Observations de la République du Cameroun sur les exceptions préliminaires du Nigéria

Document Number
8600
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

____________________________________________________

AFFAIRE DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME
ENTRE LE CAMEROUN ET LE NIGÉRIA

OBSERVATIONS DE LA
RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN

SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
DU NIGERIA

L I V R E I

30 avril 1996

__________

SIGLES ET ABREVIATIONS

I ANNUAIRES - RECUEILS - REVUES

A.J.I.L. : American Journal of International Law

B.Y.I.L. : British Yearbook of International Law

Rec. : Recueil des arrêts de la C.I.J.

R.G.D.I.P. : Revue Générale du Droit International Public

R.T.U.N. : Recueil des Traités des Nations Unies

II ORGANISATIONS INTERNATIONALES ET SIGLES DIVERS

C.B.L.T. : Commission du Bassin du Lac TchadC.I.J. : Cour internationale de Justice

C.P.J.I. : Cour permanente de Justice internationale

O.L.P. : Organisation pour la Libération de la Palestine

O.N.U. : Organisation des Nations Unies

O.U.A. : Organisation de l'Unité Africaine

__________

SCHÉMA DES OBSERVATIONS DU CAMEROUN
SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU NIGER

Introduction

Chapitre 1

• Première exception préliminaire : La Cour n'aurait pas la compétence pour connaître
de la Requête du Cameroun
• Toutes les conditions régissant la saisine de la Cour selon la clause facultative sont
remplies en l'espèce
• La déclaration du Nigeria n'exclut pas la compétence de la Cour en l'espèce

• Le Nigeria était au courant de l'intention du Cameroun de saisir la Cour

Chapitre 2

• Deuxième exception préliminaire : Les Parties auraient l'obligation de résoudre toutes

les questions frontalières au moyen des dispositifs bilatéraux existants
• Introduction
• Nature et portée des discussions bilatérales, 1964-1994
• Conséquences juridiques des négociations bilatérales

Chapitre 3

• Troisième exception préliminaire : La C.B.L.T. aurait une compétence exclusive en
matière de délimitation des frontières dans le Lac Tchad
• La Commission du Bassin du Lac Tchad n'a pas de compétence statutaire exclusive en
matière de règlement des différends relatifs à la délimitation frontalière

• La compétence de la C.B.L.T. ne saurait être exclusive de la compétence de la C.I.J.

Chapitre 4• Quatrième exception préliminaire : La Cour ne pourrait déterminer le point triple dans
le Lac Tchad

• La jurisprudence consacre la possibilité de poursuivre une délimitation jusqu'au point
terminal de la frontière
• Les arguments du Nigeria tendant à écarter l'application des conclusions de la Cour
dans l'affaire du Différend frontalier sont sans fondement

Chapitre 5

• Cinquième exception préliminaire : Il n'existerait pas de différend entre le Cameroun
et le Nigeria

• La jurisprudence de la Cour quant à l'existence d'un différend
• L'existence d'un différend entre le Cameroun et le Nigeria

Chapitre 6

• Sixième exception préliminaire : La Cour ne pourrait déterminer par voie
juridictionnelle la responsabilité internationale du Nigeria pour ses incursions en
territoire camerounais
• Sur l'insuffisance des faits invoqués dans le Mémoire pour établir la responsabilité

internationale du Nigeria
• Sur l'insuffisance du développement détaillé des faits dans la Requête du Cameroun

Chapitre 7

• Septième exception préliminaire : Il n'existerait pas de différend relatif à la frontière
maritime susceptible de faire l'objet d'une décision judiciaire
• La prétendue impossibilité de déterminer la frontière maritime avant de déterminer le
titre sur Bakassi
• La prétendue "non justiciabilité" du différend maritime entre les Parties, en l'absence

de négociations préalables suffisantes

Chapitre 8

• Huitième exception préliminaire : La délimitation maritime impliquerait
nécessairement les droits des États tiers
• Les intérêts juridiques des États tiers ne constituent pas l'objet de la décision
demandée à la Cour
• Les éventuelles revendications des États tiers ne font pas obstacle à l'exercice de ses

pouvoirs par la Cour
• Les droits des États tiers ne sont pas affectés en l'espèce
• La préservation des intérêts des États tiers dans la pratique des États

CONCLUSIONS

__________ INTRODUCTION

1. Le 16 mars 1995, la République du Cameroun a déposé auprès de la Cour internationale de

Justice son Mémoire dans le différend frontalier, terrestre et maritime qui l'oppose à la
République fédérale du Nigeria. Ce Mémoire faisait suite à la requête introductive d'instance
déposée par le Cameroun auprès de la Cour le 29 mars 1994, sur la base de l'article 36 du
Statut de la Cour, ainsi qu'à la requête additionnelle déposée le 6 juin 1994. Dans cette requête
additionnelle, le Cameroun priait la Cour de joindre les deux requêtes et d' "examiner
l'ensemble en une seule et même instance".

2. Lors de la réunion qui s'est tenue le 14 juin 1994 entre le Président de la Cour et les
représentants des Parties, "l'Agent de la République Fédérale du Nigeria a indiqué que son
gouvernement ne voyait pas d'objection à ce que la requête additionnelle soit traitée comme
un amendement à la requête initiale, de sorte que la Cour puisse examiner l'ensemble en une
seule et même instance" (C.I.J., Ordonnance du 16 juin 1994, p. 3).

3. La Requête du Cameroun ainsi consolidée, est l'aboutissement d'une longue succession de
tentatives de règlement diplomatique du différend relatif à la délimitation de la frontière entre
les deux pays. Ces efforts en vue d'aboutir à une délimitation par voie bilatérale se sont
révélés vains en raison de la remise en cause constante par le Nigeria du moindre résultat
acquis lors des nombreuses rencontres entre les délégations des deux pays, y compris au
niveau le plus élevé. C'est pourquoi le Cameroun a porté l'affaire devant l'instance judiciaire
internationale la plus apte à régler de façon pacifique et définitive ce différend qui a dégénéré

à partir de février 1994 en affrontements entre les forces armées des deux pays.

4. Loin de contribuer à la recherche d'un règlement juridictionnel définitif du différend, le
Nigeria, fidèle à sa tactique dilatoire habituelle, a, le 17 décembre 1995, c'est-à-dire avant
l'ordonnance de la Cour indiquant les mesures conservatoires, soulevé une série d'exceptions
préliminaires entièrement artificielles auxquelles répondent les présentes observations.

5. Les affrontements n'ont, malheureusement, pas cessé depuis le dépôt de la requête. Des
incidents particulièrement graves déclenchés par le Nigeria le 3 février 1996 ont même
conduit le Cameroun à saisir la Cour, le 10 février, d'une demande en indication de mesures
conservatoires à laquelle celle-ci a fait droit par son Ordonnance du 15 mars 1996.

Aux termes de celle-ci, la Cour indique les mesures conservatoires suivantes :

"1) A l'unanimité,

Les deux Parties veillent à éviter tout acte, et en particulier tout acte de leurs forces armées,
qui risquerait de porter atteinte aux droits de l'autre Partie au regard de tout arrêt que la Cour
pourrait rendre en l'affaire, ou qui risquerait d'aggraver ou d'étendre le différend porté devant
elle ;

(...)

2) Par seize voix contre une,Les deux Parties se conforment aux termes de l'accord auquel sont parvenus les Ministres des
affaires étrangères à Kara (Togo), le 17 février 1996, aux fins de l'arrêt de toutes les hostilités
dans la presqu'île de Bakassi ;

(...)

3) Par douze voix contre cinq,

Les deux Parties veillent à ce que la présence de toutes forces armées dans la presqu'île de
Bakassi ne s'étende pas au-delà des positions où elles se trouvaient avant le 3 février 1996 ;

(...)

4) Par seize voix contre une,

Les deux Partie prennent toutes les mesures nécessaires pour préserver les éléments de preuve
pertinents aux fins de la présente instance dans la zone en litige ;

(...)

5) Par seize voix contre une,

Les deux Parties prêtent toute l'assistance voulue à la mission d'enquête que le Secrétaire
général de l'Organisation des Nations Unies a proposé de dépêcher dans la presqu'île de
Bakassi.

(...)" (Ordonnance du 15 mars 1996, dispositif, pp. 11-12 de la version dactylographiée).

6. Le Cameroun, soucieux de respecter pleinement les mesures indiquées par la Cour, a

notamment, par deux lettres du Président de la République adressées respectivement au
Président du Conseil de sécurité et au Secrétaire général des Nations Unies, fait part à ces
hautes autorités de son entière disponibilité en vue de l'application des dispositions du
paragraphe 5 de l'Ordonnance et de son désir de coopérer pleinement à la mission d'enquête
que le Secrétaire général de l'O.N.U. a proposé de dépêcher dans la presqu'île de Bakassi où,
au moment où les présentes observations écrites sont rédigées, la situation demeure très
tendue.

7. Au paragraphe 31 de l'Ordonnance du 15 mars 1996, la Cour se déclare :

" d'avis que les exceptions préliminaires présentées par [le Nigeria] ne sont pas de nature telle
qu'elles puissent exclure cette compétence ; que la Cour estime en effet que les déclarations
faites par les Parties conformément au paragraphe 2 de l'article 36 de son Statut constituent

prima facie une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée en l'espèce" (ibid., p.8).

8. Dans le paragraphe 33, la Cour ajoute :

"sans se prononcer sur la question de savoir si, en présence d'une demande en indication de
mesures conservatoires, la Cour doit, avant de décider d'indiquer ou non de telles mesures,s'assurer que la requête dont elle est saisie est prima facie recevable, elle est d'avis qu'en
l'espèce la requête consolidée du Cameroun n'apparaît pas prima facie irrecevable au regard
des exceptions préliminaires soulevées par le Nigeria" (ibid., par. 33, p. 8).

9. Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour précise qu'une décision rendue dans la

procédure en indication de mesures conservatoires :

"ne préjuge en rien la compétence de la Cour pour connaître du fond de l'affaire, ni aucune
question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même, et qu'elle laisse intact le
droit des Gouvernements du Cameroun et du Nigeria de faire valoir leurs moyens en ces
matières" (ibid., par. 44, p. 10).

10. De l'avis de la République du Cameroun cependant, la compétence de la Cour et la
recevabilité de la requête ne sont pas établies seulement prima facie, elles ne peuvent être
contestées et aucune des exceptions préliminaires soulevées par le Nigeria n'est de nature à
empêcher la Cour de procéder à l'examen au fond de la requête.

11. Avant de faire quelques remarques de caractère général sur les Exceptions préliminaires

du Nigeria, le Cameroun formulera de brèves observations sur le contexte factuel de l'affaire
que l'Etat défendeur s'emploie à déformer. Il soulignera ensuite que le refus de la Partie
nigériane de se soumettre à la juridiction de la Cour prend le contre-pied des appels qui lui
sont lancés de toutes parts et des positions qu'il a lui-même adoptées par ailleurs.

A - Le contexte factuel

12. Les deux pays sont limitrophes sur 1.680 kilomètres du Lac Tchad à la mer. Le tracé de la
frontière entre les deux pays est le produit de deux phases successives de l'histoire coloniale
européenne, celle de la colonisation allemande qui a duré de 1884 à 1919 et celle du partage
de l'ancienne colonie allemande entre la France et la Grande-Bretagne.

13. Alors que le Nigeria, colonie et protectorat est principalement issu de l'histoire coloniale
britannique, le Cameroun, colonie et protectorat allemand fut, au lendemain de la guerre de

1914-1918, placé sous le régime des mandats B de la Société des Nations et partagé entre la
France et la Grande-Bretagne : 439.000 Km2 sont placés sous mandat français, et 89.270
Km2, zone frontalière du Nigeria, furent placés sous mandat britannique.

14. La France, après une brève tentative d'administration commune avec l'Afrique équatoriale
française à laquelle avait été restituée la portion du Congo annexée par l'Allemagne en 1911, a

fait du Cameroun un territoire sous mandat autonome.

15. La Grande-Bretagne, pour sa part, opta pour le rattachement administratif de la portion du
Cameroun sous mandat britannique à sa colonie du Nigeria. Le Nord (Northern Cameroons)
fut rattaché à la Northern Province du Nigeria, le Sud (Southern Cameroons) fut rattaché à
l'Eastern Province du Nigeria. Bien que considérés par la Société des Nations puis par les
Nations Unies comme mandats puis territoires sous tutelle, le Northern et le Southern

Cameroons furent totalement assimilés administrativement au Nigeria pour des raisons
essentiellement pratiques, à ce qu'il a toujours paru à la Partie camerounaise.

16. Il est donc parfaitement exact qu'entre 1919 et 1961, les territoires camerounais sous
administration britannique furent pratiquement traités comme des territoires nigérians.17. Cette situation de fait n'entraîne aucune conséquence de droit : les Nations Unies, en
mettant fin à la tutelle au nom de laquelle les puissances administrantes exerçaient leur
autorité, ont autorisé la tenue de deux référendums, l'un dans le Nord Cameroun (Northern
Cameroons), l'autre dans le Sud Cameroun (Southern Cameroons) en février 1961 pour
demander aux populations encore sous tutelle britannique si elles voulaient rejoindre le

Cameroun anciennement sous tutelle française, indépendant depuis le 1er janvier 1960, ou si
elles souhaitaient leur rattachement définitif au Nigeria. Le Northern Cameroons choisit le
Nigeria, le Southern Cameroons opta pour le Cameroun.

18. Le Nigeria est aujourd'hui constitué de son territoire tel qu'il était lors de son accession à
l'indépendance le 1er octobre 1960 augmenté du Northern Cameroons, et le Cameroun de son
territoire tel qu'il était le 1er janvier 1960 lors de son accession à l'indépendance augmenté du

Southern Cameroons.

19. Du point de vue des frontières, il résulte clairement des référendums de 1961 que la
frontière entre le Cameroun et le Nigeria est, au Nord, celle qui fut établie entre les mandats
français et britannique, et au Sud celle qui a résulté, peu avant la guerre de 1914, de la
délimitation entre les possessions britanniques et allemandes.

20. Ce sont ces frontières nées de la décolonisation et dont la permanence est garantie par le
droit international général et la résolution 16 (I) adoptée au Sommet de l'O.U.A. de 1964 que
le Cameroun entend faire confirmer par la Cour internationale de Justice après avoir engagé
en vain, pendant plus de trente ans, des négociations en vue de les faire reconnaître par le
Nigeria.

21. Depuis le durcissement du régime militaire au Nigeria, il apparaît en effet que les
incidents frontaliers sporadiques sont devenus systématiques, remettant en cause la frontière
"anglo-française" au Nord comme la frontière "anglo-allemande" au Sud, du Lac Tchad
jusqu'à la mer.

22. Ces incidents, qui impliquent désormais l'administration et les forces armées nigérianes
entraînent non seulement des incursions parfois profondes en territoire camerounais, mais

encore l'occupation permanente de parties entières de ce territoire comme c'est le cas au Nord
dans le Lac Tchad notamment à Darak, et au Sud dans la presqu'île de Bakassi, sans préjudice
du très grand nombre de violations de la frontière relevées dans le Mémoire du Cameroun, et
qui seront explicitées lors du débat sur le fond. Dans la zone maritime, les agissements du
Nigeria privent le Cameroun de l'exploitation normale de sa zone océanique tant en ce qui
concerne les ressources halieutiques que minérales.

23. Le Cameroun, pays pacifique, au régime civil, n'avait ni le goût ni les moyens de contester
par la force les agissements de son puissant voisin. Il a donc choisi la voie juridique d'un
recours devant la Cour internationale de Justice, voie non exclusive des actions qu'il a pu
entreprendre notamment au Conseil de sécurité et à l'O.U.A. Mais les démarches entreprises
auprès de ces deux instances politiques internationales n'ont pas abouti aux mesures
escomptées par le Cameroun en raison de l'attitude paralysante du Nigeria.

24. Les Exceptions préliminaires présentées par ce pays participent de la même stratégie. Une
lecture de ces objections, notamment de l'introduction, laisse apparaître une forme de
raisonnement qui, au nom de la recevabilité, lie étroitement la forme et le fond en essayant, au
nom de la forme, d'empêcher tout examen au fond de la plainte du Cameroun par la Cour.25. A l'analyse, la présentation générale des faits donnée par le Nigeria laisse penser que des
liens historiques, ethniques et administratifs suffiraient à fonder la souveraineté du Nigeria sur
les parcelles contestées. Mais elle paraisse aussi destinée à faire naître un doute sur la
délimitation des frontières dont le Cameroun demande la garantie.

a) Les liens historiques et administratifs :

26. Dès le huitième paragraphe de ses Exceptions préliminaires, apparemment descriptif de la
nature physique des frontières entre le Nigeria et le Cameroun dans la zone de Bakassi, le
défendeur affirme :

"The Peninsula itself consists of a series of islands covering approximately 50 square

kilometres and occupied for the most part by long established communities of Nigerians, in
several dozens of villages" (NPO, par. 8, p. 8).

27. Le Nigeria oublie de préciser qu'il s'agit de zones de mangroves à peine découvertes à
marée basse et occupées temporairement par des pêcheurs venant de divers pays du Golfe de
Guinée, notamment du Bénin, du Ghana et du Nigeria. Les habitants permanents ont voté

massivement au référendum de 1961 pour le rattachement au Cameroun par 3.756 voix contre
2.552 (Annexe O.C. 2). Il oublie aussi que les mouvements migratoires, saisonniers de
surcroît, n'ont aucun effet sur la souveraineté de la zone contestée.

28. Le Nigeria écrit en outre au paragraphe 17 de ses Exceptions préliminaires :

"At least 90% of the population of the Bakassi Peninsula consist of Efik and Efut people of

Nigeria. The historical association with Old Calabar provides evidence of the integral links
between Calabar and the Bakassi district" (NPO, p. 11).

29. Or, ne sont nullement en cause, en cette phase de la procédure, les liens historiques qui ont
pu exister entre Calabar et Bakassi, et le pourcentage de Nigérians composant la population de
Bakassi qui est sans pertinence aucune au regard des titres conventionnels qui établissent de
façon incontestable l'appartenance de Bakassi au territoire camerounais. De même, il est sans

intérêt de rappeler, comme le fait le Nigeria au paragraphe 14 de ses Exceptions préliminaires
que :

"The Southern Cameroons were joined in one administrative union with the Eastern Province
of Nigeria while the Northern Cameroons were linked with the Northern Province of Nigeria
in another."(NPO, p. 10).

C'est un fait d'histoire qui ne change rien au statut territorial de Bakassi aujourd'hui, celui-ci
étant fixé par des traités internationaux.

30. Quant aux "numerous treaties [which] were entered into between colonial powers and
native chiefs for the purpose of establishing and consolidating spheres of influence" (NPO,
par. 17, p. 11), ils sont inopérants, qu'ils soient antérieurs à la colonisation allemande parce

que rendus caducs par la délimitation de frontière anglo-allemande, ou postérieurs à
l'établissement du mandat britannique parce que la Société des Nations, puis les Nations
Unies, ont fixé la frontière à l'issue du référendum de 1961.31. La République fédérale du Nigeria est d'ailleurs embarrassée par sa propre argumentation
et en vient à évoquer les référendums en termes sibyllins : "In February 1961, the UN
supervised plebiscites in both the Southern and Northern Cameroons" ; aucune mention n'est
faite des résultats et de leurs conséquences. Elle ajoute, il est vrai : "Cameroon became a
unitary Republic on 2 June 1972", (NPO, par. 15, p. 10) mais quel rapport ce changement

constitutionnel dans la République fédérale du Cameroun survenu onze ans plus tard peut-il
avoir avec le référendum dans les "Cameroons" sous administration britannique en 1961 ?

b) Le doute que veut faire peser le Nigeria sur la délimitation des frontières :

32. "The Bakassi Peninsula is a low lying region bordered on the West by the estuary of the
Cross River, on the North by the Akwayafe River (also known as the Apka ikang), on the East

by the Rio del Rey estuary, and on the South by the Gulf of Guinea".

"The rest of boundary (subject matter of the Amendment) consists in the South East section
(from Mount Kombon to the Bakassi Peninsula) of mountainous country. The terrain in the
North Eastern section of the boundary varies sharply between the Mandara Mountains
running along the border with Cameroon and the flat, low-lying, Lake Chad Basin. The

mountainous areas through which the boundary passes constitute very difficult terrain. Parts
of these mountainous areas are virtually inaccessible during the rainy season. Indeed, a
considerable part of boundary between Nigeria and Cameroons lies in remote country amidst
dense forests or high mountain ranges." (NPO, paras. 8 et 9, p. 8).

33. Cette description assez particulière de cette frontière présentée comme située tantôt dans
les bas fonds maritimes, le long de cours d'eau fantasques aux rives mal définies, tantôt dans

des montagnes inaccessibles, a évidemment pour but de semer le doute sur l'existence de la
délimitation d'une frontière qui résulte bel et bien de traités largement analysés dans le
Mémoire du Cameroun (not., chapitre 2, pp. 39-142) et dont la matérialité, qui n'est pas
discutable, est indépendante de ses caractères physiques.

B - Remarques générales sur les Exceptions préliminaires nigérianes

34. Sans qu'il estime utile de s'y attarder, le Cameroun souhaite faire quelques brèves
remarques d'une part, sur le mode de raisonnement du Nigeria et la façon dont il conçoit ses
exceptions préliminaires, d'autre part sur ce qu'il considère comme des imperfections
matérielles des annexes du Cameroun et des renvois à celles-ci.

a) Le modus operandi du raisonnement nigérian

35. Le Nigeria se fonde sur des faits qu'il affirme indiscutables et dont la reconnaissance est à
ses yeux de nature à entraîner l'irrecevabilité de la requête camerounaise. Il est clair que ce
raisonnement s'apparente à un sophisme ayant pour objet réel de faire obstruction à l'examen
au fond.

36. La Cour ne peut rompre le noeud de ce sophisme qu'en rejetant les exceptions

d'irrecevabilité, quitte, pour faire reste de droit à la partie nigériane, à ordonner la jonction de
certaines de ces objections au fond. Encore faudrait-il, pour cela, qu'elle estime que certaines
exceptions soulevées par le Nigeria ont un certain caractère préliminaire mais que celui-ci
n'est pas "exclusivement préliminaire" ; or, de l'avis du Cameroun, tel n'est le cas d'aucune des
huit exceptions "préliminaires" invoquées par le Nigeria dont certaines sont mal fondées etdont les autres concernent exclusivement des points de fond et n'ont dès lors aucun caractère
préliminaire, même partiel.

37. En saisissant la Cour de cette affaire dont les conséquences sur le terrain n'ont cessé de
s'aggraver au point de la contraindre à saisir la Cour d'une demande en indication de mesures

conservatoires, la République du Cameroun croyait que les deux Parties étaient dans les
mêmes dispositions d'esprit, celles de voir la Cour rendre le plus rapidement possible une
décision définitive au fond.

38. Mais au lieu de répondre au Mémoire du Cameroun, déposé le 16 mars 1995, dans lequel
il développe aussi bien les faits que les moyens de la cause évoqués dans sa requête
introductive d'instance complétée par sa requête additionnelle, le Nigeria a choisi de présenter

des exceptions préliminaires, dont le seul objectif est manifestement de "gagner du temps".
Ces exceptions sont en effet dépourvues de toute pertinence. Elles ont pour seul objectif de
retarder une procédure qui est, pour le Cameroun, la seule issue sûre dans un différend qui
coûte de plus en plus en vies humaines, en infrastructures et équipements collectifs ainsi qu'en
biens individuels.

39. En premier lieu, le Nigeria procède par affirmations non démontrées, assénant ses
opinions comme s'il s'agissait de règles de droit ou transformant de simples affirmations en
principes du droit international et prête au Cameroun des procédés dont il fait un usage répété
et regrettable. A plusieurs reprises par exemple, la partie nigériane affirme gratuitement que le
Mémoire du Cameroun - auquel il aurait dû répondre - "is replete with emotive language"
(NPO, pars. 23, 26 et 27, pp. 14-15), que les commentaires de ce pays sont des "prejudical
comments" (NPO, Introduction, point E, p. 14) et exalte sa propre "good faith". Le Cameroun

laisse à ce pays l'entière responsabilité de ces affirmations gratuitement injurieuses auxquelles
il ne lui paraît pas utile de répondre.

40. Il pense pour sa part qu'une instance devant la Cour est une procédure judiciaire
impliquant la confrontation de présentations contraires mais sérieuses, et non pas une partie
de "bluff" dans laquelle des affirmations non démontrées (et inexactes) pourraient tenir lieu de
raisonnement. Affirmer que "the duty of the parties to settle all boundary questions by means

of the existing bilateral machinery" est une obligation et que "[t]he Parties have accepted such
a duty and complied with that for a quarter of a century" (NPO, par. 31, p. 17) est absolument
sans fondement, car cette affirmation n'est étayée par aucun document attestant un tel
engagement comme le Cameroun le démontrera ci-après (v. chapitre 2, infra). De même,
évoquer, pour conclure à une "false claim" du Cameroun (NPO, par. 33, pp. 17-18), les termes
de la note du Ministre des Relations extérieures du Cameroun adressée à l'Ambassadeur du
Nigeria à Yaoundé le 11 avril 1994 dans laquelle il relève des faits constants révélant la

"technique" nigériane d'occupation des parties du territoire camerounais est une dénaturation
des termes de cette lettre.

41. Le Nigeria semble d'ailleurs méconnaître le sens même de la notion d'exception
préliminaire. Si le Statut de la Cour l'évoque implicitement et de façon laconique dans l'article
36, l'article 79 du Règlement de la Cour est suffisamment explicite à cet égard. Les exceptions

préliminaires y apparaissent comme devant porter essentiellement sur les questions de
compétence et de recevabilité ou toute question de procédure et, en tout état de cause, pas sur
le fond. Le paragraphe 1er de cet article est très clair à cet égard et vise "toute exception à la
compétence de la Cour ou à la recevabilité de la requête ou toute exception sur laquelle le
défendeur demande une procédure avant que la procédure sur le fond se poursuive ...". Tel estle sens qu'on accorde généralement à cette procédure (v. par ex. Geneviève Guyomar,
Commentaire du Règlement de la Cour Internationale de Justice adoptée le 14 avril 1978,
Paris, Pédone, 1983, p. 512; v. aussi Georges Abi-Saab, Les exceptions préliminaires dans la
procédure de la Cour internationale : Etude des notions fondamentales de procédure et des
moyens de leur mise en oeuvre, Paris, Pédone, 1967, pp. 27 et s.), et la pratique devant la Cour

montre bien que tel est le sens que les parties à une instance, comme la Haute Juridiction elle-
même, devant cette juridiction lui accordent généralement (Affaire du Détroit de Corfou, arrêt
du 25 mars 1948 (recevabilité) ; Affaire Ambatielos, arrêt du 1er juillet 1952, (compétence) ;
Affaire de l'Anglo-iranian Oil Co., arrêt du 22 juillet 1952 (compétence) ; Affaire Nottebohm,
arrêt du 18 novembre 1953, (compétence) ; Affaire de l'Interhandel, arrêt du 21 mars 1959,
(compétence) ; Affaire relative à l'Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c. Bulgarie),
(compétence) ; Affaire du Temple de Préah Vihéar, arrêt du 26 mai 1961, (compétence) ;

Affaire du Sud-Ouest africain, arrêt du 21 décembre 1962, (compétence) ; Affaire de la
Barcelona Traction Light and Power Company Limited, arrêt du 24 juillet 1964 (procédure);
Affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, arrêt du
24 mai 1980 (recevabilité, pars. 33 à 44 ; compétence, par. 45 à 55 - Rec. 1980, pp. 18-28 ;
etc.).

42. Le Nigeria semble avoir pris pour modèle absolu en l'espèce l'argumentation de l'Inde

dans l'Affaire du Droit de passage en territoire indien (arrêt du 26 novembre 1957) : sa
première exception correspond aux exceptions indiennes n°1, 2 et 4; sa cinquième exceptions
à l'exception indienne n°3. Mais le Nigeria, qui écarte curieusement et sans argumentation
juridique acceptable, l'arrêt précité rendu par la Cour dans cette affaire, ne peut ignorer que la
Cour a décidé de joindre la cinquième et la sixième exceptions préliminaires de l'Inde au fond,
et qu'elle a rejeté la première, la deuxième et la troisième exceptions soulevées par ce pays.

b) Les "deficiencies" reprochées par le Nigeria au Mémoire du Cameroun

43. Par ailleurs, le Nigeria fournit une liste de corrections concernant le renvoi aux annexes,
dans le Mémoire du Cameroun. Il convient de remarquer que nombre de ces corrections sont
elles-mêmes erronées. Par exemple, dans le Schedule One, la Partie nigériane écrit : "The
reference in paragraph 2.34 of the Memorial is to Article II of the Anglo-German Agreement

dated 15 November 1893. The correct reference is Article III". (NPO, p. 147). En vérifiant
dans le Mémoire du Cameroun, l'on peut constater que la référence donnée par le Cameroun
est bien l'Article III (Annexe MC 14).

44. Ce qui précède n'exclut pas que certains renvois aux annexes, dans le Mémoire du
Cameroun, comportent des erreurs. Il s'agit de simples erreurs matérielles, pour lesquelles le
Cameroun présente ses excuses aux Juges de la Cour et à la Partie nigériane, mais qui ne

peuvent, en aucun cas, remettre en cause le fond du Mémoire ni la véracité des arguments
avancés.

45. L'appendice joint aux annexes aux présentes Observations contient les réactions du
Cameroun aux deux annexes ("schedules") aux Exceptions préliminaires nigérianes (Annexe
O.C. 34).

C - Les appuis de la communauté internationale au règlement du différend par la Cour

46. Tous les efforts du Nigeria visent donc à soustraire le règlement du différend qui l'oppose
au Cameroun à la compétence de la Cour, alors même que la Communauté internationaleapprouve unanimement la démarche de ce dernier inspirée par un souci de paix en vue de
parvenir à un règlement définitif s'imposant aux deux Parties.

47. Dans une déclaration datée du 5 février 1996 consécutive aux graves accrochages entre les
troupes camerounaises et nigérianes portés à la connaissance de la Cour lors de l'examen des

mesures conservatoires demandées par le Cameroun, le Secrétaire général des Nations Unies,
M. Boutros Boutros-Ghali, a demandé expressément aux deux pays de "retirer leurs troupes
de la presqu'île de Bakassi" en attendant "les délibérations de la Cour" (Annexe O.C. 19).
Puis, dans un communiqué de presse du 26 février 1996,

"He noted that this dispute is currently under the consideration of the International Court of
Justice, and urges the Government of Cameroon and Nigeria to pursue their efforts with a

view to settling this dispute peacefully in accordance with the United Nations Charter"
(Annexe O.C. 27).

48. Dans sa lettre du 29 février 1996 aux Chefs d'États camerounais et nigérian, le Président
du Conseil de sécurité, s'exprimant au nom des membres du Conseil écrit :

"Les membres du Conseil notent que la Cour internationale de Justice est déjà saisie de ce
différend et que l'affaire est actuellement à l'étude". [Ils demandent aux deux Etats en conflit]
"de prendre les mesures nécessaires pour retirer leurs forces jusqu'aux positions qu'elles
occupaient avant que la Cour internationale ne soit saisie du différend" (Annexe O.C. 32).

Et, dans une formule on ne peut plus claire, il ajoute

"Les membres du Conseil vous exhortent à redoubler d'efforts pour parvenir à un règlement
pacifique par l'entremise de la Cour internationale de Justice" (Ibid.).

49. Dans le même ordre d'idée, l'Union européenne a invité, dans une déclaration du 22
février 1996, les deux Etats "à s'abstenir de toute intervention militaire" et à "revenir sur les
positions qui étaient les leurs avant la saisine de la Cour internationale de Justice" (Annexe
O.C. 23). Elle marquait par là implicitement que la Cour était l'instance indiquée pour régler

de façon satisfaisante ce différend conformément à la loi internationale.

50. Adoptant une formulation plus générale, le Secrétaire général de l'O.U.A., M. Salim
Ahmed Salim a appelé les deux Etats à "résoudre pacifiquement" le conflit frontalier qui les
oppose (Annexe O.C. 25). Certes, cet appel ne fait pas explicitement référence à la Cour ;
toutefois, il n'est pas douteux que le règlement des différends par cette dernière fait partie des

modes de "règlement pacifique" des différends internationaux, et que même s'il visait d'autres
modes de règlement pacifique des différends, absolument rien n'autorise à exclure le
règlement par voie juridictionnelle, en l'occurence par la Cour internationale de Justice.

51. En outre, et pour se borner à quelques exemples, dans une déclaration du 23 février 1996
assez proche de celle de l'Union européenne, les Etats-Unis indiquent qu'ils

"pensent que les revendications territoriales des Etats souverains doivent se résoudre
pacifiquement, dans les forums bilatéraux, régionaux ou internationaux appropriés. A cet
effet, nous [Etats-Unis] notons que les deux parties ont précédemment esté devant la Cour
Internationale de Justice (C.I.J.), pour trouver une solution" (Annexe O.C. 24).Ils ajoutent en des termes aussi nets que ceux du Conseil de Sécurité :

"Les Etats-Unis se joignent à d'autres pour demander avec instance au Cameroun et au
Nigeria de continuer à rechercher, à travers la procédure devant la C.I.J., une solution
pacifique de ce différend" (Ibid.)

52. Ces déclarations et appels confirment le bien fondé de la démarche choisie par le
Cameroun pour régler ce différend après l'échec de nombreuses tentatives de règlement par
voie bilatérale. Ils soulignent aussi que la Communauté internationale partage l'espoir du
Cameroun de voir la Cour régler définitivement ce différend qui envenime les relations entre
les deux pays.

D - Les acceptations sporadiques par le Nigeria de la compétence de la Cour

53. Le refus du Nigeria de céder aux appels qui lui sont lancés de toutes parts lui demandant
d'accepter la compétence de la Cour pour se prononcer sur la requête du Cameroun est
d'autant plus affligeant et incompréhensible que ce pays a, à maintes reprises, par les voix les
plus autorisées, proclamé qu'il reconnaissait sa juridiction à cette fin, contredisant ainsi

publiquement la position qu'il prend en procédure.

54. Il est, à cet égard, très significatif que le Nigeria n'a, à aucun moment avant le dépôt de ses
Exceptions préliminaires, mis en doute, de quelque manière que ce soit, la compétence de la
Cour ou la recevabilité de la Requête. Bien au contraire, dès que l'intention du Cameroun fut
connue des autorités nigérianes - et ceci s'est produit plusieurs semaines avant le dépôt de la
Requête (v. infra, chapitre 1, pars. 1.92 à 1.99) - celles-ci ont manifesté une certaine irritation

mais, à aucun moment elles n'ont contesté que la Cour fût compétente (v. ibid.) pas davantage
qu'elles n'ont exprimé le moindre doute sur ce point après le dépôt de la Requête initiale ou de
la Requête additionnelle (v. infra, pars 1.101 à 1.106), y compris lors de la première réunion
de concertation des Parties autour du Président de la Cour le 14 juin 1994 (cf. l'Ordonnance
de la Cour du 16 juin 1994, Rec. 1994, p. 3).

55. De même, il est frappant de constater que, tout en contestant la compétence, même prima

facie, de la Cour, à la suite de la demande en indication de mesures conservatoires formée par
le Cameroun, le Nigeria n'en ait pas moins, pour sa part, saisi la Cour de demandes
reconventionnelles par une lettre de son Agent adressée au Greffier le 16 février 1996. Il y
écrivait notamment :

"The Federal Republic of Nigeria as a law abiding and peace-loving nation had no option in

the circumstances than to join issues with the Republic of Cameroon in the International
Court of Justice";

et d'ajouter :

"The Nigerian Government hereby invites the International Court of Justice to note this
protest and call the Government of Cameroon to order (...)

"Finally, the Government of Cameroon should be warned to desist from further harassment of
Nigerian citizens in the Bakassi peninsula until the final determination of the case pending at
the International Court of Justice" (Annexe O.C. 21).56. Davantage même, à de très nombreuses reprises, les autorités nigérianes, au plus haut
niveau, ont reconnu que l'affaire était pendante devant la Cour, ce qui n'aurait guère de sens si
cela ne signifiait pas que le Nigeria reconnaissait du même coup la compétence de la Cour
pour se prononcer. Ainsi, dans une note verbale du 14 avril 1994, que le Nigeria reproduit
intégralement dans ses Exceptions préliminaires (par. 5.7, p. 89), l'ambassade de ce pays à

Yaoundé proteste contre l'affirmation de sa souveraineté sur la presqu'île de Bakassi et sur la
région de Darak et conclut :

"As regards the Bakassi Peninsula, the Cameroonian Authorities are perfectly aware that the
dispute over its ownership is now before the International Court of Justice. Until it is finally
resolved therefore, it is absolutely inappropriate to use it illustratively as in the specific case
of Kontcha" (NPO, Annexe 79, italiques ajoutés).

57. Le communiqué commun signé à Kara le 17 février 1996 par les Ministres des Affaires
étrangères des deux pays sous les auspices du Président de la République togolaise indique
également que les deux Ministres

"recognized that the dispute is pending at the International Court of Justice" (Annexe O.C.

22).

Il n'est peut-être pas superflu de rappeler que, dans l'Ordonnance du 15 mars 1996, la Cour a
considéré que ce communiqué constituait un accord auquel les Parties doivent se conformer.

58. Plusieurs déclarations unilatérales des autorités nigérianes vont dans le même sens. Ainsi
par exemple,

- le Colonel Godwin Ugbo, Directeur adjoint de l'Information du Ministère nigérian de la
Défense a déclaré, le 7 février 1996 :

"Nigeria is not at war with Cameroon more

so when the dispute is still awaiting adjudication at he International Court of Justice"
(Annexe O.C. 20 - italiques ajoutés) ;

- de même, M. Weber Ofonagoro, Ministre de l'Information et de la Culture du Nigeria a
rappelé, le 25 février 1996,

"that the Bakassi issue was still before the International Court" (Annexe O.C. 30 - italiques

ajoutés) ; etc.

59. De manière plus officielle encore, le Ministre nigérian des Affaires étrangères, dans une
lettre adressée au Président du Conseil de sécurité le 26 février 1996, s'emploie à exposer ce
que le Nigeria considère comme "the true state of affairs prevailing in the Bakassi Peninsula".
Il y écrit notamment :

"this matter is already before the International Court of Justice (...).

"It would appear also that their tactics [des camerounais] seem aimed at forcing a decision on
the Peninsula question in their favour, regardless of ongoing peaceful negotiations and
processes at the International Court of Justice" (Annexe O.C. 29 - italiques ajoutés).Dans le même esprit, le Professeur Ibrahim A. Gambari, Ambassadeur, Représentant
permanent du Nigeria auprès des Nations Unies a déclaré le lendemain, lors d'une réunion des
membres non-alignés du Conseil de sécurité :

"Indeed, the subject [le différend relatif à Bakassi] is now before the International Court of

Justice for arbitration and Judgment" (Annexe O.C. 31 - italiques ajoutés).

60. Dans tous ces cas, il s'agit de déclarations solennelles faites publiquement et, souvent,
devant les plus hautes instances internationales, et qui, à l'évidence, engagent l'Etat qui les a
faites. Il y a là "la preuve de vues officielles" nigérianes (C.I.J., arrêt du 17 novembre 1953,
affaire des Minquiers et des Ecréhous, Rec. 1953, p. 71 ; v. aussi les arrêts du 12 avril 1960,
Droit de passage en territoire indien, Rec. 1960), Sentence arbitrale rendue par le Roi

d'Espagne, Rec. 1960, pp. 205-209 et 213-214).

"Un engagement de cette nature, exprimé publiquement et dans l'intention de se lier [s'il n'en
allait pas ainsi, ce ne pourrait être qu'avec celle d'abuser la Communauté internationale et, en
particulier, les membres du Conseil de sécurité], même hors du cadre des négociations
internationales, a un effet obligatoire" (C.I.J., arrêts du 20 décembre 1974, affaire des Essais

nucléaires, Rec. 1974, pp. 267 et 472).

61. Ainsi, les plus hautes autorités nigérianes ont reconnu non seulement que l'affaire était
pendante devant la Cour, mais aussi que celle-ci devait se prononcer au fond et que, dans cette
attente, les deux Etats devaient adopter une conduite conforme à ce que l'on attend des Parties
à un différend soumis à la Cour internationale de Justice. Le Nigeria ne peut contester devant
la Cour ce qu'il proclame à l'extérieur. Comme l'a rappelé le Juge Alfaro dans l'opinion

individuelle qu'il a jointe à l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire du Temple de Préah Vihéar :

"Un Etat partie à un litige international est tenu par ses actes ou son attitude antérieure
lorsqu'ils sont en contradiction avec ses prétentions dans ce litige" (Rec. 1962, p. 39);

ou encore :

"La partie qui, par sa reconnaissance, sa représentation, sa déclaration, sa conduite ou son
silence, a maintenu une attitude manifestement contraire au droit qu'elle prétend revendiquer
devant un tribunal international est irrecevable à réclamer ce droit (venire contra factum
proprium non valet)" (ibid., p. 40).

62. De l'avis de la République du Cameroun, l'acceptation par le Nigeria de la compétence de

la Cour découle à suffisance des prises de position énumérées ci-dessus qui suffisent en elles-
mêmes à écarter les exceptions préliminaires que l'Etat défendeur a cru pouvoir soulever par
ailleurs en contradiction manifeste avec ses déclarations formelles. Ce n'est donc que pour
surplus de droit que le Cameroun consacrera la suite des présentes observations à discuter les
exceptions nigérianes.

E - Plan des Observations

63. Au regard de l'argumentation présentée par le Nigeria au soutien de ses exceptions
préliminaires, le Cameroun n'a pas de doute que la Cour les rejettera intégralement. A cettefin, la République du Cameroun entend établir la non-pertinence de ces exceptions en les
examinant une à une dans l'ordre présenté par l'Etat défendeur.

CHAPITRE 1

PREMIERE EXCEPTION PRELIMINAIRE :
LA COUR N'AURAIT PAS LA COMPETENCE

POUR CONNAITRE DE LA REQUETE DU CAMEROUN

1.01 Dans sa première exception préliminaire, le Nigeria affirme que la Cour n'est pas
compétente pour connaître de la requête soumise par le Cameroun le 29 mars 1994 et
amendée le 6 juin de la même année. L'exception est principalement fondée sur le fait que la
requête serait prétendument "prématurée", ce qui - selon le Nigeria - interdirait au Cameroun
de fonder la compétence de la Cour internationale de Justice sur la déclaration qu'il a

effectuée conformément à l'article 36, paragraphe 2, du Statut. (NPO p. 43). Plus précisément,
le Nigeria estime que, en soumettant sa requête à la date indiquée, le Cameroun "violated its
obligations to act in good faith, acted in abuse of the system established by Article 36.2 of the
Statute, and disregarded the requirement of reciprocity established by Article 36.2 of the
Statute and the terms of Nigeria's Declaration of 3 September 1965" (NPO, par. 1.28, p. 42 et
s.).

1.02 Les faits ne sont pas contestés par les Parties : le Nigeria et le Cameroun ont tous deux
déclaré accepter la compétence obligatoire de la Cour conformément à l'article 36, paragraphe
2, du Statut et leurs déclarations d'acceptation respectives ont été déposées auprès du
Secrétaire général des Nations Unies, conformément aux exigences de l'article 36, paragraphe
4, du Statut. Le Nigeria a procédé à cette formalité le 3 septembre 1965, le Cameroun le 3
mars 1994 (Annuaire C.I.J., 1993-94, pp. 90 et 112).

1.03 Les deux déclarations se lisent comme suit:

CAMEROUN

3 III 94.

D'ordre du Gouvernement de la République du Cameroun, j'ai l'honneur de déclarer que:

Le Gouvernement de la République de Cameroun, conformément au paragraphe 2 de l'article
36 du Statut de la Cour, reconnaît de plein droit et sans convention spéciale, à l'égard de tout
autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour pour tous les différends
d'ordre juridique.

La présente déclaration restera en vigueur pendant une période de cinq ans. Elle continuera
ensuite à produire effet jusqu'à notification contraire ou modification écrite par le
Gouvernement de la République du Cameroun.(Signé) Ferdinand Léopold OYONO
ministre des relations extérieures.

NIGERIA

3 IX 65.

Attendu qu'aux termes de l'article 93 de la Charte des Nations Unies, tous les Etats Membres
sont ipso facto parties au Statut de la Cour internationale de Justice,

Attendu que le Gouvernement de la République fédérale de Nigeria a décidé d'accepter la
juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice et qu'il doit, aux termes du
paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour, faire une déclaration à cet effet,

Nous, Nuhu Bamali, ministre d'Etat aux affaires extérieures, déclarons par les présentes que le
Gouvernement de la République fédérale de Nigeria reconnaît comme obligatoire de plein

droit et sans convention spéciale, à l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation,
c'est-à-dire sous la seule condition de réciprocité, la juridiction de la Cour internationale de
Justice conformément au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour.

Fait à Lagos, le 14 août 1965.

(Signé) Nuhu BAMALI

ministre d'Etat aux affaires extérieures.

1.04 Liminairement, le Cameroun croit devoir rappeler qu'au cours de la procédure conduisant
à l'ordonnance de la Cour internationale de Justice du 15 mars 1996 concernant l'indication de

mesures conservatoires dans la présente affaire, l'Agent du Nigeria a affirmé "que la Cour n'a
pas, même prima facie, compétence pour connaître des questions de fond" (Ordonnance, par.
29). Toutefois, dans son Ordonnance, la Cour a estimé "que les déclarations faites par les
Parties conformément au paragraphe 2 de l'article 36 de son Statut constituent prima facie une
base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée en l'espèce" (ibid., par. 31).

SECTION 1. TOUTES LES CONDITIONS REGISSANT LA SAISINE DE LA COUR
SELON LA CLAUSE FACULTATIVE SONT REMPLIES EN L'ESPECE

1.05 L'argument principal qui sous-tend la première exception nigériane se fonde sur le non-
respect par le Cameroun de prétendues conditions régissant la saisine de la Cour

conformément à une déclaration faite en vertu de la clause facultative. Il suffit de rappeler
brièvement, mais précisément, en quoi consiste le système établi par la clause facultative de
l'article 36, paragraphe 2, pour constater que la requête du Cameroun lui est en tous points
conforme.

§ 1. Les conditions de l'entrée en vigueur d'une déclaration d'acceptation1.06 Ni la déclaration du Nigeria ni celle du Cameroun ne comprennent de disposition
expresse sur leur entrée en vigueur (v. textes supra, par. 1.03).

1.07 Le 29 mars 1994 - soit 26 jours après le dépôt de sa déclaration auprès du Secrétaire
général des Nations Unies - le Cameroun a déposé sa requête initiale contre le Nigeria dans la

présente affaire. A cette date, le Secrétaire général avait en main la déclaration du Cameroun
depuis pratiquement quatre semaines.

1.08 Si l'on prend en compte cette situation factuelle, la question juridique posée par la
première exception préliminaire du Nigeria visant l'irrecevabilité supposée du Cameroun à
invoquer sa déclaration facultative comme base de la compétence de la Cour, peut être
formulée comme suit : existe-t-il en dehors du dépôt d'une déclaration auprès du Secrétaire

général des Nations Unies des conditions supplémentaires à remplir avant qu'un Etat ne
devienne partie au système de la clause facultative l'autorisant à recourir aux procédures
judiciaires auprès de la Cour. De toute évidence, ce n'est que si la réponse à cette interrogation
était positive que l'argument fondé sur l'irrecevabilité de la requête du Cameroun pourrait être
examiné plus avant.

A - Les prétendues conditions supplémentaires invoquées par le Nigeria

1.09 On doit relever d'emblée qu'une lecture attentive de l'exception préliminaire du Nigeria
ne permet pas d'avoir une idée claire des conditions supplémentaires précises qui, d'après elle,
existeraient en la matière.

1.10 L'argumentation nigériane semble s'appuyer essentiellement sur l'idée qu'un certain laps

de temps doit s'écouler après le dépôt d'une déclaration faite conformément à la disposition
facultative avant qu'une telle déclaration prenne effet, c'est-à-dire avant qu'un Etat puisse
invoquer sa déclaration comme base de la compétence de la Cour dans une affaire concrète.
Le but de ce préavis semble être de donner aux Etats ayant déjà souscrit à la clause
facultative, la possibilité de réexaminer leur propre déclaration à la lumière de celle du nouvel
Etat déclarant ou de prendre d'autres mesures qu'ils estiment nécessaires.

1.11 Au demeurant, la thèse nigériane reste ambiguë sur la question de savoir précisément
quel laps de temps devrait s'écouler avant que joue le système de compétence obligatoire dans
le cadre de la disposition facultative.

1.12 Si l'on se fonde sur le paragraphe 1.15 des Exceptions préliminaires, il semble que le
Nigeria met l'accent sur la date de transmission du texte de la déclaration à l'Etat défendeur

car,

"Until he [le Secrétaire général] has done so, States are in ignorance of the true position and
of their international rights and obligations, and the system cannot operate in the way
envisaged by the Statute..." (NPO, par. 1.15, p. 36).

1.13 S'il en allait ainsi, dans la présente affaire, le Cameroun aurait dû attendre plus de onze

mois après le dépôt de sa déclaration, c'est-à-dire jusqu'au 9 février 1995, date de la
transmission de sa déclaration par le Secrétaire général au Gouvernement nigérian, avant
d'être habilité à déposer sa requête.1.14 Dans ce contexte, il n'est pas inintéressant de relever que la déclaration portugaise
d'acceptation de la compétence obligatoire de la Cour, dont la validité était contestée dans la
phase des exceptions préliminaires dans l'affaire du Droit de passage en territoire indien,
avait été officiellement transmise au Gouvernement de l'Inde par le Secrétaire général dans le
mois suivant son dépôt. Il ressort de la comparaison entre ces deux affaires que, avec tout le

respect dû au modus operandi du Secrétariat des Nations Unies, il peut y avoir de fortes
variations dans sa pratique en ce qui concerne notamment le temps nécessaire au Secrétaire
général pour remplir la tâche qui lui incombe conformément à l'article 36, paragraphe 4, du
Statut. Les Etats ne les maîtrisent pas. Le Nigeria ne peut sérieusement prétendre que le
Cameroun, ou tout autre Etat faisant une déclaration conformément à l'article 36, paragraphe
2, doit être tenu pour responsable de la lenteur des procédures administratives au sein du
Secrétariat des Nations Unies.

1.15 Certes, au paragraphe 1.16 de ses Exceptions préliminaires, le Nigeria semble atténuer la
rigidité de sa position par l'introduction d'un élément beaucoup plus vague en affirmant que

"Cameroon, by failing to allow a reasonable time for the proper operation of the system
envisaged by the Statute, not only acted precipitately but also acted unmindfully of the rights
of the other party to the proceedings (i.e. Nigeria) as guaranteed by the Statute" (NPO, par.

1.16, p. 36).

1.16 Ce que veut dire le Nigeria devient plus clair au paragraphe suivant de ses Exceptions,
qui non seulement mentionne le moment de la prise de connaissance de la déclaration mais va
plus loin en demandant un délai supplémentaire afin d'accorder aux autres Etats affectés

"an opportunity to consider their position in the knowledge of Cameroon's action ..." (NPO,
par. 1.17, p. 36).

Il est à peine besoin de préciser que, s'il l'on accepte cette argumentation, la notion de laps de
temps raisonnable ainsi que la détermination d'une durée adéquate à accorder aux Etats pour
étudier leur position à la lumière d'une nouvelle déclaration serait variable selon les affaires et
ne pourrait jamais être déterminée de façon certaine.

1.17 La thèse nigériane introduit un élément supplémentaire d'incertitude du fait de l'
"élément subjectif" qu'il exige, c'est-à-dire la prise de connaissance proprement dite de la
nouvelle déclaration.

1.18 Alors qu'au paragraphe 1.15 de ses Exceptions, le Nigeria semble exiger que tous les

autres Etats ayant déjà fait des déclarations en vertu de la clause facultative aient pris
connaissance de la nouvelle déclaration, cette position est ensuite quelque peu assouplie :

"the lapse of a reasonable time in which they might be expected to acquire knowledge of it"
(NPO, par. 1.17, p. 36).

est déclaré suffisant.

1.19 En outre, même si le Nigeria se fonde sur l'idée - exacte - que le premier devoir
d'informer les autres Etats du dépôt d'une nouvelle déclaration incombe au Secrétaire général ,
le paragraphe 1.17 semble indiquer que d'autres modes d'information des Etats seraient aussisuffisants puisqu'il reproche au Cameroun de n'avoir pris aucune mesure pour l'informer de sa
déclaration.

1.20 Cette exigence entraînerait inévitablement l'introduction d'un élément de relativité
supplémentaire pour l'entrée en vigueur d'une déclaration dans le système de la clause

facultative : le fait d'informer le Nigeria à un niveau bilatéral du dépôt de sa déclaration
n'aurait pu avoir le moindre effet sur la position du Cameroun vis à vis des autres Etats
participants au système. Il serait ainsi totalement impossible de définir un moment précis,
universellement valide, à partir duquel une déclaration donnée prendrait effet.

1.21 D'ailleurs, il peut s'avérer très difficile d'établir si, et à quel moment précis, un Etat
donné a été vraiment informé de la soumission d'une déclaration sans oublier plusieurs

problèmes supplémentaires comme la détermination précise du destinataire d'une telle
information ou la manière dont se répartirait la charge de la preuve dans de tels cas.

1.22 En résumé, indépendamment du champ d'application et du contenu de l'exception
nigériane, si elle devait être retenue, elle introduirait de toute manière un élément d'instabilité
et d'incertitude dans le système de compétence obligatoire organisé par la clause facultative.

B - La contrariété de la thèse nigériane avec la jurisprudence de la Cour

1.23 C'est précisément la nécessité d'éliminer cet élément d'incertitude - dont la thèse
nigériane est l'exemple et qu'elle réintroduit - qui a conduit la Cour internationale de Justice,
dans son arrêt du 26 novembre 1957 sur les exceptions préliminaires dans l'affaire concernant
le Droit de Passage en territoire indien, à conclure que

"L'effet juridique de la déclaration ne dépend pas de l'action ou de l'inaction ultérieure du
Secrétaire général. Au surplus, contrairement à d'autres instruments, l'article 36 n'énonce
aucune exigence supplémentaire, par exemple celle que la communication du Secrétaire
général ait été reçue par les Parties au Statut, ou qu'un intervalle doit s'écouler après le dépôt
de la déclaration, avant que celle-ci ne puisse prendre effet. Toute condition de ce genre
introduirait un élément d'incertitude dans le jeu du système de la disposition facultative. La

Cour ne peut introduire dans la disposition facultative aucune condition de ce genre" (Rec.
1957, p. 146 et s. ; italiques ajoutés).

1.24 La Cour a ainsi reconnu que ce n'était qu'en faisant une distinction claire entre les
obligations des Etats membres, à savoir le dépôt d'une déclaration auprès du Secrétaire
général des Nations Unies, et celles du Secrétaire général, qu'il était possible d'établir de

manière mécanique et univoque la date d'entrée en vigueur des droits et des devoirs d'un Etat
déclarant :

"l'Etat déclarant (...) n'a à s'occuper ni du devoir du Secrétaire général ni de la manière dont ce
devoir est rempli." (Rec. 1957, p.146).

1.25 Soulignant ainsi l'importance qui s'attache à la sécurité juridique, la Cour a conclu :

"Un Etat qui accepte la compétence de la Cour doit prévoir qu'une requête puisse être
introduite contre lui le jour même où ce dernier dépose une déclaration d'acceptation dans les
mains du Secrétaire général." (Rec. 1957, ibid.).1.26 La position claire et dépourvue d'ambiguïté adoptée par la Cour dans l'affaire concernant
le Droit de Passage peut se résumer comme suit :

(1) C'est par le simple dépôt d'une déclaration d'acceptation auprès du Secrétaire général que
"l'Etat acceptant devient Partie au système de la disposition facultative à l'égard de tous autres

Etats déclarants, avec tous les droits et obligations qui découlent de l'article 36." (Rec. 1957,
ibid.).

(2) Il n'existe pas d'exigences supplémentaires pour que le système de la disposition
facultative prenne effet.

1.27 La Cour a, depuis lors, maintenu cette position nette et sans équivoque. Elle a réaffirmé,

par exemple, dans l'arrêt sur la compétence dans l'affaire du Temple de Préah Vihéar que :

"La seule formalité prescrite est la remise de l'acceptation au Secrétaire général des Nations
Unies, conformément au paragraphe 4 de l'article 36 du Statut" (Rec. 1961, p. 31).

1.28 La Cour a une fois de plus expressément confirmé sa jurisprudence sur ce point dans son

arrêt du 26 novembre 1984 sur les exceptions préliminaires dans l'affaire relative aux Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua / Etats-Unis
d'Amérique):

"La Cour tient à souligner tout d'abord que, en ce qui concerne l'exigence du consentement
comme fondement de sa compétence et plus particulièrement les formalités exigibles pour que
ce consentement soit exprimé conformément aux dispositions de l'article 36, paragraphe 2, du

Statut, la Cour s'est déjà exprimée, notamment dans l'affaire du Temple de Préah Vihéar. Elle
a alors indiqué que ..." [ce passage est suivi du texte cité ci-dessus, par. 1.27] (Rec. 1984, p.
412).

1.29 Dans cet arrêt, la Cour a même accepté de renoncer, en ce qui concerne la déclaration du
Nicaragua, à cette "seule formalité" exigible, étant donné les "circonstances particulières" de
l'affaire. (cf. Rec. 1984, pp. 412 et s.). Cependant, il ne s'agissait nullement de rendre plus

difficile la saisine de la Cour dans le système de la clause facultative mais, tout au contraire,
de la faciliter au vu des circonstances particulières entourant la déclaration du Nicaragua.
Malheureusement, le Nigeria, en tentant de se fonder sur l'arrêt de la Cour dans cette affaire
pour renforcer sa position (NPO, par. 1.18, p. 38) omet de préciser qu'il utilise et cite un
passage de l'arrêt relatif à un tout autre élément : la question de savoir si la modification et la
résiliation de la déclaration des Etats-Unis était ou non valide.

1.30 A cet égard, la Cour, dans son arrêt de 1984, se réfère à son précédent arrêt dans les
affaires des Essais nucléaires pour arriver à la conclusion que, en dépit du fait que les Etats
sont, en principe, entièrement libres de prendre ou non des engagements unilatéraux, les
attentes justifiées d'autres Etats peuvent constituer un obstacle au retrait ultérieur de ces
engagements ou à leurs modifications en vertu du principe de bonne foi (Rec. 1984, p. 418).

1.31 Il est regrettable que le Nigeria ait omis de faire référence à la position de la Cour dans
les affaires des Essais nucléaires, qui aurait fait ressortir clairement le contexte juridique fort
différent dans lequel l'argument de bonne foi est utilisé dans l'arrêt Nicaragua. L'exception
préliminaire crée ainsi l'impression trompeuse que c'est la jurisprudence même de la Cour qui
appuie l'argument infondé du Nigeria selon lequel le principe de bonne foi exige que l'onremplisse des conditions supplémentaires avant qu'un Etat puisse effectivement participer au
système de la clause facultative.

1.32 Il est clair que de telles exigences supplémentaires n'existent pas et que la jurisprudence
de la Cour va tout à fait dans le sens de la position du Cameroun, à savoir que, dès le dépôt de

sa déclaration, le Cameroun était en droit d'utiliser le dispositif judiciaire de la Cour. A ce
jour, la Cour ne s'est jamais écartée de cette position. Il n'y a aucune raison pour qu'elle opère
un revirement de jurisprudence sur ce point.

1.33 La doctrine a toujours appuyé cette position (Voir par exemple Merrills, "The Optional
Clause Today", B.Y.I.L. 50 (1979), p. 101, qui estime que l'arrêt rendu dans l'affaire Droit de
Passage était "undoubtedly correct." Dans ce sens, voir

aussi : Anand, Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice (1961), p.155:
"... it has come to be established now that subject to any term therein to the contrary, the
declaration made pursuant to Article 36 (2) enters into force as soon as deposited with the
Secretary-General of the United Nations, and it is not necessary that the other parties should
be informed of the same."; de Visscher, Aspects récents du droit procédural de la Cour
Internationale de Justice (1966), p. 125 : "L'unique formalité prescrite pour les déclarations
[est] la remise de l'acceptation au Secrétaire général des Nations Unies ..."; Rosenne, The Law

and Practice of the International Court (2ème éd. 1985), p. 471: "... unless some other date is
stipulated, the commencement date is that of the deposit."; Szafarz, The Compulsory
Jurisdiction of the International Court of Justice (1993), p. 66: "... from the legal point of
view the most important date is the initial date of effectiveness, specified in the declaration
itself. If such a date is not given, the relevant date is that of the deposit of the declaration with
the UN Secretary-General."; Alexandrov, Reservations in Unilateral Declarations Accepting

the Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice (1995), p. 53: "... it may be
correct to assume that, unless otherwise specified by the declarations themselves, they enter
into force as of the date of deposit."; Dubisson, La Cour Internationale de Justice (1964), p.
170: "L'effet juridique qui s'attache à la déclaration est donc ... automatique et immédiat.").

1.34 Au surplus, la pratique ultérieure des Etats ne fait que conforter la position rigoureuse
retenue par la Cour dans son arrêt de 1957.

1.35 On peut faire remarquer en premier lieu que, si les Etats sont libres, assurément, de
donner à leurs déclarations d'acceptation de la juridiction obligatoire le contenu qu'ils estiment
nécessaire, il est frappant de constater que pas moins de 46 déclarations sur les 58 recensées
dans l'Annuaire 1993-1994 de la Cour sont vierges de toute référence à un quelconque délai à
respecter entre l'enregistrement par un Etat de sa déclaration et le dépôt par lui d'une requête
introductive d'instance.

1.36 Certes, 17 de ces déclarations ont été rédigées à une époque où l'arrêt rendu dans l'affaire
du Droit de passage n'était pas connu. Mais l'important est qu'après 1957, ces déclarations
n'ont pas été modifiées, ce qui témoigne que les Etats concernés ont reconnu la justesse de
l'analyse de la Cour. Au contraire, parmi ces 46 déclarations, certaines sont très récentes
(Canada, 10 mai 1994; Grèce, 10 janvier 1994; Madagascar, 2 juillet 1992; Estonie, 21

octobre 1991; Guinée-Bissau, 7 août 1989; Zaïre, 8 février 1989; Nauru, 29 janvier 1988;
Suriname, 31 août 1987; Honduras, 6 juin 1986; Sénégal, 2 décembre 1985; Togo, 25 octobre
1979) ; or ces Etats n'ont pas non plus pris soin de moduler leurs déclarations en fonction de
la jurisprudence Droit de passage en territoire indien. Tel est d'ailleurs le cas du Nigeria lui-
même. On constate donc que la jurisprudence élaborée par la Cour en 1957 trouve, y comprisà l'époque contemporaine, un soutien massif dans la communauté internationale et de la part
du Nigeria lui-même.

1.37 Il reste que seule une minorité d'Etats se sont montrés soucieux de s'affranchir des effets
immédiats de l'entrée en vigueur des déclarations des autres Etats, et ont tenu à limiter

expressément la compétence de la Cour aux différends soumis dans un délai d'un an (ou, pour
Chypre, 6 mois) entre leur déclaration et l'introduction d'une requête. Ainsi, la déclaration
bulgare du 24 juin 1992 prévoit la compétence de la Cour: "à l'exception des différends avec
tout Etat ayant accepté la juridiction obligatoire de la Cour en vertu de l'article 36, paragraphe
2, du Statut moins de douze mois avant la date de dépôt de la requête introduisant l'instance
devant la Cour ou lorsque cette acceptation est intervenue exclusivement aux fins d'un
différend particulier" (C.I.J., Annuaire 1993-94, p. 89 ; voir aussi les déclarations de Chypre

du 29 avril 1988, ibid. p. 92, de l'Espagne, 29 septembre 1990, ibid., p. 95, de la Hongrie, du
22 octobre 1992, ibid., p. 100, de l'Inde, du 18 septembre 1974, ibid. p. 102, de Malte, 6
décembre 1966, ibid. p. 109, de Maurice, 23 septembre 1968, ibid., p. 111, de la Nouvelle-
Zélande, 22 septembre 1977, ibid., p. 114, des Philippines, 18 janvier 1972, ibid., p. 118, de la
Pologne, 25 septembre 1990 ; ibid., p. 119, du Royaume Uni, 1er janvier 1969, ibid., p. 121,
ou de la Somalie, 11 avril 1963, ibid., p. 122).

1.38 Ces réserves perdraient toute raison d'être si la Cour revenait sur sa jurisprudence de
1957 et la volonté implicite des autres Etats - qui acceptent dans son intégralité le système de
la clause facultative - serait bafouée. Cela irait contre la volonté de la grande majorité des
Etats parties au système de la clause facultative qui confirment, par leur comportement, le
bien-fondé de cette jurisprudence, et cela ne serait d'aucune utilité à la minorité d'Etats qui en
refusent les conséquences, lesquels peuvent moduler leur acceptation en vue de s'y soustraire,

comme le Nigeria aurait pu le faire. Mais il ne l'a pas fait.

1.39 Dans ce contexte, il faut mentionner que la Haute Juridiction a estimé, dans l'affaire du
Temple de Préah Vihéar (Exceptions préliminaires), que face à "l'opinion que la Thaïlande
cherche à défendre quant à l'effet de sa déclaration" (Rec. 1951, p. 34), il convient d'accorder
une attention particulière au fait que l'Etat a "manifesté aussi clairement que l'a fait la
Thaïlande en 1950, et même par son attitude constante pendant de longues années, l'intention

de se soumettre à la juridiction obligatoire" (ibid.).

1.40 Une confirmation supplémentaire de l'acceptation générale du système actuel est donnée
par l'attitude du Sénégal face à la Guinée-Bissau dans l'affaire relative à la Sentence arbitrale
du 31 juillet 1989 (Rec. 1991, p. 53). En dépit de la circonstance que la Guinée-Bissau avait
déposé sa requête introductive d'instance le 23 août 1989 (ibid., p. 55, par. 1), soit seulement
16 jours après avoir reconnu la compétence de la Cour (ibid., p. 61, par. 22), le Sénégal, qui

pourtant soulevait des questions de compétence, n'en a pas tiré le moindre argument.

1.41 Le Nigeria prétend en outre que, puisque l'arrêt dans l'affaire Droit de Passage en
territoire indien et tous les autres arrêts pertinents de la Cour n'ont per se pas force obligatoire
entre les deux Parties intéressées à la présente affaire - ce qui est évident à la lecture de
l'article 59 du Statut - et que la présente affaire est substantiellement différente de l'affaire

Droit de passage, la Cour ne devrait pas se baser sur cette décision. Il affirme en outre que la
jurisprudence des années 1950 ne serait plus adaptée aux circonstances de la présente affaire.
Ces deux arguments ne peuvent qu'être écartés.

§ 2. La pertinence de la jurisprudence de la Cour en la présente affaire1.42 Il existe au moins une différence factuelle entre l'affaire du Droit de passage et la
présente affaire, à savoir que, dans la première, le Portugal, après avoir déposé sa déclaration
d'acceptation le 19 décembre 1955, a formé une requête contre l'Inde seulement trois jours
plus tard, le 22 décembre 1955, alors que le Cameroun a attendu 26 jours avant de prendre la
même initiative. Il est clair que cette différence ne joue pas en faveur du Nigeria.

1.43 Surtout, il faut rappeler que, dans l'affaire du Droit de passage, la Cour a estimé que les
nouveaux Etats déclarants sont habilités à déposer une requête "le jour même où ce dernier
dépose une déclaration d'acceptation entre les mains du Secrétaire général." (Rec. 1957, p.
146). Le Cameroun n'avait donc aucune obligation juridique, quelle qu'elle soit, de repousser
le dépôt de sa requête aussi longtemps qu'il l'a fait.

1.44 Le Cameroun savait parfaitement que seule la Cour décide de sa compétence (cf. l'article
36, paragraphe 6, du Statut) et il connaissait la jurisprudence de la Cour en matière d'entrée en
vigueur - immédiate - d'une déclaration. Si, comme le prétend le Nigeria, le Cameroun avait
eu l'intention de le prendre par surprise, il aurait pu déposer sa requête dès le 3 mars 1994.

1.45 Ceci conduit à relever la deuxième différence factuelle entre l'affaire faisant l'objet de

l'arrêt de la Cour en 1957 et la présente procédure : le Cameroun n'a nullement eu l'intention
de prendre le Nigeria par surprise. De fait, comme on le verra ci-dessous (cf. infra, section 3),
le Nigeria était tout à fait informé des intentions du Cameroun de porter le présent différend
devant la Cour. Il faut cependant rappeler que le fait qu'il en soit informé ne constitue pas une
condition préalable à la recevabilité de la requête du Cameroun.

1.46 Pour conclure sur ce point, il convient de rappeler brièvement que tous les membres des

Nations Unies ont l'obligation de régler leurs différends par des moyens pacifiques (articles 2,
paragraphes 3 et 33 de la Charte). Etant donné qu'un tel différend existe entre les deux Parties
à la présente procédure depuis longtemps, le Nigeria doit avoir été conscient de la possibilité
pour le Cameroun, d'avoir recours, dans l'esprit de la Charte des Nations Unies, à tous les
moyens pacifiques dont il dispose pour régler le litige avec le Nigeria, y compris d'utiliser
l'option constituée par le recours à la Cour internationale de Justice. Un Etat ne peut prétendre
avoir été surpris par le fait qu'un autre membre des Nations Unies ait eu recours à ce dispositif

pour le règlement pacifique d'un différend. Ceci est prévu dans la Charte elle-même, ainsi que
dans le Statut de la Cour qui en est partie intégrante (cf. article 92 de la Charte).

1.47 Il est donc très clair qu'il n'existe pas de différences factuelles pertinentes entre l'affaire
du Droit de passage et la présente affaire qui puissent justifier une évaluation différente des
deux affaires au regard de la jurisprudence bien établie par la Cour.

§ 3. La nécessité de maintenir la jurisprudence établie

1.48 Le Nigeria ne se contente pas d'opérer une distinction entre les deux affaires; il demande
aussi à la Cour de procéder à une révision de la jurisprudence développée dans l'affaire du
Droit de passage en territoire indien.

1.49 Le Nigeria ne peut cependant soutenir sérieusement qu'il soit nécessaire de modifier
l'interprétation du Statut consacrée en 1957. Ses arguments (NPO, pars. 1.11 - 1.15, pp. 33-
36) sont les mêmes que ceux que l'Inde avait invoqués dans l'affaire du Droit de passage, et
on comprendrait mal ce qui les rendrait plus pertinents aujourd'hui qu'hier. La comparaison
avec la réaction indienne à l'époque de l'affaire du Droit de passage établit plutôt le contraire.Confrontée à la requête portugaise du 19 décembre 1955, l'Inde avait quasi-immédiatement
retiré sa déclaration, le 7 janvier 1956. Le Nigeria, pour sa part, s'est abstenu de toute attitude
de ce genre, pourtant propre à attester qu'aux yeux de l'Etat qui l'adopte, le système de la
clause facultative tel qu'il fonctionne est inadapté. Depuis le dépôt de la requête du Cameroun,
le défendeur n'a entrepris, à la connaissance du Cameroun, aucune démarche devant le

Secrétaire général des Nations Unies, en vue d'obtenir de lui une accélération de la procédure
administrative de transmission des nouvelles déclarations souscrites au titre de l'article 36,
paragraphe 2, du Statut. Il n'a pas non plus retiré ni amendé sa déclaration de 1965.

1.50 A cet égard, on peut relever qu'au cours des audiences devant la Cour sur la demande en
indication de mesures conservatoires, le juge ODA a posé la question suivante :

"Le Nigéria a-t-il envisagé l'hypothèse selon laquelle, au cas où sa déclaration d'acceptation
de la juridiction obligatoire de la Cour de 1965 n'aurait pas été retirée, certaines dispositions
spécifiques relatives à l'exclusion de certains problèmes frontaliers eussent pu être ajoutées à
ladite déclaration lorsque les divergences de vues entre le Cameroun et le Nigéria sur le statut
de la péninsule de Bakassi sont apparues, vers 1994 ou avant cette date?" (CR 96/3, p. 71).

Comme on pouvait s'y attendre, la réponse donnée par le Nigeria à la fin des audiences
publiques (CR 96/4, p. 108 et s.) fut évasive et n'apporte aucun éclaircissement pertinent.

1.51 L'identité de l'argumentation du Nigeria avec celle avancée par l'Inde en 1957 est
particulièrement frappante en ce qui concerne l'argument selon lequel le Cameroun
"disregarded the requirement of reciprocity established by Article 36, paragraph 2, of the
Statute" (NPO, pp. 42 et s. - en ce qui concerne les effets pretendus de la condition de

réciprocité contenue dans la déclaration nigériane elle-même, voir infra, section 2).

1.52 Dans son arrêt de 1957, la Cour a répondu à cet argument dans les termes suivants :

"... il est clair que les notions de réciprocité et d'égalité ne sont pas des conceptions abstraites.
Elles doivent être rattachées à des dispositions du Statut ou des déclarations." (Rec. 1957, p.
145).

1.53 Comme le précise ensuite l'arrêt, la Cour n'a pas été capable de discerner, à propos de la
question traitée, d'élément de réciprocité inhérent à quelque disposition du Statut que ce soit.
Elle a confirmé cette position dans l'affaire Nicaragua/Etats-Unis:

"[l]a notion de réciprocité porte sur l'étendue et la substance des engagements, y compris les

réserves dont ils s'accompagnent, et non sur les conditions formelles relatives à leur création,
leur durée ou leur dénonciation." (Rec. 1984, p. 419).

1.54 La République du Cameroun estime qu'il n'est pas nécessaire de répéter dans le cadre des
présentes observations le long échange d'arguments avancés par les Parties au cours de la
procédure qui a précédé l'arrêt sur la compétence de la Cour dans l'affaire Droit de passage en
territoire indien, [v. Mémoires, Plaidoiries et Documents Vol. I, pp. 112 et s. (Exception

préliminaire de l'Inde ; pp. 577 et s. (Observations du Portugal); Vol. IV, pp. 33 et s.
(Argument de M. Waldock [Inde]) ; (Plaidoirie de M. Bourquin [Portugal]) ; pp. 199 et s.
(Réponse de M. Setalvad [Inde]), pp. 254 et s. (Duplique de M. Bourquin [Portugal]) et
finalement le jugement lui-même : C.I.J., Rec., 1957, pp. 145 et s.].Le Cameroun se limitera aprésenter quelques arguments qui, selon lui, devraient conduire la Cour à maintenir
fermement sa jurisprudence antérieure.

A - L'idée de base du système de juridiction obligatoire

1.55 En premier lieu, il lui apparaît que le fait de donner aux Etats le droit de revoir leurs
déclarations à la lumière d'une nouvelle déclaration faite en vertu de la clause facultative,
comme le demande le Nigeria (NPO par. 1.17, pp. 36 et s.), minerait un élément fondamental
du système de compétence obligatoire établi par l'article 36 du Statut. Le Nigeria lui-même
fait référence à la nécessité d'un "proper functioning of the system established by Article 36,
paragraph 2 of the Statute" (NPO pars 1.15 et 1.16, pp. 35 et s.).

1.56 Toutefois un tel "proper functioning" serait rendu impossible si les thèses du Nigeria
étaient mises en oeuvre. Pour en apporter la démonstration, il peut être utile de rappeler l'idée
de base qui sous-tend le système de juridiction obligatoire établi par la disposition facultative.

1.57 Lors de la deuxième Conférence de la Haye (1907), même si les 44 Etats présents n'ont
pas réussi à mettre en place une vraie Cour de Justice permanente, ils ont toutefois déclaré à

l'unanimité "reconnaître le principe de l'arbitrage obligatoire." (Deuxième Conférence de la
Paix, La Haye, 1907. Actes et Documents, Vol. I - Séances plénières, p. 338.). C'est cet
engagement qui est à la base de la création de la Cour permanente de Justice internationale en
1920. Certes il y a eu un accord unanime pour dire que la création d'une institution judiciaire
dans le cadre de la Société des Nations tendait à l'établissement d'une véritable Cour de
Justice. Il s'agissait de remédier du mieux possible aux imperfections et aux échecs du
règlement des différends internationaux par simple arbitrage.

1.58 On sait cependant que, en raison de la résistance des grandes Puissances à l'époque, il n'a
pas été possible de mettre sur pied un système général de compétence obligatoire
automatiquement contraignant pour tous les Etats membres de la Société des Nations. (Pour
une description exhaustive des débats, voir par exemple : Anand, Compulsory Jurisdiction of
the International Court, pp. 30 et s. ; Rosenne, The Law and Practice of the International
Court, 2nde éd., 1985, p. 364 et s. ; Hudson, La Cour permanente de Justice internationale,

1936, pp. 187 et s. - Lorna Lloyd, "A Springboard for the Future : A Historical Examination
of Britains's Role in Shaping the Optional Clause of the Permanent Court of International
Justice", A.J.I.L., 1985, pp. 28 et s. ; - Alexandrov, Reservations in Unilateral Declarations
Accepting the Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice, 1995, pp. 6 et s.).

1.59 Toutefois le compromis conclu entre d'une part les partisans d'une "compétence
automatique", à savoir le Comité de Juristes et les petits Etats et, d'autre part, les grandes

Puissances, qui étaient en faveur d'un système de soumission ad hoc, n'a pas exclu l'idée d'une
compétence obligatoire en tant que telle mais a conduit à la restreindre en posant l'exigence
d'une expression supplémentaire du consentement de l'Etat. La formule de compromis adoptée
avait un double effet : premièrement, elle permettait aux Etats qui le souhaitaient de porter
leurs différends devant la Cour conformément à un accord (cf. l'article 36, paragraphe 1, du
Statut) ; deuxièmement, elle offrait aux Etats désireux de reconnaître la compétence de la

Cour la faculté de contracter une obligation en ayant recours à la "clause facultative",
établissant ainsi la compétence obligatoire de la Haute Juridiction (article 36, paragraphe 2, du
Statut) (cf. Edward Gordon, "Legal Disputes Under Article 36 (2) of the Statute", in Fisler
Damrosch (ed.), The International Court of Justice at a Crossroads, 1987, p. 186).1.60 Il en résulte que les Etats ayant recours à la deuxième option entrent dans un système de
compétence obligatoire.

1.61 Dès lors, quoique la démarche soit entièrement volontaire, les Etats acceptant la
disposition facultative renoncent à leur pleine liberté, qui constitue le droit commun

international, de décider sur une base ad hoc avec quels Etats et de quelles affaires ils veulent
saisir la Cour. C'est sur ce point précis qu'apparaît la différence de base entre une véritable
juridiction et une simple procédure d'arbitrage. L'article 36, paragraphe 2, du Statut représente
ainsi une étape essentielle vers un règlement judiciaire réel des différends internationaux.

1.62 C'est à la lumière de ces considérations que la position de la Cour dans l'arrêt de 1957
dans l'affaire Droit de passage en territoire indien revêt son entière signification, à savoir que

"[l]e rapport contractuel entre les Parties et la juridiction obligatoire de la Cour qui en découle
sont établis `de plein droit et sans convention spéciale' du fait du dépôt de la déclaration"
(Rec. 1957, p. 146).

1.63 Compte tenu de l'histoire de la rédaction de l'article 36 et conformément à l'idée même

qui sous-tend le concept de juridiction obligatoire, cet énoncé donne la seule interprétation
possible des dispositions pertinentes du Statut.

1.64 La question s'est posée à nouveau durant la rédaction du Statut de la Cour internationale
de Justice. La Conférence de San Francisco était saisie de deux propositions soumises par le
Comité de Juristes : la première prévoyait une juridiction obligatoire de la Cour internationale
sans exiger un consentement supplémentaire, l'autre était quasiment identique à la "formule de

compromis" figurant dans l'ancien Statut (cf. Report of the Committee of Jurists on the Draft
of a Statute of an International Court of Justice [20 avril 1945], UNCIO, Documents, XIV,
pp. 667 et s.). Après de longues discussions, la Conférence a décidé "to retain the optional
provision for compulsory juridisdiction" (cf. UNCIO, Documents, XIII, p. 392. Pour un
résumé de l'historique de la rédaction de la disposition facultative telle qu'elle existe
aujourd'hui, voir aussi : C.I.J., Annuaire 1946-1947, pp. 9 et s. et les détails donnés in
Hudson, "The Twenty-Fourth Year of the World Court", A.J.I.L., 1946, pp. 1 et s.).

1.65 Il faut ajouter à cet égard que lors des délibérations de San Francisco, il n'a jamais été
question de "réduire" les dispositions pertinentes du Statut par rapport au droit régissant la
juridiction de la Cour permanente. Il ne peut donc y avoir aucun doute quant au fait que
l'inclusion du nouvel article 36, paragraphe 4, ne visait pas à limiter le champ d'application de
la disposition facultative ; il ne s'est agi que de préciser "a detail of housekeeping" (cf.

Hudson, op. cit., p. 34).

1.66 Le "system envisaged by the Statute" tel que nous le connaissons aujourd'hui présente
donc les caractéristiques suivantes : les Etats faisant appel à la clause facultative entrent dans
un système de compétence obligatoire - dans les limites de l'article 36, paragraphe 3, et de
leurs déclarations d'acceptation respectives, dans la mesure où elles sont compatibles avec
cette disposition. Le concept même d'une telle juridiction obligatoire signifie que les Etats, à

partir du moment où ils sont entrés dans le système, n'ont plus la faculté de revenir sur leur
acceptation de la compétence de la Cour suite au dépôt d'une requête à leur encontre par un
autre Etat membre. La thèse du Nigeria est donc fondamentalement incompatible avec le
"system established by the Court" et ne peut être soutenue.B - La nécessité de se conformer à l'article 102 de la Charte des Nations Unies

1.67 La position du Cameroun selon laquelle une déclaration faite conformément à l'article
36, paragraphe 2, entre en vigueur au moment même de son dépôt auprès du Secrétaire
général et crée tous les droits et obligations qui s'y rattachent, peut être renforcée par un

argument supplémentaire : le fait de dire que l'entrée en vigueur d'une déclaration
conformément à la disposition facultative doit être reportée à une date ultérieure serait
incompatible avec l'article 102 de la Charte des Nations Unies.

1.68 Cette disposition est rédigée ainsi :

"Tout traité ou accord international conclu par un Membre des Nations Unies après l'entrée en

vigueur de la présente Charte sera, le plus tôt possible, enregistré au Secrétariat et publié par
lui.

Aucune partie à un traité ou accord international qui n'aura pas été enregistré conformément
aux dispositions du paragraphe 1 du présent Article ne pourra invoquer ledit traité ou accord
devant un organe de l'Organisation".

1.69 Il est généralement reconnu et de pratique courante que les Déclarations en vertu de
l'article 36, paragraphe 2, du Statut tombent dans le champ d'application de l'article 102,
paragraphe 1, de la Charte et sont donc éligibles pour enregistrement et publication dans le
cadre de cette disposition (cf. déjà le rapport du Comité IV/2 à San Francisco (UNCIO XIII,
p. 705) et Répertoire de la pratique des organes des Nations Unies, vol. V, article 102, paras.
24-47). La littérature appuie à l'unanimité ce point de vue (cf. par exemple, Jacqué, Article

102, p. 1369, dans : Cot et Pellet (dirs.), La Charte des Nations Unies, 2éd., 1991 ; Knapp,
Article 102, p. 1106, in :

Simma (ed.), The Charter of the United Nations. A Commentary, 1995; Rosenne, The Time
Factor in the Jurisdiction of the International Court of Justice, 1960, p. 17 ; Anand,
Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice, 1961, p. 152 ; etc.).

1.70 L'Assemblée générale des Nations Unies a marqué son accord dès sa deuxième session
(1947) à la proposition du Secrétaire général, visant à ce que les déclarations d'acceptation
soient considérées comme tombant dans le champ d'application de l'article 4 du Règlement
donnant effet à l'article 102 de la Charte (Résolution 97 (I) du 14 décembre 1946) et soient en
conséquence enregistrées ex officio par le Secrétariat (cf. la résolution 172 (II) du 14
novembre 1947 faisant explicitement référence au Rapport du Secrétaire général du 4

septembre 1947 (UN Doc. A/380) qui dispose notamment : "Les déclarations faites par les
Etats qui ont accepté le Statut de la Cour internationale de Justice et reconnu comme
obligatoire la juridiction de ladite Cour (Article 36, paragraphe 2, du Statut), sont également
enregistrées d'office par le Secrétariat comme constituant des engagements internationaux".
Cette solution est du reste conforme à la pratique que suivait la Société des Nations dans ce
domaine (Documents Officiels de la deuxième Session de l'Assemblée générale - Sixième
Commission (Questions juridiques), Annexe 12, pp. 343 et s. et pp. 344 et s. ; v. aussi la

discussion extensive sur ce sujet à la Sixième Commission lors de sa 54e réunion, le 29
octobre 1947 (Documents Officiels de la deuxième Session de l'Assemblée générale - Sixième
Commission (Questions Juridiques), pp. 112 et s.). Depuis lors, les déclarations faites en vertu
de la clause facultative ont été enregistrées ex officio puis publiées dans le Recueil des traités
des Nations Unies.1.71 Il s'ensuit que la déclaration faite par le Cameroun le 3 mars 1994 a, ce jour-là, non
seulement été déposée auprès du Secrétaire général mais qu'elle a aussi été enregistrée ex
officio conformément à l'article 102, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies (cf. Traités
multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général (Situation au 31 décembre 1994
[St/LEG/SER.E/13], pp. 14 et 27).

1.72 Il est universellement reconnu dans ce contexte que le simple enregistrement d'un accord
fait naître l'effet juridique visé à l'article 102 de la Charte, à savoir le droit de l'Etat procédant
à l'enregistrement d'invoquer l'accord devant les organes des Nations Unies, dont la Cour
internationale de Justice (Article 7, paragraphe 1, de la Charte).

1.73 Il faut souligner à cet égard que l'article 102 fait une nette distinction entre les

obligations d'un Etat partie à un accord ou auteur d'une déclaration (à savoir l'obligation
d'enregistrer l'accord ou la déclaration auprès du Secrétaire général), et les obligations de
l'O.N.U. elle-même, à savoir la publication de l'accord ou de la déclaration dans le recueil
officiel des traités. Le fait que les conséquences juridiques prévues par la Charte sont liées à
une action de l'Etat, c'est-à-dire au dépôt de l'accord ou de la déclaration et à son
enregistrement, et non aux activités ultérieures des organes des Nations Unies, c'est à dire à la
publication et à la notification, est donc en pleine conformité avec le système établi selon

l'article 102.

1.74 Sur cette base, il n'est pas surprenant que la pratique de l'O.N.U. (cf. aussi l'article 1,
paragraphe 2, du Règlement relatif aux effets de l'article 102 de la Charte des Nations Unies
(R.T.N.U. 859, XII)) et la littérature (cf. Rosenne, op. cit. p.17, note 1), s'accordent pour
considérer que seuls les accords qui sont déjà en vigueur ou qui vont entrer en vigueur, au

plus tard, à la date de leur enregistrement, peuvent être enregistrés auprès du Secrétaire
général.

1.75 Dès lors, si l'on examine la déclaration du Cameroun sous l'angle de l'article 102 de la
Charte, on peut tirer les conclusions suivantes :

(1) Puisque seuls sont éligibles pour l'enregistrement les instruments déjà en vigueur, la

déclaration doit être considérée comme étant entrée en vigueur le 3 mars 1994 ;

(2) Conformément à l'article 102, paragraphe 2, de la Charte, le Cameroun était en droit de
tirer les conséquences juridiques de sa déclaration devant la Cour à partir de cette date, à
savoir le 3 mars 1994.

1.76 Il est inutile de souligner que le fait de prétendre que l'entrée en vigueur d'une
déclaration d'acceptation se fait à une date postérieure à celle de son dépôt auprès du
Secrétaire général est en contradiction manifeste avec l'article 102 de la Charte. La nécessaire
unité du système juridique suppose donc impérativement que les exigences posées par l'article
36 du Statut sur l'entrée en vigueur d'une déclaration conformément à la disposition
facultative soient interprétées et appliquées de manière compatible avec la Charte. La Cour
internationale de Justice a pleinement tenu compte de ces considérations dans l'important arrêt

qu'elle a rendu en 1957 dans l'affaire relative au Droit de passage en territoire indien
(compétence).

1.77 Comme l'a fait remarquer le Cameroun lors des audiences de la Cour consacrées à
l'examen de sa demande en indication de mesures conservatoires lors de la séance du 5 mars1996, les deux Parties, en adhérant au système de la clause facultative, ont assumé le "risque
du droit" (CR 96/2, p. 40). Ils l'ont fait, l'un et l'autre, en toute connaissance de cause et sur
une base de parfaite réciprocité en ce sens que, dès le 3 mars 1994, le Cameroun était en droit
de former une requête relative à un différend l'opposant à tout autre Etat acceptant la même
obligation mais que, du même coup, il prenait - et acceptait - le risque de se voir attrait devant

la Cour, comme défendeur, dans les mêmes conditions. Ce risque, le Nigeria se refuse
aujourd'hui à l'assumer en dépit des appels qui lui sont lancés de toutes parts (v. supra, par.
1.45-1.51) et de ses propres atermoiements. Il ne peut cependant pas se dégager ainsi,
unilatéralement, des obligations qu'il a librement assumées.

SECTION 2. LA DECLARATION DU NIGERIA N'EXCLUT PAS LA
COMPETENCE DE LA COUR EN L'ESPECE

1.78 Pour tenter de donner corps à la "condition de connaissance" qu'il invoque, le Nigeria
insiste sur la notion de réciprocité, consacrée par le Statut de la Cour (v. supra, pars. 1.50 -
1.53), et mentionnée dans sa déclaration du 3 septembre 1965 (NPO, par. 1.19, p. 38) et dont
le texte est reproduit ci-dessus (par. 1.03).

1.79 L'Etat défendeur, se basant sur l'idée étonnante qu'il faut attribuer à cette déclaration le
sens qui a sa préférence, dans la mesure où il en fut l'auteur (NPO, pars. 1.20 - 1.22, pp. 38-
39), propose à la Cour de l'interpréter comme posant une condition de "reciprocity apparent to
Nigeria" (NPO, par. 1.23, p. 40), ce qui impliquerait que "Nigeria only consented by its
Declaration to accept the Court's compulsory jurisdiction on the basis of the existence of a
reciprocity of which it was, or had a reasonable opportunity of being, aware" (NPO, par. 1.25,
p. 41).

1.80 Cette explication d'un texte pourtant simple paraît bien compliquée. Selon le Cameroun,
elle n'est pas recevable, d'abord parce que le texte clair de cette déclaration de 1965 - sur
lequel le Nigeria dit s'appuyer (NPO, par. 1.20, pp. 38-39) - s'y oppose, et ensuite parce que,
tant à l'époque où la déclaration a été signée qu'aujourd'hui, le sens généralement attribué à la
notion de réciprocité, que le Nigeria n'a ni explicitement ni implicitement repoussé, ne la
soutient pas.

1.81 La notion de réciprocité dans le texte de la déclaration nigériane ne sert qu'à permettre de
redire ce qui est contenu dans le membre de phrase précédent (en témoignent les termes "that
is to say" - "ce qui veut dire" - qui l'introduisent), à savoir que le Nigeria ne reconnaît la
compétence de la Cour comme obligatoire qu'à l'égard des Etats "accepting the same
obligation". En dehors de cette répétition, ce qu'apporte le membre de phrase mentionnant la
condition de réciprocité, est, et est uniquement, l'affirmation claire et sans ambiguïté que la

condition posée par le Nigeria est unique : c'est une "sole condition" (souligné par la
République du Cameroun). Il y a donc une seule et unique condition au caractère obligatoire
de la compétence de la Cour en l'espèce : que le Cameroun accepte la même obligation que le
Nigeria, c'est-à-dire qu'il accepte la juridiction de la Cour. C'est le cas.

1.82 Apparemment, le Nigeria est conscient de l'évidente clarté de sa déclaration, puisqu'il

propose d'en rechercher le sens non pas dans son texte, défavorable à sa thèse, mais dans la
volonté qu'il prétend avoir entendu exprimer à travers lui.

1.83 En fait, cette volonté, le Nigeria l'exprime pour la première fois dans ses Exceptions
préliminaires (NPO, par. 1.23, p. 40). C'est oublier que la Cour"doit rechercher l'interprétation qui est en harmonie avec la manière naturelle et raisonnable
de lire le texte, eu égard à l'intention du gouvernement ... à l'époque où celui-ci a accepté la
compétence obligatoire de la Cour" (affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co., Rec. 1952, p. 104),

et qu'elle n'accorde aucun crédit à l' "interprétation nouvelle" proposée par l'auteur d'une

déclaration d'acceptation de compétence obligatoire de la Cour (affaire Nottebohm
(Exceptions préliminaires), Rec. 1953, p. 120).

1.84 La Cour considère que l'interprétation qu'un Etat propose de sa déclaration est nouvelle
lorsque :

"jamais auparavant, il ne l'avait fait connaître" (Rec. 1953, p.21).

C'est le cas de l'interprétation proposée par le Nigeria.

1.85 La Cour a ajouté qu'une interprétation

"est nouvelle encore en ce sens qu'elle ne paraît pas avoir jamais été énoncée" (ibid.).

par quiconque, ce qui se traduit généralement par le fait que celui qui en est l'auteur

"n'a cité aucune autorité à son appui" (ibid.).

1.86 Il est en réalité bien compréhensible que le Nigeria ne cite aucune autorité à l'appui de sa
thèse. Ni la Cour, ni les autres Etats parties au système de la clause facultative, ne peuvent lui

être d'aucune aide.

1.87 La Cour a circonscrit de façon très nette et à plusieurs reprises la notion de réciprocité
utilisée dans le cadre des déclarations d'acceptation de compétence obligatoire. Dès l'affaire
de l'Anglo Iranian Oil Co, la Cour avait considéré que, par des déclarations faites sous
condition de réciprocité,

"compétence est conférée à la Cour seulement dans la mesure où elles coïncident pour la lui
conférer" (Rec. 1952, p. 103)

De même, dans l'affaire des Emprunts norvégiens, la Cour considéra que

"conformément à la condition de réciprocité mise à l'acceptation de la juridiction obligatoire

dans les deux déclarations et prévue par l'article 36, alinéa 3 du Statut, la Norvège est fondée,
dans les mêmes conditions que la France à exclure de la compétence obligatoire les différends
que la Norvège considère comme relevant essentiellement de sa compétence nationale" (Rec.
1957, pp. 23-24).

De façon encore plus claire, la Cour fixa définitivement les idées dans l'affaire de

l'Interhandel:

"La réciprocité en matière de déclarations portant acceptation de la juridiction obligatoire de
la Cour permet à une partie d'invoquer une réserve à cette acceptation qu'elle n'a pas exprimée
dans sa propre déclaration mais que l'autre partie a exprimée dans la sienne (...) La réciprocité
permet à l'Etat qui a accepté le plus largement la juridiction de la Cour de se prévaloir desréserves à cette acceptation énoncées par l'autre partie. Là s'arrête l'effet de la réciprocité"
(Rec. 1959, p. 23 - italiques ajoutés).

On mesure la distance qui sépare la condition de réciprocité mise en avant par le Nigeria et
cette définition. Comme la Cour l'a précisé récemment :

"Il apparaît nettement que la réciprocité ne peut être invoquée par un Etat pour ne pas
respecter les termes de sa propre déclaration, quel qu'en soit le champ d'application, les
limites ou les conditions" (affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci (Compétence de la Cour et recevabilité de la requête), Rec. 1984, p. 419).

1.88 La manière dont les autres Etats parties à la clause facultative rédigent leurs déclarations

démontre sans conteste que la condition de réciprocité n'a jamais eu, pas plus dans leur esprit
que dans celui de la Cour, le sens que lui attribue aujourd'hui le Nigeria. En effet, de
nombreux Etats ont rédigé leur déclarations non seulement en invoquant la condition de
réciprocité, mais en plus en précisant bien clairement qu'ils ne reconnaissent pas la
compétence de la Cour dans les litiges qui les opposent à des Etats qui n'ont accepté la
compétence de la Cour que très récemment. Si l'invocation de la condition de réciprocité avait

été suffisante, ces Etats n'auraient pas jugé nécessaire de prévoir une condition
supplémentaire.

1.89 Le cas du Royaume-Uni est significatif à cet égard. Dans sa déclaration du 1er janvier
1969, le Royaume Uni

"reconnaît comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, sous condition de

réciprocité, la juridiction de la Cour ... [sauf en ce qui concerne]

"iii) les différends à l'égard desquels toute autre partie en cause a accepté la juridiction
obligatoire de la Cour internationale de Justice uniquement en ce qui concerne lesdits
différends ou aux fins de ceux-ci, ou lorsque l'acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour au nom d'une autre partie au différend a été déposée ou ratifiée moins de douze mois
avant la date du dépôt de la requête par laquelle la Cour est saisie du différend".

1.90 La doctrine britannique est parfaitement consciente de la distinction entre la condition de
réciprocité et la réserve posée sub.litt. iii): " 'on condition of reciprocity" in the United
Kingdom declaration refers to the principle of reciprocity which follows from the wording "in
relation to any other state accepting the same obligation' in Article 36 (2) (...) According to
this principle, a state accepts the Court's jurisdiction vis-à-vis any other state only in so far as

that state has accepted it also. If state A makes a declaration subject to reservation X and state
B makes one subject to reservation Y, the Court has jurisdiction to hear disputes between
these two states only in so far as they are not covered by reservations X or Y" ( Harris, Cases
and Materials on International Law (4ème éd. 1991), p. 925 ; dans le même sens, v.
notamment Brownlie, qui indique que sachant que la condition de réciprocité est comprise
dans le Statut, à l'article 36, paragraphe 2, "reservations as to reciprocity in acceptances are
superfluous", Principles of Public International Law, 4ème éd., 1990, p. 727).

1.91 Dès lors, tant le Statut de la Cour qu'une lecture de bonne foi de la déclaration nigériane
militent pour le rejet, en droit, de la première exception présentée par le Nigeria. Si une
déclaration est déposée auprès du Secrétaire général des Nations Unies, une requête est
immédiatement valable.SECTION 3. LE NIGERIA ETAIT AU COURANT DE L'INTENTION DU
CAMEROUN DE SAISIR LA COUR

1.92 A titre subsidiaire, le Cameroun tient à préciser que, contrairement à ce qu'affirme avec
insistance le Nigeria, celui-ci était parfaitement au courant de la volonté du Cameroun de

saisir la Cour. Le Nigeria n'a pas, loin s'en faut, été pris "par surprise". Si un Etat a été surpris
dans cette affaire, c'est le Cameroun, face aux accusations répétées par le Nigeria selon
lesquelles il aurait agi subrepticement, "en cachette", pour attirer son voisin dans une
"embuscade judiciaire" ("Nigeria was taken by surprise", NPO, par. 1.9., p. 32,; "trial by
ambush", NPO, par. 1.24, p. 40). Rien n'est plus faux.

1.93 Dès le 19 février 1994, soit plus de dix jours avant de reconnaître la compétence de la

Cour, et plus d'un mois avant le dépôt de la requête camerounaise, le Président BIYA
évoquait, dans un télégramme officiel adressé au chef de l'Etat nigérian, la possibilité d'un
règlement juridictionnel du problème de l'invasion militaire de Bakassi:

"je vous exhorte à persévérer dans l'intensification des efforts de négociations déjà en cours
pour trouver une solution juste équitable et conforme au droit international y compris par voie

juridictionnelle" (Annexe M.C. 337).

Ce faisant, le chef de l'Etat camerounais prévenait en priorité son homologue nigérian que sa
volonté de tout faire pour solutionner le problème frontalier comprenait le recours à la justice
internationale.

1.94 Le lendemain, dimanche 20 février 1994, Yaoundé annonçait officiellement sa décision

de porter le différend devant la Cour internationale de Justice. Cette information était
notamment diffusée par la station de radio "Africa n° 1" basée à Libreville, dans les termes
suivants:

"Faced with the negative attitude of the Nigerian government, and while remaining vigilant on
the ground, Cameroon has opted for international arbitration. The Yaounde authorities have
decided to take the case to the UN Security Council, the International Court of Justice at The

Hague and an O.A.U. central body for the prevention, management and resolution of
conflicts" (Annexe O.C. 11).

Il s'agissait là clairement d'une notification, c'est-à-dire d'un acte unilatéral ayant des effets
juridiques (v. C.I.J., affaire des Essais nucléaires, Rec. 1974, p. 270).

1.95 Le 21 février 1994, les plus hautes autorités du Nigeria étaient bien conscientes de la
claire volonté camerounaise de porter le différend devant la Cour internationale de Justice. M.
Kingibe, Ministre nigérian des affaires étrangères, déplorait d'ailleurs devant des journalistes
la décision annoncée la veille par Yaoundé au motif que

"cela n'est pas cohérent avec l'esprit de dialogue qui avait jusqu'ici prévalu" (Annexe M.C.
340),

1.96 Le 4 mars, le Nigeria savait parfaitement que le Cameroun avait non seulement pris sa
décision, mais avait engagé des démarches pour pouvoir saisir la Cour d'une requête
unilatérale. Il connaissait donc l'existence de sa déclaration du 3 mars. Le Ministre desAffaires étrangères du Nigeria exprimait très clairement dans une lettre du 4 mars adressée au
président du Conseil de sécurité des Nations Unies que son gouvernement était

"surpris .. de constater ... [que] le gouvernement camerounais avait décidé d'internationaliser
cette affaire en :

c) Engageant une procédure auprès de la Cour internationale de justice" (Annexe M.C. 344,
italiques ajoutés par la République du Cameroun).

1.97 Le 11 mars 1994, à l'occasion de la première session extraordinaire de l'organe central de
l'O.U.A. tenue au niveau des ambassadeurs sur le conflit frontalier opposant le Cameroun au
Nigeria, la délégation nigériane a entendu l'intervention du Secrétaire général de l'O.U.A., le

Dr. Salim Ahmed Salim, lequel:

"n'a pas semblé apprécier le fait que le Cameroun ait saisi le Conseil de Sécurité et la C.I.J."
(M.C. 349, p. 7).

Il est donc clair que tous les officiels africains connaissaient, au plus tard le 11 mars 1994, les

démarches engagées par le Cameroun pour saisir la Cour.

1.98 Le Secrétaire général de l'O.U.A., les journalistes, mais aussi les gouvernants nigérians,
étaient donc tous parfaitement renseignés sur les démarches engagées par le Cameroun, bien
avant le 29 mars. Pendant tout le mois de mars, avant que le Cameroun ne dépose sa requête,
l'information a été reprise, et confirmée par de multiples canaux.

1.99 La radio "Nigeria-Lagos" diffusait le 6 mars 1994 l'information selon laquelle

"Nigeria expressed surprise at the steps taken by Cameroon to internationalize the issue
before the commencement of summit talks by the two countries to resolve the issue. Such
steps, Nigeria said, included ... initiating a process with the International Court of Justice at
the Hague" (Annexe O.C. 14).

Le journal nigérian African Concord du 7 mars 1994 imprimait dans ses colonnes que le
Cameroun

"had taken the case to the World Court at The Hague" (Annexe M.C. 345).

Le 15 mars le journal Cameroon Tribune affirmait :

"Le moment venu, la Cour internationale de justice, quant à elle, pourra se prononcer ..."
(Annexe O.C. 16).

Le 19 mars, l'Agence France Press rapportait encore les propos tenus par le "Deputy Foreign
Minister", M. Anthony Ani, devant les journalistes de l'agence nigériane NAN, en ce termes:

" He reiterated his government's belief that the conflict may still be resolved through dialogue,
rather than asking a solution at the international Court of Justice at the Hague" (Annexe O.C.
18).1.100 Bref, dès le 21 février 1994, toute l'Afrique, et au-delà, a eu connaissance du projet du
Cameroun de porter le différend qui l'oppose au Nigeria devant la Cour internationale de
Justice. Il est par conséquent totalement incompréhensible que dans ses Exceptions
préliminaires, le Nigeria soutienne, en condamnant sévèrement la prétendue mauvaise foi du
Cameroun :

"Nigeria had no means of knowing, and in fact did not know, of the deposit by Cameroon of
its Declaration until it was informed by the Registar of the Court by telex and letter dated 29
march 1994 of the lodging by Cameroon of the Application" (NPO, par. 1.6, p. 30).

ou encore se plaigne que

"no threat or suggestion or other warning of imminent arbitral or judicial proceedings was
made by Cameroon" (NPO, par. 1.9, p. 32).

1.101 L'attitude du Nigeria après le dépôt de la requête camerounaise du 29 mars 1994
confirme que cette affirmation ne correspond pas à la réalité et que l'Etat défendeur feint la
surprise ex post facto, alors qu'il n'a, dans un premier temps, pas nourri le moindre doute sur

la compétence de la Cour.

1.102 Le Nigeria a en effet accepté, même s'il l'a regrettée au plan politique, la saisine de la
Cour après le 29 mars 1994.

1.103 Rien à cet égard n'apparaît par exemple dans la note du 14 avril 1994, dans laquelle le
Nigeria semble au contraire confiant quant à la compétence de la Cour pour régler le différend

concernant Bakassi. Elle indique :

"As regards the Bakassi Peninsula, the Cameroonian Authorities are perfectly aware that the
dispute over its ownership is now before the International Court of Justice. Until it is finally
resolved therefore, it is absolutely inappropriate to use it illustratively as in the specific case
of Kontcha" (NPO, annexe 79).

1.104 Rien non plus dans la pourtant très complète note diplomatique de l'ambassade du
Nigeria à Londres, en date du 20 avril 1994 . A propos de la saisine de la Cour par le
Cameroun, le Nigeria exprime son sentiment ainsi:

"We feel that such a confrontational posture by Cameroon does not accord with the spirit and
willingness to find a just and lasting solution to the dispute, through fraternal dialogue

between the two Governments" (Annexe M.C. 341).

1.105 Le Ministre nigérian des Affaires étrangères, dans les propos que l'AFP a recueillis et
diffusés le 26 avril 1994, s'attache quant à lui à traiter le fond de la question de la souveraineté
sur Bakassi, en précisant que

"tous les arguments artificiels que le Cameroun a agités ne servent à rien" (Annexe M.C.

358).

1.106 Le 24 octobre 1994, le Secrétaire du gouvernement fédéral nigérian, M. Alhaji Aminu
Saleh, expliquait lui aussi, face aux journalistes de l'agence nigériane NAN, les arguments de
fond du Nigeria quant à la question de Bakassi, sans mentionner un quelconque vice quiaffecterait la requête camerounaise, et empêcherait la Cour de se prononcer (Annexe M.C.
374).

1.107 Il est également très significatif qu'au moment où le Cameroun a déposé sa requête
additionnelle le 6 juin 1994, le Nigeria, qui, il le reconnaît expressément (NPO, p. 42),

connaissait l'existence de la déclaration camerounaise d'acceptation de la compétence de la
Cour, n'a fait aucune difficulté pour accepter que la requête additionnelle soit jointe à la
requête initiale. Comme la Cour l'a constaté dans son ordonnance du 16 juin 1994:

"l'agent de la République fédérale du Nigeria a indiqué que son gouvernement ne voyait pas
d'objection à ce que la requête additionnelle soit traitée comme un amendement à la requête
initiale, de sorte que la Cour puisse examiner l'ensemble en une seule et même instance" (Rec.

1994, p. 3).

On aurait pu attendre autre chose du Nigeria, si véritablement son sentiment de surprise face à
la requête du 29 mars avait été réel. Il aurait alors, sans nul doute, refusé la jonction des deux
requêtes, pour éviter de donner le sentiment de renoncer à se prévaloir des conséquences de ce
qu'il considère comme un vice affectant la requête originelle, d'autant plus que la requête

additionnelle du Cameroun a été, en ce qui la concerne, déposée le 6 juin 1994, soit plus de
deux mois après la requête initiale.

1.108 Au lieu de cela, le Nigeria prétend dans ses Exceptions préliminaires que puisque la
requête additionnelle a été qualifiée d' "amendement" à la requête initiale, elle doit, en ce qui
concerne la compétence de la Cour, être considérée comme frappée des mêmes prétendus
vices que la requête initiale (par. 1.27, p. 42). Ces arguments sont pour le moins étranges car

la jonction - le Cameroun préfère d'ailleurs plutôt dire l' "addition", puisque la seconde
requête est "additionnelle" - des deux requêtes par la Cour a été une décision purement
procédurale, ayant pour objectif de simplifier l'organisation des débats entre le Cameroun et le
Nigeria. Il s'agit de l'addition de deux requêtes. En déduire que la compétence de la Cour à
l'égard d'une des requêtes conditionne sa compétence à l'égard de l'autre est donc sans
fondement. Mais, en tout état de cause, la compétence de la Cour, en l'espèce présente, n'est
douteuse ni à l'égard de l'une, ni à l'égard de l'autre.

1.109 En conclusion,

1°- la requête soumise par le Cameroun est en parfaite conformité avec les conditions
régissant la saisine de la Cour selon la clause facultative ;

2°- la condition de réciprocité invoquée par le Nigeria n'a jamais eu le sens qui lui est
attribué aujourd'hui par l'Etat défendeur ;

3°- La Cour a jugé, dès 1957, que le seul dépôt d'une déclaration d'acceptation de sa
compétence obligatoire suffisait à fonder celle-ci et il n'existe aucun motif pour réviser la
jurisprudence claire et constante de la Cour à cet égard ;

4° - le Nigeria n'a nullement été pris par surprise par le dépôt de la requête
camerounaise, et il connaissait parfaitement l'intention du Cameroun en ce sens
plusieurs semaines avant ce dépôt.1.110 La République du Cameroun prie donc la Cour de bien vouloir rejeter la première
exception préliminaire soulevée par la République fédérale du Nigeria.

CHAPITRE 2

DEUXIEME EXCEPTION PRELIMINAIRE :
LES PARTIES AURAIENT L'OBLIGATION

DE RESOUDRE TOUTES LES QUESTIONS FRONTALIERES
U MOYEN DES DISPOSITIFS BILATERAUX EXISTANTS

Introduction

2.01 La deuxième exception préliminaire avancée par le Nigeria mentionne le "duty of the
Parties to settle all boundary questions by means of existing bilateral machinery". Il y affirme
que "for a period of at least 24 years prior to the lodging of the Application the Parties have in
their regular dealings accepted a duty to settle all boundary questions by means of the existing
bilateral machinery" (NPO, par. 2.1.). Le Nigeria cherche à tirer des conclusions juridiques de
grande portée de cette affirmation, qui est, cependant, dépourvue de tout fondement.

2.02 Le Nigeria prétend que "this course of joint conduct constitutes an implied agreement to
resort exclusively to the existing bilateral machinery and not to invoke the jurisdiction of the
Court" (ibid.). Si cela ne suffisait pas, il est ajouté, subsidiairement, que le Cameroun est
"estopped from invoking the jurisdiction of the Court" (ibid., par. 2.3) ou, très
subsidiairement, que la requête portée devant la Cour "constitutes a breach of the principle of
good faith in the light of the commitment to resort to the available bilateral machinery" (ibid.,

par. 2. 4).

2.03 S'il est vrai qu'il y a eu des discussions bilatérales portant de manière générale sur la
question frontalière terrestre et maritime entre les deux Etats, leur style et leur teneur ont varié
au cours des années. A aucun moment il n'y a eu d'accord ou d'entente expresse ou implicite
selon lesquels il ne pourrait y avoir recours à aucun autre mécanisme ou méthode de
règlement pacifique, et encore moins de reconnaissance d'une forme d'obligation juridique,

quelle qu'elle soit, qui exclurait une saisine de la Cour ou tout autre moyen de règlement par
une instance tierce. Tout au contraire, les faits prouvent à l'évidence que, alors que le
Cameroun poursuivait ses tentatives de résolution des différends terrestres et maritimes avec
le Nigeria, avec diligence et persévérance, le Nigeria ne se prêtait à la négociation qu'avec
réticence et remettait en question les rares accords qui avaient pu être conclus.

2.04 Il est aussi évident qu'aucun "dispositif" formel de type général n'a été créé par les

parties. En outre, comme on le verra, la poursuite de l'existence, au cours des années, "du
prétendu dispositif bilatéral existant" ("existing bilateral machinery") auquel le Nigeria affecte
de conférer aujourd'hui une importance décisive, était pour le moins, incertaine à certaines
périodes et la notion de recours exclusif à ce "dispositif bilatéral existant" était, de fait,contredite par le comportement même du Nigeria au cours de la période en question, qui a
précédé la requête à la Cour.

2.05 Au surplus, il convient de se demander quelles discussions bilatérales ont eu lieu et quel
est le dispositif établi pour traiter de ces questions. Il est manifeste que nombre des réunions

citées par le Nigeria ont traité de questions purement locales ou uniquement de la frontière
maritime. L'impression que tente de créer le Nigeria est qu'un dispositif bilatéral a été créé
dans l'intention de traiter de la totalité des questions frontalières terrestres et maritimes et qu'il
a fonctionné de manière régulière au cours d'une longue période. Cette impression est
inexacte comme cela ressort des faits. Pour apporter la preuve de l'existence d'un accord
acceptant, sous une forme ou une autre, le "dispositif bilatéral existant", comme méthode
exclusive de résolution des problèmes frontaliers entraînant l'interdiction de fait d'un recours à

toute autre méthode ou mécanisme, il faudrait beaucoup plus qu'une liste hétérogène de
réunions ayant trait à toute sorte de questions à différents niveaux.

2.06 En outre, et indépendamment de ces problèmes factuels fort importants, le Cameroun ne
voit pas comment le Nigeria entend concilier ses allégations concernant l'existence de ce
prétendu "dispositif bilatéral existant", comme mode exclusif de règlement du différend avec
les droits et les obligations découlant de la Charte de l'O.N.U. ainsi qu'avec d'autres principes

pertinents du droit international.

2.07 Il convient donc d'examiner, dans un premier temps, les contacts bilatéraux ayant eu lieu
dans ce domaine puis d'examiner les conséquences qu'en tire le Nigeria au plan juridique.

SECTION 1. NATURE ET PORTEE DES DISCUSSIONS BILATÉRALES, 1964-1994

i) Les discussions ayant trait au différend local entre Boudam (Cameroun) et Danare
(Nigeria).

2.08 Des réunions ont eu lieu entre des responsables camerounais et nigérians le 5 octobre

1964 et les 7 et 9 juin 1965 à Ikom et Mamfe pour traiter d'un différend local entre deux
villages de chaque côté de la frontière. La frontière entre ces deux villages a une longueur
d'environ deux milles et demi et le problème semblait concerner l'emplacement de quelques
arbres en raison de l'incertitude sur l'emplacement de plusieurs bornes frontalières de
démarcation de la frontière (NPO, annexe 11). La recommandation était que cette partie de la
clairière soit nettoyée, démarquée et entretenue. D'autres réunions sur ce sujet ont eu lieu le

11 octobre 1965 et le 15 avril 1966. L'équipe d'enquête conjointe a commencé ses travaux en
mai 1966 (Annexe M.C. 234 et NPO, annexe 13). Ces travaux ont été suspendus sans doute
du fait de la guerre civile nigériane, quoique les motifs d'interruption n'aient pas été
communiqués officiellement au Cameroun (NPO, annexe 13, p. 4).

ii) La réunion camerouno-nigériane du 12 au 14 août 1970 à Yaoundé

2.09 Cette réunion a traité de la question des frontières terrestres et maritimes, même si la
frontière maritime a été au premier plan des discussions. Il est instructif de noter que, tout au
début des discussions entre les deux pays, portant sur la situation frontalière en général, leCameroun a exprimé ses regrets à l'annonce par la délégation nigériane selon laquelle elle n'a
pas le pouvoir de prendre des décisions. Le Cameroun avait alors la nette impression que la
délégation du Nigeria disposait des pleins pouvoirs pour négocier et signer au nom du
gouvernement (NPO, annexe 13, p. 6).

2.10 La réunion a abouti à l'adoption d'une déclaration précisant que les parties étaient
désireuses de "définir de manière définitive et durable leurs frontières terrestre et maritime
conformément à l'esprit de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine, la Résolution des
Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Organisation de l'Unité Africaine sur l'intangibilité des
frontières héritées des Puissances coloniales et à la Charte de Nations Unies" en général. Il a
été déclaré que la délimitation des frontières serait effectuée en trois phases :

"1°) - la délimitation de la frontière maritime" ;

"2°) - la délimitation de la frontière terrestre telle que définie par le Protocole Anglo-allemand
signé à Obokum le 12 avril 1913 et confirmé par l'Accord Anglo-allemand de Londres
concernant 1°) le tracé de la frontière entre le Nigeria et le Cameroun de Yola à la mer ; et 2°)
la réglementation de la navigation sur la Cross River, et l'échange de lettres entre les

Gouvernements britannique et allemand du 6 juillet 1914" ;

"3°) - la délimitation du reste de la frontière terrestre". (Annexe M.C. 240, NPO, annexe 14).

2.11 En ce qui concerne la frontière maritime, il avait été entendu qu'elle "s'effectuerait"
conformément aux Conventions de Genève de 1958 sur le droit de la mer et "conformément
aux bornes et poteaux définis dans l'Accord anglo-allemand de Londres concernant le tracé de

la frontière entre le Nigeria et le Cameroun de Yola à la mer ; et la réglementation de la
navigation sur la Cross River" (ibid.).

2.12 A la conclusion de chacune des étapes, un traité séparé devait être "signé par les deux
pays pour donner effet à la frontière ainsi démarquée et cadastrée". Il était aussi prévu que des
experts des deux pays commenceraient les travaux de délimitation de la frontière maritime et
que les travaux sur cette délimitation seraient "achevés au plus tard le 30 septembre 1970"

(ibid.).

iii) La réunion du Comité Technique Mixte Cameroun-Nigeria, 15 au 23 octobre 1970 à
Lagos

2.13 Cette réunion a été tenue, selon les termes de l'allocution d'ouverture de la délégation

nigériane, en tant que "suivi" ("follow-up") de la réunion de Yaoundé tenue en août de la
même année et pour "the implementation of the joint declaration of the meeting". Cependant
l'attitude nigériane semblait marquer un changement par rapport à la déclaration conjointe,
puisque le Nigeria a proposé comme premier point à l'ordre du jour l'examen du traité du 11
mars 1913 "and the definition of the boundary between latitude 5° north and the sea". Comme
l'a souligné le délégué du Cameroun, le fait d'accepter ce point reviendrait à faire un pas en
arrière et, dans ce cas, "We shall have to start our work all over again. In Yaoundé, we

decided that the Lagos meeting will mainly deal with the delimitation of the off-shore
boundaries". Il ajoutait que la déclaration conjointe avait marqué l'acceptation de la date du 30
septembre comme date de terminaison du tracé de la frontière maritime et que cette date avait
déjà été dépassée, en raison, inter alia, des préparations de la célébration du dixième
anniversaire du Nigeria (NPO, annexe 15, pp. 5-6).2.14 Au vu des désaccords qui se sont manifestés lors de la réunion sur le tracé de la frontière
maritime, le délégué du Cameroun a déclaré clairement et sans équivoque que "if we are
unable to agree, then this matter would go into Arbitration." (ibid., p. 29). A dater de ce
moment là, le Nigeria savait que la gravité de la situation était telle que le Cameroun
envisageait, en cas d'échec des négociations bilatérales, d'avoir recours à une forme de

règlement contraignant par une tierce partie. Dès cette date, il était impensable que le Nigeria
puisse avoir pensé que le Cameroun avait accepté en quoi que ce soit le principe de
l'exclusivité de mécanismes bilatéraux pour la résolution de questions frontalières. Ce qui
importait au Cameroun à juste titre était la résolution des problèmes frontaliers avec son
puissant voisin. Le mode de réalisation dépendait des circonstances du moment. La
conclusion d'accords bilatéraux était sans doute la meilleure façon d'avancer, mais le
Cameroun s'est rapidement rendu compte que le recours à des dispositifs faisant intervenir des

tiers était envisageable en l'absence d'accord bilatéral et il l'a fait savoir au Nigeria dès 1970.

2.15 Il est important de noter que le rapport de la Commission mixte Cameroun-Nigeria tenue
à Lagos précise que l'objet de cette réunion "was to demarcate this maritime boundary,
between the two countries in accordance with the Declaration signed at Yaoundé by the
leaders of the two delegations on 14th of August 1970" (NPO, annexe 16).

2.16 De l'avis du Juge Endeley, membre de la délégation du Cameroun à la réunion de Lagos,
[v. son Résumé et Avis juridique général (Annexe M.C. 241)] la position du Nigeria était
caractérisée, inter alia par le fait qu'il refusait d'adopter les cartes marines existantes pour le
tracé de la ligne frontalière conformément à l'Accord de 1913, ce qui était contraire à la
Déclaration de Yaoundé, et par "ses tentatives délibérées en vue d'amener la Commission à
agir sans tenir compte de la Déclaration de Yaoundé" (ibid, p. 9). Il est aussi révélateur de

noter que le Juge Endeley, présent lors de nombreuses réunions camerouno-nigerianes traitant
de la question frontalière (et qui, par exemple, a présidé le Sous-Comité technique Cameroun-
Nigeria lors de la réunion de mars 1971), a précisé dans son rapport que "Si l'on devait
considérer l'intransigeance manifestée par les membres nigérians de cette Commission mixte
comme le reflet de la politique même du Gouvernement nigérian dans cette question de
frontière maritime (...) il apparaîtrait alors que la seule solution serait le recours à un arbitrage
international" (ibid., p. 11). En d'autres termes, un juge camerounais confirmé, auquel le

Gouvernement du Cameroun avait donné un rôle important en matière de questions
frontalières durant de nombreuses années, prévoyait, dès 1970, que, face à l'intransigeance
nigériane, le Cameroun risquait de n'avoir pas d'autre possibilité que le recours à l'arbitrage
international.

iv) La réunion de la Commission mixte frontalière camerouno-nigériane,Yaoundé, 26 mars - 4
avril 1971

2.17 L'objet de cette réunion était de poursuivre les travaux entrepris lors de la réunion de
Lagos tenue en octobre en conformité avec la Déclaration de Lagos du 23 octobre 1970, qui
doit être lue conjointement avec la Déclaration de Yaoundé du 14 août 1970. Il s'agissait
d'arriver à un accord sur une ligne portée sur les cartes de l'Amirauté adoptées pour
représenter la frontière maritime entre les deux Etats. La Commission a créé un Sous-Comité
d'experts, présidé par le Juge Endeley, pour faire le relevé, sur les cartes de l'Amirauté 3433 et

6245, des lignes centrales des voies navigables de la Cross River et de l'Akwayafe River,
conformément à l'Accord de 1913. Les experts n'ayant pu se mettre d'accord, le Nigeria a
proposé que la Commission interrompe ses travaux pour un mois, ce à quoi la délégation du
Cameroun a consenti à regret (Annexe M.C. 245, NPO, annexes 17 et 18).2.18 Finalement, après les réunions avec les deux Chefs d'Etat, la Commission a adopté, le 4
avril, la deuxième Déclaration de Yaoundé (Annexe M.C. 242 et NPO, annexe 19). Elle
énonce :

"1) les deux Chefs d'Etat sont d'accord pour considérer comme frontière la ligne de

compromis qu'ils ont tracée d'un commun accord sur la carte n° 3433 de l'Amirauté
britannique jusqu'à la limite de 3 milles marins de la ligne joignant les points SANDY et
TOMSHOT conformément au traité anglo-allemand de 1913. Les deux Chefs d'Etat ont porté
leur signature sur ladite carte."

"2) l'application des Conventions de Genève sur le droit de la mer de 1958 pour la
démarcation du reste de la frontière maritime" (Annexe M.C. 242).

v) La réunion de la Commission mixte frontalière camerouno-nigériane, Lagos, 14 - 21 juin
1971

2.19 Cette réunion était une suite de la réunion de Yaoundé lors de laquelle, comme l'a
déclaré le chef de la délégation nigériane, "agreement was reached on the portion of the

boundary which we now wish to talk about i.e. the maritime boundary" (NPO, annexe 20, p.
1). L'objet de la réunion était, selon les propres termes du Président nigérian du Sous-Comité
Technique, to "carry out this delimitation of the maritime boundary starting from the point
agreed to at Yaoundé" (ibid., p. 7). Le Nigeria a accepté que le point de départ de la frontière
maritime soit "the point where the boundary agreed to by our two Heads of State at Yaoundé
in April 1971 ended on the three mile territorial limit" (ibid., p. 11) et que "when we have
completed our work in accordance with the Yaoundé Declaration then we will sign a Treaty"

(ibid., p. 21).

2.20 Dans la déclaration adoptée à la fin de la réunion, il est noté que "[l]a Commission a
tracé la frontière sur la carte marine n° 3433, cette carte est celle ayant servi en avril 1971 aux
deux Chefs d'Etat pour la délimitation de la frontière jusqu'à la limite des trois milles marins
de la juridiction territoriale telle qu'elle a été définie par la Convention anglo-allemande de
1913. La limite extrême de la frontière tracée sur la carte est située à 17,7 milles marins de la

ligne joignant Sandy Point à Tom Shot Point, mais à 14,3 milles marins de la ligne joignant la
laisse de basses mers des points extrêmes des côtes du Nigeria et du Cameroun à la sortie de
l'estuaire" (Annexe M.C. 243 et NPO, annexe 21).

vi) La réunion de la Commission consultative permanente camerouno-nigériane, Yaoundé, 4 -
5 mai 1972

2.21 La Commission consultative permanente, créée par les deux Chefs d'Etat le 7 avril 1971,
a tenu sa première session les 4 et 5 mai 1972. Cette réunion, présidée par les Ministres des
Affaires étrangères des deux pays, a traité de toute une série de questions, des accords
d'extradition et de commerce jusqu'aux accords sur les télécommunications et les pêcheries. Il
est toutefois apparu clairement que, lors de la discussion relative à la délimitation frontalière,
le Nigeria avait changé d'avis à propos de la deuxième déclaration de Yaoundé, adoptée en

juin 1971. Le Commissaire nigérian aux Affaires étrangères, le Dr Aripko, a noté que "the
Nigerian Government was unable to accept the decision taken by the Commission concerning
the demarcation of the boundary from the 3-mile limit seawards"(NPO, annexe 22).2.22 La Commission mixte sur les frontières s'est réunie aux mêmes dates et, selon le rapport
en date du 5 mai 1972, la délégation nigériane a également informé la Commission que le
Nigeria n'accepterait pas la description de la frontière maritime décidée lors de la réunion de
juin 1971. Cela en raison du fait que la réunion n'avait pas tenu compte "de toutes les
dispositions de l'Article 12 de la Convention de Genève sur le droit de la mer et la zone

contiguë" ou "de tous les détails topographiques de la région". Par conséquent, le Nigeria a
proposé qu'une commission chargée d'inspecter et de dresser la carte de la région soit sans
délai mise sur pied et que la Commission mixte sur les frontières se réunisse pour se pencher
sur la question (Annexe O.C. 3). Ce renversement de la position du Nigeria et l'adoption de
tactiques dilatoires avec la création d'une nouvelle sous-commission, en sus de la Commission
mixte sur les frontières, de son Sous-Comité technique et du Comité consultatif permanent ne
pouvaient qu'être source d'inquiétude pour le Cameroun. En outre, ce n'est qu'en janvier 1982,

comme le souligne le Nigeria, soit une dizaine d'années plus tard, que les deux pays ont pu
tomber d'accord sur une reprise des réunions de la Commission mixte sur les frontières. La
phrase utilisée dans le communiqué des deux Chefs d'Etat est qu'ils ont décidé "to resuscitate
the Boundary Commission" (NPO, annexe 26). Cela n'est pas compatible avec l'existence d'un
accord de recours exclusif à l' "existing bilateral machinery".

vii) La situation entre 1972 et 1978

2.23 La réunion de mai 1972 a été suivie de deux réunions des Chefs d'Etat à Garoua en août
1972 et à Kano en septembre 1974. Les communiqués publiés après ces réunions ne traitaient
pas de la question frontalière (Annexe O.C. 4, Annexe M.C. 246, NPO annexes 23 et 24), à
l'exception d'une référence faite dans le communiqué de Kano à l'établissement d'un corridor
de deux kilomètres de chaque côté de la ligne reliant la bouée du chenal aux balises n° 1, 2 et

3 figurant sur la carte 3433, délimitant une zone libre où toute activité de prospection
pétrolière était exclue.

2.24 La Déclaration de Maroua du 1er juin 1975, signée par les deux Chefs d'Etat, loin d'être
"inconclusive" (NPO, par. 2.14) était une décision d'une grande importance. La frontière
maritime entre les deux pays était tracée du Point 12 au Point G sur la Carte de l'Amirauté
britannique n° 3433 annexée à la Déclaration elle-même et soigneusement exprimée en termes

de latitude et de longitude (voir M.C., par. 5.55, pp. 521-522). L'attitude adoptée par le
Nigeria à propos de la Déclaration de Maroua est à maints égards comparable à sa position
vis-à-vis des précédentes Déclarations de Yaoundé d'août 1970 et de juin 1971. Après avoir
donné son accord à une délimitation maritime précise, le Nigeria décide ensuite de tenter
d'obtenir une solution plus favorable en rejetant purement et simplement les accords
antérieurs. Cette manière de faire n'était pas de nature à inspirer confiance au Cameroun et est
totalement incompatible avec une prétendue acceptation d'un recours exclusif à un dispositif

bilatéral.

viii) La réunion de la Commission mixte camerouno-nigériane, Jos, 1er - 4 novembre 1978

2.25 Cette réunion au niveau des Ministres des Affaires étrangères a traité de toute une série
de questions bilatérales, y compris de la circulation des personnes de part et d'autre de la

frontière et des questions culturelles. Elle s'est tenue dans une ambiance assez tendue (Annexe
M.C. 253, Annexe O.C. 5 et NPO, annexe 34). Pour ce qui est des questions frontalières, le
Nigeria a insisté pour tenter de réouvrir la question de la frontière maritime déjà réglée par un
accord. De fait, dans son rapport, le Commissaire nigérian aux Affaires étrangères a noté que
la position du Nigeria sur ce qui était bizarrement surnommé "the kink" (le noeud) devait êtreréexaminée au plus haut niveau afin de décider si, soit le Nigeria "give way" (c'est-à-dire
acceptait la Déclaration de Maroua adoptée par les Chefs des deux Etats en 1975) ou
"publicly repudiate the Ahidjo-Gowon Accord" (c'est-à-dire la Déclaration de Maroua) (ibid.,
p. 5). Cette déclaration extraordinaire dans la bouche d'un Ministre des Affaires étrangères,
demandant à son propre gouvernement soit de respecter, soit de dénoncer publiquement un

accord international, montre la gravité des problèmes auxquels le Cameroun devait faire face.

ix) La situation générale entre 1978 et 1987

2.26 Comme l'admet le Nigeria (NPO, par. 2.17), le Cameroun s'est efforcé d'obtenir une
autre réunion de la Commission après 1980 ; sans succès jusqu'en 1987 (NPO, annexes 38 à
50). Le fait qu'il ait fallu tant de temps pour organiser une telle réunion renforce le sentiment

que l'invocation par le Nigeria de l' "existing bilateral machinery" comme étant prétendument
le seul et unique mode de résolution de différends frontaliers est faite un peu à la légère.
Effectivement, le fait que le Cameroun lui-même ne sache pas exactement en 1986 (NPO,
annexe 42) si la réunion à venir de la Commission mixte était une session inaugurale d'une
nouvelle commission ou la troisième session de la Commission mixte Cameroun-Nigeria, en
existence depuis 1971, dont la session inaugurale avait eu lieu à Yaoundé en 1972 et dont la
deuxième session avait eu lieu à Jos en 1978, en dit long sur l'existence d'un mécanisme

bilatéral de résolution de différends supposé être un dispositif exclusif.

x) L'épisode de 1981

2.27 Le 16 mai 1981, un incident a opposé entre des militaires camerounais et nigérians dans
le sud de la zone frontalière entre les deux pays. Suite à cet incident, cinq soldats nigérians ont

été tués. Le Gouvernement nigérian a envoyé une note verbale au Gouvernement du
Cameroun pour protester contre les prétendues actions des troupes camerounaises et exiger
des excuses. Il est d'un intérêt particulier de constater que, loin de s'appuyer exclusivement sur
l'existence d'un mécanisme bilatéral existant, le Nigeria a porté l'affaire devant l'Organisation
de l'Unité africaine. Dans la note verbale reçue à l'ambassade du Cameroun le 19 mai, il est
dit que l'O.U.A. a été informée des événements (Annexe O.C. 6). En d'autres termes, le
Nigeria n'a pas tenté, s'agissant de cet incident frontalier, de résoudre le différend

exclusivement dans le contexte du prétendu "existing bilateral machinery". Tout au contraire,
le Nigeria a même saisi l'O.U.A. avant d'avoir envoyé la note verbale au Cameroun.

2.28 Le 24 mai, le Cameroun a dépêché une délégation au Nigeria pour exprimer ses regrets
pour la mort de Nigérians dans l'incident et une commission bipartite chargée de résoudre
pacifiquement ce problème a été officiellement proposée dans une lettre adressée par le
Président Ahidjo à son homologue nigérian (Annexe M.C. 259). Cela n'a pas été accepté par

le Nigeria qui avait déjà saisi l'O.U.A. (Annexe O.C. 8). En d'autres termes, alors que le
Cameroun proposait le recours à un dispositif bilatéral pour régler la question, c'est le Nigeria
qui s'est adressé à l'O.U.A., et ce, dans les quelques jours ayant suivi l'incident de départ. Il est
donc pour le moins paradoxal que le Nigeria avance maintenant l'argument selon lequel le
Cameroun a un devoir de recourir exclusivement à un dispositif bilatéral pour régler les
problèmes, à l'exclusion de tout recours à une tierce partie.

2.29 Au surplus, non seulement le Nigeria ne s'est pas interdit le recours à l'aide d'une tierce
partie de préférence à l'action bilatérale, mais il a aussi concrètement protesté contre ce qu'il a
estimé être une réaction inadéquate de l'O.U.A. à sa saisine. Le Président du Nigeria a refusé
de participer à la Conférence au sommet de l'O.U.A., tenue au Kenya en juin de la mêmeannée, pour les motifs que le Secrétariat de l'O.U.A. n'avait rien fait pour s'entremettre dans ce
différend. La déclaration nigériane du 23 juin 1981 précise que "la situation nigéro-
camerounaise est d'une telle importance pour le maintien de la paix et de la sécurité sur le
continent que le Secrétariat de l'O.U.A. aurait dû lui porter une attention urgente et sérieuse"
(Annexe O.C. 7). Le Secrétaire général de l'O.U.A. s'est rendu ultérieurement au Nigeria pour

discuter avec le Président de ce pays de la situation entre les deux Etats (Annexe O.C. 9).

xi) La session inaugurale de la Commission mixte camerouno-nigériane, Yaoundé, 24 - 28
août 1987

2.30 Cette Commission mixte a été créée conformément à l'Accord sur la coopération
économique, scientifique et technique entre les deux pays du 27 mars 1972. Le Nigeria décrit

le Protocole de la session inaugurale comme mettant "emphasis on the resolution of boundary
questions by bilateral action" (NPO, par. 2.17). Cela est inexact. Les délégations étaient
menées, respectivement par le Ministre nigérian de la planification nationale et par le Ministre
camerounais du plan et du développement régional, se distinguant ainsi de nombre d'autres
réunions tenues au niveau des ministres des Affaires étrangères. En outre, les dix points
figurant à l'ordre du jour adopté lors de la session plénière faisaient référence aux questions
suivantes : pétrole, questions juridiques, questions consulaires, commerce, pêcheries, élevage

et sylviculture, éducation et culture, science et technologie, santé, poste et
télécommunications, transport, énergie, ressources en eau, divers (NPO, par. 51). La question
des frontières entre les deux pays ne figurait pas parmi les dix points à l'ordre du jour. La
seule référence aux frontières figurait sous le point "commerce" et concernait la question de la
circulation des personnes dans le cadre des échanges frontaliers (ibid., p. 5).

xii) La réunion d'experts durant la visite du Ministre nigérian des Affaires étrangères du
Cameroun, 27 - 30 août 1991, Yaoundé

2.31 Cette réunion est intéressante en ce que les experts nigérians y ont affirmé que la
Déclaration de Maroua n'était pas opposable au Nigeria, point qu'ont contesté les experts
camerounais (Annexe M.C. 312 et NPO, annexe 52).

2.32 Mais c'est à un autre aspect que s'arrête le Nigeria, en affirmant que le contenu du
procès-verbal de cette réunion présente une "particular significance" car [it] "clearly indicates
the focus upon an ongoing institutional framework (cadre institutionnel) within which
boundary problems were to be resolved" (NPO,. par. 2.19). C'est là une mauvaise
compréhension grave du document cité. Le titre 4 du procès - verbal se lit "Cadre
institutionnel" , mais ce titre concerne le mécanisme créé, au sein de chaque pays, pour traiter
des questions frontalières, et, en aucune manière, un cadre institutionnel bilatéral pour la

solution des questions frontalières entre les deux Etats.

2.33 Les deux premiers paragraphes du Titre 4 sont rédigés comme suit :

"Les deux parties ont procédé à un large échange de vues sur le cadre institutionnel qui régit
les questions de frontière au Nigeria et au Cameroun. Elles ont exposé la philosophie qui a

sous-tendu la création, les objectifs ainsi que le fonctionnement de leurs respectives
commissions nationales des frontières.

"Il ressort des discussions que la Commission Nationale des frontières du Nigeria créée en
1987, opérationnelle en 1989 et garantie par la Constitution est une institution autonome,indépendante, chargée de la conception, de la formulation et de l'application de la politique
des frontières du Nigeria. S'agissant de la Commission Nationale des Frontières du Cameroun
créée en 1985, celle-ci est un organe consultatif comprenant quatre comités techniques
regroupant divers départements ministériels" (ibid., pp. 3 et 4).

2.34 Après avoir insisté sur ces cadres institutionnels nationaux pour les questions
frontalières, le Nigeria a demandé que "tous les problèmes des frontières soient examinés dans
le cadre des travaux des deux commissions nationales des frontières" (ibid., p. 4).

2.35 Le communiqué conjoint adopté par les deux Ministres des Affaires étrangères le 29 août
1991 a noté que, en matière de frontières, les deux parties devaient "examine in detail all
aspects of the matter by the experts of the National Boundary Commission of Nigeria and the

experts of Republic of Cameroon at a meeting to be convened at Abuja in October 1991 with
a view to making appropriate recommendations for a peaceful resolution of outstanding
border issues" (NPO, par. 53). Cette directive était adressée aux organes nationaux
compétents et ne consistait nullement à créer un mécanisme institutionnel bilatéral et, moins
encore, à lui conférer une "exclusivité" en matière de délimitation frontalière.

xiii) La réunion mixte des experts camerounais et nigérians en matière de problèmes
frontaliers, Abuja, 15 -19 décembre 1991

2.36 Cette réunion présente un intérêt pour les raisons suivantes :

- Premièrement, la délégation du Cameroun a officiellement proposé de mettre à l'ordre du
jour un point portant sur la rédaction d'un traité visant la délimitation de la frontière nigéro-

camerounaise du Lac Tchad à la mer. La délégation nigériane a accepté l'inclusion d'un sous
point en ce sens (Annexe M.C. 313 et NPO, annexe 54).

- Deuxièmement, le Nigeria a alors reconnu, contrairement aux discussions de Yaoundé d'août
1991, qu'il existait de graves problèmes concernant la frontière terrestre entre les deux Etats.
Une démarcation et un cadastrage de la frontière ont été proposés et il a été convenu de créer
à cette fin un comité composé de dix experts de chaque pays, chargé de faire "la collecte et

l'examen de tous les instruments juridiques disponibles et pertinents en vue de recommander
ceux qui sont utiles pour la démarcation" (ibid., p.8).

- Troisièmement, la délégation nigériane a répété sa position, à savoir que la Déclaration de
Maroua n'était pas opposable à son pays. Cela fut contesté une fois de plus par le Cameroun.
La Partie nigériane a estimé que "très peu de travaux avaient été entrepris par les deux pays

dans ce secteur" et a officiellement proposé la création d'un comité d'experts pour traiter du
secteur maritime (ibid., p. 9).

xiv) La troisième session de la réunion mixte des experts Nigeria - Cameroun, 11 au 13 août
1993 à Yaoundé

2.37 Cette réunion s'est tenue au niveau des Ministres des Affaires étrangères et a traité de

toute une série de questions. En particulier, le Nigeria a rappelé son refus de reconnaître la
Déclaration de Maroua alors que le Cameroun réaffirmait sa validité. La question a été
soumise aux deux Chefs d'Etat (NPO, annexe 55, p. 5). Ni le procès-verbal de la réunion ni le
communiqué conjoint ne font référence à la frontière terrestre. Il n'est pas non plus faitréférence aux comités dont des experts réunis à Abuja en décembre 1991 prévoyaient la
création.

xv) La deuxième session de la Commission mixte de coopération économique, scientifique et
technique, Abuja, 1er - 5 novembre 1993

2.38 Toute une série de questions ont été abordées lors de cette réunion, y compris la
référence faite par le Nigeria à un projet d'accord de coopération sur la sécurité et les
frontières, soumis pour examen en 1983. Le Cameroun s'est engagé à répondre sur le projet. Il
n'a pas été question de délimitation ou de démarcation frontalière. Plus généralement, le
compte-rendu ne fait aucune mention de questions frontalières (NPO, annexe 4).

xvi) La situation avant la saisine de la Cour internationale de Justice par le Cameroun, le 29
mars 1994

2.39 Les incursions militaires du Nigeria au Cameroun en décembre 1993 et février 1994,
décrites en détail dans le Mémoire de la République du Cameroun, (Livre 1, chapitre 6, pp.
570 et s.), ont précipité un certain nombre d'actions de la part du Cameroun. Ainsi, le

Cameroun a saisi, par l'intermédiaire de l'Egypte, qui présidait l'O.U.A., le Secrétaire général
de cette organisation d'une demande de réunion urgente de l'Organe Central du Mécanisme de
l'O.U.A. pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits (Annexe O.C. 13). Des
discussions ont aussi eu lieu les 16 et 17 mars 1994 entre le Ministre nigérian des Affaires
étrangères et les autorités égyptiennes à propos de la crise. La lettre du Ministre égyptien des
Affaires étrangères en date du 17 mars et adressée au Ministre camerounais des Relations
extérieures note précisément que "As the current President of the O.A.U., and UPON THE

APPROVAL OF THE CONCERNED PARTIES, Egypt is willing to host a Summit meeting
in Cairo between H.E. President Paul BIYA and H.E. President Sani ABACHA, with the
participation of H.E. Gnassingbe EYADEMA, President of Togo, whose active role in order
to reach a peaceful settlement of the conflicts is appreciated" (Annexe O.C. 17).

2.40 L'Organe central de l'O.U.A. s'est réuni en session extraordinaire au niveau des
Ambassadeurs à la demande du Cameroun le 11 mars 1994. L'Organe central a entendu les

Parties et a décidé de rester saisi de la question "conformément à la Déclaration du Caire et
compte tenu des principes fondamentaux de la Charte de l'O.U.A." (Annexe O.C. 15, p. 6).

2.41 Le Cameroun a aussi transmis la question au Conseil de Sécurité de l'O.N.U. par une
lettre en date du 28 février 1994 (Annexe M.C. 342). Le Nigeria a envoyé une lettre sur cette
question le 4 mars 1994 dans laquelle il déplorait l'intervention de tiers (Annexe M.C. 344).

2.42 Dans une lettre adressée aux Chefs d'Etat des deux pays, le Président du Conseil de
Sécurité, indiquait que "Les membres du Conseil accueillent avec satisfaction l'initiative prise
par le Président de l'Organisation de l'Unité africaine et les autres efforts de médiation tendant
à aider les parties à parvenir à un règlement politique" (Annexe M.C. 359). Ainsi donc, le
Conseil de Sécurité non seulement n'a pas insisté sur un règlement bilatéral, comme l'avait
exigé le Nigeria, mais n'a nullement condamné l'intervention de tiers comme l'avait exigé

implicitement le Nigeria ; tout au contraire, le Conseil de Sécurité a demandé spécifiquement
et à l'O.U.A. et au Secrétaire général de l'O.N.U. de continuer à suivre la situation et d'offrir
leurs bons offices pour aider à résoudre le différend.2.43 Ainsi, il apparaît que, non seulement le Cameroun n'a jamais accepté, implicitement ou
expressément, oralement ou par écrit, l'exclusivité du recours à des dispositifs bilatéraux pour
le règlement des questions frontalières, mais encore que le Nigeria lui-même a agi
contrairement à ce qu'il érige aujourd'hui en engagement contraignant. Suite à l'épisode armé
de mai 1981, c'est le Nigeria qui a refusé la proposition du Cameroun selon laquelle une

commission bilatérale devait étudier le problème et il a saisi l'O.U.A. de la question dans les
quelques jours suivants l'incident. De même, suite aux graves incidents au début de 1994, la
saisine par le Cameroun de l'O.U.A. et du Conseil de Sécurité de l'O.N.U., à laquelle le
Nigeria s'est opposé, n'a suscité aucune objection de la part de ces organes ; ni l'O.U.A., ni le
Conseil de Sécurité n'ont estimé ne pas pouvoir connaître de cette question en raison de
prétendus accords d'exclusivité entre les deux Etats concernant le respect de mécanismes
bilatéraux. Tout au contraire, les deux instances ont agi effectivement sous une forme ou une

autre.

2.44 De la même manière, l'ordonnance de la C.I.J. en date du 15 mars 1996 montre à
l'évidence qu'il n'existe aucun obstacle de nature juridique à la participation de tierces parties
au règlement du litige. La Haute Juridiction a fait référence à l'Accord de Kara en date du 17
février 1996, conclu grâce à la médiation togolaise et a noté qu'il "ne prive cependant pas la
Cour des droits et des devoirs qui sont les siens dans l'affaire portée devant elle" (p.9).

Davantage même, le dispositif demande aux deux parties de respecter l'Accord de Kara et
d'aider de leur mieux la mission d'enquête sur la presqu'île de Bakassi proposée par le
Secrétaire général des Nations Unies (version dactylographiée - pp. 11-12).

SECTION 2. CONSEQUENCES JURIDIQUES DES NEGOCIATIONS
BILATERALES

2.45 Aux termes de l'article 33, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies : "Les parties à
tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la
sécurité internationale, doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation,
d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux
organismes ou accords régionaux ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix". Aucune
méthode n'est exclue et aucune hiérarchie imposée. Pour qu'il en aille autrement, un accord

clair en ce sens devrait exister entre les Parties ; ce n'est assurément pas le cas.

i) L'inexistence d'un accord quelconque entre les deux Etats en vue du mode de règlement de
leur différend

2.46 Le Nigeria déclare que "[t]he consistent pattern of bilateral procedures, the reiterated
common intention to use the bilateral machinery for the resolution of boundary questions, and

the absence of any rupture in bilateral relations constitute reliable evidence of an agreement
between the Parties not to resort to the International Court of Justice in relation to boundary
questions" (NPO, par. 2.30) et que "[t]his course of joint conduct constitutes an implied
agreement to resort exclusively to the existing bilateral machinery and not to invoke the
jurisdiction of the Court" (ibid., par. 2.36).

2.47 Comme l'a noté la Cour, les accords internationaux peuvent prendre des formes diverses,
y compris des communiqués conjoints, des échanges de correspondance et même des procès
verbaux acceptés de part et d'autre (Affaire de la Délimitation maritime et des questions
territoriales entre Qatar et Bahreïn, Compétence et Recevabilité, Rec. 1994, pp. 120 - 121 et
Plateau continental de la mer Egée, Rec. 1978, p. 39).2.48 Comme la Cour le rappelle dans l'avis consultatif qu'elle a rendu en 1950, dans l'affaire
du Statut du Sud-Ouest africain : "Un `accord' suppose le consentement des parties
intéressées" et "Les parties doivent être libres d'accepter ou de refuser les termes d'un projet
d'accord" (Rec. 1950, p. 139). Pour que la Cour puisse s'assurer qu'un accord a effectivement
été conclu, elle "doit tenir compte avant tout des termes employés et des circonstances dans

lesquelles le communiqué a été élaboré" (Affaire de la Délimitation maritime et des questions
territoriales entre Qatar et Bahreïn, compétence et recevabilité, Rec. 1994, p. 121).

2.49 Ce qui compte par dessus tout est une affirmation claire de la volonté conjointe des
Parties. La Cour a noté, dans le contexte des procès-verbaux adoptés dans l'affaire
Qatar/Bahreïn en 1990, que l'instrument qui lui était soumis "ne se borne pas à relater des
discussions et à résumer des points d'accord et de désaccord. Il énumère les engagements

auxquels les parties ont consenti. Il crée ainsi pour les parties des droits et des obligations en
droit international. Il constitue un accord international" (ibid.).

2.50 Dans l'examen des pièces pertinentes du dossier dans l'affaire de la Mer Egée, y compris
d'un communiqué conjoint, la Cour a déclaré qu'elle "ne découvre rien qui donne à penser que
la Grèce aurait évoqué, avant le dépôt de sa requête, la possibilité de porter unilatéralement le
différend devant la Cour sur la base du communiqué conjoint" (Rec. 1978, p. 44). La Cour

conclut que "le communiqué n'avait pas pour objet et n'a pas eu pour effet de constituer de la
part des premiers Ministres de Grèce et de Turquie un engagement immédiat, pris au nom de
leurs gouvernements respectifs, d'accepter inconditionnellement que le présent différend soit
soumis à la Cour" (ibid.).

2.51 Il ressort clairement de cette jurisprudence que, pour démontrer que l'accord dont il

postule l'existence, le Nigeria doit établir que des engagements contraignants allant dans le
sens de ce prétendu accord ont été acceptés par les deux Parties, soit parce que cela y est
expressément prévu, soit parce que l'intention des deux Parties était clairement, vu toutes les
circonstances, de prendre des engagements contraignants. Le Nigeria n'est pas en mesure de le
faire. Il n'invoque aucun instrument pouvant être interprété comme signifiant que les deux
Etats avaient accepté l'obligation juridique de ne pas recourir à la Cour, ni à dire qu'ils
s'étaient engagés avec force obligatoire à ne pas avoir recours à un mécanisme faisant

intervenir une tierce partie. Le Nigeria n'a apporté aucun élément, quel qu'il soit, prouvant que
les Parties avaient pris un engagement en ce sens et il n'a pas non plus administré la preuve
que le Nigeria ou le Cameroun, pris isolément, aient fait quoi que ce soit dans ce sens au
cours des trente dernières années. Au demeurant, il est évident que le Cameroun n'a jamais eu
une telle intention : très tôt, il a envisagé la possibilité de recourir à un arbitrage international
(v. supra, pars. 2.14 ou 2.16), et les deux Parties n'ont pas hésité à saisir, selon les cas, qui le
Conseil de Sécurité, qui l'O.U.A.

2.52 Si une série de réunions pouvait, en soi, être considérée comme preuve d'un accord de ne
pas recourir à d'autres méthodes de règlement pacifique, il n'y aurait que peu de dispositifs
régionaux ou mondiaux qui pourraient réellement fonctionner et, à l'inverse, les Etats
hésiteraient beaucoup à s'engager dans la voie de négociations bilatérales si celles-ci avaient
pour conséquence d'exclure le recours à d'autres modes de règlement.

ii) Le prétendu "estoppel"

2.53 Le Nigeria prétend en outre que "[t]he relationship established by the conduct of the
Parties in the period 1965 to 1994 also estops Cameroon from resorting to other than bilateralmachinery. By her conduct, particularly in the period 1970 to 1994, Cameroon had clearly and
consistently evinced acceptance of the regime of exclusive recourse to bilateral
machinery...".(NPO, par. 2.32).

2.54 La Cour a déjà eu à plusieurs reprises à connaître de la question de l'estoppel. Dans

l'affaire du Plateau continental de la mer du Nord, la Cour a déclaré que, pour créer un
estoppel, il faudrait être en présence d' "un comportement, [de] déclarations, etc. qui
n'auraient pas seulement attesté d'une manière claire et constante" d'une situation particulière
mais qui auraient aussi amené les Parties concernées, "se fondant sur cette attitude, à modifier
leur position à leur détriment ou à subir un préjudice quelconque" (Rec. 1969, p. 30). Il n'est
pas suffisant d'énumérer des faits susceptibles d'interprétations ou d'explications différentes
(ibid.). En outre, dans l'affaire entre El Salvador et le Honduras, relative à la Frontière

terrestre, insulaire et maritime (Intervention du Nicaragua), la Cour a noté une fois de plus
qu'un estoppel fait nécessairement intervenir deux éléments : une déclaration ou une
représentation faite par une des Parties à l'autre d'une part et la confiance placée dans celle-ci
par l'autre Partie à son détriment ou à l'avantage de la Partie qui l'a faite (Rec. 1990, p. 118).

2.55 Afin de prouver que le Cameroun se trouve dans un cas d'estoppel en ce qui concerne le
recours à d'autres voies de règlement que le recours à un prétendu dispositif bilatéral, le

Nigeria devrait donc apporter la preuve que le Cameroun a, par déclaration ou par
représentation, "d'une manière claire et constante", déclaré qu'il n'aurait jamais recours à un
règlement par une partie tierce. Cela, il ne l'a nullement prouvé et il ne peut le faire. Le
Nigeria n'a présenté ni déclaration ni représentation dans ce sens. Il s'est borné à mentionner
une série d'entretiens bilatéraux au cours desquels il n'a jamais même été débattu du principe
de recours exclusif à des méthodes bilatérales ; à plus forte raison, aucune déclaration ferme

et claire n'a été faite en ce sens. Tout au contraire, non seulement le Cameroun a déclaré
ouvertement que le recours à l'arbitrage international était une possibilité, mais encore il s'est
tourné de fait vers l'O.U.A. et vers l'O.N.U. en 1994. Au demeurant, le non aboutissement de
la plupart de ces rencontres et la remise en cause systématique par le Nigeria des moindres
résultats obtenus justifient pleinement, en droit international, la saisine d'instances tierces,
notamment de la C.I.J. par le Cameroun.

2.56 Le Nigeria devrait aussi apporter la preuve qu'il s'est fondé sur la prétendue déclaration
ou représentation du Cameroun en faveur d'un recours exclusif au dispositif bilatéral qu'il
prétend, à tort, exister. Cela n'a évidemment pas été démontré. Du reste, le Nigeria s'est lui-
même adressé à l'O.U.A. en mai 1981 dans le contexte du présent différend.

2.57 Pour qu'il y ait estoppel, le Nigeria doit aussi démontrer que la confiance qu'il aurait
placée dans des déclarations camerounaises (qui sont inexistantes !) lui aurait causé un

préjudice, ce qui ne peut évidemment pas être prouvé. Du reste, prétendre que le recours à
l'O.U.A., aux Nations Unies ou à la Cour internationale de Justice constitue un préjudice pour
le Nigeria non seulement ne peut être soutenu au regard du droit international, de la Charte
des Nations Unies et de celle de l'O.U.A. ou peut être considérée comme insultante pour ces
institutions éminentes.

2.58 Avancer comme argument, comme le fait le Nigeria, que le préjudice réside dans la perte
d'accès à un système de mécanisme bilatéral est difficilement compréhensible, étant donné la
longue et stérile histoire des négociations bilatérales, et le fait que, à maintes reprises, le
Nigeria est revenu sur les accords obtenus, et vues les nombreuses incursions des forces
armées et des ressortissants nigérians au Cameroun. Au surplus, rien n'interdit aux Parties demener, parallèlement à la procédure judiciaire, des négociations directes, soit dans un cadre
bilatéral, soit sous les auspices de tiers. C'est du reste ce qu'elles ont fait après les graves
incidents qui se sont produits le 3 février 1996 dans la péninsule de Bakassi et qui ont conduit
le Cameroun à saisir le Conseil de Sécurité (Annexe O.C. 26) en même temps qu'il priait la
C.I.J. d'indiquer des mesures conservatoires. De plus, les deux Parties se sont prêtées à la

médiation du Togo à l'issue de laquelle un communiqué commun a été adopté le 17 février
1996 (Annexe O.C. 22) par lequel les Ministres camerounais et nigérian des Affaires
étrangères s'engageaient, au nom des deux Etats, à une cessation des hostilités que, du reste, le
Nigeria a repris aussitôt. La Cour, par son ordonnance du 15 mars 1996, a du reste indiqué,
par seize voix contre une, que "les deux Parties se conforment aux termes de l'accord auquel
sont parvenus les ministres des affaires étrangères à Kara (Togo), le 17 février 1996, aux fins
de l'arrêt de toutes les hostilités dans la presqu'île de Bakassi" (NPO, par. 49.2) et n'a donc, en

aucune manière, considéré que sa saisine était exclusive de la recherche du règlement du
différend par d'autres moyens.

iii) Le principe de la bonne foi

2.59 Le Nigeria allègue, finalement, que la requête devant la Cour "in the light of the pre-
existing commitment to the bilateral machinery, constitutes a breach of the principle of good

faith" (NPO, par. 2.34). L'utilisation par le Nigeria du principe de bonne foi est pour le moins
curieuse. Il est affirmé que "in the present proceedings the principle reinforces the principle
pacta sunt servanda" (ibid., par. 2.35).

2.60 Cette référence assez énigmatique semble signifier, puisque l'argument est fait à titre
subsidiaire, que si l'argument sur un accord supposé échouait, on pourrait avancer qu'il y

aurait une infraction à la bonne foi dans le sens d'une infraction à pacta sunt servanda,
principe qui énonce qu'un accord contraignant doit être respecté. En d'autres termes, le
Nigeria semble suggérer que l'on pourrait utiliser le principe de bonne foi en relation avec
pacta sunt servanda pour appuyer un argument fondé sur l'existence d'un accord qui ...
n'existe pas.

2.61 Comme le reconnaît le Nigeria, la Cour a souligné, dans l'affaire relative aux Actions

armées frontalières et transfrontalières (Rec. 1988, p. 105), que le principe de bonne foi est
un des principes de base gouvernant la naissance et l'exécution des obligations juridiques (cf.
Affaire des Essais nucléaires, Rec. 1974 , p. 268), mais qu'il n'est pas en soi une source
d'obligation quand il n'en existe pas d'autre. En d'autres termes, le principe de bonne foi est
uniquement pertinent là où existent des obligations juridiques. Puisque le Nigeria n'a apporté
aucune preuve de l'existence de quelqu' obligation juridique que ce soit allant dans le sens
d'un prétendu engagement de ne pas avoir d'autre recours que le dispositif bilatéral pour le

règlement de différends frontaliers, l'invocation de la bonne foi n'a pas de raison d'être. On
peut, au contraire, se demander si le fait d'invoquer, sans aucun fondement, l'existence d'un
engagement fantôme de ne pas recourir à la Cour est, lui, conforme au principe de la bonne
foi.

2.62 En conclusion, il apparaît que :

1°- Il n'existe aucun dispositif bilatéral permanent entre les deux Etats qui ait reçu
compétence pour régler le différend les opposant relativement à leur frontière terrestre
et maritime ;2°- des négociations bilatérales ont eu lieu occasionnellement entre les Parties ; soit elles
n'ont pas abouti, soit le Nigeria a remis en cause l'accord conclu ;

3°- à aucun moment ni le Cameroun, ni le Nigeria lui-même n'ont accepté explicitement
ou implicitement le principe d'un règlement du différend frontalier exclusivement par la

voie bilatérale ;

4°- bien au contraire, le Cameroun a, dès 1970, fait savoir qu'il n'excluait pas un
règlement par tierce partie, et l'un comme l'autre des deux Etats n'ont pas hésité à saisir
des tiers lorsque ceci lui est apparu nécessaire et, dans son ordonnance du 15 février
1996, la Cour elle-même a confirmé le bien-fondé de cette démarche ;

5°- il est, dans ces conditions, abusif d'invoquer un manquement au principe de la bonne
foi ou l'existence d'un estoppel.

2.63 La République du Cameroun prie donc la Cour de bien vouloir rejeter la deuxième
exception préliminaire du Nigeria.

CHAPITRE 3

TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :

LA C.B.L.T. AURAIT
UNE COMPÉTENCE EXCLUSIVE
EN MATIÈRE DE DÉLIMITATION DES
FRONTIÈRES DANS LE LAC TCHAD

3.01 Le Nigeria oppose, comme troisième exception préliminaire, une prétendue compétence

exclusive qui serait conférée à la Commission du Bassin du Lac Tchad (C.B.L.T.) pour régler
les différends frontaliers dans la région du Lac Tchad. A en croire le Nigeria (NPO, par. 3.1.,
p.65), les procédures de règlement dans le cadre de la Commission sont obligatoires pour les
parties et excluent de ce fait la juridiction de la Cour au titre de l'article 36, paragraphe 2, du
Statut.

3.02 De l'avis du Cameroun, cette compétence n'est établie ni par les textes, ni par la pratique

suivie par les États membres de la C.B.L.T. (section I). Même si cette compétence était
établie, elle ne saurait exclure la compétence de la Cour internationale de Justice par
application des articles 1er, paragraphe 1, 33 et 103 de la Charte des Nations Unies (section
II).

SECTION 1. LA COMMISSION DU BASSIN DU LAC TCHAD N'A PAS DE
COMPÉTENCE STATUTAIRE EXCLUSIVE EN MATIÈRE DE RÈGLEMENT DES

DIFFÉRENDS RELATIFS A LA DÉLIMITATION FRONTALIÈRE

§ 1. Le texte de la Convention et du Statut sur le développement du bassin du lac Tchad3.03 L'analyse du texte de la Convention et du Statut du 22 mai 1964 ainsi que de leurs
annexes et amendements, (Annexe O.C. 10 texte anglais ; NPO, annexe 9) ne permet d'établir
aucune compétence exclusive de la C.B.L.T. en matière de règlement de différends portant sur
cette délimitation.

3.04 Le préambule de la Convention fixe les objectifs dans les termes suivants :

" CONSIDÉRANT que les États Membres de l'Organisation de l'Unité Africaine ont résolu de
coordonner et intensifier leur coopération et leurs efforts pour réaliser une meilleure vie pour
les peuples africains,

CONSIDÉRANT que les projets rédigés par les États Membres pour l'utilisation des eaux du

Bassin du Tchad étant susceptibles d'affecter son régime et par conséquent son exploitation
par les autres États Membres, il est souhaitable de créer une Commission qui aura pour but de
préparer les règlements généraux, d'assurer leur application effective, d'examiner les projets
préparés par les États Membres, de recommander une planification en vue de la réalisation des
études et des travaux dans le Bassin du Tchad, et, en général, de maintenir la liaison entre les
États Membres;

RÉSOLUES de conclure une Convention afin d'atteindre les objectifs ci-dessus" [...] (Annexe
O.C. 10).

3.05 On notera que le seul objectif qui puisse avoir un rapport avec le problème de la
délimitation frontalière est la référence à l'exécution des études et travaux, pour lesquels la
C.B.L.T. peut "recommander une planification". Ce n'est donc que de manière extrêmement

indirecte que les Parties contractantes ont conféré à la C.B.L.T. une compétence en matière de
délimitation en ce sens que celle-ci peut - comme tout autre problème - faire l'objet d'études et
de travaux, mais elle ne figure pas, en tant que telle parmi les objectifs principaux énoncés
dans le préambule.

3.06 L' article III du Statut dispose :

"Le Bassin du Tchad est ouvert à l'exploitation à tous les États Membres parties de la
Convention, dans le respect des droits souverains de chacun d'entre eux, selon les modalités
définies par le présent Statut, les révisions ou réglementations ultérieures ou des accords
spéciaux ".

Il réserve explicitement les droits souverains de chacun des États membres et exclut toute

délégation implicite d'un droit souverain à la C.B.L.T.

3.07 L'article IX est cité in extenso par le Nigeria pour établir la compétence exclusive de la
C.B.L.T. en matière de règlements de différends territoriaux. Il doit donc être examiné de
près. Cet article dispose :

" La Commission aura les attributions suivantes :

a) de préparer les règlements communs, permettant la pleine application des principes
affirmés dans le présent Statut et dans la Convention à laquelle il est annexé, et en assurer une
application effective ;b) de rassembler, d'examiner et de diffuser des informations sur les projets préparés par les
États Membres et recommander une planification de travaux communs et de programmes
conjoints de recherches dans le Bassin du Tchad ;

c) de maintenir la liaison entre les Hautes Parties Contractantes en vue de l'utilisation la plus

efficace des eaux du bassin ;

d) de suivre l'exécution des études et des travaux dans le Bassin du Tchad relevant de la
présente Convention, et d'en tenir informés les États Membres au moins une fois par an, par
l'exploitation des comptes rendus systématiques et périodiques que chaque État s'engage à lui
adresser ;

e) d'élaborer les règlements communs relatifs à la navigation ;

f) d'établir les règlements relatifs à son personnel et de veiller à leur application ;

g) d'examiner les plaintes et de contribuer à la solution des différends ;

h) de veiller à l'application des prescriptions du présent Statut et de la Convention à laquelle il
est annexé".

L'article reprend avec précision les objectifs énoncés dans le préambule. L'alinéa d) précise
bien que la Commission doit suivre le progrès de l'exécution des études et travaux envisagés
dans la Convention. La tâche est strictement matérielle et les commissaires n'hésitent pas à en
référer aux chefs d'État dès qu'apparaît une difficulté politique (v. infra, § 3). L'alinéa g),

relatif au règlement des différends, confie à la Commission la tâche "d'examiner les plaintes et
de contribuer à la solution des différends". La rédaction n'est guère contraignante. La
contribution au règlement des différends signifie une participation à une telle fonction et
n'implique en aucune façon une compétence exclusive de l'Organisation en la matière, pas
plus qu'une obligation pour les États membres de recourir, exclusivement ou non, aux
mécanismes de la C.B.L.T. dans ce domaine. Y voir, comme le propose le Nigeria, un
système global d'ordre public ("a comprehensive public order system", NPO, par. 3.6, p. 67)

relève d'une spéculation qui ne trouve aucun fondement dans le texte. De plus, cette procédure
ne saurait être appliquée à des questions qui ne relèvent pas de la compétence de la C.B.L.T.
Or le Nigeria constate lui-même que le texte ne fait aucune référence aux questions de
délimitation de frontière en tant que telles (ibid.).

3.08 On ne saurait donc en aucune manière déduire du texte de la Convention et du Statut du

22 mai 1964 une compétence exclusive de la C.B.L.T. en matière de règlement des différends
relatifs à la délimitation frontalière. Au demeurant, le Nigeria l'admet à demi-mot en déclarant
qu'en tout état de cause ("in any event ...") la pratique des États membres de la C.B.L.T.
confirme amplement cette compétence exclusive (ibid., par 3.7, p. 67). C'est concéder la
nécessité de chercher dans la pratique des États ce qui est absent du texte.

§ 2. La pratique des États membres

3.09 A la suite des incidents de 1983 entre le Tchad et le Nigeria, une réunion extraordinaire
de la C.B.L.T fut convoquée à Lagos du 20 au 23 juillet 1983 (Annexe M.C. 267). Mandat fut
alors donné à deux sous-commissions constituées pour examiner les problèmes de sécurité et
de délimitation dans le lac Tchad. Il est intéressant de noter que, dès juillet 1983, la sous-commission concernée envisagea sa tâche comme se limitant aux problèmes de démarcation
matérielle de la frontière sur le terrain. Suivant le rapport,

"il ne s'agit pas, pour les Commissaires, de revenir sur le tracé des frontières sur le Lac tel que
décrit dans les textes historiques, mais de s'en servir sur le terrain comme documents faisant

scientifiquement autorité et sur lesquels il se dégage un consensus"(ibid., p.5).

Les délégations tombèrent d'accord dès la réunion de 1983 à Lagos sur l'identification du
point triple Sud, qui délimite la frontière entre le Nigeria, le Cameroun et le Tchad. La
méthodologie et le programme de travail confirment que la C.B.L.T. se voyait confier une
tâche limitée exclusivement à la démarcation matérielle de la frontière, puisqu'il n'y avait pas
de désaccord sur les textes et principes fondamentaux de délimitation de la frontière : création

de nouveaux points de repères à partir du système Dopler ; détermination des termes de
référence de la nouvelle carte ; détermination provisoire des points triples et des points
intermédiaires ainsi que le thalweg de l'embouchure de la Komadougou-Yobé, du Chari et de
l'El Beïd ; exécution des [re]levés et de la production de cartes ; matérialisation des frontières
par le comité technique conjoint.

3.10 Le rapport d'experts de la C.B.L.T. du 17 novembre 1984 précisa les documents
juridiques de base délimitant la frontière dans le lac Tchad : accord entre la Grande-Bretagne
et la France du 29 mai 1906 ; accord entre l'Allemagne et la France du 18 avril 1908 ; accord
entre la Grande-Bretagne et la France du 19 février 1910 ; échange de notes entre le
Royaume-Uni et la France du 9 janvier 1931. Aucun de ces textes, qui délimitaient ensemble
par points géométriques et lignes droites la frontière dans le lac Tchad, ne fut contesté alors
par les représentants des États membres. Il n'y avait donc pas de problème de délimitation,

mais bien un problème de démarcation et de bornage de la frontière. Il fallut attendre la
revendication nigériane sur Darak en 1994 pour voir apparaître formellement une demande en
contradiction avec la délimitation conventionnelle.

3.11 Auparavant le vocabulaire de la C.B.L.T. avait été corrigé pour mieux rendre compte de
la réalité de la tâche qui lui était confiée. Il ne fut plus question de délimitation mais de
démarcation. Ainsi, à Abuja en 1984, les Chefs d'Etat décidèrent "d'approuver le document

technique de la démarcation des frontières des États membres dans le lac Tchad comme
présenté par les experts nationaux et le secrétariat exécutif de la C.B.L.T." (Annexe M.C. 268,
p.13). A partir de 1985, le terme de démarcation fut systématiquement substitué à celui de
délimitation.

3.12 L'examen des travaux de la C.B.L.T. consignés dans les annexes nigérianes (NPO,
annexes 65 à 77) confirme qu'il s'agit bien d'un travail de démarcation au sens le plus strict du

terme, c'est à dire de relevés, de pose des sept bornes principales et de soixante-huit bornes
intermédiaires, enfin des travaux cartographiques d'accompagnement. Le Cameroun a donné
des précisions sur l'historique de la délimitation dans le Lac Tchad dans son Mémoire (pars.
2.146 à 2.210, pp. 109-126, pars 4.119 à 4.131, pp. 380-385). S'agissant de la frontière
lacustre entre le Cameroun et le Nigeria, outre les deux bornes principales, treize bornes
intermédiaires furent posées dont les coordonnées sont décrites dans le rapport signé par les

experts nationaux en 1990 (M.C., par. 4.129, p. 384 ; Annexe M.C. 292, pp.2463 et s.).

3.13 On se contentera à ce stade de noter que, de 1983 à 1994, aucun des États membres ne
posa de problème de délimitation dans le Lac Tchad. Les seuls problèmes sérieux de
démarcation furent ceux posés par les points doubles, c'est-à-dire ceux situés à l'embouchuredes rivières se jetant dans le Lac, du fait de la modification des caractéristiques orographiques
et de l'assèchement important du Lac. Mais les Parties parvinrent à un accord sur
l'emplacement des bornes principales marquant les points doubles et en particulier, pour le
Cameroun et le Nigeria, la borne située à l'embouchure de la rivière El-Beïd ou Ebeji (M.C.,
pars. 4.122 à 4.127, pp. 381-383). Les autres problèmes, liés notamment à la difficulté de

placer les bornes intermédiaires en terrain marécageux, étaient de nature purement matérielle.

3.14 Peut-on déduire de la pratique des États membres l'institution d'un forum de règlement
permanent des problèmes frontaliers comme le prétend le Nigeria (NPO, pars. 3.9 et 3.10,
pp.68-69). L'expression est très excessive. Contrairement à ce qu'affirme le Nigeria, elle ne se
trouve pas dans le corps du procès-verbal de la Cinquième Conférence des Chefs d'Etat de la
C.B.L.T. et moins encore dans les résolutions de la Conférence ou dans le communiqué final.

Elle est seulement utilisée par le Dr. Bukar Shaib, ministre de l'agriculture, des ressources
hydrauliques et du développement de la République fédérale du Nigeria, président en exercice
du Conseil des Ministres de la C.B.L.T., dans son rapport annexé au procès-verbal de la
Conférence. Elle n'a donc pas valeur conventionnelle.

3.15 Il est certain que la C.B.L.T. a joué un rôle essentiel dans la démarcation de la frontière
dans le Lac. Conformément à l'article 9, alinéa g) de son Statut, elle a promu le règlement des

différends et la solution des divergences entre États membres, aussi bien en ce qui concerne la
sécurité dans le Lac Tchad qu'en ce qui concerne la démarcation de la frontière. Elle a
effectivement constitué un "forum" utile, sans pour autant être dotée d'une compétence
obligatoire ou, moins encore, exclusive. Le Nigeria reconnaît lui-même cette limite au rôle de
la C.B.L.T. puisqu'il s'en prévaut pour réserver sa position sur le caractère définitif des
décisions prises lors du Huitième Sommet des Chefs d'Etat ("... reserves its position on the

finality of the decisions adopted ... ", NPO, par. 3.12, p. 71). Du reste, l'attitude des
représentants du Nigeria tout au long de la période examinée contredit les assertions avancées
aujourd'hui.

§ 3. Le comportement des représentants du Nigeria

3.16 Les représentants du Nigeria jouèrent un rôle actif tout au long de la procédure de

démarcation. Présidant à plusieurs reprises la C.B.L.T. pendant la période considérée, ils
insistèrent sur l'urgence de la démarcation des frontières dans le Lac, notamment pour
contribuer à la paix et à la sécurité dans la région (par ex., 33e session, NPO, annexe 65, par.
97, p. 596). A la 35e session, le représentant du Nigeria annonça que son gouvernement avait
versé sa quote-part du financement des travaux de démarcation et de levés ("border
demarcation and survey exercise", NPO, annexe 68, par. 23 , p. 640). Le Nigeria souleva fort
naturellement la question de l'emplacement du point double (embouchure de l'El Beïd ou

Ebeji) mais en insistant sur le fait que la question ne posait pas de problème insurmontable
(NPO, annexe 69, vol. III, p. 650). Le problème fut en effet réglé et les Chefs d'Etat prirent
acte de l'achèvement des travaux sur le terrain (NPO, annexe 73, vol. III, p. 694). Si le
représentant du Nigeria refusa de signer le procès-verbal de bornage en 1990, ce fut pour des
raisons purement techniques (NPO, annexe 74, vol III, p. 708). Mais il se ravisa à la session
suivante (NPO, annexe 75, vol. III, pp. 717-718). Enfin, lors du Huitième Sommet des Chefs
d'Etat de la C.B.L.T., les 21-23 mars 1994, tenu sous la présidence du général Abacha, Chef

d'Etat de la République fédérale du Nigeria, les Chefs d'Etat prirent note de l'achèvement de
l'exercice de démarcation des frontières et approuvèrent le document (NPO, annexe 77, vol.
III, pars. 31 et 32, p. 739 et p. 786).3.17 A aucun moment, les représentants du Nigeria n'élevèrent d'objection quant à la
délimitation de la frontière. Pendant onze années et de nombreuses réunions ils participèrent
activement à la démarcation d'une frontière délimitée par des instruments internationaux bien
définis et en particulier le dernier d'entre eux, l'accord Graeme Thomson - Marchand de 1930.
On notera que la délimitation du point triple dans le Lac Tchad fut acquise dès le début de la

procédure de démarcation et ne fut plus remise en question. Quant à la détermination du point
double, à l'embouchure de la rivière El Beïd ou Ebeji, elle fut établie à l'issue d'une procédure
à laquelle les experts, commissaires et autorités politiques du Nigeria furent pleinement
associés. Il n'est pas douteux que les représentants du Nigeria n'ont à aucun moment soulevé
des problèmes de délimitation au sein des travaux de la C.B.L.T. ou prétendu que la
compétence de l'organisation s'étendait au contentieux de la délimitation des frontières.

3.18 L'attitude des représentants du Nigeria quant à la procédure de règlement des différends
prévue par l'article IX.g) du Statut est tout aussi claire. Le Nigeria se prêta volontiers aux
débats et négociations au sein de la C.B.L.T.. Il joua pleinement le jeu de la "promotion du
règlement des différends". Mais il ne proposa ou n'accepta jamais de donner à la C.B.L.T. une
compétence supplémentaire en matière de règlement des différends. Il fit toujours jouer
l'article III du Statut sur la réserve des droits souverains de chaque Etat membre afin de
défendre ses intérêts, y compris pour les décisions issues du Huitième Sommet des Chefs

d'Etat de 1994. Un tel comportement contredit la "présomption de compétence exclusive en
matière de règlement des différends" avancée par le Nigeria dans son exception préliminaire
(NPO, vol. I, p.72, point 315). Une limitation du droit souverain d'un Etat membre en matière
de règlement pacifique des différends ne se présume pas. La constatation vaut pour le Nigeria,
mais aussi pour le Cameroun.

SECTION 2. LA COMPÉTENCE DE LA C.B.L.T. NE SAURAIT ÊTRE EXCLUSIVE
DE LA COMPÉTENCE DE LA C.I.J.

3.19 D'après le Nigeria, la C.B.L.T. est une organisation régionale dotée d'une compétence
exclusive dans son champ de compétences. Le Statut confère en effet à la C.B.L.T. les
attributions d'une organisation internationale. Cette constatation ne suffit pas à établir une
compétence exclusive en matière de règlement des différends frontaliers. Il faudrait pour cela

que cette compétence soit explicitement établie au regard des règles en vigueur du droit
international public. Sans revenir sur l'absence d'attribution explicite de compétence en
matière de délimitation territoriale par le Statut ou la pratique des États membres de la
C.B.L.T, on se limitera à la prise en considération des règles générales du droit international
public à cet effet.

3.20 L'obligation de négocier a été examinée à propos de la seconde exception préliminaire du

Nigeria (v. not. pars. 2.45 et s.). S'agissant du Lac Tchad, les négociations furent menées de
manière ininterrompue pendant plus de onze années. Elles se déroulèrent dans le cadre de la
C.B.L.T. La jurisprudence internationale reconnaît l'utilité d'un cadre multilatéral comme lieu
de la négociation internationale (C.I.J., affaire relative au Sud-Ouest Africain, exceptions
préliminaires, Rec .1962, p. 346). Les négociations conduites dans le cadre des diverses
réunions de la C.B.L.T., au niveau des experts, des Commissaires ou des Chefs d'Etat
permirent de régler toutes les opérations de bornage sur la base d'une délimitation déterminée

par des traités de référence qui ne fut à aucun moment contestée. Toutefois, après onze
années, le Nigeria remit en cause les bases de toute la négociation en revendiquant la localité
de Darak, clairement située à l'Est de la ligne séparant les souverainetés respectives du
Cameroun et du Nigeria, ligne tracée entre le point triple et le point double convenus par lesreprésentants des deux Parties et démarquée sur le terrain par la pose de bornes
intermédiaires.

3.21 Une telle revendication, en contradiction avec les résultats d'une décennie d'efforts
mutuels, rend sans objet une poursuite des négociations diplomatiques dans le cadre de la

C.B.L.T. Pour reprendre l'expression de la Cour permanente, "le recours judiciaire se justifie
dès lors que des pourparlers antérieurs ont rendue superflue une discussion nouvelle des
points de vue." (C.P.J.I., Concessions Mavrommatis en Palestine, Arrêt n° 2, 1924, Série A n°
2, pp.14-15 ). En effet, même si le règlement judiciaire "n'est qu'un succédané au règlement
direct et amiable des conflits entre les parties" (C.P.J.I., ordonnance du 19 août 1929, affaire
des Zones franches entre la France et la Suisse, Série A, n° 22, p. 139, voir aussi Différend
frontalier, C.I.J., Rec. 1986, p. 577), il apparaît comme un recours nécessaire, voire

indispensable, dès lors que la négociation est dépourvue de sens, c'est-à-dire lorsque l'une des
Parties "insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification" (C.I.J., Plateau
continental de la mer du Nord, Rec. 1969, p. 47).

3.22 Le Juge Ago s'est d'ailleurs clairement prononcé en ce sens dans son opinion individuelle
jointe à l'arrêt de la Cour relatif aux exceptions préliminaires en l'affaire des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci :

"le recours préalable à des négociations diplomatiques ne peut pas constituer une exigence
absolue à remplir, même lorsqu'il est évident que l'état des relations entre les parties est tel
qu'il est illusoire de s'attendre à ce que de telles négociations aboutissent à un résultat positif
et qu'il serait injustifié de retarder par ce biais l'ouverture d'une procédure arbitrale ou
judiciaire quand la possibilité du recours à celle-ci a été prévu" (Rec. 1984, pp. 515-516, par.

4)."

3.23 Au demeurant, l'objection formulée par l'exception préliminaire n° 3 va plus loin encore.
Elle s'attache à la nature exclusive de la compétence présumée de la C.B.L.T. pour régler les
différends territoriaux dans la région du Lac Tchad. L'argument méconnaît la diversité des
voies du règlement pacifique en droit international. Il fait bon marché de la supériorité de la
Charte sur les autres obligations souscrites en vertu du droit international.

§ 1. Diversité des voies du règlement pacifique

3.24 Le droit international public ne connaît pas de règle electa una via. La Charte des
Nations Unies envisage d'emblée, en son article 1, paragraphe 1, une diversité de modes de
règlement pacifique des différends. Il dispose qu'afin de maintenir la paix et la sécurité

internationales les Nations Unies prennent :

"des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de
réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens
pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou
le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à
une rupture de la paix ;"

3.25 L'article 33 de la Charte est plus explicite à cet égard, et n'établit aucune hiérarchie
particulière entre les modes de règlement indiqués."1. Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de
la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution avant tout, par voie
de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire,
de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur
choix."

3.26 La déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales
et la coopération entre États (Résolution 2625(XXV) du 24 octobre 1970) confirme
explicitement l'absence de hiérarchie entre mode de règlement pacifique des différends et
formule le principe du libre choix des moyens :

"Les différends internationaux doivent être réglés sur la base de l'égalité souveraine des États

et conformément au principe du libre choix des moyens. Le recours à une procédure de
règlement ou l'acceptation d'une telle procédure librement consentie par les États en ce qui
concerne un différend auquel ils sont Parties ou un différend auquel ils pourraient être Parties
à l'avenir ne peut être considéré comme incompatible avec l'égalité souveraine."

3.27 La déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux

(Résolution 37/10 du 15 novembre 1982) réaffirme le principe de la liberté de choix des
moyens du règlement :

"I.3. Les différends internationaux doivent être réglés sur la base de l'égalité souveraine des
États et en accord avec le principe du libre choix des moyens, conformément aux obligations
découlant de la Charte des Nations Unies et aux principes de la justice et du droit
international."

On ne saurait être plus clair. Le principe du libre choix des moyens est associé à celui de
l'égalité souveraine des États. Il exclut toute priorité d'un mode de règlement sur un autre, dès
lors que les Parties n'en ont pas convenu et sous réserve de la primauté de la Charte.

3.28 Au demeurant, les modes de règlement pacifique des différends ne sont pas exclusifs l'un
de l'autre (v. supra, par. 2.58). La Cour a eu l'occasion de le constater dans l'affaire du

Plateau continental de la Mer Egée :

" le fait que des négociations se poursuivent activement pendant la procédure actuelle ne
constitue pas, en droit, un obstacle à l'exercice par la Cour de sa fonction judiciaire." (Rec.
1978, p.12).

La Cour a rappelé cette jurisprudence dans l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire
des Etats-Unis à Téhéran et dans celle relative aux Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci. Dans cette dernière affaire, elle a déclaré n'être pas :

"en mesure d'admettre, ni qu'il existe une obligation quelconque d'épuisement des procédures
régionales de négociation préalable à sa saisine, ni que l'existence du processus de Contadora
empêche la Cour en l'espèce d'examiner la requête Nicaraguayenne."(Rec. 1984, p.438).

3.29 Dans son Ordonnance relative à l'indication de mesures conservatoires en l'affaire du
Passage par le Grand-Belt, la Cour a d'ailleurs engagé les Parties à poursuivre les
négociations estimant "que, en attendant une décision de la Cour sur le fond, toute négociation
entre les Parties en vue de parvenir à un règlement direct et amiable serait la bienvenue" (29juillet 1991, Rec. 1991, p. 209 ; cf. dans le même sens, Affaire de la Délimitation maritime et
des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, Rec. 1995, pp. 14-15).

§ 2. Primauté des obligations découlant de la Charte

3.30 Le Nigeria affirme que la C.B.L.T. est un "organisme régional doté d'une compétence
exclusive " ("a regional agency with an exclusive competence within its defined scope of
operation", NPO, par. 3.13 , p.71). Comme on l'a exposé ci-dessus, les dispositions énoncées
dans le Statut de la C.B.L.T. ne permettent en aucun cas d'attribuer à cette organisation une
compétence exclusive en matière de délimitation territoriale. Le choix du vocabulaire conduit
à penser que le Nigeria appuie à défaut son argumentation sur l'article 52 de la Charte des
Nations Unies. Or, on peut douter que la C.B.L.T. soit un organisme régional au sens de

l'article 52. Et la primauté des obligations souscrites dans le cadre de la Charte l'emportent en
tout état de cause sur un engagement au titre d'un accord régional.

A - La C.B.L.T. n'est pas un accord ou organisme régional au sens de l'article 52 de la
Charte

3.31 L'article XVII du Statut de la C.B.L.T. déclare que "[l]a Commission aura à tous égards
le statut d'un organisme international". Ce Statut, qui confère à l'organisation la personnalité
juridique et les privilèges et immunités précisés dans le texte, n'entraîne pas pour autant
assimilation aux accords et organismes régionaux prévus par l'article 52 de la Charte selon
lequel :

"1. Aucune disposition de la présente Charte ne s'oppose à l'existence d'accords ou

d'organismes régionaux destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de
la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces
accords ou ces organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les principes des
Nations Unies."

Le texte vise clairement les accords ou organismes destinés à régler les problèmes de maintien
de la paix et de la sécurité internationales. Dans l'application de cette disposition, on a pu

discuter de la relation entre accords de défense et accords de sécurité au sens de l'article 52 ou
encore de la portée du critère régional pour définir ce type d'accord. Mais il n'a jamais été
question d'étendre cette catégorie aux organisations internationales régionales techniques qui,
comme la C.B.L.T., peuvent comprendre un mécanisme de règlement pacifique des différends
ou de promotion de ce règlement. Dans le cas de la C.B.L.T., la procédure très souple de
règlement des différends n'est que l'accessoire d'un traité dont l'objet principal est la
coopération entre États riverains pour la gestion des ressources du lac. Ceci ne saurait justifier

une prétention à une exclusivité de compétence au profit d'une organisation régionale
technique de ce type au détriment du Conseil de sécurité ou de la C.I.J. On ne voit d'ailleurs
pas à quel titre la C.B.L.T. serait chargée de compétences spécifiques en matière de maintien
de la paix et de la sécurité dans la région alors qu'existe par ailleurs une organisation
régionale, l'Organisation de l'Unité africaine, qui s'est saisie des litiges dans la région du Lac
Tchad chaque fois que la paix y était menacée.

B - En tout état de cause l'engagement souscrit au titre de l'article 36, paragraphe 2, du
Statut de la Cour ne saurait être affecté par une procédure parallèle de règlement des
différends3.32 Même si la C.B.L.T. était reconnue soit comme accord régional, soit comme organisation
régionale au sens de la Charte, l'exclusivité de compétence vis-à-vis de la Cour ne serait pas
établie pour autant. Dans l'affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua, la Cour a eu l'occasion de mettre les choses au point, alors que l'accord régional
en cause, le processus de Contadora, se conformait beaucoup plus clairement aux critères de

l'article 52 que la C.B.L.T. :

" La Cour ne pense pas que le processus de Contadora, quel que soit son intérêt, puisse être
considéré comme constituant à proprement parler un accord régional aux fins du chapitre VIII
de la Charte des Nations Unies. Il importe aussi de ne pas perdre de vue que tous les accords
régionaux, bilatéraux et même multilatéraux, que les Parties à la présente affaire peuvent
avoir conclus au sujet du règlement des différends ou de la juridiction de la Cour

internationale de Justice, sont toujours subordonnés aux dispositions de l'article 103 de la
Charte ainsi conçu :

'En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente
Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières
prévaudront.' " (Rec. 1984, p. 440).

3.33 La Cour a donc considéré que l'existence du processus de Contadora ne pouvait
l'empêcher de connaître de l'affaire qui lui était soumise. Il en va a fortiori de même dans la
présente affaire. Aucune clause du Statut de la C.B.L.T., aucune mission particulière conférée
à cette organisation en application de la Charte, ne sauraient justifier ici une exception à la
compétence de la Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal des Nations
Unies.

3.34 En conclusion,

1°- aucune disposition du Statut de la Commission du Bassin du Lac Tchad n'établit au
bénéfice de cette organisation internationale une quelconque compétence exclusive en
matière de délimitation de frontières ; une telle exclusivité de compétence serait
contraire au principe du libre choix du mode de règlement pacifique des différends et ne

peut être sous-entendue ;

2°- on ne saurait déduire cette exclusivité de compétence du comportement des États
membres et singulièrement de celui du Nigeria, qui a toujours insisté sur le strict respect
des droits souverains des États membres tel qu'il est affirmé dans le Statut ;

3°- la C.B.L.T. n'est pas un accord ou une organisation régionale au sens de l'article 52
de la Charte des Nations Unies ; au demeurant, même si elle était reconnue comme telle,
l'exclusivité de sa compétence vis-à-vis de la Cour ne serait pas établie ;

4°- enfin, et de toutes manières, l'article 103 de la Charte assure la supériorité des
obligations assumées au titre de la Charte et du Statut de la Cour sur les obligations
découlant d'autres instruments en matière de règlement pacifique des différends.

3.35 Dès lors, la République du Cameroun ne peut que prier la Cour de bien vouloir
rejeter la troisième exception préliminaire du Nigeria. CHAPITRE 4.

QUATRIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :

LA COUR NE POURRAIT DÉTERMINER
LE POINT TRIPLE DANS LE LAC TCHAD

4.01 Selon la quatrième exception préliminaire du Nigeria,

"The Court cannot determine the tripoint in Lake Chad" (p. 77)

ou, selon les termes des conclusions soumises à la Cour,

"The Court should not in these proceedings determine the boundary in Lake Chad to the
extent that the boundary constitutes or is constituted by the tripoint in the Lake" (NPO, par.
4.12 ; v. aussi par. 4.11).

Le Nigeria semble ainsi fonder son exception préliminaire sur l'impossibilité pour la Cour de
procéder à la délimitation jusqu'au point ultime dans le Lac Tchad de la frontière entre les
deux Etats parties à la présente instance.

4.02 La portée exacte de l'exception reste incertaine. D'un côté, le Nigeria semble exclure
toute détermination de la frontière à l'intérieur du lac ("should not determine the boundary in
Lake Chad ..."). D'un autre côté, lorsqu'il intitule son exception "the Court cannot determine

the tripoint in Lake Chad", le Nigeria paraît admettre la possibilité pour la Cour d'exercer sa
compétence en ce qui concerne la frontière lacustre, tout en excluant que la délimitation se
poursuive jusqu'au point triple...

4.03 Cette ambiguïté révèle, aux yeux du Cameroun, la faiblesse de l'argument. L'exception
soulevée par le Nigeria est incompatible avec la jurisprudence constante de la Cour

concernant le problème du "point triple" (section 1). Toutes les tentatives d'exclure la présente
affaire du champ de cette jurisprudence sont vaines (section 2).

SECTION 1. LA JURISPRUDENCE CONSACRE LA POSSIBILITÉ DE
POURSUIVRE UNE DÉLIMITATION JUSQU'AU POINT TERMINAL DE LA
FRONTIÈRE

4.04 La position du Nigeria est en contradiction avec l'arrêt rendu en 1986 par une Chambre
de la Cour dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Mali). La Chambre y relève
que

"Dans son mémoire, le Mali fait observer que la détermination du point triple Niger-Mali-
Burkina Faso ne peut être opérée par les deux parties sans l'accord du Niger et ne peut pas non
plus être effectuée par la Chambre, qui ne saurait affecter les droits d'un Etats tiers non

présent à l'instance" (Rec. 1986, par. 44, p. 576).

La Chambre rejette expressément cette position lorsque, après avoir constaté que la base de sa
compétence ne contenait aucune restriction particulière à cet égard, elle"estime en outre qu'une telle compétence ne se trouve pas limitée du seul fait que le point
terminal de la frontière se situe sur la frontière d'un Etat tiers non partie à l'instance. En effet,
les droits de l'Etat voisin, le Niger, sont sauvegardés en tout état de cause par le jeu de l'article
59 du Statut de la Cour, lequel
dispose que 'La décision de la Cour n'est obligatoire que pour les parties en litige et dans le

cas qui a été décidé' (...). A supposer donc que la Chambre, dans son arrêt, identifie un point
qui représente pour elle la limite extrême vers l'est de la frontière entre les Parties, rien ne
s'opposerait à ce que le Niger fasse valoir des droits, à l'encontre de l'une ou l'autre des
Parties, sur des territoires situés à l'ouest du point identifié par la Chambre" (Rec. 1986, par.
46, p. 577).

4.05 Les termes cités sont parfaitement transposables au différend opposant le Cameroun et le

Nigeria. La Cour peut identifier le point terminal de la frontière séparant les deux Etats, dans
la mesure où les deux déclarations d'acceptation de sa juridiction obligatoire ne contiennent
aucune restriction
concernant la détermination du tracé frontalier. La circonstance que d'autres Etats puissent
éventuellement élever des revendications sur ce point ne constitue nullement un obstacle à
l'exercice de sa juridiction, ces Etats étant juridiquement protégés par l'article 59 du Statut qui
consacre l'inopposabilité des conclusions de la Cour à leur encontre. Il y a donc lieu de rejeter

l'exception préliminaire avancée par le Nigeria, au même titre qu'a été écarté l'argument du
Mali dans l'affaire du Différend frontalier.

4.06 La conclusion s'impose d'autant plus que cette dernière affaire n'est pas restée isolée. La
jurisprudence est clairement fixée dans le sens de la possibilité de déterminer le point terminal
d'une frontière séparant deux Etats, même si ce point appartient aussi, à première vue, à une

ligne frontalière d'un troisième Etat.

4.07 L'affaire du Différend frontalier, terrestre, insulaire et maritime constitue un autre
précédent en ce sens. En l'espèce, la Chambre relève en effet que

"Le premier secteur litigieux de la frontière commence au tripoint qui a fait l'objet d'un
accord où convergent les frontières d'El Salvador, du Guatemala et du Honduras, un point

qui est visé à l'article 16 du traité général de paix de 1980 comme étant le premier des
'secteurs qui ne sont pas sujets à contestation' et qui est défini comme 'étant le point appelé El
Trifinio, sur le sommet du Cerro Montecristo'. Ce tripoint a été défini par une commission
spéciale composée de représentants des trois Etats, dans un document établi à Chiquimula
(République du Guatemala). Néanmoins, il y a divergence entre les thèses des Parties, quant à
la latitude et la longitude définissant la position du tripoint qui a fait l'objet d'un accord" (Rec.
1992, par. 68, pp. 401-402).

Le différend s'étendait donc à la localisation exacte du point terminal de la frontière séparant
les deux Etats parties à l'instance. Cela n'a pas empêché la Chambre de se prononcer. En vertu
du dispositif de l'arrêt,

"La Chambre,

à l'unanimité,"Décide que le tracé de la frontière entre la République d'El Salvador et la République du
Honduras dans le premier secteur de la frontière commune non décrit à l'article 16 du traité
général de paix signé par les parties le 30 octobre 1980 est le suivant :

"A partir du tripoint international appelé El Trifinio au sommet du Cerro Montecristo (point A

sur la carte n°I jointe à l'arrêt; coordonnées : 14°25'10'' nord, 89°21'20'' ouest), la frontière se
poursuit ..." (Rec. 1992, par. 425, p. 610).

Ainsi, aucun obstacle tenant à l'absence du Guatemala n'a empêché la Chambre d'exercer sa
compétence jusqu'au point terminal de la frontière, qui est même expressément désigné
comme un "tripoint". Comme dans l'affaire du Différend frontalier, l'article 59 du Statut
protège tout Etat tiers contre une interprétation qu'il estimerait erronée des titres applicables.

La même conclusion s'impose au regard des Etats riverains du Lac Tchad qui ne sont pas
présents à la présente instance.

4.08 Il y a lieu de rappeler également en ce sens l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire du
Différend territorial (Libye/Tchad). En l'espèce, après avoir examiné les arguments des
Parties, la Cour conclut en décrivant la frontière séparant le Tchad de la Libye de la manière

suivante :

"Il est clair qu'à l'est le point terminal de la frontière sera situé sur le 24e méridien est, qui
constitue à cet endroit la frontière du Soudan. A l'ouest, il n'est pas demandé à la Cour de
déterminer le point triple Libye-Niger-Tchad ; dans ses conclusions, le Tchad a simplement
prié la Cour de dire quel est le tracé de la frontière 'jusqu'au 15e degré est de Greenwich'. En
tout état de cause, la décision de la Cour à ce sujet, comme en l'affaire du Différend

frontalier, 'ne sera pas... opposable au Niger en ce qui concerne le tracé de ses propres
frontières' (Rec. 1986, par. 50, p. 580)" (Rec. 1994, par. 63, p. 33 - italiques ajoutés).

Ainsi, l'absence du Soudan à l'instance n'empêche pas la Cour de déterminer avec précision le
point terminal oriental de la frontière. De même, l'absence du Niger ne fait pas obstacle à une
détermination du point terminal occidental, alors même que celui-ci n'avait pas fait l'objet
d'une demande expresse de la part des Parties.

4.09 Ainsi, l'exception soulevée par le Nigeria est en totale opposition avec la jurisprudence
existante. Dès l'instant où la compétence de la Cour s'étend à la détermination de la frontière
dans son ensemble - ce qui est le cas en l'espèce - elle peut exercer cette compétence jusqu'au
point terminal de la frontière, même si ce point est par ailleurs considéré comme un point
triple, qui concerne à ce titre la frontière d'un Etat tiers. L'article 59 du Statut a pour effet de

réserver les droits de ce dernier.

4.10 Le Nigeria n'a pas mentionné l'ensemble de cette jurisprudence dans son exposé des
objections préliminaires. Il s'est contenté d'évoquer l'affaire du Différend frontalier, pour
prétendre que les conclusions de cet arrêt ne sont pas transposables à la présente espèce. Les
arguments qu'il avance à cet égard manquent totalement de fondement, comme la République
du Cameroun le démontrera ci-après.

SECTION 2. LES ARGUMENTS DU NIGERIA TENDANT À ÉCARTER
L'APPLICATION DES CONCLUSIONS DE LA COUR DANS L'AFFAIRE DU
DIFFEREND FRONTALIER SONT SANS FONDEMENT4.11 Le Nigeria avance quatre arguments pour échapper à la jurisprudence du Différend
frontalier. Celle-ci ne serait pas transposable, parce que :

- la compétence de la Chambre dans l'affaire du Différend frontalier était basée sur un
compromis, ce qui n'est pas le cas dans la présente espèce ;

- le Niger était un véritable Etat tiers dans l'affaire du Différend frontalier, alors que les Etats
concernés ne le seraient pas dans la présente affaire ;

- le Niger était seulement théoriquement impliqué dans l'affaire du Différend frontalier, alors
qu'il y a eu de véritables accrochages militaires entre le Nigeria et le Tchad dans la région du
lac ;

- l'affaire du Différend frontalier concernait une frontière terrestre, alors que la présente
espèce concerne une délimitation lacustre, pour laquelle des règles spécifiques différentes
seraient applicables.

Ces quatre arguments sont vains.

§ 1. La non pertinence de la base de compétence de la Cour

4.12 Selon le Nigeria, évoquant l'affaire du Différend frontalier,

"[...] that was a case brought by Special Agreement, under which the parties mandated the
Chamber to determine the whole extent of their common frontier, extending throughout the

disputed area [...]. By contrast, the present case is brought without any form of prior notice by
a State which had shortly before deposited a Declaration under Article 36 (2) of the Statute
(NPO 6), and therefore without any agreement or attempt at an agreement between the parties
defining the areas that are in dispute. Nigeria has not accepted - as Mali had done by entering
into the Special Agreement in that case - that the whole of the disputed area appertains to it or
to the other party" (NPO, par. 4.4, pp. 80-81).

Si l'on comprend bien l'argument, l'incompétence de la Cour découlerait de l'absence du
consentement du Nigeria au sujet de l'ensemble de la frontière qui fait l'objet du différend.

4.13 L'affirmation est tout simplement démentie par les faits. En acceptant la juridiction
obligatoire de la Cour sans formuler de réserve concernant la frontière à l'intérieur du Lac
Tchad, le Nigeria a bel et bien accepté la compétence de la Cour à ce sujet (v. supra, chapitre

1). Nous sommes dans le même cas de figure que dans l'affaire du Différend frontalier, la
seule différence tenant à la source de l'acceptation de la compétence. Sur ce dernier point, la
jurisprudence est constante : seule la réalité et l'étendue du consentement de l'Etat défendeur
importe, quelle qu'en soit la forme.

4.14 En réalité, le Nigeria entretient la confusion entre deux problèmes bien distincts : celui
de la compétence de la Cour, qui ne fait pas de doute (v. supra, chapitre 1), et celui de

l'exercice de cette compétence, qui n'est pas limité par l'absence d'un Etat tiers à la présente
instance. Cette confusion vise simplement à écarter la jurisprudence gênante des affaires du
Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), du Différend terrestre, frontalier, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras), et du Différend territorial (Libye/Tchad).§ 2. La non pertinence de la notion d'Etat tiers "à part entière"

4.15 Selon le Nigeria,

"[...] in the Case concerning the Frontier Dispute (Burkina Faso v. Mali), Niger was treated

as a wholly third party with respect to the proceedings (...). But for the reasons already given
in Chapter 3 above in relation to the Third Preliminary Objection, the position of the various
States parties to the Lake Chad Basin Commission, and its associated agreements and
arrangements, is not that of simple third parties. They have been and are involved in the
processes of boundary fixing, resource management, settlement of disputes, etc. so far as they
relate to Lake Chad. They have treaty relations with Nigeria and Cameroon with respect to
these matters. These are not simply res inter alios acta" (NPO, pars. 4.5 et 4.6, pp. 81-82).

Il y aurait donc des Etats tiers "à part entière" ("wholly third party"), et d'autres Etats qui ne
seraient pas de "vrais Etats tiers" en raison de leurs relations conventionnelles avec les deux
Etats parties à l'instance.

4.16 Le Nigeria ne cite aucun précédent ni une source quelconque à l'appui de son

raisonnement. Il serait du reste bien en mal de le faire, tant la jurisprudence est établie en sens
contraire. Dans l'affaire précitée du Différend terrestre, frontalier, insulaire et maritime, la
Chambre définit un point triple qui est visé à l'article 16 du traité général de paix de 1980,
c'est-à-dire un traité multilatéral auquel était Partie, non seulement le Salvador et le Honduras,
mais aussi le Guatemala, absent à l'instance. La Chambre mentionne également les travaux
d'une Commission auxquels auraient participé ces trois Etats. Dans l'affaire du Différend
territorial (Libye/Tchad), la Cour base sa décision sur le traité du 10 août 1955 entre la France

et la Libye, qui concerne plusieurs Etats qui n'étaient pas parties à l'instance. Cela n'a pas
empêché la Cour de se prononcer sur la validité de cet instrument, ni de l'interpréter dans un
sens spécifique, notamment en précisant que sa durée limitée de 30 années ne pouvait avoir
d'effet sur la permanence et la stabilité des frontières qui en résultaient (Rec. 1994, p. 37). La
pratique arbitrale est également fixée en ce sens. Ainsi, dans l'affaire de la Détermination de
la frontière maritime Guinée Bissau/Sénégal, le Tribunal a clairement indiqué que la validité
de l'Accord de 1960 "dans les relations entre le Portugal et la France et les effets qu'il pourrait

encore avoir entre ces deux pays n'est pas mise en cause par la présente sentence, laquelle
n'aura évidemment d'effet qu'entre les Parties à l'arbitrage" (par. 34 de la sentence, in
R.G.D.I.P., 1990, p. 228).

4.17 Dans toutes ces situations, l'organe de règlement du différend accepte de se prononcer
sur le sens à donner à un instrument auquel sont Parties des Etats absents de l'instance. Ici
encore, l'article 59 du Statut suffit à les protéger, en rendant inopposable à leur égard toute

interprétation particulière de la convention en cause. Il est d'ailleurs à noter que la Cour n'a
jamais été empêchée de statuer sur une délimitation maritime, par le fait que celle-ci pourrait
interférer avec les droits d'Etats tiers non parties à l'instance. Ainsi, dans l'affaire du Plateau
continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), la Cour a souligné qu'elle "ne saurait
entièrement écarter la question de l'intérêt juridique de l'Italie ainsi que d'autres Etats de la
région méditerranéenne, et il conviendra d'en tenir compte" (Requête de l'Italie à fin

d'intervention, Rec. 1984, par. 41, p. 25 ; v. également Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya Arabe Libyenne), Rec. 1982, par. 133 B1, p. 93). Ceci montre d'ailleurs
que la prise en considération de l'intérêt juridique d'Etats tiers renvoie à des questions de fond
et ne saurait être examinée au stade des exceptions préliminaires.4.18 Finalement, rien n'indique dans la jurisprudence une limitation de la compétence de la
Cour lorsque les Etats tiers ne le sont pas, selon les termes du Nigeria, "à part entière", en
particulier lorsqu'ils ont été impliqués dans un règlement frontalier qu'il soit de nature
conventionnelle ou non. La distinction n'existe tout simplement pas.

§ 3. La non pertinence de la notion d'Etat "théoriquement impliqué"

4.19 Selon le Nigeria, le Niger n'était que "merely theorically or contingently involved in the
question of the boundaries" dans l'affaire du Différend frontalier. Tel ne serait pas le cas du
Tchad dans la présente espèce, puisque "[t]here have been clashes between Nigeria and Chad"
(NPO, par. 4.9, p. 83).

4.20 Une fois encore, rien ne vient appuyer la pertinence de cette distinction, dont les
conséquences ne sont au demeurant pas clairement énoncées. On ne voit pas en quoi
l'existence d'un différend réel entre le Nigeria et le Tchad empêcherait la Cour de se
prononcer sur celui, bien réel lui aussi, opposant le Nigeria au Cameroun. L'existence de
tensions entre un Etat partie à l'instance et un Etat tiers ne fait nullement obstacle à la
compétence de la Cour, comme le démontre à suffisance l'affaire des Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua, qui concernait un différend dans lequel étaient impliqués
plusieurs Etats d'Amérique centrale non parties à l'instance (Rec. 1984, pp. 429-431). Que le
Nigeria, décidément fort soucieux des intérêts de ses voisins, se rassure : "Il résulte clairement
de [l'article 59 du Statut] que les principes et règles de droit international que la Cour aura
estimés applicables à la délimitation (...) et les indications qu'elle aura données quant à leur
application pratique, ne pourront pas être invoqués par les Parties à l'encontre de tout autre
Etat" (affaire du Plateau continental (Libye/Malte), requête de l'Italie à fin d'intervention,

Rec. 1984, par. 42, p. 26 ; v. dans le même sens C.P.J.I., Série A n° 13, p. 21).

§ 4. La non pertinence de la distinction entre délimitations terrestre, lacustre et
maritime au stade des exceptions préliminaires

4.21 Selon le Nigeria,

"It should be noted that the rules of law applicable to the delimitation and demarcation of
boundaries in large lakes, such as Lake Chad, are not necessarily to be identified with those
applicable to ordinary land boundaries. Criteria of equidistance, proportionality and equity,
considerations of navigability and access to resources, have been applied to the delimitation
of lacustrine boundaries, especially to large lakes. By contrast these criteria have limited
relevance to land boundaries stricto sensu (including rivers and other watercourses)" (NPO,

par. 4.10, p. 83).

Ainsi, le caractère lacustre du milieu concerné exclurait la jurisprudence relative au point
triple qui ne concernerait que les frontières terrestres.

4.22 L'argument est totalement inopérant au stade des exceptions préliminaires. Le caractère
terrestre, lacustre ou maritime de la frontière n'a aucune importance à ce stade de la

procédure. La République du Cameroun demande à la Cour de se prononcer sur l'existence et
l'interprétation d'instruments conventionnels à l'aide desquels l'ensemble de la frontière
terrestre, lacustre et maritime peut être délimitée. En tout état de cause, les principes cités par
le Nigeria (proportionnalité, équité, ...) ne sont pas applicables dans le Lac Tchad puisqu'une
convention fournit une solution au différend frontalier opposant les deux Etats. Une foisencore, il faut, mais il suffit, de se prononcer sur la possibilité de déterminer le point terminal
de la frontière.

4.23 La jurisprudence a expressément rejeté le principe d'une distinction du régime juridique
en fonction de la nature de la zone à délimiter. Dans l'affaire de la Détermination de la

frontière maritime Guinée Bissau/Sénégal, le Tribunal a répondu à la Guinée Bissau, qui
prétendait qu'un régime juridique distinct s'imposait en matière maritime par rapport aux
règles régissant la délimitation terrestre, de la manière suivante :

"Une frontière internationale est la ligne formée par la succession des points extrêmes du
domaine de validité spatial des normes de l'ordre juridique d'un Etat. La délimitation du
domaine de validité spatial de l'Etat peut concerner la surface terrestre, les eaux fluviales ou

lacustres, la mer ou le sous-sol ou l'atmosphère. Dans tous les cas, le but des traités est le
même : déterminer d'une manière stable et permanente le domaine de validité spatial des
normes juridiques de l'Etat. D'un point de vue juridique il n'existe aucune raison d'établir des
régimes différents selon l'élément matériel où la limite est fixée" (R.G.D.I.P., 1990, par. 63, p.
253, de la sentence - italiques ajoutés).

Le Tribunal cite à l'appui de cette constatation un extrait de l'Affaire du Plateau continental
de la Mer Egée, dans lequel la Cour, se prononçant de manière générale sur l'opération de
délimitation, affirme :

"Il faut donc établir la limite ou les limites entre Etats voisins, c'est-à-dire tracer la ligne
exacte où les lignes exactes de rencontre des espaces où s'exercent respectivement les
pouvoirs et droits souverains de la Grèce et de la Turquie. Qu'il s'agisse d'une frontière

terrestre ou d'une limite de plateau continental, l'opération est essentiellement la même [...]"
(Rec. 1978, par. 85, pp. 35-36 ; souligné par la République du Cameroun).

4.24 Il est vrai que le Président Bedjaoui a indiqué dans son opinion dissidente jointe à la
sentence, sa crainte "de ne pouvoir suivre le Tribunal" sur ce point, dans la mesure où "les
normes applicables pour réaliser de telles délimitations doivent nécessairement être adaptées
au milieu auquel elles s'appliquent et à l'élément matériel propre à ce milieu" (affaire relative

à la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, Annexe à la Requête introductive d'instance du
Gouvernement de la République de Guinée-Bissau, 23 août 1989, par. 36, p. 106; souligné
dans le texte). Cette prise de position ne vient cependant aucunement au secours de l'argument
présenté par le Nigeria. En effet, le Président Bedjaoui, sans exclure qu'une unification voire
une assimilation des régimes juridiques applicables soit possible dans l'avenir "en faisant
valoir par exemple une certaine identité d'objet et de finalité pour ces différentes limites et
frontières" (ibid., par. 32 ; v. également par. 40) ; n'évoque en aucune façon l'hypothèse selon

laquelle la spécificité du support matériel d'une frontière pourrait empêcher une juridiction de
statuer sur sa compétence dès lors qu'entreraient en jeu les droits des Etats tiers.

4.25 L'argument du Nigeria selon lequel il faudrait appliquer des régimes juridiques différents
aux frontières lacustres, maritimes et terrestres est donc incompatible avec la jurisprudence.
Celle-ci consacre l'unité de régime de la délimitation. Même si la nature du milieu peut avoir

une influence en l'absence d'instrument conventionnel, tel n'est pas le cas dans la présente
espèce. La question est seulement de savoir si la Cour peut se prononcer sur l'ensemble de la
frontière résultant des instruments applicables, jusqu'au point terminal susceptible d'intéresser
un Etat tiers à l'instance.4.26 En tout état de cause, si la Cour estimait nécessaire d'examiner l'argumentation du
Nigeria relative au régime juridique des frontières lacustres, elle ne saurait procéder à cette
analyse au stade de l'exception préliminaire. Dans l'affaire de la Barcelona Traction Light and
Power Company Ltd (nouvelle requête), la Cour a observé :

"la Cour peut juger que l'exception est tellement liée au fond ou à des points de fait ou de
droit touchant au fond qu'on ne saurait l'examiner séparément sans aborder le fond, ce que la
Cour ne saurait faire tant que la procédure sur le fond est suspendue aux termes de l'article 62,
ou sans préjuger le fond avant que celui-ci ait fait l'objet d'une discussion exhaustive. Dans de
tels cas, la Cour joindra l'exception préliminaire au fond. Elle ne le fera que pour des motifs
sérieux, considérant que l'objet d'une exception préliminaire est d'éviter non seulement une
décision mais aussi toute discussion sur le fond." (Rec. 1964, pp. 43-44).

4.27 En la présente espèce, il faut aller plus loin : il est évident que le choix de la règle de
droit applicable non seulement est indissociable du fond mais est, en réalité, une question qui
relève exclusivement du fond. La Cour ne saurait déterminer si le litige frontalier dans le Lac
Tchad doit être tranché par référence aux traités pertinents ou par analogie avec les règles
applicables aux espaces maritimes sans évoquer les circonstances de conclusion desdits
traités, leur validité, les caractéristiques physiques du Lac Tchad, etc. : c'est-à-dire

précisément les questions de fond dont le Nigeria lui-même demande qu'elles ne soient pas
examinées à ce stade de la procédure.

4.28 En conclusion, la quatrième exception préliminaire du Nigeria est totalement
dénuée de fondement :

1°- elle se heurte directement à la jurisprudence constante relative au point triple ;

2°- les tentatives d'échapper aux enseignements de cette jurisprudence sont vaines ;

3°- la Cour doit exercer sa compétence sur l'ensemble de la frontière qui fait l'objet du
différend, jusqu'au point terminal septentrional situé à l'intérieur du Lac Tchad.

4.29 La République du Cameroun prie donc la Cour de bien vouloir écarter la
quatrième exception préliminaire du Nigeria.

CHAPITRE 5

CINQUIEME EXCEPTION PRELIMINAIRE :
IL N'EXISTERAIT PAS DE DIFFÉREND ENTRE
LE CAMEROUN ET LE NIGERIA

5.01 Dans sa cinquième exception préliminaire, la République fédérale du Nigeria fait valoir
qu'en réalité il n'y a pas de différend entre le Cameroun et le Nigeria concernant la
délimitation de la frontière entre le tripoint dans le Lac Tchad et la mer. Toutefois, le Nigeria
limite immédiatement la portée de cette affirmation en disant qu'elle est faite sous réserve de
Darak et des îles avoisinantes qui, prétend-il, seraient habitées par des Nigérians. Il ajoute quele caractère non-contentieux de la situation frontalière ne vaut pas pour Bakassi. A l'égard de
cette partie du territoire camerounais, le Nigeria présente une revendication sans ambiguïté. Il
prétend qu'il en détient la souveraineté territoriale, sans, au demeurant faire état d'un titre
quelconque à la souveraineté territoriale et quels en seraient les fondements juridiques. Ce
n'est que lors de l'audience de la Cour le 6 mars 1996 que l'un des Conseils du Nigeria a, pour

la première fois, laissé entrevoir les arguments du Nigeria à l'appui de ses revendications. Il
semble que le Nigeria invoque un titre historique, consolidé par la pratique (CR 96/3, pp. 62-
64). Il n'est nul besoin, à ce stade, de commenter cette affirmation. Il suffit de constater, pour
le moment, que, ce faisant, le Nigeria nie la pertinence de tous les instruments juridiques
écrits qui établissent l'appartenance de Bakassi au Cameroun.

5.02 A vrai dire, le Nigeria brosse un tableau fallacieux de la situation juridique. Le seul fait

pour le Nigeria de reconnaître qu'il y a désaccord sur Bakassi et Darak montre que la thèse
selon laquelle il n'y aurait aucun différend entre les deux pays et que, partant, la requête
camerounaise serait irrecevable, ne correspond pas à la situation qui prévaut réellement entre
les deux Parties. Depuis que le Nigeria a déposé ses Exceptions préliminaires, la situation
réelle est devenue encore plus claire. Bakassi, a dit le Chef M.A. Agbamuche en guise
d'introduction de son intervention, "is Nigerian territory" (CR 96/3 p. 10). Le Nigeria s'est
même targué d'avoir implanté des installations militaires dans la presqu'île ; voici qui suffit à

établir l'existence d'un différend entre les deux pays. Ainsi que le Cameroun le montrera ci-
après, celui-ci ne se limite pas à Bakassi et Darak. Auparavant, il convient de rappeler
brièvement la jurisprudence de la Cour quant à l'existence d'un différend.

SECTION 1. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR QUANT A L'EXISTENCE D'UN
DIFFEREND

5.03 La jurisprudence tant de la Cour permanente de Justice internationale que de la Cour
internationale de Justice, a dégagé des critères très précis en ce qui concerne l'existence d'un
différend international entre deux Etats. Dès son deuxième arrêt, rendu en 1924, la Cour
permanente avait dû répondre à l'argument selon lequel les juges ne pouvaient se prononcer
sur le fond de l'affaire parce que les divergences entre les Parties n'avaient pas atteint un degré
de gravité qui permettait de les qualifier de différend au sens de l'article 36 du Statut. La Cour

permanente a rejeté cet argument en précisant :

"Un différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une
opposition de thèses juridiques ou d'intérêts entre deux personnes" (C.P.J.I., arrêt, 30 août
1924, affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, Série A, n° 2, p. 11).

La définition dégagée alors a été maintenue de façon constante par les deux Cours.

5.04 La Cour a renoué avec la jurisprudence de son prédécesseur dans l'avis du 30 mars 1950
dans l'affaire de l'Interprétation des traités de paix (Rec. 1950, p.65). Un grand nombre de
Puissances alliées et associées, signataires des traités de paix, avaient reproché à la Bulgarie,
la Hongrie et la Roumanie d'enfreindre les obligations résultant de ces traités en matière de
droits de l'homme. Ces trois Etats niaient qu'ils avaient commis de telles violations. Mais la

Cour n'a point conclu à l'inexistence d'un différend du simple fait du rejet par les trois Etats
mis en cause des allégations faites à leur encontre. Selon la Haute Juridiction, on ne saurait
faire disparaître un litige par de pures affirmations rejetant les reproches en question,
l'existence d'un différend demandant à être appréciée selon des critères objectifs. Eu égard au
fait que les Etats en question étaient nettement en désaccord sur la question de savoir si lesdispositions des traités de paix avaient été respectées ou non, la Cour a constaté que l'on se
trouvait incontestablement en présence d'un différend. Cette précision a une importance
manifeste en l'espèce. Il ne suffit pas pour le Nigeria d'affirmer que la frontière est incontestée
pour que le Cameroun se voie privé de son droit de poursuivre l'affaire et d'obtenir une
décision quant au fond, d'autant moins que le Nigeria ne fournit aucune indication relative aux

instruments juridiques qu'il estime régir la délimitation de la frontière (sauf en ce qui concerne
la péninsule de Bakassi (NPO, pars. 17 à 19, pp. 11-12)).

5.05 La règle définissant un différend n'est pas à sens unique. Elle opère dans les deux sens.
De même que la Partie défenderesse se trouve dans l'impossibilité de faire disparaître un
différend existant objectivement par un acte d'escamotage, de même la Partie demanderesse
ne peut "inventer" un différend en se bornant à affirmer qu'il existe un litige entre les Parties.

C'est la conclusion qui se dégage de l'arrêt de la Cour dans les affaires du Sud-Ouest Africain
(21 décembre 1962, Rec. 1962, p. 328). Mais le Cameroun est en mesure de montrer que,
contrairement aux affirmations du Nigeria, un différend très grave oppose les deux Etats en ce
qui concerne le tracé de leur frontière commune et les multiples violations de celle-ci par le
Nigeria. Celui-ci, en revendiquant tant Bakassi que Darak, a fait naître une situation qui, loin
de se limiter à ces zones particulières de la frontière, met en péril la sécurité et la stabilité
territoriale du Cameroun de façon générale. Dès lors, la Partie camerounaise ne peut que

constater que le Nigeria renie les obligations résultant des instruments juridiques fixant la
frontière, instruments qui dans un premier temps, après l'accession à l'indépendance des deux
pays, avaient été confirmés par la pratique, mais qui sont maintenant contestés par le Nigeria.

5.06 C'est précisément à propos d'un autre différend auquel le Cameroun a été Partie que la
Cour a réaffirmé très nettement sa position en ce qui concerne les caractères qu'un litige entre

deux Etats doit revêtir pour pouvoir être considéré comme un différend au sens de l'article 36
du Statut. Citant le Royaume-Uni devant la Cour comme Puissance de tutelle pour le
Cameroun septentrional, le Cameroun se plaignait de ce que le territoire sous tutelle n'avait
pas été administré en conformité avec l'Accord de tutelle et que surtout, même durant la
période qui avait précédé le référendum décisif, le Cameroun septentrional n'avait pas été
détaché des provinces nigérianes dans le cadre desquelles il avait été administré. Selon le
Royaume-Uni, le litige opposait en réalité le Cameroun aux Nations Unies. Rejetant cette

défense, la Cour a précisé:

"... il suffit de constater que, eu égard aux faits déjà exposés dans le présent arrêt, les positions
opposées des Parties pour ce qui concerne l'interprétation et l'application des articles
pertinents de l'accord de tutelle révèlent l'existence entre la République du Cameroun et le
Royaume-Uni, à la date de la requête, d'un différend au sens admis par la jurisprudence
actuelle et de l'ancienne Cour" (C.I.J., arrêt, 2 décembre 1963, affaire du Cameroun

septentrional, Rec. 1963, p. 27).

Il suffit donc qu'une partie reproche à une autre d'avoir violé les obligations qui lui incombent
pour qu'on se trouve en présence d'un différend dont la Cour peut et doit connaître, pourvu
que ces reproches soient basés sur des faits concrets.

5.07 Dans son avis du 26 avril 1988 dans l'affaire de l'Applicabilité de l'obligation d'arbitrage
en vertu de la section 21 de l'accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l'Organisation des
Nations Unies (Rec. 1988, p. 12), la Cour a confirmé sa jurisprudence antérieure. Dès lors que
deux thèses fondées sur des revendications concrètes s'opposent, il y a différend au sens de
l'article 36 du Statut. En l'espèce, il ne pouvait y avoir de doute sérieux : les Etats-Unis étaientd'avis qu'ils avaient le droit de fermer le bureau de la mission de l'O.L.P. auprès de
l'Assemblée générale des Nations Unies, alors que l'Assemblée générale estimait que les
dispositions de l'Accord de siège excluaient une telle mesure. Face à ce désaccord manifeste
sur l'interprétation et l'application de l'Accord de siège, le recours à la clause d'arbitrage de
l'article 21 de cet accord devenait incontournable si l'une des parties le souhaitait, comme ce

fut le cas (ibid. pp. 27 et s.). En la présente espèce, il y a désaccord manifeste sur la validité et
la portée des instruments juridiques définissant la frontière entre les deux pays.

5.08 On peut relever enfin que la Cour a tout récemment confirmé sa jurisprudence antérieure
dans son arrêt sur l'affaire relative au Timor oriental (Rec. 1995, p. 90). Ici encore, la Cour a
précisé qu'il suffit que les Parties se trouvent en désaccord sur un point de droit, l'une d'elles
prétendant que l'autre n'aurait pas respecté ses obligations selon le droit international à son

encontre, pourvu, peut-on ajouter - ce qui résulte implicitement de l'argumentation de la Cour
- qu'il ne s'agisse pas seulement d'une divergence de vues purement académique sans
fondement réel dans les faits pertinents (ibid. p. 99 et s.). Dans l'affaire du Timor oriental,
l'Australie avait fait valoir que le Portugal ne pouvait invoquer aucun intérêt substantiel en sa
faveur. Alors même que le Portugal défendait essentiellement l'intérêt de la légalité en tant
que tel ; son lien concret avec le Timor oriental s'étant amenuisé considérablement au cours
des années, la Cour a fait sienne l'opinion du Portugal qu'il existait bel et bien un différend.

5.09 Dans une affaire comme celle qui oppose le Cameroun au Nigeria, où il est porté atteinte
à l'intégrité territoriale du Cameroun, on doit à plus forte raison conclure que les conditions
pour que l'on puisse parler d'un différend au sens de l'article 36 du Statut se trouvent réunies.
Aujourd'hui comme dans le passé, le territoire est l'un des trois éléments qui caractérisent une
entité étatique. Dès lors qu'un autre Etat revendique pour lui des parcelles de son territoire,

l'identité et même l'existence du Cameroun se trouvent menacées et l'existence d'un différend
au sens de l'article 36 du Statut ne peut faire de doute.

SECTION 2. L'EXISTENCE D'UN DIFFEREND ENTRE LE CAMEROUN ET LE
NIGERIA

§ 1. Darak et Bakassi

5.10 L'argumentation du Nigeria est marquée par des contradictions profondes et difficilement
explicables. Alors que, d'une part, cet Etat affirme dans des termes absolument catégoriques:
"There is, quite simply, no evidence of such a dispute" (par. 5.1), il soutient, d'autre part, que
Darak et les îles adjacentes ainsi que la presqu'île de Bakassi sont placées sous la souveraineté
de l'Etat nigérian. Il résulte des termes mêmes de ces deux réserves qu'il existe un différend
entre les deux pays au moins en ce qui concerne ces deux secteurs de la frontière.

5.11 Le Cameroun a montré, sur la base de preuves très abondantes, que tant Bakassi que
Darak font partie intégrante de son territoire (M.C., pp. 357 et s.; v. aussi la carte, p. 406, en
ce qui concerne Darak, pp. 445 et s. pour Bakassi). Il n'y a, pour un Etat, rien de plus
préoccupant et de plus grave qu'une contestation portant sur son territoire. En réalité, le
Nigeria reconnaît expressément et ne peut que reconnaître qu'il se trouve en litige avec le

Cameroun par rapport à ces deux zones du territoire camerounais. Il est évident, de l'aveu
même du Nigeria, qu'en ce qui concerne Bakassi et Darak, l'exception soulevée dans le
chapitre 5 est dépourvu de toute consistance. La Partie nigériane ne peut s'opposer à un
examen par la Cour de l'appartenance des deux zones contestées au Cameroun : elle les
revendique elle-même.§. 2. Les autres secteurs de la frontière

5.12 Mais l'exception se révèle infondée également en ce qui concerne les autres tronçons de
la frontière. Car, malgré ses dénégations, les revendications du Nigeria ne se bornent pas aux
secteurs du territoire camerounais qui viennent d'être mentionnés.

i) La remise en question des instruments juridiques portant délimitation de la frontière

5.13 En prétendant que Bakassi ainsi que Darak sont terres nigérianes, le Nigeria attaque toute
l'architecture juridique sur laquelle repose la délimitation de la frontière entre les deux pays.
Dans la mesure où le Nigeria soutient que les deux zones sont les siennes, il met en question
la pertinence des traités conclus par les puissances coloniales aux fins de la délimitation de la

frontière, ainsi que les autres actes pertinents émanent de la Sociétés des Nations et des
Nations Unies. De ce fait, tous les éléments juridiques qui fixent la frontière sont remis en
cause. Si les traités portant délimitation de la frontière ne faisaient pas droit en ce qui
concerne Bakassi et Darak, leur nature d'instruments juridiques liant les deux pays serait
également remise en cause en ce qui concerne tous les autres secteurs de la frontière. En effet,
en vertu du Traité anglo-allemand du 11 mars 1913 relatif (1) à la délimitation de la frontière

entre le Nigeria et le Cameroun de Yola à la mer et (2) à la réglementation de la navigation
sur la Cross River, Bakassi fait partie du territoire camerounais sans aucune particularité
distinguant la presqu'île des autres zones que le Traité attribue au Cameroun.

5.14 La même chose vaut pour Darak. Ainsi que cela résulte des précisions données dans le
Mémoire camerounais sur les fondements juridiques de la délimitation de la frontière dans la
zone du Lac Tchad (M.C., pars. 4.88 et s., pp. 358 et s.), Darak se trouve situé en territoire

camerounais. Ici encore, les instruments pertinents ne mentionnent pas Darak de manière
spécifique. Darak n'a point été pourvu d'un statut spécial. Si l'on veut trouver une certaine
logique aux Exceptions préliminaires du Nigeria, leurs prémisses de base ne peuvent être
qu'un refus par le Nigeria de la valeur contraignante des instruments juridiques qui jusqu'ici
avaient été considérés comme régissant de manière concluante la délimitation de la frontière
entre les deux pays. On ne peut même pas parler d'une remise en cause "implicite". En
contestant la pertinence du régime juridique en vigueur par rapport à Bakassi et Darak, le

Nigeria met en question la délimitation de la frontière dans son intégralité. Il prétend qu'il
n'est pas lié par les traités pertinents et, de ce fait, il conteste le tracé de toute la frontière, qui
repose sur ces traités. Il va de soi que des divergences de vue aussi profondes constituent
pleinement un différend au sens de l'article 36 du Statut de la Cour.

5.15 Il est hautement significatif à cet égard que dans les Exceptions préliminaires nigérianes
on ne trouve nulle trace d'une quelconque argumentation juridique cherchant à prouver que

Bakassi et Darak pourraient appartenir au Nigeria. Aucun motif n'est présenté qui,
juridiquement, serait susceptible de rendre plausible les revendications nigérianes sur les deux
zones. Il est affirmé comme une pure constatation de fait que Bakassi et Darak relèvent de la
souveraineté du Nigeria, mais les raisons pour lesquelles les traités, valables ailleurs, ne le
seraient pas ici ne font pas même l'objet d'une allusion. On ne peut imaginer un contraste plus
accusé entre les positions des deux pays. Le Cameroun reste attaché aux assises juridiques de

la frontière, telles qu'elles ont été arrêtées dans le passé, en grande partie avant l'accession des
deux Etats à l'indépendance, alors que le Nigeria prétend le contraire et refuse d'admettre que,
par des attaques militaires, il s'efforce de s'arroger des portions de territoire que les
instruments juridiques en question ne lui attribuent pas.5.16 De par sa contestation de l'appartenance de Bakassi au Cameroun, le Nigeria jette
également le doute sur les fondements sur lesquels peut se bâtir la délimitation des différentes
zones maritimes entre les deux pays. Sans une décision claire sur Bakassi, il est évidemment
impossible de se mettre d'accord sur la mer territoriale ou la zone économique exclusive. La
revendication nigériane sur Bakassi fait que le secteur maritime revenant au Cameroun se

rétrécirait considérablement par rapport à ce qui a été convenu, en particulier dans la
Déclaration de Maroua de 1975, que le Nigeria remet également en question (v. infra, pars.
7.36 et s.). A cet égard, le Cameroun partage largement l'opinion du Nigeria selon laquelle la
fixation de la frontière maritime - ou des frontières maritimes - présuppose que l'appartenance
de Bakassi au Cameroun ait été définitivement réglée (v. infra, pars. 7.13 et s.). Mais la
conséquence que le Nigeria tire de cette constatation est erronée. Il y a bien différend
également en ce qui concerne la frontière maritime du fait notamment que le Nigeria met en

question la frontière terrestre par rapport à Bakassi. Dans ces conditions, une délimitation
latérale des différentes zones maritimes est impossible. La contestation portant sur Bakassi a
donc inéluctablement pour conséquence qu'il existe également un différend en ce qui
concerne la délimitation des différentes zones maritimes.

§ 3. Des approches fondamentalement opposées en ce qui concerne les fondements de la
délimitation frontalière

5.17 Ce n'est que dans l'introduction du mémoire nigérian que l'on trouve quelques éléments
épars qui, semble-t-il, sont destinés à donner un certain fondement aux revendications sur
Bakassi et Darak. Au paragraphe 17 on peut lire: "At least 90% of the population of the
Bakassi Peninsula consist of Efik and Efut people of Nigeria." Juridiquement, cette thèse est
sans valeur et n'a aucune pertinence pour le tracé de la frontière. Partout dans les régions

limitrophes entre le Nigeria et le Cameroun, on trouve des populations qui, ethniquement,
constituent des groupes homogènes mais qui vivent à l'Est comme à l'Ouest de la frontière.
Toute la carte de l'Afrique devrait être redessinée si l'on voulait regrouper les populations qui
ont certains traits communs - comme par exemple une langue, une religion ou certaines
moeurs - dans un seul Etat. Ce serait l'éclatement de l'Afrique, que voulait précisément éviter
la résolution 16 (I) adoptée au Sommet du Caire en 1964, par laquelle les Chefs d'Etat et de
Gouvernement des Etats africains se sont formellement engagés à ne pas porter atteinte aux

frontières existantes telles qu'elles avaient été héritées de l'époque coloniale. Les
revendications du Nigeria sont donc lourdes de conséquences. Elles ne menacent pas
seulement le Cameroun, mais portent atteinte aux fondements de l'ordre international en
Afrique qui a été librement consenti par la quasi totalité des nations africaines et qui, jusqu'ici,
a généralement été respecté. Il est évident que, dans ces conditions, il existe un différend entre
les deux pays, différend de nature proprement existentielle pour le Cameroun.

5.18 Le Cameroun a encore noté avec perplexité que dans le même paragraphe 17 de ses
Exceptions préliminaires, le Nigeria affirme que, primitivement, Bakassi était inclus, en vertu
de traités conclus entre la Couronne britannique et les rois des Efiks, dans un protectorat
britannique. Dans le paragraphe suivant, le Nigeria fait référence à des conventions conclues
en 1884. Le Cameroun prend acte de ces affirmations qui, du reste, demanderaient d'être
examinées plus en détail et dont il ne voit de toutes façons pas la pertinence pour régler le
différend. Mais on ne peut qu'être surpris par la solution de continuité, le véritable "saut

historique" franchi entre les paragraphes 18 et 19 des Exceptions préliminaires. Le Nigeria
ignore totalement une période de presque huit décennies pour ne reprendre le fil des
événements qu'avec la création de l'Etat nigérian. Rien n'est dit sur les traités entre la Grande-
Bretagne et l'Allemagne, les décisions de la Société des Nations font défaut, et même les actespris par les Nations Unies ne sont pas considérés comme méritant d'être mentionnés. En
d'autres termes, aucune mention n'est faite des instruments juridiques pertinents dont l'examen
s'impose et qui régissent le tracé de la frontière. Cette omission des données centrales pour le
litige fournit, au moins implicitement, une autre preuve de la position du Nigeria qui consiste
à ignorer - et par là à contester - le tracé de la frontière tel qu'il s'est établi entre le temps des

premiers contacts entre les puissances européennes et les populations autochtones et
l'accession à l'indépendance tant du Cameroun que du Nigeria ; elle constitue un autre élément
du différend, indiscutable, existant entre les deux pays. Les plaidoiries de l'un des Conseils du
Nigeria lors de l'examen de la demande en indication de mesures conservatoires du
Cameroun, à l'audience de la Cour le 6 mars dernier (CR 96/13, pp. 59 et s.) confirment
pleinement cette constatation.

5.19 Il est donc patent, même si le Nigeria s'est abstenu de se prononcer ouvertement sur le
fond de l'affaire, que la présente espèce a ses racines dans un différend fondamental entre les
deux pays. Le Cameroun considère que les frontières entre lui et le Nigeria sont bien
déterminées en vertu de traités pleinement valides. Le Nigeria pour sa part, croit (ou affecte
de croire) que ces traités ne le lient pas dans la mesure où des populations d'origine nigériane
ont occupé certaines portions du territoire camerounais et où, avant leur conclusion, le
gouvernement britannique s'était assuré certains pouvoirs dans les zones aujourd'hui

contestées. Ce sont là, en tout cas, les conclusions qui semblent pouvoir se dégager d'une
lecture des Exceptions préliminaires présentées par le Nigeria.

5.20 Après l'audience de la Cour des 6 et 8 mars 1996, ces premières conclusions se trouvent
pleinement confirmées. Le fait d'invoquer des titres historiques signifie que toute
l'architecture des traités conclus jusqu'au moment de l'accession à l'indépendance des deux

pays est mise en question. Le Nigeria veut accorder la primauté à certains faits qui, par
ailleurs, sont hautement contestables. C'est précisément dans cette divergence de vues que
réside le coeur du différend. Le Cameroun insiste sur le caractère décisif des traités régissant
la délimitation de la frontière entre les deux pays, alors que le Nigeria veut faire dépendre
l'appartenance des territoires contestés de la situation de fait, créée par ses forces militaires.
Ceci contredit la thèse du Nigeria qui a affirmé : "And there is no such dispute, at the level of
principle, and there is no single dispute at the level of detail" (CR 96/3, p. 55).

5.21 Il ne peut arriver à cette conclusion erronée que parce qu'il confond les deux notions de
délimitation et de démarcation de la frontière. Il dit à juste titre que "demarcation is not the
task of the Court" (CR 96/3, p. 57, v. aussi NPO, par. 5.21). Mais il est faux d'arguer que le
Nigeria serait affronté à des difficultés insurmontables parce que, pour préparer sa réponse, il
aurait à "survey every kilometre of the 1,680 km to determine exactly where the line is, how
the issues of demarcation are to be resolved and what issues there may be relating to the

regime of the boundary" (CR 96/4, p. 92). Le Cameroun ne demande pas à la Cour qu'elle
procède elle-même à la démarcation. Il s'agit d'assurer la sécurité juridique du régime de la
frontière que le Nigeria a remis en cause par ses actes et ses déclarations. En effet, si une pure
constellation de faits pouvait façonner la frontière entre les deux pays, le Cameroun pourrait
se voir opposer demain d'autres revendications territoriales en d'autres points de la frontière.
Contrairement à l'argumentation du Nigeria, "the boundary as a whole is in dispute" (CR 96/4,
p. 92).

5.22 Eu égard à cette remise en cause générale de la frontière existante, le Cameroun a prié la
Cour de bien vouloir confirmer la délimitation telle qu'elle se dégage des instruments
juridiques pertinents. Les conclusions de son Mémoire (M.C. pp. 669 - 671) ne font pas autrechose que transposer en des termes concrets et précis les délimitations arrêtées par ces
instruments. Il n'est donc pas demandé à la Cour de fixer ou de "créer" une frontière.
Juridiquement, cette frontière existe, il n'est pas question de procéder à une délimitation de
novo. Elle a des assises solides qu'il est demandé à la Cour de constater.

5.23 Le coeur du litige réside dans la contestation, par le Nigeria, des instruments juridiques
qui établissent la frontière. A la lecture des Exceptions préliminaires, il n'y a aucun doute que
le Nigeria veut substituer aux titres décisifs présentés par le Cameroun, à savoir les titres
juridiques pertinents de nature conventionnelle, des critères dont la nature n'est pas
pleinement développée dans le Mémoire, mais y est néanmoins esquissée de manière
implicite. Il s'agit, répétons-le, de critères factuels et historiques qui mettent en doute tout
l'édifice juridique régissant le tracé de la frontière.

5.24 Le Cameroun fait remarquer, dans le même ordre d'idées, qu'à maintes reprises les
représentants du Nigeria ont observé dans les négociations entre les deux pays que l'époque
des frontières "mathématiques" était révolue et qu'aujourd'hui il fallait penser en d'autres
termes. Ils ont notamment fait valoir qu'on devrait substituer au concept de frontière le
concept de "zone frontalière" (Annexe O.C. 33). Si l'on adopte ce point de vue, il devient
presque naturel de ne pas se soucier trop - ou pas du tout - des lignes de frontière existantes,

malgré le fait qu'une frontière sûre et reconnue est le corollaire du droit qu'a tout Etat de voir
sa souveraineté territoriale respectée et sauvegardée par ses voisins dans des limites
clairement déterminées. Pour le Cameroun, cette idée de gestion en commun de certaines
zones frontalières est et reste totalement inacceptable. Le Cameroun détient la pleine
souveraineté sur tout son territoire jusqu'à la frontière dont le tracé se fonde sur des titres
juridiques incontestables, mais néanmoins contestés par le Nigeria.

§ 4. La remise en cause de la frontière dans les faits

5.25 La contestation par le Nigeria de la frontière existante sur toute sa longueur ne constitue
pas simplement une conclusion abstraite, dégagée par le Cameroun des thèses esquissées par
le Nigeria dans le cadre de la présente procédure. L'attitude adoptée par les autorités
nigérianes au cours des dernières années montre clairement que, dans leur comportement

quotidien, elles ignorent et remettent en cause la frontière qu'elles affirment n'être pas en
litige.

5.26 Le Cameroun joint en annexe aux présentes Observations un "Répertoire des incidents
survenus à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria" qui illustre ce fait de manière
frappante. L'examen de ce document ne peut laisser aucun doute à cet égard : c'est bien
l'ensemble de la frontière que le Nigeria remet en cause.

5.27 Les 42 incidents qui y sont recensés, présentent les caractéristiques suivantes :

- ils sont extrêmement nombreux, alors même qu'ils sont loin de constituer une liste
exhaustive de toutes les violations de la souveraineté territoriale du Cameroun commises par
le Nigeria ;

- ils s'étalent dans le temps depuis 1962, mais ont redoublé d'intensité ces derniers temps ;

- il se répartissent tout au long de la frontière, à l'exception mineure de la zone montagneuse
et très difficilement accessible du Mont Gotel ;- et ils se traduisent, pour la plupart, par des incursions armées nigérianes dont certaines ont
été durables et suivies de l'établissement d'éléments d'une administration civile.

5.28 Le nombre, la fréquence et la gravité des incidents forment un ensemble ("pattern") qui
ne saurait plus être présenté comme une suite malencontreuse d'événements isolés,

sporadiques et sans rapport les uns avec les autres et oblige à constater que le Nigeria se
comporte comme si la frontière n'existait pas.

§ 5. Le différend relatif à la responsabilité internationale du Nigeria

5.29 A ce stade de la procédure, il n'est pas nécessaire d'entrer en détail dans le fond du litige
en ce qui concerne les violations de la frontière. Le Mémoire camerounais a déjà relaté les

faits essentiels, et de plus amples détails sont donnés dans le "Répertoire des incidents
survenus à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria" annexé aux présentes Observations
(Annexe O.C. 1). Pour réfuter l'exception nigériane il suffit de constater que le Cameroun
reproche au Nigeria non seulement de mettre en doute la délimitation de la frontière sur un
plan juridique, mais qu'il a, en outre, enfreint ses obligations envers le Cameroun d'une façon
très concrète en commettant des actes attentatoires à la frontière, en fournissant son appui à de

tels actes ou en ne prenant pas les mesures requises pour les empêcher. Ainsi que cela résulte
de ses Exceptions préliminaires, le Nigeria rejette ces reproches. A cet égard, il existe
clairement un différend entre les deux pays.

5.30 Le Cameroun tient en effet à rappeler que ses conclusions ne se limitent pas à prier la
Cour de bien vouloir confirmer la frontière existante. Au delà de cette clarification de la
situation juridique, le Cameroun requiert que soit constatée la responsabilité internationale du

Nigeria du fait des atteintes qu'il porte à sa souveraineté territoriale. Etant donné que le
Nigeria nie avoir enfreint son obligation internationale de respecter la souveraineté territoriale
camerounaise et que, par voie de conséquence, il conteste sa responsabilité à ce titre, il est
patent qu'à cet égard également on se trouve en présence d'un différend international qui
répond à tous les critères dégagés en la matière par la jurisprudence de la Cour.

5.31 En conclusion,

1°- étant donné que le Nigeria revendique les zones de Bakassi et de Darak, qui font
partie intégrante du territoire national camerounais, il est évident qu'il existe un
différend international entre le Cameroun et le Nigeria en ce qui concerne ces deux
zones ;

2°- en revendiquant Bakassi et la zone de Darak, le Nigeria conteste du même coup, la
pertinence et la validité des instruments juridiques qui délimitent la frontière dans son
ensemble car il s'agit des mêmes instruments ;

3°- le différend sur Bakassi et la remise en cause de la Déclaration de Maroua établissent
que le différend entre les deux Etats s'étend à la frontière maritime ;

4°- par son comportement, le Nigeria manifeste qu'il ne reconnaît pas l'existence d'une
frontière entre les deux pays ;

5°- étant donné que le Nigeria a porté atteinte à la souveraineté territoriale du
Cameroun, mais qu'il nie avoir enfreint ses obligations internationales en la matière etrefuse d'en réparer les conséquences préjudiciables, il est patent à cet égard qu'il existe
un différend territorial dont la portée s'étend à la responsabilité internationale du
Nigeria.

5.32 La République du Cameroun prie donc la Cour de bien vouloir rejeter la cinquième

exception préliminaire soulevée par la République fédérale du Nigeria.

CHAPITRE 6

SIXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :
LA COUR NE POURRAIT DÉTERMINER
PAR VOIE JURIDICTIONNELLE
LA RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE
DU NIGERIA POUR SES INCURSIONS

EN TERRITOIRE CAMEROUNAIS

6.01 La sixième exception préliminaire du Nigeria se décompose en deux objections :

- D'une part, il considère que les faits invoqués par le Cameroun pour établir sa responsabilité
internationale sont insuffisants ; ("virtually all of these objections are unspecific" - NPO, par.
6.3, p. 99) et par suite, que la requête du Cameroun est sur ce point irrecevable.

- D'autre part, invoquant l'article 38 du Statut de la Cour qu'il met en parallèle avec l'article 79
de son Règlement, le Nigeria distingue artificiellement la requête initiale et la requête
additionnelle qui forment, comme ceci est rappelé ci-dessus (Introduction, par. 2.3), une seule
et même requête - la requête additionnelle complétant la requête initiale - et prétend que les
informations factuelles fournies par le Cameroun manquent de clarté. De l'avis du Nigeria,

lors même qu'un État disposerait d'une certaine

"latitude in expanding later upon what it has said in its Application, and in particular in doing
so in its Memorial, it is in essential respects restricted to the case it has presented in its
Application. Had Cameroon chosen, in its Memorial, to give full details of the incursions and
incidents initially identified in the Application, that might have constituted an acceptable
amplification of the Application" (NPO, par. 6.9, pp. 101-102).

SECTION 1. SUR L'INSUFFISANCE DES FAITS INVOQUES DANS LE MEMOIRE
POUR ÉTABLIR LA RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE DU NIGERIA

6.02 Il n'est pas sans intérêt de relever que le Nigeria parle, dès le début du chapitre 6 de ses
Exceptions préliminaires, du "territory allegedly under the sovereignty of Cameroon" (NPO,
par. 6.2, p. 99 - italiques ajoutés). Cette présentation d'une part contredit sa cinquième

exception préliminaire selon laquelle il n'y aurait pas de différend frontalier entre le
Cameroun et le Nigeria (v. supra, chap. 5) et, d'autre part, constitue une reconnaissance claire
des faits qui sont à l'origine des conclusions du Cameroun en ce qui concerne la responsabilité
du Nigeria. De deux choses l'une en effet : ou bien, le Nigeria est chez lui dans les zones où se
produisent les incidents et la Requête du Cameroun doit être rejetée, ou bien ces zonesrelèvent de la souveraineté territoriale camerounaise et la responsabilité internationale du
Nigeria est engagée pour les incidents qui s'y produisent. En tout état de cause, il est clair qu'il
existe un différend sur ce point entre les Parties (v. aussi supra, pars. 5.30 et 5.31).

6.03 Que les faits invoqués par le Cameroun à l'appui de ses conclusions soient fondés sur des

éléments de preuve insuffisants est un tout autre problème qui n'a aucun caractère
préliminaire.

6.04 Du reste, en ce qui concerne la prétendue insuffisance des faits invoqués pour établir la
responsabilité internationale du Nigeria, de leur valeur probante ainsi que de leur prétendue
imprécision, le Cameroun indique clairement dans son Mémoire que ceux cités ne le sont qu'à
titre illustratif. Il a fait le choix à ce stade de retenir "quelques exemples significatifs [qui]

éclaireront cependant la Cour sur leur permanence et leur gravité" (M.C., par. 6.50, p. 574 ; v.
également par. 6.11, p. 567). Ils peuvent donc être multipliés si cela s'avère nécessaire lors de
la reprise de l'instance au fond.

6.05 Il suffit d'indiquer, à ce stade de la procédure, que le Cameroun a recensé une série
d'incidents sur l'ensemble de la frontière de la zone du Lac Tchad à la mer (v. "Répertoire des

incidents" - Annexe O.C. 1). Ces incidents consistent soit en des incursions des forces armées
ou de police nigérianes en territoire camerounais, soit en des violations de la frontière suivie
de l'occupation de parcelles du territoire camerounais par des populations civiles nigérianes
appuyées ensuite par les forces armées de leur pays. Ces incidents se produisent sur tous les
secteurs frontaliers suivant le découpage retenu dans le Mémoire du Cameroun en partant du
Lac Tchad, notamment : dans le Lac Tchad, entre l'El-Beid et le Mont Kombom, entre le
Mont Kombom et la borne 64, entre la borne 64 et la mer. Ils sont malheureusement appuyés

par des preuves nombreuses, concordantes et indiscutables (Annexe O.C. 1, appendices 1 à
42).

6.06 Au demeurant, ces précisions ne sont données ici que pour surplus de droit et à titre
illustratif. Il faut le répéter : le problème - artificiel- soulevé par le Nigeria n'a strictement
aucun caractère préliminaire.

SECTION 2. SUR L'INSUFFISANCE DU DÉVELOPPEMENT DETAILLE DES
FAITS DANS LA REQUÊTE DU CAMEROUN

6.07 Il en va de même s'agissant de l'insuffisance prétendue du développement détaillé des
faits dans la requête du Cameroun. Les modalités de la relation des faits dans une requête
introductive d'instance sont réglées par l'article 38, paragraphe 2, du Règlement de la Cour qui
dispose que "l'exposé des faits doit être succinct". Une requête introductive d'instance a pour

fonction d'introduire les problèmes juridiques et les faits de la cause qui seront ensuite
détaillés et étayés dans le Mémoire. En aucun cas, la requête introductive d'instance ne saurait
se substituer au Mémoire, et l'argument du Nigeria selon lequel un État "is in essential
respects restricted to the case it has presented in its Application" (NPO, par. 6.9, p. 101) ne
trouve de fondement ni dans les textes régissant la Cour et la procédure devant elle, ni dans la
pratique et la jurisprudence de la Cour.

6.08 Il faut souligner, à cet égard, que, dans l'affaire des Phosphates du Maroc, la Cour
permanente de Justice internationale a estimé "que les précisions qui ont été apportées au
cours de la procédure écrite et de la procédure orale lui permettent de se former une idée
suffisamment claire de l'objet de la demande contenue dans la requête du Gouvernementitalien" (Série A/B, n°74, p. 21). Au demeurant, comme le souligne M. Georges Abi-Saab, "les
parties sont autorisées à remédier aux imperfections formelles de leurs pièces de procédure en
cours d'instance, par exemple à compléter, dans les conclusions ou dans toute autre pièce de
procédure, les mentions requises pour l'acte introductif d'instance" (Les Exceptions
préliminaires dans la procédure de la Cour internationale, op. cit. p. 104). Et d'ajouter : "... il

est fort improbable que la Cour ne trouve dans les écritures et les plaidoiries orales et
notamment dans les conclusions, les éléments nécessaires pour combler les insuffisances ou
rectifier les défectuosités formelles de l'acte introductif d'instance" (ibid., p. 105). A
l'évidence, l'Etat requérant ne saurait donc être tenu de présenter de façon exhaustive les
éléments du contentieux dans sa requête.

6.09 Certes, "la Cour ne saurait admettre, en principe, qu'un différend porté devant elle par

requête puisse être transformé, par voie de modifications apportées aux conclusions, en un
autre différend dont le caractère ne serait pas le même" (C.P.J.I., affaire de la Société
commerciale de Belgique, Série A/B, n°78, p. 173 ; v. également C.I.J., affaire de
l'Interhandel, Rec. 1959, p. 21 et l'opinion dissidente de Sir Hersch Lauterpacht, ibid., p. 95).
Mais une lecture de bonne foi du Mémoire présenté par le Cameroun montre sans ambiguïté
que tel n'est pas le cas en l'espèce. L'affirmation nigériane est donc, de toutes manières, sans
application en l'espèce.

6.10 Il en est de même de l'allégation selon laquelle

"the Memorial can, at best, only fill out the details of matters which have been identified with
sufficient particularity in the Application. Nigeria thus rejects, as in principle improper, any
purported amplification of those alleged incursions in the Memorial" (NPO, par. 6.12, p. 105).

6.11 Au demeurant, ces affirmations sont contradictoires. Car si la requête doit donner,
comme le prétend le Nigeria, des informations "with sufficient particularity in the
Application", on voit mal à quoi servirait leur "subsequent amplification in the Memorial"
(ibid.). Si l'on devait suivre un tel raisonnement, on devrait conclure à l'inutilité du Mémoire.
De toutes manières, tant la Requête que le Mémoire du Cameroun sont présentés suivant le
modèle généralement admis par la Cour.

6.12 De surcroît, il paraît nécessaire de rappeler ici que le Cameroun ne peut se voir opposer,
au stade des exceptions préliminaires, une éventuelle insuffisance de preuves. La Cour a été
très claire sur ce point dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci, (compétence de la Cour et recevabilité de la requête) : certes

"c'est en définitive au plaideur qui cherche à établir un fait qu'incombe la charge de la preuve;

lorsque celle-ci n'est pas produite, une conclusion peut être rejetée dans l'arrêt comme
insuffisamment démontrée, mais elle ne saurait être déclarée irrecevable in limine litis parce
qu'on prévoit que les preuves feront défaut" (Rec. 1984, par. 101, p. 437).

6.13 La défense dans une affaire aussi grave que celle qui oppose le Cameroun au Nigeria
dans cette instance ne saurait être un pur exercice de style ou un jeu procédural. Comme l'a

relevé la Cour dans l'Ordonnance en indication de mesures conservatoires qu'elle a rendue le
15 mars 1996 :

"il ressort à suffisance des déclarations faites par les deux Parties devant la Cour qu'il y a eu
des incidents militaires et que ceux-ci ont causé des souffrances, des pertes en vies humaines -tant militaires que civiles -, des blessés et des disparus, ainsi que des dommages matériels
importants" (par. 3.8, p. 9 de la version dactylographiée).

Malheureusement, il ne s'agit pas d'un précédent isolé et le Cameroun considère qu'il est un
peu désolant que le Nigeria nie la matérialité de ces faits.

6.14 Du reste, la responsabilité internationale du Nigeria, qui ne doit pas être examinée à ce
stade de la procédure, n'est pas liée seulement aux incursions nigérianes en territoire
camerounais et aux violations de la frontière qui en résultent, elle est fondée sur toute
violation par le Nigeria de ses obligations internationales, quelles qu'elles soient. Le
Cameroun a montré dans son Mémoire l'étendue de ces obligations violées par le Nigeria
(M.C., chapitre 6).

6.15 En tout état de cause, la sixième exception préliminaire nigériane est pour le moins
paradoxale. En effet, le Nigeria objecte que le Cameroun n'a pas présenté de preuves
suffisantes pour fonder sa demande sur le terrain de la responsabilité. Cette exception, qui n'a
aucun caractère préliminaire appelle une réponse qui, si elle était fournie dans le sens souhaité
par le Nigeria - c'est-à-dire celui des faits - n'aurait pas, elle non plus, un quelconque caractère

préliminaire. Un tel paradoxe ne peut que contribuer à invalider cette sixième exception
préliminaire nigériane, qui ne concerne que le fond du litige.

6.16 En conclusion :

1°- le Cameroun a indiqué clairement dans son Mémoire que les faits invoqués pour
établir la responsabilité du Nigeria ne le sont qu'à titre illustratif et que si cela s'avérait

nécessaire, il pourrait en produire d'autres lors de l'examen de l'affaire au fond ;

2°- la question de la preuve de la responsabilité internationale d'un État est une question
de fond et ne saurait par conséquent être examinée au stade des exceptions préliminaires
;

3°- les modalités d'exposition des faits dans une requête introductive d'instance sont

réglées par l'article 38, paragraphe 2, du Règlement de la Cour qui dispose que
"l'exposé des faits doit être succinct" ;

4° - les Parties peuvent compléter, détailler ou préciser ces faits dans les pièces de la
procédure en cours d'instance, la requête introductive d'instance ne pouvant se
substituer à cet égard au Mémoire.

6.17 Pour toutes ces raisons, la République du Cameroun prie la Cour de bien vouloir
rejeter la sixième exception préliminaire du Nigeria.

CHAPITRE 7

SEPTIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :
IL N'EXISTERAIT PAS DE DIFFÉREND RELATIF A LA FRONTIÈRE MARITIME SUSCEPTIBLE
DE FAIRE L'OBJET D'UNE DÉCISION JUDICIAIRE

7.01 La septième exception préliminaire présentée par le Nigeria vise à écarter la question de
la frontière maritime de l'instance en cours. Deux arguments, l'un d'opportunité (Le Nigeria en

appelle à la "judicial method", NPO, par. 7.5, p. 115), l'autre d'irrecevabilité, sont invoqués.

7.02 Le premier argument vise l'ensemble de la frontière maritime. Il est fondé sur l'idée que
puisqu'il n'est possible de déterminer la frontière maritime entre le Nigeria et le Cameroun
qu'après avoir résolu la question de la souveraineté sur Bakassi, la Cour devrait décider, dès le
stade préliminaire, de remettre à plus tard l'examen de la frontière maritime ("to postpone
consideration of the maritime boundary as such", NPO, par 7.5, p. 115).

7.03 Le second argument, qui ne concerne que la zone maritime située au-delà du point G,
consiste à affirmer qu'il n'y a pas de différend justiciable entre les Parties à ce sujet, dans la
mesure où aucune négociation en vue de la délimitation n'aurait été menée.

SECTION 1. LA PRÉTENDUE IMPOSSIBILITÉ DE DÉTERMINER LA

FRONTIÈRE MARITIME AVANT DE DÉTERMINER LE TITRE SUR BAKASSI

7.04 Dans la première partie de sa septième exception préliminaire, le Nigeria indique en
quelques mots que, selon lui, la Cour devrait différer l'examen des questions maritimes. Pour
le Cameroun, l'exception ne pose aucune question juridique qui doive être tranchée à titre
préliminaire (paragraphe 1). Elle ouvre un débat sur la méthode qu'il convient de suivre pour
résoudre l'ensemble du différend (paragraphe 2), débat qui est artificiel et vain puisque, de

toute façon, ce n'est pas aux Parties de dicter à la Cour la méthode qu'elle appliquera pour
résoudre le litige au fond (paragraphe 3).

§ 1. L'exception n'a aucun fondement juridique, et ne présente aucun caractère
préliminaire

7.05 Il ne fait pas de doute que le Cameroun et le Nigeria prétendent l'un et l'autre que la

péninsule de Bakassi fait partie de leur territoire.

7.06 Pour sa part, le Cameroun tient la péninsule de Bakassi pour sienne en vertu de titres
conventionnels anciens confirmés par des effectivités indiscutables. Il ne nourrit aucun doute
sur le bien fondé de sa thèse, et estime que la frontière est établie de longue date.

7.07 De son côté, le Nigeria prétend, il est vrai depuis fort peu de temps, avoir un titre de
souveraineté sur la péninsule. Cette revendication ressort des Exceptions préliminaires
nigérianes (NPO, pars. 5.22 (2), p. 94 ; 7.2 (1), p. 113, et 7.33 (1), p. 129), et a été clairement
précisée lors des audiences de la Cour de mars 1996. Le juge Ajibola a du reste constaté que

"Nigeria, as can be observed from all documents in defence of this Application coupled with
its oral presentation also claims that the Bakassi Peninsula forms part of Nigeria's territory"

(C.I.J., Ordonnance du 15 mars 1996, opinion individuelle du Juge Ajibola, p. 4).

Plus précisément encore, il ressort de la position du Nigeria lors de l'audience de la Cour du 6
mars 1996 que ce pays considère que la frontière terrestre aboutit dans le Rio del Rey (CR
96/3, p. 58).7.08 Il est bien évident que si la Cour est convaincue qu'il existe un différend quant au
titulaire de la souveraineté sur la péninsule de Bakassi, et qu'elle se juge compétente, elle
devra trancher cette question, parmi d'autres.

7.09 C'est en partant de ces prémisses que le Nigeria tente de convaincre la Cour de

"repousser" l'examen de l'ensemble de la frontière maritime. Il argue en effet qu'il est
impossible de connaître des questions maritimes avant de déterminer qui détient le "titre" de
souveraineté sur la péninsule de Bakassi (NPO, pars. 7.3-7.5, pp. 114-115).

7.10 On peut remarquer immédiatement que l'argument pourrait être avancé par tout
défendeur réticent dans une affaire de délimitation. Pour empêcher la Cour de résoudre un tel
problème de délimitation, il suffirait simplement d'avancer un argument selon lequel la

frontière terrestre n'est pas établie pour, par le biais d'une exception préliminaire, tenter
d'empêcher l'examen du différend par la Haute Juridiction. Il y aurait là une restriction tout à
fait injustifiée à l'obligation qui incombe à la Cour d'exercer ses fonctions conformément à
l'article 38 du Statut. Si la première partie de la septième exception préliminaire du Nigeria
était acceptée, la Cour ne pourrait jamais statuer sur une délimitation maritime chaque fois
qu'il lui faudrait, pour cela, confirmer le lieu précis où se situe le point extrême de la frontière
terrestre.

7.11 Au demeurant, la demande nigériane ne repose sur aucune argumentation juridique
précise. Seul est invoqué le principe selon lequel il convient de préserver le "judicial
character" de la Cour, ce qui ne pourrait être fait, selon le défendeur, que si la Cour différait
l'examen "of the maritime boundary as such" (NPO, par. 7.5, p. 115 - italiques dans le texte).

7.12 Le Cameroun n'a aucun doute sur le fait qu'il convient de préserver le "caractère
judiciaire" de la Cour ; mais, outre qu'il comprend mal ce que vise le Nigeria lorsqu'il parle de
"frontière maritime en tant que telle" ("as such"), il lui semble que la délimitation de la
frontière maritime entre deux Etats relève, par excellence, des fonctions judiciaires de la
Cour.

7.13 Quant à affirmer que cette délimitation - ou confirmation - ne peut être effectuée qu'après

celle de la frontière terrestre, c'est une question sans rapport avec le "caractère judiciaire de la
Cour", et qui ne présente aucun caractère préliminaire. C'est un problème de méthode, que la
Cour n'aura à aborder qu'au moment où elle statuera au fond.

§ 2. L'objection du Nigeria porte sur la méthode que devrait suivre la Cour

7.14 Le Nigeria pose, en réalité, un problème non de droit substantiel ou procédural, mais de
méthode. Il s'agit de savoir s'il est préférable que la Cour tranche, dans l'arrêt au fond qu'elle
sera amenée à rendre, les questions maritimes après les questions terrestres, ou inversement.

7.15 Il peut certes se faire que, lorsque plusieurs points sont en litige, l'un ou plusieurs d'entre
eux doivent, par nécessité logique, être tranchés avant que les autres puissent être examinés
(v. par exemple, l'arrêt de la Chambre de la Cour du 22 décembre 1986 dans l'affaire du

Différend frontalier entre le Burkina Faso et le Mali, Rec. 1986, pp. 570 ou 575).

7.16 Dans cette perspective, le Cameroun est d'accord avec le principe de bon sens que, d'un
point de vue purement méthodologique, il est pratique en matière frontalière de traiter les
problèmes maritimes après avoir résolu les questions relatives à la frontière terrestre, ou, entout cas, certaines d'entre elles. En l'occurrence, on peut en effet considérer que la délimitation
maritime est consécutive à la délimitation terrestre en ce que son point de départ sur la côte
suppose que la Cour ait pris position sur l'appartenance de la péninsule de Bakassi à l'une ou
l'autre des Parties.

7.17 Le Cameroun en convient d'autant plus volontiers que son Mémoire et ses Conclusions
invitent implicitement la Cour à procéder ainsi : il est demandé à la Cour de confirmer le tracé
de la frontière terrestre, puis de confirmer celui de la frontière maritime jusqu'au point G, et
enfin de tracer le reste de la frontière maritime.

7.18 Il n'en reste pas moins qu'inversement la frontière terrestre, dans sa partie sud, peut, de
l'avis du Cameroun, être confirmée par les éléments, notamment conventionnels, relatifs à la

frontière maritime. Par exemple, les Déclarations de Yaoundé du 4 avril 1971 et de Maroua
du 1er juin 1975 confirment sans ambiguïté que les Parties tenaient la Péninsule de Bakassi
pour camerounaise.

7.19 C'est ainsi que s'il paraît judicieux de traiter les problèmes dans l'ordre logique dans
lequel ils se posent, il est en revanche impossible dans cette affaire de séparer complètement

les aspects terrestre et maritime du différend.

7.20 Le Nigeria, en plaidant pour que les deux questions soient totalement séparées fait en
réalité un grave contresens. Certes, comme il l'indique, lorsqu'une frontière terrestre n'a jamais
été délimitée, il paraît difficile de songer à tracer la frontière maritime, voire même à
simplement en discuter. Mais la question est toute différente lorsque les frontières terrestres et
maritimes ont déjà été tracées. Dans cette hypothèse, rien ne s'oppose, bien au contraire, à ce

que l'une et l'autre témoignent de leur existence mutuelle et confirment leurs tracés. De l'avis
du Cameroun, tel est le cas ici.

7.21 Suivant un raisonnement parallèle, il pourrait sembler assez difficile de tracer la
délimitation du plateau continental de deux Etats dont les côtes sont adjacentes, si l'on n'a au
préalable tracé la délimitation de leurs mers territoriales respectives. Mais si la mer
territoriale, ou une portion plus longue de la frontière maritime, a déjà été délimitée, rien ne

s'oppose à la délimitation consécutive du secteur maritime se trouvant au-delà. C'est le cas
dans cette affaire, puisque la zone maritime est délimitée jusqu'au point G.

7.22 Le Cameroun ne saurait donc accepter la thèse nigériane visant à isoler totalement les
questions maritimes et terrestres. En revanche, il semble que les Parties peuvent se rejoindre
pour estimer qu'en bonne logique il paraît sage de traiter de la terre avant de trancher ce qui
relève de la mer. Toutefois, le Cameroun est, pour sa part, bien conscient que la méthode est à

la discrétion de la Cour.

§ 3. Il revient à la Cour de décider de la bonne méthode de raisonnement judiciaire

7.23 Il importe de souligner qu'il appartient à la Cour, et non aux Parties, de choisir les
arguments qu'elle entend suivre ainsi que l'ordre dans lequel elle les examinera. Ainsi, dans la

seconde phase de l'affaire Notteböhm, la Haute Juridiction a clairement rappelé que sa tâche
est de rendre sa décision "en se fondant sur telles raisons par elle jugées pertinentes et
appropriées" (Rec. 1955, p. 16). De même,"la Cour a exercé à maintes reprises le pouvoir qu'elle possède d'écarter, s'il est nécessaire,
certaines thèses ou certains arguments avancés par une partie comme élément de ses
conclusions quand elles les considère, non pas comme des indications de ce que la partie lui
demande de décider, mais comme des motifs invoqués pour qu'elle se prononce dans le sens
désiré" (affaire des Essais nucléaires, Rec. 1974, par. 29, p. 262).

Comme le précise M. Shabtaï Rosenne, "the international Court regards itself as free to base
its judgment on any ground it sees fit" (The Law and Practice of the International Court,
Nijhoff, 2ème édition, 1985, p. 548, note 2).

7.24 La question de savoir s'il convient d'examiner le problème de la délimitation maritime
puis celui de la frontière terrestre ou inversement relève donc du pouvoir discrétionnaire de la

Cour. Elle ne présente, en tout état de cause, aucun caractère préliminaire.

7.25 La première partie de la septième exception préliminaire ne porte donc nullement sur la
compétence de la Cour en la présente affaire ou sur la recevabilité de la requête du Cameroun.
Il s'agit uniquement de l'énoncé de la proposition évidente selon laquelle la Cour doit
effectuer ses déterminations dans un ordre logique et de manière correcte.

SECTION II - LA PRÉTENDUE "NON JUSTICIABILITÉ" DU DIFFÉREND
MARITIME ENTRE LES PARTIES, EN L'ABSENCE DE NÉGOCIATIONS
PRÉALABLES SUFFISANTES

7.26 Dans la deuxième partie de la septième exception préliminaire, le Nigeria affirme que

"at the juncture where there is a determination of the question of title over the Bakassi
peninsula, the issues of maritime delimitation will not be admissible in the absence of
sufficient action by Parties, on a footing of equality, to effect a delimitation by agreement on
the basis of international law" (NPO, par 7.2 (1), p. 113 ; par 7.33 (2), p. 129).

7.27 Sur ce point particulier, la position du Cameroun est double. En premier lieu, il considère
que la menée de négociations en vue de la délimitation d'une partie des zones respectives du
plateau continental de deux Etats riverains n'est pas un préalable obligatoire conditionnant la
recevabilité d'une requête devant la Cour internationale de Justice. Mais, et ce second point
suffit en réalité à écarter l'exception nigériane, même si une telle obligation existait en droit
positif, quod non, la requête du Cameroun tendant à ce que la Cour s'attache à trancher

l'ensemble de la délimitation maritime n'en serait pas moins recevable : il a négocié à
suffisance avec le Nigeria avant de saisir la Cour (paragraphe 1), et il ne l'a saisie que lorsqu'il
est apparu que toute nouvelle négociation était vouée à l'échec (paragraphe 2).

§ 1. Les Parties ont négocié à suffisance pour parvenir à délimiter leurs zones maritimes
respectives

7.28 Le Nigeria affirme qu'il n'y a pas eu de "sufficient action by the Parties, on a footing of
equality, to effect a delimitation" (NPO, par. 7.2 (2), p. 113).

7.29 On peut s'interroger sur ce qui, du point de vue du Nigeria, serait une "sufficient action".
En fait, il y a plus de 25 ans, en 1970, que les Parties ont donné le coup d'envoi denégociations portant sur l'ensemble de la frontière maritime (M.C. par. 5.16-5.60, pp. 503-
523).

7.30 Il est vrai que le Nigeria fait une distinction entre la délimitation des zones qui se situent
en deçà du point G, pour lesquelles il admet que des négociations ont été menées, et celles qui

se trouvent au delà, pour lesquelles il n'y en aurait pas eues (NPO, par 7.6, p. 115).

7.31 Cette distinction est entièrement artificielle, car contrairement à ce que le Nigeria semble
soutenir, les négociations menées par les Parties à propos du secteur maritime ont toujours eu
pour objectif de procéder à l'ensemble de la délimitation, jusqu'à la limite des zones que le
droit international place sous leur juridiction respective, et pas uniquement sur telle ou telle
portion. Les Parties envisageaient la délimitation des zones maritimes comme un tout.

7.32 Nulle part dans les procès - verbaux des négociations qui ont été menées sur les
frontières n'apparaît, même indirectement ou implicitement, l'idée que les deux Etats
entendaient morceler la délimitation de leur frontière maritime. Si telle avait été leur intention,
ils l'auraient alors segmentée suivant le découpage prévu par le droit de la mer issu des
Conventions de Genève de 1958, c'est-à-dire en "mer territoriale" et "plateau continental", ou

en fonction du droit en formation, consolidé par la Convention de Montego Bay en 1982,
"mer territoriale", "zone économique exclusive", "plateau continental". Il n'en a rien été.

7.33 La meilleure illustration qui peut être donnée de cette réalité est que la délimitation déjà
effectuée, jusqu'au point G, ne s'arrête pas à la limite des mers territoriales respectives des
deux pays. En effet, le point G est situé à 17 milles environ de la côte, c'est-à-dire à plus de 5
milles au-delà de la mer territoriale dont la largeur est de 12 milles aux termes de la

Convention de 1982. La ligne de Maroua pénètre donc de 5 milles dans la zone économique
exclusive. Il est clair que les négociations sur la frontière maritime visaient dès le départ à la
délimitation de toute cette frontière jusqu'aux limites des zones que le droit international place
sous la juridiction respective des deux Etats.

7.34 Le Cameroun estime que puisqu'au moment où il a saisi la Cour de la question de la
délimitation maritime dans son ensemble, les négociations qui avaient eu lieu depuis 1970 et

qui avaient toujours été menées dans l'optique de délimiter l'ensemble de la frontière
maritime, s'étaient soldées par un échec total, sa requête est recevable même si la "condition
de négociation préalable" que le Nigeria pense pouvoir invoquer trouvait un fondement en
droit international.

7.35 Le Nigeria reconnaît implicitement qu'il y a eu une "sufficient action" pour délimiter la
partie de la frontière aboutissant au point G. Mais puisque ni le Nigeria, ni le Cameroun n'ont

jamais entendu segmenter cette délimitation, le défendeur reconnaît en réalité que cette
"action" préalable a été suffisante, selon ses propres critères, pour l'ensemble de la frontière
maritime.

7.36 Les critères du Nigeria quant à la "suffisance" des négociations que, selon lui, il convient
de mener avant de pouvoir saisir la Cour d'une requête en vue d'une délimitation maritime, ne

sont, assurément, pas des plus précis. Mais, en tout cas, il paraît évident qu'il ne peut opposer
au Cameroun l'absence de négociations que lui-même a rendues vaines et inutiles. Et il peut
encore moins arguer de l'insuffisance des négociations que lui même rend sans objet, pour
obtenir que la Cour déclare la requête du Cameroun irrecevable.§ 2. Toute nouvelle négociation est devenue vaine

7.37 Les travaux menés jusqu'en 1975 ont permis de tracer définitivement une partie de la
frontière maritime. Après cette date cependant, toute négociation est devenue impossible, car
le Nigeria a posé comme préalable la remise en cause de ce qui avait déjà été acquis.

7.38 Le Cameroun a pris connaissance de cette position paralysante dès la première réunion
de la Commission mixte qui a suivi la Déclaration de Maroua, qui s'est tenue à Jos du 1er au 4
novembre 1978.

7.39 Dans son rapport officiel au Chef de l'Etat nigérian sur le déroulement de cette réunion,
le Commissaire nigérian pour les affaires extérieures rapporte la tentative nigériane d'ouvrir

une discussion visant à réviser le tracé de la frontière maritime résultant de l'accord de
Maroua, et le refus de la délégation camerounaise d'entrer dans un tel débat. Il en conclut

"Nigeria should then take practical measures to resolve the dispute, either by giving way or by
publicly repudiating the Ahidjo-Gowon accord, particularly as it relates to the "kink"" (NPO,
Vol II, annexe 34, p. 317 ; voir aussi le compte rendu camerounais de la réunion, Annexe

M.C.253, Livre VI, p. 2116).

7.40 La recommandation du commissaire nigérian a été entendue, puisque la position de son
pays a consisté, depuis lors, à affirmer que la Déclaration de Maroua ne lui est pas opposable.
L'argument officiel qui a été avancé est que cette Déclaration n'aurait pas été ratifiée (voir par
exemple le procès-verbal de la réunion conjointe des experts nigérians et camerounais sur les
problèmes frontaliers, tenue à Abuja du 15 au 19 décembre 1991, Annexe M.C. 313, Livre

VII, p. 2597, ou le compte rendu de la troisième session du Comité conjoint des experts
nigérians et camerounais sur les problèmes frontaliers, tenue à Yaoundé du 11 au 13 août
1993, NPO, annexe 55, Vol. II, p. 457).

7.41 En guise de position initiale de négociation avec le Cameroun en vue de la délimitation
de la frontière maritime au delà du point G, le Nigeria a donc remis en cause le point de
départ lui-même, c'est-à-dire le point G. Par son fait, la situation s'est bloquée, le Cameroun

ne pouvant évidemment accepter que, telle Pénélope, le Nigeria remette en cause
immédiatement le compromis sur lequel les deux Etats s'étaient si difficilement mis d'accord.

7.42 Cette remise en cause des résultats acquis a pris par la suite des proportions de plus en
plus alarmantes. Depuis 1993, le Nigeria entreprend de rediscuter, sans raison officielle cette
fois, l'ensemble des travaux effectués avant 1975 (Réunion d'Abuja du 19 décembre 1993,

NPO, annexe 54, Vol II, pp. 429 (anglais) et 446 (français)). Puis, comme on le sait, il
revendique désormais, entre autres, la péninsule de Bakassi et remet en cause l'ensemble de la
frontière.

7.43 Les Exceptions préliminaires du Nigeria confirment ces revendications. En contestant
explicitement la souveraineté camerounaise sur la péninsule de Bakassi, le Nigeria conteste
nécessairement tous les accords intervenus en matière maritime.

7.44 Comme l'a rappelé la Cour,"les parties ont l'obligation de se comporter de telle manière que la négociation ait un sens, ce
qui n'est pas le cas lorsque l'une d'elle insiste sur sa propre position sans envisager aucune
modification" (Rec. 1969, par. 85 (a), p. 47).

Face au Cameroun, le Nigeria non seulement "insiste sur sa propre position", mais il renie les

résultats des négociations antérieures.

7.45 Dans ces conditions, le Cameroun saisit mal comment il pourrait lui être reproché d'avoir
"failed entirely to negociate in good faith with a view to reaching agreement on the respective
maritime zones of the parties beyond Point G" (NPO, par. 7.31, p. 128). Même s'il existait une
obligation de négocier, quod non, on ne pourrait aller au delà de ce que le Juge Lachs a appelé
"[t]he obligation ... only to try one's best" (M. Lachs, The Law and Settlement of International

Disputes in Dispute Through The United Nations, Ramon ed., 1977, p. 279).

7.46 Les manoeuvres nigérianes ont privé le Cameroun de la sécurité juridique dont il aurait
bénéficié si des négociations constructives avaient pu être menées. Cela n'a pas été le cas, et le
Nigeria seul doit en être tenu pour responsable. Le Cameroun, qui a négocié de bonne foi
mais en vain, n'a pas l'obligation, avant de saisir la Cour internationale de Justice, de

reprendre des négociations avec un pays qui remet systématiquement en cause tous les
résultats acquis lors des précédentes négociations. Il n'a pas l'obligation de se lancer dans des
négociations qui n'ont aucun sens. En revanche, il a droit à la sécurité juridique que seul peut
lui apporter un arrêt de la Cour délimitant l'ensemble des zones maritimes sur lesquelles les
Parties exercent leur juridiction respective.

7.47 En conclusion, il apparaît que

1°- la première partie de la septième exception préliminaire, qui ne porte ni sur la
compétence de la Cour, ni sur la recevabilité de la requête, ne concerne que des
problèmes de méthode qui relèvent du fond de l'affaire et à l'égard desquels la Cour
dispose d'une compétence discrétionnaire ;

2°- la seconde partie de l'exception n'est pas mieux fondée :

- le Cameroun, qui n'était pas tenu de mener telle ou telle négociation avec le Nigeria
quant à la délimitation des zones maritimes relevant des souverainetés respectives, a
néanmoins mené toutes les négociations et discussions possibles avec le Nigeria

- il a saisi la Cour à un moment où il était apparu de longue date que, de toute évidence,

toute continuation des discussions sur la délimitation maritime était vouée à l'échec.

7.48 La République du Cameroun prie donc la Cour de bien vouloir rejeter la septième
exception préliminaire soulevée par la République fédérale du Nigeria.

CHAPITRE 8 HUITIEME EXCEPTION PRELIMINAIRE :
LA DELIMITATION MARITIME IMPLIQUERAIT
NECESSAIREMENT LES DROITS DES ETATS TIERS

8.01 Le Nigeria affirme dans sa huitième exception préliminaire que : "the question of

maritime delimitation necessarily involves the rights and interests of third States and is to that
extent inadmissible" (NPO, par. 8.1, p. 133 ; par. 8.17, p. 140).

8.02 Le Nigeria se fonde sur la prémisse selon laquelle "[i]t is even more obvious than in
Libya/Malta that the interests of other States are affected" (NPO, par. 8.8, p. 136). Il cite en
outre la Chambre de la Cour dans l'affaire Burkina Faso/Mali (pars. 8.3 et 8.14, pp. 133-34 et
139) : "... le juge saisi d'une demande portant sur la délimitation d'un plateau continental doit

se garder de statuer, même si les parties en litige l'y autorisent, sur des droits afférents à des
zones où s'expriment des prétentions de droit -- et surtout celles ayant trait aux principes
équitables -- ayant servi de base à sa décision." (Rec. 1986, par. 47, p. 578). Ceci ne saurait
fonder une objection à la compétence de la Cour dans la présente espèce.

8.03 La Cour a le devoir de régler les différends juridiques conformément à l'article 38 de son

Statut et ne peut déclarer un non liquet pour des raisons liées à l'existence d'intérêts juridiques
d'Etats tiers à l'instance que dans l'éventualité où les intérêts juridiques de ces Etats "seraient
non seulement touchés par une décision, mais constitueraient l'objet même de ladite décision"
(affaire de l'Or monétaire pris à Rome en 1943 (Question préliminaire), Rec. 1954, p. 32).
Comme elle l'a précisé dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
rappelé dans celle relative à Certaines terres à phosphates à Nauru, " [l]es circonstances de
l'affaire de l'Or monétaire marquent vraisemblablement la limite du pouvoir de la Cour de

refuser d'exercer sa juridiction" (Rec. 1984, p. 431 et Rec. 1992, p. 260).

8.04 Assurément, les conditions ne sont pas réunies en l'espèce (Section 1). En revanche, la
Cour a considéré qu'elle pouvait se prononcer, dans tous les cas de délimitation frontalière qui
se sont présentés devant elle, même s'il apparaissait que les droits d'Etats tiers pouvaient être
impliqués (Section 2). De surcroît, l'examen des circonstances de l'espèce laisse clairement
apparaître que les droits des Etats tiers ne sont nullement menacés (Section 3). Cette approche

est du reste amplement corroborée par la pratique des Etats (Section 4).

SECTION 1. LES INTÉRÊTS JURIDIQUES DES ETATS TIERS NE CONSTITUENT
PAS L'OBJET DE LA DÉCISION DEMANDÉE À LA COUR

8.05 Il peut être utile de rappeler ici la formulation précise retenue par le Cameroun à l'alinéa
c) du paragraphe 9.1. de son Mémoire ; il prie la Cour de bien vouloir dire et juger : "Que la

limite des zones maritimes relevant respectivement de la République du Cameroun et de la
République fédérale du Nigeria suit le tracé suivant... " (p. 670 - italiques ajoutés). Il n'existe
pas de raison, juridique ou pratique, qui empêcherait la Cour d'accéder à la demande du
Cameroun.

8.06 Dans l'affaire de l'Or monétaire pris à Rome en 1943, ( Question préliminaire), la Cour a

estimé qu'elle ne pouvait exercer la compétence qui lui avait été conférée par l'Italie, d'une
part, et par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, d'autre part, dans la mesure où l'Italie
réclamait un "droit à réparation d'un délit international que (...) l'Albanie aurait commis
envers elle" (Rec. 1954, p. 32) - ce qui revenait à "trancher un différend entre l'Italie et
l'Albanie" (ibid.). Dès lors, la Cour conclut qu'elle ne peut laisser, sur le fondement desdispositions de l'article 62 du Statut, la procédure se poursuivre, puisque "les intérêts
juridiques de l'Albanie seraient non seulement touchés par une décision, mais constitueraient
l'objet même de ladite décision" (ibid. ; italiques ajoutés).

8.07 Le différend opposant le Cameroun au Nigeria se présente de manière toute différente.

Dans sa Requête introductive d'instance, le Cameroun a prié la Cour "afin d'éviter la
survenance de tout différend entre les deux Etats relativement à leur frontière maritime (...) de
procéder au prolongement du tracé de sa frontière maritime avec la République fédérale du
Nigeria jusqu'à la limite des zones maritimes que le droit international place sous leur
juridiction respective" (Section V, alinéa f), p. 14, italiques ajoutés). Il ne peut donc y avoir
aucune ambiguïté sur l'objet de la demande que le Cameroun a présentée à la Cour : celle-ci
ne vise qu'à déterminer la délimitation maritime entre les deux Etats, sur le fondement de

leurs intérêts juridiques respectifs. Partant, les droits d'Etats tiers qui pourraient être concernés
ne constitueront en aucun cas l'objet de la décision qui sera rendue par la Cour.

8.08 Du reste, le Cameroun a clairement manifesté dans son Mémoire son souci que la
"délimitation proposée représente un résultat juste et équitable tant pour le Cameroun que
pour le Nigeria, tout en préservant entièrement les droits des Etats tiers et voisins par rapport
au différend" (M.C., par. 5.138, p. 558, italiques ajoutés). Le Cameroun est ainsi conscient du

fait que si :

"dans la présente affaire aucun élément n'interdit à la Cour de déterminer les droits respectifs
du Cameroun et du Nigeria sans préjudice des droits, quels qu'ils soient, de la Guinée
Equatoriale ou de Sao Tomé et Principe [,] en revanche, les particularités géographiques de la
présente affaire ainsi que les exigences posées par les articles 74 et 83 de la Convention sur le

droit de la mer font que la Cour ne peut éviter de prendre en considération l'existence et la
situation géographique de ces Etats, faits qui peuvent avoir une influence sur ce que la
solution équitable devrait être en la présente espèce" (M.C., par. 5.104, p. 547).

Il montrera (v. infra, Section 3) que les droits de ces Etats ne sont en réalité nullement affectés
par la solution qu'il propose.

8.09 La Chambre, dans l'affaire du Différend frontalier entre le Burkina Faso et le Mali, a
reconnu clairement que les droits d'un Etat tiers limitrophe seraient protégés, même sur la
terre ferme. Elle a constaté que

"... les droits de l'Etat voisin, le Niger, sont sauvegardés en tout état de cause par le jeu de
l'article 59 du Statut de la Cour..." (Rec. 1986, p. 577).

8.10 Cet arrêt a été rendu en 1986. Il est loin d'être certain que la Chambre aurait continué de
penser qu'une distinction entre les délimitations maritimes et terrestres aurait pu constituer un
obstacle pour la protection des droits des Etats tiers au vu de l'arrêt rendu quatre ans plus tard
par la Chambre de la Cour autorisant le Nicaragua à intervenir dans l'affaire El
Salvador/Honduras (Rec. 1990, p. 92). Dans cette affaire, la Chambre a, pour "la première
fois dans l'existence de la Cour et de sa devancière" (ibid., par. 102, p. 135), autorisé un Etat à

intervenir en vertu de l'article 62 du Statut. Or, cette intervention n'était pas fondée sur le fait
que le Nicaragua ait eu un intérêt juridique susceptible d'être affecté par la décision que
pourrait rendre la Chambre eu égard à la frontière terrestre - thèse que le Nicaragua n'a jamais
soutenue, - mais par les aspects de cette décision relatifs au régime juridique des eaux du
Golfe du Fonseca. En effet,"[p]our ce qui est de la décision qui lui est demandée au sujet de la situation juridique des
espaces maritimes se trouvant à l'intérieur du golfe, la Chambre a indiqué (...) que le
Nicaragua a un intérêt juridique susceptible d'être affecté par une décision relative au régime
juridique de leurs eaux, soit par une décision favorable à la thèse d'El Salvador selon laquelle
les eaux du golfe sont soumises à un régime de condominium, soit par une décision favorable

à la thèse du Honduras selon laquelle il existe une "communauté d'intérêts" entre les trois
Etats dans les eaux du golfe". (Ibid, par. 104, p. 136).

8.11 Certes, la Chambre a également estimé qu'elle n'était :

"pas convaincue qu'une décision rendue en l'espèce sur le droit applicable à une délimitation
des eaux du golfe entre le Honduras et El Salvador ou portant délimitation de ces eaux (sauf

en ce qui concerne la "communauté d'intérêt" alléguée), affecterait les intérêts du Nicaragua"
(ibid., par. 79, p. 125).

Mais le refus que la Chambre a opposé au Nicaragua sur ce point tient indéniablement à
l'attitude de celui-ci qui n'avait "pas établi de manière satisfaisante l'existence d'un intérêt
d'ordre juridique susceptible d'être affecté par une décision" (ibid., par. 104, p. 136) sur cet

aspect de l'affaire.

8.12 Il n'est guère contestable que "le processus par lequel le juge détermine le tracé d'une
frontière terrestre entre deux Etats se distingue nettement de celui par lequel il identifie les
principes et règles applicables à la délimitation du plateau continental" (Rec. 1986, par. 47,
p.47). Il n'en résulte nullement que le juge soit empêché d'accomplir sa fonction : dans la
mesure où la solution, qu'elle soit dégagée par le juge ou trouvée directement par les Etats,

"n'a de valeur juridique et obligatoire qu'entre les Etats qui l'ont acceptée" (ibid. par. 46, p.
46), elle ne saurait être opposable aux Etats tiers, qui conservent, de toutes manières, la
possibilité de faire valoir leurs droits.

SECTION 2. LES EVENTUELLES REVENDICATIONS DES ETATS TIERS NE
FONT PAS OBSTACLE A L'EXERCICE DE SES POUVOIRS PAR LA COUR

8.13 La délimitation demandée par le Cameroun peut être comparée à toutes les délimitations
réelles ou potentielles ayant eu lieu ou ayant été examinées par des moyens judiciaires :
l'affaire de la Mer du Nord, l'arbitrage France/Royaume-Uni, celle de la Mer d'Iroise, l'affaire
Tunisie/Libye, l'arbitrage Guinée/Guinée Bissau, les affaires du Golfe du Maine, Libye/Malte,
l'arbitrage France/Canada et l'affaire Jan Mayen.

8.14 Dans les affaires de la Mer du Nord (Rec. 1969, p. 3), aucun Etat tiers n'était ni impliqué,
ni même "concerné" par la délimitation entre les Parties - ce qui excluait tout problème. Dans
celle de la Mer d'Iroise de 1977, le tracé de la ligne de délimitation était situé loin de toute
revendication potentielle de la République d'Irlande (Arbitrage entre la République Française
et le Royaume-Uni en matière de la Délimitation du Plateau continental, décision de la Cour
d'arbitrage du 30 juin 1977).

8.15 Dans l'affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne (Rec. 1982, p.
18)), la Cour a accordé une attention toute particulière aux droits potentiels de Malte, premier
exemple d'une situation où les droits d'Etats tiers pouvaient paraître éventuellement
"menacés" par la ligne à préciser par la Cour. Il faut cependant noter que la ligne dedélimitation était dirigée en ligne directe vers les Iles de Malte, et, surtout, que la Cour ne
s'est pas, pour autant, abstenue de se prononcer.

8.16 La question des intérêts éventuels des Etats tiers ne se posait pas, dans les affaires du
Golfe du Maine (Rec. 1984, p. 246), Guinée/Guinée Bissau, (Décision de la Cour d'Arbitrage

du 14 février 1985 dans l'affaire de la Délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et
la Guinée-Bissau, texte français in R.G.D.I.P. 1985, p. 484), de la Délimitation des zones
maritimes entre le Canada et la France (Décision de la Cour d'arbitrage du 10 juin 1992,
texte français in R.G.D.I.P., 1992, p. 673), ni dans celle de la Délimitation maritime dans la
région située entre le Groenland et Jan Mayen (C.I.J., Rec. 1993, p. 38), du fait des données
géographiques propres à chaque espèce.

8.17 L'affaire Libye/Malte (Rec. 1985, p. 13) présentait une difficulté exceptionnelle du fait
que la Sicile se trouve directement au nord de Malte et la Cour s'est souciée du risque de
surimposition d'une éventuelle délimitation Italie (Sicile)-Libye sur la délimitation Libye-
Malte. Ce souci avait été aggravé par la tentative infructueuse de l'Italie d'intervenir dans
l'affaire Libye/Malte, résultat peu vraisemblable aujourd'hui, à la suite de l'intervention
couronnée de succès du Nicaragua dans l'affaire El Salvador/Honduras, (Rec. 1990, p. 92).
Mais, ici encore, la Cour ne s'est pas déclarée incompétente pour autant.

8.18 Quoique la Chambre, dans l'affaire El Salvador/Honduras, ait dit qu'elle n'avait pas le
pouvoir d'effectuer une délimitation (Rec. 1992, p. 35), il est évident que, s'il en était allé
autrement, la situation aurait présenté le paradigme même du chevauchement. Cependant le
problème aurait été résolu par le fait même que la demande d'intervention du Nicaragua avait
reçu une réponse positive. (Rec. 1990, p. 92).

8.19 Il apparaît donc que les deux seules affaires comportant un risque de chevauchement ou
d'empiétement sur les droits d'Etats tiers non parties à la délimitation étaient les affaires
Tunisie/Libye et Libye/Malte. Néanmoins, ce risque n'a pas empêché la Cour de se prononcer
sans que sa décision puisse être opposée aux Etats tiers à l'instance, c'est-à-dire
respectivement Malte et l'Italie.

8.20 S'il était impossible de procéder à une délimitation dans une situation complexe tant que
tous les Etats susceptibles d'être concernés ne participent pas pleinement au processus, les
délimitations seraient rendues beaucoup plus difficiles, voire impossibles et le droit de la
délimitation maritime subirait un retour en arrière totalement incompatible avec son
développement progressif et l'entrée en vigueur de la Convention de 1982.

8.21 En la présente affaire, rien de ce que la Cour décidera ne peut affecter les droits d'Etats

tiers. Ils seront toujours entièrement protégés par l'article 59 du Statut. Au surplus, si des Etats
tiers estimaient que leurs intérêts étaient en cause, ils pourraient raisonnablement s'attendre à
se voir autorisés à intervenir conformément à l'article 62 du Statut, particulièrement depuis
l'intervention du Nicaragua en 1990 qui a contribué à éclaircir les mystères de cette
disposition.

8.22 La Cour ne peut donc se trouver entravée ou gênée dans l'exercice de sa mission par des
allégations telles que celles formulées par le Nigeria dans sa huitième exception préliminaire.
Dans le cas contraire, elle ne pourrait se prononcer sur de nombreuses délimitations à l'avenir,
et se trouverait ainsi dépossédée d'une compétence qu'elle tient de son Statut. En outre, si laCour ne pouvait faire ce que les Parties peuvent faire elles-mêmes, il deviendrait inévitable
que son rôle aille en diminuant.

8.23 Dans le cadre des principes généraux du droit international, un accord frontalier entre
deux Etats ne peut affecter les droits d'un tiers. C'est une vérité d'évidence de relever qu'un tel

accord est res inter alios acta et ne pourrait avoir de conséquences sur les droits d'Etats non
parties à l'accord. De la même manière, on ne voit pas pourquoi la Cour se trouverait
empêchée d'effectuer une délimitation entre deux Etats, tant qu'il est bien entendu que cette
délimitation est, de toutes manières, res inter alios acta pour tout Etat tiers. L'Etat tiers est
ainsi pleinement protégé contre tout effet préjudiciable éventuel de l'arrêt de la Cour, ce qui
confirme la protection spécifique offerte par l'article 59 du Statut. Cette disposition doit avoir
un sens et un objet. Avancer que la Cour ne peut examiner une demande de délimitation par

crainte d'affecter les droits d'un Etat tiers reviendrait à le priver de toute signification.

8.24 La Cour Permanente de Justice internationale, dans l'affaire de l'Interprétation de l'arrêt
n° 3, s'était déjà fermement exprimée en ce sens, indiquant que "le but de l'article 59 est
seulement d'éviter que des principes juridiques admis par la Cour dans une affaire déterminée
soient obligatoires pour d'autres Etats ou d'autres litiges" (C.P.J.I., Série A n° 13, p. 21). La
Cour actuelle a, elle aussi, à maintes reprises, confirmé ce point de vue. Ainsi a-t-elle indiqué,

lors de l'examen des exceptions préliminaires dans l'affaire du Temple de Préah Vihéar, que
son arrêt relatif à l'Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c. Bulgarie) "aux termes de
l'Article 59 du Statut (...) n'est obligatoire, en tant que décision, que pour les parties en litige"
(Rec. 1961, p. 27 ; v. dans le même sens l'affaire du Cameroun Septentrional (Cameroun c.
Royaume-Uni), Exceptions préliminaires, Rec. 1963, p. 33, et, plus récemment, celle du
Plateau continental (Libye/Malte), Requête de l'Italie à fin d'intervention, Rec. 1984, p. 26 ).

8.25 Certes, la présence d'Etats tiers peut rendre la délimitation délicate ; mais le fait qu'il
puisse s'agir d'un exercice difficile ne signifie pas que la Cour ne puisse l'effectuer ou que
cette circonstance l'autorise à prononcer un non liquet comme le suggère le Nigeria. Cela
signifie uniquement qu'il doit être fait avec le soin rigoureux que la Cour a traditionnellement
apporté aux questions de délimitation. Une requête a été déposée priant la Cour de délimiter
des zones maritimes entre les Parties. Il n'y a pas de motifs pour lesquels elle ne pourrait ou

ne devrait pas s'acquitter de cette fonction.

SECTION 3. LES DROITS DES ETATS TIERS NE SONT PAS AFFECTES EN
L'ESPÈCE

8.26 Il est à noter que, dans les deux affaires précédemment évoquées - Plateau continental
(Tunisie/Libye) et (Libye/Malte) (v. supra, pars. 8.15, 8.17 et 8.21) - la ligne de délimitation

soit "visait" directement un Etat tiers (Tunisie/Libye), soit débutait dans un secteur où il y
avait déjà chevauchement (Libye/Malte), sans que la Cour se trouve empêchée de trancher les
différends qui lui étaient soumis. Il en va a fortiori ainsi en la présente espèce.

8.27 Il suffit, en effet, de jeter un coup d'oeil à la carte figurant à la page 556 du Mémoire du
Cameroun pour constater que la ligne délimitant les zones maritimes sur lesquelles les deux

Etats exercent respectivement leur souveraineté tient pleinement compte des droits et intérêts
des Etats tiers pouvant éventuellement être concernés. Au demeurant, il n'est évidemment pas
question de demander à la Cour de se prononcer dès maintenant sur le bien-fondé de la
frontière maritime que le Cameroun estime appropriée et cette remarque n'est faite
incidemment que pour répondre pleinement à l'argumentation de la Partie nigériane et, detoute manière, ce sera à la Cour de se prononcer sur ce point lors de l'examen du différend au
fond.

8.28 Au stade actuel, il suffit bien plutôt de constater que l'argument du Nigeria ne présente
aucun caractère préliminaire : les intérêts des éventuels Etats tiers pourraient avoir une

incidence sur le tracé de la frontière maritime mais c'est une question exclusivement
substantielle et son examen ne relève pas de la présente phase de la procédure, dans laquelle
seul importe le fait que l'article 59 du Statut de la Cour offre une protection suffisante à ces
éventuels Etats qui, en tout état de cause pourraient demander à intervenir sur le fondement de
l'article 62 du Statut s'ils le souhaitent.

SECTION 4. LA PRESERVATION DES INTERETS DES ETATS TIERS DANS LA

PRATIQUE DES ETATS

8.29 La pratique des Etats confirme que ceux-ci sont, dans tous les cas, en mesure d'adopter,
par voie d'accords, des lignes de délimitation maritimes compatibles avec les droits des autres
Etats et l'on ne voit pas pourquoi la Cour, saisie d'une requête par un Etat, ne pourrait faire,
dans son arrêt, ce que les deux Etats concernés peuvent réaliser par un accord entre eux.

8.30 Un examen d'un important ouvrage publié récemment, International Maritime
Boundaries (Charney and Alexander eds., Nijhoff, 1991) montre que, sur plus de 130
délimitations qui y sont décrites, environ la moitié des cas sont des situations où "the
jurisdiction of a third state adjoins the area being delimited by the two parties" (Ibid., p. 61).
L'auteur du chapitre pertinent, David Colson, écrit : "There are five techniques that appear in
the maritime boundary agreements. Perhaps the most common is for the parties to determine

that in the boundary's final sector as it approaches the jurisdiction of a third state, the
boundary is defined by a straight line that "continues until the jurisdiction of a third state is
reached." " (Ibid.).

8.31 Il poursuit : "A second technique is to select a point presumed to be the tri-point with the
third state and to stop the bilateral boundary at that point". (Ibid. - l'auteur cite les accords
Etats-Unis-Cuba de 1977 (par lequel les Bahamas sont concernés) ; Colombie - République

Dominicaine (concernant Haïti) ; Colombie - Haïti (concernant la Jamaïque), et Australie -
Iles Salomon de 1988 (qui se combine avec les accords Australie - Papouasie Nouvelle
Guinée de 1978 et Australie - France de 1982). Dans "the third approach (...) states negotiate a
tri-junction agreement" (Ibid., p. 62; les exemples qu'il donne de cette approche sont : les
accords de 1989 entre la Pologne, la Suède et l'URSS, de 1976 entre l'Inde, le Sri Lanka et les
Maldives, de 1978 entre l'Inde, l'Indonésie et la Thaïlande, ou celui de 1971 entre l'Inde, la
Thaïlande et la Malaisie). L'auteur continue : "A fourth way to deal with this problem is to

stop the boundary short of a tripoint and specifically state that the end point is without
prejudice to the continuation of the boundary until the jurisdiction of a third state is reached"
(Ibid.exemples : les accords entre l'Italie et l'Espagne de 1974 et l'Inde et la Thaïlande de
1978). Enfin, M. Colson mentionne une cinquième technique utilisée en une seule occasion,
en 1978 par les Pays-Bas et le Venezuela, où "the parties extended the line to a specific point
considered to be located well beyond any possible tripoint, but stated that the boundary only

extends along the line until the jurisdiction of a third state is reached" (Ibid., p. 63).

8.32 Si les parties étaient tenues d'attendre que tous les Etats se mettent d'accord sur une
délimitation à laquelle ils sont intéressés, on peut penser que la moitié des délimitations
maritimes existantes n'auraient pas pu être réalisées. Il serait inutile et rétrograde d'appliquerun critère aussi contraignant. Le droit ne l'exige pas et la pratique des Etats témoigne de la
fixation de frontières maritimes par voie d'accords bilatéraux dans maintes situations
géographiques complexes où les droits d'Etats tiers peuvent être concernés ; ils n'en sont pas
affectés pour autant. Les droits sont protégés par le principe général de l'effet relatif des
traités. Lorsque la Cour procède à une délimitation sur laquelle les Parties n'ont pu se mettre

d'accord, les dispositions de l'article 59 renforcent encore la garantie des droits des Etats tiers
donnée par le principe res inter alios acta.

8.33 En conclusion, il apparaît que :

1°- La délimitation maritime que le Cameroun prie la Cour de bien vouloir confirmer
pour une partie et déterminer pour une autre concerne exclusivement les Parties au

présent différend ;

2°- les intérêts de tous les Etats qui ne sont pas parties à la présente instance sont
préservés par l'article 59 du Statut et le principe général selon lequel toute délimitation
entre deux Etats est res inter alios acta ;

3°- la Cour n'a pas hésité, dans le passé, à procéder à des délimitations maritimes, y
compris dans des affaires dans lesquelles les droits des Etats tiers étaient plus clairement
en cause qu'ils ne le sont en la présente espèce ;

4°- la pratique conventionnelle des Etats confirme qu'une délimitation n'est nullement
rendue impossible par l'existence des intérêts des Etats voisins.

8.34 La République du Cameroun prie donc la Cour de bien vouloir rejeter la huitième
et dernière exception préliminaire soulevée par la République fédérale du Nigeria.

_________

CONCLUSIONS DE LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN

Pour les motifs exposés ci-dessus, la République du Cameroun prie la Cour internationale de
Justice de bien vouloir :

1°- Rejeter les exceptions préliminaires soulevées par la République fédérale du Nigeria
;

2°- Constater que, par ses déclarations formelles, celle-ci a accepté la compétence de la
Cour ;

3°- Dire et juger :

- qu'elle a compétence pour se prononcer sur la requête formée par le Cameroun le 29
mars 1994 et complétée par la requête additionnelle en date du 16 juin 1994 et- que la requête ainsi consolidée est recevable ;

4°- Compte dûment tenu de la nature particulière de cette affaire, qui porte sur un
différend afférent à la souveraineté territoriale du Cameroun et crée des tensions graves
entre les deux pays, fixer des délais pour la suite de la procédure qui permettent

l'examen au fond du litige à une date aussi rapprochée que possible.

Le 30 avril 1996,

Douala MOUTOME
Agent de la République du Cameroun

__________

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Observations de la République du Cameroun sur les exceptions préliminaires du Nigéria

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