Mémoire de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste

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13661
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. COUINTERNATIONAL~USTICE

'
AFFAIRE RELATIVA EJ.lEQUESTIONS
D'INTERPRETATIE OND'APPLICATION

DELACONVENTIO NEMO.,,EAD LE1971
RESULTAN DTEL'INCIDENATERIEN
"
DELOCKERBIE

JAMAHAARABELIBYENNE
CONTRE :
ETATS·S'AMERIQUE

· SOUMISPARLA

GRANDE JAMAHIRIYA ARABE

LIBYENNE POPULAIRE SOCIALISTE

20DECE1993 I

TABLEDES.MATIERES

Pages

INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE: EXPOSE DES FAITS 4

CHAPITRE 1- DES ACTES D'ACCUSATION A L'INVOCATION DE LA

CONVENTION DE MONTREAL 4

Section 1- Les actes d'accusation et les réactions libyenne 4
Sl.·ction2 -L'ultimatum du 27 novembre 1991 et les réactions libyennes 11

Section 3- Le refus de produire les preuves alléguées 14
Section 4 - Les tentatives infructueuses de la Libye pour une solution pacifique du différen15

Section 5- L'invocation de la Convention de Montréal 16

CHAPITRE II • LE RECOURS AU CONSEIL DE SECURITE ET
L'ADOPTION DE LA RESOLUTION 73I (1992) 19

Section 1 • Le texte de la résolution 19

Section 2- Les discussions au Conseil de sécurité
21
A- La position libyenne 21
B- La position des Etats auteurs du projet
24
C- La position des Etats tiers 26

CHAPITRE III- DE LA RESOLUTION 731 (li JANVIER 1992) À

L'ADOPTION DE LA RESOLUTION 748 DU 30 MARS
1992 28

Section 1• Les positions des Parties selon les rapports du Secrétaire général 28

Section 2 - Les actes ct suggestions libyens 31
Section 3- L'introduction devant la Cour internationale de Justice d'une

action de la Libye contre le Royaume-Uni et les Etats-Unis 31
Section 4- Les réactions des défendeurs 32
Section 5 • Les menaces d'intervention américaine
33
Section 6 - Les réactions de tiers 33

CHAPITRE IV- LA RESOLUTION 748 DU 30 MARS 1992 34

Section 1 - Le texte de la résolution 34

Section 2 • Les discussions au sein du Conseil de sécurité 36

A- La position de la Libye 36

B - La position des Etats auteurs du projet 38
1- Les Etats-Unis 38

2- Le Royaume-Uni 38
3- La France 39 II

La position des Etats tiers
C- 39
1- La position des Etats non favorables à la résolution 39
2- La position des Etats favoràbla résolution 41

CHAPITRE V· LES FAITS SUBSEQUENTS À L'ADOPTION DE LA

RÉSOLUTION 748 (30 MARS 1992) 42

Section1- Les conséquencesdes sanctions 42
Section 2. Les propositions de la Libye 43

Section 3 • Les réactions des défendeurs 49

DEUXIEME PARTIE : OBJET DU DIFFEREND ET FONDEMENT DE LA

COMPETENCE DE LA COUR 50

INTRODUCTION 50

CHAPITRE 1- OBJET DE LA REQUETE 50

CHAPITRE II - FONDEMENT DE LA COMPETENCE 57

Section 1 · Un différend entre les Etats contractants à propos de
l'interprétation ou l'application de la convention 58

A- L'existence d'un différend- en fait 62
1- Premier différend; lejuge compétent
63
2- Deuxièmedifférend: la coopérationavec les juges libyens 65

B- L'existence d'un différend-en droit 66

Section 2 - Un différend qui ne peut êtreréglépar voie de négociation
et à propos duquel les parties au différend n'ont pas pu se mettre

d'accord sur l'organisation d'un arbitrage 71

Section 3 • La question du délaide six mois 77

TROISIEME PARTIE: LES DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES EN
VERTU DE LA CONVENTION DE MONTREAL
79

INTRODUCTION 79

CHAPITRE 1• L'INTERPRETATION LITTERALE DE LA CONVENTION DE

MONTREAL ET SON APPLICATION 79

Section1 - La Libye doit établirsa compétencepour connaître des
infractions viséespar la Convention de Montréal (art. 5 §§ 2-3) 80 III

A- Le contenu de l'art.** 2-3 80
1 -Une disposition typique d'un système repressif fondésur les Etats 80
2 - La portéejuridique de 1'art. 5 § 2 82

B- L'argumentation des défendeurs 85
1-L'article 5 § 2 86
2- L'article 5 § 3 87

Section 2- La Libye ne doit pas extrader les suspects vers le Royaume-Uni
et les Etats-Unis (art. 8) 88

A- Une disposition ménageant la souveraineté des Etats parties 89

B- Une disposition n'obligeant pas la Libye à extrader les suspects 91
1-La convention de Montréal n'institue pas de système d'extradition automatique 92
2- La Libye n'est pas obligée d'extrader ses nationaux 94

3 - L'Etat d'immatriculation de 1'aéronef et 1'Etat du lieu de 1'infraction
ne bénéficient'aucune priorité ou primauté en cas d'extradition 98

Section 3 - Si la Libye n'extrade pas les suspects, elle doit les déàéses

autoritéscompétentespour J'exercicede J'action pénale(art. 7) 99

A- Le contenu de l'art. 7
100
1- Une obligation de soumission de l'affaiàla justice de l'Etat requis 100
2- Une obligation respectant la souveraineté de l'Etat requis 102

3- Une obligation cardinale du droit pénalinternational 104

B - L'argumentation des défendeurs 105
1- Premier moyen 106

2 - Deuxième moyen 107

Section 4 - La Libye est en droit d'obtenir l'entraide judiciaire la plus large
possible (art. 11) 110

A - Le contenu de l'art. 11 110
B - L'argumentation des défendeurs Ill

CHAPITRE II - L'INTERPRETATION DE LA CONVENTION DE

MONTREAL A LA LUMIERE DES REGLES GENERALES
DU DROIT INTERNATIONAL 115

Section 1 - Introduction 115

Section 2 • La pertinence des règlesde droit international applicables entre

parties pour l'interprétation des traités 117

Section 3- L'extradition en droit international général 123

A- L'interprétation de la Convention de Montréal 123

B - Il n'y a aucune obligation de livraison sauf en vertu d'un traité 124
1 - Introduction 124

2- La pratique du Royaume-Uni 125
3- La pratique des Etats-Unis 127
4- L'opinion des publicistes 128

5 - La pratique des autres Etats 128,------------------------------------------------------------~----------------------------------------------

IV

C - Le principe aut dedere aut punire 129

D- La souveraineté territoriale fonde le droit d'octroyer ou de refuser l'extradition 130
E- Le principe selon lequel il n'y a pas d'obligation d'extrader les nationaux 131

Section 4 - Les droits fondamentaux de la personne humaine comme

limitationà l'extradition 132

A- La nature des limitations 132
B - Le droit au procès équitable comme limitatiànla remise 133

C- Dans les circonstances de l'espèce, un procès équitable est impossible 135
D- Autres droits de l'homme pertinents 144

E- Dans ces circonstances, l'extradition est incompatible avec les principes
des droits fondamentaux de la personne humaine 147

QUATRlEME PARTIE : LES EI<'FETSDES RESOLUTIONS DU CONSEIL DE

SECURITE SUR LES OBLIGATIONS DES PARTIES 148

CHAPITRE I- ANAI.YSE DES RESOLUTIONS 731 (1992) ET 748 (1992):
LE CONSEIL DE SECURITE N'EXIGE PAS QUE LA LIBYE

LIVRE SES NATIONAUX AUX ETATS-UNIS OU AU ROYAUME-UNI 148

Section 1 - La résolution 731 (1992) du Conseil de sécurité 149

A- Les termes mêmesde la résolution 731 excluent que le Conseil exige de la Libye
qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni 153

1 -La qualification juridique de la demande: la résolution 731 ne formule aucune
obligation juridique charge de la Libye 154

2- Le contenu de la demande: le Conseil ne demande pas à la Libye de livrer ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni 155

B - Cette analyse est confirmée par les travaux préparatoires de la résolution, tels qu'ils

ressortent des déclarations faites par des membres du Co1lors de son adoption 159

Section 2- La résolution 748 (1992) du Conseil de sécurité 163

A - La portéedes exigences du Conseil 165
1- Le premier paragraphe du dispositif: renvoi à la résolution 731 165
2 - Le deuxième paragraphe du dispositif: le renvoi indirect aux demandes anglo­

américaines n'équivaut pasàleur appropriation par le Consei [ 166

3 -Le troisième paragraphe du dispositif: J'impossibilité de préciserquand les
exigences du Conseil seront satisfaites 167

4 - Le rôle du Secrétaire général 168

B- L'analyse qui précèdeest confirmée par la ratio legis du recours au Chapitre Vll de la
Charte 168

1-La ratio fegisdu recours au ChapitreVU telle qu'elle ressort de la résolution
731 169

2- La ratio legis du recours au Chapitre VII de la Charte dans la résolution 748 170
3- Cette ratio legis explique que JeConseil n'exige pas que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni 172 v

Section 3 - L'interprétation des résolutionsau regard de la Charte et du

droit international généralet conventionnel 173

CHAPITRE Il- I.A LIBYE A PLEINEMENT SATISFAIT AUX EXIGENCES

DU CONSEIL DE SECURITE SUSCEPTIBLES
D'AFFECTER LA PRESENTE PROCEDURE -
CONCLUSION QUANT A L'INCIDENCE DES

RESOLUTIONS 731 ET 748 174

Section 1 - La Libye a pleinement satisfait aux exigences du Conseil de

sécuritésusceptibles d'affecter la présente procédure 175

A - La Libye a entrepris des démarches concrètes afin que soient établies

les responsabilités pour l'attentat 175
B- La Libye a fait diverses propositions aptes à sauvegarder l'objectivité de l'enquête 176

C- La Libye a fait des propositions et concessions successives, aptes à garantir
l'objectivité du procès des suspects 178

Section 2 - Conclusion quant à l'incidence des résolutions 731 et 748 sur la

procédure devant la Cour 180

CHAPITRE JII - A TITRE SUBSIDIAIRE: DANS LA MESURE OU ELLES

EXIGERAIENT QUE LA LIBYE LIVRE SES NATIONAUX
AUX ETATS-UNIS OU AU ROYAUME-UNI, LES

RESOLUTIONS 731 ET 748 SERAIENT CONTRAIRES A
LA CHARTE DES NATIONS UNIES, ET INOPPOSABLES
A LA LIBYE 181

Section 1- La Cour a le pouvoir de contrôler la régularitédes résolutions731 et 748
au regard de la Charte des Nations Unies 182

A- Le fondement du pouvoir de la Cour de vérifier les effets juridiques des résolutions du
Conseil de sécurité 184

B - Conséquences de ce fondement quant au contrôle de la validitédes résolutions du
Conseil de sécurité 186

1 -La Cour a non seulement la possibilité, mais encore le devoir de contrôler la
validitédes actes juridiques qu'elle prend en compte pour dire le droit, lorsque
celle-ci est contesté l86

2- Le pouvoir de contrôle de la Cour prévaut également dans la procédure
contentieuse 187

3- Au contentieux, le contrôle de la Cour est exercé à titre incident 188

C - Dans le présentdifférend, laur est appelée à se prononcer sur les effets juridiques

des résolutions 731 et 748 du Consei1de séeurité- portéedu contràexercer par la
Cour 189
1- Dans la présenteespèce, la Cour est nécessairement appeàése prononcer sur

les effets juridiques des résolutionst 748 189
2 - La portéedu contrôle de la Cour quant aux effets juridiques des résolutions 731 189748

Section 2 - Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye
livre ses nationaux aux Etat'!-Unis on au Royaume-Uni, les
résolutions731 et 748 du Conseil seraient contraires à'article 1,

paragraphe 1 de la Charte 193 VI

A - La portéede l'article l (1)de la Charte 193

1.-La signification de l'expression "conformément aux principes de la justice et du
droitinternational" 194
2- L'article 1 (1) par rapport au Chapitre VI de la Charte 195

3- L'incidence du recours au Chapitre VII de la Charte 197

B- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait de la Libye qu'elle livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions litigieuses seraient
contraireà 1'article l (l) 202

1 - Le Consei1violerait les principes du droit intemational et de la justice 202
2 - Le recours au Chapitre VIl de la Charte ne modifie aucunement cette constatation 203

Section 3 - Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye
livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les
résolutions731 et 748seraient contraire à l'article 2,

paragraphe 7 de la Charte 206

A- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye livre ses nationaux
aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748 s'opposeraient à la
règlede non-intervention dans une affaire relevant de la compétence nationale de

la Libye, au sensde l'article 2 (7) de la Charte- 206
1- La portéedu principe de non-intervention de l'article 2 (7) 207
2- L'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni constituerait une intervention dans une affaire relevant de la
compétence nationale libyenne 209

B - L'exception de 1'article 2, paragraphe 7, in.fine ne justifierait pas cette intervemion 213
1 - L'exception de 1'article (7)inji ne n'a pas pour effet d'écarterentièrement le

principe de non-intervention lorsque le Conseil agit en vertu du Chapitre VII de
la Charte. Cette exception ne juslifierait pas que le Conseil exige que la
Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni 213

2- En tout étatde cause, l'exigence que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis
ou au Royaume-Uni serait contraire au principe de proportionnalité sous-tendant
l'exception de l'article 2 (7) in fine 216

Section 4 - En tout étatde cause, le Conseil a recouru au Chapitre VII dans
leseul but de s'arroger les pouvoirs y conférés,et non en
raison des caractéristiques intrinsèques de la situation. Ceci

constitue un détournement de pouvoir contraire aux Buts des Nations Unies 219

A- Le Conseil ne peut recourir au Chapitre VIl de la Charte qu'en raison des

caractéristiques intrinsèques'une affaire, et non dans le seul but de s'arroger les
pouvoirs y conférés- ce procédéconstituerait une violation des articles 24, 1 ()et
39 de la Charte, et seraitonstitutif de détournement de pouvoir 220

1 -En recourant au Chapitre VII dans le seul but de s'arroger les pouvoirs y
conférés,le Conseil violerait les Buts des Nations Unies, et notamment les

articles 24, 1 (et 39 de la Charte 221
2- Le recours au Chapitre Yll de la Charte dans le seul but de s'arroger les pouvoirs
y conférés,est constitutif de détournement de pouvoir 223

B - Le Conseil a eu recours au Chapitre VIl de la Charte dans le seul but de s'arroger les

pouvoirs y conférés. Il a ainsi violéles articles 1 (1), 24 et 39 de la Charte, et s'est
rendu coupable de détournement de pouvoir 225 VII

1- Ledeuxième paragraphe introductif de la résolution731227
2- La motivation des résolutions litigieuses est logiquement et juridiquement
incohérente 231

3- L'exigence que la Libye livre ses nationaux aùx Etats-Unis ou au Royaume-Uni
trahirait d'autant plus le caractère fictif de laratiolegisdu recours au
Chapitre VIl de la Charte 233

Section 5- La motivation des résolutionslitigieuses est incohérente,

ce qui exclut qu'elles soient invoquéesdevant la Cour pour
faire obstacle au règlementdu présentdifférend,ou en déterminer l'issue 234

CHAPITRE IV - OBSERVATIONS SUR LA RESOLUTION 883 (1993) DU
CONSEIL DE SECURITE 235

CONSIDERA Tl ONS GENERALES 241

CONCLUSIONS 242 1

INTRODUCTION

1.1 Le 3 mars 1992, la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste (ci­

dessous dénommée "La Libye") a introduit par requêteune instance contre le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (ci-après dénommé"le Royaume-Uni" ) au sujet d'un

différend entre la Libye et le Royaume-Uni concernant l'interprétation ou l'application de la

convention de Montréal du 23 septembre 1971. 1_A la mêmedate une requête parallèle fut

introduite par la Libye contre les Etats-Unis d'Amérique (ci-après dénommés"les Etats-Unis")
avec le mêmeobjet.

Le mêmejour, la Libye présentaune demande urgente tendant à ce que la Cour indique

quelles mesures conservatoires des droits de la Libye devaient êtreprises à titre conservatoire et

sans délai,à l'égardde chacun des deux Etats précités.

Par deux ordonnances du 14 avril1992, la Cour a dit que les circonstances de 1'espèce

n'étaientpas de nature à exiger l'exercice de son pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires
en vertu de l'article41 du Statut de la Cour (Questions d'interprétation et d'application de la

convention de Montréalde 1971 résultantde l'incident aériende Lockerbie (Jamahiriya arabe

libyenne c. Royaume- Uni ) mesures conservatoires 2 et Questions d'interprétation et

d'application de la convention de Montréalde 1971 résultantde l'incident aériende Lockerbie
(Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis ) mesures conservatoires 3). Dans les pages qui

suivent, nous nous référerons àces deux ordonnances de la manière abrégéesuivante: "ord. RU"

et "ord. EU".

1.2. Ces deux ordonnances n'ont concerné ni le fond de l'affaire ni la compétence de la

Cour pour connaître du fond et ont étéprononcées sans préjudice des moyens que peuvent faire

valoir les parties dans cette seconde phase de la procédure. Comme 1'ont déclaré les
ordonnances du 14 avril 1992 :

"( ... ) la Cour( ...) n'est pas habilitée à conclure définitivement sur les faits et le droit, et (... ) sa décision
doit laisser intact le droit des Parties de contester les faits et de faire valoir leu4s moyens sur le fond."

1 RTNU, vol. 974, p. 178.

2 C.I.J. Recueil 1992, par. 43, p. 1S
3 C.IJ. Recueil 1992, par. 46, p. 127
4 Ord. RU, C.I.l Recueil 1992, par. 38, p. 14et ord. EU, par. 41, p. 126.2

"... la Cour n'est appeléeà statuer sur aucune des autres questions qui ont étésoulevéesdevant elle·dans
la présente instance, y compris la question relatàvsa compétence pour connaître du fond; (...) une
décision rendue en la présente procédure ne préjugeen rien aucune question de ce genre et (...) laisse
intact le droit du Gouvernement libyen et celui du Gouvernement [du Royaume-Uni 1des Etats-Unis] de
faire valoir leurs moyens en cesières."S

1.3. Aux termes de l'article 49 § 1 du règlement de la Cour

"1. Le mémoirecontient un exposédes faits sur lesquels la demande est fondée,un exposéde droit et des
conclusions".

Le présentmémoiresuivra donc ce plan.

Pour ce qui concerne le droit, la Libye a pris acte du fait qu'au cours de la procédure sur

les mesures conservatoires, les parties ont déjàfait valoir divers moyens relatifs à l'admissibilité

ou à la compétence de la Cour. Sans préjudice du fait que les questions de recevabilité doivent
êtresoulevées par les parties défenderesses, ces questions étant intimement liées au fond, la

Libye estime raisonnable de présenter dès le stade du présent mémoire son point de vue sur

certaines questions de compétence et de recevabilité.

Etant donné que les demandes de la Libye à l'égard des deux défendeurs sont

identiques et que les arguments de ces derniers sont en substance les mêmes,la Libye a estimé

plus simple de présenter un mémoire identique s'adressant aux deux défendeurs. Seules les

conclusions different par le nom de chaque défendeur.

Le présentmémoirecomportera les parties suivantes :

La première partie sera consacrée à un exposédes faits.

La deuxième examinera l'objet du différend (chapitre 1)et le fondement de la compétence de la

Cour (chapitre Il).

La troisième exposera quels sont les droits et obligations des parties découlant de la convention

de Montréal, en vertu de son texte (chapitre I) ainsi que de son interprétation à la lumière du

droit international général(chapitre li).

5 Ord. RU, C.I.J. Recueil 1992, par. 42, p. 1S et ord. EU, par. 45, p. 127. 3

La quatrième partie sera consacrée à r~solut ddîoCnseil de sécuritésur les

obligations des parties. De brèvesconsidérationsgénéralesprécéderontles conclusions.4

PREMIERE PARTIE

EXPOSE DES FAITS

CHAPITRE 1- DES ACTES D'ACCUSATION A L'INVOCATION DE LA

CONVENTION DE MONTREAL

Section 1 -Les actes d'accusation et les réactions libyennes

2.1 Le 21 décembre 1988, un Boeing 747 de la Pan Am, vol n° 103 assurant la liaison

Londres - New York, s'écrasa en Ecosse sur le village de Lockerbie. Il apparut rapidement,

selon 1'enquête, que cet accident qui avait fait 270 victimes était un attentat criminel. Des

rumeurs diverses circulèrenà propos des auteurs de cet horrible forf1.t

2.2 Le 14 novembre 1991, soit trois ans environ après cette dramatique destruction, un

Grand Jury de mise en accusation de la U.S. District Court for the District of Columbiaaux

Etats-Unis établit un acte d'accusation contre deux citoyens libyens soupçonnés d'avoir fait
placer un mécanisme destructif à bord de l'appareil Pan Am n° 103 2.Le mêmejour, le

procureur d'Ecosse annonçait que des mandats d'arrêtavaient étédécernéscontre les mêmes

personnes de naüonalité libyenne, les accusant également de la destruction1'apparei3.

2.3 Pour l'essentiel, 1'accusation reposait sur les allégations suivantes: deux ressortissants

libyens (Mm. Abdelbasset Ali Mohamed Al Megrahi et Al Amin Khalifah Fhimah), l'un étant

chef des services de sécuritédesLibyan Arab Airlines,et l'autre étant chef de poste dLibyan

Arab Airlines àMalte, auraient introduit le 21 décembre 1988 une valise piégéedans le vol Air
Malta KM 180 Malte-Francfort. Cette valise aurait ensuite ététransféréà bord du vol Pan Am

103 A Francfort-Londres et aurait étéplacéà Lon~r sursle vol Pan Am 103

V. deux communiqués de presse du 16 novembre 1991 reprod1133 et 29; ces rumeurs se poursuivirent
ultérieurement.
2 Transmis par le représentantnt adjoint des Etats-Unis auprès de l'ONU au Secrétairegénéralle 23 décembre

1991, doc. off. AJ46/831 ou S/233 17 du mêmejour; voir annexe n" 7.
3 Transmis par le représentant pennanent du Royaume-Uni auprès de l'ONU au Secrétaire généralle 20 décembre
1991, doc. off. AJ46/826 ou S/23307 du 31 décembre 1991; voir annexe n" 8. 5

Londres-New York. Un dispositif d'horlogerie l'aurait fait exploser alors que l'avion survolait

Lockerbie (Ecosse) 4.

2.4 Ces accusations furent communiquées à la presse le jour même par M. Richard

Boucher, porte-parole du Département d'Etat des Etats-Unis, en des termes particulièrement

accusateurs contre la Libye :

" 1 want to run through some basic facts about the bombing and how it was organized. I want to make

some things clear from the outset. The bombers were Libyan government intelligence operatives.This
was a Libyan govemment operation from start to finish. We hold the Libyan govemment responsible for
the murderof 270 people over Lockerbie, Scot!and, on December 21st, 1988." 5

Le mêmejour, le Secrétaire aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, M. Douglas

Hurd, déclarait à la Chambre des Communes que

"The charges allege that the individuals acted as part of a conspiracy to further the purposes of the Libyan
Intelligenceervicesby criminai means, and thal those means were of terrorism. This was a mass murder,

which is alleged to involve the organs of Government of aState." 6

Les actes d'accusation furent ofticiellement notifiés à la Libye, respectivement le 18

novembre 1991 7 par l'ambassade d'Italie, chargée des intérêtsbritanniques à Tripoli, et le 20

novembre 1991 8 par l'ambassade de Belgique, chargée de la représentation des intérêts

américains. Le Gouvernement des Etats-Unis chargeait l'ambassade de Belgique de demander

le "transfert" des deux suspects aux Etats-Unis pour y répondre devant les juges américains 9.
Une demande similaire émanant du Royaume-Uni étaittransmise et appuyée par l'ambassade

d'Italie lü.

2.5 Les réactions de la Libye devant ces accusations furent de deux ordres.

Tout d'abord, elle protesta vigoureusement et de manière répétéecontre les graves

accusations dirigéescontre la Libye elle-même,accuséed'avoir fomenté l'attentat.

4 Ihid., annexes net7R.

5 V. annexe no li.
6 V. annexes n"9.

7 V. ;mnex e°31 et 37 et accuséde réception libyen, voir annexe no41.
8 V. annexe no35 et 39.

9 V. annexe n"35.
l Pour la réaction libyenne la note du 23 novembre 1991, voir annexe 11°38.6

D'autre part, elle mit immédiatement en mouvement les procédures judiciaires

pertinentes sur le territoire libyen concernant les deux accusés.

2.6 S'agissant des protestations, la Libye nia toute association à ce forfait ou sa

connaissance et demanda que les Etats-Unis et le Royaume-Uni fournissent les preuves de ces

accusations 11. S'effrayant des menaces à peine voilées contenues dans divers textes 12, la

Libye proposa que le différend entre les Etats concernés soit résolu par des moyens

pacifiques 13 et que les accusations dirigées contre elle soient soumises à la Cour

internationale de Justice ou à une commission internationale d'enquête 14.La Libye craignait
que ces accusations sans fondement servent de prétexte aux Etats-Unis pour s'engager dans

une nouvelle agression contre elle 15,comme cela avait étéle cas en 1986 lors du raid aérien

des Etats-Unis, condamné par l'Assemblée généraledes Nations Unies 16_

2.7 S'agissant des procédures internes, dès le 18 novembre 1991, le secrétariat de la

Justice adopta les mesures suivantes :

saisine de la haute Cour pour qu'elle désigne un juge d'instruction;

appel à toute personne intéressée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, y compris les

familles des victimes, pour qu'elles apportent toutes les informations pertinentes qu'elles
pourraient posséder à propos de cette affaire au juge d'instruction;

offre de toutes les facilités nécessaires et garanties à ceux qui voudraient appÔÏter,_.~~

témoignage ou une information pour aider le magistrat instructeur;

offre de coopérer avec toute autoritéjudiciaire en vue de déterminer les faits pertinents 17.

Il En ce sens, on citera le communiqué de presse de la mission permanente de laàLNew York du 14 novembre
1991 (voir annexe° 12), le communiqué du Comité populaireiai~1 exnérieure et de la coopération internationale

du 1S novembre 1991 (voir annexe n° 23) transmis au président du Conseil de sécuritéle 16 novembre 1991 (doc.
S/23221 ), la lettre du Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération internationale adressée
au Secrétaire généraldes Nations Unies le l7 novembre 1991 et publiée comme document officiel A/46/660 ou

S/23226 le 20 novembre (voir annexe n" 29).
12 Sur ces menaces, voyez infra §§ 2.8 et 2.26.
13 En ce sens, on citera le communiqué de pres::;ede la mission pcnnanente de la Libye à New York du 14 novembre

1991, voir annexe° 12., la lettre du Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération interna­
tionale adressée Secrétaire généraldes Nations Unies le 17 novembre 1991 et publiée comme document officiel

A/46/660 ou S/23226 le 20 novembre, voir annexe n° 29.
14 V. le communiqué du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération internationale du 1S novembre
1991, voir annexe123 transmis au président du Consei 1de sécuritéle 16 novembre 1991, doc. S/23221.
IS
V. la Jeure du Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération internationale adressée au
Secrétaire généraldes Naons Unies le 20 novembre 1991 et publiée comme document officiel A/C. 1/46/23 le 25
novembre, voir annexe n°36.

16 V. la résolution 41/3 8 du 20.11. 1986 de 1'Assemblée généraledes Nations- Unies, annexe n° S.
17 V. le communiqué de la mission permanente de la Libye à New york en date du 18 novembre 1991, voir annexe

n°32. 7

Il ajouta cependant que les procédures entamées.en Libye devaient êtreconformes à

son code pénalet à son code de procédures pénales du 18 novembre 1953.

Le code pénallibyen stipule en son article 6

"Tout citoyen libyen qui commet à l'étranger un acte qualifié de crime ou de délit par ce code, sauf les
infractions prévues par l'article précédent,sera puni, conformément à ces dispositions s'il retourne en
Libye et si 1'acte est punissable par la loi de 1'Etat où cet acte a étécommis." l8

Par conséquent, les tribunaux libyens sont compétents pour tout délitcommis par des

Libyens à l'étranger s'ils sont trouvésen Libye.

Quant à 1'extradition qui est réglementéepar les art. 493 ss. du code de procédures

pénales, l'art. 493 bis (a) prévoitnotamment que l'extradition des délinquants est subordonnée

au fait que '~ dlea ande ne concerne pas un citoyen libyen" 19.Voici notre traduction du texte

des articles pertinents :

Art. 493- Loi applicable:
"La loi libyenne organise les règles de l'extradition des criminels et de leur réception sauf si celles-ci sont
organisées par les conventions et la coutumeternationales."

Art. 493 bis(a)-Conditions de l'extradition0

"La personne accusée ou condamnée peut êtreextradée si les conditions suivantes sont remplies:
a) le fait constitue un crime selon la loi libyenne et la loi de l'Etat réclamant l'extradition;
b) le crime ou la peine ne sont pas prescrits selon la loi libyenne et la loi étrangère;

c) les lois des deux Etats permettent l'engagement de l'action pénale;
d) la demande ne concerne pas un citoyen libyen;
e) le crime n'est pas de nature politique ou connàxun crime politique;

(.)"

Art. 493 bis (b)- Extradition des personnes en transit
"La personne, accuséeou condamnée, qui est livréeou expulsée d'un Etat vers un autre Etat peut traverser
le territoire libyen si l'extradition a eàla suite d'une décision du pouvoir judiciaire de l'Etat où s'est
réfugiéela personne extradée et si les conditions indiquées aux §§ a, d, e de l'article précédent sont

remplies."

Art. 493 bis (c)- Compétence

"Dans les conditions prévues par 1'art. 493 bis (a) du code de procédures pénales, le ministre de la 1ustice
peut proposer ou permettre l'extradition d'une personne accusée d'un délit commis hors du territoire
libyen.

En conformité avec la proposition du ministre de la Justice, le Conseil des ministres aura le droitde
statuer sur la prioritéde l'extradition y a plusieurs demandes."

Art. 495 - Intervention du judiciaire
"L'extradition d'une personne accusée ou condamnée à l'étranger n'est possible qu'après une décision
de la Cour d'assise dans le ressort de laquelle résidecette personne.

Toutefois, 1'extradition est permise sans l'intervention de la Cour d'assise

18 Voir annexe n°2
19 Voir annexe n° 2.

20 Les §§ a, b et c étéajoutés par la n°i18 -année 1962, publiéeau 1ournal officie8, année 1962.8

1) si l'extraditine concerne qu'un seul Etat et ne fait l'objet d'aucune objection de la part de la
personne concernée ou si \'extradition a étédemandée par la personne recherchée;
2) s'is'agit simplement d'une demande d'autorisation de passage en territoire libyen d'un accusé ou d'un

condamné à 1'étranger, demande effectuépar un Etat qui a accordé1'extradition à un autre Etat après
1'intervention du pouvoir judiciaire de l'Etat concerné21...)."

Par conséquent, la législation libyenne interdit l'extradition de citoyens libyens, et
subordonne l'octroi de 1'extradition par l'ex écutif à une décision favorable de 1a Cour

d'assises.

Dans ces conditions - où la loi libyenne exclut l'extradition et prévoit la compétence
personnelle active des tribunaux libyens pour des délits commis à l'étranger par des Libyens,

y compris des infractions à la convention de Montréal - les autorités judiciaires compétentes

ont procédéà divers devoirs d'instruction à partir du 18 novembre 1991 .

Le 27 novembre 1991, le juge A.T. Zaoui, chargé de 1'enquête adressa au Président du
Grand Jury de la U.S. District Court for the District of Columbia une demande d'information

relative à tous les documents et les procès-verbaux constituant le dossier répressif contre les

deux suspects. Une copie des documents était sollicitée ou une date à laquelle une rencontre

pourrait avoir lieu entre les deux autorités judiciaires 22.Une demande identique fut adressée à
l'Attorney General du Royaume-Uni 23.

Le lendemain, le juge chargé de l'enquête convoquait les deux suspects ainsi que

d'autres personnes 24 et demandait le retrait des passeports et l'assignation à résidence
concernant cinq personnes y compris les deux suspects 25.

Le 4 décembre 1991, le juge Zaoui saisissait le ministre de la Justice, d'une demande
2
de commission rogatoire à Malte 6. La demande de commission rogatoire fut transmise le 8
décembre 1991 à l'ambassade de la République de Malte 27_

Le 29 décembre 1991, le juge chargé de l'enquête demandait les listes de tous les
passagers sur les vols Tripoli-Malte et Malte-Tripoli pendant la période du 5 au 22 décembre

1988. La Libyan Arab Airlines répondit à cette demande en envoyant le 8 février 1992 les

listes réclamées 28.

21 Voir annexe n°2.

22 Voir annexe n51.
23 Voir annexe n44.
24 Faits et procéduresd'instruction concernant ladestruction de l'avionaméricain.Voir annexe n°l96

25 Voir annexe n50.
26 Voir annexen° 55.
27 Voir annexe no58.

28 Faits et procéduresd'instruction concernant la destruction de l'avion américain.Voir annexe n°196 9

Une nouvelle demande au Haut Chancelier du Royaume-Uni fut adressée par le

Secrétaire libyen de la Justice (Ministre de la Justice) le 14 janvier 1992 29.

2.8 Les Etats-Unis et le Royaume-Uni assortissaient leurs accusations de menaces à peine

voilées. Au cours d'une conférence de presse du Département d'Etat des Etats-Unis, le 14

novembre 1991, le porte-parole M. Richard Boucher déclara:

"... at this point l'rn afraid I just have to tell you thar we're discussing a full range of options, we're
considering a full range of options."30

A une conférence de presse du 19 novembre 1991, le Président Bush fit comprendre

que l'usage de la force n'étaitpas exclu. En réponse à une question sur les options qui étaient

envisagées, il fit, entre autres, les observations suivantes :

"Third, we've not ruled out anything, we've not ruled it in any option in or out. We must keep our options
open in responding ro the incident, but I hope you can appreciate the importance of keeping our options

secrets, as weil. I don't want to telegraph what might do;"

et encore,

"So with respect to your question, I hope you will forgive me ifi don't show my hand, if 1don't go into
more detail on what options are available. l'rnsure you've read about retaliation, but beyond mentionning

broad categories, 1would simply emphasize that I will continue to consult with our allies, people whose
citizens were we'll make a prudent decision on behalf of the United States of America."31

Le 15 décembre, le Secrétaire à la Défense, M. Dick Cheney, était interrogé comme

suit:

29 Voir annexe n°79.

30 Voir annexe n° li. Notre traduction:
"... à ce stade je crains de pouvoir seulement dire que nous envisagerons tome une gamme d'options, nous envisa­

geons toute une gamme d'options."
31 Voir annexe n° 33. Notre traduction:
'Troisièmement, nous n'avons rien exclu. Nous n'avons ni exclu ni adopté aucune option. Pour répondre à cet inci­

dent, nous devons garder nos options ouvertes, mais j'espère que vous comprendrezi1est irnportant de garder nos
options secrètes.,n'ai pas envie d'envoyer un télégrammesur ce que nous pourrions entreprendre."

"Donc, en ce yui concerne votre question, j'espère que vous m'excuserez si je ne montre pas mes cartes, si je ne vous
en dis pas plus sur les options dont nous disposons. Vous savez ce'on a pu lire sur les mesures de représailles,

mais je n'entrerai pas dans Jedétail.Je voudrais seulement souligner que je continuerai à consulter nos alliés.Cc sont
des gens qui ont, eux aussi, perdu des compatriotes dans cet horrible acte de,terrorisme, etprendronsune dé­

cision réfléchieau nom destats-Unis."10

"Mr. Secretary, we just have Jess than one minute. Libya has still not turned over the two alleged bombers

of Pan Am 103. Is mi!itary reta!iation against Libya a real options ?" 32

Il a répondu :

"We have never ruled any option in or any option out. Obviously, we have continued to pursue that. As
the President' s indicated, we care very much about bringing to justice those people who were responsible

for the bombing of Pan Am 103."33

Le 30 décembre 1991, le représentant permanent de la Libye à 1'ONU fit une

déclaration protestant contre les sanctions économiques unilatérales prises à nouveau par les

Etats-Unis à son encontre 34.

Le 20 janvier 1992, le Ministre d'Etat britannique, M. Douglas Hogg, répondait au

parlement à une question de M. Dalyell. La question et la réponse étaient formulées comme

suit:

"Will the Minister answer the question put by Dr. Jim Swire about how one avoids a cycle of violence
being unleashed? If military action is note ruled out- and 1get the impression from what the Minister said

that it is not ruled out - what does the Minister expect but tit for tat ? Should we not recognise that the
whole tragedy started with the bombing of Tripoli, with the bombing of the civilian areas of Benghazi and
with the shooting down by the Vincennes, now discovered to have been in lranian territorial waters, of the

lranian airline ?35

M. Hogg:

"I have never made any reference to the use of force. 1 have said here and elsewhere thal we seek to
persuade the Government of Libya to comply with our requests thal the two people should be brought to

trail before the courts either of Scotland or of the United States. We hope thal we shall secure a United
Nations resolution underpinning that request. We hope that the Government of Libya will comply.
Clearly, if they do not, we shall have to consider our next step. 1 have not suggested force. 1 have ruled

nothing in and 1rule nothing out." 36

32 Voir annexe n° 62. Notre traduction :

"M. le Secrétaire,il nous reste moins d'une minute. La Libye n'a pss encore livréles deux suspects de J'anenlat
contre le vol103de la Pan Am. Des représaillemilitaires contre la Libye sont-elles réellementenvisagé?''.
33 Ibid.Notre traduction :
"Nous n'avons jamais adopté ni écartéaucune option. Bien entendu, telle est restée notre politique. Comme le

Présidentl'a indiqué,nous tenons beaucoup àamener devant la justice les gens qui sont responsables de J'anentat
contre le vol103de la Pan Am."
34 Voir annexe n°72

35 Voir annexe n° 80. Notre traduction :
"Le ministre peut-il répondreàla question de M. Jim Swire quant aux mesures àprendre pour éviterde déclencher
un cycle de violence? Si une option militaire n'est pas écartée-et ce que le Ministre a dit me donne l'impression que

cene éventualitén'a pas étéécartée- le Ministre s'<tttendiautre chose qu'une risposte du tac au tac ?Ne devrions­
nous pas reconnaître que toute la tragédiea commencélorsque Tripoli a étébombardé,lorsque les quartiers civils de

Benghazi ont étébombardéset lorsque le Vincennes, dont on sait aujourd'hui qu'il se trouvait dans les eaux territo­
riales iraniennes, a abattu l'avion ira?"en
36 Ibid .Notre traduction :
'"Je n'ai jamais mentionné le recours illa force, J'ai dit ici et ailleurs que nous essayons de convaincre le

Gouvernement ibyen de faire droit à notre demande tendanà ce que les deux intéresséssoient traduits en juslice de- 11

Section 2 - L'ultimatum du 27 novembre 1991 et les réactionslibyennes

2.9 Entretemps, le 27 novembre 1991, les gouvernements des Etats-Unis d'Amérique et

du Royaume-Uni ont publié une déclaration commune ayant le contenu suivant:

"Les gouvernements britannique et américain déclarent ce jour que le gouvernement libyen doit:

- Livrer, afin qu'ils soient traduits en justice, tous ceux qui sont accusés de ce crime et assumer la
responsabilité des agissements des agents libyens:

- Divulguer tous les renseignements en sa possession sur ce crime, y compris les noms de tous les

responsables, et permettre le libre accès à tous les témoins, documents et autres preuves matérielles, y
compris tous les dispositifs d'horlogerie restants;

- Verser des indemnités appropriées.

Nous comptons que la Libye remplira ses obligations promptement et sans aucune réserve."37

Le Gouvernement britannique publiait, Je mêmejour pour son propre compte, une

déclaration analogue.

Toujours à la mêmedate, la République française demandait la coopération judiciaire

de la Libye mais sur un ton plus conforme aux traditions de courtoisie diplomatique et en se
gardant bien d'exprimer des exigences similaires à celles des deux autres Etats 38.

Le mêmejour encore, une déclaration commune aux trois Etats (Etats-Unis, France et

Royaume-Uni) avait le contenu suivant:

"Les trois pays réaffirment leur condamnationtotale du terrorisme sous toutes ses formes, et dénoncent
toute implication des Etats dans les menées terroristes. Les trois pays réaffirment leur volonté d'y mettre

un terme.

Ils considèrent que la responsabilité des Etats est engagée dès lors qu'ils participent directement à de telles
actions, ou indirectementpar l'accueil, l'entraînemen1es faclitésaccordé 1'rm,ement, le soutien

financier, ou les protections de toutes sortes, et qu'ils en sont responsdevant les autres Etats et
devant les Nations Unies.

Dans ce contexte, età la suite des enquêtes effectuées sur les attentats relatifs aux vols Pan Am 103 et

UT A 772, les trois pays ont adressé aux autorités libyennes des demande spécifiques liées aux
procédures en cours. Ils exigent que la Libye accède à toutes ces demandes, et en outre qu'elle s'engage

vant les tribunaux écossaisou américains.Nous espéronsobtenir des Nations Unies une résolutionentérinantcette

demande. Nous espéronsque le Gouvernement libyen y fera droit. Manifestement, si tel n'est pas le !.:as.nous devons
déterminerquelles mesures s'imposent. Je n'ai pas suggérélJen'ai rien choisi et je n'ai rien exclu."

37 Doc..off. ONU A/46/827 ou S/23308 du 31 décembre1991. Voir annexe no46.
38 Doc. off. ONU A/46/825 ou S/23306 du 31 décembre1991. Voir annexe n"6412

de façon concrète et définitive à renoàtoute forme d'action terroriste et à tout soutien àdesrté
groupements terroristes. La Libye devra apporter sans délai par des actes concrets les preuves d'une telle
renonciation." 39

2.10 Immédiatement, la représentation permanente de la Libye à l'ONU protesta une
nouvelle fois contre ces accusations et contre un système consistant à affirmer une culpabilité

d'Etat sans l'avoir prouvée, souligna l'illogisme à condamner avant tout procès et la

manipulation de l'opinion publique ainsi effectuée. La Libye craignait que cela serve de
prétexte à une nouvelle agression contre elle.

La Libye maintenait néanmoins l'offre de coopérer pour la détermination des faits par
l'entremise soit d'un comité international impartial, soit de la Cour internationale de Justice.

La condamnation, le rejet et la dénonciation de toute forme de terrorisme étaient
proclamés dans k mêmetexte 40.

La Libye appelait en outre l'ONU à se pencher sur le problème du terrorisme en
s'attaquant aussi à ses causes 41•

Le 29 novembre 1991, le Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération
internationale publiait une déclaration se référantaux déclarations des trois Etats et soulignant

notamment les points suivants:

1°) L'opposition de la Libye à toute forme de terrorisme frappant des civils innocents et son

rejet de toute collusion avec des groupes exécutant des actes aussi inhumains. La Libye
ne permettrait pas que son territoire ou ses ressortissants soient utilisésà de telles fins.

2°) En dépitdu style inamical des déclarations en question, la Libye s'engageait à traiter des
de mandes des juridictions américaine et britannique "dans un esprit positif et

constructif'.

3°) Référenceétait faite à cet égard aux demandes d'informations transmises par le juge

d'instruction libyen à ces juridictions.

4°) La Libye s'engageait à donner pleine attention aux demandes des trois Etats "en

conformité avec les principes du droit international, y inclus ses droits souverains et la

39 Doc. off. ONU A/46/828 ou S/23309 du 31 décembre 1991.Voir annexe n° 47.
40 Voir annexe n° 42.
41 Voir annexe n°48. 13

nécessitéd'assurer la justice aussi bien pour les accusés que pour les victimes". A cet

égard, la Libye faisait bon accueil à la demande de créer un comité de personnalités

arabes et internationales pour suivre le déroulement de l'instruction 42.

Le mêmeComité, tout en observant que les demandes des trois Etats relevaient de la

compétence du juge libyen, acceptait le 2 décembre 1991 que des magistrats américains et

britanniques puissent participer à l'instruction pour s'assurer de l'impartialité du procès et de

la correction de la procédure. Les organisations internationales, les associations de droits de

l'homme et les familles des victimes auraient le droit d'envoyer des observateurs ou des

avocats pour aider à l'enquêteet seraient tenues informées des développements de celle-ci. Le
juge d'instruction prendrait en considération toutes les preuves établies aux Etats-Unis

(District de Columbia) ou en Ecosse. Les autorités libyennes compétentes étaient prêtes à

coopérer complètement avec les enquêteurs écossais et américains. La Libye acceptait
4
l'établissement d'une commission d'enquêteneutre 3.

2.11 Le point de vue de la Libye fut soutenu par la Ligue arabe, qui, par une résolution

5156 du 5 décembre 1991, proposa qu'un comité conjoint ONU-Ligue arabe fût formé pour

examiner tout document re.latifà la question 44_

Pour sa part, le sixième sommet de la conférence islamique, par une résolution du 12

décembre commenta favorablement les réponses données par la Libye aux demandes anglo­

américaines 45.

La Ligue arabe réitérasa proposition par sa résolution 5158 du 16 janvier 1992 46_

Un appui similaire fut accordé par un communiqué du Secrétaire généralde l'OUA 47

2.12 Tl n'est pas sans intérêtde signaler que l'Assemblée générale,le 9 décembre 1991, a
adopté par consensus une résolution sur les mesures visant à éliminer le terrorisme

42 Voir annexe n" 51.
43 Voir annexen" 54. Propos déjàémisdans la déclaration du Comitépopulaire de liaison extérieure et ùe la coopéra­
tion internationale du 20 novembre 1991, voir doc. off. ONU A/46/844 ou S/23416 du 13 janvier 1992, voir annexe

n" 36 ct du 29 novembre 1991, § 4, voir doc. off. ONU A/46/845 ou S/234 17 du 13jan vier 1992, voir annexe n° 51.
44 Voir annexe n° 56.

45 Voir annexe n"60.
46 Voir annexe no78.
47 Rapportépar la représentationpermanente de la Libye à 1'ONU le 13 décembre 1991, voir annexe n°6l.14

international. Tant les conditions dans lesquelles elle a étéadoptée que 1'équilibre de ses

considérants reflètent un consensus généraldes membres de l'Assemblée généralesur les

mesures qu'elle préconiseet l'étatdu droit international coutumier qu'elle constate.

Ceci est reflété,en particulier, par le paragraphe 4 du dispositif qui se lit comme suit:

"Demande instamment à tous les Etats de se conformer aux obligations que leur impose le droit
international et de prendre des mesures efficaces et résolues pour éliminer rapidement et définitivement le
terrorisme international et, à cette tïn:

a) D'empêcherla préparation et l'organisation sur leur territoire d'actes de terrorisme et d'actes subversifs
destinés à êtrecommis à 1'intérieuroà1'extérieur de leur territoà1'encontre d'autres Etats ou de leurs
ressortissants;

b) De veiller arrêter,traduire en justice ou extrader les auteurs d'actes de terrorisme;

c) De chercher à conclure des accords spéciaux à cet effet, sur une base bilatérale, régionale et
multilatérale;

d) De coopérer entre eux en échangeant des informations relatives à la lutte contre le terrorisme et à sa

prévention;

e) De prendre proprement toutes les mesures nécessaires pour appliquer les conventions internationales en

vigueur dans ce domaine auxquelles ils sont parties, notamment pour harmoniser leur législation nationale
avec cesconventions."48

Il est inutile de souligner que, dans ses comportements et ses propositions, la Libye

n'a cesséde se conformer à ces obligations.

Section 3 - Le refus de produire les preuves alléguées

2.13 L'attitude de non-coopération des Etats défendeurs est particulièrement insolite sinon

suspecte. Les autorités britanniques et américaines se sont toujours refusées à apporter à la

Libye la moindre preuve des allégations contenues dans les actes d'accusation. Les avocats
des intéressésn'ont pas eu non plus accès aux dossiers.

Les demandes des juges d'instruction libyens adressées à Washington et en Ecosse ont

étérejetées. Au Royaume-Uni, Lord James Douglas Hamilton a déclarédevant le Parlement

britannique le 28 janvier 1992:

48 Voir annexe n°59. 15

" ... the Libyan authorities have made public the fact of their request !hat the Lord Advocate assist a

Libyan judicial investigation. The Lord Advocate has made it clear that he is not prepared to co-operate in
suchan investigation [... ]." 49

Les autoritésaméricaines n'ont pas davantage daignérépondre.

Comme on l'a vu (supra § 2.3), selon les actes d'accusation, la valise piégéeserait

partie de Malte en direction de Francfort le 21 décembre 1988 et, de là, transféréesur le vol

Pan Am 103 A pour Londres.

Les enquêtesdes autorités maltaises n'ont apporté aucune preuve corroborant cette

allégation. Ainsi, selon un communiqué d'Air Malta du 15 novembre 1991, l'enquêtemenée

sur place en coopération avec la police écossaise n'avait pas apportéla moindre preuve qu'un

bagage non accompagné ou non identifié aurait étéintroduit dans l'appareil en question ou

qu'un passager non identifié y aurait pris place 50_ Selon un communiqué conjoint des

gouvernements de Malte et de Libye du 17 décembre 1991:

"Le représentant maltais a affirmé que, selon les résultats de l'enquête,aucune valise n'appartenànt pas
un passager n'a étéchargée àbord du Vol RM [il faut lire KM] de la compagnie aérienne maltaise à
destinationde Francfort, 21 12/1988." 51

Section 4- Les tentatives infructueuses de la Libye de trouver une solution pacifique

au différend

2.14 La Libye a multiplié les propositions aux défendeurs de régler par des voies de droit

les différendsles opposant:

-Ainsi par sa lettre du 20 novembre 1991 adresséeau Secrétaire généraldes Nations Unies, le

Secrétaire du Comitépopulaire de liaison extérieure et la coopération internationale déclarait

que:

"La Grande Jamahiriya se déclare entièrement disposée à coopérer avec toute instance juridique
internationale impartiale, car elle se considère la victime dans cette52:ffaire."

49 Hansard, 28January,1992, p. 55voir annexen"87.
50 Voir annexen° 22.

51 Voir annexen°63.
52 Voir annexen"36.16

- Les positions libyennes sont répétéesformellement dans une nouvelle lettre adressée le 8

janvier au Secrétaire généraldes Nations Unies. Le Secrétaire du Comité s'exprime comme

suit:

-à propos du contrôle de l'impartialité du juge libyen:

"Nous avons donné notre accord de principe à l'ouverture d'une enquête internationale honnête et
impartiale ...;"

-à propos du conflit juridique sur la compétence du juge libyen:

"nous avons donné notre accord au recours à la Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal
des Nations Unies, pour se prononcer sur la question de compétence;"

-à propos du conflit politique, il préconisait le respect de la Charte :

"A ce propos, nous aimerions vous présenter les propositions ci-après :
i) [... J

ii) Au cas où l'on parlerait d'un différend d'ordre juridique, inviter les pàrse mettre d'accord pour le
régler en saisissant les instances judiciaires internationales, dont la Cour internationale de Justice, et ce,
conformément au règlement de la Cour;"

La mêmeautoritédemandait que 1estrois pays soient invités

"à accéder à 1a demande des juges 1ibyens chargés d'enquêter sur ces attentats tragiques, en 1eur
fournissant une photocopie certifiée conforme à l'original des procès-verbaux." 53

Section 5 ~ L'invocation de la Convention de Montréal

2.15 Dès 1e30 décembre 1991, la Libye interpellait l'OACI et se plaignait des accusations

lancées contre elle sans la moindre preuve 54 .Le 11 janvier 1992, dans une nouvelle lettre au

Président du Conseil et au Secrétaire généralde cette institution spécialisée,la Libye situe

expressément le conflit dans les limites juridiques qui s'imposent aux parties ; la convention

de Montréal; elle mettait en lumière la pleine conformité de son action avec cette convention :

53 Doc. off. ONU A/46/X41 ou S/23396 du 9 janvier1992. voir annexe n73. Voyez encore les offres de coopération
dans la déclarationdu repré::oeptermanent de la Libye aux Nations Unies, Jemêmejour (voir annexe74) et un

projet ambitieux de lutte contre toutes les formes de terrorisme; doc. A/46/840 du 9 janvier 1992, voir an­
nexell 72.
54 Voir annexe no66 17

"ln accordance with Article (13)- para(c) of the Montreal Convention for 1971, which the Great

Jamahirîya joined in accordance with Law n°(79) of 1973 on 1611011973 55, we wish to înform you of
certain procedures taken against those alleged to be involved in that painful incident, in view of their

existence in our country and impossible handover thereof in accordance with Article (8) - Para(2) of
Montreal Convention.

"Our country has taken , in accordance with Article (5.2) of Montreal Convention, the necessary

procedures for imposing its function, especially as the said Agreement would not prevent from any
crîminal function exercised according to the national law and the Libyan law gives competence to the
Libyan national judiciary.

Actually, ajudge for investigation in the degree of Coun sellor has been designated who started the judicial

procedures for ascertaining the existence of the accused persans and took prompt steps for making
preliminary investigation. The states concerned as per Article (5/1) of the said Montreal Convention were

inforrned thal investigation has been started with the accused persan and these countries were asked to
cooperate with the Libyan judicial authorities.

The Libyan judicial authorities designated for investigation demanded that by official correspondence

adressed to the Attorney General of the U.K. and Chairrnan of the Supreme Juries Board, D.C., U.S.A.
and the French Judge for investigation. However, these demands have not received any response so far.

We will inform you of any developments or other measures." 56

- Le 10 janvier 1992, le représentant permanent de la Libye faisait savoir qu'il n'y avait pas

d'objection à ce que le Conseil de sécuritélui-mêmechargeât un comitécomposé de membres

du Conseil d'enquêter sur la question ou instruisit le Secrétaire généralde former un tel

comité 5 .

- Enfin, le 18 janvier 1992, le Secrétaire du Comité populaire de liaison avec 1'étrangeret de

coopération internationale envoya une lettre identique au Secrétaire d'Etat des Etats-Unis, M.

James Baker et au ministre des Affaires étrangèresdu Royaume-Uni, M. Douglas Hurd. En

voici de trèslarges extraits:

55 Ce texte est reproduit en annexe n" 4.
56 Ce texte est reproduit en annexe n"75. Notre traduction : "Conformémentà l'article 13, paragraphe c de la convention

de Montréalde J971. à laquelle la Grande Jamahiriya a accordéconformémentà lu loi n" 79 de 1973, le 16/10/1973,
nous tenons à vous informer de certaines procéduresqui sont introduites contre les personnes accusésd'êtreimpli­

quéesdans Œ pénibleincident, eu égardde leur existence dans notre payàl'impossibilitéde les remettre, confor­
mémentà l'article8,paragraphe 2 de la convention de Montréal.

Notre pays a mis en oeuvre, conformément l'article 5 § 2 de la convention de Montréal,les procéduresnécessaires
pour exercer sa compétence,eu égarden particulier au fait que la convention ne fait obsàaucune compétence
pénaleexercéeconformémentau droit national, et dès lors que la loi libyenne confere compétenceau pouvoir judi­

ciaire libyen.
Acmellement, un juge d'instruction de grade de conseiller, a étédésignéet a commencé les procéduresjudiciaires

pour s'assurer de la présencedes accusés,et a immédiatementpris des dispositifs pour commencer une enquêtepréli­
minaire. Les Etats concernésau titre de 1'article 5(1) de ladite convention de Montréal ont étéinformésde ce que

l'enquêteavait commencé avec les accusés,ct ces Etats ont étépriésde coopéreravec les autoritésjudiciaires Li-
byennes. ·

Les autoritésjudiciaires libyennes désignéespour l'enquêteonc demandécette coopérationpcorre~pond offnce
cielle adresséeà l'Attorney General du Royaume-Uni, au Présidentdu Supreme Juries Board, D.C., U.S.A. et au juge

d'instruction t'Tanç. outefois, ces demandes sont restéessans réponsejusqu'à présent.Nous vous inforn1eronsde
tout développementou d'autres mesures."

57 Voir annexe n"76.18

"(...) Les Etats Unis d'Amérique, le Royaume-Uni et la Libye sont des Etats parties à la Convention de
Montréal de 1971 pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécuritéde l'aviation civile. En
conséquence par respect pour le principe de la primauté du droit et en application du Code libyen de

procédure pénale promulgué en 1953, qui définit la compétence de la justice libyenne, dès que les
accusations eurent étéportées, la Libye a exercé sa compétence à l'égard des deux auteurs présumés
conformément à l'obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 2 de l'article 5 de la convention de
Montréal en prenant certaines mesures pour assurer leur présence et en prenant immédiatement des
dispositions pour ouvrir une enquêtepréliminaire. Elle a notifiéaux Etats visésau paragraphe 1 de l'article

5 de la Convention que les suspects étaienten étatd'arrestation.

Il est incontestable que la convention de Montréal pour la répression d'actes illicites dirigés contre la
sécuritéde l'aviation civile n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément au droit national

(libyen en 1'occurrence), ainsi qu'il est énoncéu paragraphe 3 de l'article 5. En notre qualité d'Etat partie
à la Convention et conformément au paragraphe 2 du mêmearticle, nous avons pris les mesures nécessaires
pour établirnotre compétence aux fins de connaître de toutes infractions prévues aux alinéas a), b) et c) du
paragraphe 2 de l'article premier ainsi qu'au paragraphe 1 du même article, étant donné que l'auteur
présuméen l'espèce se trouvait sur nOireterritoire.

De surcroît, l'article 7 de la Convention stipule que l'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur de
l'infraction est découvert; s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire à ses autorités compétentes pour
l'exercice de l'action pénale, et que ces autorités prennent leur décision dans les mêmesconditions que

pour toute infraction de droit commun de caractère grave conformément aux lois de cet Etat.

L'affaire a effectivement étésoumise aux autoritésjudiciaires et un juge d'instruction (conseilleà la Cour
suprême)a éténommé. 11a engagé des procédures judiciaires et émis un mandat d'arrêtprovisoire contre
les deux suspects. Les Etats visésau paragraphe l de l'article 5 de la Convention ont éténotifiés (sic) en

conséquence et invités àcoopéreravec les autoritésjudiciaires libyennes. Les autoritésjudiciaires libyennes
chargées de mener l'enquêteont fait la mêmedemande dans des communications officielles adressées aux
personnes suivantes :

L'Attorney General des Etats-Unis d'Amérique;

Le Présidentdu Grand Jury du District de Columbia (Etats-Unis d'Amérique);

Le juge d'instruction français.

Or, jusqu'ici, il n'y a eu de réponseà aucune de ces demandes.

La Libye, en prenant ces mesures, a donné une expression concrète au profond chagrin qu'elle éprouve
devant la destruction tragique et criminelle del'aéronefen question, et elle a à plusieurs reprises exprimé

son respect du principe de la primautédu droit.

Après que la Libye eut demandé la coopération des autres parties intéressées,et alors qu'elle escomptait
une coopération sans réserve, les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni ont non seulement refusé
catégoriquement de-coopérer, mais mêmemenacé de recourir à la force et, somme toute, leur réaction a

rendu impossible tout règlement négocié.

Il convient de noter que le paragraphe 1 de l'article 14 de la Convention stipule que tout différend entre les
Etats contractants qui ne peut pas êtreréglépar voie de négociation est soumis à 1'arbitrage, à la demande

de l'un d'entre eux.

Au paragraphe 1 de l'Article 33 du Chapitre VI de la Charte, intitulé"Règlement pacifique des différends",
il est dit que les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la

paix et de lasécuritéinternationales doivent en rechercher la solution par voie de négociation, d'enquête,
de médiation,de conciliation, d'arbitrage ou de règlement judiciaire.

La Libye engage les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni à se laisser guider par la voix de la
raison et par le droit, à accepter rapidement un arbitrage, selon le paragraphe 1 de l'article 14 de la

Convemion et à s'asseoir avec elle aussitôt que possible à la table de négociation afin de définir les
modalités pour contribuer à la préparation de 1'arbitrage du différend. 19

La Libye affirme qu'elle condamne sans réserve le terrorisme sous toute ses formes, elle blâme toute
participationun crime de ce type et nie expressément avoir participé en quoi que ce soit aux actes qui
ont abouti à la destructionde l'aéronef de la Pan Am, en avoir eu connaissance ou y avoir

consenti (...)."58

Par ce texte, la Libye invoquait de manière expresse les articles pertinents de la

convention de Montréal.

Trois jours plus tard, le Secrétaire du Comité Directeur de l'Etablissement public de
l'Aviation civile et de la Météorologie adressait une lettre au Président du Conseil et au

Secrétaire généralde l'O.A.C.I., soulignant le rôle de l'article 14 § 1 de la convention de

Montréal, et portant à leur connaissance qu'un mémorandum avait étéadressé sur ce point aux

Etats-Unis et au Royaume-Uni 59.

Dès le 20 janvier 1992, M. Douglas Hogg, ministre d'Etat au Foreign and

Commonwealth Office refusait l'idéed'appliquer la convention de Montréal en prétendant que

celle-ci n'étaitpas d'application dans le cas où un Gouvernement est lui mêmeimpliqué dans

l'attentat, tout en reconnaissant que la prémisse de cette conclusion n'étaitpas prouvée 60.

CHAPITRE II - LE RECOURS AU CONSEIL DE SECURITE ET V ADOPTION

DE LA RESOLUTION 731 (1992)

Section 1 - Le texte de la résolution

2.16 Se rendant compte sans doute de l'impossibilité pour eux d'obtenir l'extradition des

deux libyens par les voies du droit international coutumier conventionnel, les défendeurs

décidèrent de saisir le Conseil de sécuritéafin d'essayer d'obtenir de ce dernier un appui à

leurs demandes.

58 Doc. off. ONU S/23441 du 18janvier 1992, voir annexe n° 79.
59 Voir annexe n° 84.
60 Voir annexe n° 80.20

Lors de sa 3033ème séance,le 21 janvier 1992, le Conseil de sécuritéadoptait le texte
du projet de résolution soumis un jour plus tôt par les Etats-Unis, la France et le Royaume­

Uni 6 1•Aux tennes de la résolution 62, le Conseil de sécurité:

Profondément troublé par la persistance,dans le monde entier, d'actes de terrorisme international sous
toute ses formes, y compris ceux dans lesquels des Etats sont impliqués directement ou indirectement, qui
mettent en danger ou anéantissent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les relations

internationales et peuvent compromettre la sécuritédes Etats,

Gravement préoccupé par tous les agissements i licites dirigé s contre 1'aviation civile internationalet

affirmant le droit de tous les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit
international, deprotéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une menace
à la paix età la sécuritéinternationales,

Réaffirmant sa réso1ution 286 (1970) du 9 septembre 1978, par laquelle i1demandait aux Etats de prendre
toutes les mesures juridiques possibles pour empêcher toute ingérence dans les liaisons aériennes

internationales civiles,

Réaffirmant également sa résolution 635 (l989) du 14 juin 1989, par laquelle il condamnait tous les

agissements illicites dirigés contre la sécuritéde l'aviation civile et demand1ià tous les Etats de coopérer
à la mise au point et à 1'app1ication de mesures visant à prévenir tous les actes de terrorisme, y compris
ceux commis au moyen d'explosifs.

Rappelant la déclaration faite le 30 décembre 1988 par le Président du Conseil de sécuritéau nom des
membres du Conseil condamnant fermement la destmction du vol PAN AM 103 et appelant tous les

Etats à apporter leur aide afin que les responsables de cet acte criminel soient arrêtéset jugés,

Profondément préoccupé par ce qui résulte des enquêtes impliquant des fonctionnaires libyens et qui est

mentionné dans les documents du Conseil de sécuritéqui font état des demandes adressées aux autorités
libyennes par les Etats-Unis d'Amérique 63, la FmnŒ 64, et Je Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d'Irlande du Nord 65 liéesaux procédures judiciaires concernants les attentats perpétréscontre les vols de

la Pan American et de l'Union des transports aériens,

Déterminé à éliminer le terrorisme international,

1. Condamne la destruction du vol Pan American 103 et du vol 772 de l'Union des transports aériens
ainsique la perte de centaines de vies humaines qui en est résultée;

2. Déplore vivement le fait que JeGouvernement libyen n'ait pas répondu effectivement à ce jour aux

demandes ci-dessus de coopérer pleinement pour l'établissement des responsabilités dans les actes
terroristessusmentionnés contre les vols 103 de la Pan American et 772 de l'Union des transports
aériens;

3. Demande instmnment aux auto rités libyennes d'apporter immédiatement une réponse complète et
effective à ces demandes afin de contribuer àl'élimination du terrorisme international;

4. Prie le Secrétaire généralde rechercher la coopération du Gouvernement libyen en vue d'apporter une
réponse complète et effective àces demandes;

5. Demande à tous les Etats d'encourager individuellement et collectivement le Gouvernement libyen
d'apporter une réponse complète et effective à ces demandes;

6. Décide de rester saisi de la question.

61 Doc. ONU S/23422. voir annexe n"81.
62 Doc. S/RES/73 1(1992), voir annexe n"82.

63 Doc. ONU S/23309, voir annexe n"47, Doc. ONU S/2308, voir annexe n°46, Doc. ONU S/23317, voir annexe n"7.
64 Doc. ONU S/23306, voir annexe n"64 Doc. ONU S/23309, op.cit.
1
65 Doc. ONU S/23309, op.cit., Doc. ONU S/23307, voir annexes n"8, 9, 45 et 69. 21

Section 2 - Les discussions au Conseil de sécurité

A - La position libyenne

2.17 A l'occasion des débats, M. Jadalla A Belgasem El-Talhi, Secrétaire des industries

stratégiques de la Libye, a défendula position de son pays de la façon suivante.

Tout d'abord, le représentant de la Libye se félicite de la séancetenue par le Conseil

de sécurité.Et de rappeler que la Libye aurait pu demander une réunion du Conseil après les
menaces directes de recours à la force lancées à l'encontre de son pays par de hauts

responsables des gouvernements du Royaume-Uni et des Etats-Unis d'Amérique 66."C'est la

Libye qui est menacéepar des superpuissances, tout comme elle a fait l'objet d'une agression
arméeen 1986." 67

Selon le Secrétaire, le différend dont le Conseil est saisi est une question juridique.
Elle porte d'une part, sur un problème de conflit de juridiction, et d'autre part, sur la

détermination juridique d'une demande d'extradition. Quant au premier problème, la Libye

estime que le droit international et les conventions internationales prévoient des moyens
concrets de le régler,et en premier lieu, la convention de Montréal pour la répression d'actes

iIIicites dirigés contre la sécuritéde l'aviation civile. L'article 14 de cette convention prévoit

expressément la procédureà suivre en cas de différendentre Etats relatifs à l'interprétation ou
l'application de la convention 68. Quand au différendrelatif à l'extradition, la Libye considère

qu'il s'agit bel et bien d'une question juridique et que le Conseil de sécuriténe serait pas

l'instance compétente pour en connaître 69.

Le représentant de la Libye fait ensuite valoir de vives critiques quant au projet même
de résolutionqui étaitprésenté au Conseil.

Comment le Conseil de sécuritépourrait-il adopter un projet de résolution fondé sur
les conclusions d'un investigation incomplète ? 70 De très gros problèmes de preuves sont

effectivement soulevéspar cette proposition soumise au Conseil.

66 Doc. ONU. S/PV. 3033, voir annexe n° 83, pp.4-5 et 7.
67 Ibid.•pp.23-25_

68 Ibid.,.12.
69 Ibid., pp.l3-l5.
70 Ibid., p.l6.22

Comme le note la Libye, les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni et la France lui

ont demandé, entre autres de divulguer toutes les informations qu'elle possède concernant le

crime, y compris tous ceux qui y ont participé, et d'avoir accès à d'autres documents et

preuves matérielles. Ce faisant, ces trois Etats ont démontréque l'enquêten'est pas complète

et que l'accusation manque de témoins et de preuves matérielles 71. De surcroît, les preuves

étayant ces inculpations sont sans valeur, et les accusations reposent sur des suppositions et

des actions sans fondement n. D'une part, cela aboutit à renverser la présomption

d'innocence. "Les accusés doivent maintenant êtreconsidéréscoupables jusqu'à ce que leur
innocence ait étéprouvée" 73. D'autre part, ces affirmations sans fondements ne peuvent

étayerdes accusations aussi graves que celles qui sont reprises dans le texte de la résolution 74.

La Libye conteste égalementtoute mise en cause de sa responsabilité.

"En vertu de quel droit un acte dont est accusé un partkumêmes'il occupe un poste officiel dans son
pays- implique-t-il qu'il a étécommis en collusion avec cet Etat?"

S'il est en effet incontestable que les deux suspects sont des employés d'un organe parastatal libyen à
finalité commerciale- les Libyan Airlines, il n'a jamais étéprouvé par les défendeurs que les suspects
seraient des agents secrets de la Libye.

Il importe particulièrement que la responsabilité des individus soit déterminée avant de

conclure que l'Etat est responsable, mêmesi l'intéressé estfonctionnaire dudit Etat 75.

Comment le Conseil peut-il condamner la Libye pour ne pas avoir répondu aux

demandes des Etats-Unis d'Amérique, de la France et du Royaume-Uni après toutes les

mesures qu'elle a prises ? 76 Le représentant libyen a rappeléles mesures adoptées jusqu'ici

par son pays à la suite des demandes d'inculpation présentéespar ces trois Etats :

- nomination de deux magistrats enquêteurs;

- amorce d'une enquête sur base de la loi libyenne de 1953 relative aux procédures

criminelles 77;

- communication des enquêteurslibyens avec les autorités d'enquêteen Ecosse, aux Etats­

Unis d'Amérique et en France et offre.de collaboration aux enquêteursde ces trois pays 8; 7

71 -Ibid., p.17.
72 Ibid., p.6.
73 Ibid., p.6.

74 Ibid., p.7.
75 Ibid., p.l6.
76 Ibid., p. 16.

77 Ibid., p.7.
78 Ibid., pp.S-1O. 23

- les autorités libyennes ont fait savoir qu'elles étaient prêtesà recevoir les enquêteurs. Elles

ont reçu les avocats de ceux qui se sont constitués partie civile;

- la Libye a proposé, en raison de la dimension internationale des événements,de mettre sur

pied une commission d'enquête internationale, voire de créer un comité d'enquête neutre

ou de renvoyer l'affaire devant la Cour internationale de Justice79.

La justice libyenne a donc bien étésaisie de l'affaire.

"Les autorités judiciairecompétentes continuent à s'en tenir aux procédures prévues par la loi. Il est
inconcevable de mettre en cause l'indépendance, !'impartialité et l'intégrité de l'appareil judiciaire

libyen" 80_

Au contraire, si l'enquêten'a pas progressé, c'est faute de coopération de la part des

autres parties et à cause de leur refus de communiquer les dossiers de 1'enquête aux

enquêteurslibyens 81.

Enfin, le représentant libyen a rappelé que, conformément à l'article 14 de la

Convention de Montréal, i1 a demandé de soumettre le différend à 1'arbitrage dans des

communications officielles adressées aussi bien aux Etats-Unis d'Amérique qu'au Royaume­

Uni., et a réitéré ces propositions devant le Conseil 82 :

"Pour permettre un règlement rapide du différend, nous estimons qu'une date limite proche et définitive
doit être fixée pour ces procédures, après quoi, si aucun accord n'intervient quant à l'arbitrage, 1a

question pourrait êtrerenvoyée devant la Cour internationale de Justice" 83.

De façon générale,l'adoption du texte de la résolution 731 par le Conseil doit être

replacé sous l'angle de la légalitéde son action.

"La légalité des travaux de ce Con sei 1 est fonction du respect des dispositions de la Charte de
l'Organisation et de l'application appropriée de ces dispositions. Il est inconcevable de mettre ce principe

en application si les parties à ce différend panicipent au vote du projet de résolution" 84_

Enfin, le représentant libyen a rappelé devant le Conseil la condamnation du

terrorisme par la Libye sous toute ses formes.

79 Ibid., p.ll:
80 Ibid.p.22.

81 Id.
82 Id.
83 Id.

84 Ibid.,pp.23-25.24

"La Libye a affirmépar le passéet réaffirmeaujourd'hui sa détermination de prendre toutes les mesures et

de tout faire pour mettre un termeà ce phénomènedangereux. Nous sommes disposés à nous engager à
combattre ce fléauau moyen de toutes les mesures adoptéespar la communauté internationale" 85_

B- La position des Etats auteurs du projet

2.18 Les trois Etats auteurs du projet de résolution ont étéamenés à l'issue du vote à

donner les explications suivantes.

M. Pickering, au nom des Etats-Unis d'Amérique, a défendu la position de son pays

et insisté sur différents points:

- la question dont est saisi le Conseil concerne "un comportement qui nous menace tous et qui

met directement en danger la paix et la sécuritéinternationales" 86;

- "le Conseil s'est trouvédevant un cas qui implique clairement la participation d'un gouvernemenà des
activités terroristes et pour 1esq uels il n'existe pas de pouvoir judiciaire indépendant dans 1'Etat
incriminé."87

- "aux termes de cette résolution,la Libye est directement priéede coopérer pleinement en remettant les
fonctionnaires accusésd'êtreresponsables de la destructions de ces deux avions ou d'y êtremêléset de

prendre des mesures concrètes pour se conduire comme un Etat respectueux du droit." 88

Il affirme au surplus, sans beaucoup de respect pour le texte qu'il vient de voter que

"La résolution stipule que les personnes accusées soient simplement et directement remises aux autorités
judiciaires des gouvernements qui, en droit international, sont compétents pour lesr." 89

Le représentant du Royaume-Uni, Sir D. Hannay, a développé la position de son

gouvernement et justifié l'adoption de la résolution 731 en ces termes:

deux motifs justifiaient la saisine du Conseil. D'une part parce qu'il y a "de bonnes raisons

de penser que les services officiels d'un Etat membre de l'Organisation des Nations Unies

ont participé" aux attentats terroristes 90 et d'autre part, parce que, "jusqu'à présent, la

85 Ibid.p.IS-20.
86 Ibid.p.78.

!\7 fhid.pp.78-80.
88 Ibid.p.78.

89 Ibid.pp.79-80.
90 Ibid.p.l03. 25

Libye n'a pas répondu à nos demandes afin que les accusés soient livrés à la justice

d'Ecosse ou aux Etats-Unis" 91;

la convention de Montréal ne trouve pas à s'appliquer. "Ce qui nous préoccupe ici, c'est la

réactionde la Communauté internationale devant la situation découlant du fait que la Libye

n'a pas, à ce jour, répondu de façon crédible aux graves accusations selon lesquelles un
Etat aurait participé à des actes de terrorisme" 92;

les deux suspects libyens devraient de toute évidence se dérouler en Ecosse ou aux Etats­

Unis et non en Libye puisque

"dans ces circonstances particulières, on ne pourrait avoir confiance dans l'impartialité des tribunaux
libyens" 93;

la résolution ne peut êtreinterprétéecomme remettant en cause les règles nationales des
pays qui interdisent l'extradition de leur ressortissants. "Mais, il n'y a pas de règle de droit

international qui exclut 1'extradition de ressortissants". Et dans les circonstances où un Etat

est impliquédans des actes terroristes,

"il doit êtreévidentpour tous que l'Etat qui a lui-mêmeparticipéaux actes de terrorisme ne peut juger ses
4
propresagents." 9

Enfin, le représentant français, M. Rochereau de la Sablière, ajuste rappelé, au nom de

son gouvernement, qu' :

à ce jour, les auto rités 1ibyen nes n'avaient pas répondu de manière satisfaisante aux

demandes françaises, américaines et britanniques 95;

il espérait que la résolution 731 "amènera les autorités libyennes à accéder, dans les plus
brefs délais, aux requêtesdes autorités judiciaires chargées de mener 1'instruction sur les

attentats odieux commis contre les vols UTA 772 et Pan Am 103" 96

91 Ibid.p.l02.
92 Ibid.p.I04.
93 Ibid.p.i04.

94 Ibid.p.J05.
95 Ibid,p.81.
96 Ibid.p.82.26

C - La position des Etats tiers

2.19 Les explications de vote données par les autres membres du Conseil donnent une
interprétation sensiblement différentedu texte de la résolution 731 et de sa portée.

Concernant les objectifs de la résolution 731, presque tous les Etats sont d'accord pour

affirmer que le but principal de la résolution, ou l'un d'eux, consiste dans l'affirmation claire

par le Conseil de la condamnation du terrorisme 97.

M. Gharekhan, représentant de l'Inde, y apporte cependant une nuance en précisant

que "la décision du Conseil vise cet objectif de lutte contre le terrorisme et ne compromet pas,

de l'avis de ma délégation, l'attachement - ou le manque d'attachement - d'un pays

quelconque à la promotion de l'objectif visé".98

Quant au second objectif de la résolution 731, les explications des Etats sont beaucoup

moins claires et précises. Si les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont exprimé l'opinion, après

que la résolution eût étévotée, que celle-ci demandait la remise ou la livraison des suspects

libyens, tel n'est pas le cas des autres Etats membres du Conseil qui se sont prononcés au seul

vu du texte et avant le vote. La France ne fait que se référeraux requêtesdes trois Etats. De
façon générale, les représentants des autres Etats membres n'ont pas fait référence à une

possible extradition et ont préféré des formules plus larges.

-"Il appartient à la Libye de coopérer pleinement avec les autorités judiciaires des Etats directement

concernés par ces deux attentat(M. Noterdaeme, Belgique)_99

-"Ceux qui commettent des actes criminels doivent êtretraduits en justice, et il appartient maiàtlaant

Libye d'apporter toute sa coopération à cette (M."Hohenfellner, Autriche). 100

Certains Etats, au contraire, ont manifestement émisdes réserves:

-Si "les auteurs de tels crimes devraient êtretraduits en justice et punis conformément à la

loi", le représentant du Cap-Vert préciseque

97 En ce sens voyez les déclarations ùe M. Munbengcgwi (Zimbabwe)ibid.21 janvier 1992, p. 71, de M. Posso
Serrano (Equateur), p.72 et M_Notcrdacmc (Belgique), p.83.

98 Ibid.pp.94-95.
99 Ibid.p. 83.
100 Ibid.p.92. 27

"notre vote ne saurait et ne doit cependant pas êtreinterprétéen aucune façon comme signifiant que nous
sommes en faveur de la création d'un précédentquel qu'il soit susceptible de modifier les règles et la
pratique internationale bien établies en matière d'extraditi01".!

-"Il est indispensable/ .../ que l'on n'aillà l'encontre des principes juridiques qui régissent l'autorité
de l'Etat, particulièrement en ce qui concerne l'extradition" (M. Posso SeTTano,Equateur).102

-Le deuxième objectif de la résolution

"viseà faire en sorte que les accusés soient traduits en justice. Le Zimbabwe estime que cela doit se faire
sur la base des normes juridiques établies et des instruments juridiques internationaux existants

applicables aux actes de terrorisme".

A cet occasion, le Zimbabwe rappelle Je précepte traditionnel aut dedere, aut punire 103_

- Le représentant marocain, M. Snoussi, invoquant également le principe d'extrader ou juger,
affirme que le

"Maroc ne peut en aucun cas estimer que l'adoption du projet de résolution qui nous est soumis
aujourd'hui au Conseil de sécuritépuisse consacrer une exception quelconque à ce principe incontestable
de droit international".
104

De plus, le Maroc considère "au premier stade que la coopération demandée concerne

1'établissement des faits". 1os

2.20 Certaines observations effectuées par les Etats présents lors des débats au Conseil de

sécuritépermettent également de donner un autre éclairage à la résolution 731.

M. Li Daoyu, représentant de la Chine, a ainsi adressé un appel clair à la modération.

"La Chine juge qu'une attitude prudente et appropriée plutôt que la manière forte doit être

adoptée pour surmonter pareilles divergences" 186. Elle ne faisait d'ailleurs qu'énoncer un

appel déjàlancépar M. Oman au nom de la Ligue des Etats arabes 107_

L'idéed'une forme d'enquêteimpartiale comme méthode adéquate en vue de régler le

différend a étéreprise par la Chine sous la forme d'une "enquête juste, sérieuse ou

101 M. lessus, ibid., p.76.

102 Ibid., p.73.
l03 M Mungegwi, représentant du Zimbabwe, ibid., p.71.
!04 Ibid., pp.58-60,

105 ibid., p. 57.
106 Ibid., p.S6.
107 Ibid.p.26.28

objective" 108_Le représentant de la Ligue des Etats arabes 109et d'autres Etats ont étéamené

à soutenir les propositions libyennes favorables à l'établissement d'une commission d'enquête

internationale ou dans un lieu impartial LlO_

Enfin, certains Etats ont mis en doute les compétences du Conseil de sécuritédans

cette affaire et la légitimitéde son action :

- le représentant mauritanien faisait part des inquiétudes de sa délégation "de voir le Conseil

de sécurité, dont la respon sab i1ité primordiale est d'assur er la paix et la séeurité
internationales, recourir à des procédures contestées susceptibles d'influer gravement sur

1'autoritéde ses décisions et qui présente le risque de créerun précédentdangereux" Ill ;

- le représentant du Soudan s'est déclarégravement préoccupéepar l'action du Conseil. "Au

lieu d'êtreune instance de règlement des litiges entre les Etats membres ou de maintien de
la paix et de la sécuritéinternationales, le Conseil de sécuritéest devenu une instance qui

impose aux faibles la volontéet les intérêts des forts" 112_

CHAPITRE Ill - DE LA RESOLUTION 731 (21 JANVIER 1992) À L'ADOPTION
DE LA RESOLUTION 748 DU 30 MARS 1992

Section 1 - Les positions des Parties selon les rapports du Secrétaire général

2.21 A la suite de 1'adoption par le Conseil de sécuritéde la résolution 731 (I 992), le

Secrétaire généralmandate son représentant, M. Vassili Savrontchouk, pour rencontrer à

Tripoli le Colonel Kadhafi, et examiner la manière dont la Libye pourrait répondre aux
recommandations de la résolution 731 (1992) 113_

108 Ibid.. pp.84-85.

109 Ibid, pp.28-30.
Il 0 M. Zarif, représentanl'ran, ibid., p. 68, M. Hassan, représentant du Soudan, ibid., p.32.
Ill Ibid., p.52.
112 Ibid., p.36.

113 Lettre du Secrétaire générdlau Colonel Kadhafi, 23 janvier 1992, V. annexe n° 64. 29

Le résultat de cette entrevue figure dans le rapport du Secrétaire généralen date du 11

février 1992 114.En substance, Je Secrétaire généralfaisait savoir au Colonel Kadhafi qu'il

agissait sur base du § 4 de la résolution 731 (1992) 115, et non comme médiateur entre le

Conseil de sécuritéet la Libye.

Le Colonel Kadhafi exposa comme suit la position de son pays :

- la Libye étaitprêteà coopérer avec le Secrétaire général~

- la Libye avait ouvert une instruction à l'égard des deux suspects;

- les autorités judiciaires libyennes souhaitaient plus d'informations de la part des Etats-Unis

et du R.-U.;

- les Etats-Unis et le Royaume-Uni pouvaient envoyer leurs propres juges en Libye s'ils ne

faisaient pas confiance àla justice libyenne;

- le Gouvernement libyen ne pouvait cependant pas contrevenir à ses propres lois;

- en cas de procès en Libye, le Secrétaire généralpouvait faire venir des juges américains,

anglais et français, ainsi que des représentants de la Ligue des Etats arabes, de l'O.U.A. et

de la Conférence islamique comme observateurs judiciaires.

Le rapport mentionne aussi qu'à la suite d'une rencontre tenue le Il février entre le

Secrétaire généralet le représentant permanent de la Libye aux Nations Unies, la Libye avait

fait savoir qu'elle souhaitait la création d'un mécanisme pour mettre en oeuvre la résolution

731 (1992) pourvu qu'il ne soit pas porté atteinte à la souveraineté libyenne.

2.22 Dans un rapport ultérieur daté du 3 mars 1992 116, le Secrétaire général relate le

résultat de ses entretiens avec les représentants permanents de la France, des Etats-Unis et du

Royaume-Uni le 17 février 1992. Pour les trois Gouvernement,

114 Doc. ONU S/23574, V. annexe n° 86.

115 Le § 4 "Prie le S. G. de rechercher la coopérationdu Gouvemement libyen en vue d'apporter une réponsecomplète
et effective à ces demandes".
116 Doc. ONU S/23672, V. annexe n°106.30

la déclaration de la Libye d'accepter de coopérer avec ces Etats était un pas en avant si

cette acceptation étaitsuivie de faits concrets;

- la question se posait notamment de savoir quand et comment la Libye livrerait les deux
suspects, quelle mesure la Libye comptait prendre pour mettre fin au terrorisme et si la

Libye pouvait donner des assurances quant à la réparation eu égardà sa responsabilité.

Après la rencontre des 24 et 27 février entre le Colonel Kadhafi et le représentant du

Secrétairegénéraldes N. U., la position de la Libye pouvait se définircomme suit:

- il existait des obstacles cons titutionnels qui, en 1'absence d'un traité d'ex tradition,

empêchent le Colonel Kadhafi ou la Libye de remettre des ressortissants libyens à
l'étrangerpour jugement;

- par l'intermédiaire du Comité populaire, il peut lancer un appel au peuple libyen, qui
pourrait aboutir à la levéede ces obstacles. l1 n'a pas indiqué le temps qu'il faudrait pour

surmonter les obstacles constitutionnels existants;

- une fois résolusles problèmes constitutionnels, la Libye serait disposée à envisager que les

citoyens libyens soient jugésen France. Or, la France n'a pas demandé que les suspects lui

soient remis en vue d'un procès;

- les autorités libyennes ne peuvent remettre de force les suspects à un pays étranger pour
qu'ils y soient jugés, mais les suspects eux-mêmes sont libres de se remettre

volontairement aux autorités,et la Libye n'a pas l'intention de les empêcherde le faire;

- la possibilité de remettre les suspects aux autorités d'un pays tiers en vue d'un procès

pourrait êtreenvisagée. A ce propos, le dirigeant libyen a mentionné Malte ou un pays

arabe quelconque;

- l'amélioration des relations bilatérales entre la Libye et les Etats- Unis d'Amérique rendrait
possible la remise des deux suspects aux autoritésaméricaines;

- la Libye étaitprêteà coopérer pour mettre fin au terrorisme et empêcherl'utilisation de son
territoire à des fins terroristes; 31

la question des réparations était prématurée, mais à supposer que les suspects fussent

reconnus coupables, la Libye garantirait le payement des indemnités qui leur seraient

imposées par une juridiction pénale ou civile 117.

Section 2 - Les actes et suggestions libyens

2.23 Le 17 février 1992, le juge Ahmed al-Zawî de la Haute Cour de Tripoli déclarait que

l'extradition des deux suspects était exclue au regard de la loi libyenne. Les deux suspects

demeuraient cependant en résidence surveillée pour êtrequestionnés si la justice libyenne

obtenait des élémentsde preuve 118.

Le mêmejour, le Secrétaire libyen à la Justice écrit à Lord Fraser, Lord Advocate
d'Ecosse; il souhaite le rencontrer prochainement afin qu'une collaboration s'instaure avec les

autorités judiciaires écossaises 119.Simultanément, le Vice-Secrétaire libyen aux affaires

étrangères écrit au Secrétaire aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, M. D. Hogg, pour

appuyer cette demande dans le respect mutuel de la souveraineté des deux Etats 120.

Le 2 mars 1992, le Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la

coopération internationale écritau Secrétaire généraldes Nations Unies que la Libye n'est pas

opposée à l'extradition en soi, mais que la loi libyenne exclut l'extradition des nationaux à

l'instar de ce qui est prévudans la loi de beaucoup d'autres Etats 121.

Section 3- L'introduction devant la Cour internationale de Justice d'une action de la

Libye contre le Royaume-Uni et les Etats-Unis

2.24 Le 3 mars, la Libye a introduit une instance contre le Royaume-Uni et les Etats-Unis

devant la Cour internationale de Justice afin d'obtenir un jugement disant que la Convention

de Montréal s'applique aux demandes d'extradition faites par les défendeurs auprès de la

117 Doc. S/23672, p. 2 Voir annexe no106.
118 The Scotsmtm. 19 Febr. 19p.l, Y. annexe n° 97.
119 V. annexe n° 92.

120 V. annexe 93.
12l Doc. ONU S/236 72, p. 8, Y. annexe n" 105.32

Libye. Par une demande distincte du mêmejour, la Libye a introduit, une requêteen mesures
conservatoires.

Le 13 mars 1992, le Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la
coopération internationale de Libye adresse une lettre au Secrétaire général des Nations­

Unies, confirmant la volonté de la Libye de collaborer avec lui pour la mise en oeuvre de la

résolution 731 (1992) dans le cadre du droit international, et précisant que la saisine de la

Cour internationale de Justice ne devait pas être interprété comme un abandon de ces
positions, mais comme complétant les initiatives du Secrétaire général dans la recherche

d'une solution dans un cadre juridique 122.

Le 17 mars 1992, le Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la
coopération internationale exprime le souhait que le Conseil de sécurité demande au

Royaume-Uni et aux Etats-Unis de transmettre à la Libye les dossiers d'enquête pour que

l'instruction de l'affaire puisse se poursuivre en Libye. Il ajoute que si la question est

juridique, le Conseil de sécuritédevrait s'en dessaisir au profit de la Cour internationale de
Justice où elle est actuellement pendante 123.

Section 4 - Les réactions des défendeurs

2.25 Le 28 janvier 1992, Lord J. Douglas-Hamilton, Sous-Secrétaire parlementaire d'Etat

pour 1'Ecosse au Parlement britannique, déclare en réponse à une question parlementaire, que
le Lord Advocate d'Ecosse ne veut pas collaborer avec la justice libyenne à une enquête

judiciaire 124.

Le 19 février 1992, le porte-parole du Département d'Etat américain, M. R. Boucher,

déclare que, pour les Etats-Unis, les procédures judiciaires mises en oeuvre par la Libye ne

sont qu'une parodie de justice, qu'on ne peut accorder aucune confiance à ce qu'un juge

libyen dit et que l'enquête ouverte en Libye n'a d'autre but que de permettre à la Libye
d'éluder ses responsabilités 125.

122 V. annexe 1Il.

123 Doc. ONU S/23731, V. annexe no 113.
124 Hansard, 28 Jan. 1992, p. 554, V_annexe no87.
125 V. annexe n°97. 33

Section 5 - Les menaces d'intervention américaine

2.26 Les pressions exercées sur la Libye continuent à prendre l'expression de propos
menaçants. Le 9 février 1992, on lit dans le New York Times que le Président Hosni Mubarak

d'Egypte craint que les Etats-Unis ne lancent contre la Libye une action militaire analogue à

celle qui fut déjà menée contre ce pays en 1986 126.Le 12 février, le Vice-Président
américain, D. Quayle, laisse entendre - tout en le niant - qu'une action militaire pourrait être

entreprise car, si JeColonel Khadhafi ne donnait pas suite aux demandes d'extradition,

"Heoughtto lookto thepastandseethalwe'vegotthepoliticalwillto makethesetypesof requests

happen... Wedonothaveunlimited patience."127

Selon une dépêchede l'AFP rapportant des déclarations de hauts fonctionnaires du
ministère thaïlandais des affaires étrangères, les Etats-Unis auraient demandé à plusieurs

reprises à la Thaïlande au cours des derniers mois d'évacuer ses travailleurs de Libye car les

Etats-Unis ne pouvaient assurer leur sécuritéen cas de raid contre la Libye 128.Le 7 mars
1992, un lecteur du Guardian, dont le frère figure au nombre des victimes de l'attentat de

Lockerbie, comprend le désir de la Libye de voir les suspects traduits devant les tribunaux

d'un Etat neutre; il ajoute :

"HastherebeenasingleinstanceinwhichtheU. K. hasthreatened sanctionsormilitaryactionsagainst
theU. S.orthe Irishgovernmenftorrefusaitoextradite?"l29

Section 6 - Les réactions de tiers

2.27 Le 1er mars 1992, le ministre des Affaire.sétrangèresde la Fédérationde Russie, M.

Kozyrev, estimant que la meilleure solution serait de remettre les suspects au Secrétaire
généralsans aucune condition, se déclaraitprêt à jouer tout rôle de médiation dans le cadre de

la solution envisagéepar le Conseil de sécurité 130.

126 V.annexe no89.

127 Notre traductio.n
"Ilsuffideseréféra erpasséetonverraquenousavonslavolonté politiqueefaireensortequecegenredede­
mandes soientuivies'effet..Notrepatience'estpasillimitée."
128 The Herald Tribun13March 1992v,oirannexno11O.

129 Notre traductionnfrançai:s
"Y-a-t-ilunseulcasoùleRoyaume-Uanm i enacélesEtats-Uniosul'Irlaneesanctionosud'actions ilitaerla
suited'unrefusdeleurpartdedonneruità unedemandd e'extraditi?"
130 V. annexes02.34

2.28 Le 22 mars 1992, les ministres des Affaires étrangèresde la Ligue des Etats arabes

réunisen session extraordinaire adoptent une résolutionpar laquelle ils

condamnent les menaces dont la Libye est l'objet;

condamnent le terrorisme et se félicitent de la volonté de la Libye de coopérer à
l'éliminationdu phénomène;

demandent au Conseil de sécuritéde résoudrele conflit selon les moyens prévuspar l'art.

33 de la Charte, de ne pas prendre de sanctions contre la Libye, d'attendre que la Cour

internationale de Justice rende sa décision et de laisser à la Ligue des Etats arabes la

possibilitéde poursuivre ses efforts en vue de réglerle différend 131_

CHAPITRE IV - LA RESOLUTION 748 DU 30 MARS 1992.

Section 1 - Le texte de la résolution

2.29 Le 30 mars 1992, le Conseil de sécuritéadopta la résolution748 (1992) 132 :

"Réaffirma/lisa résolution 731 (1992) du 21 janvier 1992,

Notant les rapports du Secrétariat général(S/23574 et S/23672,

Graveme11tpréoccupéde ce que le Gouvernement libyen n'ait pas encore donné une réponse complète et
effective aux demandes contenues dans sa résolution 731 (1992),

Convaincu que l'élimination des actes de terrorisme internationylcompris ceux dans lesquels des Etats
sont directement ou indirectement impliqués, est essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité
internationales,

Rappelant que, dans la déclaration publiée le 31 janvier 1992 à 1'occasion de la réunion du Conseil de
sécurité au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, les membres du Conseil ont exprimé leur
profonde préoccupation à l'égard des actes de terrorisme internationalet estimé nécessaire que la

communauté internationale réagissede manière efficace contre de tels actes,

Réaffirmant que, conformément au principe énoncéà l'article 2 paragraphe 4, de la Charte des Nations

Unies, chaque Etal a le devoir de s'abstenir d'organiser et d'encourager des actes de terrorisme sur le
territoire d'un autre Etatd'y aider ou d'y participer, ou de tolérer sur son territoire des activités

131 Doc. ONU S/23745, 23 mars 1992,voir annexe nl 17.
132 V. annexe ll124 35

organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque ces actes impliquent une menace ou l'emploi de la

force,

Constatant, dans ce contexte, que Jedéfaut de la part du Gouvernement libyen de démontrer, par des actes
concrets, sa renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquement continu répondre de manière
complète et effective aux requêtescontenues dans la résolution 731 (1992), constituent une menace pour

la paix et la sécuritéinternationales,

Déterminéà éliminer le terrorisme international,

Rappelant le droit des Etats, conformément à l'article 50 de la Charte des Nations Unies, de consulter le

Conseil de sécurité s'ils se trouvent en présence de difficultés économiques particulières dues à
l'exécutionde mesures préventives ou coercitives,

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

1. Décideque le Gouvernement libyen doit désormais appliquer sans Je moindre délai le paragraphe 3 de
la résolution 731 (!992) du 21 janvier 1992 concernant les demandes contenues dans les documents
S/23306, S/23308 et S/23309;

2. Décide aussi que le Gouvernement libyen doit s'engager à cesser de manière définitive toute forme
d'action terroriste et toute assistance aux groupes terroristes et qu'il doit rapidement, par des actes

concrets, démontrer sa renonciation au terrmisme [... ].

3. Décide aussi que tous les Etats adopteront le 15 avril 1992 les mesures erronées ci-dessous qui
s'appliqueront jusqu'à ce que Conseil de sécuritédécide que le Gouvernement libyen s'est conformé
aux dispositions des paragraphes l et 2 ci-dessus.

12. Invite le Secrétaire généralà continuer à jouer son rôle qui lui est. assigné par le paragraphe 4 de la
résolution 731 (1992).

13. Décide que, tous les 120 jours ou plus tôt si la situation le rend nécessaire, le Conseil de sécurité devra
revoir les mesures imposées par les paragraphes 1 et 2 en tenant compte, le cas échéant, de tous
rapports établis par le Secrétaire généraldans le cadre du rôle qui lui est assigné par Je paragraphe 4 de
la résolution 731 (1992).

14. Décidede rester saisi de la question."

Le Conseil énonceensuite une sériede sanctions que devront appliquer les Etats si, le

15 avril 1992,il estime que le Gouvernement libyen ne s'est pas conformé aux dispositions

des paragraphes 1 et 2 précités.

En particulier, la résolution prévoit la mise en oeuvre des mesures suivantes par les Etats

membres:

suspension de toute liaison aérienne et de toute collaboration en matière aéronautique

(paragraphe 4);

suspension de toute relation et de collaboration en matière militaire (paragraphe 5);

- réduction significative du nombre de représentants diplomatiques libyens auprès des Etats

membres et des organisations internationales, et contrôle de leurs dép\acements

(paragraphe 6a);36

suspension de toutes les activités des bureaux de la Libyan Arab Airlines sur les territoires

des Etats membres (paragraphe 6b);

- expulsion ou refus apporté à l'entrée de certains nationaux libyens impliqués dans des

activitésterroristes (paragraphe 6c).

Enfin, le Conseil de sécurité:

- prie les Etats de faire rapport au Secrétaire généralavant le 15 mai 1992 sur les mesures
qu'ils ont prises en application de la résolution (paragraphe 8),et

- créeun Comité du Conseil de sécuritécomposé de tous ses membres et chargéd'assurer la

mise en oeuvre des sanctions édictées(paragraphe 9).

2.30 Le texte reproduit intégralement un projet de résolution du 27 mars 1992 133,

finalement adopté sans amendement. C'est sur base de ce projet que les Etats ont exprimé

leur opinion le 31 mars préalablement au vote de la résolution 748 (1992).

Section 2 - Les discussions au sein du Conseil de sécurité

A • La position de la Libye

2.31 Le représentant de la Libye a critiqué le projet de résolution sur base des éléments
suivants :

- le Conseil de sécuritéagit comme si les deux suspects avaient déjàétéreconnus coupables

par un tribunal impartial, alors qu'aucune preuve de leur culpabilité n'a jamais étéfournie
et que les autorités américaines et britanniques ont au contraire refusé de collaborer à la

poursuite de l'enquêtemenéeen territoire libyen 134;

les autorités libyennes ont pris des mesures appropriées en vue du règlement judiciaire de
cette affaire conformément au droit national libyen et au droit international, une enquête

judiciaire étanten cours en Libye 135;

133 Doc. off. ONU, S/23762, voir annexes n" 120 et 124.
134 S/PV.3063, voir annexe n° 12pp.3 et 4/5.
135 ibid.p.4/5. 37

les autorités libyennes ont proposé diverses solutions démontrant leur volonté sincère de

collaborer avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, et en particulier la nomination

d'une commission d'enquête neutre, l'invitation de juges américains, britann igues et

français à se rendre en Libye afin d'assister au procès éventuel des deux suspects, la remise

de ces deux suspects au siège de la Mission des Nations Unies à Tripoli afin de faciliter

l'enquête, la mise en place d'une commission judiciaire composée de juges réputéspour

leur neutralité et leur impartialité, ou la remise des deux suspects à une tierce partie dans
l'hypothèse où le Secrétaire généralconfirmerait le bien-fondé des accusations 136;

la Libye a réitéré sa condamnation formelle du terrorisme, sous toutes ses formes, et quel

qu'en soit l'origine, et s'est déclarée prête à coopérer à toute action de nature à mettre un

terme aux activitésterroristes contre des civils innocents 137;

- dans ces circonstances, le projet de résolution marque un abus du Conseil de sécurité,
contraire à la Charte, et qui risque de saper la légitimité de l'O.N.U., notamment auprès

des petits Etats; il serait plus approprié d'attendre la décision de la Cour internationale de

Justice, plus apte à se prononcer sur ce ditlérendjuridique 138.

Enfin, le représentant libyen a relevé l'imprécision des exigences contenues dans le

projet:

"Le paragraphe 2 du dispositif comprend des exigences non précisées: nous ne savons pas sur quel critère

s'appuie le Conseil de sécuritépour aftïm1er que la Libye doit s'engagàrcesser de manière détïnitive
tous les actes d'agression dans lesquels on prétendque mon pays est impliqué. Nous ne savons pas à quel
moment le Conseil de sécurité décidera que la Jamahiriya s'est conformée aux dispositions des
paragraphes 1 et 2 du dispositif du projet de résolution, de façon que les sanctions imposées en vertu de ce

dernier puissent êtrelevéesconformément à ces dispositions.39

136 Ibid.. pp. 6 et ss.
137 Ibid., pp. 12et 17.

138 Ibid., pp. !7-22.
139 Ibid., p. 21.38

B · La position des Etats auteurs du projet

1 - Les Etats-Unis

2.32 Les Etats-Unis ont justifié l'adoption éventuelle de sanctions contre la Libye de la
manière suivante:

- des preuves existeraient démontrant la participation de la Libye à des actes de terrorisme;

une lutte efficace contre le terrorisme, qui constitue une menace pour la paix et la sécurité
internationales, passerait dès lors par l'adoption du projet 40; ni le contenu ni l'origine

exacte de ces preuves ne sont toutefois précisés;

- la Libye n'aurait pas répondu aux "quatre demandes de la résolution 731 (1992)", ce qui

supposait, selon le déléguéaméricain, que la Libye livre les deux suspects "afin qu'ils

soient jugés soit au Royaume-Uni, soit aux Etats-Unis, et réponde aux exigences de la
justice française", divulgue toutes informations en possession des autorités libyennes à

propos des explosions des vols 103 de la PAN AM et 772 de l'UTA, prenne des mesures

concrètes afin de mettre un terme à l'appui qui serait apporté par la Libye au terrorisme, et
verse des "indemnités appropriées" 141;

- ces mesures seraient "conformes à ce que prescrit la Charte des Nations Unies en tant que

mesure suivante à prendre pour réponse à toute menace à la paix et à la sécurité
internationales" 142;

2- Le Royaume-Uni

2.33 Quant au représentant britannique,

- tout en estimant que la Libye "n'a toujours pris aucune mesure sérieuse pour se conformer
à ces demandes", il n'a pas précisé quelles mesures seraient appropriées l43;

140 Déléguédes Etats-Unis, p. 66.
141 Ibid.
142 Ibid., p. 67.
143 Ibid., p. 68. 39

il a dénoncéla saisine par la Libye de la Cour internationale de Justice, qui serait "en fait
destinée à interférer dans l'exercice par le Conseil de sécuritédes fonctions et prérogatives

qui lui reviennent en vertu de la Charte des Nations Unies" 14 ;

il a estimé que les conséquences dommageables de la mise en oeuvre des sanctions pour

les Etats de la région pourraient êtreévitéessoit par l'obéissance de la Libye, soit par

l'application de l'article 50 de la Charte; il n'a toutefois pas précisé quelles mesures

concrètes éviteraient les répercussions économiques de l'embargo.

3- La France

2.34 Enfin, le représentant français :

a prétendu que la résolution 731 (1992) n'avait "pas étésuivie d'effet" 145, mais n'a
appuyé son jugement sur aucun élément;

a dénoncé les "manoeuvres dilatoires" de la Libye, sans motiver autrement sa
14
qualification 6.

C - La position des Etats tiers

1 -La position des Etats non favorables à la résolution

2.35 Plusieurs Etats, membres du Conseil de sécuritéou invités à se prononcés en son sein,

ont exprimé leurs réticences vis-à-vis du projet de résolution. Plusieurs arguments ont été

avancés:

144 Ibid.
145 Ibid.P- H
146 Ibid., p. 73.40

l'adoption du projet condamnerait le peuple libyen pour un acte dont la responsabilité n'a

pas encore étéétablieà l'aide de preuves concluantes 147;

diverses instances internationales oeuvrent déjàà un règlement pacifique du différend avec

de sérieuses chances de succès ( la Ligue des Etats arabes 148, 1'Union du Maghreb

arabe 149, l'Organisation de la Conférence islamique 150 et, surtout, la Cour internationale

de Justice 151); les moyens pacifiques de règlement ne sont donc pas épuisésde sorte que

l'adoption de sanctions est hâtive, prématurée,et minerait les efforts de ces instances 152;

la Libye a fait preuve de coopération et de bonne volonté,et a acceptéde se conformer à la

résolution 731 (1992) et au droit international 153; le Secrétaire générala d'ailleurs relevé

dans le rapport servant de base aux travaux que la Libye avait infléchi sa position, et a

conseillé au Conseil de sécuritéde prendre cette évolution en considération dans ses

futures délibérationsen la matière 154;

l'adoption de sanctions aurait des conséquences désastreuses pour des milliers de civils

innocents non seulement en Libye 155, mais aussi dans tous les Etats de la région qui

entretiennent des relations économiques soutenues avec ce pays l56;des tensions risquent

d'en résulter;

- l'adoption de sanctions aurait des conséquences néfastes pour la crédibilitéde l'O.N.U. et

du Conseil de sécuritédans le monde 157 et pourrait mener à une crise institutionnelle

grave 158.

147 Délégué de la Mauritanie, s'exprimam au nom des Etats de I'U.M.A., ibid., p. 31., déde la Chine, ibid., p.
59160.

148 Déléguéde la Jordanie s'exprimant au nom du Groupe des Etats arabes à l'O.N.U. ibid., p. 23/25 et 2du et délégué
Maroc, ibid., p. 62.

149 Délégué de la Mauritanie, ibid., p. 32.
150 Observateur pennanent de la Conférenceislamique auprèsde l'O.N.U., ibid., pp. 42-43.
151 Déléguéd se l'Inde, ibid., p. 57, de la Mauritanie, ibid., p. 31, de l'Iraq, ibid., p. 37, de l'Ouganda, ibid., p. 39/40, du

Cap-Vert, ibid., p. 46, du Zimbabwe, ibid., p. 52, et de l'Inde, ibid., p. 57.
152 Déléguéde la1ordanie, ibid., p. 23/25.

153 Déléguédse la Jordanie, ibid., p. 27, de la Mauritanie, ibid., p. 32, de l'Iraq, ibid., pp. 36-37, observateur pennanent
de la Contërence islamique auprès del'O.N.U.. ibid., pp. 42-43, etdu Maroc, ibid., p. 64/65.

154 Déléguédsu Zimbabwe, ibid., p. 51, et de l'Inde, ibid., pp. 56-57.
155 Déléguéde l'Iraq, ibid., p. 36, et du Zimbabwe, ibid., p. 52.

156 Déléguédse la Jordanie, ibiP-26-27, de l'Iraq, ibid., p. 36, de l'Ouganda, ibid., p. 41, du Zimbabwe, ibid., p. 52,
de l'Inde,bid., pp. 57-58, et de la Chine,P-6Ld.,

157 Déléguéde la Mauritanie. ibid., p. 33/35, observateur permanent de la Conférence islamique auprès de l'û.N.U.,
ibid., p. 43, et dédu Zimbabwe, ibid., p. 53/55.
158 Déléguédu Zimbabwe, ibid., p. 52. 41

2.36 Enfin, on a relevé l'imprécision des obligations contenues dans le projet et

conditionnant l'entréeen vigueur ou le maintien des sanctions. Ainsi, le représentant indien a
remarqué que :

"Un aspect connexe et important a trait à la définition des circonstances dans lesquelles les sanctions
n'entreraient pas en vigueur ou seraient levées. Les membres non alignés du Conseil, tout comme

plusieurs autres délégations,ont examinéavec les auteurs du projet de résolution lasibilité d'apporter
une plus grande précision dans les paragraphes pertinents. Les auteurs se sont montrés à disposer à
oeuvrer avec nous à cet égard. Nous regrettons, toutefois, qu' îln'ait pas étépossible d'éliminer

1imprécisiondu projet de résolutionsur cette question spécifïqu159.

2 -La position des Etats favorables à la résolution

2.37 Les Etats favorables à la résolution ont repris les arguments développéspar les auteurs

du projet 160, et en ont émiscertains autres :

la saisine de la Cour internationale de Justice ne constituerait pas un obstacle à l'action du

Conseil de sécurité;au contraire, selon le délégué du Venezuela,

"Compte tenu de la nécessitéde renforcer l'action du système des Nations Unies dans son ensemble, le
Venezuela insiste sur le fait qu'il est indispensable que ce système soit doté de mécanismes d'action
judiciaire susceptibles de traiter ce type d'activité criminelle dont nous sommes actuellement saisis. Le

terrorisme est une activitérécurrente inadmissible de la réalitépolitique contemporaine. Nous réitérons
notre demande que soit crééun tribunal pénal international qui compléterait la Cour internationale de
Justice"161;

les conséquences dommageables des sanctions pour les populations civiles seront atténuées

par la possibilité donnée au Comité créépar la résolution de donner suite aux demandes

fondées sur des motifs humanitaires et, pour les Etats de la région, par 1'application de
l'article 50 de la Charte l62; aucune proposition concrète n'est toutefois énoncéepar les

délégationsfavorables au projet;

la Libye n'aurait toujours pas satisfait aux demandes contenues dans la résolution 731

(1992) 163; aucun commentaire n'est toutefois apporté au sujet des mesures et propositions

avancéespar la Libye;

!59 Délégué de l'Inde. ibid., p. 57.
160 Voy. not. !es déléguse 1'Equateur. ibid., p. 48/50, de la Hongrie. ibid., pp. 76-77, de \'Autriche, ibid., pp. 77•78, de
!a Belgique, ibid., pp. 81-82, et du Venezuela, ibid., pp. 82-84.

161 lbid.,p.83.
162 Délégué de la Belgique. ibid., p. 81.
163 Délégués de la Hongrie, ibid., p. 76, de la Fédérationde Russie, ibidct79/80. de !a Belgique, ibid., p. 81 et

du Yenewela, ibid., p. 83.42

2.38 A ce sujet, les délégations ayant voté en faveur de la résolution n'ont pas levé

1'ambiguïté des exigences contenues dans le paragraphe l du dispositif. Ainsi, pour

l'Autriche,

"Cette résolution impose certaines sanctions contre la Libye dont le but est àhonorer les
obligations qui lui incombent en vertu de la résolution 731 (1992)" 164,

tandis que le représentant belge considère que les sanctions

"[. ..]sont directement liées aux actes de terroriàml'origine de la résolution 731 (1992) et ne

_seront maintenuesqu'aussi longtemps que les autoritibyennes ne se conformerontpas à cette
résolution" 165_

En définitive, et mis à part peut-êtrela déclaration précitéedu représentant américain,
aucun Etat n'a préciséà quelles conditions exactes les sanctions soit n'entreraient pas en

vigueur, soit seraient suspendues, ni n'a expliqué en quoi les initiatives libyennes n'auraient

pas étéconformes au texte de la résolution 731 (1992).

CHAPITRE V- LES FAITS SUBSEQUENTS À L'ADOPTION DE LA

RÉSOLUTION 748 (30 MARS 1992)

Section 1 - Les conséquencesdes sanctions

2.39 Dans divers rapports adressés au Conseil de sécurité, la Libye a montré que les

sanctions décidéespar le Conseil dans sa résolution 748 (1992) avaient entraîné de graves

dommages dans le domaine de la santé et des fournitures médicales 166, du commerce des
produits de base et notamment des denrées alimentaires 167,de l'agriculture, de la médecine

vétérinaireet du pompage de l'eau 168,de l'éducation et de l'enseignement 169,des soins aux

164 Ibid.,78.

165 Voy. aussi les propos du de l'Equateur, ibid., pp. 47 ct 4R/50.
166 Doc. ONU S/23855, 29 avril 1992; S/23915, 14 mai 1992, voir annexes no 139 et 142. Voir aussi Doc. 25990 du
23/611993,annexe n°185.

167 Doc. ONU 5.24004.26 mai 1992.voir annexe no148.
168 Doc. ONU S/23954, 18 mai 1992,voir annexe no145.
169 Doc. ONU S/24072, Sjuin 1992,et S/24334, 22juillet 1992, voir annexes n° 147et 157. 43

personnes handicapées et âgées 170, de la jeunesse et des sports 171, de J'industrie 172.
L'ensemble de ces difficultés causées à-laLibye sont reprises et détailléesdans deux rapports

récapitulatifs couvrant la période allant du 15 avriJ au 31 juillet 1992 173. Des rapports

ultérieurs décrivent d'autres effets négatifs résultant des sanctions imposées à la Libye dans le

domaine de 1'enseignement et de la formation : retard dans les fourni tures scolaires et

universitaires, démission d'enseignants étrangers, etc 174, difficultés dans les relations entre
institutions académiques 175.

Section 2 - Les propositions de la Libye

2.40 Le 7 avril, le Secrétaire généraladjoint aux affaires politiques des Nations Unies, M.

Vladimir Petrovsky, rencontre le Colonel Kadhafi. Celui-ci déclareque

- la Libye accepte la résolution 731 (1992) dans la mesure où celle-ci est conforme au droit
international et à sa souveraineté;

la Libye coopérera dans l'enquêteet dans les efforts destinés à faire juger les responsables

de l'attentat de Lockerbie;

la Libye condamne le terrorisme et est prête à recevoir une commission d'enquête

composée de représentants du Conseil de sécuritéy compris des représentants de la Chine

et de l'Inde; cette commission pourra se rendre où elle veut sur le territoire libyen pour
17
vérifiersi la Libye donne un quelconque appui au terrorisme 6.

Le 13 avril 1992, le Secrétaire du Comité populaire libyen de liaison extérieure et de la

coopération internationale écrit au Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères

de Malte, M. Guido de Marco, pour lui demander si les juridictions maltaises accepteraient,

conformément à l'art. 5 § 2 de la convention de Montréal, de connaître des charges qui pèsent
contre les deux suspects libyens, lesquels sont d'accord pour comparaître devant eJJes 177_

170 Doc. ONU S/24186, 26 juin 1992, voir annexe n°l 53.

171 Doc. ONU S/24381, 5 août 1992, voir annexe n° 159
172 Doc. ONU S/24427, 14 août 1992, voir annexe n°162 et Doc. S/24463 du 18/8/1992, voir annexe 164.
173 Doc. ONU S/24428, 14 août 1992. voir ann!1165. V. aussi annexe n° 186 et Doc. S/26319 du 2317/1993.

174 Doc. ONU S/24530, 9 septembre 1992, et S/24773, 7 novembre 1992, voir annexes n° 167 et 170.
175 Doc. ONU S/24629, 8 octobre 1992, voir annexe no 168.
176 Voir annexe n° 129.

177 Voir annexe n° 131.44

M. de Marco répond immédiatement qu'il accepte cette proposition à condition que
toutes les parties au conflit l'acceptent et qu'elle soit compatible avec les obligations de Ma1te

en vertu de la Charte des Nations Unies 178.

Le 11 mai 1992, le Secrétaire du Bureau du Comité populaire général liaison

extérieure et de la coopération internationale écritau Secrétaire généralpour l'informer que

- la Libye accepte la résolution 731 (1992);

- la Libye rompt ses relations avec tout groupe ou organisation impliqués dans le terrorisme
international et s'engage à réprimer toute utilisation de son territoire à des fins terroristes;

il n'existe aucun camp d'entraînement pour terroristes en Libye; les Nations Unies peuvent

y envoyer toute commission d'enquêtepour vérifierce point;

- 1a Libye est prête à collaborer avec le Royaume-Uni à propos des relations antérieures de

la Libye avec l'LR.A;

- la Libye s'engage à verser des indemnités adéquates si sa responsabilité dans l'incident de
Lockerbie étaitétablie;

les propositions libyennes relatives à la remise des suspects ayant étérejetées, le problème

est soumis aux Congrès populaires de base ('organe législatif libyen) pour l'adoption
d'une solution appropriée;

la Libye réaffirme son attachement au droit international et à la Charte des Nations
179
Unies .

Le 21 mai 1992, la Mauritanie qui préside à ce moment l'Union du Maghreb arabe

(U.M.A.), par l'intermédiaire de la Mauritanie, écrit au Secrétaire généraldes Nations Unies

pour attirer l'attention du Conseil de sécuritésur le caractère positif de ces propositions Iso.

178 Voir annexe no 132.

!79 Doc. ONU S/23918, 14 mai !992, annexe 141. Le Comitépopulaire de liaison et de coopération internationale a pu­
blieun communiqué confirmant la lettre qui précède,Doc. ONU S/23917, 14 mai 1992, voir annexe no 143.
180 Dac. ONU S/23995, 23 mai 1992, vair annexe no 145 bis. 45

Le 8 juin 1992, le Secrétaire du Comité de liaison extérieure et de la coopération
internationale écrit à M. Douglas Hurd, Ministre des Affaires étrangères du R.-U., pour lui

confirmer la position énoncéeci-dessus et exprimer l'espoir que la réunion entre représentants

des deux Etats prévue à Genève le 9 juin puisse contribuer à éliminer les malentendus et
résoudre les différends qui divisent les parties 181.

2.41 Le Congrès généraldu Peuple fut appelé à se prononcer sur la question. Le 23 juin

1992, il créeune Commission chargée spécialement de communiquer avec les trois Etats pour
1
trouver une solution aux problèmes en cours 82. Les membres du Comité furent désignésle 2
juillet 1992.

Lors de leur 2e session de 1992, les Congrès populaires de base affirment

- leur condamnation du terrorisme sous toutes ses formes et leur volonté de contribuer à son

élimination;

- leur volonté d'élucider l'affaire de Lockerbie et leur sympathie à l'égard des parents des

victimes;

- leur adhésion aux codes libyens de droit pénalet de procédure pénale;

- leur accord à une enquêteet à un procès menéspar l'entremise soit du Comité des Sept de

la Ligue des Etats arabes, soit des Nations Unies devant un tribunal juste et impartial

acceptépar toutes les parties;

leurs appels aux Etats occidentaux pour qu'ils répondent positivement aux initiatives de la

Libye en vue de résoudre pacifiquement le différend actuel;

- leur souhait que les Etats-Unis et le Royaume-Uni établissent des relations d'égalitéavec
la Libye;

- leur appel au Conseil de sécuritépour qu'il révisela résolution 748 (1992) qui est contraire

à la Charte (l'invocation du chapitre VII est injustifiée puisque la Libye n'a pas menacé la
paix et la sécuritéinternationales) et cause un préjudice considérable à la Libye 183.

181 Voir annexe n° 149.
182 Voir annexe no 152.
183 Doc. ONU S/24209. 30 juin 1992, voir annexe n"154.46

Le 29 novembre 1992, le Bureau populaire de liaison et de coopération internationale
libyen répèteses positions antérieures sur la condamnation du terrorisme international, la

possibilité pour toute commission d'enquêtedes Nations Unies de venir vérifier en Libye que

celle-ci n'aide aucun mouvement terroriste, son acceptation que les suspects comparaissent
devant un tribunal équitable et impartial 184.

Le 18 novembre 1992, une déclaration du Congrès général du Peuple de Libye

rappelle les résolutions antérieures du Congrès, réaffirme sa condamnation du terrorisme sous
toutes ses formes, l'acceptation par la Libye de la résolution 731 (1991), et sa volonté de

coopérer aux enquêtes j udiciaires et avec les Nations-Unies afin d'établir la véritésur

l'incident de Lockerbie. La déclaration réitère l'acceptation de la Libye de voir juger les

Libyens soupçonnés de l'attentat sur le vol Pan Am 103 par un tribunal juste et équitable à
déterminer de commun accord 185_

2.42 Le 8 décembre 1992, le Secrétaire du Comité populaire libyen de liaison extérieure et

de la coopération internationale écritau Secrétaire généraldes Nations Unies pour lui rappeler

la position de la Libye. Il ajoute que la Libye a collaboré avec les autorités britanniques pour

retrouver des élémentset des organisations accusés par le Royaume-Uni d'êtreimpliqués dans
des actes terroristes.

Reste le problème de l'extradition des deux suspects. La Libye rappelle qu'elle n'est
pas opposée à ce que ses ressortissants comparaissent volontairement devant une juridiction

britannique ou américaine, ou bien qu'ils soient traduits devant un tribunal juste et équitable

d'un Etat neutre accepté par toutes les parties : dans ce dernier cas, si les Etats-Unis et le

Royaume-Uni sont confiants dans leurs moyens de preuve, il n'y a pas de raison pour qu'ils
refusent cette solution et exigent que le procès se tienne sur leur tenitoire alors que rien en

droit international ne justifie pareille exigence dans la présenteespèce.

Dans ces conditions, la Libye estime avoir pleinement répondu à la résolution 731

(1992) et plus rien ne fonde le maintien des sanctions décidéespar la résolution 748 (1992) l86.

A la suite de sa réunion extraordinaire tenue à Rabat le 10 décembre 1992, le Conseil
des ministres des Affaires étrangèresde l'U.M.A., prenant en considération les postions prises

184 Communiquéde presse de la Mission pennancnte libyenne aux N. U., 30 novembre 1992. voir annexe n" 174.
185 Voir annexe n" 171.
186 Doc. ONU S/24961, 14 décembre 1992, voir annexe n" 176. 47

par la Libye et ses initiatives positives pour répondre à la résolution 731 (1992), demande au

Conseil de sécuritéde revoir les sanctions prises contre la Libye 187.

Le Il mars 1993, le Secrétaire du Comité populaire généralde liaison extérieure et de
la coopération internationale écrit au Secrétaire d'Etat américain Warren Christopher pour lui

suggérer une rencontre entre leurs représentants afin de résoudre les différends qui continuent

à opposer les Etats-Unis et la Libye 188.

Lors d'une interview en avri1 1993, le Colonel Kadhafi rappelle les différentes
propositions faites par la Libye pour résoudre le différend, propositions qui restent toujours

valables 189.

2.43 En réaction à la décisionde maintenir les sanctions prises par le Conseil de sécurité,la

Libye rappelle gu'elle a respecté toutes les dispositions de la résolution 731 (1992) et a

informé le Secrétaire général de 1'ONU de toutes les mesures prises pour en assurer

l'application. Elle reconnaît en outre qu'il convient de juger les deux personnes mises en

cause et est disposée à discuter du heu du procès, qui doit être choisi avec équité et
impartialité 19°.

Le 11 septembre 1993, le Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la

coopération internationale s'adressant au Secrétaire généraldes Nations Unies, rappelle que la
Libye s'est conformée à toutes les dispositions de la résolution 731 (1992), à l'exception de la

seule question du jugement des deux suspect qui doit faire l'objet de négociations directes

avec les Etats concernés en vue d'obtenir un jugement juste et équitable 191.Le Secrétaire

reconnait également la nécessité d'une clarification sur les demandes des Etats-Unis et du

Royaume -Uni et transmet à ces deux Etats ainsi qu'aux autres membres du Conseil de
sécuritéune sériede questions concernant notamment les garanties qui seraient accordées aux

suspects.

Ces questions sont reprises dans un mémorandum du Comité populaire de liaison

extérieure et de la coopération internationale, joint à la lettre du Il septembre 1993, qui

réaffirmela position libyenne et les démarches effectuées dans cette affaire.

187 Doc. ONU S/24956, 14décembre 1992, voiannexe n178
188 Voirannexe n°181.
189 The intemarional Herald Tribune, 16 Avril 199anne;o;e°184

190 Doc. ONU S/26313, 17 août 1993, voir annexe n°189.
191 Doc. S/26500, 28 septembre 1993, annexe n191.48

En ce qui concerne la position libyenne, le mémorandum:

dénonce le traitement discriminatoire dont est victime la Libye et pose notamment la
question de savoir comment aurait réagiles Etats-Unis et le Royaume-Uni si la Libye leur

avait adressé des demandes relatives d'une part à 1'instruction judiciaire des actes

d'agression armée commis contre la Libye en 1986, d'autre part au procès des
ressortissants américains et britanniques impliqués dans ces actes;

rappelle le caractère inconciliable de 1'extradition des deux suspects avec le droit libyen et
les règles du droit international; elle observequ'il existe un risque de violations des droits

de l'homme si les suspects étaientjugés par un tribunal qui ne serait pas juste et impartial.

En ce qui concerne les démarches entreprises par la Libye, le mémorandum note que

celle-ci :

propose toujours l'envoi d'une mission technique du Conseil de sécuritépour vérifier la

mise en oeuvre de la résolution 731 (1992);

suggère que des garanties et des assurances soient données dans l'hypothèse où les deux

suspects comparaîtraient de leur propre chef au Etats-Unis ou au Royaume-Uni ou dans

tout autre pays. Les avocats des deux suspects souhaitent avoir les garanties politiques et
juridiques d'un procès juste et équitable. La Libye, quant à elle, demande que des

engagements lui soient fournis de la part de ces deux Etats et du Conseil de sécuritéen

vue de garantir la résolution du conflit, et spécialement, de pouvoir compter sur un retrait
des sanctions.

Dans deux lettres datées respectivement du 29 septembre et du 1er octobre 1993, le
Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération internationale prend

acte des assurances données aux avocats des deux suspects par le Secrétaire généraldes

Nations Unies mais regrette l'absence de toute réponse aux éclaircissements demandés aux
Etats-Unis et au Royaume-Uni. Quoi qu'il en soit, la Libye estime suffisantes et acceptables

les assurances fournies par le Secrétaire général,et elle se déclare disposée à encourager la

comparution des deux suspects 192.

192 Doc. S/26523, 1eroctobre 1993, voir °192.e n 49

Section 3 - Les réactions des défendeurs

2.44 Les réactions des défendeurs ne sont guère nombreuses. Tout au plus note+on que le

27 novembre 1992, la Maison blanche publie un communiqué de presse où les Etats-Unis, la
France et le Royaume-Uni condamnent le refus de la Libye de se soumettre aux exigences du

Conseil de sécurité.Ils affirment leur volonté de rendre les sanctions des Nations Unies plus

effectives 193.

Le 6 avril 1993, lors d'une conférence de presse à Washington avec le Président

égyptien Hosni Mubarak, le Président Bill Clinton affirme sa volonté de demander des

sanctions plus lourdes contre la Libye si celle-ci ne livre pas les suspects : ceux-ci doivent être
jugéset condamnés si leur culpabilité est démontrée 194.

Le 13 août 1993, les Etats-Unis et le Royaume-Uni menacent de déposer au Conseil de

sécuritéun nouveau projet de résolution renforçant les sanctions contre la Libye dans le cas
où celle-ci ne se conformerait pas aux résolutions 731 (1992) et 748 (1992), "including the

transfer to United States or United Kingdom juridiction of the Lockerbie suspect" 195.

Rappelions enfin que les défendeurs n'ont pas apportéde réponse aux questions posées par la

Libye dans son mémorandum du Il septembre 1993 (voir supra par. 2.44).

*

* *

2.45 Au moment où ce mémoire étaitsur le point d'êtreenvoyéà l'imprimeur, une nouvelle

résolution a étéadoptée par le Conseil de sécurité(résolution 883 [1993] ) 196_Pour cette

raison, il fut impossible d'y consacrer un traitement approfondi. La résolution a cependant fait
l'objet d'un bref commentaire en fin de mémoire (voir infra par. 6.138).

193 Voir annexe n° 173.
194 Voir annexe n° 182.

195 Doc.ONU A/48/314 - S/26304 , 13.08. 1993, voir annexe n°188.
196 Voir annexe n°194.50

DEUXIEME PARTIE

OBJET DU DIFFEREND ET FONDEMENT DE LA COMPETENCE DE
LACOUR

INTRODUCTION

3.1 Selon l'article 36, paragraphe 1 du Statut de la Cour

"1. La compétencede la Cour sàétoutes les affaires que les parties 1ui soumettront, ainsi qu'à tous
les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en
vigueur".

L'article 40, paragraph1 du Statut, quant à lui, prévoit que les affaires sont portées

devant la Cour,

"selon le cas, soit par notification du compromis, soit par une requête,adressée au Greffier; dans les
deux cas, 1'objet du différendet les parties doivent êtreindiqués".

Dans la présente espèce la Libye a saisi la Cour par deux requêtessimilaires déposées

au Greffe de la Cour le 3 mars 1992. Ces requêtes, conformément à 1'article 38 du

Règlement, indiquent l'objet du différend ainsi que les moyens de droit sur lesquels elles
fondent la compétence de la Couret la nature précisedes demandes.

CHAPITRE I ~ OBJET DU DIFFEREND

3.2 Comme il résultedes faits exposésdans la première partie, les requêtesde la Libye ont
pour origine les actions en justice introduites aume~U etiux Etats-Unis en novembre

1991 d'un côté, par le procureur générald'Ecosse 1,de l'autre, par un jury de mise en

accusation du tribunal fédéralde district du District de Columbiala suite de la destruction

le 21 décembre 1988, de l'appareil qui assurait le vol 103 de la Pan Am, au~dess de s

Lockerbie, en Ecosse. Ces deux actions en justice accusent deux ressortissants libyens d'avoir,
notamment, fait placer une bombe à bord de cet appareil, bombe dont l'explosion a provoqué

la destruction de l'appareil.

1 Voir annexe no8.
2 Voir annexe n" 7. 51

Les accusations portéescontre les deux ressortissants libyens, si elles étaientprouvées,
~ constitueraient donc une "infraction pénale" telle qu'elle est prévue par l'article 1er de la

convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécuritéde l'aviation civile

conclue à Montréal le 23 septembre 1971 3.

Ce texte a le contenu suivant

"l. Commet une infraction pénale toute personne qui illicitement et intentionnellement:
a) accomplit un acte de violenceàl'encontre d'une personne se trouvant àbord d'un aéronef en
vol, siet acte est de nature à compromettre la sécuritéde cet aéronef;

b) détruit unéronef en service ou cause à un tel aéronef des dommages qui le rendent inapte au
vol ou qui sont de nature à compromettre sa sécuritéen vol;
c) place ou fait placer sur unronef en service, par quelque moyen que ce soit, un dispositif ou
des substances propres à détruire ledit aéronef ou à lui causer des dommages qui le rendent

inapte au vol ou qui sont de nature à compromettre sa sécuritéen vol.
..)
2. Commet également une infraction pénale toute personne qui:
a) tentede commettre l'une des infractions énuméréesau § !er du présent article;

b) est le complice de la personne qui commet ou tente de commettre l'une de ces infractions."

Il n'est pas contesté que la convention de Montréal est une convention en vigueur entre

les parties au procès devant la Cour. Les instruments de consentement à êtreliépar cette

convention ont étédéposésrespectivement et sans réserves

-par les Etats-Unis, le ler novembre 1972,

- par le Royaume-Uni, Je 25 octobre 1973, et

-par la Libye, le 19 février 1974.

La loi libyenne relative à l'adhésion, du 16 octobre 1963, a étépubliée dans le Journal

officiel libyen le 17 décembre 1973 4_

Il est aussi constant qu'il n'existe aucune autre convention relative au droit pénal

international en vigueur applicable à de tels faits dans les rapports entre les Etats-Unis ou le
Royaume-Uni, d'une part, la Libye, de l'autre. En particulier, aucune convention d'extradition

n'est en vigueur entre les défendeurs et le demandeur.

La Libye en déduit que la convention de Montréal est la seule convention pertinente

entre les Parties qui traite des infractions énumérées à l'article 1er précité.En conséquence,

3 RTNU, vol.·974,p. 177;voannexe n°3.
4 Voir annexe n°4.52

les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont tenus, en la matière, de se conformer aux dispositions

de la convention de Montréal.

3.3 Ce que la Libye réclamedans sa demande, c'est:

- d'une part le respect de la convention de Montréal en ses articles 5 §2, 5 §3, 6, 7, 8 §2 et

11;

- d'autre part le respect du droit à ce que cette convention ne soit pas écartéepar des moyens

qui seraient au demeurant en contradiction avec les principes de la Charte des Nations Unies

et du droit international généralde caractère impératif qui prohibe l'utilisation de la force et

la violation de la souveraineté, 1intégritéterritoriale et l'indépendance politique des Etats.

3.4 En ce qui concerne la convention de Montréal, la Libye soutient que cette convention

est applicable à l'incident de Lockerbie et à ces conséquences, que la Libye a respecté
scrupuleusement les obligations qui lui incombent en vertu de cette convention; que la

convention de Montréal lui confère aussi des droits et facultés que les Etats-Unis et le

Royaume-Uni ont l'obligation de respecter.

Les dispositions pertinentes de la convention sont les suivantes:

L'article 1er, qui décritl'infraction pénalerégiepar la convention. Citons en le texte:

"l. Commet une infraction péna.letoute personne qui illicitement et intentionnellement:
a) accomplit un acte de violence à'encontre d'une personne setrouvant à bord d'un aéronef en
vol, si cet acte est de naàucompromettre la
sécuritéde cet aéronef;
b) détruit un aéronef en service ou cauàeun tel aéronef des dommages qui le rendent inapte au

vol ou qui sont de naturàcompromettre sa sécuritéen vol;
c) place ou fait placer sur un aéronef en service, par quelque moyen que ce soit, un dispositif ou
des substances propresà détruire ledit aéronef ou à lui causer des dommages qui le rendent inapte
au vol ou qui sont de nature à compromettre sa sécuritéen voL
(..)

2. Commet également une infraction pénale toute personne qui:
a) tente de commettre 1'une des infractions énuméréesau § 1er du présent article;
b) est lecomplice de la personne qui commet ou tente de commettre l'une de ces infractions."

L'accusation dont font l'objet les deux suspects tombe incontestablement dans le cadre
de~ alinéasa) à c) de cet article. 53

3.5 L'article 5 :

"2. Tout Etat contractant prend également les mesures nécessaires pour établirsa compétence aux
fins de connaître des infractions (...) , dans le cas où 1'auteur présuméde l'une d'elles se trouve sur son
territoire et où ledit Etat ne 1'extrade pas conforàél'article 8 (...)
"3. La présente convention n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois

nationales."

li est constant, ainsi qu'il résulte des faits rappelés dans la première partie du présent

mémoire, que la Libye s'est acquittée en l'occurrence de l'obligation prévue à l'alinéa 2 de

cet article. En revanche, par leurs actions et leurs menaces, le Royaume-Uni et les Etats-Unis
dénient à la Libye le droit d'exercer sa compétence légitime pour connaître de la question.

Sans-doute, le Professeur R. Higgins, conseil du Royaume- Uni, a soutenu, à

l'audience du 26 mars 1992 (après-midi), que l'article 5, alinéa 2, n'était relatif qu'à la

création de compétence et non à son exercice dans un cas individuel 5. Ceci paraît une vue
minimaliste de l'effet de la création de compétence en droit international. Conformément à

l'alinéa 2 de l'article 5, la Libye a le devoir de prendre les mesures nécessaires pour établir sa

compétence aux fins de connaître des infractions mentionnées à l'article 1er de la convention,
dans le cas où l'auteur soupçonné de l'une d'elles se trouve sur son territoire et n'est pas

extradé conformément à l'article 8 de la convention. Ceci ne comporte pas seulement une
obligation abstraite, à laquelle on se conformerait par la seule adoption d'une législation

interne adéquate, mais encore, une obligation concrète, à l'occasion de chaque cas

d'application déterminé.

Un tel devoir présente sa contre-partie naturelle, c'est à dire le droit d'obtenir des Etats

parties à la convention qu'ils respectent la conséquence nécessaire de ce devoir, le droit pour
la Libye d'exercer cette compétence si elle le souhaite. Une obligation confère aussi des droits

corrélatifs.

Conformément à l'article 5, paragraphe 3, de la convention, la Libye est habilitée à

exercer sa compétence pénale pour connaître de la question conformément à ses lois
nationales.

Ici encore le mêmeconseil du Royaume-Uni a soutenu à l'audience du 26 mars 1992

(après-midi) :

"Artide 5(3) does not address the question of which State should exercise jurisdiction when more than
one has a basis for doing so. Nor does it preclude a State from demanding the surrender of a suspect
(...)" 6.

5 CR 92/3, p. 45.
6 CR 9213.p.46.54

Là ne résidepas le différend entre les deux Etats. La Libye n'a jamais prétendu que

l'article 5 alinéa 3 conférait une compétence exclusive à ses tribunaux pour juger de
l'incident de Lockerbie. La Libye n'a jamais contesté que le Royaume-Uni, aussi bien que les

Etats-Unis, ont une compétence de principe à cet égard.Le problème n'est pas là; il résultedu

fait que les défendeurs réclament à leur profit, une juridiction exclusive de celle de la Libye et

qu'ils veulent imposer, en recourant à des méthodes coercitives, la compétence de leurs
propres tribunaux.

Par leurs actions et leurs menaces, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, entendent, en
violation de l'article 5, paragraphe 3, de la convention, empêcher la Libye d'exercer la

compétence légitimeprévuepar sa législation, pour connaître de l'infraction.

3.6 L'article 6 :

"1. S'i1estime que les circonstances le justifient, tout Etat contractant sur le territoire duquel se
trouve l'auteur ou l'auteur présuméde l'infraction assure la détention de cette personne ou prend toute
autre mesure nécessaires pour assurer sa présence. Cette détention et ces mesures doivent être
conformes à la législationdudit Etat; elles ne peuvent êtremaintenues que pendant le délainécessàire

l'engagement de poursuites pénalesou d'une procédured'extradition.
2. Ledit Etat procède immédiatement àune enquêtepréliminaire en vue d'établirles faits.
(..)
4. Lorsqu'un Etat a mis une personne en détention conformément aux dispositions du présent
article, il avise immédiatement de cette détention, ainsi que des circonstances qui la justifient les Etats

mentionnés au § 1er de l'article 5 (....). L'Etat qui procàdl'enquêtepréliminaire visée au § 2 du
présent article en communique rapidement les conclusions auxdits Etats et leur indique s'il entend
exercer sa compétence."

Il n'a pas étéalléguéque la Libye ait failli à ses obligations sur ce point. Par leurs

actions et leurs menaces, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, tentent d'empêcher la Libye

d'exercer les facultésque lui confère cette disposition de la convention de Montréal.

3.7 L'article 7 :

"L'Etat contractant sur le territoire duquel 1'auteur présuméde 1'une des infractions est découvert, s'il

n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire sans aucune exception et que l'infraction ait ou non été
commise sur son territoire,àses autoritéscompétentes pour l'exercice de 1'action pénale.Ces autorités
prennent leur décision dans les mêmesconditions que pour toute infraction de droit commun de
caractère grave conformément aux lois de cet Etat."

Cet article qui contient le principe classique en la matière aut dedere aut judicare, est
au coeur mêmede la requêtelibyenne. C'est l'exercice de ce droit discrétionnaire et souverain

que les Etats-Unis et le Royaume-Uni, à l'inverse de l'attitude correcte de la France, veulent

lui dénier. Le Professeur R. Higgins, conseil du Royaume-Uni a soutenu que l'article 7 ne 55

7
conférerait que des obligations à la Libye; il ne lui accorderait pas de droit .Ce point de vue
qui néglige le fait que droits et obligations sont des faces corrélatives d'une norme juridique,

ne peut êtreretenu. En s'efforçant de contraindre la Libye à remettre les accusés, le Royaume­

Uni et les Etats-Unis tentent d'empêcher la Libye d'exercer le droit souverain que lui
confirme la convention, comme de remplir ses obligations à cet égard.

Le Royaume-Uni a soutenu que cet article ne serait pas applicable puisqu'il n' a pas

demandé l'extradition des deux prévenus

" but has instead maintained that Libya should, for reasons unrelated to the Montreal convention,

surrender the two accused." 8

Il est vrai que les défendeurs se gardent bien de réclamer l'extradition des prévenus,

formule qui mettrait en pleine lumière l'absence de fondement de leur demande. Us utilisent
des formules neutres comme "remise" ou "livraison" 9. Cette approche purement formaliste,

ne change rien au fait que, la convention de Montréal ne prévoyant que deux procédures, celle

de l' extradition ou celle du jugement sur place, par cette exigence, qu'on la qualifie de
demande d'extradition ou de demande de "remise" ou de "livraison", les défendeurs visent à

contraindre la Libye à accorder ce que la convention appelle une "extradition".

Un des conseils des Etats-Unis, à l'audience du 27 mars 1992, a, pour sa part, déclaré:

" Libya has apparently confused its duty to extradite or prosecute suspects under this Article with the

vested right to be the only Party to exercise jurisdiction." 10

Rappelons à nouveau que la Libye n'a jamais prétendu avoir un droit exclusif à juger

les suspects. Aucun Etat ayant un lien de rattachement avec l'affaire susceptible de créer une
compétence juridictionnelle ne possède, selon la convention de Montréal, une priorité de droit

par rapport aux autres. li y a toutefois une priorité de fait qui résulte du lieu où les suspects

sont trouvés. L'exercice de cette priori téde fait est légitimé par la règle aut dede re aut
judicare.

3.8 Certes, J'article 8 §·2ouvre une faculté supplémentaire d'extradition:

"2. Si un Etat contractant qui subordonne 1'extradition à \'existence d'un traité est saisi d'une
demande d'extradition par un autre Etat contractant avec lequel i1 n'est pas 1ié par un traité

7 CR 92/3, p. 47.
8 Professeur R. Higgins, CR 9213, p. 48.
9 En anglais "turnover'", "make available for trial", "surrender for trial'',"make avai!able to the !ega! authorities".

10 M. Schwartz, CR 9214, p. 60.56

d'extradition, il a la latitude de nmsidérer la présenteconvention comme constituant la base juridique

de l'extradition en ce qui concerne les infractions. L'extradition est subordonnée aux autres conditions
prévuespar le droit de l'Etat requis."

Cette disposition, comme son texte l'indique, n'offre qu'une latitude; elle se borne à

ouvrir une option pour l'Etat requis de répondre favorablement à la demande d'extradition. 11

demeure cependant incontestable qu'une telle option est purement discrétionnaire.

Selon le droit interne libyen - 1'article 493 bis a) du code de procédure pénale -

1'extradition des nationaux est prohibée Il ~e qui interdit à la Libye, en 1'état de sa

législation, de faire application de la facultéque lui donne cet article.

Certes, la Libye a souligné que la loi libyenne n'interdisait pas aux suspects de se

remettre volontairement à un autre Etat 12 .A cet égard,les intéressésacceptaient une remise à

Malte. On a aussi envisagé la Suisse. C'est la partialité des Etats requérants qui a fait jusqu'à
présentobstacle à ce que les suspects se livrent volontairement à l'un ou l'autre de ces Etats.

3.9 L'article 11, §1 impose à tous les Etats intéressésdes obligations de coopération:

"1. Les Etats contractants s'accordent l'entraide judiciaire la plus large possible dans toute
procédure pénale relative aux infractions. Dans tous les cas, la loi applicable pour l'exécution d'une

demande d'entraide est celle de l'Etat requis."

Le Royaume-Uni et les Etats-Unis, bien que tenus, en leur qualitéd'Etats contractants,

à l'entraide judiciaire la plus large possible dans toute procédure pénale engagée par un Etat
tiers au sujet des infractions énuméréesà rarticle 1er, ont refusé avec obstination toute

coopération avec les tribunaux libyens au titre de cet article.

3.10 L'ensemble des dispositions qui précèdent constituent un équilibre de droits et

d'obligations pour les parties contractantes. Elles incluent aussi, implicitement, comme il se

doit, des disposi tions protectrices des droits de 1'accusé. Tout système démocratique

respectueux des droits de la défense repose sur la garantie d'un procès équitable et de la
présomption d'innocence. Cet aspect des choses sera développédans la quatrième partie du

présentmémoire.

Il Voir annexeno2.
12 Voir annexe n° 1etsupra, par 2.22. 57

3.11 La Libye soutient d'autre part qu'elle a droit à ce que la convention de Montréal ne

soit pas écartéepar les défendeurs au mépris des principes de la Charte des Nations Unies et

du droit international généralde caractère impératif qui prohibent l'utilisation de la force et la

violation de la souveraineté, de l'intégritéterritoriale et de l'indépendance politique des Etats
ainsi que l'intervention dictatoriale dans les affaires intérieures des autres Etats. En recourant

à des menaces, en exerçant la pression institutionnelle du Conseil de Sécuritédes Nations

Unies par voie de détournement de pou voir, 1e Royaume-Uni et les Etats-Unis tentent
d'échapper à leurs obligations conventionnelles au regard de la convention de Montréal par

des voies qui violent également les prescrits les plus fondamentaux de la Charte.

CHAPITRE Il - FONDEMENT DE LA COMPETENCE

3.12 Dans sa requêtedu 3 mars 1992, la Libye a fondé la compétence de la Cour sur le

paragraphe 1 de l'article 36 du Statut de la Cour et le paragraphe 1 de l'article 14 de la

convention de Montréal du 23 septembre 1971 qui se lit comme suit:

"Tout différend entre des Etats contractants concernant 1'interprétation ou l'application de la présente
convention qui ne peut pas êtreréglér voie de négociation est soumis à l'arbitrage, à la demande de

l'un d'entre eux. Si dans les six mois qui suivent la date de la demande d'arbitles parties ne
parviennent pasà se mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage, 1'une quelconque d'entre elles
peut soumettre le différend à la Cour internationale de Justice, en déposant une requêteconformément
au Statut de la Cour"

La Libye soutient que les conditions requises par cette disposition sont remplies en

1'occurrence.

3.13 Aux termes de 1'article 14, paragraphe 1, il doit il y avoir:

a) un différend entre les Etats contractants à propos de l'interprétation ou l'application de la

convention,

b) qui ne peut êtreréglépar voie de négociation et pour lesquels les parties au différend n'ont
pas pu se mettre d'accord sur l'organisation d'un arbitrage,

c) ceci dans un délaide six mois après la demande d'arbitrage.58

Ces différentes questions seront examinées tour à tour dans les paragraphes suivants.

Section 1. Un différend entre les Etats contractants à propos de l'interprétation ou

J'application de la convention.

3.14 Aux yeux de la Libye, l'existence d'un tel différendest constante en l'espèce.

Pour s'en convaincre, il suffit de relire les positions officielles adoptées par les Etats

intéressésparties à la convention de Montréal.

Dès le 17 novembre 1991, le représentant permanent de la Libye à l'ONU a transmis

au Secrétaire généralde l'ONU une lettre du Secrétaire du Bureau du peuple pour les relations

extérieures et la coopération internationale, dans laquelle étaitrappelé, en termes généraux,le

souci de la Libye d'un recours au règlement pacifique des différends:

"Elle (la Libye) réitèreégalement son attachement au règlement pacifique des différends conformément

aux dispositions du paragraphe 1 de 1'Article 33 de la Charte, qui stipule que les parties à tout diftërend
doivent rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de
conciliation, d'arbitrage ou de règlement judiciaire. A ce propos, la Grande Jamahiriya est disposée à
régler, par les moyens visésdans cet article, tout différend qui l'opposerait aux Etats-Unis d'Amérique
et au Royaume-Uni".

"... je tieàsréitérerque les autorités libyennes compétentes adhèrent aux dispositions de la Charte, en
particulier celles relatives au règlement pacifique des différ!3.s"

Le 8 janvier 1992, le représentant permanent de la Libye à l'ONU a transmis au
Secrétaire généralde l'ONU une lettre du Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure

et de la coopération internationale de Libye. Cette communication contenait un appel à la

négociation dans les termes suivants:

" S'il s'agit de différends politiques entre ces trois pays [Etats-Unis, France, Royaumeet la Libye,
ces différends devraient être examinés sur la base de la Charte des Nations Unies, qui, loin de
sanctionner l'agression ou 1a menace d'agression, prône le règlement des diftërend s par des moyens
pacifiques. Or la Libye s'est déclaréedisposée à accepter tout moyen pacifique souhaité par les trois

pays pour résoudre les différends existants. A ce propos, nous aimerions vous présenter les propositions
ci-après:
i) Instaurer directement ou par le canal de l'ONU un dialogue avec les trois pays pour régler tout
différend politique qui nous opposerait aux parties concernées;

13 Doc_off_ONU, A/461660 et S/23226 du 20 novembre 1991, voir annexe no29. 59

ii) Au cas où l'on parlerait d'un différend d'ordre juridique, inviter les parties à se mettre
d'accord pour le régler en saisissant la Cour intemalionale de Justice, et ce, conformément au
Règlement de la Cour" 14.

Le mêmereprésentant adressa le 18 janvier 1992 au Président du Conseil de Sécurité

copie d'une lettre du Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération

internationale de Libye destinée à M. James Baker, Secrétaire d'Etat des Etats-Unis et à M.

Douglas Hurd, Ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni l5 . En voici quelques

extraits:

"(...)Les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni et la Libye sont des Etats partiesà la convention de
Montréal de 1971 pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de 1'aviation civile. En

conséquence, par respect pour le principe de la primauté du droit et en application du Code libyen de
procédure pénale promulgué en 1953, qui définit la compétence de la justice libyenne, dès que les
accusations eurent étéportées, la Libye a exercé sa compétence à l'égard des deux auteurs présumés

conformément à l'obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 2 de l'articl5 de la convention de
Montréal en prenant certaines mesures pour assurer leur présence et en prenant immédiatement des
dispositions pour ouvrir une enquête préliminaire. Elle a notifié aux Etats visés au paragraphe 1 de

l'article5 de la convention que les suspects étaient en étatd'arrestation.

Il est incontestable que la convention de Montréal (...) n'écarte aucune compétence pénale exercée

conformément au droit national (libyen en l'occurrence), ainsi qu'il est énoncé au paragraphe 3 de
l'arcicle5. En notre qualité d'Etat partie à la convention, et conformément au paragraphe 2 du même
mticle, nous avons pris les mesures nécessaires pour établir notre compétence aux tïns de connaître de

toutes infractions prévues aux paragraphes a), b) etc) du paragraphe 1 de l'article premier ainsi qu'au
paragraphe 2 du même article, étant donné que l'auteur présumé en l'espèce se trouvait sur notre
terri toire.

De surcroît, 1'article7 de la convention stipule que l'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur
présumé de l'infraction est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire à ses autorités

compétentes pour 1'exercice de l'action pénale, et que ces autorités prennent Jeur décision dans les
mêmesconditions que pour toute infraction de droit commun de caractère grave conformément aux lois
de cet Etat.

L'affaire a effectivement étésoumise aux autorités judiciaires et un juge d'instmction (conseiller de la
Cour suprême) a éténommé. Il a engagé des procédures judiciaires pour assurer la présence des deux

.5uspects, ou vert une enquête préliminaire et émis un mandat d'arrêtprovisoire contre les deux suspects.
Les Etats visés au paragraphe 1 de l'article5 de la convention ont éténmit1és en conséquence et invités
à coopérer avel: les autorités judiciairelibyenn (..~

Après que la Libye eût demandé la coopération des autres parties intéressées, et alors qu'elle
escomptait une coopération sans réserve, les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni ont non
seulement refusé catégoriquement de coopérer, mais même menacé de recourir à la force et, somme

toute, leur réaction a rendu impossible tout règlement négocié.

Il convient de noter que le paragraphe 1 de l'article14 de la convention stipule que tout différend entre

les Etats contractants qui ne peut pas êtreréglépar voie de négociation est soumis à 1'arbitrage, à a
demande de l'un d'entre eux.

(...) La Libye engage les Etats- Unis d'Amérique et le Royaume-Uni à se laisser guider par la voix dea
raison et par le droit, à accepter rapidement un arbitrage, selon le paragraphe 1 de 1'article14 de 1a
convention età s'asseoir avec elle aussitôt que. possible à la table de négociation afin de définir les

modalités pour contribuer à la préparation de 1arbitrage du différend."

14 Doc. off. ONU, A/ 46/841 et S/23396 du 9 janvier 1992 , voir annexe n"73.

15 Doc. off. 0 NU, S/23441 du 18 janvier 1992 , voir annexe n° 79.60

Cette communication ne fut pas honorée d'une réponse des destinataires.

Lors de la réunion du Conseil de sécuritédu 21 janvier 1992, M. Belgasem El-Tahli,

représentant permanent de la Libye à.l'ONU rappela tout d'abord toutes les mesures prises

immédiatement par son pays dès que l'accusation eût étéportée contre deux ressortissants

libyens 16_ Il retraça les diverses propositions qui avaient étéprésentéespar la Libye: une

enquêteinternationale impartiale, un comité d'enquête neutre, ou le renvoi de l'affaire à la

Cour internationale de Justice. Ces proposüions n'ont pas fait l'objet de réponses de la part

des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Le représentant permanent insista sur le fait qu'un conflit

de juridiction était, par excellence, un conflit juridique pour lequel une procédure appropriée

existait: celle prévuepar les termes de l'article 14 que le représentant permanent cita expressis

verbis 17.Il invoqua ensuite l'article 36, paragraphe 3 de la Charte aux termes duquel

"d'une manière générale,les différends d'ordre juridique devraient êtresoumis par les parties à la Cour

internationale de Justice conformément aux dispositions du Statut de la Cour." l8

11a, en outre exprimé ce qui suit :

"Sur la base de cette convention [de Montréal], et en particulier de son article 14, et afin de régler la
question soulevée relative au conflit de compétence, mon pays a pris des mesures concrètes et pratiques
et a demandé, dans des communications officielles adressées aussi bien aux Etats-Unis d'Amérique

qu'au Royaume-Uni, de soumettre le différend à l'arbitrage. Aujourd'hui, devant le Conseil, mon pays
demande que ces deux pays soient invités à ouvrir sans tarder des négociations avec la Libye sur la
procédure à suivre en vue de l'arbitrage et de la constitution d'un jury d'arbitrage. Pour permettre un

règlement rapide du différend, nous estimons qu'une date limite proche et définitive doit êtrefixée pour
ces procédures, après quoi, si aucun accord n'intervient quant à 1'arbitrage, 1a question pourrait être
renvoyée devant la Cour internationale de Justice. Mon pays est disposé à conclure immédiatement,

avec toutes les parties intéressées, un accord de circonstance vi~an àtsaisir la Cour internationale de
Justice dès l'expiration du court délai, fixé pour conclure un accord en vue de l'arbitrage, ou à
n'importe quelle autre date proche et appropriée, si les pays intéressésacceptent d'aller au-delàùu stade

de l'arbitrage et des délibérations d'un jury d'arbitrage." 19

16 Doc. off. ONU. S/PV. 3033 du 21janvier 1992.p.7-11 ,voir annexe no83
17 Doc. off. ONU. S/PV. 3033 du 21janvier 1992,p. 12,voir annexe no83.
18 Conseil de sécurit,1 janvier1992, SIPV. 3033, p.13-15, voir annexe n°83.

19 Ibidem,p. 22 et 23/25 du texte français; la version anglaise de la fin de cette citation est plus précise:
"Today, before the Council, my country requests that both those countries be invited to enter promptly into negolia­

tions with Libya on proceedings leading to arbitration and an ton panel. To ensure the speedy seulement of the
-dispute,we consider thal a short and fixed deadline be set for those proceedings, after which, if no agreement is rea­

chedon arbitration,he matter wouIdbe brought before the InternationalCourt of Justice."
"My country expresses its willingness to conclude immediately, with any of the parties concerned, an ad hoc agree­
ment to have recourse to the International Court of Justice as soon as the short deaùline fur reaching agreement on ar­

bitration expires, or at any other convenient and near date should the countrics concerned agree togo beyond the arbi­
trationtage and the proceedings of an arbitration panS/PV. 3033, p.23). 61

Le mêmejour, immédiatement après 1'adoption par le Conseil de Sécuritéde sa

résolution 731, le représentant permanent des Etats-Unis auprès de l'ONU, M. Pickering,

réponditceci (extraits) :

"Le Conseil s'est trouvé face à une situation extraordinaire dans laquelle un Etat et ses fonctionnaires
sont mêlésà l'horrible destruction de deux avions de transport civiL Il s'agit là d'une situation à

laquelle les procédures habituelles ne peuvent manifestement pas s'appliquer( ...)

li ne s'agit pas ici d'une question de divergence d'opinion ou de démarche pouvant faire l'objet de

médiation ou êtrenégociée(...)

La résolution qui vient d'êtreadoptée répond à une situation particulière dont le Conseil a étésaisi. Aux
termes de cette résolution, la Libye est directement priée de coopérer pleinement en remettant les

fonctionnaires accusés (...)

La résolution stipule que les personnes accusées soient simplement et directement remises aux autorités
judiciaires des gouvernements qui, en droit international,sont compétents pour les juger.

Le Conseil s'est trouvé devant un cas qui implique clairement la participation d'un gouvernement à des
acti virésterroristes et pour lequel il n'existe pas de pouvoir judiciaire indépendant dans 1'Etat incriminé
(...)" 20

C'était là une fin de non-recevoir péremptoire, aussi bien sur le fond que sur la

procédure, aux demandes libyennes qui avaient ététraitées jusqu'alors avec un silence

éloquent.

La réponse du représentant permanent du Royaume-Uni, Sir David Hannay, fut encore

plus explicite; ici encore, quelques extraits:

"A la suite de l'émission des mandats d'arrêt contre les deux agents libyens, le Gouvernement
britannique a essayé de persuader le Gouvernement libyen de livrer les deux accusés à la justice
écossaise. Aucune réponse satisfaisante n'a étéreçue. Aussi, e 27 novembre 1991, les Gou vemements

britannique et américain ont-ils publié une déclaration demandant que le Gouvernement libyen livre les
accusés afin que ceux-ci puissent êtretraduits en justice; (...)

Plus de deux mois se sont écoulésdepuis que nous avons demandé àla Libye de livrer les accusés pour

qu'ils soient traduits en justice. Aucune réponse concrète n'a étéreçue(. ..)

La lettre en date du 18 jan vier concernant une demande d·arbitration (sic )au titre de 1'article 14 de 1a
convention de Montréal n'est pas pertinente dans le cas dont est saisi le ConseiL Le Conseil n'est pas,

20 Conseil de sécurit, 1janvier 1992,S/PV. 3033, p.77-8l. En anglais:
"The Council !msbeen confronted with the extraordinary situation of a State and its officiais which are implicated in

two ghastly bombings of civilian airliners. This is a situation to which standard procedures are tlearly inapplicable.
..)

The issue at hand is not sornedifference of opinion or approach that can be mediated or negotiated.(...)
The resolution just adoptcd () makes a straightforward request of Libya : thal it cooperate fully in turning over ils

officiais who have heen indictcd (...) The resolution providcs that the people accused be simp!y and directly turned
over10 thejudicial authorities of the Governments which are competent under internationtotry them.(...)

The Council was faced in this case with clear implications of Government involvementterror as.well as with
the absence of an indcpendent judiciary in the implicated State" (S/PV. 3033,àp80 du texte anglais)(annexe no
83).62

selon les termes de l'article 14 de la convention de Montréal, saisi d'un différend entre deux parties

contractantes ou plus concernant l'interprétation ou l'application de la convention de Montréal.( ...)".

Nous avons penséqu'il étaitbon et, en fait, préférable à d'autres moyens de poursuivre la question, de
saisirle Conseil et de demander son appui, grâce i\ la résolution qui vient d'êtreadoptée. Nous espérons

vivement que la Libye répondra complètement, positivement et promptement, et que les accusés seront
livrés aux autoritésjudiciaires en Ecosse ou aux Etats-Unis, et en France. (...) Il a étésuggéréque ces
hommes pourraient êtrejugés en Libye. Mais, dans ces circonstances particulières, on ne peut avoir
confiance dans !'impartialité des tribunaux libyens" 2 1.

A - L'existence d'un différend- en fait

3.15 Ainsi qu'il découle des citations qui précèdent, en l'espèce, le différend entre les

parties porte essentiellement sur le droit de la Libye, en application de la convention de

Montréal, de juger les deux suspects devant des juges libyens et accessoirement sur les

devoirs de coopérer des deux gouvernements défendeurs aux termes de la mêmeconvention.

Le Royaume-Uni a toutefois soutenu, lors de la plaidoirie orale du 26 mars 1992, que

le Libye n'avait pu démontrer 1'existence d'un différend entre elle et le Royaume- Uni à
propos de l'application ou l'interprétation de la convention de Montréal:

" The existence of such a dispute, and a sufficienr definition of the issues in dispute, are fundamental
jurisdictional requirements under Article 14.

Because the United Kingdom does not believe the Montreal convention to be in issue, it has never
raised with Libya questions regarding its interpretationor application." 22

21 Conseil de sécurité,21 janvier 1992, S/PV. 3033, p. 102-l 05; Texte anglais:
"Following the issue of warrams against the two Libyan officiais, the British Government sought to persuade the

Libyan Government to make available the two accused for trial in Sco!land. No satisfactory response. was received.
Su on 27 November 1991 the British and American Governments issued a statemcnt declaring that the Government of

Libya must surrcnder for trial al! thosc charged with the crime(...)
Over two months have passed since we requested Libya to make the accused available for trial. No effective response
has been received. (...)

The letter dated 11anuary conceming a rcquest for arbit.ration under article 14 of the Montreal convemion is not re­
levant to the issue before the Council. The Council is not, in the words of article 14 of the Montreal convention, dea­
ling with a dispute between two or more Contracting Parties conccrning the interpretation or application of the

Montreal convention. (...)

We have thought it right, and indeed preferableother ways of pursuing the matter, to come befure the Council and
seek the Council's support, through the resolution just adoptcd. We very much hope that Libya.will respond fully, po­

sitively and promptly, and that the accused will be made available to the legal authorities in Scotland or the United
States, and in France.(...) lt has been suggested the men might be tricd in Libya. But in the pcircumstanœ~
there can be no confidence in the impartiality of the Libyan courts." (S/PV. 3033, p. 104-105 du texte anglais). Voir

annexe no83.
22 M. Rodger, CR 92/3, (après-midi) p.30.

Notre traduction en français :
"L'existence d'un tel dil'l'é,t une définition suffisame des questions qui en font l'objet constituent des conditions
fondamentales pour le règlement en vertu de l'article 14.

Le Royaume-Uni n'a jamais soulevé, dans ses rapports avec la Libye, des questions concernant l'interprétation ou
1'application de la convention de Montréal, parce qu'il estime que la convention n'est pas en cause". 63

La réclamation n'aurait jamais étésuffisamment "articulée" avant la requêtelibyenne

pour que le Royaume-Uni soit à mêmede décider s'il y avait ou non une opposition de vue

entre les deux Etats 23, l'objet du différend n'aurait jamais étééclairci 24. Le différend soumis

au Consei 1 de sécurité était distinct d'un différend sur la convention de Montréal 25.
2
L'ambassadeur Hannay n'aurait jamais rien dit d'autre au Conseil 6. Au surplus les droits

invoqués par la Libye seraient purement "illusoires" 27.

La Libye estime ces points de vue non fondés. Il y a, en substance, deux différends

bien concrets:

-d'une part, la détermination du juge compétent;

- d'autre part, 1a coopération avec les juges 1ibyens.

1-Premier différend : le juge compétent

3.16 Le Secrétariat de la Justice de Libye a reçu le 18 novembre 1991 28 la requête du

Procureur général SGD James T. Mac Dougal\ datéedu 13 novembre 1991 29. Le jour même,

le Secrétariat a décidéen se fondant sur les lois libyennes du 28 novembre 1953, n° 6 de

1982 et n° 51 de 1976,

1 °) de demander à 1'Assemblée générale de la Cour suprême de désigner un conseiller

chargéde l'instruction (ceci eut lieu le jour même),

2°) de demander à tous les intéressés au Royaume Uni et aux Etats-Unis y compris aux

familles des victimes de soumettre toutes informations et toutes preuves en leur

possession.
3°) de faire savoir qu'il accorderait toute facilité à cette fin et qu'il était prêt à collaborer

avec les autorités judiciaires concernées 30.

23 Idem,CR 92/3, p. 33.
24 Idem,CR 92/3,p.35.
25 Idem, CR 92/3, p. 35.

26 Idem,CR 92/3, p. 40.
27 Mme !e professeur Higgins, CR 92/3, p. 45.
2!; Voir annexes n° 31.

29 Voir annexen"6bis.
30 Voir annexe n" 32. En anglais : "legal authorities"64

Les autorités libyennes compétentes ont commencé immédiatement leur enquête.

Apparemment, le 22 novembre 1991, l'ambassade d'Italie représentant les intérêtsdu

Royaume-Uni à Tripoli fit savoir au Comité pour les affaires étrangères que les autorités

britanniques souhaiteraient que les suspects soient remis à la justice britannique en écrivant:

"ltisright for the Libyan Government and its duty to surrender the named citizens to the court•"3

Le lendemain, 23 novembre, le Comité populaire de liaison extérieure et de la
coopération internationale répondait à l'ambassade d'Italie en lui demandant ce que cela

signifiait, il ajoutait :

"There are general princip]es in such situations governed by the sovereignty of countries, the principle

of national independance and the conflict of laws and the conflict of jurisdiction" 32.

Le 27 novembre, les autorités libyennes prirent des mesures garantissant la présence

des accusésafin de permettre l'exercice de l'action pénale; leurs passeports leur furent retirés.

Néanmoins, le 27 novembre, le Royaume-Uni et les Etats-Unis adressent à la Libye un

véritable ultimatum comprenant l'exigence que les deux suspects leurs soient livrés:

"Le Gouvernement libyen doit:

- Livrer, afin qu'ils soient traduits en justice, tous ceux qui sont accusés de crime et assumer l'entière

responsabilité des agissements des agentsibyens" 33.

Par une déclaration du 2 décembre 1991, le Comité populaire de liaison extérieure et

de la coopération internationale exprima comme suit la position libyenne: en ce qUIconcerne

le cas des deux accusés, on appliquerait la loi libyenne :

"2. If the issue of the incident of Panam flîght 103 relates to the implementation of law în accordance
with judicial procedures, then Libya sees that the investigation into the matters follows the law of
criminai procedures issued in 1953 by way of an investigating Libyan judge, since the matter concerns

Libyans. Libya accepts that judges from Brittan and America participate with the Libyan judge in the
investigations to make sure that the procedures are done in an unbiased and good manner. International
organizations, human rights societies and the famillies of the victims cans send observers or lawyers
attend the investigations. Those states or any other requesting party, can look into the process of

31 Voir annexe n" 38. Notre traduction :

"Il est juste que le Gouvernement libyen remette lesdits citoyens aux tribJedevoir de le faire.".
32 Voir annexe no38. Notre traduction :
"Il y a des principes générauxen de telles situations régiespar la souverainetédes Etats, le principe de l'indépendance

nationale, ceuxes conflits de lois et ceux des conflits de compétence."
33 A/46/827 et S/23308, voir annexe n°46. 65

investigation.The investîgating judge will take into consideratioobtaining the previous investigations
carried out regarding the incident including those in Scotland and the district of Columbia.

The specialized authorities in Libya will cooperate full y with the Scottish and American investigattos
arriveat the truth.

ln addition, Libya declares its acceptance of the formation of a neutra] international investigation

committee to carry out that investigation"34_

L'exigence de la livraison des suspects et le refus d'accepter la juridiction libyenne fut
réitérée,on l'a vu, au Conseil de Sécuritépar les deux représentants permanents le 21 janvier

1992 35.

Il y a donc un différend sur les obligations respectives des parties à la convention de

Montréal, aux termes de cette convention, en matière de compétence des tribunaux.

2- Deuxième différend : la coopération avec les jugeslibyens

3.17 Le 27 novembre 1991, le juge d'instruction s'adressait à 1'Attorney général de

Grande-Bretagne demandant la communication des documents dans cette affaire 36.

Une lettre similaire fut envoyée à la mêmedate au président du Grand jury du district
de Columbia 37.

Le 4 décembre, ont commencé les interrogatoires par le juge d'instruction des

suspects et de témoins. Neuf audiences eurent lieu du 16 décembre au 28 janvier, puis encore

trois en février.

34 Voir annexe n~54 .otre traduction :

'"2.Si la question de l'incident du vol 103de la Pan Am a trait à J'application du droit conformément aux procédures
judiciaires établies,la Libye considèreque l'enquêtesur la question doit êtresoumise à la loi de 1953 portant code de

procédurepénalect que l'enquêtedoit êtremenéepar un juge libyen étantdonnéque la question concerne des li­
byens. La Libye accepte que des juges du Royaume-Uni ct des Emts-Unis d'Amériqueparicipent aux enquêtesavec le

juge libyen pour s'assurer que les procéduressuivies sont appliquéessans parti-pris et dans les règles. les organisa­
tions internationales, les associations pourfensedes droits de l'homme et les familles des victimes peuvent en­

voyer des observateurs ou des avocats assiter aux enquêtes.Ces Etats, ou route autre partie en faisant la demande,
pourront suivre le processus d'enquête.Le juge chargéde l'enquêteenvisagera d'obtenir les résultats des enquêtes

déjàréalisésà propos de 1'incident, y compris celles menéesen &osse et dans le District of Columbia.
Les autoritéslibyennes spéciabséescoopérerontpleinement avec les enquêteursécossaiset américains pour parvenir

la vérité.
En outre, la Libye déclarequ'elle accepte la constitution d'un comitéinternational d'enquêteneutre pour procéder la­

dite enquête.
35 Conseil de sécurit, 1 janvier 1992, SIPY. 3033 p. 28-80 et 104, 105du texte anglais. Voir annexe no83.

36 Voir annexe n°44.
37 Voir annexe no43.66

Le 29 décembre 1991, le magistrat instructeur demandait la li ste des passagers de et

vers Malte pendant la périodedu 5 au 12 décembre 1988.

Entretemps une autre demande de renseignements fut encore adressée au ministère de

la justice du Royaume-Uni, le 14janvier 1992 38.

Ces demandes ne reçurent jamais de réponseni des Etats-Unis ni du Royaume-Uni. Le
Royaume-Uni l'a reconnu officiellement dans la déclaration suivante du 28 janvier 1992 :

"...the Libyan authorities have made public the fa.:t of their request that the Lord Advocate assist a
Libyan judicial investigat.ion. The Lord Advocate has made ît clear that he is not prepared to cooperate

in such an investigation ..." 39.

Ensuite, le Royaume-Uni et les Etats-Unis allaient poursuivre dans leurs attitude et
refuser de coopéreravec les juges libyens. Ceci n'a pas étécaché par les conseils de ces deux

Etats devant la Cour pendant la procédure sur les demandes de mesures conservatoires. Ils

n'ont cesséde dire que leur position étaitde refuser de coopérer avec les juges libyens sous

prétexteque ceux-ci ne seraient pas indépendants 4 0.

B- L'existence d'un différend- en droit

3.1.8 Les conditions d'existence d'un différendjuridique de droit international entre Etats

font l'objet d'une jurisprudence bien assise de la Cour.

Pour reprendre les termes traditionnels de la Cour permanente de Justice
internationale, dans son arrêtdu 30 août 1924 en l'affaire des concessions Mavrommatis en

Palestine :

" Un différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposilion de
41
thèsesjuridiques ou d'intérêtsentre deux personnes" .

Dans son arrêtdu 25 août 1925, dans l'affaire Minorités allemandes en Haute Silésie,

la Cour permanente précisace qui suit:

38 Voirannexen° 77.
39 Annexen°80.
40 Voirnotammentannexesn°80, n°83 ( S/PV. 3033, pp80et 105)etn° 87.

41 SérieA. n°2p.Il . 67

"une divergence d'opinion se manifeste dès qu'un des gouvernements en cause constate que l'attitude
observée par l'autre est contraire à la manière de voir du premier" 42 .

Dans son arrêtdu 2 décembre 1963 dans 1'affaire du Cameroun septentrional, la

présente Cour a déclaré:

"Il suffit de constater que, eu égard aux faits déjà exposés dans le présent arrêt,les positions opposées

des Parties pour ce qui concerne l'interprétation et l'application des articles pertinents de 1'accord de
tutelle révèlent l'existence entre la République du Cameroun et le Royaume-Uni, à la date de la requête,
4
d'un différend au sens admis par la jurisprudence de la Cour actuelle et de l'ancienne Cour" 3.

Citons encore 1'arrêtde la Cour du 21 décembre 1962dans les affaires du Sud-Ouest

africain:

"La simple affirmation ne suffit pas pour prouver l'existence d'un différend, tout comme le simple fait

que l'existence d'un différend est contestée ne prouve pas que cedifférend n'existe pas. (... )
11faut démonter que 1a réclamation de 1'une des parties se heurte à 1'opposition manifeste de 1'autre" 44.

Dans l'avis consultatif du 26 avril 1988, Applicabilité de l'obligation d'arbitrage en

vertu de la section 21 de l'accord du 26 juin relatif au siège de l'ONU, la Cour a exprimé

1'opinion que:

"38. Pour la Cour, lorsqu'une partie à un traité proteste contre une décision ou un comportement
adoptés par une autre partie et prétend que cette décision ou ce comportement constituent une violation

de ce traité, le simple fait, que la partie accusée ne présente aucune argumentation pour justifier sa
conduite au regard du droit international n'empêche pas que les attitudes opposées des parties fassent
4
naître un différend au sujet de l'interprétation ou de l'application du traité" 5.

3.19 Prétendre, dans ces conditions de fait et de droit, que tant en ce qui concerne le
différend sur la compétence du juge libyen qu'en ce qui concerne celui sur la coopération avec

la justice libyenne l'on ne se trouve pas devant une réclamation de l'une des parties qui se

heurte à l'opposition manifeste de l'autre 46 ou bien que l'on ne se trouve pas devant l'attitude

opposée des parties révélantl'existence d'un différend 47 n'est guère probant.

42 C.PJ.I., Série.A,n°6, p.14.

43 C.I.J., Recuei1963, p.27.
44 C.I.J.,Recueil.!962, p. 323.

45 C.I.J., Recueil1988, par.38.p.28.
46 Affaire du Sud ouest africain, arr21,décembre 1962.C.J.J. Recueil1962, p.328.

4 7 Affaire du Cameroun septenrrionnal , C.I.J., Recueil1963, p. 27 etAccord re/arif m1 siège., Avis,26 avril198S
Recueil,1988, p. 19,par.35.68

3.20 Peut-on admettre, comme il a été soutenupar le Royaume-Uni au cours des plaidoiries

orales relatives à la demande de mesures conservatoires, que la position libyenne est
insuffisamment articulée 48 ?

Le 18 janvier 1992, la lettre du représentant permanent de la Libye exposa clairement
les positions de son gouvernement, en les liant à des articles précis de la convention de

Montréal (art. 5, 7 ), ainsi que les demandes de coopération faites sur base de cette

convention.

Sans doute, quant à elles, les autorités britanniques et américaines se sont bien gardées
de donner un quelconque fondement à leur demande tendant à ce que les suspects leurs soient

livrés.Elles auraient étébien en peine de le faire à défautde traité d'extradition entre elles et

la Libye. Si elles ont évitésoigneusement d'invoquer la convention de Montréal, seul
instrument international gouvernant les relations des pays intéressésdans le domaine de la

coopération en matière pénale, c'est qu'elles savaient que cette convention ne leur conférait
pas cette possibilité dès lors que les autorités libyennes avaient décidé d'exercer leur

juridiction d'une manière conforme à ce texte.

Prétendre dès lors comme l'ont fait les conseils britanniques que la Libye n'a jamais

eu une réclamation suffisamment articulée avant le 3 mars pour lui permettre de décider s'il y
avait une "opposition positive" entre les deux Etats est donc une position purement

artificielle.

3.21 Par ailleurs, ce n'est pas parce que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne estiment qu'il
s'agit d"'une situation à laquelle les procédures habituelles ne peuvent manifestement pas

s'appliquer" 49ou qu'it était"préférableà d'autres moyens de poursuivre la question" 50 que

les relations entre ces Etats et la Libye sur les points en discussion ne sont plus fondées sur
la convention de Montréal, puisque c'était le seul texte pertinent en vigueur entre les parties.

Au vu de ce qui précède,on voit que le point essentiel d'opposition entre parties est

la question de l'extradition, et, accessoirement, le refus total des deux gouvernements
défendeurs de coopérer avec la justice libyenne. Dans les deux cas, il ne peut guère être

contesté qu'il s'agit d'un différend relatif à l'application de la convention de Montréal.

48 M. Rodger, CR 92/3, p. 33.
49 Conseil de sécurité,21 janvier 1992, M. Pickering, S/PV.3033, p.78.
50 Ibid., Sir David Hunnay, S/PV.3033, p.l 06. 69

3.22 Pendant le débatau Conseil de sécuritédu 21 janvier 1992, le Royaume-Uni a soutenu

que la question dont était saisi le Con sei1 n'était pas 1'application de la convention de

Montréal, mais le problème du terrorisme d'Etat:

" Ce qui nous occupe ici, c'est la réaction appropriée de la communauté internationale devant la
situation découlant du fait que la Libye n'a pas, à ce jour, répondu de faç.on crédible aux graves

accusations selon lesquelles un Etat aurait particiàédes actes de terrorisme. (...)

Nous ne nous occupons de terrorisme que dans la mesure ou un Etat est impliqué "51_

De la mêmefaçon le représentant permanent des Etats-Unis, M. Pickering déclara:

" Le Conseil s'est trouvé face àune situation extraordinaire dans laquelle un Etat et ses fonctionnaires
sont mêlés à l'horrible destruction de deux avions de transport civil. Il s'agit là d'une situationà

laquelle les procédures habituelles ne peuvent manifestement pas s'appliquer.( ...)

IIressort clairement de la résolution que ni la Libye ni aucun autre Etat ne peut chercher à dissimuler

son appui au terrorisme derrière les principes traditionnelsdu droit internationalet de la pratique des
Etats.

Le Conseil s'est trouvé devant un cas qui implique clairement la participation d'un gouvernement à des
activitésterroristes" 52.

Comme on le voit, 1'argumentation des défendeurs devant le Conseil de sécuritéa

reposé sur l'affirmation non démontréeque l'Etat libyen avait participé aux actes délictueux.

Or, pour arriver à cette conclusion, il aurait fallu d'abord prouver que les deux prévenus

étaient coupables. Une telle preuve n'a jamais étérapportée. Les deux défendeurs ne la
possèdent pas puisqu'ils demandent - avec une étonnante candeur- à la Libye de fournir

certaines preuves matérielles de sa culpabilité ( Voir supra § 2.9) ! Il aurait fallu ensuite

prouver que les fonctionnaires en question avaient agi sur ordre de leur gouvernement, ce qui

n'étaitpas et reste également non prouvé.

Contrairement aux allégations de M. Pickering et de Sir David Hannay, le Conseil de

sécurité ne s'est pas prononcé sur le point de savoir si la convention de Montréal avait quelque

51 Conseil de sécurit, 1 janvier 1992. S/PV. 3033 p.104 et 105. Voir annexe 83. En anglais:
"What we are concerned with here is the proper reaction of the international community to the situation arising from
Libya's failure, thus far, to respond efyeto the most serious accusations of Statc invo\vement in acts of terro­

rism. (...)
We are dealing on1ywith tcrrorism in which there is state involvement" (S!PY. 3033 p.!05 er 106)

52 Conseil de sécurit, 1 janvier 1992,S/PY. 3033 p.78 et 79-80 . En anglais:
"The Council has been confronted with the extraordinary situation of a State and ils officiais which are implicated in

two ghastly bombings of civilian airliners. This is a situation to which standard procedures are clearly inapplicable.
(...). The resolution rnakes it clear that neither Libya nor indccd any other State can scck to hide support for interna­
tional terrorism behind traditionnal principal of international law and State practice.

The Council was faced in this case with clear impLic;;tionsof Governrnent involvment in terrorism (...)" (S/PV. 3033
p.78 et 80; annexe no83.70

pertinence dans la question dont il étaitsaisi. Dans ses deux résolutions 731 et 748, il ne 1'a

mentionnéeni dans un sens ni dans l'autre.

La question a étéabordée d'une manière parallèle par le juge Schwebel lorsqu'il a

posé aux parties la question de savoir si la convention trouvait à s'appliquer en cas de

terrorisme d'Etat.

Prudemment, dans sa réponsedu 2 avril 1992, le Royaume-Uni a demandé à pouvoir

analyser la question et a estiméentretemps que les articles 10 (obligations de prévention) et

12 (obligation d'avertir les Etats visés) de la convention devaient s'appliquer. Dans leur
réponsedu mêmejour les Etats-Unis ont exprimél'opinion que les obligations des articles 10

et 12 de la convention prouvaient que la compétence exclusive réclaméepar la Libye n'était

pas réalisable.

La Libye, pour sa part, a transmis, par lettre adressée au greffe le 2 avril 1992, une

réponse aux termes de laquelle elle soulignait que 1'hypothèse considérée par le juge

Schwebel s'appuyait sur une qualification des faits, alléguéepar le Royaume-Uni, que la
Libye rejetait totalement et que dès lors, les questions poséesavaient un caractère purement

théorique. Néanmoins elle estimait que cette convention s'appliquait sans restrictions à tous

les ressortissants d'un Etat partie, fussent-ils un organe de l'Etat.

En tout état de cause, si les défendeurs entendaient soutenir qu'il s'agit là d'une

excuse légitimepour ne pas appliquer la convention de Montreal, il leur appartiendrait de le

démontrer et la Cour serait compétente pour connaître de cette exception portant sur une
interprétationde la convention.

3.23 Les défendeurs tentent encore d'écarter les dispositions de la convention de Montréal

en alléguant que les tribunaux libyens ne seraient pas impartiaux.

Ainsi M. Pickering, représentant permanent des Etats-Unis à l'ONU a déclaré à la
séancedu Conseil de sécuritédu 21 janvier 1992 :

"Le Conseil s'est trouvé devant un cas( ...) pour lequel il n'existe pas de pouvoir judiciaire indépendant
dans l'Etat incriminé" 53

53 Conseil dsécurit,1 janvie1992,S/PV.3033, p. 79/En anglais:

"The Couneil was faced in this case with (...) the absence of an independent judiciary in the implicared State" (p. 80);
annexe n° 83. 71

Ala mêmeséance, le représentant britannique, Sir David Hannay, déclarait:

"JI a étésuggéré que ces hommes pourraient êtrejugés en Libye. Mais dans ces circonstances

particulières, on ne peut avoir confiance dans 1'impartialité des tribunaux libyens. (...) Dans les
circonstances actuelles, il doit êtreévident pour tous que 1'Etat qui a lui-mêmeparticipé aux actes de
terrorisme ne peut juger ses propres agents" 54_

Répétonsencore que 1'accusation sur 1aquelle repose ces affirmations des défendeurs

est donnée comme un fait d'évidence.

Sur le plan du droit, si cette extraordinaire prétention devait êtreacceptée comme
clause exonératoire tacite des dispositions de la convention, cela ruinerait tout le système des

conventions sur le terrorisme qui repose sur la multiplicité et 1'équivalence des fors

juridictionnels et prévoit, chaque fois, l'alternative classique: aut dedere aut judicare.

Aussi singulière que soit cette prétention des défendeurs, s'ils entendent démontrer
qu'il s'agit là d'une excuse légitime pour ne pas appliquer la convention de Montreal, il leur

appartient de le démontrer. La Cour est donc compétente pour connaître de cette exception
portant sur l'interprétation de la convention.

Section 2 - Un différend qui ne peut êtreréglépar voie de négociation et à propos

duquel les parties au différend n'ont pas pu se mettre d'accord sur

l'organisation d'un arbitrage

3.24 Le deuxième élémentnécessaire pour que la Cour soit compétente, c'est qu'il existe

un differend à propos duquel les parties n'ont pu se mettre d'accord par voie de négociation et
pour lesquels les parties au différend n'ont pas pu se mettre d'accord sur l'organisation d'un

arbitrage.

Qu'en est-il en l'espèce?

Le Royaume-Uni a soutenu que ces conditions n'avaient pas étéremplies. Il n'y avait
pas eu de négociations. Et le conseil du Royaume-Uni, M. A. Rodger, de préciser à l'audience

du 26 mars 1992 (après-midi):

54 Conseil de sécurité,21 janvier 1992. S/PV. 3033, p. 104 et 105. En anglais:

" lt has bccn suggested the men might be tried in Libya. But in the particular circumstances there can be no confiden­
ce inthe impartiality of the Libyan Courts. (...) ln the circumstances of this case it must be clear to ali that the State
which is itsclf implicated in the acts of terrorism cannot try its own officiais." (p. 105-106).72

"lt is not a mere formality. Article 14(1) is expressly drawn in terms which refer not to disputes which
have nut been scttled, but to disputes which cannat be settled, through negotiation." 55

Ce conseil du Royaume-Uni a aussi soutenu que la demande d'arbitrage de la Libye
5
étaitpurement abstraite, sans formulation de l'objet du différend 6.

L'offre de négociations et la demande d'arbitrage ne peuvent pas êtredissociées de la

situation de fait dans lesquelles elles ont étéréalisées.

En premier lieu, on se souviendra que les relations diplomatiques étaient rompues

entre les trois Etats parties à la présente instance et que pareille circonstance ne constituait
assurément pas un cadre idéal de négociation.

En second lieu, i1 convient d'avoir à l'esprit le temps extrêmement bref qui s'est

écouléentre la réception par la Libye des notes initiales accusant pour la première fois, trois
ans après les faits, des citoyens libyens (respectivement le 18 novembre 1991 pour la note

britannique et le 21 novembre 1991 pour la note américaine) et la première résolution du

Consei 1de sécurité,en date du 21 janvier 1992.

On a exposé ci-dessus les conditions de fait dans lesquelles la Libye a étéamenée,
dans la crainte de voir se renouveler des actions militaires du style de celles perpétréescontre

le territoire libyen en 1986, à insister tout d'abord sur les obligations pour les défendeurs

découlant de l'article 33 de la Charte. La lettre du Secrétaire du Comité populaire pour les

relations extérieures et la coopération internationale adressée au Secrétaire général des
Nations Unies en date du 8 janvier 1992 envisageait à la fois Je règlement du conflit politique

et celui du conflit juridique 57. Face à l'ultimatum du 27 novembre 58 tendant à imposer la

livraison des accusés aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne, la Libye n'a pas mis un mois

pour exposer aux Etats requérants que leurs pressions posaient des problèmes précis de
compétence des tribunaux en droit international (la lettre du 8 janvier insistait sur le fait que le

différend portait sur l'autorité judiciaire qui avait compétence en la matière) et, plus

précisément d'interprétation et d'application de la convention de Montréal, et pour leur

55 Idem. CR.9213,p.34. Notre traduction :
"Ce n'espa~ seulement une formalité. L'article 14(l) est expressément rédigéen des termes qui réfèren,tnon pas à
des différends qui n'ont pas étéréglés,mais à des différends qui ne peuvent pas êtreréglés,par la voie des négocia­
tions".

56 Idem,CR 9213. p. 36.
57 Annexe nQ73.
58 Annexe n°46. 73

demander officiellement de résoudrece problème préjudiciel par la voie arbitrale ou judiciaire
(le J8 janvier) 59. Le 21 janvier, la proposition d'arbitrage fut répétéepar le représentant

permanent de la Libye devant le Conseil. Il suggéra la conclusion d'un compromis

d'arbitrage et l'application de l'anicle 14 de la convention de Montréal 60.

Il n'a pas fallu longtemps pour se rendre compte que les défendeurs n'entendaient pas

négocier avec la Libye, en dépitdes demandes de coopération judiciaire présentéespar elle .
Deux types de menaces furent exercés: d'une part, des discours officiels laissant entendre que

l'action militaire n'étaitpas exclue, d'autre part, l'utilisation par lRoyaume~U et es Etats­

Unjs de leur poids au Conseil de sécuritépour obtenir des sanctions contre la Libye si elle ne

capitulait pas devant l'ultimatum.

La demande faite expressément, le 18janvie,r, de porter devant un arbitre le différend

entre les Etats intéressés concernant l'application ou l'interprétation de la convention de
Montréal, ne reçut aucune réponsedirecte.

Les déclarations des représentants des deux gouvernements défendeurs, à la séancedu
Conseil de sécuritédu 21 janvier, furent cependant, dépourvues d'équivoque sur le contenu de

la réponse. Rappelons-en les termes. Le représentant permanent des Etats~U an i snseil de

sécurités'est exprimésur ce point de la manière suivante:

"JI ne s'agit pas ici d'une question de divergence d'opinion ou de démarche pouvant faire l'objet de

médiation ou êtrenégociée"61.

En dépit de cette déclaration, l'agent des Etats-Unis, l'honorable Edwin D.

Williamson, a soutenu à l'audience de la Cour tenue le 28 mars 1992, après midi que:

"The United States dinotrejecr the Libyan request for arbitration. The simple fact is that the United
States has not considered it necessary or appropriate to respond, knowing that the Montreal convention
gave the parties six months to reach agreement on the terms of the arbitration and, more importantly,
knowing Libya's apparent engagement with the Secretary-geneunder resolution 731. United States
non-attentioto an unclear request for arbitratin a situation where it was not apparent that the

request was maintainedand good reason existed to think that it had not been maintaincannot
constitute a "rejectioof the Libyan request, or a waiver of United States rîghts to the six-month
period "6 .

59 Annexe n°79.
60 Annex:eno83.

61 Conseil de sécur, 1 janvier 1992,S/PV. 3033, p. 78. En anglais: "The issue at end is not sorne difference of opi­
nion or approach tbat can be mednegociated" (p. 79 du texte anglais). Annexe no83.

62 CR 92!6,p. 33. Notre traduction:
"Les Etats-Unis n'ont pas rejetéla demande libyenne d'arbitrage. Les Etats-Unis ont seulement considéréqu'il n'était
pas nécessaireou appropriéde répondre,sachant que la convention de Montréaldonnait six mois aux parties pour

parvenir an accord sur les modalitésde l'et,ce qui est plus important, connaissant les engagements que la
Libye avait apparemment pris avec le Secrétairegénéralconfoàla résolution731. Le manque d'attention74

Il est sans doute exact que les Etats-Unis n'ont jamais répondu négativement à la

demande libyenne, pour la bonne raison qu'à la vérité,ils n'y ont jamais répondu du tout.
Mais tout leur comportement a consisté à écarter la convention de Montréal et apparaît donc

comme un rejet certain, fût-il implicite de la proposition. Est-il besoin de signaler que,

longtemps après 1'expiration du délaide réflexion que les Etats-Unis revendiquent comme un

droit, les Etats-Unis, apparemment, réfléchissenttoujours ?

Le représentant permanent du Royaume-Uni, a, quant à lui, déniétoute pertinence à la

convention de Montréal devant le Conseil, bien que le représentant permanent de la Libye et

divers autres intervenants aient rappelé qu'une partie au moins du litige discuté par le Conseil

portait sur cette convention:

"La lettre en date du t8 janvier concernanune demande d'arbitration (sic ) au titre de l'article 14 de la

convention de Montréal n'est pas pertinente dans le cas dont est saisi le ConseiL Le Conseil n'est pas,
selon les termes de l'artiel14 de la convention de Montréal, saisi d'un différend entre deux pmties
contractantesou plus concernant l'interprétation ou t'applicatide 1a convention de Montréal " 63.

Ce disant 1'ambassadeur, non seulement déclarait la convention de Montréal sans

pertinence dans le débat du Conseil de sécurité - ce qui, on le verra plus loin, était une

position contestable - mais repoussait a priori et sans appel, à la fois les dispositions de fond
et la clause compromissoire de la convention de MontréaL Le recours au Conseil de sécurité

pour écarterJ'application de cene convention est avouésans vergogne:

"Nous avons pensé qu'il_était bon et, en fait, préféraàld'autres moyens de poursuivre ta question, de

saisir le Conseil et de demander son appui, grâàela résolution qui vient d'êtreadoptée" 64_

En conséquence, aussi bien les Etats-Unis que le Royaume-Uni écartaient toute

application de l'article 14 paragraphe 1 et les propositions d'arbitrage de la Libye. On ne

pouvait mieux constater que les parties n'étaient parvenues, pour reprendre les termes de la
convention de Montréal, ni à régler leur différend "par voie de négociation" ni "à se mettre

d'accord sur l'organisation de l'arbitrage". Dès lors la Libye était autorisée, aux termes de

des Etats-Unis faŒ à une demande peu claire d'arbitrage, dans une situation où il n'apparaissait pas que la dcm!!nde

était maintenue et où il y avait des bonne raison de croire qu'elle n'était pas maintenue, ne peut pàs constituer un
"réjet"de la demande libyenne, ou une renonciation des Etats-Unis à leur droit la périodede six mois'".
63 Conseil de sécurité,21 janvier 1992, S/PV. 3033, p. 104 du texte français comme du texte anglais:

"The letter dated 181anuary concerning a request for arbitration under articlc 14 of the Montreal convention is not re­
levanto the issue before the Council. The Counci1 is not, in the words of article 14 of the Montreal convention, dea­
ling witha dispute between two or more Contracting Parties concerning the interpretation or application of the

Montreal convention. (...)". Annexe n° 83.
64 Conseil de sécurité,21 janvier 1992, S/PV. 3033, p. l04 du texte français et 1OSdu texte anglais:
"We have thought it right. and indeed preferable to other ways of pursuing the malter, to come before the Counci! and

seek the Couneil's support, through the resolution just adopted1183.nexe 75

cette clause compromissoire, à soumettre le dîtTérendà la Cour internationale de Justice, en

déposant une requêteconformément au statut de la Cour.

3.25 La jurisprudence de la Cour sur les conditions d'épuisement de la négociation est

traditionnelle et bien établie. Elle rejette tout formalisme.

Comme le disait déjà la Cour permanente de Justice internationale dans l'Affaire des

Concessions Mavrommatis en Palestine::

"Une négociation ne suppose pas toujours et nécessairement une série plus ou moins longue de notes et
de dépêches;ce peut êtreassez qu'une conversation ait étéentamée; cette conversation a pu êtretrès
courte: tel est le cas si elle a rencontré un point mort, si elle s'est heurtée finalement à un non possumus
ou à un non volumus péremptoire de l'une des parties et qu'ainsi il est apparu avec évidence que le

différendn'est pas susceptible d'êtreréglépar une négociation diplomatique" 65.

Dans les affaires du Sud-Ouest africain (exceptions préliminaires), la Cour

internationale de Justice est arrivéeà des conclusions analogues en indiquant que :

"[!Je fait que dans le passé les négociations collectives aient aboutà une impasse et le fait que les
écritures et les plaidoiries desarties dans ln procédure aient clairement confirmé que cette impasse
demeure obligent à conclure qu'il n'est pas raisonnablement permis d'espérer que de nouvelles

négociations puissent aboutiràun règlement" 66_

La Cour exprime la volonté de se départir de toute attitude formaliste lorsqu'elle

affirme dans les mêmes affaires que :

"ce qui importe en la matière, ce n'est pas tant la forme des négociations que l'attitude et les thèses des

Parties sur les aspects fondamentaux de la question en litige. Tant que l'on demeure inébranlable de
part et d'autre -et c'est ce qui ressort clairement des plaidoiries présentées à la Cour- il n'y a aucune
raison qui permette de penser quele différend soit susceptible d'êtreréglépar de nouvelles négociations

entre les Part.ies" 67

La Cour internationale de Justice s'est encore prononcée dans le même sens à

l'occasion de l'affaire du personnel diplomatique et consulaire à Téhéran:

" (...) lorsque les Etats-Unis ont déposé leur requête du 29 novembre 1979, leurs tentatives de

négociations avcc 1'Iran au sujet de 1'invas ion de leur ambassade et de 1a détention de leurs
ressortissants en otages avaient abouti à une impasse, le Gouvernement de J'Iran ayant refusé toute
discussion. Il existait donc à cette date non seulement un différend mais, sans aucun doute, "un

différend( ...) qui ne [pouvait] pas êtrerégléd'une manière satisfaisante par la voie diplomalique" 68.

65 C.P .1.1,SérA, n°2,p. 13.

66 C.1.J.Recuei /l962, p. 345 .
67 C.l.L Recueil,1962,p. 346.

68 C.I.J.Rer:1Œil1980, p. 27, par. 51.76

et dans l'affaire Activitésmilitaires et paramilitaires des Etats-Unis au Nicaragua 69 sur les

possibilités de règlement du 1itige par la voie diplomatique. Pour reprendre l'opinion

exprimée par le juge Ago dans son opinion individuelle jointe à l'arrêt sur les Activités

militaires et para-militaires au Nicaragua et contre celui-ci (Compétence) :

" (...)je suis convaincu que le recours préalable à des négociations diplomatiques ne peut pas constituer

une exigence absolue à remplir, mêmelorsqu' i1 est évident.que 1'état des relations entre les Parties est
telqu'il est illusoire de s'attendrà ce que de telles négociations aboutissentà un résultat positif et
qu'il serait injustifié de retarder par ce biais !'ouverture d'une procédure arbitrale ou judiciaire quand la

possibilité du recourà celle-ci a étéprévue" 70.

Enfin, dans l'affaire de l'Accord de siège, la Cour a relevéce qui suit:

" Pour la Cour, lorsqu'une partie à un traité proteste contre une décision ou un comportement adoptés
par une autre partie et. prétend que cette décision ou ce compo1tement constituent une violation de ce
traité, le simple fait que la partie accusée ne présente aucune argumentation pour justifier sa conduite au

regard du droit international n'empêche pas que les attitudes opposées des parties fassent naître un
différend au ~uj deelinterprétation ou de l'application du traité" 7

et estiméque :

" compte tenu de l'attitude des Etats-Unis [qui niaient 1'existence d'un diftërend et 1'application de cet
accord de siège], le Secrétaire général a épuisé en l'espèce les possibilités de négociations qui
s'offraient à lui" 72.

3.26 Par identitéde motifs, et face au refus constant des défendeurs de placer le débatsur le
terrain de l'application de la convention de Montréal de 1971, il paraît clair que la Libye a

épuiséen l'espèce les possibilités de négociations qui s'offraient à elle et a perdu tout espoir

d'obtenir le choix de la voie arbitrale .

Section 3 - La question du délaide six mois

3.27 S'il fallait accepter l'interprétation de l'article 14.1 qu'ont suggéréeles conseils des

Etats-Unis et du Royaume-Uni, cette disposition interdirait l'introduction d'une requête

devant la Cour avant qu'un délaide six mois se soit écoulédepuis la formulation initiale de la

69 C.I.J., Recueil. 1984, p. 28.

70 C.I.J. Ren1eil. 1984, par.. 515-516, p. 4
71 C.I.J., Recueil, 1988, 38,p. 28.
72 C.I.J., Recueil, 1988, par. 54, p. 33. 77

demande d'arbitrage 73. Or la requêtelibyenne a étéintroduite le 3 mars 1992, soit 45 jours
après la lettre du 18janvier proposant l'arbitrage aux termes de l'article 14 paragraphe 1 de la

convention de Montréal.

Avant d'aborder cette question rappelons les termes mêmesde ce paragraphe:

"Tout diffërend entre des Etats contractants concernant l'interprétation ou J'application de la présente
convention qui ne peut pas êtreréglépar voie de négociation est soumis à l'arbitàla demande de
l'un d'entre eux. Si dans les six mois qui suivent la date de la demande d'arbitrales parties ne

parviennent pas àse mettre d'accord sur 1'organisation de l'arbitrage, 1'une quelconque d'entre elles
peut soumettre le différend à la Cour internationale de Justice, en déposant une requêteconformément
au StatU! de la Cour"

La Libye estime d'une part que le texte de cet article ne requiert pas l'épuisement d'un

délai de six mois, et, d'autre part, s'il fallait estimer qu'il le fait, la Libye serait dispensée
d'épuiser ce délaiétantdonné qu'attendre son expiration n'aurait pu avoir aucun effet utile, vu

la position prise par les défendeurs avant le 3 mars 1992.

3.28 Le texte de cet article ne requiert pas J'épuisement d'un délaide six mois.

Le texte de cette disposition comprend les mots "dans les six mois". Il ne dit pas

"après six mois", ou "un délai de six mois étant écoulé".L'argument du conseil des Etats­
Unis, M. Brower, lorsqu'il prétend que la convention "requires that a period of six months
74
clapse fellowing a requestforfor arbilration six months obligatory prerequisite" ou évoque
un "six month obligatory prequisite" 75, s'inscrit totalement à 1'encontre du texte de 1'article

14.1.

3.29 Si le texte de cet article requerrait l'épuisement d'un délai de six mois, la Libye en
serait dispensée étantdonné qu'attendre l'expiration de ce délai n'aurait pu avoir aucun effet

utile, vu la position prise par les défendeurs.

La position soutenue par les défendeurs qu'il convenait d'attendre six mois avant de
pouvoir saisir la Cour est difficilement conciliable avec leur attitude qui a constamment

consisté à opposer un non volumus à toute application quelconque de la convention de

Montréal et, par voie de conséquence, aux dispositions de cette convention relatives au
règlement pacifique des différends. Ce refus complet prive de tout objet la condition de délai

73 Intervention de M. Browel'audiencdu 27mars1992, CR 9214p.38etss.
74 CR 9214,p. 50.

75 CR 92/4,P-43_78

que les défendeurs 1isent dans l'article 14.1. Il est manifeste qu'une exigence procédurale,
telle celle qui impose un délai,ne doit êtrerespectée que si elle sert à quelque chose.

A supposer que l'article 14.1 de la convention de Montréal impose un délai de six
mois avant la saisine de la Cour - quod non - celui-ci ne devrait donc pas êtrerespecté en

l'espèce, eu égard à l'attitude hostile des défendeurs face. à toute proposition de règlement. li

était patent - et le demeure - que les deux défendeurs ne voulaient pas entendre parler
d'arbitrage sur base de la convention de Montréal. L'invocation du délai repose non sur un

souci d'assurer aux défendeurs le temps d'accepter l'arbitrage et l'application de l'article,

dont ils ne veulent pas, mais bien de priver cette disposition de tout effet. Cette
interprétation, qui prive la disposition de son objet et de son but, doit êtrerejetée. Il suffirait

d'ailleurs à la Libye d'introduire une nouvelle action, identique, pour que la question du délai
ne se pose plus. Les conséquences absurdes d'un tel formalisme ne sont pas à souligner.

Cet argument du délaide six mois est donc vain. Il ne peut faire échec à la validitéde
la saisine de la Cour aux termes de l'article 1§ 1de la convention de Montréal.

3.30 En conclusion, la Libye estime que les requêtesdéposéspar elle le 3 mars 1992 contre

les Etats-Unis et contre leRoyaume-Uni sont recevables et que la Cour est compétente pour

en connaître. 79

TROISIEME PARTIE

LES DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES EN VERTU DE LA

CONVENTION DE MONTRÉAL

INTRODUCTION

Cette troisième partie du mémoire est consacrée àxamen des droits et obligations

des Parties en vertu de la convention de Montréal. Il sera montré que cette convention

s'applique à l'affaire, qu'on l'intérprète littéralement (chapitre l) ou à la lumière du droit
international général(chapitre II).

CHAPITRE I- L'INTERPRETATION LITTERALE DE LA CONVENTION DE

MONTREAL ET SON APPLICATION

4.1 Il est incontesté que l'incident aériende Lockerbie est une des infractions viséespar la

convention de Montréal du 23 septembre 1971, que cette convention lie les parties et qu'il

n'existe pas d'autre convention particulière entre les parties portant sur l'objet mêmedu
différend. C'est donc au regard de la convention de Montréal qu'il faut considérer les

requêteslibyennes.

On va montrer que la Libye:

- doit établirsa compétence pour connaître des infractions viséespar la convention (art. 5);

- peut ne pas extrader les suspects (art. 8);

- à défautd'extrader les suspects, doit les déférerà ses autorités compétentes pour l'exercice
de l'action pénale(art. 7);

- est en droit d'obtenir l'entraide judiciaire la plus large possible (art.80

Section 1 ~ La Libye doit établirsa compétence pour connaître des infractions visées
par la convention de Montréal(art. 5 §§ 2~3)

A~ Le contenu de l'art. 5 §§ 2~3

4.2 L'art. 5 § 2 de la convention de Montréal prévoit que tout Etat contractant établit sa

compétence pour connaître des infractions visées par cette convention dans 1'hypothèse où

l'auteur de l'une de ces infractions se trouve sur son territoire et où cet Etat ne l'extrade pas.

L'art. 5 § 3 prévoit que la convention n'écarte aucune compétence pénale qu'un Etat

voudrait exercer conformément à son droit interne.

Voici le texte de ces deux paragraphes de l'art. 5 :

"2. Tout Etat contractant prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins

de connaître des infractions prévues aux alinéas a, b, et c du paragraphe 1er de 1'article 1er, ainsi qu'au
paragraphe 2 du mêm<~rti pcurautant que ce dernier paragraphe concerne lesdites infractions, dans
le cas oi:1l'auteur présuméde l'une d'elles se trouve sur son territoire et où ledit Etat ne l'extrade pas

conformément à <~rt 8icerel'un des Etats visésau paragraphe 1er du présent article.

3. La présente convention'écarte aucune compétence pénale exercée con formément· aux lois
nationales."

Ce type de disposition est typique d'un système répressif qui, à défaut de gendarme

international, confie ce rôle à chaque Etat (1); la portéejuridique de ces dispositions n'en est

pas moins certaine(2).

1- Une disposition typique d'un système répressif fondé sur les Etats

4.3 Ce type de disposition est extrêmement courant dans les conventions de droit pénal

international; i1 résulte du fait que ces conventions incriminent directement certains

comportements mais laissent à chaque Etat partie le soin de les réprimer selon son droit
interne. Ainsi, la convention de Montréal prévoiten son art. 1er:

"Commet une infraction pénale toute personne qui illicitement et intentionnellement:

a) accomplit un acte de violence à 1'encontre d'une personne se trouvant à bord d'un aéronef en vol, si
cet acte est de nature à compromettre la sécuritéde cet aéronef; 81

b) détruitun aéronef en service ou cause à un tel aéronef des dommages qui le rendent inapte au vol ou

qui sont de nature à compromettre sa sécuritéen vol;

(...".

On peut déduire de cette formulation que le fait visé au texte devient ipso jure une

infraction pénale dans le droit de tous les Etats parties à la convention sans que ceux-c1

doivent nécessairement transposer le fait dans leur législation pénale 1.

Cette incrimination demeure toutefois un énoncésymbolique flottant dans le vide tant

qu'elle n'est pas assortie de sanctions pénales appropriées. Pour l'édiction de ces sanctions,
2
}a convention renvoie aux Etats parties . C'est eux qui, aux termes de la convention

concernée, sont tenus de "réprimer 1'infraction de peines sévères" (convention de La Haye
pour la répressionde la capture illicite d'aéronefs,art. 2; convention de Montréal, art. 3; etc...) 3.

Malgré son caractère direct, l'incrimination ne produit donc pas d'effet sans le relais

de l'Etat. C'est lui qui doit introduire J'infraction dans sa législation pénale interne

notamment en précisant la nature et l'étendue des peines dont sont passibles les auteurs de
1'infraction.

4.4 Dans la mesure où bon nombre de conventions de droit pénal international obligent les

Etats parties à réprimer les infractions visées quels que soient le 1ieu de 1'infraction, la
nationalité de l'auteur ou celle de la victime, ces Etats doivent exercer des compétences qui

sont non seulement territoriales, mais aussi extra-territoriales et qui peuvent aller au-delà des

compétences extra-territoriales classiques telles que les compétences personnelles active et

passive. Autrement dit, ce sont des compétences quasi-universelles que les Etats sont requis

Dans le mêmesens : Convention de La Haye du 16 d6ccmbre 1970 pour la répression de la capture illicite d'aéronefs.
art. ler: Convention des Nutions Unies du 14 déŒmbre 1973 sur la prévention et la répression des infraetinns contre

les personnes jouissant d"une protection internatioyacompris les agents diplomatiques, art. 2 § l: Convention des
Nations Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d'otages, art. l; Convention de Vienne ct New York du 3 mars
1980 sur la protection physique des matières nucléaires, art. 7: Convention de Rome du 10 mars 1988 pour la répres­

sion d'acres illicites contre la sécuritéde la navigation maritime, art. 3; voy. aussi Conventions de Genève du 12 août
1949 surla protection des victimes de la guerre, art. !:Ommuns 49-50/50-51!129-130/\46-147.

2 Guillaume. G.,"Terrorisme et droit international", R.C.A.D.l., 1989. lii, T. 215, p. 328.
3 Duns Je mêmesens: Convention des Nations Unies du 14 décembre 1973 sur la prévention ct la répression des infra!:­
tions Wntre les personnes jouissant d'une prote!:tion internationale, y compris les agents diplomatart. § 2;

Convention des Nations Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d·otages. art. 2; Con vention de Vienne et New
York du 3 mars 1980 sur la protection physique des matières nueléaires, art. 7 § 2; Convention de Rome du l0 mars
1988 pour la répression d'actes iJlicites contre la sécuritéde la navigation maritime, art. 5; voy. aussi Con ventions de

Genève du 12 août 1949 sur la protection des victimes de la guerre, art. communs 49/5011291146; Convention de La
Haye du 14 mai 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, art. 28.82

d'exercer, et comme ce type de compétence est généralement absent des lois internes de

procédure pénale,c'est encore aux Etats qu'il appartient d'adapter leur législation.

Les conventions contiennent donc des clauses stipulant, par exemple, dans le cas

d'infractions commises contre l'aviation civile, que l'Etat d'immatriculation de l'aéronef,

1'Etat de son principal siège d'ex plo itati on, 1'Etat où atterrit l'aéronef avec 1'auteur de

1'infraction à bord, etc, doivent établir leur compétence pour connaître de 1'infraction
4
(convention de La Haye, art. 4 § 1; convention de Montréal, art. 5 § 1;etc...) .

4.5 Ce bref rappel de certains principes de fonctionnement communs à la plupart des

conventions de droit pénal international confirme le rôle central que joue l'Etat partie à ces

conventions dans le processus de répression : l'Etat reste l'intermédiaire obligé pour mettre en

oeuvre le mécanisme répressif mis au point par ces conventions.

2 - La portée juridique de l'art. 5 § 2

4.6 La Libye ne conteste pas que l'art. 5 § 2 énonce une obligation. Le texte est clair et

l'histoire de cette disposition le confirme. Pour s'en convaincre, il faut se tourner vers les

travaux préparatoires de la convention, non de Montréal, mais de La Haye (détournements

d'aéronefs, 1970) : sur une suggestion du Président de la Commission plénièreet du délégué
des Pays-Bas à la Conférence de Montréal, la Commission avait accepté d'emblée de

reprendre les art. 4 à 14 de la convention de La Haye de 1970 comme base de discussion 5.

Pour les Pays-Bas en effet, ces dispositions bien qu'imparfaites

"did represent the latest compromise on the subject and il was unlikely thal a better one could be
achieved at thisime." 6

De même,les E.-U. soulignaient

4 Dans le mêmesens: Convention des Nations Unies du 14 déŒmbre 1973 sur la prévention et la répression des infrac­
tions contre les personnes jouictune protection intcrnationylcompris les agents diplomatiques, art. 3 § l;

Convention des Nations Unies d13décembre 1979 contre la prise d'otages.5a§.l Convention de Rome du 10
mars I988 pour la répression d'actes illicites contre la sécuritéde la navigation maritime, art. 6 § 1.

5 O.A.C.I., Conférenceinternationale de droit aérüm, Momréa/, septembre !971, Doc. 9081-LC/(citée ci-après
"Conférencede Montréal""),voL l, Minutes. p. 20 § 9.
6 Ibid., p. 19 § 3. 83

"the great amou nt of work that had go ne into the development of Art. 4 to 14 at the Hague

Conference." 7

De fait, si le projet initial de convention établi pour la Conférence de Montréal par le

Comité juridique de l'O.A.C.I. 8 ne contenait pas de disposition analogue à l'art. 5 § 2 actuel,

ce dernier apparaissait dans un texte présentépar l'Espagne 9, texte qui était la réplique de

l'art. 4 § 2 de la convention de La Haye de 1970 10_ Ce texte proposé par le Président de la

Commission plénièrecomme base de discussion II fut accepté sans discussion, ni objection 12.

Si les travaux préparatoires de la Conférence de Montréal n'apportent donc pas
beaucoup d'enseignement sur les raisons du changement proposé par l'Espagne, en revanche,

les travaux préparatoires de la convention de La Haye sont plus révélateurs.

4.7 A l'origine, le projet de convention élaborépar le Comité juridique de l'O.A.C.I. pour

la Conférence de La Haye prévoyait simplement que seuls l'Etat d'immatriculation et l'Etat
où atterrissait 1'aéronef avec 1'auteur présuméde l'infraction devaient étab1ir 1eur compétence

aux fins de connaître de l'infraction.

"1. Tout Etat contractant prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître

de l'infraction dans les cas suivants :

a) si elle est commise àbord d'un aéronef immatriculé dans cet Etat;

b) si l'aéronef atterrit sur son territoire. avec l'auteur présumé de l'infraction se trouvant
encore à bord.

2. La présente Convention n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois

nationales."13

Parmi les amendements proposés à ce texte, on trouvait une proposition du Royaume­
Uni qui, pour l'essentiel, visait à autoriser les Etats- et non à les obliger comme dans le texte

initial -à établircette compétence :

"Tout Etat contractant peut exercer sa compétence à l'égard de l'infraction où qu'elle soit commise et

prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fin d,e~connaître de l'infraction dans les
cas suivants :

7 Ibid.• p. 20 § 4.

8 Conférence de Montréal, II, Documents pp. 13 ss., CUI Doc. n"'4.
9 Ibid., p. 74, CUI Doc. n° 22.
10 Ibid., p. 7l.

Il Ibid.• 1, p.5§21.
12 Ibid., p. 58, § 48.

13 Conférence de La Haye, Il, p. 19. SA 11°4.84

a) si elle est commise à bord d'un aéronef immatriculé dans cet Etat;

b) si l'aéronef atterritsur son territoire,avec l'auteur présumé de l'infraction se trouvant
encore àbord." 14

En sens inverse, l'Espagne, appuyée par l'Autriche 15 proposait d'ajouter au texte

original un § 2 nouveau qui non seulement conservait le caractère obligatoire de cette

compétence, mais en outre l'étendait à tout Etat où 1'auteur de 1'infraction était trouvé et

n'étaitpas extradé:

"2. De même,tout Etat contractant établit sa compétence aux fins de connaître de l'infraction dans le
cas où l'auteur présumése trouve sur son territoire et où ledit Etat n'est pas tenu, aux termes de l'art. 8,

d'accorder l'extradition vers les Etats visés au paragraphe1 duprésent article."16

4.8 Ce texte destinéà "assurer que t'infraction sera répriméedans la très grande majorité

des cas" 17 dès lors que "1'extradition obligatoire aux termes de la Convention est
impossible" 18fut accueilli avec faveur par la majoritédes Etats qui y voyaient :

une possibilité de concilier le droit d'asile et les nécessitésde la répression 19;

l'expression d'une "compétence universelle obligatoire" 20;

1
une manière de combler "une lacune très importante de la Convention" 2 ;
un moyen permettant de punir quiconque commettrait l'infraction lorsque l'extradition de

cette personne s'avérait impossible 22.

Il est intéressant de noter que le R.-U. et les E.-U. appuyaient aussi ce texte. Ainsi,

"Le déléguédu R.-U. déclare qu'en règle générale, son pays n'accepte pas le principe selon lequel la
simple présence de l'auteur présumé d'un infraction sur le territoire d'un Etat autorise celui-ci à le
juger. Toutefois, devant la gravité de l'infraction et devant la lacune signalée par les déléguésde

l'Autriche de l'Espagne, il déclare qu'il est disposà appuyer l'une des deux propositions ou les deux et
que, si l'une d'eLlesest adoptée, il retirera la proposition du R.-U. (...)." 23

14 Ibid., SA Doc. n° 6p. 119.
15 ibid., SA Docn °42, p.94 et ibid., 1.Procès-verbaux, p. 77 § 32.

16 Ibid., SA Doc. n° 61, p. 118_
17 Espagne, ibid., L p. 75 § 17.

18 Ibid.
19 Costa·Rica, ibid.,§ 20.
20 Observateur de '1LA., ibid., p. 76 § 26.

21 Norvège, P.·B., Italie. ipp. 77-78,§§ 34, 36, 41.
22 Panama, ltalie, observateur de l'IFALPA, ibp. 78,§§ 39, 41, 43.

23 Ibid., p. 75 § 1R 85

Quant au délégué des E.-U., il

"se prononce en faveur de la proposition conjointe [de l'Espagne et de l'Autriche} qui, par une
modification importante, comble une lacune de la Convention." 24

4.9 L'amendement de l'Espagne sera finalement adopté à la Commission plénièrepar 34

voix contre 17 et 12 abstentions 25 non sans que certains Etats aient souligné leur opposition à

ce qui leur apparaissait êtreune extension de la compétence obligatoire 26_

Dans la mesure où l'art. 5 § 2 de la convention de Montréal est tout à fait analogue à

l'art. 4 § 2 de la convention de La Haye, on peut donc affirmer que l'obligation énoncéeau

texte correspond bien à l'intention de ses auteurs.

B- L'argumentation des défendeurs

4.10 Dans sa requête introductive d'instance, et lors des plaidoiries sur les mesures

conservatoires, la Libye a déclaréet montré que les agissements du Royaume-Uni et des

Etats-Unis visaient à empêcher la Libye d'exercer les droits que lui reconnaissent les
paragraphes 2 et 3 de 1'art. 5 27.

Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont répondu

- que les droits invoqués par la Libye étaient illusoires, sans substance ("devoid of

substance'') 28,et prétendus ("alleged") 29;

- que l'art. 5 § 2 imposait en réalitéun devoir d'instaurer les compétences nécessaires à

l'exercice de l'action pénale JO;

24 Ibid., p. 77 § 35.
25 lhid., Doc8979-LC/l65-1, vol. 1, Procès-verbaux, p. 80 § 53.

26 Voy. les interventions de la Zambie, l'Indonésie, l'Inde, ibid., pp. 76 ss., §§ 27, 40, 42.
27 Req.. p. 1!; C.I.J., CR 92/2, pp. 16. 55-57, 75, 78.
28 R.-U., CR 92/3, pp. 24, 45.

29 E.-U.,R 92/4, p. 28.
30 R.-U., CR 92/3, p. 45.86

- que l'art. 5 § 3 n'étaitqu'une "saving provision" destinée à n'exclure aucune compétence

pénaledont un Etat s'étaitdéjàdotée 31.

Pour faciliter la compréhension de l'exposé, nous analyserons séparémentles §§ 2 et 3 de

l'art. 5.

1-L'article 5 § 2

4.11 Que la Libye ait !'obligation plutôt que le droit d'établir sa compétence en vertu de

l'art. 5 § 2 n'invalide, n'affaiblit ou n'affecte sa réclamation tendant à obtenir que le
Royaume-Uni et les Etats-Unis respectent ce souci :

i) Comme un conseil de la Libye l'a déjà affirmé lors des plaidoiries sur les mesures
conservatoires,

"si un Etat peut revendiquer le respect d'un droit, c'est-à-dire le respect d'un comportement qui lui
est autorisé, a fortiorcet Etat peut revendiquer qu'on respecte sa volonté d'exécuter une
32
obligation, c'est-à-dire,respect d'un comportement qui lui est imposé.

ii) Dans le cas de la convention de La Haye, si le Royaume-Uni défendait le caractère

facultatif de l'établissement de la compétence par l'Etat sur le territoire duquel se trouvait

l'auteur présuméde 1'infraction (ci-dessus), on vient de voir qu'il accepta la proposition
tendant à rendre obligatoire l'établissement de cette compétence 33;quant aux Etats-Unis,

ils appuyaient fermement cette proposition qui comblait "une lacune de la convention" 34.
Il est piquant de voir qu'aujourd'hui ces deux Etats contestent l'exercice d'une obligation

que l'un envisageait avec bienveillance et que l'autre appelait de ses voeux ! ...

iii) L'obligation imposée par l'art. 5 § 2 ne s'impose pas seulement à la Libye dans ses

relations conventionnelles avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Elle lie également la

Libye à l'égarddes quelque .135autres Etats parties à la convention de Montréal. Même

si le Royaume-Uni et les Etats-Unis ne veulent pas que la Libye remplisse cette
obligation, la Libye reste obligée de la remplir vis-à-vis des autres parties contractantes

(convention de Vienne sur le droit des traités,art. 26).

31 Id., ibid., p. 46.
32 CR 92/5,28 mars 1992p.37.

33 C01![érencedeu1Haye, 1,p.75~ 18.
34 Ibid., p. 77 § 35. 87

4.12 Il a également étésoutenu que l'obligation énoncée par l'art. 5 § 2 concernait

1'établissement de la compétence plutôt que son exercice 35. Lors des audiences sur les

mesures conservatoires, la Libye a répondu que l'effet utile à reconnaître à cette disposition

était non seulement de permettre à l'Etat d'établir sa compétence, mais aussi de l'exercer dans

tous les cas prévus par la convention 36. Cette signification élargie de l'art. 5 § 2 s'impose

d'autant plus que, stricto sensu, la convention ne stipule pas expressément que l'Etat du lieu
d'arrestation doit "poursuivre" la personne arrêtées'il ne l'extrade pas.

Ne serait-il pas absurde de considérer que l'obligation de l'art. 5 § 2 s'épuise dans la

seule adoption d'une loi indépendamment de son application ? C'est ce qu'un auteur a

observé à propos de la convention de La Haye après avoir rappelé que son préambule

(identique mutatis mutandis à celui de la convention de Montréal) parlait de l'urgence à

"prévoir des mesures appropriées en vue de la punition" des auteurs de l'infraction, et qu'il
fallait donc interpréter son art. 4§ 2 (identique mutatis mutandis à l'art. 5§ 2 de la convention

de Montréal) comme signifiant que chaque Etat partie devait établiret exercer sa compétence

sur 1'auteur présumédu fait :

"... it would be hard to accept the argument thal the obligation of a Contracting State ends once it has
taken measures to establish its jurisdiction, without exercising it. lt should be bornethat the
Preamble of the Convention speaks of the 'urgent need to provide appropriate measures for the

punishment of offenders'. Therefore, it is submitted that Contracting States undertook under Art. 4, not
only to take measures to establish their jurisdictiobut to exercise it under the régime of the
Convention, as weil." 37

2- L'article 5 § 3

4.13 En ce qui concerne l'art. 5 § 3 selon lequel, rappelons-le,

"La présente Convention n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois
nationales",

cet article reconnaît incontestablement un droit : celui pour un Etat partie à la convention

d'exercer toute compétence pénale prévue par sa législation. Les travaux préparatoires des

conventions de La Haye et de Montréal ne disent rien de particulier à ce sujet, mais qu'il

35 R.-U., C.I.J.. CR 9p.45.
36 Ibid., CR 92/5, p. 39.
37 Shubber.S., "Aircraft Hijackingundcrthe HagueConvention 1970- A New RégiI.C.L.Q.1973.p. 707.88

s'agisse d'une "saving provision" 38 n'empêche donc pas cette disposition de consacrer le

"droit" pour l'Etat contractant de maintenir en vigueur ses compétences pénales internes.

Section 2 - La Libye ne doit pas extrader les suspects vers le Royaume-Uni et les Etats­

Unis (art. 8)

4.14 Le droit de la Libye de refuser l'extradition des suspects se fonde d'une part sur la
convention de Montréal (ci-dessous), d'autre part sur le droit international général(infra

chapitre 3).

4.15 Les obligations de la Libye en matière d'extradition sont définies à l'art. 8 de la

convention de Montréal. Pour rappel, cet article dispose :

"1. Les infractions sont de plein droit comprises comme cas d'extradition dans tout traité d'extradition

conclu entre Etats contractants. Les Etats contractants s'engagent à comprendre les infractions comme
cas d'extradition dans tout traitéd'extradition à conclure entre eux.

2. Si Un Etat contractant qui subordonne l'extradition à l'existence d'un traité est saisi d'une demande
d'extradition par un autre Etat contractant avec lequel il n'est pas liépar un traité d'extradition, il a la

latitude de considérer la présente conventionmme constituant la base juridique de 1'extradition en ce
qui concerne les infractions. L'extradition est subordonnée aux autres conditions prévues par le droit de
l'Etat requis.

3. Les Etats contractants qui ne subordonnent pas l'extradition à l'existence d'un traité reconnaissent les
infractionsomme cas d'extradition entre eux dans les conditions prévues par le droit de l'Etat requis.

4. Entre Etats contractants, les infractionssont considérées aux fins d'extradition comme ayant été
commises tant au lieu de leur préparation que sur le territoire des Etats tenus d'établir leur compétence

en vertu des alinéas b, cet d du paragraphe ler de l'article 5."

Cette disposition, àl'instar de celles que l'on trouve dans la plupart des conventions de

droit pénal international, ménage la souveraineté des Etats (A) et fonde le droit de la Libye de

ne pas extrader les suspects vers les E.-U. ou le R.-U. (B).

38 R.-U., C.J.J., CR 92p.46 89

A- Une disposition ménageant la souveraineté des Etats parties

4.16 Ce type de disposition qui figure dans la plupart des conventions de droit pénal

international 39 ménage tout particulièrement la souveraineté des Etats en subordonnant

l'obligation d'extradition de l'Etat requis d'une part aux conditions figurant dans d'autres

traités liant éventuellement ces Etats, d'autre part aux stipulations de leur droit interne. Ainsi,
lorsque l'art. 8 § 1, 1èrephrase de la convention de Montréal stipule,

"L'infraction est de plein droit comprise comme cas d'extradition dans tout traité d'extradition conclu
emre Etats contractants",

il en résulte que dans l'hypothèse où il existe un traité d'extradition entre deux ou plusieurs

Etats parties à la convention de droit pénal international, l'obligation d'extrader l'auteur du

fait est soumise à toutes les conditions prévues par le traité d'extradition. L'obligation n'est
donc pas absolue.

4.17 S'il n'y a pas de traité d'extradition entre deux Etats parties à une convention de droit

pénal international, 1'infraction visée par celle-ci devra être incl use dans tout traité

d'extradition que ces deux Etats concluraient. A partir de là, on est renvoyéau cas précédent.
Ainsi, en stipulant que

"Les Etats contractants s'engagent à comprendre J'infraction comme cas d'extradition dans tout traité
d'extradition à conclure entre eux",

l'art. 8 § l, 2ème phrase de la convention de Montréal soumet nécessairement l'obligation

d'extrader l'auteur du fait à toutes les conditions prévues par le traitéà conclure.

39 Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, an. 8; Convention de

Montréal du 23 septembre 1971 pour la répression d'actes il!icites dirigéscontre la sécuritéde 1'aviation civile, an. 8;
Conven tion des Nations Unies du 14 décembre 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les per­
sonnes jouissant d'une protection internationale, y comprb les agents diplomatiques, an. 8; Convention des Nations

Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d'otages, an. 10; Convention de Vienne et New York du 3 mars 1980 sur la
protection physique des matières nucléaires, an. Il; Convention de Rome du JOmars 1988 pour la répression d'actes
illicites contre la sécuritéde la navigation maritime, art.ussi Conventions de Genève du 12 août 1949 sur la

protection des victimes de la guerre, an. commun 49/501129/146; Convention des Nations Unies du 2 décembre 1949
pour la répression ct l'abolition de la traite des êtreshumains,vention des Nations Unies du 30 mars 1961
sur les stupéfiants modifiéepar Je Proto!.:oledu 25 mars 1972, art. 36 § 2; Convention des Nations Unies contre la tor­

ture et autres peines ou traitements cruels. inhumains ou dégradants, an. 8; Convention des Nationsdé­
cembre 1989 contre le recrutement,tilisation, le financement et 1'instruction de mercenaires, art. 15.90

4.18 Les conventions de droit pénalinternational disposent aussi qu'en l'absence d'un traité
d'extradition, les Etats parties à ces conventions qui subordonnent l'extradition à l'existence

d'un tel traité ont la possibilité d'assimiler la convention de droit pénal international à un
traité d'extradition; en pareil cas, l'extradition demeure toutefois subordonnée aux autres

conditions prévues par le droit de l'Etat requis. Ainsi, l'art. 8 § 2 de la convention de

Montréal dispose:

"Si un Etat contractant qui subordonne l'extradition à l'existence d'un traité est saisi d'une demande
d'extradition par un autre Etat contractant avec lequel il n'est pas liépar un traité d'extradition, il a la
latitude de considérer la présente Convention comme constituant la base juridique de 1'extradition en ce
qui concerne1'infraction. L'extradition est subordonnée aux autres conditions prévues par le droit de

1'Etat requis." (nous soulignons)

Les conventions de droit pénal international n'obi igent donc pas 1'Etat requis à
accorder J'extradition d'une personne lorsque la législation de cet Etat impose l'existence

d'un traitéet qu'il n'existe pas de traitéentre l'Etat requis et l'Etat requérant. L'Etat requis a

seulement la faculté de considérer la convention de droit pénal international comme un traité
d'extradition. Ce n'est pas une obligation.

Mêmedans l'hypothèse où l'Etat requis use de cette faculté, l'extradition ne doit être

accordée que si les autres conditions prévuespar le droit de t'Etat requis sont remplies.

4.19 Enfin, pour les Etats qui ne subordonnent pas l'extradition à un traitéparticulier et qui
acceptent d'extrader une personne vers un autre Etat sans traité spécial avec cet Etat, les

conventions de droit pénal international stipulent généralement que les faits visés sont des

infractions justifiant pour 1'Etat requis l'extradition au mêmetitre que toute infraction pour
laquelle cet Etat accepte d'extrader son auteur. L'extradition est ici aussi soumise aux

conditions en vigueur dans le droit de l'Etat requis. Ainsi, selon l'art. 8 § 3 de la convention
de Montréal,

"Les Etats contractants qui ne subordonnent pas l'extradition à l'existence d'un traité reconnaissent
l'infraction comme cas d'extradition entre eux dans les conditions prévues par le droit de l'Etat requis."
(nous soulignons)

Pas plus que dans les cas précédents,ce type de disposition n'énonce une obligation
absolue d'extrader; l'extradition reste subordonnée aux règles applicables dans l'Etat requis.

4.20 Ce rappel succinct des mécanismes d'extradition prévus par la plupart des conventions

de droit pénal international souligne 1'economie "étatiste" du système; cela montre à quel 91

point on prend en considération le droit de l'Etat où 1'auteur présuméde 1'infraction est
découvert : que cet Etat poursuive lui-mêmecette personne ou qu'il l'extrade vers un Etat

tiers, dans les deux cas, l'obligation d'extradition est subordonnée aux conditions en vigueur

dans cet Etat.

Il y a donc chaque fois renvoi du droit conventionnel au droit interne de l'Etat. Ce

système protège la souveraineté des Etats dans le domaine de l'extradition. Que le même

système se retrouve dans une quinzaine de conventions de droit pénal international montre à
quel point les Etats y sont attachés.

B - Une disposition n'obligeant pas la Libye à extrader les suspects

4.21 Le § 1 de l'art. 8 de la convention de Montréal n'est pas applicable vu qu'il n'existe

pas de traitéd'extradition entre la Libye d'une part, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'autre

part.

Le § 4 n'est pas en cause ici.

Le § 2 ne s'applique pas non plus car la Libye ne subordonne pas l'extradition à

l'existence d'un traité : la loi libyenne ne stipule pas qu'il faut un traité (supra § 2.7). Un

jugement de la Cour d'assises de Benghazi a d'ailleurs constaté, à propos d'une demande

d'extradition d'un ressortissant libanais faite par le Liban,

"qu'en vertu de la coutume internationale,abstractionfaite de l'existencde cette convention [la
convention d'extraditionde la Ligue arabe du 14 septembre 1952] 40,les Etats doivent s'entraider

conformément aux principes du traitement égal et conformément aux traditions internationalequi
n'empêchent pas la livraison d'un criminel de droit commun pour purger les peines prononcées contre
lui, surtout que la demande ne déroge pas à la loi libyenne et ne concerne pas un41ibyen."

Le ~ 2 de l'art. 8 n'en est pas moins intéressant à examiner car il illustre bien l'esprit

dans lequel les Etats ont adopté la convention de Montréal, et il montre à quel point les Etats

étaient soucieux de respecter la souveraineté des Etats en n'insti tuant pas de système

d'extradition automatique (1).

Reste le § 3 qui régit les obligations de 1'Etat requis lorsque celui-ci ne subordonne

pas l'extradition à un traité. On constate que dans cette hypothèse, l'extradition reste de toute

40 Annexe °\.
41 Jugement du 21 mai 1958, aff. n° 40, R année 1959.92

façon soumise aux conditions en vigueur dans l'Etat requis (2) et qu'aucune priorité n'est

accordée à l'Etat d'immatriculation ou àl'Etat du lieu de l'infraction (3).

1- La convention de Montréal n'institue pas de système d'extradition
automatigue

4.22 L'art. 8 § 2, 1ère phrase stipule que dans l'hypothèse où l'Etat requis subordonne

l'extradition à un traité, cet Etat "a la latitude de considérer 1a convention" de Montréal

comme base juridique de l'extradition. Une latitude est une faculté, un pouvoir d'agir; ce
n'est pas une obligation. Ici aussi, l'histoire de cette disposition confirme cette interprétation.

Si les travaux de la Conférence de Montréal ne révèlentrien à ce sujet puisqu'il avait

étédécidéde reprendre les art. 4 à 14 de la convention de La Haye comme base de discussion

(supra § 4.4) et que l'art. 8 n'a soulevé aucune discussion particulière à Montréal 42, en

revanche les travaux de la Conférence de La Haye sont instructifs.

4.23 Au départ, le projet d'art. 8 préparépar le Comitéjuridique de l'O.A.C.I. ne prévoyait

rien dans l'hypothèse où l'auteur de l'infraction était trouvé sur 1e territoire d'un Etat qui

subordonnait 1'extradition à un traité. C'est pour combler cette lacune que plusieurs Etats,

dont le Royaume-Uni et les Etats-Unis, avaient proposé de faire de la convention de La Haye

une véritable convention d'extradition. Le texte proposé se lisait comme suit:

"Les Etats contractants qui subordonnent l'extraditionà 1'existence d'un traité reconnaissenten la

présente convention la base juridique de toute procédure d"extradition. Lorsqu'un tel Etat contractant
est saisi par un autre Etat contractant d'une demande d'extradition concernant !'auteur présuméd'une
infraction alors qu'il n'existe pas de traité d'extradition entre ces deux Etats, 1'extradition est
4
subordonnée aux conditions définies par le droit de l'Etat à qui la demande est adressée." 3

Comme l'expliquait le délégué des Pays-Bas, un des auteurs de l'amendement:

"La convention deviendrait ainsi une sorte de traitéd'extradition." 44

42 Conférence de Montréal,1,p. 63 § 22, p. 127 pp.1177-178§§ 8-1O.
43 Amendement proposé par 1"Autriche. le Costa-Ri1Italic, les PaBas,la Norvège, le Paraguay. 1"Espagne, la
Suisse, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, SA11°26, in Conférence de La Haye. Il. p. 66.

44 Ibid., p. 125§ 3. 93

Cet amendement allait rencontrer l'opposition de nombreux Etats d'Afrique et d'Asie.
On lui reprochait notamment:

d'obliger les Etats à modifier leur législation en matière d'extradition 45;

d'obliger un Etat à accorder J'extradition à un autre Etat avec lequel il ne souhaitait pas se

lier46, comme par exemple l'Afrique du Sud 47;

4
d'instituer un système d'extradition automatique 8.

Cette disposition, pourtant adoptée dans un premier temps 49, allait entraîner une
division profonde entre partisans et adversaires, et risquait de nuire considérablement au

succès de la convention. La Zambie proposa alors, à titre de compromis, un texte où l'Etat

requis avait "la latitude de considérer le présente convention comme constituant la base

juridique de l'extradition en ce qui concerne l'infraction" so(nous soulignons). Adopté par 63

voix (dont celles des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Libye) contre zéro avec 13

abstentions SI, ce texte est devenu l'actuel art. 8 § 2 de la convention. Le Juge Guillaume

écriradans son cours de 1989 à La Haye à ce sujet :

"La convention de La Haye par voie de conséquence se contente sur ce point d'un voeu pieux,
puisqu'elledonne seulement aux Etats en cause 'la latitude' de la regarder comme constituant !a base
juridique de l'extradition.52

4.24 L'historique de l'art. 8 § 2 montre donc à quel point il n'était pas question de faire de

la convention de La Haye une convention d'extradition per se pour les Etats refusant

l'extradition sans traité. La convention de Montréal dont l'art.8 § 2 est la réplique de l'art.8 §

2 de la convention de La Haye, ménage donc soigneusement la souveraineté des Etats dans un

domaine considérécomme particulièrement sensible par beaucoup d'Etats.

45 Ouganda appuyé par Tunisie et Tanzanie, ibid., pp, 126-128, §§ 8, 18, 28.

46 Inde, ibid, p. 183, § 69,
47 Ouganda, ibid.•p. 129 § 36,
48 Congo, Tanzanie, ibid,, pp. 182-183, §§ 68. 76.

49 Ibid.p.129 § 35,
50 Ibid., p. 188 § 9.
51 Ihid., p. 191 § 36.

52 Guillaume, G., "Terrorisme ... ", loc. cit, pp. 356-357.94

2- La Libye n'est pas obligéed'extrader ses nationaux

4.25 Le droit de la Libye de ne pas extrader ses nationaux n'est pas énoncéexpressis verbis

dans la convention de Montréal, mais il ressort du fait que cette convention, comme la plupart
5
des autres instruments de droit pénalinternational 3 subordonne l'extradition aux "conditions

prévues par le droit de l'Etat requis" (art. 8 §§ 2-3). Cette formule couvre toutes les
4
restrictions à l'extradition prévues par le droit de l'Etat requis 5 y compris par conséquent le

principe de la non-extradition des nationaux si la législation de l'Etat requis le prévoit.

Cette interprétation trouve confirmation ici aussi, non dans les travaux préparatoires de

la Conférence de Montréal qui sont muets à ce sujet (supra § 4.4), mais dans les travaux de la

Conférence de La Haye.

Il faut toutefois préciser que la soumission de l'extradition aux conditions prévues par

le droit de l'Etat requis a surtout étéévoquéeà propos du § 2 de l'art. 8, c'est-à-dire dans

l'hypothèse où l'Etat requis subordonne l'extradition à l'existence d'un traité.Par contre, dans

la situation prévue par le § 3, i. e. celle où l'Etat requis ne subordonne pas l'extradition à

l'existence, il était préciséd'emblée dans le projet de texte initial que l'infraction serait

considérée"comme cas d'extradition [... ] dans les conditions prévues par le droit de l'Etat

requis" 55, et ce point n'a jamais étémis en discussion !

Si l'analyse qui suit concerne donc l'art. 8 § 2, elle n'en est pas moins significative de

la volontédes Etats de respecter la souveraineté et la législation de l'Etat requis.

53 Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, art. 8 §§ 2-3;
Convention de Montréaldu 23 septembre 1971 pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécuritéde 1'avia­

tion civilm1.8 §§ 2-3; Convention des Nations Unies du 14 décembre 1973 auprévention et la répression des in­
fractions contre les personnes jouissant ct'une protection intymcompris les agents diplomatiques, an. 8 §§ 2-
3; Convenüon des Nations Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d'otages, art. 10 §§ 2-3; Convention de Vienne

et New York du 3 mars 1980 sur la protection physique des matières nucléaires,~§r2-3; Convention de Rome
du 10 mars 1988 pour la répression d'actes illicites contre la sécuritéde la navigation maritime. arvoy.l §§ 2-3;

aussi Conventions de Genève du 12août 1949 sur la protection des victimes de la guerre. art. commun 49/50/129/146;
Convention des Nations Unies du 2 décembre 1949 pour la répression et 1'abolition de la traite des êtreshumains, art.
8 al. 3; Convention des Nations Unies du 30 mars 1961 sur les stupéfiants modifiée par le Protocole du 25 mars 1972,

art. 36 § 2, b, ii-iii; Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, art. 8 §§ 2-3; Convention des Nations Unies du 4 décembre 1989 contre le recrutement, l'utilisation, le fi­

nancement et l'instruction de mercenaires, art. 15§§ 2-3.
54 Cfr. Glaser, S., Droit inrernmional pénu!conventionnel, li, Bruxelles. Bruylant, 1978, p. 84; Shubber. S.. "Aircraft

Hijacking under The Hague Convention 1970 - A New Régimc ?", 1.C.L.Q., 1973, p. 720; Cassese, A., "The
International Community's 'Legal" Rcsponse to Terrorism", I.C.L.Q.. 1989, p. 594.
55 Conjerence deÙJ.Huye. Il, SA Doc. n"8, p. 20 95

4.26 Ainsi, lorsque le déléguédes Pays-Bas présenta le projet d'amendement à l'art. 8

consistant à faire de la future convention de la Haye une convention d'extradition pour tout

Etat qui subordonnait 1'extradition à un traité (supra § 4.13), il précisa :

"L'amendement n'a aucunement pour objet de rendre l'extradition automatiquement applicable, car les

conditions qui régissentl'extradition peuvent faire intervenir toutes sortes de restrictions; après
l'adoption de cet amendement, aucun pays ne pourrait prétendre qu'il lui est impossible d'extrader
uniquement parce qu'il n'a pas de traitéd'extradition" 56 (nous soulignons).

De même,pour le délégué du Brésil,il étaitfaux de dire que l'amendement permettrait
à certains Etats d'imposer des traitésd'extradition à d'autres, car

"le§ 2, comme le§ 3 [de l'art. 8], préciseque l'extradition devrait êtresoumise aux conditions prévues

par la législationde l'Etat requis". 57

Parmi les restrictions à l'extradition, certains Etats citèrent, sans êtrecontredits, la

non-extradition des nationaux. Ainsi, pour la Pologne et l'U.R.S.S. qui voulaient instituer un

principe d'extradition obligatoire vers l'Etat d'immatriculation, la seule exception qu'elles
admettaient étaitle cas des nationaux :

"Chaque Etat contractant fait en sorte que les auteurs de 1'infraction soient passibles d'extradition vers
l'Etat d'irnmatriculation nonobstant aucun accord spécial existant entre les Etats concemés; toutefois,

aucune des Parties n'est tenue d'extrader ses propres nationau58"

Très révélateuraussi est le rejet d'une proposition émanant de plusieurs Etats et visant

à supprimer le mot "autres" dans la 2ème phrase du § 2 de l'art. 8, à savoir celle où il est dit

que "1'extradition est subordonnée aux autres conditions prévues par le droit de 1'Etat
requis" 59_ Les délégués de la France et de l'Italie répondirent que cette proposition concernait

une question de fond : à partir du moment où la convention devenait un traitéd'extradition, il

fallait que l'Etat requis pût soumettre l'extradition à toutes les conditions de son droit interne
qu'il jugeait utiles:

"Etant donnéque.la convention a valeur de traitéd'extradition, l'Etat requis doit avoir la possibilité de
fixer toutes les conditions qu'il estime nécessaires" 60_

Un seul Etat proposa, eu égard à la gravité de l'jnfraction, que la convention fit

"exception aux règles généralesrelatives à la non-extradition des nationaux", mais encore il
ne s'agissait que d'une facultélaisséeà l'Etat requis:

56 Conférencede La Haye, I, p. 126 § 6.
57 Ibidp. 188 § 7.
58 Proposition d'amendementà1'article 8, SA Doc. n" 33 Rév. 2, ibid., 11,p. 82; voy. aussi ibid, 1,p. l26, § 11.
59 Ibid., 1,160,§ 61.

60 Ibid., § 62.96

"Tout Etat contractant peut, en vertu de la présente convention, extrader ses nationaux au compte (sic)
d'autres Etats contractants à condition de réciproci61."

4.27 La position des Parties défenderesses à la Conférence de La Haye est intéressante.

Les Etats-Unis, favorables à une extension de l'obligation d'extradition, souhaitaient

que la convention constituât une convention d'extradition et que le détournement d'avion fût
dépolitisé aux fins de l'extradition. Tls ne demandaient cependant pas l'extradition des

nationaux et ils reconnaissaient qu'il y avait des limites à l'extradition, mais qu'il fallait les

réduireautant que possible:

"Bien que les lois nationales ou les obligations découlant des traités puissent imposer certaines limites à

l'extradition,et bien que certains Etats ne puissent peut-être pas procéder dans tous les cas à
l'immatriculation (sic) obligatoir62 vers l'Etat d'immatriculationil faudrait s'efforcer de réduire les
exceptions au strict minimum.

[La] délégation [des Etats-Unis] proposera que la convention interdise le refus d'extradition pour le
motif que la capture illicite est une infraction polit63.e"

Les Etats-Unis reconnaissaient donc implicitement que la nationalité de la personne

dont l'extradition était demandée faisait partie des restrictions à l'extradition qu'il était

difficile d'écarter.

Quant au Royaume-Uni, examinant la proposition d'amendement soviéto-polonaise

prévoyant l'obligation généraled'extrader tout auteur d'un détournement d'avion sauf s'il

s'agissait d'un national de l'Etat requis (supra § 4.26), il déclarait comprendre le souci des
auteurs de l'amendement de renforcer la répression mais il trouvait que la seule exception

admise par les auteurs - la non-extradition des nationaux - étaittrop limitée et le Royaume­

Uni laissait entendre qu'il fallait prévoird'autres hypothèses de non-extradition eu égard à la

diversité des systèmes juridiques. Le procès-verbal de séance relate ainsi la position

britannique :

"Le déléguédu Royaume-Uni reconnaît avec les déléguésde la Pologne et de l'U.R.S.S. qu'il est
souhaitable de renforcer la possibilité de traduire les délinquants en justMais il n'est toutefois pas
d'accord pour que l'exception à 1'obligation d'extrader se Iimitc aux propres ressortissants d'un Etat.

En présence d'un grand nombre d'Etats souverains, il importe de tenir compte de systèmes juridiques
différents.64

61 Observations dGhana, SA Doc. n° 8,ibid.Il, p. 34.

62 JIfutsans doute li"extradition".
63 Conférencede La Haye,!, p. 10, §§ 21-22.
64 Ibid.p.128 §24. 97

Les Parties défenderesses ont donc clairement admis le principe de la non-extradition

des nationaux.

4.28 Le droit pénal international généralconsacre Je principe de la non-extradition des
nationaux à travers la règle aut dedere aut judicare. C'est ce qu'exprime la convention de

Genève du 16 novembre 1937 pour la répression du terrorisme qui, en son art. 9 § 1, lie

expressément le caractère alternatif de cet adage au droit d'un Etat de ne pas extrader ses

nationaux:

"Lorsqu'une Haute Partie contractante n'admet pas le principe de l'extradition des nationaux, ses
ressortissants qui sont rentrés surerritoire de leur pays, après avoir commis à 1'étranger l'un des faits
prévus aux art. 2 et 3 doivent êtrepoursuivis et punis de la mêmemanière que si le fait avait étécommis
sur son terrtoire, et cela mêmedans le cas où le coupable aurait acquis sa nationalité postérieurement à

l'accomplissement de l'infraction."

De même,et sur un plan tout à fait général,la convention européenne d'extradition du

13 décembre 1957stipule en son art. 6 que

"Si la Partie requise n'extrade pas son ressortissant, el!e devra, sur la demande de la partie requérante,
soumettre l'affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent êtreexercées

s'il y aeu".

Mêmesi certaines autorités souhaitent remettre en cause la règle de la non-extradition

des nationaux 65, la majorité de la doctrine s'incline devant la pratique conventionnelle,

cons titutionnelle ou législative de nombreux Etats de ne pas admettre l'extradition des

nationaux pourvu que l'Etat requis juge ses propres nationaux. A l'art. VIl de sa résolution
sur les nouveaux problèmes, en matière d'extradition, l'Institut de droit international déclare:

"Si tout Etat devrait en principe demeurer 1ibre de refuser 1'extradition de ses nationaux, il devrait alors

juger 1infraction selon sa propre légîslatio66.

Lors des débats du Conseil de sécuritérelatifs à ce qui allait devenir la rés.731 67, le

représentant du Zimbabwe a observé que l'affaire devait êtrerégléesur base de la convention

de Montréal, du principe de la non-extradition des nationaux et de l'application de la règle aut
dedere aut punire (ù~f §§ 4.32 ss.).

65 Cansacchi, G., do Nascimento e Silva, G.in AnnuaireLD.I., session de Dijon, 19R1, vol. pp.l114 et 119;
Lalive, J.F., Bowett, D., Schwebel,in ibid., session de Cambridge, 1983, vol.pp. 241, 270-271.Oda, S.,

"The Individual in International Law" in Sorensen, M., Manual of Public inrematimwl Law, London, Macmillan,
1968,p. 521.
66 Rés.de l'I.D.surles nouveaux problèmes en matière d'extraditionVll,sessiode Cambridge, 1983,vol.60-11,

p. 309; Guillaume, "Terrorisme ... ", lo339.it., p.
67 Doc.ONUSfPV.3033, annexe n"83.98

4.29 Le refus de la Libye d'extrader ses nationaux vers le R.-U. et les E.-U. n'est pas
spécifiquement liéà une différence de culture entre le monde arabe et le monde occidental. Le

principe de la non-extradition des nationaux se retrouve dans les conventions d'extradition

conclues par la Libye avec d'autres Etats arabes : il apparaît en effet

à l'art. 7 de la convention multilatérale d'extradition des criminels signée au Caire le 3

novembre 1952 (adhésion de la Libye en date du 19 mai 1957) 68 dans le cadre de la

Ligue des Etats arabes;

à l'art. 20 des conventions sur les notifications, les commissions rogatoires, l'exécution

des jugements et l'extradition des criminels conclues par la Libye avec la Tunisie le 14
juin 1961 69 et avec le Maroc le 27 décembre 1962 70;

à 1'art. 51 de la convention de coopération juridique et judiciaire entre les Etats de 1'Union

arabe du Maghreb, conclue à Ras-Nalouf (Libye), les 9-10 mars 1991 7 1;

à l'art. 54 de la convention sur la coopération judiciaire en matière civile et pénaleconclue

par 1a Libye avec 1'Egypte le 26 février 1992 au Caire 72.

3- L'Etat d'immatriculation de l'aéronef et l'Etat du lieu de l'infraction ne

bénéficientd'aucune prioritéou primauté en cas d'extradition

4.30 A Montréal comme à La Haye, l'Union soviétique avait proposé un amendement

visant à rendre obligatoire l'extradition de l'auteur présuméd'une infraction visée par ces

conventions vers l'Etat d'immatriculation de l'aéronef 73 ou vers 1'Etat sur le territoire duquel
l'infraction avait produit ses effets 74.

68 Anne;<.n°1.
69 Annexe n°1.

70 Annexe n° l.
71 Journal Offici6lmai 1993, n° li ; annexe n°1.

72 Journal Officiel,juin1993,n° 14; annexe n°1.
73 Conférencede Montréal, Il, CUI Doc. n° p.,82; Conférence de La Haye, Il, SA Doc. n° 33 rép.82.
74 Conférence de Montréal,II, CUI Doc. n° 28, p. 82. 99

A Montréal, cette proposition ne fut mêmepas discutée vu la décision de principe de

reprendre mutatis mutandis les art. 4 à 14 de la convention de La Haye (supra § 36). A La

Haye, la proposition fut peu débattue ·75 et finalement rejetée à une large majorité (47 vOix

contre lOet 8 abstentions) 76.

*

4.31 En résumé,il ressort clairement à la fois de l'histoire de l'art. 8 § 3, de son texte 1ui­

mêmeet du droit pénalinternational général régissant ce type de matière (supra § 4.25) que

la convention de Montréal n'oblige pas la Libye à extrader les suspects vers le R.-U. et lesE.­

U. dans la présenteespèce.

Section 3 - Si la Libye n'extrade pas les suspects, elle doit les déférer à ses autorités

compétentespour l'exercice de l'action pénale(art. 7)

4.32 L'art. 7 de la convention de Montréal confère aux Etats parties une obligation

alternative d'ex trader ou de renvoyer au parquet compétent 1'auteur présumé d'une des

infractions viséespar la convention :

"L'Etat contractantsur le territoire duque1'auteur présumé de l'une des infractions est découvert, s'il

n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire,sans aucune exception et que l'infraction ait ou non été
commise sur son territoire,àses autorités compétentes pour l'exercicede l'action pénale. Ces autorités
prennent leur décision dans les mêmes conditions que pour toute infraction de droit commun de
caractère grave conformément aux lois de cet Etat."

Cette disposition est une expression nuancée de la règle aut dedere aut juclicare que

l'on retrouve dans la plupart des instruments de droit pénalinternational 77_ On va examiner

75 Co11jérencede La Haye,I,pp. 126-129.

76 Ibid.p.129 § 34.
77 Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, art. 7, 1er al.;
Convention des Nations Unies du 14 décembre 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les per­

sonnes jouissant d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, art. 7; Convention des Nations
Uniesdu 13 décembre 1979 contre la prise d'otages, art. 8 § 1; Convention de Vienne et New York du 3 mars 1980 sur

la protection physique des matières nucléaires, 10; Convention de Rome du JO mars 1988 pour la répression
d'actes illicites contre la sécuritéde la navigation maritime, art. 10 § 1; voy. aussi Conventions de Genève du 12 août
1949 sur la protection destimes de la guerre, an. commun 49/50!1291146; Convention des Nations Unies du 2 dé-100

d'une part le contenu de cette disposition (A), d'autre part les arguments des défendeurs pour

faire échec à son application (B).

A- Le contenu de l'art. 7

1- Une obligation de soumission de l'affaire à la justice de l'Etat requis

4.33 Ici aussi, l'histoire de l'art. 7 montre à quel point ses auteurs voulaient que cette

deuxième branche de l'alternative s'irnposât comme obligation à charge de 1'Etat qui

refuserait d'extrader 1'auteur présuméde 1'infraction.

Comme pour les autres dispositions de la convention de Montréal, il faut retourner à la

convention de La Haye car la Conférence de Montréal s'est bornée à reprendre mutatis

mutandis le texte adoptéà La Haye 78.

Le texte proposé par le Comité juridique de l'O.A.C.I. à la Conférence de La Haye
prévoyait que si l'auteur présuméde l'infraction n'était pas extradé, l'Etat où se trouvait cet

auteur devait transmettre l'affaire aux autorités compétentes afin qu'elles décident s'il fallait

poursui vre 1'intéressé;

"Lorsqu'un Etat a mis une personne en détention conformément aux dispositions du présent article, il

avise immédiatement de cette détention, ainsi que des circonstances qui la justifient,1'Etat
d'immatriculationde l'aéronef, l'Etat dont la personne détenue a !a nationalité et, s'ille juge opportun,
tous autres Etats intéressés. L'Etat qui procède à l'enquête préliminaire visée au paragraphe 2 du
présent article en communique promptement les conclusions aux dits Etats et leur indique s'il entend

exercer sa compétence." 79

La délégationitalienne avec 25 autres Etats (dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni)

avait proposé un amendement visant à imposer;

"à l'Etat contractant sur te territoire duquel l'auteur présumé de l'infraction est découvert l'obligation
de soumettre 'affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale quels que soient le.s

mobiles de l'infraction et mêmesi l'infraction a étécommise en dehordu territoire de cet Eta80.

gradants, art. 7 § 1;Convention des Nations Unies du 4 décembre !989 con!re le recrutement, 1'utilisation, Jefinance­
ment et l'instruction de mercenaires, art. 9 § 2.

78 Conférence de Montréal,J,p. 63 § 21, p. 126 § 5!, p. 175§§56-57.
79 Conférence deLa Haye, 11,SA Doc. n° 4. p. 20.
80 ibid., I, p. 130 § 44. 101

Le texte de 1'amendement étaitle suivant :

"L'Etat contractant sur le territoire duquel l'auteur présuméde l'infraction est découvert, s'il n'extrade
pas ce dernier, soumet l'affaire, quels que soient les mobiles de l'infraction et que ladite infraction ait

ou non été commise sur son territoire, à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale.
Ces autorités prennent leur décision dans les mêmesconditions que pour toute autre infraction de droit
commun de caractère grave conformément aux lois de cet Etat." 81

La plupart des Etats appuyèrent l'amendement mais plusieurs d'entre eux réservèrent

leur position sur 1'emploi de certains termes. Les Etats afro-asiatiques notamment voulaient

supprimer toute référenceaux "mobiles de l'infraction" 82 et remplacer le membre de phrase

en cause par la formule "sans aucune exception" 83. La France désirait ôter le mot "autre" de

l'expression "toute autre infraction de droit commun" 84 afin de ne pas limiter l'infraction aux
infractions de droit commun 85.

Ces deux propositions furent finalement adoptées 86, non sans débats.

4.34 Ce qu'il faut surtout retenir, c'est la volonté certaine des Etats d'assurer une
soumission sans faille de l'affaire à la justice soit de l'Etat requérant, soit de l'Etat requis. De

ce point de vue, la Libye se conforme bien à la convention lorsqu'elle refuse d'extrader les

suspects tout en les renvoyant devant les autorités pénales compétentes pour l'exercice de

l'action pénale.

C'est donc en vain que le Royaume-Uni et les Etats-Unis refusent le caractère

alternatif de cette obligation en prétendant contraindre la Libye à extrader les suspects. Les
règles applicables in casu prévoient explicitement une obligation alternative d'extradition ou

de renvoi des suspects aux autorités pénales compétentes pour 1'exercice de 1'action pénale

(art. 7) et les défendeurs doivent donc s'abstenir de toute action visant à empêcher

l'application par la Libye de l'art. 7.

C'est dans le mêmesens que l'Institut de droit international, lors de sa session de

Zagreb de 1971, avait adopté une résolution sur "le détournement illicite d'aéronefs" où il

estimait

81 Ibid., Il, SA Doc. n° 72p. 131.
82 Kenya,R.A.U.,Tanzanie, Congo, Zambie, Cameroun, Koweiibid., pp. 130-131.§§45-48.51-52. p. 134§8.

83 R.A.U.,Kenya,ibid., 131§53, p.177,§ 8.
84 Ibid.p. 134§6;
85 Guillaume, G."LaConvention deLa Haye...", loc.cit., p. 53.

86 Confér.deLa Haye,1.pp. 180-181§§ 47 et 59.102

"que tout Etat sur le territoire duquel pourrait se trouver l'auteur de l'acte [un détournement illicite
d'aéronefs] a le droit et le devoir, s'il ne procède pas à son extradition, d'engager contre lui des
poursuites pénales.g7(nous soulignons)

2 - Une obligation respectant la souveraineté de l'Etat requis

4.35 Pas plus que l'art. 8 de la convention de Montréal n'énonce une obligation absolue
d'extradition, l'art. 7 n'énonce une obligation absolue de poursuite de l'auteur de l'infraction.

Cette disposition oblige l'Etat partie sur le territoire duquel l'auteur présuméde l'infraction

est trouvé, à arrêtercette personne et à la garder en détention pendant le temps nécessaire à
1'engagement de poursuites pénales ou d'une procédure d'extradition. Tous les Etats

concernés par cette arrestation - notamment l'Etat du lieu de l'infraction, celui de la

nationalité de 1'auteur et celui de la nationalité de la victime - doivent êtreavisés de cette
arrestation. Si 1'Etat où la personne est arrêtéen'extrade pas cette dernière, il doit la

poursuivre, mais conformément à ses Lois et dans Les mêmesconditions que pour toute

infraction de droit commun de caractère grave.

Autrement dit, l'obligation de poursuite ne doit êtreexercée que dans les conditions

prévues par le droit de l'Etat d'arrestation. Il est donc admis que cet Etat n'exerce pas de
poursuites pénales s'il existe dans sa législation des obstacles de droit commun à ces

poursuites : opportunité des poursuites, prescription, non bis in idem,...

Ainsi, l'art. 7, 2ème al. stipule que les autorités compétentes pour l'exercice de

1'action pénale

"prennent leur décision dans les mêmesconditions que pour toute infraction de droit commun de
caractère grave conformément aux lois de cet Etat."

4.36 La réserve de 1'opportunité des poursuites fut, par exemple, clairement mise en
évidence lors des travaux préparatoires de la convention de La Haye 88 lorsqu'on tït observer

que 1'infraction visée par la convention devait êtresoumise aux autorités compétentes pour

l'exercice de l'action pénale afin que "celles-ci prennent la décision de poursuivre ou non" 89
(nous soulignons). De même, en réponse à des objections d'Etats qui craignaient que

1'obligation de soumettre l'affaire au parquet compétent impliquât une "action pénale

87 Ann. /. D. 1., 1971, vol. 54, T. TI,pp. 455-456.
88 Guillaume, G., "La Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture illicite d'aéronefs",
A.F.D.l., 1970, pp. 51-52.

89 Kenya, Conférence La Haye, I, p. 179 § 35. 103

obligatoire" plutôt qu'une "action pénale discrétionnaire" 90, le R.-U. déclara, sans être

contredit que le texte proposé

"signifie que1affaire doiêtresoumise aux autorités compétentes qui décideront s'i1y a lieu ou non de

poursuivre."91

Les dispositions analogues mutatis mutandis que 1'on trouve dans les au tres

conventions de droit pénalinternational 92 ont donc la mêmeportée 93_

Ce renvoi au droit interne de l'Etat concerné est bien J'hommage du droit pénal

international à la souveraineté de cet Etat, et l'affirmation répétéede la règle dans diverses

conventions confirme la valeur et la soliditéd'un système qui- on le constate encore ici -est à

la croisée des exigences de la souveraineté des Etats et des nécessitésde la répression de

certains comportements individuels.

4.37 Le traitétype d'extradition établipar l'Assemblée généraledes Nations Unies (A/Rés.

45/116, 14 décembre 1990, consensus) traduit Je mêmesouci :d'un côté,il tend à montrer que
l'extradition exige un traité (cfr. art. !er), d'autre part, il fonde sur le droit interne de l'Etat

requis divers motifs de refus de l'extradition (caractère politique de l'infraction, non bis in

ident, prescription, amnistie, inopportunité des poursuites, exercice d'une compétence extra­

territoriale inexistante dans le droit de l'Etat requis, etc., art. 3 et 4).

Ici aussi, le respect de la souveraineté de l'Etat requis explique ces restrictions à

1'obligation d'extrader.

90 Malaisie, ibid., p. 180 § 41;dans un sens analogue, Chili, Tanzanie, ~n43, 50, 51.§
91 Ibid.p.181 §52.

92 Dans le mêmesens : Convention de Momréaldu 23 septembre 1971 pour la répression d'acteiites dirigéscontre
la sécurité l'aviation civile, art. 7, 2ème al.; Convention des Nations Unies du 14 décembre 1973 sur la prévention
et la répressiondes infractions contre les personnes jouissanttection internationylcompris les agents di­

plomatiques, art. 7; Convention des Nations Unies du 13 décembre 1979 contre la prise d'otages, an. 8 § 1;
Convention de Vienne et New York du 3 mars 1980 sur la protection physique des matières nucléaires, art. 10;

Convention de Rome du 10m<~r 1S88 pour la répression d'actes illicites contre la sécuritéde la navigation maritime,
art.lO§l.

93 Ainsi, pDur la Convention de Montréal, voy. Mankiewkz, R. H., "La Convention de Montréal (1971) pour la répres­
sion d'actes illicites dirigéscontre la sécuritéde 1'aviation civile", A.F.0.1., 1971, p. 868.104

3- Une obligation cardinale du droit pénalinternational

4.38 C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre l'importance qui a étéreconnue au

principe général aut dedere aut judicare et soulignée par plusieurs juges dans les ordonnances

rendues par la Cour le 14 avril 1992 à propos des mesures conservatoires demandées par la

Libye.

Pour le Juge Weeramantry

"Le principe aut dedere aut judicare est un aspect important de la souveraineté de l'Etat sur ses

ressortissants" 94.

Et il cite Cherif Bassiouni qui estime que cette norme est de jus cogens 95. Le Juge Ajibola va

dans le mêmesens 96 (infra§ 4.41, b).

Pour le Juge Ranjeva, il s'agit en droit international générald'un "droit d'option
opposable erga amne s" 97.

4.39 La doctrine a toujours souligné le caractère souverain de l'extradition. Par exemple,

dans son rapport préliminaire à l'Institut de droit international, K. Doehring commence par

rappeler qu'il n'y a pas d'obligation d'extrader sans un traité qui l'énonce et qu'il serait
utopique de vouloir la fonder sur la coutume 98.

C'est dans te mêmeesprit que l'Institut accepte comme inévitable le dépôtde réserves

aux traités multilatéraux d'extradition, même s'il souhaite que ces réserves soient limitées
autant que possible. Ainsi, la résolution adoptéeà Cambridge en 1983 dispose en son art. 1,3 :

"La formulation de réserves aux traités multilatéraux d'extradition devrait êtrelimitée autant que

possible." 99

94 Op. diss. Weeramantry, C.I.J., R1992,pp. 69et 179.

95 Citéibid.
96 Op. diss. Ajibola, ibid.82pet187.

97 Op. diss. Ranjcva, ibid., pp. 182.t
98 Atm.J.D_1..session de Dijon, 1981, vol. 59/T, p. 14; DINSTEIN, Y., "Terrorism as an International Crime'', /sr. Yhk.
H. R..1989. p.70;Lagodny, O., "The Abolition and Replacement of the Political Offence Exception : Prohibited by

InternationaorDomcstic Law", ibid., 319.
99 Ann.!.D. /.,session de Cambridge, \983, vol. 60/11, p. 307; voy. aussi les réponses de certains membres de l'Institut

au questionnaire de. Doehring, in AnnJD. /.,session de Dijon198L vol.59/1,pp.Ill, 115, 117, 120,123, 166. 105

4.40 En ce qui concerne plus spécifiquement le principe aut dedere aut judicare que le

rapporteur propose d'étendre à tous les traités d'extradition et que l'Institut accepte, il est

intéressant de noter que personne ne conteste ou ne remet en cause le caractère purement

alternatif de la règleet ne cherche à privilégier l'une de ces deux branches.

Dans le cas du terrorisme, on rappellera .toocet extrait du cours donné par le Juge

Guillaume en 1989 à l'Académie de droit international de La Haye:

"C'est cette option (aut dedere aut prosequi) qui a étéretenue à La Haye et dans les conventions
postérieures. Elle marque un net progrès dans la répression tout en préservant en matière d'extradition
le pouvoir d'appréciation des gouvernements el en sauvegardant le droit d'asile. Elle comporte certes

ses limites, mais sont celles de toute oeuvre humaine tentant de concilier des exigences diverses
sinon contradictoires."

Avec le principe aut dedere aut judicare, le droit pénal international consacre donc
bien la souveraineté- même limitée- des Etats.

B- L'argumentation des défendeurs

4.41 Lors des audiences sur les mesures conservatoires, le Royaume-Uni a soutenu que

l'art. 7 n'était pas en cause ici puisque la Libye avait déjà soumis l'affaire à ses autorités

compétentes, qu'elles s'étaient donc acquittées de l'obligation prévue par l'art. 7; le

Royaume-Uni n'avait d'ailleurs jamais suggéréque la Libye avait violécette disposition, et de
toute façon, les droits que la Libye prétendait exercer étaient illusoires 102puisque 1'art. 7

n'énonçait que des obligations et non des droits 103.

Pour les Etats-Unis, il ressortait des résolutions du Conseil de sécuritéque la Libye

n'avait pas réussi à prouver que sa volonté de poursuivre les suspects était une réponse
appropriée en l'espèce 104. En outre, reco~na ls droits que la Libye voulait exercer aurait

équivalu à reconnaître d'une part le droit de l'Etat complice de bloquer les poursuites et de

100 Ce point avait déjàétérappelépar la Libye en avril 1992 au cours des lesmesures conservatoires in
C.I.JCR 92/5, p. 38.
101 Guillaume, G., "Terrorisme et droit international", R.C.A.D.I., 1989,III, p. 371.

102 C.I.JCR 92/3, pp. 24, 45.
103 /bid.,pp. 46-47.
104 CR 92/4, PP. 26 et 28.106

s'assurer une juridiction exclusive, d'autre part 1'interdiction pour les autres Etats de

poursuivre les suspects 105.

En mettant un peu d'ordre dans cette argumentation de manière à la raccrocher plus

précisément au problème dont la Cour est saisie - à savoir "des questions d'interprétation et

d'application de la convention de Montréal de 1971..." -,on aperçoit que les défendeurs

invoquent deux moyens divisés chacun en plusieurs branches. Si on interprète correctement la
pensée de leurs auteurs, ces moyens peuvent êtreprésentéscomme suit.

1. Premier moyen

4.42 La convention de Montréal ne serait pas applicable à l'espèce car d'une part le Conseil
de Sécurité estimerait que la Libye ne peut s'en prévaloir; d'autre part, il serait absurde

d'imaginer que la convention puisse autoriser le gouvernement complice des faits incriminés

par la convention à juger les auteurs de ces faits.

Le moyen ne sera pas discuté ici en détail : sa première branche sera en effet traitée

plus loin dans la partie du mémoire relative àl'impact des résolutions du Conseil de sécurité
sur les droits et obligations des parties découlant du droit international applicable à

1'extradition, au terrorisme en généralet aux infractions visées par la convention de Montréal.

Quant à la seconde branche, elle est fondée sur les deux prémisses suivantes :

les suspects sont des agents de l'Etat libyen;

la convention de Montréal ne s'applique pas à des faits commis par les agents d'un Etat.

En 1'occurrence, cette seconde branche du moyen est sans objet car les suspects sont
non des agents de la Libye mais des employés de Libyan Airlines.

A supposer même qu'ils fussent des "agents libyens"- quod non -, la convention de
Montréal, comme la plupart des autres instruments de droit pénal international, n'en resterait

pas moins applicable aux·faits commis par les agents d'un Etat. Ce point a étédéveloppé dans

la lettre adressée par la Libye au Greffe de la Cour le 2 avril 1992 en réponse à la question n° 1

105 Ibid., pp. 61-63,75. 107

posée par le Juge Schwebel aux parties le samedi 28 mars 1992 lors des audiences sur la

demande en indication de mesures conservatoires I06_Ce n'est que dans l'hypothèse où il

serait prouvé que le gouvernement de 1'Etat où 1e trouvent les auteurs présumés de
l'infraction appuient ceux-ci qu'on aboutirait alors à une violation de la convention concernée

autorisant les autres Etats parties à la suspendre ou à la dénoncer vis-à-vis de l'Etat défaillant

conformément aux règles coutumières de l' exceptio non adimpleti cuntractus 107 codifiées

par la convention de Vienne sur le droit des traités (art. 60).

2. Deuxième moyen

4.43 Mêmesi la convention de Montréal s'appliquait, la réclamation de la Libye serait sans
objet, d'après les défendeurs, puisque la Libye a déjàexercé le droit qu'elle prétend fonder sur

l'art. 7, que de toute façon il s'agît d'une obligation et non d'un droit- ou alors illusoire- et

qu'enfin la Libye n'a pas de juridiction exclusive sur les suspects.

Examinons les trois branches de ce moyen.

a) L'art. 7 de la convention oblige la Libye à soumettre l'affaire au parquet compétent si elle
n'extrade pas les suspects; or les défendeurs estiment qu'elle l'a fait et que par conséquent

elle n'aurait aucun motif de plainte.

Il demeure que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ne font pas confiance à la justice

libyenne et exigent que les suspects leur soient remis.

Autrement dit, ils refusenr à la Libye l'application normale de la convention de Montréal;

ils nient la possibilité expressément prévue par l'art. 7 de la convention de ne pas extrader

les suspects et de les juger elle-même. En refusant 1'application de 1'art. 7, ces deux Etats

violent donc bien les prescriptions qu'il édicte et la Libye est fondée à s'en plaindre et à
obtenir de la Cour un jugement sur l'applicabilité de cet artkle et sur 1'obligation faite aux

Parties défenderesses d'en respecter les effets.

b) La Libye revendiquerait l'exercice d'un droit alors que l'art. 7 énonce une obligation. Le

droit invoqué par la Libye serait illusoire. Lors des plaidoiries sur les mesures

106 C.I.J., CR 92/6. p. 48.
107 Namibie. C.IJ .. Rec. 1971, p. 47.108

conservatoires, la Libye a montré que si l'art. 7 énonçait bien une obligation, il s'agissait

d'une obligation alternative résumée (et simplifiée) par la formule aut dedere aut

judicare. Un conseil de la Libye avait dit à cette occasion :

"Or, l'exercice de cette obligation alternative suppose nécessairement l'existence d'un droit d'option

en Lreles deux branches de la.lternative. Ce droit, c'est celui de tout Etat paràila convention de ne pas
extrader une personne notamment lorsque, in casu, la loi de cet Etat s'y oppose. Pour rappel, le droit de
l'Etat libyen, à l'instar de beaucoup d'autres droits internes, s'oppose non seulement à 1'extradition des

nationaux, mais aussi à l'extradition sans traité 108. De fait, la convention de Montréal admet
précisément le droit de tout Etat partie de ne pas extrader une personne recherchée pour une infraction
visée par la convention lorsque la loi de cet Etat ou les traités qui le lient s'y opposent : c'est ce qui

ressort tantôt implicitement, tantôt explicitement, des art. 5 § 2, et 8 §§ 1 à 3. Le droit qu'invoque la
Libye trouve donc bien sa source dans la convention et n'a rien d'un droit fantôme!

Ajoutons que, même si la Libye ne pouvait se prévaloir d'une 'obligation', le problème ne serait pas
différent; bien au contraire: d'une pmt, si un Etat peut revendiquer le respect d'un droit, c'est-à-dire le
respect d'un comportement qui lui est autorisé,a fortioricet Etat peut revendiquer qu'on respecte sa

volonté d'exécuter une obligation, c'est-à-dire le respect d'un comp011ement qui lui est imposé." l09

Le Royaume-Uni, par la voix du professeur Higgîns, se bornera à répondre

"We listened carefully to the reformulation this morning of the alleged rights under the Montreal

convention. Although Art. 7 is an obligation, it was said to be an alternative obligation aut dedere aut
judicare which, in turn, supposes the existence of an optional right. But what Art. 7 says is that, if you

do not extradite, you must submit for prosecution. The right of a complicitous State to prosecute its own
security agents and to refuse surrender outside of the Montreal provisions is apparently to be deduced
from a combination of the aut dedere aut judicare principle in Art. 7 and the recognition that the

convention does not require extradition ifit [is ?] against domestic law" 110.

De son côté,M. Williamson dira pour les Etats-Unis

"The fact that Libya could discharge an Art. 7 duty by prosecuting rather than extraditing has nothing
whatsoever to do whether the U. S. may scck to obtain jurisdiction instead. As counsel for Libya has

conceded, the convention simply does not address this question of allocation of jurisdiction. We
conclude, therefore, that Libya has not made the required showing of rights under the Montreal

convention for which it seeks protection" Ill.

En dehors d'affirmations lapidaires sur la complicité de la Libye, le caractère tortueux

du raisonnement de ses conseils et l'inopposabilité de l'art 7 à la volonté des Etats-Unis

d'exercer ses compétences pénales, on ne voit pas très bien en quoi les conseils du Royaume­

Uni et les Etats-Unis ont répondu aux arguments de la Libye.

Sur ce point, le juge Bedjaoui dira:

108 C'est erronément qu'il avait étéaffirmé alors que le droit libyen subordonne l'extradition à l'existence d'un traité
(supra § 4.J).

109 C.I.J.•CR 92/5, pp. 36-37.
llO CR 9216,p.l8.

Ill lbid.p.37. 109

"Il a étéalors soutenu que le droià protéger ici est illusoire, puisqu'il s'agirait plutôt d'une obligation.
Mais l'Etat ne serait-il donc pas autorisé à revendiquer le droit, fondamentalement dérivé de sa
souveraineté, de ne pas êtreentravé dans l'accomplissement de son devoir international? Par ailleurs, il

a étésoutenu que la convention de Montréal de 1971 ne confère àun Etat partie aucun droit au titre de
l'article 7 qu'il n'ait déjà au titre du droit international général,de sorte que, mêmesi la convention de
Montréal de 1971 n'existait pas ou si la Libye ne l'avait pas ratifiée, cet Etat resterait libre de refuser
l'extradition en vertu du droit international.De cette observation exacte il a ététiré une conclusion

erronée, à savoir que le droit conventionnel à protéger serait inexistant, ou illusoire, car l'arti7lne
confère pas là un droit supplémentaire à l'Etat. Mais comment comprendre qu'un droit reconnu par le
droit international général et confirmé par une convention internationale viendrait à perdre toute
existence et tout bénéfice à sa sauvegarde du seul fait de sa confirmation dont on aurait pu penser

qu'elle le renforcerait?"112

De son côté,Jejuge Ranjeva écrit:

"Sur la base du droit international général, confirmé par la convention de Montréal, le demandeur

bénéficie du droit d'option qu'exprime l'adage traditionnel : aut dedere aut judicare; ce droit est
opposable erga omnes et crée l'obligation de mener effectivement à terme, dans des conditions
régulières, une procédure relative à l'établissement de la responsabilité pénale dans 1'attentat de
Lockerbie." 113

De même,pour JeJuge Ajibola,

"... le Royaume- Vni, du fa1que l'incident est survenu sur son territoire, pourrait étabLirsa compétence
à l'égard des infractions en vertu à la fois du droit international généralet de la convention de Montréal
de 1971. Cependant, les suspects se trouvent sous la juridiction de la Libye, et celle-ci est tout aussi en
droit de poursuivre ces derniers. Selon moi, compte tenu de la convention de Montréal de 1971, la

Libye- a un droit légitime à protéger. Il s'agit d'un droit qui est reconnu par le droit. international et qui
est mêmeconsidérépar certains juristes comme relevant du jus cogens." 114

Autrement dit, ces trois juges ont reconnu que le droit revendiqué par la Libye était un
droit substantiel qui devait êtrejuridiquement protégé.

c) Quant à l'affirmation que la Libye n'a pas de juridiction exclusive sur les suspects, la

Libye ne peut que rappeler ce qu'elle a déjà dit à ce sujet lors des audiences sur les
1
mesures conservatoires L", à savoir que les Etats-Unis et le Royaume-Uni n'ont pas

davantage de prioritéou d'exclusivité dans 1'exercice de 1'action publique.

Il est significatif que des propositions faites par l'Union soviétique à Montréal et à La

Haye (avec l'appui de la Pologne et du Ghana) et visant à accorder une compétence

priori taire à 1'Etat d'immatriculation lorsque p1usieurs Etats voulaient connaître de

l'infraction 116 n'ont pas étédiscutées à Montréal vu le souci généralde s'aligner sur la

112 C.l.J., Recueil, 1992; op. diss. Bcdjaoui, pp. 38-39, 148-149.
113 Ibid., op. diss. R<tnje-va,p.72.
114 Ibid., op. diss. Ajibo1a, p. 82. etcas des E.-U., p.87.

115 C.U., C.R. 9215,pp.37et 41.
116 Confer. de Montréal, II, CUI, Doc. n°39, p. 93; Confé de Lll Huye, li, S.A. Doc. n°33, Rév. 1, p.81.llO

convention de La Haye (supra § 4.6), et ont étéécartéesà La Haye par 39 voix contre 12

et 10 abstentions 117.

Le juge Guillaume écriraà propos de la convention de La Haye que les Etats

"n'ont entendu établir aucune priorité dans l'exercice de ces compétences et ont par suite accepté les
risques de poursuites et mêmede condamnations multiples."118

Section 4- La Libye est en droit d'obtenir l'entraide judiciaire la plus large possible

(art. 11)

A -Le contenu de l'art. 1l

4.44 Comme elle l'a exposédans ses requêtesintroductives d'instance, la Libye estime que

l'art. 11 § 1 oblige le Royaume-Uni et les Etats-Unis à lui accorder l'entraide judiciaire et

pénalela plus large possible pour qu'elle puisse instruire le dossier relatif aux suspects. L'art.

1l § 1dispose en effet :

"Les Etats contractants s'accordent l'entraide j udiciaire la plus large possible dans toute procédure

pénale relative aux infractions. Dans tous les cas, la loi applicable pour 1'exécution d'une demande
d'entraide est celle de l'Etat requis."

Cette disposition reprise elle aussi de la convention de La Haye ne fit pas l'objet de
discussions particulières à Montréal 119;à La Haye, le texte initial du Comité juridique de

l'O.A.C.I. se bornait à énoncer le principe de l'entraide judiciaire obligatoire:

"Les Etats contractants s'accordent, conformément au droit applicable, l'aide judiciaire la plus large
possible dans(Outeprocédurerelative à l'infraction.120

A la suite d'un amendement proposé par la Suisse 121, on précisa davantage que le

droit interne de l'Etat requis s'appliquait à l'exécution d'une demande d'entraide judiciaire.

117 Confér.de La Haye,!, p.74 § 8.
118 Guillaume, G., loc.cit., p.47.
119 Confér.de Montréal, J, pp.65-66, 129, !80.

120 Conjër. de La Haye, II, S.A. Doc. n°4, p.20.
121 Ihid., SA Doc n°13, p.44. 111

En dehors de ce renvoi plus appuyéau droit interne de l'Etat requis, personne ne remit
en cause le principe de l'obligation d'entraide judiciaire énoncéeau texte.

B- L'argumentation des défendeurs

4.45 Lors des audiences sur les mesures conservatoires, le Royaume-Uni soutint que l'art.

Il étaitune disposition secondaire ou annexe ("an ancillary provision") qui ne s'appliquait .

que dans la mesure où il avait étéadmis que le procès pourrait se tenir dans l'Etat requérant.
Or le Royaume-Uni contestait la thèse selon laquelle le procès des suspects pût se tenir en

Libye, et ce, d'autant plus que la convention n'établissait ni priorité, ni exclusivité de

juridiction. Dans ces conditions, transmettre à la Libye les moyens de preuve que le

Royaume-Uni possédaitporterait sérieusement préjudice à la possibilitéde poursuivre un jour
les suspects au Royaume-Uni 122.

4.46 Considéronsces différentsarguments.

a) Dire que l'art. 11 est une disposition annexe, secondaire ou accessoire est une affirmation

subjective qui n'a aucune base en droit international. Ni la convention de Vienne sur le

droit des traités, ni la pratique ne distinguent des dispositions "principales" et des
dispositions "secondaires". Le Dictionnaire Basdevant parle bien de "dause finale",

"protocolaire", "coloniale", "compromissoire", "facultative", etc, mais pas de clause

"principale", "accessoire", "annexe" ou "secondaire" ... 123

De toute façon, chaque disposition d'un traité produit les effets qu'elle prévoit

indépendamment du point de savoir si cette disposition est "principale" ou "secondaire".

Pour le Juge Ajibola, il n'est en tout cas pas douteux que 1'art. 11 § 1 énonce bien un

"droit" :

"... force est de reconnaître que le droit juridique relevant de l'article Il, paragraphe 1, quant à lui,
1
est incontestablementn droit au regard de la convention de Montréalde 197L24

122 C.l.L C.R. 92/3, p.48; CR 9216,pp.l9-20.
123 Dictionnaire de la tenninologie du droit international, Paris, Sirey, .1960.
124 C.l.J ., Recueil, 1992,etp187.112

b) Dire que l'art. Il ne s'applique que si la convention s'applique est d'une logique

inattaquable ... La Libye a montré que la participation éventuelle des agents de 1'Etat à
l'infraction n'empêchait pas la convention de s'appliquer (supra § 4.42); elle montrera

plus loin que les décisions du Conseil de sécuriténe font pas non plus obstacle à son
application (infra, chap. 3).

c) Le fait que la convention n'établit pas de priorité de juridiction n'autorise pas un Etat

partie à ignorer l'obligation clairement exprimée par l'art. 11 § 1. Cet article ne
subordonne pas son application à la question préalable de savoir qui peut exercer la

juridiction. A partir du moment où un Etat partie exerce sa juridiction conformément aux

stipulations de la convention, tout autre Etat partie doit lui apporter sa coopération
judiciaire indépendamment du point de savoir si un autre Etat est également compétent.

L'art. 11 § 1 ne dit pas que 1'entraide accordée à un Etat exclut ce11 e qui pourrait être
accordée à un autre Etat. Dès lors que l'art. 5 § 3 de la convention n'écarte aucune

compétence pénale nationale, il en résulte que plusieurs Etats pourraient exercer
concurremment leur compétence à l'égarddes auteurs d'un mêmefait. Chaque Etat apte

à apporter une assistance pénalepourrait donc êtreamené, conformément à l'art. 11 § 1, à

aider un autre Etat partie.

d) On ne voit pas très bien en quoi la communication des preuves de l'infraction pourrait
compliquer l'exercice de l'action pénale au Royaume-Uni. La Libye ne demande pas au

Royaume-Uni de se dépouiller des pièces originales; des copies certifiées conformes
suffisent parfaitement. Quel que soit le sort réservéà ces pièces, les autorités judiciaires

britanniques peuvent toujours poursuivre les suspects s'il apparaissait clairement qu'ils
étaient coupables et que la Libye n'aurait pas rempli correctement 1'obligation de

répression qui lui incombe en vertu des art. 3 et 7, 2ème phrase de la convention.

Si en pareil cas, la convention de Montréal n'énonce pas la règle non bis in idem (comme

dans la convention de La Haye "afin de ne pas énerver la répression") 125,il demeure que
celle-ci figure à l'art. 14 § 7 du Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966 (ratifié

par le Royaume-Uni le 20 mai 1976). Cela n'empêcherait cependant pas la juridiction
britannique de connaître de l'affaire dès lors que

- selon l'art. 14 § 7, la règle non bis in idem s'applique aux jugements rendus

"confom1ément à la loi ... de chaque pays",

- la convention de Montréal fait partie de la loi libyenne,

125 Guillaume, G., loc. cit., pA7, n 40. 113

si un éventuel jugement d'acquittement ou de condamnation symbolique était rendu

alors que les suspects seraient manifestement coupables, il violerait la convention et ne
serait donc pas conforme à la loi libyenne ...

L'art. 14 § 7 ne pourrait donc faire obstacle à des poursuites ultérieures au Royaume-

Uni.

e) De toute façon, l'art. Il ne prévoit pas que l'octroi de l'entraide judiciaire dépend d'un

jugement d'opportunité de la part de l'Etat requis.

t) Il est frappant de voir le Royaume-Uni refuser de délivrer les preuves qu'on lui réclame
alors qu'en matière d'extradition et en tant qu'Etat requis, il a pendant longtemps

subordonné 1'octroi de 1'extradition à la condition que l'Etat requérant lui apporte un

primafacie case ... !26.Ainsi, lors des discussions de la 3ème Commission de l'A. G. des

N. U. sur le projet de résolution relatif aux Principes de la coopération internationale en

ce qui concerne Ledépistage, l'arrestation, l'extradition et le châtiment des individus
coupables de crimes de guerre et de crime contre l'humanité 127, le représentant du

Royaume-Uni déclare à propos du paragraphe relatif à la coopération que les Etats

doivent s'accorder "pour tout ce qui touche J'extradition":

"En particulier, le Gouvernement du Royaume-Uni ne saurait accepter d'êtrecontraint de prendre des
mesures d'extradition à l'encontre d'un accusé si cette obligation n'est pas assortie de la condition que
des preuves suffisantes de la culpabilité de l'intéressédoivent êtreét128.es"

La seule conclusion que la Libye peut tirer du refus des parties défenderesses d'appliquer

l'article 11 est que les preuves qu'elles possèdent ne sont peut-être pas aussi solides

qu'elles le prétendent en dépit du fait qu'elles résu1teraien t de "the most extensive

criminal investigation ever undertaken into a single crime" !29.

* * *

126 Gilhert, G., Aspects of Extadition Law, Dordrecht, Nijhoff, !991, pp. 56 ss.
!27 A/RES. 3074 (XXVIII), 3 décembre 1973.
12R Doc. ONU, A/C.3/SR. 2022, 9 novembre 1973, § 30.

129 R.U., C.I.J., CR 92/3, p.13. 114

4.47 En conclusion, la convention de Montréal s'applique à l'incident aérien de Lockerbie

et oblige les Etats parties à en appliquer correctement les dispositions. Le Royaume-Uni et
les Etats-Unis doivent donc reconnaître que la Libye est en droit de ne pas extrader les

suspects eu égardau fait que le droit libyen interdit l'extradition des nationaux et eu égard au

fait que l'art. 8§ 3 de la convention de Montréal subordonne l'extradition au droit de l'Etat
requ1s.

Le Royaume-Uni et les Etats-Unis doivent aussi reconnaître que la Libye est en droit

de poursuivre elle-même les suspects (art. 5 § 2-3 et art. 7) et d'obtenir à cet effet l'entraide

judiciaire la plus large possible (art.l).

L'obligation d'appliquer de bonne foi la convention conformément à la règle pacta

sunt servanda (préambule de la Charte des Nations Unies, 3e considérant), règle coutumière
codifiée par l'art.26 de la convention de Vienne sur le droit des traités, implique aussi que les

Parties défenderesses doivent s'abstenir de tout acte susceptible d'affecter les droits de la
Libye.

Plus particulièrement, elles doivent s'abstenir de toute pression visant à empêcher
l'application normale de la convention. La Cour est parfaitement fondée à connaître de cette

demande dès lors qu' elle concerne directement la convention de Montréal. 115

CHAPITRE Il - L'INTERPRETATION DE LA CONVENTION DE MONTREAL
A LA LUMIERE DES REGLES GENERALES DU DROIT

INTERNATIONAL

Section 1 -Introduction

5.1 L'interprétation de la convention de Montréal ne peut êtreeffectuée sans prendre en
considération les règles pertinentes du droit international qui sont applicables dans les

relations entre les parties.

5.2 Pendant le débat oral concernant la demande de la Libye relative à l'indication de

mesures conservatoires, les deux Etats défendeurs ont soulevé des questions relatives à

1'interprétation et à 1'application de la convention de Montréal distincts de celles qu'ils
avaient posées relativement aux pouvoirs que le Conseil de sécuritédétient en vertu de la

Charte. Ainsi :

(a) Madame le Professeur Higgins, pour le compte du Royaume-Uni, a fait
référenceaux articles 5(2), 5(3), 7, 8 (2) et à 1'article.]1

(b) Monsieur Schwartz, pour le compte des Etats-Unis a fait référence à

l'article 7 et à l'ensemble de la convention de Montréa2.

(c) Monsieur Williamson, pour le compte des Etats-Unis a fait référenceaux

articles 7 et 13.

5.3 Les questions relatives à l'interprétation textuelle en tant que telles ont déjàexaminées

(chapitre 1er. Il faut cependant faire remarquer que, dans la présente affaire, les problèmes
d'interprétation qui ont étésoulevés pour le compte des Etats défendeurs se rejoignent tous

sur un point qui est le régimejuridictionnel crée par la convention de Montréal est soumis à

certaines limitations qui ne sont pas exprimées dans le texte de la convention.

CR 9313.pp. 45-48
2 CR 92/4,p. 60-63
3 CR, 92/6, pp. 36-38 116

5.4 La position libyenne est que, quelle que soit l'interprétation à donner au texte de la

convention, il faut présumer que celle-ci a étérédigéedans le but d'êtrecompatible avec les

règles et les principes du droit international général.Cette présomption est particulièrement
importante puisque 1'objet de 1a convention est relatif à des problèmes de compétence

juridictionnelle d'extradition et de souveraineté territoriale qui tombent dans le cadre normal

du droit international général.

5.5 Notamment, une affirmation majeure des deux Etats défendeurs est très exactement
"que la Libye doit, pour des raisons qui n'ont aucun rapport avec la convention de Montréal,

livrer les deux accusés" 4. Dans ce contexte, il est très important de tenir compte du régime

normal d'extradition et de s'en remettre au droit international.

5.6 La Libye soutient également que, dans le processus d'interprétation, il est raisonnable
de présumer que la convention ne peut interprétée dans un sens qui impliquerait

nécessairement une violation des normes fondamentales relatives aux droits de l'homme

reconnues par le droit international général.En particulier, dans les circonstances actuelles,
ainsi qu'on le démontrera ci-dessous, si les deux accusés étaient remis, un procès équitable

serait pratiquement impossible aussi bien au Royaume-Uni qu'aux Etats-Unis.

5.7 Les modalités qui ont étéenvisagées par les Etats défendeurs contiennent un autre

élémentqui pourrait contrevenir aux droits fondamentaux des deux suspects. Dans les mois
qui ont précédé le débutde la présente procédure, les Etats défendeurs ont eu recours à une

politique de menace de force qui, si elle avait étéeffective, aurait pu avoir pour conséquence

l'enlèvement de force des deux suspects au méprisde certaines normes relatives aux droits de
l'homme, notamment l'interdiction de toute arrestation ou détention arbitraire.

5.8 Selon la Libye, une telle procédure de remise coercitive va bien au-delà de ce
qu'attendent les parties à la convention de Montréal et elle n'a jamais étéenvisagée comme

une alternative quelles que soient les circonstances.

4 Mme le Professeur Higgins. CR 92/3, p. 48 ; M. Kreczko, CR 92/4. pp. 25-29 117

Section 2 - La pertinence des règles de droit international applicables entre parties

pour 1'interprétation des traités

5.9 La pertinence du droit international généralimplique deux conséquences :

(a) Le système généralde compétences juridictionneiie créépar la convention doit

êtreprésumé compatible avec les principes pertinents du droit international qUI

régissent l'extradition et la remise informelle des suspects.

(b) En tout cas, à supposer même que, le système de la convention puisse

fonctionner de la manière décrite par les Etats défendeurs, il faut présumer qu'une
telle remise ne peut exécutée dans des conditions qui seraient manifestement

incompatibles avec les normes relatives aux droits de l'homme.

5.10 La présomption exposéedans le paragraphe (b) peut êtreénoncéeplus simplement de

la manière suivante : en cas de doute, les modalités d'application des dispositions de la
convention doivent êtrecompatibles avec le droit international général. La remise des suspects

prévue par les dispositions de la convention de Montréal ne peut êtreinterprétéeque dans le

contexte du droit international général.

5.11 L'article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traitésdispose que:

"Règle généraled'interprétation"

1. Un traitédoit êtreinterprétéde bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du
traitédans leur contexte et à la lumière de son objet et but.

2. Aux fins de l'interprétation d'un traité, le contexte comprend, pour le texte, préambule et
annexes inclus :

(a) Tout accord ayant rapport au traitéet qui est intervenu entre toutes lesàPl'occasion
de la conclusion du traité ;

(b) Tout instrument établi par une ou plusieurs Partàel'occasion de la conclusion du traité
et acceptéar les autres Parties en tant qu'instrument ayant rapport au traité;

3.Il sera tenu compte, en mêmetemps que du contexte :

(a)De tout accord ultérieur intervenu entre les Parties au sujet de 1'interprétation du traité ou
de l'application de ses dispositions;

(b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi
1'accord des Parties à l'égard de l'interprétation du traité ;118

(c) De toute règle pertinente du droit international applicable dans les relations entre les Parties;

4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s'il est établi que telle était l'intention des
Parties. (nous soulignons)

5.12 Comme le note la Commission du droit international dans son Rapport à l'Assemblée

générale, elle "a estimé impossible de considérer que 1'article, pris dans son ensemble,

établissait une hiérarchiejuridique des normes pour l'interprétation des traités"s. De plus, "la
Commission a voulu indiquer que l'application des moyens d'interprétation prévus dans

l'article constituait une seule opérationcomplexe" 6.

5.13 Le Royaume-Uni est partie à la convention de Vienne, mais ni la Libye ni les Etats­

Unis ne l'ont signée.H est, cependant, généralementadmis que les principes contenus dans les

articles 31 et 32 de la convention sont déclaratoires du droit international généraLCe point de
vue a d'ai Ileurs étéadopté par différent tribunaux internationaux, nota rnment la Cour

internationale de Justice dans l'affaire de l'Electronica Sicula S.p.A (ELSI) 7,1'affaire relative

à la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 8, par la Cour inter-américaine des droits de

l'homme dans l'affaire Restrictions on the Death Penalty 9, la Cour européenne des droits de
l'homme, dans l'affaire Lithgow et autres 10,et enfin, par le Tribunal des réclamations Iran­

Etats-Unis, dans l'affaire Iran-Etats-Unis noA/18 ll.

5.14 Le jugement du Tribunal Iran-Etats-Unis (une opinion du Tribunal réuni en séance

plénière)concernait particulièrement le paragraphe 3 (c) de l'article 31 de la convention de

Vienne, et le résultat de la discussion concernant l'interprétation du terme "nationaux"
dépendait de la règle de droit international applicable, qui était celle de la nationalité

dominante et effective. Cette décision est particulièrement importante pour l'affaire qui nous

concerne car les instruments impliquent le règlement de réclamations, comme ceux
concernant les règlements juridictionnels, sont intrinsèquement liés à des question de droit

international général.

5 Annuaire de la Commission du droit international, 1966, II, p. 240, § 8
6 Ibid. (souligparnous), p.239.
7 C.I.J Recueil ,1989, p. 97 (Chambre)

8 C.I.J., Recueil, 1991, pp. 69-70 (§ 48)
9 Avis consultatif du 8 septembre 1983, International Law Report, vol. 70, (§§48-49)66
10 Coureur. D.H., arrêtdu S décembre 1986, sérieA, 11°102,pp.(§114) et in lnrernationa/ Law Reporrs, vol. 75,
p. 483(§1\4)

Il fRAN-US CTR, vol. 5, pp.259-2etin lnternalional Law Reports, vol. 75, pp. 187-188. 119

5.15 En tout cas, le principe contenu dans le paragraphe 3 (c) de l'article 31, qui dispose

que l'on doit tenir compte "de toute règle pertinente de droit international applicable dans les

relations entre les parties", a généralement étéreconnu comme un principe de droit

international généralavant et aprèsla conclusion de la convention de Vienne.

5.16 Dans une décisionen date du 18juillet 1932, l'arbitre, Eugène Borel, affirma que :

"2. As regard the law, the task of the Arbitrator is clearly fixed and circumscribed by the first question

submetted to arbitration. The Arbitrator is to consider the facts only with the purpose in mind of
determining wether or not the United States violated any provisions of the treaties which were signed
between Sweden and the United States of America on April 3, and July 4, 1827.and which, though they

expired on February 4, 1919,were stil in force during the years 1917and 1918.

The first question does not refer to any special article of the said treaties, nor does it make any

distinction between such provisions of the treaties as were relied upon by the parties (either ab initio or
later on) and such other provisions as have not been expressly quoted by them.

On behalf of the United States it has been observed that the Arbitrator is not to base his decision on
principles of international law as such, as his juridiction is limited to consideralion of the question

wether provisions of any of the two treaties mentionned in the special agreement have been infringed.
However just in itself, this observation must not be allowed to lead to a misapprehension. The decision
to be given is undoubtedly to be governed by the treaties, and the Arbitrator is not asked to look for

other rules in the field of international law. On the other hand, it is clear that the treaties themselves are
part of international law as accepeted by borh contracting powers and it may be safely assumed that,
when the said treaties were concluded, both parties considered them as being agreed upon special

provisions to be enforced between them in what may be called the atmosphere and spirit of international
law as recognized by both of them. Particularly, it may be also assumed that it was not the intention of
the parties to adopt provisions which would give their respective nationals rights inferior to those which

they already possesed by virtue of rules of international law recognized binding by bath states" 12.

12 Affaire. du Kronprins CustafAdoff, R.S.A.. vol. II. p.1239, pp.l246-1247. Notre traduc"2.Au regard du droit.

le devoir d"un arbitre est clairement fixé et limitépar la première question soumise à l'arbitrage. L'arbitre doit seule­
ment considérer les faits en ayàn1'esprit qu'i1doit déterminer si oui ou non les Etats-Unis ont violécertaines dis­

positions des traitésqui ont étésignésentre la Suède ct les Etats-Unis d'Amérique le 3 avril l783 et le 4 juillet 1827,
et qui, puisqu'ils expiraient le 4 février 1919, si ces truitésétaientdonc encore en vigueur en 1917 et en 1918.

La première question ne fait pas référenceà un article particulier desdits traités,elle ne fait pas non plus une distinc­
tion entre les dispositions des traitésprises en compte par les((iinitio ou plus tard) ct celles qui n'ont pas été

expressément citéespar eux.

11a étéobservé pour le compte des Etats-Unis que l'arbitre ne doit pas baser sa décision sur les principes de droit
international en tant que tels, car sa compétence est limitée à la prise en compte de la question :;i les dispositions

de l'un des deux traités mentionnés dans le compromis ont étéviolées. Toutefois, cette observation ne doit pas
conduire à un malemendu. La décision qui doit êtrerendue doit indubitablement êtregouvernée par les traités, et
on ne demande pas à 1'arbitre de prendre en considération d·autres règles dans le domaine du droit intcrnati onal.

D'autre pan. il est clair que les traitéseu;o;:-mêmefsont partie intégrante du droit international car ils ont étéaccep­
téspar les deux puissances contractantes et on peul justement affirmer. que, lorsque les dits traités ont étéconclus,

les deux parties ont considéréqu'elles s'étaient mises d'accord pour que des dispositions spéciales soient appli­
quées entre elles dans ce que l'on pourrait appelealrno.~p eth'eserit du droit international que toutes deux

re con naissaient. Particulièrement, on peut également affirmer qu'il n·était pas dans 1'intention120

5.17 Cette affaire est particulièrement intéressante. La référence aux règles de droit

international n'est pas fondéesur un principe distinct d'interprétation des traités,mais découle

d'une recherche consciencieuse de l'intention des parties.

5.18 Examinant les problèmes relatifs à l'interprétation des traités,le juge Hudson affirme

(sous la rubrique "cadre juridique") que:

"Any international instrument must be interpreted in the light of the prevailing international law, by

which the parties must be taken to have charted thei r course" 13.

5.19 Dans son avis consultatif sur les Réparations des dommages subis au service des

Nations Unies, la Cour observait :

"La Cour se trouve ici en présence d'une situation nouvelle. On ne peut répondre la question qui naît de
cette situation qu'en déterminant de quelle manière elle est régléepar les dispositionsde la Charte

interprétées la lumière des principes du droit internation14,"

5.20 Dans 1'affaire relative au Droit de passage sur territoire indien (exception

préliminaire), la Cour affirme : "c'est une règle d'interprétation qu'un texte émanant d'un
Gouvernement doit, en principe, produire des effets conformes et non pas contraires au droit

existant" 15.

5.21 Le passage cité ci-dessus a étépréfigurédans l'une des "règles d'interprétation"

exprimée dans la huitième édition de Oppenheim, éditéepar Sir Hersch Lauterpacht. La

troisième règleest rédigéede la manière suivante :

"(3)It is taken for granted thar the contracting parties intend something reasonable and something not
ineons isten t with generayl recognized pri neies of Interna rional Law, nor with pre viou s treaty
obligations towards third States. If, therefore, the rneaning of a provision is ambigous, the reasonable
rneaning is to be preferred to the unreasonnable, the more reasonable to the less reasonable, the

des parties d'adopter des dispositions qui auraient donnéà leurs ressortissants respectifs des dàceux inférieurs
qu'ils possédaientdéjàen vertu des règlesde droit international reconnues comme obligatoires par les deux Etats."
13 The Permanent Court of International Justice 1920-/94New York, 1943, p. 655 (par. 573). Notre traduction ;

"Tout instrument international doit êtreinteàpla lumièredu droit international dominant, auquel on présume
que les parties ont voulu se soumettre."
14 CLJ., Recueil, 1949, p. 182

15 CU, Recueil, 1957,p. 142 121

consistent with the generally recognized principles of International Law and with previous treaty

obligations towards third States" 16.

5.22 Le mêmeprincipe est reformulépar Sir Hersch dans The Development of International

Lnw by the International Court of Justice:

"ln fact, it would be a mistake toassume that the function of interpretation of treaties, consisting as it

does in ascertaining what was the intention of the part.ies, is a process divorced from the applicalion and
development of customary international law. The eliciting of the intention of the parties is not normally
a task which can be performed exclusively by means of logical or grammatical interpretation. As a rule,

the established canons of construction - which themsel ves partake of the nature of customary law - must
be supplemented by the principle that when the intention of the parties is not clear ilmust be assumed

th at they intented a resuit which is in conformity with general international law. Undoubtedly,
conventional international law may derogate to customary international law, but it is no Jess true that
the former must be interpreted by reference to international custom. ln many case of treaty

interpretation the effect of the treaty will depend on our view a ro the position of customary
international law on the question" 17_

5.23 Le principe en question apparaît explicitement dans le premier paragraphe de l'article

1 de la résolutionadoptéepar l'Institut de droit international à sa session de Grenade en 1956:

"Article Premier

1) L'accord des parties s'étant réalisésur le texte du traité

il y a lieu de prendre le sens naturel et ordinaire des termes de ce texte comme base d'interprétation. Les
termes des dispositions du traité doivent êtreinterprétés dans le contexte entier, selon la bonne foi et à

la lumière des principes du droit international.

2) Toutefois, s'il est établi que les termes employés doivent se comprendre dans un autre

sens, le sens naturel et ordinaire de ces termes est écarté.

16 Oppenheim. Xèmeéd.. éditépar Sir Hersch Lauterpacht, pp.952-53. Notre traduction: "(3) On admet généralement
que les parties contractantes proposent quelque chose de raisonnable.et que la chose qui ne soit pas en contradiction

avec les principes reconnus du droit international. ni avec les obligations contenues dans les traitésprécédemmentsi­
gnésavec les Etats-tiers. Si, toutefois, le sens d'une disposition est ambigu, on doit préférerson sens raisonnable à

son sens déraisonnable,le plus raisonnable au moins, le sens logique à celui qui est contraire aux principes reconnus
du droit international et aux obligations des traitésprécédemmentsignésavec des Etats-tiers".

17 The Development of international Law by the lnternarirmal Court of Justice (London 1958), pp. 27-28. Notre traduc­
tion: "En fait, ce serait une erreur de prétendreque la fonction d'interprétationdes traités,consistant, comme il se

doit dans la véritïcationde ce qu'étailintention des parties, est un processus différentl"application et du déve­

loppent du droit international coutumier. L"édaircissement de l'intention des parties n'est pas normalement un de·
voir qui peut êtreassuréexclusivement par des moyens d'interprétationlogique ou grammaticale. En tant que règle,

les critèresétablisd'interprétationqui tiennent eux-mêmesdu droit coutumier, doivent êtrecomplétéspar le principe
selon lequel, quand l'intention des parties n'est pas claire, on doit présumerqu'elles ont souhaité un résultaien

conformitéavec le droit international général.Indubitablement, le droit international conventionnel peut dérogerau

droit international coutumier. mab il n'est pas moins vwi que le premier doit êtreinterprétépar référenceà la coutu­
me internationale. Dans de nombreuses inte.rprétations,l'effet d'un traitédépendra de ce que nous considérons

comme êtrela position du droit international coutumier sur la question".122

Article 2

1) Danslecasd'undifférend portédevantunejuridictioninternationale,ilincomberaau
tribunal,entenantcomptedesdispositionsdel'articlepremier,d'appréciesri,et dansquellemesure,il
ya lieud'utiliserd'autresmoyensd'interprétation.

2) Parmilesmoyenslégitimed s'interprétesretrouvent:

a)Le recoursauxtravauxpréparatoires;
b) Lapratiquesuiviedans 1applicationeffectivedutraité;
c)Lapriseenconsidératiod nesbutsdutraités1"8.

5.24 Ce principe d'interprétation a étéaffirmé en doctrine à plusieurs reprises depuis la

conclusion de la convention de Vienne. Voir particulièrement les opinions émises par le

Dr. Whiteman 19,M.K.Yasseen 20,Sir lan Sinclair 21,Podesta Costa et Ruda 22,Nguyen Quoc
Dinh, Patrick Daillier et Alain Pellet 23, M. Diez de Velasco 24 et la 9ème édition de

Oppenheim 25.

5.25 Il existe une forte présomption en faveur du fait que les Etats sont liés par des
principes du droit international général,et il appartient donc aux Etats défendeurs d'établir

qu'ils ne sont pas liéspar le principe d'interprétation en question. Il est également nécessaire

de rappeler que dans l'avis consultatif qu'elle rendit dans l'affaire relative à la Namibie, la
Cour souligna que "Les règles de la convention de Vienne sur le droit des traités concernant la

cessation d'un traité violé (qui ont étéadoptées sans opposition) peuvent, à bien des égards,
êtreconsidéréescomme une codification du droit coutumier existant dans ce domaine" 26.

En tout cas, il est aiséde démontrer que les deux Etats défendeurs ont adopté ce principe.

5.26 En ce qui concerne le Royaume-Uni, il est utile de rappeler que le Gouvernement du

Royaume-Uni n'a fait part d'aucun doute ni d'aucune réserve dans les "observations" qu'ils

18 Résolutiodu11-20avril1956A,mwaire,vo1.46p,p.358-359.

19 Whiteman Digest oflmernationLaw,vol.XIV.(septembr1e970),p.384-386.
20 M.K.YasseeL n,'interprétaoenstraits'aprèlsaconventioneVienne surle droitdestraité, .C.A.D.Lv,ol.
151,lll,pp.62-70.
21 1Sinclair,he Vie1maConvention on Law ofTreaties2èrneéditioM, anchester,985, p.138-140.

22 PodcstCostaetRuda, Dereclw international pubvol.2,BuenosAires1985p,.103elp.107.
23 NguyenQuocDinh,PatrickDaillieretAlainPellet,Droit intemational pub4èmcéditionP ,aris1992,p.253
(§172).
24 M.DiezdeVelasco l,stituciones de derecho internationa1,9èmeiéditioM, adrid, 99, p.159-162.

25 Oppenheim I,ternational La9èmeéditionp,arSirRobertJennings andSirArthurWatts,Londres,1992,pp.
1274-1275.
26 C.l.J., Recue1971p, .47§94. 123

présenta sur le texte préfigurant l'article 31 qui avait étépréparépar la Commission de droit
2
international 7. Pendant la Conférence, l'article en question (qui étaitencore 1'article 27) fut
adopté sans aucun vote négatif 28.

5.27 La position adoptée par le Gouvernement américain est similaire à cel1e du

Gouvernement du Royaume-Uni, dans les observations qu'il présenta sur les articles de

l'avant-projet, le Gouvernement des Etats-Unis a accepté, sans aucune équivoque, les "règles
du droit international" comme l'une des "six règles d'interprétation" 29.

5.28 De plus, dans sa propre pratique, le Gouvernement américain a invoqué le droit

international généralcomme source d'interprétation des traités. Deux exemples méritent

d'être rappelés. Tout d'abord, le Mémoire des Etats-Unis dans l'affaire du Personnel
diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéranfait explicitement référencela relation

entre les dispositions pertinentes d'un traitéet le droit international général 30.

5.29 Ensuite, il est significatif que dans l'affaire de l'Electronica Sicula (ELSI) S.P.A.

quand l'Italie s'est fondée sur les règles d'interprétation énoncées à l'article 31 de la

convention de Vienne comme reflétant le droit international coutumier, la Cour remarqua que
c'étaitune "position qui n'a pas étécontestée par les Etats-Unis" 3 .

Section 3 - L'extradition en droit international général

A - L'interprétationde la convention de Montréal

5.30 Il est évident que la question de l'extradition représente une partie importante du droit

international et chaque ouvrage général relatif au droit international consacre des

développements à ce problème et aux questions qui en découlent. C'est pour cette raison, et

27 Annuaire de la Commission de droit international., 1966, Il, p. 51, plus particulièrement pp. 92-93.

28 Conférencedes Nationsnies sur le droit des traités.deuxième session, Publications officielles, p. 57.
29 Annuaire dea Commission de droit international, 1966. Il. p. 51, plus particulièrement p. 93.
30 Voir le Mémoiredu Gouvememel!f des Etats-Unis d'Amérique,janvier 1980, pàpropos des dispositions du
Traitéd'amitié,de commerce et de droits consulaires de 1955.

31 C.LJ., Recueil, 1988, p. 97.124

pour d'autres également, qu'il est évidentqu'un instrument international tel que la convention

de Montréal doit êtreinterprétéet appliqué dans le cadre des règles et des principes du droit

international général.Le problème est intrinsèquement lié à la souveraineté territoriale età la

compétence territoriale. Il y a une grande similarité avec les questions juridiques qui furent
soulevées dans l'affaires du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,

dans laquelle l'Etat demandeur et la Cour constatèrent l'interaction des dispositions du traité

avec les principes du droit coutumier 32.

5.31 Dans la présente affaire, au cours de la procédure relative à l'indication de mesures

conservatoires, tous les membres de la Cour, qui ont étudiéla question de l'interprétation des
dispositions de la convention de Montréal (à l'exception de l'article 14), ont naturellement

insistésur 1'importance du droit international général 33.

B- Il n'y a aucune obligation de livraison sauf en vertu d'un traité

1 - Introduction

5.32 L'article 7 de la convention de Montréal impose 1'obligation aux Parties Contractantes
soit d'extrader l'auteur de l'infraction, soit de soumettre l'affaire à ses autorités compétentes

pour l'exercice de l'action pénale.Si l'on devait accepter que les dispositions de la convention

ne précisent pas la question de la prioritéde compétence (ce que la Libye refuse d'admettre),
il est particulièrement important de prendre en compte le principe généralementaccepté de

droit coutumier selon lequel il n'existe pas d'obligation d'extradition sauf en vertu d'un traité.

32 C.I.J., Recueil, 1980, pp.41-42 (§90-91).

33 Voir la déclarationcommune des juges Evensen, Tarassov, Guillaume et Aguilar Mawdsley, C.I.J, Recueil, 1992, pp.
24-25, §§2-3; celle du juge Bedjaoui, ibid, pp. 38-39, §§ 11-12; M. Weeramantry, ibid., p. 69; celle du juge Ranjeva,
ibid, p. 72, §§ 2-4; celle du juge Ajibola, pp. 81-82, § 3; et celle du juge ad hoc El Kosheri, p. 109, § 55. 125

2- La pratique du Royaume-Uni

5.33 Des incidents impliquant la remise informelle des ressortissants britanniques (ou
putatifs) ont entraîné des protestations de la part du Royaume-Uni respectivement en 1864 et

en 1962. Le premier incident concernait un certain James Thornley, et les conseillers

juridiques de la Couronne britannique ont alors affirmé le principe qu'il n'y avait pas de

devoir de remettre en l'absence d'un traité 34.

5.34 En 1962, M. Greville Wynne, soupçonné d'espionnage, fut arrêtéen Hongrie et

transféréen Union soviétique. Le Gouvernement britannique protesta et critiqua, notamment,

la remise informelle à un pays tiers. L'aide-mémoire qui fut remis au Gouvernement hongrois

expliquait notamment :

"Her Majesty's Minister in Budapest has communicated to me the aid-mémoire handed to him
yesterday afternoon on behalf of your Governement in which it is stated that Mr Wynne has been

extradited to the competent Soviet authorities. 1 do wish you to be in any doubt as to the seriousness
with which 1view this new developement.

Despiste the repeated representations of her Majesty's Minister in Budapest to your Governement, and

Mr Peter Thomas's [Parliamentary Secretary for Foreign Affairs] representations to you on november 8,
her Majety's Consul has still not be allowed to see Mr Wynne. And yet it now appears that a British
subject is to be or has been transferred from one country to another without any opportunity being given
to his own Governement, whose universally recognized duty it is to concern itself with his well-being,

to have access tohim.

If these procedures are to be characterized as those of extradition, it follows that specifie charges must
have been brought against Mr Wynne and that there can be a justification in international law for the

failureof the Hungarian authorities to inform her Majesty' s Minister of these charges. Nor can there be
any conceivable justification for the Hungarian authorities' failure to allow heresty's Consul to see
MrWynne.

Considerations of international law apart, elementary consideration of humanity demand that such
permission have been given by the power which bears the responsability for Mr Wynne's arrest.

1 must protest most strongly to your Excellency about the behaviour of your Government in this matter
and must ask you, in the interest of the relations between our two countries, to inform me without

delays whether Mr Wynne is now on Hungarian territory and what steps the Hungarian Governement
will now take to satisfy her Majesty's Governement as to his welfare and to ensure that he is given
adequate facilities, including access to a consular officer, for the preparationf his defence against
whatever charges have been laid against him" 35.

34 Voir le British Digest of International Law, éditépar Clive Parry, Première phase. vol. 6 p. 640; voir aussi

McNair,lmemationa/ Law Opinions, Cambridge.1956. vol.2.pp.50-51.
35 14 novembre 1962, Contemporary Practice of the United Kingdom in International La1962, Il, p21O. p.212.
Notre traduction: "Le ministre de Sa Majesté à Budapest m'a communiqué l'aide-mémoire qui lui a étéremis hier

après-midi au nom de Votre Gouvernement, dans lequell est établi que M Wynne a étéextradé vers les autorités
compétentes soviétiques.e ne veux pas que vous doutiez du sérieuxavec lequel je m'occupe de cette affaire.126

5.35 Le mêmejour, un aide-mémoire étaitremis à l'Ambassadeur de Hongrie à Londres :

"When 1 saw you this moming, 1 had not heard that steps had been taken at the request of the Soviet
authorities to extradite Mr Greville Maynard Wynne from Hungary into the hands of the Soviet

authorities. This was stated in an aide-mémoire which was handed to her Majesty's Minister in
Budapest yesterday aftemoon. 1 want you to be left in no doubt of the seriousness with which 1view
this development.

As 1have made clear to the Hungarian Minister, it now appears that a British subject is to or has been
transferred from one country to another under procedures which are described as those of extradition

without any oportunity being given to his own Gove1J1ement, whose universally recognizes duty it is to
concem itself with his well-being, to have access to him.

If such treatment is to be characterized as extradition, then it follows that specifie charges must have
been brought against Mr Wynne and that there can be no conceivable justification in international law
for the refusai of the authorities concerned to allow her Majesty's Consul to visit Mr Wynne.

Considerations of international law apart, common humanity requires that such facilities be accorded.

1must therefore ask you to bring to the attention of your Governement my deep concern in this matter. T

must also ask to be informed without delay of the nature of the proceedings instituted against Mr
Wynne by the Soviet authorities, and 1request facilities for him to be visited by a consular officer and
to give a legal aid in his defence"36_

Malgréles démarches successives du ministre de Sa Majestéà Budapest auprès de votre Gouvernement, et celles que

M. Peter Thomas (Parliamenrary Secretary for Foreign A.ffairs) effectua auprès de vous le 8 novembre, le Conseil
de Sa Majesté n'a pas encore reçu l'autorisation de rencontrer M.Wynnc. Il apparaît pourtant aujourd'hui qu'un res­
sortissant britannique doit êtreou a ététransféréd'un pays vers un autre pays sans que son Gouvernement, dont le
devoir universellement reconnu est de protégerson bien-être,ait eu l'opportunité de la rencontrer.

Si cette procédure doit êtreassimilée à celle de l'extradition, cela suppose que des charges suffisantes doivent avoir

étéportéescontre M.Wynne et qu'il n peut y avoir aucune justification en droit international pour l'omission des au­
toritéshongroises d'informer le ministre de Sa Majesté de ces charges. On ne peut pas non plus justifier le refus des
autorités hongroises de permettre au Consul de Sa Majestéde rencontrer M. Wynne.

Au-delà mêmedu droit international, des considérations élémentairesd'humanité exigent qu'une telle permission
soit accordée par le pouvoir responsable de l'arrestation denne.

Je proteste le plus vigoureusement auprès de votre Excellence en ce qui concerne le comportement de votre
Gouvernement sur cette question et vous demande dans l'intérêt es relations entre nos deux pays, de me dire sans
délaisi M. Wynne est encore sur le territoire hongrois et quelles mesures le Gouvernement hongrois compte mainte­

nant prendre pour donner satisfaction qu'il pourra disposer des facilités adéquates, notamment le droit de consulter
un agent consulaire, pour la préparation de sa défensecontre les diverses charges qui ont étésoulevées contre lui."
36 Ibid.., pp. 212-213. Notre traduction: "Lorsque je vous ai rencontré ce matin, je ne savais pas que des mesures

avaient étéprises,à la demande des autorités soviétiques, pour extrader M.Greville Maynard Wynne de Hongrie
dans les mains des autorités soviétiques. Cela est établi dans un aide-mémoire qui avait étéremis au ministre de Sa
Majestéà Budapest hier après-midi. Je ne veux pas que vous doutiez du sérieuxavec lequel je m'occupe de cette af­

faire.

Comme je l'ai fait savoir au ministre hongrois, il apparaît maintenant qu'un ressortissant britannique doit êtreou a

ététransféréd'un pays vers un autre sous une procédure qui est décrite comme celle de l'extradition sans que son
Gouvernement, dont le devoir universellement reconnu est de protéger sans que son bien-être,ait eu l'opportunité de
le rencontrer.

Si cette procédure doit êtreassimilée à celle de !"extradition, cela suppose que des charges suffisantes doivent avoir
étéportéescontre M. Wynne et qu'il ne peut y avoir aucune justification en droit international pour le refus continu

des autoritésconcernées de permettre au ministre de Majestéde rencontrer M. Wynne. Au-delà mêmedu droit in­
ternational, l'humanitéexige que de telles facilitéssoient accordées." 127

5.36 A la base de ces protestations britanniques, il y a plusieurs élémentsdistincts, parmi

lesquels 1'absence de toute possibi1itéde contacts consulaires normaux. Toutefois, l'élément

sous-jacent est le refus par le Gouvernement de S.M. d'une procédure, arbitraire et irrégulière

considérée corn me une forme d' "ex tradition". La dernière édition de Oppenhe im 's

International Law, vol. 1, cite le cas Wynne ainsi que l'affaire Thornley 37 pour appuyer la

proposition selon laquelle l'extradition, en l'absence d'un traité d'extradition, a parfois lieu

"bien que cette extradition ait suscité des protestations de la part d'un Etat tiers dont les

nationaux sont remis dans de telles circonstances" 38.

3 -La pratique des Etats-Unis

5.37 La pratique américaine a toujours étéconforme au principe qu'il n'y a pas d'obligation

juridique d'extrader en 1'absence d'un traité. Cette position est clairement expliquée dans la

partie relative à l'extradition que l'on trouve dans le Digest of International Law éditépar

Whiteman:

"Extradition is a national act. Requesting and granting extradition from or to a foreign State is, apart
from any treaty to the contrary, a prerogative of the national governement of a State.The process
necessarily involves relations between international personalities. It is thus distinguishable from

inters tate rendition in the United Stales which inval ves the rendition, under municipal law, of fugitives
between political subdivisions of the United States, i.e., the severa! States of the Union. lt is also

distinguishable from deportation or expulsion whereby an alien is removed from the territory of a
State for reasons of concern to that State.

Although in the absence of a treaty aState is, under internationallaw, under no legal obligation to do
so, most States may, under their law, extradite fugitives from justice to a foreign State without an
extradition agreement with that State. Nevertheless, most State have entered into extradition

agreement with foreign States. Under United States law the United States may grant extradition only
pursuant to a treaty" 39.

37 Voir supra, § 33
38 Oppenheim 'slntemational Law, vol, 1,9èmcédition,éditépar Sir Robert Jennings et Sir Arthur Watts, pp. 951-2 et

p. 952, note en bas de page Il
39 Vol. 6, Departement of State Publications, 8350, février1968, p. 727, voir égalementpp. 732-733. Notre traduction:

"L'extradition est un acte normal. Demander ct accorder une extradition d'un ou vers un Etat étrangerest, en dehors
de tout traitécontraire, une prérogativedu gouvernement national d'un ELatprocédureimplique nécessairement

l'e:><isteee relations entre deux personnalitésjuridiques internationales. Il faut la distinguer de la remise interéta·
tique aux Etats·Unis qui implique la remise, en droit interne, des fugitifs entre les subdivision politiques des Etats­

Unis, c'est-à-dire les différentsEtats de !'Union. Il faut égalementla distinguer de la déportationou de l'expulsion
par lesquelles un étrangerest renvoyédu territoire de l'Etat pour des raisons particulièresà ce dernier.

Mêmesi en l'absence d'un traité,un Etat n'a en droit international, aucune obligation juridique d'agir ainsi, la plu·

pwt des Etats peuvent, en fonction de leur droit, extrader des fugitifs de leur justice vers un Etat étrangersans aucun128

4 - L'opinion des publicistes

5.38 Les travaux des publicistes de différentes nationalités s'accordent tous pour

reconnaître qu'il n'y a pas d'obligation d'extrader les auteurs d'infractions en droit coutumier.

Le principal ouvrage en langue anglaise admet ainsi (sous la rubrique "Absence de devoir

juridique d'extradition"):

"Although Grotius held that every state has the duty either to punish, orto surrender to the prosecuting
state, such individuals within ils boundaries as have commited a crime abroad, no such rule forms part
of customary international law. On the contrary, states have always upheld their right to grant asylum to

foreign individuals as an inference from their territorial authority, excepting, of course, those cases
whcre a treaty imposes an obligation to extradite them" 40,

5.39 Ce point de vue est confirmé par d'autres auteurs ou ouvrages qui font autorité,

notamment : la Sème édition deOppenheim's International Law 41, le juge Oda 42, D.P.

O'Connell 43, Shearer 4 , T. Stein 45, The Foreign Relations Law of the United States :

Restatement of the Law Third 4 6,et le juge Guillaume 47.

5 -La pratique des autres Etats

5.40 Sans entrer dans le détail, on doit cependant faire remarquer que la pratique suivie par

de nombreux Etats est conforme avec le principe en question. On peut, par exemple, faire

dition avec cet Etat. Toutefois, la plupart des Etats ont signédes au:ords d'extradilion avec les Etats étrangers. Selon
Jedroit américain, les Etats-Unis ne peuvem acco'extradition qu'en vertu seulement d'un traité."

40 Oppenheim 's International Law. 9ème édition. vol. 1. éditépar Sir Robert Jennings and Sir Arthur Watts§ 1992,
4 15, p. 948, plus particulièrement p. 950. Notre traduction: "Mêmesi Grotius affirme que chaqueledevoir

soit de punir soit de remettre à l'Etat poursuivant, les individus se trouvant sur sont territoire après avoir commis un
crime à J'étranger,une telle règle ne fait pas partie du droit international coutumier. Au contraire, les Etats ont tou­

jours maintenus leur droit d'accorder l'asiles étrangerscomme une déductionde leur autorité territoriale, à l'ex­
ception, bien sûr, des cas oùraitéimpose une obligation de les extrader."
4 1 Oppenheim 's lmernarional Law, Sèmeéd.par Sir Hersch Lauterpacht, vol 1,Londres, 1955, p. 696 (§ 327).

42 M. Sorensen, éditeur, Mwwa/ of Public lnremational Lllw, Londres, 1968, pp. 518-519, (chapitre rédigépar M. Je
Professeur Shigeru Oda).

43 D.P. O'Connel!, International Law, 2èmeéd.,vol, Il, londres 1970, pp. 720-721.
44 Shearer, Extradition inlmemarionaLaw, Manchester, 1971, pp. 23-24.

45 T. Stein, in Encydopaedia of Public lnternarional Law éditépar Rudolf Bernhardt, vol. 8, Amsterdam, 1985. pp.
222-223.

46 The Foreign Relations Law of the United Stmes : Resrmemeru of the Law Third; adoptépar 1'Institut de droit améri­
cain, St Paul, Minn. 1987, vol. 1, § 475, p. 559.

47 G.Guillaume, Terrorisme et droit international,.D.I., vol. 215, 1989 (lll), pp. 354-355. 129

référenceà celle du Japon 48, des Pays-Bas 49, de la Belgique 50, de l'Espagne 51, de la

Suisse 52, tous Etats qui subordonnent l'extradition à l'existence d'un traitéou à un principe

de réciprocité.

Cette règle ressort aussi implicitement de la rés.451116 de l'A. G. des N. U. qui établit

un "Traité type d'extradition". Cette résolution souligne à plusieurs reprises la nécessitéde

conclure des traitéspour assurer l'extradition des délinquants. Ainsi, on lit notamment:

"L'Assembléegénérale,

[... ] Convaincue que la conclusion d'accords bilatéraux et multilatéraux d'extradition contribuera
considérablement à accroître l'efficacité de la coopération internationale dans la lutte contre la
criminalité,

[... ] Consciente que dans bien des cas les accords d'extradition bilatéraux sont devenus caducs et
devraient êtreremplacés par des dispositions modernes qui tiennent compte de l'évolution du droit
pénalinternational,

1. Adopte le Traité type d'extradition annexé à la présente résolution, en tant qu'il constitue un cadre
utile, susceptible d'aider les Etats qui le désirentà négocieret à conclure des accords bilatéraux visant à
améliorer la coopération dans le domaine de la prévention du crime et de la justice pénale;

2. lnvute les Etats membres, s'ils n'ont pas encore de relations conventionnelles avec d'autres Etats
dans le domaine de l'extradition, ou s'ils souhaitent réviserleurs relations conventionnelles existantes,
tenir compte, ce faisant, du Traitétype d'extradition;
[..]"

C - Le principe aut dedere aut punire

5.41 Certaines sources présentent le droit dans les termes du principe aut dedere aut punire
(ou judicarel. Ainsi, Bassiouni décrit le principe comme une civitas maxima qui a accédéau

niveau d'un principe de jus cogens du droit international" 53. Le point de vue du Professeur

Bassiouni a étéconfinné par le juge Weeramantry 54

48 Voir Oda et Owada, The Practice of lapan inflllernational Law 1961-1970, Tokyo, 1982, §§ 155 et 163; Japanese

Annua/ of lmernational Law. vol. 18 (1974). pp. 110-120; ibid., vol. 19 (1975), pp. 153-154; ibid. vol. 23 (1979-
1980), pp. 117-120.

49 1967 Extradition Act, art. 2 citépar Kuyper, J.R.H., "The Netherlands Law on Extradition" in lmemationa/ Law in
the Nather/ands, The Hague, Asser Institute, Alphen aan den Rijn, 1979, p. 215.
50 Loi du 15 mars 1874 sur les extraditions, modifiéele 31 juillet 1985, art. 1er, M. B., 17 mars 1874 et 7 septembre

1985.
51 Ley de Extradicion pasiva. 21 mars 1985, B.O.E., 26 mars 1986, citépar Adam Munoz, M.D., "Extradiccion", Rev.

Esp. D. 1., 1987, p. 303.
52 Loi sur l'assistance judiciaire internationale en matière pénale,20 mars 1981, art. 8, I.L.M., 1981, p. 1341.

53 International Extradition: United States Law and Practice, 2èmeéd.1987, p. xvi et pp. 13,22.
54 C.I.J. ,ecueil, 1992, p. 69.130

5.42 Le juge Ranjeva accepte également ce principe comme faisant partie du droit

international général:

"2. Sur la base du droit international général,confirmé par la convention de Montréal, le demandeur
bénéficiedu droit d'option qu'exprime l'adage traditionnel : aut dedere aut judicare, ce droit est

opposable erga omnes et créél'obligation de mener effectivement à terme, dans des conditions
régulières, une procédure relative à l'établissement de la responsabilité pénale dans l'attentat de
Lockerbie. Le défendeur a cependant contesté ce droit du demandeur en le qualifiant d'"illusoire".

3. A l'analyse, la thèse du défendeur paraît contestable dans la mesure où elle commet une confusion.

En effet, ou bien le défendeur met en cause l'efficacité des dispositions de la confusion relatives à
l'extradition, ou bien il conteste le droit du demandeur d'exercer effectivement sa compétence en la
matière. Dans la première hypothèse, il s'agit d'un résultat déplorable qui n'atténue en aucune façon
la nature obligatoire des prescriptions de la convention qui s'imposentà toutes les parties liées par

ledit instrument. Dans la seconde hypothèse, c'est une méconnaissance des "principe généreux de
droit reconnu par les nations civilisées", principes fondés sur l'égalitédes Etats et leur égale aptitude
à assurerl'exécution des obligations de droit international" 55.

5.43 Que le principe de droit international généralsoit vu simplement en termes d'une

absence d'obligation d'extrader le suspect (voir supra, § 32-39) ou en termes du principe aut

dedere aut punire, il est parfaitement clair que, dans aucun des deux cas, il n'y a un devoir
d'extradition. Il est significatif que le système de la convention de Montréal coule le principe

aut dedere aut punire en disposition conventionnelle.

D - La souveraineté territoriale fonde le droit d'octroyer ou de refuser

1'extradition

5.44 Dans l'arrêt qu'elle a rendu dans J'affaire relative au Droit d'asile, la Cour a

délibérémentsouligné que l'aptitude à octroyer ou à refuser l'extradition est une conséquence

naturelle de la souveraineté territoriale. Selon les termes de J'arrêt:

"Dans le cas de l'extradition, le réfugiése trouve sur le territoire de l'Etat de refuge. Une décision
relative à l'extradition implique seulement'exercice normal de la souveraineté territoriale. Le réfugié
se trouve en dehors du territoire où a étécommis le délit et une décision de lui octroyer l'asile ne
déroge nullement à la souveraineté de cet Etat.ns le cas de l'asile diplomatique, le réfugiése trouve

sur le territoire de l'Etat dans lequel il a commis le délit. La décision d'octroyer l'asile diplomatique
comporte une dérogation àla souveraineté de cet Etat. Elle soustrait le délinquant à la justice de celui­
ci et constitue une intervention dans un domaine qui relève exclusivement de la compétence de l'Etat
territorial. Une telle dérogatioà la souveraineté territoriale ne saurait êtreadmise, à moins que le

fondement juridique n'en soit établidans chaque cas particulier" 56.

55 C.I.J., Recueil, 1992, p. 72.
56 C.I.J.,ecueil, 1950, pp.274-275. 131

E ·Le principe selon lequel il n'y a pas d'obligation d'extrader les nationaux

5.45 Les sources semblent généralementadmettre qu'il n'y a pas d'obligation d'extrader les

nationaux sauf en vertu de dispositions conventionnelles expresses. Ce principe, dans le

contexte du processus d'interprétation, constitue un autre élémentde la présomption selon

laquelle la convention de Montréal est compatible avec les principes du droit international

général.

5.46 L'ouvrage qui fait autorité en ce qui concerne la pratique des Etats-Unis, le Digest de

Whiteman, présente le principe de la manière suivante:

"Under the laws of many countries and under many extradition treaties, the extradition of nationals of

the requested States is prohibited or is nonobligatory. This exemption of nationals from extradition
may result from specifie prohibition of their extradition law or from provision that the law or the

treaty providing for extradition app!ies on!y to al.

5.47 Whiteman présente le principe comme une norme générale,tout en acceptant que les

Etats puissent prévoir des exceptions dans leurs législations 58_Ainsi, le Royaume-Uni opère

une distinction entre ses propres nationaux et les autres personnes dont l'extradition de leur

territoire a étédemandée 59.Cependant, le fait que certains Etats consentent à l'extradition

des nationaux ne peut porter atteinte à l'intégralitédu principe général.

5.48 A la lumière de ces éléments,la législation libyenne pertinente prévoit que la remise

de nationaux libyens n'est pas autorisée 60. A cet égard et à d'autres égards, la législation

libyenne est parfaitement compatible avec les dispositions de la convention de Montréal.

57 Whiteman, Digest of International Law, vol. 6, Departement of State Publication, 8350, février 1968, p. 865. Notre
traduction : "En vertu de la léginombren dua<s et en vertu de nombreux d'e~<trad l'te~o<tradition

des nationaux de l'Etat requis est interdite ou non obligatoire. Cette exemption d'extradition des nationaux peUl ré­
sulter d'une interdiction spécifique prévue par la législation de l'Etat en matière d'extradition ou d'une disposition
selon laquelle la loi ou le traitéprévoyantion ne s'applique qu'aux étrangers."

58 Ibid., p. 866.
59 Voir Oppenheim's i11temational Law, 9ème édition, vol. 1, éditépar Sir Robert Jennings et Sir Arthur Watts, pp.

955-6(§418).
60 Article 9 du Code pénallibyen, voir annexe n° 2.132

5.49 En conclusion, l'interprétation sur laquelle ont insistéles Etats défendeurs est insolite.

Les dispositions essentielles de la convention de Montréal ont éténégligéesen tenant compte

des règles du droit international général.Le régime créépar la convention complète celui du

droit international généraLAyant tenu compte du droit positif, il est vraiment peu probable
que les parties à la convention de Montréal aient eu l'intention de retirer l'option de poursuite

devant les tribunaux nationaux.

Section 4 - Les droits fondamentaux de la personne humaine comme limitation à

1'extradition

A- La nature des limitations

5.50 L'objet de cette section consiste à développer la proposition que la remise est toujours
soumise à certaines limitations baséessur les principes concernant les droits fondamentaux de

l'homme qui font partie du droit international général.Le principe selon lequel l'extradition et

la remise sont gouvernées par des normes relatives aux droits de l'homme a étéadmis depuis

longtemps. Les auteurs cités ci-dessous en acceptent le principe (par ordre chronologique) :
Shearer fil,J.H.W. Verzijl fi2T. Stein (il fait référenceaux "droits de l'homme fondamentaux

qui peuvent êtreconsidérés comme faisant partie du "jus cogens") 63, et G. Guillaume

(référenceà la convention européenne des droits de l'homme) 64.

5.51 L'opinion exposée par les auteurs précités implique que la reconnaissance de

l'extradition doit, en toutes circonstances, êtresoumise aux limitations dérivésdes nonnes ou
des principes relatifs aux droit de l'homme qui font désormais partie du droit international

général ou coutumier. Cette position découle de la nécessité logique selon laquelle

l'extradition, en tant que faculté dont chaque Etat dispose, doit êtreappliquée conformément

avec d'autres règles et principe, non moins importants, du droit international.

61 Shearer, Extradition in Jntemarionul Law, Manchester, 1971, p. 86.
62 J.H.W. Verzijl,ternational Law in Historical Perspective, vol. 5, Lp.301. 1972,
63 T. Stein, in Encyclopaedia of Public lnternationa/l.aw, éditépar Rudolf Bernhardt, vol. 8, 1985, pp. 222-23.
64 G. Guillaume, Terrorisme et droit international, R.C.A.D.l., vol. 215, 1989 (lll), pp. 363-64. 133

5.52 Dans ce contexte, il n'est pas surprenant de voir que les organes de la convention

européenne des droits de l'homme ont accepté que, dans certaines circonstances, la remise

d'un étranger à un pays particulier, peut constituer un "traitement inhumain" dans le sens de
1'article 3 de la convention 65.

5.53 A la session de Cambridge, en 1983, l'Institut de droit international a adopté sur "les

nouveaux problèmes de l'extradition"; J'article 4 dispose que:

"lV. la protection des droits fondamentaux de la personne humaine

Dans les cas où il existe de sérieuses raisons de craindre que l'accusé ne soit victime d'une violation
des droits fondamentaux de la personne humaine sur le territoire de 1'Etat requérant, 1'extradition peut
êtrerefusée,quelles que soient la personnalité de l'individu réclaméet la nature de l'infraction dont il

est inculpé"66.

5.54 L'article 4 a étéadopté par 31 voix contre 1, avec abstention 67. L'ensemble de la

résolution a étéadopté par 26 voix, contre 6 abstentions 68.

5.55 Selon la Libye, la résolution adoptée à Cambridge par l'Institut de droit international

est une formulation correcte du droit coutumier en vigueur.

B - Le droit au procèséquitablecomme limitation à la remise

5.56 Il est impossible que les deux suspects obtiennent, dans les circonstances actuelles, un

procès équitable aussi bien en Ecosse, qu'aux Etats-Unis (les bases factuelles de cette

conclusion seront présentéesci-après). La Libye soutient également que Je droit international
généralimpose la condition selon laquelle l'extradition n'est pas permise quand il n'existe pas

une possibilité raisonnable d'organiser un procès équitable.

65 Voir X contre Républiquesfédéraled'Allemagne, 6 octobre 1962, demande n° 1465/62; Annuaire de la Convellfion

européennedes droits de l'homme, vol. 5 (1962), p.256, et l'affaire Soering, Coureur. D.H., sérieA, 11°161, pp. 32-
45.
66 Annuaire de 1'/nstitllfde droit international. session de Cambridge, vol. 60-H, 1984, p. 307

67 Ibid, pp. 279-80
68 Ibid, pp. 282-83134

5.57 Il ne fait aucun doute que les conditions dans lesquelles l'extradition doit avoir lieu
doivent êtrecompatible avec les droits fondamentaux de l'homme comme cela a étéaccepté

par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Soering. Il ne fait également
due process a le statut d'un droit fondamental de la personne
aucun doute que le droit à un
humaine.

5.58 L'Acte final de la Conférence d'Helsinki de 1975 contient une "Déclaration sur les

principes régissant les relations mutuelles des Etats participants". Cette déclaration contient
une partie relative aux droits de l'homme dont l'un des paragraphes stipule que:

"Dans le domaine des droit de l'homme et des libertés fondamentales, les Etats participants agissent
conformément aux buts et principe de la Charte des Nationsies et à la Déclaration universelle des
droits de l'homme. Ils s'acquittent également de leurs obligations telles qu'elles sont énoncéesdans les

déclarationset accords internationaux dans ce domaine, par lesquels ils peuvent êtreliés".

5.59 Il est évident que les Etats participants reconnaissent que les normes relatives aux
droits de l'homme font partie du droit international général: ainsi le Digest of United States

Practice in International Law 69, intègre la Déclaration laquelle il vient d'êtrefait référence

dans le paragraphe précédent sous le titre "droits et devoirs des Etats".

5.60 Le paragraphe de la "Déclaration sur les principes" cités précédemment (paragraphe
5.58) montre que les Etats participants à la Conférence d'Helsinki ont clairement accepté les

obligations incluses dans les Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme. Le
Royaume-Uni et les États-Unis ont, bien évidemment étéparmi les Etats participants, et

comme la Cour a eu l'occasion de 1'affirmer dans l'affaire relative à la Barcelona Traction,

"les droits fondamentaux de la personne humaine" donnent naissance à des obligations erga
01nnes" 70.

5.61 Dans le mêmesens, il est nécessaire de rappeler que l'article 14 du Pacte international

relatif aux droits civils et politiques dispose que :

"l. Tous sont égauxdevant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause

soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi
par la loi, qui déciderasoit du bien-fondé de toute accusation en matière pénaledirigéecontre elle, soit
des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut êtreprononcée
pendant la totalité une partie du procès soit dans l'ites bonnes moeurs, de l'ordre public ou de

69 Départementd'Etat américain,1975, p. 7.
70 C.I.J., Recueil, 1970, p. 32. 135

la sécuriténationale dans une sociétédémocratique, soit lorsque l't e la vie privéedes parties en

cause l'exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l'estimera absolument nécessaire, lorsqu'en
raison des circonstances particulières de l'affaire la publicité nuirait aux intérêtsde la justice;
cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l'intérêtde mineurs
exige qu'il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des
enfants.

2. Toute personne accuséed'une infraction pénaleest présuméeinnocente jusqu'à que sa culpabilité ait

étélégalementétablie."

5.62 A cette fin, l'article V du Projet d'articles élaboré par l'Association de droit

international (International Law Association) sur l'extradition et les actes de terrorisme peut
également êtrerappelé. Cet article invoque "les normes de procès équitable requises par les

règles de droit international applicables" et le Commentaire lie essentiellement cela à l'article

du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 71.

5.63 L'intention affichéedes Etats défendeurs est de soumettre les deux accusés à un procès

et cela ne peut êtrequ'un procès conforme aux normes internationales. L'exigence d'un
procès équitable que l'on trouve dans le premier paragraphe de l'article 14 est un droit

fondamental de la personne humaine. L'article 14 est sujet, dans certaines circonstances

exceptionnelles, à la procédure de dérogation envisagée par l'article 4 du Pacte (danger public

exceptionnel menaçant l'existence de la nation). Mais, on ne peut retenir cette circonstance
dans la présente affaire puisqu'un procès est envisagé. Ainsi, un tel procès doit êtreconforme

ou standard du due process. Dans les circonstances actuelles, étant donné que le droit

international généralest applicable, et puisque les Etats défendeurs ont, si 1'on peut dire, fait
leur choix, il n'est pas question de déroger à l'article 14. Si un procès doit avoir lieu, le

standard applicable est celui du due process.

C- Dans les circonstances de l'espèce,un procèséquitable est impossible

5.64 Dans les circonstances de l'espèce, il n'est pas possible que les ressortissants accusés

aient droit à un procès équitable aussi bien aux Etats-Unis qu'au Royaume-Uni. Pour trois

raisons principales, au moins :

71 Voir Rapport de la Soixallle troisième conférenceorganiséeà Varsovie, 1968, plus particulièrement p. 1040.136

Premièrement, le recours à un matraquage médiatique et à l'exploitation tendancieuse

d'informations qui a caractériséla publication des accusations et des développements qui ont

suivi.

Deuxièmement, particulièrement dans le contexte américain, 1'importante propagande

anti-libyenne.

Troisièmement, l'utilisation constante d'un vocabulaire tendancieux dans les

déclarations officielles présentant les accusés comme "agents libyens" et présumant leur

culpabilité.

5.65 Les déclarations qui ont étépréjudiciables à la perspective raisonnable d'un procès
équitablesont, notamment, les suivantes 72:

(i) Il y a tout d'abord l'importante conférence du Département d'Etat dirigée par
Richard Boucher le 14 novembre 1991. Dans cette conférence, M. Boucher affirme que le

Gouvernement américain n'a aucun doute sur la culpabilité des accusés 73.

5.66 (ii) Il y a une publication du Département d'Etat en date de novembre 1991, et

intitulé Libya's Continuing Responsibility for Terrorism (La responsabilité continuelle de la

Libye dans le terrorisme) 74. Cette publication contient des passages qui vont jusqu'à affirmer
la responsabilité libyenne dans la destruction du vol 103 de la Pan Am 75

5.67 (iii) En avril 1992, le Département d'Etat a publié Patterns of Global Terrorism :

1991 (Modèles du terrorisme global: 1991). Comme la précédente,cette publication présente

la Libye et ses responsables comme une pièce importante sur l'échiquier du terrorisme

international. Dès la première page, le document décritles deux suspects comme "deux agents
libyens" 76.

72 Certains documents repris dans les annexes et cités ci-dessous, comportent des allégations, que la Libye conteste,
concernant la responsabilité deibye et la culpabilité des deux suspects dans l'attentat de Lockerbie. Ces docu­
ments ont pourtant étéjoints au présent mémoire pour en faciliter la compréhension. Leur présence dans les annexes
n'implique évidemment pas reconnaissance par la Libye du contenu de ces allégations.

73 Extrait de la conférence de presse -embre 1991 - périodique du Département d'Etat, voir annexe 11.
74 United States Department of State, Libya ·s Continuing Responsability for Terrorism , novembre 1991, voir annexe
53.

75 Ibid., voir p. 2
76 United States Department of State, Patterns of Global Terrorism : 1991. avril 1992, voir annexe n° 140. 137

5.68 (iv) Dans le communiqué de presse du ministère américain de la Justice, en date du

14 novembre 1991, le ministre de la Justice de l'époque affirme avoir annoncé la mise en

accusation des "deux responsables d'une agence de renseignement du gouvernement de
Libye" 77.

5.69 (v) Enfin, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont présentédes demandes formelles à

la Libye le 27 novembre 1991à propos de l'attentat de Lockerbie. Le texte de la déclaration
spécifiait que la Libye devait :

- "livrer, afin qu'ils soient traduits en justice, tous ceux qui sont accusésde ce crime et assumer 1'entière
responsabilité des agissements des agents libyens;

- Divulguer tous les renseignements en sa possession sur ce crime,compris les noms de tous les
responsables, et permettre le libre accès à tous les témoins, documents et autre preuves matyrielles,
compris tous les dispositifs d'horlogerie restants;

-Verser des indemnités appropriées" 78.

5.70 Cette déclaration est directement liée aux accusations qui on étélancées avec
beaucoup de publicité le 14 novembre 1991.La première et la troisième demande impliquent

clairement la responsabilité étatique de la Libye et, par conséquent de la culpabilité

individuelle des deux accusés.

5.71 La présomption de culpabilité qui apparaît dans les déclarations et les actions des

représentants des deux Etats défendeurs sont amplifiées par les médias aux Etats-Unis et en

Grande-Bretagne. Comme les accusés seraient jugés par un jury dans des pays où 1influence
des médias est dominante, il importe de souligner comment ceux-ci ne peuvent qu'influencer

un jury quelconque.

5.72 A la présomption de culpabilité ressortant avec évidence des déclarations et

agissements des représentants des Etats défendeurs, s'ajoute que les médias aux Etats-Unis et

au Royaume-Uni continuent de se référer aux deux accusés d'une façon hautement

77 Communiqué de presse du ministère américain de la Justice, 14 novembre 199O. annexe 11°1

78 (C'est nous qui soulignoDéclaration publiée par le Gouvernembritannique le 27 novembre transmise le
20.12.1991 par le Représentant du Royaume-Uni auprès de I'O.N.U. et adressée au Secrétaire général.Doc. ONU
N46/826- S/23307, voir annexe n° 45.138

préjudiciable au procès équitable. Concrètement, les accusés devraient se soumettre au

jugement d'un jury dans les sociétésoù l'influence des médiasest envahissante. Le contexte

du traitement des deux accusés par les médias inclut la prolifération de déclarations
officielles, dont les plus significatives ont étéanalyséesci- dessous.

5.73 Il est possible d'identifier trois types distincts de traitement préjudiciable par les
médias. La première catégorie consiste en de nombreux articles vedettes concernant le

terrorisme dans le monde arabe, qui font figurer les deux accusés parmi un ensemble de

personnes présentéescomme des terroristes bien connus. La façon dont Newsweek a couvert

1'attentat contre de World Trade Center constitue un exemple de ce traitement. .

5.74 Newsweek a publiédans son numérodu 8 mars 1993 un "reportage spécial" 79.Celui­

ci étaitintitulé"The Hunt Begins" (La chasse est ouverte). L'article comprenait une sériede
photographies placées sous le titre "The Uses of Terror" (Les usage de la terreur). Les six

photographies étaientintroduites par le texte suivant :

"Last week authorities wouldn't say whether the blast was the work of terrorists. But the United States
has many enemies practised in the art of murder writ large. Among th80...."

5.75 Une des photographies était celle de Lamen Khalifa Fhimah, et la légende indiquait

qu'il était"un des deux agents de renseignement libyens inculpésdans le cadre de l'attentat à

la bombe contre l'avion 103 de la Pan Am".

5.76 Un deuxième type de traitement préjudiciable consiste en des récits détaillésau sujet

de l'affaire de Lockerbie, dans lesquels on affirme que les deux libyens sont les auteurs de
1'attentat, sans avoir égard au fait que les preuves doivent encore êtresoumises à une

appréciation indépendante et que les deux libyens sont accusés mais n'ont pas étéreconnus

coupable par un tribunal. L'article vedette de Newsweek dont il a étéquestion ci-dessus entre

également dans cette deuxième catégorie. Il signale, en termes factuels, que le FBI "a

finalement conclu- aprèstrois ans d'enquête- que les auteurs de l'attentat étaientdeux agents

79 The Hunt Begins, New:nveek, 8 mars 1993, pp. 18-22, voir annexe n° 180.
80 Ibid. Notre traduction: "La semaine dernière, les autorités ne voulaient pas dire si l'explosion étaitl'oeuvre de terro­

ristes. Mais les Etats-Unis ont de nombreux ennemis passés maîtres dans l'art du meurtre sur une grande échelle.
Parmi ceux-ci ..." 139

secrets libyens." 81. L'éditorial publié dans le Daily Telegraph de Londres du 16 novembre

1991 constitue un autre exemple. Dans cet éditorial, on pouvait lire "le nom des deux libyens

soupçonnés d'êtreresponsables de ce massacre d'innocents est maintenant connu" 82.

5.77 Les exemples suivants des médiasbritanniques et américains couvrent la période allant

de novembre 1991 à juillet 1992 83.

- Guardian 14111/91

- Guardian 15/11/91

- Daily Telegraph 15111191
- Daily Mail 15111/91

-Times 15/11191

- Financial Times 15111191

- Financial Times 15/11/91
- lndependent 15/11/91

- Daily Telegraph 16111/91

- Guardian 16/11191
- Sunday Te1egraph 17/11/91

- Dow Jones Wire 27111191

- The Scotsman 29/11/91

- Guardian 28/2/92
- Guardian 28/2/92

- The Independent 6/3/92

- Reuters 17/3/92
- Guardian 28/3/92

- Economist 28/3/92

- Mail on Sunday 5/4/92

- lndependent 16/4/92
-Times 27/4/92

- Independent 1117/92

81 Ibid., p. 22 du "reportage spécial''
82 Dai/yTelegraph, 16 novembre 1991, voir annexe n° 24.
83 Voir annexes° 14, 15, 16,17, 18, 19,20, 21, 24, 25, 30, 49, 52, 100, 101, 109, 114, 122, 123, 128, 133,138 et 156.140

5.78 La troisième catégorie de traitement préjudiciable à un procès équitable consiste en

des articles qui affirment, de manière répétée et sournoise, sans jamais en donner la moindre

preuve, que les deux suspects sont membres des services secrets libyens. Ainsi, dans le Daily

Telegraph de Londres du 15 novembre 1991,un article du correspondant diplomatique était
consacré aux deux suspects libyens. Les premiers paragraphes de cet article étaient rédigés

comme suit:

"The two men wanted for the Lockerbie bomb plot are middle-ranking operatives in Libyan
intelligence,and not the masterminds. Their qualifications are absolute loyalty to Col. Gaddafi and
technical knowledge of airlines and airport security.

Of the two, Abdel Basset Ali Al-Megrahi, 39, is believed to be the more senior, operating under the
cover of chief of airline security.

The other, Al Amin Khalifa Fhimah, 35, if a legman, required for his knowledge of Malta's Luqa
airport, where he had worked as station manager for Libyan Arab Airlines.

lt was at Luqa airport that the bomb suitcase was put on board an Air Malta flight to Frankfurt using
stolen baggage tickets. This detail ensured that the bomb was transferred to a Pan Am flight from

Frankfur to London and thenon the fated jumbo jet.

According to American intelligence 30 percent of Libyan Arab Airlines staff abroad are intelligence
4
officers, Libyan airline employees have been implicated in supplying arms to the l.R.A." 8 .

5.79 On pourait multiplier les exemples de telles affirmations. le Daily Mail de Londres

portait le titre: "les agents secrets libyens accusés de l'attentat de Lockerbie." (15 novembre

1991). On a pu lire des descriptions semblables dans les médias au cours de la période allant

de novembre 1991àjuillet 1992et les exemples sont reproduits en annexe 85.

84 Voir annexe n° 16. Notre traduction: "Les deux hommes recherchés dans le cadre de l'attentat à la bombe de
Lockerbie sont des agents de rang moyen des renseignements libyens. et non les cerveaux. Ils ont étéchoisis pour

leur loyautéabsolue au Colonel Kadhafi et leurs connaissances techniques dans le domaine des compagnies aé­
riennes et de la sécuritédes aéroports.

Abdel BassetAli Al-Megrahi, 39 ans, passe pour êtrele plus important des deux hommes. Il agissait sous le couvert

de Chef de la sécuritéd'une compagnie aérienne.

L'autre,l Amin Khalifa Fhimah, 35 ans, n'étaitqu'une petite main. Il a étéengagépour sa connaissance de l'aéro­

port de Luga à Malte, où il avait travaillécomme Chef de service pour la Libyan Arab Airlines.

C'est à l'aéroportde Luga que la valise contenant la bombe a étéembarquéeà bord d'un avion d'Air Malta à desti­
nation de Francfort, en utilisant des tickets de bagages volés.De cette manière, la bombe a ététransportéeà bord

d'un vol de la Pan Am assurant la liaison entre Francfort et Londres et ensuite à bord du jumbo jet "condamné".

Selon les services de renseignements américains,30 pour cent du personnel de la Libyen Arab Airlines à l'étranger
sont des agents de renseignements. D'autre part, des employésde la compagnie aérienne libyenneon étéimpliqués
dans la livraison d'armes à l'IRA"

85 Voirannexesn° 13, 15, 16, 1, 8,21, 19,20,28,25,24,30,52,85,89,95,96,99, 107,108,114,116,118,119,
121, 123, 128,130,135, 136et 156. 141

- Financial Times 14/11/91
- Guardian 15/11/91

- Daily Telegraph 15/11/91

- Daily Mail 15/11/91
-Times 15/11/91

- Independent 15/11/91

- Financial Times 15111/91
- Financial Times 15/11/91

- Daily Express 16/11/91
- Guardian
16/11/91
- Daily Telegraph 16/11/91

- Sunday Telegraph 17/11/91
- Scotsman 29/11/91

- Independent 21101/92

-New York Times 9/2/92
- Daily Telegraph 17/2/92

- Daily Mail 18/2/92

- Financial Times 25/2/92
- Financial Times 5/3/92

- Daily Telegraph 5/3/92
- Reuters 17/3/92

- Financial Times 18/3/92

- Reuters 23/3/92
- Guardian 24/3/92

- Guardian 27/3/92

- Economist 28/3/92
-Mail on Sunday 5/4/92

- Economist 11/4/92
- Independent on sonday 19/4/92

- Sunday Times 19/4/92

- Independent 11/7/92

5.80 Qu'un Gouvernement placé dans la position analogue à celle où se trouve maintenant

la Libye ne souhaiterait pas remettre ses ressortissants, est illustrée par la décision récente du
Procureur généralirlandais de ne pas recommander l'extradition vers le Royaume-Uni dans

l'affaire Patrick Ryan (13 décembre 1991). Ce dernier, recherché au Royaume-Uni en tant que
suspect dans des actes de terrorisme, a d'abord fait l'objet d'une demande d'extradition142

britannique adressée aux autorités belges. Le Gouvernement belge, au terme de la procédure,
a refusé de répondre favorablement à la demande 86. Après avoir étélibéré,Patrick Ryan est

alors arrivé en Irlande à bord d'un avion militaire belge. Les autorités britanniques ont donc

formulé une nouvelle demande d'extradition adressée cette fois à leurs homologues irlandais.

5.81 Le Procureur généralirlandais a refusé de recommander une réponse favorable à la
demande britannique d'extradition car une série de déclarations officielles avait enlevé toute

possibilité d'organiser un procès équitable au Royaume-Uni. Le parallèle avec les

circonstances présentes est clair et les passages citésci-dessous de la déclaration du Procureur
généralirlandais expliquant sa décision sont lumineux :

"13. In the present case also, matter has been published in Britain which the Attorney General has been

obliged to consider. Before reahing a conclusion with regard to these matters the Attorney General
directed that a full report be prepared for his consideration on the widespread publicity given to this
case in Britain. Such a report was prepared and was submitted to the Attorney General. With the
assistanceof this report and other information avaible to him the Attorney General had the opportunity
of examining the depth and breadth of the material published in Britain to an extent probably not

possible for the most people.

14. The material in question consists of reference to Patrick Ryan which have appeared in newspapers,
particularly in newspapers with a large circulation, and on radio and television, over a protracted period.

They consisted, inter alia, of attacks on Patrick Ryan's general character, often expressed in intemperate
language and frequent] y in the form of extravagant] y worded headlines, and also assertions of his guilt
of the offences comprissed in the warrants and, indeed, assertions of his guilt of other offences in
respect of which no charges have been brought. Many of these statements were expressed in a form
which would lead the public to believe that they came, directlyr indirectly, from sources who were in

possession of facts which conclusively established their truth. It is also clearly apparent that a wide
range of reports contained or were based on information which could only have originated from sorne
official source.

15. An equally serious matter is the making of certain statements in the House of Commons. The tone,

tenor and comments of much of what was said carried an assomption or inference of guilt on the part of
the person named in the warrants issued by the the Court in London. Many members scrupulously
avoided saying anything prejudicial. The prejudicial statements were perhaps, epitomized by the
making of a direct attribution of guilt by one backbench member on the very first day on which the
matter was mentioned and subsequently by the hostile reception received by another member from a
significant number of backbenchers because he qualified the word 'terrorist' with the word 'alleged'.

The House of Commons proceedings were widely and fuly reported in the media. They raised the case
to a unique status and can only have intensified the impact and lasting effect on membersof the public
of what was being published in the written and broadcasting media. Further, the Statements in the
House of Commons must, because of their origin, carry particular weight with potential jurors.

16. That being so, the Attorney General has had to consider whether it is open to him to ignore the
effect of these statments on members of a jury which would try Patrick Ryan if he were extradited to
Britain. He has concluded that he cannot ignoreit.

Every citizen has a constitutional right to a fair trial. The Supreme Court has made it clear that the
Extradition Act 1965 ought not to be operated in such a manners as to violate the constitutional rights of
those afected by its operation, and even where the expressed statutory requirements have been fullfiled,
the Act may not be administrated or applied in a way which would infringe such constitutional rights

86 E. David, Chronique de la pratique belge du pouvoir exécutif.R.B.D.I., 1991 - 1,pp.l99-205. 143

The right to a fair trial includes a right to protection againts the creation of prejudice or animosity in the

minds of potential jurors such as would effeclively deprive a person of the right to a non-biased trial.
The assumption of innocence is not a procedural rule governing the onus of proof at a trial. It is a
fundamental principe of substantive law.

Any decision to prosecute implies no more than that there is an issue to be tried as to whether the

persans charged is guilty or not guilty.

17. In the opinion of the Attorney General the effect of the material which has been published has,

manifestly and inescapably, been to create such prejudice and hostililty to Patrick Ryan that, were he to
be extradited to Britain, it would not be possible for a jury to approach the issue of his guilt or
innocence free from bias. Having regard to the extreme nature and extent of the prejudicial material

published, the Attorney General has had to concluded that this prejudice is irredeemable. No direction
to the jury by the trial judge to ignore the prejudicial matter to which they have been exposed could be

effective in removing the bias which has been created.

18. That being so, the Attorney General is of the opinion that il would be improper, and an abuse of the

process of the courts, to initiate extradition proceedings in this case. The initiation of such proceedings,
in the face of the objective evidence before the Attorney General in the case, would be to operate
legislation in a manner which would violate the constitulional and fundamental rights of the person

affected by its operation.

The due process of law is intended to do justice in each individual case. It would be against the public
interest to abandon thal principle for the sake of broader policy considerations" 87.

87 Déclaration du Procureur généralirlandais du 13 décembre 1988, voir annexe n° 6. Notre traduction: "13. Dans le

cas présent également, l'affaire en question a étépubliée en Grande-Bretagne ct le Procureur générala étéobligé de
prendre cela en considération. Avant d'en arriver à cette conclusion. le Procureur générala demandé qu'un rapport
complet soit préparépour qu'il puisse tenir compte de la large publicité donnée à cette affaire en Grande-Bretagne.

Un tel rapport fut préparéct soumis au Procureur général.Grâce à cc rapport ct à d'autres informations mises à sa
disposition, leProcureur générala cu la possibilité d'examiner la profondeur et l'ampleur des documents publiés en
Grande-Bretagne jusqu'à un point qui n'a probablement pas étépossible pour la plupart des gens.

14. Les documents en question consistent en des référencesà Patrick Ryan apparues dans des journaux, particulière­

ment dans des journaux de grand tirage, à la radio et la télévision,pendant une longue période. Ils consistaient inter
alia, en attaques sur le caractère généralde Patrick Ryan souvent exprimées dans un langage excessif et fréquem­
ment sous la fonne de titres extravagants, et aussi des assertions sur sa responsabilité dans les attentats évoquésdans

les actesd'accusation mais également, des assertions sur sa responsabilité dans d'autres attentats pour lesquels aucu­
ne charge n'avait étéretenue contre lui. Plusieurs de ces déclarations ont étérédigéessous une forme qui a conduit le
publie à croire qu'elles provenaient, directement ou indirectement de sources qui étaient en possession d'éléments
établissant définitivement la vérité.Il est également manifeste que plusieurs rapports contenaient ou étaient basés sur

des informations qui ne pouvaient provenir que de sources officielles.

15. Il a fallu également tenir sérieusement compte de certaines déclarations de la Chambre des Communes. Le ton, la
teneur et le contenu de beaucoup de ce qui a étédit a eu comme conséquence soit l'affim1ation, soit la conclusion de
la culpabilité de la personne nommée dans l'acte d'accusation délivrépar la Cour de Londres. Plusieurs membres on

scrupuleusement évitéde dire quelque chose de préjudiciable. Les déclarations préjudiciable ont peut-être étérésu­
mésdans l'affirmation de la culpabilité de la personne en question par un membre du Parlement le premier jour pen­
dant lequel l'affaire a étémentionnée, et par la suite par l'accueil hostile qu'un autre membre reçut par un nombre
important de parlementaires en raison du fait qu'il avait ajouté au mot 'terroriste" l'adjectif 'prétendu''.le débat de la

Chambre des Communes a étélargement et complètement rapporté par la presse. Les parlementaires ont donné à
cette affaire un statut particulier, ils en ont intensifié l'impact et fait durer l'effet sur le public de ce qui avait déjà été
publié par la presse écrite et audiovisuelle. De plus, les déclarations de la Chambre des Communes peuvent, en rai­

son de leurs origines, avoir une certaine influents sur les jurés potentiels.

16.Dans ces circonstances, le Procureur générala du prendre en considération le fait de savoir s'il lui était possible
d'ignorer les conséquences de ces déclarations sur les membres du jury qui aurait à juger Patrick Ryan s'il était ex­
tradécers la Grande-Bretagne. Il a conclu qu'il ne pouvait l'ignorer.

Chaque citoyen a un droit constitutionnel à bénéficierd'un procès équitable. La Cour suprêmea clairement expliqué

que la loi sur l'extradition de 1965 ne devait pas êtreappliquée d'une manière qui violerait les droits constitutionnels144

5.82 La République d'Irlande fournit un exemple de la réaction d'un Gouvernement

familier avec l'étatde droit ("rule of law") à une situation essentiellement identique à celle à

laquelle doit faire face l'Etat demandeur. De plus, dans l'affaire Ryan, l'Etat qui demandait

l'extradition était le Royaume-Uni. Il est évident que le Procureur généralirlandais considère

le principe en question comme essentiel. 11décrit le droit à un procès équitable comme "un

principe fondamental de droit" (§ 16) et affirme que la mise en oeuvre de l'extradition

"violerait les droits constitutionnels et fondamentaux" de la personne concernée (§ 18).

D - Autres droits de 1'homme pertinents

5.83 Il est évident que l'enlèvement d'un individu contre sa volonté, résultant de

l'utilisation de la force contre sa personne, constitue une violation des droits de l'homme,

entre autres le droit à la sécurité de la personne et le droit de ne pas être soumis à un

traitement cruel, inhumain ou dégradant 88.

de ceux qui sont concernés par cette opération, et que mêmedans les cas où les conditions législatives exprimées ont
étésatisfaites, la loi ne peut pas êtreappliquée manière qui violerait ces droits constitutionnels. Le droit à un
procès équitable implique un droit la protection contre la créationde tout préjugéou de toute personne de son droit à

un procès impartial. La présomption d'innocence n'est pas une règle procédurale qui gouverne la charge de la preuve
à un procès. C'est un principe fondamental de droit.

La décision de poursuivre en justice veut simplement dire que l'on doit régler la question de savoir si une personne

accuséeest coupable ou non coupable.

17. Selon le Procureur général,les documents publics ont, manifestement et inévitablement. pu créerun tel préjugéet

une telle hostilitéà l'encontre deick Ryan qui, s'il étaitextradé vers la Grande-Bretagne, il ne serait pas possible
pourun jury de résoudre le problème de sa culpabilité ou de son innocence sans êtrepartial. Ayant pris en considéra­

tion la nature extrêmeet l'ampleur des documents publiés, le Procureur Généralen a conclu que le préjudice étaitir­
rémédiable.Aucune indication donnée par le juge au jury pour que ce derniertienne pas compte des documents
préjudiciables auxquels, ils ont étéexposésourrait êtreassez efficace pour écarterle préjugéqui a étécréé.

18. Ainsi donc, le Procureur généralpense qu'il serait impropre, et que ce serait abuser de la procédure, de prendre

l'initiative de l'extradition dans cette affaire. En effet, une telle initiative, puisque lealdispose d'une
preuve objective dans cette affaire, aurait pour conséquence d'exploiter la législation d'une manière qui violerait les

droits constitutionnels et fondamentaux de la personne concernée par cette opération.

Le due process of law est destànfaire justice dans chaque cas individuel. Cc serait aller contre l'intérêtpublic que

d'abandonner ce principe au profit de vastes considérationsiques".
88 Voir convention internationale sur les droits civils et politiques, articles 7 et 9, paragraphe 1. La saisie de personnes

soupçonnées de délitspar des agentsun Etat sur le territoire d'un autre Etat. et sans consentement de ce dernier, est
qualifiéed'"enlèvement" dans la littératurejuridique: voir, par exemple, Restatemellt of the law Third, The Foreign

Relations Law of the united States. vol. 1, p. 331 (American Law Institute, 1987). 145

5.84 L'utilisation de sanctions en vertu de la résolution 748 du Conseil de Sécurité,

renforcée à certains moments par des menaces bilatérales de recours à la force contre la

Libye, constituent des circonstances analogues à celles d'un enlèvement. L'intention est de
contraindre par la force institutionnelle du Conseil de sécurité les autorités libyennes à

remettre les deux suspects. Tant en ce qui concerne les autorités libyennes que les deux

individus concernés, cette remise serait réaliséecontre leur volonté et sous la contrainte.

5.85 La remise réalisée dans de telles conditions, et en l'absence de toute justification

légale, constituerait un traitement cruel, inhumain et dégradant et serait incompatible avec les

normes en matière de droits de l'homme qui font partie du droit international général.Une

telle remise constituerait également une violation du droit à la sécuritéde la personne, qui est

également un droit reconnu par le droit international général.

5.86 L'enlèvement en tant que tel a étéreconnu comme une violation du droit international

par des responsabilités du Gouvernement américain. En 1980, l'Office of Legal Counsel

(Bureau du Conseil juridique) du ministère de la Justice a émis l'opinion que, si le
Gouvernement étranger sur le territoire duquel la saisie a eu lieu proteste, 1'enlèvement viole

le droit international 89. En 1989, Abraham Sofaer, Conseiller juridique du Département

d'Etat a, lui aussi, émis l'opinion que les enlèvements du territoire d'un Etat étranger obtenus

par la force étaient contraires au droit des nations 90.

5.87 L'illégalité de l'enlèvement est confirmée par diverses autres sources américaines.

Ainsi, le Restatement of the Law Third prévoitque :

"A state's law enforcement officers may exercice their functions in the territory of another state only
with the consentof the other state, given by duty authorized officiais of that state 91.

89 Voir conception de l'extra-territorialité du Federal Bureau of Investigation (Bureau fédérald'enquêtes),4B Op. Off.

Legal Counsel 543 (1980); citépar Glennon, American Journal of InternaTional Law, vol. 86 (1986), p. 746.
90 Hearing hefore the Subcomm. on Civil and Constitutional Rigllts of the House Comm.. on the .ludiciw:v. 101èCong,
l Sess. 31 (1989); citépar Glennon, op. cit., p. 747.

91 The Foreign Relations Law of the United States (American Law lnstitute), 1987 vol. 1, pp. 328-29 (paragraphe
432(2)). Notre traduction:s fonctionnaires chargés de l'application de la loi d'un Etat ne peuvent exercer leurs
fonctions sure territoire d'un autre Etat qu'avec le consentement de l'autre Etat, donné par des fonctionnaires dû­

ment autorisésde cet Etat".146

5.88 Les Reporters'Notes ajoutées au paragraphe 432 font référenceà différents précédents

internationaux, entre autres la réaction de la Suisse dans l'affaire Jacob de 1935 (enlèvement
par des agents allemands) et la réaction du Conseil de sécurité au sujet de l'enlèvement

d'Eichmann d'Argentine par des agents israéliens 92.

5.89 Dans ce contexte, il n'est pas sans intérêtde faire référenceà la décision rendue par la
Cour suprême des Etats-Unis dans l'affaire Etats-Unis contre Alvarez Machain 93. Cette

décision comportait l'application d'un précédent de la Cour suprême indiquant que

l'enlèvement illégal d'un défendeur ne fait pas obstacle à l'exercice de la juridiction et

donnant également une interprétation controversée du Traité d'extradition signé entre les
Etats-Unis et Mexico. Cette décision a étévivement critiquée par les spécialistes américains,

qui alléguaient qu'elle ignorait manifestement les principes pertinents du droit international

généralen matière d'enlèvements obtenus par la force. De telles critiques ont étéformulées

par le Professeur Louis Henkin, Président de l'American Society of International Law 94 et

par le Professeur Michael J. Glennon 95. Il ne fait aucun doute que ces critiques sont
justifiées. Cependant, il est significatif que la Cour a évitéd'adopter la proposition selon

laquelle les enlèvements étaientpermis en droit international. Au contraire, la Cour admet que

1'enlèvement "peut êtreune violation des principes du droit international général" 96.

92 Ibid., pp. 331-32.
93 60 U.S.L.W. 4523 (U.S 15juin 1982)(n° 91-712).

94 ASIL News/euer, janvier-février 1993.
95 American Journal of International Law, vol. 86, 1992, pp. 746-56.
96 60 U.S.L.W. at 4527. 147

E - Dans ces circonstances, l'extradition est incompatible avec les principes des

droits fondamentaux de la personne humaine

5.90 Si J'on estime que la Cour de Montréal est ambiguë, alors selon les principes inclus

dans l'article 31 de la convention de Vienne, "il sera tenu compte ... (c) de toute règle

pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties". Les exigences
relatives aux droits de l'homme pour un procès équitable constituent une règle pertinente à ce

sujet. Cette approche représente un moyen efficace de rechercher l'intention des parties.

Comme la souligné Sir Hersch Lauterpacht, "quand l'intention des parties n'est pas claire, on

doit supposer qu'elles ont envisagéun objectif en conformité avec Jedroit international" 9 .

5.91 Comme la Cour européenne des droits de J'homme l'a souligné dans l'affaire Go/der,

le droit d'accès à un tribunal est un aspect de la règle de droit 98 et l'on doit présumer que la

Cour faisait référenceà l'accès à un tribunal sur la base du standard du due process. Comme

le Procureur générald'Irlande l'a observé: The due process of law is intended to do justice in

each individual case. It would be against the public interest to abandon that principle for the

sake of broader policy considerations" 99.

97 Citéau § 5.22.
98 Affaire Go/der. arrêtdu 21 février 1975, Cour cur. D.H., sérieA, n°18, pp.l7-18, § 35-36, et in lntemmional Law

Reports, vol. 57, pp. 217-18.
99 Voir§ 5.79, le dernier paragraphe de la déclaration. Notre traduction: "Le due process of law est destinéà faire justi­
ce dans chaque cas individuel.serait aller contre l't ublic que d'abandonner ce principe au protït de vastes

considérations politiques".148

QUATRIEME PARTIE

LES EFFETS DES RESOLUTIONS DU CONSEIL DE SECURITE SUR
LES OBLIGATIONS DES PARTIES

6.1 La présente partie du mémoire est consacrée à l'incidence des résolutions 731 (1992),

748 (1992) et 883 (1993) du Conseil de sécuritésur le différend soumis à la Cour. Cette

analyse est subdivisée en quatre parties:

- Il est procédé d'abord à l'analyse de la portée des résolutions 731 (1992) et 748 (1992). Il

en ressort, en substance, que ces résolutions n'exigent pas de la Libye qu'elle livre ses
nationaux au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis (chapitre 1);

- Il est exposé ensuite que la Libye a pleinement satisfait aux exigences du Conseil de
sécuritéqui sont susceptibles d'affecter la procédure devant la Cour (chapitre Il);

- Il sera procédéen troisième lieu à l'analyse de l'incidence des résolutions 731 (1992) et
748 (1992) sur la procédure devant la Cour, au cas où l'interprétation susmentionnée devait

êtrerejetée. Il sera exposé que, dans la mesure où elles exigeraient de la Libye'elle livre

ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, lesdites résolutions seraient contraires à
la Charte des Nations Unies. Elles seraient de ce fait, et dans cette mesure, inopposables à

la Libye, de sorte qu'elles n'affecteraient pas plus la procédure devant la Cour (chapitre

fiT);

- Enfin, il sera procédéàun bref commentaire de la résolution 883 (1993) (chapitre IV).

CHAPITRE 1 - ANALYSE DES RESOLUTIONS 731 (1992) ET 748 (1992) : LE

CONSEIL DE SECURITE N'EXIGE PAS QUE LA LIBYE LIVRE
SES NATIONAUX AUX ETATS-UNIS OU AU ROYAUME-UNI

6.2 Il est procédéà l'analyse de la résolution 731 (section 1), puis de la résolution 748

(section 2), dontil ressort que le Conseil de sécuritén'exige pas de la Libye qu'elle livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. 149

L'interprétation desdites résolutions au regard de la Charte et du droit international

généralet conventionnel, renforce cette conclusion (section 3).

Section 1- La résolution731 (1992) du Conseil de sécurité

6.3 Dans sa résolution731 (1992) du 21 janvier 1992 1,

"Le Conseil de sécurité

Profondément troublépar la persistance, dans le monde entier, d'actes de terrorisme international sous
toutes ses formes, y compris ceux dans lesquels des Etats sont impliqués directement ou indirectement,
qui mettent en danger ou anéantissent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les relations
internationales et peuvent compromettre la sécuritédes Etats,

Gravement préoccupépar tous les agissements illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et

affirmant le droit de tous les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du
droit international, de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une
menace à la paix età la sécuritéinternationales,

Réaffirmant sa résolution 286 (1970) du 9 septembre 1970, par laquelle il demandait aux Etats de

prendre toutes les mesures juridiques possibles pour empêcher toute ingérence dans les liaisons
aériennes internationales civiles,

Réaffirmant également sa résolution 635 (1989) du 14 juin 1989, par laquelle il condamnait tous les
agissements illicites dirigés contre la sécuritéde l'aviation civile et demandait à tous les Etats de

coopérer à la mise au point et à 1'application de mesures visant à prévenir tous les actes de terrorisme, y
compris ceux qui sont commis au moyen d'explosifs,

Rappelant la déclaration faite le 30 décembre 1988 par le Président du Conseil de sécuritéau nom des
membres du Conseil condamnant fermement la destruction du vol PAN AM 103 et appelant tous les

Etats à apporter leur aide afin que les responsables de cet acte criminel soient arrêtéset jugés,

Profondément préoccupé par ce qui résulte des enquêtes impliquant des fonctionnaires du
Gouvernement libyen et qui est mentionné dans les documents du Conseil de sécuritéqui font étatdes
demandes adressées aux autorités libyennes par les Etats-Unis d'Amérique (S/23309, S/23308,

S/23317), la France (S/23306, S/23309) et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
(S/23309, S/23307) liéesaux procéduresjudiciaires concernant les attentats perpétréscontre les vols de
laPan American et de l'Union des transports aériens,

Déterminéà éliminer le terrorisme international,

1. Condamne la destruction du vol Pan American 103 ct du vol 772 de l'Union des transports aériens
ainsi que la perte de centaines de vies humaines qui en est résultée;

2. Déplore vivement le fait que le Gouvernement libyen n'ait pas répondu effectivement à cc jour aux
demandes ci-dessus de coopérer pleinement pour l'établissement des responsabilités dans les actes

terroristes susmentionnés contre les vols 103 de la Pan American et 772 de l'Union des transports
aériens;

3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une réponse complète et
effective à ces demandes afin de contribuer à l'élimination du terrorisme international;

V. annexe n• 82, où figure également le texte anglais de la résolution.150

4. Prie le Secrétaire généralde rechercher la coopération du Gouvernement libyen en vue d'apporter
une réponse complèteet effective à ces demandes;

5. Demande à tous les Etats d'encourager individuellement et collectivement le Gouvernement libyen à
répondrede façon complète et effective aux demandes susmentionnées;

6. Décidede rester saisi de la question."

6.4 Les demandes auxquelles renvoie la résolutions sont les suivantes :

Le document S/23307 du 31 décembre 1992 reprend en annexe le texte de la

déclaration faite par le Lord Advocate of Scotland le 14 novembre 1991 concernant 1'enquête

sur la destruction du vol Pan Am 103, ainsi que le texte de la déclaration du Ministre des

Affaires étrangèresdu Royaume-Uni au Parlement, de la mêmedate. Voici quelques extraits

de la déclaration du Lord Advocate of Scot/and, que nous citerons dans sa version anglaise
originale

"lt is alleged that Megrahi is a senior officer of the Libyan Intelligence Services, holding positions with

Libyan Arab Airlines and as Director of the Center for Strategie Studies in Tripoli at the time of these
offences.

lt is alleged that Fhimah was also an officer of the Libyan Intelligence Services, holding a position as
Station Officer with Libyan Arab Airlines in Malta.

The first charge in the petition is that between 1 January 1985 and 21 December 1988 [suit
l'énumérationdes divers endroits où les faits auraient étécommis]

Being members of the Libyan Intelligence Services, and in particular Megrahi being the Head of
Security of Libyan Arab Airlines and thereafter Director of the Center for Strategie Studies, Tripoli,

Libya and Fhimah being the Station Manager of Libyan Arab Airlines in Malta. ·

Did conspire together and with others to further the purposes of the Libyan Intelligence Services by
criminai means, namely the commission of acts of terrorism directed against nationals and the interests
of other countries and in particular the destruction of a civil passenger aircraft and murder of its
occupants. (..)

[suit une énumération chronologique des diverses activités des suspects, et l'énonciation des
accusations alternatives]

A demand is being made to Libya for the surrender of these men for trial. (..)

The terms of the United States indictment and the Scottish petition have been drawn up in full
consultation. (..)

This does not mark the end of the police investigation, although it plainly marks the most important
public development to date in this unique criminal inquiry. (..)

1 remain committed to bring this matter to a proper conclusion in a Court of Law whether it is to be in
this country orin the United States." 2

2 V. annexe n°8. La traduction figurant dans la version française du document S/23307 n'est pas entièrement

conforme au texte anglais d'origine: Les deux paragraphes de la citation anglaise ci-deprécisant qu'il est 151

La déclaration du Ministre des Affaires étrangèresdu Royaume-Uni offre un résumé

de ce qui précède.

Le document S/23317 du 23 décembre 1991 contient l'acte de mise en accusation

délivréle 14 novembre 1991 par le United States District Court for the District of Columbia

au sujet de l'attentat sur le vol Pan Am 103 3.

Le document S/23308 du 31 décembre 1991 reprend le texte d'une déclaration des

Etats-Unis concernant la destruction du vol Pan Am 103, qui présente le texte d'une

déclarationconjointe des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Aux termes de cette déclaration,

"Les Gouvernements britannique et américaindéclarentce jour que le Gouvernement libyen doit:

li vrer, afin qu'ils soient traduits en justice, tous ceux qui sont accusés de ce crime et assumer la

responsabilitédes agissements des agents libyens;

divulguer tous les renseignements en sa possession sur ce crime, y compris les noms de tous les
responsables, et permettre le libre accèsà tous les témoins,documents et autres preuves matérielles,

y compris tous les dispositifs d'horlogerie restants;

- verser des indemnitésappropriées.

Nous comptons que la Libye remplira ses obligations promptement et sans aucune réserve."4

prétendu que les suspects seraient des me111bresdes services de renseignementlibyens ("it ia/leged'")Le texte
fran<;ais ci-après omet cette précision:
"Mcgrahi est un officier supérieur des services de renseignements libyens, exerçant des fonctions aux Libyan Arab

Airlines et Directeur duentre des études stratégiques àTripoli lors de ces crimes. Fhimah étaitaussi un officier du
renseignement libyen, Directeur'agence des Libyan Arab Airlines à Malte.
Le premier chef d'accusation est qu'entre le 1er janvier 1985 et le 21 décembre 1988, [suit l'énumérationdes divers

endroits où lesai turaient étécommis].

Etant membres des services de renseignements libyens, Meghrahi, Directeur des services de sécuritédes Libyan Arab

Airlines puis Directeur du Centre d'études stratégiques à Tripoli (Libye) et Fhimah, Directeur d'agence des Libyan
Arab Airlines à Malte.

Ont comploté, entre eux et avec d'autres, pour servir les fins des services de renseignement libyens par des voies
criminelles, à savoir la perpétration d'actes de terrorisme contre des nationaux et les intérêtsd'autres pays et, en
particulier, la destruction d'un avion civil et l'assassinat des passagers [suit une énumérationdes diverses activités des

suspects, et l'énonciation des accusations alternatives].

Une demande est acmellement adressée à la Libye de façon que les deux hommes soient livrésà la justice.

Les termes de 1'acte d'accusation rendu pub!ic aux Etats-Unis et de celui prononcé en Ecosse ont étérédigésen
étroiteconsultation. (..)

L'enquête de police n'est pas terminée, mais il s'agit aujourd'hui de la phase publique la plus importante d'une
instruction criminelle, unique en son genre.

(..) Je continuerai à m'efforcer de faire en sorte que cette affaire aboutisse à la conclusion qui convient devant un

tribunal, que ce soit dans ce pays ou aux Etats-Unis."
3 V. annexe n°7.
4 V. annexe n°46. En anglais: "The British and American Government today declare that the Government of Libya

must:152

Le document S/23309 du 31 décembre 1991 reprend le texte d'une déclaration des

Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni sur le terrorisme, en date du 27 novembre 1991:

"Les trois pays réaffirment leur condamnation totale du terrorisme sous toutes ses formes, et dénoncent

toute implication des Etats dans les menées terroristes. Les trois pays réaffirment leur volonté d'y
mettre un terme.

Ils considèrent que la responsabilité des Etats est engagée dès lors qu'ils participent directement à de
telles actions ou indirectement par l'accueil, l'entraînement, les facilités accordées, l'armement, le

soutien financier, ou les protections de toutes sortes, et qu'ils en sont responsables devant les autres
Etats etdevant les Nations Unies.

Dans ce contexte, et à la suite des enquêtes effectuées sur les attentats relatifs aux vols Pan Am 103 et
UTA 772, les trois pays ont adressé aux autorités libyennes des demandes spécifiques liées aux

procédures en cours. Ils exigent que la Libye accède à toutes ces demandes, et en outre qu'elle s'engage
de façon concrète et défïnitive à renoncer à toute forme d'action terroriste et à tout soutien apporté à des
groupements terroristes. La Libye devra apporter sans délai par des actes concrets les preuves d'une
telle renonciation." 5

Enfin, le document S/23306 du Conseil, en date du 31 décembre 1991, reprend en

annexe le texte d'un communiqué de la Présidence de la République française et du Ministère
des Affaires étrangèresconcernant l'enquêtejudiciaire sur l'attaque du vol UTA DC-10 du 19

septembre 1989. Ce communiqué est ainsi rédigé:

"L'instruction judiciaire conduite sur l'attentat contre le OC 10 d'UTA qui a fait 171 morts le 19

septembre 1989 laisse peser de lourdes présomptions de culpabilité, dans ce crime odieux, sur plusieurs
ressortissants libyens.

C'est pourquoi (...) le Gouvernement français réitère sa demande aux autorités libyennes de coopérer
immédiatement, efficacement et par tous les moyens avec la justice française afin d'aider à établir les

responsabilités dans cet acte terroriste.

Pour cela, la France demande à la Libye :

- D'apporter toutes les preuves matérielles en sa possession et de faciliter l'accès à tous les documents
utiles à la manifestation de la vérité;

- surrcnder for trial ali those chargcd with the crime: and accept responsibility for the actions of Libyan officiais;

- disclose ali it knows of this crime, including the names of ali those responsible, and allow full access to ali
witnesses, documents and other materialevidence, including ali the remaining timers."

5 V. annexe 47. En anglais: "The three States reaffirm their complete condemnation of terrorism in ali its fonns and
denounce any comp!icity of States in terrorism acts. The three States reaffirm their commitment to put an e10
terrorism.

They consider that the responsibility of States begins whenever they take part direct!rorist actions, or indirectly
thrcugh harbouring, training, providing facilities, arming or providing financial support, or any form of protection,

and that they are responsib!efor their actions before the individual States and the United Nations.

ln this connection, following the investigation carried out into the bombings of Pan03rand UTA 772 the three

States have presented specifie demands to the Libyan authorities re10tthejudicial procedures that are under way.
They require that Libya comply with ali these demands, and, in addition, thm Libya commit itself concretely and
definitivelytocease ali forms of terrorist action and ail assistance to terrorist groups. Libya must promptly, by
concrete actions, prove its renunciation of terrorism.'' 153

- De faciliter les contacts et les rencontres nécessaires,y compris pour recueillir des témoignages;

- D'autoriser les responsables officiels libyens à répondre à toute demande du juge d'instruction
chargéde l'information judiciaire." 6

6.5 Il est exposé ci-après que la résolution 731 n'exige pas de la Libye qu'elle livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Elle vise un règlement du différend entre la

Libye, d'une part, et les Etats-Unis et le Royaume-Uni d'autre part, de commun accord entre

ces parties et conformément au droit international.

Cette conclusion s'impose au regard des termes mêmesde la résolution 731 (A). Elle

est entièrement confirmée par les travaux préparatoires de la résolution, tels qu'ils ressortent

des déclarations faites par des Membres du Conseil lors de l'adoption de la résolution (B).

A - Les termes mêmesde la résolution 731 excluent que le Conseil exige de la

Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni

6.6 De par ses termes mêmes,la résolution 731 n'oblige nullement la Libye à livrer ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Ceci résultede ce que la résolution ne formule

aucune obligation juridique à charge de la Libye (par. 1), mais surtout de la portéemêmede la

demande du Conseil (par. 2).

6 V. annexe n°64. En anglais: 'The judicial inquiry conducted with regard to the attack on the UTA DC-10, which

resultedin 171 deaths on 19 September 1989 places heavy presumptions of guilt for this odious crime on several
Libyan nationals.

Accordingly, ... the French Government reiterates its dcmand that the Libyan authorities cooperate immediately,
effectively and by ali possible means with French justice in arder to help to establish responsibility for this terrorist
act.

To that end, France calls upon Libya:

- To produce ali the material evidence in its possession and to facilitate access to ali documents that might be useful
for establishing the truth.

- To facilitate the necessary contacts and meetings, inter alia, for the assembly of witnesses.

- To authorize the responsible Libyan officiais to respond to any request made by the cxamining magistrate
responsible for judicial information."154

1- La qualification juridique de la demande: la résolution 731 ne formule

aucune obligation juridique à charge de la Libye

6.7 La résolution 731 n'énonce aucune obligation juridique à charge de la Libye. De fait,

dans le troisième paragraphe du dispositif, le Conseil

"Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une réponse complète et
effective à ces demandes afin de contribuer à l'éliminationdu terrorisme international;"

Cette 'demande' tranche avec la 'décision' qu'adoptera le Conseil ultérieurement,
dans sa résolution 748 (cfr. infra). Son caractère non juridiquement obligatoire ressort encore

du quatrième paragraphe du dispositif, où le Conseil

" Prie Je Secrétaire généralde rechercher la coopération du Gouvernement libyen en vue d'apporter
une réponsecomplète et effective à ces demandes;"

6.8 De fait, la résolution 731 n'a pas étéadoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte.

Ceci est confirmé a posteriori par la résolution 748 7,dont le dernier paragraphe introductif se

lit:

"Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte".

Le Conseil a, depuis le 2 août 1990, l'habitude d'introduire ainsi ses résolutions en

vertu du Chapitre VII de la Charte. L'on peut donc déduirede la seule absence de cette phrase
dans la résolution 731, qu'elle ne constitue pas une résolution en vertu du Chapitre VII.

La résolution 731, il est vrai, contient une référenceau Chapitre VII de la Charte.

Dans le deuxième paragraphe introductif, le Conseil affirme

"le droit de tous les Etats (..) de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui
constituent une menace à la paix et la sécuritéinternationales."

Ceci n'est toutefois pas une 'constatation' d'une menace contre la paix, au sens de

l'article 39 de la Charte. Le Conseil n'a procédéà cette 'constatation' qu'ultérieurement, dans
le 7ème paragraphe introductif de la résolution 748, qui se lit:

7 V. annexe n·I24. 155

"Constatant, dans ce contexte, que le défautde la part du Gouvernement de la Libye de démontrer, par
des actes concrets, sa renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquemànrépondreu

de manière complète et effective aux requêtescontenues dans la résolution 731 (1992) constituent une
menace pour la paix et !a sécuritéinternationales;"

Le deuxième paragraphe introductif de la résolution 731, précité,ne peut d'ailleurs
grammaticalement constituer une 'constatation' au sens de l'article 39 de la Charte. Ceci

résulte de 1'absence de virgule entre les termes "actes de terrorisme international" et les
termes "qui constituent une menace pour la paix et la sécuritéinternationales" Le texte anglais

8 de la résolution présente la mêmecaractéristique: il n'y a pas de virgule entre les termes

"acts of international terrorism" et les termes "that constitue threats ta international peace
and security",

En l'absence d'une virgule les termes 'qui' et 'that' sont des propositions relatives
déterminatives. Le texte adopté par le Conseil signifie alors que certains actes de terrorisme

international - qui sont indéterminéset indéterminables - constituent une menace contre la
paix et la sécuritéinternationales: le 2ème paragraphe introductif de la résolution 731 ne peut

prendre son sens qu'au regard d'une détermination ultérieure, en quelque sorte annoncée,

constatant qu'une catégorie particulière d'actes terroristes, ou un acte terroriste spécifique,
constituent une telle menace.

2- Le contenu de la demande: le Conseil ne demande pas à la Libye de livrer

ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni

6.9 Il est montré ci-après que le Conseil ne demande pas à la Libye de livrer les suspects

aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Par ses termes mêmes,la résolution 731 vise à permettre
un règlement du différend de commun accord entre les parties conformément au droit

international. Ceci signifie, en premier lieu, que la résolution 731 relève du Chapitre VI de la

Charte. En deuxième lieu, il en résulte que la résolution ne précise pas de 'termes de
règlement' au sens de l'article 37 de la Charte.

6.10 Le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies:

Le deuxième paragraphe introductif montre déjà que le Conseil ne demande pas à la

Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Le Conseil y affirme

8 V. annexe n°82.156

le droit de tous les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit
international, de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme internationalqui constituentune

menace à la paix et à la sécuritéinternationales;" (nos italiques)

L'objectif poursuivi par le Conseil doit donc êtreatteint conformément aux principes

du droit international. Ceci implique déjà une claire dissociation entre les exigences du

Conseil, d'une part, et les demandes anglo-américaines d'autre part. En effet, comme il est
amplement exposé ailleurs dans ce mémoire 9, ces demandes ne sont pas conformes aux

principes du droit international : d'une part, la demande angJo-américaine de li vrer les

nationaux libyens est contraire au droit coutumier et conventionnel applicable, qui exclut

l'extradition obligatoire par un Etat de ses propres nationaux; d'autre part et surtout, la
livraison des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni serait contraire au jus cogens, dès

lors que le procès équitable ne peut y êtregaranti.

6.11 Le renvoi aux demandes anglo-américaines et françaises et leur reformulation par le

Conseil:

Le Conseil de sécurité se distancie encore des demandes anglo-américaines et

françaises en y renvoyant, plutôt que d'en reprendre les termes: Le Conseil,

"Profondément préoccupé par ce qui résulte des enquêtes impliquant des fonctionnaires du
Gouvernement libyen et qui est mentionné dans les documents du Conseil de sécuritéqui font état des
demandes adressées aux autorités libyennes par les Etats-Unis d'Amérique (S/23309, S/23308,
S/23317), la France (S/23306, S/23309) et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

(S/23309, S/23307) liées aux procédures judiciaires concernant les attentats perpétréscontre les vols de
la Pan American et de l'Union des transports aériens,

Déplore vivement le fait que le Gouvernement libyen n'ait pas répondu effectivement à ce jour aux

demmules ci-dessus de coopérer pleinement pour l'établissement des responsabilités dans les actes
terroristesusmentionnés contre les vols 103 de la Pan American et 772 de l'Union des transports
aériens;

3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apponer immédiatement une réponse complète et

effectiveàces demandes afin de contribuer àl'éliminaion du terrorisme international;" (nos italiques)

Le renvoi auxdites demandes n'équivaut nullement à leur formulation expresse dans la

résolution. La résolution 748 le confirme, qui reprend expressément la demande franco-anglo­

américaine concernant la renonciation de la Libye au terrorisme, mais persiste à renvoyer aux
autres demandes, dont celle de livrer les suspects 10.En renvoyant auxdites demandes, le

Conseil ne se les approprie donc nullement. Le renvoi aux demandes adressées à la Libye par

9 cfr. supra, Chapitres 1et Il.

10 cfr. infpar. 6.23 157

les Etats-Unis et le Royaume-Uni n'est autre chose qu'un renvoi aux relations bilatérales

entre ces Etats, régies par le droit international, et dans lesquelles le Conseil n'intervient

qu'indirectement.

Ensuite, tout en renvoyant auxdites demandes, le deuxième paragraphe du dispositif de

la résolution les reformule, ou du moins précise quelle est, pour le Conseil, leur portée
véritable: Il s'agit de demandes:

"de coopérerpleinement pour l'établissementdes responsabilités".

"Coopérer pleinement pour 1'établissement des responsabilités" ne signifie

évidemment pas livrer ces suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Lorsque le troisième paragraphe du dispositif de la résolution renvoie ensuite à"ces

demandes" (cfr. ci-après), il se réfèrebien sûr au paragraphe précédent. C'est donc aux

demandes reformulées ou 'resituées' par le Conseil que la Libye est appelée à apporter une
réponse.

6.12 L'exigence d'une réponsecomplète et effective afin de contribuer à l'élimination du

terrorisme international:

Ensuite, le Conseil

"3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une réponsecomplète et
effective à ces demandes afin de contribuer à l'élimination du terrorisme internation(nous
soulignons)

La formule 'apporter une réponse' n'équivaut pas à dire que la Libye doit 'satisfaire'

auxdites demandes ('comply with' ).

Alors que le terme 'satisfaire' implique la soumission, il n'en va pas de mêmede

l'expression 'donner une réponse'. Il suffit de se référerau sens ordinaire de ces termes pour

s'en convaincre. Le Petit Robert donne comme signification première de 'satisfaire':

"faire pour quelqu'un ce qu'il demande, ce qu'il attend, ce qui lui convient".

La signification première du verbe 'répondre'est par contre:

"faire connaître en retour sa penséeà celui qui s'adresse à vous"-------· ------------------------------------------------------------------------
-------------

158

En demandant une 'réponse' aux demandes anglo-américaines, le Conseil n'exige
donc nullement que la Libye s'en remette purement et simplement à la volonté du Royaume­

Uni et des Etats-Unis. Tout au contraire, le Conseil permet à la Libye de faire des contre­

propositions.

6.13 L'exigence du Conseil que la réponse libyenne soit 'complète et effective'

n'altère en rien cette constatation:

Le caractère 'complet et effectif' de la réponse signifie d'une part, qu'il doit être

répondu à chacune des demandes, et d'autre part, qu'il doit y êtrerépondu utilement: Les
réponses doivent êtreaptes à atteindre les objectifs poursuivis par le Conseil, qui sont

d'obtenir le jugement des suspects et l'élimination du terrorisme international.

Ceci ressort encore de ce qu'il est demandé à la Libye d'apporter une réponse
complète et effective "afiri de contribuer à 1'élimination du terrorisme international". Le texte

anglais se lit plus clairement encore

"so asto contribute to the elimination of international terrorism;"

Cette directive, cette indication de l'objectif à poursuivre n'a bien sûr d'effet utile qu'en

raison de la marge d'appréciation laissée à la Libye.

6.14 Le rôle du Secrétairegénéral:

Enfin, l'analyse ci-dessus est encore confirmée par le rôle que le quatrième paragraphe

du dispositif de la résolution attribue au Secrétaire général. Le Conseil

"4. Prie le Secrétairegénéralde rechercher la coopération du Gouvernement libyen en vue d'apporter
une réponsecomplète et effective à ces demandes;" (nos italiques)

En assumant cette tâche, le Secrétaire généraldes Nations Unies a lui-mêmeinterprété

la résolution 731 comme laissant une marge de manoeuvre par rapport aux demandes anglo­

américaines et françaises. Dans sa lettre du 23 janvier 1992 au Colonel Kadhafi, le Secrétaire

généraldit en effet,--------------- ~ ~ - - - - - -

159

"(..) 1 took the initiative for sending a special envoy (..) to discuss several points and presenting certain
ideas as weil as knowing your views and proposais regarding the manner of implementing the said

Resolution." Il

B - Cette analyse est confirmée par les travaux préparatoires de la résolution,
tels qu'ils ressortent des déclarations faites par des membres du Conseil

lors de son adoption

6.15 Quoique le projet de résolution 12 soit pratiquement identique au texte définitif,

diverses déclarations faites lors de l'adoption de la résolution démontrent qu'un avant-projet

avait étéamendélors des entrevues précédantla session officielle du Conseil.

Ces déclarations confirment entièrement l'analyse des termes de la résolution. Il en

ressort en effet que 1'amendement visait à permettre un règlement du différend de commun

accord entre les parties conformément au droit international, et à faire intervenir le Secrétaire

généralà cette fin. Par conséquent, l'amendement visait à dissocier la position du Conseil des

demandes anglo-américaines.

6.16 La déclaration du représentant chinois l'éclaireparfaitement:

"Durant la sériede consultations et de discussions qui ont eu lieu, nous avons notéque les membres non

alignés du Conseil ont dit leur préoccupation devant le fait que le Conseil de sécuritérisquait de faire
reposer sa décision sur les seules enquêtes unilatérales de certains pays, et en particulier que des
problèmes de juridiction et d'extradition se posaient. Les membres non alignés ont donc fait des
propositions constructives que la délégationchinoise appuie. Ces propositions ayant étéacceptées par
les auteurs du projet de résolution, et se fondant sur la position de principe constante du Gouvernement
chinois contre le terrorisme, la délégationchinoise a votépour la résolution 731 (1192) qui vient d'être

adoptée." 13

Le représentant chinois a encore précisé:

Il Lettre du 23.01.1992, V. annexe n" 86- nos italiques. Notre traduction: '"J'ai pris l'initiative d'envoyer un envoyé
spécial .. pour discuter de divers points et vous présenter certaines idées, ainsi que pour connaître votre point de vue

quantà la manière dont il faut mettre en oeuvre ladite résolution."
12 S/23422 du 20/01/1992, V. annexe n" 81.
13 S/PV. 3033, p. 86, V. annexe n" 83. En voici le texte anglais: "During previous rounds of consultations and

discussions, we noticed that non-aligned members of the Council expressed their concern over the fact that the
Security Council might base its decision solely upon the unilateral investigationof certain countries and, in

particular, that the issues of jurisdiction and extradition were involved. The non-aligned membcrs thcrefore put
forward constructive proposais which the Chinese delegation supports. Considering that the proposais have been

accepted by the sponsorsof the resolution, and procceding from the Chinese Government's consistent principled
position against terrorism, the Chinese delegation votedavour of resolutions 731 (1992) adpted cartier." (ibid., p.
86).------------------------------------------------------------------------
--------------------------------------

160

"La Chine estime qu'il est encore possible de régler le problème par le biais de consultations. Je

rappelle aussi que la partie chinoise espère sincèrement que les pays directement en cause dans cette
affaire pourront résoudreles différendsqui les opposent par des consultations pacifiques et par la voie
diplomatique, afin de régler de manière rationnelle et juste le problème des attentats à la bombe. (..)

Nous sommes convaincus qu'aussi longtemps que toutes les parties en cause conserveront une altitude
positive, responsable el constructive, il sera possible d'arriver à une solution adéquate et raisonnable du
problème." ' 4

Le représentant du Maroc a déclaré:

"(..) nous sommes en présencede l'application d'un principe de droit international (..) Il s'agit bien sûr

du principe d'extrader et de juger.

Dans ce cas, le Maroc ne peut en aucun cas estimer que l'adoption du projet de résolutionqui nous est

soumis aujourd'hui au Conseil puisse consacrer une exception quelconque à ce principe incontestable
du droit international. La Libye doit à tout moment pouvoir faire valoir sa position, ses droits et sa
bonne volonté.

La participation du Secrétaire Général(..) est le meilleur garant pour nous de l'acheminement vers une
coopération de toutes les parties pour l'établissement de la véritéet l'aboutissement des procédures
judiciaires engagées.

Sa sagacité et son expérience (..) ne manqueront pas d'apporter une contribution constructive qui, tout
en respectant les règlesjuridiques internationales établies,nous permettra de réaliser les objectifs qui
sont aussi les nôtres, à savoir la sanction des coupables et la dissuasion à l'accomplissement de tels
actes à l'avenir( ..)" 15

Le représentant du Zimbabwe a indiqué:

"A notre avis, le projet de résolution vise deux objectifs principaux. Premièrement, il cherche à faire
passer un message clair selon lequel le Conseil est décidéà attaquer fermement au terrorisme.

Deuxièmement, il vise à faire en sorte que les accusés soient traduits en justice. Le Zimbabwe estime
que cela doit se faire sur la base des normes juridiques établies et des instruments juridiques
illternationaux existants applicables aux actes de terrorisme. Mon gouvernement estime qu'à cet égard
le Conseil de sécuritédevrait s'inspirer de la Convention de Montréal de 1971 (...) L'extradition de

leurs propres ressortissants est inadmissible en vertu des lois de nombreux Etats. Voilà pourquoi les
instruments juridiques internationaux existants précisent que si l'Etat qui détient le coupable présumé

14 Ibid., p86- nos italiques. En anglais: "China still believes that there exist possibilities and opporalpresent to
solve the problem through consultations. 1 wish to reiterate that the Chinese side sincerely and strongly hopes Lhat

countries directly involvcd in this issue will resolve their differences by peaceful consultation and through diplomatie
channels and so find a reasonable and fair solution to the bombing incidents( ..) We are convinced that, as long as ail

the parties concerned adopt a positive, responsible and constructive attitude, an appropriate and reasonable solution to
the existing problem will beound." (ibid., 86-87)

15 S/PV. 3033, p. 58-60 - nos italiques. En anglais: "(..) we are touching on a princip le of international law (..) That is
the principle of "extradite or prosecute". In this instance, Morocco cannot share the view thar the adoption of the draft

resolwion before us enshrines any exception to that Wlcontested principle of international law (..) [Libya] must be
allowed to state its position, enjoy its rights and demonstrate its goodwill.

The participation of the Secretary-General (..) is our best guarantee that we are moving towards cooperation by ali

parties in establishingthe truth and in implementing the legal proceedings already in train. His wisdom and
experience will (.) be a constructive contribution that, while respecting established legalnon11s, will ensable us to

achieve the goals we have set for ourselves, namely, the punishmentof the guilty and deterrencc of such acts in the
future (..)" (ibid.). 161

ne procède pas à son extradition, il devra, sans aucune exception, soumettre le cas à ses autorités
compétentes pour le faire instruire."16
et encore:

"Le Zimbabwe se félicitedu rôle explicite que le projet de résolution confère au Secrétaire généraldans
le règlement du différend dont le Conseil est saisi. Nous sommes persuadés que, s'agissant d'une
question aussi importante que celle dont nous sommes saisis, il est prudent et approprié que le Conseil

tire pleinement parti des bons offices du Secrétaire général.Nous espérons sincèrement que, lorsque
celui-ci fera rapport au Conseil sur le résultat de ses efforts, il sera possible de parvenir à des
arrangements sati5faisants pour toutes les parties intéressées." 17

L'Equateur a déclaré:

"La délégationéquatorienne a oeuvréde concert avec les autres pays non alignés pour que le projet de
résolution dont nous sommes saisis aujourd'hui ne puisse pas êtremal interprété,ni représenter un
précédentnégatifqui irait à l'encontre des pouvoirs ordinaires des organes des Nations Unies( ..) ou que

l'on n'aille pas à l'encontre des principes juridiques qui régissent l'autorité de l'Etat, particulièrement
en ce qui concerne l'extradition." 18

Le représentant du Cap Vert a souligné:

"Nous estimons qu'en tout temps cette affaire doit êtretraitée en respectant dûment le principe du
règlement pacifique des différendset dans les limites du droit international. A ce propos, nous espérons
que le Secrétairegénérajlouera un rôle central en contribuant à la recherche d'une solution négociée.

Tels sont les paramètres dans lesquels il convient de considérer notre vote en faveur du

projet de résolution."19

Le représentant de l'Inde souligne:

16 S/PV. 3033, p.71- nos italiques. En anglais: "'Inour view. the draft resolution .. seeks to achieve two main objectives.

First, it seeks to send a clear message thal the Council is determined to deal firmly with terrorism. Secondly, it seeks
to ensure that the accused are brought to trial.is Zimbabwe's view thal this has to be achieved on the basis of the

established legal nornJS and the existing international legal instruments applicable to acts of terrorism. My
Govemment believes thal in this regard the Security Council should be guided by the 1971 Montreal Convention (..)

The extradition of one's own nationals is impermissible in many countries. That is why the existing international legal
instruments make it clear thal if the Stale holding the alleged offender does not extradite it shall be obliged, without

any exception whatsoever, to submit the caseoits competent authorities for the purpose of prosecution." (ibid.).
17 Ibid. - nos italiques. En anglais: "Zimbabwe welcomes the clear role wich the drafts resolution gives to the Secretary­

General in resolving the displlte before the Council. We believe thal on a matter of great importance such as the one
before us it is prudent and appropriate that the Council take full advantage of the good offices of the Secretaf")•­

General. It is our sincere hope thal when he reports back to the Council on the outcome of his efforts it will be
possible to arrive at arrangements satisfactory toparties concerned." (ibid.).

18 S/PY. 3033, p. 73- nos italiques. En anglais: ''My delegation worked with the other non-aligned countries to ensure
that the draft resolution would not be misinterpreted or be a negative precedent which would run counter to the

regular powers of United Nations bodies (..) and to ensure that actions shall be subject to the clear legal principle.1·
withinthe competence of States, in particular with regard to extradition."

19 S/PY. 3033, p. 77 - nos italiques. En anglais: "We are of the view that at ali times this case should be handled with
due respect for the principe of the peaceful settlment of the dispwes, and within the boundaries of international law. ln

this respect,e expect the Secretary-General to play a pivotai rote in helping to bring about a negotiated solution.
Those are the parameters whithin which our affirmative vote on the draft resolution has to be seen." (ibid.).162

"[ ...] l'importance qui s'attache à reconnaître et à respecter la souveraineténationale( ...). Les membres
non alignés du Conseil ont sérieusement tenté de dégager un consensus sur cette question. Ma
délégationestime que les efforts importants déployéspar le groupe non aligné lors des consultations

tenues avec les auteurs de la résolution ont contribué dans une grande mesure à 1'adoption par
consensus de la résolution.

Une autre préoccupation de ma délégationétait liéeà la démarche proposée par la résolution, qui est de
faire appel au prestige dont jouit le Secrétairegénéralet aux énormes ressources dont il dispose pour

défendre la cause de la paix." 20

Le représentant du Vénézuéla a observéque

"(...) nous sommes certains que l'objectif de cette résolution, qui est de régler la situation de façon
déterminéeet pacifique sera atteint. Dans ce contexte, nous estimons que la participation urgeme et

activedu Secrétairegénéralrevêtune extraordinaire importance politique et institutionnelle." 2l

Ces déclarations ont étéfaites par des Membres ayant votéen faveur de la résolution

amendée. Il en ressort clairement le rôle de la négociation, et la place du droit international

dans la solution du problème.

6.17 Ceci signifie non seulement que le Conseil a agi dans le cadre de ses compétences en

matière de règlement des différends, mais encore, que le Conseil n'a pas adopté de termes de

règlement au sens de l'article 37 de la Charte en faveur des demandes anglo-américaines. Tout

au contraire, le Conseil a dissocié ses exigences desdites demandes.

La déclaration faite par le Royaume-Uni lors de l'adoption de la résolution 731 le

confirme à souhait. Le représentant du Royaume-Uni a souligné que

"Nous n'affirmons pas que ces personnes sont coupables avant qu'elles soient jugées, mais nous disons
qu'il existe de graves éléments de preuve contre elles et qu'elles doivent y faire face devant un

tribunal." 22

20 S/PV.3033, p.96-97 - nos italiques. En anglais"Iwould furthermore stress the importance of recognizing and

respecting national sovereignty .. Non-aligned members of the Council engaged in a serious attempt at finding a
consensus on this issue. My delegation believes that the important efforts of the non-aligned caucus, through consulta­

tions with the sponsorsf the resolution, contributed measurably to the consensus adoption of the resolution. A
further concern of my delegation related to what the resolution has now addressed by calling upon the enormous
prestige and resources the Secretary-Genera/ in the cause of peace."

21 S/PV. 3033, p.102- nos italiques. En anglais: "We are confident that the purpose of this reso/wion -a peaceful
seulement of the disptiTe - can be achieved. Accordinglywe deem the urgent and active participation of the

Secretary-General to be of special political and institutional importance." (ibid.).
22 S/PV. 3033,p. 103.En anglais: "We are not asserting the guilt of these men beforc they are tried, but we do say that

there is scrious evidence against them which they must face in" 163

Cette déclaration est en contradiction manifeste avec les termes de la déclaration conjointe

anglo-américaine 23, où les Gouvernements américainet britannique déclarentque

".. le Gouvernement libyen doit

- ... assumer la responsabilité des agissements des agents libyens;

- ..)

- verser des indemnitésappropriées.

Nous comptons que la Libye remplira ses obligations promptement et sans aucuneréserve."

La formulation inconditionnelle de ces demandes préjugeait bien sûr de la culpabilité

des suspects, comme d'ailleurs de la responsabilité de l'Etat libyen.

En rappelant, lors de l'adoption de la résolution 731, la présomption d'innocence des

suspects, le représentant britannique s'est donc lui-mêmedémarquédes demandes formulées

par son Gouvernement: L'exigence que la Libye assume la responsabilité des agissements des

agents libyens et verse des indemnités appropriées, péremptoire dans les demandes anglo­

américaines, étaitdevenue conditionnelle aux fins de la résolution73L

6.18 En conclusion, la résolution 731 dissocie les exigences du Conseil des demandes

anglo-américaines, et n'exige pas de la Libye qu'elle extrade ses nationaux aux Etats-Unis ou

au Royaume-Uni.

L'analyse de la résolution748 confirme entièrement ce qui précède.

Section 2- La résolution748 (1992) du Conseil de sécurité

6.19 Dans la résolution748 du 31 mars 1992, 24

"Le Conseil de sécurité,

Réaffirmant sa résolution731 (1992) du 21 janvier 1992,

23 Déclaration commune des Etats-Unis et du Royaume-Uni, transmise au Secrétaire généralpar lettre datée du

20.12.1991 du Représentant permanent des Etats-Unis auprès des Nations Unies - Doc. AJ46/827 et S/23308 du
31.l2.1991, V. annexe n°46.
24 v. annexe no 124.164

Notant les rapports du Secrétaire général(S/23574; S/23672),

Gravemem préoccupéde ce que le Gouvernement libyen n'ait pas encore donné une réponse complète

er effective aux demandes contenues dans sa résolution 731 (1992) du 21 janvier 1992,

Convaincu que l'élimination des actes de terrorisme international, y compris ceux dans lesquels des
Etats sont directement ou indirectement impliqués, est essentielle pour le maintien de la paix et de la
sécuritéinternationales,

Rappelant que, dans la déclaration publiée le 31 jan vier 1992 à1'occasion de 1a réunion du Conseil de
sécurité au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement (S/23500), les membres du Conseil ont

prononcé leur profonde préoccupation à l'égard des actes de terrorisme international et estimé
nécessaire que la communauté internationale réagisse de manière efficace contre de tels actes,

Réaffirmant que, conformément au principe énoncé à l'Article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations

Unies, chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser et d'encourager des actes de terrorisme sur le
territoire d'un autre Etat, d'y aider ou d'y participer, ou de tolère sur son territoire des activités
organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque ces actes impliquent une menace ou l'emploi de la
force,

Constatant, dans ce contexte, que le défaut de la part du Gouvernement libyen de démontrer, par des
actes concrets, sa renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquement continu à répondre de
manière complète et effective aux requêtes contenues dans la résolution 731 (1992) constituent une
menace pour la paix et la sécuritéinternationales,

Déterminé à éliminer le terrorisme international,

Agissant en vertu du Chapitre VIl de la Charte,
1. Décideque le Gouvernement libyen doit désonnais appliquer sans le moindre délai
le paragraphe 3 de la résolution 731 (1992) concernant les demandes contenues dans les documents
S/23306, S/23308 et S/23309;

2. Décide aussi que le Gouvernement libyen doit s'engager à cesser de manière définitive toute forme
d'action terroriste et toute assistance aux groupes terroristes et qu'il doit rapidement, par des actes
concrets, démontrer sa renonciation au terrorisme;

3. Décide aussi que tous les Etats adopteront le 15 avril 1992 les mesures énoncées ci-dessous qui
s'appliqueront jusqu'à ce que le Conseil de sécuritédécide que le Gouvernement libyen s'est conformé
aux dispositions des paragraphes 1 et 2 ci-dessus;

12. Invitele Secrétaire généralà continuer à jouer son rôle qui lui est assigné par le paragraphe 4 de la
résolution 731 (1992);

!3. Décide que, tous les 120 jours ou plus tôt si la situation le rend nécessaire, le Conseil de sécurité
devra revoir les mesures imposées par les paragraphes 1 et 2 en tenant compte, le cas échéant,de tous
rapports établis par le Secrétaire généraldans le cadre du rôle qui lui est assigné par le paragraphe 4 de

la résolution 731 (1992);

14. Décidede rester saisi de la question."

La résolution 748 ne renvoie donc plus aux documents S/23307 et S/23317 figurant

dans la résolution 731 (préambule, 6ème considérant), et qui reprennent les actes de mise en
accusation britannique et américain. 165

6.20 Ilest exposé ci-après que la résolution 748 confirme entièrement, et mêmerenforce la

conclusion que le Conseil de sécuritén'exige pas de la Libye la livraison de ses nationaux aux
Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Il résulte du texte de la résolution que les exigences du Conseil par rapport à la
demande de livraison des suspects restent inchangées (A). La ratio legis du recours au

Chapitre VII de la Charte l'explique parfaitement (B).

A - La portéedes exigences du Conseil

6.21 La résolution 748 ne modifie pas le rapport entre les exigences du Conseil et la

demande anglo-américaine de livraison des suspects. Le texte de la résolution le confirme de
manière entièrement concordante.

1 -Le premier paragraphe du dispositif: renvoi àla résolution 731

6.22 Agissant en vertu du Chapitre VU de la Charte, le Conseil, au premier paragraphe du

dispositif de la résolution 748,

"1. Décideque le Gouvernement libyen doit désormaisappliquer sans le moindre délaile paragraphe 3

dela résolution 731 (1992) concernant les demandes contenues dans les documents S/23306, S/23308
et S/23309;" (nous soulignons)

Si ce faisant, le Conseil entend formuler une obligation juridique à charge de la Libye,
le caractère juridiquement obligatoire de la décision ne préjuge pas du contenu de

1'obligation.

De fait, le paragraphe précité renvoie, non directement aux demandes anglo­

américaines et françaises, mais au paragraphe 3 de la résolution 731. Il signifie donc très

précisément que la Libye doit, sans le moindre délai, "donner une réponse complète et
effective" aux demandes anglo-américaines "afin de contribuer à l'élimination du terrorisme

international". La résolution 748 n'oblige donc nullement la Libye à "satisfaire" aux

demandes anglo-américaines. Elle signifie seulement que la Libye est dans l'obligation légale
d'y réagirutilement (voir supra,§§ 6.12-6.13).166

La résolution 748 impose à la Libye une obligation de négocier. Elle donne tout au

plus naissance à un pactum de contrahendo, dont les demandes anglo-américaines et les
objectifs poursuivis par le Conseil constituent le point de départ.La Libye est, en vertu de la

résol~t 74i8,ndans l'obligation de prendre en compte de bonne foi les demandes anglo­

américaines, et de s'efforcer de parvenir à une solution apte à atteindre les objectifs du
Conseil de sécurité,qui sous-tendent - ou sont supposés sous-tendre ... - les demandes anglo­

américaines:le jugement des suspects et l'élimination du terrorisme international (cfr. infra).

2 - Le deuxième paragraphe du dispositif : le renvoi indirect aux demandes

anglo-américaines n'équivautpas à leur appropriation par le Conseil

6.23 En renvoyant à la résolution 731, la résolution 748 renvoie indirectement aux

demandes anglo-américaines concernant la livraison des suspects. Il a déjàétéindiquéque ce
renvoi n'équivautpas à la formulation expresse de ces demandes par le Conseil. Le deuxième

paragraphe du dispositif de la résolution748 confirme cette distinction. Le Conseil y

"2. Décideaussi que le Gouvernement libyen doit s'engager à cesser de manière définitivetoute forme
d'action terroriste et toute assistance aux groupes terroristes et qu'il doit rapidement, par des actes
concrets, démontrersa renonciation au terrorisme;"

Cette exigence est très précisémentcelle de la déclaration tripartite du 31 décembre
1991 concernant le terrorisme, où les Gouvernements américains, français et anglais, après

avoir rappeléleurs demandes relatives aux procéduresjudiciaires en cours, demandent

"En outre qu'elle [la Libye] s'engage de façon concrète et définitive à renoncer à toute forme d'action
terroriste etout soutien apportéà des groupements terroristes. La Libye devra apporter sans délaipar
des actes concrets les preuves telle renonciati25."

Il est pour le moins marquant que la résolution reprend ainsi une des demandes anglo­

américaines, mais non celles relatives aux procéduresjudiciaires en cours.

Le deuxième paragraphe du dispositif confirme ainsi a contrario que le renvoi opéré

au premier paragraphe, implique une dissociation entre les exigences du Conseil et les

demandes auxquelles il est renvoyé.Il implique, plus particulièrement, un renvoi aux relations

bilatéralesentre les Etats concernés,dans le cadre desquelles doit êtrerésolule différend.

25 S/23309, V. annexe n°47. En anglais:" ... in addition, that Libya commit itself concretely and definitively to cease ali
forms of terrorist action and ali assistance to terrorist groups. Libya must promptly, by concrete actions, prove its
renunciationterrorism." 167

3 - Le troisième paragraphe du dispositif: J'impossibilité de préciser guand

les exigences du Conseil seront satisfaites

6.24 Au troisième paragraphe du dispositif, le Conseil

"Décide que tous les Etats membres adopteront le 15 avril 1992 les mesures énoncéesci-dessous gill
s'appligueront jusqu'à ce gue le Conseil de sécuritédécideque le Gouvernement libyen s'est conformé

aux dispositions des paragraphes 1et 2 ci-dessus26.

Les mesures coercitives s'appliqueront donc, le cas échéant,jusqu'à ce que le Conseil

décideque la Libye s'est conformée à ses exigences. Lors de l'adoption de la résolution 748,

le représentant de l'Inde a relevéà ce sujet le problème de la

"définition des circonstances dans lesque\les 1es sanctions n'entreraient pas en vigueur ou seraient
levées. Les membres non alignés du Conseil, tout comme plusieurs autres délégations, ont examiné
avec les auteurs du projet de résolution la possibilité d'apporter une plus grande précision dans les
paragraphes pertinents. Les auteurs se sont montrés disposés à oeuvrer avec nous à cet égard. Nous

regrettons, toutefois, qu'il n'ait pas étépossible d'éliminer l'imprécision du projet de résolution sur
cette questionspécifique."27

La formule retenue s'explique donc par l'impossibilité de préciserd'avance quand les
- .
exigences du Conseil de sécurité, notamment celles relatives aux demandes anglo-

américaines, seraient satisfaites.

Ceci confirme entièrement que les exigences du Conseil ne coïncident pas avec les

demandes anglo-américaines, et plus particulièrement, que le Conseil laisse le choix des

moyens pour parvenir à 1'établissement des responsabi1ités.

De fait, les demandes formulées par les Etats-Unis et le Royaume-Uni dans leur
Déclaration commune 28 étaient parfaitement 'complètes et précises': leur mise en oeuvre

n'appelait aucune clarification. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont eu l'occasion de le

relever 29.

26 Nous soulignons.

27 S/PV. 3063, p.47, V. annexe 125. En anglais: ".. the definition of the circumstances under which the sanctions either
would not come into force at ail or would be lifted. The non-aligned membersCouncil, as indeed severa\ other
delegations, explored with the cosponsors the injectione precision into the relevant paragraphs. The cospon­

sors showed readiness to work with uinthis respect. To our regret, howeveitwas not possible to remove the
vaguenessfrom the draft resolution on this particular point." (ibid.).

28 V. annexe n° 46.
29 V. le rapport du Secrétaire généralconformément au paragraphe 4 de la résolution 731, S/23672 du 3 mars 1992, p. 2,
par. 2(e), annexe 106.168

Si le Conseil avait exigé que la Libye satisfasse entièrement aux demandes anglo­

américaines, il aurait étéparfaitement possible de fixer d'avance les conditions auxquelles

l'embargo n'entrerait pas en vigueur ou serait levé. Si ceci n'a pas étépossible, c'est bien que
la portée du 1er paragraphe du dispositif de la résolution 748 diffère de celle des demandes

anglo-américaines, et plus particulièrement, ne formule qu'une obligation de négocier.

4 - Le rôle du Secrétairegénéral

6.25 Enfin, le treizième paragraphe du dispositif

"12. Invite le Secrétaire généralà continuer à jouer son rôle qui 1ui est assigné par le paragraphe 4 de la
résolution 731 (2);"

Il a étéindiqué lors de l'analyse de la résolution 731 comment le Secrétaire générala
interprétéla tâche qui lui étaitconfiée.

6.26 En conclusion, pas plus dans la résolution 731 que la résolution 748, le Conseil de

sécuritén'exige de la Libye la livraison de ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

B- L'analyse qui précède est confirmée par la ratio legis du recours au
Chapitre VII de la Charte

6.27 La ratio legis du recours au Chapitre VII de la Charte confirme cette analyse. En effet,

comme il sera démontréci-après, le Conseil a tentéde justifier le recours au Chapitre VII de

la Charte en invoquant 1'effet préventif que devrait avoir 1'établissement des responsabilités
pour les attentats contre les vols Pan Am \03 et UTA 772 : l'établissement des responsabilités

dans ces attentats devrait dissuader les candidats terroristes. Ce raisonnement ressort déjàde

1a réso1ution 73 1 (1992) qui, comme il a étémontré antérieurement, n'a pas étéadoptée en
vertu du Chapitre VII mais annonce déjà que le Conseil de sécurité en fera éventuellement

application (par. l ci-après). Cetteratio legis est confirmée par l'analyse de la résolution 748

(1992) (par. 2 ci-après). Or, comme il sera montréensuite (par. 3), cet objectif justifiant, aux 169

yeux du Conseil, le recours au Chapitre VII de la Charte, ne suppose nullement que les

suspects soient livrésaux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

1 - La ratio legis du recours au Chapitre VII telle qu'elle ressort de la

résolution 731

6.28 Le Conseil a tenté de justifier son recours au Chapitre VII de la Charte en invoquant

l'effet préventif que devrait avoir l'établissement des responsabilités pour les attentats sur les

vols Pan Am 103 et UTA 772. Ceci devrait dissuader les candidats terroristes.

La résolution 731 illustre déjàce raisonnement (1992) 30 puisque, comme la Libye l'a

déjà démontré, si elle n'a pas étéadoptée en vertu du Chapitre VII, elle en envisage

néanmoins l'application. La résolution annonce donc la ratio legis de cette application du

Chapitre VII. Cette ratio legis ressort déjà du texte mêmede la résolution. Les paragraphes
introductifs accentuent l'objectif de prévention que poursuit le Conseil:

"Réaffirmant sa résolution 286 (1970) du 9 septembre 1970, par laquelle il demandait aux Etats de
prendre toutes les mesures juridiques possibles pour empêcher[angl. pre vent] toute ingérence dans les

liaisons aériennes internationales civiles,

Réaffirmant également sa résolution 635 (1989) du 14 juin 1989, par laquelle il condamnait tous les
agissements illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile et demanàtous les Etats de
coopérer à la mise au point et à l'application de mesures visant à prévenir tous les actes de terrorisme, y
compris ceux qui sont commis au moyen d'explosifs,

Déterminéà éliminer le terrorisme international,

3. Demande instamment aux autorités libyennes d'apporter immédiatement une réponse complète et
effective àes demandes afin de contribuer à l'élimination du terrorisme imernmional;" (nos italiques)

C'est donc dans une optique de prévention que devait s'inscrire l'action de la Libye.

Cet objectif de prévention a étémis en relief par de nombreux membres lors de l'adoption de

la résolution 731 (1992).

Le Royaume-Uni a souligné:

30 V. annexe n• 82.170

"Il est essentiel que le Conseil fasse passer un message sans équivoque aux autres terroristes éventuels.
L'action du Conseil pourrait avoir [should have] un effet dissuasif important."3l

L'Equateur a dit que

"Le Conseil de sécuritédoit envoyer un message clair d'avertissement atln de ne pas encourager, et
encore moins de tolérer, tous actes de terrorisme."32

Selon le représentant des Etats-Unis,

"En agissant ainsi, le Conseil a ainsi envoyé l'avertissement letus clair possible, à savoir que la
communauté internationale ne tolérera pas un tel comportement." 3

La Belgique a encore soutenu que

"L'approche préventive devrait nous inciter, en outre, à couper les terroristes potentiels de leurs bases
arrière."34

Le Vénézuéla a souligné

"que 1'impunité internationale fait courir un risque grave à la paix àt1a sécuritéintemationales." 35

2 - La ratio legis du recours au Chapitre VII de la Charte dans la résolution
748

6.29 La résolution 748 36 ne modifie pas ce qui précède.Comme il a déjàétéindiqué, son

premier paragraphe du dispositif renvoie à la résolution 731, et par là à l'objectif poursuivi par

cette résolution. La ratio legis du recours au Chapitre VII, annoncée dans la résolution 731,

reste ainsi inchangée. La déclaration du Représentant indien au Conseille confirme:

"Ma délégation comprend et appuie l'objectif principal des auteurs -envoyer un message clair à tous
ceux qui se livrent à des actesde terrorisme, soit directement sous forme d'appui matériel, politique ou
moral aux terroristes, pour montrer que la communauté internationale est prêteà combattre le terrorisme

et à l'éradiquer de notre monde." 37

31 S/PV. 3033, p. l05. En anglais: ".. it is vital that this Counci 1 send an unequi voca1 message to other would-be
terrorists. The Council's action should have an important deterrant effect." (ibid.). Les termes "should have" se

traduisent sans doute mieux par:vrait avoir". Voir annexe n°83.
32 S/PV. 3033, p. 72. En anglais: "The Security Council is call.ed upon to send a clear warning to hait any

encouragement, even if simply through tolerance, of actsrrorism." (ibid., p. 73).
33 S/PV.3033, p. 80. En anglais: "The Council's action thus sends the clearest possible signal that the international

community will not tolerate such conduct." (ibid.).
34 SIPV. 3033, p. 82. En anglais: "in accordance with the preventive approach, wc should also eut off potential terrorists
from their command centres." (ibid., p. 83).

35 SfPV. 3033, p. 99. En anglais: "that international impunity endangers international peace and security.'' (ibid., p. 100).
36 V. annexe n· 124.

37 S/PV. 3063, p. 58, V. annexe n• 125. En anglais : "My delegation understands and supports the primary
objective of the cosponsors - namely, to serve an unambiguous notice on ali those engaged in acts of terrorism 171

6.30 Les modifications apportées à la résolution 748 par rapport à la résolution 731, et

notamment le renvoi à l'article 2 (4) de la Charte, n'altèrent en rien cette conclusion. Le

Conseil,

"Réaffirmant que, conformément au principe énoncéà l'Article 2, paragraphe 4, de la Charte des

Nations Unies, chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser et d'encourager des actes de terrorisme
sur le territoire d'un autre Etat, d'y aider ou d'y participer, ou de tolérer sur son territoire des activités
organisées en vue de perpétrerde tels actes, lorsque ces actes impliquent une menace ou l'emploi de la
force,

Constatant, dans ce contexte, que le défaut de la part du Gouvernement libyen de démontrer, par des
actes concrets, sa renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquement continu à répondre de
manière complète et effective aux requêtescontenues dans la résolution 731 (1992) constituent une
menace pour la paix et la sécuritéinternationales,

1. Décideque le Gouvernement libyen doit désormais appliquer sans le moindre délai le paragraphe 3
de la résolution731 (1992) concernant les demandes contenues dans les documents S/23306, S/23308 et
S/23309;

2. Décideaussi que le Gouvernement libyen doit s'engager à cesser de manière définitive toute forme
d'action terroriste et toute assistance aux groupes terroristes et qu'il doit rapidement, par des actes
concrets, démontrersa renonciation au terrorisme;"

Les paragraphes introductifs précitésn'équivalent nullement à la constatation -voire à
la démonstration- que la Libye aurait violél'article 2, paragraphe 4 de la Charte. Les termes

"dans ce contexte" au septième paragraphe introductif démontrent au contraire que l'article 2

(4) de la Charte n'entre en considération qu'indirectement.

De fait, il ressort du septième paragraphe introductif et deuxième paragraphe du
dispositif que l'article 2 (4) de la Charte n'entre en jeu que dans la mesure où la Libye est

appelée àfournir la preuve de sa renonciation au terrorisme, dont le Conseil estime qu'il a été

pratiqué par la Libye. Selon le septième paragraphe introductif, la réponse libyenne aux

demandes anglo-américaines et françaises doit constituer l'une de ces preuves: Le Conseil

constate

"... le défautde la part du Gouvernement libyen de démontrer, par des actes concrets, sa renonciation au

terrorisme et, en particulier, son manquement continu à répondre de manière complète et effective aux
requêtescontenues dans la résolution 731 ..." (nous soulignons)

(...) of the determinatof the international community Locombat terrorism and eradicate iLfrom the midst."

(ibid., p. 59).172

6.31 Cette considération vient donc s'ajouter à l'objectif de prévention, mais ne le modifie

pas. Le fait que, dans l'esprit du Conseil, la réponse libyenne soit fournie comme preuve de

"sa renonciation au terrorisme", n'en détermine pas la teneur autrement que l'objectif de
prévention du Conseil. Bien au contraire, c'est parce que et dans la mesure où la réponse

libyenne aura un effet dissuasif, qu'elle constituera, de la part de la Libye, la preuve de "sa

renonciation au terrorisme".

3- Cette ratio legis explique gue le Conseil n'exige pas gue la Libye livre

ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni

6.32 Comme il a étémontré ci-dessus, c'est l'effet dissuasif ou préventif de l'action
répressive qui a motivéle recours au Chapitre VII de la Charte.

Selon les termes mêmes de la résolution 731(1992) 38, cet effet dissuasif suppose
concrètement "l'établissement des responsabilités" dans les attentats contre les vols Pan Am

103 et UTA 772 (cft: supra). Sur ce point, le raisonnement du Conseil est d'une logique

parfaite : on ne peut dissuader les candidats-terroristes qu'en leur prouvant que les coupables

d'un attentat seront toujours punis par la justice.

L'objectif poursuivi par le Conseil appelle donc ni plus ni moins que l'organisation d'une

enquêteet d'un procès en toute objectivité : le recours au Chapitre VII manquerait son but si
les coupables - les vrais coupables - de 1'attentat contre le vol Pan Am 103 étaient acquittés

par un juge partial.

6.33 Cette exigence d'une enquêteet d'un procès objectifs n'équivaut naturellement pas à

celle que les suspects soient livrésaux Etats-unis ou au Royaume-Uni : l'objectivité requise
peut en effet êtregarantie par d'autres moyens, comme le jugement par une instance tierce, ou

le jugement en Libye en présenced'observateurs internationaux.

Dans cette mesure, la ratio legis du recours au Chapitre VII de la Charte confirme entièrement
l'analyse qui a étéfaite des résolutions 731 et 748: celles-ci n'exigent pas de la Libye qu'elle

livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

38 V.annexe n82. 173

En réalité, le jugement des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni serait même

susceptible de contrecarrer l'objectif poursuivi par le Conseil. Il est amplement montré
ailleurs dans ce mémoire qu'aucun jugement équitable ne peut êtregaranti aux suspects s'ils

sont livrésaux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Ceci signifie concrètement que les tribunaux

de ces Etats risquent, le cas échéant,de condamner des innocents. Dans ces circonstances, le
jugement des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni serait, en réalité, contraire à

l'objectif d' "établir les responsabilités" dans l'attentat contre le vol Pan Am 103. Ceci nuirait

à l'objectif de prévention du Conseil de sécurité: si les suspects, bien qu'innocents, sont
condamnés par un tribunal américain ou britannique, ceci ne peut qu'encourager les auteurs

véritables de l'attentat à persévérerdans la voie qu'ils ont choisie ...

Section 3- L'interprétation des résolutions au regard de la Charte et du droit

international généralet conventionnel

6.34 L'interprétation des résolutions 731 et 748 au regard de la Charte des Nations Unies et

du droit international général et conventionnel applicable, confirme encore l'analyse ci­
dessus.

Les résolutions du Conseil de sécuritédoivent toujours êtreinterprétéesà la lumière
du, et en conformité avec le droit international. D'ailleurs, dans le 2ème paragraphe

introductif de la résolution 731 39,le Conseil affirme

"le droit de tous les Etats, conformémenr la Charre des Nations Unies et aux principes du droir
international, de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une
menace à la paix et à la sécuritéinternationales;" (nos italiques)

Alors que le Conseil mêmecantonne de la sorte la portée de sa résolution, il est a

fortiori exclu que l'on interprète cette résolution, et la résolution 748 qui y renvoie, comme

dérogeant au droit international.

Encore, la résolution 748 rappelle en son cinquième paragraphe introductif la

déclaration du 31 Janvier 1992, faite à 1'occasion de la réunion du Conseil au niveau des
4
Chefs d'Etat et de Gouvernement 0,dans laquelle les membres du Conseil ont prononcé leur
profonde préoccupation à l'égard des actes de terrorisme international et estimé nécessaire

que la communauté internationale réagisse de manière efficace contre de tels actes. La partie

39 V.annexe n·82.
40 S/23500 du 31 janvier 1p.3, V. annexe n· 88.174

de la déclaration consacrée au terrorisme internationalfigure au Chapitre consacré à la

sécuritécollective, qui débuteainsi:

"Commitmenttocollective security

"The members of the Council pledge their commitment to international law and to the United Nations
Charter . Ali disputes between States should be peacefully resolved in accordance with the provisions
of the Charter." (nos italiques)

La déclaration concernant le terrorismesuit ainsi, dans le même chapitre, celle
réaffirmant le respect du droit international. En l'absence de toute indication contraire, on ne

voit donc pas comment la résolution 748, qui se réfère à cette déclaration, pourrait être

interprétéed'une manière qui aboutisse à déroger au droit international.

6.35 En conclusion, les résolutions 731 et 748 n'exigent pas que la Libye s'en remette
entièrement aux exigences des Etats-Unis et du Royaume-Uni, telles qu'avancées par ces

Etats dans leur déclaration commune du 27 novembre 1991 et à d'autres occasions. En
particulier,les résolutions ne peuvent êtrecomprises comme exigeant, sans alternative

possible, la livraison des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Les résolutions obligent la Libye à convenir avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni

d'un mécanisme permettant d'atteindre l'objectif du Conseil- celui de soumettre les suspects

à un procès dans des conditions permettant'établir les responsabilités pour l'attentat sur le
vol Pan Am 103, et de dissuader les terroristes potentiels.

CHAPITRE II- LA LIBYE A PLEINEMENT SATISFAIT AUX EXIGENCES DU

CONSEIL DE SECURITE SUSCEPTIBLES D'AFFECTER LA
PRESENTE PROCEDURE - CONCLUSION QUANT A

L'INCIDENCE DES RESOLUTIONS 731 ET 748

6.36 La Libye a pleinement satisfait aux exigences du Conseil de sécurité susceptibles

d'affecter la présente procédure (section l). Ceci permet de conclureles résolutions 731
et 748 n'affectent en rien la procédure devant la Cour (section 2). 175

Section l- La Libye a pleinement satisfait aux exigences du Conseil de sécurité
susceptibles d'affecter la présente procédure

6.37 Les exigences du Conseil ne sont pas toutes susceptibles d'affecter la présente

procédure. Ainsi par exemple, l'exigence de la résolution 748 que la Libye s'engage à cesser

de mani ère définitive toute forme d'action terroriste ne peut entrer en conflit avec la

convention de Montréal de 1971.

Les résolutions 731 et 748 sont susceptibles d'affecter la présente procédure, dans la

seule mesure où la réponse libyenne aux demandes anglo-américaines doit permettre d'établir

les responsabilités pour l'attentat sur le vol Pan Am 103, savoir: doit garantir l'objectivité de
l'enquêteet du procès des suspects.

La Libye a entièrement satisfait à cette exigence. Il est exposéci-après que la Libye a,

dans toute la mesure du possible, entrepris des démarches concrètes pour l'établissement des
responsabilités pour l'attentat sur le vol Pan Am 103 (A). En outre, la Libye a fait des

propositions et concessions successives, veillant à garantir tant 1'objectivité de l'enquête(B)

que l'objectivité du jugement des suspects (C).

A- La Libye a entrepris des démarches concrètes afin que soient

établiesles responsabilités pour l'attentat

6.38 En un premier temps, la Libye a décidéd'exercer sa compétence en matière pénale à
l'égard des suspects, en collaboration avec les autorités judiciaires des Etats-Unis et du

Royaume-Uni. La Libye a alors immédiatement entaméla procédure:

- le 27 novembre 1991, le Juge libyen chargéde l'enquêtea priéle Président du Grand lury
du District de Columbia et l'Attorney General d'Ecosse de lui permettre d'examiner les

dossiers de l'affaire ou de le rencontrer afin de se concerter sur leur collaboration 41;

- le 28 novembre 1991, le mêmejuge a ordonné que les passeports des deux suspects soient
retirés 42;

41 V. annexes n" 43 el44.
0
42 V. annexTI 50.176

le 8 décembre 1991, le Département des Affaires étrangères de Libye a adressé une
demande aux autorités maltaises afin de permettre au Juge chargéde l'enquêted'interroger

des témoins maltais et des membres du personnel de l'aéroport de Luqa à Malte 43;

le 8 janvier 1992, le représentant permanent de la Libye auprès des Nations Unies
demandait au Secrétaire généralqu'il intervienne auprès des Etats-Unis et du Royaume-uni

pour qu'ils permettent au Juge chargé de l'enquête de prendre connaissance du dossier;

Cette demande a étéréitérée plusieurs fois sans succès 44.

Ceci suffit à démontrer que, nonobstant le refus total de collaboration de la part des

Etats-Unis et du Royaume-Uni, les autorités libyennes ont adopté toutes les mesures concrètes

nécessaires pour procéder rapidement au jugement des suspects.

6.39 Face à l'obstruction persistante des Etats-Unis et du Royaume-Uni, la Libye a ensuite

fait diverses propositions et concessions aptes à sauvegarder l'objectivité de l'enquête et du

jugement des suspects, mais qui sont restées sans résultats concrets en raison de 1'obstruction

persistante des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

B- La Libye a fait diverses propositions aptes à sauvegarder

l'objectivité de l'enquête

6.40 En ce qui concerne l'objectivité de l'enquête,la Libye a fait les propositions suivantes:

Par un communiqué du 2 décembre 1991, la Libye a annoncé que si l'enquêteétait menée

par un juge libyen, les magistrats américains et britanniques pourraient participer au stade

finalde l'enquêteafin de veiller à l'impartialité et au bon déroulement de la procédure. Les

organisations internati anales, associations des droits de 1'homme et les famiIles des
victimes pourraient envoyer des observateurs ou avocats pour assister à l'enquête, et

seraient tenues informées de tous les développements.

43 V. annexe n • 58.
44 V. Lettre adresséeau Secrétairegénéral(s.d.), transmise par lettre datéedu 8.1.1992 - Doc. A/46/84! et S/23396 du
9.!.1992, V. annexe n· 73; Lettre du 14.1.1992, adressée au High Chancellor du Royaume-Uni. V. annexe n" 77;
Rapport présentépare Secrétairegénéralen application du paragraphe 4 de la résolution 731 (1992) du Conseil de

sécurité- Doc./23574 du Il .2.1992, V. annexe 90; Lettre adressée au Président du Conseil d(sd.),rité
transmise par lettre datéedu l7.3.1992 - Doc. N46/895 et S/23731 du 19.3.1992, V. annexe 1!3; 177

La Libye annonçait par ailleurs qu'elle acceptait qu'une commission internationale neutre

soit chargée de l'enquête 45.

L'invitation libyenne aux magistrats américains et britanniques a étéaccueillie avec

satisfaction par la Conférence islamique 46;

Le 28 novembre, la Libye proposait la création d'un comité conjoint des Nations Unies et

de la Ligue arabe pour assister à l'enquête en tant qu'observateur 47. La Ligue arabe a

accepté par sa décision 5156 du 5 décembre qu'un tel comité examine tous les documents

relatifs à l'affaire 48. La Libye a encore réitéré son acceptation de cette proposition le 10

janvier 1992 devant le Bureau de Coordination des Pays non-alignés 49;

Après l'adoption de la résolution 731, le Colonel Kadhafi a encore confirmé à l'envoyé

spécial du Secrétaire général que les Etats-Unis et le Royaume-Uni pouvaient envoyer

leurs propres juges enquêteren Libye 50;

le 27 février 1992, la Libye a encore accepté de transmettre les suspects à l'Office du

P.N.U.D. à Tripoli pour qu'ils y soient interrogés 51;

le mêmejour, la Libye a proposé que le Secrétaire généraldes Nations Unies forme un

comité de juges impartiaux afin d'enquêter sur les faits et de déterminer si les accusations

contre les deux suspects étaient fondées -auquel cas les suspects pourraient êtrelivrés à

une tierce partie (c.fr.infra) 52.

45 V. annexe n· 54.

46 Décision relativà la crise entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la G.J.A.L.S.P., adoptée au 6ème Sommet de la
Conférence islamique à Dakkar, les 9-12.12.1991, V. annexe n" 60.

47 V. la déclaration du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération internat(s.d.)transmise par
!eure datée du 29.11_1991, adressée au Secrétaire généralpar le Représentant permanent de la Libye auprès des

Nations Unies -Doc. A/46/845et S/23417 du 13.1.1992, V. annexe 51.
48 Décision n" 5156 du 5.12.1991 du Conseil de la Ligue arabe, adoptée à sa session extraordinairconcernant les

menaces américaines et britanniques contre la G.J.A.L.P.S., V. annexe 556; V. aussi la Résolution 5158 adoptée par le
Conseil de la Ligue des Etats arabes le 16.1.1992, transmise par lettre datée du 17.1.1992, adressée au Président du
Consei1de sécuritépar le Représentant permanent de la Libye auprès des Nationses - Doc. S/23436 du 17.1.1992,

V. annexe 78.
49 V. le sommaire de presse de la Représentation permanente de la Libye auprès des Nations Unies, en date du

13.1.1992, reprenant le texte de la déclaration de la Libye à 1a réunion du bureau de coordination du mouvement des
non-alignés, en date du 1O.1.1992, V. annexe 76.

50 V. le rapport présentépar le Secrétaire généralen application du paragraphe 4 de la résolution 731 (!992) du Consei1
de sécurité- Doc. S/23574 du 11.2.1992V. annexe n"90.

51 V. Lettre adressée au Secrétaire général par leSecrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la
coopération internationale(s.d.), transmise par lettre datée du 2. 2.1992, adressée au Secrét<IÎre général par le

Représemam permanent de la Libye auprès des Nations Unies - Doc. SI 23672 du 3.3.1992, annexe Il, V. annexes n'
105-106.

52 Ibid.178

C ~ La Libye a fait des propositions et concessions successives, aptes à

garantir l'objectivitédu procèsdes suspects

6.41 En ce qui concerne l'objectivité du procès des suspects, la Libye a fait les propositions

et concessions suivantes :

La Libye a d'abord suggéréau Secrétaire généraldes Nations Unies d'inviter des juges des

Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France, ainsi que des représentants de la Ligue

Arabe, de l'Organisation d'Unité Africaine et de l'Organisation de la Conférence
Islamique à assister comme observateurs au procès en Libye 53.

- Le 27 février, le Colonel Kadhafi précisait à 1'envoyé spécial du Secrétaire généraldes

Nations Unies que

* la Libye pourrait, moyennant une modification de sa législation interne prohibant

l'extradition de nationaux libyens, envisager l'extradition à un pays tiers tel que Malte

ou un Etat arabe, ou à la France;

* la Libye ne s'opposerait pas à ce que les suspects se livrent eux-mêmes;

* si les relations bilatérales entre la Libye et les Etats-Unis s'amélioraient, la remise à ce
dernier Etat pourrait également êtreenvisagée 54. Une telle amélioration contribuerait en

effet à garantir le procès équitable des suspects.

- Par lettre du mêmejour au Secrétaire généraldes Nations Unies 55,la Libye proposait un
mécanisme précispour la mise en oeuvre de la résolution 731:

"[La Libye] fait la proposition suivante :

1.La Jamahiriya ne s'oppose pas au principe de l'audition des deux suspects dans le bureau duàPNUD

Tripoli;

53 V. Rapport présentépar le Secrétairegénéralen application du paragraphe 4 de la résolution731 (1992) du Conseil de
sécurité- Doc. S/23574 du 11.2.1992, V. a°90.e n
54 V. le nouveau rapport du Secrétairegénéralen application du paragraphe 4 de la résolution731 (1992), Doc. S/23672
du 3.3.1992, V. annexe n• 106.

55 V. lettre datéedu 27.2.1992, adresséeau Secrétairegénéralpar le Secrétairedu Comitépopulaire de l.ia.isonextérieure
etde la coopération internationale - Doc. S/23672 du 3.3.1992, annexe°104. annexe n 179

2. Le Secrétaire généralde l'Organisation des Nations Unies mettra en place une commission judiciaire
composée de juges réputéspour leur neutralité et leur impartialité pour établir les faits, s'assurer de la
réalitédes accusations portéescontre les suspects et procéderà une enquêteapprofondie;

3. Si Je Secrétaire généralde l'Organisation des Nations Unies est convaincu du bien-fondé des
accusations, la Libye ne s'opposera pas à ce que les suspects soient remis, sous sa responsabilité
personnelle, à une tierce partie, étantentendu que celle-ci ne saurait en aucun cas les extrader;

4. Le Secrétaire généralde l'Organisation des Nations-Unies s'engage à donner toutes les garanties
juridiques et judiciaires en vue d'un procès équitable et impartial qui soit conforme à la Déclaration
universelle des droits de l'homme et aux principes du droit international.

Ces propositions auront force obligatoire pour la Libye, si elles reçoivent l'agrément des autres
parties." 56

Le 13 avril, après l'adoption de la résolution 748, la Libye a demandé à Malte si elle était

disposée à juger les suspects, ce à quoi la Libye et les suspects consentaient 57.

Malte a accepté cette proposition le mêmejour, sous réserve de l'accord de toutes les

parties au différend 58.

Ultérieurement, la Libye a encore réaffirméles conditions dans lesquelles une remise des

suspects serait envisageable 59.

Le Pouvoir législatif libyen a, de son côté, adopté une résolution acceptant l'enquêteet le

jugement par le Comité établi par la Ligue arabe, ou par l'entremise des Nations Unies

devant un tribunal impartial à déterminer de commun accord 60.

56 "... the Jamahiriya proposes the following mechanism:

1. It has no objection in principe to handing over the two suspects to be Office of the United Nations Development
Programme in Tripoli for questionning.
2. The Secretary-General of the United Nations should undertake to create a legal committee made up of judges

whose probity and impartiality are wall attested in order to inquire into the facts, asccrtain whethcr the charges made
againts the two suspects areil fonded and conduct a comprehensive inquiry.

3. Should it become evident to the Secretary-General of the United Nations that the charge is weil founded, the Libya
will not oppose the hand-overf the two suspects, under his persona) supervision, to a third party, while stressing that
they should not again be handed over.

4. She Secretary-General of the United Nations should endeavour to provide ail legal and judicial guarantees for the
conduct of a just and fair trial bascd on the International bill of Rights and the principles of international law.

The proposais contained in this draftll be binding on Libya if they are accepted by the other pany."
57 Lettre datée du 13.4.1992, adressée au vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères de Malte par le
Secrétairedu Comitépopulaire de liaison extérieure et de la coopération internationale,nnexe n' 131.

58 Lettre datée du 13.4.1992, adressée au Secrétaire du Comité populaire de liaison extérieure et de la coopération
internationale par le vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangèresde Malte,nexe n' 132.

59 Lettre du Il mai 1992 du Secrétaire du Comité de liaison extérieure et de la coopération internationale, adressée au
Secrétaire général,transmise au Secrétaire généralpar lettre datée du 14.5.1992 du Représentant permanent de la
Libye auprès des NationsUnies- Doc. S/23918 du 14.5.1992, V. annexe n' 141

60 V. Résolution des Congrès populaires de base, adoptéeà leur 2ème session de 1992, transmise au Secrétaire général
par lettre datéedu9.6.1992- Doc. S/24209 du 30.6.1992, V. annexe n' 154.180

- Par lettre du 8 décembre 1992 au Secrétaire généraldes Nations Unies, la Libye a encore

rappelé ses propositions de procéder au jugement devant un tribunal neutre, de façon à ce

que la véritépuisse êtreétablie, conformément à 1'objectif de la résolution 61.

Section 2 - Conclusion quant à l'incidence des résolutions 731 et 748 sur la procédure
devant la Cour

6.42 Il résulte de ce qui précède que, nonobstant 1'obstruction des Etats-Unis et du

Royaume-Uni,

- la Libye a entrepris toutes les démarches possibles et fait des propositions et concessions

successives;

- celles-ci étaient toutes aptes à satisfaire l'exigence du Conseil que soient établies les

responsabilités pour l'attentat sur le vol Pan Am 103.

La Libye a ainsi pleinement rempli son obligation de négociation telle que définie par

le Conseil de sécurité.

6.43 Il en résulteque les résolutions 731 et 748 ne font nullement obstacle au règlement du

présent différend, et n'en détermine nullement l'issue. Les résolutions ne peuvent êtreainsi

interprétées qu'elles s'opposeraient à l'exercice par la Libye de ses droits en vertu de la
convention de Montréal, alors que

- d'une part, les Etats-Unis et le Royaume-Uni rejettent arbitrairement les propositions

libyennes visant à garantir le jugement des suspects hors de la Libye mais dans des

conditions garantissant le caractère équitable du procès;

- et d'autre part, la Libye maintient sa proposition d'autoriser la présence d'observateurs lors

d'un éventueljugement en Libye.

61 V.annexe n176. 181

CHAPITRE III- A TITRE SUBSIDIAIRE : DANS LA MESURE OU ELLES

EXIGERAIENT QUE LA LIBYE LIVRE SES NATIONAUX AUX

ETATS-UNIS OU AU ROYAUME-UNI, LES RESOLUTIONS 731
ET 748 SERAIENT CONTRAIRES A LA CHARTE DES

NATIONSUNIES, ET INOPPOSABLES A LA LIBYE

6.44 Comme il a déjàétéremarqué, ce n'est que si les résolutions devaient êtreinterprétées

comme obligeant la Libye à extrader ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, que la

Libye aurait manqué à cette obligation et que les résolutions seraient susceptibles d'affecter la
présente procédure.

Il est toutefois exposéci-après que pour autantelles comprendraient une telle exigence,

- les résolutions seraient contraires à la Charte, et notamment à ses articles 1 (1) (section 2

ci-après) et 2 (7) (section 3 ci-après);

- la Cour serait par ailleurs appelée à se prononcer sur deux autres motifs qui affecteraient la

validitédes résolutions, à savoir que

* le Conseil, en recourant au Chapitre VII de la Charte dans le seul but de s'arroger les
pouvoirs y conférés,s'est rendu coupable de détournement de pouvoir en violation des

articles 11)24 et 39 de la Charte (section 4 ci-après);

* le raisonnement qui sous-tend les résolutions 731 et 748 est incohérent, ce qui empêche

qu'elles puissent êtreinvoquées devant la Cour (section 5 ci-après).

L'exigence que la Libye livre ses nationaux auxats-Unis ou au Royaume-Uni serait
dès lors inopposablà la Libye, de sorte que les résolutions 731 et 748 n'affecteraient pas plus

la présente procédure.

Avant de procéder à cette démonstration, il convient de rappeler que la Cour a le

pouvoir de vérifier les effets juridiques des résolutions 731 et 748, et de préciser la portée de
ce contrôle (section 1 ci-après).182

Section 1- La Cour a le pouvoir de contrôler la régularitédes résolutions 731 et 748

au regard de la Charte des Nations Unies

6.45 La doctrine la plus autorisée a appelé de ses voeux le contrôle, par la Cour, de la

validitédes résolutions 731 et 748 dans la présente affaire.

Pour le Professeur Thomas Franck :

"The legality of actions by any UN organ must be judged by reference to the Charter as a "constitution"
of delegated powers. In extreme cases, the Court may have to be the last-resort defender of the system's
legitimacy if the United Nations is to continue to enjoy the adherence of its members. This seems to be

tacitly acknowledged judicial common ground." 62

Le Professeur Mark Weiler remarque :

"As was hinted at in severa! of the dissenting opinions to the Lockerbie order, it may in fact be
necessary for the Court to exercise such competence if the constitutional system of the UN Charter is to
recover from the blow it has suffered in this episode. For, if there is no way of ensuring that the
enormous powers of the Council are exercised in accordance with the Charter, it is unlikely that the

States not permanently represented on it will in the long run desire to cooperate with the
organisation." 63

Se référantau Professeur Alain Pellet, le Professeur Graefrath affirme:

"The Court is obliged to rule on any matter properly brought before it (..) on the basis of international
law and by applying judicial methods. If necessary, this of course includes an interpretation of the

Charter and a review of the legality of a Security Council resolution. I cannot find any provision of the
Charter that would hinder the Court in exercising such jurisdiction. According to Article 92 of the
Charter the Court is 'the principal judicial organ of the United Nations'. What other organ could legally
decide whether an act of a UN organ is in accordance with the principles and purposes of the Charter?
(..)

It seems that the Court has the authority and competence to decide whether a Security Council decision
is in conformity with the Charter when this question comes up in the normal course of its judicial
function.
Professor Alain Pellet recently discussed this point before the International Law Commission. He
stressed that the Court should always satisfy itself that any given decision of the Security Council was 1

legally correct, and that Security Coun il decisions must at !east comply with the norms of ius cogens

62 Thomas M. Franck, 'The "Powers of Appreciation": Who ls the Ultimate Guardian of UN Legality?", A.J.I.L.,vol.
86, p.522-523. Notre traduction: "La légalitédes actions de tout organe de l'ONU doit êtrejugéepar référenàela

Charte en tant que "constitution" de pouvoirs délégués. ans des cas extrèmes, la Cour pourrait devoir s'affirmer
comme le défenseurde dernièreinstance de la légitimidu système,faute de quoi les Nations Unies ne pourront pas

continuer de bénétïciru soutien de leurs membres. Ceci est de bon sensjuridique, et tacitement admis."
63 Mark Weiler, "The Lockerbie Case: A Premature End to the 'New World Order'?", R.A.D.J.C. 1 A.J.J.C.L.1992, p.
324. Notre traduction: "Comme il a étésuggérédans diverses opinions dissidentes dans l'Ordonnance Lockerbie, il

peut êtrenécessaireen pratique que la Cour exerce une telle compétencesi le systèmeconstitutionnel de la Charte
doit se remettre du coup qui lui a étéportédans cet épisode.Car, s'il n'existe pas de moyen de garantir que les

énormespouvoirs du Conseil sont exercésconformément àla Charte, il est improbable que les Etats ne disposant pas
d'un siègepermanentau Conseil seront,à long terme,disposésà collaborer avec l'Organisation." 183

and certainly should not be contrary to the Charter itself, which is definitely superior to any finding of

the Security CounciL" 64

et encore:

"The Security Council remains a political organ that takes political decisions. Even if the Council
decides legal disputes and exercises 'quasi-judicial functions' it neither applies judicial methods nor
reaches judicial results. lts decisions therefore cannot replace rulings of the Court or make them

superlluous. The Security Council should leave to the Court what belongs to the Court. (..)
If a Security Council decision - for whatever reason - in practice adjudicates a dispute between States,
nothing can prevent the Court from deciding on the legality of such a Security Council decision if this
becomes necessary when the matter is brought before the ICJ. Otherwise it would be quite easy for

States to limit the jurisdiction of the Court even though they had previously accepted it. States could
simply bring the case to the Security Council and obtain a political decision. Such a procedure would
severe\y affect the independence of the Court." 65

Un auteur américain,M. Geoffrey Watson, parvient à une conclusion analogue 66.

6.46 Il est exposéci-après que ce pouvoir de la Cour de déterminer les effets juridiques des

résolutions du Conseil de sécurité,puise son fondement dans le caractère judiciaire de la Cour

(A). Ce fondement permet de déterminer la portée du contrôle de la Cour (B). Il en résultera

que, dans la mesure où elles exigeraient que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni, la Cour serait appeléeà vérifierla validitédesdites résolutions (C).

64 Graefrath, B., "Leave to the Court What Belongs ta the Court. The Libyan Case." E.J.l.L.,1993, p. 200-20 l.Notre
traduction:"La Cour est dans l'obligation dese prononŒr sur toute affaire dont elle est régulièrementsaisie (..) sur

hase du droit international ct en appliquant des méthodes judiciaires. Si nécessaire, ccci inclut hien sûr une
interprétation de la Charte et contrôle de la légalitéd'une résolulion du Conseil de sécurité.Je ne trouve aucune

disposition dans la Charte qui empêcheraitla Cour d'exercer cette compétence. Conformément à l'article 92 de la
Charte, la Cour est 'l'organe judiciaire principal des Nations Unies'. Quel autre organe pourrait décideren droit si un

acte d'un organe de l'ONU est conforme aux principes et buts de la Charte ?
(.)

11semble que la Cour ait1'autoritéct la compétence pour décidersi une décisiondu Conseil de sécuritéest conforme
à la Charte lorsque cette question est soulevée dans le cours normal de [l'exercice] de sa fonction judiciaire. Le

Professeur Alain Pellet a récemment discuté de ce point devant du droit international. Il a accentué que la Cour
devrait toujours se satisl'aire de ce qu'une décision donnéedu Conseil de sécuritéest juridiquement correcte, et que

lesdécisionsdu Conseil de sécuritédoivent à tout le moins êtreconformes aux normes de ius cogens et ne pourraient
ç,naucun cas êtrecontraires à la Charte même,qui prime incontestablement toute constatation du Conseil de sécurité".

65 Ibid., p204. Notre traduction: "Le Conseil de sécuritéreste un organe politique qui prend des décisions politiques.
Mêmesi le Conseil décidede différends juridiques et exerce des "fonctions quasi-judiciaires", il n'applique pas des

méthodesjudiciaires. Pour cette raison, ses décisions ne peuvent pas remplacer des jugements de la Cour ou rendre
ceux-ci superflus. Le Conseil de sécuritédevrait laisser à la Cour ce qui appartient à la Cour. (..)

Si une décisiondu Conseil de sécurité- pour quelle raison que ce soit - tranche en pratique un différend entre Etats,
rien ne peut empêcherla Cour de décider de la légalitéd'une telle décision si ceci s'avère nécessaire dans l'affaire

portéedevant la Cour. Autrement, il serait trop facile pour les Etats de limiter la compétence de la Cour. Alors même
qu'ils l'auraient acceptée précédemment,les Etats pourraient tout simplement porter l'affaire devant le Conseil de

sécuritéet obtenir une décisionpolitique.ne telle procédureaffecterait sérieusement l'indépendance de la Cour."
66 "Constitutionalism, Judicial Rcview, and the World Court", Harvard l.L.J, 1993,1pss.184

A- Le fondement du pouvoir de la Cour de vérifier les effets juridiques des
résolutions du Conseil de sécurité

6.47 Le pouvoir de la Cour de contrôler la régularitédes résolutions du Conseil de sécurité
puise son fondement dans la fonction judiciaire mêmede la Cour. La Cour ne pourrait, sans se

départir de sa fonction judiciaire, prendre en compte des actes juridiques aux fins de dire le

droit, sans analyser la validitédesdits actes juridiques si celle-ci est contestée.

6.48 Dans son avis consultatif du 20 juillet 1962 sur Certaines dépenses des Nations Unies,

la Cour a étéappelée à se prononcer sur la portée de la résolution de l'Assemblée générale

demandant l'avis consultatif, au regard du rejet d'un amendement français tendant à ce que la

Cour donnât un avis sur le point de savoir si les dépenses en question avaient été"décidées
conformément aux dispositions de la Charte".

La Cour a jugésur ce point :

"La Cour ne juge pas nécessaire d'exposer dans quelle mesure les travaux de 1'Assemblée générale
antérieurs à 1'adoption d'une résolution doivent entrer en ligne de compte pour l'interprétation de cette

résolution, mais elle fait les observations sui vantes qua nt à l'argument. fondé sur le rejet de
1'amendement français.

Le rejet de l'amendement français ne constitue pas une injonction pour la Cour d'avoir à écarter
l'examen de la question de savoir si certaines dépenses ont été"décidées conformément aux
dispositions de la Charte", si la Cour croit opportun de l'aborder. On ne doit pas supposer que
1'Assembléegénéraleait ainsi entendu lier ou gênerla Cour dans l'exercice de ses fonctions judiciaires

;la Cour doit avoir la pleine libertéd'examiner tous les élémentspertinents don7 elle dispose pour se
faire une opinion sur une question qui lui est posée en vue d'un avis consultatif." 6

6.49 Dans son avis consultatif du 21 juin 1971 sur les Conséquences juridiques pour les

Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie, la Cour a jugé

"Il est évident que la Cour n'a pas de pouvoirs de contrôle judiciaire ni d'appel en ce qui concerne les
décisions prises par les organes des Nations Unies dont il s'agit. Ce n'est pas sur la validité de la
résolution 2145 (XXI) de 1'Assemblée généraleou des résolutions connexes du Conseil de sécuriténi
sur leur conformité avec la Charte que porte la demande d'avis consultatif. Cependant, dans l'exercice
de .mfonction judiciaire et puisque des objections ont éformulées, la Cour examinera ces objections
dans son exposé des motifs, avant de se prononcer sur les conséquences juridiques découlant de ces
résolutions." 68

et, après avoir procédéà cet examen, a conclu :

67 Recueil, 1962p. 156-157-nos italiques.

68 Recueil, 1971p.45 -nos italiques. 185

"L'Afrique du Sud, à laquelle incombe la responsabilité d'avoir crééet prolongé une situation qui, selon

la Cour, a étévalablement déclaréeillégale, est tenue d'y mettre fin." 69

Il ressort de ces extraits que, alors même que la Cour n'était pas saiSie par

l'Assemblée généralede la question de la validitédes résolutions en cause, 1'exercice de sa

fonction judiciaire exigeait qu'elle examina la validitécontestéedes résolutionspertinentes.

Dans son opw•on individuelle jointe à l'avis du 21 juin 1971, le Juge Petren s'est

prononcéen ces termes:

"(..) il est exclu que la Cour puisse se prononcer sur les conséquences juridiques de la résolution 276
(1970) du Conseil de sécuritésans examiner d'abord la validité des résolutions sur lesquelles elle est
elle-même fondée, et cela d'autant plus que la validité desdites résolutions a étécontestée par l'Afrique

du Sud et mise en doute par d'autres Etats. Tant que la validité des résolutions sur lesquelles se fonde la
résolution 276 (1970) n'est pas établie, il est évidemment impossible que la Cour se prononce sur les
conséquences juridiques de la résolution 276 (1970), car il ne peut y avoir de telles conséquences

juridiques si les résolutions de base sont illégales, et se prononcer comme s'il y en avait serait
incompatible avec le rôle d'un tribunal. Il me semble que la majorité aurait dû s'exprimer sur ce point
avec plus de précision et de fermeté, mais je constate qu'elle a estimé elle aussi que l'avis devait

comprendre un examen de la validitédes résolutions en question." 70

Le Juge Onyeama a fait valoir dans son opinion individuelle:

"La Cour a étécrééecomme organe judiciaire principal des Nations Unies et, à ce titre, elle statue sur
les différends entre Etats dont elle peut valablement connaître. Elle est autorisée par la Charte et par le

Statut à donner des avis consultatifs (..).

Dans l'exercice de ces fonctions, la Cour est pleinement indépendante des autres organes des Nations
Unies; elle n'est nullement tenue d'émettre un arrêtou un avis qui soit "politiquement acceptable"; ce

n'est pas là son rôle. Sa mission, pour reprendre les termes de 1\artic\e 38 du Statut, est de se prononcer
"conformément au droit international". ·

Les pouvoirs de la Cour sont clairement définis par son Statut, et îl n'entre pas dans ces pouvoirs
d'exercer un contrôle sur les décisions d'autres organes des Nations Unies; mais lorsque, comme c'est
le cas en l'espèce, les décisions de ces organes intéressent une affaire dont la Cour est dûmenf saisie, et

lorsqu 'il est impossible de rendre un arrêtou un avis bien fondé sans examiner la validité de ces
décisions, la Cour ne peut évitercet examen sans abdiquer son rôle d'organe judiciaire." 71

De même,le Juge Dillard fait valoir que, si les résolutions formulant la demande

d'avis consultatif ne semblaient pas inviter la Cour à examiner la validitéde la résolution 276

du Conseil ni de la résolution2154 de l'Assembléegénérale,

"On peut difficilement demander à un tribunal de se prononcer sur des conséquences juridiques si les
résolutions dont découlent ces dernières renferment elles-mêmes des conclusions juridiques affectant

69 ibid,p. 54- nos italiques.

70 Avis consultatif d21 juin 1971,Opinion individuelledu Juge Pctren,Recueil, 1971,p.13 J-nos italiques.
71 Avis consultatif d21 juin 1971,opinion individuelledu Juge Onyeama, Recueil, 1971,p. 143-144 -nositaiiques.186

ces conséquences (...) quand ces organes jugent bon de demander un avis consultatif, ils doivent
s'attendre à ce que la Cour agisse strictement en conformité de sa fonction judiciaire. Celle-ci lui
interdit de faire sienne, sans autre examen, une conclusion juridique qui conditionne par elle-mêmefa

nature et la portéedes conséquencesjuridiques q~eân procèdent." 72

Le Juge Fitzmaurice traduit la mêmepensée en faisant valoir que

"sur le plan consultatif comme au contentieux la Cour doit toujours agir comme un tribunal (..) le fait,
pour un tribunal, de donner des réponses qui peuvent seulement avoir un sens et de la pertinence si une
situationjuridique donnée est présumée exister, sans examiner si elle existe (en droit), reviendrait

simplement à se livreà un intéressant jeu de société,ce qui n'est pas le rôle d'un tribuna!." 73

6.50 En conclusion, la Cour ne p_ourrait, sans se départir de sa fonction judiciaire, prendre

en compte des actes juridiques aux tins de dire le droit, sans analyser la validité desdits actes

juridiques si celle-ci est contestée.

B- Conséquences de ce fondement quant au contrôle de la validité des

résolutionsdu Conseil de sécurité

6.51 Le fondement du pouvoir de contrôle de la Cour qui comme on l'a dit repose sur sa

fonction judiciaire, en détermine également la portée, et ceci sous trois angles.

1 - La Cour a non seu 1ement 1a possi bi1 ité, ma 1s encore le devoir de

contrôler la validité des actes juridiques qu'elle prend en compte pour
dire le droit. lorsque celle-ci est contestée

6.52 Dans la mesure où elle ne peut se départir de son caractère judiciaire, la Cour a le

devoir de contrôler la validité des actes juridiques qu'elle prend en compte pour dire le droit.

Il en va en tout cas ainsi lorsque cette validité est contestée.

Ceci est amplement souligné par les opinions individuelles précitées.

Pour le Juge Petren:

72 Avis consultatif 21 juin1971,opinion individuelle du Juge Dillard, R1971,p. 151- nos italiques.
73 Avis consultatif 21 juin1971,opinion dissidente du Juge Fitzmaurice, Re1971,p.302·303. 187

".. il est exclu que la Cour puisse se prononcer sur les conséquences juridiques de la résolution 276
(1970) du Conseil de séeuritésans examiner d'abord la validitédes résolutions sur lesquelles elle est

elle-mêmefondée." 74

Selon le Juge Onyeama:

"la Cour ne peut évitercet examen sans abdiquer son rôle d'organe judiciaire75

De même,pour le Juge Dillard,

"[La fonction judiciaire de la Cour] .. lui interdit de faire sienne, sans autre examen, une conclusion

juridique qui conditionne par elle-même la nature et la portée des conséquences juridiques qui en
procèdent."76

Pour le Juge Fitzmaurice,

"sur le plan consultatif comme au contentieux la Cour doit toujours agir comme un tribunal (.77."

2- Le pouvoir de contrôle de la Cour prévaut également dans la procédure

contentieuse

6.53 Dans la mesure où elle se fonde sur la fonction judiciaire de la Cour, la jurisprudence

en matière consultative précitées'applique également,si ce n'est afortiori, au contentieux.

Le Juge Onyeama, aprèsavoir distinguéles deux fonctions de la Cour, conclut que

"lorsqu'il est impossible de rendre un arrêtou un avis bien fondé sans examiner la validité de ces
décisions,la Cour ne peut évitercet examen sans abdiquer son rôle d'organe judiciaire78

De mêmele Juge Fitzmaurice déduit-il la nécessité d'analyser la validité de la

résolution2145 de l'Assemblée générale,de ce que

"(..)sur le plan consultatif comme au contentieux la Cour doit toujours agir comme un tribun79."

74 Avis consultatif du 21 juin 1971, opinion individuelle ùu Juge Petren, Receuil, 197 \, p. 131.
75 Avis consultatif du 21 juin 1971, opinion individuelle du Juge Onyeama, Recueil, 1971, p. 144.

76 Avis consultatif du 21 juin 1971, Opinion indiviùuellc du Juge Dillard, Recueil, 1971, p. 151.
77 Avis consultatif du juin 1971, Opinion dissidente du Juge FiLzmaurice, Recueil, 1971, p. 302
78 Avis consultatif du 21 juin 1971, opinion individuelle du Juge Onyeama, Recueil, 1971, p.143-144- nos italiques.

79 Avis consultatif du 21 juin 1971, opinion dissidente du Juge Fitzmaurice, Recueil, 1971, p. 302 - nos italiques.188

Si pour le Juge Bustamante, la fonction consultative impose à la Cour des limites en

matière de contrôle de légalité,il n'en va pas de mêmeau contentieux:

"(..)le cas est que la Cour n'a pas lieu de se prononcer sur ces sujets, non seulement par le fait de la
nature de cet avis consultatif(opiner, pm·juger) mais parce que les limites de la question posàel'avis
visent uniquement la définition de savoir si les dépenses du Moyen-Orient et du Congo sont, oui ou

non, des "dépenses de l'Organisation", sans inclure l'aspect de la légalitédesditcs dépenses." 80

3 - Au contentieux, le contrôle de la Cour est exercéà titre incident

6.54 Il résultedéjàde ce qui précèdeque le contrôle de la Cour ne suppose pas l'existence

d'un contentieux de la légalitépermettant de saisir la Cour directement de la validitédes actes

des organes politiques des Nations Unies.

Les avis consultatifs des 20 juillet 1962 et 21 juin 1971 le démontrent, dans toute
mesure où la Cour a accepté de vérifierla validitédes résolutions de l'Assemblée généraleet

du Conseil de sécurité,alors mêmeque la question ne lui avait pas étésoumise, voire lui avait

étésoustraite.

Dans son avis du 21 juin 1971, la Cour a elle-mêmesouligné le caractère incident de

ce contrôle, en indiquant qu'il trouvait sa place dans les motifs de l'avis et non dans le
dispositif.

"( ..) la Cour examinera ces objections dans son exposé des motifs, avant de se prononcer sur les
conséquences juridiques décou ant de ces résolutions." 81

De même,lorsqu'au contentieux le problème de la validité d'un acte se pose à titre

incident, la Cour est appelée à examiner ce problème dans son exposé des motifs. Le résultat

de cet examen lie les parties au différend soumis à la Cour, dans la mesure où il fonde l'arrêt
de la Cour.

80 Avis consultatif du 20juillet 1962,opinion dissidente du Juge BustRecueil,1962,p. 307- nos italiques.
81 Recueil, 1971, p. 45; dans le mêmesens: avis consu1fadu 20 juillet 1962, opinion individuelle du Juge Morelli,
Recueil, 1962, p. 216-217; opinion dissidente du Juge Bustamanibid,p. 288; avis consultatif du 21 juin 1971,

opinion individuelleu Juge De CastroRecueil,1971,p. 182. 189

Dans le présentdifférend,la Cour est appelée à se prononcer sur les effets

juridiques des résolutions 731 et 748 du Conseil de sécurité- portée du
contrôle à exercer par la Cour

1- Dans la présente espèce, la Cour est nécessairement appelée à se

prononcer sur les effets juridiques des résolutions 731 et 748

6.55 11résulte de ce qui précède qu'en la présente espèce, la Cour est appelée à se
prononcer sur les effets juridiques des résolutions 731 et 748 du Conseil de sécurité,si les

défendeurs se fondent sur ces résolutions pour tenter d'écarter l'application de la convention

de Montréal.

De fait, à supposer que lesdites résolutions exigent de la Libye qu'elle livre ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, leur validité déterminerait entièrement l'issue

du différend porté devant la Cour. La Cour ne pourrait donc pas rendre un jugement fondé,

conformément au droit international, sans se prononcer sur cette validité.

6.56 Ensuite, le contrôle de la Cour n'est nullement limité par le fait que la présenteaffaire
soit introduite sur base de la convention de Montréal. Dans la mesure où il répond à une

exception d'illégalité,le contrôle que la Cour est appelée à exercer permet de confronter les
résolutions 731 et 748 à toute norme dont peut dépendre leur validité.

2- La portée du contrôle de la Cour quant aux effets juridiques des

résolutions 731 et 748

6.57 La Cour peut contrôler le respect des di:·.-positionsde la Charte qui conditionnent
l'exercice des pouvoirs du Conseil de sécurité:

Dans l'affaire des Conditions d'admission d'un Etat aux Nations Unies, la Cour a

jugé:

"Le caractère poli tique d'un organe ne peut le soustraire à 1'observation des di sposi tians
conventionnelles qui le régissent, lorsque celles-ci constituent des limites à son pouvoir ou des critères à
son jugement"82.

82 Receuil1947-1948p.64 - nos italiques.190

Dans le contexte particulier de l'admission d'Etats membres aux Nations Unies, la

Cour a ainsi exercé son contrôle quant au respect des dispositions de la Charte qui constituent

des limites aux pouvoirs de l'organe politique, ou des critères pour son jugement.

6.58 Le respect de ces limitations et critères détermine les effets juridiques des décisions du

Conseil de sécuritéà l'égard des Etats membres. Comme l'a récemment remarqué le Juge

Bedjaoui, ceci résultedirectement du droit international général:

"(..) le Conseil de sécurité,comme du reste tous les autres organes politiques des Nations Unies, devrait
se conformer dans ses actes aux dispositions dea Charte (..) Cet organe doit naturellement servir la
volonté des Etats, exprimée dans le traitéquia investi d'un mandat qu'il doit se garder de dépasser.

Cette obligation du Conseil dérivenon seulement de la Charte mais encore du droit international lui­
même,puisque, selon un principe généralde base, fa violation des stipulations d'un traité expose à
sanction. La Cour l'a déclaré83

Ce raisonnement doit nécessairement prévaloir dans une procédure devant la Cour, qui

est appelée à se prononcer sur base du droit international, et qui ne pourrait donc valider la

violation d'un traité.

6.59 La mêmeconclusion s'impose au regard de la Charte même.L'article 25 de la Charte

énonce que

"Les Etats membres conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité
conformémentà la présenteChar/e." (nos italiques)

Les Etats membres ne s'engagent ainsi à appliquer les décisions du Conseil de

sécurité,que dans la mesure où elles ont étéadoptées conformément à la Charte. Comme 1'a

jugé la Cour dans son avis consultatif du 21 juin 1971:

"(..) lorsque le Conseil de sécuritéadopte une décision aux termes de l'article 25 conformbnenla
Charte, il incombe aux Etats membres de se conformeràcette décision( ..84

Comme le remarque le Président Jiménez de Aréchaga:

"In the light of the above pronouncement it may not be sufficient for the Council to invoke Article 25
for its decision to be binding. key words in the Court's pronouncement are those which, on the

83 M. Bedjaoui "Du contrôle de légalitédes actes du Conseil de sécurité",in Nouveaux itinérairesen droit- Hommage à

Frcm~· Rigu.1,·ruylant, Bruxelles, l993, p. 92-93 - nos italiques.
84 Avis consultatif du 2ln 1971Recueil,971,p. 54·nos italiques. 191

basis of the terms of Article 25, require the decision itself to have been adopted "in accordance with the

Charter"." 85

Et le Présidentpoursuit en citant le Juge Bustamante:

"C'est seulement en raison de la soumission aux buts et garanties fixés par la Charte que les Etats
membres ont limité partiellement la portée de ses (sic) pouvoirs souverains (art. 2). il va sans dire par

conséquent que la vraie raison de l'obeissance des Etats Membres aux autorités de l'Organisation est la
conformité des mamdats de ses organes compétents au texte de la Charte. Ce principe de la
correspondance conditionnée entre le devoir d'accepter les décisions institutionnelles et la conformité

de ces décision àla Charte a étéconsacré par l'article 25..." 86

Hans Kelsen soulignait déjà:

"lt seems, however, as if Article 25 does not mean that the Members are obliged to carry out ali
decisions of the Security Council since, according to its wording, they agree to accept and carry out the
decisionsof the Security Council 'in accordance with the present Charter'. Ttis not clear whether the

last mentioned words refer to'the decisions of the Security Council' or to the ph'toaccept and
carryout'. However, in both cases the meaning of Article 25 is that the Members are obliged to carry
out only those decisions which the Security Council has taken in accordance with the Charter." 87

6.60 Face à un acte 'quasi-judiciaire' du Conseil de sécurité,le pouvoir de contrôle de la

Cour est re1~{ oté tendu:

Si, dans le contexte particulier de l'admission d'Etats membres aux Nations Unies, la

Cour a limité son contrôle au respect des dispositions de la Charte qui conditionnent les

pouvoirs des organes politiques des Nations Unies, il ne peut en aller de mêmelorsqu'un
organe politique assume une compétence "quasi-judiciaire". Dans ces circonstances, le

pouvoir de contrôle de la Cour se voit renforcéet étendu.

6.61 Ceci résultenotamment de J'avis consultatif de la Cour du 21 juin 1971, où la Cour a

validél'acte 'quasi-judiciaire' de l'Assemblée généraleconcernant la terminaison du droit de

1'Afrique du Sud d'administrer la Namibie.

85 E. Jiménezde Aréchaga,"General Course in Public internatioR.C.A.D.l1978-1,p. 122.
86 Avis du 20juillet 1962,opinion dissidente du Juge BuRecueil,1962,p. 104.

87 Kclsen,H.. The Law of the United Nations· A crilical Analysis of Fundemental Problems,p. 95. Notre50
traduction:Il semblerait toutefois que l'article 25 de la Charte ne signifie pas que les Membres soient obligés

d'appliquertoutes les décisionsdu Conseil de sécuritépuisque, aux termes de cet article, ils conviennent d'accepter et
d'appliquer les décisionsdu Conseil de sécurité"conformémentà !a présenteCharte". Il n'est pas clair si ces derniers
mots se réfèrentaux 'décisionxdu Conseil de sécuritéou à la phrase' d'acŒpter et d'appliquer. "Toutefois dans ces

deux cas, le sensde l'article25 est que les Membres sontobligésd'appliquer les décisionsque le aonseil de sécurité
prisesconformément laCharte."192

Après avoir notéque cet acte reposait sur une conclusion formulée par la Cour dans

son avis consultatif de 1950 sur le Statut international du Sud-Ouest africain, et confirmée

dans son arrêtdu 21 décembre 1962, la Cour a jugé:

"S'appuyant sur ces décisionsde la Cour, 1'Assemblée généralea déclaréque, le mandat étant terminé,

"!'Afrique du Sud n'a aucun autre droit d'administrer le Territoire". Ellen 'apas ainsi tranchédes faits
mais décritune situation juridique. Il serait en effet inexact de supposer que, parce qu'elle possède en
principe le pouvoir de faire des recommandations,1'Assemblée généraleest empêchéed'adopter, dans
des cas déterminés relevant de sa com~éten ces résolutions ayant le caractère de décisions ou
procédant d'une intention d'exécution.8

Et la Cour a conclu:

"L'Afrique du Sud, à laquelle incombe la responsabilité d'avoir crééet prolongé une situation qui, selon

la Cour, a étévalablement déclaréeillégale,est tenue d'y mettre fin89

La Cour ne s'est ainsi pas limitée à vérifiersi l'Assemblée généraleavait respecté les

dispositions de la Charte qui "constituent des limites à son pouvoir ou des critères à son
jugement", mais a vérifiési la résolution de l'Assemblée généraleétaiten tout point conforme

à la solution à laquelle étaitparvenue la Cour en tant qu'organe judiciaire.

6.62 La même conclusion s'impose à l'égarddu Conseil de sécurité.De fait, conformément

au Chapitre VI, le Conseil n'est pas a priori appeléà exercer des pouvoirs "quasi-judicaires".

Le Chapitre VI charge d'abord le Conseil d'assister les Etats dans leur choix entre les voies de

règlement pacifique. Comme le Professeur Graefrath l'a encore remarqué récemment:

"Normally the Security Council has a policing function. lt is only in the exceptional situation of article
37.2 that the Security Council may recommend appropriate terms of seulement. In principle under

Chapter VI its power is limited to recommend appropriate procedures or mensures of adjustment.90

C'est ainsi que l'article 37 de la Charte subordonne la recommandation de termes de

règlement par le Conseil, à l'impossibilité pour les parties de régler leur différend par d'autres

voies, et que l'article 36 (3) prévoitque

"En faisant les recommandations [quant aux procédures ou méthodes d'ajustement appropriées], le
Conseil de sécuritédoit aussi tenir compte du fait que, d'une manière générale,les différends d'ordre
juridique devraient êtresoumis par les parties à la Cour internationale de Justice conformément aux

dispositions du Statut de la Cour."

88 C.I.J., Receuil, 1962, p.nositaliques.

89 Ibid, p. 54nositaliques.
90 Graefrath, B., "Leave To The Coun What Belongs To The Court. The LibyanCa.~e E.JJ.L, 1993,p. 193.Notre

traduction: "normalement le Conseil de sécuritéa une fonction de police. Cc n'est que dans l'hypothèse
exceptionnelle de1article 37.2 que le Cons1peut recommander des termes de règlement appropriés. Sous le

Chapitre VI,ses pouvoirs se Limitenten princàpla recommandation de procéduresappropriéesou de méthodes
d"ajustement." 193

6.63 La Libye n'entend nullement déduire de ce qui précèdeque la Cour devrait, dans des

cas où la Charte octroie expressément un pouvoir discrétionnaire au Conseil de sécurité,
substituer son appréciation propre à celle du Conseil sans restriction aucune.

Par contre, il appartient à la Cour de vérifiersi, partant des données dont il disposait,

le Conseil a pu, en logique et en droit, parvenir à la conclusion qui est la sienne.

Il en résulte en particulier, que la motivation juridiquement et logiquement

contradictoire des résolutions 731 et 748, exclut que celles-ci puissent êtreinvoquées devant
la Cour comme déterminant l'issue du présent litige, et cela alors mêmeque cette motivation

n'entraînerait pas une violation de la Charte.

Section 2 - Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748
du Conseil seraient contraires à l'article l, paragraphe l de la Charte

6.64 Il est procédéd'abord à l'analyse de l'article 1 (1) de la Charte au regard des pouvoirs

du Conseil en vertu des Chapitres VI et VII de la Charte (A). Il sera ensuite exposéque, dans

la mesure où elles exigeraient que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni, les résolutions litigieuses violeraient lesdites dispositions (B).

A - La portéede l'article l (1) de la Charte

6.65 L'article ler de la Charte énonceque

"Les buts des Nations Unies sont ~uivants:

(1) maintenir la paix et la sécurité internationet à cette fin: prendre des mesures collectives

efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou
autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la
justice internationale, l'ajustement ou le règlement des différends ou de situations, de caractère
international, susceptibles de mànune rupture de la paix." (nos italiques)194

La signification de cette disposition ne peut êtredissociée des pouvoirs conférésau

Conseil par les Chapitres VI et VII de la Charte. Après avoir préciséle sens de l'expression

"conformément aux principes de la justice et du droit international" (par. a), il conviendra

donc de situer cette expression par rapport aux pouvoirs du Conseil en vertu du Chapitre VI

(par. b) et du Chapitre VII (par. c) de la Charte.

1 - La signification de l'expression "conformément aux principes de la

justice et du droit international"

6.66 Le rapport du Comité Ill à la Conférence de San Francisco contient, à cet égard, les

précisions suivantes :

"(a) le comité a considéré que l'expression"en tenant dûment compte" des principes de la justice et du
droit international",qui figure à titre d'amendements des quatre puissances invitantes, n'était pas

suffisamment accentuée. Ila donc remplacé 1expression "en tenant dûment compte" par 1'expression
"conformément à".

(b) (..) Il est clair que dans un cas d'ajustemeou de rèflement de litiges ou de situationsla solution
doit êtreconforme à a justice et au droit international."

Il en ressort que l'expression "conformément aux principes de la justice et du droit

international", retenue dans l'article 1 (1) de la Charte, implique non une vague prise en
compte, comme point de référence,desdits principes, mais le strict respect de ceux-ci.

Cette exigence prévaut tant pour l'ajustement des situations que pour le règlement des

ditJérends.

6.67 Ensuite, 1'expression "principes de la justice et du droit international" n'offre pas au

Conseil de sécuritéle libre choix entre les principes de la justice, et les principes du droit
international. Ceci est déjàexclu, par le fait que 1'expression vise les principes de la justice et

du droit international. Par ailleurs, si le Conseil pouvait écarter le droit international au profit

de ce qu'il considère comme équitable ou nécessaire, le renvoi au droit international serait

inutile, puisqu'aussi bien la référenceaux seuls principes de la justice n'empêcherait pas le

91 Doc. 944 Ul/34 (1) du 13 juin 1945, U.N.CJ.O., Documents, vol. 6, p. 472-473. En anglais: a) The Committ.ee held
that"with due regard to the fundamental principles of justice and intemalional law'',as it came in the amendement of
the four sponsoring powers, was not sufficiently emphatic. "With due regard" consequently became "in conformity

with".
(b) (..) lt was clear in any case of adjustment or settlement of disputes or situations, that the solution should be made
in conforrnity with justice and international law." (ibid., p. 454). 195

Conseil de se baser sur le droit international lorsque cela lui semblerait conforme aux
principes de la justice.

Le Professeur Higgins a souligné le caractère indissociable de la justice et du droit

international:

"So far as "justice" is concemed, there is no evidence in the travaux préparatoires that the framers of the
Charter saw any great distinction between law and justice: the terms were used almost synonymously,
even if somewhat redundantly; and our own views that justice and law may not always run entirely in

hamess should not lead us to give great weight to this supposed deliberate dichotomy in the Charter
context." 92

2- L'article l (1) par rapport au Chapitre VI de la Charte

6.68 Aux termes de l'article 1 (l), c'est "l'ajustement ou le règlement des différends ou de
situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix" qui doit

êtreréaliséconformément aux principes de la justice et du droit international. L'exigence se

situe ainsi dans le cadre du Chapitre VI de la Charte.

Dans ce contexte, la latitude offerte au Conseil peut sans doute varier selon la fonction

qu'il assume dans un cas concret. Si le Conseil se borne à exercer une fonction de médiation

ou de conciliation, il est assurément autorisé, sous réserve de l'application des règles non
dérogeables, à suggérer aux parties des solutions équitables, différentes de celles s'imposant

stricto iure. Ceci est parfaitement conforme au texte de l'article 1 (l), dans toute la mesure où

il n'est pas contraire aux principes du droit international qu'un médiateur ou conciliateur tente

de réconcilier les parties sur base d'une solution équitable. Par contre, l'article 1 (1) implique
que, si l'activité du Conseil équivaut à un règlement substantiel du différend ou d'un

ajustement substantiel de la situation, les termes de règlement ou d'ajustement doivent être

conformes au droit internationaL Il convient ainsi de distinguer, selon les indices de chaque
cas particulier, les cas où le Conseil fait des propositions en tant que conciliateur, de ceux où

il tranche un différend, fût-ce de façon non obligatoire. Cette dernière hypothèse se présentera

notamment, du moins généralement, lorsque le Conseil recommande des termes de règlement

en vertu de l'article 37 (2) de la Charte, selon lequel

"Si le Conseil de sécuritéestime que la prolongation du différe.nd,semble, en fait, menacer Je maintien
de la paix et de la sécuritéinternationales, il décide s'il doit agir en application de l'article 36 ou
recommander tels termes de règlementu'il juge appropriés."

92 R. Higgins,"The Placeof InternationalLaw in the Settlementof Disputesby the SecurityA.J.l.L1970,p. 196

Le Professeur Higgins confirme que, mêmesi l'article 37 (2) prévoit que le Conseil

peut "recommander tels termes de règlement qu'il juge appropriés",

"1 do not believe that the term "appropriate" in Article 37 (2) was inserted in contradiction to
"international law" in Article L Rather, it was intended by the term to provide broad discretion within

the framework of principles of international law."93

Le règlement d'un différend par le Conseil doit donc être conforme au droit
international, la 'justice' permettant la prise en compte de l'équitésub !egem, mais en aucun

cas contra legem.

6.69 Entïn, quelle que soit la latitude offerte au Conseil lorsque le droit international n'offre

pas de solution claire et précise, le respect des "principes du droit international" exige, à tout
le moins, le respect des engagements conventionnels. Ceci a étébien mis en évidence en 1947

par le représentant du Royaume-Uni au Conseil de sécurité,lorsque l'Egypte s'adressa au

Conseil pour obtenir le retrait des troupes britanniques dans la zone du Canal de Suez. La

présence de ces troupes avait étéconvenue dans un traité, en vigueur entre le Royaume-Uni et

l'Egypte. Le représentant égyptien fit valoir que la question ne devait pas êtrerésolue sur base

du traité:

"(..) 1believe the Security Council is not limited to seulement of the legal aspect of a dispute before it.
The Council is not called upon to adjudicate on the legal rights of the parties. lts mission1shall say its
higher mission - is to preserve peace and security, to see to it that conditions prevail in whîch peaceful
and friendly relations may obtain among nations( ..)"94

Le Royaume-Uni répondit:

"lt is one of the fundamental purposes of the Charter,set forth in Article 1, paragraph 1, to bring about,
by peaceful means, and in conformity with the principles of justice and international law, the settlement
of international disputes. The principe pacta sun! servanda is perhaps the most fundamental principle of
international law ... If the treaty is valid, the Security Council cannat, consistent/y with the purposes of

the United Nations, lake any other course than that of recognizing this fact and removing this matter
from the agenda." 95

De fait, le respect des obligations conventionnelles est un des buts mêmesdes Nations

Unies. Dans le troisième paragraphe de son préambule, la Charte prévoitcomme objectif de

"... créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des
traitéset autres sources du droit international".

La convention de Montréal fait évidemment partie des "traités" cités à cet alinéa...

93 'The Place of International Law in the Settlement of Disputes by the Security Council", A.J.l.L, 1970, p. 9 - italiques
d'origine. Notre traduction:e ne crois pas que le terme "appropriés" dans l'anicle 37.2 inséréen contradiction avec

le 'droitinternational"l'anicle 1er. Le terme visait plutôt à conférer une large marge discrétionnaire dwu le cadre
des principes du droitternational."
94 U.N. Security Council Off. Rec., 2nd year, 1947, !79th meeting, 1861

95 U.N. Security Council Off. Rec., 2nd year, 1947, 176 th meeting, 1772. 197

Enfin, il est évident que le Conseil ne pourrait en aucun cas recommander des termes

de règlement contraires aujus cogens.

3 - L'incidence du recours au Chapitre Vli de la Charte

6.70 Le fait que le Conseil agisse en vertu du Chapitre VII de la Charte, ne le libère
nullement de l'obligation de conformer ses activités visant au règlement ou à l'ajustement

(son activitéquand au fond), aux "principes de la justice et du droit international".

6.71 Il est vrai que, selon les termes de l'article 1 (1),la conformité aux principes de la

justice et du droit international n'est une exigence que pour l'ajustement ou le règlement de

différends ou de situations, et ne s'applique pas aux "mesures collectives efficaces en vue de
préveniret d'écarterles menaces à la paix" viséesdans la première partie de l'article.

Toutefois, il convient d'apprécier l'exacte portée de cette distinction. La première

partie de l'article porte trèsexactement sur les

"mesures collectives efficaces en vue de préveniret d'écarterles àela paix" (nos italiques)

Ces termes visent, non pas le Chapitre VU de la Charte dans son ensemble, mais les

seules mesures coercitives des articles 41 et 42 de la Charte. Ils ne portent pas sur les

recommandations viséesà l'article 39 de la Charte, qui prévoit:

"Le Conseil de sécuritéconst<Jtel'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou
d'un acte d'agression et faitde~ recommandation ou décide que Iles mesures seront prises
conformément aux articles 41 el 42 pour maintenir ou rétablirla paix et la sécuritéinternationales." (nos

italiques)

6.72 Dans toute cette mesure, l'article 1 (1) n'implique nullement, bien au contraire, que le
Conseil puisse, agissant sous le Chapitre VII, adopter des termes de règlement ou

d'ajustement contraires aux principes de la justice et du droit international.198

De fait, il ressort des travaux préparatoires de la Charte que les 'recommandations' de

l'article 39 (celles adressées aux Etats directement intéressés)sont celles que pourrait faire le
Conseil en vertu du Chapitre VI de la Charte. Le Rapport du Comité 3/III à la Conférence de

San Francisco préciseà cet égard:

"En utilisant dans la Section B le mot "recommandations" qui est déjà inscrit dans l'alinéa 5 de la

Section A, le Comité a entendu indiquer que l'action du Conseil, dans la mesure où elle se rapporte au
règlement pacifique du différend ou de la situation ayant donné naissance à la menace de guerre, la
rupture de la paix ou l'agression, devrait êtreconsidéréecomme régléepar les dispositions de la Section
A.
Dans une telle hypothèse, le Conseil poursuivrait en réalitésimultanément deux actions distinctes, !'une

ayant pour objet le règlement du différend ou de la difficulté, l'autre les mesures coercitives ou
conservatoires, chacune d'elles régie par une section propre du chapitre VTII." 96

Tout comme la recommandation adoptée sous le Chapitre Vl, celle adressée en vertu

de l'article 39 aux Etats directement intéressés,doit donc êtreconforme aux "principes de la

justice et du droit international". D'autre part, pas plus que le Chapitre VI, le Chapitre VII

n'autorise le Conseil à imposer des termes de règlement. Le rapport de la Commission II à la
Conférence de San Francisco en donne un des nombreux exemples, en énonçant:

"[Le Conseil de sécurité],s'il estime que le différend constitue une menace pour la paix et la sécurité
internationales, peut décider de recommander d'autres procédures ou condition de règlement." 97

Le Professeur Arangio-Ruiz, Rapporteur spécial de la Commission du Droit

international, a récemment confirméle bien-fondé de cette analyse:

"As stipulated unambiguously in the Charter, the Security Council"s powers consisted of making
nonbinding recommandations, under Chapter VI, wich deaJt with dispute seulement, and also binding
decisions under Chapter VIl, which dealt with measures of collective security. The main point was that,

according to the doctrinal view - which did not according to be seriously challenged either in the legal
literatureor in practice - the Security Council would not be empowered, when acting under Chapter
VII, to impose settlements under Chapter VI in such a manner as to transform its recommendatory
function under Chapter VI into binding settlements of disputes or situations." 98

96 Doc. 881 1113/46du 10 juin 1946, U.N.C.I.O, Dowmems, vol. 12. p. 522-523 : En anglais: "ln using the wurd
'recommendations' in Section B, as alrcady found in paragraph 5, Section A, the Committee has intenùed to show
that the action of the Cuuncil so far as it relates to the peaceful seulement of a dispute orto situations giving rise to a

threat of war, a breach of the peace, or agression, shoulù be considered as governed by the provisions contained in
SectionA Under such an hypothesis, the Council would in reality pursue simultaneously two distinct actions, une
having for its object the settlement of the dispute or the difficulty, and the other, the enforcement or provisional

measures,each of whichis governed by an appropriate section in ChapVlll." (ibidp. 507)
97 Doc. 1170 1170, III/13, 23 juin 1945, U.N.C.l.O, vol. 11,p. 239. En anglais: "[the Security Council], if it considers
that the disputconstit111esa threato international peace and security, shall decide whetherrecommend either

procedures or terms of settlcmen(ibid.p. 233)
98 A/CN.4/sr. 2277, p. 3, 30 juin 1992,citépar Graefrath, cit.p. 193). Notre traduction: "Comme il est stipulésans
ambiguïtédans la Charte, les pouvoirs du Conseil de sécuritéconsistaient en l'adoption de recommandations non­

obligatoires, sous le chapitVI,qui concernait le règlement des différends,et des décisionsobligatoires sous le
chapitreVIl,qui concernait les mesures de sécurité collec. e point essentiel étaitque, selon le point de vue de la
doctrine - qui ne semble pas avoir étésérieusementcontestédans la littératureou la pratique - le Conseil de sécurité

n'aurai! pasle pouvoir, en agissant sous le chapiVIl, d'imposer des règlements sous le chapitrVI de façon à
transformer sa fonction de recommandation sous le chapitrVI en des règlementsobligatoires de différendsou de
situation." 199

et encore:

"Aithough the Security Council had the right to take measures to put an end to fighting, it was not
empowered to settle disputes orto impose a solution to a dispute." 99

6.73 Dans ce contexte, les mesures coercitives n'ont pas pour but l'exécution forcée de

termes de règlement ou d'ajustement, mais le rétablissement des conditions permettant

l'application du Chapitre VI de la Charte. C'est précisément cettefonction du Chapitre VII,
qui fut invoquéepar le ComitéUl pour justifier l'inutilitéd'étendre la référenceaux principes

de la justice et du droit international, à la première partie de l'article 1 (l ).Le Rapporteur

résumaainsi le point de vue du Comité:

"L'Organisation doit( ..) mettre promptement un terme à toutes menaces contre la paix. Après cela, elle
peut se mettre au travail pour trouver un règlement équitabledu litige ou de la situation.

Lorsque l'Organisation a employé le pouvoir dont elle est dotée et la force mise à sa disposition pour
arrêterla guerre, elle peut trouver la latitude nécessaire à l'application des principes de la justice et du
droit international, ou bien elle peut assister les deux parties rivalesr qu'elles trouvent une solution
pacifique.

Le concept de justice et de droit international peuvent ainsi trouver une place plus appropriée dans la
dernière partie du paragraphe. Ce concept peut y trouver sa vraie portée d'action, une expression plus
précise et une application plus pratique. Il ne saurait êtrequestion de laisser cette notion perdre de son
importance ou de son poids ou de sa force, qui lui viennent de son caractère de norme essentielle et

dominante pour l'ensemble de la Charte." 100

Le représentant du Royaume-Uni à la Conférence de San Francisco, a fait la même

analyse du rôle du Conseil de sécuritédans le domaine du maintien de la paix. Citons le texte

original en anglais, où le représentant se réfère à

"the illustration of the policeman or the gendarme who is concerned with dealing with a wrong that he

sees arising. He does not stop at the outset of what he does to inquire where exactly lies the precise
balance of justice in their quarrel. He stops it, and then, in arder to make adjustment and seulement.

justice cames into its own."101

99 A/CN.4/SR.2267, p. 21,29 mai 1992, citépar Graefrath. loc. cit.- Notre traduction: "Quoique le Conseil de sécurité
avait le droit de prendre des mesures pour mettre fin aux conflits armés, il n'avait pas le pouvoir de régler des

différendsou d'imposer une solution un différend."
100 Doc. 944 1/1/34 (1)du 13juin 1945, U.N.C.I.O, Documellls, vol. VI, p. 472. En anglais: "the Organisation should (..)

promptly stop any breachf the peacc, or remove it. After that,i can proceed to find an ajustement or settlement of
that dispute or situation. When the Organisation has used the power given to it, an·dthe force at its disposai to stop
war, then it cannd the lattitudc to appty the principles of justice and international law, or can assis! the contcnding

parties to find a peaccful solution.
The concept of justice and international law can thus find a more appropriatc place in context with the last part of the

paragraph dealing with disputes and situations. Therc, it can find a real scope to opcrate, a more precise expression
and a more practical field of application. There was no imemion to let his notion /ose any of its weight or strength, as
an over-nt!ingonns of the whole Charter." (ibid. 453-454).

101 Doc. 1006 1/6 du 15 juin 1945. U.N.C.I.O, Documellls, vol. VI, p. 14. La traduction française (ibid., p. 20) est fort
incomplète. notre traduction : "l'illustration du policier ou du gendarme qui veut prendre en charge un problème qu'il

voit naître. ne s'arrêtepas au débutde son activitépour déterminer où exactement sc situe la balance exacte de la200

Il en a déduit qu'il n'était pas nécessaire d'étendre le champ d'application des
principes de la justice et du droit international à la première partie de l'article 1 (1), dès lors

que leur application au Chapitre VI offrait toutes les garanties requises 102. Ceci s'explique

précisément, par la portée décrite ci-dessus des mesures coercitives du Chapitre VII de la

Charte.

Dans toute la mesure où les mesures coercitives constituent des 'mesures de police',

c'est-à-dire une coercition temporaire visant à remettre en route Lerèglement pacifique des

différends, il est en effet sans importance que la référenceaux principes de la justice et du
droit international ne vale pas pour la première phrase de l'article 1 ( 1) concernant les

mesures collectives. Celles-ci ont pour but même,le retour au Chapitre VI de la Charte, et

donc aux principes de la justice et du droit international.

6.74 Dans la mesure où le Conseil ferait usage des mesures coercitives afin de sanctionner

la violation d'une obligation internationale, ce procédése distinguerait sous deux aspects de la

conception initiale. D'une part, le Conseil substituerait à la recommandation de termes de
règlement ou d'ajustement, une décisionobligatoire constatant le fait illicite; d'autre part, les

mesures coercitives sanctionnant cette violation, ne viseraient pas le retour au Chapitre VI

comme les mesures de police, mais se substitueraient définitivement au règlement selon ledit

Chapitre.

La Cour a, dans son avis consultatif du 21 juin 1971, analysé une situation analogue.

L'on avait objecté à l'encontre de la résolution 2145 (XXI) de l'Assemblée généralequ'elle

contenait des prononcés que l'Assemblée n'avait pas compétence pour formuler, faute d'être
un organe judiciaire et de n'avoir pas renvoyéla question à un tel organe. La Cour a fait valoir

à cet égardque

"(refuser) le droit d'agir à un organe politique de l'Organisation des Nations Unies (..) parce qu'il
n'aurait pas compétence pour prendre ce qui est qualifiéde décisionjudiciaire, ce serait non seulement
contradictoire mais encore cela reviendrait à un dénitotal des recours disponibles contre les violations

fondamentales d'un engagement international." 103

La Cour a ensuite constaté que la déclaration par l'Assemblée généralequant à la

terminaison du droit de l'Afrique du Sud d'administrer le territoire, reposait sur une

justice dans leur confyimet fin. et ensuite, afin de parvenir à un ajustement ou un règlement, la justice reprend
sesdroits."
102 Ibid.
103 C.I.J., Recueil, 1971, p. 49. 201

conclusion formulée par la Cour dans son avis consultatif de 1950 sur le Statut international

du Sud-Ouest africain, et confirmée.dans son arrêtdu 21 décembre 1962:

"S'appuyant sur ces décisionsde la Cour, l'Assemblée généralea déclaréque, le mandat étant terminé,
"l'Afrique du Sud n'a aucun autre droit d'administrer le Territoire". Elle n'a pas aimî tranchédes faits

mais décritune situation juridique. Il serait en effet inexact de supposer que, parce qu'elle possède en
principe le pouvoir de faire des recommandationsl'Assemblée généraleest empêchéed'adopter, dans
des cas déterminés relevant de sa compétence, des résolutions ayant le caractère de décisions ou
procédant d'une intention d'exécution." 104

Et la Cour a conclu :

"L'Afrique du Sud, à laquelle incombe la responsabilité d'avoir crééet prolongé une situation qui, selon

la Cour, a étévalablement déclaréeillégale,est tenue d'y mettre fin." 105

Cette jurisprudence vaudrait a fortiori, dans l'hypothèse où un organe politique des
Nations Unies ne sanctionnerait pas la viola tion d'une obligation internationale, ma1s

adopterait des termes de règlement en dehors de ce contexte.

6.75 Dans la mesure où ces considérations sont transposables à l'exercice par le Conseil de
ses pouvoirs en vertu du Chapitre VII, il convient d'apprécier le fondement et l'exacte portée

de ces pouvoirs: Le Conseil ne peut, en principe, qu'adopter des recommandations 'quant au

fond. Il peut néanmoins adopter également des décisions 'quant au fond', à condition toutefois

qu'elles soient strictement conformes au droit international.

Comme en témoigne l'avis précité de la Cour, ceci suppose également que la

conclusion du Conseil soit baséesur une appréciation exacte des faits pertinents.

La validité, ou au moins l'invocabilité devant la Cour, d'une décision en vertu du

Chapitre VII telle que celle obligeant la Libye à satisfaire aux demandes des Etats-Unis et du
Royaume-Uni, dépend donc (1) de l'appréciation exacte des élémentsfactuels pertinents, et

(2) de 1'application rigoureuse du droit international.

104 Ibid., 50 - nositaliques.

105 Ibid.p. 54 - noitaliques.202

B- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait de la Libye qu'elle livre

ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions litigieuses
seraient contraire à l'article 1 (1)

6.76 Dans la mesure où elles exigeraient de la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats­

Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748 seraient contraires aux principes de la
justice et du droit international, et violeraient de ce fait l'article l (la Charte. Ceci résulte

notamment de ce qui suit:

1 -Le Conseil violerait les principes du droit international et de la justice

6.77 Tout d'abord, le principe selon lequel le Conseil de sécurité doit dans son action
respecter les conventions applicables entre parties, s'oppose à ce que le Conseil écarte la

convention de Montréal.

Plus généralement, l'exigence que la Libye livre les suspects aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni, serait contraire au principe du droit international, qu'il n'y a pas d'obligation
d'extrader ses propres nationaux sans accord.

6.78 Ensuite, il a étéexposé ci-dessus que, s'ils étaient jugés aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni, les suspects ne pourraient bénéficierd'un procès équitable.

Dans ces conditions, la non-remise est un droit fondamental des suspects, et une
obligation de jus cogens pour l'Etat requis. Or, il est incontestable que l'article 1 (1) de la

Charte exige à tout le moins du Conseil de sécuritéqu'il respecte le jus cogens.

6.79 Qui plus est, dès lors qu'elle compromettrait gravement le caractère équitable du
procès des suspects, l'exigence que la Libye livre les suspects aux Etats-Unis ou au Royaume­

Uni serait radicalement contraire aux principes de la justice. Mêmeà supposer que le Conseil

puisse écarter le droit international au profit de la justice -quod non -, les résolutions
litigieuses resteraient donc contraires aux "principes de la justice et du droit international". 203

2 - Le recours au Chapitre VII de la Charte ne modifie aucunement cette

constatation

6.80 Le recours au Chapitre VII de la Charte n'altère en rien cette conclusion.

6.81 D'une part, la remise - si elle était exigée par le Conseil - ne constituerait nullement

l'objet d'une 'mesure de police' au sens préciséci-dessus. Loin de constituer une mesure

temporaire visant à écarter la menace contre la paix et à permettre le retour au Chapitre VI de
la Charte, la remise se substituerait de façon définitive à tout règlement basé sur le Chapitre

VI. A supposer d'ailleurs que les résolutions litigieuses dussent s'analyser en termes de

'mesure de police', ceci excluerait ipsofacto qu'elles fassent obstacle au règlement du présent
différend ou en déterminent l'issue.

6.82 D'autre part, l'extradition ne se justifierait aucunement en tant que sanction de la

violation d'une obligation de la Libye. Perçue sous cet angle, l'exigence du Conseil serait
contraire aux principes du droit international et de la justice à tout point de vue.

Dans la mesure où la Libye n'est pas dans l'obligation, selon le droit international, de
procéder à la remise demandée par les défendeurs, la décision obligeant la Libye à procéder à

celle-ci et les mesures coercitives y rattachées, ne pourrait se justifier en tant que sanction de
la violationd'une obligation préexistante en matière d'extradition.

Ensuite, l'obligation de remettre les suspects ne pourrait aucunement se justifier en
tant que sanction d'une implication alléguéede la Libye dans l'attentat de Lockerbie. Cette

approche serait contraire aux principes de la justice et du droit international, en ce qu'elle

supposerait établies tant la culpabilité des suspects que la responsabilité de la Libye pour leurs
agissements :

- Ceci constituerait d'abord une violation de la présomption d'innocence des
suspects:

De fait, 1'objectif principal des résolutions serait d'obtenir de la Libye 1'extradition des
suspects aux fins de comparaître dans une procédure pénale. Dans ce contexte204

particulier, la présomption d'innocence des suspects est de droit - et qui plus est, de

droit international 106.

Pour fonder ses exigences sur l'implication de la Libye dans l'attentat de Lockerbie, le

Conseil devrait écartercette présomption d'innocence.

Ceci serait contraire, tant aux principes de la justice qu'au principes du droit

international. Il en est a fortiori, dès lors que le Conseil en déduirait l'obligation de la

Libye d'extrader les suspects: le Conseil se situerait lui-mêmedans le contexte du

droit pénal,qui consacre spécifiquement la présomption d'innocence.

Le représentant du Royaume-Uni s'est parfaitement rendu compte de ce problème, et a

déclarélors de 1'adoption de la résolution731 :

"Nous n'affirmons pas que ces personnes sont coupables avant qu'elles soient jugées, mais
nous disons qu'il existe de graves élémentsde preuve contre elles et qu'elles doiyefaire
face devant unribunal."107

C'est là, précisément,une des raisons pour lesquelles le Conseil ne pourrait exiger de

la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni ....

- Ensuite, à supposer mêmeque cette présomption puisse êtreécartée- quod non -, le

Conseil n'en aurait pas moins violéles règles du "due process of law" au détriment de
la Libye.

De fait, la responsabilité libyenne suppose non seulement que la culpabilité des

suspects soit établie, mais encore que leur comportement puisse êtreattribué à la
Libye. Cette attribution suppose que les suspects aient (1) étédes agents de 1'Etat, et

(2) aient agi en cette qualité en commettant, par hypothèse, l'attentat sur le vol Pan

Am 103.

L'attribution à la Libye des agissements éventuels des suspects, suppose donc qu'il
soit démontréque les suspects étaientdes agents des services secrets libyens agissant

106 V. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 14 (2); convention européenne des droits de l'homme,

art. 6 (2); projet d'articles de la Commission du Droit international sur les crimes contre la paix et la sécuritéde
l'humanité,art.
107 S/PV. 3033, p. 103. En anglais: "We are not asserting the guilt of these men before they are tried, but we do say that

there is serious evidence against them which they must face in court." Voir annexe n°83. 205

dans l'exercice de leurs fonctions. Or, ceci n'est nullement établi, comme en témoigne

notamment la déclaration du Lord Advocate of Scotland distribuée au Conseil 108 :

"ft is alleged that Megrahi is a senior officer of the Libyan Intelligence Services, holding
positions with libyan Arab Airlines and as Director of the Center for Strategie Studies in
Tripoli at the timef these offences.

"ftis alleged that Fhimah was also an officer of the Libyan Intelligence Services, holding a

position as Station Officer with Libyan Arab Airlines in Malta.

The first charge in the petition is thal between 1January 1985 and 21 December 1988 (..)

Being members of the Libyan Intelligence Services, and in particular Magrahi being the Head
of Security of Libyan Arab Airlines and thereafter Director of the Center for Strategie Studies,

Tripoli, Libya and Fhimah being the Station Manager of Libyan Arab Airlines in Malta.

Did conspire together and with others to further the purposes of the Libyan Intelligence
Services by criminal means, namely the commission of acts of terrorism directed against
nationals and the interests of other countries and in particular the destruction of a civil
passenger aircraft and murder of its occupants.

This does not mark the end of the police investigations although it plainly marks the most
important public development to date in this unique criminal inquiry. ()" (nos italiques)

Les suspects ne sont donc pas officiellement des agents de la Libye qui auraient pu
commettre l'attentat dans l'exerciée de leurs fonctions. S'ils sont soupçonnés d'être

des agents des services secrets ayant commis l'attentat pour promouvoir les intérêts

politiques de l'Etat libyen, tout ceci reste à prouver. La déclaration mêmeen témoigne,

qui précise que l'enquêten'est pas terminée.

Par ailleurs, il n'a étédistribué aux Membres du Conseil aucune preuve ni début de

preuve de la culpabilité des suspects, ni de ce que leurs agissements éventuels auraient

étéattribuables à la Libye : les documents qui ont étédistribués au Conseil 109

contiennent seulement une énumération d'allégations. Celles-ci n'ont étéétayéespar

aucune preuve matérielle. A fortiori, aucun débat contradictoire n'a-t-il pu êtremené
au sujet de ces preuves.

Dans toute cette mesure, le Conseil n'aurait pu admettre la responsabilité libyenne

pour l'attentat de Lockerbie: d'une part, ceci constituerait une violation des règles du

108 V. la déclaration faite par le Procureur générald'Ecosse le 14.11.1991, transmise au Secrétaire généralpar lettre datée
du20.12.1991 du Représentant permanent du Royaume-Uni auprès des Nations Unies- Doc. N46/826 et S/23307 du
31.12.1991,annexer Annexe n'S.

109 Notamment la déclaration du 14111/1991 du Lord Advocate of Scot/and (S/23307 du 31.12.1992, V. annexe n° 8) et
l'acte de mise en accusation du 14.11.1991 durict Courtfor the District of Columbia (S/23317 du 23.12.1991, V.

annexe n° 7 ).206

"due process of law" au détriment de la Libye; d'autre part, cette conclusion ne

pourrait êtrebaséesur des faits avérés,comme l'exige la jurisprudence de la Cour (cfr.
supra).

6.83 En conclusion, les résolutions 731 et 748 sont contraires à l'article 1 (1), en

combinaison avec les Chapitres VI et VII de la Charte et ne peuvent êtreinvoquées devant la
Cour pour faire obstacle au règlement du présent différend ou pour en déterminer l'issue.

Section 3- Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748

seraient contraire à l'article 2, paragraphe 7 de la Charte

6.84 Il est exposé ci-après que, dans la mesure où elles exigeraient que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748 interviendraient

dans une affaire relevant de la compétence nationale de la Libye, au sens de 1'article 2 (7) de
la Charte (A). Il est démontréensuite que le recours au Chapitre VII de la Charte ne modifie

en rien cette constatation, de sorte que ladite exigence du Conseil resterait une violation de

l'article 2(7)de la Charte (B).

A - Dans la mesure où le Conseil de sécuritéexigerait que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les résolutions 731 et 748

s'opposeraient à la règle de non-intervention dans une affaire relevant de la
compétence nationale de la Libye, au sens de l'article 2 (7) de la Charte

6.85 Après avoir préciséla portée du principe de non-intervention de l'article 2 (7) de la

Charte (par. 1), il est exposé que l'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux
Etats-Unis ou au Royaume-Uni entrerait en opposition avec ce principe. 207

1 -La portéedu principe de non-intervention de l'article 2 {7)

6.86 L'article 2 (7) énonce que

"Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui
relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat, ni n'oblige les Membres à soumettre des
affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce
principe ne porte en rien atteinteà l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII."

6.87 Insérédans le chapitre premier de la Charte, l'article 2 (7) vise à exclure que les autres

dispositions de la Charte, dont l'article 24 et le chapitre VII, ne soient interprétées comme

autorisant une intervention dans les affaires nationales des Etats membres.

Dans les termes de Sir Humphrey Waldock,

"The purpose and effect of Article 2 (7) is really to protect signatories of the Charter from being
afterwards told that by subscribing to the provisions of the Charter they had authorized the United

Nations to intervene in matters essentially within their own domestic jurisdiction." 110

Dans l'affaire de 1'/ranian Oil Company, Sir Eric Beckett a déclaré au nom du

Royaume-Uni:

"Article 2 (7) contains merely a negative provision withholding from the United Nations, and of course
its organs, a power that, if it were not for the insertion of Article 2 (7), the Charter might be said to
confer on the organs of the United Nations. The language used is "nothing contained in the present

Charter shall authorize ..."- "authorize"- in other words, Article 2 (7) is simply a reservation that you
are not to read ùuo the orther clauses of the Charter the grant of an authority to the United Nations to
intervene in matters essentially within the domestic jurisdiction of a State." Ill

6.88 Lorsqu'il est invoqué devant le Conseil de sécurité,l'article 2 (7) est susceptible de

remplir diverses fonctions.

110 "The Plea ofDomestic Jurisdiction before International Tribunals'',B.Y.BJ.L., 1954, p. 123. Notre trad"Leibut
et l'effet de l'artic(7)est véritablementde protégerles signataires de la Charte, pour qu'il ne leur soit pas dit par

la suite qu'en souscrivanà une disposition de la Charte, ils ont autoriséles Nations Unieà intervenir dans des
matièresrelevantessentiellement de leur compétencenationale."

Ill Argument by Sir Eric Beckett, 16.1V.52, Pleadings, Arguments and Documents, p.567 - nos italiques. Notre
traduction:"L'article 2(7)contient seulement une disposition négativeprivant les Nations Unies, et bien sûr ses
organes, d'un pouvoir dont,n 1'absence de 1'article(7),on pourrait considérerqu'i1est conférépar la Charte aux

organes des Nations Unies.Le langage utiliséest "aucune disposition de la présenteCharte n'autorise"· "n'autorise"
- en d'autres mots, l'article (7) est tout simplement une réserve, selon laquel\e on ne peut pas lire d'autres

dispositions de la Charte comme octroyant une compétence aux Nations Unies pour intervenir dans des affaires
relevant essentiellement de lacompétencenationale d'un Etat."208

D'une part, l'article 2 (7) permet de soulever une exception préliminaire
d'incompétence, afin d'obtenir que le Conseil se déclareimmédiatement et globalement sans

compétence à l'égard de l'objet de la saisine. Une telle exception ne peut, semble+il, être

soulevéeque si l'affaire soumise au Conseil relève,primafacie et sous tous ses aspects, de la

compétence nationale de l'Etat concerné. Il n'est donc pas contestable que, lorsque surgit une

menace pour la paix, l'article 2 (7) ne peut empêcherle Conseil de traiter de l'affaire.

6.89 D'autre part, le principe de non-intervention consacré par l'article 2, paragraphe 7

constitue, pour les organes politiques des Nations Unies, le pendant de 1'exception de

compétence nationale telle qu'elle est invoquée comme défense au fond devant la Cour

internationale de Justice. L'article 2 (7) de la Charte a ainsi pour fonction d'exclure que les
pouvoirs des Organes politiques des Nations Unies soient interprétéscomme des pouvoirs

'législatifs', autorisant ces Organes à imposer, directement ou indirectement, de nouvelles

obligations aux Etats membres.

C'est exactement l'analyse faite par Sir Eric Beckett, au nom du Royaume-Uni, dans
l'affaire de l' lranian Oil Company. Aprèsavoir indiquéque la compétence nationale des Etats

était ipso facto protégéedevant la Cour, du fait que celle-ci a pour seule tâche d'appliquer le

droit international, Sir Eric Beckett précise 1a portée de 1'article 2 (7) pour les Organes

politiques des Nations Unies en ces termes :

".. in relation to a matter which is within its domestic jurisa State's action is not limited by any
rules of international law. The State is acting within the limits of the discretionary power left untouched
by internationalobligations.There is not, however, any such automatic protection for the domestic

jurisdictioof States against the activities of the General Assembly or Security CounciL For, apart from
anicle 2 (7), these bodies might not only discuss mal!ers which are within domestic jurisdictbut
might also make recommendations or even takc decisions in respect of such matters. For these bodies
are not, like the Court, limit10requiring a State to perform its legal obligatibutmay attempt ro

place upon States obliugations which are not imposed by international law. Again ~uchtactivites
Arricle 2 (7) is, of course, a necessary protectionn .."

Le Juge Fitzmaurice fait la mêmeanalyse de l'article 2 (7) de la Charte:

112 Argument by Sir Eric Beckett, 16.1V.52, P!eading, Arguments and Documents, p. 570 - nos italiques. Notre

traduction: ".. dans une matièrequi relève de sa compétence nationale, l'action d'un Etat n'est limitéepar aucune
règlede droit international. L'Etat agit dans les limites de son pouvoir discrétionnairenon affectépar des obligations
internationales. Il n'y a pas, bien sûr, de telle protection automatique pour la compétence nationale des Etats contre

les activités de 1'Assemblée généraleet du Cunsei1de sécurité.Car en l'absence de 1'article 2 (7), ces organes
pourraient non seulement discuter d'affaires relevant de la compétence nationale, mais pourraient aussi faire des
recommandations ou prendre des décisions dans de telles matières. Car ces organes ne sont pas, comme la Cour,

limitésà demander d'un Etat qu'il remplisse ses obligations juridiques, mais pourraient essayer dïmposer aux Etats
des obligations qui ne sont pas imposéespar le droit international. Contre de telles activitésl'article 2 (7) est, bien sûr,

une protection nécessaire...". 209

"What is a matter of domestic jurisdiction within the meaning of Article 2, paragraph 7 of the Charter ?

(..) what becomes a matter of international obligation by virtue of a treaty, ceases to be within domestic
jurisdiction only for the actual parties to the treaty, in a case arising between them, and to the extent thar
it is dealt with in the treaty.
(..) Matters which are not the subject of international obligations remain matters of domestic

juridiction."ll3

L'article 2 (7) consacre donc la survivance, sous l'empire de la Charte des Nations

Unies, du caractère consensuel du droit international.

6.90 L'article 2 (7) de la Charte protège ainsi les droits conventionnels des Etats membres

au mêmetitre que leurs droits 'souverains': un droit souverain qui est confirmé par le droit

international conventionnel n'échappe pas au domaine réservé.

De fait, rien ne justifierait la distinction entre les droits conventionnels et ces droits

'souverains'. Les droits 'souverains' sont conférés, ou à tout le moins reconnus par le droit

international, au même titre que les droits conventionnels. Par ailleurs, porter atteinte à un

droit conférépar traité, c'est toujours imposer une obligation à l'Etat contre son gré.L'atteinte

au droit conventionnel se réduit donc toujours à 1'atteinte à un droit incontestablement

'souverain', qui est celui..de-la liberté de contracter des engagements.

2- L'exigence du Conseil gue la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis
ou au Royaume-Uni constituerait une intervention dans une affaire

relevant de la compétence nationale libyenne

6.91 La livraison des suspects constitue une 'affaire'au sens de l'article 2 (7) de la Charte:

Il ressort de l'analyse de l'article 2 (7) ci-dessus, que l'extradition requise doit être

considérée comme une 'affaire' au sens dudit article. Sans doute, le fait pour le Conseil de
s'êtresaisi de la question du terrorisme international, a-t-il permis au Conseil de se déclarer

compétent 'atlarge'. Toutefois, ceci n'épuise nullement la portée de l'article 2 (7) et n'affecte

113 Sir Gerald Fitzmaurice, The Law and Procedure of the lntemational Court of Justice, 1986, p.l 03-105 - nos italiques.
Notre traduction:u'est-ce qu'une affaire relevant de la compétence nationale au sens de l'article 2 (7) de la Charte?
(..) Ce qui devient l'objet d'une obligation internationale en vertu d'un traité cesse d'appartenir à la compétence

nationale seulement pour les parties à ce traité, dans une affaire néeentre eux, et dans la mesure où la matière est
régléedans le traité.(..)Les affaires qui ne font pas l'objet d'obligations internationales demeurent des affaires de la

compétence nationale."210

en rien la question de savoir si l'extradition requise est une 'affaire' relevant essentiellement

de la compétence nationale, dans laquelle 1'article 2 (7) interdit au Conseil d'intervenir.

6.92 La Livraison des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni relève de Lacompétence

nationale de LaLibye:

Ensuite, la livraison des suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni relève de la

compétence nationale de 1~Libye, au sens de l'article 2 (7) de la Charte.

Comme il a étédémontréci-dessus 114,la coutume internationale n'oblige nullement
les Etats à procéder à l'extradition en l'absence d'un traitéà cet effet. Il en va a fortiori ainsi

lorsque la demande d'extradition vise un ressortissant de l'Etat requis. La liberté de l'Etat en

la matière est la conséquence directe de l'exclusivité de la compétence territoriale de l'Etat,
doublée, à l'égardde ses ressortissants, de la compétence personnelle.

Il n'existe aucune convention bilatérale entre les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, et la

Libye qui modifierait ces conclusions.

6.93 La convention de Montréal fait une application généraledu principe 'aut dedere aut
judicare'. Elle laisse donc à l'Etat requis l'entière liberté de décision sur la question de savoir

s'il entend procéder à l'extradition, ou au contraire au jugement devant ses propres tribunaux.

Le fait que, reconnu par la convention de Montréal, le droit de refuser 1'extradition

devienne ainsi un droit conventionnel, ne réduiten rien l'applicabilité de l'article 2 (7). Il a été
exposé ci-dessus que la distinction entre droits souverains et droits conventionnels est sans

pertinence quant à l'application de l'article 2 (7).

6.94 Il en va en tout cas ainsi, lorsqu'un droit est reconnu, plutôt que conféré par une

convention. Si ce droit devient ainsi un droit conventionnel, il n'en poursuit pas moins son

existence en tant que droit souverain.

Cette conclusion s'impose notamment au regard de 1'arrêtdu 26 novembre 1984 dans
1'Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci

114 Cfr. supra, par. 4.32. 211

(Corn pétence et recev abilité), dans 1eq uel la Cour refu sa de rej et er 1es demandes

nicaraguayennes fondées sur de~ principes de droit international généralet coutumier, au
motif que ces principes seraient repris dans des conventions multilatérales couvertes par la

réserve des Etats-Unis à l'acceptation de la compétence obligatoire de la Cour. La Cour fit
valoir à cet égard:

"Le fait que les principes susmentionnés, et reconnus comme tels, sont codifiés ou incorporés
dans des conventions multilatérales ne veut pas dire qu'ils cessent d'exister et de s'appliquer
en tant que principes de droit coutumier, mêmeà l'égard de pays qui sont parties auxdites
conventions." 115

De même,si la convention de Montréal reconnaît le droit souverain des Etats de

refuser l'extradition, tout en soumettant l'exercice de ce droit à certaines conditions, ceci
n'empêcheque ledit droit souverain poursuit son existence, sous cette forme restreinte, entre

les Etats parties à la convention.

Cette conclusion s'impose a fortiori, s'agissant de l'extradition par la Libye de ses
propres ressortissants. L'alternative 'aut dedere aut judicare' a précisément pour but de

permettre à un Etat de refuser l'extradition de ses propres ressortissants. Ce serait donc aller à
l'encontre de la ratio legis mêmede la règle 'aut dedere aut judicare', que de prétendre

qu'elle a pour conséquence de soustraire l'extradition de ressortissants d'un Etat à sa
compétence nationale.

De ce fait, à supposer mêmeque l'article 2 (7) protège les droits souverains et non les

droits conventionnels, la validitédes résolutions 731 et 748 devrait toujours êtredéterminée
en fonction de l'atteinte portée à ce droit souverain qui poursuit son existence

indépendamment de sa reconnaissance dans la convention de Montréal. Le fait que la Libye
ait introduit la présente affaire sur base de la convention de Montréal, n'exclut nullement que

la Libye puisse soulever à l'encontre des résolutions 731 et 748- elles mêmesavancéespar les
défendeurs pour faire obstacle à l'application de cette convention-, une exception d'illégalité

référantà ce droit souverain susnommé. Comme il a déjàétéindiqué, par nature, l'exception
d'illégalitépermet de confronter les résolutions litigieuses à toute norme quelconque dont

peut dépendre leur validité.

6.95 C'est à tort que l'on prétendrait à l'encontre de ce qui précède, que le Conseil a

affirmé, dans sa résolution 731, "le droit de tous les Etats de protéger leurs ressortissants
contre les actes de terrorisme international qui constituent une menace contre la paix et la

sécuritéinternationales".

115 Recueil1984,p.424.212

Le droit de tout Etat de protéger ses ressortissants appelle, de la part des autres Etats,

dont 1'Etat requis en matière d'extradition, une simple obligation d'abstention. Ceci,

exactement au même titre que le droit de refuser l'extradition crée, à charge des Etats
requérants, une obligation de respecter ce droit. Le droit de tout Etat de protéger ses

ressortissants, ne peut nullement donner naissance à une obligation d'extradition, qui est une
obligation de faire.

Affirmer que l'existence d'un tel droit, et de l'obligation d'abstention qui en est le
corollaire suffirait à écarter 1'interdiction de 1'article 2 (7), priverait cet article de toute

signification quelconque. De fait, à tout droit souverain ressortissant de la compétence
nationale, correspond une obligation des autres Etats de respecter ce droit. Dans la droite ligne

du raisonnement précité,le domaine de la compétence nationale serait donc inexistant.

6.96 Il résulte de ce qui précèdeque la livraison par la Libye de ses nationaux aux Etats­

Unis ou au Royaume-Uni, constitue une affaire relevant essentiellement de la compétence
nationale libyenne.

6.97 Les résolutions 731 et 748 constitueraient une 'intervention' au sens de l'article 2 (7)

de la Charte:

Enfin, l'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au
Royaume-Uni, constituerait une 'intervention' dans la compétence nationale libyenne, au sens

de l'article 2 (7).

Il en serait déjàainsi de la résolution 731, dans toute la mesure où elle annonce qu'il

pourrait êtrerecouru au Chapitre VII de la Charte au cas où la Libye ne se conformerait pas
aux exigences du Conseil. Il en irait en tout cas ainsi de la résolution 748 196,où le Conseil,

"Agissant en vertu du Chapitre VU de la Charte,

1. Décideque le Gouvernement libyen doit désormais appliquer sans le moindre délai le paragraphe 3
de la résolution 731 (1992) concernant les demandes contenues dans les documents S/23306, S/23308 et
S/23309;

3. Décide aussi que tous les Etats adopteront le 15 avril 1992 les mesures énoncéesci-dessous qui
s'appliqueron\ jusqu'à cc que le Conseil de sécuritédécide que le Gouvernement libyen s'est conformé
auxdispositions des paragraphes 1et 2 ci-dessus;"

116 V.annexen" 124. 213

La décision du premier paragraphe du dispositif, et les sanctions y attachées,

constituent assurémentune 'intervention' au sens de l'article 2 (7) de la Charte.

6.98 En conclusion, en exigeant de la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou
au Royaume-Uni, le Conseil interviendrait dans une affaire relevant essentiellement de la

compétence nationale de la Libye, au sens de 1'article 2 (7) de la Charte.

B- L'exception de l'article 2, paragraphe 7, in fine ne justifierait pas cette

intervention

6.99 Il est exposé ci-après que l'exception de l'article 2 (7) in fine n'a pas pour effet

d'écarter entièrement le principe de non-intervention énoncépar l'article 2 (7) lorsque le
Conseil agit en vertu du Chapitre VII de la Charte, et qu'elle ne justifierait pas que le Conseil

exige que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni (par.l). Il sera

exposé ensuite que, quand bien mêmel'article 2 (7) in fine aurait une portée plus générale,
l'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni

violerait néanmoins le principe de proportionnalité, et de ce fait l'article 2 (7) de la Charte

(par.2).

1 - L'exception de 1'article 2 (7) in fine n'a pas pour effet d'écarter
entièrement le principe de non-intervention lorsque le Conseil agit en

vertu du Chapitre VII de la Charte. Cette exception ne justifierait pas que
le Conseil exige gue la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni

6.100 Selon l'article 2 (7),infine, le principe énoncédans cet article

"ne porte en rien atteiàtl'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VIL" (nos
italiques)

Cette disposition n'a pas pour effet d'écarter entièrement le principe de non­

intervention lorsque le Conseil agit en vertu du Chapitre VII.214

Selon le texte (amendé) soumis par les Puissances invitantes à la Conférence de San

Francisco, la dernière phrase de l'article 2 (7) aurait dû se lire comme suit:

"Mais ce principe est posé sans préjudice de l'application du chapitre VIII, section B." (i.e. l'actuel
Chapitre VIl de la Charte) 117.

Un amendement fut soumis par la délégationaustralienne, et il fut finalement décidé

de restreindre l'exception à l'application des mesures de coercition du Chapitre VIL

Par cet amendement, les auteurs de la Charte ont voulu exclure que le Conseil adopte

des recommandations en vertu de l'article 39, c'est-à-dire des recommandations adressées aux

Etats ou à l'Etat directement concernés 118_

Le délégué australien fit valoir plus particulièrement les considérations suivantes :

"9. En substance, le projet de nouveau paragraphe a pour conséquence d'exclure du champ d'opération

du Chapitre VIl!, Section A, - à savoir, la procédure de règlement pacifique d'un différend, 10ute
question relevant de la juridiction interne. Du point de vue de l'Organisation, la chose importante qui se
trouve ainsi exclue du pouvoir du Conseil de sécurité, d'après le paragraphe 4 du Chapitre VIII, Section
A [l'actuel chapitre VI], c'est de recommander des conditions de règlement appropriées. Cette

exclusion est tout à fait juste. Par définition, un Etat est libre dans le domaine de sa juridiction interne,
d'adopter la politique qu' i1juge la meilieure. Mais l'exception qui figure à la fin du projet de nouveau
paragraphe remet en question, aux termes du Chapitre Vlll, Section B [l'actuel chapitre VII], la chose

même que la règle générale du début exclut aux termes du Chapitre VIII, Section A - à savoir, le
pouvoir qu'a le Conseil de faire des recommandations aux parties (..). Par conséquent, dès qu'il y a
menace pour la paix, le Conseil de sécuritépeut intervenir et prendre connaissance de toute l'affaire.

10. Une telle disposition équivaut presque à une invitation à employer ou à menacer d'employer !a force
dans tout différend surgissant du fait d'une question de juridiction interne, dans 1'espoir d'amener le

Conseil de sécurité à extorquer des concessions à 1'Etat qui est menacé. D'une façon générale,
l'exception supprime la règle, chaque fois que l'agresseur menace d'employer la force. La liberté
d'action que le droit international a toujours reconnue dans des questions de juridiction interne se trouve

alors, en réalité,assujettie à la juridiction pleine et entière du Conseil de sécurité.

11. La délégation australienne est opposée à l'insertion, dans a Charte, de toute disposition entraînant
cette conséquence." 1l9

117 V. Doc. 969 J/1/39 du 14.6.1945, p. 441. En anglais: "but this principle shall not prejudice the application of Chapter
VIIJ, Section B." (ibid., p. 436).
118 cfr. Memorandum de la délégationaustralienne concernant le projet de paragraphe 8 du Chapitre II (Principes),

UNClO Doc 969, 111/39, UNCIO, Vol. 6, p. 436-440; supplément au rapport du Rapporteur, Comité Ill à la
Comission 1(UNCIO Doc 1070, 111134(1)(d), p. 3.

119 Loc. cit., p. 443 En anglais: "What the general part of the proposed new paragraph does is, in substance, to exclude
matters of domestic jurisdiction from the operation of Chapter VIII, Section A (i.e. l'actuel ChapitrV!) - the

procedure of peaceful seulement. From the point of view of the Organization, the important thing that is thereby
excluded is the Security Council's power, under paragraph 4 of Chapter VII!, Section A, to recommend appropriate
terms of settlement. That is an entirely proper exclusion. By definition. a state is free, within the limited spherc of

domestic jurisdiction, to adopt whatever policy it thinks best. But the exception at the end of the proposed new
paragraph brings back,under Chapter Vlll, Section B (i.e. l'actuel Chapitre VII) the very thing that the general rule at

the beginning excludes underChapter VIII, Section A - the power of the Security Council to makc recommendations
to the parties. (..) As soon as a threat to peace is made, the Security Council can imervene and lake cognizance of the

whole matter.
1O.Such a provision is almost an invitation to use or threaten force, in any dispute arising out of a matter of domestic
jurisdiction,n the hope of inducing the Security Council to exton concessions from the State that is threatened.

Broadly, the exception cancels out the rule, whenever an agressor threatens to use force. The freedomtion which 215

Tant le texte de l'article 2 (7) que les travaux préparatoires de la Charte démontrent

ainsi que l'existence d'une menace contre la paix n'autorise pas le Conseil à faire des

recommandations visant à extorquer des concessions à l'Etat dans les matières relevant de sa
compétence nationale. Le Conseil doit respecter le droit international à ce stade également, et

ille doit d'autant plus que dans le contexte du Chapitre VII, toute recommandation de termes

de règlement est peu propice à êtreanalysée comme une proposition de conciliation.

6.101 L'exception relative à "l'application des mesures coercitives" est alors susceptible de

remplir plusieurs fonctions.

D'une part, elle justifie l'application de 'mesures de police', au sens décrit

précédemment dans ce mémoire, sans que l'Etat directement intéressépuisse se prévaloir de
sa compétence nationale. Ces mesures de police ne peuvent, par définition, affecter le

règlement au fond (voir supra : §§ 6.73 ss).

En outre, l'article 2 (7) in fine permet au Conseil de sécuritéd'enjoindre aux Etats

membres de mettre en oeuvre des mesures coercitives (notamment des sanctions

économiques), sans que ceux-ci puissent s'y opposer au motif qu'une telle injonction
constituerait une intervention dans des affaires ressortissant essentiellement de leur

compétence nationale. Dans cette mesure, il concerne donc la compétence nationale des Etats

membres qui appliquent les sanctions de l'ONU -des Etats membres non directement

concernés dans un différend, une question ou situation, qui sont appelés à mettre en oeuvre les
sanctions décrétées par les Nations Unies. Ce sont en effet ces Etats qui sont chargés de

l'application des mesures coercitives du Chapitre VII, qui est viséepar les termes de l'article

2 (7), infine.

En tout état de cause, la disposition se situe clairement au stade de 1'exécution.

L'exécution d'une mesure de police mise àpart, les mesures de coercition ne peuvent qu'avoir
pour but de faire respecter une décision adoptée préalablement, et qui n'est pas couverte par

l'exception de l'article 2 (7), infine. Cette décision, adressée aux Etats ou à l'Etat directement

intéressés,doit donc êtreadoptée dans le respect du principe de l'article 2 (7).

international law has always recognized in matters of domestic jurisdiction becomes subject in effect to the full

jurisdictionthe Security Council.
Il. The Australian Delegation opposes the inclusion in the Charter of any provision which produces this result. (..)"
(ibidp.436).216

Il est, de fait, exclu que 1'article 2(7), in fine, soit interprété comme autorisant le

Conseil à décréter des mesures de coercition afin d'obtenir d'un Etat l'abandon de ses
prérogatives dans une affaire relevant essentiellement de sa compétence nationale. Cette

interprétation serait insensée, puisqu'on ne voit pas comment les auteurs de la Charte, tout en
voulant éviter que le Conseil ne fasse des recommandations portant atteinte à la compétence

nationale, auraient autorisé le Conseil à décréterdes sanctions dans ce mêmebut.

En conclusion, l'article 2 (7) infine, n'autorise pas le Conseil, hors les cas mentionnés

ci-dessus, à déroger au principe dudit article, fût-cepar voie de décision ou en faisant pression
sur un Etat membre pour qu'il abandonne ses prérogatives en vertu de sa compétence

nationale.

6.102 De ce fait, 1'article 2 (7) in fine ne pourrait justifier que le Conseil exige de la Libye

qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Comme il a déjà étéexposé,
cette exigence ne peut aucunement constituer une 'mesure de police' au sens décritci-dessus.

2- En tout état de cause, l'exigence que la Libye livre ses nationaux aux

Etats-Unis ou au Royaume-Uni serait contraire au principe de
proportionnalité sous-tendant 1'exception de 1'article 2 (7)in fine

6.103 Même à supposer que l'article 2 (7) in fine n'ait pas la portée indiquée ci-dessus,

l'exigence que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni n'en serait pas
moins contraire l'article 2 (7) de la Charte.

En effet, l'article 2 (7) de la Charte obligerait en tout cas le Conseil à conformer ses

interventions au principe de proportionnalité.

En tant qu'exception au principe, la disposition de l'article 2 (7) in fine est
d'application restrictive. Les pouvoirs conférésau Conseil par 1'article 2 (7) infine, devraient

donc, dans 1'hypothèse ci-discutée, être exercés de façon à respecter au maximum la

compétence nationale protégéepar la règle de 1'article.

L'applicabilité de ce principe de proportionnalité ressort clairement des travaux
préparatoires de la Charte. Dans le Rapport du Comité Ill, il était précisé que, dans

l'application de l'article 2 (7), inftne, 217

"le Conseil de Sécurité ne peut (..) prendre des mesuqui dépassent cellesquisont essentielleà la
coercition.120

Cette phrase, qui consacre la proportionnalité des mesures de police, s'applique a

fortiori à 1'imposition de termes de règlement qui, par pure hypothèse, serait autorisée pour le

maintien de la paix.

Ce qui précède impliquerait certaine ment 1'interdiction de toute intervention du

Conseil dans la compétence nationale, qui ne serait pas la seule apte à mettre fin àla menace

contre la paix.

6.104 Or, en exigeant de la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume­

Uni, le Conseil violerait ce principe de proportionnalité.

L'objectif du Conseil, qui sous-tend le recours au Chapitre VII de la Charte, est en

effet de parvenir à l'établissement des responsabilités pour les attentats sur les vols Pan Am

103 et UTA 772 afin de garantir l'effet préventif que doit avoir la législation répressive 121.

Or, refusant de livrer les suspects aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, non seulement

parce qu'ils sont ses nationaux, mais encore en raison de ce qu'ils ne bénéficieraientpas dans

ces pays d'un procès équitable, la Libye a proposé plusieurs alternatives, dont celles de mettre

les suspects en détention dans un pays tiers ou sous l'autorité d'une organisation régionale ou

de soumettre l'affaire à la Cour 122.

Chacune de ces propositions était parfaitement apte à éliminer la menace contre la

paix constatée par le Conseil. D'une part, la détention par une instance neutre éviterait que les

suspects poursuivent leurs activités terroristes hypothétiques. D'autre part, le jugement des
suspects serait parfaitement apte à garantir l'effet préventif poursuivi par le Conseil.

Ces différentes approches seraient, par définition, parfaitement respectueuses de la

compétence nationale libyenne, puisqu'elles ont étéproposées par cet Etat. Quand bien même
la Liye n'en aurait pas fait la proposition, ces différentes approches auraient étéplus

120 U.N.C.I.O. Doc. 1070, 1/1!34 (1) (d), Documents, vol. VI, p. 492 - nos italiques. En anglais: ".. the Security Couneil
should not, under this principle [of non-intervention], take measures which excecd those essenrial for enrorcement
al:tion." (ibid., p.488).

121 cfr. supra, par. s~.7
122 cfr. S1.1prap,ar. 6.38 à 6.41.218

respectueuses du principe de proportionnai ité, que 1'extradition aux Etats-Unis et au
Royaume-Uni imposée par le Conseil, dans toute la mesure aussi où elles sauvegardaient

l'intérêetssentiel de la Libye, à voir ses nationaux bénéficierd'un procès équitable.

Ces différentes mesures seraient parfaitement a ptes à garantir l'effet préventif

poursuivi - sauf à considérer que la prévention du terrorisme international exige que soient

condamnés, le cas échéant,des innocents. Une telle approche risque d'encourager, plutôt que
d'effrayer, les candidats-terroristes.

6.105 ll a étésouligné que c'était l'absence d'un tribunal international pénal qui rendait

nécessaire et légitime l'action du Conseil 1183. Le représentant britannique a soutenu que
l'instauration d'un tribunal pénal international était impraticable l 184_Cette analyse est

manifestement arbitraire. Elle 1'est d'autant plus que les principaux promoteurs des

résolutions litigieuses ont, peu de temps après, proposé eux-mêmes que soit crééun tel
tribunal pour les crimes internationaux commis en ex-Yougoslavie. En tout état de cause,

1'argument ne peut plus prévaloir à l'heure actuelle, alors qu'il est désormais acquis que, dans

le jugement du Con seil de séeuri té, 1'instauration d'un tribunal pénal est entièrement
praticable.

6.106 La comparaison entre les demandes anglo-américaines, d'une part, et les demandes
françaises, d'autre part, confirme à souhait que l'exigence du Conseil que la Libye livre ses

nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni violerait le principe de la proportionnalité.

De fait, la France n'a adresséà la Libye aucune demande d'extradition ou de livraison.

Les demandes françaises sont, au contraire, parfaitement conformes à la convention de
Montréal. Or, au sixième paragraphe introductif de la résolution 731 1185,le Conseil se dit

bien

Profondément préoccupé par ce qui résulte des enquêtes impliquant des fonctionnaires du
Gouvernement libyen et qui est mentionnédans les documents du Conseil de sécuritéqui font étatdes

demandes adresséesaux autoritéslibyennes par ... la France (S/23306, S/23309) ... liéesaux procédures
judiciaires concernant les attentats perpétréscon[lvol] de l'Union des transports aériens,"

Les autorités judiciaires françaises soupçonnent donc hien des fonctionnaires libyens

d'avoir commis l'attentat sur le vol UTA 772. Ceci suppose bien sûr que certaines personnes
aient étéidentifiées. Or, le Conseil ne demande nullement que la Libye livre ces suspects à la

France.

123 VénézuélaS,/PV. 3033, p. 98-100 des textes français et anglais, V. annexe n' 83.
124 S/PV. 3033, p. 104 du texre français ct p.105 du texte anglais, V. annexe n'83.
125 V. annexe n' 82. 219

S'il n'est pas nécessaire que la Libye livre les suspects de l'attentat sur le vol UTA 772
à la France, on voit mal pourquoi il serait, par contre, indispensable que les suspects de

l'attentat sur le volan Am 103 soient livrésaux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Ceci confirme encore que l'exigence que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis

ou au Royaume-Uni serait disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi.

6.107 En refusant les propositions libyennes aptes à atteindre le but poursuivi, et en exigeant

de la Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, le Conseil aurait
donc, en tout étatde cause, violéle principe de proportionnalité et l'article 2 (7) de la Charte.

Section 4- En tout étatde cause, le Conseil a recouru au Chapitre VII dans le seul

but de s'arroger les pouvoirs y conférés, et non en raison des
caractéristiques intrinsèques de la situation. Ceci constitue un

détournement de pouvoir contraire aux Buts des Nations Unies

6.108 Il a étéexposé ci-dessus que, dans la mesure où il exigerait que la Libye livre ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, le Conseil aurait violéles articles 1 (1) et 2 (7)

de la Charte.

Il a étéexposé en particulier, que le fait que le Conseil aurait exercé les pouvoirs lui

conféréspar le Chapitre VII de la Charte, n'affecterait en rien cette conclusion.

A supposer mêmequ'il en soit autrement- et que les violations susmentionnées soient

donc en principe couvertes par le Chapitre VIl de la Charte -, il serait néanmoins interdit au
Conseil de recourir au Chapitre VII, non pas en raison des caractéristiques intrinsèques de

l'affaire, mais dans le seul but de s'arroger les pouvoirs du Chapitre VIL

6.109 Il est exposéci-après (A) qu'un tel détournement de pouvoir constitue une violation de

l'article 24 de la Charte, desPrincipes et Buts des Nations Unies, de l'article 39 de la Charte,

ainsi que des articles 2 (7) et 1 (1)contournés par ce biais.220

Il sera exposéensuite (B) que le Conseil s'est en l'occurrence rendu coupable d'un tel
détournement de pouvoir, de sorte que les résolutions 731 et 748 ne peuvent en aucun cas

affecter la présenteprocédure.

6.110 Cette conclusion s'impose, quelle que soit la portéedes exigences du Conseil: elle est

indépendante de la question le savoir si le Conseil exige ou non que la Libye livre ses
nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni - mêmesi elle serait renforcée si le Conseil

exigeait que la Libye livre ses nationaux auxdits pays.

Toutefois, ce n'est que dans la mesure où le détournement de pouvoir affecterait

l'issue du différend soumis àla Cour, que la Cour serait appelée à se prononcer sur ce point.
La Cour ne devrait donc pas se prononcer sur la question, si elle admettait que les résolutions

731 et 748 n'exigent pas de la Li bye qu'elle 1ivre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni, et n'interfèrent donc pas dans l'affaire soumise à la Cour.

A~ Le Conseil ne peut recourir au Chapitre VII de la Charte qu'en raison des
caractéristiques intrinsèques d'une affaire, et non dans le seul but de

s'arroger les pouvoirs y conférés- ce procédéconstituerait une violation des

articles 24, 1 (1)t 39 de la Charte, et serait ·Constitutifde détournement de
pouvoir

6.111 Le Conseil ne peut recourir au Chapitre VIl de la Charte qu'en raison des

caractéristiques intrinsèques d'une affaire, et non dans le seul but de s'arroger les pouvoirs y
conférés.

Ce dernier procédé constituerait une violation des Buts des Nations Unies, et

notamment des articles 24, 1 (1) et 39 de la Charte (par. 1). Plus spécifiquement, ce procédé

serait constitutif de détournement de pouvoir (par. 2). 221

1 - En recourant au Chapitre VII dans le seul but de s'arroger les pouvoirs y

conférés.le Conseil violerait les Buts des Nations Unies. et notamment

les articles 24. 1 Cl) et 39 de la Charte

6.112 Les pouvoirs du Conseil de sécuritélui sont conféréspar la Charte aux seules fins du

maintien de la paix et de la sécuritéinternationales. Ceci résulte déjà de l'article 24 de la
Charte, qui prévoitque:

"l. Afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de
sécuritéla responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécuritéinternationales et
reconnaissent qu'en s'acquitant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil agit en leur
nom.

2. Dans l'accomplissement de ces devoirs. le Conseil de sécuritéagit conformémefll aux buts et
principes des NationsUnies." (nous soulignons)

Il ressort de cette disposition mêmeque les pouvoirs du Conseil de sécuritélui sont
conférésaux fins du maintien de la paix et de la sécuritéinternationales.

6.112 L'article 24 renvoie ensuite aux buts et principes des Nations Unies, que le Conseil
doit respecter dans l'exercice de ses pouvoirs. L'article 1er de la Charte prévoit:

"Les buts des Nations Unies sont les suivants :

(l) maintenir la paix et la sécuritéinternationales el à cette jin : prendre des mesures collectives
efficaces en vue de préveniret d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou
autre rupture de la paix ... ;"(nous soulignons)

De par les dispositions expresses de la Charte, les pouvoirs du Conseil de sécuritése

trouvent ainsi, en tout premier lieu, limitéspar leur finalité: Les pouvoirs du Conseil lui sont
conférésaux fins du maintien de la paix et de la sécuritéinternationales.

6.113 Cette finalitéest encore préciséedans le Chapitre VII, dans lequel le Conseil a inscrit

son action dans la présente affaire. Le Chapitre VII octroie au Conseil des pouvoirs afin de
faire face à des menaces contre la paix, des ruptures de la paix et des actes d'agression.

L'article 39 de la Charte énonce que:

"Le Conseil de sécuritéconstate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou
d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises
conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablirla paix et la sécuritéinternationales."222

Le Conseil procède ainsi de façon discrétionnaire à la constatation, notamment, d'une

menace contre la paix. Ceci n'autorise toutefois pas le Conseil à procéder à cette constatation

de façon arbitraire.

En outre, ceci n'empêchenullement que l'existence d'une telle menace conditionne le

recours par le Conseil au chapitre VII. C'est parce que- mais seulement parce que et dans la
mesure où- il existe une menace contre la paix, que le Conseil est en droit d'agir en vertu du

chapitre VII. Ceci exclut que le Conseil puisse prétendre qu'il existe une menace contre la

paix, dans le seul but de faire usage des pouvoirs conféréspar le chapitre VII.

Une situation doit donc êtrequalifiée comme menace contre la paix en raison de ses

qualités intrinsèques, et non pour permettre de l'approcher avec les moyens prévus au

Chapitre VII. Comme l'a souligné Je Juge Fitzmaurice dans l'affaire concernant les
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en

Namibie (avis consultatif du 21 juin 1971) :

"[l'article 24] ne limite pas les cas où le Conseil de sécuritépeut agir pour assurer le maintien de la paix
et de la sécurité,étant entendu que la menace invoquée ne doit êtreni une simple fiction ni un

prétexte."26

6.114 Dans la mesure où il aurait recours au Chapitre VII de la Charte dans le seul but de

s'arroger les pouvoirs y conférés,le Conseil violerait donc les buts des Nations Unies, et
notamment diverses dispositions expresses de la Charte: ses articles 24, 1 (1) et 39.

Ces dispositions constituent assurément pour le Conseil "des limites à son pouvoir ou
des critères à sonjugement".

Dans toute cette mesure, Je recours au Chapitre VITde la Charte dans le seul but de
bénéficierdes pouvoirs y conférés,affecte la validité des résolutions du Conseil, exactement

au mêmetitre que la violation des principes de la justice et du droit international, ou que la

violation de 1'article 2 (7) de la Charte.

126 Recueil, 1971,p. 293, par. 112 223

2- Le recours au Chapitre VITde la Charte dans le seul but de s'arroger les
pouvoirs y conférés,est constitutif de détournement de pouvoir

6.115 La violation des dispositions expresses de la Charte précisant la finalité des pouvoirs

du Conseil de sécuritépeut, dans une acception large, êtrequalifiée de détournement de

pouvoir.

Dans une acception plus restreinte, le détournement de pouvoir résulte d'une action

qUI, tout en ne violant pas de disposition légale, ne correspond pas au but dans lequel le

pouvoir a étéconféré 12.

Ainsi défini, le détournement de pouvoir se distinguerait de l'excès de pouvoir, qui

implique la violation d'une disposition légale 128.

6.116 Dans toute la mesure où le procédéci-discuté est contraire aux termes exprès des

articles 1 ( 1),24 et 39 de la Charte, la Libye estime qu'il n'est pas indispensable de recourir à

la notion restreinte de détournement de pouvoir dans la présente espèce.

A supposer toutefois que les termes exprès de la Charte ne suffisent pas à invalider

ledit procédé,la notion de détournement de pouvoir mènerait au mêmerésultat.

6.117 Selon la doctrine la plus autorisée, l'interdiction du détournement de pouvoir est un

principe généralde droit.

Pour le Professeur Fawcett :

"rules for the judicial control of the exercise of discretionary power are sufficiently widely established

for the following general principle of law to be recognized: Where a public administrator has a
legislative grant of a discretionary power, an exercise of that power will be unlawful if it is deliberately
aimed at an abject not contemplated in the grant: in particular, if there are no facts which can be

reasonably said to justify its exercise, that would be evidence of détournement de pouvoir." 129

127 cfr. James Fawcett, "Détournement de pouvoir by International OrganizationB.Y.B.I.L., 1957p.311-312; cfr.
aussiE. Zoller, La bonnefoi en droit international public. 1977.ep.197.

128 cfr. James Fawcett, op. cit311-312.
129 James Fawcett. "Détournement de pouvoir by International Organizations", B.Y.1957,p. 313.Notre traduction:
"Les règles pour le contrôle judiciaire de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire sont établies assez largement pour

que l'on puisse reconnaître le principe généralde droit suivant: Lorsqu'un administrateur public s'est un224

De mêmeC.F. Amerasinghe, après avoir indiqué les origines françaises de la théorie

du détournement de pouvoir, note :

"Aithough sorne common-law systems, such as that of the USA, do not apparently have a true

equivalent of this doctrine,there are many common law systems, including the British,which do
recognize improper use as a common law ground for the control of administrative discretion.Thus, it
seems that it is too Iate to question the viability of the doctrine as a general principle of law applicable

especially in the field of international administralaw." 130

Ce dernier auteur offre ensuite une analyse détailléede l'interdiction de détournement

de pouvoir, telle qu'elle ressort de la jurisprudence administrative internationale 131.

Dans la mesure où il s'agit d'un principe généraldu droit administratif international, il

est permis de conclure qu'il s'agit également d'un principe généralde droit, et encore, d'un

principe généralde droit des organisations internationales. Rien ne permet d'affirmer que le

principe ainsi consacré se limiterait à 1'exercice de pouvoirs administratifs.

Dans toute cette mesure, il pourra êtrerecouru également aux principes dégagés par la

jurisprudence administrative internationale, afin de dégager les principes directeurs de

1'interdiction de détournement de pouvoir.

6.118 Ces principes peuvent êtreainsi définis :

En premier lieu, il n'est pas nécessaire qu'un but irrégulier- tel que la poursuite d'un

intérêtpersonnel - soit démontré, pour que l'exercice du pouvoir soit invalidé. Il suffit de
constater l'absence du but dans lequel le pouvoir a étéconféré.

Comme le remarque le Professeur Zoller après avoir repris la définition précitéedu

Professeur Fawcett:

pouvoir discrétionnaire, l'exercice de ce pouvoir est illégal s'il vise intentionnellement à atteindre un but non
envisagé dans l'octroi du pouvoir: en particulier, s'il n'existe pas de faits qui peuvent raisonnablement justifier

l'exercice du pouvoir, ceci constituerait une preuve de détournementde"
130 C.F. Amerasinghe, TheLaw of the International Civil Service vol. 1, Clarendon Press, Oxford, 1988, p.271-272.
Notre traduction: "Quoique certains systèmes de Common Law, comme celui des Etats-Unis, ne connaissent

apparemment pas d'équivalent véritablede cette théorie,beaucoup de systèmes deon Law, en ce compris le
système anglais, reconnaissent bien l'usage impropre comme un fondement de contrôle du pouvoir discrétionnaire

administratif. semble ainsi qu'il soit trop tard pour mettre en question la viabilité de cette théorie comme un
principe généralde droit, applicable en particulier en droit administratif international."
131 Ibid., p. 271 ss. 225

".. dans la détermination de cette illicéité,aucun élémentsubjectif n'entre en considération. Il s'agit de

rechercher l'adéquation, la compatibilité entre le but de la compétence exercée (résultat final) et le but
et l'objet du traitéconstitutif." 132

La jurisprudence administrative internationale n'exige pas plus qu'un but irrégulier

soit démontré 133_

Ceci entraîne que le détournement de pouvoir ne suppose pas davantage la mauvaise

foi. Il peut résulterd'une erreur en droit, ou d'une autre 'honest mistake' 134_

6.119 Il est exposé ci-après qu'en l'occurrence, le Conseil a recouru au chapitre VII de la

Charte, non en raison des caractéristiques intrinsèques de l'affaire, mais dans le seu1 but de

s'arroger les pouvoirs y conférés.

Cette conclusion, qui est développée ci-après, n'appelle aucune substitution d'une

appréciation propre des qualités intrinsèques de la situation, à celle du Conseil, mais ressort

des termes et de la structure mêmedes résolutions litigieuses.

B - Le Conseil a eu recours au Chapitre VII de la Charte dans le seul but de

s'arroger les pouvoirs y conférésI.l a ainsi violéles articles 1 (1), 24 et 39

de la Charte, et s'est rendu coupable de détournementde pouvoir

6.120 La qualification de 'menace contre la paix' annoncée dans la résolution 731 et retenue

dans la résolution 748, est assurément étonnante.

Comme l'a souligné le Juge Bedjaoui,

"(..)il peut paraître déroutant à plus d'un que l'horrible attentat de Lockerbie est vu aujourd'hui comme
une menace pressante à.la paix intemationale alors qu'il s'est produiy a plus de trois ans?"l35

132 Zoller, E., ocit.p. 197.
133 cfr. CF.Amerasinghe, op.dt.,p. 274-275,et la jurisprudence cp. 287_

134 C.F. Amerasinghe, op. cit., p. 275; E. Zoller, op. cit., p. 196 ss.
135 Affaire relative à des questiom· d'interprétation et d'application de la Convention de Momréa/de 1971 rtel'u/tand

l'incident aériene Lockerbie, Ordonnances d14 avril 1992, Recueil, 1992,43(Libye c. Royaume-Uni) etp. 153
(Libye c. Etats-Unis d'Amérique)- italiques d'origine.226

La doctrine s'est prononcée dans le mêmesens. Pour le Professeur Alfred Rubin, le

Conseil de sécurité

".. construes the Libyan refusa! to hand over two accused Libyan officiais for criminal trial by Western
powers affected by an atrocity more than three years before as a 'threat to intemalional peace'. lt is very
hard to see the relationship between the old atrocity and a current threat. The words used by the
Security Council seem unrelated to reality." 136

Le Professeur Mark Weiler note qu'initialement, Je Conseil de sécuritéavait répondu à

l'attentat de Lockerbie par une déclaration du Président du Conseil, qui trahissait Je malaise

du Conseil quant à son rôle en la matière, et conclut :

"li is true that the Security Council has, in general terms, voiced its concern about "terrorism".

However, it has done so very hesitantly. Of course, the widening of Councîl jurisdiction to tackle
prospective cases of "terrorism" is to be encouraged, as these can indeed under certain circumstances be
considered "threats to international peace and security". But the use of that label retroactively to deal
with a case which, when it occured some three years earlier was not considered a threat to
international peace and security is not likely 10 encourage this tender trend." 137

De même,pour le Professeur Graefrath,

"Il is not at ali convincing that a single act of terrorism could constitute a threat to the peace, in
panicular if compared with other circumstances where the Security Council could not find that a threat
to international peace existed. (..)

It is worth noting that no terrorist acts or actions are mentioned in Resolution 748 (1992). Alleged
omissions of the Libyan Government to fulfil reque.sts of the United States, the United Kingdom and
France were the basis for the Security Council decision. However, Libya was under no obligation in
international law to hand over the alleged perpetrators of a terrorist act. Of course, it cannot be excluded

that a threat to international peace and security can be committed by omission. However, the omission
itself would have to constitute a threat to the peace. Causation would be very diffïcult to prove in this
context, and the Security Council has never attempted to classify an omission as threat to the peace.

It remains absolutely unclear why or how the failure 10 renunciate terrorism by concrete acts (whatever
that may be) or the failure to surrender suspects, or the refusai of compensation daims which are not
established under any legal procedure, could constitute a threat to the peace. Ali these omissions cannot
be defined as acts of terrorism, and not even every act of terrorism would constitute a threat to the
peace.

The concept behind this ambiguous language is that the continuing existence of the Libyan Govemment
is a threat to the peace. Nobody dared to say so and surely such a position wou!d not have found the
support of a majority in the Security Council. The Security Council has no competence to decide
whether a government can constitute a threat to the peace. lt is only empowered to determine whether

136 Alfred P. Rubin, "Libya, Lockerbie and the Law", Diplomacy and Stater:raft. vol.4, n" 1, 1993, p. Il. Notre

traduction: "analyse le refus libyen de remettre les deux fonctionnaires libyens accusésaux fins d'un procèspénal
dans les Etats occidentaux affectéspar une attrocitéqui a eu lieu trois ans plus tôt, comme une 'menace contre la
paix'. Il est très difficile de voir le lien entre l'ancienne attrocitéet la menace actuelle. Les termes utiliséspar le

Conseilsemblentsans relationaucune avec la réalité."
137 Mark Weiler, "The LockerbieCase: A Premature End to the "New World Order'?", R.A.D.l.C. 1A.J.I.CL, 1992, p.
322-323 et note 72 · nos italiques. Notre traduction: "Il est vrai que le Conseil de sécuritéa, en termes généraux,

témoigné de sa préoccupationface au "terrorisme". Mais il l'a fait de fa'iontrèshésitante.Bien sûr, l'extension de la
compétencedu Conseil pour appréhenderde futurs cas de terrorisme doit êtreencouragée,car ceux-ci peuvent en
effet, dans certainescirconstances,êtreconsidérésommedes "menaces conLrela paix et la sécurité internationales".

Mais l'utilisationde cette qualificationde façon rétroactivepour s'occuper d'une affaire qui, quand elle s'est produite
quelque trois annéesplus tôt, n'étaitpas considércomme une menace contre la paix et la sécuritéinternationales,
n'estpas apteà encouragercette tendance." 227

certain conduct that can be attributed to a State constitutes a threat to or a breach of the peace. This
difference should not be blurred. The decision on the legitimacy of a Govemment is not within the

competence of the Security Council, but is a judgment for the people. The United Nations is still based,
as the Secretary-General felt obliged to stress, on the principle of sovereign equality of States." 138

6.121 De fait, il ressort des termes mêmesdes résolutions que le Conseil a recouru au

Chapitre VII de la Charte dans le seul but de s'arroger les pouvoirs y conférés.

Ceci ressort du deuxième paragraphe introductif de la résolution 731 (par .1); de ce

que le raisonnement qui a motivé le recours du Conseil au Chapitre VII, est logiquement

incohérent (par. 2) et disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi (par. 3). Comme il a

déjàétésouligné, cette démonstration n'appelle donc aucune substitution d'une appréciation
propre des qualitésintrinsèques de la situation, à celle du Conseil.

1 - Le deuxième paragraphe introductif de la résolution 731

6.122 Au deuxième paragraphe introductif de la résolution731 139 (1992), le Conseil se dit

"Gravement préoccupépar tous les agissements illicites dirigéscontre l'aviation civile internationale et

affirmant le droit de tous les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du
droit international, de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une
menace à la paix et à la sécuritéinternationales,"

138 Graefrath, B., "Leave To The Court What Belongs To The Court. The Libyan Case", E.J.l.L., 1993,p. 196. Notre

traduction:Il n'est pas du tout convaincant qu'un acte de terrorisme pris isolément constitue une menace contre la
paix, en particulier'il est comparé à d'autres circonstanceoù le Conseil n'a pas pu constater l'existence d'une

menace contre la paix internationale. (..)
Il mérite d'être mentionné que la résolution 748(1992) ne mentionne pas d'acte ou d'actes de terrorisme. Les
prétendues omissions du Gouvernement libyen de satisfaire aux demandes des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la

France ont fondé la décision du Conseil de sécurité.Or, la Libye n'était pas dans l'obligation, conformément au droit
international, de remettre les prétendus auteurs d'un acte ten-oriste. Bien sûr, il ne peut êtreexclu qu'une menace

contre la paix et la sécuritéinternationales puisse êtrecommise par omission. Toutefois, cette omission devrait elle­
mêmeconstituer une menace contre la paix. Le lien de causalité serait très difficile à prouver dans ce contexte, et le
Conseilde sécuritén'a jamais essayé de classifier une omission comme menace contre la paix.

Tl reste absolument incompréhensible pourquoi et comment le manquement de renoncer au ten-orisme par des actes
concrets (quelleue soit la signification de cette exigence) ou le manquement de rendre les suspects, ou le refus de
payer des dédommagements qui ne sont déterminés par aucune procédure légale, poun-aient constituer une menace

contre la paix. Aucune de ces omissions ne peut êtrequalifiéeacte de terrorisme, et même,tout acte de ten-orisme
ne constituerait pas une menace contre la paix.

L'idée derrière ce langage ambigu est que l'existence continue du Gouvernement libyen est une menace contre la
paix. Personne n'a osé le dire, et il est certain qu'une telle position n'aurait pas obtenu le soutien de la majorité du

Conseil de sécurité.Le Conseil de sécuritén'est pas compétent pour décider si un gouvernement peut constituer une
menace contre la paix. Il a seulement le pouvoir de déterminer si un certain comportement qui est attribuable à un Etat
constitue une menace contre la paix ou une rupture de la paix. Cette différence ne peut pas êtreobscurcie. Le

jugement de la légitimitéd'un gouvernement n'est pas de la compétence du Conseil de sécurité,mais est un jugement
qui appartient au peuple. Les Nations Unies sont toujours basées, comme le Secrétaire général a cru devoir le

souligner,sur le principe de l'égalitésouveraine des Etats."
139 V. annexe n·82.------------------------------------------------------------------------
--------------------

228

Il a déjàétéexposéque l'énonciation "actes de terrorisme international qui constituent

une menace à la paix et à la sécurité internationales" signifie que certains actes de terrorisme
international seulement - qui ne sont ni déterminésni déterminables - constituent une telle

menace.

6.123 Ceci résulte déjàde l'absence de virgule avant les termes 'thar' et 'qui'. Il y est en
effet question d"'actes de terrorisme international qui constituent une menace à la paix", et

non des "actes de terrorisme international, qui constituent une menace à la paix". De même,le

texte anglais fait étatd"'acts of international terrorism that constitute threats to international

peace and security", et non pas de

"acts of international terrorism, that constitute threats ..."

En l'absence d'une virgule, les termes 'that' et 'qui' sont des propositions relatives

déterminatives, et non explicatives. Le texte adopté par le Conseil signifie que certains actes

de terrorisme international - qui sont indéterminéset indéterminables - constituent une telle
menace.

La résolution 731 applique cette distinction grammaticale de façon conséquente.

Ainsi, lorsqu'au 3ème paragraphe introductif de la résolution 731 (1992), le Conseil réaffirme
sa résolution 286 (1970) et en précise le contenu: l'utilisation de la proposition relative

explicative (i.e. la virgule) était préférable,puisqu'il n'existe pas plusieurs résolutions 286

(1970), dont certaines auraient le contenu précisépar après. De fait, le Conseil a rédigéle

paragraphe en bonne logique:

" Réaffirmant sa résolution 286 (1970) du 9 septembre 1970,par laquelle il demandait aux Etats de
prendre toutes les mesures juridiques possibles pour empêcher toute ingérence dans les liaisons
aériennes internationales civiles,"

Il en va de mêmedu texte anglais:

"Reaffirming its resolution 286 (1970) of 9 September 1970, in which it called ..."

Qui plus est, alors que la virgule faisait défautdans le troisième paragraphe introductif

du projet de résolution 140,et ceci tant dans le texte français, que dans le texte anglais du
projet, elle a étéajoutéedans le texte définitif.

140 S/23422du 20janvier1992, Vannexen' 81. 229

6.124 Une analyse plus large des résolutions litigieuses confirme que le deuxième

paragraphe signifie que certains actes de terrorisme seulement, indéterminés et
indéterminables, constituent une menace pour la paix.

En présence d'une virgule, la mêmeénonciation constituerait une 'constatation' au
sens de l'article 39 de la Charte, Or, une telle interprétation est exclue :

* Si le Conseil avait. voulu procéder à une 'constatation' au sens de 1'article 39, il aurait
recouru à sa formule traditionnelle, qui figure par ailleurs dans la résolution 748, dont le

7ème paragraphe introductif se lit: "Constatant .. que le défautde la part du Gouvernement

de la Libye de démontrer, par des actes concrets, sa renonciation au terrorisme ..
constituent une menace pour la paix et la sécuritéinternationales;"

* La résolution 731 aurait alors étéune véritable résolution en vertu du Chapitre VII de la
Charte. L'absence de la mention traditionnelle "Agissant en vertu du Chapitre VII de la

Charte" inséréeultérieurement dans la résolution 748, démontre toutefois que la résolution
731 n'a pas étéadoptée en vertu du Chapitre Vll.

6.125 Qui plus est, la constatation aurait étéque tous les actes de terrorisme international

constituent une menace pour la paix. Or, ceci est exclu plus clairement encore. Dans le

premier paragraphe introductif de la résolution 731, le Conseil se dit

''Profondémenttroublépar la persistance, dans le monde entier, d'actes de terrorisme international sous
toutes ses formey,compris ceux dans lesquels des Etats sont impliqués directement ou indirectement,
qui mettent en danger ou anéantissent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les relations
internationales et peuvent compromettre la sécuritédes Etats,"

Si le Conseil avait visé, au deuxième paragraphe introductif, tous les actes de

terrorisme international sans distinction, il aurait repris la formule utilisée au premier

paragraphe introductif.

Par ailleurs, le Conseil s'abstient soigneusement, dans ce premier paragraphe

introductif, de qualifier tous les actes de terrorisme international de 'menace contre la paix'.
On ne voit pas pourquoi le Conseil aurait évitécette qualification au premier paragraphe

introductif, pour y recourir au paragraphe suivant.230

Dans toute cette mesure, la résolution 731, si elle ne précise pas quels actes de

terrorisme international constituent une menace pour la paix, exclut clairement qu'ils le soient
tous.

6.126 Surabondamment, 1'on remarquera encore que le deuxième paragraphe introductif ne

vise pas, fût-ce implicitement, les seuls actes terroristes avec participation étatique. En effet,
ceci ressort encore, a contrario, du premier paragraphe introductif de la résolution 731, où le

Conseil se dit

"Profondément troublépar la persistance .. d'actes de terrorisme international sous toutes ses formes, y
compris ceux dans lesquels des Etats sont impliquésdirectement ou indirectement" (nos italiques)

Si le Conseil avait voulu limiter le deuxième paragraphe introductif à cette hypothèse,
il est évidentqu'il aurait repris cette formule.

Enfin, il est également exclu que la phrase susmentionnée vise implicitement les seuls
actes dont sont accusés les ressortissants libyens. Le deuxième, et plus généralement les

quatre premiers paragraphes introductifs, ont une portée générale.En cela, ils s'opposent aux

cinquième et sixième paragraphes introductifs, qui concernent spécifiquement les attentats
contre les vols Pan Am 103 et/ou UTA 772. Si le Conseil avait voulu viser, par la formule

retenue au deuxième paragraphe introductif, ces seuls attentats, il aurait non seulement adopté

une formule plus spécifique, mais encore inséréladite formule dans le deuxième volet de
l'introduction.

6.127 En conclusion, le deuxième paragraphe introductif de la résolution 731 signifie que

certains actes de terrorisme international seulement constituent une menace à la paix et à la
sécurité internationales, sans qu'il soit possible de préciser lesquels.

L'énonciation créé donc une catégorie au contenu a priori indéterminé et
indéterminable. La phrase ne peut prendre son sens qu'au regard d'une détermination

ultérieure, constatant qu'une catégorie particulière d'actes terroristes, ou un acte terroriste

spécifique, constituent une telle menace. Dans toute cette mesure, la phrase "actes de
terrorisme international qui constituent une menace à la paix et à la sécuritéinternationales"

ne constitue nullement une détermination au sens de l'article 39, mais seulement une variante

de 1'article 39 même. 231

6.128 La question est alors de savoir quelle peut êtrela fonction d'une telle phrase, dans le

système des résolutions 731 (1992) et 748 (1992). La réponseen est fournie par le texte même
du 2ème paragraphe introductif de la résolution 731 (1992), qui se Jit comme suit:

"Gravement préoccupépar tous les agissements îllicites dirigéscontre l'aviation civile internationale et
affirmant le droit de tous les Etats, conforméàela Charte des Nations Unies et aux principes du
droit international, de protégerleurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une
1nenaceà la paix et à fa sécuritéinternationales." (nos italiques)

L'énonciation "actes .. qui constituent une menace", qui isolément est dépourvue de

sens et d'utilité,ne prend son sens qu'en relation avec le débutde la phrase: "affirmant le droit

de tous les Etats ... de protégerleurs nationaux".

L'on ne peut imaginer une preuve plus manifeste de ce que la qualification de menace

contre la paix n'a pas étéintroduite au regard des qualités intrinsèques des actes visés, mais
dans le seul but d'en déduire le "droit de tous les Etats de protéger leurs ressortissants", qui

devait fonder le droit des Etats-Unis et du Royaume-Uni d'obtenir l'extradition des

ressortissants libyens accusésde l'anentat de Lockerb ie.

Cet objectif est d'autant plus évident, que l'on ne voit pas pourquoi "le droit de tous

les Etats de protéger leurs ressortissants" pourrait ne prévaloir que dans la seule hypothèse
d"'actes de terrorisme international qui constituent une menace contre la paix".

6.129 Ce qui précèdeimplique nécessairement, que le Conseil a recouru à la qualification de

"menace contre la paix", -nonpas en raison des qualités intrinsèques de la situation visée,mais

dans le seul but de s'arroger les pouvoirs conféréspar le Chapitre VII de la Charte.

2- La motivation des résolutions litigieuses est logiquement et
juridiquement incohérente

6.130 Le raisonnement sous-tendant les résolutions 731 et 748 est logiquement et

juridiquement incohérent. Partant des appréciations et motivations invoquées par lui, le

Conseil n'a pas, en logique et en droit, pu déterminer l'existence d'une menace pour la paix
sur base des qualitésintrinsèques de la situation.232

6.131 Comme il a étéexposé, les Membres du Conseil ont justifié le recours au Chapitre VII

par la nécessitéde mettre fin à l'impunité des terroristes protégéspar un Etat complice se

prévalant du droit international généralou conventionnel pour refuser l'extradition. Cette
impunité saborderait l'effet préventif que doit avoir la législation répressive, et contribuerait

ainsi à l'extension du terrorisme- d'où la menace contre la paix.

Sans doute la participation étatique complique-t-elle la répression du terrorisme,

lorsque l'Etat complice protège les terroristes; et sans doute cette impunité favorise-t-elle le

terrorisme, dans la mesure où les "candidats-terroristes" se savent à 1'abri des poursuites.

Toutefois, cette participation étatique sabordant le caractère préventif de la législation

répressive, ne peut elle-même constituer une menace contre la paix justifiant le recours au

Chapitre VII de la Charte, que si les actes qu'elle favorise constituent eux-mêmes, à tout le
moins, une menace contre la paix. Logiquement, 1'impossibilité d'empêcher un acte ne peut

constituer un danger que si, et seulement si, cet acte constitue lui-même, à tout le moins, un

danger analogue.

L'affirmation que la complicité étatique menace la paix, présuppose donc

nécessairement que le terrorisme international en généralconstitue une telle menace (on

pourrait mêmedire : une rupture de la paix). Or, cette condition indispensable est exclue par le
deuxième paragraphe introductif de la résolution 731.

Ayant exclu la qualification de menace contre la paix pour les actes terroristes
internationaux en général, 1e Conseil n'a pu, logiquement, décider que le terrorisme

international à complicité étatique constitue une menace contre la paix en raison de l'impunité

qu'il entraîne.

Cette incohérence est d'autant plus manifeste., que le Conseil n'a pas, en 1988 ni

ultérieurement, qualifié l'attentat contre le vol Pan Am 103 comme une menace contre la paix.
Dans ces circonstances, on ne voit pas comment le refus de livrer les suspects pourrait, pour

des motifs liésà la prévention du terrorisme international ou pour tout autre motif, constituer

une telle menace. Le Professeur Weiler a à juste titre critiqué

"(..) the use of that label retroactively to deal with a case which, when it occurred sorne three years
earlier, was not considered a threat to international peace and secul4ly (..)."

141 M. Weiler, "'The Lockerbie Case: A Premature End to the 'New World Orderop. ci!p. 322-323. Notre
traduction:(..) l'milisation de cette qualification de façon rétroactive pour s'occuper d"une affaire qui, quand 233

Dans ces circonstances, il est exclu que le Conseil ait recouru au Chapitre VII en

raison des caractéristiques intrinsèques des données qu'il avait devant lui. Le Conseil a donc

recouru au Chapitre VII, dans le seul but de s'arroger les pouvoirs y conférés.Il a étéexposé

ci-dessus que cet objectif et ce procédésont contraires à la Charte.

6.132 Le but préventif alléguéconstitue le seul lien entre les intérêtsindividuels des Etats­

Unis et du Royaume-Uni, et l'intérêtde la Communauté internationale, qui doit guider
l'action du Conseil. Ce but préventif étant inexistant, les résolutions 731 et 748 servent, en

réalité,non pas l'intérêt de la Communauté internationale, mais le seul intérêp t rivédes Etats­

Unis et du Royaume-Uni.

3- L'exigence que la Libye livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni trahirait d'autant plus le caractère fictif de la prétendue

ratiolegis du recours au Chapitre VII de la Charte

6.133 Comme le souligne le Professeur Zoller, le détournement de pouvoir peut résulter
notamment de ce que l'organe concerné "impose des conditions qui ne sont pas nécessaires ou

appropriées pour achever le but en vue duquel le pouvoir a été accordé" 142.

La disproportion des moyens par rapport à 1'objectif poursuivi, ou plus généralement
l'absence de lien suffisant entre le but et le moyen, constituent également une des variantes du

détournement de pouvoir, retenue par la jurisprudence administrative internationale l43.

6.134 De ce point de vue, l'exigence du Conseil que la Libye livre ses nationaux aux Etats­

Unis ou au Royaume-Uni, renforcerait encore ce qui précède.

D'une part, il a étéexposé que cette exigence n'est pas nécessaire, ni mêmeapte à

sauvegarder l'effet préventif du jugement des suspects, qui pour le Conseil devrait contribuer

au maintien de la paix et de la sécuritéinternationales.

el!e s'est mroduite quelque trois années plus tôt, n'était pas considérée comme une menace contre la paix et la
sécuritéinternationales (..)",
142 Zoller. Eop.cirp. 197.

143 cfr. C.F. Amerasingop.citp. 292 ss.234

D'autre part et surtout, cette exigence entraînerait une différence de traitement des

attentats contre le vol Pan Am 103, d'une part, et le vol UTA 772 d'autre part, qui trahirait le
caractère fictif de la prétendue ratio legis du recours au Chapitre VIl de la Charte.

De fait, le Conseil ne demande nullement que les suspects de l'attentat sur le vol UTA
772 soient livrés à la France. On voit mal, dans ces circonstances, pourquoi la livraison des

suspects de l'attentat sur le vol Pan Am 103 serait nécessaire pour parvenir aux objectifs de
répression et de prévention qui devraient justifier le recours au Chapitre VII de la Charte.

Section 5- La motivation des résolutions litigieuses est incohérente, ce qui exclut

qu'elles soient invoquées devant la Cour pour faire obstacle au

règlement du présentdifférend,ou en déterminer l'issue

6.135 Il a étéexposéantérieurement que, face à une décision 'quasi-judiciaire' du Conseil, la

Cour ne doit pas se limiter à vérifier le respect des dispositions de la Charte, mais peut encore

vérifier si le raisonnement sous-tendant la décision du Con sei 1 est juridiquement et
logiquement justifié.

6.136 Or, comme il a étéexposé ci-avant, les résolutions 731 et 748 sont juridiquement et

logiquement incohérentes, et elles le seraient d'autant plus si elles exigeaient que la Libye

livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni :

- d'une part, ayant exclu la qualification de menace contre la paix pour les actes terroristes
internationaux en général, le Conseil n'a pu, logiquement, décider que le terrorisme

international à complicité étatique constitue une menace contre la paix en raison de

l'impunité qu'il entraîne;

- d'autre part, le Conseil n'a pas pu décider que la livraison des suspects aux Etats-Unis ou

au Royaume-Uni était nécessaire au maintien de la paix et de la sécuritéinternationales,
alors qu'il n'a pas poséla mêmeexigence pour l'attentat sur le vol UTA 772. 235

Indépendamment du fait que ces constatations constituent la preuve du détournement

de pouvoir par le Conseil, l'inconsistance de la motivation des résolutions affecte la ratio

legis, le fondement juridique mêmedes résolutions litigieuses, et à ce titre affecte leur validité

ou du moins exclut qu'elles puissent faire obstacle à l'application de la convention de
Montréal.

CHAPITRE IV- OBSERVATIONS SUR LA RESOLUTION 883 (1993) DU CONSEIL
DE SECURITE

6.137 Le Il novembre 1993, le Conseil de sécuritéa adopté la résolution 883 (1993) 144.Eu

égard au bref laps de temps entre 1'adoption de cette résolution et la date fixée pour le dépôt
du présent mémoire, la Libye n'a pas eu l'occasion de procéder à une analyse approfondie de

la résolution et des déclarations faites au Conseil lors de son adoption. Tout en se réservant le

droit de revenir ultérieurement sur la question, la Libye fait les observations suivantes.

Dans la résolution 883 (1993), le Conseil,

"Réaffirmantses résolutions 731 (1992) du 21 janvier 1992 et 748 (1992) du 31 mars 1992,

Gravement préoccupéde ce qu'après plus de 20 mois, le Gouvernement libyen ne se soit toujours pas
pleinement conformé à ces résolutions,

Déterminéà éliminer le terrorisme international,

Convaincu que les responsables d'actes de terrorisme international doivent êtretraduits en justice,

Convaincu également que la suppression des actes de terrorisme international, y compris ceux dans
lesquels des Etats sont impliqués directement ou indirectement,essentielle au maintien de la paix et
de la sécuritéinternationales,

Estimant, dans ce contexte, que le défaut persistant du Gouvernementlibyen de démontrer, par des
actes concrets, sa renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquement cànrépondre de

manière complète et effective aux requêtes et décisions contenues dans les résolutions 731 (1992) et
748 (1992) constituent une menacepour la paix et la sécuritéinternationales,

Prenant note des lettres datées des 29 septembre et 1er octobre 1993 que le Secrétaire du Comité
populaire généralpour les relations extérieures et la coopération internationale de la Libye a adressées
au Secrétaire général(S/26523), ainsi que du discours'il a prononcé au cours du débat généralà la
quarante-huitième session de l'Assemblée généraledes Nations Unies (A/48/PV.20), dans lesquels la
Libye a affirmé son intention d'encourager les suspects de l'attentat contre le vol Pan Am 103 de se
présenter pour jugement en Ecosse et sa volonté de coopérer avec les autorités françaises dans le cas de

l'attentat contre le vol 772,

Exprimant sa reconnaissance au Secrétaire général pour les efforts qu'il a déployés au titre du
paragraphe 4 de la résolution 731 (1992),

144 V. annexe n°194.236

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte,

1. Demande une fois encore que le Gouvernement libyen se conforme sans plus de retard aux
résolutions 731 (1992) et 748 (1992);

2. Décide,afin d'assurer le respect par le Gouvernement libyen des décisions du Conseil, de prendre les
mesures suivantes, qui entrerontn vigueur le 1er décembre 1993 à Oh01 (heure de New York), sauf si

le Secrétaire générala rendu compte au Conseil dans les termes prévus au paragraphe 16ci-dessous;

14. Invite le Secrétaire généralà poursuivre le rôle qui lui a étéconfié en vertu du paragraphe 4 de la
résolution 731 (1992);

16.Se déclaredisposéà procéder à la révision des mesures établies ci-dessus et par la résolution 748
(1992) afin de les suspendre immédiatement si le Secrétaire généralrend compte au Conseil que le

Gouvernement libyen a assuré la comparution des suspects de l'attentat contre le vol Pan Am 103
devant un tribunal américain ou britannique compétent et a déféréaux demandes des autorités
judiciaires françaises s'agissant de l'attentat contre le vol UTA 772, en vue de leur levée immédiate
quand la Libye aura pleinement satisfait aux demandes et décisions contenues dans les résolutions 731

(1992) et 748 (1992),et demande au Secrétaire généralde faire rapport au Conseil sur le respect par la
Libye des autres dispositions des résolutions 731 (1992)t 748 (1992), dans les 90 jours qui suivent la
suspension et, en cas de non-respect,exprime sa détennination à mettre immédiatement un terme à la
suspension de ces mesures,

17. Décidede rester saisi de la question."

6.138 Si on compare le texte de la résolution 883 (1993) avec celui du projet de texte 145, on

peut émettrequatre remarques qui confirment l'argumentation de la Libye.

En premier lieu, le 4ème paragraphe introductif - qui ne figurait pas dans le projet -
explicite l'objectif du Conseil, tel qu'il a étéidentifié ci-dessus lors de l'analyse des

résolutions 731 (1992) et 748 (1992). Le Conseil se dit

"Convaincu que les responsables d'actes de terrorisme international doivent êtretraduits en justice".

Cet objectif est formulé en termes très généraux: il n'est pas préciséque les suspects

doivent êtretraduits en justice devant certains tribunaux spécifiques.

En deuxième lieu, le 7ème paragraphe introductif - qui ne figurait pas non plus dans le

texte du projet - prend note de ce que

"... la Libye a affirmé son intention d'encourager les suspects de l'attentat contre le vol Pan Am 103
de se présenterpour jugement en Ecosse et sa volonté de coopérer avec les autorités françaises dans le
cas de l'attentat contre le vol UTA 772" (nos italiques).

145 V. annexe n°190. 237

Le Conseil prend ainsi note de ce que la Libye tente d'obtenir la comparution volontaire

des suspects devant les tribunaux écossais, ce qu'elle peut faire conformément à son droit
interne et au droit international.

En troisième lieu, la résolution 883 (1993), après avoir exprimé la reconnaissance du

Conseil pour les efforts déployéspar le Secrétaire généralau titre du paragraphe 4 de la
résolution 731 (1992) 146,

"14. Invite le Secrétaire généàapoursuivre le rôle qui lui a étéconfié en vertu du paragraphe 4 de la
résolution 73 (1992);

Le rôle du Secrétaire général,qui a étéidentifié antérieurement dans ce mémoire comme

celui de rechercher une solution négociée,reste donc inchangé.

En quatrième lieu, au 16ème paragraphe du dispositif de la résolution, le Conseil

"16. Se déclare disposé à procéder à la révision des mesures ... afin de les suspendre immédiatement si
le Secrétaire généralrend compte au Conseil que le Gouvernement libyen a assuré la comparution des
suspects de l'attentatcontre le vol Pan Am 103 devant un tribunal américain ou britannique

compétent ...".

Cette disposition tranche particulièrement avec le texte du projet. Selon le llème

paragraphe du dispositif du projet, correspondant au paragraphe 16 de la résolution, le

Conseil se serait déclarédisposé à lever les mesures coercitives,

"... the Secretary-General reports to the Council that the Libyan government has surrendered for trial

in the appropriateS. or U.K. court those charged with the bombing ...".

Les deux textes ont bien sur une portée entièrement différente : le projet de résolution

faisait référenceà la remise des suspects par la Libye aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Comme il a étépréciséantérieurement, la Libye ne peut pas procéder à cette remise en
vertu de son droit interne et elle ne peut pas y êtreobligée en vertu du droit internationaL

Le texte définitif de la résolution 883 (1993), par contre, ne vise aucunement 1'hypothèse

spécifique de la remise : il concerne, beaucoup plus généralement, l'hypothèse où les

suspects comparaîtraient -éventuellement de leur propre volonté- devant les tribunaux

américains ou britanniques. Cette comparution volontaire n'est nullement prohibée par le
droit libyen, et n'est aucunement viséepar les règles applicables du droit internationaL

146 Résolution883 (1993)Sèmeparagraphe introductif.238

6.139. Ces quatre modifications apportées au projet de résolution sont intimement liées.

Il est remarquable, en effet, que le Conseil ait dit seulement que les mesures

coercitives pourraient êtreimmédiatement livées si la Libye assurait la comparution des

suspects devant un tribunal américainou écossais. Cette formulation tranche avec l'adoption­
hypothétique - d'une décision obligeant la Libye à.assurer la comparution des suspects, et

encore plus avec une décisionobligeant la Libye à livrer les suspects.

Cette distinctionn'est pas purement formelle. En disant que les mesures sont levéessi

la Libye assure la comparution devant un tribunal américain ou écossais, le Conseil n'exclut
pas que les mesures puissent également êtrelevéesau cas où les suspects seraient traduits en

justice devant un autre tribunal. Dans la première hypothèse, les mesures devront êtrelevées,

dans la seconde, elles pourront l'être.

Sur ce plan, l'amendement du projet de résolution par l'insertion du 4ème paragraphe
introductif, rappellant l'objectif du Conseil en termes généraux,fait déjà.le contrepoids du

paragraphe 16 du dispositif : si ce dernier se réfèreexplicitement aux tribunaux écossais et

américains, le 4ème paragraphe introductif est là pour rappeler que 1'objectif véritable du
Conseil est, plus généralement,que les suspects soient traduits en justice.

Lorsqu'i1 se réfèreà.la comparu tion des suspects devant les tribunaux américains ou
britanniques, le 16ème paragraphe du dispositif ne formule aucunement la seule et unique

solution envisageable : il formulerait, tout au plus, une solution privilégiéepar le Conseil.

Ceci est confirmé par le fait que le texte définitif de la résolution 883 (1993) ne

modifie pas le rôle conféréantérieurement au Secrétaire général,qui est de rechercher une
solution négociéeentre les parties.

Cette analyse est encore renforcée par le lien existant entre l'amendement du 16ème
(anciennement llème) paragraphe du dispositif, et l'ajout du ?ème paragraphe introductif: le

dispositif a en effet étéreformulé, de façon à ce qu'il se réfère à l'hypothèse d'une

comparution volontaire des suspects. Cette modification est manifestement liéeà l'insertion
du 7 ème paragraphe introductif, qui se réfè.reà 1'intention de 1a Libye d'encourager les

suspects de se présenter pour jugement en Ecosse. La référenceaux tribunaux américains et
britanniques fait donc échoà la déclaration libyenne. Dans cette mesure, le 16ème paragraphe

du dispositif ne se réfèrepas au jugement devant les tribunaux américains ou britanniques 239

comme la solution privilégiée,mais plutôt comme ce qui, eu égardaux déclarations libyennes,

apparaît êtreune solution probable.

Dans ces circonstances, la résolution 883 (1993) confirme l'interprétation des droits et

obligations de la Libye, qui a étéprésentéeci-dessus lors de l'analyse des résolutions 731
(1992) et 748 (1992) : le Conseil de sécuritén'exige pas que la Libye livre les deux suspects

aux tribunaux des deux Etats défendeurs.

6.140 Ceci étant,dans la mesure où elle se réfèreaux tribunaux américains et britanniques,

la résolution 883 (1993) traduit aussi la divergence entre les préférencespolitiques du Conseil
ou de certains de ses membres, et les exigences que pose le Conseil en droit. Eu égardà cette

divergence, le maintien des mesures coercitives contre la Libye risque de revenir à contraindre

- en fait - la Libye de forcer les suspects de se livrer 'volontairement' aux Etats-Unis ou au

Royaume-Uni. Il est inutile de dire qu'une telle pression serait constitutive de détournement

de pouvoir.

Ce risque d'ambiguïté dans la pratique du Conseil a étéparfaitement traduit par le

représentant brésilien lors de l'adoption de la résolution 883 (1993). Le représentant brésilien

a déclaré:

"It is our considered view that efforts to combat and prevent acts of international terrorism must be
based on strong and effective international cooperation on the basis of the relevant princip/es of
international law and the existing international conventions re/ating to the various aspects of the

problem of international terrorism. The basic imperative in the prevention of terrorist acts of an
international nature - as expressed, for example, in resolution 44/29 of the United Nations General
Assembly - is that States must invariably fulfil their obligations under international law and take
effective and resolute measures to prevent such acts, in particular by ensuring the apprehension and
prosecution or extradition of the perpetrators of terrorist acts.

(.) As provided in Article 24 (2) of the Charter, the Sccurity Council is bound to discharge its
rcsponsibilities in accordance with the purposes and the principles of the United Nations. That means
also that decisions taken by the Council, including decisions under Chapter VII, have to be construed in
the light of tlwse purposes, which, inter alia. require respect for the princip/es of justice and

international law.147

Le représentant a également précisé,dans la droite ligne de l'analyse ci-dessus des
résolutions 731 (1192) et 748 (1192) :

"We understand that the initiatives that Members States are callcd upon to take to encourage the
Libyan Govemment to respond effectively to Council resolutions, as cxpressed in operative paragraph

15, are initiatives such those that have been carried out by States so far, in the manner of good
offices, to facilitate talks and diplomatie contacts leading to a peaccful solution of this problem. (...)

147 S/PV. 3312,p.48-49 du texte anglais, V. annexe n°l95 -nos italiques.240

It is indeed our hope that the period between now and 1 December, when the new sanctions are to
come into effect, will be profitably utilized States involved- in particular, by Libya - to achieve

an early negociated solution in full conformity with Security Council resolutions. We encourage the
Secretary-General to continue his eftafacilitate such a solution". 14

En mettant ainsi l'accent sur la nécessitéd'une solution négociée,le représentant
brésilienconfirme encore que la résolution 883 (1993) n'impose pas, sans solution alternative,

le jugement des suspects par les tribunaux américains ou britanniques.

Ceci confirme amplement que la résolution 883 ne modifie pas les exigences du

Conseil de sécuritételles qu'elles ont étéidentifiées lors de l'analyse des résolutions 731

(1992) et 748 (1192).

Mais, en mêmetemps qu'il prononce cette remarquable plaidoirie pour la cause de la

Libye, le représentant du Brésilajoute :

"As was noted by sorne delegations in stamenents made in this Council on 21 January 1992, upon the
adoption of resolÜtion 731 (1992), the exceptional circumstances on which this case is based make il
clear that the action taken by the Council seeks to adressa specifie political situation and is clearly not
intended to establish any legal precedent- especially not a precedent that would question the validity of
time-honoured rules and principles of international law or the appropriateness of different domestic

legislations wilh respect to the prevention and elimination of international terrorism." 149

Le représentant brésilien distingue ainsi le traitement politique de l'affaire de son

traitement juridique. Ceci traduit bien le fait que, alors que le Conseil ne peut pas exiger de la
Libye qu'elle livre ses nationaux aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, et alors qu'il s'abstient

volontairement de formuler cette exigence, la position de certains membres du Conseil peut

mener, en fait, à imposer le maintien des mesures coercitives.

6.141 En conclusion, la résolution 883 (1993) du Conseil de sécuritéconfirme l'analyse qui
a étéfaite ci-dessus des droits et obligations de la Libye en vertu des résolutions 731 (1992) et

748 (1992). La comparution des deux suspects devant les tribunaux américains ou

britanniques devient peut-êtreune solution privilégiéeou simplement probable, mais elle reste
non obligatoire pour la Libye. S'il en étaitautrement, ou si les sanctions imposaient en fait la

comparution forcéedes suspects devant les tribunaux américains ou britanniques, la résolution

883 (1993) serait contraire à la Charte des Nations Unies.

*
* *

148 Ibidp.50-51 du texte anglais- nos italiques.
149 Ibid.,- nos italiques. 241

CONSIDÉRATIONS GENERALES

7.1 Avant de présenter les conclusions finales, la Libye considère nécessaire de présenter
les considérations généralessuivantes qui se trouvent à la base de sa requête.

7.2 La Libye a saisi la principale juridiction pour les conflits régis par le droit

international public, en vue de protéger ses droits comme membre d'une communauté d'Etats

égauxen droit.

La Libye a fait 1'objet de demandes, soutenues par des mesures de contraintes, qui
pourraient impliquer la livraison de ressortissants 1ibyens en contravention des règles

pertinentes du droit international généralrelatives à l'extradition, des dispositions d'une

convention internationale multilatérale majeure, des droits des deux accusés qui, comme tels,
bénéficient des standards généralement acceptés en matière de droit de l'homme, et des

dispositions de la loi libyenne, conformes à la convention de Montréal, qui ne permettent pas

l'extradition des nationaux.

7.3 Cette situation n'est pas compatible avec les principes élémentairesde l'état de droit.

La culpabilité des accusés a étéconstamment présumée,et ni les Etats-Unis ni le Royaume­

Uni n'ont accepté de fournir, en vue d'un examen impartial, les preuves alléguéesqui sont à la
base des poursuites.

7.4 Le traitement grossièrement inégal réservéà la Libye sous la pression des Etats-Unis

et du Royaume-Uni par le Conseil de sécurité résu!te d'une démarche qui présume la
responsabilité d'un Etat basée sur de simples affirmations des Etats défendeurs. Il s'agit non

seulement d'un dénide justice, mais aussi d'une mesure manifestement discriminatoire. Ici on

condamne et on sanctionne sans preuve un Etat, alors qu'ailleurs on s'abstient de condamner
et de sanctionner bien que les preuves soient patentes.

7.5 Par la présente procédure, la Libye s'en remet à la Cour, principal organe judiciaire
des Nations Unies, qui apparaît aujourd'hui comme la seule instance apte à dire le droit et
d'assurer à la Libye son droit à l'égalité dans l'application des principes du droit
international.242

CONCLUSIONS
[pour les E.-U.]

8.1. Par ces motifs, et tout en se réservant le droit de compléter et modifier s'il y a lieu les

présentes conclusions en cours de procédure, la Libye prie la Cour de dire et juger :

a) que la convention de Montréal s'applique au présentlitige;

b) que la Libye a pleinement satisfait à toutes ses obligations au regard de la convention de

Montréalet est fondéeà exercer la compétence pénale prévue par cette convention;

c) que les Etats-Unis ont violé, et continuent de violer, leurs obligations juridiques envers la

Libye stipulées à l'art. 5 §§ 2-3, à l'art. 7, à l'art. 8 § 3 et à l'art. 11 de la convention de

Montréal;

d) que les Etats-Unis sont juridiquement tenus de respecter le droit de la Libye à ce que cette
convention ne soit pas écartéepar des moyens qui seraient au demeurant en contradiction

avec les principes de la Charte des Nations Unies et du droit international généralde

caractère impératif qui prohibent l'utilisation de la force et la violation de la souveraineté,
de 1'intégrité territoriale, de l'égalité souveraine des Etats et de leur jndépendance

politique.c

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Mémoire de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste

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