Exposé du Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine sur les exceptions préliminaires

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8620
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE À L'APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA
PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE

(BOSNIE-HERZÉGOVINE c. YOUGOSLAVIE (SERBIE ET MONTÉNÉGRO))

_________

EXPOSÉ DU GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DE BOSNIE-HERZÉGOVINE
SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES

14 NOVEMBRE 1995 TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION................................................................................................................................. 4

Observations liminaires.......................................................................................................................... 4

Appréciation générale des exceptions préliminaires............................................................................ 4

Observations générales sur le contenu des exceptions préliminaires.................................................. 7

La façon dont la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a abordé les faits.......................................... 10

La participation de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) à
la guerre en Bosnie-Herzégovine............................................................................................... 17

Portée et organisation générale du présent exposé............................................................................. 19

RÉPONSE À LA PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE.................................................. 21

RÉPONSE À LA DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE................................................. 27

RÉPONSE À LA TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE................................................ 31

Aux termes de la constitution de la République socialiste fédérative
de Yougoslavie, la République de Bosnie-Herzégovineavait

le droit d'opter pour l'indépendance étatique...................................................................................... 31

En se séparant de la République socialiste fédérative de Yougoslavie,
la République de Bosnie-Herzégovine n'a contrevenuà aucune norme
du droit international : certainement pas aux règles applicables à
l'autodétermination.................................................................................................................... 36

La violation alléguée du droit de la succession d'Etats ...................................................................... 37

La Bosnie-Herzégovine est devenue partie à la convention sur le génocide,
par application de la règle de succession automatique aux conventions
multilatérales relatives aux droits de l'homme.................................................................................... 39

i)La règle coutumière de continuité automatique s'applique à

une convention multilatérale telle que la convention sur le génocide................. 39

ii)Il n'existe aucune circonstance spécifique justifiant que soit
écartée l'application de la règle de successionautomatique de
la Bosnie-Herzégovine à la convention sur le génocide....................................... 44

iii)La règle de continuité automatique, même si elle n'est pas
coutumière - quod non - est applicable par voied'accord.................................. 47

Même si le principe de la «table rase» avait été applicable, l'Etat demandeur
était habilité à devenir partie à la convention de1948 sur le génocide par
la voie d'une notification de succession.................................................................................... 47 - 2 -

RÉPONSE À LA QUATRIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE.............................................. 51

Absence de pertinence et fausseté de l'argument fondé sur la prétendue
existence de quatre «Etats» à l'intérieur des frontières de
l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine................................................................ 51

Absence de pertinence et fausseté des assertions dela Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) concernant la reconnaissance internationale de
la République de Bosnie-Herzégovine....................................................................................... 54

RÉPONSE À LA CINQUIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE............................................... 57

Non-territorialité de la convention sur le génocide............................................................................. 57

La responsabilité des Etats en vertu de la convention sur le génocide.............................................. 60

RÉPONSE À LA SIXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE...................................................... 63

RÉPONSE À LA SEPTIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE .................................................. 67

CONCLUSIONS.................................................................................................................................. 71- 3 - - 4 -

INTRODUCTION

Observations liminaires

1. Le 26 juin 1995, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a déposé des exceptions
préliminaires, selon toute apparence en vertu de l'article 79 du Règlement de la Cour.

2. Par ordonnance en date du 14 juillet 1995, le Président de la cour a fixé au 14 novembre 1995
la date d'expiration du délai dans lequel la République de Bosnie-Herzégovine pouvait présenter un
exposé écrit de ses observations et conclusions relativement aux exceptions préliminaires soulevées en

l'espèce par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).

3. Le présent exposé écrit de la République de Bosnie-Herzégovine est présenté conformément
à l'ordonnance du Président de la Cour.

4. Le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine répondra successivement à chacune des sept
exceptions préliminaires présentées par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro). Mais il juge d'abord
utile de formuler quelques brèves observations sur le caractère général de celles-ci et sur la façon dont
la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a abordé lesfaits.

5. Le manque de considération et la futilité qui caractérisent le contenu et la présentation des

exceptions préliminaires soulevées par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) mettent le demandeur
devant un dilemme embarrassant : soit répondre sérieusement et de façon approfondie à toutes les
affirmations de fait dénuées de pertinence et à toutes les affirmations de droit manifestement erronées,
au risque d'offusquer la Cour en expliquant à ses membres ce qui est l'évidence même; soit faire
abstraction tout simplement de la plus grande partie de l'exposé introductif des exceptions
préliminaires.

La Bosnie-Herzégovine a décidé de prendre un moyenterme et d'examiner les points principaux

soulevés dans les exceptions préliminaires sans abuser de la patience de la Cour par une démonstration
minutieuse de ce qui est évident pour tous sauf pour le défendeur.

Appréciation générale des exceptions préliminaires

6. Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine doit, à son plus grand regret, relever que les

exceptions préliminaires présentées le 26 juin 1995 par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) sont
loin de correspondre à ce qu'on attend d'un Etat estant devant la Cour internationale de Justice et
démontrent le manque de respect dont fait preuve l'Etat défendeur à l'égard tant du demandeur que de
la Cour elle-même. Il n'est malheureusement pas exagéré de dire que les circonstances de leur
rédaction ainsi que leur contenu transforment l'instance engagée devant la Cour internationale de
Justice en une mascarade.

7. Ainsi que la Cour le sait très bien, la République de Bosnie-Herzégovine a déposé au Greffe
une requête par laquelle elle a introduit une instance contre la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) le
20 mars 1993. Elle a déposé le même jour une demande en indication de mesures conservatoires en
vertu de l'article 41 du Statut de la Cour. - 6 -

er
8. Après les audiences publiques tenues les 1 et 2 avril 1993, la Cour a rendu le 8 avril 1993
une ordonnance indiquant des mesures conservatoires. Dans cette ordonnance, la Cour :

i)a considéré que

«l'article IX de la convention sur le génocide, à laquelle la Bosnie-Herzégovine et la Yougoslavie sont
parties, semble ainsi, de l'avis de la Cour, constituer une base sur laquelle la compétence de
la Cour pourrait être fondée, pour autant que l'objet du différend a trait à «l'interprétation,
l'application ou l'exécution» de la convention, y compris les différends «relatifs à la
responsabilité d'un Etat en matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes
énumérés à l'article III» de la convention» (C.I.J. Recueil 1993, p. 16);

ii)a relevé que, «compte tenu des circonstances portées à son attention», il existe «un risque grave que
des actes de génocide soient commis» (ibid., p. 22) et que :

«le crime de génocide «bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à
l'humanité ... et est contraire à la loi morale ainsi qu'à l'esprit et aux fins des
Nations Unies», selon les termes de la résolution 96 (I) de l'Assemblée générale en
date du 11 décembre 1946 sur «le crime de génocide», que la Cour a rappelés dans

son avis consultatif sur les Réserves à la convention sur le génocide
(C.I.J. Recueil 1951, p. 23)(ibid.) p. 23»;

iii)et a indiqué les mesures conservatoires que le Gouvernement de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) devait prendre conformément à l'engagement qu'il a assumé aux termes de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948
(par. 52 A, ibid., p. 24), et que les Etats ne devaient prendre aucune mesure qui fût de nature à
aggraver ou étendre le différend existant (par. 52 B, ibid.).

9. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n'ayant pas exécuté ces mesures, la
Bosnie-Herzégovine a déposé le 27 juillet 1993 une deuxième demande en application de l'article 41
du Statut. En attendant l'ouverture des audiences, fixée à la date du 25 août 1993, le Président de la
Cour a, conformément au paragraphe 4 de l'article 74 du Règlement, instamment invité les Parties

«à prendre toutes mesures en leur pouvoir afin de prévenir toute commission ou continuation de
l'odieux crime international de génocide ou tout encouragement à ce crime» (lettre du
5 août 1993, voir C.I.J. Recueil 1993, p. 334).

Et, le 10 août 1993, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a déposé à son tour une demande en
indication d'une mesure conservatoire contre la Bosnie-Herzégovine «conformément à l'obligation qui
est la sienne en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du

9 décembre 1948» (ibid.).

10. Dans son ordonnance du 13 septembre 1993, la Cour n'a pas estimé «que les circonstances,
telles qu'elles se présentent actuellement à elle, exigent une indication plus spécifique de mesures à
l'adresse de la Bosnie-Herzégovine» autres que celle qui était indiquée au paragraphe 52 B de son
ordonnance antérieure (ibid., p. 347). La Cour a toutefois considéré que le risque grave, alors redouté
par elle, avait «été accru par la persistance de conflits sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine et la

commission d'actes odieux au cours de ces conflits» (ibid., p. 348) et que la situation dangereuse qui
prévalait actuellement exigeait - 7 -

«non pas l'indication de mesures conservatoires s'ajoutant à celles qui ont été indiquées par
l'ordonnance de la Cour du 8 avril 1993 ..., mais la mise en Œuvre immédiate et effective
de ces mesures» (ibid., p. 349).

11. Même si la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne s'est pas plus conformée à la deuxième

ordonnance qu'à la première, la Bosnie-Herzégovines'est abstenue de demander de nouvelles mesures
conservatoires.

12. La situation dramatique qui régnait dans le pays et la difficulté qu'il y avait dans ces
conditions à s'occuper d'une importante affaire juridique devant la Cour internationale de Justice ont
forcé le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine à demander une prorogation du délai pour le dépôt

de son mémoire qui, conformément à l'ordonnance du Vice-Président de la Cour en date du
7 octobre 1993, a été déposé au Greffe le 15 avril 1994.

13. Invoquant de la part de la Bosnie-Herzégovineun prétendu non-respect des prescriptions de
l'article 43 du Statut et des articles 50 et 51 duRèglement de la Cour, l'agent de la Yougoslavie (Serbie
et Monténégro), par un mémorandum en date du 9 mai1994, a tenté d'invoquer l'article 53 du Statut et

a demandé à titre subsidiaire que le mémoire soit déposé à nouveau, accompagné d'une nouvelle série
d'annexes. Bien que le Greffier ait indiqué clairement que la plupart de ces griefs étaient dénués de
fondement (voir les lettres du 19 mai 1994 et du 30juin 1994; annexes 1-3), il a néanmoins demandé
à l'agent de la Bosnie-Herzégovine de joindre au moins en annexe les extraits pertinents des documents
cités (lettre du 30 juin 1994).

14. Même s'il a estimé que cette demande lui imposait un fardeau abusif s'écartant tout à fait de

la pratique habituelle suivie par les parties devant la Cour, un fardeau d'autant plus lourd dans les
circonstances qui règnent sur son territoire, le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine a décidé d'y
répondre positivement afin de couper court aux actions dilatoires de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro). Le 3 janvier 1995, sept volumes complets d'annexes supplémentaires incorporant tous
lesdocuments cités dans le mémoire,y compris ceuxpubliés sous une forme qui les rendent facilement
accessibles, ont été déposés au Greffe.

15. Cela n'a pas empêché - ce lui fut au contraire un prétexte - l'agent de la Yougoslavie (Serbie
et Monténégro) de demander le 9 février 1995 (annexe 4) de reporter à nouveau de sept mois la date
d'expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire, que le Vice-Président avait fixée au
15 avril 1995 par son ordonnance du 7 octobre 1993 (annexe 5). Par lettre en date du 8 mars 1995
(annexe 6), l'agent de la République de Bosnie-Herzégovine avait vigoureusement protesté contre ces
demandes dénuées de fondement et, par ordonnance du 21 mars 1995, le Président de la Cour avait

reporté au 30 juin 1995 la date d'expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire (annexe 7).

16. Le 26 juin 1995, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a déposé au Greffe ses exceptions
préliminaires, cent quarante-cinq pages à double interligne, dont quatre-vingt-trois consacrées à une
présentation de «faits» totalement dénuée de pertinence et totalement erronée.

17.Voilàlerésultat auquelon aaboutiaprèsquatorze moiset demi et il faut encore yajouter une
autre période de près de treize mois depuis la présentation de la requête. Le Gouvernement de la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a eu ainsi amplement le temps de formuler son argumentation sur
la compétence de la Cour ou la recevabilité de la requête. Ce comportement démontre fort
malheureusement que le défendeur ne prend pas au sérieux la présente instance et traite avec mépris, - 8 -

non seulement l'Etat demandeur et la Cour, mais également le fond même de l'affaire qui concerne une
tragédiehumaine,probablementlaplusgraveaffaire jamais soumise à la Cour internationale de Justice,
visant un crime international qui «bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à
l'humanité ... et est contraire à la loi morale ainsi qu'à l'esprit et aux fins des Nations Unies», pour
reprendre les termes de l'Assemblée générale que laCour a cités dans ses ordonnances du 8 avril 1993
et du 13 septembre 1993 (C.I.J. Recueil 1993, p. 23 et 348).

Observations générales sur le contenu des exceptions préliminaires

18. Selon le paragraphe 2 de l'article 79 du Règlement de la Cour :

«L'acte introductif de l'exception contient l'exposé de fait et de droit sur lequel l'exception

est fondée, les conclusions et le bordereau des documents à l'appui; il fait mention des
moyens de preuve que la partie désire éventuellement employer. Les documents à l'appui
sont annexés sous forme de copies.»

19. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) feint, d'un strict point de vue juridique tout au plus,
de respecter ces prescriptions dans ses exceptionspréliminaires :

A savoir,

-la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) consacre plus de la moitié de son exposé introductif des
exceptions préliminaires à une longue présentationde «faits» qui est à la fois dénuée de pertinence
et erronée, car fondée si tant est qu'elle l'est sur des éléments de preuve inexacts. Le Gouvernement
de la Bosnie-Herzégovine examinera cet aspect des exceptions préliminaires dans la suite de la
présente introduction (voir infra, par. 29 et suiv.).

-le «droit» invoqué à l'appui de la longue liste des sept exceptions préliminaires consiste en
affirmations purement gratuites, plus souvent obscures que non, sans même chercher à développer
un raisonnement juridique.

20. Il est extraordinaire et choquant de constaterà cet égard qu'aucune tentative n'a été faite pour

répondre à l'argumentation de la Bosnie-Herzégovinesur la compétence de la Cour et la recevabilité de
la requête. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a d'ailleurs adopté au cours de l'instance une
attitude ambiguë, semblant à la fois accepter la compétence de la Cour et la contester. Le
Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine a par précaution consacré une section d'une
soixantaine de pages de son mémoire à «la compétence et la recevabilité» (quatrième partie).

21. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne cherche même pas à opposer une réfutation. Plus
extraordinaire encore, elle ne cite en tout et pourtout que neuf fois le mémoire de la Bosnie, dont trois
sans même un renvoi précis à un paragraphe donné.

22. Il va de soi que le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine maintient totalement l'exposé
qu'il a présenté et renvoie les juges de la Cour à la thèse qu'il a développée dans la quatrième partie de
son mémoire, qui doit être considérée comme faisant partie intégrante du présent exposé écrit. A la

différence de l'exposé introductif des exceptions préliminaires, la quatrième partie du mémoire aborde
avec le sérieux qui s'impose les exceptions -pas toujours sérieuses -auxquelles la Yougoslavie (Serbie
et Monténégro) a fait allusion au cours de la phase d'indication de mesures conservatoires, la Cour
ayant pris acte de certaines de ces exceptions dansses ordonnancesdu 8 avril et du 13 septembre 1993.
Or, ce n'est pas là ce qu'a fait la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), ce qui semble démontrer que - 9 -

celle-ci a renoncé aux prétentions antérieures qu'elle avait avancées sur l'incompétence de la Cour et
l'irrecevabilité de la requête et qu'elle essaye de leur substituer de nouvelles exceptions encore plus
artificielles et fantaisistes.

23. Il convient également de noter en outre que laBosnie-Herzégovine a, au cours de la phase de

la procédure consacrée aux mesures conservatoires, invoqué plusieurs autres bases de compétence
pour la Cour. Plus particulièrement, elle

-a soumis à la Cour une lettre en date du 8 juin 1992 adressée au président de la commission d'arbitrage
de la conférence internationale pour la paix en ex-Yougoslavie, dans laquelle les présidents de la
Serbie et du Monténégro ont contesté la compétence de la commission pour rendre un avis
consultatif et ajouté :

«La RF yougoslave est d'avis que toutes les disputes légales qui ne peuvent pas être
résolues entre la RF yougoslave et les anciennes républiques yougoslaves, qu'elles
devraient être soumises à la Cour internationale de Justice, qui est le principal organe
judiciaire des Nations Unies» (voir C.I.J. Recueil 1993, p. 16-18 et p. 340-341),

-s'est également fondée sur l'article 11 (chap. I) du traité de Saint-Germain-en-Laye du

10 septembre 1919surla protectiondesminorités dans le Royaume des Serbes, Croateset Slovènes
(ibid., p. 339-340);

-et a invoqué le principe du forum prorogatum car la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) s'est non
seulement présentée devant la Cour, mais a aussi

1)déjà accepté expressément la compétence de la Cour sur le fondement de l'article IX de la
convention de 1948 au cours de l'instance en indication de mesures conservatoires (voir

mémoire, par. 4.2.2.1-4.2.2.8 et par. 4.2.4.5); et

2)sollicité des mesures conservatoires à l'égard des prétendus «actes de génocide» imputés à tort au
Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine, demande qui ne pouvait se fonder que sur
l'article IX de la convention sur le génocide [voir supra, par. 9 et mémoire, par. 4.1.0.10).

24. Dans ses ordonnances de 1993, la Cour a exprimé des doutes à première vue quant aux deux
premières basesde compétence supplémentaires, maiselle a rappelé expressément que sa décision à ce
stade

«ne préjuge en rien de la compétence de la Cour pour connaître du fond de l'affaire, ni aucune
question relative à la recevabilité de la requête ... et qu'elle laisse intact le droit du
Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine et du Gouvernement de la Yougoslavie de faire

valoir leurs moyens en ces matières» (C.I.J. Recueil 1993, p. 23 et p. 349).

25. En conséquence, la Bosnie-Herzégovine a exprimé dans son mémoire

«la ferme conviction ... que, si elle fait l'objet d'un examen attentif, la base supplémentaire
qu'elle a présentée pour justifier la compétence de la Cour se révélera bien fondée»
(par. 4.1.0.9).

Le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine demeure entièrement de cet avis et estime inutile de
développer ce moyen, l'Etat défendeur n'ayant pas jugé nécessaire de le contester. - 10 -

26. Toutefois, faisant ainsi exception au désintérêt total qu'elle a montré à l'égard des moyens
avancés par la Bosnie-Herzégovine, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) dit dans le premier
paragraphe de l'introduction des exceptions préliminaires :

«Le demandeur prie la Cour de fonder sa compétence sur l'article IX de la convention
de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après dénommée la

convention de 1948 sur le génocide). Compte tenu de cela, la République fédérative de
Yougoslavie soumet par la présente ses exceptions préliminaires. Le requérant ne peut
subordonner le maintien de cette demande à la renonciation par la République fédérative
de Yougoslavie à son droit de soulever des exceptions préliminaires. Dès lors que la
République fédérative de Yougoslavie présente des exceptions préliminaires, le
demandeur ne peut invoquer d'autres bases éventuelles de compétence pour la Cour et
présenter de nouvelles demandes, comme indiqué aux paragraphes 4.1.0.9. et 4.2.4.5. du

mémoire. Cela équivaudrait à une revision du mémoire et la formulation d'une nouvelle
affaire, ce que la procédure ne permet pas. Préalablement à l'introduction de l'instance et
tout au long de la procédure, la République fédérative de Yougoslavie n'a pas reconnu la
compétence de la Cour en l'espèce.»

27. Le défendeur confond ici deux choses différentes :

En premier lieu, la Bosnie-Herzégovine s'est effectivement réservé le droit d'invoquer, en plus
de l'article IX de la convention de 1948 sur le génocide, «toutes les autres bases de compétence
existantes, ou certaines d'entre elles» (mémoire, septième partie, par. 7). Ce droit, elle continue à le
faire valoir intégralement. Comme nous l'avons expliqué ci-dessus, la compétence de la Cour pour
connaîtredesmoyensquelaBosnie-Herzégovine avance peut se fonder concurremment ou séparément
sur :

- l'article IX de la convention,

- le forum prorogatum,

- l'article 11 du traité de Saint-Germain-en-Laye,

- la lettre du 8 juin 1992;

et, comme la Cour permanente l'a rappelé :

«la multiplicité d'engagements conclus en faveur de la juridiction obligatoire atteste chez les
contractants la volonté d'ouvrir de nouvelles voies d'accès à la Cour plutôt que de fermer
les anciennes ou de les laisser se neutraliser mutuellement pour aboutir finalement à
l'incompétence» (Compagnie d'électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939,
o
C.P.J.I. série A/B n 77, p. 76; annexe 8).

Quoiqu'il en soit, si l'une des bases de compétence invoquée par la Bosnie-Herzégovine est reconnue
par l'Etat défendeur - comme ce fut le cas lors de l'instance antérieure relative à l'article IX de la
convention - ou est jugée fondée par la Cour, point n'est besoin d'examiner la question de bases
additionnelles de compétence et la Cour n'y est pas invitée (voir notamment l'affaire du Différend
territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 15; annexe 9).

En deuxième lieu, la Bosnie-Herzégovine se réserve également le droit «de formuler à nouveau
toutes les conclusions et demandes qu'elle a déjà présentées, ou certaines d'entre elles» (mémoire,
septième partie, par. 7). - 11 -

Cette attitude se comprend évidemment si la Cour reconnaît une base de compétence qui s'étend
au-delà de l'article IX de la convention sur le génocide. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a tort
à cet égard d'affirmer que «cela équivaudrait à une revision du mémoire et la formulation d'une
nouvelle affaire, ce que la procédure ne permet pas» (voir ci-dessus, par. 26).

Ce n'est pas le mémoire mais la requête qui définit la portée d'une affaire (voir l'affaire du

Temple de Préah Vihéar, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36; annexe 10). Ceci étant dit, comme il
a été expliqué dans le mémoire,

«La Bosnie-Herzégovine a décidé, dans ses pièces de procédure, de s'attacher
exclusivement aux questions qui découlent de l'application de la convention. Elle
s'efforcera ainsi d'aider la Cour en dégageant cet aspect des autres problèmes qui
risqueraient d'obscurcir la tâche principale.» (Par. 1.2.0.1.)

Le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine n'a pas changé d'avis.

28. En conséquence, la Bosnie-Herzégovine

i)n'examinera pas dans le présent exposé écrit lespoints que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n'a

pas abordés et renvoie respectueusement la Cour aux passages pertinents de son mémoire et
à ses écritures antérieures;

ii)soutient sans réserve que la compétence de la Cour pour connaître des conclusions qu'elle a
présentées a pour assise quatre bases différentes, et ce de façon alternative ou concurrente
(ci-dessus, par. 27);

iii)a toujours l'intention d'aller à l'essentiel dudifférend en s'attachant à la question la plus importante :

le crime odieux de génocide qui s'est traduit par l'horrible pratique de la «purification
ethnique» et par d'autres actes visant à détruire entièrement ou partiellement la population, la
culture et la religion de la Bosnie-Herzégovine non serbe, la portée du différend ainsi
envisagée ayant été exposée dans le mémoire (4.2.4).

La façon dont la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a abordé les faits

29. Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine relève que l'exposé introductif
des exceptions préliminaires présenté par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) contient
quatre-vingt-trois pages de «faits» (sur un total de cent quarante-cinq pages) s'appuyant sur
deux volumes d'annexes de neuf cent soixante-seizepages dans lesquels la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) présente sa version de l'histoire de la Bosnie-Herzégovine, dresse un inventaire des
prétendus actes de génocide qui auraient été commis contre les Serbes depuis le XIV siècle et dresse

le bilan des années qui ont précédé le déclenchement de la guerre en Bosnie-Herzégovine.

30. Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine note également que la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n'a pas jugé utile, en présentant ces faits, de consacrer ne fut-ce
qu'une seule ligne à essayer de répondre aux faitsimportants que le Gouvernement de la République de
Bosnie-Herzégovine a présentés dans son mémoire du15 avril 1994.

31. Pour être plus précis, alors que le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine
s'en est tenu au cadre strictement défini des exceptions préliminaires, la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) n'a pas jugé utile de faire état de la deuxième partie du mémoire de la Bosnie et n'a pas
non plus nié la description très détaillée qui y a été donnée de la participation de la Yougoslavie aux
actes de génocide. - 12 -

La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n'a même pas non plus jugé utile de répondre
brièvement à l'exposé de la sixième partie du mémoire de la Bosnie-Herzégovine, qui lui impute les
actes de génocide.

32.Cettedémarcheseraitjustifiée dansun certain sens, car la phase préliminaire devrait en toute
logique être consacrée principalement à un débat juridique portant sur la compétence de la Cour et la
recevabilité de la requête. Toutefois, comme les exceptions préliminaires sont presque entièrement
fondées sur les faits que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a présentés ainsi que sur la perception
qu'elle en a, même si ceux-ci portent sur les mêmes questions abordées dans le mémoire de la Bosnie,
on se serait attendu à ce que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) eût fait allusion à ces éléments du
mémoire en présentant ses exceptions préliminaires.

33. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) y va au contraire de sa propre présentation des
«faits», qui est dans une large mesure dénuée de toute pertinence tant dans la présente phase que dans
celle portant sur le fond de l'affaire. Il est à cet égard assez étonnant de découvrir que la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) consacre

e
-quatre pages à des faits remontant au X siècle afin de démontrer que les Serbes constituaient la
population originale de la Bosnie et ont été opprimés par la Turquie (1.1);

-une page et demie pour expliquer que les Musulmans étaient considérés comme une minorité au sein
du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (1.1; voir aussi par. 1.17.2);

-huit pages au «génocide commis pendant la seconde guerre mondiale contre les Serbes de
Bosnie-Herzégovine» par les Oustachi croates (1.3; voir aussi par. 1.17.3).

La seule chose que cela prouve, si tant est que c'est possible, c'est que la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) s'acharne à revenir sur le passé, ce qui confirme l'idée que sa politique odieuse de
«purification ethnique» ne vise qu'à prendre une revanche injuste sur des populations innocentes et à
réaliser une «Grande Serbie» au détriment des populations non serbes (voir mémoire, 2.3.1).

34. Le reste des «faits»consiste en une présentation «ethnique»à la gloire des Serbes de Bosnie,
démontrant l'attitude tout à fait partiale et tendancieuse adoptée par la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro). Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine soutient en outre que les
faits présentés dans les exceptions préliminaires ne correspondent presque jamais à la réalité. De fait,
la plupart des allégations faites par la Yougoslavie ne sont appuyées par aucun élément de preuve. Si
des documents sont offerts au soutien de celles-ci, ils proviennent de sources qui, dans la majorité des
cas, ne sauraient être considérées comme indépendantes.

35. Beaucoup des allégations de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), elles-mêmes dénuées
de pertinence, s'appuient sur des articles parus dans Politika, journal serbe publié à Belgrade. Ce
journal est toutefois dirigé d'une main ferme par le gouvernement de Belgrade. Afin de renforcer leur
emprise sur Politika, les autorités yougoslaves y ont nommé un nouveau rédacteur adjoint en
mars 1991. Cette nomination a surpris les journalistes dePolitika, dont le syndicat a d'ailleurs élevé de
vives protestations :

«Le syndicat des journalistes a déclaré que cette nomination soudaine d'un rédacteur
adjoint, sans consultation préalable du comité de rédaction du journal, ne répondait à
aucunenécessité. Lanomination d'AleksandarPrljo,hautfonctionnairedu gouvernement,
prouve que le parti au pouvoir n'entend pas céder au syndicat indépendant et à la majorité - 13 -

des employés qui exigent que Politika demeure un journal politiquement indépendant et
impartial.» (Politika, «Agreement instead of a fait accompli» (Accord, au lieu d'un fait
accompli), 28 mars 1991; annexe 11.)

36. Les préoccupations exprimées par le syndicat des journalistes étaient également partagées

par le président du parti démocratique de Serbie en Yougoslavie (Serbie et Monténégro),
M. Dragoljub Micunovic, qui a exprimé des doutes sérieux à l'époque sur la nomination de Prljo.

«Il était navrant de voir une institution telle que Politika servir d'instrument de
propagande. Cetabusa probablement contribué à faire perdre au journalisme serbe et à la
culture politique serbe l'estime dont ils jouissaient.» («...with public help...»; annexe 12.)

37. Les protestations des journalistes sont malheureusement demeurées vaines. Depuis la
nomination de Prljo au poste de rédacteur adjoint, les choses n'ont guère évolué. Le gouvernement
exerce une emprise totale sur Politika et ce journal ne saurait être considéré comme étayant de façon
sérieuse - et encore moins indépendante - les affirmations de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).
Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine soutient que même si les actes allégués
dansPolitikase sont produitsetquelescommentairesqui ont étérapportésontété faits(ce qui n'est pas

reconnu), ils seraient totalement dénués de pertinence au regard des exceptions préliminaires.

38. Il est en outre fait état dans les exceptions préliminaires d'un périodique, Novi Vox, qui, aux
dires de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), représente en quelque sorte le point de vue et les
politiques du Gouvernement bosniaque. Celui-ci souligne qu'il s'efforce de garantir la liberté de la
presse en Bosnie-Herzégovine et qu'il n'existe aucun lien entre les points de vue et les politiques du
Gouvernement bosniaque et la conduite des rédacteurs de Novi Vox.

De plus, quatre numéros seulement de Novi Vox ont été publiés entre le printemps et l'hiver
de 1991 et seuls trois de ceux-ci ont été diffusés par ses rédacteurs. Le tirage maximal de chaque
numéro a été estimé à douze mille exemplaires. Il a été mis un terme à la diffusion de ce périodique à
la suite de l'action pénale engagée contre ses rédacteurs par le parquet de Sarajevo. L'action a été
abandonnée, mais le périodique n'est jamais reparu depuis lors. Le Gouvernement de la
Bosnie-Herzégovine soutient que, même si les observations prétendument incendiaires reprises dans

Novi Vox avaient été faites, elles seraient totalement dépourvues de pertinence au regard des
exceptions préliminaires.

39. Est également dépourvu de pertinence et erroné le récit repris en annexe de deux attaques
contre la population civile, qui, selon la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) seraient l'Œuvre des
forces musulmanes (exceptions préliminaires, par. 1.6.10). La première salve d'obus tombée le

27 mai 1992 a tué au moins seize personnes qui faisaient la queue pour acheter du pain près du marché
situé rue Vase Miskina. Les Serbes de Bosnie ont immédiatement affirmé avec force que l'attaque
avait été commise par les forces musulmanes ou croates afin de provoquer une intervention militaire
internationale. Même si ces affirmations ont été reprises par la suite par des journaux occidentaux, les
enquêteurs de l'ONU sur les lieux n'ont trouvé aucune preuve étayant ces accusations. Bien au
contraire, selon eux :

«Il semblerait que l'attaque, au cours de laquelletrois obus de mortier se sont abattus près

de groupes de Serbes, de Croates et de Musulmans qui faisaient la queue au marché pour
acheter du pain, ait été lancée par des unités serbes se trouvant dans les collines au sud de
Sarajevo. Environ douze heures avant cette attaque au mortier, des obus d'artillerie
auraient, semble-t-il, également été tirés de ces mêmes collines situées au sud de la ville,
où des artilleurs serbes avaient installé des batteries, atteignant la principale maternité de - 14 -

la ville, située près du centre de Sarajevo.» (Rapport final de la commission d'experts
constituée conformément à la résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité),
doc. S/1994/674 du 27 mai 1994, et annexes, annexeVI, Study of the Battle and Siege of
Sarajevo, par. 274; annexe 13.)

40.La deuxième attaqueaumortiersurlemarchéMarkaledont il est fait état dans les exceptions
préliminaires (par. 1.6.10) a tué au moins soixante-six personnes et blessé au moins cent
quatre-vingt-dix-sept autres. Cette attaque s'est produite le 5 février 1994. Encore une fois, les Serbes
de Bosnie ont prétendu que cet obus, qui, soit dit en passant, n'était que l'un des quarante-six obus à
avoir frappé la ville de Sarajevo ce jour là, avait été tiré par les forces bosniaques (rapport final de la
commission d'experts constituée conformément à la résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité,
doc. S/1994/674 du 27 mai 1994, et annexes, annexeVI, Study of the Battle and Siege of Sarajevo,

par. 3210; annexe 14). A l'issue de l'enquête initiale, un haut fonctionnaire de l'administration
américaine a déclaré qu'il ne faisait «guère de doute» pour Washington que les forces serbes de Bosnie
avaient tiré l'obus en question (ibid., par. 3220; annexe 15). Le commandant des forces bosno-serbes,
M. Manojlo Milovanovic, a toutefois nié que les Bosno-Serbes soient responsables de cette attaque,
faisant valoir que «les positions serbes ne sont pas aussi proches que cela et nous n'avons pas d'armes
capables de causer un tel massacre» (ibid., par. 3212; annexe 14).

41. L'ONU a constitué une commission spéciale chargée de faire enquête sur le massacre. Les
conclusions de cette commission ont été publiées dans le rapport final de la commission d'experts :

«Le colonel Michel Gauthier, du Canada, qui a dirigé les travaux de la commission
d'enquête de cinq membres nommée par l'ONU à la suite du bombardement du marché, a
signalé que l'obus de mortier qui a frappé le marché de Sarajevo le 5 février aurait pu être
tiré soit par les assiégeants, les Serbes de Bosnie, soit par les forces de

Bosnie-Herzégovine qui défendaient la ville. Les cinq membres du groupe d'enquête,
assistés de deux experts techniques, ont conclu que l'explosion avait été causée par une
bombe de forte puissance tirée d'un mortier de 120mmde fabrication classique. Il n'a pas
été possible d'établir l'emplacement précis de l'arme qui a tiré l'obus... «La distance
d'origine du coup chevauche de 2000 mètres les deuxcôtés de la ligne de confrontation»,
a déclarélecolonel Gauthier. «Nous savons que les deux bords possèdent des mortiers de
120 mm, ainsi que les bombes qui vont avec. Le groupe chargé de l'enquête n'a aucune

raison de penser que l'un ou l'autre bord n'a pas accès à ce type de munitions.» (Rapport
final de la Commission d'experts constituée conformément à la résolution 780 (1992) du
Conseil de sécurité,doc. S/1994/674 du 27 mai 1994, et annexes, annexe VI, Study of the
Battle and Siege of Sarajevo, par. 3334; annexe 16.)

L'enquête de la commission n'a donc pas abouti à des conclusions. Il n'a pas été possible d'imputer la
responsabilité de l'attaque à l'une ou l'autre des parties en guerre. Quoi qu'il en soit, les prétentions de

la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), selon lesquelles l'attaque était l'Œuvre des forces bosniaques,
ne trouvent aucun appui dans les conclusions de la commission d'enquête spéciale de l'ONU. Elles
contredisent au contraire l'affirmation de Milovanovic voulant que les Serbes de Bosnie n'aient pas
possédé de mortiers leur permettant d'exécuter pareille attaque. - 15 -

42. Autre exemple d'emploi de documents de propagande flagrante pour établir des «faits», qui
sont en eux-mêmes de toute façon dénués de pertinence et erronés : les exceptions préliminaires
s'appuient sur une publication ayant un semblant d'autorité qui s'intitule Defense and Foreign Affairs
Handbook 1994 (voir exceptions préliminaires, annexes, première partie, p. 410-415), qui est
complétée par The Defense & Foreign Affairs Strategic Policy. Ces publications servent à défendre
notamment certaines thèses concernant la responsabilité du déclenchement des hostilités en

Bosnie-Herzégovine (exceptions préliminaires, par.1.9.42), l'inconstitutionnalité de l'existence de la
Bosnie-Herzégovine (exceptions préliminaires, par.1.9.34) et l'emploi de gaz toxiques par les forces
du Gouvernement bosniaque (exceptions préliminaires, par. 1.6.14).

43. Outre que ces déclarations ne sont ni pertinentes ni corroborées par des sources
indépendantes, le Defense and Foreign Affairs Handbook 1994 prête lui-même le flanc à de sévères

critiques.

44. Ces deux publications sont souvent citées dans les médias serbes qu'ils utilisent eux-mêmes
comme sources; il y a donc raisonnement circulaire (les uns et les autres se corroborant ainsi
mutuellement). Aucun analyste du renseignement oude défense indépendant ou digne de confiance et
aucun groupe d'experts dignes de foi n'attache ni importance ni crédit à ces publications. The Defense

and Foreign Affairs Strategic Policyse décrit elle-même comme «La revue internationalede la gestion
et delasécurité nationales.» Atitre d'exemple de l'exagération que pratiquent ces revues, nous invitons
d'ailleurs la Cour à se reporter aux renseignements figurant d'une part dans le Defense and Foreign
Affairs Handbook de 1994 et, d'autre part, dans la publication de 1994 de l'Institut international des
études stratégiques (à Londres),intituléeThe Military Balance(l'équilibre militaire), dont la réputation
et la crédibilité sont bien établies. On y trouve les chiffres suivants pour l'ordre de bataille des forces
terrestres de la Croatie (annexe 17) :

Handbook Military
Balance

Effectifs 167 000 100 000
Chars d'assaut 530 173
Avions de combat 70+ 20
Effectif des forces aériennes 5 000+ 300

45. Même si l'on tolère une certaine marge d'erreur, il est manifeste que le Defense and Foreign
Affairs Handbook 1994 exagère énormément la puissance militaire de la Croatie. Cette démarche a
peut-être d'autres finalités, mais l'exactitude n'est certainement pas l'une de celles-ci.

46. Vreme, l'un des rares journaux à avoir conservé son indépendance en Serbie, a d'ailleurs
enquêté sur les éditeurs de ces deux publications. On trouvera en annexe un article de son rédacteur,
Milos Vasic, publié le 5 avril 1993 sous le titre «Propaganda War; English Serb Lovers» (Guerre de
propagande : des Anglais chantres des Serbes).

47. M. Vasic, lui-même d'origine serbe, décrit les liens unissant les éditeurs de Defense and
Foreign Affairs Handbook et de The Defense and Foreign Affairs Strategic Policy aux intérêts

pro-serbes et déclare :

«Défense et affaires étrangères- politique stratégique ... n'occupe qu'une place marginale
dans les milieux spécialisés; ce qu'on a pu lire dans les textes publiés démontre que
Strategic Policy ne fait que peu de cas des faits. C'est-à-dire que, en guise de «recherches - 16 -

sur le terrain», dont elle se vante, Strategic Policy a envoyé deux de ses employés à
Belgrade pour interviewer le général Zivota Panic (alors chef d'état-major de l'armée
yougoslave) et pour s'approvisionner en publications auprès de l'appareil de propagande
«Tous les Serbes du monde». L'entrevue avec le général Panic était convenue et
prévisible... Les données recueillies (abusivement appelées faits) proviennent d'écrits
marginaux publiés dans les tracts de propagande que les auteurs ont recueillis à

Belgrade...» (Annexe 18.)

48. Autre exemple de documents de propagande dénuésde pertinence utilisés comme vecteur de
présentation de faits erronés : les exceptions préliminaires citent abondamment un certain
M. Yossef Bodansky, qui y est décrit au paragraphe1.6.16 comme «l'éminent expert américain en
matière de terrorisme ...qui était le directeur duUS House of Republican Task Force on Terrorism and

Unconventional Warfare» (groupe de travail de la Chambre des représentants des Etats-Unis sur le
terrorisme et la guerre non conventionnelle) (on relèvera en passant que le nom de M. Bodansky figure
également dans le Defense and Foreign Affairs Handbook 1994, où il y est qualifié de principal
collaborateur).

49. Il est aussi fait mention à maintes reprises (voir notamment exceptions préliminaires,

par. 1.6.14, 1.6.16 et 1.6.17) d'un livre intitulé Target America, écrit par M. Bodansky (exceptions
préliminaires, annexe, première partie, p. 290-295). Ce document sert à justifier notamment les
affirmations, corroborées par aucune source indépendante, selon lesquelles les forces du
Gouvernementbosniaqueauraientutilisé au combat duchlore gazeuxetuneguerre sainte islamique est
livrée contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine.

50. Outre que ces affirmations sont dénuées à la fois de vérité et de pertinence, M. Bodansky ne

jouit d'aucune réputation et il en est de même du comité auquel il siégeait, qui n'est pas officiellement
approuvé par l'administration américaine et ne fait pas autorité sur les positions de celle-ci. Son texte,
qui est joint aux exceptions préliminaires, n'est reconnu ni accepté par aucun groupe d'experts
indépendants, sans compter aussi qu'il n'est pas déposé à la bibliothèque du Congrès des Etats-Unis ni
à la British Library, ses éditeurs peu connus ayantcessé toute activité peu après la publication du livre.

51. Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine soutient que les éléments de fait repris dans les
exceptions préliminaires sont dans une proportion écrasante erronés et dénués de pertinence. Il ne
donne ces exemples à la Cour que pour illustrer lesvices qui les entachent.

52. Quant à l'insinuation malveillante que la haine ethnique ou religieuse émane uniquement des
non-Serbes, on relèvera que le désir du Gouvernement bosniaque et de ses chefs de maintenir et de

préserver une nation diverse et tolérante sur le plan ethnique et religieux était manifeste bien avant le
début des atrocités qui ont été commises contre sonpeuple.

Les basses attaques personnelles dirigées dans les exceptions préliminaires contre la réputation
de M. Alija Izetbegovic, président de la République de Bosnie-Herzégovine, ne méritent pas de
réponse; nous formulerons toutefois quelques observations pour démontrer leur caractère fallacieux. - 17 -

53.Onmentionnedanslesexceptionspréliminairesdesécritsqueleprésident apubliésen 1970,
à savoir un document intitulé la «déclaration islamique» (annexes, première partie, p. 171-240).
Celle-ci est accompagnée, aux pages 172-173, d'uneintroduction qui n'en fait pas partie, dont l'origine
ne semble pas connue. Le président, avocat à la retraite, a été emprisonné à la suite d'un procès à
l'époque communiste qui, selon l'introduction elle-même à la page 172, a été dénoncé à juste titre
(ligne 8) et a été jugé «staliniste» (ligne 14).

54. Par des citations hors contexte et par la mise en relief de certains passages, les exceptions
préliminaires semblent présenter le président sous les traits d'un extrémiste religieux. Il est possible,
par des citations isolées de leur contexte, de donner cette impression qui est cependant diamétralement
opposée à la vérité.

55. Il suffit de lire la «déclaration islamique» (même dans la version figurant dans les annexes
(annexes, première partie, p. 171-240), quoique la traduction présente des inexactitudes matérielles,
pour se convaincre de la fausseté de cette thèse. Le texte désigne nommément divers Etats, mais nulle
part la Bosnie. Nous citerons à titre d'exemples quelques passages de la déclaration :

«L'égalité des hommes

... Le Coran énonce deux principes d'importance majeure : l'unicité de Dieu et l'égalité de tous
les hommes. Il le fait d'une manière si claire et si explicite que seule l'interprétation
littérale est possible : il n'y a pas de divinité hormis celle du Dieu unique; il n'y a pas de
nation élue, de race élue ni de classe élue, tous les hommes sont égaux ... Si distinction il
doit y avoir, elle doit se faire principalement d'après ce que les gens sont réellement,
c'est-à-dire d'après leur valeur spirituelle et morale (Coran, sourate 49/13)» (p. 200,
dernier paragraphe).

...

«Liberté de conscience

... Si puritaine que puisse être sa morale, l'Islam conserve, par son ouverture à la nature et à la
joie, l'esprit large, comme en témoigne toute son histoire. Reconnaissant Dieu mais ne

reconnaissant ni dogme ni hiérarchie, l'Islam ne peut se transformer en dictature, et toute
forme d'inquisition et de terrorisme spirituel des esprits y est impossible.» (p. 207-208,
lignes 12-17).

«Christianisme et judaïsme

(Parlant du christianisme et du judaïsme) ... l'avenir pourrait devenir un modèle de

compréhension et de coopération entre les deux grandes religions au bénéfice de tous les
peuples et de l'espèce humaine, au contraire du passé qui a été le témoin de leur
intolérance et de leurs conflits ineptes. ... Un principe semblable est à la base de l'attitude
de l'Islam à l'égard du judaïsme. Nous avons vécu avec les Juifs pendant des siècles et
même créé ensemble une culture, si bien qu'il est parfois impossible de distinguer entre
les éléments islamiques et juifs de cette culture.» (P. 229-230, p. 230, lignes 12-21.)

56. Quelle que soit l'interprétation que l'on donne aux écrits du président, celle-ci est sans
importance au regard des exceptions préliminaires. Mais les extraits reproduits ci-dessus se passent
néanmoins de commentaire. - 18 -

57. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peut sans doute pas soutenir sérieusement que la
déclaration expliquait, voire même justifiait ces actes de génocide. - 19 -

La participation de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) à
la guerre en Bosnie-Herzégovine

58. Dans les exceptions préliminaires qu'elle soulève, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
soutient notamment :

-qu'aucun différend international ne l'a opposé aux époques en question à la République de
Bosnie-Herzégovine, et

-qu'elle n'a pas exercé d'acte d'autorité sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine et n'y exerce aucune
compétence depuis avril 1992.

59. Nous prétendons que ces questions, même si elles étaient valables et essentielles, doivent
être tranchées par la Cour lorsqu'elle se prononcera sur le fond de l'affaire et non pas à ce stade-ci.

60. La République de Bosnie-Herzégovine maintient en outre la position qu'elle a prise sur la
responsabilité que porte la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) dans les actes de génocide - question
qui fera évidemment l'objet de développements lorsde l'examen au fond de la présente instance.

61. Afin d'informer la Cour comme il se doit, le Gouvernement de la République de
Bosnie-Herzégovine estime donc néanmoins utile de préciser que les autorités de Belgrade ont
continué et continuent de fournir un appui actif aux Serbes qui commettent des actes de génocide en
Bosnie-Herzégovine depuis le dépôt du mémoire le 15avril 1994.

62. Exemple le plus récent de cette implication de Belgrade : le recrutement forcé de Serbes en
Serbie même, par les autorités de Belgrade. C'est à un tel recrutement qu'on a procédé par exemple en
juin et en juillet 1995 pour le compte de la direction bosno-serbe à Pale; les recrues serbes ont été
envoyées de force en Bosnie-Herzégovine pour participer à la guerre contre la population non serbe de
cette dernière.

63. Le recrutement forcé de Serbes en Serbie même n'y est pas passé inaperçu. Les médias
yougoslaves, comme le journal Vreme International, ont couvert cette mobilisation forcée, qui fut
coordonnée et exécutée par le ministère de l'intérieur à Belgrade. Ce journal a publié le 26 juin 1995
l'histoire de Mirko Drljaca, qui fut blessé et arrêté alors qu'il essayait de s'enfuir de la caserne des
pompiers à Novi Sad, en Yougoslavie (Serbie et Monténégro). Les Serbes mobilisés de force y étaient
emprisonnés jusqu'à ce qu'ils soient expédiés sur les champs de bataille en Bosnie-Herzégovine et dans
lesterritoires occupés par les Serbes en Croatie (Vreme International, «Tribute in blood», 26 juin 1995,

annexe 19). Cet articlecitenotammentMme MijanaMarkovic,l'épouse de M. Milosevic, président de
la Serbie, laquelle reconnaît l'arrestation de M. Drljaca :

«Selon Mme Markovic, Mirko Drljaca et l'homme que nous venons de décrire
appartiennent au «groupe de combattants de la cause serbe en Bosnie et dans la Krajina
serbe. Il [c'est-à-dire Drljaca] habite à Belgrade. Il n'a pas passé un jour à la guerre et il
n'a pas l'intention de le faire.» On arrête maintenant des gens comme lui dans la rue, chez
eux,dansles entreprises,les camps de réfugiés,les logements pour étudiants, les voitures,

les restaurants. On en a déjà capturé cinq mille qui ont été envoyés de l'autre côté de la
Drina.» (Ibid.) - 20 -

64. Comme nous l'avons dit plus haut, c'est le ministère de l'intérieur à Belgrade qui a organisé
ce recrutement de Serbes. Les hommes nés en Bosnie-Herzégovine mais vivant en Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) ont été officiellement mis en demeure de rallier les rangs de l'armée de la
prétendue République Srpska en Bosnie-Herzégovine.

Nemanja Crnogorac est l'un de ceux qui ont été convoqués par les autorités de Belgrade.

Le 29 juin 1995, il a reçu l'ordre écrit de se présenter au bureau du ministère de l'intérieur à Subotica,
dans le nord de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro). On lui a donné l'ordre d'emporter ses «objets
d'hygiène personnels»et on l'a averti qu'il «pourrait être conduit au quartier général de la police»s'il ne
répondait pas à la convocation (le texte intégral de la convocation se trouve à l'annexe 20 du présent
exposé).

65. La participation de Belgrade apparaît clairement dans la terrible attaque lancée contre
Srebrenicaenjuillet 1995etlaprise brutale de cetteville. Le journal américainNewsday rapporte dans
son édition du 12 août 1995 que les services de renseignement occidentaux et bosniaques ont la preuve

«que le commandant de l'armée yougoslave, le général Momcilo Perisic, s'était installé au
sommetd'une montagne de l'autre côté de la frontière en Yougoslavie, d'où il envoyait des
instructions et des conseils au général Ratko Mladic, commandant des forces militaires

bosno-serbes. Les conversations radio interceptées par certains services de
renseignement ont eu lieu avant, pendant et après la bataille qui a abouti à la prise de
l'enclave par les Serbes le 11 juillet.

Mladic et Perisic sont restésen liaison constanteau sujet de la stratégie et des opérations»
a déclaré l'un des représentants occidentaux qui, comme tous les officiers de
renseignement interviewés, a voulu que l'on préserve son anonymat. Les officiers
interrogés ont déclaré qu'ils étaient encore en train d'analyser les conversations radio

interceptées, mais que «Mladic demande toujours à Perisic ce qu'il doit faire. Cela ne
nous a pas surpris, car ils ont le même rang, mais il est clair que c'est Perisic qui
commande la manŒuvre et qui donne les ordres.» (Annexe 21.)

Les dirigeants yougoslaves ont évidemment nié ces rapports. Toutefois, le Gouvernement de la
République de Bosnie-Herzégovine a l'intention de produire d'autres éléments de preuve sur ces
questions lors de l'examen au fond.

66. Il est important de relever dans ce contexte que le général Mladic (le chef militaire des
soi-disant bosno-serbes) vient tout récemment d'être mis en accusation par le Tribunal pénal
international à La Haye pour avoir commis des actes de génocide au cours de la prise de Srebrenica
mentionnée plus haut (annexe 22).

67. Bien que l'affirmation de l'existence effective d'une guerre civile en Bosnie-Herzégovine soit
dépourvue de toute pertinence dans le contexte de la présente affaire, qui porte sur le génocide, le
Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine est plus qu'heureux d'y répondre. Celui-ci
soutient que telle n'est pas la vérité. Les peuples de la Bosnie-Herzégovine sont devenus les victimes
d'une guerre d'agression provoquée, organisée ou facilitée par les autorités de Belgrade, ou bénéficiant
de leur acquiescement.

68. Si l'on croit que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n'a joué et ne joue aucun rôle dans la
guerre en Bosnie-Herzégovine, il est impossible d'expliquer pourquoi le Conseil de sécurité des
Nations Unies lui a imposé à maintes reprises et continue de lui imposer des sanctions économiques.
Il n'est guère probable, c'est le moins qu'on puisse dire, que la communauté mondiale ait eu au coursde - 21 -

ces cinq dernières années une perception erronée du rôle de Belgrade dans la guerre en
Bosnie-Herzégovine.

69. Nous n'essaierons pas, pour les raisons indiquées ci-dessus, de formuler des observations
particulières sur chaque élément de fait énoncé dans les exceptions préliminaires. Le Gouvernement

de la République de Bosnie-Herzégovine estime que cela est non seulement inutile, mais aussi
contre-indiqué compte tenu des dispositions strictes du paragraphe 1 de l'article 79 du Règlement de la
Cour, qui prescrit que les exceptions préliminaires (et partant les exposés qui y répondent) doivent se
rapporter aux questions de compétence et de recevabilité.

Portée et organisation générale du présent exposé

70. La nature des exceptions préliminaires soulevées par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
faitqu'ilest àlafoisfacileetdifficile d'yrépondre. Facile parce queleGouvernement de la République
de Bosnie-Herzégovine soutient qu'elles sont dénuées de pertinence et dépourvues d'une assise
factuelle digne de foi. En outre, elles ne comportent aucune conclusion juridique sur le fond se
rapportant à la question de la compétence de la Cour ou à la recevabilité de la requête du
Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine, ainsi que l'exige le paragraphe 1 de

l'article 79 du Règlement de la Cour. Difficile, parce que l'argumentation juridique développée se
limite à de simples affirmations ne s'appuyant suraucune preuve ou dépourvues de substance, de sorte
qu'elle ne se prête pas à une réfutation sérieuse.

71. Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine abordera toutefois brièvement tour à tour les
sept exceptions préliminaires soulevées par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).- 22 - RÉPONSE À LA PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

1.1. La première exception préliminaire soulevée par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est
formulée de la manière suivante :

«A.1. L'existence de la guerre civile à l'époque des faits rend la requête irrecevable.»
(Exceptions préliminaires.)

Cette première exception,selon laquelle l'existence d'une guerre civile en Bosnie-Herzégovine rendrait
irrecevable la requête de la République de Bosnie-Herzégovine, est entièrement dénuée de fondement.

1.2. La participation active de forces et de personnels relevant de la Yougoslavie (Serbie et

Monténégro)danslescombatsenBosnie-Herzégovineau coursdesquelsungénocide a été commis fait
de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) une partie à un «différend» avec la République de
Bosnie-Herzégovine. Il s'agit d'un différend entre des Etats parties à la convention de 1948 sur le
génocide, dont l'article IX prévoit qu'il doit obligatoirement être soumis à la Cour internationale de
Justice. La requête est donc entièrement recevable.

1.3. Le défendeur invite la Cour à déclarer que la plainte de la République de
Bosnie-Herzégovine est irrecevable en droit parce que les actes dont celle-ci se plaint se sont produits
au cours d'une guerre civile en Bosnie-Herzégovine. Le défendeur invite également la Cour à déclarer
la plainte irrecevable sur le plan des faits parce qu'il prétend (sans aucune justification) qu'il n'est pas
l'auteur des actes allégués dans la plainte.

1.4. La Cour est respectueusement priée de rejeterces deux thèses : la première pour une raison
de droit, la deuxième parce qu'elle touche au fondde l'affaire.

1.5. La thèse de la République de Bosnie-Herzégovine est essentiellement que les actes odieux
de génocide dénoncés et énumérés dans le mémoire du15 avril 1994 sont imputables à la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro). Ces assertions sont amplement étayées par les éléments de preuve présentés
dans le mémoire de la Bosnie et ceux-ci, quels que soient la valeur et le poids que leur accordera en

définitive la Cour,justifient largement l'invocation par le requérant des dispositionsde l'article IX de la
convention sur le génocide. Il s'ensuit donc, en vertu des dispositions de l'article IX de la convention,
que le requérant a soumis une question justiciable, qui est recevable de manière à ce que la Cour en
décide sur le fond.

1.6. Ce différend relève précisément des dispositions de l'article IX de la convention sur le

génocide. La demande formée à ce titre est absolument recevable à moins que les moyens de droit
invoqués soient manifestement erronés ou que les faits, s'ils sont prouvés, ne soient pas de nature à
entraîner la culpabilité. Le demandeur a prouvé que sa thèse est solidement fondée en fait et en droit :
qu'il a été commis des atrocités équivalant à un génocide. Cette position est pleinement confirmée par
l'acte d'accusation émis le 25 juillet 1995 contreRadovan Karadzic et Ratko Mladic, qui déclare qu'ils
ont «depuis avril 1992, par leurs actes et omissions sur le territoire de la République de
Bosnie-Herzégovine, commis un génocide» (annexe 1.1, par. 17). Un exposé détaillé de leurs actes

allégués de génocide figure dans cet acte d'accusation. Cet exposé est suffisant pour établir des motifs
probables de culpabilité devant le Tribunal et, parconséquent, il est certainement suffisant pour établir
une présomption de génocide qui donne à la Cour compétence en cette matière aux fins de la présente
action civile introduite en vertu de l'article IX de la convention. - 24 -

1.7. Le droit applicable est l'article IX de la convention sur le génocide qui dispose que :

«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation, l'application ou
l'exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un Etat
en matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III,
seront soumis à la Cour internationale de Justice,à la requête d'une partie au différend.»

1.8. La Cour, pour interpréter le texte d'un traité, applique les règles d'interprétation qu'elle a
rappelées en l'affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad) :

«selon le droit international coutumier qui a trouvé son expression dans l'article 31 de la
convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, un traité doit être interprété de

bonne foi suivant le sens ordinaire attribué à ses termes dans leur contexte et à la lumière
de son objet et de son but. L'interprétation doitêtre fondée avant tout sur le texte du traité
lui-même. Il peut être fait appel à titre complémentaire à des moyens d'interprétation tels
que les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu.»
(C.I.J. Recueil 1994, arrêt, p. 21-22, par. 41; annexe 1.2. Voir aussi affaire de la
Délimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar
c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt du 15 février 1995, p. 18, par. 33.)

1.9. La République de Bosnie-Herzégovine, dans son mémoire du 15 avril 1994, s'est efforcée
d'aider la Cour dans son interprétation de l'article IX de la convention sur le génocide - nonobstant la
clarté de son texte -en démontrant au moyen d'éléments de preuve empruntés au contexte historique et
aux travaux préparatoires que les actes dont la Bosnie-Herzégovine se plaint entrent exactement dans
le champ d'application de la convention, que les actes du défendeur sont précisément ceux que les
rédacteurs de la convention voulaient interdire, et que la Cour internationale est précisément l'organe

chargé de résoudre les différends résultant d'assertions divergentes quant à la culpabilité pour des actes
allégués et la responsabilité du fait desdits actes(mémoire de la Bosnie-Herzégovine du 15 avril 1994,
par. 5.2.2.1-5.2.3.8).

1.10. Dans sa requête, la Bosnie-Herzégovine soutient précisément, en s'appuyant sur un dossier
très complet et très probant, que les autorités de l'Etat défendeur «ont décidé, organisé et dirigé», et

constamment participé, pendant toute la période pertinente, à l'«organisation et la direction de la
politique infâme de génocide dénommée «nettoyage ethnique» pour réaliser le rêve chimérique d'une
«Grande Serbie» en ayant recours à l'agression» (Bosnie-Herzégovine, mémoire, 15 avril 1994, 186,
par. 4.3.2.3). Le défendeur demande néanmoins à la Cour de déclarer que cette plainte n'est pas
justiciable en affirmant que ces événements se sont produits au cours d'une guerre civile. La Cour
devrait refuser pour des motifs de droit une dérogation si manifestement erronée aux obligations
imposées par la convention. Le défendeur prétend que

«Les circonstances qui constituent l'arrière-plan des «conclusions» du mémoire, pour
autantquel'onpuisse dire que ces«conclusions»ressortissent à la convention de 1948 sur
le génocide (fait qui est nié par l'Etat défendeur), sont dominées par des éléments de
conflit civil; par conséquent, aucun différend international n'est en cause sur lequel la
Cour puisse exercer régulièrement sa compétence.» (Exceptions préliminaires,
par. A.1.1.)

Même si, ce que la Bosnie conteste absolument sur le plan des faits, la crise que connaît la
Bosnie-Herzégovine avait seulement le caractère d'une guerre civile, la Cour devrait rejeter cette thèse
insoutenable qui, si elle l'accueillait, interdirait que la convention puisse protéger non seulement la
Bosnie mais aussi les autres Etats qui, dans l'avenir, pourraient être les victimes dans des situations de
guerre civile d'une ingérence ayant le caractère d'un génocide de la part de parties extérieures - 25 -

intervenant dans une intention hostile. De surcroît, la Cour voudra certainement confirmer que la
convention sur le génocide confère à toutes les parties le droit d'engager une instance contre une partie
sous la juridiction ou avec la participation de laquelle une violation est alléguée avoir été commise,que
cette violation soit commise ou non dans une situation caractérisée par des violences intérieures, une
agression extérieure, ou les deux à la fois.

1.11. En soutenant cette thèse, le défendeur semble attendre de la Cour qu'elle accueille l'énoncé
dedroitextrêmement dangereux(aussi bienquedénuédefondementjuridique) selon lequel les guerres
civiles,ne relèventpasen elles-mêmesdu droit international. Le défendeur voudrait quela Cour refuse
d'examiner comme irrecevable une requête concernant des violations alléguées du droit international
par un Etat lorsque ces actes sont commis au cours d'une guerre civile dans un autre Etat. La
République de Bosnie-Herzégovine prie la Cour de rejeter cette doctrine pernicieuse et de déclarer une

nouvelle fois qu'une plainte peut, en droit international, être entendue quand elle concerne
l'intervention d'un Etat dans une guerre civile qui a lieu dans un autre Etat, et dont le but est de prêter
appui à un mouvement insurrectionnel (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), C.I.J. Recueil 1986, arrêt du 27 juin 1986,
par. 292-293; annexe 1.3). Cette intervention peut même revêtir la forme d'un encouragement à
commettre des actes équivalant à un génocide qui serait donné aux parties à cette guerre civile.

1.12. La Cour, bien entendu, ne possède pas une compétence générale à l'égard des parties pour
déterminer qu'une agression a été commise par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) contre la
République de Bosnie-Herzégovine. Cependant, quandune agression de ce genre prend la forme de la
destruction systématique et délibérée de populations entières, en utilisant le meurtre et le terrorisme
pour réaliser par la force le «nettoyage ethnique» de vastes territoires, elle équivaut au crime de
génocide qu'interdit la convention. Elle relève donc expressément de la compétence de la Cour en
vertu de la convention sur le génocide.

1.13. Au contraire de l'hypothèse implicite sur laquelle se fonde le défendeur, la convention sur
le génocide interdit non seulement les actes commis à l'intérieur d'un Etat, mais aussi le génocide
transfrontière. L'Assemblée générale des Nations Unies, le rapporteur spécial de la Commission des
droits de l'homme des Nations Unies, la CSCE et le Conseil de la Communauté européenne sont
chacun parvenus à la même conclusion, à savoir, pour citer la conférence mondiale de Vienne sur les

droits de l'homme, que «la Serbie et le Monténégro» sont auteurs «d'un crime» qui «constitue un
génocide et une violation de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide»
(A/Conf. 157/24 (première partie), p. 49 et mémoire, 15 avril 1994, 6.2.2.11), en raison des actes
transfrontières qu'elle a commis dans la Républiquede Bosnie-Herzégovine en participant directement
à des actes de nettoyage ethnique, de viol, de terrorisme et de meurtre par l'entremise de l'armée
nationale yougoslave, ainsi qu'en fomentant, aidantet encourageant des actes de ce genre de la part des
forces serbes insurgées en Bosnie-Herzégovine.

1.14. Le défendeur, dans ses exceptions préliminaires, voudrait que la Cour rejette
sommairement comme irrecevable la thèse du demandeur selon laquelle il (la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)) a commis un génocide et été complice à celui-ci, dans la République de
Bosnie-Herzégovine. Ces dénégations de complicité,si elles doivent être prises au sérieux, concernent
directement le fond de l'affaire. La question de savoir si la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a
commis ou non les actes de génocide allégués, et démontrés par le mémoire de la Bosnie-Herzégovine

du 15 avril 1994, est précisément celle sur laquelle la Cour doit se prononcer dans la phase de l'examen
au fond de la présente instance.

1.15. En outre, le défendeur affirme que «En réalité, les protagonistes sont les quatre éléments
politiques en présence sur le territoire de l'ex-République de Bosnie-Herzégovine» (exceptions - 26 -

préliminaires, par. A.1.2.). La question de savoir si cela est vrai, ou si, comme l'affirme le demandeur
(mémoire, 15 avril 1994, 2.3.1-2.3.9), le défendeur est impliqué directement et indirectement dans le
génocide qui a accompagné la guerre sur le territoire bosniaque, constitue précisément le point sur
lequel la Cour doit se prononcer au stade de l'examen au fond de la présente affaire. Juger la requête
de la Bosnie-Herzégovine irrecevable sans procéder au préalable à un examen complet des preuves de
la participation yougoslave aux actes de génocide commis en Bosnie équivaudrait à statuer sur le fond

des allégations du demandeur sans lui permettre d'être pleinement entendu.

1.16. Ainsi que Shabtai Rosenne a succinctement résumé la règle de procédure qui s'est dégagée
de la pratique de la Cour, il existe

«une distinction subtile entre une exception préliminaire, spécialement quant à la recevabilité, et

une défense sur le fond. Pour schématiser, il est probable que lorsque les faits et les
arguments avancés à l'appui de l'exception sont essentiellement les mêmes que les faits et
les arguments qui conditionnent le fond, et que lorsqu'en statuant sur une exception la
Cour serait conduite à se prononcer, dans l'affaire précise en cause, sur des aspects
essentiels du fond, ce moyen ne constitue pas une exception mais une défense au fond.»
(Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 2 éd. revue, p. 459
et les affaires citées et examinées aux p. 459-461,1985, annexe 1.4.)

1.17. La République de Bosnie-Herzégovine, à ce stade (recevabilité) demande simplement à la
Cour de dire que si la possibilité existe de démontrer que des actes équivalant à un génocide au sens de
la convention de 1948 peuvent être décrits comme ayant été commis avec la participation, l'aide, sous
la direction et/ou avec l'encouragement de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), alors ces actes du
défendeur peuvent être dénoncés en application de la convention sur le génocide. La République de
Bosnie-Herzégovine demande aussi à la Cour de conclure qu'il pourrait en être ainsi sans considération

dufait que cesactesonteulieu au coursd'uneguerrecivileà laquelle participaient aussi d'autresforces.
Le demandeur, à la différence du défendeur, ne demande pas à la Cour de se prononcer à ce stade sur
la véracité des allégations relatives à des actes de génocide qui auraient été commis en Bosnie, ni de
dire si la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) étaitimpliquée dans ces actes d'une manière et dans une
mesure quiseraientconstitutivesd'un génocide. Cesquestionsdevront être examinéesau stade dufond
et, bien que la Bosnie-Herzégovine soit prête à aborder ce stade de la discussion et soit vivement
désireuse de le faire, elle déplore les menées dilatoires du défendeur qui soulèvent des questions de

fond aussi essentielles (de manière toutefois superficielle) dans le cadre de ses exceptions
préliminaires.

1.18. En d'autres termes, les questions de recevabilité soulevées par le défendeur sont
entièrement dénuées de pertinence. La présente affaire est recevable parce qu'une plainte bien fondée
a été présentée par une partie à la convention sur le génocide contre une autre partie à cette même

convention, conformément à l'article IX de ce traité. Que cette plainte résulte de violations commises
au cours d'une guerre civile ne rend en aucune manière la convention inapplicable parce que ces
violationsontété perpétrées (ou c'est ce qu'allègue et démontrera le demandeur) par, et aussi de concert
avec, le défendeur qui est partie à la convention. Si la Cour retenait la première exception de la Serbie
à un stade préliminaire de la procédure, elle retirerait à la convention toute signification dans les
circonstances précises - ingérence de la part d'un Etat dans un conflit intérieur chez un Etat voisin - où
elle risque (hélas !) le plus souvent d'être applicable dans le contexte contemporain.

1.19.Le fait que cetteplainte soit présentéedanslecontexte d'hostilitésqui sont en cours (et d'un
génocide qui est en cours) ne saurait en aucune manière - comme le défendeur semble le prétendre
(exceptions préliminaires, id., par. A.1.1. «circonstances ... dominées par des éléments de conflit civil;
par conséquent aucun différend international n'esten cause ...») - rendre cette plainte non justiciable et - 27 -

donc irrecevable. Pour citer l'arrêt de la Cour dans la phase relative à la compétence et la recevabilité
en l'affaire du Nicaragua :

«Il n'est pas demandé à la Cour de mettre fin à un conflit armé par le seul pouvoir des
mots.» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaraguaet contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d'Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437,

par. 100; annexe 1.5.)

Au contraire, il est demandé à la Cour de dire ledroit et de déterminer les faits afin de contribuer
à la résolution définitive de cette effroyable situation et de favoriser le processus historique de
réconciliation des parties.- 28 - RÉPONSE À LA DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

2.1. La compétence du Gouvernement reconnu de la Bosnie-Herzégovine pour introduire cette
instance est incontestable.

2.2.La deuxièmeexceptionpréliminaire soulevéeparlaYougoslavie (SerbieetMonténégro) est
formulée de la manière suivante :

«A.2. Alija Izetbegovic n'était pas compétent pour donner l'autorisation d'introduire une
instance devant la Cour.» (Exceptions préliminaires.)

Le défendeur allègue que la requête de la Bosnie-Herzégovine est irrecevable parce que la
présente instance devant la Cour internationale de Justice a été introduite irrégulièrement par le
Président «a outrepassé ses pouvoirs et violé une disposition du droit interne en vigueur» (exceptions
préliminaires, juin 1995, par. A.2.1 et A.2.3A.2.8).

2.3. Plus précisément, le défendeur affirme que «La lettre autorisant l'introduction de l'instance

et la désignation d'agents a été signée par Alija Izetbegovic en tant que président de la République.»
(Ibid., par. A.2.4.) Ce qui, de l'avis du défendeur, constitue une autorisation irrégulière «en vertu de la
législation interne» (ibid.).

2.4. Il est à peine besoin de dire que les pouvoirs des diplomates, agents et autres représentants
de la Bosnie-Herzégovine dans les multiples instances internationales ont partout été acceptés comme

valides conformément au droit et à la pratique en vigueur. Il en est ainsi pour les organisations
internationales comme pour les gouvernements étrangers. Ces pouvoirs sont signés par le président
Alija Izetbegovic. La Cour devrait constater ce fait et ne pas tenir compte de la tentative que fait le
défendeur pour contester la validité du processus par lequel la présente instance a été introduite par le
demandeur.

2.5.Il serait certainement inapproprié que la Cour accepte cette invitation perfide à entreprendre
un examen des actes de politique interne ou de la légitimité constitutionnelle d'un gouvernement qui a
été universellement reconnu et dont les agents diplomatiques sont dûment accrédités partout. Les
tentatives de ce genre visant à contester la légitimité constitutionnelle intérieure de gouvernements ont
toujours été écartées fermement par les cours et les tribunaux (Grande-Bretagne c. Costa Rica, 1923,
RSA, vol. 1, p. 381; voir aussi Republic of Peru v. Dreyfus Brothers, 1888, Supreme Court of Justice

Law Report, 1888, p. 348; annexes 2.1-2.2).

2.6. La République de Bosnie-Herzégovine s'exprime en qualité de demandeur dans la présente
instance par l'intermédiaire de ses représentants officiels dûment reconnus et de ses agents dûment
autorisés (mémoire du 15 avril 1994, par. 4.2.1.20-4.2.1.21). La Cour, comme les Etats étrangers, peut
légitimement tenir pour authentique tout ce que lui soumettent les représentants officiels et les agents

doment autorisés de la Bosnie-Herzégovine (Statut juridique du Groënland oriental, C.P.J.I. série A/B
n 53, p. 90-92; annexe 2.3). - 30 -

2.7. Dans son mémoire du 15 avril 1994, la République de Bosnie-Herzégovine a évoqué
(par. 4.2.1.2-4.2.11) l'examen et la confirmation de son statut international par la commission
d'arbitrage de la conférence européenne pourla paix enYougoslavie. Cette position a été constamment
confirmée par les organes des Nations Unies, par exemple lorsque le Conseil de sécurité a exprimé sa
«profonde consternation» devant l'«acte de terrorisme scandaleux» qui s'est traduit par l'assassinat du

vice-premier ministre du Gouvernement bosniaque et a adressé ses «sincères condoléances» au
«peuple et au Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine» (déclaration du président au
nom du Conseil, 3159 séance, 8 janvier 1993, 48 SCOR 1 (1993), mémoire;annexes 3-II).

2.8. En refusant de s'engager dans un exposé sur la légitimité constitutionnelle interne de son
gouvernement, le demandeur se tient simplement à un principe consacré du droit international qui fait
que cette question est futile (cf. Jennings et Watts, Oppenheim's International Law, 9 éd., vol. I,
première partie, p. 153 : «la légitimité constitutionnelle ne saurait être tenue comme une condition

constante de la reconnaissance de gouvernements»; annexe 2.4). Il ne reconnaît nullement la justesse,
sur quelque point que ce soit, de l'attaque extrêmement abusive et injustifiée portée contre sa légitimité
dans la deuxième exception préliminaire du défendeur.

Cela dit, le demandeur n'a aucune raison de ne pas inviter la Cour à prendre connaissance des
faits qui suivent, lesquels établissent que le président Izetbegovic a été régulièrement nommé président
de la présidence de la République de Bosnie-Herzégovine et qu'il exerçait ses fonctions conformément
aux procédures constitutionnelles pertinentes.

2.9. Les 18 et 19 novembre 1990, les premières élections démocratiques multipartites se sont
tenues dans la République socialiste de Bosnie-Herzégovine. Les trois plus importants partis, le parti
d'action démocratique, l'union démocratique croate et le parti démocratique serbe ont obtenu au total

deux cent deux des deux cent quarante sièges au Parlement. Leurs représentants ont également obtenu
des majorités importantes aux élections à la présidence de la République de Bosnie-Herzégovine. A la
suite d'un accord d'alliance conclu entre les partis, Alija Izetbegovic, du parti d'action démocratique, a
été nommé président de la présidence qui est composée de sept membres. Jure Pelivan, de l'union
démocratique croate, est devenu premier ministre et Momcilo Kraijsnik, du parti démocratique serbe,

a été élu président de l'Assemblée nationale. Le 30 janvier 1991, l'assemblée nouvellement élue a
nommé un gouvernement qui était représentatif des principaux partis (exceptions préliminaires,
par. 1.7.1-1.7.5).

o
2.10. Aux termes de l'amendement LXXIII(annexe 2.5,n 1) de la constitution de la République
socialistedeBosnie-Herzégovine,lesmembresde laprésidence sontéluspour un mandat de quatre ans
(Journal officiel de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, n 21/90 (annexe 2.6), cet
amendement ayant maintenant été incorporé à l'article 220 (annexe 2.5, n 2) de la constitution mise à

jourde la République de Bosnie-Herzégovine (ci-après o constitution mise à jour), Journal officiel dela
République socialiste de Bosnie-Herzégovine, n 5/93 (annexe 2.9)). La présidence conserve son
mandat jusqu'à ce que de nouvelles élections aient été tenues à l'expiration de celui-ci (ibid.).

2.11. Le président de la présidence est élu parmi les membres de celle-ci, conformément à
l'article 351 (annexe 2.5, n o3) de la constitution de 1974 de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine (annexe 2.7), qui était alors en vigueur. Cette désignation était initialement pour
un mandat d'une année, avec possibilité de renouvellement (article 4 de l'amendement LI (annexe 2.5,
o
n 4 et annexe 2.8) àola constitution de 1974 de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine,o
Journal officiel, n 13/89 (annexe 2.8), qui correspond à l'article 220 (annexe 2.5, n 5) de la
constitution mise à jour (annexe 2.9)). - 31 -

Aucune règle constitutionnelle ne stipule que la personne qui a obtenu le plus grand nombre de
voix aux élections à la présidence doit être nommée président de la présidence.

2.12. Le président Izetbegovic a pris ses fonctions en décembre 1990. Conformément à
l'amendement LI (annexe 2.5, n 6) (Journal officiel 13/89, annexe 2.8) de la nouvelle procédure de

fonctionnement de la présidence de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, qui est entrée en
vigueurle31 décembre 1991 et a été adoptée avec l'appui desreprésentants serbes, il a été réélu l'année
suivante, toujours avec le soutien des deux représentants serbes à la présidence, pour un nouveau
mandat d'une année (Journal officiel de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, n 37/91; o

annexe 2.10).

Il exerçait donc légalement les fonctions de sa charge au printemps de 1992, quand la guerre a
éclaté dans la République de Bosnie-Herzégovine.

2.13. L'article 358 (annexe 2.5, n 7) de la constitution de 1974 de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine (annexe 2.11), tel qu'amendé par l'amendement LI (annexe 2.8) du 11 avril 1989
o
(devenu maintenant l'article 220 (annexe 2.5, n 9) de la constitution mise à jour, adoptée le
24 février 1993) est libellé en ces termes :

«En cas de guerre ou d'état d'urgence, les membres de la présidence et le président
demeurent en fonction jusqu'au moment où les conditions permettant de procéder à de
nouvelles élections à la présidence seront réunies.» (Reproduit également dans la lettre
en date du 22 août 1993 adressée à la Cour internationale de Justice par l'agent de la

République de Bosnie-Herzégovine.)

Aux termes de l'article 350 (annexe 2.5, n 10, et annexe 2.11) de la constitution de 1974 de la
République socialiste de Bosnie-Herzégovine (maintenant article 222 (annexe 2.5, n 11) de la o

constitution mise à jour (annexe 2.9)), la présidence est légalement habilitée à se substituer à
l'assemblée quand l'état de guerre empêche celle-ci d'exercer ses fonctions.

o
2.14. Le 8 avril 1992, la présidence a publié officiellement une déclaration (annexe 2.5, n 12)
concernant la menace imminente de guerre (Journal officiel de la République de Bosnie-Herzégovine,
n 1/92; annexe 2.12). Le 20 juin 1992, la présidence a décidé (annexe 2.5, n 13) qu'il existait un état

de guerre au sens des dispositions susmentionnées. Cette situation a, malheureusement, subsisté
jusqu'à ce jour.

2.15. En tempsde guerre, la composition de la présidence est élargie pour inclure le président du
Parlement, le premier ministre et le commandant des forces de défense du territoire
(amendement LXXIII (annexe 2.5, n 14, et annexe 2.13) à l'article 350 (annexe 2.5, n 15, et o
annexe 2.11) de la constitution de 1974 de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, réaffirmé
o
dans l'article 222 (annexe 2.5, n 16 et annexe 2.9) de la constitution mise à jour). oette disposition a
été dûment respectée (Journal officiel de la République de Bosnie-Herzégovine, n 1/92, annexe 2.12).

o
2.16. Aux termes de l'article 36 (annexe 2.5, n 17) du règlement de la présidence, le quorum
requis pour l'adoption de décisions de la présidence est de 4 voix (Journal officiel de la République
socialiste de Bosnie-Herzégovine, n o37/91, annexe 2.14). Par conséquent, même lorsque les
deux membres serbes de la présidence boycottaient ou essayaient d'entraver les travaux de la

présidence, des décisions pouvaient être adoptées légalement. - 32 -

2.17. Il est demandé à la présidence de s'efforcer d'adopter ses décisions par consensus.
Cependant, quand un consensus est impossible, les décisions ordinaires peuvent alors être prises à la
majorité simple (art. 45 (annexe 2.5, n 18) du règlement de la présidence, Journal officiel n 37/91, o
annexe 2.14). Les décisions concernant la défense et la sécurité de l'Etat, les relations internationales

et les propositions de mesures législatives à soumettre à l'assemblée, y compris les modifications de la
constitution, peuvent être adoptées si elles recueillent au moins cinq votes favorables parmi les
sept membres de la présidence (art. 46 (annexe 2.5, n 19) du règlement de la présidence, Journal
officiel n 37/91, annexe 2.14). Des décisions pouvaient donc être valablement adoptées en l'absence,

ou contre les votes, de deux membres de la présidence. En outre, après la proclamation d'une menace
imminente de guerre ou d'un état de guerre, la présidence était habilitée à adopter toutes les décisions
à la majorité simple du nombre total des membres de la présidence. Cette règle s'applique également
aux décisions prises par la présidence à la place de l'assemblée, conformément aux dispositions de
o
l'article 350 (annexe 2.5, n 20, et annexe 2.7) de la constitutoon de 1974 de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine (maintenant article 222 (annexe2.5, n 21, et annexe 2.9) de la constitution mise o
à jour), jusqu'à ce que l'assemblée soit en mesured'exercer ses fonctions (décision (annexes 2.5, n 22)
de la présidence concernant la modification du règlement de la présidence du 25 mai 1992, Journal
officiel de la République de Bosnie-Herzégovine, n 5/92, annexe 2.15).

2.18. La présidence participe à la formulation età la mise en Œuvre de la politique étrangère, de
concert avec l'assemblée (art. 219 (annexe 2.5, n 23) de la constitution mise à jour du 24 février 1993,

annexe 2.9). La décision d'introduire la présenteinstance auprès de la Cour internationale de Justice a o
été prise par la présidence, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient de l'article 222 (annexe 2.5, n 25
et annexe 2.9) de la constitution mise à jour et conformément à la déclaration de l'état de guerre du
20 juin 1992. Aux termes de l'article 20 du règlement de la présidence du 23 décembre 1991, la
o
présidence est représentée par son président qui, aux termes de l'article 54 (annexe 2.5, n 26) signe en
son nom tous les actes de la présidence (Journal officiel de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine, n 37/91, annexe 2.14). Le président était donc dûment habilité à donner
instruction d'introduire une instance à celui qui était alors l'agent de la République de

Bosnie-Herzégovine. Il l'a fait au nom de la présidence qu'il représentait, ainsi qu'en témoigne le fait
que la lettre désignant les coagents initiaux en la présente affaire et entérinant l'introduction d'une
instance était rédigée sur le papier officiel de la présidence (lettre en date du 19 mars 1993 adressée au
Greffier de la Cour internationale de Justice, annexe 2.16).

2.19.Parconséquent,le 20 mars 1993,date àlaquellelaprésenteinstance a été introduite devant
la Cour internationale de Justice, le président et la présidence exerçaient légalement leurs fonctions
conformément aux dispositions pertinentes de la constitution, y compris celles relatives à l'état de

guerre ou d'urgence. En sa qualité de président de la présidence, le président Izetbegovic est
légalement habilité à représenter internationalement la République de Bosnie-Herzégovine dans cette
affaire.

2.20. Par courtoisie à l'égard de la Cour, le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine lui a
communiqué les renseignements figurant dans les paragraphes 2.9 à 2.19 ci-dessus. Cependant, le
Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine souhaite réitérer qu'il n'appartient en aucune manière au

défendeur, ni d'ailleurs à la Cour elle-même, d'entreprendre un examen d'aspects techniques du droit
constitutionnel d'un Etat souverain. RÉPONSE À LA TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

3.1.La troisième exception préliminaire soulevéepar la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est
formulée de la manière suivante :

«B1. Ayant violé de façon flagrante le principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, l'Etat demandeur ne pouvait pas, par une notification de
succession, adhérer à la Convention de 1948 sur legénocide.» (Exceptions préliminaires,
p. 95.)

Dans cette exception, le défendeur avance trois arguments pour demander à la Cour de se déclarer
incompétente : 1) l'Etat demandeur a été constitué en contravention à son droit interne; 2) l'Etat
demandeur a été constitué en contravention au droit international; et 3) l'adhésion de l'Etat demandeur

à la convention sur le génocide de 1948 par voie de notification de succession contrevient au droit
international. Chacune de ces assertions est fausse.

Aux termes de la constitution de la République socialiste fédérative
de Yougoslavie, la République de Bosnie-Herzégovine avait
le droit d'opter pour l'indépendance étatique

3.2. La toute première disposition de fond de la constitution de 1974 de la République socialiste
fédérative de Yougoslavie était conçue en ces termes :

«Partant du droit de chaque peuple à l'autodétermination, y compris le droit à la sécession, en
vertu de leur volonté librement exprimée dans la lutte commune de toutes les nations et
nationalités au cours de la guerre de libération nationale et de la révolution socialiste, et

en conformité avec leurs aspirations historiques, conscients que le raffermissement de
leur fraternité et de leur unité est de leur intérêt commun, les peuples de Yougoslavie, de
concert avec les nationalités avec lesquelles ils vivent, se sont unis en une république
fédérale de nations et nationalités libres et égales en droits, et ont créé une communauté
socialiste fédérative de travailleurs - la République socialiste fédérative de Yougoslavie.»
(Constitution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, principes
fondamentaux, sect. I, annexe 3.1; les italiques sont de nous.)

Cette déclaration définit toute la structure de laconstitution de l'ex-République socialiste fédérative de
Yougoslavie. La souveraineté et le droit d'exercer les prérogatives de la puissance publique sont en
principe conservés par chaque république en particulier. Les organes fédéraux exercent seulement les
pouvoirs qui leur sont spécifiquement conférés (voir, par exemple, l'article 281 de la constitution de
l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, annexe 3.2). Les républiques conservent
toujours le droit à l'autodétermination, y compris, expressément, «le droit de sécession» (principes
fondamentaux, sect. I, annexe 3.1).

Cette conception de la structure fédérale était également exprimée dans l'article 3 de la
constitution fédérale, qui confirmait que les républiques sont «des Etats fondés sur la souveraineté du
peuple» (constitution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, art. 3, annexe 3.3; les
italiques sont de nous). Les constitutions de chaque république mettaient également l'accent sur le
caractère souverain de la personnalité juridique de chaque république fédérée. C'est ainsi que la
constitution de 1974 de la République socialiste deBosnie-Herzégovine confirmait dans son article 11

son statut d'«Etat socialiste démocratique» (annexe 3.4; les italiques sont de nous). - 34 -

3.3. Quand la République de Bosnie-Herzégovine a agi conformément à son droit naturel

d'autodétermination et entreprisde donner à la souveraineté de son peuple la forme d'une indépendance
formelle, elle était habilitée à le faire unilatéralement, conformément à la volonté librement exprimée
des représentants de son peuple. Le droit de sécession était expressément inscrit dans la constitution
fédérale et aucune restriction ni condition n'étaient mises à l'exercice de ce droit (ibid.).

3.4. L'article 5 de la constitution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie
(annexe 3.5), relatif aux rectifications des frontières de la République socialiste fédérative de
Yougoslavie, n'est pas pertinent dans ce contexte. Il ne concerne pas la sécession, mais vise le cas de
modifications territoriales dans le cadre des relations entre l'ex-République socialiste fédérative et des
Etats voisins (annexe 3.6). L'article 237 de la constitution de la République socialiste fédérative de

Yougoslavie ne constitue pas non plus un obstacle à l'exercice du droit de sécession. Il concerne
exclusivement l'administration de la défense nationale contre une agression extérieure, comme
l'indique le titre de cette section de la constitution ainsi que les articles qui suivent (concernant, par
exemple, la capitulation devant des forces extérieures, etc.). Enfin, il est absurde d'invoquer les
articles 116 et 124 du code pénal de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie (exceptions

préliminaires, par. B.1.1.5). Ces dispositions visent expressément «la sécession anticonstitutionnelle
ou par la violence» ou «la rébellion armée» (exceptions préliminaires, par. B.1.1.5 et B.1.1.6), et sont
donc sans aucun rapport avec l'exercice par la république de ses droits constitutionnels.

3.5. Même si l'exercice du droit à l'indépendance avait été subordonné à l'accord d'un organe
fédéral ou autre du système constitutionnel de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (ce
qui n'était paslecas),uneconditionde ce genreauraitétédénuée de pertinence dans la présente espèce.
Quand la République de Bosnie-Herzégovine a fait jouer son droit à une pleine indépendance, les
organes de l'ex-République socialiste fédérative deYougoslavie avaient cessé de fonctionner. Comme

la commission Badinter l'a confirmé en novembre 1991, la Répuolique socialiste fédérative de
Yougoslavie était déjà alors en cours de dissolution (avis n 1,erLM, vol. 31, p. 1494; annexe 3.7). Peu
après le référendum sur l'indépendance des 29 février et 1 mars 1992, la commission d'arbitrage a
déclaré que ce processus avait été mené à terme, l'indépendance d'au moins la Slovénie et la Croatie
ayant été largement reconnue (voir également la commission Badinter, opinion n 8, ILM, vol. 31,

p. 1521; annexe 3.8). La République de Bosnie-Herzégovine n'avait donc plus d'autre option que de
réaliser son indépendance de manière unilatérale, en appliquant ses propres procédures
constitutionnelles. La République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a adopté une
méthode analogue quand elle a prétendu se constituer le 27 avril 1992.

3.6. Dans la république, le pouvoir législatif est exercé par l'assemblée, ou parlement, qui eso
composée de représentants élus au suffrage universel. Aux termes de l'article 416 (annexe 2.5, n 27;
annexe 3.9) de la constitution de 1974 de la République socialiste fédérative de Bosnie-Herzégovine,
devenu maintenant l'article 268 (annexe 2.5, n 28; et annexe 3.10) de la constitution mise à jour, les
modifications de la constitution sont adoptées à la majorité des deux tiers par les chambres de

l'assemblée réunies en session commune.

3.7. Cette procédure a été suivie le 31 juillet 1990, où une session commune des chambres de
l'assemblée a adopté l'amendement LX (annexe 2.5, n o 29; et annexe 2.6) à la constitution de la

République socialiste de Bosnie-Herzégovine. Cet amendement confirme que la république est «un
Etat démocratique souverain de citoyens égaux».

3.8. Contrairement à ce que prétend la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (exceptions

préliminaires, par. B.1.1.8), les droits souverains de la république, y comprisole droit de sécession, ne
sont pas limités mais au contraire confirmés dans l'article 252 (annexe 2.5, n 30; et annexe 3.11) de la - 35 -

constitution de 1974 de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine. Cet article affirme une fois

de plus la souveraineté dont est investie la République de Bosnie-Herzégovine. En outre, l'article 252
de la constitution de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine était le pendant de l'article 237de
la constitution de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, qui concernait
indiscutablement la défense de la république fédérative contre une agression extérieure car il faisait
partie du chapitre VI de la constitution relatif à la «défense nationale». Il est sans rapport avec le droit
inconditionnel de sécession garanti par la constitution.

3.9. Il est exact que l'amendement LXIX (annexe 2.5, n 31; et annexe 3.12) à la constitution de
la République socialiste de Bosnie-Herzégovine de 1990 proscrit les organisations et les agissements
ayant pour but de «renverser par la force» le système constitutionnel de la République socialiste

fédérative de Yougoslavie (exceptions préliminaires, par. B.1.1.9).

Ces dispositions, cependant, n'excluent évidemment pas un changement politique réalisé de
manière conforme à la constitution, en particulierconformément au droit exprès d'autodétermination et
desécession. Danslecasprésent,l'accession à l'indépendance a été décidée au moyen d'un référendum

démocratique.

3.10. Le statut d'Etat démocratique souverain de citoyens égaux de la République de
Bosnie-Herzégovine a été confirmé dans la plate-forme sur la position de la Bosnie-Herzégovine et les

arrangements à venir de la communauté yougoslave, qui a été adoptée par l'assemblée le
14 octobre 1991. Comme la plate-forme n'était pas censée constituer un amendement constitutionnel,
ni représenter une disposition législative à caractère obligatoire, une majorité simple suffisait pour son
adoption (exceptions préliminaires, annexes, p. 816). La plate-forme était accompagnée d'une lettre
d'intention, également adoptée par l'assemblée le 14 octobre (annexe 3.13). Cette lettre confirmait le

point de vue de l'assemblée selon lequel l'adoption unilatérale d'une nouvelle constitution par la
République de Serbie et la tenue de référendums par la Slovénie, la Croatie et la Macédoine avaient
«fondamentalement et irrémédiablement modifié la constitution de la Yougoslavie et créé en droit et en
fait un nouvel Etat» (lettre d'intention, par. 1). Cette lettre affirmait que l'amendement
constitutionnel LX, relatif au statut d'«Etat démocratique souverain de citoyens égaux» de la

République de Bosnie-Herzégovine, «définirait de manière permanente le statut constitutionnel de la
Bosnie-Herzégovine» dans ses relations intérieures et internationales (ibid.). Comme nous
l'exposeronsci-après,cettelettre d'intention n'avait cependant pas le caractère d'un amendement formel
de la constitution ni même d'une disposition législative ayant force obligatoire.

3.11. La décision de la présidence de la république de demander la reconnaissance de la
Communauté européenne, de ses Etats membres et d'autres Etats a également été prise de manière
légale (décision reproduite dans les exceptions préliminaires, annexes, p. 711). Les considérations
exposées plus haut aux paragraphes 2.9 à 2.20 concernant le fonctionnement et les pouvoirs de la
présidence restent valables.

3.12. A la lumière de l'avis émis par la commission d'arbitrage Badinter (avis n 4, o
11 janvier 1992, ILM, vol. 31, p. 1501; annexe 3.14), l'assemblée a décidé le 25 janvier 1992
d'organiser un référendum sur l'indépendance qui devait se tenir les 29 janvier et 1 mars 1992. Cette
o
décision a été adoptée conformément à l'article 152 (annexe 2.5, n 32 et annexe 3.15) de la
constitution de 1974 de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, et au paragraphe 9 de
l'article 5 de l'amendement LXXI (annexe 2.5, n o 33 et annexe 2.13) apporté à la constitution de 1974
de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine ainsi qu'aux articles 3 et 26 de la loi sur le
référendum de 1977, telle que modifiée en 1991, et à l'article 115 (annexe 2.5, n o34) du règlement
o
intérieur de l'assemblée (Journal officiel de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, n 8/91;
annexe 3.16). - 36 -

La question posée dans ce référendum était la suivante :

«Etes-vous en faveur d'une Bosnie-Herzégovine souveraine et indépendante en tant
qu'Etat de citoyens et de peuples égaux de Bosnie-Herzégovine, Musulmans, Serbes et
Croates, et membres d'autres peuples qui vivent en Bosnie, oui ou non ?» (Annexe 2.5,
n D1-D2 et annexe 3.17.)

La décision d'organiser un référendum, et les décisions antérieures de la présidence et de l'assemblée

relatives à la marche de la république vers l'indépendance ont toutes été valablement adoptées.
Contrairement à ce que prétend la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (exceptions préliminaires,
par. B.1.1.10-B.1.14), il n'existe aucune prescription juridique spéciale qui aurait interdit d'adopter ces
décisions en l'absence d'un accord de la majorité des représentants serbes à l'assemblée.

o
3.13. Les articles 19 à 22 (annexe 2.5, n 35 et annexe 3.18) de la loi constitutionnelle du
31 juillet 1990 relative à l'application des amendements LIX à LXXIX apportés à la constitution de
l'ex-République socialiste de Bosnie-Herzégovine prévoient la représentation proportionnelle des
nationalités et des peuples de la République de Bosnie-Herzégovine (Musulmans, Serbes et Croates ou
membres d'autres nationalités) à l'assemblée. Cependant, ces articles n'exigent pas l'accord des
représentants de toutes lesnationalités pour que des décisions telles que l'organisation d'un référendum

ou une demande de reconnaissance puissent valablement être adoptées par les organes constitutionnels
de la république (exceptions préliminaires, par. B.1.1.11).

3.14.Laplate-forme surlestatut delaBosnie-Herzégovine,accompagnée d'unelettre d'intention,
qui a été adoptée par l'assemblée le 14 octobre 1991, n'était rien de plus qu'une déclaration de politique

générale. Il ne s'agissait pas d'instaurer de nouvelles procédures juridiques obligatoires pour l'adoption
de décisions par l'assemblée (exceptions préliminaires, par. B.1.1.11, et annexe, p. 816). Son caractère
de programme est confirmé par son libellé, par le fait que bon nombre des propositions de politique
générale sont subordonnées à l'évolution ultérieure de la situation et, d'ailleurs, par le titre même de
«lettre d'intention» donné au document qui a été adopté en même temps que la plate-forme.

Même si la plate-forme ou la lettre d'intention avaient introduit dans la constitution des
procédures nouvelles applicables aux décisions de l'assemblée, ces procédures n'auraient été
applicables qu'aux décisions prises après l'adoption de ces deux documents. Quoiqu'il en soit, ni la
plate-forme ni la déclaration d'intention ne pouvaient constituer les amendements constitutionnels qui
auraient été nécessaires pour instituer une nouvelle règle juridique rendant indispensable le
consentement des représentants de tous les peuples et de toutes les nationalités de la république pour
que des décisions puissent être valablement adoptées par les organes constitutionnels de la république.

Avrai dire, ces documentsn'avaient même pas le statut de législation ordinaire, comme en témoigne le
fait qu'ils n'ont pas été promulgués sous forme deloi. Au contraire, ces décisions étaient expressément
fondées sur l'article 113 (annexe 2.5, n 36 et annexe 3.16) du règlement intérieur de l'assemblée, qui
prévoit l'adoption par l'assemblée de déclarations n'ayant pas force obligatoire.

3.15. Même s'il avait existé une règle constitutionnelle interdisant à l'assemblée d'adopter des
décisions contre l'opposition de certains groupes de représentants dans des domaines «concernant les
questions les plus importantes touchant l'égalité de tous les peuples et nationalités vivant dans la
république» (exceptions préliminaires, annexes, p. 816), cette règle n'aurait pas interdit l'adoption de
décisions concernant l'indépendance de la République de Bosnie-Herzégovine. La République de
Bosnie-Herzégovine, tout au long de son processus d'indépendance, a veillé avec un soin extrême au

maintien intégral de l'égalité des droits de toutes les nations et de toutes les nationalités composant la
république. - 37 -

3.16. Il importe aussi de noter que le point 3 de la plate-forme exclut la modification des
frontières de la république, sauf approbation par une majorité des deux tiers des électeurs (exceptions
préliminaires, B.1.1.14, et annexes, p. 816). Cette disposition allait à l'encontre de la tentative
inconstitutionnelle entreprise par une partie de lapopulation de la République de Bosnie-Herzégovine
pour modifier les frontières de la république, par exemple en prétendant faire sécession par la force.

Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine s'est, au contraire, constamment efforcé de
maintenir l'intégrité des frontières de la république, même face à une agression et à une intervention
extérieures et aux efforts pour créer la soi-disant république Srpska.

3.16. L'amendement LXX (annexe 2.5, n 37 et annexe 3.19) à la constitution de
l'ex-République socialiste de Bosnie-Herzégovine prévoit la création d'un conseil de l'égalité nationale.
Enfait,une loi portantcréationd'unconseil dece genre n'a jamais été adoptée en raison de l'opposition

des membres du parti démocratique serbe au parlement. Comme l'a confirmé la cour constitutionnelle
de la République de Bosnie-Herzégovine, le fait que ce conseil n'a jamais existé n'intervient en rien
dans la validité des décisions des organes constitutionnels de la République de Bosnie-Herzégovine.

3.17. Même si, jusqu'au référendum, l'exercice du droit d'autodétermination avait été vicié par
l'inobservation de dispositions constitutionnelles (ce qui n'était pas le cas), le référendum aurait par

lui-même constitué un fondement juridique suffisant pour une revendication de l'exercice du droit à
l'autodétermination. Comme nous l'avons indiqué plus haut, le peuple de la République est investi de
la souveraineté aussi bien par la constitution de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine que
par la constitution de la République de Bosnie-Herzégovine. Le référendum a exprimé la volonté
souveraine du peuple d'une manière directe et juridiquement incontestable.

3.18. Les membres de l'ethnie serbe n'étaient pasexclus du référendum. En effet, des efforts ont

été faits pour que toutes les personnes ayant le droit de vote puissent le faire sans être soumises à une
influence ou une pression abusive. La décision a été approuvée à une majorité écrasante de 99,4 pour
cent des personnes ayant participé au référendum. La constitution n'exige pas la participation de la
totalité de l'électorat potentiel à un référendum. Il n'existe pas non plus de disposition qui exigerait un
niveau de participation supérieur aux 63,4 pour cent de l'électorat potentiel qui ont été obtenus.

3.19. Contrairement aux allégations de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (exceptions
préliminaires,B.1.1.14),le résultat du référenduma été officiellement promulgué le 6 mars 1992 parla
commission électorale de la République (annexe 3.20). La validité des résultats du référendum a été
confirmée par la Communauté européenne et ses Etats membres et par de nombreux autres Etats qui
ont reconnu la République de Bosnie-Herzégovine peude temps après la publication du résultat.

3.20. Le passage à l'indépendance complète a donc été conduit de manière totalement conforme
au droit interne.

De toute manière, là encore, le Gouvernement de laRépublique de Bosnie-Herzégovine a fourni
les renseignements qui précèdent à la Cour pour nepas laisser sans réponse un argument avancé par la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro). Elle maintient, néanmoins, que cet argument est entièrement
dénué de pertinence car il se fonde sur le droit interne or la Cour a pour mission «de se prononcer
conformément au droit international»; aucune règle de droit international n'exige qu'un nouvel Etat

accède à l'indépendance d'une manière conforme au droit national de l'Etat prédécesseur, ce qui ne
serait guère faisable dans la plupart des cas ! De plus, les arguments avancés à cet égard par le
défendeur sont très insolites. - 38 -

En se séparant de la République socialiste fédérative de Yougoslavie,
la République de Bosnie-Herzégovine n'a contrevenuà aucune
norme du droit international : certainement pas aux
règles applicables à l'autodétermination

3.21. Le défendeur a prétendu qu'en faisant sécession de la République socialiste fédérative de

Yougoslavie, la Bosnie-Herzégovine a contrevenu au principe de l'égalité des droits et de
l'autodétermination des peuples. Le défendeur s'efforce de justifier cette assertion audacieuse en
soutenant que le droit international n'étend pas le droit à disposer de soi-même à une «entité fédérale»
(exceptions préliminaires, B.1.2.1). Le défendeur soutient également que les Bosniaques ne
constituent pas «un peuple» pouvant prétendre à disposer de lui-même (ibid., B.1.2.4; voir aussi
B.1.2.17 qui affirme que le droit à l'autodétermination ne saurait aller à l'encontre du droit à l'intégrité
territoriale).

3.22. Il n'y a pas lieu de suivre le défendeur sur ce terrain et de s'étendre sur ses longs
développementsausujet du droit international de l'autodétermination. Que la Bosnie, au moment de sa
sécession, ait possédé ou non un droit à l'autodétermination est dénué de pertinence car : 1) elle est
maintenant un Etat souverain reconnu, et 2) même si, pour les besoins du raisonnement, l'on supposait
qu'elle ne possédait pas de droit à l'autodétermination au regard du droit international, ce dernier,

certainement, n'interdisait pas qu'elle parvienne au statut d'Etat indépendant à l'occasion de la
désintégration de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie.

3.23. En admettant comme membre de l'Organisationle nouvel Etat de Bosnie-Herzégovine, les
Nations Unies ont implicitement reconnu l'absence de tout obstacle juridique à son statut d'Etat
indépendant, de la même manière qu'elles avaient antérieurement accepté la réapparition de la Syrie à
la suite de la dissolution de l'ex-Etat fédéral de République arabe unie (voir R. Young, «The State of

Syria : Old or New ?» 56 American Journal of International Law, 482, 1962 [La Syrie : ancien ou
nouvel Etat ?]; annexe 3.21), et l'expulsion de Singapour de la Fédération de Malaisie (S/RES/213
du 20 septembre 1965, annexe 3.22). Plus récemment, les Nations Unies ont accueilli les
ex-Républiques soviétiques (voir Déclaration et décision d'Alma Ata du Conseil des Chefs d'Etats de
la Communauté d'Etats indépendants, 21 décembre 1991, Nations Unies document S/23329, (1991),
annexe 3.23), la République tchèque (résolution du Conseil de sécurité 801 (1993) et résolution de
l'Assemblée générale 47/221 (1993), annexes 3.24 et 3.25), la Slovaquie (résolution du Conseil de

sécurité 800 (1993), et résolution de l'Assemblée générale 47/222 (1993), annexes 3.26 et 3.27), et
l'Erythrée (résolution du Conseil de sécurité 828 (1993) et résolution de l'Assemblée générale 47/230
(1993), annexes 3.28 et 3.27). Les Nations Unies ont également admis d'autres Etats fédérés de
l'ex-Yougoslavie (voir par exemple l'admission de l'ex-République yougoslave de Macédoine,
résolution du Conseil de sécurité 917 (1993) et résolution de l'Assemblée générale 47/225 (1993),
annexe 3.30 et 3.29). Manifestement, le droit international n'interdit ni la succession multiple ni la
sécession en tant que moyens de parvenir à la qualité d'Etat indépendant à moins que celle-ci ne soit le

résultat d'une intervention extérieure. Par conséquent, les exceptions préliminaires de la République
fédérative de Yougoslavie (B.1.2.8-B.1.2.12) doivent être rejetées comme étant dénuées de pertinence
juridique.

3.24. En fait, le droit international soumet à très peu de restrictions le droit à l'indépendance.
Cependant, le principal exemple d'une restriction de ce genre est l'interdiction de la reconnaissance
d'une sécession résultant de l'intervention d'une partie extérieure. C'est ainsi que le Conseil de sécurité
a refusé de reconnaître la sécession de la République turque du nord de Chypre précisément pour éviter

de légitimer une sécession résultant d'une intervention extérieure (voir résolution du Conseil de
sécurité 716 du 11 octobre 1991, annexe 3.32). Cette restriction a assurément été violée dans
l'ex-République de Yougoslavie, non par la Bosnie-Herzégovine mais par la République serbe
autoproclamée de Bosnie. - 39 -

3.25. Par conséquent, la République serbe autoproclamée de Bosnie (République Srpska), créée
grâce à l'intervention du défendeur, s'est vu refuser toute reconnaissance par les Etats souverains et les
organisations internationales, précisément parce que sa création était le résultat d'une intervention
extérieure.

3.26.Ilestsignificatifde la vacuitédesexceptionspréliminaires du défendeur que celui-ci,après
avoir longuement allégué le droit de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) à l'«intégrité territoriale»
en essayant de démontrer l'illicéité de la proclamation d'indépendance de la Bosnie-Herzégovine
(exceptions préliminaires, B.1.2.19), ait le front de prétendre que «les autorités de Sarajevo, par leurs
actes, ont violé aussi le principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
àl'encontredesSerbesvivant dans le territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine»

(ibid.). En d'autres termes,alors que les Nations Unieset presque tous lesEtatssouverainsont reconnu
la souveraineté de la République de Bosnie-Herzégovine, le défendeur voudrait que la Cour conclue
que cette reconnaissance de souveraineté contrevient au droit international; et alors que les
Nations Unies et tous les Etats ont refusé de reconnaître la sécession et la souveraineté de la prétendue
République serbe de Bosnie, créée par un génocide et dont la naissance a été aidée et encouragée par la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro), le défendeur voudrait néanmoinsque la Cour reconnaisse le droit
des Serbes bosniaques à la sécession et l'autodétermination (voir id., par. B.1.2.33-34, 38-39). Il serait

inconcevable quelaCouraccueille l'une oul'autrede ces demandes en quelque circonstance que ce soit,
mais tout spécialement quand une partie prétend s'en servir pour fonder son incompétence dans la
présente espèce.

La violation alléguée du droit de la succession d'Etats

3.27. La troisième partie de la troisième exception préliminaire a été résumée comme suit par la

République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) :

«L'adhésion de l'Etat demandeur à la convention de1948 sur le génocide par une
notificationdesuccessionestcontraire au droit international.» (Exceptions préliminaires,
B.1.3.)

Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine démontrera que cette partie de la troisième exception

préliminaire est - de même que les deux premières, comme déjà démontré - complètement dépourvue
de valeur, et qu'en tant qu'Etat successeur de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, la
République de Bosnie-Herzégovine lui a succédé en qualité de partie à la convention sur le génocide.

3.28. Il convient de noter que l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie a signé la
convention sur le génocide le 6 février 1979 et l'a ratifiée le 28 avril 1980 (mémoire, 15 avril 1994,

4.2.1.36). Il y a également lieu de noter que la Bosnie-Herzégovine a remplacé l'ex-République
socialiste fédérative de Yougoslavie dans les relations internationales de son territoire, et qu'elle est
donc un Etat successeur (mémoire, 15 Avril 1994, 4.1.1.25-4.2.1.32). Ces points n'ayant pas été
contestéspar la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)dans sesexceptions préliminaires,il est inutiled'y
revenir.

3.29. En tant qu'Etat successeur, l'Etat demandeur prouvera qu'il possédait le droit de devenir

partie à la convention sur le génocide, contrairement aux affirmations de l'Etat défendeur, selon
lesquelles «l'adhésion de l'Etat demandeur à la convention de 1948 sur le génocide par une notification
de succession est contraire au droit international»(exceptions préliminaires, B.1.3). - 40 -

3.30. Il n'est pas contesté que la convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de
traités (doc. A/CONF/80/31, annexe 3.33) n'est pas entrée en vigueur et qu'elle n'est donc applicable
que dans la mesure où ses dispositions énoncent des règles coutumières de droit international, ou ont
été choisies par les parties pour constituer le droit à appliquer. L'article 34 de cette convention dispose
de ce qui suit :

«1. Lorsqu'une partie ou des parties du territoired'un Etat s'en séparent pour former un ou
plusieurs Etats, que l'Etat prédécesseur continue ou non d'exister :

a)tout traité en vigueur à la date de la succession d'Etats à l'égard de l'ensemble du territoire de
l'Etat prédécesseur reste en vigueur à l'égard de chaque Etat successeur ainsi formé;

b)tout traité en vigueur à la date de succession d'Etats à l'égard uniquement de la partie du

territoire de l'Etat prédécesseur qui est devenue un Etat successeur reste en vigueur
à l'égard de cet Etat successeur seul.

Le paragraphe 1 ne s'applique pas :

a)si les Etats intéressés en conviennent autrement; ou

b)s'il ressort du traité ou s'il est par ailleurs établi que l'application du traité à l'égard de l'Etat
successeur serait incompatible avec l'objet et le but du traité ou changerait
radicalement les conditions d'exécution du traité.»

Cet article énonce très clairement la règle établiepar la convention sur la succession d'Etats en matière
de traités : c'est la règle de succession automatique aux traités, en cas de dissolution comme en cas de
séparation.

3.31. Si l'on comprend bien les assertions confuses de l'Etat défendeur, cette partie de la
troisième exception préliminaire a principalement pour but d'essayer de nier la valeur coutumière de
l'article 34 susmentionné de la convention sur la succession d'Etats en matière de traités qui énonce la
règle de succession automatique. Pour ce faire - et cette tentative est entièrement vaine selon l'Etat
demandeur -la République fédérative de Yougoslavie(Serbie et Monténégro) se réfèreauxdiscussions
de la Commission du droit international lors de la rédaction de la convention sur la succession d'Etats

en matière de traités (exceptions préliminaires, B.1.1.4), à un long commentaire d'une citation du traité
d'Oppenheim (exceptions préliminaires, B.1.4.2), de même qu'à la pratique récente des Etats
(exceptions préliminaires, 15 juin 1995, B.1.4.4-B.1.4.7). Toutes ces références, selon la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro), viendraient étayer le point de vue selon lequel la norme internationale dans le
cas de la succession d'Etats est le principe de la «table rase». Selon la République de
Bosnie-Herzégovine, toutes les références susmentionnées sont soit entièrement dénuées de pertinence
et fondées sur une information inexacte, soit présentées de manière totalement erronée.

3.32. Bien que la République de Bosnie-Herzégovine ne soit pas d'accord avec l'analyse qu'a
faite le défendeur de la règle en vigueur en matière de succession aux traités - laquelle, selon la
Bosnie-Herzégovine, est la règle de continuité automatique -une longue discussion sur ce sujet ne sera
pas nécessaire. Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine démontrera qu'il avait le droit, en qualité
d'Etat successeur de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, de devenir partie à la
convention sur le génocide, quelle que soit la norme internationale applicable. Ce résultat est obtenu
si la norme applicable est celle de la continuité automatique, dont la Bosnie-Herzégovine affirme

qu'elle est la règle du droit international en vigueur qui est applicable dans la présente espèce. Envertu
de cette règle, la République de Bosnie-Herzégovine avait naturellement le droit de devenir partie à la
convention sur le génocide. Cependant,même si leprincipe applicable était celui de la «table rase»qui,
selon la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) seraitla règle de droit international applicable, le résultat
serait le même. En d'autres termes, en vertu de ce principe, la Bosnie-Herzégovine avait également le - 41 -

droit de devenir partie à la convention sur le génocide. Il est clair que même avec la règle de la «table
rase», aucun Etat ne peut empêcher un Etat successeur qui le souhaite de devenir partie à un traité
multilatéral comme la convention sur le génocide auquel était partie l'Etat prédécesseur.

3.33.La République de Bosnie-Herzégovine pourraittrès bien fonder sa réponse sur l'examen de

cesdeux hypothèsesconcurrentes. Elle franchira néanmoins un pas supplémentaire et démontrera que,
selon elle, la continuité automatique est manifestement, de toute manière, la règle qui prévaut en droit
international pour la succession à des conventions multilatérales relatives aux droits de l'homme,
comme la convention sur le génocide.

La Bosnie-Herzégovine est devenue partie à la convention sur le génocide,

par application de la règle de succession automatique aux conventions
multilatérales relatives aux droits de l'homme

3.34. La Bosnie-Herzégovine soutient qu'elle a succédé automatiquement à la République
socialistefédérative de Yougoslavieenqualitédepartie àlaconventionsur le génocide,parapplication
de la règle internationale de succession automatique aux conventions multilatérales relatives aux droits
de l'homme. A cet effet, la République de Bosnie-Herzégovine démontrera que :

i)la règle coutumière de continuité automatique s'applique à une convention multilatérale telle que la
convention sur le génocide;

ii)il n'existe aucune circonstance particulière justifiant que soit écartée la règle de continuité
automatique dans la présente espèce;

iii)la règle de succession automatique, même si elle n'était pas coutumière -quod non - s'applique dans

la présente espèce, par voie d'accord.

i)La règle coutumière de continuité automatique s'applique à une convention multilatérale telle que la
convention sur le génocide

3.35. L'Etat demandeur soutient que la succession aux conventions multilatérales sur les droits

de l'homme est automatique, à moins d'une affirmation expresse du contraire. Même s'il n'était pas
admis que la successionipso jure aux traités en général est une règle coutumière dedroit international,
ce principe s'appliquerait manifestement aux conventions multilatérales relatives aux droits de
l'homme et aux questions humanitaires. Ce point adéjà été mentionné dans le mémoire, qui indiquait :

«La continuité automatique est particulièrement bien établie en ce qui concerne les conventions
à caractère humanitaire.» (Mémoire, 4.2.1.42.)

Cette thèse est largement corroborée par la doctrine et peut être facilement démontrée par la pratique
des Etats et des organisations internationales ainsi que par l'historique de la rédaction des conventions
sur la succession d'Etats.

3.36. S'agissant des traités multilatéraux du typede la convention sur le génocide, il est superflu
desoulignerl'importance que présente pourl'ensemble de la communauté internationale leur continuité

en cas de succession d'Etats. Les auteurs ont fréquemment souligné que la règle de continuité
automatique est encore plus importante pour les traités de caractère universel que pour les traités en
général. - 42 -

3.37. Même un partisan de la règle de la «table rase» comme M. Ian Brownlie admet que cette
règle ne peut pas s'appliquer à certains types de traités de caractère universel, quand il écrit :

«Il est souvent fait état de certaines exceptions importantes à la règle générale de

non-transmissibilité (la doctrine de la «table rase»). Nous allons maintenant lesexaminer.

I)Traités énonçant des règles de droit international général...

II)«Régimes objectifs» et traités de caractère local en général...

III)Traités concernant des frontières...

IV)Certaines autres catégories

La majorité des auteurs considèrent qu'il n'existe aucune autre exception. Cependant,
plusieurs autorités estiment que cette transmission s'applique dans le cas de traités
multilatéraux généraux ou normatifs.» (Principles of public international Law, Oxford,
e
Clarendon Press, 1990, 4 éd., annexe 3.34, p. 670; les italiques sont de nous; voir
également Charles De Visscher, Theory and Reality in Public International Law,
P. E. Corbett, trans. rev. éd. 1968, annexe 3.35, p. 179; Mohammed Bedjaoui,
«Problèmes récents de succession d'Etats dans les Etats nouveaux», RCADI (1970-II),
p. 130, annexe 3.36, p. 526; les italiques sont de nous.)

La convention sur le génocide est par excellence l'une de ces conventions.

3.38. En outre, la doctrine témoigne amplement durespect de la règle de continuité automatique
dans le cas des conventions multilatérales relatives aux droits de l'homme. Dans sa monographie bien
connue, Accession à l'indépendance et succession d'Etats aux traités internationaux, M. Marcoff a
traité de l'application de ce principe de continuité automatique à toutes les conventions humanitaires.
Il a cité comme exemple la continuité automatique des conventions de la Croix-Rouge de 1949

(Fribourg, 1969, annexe 3.37, p. 303 et suiv.). Dans le même esprit, M. Detlev Vagt, à propos des
traités de codification, définis comme allant «des conventions de Vienne sur les relations
diplomatiques et consulaires, à la convention sur le génocide et au pacte international relatif aux droits
civils et politiques», a écrit : «il n'est guère convaincant pour un Etat de prétendre se dégager d'une
obligation de ce genre en invoquant un problème de succession d'Etats» («State Succession: The
Codifier's View», Virginia Journal of International Law, 1993, annexe 3.38, p. 290; voir également

pour la position de la Youooslavie (Serbie et Monténégro), Obradovic, Petunarodni Problemi
(International Affairs), n 1-2, juillet 1992, annexe 3.39).

3.39. En outre, la pratique des Etats confirme abondamment que la norme internationale
applicable aux traités multilatéraux de caractère universel, comme la convention sur le génocide, est la
règle de succession automatique.

3.40. D'ailleurs, au début du siècle, nous trouvons des exemples qui montrent la spécificité des
traités relatifs aux droits de l'homme. Comme l'indique le commentaire de la Commission du droit
international relatif aux traités multilatéraux :

«il semble que l'Etat libre d'Irlande ait, en général, établi sa qualité de partie par adhésion et non
par succession, encore que, dans le cas de la convention de Genève de 1906 sur la

Croix-Rouge, l'Etat libre d'Irlande semble bien avoir reconnu sa qualité de partie sur la
base de la ratification de la convention par le Royaume-Uni le 16 avril 1907» (conférence
des Nations Unies sur la succession d'Etats en matière de traités, A/CONF.80/13, vol. III,
annexe 3.40, par. 16). - 43 -

Cet exemple montre parfaitement que, même lorsqu'elle n'est pas généralement suivie par un Etat
particulier, la règle de succession automatique s'applique aux conventions multilatérales relatives aux

droits de l'homme.

3.41. La pratique des Etats à l'époque de la décolonisation se présente de la même manière. Lors
de la rédaction de la convention sur la succession d'Etats en matière de traités, qui énonçait le principe
de la «table rase» pour les Etats nouvellement indépendants, plusieurs représentants ont fait remarquer

que ces Etats nouvellement indépendants avaient, dans tous les cas, usé de leur droit de succession aux
traités de caractère universel. Par exemple, le délégué des Pays-Bas a déclaré qu'«à la connaissancede
la délégation néerlandaise,aucun Etat nouvellementindépendant n'a par la suite cessé d'être partie àun
traitémultilatéralouvert àlaparticipationuniverselle»(conférence des Nations Unies sur la succession
d'Etats en matière de traités, A/CONF.80/16, vol. I, 23 séance, 22 avril 1977, annexe 3.41, p. 153,
par. 56; voir aussi la déclaration du délégué suédois, ibid., 25 avril 1977, annexe 3.42, p. 168, par. 2).

De même, Mme Bokor-Szego (Hongrie) a déclaré appuyer pleinement le principe de la «table rase»,
mais a ajouté qu'«il se dégage de l'examen pratique des Etats une règle coutumière en faveur du
maintien en vigueur destraités de caractère universel»(conférence des Nations Unies sur la succession
d'Etats en matières de traités, A/CONF.80/16, vol. I, 24 séance, 22 avril 1977, annexe 3.43, p. 158,
par. 55; les italiques sont de nous). Dans le cas de l'Algérie, si celle-ci a généralement préféré utiliser
la voie de l'accession aux traitésmultilatéraux auxquels la France était partie, elle est toutefois devenue

partie par voie de succession aux traités de caractère humanitaire ou d'intérêt général (Marcoff,
Accession à l'indépendance et succession d'Etats aux traités internationaux, Fribourg, 1969,
annexe 3.44, p. 163). De même, la Suisse, dans sapratique en tant que dépositaire des conventions de
Genève, s'est montrée favorable à la succession automatique aux traitésmultilatéraux, spécialement les
traités humanitaires. Elle a considéré que tous les nouveaux Etats étaient liés par ces conventions dès
leur accession à la vie internationale, sauf déclaration contraire de leur part (Courtier, «Accession des

nouveaux Etats africains aux conventions de Genève», AFDI, 1961, annexe 3.45, p. 760-761).

3.42. Pour tenir compte de cette pratique générale des Etats, la délégation soviétique a proposé
un amendement au principe de la «table rase» - incorporé dans la convention sur la succession d'Etats
en matière de traités pour ce qui concerne les Etats nouvellement indépendants - pour les traités de

caractère universel qu'elle définissait de la manière suivante :

«Les traités de caractère universel sont le résultat de la coopération internationale et
[qu']ilsénoncent desprincipesgénéralement admiset des normes concernant les relations
internationales contemporaines. L'objet de ces traités est de renforcer l'ordre juridique
dans les relations internationales dans des domaines aussi importants que le maintien de
la paix et de la sécurité internationales, le développement de la coopération économique,

la lutte contre le génocide...» (Conférence deseNations Unies sur la succession d'Etats en
matière de traités, A/CONF.80/16, vol. I, 24 séance, 22 avril 1977, annexe 3.46, p. 154,
par. 2; les italiques sont de nous.)

La convention sur le génocide était expressément mentionnée dans cette définition. De fait, il ressort
des débats que tous les délégués étaient d'accord sur l'idée de succession automatique aux traités de

caractère universel comme la convention sur le génocide. Si cet amendement n'a pas été adopté c'est
simplement parce qu'il a été impossible de s'entendre sur la définition des traités de caractère universel
(certains délégués, par exemple, ont soulevé la question de savoir si le traité sur la non-prolifération
nucléaire entrait dans cette catégorie).

3.43. Par contre, le caractère universel de la convention sur le génocide ne saurait être contesté.
La Cour l'a souligné quand elle a dit : - 44 -

«les traits particuliers que présente la convention sur le génocide ... [sont] le caractère universel
à la fois de la condamnation du génocide et de la coopération nécessaire «pour libérer
l'humanité d'un fléau aussi odieux» (préambule de la convention). La convention sur le
génocide a donc été voulue ... par l'Assemblée générale ... comme une convention de
portée nettement universelle.» (C.I.J. Recueil 1951; annexe 3.47, p. 23.)

3.44. La pratique actuelle concernant les conventions multilatérales relatives aux droits de
l'homme est également en complet accord avec la règle de succession automatique. La Suisse, qui est
dépositaire d'un grand nombre de ces importantes conventions de caractère universel relatives aux
droits de l'homme et aux questions humanitaires, considère quand elle agit en cette capacité, que la
succession automatique est possible par une notification unilatérale de succession et que celle-ci suffit
pour que le nouvel Etat devienne partie au traité. Cela signifie qu'aucune consultation des autres

parties n'est nécessaire, et qu'aucune objection d'une autre partie n'est possible. Cette pratique répond
aux intérêts de l'ensemble de la communauté internationale, qui exigent que ces traités de caractère
universel, spécialement les traités relatifs à la protection des droits de l'homme, aient un champ
d'application aussi étendu que possible (CAHDI (93), 14, annexe 3.48). Cela signifie, en particulier,
qu'une objection comme celle que soulève l'Etat défendeur à l'encontre de la notification de succession
de la Bosnie-Herzégovine serait considérée par la Suisse comme dénuée de tout effet juridique.

3.45. La succession d'Etats est à l'ordre du jour des débats du CAHDI : - comité des conseillers
juridiques sur le droit international public du Conseil de l'Europe. Les représentants des différents
Etats participants ont exposé les positions respectives de leurs pays à propos des règles en vigueur en
matière de succession d'Etats. Lors de réunions récentes, et tout dernièrement en mars 1995, le
président du comité a résumé les débats des experts, lesquels peuvent être considérés comme
exprimant l'opinio juris des membres du Conseil de l'Europe, en disant qu'il devrait exister au moins
une présomption de continuité automatique pour les traités multilatéraux, spécialement quand ceux-ci

portent sur les droits de l'homme (CAHDI (95) 5, annexe 3.49).

3.46. Cette pratique est particulièrement manifeste et bien établie dans les différents organes et
organisations s'occupant des droits de l'homme. Le Secrétaire général des Nations Unies a réaffirmé,
dans un récent document (doc. E/CN.4/1995/80, 28 novembre 1994, annexe 3.50), la position adoptée
par les présidents des organes créés en vertu d'instruments relatifs aux droits de l'homme à leur

cinquième réunion tenue du 19 au 23 septembre 1994:

«Ils ont invité instamment tous les Etats successeurs à présenter une notification formelle
de succession aux traités relatifs aux droits de l'homme. Mais, simultanément, ils ont
souligné qu'une telle notification n'était pas un préalable juridique pour qu'ils soient liés
par ces traités :

«Les présidents ont fait observer toutefois qu'à leur avis les Etats successeurs
étaient automatiquement liés par les obligations découlant des instruments
internationaux relatifs aux droits de l'homme à compter de leur date
respective d'indépendance et que le respect de ces obligations ne devait pas
dépendre d'une déclaration de confirmation faite par le gouvernement de
l'Etat successeur.» (P. 4; les italiques sont de nous.)

3.47. Un de ces organes créé en vertu d'instruments relatifs aux droits de l'homme, la
commission des droits de l'homme, a adopté plusieurs résolutions, dans lesquelles était soulignée «la
nature particulière des traités qui visent à assurer la protection et la promotion des droits de l'homme et
des libertés fondamentales». La plus récente de ces résolutions, adoptée le 24 février 1995
(E/CN.4/1995/18, annexe 3.51) mérite d'être citée : - 45 -

«Soulignant une fois encore que, dans tout Etat, le respect des principes et normes
universelles en matière de droits de l'homme est tout spécialement important pour le
maintien de la stabilité et de la primauté du droit...

Prenant note avec satisfactiondes progrès réalisés dans ce domaine avec la confirmation

par certains Etats successeurs de leurs obligations en vertu des traités internationaux
relatifs aux droits de l'homme;

Demande à nouveau aux Etats successeurs qui ne l'ont pas encore fait de confirmer (les
italiques sont de nous) aux dépositaires intéressés qu'ils demeurent (les italiques sont de
nous) liés par les obligations contractées au titre des traités internationaux pertinents
relatifs aux droits de l'homme.»

Le langage employé, spécialement les mots «confirmation» et «confirmer» montre amplement que les
Etats sont tenus de lege lata de succéder automatiquement à l'Etat prédécesseur pour les traités relatifs
aux droits de l'homme.

3.48. Un autre de ces organes créés en vertu d'instruments relatifs aux droits de l'homme, le

Comité des droits de l'homme, a adopté une position analogue. Il insiste lui aussi sur l'existence de la
règle de succession automatique pour les conventions multilatérales relatives aux droits de l'homme.
Indigné par les événements horribles qui se déroulent en Bosnie-Herzégovine, le Comité des droits de
l'homme a demandé, le 7 octobre 1992, aux Gouvernements de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et
de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de présenter un rapport sur les personnes qui se trouvaient
maintenant placées sous leurs juridictions respectives; il a insisté sur la nécessité d'une succession
automatique au pacterelatifauxdroitscivilsetpolitiquesqui,comme la convention sur le génocide,est
une convention multilatérale relative aux droits del'homme :

«Le Comité a estimé que tous les peuples de l'ancienne Yougoslavie avaient droit aux
garanties prévues par le Pacte et il a donc agi en vertu des dispositions de l'article 40 du
Pacte.» (CCPR/C/SR.1200, 9 novembre 1992; annexe 3.52, p. 2, par. 1.) - 46 -

3.49. Conformément à cette demande, le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine a présenté un
rapport au comité à sa quarante-sixième session le 9 novembre 1992. M. Filipovic, représentant de la
Bosnie-Herzégovine, a exposé la situation dans les territoires contrôlés par son gouvernement, ainsi
que la situation dans les parties du pays contrôlées par l'agresseur serbe, qu'il a décrite dans les termes

suivants :

«L'un des crimesles plus terribles de l'histoiremoderne est en train de se commettre sur le
territoire de la Bosnie-Herzégovine... Des événements inimaginables ont lieu dans ce
pays : arrestations et exécutions massives, déportations de centaines de milliers de
personnes, internement dans des camps de concentration et des centres de détention.»
(CCPR/C/SR.1200, 9 novembre 1992; annexe 3.52, p. 2, par. 4.)

3.50. Après la présentation de son rapport, la présidente du Comité des droits de l'homme,
Mme Rosalyn Higgins, a appelé l'attention sur le fait que la présence de la délégation bosniaque était
en elle-même la preuve, indépendamment de toute notification officielle de succession, que la
Bosnie-Herzégovine était automatiquement liée par le pacte à partir de la date de son indépendance

(erPR/C/SR.1200, 9 novembre 1992; annexe 3.52, p. 5, par. 14). En fait, c'est seulement plus tard, le
1 septembre 1993, que la Bosnie-Herzégovine a officiellement confirmé le fait évident qu'elle était
liée par le pacte à partir de la date de son indépendance, à savoir le 6 mars 1992 (voir oations Unies,
Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-neuvième session, supplément n 40 (A/49/40),
vol. I, rapport du Comité des droits de l'homme, p.11-12, par. 48; annexe 3.53). Le Comité a adoptéla
même position en ce qui concerne la succession automatique au pacte relatif aux droits civils et
politiques à partir de la date de l'accession à l'indépendance de tous les Etats successeurs issus de

l'ex-Yougoslavie ou de l'ex-Tchécoslovaquie.

ii)Il n'existe aucune circonstance spécifique justifiant que soit écartée l'application de la règle de
succession automatique de la Bosnie-Herzégovine à la convention sur le génocide

3.51. L'Etat défendeur invoque deux raisons différentes pour lesquelles la règle de succession

automatique, même si l'on admet son existence, ne devrait cependant pas s'appliquer dans la présente
espèce : la première raison serait le libellé de la notification de succession du 29 décembre 1992; la
deuxième raison est que la création de la Bosnie-Herzégovine aurait contrevenu au droit international.
Ces deux arguments n'ont ni l'un ni l'autre aucune valeur et ils sont à écarter sans autre forme de
procès.

3.52. Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine soutient que la notification de succession de
décembre 1992 est conforme à la règle de succession automatique. Le texte de la notification de
succession faite par l'Etat demandeur est le suivant :

«Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine, ayant examiné la
conventionpourlapréventionetlarépression du crime de génocide, du 9 décembre 1948,

à laquelle l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie était partie, souhaite être
le successeur de cette dernière et s'engage à respecter et exécuter scrupuleusement toutes
les clauses figurant dans ladite convention, avec effet à compter du 6 mars 1992, date à
laquelle la République de Bosnie-Herzégovine est devenue indépendante.»

L'Etat défendeur essaie d'interpréter la notification de succession faite par la Bosnie-Herzégovine
comme écartant le principe de la continuité automatique des traités, qu'elle visait précisément à faire

appliquer. C'est là une argumentation extrêmement abrupte et gratuite, qui dénote une
incompréhension totale des concepts fondamentaux du droit international, ou relève d'une
interprétation de mauvaise foi. - 47 -

3.53. Il est évident qu'une la succession automatique n'est pas synonyme d'une succession
universelle :ellene signifie pasnécessairement une succession à tousles traités sansexception conclus
par l'Etat prédécesseur, mais :

-qu'en règle générale, la succession automatique aux traités, c'est-à-dire une succession qui intervient
ipso jure, sans qu'aucun acte du nouvel Etat ne soit nécessaire;

-et que par exception à cette règle générale, la succession automatique ne joue pas dans certains cas
déterminés.

3.54. Il existe quatre situations, aux termes de l'article 34 de la convention sur la succession
d'Etats en matière de traités, auxquels la règle générale de continuité automatique ne s'applique pas.

3.55. La première exception se présente lorsque l'Etat concerné déclare expressément que ladite
règle ne doit pas s'appliquer.

Cette exception ne concerne pas la présente espèce, car la Bosnie-Herzégovine entend que le
principe de continuité s'applique, et rejette absolument la prétention d'écarter ce principe, en ce qui

concerne la convention sur le génocide comme d'ailleurs tous les autres traités multilatéraux.

3.56. La deuxième exception à la règle de continuité automatique concerne le cas où le traité
initial était seulement en vigueur à l'égard d'une partie du territoire, le principe de continuité devant
alors être naturellement écarté pour toutes les autres parties de ce territoire.

Rien ne permet d'affirmer que la convention sur legénocide n'était pas applicable à la totalité du

territoire dece qui était anciennement la République socialiste fédérative de Yougoslavie, de telle sorte
que cette exception est inapplicable dans la présente espèce.

3.57. La troisième exception au principe de continuité automatique est le cas où la continuité du
traité serait incompatible avec l'objet et le but du traité.

Teln'estpaslecasdelaconventionsurlegénocide. Ilestparfaitement évident,au contraire, que
c'estlanon-continuité qui seraitincompatible avec l'objet et le but du traité. Ce fait a été indirectement,
mais très clairement, reconnu par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) elle-même, quand elle a
prétendu objecter dans les termes suivants à la notification de succession faite par la République de
Bosnie-Herzégovine :

«Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie déclare par la présente ne

pas considérer la prétendue République de Bosnie-Herzégovine comme étant partie à la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, tout en considérant
cependant que la prétendue République de Bosnie-Herzégovine est tenue de respecter les
règlesapplicables à la prévention et à la répression du crime de génocide en vertu du droit
international général, indépendamment de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide.» (Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire
général, état au 31 décembre 1994, p. 96, note 3; annexe 3.54.)

Il va de soi que le maintien en vigueur de la convention sur le génocide ne pourrait en aucune manière
être considéré comme contrevenant à l'objet et au but de cette convention. - 48 -

3.58. La quatrième exception au principe de continuité automatique et le cas où l'application du
traité par l'Etat successeur changerait radicalement les conditions d'exécution du traité.

Le même raisonnement vaut également ici. Il est donc impossible d'écarter l'application du
principe de continuité automatique à la convention sur le génocide en arguant d'un changement de
circonstances.

3.59. Aucune des exceptions indiquées ne pouvant être retenue, le principe général de continuité
automatique des conventions multilatérales relatives aux droits de l'homme est applicable dans la
présente espèce. Il n'existe aucune autre exception en droit international. La conclusion qui s'impose
est que l'Etat demandeur a automatiquement succédé à la convention sur le génocide.

3.60. Pour échapper à cette conséquence inéluctable, l'Etat défendeur essaie, en dernier recours,
d'utiliser la notification de succession pour prouver qu'il n'y a pas eu succession automatique. Cette
argumentation improvisée ne saurait être retenue. Nous avons déjà souligné qu'une succession
automatique signifie une succession qui intervient ipso facto, sans que soit nécessaire un acte officiel
de l'Etat successeur. Comme nous l'avons fait valoir précédemment dans le mémoire (4.2.1.45), la
notification de succession n'était pas requise, et son analyse est donc d'importance secondaire : elle ne

faisait que confirmer la situation qui prévalait en droit international, le jour où la Bosnie-Herzégovine
est devenue indépendante. Il est exact qu'en raison de la sécurité qui doit régner dans les relations
internationales, la pratique des Etats a été de plus en plus souvent de faire une notification officielle de
succession, ne serait-ce que pour déclarer que n'est applicable aucune des exceptions qui permettaient
d'écarter le principe de continuité. Bien entendu,une notification comme celle qu'a faite la République
de Bosnie-Herzégovine, dont le but est de renforcer la continuité, en faisant expressément savoir urbi
et orbique l'Etat successeur est lié par les obligationsconventionnelles de son prédécesseur, ne peut en
aucune manière être interprétée comme contraire au principe de continuité, conséquence qui

découlerait de la thèse de l'Etat défendeur. La note de décembre 1992, si elle est bien comprise et
interprétée, constitue la déclaration du fait que la Bosnie-Herzégovine a succédé à la République
socialiste fédérative de Yougoslavie en qualité de partie à la convention sur le génocide, comme déjà
souligné dans le mémoire (voir 4.2.1.34).

3.61. De plus, la République de Bosnie-Herzégovine affirme à nouveau que sa création a été

conforme aux principes généraux du droit international, et que les normes générales régissant la
succession d'Etats lui sont applicables. Le caractère non illicite de la création de la
Bosnie-Herzégovine a été amplement analysé dans lespages qui précèdent et il est inutile de répéter ce
qui va de soi : cette création résulte de la dissolution d'un Etat, et ce pays a été internationalement
reconnu et admis aux Nations Unies. C'est la preuve absolument indiscutable que les événements qui
ont présidé à la naissance de l'Etat demandeur ont été conduits d'une manière conforme au droit
international, et en particulier aux principes du droit international énoncés par la Charte des Nations

Unies, comme le prescrit l'article 6 de la convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de
traités. Il s'ensuit nécessairement que le principe coutumier de succession automatique s'applique aux
traités multilatéraux auxquels l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie était partie.

3.62. En conséquence, l'Etat demandeur invite respectueusement la Cour à appliquer dans la
présente espèce la règle consacrée et fondamentale de succession automatique selon laquelle la
Bosnie-Herzégovine a succédé automatiquement à la convention sur le génocide, sans pouvoir en

aucune manière en être empêchée par une obstructionde la part de l'Etat défendeur.

iii)La règle de continuité automatique, même si elle n'est pas coutumière - quod non - est applicable
par voie d'accord - 49 -

3.63. Ainsi que l'a déclaré la commission Badinter dans ses avis n 1 et n 9, les différents Etats
créés à la suite de la dissolution de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie sont

expressément convenus d'appliquer le principe de continuité automatique. Nous citerons ici un extrait
du deuxième de ces avis :

«le phénomène de la succession d'Etats est régi par des principes de droit international dont
s'inspirent les conventions de Vienne du 28 août 1978 et du 8 avril 1983, que toutes les
républiques ont accepté de retenir comme base de leurs discussions [relatives à la

succession d'Etats dans le cadre de la conférence pour la paix en Yougoslavie]» (Paris,
4 juillet 1993, 31 ILM, 1992, vol. XXXI, (reproduit dans RGDIP, 1993, p. 584) p. 1524,
annexe 3.55).

Même si le principe de la «table rase» avait été applicable, l'Etat demandeur était

habilité à devenir partie à la convention de 1948 sur le génocide
par la voie d'une notification de succession

3.64. Comme déjà indiqué, l'Etat défendeur insiste, dans cette affaire particulière, sur
l'application du principe de la «table rase». Telle n'était pas la position traditionnelle de
l'ex-Yougoslavie, car son représentant à la conférence de codification de la convention sur la

succession d'Etats en matière de traités a adopté une position favorable au principe de continuité
automatique. En particulier, l'article 34 (qui était alors l'article 33) a reçu l'accord de la Yougoslavie :

«M. Sahovic (Yougoslavie) indique que sa délégation juge acceptable l'article 33... C'est
avec raison que la Commission du droit international a prévu, au paragraphe 3 de l'article
à l'examen, l'application exceptionnelle de la règle de la «table rase».» (Conférence des

Naeions Unies sur la succession d'Etats en matière de traités, A/CONF. 80/16, vol. II,
48 séance, 8 août 1978, p. 110, par. 15, annexe 3.56; les italiques sont de nous.)

3.65. Même si l'on admet, pour les besoins du raisonnement, la discussion, la nouvelle position
de l'Etat défendeur en faveur de la règle de la «table rase», l'Etat demandeur aurait le droit,

conformément à l'interprétation quasi unanime qui est faite de cette règle, de devenir partie à la
convention sur le génocide par voie de notificationde succession.

3.66. Cependant, avant d'en présenter la démonstration et tout en soutenant que ces questions ne
sont pas d'une importance cruciale, le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine se sent tenu de relever
touteslesimprécisions,erreursetassertionsinexactesfaitesparla Yougoslavie (Serbie et Monténégro),

dans son vain effort pour prouver que la règle de la «table rase» constitue le principe général qui doit
être appliqué dans tous les cas de succession d'Etats.

3.67. Premièrement, l'interprétation générale donnée de la pratique récente qui serait
prétendument en faveur de la règle de la «table rase» est, semble-t-il, une interprétation extrêmement

isolée. En général, les auteurs adoptent l'analyse de M. Oscar Schachter qui, après avoir étudié la
pratique récente, l'a résumée tout autrement que le fait l'Etat défendeur. Il a considéré que
«l'expérience en ce qui concerne les cas de l'ex-Union soviétique et de l'ex-Yougoslavie va jusqu'ici
dansle sens d'une présomption générale de continuité»(«State Succession: The Once and Future Law»,
Virginia Journal of International Law, 1993, annexe 3.57, p. 257).

3.68. Deuxièmement, même si les faits invoqués par le défendeur sont dénués de pertinence,
l'Etat demandeur se sent tenu de signaler dans les exceptions préliminaires toutes les inexactitudes - 50 -

commises et l'utilisation copieuse d'informations périmées, qui témoignent d'un manque de respect
pour la procédure engagée devant la Cour mondiale.

3.69. Par exemple, au contraire de ce que déclarele défendeur, les Etats qui ont été créés dans le
territoire de l'ancienne Tchécoslovaquie ainsi que dans l'ancienne République socialiste fédérative de

Yougoslavie sont devenus parties aux traités multilatéraux de l'Etat prédécesseur par voie de
succession. Il est entièrement erroné d'affirmer que la République tchèque et la République slovaque
sont devenues parties aux traités de l'Etat prédécesseur par voie d'accession. Cela pourrait bien
expliquer pourquoi l'Etat défendeur ne cite aucun exemple à l'appui de son assertion gratuite selon
laquelle la République tchèque et la République slovaque sont devenues parties principalement par
accession aux traités multilatéraux dont le Secrétaire général n'est pas dépositaire (exceptions
préliminaires, B.1.4.5). Au contraire, la proclamation du Conseil national tchèque à tous les

parlements et nations du monde affirme clairement le principe de succession à tous les traités :
er
«A compter du 1 janvier 1993, la République tchèque reconnaît, conformément aux
principes du droit international et dans ce cadre, les dispositions de tous les traités et
accords multilatéraux et bilatéraux auxquels la République fédérale tchèque et slovaque
était partie à cette date et les obligations qui en découlent.» (Lettre en date du 31
décembre 1992 du représentant permanent de la Tchécoslovaquie auprès des

Nations Unies, Nations Unies, document A/47/848, 31décembre 1992, annexe 3.58.)

Il en est de même de la proclamation du conseil national de la République slovaque aux parlements et
peuples du monde :

«La République slovaque assume, jusqu'au 31 décembre 1992, toutes les obligations
contractées par la République fédérale tchèque et slovaque.» (Annexe 3.59.)

3.70. Il en est de même en ce qui concerne la République socialiste fédérative de Yougoslavie.
Il serait totalement erroné d'affirmer que les nouveaux Etats qui ont été créés dans le territoire de
l'ancienne République socialiste fédérative de Yougoslavie sont devenus parties aux traités de l'Etat
prédécesseur par voied'accession. Là encore,cepeut être la raisonpourlaquelle le défendeur ne donne
aucun exemple d'un de ces Etats qui serait devenu partie par voie d'accession à des traités multilatéraux
déposés auprès du Secrétaire général.

3.71. Il serait fastidieux et inutile d'énumérer les conventions, accords et traités auxquels (par
exemple) la Bosnie-Herzégovine, la Slovaquie, la Croatie, l'ancienne République de Macédoine sont
devenues parties par voie de notification de succession (traités multilatéraux déposés auprès du
Secrétaire général, état au 31 décembre 1994 (annexe 3.60); voir aussi pour les conventions relatives
aux droits de l'homme exclusivement, état des pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme,

Succession d'Etats en matière de traités internationaux relatifs aux droits de l'homme,
28 novembre 1994, E/CN.4/1995/80, annexe 3.61).

3.72. De même, il convient de faire remarquer que l'assertion selon laquelle «L'ex-République
yougoslave de Macédoine n'a pas adhéré à la convention de 1948 pour la prévention et la répression du
crime de génocide» (exceptions préliminaires, B.1.4.6) est parfaitement fausse, car cet Etat a fait une
notification de succession le 18 janvier 1994, c'est-à-dire avant le dépôt des exceptions préliminaires.

3.73. De plus, outre son absence de pertinence, la longue liste de traités (principalement de
caractère commercial) citée par le défendeur, pour lesquels la Bosnie-Herzégovine n'aurait pas fait de
notification desuccession,est entièrementfausseet périmée,car la République de Bosnie-Herzégovine - 51 -

a en réalité envoyé une notification de succession pour presque tous les traités énumérés par le
défendeur. Par exemple, la République de Bosnie-Herzégovine a envoyé une notification de
succession pour :

-le protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques
concernant l'acquisition de la nationalité, le 12 janvier 1994;

-la convention douanière relative aux conteneurs, le 12 janvier 1994;

-la convention douanière relative à l'importation temporaire des véhicules routiers, le 12 janvier 1994;

-la convention européenne relative au régime douanier des palettes utilisées dans les transports
internationaux, le 12 janvier 1994;

-la convention sur la signalisation routière, le 12 janvier 1994;

-l'accord européen relatif au travail des équipages des véhicules effectuant des transports
internationaux par route (AETR), le 12 janvier 1994;

-l'accord relatif au transport international des denrées périssables et à l'utilisation d'engins spéciaux

pour leur transport (ATP) le 12 janvier 1994;

-l'accordvisantà faciliterla circulation internationale dumatériel visuel et auditif de caractèreéducatif,
scientifique et culturel, le 12 janvier 1994;

-etc. (traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au 31 décembre 1994,
annexe 3.62).

Tous ces renseignements étaient aisément disponibles quand le défendeur a préparé les exceptions
préliminaires et, assez curieusement, il ne semblepas avoir été au courant.

3.74. Ce qui est encore plus important c'est que le défendeur semble s'être entièrement mépris
sur la signification véritable de la règle de la «table rase» énoncée à l'article 17 de la convention sur la
succession d'Etats en matière de traités. L'article 17 se lit comme suit :

«Sous réserve des paragraphes 2 et 3, un Etat nouvellement indépendant peut, par une
notificationdesuccession,établirsaqualitédepartie àtouttraité multilatéral qui,à la date
de la succession d'Etats, était en vigueur à l'égard du territoire auquel se rapporte la
succession d'Etats.» (Annexe 3.33.)

3.75. La véritable signification du principe de la tabula rasa est parfaitement indiquée par le
commentaire de la Commission du droit international concernant l'article 17 (anciennement
article 16) :

«la pratique moderne des dépositaires et des Etats ... semble venir à l'appui de la conclusion
qu'un Etat nouvellement indépendant dispose d'un droit général d'option pour être partie
à certaines catégories de traités multilatéraux en vertu de sa qualité d'Etat successeur. Il
convient toutefois d'établir, à cet égard, une distinction entre les traités multilatéraux en

général et les traités multilatéraux de caractère restreint, car c'est seulement en ce qui
concerne les premiers qu'un Etat nouvellement indépendant semble avoir, à proprement
parler, un droit d'option pour établir sa qualité de partie indépendamment du
consentement des autres parties au traité et en faisant absolument abstraction des - 52 -

clauses finales du traité.» (Projet d'articles, Doc A/CONF.80/4, annexe 3.63, vol. III,
p. 50, par. 2; italiques dans l'original.)

Cela signifie que les autres parties ne peuvent pass'opposer à ce que le nouvel Etat devienne partieaux
traités conclus par son prédécesseur. Comme l'a parfaitement indiqué M. Museux, le représentant
français, «la règle de la «table rase»prévue dansla convention n'est pas une règle absolue : elle confère
un droit de succéder» (conférence des Nations Unies sur la succession d'Etats en matière de traités,
A/CONF.80/16, vol. II,40 séance,2 août 1978,p. 56,annexe 3.64, par. 46;les italiques sont de nous).

Telle est aussi l'interprétation de la Commission qui, dans son commentaire des projets d'articles, dit
àproposduprincipe de la «table rase»quelefaitpourunEtatde pouvoirfaire «table rase»signifie qu'il
«n'est nullement obligé d'accepter le maintien en vigueur des traités conclus par son prédécesseur»
(conférence des Nations Unies sur la succession d'Etats en matière de traités, A/CONF.80/4, vol. III,
annexe 3.65, p. 92; italiques dans l'original; voiraussi le traité d'Oppenheim,International Law, 9 éd.,e
vol. I, sir Robert Jennings et Arthur Watts, 1992,annexe 3.66, p. 222-223).

3.76. Il résulte de ces déclarations que la règle de la «table rase» signifie qu'un Etat n'a aucune
obligation de succéder, mais qu'il a le droit de le faire. Il est, de même, évident que la convention sur
le génocide n'est pas un traité multilatéral de caractère restreint, pour lequel le droit de succession
n'existerait pas, mais un traité de caractère universel par excellence, pour lequel existerait un droit

d'option si la règle de la «table rase» était applicable, ce qui n'est pas le cas.

3.77. Par conséquent, même si la Bosnie n'avait aucune obligation de succéder -quod non - elle
en possédait au moins le droit, et aucun autre Etat, y compris la Yougoslavie (Serbie et Monténégro),
ne pouvait l'empêcher de devenir partie à la convention sur le génocide. La Bosnie-Herzégovine invite

donc la Cour à rejeter l'assertion de l'Etat défendeur selon laquelle la notification de succession
contreviendrait au droit international et la Bosnie-Herzégovine n'aurait pas succédé à la convention sur
le génocide. RÉPONSE À LA QUATRIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

4.1. Comme la Bosnie-Herzégovine l'a démontré dansl'introduction du présent exposé écrit, les
exceptions préliminaires de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) reposent sur des allégations
juridiques gratuites et incohérentes. La Cour jugera peut-être que la Yougoslavie (Serbie et

Monténégro) bat son propre record de confusion et d'obscurité dans la présentation de sa quatrième
exception préliminaire.

4.2. Cette soi-disant «quatrième exception préliminaire» est formulée de la manière suivante :

«Comme sa reconnaissance est contraire aux règles du droit international et comme il
existe quatreEtatssur le territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine,

la prétendue République de Bosnie-Herzégovine n'est pas partie à la convention de 1948
sur le génocide.» (Exceptions préliminaires, B.2.)

Ces allégations sont suivies par une page et demie de considérations spécieuses dans lesquelles
la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n'apporte aucune justification juridique de ce qu'elle avance.

4.3. S'il fallait trouver un sens à ces allégations obscures, on pourrait supposer que la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) avance ici troisarguments différents :

i)la Bosnie-Herzégovine n'aurait pas dû être reconnue internationalement;

ii)il existe maintenant quatre Etats différents sur le territoire de l'ex-République yougoslave de
Bosnie-Herzégovine;

iii)par conséquent, la Bosnie-Herzégovine n'est pas partie à la convention de 1948 sur le génocide.

4.4. Comme nous allons rapidement le démontrer, les deux premières assertions sont erronées et
dénuées de toute substance. Mais indépendamment de leur fausseté, il existe manifestement une
incohérence entre les points i) et ii), d'une part,et le point iii), d'autre part, et la Bosnie-Herzégovine ne
voit pas le lien qui peut exister entre les questions de reconnaissance et la prétendue présence de

quatre Etats sur le territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine, d'une part, et le
problème de la succession à la convention sur le génocide, d'autre part.

Absence de pertinence et fausseté de l'argument fondé sur la prétendue
existence de quatre «Etats» à l'intérieur des frontières de
l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine

4.5.L'assertionde la Yougoslavie(Serbie et Monténégro) selon laquelle il existerait quatre Etats
à l'intérieur des frontières de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine est lourdement
erronée. Detoute manière,elle est dénuée detoutepertinence juridique(ouautre)pource qui concerne
la succession à la convention sur le génocide.

4.6. L'article 34 de la convention de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités dispose
ce qui suit :

«Lorsqu'une partie ou des parties du territoire d'un Etat s'en séparent pour former un ou
plusieurs Etats, que l'Etat prédécesseur continue ou non d'exister : - 54 -

a)tout traité en vigueur à la date de la succession d'Etats à l'égard de l'ensemble du territoire de
l'Etat prédécesseur reste en vigueur à l'égard de chaque Etat successeur ainsi formé.»
(Annexe 4.1; les italiques sont de nous.)

Il est donc incontestable que le fait que la dissolution de l'ex-Yougoslavie ait eu ou non pour résultat la
création de cinq nouveaux Etats ou plus est absolument dénué de pertinence quant à l'application des

règles relatives à la succession d'Etats.

4.7. Cependant, la Bosnie-Herzégovine ne peut pas accepter les assertions de la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) selon lesquelles il existerait, sur le territoire de l'ex-République yougoslavede
Bosnie-Herzégovine, trois autres «nouveaux Etats véritablement indépendants de l'autorité centrale»
(exceptions préliminaires, B.2.4). Comme il est expliqué dans le mémoire de la Bosnie-Herzégovine

(voir, par exemple, 2.3.5-2.3.9) et dans les présentes observations écrites (par. 4.10), les contestations
de l'autorité du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine ont été orchestrées et dirigées depuis
Belgrade, dont l'intervention dans les affaires intérieures de la Bosnie-Herzégovine a constamment été
condamnée par la communauté internationale.

4.8. C'est ainsi que, dès le 30 mai 1992, le Conseil de sécurité dans sa résolution 752 (1992) :

«3. Exige que cessent immédiatement toutes les formes d'ingérence extérieure en
Bosnie-Herzégovine, y compris de la part d'unités de l'armée populaire yougoslave, de
même que d'éléments de l'armée croate, et que les voisins de la Bosnie-Herzégovine
agissent très rapidement pour mettre un terme à toute ingérence et respectent l'intégrité
territoriale de la Bosnie-Herzégovine.» (Mémoire, annexes, partie III, annexe 1; voir
aussi, par exemple, résolutions 787 (1992) du 16 novembre 1992, ou 819 (1993) du
16 avril 1993; ou résolution 46/242 de l'Assemblée générale du 25 août 1992, mémoire,

annexes, vol. I, annexe 3.III.)

Ensuite, après avoir «[condamné] les autorités de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro), y compris l'armée populaire yougoslave, pour ne pas avoir pris de mesures efficaces en
vue de satisfaire aux exigences de la résolution 752 (1992), le Conseil de sécurité, «agissant en vertu
du chapitre VII de la Charte», a imposé des sanctions à la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) par sa
résolution 757 (1992) du 30 mai 1992 (mémoire, annexes, partie 3, annexe 1; voir aussi, par exemple,

résolutions 820 (1992) du 17 avril 1993, 838 (1993) du 10 juin 1993, ibid., ou 943 (1994) du
23 septembre 1994, annexe 4.2 au présent exposé écrit).

4.9. Le Conseil de sécurité a également insisté sur «la nécessité de restaurer pleinement la
souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la Bosnie-Herzégovine»
(résolution 836 (1993) du 4 juin 1993,mémoire, annexes, partie 3, annexe 1) et affirmé que continuent

d'être pertinents : «a) la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la
Bosnie-Herzégovine»(résolution 859 du 24 août 1993; ibid.; voir également résolutions 871 (1993) du
4 octobre 1993, 900 (1994) du 4 mars 1994, ibid., 913 (1994) du 22 avril 1994 ou 942 (1994) du
23 septembre 1994, 998 (1995) du 21 avril 1995, 1004 (1995) du 12 juillet 1995 ou 1010 (1995) du
10 août 1995, annexes 4.3-4.7 aux présentes exceptions préliminaires). Ces déclarations, ayant été
adoptéesen vertu du chapitre VIIde la Charte desNationsUnies,sont déclaratives du droit et ont force
obligatoire pour tous les Etats (cf. articles 25 et 103 de la Charte - voir Questions d'interprétation et
d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de Lockerbie,

ordonnances du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 15 et 126; annexes 4.8-4.9).

4.10. Dans le même esprit, l'Assemblée générale, dans sa résolution 46/242 du 25 août 1992 : - 55 -

«Réaffirmant qu'il faut que la souveraineté, l'intégrité territoriale, l'indépendance
politique et l'unité nationale de la République deBosnie-Herzégovine soient respectées et
rejetant toute tentative visant à modifier les frontières de la république...;

2.Exige ... la cessation immédiate de toutes les formesd'ingérence extérieure dans la République
de Bosnie-Herzégovine;

3.Exige en outre que les unités de l'armée nationale yougoslave et les éléments de l'armée croate
actuellement en Bosnie-Herzégovine soient ou bien retirés, ou bien soumis à
l'autorité du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine...;

4.Réaffirme son appui au Gouvernement et au peuple de Bosnie-Herzégovine dans la juste lutte
qu'ils mènent pour sauvegarder la souveraineté, l'indépendance politique, l'intégrité

territoriale et l'unité de leur pays.» (Mémoire, annexes, vol. I, annexe 3.III.)

4.11. L'Assemblée générale a vigoureusement réaffirmé ce point de vue dans sa
résolution 47/121 du 18 décembre 1992 :

«Condamnant énergiquement la Serbie et le Monténégro ainsi que leurs agents en

Bosnie-Herzégovine, pour leur refus constant de respecter les diverses résolutions de
l'Organisation des Nations Unies...,

1.Réaffirme son appui au juste combat que le Gouvernement et le peuple de la République de
Bosnie-Herzégovine mènent pour sauvegarder leur souveraineté, leur indépendance
politique, leur intégrité territoriale et leur unité;

2.Condamne énergiquement la Serbie, le Monténégro et les forces serbes présentes dans la

République de Bosnie-Herzégovine pour leur violation de la souveraineté, de
l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique de la République de
Bosnie-Herzégovineetlerefusderespecterlesrésolutionsadoptées par le Conseil de
sécurité et l'Assemblée générale ainsi que les accords de paix de Londres du 25
août 1992;

3.Exige que la Serbie et le Monténégro et les forces serbes présentes en République de

Bosnie-Herzégovine cessent immédiatement leurs actes agressifs et hostiles et se
conforment pleinement et inconditionnellement aux résolutions du Conseil de
sécurité, en particulier aux résolutions 752 (1992) du 15 mai 1992, 757 (1992) du
30 mai 1992, 770 (1992) et 771 (1992) du 13 août 1992, 781 (1992) du
9 octobre 1992 et 787 (1992) du 16 novembre 1992, ainsi qu'à la résolution 46/242
de l'Assemblée générale et aux accords de paix de Londres du 25 août 1992;

4.Exige que, conformément à la résolution 752 (1992) du Conseil de sécurité, tous les éléments
de l'armée populaire yougoslave encore présents sur le territoire de la République de
Bosnie-Herzégovine soient ou bien retirés immédiatement, ou bien soumis à
l'autorité du Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine, ou bien
dissous et désarmés, leurs armes étant placées sous le contrôle effectif de
l'Organisation des Nations Unies.» (Ibid.; les italiques sont de nous; voir aussi les
résolutions 48/88 du 20 décembre 1993, ibid., et 49/10 du 3 novembre 1994;
mémoire, annexe 3.III.)

4.12. Il est donc incontestable, tant sur le plandes faits que sur celui du droit, qu'il n'existe qu'un
seul Etatà l'intérieurdesfrontièresde l'ex-Républiqueyougoslave de Bosnie-Herzégovine. Cet Etatest
la République de Bosnie-Herzégovine, qui est partie à la convention de 1948 sur le génocide pour les - 56 -

raisons exposées dans le mémoire et rappelées plushaut (par. 4.5-4.7). Au demeurant, la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) n'a pas sérieusement contesté ces raisons.

Absence de pertinence et fausseté des assertions de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
concernant la reconnaissance internationale de la République de Bosnie-Herzégovine

4.13. Dans sa résolution 49/10, l'Assemblée générale a réaffirmé :

«une fois de plus que la République de Bosnie-Herzégovine, Etat souverain, indépendant et
Membre de l'Organisation des Nations Unies, est fondée à se prévaloir de tous les droits
prévus dans la Charte des Nations Unies, y compris le droit de légitime défense
conformément à l'article 51 de ladite Charte» (annexe 4.10).

Il est incontestable que cette déclaration correspond à la réalité juridique : la Bosnie-Herzégovine est

un Etat souverain et indépendant et a été reconnuecomme tel par la communauté international comme
le montre, par exemple, son admission à l'Organisation des Nations Unies (voir résolution 46/237 de
l'Assemblée générale du 22 mai 1992, annexe 4.11).

4.14. Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine n'ignore pas que «la

reconnaissance par les autres Etats a des effets purement déclarotifs» (commission d'arbitrage de la
conférence internationale pour la paix en Yougoslavie, avis n 1, 29 novembre 1991, (reproduit dans
RGDIP, 1992, p. 264) ILM, 1992, vol. XXXI, p. 1495; mémoire, annexes, partie 4, annexe 5), au
même titre que la qualité de Membre de l'Organisation des Nations Unies. Cependant, ainsi que l'a
reconnu la commission d'arbitrage de la conférence internationale pour l'ex-Yougoslavie,

«si la reconnaissance d'un Etat par d'autres Etats n'a qu'une valeur déclarative, celle-ci tout
comme la qualité de membre d'organisations internationales, témoignent de la conviction
de ces Etats que l'entité politique ainsi reconnue constitue une réalité et lui confèrent
certains droits et certaines obligations au regard du droit international» (avis n 8, o
4 juillet 1992, (reproduit dans RGDIP, 1993, p. 584) ILM, 1992, p. 1523; mémoire,
annexe 19).

4.15. Dans le cas présent, quatre-vingt-quinze Etats ont officiellement reconnu la
Bosnie-Herzégovine et soixante-quatre Etats ont établi des relations diplomatiques avec la
Bosnie-Herzégovine (annexes 4.12-4.13), en pleine connaissance des problèmes que son
gouvernement central rencontrait pour exercer son autorité sur des parties de son territoire, parce
qu'avec les encouragements et l'aide décisive de l'Etat défendeur une minorité de sa population était

entrée en rébellion. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est certainement mal venue d'invoquer
l'absence partielle de contrôle du Gouvernement bosniaque sur son territoire, une situation qu'elle a
elle-même créée, pour contester la qualité d'Etat souverain de la Bosnie-Herzégovine.

4.16. Comme la commission d'arbitrage l'a rappelé,

er
«par un référendum tenu les 29 février et 1 mars 1992, la majorité de la population de cette
république s'est prononcée en faveur d'une Bosnie souveraine et indépendante. Les
résultats de ce référendum ont été proclamés officiellement le 6 mars et, quels que soient
les événements dramatiques qui ont affecté depuis lors la Bosnie-Herzégovine, les
autorités constitutionnelles de cette république se sont, depuis cette date, comportées

comme celles d'un Etat souverain en vue de maintenir son inoégrité territoriale et la
plénitude et l'exclusivité de leurs compétences.» (Avis n 11, 16 juillet 1993 (reproduit
dans RGDIP, 1993, p. 1102) ILM, 1993, p. 1588; mémoire, annexe 8.) - 57 -

Quant à l'Assemblée générale et au Conseil de sécurité des Nations Unies ils ont, pour leurs parts,
constamment proclamé le droit de l'Etat de Bosnie-Herzégovine à la «souveraineté, l'indépendance
politique, l'intégrité territoriale et l'unité» à l'intérieur de ses frontières reconnues tout en condamnant

énergiquement l'intervention de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (voir ci-dessus, par. 4.8-4.12).

4.17. Il est donc certainement impossible de soutenir sérieusement que la contestation de
l'autorité centrale en Bosnie-Herzégovine ou le refusd'un Etat multi-ethnique et multiculturel de lapart
d'une minorité de la population, certainement pas une majorité comme le prétend à tort la Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) (exceptions préliminaires, B.2.4), constitue de quelque manière que ce soit un

obstacle à la qualité d'Etat souverain, à la reconnaissance internationale et au droit pour la
Bosnie-Herzégovine de succéder à la République socialiste fédérative de Yougoslavie.

4.18. De toute manière, il convient de souligner que la reconnaissance d'Etats et la succession
d'Etats à des traités multilatéraux sont des questions entièrement distinctes. La Yougoslavie (Serbie et

Monténégro) n'invoque aucun précédent ou autorité àl'appui de sa thèse selon laquelle, en l'absence de
reconnaissance ou en cas de reconnaissance prématurée - quod non - «En conséquence, la prétendue
République de Bosnie-Herzégovine ne peut pas adhérer par succession à la convention de 1948 sur le
génocide.» (Exceptions préliminaires, B.2.7.) Cette assertion est certainement dénuée de fondement.
En outre, une règle consacrée de droit international veut que la participation à des conventions
multilatérales soit indépendante de la reconnaissance (voir Oppenheim's International Law, 9 éd., par
sir Robert Jennings et sir Arthur Watts, Londres, 1992, p. 170, annexe 4.14; Paul Reuter, Introduction

au droit des traités, Paris, 1985, p. 69, annexe 4.15; P. Daillier et A. Pellet, Droit international public
(Nguyen Quoc Dinh), Paris, 1994, p. 541, annexe 4.16; Joe Verhoeven, La reconnaissance
internationale dans la pratique contemporaine, Paris, 1975, p. 430, annexe 4.17). Et, ainsi qu'il
découle des principes énoncés à l'article 34 de la convention de Vienne sur la succession d'Etats en
matière de traités, la succession aux traités en cas de sécession ou de dissolution n'a rien à voir avec la
reconnaissance par d'autres Etats.

4.19. Par conséquent, la quatrième exception préliminaire de la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) est mal fondée et ni son assertion erronée selon laquelle quatre «Etats» existeraient dans
le territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine ni ses fausses allégations
concernant la reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine nesauraient allerà l'encontre de la compétence
de la Cour dans la présente espèce.- 58 - RÉPONSE À LA CINQUIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

5.1. Selon la cinquième exception préliminaire dela Yougoslavie (Serbie et Monténégro) :

«Il n'existe pas entre les parties de différend qui relevait de l'article IX de la convention

de 1948 sur le génocide.» (Exceptions préliminaires, C.)

Cette allégation repose sur deux assertions, dont chacune est manifestement dénuée de fondement :

i)la convention de 1948 sur le génocide ne pourrait «s'appliquer que lorsque l'Etat concerné a
compétence territoriale dans les régions où les infractions à la convention sont alléguées
avoir eu lieu» (ibid., C. 1);

ii)«Les devoirs imposés par la convention concernent en effet «la prévention et la répression du crime
de génocide» lorsque ce crime est commis par des particuliers.» (Ibid., C.2.)

5.2. Dans son mémoire, la Bosnie-Herzégovine a traité de manière assez approfondie

«La portée de la compétence ratione materiae de la Cour.» (4.2.4.1-4.2.4.16; voir aussi

5.1-5.2.)

Il est sans doute inutile de reprendre ici cette argumentation, d'autant plus que la Yougoslavie (Serbie
et Monténégro) n'a même pas essayé de la réfuter. Il suffit de démontrer que la convention sur le
génocide n'est limitée dans son application ni aux territoires de l'Etat défendeur, ni aux actes commis
par des particuliers.

Non-territorialité de la convention sur le génocide

5.3.Une seule disposition de la convention de 1948 prévoit une application territoriale restreinte
de la convention : conformément aux principes usuels du droit pénal international, la première phrase
de l'article VI dispose que :

«Les personnes accusées de génocide ou de l'un quelconque des actes énumérés à

l'article IV seront traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire
duquel l'acte a été commis...» (Les italiques sont de nous.)

Cependant, la deuxième phrase de cette même disposition ajoute un élément d'internationalité car elle
prévoit aussi des procès «devant la cour criminelle internationale qui sera compétente...» (dans le cas
présent, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie).

5.4. Quant au reste, il n'existe pas une seule disposition dans la convention, y compris les
articles premier et V cités par l'Etat défendeur, qui mentionne la possibilité d'une application
territoriale restreinte ou y fasse allusion. Au contraire, conformément au troisième alinéa du
préambule de la résolution 96 (I) de l'Assemblée générale du 11 décembre 1946, la convention
organise la collaboration internationale «des Etats en vue de prendre rapidement des mesures
préventives contre le crime de génocide et d'en faciliter la répression» (annexe 5.1). Par conséquent,

conformément à l'article premier, les Etats ont l'obligation absolument générale et illimitée de prendre
des mesures effectives en vue de prévenir et de punir le crime de génocide, où qu'il soit commis, et, à
plus forte raison, de ne pas commettre eux-mêmes les actes interdits par les articles II et III, que ce soit
sur leur territoire ou n'importe où ailleurs. - 60 -

5.5. Cette interprétation, qui est conforme au sens ordinaire du texte de la convention, s'impose
d'autant plus qu'ainsi que la Cour l'a expliqué dans son avis consultatif du 28 mai 1951,

«Les origines et le caractère de la convention, les fins poursuivies par l'Assemblée
générale et par les parties contractantes, les rapports que présentent les dispositions de la
convention entre elles et avec ces fins, fournissent des éléments d'interprétation de la

volonté de l'Assemblée générale et des parties. Les origines de la convention révèlent
l'intention des Nations Unies de condamner et de réprimer le génocide comme «un crime
de droit des gens» impliquant le refus du droit à l'existence de groupes humains entiers,
refus qui bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l'humanité, et qui
est contraire à la fois à la loi morale et à l'esprit et aux fins des Nations Unies
(résolution 96 (I) del'Assembléegénérale,11 décembre 1946). Cetteconceptionentraîne
une première conséquence : les principes qui sont à la base de la convention sont des

principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors
de tout lien conventionnel. Une deuxième conséquence est le caractère universel à la fois
de la condamnation du génocide et de la coopération nécessaire «pour libérer l'humanité
d'un fléau aussi odieux» (préambule de la convention). La convention sur le génocide a
donc été voulue tant par l'Assemblée générale que par les parties contractantes comme
une convention de portée nettement universelle. En fait, elle fut approuvée, le
9 décembre 1948, par une résolution qui fut votée unanimement par cinquante-six Etats.

Les fins d'une telle convention doivent également être retenues. La convention a été
manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut même
pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère,
puisqu'elle vise d'une part à sauvegarder l'existence même de certains groupes humains,
d'autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires.
Dans une telle convention, les Etats contractants n'ont pas d'intérêts propres; ils ont
seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui

sontlaraisond'êtredelaconvention. Il enrésulte que l'on ne saurait, pour une convention
de ce type, parler d'avantages ou de désavantages individuels des Etats, non plus que d'un
exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les charges. La considération
des fins supérieures de la convention est, en vertu de la volonté commune des parties, le
fondement et la mesure de toutes les dispositions qu'elle renferme.» (C.I.J. Recueil 1951
p. 23; annexe 5.2.)

Il n'y a plus place pour le doute quant à la portée générale de la convention et à l'impossibilité de lui
donner une signification restreinte, selon laquelle les Etats ne seraient liés que lorsqu'ils ont
compétence territoriale dans les zones concernées, comme le prétend la Yougoslavie (Serbie et
Monténégro).

5.6.Il importe de noter que dans chacune de ses ordonnances du 8 avril et du 13 septembre 1993

sur l'indication de mesures conservatoires, la Cour a clairement réfuté par avance l'interprétation de la
convention qui est avancée maintenant par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).

5.7. Dans son ordonnance du 8 avril 1993, la Coura indiqué à l'unanimité que : - 61 -

«Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
doit immédiatement, conformément à l'engagement qu'il a assumé aux termes de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948,
prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la commission du crime de
génocide»;

et, par treize voix contre une, que :

«Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
doit en particulier veiller à ce qu'aucune des unités militaires, paramilitaires ou unités
armées irrégulières qui pourraient relever de son autorité ou bénéficier de son appui, ni
aucune organisation ou personne qui pourraient se trouver sous son pouvoir, son autorité,
ou son influence ne commettent le crime de génocide, ne s'entendent en vue de commettre

ce crime, n'incitent directement et publiquement à le commettre ou ne s'en rendent
complices, qu'un tel crime soit dirigé contre la population musulmane de
Bosnie-Herzégovine, ou contre tout autre groupe national, ethnique, racial ou religieux»
(C.I.J. Recueil 1993, p. 24),

montrant ainsi que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) était liée par la convention, même si les
actes pertinents étaient commis sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, dans les cas où lesdits actes

étaient commis sous son contrôle.

5.8. Il est intéressant de noter qu'une écrasante majorité des membres de la Cour n'était pas
convaincue par le point de vue exprimé par M. Tarassov dans une opinion dissidente jointe à
l'ordonnance, dans laquelle celui-ci déclarait que le «Gouvernement yougoslave» ne pouvait pas être
tenu responsable lorsque les personnes accusées de commettre le crime de génocide ou d'inciter à le
commettre «ne sont pas ses citoyens et ne relèvent pas de sa juridiction territoriale» (ibid., p. 27).

5.9.Dans son ordonnance du 13 septembre 1993, laCour a réaffirmé les mesures conservatoires
qu'elle avait précédemment indiquées (C.I.J. Recueil 1993, p. 349-350), précisant encore plus
clairement que le but était de «prévenir la commission du crime de génocide sur le territoire de la
Bosnie-Herzégovine» (ibid., p. 349; les italiques sont de nous).

5.10. Pour leur part, les organes intergouvernementaux des Nations Unies ont constamment
exprimé l'opinion que

«les Etats doivent être tenus pour responsables des violations des droits de l'homme que leurs
agents commettent sur le territoire d'un autre Etat» (Assemblée générale,
résolution 46/242 du 25 août 1992, mémoire, annexes, annexe 3-III; les italiques sont de

nous; voir aussi résolution 47/147 du 18 décembre 1992, annexes, partie III, annexe 3,
commersion des droits de l'homme, résolutions 1992/S1/1 du 14 août 1992 et 1992/S-2/1
du 1 décembre 1992, ibid., annexes 12-13),

et ont déclaré, encore plus explicitement, que :

«Les Etats doivent être tenus pour responsables des violations des droits de l'homme que
leurs agents commettent sur leur propre territoire ou sur le territoire d'un autre Etat»

(ibid., annexe 3; les italiques sont de nous),

un principe général qui s'applique au génocide, et selon lequel la convention de 1948 doit être
interprétée. - 62 -

5.11. Ainsi que M. Lauterpacht l'a dit dans son opinion individuelle jointe à la deuxième
ordonnance de 1993,

«Certes, concevoir l'obligation de prévenir le génocide comme une obligation strictement
territoriale n'aurait pas de sens parce que cela voudrait dire qu'une partie, bien qu'étant

dans l'obligation de prévenir le génocide à l'intérieur de son propre territoire, ne serait pas
obligée de l'empêcher sur le territoire qu'elle-même envahit et occupe. Ce qui serait
absurde. De sorte qu'en tout état de cause, l'obligation existe, pour un Etat impliqué dans
un conflit, de se préoccuper de prévenir le génocide en dehors de son propre territoire.»
(C.I.J. Recueil 1993, p. 444.)

Etant donné que la Bosnie-Herzégovine soutient précisément que la Yougoslavie (Serbie et

Monténégro) est directement impliquée dans les actes de génocide et les actes de même nature commis
sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, il est sans doute superflu d'examiner la deuxième question
soulevée par M. Lauterpacht, celle de savoir si la convention de 1948 exige «que chaque partie
prévienne positivement le génocide en quelque lieuqu'il se produise» (ibid.).

5.12. Nous concluons donc respectueusement que l'application de la convention de 1948 sur le

génocide n'est pas limitée au territoire sur lequell'Etat défendeur a juridiction et que, de toute manière,
dans la présente espèce, le problème est dénué de pertinence car, précisément, la Yougoslavie (Serbie
et Monténégro) a usurpé d'importants éléments de juridiction en s'ingérant dans les affaires intérieures
de la Bosnie-Herzégovine, a violé son intégrité territoriale, a commis le crime de génocide, et aidé et
encouragé la commission du crime de génocide sur son territoire. En outre, le Gouvernement de la
Bosnie-Herzégovine conclut également que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a aussi violé la
convention de 1948 en omettant de traduire devant les tribunaux les criminels présents sur son
territoire (comme elle aurait dû le faire conformément aux dispositions de l'article VI), et en utilisant

son territoire, et en permettant que son territoire soit utilisé pour la commission du crime de génocide
contre des populations non serbes, et serve de basearrière pour le génocide commis sur le territoirede
la Bosnie-Herzégovine.

La responsabilité des Etats en vertu de la convention sur le génocide

5.13. La Yougoslavie (Serbie et Monténégro) affirme sans aucune justification que :

«Les devoirs imposés [aux Etats] par la convention concernent en effet [seulement] «la
prévention et la répression du crime de génocide» lorsque ce crime est commis par des
particuliers : les articles IV, V, VI et VII sont très clairs sur ce point.» (Exceptions
préliminaires, C.2.)

5.14. Il est certes exact que ces dispositions imposent des devoirs juridiques évidents à tous les
Etats parties à la convention :

-une obligation de traduire devant leurs tribunaux les personnes accusées de génocide et des autres
crimes de même nature (art. VI); et

-un devoir d'extrader ou de poursuivre (aut dedere, aut judicare)(art. VII). - 63 -

Le non-respect par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de ces obligations (ou au moins des
devoirs énoncés aux articles VI et VII) et, plus généralement, de son engagement de prévenir et de
punir les actes de génocide et les actes de même nature constitue d'ailleurs un élément de la présente
affaire et est mentionné expressément au paragraphe4 des conclusions finales présentées par la
Bosnie-Herzégovine dans son mémoire, tandis que les paragraphes 5 à 7 tirent les conséquences de la
violation de la convention, y compris le manquementà l'obligation de prévenir et de punir.

5.15. Cependant, il est évident que les obligations que la convention met à la charge des Etats ne
se limitent pas à ce devoir. Il serait certainement très étrange que des Etats soient tenus de prévenir et
de punir le crime de génocide mais soient libres dele commettre eux-mêmes !

5.16. Il ne s'agit pas seulement d'une impossibilité logique; le texte de la convention indique très
explicitement que tel n'est pas le cas. L'article VIII invite les parties contractantes à

«saisir les organes compétents des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la
Charte des Nations Unies, les mesures qu'ils jugent appropriées pour la prévention et la
répression des actes de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à
l'article III».

De plus, et par dessus tout, l'article IX prévoit la saisine de la Cour internationale de Justice en cas de

«différends entre les parties contractantes relatifs à l'interprétation ou l'exécution de la présente
convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de génocide
oude l'un quelconque des autres actesénumérés à l'article III(les italiques sont de nous).

5.17. Dans son mémoire, la Bosnie-Herzégovine a décrit, de manière assez détaillée, les travaux
préparatoires qui ont mené à l'adoption de cette disposition (voir 5.2.2-5.2.3). Il découle de ces
travaux :

i)que les rédacteurs tenaient à établir une juridiction obligatoire pour les affaires où un Etat est accusé
du crime de génocide;

ii)qu'ils ont décidé de faire une distinction entreles procès intentés contre des personnes - qui relèvent
des tribunaux nationaux ou d'un futur tribunal international - et les procédures contre des
Etats responsables du crime de génocide ou d'actesassimilables; et que,

iii)dans ce dernier cas, ils ont donné compétence àla Cour internationale de Justice.

Bien que cette question a fait l'objet de longues discussions, ce résultat est conforme à la

résolution 180 (III) relative au «projet de convention sur le génocide», adoptée par l'Assemblée
générale le 21 novembre 1947 et selon laquelle «le crime de génocide est un crime international qui
comporte des responsabilités d'ordre national et international pour les individus et pour les Etats»
(mémoire, annexes, partie 5, vol. I, annexe 12; les italiques sont de nous). Il est également conforme
aux origines, au caractère, à l'objet et au but de la convention tels qu'ils sont définis par la Cour dans
son avis consultatif de 1951 (voir, ci-dessus, par.5.5).

5.18. On notera que les organes des Nations Unies ont souscrit à cette interprétation évidente.
C'est ainsi que l'Assemblée générale et la commission des droits de l'homme, tout en insistant sur la
responsabilité individuelle des personnes participant à l'odieuse pratique du «nettoyage ethnique»
(«qui est une forme de génocide»comme l'a rappelél'Assemblée générale dans sa résolution 47/121 du
18 décembre 1992 - mémoire, annexes, annexe 3.III), ont également déclaré que «Les Etats doivent - 64 -

être tenus pour responsables des violations des droits de l'homme que leurs agents commettent sur le
territoire d'un autre Etat.» (Voir, par exemple, résolutions 47/147 de l'Assemblée générale du

18 décembre 1992 ou 48/153 du 20 décembre 1993, mémoire, annexes, partie 3, annexe 3; ces
résolutions indiquent expressément dans leur préambule que l'Assemblée générale est «guidée par les
buts et principes ... de la convention pour la prévention et la punition du crime de génocide»; voir aussi
commission des droits de l'homme, résolutions 1992/S-1/1 du 14 août 1992, 1992/S-2/1 du
1 décembre 1992 ou 1993/7 du 23 février 1993; ibid., annexes 11, 13-14). Il convient aussi de noter
que ces résolutions insistent sur la responsabilité particulière de la Serbie et du Monténégro dans «les

violations des droits de l'homme de la population bosniaque et les violations du droit humanitaire
international» que ces pays commettaient «systématiquement» (résolution 48/88 de l'Assemblée
générale du 20 décembre 1993, ibid., annexe 3; voir aussi résolution 47/121 précitée, et commission
des droits de l'homme, résolutions 199/S-2/1 et 1993/7 précitées).

5.19. On ne saurait donc soutenir sérieusement que la convention de 1948 s'applique seulement
à la responsabilité individuelle d'actes de génocide et d'actes de même nature. Cette thèse s'appuiesur

«une interprétation complètement erronée. La convention vise indiscutablement les meurtres ou
les persécutions en masse commis par des gouvernements, ou à leur instigation.» (Philip
o
B. Perlman, «The Genocide Convention»,Nebraska Law Review, 1950, n 1, annexe 5.3,
p. 6; voir eussi sir Robert Jennings et sir Arthur Watts, Oppenheim's International Law,
Londres,9 éd.,1992,vol. I,annexe 5.4,p. 994; Farhad Malexian,International Criminal
Law, Uppsala, 1991, vol. I, p. 317, annexe 5.5.)

5.20. La Cour a donc compétence pour examiner non seulement le manquement de la
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) à son obligation de prévenir et de punir les actes de génocide,
mais aussi les violations qu'elle a commises des dispositions des articles II et III de la convention,
comme demandédanslesconclusions 1,2et 3dumémoire de la Bosnie-Herzégovine. Par conséquent,
la cinquième exception préliminaire de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) doit nécessairement

être rejetée. RÉPONSE À LA SIXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

6.1.La sixième exception préliminairesoulevéeparlaYougoslavie(Serbieet Monténégro) se lit
comme suit :

«Au cas où la Cour considérerait la notification de succession comme une adhésion, la
convention de 1948 sur le génocide serait en vigueur entre les parties depuis le
29 mars 1993.» (Exceptions préliminaires, D.1.)

6.2. La sixième et la septième exceptions préliminaires devraient, d'une certaine manière, être
considérées simultanément, car leur but manifeste est d'écarter l'application de la convention sur le
génocide pour les actes les plus odieux de génocide qui ont été commis dans la pire période du
«nettoyage ethnique», c'est-à-dire en 1992, dans la République de Bosnie-Herzégovine. En ce qui

concerne la date d'«entrée en vigueur» de la convention sur le génocide à l'égard de la République de
Bosnie-Herzégovine, l'Etat défendeur tente une démonstration selon deux volets :

-la notification de succession devrait, en réalité, selon la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), être
considérée comme étant une notification d'accession; par conséquent, la procédure prévue à
l'article 13 de la convention doit s'appliquer, et la convention sur le génocide ne serait alors en
vigueur entre les deux parties qu'à partir du 29 mars 1993, c'est-à-dire trente jours après la

notification faite par la République de Bosnie-Herzégovine : tel est le but de la sixième exception
préliminaire;

-subsidiairement, si la Cour n'accepte pas cette restriction, et tient la notification de succession pour ce
qu'elle est en réalité, dans ce cas la Yougoslavie(Serbie et Monténégro) soutient que la convention
sur le génocide ne serait en vigueur entre les deuxparties qu'à la date de cette notification,
c'est-à-dire le 29 décembre 1992 : tel est l'objet de la septième exception préliminaire, dont nous

traiterons plus loin.

6.3. L'Etat demandeur rejette chacune de ces prétentions, qui sont en contradiction manifeste
avec la pratique générale des Etats et la quasi-unanimité de la doctrine. Sa réponse comprend
également deux volets :

-la notification de succession n'est pas une notification d'accession, comme on le montrera dans la

réfutation de la sixième exception préliminaire;

-la notification de succession prend effet à la date de l'indépendance, comme on le démontrera dans la
réponse à la septième exception préliminaire.

6.4. Il est possible de souligner ici qu'au cas où la Cour suivrait le raisonnement de l'Etat

défendeur, cela signifierait que si un Etat successeur ne publiait pas une notification de succession le
jour même de son accession à l'indépendance, une solution de continuité apparaîtrait automatiquement
dans l'application à l'égard de son territoire des conventions de caractère universel relatives aux droits
de l'homme et de caractère humanitaire. Les conséquences extrêmes qu'aurait cette prétendue règle
avancée par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) montrent bien que ce raisonnement est à rejeter
entièrement. Par conséquent,la Cour est respectueusement invitée à rejeter lesassertions du défendeur
contenuesdanssessixièmeetseptièmeexceptionspréliminaires,à proposde la date à partir de laquelle

la République de Bosnie-Herzégovine est liée par la convention sur le génocide, et donc à dire que la
convention sur le génocide est en vigueur entre lesparties depuis le 6 mars 1992.

6.5. Dans sa sixième exception préliminaire, la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) demande à la Cour de dire que la notification de succession n'est pas une notification de - 66 -

succession, mais en réalité une notification d'accession, de telle sorte que la convention sur le génocide
ne serait en vigueur entre les parties que depuis le 29 mars 1993 :

«si la Cour qualifiait d'adhésion la notification de succession, la convention de 1948 sur le
génocide prendrait effet pour les parties, en vertu de son article XIII,
quatre-vingt-dix jours après le dépôt des instruments, c'est-à-dire le 29 mars 1993. Dans

ce cas, la Cour serait compétente à partir de cette date.» (Exceptions préliminaires,
15 juin 1992, D.1.5.)

6.6. La Bosnie-Herzégovine soutient que, contrairement à l'assertion audacieuse de l'Etat
défendeur, la notification de succession ne peut pas être transformée en une notification d'accession.
Il n'existe absolument aucune raison pour que la notification de succession de la République de

Bosnie-Herzégovine, conçue en tant que telle de manière parfaitement claire, doive ou puisse subir une
«mutation» et être considérée comme une notification d'accession. En réalité, le Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies l'a traitée comme une notification de succession, comme l'a reconnu
la Cour internationale de Justice : «la Cour constate que le Secrétaire général a considéré la
Bosnie-Herzégovine comme ayant non pas adhéré, mais succédé à la convention sur le génocide»
(ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 16, par. 25).

6.7. Il va sans dire que la notification de succession ne saurait évidemment pas être considérée
comme une notification d'accession, comme semble d'ailleurs le reconnaître involontairement l'Etat
défendeur lui-même, quand il affirme que

«La République fédérative de Yougoslavie ne voit aucune possibilité de considérer la
notification de succession par laquelle la prétendue République de Bosnie-Herzégovine
souhaitait adhérer à la convention de 1948 sur le génocide comme étant son instrument

d'adhésion à la convention.» (Exceptions préliminaires, juin 1995, D.1.2.)

6.8. De plus, l'Etat demandeur conteste fermement l'interprétation très fallacieuse que le
défendeur essaie de donner de son mémoire en ce qui concerne la note de décembre 1992 de la
Bosnie-Herzégovine, en avançant que la République de Bosnie-Herzégovine aurait accepté que cette
note soit considérée comme une accession (exceptions préliminaires, p. 132, par. D.1.3). La

République de Bosnie-Herzégovine n'a jamais accepté un tel amalgame; ce qu'a dit l'Etat demandeur
c'est qu'il

«lui [l'ex-RSFY] a automatiquement succédé en tant que partie à la convention de 1948 sur le
génocide ou, subsidiairement (et à titre complémentaire), a établi son acceptation de la
convention par la communication qu'elle a adressée au Secrétaire général le
29 décembre 1992» (mémoire, 4.2.1.51).

Ce résumé de la position de la Bosnie-Herzégovine cité par l'Etat défendeur ne doit pas être interprété
de manière erronée comme l'a fait la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), mais doit l'être à la lumière
des explications qui le précèdent. Ces explications étaient présentées d'une manière très claire dans le
mémoire (p. 152-153, par. 4.2.1.45-4.2.1.50). Malheureusement, il semble qu'un nouvel exposé de la
position de la Bosnie-Herzégovine soit nécessaire, pour réfuter l'interprétation erronée présentée par
l'Etat défendeur.

6.9. La Bosnie-Herzégovine soutient essentiellement que la notification de succession est inutile.
Il en découle que, comme la Bosnie-Herzégovine l'a fondamentalement affirmé, elle «a
automatiquement succédé» (voir ci-dessus) en tant que partie à la convention sur le génocide.
Cependant, la République de Bosnie-Herzégovine affirme également «subsidiairement et à titre - 67 -

complémentaire»simultanémentet en sus de la succession automatique,qu'il est également possible de
considérer que la note de décembre 1992 «a établi son acceptation de la convention», ce qui signifie
qu'elle a reconnu être partie à la convention. En d'autres termes, l'Etat demandeur a proposé
deux interprétations de la notification de succession. Premièrement, qu'elle n'avait aucune valeur
juridique en elle-même, mais servait seulement à informer la communauté internationale de la
succession de la Bosnie-Herzégovine à la convention sur le génocide. Deuxièmement, qu'elle

constituait ainsi un signal juridique destiné à confirmer sa qualité de partie à la convention sur le
génocide. L'Etat demandeur n'a jamais accepté, contrairement à ce que déclare le défendeur, que sa
notification de succession puisse être interprétée comme une accession, avec la discontinuité
qu'implique cette dernière procédure.

6.10. Par conséquent, la République de Bosnie-Herzégovine demande à la Cour de rejeter la

sixième exception préliminaire. En d'autres termes, la Cour est invitée à rejeter l'analyse insolite que
fait la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de la note de décembre 1992 de la Bosnie-Herzégovine, et
à reconnaître la notification de succession enregistrée par le Secrétaire général de l'Organisation des
Nations Unies pour ce qu'elle est en réalité, c'est-à-dire une notification de succession.- 68 - RÉPONSE À LA SEPTIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

7.1. La septième exception préliminaire de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a, comme
nous l'avons déjà déclaré, le même but que la sixième : exclure de l'examen de la Cour la responsabilité
de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) dans les actes massifs de génocide commis en 1992, une des

pirespériodesdu«nettoyage ethnique». La septième exception préliminaire est formulée de la manière
suivante :

«Si la Cour concluait que l'adhésion de la prétendue République de Bosnie-Herzégovine
à la convention de 1948 sur le génocide par succession est valable pour quelque raison
que ce soit, la convention prendrait effet entre les parties à compter du
29 décembre 1992.» (Exceptions préliminaires, 15 juin 1995, D.2.)

7.2. L'Etat demandeur demande respectueusement à la Cour de rejeter cette étrange analyse des
conséquences qu'est censée avoir une notification de succession et d'appliquer la règle généralement
admise du droit international, selon laquelle une notification de succession prend effet à la date de
l'accession à l'indépendance. Il ne fait absolument aucun doute que les Etats ont suivi, avant comme
après l'adoption de la convention de Vienne sur lasuccession d'Etats en matière de traités, une pratique
remarquablement uniforme d'où il ressortait qu'ilsconsidéraient que la date de succession d'un Etat aux

traités est la date de sa création.

7.3.La position générale de la communauté internationale sur cette question a été succinctement
résumée par le délégué italien à la conférence de codification de la convention sur la succession d'Etats
en matière de traités, durant la discussion sur la règle de la «table rase» applicable aux Etats
nouvellement indépendants :

«En ce qui concerne les traités multilatéraux, l'article 16 dispose que l'Etat successeur a le
droit de devenir partie à tout traité de ce genre. C'est un effet de la succession, qui est
indépendant ... des clauses finales du traité.» (Conférence des Nations Unies sur la
succession d'Etats en matière de traités, A/CONF.80/16, vol. I, 24 séance, 22 avril 1977,
p. 160, par. 44; annexe 7.1.)

7.4. La Commission du droit international a également déclaré très expressément qu'une
notification de succession prend effet à la date de l'accession à l'indépendance de l'Etat successeur.
Dans son commentaire des projets d'articles, la Commission du droit international, à propos des effets
d'une notification de succession - article 23, devenu article 22 - a écrit :

«La pratique suivie en matière de traités semble confirmer que, lorsqu'un Etat
nouvellement indépendant a fait une notification de succession, il doit être considéré

comme partie au traité à la date de son accession à l'indépendance.» (Projet d'articles,
doc A/CONF.80/4, vol. III, p. 62, par. 2; annexe 7.2; italiques dans l'original.)

Et pour dissiper tout doute susceptible de subsister, le commentaire examine la question des délais
d'attente prévus par certains traités pour leur entrée en vigueur à l'égard du nouvel Etat. En des termes
qui pourraient difficilement être plus clairs, ce commentaire rejette complètement la thèse avancée par
l'Etat défendeur. La Commission du droit international déclare que :

«selon la pratique du Secrétaire général en tant que dépositaire de traités, les délais d'attente ne
sont pas considérés comme s'appliquant aux notifications de succession. Il semble que la
notion de continuité, inhérente à la «succession», ait été considérée comme excluant
l'application aux notifications de succession des dispositions conventionnelles imposant
un délai d'attente pour l'entrée en vigueur d'un traité à l'égard de l'Etat qui a déposé un - 70 -

instrumentdonnant son consentement à être lié, même si le traité est déjà en vigueur d'une
façongénérale.» (Projetd'articles, doc. A/CN.4/Ser.A/1974/Add.,1 (partie 1),annexe 7.3,
p. 241, art. 22, par. 2; les italiques sont de nous.)

7.5. La pratique du Secrétaire général en tant quedépositaire, comme le note la Commission du
droit international, a été pleinement conforme au principe de continuité des obligations
conventionnelles à partir de la date de création del'Etat successeur.

7.6. Cette pratique du Secrétaire général a également été suivie par les Etats quand ils agissaient
en cette même qualité de dépositaire, ainsi qu'il est constaté dans ce même commentaire :

«dans le cas desconventionshumanitairesde Genève,la règle actuellement suivie par le Conseil
fédéral suisse est que l'Etat nouvellement indépendant qui transmet une notification de

succession doit être considéré comme partie à partir de la date à laquelle il a accédé à
l'indépendance» (projet d'articles, doc. CONF.80/4, vol. III, annexe 7.3, p. 70, par. 4).

7.8. Les positions adoptées par des Etats successeurs récents sont également complètement
conformes à la pratique en vigueur. Cette pratique, par exemple, a été très clairement suivie par la

République tchèque et la République slovaque. Dansune lettre en date du 16 février 1993 adressée au
Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, le Gouvernement de la République tchèque a
déclaré :

«Conformément aux principes en vigueur du droit international et à ses stipulations, la
Républiquetchèque,entant que successeurde la République fédérale tchèque et slovaque,
er
se considère liée, à compter du 1 janvier 1993, date de la dissolution de la République
fédérative tchèque et slovaque, par les traités internationaux multilatéraux auxquels la
République fédérative tchèque et slovaque était partie à cette date...» (Traités
multilatéraux déposésauprèsduSecrétairegénéral,état au 31 décembre 1994,annexe 7.4,
p. 9; les italiques sont de nous.)

Par la suite, dans une lettre déposée le 19 mars 1993, le Gouvernement de la République slovaque a
notifié ce qui suit :

«Conformément aux principes et règles pertinents du droit international et dans la
mesure définie par celui-ci, la République slovaque, en tant qu'Etat successeur issu de la
dissolution de la République tchèque et slovaque, se considère liée, à compter du
1 janvier 1993, date à laquelle elle a assumé la responsabilité de ses relations

internationales, par les traités multilatéraux auxquels la République fédérative tchèque et
slovaque était partie au 31 décembre 1992...» (Traités multilatéraux déposés auprès du
Secrétaire général, état au 31 décembre 1994, annexe 7.4, p. 10; les italiques sont de
nous.)

7.9. La même pratique a généralement été suivie par tous les Etats créés dans le territoire de
l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, c'est-à-dire la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la
Slovénie, la Macédoine, ainsi que la République socialiste fédérative de Yougoslavie, qui ont été
considérées comme liées sans interruption par les conventions multilatérales de caractère général. Par
exemple, le 1 erjuillet 1992, le gouvernement a informé le Secrétaire général que la Slovénie se
considérait liée, depuis sa déclaration d'indépendance du 25 juin 1991, par cinquante-cinq traités

multilatéraux, en tant qu'Etat successeur de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie
(doc. E/CN.4/1994/68, 22 novembre 1993, annexe 7.5,p. 4). - 71 -

7.10. Plus précisément, en ce qui concerne la convention sur le génocide, tous les Etats
successeurs de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie se sont considérés comme étant
liés à partir de la date de leur indépendance. La Croatie a fait une notification de succession à la

convention surle génocide le 6 juillet 1992, aveceffet à la date de son indépendance,le 8 octobre 1991.
La Croatie a agi exactement de la même manière, envoyant une notification de succession à la
convention sur le génocide le 12 octobre 1992, avec effet à la date de son accession à l'indépendance,
également le 8 octobre 1991. La Macédoine a envoyé une notification de succession le
18 janvier 1994, pour prendre effet à la date de son accession à l'indépendance, le 6 mars 1992. En ce
qui concerne la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), la date de sa succession à l'ex-République
socialiste fédérative de Yougoslavie est le 27 avril 1992, jour de l'adoption d'une nouvelle constitution

par l'entité formée par l'ex-oépublique de Serbie et l'ex-République du Monténégro, a indiqué la
commission Badinter (avis n 11, 16 juillet 1993, ILM, 1992, vol. XXXI, annexe 7.6, p. 1587).

7.11. Cette pratique est si généralement admise qu'il est inutile de s'engager dans la discussion
ouverte par l'Etat défendeur à propos de la règle énoncée à l'article 18 du projet de convention sur la

succession d'Etats en matière de traités, concernant la suspension de l'application des traités pour les
Etats nouvellement indépendants. Cette règle n'est jamais devenue elle-même une règle positive de
droit international (exceptions préliminaires, D.2.2-D.2.4). Cette discussion concerne un problème
autre que celui de la succession d'Etats et une catégorie d'Etats à laquelle n'appartient pas la
Bosnie-Herzégovine. Il n'est pas davantage nécessaire d'examiner la question totalement dénuée de
pertinence de l'application provisoire des traités par les Etats nouvellement indépendants, qui n'a
véritablement rien à voir avec la question dont il s'agit ici (exceptions préliminaires, D.2.5), car ces

considérations concernent un problème différent de celui qui est soulevé ici, et une catégorie
particulière d'Etats, à savoir les Etats nouvellement indépendants. Une accumulation sans fin de dates
et de références, et l'évocation de questions totalement dénuées de pertinence ne contribueront pas à
convaincre la Cour. Quel rapport y a-t-il, par exemple, pourrait-on demander, entre les questions
soulevées par le défendeur à propos de la date de succession de la Bosnie-Herzégovine à la convention
surle génocideetlefaitqueMaurice,unEtat nouvellement indépendant,a envoyé le 12 mars 1968 une
note sur l'application temporaire de traités, et est devenue partie à la convention de Vienne sur les

relations diplomatiques et consulaires adoptée le 18 avril 1961, par une notification de succession du
18 juillet 1969 ? Evidemment, la réponse est : «absolument aucun rapport».

7.12. La doctrine considère également que lorsqu'il y a succession et qu'une notification de
succession a été faite, un Etat est lié à partir de la date de succession par les obligations de son

prédécesseur. Cette position se retrouve même chez un auteur cité par l'Etat défendeur à l'appui
supposé de son point de vue (exceptions préliminaires, B.1.4.1). Examinant les précédents relatifs aux
notifications de succession, en ce qui concerne lestraités multilatéraux de caractère général, ce qui est
le cas de la convention sur le génocide, M. Ian Brownlie considère que

«la pratique en vigueur ... indique que l'Etat successeur a l'option de devenir partie à un traité de
ce genre de son plein droit sans considération des dispositions des clauses finales du

traité relatives aux conditions deeparticipation» (Principles of Public International Law,
Oxford, Clarendon Press, 1990, 4 éd., annexe 7.7, p. 670; les italiques sont de nous).

En d'autres termes, les écrits de M. Ian Brownlie, au contraire de ce que prétend le défendeur,
corroborent la thèse de l'Etat demandeur selon laquelle il a le droit de succéder automatiquement à la
République socialiste fédérative de Yougoslavie en qualité de partie à la convention sur le génocide,
sans interruption et sans tenir compte des dispositions finales de ladite convention (voir aussi

P. K. Menon, The Succession of States in respect of Treaties, State Property, Archives and Debts, The
Edwin Mellen Press, 1992, annexe 7.8, p. 32; Rein Müllerson, «The Continuity and Succession of
States by reference to the former USSR and Yugoslavia», ICLQ, vol. 42, annexe 7.9, p. 489). - 72 -

7.13. Par conséquent, on ne saurait sérieusement prétendre qu'il existe une règle coutumière de
droit international selon laquelle, dans le cas d'une notification de succession, la règle de continuité

automatique implique que le nouvel Etat est lié à partir de la date de sa création. On pourrait mêmese
demander si toute cette discussion a lieu d'être et s'il ne serait pas possible d'introduire une plainte
contre la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) tout à fait indépendamment de la date à laquelle la
Bosnie-Herzégovine a succédé à l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie en qualité de
partie à la convention sur le génocide.

o PourlaRépubliquede Bosnie-Herzégovine,ladatedesa créationestle6 mars 1992. Dans l'avis
n 11 rendu par la commission Badinter, il est clairement indiqué que la date de promulgation des
résultats du référendum, à savoir le 6 mars 1992,

«doit être considérée comme la date à laquelle la Bosnie-Herzégovine a succédé à la République
socialiste fédérative de Yougoslavie» (16 juillet 1993 (reproduit dans RGDIP, 1993,

p. 1102), ILM, vol. XXXII, 1992, annexe 7.10, p. 1588).

Par conséquent, la République de Bosnie-Herzégovine invite respectueusement la Cour à conclure
qu'elle a succédé le 6 mars 1992 à l'ex-Yougoslavieen qualité de partie à la convention sur le génocide. CONCLUSIONS

Considérant l'exposé qui précède, le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine
demande à la Cour :

-de rejeter et écarter les exceptions préliminaires de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro); et

-de dire et juger :

i)que la Cour a compétence à l'égard des conclusions présentées dans le mémoire de la
Bosnie-Herzégovine; et

ii)que ces conclusions sont recevables.

La Haye, le 14 novembre 1995

L'agent du Gouvernement de la
République
de Bosnie-Herzégovine

(Signé) Muhamed SACIRBEY.
__________

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Exposé du Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine sur les exceptions préliminaires

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