes inextricables dans le cadre d ’une démarcation de la frontière. De surcroît, la

version de la carte de l’annexe I qui a été versée au d ossier de l’instance jugée en 1962 n’était pas
celle que la Thaïlande avait reçue en 1908, les différences notables entre ces deux versions venant
encore confirmer l’impossibilité de transposer purement et simplement la ligne de l’annexe I en une
frontière sur le terrain.

1.36. Les conclusions de la Thaïlande feront l’objet du chapitre VII. - 9 -

CHAPITRE II

L E DIFFÉREND FAISANT L ’OBJET DE L ’INSTANCE INITIALE (1959-1962)

2.1. Le litige opposant le Cambodge à la Thaïlande au sujet du temple fut, dès le départ , très

précisément circonscrit : il portait sur le retrait des troupes thaïlandaises des ruines du temple et sur
la revendication de souveraineté de chacune des Parties sur celui -ci. Cet objet, qui ressortait
clairement des échanges initiaux entre la Fran ce et la Thaïlande en 1949, fut ensuite repris dans la

requête déposée auprès de la Cour par le Cambodge en 1959. La portée du différend était ainsi
fixée, tant pour la phase relative à la compétence que pour celle relative au fond.

2.2. A la section A, qui traitera de la portée attribuée au différend par les Parties et par la
Cour au stade des exceptions préliminaires, nous montrerons que celui -ci concernait bien la
souveraineté sur le temple. A la section B, nous montrerons que, dans leurs écritures e t plaidoiries
consacrées au fond, les Parties limitèrent également l ’objet du différend à cette question, toute

détermination de la frontière en demeurant exclue.

A. L A PORTÉE DU DIFFÉREND AU STADE DES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES

1. Le contexte historique

2.3. Le 9 février 1949, l’ambassade de France à Bangkok informait le ministère thaïlandais

des affaires étrangères qu’«un g23dien et trois hommes tous siamois [avaient] été affectés à la garde
des ruines de Préah Vihéar» , lesquelles se trouvaient, affirmait -elle, en territoire cambodgien.
Le 21 mars 1949, l ’ambassade de France à Bangkok demandait aux autorités thaïlandaises de
mettre un terme à la présence de gardes siamois sur le site des ruines du temple, exigeant
24
officiellement leur retrait le 9 mai 1949 . Dans chacune de ces communications, les autorités
françaises réaffirmaient que le temple se trouvait en territoire cambodgien et invoquaient des cartes
censées montrer que les ruines étaient situées du côté cambodgien de la frontière.

2.4. En 1954, le Cambodge, tout juste devenu indépendant, protestait à son tour contre la
présence de militaires thaïlandais affectés à la garde des «ruines de Préah Vihéar», revendiquant
«l’appartenance de ces ruines au Cambodge» et invoquant à l ’appui de cette affirmati on des

communications françaises antérieures. Dans sa note apparaissent les termes d ’«affaire des ruines
de Préah Vihéar» . Le 9 juin 1954, le Cambodge avisait la Thaïlande qu’ au vu de la présence de
militaires thaïlandais assurant la garde des ruines du temple, les efforts tendant à l ’occupation de

ces ruines par les troupes cambodgiennes avaient été suspendus. Les deux pays tentèrent en vain de 26
résoudre le différend par la voie diplomatique à Bangkok en 1958, puis à Phnom Penh en 1959 .

23 C.I.J. Mémoires, Tem ple de Préah Vihéar, «Note de la légation de France à Bangkok en date du
9 février 1949», réplique du Gouvernement du Royaume du Cambodge , annexe XIV, vol.I, p. 103.

24Ibid., p. 104.
25
Ibid., «Lettre du 31 mars 1954 de la légation royale du Cambodge au mnistre des affaires étrangères de
Thaïlande», réplique du Gouvernement du Royaume du Cambodge, annexe XIX, vol. I, p. 110.
26 C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, requête introductive d’instancevol. I, p. 14, par. 30 ; voir
également ibid., «Négociations khméro-thaïes à Bangkok du 1août au 3 septembre 1958». Procès -verbaux officiels

(extraits)», réplique du Gouvernement du Royaume du Cambodge, annexe XLV, vol. I, p. 501 ; ibid., «Extract from
minutes of negotiations between Thailand and Cambodia in Bangkok, 1958», duplique du Gouvernement royal de
Thaïlande, annexe 51, vol. I, p. 607. - 10 -

2.5. Les communications de cette période s’articulent ainsi autour d’une même logique, de la
part de la France d ’abord, puis de celle du Cambodge, à savoir celle d’ un retrait des troupes
thaïlandaises des «ruines de Préah Vihéar», les deux pays prétendant que celles- ci relevaient de la

souveraineté cambodgienne et invoquant des cartes censées justifier cette affirmation. C ’est sur
cette base que le Cambodge saisit la Cour le 6 octobre 1959.

2. La question faisant l’objet de la requête présentée par le Cambodge en 1959

2.6. Dans sa requête introductive d’instance du 30 septembre 1959, le Cambodge se plaignait
de l’occupation par la Thaïlande d’«une parcelle du territoire cambodgien, sis dans la province de
Kompong Thom, où se trouvent les ruines d’un saint monastère, le temple de Préah Vihéar» . En 27

employant la formule «parcelle … où se trouvent les ruines» , le Cambodge localisait le problème
de façon très précise. Même la formulation plus vague  «portion of Cambodian territory» 
figurant dans la traduction anglaise de la requête renvoie de manière évidente à une partie très

restreinte du territoire présenté comme cambodgien. Il s’ agissait donc d ’une question de
souveraineté sur ce qui avait systématiquement été décrit comme les «ruines du temple».

2.7. Cette lecture est confirmée par la demande de réparation du Cambodge qui, sur le

modèle des communications de 1949 et 1954, priait la Cour de dire et juger

«1) que le Royaume de Thaïlande devr[ait] retirer les éléments de forces armées qu ’il
a[vait] installés depuis 1954 dans les ruines du temple de Préah Vihéar ;

2) que la souveraineté territoriale sur le temple de Préah Vihéar appart[enait] au
Royaume du Cambodge» . 28

2.8. Le différend soumis par le Cambodge était incontestablement très ciblé, portant sur le

retrait du personnel militaire thaïlandais des ruines du temple et la question de la souveraineté sur
le temple lui- même. Les termes mêmes de la requête excluaient qu ’il pût s ’agir d’un différend
frontalier. Les cartes produites par les autorités françaises en 1949 n’étaient invoquées que pour les
indications qu’elles pouvaient apporter quant à la souveraineté sur le temple, et le Cambodge

affirmait que,

«[d]epuis 1904 [et] jusqu ’en 1954, le Gouvernement thaïlandais n ’a[vait] formulé
aucune réclamation ni protestati on diplomatique en ce qui concerne la souveraineté
29
cambodgienne sur Préah Vihéar» .

2.9. Ainsi, dès le départ, rien ne pouvait donner à penser que le Cambodge priait la Cour de
trancher un différend plus large, de nature frontalière. La demande du Cambodge était claire et

précise : il s’agissait pour lui d’obtenir le retrait des troupes thaïlandaises des ruines du temple et de
se voir reconnaître la souveraineté sur ce dernier. Cette demande simple et sans équivoque fut
réitérée en des termes identiques dans le mémoire du Cambodge . 30

27Ibid., requête introductive d’instance,vol. I, p. 4, par. 1.
28
Ibid., vol. I, p. 15.
29Ibid., requête introductive d’instance,vol. I, p. 13, par. 25.
30
Ibid., mémoire du Gouvernement du Royaume du Cambodge, vol. I, p. 118-119. - 11 -

3. Le traitement de la question au stade des exceptions préliminaires

2.10. Dans leurs écritures consacrées aux exceptions préliminaires, les Parties n ’abordèrent
guère le fond du différend. De leurs arguments, il ressort toutefois qu ’elles considéraient toutes

deux que la question en jeu était celle de la souveraineté sur le temple. Des cartes furent produites
à l ’appui de leurs positions respectives. En introduction de ses exceptions préliminaires, la
Thaïlande indiqua que «[l]a ligne de démarcation … dans la région où le temple de Phra Viharn
[«Préah Vihéar» selon l’orthographe cambodgienne] était situé a[vait] été fixée par la convention
31
franco-siamoise du 13 février 1904» , ce qui avait «laiss[é] le temple de Phra Viharn en territoire
thaï» , et produisit une carte à l’appui de cette affirmation.

2.11. Dans ses observations sur les exceptions préliminaires de la Thaïlande, le Cambodge
répondit aux arguments de celle -ci en contestant la carte produite et en en invoquant une autre,
établie par le service géographique royal thaïlandais, qui, selon une note de 1949 de l’ambassade de
33
France à Bangkok, situait les «ruines de Préah Vihéar» en territoire cambodgien . La position des
Parties a donc toujours été parfaitement claire : l’affaire avait pour objet la souveraineté territoriale
sur le temple.

2.12. Lors des audiences sur les exceptions préliminaires, les Parties confirmèrent que tel
était bien l’objet du différend. Sir Frank Soskice, conseil de la Thaïlande, commenç a son exposé

par ces mots : «la Cour sait que la présente affaire concerne, entre la Thaïlande et le Cambodge, la
possession d’un temple très fameux et très ancien» . L’agent du Cambodge, M. Truong Cang, fit
quant à lui référence, dans sa déclaration limi naire, à un acte d ’occupation de la part de la

Thaïlande «sur une parcelle du territoire cambodgien, sise dans la province de Kom35ng- Thom, où
se trouvent les ruines d’un saint monastère, le temple de Préah Vihéar» . Rien de ce qui fut dit ne
dérogeait au point de vue adopté dans les pièces de procédure : l’affaire concernait la souveraineté

sur le temple.

2.13. L’arrêt qu’elle a rendu le 26 mai 1961 sur les exceptions préliminaires ne permet guère

de douter que la Cour considérait le litige comme portant sur la question de la souveraineté sur le
temple. L’arrêt commence en effet par ces mots :

«Le 6 octobre 1959, le ministre-conseiller à l’ambassade royale du Cambodge à
Paris a remis au greffier une requête du Gouvernement du Royaume du Cambodge en
date du 30 septembre 1959, introduisant devant la Cour une instance contre le
Gouvernement du Royaume de Thaïlande relative à la souveraineté territoriale sur le
36
temple de Préah Vihéar.»

2.14. La Cour poursuit ainsi :

31
Exceptions préliminaires du Gouvernement de Thaïlande, p. 2 de la traduction française, par.3.
32
Ibid.
33 C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, observations du Gouvernement royal du Cambodge, vol. I, p. 153,
par. 2.

34CR 61/02, 10 avril 1961 (M. Frank Soskice), p. 3 de la traduction française.
35
Ibid., vol. II, p. 41 (S. Exc. M. Truong Cang, 11 avril 1961).
36 Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), exceptions préliminair es, arrêt,
C.I.J. Recueil 1961, p. 19. - 12 -

«Le Cambodge invoque la violation par la Thaïlande de la souveraineté
territoriale du Cambodge sur la région du temple de Préah Vihéar et ses environs.
La Thaïlande répond en affirmant que ce territoire est situé du côté thaïlandais de la
frontière commune entre les deux pays et qu ’il relève de la souveraineté thaïlandaise.
Il s’agit là d’un différend portant sur la souveraineté territoriale.»7

2.15. Les termes «région» ou «environs», qui n’ avaient jamais été utilisés par les Parties
elles-mêmes pour définir le différend, ont été introduits par la Cour. L ’étendue de la «région du
temple de Préah Vihéar», si cette expression avait été employée seule, aurait pu être quelque peu
incertaine, mais une précision y était apportée : ce n’était plus simplement «la région du temple de
Préah Vihéar» mais «la région du temple de Préah Vihéar et ses environs» (les italiques sont de

nous).

2.16. Le terme «environs» est traduit de l’anglais «precincts», qui exprime l’idée d’enceinte,
renvoyant souvent aux alentours immédiats d’ un édifice religieux ou un l ieu de culte. Ainsi, cette
connotation de «périmètre immédiat» associée tant au terme anglais («precincts») qu ’à son pendant

français dans la traduction («environs») devait-elle renvoyer aux «ruines du temple» évoquées dans
la demande du Cambodge. La «ré gion» à laquelle la Cour faisait référence était une zone limitée
ne comprenant que le temple de Phra Viharn et son «périmètre immédiat»  ses «environs».

2.17. Rejetant les exceptions préliminaires de la Thaïlande, la Cour, dans son dispositif, se

déclara «compétente pour 38atuer sur le différend qui lui a[vait] été soumis le 6 octobre1959 par la
requête du Cambodge»  à savoir, comme elle le dit expressément dans le corps de l ’arrêt, le
différend concernant la souveraineté territoriale sur le temple et ses environs. Par conséquent, la
Cour avait, dès le stade des exceptions préliminaires, défini l ’objet du litige comme étant la

souveraineté sur le temple  et ce, avec force de chose jugée.

*

* *

2.18. Que ce soit le contexte de la requête déposée par le Cambodge auprès de la Cour
en 1959, la demande qui y est formulée, la manière dont les Parties s ’y sont référées dans leurs
écritures et leurs plaidoiries relatives aux exceptions préliminaires ou le traitement que lui a réservé

la Cour dans son arrêt sur les exceptions préliminaires  tout tend à indiquer que le différend
concernait exclusivement la question de la souveraineté sur le temple. Si le temple relevait de la
souveraineté du Cambodge, alors celui -ci pouvait légitimement exiger le ret rait des troupes
thaïlandaises. Or ce retrait des ruines du temple était précisément la question qu ’avait initialement

soulevée la France en 1949.

2.19. La référence aux «ruines du temple» circonscrivait également l ’étendue de la zone en
question. Le Ca mbodge lui -même avait défini sa demande comme relative à la parcelle de
territoire cambodgien sur laquelle se trouvaient ces ruines. Selon les termes mêmes de sa requête,

il n ’était pas question d ’une zone plus vaste, ni de l ’intégralité de la zone située du côté

37
Ibid., p. 22.
38Ibid., p. 35. - 13 -

cambodgien de ce qui serait plus tard appelé la ligne de la carte de l ’annexe I. Là encore, rien à ce
stade de la procédure n ’indiquait que le différend dont avait été saisie la Cour était de nature
frontalière, ni qu’il lui était demandé de déterminer la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge.

B. LA PORTÉE DU DIFFÉREND DANS LES EXPOSÉS ÉCRITS ET ORAUX
DES P ARTIES SUR LE FOND

2.20. Dans la précédente section, il a été établi, premièrement, que la portée territoriale du
différend soumis à la Cour en 1959 était limitée aux ruines du temple et, deuxièmement, et par voie
de conséquence, que, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour ne s’ était déclarée
compétente qu’à l’égard de ce différend relatif au temple. Dans la présente section, la Thaïlande
analysera les exposés écrits et oraux soumis par les Parties lors de la phase du fond, soit après le

prononcé de l’arrêt du 26 mai 1961 sur les exceptions préliminaires.

2.21. Le fait que la Cour ne puisse se prononcer sur des questions allant au-delà des
39
demandes des Parties qu ’elle a déclarées recevables (la règle non ultra petita ) est un principe
généralement reconnu. Aussi est -il nécessaire, pour comprendre la portée de la chose jugée
associée à l ’arrêt de 1962, d’examiner l’objet de la demande (le petitum ) dont la Cour avait été
saisie à l’époque, examen qui permettra également de juger de la recevabilité de la demande en
interprétation. Pour déterminer la portée de la chose jugée par l’arrêt de 1962, que le Cambodge

cherche à rem ettre en question, un examen rigoureux de l ’objet et des limites du petitum du
demandeur s’impose donc.

2.22. Il sera ainsi démontré que

1) dans la procédure engagée en 1959, le différend portait, et portait uniquement, sur la
détermination de la souveraineté sur le temple ;

2) l’objet de ce différend ne s ’étendait pas à la détermination de la frontière, en dépit du rôle que

jouait la ligne représentée sur la carte de l ’annexe I  celle-ci fut utilisée pour déterminer
l’emplacement du temple mais en aucun cas celui de la frontière ; et

3) la portée du différend initial demeura inchangée au cours de la procédure, bien que le

Cambodge eût tardivement tenté d ’élargir ses conclusions initiales, la Cour ayant rejeté sans
équivoque cette tentative.

1. L’objet du différend initial était limité à la souveraineté

sur le temple de Phra Viharn

2.23. Au stade de la procédure écrite, la compréhension de l ’objet du différend n’ a posé
aucun problème . Comme l ’affirmait la Thaïlande dans son contre -mémoire, «le différend [en

question] concern[41t] la souveraineté sur une parcelle de territoire où se trouv[ait] situé le temple
de Phra Viharn» .

39
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
p. 18-19, par. 43 ; Demande d’interprétation de l’arrêt dnovembre 1950 en l’affaire du droit d’asile, arrêt du
27 novembre 1950, C.I.J. Recueil 1950, p. 402. Voir également par.3.22-3.23 ci-dessous.
40Voir également par. 2.6-2.9 ci-dessus.
41
C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande, p. 1 de la
traduction française,par. 1. (Les italiques sont de nous.) - 14 -

2.24. Cette brève description appelle plusieurs remarques : premièrement, il était ainsi
formellement établi que le différend avait pour objet la souveraineté sur le temple. Une telle
42
précision, conforme à l’arrêt rendu par la Cour43ur les exceptions préliminaires , s’imposait parce
que le premier paragraphe de la requête , auquel la première conclusion du Cambodge faisait
écho , pouvait donner l ’impression que la Cour avait principalement été saisie d ’un différend
relatif à une occupation illicite et à l’emploi de la force, ce qui, en réalité, n’était pas le cas.

2.25. Cette description circonscrivait également la portée territoriale du différend soumis à la
Cour, ainsi limitée à «une parcelle de territoire où se trouv[ait] situé le temple de Phra Viharn».

En délimitant cette portée, la Thaïlande n ’entendait nullement réduire celle des conclusions du
Cambodge ; bien au contraire, elle reprenait les termes employés par le Cambodge lui -même, tels
qu’ils figuraient dans la requête, où celui -ci dénonçait l’«occupation sur une parcelle du territoire
cambodgien … où se trouvent les ruines … d[u] temple de Préah Vihéar» . 45

a) L’existence de revendications de souveraineté concurrentes sur le temple

2.26. Le Cambodge a d’ emblée considéré que son titre de souveraineté sur le temple était

établi de façon si évidente qu ’il n’avait nul besoin de le justifier. Les paragraphes reproduits
ci-dessous reflètent bien la logique sous-tendant son raisonnement :

« En premier lieu, aux termes des conventions internationales délimitant la frontière
entre le Cambodge et la Thaïlande, la souveraineté sur la parcelle où se trouve
situé, dans la chaîne des Dangrek au 102° 20' de longitude est et 14° 25' de
latitude nord, le temple de Préah Vihéar appartient au Cambodge.

 En second lieu, le Cambodge n’ a jamais abandonné sa souveraineté sur la

parcelle dont il s’agit et a toujours continué, en vertu du titre établi par les traités,
à y exercer effectivement les compétences territoriales.

 En troisième lieu, la Thaïlande n ’a pas accompli sur ladite parcelle des actes de

souveraineté de nature à déplacer la 46uveraineté cambodgienne établie par les
traités et effectivement exercée.»

2.27. Le mémoire, limité à six pages, était très elliptique et n ’apportait de modification ni à

l’objet ni aux fondements factuels du différend. Il contenait simplement un rappel des thèses
avancées dans la requête.

2.28. C’est à cette revendication de souveraineté que la Thaïlande s ’efforçait de répondre

dans son contre-mémoire, affirmant sa propre souveraineté en se fondant sur les mêmes principes
juridiques que ceux que le Cambodge avait invoqués : l’existence d’un titre dont l ’origine était à
rechercher dans le traité mis en avant par celui -ci (le traité de 1904) et l ’exercice, en conséquence,

d’actes de souveraineté sur le territoire litigieux :

42Voir par. 2.10-2.17 ci-dessus.
43
C.I.J. Mémoires, Temple de PréahVihéar, requête introductive d’instance,vol. I, p. 4, par. 1.
44Ibid., p. 15.

45Ibid., p. 4, par. 1. (Les italiques sont de nous.)
46
Ibid., p. 5, par. 2. (Les italiques sont de nous.) - 15 -

«Le Gouvernement cambodgien soutient que son droit peut «être établi sous
trois aspects» (requête, par. 2). En premier lieu, «aux termes des conventions
internationales délimitant la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande».

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le Gouvernement thaïlandais reconnaît que ce traité est fondamental. Il est

donc admis par les deux Parties que le problème essentiel soumis à la Cour est
l’application ou l ’interprétation de ce traité. Il définit la frontière dans la région du
temple suivant la ligne de partage des eaux dans les montagnes des Dangrek. Comme
il sera démontré plus loin, le véritable effet du traité est de placer le temple du côté

thaïlandais de la frontière.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les preuves produites à l ’appui du deuxième argument sont extrêmement

minces. A l ’encontre de la thèse négative finale, le Gouvernement de la Thaïlande
montrera qu’ il a en fait exercé différents actes de souveraineté sur Phra Viharn
pendant de nombreuses années sans opposition ni protestation.» 47

2.29. Une comparaison de ces trois pièces de procédure écrite (requête, mémoire et
contre-mémoire) permet de constater que, de to ute évidence, les deux Etats avaient la même
conception de la portée du différend soumis à la Cour, voyant dans la souveraineté sur le temple et
le terrain sur lequel il se trouve l’objet de ce litige.

2.30. Dans la requête, le mot «parcelle», souvent uti lisé, est toujours suivi d’une explication
précisant de quelle «parcelle» il s ’agit, à savoir la «parcelle où se trouve situé le temple de
Préah Vihéar» 48 ou quelque formule équivalente 49. C ’est sur l ’interprétation et le poids qu ’il

convenait de donner aux éléments de preuve avancés par chacune d ’elles à l ’appui de leur
prétention à la souveraineté que les Parties étaient en désaccord.

2.31. Les Parties confirmèrent cette conception initiale de l ’objet du différend au tour
d’écritures suivant. Le Cambodge le fit en s ’abstenant, dans sa réplique, de toute référence à la
définition de l ’objet du différend, ce qui signifiait que, même après avoir pris connaissance des
principaux arguments de la Thaïlande tels que celle -ci les avait avancés dans son contre- mémoire,

il n’estimait pas nécessaire de reformuler sa demande. Or, parmi ces arguments, 50 ’authenticité et
l’exactitude de la ligne de l ’annexe I occupaient une place centrale . Si la délimitation sur le
fondement de la carte avait été sa principale préoccupation, le Cambodge aurait pu à ce stade tenter
de modifier sa demande. Il ne l’a pas fait.

2.32. Par conséquent, dans sa duplique, la Thaïlande se contenta de répondre aux
revendications formulées par le Cambodge dans sa réplique, sans revenir à la défi nition de l’objet
du différend, qui, à ce stade, était considérée comme connue des Parties et partagée par elles 51, et

47 C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande, p. 1-2 de la
traduction française,par. 3. (Les italiques sont de nous.)

48 C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, requête introductive d’instance , vol. I, p. 5, par. 2 ; p. 9, par. 13 ;
p. 10, par. 15 ; p. 11, par. 18. (Les italiques sont de nous.)
49
Par exemple : «où se trouvent les ruines d’un saint monastère» ( ibid., p. 4, par. 1).
50Voir également par. 2.48-2.51 ci-dessous.
51
Duplique du Gouvernement royal de Thaïlande, p. 25 de la traduction française, par.54. - 16 -

qui, au surplus, avait été confirmée par la Cour dans son arrêt sur les exceptions préliminaires : «Il
n’y a plus qu’à en revenir au point essentiel de l’affaire. La Cour a remarqué qu ’«il s’agit là d’un
différend portant sur la souveraineté territoriale».» 52

2.33. Ce n’est donc qu’incidemment, en développant leur argumentation, que les Parties ont
évoqué la définition de l ’objet du différend. Ainsi, à l ’appui de la thèse selon laquelle elle avait

toujours été en possession du temple, la Thaïlande écrivait :

«L’on ne dit et l ’on ne fit rien devant cette [c]ommission [la [c]ommission de
conciliation de Washington] au sujet de la frontière d ans la chaîne des Dangrek pour
contester la souveraineté de la Thaïlande sur la zone du temple. La France ne réclama

pas le temple et l ’on ne dit rien qui ait pu indi53er au Gouvernement thaïlandais que
ses droits sur Phra Viharn étaient contestés.»

2.34. Contrairement à la procédure écrite qui était on ne peut plus claire à cet égard, la

procédure orale était plus nébuleuse quant à l ’objet du différend. Dans son exposé liminaire, le
premier intervenant pour le Cambodge, M. Dean Acheson, en réintroduisi t une conception
ambiguë, déjà présente dans la requête, faisant osciller la demande du Cambodge entre une
revendication de souveraineté associée à une demande de jugement déclaratoire, et une demande de

déclaration de responsabilité pour violation de l ’intégrité territoriale impliquant que la Cour rende
un arrêt dans lequel elle enjoindrait à la Thaïlande d’agir (un «jugement prestatoire») :

«Comme le Président vient de le faire observer, le jugement définitif de

mai 1961, confirmant la compétence de la C our en la présente affaire, nous amène à
considérer maintenant le fond du différend actuel : il s’agit de savoir si la Thaïlande,
en occupant militairement le temple de Préah Vihéar, a violé la souveraineté
territoriale du Cambodge.

Comme l’a montré la pr océdure écrite, le Gouvernement royal du Cambodge
fonde sa requête touchant sa souveraineté sur le temple sur un titre juridique bien
défini.» 54

2.35. Ce paragraphe introductif de la plaidoirie d’ ouverture soulignait de nouveau la dualité
du différend que le Cambodge avait soumis dans sa requête. Le Cambodge priait la Cour, d ’une
part, de reconnaître et d’affirmer sa souveraineté sur le temple et, d ’autre part, de prendre acte des
atteintes portées à sa souveraineté territoriale et d’en tirer les conséquences. Mais la ligne frontière
55
n’était ni dans un cas ni dans l ’autre discutée en tant que telle . Toutefois, comme le relèverait
ensuite le conseil de la Thaïlande, l ’argumentation du Cambodge débutait par une hypothèse qui
demandait à être démontrée :

«La manière singulière dont les deux conclusions s ’enchaînent appelle un
commentaire. On aurait pu penser que l’ordre logique aurait voulu tout d’abord que le
Cambodge invoque un droit de souveraineté territoriale, puis dénonce l’installation par
la Thaïlande de forces armées dans la région du temple. Mais de la façon dont c’ est

dit, il me semble qu’on a mis la charrue avant les bŒufs. Le Cambodge commence en
effet par dire que le temple lui appartient déjà. Ce n ’est qu ’en corollaire qu’ il

52Ibid., p. 48 de la traduction française, par.111.
53
Ibid., p. 31 de la traduction française, par.68. (Les italiques sont de nous.)
54CR 62/11 du 1 mars 1962 (M. Dean Acheson), p. 8 de la traduction française. (Les italiques sont de nous.)
55
Voir par. 2.59-2.65 ci-dessous. - 17 -

demande à la Cour d’affirmer son droit à la souveraineté territoriale. En formulant
cette présomption initiale, le Cambodge a déjà commencé à déformer l’affaire.» 56

2.36. Bien que la hiérarchie entre ces deux demandes dût être rétablie dans la suite de la
procédure, toutes deux sont néanmoins demeurées partie intégrante de la définition du différend et
du petitum, ce qui ne fut pas sans incidence sur la chose jugée, puisque la Cour a dû statuer sur
57
l’une comme sur l’autre .

2.37. Le second élément déroutant dans les positions que le Cambodge a adoptées au cours
de la procédure orale était plus inquiétant , car il relevait d ’une entorse moins à la logique qu ’au

droit. Le Cambodge tentait en effet d ’élargir la portée territoriale de ses demandes initiales des
ruines du temple à sa région, plus vaste, mais indéfinie , dénaturant ainsi totalement l ’objet du
différend tel que l’avaient jusque-là entendu les deux Parties. Un glissement dans la terminologie

utilisée par l’agent pour décrire le différend en fut la première manifestation :

«Ainsi ramené à ses éléments essentiels, le différend comporte à la fois le retrait
de ces forces de police frontalière qui font partie des forces armées thaïlandaises et la

constatation pure et simple de la sou58raineté territoriale du Roya ume du Cambodge
sur la région de Préah Vihéar.»

Ce changement terminologique se retrouvait dans la revision des conclusions du Cambodge 59.

Cette nouvelle présentation du différend tranchait ainsi avec celle que le Cambodge avait exposée
dans ses écritures et qui faisait uniquement référence à la souveraineté sur la parcelle de territoire
où se trouvait situé le temple . 60

2.38. Le conseil de la Thaïlande, M. Seni Pramoj, contesta fermement cette tentative
insidieuse de modifier la portée du différend, dont elle revenait selon lui à dénaturer de manière
inadmissible l’objet. Lus rétrospectivement à la lumière de la demande en interprétation, les termes
qu’il employait pour la dénoncer semblent prémonitoires:

«Mais, sommes-nous bien sûrs que c ’est là tout c e que désire le Cambodge ?
Dans la requête, il a simplement demandé à la Cour de dire et juger que la
souveraineté territoriale sur le temple appartient au Cambodge. Mais au début de ses

plaidoiries, l ’agent du Gouvernement cambodgien s ’est présenté à la barre en
déclarant que son gouvernement entendait réclamer la souveraineté territoriale sur la
région de PhraViharn.

S’arrêtant pour examiner la nature de la nouvelle demande présentée par le
Cambodge, la Cour aura peut -être remarqué que, réclamer d ’une part la souveraineté
territoriale sur le temple et de l’ autre, la souveraineté territoriale sur la région de
Phra Viharn sont deux choses toutes différentes. La première réclamation est assez

vague, mais on peut au moins se reporter à la nécessité de ser vir un culte dans le
temple pour conclure que le Cambodge souhaite voir la Cour reconnaître sa
souveraineté territoriale sur une zone suffisante pour cela. En revanche, la dernière

réclamation visant toute la région de Phra Viharn est absolument sans délimitation. Le

56CR 62/5 du 7 mars 1962 (M. Seni Pramoj), p. 5 de la traduction française.
57
Voir par. 3.5-3.13 ci-dessous.
58C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 138 (S. Exc. M. Truong Cang, 1 mars 1962).
(Les italiques sont de nous.)

59Voir par. 2.68-2.74 ci-dessous.
60
Voir par. 2.23-2.25 ci-dessus. - 18 -

mot région lui-même est si vague par rapport à une zone déterminée qu ’en prenant ses
désirs pour des réalités on pourrait l ’employer pour désigner deux ou trois provinces
ou plus. La question fondamentale se pose donc de savoir quel est exac tement ce que

réclame le Cambodge. Je n ’ai pas besoin de rappeler à la Cour les difficultés que
rencontre un défendeur en face d ’une réclamation aussi vague et mal définie.
Comment faut -il préparer notre défense ? Devons-nous comprendre que la
réclamation cambodgienne se réfère à la frontière tout entière ? Il semblerait que

c’est ce que réclame aujourd’hui le Cambodge. Dans les conclusions finales déposées
par l’agent de son gouvernement, le lundi 5 mars, la Cour a été invitée à confirmer
toute la frontière des Dangrek, telle qu’elle est indiquée à l’annexe I.

La Cour remarquera que si on se limite à la réclamation primitive de

souveraineté territoriale sur le temple de Phra Viharn la longueur de la frontière
affectée par les conclusions cambodgiennes ne dépasserait pas un quart de kilomètre ,
telle étant la largeur maximum du promontoire où se trouve situé le plus grand
bâtiment du temple. La dernière conclusion au contraire affecte toute la longueur de

la frontière des Dangrek qui aurait été délimi tée selon l’annexe I par la Commission
mixte de 1904. Cette frontière mesure approximativement 112 kilomètres. Attendu
que l’annexe I n’est qu’un élément d’une série de cartes dont certaines n ’ont pas été
remplacées par le traité de 1907, il serait facile plus tard de soutenir que, si la Cour se
prononce sur la base de l ’annexe I, elle devra nécessairement confirmer la ligne

frontière telle qu’elle est tracée sur les autres cartes de la même série. Toute cette
frontière entre la Thaïlande et le Cambodge couvre une distance
d’environ200 kilomètres. Le contraste entre cette situation et la requête primitive est
saisissant et, à mon avis, tout à fait inhabituel.» 61

Ainsi, il est immédiatement apparu que, par ce glissement terminologique, le Cambodge cherchait à
transformer un différend portant sur la souveraineté territoriale en un différend relatif à la
délimitation frontalière.

2.39. Cette manière de dénaturer l ’objet du différend était d ’autant plus déroutante, et
préjudiciable à la défense de la Thaïlande, que le conseil du Cambodge allait, au cours de la même
procédure orale, défendre des positions contradictoires quant à la portée territoriale des

revendications du Camb62ge. En effet, malgré cette évolution terminologique dans l ’exposé
liminaire de l’agent et la substitution de 63uvelles revendications, de portée plus étendue, à celles
qui avaient été initialement formulées , le conseil du Cambodge allait réaffirmer que la portée
territoriale du différend était en fait très limitée, et ce, de manière répétée, au cours du second tour
de plaidoiries .4

b) La portée territoriale du différend était circonscrite au terrain sur lequel se trouve le temple 65

2.40 Le Cambodge n’ a jamais fourni les dimensions précises de la «parcelle» qu ’il

revendiquait, puisque sa demande portait avant tout sur le temple. Cependant, il est possible, au vu
des exposés, de s’en faire une idée d’après l’emprise du temple, ou plus précisément des ruines, tels
qu’ils existaient lorsque la requête a été introduite. En effet, en se prévalant non seulement d ’un
droit d’accès au temple, en tant que bien culturel, mais aussi de la souveraineté sur celui -ci, le

61
CR 62/5, 7 mars 1962 (M. Seni Pramoj), p. 13-14 de la traduction française. (Les italiques sont de nous.)
62Voir par. 2.37 ci-dessus.
63
Voir par. 2.68 ci-dessous.
64Voir par. 2.40-2.46 ci-dessous.
65
Ou «le terrain occupé par le temple». - 19 -

Cambodge revendiquait implicitement le terrain sur lequel le temple se trouvait. Le lien
intrinsèque entre l ’emprise du temple et l ’étendue du territoire revendiqué a été établi dans la
66
requête et confirmé ensuite dans les exposés écrits et oraux. Le professeur Reuter le souligna en
des termes aussi élégants que dénués d’équivoque, lors du second tour de plaidoiries :

«Mais que l’on se rapporte à la conclusion finale première de la requête et on

verra peut-être qu’avec un peu de maladresse, mais avec une clarté parfaite, ce que
revendique le Cambodge, c’est le temple.

Je lis la deuxième conclusion finale : «Le Royaume du Cambodge conclut à ce
que la souveraineté territoriale sur le temple de Préah Vihéar appartient au
Cambodge.» Formule peut -être un peu gauche, mais qui indique bien que l ’on
revendique non seulement le territoire, mais nous dirions presque en premier lieu  et
67
c’est là la gaucherie  le temple.»

On ne pouvait mieux expliquer la corrélation : le territoire en litige était donc d ’une étendue
68
limitée, étant circonscrit au terrain occupé par le temple. Il était certes «un peu gauche» de
séparer la revendication territoriale de la revendication sur le temple  «mais ce que revendiqu[ait]
le Cambodge, c’[était] le temple».

2.41 Le caractère limité de la portée territoriale du différend se trouvait également confirmé
par l’emploi de mots ou d’ expressions dénotant une unité territoriale circonscrite. Les termes
«parcelle» ou « portion of territory », en anglais, apparaissaient de manière récurrente dans les
69
exposés des deux Parties pour désigner le territoire revendiqué par le Cambodge . Si ces termes
ne donnent aucune indication précise sur l’étendue du territoire revendiqué, ils renvoient clairement
à une entité pouvant être considérée séparément. Cette entité territoriale étant censée correspondre

au terrain occupé par le temple, ses limites ne pouvaient être déterminées qu’une fois établies celles
du temple.

2.42. En outre, dans sa réplique et à l’audience, le Cambodge insista sur le fait que ne devait
être considéré comme en litige que le terrain sur lequel était situé le temple, n’ayant d’autre choix
pour contrer les preuves thaïlandaises d ’effectivités dans des zones proches du temple, mais ne
concernant pas le temple lui-même :

«A cet égard, les actes publics les plus significatifs sont ceux qui concernent le
temple lui-même  seule parcelle de la frontière contestée  parcelle sans habitant

où il n’y a pas lieu de développer les mesures de protection de la santé, de recouvrer
des impôts, d’opérer des recensements.

66Voir par. 2.6 et 2.23-2.25 ci-dessus.

67 C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol . II, p. 557 (M. Paul Reuter, 17 mars 1962). (Les
italiques sont dans l’original.)
68
En français dans le texte.
69 C.I.J. Mémoires , Temple de Préah Vihéar, requête introductive d’instance, vol. I, p. 5, par. 2 (trois
occurrences) ; p. 9, par. 13 ; p. 10, par. 15 ; p. 11, par. 16 et 18 ; p. 12, par. 22 et 23 ; affaire du Temple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande), contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande, p. 1, par. 3 de la traduction française ;
p. 2, par. 3 de la traduction française (sans tenir compte des occurrences correspondant à une citation des termes de la

requête introductive d’instance ). Pour la procédure orale, voir C.I.J. Mémoires , Temple de Préah Vihéar , plaidoiries,
vol. II, p. 206 (M. Paul Reuter, 5 mars 1962) ; p. 538 (deux occurrences) (M. Paul Reuter, 5 mars 1962) ; p. 541
(trois occurrences), p. 546 (deux occurrences), p.548, 553 et 554 (M. Paul Reuter, 27 mars 1962). - 20 -

L’activité des autorités françaises et cambodgiennes s’ 70 est manifestée d ’une
façon publique, continue et effective dans ce domaine.»

Dans le même ordre d’idée, il fut convenu que

«[l]es faits invoqués par la Thaïlande pour consolider ou affirmer sa souveraineté
[étaient], eu égard à la nature de la parcelle litigieuse, pratiquement sans
71
pertinence» .

En excluant la pertinence des activités souveraines de la Thaïlande, hors de la «parcelle

litigieuse»  autrement dit le temple , fût -ce dans des secteurs contigus, le Cambodge
restreignait la portée territoriale tant de ses demandes que de la zone en cause, signifiant clairement
que la Cour ne devait s ’intéresser qu’au temple lui -même, y compris le terrain sur lequel il se

trouvait situé.

2.43. D’autres expressions ont pu être utilisées à propos de l ’étendue du territoire en litige,
mais qui en connotaient toutes le caractère limité : M. Acheson insistait ainsi sur le fait que «la
région [alors] contestée [était] très réduite» et M. Reuter évoquait «un fragment de territoire» . 73

2.44. En passant en revue les témoignages d ’experts présentés par la Thaïlande pour établir
74
le tracé exact de la ligne de partage des eaux dans la région des Dangrek , M. Acheson dressa de
fait une description géographique de la zone en litige que la carte qu’ il analysait à l’intention des
juges permet de suivre . Il balaya l’erreur commise quant à la rivière O’Tasem en rappelant à la6

Cour qu’ elle devait s’ en tenir au seul temple, qui représentait la zone cruciale ou critique,
c’est-à-dire la zone en litige :

«Qu’est-ce donc alors qu’ il veut dire ? En premier lieu que les officiers, les
agents, les géomètres et les topographes  par quelque nom qu’on les appelle  de la
première commission se sont trompés sur le point de savoir où s’ en allait un cours

d’eau partant du nord-ouest du temple et qui disparaissait en contournant Phnom Trap.
On assure que ces messieurs, qui, sans doute, ont maintenant rejoint leurs ancêtres,
étaient convaincus que le cours d’ eau faisait un coude vers le sud en contournant la

montagne et en entrant au Cambodge, alors qu’ on nous affirme à présent qu’il fait un
coude vers le nord et qu’il entre en Thaïlande.

70Ibid., réplique du Gouvernement du Royaume du Cam bodge, vol. I, p. 466, par. 57 (les italiques sont de nous).
71
Ibid., vol. I, p. 469, par. 68 (les italiques sont de noPour la procédure orale , voir aussi ibid., plaidoiries,
vol. II, p. 189 et 190 (M. Roger Pinto ; 3 mars 1962) ; p. 538 (M. Paul Reuter, 26 mars 1962) ; p. 541, 546, 548, 553
et 554 (M. Paul Reuter, 27 mars 1962).
72 er
CR 62/1, p. 19 (M. Dean Acheson, 1 mars 1962) (les italiques sont de nous).
73
C.I.J. Mémoires, Temple de PréahVihéar, plaidoiries, vol. II, p. 193 (M. Paul Reuter, 3 mars 1962).
74Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), rapport du professeur W. Schermerhorn, 1961,
C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande, annexe 49 ; et ibid. ,
«Hearing of the Witnesses and Experts», plaidoiries, vol. II, p. 331-439.

75Ibid., contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande, vol. 1, p. 436, note de bas de page 1, carte 2,
jointe à l’annexe 49 : Phra Viharn, scale 1:10,000 compiled from aerial photographs by I.T. C. Consulting Department,
April 1961. Voir aussi la carte annexée au rapport de MM. Doeringsfeld, Amuedo et Ivey (annexe I) déposée en
annexe LXVIc de la réplique du Cambodge (annexe101).

76La Thaïlande y voyait l’origine de la grave erreur faussant la ligne de partage des eaux dans le secteur
concerné. - 21 -

Admettons qu’il en soit ainsi ; et puis après ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[C]ette zone, au nord-ouest du temple, n’est pas le point essentiel. Ce n’est pas
la «zone douteuse» signalée par le professeur Schermerhorn et qui constituait, nous
a-t-il dit, en expliquant pour la seconde fois les raisons du voyage de M. Ackermann,
le principal objectif de ce voyage.» 77

Il tentait ainsi de discréditer le témoignage d ’experts présentés par la Thaïlande en faisant
valoir qu’en 1907, coulait au voisinage immédiat du temple une rivière qui laissait ce dernier en
territoire cambodgien, une hypothèse dont les experts MM. Doeringsfeld, Amuedo et Ivey
78
n’avaient pas tenu compte . Et de conclure en ces termes :

«De sorte que je n’admets pas, pour un instant, que la commission ait eu tort de

placer le temple du côté cambodgien de la frontière. Au surplus, l’erreur qui aurait été
faite dans la zone critique, dans les conditions qui règnent actuellement dans cette
zone, était de toute évidence, selon les termes employés par notre éminent adversaire,
de minimis.» 79

2.45. Par son intervention , le consei l du Cambodge excluait explicitement le mont
Phnom Trap du champ du différend, ce qui revêt une importance toute particulière s ’agissant de la

demande en interprétation dont la Cour est actuellement saisie ; Phnom Trap, en effet, fait partie du 80
territoire dont le Cambodge affirme aujourd’hui qu’il lui a été octroyé par la Cour en 1962 .

2.46. Il est à noter que c ’est le Cambodge lui-même qui insistait sur l’exiguïté de la zone en
litige, le conseil de la Thaïlande se contentant de prendre acte de la défin ition de l ’objet du
différend donnée par le demandeur 81en la faisant sienne, et, ici ou là, d’ attirer l’attention sur le
caractère inacceptable des efforts déployés par le Cambodge pour modifier cette définition à un
82
stade très tardif de la procédure . Plus notable encore est le fait qu ’il maintint cette position au
second tour de plaidoiries, alors même que, à la fin du premier, le demandeur avait modifié ses
conclusions pour les faire porter sur une zone autrement plus vaste que celle qui était visée dan s la
83
requête .

2. L’objet du différend ne s’étendait pas à la détermination de la frontière

2.47. Les exposés écrits et oraux confirment que les Parties s ’attachaient toutes deux à
démontrer le bien-fondé de leurs revendications sur le temple, et non à déterminer le tracé de leur

frontière commune dans la région de Phra Viharn ou dans la chaîne des Dangrek. La question de la
frontière y était certes abordée, mais sans jamais être soulevée en tant que telle. Les Parties, si elles
ne paraissaient guère s’ intéresser à l ’emplacement de la ligne dans cette zone, se souciaient
autrement plus de la position du temple par rapport à cette ligne.

77
CR 62/17, p. 18 de la traduction française (M.Dean Acheson, 22 mars 1962) (les italiques sont de nous).
78 Ibid., p. 18-36.
79
Ibid., p. 37.
80
Voir par. 5.63 ci-dessous.
81 C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 567 (M. Henri Rolin, 28 mars 1962).
82
Voir par. 2.38 ci-dessus.
83
Voir par. 2.68-2.743 ci-dessous. - 22 -

a) Le rôle de la carte de l’annexe I dans l’argumentation du Cambodge

2.48. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de rappeler en quelques mots le contexte
factuel qui explique que, au fil de la procédure, on ait tant glosé sur la carte de l ’annexe I  carte

que le Cambodge avait présentée da84 sa requête comme preuve qu ’il détenait un titre
conventionnel sur le temple .

2.49. L ’argumentation du Cambodge à cet égard devait toutefois radicalement changer.
Dans sa requête, celui -ci avait avancé un double argument à l ’appui de ce titre conventionnel : la
85
carte de l ’annexe I aurait fait partie intégrante du trait é de 1907 , puisqu’ elle y aurait été
annexée . Il soutenait ainsi que la carte était une simple illustration de la frontière fixée par la
87
convention de 1904 . En réponse à cet ar88ment, la Thaïlande, dans son contre 89 -mémoire, fit
valoir que, à défaut d’être exacte ou investie d’une quelconque autorité , la carte de l’annexe I ne
pouvait être invoquée en tant que preuve de titre, arguments qu’ elle développa encore dans sa
90
duplique . De toute évidence, ces arguments n’étaient pas sans fondement, puisque le Cambodge,
dans sa réplique et plus encore à l’audience, adopta une stratégie différente.

2.50. Ainsi, alors que, dans sa requête et dans son mémoire, le Cambodge avait soutenu que,

à la suite du règlement de 1904-1907, la Thaïlande avait reconnu la vali dité des frontières établies
par ces traités, dans sa réplique, il se concentra sur la prétendue reconnaissance par la Thaïlande de
la présence du temple sur le territoire cambodgien 91. Pour établir l ’existence de son titre, il

consacra un chapitre nettement plus étoffé à l ’exercice de sa souveraineté sur le temple, extrayant
de la masse des faits ceux qui ne concernaient que le temple (il s’ agissait essentiellement
92
d’exemples d’activités archéologiques) .

84
C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, requête introductive d’instance, vol. I, p. 6, par. 5.
85Ibid., vol. I, p. 6-7, par. 5-8.

86 Après que la Thaïlande a présenté ses arguments, (voir ibid ., plaidoiries, vol. II, p. 230 (M. Henri Rolin,
7 mars 1962)), le Cambodge a dû re venir sur cette affirmation et reconnaître que la carte n’avait jamais été annexée à

aucun traité (voir ibid., p. 444 (S. Exc. M. Truong Cang, 21 mars 1962)).
87 Ibid., requête introductive d’instance, vol. I, p. 5, par. 4. Voir aussi ibid ., réplique du Gouvernement du
Royaume du Cambodge, vol. I, p. 439, par. 4.

88Le chapitre V du contre -mémoire visait à démontrer que, contrairement aux dires du Cambodge, la ligne de
l’annexe I ne représentait pas la ligne de partage des eaux. Voir ibid ., p. 24-26, et le rapport du

professeur W. Schermerhorn, qui fait l’objet de l’annexe 49 du contre -mémoire, ibid., p. 109-113 de la traduction
française du volume d’annexes.
89Au chapitre II de son contre-mémoire, la Thaïlande s’employait à montrer que, contrairement à ce qu’affirmait

le Cambodge, la carte n’ avait pas été approuvée par la C ommission de délimitation é tablie par le traité de 1904. (Voir
C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande , vol. I, p. 4-11 de la
traduction française.)
90
Sur le fait que, faute d’avoir été approuvée par les C ommissions de délimitation de 1904 ou 1907, la carte de
l’annexe I ne saurait faire autorité, voir affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), duplique du
Gouvernement royal de Thaïlande, p. 3-25 de la traduction française. Sur le manque d’exactitude, un argument auquel le
Cambodge n’a pas répondu dans sa réplique, voir ibid ., p. 41-48 de la traduction française.

91Voir par. 2.53-2.58 ci-dessous.
92
C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, réplique du Gouvernement du Royaume du Cambodge, vol. I,
p. 466-469. - 23 -

2.51. A l’audience, le Cambodge s’en tint à cette stratégie argumentative : tout en maintenant
93
que la carte de l ’annexe I illustrait les travaux de la Commission de délimitation et représentait
correctement la ligne de partage des eaux 94, du moins telle qu’ elle avait existé en 1904-1907 , il 95
insista davantage sur la prétendue reconnaissance par la Thaïlande de sa souveraineté sur le temple
96
 et sur le temple seulement .

2.52. En choisissant de mettre ainsi davantage l ’accent sur cette prétendue reconnaissance,
par la Thaïlande, d ’une situation de droit et de fait, le Cambodge optait pour une ligne de
raisonnement radicalement distincte. Alors que, suivant la position initiale du Cambodge fondée

sur l ’existence d ’un titre conventionnel, la Cour était simplement invitée à interpréter les
dispositions du t raité de 1904 et la carte qui lui était prétendument annexée et à les appliquer à
l’affaire, la mise en avant d’une prétendue reconnaissance impliquait de déduire la souveraineté du

Cambodge du comportement de la Thaïlande. Si ce type d ’approche peut parf ois se justifier
lorsque la Cour est invitée à se prononcer sur la souveraineté territoriale, tel est bien moins le cas
lorsqu’il s’agit de déterminer une frontière : c’est en effet une chose que de prétendre que la

Thaïlande avait reconnu que le temple se trouvait situé au sud d’ une ligne frontière, c ’en est une
tout autre que d’alléguer qu’elle avait accepté une ligne tracée sur la base de courbes de niveau et
de cours d’ eau représentés sur une carte de manière inexacte. En d ’autres termes, la stratégie

adoptée par le Cambodge à l’audience consista à mettre en avant la position du temple par rapport à
la ligne tout en faisant l’impasse sur la question de l’emplacement de la ligne au sol.

b) La ligne de la carte de l’annexe I invoquée aux fins d’établir l’emplacement du temple

2.53. D’emblée, il fut clair que le Cambodge voyait dans la carte de l ’annexe I la meilleure

preuve du titre qu’ il revendiquait sur le tem97e car celle- ci, prétend98t -il, faisait apparaître
Phra Viharn au sud de la ligne frontière . Il le réaffirma dans sa réplique .

2.54. A l ’audience, M. Pinto insista sur cette déduction essentielle à l ’argumentation du
Cambodge, voulant que la mention explicite du temple sur la carte de l ’annexe I résultât
nécessairement d’une décision de la Commission de délimitation de 1904 tendant à attribuer le

temple à la France. Là encore, la carte fut considérée comme un document d’ attribution de la
souveraineté et non comme un instrument de délimitation, puisque les seuls éléments de preuve
recherchés par le conseil du Cambodge concernaient le temple :

93Voir CR 62/1, p. 8-12, 28- 36 (M. Dean Acheson, 1 ermars 1962) ; voir aussi C.I.J. Mémoires, Temple de
Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 161-164, p. 167-179 (M. Roger Pinto, 2 mars 1962) ; et p our le second tour,
CR 62/16, p. 10-18 (M. Dean Acheson, 21 mars 1962), C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II,
p. 489-506 (M. Roger Pinto, 23 mars 1962).
94 er
CR 62/1, p. 16-24, p. 39-49 (M. Dean Acheson, 1 mars 1962) ; voir aussi CR 62/16, p. 17-25 et CR 62/17,
p. 2-37 (M. Dean Acheson, 21 mars 1962).
95
L’éventualité d’une modification de la ligne de partage des eaux entre 1904 et 1962 a été in voquée par
M. Dean Acheson. Voir notamment les conclusions qu’il avait tirées du contre-interrogatoire des experts, CR 62/17,
p. 16-37 (22 mars 1962).
96
Voir C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 164-166, p. 180-186 (M. Roger Pinto,
2 mars 1962), et surtout, ibid ., p. 193-208 (M. Paul Reuter, 3 et 5 mars 1962) ; pour le second tour de plaidoiries, voir
ibid., p. 480-488, p. 506-521 (M. Roger Pinto, 23 mars 1962) et de nouveau ibid ., p. 522-528 (la seconde plaidoirie de
M. Paul Reuter y était entièrement consacrée, 26-27 mars 1962).
97Ibid., requête introductive d’instance, vol. I, p. 6, par. 5.

98«La carte [de l’annexe I] montre clairement l’emplacement du temple de Préah Vihéar et situe clairement le
temple du côté cambodgien de la frontière.» ( Ibid., réplique du Gouvernement royal du Cambodge, vol. I, p. 443 ;
voir également ibid., p. 460). - 24 -

«Il nous faut alors rechercher comment les Parties se sont effectivement
conduites en ce qui concerne la délimitation dans les Dangrek, et singulièrement à
Préah Vihéar, dans la pratique française et dans la pratique siamoise.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais une carte est une publication comme une autre  les auteurs … relisent

leur manuscrit et leurs épreuves. Ils les corrigent attentivement. Bien sûr, ils laissent
passer quelques coquilles.

Dans la frontière des Dangrek, Préah Vihéar ce serait une coquille

d’importance !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En rédigeant la carte de l ’annexe I telle que nous la connaissons, le

colonel Bernard, le capitaine Tixier et les autres officiers, leurs collègues, ont bien
marqué, par conséquent le sens qu’ ils donnaient à la décision de la Commission de
délimitation.» 99

Au sujet de la pratique française, il conclut en ces termes :

«Monsieur le président, Messieurs les juges, le comportement de la commission
française de délimitation, de son président, des autorités du Gouvernement français, au

lendemain même des travaux de délimitation, est clair. Sa logique est irréfutable. Elle 100
éclaire le sens de la décision prise : Préah Vihéar a été attribué au Cambodge.»

Il déduisit en outre de certains éléments factuels que les autorités siamoises avaient eu
connaissance de cette «décision» de la Commission de délimitation d ’attribuer Phra Viharn à la

France et s’y étaient ralliées  ou tout au moins ne s’y étaient pas opposées :

«Comment croire que le prince Damrong aurait con tinué à recevoir
l’archéologue, après avoir appris de lui, ou de l ’examen des cartes de la Commission

de délimitation, l ’attribution de Préah Vihéar si cette décision ava101été contraire à
l’accord intervenu entre commissaires français et siamois ?»

2.55. Le Cambodge ne se contenta pas de mettre en avant l ’emplacement du temple tel qu’il

apparaissait sur la ligne de l ’annexe I : développant son argumentation sur la reconnaissance, il
l’axa de nouveau sur cet emplacement, tel qu ’il apparaissait sur les dif férentes cartes établies
entre 1908 et 1962. Les exemples sont bien trop nombreux pour être cités in extenso, mais
quelques citations tirées des pièces de procédure écrite suffiront sans doute à donner une idée

précise de la teneur de l ’argument. Ainsi de la formule suivante : «Les cartes offici102es, publiées
par la Thaïlande, placent Préah Vihéar du côté cambodgien de la frontière.»

99Ibid., plaidoiries, vol. II, p. 506 (M. Roger Pinto, 24 mars 1962). Voir également ibid., p. 502.
100
Ibid., p. 510.
101Ibid., p. 514.
102
Ibid., réplique du Gouvernement royal du Cambodge, vol. I, p. 463, par. 50 (les italiques sont dans l’original).
Pour des exemples de telles cartes, voi r ibid., par. 51-52 ou ibid., requête introductive d’instance , p. 10-11, par. 16-17 ;
ibid., p. 13, par. 24 ; ibid., plaidoiries, vol. II, p. 164, p. 170, 182-185 (M. Roger Pinto, 2-3 mars1962). - 25 -

103
Dans sa duplique, la Thaïlande réfuta cette position , avançant différents arguments qui,
tous, confirment que la discussion était polarisée sur l ’emplacement du temple. La ligne frontière
 qu’il s’agisse de la ligne de l ’annexe I ou de la ligne de partage des eaux invoquée par la

Thaïlande  n’était jamais examinée en tant que telle, mais, dans sa seule relation au tem ple :
«L’une de ces feuilles … englobe Phra Viharn et montre le véritable emplacement de la frontière et
le temple du côté thaïlandais de cette frontière.» 104 «On n’a produit qu’une carte … qui montre le
105
temple en territoire cambodgien.»

2.56. Il en alla de même à l ’audience. Preuve que, dans sa logique, le différend portait
exclusivement sur le temple, le conseil du Cambodge limita clairement son argumentation à cette
zone, ne s’intéressant à la ligne frontière, sur quelque carte que ce fût, qu’en tant qu’elle était située

au nord du temple, comme le montrent les exemples suivants : «Sur cette carte [la106rte de
l’annexe I] le colonel Bernard situe la frontière au nord du temple de Préah Vihéar.» «De plus,
même après 1935, au cours de négociations diplomatiques, la Thaïlande a utilisé et produit des
107
cartes géographiques qui plaçaient nettement Préah Vihéar du côté cambodgien de la frontière.»

Ainsi, M. Pinto, conseil du Cambodge, accorda une attention toute particulière aux cartes qui

mentionnaient explicitement le temple : «La Cour verra, en s’y reportant, que sur cette édition, sous
le point rouge situé incontestablement en territoire cambodgien, il est non seulement indiqué
«Préah Vihéar», mais également «ruines».» 108

Et de préciser quelques minutes plus tard à propos de cette même carte :

«Monsieur le président, je voudrais m’excuser auprès de la Cour : tout à l’heure,
e
lorsque j’ai cité la carte au 1/500 000 , dont un exemplaire a été annexé au traité de
Tokyo, j’ai mentionné que sous le nom de Préah Vihéar se trouvait celui de ruines. En
réalité, je ne m ’étais pas reporté, et j ’ai eu tort, immédiatement, sur -le-champ, à la

carte. Ce n’est pas le mot de ruines qui se trouve indiqué, c’est plus précisément celui
de temple.» 109

2.57. De même, les autre s faits censés impliquer une reconnaissance par la Thaïlande de la
souveraineté du Cambodge ne pouvaient valoir qu ’en ce qui concerne le temple lui -même et
n’étaient invoqués qu ’à cet effet. C ’était le cas, notamment, de la visite, en 1930, du

prince Damrong  que le Cambodge considère comme une preuve essentielle de cette
reconnaissance 11. Et il en allait de même, bien évidemment, de l ’épisode des protestations émises

103Voir ibid., duplique du Gouvernement royal de Thaïlande, vol . I, p. 573-583.

104Ibid., p. 574, par. 57. Voir également ibid., par. 59.
105
Ibid., p. 576, par. 63. Voir également ibid., par. 64, p. 577, par. 64-66.
106 Ibid., plaidoiries, vol. II, p . 163 (M. Roger Pinto, 2 mars 1962). Voir également ibid., p. 506-507

(M. Roger Pinto, 24 mars 1962).
107Ibid., p. 164. Voir également, ibid., p. 167, p. 170-171, p. 180, 181, 182, 183 et 184.

108Ibid., p. 184.
109
Ibid., p. 184-185 (M. Roger Pinto, 2 mars 1962).
110 Ibid., réplique du Gouvernement royal du Cambodge, vol. I, p. 464-465, par. 55. Pour la réponse de la

Thaïlande, voir ibid ., duplique du Gouvernement royal de Thaïlande,p. 581, par. 73. En ce qui concerne la procédure
orale, voir également ibid ., plaidoiries, vol. II, p. 189-190 (M. Roger Pinto, 3 mars 1962) et, pour la réplique de la
Thaïlande, ibid., p. 312-313 (sir Frank Soskice, 13 mars 1962). Pour d’autres exemples d’occasions où la Thaïlande
aurait dû, selon le Cambodge, formuler des réserves quant à la question de la souveraineté, voir ibid., p. 198
(M. Paul Reuter, 3 mars 1962) (signature d’un accord de coopération sur des questions archéologiques entre la France et
le Siam) ; ibid., p. 198 (M. Paul Reuter, 3 mars 1962)  négociations politiques dans le cadre de la commission de
conciliation de 1946 ; M. Roger Pinto voyait dans les affirmations de souveraineté de la France autant d’occasions où la
Thaïlande aurait dû protester (ibid.,p. 507-514 (M. RogerPinto, 24 mars 1962)). - 26 -

par la France en 1949 contre la présence de gardes thaïlandais dans le temple et du silence
111
qu’observa à cet égard la Thaïlande .

2.58. On comprend, à la lecture des plaidoiries des Parties, la fonction de la ligne frontière

dans la procédure de 1959 -1962. Les documents représentant cette ligne (ou plutôt ces lignes
puisque, comme il sera expliqué dans les paragraphes suivants, plusieurs lignes furent soumises à la
Cour) étaient envisagés comme des éléments de preuve  avancés par le Cambodge et réfutés par

la Thaïlande  tendant à établir la souveraineté cambodgienne sur le temple. Les Par ties en
revanche n’en vinrent jamais à débattre de leurs conceptions divergentes de l’emplacement réel, sur
le terrain, de la frontière, considérant que la Cour pourrait attribuer la souveraineté sur le temple

sans avoir déterminé au préalable le tracé de cette frontière.

c) Les Parties ne s’intéressaient pas à la ligne de la carte de l’annexe I en tant que frontière

2.59. Les exposés écrits et oraux révèlent que le Cambodge et la Thaïlande avaient des
positions contradictoires sur la question de savoir où passerait effectivement la ligne de la carte de
l’annexe I si elle devait être transposée sur le terrain. Il n ’y avait rien de surprenant à cela, puisque

la carte comporta112des erreurs topographiques et se prêtait donc, sur place, à différentes
interprétations . La Thaïlande avait, à plusieurs reprises, évoqué ce point mais le Cambodge
s’était toujours dérobé, et, quoi qu’il en soit, la Cour rendit sa décision en l ’affaire sans trancher la

question.

2.60. Le Cambodge considéra tout au long de la proc édure que la ligne de l ’annexe I, sur le

terrain, passait à proximité immédiate du temple. Bien qu’ il ne l’eût pas clairement énoncée, dans
la mesure où sa demande n ’incluait pas la question de la frontière en tant que telle, cette position
peut néanmoins être déduite de plusieurs de ses affirmations.

2.61. Ainsi, les protestations élevées par la France en 1949 contre la présence de gardes
thaïlandais sur le site du temple, bien que fondées sur la carte de l ’annexe I et sur une carte établie
par les services géographiques siamois, contenaient la précision suivante :

«Les deux fragments de carte, française et siamoise, ne sont pas rigoureusement
superposables, ce qui n ’a rien de surprenant. Mais ils présentent une grande

similitude. Dans l ’un comme dans l ’autre, on reconnaît très bien les vestiges des 113
ruines de Préah Vihéar et la frontière qui passe nettement au nord à 500 mètres.»

Cette position fut réaffirmée par M. Pinto à l’audience : «Nous ne devons jamais perdre de
114
vue en effet que la frontière passe à quelque 500 mètres au nord du temple.»

L’affirmation sembla surprendre sir FrankSoskice, qui répondit : «En vertu de quel principe

le professeur Pinto fixe-t-il115 la frontière  je n’en sais rien. Le tracé de la [ligne de] l ’annexe I
passe bien plus au nord.»

111
Ibid., p. 201-202 (M. Paul Reuter, 3 mars 1962).
112Voir par. 6.26-6.29 ci-dessous.

113C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, note de l’ambassade de France à Bangkok en date du 9 mai 1949,
no 114/49, requête introductive d’instance,annexe XVI, vol.I, p. 106 (les italiques sont de nous).
114
Ibid., plaidoiries, vol. II, p. 189 (M. Roger Pinto, 2mars 1962) (les italiques sont de nous).
115
CR 62/9, 12 mars 1962 (Sir Frank Soskice).p. 44 de la traduction française. - 27 -

La question en resta là, ni M. Pinto ni aucun autre conseil du Cambodge n’ ayant approfondi

le propos. La divergence de vues qui s ’exprimait ainsi quant à l ’emplacement de la ligne de
l’annexe I sur le terrain ne fut pas plus amplement dis cutée à l’audience, et la Cour ne chercha pas
à la résoudre. 116

2.62. La conception d’ une ligne passant très près du temple, qui ressort des exposés du

Cambodge, était présente dans la réplique, où le Cambodge relatait que, lors de la visite au temple
du prince Damrong en 1930, la délégation française chargée de l ’accueillir sur place avait dressé à
la frontière un mât devant supporter un drapeau : «On comprend que le drapeau français ait été

hissé à la frontière entre117 Siam et le Cambodge, sans qu ’il soit nécessaire de tenter une autre
explication de ce fait.»

Or, on peut aisément déterminer le lieu où fut dressé ce mât en 1930 en se référant aux

photographies adressées aux autorités françaises par le prince Damrong et versées au dossier de
l’affaire en 1962 118, et à la déclaration sous serment faite par la princesse Phun Phitsamai Diskul.
Pour le Cambodge, le mât  et donc la ligne frontière 119 était très proche du temple, étant
120
même situé au pied des marches . Dans sa déclaration, la princesse rapport a l’épisode en ces
termes :

«Après avoir traversé le cours d ’eau de Takhop vers les escaliers conduisant au
temple, nous y avons trouvé un comité de réception français. Ils avaient construit un
hangar provisoire dont le toit était fait de attap, grand tout au plus pour abriter les lits

de deux ou trois perso121s. Devant le hangar se dressait un mât auquel était hissé le
drapeau français.»

La thèse d ’une frontière passant immédiatement au nord du temple, fut de nouveau
réaffirmée par M. Pinto à l’audience :

«Et, rappelons-le, la montagne de Préah Vihéar, même si le temple est du côté

cambodgien de la frontière, n’ est pas tout entière sur le territoire cambodgien. Toute
une partie de cette montagne se trouve en territoire siamois, puisque la frontière passe
immédiatement au nord du temple, d’après la carte même publiée en 1908.» 122

2.63. Autre preuve que les Parties se désintéressaient de l ’emplacement de la ligne de
l’annexe I sur le terrain (et par conséquent, de la question de délimitation en elle -même) : le

Cambodge ne se donna même pas la peine de répondre à l’argument de la Thaïlande selon lequel la
transposition d’une telle ligne soulevait  la Thaïlande en était déjà convaincue à l ’époque  des
difficultés techniques insurmontables. 123 La question avait été évoquée dans la duplique 124et fut de

116Voir par. 5.6-5.18 ci-dessous.
117
C.I.J. Mémoires, Temple de PréahVihéar, réplique du Gouvernement royal du Cambodge, vol. I, p. 465.
118Ibid., requête introductive d’instance, annexes VIII et VIII bis, vol. I, p. 96. Voir également les photographies
de la visite du prince Damrong au temple de Phra Viharn (1930), déposées sous l’annexe VIII bis de la requête

introductive d’instance de 1959 du Cambodge (annexe 1).
119Ibid., réplique du Gouvernement royal du Cambodge, vol. I, p. 465.

120 Voir le croquis établi par le service géographique royal thaïlandais le 17 novembre 2011, indiquant
l’emplacement du drapeau français en 1930 (annexe 98).
121
C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, «Affidavit de M. C. Phun Phitsamai Diskul, daté du 9 juin 1961»,
contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande , annexe 39 f, p. 89 de la traduction française.
122
C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 182 (M. Roger Pinto, 2 mars 1962). (Les
italiques sont de nous.)
123Tel est toujours le cas aujourd’hui. Voir par. 6.10-6.17 ci-dessous. - 28 -

nouveau et à plusieurs reprises portée à l’attention des juges à l’audience, notamment par M. Rolin
en ces termes :

«Ainsi, le Cambodge vous demande sérieusement dans ses conclusions  je
cite textuellement :

«De dire et juger que la ligne frontière entre le Cambodge et la
Thaïlande, dans le secteur des Dangrek, est celle qui est tracée sur la carte
de la commission de délimitation entre l ’Indochine et le Siam
(annexe n I au mémoire du Cambodge).»

Je crois de mon devoir d’ attirer respectueusement l’attention de la Cour sur les
graves difficultés auxquelles conduirait un arrêt qui accueillerait cette demande
cambodgienne, sur les véritables impasses auxquelles se trouveraient acculés les
deux pays.

La première difficulté est celle à laquelle j’ai déjà fait allusion. A supposer que

la carte annexe I reçoive ainsi cette confirmation solennelle de la plus haute juridiction
des Nations Unies, que devrions-nous faire, en présence de cette constatation qui n ’est
plus guère déniée, qui a été faite par nos experts s ’étant rendus sur le terrain, que
certaines rivières qui peuvent paraître à certains endroits couler vers le sud se relèvent
et déversent leurs eaux vers le nord, contrairement à ce qu ’indique la carte de

l’annexe I ? Que des courbes de niveau qui ont été établies en conformité avec ce
cours inexact des rivières ne correspondent pas à ce que l’on constate dans la réalité ?

Il y a deux solutions : ou bien nous allons transporter sur le terrain, par lat itude
et longitude, les différents points successifs de la frontière tels qu ’ils figurent sur cette
carte quadrillée de l ’annexe I, sans nous soucier de la configuration du terrain ; ou

bien nous allons nous souvenir que le traité veut que l’on suive la ligne de partage des
eaux. Nous allons considérer que la Commission mixte a établi une ligne qui, elle
aussi, est conforme aux rivières et aux contours tels qu’elle les a représentés ; qu’il n’y
a, même dans la carte annexe I, pas d ’indication que l ’on ait abandonné la ligne de
partage des eaux pour autre chose et que, pour bien interpréter cette carte, nous devons

donc nous conformer à ce qui existe sur le terrain.

Dans ce dernier cas, Phra Viharn restera à la Thaïlande.

Dans le premier cas, si nous devons faire le report mathématique, nous perdrons
Phra Viharn.» 125

M. Rolin insista sur le silence ob servé par le Cambodge à propos de ces difficultés, silence
qui impliquait, selon lui, que le Cambodge ne se souciait que de la souveraineté sur le temple, à
l’exclusion de toute question de délimitation dans la région :

«Mais nous avons déjà rendu la Cour attentive dans notre procédure écrite sur le

fait que si l’on adoptait cette solution-là, étant donné l’inexactitude qui existe, non pas
seulement en cet endroit-là, mais en d’autres endroits de la carte annexe I, nous allions
avoir une frontière qui sans doute à certains endroits nous enlèverait de larges
morceaux du plateau, mais qui en d’autres endroits descendrait hardiment de la falaise
pour enlever au C ambodge de larges morceaux de la plaine cambodgienne.
Extraordinaire frontière ! Nous l’avons indiquée telle qu’elle nous apparaît, telle que

nos experts l’ont tracée et, à notre grande surprise, on ne nous a rien répondu. Nous

124
C.I.J. Mémoires, Temple de PréahVihéar, duplique du Gouvernement royal de Thaïlande, vol. I, p. 597-598.
125Ibid., plaidoiries, vol. II, p. 267-268 (M. Henri Rolin, 8 mars 1962). (Les italiques sont de nous.) - 29 -

avons interprété ce silence comme étant l’indication que nos adversaires ne voulaient
pas se laisser entraîner au -delà de Phra Viharn, et que tout en ayant invoqué la
frontière de l ’annexe I, ils se refusaient à tirer d ’autres conséquences de ce principe

que celles concernant le temple.

Mais du moment qu’ ils vous demandent une consécration officielle de toute la
frontière des Dangrek, ils en veulent donc les conséquences. Je suis en droit
d’attendre d’eux des explications complémentaires.» 126

2.64. Ces difficultés techniques sont essentielles puisque la ligne de l ’annexe I, une fois
transposée, risquerait d’aboutir à un tracé détaché de la topographie réelle de la région. Pourtant,
ce n’est que lors du second tour de plaidoiries que le Cambodge a fait mine de se pencher sur ces

problèmes, sans faire autre chose que contester l ’exactitude de la représentation topographique
qu’offraient les cartes produites par la Thaïlande et du report opéré par celle- ci de la ligne de
l’annexe I sur une carte moderne 127, et sans la moindre proposit ion constructive en vue d’ y
remédier.

2.65. Cette passivité était d ’autant plus surprenante et inacceptable pour la Thaïlande que le
Cambodge avait, à l’audience, modifié sa demande pour y inclure la délimitation de la région dans
son ensemble.

3. Le petitum tel qu’il était défini dans les conclusions recevables des Parties

2.66. Les conclusions présentées par le Cambodge dans ses écritures n ’ont varié ni sur la
forme ni sur le fond ; le Cambodge ne demandait que la reconnaissance de sa souveraineté sur le

temple (au titre de sa seconde conclusion) et, en conséquence, le retrait des troupes thaïlandaises du
temple (au titre de sa première conclusion) :

«Par ces motifs,

Le Royaume du Cambodge conclut à ce qu’il plaise à la Cour [de]

dire et juger, tant en présence qu’en l’absence du Royaume de Thaïlande,

1. que le Royaume de Thaïlande devra retirer les éléments de forces armées qu ’il a
installés depuis 1954 dans les ruines du temple de Préah Vihéar ;

2. que la souveraineté territoriale sur le temple de Préah Vihéar appartient au
Royaume du Cambodge.» 128

2.67. En réponse, la Thaïlande s ’attacha à produire des arguments et preuves documentaires
susceptibles d’établir l’absence de fondement des demandes cambodgiennes, ses conclusions étant
donc uniquement formulées en réponse à celles de son adversaire :

126
Ibid., plaidoiries, vol. II, p. 268 (M. Henri Rolin, 8 mars 1962). (Les italiques sont de nous.) Voir également
ibid., p. 271.
127CR 62 /17, 22 mars 1962 (M. Dean Acheson), p. 2-3 de la traduction française.Pour les réponses de la
Thaïlande, voir C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, p. 568-569 (M. Henri Rolin, 28 mars 1962).
128
Ibid., requête introductive d’instance, vol. I, p. 15. Voir également ibid., mémoire du Gouvernement royal du
Cambodge, p. 119 ; ibid., réplique du Gouvernement royal du Cambodge, p. 475. - 30 -

«Par ces motifs,

Le Gouvernement de la Thaïlande conclut à ce que :

1. les prétentions du Gouvernement du Cambodge formulées dans la requête et le
mémoire ne sont pas soutenables et doivent être rejetées ;

2. Phra Viharn est en territoire thaïlandais et la Cour est respectueusement invitée à le
juger et à le déclarer.» 129

2.68. Ce n’ est qu’au terme de son premier tour de plaidoiries, que le Cambodge opéra un
véritable revirement, requérant de la Cour qu ’elle délimite l’ensemble de la région des Dangrek.
Cette nouvelle demande devait devenir la première des conclusions du Cambodge priant la Cour

de :

«1. Dire et juger que la ligne frontière entre le Cambodge et la Thaïlande, dans le
secteur des Dangrek, est celle qui est tracée sur la carte de la Commission de
o
délimitation entre l’Indochine et le Siam (annexe n I au mémoire du Cambodge).

2. Dire et juger que le temple de Préah Vihéar est situé en territoire relevant de la
souveraineté du Royaume du Cambodge.

3. Dire et juger que le Royaume de Thaïlande devra retirer les éléments de force
armée qu’il a installés depuis 1954 en territoire cambodgien, dans les ruines du
temple de Préah Vihéar.

4. Dire et juger que les sculptures, stèles, fragments de monuments, maquette en grès
et poteries anciennes, qui ont été enlevés du temple depuis 1954 par les autorités
thaïlandaises, seront remis au Gouvernement du Royaume du Cambodge par le
130
Gouvernement de Thaïlande.»

2.69. L’on comprendra aisément l’étonnement et les protestations de la Thaïlande face à ces
nouvelles demandes, étant donné la manière dont le Cambodge avait défini le différend tout au long
131 132
de la procédure et la nature des arguments qu ’il avait avancés . La Thaïlande s ’opposa donc
immédiatement à cette tentative d’élargissement des demandes initiales. Son opposition concernait
tant la première que la quatrième des nouvelles demandes du Cambodge, mais pour des raisons

différentes : pour la quatrième, elle 133it essentiellement de nature formelle, la Thaïlande invoquant
le caractère tardif de la demande , tandis que pour la première, elle visait le fond, puisque la
nouvelle demande impliquait une modification de l ’objet même du différend. C ’est ce qu’affirma
M. Pramoj, conseil de la Thaïlande, dans les termes suivants :

«Il ressort clairement des pièces que je viens de citer qu ’en l’instance introduite
par le Cambodge l’objet du différend concerne le temple de Phra Viharn. On soutient
en outre que la Thaïlande a occupé le temple avec ses forces armées. La conclusion

implicite étant que la Thaïlande a par cet acte privé les Cambodgiens d ’un lieu sacré
de pèlerinage et de culte. Ce lieu sacré de pèlerinage et de culte n ’occupe qu’une
partie du territoire cambodgien situé dans la province de Kompong Thom. Partant de

129Ibid., contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande, p. 28 de la traduction française.
130
, C.I.J. Mé moires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 209 (S. Exc. M. Cang, 5 mars 1962),
également cité in Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 10.
131Voir par. 2.26-2.46 ci-dessus.

132Voir par. 2.47-2.52 ci-dessus.
133
CR 62/05, 7 mars 1962(M. SeniPramoj), p. 14 de la traduction française. - 31 -

là, la réclamation du Cambodge ne peut s’étendre qu’au domaine du temple et non pas
à toute la frontière dans la chaîne de montagne des Dangrek comme le prétendent les
dernières conclusions du Cambodge.

Il ressort également clairement des écritur es que je viens de citer que la nature
de la réclamation énoncée avec précision par le Cambodge dans la requête et le
mémoire ne vise que le retrait des forces armées [thaïlandaises] du temple de
Phra Viharn et la déclaration par la Cour de la souveraineté territoriale du Royaume du

Cambodge sur le temple de PhraViharn.

Mais aujourd ’hui dans les dernières conclusions déposées par l ’agent du
Gouvernement cambodgien, la prétention de ce gouvernement a été étendue au point

d’être méconnaissable. La nature précise de la réclamation et de l’objet du différend a
été détruite par le Cambodge en sorte que sa requête et son mémoire ne sont plus
recevables.» 134

2.70. M. Rolin a lui aussi souligné l’irrecevabilité de telles demandes élargies, insistant sur

les inquiétudes de la Thaïlande quant aux problèmes pratiques qui se poseraie135dès lors que l ’on
tenterait de déterminer la frontière sur la base de la carte de l’annexe I :

«Encore une fois, comme je vous l ’ai dit, à la rigueur, tant que nos adversaires
se limita ient aux ruines, on pouvait considérer que cela n ’avait trait qu ’à

l’argumentation, mais maintenant cela a trait à l ’objet même de ce qu ’ils demandent.
Et cependant, bien que changeant leur conclusion et agrandissant leur objectif, ils
persistent à se taire. Est-ce qu’ils croient vraiment que l’on peut se débarrasser d’une
objection embarrassante en la passant sous silence ? Je pense que la Cour partagera la

curiosité de la délégat136 thaïlandaise quant aux explications que le Cambodge pourra
donner sur ce point.»

M. Rolin ne se trompait que sur un point : la Cour ne devait pas partager la curiosité de la

Thaïlande. Elle ne se prononça pas sur la frontière et, aux fins de trancher la q137tion de la
souveraineté sur le temple, de telles explications n’étaient pas nécessaires .

2.71. Très logiquement, les conclusions de la Thaïlande à l ’issue de son premier tour de

plaidoiries tendaient principalement à ce que la Cour déclare les première et quatrième conclusions
du Cambodge irrecevables et rejette les deux autres :

«Monsieur le président, MM. les Membres de la Cour, concernant les
conclusions présentées par le Gouvernement du Cambodge le 5 mars 1962, le

Gouvernement de Thaïlande a l ’honneur de présenter respectueusement à la Cour les
conclusions suivantes :

1. La Cour est invitée à ne pas retenir les réclamations présentées par le Cambodge

aux paragraphes 1 et 4 des conclusions que l ’agent de ce gouvernement a
présentées le lundi 5 mars, pour le motif que ces deux réclamations ont été l’une et
l’autre pr ésentées trop tard et ne figuraient pas au nombre de celles que le
Gouvernement cambodgien a désiré présenter à la Cour dans la requête
introductive d’ instance ou au cours de la procédure écrite et qu ’elles ont été

134Ibid., p. 16 (les italiques sont de nous).
135
Voir par. 2.63 ci-dessus.
136C.I.J. Mémoires, Temple de PréahVihear, plaidoiries, vol. II, p. 271 (M. Henri Rolin, 9 mars 1962).
137
Voir par. 3.67-3.78 ci-dessous. - 32 -

présentées pour la première fois par l ’agent du Cambodge lorsqu ’il a formulé les
conclusions du Cambodge.

En conséquence, le gouvernement de la Thaïlande conclut à ce que la Cour ne doit
pas [aujourd’hui] retenir ces réclamations.

2. Subsidiairement,

Concernant la première desdites réclamations, la Thaïlande présente les
conclusions suivantes :

i) Il n ’a pas été démontré que [la carte de] l ’annexe I fût un document
obligatoire pour les Parties, soit en vertu de la convention de 1904, soit pour
toute autre raison.

ii) En fait, ni la Thaïlande ni le Cambodge n’ ont traité la frontière indiquée à
l’annexe I comme frontière entre la Thaïlande et le Cambodge dans la région
des Dangrek.

iii) Pour les raisons qui précèdent, la ligne frontière indiquée à l ’annexe I ne doit
pas être substituée à la fro ntière existant[e] observée et acceptée [en fait] par
les deux Parties dans la chaîne des Dangrek.

iv) Par conséquent, même si la Cour, contrairement à la conclusion de la
Thaïlande, croit devoir retenir ladite réclamation (1) aujourd’ hui présentée
par le Cambodge, la Thaïlande conclut à ce que cette réclamation est mal

fondée au fond et doit être rejetée.

3. La Thaïlande formule les conclusions supplémentaires suivantes, en réponse aux
[deuxième et troisième] conclusions présentées par le Cambodge :

i) Des preuves abondantes ont été produites, démontrant qu’à toutes les époques
critiques la Thaïlande a exercé la pleine souveraineté dans la zone du temple,
à l ’exclusion du Cambodge. Subsidiairement, si, contrairement aux

dénégations de la Thaïlande, le Cambodge a, en un sens quelconque, rempli
des fonctions administratives dans ladite zone, ces actes ont été sporadiques,
ne sont pas concluants et ne sont en aucun cas de nature à annuler ou à limiter
le plein exercice de la souveraineté dans cette zone par la Thaïlande.

ii) La ligne de partage des eaux dans ladite zone correspond en substance
[au faîte] de l ’escarpement qui entoure Phra Viharn et constitue la frontière

[conventionnelle] dans cette zone, telle qu ’elle a été fixée par le traité
de 1904.

iii) Dans la mesure où [le faîte] de l’escarpement ne correspond pas exactement à
la ligne de partage des eaux indiquée dans cette région par la configuration du
terrain, les divergences sont minimes et devraient être négligées.

iv) La nature générale de la r égion offre un accès au temple depuis la Thaïlande,

alors que l’accès depuis le Cambodge nécessite l’escalade d’une haute falaise
depuis la plaine cambodgienne.

v) Dans les circonstances de la présente affaire, il n ’y a pas lieu d ’appliquer en
faveur du C ambodge l ’une des doctrines invoquées par le conseil du
Cambodge, à savoir l’acquiescement, l’estoppel ou la prescription. - 33 -

vi) En tout état de cause, le Cambodge ne saurait être autorisé aujourd’ hui par la
Cour à présenter une réclamation fondée sur la pr escription, n’ayant, nulle
part dans ses écritures et jusqu ’à la fin de ses plaidoiries, présenté pareille
réclamation.

vii) En tout état de cause, les preuves en faveur du Cambodge sont absolument

insuffisantes pour lui conférer un titre prescriptif.

En conséquence, les deuxième et troisième conclusions du Cambodge doivent être
rejetées.

4. Au surplus et à titre subsidiaire, en ce qui concerne la quatrième conclusion du

Cambodge, la Thaïlande conclut à ce que ce point des conclusions du Cambodge,
même s ’il est retenu par la Cour, n ’est confirmé par aucune preuve et en
conséquence la réclamation présentée par le Cambodge dans sa quatrième
conclusion n’est pas soutenable.» 138

2.72. Dans ses conclusions finales soumises à la Cour avant le second tour de plai doiries, le
Cambodge modifia une fois de plus la formulation de ses demandes. Or, cette modification, tout en
élargissant davantage encore la portée des demandes initiales, créait de nouvelles incertitudes
puisqu’elle introduisait des concepts qui n ’avaient pas été définis dans le cadre de la procédure et
dont la signification était par ailleurs assez vague. Le Cambodge priait désormais la Cour de :

«1. Dire et juger que la carte du secteur des Dangrek (annexe I au mémoire du
Cambodge) a[vait] été dressée et publiée au nom et pour le compte de la
Commission mixte de délimitation, créée par le traité du 13 février1904, qu’elle
énonç[ait] les décisions prises par ladite Commission et qu ’elle présent[ait] tant de
ce fait que des accords et comportements ulté rieurs des Parties un caractère

conventionnel ;

2. Dire et juger que la ligne frontière entre le Cambodge et la Thaïlande, dans la
région contestée voisine du temple de Préah Vihéar, [était] celle qui [était]
marquée sur la carte de la Commission de délimitation entre l’Indochine et le Siam
(annexe I au mémoire du Cambodge).

3. Dire et juger que le temple de Préah Vihéar [était] situé en territoire relevant de la
souveraineté du Royaume du Cambodge ;

4. Dire et juger que le Royaume de Thaïlande devr[ait] re tirer les éléments de forces
armées qu ’il a[vait] installés, depuis 1954, en territoire cambodgien, dans les

ruines du temple de Préah Vihéar ;

5. Dire et juger que les sculptures, stèles, fragments des monuments, maquette en
grès et poteries anciennes qui [avaient] été enlevés du temple depuis 1954 par les
autorités thaïlandaises, ser[aient] remis au Gouvernement du Royaume du
Cambodge par le Gouvernement de Thaïlande.» 139

2.73. Ainsi, les conclusions révisées introduisaient  encore  une nouvelle demande,
puisqu’au premier point, le Cambodge demandait à la Cour de déclarer, dans le dispositif de son
arrêt, que la carte de l ’annexe I avait un caractère conventionnel. La question avait certes été
évoquée au cours de la procédure mais dans l ’argumentation, aux fins d’établir la souveraineté sur

138
CR 62/15, 20 mars 1962 (Vongsamahip Jayankura), p. 14-16 de la traduction française.
139Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 11 et C.I.J.
Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 441 (S. Exc. M. Truong Cang, 20 mars 1962). - 34 -

le temple, pas aux fins de la localisation de la ligne frontière , et pas non plus à titre de demande à

part entière. Par ailleurs, e n sollicitant, au deuxième point, une délimitation «dans la région
contestée voisine du temple de Préah Vihéar», le Cambodge circonscrivait dans une certaine
mesure la portée territoriale de la demande précédente, tendant à la détermination de la frontière
dans le secteur des Dangrek . Les trois autres conclusions demeuraient inchangées.

2.74. Dans ses conclusions révisées, tout naturellement rédigées à la lumière des dernières
conclusions du Cambodge, la Thaïlande priait la Cour de rejeter la demande portant sur le statut de
la carte de l’annexe I. Elle la priait également de déclarer i rrecevables les demandes tendant d’une
part, à la délimitation et, d’autre part, à la restitution d’objets culturels, et de débouter le Cambodge
de sa prétention à la souveraineté sur le temple :

«I. Concernant la première réclamation des conclusions revisées :

1. Toutes les preuves soumises à la Cour montrent que la carte du secteur des
Dangrek qui constitue l ’annexe I au mémoire du Cambodge n’ a été préparée ou
publiée ni au nom ni pour le compte de la Commission mixte de délimitation créée
par la convention du 13 février 1904 ; mais, attendu que cette Commission mixte

se composait d ’une commission française et d ’une commission siamoise, ladite
annexe I a été préparée par les membres de la commission française seuls et
publiée uniquement au nom de la commission française.

2. Les officiers français qui ont préparé cette annexe I n ’avaient pas autorité pour
donner une interprétation officielle et définitive des décisions de ladite
Commission mixte, moins encore des intentions de cette Commission sur des

points pour lesquels aucune décision n’avait été transcrite.

3. Aucune décision de ladite Commission mixte n’ a été transcrite concernant la
frontière à Phra Viharn. Si la Commission mixte a pris une telle décision, cette
décision n’est pas correctement indiqué e par ladite annexe I mais elle disposait
que, dans la zone de Phra Viharn, la frontière devait coïncider avec le faîte de

l’escarpement.

4. Il n’y a pas eu d ’accord ultérieur des Parties attribuant à l ’annexe I un caractère
bilatéral ou conventionnel.

5. La conduite des Parties pour ce qui est de l ’attribution d ’un caractère

conventionnel à ladite annexe I montre que les Parties n ’ont pas traité la ligne
tracée à l’annexe I comme frontière dans les Dangrek ; la Thaïlande est restée en
possession incontestée de tout le territoire au sommet des Dangrek. Partout où il y
a une falaise dans les Dangrek, le faîte de l’escarpement est et a été accepté comme
constituant la frontière de la ligne de partage des eaux établie dans cette région par
l’article premier de ladite convention de 1904.

6. Même si ladite annexe I devait être envisagée comme possédant un caractère
conventionnel, la ligne frontière qu’ elle indique ne serait pas obligatoire pour les
Parties lorsqu’il est établi  comme c’est le cas dans la zone co ntestée  qu’elle
repose sur un levé inexact du terrain.

140Voir par. 2.68 ci-dessus. - 35 -

II. Concernant la deuxième réclamation des conclusions revisées :

1. La Cour est invitée à ne pas retenir cette réclamation pour les motifs suivants :

i) la réclamation d’une région «voisine du temple de PhraViharn» constitue une
extension de la réclamation présentée par le Gouvernement cambodgien dans

la requête introductive d’instance et tout au long des écritures ;

ii) les termes de la réclamation sont trop vagues pour permettre, aussi bien à la
Cour qu’au Gouvernement thaïlandais, d ’apprécier les limites du territoire
revendiqué.

2. Subsidiairement, le Gouvernement thaïlandais répète le paragraphe 3 des

conclusions qu’il a présentées à l’audience de la Cour du 20 mars 1962.

III. Concernant le s troisième et quatrième réclamations des conclusions
revisées :

Le Gouvernement thaïlandais répète le paragraphe 3 des conclusions qu’ il a

présentées à l’audience de la Cour du 20 mars 1962.

IV. Concernant la cinquième réclamation des conclusions revisées :

1. La Cour est invitée à ne pas retenir cette réclamation parce qu ’elle constitue une
extension de celle qui a été présentée par le Gouvernement cambodgien dans la
requête introductive d’instance et tout au long des écritures.

2. Subsidiairement, le r ejet des première, deuxième et troisième réclamations des
conclusions revisées doit amener le rejet de ladite réclamation.

3. Subsidiairement, ladite réclamation devrait être limitée à tous objets rentrant dans
les catégories énoncées dans la réclamation d ont il a été démontré par les preuves
présentées à la Cour qu’ils ont été enlevés du temple depuis 1954 par les autorités
141
thaïlandaises.»

2.75. Lors du second tour de plaidoiries, M. Rolin, conseil de la Thaïlande, exposa plus
précisément les raisons pou r lesquelles toute demande en rapport avec la délimitation devait être
déclarée irrecevable, soulignant à nouveau que toute transform ation du différend soumis dans la
requête était inadmissible :

«Il a tant été question de cartes dans cette affaire que l’on semble avoir perdu de
vue, du côté cambodgien, quel était réellement l ’objet de l [a] demande. Cet objet
n’est assurément pas la rectification des cartes thaïlandaises ; c ’est avant tout
l’adjudication d’un territoire.

On se pose la question, que maît re Seni Pramoj a développée avec force au
début de son intervention hier, de savoir quel territoire. Dans la procédure écrite, il
s’agissait du temple de Phra Viharn, les bâtiments, et, j ’imagine, de l’allée conduisant
à l’escalier qui descend le long de la falaise sur la plaine du Cambodge.

Déjà nous avions remarqué  et M. Seni Pramoj l’avait fait observer dans sa

première plaidoirie  que M. l’agent du Cambodge avait, dans ses premières

141Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 13-14. - 36 -

remarques, employé une expression qui marquait un élargissement lo rsqu’il avait
réclamé la région de Phra Viharn.

Dans les premières conclusions d ’audience, cet objet s ’est manifestement
étendu, puisque les premières conclusions vous demandaient de dire et juger «que la
ligne frontière entre le Cambodge et la Thaïlande dans le secteur des Dangrek était
celle qui était tracée sur la carte de la Commission de délimitation entre l ’Indochine et
le Siam».

Vous vous rendez bien compte, Messieurs, que vous demander de dire que la
carte indique dans tout le secteur des Dangrek la frontière officielle et obligatoire,
c’est donner barre au Cambodge pour réclamer ensuite l ’évacuation de toutes les

autres parcelles de territoire qui se trouveraient au nord de cette ligne et qui seraient
occupées par la Thaïlande.

Nous avons donc i mmédiatement dans nos conclusions d’ audience, après que
j’eus montré le caractère redoutable et insoutenable de cette revendication, opposé une

fin de non-recevoir en comparant ce dispositif à celui des conclusions de la procédure142
écrite et en vous montrant que manifestement cette demande était ultra petita.»

2.76. M. Seni Pramoj dénonça quant à lui le caractère imprécis des conclusions revisées en
ces termes :

«[D]ans ma précédente plaidoirie j ’ai parlé de l ’imprécision de la plainte
cambodgienne quant aux limites exactes du territoire qu ’il réclame. Le Cambodge a
revisé ses conclusions en s’ efforçant d’être plus précis et M. Acheson, en regrettant

que les termes employés antérieurement par le Cambodge aient pu entraîner quelques
malentendus, a déclaré que mes critiques devenaient désormais sans fondement. J’ai le
regret de n’être pas d’accord avec lui. Dans ses conclusions amendées, le Cambodge
demande à la Cour de dire et juger que la ligne frontière entre le Cambodge et la

Thaïlande est, dans la région voisine du temple de Phra Viharn, celle qui figure sur la
carte de l ’annexe I. Les termes qu ’il emploie à présent sont les suivants : «région
voisine du temple». J’estime, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, qu’ils sont
encore plus ambigus. Le mot «région», imprécis par définition, apparaît ici de
nouveau, et l’on innove en nous servant l’adjectif «voisine».» 143

2.77. Outre sa critique concernant l ’imprécision de la revendication territoriale du
Cambodge 14, la Thaïlande réitéra ses réserves quant au fait que celui -ci revendiquait une frontière
située hors de la zone du temple proprement dite, soulignant à nouveau le décalage entre l ’annexe I
145
et la réalité sur le terrain et le risque qu ’en adoptant un tel tracé , on aboutisse à une nouvelle
frontière, très différente de celle observée jusqu’alors par les Parties :

«Même si le Cambodge veut bien préciser quel est l’objet limité de sa demande,
la portion limitée de territoire qu ’il réclame, de l ’avis de la Thaïlande, la thèse

défendue par le Cambod ge continue à contenir en elle une menace dont les
répercussions doivent, si elles étaient acceptées, inévitablement entraîner entre les
deux pays de graves complications et être une source d’insécurité.

142C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 566-568 (M. Henri Rolin, 28 mars 1962).
(Les italiques sont de nous.)
143
CR 62/21, 27 mars 1962 (M. Seni Pramoj), p. 33. (Les italiques sont dans l’original.)
144Sur ce point, voir également ibid., p. 567 (M. Henri Rolin, 28 mars 1962).
145
Voir par. 2.70 ci-dessus. - 37 -

En effet, nous lisons encore dans les dernières conclusions du Royaume du
Cambodge qu’il est demandé de dire et juger que la carte du secteur de Dangrek a été

dressée et publiée au nom et pour compte de la Commission mixte de délimitation
créée par le traité du 13 février1904, qu’elle énonce des décision s prises par ladite
Commission mixte et qu ’elle présente tant de ce fait que des accords et

comportements ultérieurs des Parties un caractère conventionnel. Assurément c’ est là
un dire pour droit purement juridique, qui n’ a pas directement de conséquence
politique, puisqu’ il nous serait toujours possible, si l’ on cherchait ailleurs qu ’à
Phra Viharn à tirer parti d ’une déclaration en ce sens, d’ opposer d’autres arguments

que le caractère non conventionnel de la carte, mais il n’en est pas moins vrai qu’il y a
là un préjugé dont éventuellement on pourrait se servir ailleurs, et qui constituerait une
menace pour tous les points du secteur du Dangrek et peut -être des autres secteurs
des onze autres cartes, où la frontière de fait, telle qu ’elle est respectée pa r les deux

pays, sans créer de difficultés, ne se trouve pas en conformité avec la frontière
théorique indiquée sur la carte. Car je ne crois pas qu’ il pourra être contesté que
Phra Viharn n’est pas le seul endroit où la frontière effective ne correspond pas à la
146
carte annexe I.»

2.78. Le conseil de la Thaïlande insista sur le fait que même dans l ’hypothèse où la ligne de
l’annexe I pourrait être transposée sur le terrain, le tracé obtenu serait très différent de la frontière
147
jusqu’alors respectée par le s Parties . Il présenta une carte montrant les portions de territoire
cambodgien susceptibles d’être revendiquées par la Thaïlande en cas de transposition de la ligne de
l’annexe I , et énuméra les difficultés que causerait une telle transposition, soit parce qu ’elle
supposerait de méconnaître certaines décisions de la commission de délimitation établie en vertu du
149
traité de 1907 soit parce qu’elle contreviendrait à un accord tacite ultérieur entre la Thaïlande et
le Cambodge 150. Il concluait ainsi :

«Et alors, je vous pose la question, et c ’est l’objet de ma démonstration, si telle
est la situation, est-ce qu’il est raisonnable d’aller demander à la Cour, fût -ce dans un
dire pour droit théorique, d’ investir d ’une sorte de caractère sacro -saint
conventionnel, sur toute l ’étendue de la frontière des Dangrek, cette ligne frontière

indiquée dans la carte annexe I ?

Je pose la question : de la Thaïlande ou du Cambodge, quel est celui des deux
Etats dont l’attitude, dans ce procès, pourrait être une cause d’insécurité et d’instabilité

pour une frontière qui, à151rt Phra Viharn, n’a jamais donné lieu, depuis cinquante ans,
à aucune difficulté ?»

2.79. M. Rolin mettait ainsi en évidence que, hormis en ce qui concerne Phra Viharn, les

Parties n’avaient pas développé devant la Cour d’arguments qui eussent permis à cette dernière de
définir précisément leurs demandes respectives, la situation factuelle, la réalité géographique et

146C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 567-568 (M. Henri Rolin, 28 mars 1962) (les
italiques sont de nous).
147
La Thaïlande a exprimé de vives réserves quant à la faisabilité d’un e telle transposition. Voir par. 2.63-2.64
ci-dessus et ibid., duplique du Gouvernement r oyal de Thaïlande, vol. I, p. 597, note 1. La Thaïlande reviendra sur ce
point au chapitre VI.
148
Ibid., carte montrant les bandes de territoire cambodgien qui reviendraient à la Thaïlande si la carte de
l’annexe I était déclarée valide, déposée en tant qu’annexe76bis de la duplique de la Thaïlande, était retenue, ibid.,p. 687
(annexe 102).
149Ibid., plaidoiries, vol. II, p. 571 (M. Henri Rolin, 28 mars 1962).

150Ibid., p. 570.
151
Ibid., p. 573 (les italiques sont dans l’original). - 38 -

humaine ou la faisabilité technique de la transposition de la ligne  autant de questions revêtant

une importance capitale pour la délimitation.

C. C ONCLUSION

2.80. Conformément aux positions des Parties quant à l’objet du différend, tel que formulé,

 dans la requête introductive d’instance du Cambodge,

 dans le cadre des exposés écrits et oraux, et

 dans leurs conclusions recevables,

et conformément à la définition qui en était donnée dans l ’arrêt de la Cour sur les exceptions
préliminaires, la décision demandée à la Cour ne concernait que la souveraineté sur le temple et les

deux demandes du Cambodge tendant au retrait des personnels militaires thaïlandais et à la
restitution des biens culturels. La Cour ne fut nullement priée de déterminer la ligne frontière entre
les Parties, mais uniquement, dans le cadre de la procédure, de considérer la carte de l ’annexe I
comme un élément de preuve de la souveraineté cambodgienne sur le temple. - 39 -

C HAPITRE III

S ENS ET PORTÉE DE L ’ARRÊT DE 1962

A. INTRODUCTION

3.1. Dans son arrêt du 15 juin 1962 sur le fond du différend, la Cour s ’est prononcée sur les
questions spécifiquement soulevées par le Cambodge dans sa requête initiale  la souveraineté sur

le temple et le retrait du personnel militaire thaïlandais des ruines du temple , ainsi que sur une
autre  la restitution des «sculptures, stèles, fragments des monuments, maquette en grès, et
poteries anciennes» 152(ci-après les «biens culturels») , qui avait été soulevée par le Cambodge

en cours de procédure. Elle a, en revanche, expressément rejeté la tentative du Cambodge visant à
élargir la question dont elle était saisie à une détermination de la frontière entre les deux pays, et à
obtenir qu’elle se prononce sur le statut de la ligne de la carte de l’annexe I.

3.2. Les termes employés par la Cour pour décrire le différend et définir la zone à laquelle se

rapportait sa décision faisaient tout simplement écho à ce qu ’elle avait dit au stade des exceptions
préliminaires. Le différend avait une portée restreinte, et la zone qui l ’intéressait était circonscrite.
La Cour a retenu des termes tels que «la zo ne» ou «les environs» du temple, qui limitaient ses
conclusions au temple lui-même, y compris le terrain sur lequel il était situé. Le membre de phrase

qui figure au deuxième point du dispositif  «dans le temple ou dans ses environs situés en
territoire cambodgien» , et sur lequel repose la demande en interprétation du Cambodge, n’ a pas
la signification large que celui- ci entend désormais lui attribuer. La question centrale, pour la
Cour, était celle de la souveraineté sur le temple, et les cartes, si elles devaient l ’aider à décider à

qui appartenait le territoire sur lequel se trouvait celui -ci, ne devaient  explicitement  pas lui
servir à déterminer la frontière entre les Parties. A cet égard, il est notable que la Cour n ’a joint
aucune carte à son arrêt, demandant seulement que celle de l’annexe I soit reproduite dans le cadre
des Mémoires, mais sans inclure la moindre carte récente reproduisant fidèlement la réalité
153
topographique .

3.3. A la lecture de l ’arrêt de 1962, il est aisé de constater que lorsque la Cour faisait
référence, en 1962, à la «zone» ou aux «environs» du temple, elle ne renvoyait pas à l ’ensemble du
secteur traversé par la ligne de l ’annexe I. La formulation qu’elle employait au deuxième point du

dispositif était précise et c laire : c’était au temple lui -même et à ses environs qu ’elle se référait.
Les termes utilisés reflétaient directement la demande que le Cambodge avait alors présentée, pas
ce qu’il revendique actuellement.

3.4. L’analyse qui suit démontre la portée restreinte de la décision de la Cour et le caractère
limitatif des termes employés pour décrire le différend et motiver ses conclusions.

15Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 10 et 11.

15Voir aussi par. 5.25 et en particulier la note de bas de page457 ci-dessous. - 40 -

B. L A PORTÉE ET LA TENEUR DU DISPOSITIF

3.5. Dans son arrêt du 15 juin 1962, la Cour s’est prononcée sur trois points.

3.6. Premièrement, elle a jugé que «le temple de Préah Vihéar [était] situé en territoire
relevant de la souveraineté du Cambodge» 15. C ’était sa principale conclusion et elle reprenait

presque155t pour mot la demande présentée par le Cambodge dans sa tro isième conclusion
finale . Il s ’agissait d’une réponse à une demande formulée par le Cambodge dans sa requête
initiale, sur laquelle elle allait pouvoir fonder ses autres conclusions.

3.7. Deuxièmement, elle a jugé que la Thaïlande était «tenue de reti rer tous les éléments de
forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’ elle a[vait] installés dans le temple ou
156
dans ses environs situés en territoire cambodgien» . Elle paraphrasait en cela la quatrième
conclusion finale du Cambodge, qui lui demandait de dire que la Thaïlande «dev[ait] retirer les
éléments de forces armées qu ’[elle] a[vait] installés, depuis 1954, en territoire cambodgien, dans
les ruines du temple de Préah Vihéar» 157.

La Cour n ’a guère motivé ce deuxième point du dispositif, se contentant d ’indiquer
qu’«[e]lle décid[ait] également en faveur du Cambodge en ce qui concerne sa quatrième conclusion
158
relative au retrait des éléments de forces armées» . Ainsi, ce point du dispositif ne faisait, d’après
elle, que donner effet à la conclusion du Cambodge.

3.8. Troisièmement, la Cour a jugé que la Thaïlande était

«tenue de restituer au Cambodge tous objets des catégories spécifiées dans la

cinquième conclusion du Cambodge qui, depuis la date de l ’occupation du temple par 159
la Thaïlande en 1954, auraient pu être enlevés du temple ou de la zone du temple» .

Au lieu de reproduire dans son intégralité la demande du Cambodge tendant à ce que la

Thaïlande restitue la totalité des «sculptures, stèles, fragments des monuments, maquette en gr ès et
poteries anciennes» enlevés du temple depuis 1954, le troisième point du dispositif ne contenait
qu’une référence aux «objets des catégories spécifiées dans la cinquième conclusion du

Cambodge». De fait, la Cour reconnaissait qu’il n’avait pas été démontré que de tels objets eussent
été enlevés du temple, mais était néanmoins disposée à «tranch[er] … en faveur du
Cambodge … en principe» 16.

3.9. La Cour a expressément indiqué que les deuxième et troisième points du dispositif
étaient les corollaires du premier 16. La Thaïlande était en tout état de cause tenue, en droit

154
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36.
155La Cour utilise le nom «Cambodge» et non l’expression «Royaume du Cambodge» employée par ce dernier
dans sa troisième conclusion finale.

156Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 37.
157
Ibid., p. 11.
158Ibid., p. 36.

159Ibid., p. 37.
160
Ibid., p. 36.
161Ibid., p. 36 et 37. - 41 -

international général, et de retirer ses soldats et de restituer au Cambodge les biens culturels visés,
dès lors qu ’il s ’avérait que le temple se trouvait en territoire relevant de la souveraineté du

Cambodge. Ainsi que l ’a noté la Cour, les demandes contenues dans les quatrième et cinquième 162
conclusions étaient «implicite[s] dans la revendication de souveraineté et en découl[aient]» .

3.10. De fait, la Cour n’ a décidé qu’une seule chose : que le temple était situé en territoire
relevant de la souveraineté du Cambodge. Le reste s’ ensuivait mécaniquement. Puisqu’elle y était
priée, la Cour a fourni des réponses précises aux quatrième et cinquième conclusions. Mais quand

bien même elle n’y eût pas été invitée, ces réponses auraient automatiquement découlé de sa
décision. Aussi n’a-t-elle vu aucun inconvénient à statuer sur la cinquième conclusion, bien qu’elle
ne fît pas partie des conclusions initiales du Cambodge. Elle ne pouvait constituer une extension
de la demande du Cambodge, puisqu ’elle était la conséquence inévitable de sa revendication de

souveraineté.

3.11. En sus de ne décider qu’ une seule chose, la Cour a expressément refusé d ’aller plus

loin. Au cour163e la procédure, le 5 mars 1962, le Cambodge avait ajouté une nouvelle première
conclusion , lui demandant de

«[d]ire et juger que la ligne frontière entre le Cambodge et la Thaïlande, dans le

secteur des Dangrek, [était] celle qui [était] tracée sur la carte de la Commission de 164
délimitation entre l’Indochine et le Siam (annexe n° I au mémoire du Cambodge)» .

En bref, le Cambodge souhaitait voir la Cour déclarer que la ligne figurant sur la carte de l’annexe I

était la frontière entre les Parties.

3.12. Le 20 mars 1962 , le Cambodge avait encore ajouté, dans ses conclusions finales, une

autre demande, priant la Cour de

«[d]ire et juger que la carte du secteur des Dangrek (annexe I au mémoire du
Cambodge) a[vait] été dressée et publiée au nom et pour le compte de la Commission

mixte de délimitation, créée par le traité du 13 février 1904, qu’elle énon[çait] les
décisions prises par ladite Commission et qu ’elle présent[ait] tant de ce fait que des
accords et comportements ultérieurs des Parties un caractère conventionnel» 166.

Par cette conclusion  la nouvelle première conclusion du Cambodge , il était ainsi
demandé à la Cour d ’aller encore plus loin et de dire que la carte de l ’annexe I avait un caractère
conventionnel.

162Ibid., p. 36.
163
Voir par. 2.35-2.39 ci-dessus.
164Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 10.

165Voir par. 2.68-2.70 ci-dessus.
166
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 11. - 42 -

3.13. Or la Cour a refusé de se prononcer sur l ’une comme sur l ’autre de ces nouvelles
conclusions  et, partant, d’inclure la moindre référence à la carte de l ’annexe I dans le dispositif.
Comme nous le verrons plus loin, cette décision était inévitable compte tenu de la façon dont elle

concevait sa tâche et définissait l ’objet du différend. Dès lors que la seule question qui lui fût
soumise était de savoir si le temple se trouvait en territoire cambodgien ou en territoire thaïlandais,
se prononcer sur le statut de la carte ou de la ligne de l ’annexe I revenait pour la Cour à statuer
ultra petita. La Cour n’était ni obligée ni disposée à le faire, et elle ne l’a pas fait. Or, aujourd’hui,

le Cambodge voudrait voir la Cour, dans sa composition actuelle, soit prétendre que les juges
siégeant en 1962 ont rendu un prononcé qu’ ils se sont délibérément refusé à rendre, soit se
substituer à eux, et prendre une décision que leurs prédécesseurs n’ont jamais prise.

C. L A PORTÉE ÉTROITE DU DIFFÉREND TEL QUE L ’A DÉFINI LA C OUR

3.14. En précisant ce qui constituait l e différend qu’elle était appelée à trancher, la Cour a
bien indiqué qu’il se limitait à la question de la souveraineté sur le temple, sans englober celle, plus
vaste, du statut de la frontière ou de la carte ou ligne de l ’annexe I. Elle a maintenu l’interprétation

restrictive qu’elle avait donnée du différend au stade des exceptions préliminaires et a donc refusé
de se prononcer sur les conclusions du Cambodge qui impliquaient qu ’elle possédât une
compétence plus étendue.

1. Le lien avec l’arrêt de la Cour sur les exceptions préliminaires

3.15. Au stade des exceptions préliminaires, la Cour a défini le différend comme portant sur
«la souveraineté territoriale du Cambodge sur la région du temple de Préah Vihéar et ses
environs» . Dans son arrêt sur le fond, elle a cité ce qu ’elle avait dit alors pour conclure,
manifestement sur la base de ce propos : «L’objet du différend soumis à la Cour est donc limité à
168
une contestation relative à la souveraineté dans la région du temple de Préah Vihéar.»

3.16. En bref, la Cour s’est référée, aux fins de cet arrêt, à ce qu ’elle avait dit dans la phase
consacrée aux exceptions préliminaires pour définir le différend. La «région du temple de

Préah Vihéar», au stade des exceptions préliminaires, était le temple et ses en virons, et c’était donc
sur cette même «région» que portait son arrêt au fond.

2. La portée limitée du différend, dans l’interprétation de la Cour

3.17. Ayant défini le différend comme concernant la souveraineté sur la région du temple de
Phra Viharn et ses environs, la Cour a précisé en ces termes la pertinence qu ’elle prêtait à la
frontière entre les Parties et aux cartes qui lui avaient été soumises :

«Pour trancher cette question de souveraineté territoriale, la Cour devra faire
état de la frontière entre les deux Etats dans ce secteur. Des cartes lui ont été soumises
et diverses considérations ont été invoquées à ce sujet. La Cour ne fera état des unes
et des autres que dans la mesure où elle y trouvera les motifs de la décision qu’ elle

167Voir par. 2.14 à 2.17 ci-dessus.

168 Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962,
C.I.J. Recueil 1962, p. 14. (Les italiques sont de nous.) - 43 -

doit rendre pour trancher le seul différend qui lui est soumis et dont l ’objet vient
d’être ci-dessus énoncé.» 169

3.18. L’objet du «seul différend qui lui [était] soumis» étant la souveraineté sur «la région du
temple de Préah Vihéar et ses environs», la frontière et les cartes ne présentaient d ’intérêt pour elle
que dans la mesure où elles pouvaient l ’éclairer sur cette question. Elles pouvaient être prises en

compte pour motiver sa décision, mais ne pouvaient en elles-mêmes devenir l’objet de celle-ci. La
Cour n’avait à se prononcer que sur «le seul différend qui lui [était] soumis» : la question de la
souveraineté sur le temple et ses environs.

3.19. Il n’est donc pas surprenant que, en 1962, la Cour n ’ait pas été disposée à statuer sur
les première et deuxième conclusions finales du Cambodge. En déclarant qu ’elle ne pouvait faire
droit à ces conclusions en tant que «demandes à retenir dans le dispositif de l ’arrêt», «pour les
raisons indiquées au début» de celui -ci , elle reliait directement cette décision à l ’explication

selon laquelle la frontière et les cartes n ’étaient pertinentes que dans la mesure où elles pouvaient
éclairer la question de la souveraineté sur le temple et ses environs. En d ’autres termes, une
décision sur le statut de la carte de l ’annexe I ou de la ligne qui s ’y trouve représentée aurait tout
simplement été exclue de son champ de compétence, puisque celles-ci n’étaient pas l’objet du «seul

différend qui lui [était] soumis».

3.20. Dans les conclusions qui précèdent sa décision, la Cour a encore insisté sur ce qu ’elle

considérait comme le «seul différend» qui lui était soumis. Elle a mentionné, par deux fois, qu’ il
concernait «la souveraineté sur Préah Vihéar», notamment dans la synthèse des positions des
Parties («La Cour, en présence des demandes que le Cambodge et la Thaïlande lui ont
respectivement soumises concernant la souveraineté, ainsi contestée entre ces deux Etats sur
171
Préah Vihear» ) qui précède l’énoncé de ses conclusions et de sa décision. On ne saurait trouver
meilleure indication de ce que la Cour elle -même considérait comme l ’objet de sa décision en
l’affaire. Et c’est précisément de souveraineté sur Phra Viharn qu’il était question au premier point
du dispositif.

3.21. Ainsi, ce qu’ affirme le Cambodge dans sa demande en i nterprétation en ce qui
concerne le deuxième point du dispositif, à savoir que «l ’utilisation de l’ expression «en territoire
cambodgien» … indique clairement que l’obligation de retirer ses forces armées pour la Thaïlande

dépasse un172trait de la seule enceinte du temple lui- même pour s’étendre à la région du temple en
général»  par laquelle il entend l’ensemble de la zone située du côté cambodgien de la ligne de
l’annexe I  est manifestement erroné. Le «seul différend» soumis à la Cour concernait la

souveraineté sur le temple de Phra Viharn, ce qui ne pouvait signifier rien d ’autre que le temple et
ses environs. Par suite de la propre définition du différend donnée par la Cour, l ’obligation de la
Thaïlande ne pouvait s’étendre au-delà.

169Ibid. (Les italiques sont de nous.)
170
Ibid., p. 36.
171Ibid.
172
Demande en interprétation de l’arrêt du 15juin 1962 en l’affaire du Temple de PréahVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 36. - 44 -

3. La portée et le contenu du dispositif circonscrits par le petitum

3.22. Une cour ne saurait, lorsqu ’elle statue, aller au -delà des demandes des parties en
173
accordant à l’une d’elles ce qu’elle n’a pas demandé (règle non ultra petita) . C’est, comme l’a
indiqué le juge Buergenthal dans son opinion individuelle en l ’affaire des Plates-formes
pétrolières, une «règle cardinale régissant l ’action judiciaire de la Cour [que celle qui] interdit à
celle-ci de traiter dans le dispositif de son arrêt une question que les parties à l’affaire ne lui ont pas
174
demandé dans leurs conclusions finales de trancher» . Le juge Buergenthal se faisait là l’écho de
ce qu’avait dit la Cour dans l’affaire du Droit d’asile, à savoir que «la Cour a le devoir de répondre
aux demandes des parties t elles qu’elles s’expriment dans leurs conclusions finales, mais aussi
celui de s ’abstenir de statuer sur des points non compris dans lesdites demandes ainsi
175
exprimées» .

3.23. En bref, les décisions énoncées par la Cour dans chacun des points du dispositi f de son
arrêt de 1962 ne pouvaient excéder les demandes du Cambodge : les trois conclusions auxquelles la

Cour est parvenue étaient donc intrinsèquement limitées et n ’auraient pu, presque par définition,
revêtir une portée étendue.

3.24. La demande formulée par le Cambodge dans sa troisième conclusion renvoyait à la
souveraineté sur le temple. Elle ne portait expressément que sur le temple. La formulation que le
Cambodge avait utilisée dans sa requête et qu ’il répéta au cours de la procédure orale consacrée
aux exceptions préliminaires  «une parcelle du territoire cambodgien» où se trouve le
176
temple  atteste que, pour lui, l ’objet du différend était bien circonscrit. Et il devait
nécessairement considérer sa demande comme limitée car pourquoi, sinon, aurait -il inséré
ultérieurement ses deux premières conclusions ?

3.25. Si la «parcelle du territoire cambodgien» qui constituait l ’objet de sa requête du
6 octobre 1959 avait renvoyé à l ’ensemble de la zone située du côté cambodgien de la ligne de
l’annexe I, le Cambodge n’aurait, en effet, eu nul besoin de formuler ces conclusions additionnelles

relatives à la carte de l ’annexe I et à la ligne qui s’ y trouve représentée. Comme les quatrième et
cinquième conclusions, les première et deuxième auraient pu constituer un élément, ou la
conséquence logique, de sa conclusion relative à la souveraineté sur le temple. Mais le Cambodge
ne voyait clairement pas les choses ainsi, et il a éprouvé le besoin d ’ajouter ces deux conclusions,

dont le contenu n’était pas couvert par sa demande concernant la souveraineté sur le temple.

3.26. Ainsi, la portée limitée de la demande formulée dans la troisième conclusion  priant

la Cour de dire que «le temple est situé en territoire relevant de la souveraineté du Cambodge» ,
telle qu’envisagée par le Cambodge et interprétée par la Cour, circonscrivait la portée et le contenu
du premier point du dispositif. La souveraineté sur le temple ne visait rien d’ autre que le temple
proprement dit et la «zone du temple», selon l’express ion que la Cour a fréquemment employée,

zone qui, comme nous le verronsci-dessous, était bien limitée.

173Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
p. 18 et 19, par. 43.
174
Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
opinion individuelle de M. le juge Buergenthal, p. 270 et 271, par. 3.
175Demande d’interprétation de l’arrêt du 20novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colombie/Pérou),
arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402.
176
Voir par. 2.12 ci-dessus. - 45 -

3.27. Ce point a une autre conséquence. Puisque, comme l ’a indiqué la Cour, les quatrième

et cinquième conclusions découlaient de la troisième, la Co ur, en les retenant, ne pouvait élargir la
zone à laquelle s ’appliquait cette troisième conclusion. Puisqu ’elle se déduisait de ce que le
Cambodge avait souveraineté sur le temple, l ’obligation de retirer les soldats et de restituer les
biens culturels ne pouvait s’appliquer qu’à la zone sur laquelle la Cour l ’avait déclaré souverain.
Les deuxième et troisième points du dispositif ne pouvaient donc concerner une zone plus étendue

que celle couverte par le premier. En outre, comme nous le verrons ci -dessous, les termes
employés par la Cour font clairement apparaître qu ’elle considérait la zone comme limitée et, en
tout état de cause, qu’elle ne la considérait nullement comme englobant la totalité du territoire situé
du côté cambodgien de la ligne de la carte de l’annexe I, comme le prétend à présent le Cambodge.

3.28. Au surplus, les deuxième et troisième points du dispositif n ’étaient en eux -mêmes

applicables qu’à une zone limitée. Par le deuxième point, relatif au retrait des troupes, la Cour,
ainsi qu’elle l’avait expliqué, retenait la quatrième conclusion du Cambodge, dans laquelle celui -ci
demandait que la Thaïlande «retir[e] les éléments de forces armées qu ’[elle] a[vait] installés
depuis 1954 dans les ruines du temple de Préah Vihéar». Selon ses propres termes, la Cour faisait
donc droit, au deuxième point du dispositif, à la demande du Cambodge visant à ce qu’ elle
prescrive le retrait des forces armées des «ruines» du temple.

3.29. L’expression «ruines du temple» ne peut guère être considérée comme une formulation
irréfléchie choisie à la hâte par le Cambodge dans les conclusions finales qu ’il a présentées à la
Cour. Il s ’agit d’une formule que le Cambodge a employée d ’emblée, dans sa requête, et qu ’il a
répétée dans les mêmes termes à chaque é tape de la procédure. Et, comme nous l ’avons souligné
177
précédemment , l’enjeu, en 1949 et en 1954, était bien le retrait du personnel militaire thaïlandais
des «ruines du temple».

3.30. L’expression «ruines du temple» ne peut faire référence qu’ à une zone qui englobe les
structures faisant partie du temple lui -même. Et rien dans la décision de la Cour n ’indique que
celle-ci entendait aller au -delà, en partant de la demande du Cambodge pour l ’étendre à une zone

bien plus vaste, ce que, du reste, elle n ’aurait pu faire sans violer la règle non ultra petita. Ainsi,
les termes employés par la Cour au deuxième point du dispositif, y compris le membre de phrase
«dans le temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien», ne sauraient être autre chose
qu’une manière commode de décrire ce que le Cambodge avait appelé les «ruines du temple».

3.31. Au troisième point du dispositif, la Cour a retenu la cinquième conclusion du
Cambodge portant sur la restitution des biens culturels «enlevés du temple». Le mot «temple»,
dans cette demande, ne saurait renvoyer à une zone plus étendue que celle à laquelle il fait
référence dans la troisième conclusion, et sur laquelle la souveraineté devait être déterminée. La
Cour, selon ses propres termes, a ordonné au troi sième point du dispositif la restitution des biens
culturels «enlevés du temple ou de la zone du temple».

3.32. Toutefois, cette reformulation élargie à la «zone du temple» ne pouvait avoir
d’incidence sur la portée géographique de sa décision. La Cour n ’aurait pu étendre la portée de
celle-ci de manière à couvrir une zone très nettement exclue du champ d ’application de la décision
demandée. La «zone du temple» désignait forcément une zone très proche du temple  ses

environs , sans quoi la Cour aurait une fois de plus risqué de se voir taxer d ’être ultra petita. Or,
elle ne l’était manifestement pas. Et, en tout état de cause, les biens culturels susceptibles d ’avoir
été enlevés n’auraient pu l’être que du temple ou de ses environs proches  ils auraient fait partie

177Voir les par. 2.3 à 2.5 ci-dessus. - 46 -

des «ruines du temple». Rien ne justifie de considérer que la «zone du temple» mentionnée au
troisième point du dispositif renvoyait à l ’ensemble de la zone située du côté cambodgien de la
ligne de l’annexe I.

3.33. Du reste, on peut établir le sens et la portée de l ’arrêt de 1962 à la lumière tant de ce

que la Cour a décidé que de ce qu’ elle s ’est abstenue de trancher. La Cour a statué sur la
souveraineté sur le temple et sur les obligations qui en découlaient, à savoir le retrait des so ldats
thaïlandais et la restitution des biens culturels, soit précisément ce que le Cambodge lui avait
demandé. Dans sa requête initiale, celui-ci ne l’avait pas priée de déterminer le statut de la carte de
l’annexe I ou de la ligne qui s’y trouve représentée. Sa demande portait uniquement sur le temple.

Aussi a-t-il décidé d ’élargir la question soumise à la Cour en formulant ses deux conclusions
additionnelles couvrant celle de la frontière entre les Parties. Le fait que, dans son dispositif, la
Cour s’est uniquement prononcée sur la demande initiale relative à la souveraineté, refusant d ’y
statuer sur la carte et la ligne de l’annexe I, indique clairement que, à ses yeux, la question dont elle
était saisie concernait la souveraineté sur le temple, et ne concernait qu’elle. Et l ’on ne saurait,
sous le couvert de l ’interprétation, transformer en décision de la Cour ce sur quoi celle- ci ne s’est

pas prononcée.

D. L’ OBJET DU DIFFÉREND TEL QUE CIRCONSCRIT
PAR LES TERMES EMPLOYÉS PAR LA C OUR

3.34. Le fait que la Cour traitait d ’une zone bien circonscrite est attesté par la phraséologie
employée dans l ’arrêt de 1962 à propos du différend et de sa portée. Les termes qui, dans le
dispositif, déterminent la portée de l’arrêt  «temple», «dans le temple ou dans ses environs situés
en territoire cambodgien» et «zone du temple»  dénotent tous une zone limitée. Et si le terme

«région» est utilisé dans l ’arrêt  quoique dans les motifs seulement , il ne l ’est généralement
pas lorsqu’il s’agit de définir l’objet du différend.

3.35. La demande en interprétation soumise par le Cambodge en la présente affaire est
fondée sur la thèse selon laquelle l’expression «environs situés en territoire cambodgien» [«vicinity

on Cambodian territory» dans la version anglaise de l’arrêt] désignerait toute la zone située du côté
cambodgien de la ligne de la carte de l ’annexe I. Or, l’analyse des termes employés vient infirmer
cette thèse : il en ressort en effet que , dans son arrêt, la Cour a statué sur la souveraineté sur le
temple, et ne s ’est pas prononcée de manière générale sur l ’étendue de la souveraineté du
Cambodge telle que revendiquée sur la base de la carte de l ’annexe I. Contrairement à ce que
prétend aujourd’hui le Cambodge, la Cour n’ a pas procédé, dans cet arrêt, à une délimitation, non

plus qu’elle n’a traité d’une zone étendue.

1. Le sens du mot «temple» employé au premier point du dispositif

3.36. Comme cela a été exposé au chapitre II , la Cour avait, au stade des exceptions

préliminaires, défini le différend en termes de souveraineté sur «la région du temple et ses
environs» [«the region of the Temple of Preah Vihear and its precincts» dans la version anglaise de
l’arrêt]. Cette définition limitait essentiellement l’objet du différend au temple lui-même, au terrain
qu’il occupait et à son périmètre immédiat  les «environs». Au début de son arrêt sur le fond, la
Cour confirme cette conception de la portée du différend, confirmation encore renforcée par les

termes dans lesquels elle introduit sa conclusion quant à la souveraineté («en présence des

178
Voir par. 2.13-2.17 ci-dessus.
* Nous employons la terminologie ou les formulations anglaises dans la mesure où leur traduction française sera
commentée plus loin [Ndt]. - 47 -

demandes que le Cambodge et la Thaïlande lui ont respectivement soumises concernant la
souveraineté … sur Préah Vihéar») faisant droit à la troisième conclusion du Cambodge, lequel
employait lui-même ceux de «souveraineté … sur le temple de Préah Vihéar».

3.37. Ainsi, rien dans l ’arrêt de 1962 ne donne à penser que, lorsque la Cour évoquait la
souveraineté sur le «temple», elle se référait à autre chose que le temple lui -même et son périmètre
immédiat. Il s’agissait de la zone que le Cambodge avait désignée par l ’expression les «ruines de

Préah Vihéar» et que la Cour elle -même avait appelée «le temple et ses environs» [«the Temple
and its precincts»]. La formule «zone du temple» [«Temple area»] fut également utilisée, comme
cela sera précisé ci -dessous. Mais, quels qu ’aient été les termes employés, la zone dont traitait la
Cour était très limitée. Il ne s ’agissait pas de l’ensemble du territoire situé du côté cambodgien de

la ligne de la carte de l’annexe I.

2. Le sens de l’expression «dans le temple ou dans ses environs situés en territoire
cambodgien» [«at the Temple, or in its vicinity on Cambodian territory»]

employée au deuxième point du dispositif
*
3.38. Abstraction faite de trois occurrences dans les motifs de l ’arrêt, le mot «vicinity»
employé dans la version anglaise n’apparaît qu’au deuxième point du dispositif. Comme cela a
déjà été précisé, par celui -ci, la Cour faisait sienne la quatrième conclusion du Cambodge, qui

appelait au retrait des troupes thaïlan daises «installé[es], depuis 1954, en territoire cambodgien,
dans les ruines du temple».

Or, de prime abord, l ’expression «dans le temple ou dans ses environs situés en territoire

cambodgien» [«at the Temple, or in its vicinity on Cambodian territory»] ne signifie rien d ’autre
que cela.

3.39. De fait, le mot «vicinity» tel qu’il est utilisé ici ne pourrait pas avoir un sens plus large.

Dans le dictionnaire anglais Oxford English Dictionary , il est défini comme «l’ état, le caractère ou
la qualité de ce qu i est proche dans l ’espace ; proximité» et l’ expression «in the vicinity of» par
«dans le voisinage (de)», «près ou proche (de)» 17. Cette notion de «vicinity», ou d’«environs» en
français, se rapporte nécessairement à un objet particulier, avec lequel cett e relation de proximité
existe, l’étendue de l’espace recouvert par cette notion étant fonction de cet objet. Elle implique

donc un certain degré de proportionnalité : les «environs» d’une ville désigneront à l’évidence une
zone plus vaste que les «environs» d ’une maison ; de même, les «environs» d ’un temple seront
limités.

3.40. Par «vicinity of the Temple», on ne pouvait entendre que la zone située près ou à
proximité du temple, celle désignée, dans les notes diplomatiques de 1949 et 1954, par l’expression
les «ruines de Préah Vihéar» . Le mot «environs» employé dans la version française du
deuxième point du dispositif connote une zone entourant ou encerclant quelque chose. Puisque la

Cour a déclaré que, par le deuxième point, elle faisait droit à la d emande du Cambodge tendant au
retrait des éléments de forces armées ou de police des «ruines du temple», le mot «environs» ne
pouvait avoir une vaste portée.

179 Oxford English Dictionary , version en ligne, septembre 2011 (annexe 103) ; dans le dictionnaire
Merriam-Webster Dictionary, le mot «vicinity» est ainsi défini : «la qualité ou l’état de ce qui e: proximité»
(Merriam-Webster, Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, 11dition, 2003, p.1393 (annexe104)).
180
Voir par. 2.3-2.5 ci-dessus. - 48 -

3.41. A la page 30 de la version anglaise de son arrêt, la Cour emploie ce même terme de
«vicinity» [traduit par «environs» au deuxième point du dispositif] pour désigner une zone
extérieure à celle du temple. A propos des activités locales et administratives que la Thaïlande
affirmait avoir menées, elle dit ce qui suit : «it is not clear that they h ad reference to the summit of
Mount Preah Vihear and the Temple area itself, rather than to places somewhere in the vicinity»

Toutefois, le sens demeure celui de proximité, cette fois pa r rapport à la zone du temple  ce que
traduit bien la version frança ise, qui emploie l’expression «à proximité» [«on ne voit pas
clairement si elles concernaient le sommet de la montagne de Préah Vihéar et la zone même du
temple, plutôt que d’autres lieux situés à proximité»].

3.42. A la différence du cas précité, les aut res emplois du mot «vicinity» dans la version
anglaise de l ’arrêt n’emportent pas, dans leur contexte, exactement la même limitation. A la
page 21, la Cour évoque la thèse de la Thaïlande selon laquelle «the frontier line indicated on the
map was not the true watershed line in this vicinity» [ «la frontière marquée sur la carte n’est pas la

véritable ligne de partage des eaux d ans la région»]. Ici, «vicinity» ne se rapporte pas directement
au mot «temple», il concerne la frontière ou la ligne de partage de s eaux. Il est intéressant de
relever que, dans la version française de l’arrêt, ce mot, tel qu’il est utilisé ici est rendu par celui de
«région», et non par le terme «environs» utilisé au deuxième point du dispositif.

3.43. Le mot «vicinity» est égalem ent utilisé dans la version anglaise de l ’arrêt lorsque la
Cour précise qu’ elle n’a pas à se prononcer sur la question de savoir si la ligne de la carte de
l’annexe I suit ou non la ligne de partage des eaux, ce qu’elle fait en ces termes :

«it becomes unnecessary to consider whether, at Preah Vihear, the line as mapped
181
does in fact correspond to the true watershed line in this vicinity» [«il devient
inutile d’examiner si, à Préah Vihéar, la frontière de la carte correspond bien à la
véritable ligne de partage des eaux dans ces parages»].

Ici, le mot «vicinity» a une portée plus limitée. La Cour évoque la ligne représentée sur la carte à

proximité du temple. Cet aspect a été pris en compte dans la version française de l ’arrêt, où n’ont
été employés ni le terme plus vaste de «région» ni celui, plus restreint, d ’«environs», mais
l’expression «dans ces parages».

3.44. La portée limitée de l ’expression «dans le temple ou dans ses environs» au deuxième
point du dispositif est encore illustrée par le membre de phrase qui la qualifie. La Cour ne
mentionne pas seulement «le temple ou … ses environs», mais le temple ou ses environs «on
Cambodian territory» [«situés en territoire cambodgien»]. Comme l ’a fait observer la Thaïlande
dans le cadre de la procédure oral e relative à la demande en indication de mesures
182
conservatoires , il en découle à l ’évidence, de manière implicite, que les environs du temple sont
aussi pour partie en territoire thaïlandais. Si la Cour avait eu l ’intention d’enjoindre à la Thaïlande
de retirer l’ensemble de son personnel militaire de toutes les zones situées du côté cambodgien de
la ligne de la carte de l ’annexe I, elle n ’aurait nullement eu besoin d ’évoquer le temple ou ses
environs. Il lui aurait suffi de prescrire le retrait de «tous les éléments de forces armées ou de

police ou autres gardes ou gardiens … installés sur le territoire cambodgien tel que délimité par la
frontière tracée sur la carte de l’annexe I». Or elle ne l’a pas fait.

181
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 33. Voir
également par. 2.44 ci-dessus et 5.15-5.16 ci-dessous.
182Demande en interprétation de l’arrêt du 1juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), demande en indication de mesures conservatoires , 30 mai 2011, CR 2011/14,
p. 24, par. 7 (M. Alain Pellet). - 49 -

3.45. Il convient de rappeler une fois encore que, dans son arrêt, la Cour a fait exactement ce

que le Cambodge lui avait demandé. Celui-ci ne l’avait pas priée de dire que la Thaïlande «dev[ait]
retirer les éléments de forces armées qu ’[elle] a[vait] installés depuis 1954 sur le territoire
cambodgien», mais bien désigné ceux «[installés] dans les ruines du temple de Préah Vihéar».
C’est une partie spécifique de ce qui était appelé le territoire cambodgien  les ruines du
temple  qui était visée. S ’il avait demandé à la Cour de dire que la Thaïlan de était tenue de
retirer son personnel militaire de la zone située du côté cambodgien de la ligne de la carte de

l’annexe I, le Cambodge n’aurait pas apporté une telle précision.

3.46. Il est donc évident que, dans le contexte du deuxième point du dispos itif, l’expression
«dans le temple ou dans ses environs» désigne seulement une zone limitée qui comprend le temple
lui-même et la zone située à proximité immédiate de celui -ci, à savoir celle englobée par
l’expression «les ruines du temple» employée par le Cambodge dans sa demande. Cette

interprétation est corroborée par l ’utilisation que la Cour fait d ’autres termes ou expressions dans
son arrêt, plus particulièrement ceux de «zone du temple» [«Temple area»] ou «région» [«region»].

3. Le sens de l’expression «zone du temple» [«Temple area»] au troisième point
du dispositif de l’arrêt de la Cour

3.47. Le fait que la Cour entendait se référer à un espace restreint au troisième point du
dispositif est confirmé par l ’emploi de l ’expression «Temple area» [ «zone du temple» ] dans
l’ensemble de l’arrêt.

3.48. Cette expression a fréquemment été employée dans l ’affaire pour décrire l ’objet du
différend. On en compte 13 occurrences dans le corps de l ’arrêt, et une au troisième point du

dispositif. La notion d’ «area», ou «zone» en français, n’ a pas, en soi, de portée géographique
limitée : une zone peut être de grande ou de petite taille, le sens de ce mot dépendant dans chaque
cas du contexte. Ainsi, l ’analyse de l ’emploi de ce terme dans l ’arrêt de 1962 montre que
l’expression «zone du temple» était une manière commode de localiser l ’objet du différend sans
déterminer avec précision les limites du temple lui-même.

3.49. Ainsi que nous l’avons relevé ci-dessus, la Cour, se référant à la définition qu’elle avait

donnée de l’objet du différend dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, a affirmé dans son
arrêt de 1962 que «[l ’]objet du différend [qui lui était] soumis [était] limité à une contestation
relative à la souveraineté dans la région du temple de Préah Vihéar» [«sovereignty over the region
of the Temple of Preah Vihear»] 183; par «région du temple de Préah Vihéar», elle entendait «le
temple et ses environs».

3.50. Dans la suite de l’arrêt, cependant, la Cour n’évoque plus l’objet du différend en termes
de souveraineté sur «la région du temple de Préah Vihéar et ses environs» [«region of the
Temple»], mais de souveraineté sur la «zone du temple» [«Temple area»]. Cette expression, déjà
employée à la page 15 de l ’arrêt «au sud et à l ’est de la zone du tem ple» [«south and east of the
Temple area»], est utilisée pour la première fois en rapport avec la question de la souveraineté sur
le temple aux pages 16- 17, où la Cour affirme qu’ elle «ne peut rendre une décision sur la

souveraineté dans la zone du temple qu’ après avoir examiné quelle est la ligne frontière» [«can
only give a decision as to the sovereignty over the Temple area after having examined what the
frontier line is»]. Elle est ensuite reprise à la page 21 (deux occurrences), à la page 22
(«souveraineté sur la zone du temple» [«sovereignty over the Temple area»]) à la page 29 («la zone

18Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 14. - 50 -

du temple n’était pas en cause devant la Commission» [«the Temple area was not in issue before
the commission»] ; «souveraine dans la zone du temple» [«sovereignty over the Temple area»]), à

la page 30 («souveraineté sur la zone du temple» [«sovereignty over the Temple area»] et «la zone
même du temple»[«the Temple area itself»]) ou encore à la page 33 («souveraineté sur la zone du
temple» [«sovereignty over the Temple area»] et «zone du temple» [«Temple area»]).

3.51. Il est clair que dans chacun des cas cités, la Cour employait simplement cette
expression pour désigner ce qui était visé en l ’affaire. L’enjeu allait au-delà du seul temple, aussi
a-t-elle fait une distinction entre celui-ci et la «zone» circonvoisine. Présentant l’obligation qu’elle

allait énoncer au troisième point du dispositif, la Cour s’est exprimée en ces termes :

«il n ’a pas été positivement démontré à la Cour que des objets des catégories
mentionnées dans [la] conclusion [du Cambodge] aient été effectivement enlevés du
184
temple ou de la zone du temple par la Thaïlande depuis l ’occupation de 1954» [«no
concrete evidence has been placed before the Court showing in any positive way that
objects of the kind mentionned in its Submission have in fact been removed by
Thaïland from the Temple or Temple area since Thaïland’s occupation of it in 1954]».

3.52. Pour se faire une idée claire de ce que la Cour entendait par «zone du temple», ou

«Temple area», il suffit de se référer à sa description du temple et de son emplacement :

«les bâtiments principaux du temple s’élèvent au sommet d’un triangle montagneux en
saillie sur la plaine. Depuis le faîte de l ’escarpement, la pente générale du terrain
185
descend vers le nord jusqu’à la rivière Nam Moun.»

La carte soumise à la Cour 186montrait les bâtiments principaux du temple s’élevant sur la pointe de
l’éperon, et des ruines descendant vers le nord 18. C’est cette zone qui aura constitué, pour la Cour,

la zone du temple  désignée, depuis 1949, par l’expression «ruines de Préah Vihéar».

3.53. Il est non moins manifeste que la Cour voyait dans cette «Temple area» une zone

limitée, confinée à l ’éperon sur lequel s ’élevait le temple. Se référant à une série de ca rtes qui
avaient été envoyées au Siam, elle déclarait :

«Parmi celles-ci figurait une carte de la partie de la chaîne des Dangrek où se

trouve le temple, carte portant le tracé d ’une frontière qui se présentait comme le
résultat des travaux de délimitati on et qui situait tout l’ éperon de Préah Vihéar, zone
du temple comprise, en territoire cambodgien.» 188 [«amongst these [maps] was one of
that part of the Dangrek range in which the Temple is situated, and on it was traced a

frontier line purporting to be the outcome of the work of delimitation and showing the
whole Preah Vihear promontory, with the Temple area, as being on the Cambodian
side».]

De l’avis de la Cour, la «Temple area» n’occupait donc pas tout «l’éperon de Préah Vihéar».

184Ibid., p. 36.
185
Ibid., p. 15.
186Carte annexée au rapport de MM. Doeringsfeld, Amuedo et Iv ey (annexe I), déposée en annexe XVIc de la
réplique du Cambodge (annexe 101).

187Croquis du plan transversal et photographie aérienne du temple de Phra Viharn (annexe 105).
188
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 20-21. - 51 -

3.54. Par ailleurs, la Cour semble établir une distinction entre la «Temple area» et le sommet
du mont Phra Viharn. A propos d’activités d’autorités locales et provinciales, elle déclare : «on ne
voit pas clairement si elles concernaient le sommet de la montagne de Préah Vihéar et la zone
même du temple, plutôt que d’ autres lieux situés à proximité» [«it is not clear that they had
reference to the summit of Mount Phra Viharn and the Temple area itself, rather than to places
189
somewhere in the vicinity»] .

3.55. Que l ’expression «Temple area» renvoy ait, dans l ’esprit de la Cour, à une zone
circonscrite est également attesté par le fait que, dans l ’arrêt, elle est systématiquement rendue en

français par «zone du temple» : «région» aurait été une traduction plus appropriée du te rme «area»
si la Cour avait eu en tête un espace plus vaste.

3.56. Le fait que la Cour entendait ainsi se référer à une zone circonscrite est encore illustré
par l’emploi qu’elle fait de cette expression au troisième point du dispositif. Comme nous l ’avons

souligné ci-dessus, par celui-ci, elle faisait droit à la cinquième conclusion du Cambodge, qui visait
uniquement les biens culturels enlevés «du temple» [«from the Temple»]. La mention au troisième
point du dispositif du «temple [et de] la zone du temple»[«Temple and the Temple area»] traduit le
fait que les biens culturels susceptibles d ’avoir ainsi été enlevés n ’auraient pu se trouver que dans
le temple ou à proximité immédiate de celui-ci. La Cour s’étant donné pour mission de trancher la

souveraineté sur la «zone du temple», la zone visée par l ’obligation de restitution des biens
culturels devait nécessairement être celle sur laquelle elle déterminerait la souveraineté. Estimer
que «la zone du temple» mentionnée au troisième point du dispositif renvoyait à la totalité de la
zone située du côté cambodgien de la ligne de l’annexe I n’aurait aucun sens. La demande du
Cambodge ne concernait pas cette zone, et la Cour n’a en rien laissé entendre que telle était la zone

visée.

3.57. Dans son opinion dissidente, sir Percy Spender a formulé l’observation suivante :

«Dans sa requête et dans son mémoire le Cambodge invite la Cour à déclarer
que la souveraineté territoriale sur le temple lui appartient. Dans aucun de ces
documents il n’a décrit la zone même du temple sur laquelle il réclame la souveraineté
et n’en a rien fait depuis lors.»190

Sir Percy Spender soulignait néanmoins qu’il découlait de l’argumentation du Cambodge que toute

la zone située du côté cambodgien de la ligne de l ’annexe I relèverait de sa souveraineté. Et
d’ajouter : «[c]ette région, en fait, compre[nd] le site du temple et le territoire qui l ’entoure
immédiatement.» 191

3.58. Deux constats s ’ensuivent. Premièrement, sir Percy Spender estimait que la demande
du Cambodge concernait le temple, fût- ce en l ’absence de toute définition de la «zone»
circonvoisine. Deuxièmement, le renvoi au «temple et [au] territoire qui l’entoure immédiatement»
montre que sir Percy Spender avait de cette zone exactement la même conception que la Cour.
Cela confirme une fois de plus que, au deuxième et au troisième point du dispositif, la Cour ne

visait que la zone circonscrite entourant le temple et non la totalité de la zone située du côté
cambodgien de la ligne de l’annexe I.

189Ibid., p. 30.
190
Ibid., p. 102 (opinion dissidente de sir Percy Spender).
191Ibid. (les italiques sont de nous). - 52 -

3.59. En somme, c ’était à une zone limitée que la Cour songeait lorsqu’ elle se référait à la
«zone du temple» [ «Temple area»] dans son arrêt de 1962. Et c ’est sur cette zone limitée que la
Cour devait se prononcer afin de déterminer si le temple était situé en territoire relev ant de la

souveraineté du Cambodge. La Cour ayant à l ’esprit cette zone limitée, elle ne pouvait avoir autre
chose en vue lorsqu ’elle a énoncé le deuxième point du dispositif «en conséquence» de la
conclusion, formulée au point précédent, selon laquelle le temple était situé en territoire relevant de
la souveraineté du Cambodge. Cela confirme que l ’expression «dans le temple ou dans ses

environs» [«at the Temple, or in its vicinity»] employée dans le dispositif ne pouvait renvoyer qu ’à
une zone tout aussi  si ce n’est plus  limitée.

4. Le sens du terme «région»

3.60. S ’il n ’apparaît pas dans le dispositif, le terme «région» [«region»] est toutefois
employé par la Cour tout au long de son arrêt. Une région peut être vaste ou limitée, selon le
contexte. La Cour emploie ce terme en lui conférant tantôt une portée plutôt restreinte, tantôt une
portée plus large.

3.61 Comme nous l ’avons indiqué ci -dessus, la Cour a employé l ’expression «région du
temple de Préah Vihéar» [«region of the Temple of Preah Vihear»] pour définir l ’objet du

différend, en reprenant ce qu’elle avait dit dans son arrêt de 1961 sur les exceptions préliminaires,
dans lequel elle avait employé l ’expression «région du temple de Préah Vihéar et ses environs»
[«region ot the Temple or Pr eah Vihear and its precincts» ]. Ainsi, lorsque, en 1962, la Cour
affirmait que «[l] ’objet du différend [qui lui était] soumis [était] donc limité à une contestation
relative à la souveraineté dans la région du temple de Préah Vihéar» , c’était à la « région du

temple de Préah Vihéar et ses environs» qu’elle faisait référence. Dans ce contexte, le mot région a
donc un sens relativement restreint.

3.62. D’ailleurs, c’est la seule fois que la Cour a employé ce terme en relation avec l’objet du

différend. Alors que, dans un premier temps, elle avait défini cet objet comme la «souveraineté sur
la région du temple de Préah Vihéar et ses environs», elle a ensuite employé les termes de
«souveraineté sur la zone du temple», termes qu’ elle a ensuite repris tout au long de son arrêt. Et,
comme nous l’avons dit ci-dessus 19, la souveraineté sur la zone du temple ne pouvait viser que ce

qui avait constamment été désigné par l ’expression «ruin194de Préah Vihéar»: les bâtiments
principaux du temple et les ruines descendant vers le nord .

3.63. Toutefois, la Cour a continué d’employer le terme «région» dans son arrêt. Ainsi, à la

page 18, elle écrit :

«Il semble par conséquent évident qu ’une frontière a été levée et déterminée,
mais il reste à savoir quelle était c ette frontière (notamment dans la région de

Préah Vih195), par qui elle a été déterminée, de quelle manière et sur les instructions
de qui.»

192Ibid., p. 14.
193
Voir les paragraphes 2.47 à 2.59 ci-dessus.
194Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 15. Voir
aussi croquis du plan transversal et photographie aérienne du temple de Phra Viharn (annexe 105).
195
Ibid., p. 18. - 53 -

Mais, en l’occurrence, la Cour s ’intéresse à la frontière en relation avec le temple : elle ne
s’attache pas ici à définir l’objet du différend. On trouve un renvoi similaire à «la frontière dans la
région de Préah Vihéar» à la page 22 de l’arrêt, et, de nouveau, à la page 26, où la Cour affirme que

«la carte … attirait [si] nettement l ’attention sur la région de Pr éah Vihéar». De fait, le terme
«région» est souvent employé lorsqu’il est question de la frontière, comme aux pages 17, 20 et 26,
où la Cour parle de la «région frontière». Il est aussi fréquemment utilisé pour désigner des zones
plus vastes telles que «la région des Dangrek» (pages 18, 19, 23).

3.64. Le terme «région», tel qu’ employé dans l ’arrêt, peut être rapproché de celui de
«secteur», souvent utilisé lorsqu ’il est question des «Dangrek»  comme dans les expressions
196 197
«secteur des Dangrek» ou «secteur oriental de la chaîne de montagnes des Dangrek»  qui
renvoie à une vaste zone et ne sert pas à définir l’objet du différend.

3.65. L ’emploi du terme «région» dans l ’arrêt de 1962 renforce l ’argument développé
ci-dessus selon lequel la Cour, en employant les termes «dans le temple ou dans ses environs» au
deuxième point du dispositif, ou «zone du temple» au troisième, renvoyait à une zone relativement
restreinte à proximité immédiate du temple. La seule fois où l ’expression «région du temple de

Préah Vihéar» a été employée pour définir l ’objet du différend, elle l ’a été étant entendu que198
Cour faisait ainsi référence à la «région du temple de Préah Vihéar et ses environs» . Ainsi,
lorsque le mot région était employé pour définir l ’objet du différ end, il l ’était dans un sens très
restrictif et bien précis. Par ailleurs, le fait que la Cour n’a jamais utilisé ce terme dans le dispositif

de son arrêt conforte l’idée que sa décision concernait une zone limitée ou circonscrite.

3.66. Les termes «tem ple», «dans le temple ou dans ses environs situés en territoire
cambodgien» et «zone du temple» sont employés dans le dispositif pour désigner une zone

circonscrite et confirment que c ’est bien à une zone limitée que s ’applique l’arrêt de la Cour. Le
terme «région» est employé dans les motifs, mais pas dans le dispositif et, la seule fois où il est
utilisé pour définir l ’objet du différend, il renvoie, lui aussi, à une zone limitée : le «temple de
Préah Vihéar et ses environs».

E. L A PLACE ,DANS LE RAISONNEMENT DE LA C OUR ,
DE LA LIGNE DE LA CARTE DE L ’ANNEXE I

3.67 Refusant d’y voir des demandes à retenir dans le dispositif de l ’arrêt, la Cour a dit que
les première et deuxième conclusions finales du Cambodge «ne [pouvaient] être retenues que dans
la mesure où elles énon[çaient] des motifs» 19. Comme il a été signalé ci -dessus, c’était là la
conséquence logique de la position qu’elle avait déjà exposée dans son arrêt :

«Pour trancher cette question de souveraineté territoriale, la Cour devra faire
état de la frontière entre les deux Etats dans ce secteur. Des cartes lui ont été soumises
et diverses considérations ont été invoquées à ce sujet. La Cour ne fera état des unes

et des autres que dans la mesure où elle y trouvera les motifs de la décision qu ’elle
doit rendre pour trancher le seul différend qui lui est soumis et dont l’objet vient d’être
ci-dessus énoncé.» 200

196Ibid., p. 14.

197Ibid., p. 15.
198
Ibid., p. 14 (les italiques sont de nous).
199Ibid., p. 36.
200
Ibid., p. 14. - 54 -

3.68. Ainsi, la Cour a annoncé qu’ elle ne prendrait en considération la frontière et les cartes
que dans la mesure où elles lui serviraient à fonder sa décision ; elle n’entendait pas se prononcer à

leur égard. Elle a dit qu ’elle allait «faire état de» [«have regard to»] la frontière entre les deux
Etats dans le secteur en cause, jamais qu ’elle allait en déterminer le tracé. Comme les cartes, la
frontière serait donc prise en considération dans la mesure où elle servirait à motiver s a décision,
rien de plus.

3.69. La question de la souveraineté sur le temple était ainsi l ’objet du «seul différend»
soumis à la Cour, qui, partant, a été on ne pe ut plus claire : les lignes frontières et les cartes

n’avaient d ’intérêt que dans la mesure où elles apportaient des éléments de réponse à cette
question, ce qui était manifestement le cas de la carte de l ’annexe I et de la ligne qui s ’y trouvait
représentée.

3.70. La Cour ne s’est donc pas servie de la carte de l’annexe I pour établir une frontière ; sa
tâche était beaucoup plus limitée. Elle a d ’emblée annoncé l ’importance que cette carte était
susceptible de revêtir, du fait qu ’elle portait le tracé «d ’une frontière qui se présentait comme le

résultat des travaux de délimitation et qu201ituait tout l’ éperon de Pré ah Vihéar, zone du temple
comprise, en territoire cambodgien» . En somme, la carte était importante parce qu ’elle avait été
présentée comme faisant autorité et situait le temple en territoire cambodgien.

3.71. Bien entendu, la Thaïlande avait contesté l ’autorité de la carte, que les membres de la
Commission de délimitation n’avaient pas entérinée, et qui contenait une erreur manifeste : la ligne
qui s’y trouvait représentée ne suivait pas la ligne de partage des eaux. Ce que la Cour a retenu au
premier chef, toutefois, c’ est que la Thaïlande n ’avait pas protesté contre la carte elle- même, en

dépit des occasions qu’elle avait eues de le faire, omettant notamment de signaler que, selon elle, le
temple se trouvait du mauvais côté de la frontière. C ’est donc l ’absence d ’objection de la
Thaïlande à l’égard de Phra Viharn qui se trouve au cŒur de la décision de la Cour.

3.72. Il apparaît assez tôt dans l’arrêt que la Cour entendait s ’attacher au temple et non à la
frontière. Elle a ainsi fait remarquer qu’ une ligne passant au sud et à l ’est du temple laisserait
celui-ci en Thaïlande, tandis qu’une ligne passant au nord et à l’ouest le placerait au Cambodge 202.

Ainsi, à l ’évidence, la question cruciale était la souveraineté sur le temple et non le tracé de la
frontière.

3.73. Cela ressort également d’un certain nombre d’autres passages de l’arrêt. Ainsi, la Cour
a pris soin de souligner que la car te avait été vue par les responsables siamois qui connaissaient
bien Phra Viharn . Elle a dit de cette carte qu’«elle attirait [si] nettement l ’attention sur la région
de Préah Vihéar» 204 et qu’elle «situait tout à fait clairement Préah Vihéar du côté cambodgien de la
205
ligne» ; or, ajoutait -elle, même si la Thaïlande avait fini par publier des cartes situant
Phra Viharn en territoire thaïlandais, « elle n’en avait pas moins continué à employer, même à des
fins publiques et officielles, la carte de l ’annexe I ou d’autres cartes indiquant Préah Vihéar en
territoire cambodgien» . La Cour mentionnait ensuite des circonstances dans lesquelles «il [eût]

201
Ibid., p. 21.
202Ibid., p. 15.
203
Ibid., p. 24-25.
204Ibid., p. 26.

205Ibid.
206
Ibid., p. 27. - 55 -

été naturel que la Thaïlande soulevât la question si elle [avait] considéré que le tracé de la frontière
de Préah Vihéar porté sur la carte était inexact» 207; ainsi, la réunion tenue en 1947 par la
Commission de conciliation franco- siamoise aurait fourni « une excellente occasion pour la

Thaïlande de réclamer une rectification de frontière à Préah Vihéar», mais les au torités
thaïlandaises avaient «déposé … auprès de la Commission une carte indiquant Préah Vihéar en
territoire cambodgien» 20.

3.74. La célèbre visite du temple effectuée par le prince Damrong et interprétée comme une
reconnaissance tacite par ce dernier de la souveraineté du Cambodge sur Phra Viharn contribue elle
aussi, de manière déterminante, à démontrer que c’est cette absence d’objection aux manifestations

de souveraineté cambodgienne qui était ici en jeu. Or cette épisode se rapportait au temple.
Comme la Thaïlande l ’a fait remarquer à l ’audience sur les mesures conservatoires, le
prince Damrong s’est rendu en visite au temple ; il n’a pas inspecté la frontière 209. Aux yeux de la
Cour, les faits et gestes du prince démontraient l ’acquiescement, ou du moins l ’absence

d’opposition, de la part de la Thaïlande, à la manifestation de souveraineté du représentant français.
Or cette marque de souveraineté avait pour objet le temple, et non la carte de l ’annexe I. La visite
du prince n’ avait aucune valeur pr obante en ce qui concerne la frontière et, dès lors, si la
détermination de celle-ci avait été la question en litige, la visite du prince n ’aurait tout simplement

eu, pour la Cour, aucun intérêt.

3.75. Et même lorsque, dans le cours de son raisonnement, l a Cour s ’est effectivement
référée à la ligne frontière, elle l’a fait d’une manière indiquant que c’est au niveau de Phra Viharn

que celle -ci était en cause, puisqu ’elle avait là pour effet de placer celui -ci en territoire
cambodgien. Elle a bien précisé qu’elle ne s’ intéressait pas à la frontière en soi. Rejetant
l’argument de la Thaïlande voulant que la carte de l ’annexe I n’ait aucune force obligatoire parce
qu’elle n’avait pas été entérinée par la Commission mixte, elle a dit que le «vrai problème [é tait] de

savoir si les Parties [avaient] adopté la carte de l ’annexe I, et la ligne qu ’elle indique, comme
représentant le résultat des travaux de délimitation de la frontière dans la région de
Préah Vihéar» . 210

3.76. Au sujet de ce qui aurait dû attirer l ’attention des autorités siamoises, la Cour s’ est
exprimée ainsi : «la carte de l’annexe I avait tout pour inspirer des doutes à quiconque estimait qu’à
Préah Vihéar la ligne de partage des eaux devait suivre la ligne d’escarpement, ou à quiconque était
chargé d’examiner cette carte» . 211

3.77. Quant au fait que la Thaïlande n’avait pas soulevé la question auprès de la Commission
franco-siamoise, elle a dit :

«Ce qui se déduit naturellement du fait que la Thaïlande n ’a pas mentionné
Préah Vihéar en l’occurrence c’est, encore une fois, qu ’elle a agi ainsi parce qu ’elle

207Ibid., p. 27-28.

208Ibid., p. 28.
209
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de PréahVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), demande en indication de mesures conservatoires du Royaume du Cambodge ,
CR 2011/14, p. 36, par. 10 (M. James Crawford).
210Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 22 (les italiques sont de
nous).
211
Ibid., p. 26. - 56 -

acceptait le tracé de la frontière tel qu ’il était marqué à cet endroit sur la carte, qu ’il
correspondît ou non à la ligne de partage des eaux.» 212

La présence des mots «à cet endroit» indique enco re une fois que la Cour ne s ’intéressait au tracé
de la frontière qu’en ce qui avait trait à Phra Viharn.

3.78. En outre, après avoir exposé l ’explication fournie par la Thaïlande pour justifier son

silence, la Cour a fait observer ce qui suit :

«La valeur de cette explication dépend évidemment du point de savoir s ’il est
vrai que la conduite de la Thaïlande sur les lieux constitue un témoignage ex post facto
suffisant pour prouver qu ’elle n’a jamais accepté la frontière de l ’annexe I en 1908

pour Préah Vihéar et qu’elle s’est consid213e à toutes les époques critiques comme
souveraine dans la zone du temple.»

3.79. A propos des actes de caractère administratif que la Thaïlande affirmait avoir

accomplis dans la région, la Cour a dit que la question était de savoir «s’ils suffis[aien214à effacer
ou à annuler l ’impression nette d’acceptation de la frontière de Préah Vihéar» , concluant à cet
égard que la visite du prince Damrong était de nature à montrer que la Thaïlande « acceptait la
frontière à Préah Vihéar telle qu’elle était tracée sur la carte» 215.

3.80. Il est donc clair, à la façon dont elle a circonscrit à Phra Viharn ou à la région
avoisinante sa définition du différend et ses références à la frontière, que la Cour, lorsqu ’elle
évoquait l’acceptation de la ligne de la carte de l ’annexe I, n’avait pas en vue la totalité de cette
ligne, mais un segment beaucoup plus limité. La question dont elle avait été saisie était celle de la

souveraineté sur le temple et la réaction de la Thaïlande envers la carte de l’annexe I n’avait
d’intérêt qu’en ce qui avait trait à la frontière au niveau du temple. La Cour n ’avait pas été saisie
de la question plus générale de la frontière et elle n ’entendait pas se prononcer à ce sujet. Elle l ’a
fait savoir très clairemen t en refusant de voir dans les première et deuxième conclusions du

Cambodge des demandes à retenir dans le dispositif de son arrêt.

F. C ONCLUSION

3.81. La portée de l ’arrêt du 15 juin 1962 est, par le texte même de celui -ci, clairement
limitée au temple en tant que tel. Diverses formules ont été utilisées pour faire référence au temple,
mais toutes visaient une zone limitée. La Cour avait précisé que l ’objet du différend était la
souveraineté sur la zone du temple, c’ est-à-dire le temple lui-même, le terrain qu’il occupait et son

périmètre immédiat. C ’est ce que le Cambodge avait en vue lorsqu ’il a demandé le retrait des
troupes des «ruines de Préah Vihéar» et que la Cour elle- même entendait lorsqu’elle a fait mention
du temple et de ses environs. Et c ’est pourquoi la Cour a débouté le Cambodge dans sa tentative
d’élargir l’objet du différend au statut de la carte de l ’annexe I ou à la question de savoir si la ligne
qu’elle représentait constituait une frontière : ces questions allaient tout simplement au-delà du

«seul différend qui lui [était] soumis».

212Ibid., p. 29 (les italiques sont de nous).
213
Ibid. (les italiques sont de nous).
214Ibid., p. 30.
215
Ibid., p. 31. - 57 -

C HAPITRE IV

INCOMPÉTENCE DE LA COUR ET IRRECEVABILITÉ
DE LA DEMANDE EN INTERPRÉTATION

4.1. Dans son ordonnance du 18 juillet 2011 portant sur la demande en indication de mesures
conservatoires du Cambodge, la Cour a dit que la « décision rendue en [cette] procédure … ne
préjuge[rait] aucune question dont [elle] aurait à connaître dans le cadre de l’examen de la
216
demande en interprétation» . Conformément à sa jurisprudence habituelle concernant les mesures
conservatoires , les conclusions qu’elle a rendues prima faciesur la recevabilité de la demande en
interprétation du Cambodge n’empêchent pas la Cour de se prononcer définitivement sur ce point

au stade adéquat de la procédure. Or c’est à présent qu’i l lui incombe de se livrer à une analyse en
règle des arguments avancés par la Thaïlande sur la recevabilité de cette demande.

4.2. L’existence d’une conclusion prima facie quant à la compétence de la Cour ou à la
recevabilité de la demande ne permet pas de présumer en droit que les conditions nécessaires à
l’exercice de cette compétence sont réunies 21, la jurisprudence portant sur le lien entre compétence

prima facie et compétence proprement dite s’appliqu ant également aux contestations relatives à
l’interprétation. Ainsi , dans son arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire Géorgie
c. Fédération de Russie, la Cour a insisté sur le caractère non définitif des conclusions de
l’ordonnance du 15 octobre2008, rappelant que

«[telle] conclusion provisoire ne préjugeait en rien sa décision finale sur la question de
savoir si elle a [vait] compétence pour connaître de l’affair e au fond, question qu’il

conv[enai219d’aborder après avoir examiné les écritures et les plaidoiries des deux
Parties» .

4.3. Une t elle approche permet à la Cour de faire face à l’urgence de la demande en
indication de mesures conservatoires tout en conservant l’ouverture d’esprit nécessaire pour
procéder à un nouvel examen des conditions de recevabilité.

4.4. Elle se justifie d’autant plus dans le cas d’une demande en interprétation, au vu des
conditions de recevabilité établies à cet égard dans la jurisprudence de la Cour. Dans l’affaire du
Droit d’asile, la Cour a ainsi expliqué que, selon l’article 60 du Statut,

216Demande en interprétation de l’arrêt du 1juin 1962 en l’affaire du Temple de PréVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, par. 41 et 68.
217
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie) , mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008 ,
p. 397-398, par. 148 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants
mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mex ique c. Etats-Unis d’Amérique) , mesures conservatoires,
ordonnance du 16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 331, par. 79 ; Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle
requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), mesures conservatoires, ordonnance du 10 juillet 2002,
C.I.J. Recueil 2002, p. 249, par. 90.
218
Voir affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume –Uni c. Iran), arrêt du 22 juillet 1952, C.I.J. Recueil 1952,
p. 102-103.
219Application de la convention internationale sur l ’élimination de toutes les formes de dis crimination raciale
er
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt du 1011, par. 129. - 58 -

«deux conditions [étaient] requises :

1) Il faut que la demande ait réellement pour objet une interprétation de l ’arrêt, ce qui

signifie qu’elle doit viser uniquement à faire éclaircir le sens et la portée de ce qui
a été décidé avec force obligatoire par l’arrêt, et non à obtenir la solution de points
qui n’ont pas été ainsi décidés.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2) Il faut ensuite qu’il existe une contestation sur le sens et la portée de l’arrêt.» 220

4.5. L’application de ces condi221ns aux fins de l’exercice de la compétence dans le cas
d’une demande en interprétation est souvent inextricablement liée au fond de l’affaire, puisque
leur appréciation dépend de la déterminat ion préalable du sens et de la portée de l’arrêt. En effet,
pour établir l’absence de contestation sur le sens et la portée de celui -ci, force est de prouver que

les parties partagent une même interprétation de l’arrêt c ependant que, pour démontrer que la
demande vise à «obtenir la solution de points» n’ayant pas été décidés avec force obligatoire, force
est de déterminer les limites de ce qui est revêtu de l’autorité de la chose jugée. Dans les deux cas,
il est nécessaire de déterminer le sens et les limites de l’arrêt.

4.6. La difficulté qu’il y a à apprécier le respect des conditions énoncées à l’article 60 au
stade des mesures conservatoires sans trop entrer dans l’examen au fond est clairement apparue
dans l’affaire Avena. Au stade de l’examen au f ond, la Cour a tout naturellement estimé qu’il

convenait de

«recherch[er] de nouveau, dans le cadre de la présente procédure, s’il exist[ait] bien
une contestation sur la question de savoir si l’obligation énoncée au point 9) du

paragraphe 153 de l’arrêt Avena [était] une obligation de résultat [et de] se demander à
cette occasion si une divergence d’opinion exist[ait] bien entre les Parties sur la
question de savoir si cette obligation s’impos[ait] à l’ensemble des autorités des
Etats-Unis, à l’échelon fédéral et à celui des Etats» 222.

4.7. C e lien entre conditions de recevabilité et fond de l’affaire est une caractéristique
notable des contestations visées à l’article 60 du Statut, et justifie que la recevabilité et le fond de
l’affaire soient en général examinés dans le cadre d’une seule et même phase. C’est d’ailleurs pour

cette raison qu’en l’espèce, la Thaïlande n’a pas soulevé d’exceptions préliminaires. Il n’en reste
pas moins que la demande en interprétation du Cambodge ne satisfait pas aux conditi ons bien
établies fixées à l’article 60 du Statut et explicitées dans la jurisprudence de la Cour. En l’absence
de contestation entre la Thaïlande et le Cambodge sur le sens et la portée de l’arrêt de 1962 (A), et

alors que le Cambodge lui demande de stat uer sur la délimitation de la frontière, question qui
n’était pas sub judice en 1962 (B), la Cour ne saurait faire droit à sa demande en interprétation.

220 Demande d’interprétation de l ’arrêt du 20 novembre 1950 en l ’affaire du droit d’ asile, arrêt du
27 novembre 1950, Recueil C.I.J. 1950, p. 402.

221Bien que la Cour ait dit, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire du Droit d’asile précitée (par. 4.4), que «pour
qu’il p[ût] être donné suite à une telle demand, deux conditions [étaient] requises», il s erait peut-être plus juste de
considérer que la seconde condition concerne sa compétence, dont on ne peut guère affirmer l’existence en l’absence de
contestation portant sur l’interprétation de l’arrêt en cause. Quoi qu’il en soit, il va de soi, dès lors que l’une ou l’autre de
ces conditions n’est pas remplie que la Cour ne peut exercer la compétence qui lui est prêtée.
222
Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 10, par. 20. - 59 -

A. A BSENCE DE CONTESTATION SUR LE SENS ET LA PORTÉE DE L ’ARRÊT

4.8. Dans son ordonnance du 18 juillet 2011, la Cour a clairement dit «qu’elle n’a[vait] pas
besoin de s’assurer de manière définitive, à ce stade, qu’une … contestation [au sens de l’article 60
223
du Statut] exist[ait]» . La Thaïlande démontrera dans la présente partie qu’un examen approfondi
de la demande en interprétation de l’arrêt de 1962 présentée par le Cambodge d’une part, et du
dispositif de cet arrêt d’autre part, prouve sans équivoque qu’il n’existe pas de contestation de ce
type.

4.9. S’il est assurément exact que l’existence d’un e contestation sur l’interprétation d’un

arrêt «n’exige pas que soient remplis les mêmes critères que ce224qui déterminent l’existence d’un
différend visé au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut» , il est néanmoins

«constant qu’une contestation au sens de l’article 60 du Statut doit porter sur le

dispositif de l’arrêt en cause et ne peut con225ner les motifs que dans la mesure où
ceux-ci sont inséparables du dispositif» .

4.10. Il apparaît ainsi que la condition relative à l’existence d’une contestation au sens de
l’article 60 du Statut implique des caractéristiques précises, puisque ce que l’interprétation
permettra d’éclaircir (l’objet de la contestation ) est nécessairement circonscrit par le dispositif de

l’arrêt en cause. Ce n’est que si la Cour met en évidence une véritable contestation quant à
l’interprétation du dispositif qu’elle peuts’appuyer, pour la résoudre, sur les motifs qui en seraient
inséparables. «[U]ne demande en interprétation doit se rapporter à une contestation entre les

parties sur le sens et la portée du dispositif de l’arrêt 226 et ne peut concerner les motifs que dans la
mesure où ceux-ci sont inséparables du dispositif.»

4.11. En outre, l’existence de la contestation doit être évaluée à l’aune de la difficulté que
peuvent avoir les parties à exécuter l’arrêt du fait de leurs doutes sur sa teneur. La bonne exécution
de l’arrêt témoigne de l’entente des parties sur son sens et sa portée, et donc de l’absence de toute

contestation qui pourrait en rendre l’interprétation nécessaire.

223 Demande en interprétation de l’arrêt du 15juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, par. 21.

224 Ibid., par. 22, et la jurisprudence qui y est c: Interprétation des arrêts n° 7 et 8 (usine de Chorzów),
arrêt n° 11, 1927, C.P.J.I. série A, n° 13, p. 10-12 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire
Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) ,
mesures conservatoires, ordonnance du 16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 325, par. 53.

225 Demande en interprétation de l ’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de PréaVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011 , par. 23, et la
jurisprudence qui y est citée: Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 35, par. 10 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres
ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) , mesures
conservatoires, ordonnance du 16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 323, par. 47.

226Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) , mesures conservatoires, ordonnance du
16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 323, par. 47. Voir aussi Interprétation des arrêts n° 7 et 8 (usine de Chorzów),
arrêt n° 11, 1927, C.P.J.I. série A, n° 13, p. 11 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria
c. Cameroun), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 35, par. 10. - 60 -

1. Absence de contestation sur le sens ou la portée du dispositif de l’arrêt de 1962

4.12. La requête en date du 28 avril 2011 ne permet guère de saisir avec certitude quels sont

les points du dispositif de l’arrêt de 1962 sur lesquels la Thaïlande et l e Cambodge seraient en
désaccord. Si , dans sa con227sion finale, le demandeur mentionne explicitement les premier et
deuxième de ces points , loin de prier la Cour de les interpréter, il l’invite expressément à
expliquer ses motifs  abstraction faite du dispositif lui -même, dont le sens ne fait l’objet

d’aucune contestation entre les Parties. L’article 98 du Règlement exige de la partie qui présente
une demande en interprétation qu’elle indique «avec précision le point ou les points contestés quant
au sens ou à la portée de l’arrêt». Les paragraphes 5 et 6 de la demande du Cambodge visent
probablement à satisfaire à cette exigence 228, mais sans y parvenir : tandis que le second semble
faire office de chapeau présentant la partie suivante, le premier ne fait pas apparaître les points de

l’arrêt qui seraient obscurs, ambigus ou contradictoires.

4.13. Le passage de la requête faisant référence au paragraphe 2 de l’article 98 du Règlement
est ainsi libellé :

«1) Selon le Cambodge, l’arrêt se base sur l’exist ence préalable d’une frontière
internationale déterminée et reconnue entre les deux Etats ;

2) Selon le Cambodge, cette frontière est définie par la carte à laquelle se réfère la
Cour à la page 21 de son arrêt «désignée en la présente affaire (ainsi qu’elle le sera
ci-après) comme la carte de l’annexe I », carte qui permet à la Cour de constater
que la souveraineté du Cambodge sur le t emple est une conséquence directe et
automatique de la souveraineté sur le territoire sur lequel se trouve le t emple (pour

mémoire, la carte de l’annexe I , ainsi que la carte de la Cour présentant un
agrandissement de la zone du t emple, sont jointes  annexes cartographiques 1
et 2) ;

3) Selon l’arrêt, la Thaïlande est tenue de retirer son personnel militaire et autre des
environs du Temple sur le territoire du Cambodge. Selon le Cambodge, cette
obligation est énoncée d’une manière générale et continue comme découlant des
affirmations concernant la souveraineté territoriale cambodgienne reconnue par la
229
Cour dans cette région.»

4.14. Une simple lecture des alinéas 1 et 2 permet de constater que ni l’un ni l’autre ne
distingue réellement le moindre point du dispositif qui puisse être présenté comme équivoque entre

les Parties. Ils exposent tous deux la façon dont le Cambodge interprète les arguments sur lesquels
la Cour s’est fondée p our parvenir à sa conclusion en 1962. Ils font référence aux motifs
développés dans l’arrêt, mais ne mettent en évidence aucun désaccord sur la conclusion que la Cour
en a tirée. L’existence d’une contestation sur le bien-fondé de ces motifs, fait qui n’est pas nié par
230
la Thaïlande mais qui ne rentre manifestement pas dans le cadre de l’article 60 , n’a aucune
incidence sur le sens du dispositif : en vertu de celui -ci, «le temple de Préah Vihéar est situé en
territoire relevant de la souveraineté du Cambodge». Il n’existe entre les Parties aucun e
contestation sur ce point.

227Demande en interprétation de l’arrêt du 15juin 1962 en l’affaire du Temple de PréaVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,28 avril 2011, par. 45.
228
Ibid., par. 5 et 6.
229Ibid., par. 5. Voir aussi ibid., par. 45.
230
Voir par. 4.70-4.72 ci-dessous. - 61 -

4.15. Quant à l’alinéa 3 du paragraphe 5 de la requête , il fait vraisemblablement référence
au deuxième point du dispositif de 1962, puisqu’il vise l’obligation de retrait qui incombe à la

Thaïlande. Mais, là encore, le Cambodge ne met en évidence aucune contestation à cet égard.

a) Absence de contestation sur le premier point du dispositif

4.16. Le premier point du dispositif est on ne peut plus clair : «[La Cour] dit que le temple de
Préah Vihéar est situé en territoire relevant de la souveraineté du Cambodge.» 232 [En anglais :
«[The Court] finds that the Temple of Preah Vihear is situated in territory under the soveignty o f
233
Cambodia.]»

4.17. La portée territoriale de cette reconnaissance de souveraineté est limitée au temple. En

effet, le premier point du dispositif de l’arrêt de 1962 a pour objet le temple de Préah Vihéar, la
Cour ayant manifestement entendu limiter à celui -ci la portée de ses conclusions, quelles qu’elles
pussent être. Le territoire «relevant de la souveraineté du Cambodge» est certes vraisemblablement

plus vaste que celui visé dans les conclusions de la Cour, à savoir le terrain occupé par le temple,
mais en disant, dans son arrêt, que le temple est situé en territoire relevant de la souveraineté du
Cambodge, la Cour ne dit rien d’autre ; les limites de ce territoire ne sont pas spécifiées. De toute
évidence, la Cour ne souhaitait pas aller plus loin ; elle n’en n’avait nul besoin, et elle ne l’a pas

fait. Interpréter cette phrase comme impliquant une délimitation de l’intégralité de la région des
Dangrek (couverte par la carte de l’annexe I) constituerait manifestement une extrapolation pure et
simple de la conclusion énoncée par la Cour au premier point du dispositif. La formulation
employée témoigne simplement de la volonté de la Cour de se prononcer sur la souveraineté sans

statuer sur la délimitation.

4.18. Le premier point du dispositif ne lais sant ainsi aucune ambiguïté quant au sens qui est
234
le sien, il peut donc produire  et a de fait produit  son plein effet, sans qu’il soit nécessaire
de se référer aux motifs de l’arrêt. Par conséquent, la Cour n’a pas à se prononcer sur le statut de la
ligne de l’annexe I ; elle a estimé, pour des raisons valables ou non, que le temple relevait de la

souveraineté du Cambodge puisqu’il était «situé en territoire relevant» de cette souveraineté. Ce
motif se suffit à lui-même.

4.19. En réalité, le Cambodg e admet lui -même dans sa requête, quoique dans une formule
quelque peu alambiquée, que la reconnaissance par la Cour de sa souveraineté territoriale ne
s’étend pas au-delà du terrain occupé par le temple. Ainsi, il écrit au paragraphe 24, qui présente
sommairement la nature de la contestation :

«Or, pour le Cambodge, la thèse défendue par la Thaïlande équivaut à une
reconnaissance par la Cour de la souveraineté uniquement pour le temple lui-même, ce

que la Cour a rejeté d’ une façon très claire dans son arrêt puisque le premier point du
dispositif définit expressis verbis l’appartenance du temple au Cambodge en
fonction 235de la souveraineté sur le territoire sur lequel le temple se trouve.» 236

231Voir par. 4.13 ci-dessus.

232Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36.
233
Voir par. 3.6, 3.10 et 3.17-3.20 plus haut.
234Sur son exécution par la Thaïlande, voir par. 4.33-4.46 ci-dessous.

235Souligné dans l’original.
236
Les italiques sont de nous. - 62 -

4.20. Le Cambodge semble donc considérer que la Cour soit a déterm iné l’étendue de la
totalité du territoire relevant de sa souveraineté, soit ne se préoccupait de sa souveraineté que sur le

territoire sur lequel était situé le temple. La première interprétation étant évidemment
indéfendable, seule la seconde subsiste. Il ne saurait donc y avoir de doute que la Cour pouvait
parfaitement décider lequel des deux Etats avaient souveraineté sur le temple sans trancher la
question de l’étendue de leur souveraineté territoriale respective  et donc, sans délimiter leurs

territoires respectifs.

4.21. Pour le reste, le Cambodge admet lui -même qu’il n’existe entre les Parties aucune

contestation quant au terrain occupé par le temple : «[L]a Thaïlande accepte la souveraineté du
Cambodge sur le temple, mais refuse que cela ait des effets en dehors d’un périmètre restreint et
strictement limité au temple lui-même» . 237

Ou encore : «En effet, la Thaïlande ne conteste 238 la souveraineté du Cambodge sur le
temple  et seulement sur le temple lui-même.»

Ce faisant, le Cambodge reconnaît nécessairement, et de fait, l’absence de toute contestation

sur le premier point du dispositif.

b) Absence de contestation sur le deuxième point du dispositif

4.22. La Thaïlande, a expliqué ci -dessus le contexte et la portée du deuxième point du
dispositif .39

240
4.23. L’alinéa 3 du paragraphe 5 de la requête  le seul à tenter de mettre en évidence
une contestation portant sur le dispositif lui-même  énonce l’obligation incombant à la Thaïlande
de retirer «tous les éléments de forces armées ou de police o u autres gardes ou gardiens qu’elle a

installés dans le temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien». Ainsi qu’il ressort
clairement de la phraséologie, il s’agit d’une obligation qui découle de la conclusion principale
énoncée au premier point («La Cour … dit en conséquence…»), et dont la portée ne peut donc
excéder celle de cette conclusion 241.

4.24. Il est très courant d’ordonner ainsi le retrait des troupes dans le cadre de différends
territoriaux. Toutefois, il est reconnu que la porté e de telles décisions ne peut excéder celle des

conclusions principales. L’interdépendance entre la conclusion principale ou essentielle et la
conclusion qui en découle a ainsi été clairement formulée en l’affaire de la Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria, où la Cour a :

«[d]écid[é] que la République du Cameroun [était] tenue de retirer dans les plus brefs
délais et sans condition toutes administration ou forces armées ou de police qui
pourraient se trouver sur des territoires r elevant de la souveraineté de la République
fédérale du Nigéria conformément au deuxième point du … dispositif [de l’arrêt]. La

République fédérale du Nigéria a la même obligation en ce qui concerne les territoires

237 Demande en interprétation de l’arrêt du 15juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,28 avril 2011, par. 24.
238
Ibid., par. 25.
239Voir par. 3.9-3.10 et 3.38-3.46 ci-dessus.

240Voir par. 4.13 ci-dessus.
241
Voir également par. 3.10 ci-dessus. - 63 -

relevant de la souveraineté de la Républ ique du Cameroun conformément au
242
deuxième point du … dispositif [de l’arrêt].»

4.25. Par ailleurs, les deuxième et troisième conclusions prescrivaient des mesures en

réponse à la violation qu’alléguait le Cambodge de sa souveraineté territo243le sur le t emple du fait
de l’occupation de celui-ci par les troupes thaïlandaises en 1954 . Par définition, ces obligations
s’éteignent dès lors que les mesures prescrites ont été prises, pour autant que la partie lésée
considère la violation réparée. Or, ainsi qu’il sera plus amplement démontré ci -dessous, à la suite

de l’arrêt de 1962, le Cambodge ne s’est, pendant très longtemps, clairement pas plaint de la
manière dont le deuxième point du dispositif était exécuté par la Thaïlande.

2. Absence de contestation quant à l’exécution par la Thaïlande de l’arrêt de 1962

4.26. Lorsqu’elle est saisie d’une demande en interprétation au titre de l’article 60 de son

Statut, la Cour doit en apprécier la portée à la lumière du principe du caractère définitif d’un arrêt.
La ratio legis de cette disposition du Statut tient en effet à la nécessité de donner aux parties tout
moyen de mettre en Œuvre l’arrêt en éliminant tout obstacle susceptible d’en entraver l’exécution :
«La question de la recevabilité des demandes en interpr étation des arrêts de la Cour appelle une

attention particulière en raison de la nécessité de ne pas porter atteinte au caractère définitif de ces
arrêts et de ne pas en retarder l’exécution.» 244

4.27. Il va de soi qu’un arrêt ne peut guère être exécuté si ses dispositions contraignantes
révèlent des incertitudes ou des contradictions. Or la réciproque est tout aussi vraie : il est
difficilement concevable qu’un arrêt qui a été exécuté (à plus forte raison si cette exécution

remonte à longtemps) puisse soud ainement révéler des incertitudes ou contradictions. Dans une
telle situation, l’on peut à bon droit soupçonner la partie invoquant une contestation sur son sens ou
sa portée dans le cadre d’une demande en interprétation de manŒuvrer en vue d’obtenir
245
l’élargissement (ou, le cas échéant, la réduction) de la portée de la chose jugée  la demande
visant alors, dans un cas comme dans l’autre, à porter atteinte au caractère définitif de l’arrêt.

4.28. C’est précisément le cas de la demande du Cambodge : celui-ci part du principe qu’il
serait aujourd’hui nécessaire d’interpréter un arrêt qui a été rendu il y a un demi -siècle et auquel la
Thaïlande s’est immédiatement conformée  ce qui, comme il le reconnaît lui -même, n’a soulevé
246
de sa part aucune difficulté ni objection entre 1962 et 2007 , soit une période de
quarante-cinq ans.

4.29. Le caractère tardif de la requête n’est pas, en soi, un motif d’irrecevabilité et il est
admis qu’une contestation au sens de l’article 60 du Statut peut trouver sa source dans des faits
postérieurs au prononcé d’un arrêt ; c’est ce qu’a considéré la Cour dans son ordonnance du

242
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J.Recueil 2002, p. 457, par. 325.
243Voir par. 2.34 et 3.9-3.10 ci-dessus.

244Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 36, par. 12 (les italiques sont de nous).
245
Voir par. 4.96-4.103 ci-dessous.
246 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du T emple de Préah Vihéar

(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,28 avril 2011, par. 12. - 64 -

18 juillet247. Il n’en demeure pas moins que, dans le cas qui nous occupe ici, ce caractère tardif
248
implique une réelle atteinte à l’intégrité de la procédur e prévue à l’article 60 et est donc, à ce
titre, inadmissible.

4.30. L’exécution d’un arrêt constitue, sauf mention contraire, une obligation immédiate qui
doit être honorée dans un délai raisonnable après le prononcé. De ce point de vue, les faits
immédiatement postérieurs au prononcé de l’arrêt de 1962 revêtent une pertinence particulière aux
fins d’établir l’éventuelle existence d’une contestation sur son sens ou sa portée. Or la

consolidation ultérieure de la situation de fait résultant de l’exécu tion de l’arrêt par la Thaïlande
confirme que les Parties partageaient la même conception des obligations découlant de celui-ci.

4.31. Dès 1962, la Thaïlande a pris les mesures nécessaires aux fins de l’exécution de l’arrêt,
mesures qui ont été accueill ies avec satisfaction par le Cambodge et par la communauté
internationale. Les modalités de cette exécution n’ont donné lieu à aucune contestation de la part

du Cambodge ; ainsi, celui-ci n’a pas recouru au Conseil de sécurité pour non -respect de l’arrêt sur
le fondement du paragraphe 2 de l’article 94 de la Charte des Nations Unies. Bien au contraire, les
effets de cette exécution, visibles sur le terrain, ont duré près de cinquante ans. Or le Cambodge

cherche aujourd’hui à remettre en question un statu quo qui a ainsi prévalu sur la base de la
conception commune aux Parties des obligations découlant de l’arrêt de 1962.

4.32. Les documents datant de la période 1962- 1971 révèlent qu’une fois passée la période
de suspicion et de défiance ayant précédé son entrée en possession du temple, dès septembre 1962,
le Cambodge a pris acte de la bonne exécution de l’arrêt par la Thaïlande, le Prince Sihanouk se
déclarant totalement satisfait de voir la Thaïlande honorer ses obligations dès janvier 1963. Il

convient aujourd’hui d’interpréter les documents de cette époque en tenant compte du fait que
différents litiges continuaient d’opposer les Parties, dont les relations diplomatiques, suspendues
par le Cambodge le 24 novembre 1958 , n’ont d’ailleurs repris que le 13 mai 1970 . Ces

sources doivent également être replacées dans le contexte de la guerre froide  dont les échanges
entre le Cambodge et la Thaïlande portent souvent l’empreinte  et de l’histoire propre au Sud-est
asiatique, marqué par les guerres civiles et les conflits armés interétatiques. Mais, bien que les

documents antérieurs à 1970 ne témoignent pas toujours d’une entente entre les Parties, ils ne
révèlent pas pour autant la moindre contestation sur l’interprétation et l’exécution de l’arrêt
de 1962, unique élément pertinent aux fins de la présente procédure.

247 Demande en int erprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du T emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, par. 37.
248
Voir par. 4.70-4.72 ci-dessous.
249 Voir la lettre du 29 novembre 1958 adressée au Secrétaire général par le représentant permanent du

Cambodge, Nations Unies, doc. S/4121 du 2 décembre 1958 (annexe 4).
250Voir ministère des affaires étrangères du Royaume de Thaïlande, déclaration commune entre la Thaïlande et le
Cambodge, 13 mai 1970, Foreign Affairs Bulletin 1970 vol. IX, n 1-6 (août 1966-juillet 1970), p. 436-437 (annexe 79) et
Chao Thai Newspaper , 14 mai 1970, «Ambassadors will be exchanged soon. Cambodia is attacked and its domestic
affairs interfered» [Echange immi nent de personnel diplomatique : le Cambodge victime d’agression et d’ingérence]
(annexe 80). Voir également Daily News, 14 mai 1970, «Thailand and Cambodia issued a joint communiqué to resume
diplomatic ties in 2 weeks» [Déclaration commune de la Thaïlan de et le Cambodge concernant la reprise des relations

diplomatiques dans un délai de deux semaines] (annexe 81). - 65 -

a) Les documents de 1962

4.33. Tandis que l’arrêt de la Cour du 15 juin 1962 était célébr251 Phnom Penh comme «la
plus grande victoire du Cambodge depuis des siècles» , conduisant le chef de l’Etat, le
prince Sihanouk, à «se raser la tête en signe de gratitude» 252 et à déclarer un jour férié pour
253
«commémorer cet événement historique» 254 , les premières réactions en Thaïlande furent la
perplexité et l’incompréhension . Très rapidement (en fait, dè s le 21 juin 1962), le
Gouvernement thaïlandais annonça néanmoins qu’il entendait exécuter l’arrêt, même si les
255
modalités pratiques restaient à déterminer et si la 256sion du temple représentait un symbole très
lourd pour les autorités et la population thaïlandaises .

4.34. Cette décision fut notifiée à l’Organisation des Nations Unies dans une lettre datée du
6 juillet 1962 et adressée au Secrétaire général par le ministre thaïlandais des affaires étrangères.

Dans cette lettre, que le Cambodge a produit e à l’annexe 1 de sa requête en interprétation,
l’intention d’exécuter l’arrêt était exprimée sans ambiguïté :

«Dans une communication officielle, en date du 3 juillet 1962, le Gouvernement
de Sa Majesté a publiquement déclaré contester le bien -fondé de l’arrêt susmentionné
de la Cour, parce que, selon lui, cet arrêt contrevient aux termes exprès des

dispositions pertinentes des traités de 1904 et 1907 et est contraire aux principes du
droit et de la justice, mais ajoutant que, en sa qualité de Membre de l’Organisation
des Nations Unies, le Gouvernement de Sa Majesté satisfera aux obligations qui lui

incombent en vertu dudit arrêt, conformément à l’engagement qu’il a pris aux termes
de l’article 94 de la Charte.

Je tiens à vous informer que, en décidant de se soumettre à l’arrêt de la Cour
internationale de Justice dans l’affaire du temple de Phra Viharn, le Gouvernement de
Sa Majesté désire expressément réserver tout droit que la Thaïlande a ou pourrait avoir

à l’avenir de recouvrer le temple de Phra Viharn par toute voie de droit existante ou
subséquemment ouverte, et qu’il proteste formellement contre l’arrêt de la Cour
internationale de Justice attribuant au Cambodge le temple de Phra Viharn.» 257

251Article de presse du 18 juin 1962 intitulé «Populace rejoices over border decision» [«Liesse populaire à
l’annonce de la décision sur la frontière»] (annexe 6).

252Ibid.
253
Ibid., p. 1.
254
Voir Le Monde, article du 19 juin 196o intitulé «La Thaïlande ne paraît pas prête à accepter la décision de la
Cour internationale» (annexe 7) ; télégramme n 4053 du 19 juin 1962 adressé au secrétaire d’Etat am éricain par la
mission permanente des Etats -Unis auprès de l’Organisation des Nations Unies (annexe 8) ; Le Monde , article du
20 juin 1962 intitulé «La Thaïlande récuse la décision de la Cour internationale» (annex9) ; ministère de l’information
du Cambodge, Cambodge d’aujourd’hui, n° 45, juin-juillet 1962, p. 5 (annexe 37).
255 o
Lettre n A-425 en date du 23 juin 1963 envoyée par valise diplomatique au secrétaire d’Etat américain par
l’ambassade des Etats-Unis à Bangkok, portant transmission du «[t]exte int égral de l’article paru le 21 juin 1962 dans le
Bangkok Post concernant la déclaration du premier ministre M. Sarit selon laquelle la Thaïlande se conformerait à la
décision de la Cour internationale de Justice en l’affaire du temple de PhraWiharn» (annexe 10).
256
Voir l’allocution publique faite le 4 juillet 196o par le premier ministre de la Thaïlande sur l’affaire du temple
de Phra Viharn (annexe 12). Voir également le télégramme n 24 du 5 juillet 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain
par l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Bangkok (annexe 13).
257
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, annexe 1 (les italiques sont de
nous). La lettre fut transmise aux missions permanentes des Etats Membres auprès de l’Organisation. Elle fut également
publiée par le ministère des affaires étrangères du Royaume de Thaïlande dans le Foreign Affairs Bulletin , vol. I, n,
juin-juillet 1962, p. 128-130 (annexe 36). - 66 -

4.35. Quelques jours plus tard, le gouvernement annonça publiquement les mesures qu’il
comptait prendre pour assurer l’exécution de l’arrêt 258. Une clôture de barbelés fut ainsi érigée
259
autour du temple pour délimiter physiquement la zone attribuée par la Cour au Cambodge et des
écriteaux en bois furent mis en pl ace pour indiquer aux Thaïlandais et aux Cambodgiens où

commençaient et finissaient les env260ns du temple. L’écriteau donnant côté thaïlandais était
rédigé en thaï et en anglais , tandis que celui donnant côté cambodgien était en khmer et en
français . Les forces armées déployées dans cette zone s’en retirèrent et une cérémonie

hautement symbolique eut lieu le 15 juin 1962, en présence du ministre de l’intérieur thaïlandais,
aux fins de rapatrier en territoire thaïlandais le drapeau hissé sur le temple 262. Il semblait justifié de

prendre ainsi des mesures visibles pour assurer un transfert de souveraineté dans des conditions de
sécurité, compte tenu du climat de défiance existant entre les Parties.

4.36. Les articles parus dans la presse montrent que, en arrêtant les modalités d’exécution de
la décision de la Cour, la Thaïlande a tout particulièrement veillé à ce que le temple soit librement

accessible depuis le Cambodge via les escaliers qui, des siècles durant, avaient été empruntés pour
pénétrer dans l’édifice par le sud : «Interrogé sur la manière dont le Cambodge pourrait accéder au

temple, le général Thanom a répondu que la seule possibilité serait l263calier délabré situé à flanc
de falaise, que le Cambodge pourrait restaurer ou rebâtir» .

4.37. Le Cambodge, ainsi que l’Organisation des Nations Unies, fut informé de toutes ces
mesures d’exécution 26. Dans le Foreign Affairs Bulletin de la Thaïlande furent publiés les
265
communiqués du gouvernement annonçant que l’arrêt de 1962 serait respecté ainsi que la lettre
adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par le ministre thaïlandais des
266
affaires étrangères pour lui faire savoir que la Thaïlande entendait se plier à cette décision . Dans

258Voir Chao Thai Newspaper, article du 13 juillet 1962 intitulé «Flag Lowering Ceremony : United Nations and
Cambodia informed» [«Cérémonie du baisser de drapeau : l’Organisation des Nations Unies et le Cambodge informés»]
(annexe 17) ; télégramme n o 43 du 6 juillet 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par l’ambassade des Etats-Unis à

Bangkok (annexe15).
259Photographies de la clôture de barbelés dressée pour satisfaire aux prescriptions de l’arrêt de 1962, clichés pris
en 1962-1963 (annexe 39). Le premier ministre de la Thaïlande commenta à la presse dans les termes suivants:

«La zone du temple de Phra Viharn sera démarquée de manière unilatérale par le Gouvernement
royal thaïlandais, qui a déjà fixé la limite : à 20 mètres de l’escalier du temple orné de nagas menant à la

route principale, elle suit deux routes situées, de part et d’autre, à une centaine de mètres de l’escalier. A
l’arrière, la limite passe à 30 mètres de l’escalier en ruines situé sur la falaise escarpée. Cette zone forme
un trapèze d’environ 150 rais [soit quelque 240 kilomètres carrés].» (Chao Thai Newspaper, article du 13
juillet 1962 intitulé «Flag Lowering Ceremony : United Nations and Cambodia informed» [«Cérémonie
du baisser de drapeau : l’Organisation des Nations Unies et le Cambodge informés»] (annexe 17).)

260Photographies du panneau mis en place pour satisfaire aux prescriptions de l’arrêt de 1962, 1962- 1963
(annexe 40).
261
Ibid. (annexe 40).
262 o
Télégramme n 103 du 16 juillet 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par l’ambassade des Etats-Unis à
Bangkok (annexe 19) ; Thai Rai Wan Newspaper , article du 17 juillet 1962 intitulé «Terrible weather as Thailand loses
territory to thief at the last minute» [Temps exécrab le alors que la Thaïlande se fait voler une partie de son territoire à la
dernière minute] (annexe 21) ; New York Times, 17 juillet 1962, «Thailand yields sovereignty over Temple to Cambodia»
[La Thaïlande cède au Cambodge la souveraineté sur le temple] (annexe 22).

263Chao Thai Newspaper , article du 13 juillet 1962 intitulé «Flag Lowering Ceremony : United Nations and
Cambodia informed» [Cérémonie du baisser de drapeau : l’Organisation des Nations Unies et le Cambodge informés]
(annexe 17).

264Ibid.

265 Ministère des affaires étrangères du Royaume de Thaïlande, Foreign Affairs Bulletin , vol. I, n 6,
juin-juillet 1962, p. 128-130 (annexe 36).
266
Ibid. - 67 -

un premier temps, le Cambodge accueillit l es mesures prises par la Thaïlande avec — pour
reprendre les termes du chargé d’affaires américain à Phnom Penh — «son scepticisme habituel
quant à la fiabilité des engagements du Gouvernement royal thaïlandais, mâtiné d’une morgue
267
vertueuse et de la certi tude d’être dans son bon droit face à la déconvenue thaïlandaise» .
Toutefois, le prince Sihanouk, chef de l’Etat cambodgien, annonça son intention de faire un

pélerinage pour of268ialiser la prise de possession du templ269 initialement prévu pour le mois de
décembre 1962 , il eut lieu le 5 janvier 1963 . Le ministre des affaires étrangères du
Cambodge 270, M. Huot Sambath, put ainsi déclarer à la tribune de l’Assemblée générale des

Nations Unies, le 27 septembre 1962 :

«A une écrasante majorité, les juges ont donné raison à notre pays. C’est après

avoir refusé plusieurs fois de s’incliner et après avoir proféré maintes menaces à notre
égard que le Gouvernement thaïlandais, se sentant l’objet de la réprobation mondiale,
271
a obtempéré à la décision de la Cour.»

4.38. L’exécution de l’arrêt par la Thaïlande ne pouvait mettre fin à tous les différends qui

existaient entre les Parties, dans la région du temple ou dans d’autres zones frontalières. En
août 1962 eurent lieu à plusieurs endroits des accrochages spo radiques, dont chaque Partie refusa
d’assumer la responsabilité 272. Le prince Sihanouk accusa alors la Thaïlande de tenter de reprendre

le temple, en menant le combat depuis ses retranchements, derrière les barbelés :

«Il y a mieux encore, car bien que les militaires stationnés à Préah Vihéar en

aient été retirés, le pied de la colline est environné de fils de fer barbelé et le ministre
de l’intérieur thaï a donné l’ordre à ses forces de police de tirer sur quiconque
s’approcherait de ces barbelés. Il est clair donc qu’ils n’ont pas renoncé à leurs visées

sur Préah Vihéar.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’incident qui nous occupe est sans nul doute le contrecoup de l’affaire de
Préah Vihéar où la Thaïlande a subi une grande perte de face devant le monde. Ils

veulent par la guerre «laver cet affront» et annexer une partie encore plus grande de
notre territoire. Comme je l’ai dit, mes amis occidentaux ne voient pas ce à quoi les

267 o
Lettre n A-32 en date du 12 juillet 1962 envoyée par valise diplomatique au département d ’Etat par
l’ambassade des Etats-Unis à Phnom Penh, «Preah Vihear : Cambodian Reaction to Thai Announcement of Compliance
with ICJ Ruling» [Préah Vihéar: réaction du Cambodge à l’annonce par la Thaïlande de son intention de se conformer à
la décision de la Cour internation ale de Justice ], p. 1 (annexe 16) ; voir également lettre n oA-37 en date du
16 juillet 1962 envoyée par valise diplomatique au département d ’Etat par l’ambassade des Etats -Unis à Phnom Penh,
«Réalités Discusses Problems of Preah Vihear Turnover» [La revue Réalités examine les problèmes liés à la cession de
Préah Vihéar] (annexe 20).

268Télégramme n 773/777 du 25 août 1962 de l’ambassade de France à PhnomPenh (annexe27).
269
Voir par. 4.43-4.47 ci-dessous.
270
Quel qu’ait été l’intitulé de son poste dans la n omenclature alors en vigueur au Cambodge (secrétaire d’Etat
aux affaires étrangères), M. Huot Sambath était en fait le chef de la politique étrangère du pays. Membre du conseil des
ministres cambodgien, il était chargé des affaires étrangères (voir la liste des membres du Gouvernement cambodgien en
1962-1964 (annexe 106)). Il était également reconnu à l’Organisation des Nations Unies en tant que ministre des affaires
étrangères du Cambodge, et traité comme tel (câble n oCAM 228 du 24 décembre 1964 adressé à M. David Owen par
M. Gauthereau (annexe61)).

271Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, dix-septième session , 1134 séance plénière,
p. 187 de la version française, par.91 (M. Huot Sambath (Cambodge)) (annexe 28) (les italiques sont de nous).
272 o
Télégramme n 236 du 13 août 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par l’ambassade des Etats -Unis à
Bangkok (annexe 24) ; télégramme n 106 du 14 août 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par l’ambassade des
Etats-Unis à Phnom Penh (annexe 25). - 68 -

Thaïlandais et les Sud- Vietnamiens veulent en venir et croient voir chez moi une
manie de la persécution.» 273

4.39. Tel est le contexte dans lequel la Thaïlande demanda à l’Organisation des
Nations Unies de désigner un médiateur 274, dans l’espoir d’obtenir une amélioration des relations
bilatérales, voire la reprise des relations diplomatiques. Avec l’accord du Cambodge, le Secrétaire

général de l’Organisation désigna M. Nils Gussing comme son représentant personnel aux fins
d’examiner les p roblèmes opposant le Cambodge et la Thaïlande 275. Le mandat de M. Gussing
276
était très étendu mais, de l’avis général, la question de la souveraineté sur le temple de277
Phra Viharn en était clairement exclue, ayant déjà été tranchée par la Cour . Celle de la
délimitation de la frontière et de l’accès au temple étaient, en revanche, considérées comme

susceptible d’en relever, puisqu’elles n’avaient pas d’incidence sur la chose jugée :

«5. Les représentants de la Thaïlande et du Cambodge ont été informés que, de

l’avis du Secrétaire général, la question de la souveraineté sur le temple de
Préah Vihéar devait, eu égard à l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice en
la matière, être considérée comme exclue du présent mandat.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

20. Il a été dûment tenu compte de ce dont il avait été convenu à New York, à
savoir que la question de la souveraineté sur le temple ne devait pas être soulevée.

Celle de l’accès au temple semble toutefois entrer dans les prévisions du mandat et il
paraît nécessaire, sauf instruction contraire, de tout mettre en Œuvre pour convaincre
les deux gouvernements de ne pas laisser la situation, notamment en ce qu’elle a trait à

la visite prochaine du prince Sihanouk sur ces lieux, dégénérer en grave incident. Si
elle se déroule sans encombre, cette visite pourrait marquer un tournant et contribuer,
dans une certaine mesure, à apaiser les tensions actuelles.» 278

273 o
Lettre n A-88 en date du 16 août 1962 envoyée par valise diplomatique au département d’Etat par
l’ambassade des Etats-Unis à Phnom Penh, «Sihanouk charges Thai Aggression in Statement to Press» [Sihanouk accuse
la Thaïlande d’agression dans une déclaration à la presse], p.4-5 (annexe 26).
274 o
Voir note n 479-AS du 27 septembre 1962 adressée au ministre des affaires étrangères par l’ambassadeur de
France en Thaïlande, p.3 (annexe 29).
275
Organisation des Nations Unies, bureau de l’inf ormation, communiqué de presse du 9 octobre 1962 intitulé
«U. Thant désigne son représentant personnel aux fins d’examiner les problèmes opposant le Cambodge et la Thaïlande»,
Nations Unies, doc. SG/1339 (annexe 30).
276
Voir lettre adressée au p résident du Conseil de sécurité par le Secrétaire général concernant l’envoi d’un
représentant spécial chargé d’enquêter sur les difficultés survenues entre le Cambodge et la Thaïlande, mandat confié à
M. N. Gussing (lettre en date du 18 décembre 1962 adressée par le Secrétaire général au président du Conseil de sécurité,
Nations Unies, doc. S/5220 (annexe 35)).

277Voir note n 636/AS du 29 novembre 1962 adressée au ministre des affaires étrangères par l’ambassadeur de
France en Thaïlande (annexe33).
278
Mission en Thaïlande et au Cambodge, premier rapport du représentant personnel du Secrétaire général,
Nations Unies, doc. PL/111, rapport confidentiel n 1 en date du 25 novembre 1962, p. 3-4, par. 5 (les italiques sont de
nous) et p. 11-12, par. 19-20 (annexe 32) [Traduction du Greffe]. - 69 -

4.40. Ainsi qu’observé par M. Gussing, de graves problèmes subsistaient entre le Cambodge
et la Thaïlande. Des problèmes de délimitation et d’abornement ne pouvaient manquer de voir le
279
jour sur le promontoire de Phra Viharn en particulier, mais aussi dan s la région des 280grek de
manière plus générale, étant donné que l’arrêt n’avait pas réglé ces questions .

4.41. L’arrêt aurait sans nul doute été bien plus aisé à exécuter pour la Thaïlande si les
Parties étaient parvenues à s’entendre sur la délimitati on de la frontière dans la région. Cependant,

les relations khméro-thaïlandaises s’étaient trop détériorées et le ton était souvent trop belliqueux
pour autoriser le moindre espoir à cet égard. Cela étant, même en l’absence d’accord sur la
délimitation, la Thaïlande demeurait tenue d’exécuter l’arrêt : le dispositif, qui ne s’adressait qu’à

elle, ne prév281it aucune dérogation en la matière. Du reste, en dépit des réserves exprimées par le
Cambodge , l’exécution unilatérale de l’arrêt semblait non seulement plus réaliste mais également
de meilleure politique qu’une exécution différée.

4.42. En outre  ainsi qu’observé par M. Gussing 282, si, même à la veille du pèlerinage
283
du prince Sihanouk , la question du temple et de l’exécution de l’arrêt constituait apparemment
toujours une pomme de discorde entre le Cambodge et la Thaïlande, de grands espoirs n’en étaient
pas moins placés dans cet événement, qui était organisé pour marquer officiellement la prise de

possession du temple par le Cambodge. M. Gussing s emblait d’ailleurs confiant que les autorités
thaïlandaises feraient de leur mieux pour prévenir tout incident :

«10. La visite du prince Sihanouk au temple de Préah Vihéar le 5 ou 6 janvier
pourrait occasionner un incident frontalier majeur. Les autorité s thaïlandaises nous
ont donné à entendre que leurs militaires et leurs forces de police ne feraient rien pour

entraver cette visite, pourvu que le prince Sihanouk et son escorte — qui pourrait
compter plus que les quelques membres du corps diplomatique initialement prévus —

restent strictement dans les limites (matérial284es par des barbelés) de ce qu’elles
estiment être le territoire cambodgien.»

b) Pèlerinage du prince Sihanouk au temple le 5 janvier 1963 et expression subséquente par le
Cambodge de sa satisfaction quant à l’exécution de l’arrêt

285
4.43. Le Cambodge avait annoncé plusieurs mois à l’avance que, pour célébrer sa victoire
à La Haye, il entendait organiser un pèlerinage officiel au temple, sous la houlette du prince
Sihanouk. Et si ce pèlerinage n’eut lieu que le 5 janvier1963, c’est parce que d’importants travaux

279Ibid., p. 14, par. 23.
280 o
Voir également par. 3.68-3.78 ci -dessus ; voir également télégramme n 68 du 2 août 1962 odressé au
secrétaire d’Etat américain par l’ambassade des Etats -Unis à Phnom Penh (annexe 23) ; note n 479-AS du
27 septembre 1962 adressée au ministre des affaires étrangères par l’ambassadeur de France en Thaïlande, p. 5
(annexe 29).
281
Voir par. 4.37 ci-dessus.
282
Voir par. 4.40 ci-dessus.
283Voir télégramme n o3 du 2 janvier 1963 de l’ambassade de France à Phnom Penh (annexe 41), et le
télégramme n o5 du même jour (annexe 42).

284Note du 9 janvier 1963 adressée à M. Gussing par M. F. G. Engers, et deuxième rapport du représentant
personnel du Secrétaire général en date du 2janvier 1963, p. 6 (annexe 50) [traduction du Greffe].

285Voir ci-dessus, par. 4.37. Voir aussi le texte de la conférence de presse donnée par le chef d e l’E tat
cambodgien le 5 novembre 1962 (annexe 31). - 70 -

publics durent être effectués en préparation de la visite 286. Les invités furent transportés par avion

et par hélicoptère vers cette région éloignée où des terrains avaient été spécialement aménagés à
cette fin 287. Lors de repas somptueux préparés par des chefs français, vins et cognacs de qualité
288
coulèrent à flots . Les professeurs Reuter et Pinto, envers qui le Cambodge se sentait hautement
redevable pour leurs services devant la Cour, faisaient partie du cortège, tout comme l’ensemble du
cabinet, certains membres de l’assemblée nationale et gouverneurs de province, tous les chefs de

mission diplomatique, tous les chargés d’affaires à Phnom Penh, nombre de prêtres et la population
locale. Au total, le nombre des pèlerins a été estimé à mille cinq cents 289. Il s’agissait de célébrer

avec un faste princier la reprise de possession du temple, et ce fut fait en grande pompe, ce qui
aurait paru très étrange si cette reprise n’avait pas été entière.

4.44. La visite fut largement relayée : des câbles diplomatiques furent envoyés aux
290 291 292 293
capitales et la presse cambodgienne , thaïlandaise et internationale s’en fit l’écho. Dans
l’ensemble, elle fut considérée comme un franc succès et la Thaïl ande ne chercha en rien à y faire
294
obstacle, allant même, au contraire, jusqu’à prévenir toute intervention des siens .

4.45. Le prince Sihanouk se rendit à pied au temple en empruntant l’ancien escalier de l’est,
depuis le pied de la falaise en territoire cambodgien. Pendant qu’il se trouvait sur le promontoire, il

se garda bien de franchir la clôture de barbelés ou de fouler le sol que la Thaïlande considérait
comme sien 295. Sa réaction aux questions concernant cette clôture de barbelés, qui avait été sou rce
296
de préoccupation avant le pèlerinage , fut ainsi décrite :

286 o
Lettre n A-325 en date du 10 janvier 1963 envoyée par valise diplomatique au département d’Etat par
l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique, « Cambodian Official Reoccupation of Preah Vihear » [Reprise de possession
officielle de Préah Vihéar par le Cambodge], (annexe51), p. 2-3.
287
Ibid., p. 4.
288
Ibid.
289 o
Télégramme n 528 du 7 janvier 1963 adress é au secrétaire d’Etat des Etats -Unis par l’ambassade des
Etats-Unis d’Amérique à PhnoosPenh (annexe 48). Voir aussi ministère de l’information du Cambodge,
Cambodge d’aujourd’hui, n 48-49-50-51, septembre-décembre 1962 (annexe 38).
290 o
Télégramme n 14.15 du 5 janvier 1963 de l’ambassade de France à Phom Penh (annexe 44) ; télégramme
no 528 du 7 janvier 1963 adressé au secrétaire d’Etat des Etats-Unis par l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Phnom
Penh (annexe 48) ; lettre no A-325 en date du 10 janvier 1963 envoyée par valise diplomatique au département d’Etat,
«Cambodian Official Reoccupation of Preah Vihear» [Reprise de possession officielle de Préah Vihéar par le Cambodge]

(annexe 51), p. 2-3.
291Un numéro spécial de Cambodge d’aujourd’hui y a été co nsacré (ministère de l ’information du Cambodge,
os
Cambodge d’aujourd’hui, n 48-49-50-51, septembre-décembre 1962 (annexe 38)).
292Voir «Cambodians, Europeans Get Up To Khao Phra Viharn» [Un cortège de Cambodgiens et d’Européens se

rend à Khao Phra Viharn], Bangkok Post, 5 janvier 1963 (annexe 45) ; «Sihanouk Arrives — Calm Prevails at Phra
Viharn» [Arrivée de Sihanouk : Le calme se maintient à Phra Viharn], Bangkok World, 6 janvier 1963 (annexe 46) ;
«Sihanouk Leaves Guard at the Temple ; ‘Thai Visit’ Offer» [Sihanouk laisse ses gardes au temple et en permet l ’accès
aux Thaïlandais], Bangkok Post, 7 janvier 1963 (annexe 47) ; «Sihanouk told Hong Kong newspaper that he has come to
good terms with Thai people» [Sihanouk annonce à la presse de Hong Kong un rappr ochement avec le peuple
thaïlandais], Thai Rai Wan Newspaper, 19 janvier 1963 (annexe 54).

293 «Peaceful Overture Held in Cambodia at Disputed Shrine» [Ouverture , dans une ambiance apaisée, d’un

sanctuaire situé en territoire litigieux], New York Times, 8 janvier 1963 (annexe 49), et «Take over Disputed Temple»
[Reprise de possession du temple litigieux], New York Times, 10 janvier 1963 (annexe 52).
294
«La police des frontières thaïlandaise est en état d’alerte afin d’éviter toute perturbation de source thaïlandaise
et refuse l’accès du secteur aux étrangers» in «Cambodians, Europeans Get Up To Khao Phra Viharn» [Un cortège de
Cambodgiens et d’Européens se rend à Khao Phra Viharn], Bangkok Post, 5 janvier 1963 (annexe 45).
295
Voir ci-dessus, par. 4.42.
296
Voir ci-dessus, par. 4.39. - 71 -

«Abordant la question de l’installation de barbelés par les autorités

thaïlandaises, [leprince Sihanouk] a dit qu’elle constituait de leur part un empiétement
de plusieurs mètres sur le territoire attribué au Cambodge par la Cour internationale de
justice, ajoutant toutefois qu’ il n’entendait pas soulever cette question, puisque ces
quelques mètres n’avaient pas d’importance.» 297

4.46. Sur place, le prince Sihanouk parla avec enthousiasme d’«échanges fraternels, le long
des barbelés, entre gardes thaïlandais et cambodgiens» 29. Un journaliste du New York Times a

décrit comme suit sa réaction envers les barbelés et les gardes thaïlandais postés de l’autre côté :
«Ayant remarqué que les gardes pro vinciaux cambodgiens avaient offert

quelques bouteilles de cognac français aux membres de la police des frontières
thaïlandaise se trouvant de l’autre côté des barbelés, à quelques mètres du temple, le
prince a fait le commentaire ci -après aux diplomates, de l’est comme de l’ouest :

«Voici qui augure bien de 299ociations en vue du rétablissement de liens d’amitié
entre nos deux pays.»»

4.47. Et de fait, si les autorités cambodgiennes, avant la reprise de possession du temple,
avaient semblé enclines à p orter devant les Nations Unies la question de la pose de barbelés 30, le

pèlerinage permit de redonner à celle- ci ses justes proportions : de minimis pour le Cambodge,
inexistante pour la Thaïlande. Qui plus est, le Cambodge ne laissa plus jamais entendre q ue, en
érigeant la clôture de barbelés, la Thaïlande aurait manqué de se conformer à l’arrêt de la Cour.

4.48. Au cours de l’été 1963, les autorités cambodgiennes ont, par d’autres déclarations,
montré qu’elles étaient satisfaites de l’exécution de l’arr êt par la Thaïlande. Ainsi, dans un

entretien publié le 5 juin dans le journal La Vérité, le prince Sihanouk souligna que la reprise de
possession du temple ayant été menée à bien, il n’existait plus aucun sujet de discorde entre le
Cambodge et la Thaïlande :

«Journaliste : Votre Altesse, à propos de vos relations avec vos voisins, y
aurait-il quelque chance d’une reprise des relations diplomatique avec la Thaïlande ?

Samdech : Je préfère ne pas trop en dire là- dessus. C’étaient de mauvais
voisins. Il faut que nous arrêtions de nous accuser mutuellement. Nous avons

employé des moyens pacifiques ... la Cour internationale de Justice — sur l’affaire du
temple de Préah Vihéar. Le temple nous ayant été restitué, il n’ y a plus de matière à
dispute.» 301

4.49. Le même sentiment de satisfaction fut exprimé dans un entretien accordé au périodique
Far Eastern Economic Review et publié le 11 juillet 1963 :

«M. : Monseigneur, y a-t-il une perspective quelconque d’une reprise rapide des
relations avec la Thaïlande ?

297 o
Lettre n A-325 en date du 10 janvier 1963 envoyée par valise diplomatique au département d’Etat,
«Cambodian Official Reoccupation of Preah Vihear» [Reprise de possession officielle de Préah Vihéar par le Cambodge]
(annexe 51), p. 5 (les italiques sont de nous).
298Ibid. Voir aussi télégramme n 14.15 du 5 janvier 1963 de l’ambassade de France à PhnomPenh (annexe 44).

299 «Peaceful Overture Held in Cambodia at Disputed Shrine» [Ouverture , dans une ambiance apaisée, d’un
sanctuaire situé en territoire litigieux], New York Times, 8 janvier 1963 (annexe 49).
300 o
Lettre n 520 en date du 2 janvier 1963 envoyée par valise diplomatique au département d’Etat par
l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Phnom Penh (annexe 43).
301 «Interview du P rince Sihanouk par un journaliste indien», La Vérité, 5 juin 1963 (annexe 55), p. 2 [les

italiques sont de nous]. - 72 -

N.S. : Je préfère ne pas trop en parler. Nous devons cesser de nous accuser
réciproquement. Nous avons utilisé des moyens pacifiques : la Cour internationale de
Justice à propos de Pr éah Vihéar. Cette affaire conclue, nous n ’avons plus de raison

de nous disputer. 302 Mais les relations diplomatiques avec la Thaïlande sont
problématiques.»

4.50. C303t dans ce contexte d’apaisement que M. Gussing poursuivit sa mission de
conciliation . En septembre 1963, il soumit à la Thaïlande et au Cambodge un «accor d amiable»
comportant les cinq points suivants:

«1. Rétablissement des relations diplomatiques.

2. Respect de l’intégrité territoriale des deux pays.

3. Acceptation des obligations découlant de traités, en particulier celles découlant du
règlement interve nu entre la France et la Thaïlande et signé à Washington le
17 novembre 1946.

4. Acceptation des obligations découlant de la Charte des Nations Unies, y compris

celles résultant des décisions et recommandations des principaux organes de
l’Organisation des Nations Unies, dans la mesure où elles sont applicables.

5. Réaffirmation de la volonté de se conformer à l’accord signé à New York le
15 décembre 1960.» 304

4.51. Il appert de la réaction des Parties à ces propositions que le Cambodge souhaitait avant

tout, d’une part, une déclaration concernant la frontière figurant dans les documents qu’il avait
soumis à la Cour et, de l’autre, la renonciation de la Thaïlande au droit qu’elle s’était réservé à la
suite du prononcé de l’arrêt de la Cour 305, ce à quoi la Thaïl ande ne pouvait consentir 306. Aucun
307
progrès n’ayant pu être réalisé sur ces points, M. Gussing mit fin à sa mission en décembre 1964 ,
avec un sentiment d’impuissance devant l’absence d’engagement politique en faveur du succès des
négociations. Selon lui, «les autorités thaïlandaises [auraient été] favorables à la normalisation de
308 309
leurs relations avec le Cambodge» , mais ce dernier paraissait moins bien disposé . Pour les
besoins de la présente instance, toutefois, l’intérêt des rapports de M. Gussing réside non tant dans
ce qu’ils disent, mais dans ce qu’ils ne disent pas : il n’y est fait mention d’aucun nouveau

désaccord concernant le temple ou l’exécution de l’arrêt de la Cour par la Thaïlande.

302
«Interview du Prince Norodom Sihanouk, chef de l ’Etat du Cambodge », accordée à Far Eastern Economic
Review, Bulletin de l’agence khmère de presse, 11 juillet 1963 (annexe 56), p. 6 (les italiques sont de nous).
303 Voir note adressée du 9 janvier 1963 adressée à M. Gussing par M. F. G. Engers, et deuxième rapport du

représentant personnel du Secrétaire général en date du 2 janvier 1963 (annexe 50), et «Mission en Thaïlande et au
Cambodge», troisième rapport du représentant personnel du Secrétaire général, 18 janvier 1963 (annexe 53).
304J. F. Engers, aide-mémoiredu 19 septembre 1963 concernant les cinq points proposés par le Secréta ire général
le 3 septembre 1963 (annexe 58), p. 1.

305Voir ci-dessus, par. 4.34.
306
J. F. Engers, op.cit., p. 2-3.
307
Lettre en date du 9 novembre 1964 adressée au président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général,
Nations Unies, doc. S/6040 du 9 novembre 1964 (annexe 59).
308 N. Gussing, note adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, 14 septembre 1963

(annexe 57), par. 8.
309Ibid., par. 9, 11 et 12 en particulier. - 73 -

c) Après 1963 : nouveaux affrontements armés et poursuite d es négociations en vue du
rétablissement des relations diplomatiques

4.52. En 1966, une série d’affrontements armés éclatèrent entre les troupes cambodgiennes et

thaïlandaises à divers points de la frontière. Les archives nous apprennent que les deux Eta ts s’en
rejetèrent la responsabilité 310. En avril 1966, le temple fut lui aussi le théâtre d’affrontements 311,

mais la Thaïlande nia toute responsabilité dans l’attaque des gardes khmers qui se trouvaient à
l’intérieur. Il ne faut pas oublier que, à cette époque, divers mouvements rebelles, en particulier les
KhmersSerei, étaient actifs sur le territoire cambodgien.

4.53. C’est dans ce contexte que le Cambodge fit parvenir à l’Organisation des
Nations Unies diverses communications dans lesquelles il accusait la Thaïlande d’agression. Ainsi,

dans une lettre en date du 11 avril 1966 émanant de la mission permanente du Cambodge auprès de
l’Organisation, il accusait la Thaïlande de se livrer à des attaques concernant le temple, en violation
des dispositions de la Charte et de l’arrêt de la Cour 312. Faisant vraisemblablement référence au

droit que la Thaïlande s’était réservé, il affirma que celle- ci «refus[ait ]de reconnaître l’arrêt de la
Cour internationale et [avait] manifest[é] son refus à cet égard en reprenant de force ce territoire
khmer» . 313

4.54. Dans une autre lettre de protestation, le Cambodge faisait état de plusieurs incidents
314
frontaliers, mais dont un petit nombre seulement auraient eu lieu au temple ou dans les environs .
Tous les incidents dont il y était question, même ceux qui n’avaient aucun rapport avec le temple,
étaient qualifiés d’«actes d’agression» et de «violations de la Charte des Nations Unies et de l’arrêt
315
de la Cour internationale de Justice» . Il y était ensuite fait référence au paragraphe 2 de
l’article 94 de la Charte des Nations Unies, dans le contexte d’une déclaration du prince
Sihanouk 316 remontant au 4 janvier 1963, c’est-à-dire avant le pèlerinage au temple, dans laquelle
317
le monarque se plaignait de l’installation de barbelés . Le caractère anachronique de cette
référence, après plus de trois ans de silence sur la question, de même que le renvoi au paragraphe 2
de l’article 94 de la Charte surprirent plusieurs membres du Conseil de sécurité, qui se demandèrent

ce qu’ils pouv aient bien signifie318En effet, la position du Cambodge sur le rôle du Conseil de
sécurité était tout sauf claire . D’après un télégramme envoyé par la mission du Royaume -Uni
auprès de l’Organisation des Nations Unies, les autorités cambodgiennes semblai ent s’interroger

sur la possibilité de porter

«la question du différend frontalier entre la Thaïlande et le Cambodge devant le
Conseil de sécurité en vertu de l’article 94 de la Charte, vraisemblablement en se
servant de l’arrêt de la CIJ concernant le tem ple de Preah Vihear comme prétexte .

Cette idée [était] apparemment venue à l’ambassadeur cambodgien à l’issue d’une

310Nations Unies, Annuaire des Nations Unies, 1966, p. 162-163 (annexe 74).
311
Ibid.
312 os
Notes n 1442 et 1449 du 11 avril 1966 adressées au Secrétariat général des NationsUnies par le représentant
permanent du Cambodge auprès de l’Organisation des Nations Unies (original français) (annexe62).
313Ibid.

314 Lettre en date du 23 avril 1966 adressée au président du Conseil de sécurité par le ministre des affaires
étrangères du Cambodge, Nations Unies, doc. S/7279 du 3 mai 1966 (annexe 65).
315
Ibid., p. 2-3.
316
Ibid., p. 3.
317Voir ci-dessus, par. 4.38.

318 Voir la note n 954 du 5 mai 1966 adressée au Foreign Office par la m ission du Royaume -Uni auprès de
l’Organisation des Nations Unies (annexe 66) ; comparer avec le télégramme du 9 mai 1966 adressé au Foreign Office
par l’ambassade de Grande-Bretagne à Phnom Penh (annexe 68). - 74 -

discussion319 couloir sur l’applicabilité de l’article 94 da ns le cas du Sud -Ouest
africain» .

Et le représentant du Royaume-Uni de poursuivre :

«Tout porte à croire qu’il s’agit d’une initiative personnelle de l’ambassadeur

destinée à tâter le terrain, qui restera probablement lettre morte. Il ne fait aucun doute
que cette façon de saisir le Conseil serait la plus favorable à la position cambodgienne,
puisque le Cambodge jouerait ainsi le rôle de partie lésée. Cela dit, étant donné le

rejet récent, par les autorités cambodgiennes, de Rolz- Bennet comme représentant
personnel du Secrétaire général, le moment ne semble pas particulièrement bien choisi
pour elles.» 320

4.55. Ainsi, le Cambodge entendait apparemment prétexter d’une prétendue irrégularité dans
l’exécution de l’arrêt de la Cour par la Thaïlande pour saisir le Conseil de sécurité d’une série de
problèmes frontaliers. Or l’exécution de l’arrêt de la Cour ne posait aucun problème véritable, ce

qui explique que le Cambodge ait dû se rabattre sur une déclaration faite par le prince Sihanouk
avant sa visite au temple. En tout état de cause, la Thaïlande réaffirma avec insistance qu’elle
s’était conformée à l’arrêt de la Cour 321 et, finalement, «ni l’une ni l’autre des Parties n[e] saisi[t] le
322
Conseil de sécurité de cette question» .

4.56. C’est dans ce contexte qu’un nouveau représentant spécial du Secrétaire323néral,
M. Herbert de Ribbing, fut nommé à titre de médiateur entre les Parties . Sa tâche se révéla tout
aussi laborieuse que celle de son prédécesseur, M. Gussing. A propos du temple,

le prince Norodom Kantol, alors premier ministre du Cambodge, souleva auprès de
M. de Ribbing 324 la question des incidents d’avril 1966, reprenant les propos adressés à
l’Organisation des Nations Unies . Il rappela à cet égard que la clôture de barbelés «ne se
326
trouvait même pas à mi -chemin entre le temple et la frontière délimitée par la Cour» , mais
confirma que le Cambodge n’était pas disposé, à ce stade du moins, à saisir le Conseil de sécurité.

Lorsque la question fit surface au cours d’une conversation avec M. Thanat Khoman, ministre des
affaires étrangères de la Thaïlande, il fut rappelé à M. de Ribbing que la Cour ne s’était pas
prononcée sur la frontière et que la Thaïlande s’était conformée à l’arrêt 327. Par ailleurs, les

rapports de M. de Ribbing montrent que la clôture de barbelés ne posait pas réellement problème
dans les relations entre les Parties, et elle ne fut plus jamais mentionnée. S’agissant du temple, le

319Télégramme du Mission du 14 juillet 1966 adressé au Foreign Office par la mission du Royaume -Uni auprès
de l’Organisation des Nations Unies (annexe 69) (les italiques sont de nous).

320Ibid.

321Note n 335/2509 du 22 avril 1966 adressée au Secrétaire général par le représentant permanent en exercice de
la Thaïlande auprès de l’Organisation des NationsUnies (annexe 63), p. 4
322
Nations Unies, Annuaire des Nations Unies, 1966, p. 162 (annexe 74).
323
Lettre en date du 16 août 1966, adressée au président du Conseil de sécurité par l e Secrétaire général,
Nations Unies, doc. S/7462 du 16 août 1966 (annexe 70).
324Voir Herbert de Ribbing, note au Secrétaire général, «Report by the Special Representative on his First Visit

to Cambodia and Thailand and First Contact with their High Authori ties» [Rapport du représentant spécial à l’issue de sa
première visite au Cambodge et en Thaïlande et de ses premiers contacts avec les autorités supérieures] ,
13 septembre 1966 (annexe 72).
325Voir ci-dessus, par. 4.54-4.55.

326Herbert de Ribbing, note au Secrétaire général, op. cit., p. 6, par. 10.

327Ibid., p. 12, par. 20. Voir aussi la note en date du 6septembre 1966 faisant suite à un entretien entre le
ministre des affaires étrangères du Royaume de Thaïlande et M. de Ribbing, représentant spécial du Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies (annexe 71), p. 6. - 75 -

Cambodge exigeait, pour la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays, que la
Thaïlande renonce au droit qu’elle s’était réservé quant à l’arrêt 328. Malgré toutes les assurances

données par celle-ci que la réserve en question n’était qu’une pure précaution sur le plan juridique
et ne procédait d’aucune visée irrédentiste 32, le Cambodge ne se laissa pas convaincre 330 de

rétablir les relations diplomatiques. C331e celle de M. Gussing, la mission de M. de Ribbing prit
fin à l’initiative du Cambodge , sans que les relations entre les Parties s’en fussent trouvées
améliorées de façon sensible.

4.57. Il fallut attendre 1970 pour voir les Parties rétablir leurs relations diplomatiques
332
 essentiellement parce que le prince Sihanouk n’était plus au pouvoir . La déclaration
commune qui fut faite à l’époque contenait la simple mention suivante :

«Les deux ministres réaffirment leur strict attachement aux buts et principes de

la Charte des Nations Unies. Conformément à ces principes, ils réitèrent leur respect
pour les frontières communes actuelles des deux pays.» 333

Il ne fut jamais fait mention, dans ce contexte, de l’exécution de l’arrêt de la Cour en tant que
source de tensions.

4.58. Dès 1970, la situation au Cambodge était devenue de plus en plus difficile en raison

des affrontements auxquels se livraient les différentes factions internes et des incursions du
Vietcong en territoire cambodgien, en particulier dans la chaîne des Dangrek et la zone de
Phra Viharn. Le Cambodge demanda alors à la Thaïlande de veiller à la protection du temple . 334

328Herbert de Ribbing, note au Secrétaire général, «Report by the Special Representative on his First Visit to
Cambodia and Thailand and First Contact with their High Authorities » [Rapport du représentant spécial à l ’issue de sa
première visite au Cambodge et en Thaïlande et de ses premiers contacts avec les autorités supérieures] ,

13 septembre 1966 (annexe 72), p. 14, par. 25.
329«Should seek future benefit. Quarrel is detrimental to both sides» [La recherche d’une solution s’impose : la

dispute est nuisible aux doux parties] , Chao Thai Newspaper , 24 juillet 1967, (annexe 75) ; ambassade de France à
Bongkok, télégramme n 382/84 du 27 juillet 1967 (annexe 76) ; ambassade de France à Bangk ok, télégramme
n 400/402 du 4 août 1967 (annexe 77) ; Herbert de Ribbing, télégramme au Secrétaire général, 16 octobre 1967
(annexe 78), p. 2.
330 o
Voir ambassade de France à Bangkok, télégramme n 686/688 du 2 novembre 1966 (annexe 73) ; voir aussi
Herbert de Ribbing, télégramme au Secrétaire général, 16 octobre 1967 (annexe 78), p. 2.
331
Herbert de Ribbing, télégramme au Secrétaire général, 16 octobre 1967 (annexe 78), p. 1.
332
Voir «Ambassadors will be exchanged soon. Cambodia is attacked and its domestic affairs interfered»
[Echange imminent de personnel diplomatique : le Cambodge victime d ’agression et d ’ingérence], Chao Thai
Newspaper, 14 mai 1970 (annexe 80) ; et «Thailand and Cambodia issued a joint communiqué to resume diplomatic ties
in 2 weeks» [Déclaration commune de la Thaïlande et le Cambodge concernant la reprise des relations diplomatiques
dans un délai de deux semaines], Daily News, 14 mai 1970 (annexe 81).
333
Ministère des affaires étrangères du Royaume de Thaïlande, Déclaration commune entre la Tha ïlande et le
Cambodge du 13 mai 1970, Foreign Affairs Bulletin, 1970, vol.IX, n os 1-6 (août 1966-juillet 1970) (annexe 79), par. 5.
334
«... but sends border police to Phra Viharn» [... mais envoi de la police des frontières à Phra Viharn],
Daily News, 12 juillet 1970, [annexe82] ; «Revealing conditions of Khmer Soldiers on Khao Phra Viharn ‘Cut off’: Thai
side has to assist» [La situation des soldats khmers sur la ligne de démarcation de Khao Phra Viharn  coupés de tout :
le camp thaïlandais doit prêter main-forte], Daily News, 24 mars 1971 (annexe 83) ; «Thai and Khmer joined forces» [Les
Thaïlandais et les Khmers font cause commune], Chao Thai Newspaper, 27 octobre 1971 (annexe 84) ; «The Day

Viet-Cong attacks» [Le jour de l ’attaque du Vietcong], Daily News, 30 octobre 1971 (annexe 85) ; «Khao Phra Viharn
Front is Not Serious» [Situation de faible gravité sur le front Khao Phra Viharn], Daily News, 3 novembre 1971
(annexe 86). - 76 -

4.59. Entre 1975 et le début des années 1990, des incidents opposant des factions armées
cambodgiennes eurent lieu le long de la fron tière, notamment au voisinage du temple, mais il
s’agissait d’affrontements internes, même s’ils étaient parfois liés à une intervention étrangère.

Rien n’indique qu’ils aient jamais mis en cause la souveraineté sur le temple.

d) Après 1990

4.60. Après 1990, la vie reprit son cours même à Phra Viharn  ce retour à la normalité
étant toutefois essentiellement dû à la volonté des autorités locales, de part et d’autre, de rendre au

temple sa vocation de lieu de culte et de site touristique.

4.61. Le 7 novembre 1991 était organisée, dans les locaux des autorités administratives de la

province de Si Sa Ket en Thaïlande, une réunion entre les gouverneurs des provinces 335
cambodgienne et thaïlandaise limitrophes pour négocier l’ouverture du temple aux touristes .
Elle aboutit à un accord encadrant les principaux aspects de la gestion touristique du site 336, à

savoir le système de tickets d’entrée, les horaires d’ouverture ainsi que les questions d’hygiène
alimentaire et de sécurité. L’accord définissait le modus operandi mis en place par les autorités
locales pour surmonter les difficultés générées par l’absence de délimitation et de démarcation de la
frontière dans la zone et permettre le développement d’une activité touristique sur le site de

Phra Viharn.

4.62. Dans ce contexte, l’accès principal au temple devait se faire par le territoire thaïlandais,
et non par la plaine cambodgienne, via l’escalier qu’avait emprunté le prince Sihanouk lors de sa
visite de 1963. Il fut donc convenu que les touristes thaïlandais, cambodgiens et autres

«accéder[aient] au temple de Phra Viharn depuis le territoire thaïlandais, par le p337ail en fer situé
au niveau du Tani, installé par les autorités de la province de Si Sa Ket» . Un poste de contrôle et
un bureau de vente de ticket s furent installés par la Thaïlande au pied de l’escalier nord, à une
centaine de mètres du pont du Tani 338. Ce chemin d’accès au temple était contrôlé par la

Thaïlande.

4.63. C’était cet itinéraire qu’avaient emprunté le prince Damrong et son entourage l ors de
leur visite de 1930. Après avoir traversé le cours d’eau, ils avaient parcouru une centaine de mètres
en direction du sud, le comité de réception français les accueillant au niveau du drapeau à une
vingtaine de mètres des premières marches de l’escalier nord du temple 339, à l’endroit où, selon ce
340
qu’affirmait le Cambodge dans sa réplique, passait la frontière .

335
Compte rendu de la réunion entre les Parties thaïlandaise et cambodgienne sur l’ouverture du site
Khao Phra Viharn au tourisme, 7 novembre 1991 (annexe 87).
336Ibid.

337 Déclaration sous serment du général de corps d’armée Surapon Rueksumran, 9 novembre 2011, par. 2
(annexe 97). Voir également la photographie du portail en fer au niveau du Tani (annexe88).
338
Plan des installations touristiques convenues en 1991, établi par le service géographique royal thaïlandais le
17 novembre 2011 (annexe 99).
339 Voir C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, «Déclaration sous serment de M. C. Phun Phitsamai Diskul,

datée du 9 juin 1961», contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande, annexe 39f, vol. I, p. 89-90 de la traduction
française.
340 Voir par. 2.62. Voir également les photographies de la visite du prinDamrong au temple de Phra Viharn
(1930) (annexe 1), ainsi que le croquis établi par le service géographique royal thaïlandais le 17 novembre 2011,
indiquant l’emplacement du drapeau français en 1930 (annexe 98). - 77 -

4.64. L’accord de 1991 prévoyait également que la «partie thaïlandaise construir[ait] des
341
installations sanitaires … dans la zone de Khao Phr a Viharn» . A cet égard, le général
Surapon Rueksumran a rapporté ce qui suit :

«Il avait d’abord été proposé que chaque partie supporte les coûts dans sa
propre zone, de son côté de la clôture existante. Or, la partie cambodgienne indiqua
qu’elle ne disposait pas d’un budget suffisant et demanda à la Thaïlande de fournir les
matériaux de construction et de prendre en charge la construction des installations

sanitaires destinées aux visiteurs du temple de Phra Viharn. La délégation
thaïlandaise hésita, car la zone se situait hors du territoire thaïlandais, mais finit par
accepter.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En novembre 1991, après que les deux parties furent convenues d’ouvrir le

temple de Phra Viharn au tourisme, la partie thaïlandaise construisit des installations
sanitaires pour les visiteurs à Lan Phya Nakarat, entre l’escalier du temple et le
premier pavillon ou gopura, sur le flanc ouest du temple , presque en face du

bassin (Sra Song). Par la suite, la partie thaïlandaise estima qu’il était nécessaire de
construire un deuxième bloc d’installations sanitaires au nord de l’escalier, à une
trentaine de mètres de la clôture barbelée.» 342

4.65. Il fut, par ailleurs, convenu de créer un comité mixte chargé de réglementer la
343
construction dans la zone du temple . En 2001, les autorités des deux provinces conclurent un
nouvel accord dont l’objet et les termes étaient similaires . 344

4.66. Telle est la situati on qui prévalait encore récemment sur le terrain et qui reflète
clairement que la Thaïlande respectait bien l’arrêt de 1962. Le Cambodge avait connaissance de
ces paramètres depuis 1962 et y avait lui -même consenti, comme il le reconnaît dans sa demande

en interprétation : «[R]ien ne laissait présager, jusqu’à une période récente, que la Thaïlande
interpréterait cet arrêt d’une manière qui diverge de l’interprétation que le Cambodge en a toujours
faite.»345

4.67. Dans ce contexte, prétendre, comme le fait le Cambodge, qu’il n’a pris connaissance de

l’interprétation t346landaise de l’arrêt que très récemment  en 2007 , par une carte produite
unilatéralement , est pour le moins curieux. La seule indication fournie par cette carte, pour ce
qui concerne le temple, est l’emplacement de la clôture barbelée de 1962. Or, le Cambodge a
toujours su très précisément où celle -ci se trouvait. C’est ce que prouvent sans aucune ambiguïté
347
les événements et documents liés à la visite du prince Sihanouk et ce que confirm e également

341 Compte rendu de la réunion entre les Parties thaïlandaise et cambodgi enne sur l’ouverture du site
Khao Phra Viharn au tourisme, 7 novembre 1991, par. 7.1 (annexe 87).
342
Déclaration sous serment du général SuraponRueksumran, 9 novembre 2011, par. 2 et 3 (annexe 97).
343 Compte rendu de la réunion entre les Parties thaïlandais e et cambodgienne sur l’ouverture du site

Khao Phra Viharn au tourisme, 7 novembre 1991, par. 7.3 (annexe 87).
344 Procès-verbal de la réunion tenue le 22 février 2001 entre la délégation du gouverneur de la province de
Si Sa Ket et celle du gouverneuradjoint de la province de Phra Viharn, avec annexe A (annexe 92).

345 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du T emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,28 avril 2011, par. 27.
346
Ibid., par. 14.
347Voir par. 4.40-4.47 ci-dessus. - 78 -

l’aide-mémoire sur les relatio348khméro -thaïlandaises publié en 1962 par le ministère des affaires
étrangères du Cambodge  lequel présente, aux pages 76 et 77, des photographies et un plan
illustrant l’emplacement de cette clôture.

4.68. Le Cambodge prétend que c’est en 2007 que l’interprétation par la Thaïlande de l’arrêt

aurait changé :

«Après 1962, et jusqu’aux événements consécutifs au processus d’inscription
du temple sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2007, il n’y aura pas de

revendications officielles de la Thaïlande dans la zone du temple aujourd’hui
revendiquée par cet Etat.» 349

4.69. Or, en 2007, la Thaïlande n’a fait que réaffirmer une position déjà exprimée en
juillet 1962 , et reflétée sur le terrain par la clôtur e barbelée 35. En réalité, c’est la position du
Cambodge qui a changé. Alors que pendant plus de quarante ans, l’exécution par la Thaïlande de

l’arrêt de 1962 n’avait fait l’objet d’aucune contestation de la part du Cambodge, les deux Parties
se sont vues contraintes, à la suite de l’inscription du temple sur la liste du Patrimoine mondial de
l’UNESCO, de parvenir à un accord sur la délimitation et l’abornement de la zone du temple, afin

de définir comme il se devait la zone tampon nécessaire à la préservat ion et à la gestion du
patrimoine, conformément aux prescriptions de l’UNESCO. Mais au lieu d’entamer à cet effet des
négociations de bonne foi avec la Thaïlande, le Cambodge a trouvé un expédient pour tenter de

s’approprier une portion du territoire thaï landais sous le couvert de demander l’interprétation de
l’arrêt de 1962. Sa demande constitue tout au plus une contestation visant l’exécution de l’arrêt,
dont les carences auraient été révélées par une situation de fait totalement nouvelle, remontant
352
à 2007 .

e) En tout état de cause, les différends portant sur l’exécution n’entrent pas dans le champ de
l’article 60

4.70. Dans sa demande, le Cambodge postule que la conclusion énoncée au deuxième point
du dispositif entraîne pour la Thaïlande une obligati on juridique continue de se retirer du territoire
qui, aux termes de l’arrêt rendu par la Cour, relève de la souveraineté du Cambodge  un postulat
353 354
qui est erroné, au regard tant du droit que des faits . Mais supposons, aux fins de
l’argumentation, qu’il soit fondé (ce qu’il n’est pas) : le grief du Cambodge porterait alors sur une
violation de l’arrêt de 1962  dans son optique, la Thaïlande, sans s’être jamais retirée du
355
territoire, y serait pourtant revenue à un moment donné . Sa conduite, dans un cas comme dans
l’autre, constituerait une violation du deuxième point du dispositif  la contestation se rapportant

348
Voir ministère des affaires étrangères du Royaume du Cambodge, aide-m émoire sur les relations
khméro-thaïlandaises, vers novembre 1962 (annexe 34).
349
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du T emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,28 avril 2011, par. 12.
350Voir ci-dessus, 4.33-4.34.

351Voir ci-dessus, par. 4.35.
352
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du T emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,28 avril 2011, par. 12-15 et 17.
353
Voir ci-dessous, par. 5.52-5.58.
354Voir ci-dessous, par. 5.60-5.62.

355 Voir Demande en interp rétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du T emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 44. Voir
également ci-dessous, par. 5.66-5.79. - 79 -

donc à l’exécution et non à l’interprétation. Reste que la Thaïlande s’est bel et bien retirée du
territoire et ne peut se voir prescrire aujourd’hui une mesure qu’elle a déjà prise . 356

4.71. Le Cambodge va encore plus loin en accusant la Thaïlande, au mépris des éléments de
preuve factuels, de chercher secrètement à reprendre possession du temple. C’est ce qui ressort

implicitement d’affirmatio ns comme celle- ci : «Tout ce qui se déroulera de nouveau à partir
de 2008 n’est consécutivement que l’illustration par la Thaïlande de l’impossibilité de recouvrer la
souveraineté sur le temple» 35. Ces accusations infondées donnent à entendre que le premie r point

du dispositif aurait été violé. La Thaïlande ne s’arrêtera pas ici sur leur absence de fondement, se
contentant de souligner que, aux fins de l’interprétation prévue à l’article 60, ces allégations ont
pour effet de rendre la requête irrecevable. En effet, comme l’a clairement énoncé la Cour dans
l’affaire Avena, «l’article 60 du Statut … ne lui permet pas de connaître de violations éventuelles
358
de l’arrêt dont elle est priée de donner une interprétation» . Une demande en interprétation n’est
pas (et ne saurait être) une demande en exécution  ce qu’elle reviendrait à être si la Cour devait
prendre en considération les demandes fondées sur l’inexécution d’un arrêt dont les dispositions

sont claires. Or, il ne saurait y avoir d’ambiguïté sur le sen s exact des premier et deuxième points
du dispositif de l’arrêt de 1962 ; toute réclamation fondée sur le non -respect, prêté à la Thaïlande,
des conclusions claires de la Cour intéresse donc nécessairement l’ exécution et non l’interprétation
de ses décisions.

4.72. Très certainement conscient de cette contradiction inhérente à son argumentation, le
Cambodge précise dans sa requête «que, par le biais de [celle- ci], il ne cherche nullement un
359
quelconque moyen pour l’exécution forcée de l’arrêt de 1962» . L’ expression «exécution
forcée», si elle prête à confusion, démontrant que le Cambodge n’opère pas de claire distinction
entre la Cour et le Conseil de Sécurité, illustre en tout cas que le demandeur n’a découvert que tout
récemment que la manière dont l’arr êt a été exécuté il y a près d’un demi -siècle lui posait

problème. Ce n’est donc pas une précision mais une déclaration contraire à ses propres intérêts
qu’il nous livre ici  l’aveu que, même à adopter son postulat erroné, sa requête ne peut être
accueillie.

B. N ON -RESPECT ,PAR LE C AMBODGE ,DU PRINCIPE DE LA CHOSE JUGÉE

4.73. La possibilité exceptionnelle donnée à un Etat de saisir unilatéralement la Cour en
vertu de l’article 60 du Statut ne doit pas être détournée aux fins de remettre en question l’aut orité
de la chose jugée dont est revêtu l’arrêt principal. C’est ce qui ressort clairement du libellé de cet
article et de l’enchaînement des phrases qui le composent, la première posant le caractère définitif

de l’arrêt et la seconde, la possibilité pour la Cour de l’interpréter : «L’arrêt est définitif et sans
recours. En cas de contestation sur le sens et la portée de l ’arrêt, il appartient à la Cour de
l’interpréter, à la demande de toute Partie.» 360

356
Voir également ci-dessous, par. 5.80.
357 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du T emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 12. Voir, dans le

même sens, commission nationale cambodgienne pour l’UNESCO, A Challenge to Thailand’s denunciation, of UNESCO
and the World Heritage Committee, 2009, p. 16-17 (annexe 95).
358Demande en interprétation de l’arrêt du 3mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 20, par. 56.

359 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du T emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 31.
360
Article 60 du Statut de la Cour internationale de Justice. - 80 -

4.74. Ainsi que la Cour l’a fait observer au sujet d e la demande en interprétation du Nigéria
dans l’affaire Cameroun c. Nigéria,

«[c]e n’est pas sans raison que l’article 60 du Statut énonce en pre mier lieu que les
arrêts sont «définitif[s] et sans recours.» L’article dispose ensuite que, dans le cas
d’une «contestation sur l e sens et la portée de l’arrêt», celui -ci est interprété par la
Cour à la demande de toute partie. Le libellé et la structure de l’article 60 traduisent la

primauté du 361ncipe de l ’autorité de la chose jugée. Ce principe doit être
préservé.»

4.75. Dans la section précédente, la Thaïlande a montré qu’il n’y avait pas de contestation

entre les Parties relativement au dispositif de l’arrêt de 1962. Les trois points de celui -ci, dont le
sens est parfaitement limpide, énoncent des décisions qui ont été mises en Œuvre par la Thaïlande,
le Cambodge reconnaissant d’ailleurs que celle- ci s’est conformée à l’arrêt de la Cour jusqu’à ce
que se pose la question de l’inscription du site au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2007. En

réalité, l es désaccords entre les Parties concernent la délimitation de leur frontière commune,
notamment dans le secteur des Dangrek, région représentée sur la carte de l’annexe I ; or, il s’agit
d’une question que la Cour s’est délibérément abstenue de trancher en 1962. Dans sa demande en
interprétation, le Cambodge cherche à obtenir qu’elle la tranche maintenant sous le couvert d’une

contestation quant à l’interprétation de l’arrêt de 1962. Il fait ainsi ouvertement litière des critères
et conditions prévus à l’article 60 du Statut, à propos duquel la Cour a précisé :

«Il faut que la demande ait réellement pour objet une interprétation de l’arrêt, ce

qui signifie qu’elle doit viser uniquement à faire éclaircir le sens et la portée de ce qui
a été décidé avec force obligatoire par l’arrêt, et non à obtenir la solution de points qui
n’ont pas été ainsi décidés. Toute autre façon d’interpréter l’article 60 du Statut aurait
pour conséquence d’annuler la disposition de ce même article selon laquelle l ’arrêt est
362
définitif et sans recours.»

4.76. Ainsi que nous le verrons plus en détail ci-dessous, la requête en interprétation
réintroduit deux demandes portant sur le statut de la carte de l’annexe I et la délimitation de la
363
«frontière … dans la région contestée voisi ne du temple de Préah Vihéar» . Ces deux demandes
avaient été expressément exclues du dispositif par la Cour et, dès lors, ne relèvent clairement pas de
la chose jugée. Et néanmoins, elles sont l’objet même de la demande en interprétation du
Cambodge. P renant prétexte de l’existence d’une contestation relative aux motifs de l’arrêt

de 1962, dans lesquels ces deux questions avaient été abordées, le Cambodge demande à la Cour
d’intégrer dans le dispositif de l’arrêt sur sa demande en interprétation ce qu’e lle avait exclu du
dispositif de son arrêt de 1962.

4.77. Ce faisant, le Cambodge se comporte de la même façon que la Colombie dans l’affaire
du Droit d’asile :

361Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le

Cameroun et le Nigéria (Cam eroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt,
C.I.J. Recueil 1999, p. 36, par. 12.
362Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colombie/Pérou),
arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402.
363
Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 11. Voir aussi
par. 2.66-2.73 ci-dessus. - 81 -

«Les «lacunes» que le Gouvernement de la Colombie croit apercevoir dans
l’arrêt de la Cour sont en réalité des points nouveaux sur lesquels il ne peut être statué
par voie d’interprétation. L’interprétation ne saurait en aucun cas dépasser les limites
de l’arrêt telles que les ont tracées d’avance les conclusions des Parties.

En réalité, les questions posées par le Gouvernement de la Colombie tendent à
obtenir, par la voie indirecte d ’un arrêt interprétatif, la solution de questions dont la
Cour n’a pas été saisie par les Parties en cause.» 364

4.78. Par conséquent, comme la Colombie dans l’affaire du Droit d’asile, le Cambodge pose
à la Cour des questions d’«interprétation» ne portant pas sur des points décidés avec force
obligatoire (1). Il y a néanmoins une différence entre l’affaire du Droit d ’asile et la présente
espèce : ce ne sont pas d es «lacunes» que le Cambodge semble apercevoir dans l’arrêt de 1962,

mais des «omissions» dans le dispositif, et il oublie en les relevant qu’il s’agissait d’omissions
délibérées (2). C’est pourquoi la demande du Cambodge doit être déclarée irrecevable : la Cour
doit décourager ce type de démarche, qui constitue de toute évidence un abus de procédure.

1. La demande du Cambodge n’a pas pour objet les points tranchés
avec force obligatoire par la Cour

4.79. En vertu d’un principe bien connu, seuls ont forc e de chose jugée les conclusions
énoncées dans le dispositif d’un arrêt et les motifs indispensables pour en préciser le sens. Si les

motifs peuvent être utilisés pour clarifier, au besoin, le sens du dispositif, ils ne sont pas
eux-mêmes revêtus de l’aut orité de la chose jugée. La Cour permanente de Justice internationale
l’a dit on ne peut plus clairement :

«Il est parfaitement exact que toutes les parties d ’un jugement visant les points

en litige s ’expliquent et se complètent l ’une l ’autre et doivent être prises en
considération, afin d’ établir la portée et le sens précis du dispositif… [M]ais il ne
résulte nullement que tout motif donné dans une décision constitue une décision ; … la
Cour ne peut trouver aucune raison pour étendre la force obligatoi re inhérente à un
jugement déclaratif en ce qui concerne le point réglé à des motifs qui étaient destinés

seulement à expliquer la déclaration contenue dans le dispositif, et cela d ’autant plus,
lorsque ces motifs visent des points de droit sur lesquels le Haut-Commissaire n’était
pas appelé à donner une décision.» 365

4.80. Ce principe fondamental du règlement des différends internationaux a également été
entendu par les tribunaux arbitraux comme s’appliquant de façon stricte :

«L’opinion que le juge exprime incidemment, sans la traduire par un dispositif,
ne crée toutefois pas, en principe, chose jugée. S’il est appelé à trancher positivement

la question, il peut, après nouvel examen, revenir sur une opinion première. 366te
dernière ne peut a fortiori lier un autre juge, qui doit dès lors décider librement.»

364
Demande d’interprétation de l’arrêt du 20novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colomb/Pérou),
arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 403.
365Service postal polonais à Dantzig, avis consultatif, 1925, C.P.J.I., série B, n° 11, p. 30.

366Affaire Junghans (deuxième partie), sentence, 1940, Allemagne c. Roumanie, Recueil des sentences arbitrales,
vol. III, p. 1889. - 82 -

4.81. En réalité, la force obligatoire du dispositif peut s’étendre à certains motifs de l’arrêt,

mais seulement dans la mesure où la portée de ces motifs correspond à celle du dispositif. La
portée de la chose jugée n’est donc déterminée que par le dispositif de l’arrêt :

«Une fois qu’une décision a été dûment rendue, seul son contenu fait autorité,

quel qu’ait pu être le point de vue de son auteur … [I]l est certain que les motifs
contenus dans une décision, tout au moins dans la mesure où ils dépassent la portée
du dispositif, n’ont pas force obligatoire entre les Parties intéressées.» 367

4.82. D’où ces conditions de recevabilité d’une demande en interprétation : «toute demande
en interprétation doit porter sur le dispositif de l’arrêt et ne peut concerner les mo tifs que dans la
368
mesure où ceux-ci sont inséparables du dispositif » . L’exigence ainsi énoncée est donc claire :
une demande en interprétation ne peut avoir pour objet que le dispositif. Elle ne peut se rapporter
aux motifs que s’ils sont inséparables du dispositif, dans la mesure où celui -ci n’est pas clair, et
encore, seulement pour dissiper une incertitude, dûment spécifiée, auquel il donnerait lieu.

4.83. Telle a été l’approche suivie par la Cour pour déterminer dans quelle mesure l’autorité
de la chose jugée s’appliquait lorsqu’elle s’est interrogée sur l’opportunité de faire droit à la

requête du Honduras à fin d’intervention en l’affaire du Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie) . La Cour devait déterminer si l’arrêt rendu en 2007 en l’affaire du
Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes

(Nicaragua c. Honduras) interdisait au Honduras d’intervenir, essentiellemen t parce qu’il fondait
ses demandes sur des questions qu’elle avait déjà tranchées. Pour déterminer dans quelle mesure
l’arrêt de 2007 était investi de l’autorité de la chose jugée, la Cour a commencé par analyser la
369
portée du dispositif lui -même, «lequel [en était] incontestablement revêtu» . Elle 370st ensuite
penchée sur les motifs qui étaient « le support nécessaire du dispositif» , mais seulement parce
que «[s]ans cet exposé des motifs, il [aurait pu] être difficile de comprendre pourquoi la Cour
n’a[vait] pas fixé, dans son arrêt, de point terminal».

4.84. Pour déterminer dans quelle mesure un arrêt a force obligatoire, il est donc impératif
d’examiner d’abord la portée du dispositif lui -même. En 1962, le différend concernait la
371
souveraineté territoriale, et les autres conclusions que la Cour a jugées recevables en découlaient .
La portée du dispositif est donc forcément limitée à la souveraineté territoriale. La décision
relative à la souveraineté territoriale est énoncée au premier point du dispos itif, dont une simple
372
lecture fait apparaître qu’il s’étend uniquement à la zone du temple , pas un centimètre au -delà.
Avant tout, c’est ce qui se dégage clairement du texte du dispositif lui -même. En fait, le premier
point du dispositif est tellement clair que le Cambodge n’a présenté à la Cour aucune demande s’y

367Service postal polonais à Dantzig, avis consultatif, 1925, C.P.J.I., série B, n° 11, p. 28-30 (les italiques sont de
nous).
368
Demande en interprétation de l ’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Camer oun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 35, par. 10.
369 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Honduras à fin d’interventioarrêt,

4 mai 2011, par. 69 (les italiques sont de nous).
370Ibid., par. 70.
371
Voir par. 4.76 ci-desssus.
372
Voir par. 3.47-3.55 ci-dessus. - 83 -

rapportant. Du reste, il ne pourrait en aller autrement, puisque la Cour n’interprète pas les textes
373
clairs. Interpretatio cessat in claris .

4.85. Que le territoire soit ainsi circonscrit trouve également confirmation dans les exposés
des Parties. La Thaïlande y a consacré un chapitre, montrant amplement que la portée territoriale
du différend soumis à la Cour en 1962 était limitée au terrain occupé par le temple : c’est ce qui

ressort de la manière dont le différend est formulé dans la requête de 1959, telle que confirmée
dans les autres pièces de procédure écrite ; c’est ce qui ressort de nouveau de la manière dont le
conseil du Cambodge a qualifié la portée territoriale de sa revendication ; c’est ce qui ressort, enfin,
374
des conclusions finales que la Cour a jugées recevables .

4.86. S’il y avait le moindre doute sur la portée des décisions de la Cour  quod non , la

lecture des exposés présentés au cours de la procédure de 1959- 1962 suffirait à les dissiper. Ces
exposés sont, sans conteste, éminemment pertinents aux fins de déterminer la portée du différend et
de la décision de la Cour et donc, en définitive, les limites de la demande en interprétation. Les
375
trois textes (la requête introductive d’instance, l’arrêt sur le fond et la demande en interprétation)
sont inextricablement liés. C’est en tenant compte de la «manière de définir le litige» 376 dans l’acte
introductif de l’instance principale que la Cour déterminera les limites de l’ arrêt qu’il lui faut

interpréter, et donc de la demande en interprétation : «une interprétation de l’arrêt … , donnée aux
termes de l ’article 60 du Statut, ne peut dépasser les limites de cet arrêt même, lesquelles sont
tracées par [le compromis]» . 377

4.87. Ne trouvant au premier point du dispositif de 1962 rien qui puisse justifier sa demande

en interprétation, le Cambodge se tourne vers le deuxième, dans l’espoir d’y découvrir un moyen
de satisfaire aux conditions de recevabilité. Il ne parvient cependan t à y dégager aucune question
requérant d’être interprétée. Il se contente d’avancer une citation du deuxième point du dispositif
de l’arrêt de 1962, une analyse purement théorique de l’obligation qui y est exposée, et deux

membres de phrase incidents qui se lisent comme des commentaires du Cambodge, et non comme
des questions adressées à la Cour ou portant sur des points obscurs du dispositif de l’arrêt :

«L’obligation pour la Thaïlande de « retirer tous les éléments de forces armées
ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a installés dans le temple ou dans ses
environs situés en territoire cambodgien» (deuxième point du dispositif) est une

conséquence particulière de l ’obligation générale et continue de respecter l ’intégrité
du territoire du Cambodge, territoire délimité dans la région du t emple et ses environs
par la ligne de la carte de l’annexe I sur laquelle l’arrêt de la Cour est basé.» 378

373Affaire du Lotus , arrêt n 9, 1927, C.P.J.I. série A n 10, p. 16 ; Interprétation du statut du territoire de
o
Memel, fond, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B n9, p. 294.
374Voir par. 2.6-2.9 et 2.26-2.46 ci-dessous.

375 Voir aussi l’arrêt sur les exceptions préliminaires (affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1961, p. 19 ou 22), repris dans l’arrêt sur le fond (affaire du
Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 14).
376
Interprétation de l’arrêt n° 3, arrêt, chambre de procédure sommaire, 1925, C.P.J.I., série A, n° 4, p. 6.
377
Ibid., p. 7.
378Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par.45. - 84 -

4.88. Il est manifeste qu’aucune question n’est ici véritablement soumise à la Cour. Celle

que le Cam bodge prétend poser renvoie à la nature des obligations de la Thaïlande énoncées au
deuxième point du dispositif de l’arrêt de 1962, l’obligation de retrait étant qualifiée par lui
d’«obligation générale et continue de respecter l’intégrité du territoire du Cambodge». Les Parties
n’avaient auparavant jamais exprimé de vues divergentes sur cette question et l’on ne saurait, par

conséquent, alléguer qu’il existe entre elles une contestation sur ce point. Mais même à supposer,
pour les besoins de l’argumenta tion, qu’il s’agisse là d’une vraie question, le Cambodge ne
démontre nullement en quoi sa solution éclairerait d’une quelconque façon l’interprétation du

deuxième point. L’argument consiste à affirmer que, même si l’obligation judiciaire s’est éteinte
par l’effet de son exécution, une obligation générale subsiste en vertu du droit international  mais
cela n’est pas matière à interprétation 379.

4.89. Comme l’a souligné le juge Charles de Visscher dans son célèbre ouvrage, Problèmes
d’interprétation judiciaire en droit international public :

«Dans l’exercice de sa juridiction contentieuse, la Cour ne statue que sur des
demandes ; elle n’a pas à faire réponse à des questions ou à des propositions que les
Parties s’aviseraient de soumettre à son appréciation.» 380

4.90. Telle qu’elle se présente, la demande du Cambodge est irrecevable notamment en ce
qu’elle ne vise pas à faire clarifier le dispositif de l’arrêt de 1962. La manière dont elle est

formulée trahit l’embarras du Cambodge quant à sa véritable natur e. En faisant référence au
deuxième point, le Cambodge cherche en réalité à étendre la portée territoriale des conclusions que
la Cour a énoncées au premier point du dispositif. Or pareille tentative ne saurait aboutir : comme
on l’a vu, le deuxième point énonce une obligation qui découle de la conclusion principale. Cette

obligation, cependant, n’a pas de champ d’application propre ; simple conséquence de cette
conclusion principale, elle est subordonnée à celle -ci  autrement dit au premier point du
dispositif. Ainsi que l’a indiqué la Cour, cette demande du Cambodge (de même que celle relative
381
à la restitution de biens culturels) découlait de sa revendication de souveraineté sur le temple , et
sa portée territoriale ne saurait donc aller au -delà de celle de la conclusion de la Cour sur la
question de la souveraineté, laquelle ne vise que le temple 38.

4.91. La référence au deuxième point n’est, en réalité, qu’un prétexte pour introduire
incidemment, au paragraphe 45 de la requête 383, les deux membres de phrase suivants, qui recèlent
la véritable question que le Cambodge entend soumettre à la Cour  celle du «territoire délimité

dans la région du temple et ses environs par la ligne de la carte de l’annexe I sur laquelle l’arrêt de
la Cour est basé». Dans sa requête, le Cambodge cherche en effet à obtenir que la Cour se
prononce sur «la question de savoir si l’arrêt a ou non reconnu avec force obligatoire la ligne tracée

sur la carte de l’annexe I comme représentant la frontière entre les deux Parties», ainsi que l’a

379
Voir également par. 5.57-5.59 ci-dessous.
380
Charles de Visscher, Problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public, Pedone, Paris, 1963,
p. 255-256. Voir égaleoent, Interprétation du statut du territoire de Memel, opinion dissidente de MAnzilotti, 1932,
C.P.J.I. Série A/B, n °49, p. 350, reprise dans l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt,
C.I.J. Recueil 1951, p. 126.
381Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 11.

382Voir également par. 3.9-3.10.
383
Voir par. 4.87 ci-dessus. - 85 -

reformulé la Cour dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires 38. Voilà, sans

l’ombre d’un doute, la question que le Cambodge souhaite voir la Cour trancher  c’est ce qui
ressort des circonlocutions auxquelles il se livre dans sa demande en interprétation 38.

386
4.92. La formulation alambiquée employée au paragraphe 45 de la requête illustre ainsi les
efforts déployés par le Cambodge pour dissimuler le fait, indéniable, que l’objet de cette procédure

est d’obtenir de la Cour qu’elle é rige en frontière la ligne de la carte de l’annexe I. Le Cambodge
utilise également à cet effet un autre artifice, qui consiste à faire passer les développements de la
Cour sur le statut de cette carte et sur la ligne qui s’y trouve représentée pour des m otifs
387
inséparables du dispositif de l’arrêt de 1962 , espérant ainsi voir trancher ces questions dans le
dispositif d’un arrêt sur l’interprétation. Ce faisant, le Cambodge néglige le principe impératif
selon lequel les motifs ne peuvent, en eux- mêmes, faire l’objet d’une interprétation au sens de
388
l’article 60  et ce, à plus forte raison dans la présente affaire, la Cour ayant clairement déclaré
irrecevable, dans son arrêt de 1962, une demande identique du Cambodge.

4.93. Il serait totalement contraire au principe de l’autorité de la chose jugée d’accueillir une
demande en interprétation qui aurait pour objet les motifs de l’arrêt de 1962 en tant que tels, alors
que le dispositif de cet arrêt ne présente aucune ambiguïté et que, de surcroît, ladite deman de en

excède la portée. En effet, comme l’a expliqué la Cour permanente de Justice internationale, «[l]e
but de l’article 59 [du Statut] est seulement d’éviter que des principes juridiques admis par la Cour
dans une affaire déterminée soient obligatoires pour d’autres Etats ou d’autres litiges.» 389

4.94. Etant donné que la demande en interprétation du Cambodge vise la délimitation de la

région apparaissant sur la carte de l’annexe I, ce qui revient non seulement à étendre la portée
territoriale du dispositif de 1962, mais également à soumettre à la Cour un litige différent de celui
dont elle était saisie  et qu’elle avait jugé recevable  en 1962, cette demande paraît clairement

destinée à faire reconnaître la force obligatoire du raisonnement développé en 1962 pour «d’autres
litiges».

4.95. Ainsi, la requête du Cambodge est irrecevable, non seulement parce que la question
soumise aujourd’hui est absente du dispositif de l’arrêt rendu en 1962, et que les
«éclaircissements» sollicités ne sont d’aucune aide pour préciser les points du dispositif de cet arrêt

(dont le sens est sans équivoque), mais encore parce que la Cour a déjà, en 1962, déclaré
irrecevable une demande du Cambodge tendant au même but.

384Demande en interprétation de l ’arrêt du 15 juin 1962 en l ’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge

c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, par. 31.
385Demande en interprétation de l ’arrêt du 15 juin 1962 en l ’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 5, 16, 39, 40-42.

386Voir par. 4.87 ci-dessus.
387
Demande en interprétation de l ’arrêt du 15 juin 1962 en l ’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, 28 avril 2011, par. 40.
388
Voir par. 4.82 ci-dessus.
389Interprétation des arrêts ns7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n o11, 1927, C.P.J.I. série A n 13, p. 21 (les
italiques sont de nous). - 86 -

2. La requête du Cambodge a pour objet deréintroduire une demande

de délimitation déclarée irrecevable en 1962

4.96. Comme l’a déjà fait observer la Thaïlande, la Cour avait explicitement refusé de se

prononcer sur les demandes du Cambodge portant sur le statut de la carte de l’annexe I et de la
ligne qui s’y trouve représentée, et a expressément exclu ces points du dispositif de l’arrêt, ce qui
rend aujourd’hui irrecevable toute demande de délimitation présentée par le Cambodge sur le
fondement de la ligne de l’annexe I a). Or une simple lecture de sa requête montre sans équivoque

que c’est précisément la question que celui -ci espère voir trancher par la Cour en la présente
instanceb).

a) La Cour a déclaré irrecevable la demande du Cambodge concernant la délimitation

4.97. Il convient de rappeler que les dema ndes portant, respectivement, sur le statut de la

carte de l’annexe I et la délimitation de la frontière n’ont été formulées par le Cambodge qu’à un
stade très avancé de la procédure  à la fin du premier tour de procédure orale pour la
deuxième 390, dont la portée territoriale a du reste encore été modifiée par la suite 391, et dans le cadre

des conclusions finales pour la première. La Cour a déclaré ces deux demandes irrecevables, dans
les termes suivants :

«les première et deuxième conclusions du Cambodge pri ant la Cour de se prononcer
sur le statut juridique de la carte de l ’annexe I et sur la ligne frontière dans la région
contestée ne peuvent être retenues que dans la mesure où elles énoncent des motifs et
non des demandes à retenir dans le dispositif de l’arrêt» . 392

4.98. On rappellera également que, tout au long de la procédure orale, la Thaïlande s’est

opposée à l’introduction de la demande relative à la délimitation, considérant qu’elle transformerait
de manière inadmissible l’objet du différend soumis à la Cour dans la requête introductive
d’instance de 1959 393. Au paragraphe qui vient clore son analyse, la Cour a clairement fait siennes
les exceptions de la Thaïlande basées sur la modification de l’objet du différend initial, lorsqu’elle
394
a renvoyé aux «raisons indiquées au début du présent arrêt» , où elle décrivait l’objet du différend
dont elle avait été saisie 39.

4.99. Or ce n’est pas en raison de leur présentation tardive que la Cour a jugé ces demandes
irrecevables. Certes, en concluant que la cinqui ème conclusion, relative à la restitution de biens

culturels, était implicite et ne constituait pas une extension de la demande primitive du Cambodge,
la Cour impliquait, a contrario , qu’une telle extension aurait été irrecevable en raison de son
caractère tardif, et elle a du reste précisé que cette demande «aurait été irrecevable au stade auquel
elle a[vait] été présentée pour la première fois» 396.

390Voir par. 2.68 ci-dessus.

391Voir par. 2.40-2.46 ci-dessus.
392
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36.
393Voir par. 2.38 et 2.75-2.76 ci-dessus.

394Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), op. cit.
395
Ibid., p. 14.
396Ibid., p. 36. - 87 -

4.100. Toutefois, c’est sous un angle différent que la Cour s’est prononcée sur les demandes
relatives à la délimitation. Elle a mis en avant non pas leur caractère tardif, qui constituait un vice

de forme, mais leur irrecevabilité sur le fond : si elles avaient été admises dans le cadre du petitum ,
elles auraient radicalement modifié l’objet du différend soumis dans la requête. Et effectivement,
le différend initial, concernant la souveraineté sur le temple, se serait transformé en un différend
sur la délimitation d’un territoire dont l’étendue était inconnue et n’avait été définie ni dans les
397
conclusions ni dans les plaidoiries du requérant .

4.101. En précisant que «les première et deuxième conclusions du Cambodge priant la Cour

de se prononcer sur le statut juridique de la carte de l ’annexe I et sur la ligne frontière dans la
région contestée ne p[ouvai]ent être retenues que dans la mesure où elles énon[çaient] des motifs et
non des demandes à retenir dans le di spositif de l ’arrêt» 398, la Cour n’a nullement conféré à ces
motifs la force obligatoire dont sont revêtues les décisions énoncées dans un dispositif. Un tel

constat découle de principes juridiques, mais également de la jurisprudence de la Cour. On
rappellera en effet que la Cour avait, quelques années auparavant, posé que les motifs développés
dans ses arrêts ne constituaient pas, en eux-mêmes, des décisions :

«Ce sont là des éléments qui, le cas échéant, pourraient fournir les motifs de
l’arrêt et non en constituer l’objet. Il en résulte, d’autre part, que même ainsi compris,
ces éléments ne doivent être retenus que dans la mesure où ils paraîtraien t
déterminants pour décider la seule question en litige, savoir la validité ou la

non-validité399 droit international des lignes de délimitation fixées par le décret
de 1935.»

4.102. Par ailleurs, il convient de rappeler que la Cour est investie d’un lar ge pouvoir
discrétionnaire dans le choix de ses motifs. Dans ses conclusions, elle doit répondre aux demandes
des parties telles qu’énoncées dans le cadre de la procédure, sans aller au -delà , puisque c’est sur
la base de ces demandes que les Parties ont défini leurs positions. Qu’adviendrait -il dès lors de

cette latitude laissée à la Cour si les motifs eux -mêmes étaient revêtus de l’autorité de la chose
jugée ? Qu’adviendrait -il des droits des parties si celles -ci devaient se retrouver liées par des
moyens auxquels elles n’auraient pas répondu, ou jugé utile de répondre, puisqu’ils ne faisaient pas
partie du petitum ?

4.103. C’est bien parce que les motifs eux- mêmes n’ont pas force obligatoire que la Cour a
confiné au raisonnement développé dans son arrêt les demandes du Cambodge relatives au statut de

la carte de l’annexe I et à la délimitation. Ainsi seulement peut s’expliquer (et s’explique en effet)
la formule quelque peu cryptique qu’elle utilise en conclusion de ses motifs, lorsqu’elle dit, à
propos de ces demandes :

«[D]’autre part, … après avoir énoncé sa propre demande concernant la
souveraineté sur Préah Vihéar, la Thaïlande, dans ses conclusions formulées à la fin de
la procédure orale, s ’est bornée à énoncer les arguments et dénégations oppo sés à la

397
Voir par. 2.76-2.77 ci-dessus.
398Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36.

399Affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 126. Voir également l’affaire
du Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 31-32.
400
La Cour a souligné l ’importance de ce juste équilibre, en précisant, dans l’affaire relative au Mandat d’arrêt
du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), que «[s]i [elle] ne peut … pas trancher des questions
qui ne lui ont pas été soumises, en revanche la règle non ultra pene saurait l’empêcher d’aborder certains points de
droit dans sa motivation» ( Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p. 43). - 88 -

Partie adverse, laissant à la Cour le soin de rédiger à sa convenance les motifs de son
401
arrêt.»

b) La demande du Cambodge révèle un différend concernant la délimitation de la frontière

4.104. Bien que la Cour ait conclu à l’irrecevabilité d es demandes du Cambodge relatives à
la délimitation, celui-ci a par la suite prétendu qu’elle avait en réalité statué sur cette question. Le
Cambodge a adopté cette position dès 1962, et n’a cessé de la réaffirmer , comme si ces demandes

avaient eu une vie propre et que la conclusion de la Cour quant à leur irrecevabilité n’avait sur elles
aucun effet. Toutefois, ce faisant, il ne se livre pas à une interprétation de l’arrêt rendu par la Cour
en 1962, mais à un détournement de celui-ci à des fins politiques.

4.105. Quelques exemples viennent l’illustrer . Tout d’abord, les déclarations sur
l’emplacement de la clôture de barbelé s reposent sur le postulat que la Cour s’est bien prononcée
402
sur la délimitation et la démarcation de la frontière . Or cette clôture avait été érigée pour
marquer la zone sur laquelle la Cour avait déclaré la souveraineté du Cambodge et non la frontière
qu’elle aurait délimitée.

4.106. Les représentants spéciaux du secrétaire général, MM. Gussing et de Ribbing,
voyaient tous deux dans la délimitation et l’abornement des frontières dans la région des Dangrek ,

mais aussi au-delà, une question importante pour les relations ent403les Parties. Le deuxième des
cinq point s de la proposition soumise par M. Gussing concernait le «respect de l’ intégrité
territoriale des deux pays» . Pour le Cambodge, ce point aurait dû inclure «la définition des
frontières conformément aux cartes en annexe de la documentation cambodgienne présentée à la
404
Cour internationale de Justice dans le cadre de l’affaire Préah Vihéar ». Le Cambodge parut
donc, à cette occasion, reconnaître le caractère unilatéral, et non juridique, de sa position.

4.107. Mais cette sincérité ne devait pas durer. Très vite, le Cambodge se mi t à prétendre
que la Cour avait procédé à une délimitation générale, apparemment dans le dessein d’ obtenir une
déclaration de reconnaissance de ses frontières. E n 1964, dans un article paru dans Réalités
405
Cambodgiennes, publication présentée comme un «organe semi-officiel» du prince Sihanouk, on
pouvait ainsi lire :

«Le Cambodge a toujours affirmé , et je saisis cette occasion pour l’affirmer à

nouveau, qu’une reprise des relations normales avec la Thaïlande ne pourrait se faire
que si cette dernière accepte de reconnaître et de respecter les frontières actuelles entre
nos deux pays, frontières qui sont d’ailleurs parfaitement établies par les accords

internatio406x et confirmées en 1962 par un arrêt de la Cour Internationale de
Justice.»

401
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36 (les
italiques sont de nous).
402
Voir par. 4.38-4.43 et 4.54 ci-dessus.
403Voir par. 4.50 ci-dessus. Voir aussi : N. Gussing, note adressée au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, «Mission en Thaïlande et au Cambodge», 14 septembre 1963, par. 3 (annexe 57).

404J. F. Engers, aide-mémoiredu 19 septembre 1963 concernant les cinq points proposés par le Secrétaire général
le 3 septembre 1963, p. 1 (annexe 58).
405 o
Lettre n A-37 en date du 16 juillet 1962 envoyée par valise diplomatique au département d’Etat par
l’ambassade des Etats-Unis à Phnom Penh, «Realités discusses Problems of Preah Vihear Turnover» [La revue Réalités
examine les problèmes liés à la cession de PréahVihéar] (annexe 20).
406
Réalités cambodgiennes, 18 décembre 1964, «Les ruades de Thanat Khoman», p. 3 (annexe 60). - 89 -

Ce même argument a été avancé à plusieurs reprises devant l’As semblée générale des

Nations Unies par le représentant permanent du Cambodge :

«Pour l’information de l’Assemblée générale, je me permets de souligner que
les frontières communes actuelles entre la Thaïlande et le Cambodge ont été établies et

bien défini es par des traités internationaux [ et] confirmé[es] par l es accords de
règlement franco-siamois du 17 novembre 1946, puis par le rapport de la Commission
de conciliation franco-siamoise du 27 juin 1947 et enfin par l’arrêt de la Cour
407
internationale de Justice.»

4.108. Les déclarations du Cambodge mettent en lumière l es préoccupations suscitées chez
un Etat nouvellement indépendant par la question de ses frontières, préoccupations qui seront

d’autant plus vives que celles-ci n’auront pas été délimitées. C es préoccupations, t outefois, ne
justifient pas de représenter incorrectement le propos de la Cour. Celle- ci, dans son arrêt, s’était
délibérément abstenue de traiter de cette question.

4.109. C’est pourtant cette même question qui est à présent portée devant elle. Voici
comment le Cambodge décrit l’enjeu de la présente affaire, au paragraphe 24 de sa requête :

«[L]a Thaïlande accepte la souveraineté du Cambodge sur le temple, mais
refuse que cela ait des effets en dehors d’un périmètre restreint et strictement limité au
temple lui- même. De cette situation découle consécutivement des affirmations

thaïlandaises: 1) que la frontière dans la région du temple n’a pas été reconnue par la
Cour et doit toujours être établie en droit ; 2) que ceci permet à l a Thaïlande de
réclamer le territoire en dehors de la stricte enceinte du temple sur la base de la «ligne
408
de partage des eaux» comme cet Etat l’avait plaidé devant la Cour en 1959-1962.»

Ou encore, au paragraphe 25 :

«Pour le Cambodge, non seulement les deux versions de la thèse thaïlandaise
sont incompatibles entre elles, mais elles sont surtout incompatibles avec ce que la
Cour a décidé en 1962. Ceci est clairement démontré par le fait que chaque version
nécessite la création de nouvelles lignes artif icielles qui servent à relier la «ligne de

partage des eaux», revendiquée par la Thaïlande lors de la précédente procédure
devant la Cour, à la «zone du temple» définie selon l’arrêt de 1962 comme coïncidant
avec la ligne de la carte de l’annexe I ; en d’autres termes la création pour la première

fois, de nombreuses années après l’arrêt de la Cour, de lignes artificielles de
démarcation qui n’avaient aucune existence en 1962, et pour lesquelles il est
impossible de trouver des fondements, aussi bien dans le s instruments juridiques sur
lesquels la Cour s’est basée en 1962 pour rendre son arrêt, que dans les termes de
409
l’arrêt lui-même.»

407 e
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale , vingt-et-unième session, 1 428 séance plénière,
4 octobre 1966, p. 19, par. 161 (note de bas de page omise). V oir, de même, ibid., 1 444eséance plénière,
17 octobre 1966, p. 5, par. 65-66 ; ibid., vingt -deuxième session, 1 590ance plénière, 13 octobre 1967, p. 16-17,
par. 159-161 ; ibid., 1 591 séance plénière, 13 octobre 1967, p. 23, par. 234-235 ; ibid., vingt -troisième session,
1 701e séance plénière, 21 octobre 1968, p. 7, par. 60.
408
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28avril 2011, par. 24 (les i taliques sont de
nous).
409
Ibid., par. 25. - 90 -

4.110. La Thaïlande soutient en effet que les conclusions rendues par la Cour en 1962 ne
concernent pas la délimitation de la frontière dans la région décrite sur la carte de l’annexe I . Elle
ne prétend pas qu’aucun différend ne l’oppose au Cambodge quant à la délimitation et à
l’abornement de l eur frontière, et reconnaît pleinement que, en tranchant la question de la

souveraineté sur le temple, l’arrêt de 1962 a créé une situation qui doit être prise en compte dans le
processus de délimitation et de démarcation. La Thaïlande ne conteste pas non plus que ce
processus ne puisse qu’avoir un effet bénéfique sur les relations en tre les Parties dans les zones
frontalières et sur la gestion du temple en tant que site inscrit sur la liste du patrimoine mondial de
l’Unesco.

4.111. Cependant, et le Cambodge le reconnaît lui -même , il s’agit d’une question qui doit
faire l’objet d’une décision commune des Parties, et l e mémorandum d’accord du 14 juin 2000 411

prévoit justement un mécanisme à cet effet. L’article premier du mémorandum cite les instruments
sur lesquels les Parties se fonderont pour procéder au levé et à la démarcation de leur frontière :

«a) la convention entre le Siam et la France modifiant les stipulations du traité du
3 octobre 1893 concernant les territoires et les autres arrangements, signée à Paris

le 13 février 1904 ;

b) le traité entre Sa Majesté le roi du Siam et le président de la R épublique française
signé à Bangkok le 23 mars 1907, et le protocole concernant la délimitation des
frontières et annexé au traité du 23 mars 1907 ;

c) les cartes qui résultent des travaux de démarcation des commissions de
délimitation de la frontiè re entre l’Indochine et le Siam, établies au titre de la
convention de 1904 et du traité de 1907 entre le Siam et la France, et d’autres

documents relatifs à l’application de la convention de 1904 et du traité de 1907
entre le Siam et la France».

4.112. Si la Cour s’était prononcée en 1962 sur la délimitation de la frontière entre les deux

pays, l’absence de toute mention de sa décision à l’article premier du mémorandumd’accord serait
inexplicable. Si l’interprétation du Cambodge était effectivement que la Cour a vait délimité la
frontière en 1962, ce qui devient inexplicable, c’est qu’il n’ait pas fait à cet égard la moindre
mention de l’arrêt lors des travaux préparatoires du mémorandum d’accord. Or c’est bien ce que
412
révèle l’analyse de ces travaux .

4.113. La commission conjointe sur la frontière établie en vertu du mémorandum d’accord
commença ses travaux en 2003. Toutefois, sur l’éperon de Phra Viharn, et même au-delà, ceux-ci

furent rendus difficiles par l’inscription du temple sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

4.114. L’historique de l’inscription du temple de Phra Viharn sur la liste du patrimoine
mondial de l’Unesco montre que le Cambodge avait conscience que cette zone devait encore être

délimitée conformément aux dispositions du mémorandum d’accord. Le Cambodge reconnut à

410
Ibid., par. 30 ; voir aussi ibid., par. 18-19.
411Voir le mémorandum d’accord entre le Gouvernement du Royaume de Thaïlande et le Gouvernement du
Royaume de Cambodge sur le levé et la démarcation dela frontière terrestre, 14 juin 2000 91)
412
Procès-verbal approuvé de la première réunion de la commission conjointe thaïlandaise-cambodgienne sur la
démarcation de la frontière terrestre, 30 juin-2 juillet 1999 (annexe 89) et procès-verbal de la deuxième réunion de la
commission conjointe thaïlandaise-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre, 5-7 juin 2000 (annexe 90) - 91 -

cette occasion que l’éperon de Phra Viharn faisait partie de la zone à délimiter. En particulier, s’il
avait initialement, en 2008, tenté de semer le doute sur l’étendue de la zone tampon dont le temple
devait être entouré aux fins de l’achèvement de la procédure d’inscription, depuis 2010, il reconnaît

officiellement que l a partie de l’éperon qui s413rouve en territoire thaïlandais doit être exclu e de
cette zone, dans l’attente d’une délimitation .

4.115. Ainsi, le Cambodge semble avoir formulé sa demande pour essayer de contourner la
procédure et les organes établis par le mémorandum d’accord, et obtenir de la Cour qu’elle
procède, dans un arrêt sur une demande en interprétation, à une délimitation qui lui attribuerait une
partie du territoire thaïlandais devant constituer la zone tampon requise aux fins de compléter le

processus d’inscription du temple sur la liste du patrimoine mondial. La longue présentation, dans
la requête, des faits se rapp ortant à ce processus ne laisse aucun doute quant à cet objectif du
Cambodge 41. Mais la portée de la demande du Cambodge s’étend bien au-delà, à l’ensemble de la
région des Dangrek représentée sur la carte de l’annexe I , puisque cette demande concerne en

réalité «la question de savoir si l’arrêt a ou non reconnu avec force obligatoir415a ligne tracée sur la
carte de l’annexe I comme représentant la frontière entre les deux Parties» .

C ONCLUSION

4.116. La tentative que fait le C ambodge pour contourner, sous le couvert d’une demande
d’intervention, les mécanismes de négociation établis par les Parties aux fins de l ’abornement de
leur frontière et pour saisir la Cour de ces mêmes demandes qu’elle avait jugées irrecevables dans

son arrêt de 1962 constitue un dé tournement de procédure, incompatible avec l a nature
consensuelle de la compétence de la Cour. De fait , la demande du Cambodge fait apparaître un
différend sur la délimitation et l’ abornement de la frontière qui échappait à la compétence de la
Cour en 1962 et en reste exclue aujourd’hui en vertu de l’article 60 du Statut.

4.117. La compétence reconnue à la Cour au titre de l’article 60 n’est pas subordonnée à un
consentement exprès. Il n’en reste pas moins vrai que la Cour ne peut se prononcer sur un
différend interétatique sans le consentement des Etats concernés. Or l e principe du consentement

ne sera respecté dans le cas d’une demande en interprétation présentée sur le fondement de
l’article 60 que si, et seulement si, cette demande ne vise pas le règlement d’un différend dont la
Cour n’était pas saisie dans l’instance initiale.

4.118. En conséquence, en l’absence de contestation quant au sens et à la portée de ce qui a
été tranché avec force de chose jugée d ans son arrêt de 1962, et dès lors que la demande du
Cambodge a trait à la délimitation et à la démarcation d’une frontière, question sur laquelle elle n’a

pas statué en1962, la Cour ne saurait exercer sa compétence en vertu de l’article 60 du Statut.

413Voir Département des traités et des affaires juridiques, Historique des négociations en vue de l’inscription du

temple sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, novembre 2011 (annexe 100).
414Demande en interprétation de l’arrêt du 1juin 1962 en l’affaire du Temple de PréaVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 13-15, 17 et 35.
415
Demande en interprétation de l’arrêt du 1juin 1962 en l’affaire du Temple de PréaVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du
18 juillet 2011, par. 31 ; voir aussi les paragraphes4.90-4.92 ci-dessus. - 92 -

C HAPITRE V

INTERPRÉTATION ERRONÉE ,PAR LE C AMBODGE ,DU SENS ET DE LA PORTÉE DE
L’ARRÊT DE 1962

A. L E BUT APPARENT DE LA DEMANDE EN INTERPRÉTATION DU CAMBODGE

5.1. Dans sa requête du 28 avril 2011, introduisant la présente instance, le Cambodge exige
de la Cour qu’elle traite de questions qui ne relèvent pas de sa compétence au titre de l’article 60 du
Statut. Au chapitre IV des présentes observations écrites, la Thaïlande a exposé ses exceptions
d’incompétence, qu’elle maintient dans leur intégralité.

5.2. Dans ce chapitre, la Thaïlande traiter a, à titre subsidiaire, des graves erreurs
d’interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 que contient la requête.

5.3. Dans cette dernière, le Cambodge 416mule de nombreuses allégations mettant en cause
des faits actuels dans la région frontalière , qu’il e st difficile de comprendre autrement que
comme tendant :

i) soit à ce que la Cour statue sur une série de questions générales liées à la définition de la
frontière thaïlando-cambodgienne ;

ii) soit à ce qu’elle déclare si les Parties agissent aujourd’hui conformément à l’arrêt qu’elle a
rendu en 1962 dans l’affaire qui les opposait alors,

et non comme une demande de règlement d’une réelle contestation quant au sens de cet arrêt.

5.4. Au paragraphe 5 de sa requête, le Cambodge semble interpréter l’arrêt de 1962 comme
signifiant que :

1) la ligne de la carte de l’annexe I constitue la frontière obligatoire et définitive entre les Parties ;

2) l’obligation énoncée au deuxième paragraphe du dispositif est une obligation continue;

3) la Thaïlande occupait de manière illicite une zone plus étendue que celle dont elle s’est retirée
en 1962.

Sur cette deuxième interprétation, toutefois, le Cambodge fait montre de moins de constance.

Au paragraphe de la requête qui correspond apparemment à sa demande formel 417 le, il évoque
«l’obligation … continue de respecter l’intégrité du territoire du Cambodge ». Celle -ci n’est
évidemment pas sujette à controverse, mais elle se distingue d’une obligation continue et spécifique
qu’aurait la Thaïlande de procéder à un retrai t qu’elle a déjà effectué voici une cinquantaine

d’années, et que le Cambodge semble exiger derechef au paragraphe 5. La Thaïlande répondra ici

416Demande en interprétation de l’arrêt juin 1962 en l’affaire du Temple de Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 13-20 et 33-34.
417
Ibid., par. 45. - 93 -

en partant du principe que le Cambodge maintient la demande selon laquelle il existerait une
obligation continue de retrait d’un territoire donné .18

5.5. Dans le présent chapitre, la Thaïlande montrera que les demandes principales du
Cambodge exposées plus haut reposent toutes trois sur une interprétation erronée de l’arrêt du
15 juin 1962. Le Cambodge est dans l ’erreur 1) lorsqu’il affirme que la ligne de la carte de

l’annexe I a été adoptée en 1962 comme marquant une délimitation qui lie les Parties et à laquelle
celles-ci sont tenues de donner effet sur le terrain ; 2) lorsqu’il soutient que l’obligation de ret rait
du temple et de ses environs situés en territoire cambodgien est une obligation continue ; et
3) lorsqu’il affirme que la zone dont la Thaïlande s’est retirée en 1962 n’était pas celle visée par le

dispositif de l’arrêt.

B. S ANS ÉGARD POUR L ARRÊT DE 1962, LE C AMBODGE AFFIRME À TORT
QUE LA C OUR A DIT QUE LA FRONTIÈRE DEVAIT ÊTRE TRACÉE

SUIVANT LA LIGNE DE LA CARTE DE L ’ANNEXE I

5.6. Le Cambodge soutient que «la majeure partie de l’arrêt de 1962 fut strictement
consacrée à la recherche par la Cour de la ligne qui devait constituer la frontière entre les deux
419
Etats dans la zone en question» . Mais c’est là une pétition de principe. Car telle est précisément
la grande question que soulève la demande du Cambodge : la Cour a-t-elle établi la ligne qui devait
«constituer la frontière» ? La Cour a assurément tenu compte de la carte, mais elle ne l’a jamais
adoptée comme représentant ce qui «constitu[ait] la frontière entre les deux Etats». Lorsque le

Cambodge affirme que la carte de l’annexe I relève de la chose jugée dans cette affaire, il se
fourvoie pour au moins cinq raisons.

5.7. Premièrement, en soutenant que la ligne de la carte de l’annexe I doit servir de base au

tracé de la frontière, le Cambodge fait litière du refus exprès de la Cour en 1962 de rendre une
décision en ce sens. Deuxièmement, il exige que la Cour reconnaisse aujourd’hui force de chose
jugée à d’autres questions en rapport avec la carte de l’annexe I qui n’étaient aucunement abordées
dans l’arrêt de 1962. Troisièmement, il esti me à tort que la question de la souveraineté sur le

temple ne pouvait être tranchée sans que fût déterminé l’emplacement précis de la frontière.
Quatrièmement, il ne tient aucun compte de la pratique suivie ultérieurement par les Parties, qui
indique que la Cour n’avait pas déterminé cet emplacement. Cinquièmement, il tente d’attribuer à
la carte une finalité que la Cour ne lui a pas prêtée en 1962.

1. En prétendant que c’est sur la base de la ligne de la carte de l’annexe I que doit être
tracée la frontière, le Cambodge fait litière du refus expressément formulé

par la Cour en 1962 de se prononcer en ce sens

5.8. La demande en interprétation du Cambodge repose essentiellement sur la thèse selon
laquelle la Cour aurait décidé, en 1962, que les Parties éta ient tenues de tracer leur frontière sur la
base de la ligne de la carte de l’annexe I. D’après le Cambodge, «[u]ne très grande partie de l’arrêt

de 1962 fut … consacrée par la Cour à la recherche420 la ligne qui devait constituer la frontière
entre les d eux Etats dans la zone du temple» . Il n’est certes pas surprenant que la Cour ait

418
Demande en interprétation de l’arrêt dujuin 1962 en l’affaire du Temple de PrVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, 30 mai 2011, CR 2011/13 p. 12-13 (présentation du
président Hisashi Owada) ; ibid., p. 13 (intervention du greffier).
419Demande en interprétation de l’arrêt dujuin 1962 en l’affaire du Temple de PrVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 10.
420
Ibid., par. 4. - 94 -

examiné la ligne avec attention : les Parties avaient consacré une grande partie de leurs plaidoiries à
débattre du statut, de l’exactitude et de la pertinence de la carte de l’annexe I. Toutefois, la

question ne réside pas dans le degré d’attention que la Cour a consacré à cet examen, mais dans ce
qu’elle a dit de la ligne. Or le problème, pour le Cambodge, c’est qu’elle s’est tout simplement
gardée d’établir que «la ligne … devait constituer la frontière», et ce, en des termes exprès.

5.9. Il est utile de rappeler ici ce que le Cambodge demandait dans le cadre de l’affaire
initiale. La Thaïlande a déjà reproduit les conclusions finales qu’il avait présentées alors 421. Celle
qui revêt une pertinence aux fins de la thèse qu’il présente aujourd’hui quant à la ligne de

l’annexe I consistait à prier la Cour de «[d] ire et juger que la ligne frontiè422 … dans la région
contestée voisine du temple [était] celle qui [était] marquée sur la carte» . Or la Cour a rejeté
cette conclusion. Elle a indiqué que le « statut juridique de la carte de l’an nexe I» et «la ligne
frontière dans la région contestée ne p[ouvaient] être retenues que dans la mesure où elles
423
énon[çaient] des motifs et non des demandes à retenir dans le dispositif de l’arrêt» . La première
réfutation  en soi suffisante  de la thèse du Cambodge quant à la ligne de la carte de l’annexe I
tient donc en ceci que la Cour a expressément décidé de ne pas se prononcer sur ce point.

5.10. Il s’ensuit que, loin de présenter une véritable demande en interprétation de l’arrêt du
15 juin 1962, le Cambodge cherche en réalité à interjeter appel de la décision rendue alors par la
Cour de ne pas faire droit aux plus ambitieuses de ses demandes. Il espère obtenir ainsi

l’annulation de l’issue que la Cour a explicitement retenue aux termes de son arrêt.

2. Dans sa requête, le Cambodge exige de la Cour qu’elle reconnaisse aujourd’hui force

de chose jugée à d’autres questions en rapport avec la carte de l’annexe I
qu’elle n’a absolument pas abordées dans son arrêt de 1962

5.11. Le Cambodge accuse la Thaïlande d’essayer «de minimiser les effets juridiques de
424
l’arrêt de 1962» . Il soutient que «non seulement [elle] remet en cause l’intégralité de l’arrêt
de 1962 (et pas seulement le dispositif), mais [qu’elle] remplace [également] ce que la Cour dit
dans les motifs de son arrêt par sa propre lecture basée sur ce que la Cour ne dit pas » . Que le
Cambodge pense que la Cour dit quoi que ce soit de déterminant dans les «motifs» de son arrêt

(«dit» ayant été rendu par le verbe «find»  conclure  en anglais) révèle une faille fondamentale
de son argumentation, car les motifs énoncent non pas ses conclusions, mais les considérations sur
lesquelles la Cour fonde ses décisions effectives. En vérité, c’est le Cambodge qui essaye
d’ajouter à la teneur de l’arrêt et d’en accroître la portée , en faisant en sorte que des questions sur

lesquelles la Cour n’a nullement statué soient traitées comme des décisions contraignantes. Ainsi,
deux autres questions qui n’ont pas été tranchées par la Cour en 1962 sont au cŒur de la révision de
l’arrêt que le Cambodge cherche maintenant à imposer à la Thaïlande. Car, premièrement, et au

contraire de ce qu’affirme le Cambodge dans sa requête, la Cour n’a pas décidé dans son arrêt que
la frontière ne suivrait pas la ligne de partage des eaux. Et, deuxièmement, elle n’a absolument pas
abordé la divergence entre les Parties quant à la question de savoir s’il serait concrètement possible
de transposer sur le terrain la ligne représentée sur la carte de l’annexe I.

421Voir par. 2.72-2.73 ci-dessus.
422
Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 11 ;
C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 441 (S. Exc. M. Truong Cang, 20 mars 1962).
423Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 36.

424Demande en interprétation de l’arrêt du 15juin 1962 en l’affaire du Temple de PréahVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 24.
425
Ibid., par. 25. (Les italiques sont dans l’original.) - 95 -

a) L’allégation du Cambodge selon laquelle, dans son arrêt de 1962, la Cour aurait décidé que
la frontière ne suivrait pas la ligne de partage des eaux

5.12. Le Cambodge soutient que la Cour a écarté «l’ancienne revendication de la Thaïlande»
selon laquelle, dans la chaîne des Dangrek, la frontière devait suivre la ligne de partage des eaux :
«cette [nouvelle] carte [thaïlandaise] reprend en général la ligne de partage des eaux selon
l’ancienne revendication de la Thaïlande écartée par la Cour en 1962» . Mais soyons clairs : la

nouvelle carte dont le Cambodge tire ici grief ne va en aucun cas à l’encontre de l’arrêt de 1962,
puisque le temple se trouve du côté cambodgien de la ligne qui y est représentée. Il en découle que
la carte ne prend nullement le contre-pied de l’arrêt de 1962. Pour étayer l’allégation selon laquelle
«reprend[re] en général» la ligne de partage des eaux reviendrait à faire fi d’une dé cision de la

Cour, le Cambodge intègre dans l’arrêt de 1962 une conclusion que la Cour s’est expressément
gardée de rendre. Dans cet arrêt, la Cour n’a en effet «écarté» aucune «revendication» de la
Thaïlande selon laquelle la frontière suivrait généralem ent la ligne de partage des eaux. Au
contraire, elle a déclaré ce qui suit :

«Etant donné les motifs sur lesquels la Cour fonde sa décision, il devient inutile
d’examiner si, à Préah Vihéar, la frontière de la carte correspond bien à la véritable
ligne de partage des eaux dans ces parages, si elle y correspondait en 1904 -1908 ou,
427
dans le cas contraire, quel est le tracé exact de la ligne de partage des eaux.»

Il est à relever que la Cour ne se préoccupait que de Préah Vihéar ; or même de la ligne frontière au
niveau du temple, elle s’est expressément refusée à dire si elle suivait ou non la ligne de partage
des eaux. Cela signifie que tout ce qui pourrait ressortir de la carte de l’annexe I quant à la relation

existant entre la ligne qui s’y trouve représentée et la ligne de partage des eaux ne relève pas du
champ de l’arrêt de 1962. Dans sa requête, le Cambodge soutient ainsi que la Cour a «écarté» la
ligne de partage des eaux quand, en réalité, elle ne s’est nullement prononcée sur cette question.

5.13. Quiconque examinera la carte de l’annexe I sans autres informations que celles qu’elle
lui fournit y verra représentée une ligne de partage des eaux. C’est bien sûr aussi une telle ligne
que la frontière est expressément censée suivre en vertu de l’art icle I de la convention du
428
13 février 1904 entre la France et le Siam , et il n’est dès lors pas surprenant que les cartographes
aient, dans les limites de leur appréciation technique de la véritable configuration du relief, tenté à
différents moments de r eprésenter la frontière sous cette forme. En 1962, les experts de la
Thaïlande ont démontré que l’examen du relief réel faisait clairement apparaître que la ligne

figurée sur la carte de l’annexe I n’avait pas été correctement tracée, d’important es429reurs pouvant
être repérées dans la manière dont les cours d’eau y étaient représentés . A première vue,
toutefois, la ligne que représente la carte de l’annexe I semble, de par sa relation avec les cours
d’eau, correspondre à une ligne de partage des eaux, t elle que prévue à l’article I de la convention

de 1904. Plus tard, la Thaïlande a elle aussi cherché à tracer sur ses cartes une frontière suivant la
ligne de partage des eaux, tout en se conformant au dispositif de l’arrêt de 1962 qui établissait la
souveraineté sur le temple.

426Ibid., par. 14. (Les italiques sont de nous.)
427
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962, C.I.J. Recueil
1962, p. 35.
428Voir C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar , «La convention du 13 février 1904 entre la France et le
Siam»,contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande , annexe 4, vol. I, p. 220.
429
Voir C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar , «Rapport du professeur W. Schermerhorn, 1961»,
contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande, annexe 49, vol. I, p. 432. - 96 -

5.14. Il est donc frappant que le Cambodge, qui n’a de cesse d’invoquer dans ses exposés le
principe de la stabilité des frontières, soutienne maintenant que, dans son arrêt du 15 juin 1962, la
Cour a déclaré que la frontière ne suivait pas la ligne de partage des eaux. C’est faire peu de cas du

principe de stabilité, mais également passer outre à ce que la Cour a effectivement dit. Car, dans
son arrêt de 1962, la Cour n’a formulé aucune conclusion quant à la question de savoir s i la ligne
figurant sur la carte de l’annexe I représentait fidèlement la ligne de partage des eaux. Le
Cambodge accusant la Thaïlande de tenter d’escamoter certaines parties de l’arrêt, il importe de

conserver à l’esprit ce que la Cour y a effectivement dit à propos de la ligne tracée sur cette carte.

5.15. Les Parties n’étaient bien entendu pas demeurées silencieuses sur la relation entre la
ligne tracée sur la carte de l’annexe I et la ligne de partage des eaux. Le fait que la première
s’écarte de la seconde a été abondamment commenté par la Thaïlande 430. Le Cambodge a nié
l’existence d’une divergence ayant une incidence pour l’affaire. Au terme d’une critique

approfondie du levé effectué par l’expert de la Thaïlande aux fins de déterminer la ligne de partage
des eaux 43, il a conclu en ces termes : « il n’y a pas eu erreur ; … la délimitation dans la zone
cruciale situant le temple du côté cambodgien de la frontière est exacte, compte tenu des moyens
432
techniques et des normes de l’époque» . «L’erreur … se mesure en centimètres ou tout433 plus en
mètres. Une telle erreur peut difficilement être qualifiée d’erreur substantielle.»

Selon le Cambodge il fallait s’attendre à de telles déviations qui, de toute façon, n’avaient
aucune conséquence juridique : «[c]ette erreur de pur fait nous paraît finalement comme trop
insignifiante pour entraîner une conséquence juridique quelconque» . 434

Les éléments produits par la Thaïlande pour prouver que la ligne représentée sur la carte était
erronée  en tant qu’elle ne suivait pas la ligne de partage des eaux  étaient importants aux fins
de sa défense, car la Thaïlande soutenait que l’erreur en question viciait toute prétendue acceptation
435
de sa part qui l’eût autrement liée au contenu de la carte . Elle était donc en ne t désaccord avec
l’allégation du Cambodge selon laquelle, quand bien même il y aurait eu erreur, celle -ci aurait été
trop insignifiante pour avoir la moindre conséquence juridique.

5.16. La Cour n’a pas tranché la question soulevée dans le cadre de ces vi fs échanges, et cela
est parfaitement logique : la question était sans incidence, puisque la carte était claire au sujet du

problème sur lequel elle devait statuer ; elle situait en effet sans ambiguïté le temple au Cambodge.
M. Acheson, qui s’exprimait au nom de celui-ci, en estimait la signification si évidente qu’il jugea
bon de traiter les doutes de la Thaïlande par le sarcasme : si celle -ci n’avait pas saisi ce que le

symbole du temple signifiait sur la carte, railla-t-il, s436 doute avait-elle «pens[é] que c’était là une
cathédrale gothique française bâtie sur la falaise» . La Cour a traité la question en ces termes :

430 Voir ibid., contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande, vol. I, par. 76-80 ; ibid., duplique, vol. I,
par. 95-112.
431
Voir CR 62/17 (M. DeanAcheson, 22 mars 1962), p. 16-p 37 de la traduction française.
432
Ibid., p. 37.
433Voir C.I.J. Mémoires, Temple de PréahVihéar, plaidoiries, p. 516 (M. Roger Pinto, 23 mars 1962).

434Ibid., p. 517 (M. Roger Pinto, 23 mars 1962). Voir également CR 62/17 du 21 mars 1962 (M. Dean Acheson),
p. 16-18 de la traduction française.
435
C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, duplique du Gouvernement royal de Thaïlande, vol. I, par. 97 ;
Affaire du Temple de PréahVihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 21.
436CR 62/16 du 21 mars 1962 (M. Dean Acheson), p. 24 de la traduction française. - 97 -

«En regardant la carte, on voit qu’elle attirait si nettement l’attention sur la
région de Préah Vihéar qu’aucune personne intéressée ou chargée d’examiner cette
carte n’aurait pu manquer de remarquer ce qu’elle indiquait pour cette région. Si,

comme la Thaïlande l’a soutenu, la configuration géographique du terrain est telle
qu’il est évident, pour quiconque est allé sur place, que la ligne de partage des eaux
suit celle de l’escarpement (fait qui, s’il est exact, devait être tout aussi évident
en 1908), il ressortait nettement de la carte que la frontière de l’annexe I ne suivait pas

l’escarpement dans cette région, puisqu’elle passai t manifestement bien au nord de
tout l’éperon de Préah Vihéar. Il était impossible en regardant la carte de se
méprendre à cet égard.

En outre, la carte situait tout à fait clairement Préah Vihéar du côté cambodgien

de la ligne et marquait le temple par un signe semblant reproduire le plan général des
bâtiments et des escaliers.

Il semble donc que la carte de l’annexe I avait tout pour inspirer des doutes à
quiconque estimait qu’à Préah Vihéar la ligne de partage des eaux devait suivre la
437
ligne d’escarpement, ou à quiconque était chargé d’examiner cette carte.»

Dans ce passage de l’arrêt de 1962, la Cour affirme deux choses : au deuxième alinéa cité, elle
déclare que la carte de l’annexe I illustre avec clarté l’appartenance du temple au Cambodge ; au

premier, elle dit que, au niveau du temple, la ligne représentée sur la carte ne suit pas
l’escarpement. Toutefois, ce passage contient également un silence éloquent : la Cour ne précise ni
que la ligne représentée sur la carte suit effectivement la ligne d e partage de eaux ni qu’elle ne la
suit pas. Ces affirmations et le silence de la Cour appellent quelques brefs commentaires.

5.17. La Cour a expliqué l’importance que revêtait la carte de l’annexe I, dans le différend
qui lui était soumis, en tant que preuve certaine de souveraineté : cette carte «situait tout à fait
clairement [le temple] du côté cambodgien de la ligne» ; cette dernière passait «manifestement bien

au nord de tout l’éperon [du temple]», et aucune p438onne intéressée par cette question «n’aurait pu
manquer de remarquer ce qu’elle indiquait» . La ligne, telle qu’elle était clairement représentée
sur la carte de l’annexe I, ne passait nullement à proximité du temple  elle était «manifestement
bien» au nord  et, se trouvant au nord, et non au sud, du temple, elle constituait la preuve que la

souveraineté devait échoir au Cambodge. Cela revenait en fait à entériner le point de vue défendu
par le Cambodge, selon lequel la carte conservait sa pertinence en droit, que la ligne figurant sur la
carte représentât ou non la véritable ligne de partage des eaux. Or décider si tel ou tel Etat a
souveraineté sur tel ou tel lieu est une question bien particulière : la carte de l’annexe I était à cet

égard pertinente car on pouvait y constater, entre le temple et la ligne, une relation à l’égard de
laquelle il était «impossible … de se méprendre». Décider des coordonnées précises de la ligne
dans un cadre topographique complexe, en revanche, est une toute autre question, que la Cour n’a
pas entendu trancher.

439
5.18. Mais, comme elle allait le souligner un peu plus loin , la Cour ne se prononçait pas
sur la question de savoir si la ligne représentée sur la carte suivait ou non la ligne de partage des
eaux. La Cour a en effet déclaré que le «fait», soutenu par la Thaïlande, que la ligne s’écartait de la

437
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962, C.I.J. Rec ueil
1962, p. 26.
438 Voir également ibid. , p. 57 (opinion individuelle de sGerald Fitzmaurice) : «Les autorités siamoises,
en 1908 et ultérieurement, ne pouvaient pas avoir manqué de se rendre compte que la carte de l’annexe I montrait
Préah Vihéar comme se trouvant au Cambodge, puisque cette carte l’indiquait clairement.»
439
Ibid., p. 35. - 98 -

ligne de partage des eaux, « s’il [était] exact, devait être tout aussi évident en 1908» 440  sans

toutefois déterminer s’il était effectivement exact. «[I]l semble donc que la carte de l’annexe I
avait tout pour inspirer des doutes à quiconque estimait qu’à Préah Vihéar la ligne de partage des
eaux devait suivre la ligne d’escarpement» 441, ajoutait-elle  mais, là encore, en laissant ouverte la

question, si âprement discutée par les Parties, de savoir où se situait cette ligne de partage de eaux.

5.19. Le fait que, dans son arrêt, la Cour a éludé la question de la ligne de partage des eaux
n’est pas passé inaperçu. Dans son opinion dissidente, sir Percy Spender a évoqué l’importance de
cette ligne pour le règl ement conventionnel. Selon lui, la commission créée dans le cadre de la
convention avait pour mission d’établir des cartes reflétant ce qui avait déjà fait l’objet d’un accord,
442
et non des cartes modifiant ou précisant davantage ce qui était stipulé dans cet instrument . Au
vu des éléments de preuve versés au dossier, sir Percy a conclu que, «[e]n fait, l’annexe I n’[était]
pas conforme à la ligne de partage des eaux de la convention stipulée à l’article I de la convention

de 1904» et que, de surcroît, «[l]es experts des deux Parties [étaient] … d’accord pour déclarer que
dans la zone restreinte se trouvant à proximité immédiate du temple, la frontière indiquée à
l’annexe I n’[était] pas … la ligne de partage des eaux» 443, ce qu’il a qualifié d’«erreur
444
fondamentale dans le tracé de la ligne de frontière de l’annexe I.»

Sir Gerald Fitzmaurice, bien que d’accord avec l’arrêt, n’en a pas moins, tout comme le
juge Spender, eu à cŒur de dire que la ligne figurant sur la carte ne représentait pas la vraie ligne
445
de partage des eaux . Comme nous l’avons vu ci -dessus, l’avis de la majorité différait sur ce
point : la Cour refusa de se prononcer sur la question de savoir si la carte était entachée d’une telle
erreur.

5.20. Le silence de la Cour sur la question de sav oir si la ligne représentée sur la carte
correspondait bien à la ligne de partage des eaux jette en soi de sérieux doutes sur l’allégation

aujourd’hui avancée par le Cambodge selon laquelle la carte aurait définitivement été considérée,
dans l’arrêt, comme un élément de délimitation. Le Cambodge soutient que le mémorandum
d’accord du 14 juin 2000 instituant la commission conjointe sur la frontière «cite…, pour parvenir

à cette démarcation et à cet abornement, les mêmes instruments juridiques que ceux utili sés par la
Cour dans son arrêt de 1962», et en déduit qu’«[i]l n’est nullement question de revenir sur la
délimitation de la frontière dans cette zone» 446. Mais utiliser une carte pour déterminer si un lieu

précis relève de tel pays ou de tel autre est une chose ; l’utiliser «pour parvenir à [une] démarcation
et à [un] abornement»  ce que le Cambodge prétend, à tort 44, que la commission conjointe sur la
frontière est maintenant tenue de faire  en est une autre. Si la carte devait servir à cela, les

Parties devraient pouvoir être sûres qu’elle reflète le règlement opéré par la convention à cet effet.
Pour quiconque examine la carte avec une connaissance limitée du terrain, en tout cas, la ligne
semble correspondre à celle qui est mentionnée dans le traité  c’est -à-dire à une ligne de partage

des eaux. La carte ne contient aucune légende tendant à indiquer que la ligne s’écarte où que ce
soit de la ligne de partage des eaux  à première vue, elle semble la suivre de bout en bout. Cette

440Ibid., p. 26.

441Ibid.
442
Ibid., p. 117 (opinion dissidente de sir Percy Spender).
443
Ibid., p. 122.
444Ibid., p. 123.

445Ibid., p. 57 (opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice).
446
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 19. (Les italiques sont de
nous.)
447Voir par. 5.27-5.32 ci-dessous. - 99 -

carte en main, la personne appelée à se rendre sur place pour tracer la ligne frontière se mettrait en
quête de la ligne de partage des eaux. La façon la plus naturelle de résoudre les problèmes que
pourrait mettre en évidence la confrontation de cette carte à la configurati on réelle du relief serait
de tracer la ligne frontière suivant la ligne de partage des eaux  à laquelle tant les auteurs de la

carte que ceux de la convention convenaient qu’elle devait correspondre.

5.21. Dans son arrêt, la Cour s’est expressément gard ée de dire le contraire : elle a jugé sans
importance, aux fins de la question qu’il lui incombait de trancher, celle de savoir si la ligne
représentée sur la carte correspondait à la ligne de partage des eaux, se bornant à déclarer que, dans

un cas comme dans l’autre, le temple était situé au Cambodge. La Cour ne s’est donc appuyée sur
la ligne que pour élucider la seule question sur laquelle elle a statué  celle de la souveraineté sur
la région du temple. En revanche, si l’on admettait la thèse du Cambodge selon laquelle, par son
arrêt, la Cour a opéré une délimitation, le fait qu’elle ne s’est pas prononcée sur la conformité de la

ligne représentée sur la carte à la ligne de partage des eaux serait source de confusion. Si les
Parties, en se rendant su r le terrain, devaient désormais considérer que, par son arrêt, la Cour a
opéré une délimitation, elles seraient libres de prétendre que la question de la correspondance entre
la ligne représentée sur la carte et la véritable ligne de partage des eaux est sans importance. Point
n’est besoin de préciser que cela ne serait guère propice à la stabilité de la frontière.

b) La requête du Cambodge passe outre au fait que la Cour, dans son arrêt de 1962, ne s’est pas
prononcée sur le désaccord entre les Parties q uant à la possibilité pratique de transposer sur
le terrain la ligne représentée sur la carte de l’annexe I

5.22. Un autre élément vient infirmer l’allégation du Cambodge selon laquelle la Cour,
en 1962, aurait adopté la carte de l’annexe I comme base de la délimitation sur le terrain. Lors de
la procédure qui a abouti à l’arrêt de 1962, la Thaïlande avait expressément émis des réserves quant
à la pertinence même de la carte aux fins de la délimitation et ce, en raison de «l’inexactitude des
caractéristiques géographiques, telles que courbes de niveau, cours d’eau et rivières, indiquées sur
448
l’annexe I [qui] rend[ait] très difficile de transposer la ligne frontière sur une carte moderne» .
Voici dans quel contexte furent formulées ces réserves. Pour illus trer les difficultés que poserait
une transposition sur le terrain de la ligne figurant sur la carte de l’annexe I, la Thaïlande produisit,
en annexe 76 de sa duplique, une carte plus récente et plus précise, établie par son service
géographique royal en 1 951, sur laquelle avait été ajouté un tracé correspondant à la ligne de

l’annexe I. La Thaïlande fit observer ce qui suit :

«Cette carte montre que c’est pas seulement à Phra Viharn mais aussi en maints
autres endroits que l’annexe I, en suivant des cour bes de niveau erronées, attribue au
Cambodge des fractions, ou parfois des parcelles, de territoire qui constitueraient des

enclaves séparées du Cambodge par un escarpement abrupt. D’autre part, la frontière
passe à plusieurs reprises au sud de l’escarpem ent, attr449ant ainsi à la Thaïlande des
fractions de la plaine du Cambodge (annexe 76bis) . Il est à peine utile de dire qu’il
n’a jamais été question qu’une telle ligne fût appliquée par les Parties. Or, si, en
raison de la situation à Phra Viharn, les frontières indiquées sur l’annexe I étaient

déclarées valables, tout l’état de choses qui existe depuis plus de cinquante ans dans la
partie orientale des Dangrek serait remis en question et des revendications pourraient

448
C.I.J. Mémoires, Temple de PréahVihéar, duplique du Gouvernement royal de la Thaïlande, vol. I, page 48 de
la traduction française, par.112, note de bas de page 1.
449Voir la carte représentant les bandes de territoire cambodgien qui reviendraient à la Thaïlande si la carte de
l’annexe I, déposée en tant qu’annexe 76bis de la duplique de la Thaïlande, était retenue (annexe102). - 100 -

être mutuelleme450présentées. On se demande si cela servirait les intérêts du
Cambodge.»

Par cette analyse, la Thaïlande entendait montrer que la carte de l’annexe I contenait tant
d’erreurs qu’il serait impossible, sans s’appuyer sur d’autres éléments, de déterminer le tracé que
devrait suivre, sur le terrain, la ligne qui s’y trouvait représentée.

5.23. Le Cambodge récusa catégoriquement la démonstration de l’impasse à laquelle

conduirait toute tentative de délimitation s’appuyant sur la carte de l’annexe I. M. Dean Acheson
indiqua, dans ses plaidoiries, qu’il n’y avait pas lieu d’insister sur les divergences entre la carte de
l’annexe I et la configuration réelle du relief  exercice qu’il qualifiait d’«artifice» 451. La

démonstration de la Thaïlande, prétendit -il, reposait sur «un tour de passe- passe» consistant à
choisir délibérément une carte inadaptée à la comparaison qu’il s’agissait d’opérer 452. Il
poursuivait en affirmant : «si cette tentative pour démontrer que les cartes sont mal assorties avait

pour objet de révéler des défect uosités topographiques sur la carte annexe I, elle a singulièrement
échoué» . 453

5.24. La Thaïlande ne concéda rien, mais réaffirma au contraire sa position en contestant le
semblant de réfutation avancé par M. Acheson 454.

5.25. Cette question fut donc «distinctement mise en cause», selon l’expression classique du
455
principe de l’autorité de la chose jugée en droit international , toutefois, pour acquérir force de
chose jugée, la question doit aussi avoir été «distinctement tranchée» 456. Or, dans l’arrêt de 1962,
la Cour n’a tranché la question ni distinctement ni autrement, préférant ne pas se prononcer du tout.

La passe d’armes entre les Parties sur les difficultés qu’entraînaient les erreurs de la carte de
l’annexe I avait mis au jour une question qu’il conven ait de trancher si la carte devait être intégrée
à l’arrêt pour les besoins de la délimitation. Or la Cour est demeurée parfaitement silencieuse sur
457
ce point . Cela répond amplement à l’allégation erronée du Cambodge selon laquelle l’arrêt
aurait établi une délimitation.

450C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, duplique du Gouvernement royal de Thaïlande, vol. I, p. 48 de la
traduction en français, par.112.

451CR 62/17, 22 mars 1962 (M. Dean Acheson), p. 3 de la traduction française.
452
Ibid.
453Ibid., p. 6 de la traduction française.

454C.I.J. Mémoires, Temple de PréahVihéar, plaidoiries, vol. II, p. 568-569 (M. Henri Rolin, 28 mars 1962).

455AMCO Asia Corpo ration et al. v. Republic of Indonesia, décision sur la compétence, 10 mai 1988, ICSID
Reports, vol. I, 1993, p. 550, renvoyant à l’affaire de lOrinoco Steamship Company , Hague Court Reports (1916),
p. 226.
456
Ibid.
457
A une exception près, peut -être, si l’on considère comme une prise de position à part entière la décision de la
Cour de ne pas reproduire, dans les plaidoiries publiées de1962, les cartes de l’annexe 76 : «Parmi les cartes annexées
aux écritures et déposées auprès du Greffe par les Parties, seules celles que la Cour a estimé nécessaires à la
compréhension de l’arrêt du 15 juin 1962 ont été reproduites dans la présente édition», C.I.J. Mémoires, Temple de Préah
Vihéar, vol. I, p. ix, note 1. Les annexes 76 et 76bis n’ayant pas été reproduites, il s’ensuit que la «Cour [n’]a [pas]
estimé nécessair[e] à la compréhension de l’arrêt» l’aspect qu’elles étaient censées permettre d’élucider. - 101 -

3. Le Cambodge a tort d’affirmer que la question de la souveraineté sur le temple
imposaitde déterminer l’emplacement exact de la frontière

5.26. Le Cambodge soutient que «la Cour a … confirmé et validé cette frontière sur la base
de la carte de l ’annexe I dans ses motifs essentiels de manière à rendre sa décision » . On
relèvera au moins trois erreurs dans cette affirmation. Tout d’abord, le Cambodge passe outre au

fait que différentes juridictions établissent entre les conflits de so uveraineté et les éléments de
preuve permettant de localiser les frontières des Etats en cause des corrélations différentes selon la
question à trancher. Par ailleurs, emporté par son désir d’attribuer force de chose jugée à une ligne

que la Cour a pourtant expressément refusé de «confirmer» ou de «valider» en 1962, le Cambodge
décèle cette même finalité dans les motifs de l’arrêt. Or, lorsque la Cour s’est demandée, dans
d’autres affaires, si un motif était essentiel, elle a examiné s’il était essentiel à l’arrêt effectivement

rendu  et non «essentiel» à quelque autre finalité recherchée par l’une des Parties. Le Cambodge
fait donc une interprétation erronée des motifs de l’arrêt de 1962. Enfin, la Cour a clairement
énoncé que le comportement de la Tha ïlande valait reconnaissance de la souveraineté du
Cambodge sur le temple.

a) En prétendant aujourd’hui que la procédure initiale portait sur l’établissement d’une
frontière, le Cambodge méconnaît l’objet véritable du différend tranché par la Cour en 1962

5.27. Jusqu’à ce que le Cambodge introduise la présente instance, il était clair que l’arrêt
du 15 juin 1962 avait tranché une question de souveraineté territoriale. Le Cambodge a
expressément indiqué à une dizaine de reprises dans les exposés présentés dans le cadre de la
459
procédure ini460le que le différend portait sur une «parcelle»  non sur une frontière 
«contestée» . Lorsque M. Acheson, ancien secrétaire d’Etat américain, sollicita de son
gouvernement l’autorisation d’intervenir pour le compte du Cambodge, il déclara que «[l]a

question en litige [était] de détermine461i un certain temple se trouv[ait] du côté cambodgien de la
frontière … ou du côté thaïlandais» . La «question» était donc la souveraineté sur le temple  et
elle pouvait être (et f ut effectivement) tranchée à la lumière de l’emplacement du temple par
rapport à la frontière, sans pour autant qu’il fût nécessaire de déterminer où passait cette frontière.

5.28. La Cour elle -même a confirmé, à de multiples reprises, que la question en jeu était la
souveraineté territoriale. Dans son arrêt de 1961 sur la compétence déjà mentionné plus haut 46,
463
elle a jugé qu’«[i]l s’agi[ssait] d’un différend portant sur la souveraineté territoriale» . Dans son
arrêt sur le fond, elle l’a redit en ces termes :

«L’objet du différend soumis à la Cour est donc limité à une contestation

relative à la souveraineté dans la région du temple … Pour trancher cette question de

458Demande en interprétation de l’arrêt du 15juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, avril 2011, par. 16 (les italiques sont de
nous).

459Voir la liste au par. 2.41 et sa note.
460
C.I.J. Mémoires, Temple de PréahVihéar, plaidoiries, vol. II, p. 538 (M. Paul Reuter, 26 mars 1962).
461Lettre du 31 octobre 1960 adressée au secrétaire d’Etat américain par M.Dean Acheson (annexe 5).

462Voir par. 2.13-2.14 plus haut.
463
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), exceptions préliminai res, arrêt,
C.I.J. Recueil 1961, p. 17, 22 (les italiques sont de nous). - 102 -

souveraineté territoriale, la Cour devra faire état de la frontière entre les deux Etats
464
dans ce secteur.»

La Cour avait donc conscience, dès le départ, de devoir «faire état de la frontière»  ce qui

signifiait que la ligne frontière devait être prise en compte comme élément de preuve. C’est dans
ce contexte que le Cambodge avait produit u ne multitude de preuves concernant la ligne frontière,
et  comme l’avait relevé la Cour , il n’y avait pas l’ombre d’un doute sur ce que cette ligne

était censée montrer à propos du temple. Il eût certes été surprenant que la Cour estime inutile de
«faire état de la frontière». Mais c’eût été là une manière pour le moins détournée de se référer à
une délimitation.

5.29. Faire état de la ligne représentée sur la carte en tant qu’élément de preuve aux fins de

trancher la question de la souveraineté sur l e temple et déterminer l’emplacement exact de cette
ligne sont deux choses différentes : si les Parties étaient en désaccord sur ce dernier point, la Cour
n’a pas y semblé prêter la moindre importance 465. Ce qui comptait, en revanche, c’était leur

«divergence de vues sur la souveraineté»  la question sur laquelle la Cour devait se prononcer.
C’est à cette divergence qu’était «limité» «l’objet du différend». La Cour décrivait la question
territoriale en des termes restrictifs, affirmant qu’il n’était nécessaire de «faire état» de la ligne de

la carte de l’annexe I que dans la mesure où celle- ci apportait des éclaircissements sur la question
de la souveraineté. Dès lors que cette ligne était située au nord ou au nord- ouest du temple (aussi
loin au nord ou au nord-ouest que ce fût)  ce que la Cour a elle- même constaté 466, la

Thaïlande avait tout lieu de supposer que le temple était la propriété du Cambodge.

5.30. C’est donc à tort que le Cambodge prétend aujourd’hui que la procédure avait pour
objet «la recherche de la ligne qui devait constituer la frontière entre les deux Etats dans la zone du
temple» 467. L’arrêt, tel qu’il fut rédigé, ne s’intéressait qu’à la relation entre le temple et la ligne
représentée sur la carte 468. Une fois cette relation définie, l a Cour disposait d’informations

suffisantes pour trancher le différend dont elle avait été saisie. Elle n’avait besoin de décider  et
n’a décidé  de rien de plus.

5.31. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’établir précisément une frontière pour trancher un
différend portant sur une question de souveraineté. La distinction entre ces deux aspects ressort du

reste nettement de la manière dont différentes juridictions ont tranché des affaires mettant en jeu
l’une ou l’autre, ou l’une et l’autre, de ces questions 469. Il a même été avancé que les conflits de
souveraineté et les délimitations frontalières relevaient de catégories conceptuelles distinctes 47, et

464 Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 14 (les

italiques sont de nous). Voir également par. 3.15-3.16 plus haut.
465 C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 189 (M. Roger Pinto, 2 mars 1962) ; et ibid.,
p. 305 (M. Frank Soskice, 12 mars 1962).

466Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 15.
467
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 4.
468
Voir par. 3.69 plus haut. Pour les exposés des Parties, voir le s par. 2.53-2.58.
469Voir, par exemple, le traitement différencié que le tribunal a réservé à quatre territoires litigieux, d’une part, et
à la question de la frontière définitive, d’autre part, dans l’affaire de la frontière entre le Honduras et le Guatemala,
opinion et sentence du 23 janvier 1933, RIAA vol. II, p. 1307, 1325-1351, 1351-1366.

470Voir, par exemple, l’affaire relative à la Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique/Pays -Bas),
arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 209. Voir également l’affaire «Re Berubari Union and Exchange of Enclaves», Supreme
Court of India, 14 mars 1960, [1960] 3 S.C.R. 250, 280, reproduit dans International Law Reports (ILR), vol. 53, p. 181,
199-200. - 103 -

les juridictions saisies de questions de souveraineté considèrent celles- ci comme distinctes des
471
questions de délimitation .

5.32. Dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), la Chambre

de la Cour a vu dans la distinction entre «conflits de délimitation» et «conflits d’attribution 472
territoriale» une «différence de degré dans la mise en Œuvre de l’opération considérée» . A cet
égard, la requête du Cambodge, outre la confusion qu’elle entretient quant à l’objet de l’arrêt
de 1962, présente le défaut de ne pas tenir compte de la manière dont «l’opération considérée» fut

envisagée par les Parties et mise en Œuvre par la Cour. L’approche adoptée par cette dernière était
on ne peut plus claire : elle était saisie d’une question de souveraineté, présentée comme telle
explicitement et en des termes bien circonscrits, et c’est pour y répond re qu’elle s’est penchée sur

la carte de l’annexe I ; elle n’a en aucun cas examiné la question de la souveraineté sur le temple
pour décider de l’emplacement exact de la frontière thaïlando -cambodgienne. La carte de
l’annexe I n’était pertinente que dans la mesure où elle apportait des éclaircissements sur la

question qu’il revenait à la Cour de trancher.

b) La thèse du Cambodge selon laquelle la détermination de l’emplacement précis de la

frontière aurait été essentielle à l’arrêt de 1962 n’est pas convaincante

5.33. Dans sa demande, le Cambodge s’emploie à dresser un tableau sinistre, voire
apocalyptique, de ce qu’il adviendrait de l’arrêt du 15 juin 1962 si la ligne de l’annexe I n’était pas

considérée aujourd’hui comme revêtue de473 chose jugée. Il affirme ainsi que la Thaïlande cherche
à «neutralis[er l]a portée réelle» de l’arrêt, estime «incompatibl[e] avec ce que la Cour a
décidé» 474 la manière dont elle met en Œuvre cet arrêt en tant qu’elle traite une partie du territoire

situé près du temple co mme relevant de sa souveraineté, et termine en l’accusant de chercher, de
fait, à remettre en cause l’arrêt de 1962 en vue de recouvrer le temple :

«[e]n 1962, la Cour place le temple sous la souveraineté du Cambodge parce que le

territoire sur lequel il est situé est du côté cambodgien de la frontière. Refuser la
souveraineté du Cambodge sur cette zone au -delà du temple jusqu’à ses «environs»,
c’est faire dire à la Cour que la ligne frontalière qu’elle a reconnue est erronée en
totalité, y compris pour le temple lui-même.» 475

Selon le Cambodge, il découle des termes de l’arrêt qu’aucun territoire situé aux alentours du
temple n’appartient à la Thaïlande. Nous reviendrons ultérieurement sur cette affirmation, qui est
476
manifestement dénuée de fondement au vu du deuxième paragraphe du dispositif . Mais, aux fins
qui nous occupent ici, nous nous pencherons tout d’abord sur l’amalgame qu’elle revient à opérer
entre ligne frontière et souveraineté sur le temple : ainsi, selon le Cambodge, dès lors qu’une
quelconque partie des environs du temple n’est pas cambodgienne, c’est tout le périmètre du

471Voir, par exemple, la revendication formulée par la Républi que des Philippines à l’égard du Nord-Bornéo :
Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), requête à fin d’interventi13 mars 2001, p. 4
(par. 4 a), 5 a)). Voir également l’avis consultatif dans lequel la Cour a reconnu que le différend territorial relevait d’une
catégorie conceptuelle distincte: Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 27-28, par. 43.
472
Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 563.
473 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge

c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 12.
474Ibid., par. 25.
475
Ibid. (C’est le Cambodge qui souligne.)
476
Voir par. 5.66-5.89 ci-dessous. - 104 -

temple, «y compris… le temple lui-même», qui n’est pas cambodgien 477. Dans l’optique «tout ou

rien» qui est la sienne, la carte de l’annexe I et l’attribution au Cambodge de la souveraineté sur le
temple sont une seule et même chose. Le Cambodge estime que, sans la carte et la détermination
de l’emplacement précis de la frontière que contenait, à en croire ses affirmations répétées, l’arrêt

de 1962, le temple reviendrait à la Thaïlande ; aussi voit -il dans l’interpréta478n que fait l’Etat
défendeur des preuves cartographiques la marque de desseins révisionnistes .

5.34. La première difficulté que soulève cette thèse réside en ceci que le Cambodge
lui-même, loin d’indiquer précisément l’emplacement de la frontière, fluctue dans la description
qu’il en fait 47. Sa mission permanente auprès de l’Organisation des Nations Unies avait publié, à

l’époque de l’instance initiale, un document sur le différend l’opposant à la Thaïlande à propos de
la souveraineté sur le temple, dans lequel on pouvait lire ceci :

«Les deu x fragments des cartes française et siamoise ne se recoupent pas

exactement, mais présentent d’importantes similitudes et montrent toutes deux
clairement les vestiges de Préah Vihéar. La frontière passe distinctement au nord des
ruines, à une distance d’environ 500 mètres . Une comparaison des deux documents

prouve de façon incontestable que Préah Vihéar480 trouve, d’un commun accord des
deux parties, en territoire cambodgien.»

Dans ses plaidoiries de 1962, le Cambodge répéta effectivement que la frontière courait «à quelque
500 mètres» au nord du temple. Selon M. Pinto, qui plaidait pour le Cambodge, «[n]ous ne devons
jamais perdre de vue en effet que la frontière passe à quelque 500 mètres au nord du temple» . Le 481
Cambodge ne tenait pas particulièrement, ni dans le document de 1958 distribué à l’Organisation

des Nations Unies, ni dans ses plaidoiries de 1962 devant la Cour, à dire précisément où se situait
la frontière. Il lui suffisait alors d’indiquer qu’elle passait à «quelque» 500 mètres des ruines.

5.35. Toutefois le principal problème de sa thèse ne tient pas à ce manque de précision mais
au fait que, à d’autres moments, le Cambodge a explicitement localisé ailleurs cette frontière. Dans
sa demande en interprétation de 2011, il indique ainsi que la pagode de Keo Sikha Kiri Svara est
482
«situé[e] … à 700 mètres … de la frontière à l’intérieur du territoire cambodgien» , en écho à
l’opinion exprimée par sa mission permanente auprès de l’Organisation des Nations Unies qui,
dans une lettre en date du 15 octobre 2008 adressée au président du Conseil de sécurité, localisait la
483
pagode «à environ 300 mètres du temple … et à 700 mètres de la frontière» . Or la pagode se
trouve en effet «à environ 300 mètres du temple»  mais au nord-ouest. Situer la frontière à
700 mètres d’une pagode qui se trouve elle-même à une certaine distance au nord du temple exclut

en tout état de cause que la frontière passe à «quelque 500 mètre s» de celui-ci ; cela revient à dire
que plus de 700 mètres les séparent. De fait, la pagode se trouve à plus de 100 mètres au nord du

477
Voir aussi Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28avril 2011, par.39.
478
L’affirmation selon laquelle la Thaïlande «met[tra] en péril le respect d’une obligation» est en effet récurrente
dans la requête introductive d’instance. Voir, par exemple, ibid., par.28. Voir aussi ibid., par. 43. Pour une analyse plus
approfondie, voir par. 4.67-4.69 ci-dessus.
479Voir aussi par. 2.59-2.63 ci-dessus.

480 Mission permanente du Cambodge auprès de l’Organisation des Nations Unies, Note sur la question de
Préah Vihéar, vers 1958, p. 6 (c’est nous qui soulignons  les italiques sont dans l’original) (annexe 3).

481C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, Plaidoiries, vol. II, p. 189 (M. Roger Pinto, 2 mars 1962).
482
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 33.
483 Ibid., annexe VII, Lettre datée du 15octobre 2008 adressée au président du Conseil de sécurité par le
représentant permanent du Cambodge auprès de l’Organisation des Nations Unies. - 105 -

temple, ce qui signifie (d’après le point de vue exprimé par le Cambodge en 2008 et en 2011) que

plus de 800 mètres séparent le temple de la frontière. Il est pour le moins étonnant qu’un Etat qui
ne laisse d’affirmer qu’un arrêt serait «neutralisé» s’il ne consacrait pas l’emplacement précis de la
frontière n’adopte pas lui-même une seule et même manière de définir cet emplacement. A rebours

de l’objet principal de sa demande, le Cambodge reconnaît ainsi tacitement que l’emplacement
exact de la frontière, loin d’en constituer un fondement essentiel, était sans incidence pour l’arrêt
relatif à la souveraineté sur le temple.

484
5.36. En 1962, la question des effectivités donna lieu à de longs développements . Entre
autres exemples, dont les Parties tirèrent des conclusions contradictoires, figurait la visite du

prince Damrong. Ainsi, selon M. Pinto, «[à] aucun moment … les autorités thaïlandaises
compétentes n’ont pu ignorer [l’]affirmation et [l’]exercice de souveraineté territoriale de la France
et du Cambodge [auquel le prince a assisté].» 485

Selon le Cambodge, si «[l]es fonctions étatiques à Préah Vihéar consistaient essentiellement en
activités archéologiques», il s’avérait que celles «de la France et du Cambodge [avaient] été
incontestablement supérieures à celles de la Thaïlande» 486. Selon sir FrankSoskice, qui

représentait la Thaïlande, en revanche, cette visite appel ait une conclusion tout autre : si le prince
n’avait pas demandé la permission de la France pour y pénétrer, c’est que le temple ne se trouvait
pas en territoire français 487.

5.37. Le prince Damrong avait déjà eu affaire à la question dont la Cour serait appelée à
connaître en 1962 : en 1908, il avait reçu des copies de la carte de l’annexe I. A propos de deux

faits différents, la réaction du prince à la carte, en 1908, et sa visite au temple, en488 1930, M. Pinto
affirma : «En 1908 comme en 1930, le prince Damrong ne proteste pas.» Evidemment, cette
absence de protestation ne se rapportait ni aux mêmes choses ni à la même époque. En 1908, le

prince n’a pas réagi à ce que la carte était clairement censée indiquer au sujet du temple ; et
en 1930, il n’a pas réagi à des activités officielles menées par les Français dans le temple, indiquant
à peu près la même chose. Compte tenu de ces deux éléments, le prince « ne p[ouvait] ignorer
489
l’attribution de Préah Vihéar » . Les deux faits, séparés dans le temps, condui saient à la même
conclusion : le temple appartenait à la France.

5.38. La Cour n’a pas repris mot pour mot ce que le Cambodge a dit de la visite du
prince Damrong, mais elle a retenu sa conclusion, écrivant :

«Le prince ne peut avoir manqué de saisir l es implications d’un tel accueil. On

pourrait difficilement imaginer une affirmation plus nette de titre de souveraineté du
côté franco-indochinois.» 490

484Voir, par exemple, C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 186-190 (M. Roger Pinto,
2 mars 1962).
485
Ibid., p. 190 (M. Roger Pinto, 2mars 1962).
486
Ibid.
487CR 62/9, p. 39, CR 62/10, p. 8-9 de la traduction française (sir Frank Soskice, 12 et 13 mars 1962). Voir aussi
par. 2.42 ci-dessus.

488 C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, plaidoiries, vol. II, p. 512 (M. Roger Pinto, 22 mars 1962) (les
italiques sont de nous).
489
Ibid. (Les italiques sont de nous.)
490Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 30. - 106 -

La Cour reconnaissait ainsi expressément à la visite du prince valeur non moins probante qu’aux
autres éléments de preuve présentés en l’affaire. Si « une affirmation plus nette de titre» n’avait pu

être produite, c’est qu’aucun autre élément versé au dossier ne pouvait confirmer plus clairement ce
titre. La conclusion de la Cour était explicite :

«Si l’on considère l’incident dans son ensemble, il apparaît qu’ il a équivalu à

une reconnaissance tacite par le Siam de la souveraineté du Cambodge (sous
protectorat français) à Préah Vihéar, du fait que le Siam n’ a pas réagi en une
circonstance qui appelait une réaction tendant à affirmer ou à conserver un titre de
souveraineté en face d’une prétention contraire évidente. Ce qui semble clair c’est ou

bien que le Siam ne pensait pas en réalité posséder de titre de souveraineté … ou bien
qu’il avait décidé de ne pas faire valoir son titre, ce qui signifierait encore une fois
qu’il admettait les prétentions françaises.» 491

La Cour reconnaissait ainsi la souveraineté que le Cambodge avait cherché à établir.

5.39. En 1962, la Cour devait donc se prononcer sur les eff ectivités avancées de part et
492 493
d’autre à titre de preuves . Certaines ne lui ont pas paru «juridiquement décisi[ves]» , tandis
que d’autres intéressaient directement la question posée. Or cette question était celle de la
souveraineté sur le temple. Ainsi , les preuves de souveraineté versées par les Parties au dossier
de 1962 n’étaient que cela : des éléments visant à établir à quel Etat appartenait le temple.

En 1930, le prince ne venait pas pour inspecter la frontière mais pour visiter le temple. A en croire
le Cambodge, les effectivités soit n’auraient nullement été abordées, soit n’auraient eu en tant que
telles aucune pertinence parce qu’elles auraient toutes visé à établir l’emplacement précis de la
frontière. Mais il a bel et bien été question d’e ffectivités et celles-ci n’auraient pas été d’un grand

secours si la Cour avait eu pour mission celle que le Cambodge voudrait aujourd’hui qu’elle eût
menée à bien.

5.40. Pour conclure sur cette question, la Thaïlande rappelle que le texte sur lequel s’appuie
le Cambodge au soutien de l’idée que, en vertu de l’article 60, une interprétation peut porter sur les
motifs d’un arrêt est formulé en termes d’exception. «[T]oute demande en interprétation … ne peut
concerner les motifs que dans la mesure où ceux-ci sont inséparables du dispositif.» 494 Ainsi, c’est

à la partie soutenant qu’un motif peut être soumis à int erprétation qu’il incombe d’établir que ce
motif est réellement « inséparabl[e] du dispositif ». La ligne de la carte de l’annexe I avait été
produite aux fins d’établir la souveraineté, pas une délimitation ; et quand bien même cette carte
n’aurait pas du tout été prise en considération, d’autres motifs, selon les termes de la Cour,

étayaient la conclusion rendue dans l’arrêt. Ainsi, le Cambodge ne s’acquitte pas de la charge qu’il
s’est lui-même imposée.

491
Ibid., p. 30-31.
492 C.I.J. Mémoires, Temple de Préah Vihéar, contre-mémoire du Gouvernement royal de Thaïlande , vol. I,
p. 184-194 ; ibid., réplique du Gouvernement du royaume du Cambodge, vol. I, p. 4.66-4.71.

493Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 15.
494
Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entr e le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria c. Cameroun), arrêt,
C.I.J. Recueil 1999, p. 36, par. 10, cité dans l’affaire relative à la Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en
l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,
28 avril 2011, par. 40. - 107 -

4. Le Cambodge fait abstraction de la pratique ultérieure des Parties, qui révèle
que la Cour n’avait pas déterminé l’emplacementexact de la frontière

5.41. A rebours de l’un des arguments clé de la requête présentée aujourd’hui par le
Cambodge, selon lequel l’arrêt de 1962 aurait établi le tracé précis de la frontière, lequel relèverait
donc de la chose jugée, la pratique ultérieure démontre qu’aucun accord n’est encore intervenu

entre les Parties sur cette question. A cet égard, le m émorandum d’accord sur le levé et la
démarcation de la frontière terrestre , signé le 14 juin 2000 entre le Cambodge et la Thaïlande, est
particulièrement révélateur. Dans les paragraphes qui suivent, la Thaïlande examinera ce

mémorandum, avant de se pencher, brièvement et à titre subsidiaire, sur l’interprétation qu’ont faite
les Etats tiers de l’arrêt.

a) Le mémorandum d’accord du 14 juin 2000

5.42. Le comportement observé par les Parties jusqu’à une date récente in dique qu’en 1962,
la ligne de la carte de l’annexe I n’avait pas été adoptée pour servir de base au tracé de la frontière.
495
Ainsi, et comme il est rappelé plus haut , lorsque le Cambodge et la Thaïlande ont conclu le
mémorandum d’accord en 2000, ils ont expressément reconnu la nécessité de mettre en Œuvre un
processus conjoint pour convenir du tracé précis d’une frontière dont le Cambodge prétend
aujourd’hui, dans sa requête, qu’elle avait déjà été définie et établie. L’accord de 2000 portait en
496
effet sur le levé et la démarcation de «toute la longueur de la frontière terrestre commune» .

5.43. Quelle meilleure occasion aurait -il pu y avoir d’affirmer clairement que la carte de

l’annexe I avait réglé le différend et s’imposait aux Parties aux fins d’une fu ture démarcation ? En
adoptant le texte du mémorandum d’accord, les Parties auraient pu, au lieu de prévoir le levé et la
démarcation sur «toute la longueur de la frontière terrestre commune», en exclure un segment

spécifique. De la même manière, elles auraient pu stipuler, à l’article premier du mémorandum,
que l’arrêt de 1962 définissait leur frontière. Elles n’ont fait ni l’un ni l’autre. Le mémorandum
d’accord a pour objet le levé et la démarcation de la frontière dans sa totalité et définit sans
équivoque les instruments à utiliser à cet effet : l’article IV indique que c’est de la totalité de la

frontière qu’il s’agit et l’article premier énumère expressément les instrument497pplicables. Dans le
mémorandum, l’arrêt du 15 juin 1962 ne brille que pa r son absence , et il n’est pas davantage
mentionné dans les procès -verbaux, tels qu’approuvés, des réunions de la commission mixte
thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre ayant conduit à la conclusion
498
du mémorandum d’accord .

5.44. Or le Cambodge reproche à présent à la Thaïlande d’affirmer que «la frontière «in the

area adjacent to the Temple» doit encore être définie» et que «499Joint Boundary Commission
prévue par le [mémorandum d’accord] doit y procéder» . Le Cambodge déplore, par ailleurs, que
«les travaux de cette commission so[ient] restés au point mort pour la zone en litige [sic]», ce dont

495
Voir par. 1.19-1.20 et 4.111.
496Mémorandum d’accord entre le Gouvernement du Royaume de Thaïlande et le Gouvernement du Royaume du

Cambodge sur le levé et la démarcation de la frontière terrestre, 14juin 2000 (annexe91).
497Voir par. 4.111-4.113 plus haut.
498
Procès-verbal approuvé de la première réunion de la commission conjointe thaïlandaise -cambodgienne sur la
démarcation de la frontière terrestre, 30 juin-2 juillet 1999 (annexe 89) ; procès-verbal approuvé de la deuxième réunion
de la commission mixte thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre, 5-7 juin 2000 (annexe 90).
499
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de PréahVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 16. - 108 -

500
il impute la responsabilité à la Thaïlande , en alléguant que la «perspective de parvenir à une
solution mutuellement acceptée dans le cadre de négociations bilatérales»  soit une solution
conforme aux termes du mémorandum d’accord  serait entravée par une «divergence
d’interprétation» . C’est, avance-t-il, la raison pour laquelle il fait référence, dans sa requête, au

mémorandum502accord, dont la mise en Œuvre constituerait un «événement récent motiv [ant cette]
requête» . Par cette affirmation, le Cambodge semble suggérer qu’il suffira à la Cour de prescrire
les mesures sollicitées dans sa requête pour lever les obstacles qui para lysent l’opération de levé et
de démarcation prévue par le mémorandum d’accord.

5.45. Toutefois, ce n’est pas l’interprétation erronée de l’arrêt de 1962 que sollicite le
Cambodge qui règlera le problème. Du reste, ce que le Cambodge recherche, en réalit é, n’est pas
l’interprétation de l’arrêt de 1962 mais celle du mémorandum d’accord. Les Parties n’ont pas jugé
nécessaire de mentionner l’arrêt du 15 juin 1962 dans ce mémorandum car il était clair que l’arrêt

n’en intéressait pas l’objet. L’arrêt a tran ché une question de souveraineté  question que les
Parties considèrent toutes deux comme réglée aujourd’hui. Il est non moins clair qu’en 2000, les
Parties se sont entendues sur les règles et procédures à appliquer pour répondre à la question
toujours actuelle de la fixation de leur frontière. Le Cambodge conteste aujourd’hui que cette
question ait été pendante en 2000, et affirme qu’elle avait été définitivement réglée en 1962,

indépendamment de toute intervention de la commission conjointe sur la front ière constituée en
vertu du mémorandum d’accord. Il s’agit là d’une interprétation tout à fait surprenante, s’agissant
d’un accord frontalier. Le Cambodge prétend dans sa requête que la Cour devrait interpréter
aujourd’hui son arrêt de 1962 et conclure qu’elle y a consacré la ligne frontière représentée sur une
carte qu’elle avait en réalité expressément exclue du dispositif de son arrêt, tout cela, dans l’espoir

de voir confirmer son interprétation du mémorandum d’accord. Or, même dans l’hypothèse où la
mise en Œuvre de celui -ci aurait été retardée du fait d’une divergence de vues opposant, en toute
bonne foi, les Parties sur le sens des termes du mémorandum, une telle divergence ne pourrait en
aucun cas être réglée par un arrêt que la Cour aurait pu ren dre en 1962. Même si celle -ci avait

adopté, en 1962, une position différente, accueillant  au lieu de rejeter  la demande du
Cambodge relative à la carte de l’annexe I, rien ne pourrait en être déduit quant à l’objet de
l’accord intervenu entre les Part ies en 2000. Le texte du mémorandum, en tout état de cause, est
sans équivoque : en 2000, les Parties ont d’un commun accord établi des règles et une procédure
détaillée en vue de démarquer leur frontière sur toute sa longueur.

b) Les Etats tiers considéraient clairement que la question frontalière n’avait pas été réglée par
l’arrêt de 1962

5.46. La pratique ultérieure des deux Etats en cause, notamment le mémorandum d’accord

conclu entre eux, indique qu’il était clair de part et d’autre que la question f rontalière n’avait pas
été réglée par l’arrêt de 1962. Cela répond amplement à l’affirmation du Cambodge sur l’inutilité
de procéder à de nouvelles opérations de levé et de démarcation le long de la chaîne des Dangrek.
A cet égard, l’on peut également, q uoiqu’à titre plus subsidiaire, se référer à la position des Etats
tiers sur l’arrêt de 1962 et sa mise en Œuvre, qui confirme que les questions frontalières n’étaient

pas réglées.

5.47. Deux Etats tiers, au moins, considéraient que le Cambodge et la Thaïlande, après l’arrêt
de 1962, devaient encore s’entendre sur leur frontière. Ainsi, la France, par la voix de son
ambassadeur en Thaïlande, fit état «de grandes incertitudes [subsistant] sur le tracé de la frontière

500Ibid., par. 16 et 20.
501
Ibid., par. 17.
502Ibid., titre de la section B (les italiques sont de nous). - 109 -

autour de Préah Vihéar» . De même, les Etats-Unis, alors qu’ils examinaient une requête du

Cambodge sollicitant leurs «bons offices» pour faciliter la reprise de possession de Phra Viharn
en 1962, indiquèrent, à travers leur ambassade à Phnom Penh, que «de toute évidence, l’un des
problèmes les plus critiques [pour les Parties] sera[it] de parvenir à un accord sur l’emplacement de
504
[leur] frontière» . Ces commentaires étaient parfaitement en phase avec la pratique ultérieure des
Parties elles-mêmes. L’emplacement précis de la frontière restait à déterminer.

5. Le Cambodge tente aujourd’hui d’attribuer à la carte de l’annexeI une finalité
que la Cour s’est expressément refusée à lui prêteren 1962

5.48. Dans son arrêt de 1962, la Cour a considéré la carte de l’annexe I comme un élément
de preuve de la souveraineté du Cambodge sur le temple de Préah Vihéar. Dans la mesure où la
Cour a jugé que la carte était opposable à la Thaïlande  en d’autres termes, dans la mesure où elle

a jugé qu’elle avait force obligatoire dans les relations entre les Parties , c’est à l’égard de cette
question et de cette question seulement. Cette finalité limitée fut affirmée expressément et
implicitement. Ainsi, la Cour énonça explicitement qu’elle ne ferait état de la carte et des autres

éléments de preuve produits en l’affaire que «dans la mesure où elle y trouvera[it] les motifs de la 505
décision qu’elle d[evait] rendre pour trancher le seul différend qui lui [était] soumis » . Et le
«seul différend» qui lui était soumis concernait la souveraineté sur le temple.

5.49. De même, c’est ce qui ressort de ce que la Cour a dit de la carte en tant que preuve, à
savoir qu’elle illustrait ce qu’«aucune personne intéressée (…) n’aurait pu manquer de remarquer»,
506
c’est-à-dire que le temple était situé au Cambodge . C’est dans ce seul but que la Cour entendait
l’utiliser  et cela est d’autant plus flagrant si l’on considère qu’elle avait expressément refusé de
déclarer que la carte établissait une délimitation 507. De plus, comme on l’a vu, la Thaïlande avait

soulevé la question de savoir si la ligne de la carte de l’annexe I pouvait à bon droit servir de base à
une telle délimitation, mais ce point, en dépit des arguments avancés en réplique par le Cambodge,
ne fut pas tranché dans l’arrêt. 508 Nous sommes loin de l’évidence qu’«a ucune personne
intéressée (…) n’aurait pu manquer de remarquer». La Cour n’a donc utilisé la carte que pour

établir un fait évident : la position relative du temple, en ce qu’elle révélait quant à la question de la
souveraineté.

503 o
Note n 479-AS du 27 septembre 1962 adressée au ministre des affaires étrangères par l’ambassadeur de
France en Thaïlande, p.4 (annexe 29).
504 o
Télégramme n 68 du 2 août 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par l’ambassade des Etats -Unis
d’Amérique à Phnom Penh, p. 1 (annexe 23).
505Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 14 (les italiques sont de
nous).

506Ibid., p. 26.
507
Voir par. 3.11-3.13, 5.8-5.10 ci-dessus.
508Voir par. 2.63-2.64, 5.22-5.25 ci-dessus. - 110 -

C. L E C AMBODGE MÉLANGE L ’OBLIGATION GÉNÉRALE ET CONTINUE DE RESPECT MUTUEL

DE L ’INTÉGRITÉ TERRITORIALE INCOMBANT AUX E TATS ET LA DÉCISION SPÉCIFIQUE
RENDUE PAR LA C OUR EN 1962

5.50. Comme indiqué au début de ce chapitre, il est difficile de bien cerner ce que recherche
509
le Cambodge lorsqu’il fait référence aux obligations continues . S’il s’agit pour celui-ci d’obtenir
que la Cour déclare la Thaïlande liée par une obligation continue de respect de l’intégrité
territoriale de ses voisins, le fait est qu’il n’a mis en évidence aucun e divergence entre les positions

juridiques respectives des Parties. La Thaïlande, dans la suite de cet exposé, partira du postulat que
le Cambodge entend faire valoir que l’obligation spécifique visée au deuxième point du dispositif
est une obligation continue 51. Or cette position, outre qu’elle découle d’une interprétation erronée
de l’arrêt, fait abstraction du droit de la responsabilité des Etats, et en particulier de la distinction

capitale qui existe en droit entre une violation et ses conséquences.

5.51. La Cour ayant tranché la question de la souveraineté, la Thaïlande, aux termes du

deuxième point du dispositif de l’arrêt de 1962, s’est trouvée dans l’obligation de retir511son
personnel «installé dans le temple ou dans ses environs situés en terri toire cambodgien» . C’est
donc ce qu’elle a fait, honorant l’obligation qu’elle tenait de ce deuxième point. Or celui -ci, s’il
traduisait l’obligation incombant à tout Etat, en vertu du droit international général, de respecter

l’intégrité territoriale des autres Etats, n’en donnait pas pour autant au deuxième point une durée de
validité illimitée, par le jeu de la garantie perpétuelle offerte par l’article 60 du Statut. La Cour
n’était pas compétente pour connaître de toutes les demandes susceptibles d’ être formées sur le

fondement d’une violation de l’obligation générale. Aucune demande distincte, indépendante de la
question de la souveraineté n’avait par ailleurs été présentée. Et aucun des deux Etats n’avait
prétendu être en droit, au titre de règles ou d’accords particuliers, de maintenir des effectifs sur le
territoire de l’autre. Bref, le retrait n’était pas, en soi, l’une des questions en cause, mais une

conséquence de l’application de la règle générale du respect de l’intégrité territoriale à l a
conclusion spécifique rendue au premier point du dispositif : c’est parce que le temple relevait de la
souveraineté cambodgienne que la Thaïlande devait se retirer.

5.52. Dans l’arrêt de 1962, les deuxième et troisième points du dispositif découlaient
clairement du premier  ayant été expressément formulés «en conséquence» de celui -ci . Il

n’était pas nécessaire d’analyser cette conséquence plus en détail. Les deuxième et troisièm513
points étaient «implicite[s] dans la revendication de souveraineté et e n découl[aient]» . Il
s’agissait simplement d’appliquer le droit international général à une décision particulière
d’attribution de souveraineté sur un territoire ; une fois tranchée la question de la souveraineté,

cette application du droit général motiva l’adoption des mesures de restitution et de retrait.

509
Comparer les p aragraphes 5 et 45 de la requête introductive d’in Demande en interprétation de
l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de PrVihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande),
requête introductive d’instance, 28 avril 2011.
510
Voir Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, 31 mai 2011, CR 2011/15, p. 17, par.4
(M. FranklinBerman).
51Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 37.

51Ibid., p. 36-37.
513
Ibid., p. 36 (les italiques sont de nous). - 111 -

5.53. Le Cambodge soutient que

«le fait que l’obligation qui pèse sur la Thaïlande «de retirer tous les éléments de
forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a installés dans le
temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien» apparaisse directement

au sein du dispositif comme une conséquence de la déduction principale conduit
également … à une déduction complémentaire et liée, à savoir que la Cour n’avait pas
l’intention de faire de cette obligation une simple obligation immédiate au moment de
l’arrêt, mais que cette obligation devait être comprise comme une obligation générale
et continue de ne pas violer le territoire cambodgien par des actes du type de ceux

mentionnés supra. Dès lors qu’il apparaît que les affirmations concernant la
souveraineté du Cambodge dans le premier point du dispositif doivent être comprises
comme une situation permanente, cela induit que les conséquences de cette situation
permanente, telles que reconnues et énoncées par la Cour, acquièrent également un
caractère de permanence ; en d’autres termes, que l’arrêt de la Cour doit être compris
comme impliquant la ferme obligation pour la Thaïlande de ne pas pénétrer à l’avenir
514
dans le territoire cambodgien de manière unilatérale.»

Si la souveraineté du Cambodge est sans aucun doute une «situation permanente», la Cour,
lorsqu’elle conclut à l’existence d’une violation, ne postule pas qu’elle se poursuivra indéfiniment.
Or c’est sur ce postulat q ue repose nécessairement l’interprétation que fait le Cambodge du

deuxième point du dispositif. Le temple appartient au Cambodge et l’obligation de retrait qui en
découle, dans son optique, ne pourra jamais être honorée, puisque, faisant pendant à l’oblig ation
primaire, elle «acqui[ert] également un caractère de permanence».

5.54. L’interprétation que fait le Cambodge du dispositif ne cadre pas avec le droit

international de la responsabilité. Certes, l’obligation permanente et continue prévue par le droit
international général  l’obligation primaire  est le passage obligé menant à un prononcé
spécifique concernant l’«obligation [de retrait] qui pèse sur la Thaïlande». Mais ces deux
obligations, en droit de la responsabilité internationale, ont une por tée différente et ne prennent
effet ni ne s’éteignent au même moment. L’obligation incombant aux Etats de respecter l’intégrité

territoriale des autres Etats s’applique dans toutes les relations interétatiques et à tous les territoires.
L’obligation de retrait qui en découlait pour la Thaïlande s’appliquait dans le cadre de sa relation
avec le Cambodge, dans un lieu et à un moment donnés.

5.55. L’interprétation que prône aujourd’hui le Cambodge, toutefois, suppose nécessairement

que l’arrêt du 15 juin 1962 reposait sur une compétence permettant à la Cour de connaître non
seulement de la question de la souveraineté sur le temple, mais également de toute demande
présentée alors ou qui le serait par la suite sur le fondement d’une violation présumée de l’int égrité
territoriale du Cambodge. Or la compétence prévue par l’article 60 ne saurait excéder celle exercée
lors du prononcé de l’arrêt qu’il s’agit d’interpréter. Ainsi qu’il ressort du dispositif de l’arrêt
de 1962, la Cour, dans ce cadre, n’a exercé sa compétence que pour connaître de la question de la

souveraineté sur le temple et des conséquences juridiques en découlant aux fins de la situation qui
l’occupait alors.

514Demande en interprétation de l’arrêt du juin 1962 en l’affaire du Temple de PréVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 37 (c’est le Cambodge qui
souligne  les italiques sont de nous). Voir également ibid., par. 5 3). - 112 -

5.56. Le Cambodge confond l’obligation principale prévue par le droit international général
et les conséquences de l’acte illicite constaté dans l’arrêt, ce qui le conduit à opérer une autre
confusion entre la portée qu’il convient de reconnaître au pouvoir d’interprétation de la Cour et la

compétence qu’a celle- ci pour connaître de nouve lles allégations de violation. Son pouvoir
d’interprétation, s’il est de nature continue, n’autorise pas la Cour à connaître de nouvelles
demandes. Le Cambodge affirme qu’«[a]ujourd’hui, la question reste celle de la violation de [s]a

souveraineté … par des incursi515 et la présence de troupes militaires thaïlandaises dans la région
du temple et ses environs» . En réalité, il n’est pas question de «violation de la souveraineté du
Cambodge» mais, en tout état de cause, la Cour ne saurait aujourd’hui se p rononcer sur ce point : si

nouvelle incursion il y avait, elle constituerait une nouvelle violation de l’obligation primaire
imposant de respecter l’intégrité territoriale d’un Etat. Affirmer, comme y est contraint le
Cambodge pour essayer de faire entrer sa requête dans le champ de l’article 60, que l’arrêt a déjà
tranché la question soulevée aujourd’hui revient à attribuer à la Cour des conclusions qu’elle n’a

pas rendues ni n’aurait pu rendre.

D. L’ ALLÉGATION DU C AMBODGE SELON LAQUELLE LA T HAÏLANDE N AURAIT PAS OPÉRÉ
LE RETRAIT PRESCRIT PAR L ’ARRÊT DE 1962 EST DÉPOURVUE DE TOUT FONDEMENT

5.57. Au dernier paragraphe de la requête, le Cambodge, citant le deuxième point du

dispositif de l’arrêt, prie la Cour de dire et juger que la Thaïlande avait l’obliga tion de «retirer tous
les éléments de forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a[vait] installés
dans le temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien» 516 et qu’elle avait en

conséquence l’obligation «de respecter l’intégrité du territoire du Cambodge». Ce faisant, ce n’est
pas une interprétation que le Cambodge demande à la Cour, mais une répétition, mot pour mot, de
ce que celle- ci a déclaré en 1962. Si telle est la seule demande du Cambodge, la Thaïlande y

répondra en réaffirmant que, depuis la décision de son gouvernement en date du 10 juillet51762,
elle a reconnu le caractère contraignant de l’arrêt rendu le 15 juin 1962 en l’affaire du Temple .

5.58. Si, en revanche, la requête ne s’y limite pas, c’est sans doute qu’elle vise à mettre en
cause des questions auxquelles l’arrêt de 1962 n’avait ni n’aurait pu avoir trait d’aucune façon. Le
Cambodge prétend qu’«[a]ujourd’hui, la question reste celle de la violation de [sa] souveraineté par

des incursi518 et la présence de troupes militaires thaïlandaises dans la région du temple et ses
environs» . Mais si «la question» était celle d’une violation qui serait commise «aujourd’hui», sa
requête tendrait en réalité à ce que la Cour statue sur une nouvelle violation alléguée de son

intégrité territoriale. La Thaïlande a fait observer ci -dessus que, pour cette raison, et dans519
mesure où telle est la demande formulée par le Cambodge, cette requête n’est pas recevable .

515Ibid., par. 8. Voir également ibid., par. 9 : «la Thaïlande avait toujours refusé  et refuse toujours  de [se]
retirer».
516
Ibid., par. 15, citant l’affaire du Temple de PréaVihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du
15 juin 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 37.
517
Voir, par exemple, Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire duTemple de
Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), exoeptions préliminaires, 30 mai 2011, CR 2011/14,
p. 10-11, par. 2-3 (M. Virachai Plasai). Voir également télégramme ndu 5 juillet 1962 adressé au secrétaire d’Etat
américain par l’ambassade des Etats -Unis d’Amérique à Bangkok (annexe 13) ; et allocution publique faite le
4 juillet 1962 par le premier ministre de la Thaïlande sur l’affaire du temple dePréah Vihéar, (annexe 12).
518
Demande en interprétation de l’arrêt du 15juin 1962 en l’affaire du Temple de PréaVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 8. (Les italiques sont de
nous.)
519Voir par. 4.70-4.72 ci-dessus. - 113 -

5.59. Néanmoins, soutenir qu’un Etat a manqué à une obligation qui lui incombe en
application du droit international général, ou qu’il ne s’est pas acquitté d’une obligation spécifique
que lui impose un arrêt de la Cour, est une accusation extrêmement grave. C’est pourquoi, dans les
présentes observations éc rites, la Thaïlande répondra à l’allégation du Cambodge selon laquelle

elle n’aurait pas opéré le retrait prescrit par l’arrêt de 1962  une allégation qui est dépourvue de
tout fondement.

1. Le Cambodge n’a pas défini la zone supplémentaire dont il soutient maintenant
que la Thaïlande ne se serait pas retirée

5.60. Dans son arrêt de 1962, la Cour a précisé que l’obligation de se retirer qui s’imposait à
la Thaïlande portait sur i) le temple et ii) ses environs, dans la mesure où ceux -ci se trouvent sur le
territoire cambodgien. Dans sa tentative d’obtenir une interprétation toujours plus large de cet
arrêt, le Cambodge semble toutefois prétendre que l’obligation concernait une zone bien plus vaste,

que, pour l’essentiel, il ne définit pas. Il affirme qu’

«[i]l est possible de résumer ainsi le sens de ce différend : … la Thaïlande accepte la
souveraineté du Cambodge sur le temple, mais refuse que cela ait des effets en dehors
d’un périmètre restreint et strictement limité au temple lui- même. De cette situ ation

découle[nt] consécutivement des affirmations thaïlandaises : premièrement, que la
frontière dans la région du temple n’a pas été reconnue par la Cour et doit toujours être
établie en droit ; deuxièmement, que ceci permet à la Thaïlande de réclamer le
territoire en dehors de la stricte enceinte du temple sur la base de la «ligne de partage
des eaux» comme cet Etat l’avait plaidé devant la Cour en 1959-1962 ; troisièmement,

que ceci permet à la Thaïlande d’occu520 cette zone au mépris de l’arrêt, notamm ent
du deuxième point du dispositif.»

L’idée que le Cambodge se fait du «sens [du] différend» est révélatrice. On peut l’exprimer en
partant de la dernière «affirmation» qu’il attribue ci -dessus à la Thaïlande, puis en inversant le

propos  ce que le Cam bodge entend apparemment exiger de la Cour. Il en résulterait que la
Thaïlande devrait se retirer de «cette zone», c’est -à-dire d’un territoire situé au -delà de celui dont
elle s’est retirée en 1962. Or cette prétendue obligation de retrait s’appliquerai t de quelque côté de
la ligne de partage des eaux que se trouve «cette zone». En définitive, ce que le Cambodge cherche
à obtenir de la Cour, c’est donc qu’elle prescrive à la Thaïlande de se retirer d’une zone donnée

 autrement dit qu’elle inverse, pour reprendre ses termes, la situation qui jusqu’à présent a
«perm[is] à la Thaïlande d’occuper cette zone». Toutefois, le Cambodge ne donne aucune
indication sur ce que recouvre «cette zone», et pour cause : en excipant d’une prétendue divergence
quant au s ens de l’expression «environs du temple», son véritable but est d’amener la Cour à
statuer sur un différend territorial aux contours mal définis, qui s’est fait jour à une époque récente.

5.61. A la suite de l’extrait reproduit ci-dessus, le Cambodge écrit ceci :

«la thèse défendue par la Thaïlande équivaut à une reconnaissance par la Cour de la

souveraineté uniquement pour le temple lui-même, ce que la Cour a rejeté d’une façon
très claire dans son arrêt puisque le premier point du dispositif définit expressis verbis
l’appartenance du temple au Cambodge en fonction de la souveraineté sur le territoire
sur lequel le temple se trouve» 521.

520
Demande en interprétation de l’arrêt du 1juin 1962 en l’affaire du Temple de PréaVihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,28 avril 2011, par. 24.
521Ibid. (Les italiques sont de nous.) - 114 -

Il entend apparemment par là que des conséquences juridiques découlent du fait que le temple se
trouve sur un territoire do nné. Le Cambodge affirme que «le premier point du dispositif définit
expressis verbis l’appartenance du temple au Cambodge en fonction de la souveraineté sur le
522
territoire sur lequel le temple se trouve» . Il insiste beaucoup sur cette formule, mais la Thaïlande
a le plus grand mal à comprendre comment l’existence d’un lien entre le temple et le territoire sur
lequel il se trouve conforte en quoi que ce soit la thèse qu’il défend ici. Que le temple soit situé sur

un territoire est une évidence. Il n’est pas besoin d’interprétation sur ce point. Ce que le
Cambodge semble en revanche tenter de faire, sans toutefois y parvenir, c’est de désigner le
territoire auquel la Cour se serait référée en 1962 mais dont la Thaïlande ne se serait pas retirée.

5.62. Le Cambodge tente de définir la portée d’une demande aux contours imprécis en
reprenant des propos qu’il prête à la Thaïlande. Selon lui, l’obligation de se retirer qui incombait à

celle-ci en 1962 s’appliquait et, d’après la thèse erronée selon laquelle i l s’agirait d’une obligation
continue, continue de s’appliquer 523à

«tout le territoire cambodgien dans la zone du temple, territoire qui est aujourd’hui
l’objet d’incursions armées et est revendiqué par la Thaïlande sur un périmètre de
4,6 km² unilatéralement et arbitrairement défin[i] par cet Etat» . 524

La première remarque qui s’impose à propos de la prétendue zone de «4,6 km² unilatéralement et
arbitrairement définie» évoquée par le Cambodge est que, quand bien même la Thaïlande en aurait

établi l’existence, elle ne l’aurait fait que récemment, après que les difficultés actuelles sont
survenues en 2007. En tant que telle, cette zone pourrait être l’objet d’un nouveau différend relatif
à des allégations d’incursion commise en violation de la souveraineté du Cambodge, mais non

d’une demande en interprétation de l’arrêt de 1962. Selon les propres termes du Cambodge, cette
prétendue zone est définie comme étant «aujourd’hui l’objet d’incursions armées» . 525

5.63. Il s’agit, de surcroît, d’une «zone» que le Cambodge a pris soin d’exclure de l’objet du
différend en 1962. Comme cela a été exposé ci -dessus , en 1962, le conseil du Cambodge a
527
déclaré que «cette zone, au nord-ouest du temple, n’[était] pas le point essentiel» . La zone visée
par M. Acheson ne faisait aucun doute : il s’agissait de celle «où s’en allait un cours d’eau partant
du nord-ouest du temple et qui disparaissait en contournant Phnom Trap» . Pourtant, dans la

présente requête, la zone située autour de ce mont est précisément la zon529ruciale, ce lle à propos
de laquelle le Cambodge demande à la Cour une interprétation .

522
Ibid. (Les italiques sont de nous.)
523
Voir par. 5.50-5.56 ci-dessus.
524 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 44. (Les italiques sont de

nous.)
525Ibid. (Les italiques sont de nous.)

526Voir par. 2.44 ci-dessus.
527
CR 62/17 du 22 mars 1962 (Acheson), p. 18 de la traduction française (les italiques sont de nous).
528Ibid.

529 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,28 avril 2011, par. 33 et 34. - 115 -

5.64. Le Cambodge soutient que «la Thaïlande met en avant l’existence d’une zone de

territoire qui serait l’objet de revendications qui se chevauchent» et q530lle définit «la zon e du
temple» comme «un périmètre qui représente environ 4,6 km²» . Toujours selon lui, elle aurait
mentionné cette zone dans une lettre adressée le 21 juillet 2008 au président du Conseil de sécurité,
ainsi que dans la fiche analytique («fact sheet»), qui s’y trouve annexée 531. Or la Thaïlande ne

mentionne de «zone de 4,6 km²» ni dans l’un ni dans l’autre de ces documents. Le Cambodge a
tacitement reconnu que le territoire évoqué dans sa requête n’est nulle part mentionné dans l’arrêt
de 1962, mais impute à tort à la Thaïlande d’avoir assimilé la zone du temple à un territoire

de 4,6 km². Il n’est pas parvenu à définir la zone dont il soutient maintenant que, au- delà de celle
du temple, la Thaïlande est tenue de se retirer en application de l’arrêt de 1962.

5.65. Ayant imputé à la Thaïlande la définition d’«une zone de territoire qui serait l’objet de
revendications qui se chevauchent», le Cambodge prétend que «[l]a thèse défendue par [celle- ci]
semble avoir émergé sous différentes formes depuis 2007» . P ar ces mots, il semble donner à
entendre que i) la Thaïlande a postulé l’existence de «revendications qui se chevauchent» sur une

zone de 4,6 km² ; que ii) «dans le même document, [elle] a toutefois» soutenu que cette zone
«relevait directement de [sa] souveraineté» et que, ce faisant, elle aurait «immédiatement [apporté]
une réponse qui lui [était] favorable aux supposées revendications» des deux Etats dans cette zone.

Or la position de la Thaïlande en ce qui concerne la frontière est demeurée constante ; rien de
nouveau n’a «émergé» sous une quelconque forme, que ce soit en 2007 ou après cette date. Il
s’agit d’une zone à l’égard de laquelle «les deux pays doivent encore déterminer l’emplacement de
la ligne frontière … conformément au droit international » . Ainsi que le prévoit l’article V du

mémorandum d’accord, les Parties doivent s’abstenir de «tous travaux ayant pour effet de modifier
l’environnement» dans la zone frontalière. La Thaïlande a donc émis des protestations contre le
déploiement de solda ts et l’arrivée de nouveaux habitants aux alentours de la pagode de
Keo Sikha Kiri Svara, ainsi que contre les travaux que ceux -ci ont effectués dans cette zone 53. La

Thaïlande s’est également constamment opposée à la proposition du Cambodge de faire inscr ire le
temple sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, au motif que cela serait préjudiciable au
règlement des questions frontalières 53. Loin d’apporter «immédiatement … une réponse» quant à

la situation prévalant à sa frontière avec le Cambodge, la Thaïlande en a toujours réservé le
règlement au mécanisme dont les Parties étaient convenues dans le cadre du mémorandum
d’accord.

2. Le Cambodge a reconnu, à plusieurs reprises, que la Thaïlande avait opéré
le retrait prescrit par l’arrêt de 1962

5.66. Enfin, le défaut de fondement des arguments développés dans la requête apparaît de
manière plus flagrante encore à la lumière de la pratique générale du Cambodge, laquelle montre
que celui-ci a maintes fois admis que la Thaïlande s’était retirée dès 1962 conformément à l’arrêt
de la Cour.

530Ibid., par. 25.
531
Ibid., citant l’annexe IV de la requête introductive d’instance.
532
Ibid., par. 25.
533Ibid., annexe IV, annexe I (Fiche analytique : revendications territoriales concurrentes de la Thaïlande et du
Cambodge dans la zone du temple de PréahVihéar), par.1.
534
Ibid., annexe IV, par. 4.1.
535
Ibid., annexe IV, par. 4.2. Voir également Département des traités et des affaires juridiques, Hisdesique
négociations en vue de l’inscription du temple sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, novembre 2011
(annexe 100). - 116 -

a) Les déclarations du Cambodge devant l’Assemblée générale de l’Organisation des

Nations Unies qui confirment explicitement le respect, par la Thaïlande, de l’arrêt de 1962

5.67. Comme il est rappelé plus haut 536, le Camb odge a explicitement reconnu devant
l’Assemblée générale des Nations Unies que la Thaïlande avait, en 1962, «obtempéré à la décision
537
de la Cour» . Par cette déclaration de son ministre des affaires étrangères, il confirmait, en des
termes catégoriques et dénués d’équivoque, que la Thaïlande avait dûment mis en Œuvre les
mesures ordonnées par la Cour  «obtempéré à la décision» de celle- ci. Dans le cadre de la

présente procédure, la Thaïlande a reconnu ce que nul n’ignorait alors, à savoir que ce ne fut pa s
pour elle chose aisée, en raison de l’attachement du peuple thaïlandais au temple. Toutefois, la
question n’est pas celle de l’état d’esprit dans lequel la Thaïlande a mis en Œuvre l’arrêt de 1962 ou
accueilli l’issue même de la procédure 538. Si les tensions ont été si vives en Thaïlande, c’est en

raison de la gravité de l’unique question tranchée par la Cour  celle, non pas du tracé précis de la
frontière dans ce qui était alors une zone reculée, peu peuplée et souvent inaccessible, mais de la
souveraineté sur un monument religieux ancien. Pour autant, la Thaïlande n’a jamais contesté

l’importance des arrêts de la Cour. Ce que l’on peut dire, en revanche, en ce qui concerne les
arguments du Cambodge, c’est qu’en 1962, celui-ci estimait clairement qu’elle s’était conformée à
la décision. Le Cambodge fonde donc sa requête sur un prétendu manquement que sa propre

pratique suffit à infirmer.

b) La visite de l’autre prince

5.68. Lors de sa visite, restée dans les annales, de janvier 1963 sur le site du te mple, le
prince Sihanouk n’aurait pu manquer d’observer les effets concrets, sur le terrain, de l’exécution de
l’arrêt par la Thaïlande 53. Et en effet, il n’y manqua pas : il confirma que la Thaïlande avait

évacué la zone, ajoutant que le temps «du rétabli ssement de liens d’amitié [était venu] entre [les]
deux pays» 540. Cette visite, dont l’objet même était de marquer la remise symbolique du temple au
Cambodge, fut unanimement perçue comme une grande réussite. On ne saurait trouver meilleure

preuve que la Thaïlande s’était bien retirée du temple. Ainsi se trouvait confirmé ce qu’un certain
nombre d’éléments avaient déjà indiqué, à savoir qu’il ne subsistait aucune difficulté entre les
Parties quant à la mise en Œuvre de l’arrêt : dans un télégramme diplomatique adressé au moment

où le Cambodge entamait des travaux concernant l’accès au temple en novembre 1962, le prince
donna par exemple l’«assurance «formelle» que [l’]itinéraire [emprunté se trouverait]
exclusivement en territoire cambodgien [ajoutant] que des travaux de réfection de la voie d’accès
traditionnelle ser[aient] entrepris» 54.

L’itinéraire dont il était question dans ce télégramme correspondait à la voie d’accès qui
devait être empruntée pour la visite des 4 et 5 janvier1963. Celle -ci menait à la base de
l’escarpement, mais ne montait pas jusqu’au temple. Arrivés en bas de la falaise, le prince et ses

pèlerins devraient en faire l’ascension en gravissant l’escalier. Si le Cambodge estimait incomplète
l’exécution de l’arrêt par la Thaïlande au regard de sa portée géographique, et considérait qu’une

536
Voir par. 4.37.
537 e
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, dix-septième session, 1134 séance plénière,
p. 187 de la version française, par.91 (M. Huot Sambath, (Cambodge)) (annexe28).
538 Demande en interprétation de l’arrêt du 15juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, 31 mai 2011, CR 2011/16, p. 23, par. 22
(M. James Crawford).

539Voir par. 4.43-4.47.
540
New York Times, 8 janvier 1963, «Peaceful Overture Held in Cambodia at Disputed Shrine» [Ouverture, dans
une ambiance apaisée, d’un sanctuaire situé en territoire litigieux] (annexe49).
541 Télégramme n 438 du 11 novembre 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par l’ambassade des

Etats-Unis à Phnom Penh (annexe 31 bis). - 117 -

portion de territoire devait encore lui être rendue, c’était l’occasion de le faire savoir. Au lieu de
cela, il donna l’assurance que toute voie d’accès au temple qu’il bâtirait demeurerait en territ oire

cambodgien, et ne fit aucune référence à un quelconque droit d’en ouvrir suivant un tracé plus aisé
 ce qu’il eût pu faire si le territoire cambodgien avait couvert une zone plus vaste autour du
temple.

c) Les allégations du Cambodge en 1966

5.69. Bien avant la présente procédure, le Cambodge avait déjà évoqué l’arrêt de 1962 dans
le contexte de préoccupations liées à ses relations avec la Thaïlande. Ce fut le cas, notamment,
dans des communications qu’il adressa à la suite de graves tensions appar ues dans la zone
frontalière en 1966.

5.70. Tout comme dans ses plaidoiries de 1962, le Cambodge y soutenait que la stabilité de
la région était en jeu et que, «[p]ar leur répétition, [l]es provocations [de la Thaïlande] semblaient

clairement pré542er, comme ce fut le cas en septembre 1940, à une agression d’envergure contre le
Cambodge» . Ces «provocations» ayant eu lieu au voisinage du temple, le Cambodge accusa
même la Thaïlande de tenter d’en reprendre possession. Le Cambodge avait là encore une occasion
toute trouvée de dénoncer un prétendu manquement, par la Thaïlande, aux obligations qu’elle tenait

de l’arrêt du 15 juin 1962. Or il n’en dit rien. Voici, en revanche, ce qu’il écrivit :

«L’on retiendra que le Gouvernement de Bangkok, au moment d’é vacuer le

temple de Préah Vihéar, a refusé de reconnaître l’arrêt de la Cour
internationale  refus qu’il manifeste aujourd’hui en reprenant de force ce territoire
khmer.» 543

Cette note de protestation appelle deux commentaires, dont le premier porte sur l’ utilisation
du verbe «reprendre» : affirmer qu’un Etat «reprend» un territoire implique de reconnaître qu’il
l’avait auparavant quitté. Le second est que le Cambodge y reconnaît explicitement l’«évacu[ation

du] temple» par la Thaïlande  la mesure ordonnée par la Cour dans son arrêt de 1962.

5.71. De même, lorsqu’il affirma que la Thaïlande avait «repris et réoccupé le temple» 544, il

ressortait de ses termes que la Thaïlande s’en était auparavant retirée. Plus loin, il écrivait
d’ailleurs que les troupes t haïlandaises, «alors qu’ [elles] se repliaient sur leur territoire», se
livrèrent à de graves violations du droit international 545. Il s’agissait pour lui de dénoncer des
agissements prétendument commis dans le temple et aux abords de celui -ci. Toutefois, i l ne

prétendit pas que les positions occupées par les troupes thaïlandaises, avant et après ces prétendues
incursions, violaient son intégrité territoriale  tant s’en faut, puisqu’il reconnaissait, au contraire,
que ces troupes se trouvaient sur «leur territoire», c’est-à-dire, en territoire thaïlandais.

542 Note n 1449 du 11 avril 1966 adressée au Secrét aire général par le représentant permanent du Cambodge

auprès de l’Organisationodes Nations Unies (annexe 62). Pour les explications de la Thaïlande concernant ces
événements, voir Note n °335/2509 du 22 avril 1966 adressée au Secrétaire général par le président du conseil des
ministres et ministre des affaires étrangères du Gouvernement royal du Cambodge (annexe63).
543 Note n 1449 du 11 avril 1966 adressée au Secrétaire général par le représentant permanent du Cambodge
auprès de l’Organisation des Nations Unies (les italiques sont de nous) (annexe62).

544Ibid.
545
Ibid. - 118 -

5.72. Mentionnons encore les démarches (restées sans suite) qu’il entreprit auprès du Conseil
546
de Sécurité, déjà évoquées dans les présentes observations écrites : son premier ministre, citant le
prince Sihanouk, indiqua alors : « … [l]es Thaïlandais ont fini, après maintes tergiversations et
manŒuvres dilatoires par évacuer Préah Vihéar» . Ainsi, de toute évidence, l’objet des
communications adressées au Conseil de Sécurité, quel qu’il ait pu être, n’ét ait pas de prétendre

que la Thaïlande avait violé son obligation de retrait, et son intention, 548invoquant le paragraphe 2
de l’article 94, n’était pas de recourir au Conseil de Sécurité . Cet épisode, demeuré sans
lendemain, ne donna lieu à aucune discussion au sein du Conseil de Sécurité, ni à aucune décision

ou autre mesure de sa part concernant un ret549t de la Thaïlande. Le Cambodge renonça
rapidement à poursuivre ses démarches .

5.73. Ces protestations épisodiques  et qui cessèrent au final entiè rement  sont
éclairantes tant en ce qui y fut dit qu’en ce qui ne le fut pas. Jamais meilleure occasion ne fut
donnée au Cambodge de dénoncer d’éventuelles lacunes dans la mise en Œuvre de l’arrêt de 1962.

Or, alors qu’il lui était loisible de faire sav oir à la Thaïlande que son retrait n’avait pas été complet,
le Cambodge n’en fit rien, reconnaissant au contraire, comme on l’a vu, la réalité de ce retrait.

d) Le long silence observé par le Cambodge dans la période qui suivit

5.74. Après avoir confirmé à plusieurs reprises, ainsi que nous l’avons rappelé, que la
Thaïlande avait dûment exécuté l’arrêt de 1962 dans le cadre du territoire concerné, le Cambodge

est resté silencieux, pendant l’essentiel de la période allant de 1967 à 2007, sur son comportement à
l’égard de PhraViharn.

5.75. L’un des épisodes les plus marquants de cette période fut la reprise, en 1970, des
relations diplomatiques entre les Parties, interrompues en 1958 en raison de leur mésentente
concernant Phra Viharn . S’il avait encore d es observations ou des réserves sur cette question,

l’on se serait attendu à ce que le Cambodge les formule à la faveur de ce rapprochement. Or le
communiqué conjoint publié à cette occasion le 14 mai 1970 par les deux Etats ne mentionnait
nullement le temple . 551

5.76. Il est vrai que de terribles événements ont frappé le Cambodge pendant une partie des
quarante ans qu’a duré son silence. La Thaïlande n’entend nullement occulter ni minorer cette

période tragique. On relèvera toutefois, dans le contexte de la procédure introduite par le
Cambodge sur le fondement d’un défaut d’exécution de l’arrêt de 1962 par la Thaïlande, que les
occasions pour le Cambodge d’exprimer sa position n’ont pas manqué. Or par ses actes et ses

omissions, jusqu’en 2007, celui -ci n ’a cessé de confirmer  tantôt explicitement tantôt
implicitement , que la Thaïlande avait agi, en 1962, conformément à l’arrêt de la Cour.

546Voir par. 4.53-4.55.
547
Lettre en date du 23 avril 1966 adressée au président du Conseil de Sécurité par le ministre des affaires
étrangères du Cambodge, Nations Unies, doc. S/7279 du 3 mai 1966, p. 3 (annexe 65).
548Voir également par. 4.55.

549Nations Unies, Annuaire des Nations Unies, 1966, p. 162 (annexe 74).
550
Voir par. 4.32.
551Ministère des affaires étrangères du Royaume de Thaïlande, Déclaration commune entre la Thaïlande et le
Cambodge datée du 13 mai 1970, Foreign Affairs Bulletin 1970 , vol. IX, n 1-6 (août 1966  juillet 1970), p. 436-437

(annexe 79). - 119 -

e) Pratique récente du Cambodge

5.77. La pratique récente du Cambodge tend de même à indiquer que, dès 1962, la Thaïlande
s’était entièrement retirée du territoire visé par l’arrêt.

5.78. Comme il est rappelé plus haut 552, les gouverneurs des provinces limitrophes, dans la

région du temple, conclurent, le 7 novembre 1991, un accord portant spécifiquement sur l’accès au
temple depuis le territoire thaïlandais et sur la réglementation des activités dans la zone du temple.
Si le Cambodge avait estimé que la Thaïlande n’avait pas opéré un retrait complet ou que la zone
où elle restait présente autour du temple empiétait su r le territoire restant à évacuer en vertu de

l’arrêt de 1962, l’occasion lui était là encore donnée de le faire savoir. Or rien dans cet accord ne
reflète ne fût -ce qu’un semblant d’objection ou de réserve. L’accord que conclurent ensuite
 en 2001  les autorités provinciales n’en comportait, lui non plus, aucune trace 553. La Partie

cambodgienne s’est ainsi constamment refusée à mettre en cause, d’une quelconque manière, le
comportement de la Thaïlande dans la zone de Phra Viharn.

5.79. Dans sa requête du 28 avril 2011 introduisant la présente instance, il apparaît
clairement que le Cambodge n’avait aucune raison de contester l’exécution de l’arrêt par la
Thaïlande lorsque celle-ci se retira de la zone après le 10 juillet 1962. Voici ce qu’on y lit :

«Après 1962, et jusqu’aux événements consécutifs au processus d’inscription
du temple sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2007, il n’y aura pas de
revendications officielles de la Thaïlande dans la zone du temple aujourd’hui
revendiquée par cet Etat.» 554

Les environs du temple, du côté thaïlandais, étaient clairement signalés lorsque la Thaïlande,
en exécution de l’arrêt, se retira au-delà de la clôture en fil de fer barbelé. Ce retrait était complet à
la date de la venue du prince Sihanouk, lequel en constata la réalité sur le terrain et ne formula

aucune objection. Son ministre des affair555étrangères déclara en 1962 que la Thaïlande «a[vait]
obtempéré à la décision de la Cour» . En mentionnant l’absence de «revendications officielles»
entre 1962 et 2007, le Cambodge admettait, une fois encore, que la position de la Thaïlande après
son retrait de 1962 ne s’apparentait pas à une «revendication» mais résultait d’une exécution

réfléchie et en règle de l’arrêt. C’est là une preuve supplémentaire qu’aucune contestation
n’oppose en réalité les Parties sur le fait que la zone dont la Thaïlande s’est retirée en 1962 était
bien celle visée par l’arrêt.

E. C ONCLUSION

5.80. Il résulte de ce qui précède que :

1) L’allégation du Cambodge selon laquelle l a frontière doit être tracée sur la base de la ligne
représentée sur la carte de l’annexe I est infondée, la Cour ayant expressément refusé, en 1962,
d’aller au-delà de ce qui n’était pas strictement nécessaire pour lui permettre de trancher la
question de la souveraineté sur le temple.

552
Voir par. 4.61-4.65 ci-dessus, et compte rendu de la réunion entre les Parties thaïlandaise et cambodgienne sur
l’ouverture du site Khao Phra Viharn au tourisme, 7 novembre 1991 (annexe 87).
553Procès-verbal de la réunion tenue le 2février 2001 entre la délégation du gouverneur de la province de
Si Sa Ket et celle du gouverneur adjoint de la province de Phra Viharn (annexe 92).

554 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, p. 4, par. 12.
555
Voir par. 4.37 ci-dessus. - 120 -

2) La requête du Cambodge passe outre au fait qu’en 1962, les Parties étaient en désaccord sur la
question de savoir si la ligne de la carte de l’annexe I représentait la ligne de partage des eaux et

si elle pourrait servir de base au tracé de la frontière  un désaccord que la Cour n’a point
tranché.

3) Restant muet sur le fait que la carte de l’annexe I, qui n’est l’objet d’aucune référence dans le
dispositif, n’était qu’un motif venant étayer une décision sur la zone du temple, le Cambodge ne
parvient pas à démontrer le bien -fondé de sa position selon laquelle la carte de l’annexe I
relevait de la chose jugée par l’arrêt de 1962.

4) Concernant le deuxième point du dispositif, le Cambodge confond l’obligation générale et
continue incombant aux Etats de respecter mutuellement leur intégrité territoriale et la décision
spécifique prise par la Cour en 1962.

5) Le Cambodge prend aujourd’hui le contre -pied de la position qu’il a exprimée de différentes
manières pendant plus de qua rante ans, à savoir que la Cour n’a pas tranché la question de la
souveraineté sur une zone plus étendue que celle dont s’est retirée la Thaïlande en 1962 en

application de l’arrêt. - 121 -

C HAPITRE VI

LES PROBLÈMES QUE POSE LA TRANSPOSITION SUR LE TERRAIN
DE LA LIGNE REPRÉSENTÉE SUR LA CARTE DE L ’ANNEXE I

A. INTRODUCTION

6.1. Dans sa requête, le Cambodge affirme de manière catégorique que le territoire «dans la
556
région du temple et ses environs» a été «délimité … par la ligne de la carte de l’annexe I» . Il
semble donc considérer que cette carte offre une représentation précise et contraignante de
l’emplacement de la frontière dans la chaîne des Dangrek. Si tel est le cas, alors le Cambodge doit

avoir en tête une méthode permettant de transposer cette ligne sur le terrain.

6.2. Ainsi que cela a été rappelé au chapitre V ci-dessus, les Parties avaient, en 1962, des

vues divergentes sur ce premier point : elles ne purent se mettre d’accord sur la question de savoir
si la ligne représentée sur la carte de l’annex e I pouvait être utilisée pour tracer précisément la
frontière sur le terrain 557. La Cour ne se prononça pas sur ce point  selon elle, au vu des
558
circonstances de l’affaire, il n’y avait pas lieu de le faire . Or, dans sa demande en interprétation,
le Cambodge cherche à présent, par le jeu de l’article60 du Statut, à revenir sur cette question. La
Thaïlande a d’ores et déjà exposé les raisons pour lesquelles la Cour ne saurait aujourd’hui en
connaître . Ce nonobstant, force est pour elle de s’interroger sur l’usage que les Parties feraient

de la carte de l’annexe I aux fins du tracé de leur frontière dans l’hypothèse où la Cour ferait droit à
la demande du Cambodge.

6.3. La Thaïlande considère que c’est au Cambodge, au vu des termes de sa demande,
qu’incombe la charge de la preuve à cet égard 56. Or cet aspect n’a nullement été traité dans la
requête du Cambodge ni dans les exposés que celui-ci a présentés à l’audience. Tout en soulignant

que ce n’est pas à elle de répondre aux questions que soulève la ca rte, ni, a fortiori, de démontrer
qu’il ne s’agit pas d’une base appropriée aux fins du tracé de la frontière, la Thaïlande a néanmoins
consulté des experts en délimitation pour évaluer la carte en question. MM. Alastair Macdonald,

chargé de recherche hon oraire, et Martin Pratt, directeur de recherche au sein de l’unité de
recherche sur les frontières internationales de l’Université de Durham, se sont ainsi rendus au
département des traités et des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères de la
Thaïlande, à Bangkok, ainsi que dans la chaîne des Dangrek, du 15 au 18 août 2011. Au vu de s

informations qu’ils ont recueillies à l’occasion de leur visite sur le terrain, des éléments de preuve
cartographiques et des extraits du dossier de 1962, ces experts ont établi un document intitulé
«Evaluation de la tâche consistant à transposer sur le terrain la frontière entre le Cambodge et la

Thaïlande rep561entée sur la carte «de l’annexe I»» (ci -après : l’«évaluation réalisée par l’unité de
recherche») . Dans le présent chapitre sont examinées les principales conclusions de cette

556
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du T emple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance,28 avril 2011, par. 45.
557
Voir par. 5.11-5.25 ci-dessus.
558Voir par. 5.15-5.16 ci-dessus.

559Voir par. 4.76-4.95 ci-dessus.
560
Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 189, par. 57-59 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (NicarEtats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.Recueil 1984, p. 437, par. 101.
561Unité de recherche sur les frontières internationales de l’Université de Durham, «Evaluation de la tâche
consistant à transposer sur le terrain la frontière entre le Cambodgea Thaïlande représentée sur la carte «de

l’annexe I»», octobre 2011 (annexe96). - 122 -

évaluation, pour autant qu’elles sont pertinentes aux fins des questions soulevées dans la requête du

Cambodge.

B. L ES ERREURS ET INSUFFISANCES DE LA CARTE DE L ’ANNEXE I

6.4. Dans l’évaluation réalisée par l’unité de recherche sont recensées nombre d’erreurs et
d’insuffisances entachant la carte de l’annexe I 56. Il semblerait que celles- ci soient dues à des

contraintes i563rentes aux méthodes employées en 1907 par les cartographes pour la réalisation de
leurs cartes . Ces erreurs et insuffisances seront examinées succinctement ci-après.

1. La déviation de la ligne frontière par rapport à la ligne de partage des eaux

6.5. La ligne qui figure sur la carte de l’annexe I s’écarte considérablement de la ligne de

partage des eaux dans la chaîne des Dangrek, ainsi qu’564ressort d’une façon générale de la figure 5
de l’évaluation réalisée par l’unité de recherche .

6.6. L’équipe de l’unité de recherche a relevé cinq «erreurs manifestes» à l’origine des écarts
existant entre la ligne frontière et la ligne de partage des eaux sur la carte de l’annexe I ; quatre de
ces erreurs sont à l’avantage du Cambodge 565. L’une d’entre elles concerne le temple : ainsi que
566
sir Percy Spender l’a conclu dans son opinion dissidente , la ligne de partage des eaux autour du
temple est mal représentée, et l’équipe de l’unité de recherche a confirmé que cela était dû à une
erreur dans la manière dont le cours de la rivière O’Tasem avait été reporté sur la carte 567. Cette
erreur n’a toutefois pas d’incidence sur la question de la souveraineté sur le temple, qui a été

tranchée par l’arrêt de 1962. L’erreur la plus importante, en termes de distance entre la ligne
représentée sur la carte et la véritable ligne de partage des eaux, concerne un point situé par
104° 13' de longitude est (Greenwich) 568. Un cours d’eau y est représenté comme s’étendant sur

7,5 kilomètres au nord du véritable emplacement de celle- ci, ce qui a pour conséquence de
repousser d’autant, à l’intérieur de la Thaïlande, la ligne figurant sur la carte de l’annexe I.

6.7. L’équipe de l’unité de recherche est convaincue que la représentation d e ce cours d’eau
sur la carte de l’annexe I était erronée. Selon elle,

«[i]l semblerait que le chemin qui se dirige vers le nord, à l’ouest du cours d’eau en
cause, ait bien été emprunté [par le capitaine Oum en 1907]. Nous avons nous aussi
suivi un chemin dans une zone voisine en nous dir igeant vers le sud, dépassant le

sommet coté 463 et parcourant à pied les 500 derniers mètres nous séparant de la ligne
de partage des eaux. De toute évidence, nous nous trouvions sur une pente
ascendante, et le fait qu’un cartographe compétent, effectuant le même trajet en 1907,

n’en ait pas eu conscience est difficile à comprendre. Il aurait à tout le moins pu avoir

562Ibid., p. 12-19, par. 24-39.
563
Ibid., p. 10-12, par. 17-23.
564Ibid., p. 13 (figure 5).

565Ibid., p. 14, par. 26 i)- v).
566
Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 122 (opinion
dissidente de sir Percy Spender).
567
Unité de recherche sur les fronti ères internationales de l’université de Durham, «Evaluation de la tâche
consistant à transposer sur le terrain la frontière entrle Cambodge et la Thaïlande représentée sur la carte «de
l’annexe I»», octobre 2011, p. 14, par. 26 iv) (annexe 96).
568Ou 101° 48' de longitude est (Paris), selon le système de référence utilisé sur la carte. - 123 -

le souci de se frayer un chemin jusqu’au cours d’eau pour en vérifier la direction,
avant de faire figurer sur la carte ce qui constitue la plus longue incursion d’un cours
d’eau à travers l’escarpement des Dangrek.» 569

Il ne s’agissait donc pas d’une ligne de partage des eaux, même si, en raison de la représentation
erronée du cours d’eau en question, telle est l’impression créée ; l’intention des cartographes
semble bien avoir été de représenter une telle ligne. Au vu, à la fois, de l’article I du traité de 1904
et de l’intention qui ressort de la carte, la méthode permettant de remédier aux écarts existant entre

certains segments de la ligne représentée et la ligne de partage des eaux semble toute trouvée : il
suffira à des cartographes de se rendre sur le terrain pour déterminer l’emplacement de la véritable
ligne de partage des eaux, et d’établir ensuite la frontière sur cette base 570. Si, en revanche, la ligne
telle que représentée sur la carte de l’annexe I éta it arbitrairement retenue, alors, en raison des

nombreux autres problèmes qu’elle pose (problèmes qui seront examinés ci -après), il n’y aurait
plus de moyen simple d’y remédier.

2. L’écart entre les lignes à l’extrémité occidentale de la carte de l’annexe I

6.8. L’arpenteur responsable, devant la seconde commission, du secteur 5 de la frontière,
lequel est situé immédiatement à l’ouest du col de Kel  c’est -à-dire juste à l’ouest de l’extrémité
occidentale du secteur dont était chargée la première commissi on, et qui a été représenté sur la

carte de l’annexe I , releva deux erreurs importantes dans la représentation de la ligne de partage
des eaux dans cette zone, l’une dans des travaux antérieurs portant sur le secteur 5 à proximité du
col de Kel, l’autre sur la carte de l’annexe I. La première est dépourvue de pertinence aux fins du
présent examen. S’agissant de l a seconde, le lieutenant Malandain, l’arpenteur en question, admit

que la large vallée s’étendant vers le nord depuis la ligne générale d’escar pement n’existait pas et
que, partant, c’était à tort que le cours d’eau était représenté comme se prolongeant dans cette
direction en territoire thaïlandais sur une distance de 7,5 kilomètres. Sur la carte qu’il a établie, la
ligne d’escarpement traverse l’embouchure de la prétendue vallée ; mais, en l’absence

d’information relative à la direction de ce cours d’eau, cette ligne ne saurait être considérée comme
correspondant571la ligne de partage des eaux. La commission mixte «semble avoir approuvé [la]
correction» (22 mars 1908) apportée par le lieutenant Malandain. Celle-ci apparaît à l’extrémité
orientale de la carte couvrant la région qui se trouve à l’ouest de celle représentée sur la carte de
l’annexe I (la carte du secteur 5) : ces deux cartes se chevauchent en partie. Le prolongement

erroné vers le nord de la ligne figurant sur la carte (établie par le capitaine Oum, pour le compte de
la première commission) et la correction (apportée par le lieutenant Malandain, pour le compte de
la seconde) fon t l’objet d’une comparaison à la figure 7 de l’évaluation réalisée par l’unité de
recherche .572

6.9. Reste donc un délicat problème d’interprétation de la frontière dans cette zone. La
cartographie moderne ainsi que les observations récemment effectuées par l’équipe de l’unité de
recherche montrent clairement que le capitaine Oum avait fait erreur en représentant un cours d’eau

cambodgien se prolongeant sur quelque 7,5 kilomètres au nord de la ligne générale de partage des
eaux et s’écoulant vers le sud. Il est non moins clair que ce point était tout à fait connu en 1908,
lorsque le lieutenant Malandain présenta sa carte à la commission mixte. Celui -ci se contenta

569Unité de recherch e sur les fronti ères internationales de l’université de Durham, «Evaluation de la tâche
consistant à transposer sur le terrain la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande représentée sur la carte «de
l’annexe I»», octobre 2011, p. 15-16, par. 30 (les italiques sont dans l’original) (annexe 96).
570
Voir ibid., p. 19, par. 40 ; voir également ibid., p. 44, par. 62. «Selon nous, la meilleure solution consisterait à
repérer de nouveau sur le terrain la ligne de partage des eaux, même si cela peut se révéler fort difficile par endroits.»
571Ibid., p. 17, par. 33.
572
Ibid., p. 16 (figure 7). - 124 -

toutefois de représenter la ligne d’escarpement, sans fournir aucune information relative au cours
d’eau. Sa ligne rejoint celle du capitaine Oum aux environs de Ph. Key, en un point où la ligne
frontière de la carte de l’annexe I est représentée à quelque 1500 mètres au nord de l’escarpement.

Sa carte ne saurait donc être utilisée pour déterm iner l’emplacement réel de la ligne frontière entre
le col de Kel et la zone de Ph. Key, c’est-à-dire sur une distance d’environ 13 kilomètres. La carte
de l’annexe I ne peut cependant pas non plus être considérée comme exprimant les vues de la
commission mixte en 1908. Si cela devait conduire à estimer que la frontière est indéterminée dans

cette zone et doit faire l’objet d’une nouvelle démarcation, alors l’entité chargée de cette opération
devrait se poser la question de savoir comment et où raccorder la ligne frontière ainsi définie à la
ligne de l’annexe I. Or il n’existe aucun principe, qu’il soit cartographique ou juridique, qui
permettrait aux Parties de répondre à cette question.

3. Erreurs de localisation

6.10. Certains éléments bien connus et aisément repérables  tels que certains sommets,

l’embranchement de cours d’eau et, bien évidemment, le temple  apparaissent sur la carte de
l’annexe I ; leurs coordonnées, correspondant à leur position sur le carroyage de ladite carte (tel
que rapporté a u méridien de Greenwich), peuvent ainsi être relevées.
L’embranchement Rossey/Sreng par exemple, apparaît en un point situé par 14,289° de latitude
nord et 104,202° de longitude est 573. Si la carte de l’annexe I ne contenait pas d’erreurs de

position, les coordonnées des éléments qui y figurent seraient identiques à celles de ces mêmes
éléments tels que représentés sur une carte moderne et fiable.

6.11574’équipe de l’unité de recherche a sélectionné quinze éléments notoires et aisément
repérables . Elle les a représentés sur une carte moderne, puis y a fait apparaître ces mêmes
éléments selon leurs coordonnées indiquées sur la carte de l’annexe I.

6.12. Pour tous ces éléments, les coordonnées indiquées sur la carte de l’annexe I se sont
révélées erronées. L’embranchement Rossey/Sreng, par exemple, se trouve en réalité en un point
situé par 14,284° de latitude nord et 104,161° de longitude est. Selon l’équipe de l’unité de
recherche,

«[i]l ressort clairement d’une comparaison, même rapide, entre les positions des points
représentés sur ces deux cartes que non seulement celle de l’annexe I contient
d’importantes erreurs de localisation, mais que l’ampleur de ces erreurs est
variable» .75

Cette imprécision des coordonnées géographiques est576lustrée sur les fi gures 9a et 9b de
l’évaluation réalisée par l’unité de recherche ; elle ne va pas sans poser un sérieux problème.
L’équipe de l’unité de recherche a examiné divers moyens de résoudre celui-ci, moyens qui sont
exposés de manière succincte dans la section D ci-dessous ; sauf à considérer que la ligne qu’il

convient de retenir est la ligne de partage des eaux, dont il s’agira de repérer le tracé, il n’existe
aucun moyen satisfaisant de remédier aux importantes erreurs de localisation que comporte la carte
de l’annexe I.

573Ibid., p. 21, par. 45.
574
Ibid.
575Ibid., p. 21, par. 46.
576
Ibid., p. 22-23 (figures 9a et 9b). - 125 -

4. Erreurs topographiques

6.13. La carte de l’annexe I, comme les autres cartes de l’époque, a été établie sans recourir à
des photographies aériennes ou satellite. Aussi ne peut -on pas s’attendre à ce qu’elle représente la
topographie de la région frontalière à laquelle elle se rapporte de manière aussi fiable qu’une carte
moderne. Les erreurs topographiques figurant sur la carte de l’annexe I révèlent cependant
577
certaines déficiences, même au regard des critères de l’époque . Ainsi, les erreurs d’altimétrie et
de localisation des sommets, vallées et escarpements sont légion  elles seraient trop longues à
détailler578. En ce qui concerne le réseau hydrographique  élément essentiel aux fins de

déterminer l’emplacement d’une ligne de partage des eaux , la carte de l’annexe I ne permet
absolument pas de s’en faire une idée tant soit peu fiable : les cours d’eau qui y sont représentés ne
correspondent au mieux que très vaguement au réseau hydrographique sur le terrain. Les lignes de
couleur bleue qui apparaissent sur la figure 8 de l’évaluation réalisée par l’unité de recherche sont

celles de la carte de l’annexe I ; les lignes de couleur verte, quant à elles, correspondent aux cours 579
d’eau existants, tels que représentés sur une carte établie à l’aide des technologies modernes .
C’est en vain que les Parties chercheraient dans la carte de l’annexe I matière à déterminer
l’emplacement de la ligne frontière en fonction des différents cours d’eau.

5. Problèmes d’échelle

6.14. La carte de l’annexe I est une carte à petite échelle. Selon l’équipe de l’unité de
recherche, «[m]ême si la carte est juste, la précision avec laquelle la position de tel ou tel élément
peut y être déterminée sera fonction de l’échelle utilisée» 58. L’échelle de la carte ainsi que la taille
des croix qui forment la ligne apparaissant sur celle-ci constituent l’un des aspects qui en limitent la
581
précision; un autre aspect est le tracé «pour le moins schématique» des courbes de niveau. Au
vu de ces limites, l’équipe de l’unit é de recherche a indiqué que, même à supposer que la carte de
l’annexe I ne contienne aucune erreur, elle ne s’en caractériserait pas moins par «un degré
d’imprécision non négligeable, de l’ordre d’une centaine de mètres, quant à l’emplacement de la
582
frontière» .

6. Conclusions concernant les erreurs et insuffisances

de la ligne représentée sur la carte de l’annexe I

6.15. Au vu des nombreuses erreurs et insuffisances de la carte de l’annexe I, il apparaît
clairement que la transposition sur le terrain de la ligne frontière qui y est représentée ne serait pas

chose facile. Toute tentative de se livrer à cet exercice se heurterait à la nécessité de rectifier ces
erreurs et insuffisances, lesquelles créent, quant à l’emplacement précis de la frontière, des
ambiguïtés si nombreuses et diverses qu’elles poseraient de sérieux problèmes dans le cadre d’une
démarcation moderne. Ces ambiguïtés devraient être levées, mais la carte en question ne serait

d’aucune aide à cette fin. Dans la section D ci-dessous est exposée l’approche mathématique que
l’équipe de l’unité de recherche a testée pour localiser sur le terrain, par géoréférencement, la ligne
représentée sur la carte de l’annexe 1. Comme on le verra, on obtient ainsi une série de résultats
variables qui donneraient immanquablement lieu à de nouvelles divergences entre les Parties.

577
Ibid., p. 43, par. 60.
578Ibid., p. 17, par. 35.
579
Ibid., p. 18 (figure 8).
580Ibid., p. 17, par. 36.

581Ibid.
582
Ibid., p. 17, par. 37. - 126 -

6.16. Dans le cadre de son examen de ces erreurs et insuffisances de la carte de l’annexe I,

l’équipe de l’unité de recherche est parvenue à la conclusion que «l’intention des cart ographes qui
ont établi cette carte était de représenter une frontière suivant la ligne de partage des eaux le long
de la chaîne des Dangrek» 58. La Thaïlande relève que cela est conforme à l’article I du traité du
13 février 1904. Et l’équipe de l’unité de recherche de conclure que la ligne de partage des eaux

constitue bel et bien la base appropriée aux fins du tracé de la frontière :

«Si nous ne disposions d’aucun autre élément que de la carte et qu’il nous était

demandé de décrire le tracé que devrait suivre la frontière, nous conseillerions de
mettre la carte de côté, de repérer la ligne de partage des eaux sur le terrain en
recourant à des techniques d’observation modernes, et de tracer la frontière le long de
la ligne ainsi cartographiée.» 584

Quoique la localisation de la ligne de partage des eaux puisse se révéler «une tâche fort délicate par
endroits» , c’est bien ainsi, semble- t-il, qu’il pourrait être remédié aux multiples incertitudes

entourant la carte de l’annexe I signalées plus haut, et ce, d’u ne manière objective pouvant faire
l’objet d’une mise en Œuvre concrète sur le terrain.

6.17. La carte de l’annexe I telle que présentée par le Cambodge dans le cadre de l’instance
de 1962 présente un autre défaut, qui résulte non pas des travaux cartogra phiques de l’arpenteur
mais d’une erreur de repérage lors de l’impression de la carte. La Thaïlande examinera à présent
brièvement cette erreur technique survenue lors de l’impression et les problèmes qu’elle poserait si

l’on tentait d’utiliser cette carte comme le demande le Cambodge.

C. L’ ERREUR DE REPÉRAGE ET LA VERSION REVISÉE DE LA CARTE

6.18. L’équipe de l’unité de recherche, lors de sa visite à Bangkok, a con staté que le
département des traités et des affaires juridiques n ’était pas en possession d e la version de la carte
586
présentée à la Cour par le Cambodge en 1959 en tant que «carte de l’annexe I» , mais d’une carte
qui n’en pouvait être qu’une version ultérieure et révis ée. Des recherches plus poussées montrent
qu’il en va de mêm e en ce qui conce rne les copies déposées auprès d es archives du ministère
français des affaires étrangères, des archives du ministère français des colonies, de la Bibliothèque
587
nationale de France et de la Royal Geographic Society (Londres) . La carte déposée auprès de
l’Institut géographique national (IGN) , quoique très similaire à cette version révisée, est encore
différente . Les différences entre l es deux version s révisées  celle qui a manifestement fait

l’objet d’une distribution plus large et celle que l’équipe de r echerche thaïlandaise n’a trouvée qu’à
l’IGN ne semblent toutefois pas pertinentes aux fins qui nous occupent ici.

583Ibid., p. 19, par. 40.
584
Ibid.
585
Ibid., p. 44, par. 62.
586Ibid., p. 5, par. 7.
587
Ibid., p. 8, par. 9.
588
Ibid. - 127 -

6.19. En revanche, les différences entre la carte de l’annexe I et la version révis ée la plus
largement diffusée (celle reçue par le Siam en 1908 58) sont considérables.

6.20. Sur la version révis ée, les courbes de niveau et certains des cours d’eau ont été
représentés de façon plus précise. Il semble aussi que d’autres données aient été ajoutées. Par

exemple, des courbes de niveau qui ne sont pas représentées sur la carte de l’annexe I le sont sur la
version révisée, qui donne donc au moins l’impression d’une représentation plus précise du relief.
Les données justifiant ces modifications se trouvaient peut-être dans les notes adressées à Paris par
les officiers ayant effectué les levés en Indochine, mais il semble impossible de savoir avec
certitude sur quoi les cartographes p arisiens se sont fondés pour reviser la carte. On observe par

ailleurs des changements de pure présentation, com me l’amélioration de la typographie des 590
toponymes, et l’introduction d’une petite carte index dans le coin supérieur droit de la feuille .

6.21. Mais le principal changement entre la carte de l’annexeI et la carte révisée reste de loin
la correction du décalage lié à l’ erreur de repérage. Les cartes étaient imprimées à partir de
planches de couleur, soit une planche par couleur. L a planche de couleur marron, qui servait à
imprimer les courbes de niveau , a fait l’objet d’une erreur de repérage 591, entraînant un net

décalage. Par conséquent , les autres éléments (y compris la frontière) ne sont pas dans le même
rapport à la topographie sur la carte de l’annexe I et sur la version révis ée (corrigée). La figure 4
de l’évaluation réalisée par l’unité de recherche en offre quelques illustrations. Pour un arpenteur
sur le terrain, n’ayant à sa disposition que ces cartes et l’observation visuelle du relief, la frontière
592
ne serait pas au même endroit selon qu’il s’appuierait sur l’une ou sur l’autre .

6.22. L’erreur de repérage affectant la carte de l’annexe I et l’acceptation par le Siam de la
carte révisée soulèveraient au moins deux questions , si la première devait être utilisée comme le

propose le Cambodge dans sa demande.

6.23. Premièrement, le décalage des courbes de niveau marron qui en résulte signifie que la

carte de l’annexe I elle-même n’aurait tout au plus qu’une valeur restreinte s’il s’agissait de trac er
la ligne en fonction des caractéristiques topographiques. Selon l’unité de recherche,

«si le tracé de la frontière doit être déterminé en fonction de la topographie représentée
sur la «carte des Dangrek», l’existence de trois versions de la carte, avec une

configuration des courbes différant légèrement par endroits et un décalage de 200
à 500 mètres dans l’emplacement de ces courbes sur toute la carte, devient un facteur
important, ne faisant qu’ajouter à la complexité de la tâche» 59.

En raison de ce décalage, la frontière représentée sur la carte de l’annexe I passe par endroits à
flanc de coteau ou de falaise, et court de part et d’autre de la ligne de partage des eaux. Il serait
impossible de la situer par rapport aux cours d’eau, car ceux- ci sont représentés, en de nombreux
endroits, de manière contraire à la logique  l’on trouvera ainsi des e xemples de cours d’eau

remontant une colline sur la figure 2 de l’évaluation réalisée par l’unité de recherche , où ils ont été

589Ibid., p. 8, par. 11.

590Ibid., p. 5, par. 7 et p. 6 (figure 3).
591
Ibid., p. 5, par. 7.
592Ibid., p. 7 (figure 4).
593
Ibid., p. 10, par. 16 (les italiques sont de nous). - 128 -

entourés par des cercles de couleur 594. Que la représentation du relief fût erronée en raison d’une
erreur d’impression n’avait pas d’importance en 1962, parce que la carte de l’annexe I avait été

produite dans le but d’ établir la souveraineté sur le temple, et non dans celui de déterminer
l’emplacement exact d’une frontière. Indépendamment du décalage observé , le symbole
représentant le temple sur la carte se trouve toujours au sud de la ligne. Mais si la carte de

l’annexe I devait être considérée comme un instrument contraignant , déterminant la façon dont les
Parties fixeront leur frontière, la fiabilité des courbes de niveau deviendrait essentielle ; celles-ci ne
seraient plus accessoires, mais déterminantes. L eur manque de cohérence deviendrait source de
vive préoccupation.

6.24. Deuxièmement, une question se poserait à propos de la logique sous-tendant la
déclaration de la Co ur quant à l’acceptation par la Thaïlande de la carte de l’annexe I. La Cour a

en effet dit que « 595 autorités siamoises [avaient] reçu … la carte de l ’annexe I et qu ’elles
l’[avaient] acceptée » et que, «aucune personne intéressée … n’[ayant] pu manquer de remarquer
ce qu’elle indiquait pour cette région», la Thaïlande ne pouvait se soustraire aux conséquences
juridiques qui en découlaient pour elle au motif que ce tte carte contenait une erreur 59. Mais «ce

qu[e la carte] indiquait» avait trait à la souveraineté du temple situé dans cette région ; c’était là la
question qu’il s’agissait pour la Cour de trancher. Affirmer, en revanche, que la carte prétendait
représenter fidèlement la frontière par rapport à la topographie de la région est tout autre chose.

Car la carte reçue par le Siam n’était pas la carte de l’annexe I mais la carte révisée. La différence
importait peu tant que la carte n’était utilisée que comme preuve de la souveraineté sur le temple ;
elle devient pertinente, et même cruciale, dès lo rs que cette carte est appelée à lier les Parties en
tant que base faisant autorité du tracé de la frontière. L’on voit mal comment concilier la demande

du Cambodge et la déclaration de la Cour selon laqu597e ce que la carte indiquait était évident et
avait donc force obligatoire pour la Thaïlande .

D. L OCALISATION SUR LE TERRAIN , PAR GÉORÉFÉRENCEMENT , DE LA LIGNE
DE LA CARTE DE L ’ANNEXE I

6.25. L’équipe de l’unité de recherche a été interrogée sur la manière dont la frontière figurée

sur une carte prés entant tant d’insuffisances et erreurs manifestes pourrait être transposée sur le
terrain. Elle a répondu que la seule approche satisfaisante serait de chercher à saisir ce que les
cartographes avaient eu l’intention de représenter, puis d’aller sur le terrain et de matérialiser cette
598
intention . Comme indiqué plus haut, les auteurs de la carte visaient apparemment à tracer une
frontière suivant la ligne de partage des eaux, ce qui serait conforme à l’article I du traité de 1904.
Néanmoins, croyant comprendre que le Cambodge souhaite voir la ligne de la carte de l’annexe I
transposée telle quelle, sans égard pour l’article I ni pour l’intention des cartographes, la Thaïlande

a demandé à l’équipe de l’unité de recherche comment cette ligne pourrait être tracée sur le terrain.

6.26. L’équipe de l’unité de recherche explique que

594
Ibid., p. 4 (figure 2).
595 Affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962,
C.I.J. Recueil 1962, p. 26.

596Ibid., p. 26-27.
597
Qui plus est, la confusio n ontourant la carte de l’anneI semble perdurer. La carte présentée par le
Cambodge sous le titre «carte annexée n1» dans la présente affaire n’est pas la carte de l’aI telle que produite
dans l’affaire initiale, mais la version revisée.
598
Unité de recherche sur les frontières internationales de l’Université de Durham, «Evaluation de la tâche
consistant à transposer sur le terrain la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande représentée sur la carte «de
l’annexe I»», octobre 2011, p. 19, par. 40 ; p. 44, par. 62 (annexe 96). - 129 -

«[l]es méthodes mathématiques permettant de traduire la frontière sur le terrain seront

toujours affectées par la pièt599qualité de la carte de l’annexe I et les nombreuses
erreurs qu’elle comporte» .

600
Cependant, s’il fallait utiliser une approche mathématique, «la méthode … qui s’impose[rait]»
serait celle du géoréférencement. Il s’agirait d’

«ajuster la taille, la forme et la position d[e la] carte de manière à ce que les points

remarquables (ou éléments linéaires, tels qu’une frontière) qui s’y trouvent représentés
puissent être comparés directement à des points remarquables équivalents représentés
sur une autre carte réalisée selon une projection et un système de référence
601
différents» .

Pour la carte de l’annexe I, il faudrait procéder comme suit :

i) Sélectionner des points représentés sur la carte de l’annexe I et sur une carte moderne ;

ii) Rapporter, dans un système d’information géographique , le carroyage de la carte de

l’annexe I, au système géodésique de la carte moderne ;

iii) Faire correspondre les points de la carte de l’annexe I aux coordonnées des points tel les
qu’elles sont connues aujourd’hui . 602

L’équipe de l’unité de recherche a appelé l’attention sur deux inconvénients inhérents à ce procédé.
Tout d’abord, le résultat «repose entièrement sur le choix des points communs » aux deux cartes ;

ensuite, «seule la position des points communs retenus est rectifiée» ; dans le cas d’ une frontièr603
les segments reliant ces points peuvent continuer de présenter d’«importantes erreurs» .

6.27. Il apparaît clairement que cette méthode soulève une question cl ef à laquelle aucun
principe de droit ne permet de répondre : quels points communs retenir ? Le choix de ces points,
s’il est arbitraire, a une incidence sur les résultats de cette opération mathématique : tels points

généreront telle ligne, tels autres une ligne très différente. Pour tester les possibilités, l’équipe de
l’unité de recherche a procédé à un certain nombre de simulations, en se basant à chaque fois sur un
choix de points communsdifférents.

6.28. Les frontières ainsi obtenues étaient très différentes. Loin de présenter une série de
petites variations, les lignes ainsi générées présentaient des écarts importants, surtout s’agissant de

la zone qui, selon le Cambodge, est désormais en litige. Les figures 12a, 12b, 12c et 12d de
l’évaluation réalisée par l’unité de recherche illustrent les divers résultats que l’on obtiendrait en
fonction des points qui auraie nt été retenus . Les figures 13a, 13b, 13c et 13d présentent
605
l’ensemble des cas de figure testés par l’équipe de l’unité de recherche .

599Ibid., p. 19, par. 41.

600Ibid., p. 20, par. 42.
601
Ibid.
602Ibid., p. 20, par. 43.

603Ibid., p. 20, par. 44. (Les italiques sont de nous.)
604
Ibid., p. 35-38 (figures 12a, 12b, 12c et 12d).
605Ibid., p. 39-42 (figures 13a, 13b, 13c et 13d). - 130 -

6.29. Il n’existe pas de principes sur lesquels se fonder pour choisir les points communs

devant permettre de localiser sur le terrain, par géoréférencement, la ligne de la carte de l’annexe I.
Aucune règle de droit applicable entre les Parties ne permet de trancher cette question. Il n’existe
pas non plus de principe cartographique ou mathématique applicable. Selon l ’équipe de l’unité de
recherche,

«[p]our atteindre cet objectif, il serait nécessaire de parvenir à un accord avec le

Cambodge au sujet des points communs aux deux cartes qui seraient utilisés. En
conséquence, chaque partie rechercherait probablement les points les plus avantageux
en termes de gain territo rial, et aucun élément scientifique ne permettrait de les
départager. Quels que soient les points choisis , la frontière ne coïnciderait avec la
ligne de partage des eaux qu’en quelques endroits  et dan s certains secteurs,
606
plusieurs kilomètres l’en sépareraient.»

Ainsi qu’il ressort clairement des figures mentionnées plus haut, le choix des points est déterminant
aux fins de l’opération exigée par le Cambodge : selon les points retenus , le tracé de la ligne sera
on ne peut plus différent. Si la ligne de la carte de l’annexe I était utilisée aux fins que recherche le
Cambodge, cette autre question se poserait donc également.

E. C ONCLUSION

6.30. L’évaluation réalisée par l’unité de recherche met en évid ence les sérieuses difficultés
que l’on rencontrerait si l’on devait considérer la carte de l’annexe I et la ligne qu’elle représente
comme faisant autorité aux fins du tracé de la frontière dans la chaîne des Dangrek. En résumé, ces

difficultés sont les suivantes:

i) la ligne de la carte s’écarte considérablement de la ligne de partage des eaux ;

ii) il n’existe pas de méthode précise pour raccorder cette ligne à celle qui entre dans le secteur par
l’ouest ;

iii) les erreurs de positionnement, qui sont légion, ne peuvent être corrigées par un procédé simple,
car leur importance relative et leur ampleur varient d’une partie de la carte à une autre ;

iv) la carte comporte de graves erreurs topographiques, notamment dans la représentation des cours
d’eau ;

v) le degré d’imprécision lié aux problèmes d’échelle demeurerait, même en l’absence d’erreurs;

vi) il existe des versions ultérieures de la carte de l’annexe I, qui présente elle -même, en raison
d’une erreur de repérage lors de l’impression, un important décalage des courbes de niveau ;

vii)la transformation mathématique de la ligne de la carte de l’annexe I dépend du choix des points
communs, choix qu’aucun principe ne régit ; or la frontière sera très différente selon les points

retenus.

Pris individuellement, les problèmes mis en évidence par l’équipe de l’unité de recherche s ont tous
extrêmement graves. Pris ensemble, ils rendent la tâche proposée impossible.

6.31. Dans sa demande en interprétation , le Cambodge donne sans cesse à entendre que

l’interprétation qu’il sollicite éliminerait certainessources de friction entre les Parties. Prenant note

606Ibid., p. 44, par. 63. - 131 -

des initiatives du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et d’autres, i l affirme
ainsi :

«Il est incontestable que l’ensemble de ces mobilisations pour préserver la paix
et la sécurité internationales … illustre la gravité d’une situation à laquelle la Cour
internationale de Justice pourrait mettre fin par son interprétation de l’arrêt du
607
15 juin 1962.»

Le Cambodge soutient ainsi que la Cour, en adoptant aujourd’hui la ligne de la carte de l’annexe I,

«mettr[ait] fin» aux difficultés entre les Parties ; au contraire, si la prétendue divergence
d’interprétation n’est pas réglée, «un différend … peut se prolonger et menacer sérieusement à tout
moment la paix et la sécurité internationales 60». Il prétend encore que l’interprétation qu’il
requiert est la «seule» façon pour la Cour de «fournir des moyens pour garantir la sécurité et la paix
609
dans [la] région d’une manière durable ». Il ne serait donc pas seulement utile de consacrer la
ligne de la carte de l’annexe I en tant que tracé définitif de la frontière, mais ce serait aussi, selon le
Cambodge, une mesure indispensable, sans laquelle « la sécurité et la paix dans la région» ne
pourraient prospérer. Or, comme nous l’avons vu plus haut, la carte de l’annexe I, émaillée qu’elle

est d’ambiguïtés et d’erreurs, est le résultat d’un exercice de cartographie qui a été réalisé sans
l’aide de la technologie moderne et qui, du reste, laissait à désirer même au regard des critères
moins exigeants de l’époque. Loin de «dissip[er] … toute incertitude dans leurs relations
610
juridiques», l’une des «conditions essentielles de la fonction judiciaire» , imposer la ligne de la
carte de l’annexe I au détriment du processus de levé et de démarcation modernes convenu par les
Parties soulèverait des questions nouvelles et concrètement insolubles.

607
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), requête introductive d’instance, 28 avril 2011, par. 35.
608Ibid., par. 43.

609Ibid., par. 44.
610
Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume–Uni), exceptions préliminaires, arrêt du 2 décembre 1963,
C.I.J. Recueil 1963, p. 34. - 132 -

C HAPITRE VII

O BSERVATIONS FINALES

7.1. Dans les présentes observations écrites, la Thaïlande a démontré les points suivants.

Premièrement, elle s’est conformée à l’arrêt de 1962 et il n’existe, à cet égard, aucune
contestation entre les Parties. En alléguant aujourd’hui à son encontre l’inobservation des

prescriptions de la Cour, le Cambodge remet en question le statu quo qui a prévalu entre celles-ci
depuis 1962. Il tente ainsi de faire apparaître , quant à la portée et au sens du deuxième point du
dispositif de l’arrêt de 1962, une divergence qui n’existe que dans son imagination , et ce, afin de
dissimuler l’ob jectif qui est réellement le sien : obtenir de la Cour qu’elle se prononce sur le
nouveau différend qui l’oppose à la Thaïlande au sujet de leur frontière commune. Or l’actuel
différend frontalier est absolument distinct et indépendant du différend initia l qui a fait l’objet de

l’arrêt de 1962, lequel portait sur la souveraineté sur le temple ; ce nouveau différend est né dans
les années 2007-2008, à la suite de démarches entreprises par le Cambodge pour faire inscrire le
temple au patrimoine mondial de l’ humanité, et de la nécessité, aux fins de parachever cette
inscription, d’affecter une portion du territoire thaïlandais à l’établissement d’une zone tampon.

7.2. Deuxièmement, au stade des exceptions préliminaires de la procédure initiale, l’objet du

différend  tel que défini dans la requête du Cambodge, dans les écritures et les plaidoiries des
Parties et dans l’arrêt du 26 mai 1961  était incontestablement circonscrit à la question de la
souveraineté territoriale sur le temple et son enceinte, et excl uait toute détermination de la frontière
entre les Parties.

7.3. Troisièmement, il ressort de même des écritures et des plaidoiries présentées dans la
suite de cette procédure par les Parties, ainsi que du petitum tel que défini dans celles de leurs
conclusions qui étaient recevables, que, au stade du fond, l’objet du différend initial était limité à la
question de la souveraineté sur le temple et ses environs immédiats, et excluait toute détermination
de la frontière entre les Parties. La carte de l’ann exe I était invoquée à titre de preuve aux fins
d’établir la souveraineté sur le temple et non dans le dessein d’obtenir une décision distincte sur la
frontière.

7.4. Quatrièmement, la Cour, dans son arrêt de 1962, a circonscrit le différend dont elle était
saisie à la souveraineté sur le temple et ses alentours immédiats et a explicitement rejeté la tentative
de la dernière heure faite par le Cambodge pour élargir c e différend afin d’obtenir une décision sur
le statut de la carte de l’annexe I et la frontière entre les Parties. Les trois points du dispositif  les

seuls ayant été tranchés avec force de chose jugée  ne portaient pas sur la détermination de la
frontière entre les Parties et étaient limités par le petitumet par la phraséologie employé e par la
Cour. Ainsi, les termes «temple» (premier point), «dans le temple ou dans ses environs situés en
territoire cambodgien» (deuxième point), et «zone du temple» (troisième point) furent utilisés dans
le dispositif de l’arrêt pour désigner une zone bien limitée, circonscrite à ce qui avait été appelé le
«temple de Préah Vihéar (Phra Viharn) et ses environs» ou «les ruines du temple de Préah Vihéar».

7.5. Cinquièmement, la Cour n’est pas compétente pour connaître de la requête en
interprétation présentée p ar le Cambodge, dans la mesure où aucune contestation n’oppose les
Parties quant au sens ou à la portée de l’arrêt de 1962. La requête du Cambodge est par ailleurs
irrecevable car, sous le couvert d’une demande en interprétation présentée au titre de l’ar ticle 60,
elle vise en réalité, au mépris du principe de la chose jugée, à obtenir une décision sur un point qui

ne relève pas du champ du différend initial, et n’a donc pas été tranché de manière contraignante - 133 -

dans l’arrêt de 1962. Elle l’est aussi en ta nt qu’elle procède d’une tentative, de la part du
Cambodge, de réintroduire une demande déjà déclarée irrecevable dans l’arrêt de 1962.

7.6. Sixièmement, à titre subsidiaire, dans l’éventualité où la Cour se déclarerait compétente
et jugerait recevable la requête du Cambodge, celui -ci méconnaît le sens et la portée de l’arrêt
de 1962, et ce, à plusieurs égards.

Tout d’abord, il affirme à tort que la Cour a dit que la frontière entre les Parties devait être
tracée sur la base de la ligne de la carte de l’ annexe I. Cette affirmation revient à méconnaître le

refus explicitement formulé par la Cour en 1962 de se prononcer sur ce point. Elle implique
également de demander aujourd’hui à celle- ci de considérer comme chose jugée des points qu’elle
aurait dû tra ncher s’il y avait eu lieu d’intégrer la carte de l’annexe I à l’arrêt de 1962 pour les
besoins de la délimitation, mais dont, précisément, cet arrêt ne traite pas du tout. Ainsi, la Cour ne
s’est pas prononcée sur la question de la conformité de la ligne de la carte de l’annexe I à la ligne
de partage des eaux, n’a pas dit, contrairement à ce que prétend aujourd’hui le Cambodge, que la
frontière ne suivait pas cette dernière, et ne s’est pas davantage arrêtée sur les divergences entre les

Parties quant à la possibilité concrète de transposer sur le terrain la ligne de la carte de l’annexe I.
C’est également à tort que le Cambodge considère que la question de la souveraineté sur le temple
exigeait de définir l’emplacement exact de la frontière : il se gard e de préciser que la Cour,
en 1962, était appelée à déterminer non pas le tracé de celle-ci, mais la souveraineté sur le temple,
et échoue dans sa tentative de faire passer la localisation précise de la frontière pour un élément
essentiel de l’arrêt de 1962, et la carte de l’annexe I pour un élément inséparable du dispositif. Il
défend sa position en faisant abstraction de la pratique ultérieure des Parties et de la perception des

Etats tiers, qui confirment que la Cour n’a pas déterminé l’emplacement précis de la frontière, et en
cherchant, mais sans y parvenir, à faire reconnaître à la carte de l’annexe I une finalité que la Cour
ne lui a pas attribuée en 1962.

7.7. Sa méconnaissance du sens et de la portée de l’arrêt de 1962 procède également d’une
méprise entre, d’une part, l’obligation générale et continue qu’ont les Etats de respecter l ’intégrité
de leurs territoires respectifs, et, d’autre part, la mesure spécifique ordonnée par la Cour au

deuxième point du dispositif de l’arrêt de 1962. Dans son ar rêt, la Cour n’a tranché aucune autre
question que celle de la souveraineté sur le temple et des conséquences juridiques de celle- ci. Le
deuxième point du dispositif, découlant du premier, était l’application, à un endroit et un moment
donnés, de l’obliga tion faite à chaque Etat, en vertu du droit international général, de respecter
l’intégrité territoriale des autres Etats. Il n’avait pas vocation à s’appliquer ou à bénéficier de la
garantie offerte par l’article 60 du Statut de manière perpétuelle. Il s’agit là d’une méprise entre,
d’une part, une obligation primaire découlant du droit international général et, d’autre part, les

conséquences du fait illicite telles qu’énoncées dans l’arrêt de 1962  ce qui entraîne une autre
confusion entre l’étendue ré elle des pouvoirs d’interprétation de la Cour et la question de sa
compétence pour connaître de nouvelles allégations de violation.

7.8. Enfin, l’allégation selon laquelle la Thaïlande n’a pas opéré le retrait prescrit par l’arrêt
de 1962 est infondée. L e Cambodge prétend que la zone dont s’est retirée la Thaïlande aurait dû
être plus étendue, sans toutefois la définir de façon précise. Celle qu’il mentionne dans sa requête

du 28 avril 2011 n’est visée nulle part dans l’arrêt de 1962 et ne peut être défi nie, d’après ce qu’il
en dit lui-même, que par référence au récent différend frontalier qui s’est fait jour en 2007-2008.
La zone en question pourrait certes faire l’objet d’un nouveau différend sur le fondement d’une
prétendue violation de l’intégrité te rritoriale, mais ne saurait en aucun cas faire l’objet d’une
demande en interprétation de l’arrêt de 1962. En tout état de cause, étant donné que le Cambodge a
maintes fois reconnu, depuis 1962, que la Thaïlande s’était dûment conformée à l’obligation de
retrait que lui imposait l’arrêt, sa position aujourd’hui va à l’encontre de celle qu’il a défendue sous - 134 -

différentes formes pendant plus de quarante ans, à savoir que la Cour n’a pas tranché la question de

la souveraineté au-delà de la zone dont s’est retirée la Thaïlande en1962 en exécution de l’arrêt.

7.9. Septièmement, c’est au Cambodge qu’il incombe de prouver que la ligne de la carte de
l’annexe I peut être utilisée pour déterminer le tracé de la frontière entre les Parties  or il n’a pas
réussi à le faire. Une expertise indépendante décèle au contraire dans cette carte des insuffisances
et des erreurs, dont un décalage lié à une erreur de repérage, rendant impossible toute transposition

sur le terrain, par géoréférencement, de la ligne frontière, sauf à s’entendre sur un certain nombre
de points de référence communs, choisis arbitrairement, à la carte de l’annexe I et à une carte
récente retenue à cet effet, méthodologie qui engendrera elle -même d’importantes erreurs et
incertitudes sur les segments reliant ces points. De plus, la carte de l’annexe I déposée dans le
cadre de la procédure initiale n’était pas la version révisée, largement distribuée, qui avait été
transmise au Siam en 1908. Si les deux versions font figurer le temple du côté cambodg ien de la

ligne frontière, elles présentent néanmoins à d’importants égards des différences qui deviendraient
pertinentes, voire déterminantes, si la Cour devait reconnaître la carte de l’annexe I comme un
instrument ayant force obligatoire aux fins de la détermination de la frontière. E n raison d’un
décalage résultant d’une erreur de repérage, la carte de l’annexe I représente en particulier
l’ensemble des éléments dans un rapport à la topographie différent de celui qui ressort de la carte
revisée : l’emp lacement de la ligne frontière, notamment, varie ainsi d’une carte à l’autre. Il
s’ensuit que toute décision consacrant la carte de l’annexe I comme faisant autorité aux fins du

tracé de la ligne frontière donnerait lieu à de nouveaux litiges entre les Pa rties, au lieu de régler
celui qui les divise aujourd’hui.

C ONCLUSIONS

Pour l’ensemble des raisons exposées ci-dessus et tout en se réservant le droit de modifier ou

de compléter les présentes conclusions :

Le Royaume de Thaïlande prie la Cour de dire et juger :

 que la demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de
Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) présentée par le Royaume du Cambodge en vertu de
l’article 60 du Statut de la Cour ne satisfait pas aux conditions énoncées audit article et que la

Cour n’est, par conséquent, pas compétente pour en connaître, ou que cette demande est
irrecevable ;

 à titre subsidiaire, que la demande en interprétation de l’arrêt de 1962 est sans fondement et
qu’il n’existe aucune raison justifiant de procéder à une telle interprétation ;

 à titre très subsidiaire, que l’arrêt de 1962 n’a pas établi que la ligne de la carte de l’annexe I
constituait la ligne frontière entre le Royaume de Thaïlande et le Royaume du Cambodge.

La Haye, le 21 novembre 2554 (ère bouddhique) (2011).

L’agent du Royaume de Thaïlande devant
la Cour internationale de Justice,

(Signé) M. Virachai P LASAI , - 135 -

Certification

Je certifie par la présente que les documents annexés aux présentes observations écrites sont
des copies conformes des documents originaux et que les traductions qu’en a fournies le Royaume
de Thaïlande sont fidèles.

La Haye, le 21 novembre 2554 (ère bouddhique) (2011).

L’agent du Royaume de Thaïlande devant
la Cour internationale de Justice,

(Signé) M. Virachai P LASAI ,

___________ - 136 -

L ISTE DES ANNEXES

Annexe 1 Photographies de la visite du prince Damrong au temple de Phra Viharn (1930),
déposées sous l’annexe VIIIbis de la requête introductive d’instance de 1959 du
Cambodge.

Annexe 2 Note de l’ambassade de France à Bangkok en date du 3 juillet 1950, déposées sous
l’annexe XVII de la requête introductive d’instance de 1959 du Cambodge

Annexe 3 Mission permanente du Cambodge auprès de l’Organisation des Nations Unies,
Note sur la question de Préah Vihéar, vers 1958

Annexe 4 Lettre du 29 novembre 1958 adressée au Secrétaire général par le représentant
permanent du Cambodge, Nations Unies, doc. S/4121 du 2 décembre 1958

Annexe 5 Lettre du 31 octobre 1960 adressée au secrétaire d’Etat américain par
M. Dean Acheson

Annexe 6 Article de presse du 18 juin 1962 intitulé «Populace rejoices over border decision»
[«Liesse populaire à l’annonce de la décision sur la frontière»]

Annexe 7 Le Monde , article du 19 juin 1962 intitulé «La Thaïlande ne paraît pas pr ête à
accepter la décision de la Cour internationale»

o
Annexe 8 Télégramme n 4053 du 19 juin 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par la
mission permanente des Etats-Unis auprès de l’Organisation des Nations Unies

Annexe 9 Le Monde, article du 20 juin 1962 intitulé «La Thaïlande récuse la décision de la
Cour internationale»

o
Annexe 10 Lettre n A-425 en date du 23 juin 1963 envoyée par valise diplomatique au
secrétaire d’Etat américain par l’ambassade des Etats- Unis à Bangkok, portant
transmission du «[t]exte intégral de l’article paru le 21 juin 1962 dans le
Bangkok Post concernant la déclaration du premier ministre M. Sarit selon laquelle
la Thaïlande se conformerait à la décision de la Cour internationale de Justice en

l’affaire du temple de Phra Wiharn»

Annexe 11 Cabinet du premier ministre thaïlandais, communiqué du gouvernement du
3 juillet 1962

Annexe 12 Allocution publique faite le 4 juillet 1962 par le premier ministre de la Thaïlande

sur l’affaire du temple de Phra Viharn
o
Annexe 13 Télégramme n 24 du 5 juillet 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par
l’ambassade des Etats-Unis à Bangkok

Annexe 14 Note n (0601)22239/2505 du 6 juillet 1962 adressée au Secrétaire général de

l’Organisation des Nations Unies par le ministre des affai res étrangères du
Royaume de Thaïlande

Annexe 15 Télégramme n 43 du 6 juillet 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par
l’ambassade des Etats-Unis à Bangkok - 137 -

o
Annexe 16 Lettre n A-32 en date du 12 juillet 1962 envoyée par valise diplomatique au
département d’Etat par l’ambassade des Etats- Unis à Phnom Penh, «Preah Vihear :
Cambodian Reaction to Thai Announcement of Compliance with ICJ Ruling»
[Préah Vihéar: réaction du Cambodge à l’annonce par la Thaïlande de son intention

de se conformer à la décision de la Cour internationale de Justice]

Annexe 17 Chao Thai Newspaper , article du 13 juillet 1962 intitulé «Flag Lowering
Ceremony : United Nations and Cambodia informed» [«Cérémonie du baisser de
drapeau : l’Organisation des Nations Unies et le Cambodge informés»]

Annexe 18 Intentionnellement omise

Annexe 19 Télégramme n 103 du 16 juillet 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par
l’ambassade des Etats-Unis à Bangkok

o
Annexe 20 Lettre n A-37 en date du 16 juillet 1962 envoyée par valise diplo matique au
département d’Etat par l’ambassade des Etats- Unis à Phnom Penh, «Realités
discusses Problems of Preah Vihear Turnover» [La revue Réalités examine les
problèmes liés à la cession de Préah Vihéar]

Annexe 21 Thai Rai Wan Newspaper , article du 17 juillet 1962 intitulé «Terrible weather as
Thailand loses territory to thief at the last minute» [Temps exécrable alors que la
Thaïlande se fait voler une partie de son territoire à la dernière minute]

Annexe 22 New York Times , 17 juillet 1962, «Thailand y ields sovereignty over Temple to
Cambodia» [La Thaïlande cède au Cambodge la souveraineté sur le temple]

Annexe 23 Télégramme n 68 du 2 août 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par
l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Phnom Penh

o
Annexe 24 Télégramme n 236 du 13 août 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par
l’ambassade des Etats-Unis à Bangkok

Annexe 25 Télégramme n 106 du 14 août 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain par

l’ambassade des Etats-Unis à Phnom Penh
o
Annexe 26 Lettre n A-88 en date du 16 août 1962 envoyée par valise diplomatique au
département d’Etat par l’ambassade des Etats- Unis à Phnom Penh, «Sihanouk
charges Thai Aggression in Statement to Press» [Sihanouk accuse la Thaïlande

d’agression dans une déclaration à la presse]

Annexe 27 Télégramme n 773/777 du 25 août 1962 de l’ambassade de France à Phnom Penh

Annexe 28 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, dix -septième session,
e
1134 séance plénière, p. 177-191 de la version française
o
Annexe 29 Note n 479-AS du 27 septembre 1962 adressée au ministre des affaires étrangères
par l’ambassadeur de France en Thaïlande

Annexe 30 Organisation des Nations Unies, bureau de l’information, communiqué de presse du
9 octobre 1962 intitulé «U. Thant désign e son représentant personnel aux fins
d’examiner les problèmes opposant le Cambodge et la Thaïlande», Nations Unies,
doc. SG/1339

Annexe 31 Conférence de presse donnée par le chef de l’Etat cambodgien le 5 novembre 1962 - 138 -

o
Annexe 31bis Télégramme n 438 du 11 novembre 1962 adressé au secrétaire d’Etat américain
par l’ambassade des Etats-Unis à Phnom Penh

Annexe 32 Mission en Thaïlande et au Cambodge, premier rapport du représentant personnel
du Secrétaire général, Nations Unies, doc. PL/111, rapport confide ntiel n 1 en date
du 25 novembre 1962

Annexe 33 Note n 636/AS du 29 novembre 1962 adressée au ministre des affaires étrangères

par l’ambassadeur de France en Thaïlande

Annexe 34 Ministère des affaires étrangères du Royaume du Cambodge, aide -mémoire sur les
relations khméro-thaïlandaises, vers novembre 1962

Annexe 35 Lettre en date du 18 décembre 1962 adressée par le Secrétaire général au président
du Conseil de sécurité, Nations Unies, doc. S/5220

Annexe 36 Ministère des affaires étrangères du Royaume de Thaïlande, Foreign Affairs
o
Bulletin, vol. I, n 6, juin-juillet 1962, p. 128-130
o
Annexe 37 Ministère de l’information du Cambodge, Cambodge d’aujourd’hui , n 45,
juin-juillet 1962

Annexe 38 Mosistère de l’information du Cambodge, Cambodge d’aujourd’h ui,
n 48-49-50-51, septembre-décembre 1962

Annexe 39 Photographies de la clôture de barbelés dressée pour satisfaire aux prescriptions de
l’arrêt de 1962 (clichés pris en 1962-1963)

Annexe 40 Photographies du panneau mis en place pour satisfaire aux pr escriptions de l’arrêt
de 1962 (clichés pris en 1962-1963)

Annexe 41 Télégramme n 3 du 2 janvier 1963 de l’ambassade de France à Phnom Penh

o
Annexe 42 Télégramme n 5 du 2 janvier 1963 de l’ambassade de France à Phnom Penh

Annexe 43 Lettre n 520 en dat e du 2 janvier 1963 envoyée par valise diplomatique au
département d’Etat par l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Phnom Penh

o
Annexe 44 Télégramme n 14.15 du 5 janvier 1963 de l’ambassade de France à Phom Penh

Annexe 45 Bangkok Post, 5 janvier 1963, «Cambodians, Europeans Get Up To

Khao Phra Viharn» [Un cortège de Cambodgiens et d’Européens se rend à
Khao Phra Viharn]

Annexe 46 Bangkok World, 6 janvier 1963, «Sihanouk Arrives — Calm Prevails at
Phra Viharn» [Arrivée de Sihanouk : Le calme se maintient à Phra Viharn]

Annexe 47 Bangkok Post, 7 janvier1963, «Sihanouk Leaves Guard at the Temple ; ‘Thai Visit’
Offer» [Sihanouk laisse ses gardes au temple et en permet l’accès aux Thaïlandais]

Annexe 48 Télégramme n 528 du 7 janvier 1963 adressé au Secré taire d’Etat des Etats -Unis

par l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Phnom Penh - 139 -

Annexe 49 New York Times, 8 janvier 1963, «Peaceful Overture Held in Cambodia at Disputed

Shrine» [Ouverture, dans une ambiance apaisée, d’un sanctuaire situé en territoire
litigieux]

Annexe 50 Note du 9 janvier 1963 adressée à M. Gussing par M. F. G. Engers, et deuxième
rapport du représentant personnel du Secrétaire général en date du 2 janvier 1963

o
Annexe 51 Lettre n A-325 en date du 10 janvier1963 envoyée par valise diplomatique au
département d’Etat, «Cambodian Official Reoccupation of Preah Vihear» [Reprise
de possession officielle de Préah Vihéar par le Cambodge]

Annexe 52 New York Times, 10 janvier 1963, «Take over Disputed Temple» [Reprise de
possession du temple litigieux]

Annexe 53 «Mission en Thaïlande et au Cambodge», troisième rapport du représentant
personnel du Secrétaire général, 18 janvier 1963

Annexe 54 Thai Rai Wan Newspaper, 19 janvier1963, «Sihanouk told Hong Kong newspaper
that he has come to good terms with Thai people» [Sihanouk annonce à la presse de
Hong Kong un rapprochement avec le peuple thaïlandais]

Annexe 55 La Vérité, 5 juin 1963, «Interview du Prince Sihanouk par un journaliste indien»

Annexe 56 Bulletin de l’agence khmère de presse, 11 juillet 1963, «Interview du
Prince Norodom Sihanouk, chef de l’Etat du Cambodge», accordée à
Far Eastern Economic Review

Annexe 57 N. Gussing, note adressée au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, «Mission en Thaïlande et au Cambodge», 14 septembre 1963

Annexe 58 J. F. Engers, aide -mémoire du 19 septembre1963 concernant les cinq points
proposés par le Secrétaire général le 3 septembre 1963

Annexe 59 Lettre en date du 9 novembre 1964 adressée au président du Conseil de sécurité par
le Secrétaire général, NationsUnies, doc. S/6040 du 9 novembre 1964

Annexe 60 Réalités cambodgiennes, 18 décembre 1964, «Les ruades de Thanat Khoman»

Annexe 61 Câble n oCAM 228 du 24 décembre 1964 adressé à M. DavidOwen par
M. Gauthereau

o
Annexe 62 Notes n s 1442 et 1449 du 11 avril 1966 adressées au Secrétariat général des
Nations Unies par le représentant permanent du Cambodge auprès de
l’Organisation des Nations Unies (originaux en français)

Annexe 63 Note n o335/2509 du 22 avril 1966 adressée au Se crétaire général par le

représentant permanent en exercice de la Thaïlande auprès de l’Organisation des
Nations Unies

Annexe 64 Intentionnellement omise

Annexe 65 Lettre en date du 23 avril 1966 adressée au président du Conseil de Sécurité par le
ministre des affaires étrangères du Cambodge, Nations Unies, doc. S/7279 du

3 mai 1966 - 140 -

Annexe 66 Note no 954 du 5 mai 1966 adressée au Foreign Office par la mission du

Royaume-Uni auprès de l’Organisation des Nations Unies

Annexe 67 Lettre en date du 23 avril 1966 adressée au président du Conseil de Sécurité par le
ministre des affaires étrangères du Cambodge, Nations Unies, doc. S/7279/Corr.1
du 5 mai 1966

Annexe 68 Télégramme du 9 mai 1966 adressé au Foreign Office par l’ambassade de
Grande-Bretagne à Phnom Penh

Annexe 69 Télégramme du 14 juillet 1966 adressé au Foreign Office par la mission du
Royaume-Uni auprès de l’Organisation des Nations Unies

Annexe 70 Lettre en date du 16 août 1966, adressée au président du Conseil de sécurité par le

Secrétaire général, Nations Unies, doc. S/7462 du 16 août 1966

Annexe 71 Note en date du 6 septembre 1966 faisant suite à un entretien entre le ministre des
affaires étrangères du Royaume de Thaïlande et M. de Ribbing, représentant spécial
du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies ; annexe 10 du «Report
by the Special Representative on his First Visit to Cambodia and Thailand and First
Contact with their High Authorities» [Rapport du représentant spécial à l’issue de

sa première visite au Cambodge et en Thaïlande et de ses premiers contacts avec les
autorités supérieures], 13 septembre1966

Annexe 72 Herbert de Ribbing, note au Secrétaire général, «Report by the Special
Representative on his First Visit to Cambodia and Thailand and First Contact with
their High Authorities» [Rapport du représentant spécial à l’issue de sa première

visite au Cambodge et en Thaïlande et de ses premiers contacts avec les autorités
supérieures], 13 septembre 1966

Annexe 73 Télégramme no 686/688 du 2 novembre 1966 de l’ambassade de France à Bangkok

Annexe 74 Nations Unies, Annuaire des Nations Unies, 1966, p. 162-163, disponible à
l’adresse http://unyearbook.un.org/unyearbook.html?name=1966index.html S/7662

Annexe 75 Chao Thai Newspaper , 24 juillet 1967, «Should seek future be nefit. Quarrel is
detrimental to both sides» [La recherche d’une solution s’impose : la dispute est
nuisible aux deux parties]

Annexe 76 Télégramme n 382/84 du 27 juillet 1967 de l’ambassade de France à Bangkok

Annexe 77 Télégramme n 400/402 du 4 août 1967 de l’ambassade de France à Bangkok

Annexe 78 Télégramme du 16 octobre 1967 adressé par M. Herbert de Ribbing au Secrétaire
général

Annexe 79 Ministère des affaires étrangères du Royaume de Thaïlande, déclaration commune
entre la Thaïlande et le Camb odge, 13 mai 1970, Foreign Affairs Bulletin 1970
vol. IX, no 1-6 (août 1966-juillet 1970), p. 436-437

Annexe 80 Chao Thai Newspaper, 14 mai 1970, «Ambassadors will be exchanged soon.
Cambodia is attacked and its domestic affairs interfered» [Echange immin ent de
personnel diplomatique : le Cambodge victime d’agression et d’ingérence] - 141 -

Annexe 81 Daily News, 14 mai 1970, «Thailand and Cambodia issued a joint communiqué to

resume diplomatic ties in 2 weeks» [Déclaration commune de la Thaïlande et le
Cambodge c oncernant la reprise des relations diplomatiques dans un délai de
deux semaines]

Annexe 82 Daily News, 12 juillet 1970, «... but sends border police to Phra Viharn» [... mais
envoi de la police des frontières à Phra Viharn]

Annexe 83 Daily News, 24 mars 1971, «Revealing conditions of Khmer Soldiers on
Khao Phra Viharn ‘Cut off’: Thai side has to assist» [La situation des soldats
khmers sur la ligne de démarcation de Khao Phra Viharn  coupés de tout : le
camp thaïlandais doit prêter main-forte]

Annexe 84 Chao Thai Newspaper, 27 octobre 1971, «Thai and Khmer joined forces» [Les
Thaïlandais et les Khmers font cause commune]

Annexe 85 Daily News, 30 octobre1971, «The Day Viet -Cong attacks» [Le jour de l’attaque
du Vietcong]

Annexe 86 Daily News, 3 novembre 1971, «Khao Phra Viharn Front is Not Serious» [Situation
de faible gravité sur le front Khao Phra Viharn]

Annexe 87 Compte rendu de la réunion entre les Parties thaïlandaise et cambodgienne sur
l’ouverture du site Khao Phra Viharn au tourisme, 7 novembre 1991

Annexe 88 Photographie du portail en fer au niveau du Tani vers 1992

Annexe 89 Procès-verbal approuvé de la première réunion de la commission conjointe
thaïlandaise-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre,

30 juin-2 juillet 1999

Annexe 90 Procès-verbal approuvé de la deuxième réunion de la commission conjointe
thaïlandaise-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre,
5-7 juin 2000

Annexe 91 Mémorandum d’accord entre le Gouvernement du Royaume de Thaïlande et le

Gouvernement du Royaume du Cambodge sur le levé et la démarcation de la
frontière terrestre, 14 juin 2000

Annexe 92 Procès-verbal de la réunion tenue le 22 février2001 entre la délégation du
gouverneur de la province de Si Sa Ket et celle du gouverneur adj oint de la
province de Phra Viharn

Annexe 93 Note n 0803/1015 du 25 novembre2004 adressée au conseiller du Gouvernement

royal du Cambodge chargé des frontières de l’Etat et co-président de la commission
conjointe thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre par le
conseiller du ministre des affaires étrangères et co -président de la commission
conjointe thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre

Annexe 94 Note n 0803/192 du 8 mars 2005 adressée au conseiller du Gouvernement royal du

Cambodge chargé des frontières de l’Etat et co -président de la commission
conjointe thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre par le
conseiller du ministre des affaires étrangères et co -président de la commission
conjointe thaïlando-cambodgienne sur la démarcation de la frontière terrestre - 142 -

Annexe 95 Commission nationale cambodgienne pour l’UNESCO, A Challenge to Thailand’s

denunciation, of UNESCO and the World Heritage Committee, 2009, p. 1-23

Annexe 96 Unité de recherche sur les frontières internationales de l’Université de Durham,
«Evaluation de la tâche consistant à transposer sur le terrain la frontière entre le
Cambodge et la Thaïlande représentée sur la carte «de l’annexe I»», octobre 2011
(appendices 1 à 6 non reproduits)

Annexe 97 Déclaration sous serment du général de corps d’armée Surapon Rueksumran,
9 novembre 2011

Annexe 98 Croquis établi par le service géographique royal thaïlandais le 17novembre 2011,
indiquant l’emplacement du drapeau français en 1930

Annexe 99 Plan des installations touristiques convenues en 1991, établi par le service

géographique royal thaïlandais le 17 novembre 2011

Annexe 100 Département des traités et des affaires juridiquesHistorique des négociations en
vue de l’inscription du temple sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco,
novembre 2011

Annexe 101 Carte annexée au rapport de MM. Doeringsfeld, Amuedo et Ivey (annexe I),
déposée en tant qu’annexe LXVIc de la réplique de la Thaïlande (agrandissement

inséré à la fin du présent volume).

Annexe 102 Carte sur laquelle sont indiquées les bandes de territoire cambodgien qui
reviendraient à la Thaïlande si la carte de l’annexe I, déposée en tant
qu’annexe 76bis de la duplique de la Thaïlande, était retenue (agrandissement
inséré à la fin du présent volume).

Annexe 103 Oxford English Dictionary , version en ligne, septembre 2011, disponible à
http://www.oed.com.faraway.u-paris10.fr/view/Entry/223177; site consulté le
15 novembre 2011

Annexe 104 Merriam-Webster, M erriam-Webster’s Collegiate Dictionary , 11 édition, 2003,
p. 1393

Annexe 105 Croquis du plan transversal et photographie aérienne du temple de Phra Viharn

Annexe 106 Liste des membres du Gouvernement cambodgien en 1962-1964

Annexe 107 Carte des Dangrek établie à l’échelle de 1/200 000 par le département des traités et
des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères du Royaume de
Thaïlande (agrandissement inséré à la fin du présent volume)

___________

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Observations écrites de la Thaïlande

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