Note verbale en date du 16 avril 2009 adressée au greffier par l’ambassade de Finlande
[Traduction]
L’ambassade de Finlande présente ses compliment s au greffier de la Cour internationale de
Justice et a l’honneur, se référant à la lettre du greffier datée du 20octobre2008 relative à la
requête pour avis consultatif sur la question de la conformité au droit international de la déclaration
unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo, de
présenter l’exposé de la Finlande. L’original signé sera communiqué en début de semaine
prochaine.
En raison de contraintes de temps, l’exposé est soumis en anglais uniquement. L’ambassade
regrette de ne pouvoir présenter l’exposé dans les deux langues officielles de la Cour.
L’ambassade de Finlande saisit cette occasi on pour renouveler au greffier de la Cour
internationale de Justice les assurances de sa très haute considération.
___________ E XPOSÉ ÉCRIT DE LA FINLANDE
[Traduction]
1. L’objet de l’avis consultatif demandé à la Cour
1. Le 8octobr2e008, l’Assemblée gé nérale des Nations Unies a adopté la
résolution A/RES/63/3 demandant à la Cour internati onale de Justice, conformément à l’article 65
du Statut de la Cour, de rendre un avis consulta tif sur la question suivante: «La déclaration
unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo
est-elle conforme au droit international ?» Le libellé de la requête appelle deux observations.
2. Premièrement, bien que la requête traite de la légitimité, en droit international, de mesures
prises par l’Assemblée du Kosovo, l’Assemblée générale doit s’attacher à déterminer les
conséquences juridiques de la déclaration d’indépendance. On ne peut rien dire du caractère de la
déclaration en droit international sans répondre, en même temps, à la question suivante:
confère-t-elle au Kosovo le statut d’Etat indépe ndant ? La deuxième question porte sur l’absence,
en droit international, de critères d’accession à la qualité d’Etat. Dans l’histoire, les Etats ont
acquis leur indépendance de diverses manières, bien souvent à la faveur de déclarations de chefs
politiques, de groupes de dirigeants politiques, d’organes provinciaux ou d’assemblées de toutes
sortes. L’examen de ces faits ex post facto ne permet pas de tirer de déductions quant à l’existence
d’une règle de droit international coutumier tr ès spécifique définissant les critères d’accession à la
qualité d’Etat.
3. Cela ne signifie pas, toutefois, que le droit international n’a rien à dire au sujet de ces
déclarations. Elles doivent être examinées au cas par cas et par référence au droit général
concernant la qualité d’Etat. Par déclaration d’indépendance, on entend toute demande visant
l’exercice de la souveraineté dans un territoire. Selon la formule bien connue énoncée dans
l’affaire de l’ Ile de Palmas (1928) «[l]a souveraineté, dans les relations entre Etats, signifie
l’indépendance. L’indépendance, relativement à une partie du globe, est le droit d’y exercer à
l’exclusion de tout autre Etat, les fonctions étatiques» .1
4. Posséder la souveraineté (et, de là, la qualité d’Etat) exige, de l’avis général, l’existence
d’un «animus» et d’un «corpus» ⎯c’est-à-dire «l’intention et la volonté d’agir en qualité de
2
souverain, et quelque manifestation ou exercice effectif de cette autorité» . Tel qu’indiqué dans
l’avis n 1 de la commission d’arbitrage de la conférence sur la Yougoslavie, l’existence d’un Etat
(c’est-à-dire la présence d’un «animus» et d’un «corpus») est «une question de fait» 3. Pour
déterminer l’effet juridique de la déclara tion unilatérale d’indépendance, il convient donc
d’examiner les circonstances factuelles qui l’ont entourée. L’Assemblée du Kosovo exprime-t-elle
légitimement la volonté d’exercer sa souveraineté et représente-t-elle le peuple ainsi que le
territoire ?
1
Affaire de l’Ile de Palmas, UNRIAA, t. II, p. 838.
2Statut juridique du Groënland oriental, arrêt, 1933, C.P.J.I. série A/B n 53, p. 46.
3Conférence sur la Yougoslavie, commission d’arbitrage, avis n1, XXXI ILM (1992), p.1495. La crise
yougoslave a été principalement résolue, au niveau intational, par la conférence sur la Yougoslavie instituée le
27août1991 par les communautés europée nnes. La conférence sur la Yougosla vie a créé une commission d’arbitrage
présidée par Robert Badinter aux fins de la conseiller sur les aspects juridiques liés à la crise. - 2 -
2. Le droit à l’autodétermination
5. Le principe juridique le plus fréquemment invoqué dans le cadre de la création d’Etats
depuis1945 a été le droit à l’autodétermination (articles12), 55, 73 et 76 b) de la Charte des
NationsUnies). Plus récemment, dans l’affaire du Timor oriental (1995), la CIJ a déclaré que le
droit à l’autodétermination constituait un principe essentiel du droit international contemporain, qui
4
revêtait un caractère erga omnes (c’est-à-dire qu’aucun Etat ne pouvait ignorer) . Comme on le
sait, l’autodétermination peut prendre diverses formes, l’une d’elles seulement étant la qualité
d’Etat indépendant (autodétermination externe). Le moyen habituel d’y parvenir ⎯ en réalité très
répandu ⎯ consiste à établir un régime des minorités ou d’autonomie au sein d’un Etat existant.
Dans la déclaration sur le s relations amicales de 1970 , l’Assemblée générale des Nations Unies a
réitéré avec force que l’autodétermination ne devait pas violer l’intégrité territoriale. Ce qu’a
o
réaffirmé l’avis n 2 de la commission d’arbitrage de la c onférence sur l’ex-Yougoslavie : «le droit
à l’autodétermination ne peut entraîner une modi fication des frontières existant au moment des
indépendances (uti possidetis juris) sauf en cas d’accord contraire de la part des Etats concernés» . 6
6. Depuis1945, le droit à l’autodétermination contient une règle bien précise en faveur de
l’intégrité territoriale des Etats existants. Toutefoi s, en dépit de la force du lien, il n’est pas et n’a
jamais été absolu. Les affaires de la Namibie (1990) et du Timor oriental (2002) offrent un
exemple de situations où l’indépendan ce s’impose comme l’unique forme viable
d’autodétermination en réponse à l’oppression continue de l’Etat territorial, faute de véritable
possibilité d’autodétermination interne dans l’avenir prévisible.
7. Dans l’un des premiers avis classiquement cités sur la question des îles d’Åland en 1920,
qui s’applique particulièrement à la situation de l’ex-Yougoslavie, la commission de juristes a
déclaré expressément que l’intégrité territoriale pouvait être supplantée dans des cas exceptionnels.
Ayant affirmé que le droit à l’autodéterminati on ne pouvait normalement êt re invoqué contre des
Etats existants, la commission a conclu que lors qu’il y avait contestation des frontières d’Etats
existants, comme dans le contexte d’une révolution ou d’une guerre d’envergure,
l’autodétermination pouvait constituer le critère d’un règlement territorial futur :
«Au point de vue aussi bien du droit interne que du droit international, la
formation, la transformation et le démembrement d’Etats par suite de révolutions et de
guerres créent des situations de fait qui échappent en grande partie aux règles
normales du droit positif.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4
Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
5 Assemblée générale des Nations Unies, résolution 2625 (1970), 24 octobre 1970,
«Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou encourageant une
action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l’intégrité
territoriale ou l’unité politiquetout Etat souverain et indépendant se conduisant conformément au
principe de l’égalité de droits et du droit des pe uples à disposer d’eux-même s énoncé ci-dessus et doté
ainsi d’un gouvernement représentant l’ensemble du peup le appartenant au territo ire sans distinction de
race, de croyance ou de couleur.»
6 Conférence sur la Yougoslavie, commission d’arbitrage, avis n 2, ILM, t. XXXI (1992), p. 1498. - 3 -
Dans de telles conditions, le principe que les peuples doivent pouvoir disposer
d’eux-mêmes peut trouver son application. Des aspirations nouvelles de certaines
fractions d’un peuple, aspirations se ratt achant parfois à de vieilles traditions ou se
basant sur une communauté de langue et de civilisation, peuvent se faire jour et
produire des effets dont il faut tenir compte dans l’intérêt de la paix intérieure et
extérieure des nations.» 7
8. Il a parfois été suggéré que l’applicati on extensive du principe d’autodétermination
pendant le processus de décolonisation représentait un «cas spécial» et qu’à l’issue dudit processus,
il n’était plus possible d’accéder par ce moyen à la qualité d’Etat. Cela est faux. Ce serait non
seulement créer une distinction arbitraire entre les entités réclamant l’autodétermination et les
diverses «situations de fait» dans lesquelles ces demandes sont effectuées, mais aussi mal
comprendre l’idée du principe proprement d it, telle qu’exprimée dans l’affaire des Iles d’Åland et
ultérieurement. Idée reprise dans la déclaration sur les relations amicales de1970, au paragraphe
8
cité plus haut , où il est question d’Etats se comportant conformément aux principes pertinents et
dotés d’un gouvernement qui représente l’ensemble du peuple appartenant au territoire. Celle-ci
figure également dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1998, touchant le droit
du Québec de faire sécession du Canada. La Cour a conclu que le droit international conférait un
droit de sécession lorsqu’un «peuple» était soumis à la subjugation, à la domination ou à
l’exploitation étrangère ; et éventuellement lorsqu’un «peuple» était empêché d9exercer
véritablement son droit à l’autodétermination au sein de l’Etat dont il fait partie .
9. Les motifs invoqués dans ces affaires opèrent une distinction entre les situations normales
et anormales ou bien les situations de rupture, de révolution, de guerre, de subjugation étrangère ou
l’absence de véritable perspective de régime d’autodétermination interne. La première guerre
mondiale ainsi que les révolutions qui ont suivi ont constitué une telle situation «d’anormalité»
dans l’affaire des Iles d’Åland, tout comme le «colonialisme» dans les années 1950 et 1960, ou la
guerre prolongée sur le territoire de l’ex-Yougosla vie dans les années1990. Dans c10 situations,
invoquer le principe «du caractère st able et définitif des frontières» , par exemple, ou l’ uti
possidetis, reviendrait à mettre la charrue avant les bŒufs : il n’y a pas de stabilité de frontières à
protéger ou si peu. En revanche, la questi on de savoir «qui possède» ou «quelle frontière» est
devenue l’objet de la controverse et ne peut donc servir de critère pour la régler.
7
Rapport de la commission internationale de juristes, char gée par le conseil de la So ciété des Nations de rendre
un avis consultatif sur les aspects juridiques dla question des îles d’Åla nd, Société des Nations, Journal officiel,
supplément spécial n 3, (octobre 1920), p. 6.
8
Ci-dessus, note 5.
9 Renvoi relatif à la sécession du Québec (1998), 161 D.R. (4 ), 385 (S.C.C.), 20 août 1998.
10Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 34-35. - 4 -
10. Le Kosovo a été confronté à cette situa tion lors de la dissolution de la République
fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY) 11. Le démembrement de la RFSY avait même été
formellement reconnu par les Nations Unies. Lorsque la RFSY a cessé d’exister, les Nations Unies
ont conclu que la République fédérale de Yougoslavie (la RFY, composée de la
Serbie-et-Monténégro) devait présenter une nouvelle demande d’admission à l’Organisation.
Depuis lors, la RFY a été transformée en une communauté étatique de Serbie-et-Monténégro, le
Monténégro ayant déclaré son indépendance en 2006. La question du statut du Kosovo n’avait pas
été examinée, encore moins réglée. Lorsque ce tte question a finalement été posée au niveau
international en 1997, elle avait dé jà fait l’objet d’un contentieux entr e la Serbie et le Kosovo. Le
contexte factuel de la déclaration d’indépendance comporte cinq éléments permettant de considérer
cette situation comme «anormale».
a) Désintégration par la violence de la RFSY. Le Kosovo s’est trouvé au cŒur du bouleversement
politique qui a mené à la création de plusieur s Etats indépendants dans la région de la
République fédérative socialiste de Yougoslavie. La décision de la Serbie de restreindre
l’autodétermination interne du Kosovo à la fi n des années1980 est étroitement liée à la
politique qui a mené à la désintégration par la vi olence de la Fédération. La dissolution a été
achevée en 1992 au sens où la RFSY a cessé d’exister 12, mais les violences et l’instabilité ont
perduré. Le régime de Miloševi ć a poursuivi sa politique délibérée de répression et de
persécution à l’égard du Kosovo, s’assurant ainsi de retirer tout pouvoir politique à la majorité
albanaise de souche au Kosovo.
b)Changements unilatéraux apportés au statut constitutionnel du Kosovo. Le
statut
constitutionnel du Kosovo qui, aux termes de la Constitution de 1974 de la RFSY, était à de
nombreux égards comparable à celui des répub liques, a été ramené à celui d’«autonomie
territoriale» par la révision de la constitution de la Serbie en1989 et1990. Les Albanais du
Kosovo ont troqué leur statut de «nationalité» cont re celui de simple «minorité nationale». Par
toute une série de mesures unilatérales, la Serbie a refusé que le gouvernement représentatif du
Kosovo intervienne efficacement dans la prise de décisions.
c) Persécution des Albanais du Kosovo en 1989-1999. Entre 1989 et 1999, les persécutions n’ont
cessé de faire rage contre les Albanais du Kosovo , victimes de graves violations des droits de
l’homme et de crimes contre l’humanité qui ont abouti, au printemps1999, à l’exode de
populations du Kosovo. On peut citer notamment le jugement Milutinović et consorts de 2009,
qui note l’emploi systématique et excessif de la force par les forces de la RFY et de la Serbie
en 1998 ainsi que la campagne de violence massive menée à l’encontre de la population civile
13
albanaise du Kosovo par les forces contrô lées par la RFY et les autorités serbes lors des
attaques aériennes de l’OTAN.
11Voici un exemple de situation dans laquelle, selon la commission de juristes, l’autodétermination a un rôle
indépendant :
«si le fondement essentiel de ces règles, c’est-à-dire la souveraineté territoriale, fait défaut, soit parce que
l’Etat n’est pas encore totalement formé soit parce qu’il est en cours de transformation ou de dissolution,
la situation n’est pas claire et certaine d’un point de vue juridique, et ne le deviendra que lorsque les
événements se seront stabilisés et qu’une nouvelle situation définitive, normale en termes de souveraineté
territoriale, aura été établie. Cette transition d’une situation de facà une situation normale
de jure…tend à entraîner des réajusteme nts entre les membres de la communauté internationale et des
modifications de leur statut territorial et juridique; par conséquent, cette transition revêt un intérêt très
particulier pour la communauté des Etats, tant d’un point de vue politique que juridiquIbid., p.6
[traduction du Greffe].)
12 o
Conférence pour la paix en Yougoslavie, commission d’arbitrage, avis n 8, ILM, t. XXXI (1992), p. 1523.
13Le procureur c. Milutinović et consorts, jugement du 26 février 2009. - 5 -
d) La reconnaissance internationale du caractère partic ulier de la situation. Le Conseil de sécurité
des Nations Unies a reconnu le caractère anormal de la situation dans la résolution 1244 (1999)
qui a établi une présence internationale de sécurité au Kosovo, exigeant que la RFY mette fin de
manière immédiate et vérifiable à la violence et à la répression au Kosovo, et qu’elle procède au
retrait complet du Kosovo de toutes ses forces militaires, de police et paramilitaires. Le Conseil
de sécurité a conclu que la situation dans la région continuait à représenter une menace pour la
paix et la sécurité internationales et que les Al banais du Kosovo devaient être protégés contre
les violences commises par les agents de la RFY.
e) Les autorités serbes n’ont pas in stauré de cadre crédible pour l’ autodétermination interne. La
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité d es Nations Unies a laissé en suspens la question
du statut définitif du Kosovo tout en instituan t un processus de négociation visant à régler la
question pour l’avenir. Le processus politique enclenché par cette résolution n’a cependant pas
permis de parvenir à une solution négociée. En 2007, son potentiel était épuisé. L’envoyé
spécial du Secrétaire général des Nations Unies a conclu que les parties n’étaient pas en mesure
de s’entendre sur le statut futur du Kosovo et que de nouvelles discussions, quelle qu’en soit la
forme, ne permettraient pas de surmonter l’impa sse. «Prétendre le contraire, sinon refuser ou
différer le règlement du statut du Kosovo, c’est risquer de remettre en cause non seulement sa
propre stabilité mais aussi la paix et la stabilité de la région tout entière». La seule option
viable pour le Kosovo, selon l’envoyé spécial, éta it l’indépendance, sous la supervision de la
communauté internationale pendant une période initiale . 14
11. C’est dans ce contexte factuel ⎯ marqué par les cinq éléments qui précèdent entre 1989
et 2007 ⎯ que doivent être établis les effets juridi ques de la déclaration d’indépendance. La
commission de rapporteurs de 1921, qui a examiné la question des îles d’Åland, a fait observer que
l’autodétermination pouvait prendre la forme d’une sécession lorsqu’il n’existait plus aucun espoir
de réalisation interne crédible :
«La séparation d’une minorité de l’Etat dont elle fait partie et son incorporation
à un autre Etat peuvent être considérées uniquement comme une solution tout à fait
exceptionnelle, un dernier cours lorsque l’Etat n’a ni la volonté ni le pouvoir de
promulgue15et d’appliquer des garanties réelles et équitables.» [Traduction du
Greffe.]
12. Telle était la situation de la popula tion du Kosovo au moment de la déclaration
unilatérale d’indépendance. Les actes des auto rités de la RFY durant la période pertinente
montrent que «l’Etat n’a ni la volonté ni le pouvoi r de promulguer et d’appliquer des garanties
réelles et équitables». Le Kosovo ne pouvait s’a ttendre à jouir d’une véritable autodétermination
interne dans le cadre de la RFY. Au vu de la privation constante du dr oit à l’autodétermination
imposée par les autorités de la RFY, et en l’ab sence de garanties sur la cessation d’une telle
privation, la seule solution réaliste consista it à matérialiser ce droit par l’accession à la qualité
d’Etat indépendant.
3. Représentation
13. Pour que la déclaration de l’Assemblée du Kosovo puisse juridiquement conférer la
qualité d’Etat indépendant au Kosovo, des élémen ts de preuve suffisants doivent montrer que ces
institutions représentent la population du territoire et exercent un certain contrôle sur celui-ci. Là
14
Nations Unies, doc. S/2007/168 (26 mars 2007), par. 1, 3, 4 et 5.
15Rapport soumis au conseil de la Société des Nations par la commission de rapporteurciété des Nations,
doc. B.7.21/68/106 (1921), p. 28. - 6 -
encore, le droit international coutumier comporte pe u de critères spécifiques à cet effet. Il prévoit
que la création d’Etats exige la présence d’un territoire, d’un peuple, ai nsi que d’un gouvernement
doté d’un contrôle territorial suffisant pour lui permettre, selon les termes employés dans l’affaire
de l’Ile de Palmas, «de protéger, à l’intérieur du territoire, l es droits des autres Etats, en particulier
leur droit à l’intégrité et à l’inviolabilité en temps de paix et en temps de guerre, ainsi que les droits
que chaque Etat peut réclamer pour ses nationaux en territoire étranger. L’Etat ne peut pas remplir
ce devoir s’il ne manifeste pas sa souveraineté territoriale d’une manière adéquate aux
circonstances» . 16
14. La signification pratique de ce critère gé néral a souvent été débattue dans le cadre de
différends internationaux, et la s ouplesse de la norme pertinente ai nsi que la nécessité de prêter
attention aux circonstances spécifiques ont été soulignées. Selon les termes de la Cour permanente
de Justice internationale dans l’affaire du Groënland oriental (1933): «Il est impossible
d’examiner les décisions rendues dans les affaires visant la souveraineté territoriale sans observer
que, dans beaucoup de cas, le tribunal n’a pas exigé de nombreuses manifestations d’un exercice de
droits souverains pourvu que l’autre Etat en cause ne pût faire valoir une prétention supérieure.» 17
Dans ce cas, la difficulté résidait dans le fait que le territoire était «faiblement peuplé». Bien que
ce ne soit pas le cas en l’espèce, les motifs énoncés dans l’affaire de l’ Ile de Palmas sont toujours
applicables. Lorsque les deux parties sont en m esure de faire valoir une réclamation plausible
prima facie, la décision, comme l’a observé MaxHuber, 18 «devrait se fonder sur la valeur relative
des titres invoqués par chacune des deux parties» .
15. Un aspect critique de la situation en l’esp èce concerne la présence internationale établie
par la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies. Placé sous administration
des Nations Unies, le Kosovo a acquis une existen ce juridiquement distincte de la Serbie. La
résolution a instauré une autorité administrative des Nations Unies au Kosovo (MINUK), investie
de «tous les pouvoirs législatifs et exécutifs, pouvoirs judiciaires compris» 19. Depuis lors, des
structures d’administration conjointes avec les in stitutions du Kosovo ont été créées et certaines
responsabilités non directement liées à la souveraineté telles la politique économique, le commerce
et les tâches administratives ont été transférées aux institutions du Kosovo. Dans le même temps,
20
le contrôle effectif exercé par les institutions de la RFY a été radicalement réduit .
16. La situation au Kosovo, de par l’implication de la communauté internationale, ressemble
à d’autres situations ayant requis l’assistance des Nations Unies, telles celle du Timor oriental, dans
laquelle la restriction de l’autodé termination interne, associée à de graves violations des droits de
l’homme, a ouvert la voie de la sécession et de la qualité d’Etat indépendant. Dans ces exemples,
l’appréciation du contrôle effectif se trouve compliquée par l’importance de la présence
internationale. Il convient cependant de souli gner que l’importance de cette présence s’explique
par l’oppression constante exercée par les institutions de la RFY au Kosovo, à laquelle elle répond,
et par le fait que ces institutions n’ont su ga rantir un système raisonnable d’autodétermination
interne. Il ne serait guère adéquat que lesdites institutions puissent invoquer maintenant la
présence de cette mesure de protection à l’appui de leur autorité continue à l’égard du Kosovo.
Ex injuria non jus oritur.
16Affaire de l’Ile de Palmas, UNRIAA, t. II, p. 839.
17 o
Statut juridique du Groënland oriental, arrêt, 1933, C.P.J.I. série A/B n 53, p. 46.
18Affaire de l’Ile de Palmas, UNRIAA, t. II, p. 869.
19Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo,
Nations Unies, doc. S/1999/779 (12 juillet 1999) par. 35.
20Il peut être fait référence par exemple à l’introduction du Deutschemark (ultérieurement l’Euro) en tant que
monnaie locale de la MINUK. - 7 -
17. Comme il a été souligné plus haut, le caractère particulier ⎯de fait anormal ⎯ de la
situation au Kosovo est lié à la guerre qui a fait rage sur le territoire de l’ex-Yougoslavie entre 1991
et 1997, suivie de l’oppression continue de la popul ation du Kosovo par les institutions de la RFY
et l’absence de véritable perspective d’autonomie interne. Cette affaire est remarquable par sa
spécificité, la demande d’indépendance résultant d’une privation de perspectives d’autonomie
interne dans le contexte de la guerre civile et de l’échec des négociations qui ont suivi. A cet
égard, les institutions provisoires d’administration autonome mentionnées dans la question satisfont
aux critères de la représentation. L’Asse mblée du Kosovo ayant adopté la déclaration
d’indépendance se fonde sur le cadre constitutionnel 21, et a été élue à l’issue d’un processus
national mené en2007 sous la sup22vision du Con seil de l’Europe ainsi que de divers groupes
internationaux et nationaux . Selon le Conseil de l’Europe, les élections ont été organisées
conformément aux principes qu’il a édictés et selon les normes internationales et européennes en
23
matière d’élections démocratiques . L’Assemblée du Kosovo représente les minorités ethniques
selon les règles de partage des sièges établies dans le cadre constitutionnel prévoyant que 20 sièges
sur un total de 120 seront réservés aux communautés non albanaises (10 aux Serbes du Kosovo et
10à d’autres communautés). La déclaration d’indépendance a été adoptée à l’unanimité, les
membres serbes du Kosovo de l’Assemblée ayant boycotté la session . 24
18. La création d’Etats résultant de conflits longs et violents satisfa it rarement aux critères
évoqués dans les théories idéales de la représentation démocratique. Si l’on se fie à «la force
relative des titres invoqués par chacune des parties» , selon les termes employés dans l’affaire de
l’Ile de Palmas, il est clair cependant qu’aucune autre institution ou organe n’est aussi bien placé(e)
que l’Assemblée du Kosovo pour parler au nom du Ko sovo. Compte tenu de ce qui a été dit plus
haut au sujet du caractère anormal de la situation et des motifs du principe de l’autodétermination,
il ne fait pas de doute que si le droit international devait ignorer ou c ontourner la déclaration
d’indépendance, il agirait à l’encontre de ses fonctions essentielles visant à offrir des solutions
stables et durables aux différends territoriaux dans le respect des libertés et des droits de l’homme
fondamentaux.
19. Par conséquent, on doit en conclure que la déclaration d’indépendance des institutions
provisoires d’administration autonome du Kosovo (A ssemblée du Kosovo) est conforme au droit
international.
___________
21Cadre constitutionnel de l’autonomie provisoire (UNMIK/REG/2001/9).
22
Mission de l’OSCE au Kosovo http://www.osce.org/kosovo/13208.html (3 mars 2009).
23http:/www.coe.int/t/dc/files/events/2007_kosovo/prelim statement_en.asp (3 mars 2009).
24BBC News Europe, Kosovo MPs proclaim independence , 17 février 2008, http://news.bbc.
co.uk/2/hi/europe/7249034.stm (15 avril 2009).
Exposé écrit de la Finlande (traduction du Greffe)