Exposé écrit du Luxembourg

Document Number
15634
Document Type
Date of the Document
Document File
Document

du
~zd- 9~ t:/~~

= .95ay,1-~ao

152/2009/420.11/AZ

L'Ambassade du Grand-Duché de Luxembourg présente ses compliments au Greffe
de la Cour Internationale de Justice et a l'honneur de lui transmettre en annexe,

conformément à la lettre du Greffier de la C.I.J. en date du 20 octobre 2008, l'exposé
écrit du Grand-Duché de Luxembourg dans le cadre de la requête pour avis
consultatif «conformité au droit international de la déclaration unilatérale

d'indépendance des institutions provisoires d'administration autonome du
Kosovo».

L'Ambassade du Grand-Duché de Luxembourg saisit cette occasion pour renouveler
au Greffe de la Cour Internationale de Justice les assurances de sa très haute

considération.

La Haye, le 17 avril 2009

M. le Greffier auprès de la
Cour Internationale de Justice

Palais de la Paix
2517KJ La Haye

AmbassaduGrand-DuchédeLuxemb, assau/8,NL-2514)S LaHaye
T.0031 (0)70360 75 16/ 364 75 89
F.0031 (0)70346 20 00, e-mail:/[email protected] GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG
Ministèredes Affairesétrangères

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)

CONFORMITÉ AU DROIT INTERNATIONAL DE LADÉCLARATION

UNILATÉRALE D'INDÉPENDANCE DES INSTITUTIONS PROVISOIRES

D'ADMINISTRATION AUTONOME DU KOSOVO

EXPOSÉ ÉCRIT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG

30 mars 2009 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)

CONFORMITÉ AU DROIT INTERNATIONAL DE LA DÉCLARATION

UNILATÉRALE D'INDÉPENDANCE DES INSTITUTIONS PROVISOIRES
D'ADMINISTRATION AUTONOME DU KOSOVO

EXPOSÉ ÉCRIT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LE CARACTÈRE SUI GENERIS DU CAS KOSOVAR

III. L'ÉTENDUE LIMITÉE DE LA QUESTION SOUMISE À LA COUR

IV. LES ARGUMENTS JURIDIQUES

a) Aucune règle de droit international n'interdit la déclaration d'indépendance
b) La résolution 1244 (1999) du 10n1999 du Conseil de Sécurité n'interdit pas la

déclaration d'indépendance par le peuple du Kosovo

V. CONCLUSION

2I. INTRODUCTION

1. Par sa résolution 63/3 (A/63/L.2) du 8 octobre 2008, l'Assemblée générale des Nations

Unies a prié la Cour de donner un avis consultatif sur la question suivante :

.«La déclaration unilatérale d'indépendance des institutions provisoires d'administration

autonome du Kosovo est-elle conforme au droit international ?».

2. La résolution 63/3 de l'Assemblée générale, dont la Serbie était le seul sponsor, a été

adoptée par 77 votes en faveur, 6 votes contre et 74 abstentions. Un nombre important

d'Etats membres des Nations Unies n'ont pas participé au vote. Quelque 60% des Etats

membres de l'Organisation des Nations Unies ont donc préféré ne pas soutenir la

résolution 63/3.

3. Le Luxembourg s'est abstenu lors du vote sur la résolution 63/3. Le Luxembourg - qui

maintient son soutien le plus ferme à la Cour Internationale de Justice - persiste à croire

que cette résolution n'est pas de nature à contribuer au développement de la stabilité du

Kosovo en particulier et des Balkans occidentaux en général qui font partie d'un

processus actif de rapprochement à l'Union européenne.

4. Dans son ordonnance du 17 octobre 2008, la Cour a jugé que l'Organisation des Nations
Unies et ses États Membres étaient, conformément au paragraphe 2 de l'article 66 de son

Statut, « susceptibles de fournir des renseignements sur la question soumise à la Cour

pour avis consultatif». Elle a fixé au 17 avril 2009 la date d'expiration du délai dans lequel

ils pourraient soumettre à la Cour des exposés écrits sur la question. Les présentes

observations sont présentées en application de cette décision.

Il. LE CARACTÈRE SUI GENERIS DU CASKOSOVAR

5. La combinaison de plusieurs facteurs, propre au cas kosovar, rend ce cas manifestement

unique en son genre. Ainsi, dans l'hypothèse où la Cour estimerait devoir répondre à la

question posée etvu l'absence de cas comparables, cette réponse ne pourra traiter que de

la situation du Kosovo et ne pourra créer en aucun cas un précédent juridique.

36. Les facteurs qui, dans leur combinaison, font du Kosovo un cas manifestement suigeneris

sont les suivants :

- dans le cadre de la dissolution violente de la Yougoslavie, les antécédents du

conflit des années 1990, plus particulièrement ceux de la fin des années 1990, dont

témoignent entre autres de nombreux documents des Nations Unies et d'autres

organisations internationales 1;

- la nature et l'étendue des événements ayant eu lieu en 1998 et 1999c :runes

contre l'humanité, répression massive au Kosovo, nettoyage ethnique massif,

massacres, pillages, nécessité de l'intervention de la communauté internationale

afin de mettre un terme à ces événements ;

- l'implication de la Communauté internationale, sous l'égide de l'Organisation des

Nations Unies, et la longue période d'administration internationale régie par la

résolution 1244 (1999) du Conseil de Sécurité ;

- le processus de détermination du statut, sous l'égide de l'Organisation des

Nations Unies.

7. L'Envoyé spécial du Secrétaire général pour le statut futur du Kosovo, Martti Ahtisaari,

s'est exprimé dans son rapport de mars 2007 comme suit :

«Le Kosovo est un cas inédit qui appelle une solution inédite. Cette solution ne

constitue pas un précédent pour d'autres conflits non réglés. En adoptant à

l'unanimité la résolution 1244 (1999), le Conseil de sécurité répondait aux

interventions de Milosevié au Kosovo en retirant la gouvernance de celui-ci à la

Serbie, en plaçant le Kosovo sous administration temporaire de l'Organisation des

Nations Unies et en instituant un processus politique visant à déterminer son

statut futur. Ensemble, ces facteurs font la singularité du cas du Kosovo.» (§15).

1
Document CSCE/HS/1, 10 juillet 1992; résolutions de l'Assemblée générale: 47/147 du 18 décembre 1992,
48/153 du 20 décembre 1993, 49/196 du 23 décembre 1994, 50/193 du 22 décembre 1995, 51/116 du 12 décembre
1996 et 52/147 du 12 décembre 1997; résolutions du Conseil de Sécurité: 1160 (1998) du 31 mars 1998, 1199
(1998) du 23 septembre 1998 et 1203 (1998) du 24 octobre 1998, ainsi que les rapports du Secrétaire général faisant
suiteà l'adoption de ces résolutions; Rapports de l'OS«Kosovo/Kosova. As Seen, as Told. An analysis of the
human rights findings of the OSCE Kosovo Verification Mission, October 1998 to June 1999 » et « OSCE,
Background Paper - Human Rights in Kosovo, 1999 »;Rapport du Haut Commissaire au Droits de l'Homme sur la

situation des Droits de l'Homme au Kosovo, République Fédérale de Yougoslavie, 27 septembre, UN doc.
E/CN.4/2000/10.

48. La qualification du caractère suigenerisdu cas kosovar ne dépend d'ailleurs pas du point de
vue des Etats soutenant ou rejetant actuellement l'indépendance kosovare. Ainsi, même

s'il reste des Etats membres de l'Union européenne qui n'ont pas reconnu l'indépendance

du Kosovo, l'ensemble des Ministres des Affaires Étrangères des Etats membres de

l'Union européenne a retenu à l'unanimité le caractèresuigenerisdu cas kosovar dans les

conclusions du Conseil du 18 février 2008:

«[Le Conseil] souligne qu'il est convaincu que, eu égard au conflit qui a eu lieu

dans les années 1990 et à la longue période d'administration internationale au titre
de la résolution 1244 du Conseil de sécurité, le Kosovo constitue un cas sui

generis qui ne remet pas en question ces principes et résolutions. »

III. LE CHAMP LIMITÉ DE LA QUESTION SOUMISE À LA COUR

9. La formulation de la question soumise à laCour est le fruit d'une longue préparation et de

consultations menées par le seul sponsor de la résolution 63/3. Toute coïncidence et
imprécision dans sa rédaction peuvent ainsi être exclues. La formulation précise du

préambule de la résolution 63/3 corrobore cette analyse. Il en découle que les auteurs de

la question cherchent une réponse précisément et uniquement àcelle-ci.

1O. Dans ces conditions, la Cour, dans la mesure où elle jugerait nécessaire de répondre à la

question posée, devra se limiter à celle-ci, qu'il convient d'interpréter étroitement, et

s'abstenir de tout élargissement, interprétation ou reformulation de cette dernière.

11. La question soumise à la Cour se réfère uniquement à la déclaration d'indépendance e t
la conformité de celle-ci avec le droit international. Lors de la présentation du projet de

résolution à l'Assemblée générale, le Ministre serbe des Affaires Étrangères a déclaré que:

« La question posée est suffisamment claire et ne prend pas position, d'un point

de vue politique, sur la question du Kosovo.» (Assemblée générale, 8 octobre

2008, A/ 63/PV.22)

La Serbie elle-même a d'ailleurs exclu toute reformulation de la question:

5 «Nous estimons que le projet de résolution, dans sa forme actuelle, ne prête

nullement à controverse. Il représente le plus petit dénominateur commun des

positions des États Membres sur cette question, et il n'est donc pas nécessaire de

le modifier ou d'y ajouter des éléments.

12. La question posée ne touche ainsi pas au statut présent ou futur du Kosovo ou à la

question de la reconnaissance. Dès lors, la réponse que la Cour serait amenée à formuler

ne saurait déterminer le statut présent ou futur du Kosovo ou l'effet de la reconnaissance

de l'indépendance du Kosovo par des Etats tiers.

13. La question posée suggère que la déclaration d'indépendance émane des« institutions

provisoires d'administration autonome du Kosovo». Or le texte de la déclaration

d'indépendance ainsi que les déclarations faitesà l'occasion de son adoption par les

représentants du peuple kosovar montrent que ceux ayant voté et signé la déclaration

l'ont fait non pas en leur capacité d'organe des institutions provisoires d'administration

autonome du Kosovo mais bien en tant que représentants du peuple kosovar, exprimant

la volonté du peuple duKosovo,

14. La question posée qualifie la déclaration d'indépendance «'unilatérale ». Si toute

déclaration d'indépendance comporte par nature un certain degré d'unilatéralisme, cette

référence dans la question posée vise clairement à préjuger la décision de la Cour. Les

déclarations publiques de nombreux représentants d'Etats tiersà l'occasion de la

déclaration d'indépendance et les déclarations de nombreux représentants d'Etats tiers

l'occasion du vote sur la résolution 63/3, de même que le nombre important des

reconnaissances rapides de l'indépendance kosovare témoignent du fait que cette

déclaration d'indépendance avait le soutien de la communauté internationale.

IV. LES ARGUMENTS JURIDIQUES

15. La Cour devra exanuner s'il existe en droit international une règle interdisant la

déclaration d'indépendance. Le Luxembourg soutient qu'il n'en existe aucune.

6IV. a) Aucune règle de droit international n'interdit la déclaration d'indépendance

16. De manière générale, unedéclaration d'indépendance est un événement factueq lui,

uniquement en combinaison avec d'autres événements factuels (dont un territoire défini,

une population permanente et un Gouvernement effectif), peut résulter dans la création

d'un Etat. La Cour a été chargée d'examiner uniquement la compatibilité de la déclaration

d'indépendance avec le droit international. Or il est établi que le droit international ne
régit pas les déclarations d'indépendance. Ces dernières ne peuvent donc pas être

contraires au droit international.

17. Ceci est confirmé par la dissolution de la Yougoslavie, étant donné que les déclarations

d'indépendance des anciennes Républiques fédérées n'ont subi aucune contestation en

droit international par la communauté internationale, ceci même en l'absence d'une

autorisation préalable de la République fédérale socialiste de Yougoslavie.

IV.-b) La résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999 du Conseil de Sécurité n'interdit pas la

déclaration d'indépendance par le peuple du Kosovo

18. La résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999 du Conseil de Sécurité n'interdit pas la

déclaration d'indépendance par le Kosovo et n'exige pas qu'une telle déclaration soit
soumise au consentement préalable ni de l'ancienne République yougoslave ou de la

Serbie, ni du Conseil de Sécurité.

19. Au contraire, la résolution 1244 a autorisé le Secrétaire généra àl installer une présence

civile internationale sous les auspices des Nations Unies. Les fonctions de cette présence

incluaient l'incitation et le développement d'institutions démocratiques d'adrninistratio:ri

autonome du Kosovo. La résolution 1244 a empêché la Serbie d'exercer une quelconque
autorité gouvernementale au Kosovo.

20. La résolution 1244, §11 (a), mentionne pa11.niles «principales responsabilités» de la

présence internationale civile celle de « faciliter, en attendant un règlement définitif,

l'instauration au Kosovo d'une autonomie et d'une auto-administration substantielles,

7 compte pleinement tenu de l'annexe 2 et des Accords de Rambouillet (S/1999/648); ». Il

ressort du langage de cette disposition qu'elle ne s'applique qu'à une période transitoire, et

qu'un «règlement définitif» est attendu.

21. La résolution 1244, §11 (e), a érigé la facilitation d'un « processus politique visant à

déterminer le statut futur du Kosovo, en tenant compte des Accords de Rambouillet » en

une des « principales responsabilités de la présence civile internationale ». Ainsi, la

résolution 1244 a envisagé la possibilité d'une indépendance du Kosov« osur la base de la

volonté du peuple »2.

22. La résolution 1244 souligne donc la nécessité d'un« règlemendtéfinitif» de la question du

statut du Kosovo ainsi que celle du processus politique visant à le déterminer. La

résolution 1244 ne comporte aucune disposition préjugeant de l'issue de ce processus

politique. L'indépendance du Kosovo n'y est ni explicitement souhaitée, ni exclue. Selon

les termes et l'esprit de la résolution 1244, cette indépendance reste donc entièrement

possible.

23. A l'issue de négociations approfondies menées par l'Envoyé Spécial du Secrétaire général

des Nations Unies et incluant tant les autorités serbes que kosovares, l'Envoyé Spécial a

réaffu:mé que le statu quo n'était pas tenable, que la poursuite des négociations était vaine

et que la seule option viable pour le Kosovo était celle de devenir un Etat indépendant.

24. Après que le Secrétaire général eut marqué son plein soutien à la position de son Envoyé

Spécial, et après l'échec d'un dernier effort de la Troïka censé explorer s'il restait une

chance de trouver un accord, le Kosovo s'est déclaré indépendant, respectant ainsi

pleinement le processus lancé par la résolution 1244.

25. A aucun moment, le Représentant Spécial du Secrétaire général au Kosovo n'a qualifié la

déclaration d'indépendance d'illégale.

26. La référence dans le préambule de la résolution 1244 à l'intégrité territoriale et à la

souveraineté de la «République fédérale de Yougoslavie» au sens de l'Acte final

d'Helsinki et de l'annexe 2 de la résolution 1244 n'évoque pas la question d'une éventuelle

2
Accords de Rambouillet, Chapitre 8, Art. I (3).

8 déclaration d'indépendance des représentants du peuple kosovar. L'annexe 2 ne se réfère

d'ailleurs qu'à la périodeadministration provisoire. La référence dans le préambule ne

présente donc aucun lien avec la question du statut final du Kosovo.

V. CONCLUSION

27. Pour les raisons exprimées dans le présent exposé écrit, le Grand-Duché de Luxembourg

prie la Cour, dans le cas où elle estimerait devoir répondre à la demande d'avis consultatif

contenue dans la résolution 63/3 de l'Assemblée générale, d'établirqµe la déclaration

d'indépendance du peuple kosovar en date du 17 février 2008 n'enfreint aucune règle de

droit international.

A Luxembourg, le 30 mars 2009

ges FRlDEN

Agent du Gouvernement du Grand-Duch Luxembourg

9

Document file FR
Document
Document Long Title

Exposé écrit du Luxembourg

Links