Observations écrites du Cameroun sur la demande du Nigéria en interprétation de l'arrêt du 11 juin 1998

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11041
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OBSERVATIONS ÉCRITES
DE LA RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN

sur la demande du Nigériaen interprétation de l'arrêtdu
11 juin 1998 en l'affaire deFrontière terrestre et mari­
lime entre le Camerouelle Nigéria(Cameroun r. Nigéria),
exceptions préliminaires

WRITTEN OBSERVATIONS

OF THE REPUBLIC OF CAMEROON
on the Request Submitted by Nigeria for Interpretation of
the Judgment of 11 June 1998 in the Case concerning the
Llmd and Maritime Bowzdary betwee11Cameroon and
Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Preliminary Objections 15

1 INTRODU<.ïlON

1 Par Jeure du 28 octobre 1998. le greffier adjoint de la Cour a transmis
c.:op1de la demande d'interprétationde l'arrêtd11 juin 1998 introduite par le
GoU\•ememcnt de ln Républiquefédéraledu Nigéria.Par courrier de la ml:mc

date. le grcflïer adjoint a fait savoir au Cameroun que le juge doyen, en appli­
cation des article13, paragraphe 3. et 98. paragraphe 3, du Règlement de lu
Cour. a lïxéau 3 décembre la date d'expiration du cJélaipour le dépôt par le
Cameroun d'ob~crvn étirtessur la demande cJ'interprétation.
2. Le Cameroun croit utile de rappeler les principales étapesdes procédures
en cours. Le 29 mars 1994, la Républiquedu Cameroun saisit la Cour interna­
tionale cJeJustice du différendterritorial qui l'oppàsla Républiquefédérale
du Nigéria. Le 6 juin 1994. elle introduisit une requêteadditionnelle qui fut
jointe à la requêteinitiale. La Cour lixn le délai pour la présentation des
mémoirespar les Parties. La situatic.ms'étant aggravéesur Je terrain, le Came­

roun s:usit ln Cour d'une demande en indication de mesures conservatoires le
10 février1996. La Cour fit droità la demande du Cameroun et rendit son
ordonnance le 15 mars 1996. A l'expiration du délai pour le dépôt de son
contre-mémoire, le Nigéria déposa huit exceptions préliminaires, suspendant
ainsi la procéduresur le food. Ln Cour statua sur ces exception11juin 1998.
Le Nigériademanda alors des déla1sexceptiOnnellement longs pour introdutrc
son contre-mémoire. La Cour fixa au 31 mars 1999 la date du dépôt du
contre-mémoire.Après avotr cJemandéau Comcroun de s'expliquer sur le sens
qu'il entendait donnerù certains aspects de l'arrêtd11 juin 1998.le Nigéria
unroduit m:untcnant un recours en interprétation.
3. Le Cameroun. pour sa part espère obtenir de la Cour dans les meilleurs

délai:.un arrêtqui règle de mamèrc pacifique ct définitive le grave différend
frontalier qui l'oppose au Nigéria.Aussi prie-t-il la Cour de diligenter ln pré­
sente instance de manière à ne pas retarder une procéduresur le fond qui n'a
que trop tardé.
4. Il exprime en particulier le souhait très vif que la Cour s'en tiùnune
procédureécntc pour statuer sur la demande d'interprétation présentéepar le
Nigénn.alin que celle seconde procédure n'interfère pas avec la procéduresur
le fond ct que la décisionsur l'interprétationsollicitéepar Je Nigériasoit rendue
dans les meilleurs délais. Il demande en outre que. conformément aux disposi­
ttons de J'article 97 du Règlement. les frais de procédurequi lui sont imposés

par la demande de la Partie nigérinnesoient entièrement supportés par celle-ci.
5. Par ailleurs, le Cameroun constate que. dans sa lellre du 14 sep­
tembre 1998.l'agent du Nigériaavait soulevédeux problèmes: Je premier relatif
à la sixième exception prélimtn:urcct à 1:1possibilité poleCameroun de sc
référerà des incidents non cit éans Ill requêteinitiale ct la requêtesupplé­
mentaire: le second relatif à la septièmecxcep11onpréliminatreet à la déhmita­
uon de la frontière maritime. Il note que lu demande en interprétation ne porte
que sur le passage de l'arrêtde la Cour relatif à la sixième exception prélimi­
nnirc. Il prend acte de l'abandon de la réserve relatàvla délimitation de la
fromière maritime.
6. Indépendammentde la question de savoir si la Cour peut accéder à une

demande en interprétationd'une décis10nrendue à l'occasiOJld'une procédure
incidente (Il), Je Cameroun considère que la demande nigériane. qui n'a pas
«réellement pour objet» une mtcrprétation de 1'arrêtdu Il JUin 1998, est irrc-16 D~MA/1f1 .N01'-.'~ TAETRIO'Rl

cevablc (Ill). A litre subsidi!llre. et tout en estJmant qu'il s'agil là d'un problème

de fond.ct non d'tntcrprêtallon. 11con:.1dèrcégalement qu'en t~la de cause
la Cour devra tenir compte de l'ensemble des faits ct de la nature parliculière
des falls intemationalemen11Jicttcsdom elle est same ct qui s'analysent en des
violauons continues d'obligations Incombant aN1géria en vertu du dron mter­
national(IV).

tl.LA COUR A-T-EI.LE COMPi:ThNCt..POUR li'ITERPRtrCRARR~r

SUR US LXChi'TIONS PRÊUMINAIRES '!

7. On peut nourrir les doutes tes plus sérieux en cc qui concerne ln faculté
d'imrodutrc une demande en mterprétauon d'un arrêtponant sur des exceptions
prélimina Pinrun. e.ledéc1~1 lonl,ute Junuiction constnte sa compétence

pour se prononcer sur les conclustons de l'Etat requérant ct la rccevnb1hté de
celles-ci. san!>trancher d'oppositions dïntérGts entre les Parties: celles-ci n'ont
pas à «appliquer» l'arrêt: elles doivent seulement en prendre acte.
8. La procédure sur le fond con!-titue donc le cadre approprié pour te meure

en Œuvre, comme l'agent du Cameroun l'a rappelé dans sa lellre nu greffier de
la Cour en dale du 30 septembre 1998. 1\celle occas1on, les Parties ont tout
loi~ d es'expliquer sur l'interprétation qu'elles donnent à l'arrêtsur les excep­
tionsJlrélimtnatrcs ct la Cour peut. le cal>échéant. tranclesinterprétations
divergentes des Parties. sans quylntt lieu d'ouvrir une procédure parallèle qui.

étant une procédure pnncrpale. nesaurait. en tout état de cause. suspendre la
procédure au fond.
9. Plus généralement. il paraît fort douteux qu'une procédure prmcipnlt!
purs:.c vemrsegreffer~ur une pmcédun: 11rcrdt!nte.comme ce sera11lecaJsi la

Cour retenaitsn compétence pour sc prononcer sur la demande du Nigéna.
1O. Il ~·ag inLcfict d'une«prcm1ère >1Ln Cour n';1jamais. àce jour. été
saisie d'une demande en interprétation ponant sur un arrêtrela1ldes c~cep­
tions préhmtnaires. Si ce type de demandes sc génlisait, tes procédures devant
la Cour s'en trouvcratent consrdérnbtcmcnt alourdtes. Le Cameroun ne doute pas

que la Haute Juridiction sem attenti1lla portée de cc précédent.
1 1 Quoi qu'il en soi.le Cameroun s'en remet 11ta sagesse de la Cour pour
se prononcer sur cet imponant problème de principe.

Ill. LiDEMANOGDU NIC:tRtA ES1 IRRECEVABU !

12. Conformément aux dispositions des article60 du Statut et98 du Règle­

ment, que ta Cour a mises en Œuvre dans son arrêtdu27 novembre 1950 rclaltf
;. la Dl'mande d'interprétation 1'11rrt du 20 IIOI't!ll1950 en l'affaire du
droit d'tuilepour qu'ipu1s ~ercdonné suitel\une demande en mlcrpréta&ion•

..1) il rnut que la demandeiilréellémcntpour ilbjct une interprétation de
l'arrêt.ce qui signifie qu'elle doit v1scr uniquement à faire éclaircir te
sens cl la portée de ce qui a étédécidé avec force obligatoirepar
l'arrêt, et noà obtenir la~oluuo dn potnLs qu1 n'ont pas étéa1nsi

décidés. Tuute autre façon d'micrprétcr l'artic60 du Statut aurait
pour conséquence d'annuler la disposrllon de ce même anicle selon
laquelle l'arr6t estfinitrf ct sans recours:
2) il faut ensuite qu'il cx1stc une contestation sur tc s1:1por1éede

rarrêt. )) (J.IRecue1/1950. p. 402.) ORSfRVATIONSéCRITESOU CAMEROUN 17

13. Dans son nrrêtdu 10 décembre 1985 sur ln Demande en n·wswn et en
interpréwtion dr l'urt·it du 2-1fl\lrtt!r t'll'affaire du Plateau continental

(Ttmisie/Jamaltiriya abe libyenne).ln Cour a rappelé que:
•l'une des cunditions de recevabilité d'une dem:1nde en interprétation est.

non seulement qu'il doll y 9\'0ir contcstallon entre les parues sur cl sens
1:1portée de J'art. mais nu:ostque le but vériwble de la demande d01t être
d'obtenir une mtcrprélation - un éclaircissement sur cc sens cl ccuc
portée>>(C.J.J. Recueil 1985.p.223).

Cc~ conditions ne sont pas remplies en l'espèce.
14 En premier heu. le Nigéria n'a pas établi l'existence d'un différend entre

les Panics en cc qui concerne l'mtcrprétauon de l'arrêtdu 11 juin 1998. point
qui! le Cameroun considère comme étant tranché par ceue d&:ision ct comme
rclcvnnt. en tout étuide cause. du fond de J'affnirc.
15. En réponse li la !cure du 14 septembre 1998. par laquelle l'agent du
Nigéna avançait une interprétation de l'arrêtdu Il juin, l'agent du Cameroun

répondali:

••[L]e Cameroun. qu1 souhnite que Je grave d1ftércnd soumis à la Cour
relatifà J'affaire de lFromière terrutre t:tmarrl/lllso11définitivement
régléau plus tôt, considère pour sa pan que ln procédure nu fond, telle
qu'elle est prévue par le Règlement de la Cour CLconfirmée par l'ordon­
nance du 30 juin 1998. donnera aux Parties un cadre approprié pour

débaure. devant la Cour. de toutequesti éonentuelles relativàsl'affaire
qui l'oppose au Nigéria.»

16. Cette Jeure ne prend pas position sur l'lmerprétation avancée pnr la Partie
mgénane ct n'cxpnme aucun doute sur la cklrlé de l'arrêt rendu pnr la Cour.
Comme celle-ci l'a dit.

~·L'art 60iculStatutd1~p< l.SCu'1l n'y a heà mterprétation que s'il
y a «contestation sur le~ensct lu portée de l'arrêt». Il va de soi qu'on ne
peut cons1dérercomme une contc~ta aLxioemes de cet article le seul fait

que l'une des Parties déclarl!l'arrêtobscur. tandis que l'autre le déclare pnr­
lallcment clair.»(C.J.J.. arrêtdu 27 novembre 1950Demande e11mterpré·
talion de l'arrêt du 20 !ltn•tunbr1950 t'Ill'affaire du droit d'asile.
C J.J Recueil /950. p. 403.)

17. En second lieu ct surtout, le Cameroun cons1dère en l'espèce que l'arrêt
rendu par la Cour le 11JUin 1998 est parfaitement clair. qu'aucun «éclairciSSe·
ment sur son sens ct sa portée» n'est nécessaire el qu'il n'y a dè:. lors pas lieu

de l'interpréter. La demande mgériancC!idonc irrecevable .
18. Celle-ci manque du reste de clarté dans sa formulauon. On ne sait si elle
vise lacinqui~ oucla sixi~m exception préliminaire. Ainsi. on lit au para­
graphe 9 de la demande:

.. IT)he Court concludcd. •n reJecting Nigerin'l>sixth prcliminary objcc­
uon. that "n dispute ..cx1sts bctwecn the two Parties, at !cast as regards

the legal bases of the boundary" and th11would be for the Court 10pn.ss
un this dispute (para.93): in reachi hal conclusion the Court nlso
ubserved thal ''The occurrence of boundary Incidents certainly has tbe
taken into account ..Howcver not cvcry boundary incident imphcs a chal­
lenge to the boundary." (Pam90.)»

19.Les paragraphes 90 ct 93 cités par le N1gériaexpliquent les motifs du
rejetde la cinquième except1on prélimmaire et non de l$ÜI~m excepuon.18 llhMMIOb EN tNTllRI'RFrATtON

20. En outre et sunout. la Coa.dans les paragraphes cl 100 de son arrêt,
clairementcl complèlemcnt répondu aux quesuons que \OUièvede nouveau le
Nigéna.
21. Dans sa si:~: axcepuon prélimmairc. celui-ci demandait à ln Cour de
dare ct juger:

.. (1lhal lhc Application (and so far as relevant. Amendment and Memo­
rial) lïleby Cameroon does not mcet the requared standard or
adequncy as to the facts on whach it is bascd, including the dates.
circumMnnces and prccase locauons of the alleged mcursions and incl·

dents by N1gcnnn Statc organs:
(2)thal thosc dclic1encacs makc it imposSible
(u) for Nigeria to have the knowledge to wh1ch 11is entitofdthe
carcumstances which ;.m::saadb} Camernon10rcsult iN1gcna·~

mtcmataonnl rc~pon~1b andlconscquen11al obligatio10 make
reparation : and
(b) lorthe Court10carry out .arair and effccuve judic1al cxaminaaion
of. or makc ajud~e intrmmnuon on. the assu cf~State rcs­
ptmsiblhty and rcparatmn ra1sed by Camcroon; :uad

(3)thal accurd1ngly ali ti~:.u oestatc rcspons1bihty and rcpuration
ruised byCameroon an this contcxt should be declainadm1~s ..,blc

22 La thèse reprise par Je Nigériadans sa demande en 1ntcrpréuuiona déjà
étélonguement soutenue par lu1devant la Cour. raiexplicitement rejetée Le
3 mar~ 1998. un conseidu Nigérias'exprimau am~i:

• (P)as plus que le mémo1rcne saurait élargir lu portéedu différend telle
que l'énonce la requête... 11serait encore mondm1s~1 buleles obser·
vations d'un Etat vascnt à élargrrencore davantage la portéeddufdif·
férenden présentantde:.crrcon~tn nnuvcles qui ne figuraient pas dans
ln requêtecl le mémo1re.Pourtant c'est cc qu'a fait le Cameroun en intro­
duasant dans ses obscrvauons des allégauons d'incidents supplémentaires

dom il prétend que le Nigériaest responsable... Ces élémentssupplémen­
taires devraient donc êtreécartés."(9812.p.35: voiraus~ iid.. p.32.)
23 Le Nrgéria u n.:pm la meme argumentation au deuxième tour des plai·

dnincs orales (CR 98/5, p.48). La demande en interprétation présentée le
2K octohre1998 reprend celle thèse, presque ùomot, à certains endroits. Elle
évoque au demeurant. à son nppu1. la mêmejurisprudence que lors des plnldm­
racsorales:Admi11isrratiodu Prinu von Pless. LockerbieNauru.
24 La Cour a clairement rejetéces prétentiAme. paragraphes98 ct99 de
l'arrêtdu Il juin 1998. elle développequatre idées·

1)Ilne découle pas de l'arti38, paragraphe2.du Règlement que l'Etat
demandeur l'Oitempêcherde compléter. postérieurement à Mrcqu~tc.
l'exposé de:. falll>el des mot1fs sur lesrepo~c snt demande:.. m
que la latitude dont il dispose à cet égard «soit strictement lirn11ée

comme le suggère le N1géna»;
2) une telle conclusion ne pepas non plu ê~tretiréde l<1JUrisprudence
de la Cour selon laquelle "'lu date pertinente pour apprécier la rcccvabr­
lité1.1'unerequêteest celle de son dépôt» car les précédentsinvoqués
«ne ~e réfèrentpa:. au contenu des requête!>":
3) «une interprét:lllonauss1 n:stncuve ne corrcspondrmt pas davantage aux

conclusionsdela Cour» telles qu'elles ressortent notamment de l'am!t sur
lesc.xupllolprélimiuair.tf'duns l'affaire du Camt!rounupwnt,·ioual: ORSI,RVATIONS(CRrrru> DU CAMEROUN 19

4) «selon une prnuque ét;~bl liEctts qu1 déposent une requêteà ln Cour
liCréservent le droit pré~cn tlérieurement des élémentsde fait ct
de droit supplémentaire.'•

Enlln, au paragraphe 100. la Cour note que •dans ln présente nffairc. la
requêtedu Cameroun conllent un exposé sunisammcnt préc1sdes faits ct moyens
sur lesquels s'appuie le demandeur» ,

25. Certes. la Cour ne dtt pas. et le Cameroun ne prétend pas, que celle
faculté de présenter des arguments 'upplémcntaires de foutde droit soit illi­
mitée. Mais, les questions ude savotr :.1,compte tenu des élémentsfouràila
Cour. les faits alléguéssont ou non établis ct si les moyens mvoqués par lui sont

ou non fondés» «relèvent du fond ct tl ne saum11 en êtrepréjugédans la pré­
sente phase de l'affaire» (pa100).
26. Ilest constant que le recours en Interprétation ne peut porter allcintc il
l'autnnté de la chose jugée. Comme l'a dit ln Cour permanente dans l'affaire de
1'/nrrrprtitalion des arré1s n'''7 et 8 (umwde Chorz:ow), l'nrrêt rendu sur

recours en mtcrprétation «n'aj<>ute rien à la chose jugée ct ne peut :woir d'effet
obhga totre que dans les limtles de la décision de l'arInterpr Ct > .l..
arrét du 13~eptcmb 1928• .wfrie A 13: dnn!'Jemêmesens. C.P.J.1.. arrêtdu
16 maf\ 1925, lnurprt!wrioll de l'clrrétrelatif au traitt de Ntmilly.11"4.ie A

Il· 7).
27. La doctrine autorisée en a tiré ln conséquence inéluctable:
"(Fjrom the premisc [thnt the final submissions of the pantes also cstablish

whcthcr a paniculor point haor hasnot becndecidcd with bmding force! 11
fullows thot if the objcctof the request for interpretation is to obtain an answcr
to questions not so dcc1dcd. il hedisnusscd.>• (S. RoscnncTh~ Law a11d
Practiu of tire lntl'rnational Cour1920-1996. Vol. ITI, Martinus NiJhOff
Publishcrs. The llague/13oston/London. 1997. p. 1670.)

28 Les deux Panics sont donc liées par le caractère obligatoire de l'arrêtdu
Il juin 1998. En rejetant l'ensemble des conclUsions du Nigéna quant à la

s1xième exet:ption préliminaire, la Cour a reJeté en totalité l'argumentation du
Ntgéna. En aucun cas. on ne pourra11 pn!tcnùrc Interpréter cc rc;ct comme
consacrant l'argumentatiOn q111la sous-tend. C'est pourtant cc que fait le
Nigéria.Ilne cherche pas li rendre la décision de la Cour plus datre. mais à l'in­
verser. Dans la me$ure où ln demande en interprétation du Nigéria excède la

portée de ses conclusions linales du 9 mars 1998. elle revient à demander
à ln Cour de statueru/1rapcltlopar voie d'appel ou d'un recours en revision
déguisé.
29. Au dcmcumnL. le Nigéria ne prétend pas mtrodutre un recours en revision
au titre de l'article 61 du Statut et n'avancefa1nouveau de natureà fonder

un tel recours. qut serail dès lors. en toul étatlie cause, mccevablc.
30. Le Cameroun estime pour sa part qu'il suffit de lire de bonne foi l'arrêt
de la Cour pour diss1per tout malentendu. JI fnut sc «rétércr à cc qu'elle a
déclaréen termes absolument précis dans son urrit>>(D1mtandd'imuprttatioll
de 1'11rrdu 20 novembre /950 en l'affaire ddraitd'asile,C.I.JRt:e11cil/950.

p. 401). Or ln lecture des motifs avancés aux paragrap 9heà ~100 (voir
ci-de. ~s"24) ne laisse aucun doute:

•I Lia libertéde présenter de tels éléments[nouveaux, de fait ou de droit)
trouve sa limitdan~ l'exigence que le différend porté devant la Cour par
requéte «ne sc trouve pru. transformé en un autre dtfférend dont le carac­
tèrene serait pas le même» . En l'espèce, le Cameroun n'a pas opérl!une
telle tmnsfurmnt10n du dtfférc~>(Par. 99.)20 OhMANOh EN INTERPRIITAnON

31 La Cour a donc fixé. on ne peut plus clairement. le critère en fonction
duqu~ to1t êtreappréc l1droit du Cameroun d'invoquer des falls nouveaux à
l'appu1 de sa requête: 1ls ne dmvent pas transformer le litige «en un autre dif­
férend dont le caractère ne serait pas le même». Et par la dem1èrphra~ de

paragraphe 99 de l'arrêtdu Il juin 1998. que le Nigéria reproduit (paragraphe 6
de la demande en interprétation) mais en s'abstenant tlc citer cette dernière
phral>e, la Cour établit cla1rcmcnt que tel n'est pas le cas.
32. Quant à ladi~unct iuonle Nigéna prétend faire entre, d'une part les

incidentsct d'autre par1~ falls. afin d'écarter les incidents adduionncls avancés
par le Cameroun (demande en interprétallon. par. 8). elle u :lllssi étéavancée.
l>OUSune forme ou :;ous une autre. lors des dernières plaidoiries orales (voir
CR 98/5, version origmalc. p. 48. 50 ou 51) ct n'a pa!i étéretenue par la Cour.
33. La Cour ayant répondu clairement cl complètement à l'argumentation

développée par le Nigéria à J'appui de ses exceptions préliminaires et repris
duns su demande en interprétation. il ne lu1 nppnrticnt pas de rouvrir l'affaire
qu'elle a, sur cc point. déjà tranchêe par un arrêt «d6finitif ct sans recours»
(arttclc 60 du Statut). Il ne peut db lors fatre de doute, de l'avis de la Répu­

blique du Cameroun. que la demande mgérianc est mecevablc ct que la Cour ne
peut que la déclarer telle.

IV. LA COUR DOIT I'RENOKh I!N COMI'11.;I.'F.NSE!IIBLEDE..'iFAITS ET LA VIOLATION
CONTINUE DU DROit INll·KNATIONAI. PAR 1...8NtGÉRIA

34. Si. par impossible. la Cour devait déclarer la demande nigériane rece­

vable.le Cameroun considère qu'en tout étatde cause elle ne saurait resLreindre
la portée de son arrêtdu 11 juin 1998 comme le Nigéria le lui demande .
35. La Parite n1gériancconcèdü au Cameroun le droit de présenter. à l'appui
de ses dires. des faits relilde~ mcidcnts nésavant le dépôt de la requêteim­
uale ct de ln requêtecomplémentaire. Mais elle conteste la prise en compte de

fallS postérieurs il cette date. Elle s'exprime ainsi:

« Wh1lc Nigeria nck.nowledgcs that the submission after the dat..-;of the
Applications of addiuonal facts rclnling to previously itlcntified incitlcnts docs
not transform thecharacter of the dispute. it docs nol follow that the s:Hnc is
truc of the submiss1on of additionaJ facts relnung to new. and m pnrticular to
posl·Applic:uion (and even post-Memorial and post-Observations) incitlcms.

and thisquesuon is not resolved by the Court's Judgment on the preliminury
ubjcctions. ln Nigeria's view. 11is not lhe case thal so long m.a single admis­
sible case of international rcspons1bility is m1sed in an Applicnuon then any
number of other prior or subsequent inc1dcnt:.or allcged •ntcm:llional responsi­

blhty can Inter be added and supported by additional facts.» (Par. 14.)
36 Il eonv1cnt~cet égard de se reporter auconclu~• duon smeroun telles

qu'el soetclairement énoncéesdans sa requête: 11s'est fondé non pas sur tel
ou tel incident particulier ma1s. plus généralement. :.ur la v1olation du principe
fondamental du respect des frontières héntécsde la colonisation (alinéas b) de
lu rcquéte ct de la requêteadditionnelle) ct du principe interdisant J'uùlisation

de la force dans les relations internationales (alinéa c) de la requête)et sur l'oc­
cupation militaire de la presqu'ile de Bakassi (nlinéa d) de la reLude par­
celles du territoire camcrounatsdans la :l'Onedu lac Tchud (alinéa c) de la
requêteaddujonnelle). Ce fa1santtla v1séla vtolation conunue des obligations

mternallonales du Nigéria ct u nus en cause la responsabilité internationale de
cet Etat du fall de l'ensemble des làHS illicites visés. OBSERVATIONS ~CRITD EUSCAMEROUN 21

37 La notion de violation continue n'est pas une notion nouvelle en droit
international.La Commission du droit international l'a consacrée dans l'ar­
ticle 25 de son projet d'articles relatif à la responsabilité des Etats adopté
en 1978:

«Article 25
Momem et durée de la violation d'une obligation intemationale
réaliséepar tm fait de l'Etat s'henda111 dans le temps

1. La violation d'une obligation internationale par le fait de l'Etat ayant
un caractère de continuilse produit au moment où ce fait commence. Tou­
tcrois. le tempse perpétration de la violation s'étend sur la période entière

ùurant laquelle cefaitcontinue et reste non conforme à l'obligation inter­
nationale.
2. La violation d'une obligation internationale par un fait de l'Etat com­
posé d'une sénc d'actions ou ormssions rclauvcs il des cas distincts sc pro­
duitau moment de la réalisation de celle des actions ou omissions de la

~ér iui établit l'existence du fait composé. Toutefois, le temps de perpé­
tration de la violation s'étend sur la période entière à partir de la première
des actions ou omissions dont l'ensemble constitue le fait composé non
conforme à l'obligation internationale et autant que ces actions ou omis­
sronssc répètent.» (CDI. Amwmre, 1978. vol. Il (deuxième partie). p. 101.)

3~. La jurisprudence constantede la Cour conlirme ceuc approche. Dans les
hypothè decdélits continus. elle intègre l'ensemble des élémentsde fait perti­

nents. sans diviser artificiellement ces élémentsen fonction de la date de dépôt
de la requête. Dans l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats­
Unis lt Téhéran.la Cour a pris en compte «les manquements successifs. ct per­
sista/lili ce jour, de l'Iran aux obligations dont il est tenu envers les Etats-Unis»
(C./.J.Recueil 1980. p.37- l'italique est de la République du Cameroun). En

l'espèce. les faits visés renvoyaieàtl'ocr..:upationàtla détention permanente
des locaux ct du personnel diplomatique ainsi qu'à une série d'actjons cl omis­
sion i~putables au défendeur. L'obligation de réparation a étéfixée par réfé­
rence à l'ensemble de ces événements, sans distmction d'ordre temporel. Dans
l'affaire desctivités militaires et paramilitaiausNicaragua et comre celui-ci.
la Cour a établi Je princrpe de la réparauon pour un ensemble d'actions et

d'om1ssions sans exclure les événements survenus postérieurement au dépôt de
la requête. Ellea mémc cité expressément. dans le dispositif de son arrêt, un
acte postérieur à la requête(C./.J. Recueil 1986. p146). En l'espèce. la viola­
uon cons1stait en un soutien continu aux contras, ainsi qu'en un ensemble d'ac­
tions matérielles, le tout étant constitutif d'un recàula force et d'une inter­
vention dans les affaires intérieures du Nicaragua. De même, dans son arrêt

du Il juillet 1996, la Cour «constate ... qu'ellacompétence en l'espèce pour
assurer l'application de la convention sur le génocide aufaitspertinents qui se
sont déroulés clepujs le début du connit dont la Bosnie-Herzégovinc a étéJe
théâtre» (Application de ln convention pour la prévention et la répression du
crimt•de génocide (e:cceprions préliminaires), C.J.J. Recueil 1996. p. 617), sans
lixer ni de dies a quo. ni de dies ad quem.

39. Dans la présente espèce, la violation du droit international perpétréepar
le Nigéria est constituée par un ensemble d'actions et d'omissions comprenant
le recours à la force. l'occupation continue de portions du territoire camerounais.
le soutien continu à de::.groupes qui traversent irrégulièrement cette frontière.
des incursions répétéestout au long de la frontière. Il serait totalement artificiel

et Cllntraire au droit international de disungucr les élémentsconstitutifs de J'in-22 I>CMANUI LN INTERI'Ritl'AliON

fraction par référenceau seul cntère de la date de dépôt de la requêteet de la
requêteadditionnelle. Pour ne prendre qu'un exemple: imagme+on que l'arrêt

de la Cour sur le fond ne pourra11 ordonner au N1géna de sc retirer seulement
de.s parcelles qu'il occupait dans la pénm\ulc de Bak:1ssi au 6 jum 1994 alors
qu'il aurait ensuite occupé l'cn:.emble de la pémnsule? ~>Cr ceiendant le
résullut. d'un illogisme patent. auquel conduirnit l'mterprétatlon nigériane. d'ores
etdéjà rejetée par la Cour.

40 Le Cameroun considère qu'il y aura lieu de prendre en con.!>idérationcelle
notion de violation continue, le moment venu. pour mesurer le préJUdicesubi du
faitde J'action illicite du Nigéria ct la réparation adéquate qu'1l conviendra de
déc1ocr.Toutefois. Il estime que ln question relève du fond et non de la déc1sion

que la Cour est appelée à rendre sur la demande d'interprétation llltrodullc par
le N1gériaCel: résulte du reste très directemenl':lrTlu Il juin1998. dans
lequel ln Cour a adopté. sur ce pomt aussi, une positiun dépourvue de toute
ambiguïté: «Ces questions relèvent du fond et il ne saumit en êtrepréd~~ns
la présente phase de l'aff:ure.» (Par. 100.)

41. Au surplu\, 11convient de relever que, contrairemeaux allégations du
N1géna(vo1r la demande en 1nterprétauon. par. 15). celuadisposé c1 dispose
de tout Je tempsnéccss: (~tbien au-delà) pour répondre nux nllégations du
Cameroun ct. en particulier. à celles développées au cha6ide son mémoue

(en date du 16 mars 1995) ct dans ses observations écrites du 30 avri1996
(chapllre cl volume Il). Cc décalage dans le temps conlirme, s'Il ebc~om,
Je C<lr;ttcère dilatoire <.lela strntég1cJUdtciaire retenue par le Nigéria ct la nature
foncièrement illogi dequc~~prétenlions: si un Etat était partie devant la Cour
à une alratrc ponant sur la violation continue d'une obligation (comme l'est. en

l'espèce. la violation des principes de lïntcrdldu recours 11la force ct de
l'mt~g etrtonalc). il lui fauorait. à suivre le Nigéria. introduire une nouvelle
requête chaque fois que l'obligation est enfreincc serJit très abustvcment
formaliste et contraiàel'auituoc constante de la Cour. qui s'emploie à évllcr
tout formalisme inuule (voir C PJ1..arrêtdu 25 ma1 1926. Certains imérét.r

allemtmds err lin/lie-Silésie Jlolo, compttc11cr. sùiA n" 6. p. 14: C.I.J ..
arrêtdu 26 novembre 1984, Act11•1tr iluuire.r et paramilitaires au Nicaragua
cl nmtre celui-ci, comphciiCt' dr la Cour et rcccvabliué de lt1 retJIIête,
C.J.J.Recueil 1984. p. 429. ou arrêt du Il juillet1996, Applicmion de la
com•t:mion pour la prél'entio11er la répressiocrim de gé11ocide,exceprions

préliminaires.C.J.J.R~cue il96. p. 22-23). Cc serait en outre donner une
prim.: mdue aux manŒuvres d1lat01rcs tendant i'l rcl:lfder au-dclù du raisonnable
le règlement juridictionnel des d11férends.

v. CON<.'LUSIONS

42 PAR CES MOTIFS,

Vu IJ demande en interprétationprésent p~rcla République féoéralc ou
Ntgéna. datée du 21 octobre 1998. la République du Cameroun soumet à la

Cour les conclusions~uh·antes:
1. La République du Cameroun s'en remet à la sagesse de la Cour pour

décider de sa compétence pour sc prononcer sur une demande eo 10terprétauon
d'une décts1onrendue àla suite d'une procédure mcidente ct. en particulier. d'un
arrét rclauf aux exceptions préliminaires soulevées par la Parue défenderesse:
2. L;t République ou Cameroun prie la Cour de bien vouloir· OIISUlVATIOC~CSRITI~ DU CAMEROUN 23

- A 1i1reprincipal:

Déclarer irrecevable la demande de la République fédéraledu Nigérin: dire ct
juger qu'li n'y a pa:. lieu d'interpréter l'arrêldu Il JUin 1998.

- ,\ li/l'.wb:udu11re:

Drrc ct juger que la République du Cameroun c:-1en droll d'rnvoqucr lous
faits. quelle qu'en J.ollla dale. qui pcnneuenr d'élablrr la vrolauon co01rnue de

ses obligations internationales par le Nigéria; que la République du Cameroun
peul ;lU\1>invoquer les faits pcrmellant d'évaluer le préjudice qu'elle a subi el
la réparation adéquate qur lur est due.

Le 12 novembre 1998.

(Signt!) L:wrent Esso,

agcnl de la République du Cameroun.

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Observations écrites du Cameroun sur la demande du Nigéria en interprétation de l'arrêt du 11 juin 1998

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