COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE DU DIFFEREND FRONTALIER
(BENIN / NIGER)
REPLIQUE
DE LA
REPUBLIQUE DU NIGER
Volume I
Décembre 2004 TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION........................................................................................................................................1
Section 1 - La stratégie argumentative du contre-mémoire de la République du Bénin................1
Sous-section A - En ce qui concerne le secteur du fleuve...................................................................3
Sous-section B - En ce qui concerne le secteur de la Mékrou.............................................................7
Section 2 - Les procédés contestables du contre-mémoire de la République du Bénin.................9
Sous-section A - La propension du Bénin à se présenter en victime des agissements du Niger........9
Sous-section B - La multiplication des affirmations péremptoires non démontrées........................12
Sous-section C - La présentation de citations tronquées ou incomplètes .........................................14
Sous-section D - Le fait de faire dire au Niger ce qu'il ne dit pas, pour ensuite le contester...........15
Sous-section E - Le fait de donner l'impression que le Niger cherche à éviter le débat sur certains
documents qui seraient "gênants" pour lui.........................................................................................17
Sous-section F - La mise en cause de la pertinence de divers documents ou éléments évoqués
dans le mémoire du Niger...................................................................................................................18
Sous-section G - L'utilisation d'une argumentation "à géométrie variable" .....................................19
Sous-section H - Le recours à des sources actuelles pour démentir des faits bien établis à partir de
sources de la période coloniale...........................................................................................................21
CHAPITRE I — L’ INTROUVABLE « TITRE COLONIAL » DU BÉNIN.....................................24
Section 1 - L’érosion des fondements de la demande du Bénin.......................................................25
Sous-section A - L’abandon par le Bénin du traité de protectorat du 21 octobre 1897....................25
Sous-section B - L’abandon de l'arrêté local du 11 août 1898 est pleinement justifié dès lors que
ce texte ne procède pas à une délimitation.........................................................................................27
Section 2 - L’arrêté du 23 juillet 1900 ne peut pas constituer un titre dès lors qu’il ne procède
pas à une délimitation ...........................................................................................................................28
Sous-section A - L’arrêté du 23 juillet 1900 ne procède pas à une délimitation..............................29
1. L’arrêté du 23 juillet 1900 ne fixe pas une limite interterritoriale entre le Dahomey et le troisième
territoire militaire.........................................................................................................................................29
2. Le décret du 20 décembre 1900 confirme l’arrêté du 23 juillet 1900 sans fixer davantage les limites
du troisième territoire militaire...................................................................................................................32
3. Les lacunes du matériau juridique transmis au professeur Luchaire par le Bénin conduisent ce
dernier à atteindre des conclusions erronées..............................................................................................34
Sous-section B - Le processus historique de la délimitation de la frontière entre le Dahomey et le
Niger et la pratique ultérieure des parties battent en brèche la thèse béninoise de la fixation de la
limite à la rive gauche.........................................................................................................................37
1. Le cours du fleuve Niger a été retenu par les autorités coloniales comme ligne de démarcation entre
le Dahomey et le troisième territoire militaire dès le début de la colonisation.........................................37
2. La pratique coloniale subséquente contredit la thèse selon laquelle l’arrêté du 23 juillet 1900 fixerait
une limite entre les colonies du Dahomey et du Niger..............................................................................41 3. Le fait que la République du Bénin n’avait jamais invoqué l’arrêté du 23 juillet 1900 comme titre
avant le mois d'août 2003 confirme que ce texte n’opère pas une délimitation........................................46
Section 3 - La lettre n°3722/APA du 27 août 1954 ne peut être ni déclarative d’un titre,
inexistant en l’occurrence, ni constitutive d’un titre nouveau.........................................................47
Sous-section A - La lettre n°3722/APA du 27 août 1954 est une simple correspondance
administrative interne du gouverneur par intérim du Niger en réponse à une sollicitation d’une
autorité administrative subalterne de sa colonie ................................................................................48
Sous-section B - La lettre n° 3722/APA du 27 août 1954 ne peut être un acte déclaratoire, car elle
ne confirme aucun titre préexistant ....................................................................................................53
Sous-section C - La lettre n° 3722/APA du 27 août 1954 n’est pas constitutive d’un titre
autonome .............................................................................................................................................56
Sous-section D - Le Bénin n’est pas en mesure de réconcilier la teneur de ses revendications
actuelles avec le contenu de la lettre du 27 août 1954.......................................................................65
C HAPITRE II — LE COURS DU FLEUVE CONSTITUE LA LIMITE ENTRE LE BENIN ET
LE NIGER...................................................................................................................................................69
Section 1 - L’émergence et la consolidation du titre du Niger.........................................................69
Sous-section A - Les éléments montrant l’émergence du fleuve Niger comme limite
interterritoriale.....................................................................................................................................71
1. Le premier motif invoqué par le Bénin ..................................................................................................71
2. Le second motif invoqué par le Bénin....................................................................................................78
Sous-section B - La conception du fleuve Niger comme limite naturelle est bien celle des
administrateurs coloniaux...................................................................................................................79
Sous-section C - La référence au « cours du fleuve » comme limite renvoie à une limite « dans »
le fleuve et non pas sur une rive .........................................................................................................81
1. Le sens des notions de « cours » et de « rive » d’un fleuve...................................................................83
2. L'argument de la prétendue instabilité de la rive droite du fleuve Niger est dépourvu de fondement
......................................................................................................................................................................87
Section 2 - La pertinence de la pratique des autorités coloniales est irréfutable ..........................90
Sous-section A - Le Territoire, puis la colonie, du Niger n’ont pas agi et ne pouvaient pas agir en
tant que « souverain » .........................................................................................................................91
Sous-section B - Les documents de la période coloniale confirment l’administration du fleuve par
la colonie du Niger et appuient la thèse nigérienne de la limite dans le fleuve................................93
1. L’Office du Niger était un organisme colonial territorialement limité au Soudan français.................94
2. La prétention du Bénin selon laquelle l’administration du fleuve était exercée non pas par le Niger
mais par le « Réseau Bénin-Niger » est dépourvue de fondement.......................................................100
Sous-section C - Le Niger exerçait des activités d’organisation et de gestion de la navigation sur
le fleuve Niger en tant que puissance publique................................................................................112CHAPITRE III — DANS LE COURS DU FLEUVE, C’EST LE CHENAL PRINCIPAL QUI
CONSTITUE LA LIMITE ENTRE LE BENIN ET LE NIGER.......................................................118
Section 1 - L’émergence et la pérennité du critère du chenal principal dans la pratique des
autorités coloniales ..............................................................................................................................119
Sous-section A - L’arrangement établi en 1914 s’est imposé durablement jusqu’à la fin de la
période coloniale...............................................................................................................................119
1. L’émergence de l’arrangement de 1914...............................................................................................119
2. Le fondement et l’objet de l’arrangement de 1914 sont certains ........................................................121
3. L’arrangement de 1914 est resté d’application continue et exclusive durant tout le reste de la
période coloniale........................................................................................................................................122
4. L’arrangement de 1914 est juridiquement valable...............................................................................129
Sous-section B - L’absence d’un texte législatif ou réglementaire établissant une limite dans le
chenal principal et l’absence alléguée d’une représentation cartographique de cette limite sont
sans incidence sur la pertinence et la portée du modus vivendi de 1914.........................................132
1. La République du Niger ne prétend pas qu’un texte législatif ou réglementaire ait expressément
établi une limite dans le chenal principal .................................................................................................132
2. Le matériau cartographique des années 1955 et 1960 représente la limite dans le chenal principal
....................................................................................................................................................................133
Sous-section C - La pertinence et l’utilité des missions de reconnaissance du chenal principal
dans la présente affaire......................................................................................................................136
Sous section D - Le critère du chenal principal est parfaitement approprié en soi, de même que
pour la détermination d'une limite intercoloniale ............................................................................139
1. Le chenal principal est un critère approprié en soi ..............................................................................139
2. Le chenal principal est un critère approprié pour une limite intercoloniale........................................141
Section 2 - Le critère du chenal principal est approprié pour un fleuve navigable comme le
Niger......................................................................................................................................................144
Sous-section A - Le Bénin se fonde sur une définition inadéquate et indûment restrictive de la
navigabilité........................................................................................................................................145
Sous-section B - Le fleuve Niger est à classer dans la catégorie des fleuves navigables...............147
Sous-section C - Le fleuve Niger est navigable toute l’année, pour certaines embarcations.........152
Sous-section D - La France n’a jamais décidé de répartir secteur par secteur le cours du fleuve
Niger entre ses différentes colonies, et d’exclure le recours au thalweg comme limite
intercoloniale.....................................................................................................................................157
Sous-section E - C’est le critère de la navigabilité qui impose logiquement la ligne des sondages
les plus profonds................................................................................................................................159
Section 3 - La pérennité du chenal principal n'est pas remise en cause par une prétendue
instabilité du fleuve..............................................................................................................................160
Sous-section A - Les affirmations du Bénin tendant à nier la stabilité du chenal principal sont
sans fondement..................................................................................................................................160
1. Arguments fondés sur l'hydrologie.......................................................................................................161
a) Le phénomène d'ensablement............................................................................................................161
b) La prétendue instabilité de la rive droite du fleuve par rapport à la rive gauche............................163
c) L'étude de l'IGN-France international...............................................................................................163
2. L'argumentation fondée sur le principe de l'uti possidetis juris...........................................................168 a) l'utilisation de cartes postérieures à l'indépendance.........................................................................169
b) l'utilisation de missions hydrographiques postérieures aux indépendances....................................170
c) La position relative aux variations éventuelles de cours dans le lit du fleuve................................171
3. La ligne d'argumentation fondée sur une prétendue absence de fiabilité des documents utilisés par le
Niger pour établir la stabilité du lit du cours du fleuve ...........................................................................171
a) Arguments relatifs à la manière dont les missions hydrographiques ont été réalisées...................172
b) Les arguments relatifs à la divergence entre sources......................................................................173
Sous-section B - Il n'apparaît pas qu'il y ait eu de changement significatif dans le tracé du chenal
principal du fleuve sur une période de plus de cent ans ..................................................................176
1. Sources d'identification du chenal navigable principal........................................................................176
2. Chenal navigable principal et date critique..........................................................................................180
3. Cheminement de la ligne des sondages les plus profonds...................................................................183
Section 1 (Boumba) (du km 1446 au km 1441) ...................................................................................184
Section 2 (Djéboukiria) (du km 1441 au km 1433)..............................................................................185
Section 3 (Pekinga) (du km 1433 au km 1423)....................................................................................186
Section 4 (Kouassi ou Kwassi) (du km 1423 au km 1415)..................................................................187
Section 5 (Doubal) (du km 1415 au km 1409) .....................................................................................188
Section 6 (Sansan Goungou) (du km 1409 au km 1404) .....................................................................189
Section 7 (Lété) (du km 1404 au km 1385)..........................................................................................190
Section 8 (Tondi Kouaria ou Tondikwaria et Momboye Tounga) (du km 1385 au km 1374)...........191
Section 9 (Sinigoungou) (du km 1374 au km 1365) ............................................................................192
Section 10 (Lama Barou) (du km 1365 au km 1352)...........................................................................193
Section 11 (Kotcha, Koki, Gagno, Kata) (du km 1352 au km 1340) ..................................................194
Section 12 (Gandégabi Barou Beri et Kaina) (du km 1340 au km 1330,5) ........................................195
Section 13 (Guirawa Barou) (du km 1330,5 au km 1326,5)................................................................196
Section 14 (Dan Kore Guirawa et Dan Djoda) (du km 1326,5 au km 1321,7)...................................197
Section 15 (Koundou barou, Goussou barou, El Hadji Chaibou 1 et 2 et Beyo barou) (du km 1321,7
au km 1317)............................................................................................................................................198
Section 16 (Dolé) (du km 1317 au km 1313,5)....................................................................................199
Le point triple Bénin, Niger, Nigeria................................................................................................202
CHAPITRE IV — LE CHENAL PRINCIPAL CONSTITUE UN CRITÈRE PERTINENT ET
FIABLE POUR LA RÉPARTITION DES ÎLES QUI SONT RESTÉES LES MÊMES DANS
LE TEMPS................................................................................................................................................203
Introduction..........................................................................................................................................203
Section 1 - Les îles du fleuve peuvent être identifiées et attribuées avec certitude.....................203
Sous-section A -La faiblesse des études sur lesquelles le Bénin s’appuie pour formuler ses
critiques .............................................................................................................................................204
1. L'étude de l'I.G.N.-France international...............................................................................................204
2. L'étude de Pascal Lokovi .....................................................................................................................206
Sous-section B - Les critères adoptés par le Niger pour identifier les îles......................................207
1. Définition d'une île................................................................................................................................207
2. Distinction d'avec les bancs de sable....................................................................................................208
3. Distinction d'avec les petits rochers......................................................................................................208
Sous-section C - La réfutation des positions du Bénin concernant le nombre et la pérennité des
îles......................................................................................................................................................208
1. Réfutation des arguments du Bénin en ce qui concerne le nombre d'îles...........................................208
2. La réfutation de l'argumentation béninoise sur les doutes qui existeraient quant à la pérennité des
îles..............................................................................................................................................................212
a) Iles nouvelles soi-disant apparues entre 1960 et 2002.....................................................................212 b) Iles soi disant disparues entre 1960 et 2002.....................................................................................216
c) Iles ayant soi disant fusionné entre 1960 et 2002.............................................................................218
Sous-section D - L’identification des îles........................................................................................220
1. Les critiques qui ont été émises par le Bénin à propos des libertés que prendrait prétendument le
Niger avec le principe de l’uti possidetis juris en ce qui concerne l'attribution des îles ........................220
2. Méthode suivie par le Niger dans son processus d’identification des îles..........................................222
3. Tableau d'attribution des îles ................................................................................................................223
Section 2 - Les effectivités confirment au surplus l'appartenance de l'île de Lété au Niger......234
Sous-section A - La vacuité du dossier béninois en matière d’effectivités concernant l’île de Lété
...........................................................................................................................................................234
Sous-section B - Les incidents de 1960 et de 1998 ne révèlent aucune effectivité du Bénin sur
l’île de Lété........................................................................................................................................240
CHAPITRE V — LA FRONTIÈRE DANS LE SECTEUR DE LA MÉKROU..............................251
Section 1 - Les textes de la période coloniale confortent la thèse du Niger..................................253
Sous-section A - Aucun des textes législatifs ou réglementaires valides dont l'objet était d'établir
des circonscriptions territoriales ou d'en préciser les limites ne fixe la limite intercoloniale au
cours de la rivière Mékrou................................................................................................................256
Sous section B - Les références au cours de la Mékrou qui se retrouvent dans certains des textes
coloniaux ayant pour objet la création de parcs de refuge et de réserves de chasse doivent
impérativement se comprendre à la lumière des circonstances et des connaissances de l'époque
...........................................................................................................................................................262
Sous-section C - L'ignorance délibérée par le Bénin des décrets de 1909 et 1913 le conduit à
adopter une position erronée sur la manière d'arriver à la détermination du point triple...............270
Section 2 - Les positions adoptées par les autorités du Niger au début des années 1970 étaient
bel et bien entachées d'erreur et ne sauraient se voir attribuer des effets juridiques................275
Sous-section A - La position du Niger n'a pas été exprimée "officiellement et sans ambiguïté,
d'une manière claire et constante" ....................................................................................................278
Sous-section B - Les autorités nigériennes n'étaient nullement convaincues que le cours même de
la Mékrou constituait la frontière entre les deux Etats dans la zone...............................................279
Sous-section C - Il existe bien une erreur susceptible d'être invoquée par le Niger en vue de
remettre en cause la validité de ses prises de positions passées......................................................281
Sous-section D - Le Niger n'a pas contribué à l'erreur, ni fait preuve de légèreté..........................284
Sous-section E - Les négociations en vue de la réactivation du projet de barrage à Dyodyonga
n'ont en rien confirmé la reconnaissance par les autorités nigériennes de la fixation de la frontière
au cours de la Mékrou.......................................................................................................................287
CONCLUSION S .......................................................................................................................................292
T ABLEAU RECAPITULATIF DES ILLUSTRATIONS
L ISTE DES DOCUMENTS RETENUS EN ANNEXE DE LA REPLIQUE DU N IGERRéplique de la République du Niger Introduction
INTRODUCTION
0.1. La République du Bénin et la République du Niger ont chacune présenté, dans les délais
prescrits par la Cour, un mémoire et un contre-mémoire. Le compromis conclu par les deux
parties en vue de soumettre le présent différend à la Cour prévoyait, en son article 3,
paragraphe 1, c), la possibilité pour les parties de demander le dépôt d'une pièce écrite
additionnelle. La République du Bénin et la République du Niger ayant toutes deux exprimé
le souhait de déposer une troisième pièce écrite, le président de la Chambre a autorisé, par une
ordonnance du 9 juillet 2004, le dépôt d'une réplique par les deux parties. Le délai pour le
dépôt de ces pièces était fixé au 17 décembre 2004. La présente réplique est présentée par la
République du Niger en conformité avec ces dispositions.
Section 1 -
La stratégie argumentative du contre-mémoire de la République du Bénin
0.2. La République du Bénin, dans son contre-mémoire, s'est employée presque
exclusivement à s'efforcer de contrer l'argumentation développée par la République du Niger
dans son mémoire, sans tenter aucunement de conforter ses propres positions par des éléments
supplémentaires. La République du Niger rencontrera ces objections et critiques dans le cadre
de la présente réplique, qui sera consacrée à la réfutation de l'argumentation du Bénin, tant en
ce qui concerne le secteur du fleuve que celui de la Mékrou.
0.3. Avant de présenter les grandes lignes de l'argumentation de la République du Niger sur
ces deux points, toutefois, il s'impose de rectifier d'emblée la présentation que tente de faire le
Bénin de la portée du différend qui oppose les deux Etats. Dès les premières pages de son
contre-mémoire, en effet, la partie béninoise attire l'attention de la Cour sur le fait que
l'élément principal du litige est l'île de Lété . Les autres volets du différend, soit la
détermination de la frontière dans l'ensemble du secteur du fleuve Niger et dans celui de la
2
rivière Mékrou, seraient quant à eux "artificiels" et n'auraient été soumis à la Cour qu'en
raison de pressions exercées par le Niger. Cette présentation de la situation appelle une
sérieuse mise au point. La République du Niger entend s'élever fermement contre la
1
C.M./R.B., pp. 3-5, §§ 0.4 et s.
2Ibid., p. 4, § 0.8.
- 1Réplique de la République du Niger Introduction
présentation biaisée du différend faite par la partie béninoise, dont le but paraît bien être
d'accuser le Niger d'avoir imposé unilatéralement une définition plus large de l'objet du litige,
en y incluant la délimitation sur l'ensemble du fleuve, l'attribution de toutes les îles, et la
question de la frontière dans le secteur de la Mékrou. Le Bénin va d'ailleurs jusqu'à affirmer,
au sujet de l'inclusion du secteur de la Mékrou dans les questions soumises à la Cour, que
l'objectif du Niger aurait été d'obtenir un "jugement de Salomon" , où la Cour pourrait donner
à chacune des parties un peu de ce qu'elle demande, le Niger s'assurant de voir ses
revendications satisfaites sur la question principale, celle de l'île Lété. Ce scénario ne
correspond cependant en rien aux réalités. Comme la Cour aura déjà pu s'en apercevoir à la
lecture des précédentes pièces écrites, c'est dès le début de la période coloniale que la question
de la délimitation s'est posée à l'égard de l'ensemble du bief fluvial frontalier, ainsi que de
diverses îles autres que celle de Lété. De même, contrairement aux dires du Bénin , l'idée qui 4
sous-tendait les discussions qu'ont eues les autorités du Niger et du Dahomey en 1960 était
bien de déterminer toute la frontière fluviale sur le Niger et pas seulement de régler le
contentieux relatif à l'île de Lété. Faut-il rappeler, à cet égard, que la lettre du 27 août 1954
trouve son origine dans un litige relatif non pas à l'île de Lété, mais à l'appartenance des îles
5
se trouvant en face de Gaya ? Contrairement à ce qu'affirme le Bénin, il n'y a donc
certainement pas d'accord entre les parties au présent litige pour "constate[r] que ce sont les
incidents survenus sur l'île de Lété en juin 1960 qui ont révélé l'existence d'un différend" à 6
propos de cette île. Comme le Niger l'a montré dans son mémoire et son contre-mémoire, la
question de l'appartenance de l'île de Lété, comme d'autres îles du fleuve, est réapparue à
7
diverses reprises tout au long de la période coloniale . De la même manière, ainsi que le Niger
l'a déjà montré dans son contre-mémoire, le problème de la délimitation dans le secteur de la
8
Mékrou s'est fait jour dès la fin des années 1960 . C'est donc très logiquement —et avec
l'accord des deux parties— que ces questions ont toutes été incluses dans le mandat de la
Commission mixte paritaire de délimitation des frontières, puis, par la suite, dans le
compromis de 2001.
3
Ibid., p. 153, § 4.2.
4C.M./R.B., § 0.5.
5La lettre du 23 juillet 1954 adressée par le chef de la subdivision de Gaya au gouverneur du Niger visait à obtenir des
précisions à propos d’un conflit concernant l’île située en face de Gaya (C.M.N., Annexes, série C, n° 120, p. 250).
6C.M./R.B., § 0.5.
7
Voy. M.N. §§ 2.3.69 à 2.3.75 et C.M.N., §§ 4.11 à 4.16.
8C.M.N., pp. 176-178, § 5.2.
- 2Réplique de la République du Niger Introduction
Il n'en est pas moins évident que l'île de Lété, en raison de sa taille et de son peuplement
humain, a plus particulièrement retenu l'attention des parties, comme en témoigne entre autres
le fait que le compromis y fait explicitement référence en son article 2, b). La République du
Niger n'a d'ailleurs aucunement tenté de donner l'impression qu'il s'agissait là d'une
composante mineure du présent différend, puisqu'elle y a consacré un chapitre entier, de pas
9
moins de 35 pages, dans son contre-mémoire . L'importance de cet enjeu ne justifie cependant
en rien la présentation réductrice de l'objet du litige que tente de faire la République du Bénin,
ni les insinuations de pression, voire de contrainte, de la part du Niger, que cette présentation
emporte. C'est la fixation définitive de l'ensemble de leur frontière commune que les deux
parties ont entendu voir réalisée lorsqu'elles ont établi la Commission mixte paritaire de
délimitation des frontières et, plus encore, lorsqu'elles ont soumis le présent différend à la
Cour. C'est à cet objectif qu'elles devraient maintenant s'atteler, sans atermoiements et sans
sous-entendus aussi malsains que dépourvus du moindre fondement.
Sous-section A - En ce qui concerne le secteur du fleuve
0.4. Le trait le plus marquant de l'argumentation du Bénin, en ce qui concerne la délimitation
dans le secteur du fleuve, est sans conteste l'abandon d'une bonne part de ses bases de
revendications antérieures, et ceci avant même d'avoir pris connaissance du contre-mémoire
du Niger. La République du Bénin a ainsi renoncé, dans son contre-mémoire, à s'appuyer sur
un prétendu titre historique pré-colonial (ou, pour reprendre ses termes exacts un "titre
coutumier traditionnel"), constitué par la convention de protectorat conclue en 1897 entre les
autorités françaises et le roi du Dendi. Cette prétention lui est sans doute apparue
10 11
indéfendable —à juste titre d'ailleurs . Il en va de même pour ce qui est des titres coloniaux.
Alors que le Bénin en invoquait auparavant cinq à l'appui de ses revendications (les arrêtés de
1898, 1900, 1934 et 1938 (en certaines occasions au moins) et la lettre du 27 août 1954), seuls
deux d'entre eux se retrouvent au cœur de l'argumentation développée dans le contre-mémoire
béninois pour revendiquer une frontière à la rive gauche dans le secteur du fleuve (l'arrêté du
23 juillet 1900 et la lettre du 27 août 1954). Il convient d'ailleurs de remarquer à cet égard que
le premier de ces titres n'a fait qu'une apparition très tardive dans l'argumentaire du Bénin,
puisque ce n'est qu'en 2003 qu'il a été invoqué par la partie béninoise pour la toute première
9C.M.N., chapitre IV, pp. 139 à 174.
10C.M./R.B., p. 27, § 1.36.
11Voy. la réfutation détaillée de ce prétendu titre dans C.M.N., chapitre I, pp. 21-45.
- 3Réplique de la République du Niger Introduction
fois. Ceci ne manque pas de surprendre pour une pièce présentée comme tellement centrale
dans l'argumentation de la partie adverse. En tout état de cause, la République du Niger
montrera que ni l'un ni l'autre de ces documents ne permet de fonder la revendication du
Bénin. L'arrêté du 23 juillet 1900 ne peut en effet constituer un titre, dès lors qu'il ne procède
pas à une délimitation. La lettre du 27 août 1954, pour sa part, ne peut ni être déclarative d'un
titre, inexistant en l'occurrence, ni constitutive d'un titre nouveau, qu'elle n'aurait pas pu
12
valablement créer au regard des exigences du droit colonial français .
0.5. Conscient de la faiblesse des prétendus titres coloniaux invoqués à l'appui de son
argumentation, le Bénin s'est efforcé, dans son contre-mémoire, de contester la thèse du Niger
selon laquelle les autorités coloniales auraient, dès le début de la colonisation, fixé la limite
entre les deux colonies au cours du fleuve, la pratique ultérieure fixant plus précisément cette
limite au chenal principal. Le Bénin tente ainsi de démontrer successivement que :
- si de nombreux éléments convergent pour attester que la limite intercoloniale a bel et bien
été fixée au cours du fleuve Niger, ce terme doit en fait se comprendre comme renvoyant
à la rive gauche de ce cours d'eau;
- les actes accomplis par les autorités coloniales du Niger sur le fleuve, que le Niger
invoque pour démontrer l'emprise effective de cette colonie sur le cours d'eau, ne
l'auraient pas été "à titre de souverain" et si des actes publics ont bel et bien été accomplis
par ces autorités, ce n'aurait été qu'en vertu d'une délégation de compétences consentie par
le gouvernement central de l'A.O.F. ; 13
- la référence au chenal principal comme critère de délimitation et de répartition des îles
entre les deux colonies riveraines ne se retrouverait que dans des textes informels et un
modus vivendi à vocation strictement provisoire, sans avoir jamais été consacrée de façon
officielle ;4
- l'utilisation du chenal principal comme critère de délimitation n'aurait pas été appropriée
dans un fleuve comme le Niger, qui doit être considéré comme non navigable ; 15
- l'utilisation du chenal principal comme critère de répartition des îles n'aurait pas été
appropriée dans un fleuve comme le Niger, en raison de l'instabilité de son cours ; 16
12Voy. infra, chapitre I.
13
C.M./R.B., pp. 60-72.
14Ibid., pp. 79 et s., §§ 2.116 et s.
15Ibid., pp. 84 et s., §§ 2.103 et s.
- 4Réplique de la République du Niger Introduction
- les effectivités confirment l'appartenance de l'île de Lété au Dahomey, qui résultait déjà de
la fixation de la limite intercoloniale à la rive gauche du fleuve . 17
0.6. Comme cela avait déjà été le cas pour les arguments développés par la République du
Bénin dans son mémoire, cette ligne d'argumentation se révèle purement rhétorique et
largement ignorante des réalités historiques, comme de celles du terrain. La position du Bénin
sur le premier de ces points se révèle par ailleurs particulièrement ambiguë, voire
contradictoire, puisqu'elle revient à tourner radicalement le dos au sens naturel des termes, le
cours et la rive d'un cours d'eau constituant deux notions clairement distinctes . Pour le reste,
ce n'est que par une lecture spécieuse et largement erronée des textes et documents de la
période coloniale que le Bénin parvient à y trouver les bases d'une remise en cause de
l'argumentation du Niger. Ainsi, s'il est vrai que certaines délégations de pouvoirs ont été
consenties par les autorités de l'A.O.F. à celles des colonies riveraines en ce qui concerne
certaines activités menées sur le fleuve, il est tout aussi avéré que ces colonies conservaient
parallèlement diverses compétences qu'elles exerçaient en leur nom propre sur cet espace
fluvial. Les exemples d'exercice de semblables compétences par les autorités de la colonie du
Niger, mis en exergue dans les précédentes écritures de la République du Niger, conservent de
ce fait toute leur pertinence. De la même façon, les conclusions que le Bénin tire du fait que
l'utilisation du chenal principal comme critère de délimitation et d'attribution des îles n'a
jamais été consacrée par un texte officiel se révèlent bien peu convaincantes. Ce qui apparaît
déterminant, comme le Niger le rappellera dans la présente réplique, c'est la constance avec
laquelle ce critère est avancé et retenu —fût-ce de façon informelle— par les autorités
coloniales. Le Bénin choisit à cet égard de s'arrêter sur les remises en cause dont ce critère de
délimitation et de répartition a fait l'objet à divers moments au cours de la période coloniale,
dans l'espoir de démontrer que, même informellement, cette solution n'a jamais été retenue de
manière durable. C'est pourtant là déduire la règle de l'exception. Ce faisant, le Bénin tente
—en vain— d'échapper à un constat bien établi : en dépit des —rares— tentatives de
réaménagement ou de remise en cause dont cette solution a parfois fait l'objet, le chenal
navigable a, en fin de compte, toujours été maintenu en pratique comme critère de
délimitation et d'attribution par les administrateurs coloniaux.
16Ibid., pp. 89 et s., §§ 2.142 et s.
17
Ibid., pp. 144 et s., §§ 3.24 et s.
18Pour une réfutation plus détaillée, voy. infra, chapitre II, §§ 2.36 et s.
- 5Réplique de la République du Niger Introduction
0.7. En vue de conforter sa réfutation du choix du chenal principal comme critère de
délimitation dans le secteur du fleuve, le Bénin s'est également engagé dans une
démonstration à prétention plus technique, en s'efforçant de démontrer que ce critère serait
peu approprié pour un fleuve comme le Niger. Il en irait ainsi à la fois parce que ce cours
d'eau ne pourrait être considéré comme navigable, et en raison de l'instabilité supposée de son
cours. Ici encore, le Bénin tire des conséquences tout à fait disproportionnées d'un constat de
base exact. Les difficultés de navigation sur le bief du fleuve Niger concerné par le présent
litige sont indéniables à certains moments de l'année. En déduire que cette portion du fleuve
n'est pas navigable et que, partant, l'identification du chenal principal ne présentait guère
d'intérêt pour les autorités coloniales est par contre totalement inexact. Ce sont au total des
milliers de pages de rapports, d'études, de projets qui ont été consacrés, dès les premiers
moments de la colonisation et bien après l'accession des territoires riverains à l'indépendance,
à la question de la navigabilité du fleuve, qui est de tout temps apparue comme un enjeu de
première importance aux administrateurs. Dans pareil contexte, l'identification du chenal
principal du fleuve prend évidemment tout son sens, et l'on peut aisément comprendre que cet
élément ait été retenu comme critère de délimitation, dès lors qu'il assurait, dans le bief fluvial
en cause, un égal accès à la navigation sur le fleuve aux deux colonies concernées.
La tentative du Bénin de remettre en cause le chenal principal comme critère de répartition
des îles du fleuve repose sur des bases tout aussi inexactes. Selon la partie béninoise,
l'instabilité du lit et du cours du Niger dans cette zone aurait pour effet de remodeler
fréquemment le profil du fleuve, en faisant régulièrement apparaître de nouvelles îles, ou
disparaître les îles existantes. L'identification précise des îles dans le bief fluvial en cause
serait de ce fait impossible, et leur attribution à chacune des parties sur la base du critère du
chenal principal tout à fait aléatoire. Ainsi que le Niger le montrera dans la présente réplique,
les éléments avancés par le Bénin à l'appui de cette thèse ne résistent pas à un examen sérieux.
Les relevés opérés sur le fleuve depuis plus d'un siècle font au contraire apparaître une
remarquable constance de son tracé dans ce secteur, de même qu'une pérennité manifeste en
ce qui concerne la présence et l'emplacement des îles. Plusieurs des documents que le Bénin
lui-même produit à l'appui de sa thèse le confirment d'ailleurs sans la moindre ambiguïté. En
réalité, il s'avère que c'est avant tout la méthodologie hasardeuse suivie par la partie adverse
qui l'amène à déduire des conclusions erronées des divers documents qu'elle produit. Sur ce
point également, un examen minutieux de l'ensemble du matériau scientifique disponible
- 6Réplique de la République du Niger Introduction
permet de confirmer le bien-fondé de la thèse défendue par le Niger, et met à néant l'argument
de la prétendue instabilité du cours du fleuve dans le bief frontalier.
Enfin, pour ce qui est plus particulièrement de l'île de Lété, la prétention du Bénin selon
laquelle les effectivités de la période coloniale viendraient confirmer l'appartenance de l'île au
Dahomey s'avère dépourvue de tout fondement. L'abondance des pièces présentées par la
République du Niger dans ses écritures montre au contraire au-delà de toute possibilité de
contestation que cette île a été administrée de façon ininterrompue par les autorités de la
colonie du Niger. L'idée selon laquelle la limite intercoloniale aurait toujours été clairement
fixée à la rive gauche du fleuve se voit par là même contredite de façon éclatante. La
République du Niger aura l'occasion de démontrer de manière plus détaillée dans les pages
qui suivent qu'aucun des arguments avancés par la République du Bénin dans son contre-
mémoire ne s'avère donc de nature à remettre en cause la thèse nigérienne selon laquelle, dès
les premiers stades de la colonisation, les autorités françaises se sont accordées pour fixer la
limite intercoloniale dans ce secteur au cours du fleuve, la pratique ultérieure montrant ensuite
que, dans le cours du fleuve, c'est le principal chenal navigable qui a été retenu à la fois
comme critère de délimitation plus précis et comme critère d'attribution des îles du fleuve.
Sous-section B - En ce qui concerne le secteur de la Mékrou
0.8. La tentative du Bénin de remettre en cause l'argumentation de la République du Niger
relative à la frontière dans le secteur de la Mékrou ne s'avère pas plus convaincante. Si les
deux parties s'accordent à reconnaître que le décret du 2 mars 1907 a initialement fixé la
limite intercoloniale dans cette zone selon une ligne droite, leurs positions divergent
rapidement lorsqu'il s'agit d'identifier le tracé ultérieur de cette limite. Selon le Bénin, cette
ligne aurait rapidement été abandonnée au profit d'un tracé suivant le cours inférieur de la
rivière Mékrou, comme le confirmeraient toutes les dispositions réglementaires postérieures à
1919 , de même que l'essentiel du matériau cartographique disponible . Pourtant, ainsi que la
République du Niger y a déjà insisté et aura l'occasion d'y revenir de façon plus détaillée dans
la dernière partie des présentes écritures, cette vision n'aurait de sens que si l'on pouvait
montrer que les autorités qui ont adopté ces textes avaient une quelconque connaissance du
cours réel de la Mékrou. Or, l'on sait que tel n'était pas le cas, et que cette zone,
19C.M./R.B., pp. 159 et s., §§ 4.14 et s.
- 7Réplique de la République du Niger Introduction
particulièrement sauvage, est demeurée très mal connue jusqu'à la fin de la période coloniale.
Le raisonnement du Bénin sur ce point constitue une parfaite illustration du modèle du
"législateur rationnel", censé avoir une connaissance sans faille du contexte —législatif
comme factuel— dans lequel sa décision va s'inscrire, de même qu'une totale conscience de
tous les tenants et aboutissants de celle-ci. Il va sans dire que l'on était bien loin d'un tel cas de
figure en ce qui concerne l'adoption des textes réglementaires qui ont traité de limites dans
cette région hostile. Le Niger relèvera par ailleurs que la méthode suivie par le Bénin dans
l'identification et l'utilisation des textes coloniaux pertinents manque singulièrement de
rigueur, comme en témoigne par exemple l'impasse presque complète que fait la partie
béninoise sur des textes aussi directement pertinents que ceux des décrets du 12 août 1909 et
du 23 avril 1913. Cet "oubli" a d'ailleurs pour conséquence de conduire la partie béninoise à
adopter une position erronée sur la détermination du point triple Bénin-Niger-Burkina-Faso.
Enfin, la remise en cause par le Bénin de l'invocation de la théorie de l'erreur par le Niger
pour dénier tout effet juridique aux positions prises par les autorités nigériennes au début des
années 1970, dans le cadre d'un projet de construction d'un barrage sur le site de Dyodyonga
repose elle aussi sur des bases inexactes. La partie béninoise tente, à cet égard, d'accréditer la
thèse selon laquelle les autorités nigériennes auraient disposé de tous les éléments nécessaires
pour s'engager —ou éviter de s'engager— sur la question du tracé frontalier dans cette zone
en toute connaissance de cause . Or tel n'était pas le cas, puisque c'est bien en réponse à une
question très générale sur l'existence de textes fixant la frontière dans cette région —et non,
comme tente de le faire croire le Bénin sur l'une ou l'autre rive de la Mékrou— que les
autorités nigériennes se sont vu signaler que de tels textes n'existaient pas. L'erreur, qui a
influencé de façon déterminante des prises de position du Niger à l'époque, existait donc bel et
bien, et a perduré jusqu'au moment où les autorités nigériennes ont réalisé qu'il existait un
texte colonial qui déterminait les limites dans cette zone : le décret du 2 mars 1907.
Avant d'entrer dans le détail de la réfutation des arguments développés dans le contre-
mémoire béninois, le Niger estime toutefois nécessaire de rappeler sa position sur un certain
nombre de points de principe à propos desquels le Bénin lui a adressé des critiques
particulièrement mal fondées, et de dénoncer les procédés contestables utilisés par la partie
adverse à cet égard.
20Ibid., pp. 169 et s., §§ 4.34 et s.
- 8Réplique de la République du Niger Introduction
Section 2 -
Les procédés contestables du contre-mémoire de la République du Bénin
0.9. Comme il l'avait déjà fait dans son mémoire, le Bénin utilise, dans son contre-mémoire,
diverses techniques argumentatives que la République du Niger entend ici mettre en lumière
et contester avec fermeté. Il en est ainsi, en particulier, de
1. la stratégie qui consiste à se présenter en victime des agissements du Niger;
2. la multiplication des affirmations péremptoires qui ne reposent sur aucune démonstration;
3. la présentation de citations tronquées;
4. la stratégie qui consiste à faire dire au Niger ce qu'il ne dit pas, pour ensuite le contester;
5. la technique, proche de la précédente, qui vise à donner l'impression que le Niger cherche
à éviter le débat sur certains documents qui seraient "gênants" pour lui;
6. la mise en cause de la pertinence de divers documents ou éléments évoqués par le Niger
dans son mémoire, au motif qu'ils n'auraient pas de pertinence directe pour la question de
la fixation de la frontière;
7. l'utilisation d'une argumentation "à géométrie variable", le Bénin utilisant à propos de la
frontière dans le secteur de la Mékrou des arguments qu'il rejette pour le secteur du
fleuve, ou déniant au Niger le droit d'utiliser divers procédés, documents ou
raisonnements que la partie béninoise ne se prive pourtant pas d'utiliser chaque fois que
cela sert ses intérêts;
8. le recours à des sources actuelles pour démentir des faits bien établis à partir de sources
originales remontant à la période coloniale.
L'examen systématique de ces différentes techniques permet de mesurer à quel point elles
faussent le débat juridique entre les parties.
Sous-section A - La propension du Bénin à se présenter en victime des agissements du
Niger
0.10. Dans plusieurs passages de ses écritures, le Bénin tente de se présenter comme une
malheureuse victime des agissements du Niger. C'est tout d'abord le cas à l'égard de la
définition de l'objet du présent litige. Ainsi que la République du Niger l'a exposé ci-dessus, le
21Ibid., pp. 178 et s. §§ 4.53 et s.
- 9Réplique de la République du Niger Introduction
Bénin s'efforce en effet de donner une présentation tronquée de la manière dont l'objet du
22
présent différend a été défini . La partie adverse laisse ainsi clairement entendre que c'est
n'est qu'à la suite de manipulations et de manœuvres du Niger que les parties ont demandé à la
Cour de déterminer le tracé de l'ensemble de leur frontière commune, alors que le seul point
auparavant en litige entre les parties aurait été celui de l'appartenance l'île de Lété. C'est donc,
en fin de compte, contre son propre gré que la République du Bénin se trouverait à présent
engagée dans une procédure judiciaire dont l'objet aurait été défini de manière aussi large. Le
Niger a exposé plus haut les raisons pour lesquelles cette présentation des faits était
totalement inacceptable . Il n'y reviendra donc pas ici, mais se contentera de noter que le
scénario de la "victimisation" du Bénin ne repose, en l'espèce, sur aucun élément de preuve et
est au contraire clairement contredit par des faits historiques bien établis.
Mais c'est également à l'égard de questions de fond que la partie adverse se complait à se
poser en victime, dans une tentative, sans doute, de susciter la pitié, ou à tout le moins la
sympathie, de la Cour. Cette stratégie ressort clairement de la présentation qu'offre le Bénin
des événements survenus sur l'île de Lété en 1960. Ainsi, selon la partie adverse, les incidents
en cause trouvent leur source dans le fait que les habitants de l'île avaient, dans le courant du
mois de juin 1960 "chass[é] par la force les Dahoméens de l'île de Lété, pour les empêcher de
cultiver leurs terres" . Le Bénin expose pareillement que
"[d]eux faits majeurs ont donc précédé les incidents de juin 1960 : la présence de gardes républicains
nigériens sur l'île de Lété, faisant obstacle aux activités des cultivateurs dahoméens tout en favorisant
celles des Peuhls nigériens, et l'incendie, le 2 mai 1960, du campement des cultivateurs dahoméens" .25
Et de conclure qu'
"[i]l est donc clair que, dans cette affaire, alors que la passivité des autorités nigériennes aura permis la
dégradation de la situation, les autorités dahoméennes ont constamment tenté de se rapprocher de leurs
homologues nigériennes pour amorcer la recherche d'une solution avant que des incidents graves ne
surviennent" .6
22Voy. supra, § 0.3.
23Ibid.
24
C.M./R.B., p. 6, § 0.14.
25Ibid., p. 7, § 0.17.
26Ibid., p. 8, § 0.19.
- 10Réplique de la République du Niger Introduction
Aux termes de cette présentation des faits, ce sont donc bien, indéniablement, les autorités et
les populations dahoméennes qui auraient eu à souffrir de la brutalité des habitants de Lété et
de l'indifférence —ou de la complicité— des autorités nigériennes à l'égard de ces faits.
Pourtant, lorsque l'on a égard à l'ensemble des documents de l'époque, force est de constater
que l'enchaînement des faits est tout différent et que de lourdes responsabilités pèsent sur les
différents acteurs dahoméens qui ont été impliqués dans ces incidents. Le point de départ des
événements en cause ne se situe en l'occurrence pas en 1960, mais une année plus tôt, en juin
1959. Le chef de poste de Malanville signale en effet dans son journal de poste, en date des
12-13 juin 1959, la "protestation Gaya et chef de village peulh de Lété contre les habitants de
Gouroubéri qui entreprennent des champs de culture sur l'île de Lété" . De ce compte rendu
fait par les autorités dahoméennes elles-mêmes, il ressort très clairement que ce ne sont pas
les populations nigériennes, mais bien celles du Dahomey qui sont venus troubler la situation
sur l'île en y entreprenant des cultures. De la même manière, dans une lettre adressée au chef
de subdivision de Gaya, en date du 20 juin 1959, le chef de la subdivision de Malanville
formule la demande suivante :
"Pour éviter tout nouveau malentendu pouvant éventuellement naître d'un tel fait [l'occupation, par les
peuhls nigériens, des emplacements travaillés par les gens de Gouroubéri], je vous demanderais de bien
vouloir inviter vos gardes à rappeler les Nigériens à se conformer aux mêmes conditions" .
Il apparaît ainsi on ne peut plus clairement que c'est à la demande même des autorités
dahoméennes que des gardes nigériens ont été envoyés sur l'île. Tenter par la suite, comme le
fait le Bénin dans ses écritures, de se présenter en victime de l'intervention des forces de
l'ordre nigériennes sur l'île en juin 1959 est donc pour le moins étonnant.
Soucieux d'accentuer son profil de victime innocente, le Bénin se garde d'ailleurs bien de
rappeler que ce sont les habitants de Lété qui ont, seuls, souffert des pertes irréparables à
l'occasion des événements de juin 1960, avec la mort violente de quatre habitants du village
de Lété, dont son chef et deux enfants. La partie béninoise demeure d'ailleurs tout aussi
discrète sur le fait que les auteurs dahoméens de ces quatre homicides n'ont en définitive
29
jamais été condamnés par les tribunaux du Dahomey qui s'étaient saisis de l'affaire . Il est
27
R.N., Annexes, série C, n° 178, p. 37 (verso); italiques ajoutées.
28M/R.B., Annexe n° 74.
29Voy. infra, § 4.42.
- 11Réplique de la République du Niger Introduction
vrai que le rappel de ces tristes réalités aurait quelque peu terni l'image de grande rectitude
morale que le Bénin tente de se donner…
Que ce soit à l'égard de la définition de l'objet du litige, ou des responsabilités dans les
événements survenus sur l'île de Lété en juin 1960, l'on voit donc bien que la stratégie
béninoise qui consiste à se poser en victime malheureuse des agissements du Niger est
totalement dépourvue de fondement dans les faits. Une fois encore, cette attitude témoigne de
la grande difficulté qu'éprouve visiblement la partie adverse à confronter les faits historiques
et à admettre que son comportement (ou celui de ses populations) a parfois été manifestement
moins angélique que ce qu'elle tente de faire accroire.
Sous-section B - La multiplication des affirmations péremptoires non démontrées
0.11. Dans de très nombreux passages de l'argumentation qu'il développe dans son contre-
mémoire, le Bénin lance des affirmations péremptoires qui ne sont appuyées par aucune
démonstration. La partie adverse assène ainsi de façon répétée des "vérités" présentées
comme évidentes et bien établies, alors que les affirmations en cause ne reposent en réalité sur
rien. Les exemples de pareille pratique sont multiples. Ainsi, au paragraphe 2.130 de son
contre-mémoire, la partie adverse écrit que "le critère du principal chenal navigable […] avait
délibérément été écarté par la Puissance coloniale en 1900" . Aucun document qui montrerait,
d'une part, que l'autorité coloniale ait entendu fixer une limite en juillet 1900 et, d'autre part,
que cette autorité ait alors envisagé le chenal principal comme limite pour ensuite l'écarter
délibérément n'est cependant invoqué par le Bénin à l'appui de cette assertion. Le Bénin serait
en tout état de cause bien en peine d'étayer l'affirmation susmentionnée, dès lors qu'aucun
élément du dossier ne vient confirmer le scénario que la partie adverse a échafaudé sur ce
point.
De la même façon, on trouve dans un autre passage du contre-mémoire béninois l'affirmation
selon laquelle "le lit du fleuve n'est pas stable et cette instabilité est l'une des raisons pour
lesquelles le critère du chenal navigable n'a pas été retenu par la Puissance coloniale pour
déterminer la limite entre les deux colonies" . Ici encore, aucune source n'est citée à l'appui
de la seconde partie de cette allégation. L'on peut le comprendre aisément, car la partie
30
C.M./R.B., p. 84.
31Ibid., p. 104, § 2.182.
- 12Réplique de la République du Niger Introduction
adverse se trouve évidemment dans l'impossibilité totale d'étayer cette thèse par des pièces
quelconques. Sa thèse supposerait en effet que, dès 1900 —puisque c'est à cette date, on vient
de le voir, que le Bénin fixe le moment auquel le critère du chenal principal aurait été
délibérément écarté par les autorités coloniales—, les autorités aient disposé de toutes les
informations nécessaires relatives à une prétendue instabilité du fleuve. Tel n'était
manifestement pas le cas, puisque seule la mission Hourst avait, à ce moment-là, effectué une
reconnaissance du fleuve, sans que ses relevés fassent d'ailleurs apparaître une instabilité
quelconque du cours du Niger sur le bief fluvial en cause.
De la même manière encore, le Bénin estime "exagéré" de parler d'un différend entre le
32
Dahomey et le Soudan dans la course au Niger, au début de la période coloniale , sans se
référer à aucune source pour conforter cette affirmation. Une nouvelle fois, l'assertion ne
repose sur rien. Tout au contraire, la réalité de ce conflit est rapportée par plusieurs sources
historiques incontestables, comme en témoigne par exemple le télégramme suivant du
gouverneur du Dahomey, Pascal, rapporté par le Lieutenant Cornu dans sa "Notice sur le pays
Zaberma et son occupation par le Dahomey" rédigée en décembre 1899 :
"Il est bien entendu que M. Lorho ne doit pas évacuer les postes qu'il occupe sur la rive gauche du Niger.
Nous ne connaissons pas les autorités du Soudan et n'avons pas à tenir compte de leurs injonctions.
J'espère que les Soudanais n'obligeront pas M. Lorho à faire alliance avec les Touaregs pour maintenir ses
postes contre les troupes françaises" .
Et le Lieutenant Cornu de commenter :
"C'était l'ironie répondant à la menace; les deux colonies n'en étaient pas moins en conflit" .
On voit donc bien, sur la base des documents de l'époque, qu'il n'est en rien "exagéré" de
parler d'un différend ou d'un conflit entre les deux colonies voisines dans ce contexte.
Cette utilisation récurrente d'affirmations non démontrées, dont d'autres exemples encore
pourraient être donnés, est révélatrice de la difficulté à laquelle doit faire face le Bénin
lorsqu'il s'agit de conforter ses thèses par des documents probants. En l'absence de toute pièce
de ce type dans toute une série de cas, la partie adverse n'a eu d'autre solution que de tenter un
32Ibid., pp. 23-24, § 1.26.
33R.N., Annexes, série C, n° 166, pp. 14-15.
34
Ibid., p. 15.
- 13Réplique de la République du Niger Introduction
passage en force : à défaut de pouvoir étayer ses scénarios par des documents quelconques, le
Bénin les énonce comme des vérités bien établies, alors qu'ils ne reposent en réalité sur rien.
Sous-section C - La présentation de citations tronquées ou incomplètes
0.12. A de nombreuses reprises, le contre-mémoire du Bénin reprend des citations extraites de
documents ou d'ouvrages de doctrine en les tronquant ou en les citant de manière incomplète.
La partie béninoise se livre, ce faisant, à une présentation inexacte de ces sources, en allant
parfois jusqu'à leur faire dire précisément l'inverse de ce qu'elles exposent. Ici encore, les
exemples de pareille pratique ne manquent pas. Ainsi, en vue d'étayer sa thèse selon laquelle
les missions de reconnaissance effectuées sur le fleuve ne permettent pas d'identifier le chenal
navigable, le Bénin écrit que
"le 'trait continu fin avec indication de profondeur' [qui apparaît sur les relevés de la mission Hourst] n'a
pas d'autre valeur que celle d'indiquer les profondeurs à l'endroit du passage de la mission lors de la
descente du fleuve. On voit par exemple, au nord-ouest de la zone représentée sur le premier croquis, que
le 'trait continu' en question passe au sud-ouest d'une grosse île, alors qu'il est clairement indiqué que le
bras au nord-est de l'île est le 'bras plus profond', sans précision de profondeur. Les sondages n'ont par
35
conséquent pas été systématiques" .
Le raisonnement paraît convaincant. Il l'est pourtant beaucoup moins lorsque l'on réalise que
le Bénin n'a pas reproduit dans son intégralité la mention qui figure sur la carte en cause de la
36
mission Hourst. Celle-ci se lit en l'occurrence comme suit :"Bras plus profond, cailloux" , ce
qui indique clairement que le bras du fleuve en question, même s'il était plus profond que
celui emprunté par la mission Hourst, était en fait impraticable pour la navigation. En citant
cette mention de façon incomplète, le Bénin donne donc une image totalement tronquée de la
réalité et tente de remettre en cause le raisonnement tenu par le Niger sur des bases
complètement inexactes.
Cet exemple n'est malheureusement pas isolé. Ainsi, au paragraphe 2.119 de son contre-
mémoire, le Bénin cite de la façon suivante la lettre du 3 juillet 1914 du lieutenant Sadoux :
"le Commandant du Secteur de Gaya m'[a] cité l'an dernier à ce sujet un texte qui se trouve à
35Ibid., p. 53, § 2.51.
36M.N., Annexes, série D, n° 1.
- 14Réplique de la République du Niger Introduction
Kandi mais que je ne possède pas à Gaya" . La citation est, ici encore, inexacte. Aux termes
de la lettre en question, c'est l'administrateur de Guéné (au Dahomey), et non celui de Gaya
(au Niger) qui a signalé au lieutenant Sadoux l'existence d'un texte opérant une répartition des
îles du fleuve selon le critère du principal chenal navigable. La différence, on en conviendra,
est de taille, puisque la version originale de la lettre fait apparaître que c'étaient bien les
autorités du Dahomey qui se référaient à l'existence de ce critère de délimitation et
d'attribution des îles, en le rappelant même à l'attention des autorités nigériennes.
La même stratégie est encore suivie à l'égard de citations d'ouvrages de doctrine. Ainsi, en
vue de conforter sa position selon laquelle l'utilisation du thalweg comme critère de
délimitation ne constitue pas un critère approprié, le Bénin cite un extrait du cours donné à
l'Académie de droit international par le professeur Sauser-Hall en 1953, dans lequel l'auteur
relève que le tracé du thalweg n'est "jamais établi d'une manière scientifiquement exacte" et
38
qu'il s'agit d'une ligne qu'il est "complètement impossible de […] fixer idéalement" . Le
Bénin s'abstient par contre soigneusement de relever que, sur la même page, l'auteur ne peut
que constater que
"[n]éanmoins la théorie du thalweg a reçu de nombreuses applications pratiques; elle est pour ainsi dire la
seule qui soit suivie pour la détermination des frontières fluviales en Afrique , en Asie et en
39
Amérique […]" .
L'on peut donc très légitimement se demander qui la partie béninoise espère tromper en
recourant à des procédés de ce type, dont les exemples d'utilisation dans ses dernières
40
écritures pourraient être multipliés .
Sous-section D - Le fait de faire dire au Niger ce qu'il ne dit pas, pour ensuite le contester
0.13. A de nombreuses reprises dans son contre-mémoire, le Bénin s'emploie à présenter les
positions du Niger de manière inexacte et biaisée, pour les contredire ensuite avec vigueur. Le
procédé est particulièrement désagréable, car il revient à donner une présentation tronquée des
positions du Niger, en les faisant apparaître comme particulièrement déraisonnables, alors que
37
C.M./R.B., p. 80, § 2.119.
38"L'utilisation industrielle des fleuves internationaux", R.C.A.D.I., 1953-II, vol. 83, p. 484.
39
Ibid.; italiques ajoutées.
40
Voy. encore les situations évoquées infra, aux §§ 3.49 (dernier alinéa), 3.51 (dernier alinéa) et 3.53 (dernier alinéa).
- 15Réplique de la République du Niger Introduction
cela ne correspond nullement à la réalité. Cette technique est, en particulier, utilisée de façon
répétée par le Bénin à propos de la position du Niger sur l'application de l'uti possidetis, qui
reviendrait ni plus ni moins qu'à une mise à l'écart radicale de cette règle. Ainsi, selon le
Bénin, "le Niger s'écarte totalement du principe de l'uti possidetis" ou "n'hésite pas à ignorer
le principe lorsque cela lui paraît mieux servir sa thèse" . Il en serait en particulier ainsi dès
lors que la partie nigérienne insiste sur la nécessité de prendre en compte la situation actuelle
sur le terrain, en particulier pour effectuer l'attribution des îles du fleuve. Le Niger s'inscrit en
faux contre la présentation que tente de faire le Bénin de la position nigérienne sur ce point.
La République du Niger n'a nullement "mis complètement de côté" le principe de l'uti
possidetis, comme le montre en particulier le fait qu'elle se base sur la situation qu'elle estime
être celle de 1960 pour dégager la notion de chenal navigable comme critère de délimitation
dans le fleuve, la pratique coloniale ayant précisé en ce sens la notion de cours du fleuve que
l'on retrouve dans les textes. Si, dans certains cas exceptionnels, le Niger envisage une
certaine évolution physique du fleuve et des îles à cet égard, en insistant sur la nécessité de
prendre en compte les réalités physiques actuelles, c'est pour que l'arrêt de la Cour ait une
portée effective et concrète. Comme le Niger y a déjà insisté dans ses écritures, quel serait en
effet le sens, pour la Cour, dans le cas exceptionnel où une telle situation se présenterait,
d'attribuer à l'une ou l'autre des parties une île qui aurait existé en 1960, mais qui aurait
disparu depuis lors ? Ce souci d'effectivité ne saurait être assimilé en une remise en cause du
principe de l'uti possidetis, d'autant que les évolutions physiques du fleuve et des îles depuis
43
l'indépendance se sont en fait révélées extrêmement limitées . Comme le Niger aura
l'occasion d'y revenir, c'est au contraire le Bénin qui, tout en prétendant être totalement
respectueux du principe de l'uti possidetis, prend à plusieurs reprises d'étonnantes libertés à
44
son égard en matière de preuve .
Mais la question du respect de l'uti possidetis n'est pas la seule à propos de laquelle le Bénin
présente de façon biaisée la position du Niger. On se limitera à en donner ici trois autres
exemples. Ainsi, selon la partie béninoise, le Niger prétendrait que "le fleuve Niger aurait
constitué de tout temps la limite entre les deux territoires" , alors que le Niger n'a jamais
41Ibid., p. 13, § 0.5.
42
Ibid., p. 28, § 1.38.
43Sur ce point, voy. infra, chapitres III et IV.
44Voy. supra sous-section C, § 0.12 in fine et infra, sous-section E, § 0.14.
45
C.M./R.B., p. 33, § 1.51.
- 16Réplique de la République du Niger Introduction
prétendu cela pour la période antérieure à 1900. Dans le même ordre d'idées, à en croire le
Bénin, le Niger prétendrait que le chenal navigable a été retenu comme limite intercoloniale
sur le fleuve dès 1900 ou encore que les cartes faisaient apparaître ce chenal comme limite . 47
Une fois encore, le Niger n'a jamais rien prétendu de tel et a, au contraire, exposé de manière
très détaillée que cette précision n'apparaîtra qu'ultérieurement, et de façon très progressive,
48
au fil de la pratique des autorités coloniales . De la même façon encore, au paragraphe 2.108
de son contre-mémoire, le Bénin laisse entendre que pour le Niger, les missions menées sur le
fleuve auraient pu poursuivre un objectif de délimitation. Une fois de plus, le Niger n'a jamais
soutenu semblable prétention . 49
Ces exemples pourraient être multipliés à l'envi, car il s'agit là d'une technique utilisée de
façon récurrente dans le contre-mémoire du Bénin . Cette pratique est inacceptable, car elle
revient à donner une présentation tronquée de la position du Niger en vue de la discréditer,
avec pour conséquence de nouer le débat sur de fausses bases.
Sous-section E - Le fait de donner l'impression que le Niger cherche à éviter le débat sur
certains documents qui seraient "gênants" pour lui
0.14. Dans le même ordre d'idées, le Bénin laisse fréquemment entendre que le Niger cherche
à éviter le débat sur certains documents qui seraient "gênants" pour lui. C'est, en particulier, le
51
cas pour l'arrêté du 23 juillet 1900 et la lettre du 27 août 1954 . Il s'agit, ici encore, d'un bien
mauvais procès. Le Niger n'a, dans ses précédentes écritures, jamais cherché à éviter de
débattre de l'un ou l'autre des titres que le Bénin a avancé à l'appui de ses revendications.
Ainsi, l'allégation faite au paragraphe 2.219 du contre-mémoire béninois, selon laquelle il est
"curieux" ou "étrange" que le Niger ne fasse pas mention des arrêtés de 1898 et de 1900 dans
la section du mémoire nigérien consacrée à l'exclusion de toute limite à la rive manque
46
Ibid., p. 36, § 1.59.
47
Ibid., p. 48, § 2.29.
48Pour ce qui est plus particulièrement de la question de la représentation de la limite sur les cartes de la période coloniale,
voy. également les précisions apportées infra, §§ 3.18-3.21.
49Pour plus de détails sur ce point, voy. infra, § 3.22.
50A titre d'exemple supplémentaire, le Bénin enfonce des portes ouvertes au paragraphe 2.121, où il traite du statut des
travaux de Sadoux. Le Niger n'a jamais affirmé qu'il s'agissait d'autre chose que de propositions.De même, contrairement à ce
que laisse entendre la partie adverse, le Niger n'a jamais prétendu que ce document opérait une "délimitation définitive"
(ibid.); pour plus de détails sur ce point, voy. infra, §§ 3.7 et 3.8.
51Voy. e.a. C.M./R.B., p. 35, § 1.56 in fine.
- 17Réplique de la République du Niger Introduction
totalement de fondement. Cette omission n'est ni curieuse ni étrange, dès lors que le Niger
estime que ces textes n'opèrent aucune délimitation. Il n'y avait donc aucune raison d'en traiter
sous cet angle dans ses écritures. Le Niger s'est en tout état de cause exprimé de façon
52
détaillée au sujet de ces textes dans son contre-mémoire . Il n'en va pas autrement de la lettre
du 27 août 1954.
A ce propos, le Bénin laisse pareillement entendre que le Niger conserverait un silence
embarrassé face à la "démonstration" béninoise :
"En 1954, en effet, la solution simple de l'arrêté du 23 juillet 1900 a été confirmée par les autorités du
Niger et du Dahomey : la limite entre les deux colonies a été confirmée à cette date comme étant fixée à
53
la rive gauche du fleuve. De ceci, le Niger ne dit mot" .
Cette dernière affirmation est totalement erronée. Le Niger a consacré à la lettre du 27 août
1954 de très longs développements, tant dans son mémoire que dans son contre-mémoire , 55
en montrant en particulier qu'elle ne venait aucunement confirmer une limite à la rive gauche
qui aurait été établie antérieurement, et en insistant tout particulièrement sur le fait qu'on ne
pourrait voir dans ce document l'expression d'un accord entre les autorités des deux colonies
concernées. Rien n'est donc plus inexact que de laisser entendre que le Niger chercherait à
éviter le débat sur un point quelconque de l'argumentaire béninois.
Sous-section F - La mise en cause de la pertinence de divers documents ou éléments
évoqués dans le mémoire du Niger
0.15. Dans plusieurs passages de son contre-mémoire, le Bénin met en cause la pertinence de
divers documents ou éléments exposés par le Niger dans son mémoire, au motif que ces
éléments n'auraient pas d'impact direct sur la question de la fixation de la frontière. C'est le
56
cas pour certains des textes législatifs et réglementaires , les éléments de géographie
humaine 57 et diverses cartes . Ceci donne l'impression que le Niger présente nombre
52C.M.N., pp. 49-52, §§ 2.08-2.17.
53C.M./R.B., p. 37, § 1.61; italiques ajoutées.
54M.N., pp. 111-115, §§ 2.2.67-2.2.76.
55
C.M.N., pp. 58-86.
56C.M./R.B., 29, § 1.41.
57Ibid., p. 40, § 2.6.
58Ibid., p. 45, § 2.21.
- 18Réplique de la République du Niger Introduction
d'éléments non pertinents, alors que le souci premier, du côté nigérien, a été de donner une
vision aussi complète et précise que possible de l'évolution des deux territoires en cause, par
le biais de ces différents éléments d'information. L'approche suivie par le Niger sur ce point
est évidemment tout à fait respectable, et si le Bénin a préféré se limiter à une présentation
plus succincte et "utilitaire" des textes, des cartes, ou des caractéristiques physiques ou
humaines de la région, on voit mal en quoi cela l'autorise à se poser en donneur de leçon face
au Niger qui a choisi de donner à la Cour une information plus complète et détaillée sur ces
différents points.
Sous-section G - L'utilisation d'une argumentation "à géométrie variable"
0.16. Tout en se présentant comme le gardien de l'orthodoxie sur un certain nombre de
questions —au premier rang desquelles celle de l'uti possidetis—, le Bénin n'hésite pas à
développer régulièrement une argumentation "à géométrie variable", en déniant au Niger le
droit d'utiliser divers procédés, documents ou raisonnements que le Bénin ne se prive pas
d'employer par ailleurs. Les contradictions dans lesquelles la partie béninoise se trouve prise à
cet égard ne semblent cependant pas l'émouvoir outre mesure. Le Bénin énonce ainsi d'un
côté que
"[q]uant aux cartes commentées par le Niger aux paragraphes 2.1.36 à 2.1.38 de son mémoire, il suffit
d'observer qu'elles ont été éditées ou réimprimées après les indépendances. Or, il est bien évident que,
postérieures à la date à laquelle il convient de se placer aux fins de l'application de l'uti possidetis, elles
sont dénuées de pertinence en ce qui concerne la détermination de la limite entre les deux colonies" ,
alors même que ces cartes ont été réimprimées en 1965 sur la base de cartes produites durant
la période coloniale ou ont été dressées sur la base de relevés opérés avant 1960. D'un autre
côté, le Bénin fait grand cas des matériaux récents sur lesquels il croit pouvoir baser un
certain nombre de ses conclusions :
"les cartes et croquis [remontant à la période coloniale] utilisés par le Niger pour établir ses prétentions
soulèvent de sérieuses réserves quant à leur fiabilité. Une comparaison entre ces représentations
cartographiques et les indications précises fournies par les récentes images satellites modernes et
convenablement traitées de la zone, prises récemment, révèle leurs imperfections et insuffisances" .
59Ibid., p. 51, § 2.42.
60
Ibid., p. 44, § 2.18; italiques ajoutées.
- 19Réplique de la République du Niger Introduction
L'argument de la fiabilité supérieure des cartes et relevés récents met la partie adverse
totalement en porte-à-faux par rapport à son argumentation sur l'uti possidetis.
Le Bénin ne semble pas mesurer l'ampleur des conséquences des positions qu'il défend à cet
égard, lorsqu'il expose, au paragraphe 2.46 de son contre-mémoire, que
"les cartes considérées par le Niger comme étant 'les plus fiables' […] manquent en réalité de fiabilité.
C'est ce que démontre la comparaison que l'on peut faire entre le tracé du fleuve reporté sur ces cartes et
les photographies réalisées par le satellite d'observation SPOT en 2002, qui révèle […] les erreurs
cartographiques que comportent ces cartes […]" .
A suivre cet argument, ce seraient donc toutes les cartes de la période coloniale qui devraient
être écartées des débats car elles sont, a fortiori, encore moins fiables que celles de 1955 dont
le Bénin traitait dans cet extrait. Cette position est pour le moins surprenante. Elle met encore
une fois la partie béninoise complètement en porte-à-faux par rapport à sa position sur
l'application de l'uti possidetis, puisqu'elle revient à faire primer les sources récentes sur les
sources anciennes. C'est pourtant exactement là le reproche que le Bénin adresse au Niger en
diverses occasions, par exemple à propos de l'utilisation des résultats des missions menées sur
le fleuve postérieurement à l'indépendance , alors même que le Niger n'y recourt qu'en vue
d'avérer la pérennité du chenal principal, tant au cours de la période coloniale que depuis lors.
Il est évident que l'utilisation de ces études ne constitue nullement une violation du principe
de l'uti possidetis, mais vise seulement à obtenir des informations sur la variabilité éventuelle
du chenal navigable dans le temps. Il s'agit seulement, ce faisant, de confirmer les constats
opérés précédemment (en particulier pour l'identification du principal chenal navigable), et
non de les remettre en cause sur la base d'une prétendue imprécision ou d'un manque de
fiabilité, dans une tentative de réécriture de l'histoire. En tout état de cause, à cet égard
également, le Bénin ne craint de toute évidence pas la contradiction, puisqu'il ne se prive pas
de recourir abondamment lui-même à des études (très) récentes pour mettre en cause la thèse
63
nigérienne en ce qui concerne la stabilité générale du fleuve .
On en arrive ainsi à un résultat pour le moins paradoxal. Le principe de l'uti possidetis
s'opposerait à l'utilisation par le Niger de cartes établies au début des années 1960 sur la base
61
Ibid., p. 52.
62Ibid., p. 75, § 2.106.
63
Voy. infra, sous-section H.
- 20Réplique de la République du Niger Introduction
de cartes produites ou de relevés opérés avant 1960. Il impliquerait également la mise à l'écart
d'études réalisées sur le fleuve en 1969-1970, 1998 et 2002, qui confirment toutes la pérennité
de son cours depuis le début de la période coloniale, et la stabilité générale des îles. Le
principe ne s'opposerait par contre nullement à ce que le Bénin utilise des images satellites
prises 2002 pour démontrer l'absence de fiabilité des cartes dressées au cours de la période
coloniale. Il ne ferait pas plus obstacle au recours par la partie adverse à des études réalisées
en 2003 et en 2004, en vue de démontrer une prétendue instabilité du fleuve. Enfin, y serait
parfaitement conforme la production de "sommations interpellatives" recueillies en 2003 pour
témoigner de l'état de fait qui a prévalu sur l'île de Lété durant la période coloniale. La Cour, à
n'en pas douter, appréciera l'impeccable cohérence de la position du Bénin sur ce point et le
bien-fondé de ses vibrants plaidoyers en tant que gardien —auto institué— du temple de l'uti
possidetis . Le Niger ne peut en tout cas qu'insister à cet égard sur le fait que la seule raison
pour laquelle il invoque des documents postérieurs à la date des indépendances est de
confirmer la situation qui existait sur le fleuve durant la période coloniale.
De plus, la partie adverse ne semble pas comprendre que l'application correcte du principe
implique que c'est dans l'esprit de l'époque qu'il faut se placer pour comprendre les décisions
et les positions des administrateurs coloniaux, adoptées sur la base des instruments et des
éléments dont ceux-ci disposaient à ce moment-là, quels qu'aient pu être les problèmes de
fiabilité que ces documents présentaient alors. Si rien ne s'oppose à l'utilisation des images
SPOT pour l'identification des îles qui existent aujourd'hui dans le cours du fleuve, elles sont
évidemment dépourvues de toute pertinence pour apprécier la manière dont ces îles avaient
été identifiées par les explorateurs ou les administrateurs locaux au cours de la période
coloniale. Il s'agit là d'un principe élémentaire de critique historique, dont le Bénin ne semble
manifestement guère se soucier.
Sous-section H - Le recours à des sources actuelles pour démentir des faits bien établis à
partir de sources de la période coloniale
0.17. A plusieurs reprises, le Bénin a recours à des sources actuelles pour tenter de contredire
des faits bien établis à partir de sources remontant à la période coloniale. Cela avait déjà été le
64On notera que l'application "à géométrie variable" du principe de l'uti possidetis n'est pas la seule question à l'égard de
laquelle le Bénin se réserve le droit de recourir à des arguments auxquels il dénie dans le même temps au Niger la possibilité
de se référer; pour un autre exemple, voy. e.a. infra, § 3.50.
- 21Réplique de la République du Niger Introduction
cas dans le mémoire béninois, où la partie adverse avait tenté d'attester l'administration de l'île
de Lété par les autorités de la colonie du Dahomey par le biais de témoignages recueillis en
2003, et présentés de façon abusive comme des éléments d'effectivité. Comme le Niger l'a
établi au-delà de tout doute, au moyen de pièces datant de la période coloniale, c'est au
contraire par les autorités de la colonie du Niger que l'île fut administrée de façon constante.
Le Bénin utilise la même technique dans son contre-mémoire, en s'appuyant par exemple sur
une consultation demandée en 2004 à un éminent professeur d'anthropologie béninois pour
contredire les témoignages de l'époque sur les conflits qui agitaient le Dendi à la veille de la
colonisation . S'il est sans aucun doute qualifié en tant qu'anthropologue, l'auteur de cette
consultation ne fait cependant guère preuve de qualités d'historien, car sinon il n'aurait pas
manqué de prendre connaissance des nombreux documents d'époque qui confirment la réalité
de ces conflits et contredisent directement ses thèses.
De façon plus générale, le contre-mémoire du Bénin est accompagné d'un nombre significatif
de consultations de spécialistes réalisées in tempore suspecto, aux seules fins de l'élaboration
de l'argumentation béninoise . La validité scientifique de ces documents est donc très
nettement sujette à caution, d'autant que certains d'entre eux ont été préparés par des experts
liés de très près au gouvernement béninois. C'est par exemple le cas de M. Pascal Lokovi,
auteur des "Etudes relatives aux îles du fleuve Niger dans le secteur frontalier Bénin-Niger"
de février 2004, qui a été membre de la Commission des frontières du Bénin et a participé à
ce titre à l'ensemble des travaux de la Commission paritaire mixte bénino-nigérienne de
67
délimitation des frontières . La crédibilité qu'il convient de reconnaître aux "études
scientifiques" produites par le Bénin à l'appui de ses thèses s'en voit donc très sérieusement
remise en cause. Quant aux témoignages recueillis par le Bénin pour pallier l'absence de toute
trace d'effectivités en sa faveur sur l'île de Lété, le Niger a déjà amplement démontré leur
68
totale absence de validité . A l'égard de toutes ces pratiques, il semble bien que la seule
stratégie que la partie béninoise ait été en mesure de développer pour conforter son
argumentation consiste à élaborer ou à susciter la préparation de documents qui constituent
autant de "self-serving evidence", à défaut de pouvoir s'appuyer sur des documents probants
65C.M./R.B., pp. 25-26, §§ 1.30-1.32, et annexe 33.
66
Ibid., Annexes n° 27, 28, 30, 31 et 33.
67Voy. e.a. les compte rendus des sessions de la Commission mixte (M.N., Annexes, série A, n° 19, n° 20, n° 21, n° 22, n° 28
et n° 30).
68
C.M.N., annexe II (Analyse critique des "sommations interpellatives" présentées par le Bénin), pp. 208-220.
- 22Réplique de la République du Niger Introduction
remontant à la période coloniale. Et en tout état de cause, comme le Niger l'a déjà signalé, il
restera au Bénin à expliquer comment il concilie le recours intensif à ces pratiques avec le
respect inconditionnel qu'il prétend professer pour l'uti possidetis, se basant par exemple sur
cet argument pour dénier au Niger le droit d'utiliser tout document ou carte postérieur à 1960
69
en vue de confirmer ses thèses .
Comme on le voit au travers de tous ces exemples, la stratégie du Bénin, tout au long de son
contre-mémoire, a donc consisté à donner une présentation inexacte et biaisée de toute une
série de situations de fait remontant à la période coloniale et de l'argumentation même
développée par la République du Niger. Cette déformation récurrente des réalités conduit à
présenter les termes du débat judiciaire de manière inexacte, voire à susciter auprès de la Cour
un ensemble de fausses représentations. Pareille pratique ne contribue évidemment pas à la
sérénité et à la précision des débats, que la République du Niger appelle pour sa part de ses
vœux.
*
La structure de la réplique de la République du Niger sera la suivante. Dans un premier temps,
le Niger démontrera que le titre colonial sur lequel le Bénin entend fonder sa revendication
d'une frontière à la rive gauche du fleuve Niger s'avère en fin de compte totalement
introuvable (chapitre I). La République du Niger montrera ensuite qu'aucun des éléments
développés dans le contre-mémoire du Bénin ne vient remettre en cause la thèse nigérienne
selon laquelle c'est le cours du fleuve qui a constitué la limite entre le Bénin et le Niger tout
au long de la période coloniale (chapitre II), cette notion de "cours du fleuve" ayant
graduellement été précisée par la pratique comme étant matérialisée par le chenal principal
(chapitre III). Dans le prolongement de cette argumentation, il sera démontré que le chenal
principal constitue un critère pertinent et fiable pour la répartition des îles qui sont restées les
mêmes dans le temps (chapitre IV). Comme c'était le cas pour les pièces écrites précédentes,
la dernière partie de ces écritures sera consacrée à la détermination de la frontière entre les
deux Etats dans le secteur de la Mékrou (chapitre V).
69Voy. également infra, §§ 3.78 et s.
- 23Réplique de la République du Niger Chapitre I
CHAPITRE I —
L’ INTROUVABLE « TITRE COLONIAL » DU BENIN
1.1. Après une lecture attentive du contre-mémoire de la République du Bénin, il apparaît que
la partie adverse est encore à la recherche d’un introuvable « titre colonial » pour tenter de
fonder sa réclamation d’une limite à la rive gauche du fleuve Niger.
On se rappellera que, dans son mémoire, le Bénin invoquait les titres suivants:
- le traité de protectorat passé entre l’Amirou de Karimama et la France le 21 octobre
1897 ;
- l’arrêté local du 11 août 1898 pris par le gouverneur par intérim du Dahomey divisant
les territoires du Haut-Dahomey en quatre cercles et créant le cercle du Moyen-Niger ;
- l’arrêté du gouverneur général de l’A.O.F. du 23 juillet 1900 créant un troisième
territoire militaire ;
- les arrêtés du 8 décembre 1934 et du 27 octobre 1938 portant réorganisation des
divisions territoriales de la colonie du Dahomey ; et
- la lettre n° 3722/APA du 27 août 1954 du gouverneur par intérim de la Colonie du
Niger au Chef de la subdivision de Gaya sous couvert du commandant du cercle de
70
Dosso .
1.2. Dans son contre-mémoire, le Bénin limite essentiellement les fondements de sa
revendication d’une limite à la rive gauche aux deux titres suivants :
- l’arrêté du gouverneur général de l’A.O.F. du 23 juillet 1900 ; et
- la lettre n° 3722/APA du 27 août 1954 du gouverneur par intérim du Niger . 71
1.3. La République du Niger reviendra donc dans un premier temps sur cette érosion des
fondements de la demande du Bénin (Section 1). Ensuite, le Niger démontrera que l’arrêté du
23 juillet 1900 ne peut constituer un titre au profit du Bénin car il ne procède pas à une
délimitation (Section 2). Enfin, le Niger s’attachera à montrer que la lettre n° 3722/APA du
27 août 1954 ne peut être ni déclarative d’un titre antérieur, inexistant en l’occurrence, ni
constitutive d’un titre nouveau (Section 3).
70M/R.B., pp. 116-126.
71C.M./R.B., pp. 115-131.
- 24Réplique de la République du Niger Chapitre I
Section 1 -
L’érosion des fondements de la demande du Bénin
1.4. En comparant le mémoire et le contre-mémoire de la République du Bénin, force est de
constater une érosion des fondements de la demande du Bénin, qui se traduit par l'abandon du
traité de protectorat du 21 octobre 1897 (A). Quant au fait que la partie adverse renonce à
invoquer l’arrêté local du 11 août 1898 à l'appui de sa revendication, il s'explique aisément
par le fait que cet acte ne fixe pas une limite entre le Dahomey et le troisième territoire
militaire (B).
Sous-section A - L’abandon par le Bénin du traité de protectorat du 21 octobre 1897
1.5. Dans son mémoire, la République du Bénin a invoqué le traité de protectorat conclu entre
l’Amirou de Karimama et la France en date du 21 octobre 1897 pour tenter d’étayer sa
réclamation de la frontière à la rive gauche du fleuve. Selon la partie adverse, le chef de
Karimama, qui aurait exercé son autorité sur tout le royaume dendi, disposait du pouvoir de
placer sous la protection de la France les territoires situés sur la rive gauche du fleuve Niger.
Dans son contre-mémoire, la République du Niger a réfuté cette thèse en démontrant que, du
fait des guerres fratricides incessantes au sein du pays dendi au moment de la conquête
coloniale, la France a hérité d’une région déjà morcelée. L’autorité coloniale va entériner cette
division du pays dendi en fixant la limite administrative séparant la colonie du Dahomey et
celle du Niger au cours du fleuve Niger. De ce fait, le traité de protectorat s’est retrouvé
dépourvu de tout effet juridique dès l’établissement de la domination coloniale sur la région.
Dès lors, l’argument selon lequel le Bénin disposerait d’un « titre coutumier traditionnel »
72
basé sur cette convention est dénué de tout fondement .
1.6. C'est d'ailleurs bien la conclusion à laquelle paraît être parvenu le Bénin lui-même
puisque, dans son contre-mémoire, il abandonne le traité de protectorat du 21 octobre
72C.M.N., pp. 42-45.
- 25Réplique de la République du Niger Chapitre I
1897 comme fondement à son prétendu « titre coutumier », en concluant ses développements
consacrés aux traités de protectorat dans les termes suivants:
« Quoi qu’il en soit, ces traités ne présentent plus aujourd’hui qu’un intérêt historique, la puissance
coloniale ayant, une fois installée, structuré les territoires sous son contrôle par le biais de textes de droit
interne […] » .3
1.7. Cet abandon est d’autant plus justifié que le capitaine Toutée, ayant conclu deux traités
de protectorat distincts et successifs, le premier avec le roi Aliou de Karimama, le 13 mai
1895, et le second, le 23 juin 1895, avec le « roi de Gaya-sur-Niger », Abdoulaye, souligne
dans son rapport de mission adressé au ministre des Colonies le « morcellement de l’autorité
territoriale » dans le pays dendi . En outre, il relève que Gaya est un pays indépendant . Ceci 75
confirme bien la thèse de l’absence d’unité politique entre les deux rives du fleuve défendue
76
par la République du Niger . On voit mal, dès lors, comment Karimama aurait pu prétendre à
une suprématie quelconque sur les deux rives du fleuve.
1.8. Le Niger prend acte du fait que le Bénin a abandonné purement et simplement le traité de
protectorat de 1897 comme fondement de son prétendu « titre coutumier traditionnel ». De ce
fait, la République du Niger considère le débat sur cette question comme étant clos.
Quant à l’arrêté local du 11 août 1898, force est de constater que le Bénin ne l’invoque plus à
titre principal comme titre.
73
C.M./R.B., p. 27, § 1.36.
74R.N., Annexes, série C, n° 161, p. 24.
75Colonel TOUTEE, Dahomé, Niger, Touareg. Récit de voyage, Paris, Armand Colin, 1908, p. 325. (R.N., Annexes, série E,
n° 32).
76C.M.N., pp. 24-35.
- 26Réplique de la République du Niger Chapitre I
Sous-section B - L’abandon de l'arrêté local du 11 août 1898 est pleinement justifié dès
lors que ce texte ne procède pas à une délimitation
1.9. Le fait que le Bénin fonde dorénavant sa revendication sur deux titres seulement ressort
très clairement de la manière dont il exprime ses prétentions, au paragraphe 2.218 de son
contre-mémoire :
"Comme la République du Bénin l'a clairement établi dans son mémoire, la limite à la rive gauche,
décidée dès 1900 (A), a été confirmée de façon incontestable par la lettre du 27 août 1954 (B)" .
L'arrêté du 11 août 1898, précédemment invoqué par la partie adverse sur le même pied que
l'arrêté du 23 juillet 1900 , ne trouve donc plus de place dans son argumentation. Ici aussi, cet
abandon s'explique aisément, dès lors que le texte de 1898 ne procède aucunement à une
délimitation.
1.10. Il convient de rappeler que l’arrêté local du 11 août 1898 pris par le Gouverneur par
intérim du Dahomey et dépendances divise les territoires du Haut-Dahomey en quatre cercles
et crée le cercle du Moyen-Niger. Comme la République du Niger l’a déjà exposé dans son
contre-mémoire, la France a gagné la course effrénée au fleuve contre ses rivaux dans la
région, à savoir l’Allemagne et l’Angleterre. La convention franco-britannique signée le 14
juin 1898 a consacré la prééminence française en révisant la ligne Say-Barroua pour octroyer
à la France un triangle de territoire situé entre le fleuve Niger et le thalweg du Dallol-Maouri,
c’est-à-dire la partie occidentale du triangle Say-Gomba-Argoungou. Par conséquent, les pays
djermas et le Dendi situés sous la ligne Say-Barroua passent sous l’autorité de la France.
L’arrêté du 11 août 1898 a été pris pour rattacher ces territoires acquis par la France à la
colonie du Dahomey en les divisant en quatre cercles et en créant le cercle du Moyen-Niger,
qui incorporait les pays djermas et le Dendi attribués à la France par la convention
79
susmentionnée .
1.11. En premier lieu, il importe de relever que l’arrêté du 11 août 1898 ne fixe pas une limite
administrative entre la colonie du Dahomey et le troisième territoire militaire, pour la bonne
77
C.M./R.B., p. 115.
78Voy. e.a. M/R.B., p. 119, § 5.16; p. 124, § 5.32; p. 127, § 5.45.
79
C.M.N., pp. 36-37, §§ 1.46-147.
- 27Réplique de la République du Niger Chapitre I
80
raison qu’en 1898, cette dernière entité n’avait pas encore été créée . En second lieu, il faut
ajouter que l’arrêté du 23 juillet 1900 créant le troisième territoire militaire et le décret du 20
décembre 1900, qui confirme le premier de ces actes, se substituent à l’arrêté du 11 août 1898
en cantonnant la colonie du Dahomey sur la rive droite du fleuve.
Il découle de ces développements que cet acte administratif est totalement dépourvu de
pertinence pour déterminer la frontière entre le Bénin et le Niger parce qu’il ne procède à
aucune délimitation entre la colonie du Dahomey et le troisième territoire militaire qui
n’existait d'ailleurs pas encore en 1898 . Par conséquent, l’arrêté du 11 août 1898 ne peut en
aucun cas constituer un titre pour le Bénin dans le cadre du présent litige.
1.12. Il résulte de tout ce qui précède que, contrairement à la thèse béninoise, la fixation de la
frontière entre le Dahomey et le Niger ne trouve son fondement ni dans le traité de protectorat
du 21 octobre 1897, ni dans l’arrêté du 11 août 1898.
Pas plus que ces deux derniers textes, l’arrêté du 23 juillet 1900 n’est pertinent pour
déterminer la frontière entre le Bénin et le Niger.
Section 2 -
L’arrêté du 23 juillet 1900 ne peut pas constituer un titre
dès lors qu’il ne procède pas à une délimitation
1.13. Contrairement à l’affirmation béninoise selon laquelle l’arrêté du 23 juillet 1900 fixe
une limite entre le Dahomey et le troisième territoire sur la rive gauche du fleuve, le Niger
s’emploiera d’abord à montrer que cet acte juridique ne constitue pas un titre pour le Bénin,
car il ne procède pas à une délimitation (A). Cette dernière résulte plutôt d’un processus
historique ayant abouti à fixer la limite administrative séparant les deux colonies sur le cours
du fleuve comme le confirment les arrêtés successifs de 1934 et de 1938 (B).
80
C.M.N., p. 50, § 2.10.
81C.M.N., pp. 49-50, §§ 2.08-2.11.
- 28Réplique de la République du Niger Chapitre I
Sous-section A - L’arrêté du 23 juillet 1900 ne procède pas à une délimitation
1.14. L’arrêté du 23 juillet 1900 ne peut constituer un titre pour le Bénin parce qu’il ne fixe
pas une limite interterritoriale entre le Dahomey et le troisième territoire militaire (1). De
même, le décret du 20 décembre 1900 qui confirme la constitution du troisième territoire n’est
pas un texte de délimitation (2). Cette conclusion n'est en rien infirmée par l'analyse qu'a
effectuée le professeur Luchaire du premier de ces textes, à la demande du Bénin, qui ne
s'avère guère convaincante (3).
1. L’arrêté du 23 juillet 1900 ne fixe pas une limite interterritoriale entre le Dahomey et le
troisième territoire militaire
1.15. Dans son contre-mémoire, le Bénin soutient que l’arrêté du 23 juillet 1900
«… précise en effet que le territoire du troisième territoire militaire s’étend uniquement sur les régions
« de la rive gauche du Niger ». Il indique donc expressément que la limite de ce territoire s’arrête sur la
rive gauche du fleuve. Toute autre interprétation serait contraire au sens ordinaire des termes employés
par l’arrêté de 1900 » .
Selon la République du Niger, c'est tout au contraire l'interprétation qu'en propose le Bénin
qui va à l'encontre du sens ordinaire des termes de cet arrêté. Ce texte est intitulé comme suit :
83
« Arrêté créant un troisième territoire militaire dont le chef-lieu sera établi à Zinder » .
Comme l’indique son intitulé, l’objet de cet acte administratif est de créer un troisième
territoire militaire, sans pour autant en fixer les limites :
« Il est créé un territoire militaire dont le chef-lieu sera établi à Zinder.
Ce territoire s’étendra sur les régions de la rive gauche du Niger de Say au lac Tchad qui ont été placés
84
dans la sphère d’influence française par la Convention du 14 juin 1898 » .
82
C.M./R.B., p. 117, § 2.224.
83On peut par ailleurs s’interroger sérieusement sur la validité de l'arrêté du 23 juillet 1900. En effet, cet acte fut pris par le
gouverneur général de l’A.O.F. alors que, comme le reconnaît le Bénin, lui-même (C.M./R.B., p. 16, § 1.4), la compétence
pour créer des colonies appartenait au Président de la République française, compétence qui lui était dévolue par l’article 18
du sénatus-consulte du 3 mai 1854. Ce dernier texte est resté en vigueur jusqu’en 1946. Le Bénin essaye de trouver une base
pour tenter d’asseoir la validité juridique de l’arrêté du 23 juillet 1900 en soutenant que « jusqu’à la réforme de 1904, le
gouverneur général de l’A.0.F. pouvait, sur habilitation des autorités centrales de la République, créer un territoire colonial »
(C.M./R.B., p. 16, § 1.4). Toutefois, le Bénin n’indique pas sur quel texte il se base pour fonder cette affirmation. Celle-ci est
dépourvue de fondement juridique. En effet, aucun texte colonial n’a conféré au gouverneur général de l’A.O.F. la
compétence, même par habilitation, de créer des colonies.
84M.N., Annexes, série B, n° 12.
- 29Réplique de la République du Niger Chapitre I
1.16. Il ressort des termes de cette disposition qu'elle ne définit aucune limite de la nouvelle
circonscription administrative, que ce soit au sud, au nord, à l’est ou à l’ouest. En réalité,
l’arrêté du 23 juillet 1900 crée un nouvel ensemble, défini à très grands traits, à savoir les
« régions de la rive gauche du Niger de Say au lac Tchad », englobant un très vaste espace
s’étendant de Say au lac Tchad. Autrement dit, il ne donne que des indications générales sur
son étendue.
Il importe d’ajouter qu’en 1900 le troisième territoire militaire était encore en voie de
conquête par l’autorité coloniale. Par conséquent, sa configuration était loin d’être définitive.
La République du Bénin passe sous silence ce fait important qui bat aussi en brèche sa thèse
selon laquelle l’arrêté du 23 juillet 1900 aurait fixé une limite sur la rive gauche du fleuve
Niger.
1.17. En outre, la République du Bénin prétend que la création du troisième territoire militaire
impliquait nécessairement la délimitation de son territoire :
« Avant 1900, le gouverneur général de l’A.0.F. décide de créer ex nihilo une nouvelle circonscription, le
troisième territoire militaire, dont le territoire est constitué d’anciennes portions du territoire du Dahomey.
Nécessairement, par conséquent, la création de cette nouvelle circonscription impliquait que son territoire
soit délimité. L’arrêté de 1900 en porte la trace explicite dans les termes qu’il emploie, puisqu’il indique
que le troisième territoire militaire « s’étendra sur les régions de la rive gauche du Niger de Say au Lac
85
Tchad qui ont été placés dans la sphère d’influence française par la Convention du 14 juin 1898 » » .
1.18. Dans le chapitre de son contre-mémoire consacré à la frontière dans le secteur de la
Mékrou, la République du Bénin soutient pourtant une thèse radicalement opposée au sujet du
er 86
décret du 1 mars 1919 ayant créé la colonie de la Haute-Volta, en exposant doctement qu'
87
« [i]l était fréquent que le décret créant une colonie n’indique pas ses limites exactes» .
L'argumentation développée par le Bénin sur ce point s'avère donc bien peu cohérente. En
effet, en 1900, le troisième territoire militaire est créé ex nihilo, il n’est pas du tout étonnant
qu’il soit constitué sans que des limites précises lui soient données, d’autant plus qu’il était
encore en voie de conquête par la France. En revanche, en 1919, la colonie de la Haute-Volta
est créée en regroupant des cercles préexistants, qui sont réunis dans leurs limites telles
85
C.M./R.B., p. 118, § 2.226.
86M.N., Annexes, série B, n° 34.
- 30Réplique de la République du Niger Chapitre I
qu’elles existaient à ce moment-là. Il apparaît donc clairement que la constitution d’une
nouvelle entité coloniale créée ex nihilo n’implique pas nécessairement la délimitation de son
territoire.
1.19. Par ailleurs, il est inexact d’affirmer, comme le fait le Bénin, que l’arrêté de 1900 ne
vise que les « régions de la rive gauche du Niger » . Ce texte vise en effet également la
localité de Say, qui est située sur la rive droite du fleuve. Le fait que le Bénin garde le silence
sur ce point n’est pas surprenant, puisqu’il ruine sa thèse d’une limite à la rive gauche. En
89
1900, il importe de rappeler que Say faisait partie intégrante du territoire du Dahomey . Ceci
corrobore manifestement le point de vue selon lequel l’arrêté de juillet 1900 ne fixe pas une
limite sur la rive gauche.
1.20. Il convient d’ajouter que lorsque les autorités coloniales ont voulu fixer une limite ou la
placer sur une rive, le texte qui opère la délimitation décrit explicitement la limite ou les
limites concernée(s). Tel est le cas de l’arrêté du 20 mars 1902 dont l’intitulé est « Arrêté
er e
constituant la limite entre le 1 et le 3 Territoires sur la rive gauche du Niger » :
« Article premier.- La limite entre le 1 et le 3 Territoires sur la rive gauche du Niger est constituée :
1° Par une ligne partant du point de la rive gauche du Niger en face de l’île de Firkou (carte Spick) à 20
kilomètres environ dans le S.- E. des rapides de Labbezanga et allant jusqu’à l’angle S.-O. de la mare de
Menaka. (…)
Art. 2.- Le Niger forme la limite des 1 et 3 territoires depuis l’île de Firkou au Nord jusqu’au village de
Dembou au Sud, point où le 1 territoire militaire confine au Dahomey» . 90
Il appert clairement que ce texte opère une délimitation entre le premier et le troisième
territoires militaires, contrairement à l’arrêté du 23 juillet 1900. En effet, si ce dernier acte,
qui est contemporain de celui qui vient d'être cité, avait procédé à une délimitation entre le
Dahomey et le troisième territoire militaire comme le prétend la République du Bénin, il
aurait dû décrire expressément les limites entre les deux entités coloniales voisines, à l’instar
de l’arrêté du 20 mars 1902. Or, force est de reconnaître que l’arrêté du 23 juillet 1900 ne
87C.M./R.B., p. 158, § 4.12.
88C.M./R.B., p. 117, § 2.225.
89L’article premier du décret du 17 octobre 1899 disloquant le Soudan français a rattaché le territoire de Say à la colonie du
Dahomey (M.N., Annexes, série B, n° 10). En conformité avec ce décret, le gouverneur du Dahomey et dépendances a pris
un arrêté le 20 mars 1901 pour rattacher le territoire de Say au cercle du Moyen-Niger. (M.N., Annexes, série B, n° 14).
90M.N., Annexes, série B, n° 15.
- 31Réplique de la République du Niger Chapitre I
procède aucunement à une description des limites entre le Dahomey et le troisième territoire
militaire. La comparaison entre l’arrêté du 23 juillet 1900 et celui du 20 mars 1902 montre
bien que le premier n’est pas un texte de délimitation, tandis que le second opère clairement
une délimitation entre le premier et le troisième territoires militaires . 91
Le décret du 20 décembre 1900, qui confirme l’arrêté du 23 juillet 1900, n'opère pas plus une
délimitation entre le Dahomey et le troisième territoire militaire.
2. Le décret du 20 décembre 1900 confirme l’arrêté du 23 juillet 1900 sans fixer davantage
les limites du troisième territoire militaire
1.21. Dans la suite de son argumentation, le Bénin mentionne très brièvement que l'arrêté du
23 juillet 1900 a été confirmé par le décret pris par le Président de la République française en
92
date du 20 décembre 1900 . La partie adverse ne consacre néanmoins aucun examen sérieux
à ce dernier texte. L'eût-elle fait qu'elle aurait réalisé qu'il ne pouvait qu'aller à l'encontre de sa
thèse selon laquelle l'arrêté de juillet 1900 procède à une délimitation entre le Dahomey et le
Troisième territoire militaire.
L’article premier du décret du 20 décembre 1900 dispose :
« Il est constitué entre le Niger et le Tchad un troisième territoire militaire ayant pour chef-lieu Zinder,
relevant du Gouverneur général de l’Afrique occidentale française et placé sous la direction d’un
93
commandant militaire » .
Il résulte clairement de cette disposition que le décret confirme l’arrêté du 23 juillet 1900
portant création d’un troisième territoire militaire, sans pour autant décrire les limites de cette
nouvelle entité. Contrairement à ce que tente d’insinuer le Bénin, l’arrêté n’est pas confirmé
par le décret en ce qu'il fixerait une limite à la rive gauche du fleuve. Il importe de souligner
que ce second texte ne mentionne même pas « les régions de la rive gauche du Niger » mais
détermine, à l’instar de l’arrêté du 23 juillet 1900, un vaste espace compris entre le fleuve
Niger et le lac Tchad. Il apparaît que le décret, comme l’arrêté qui l’a précédé, donnent une
91A toutes fins utiles, la République du Niger tient à souligner que ce texte de 1902 ne concerne pas les limites entre le
Dahomey et le Niger. Elle y fait référence par analogie afin de mieux cerner la portée exacte de l’arrêté du 23 juillet 1900.
92C.M./R.B., p. 117, § 2.222.
93
M.N., Annexes, série B, n° 13.
- 32Réplique de la République du Niger Chapitre I
idée très générale de l’assise territoriale de la nouvelle circonscription administrative sans
aucunement énoncer les limites de celle-ci.
1.22. Le rapport du ministre des Colonies adressé au Président de la République pour justifier
la création de la nouvelle entité mérite à cet égard d’être cité, car il infirme lui aussi la thèse
de la partie adverse selon laquelle ces textes avaient pour but de procéder à une délimitation:
« Un crédit de 550.000 francs nécessaire pour l’occupation et le ravitaillement des territoires situés entre
le Niger et le lac Tchad et comprenant les postes de Say, de Koni, Maradi, et Zinder, a été voté par le
Parlement à la date du 7 juillet 1900.
Le moment semble venu de créer dans ces régions un nouveau territoire militaire dont les principes
d’organisation devraient être mis en harmonie avec ceux qui ont présidé à la rédaction du décret du 17
94
octobre 1899, portant réorganisation de l’Afrique occidentale française » .
L’extrait de ce rapport justifiant la création d’un troisième territoire militaire appelle deux
remarques.
1.23. En premier lieu, parmi les territoires situés entre le fleuve Niger et le lac Tchad, le
rapport mentionne explicitement le poste de Say, à l’instar de l’article premier de l’arrêté du
23 juillet 1900. Il serait absurde que celui-ci et le décret du 20 décembre 1900 fixent tous les
deux une limite à la rive gauche entre les deux entités coloniales voisines en faisant partir le
troisième territoire militaire du poste de Say, situé sur la rive droite, qui était en 1900 en
territoire dahoméen.
En second lieu, après l’énumération des postes situés entre le fleuve Niger et le lac Tchad, le
rapport indique que « le moment est venu de créer dans ces régions un nouveau territoire
militaire… ». Il découle de cette formulation que le but de l’arrêté et du décret qui le confirme
est bien de créer un troisième territoire militaire. Contrairement à ce que prétend la
République du Bénin, le rapport susmentionné motivant l’approbation du décret du 20
décembre 1900 par le Président de la République française est un autre élément probant qui
montre que la fixation des limites entre le Dahomey et le troisième territoire militaire ne
constituait manifestement pas la préoccupation des autorités coloniales.
1.24. Enfin, dans la hiérarchie des actes administratifs unilatéraux, il faut souligner que le
décret prévaut sur l’arrêté. Le premier acte crée un troisième territoire militaire entre le fleuve
- 33Réplique de la République du Niger Chapitre I
Niger et le lac Tchad, sans procéder à une opération de délimitation entre cette nouvelle entité
et la colonie du Dahomey. Etant donné que le décret infirme la thèse de la République du
Bénin, il n’est pas étonnant que celle-ci se soit abstenue de lui prêter l’attention voulue. Il
n’est donc pas surprenant que le Bénin n’ait pas transmis le décret du 20 décembre 1900 au
professeur Luchaire dans le cadre de la demande de consultation dont celui-ci a été saisi par la
partie adverse.
3. Les lacunes du matériau juridique transmis au professeur Luchaire par le Bénin
conduisent ce dernier à atteindre des conclusions erronées
1.25. Afin de conforter la thèse d’une limite à la rive gauche, la République du Bénin a eu
recours aux services du professeur François Luchaire, dont l'expertise en matière de droit
constitutionnel et de droit colonial français est bien connue. L’éminent juriste expose ainsi
avoir été « consulté sur le point de savoir si des dispositions de l’arrêté signé le 11 Août 1898
par le Gouverneur du Dahomey ainsi que des dispositions signées le 23 juillet 1900 par le
Gouverneur général de l’Afrique occidentale française ont pu continuer à s’appliquer après la
publication de l’arrêté signé le 27 octobre 1938 également par le Gouverneur général de
95
l’Afrique occidentale française » .
1.26. Il convient avant toute chose de relever que cette consultation n’a d’autre valeur
probante que celle d’une « self-serving evidence » qui vise à tenter d’étayer la prétention de la
République du Bénin d’une limite fixée sur la rive gauche. Selon le professeur Luchaire,
l’arrêté de 1938, quand bien même il ne reprend pas l’expression « rive gauche », « maintient
la situation antérieure qui fixe cette limite à la rive gauche du Niger ». Rien n’indique que les
auteurs de l'arrêté de 1938 aient voulu modifier la situation antérieure, d’autant plus que,
selon le professeur Luchaire, « la limite résultant des arrêtés de 1898 et 1900 est parfaitement
conciliable sur ce point avec l’arrêté de 1938 et n’a donc pas été abrogée par ce dernier ». Une
interprétation qui placerait la limite « au fleuve Niger et non plus à sa rive gauche, risquerait
de créer un vide juridique car rien ne préciserait alors la situation juridique du fleuve lui-
94
Ibid.; italiques ajoutées.
95C.M./R.B., Annexe n° 31, p. 600.
- 34Réplique de la République du Niger Chapitre I
même ». L'auteur de la consultation conclut en soutenant que « [c]onservée [sic] comme
limite la rive gauche du Niger c’est donc au contraire éviter tout vide juridique » . 96
1.27. L’autorité académique du professeur Luchaire est établie de longue date et ne souffre ici
d’aucune contestation. Mais un consultant, quelle que fût son autorité, ne peut se prononcer
que sur la base des documents soumis à son appréciation. Or, manifestement la consultation
du professeur Luchaire repose sur une pétition de principe puisqu’il prend pour acquis que
l’arrêté du 23 juillet 1900 procède à une délimitation, ce qui n’est pas le cas, comme le Niger
l’a déjà montré dans son contre-mémoire, puis rappelé dans la présente réplique. L'auteur de
la consultation aurait probablement été d’un autre avis sur le sens de cet arrêté si le Bénin
avait mis à sa disposition le décret du 20 décembre 1900, ce qui ne paraît pas avoir été le cas.
En effet, le professeur Luchaire indique que, pour émettre son avis, quatre arrêtés seulement
lui ont été transmis :7
- l’arrêté local du 11 août 1898,
- l’arrêté du 23 juillet 1900,
- l’arrêté du 8 décembre 1934, et
- l’arrêté du 27 octobre 1938.
Il ressort de cette énumération que le décret du 20 décembre 1900 portant création d’un
troisième territoire militaire dans l’A.O.F. ne semble pas lui avoir été communiqué. De ce
fait, l'auteur de la consultation n’a pas pu tenir compte de cet acte dans son analyse.
1.28. En réalité, et contrairement à ce qu’affirme le professeur Luchaire, il n’y aucun risque
de « vide juridique » puisque le cours du fleuve constituait la limite entre les deux colonies,
même si quelques précisions paraissent nécessaires à cet égard. Le conflit qui pourrait surgir
entre l’arrêté du 23 juillet 1900 et celui de 1938 est un leurre créé par le Bénin qui fait croire
que l’arrêté de 1900 opère une délimitation. La construction de la partie adverse est la
suivante : l’arrêté du 23 juillet 1900 fixe la limite intercoloniale sur la rive gauche du fleuve
Niger ; une interprétation de l’arrêté de 1938 par un juriste respectable va dans le même sens ;
96
Ibid., pp. 601-602.
97Ibid., pp. 600-601.
- 35Réplique de la République du Niger Chapitre I
98
la lettre de 1954 qui peut être interprétée « à la lumière de l’arrêté du 23 juillet 1900 »
confirme cette limite « côté rive gauche ».
1.29. Mais chacune des séquences de ce raisonnement est inexacte. D’abord, parce que
l’arrêté du 23 juillet 1900 ne fixe pas une limite, comme la République du Niger l’a démontré
et n’a cessé de le répéter. Ensuite, parce que l’interprétation de l’arrêté de 1938 par le
professeur Luchaire est erronée, car cet acte ne permet en aucune manière de dire qu’il
accrédite l’idée d’une limite à la rive. Enfin, parce que c’est un incroyable anachronisme sur
le plan historique et un véritable illogisme juridique de prétendre, contrairement à ce que le
Bénin soutient par ailleurs, que c’est l’arrêté du 23 juillet 1900 qui a projeté sa lumière par
anticipation, sur la lettre du 27 août 1954, 54 ans avant que celle-ci fut rédigée. Faut-il
rappeler du reste que cette lettre n’établit aucun lien avec l’arrêté de 1900 qu’elle ne vise nulle
part, et qu’elle confirme d’autant moins cet arrêté qu’elle parle, elle, d’une « limite côté rive
gauche aux plus hautes eaux » et non pas des « régions de la rive gauche du Niger » comme le
dit l’arrêté du 23 juillet 1900?
1.30. Il résulte de tout ce qui précède que, contrairement à l’affirmation de la République du
Bénin, ni l’arrêté du 23 juillet 1900, ni le décret du 20 décembre 1900 ne fixent une limite
administrative séparant la colonie du Dahomey et le troisième territoire militaire. A plus forte
raison, ces textes ne placent-ils pas cette limite sur la rive gauche du fleuve. De ce fait,
l’accusation béninoise selon laquelle le Niger procède à un tour de passe-passe parce qu’il9
ne mentionne pas l’arrêté de 1900 dans les textes pertinents pour déterminer la frontière est
dénuée de tout fondement. En effet, le Niger fait une lecture radicalement différente de celle
du Bénin de l’arrêté de 1900. Ce dernier ne détermine pas une limite séparant la colonie du
Dahomey et le troisième territoire militaire. Son objet unique est de créer ce dernier.
En réalité, la délimitation entre les colonies du Dahomey et du Niger est intervenue
postérieurement à 1900 et n'a en rien retenu la fixation de la frontière à la rive gauche du
fleuve.
98
M/R.B., p. 115.
99C.M./R.B., p. 35, § 1.56.
- 36Réplique de la République du Niger Chapitre I
Sous-section B - Le processus historique de la délimitation de la frontière entre le
Dahomey et le Niger et la pratique ultérieure des parties battent en brèche la thèse
béninoise de la fixation de la limite à la rive gauche
1.31. La fixation de la limite administrative séparant la colonie du Dahomey de celle du Niger
découle d’un processus historique qu’il convient de retracer. Tout d’abord, à la suite d’
échanges de lettres, les autorités coloniales ont retenu le cours du Niger comme la ligne de
démarcation entre le Dahomey et le troisième territoire militaire après la constitution de celui-
ci (1). Ensuite, la pratique coloniale subséquente contredit la thèse béninoise de la frontière
sur la rive gauche (2). Enfin, ce n’est qu’en août 2003, que pour la première fois, la
République du Bénin a invoqué l’arrêté du 23 juillet 1900 pour tenter d’étayer sa réclamation
d’une frontière fixée à la rive gauche (3).
1. Le cours du fleuve Niger a été retenu par les autorités coloniales comme ligne de
démarcation entre le Dahomey et le troisième territoire militaire dès le début de la
colonisation
1.32. Comme la République du Niger l’a déjà exposé dans son contre-mémoire, dans leur
course de vitesse pour la possession exclusive du fleuve Niger dans leur zone d’influence, les
troupes françaises du Soudan progressant d’ouest en est, et celles du Dahomey avançant du
sud au nord ont créé des postes qui s’enchevêtraient sur les bords du fleuve. Cette dualité
d’occupation a provoqué une rivalité ayant débouché sur des frictions entre les colonies du
Dahomey et du Soudan. Monsieur Binger, directeur des affaires de l’Afrique au ministère des
Colonies, lors de son passage à Dakar en janvier 1899, trancha le conflit en prenant une
décision qui fut interprétée comme octroyant au Soudan tous les territoires situés sur la rive
gauche du fleuve . De plus, ainsi que le Niger l'a rappelé dans les pages qui précèdent,
l'arrêté du 23 juillet 1900, confirmé par le décret du 20 décembre de la même année, ont eu
pour effet d'entériner la dépossession du Dahomey de la rive gauche du fleuve Niger en le
confinant sur la rive droite.
1.33. Du fait de l’évacuation du territoire de Dosso par les troupes dahoméennes, le 7 août
101
1899 , et de l’organisation de toute la rive gauche en un cercle unique, à savoir le cercle du
100
C.M.N., pp. 37-38, §§ 1.49-1.52.
10R.N., Annexes, série C, n° 166.
- 37Réplique de la République du Niger Chapitre I
Djerma par le commandant du troisième territoire militaire , le gouverneur du Dahomey,
Liotard, ordonna à son subordonné de ne plus administrer la rive gauche :
« Je n’ai pas encore déterminé les limites du cercle du Moyen-Niger, car les renseignements me manquent
ème
sur la situation de fait qui existe depuis que le commandant du 3 territoire a compris le poste de Dosso
dans un cercle dépendant de son commandement. En attendant, et pour empêcher tout conflit
d’attribution, j’ai prié M. le capitaine Castarède de ne plus s’occuper de la rive gauche du Niger ; seul le
poste de Gaya a été maintenu » .3
La raison avancée pour le maintien provisoire du poste de Gaya au Dahomey est son utilité
pour le contrôle et la protection des caravanes Haoussas qui se rendent au Togo en traversant
le nord du Dahomey. Toutefois, il convient de rappeler que, le 1 juillet 1902, le secteur de
104
Gaya passa lui aussi sous le commandement du troisième territoire militaire .
1.34. Il convient de rappeler que le cercle du Moyen-Niger, qui est situé dans la partie
septentrionale du Dahomey, est limitrophe du troisième territoire militaire. Le fait que le
gouverneur du Dahomey relève dans sa lettre susmentionnée datée du 28 mai 1901 qu’il n’a
« pas encore déterminé les limites du cercle du Moyen-Niger » confirme clairement que
l’arrêté du 23 juillet 1900 n’opère aucune délimitation entre le Dahomey et le troisième
territoire militaire. Si ce dernier texte avait réellement fixé une limite entre les deux entités
coloniales voisines, le gouverneur du Dahomey n’aurait pas besoin de souligner qu’il n’a pas
encore déterminé les limites du cercle du Moyen-Niger qui est limitrophe du troisième
territoire militaire dans le nord du Dahomey.
1.35. Dans la même lettre, le gouverneur du Dahomey suggère de fixer la limite
administrative séparant l'entité qui relève de sa juridiction et le troisième territoire militaire au
cours du fleuve Niger :
« Mes excellentes relations qui datent de fait longtemps [sic] avec M. le lieutenant colonel Peroz feront
éviter toute complication au sujet des attributions qui nous sont dévolues réciproquement, mais il serait
bon que je fusse mis en possession d’un acte officiel déterminant les limites ouest et sud du troisième
territoire militaire.
10C.M.N., p. 38, § 1.53.
103
M.N., Annexes, série C, n° 3.
10M.N., p. 92, § 2.2.13 et C.M.N., p. 39, § 1.54.
- 38Réplique de la République du Niger Chapitre I
[…] il conviendrait de séparer nettement le 3 territoire militaire du cercle du Moyen-Niger par le cours
du fleuve, par suite Gaya, devrait être occupé par un détachement du 3è territoire» .
Cet extrait de la lettre du gouverneur du Dahomey appelle deux remarques. En premier lieu, si
comme le prétend la République du Bénin, l’arrêté du 23 juillet 1900 avait fixé une limite sur
la rive gauche, la requête du gouverneur du Dahomey demandant qu’il soit « mis en
possession d’un acte officiel déterminant les limites ouest et sud du troisième territoire
militaire » n’aurait aucun sens. Bien au contraire, c’est parce que l’arrêté du 23 juillet 1900
n’opère aucune délimitation entre le Dahomey et le troisième territoire militaire que le
gouverneur du Dahomey propose à son supérieur hiérarchique, le gouverneur général de
l’A.O.F., de prendre un acte officiel pour fixer la limite entre les deux entités coloniales
voisines.
En second lieu, dans la suite logique de sa requête demandant qu’il soit mis en possession
d’un acte officiel déterminant les limites en question, le gouverneur du Dahomey suggère de
sa propre initiative de fixer la limite au cours du fleuve et non sur la rive gauche du Niger
pour séparer nettement le cercle du Moyen-Niger du Troisième territoire militaire. Si l’arrêté
du 23 juillet 1900 avait fixé clairement la limite sur la rive gauche, il serait illogique que le
gouverneur du Dahomey suggère lui-même le cours du fleuve comme ligne de démarcation,
car l’adoption de cette proposition signifierait la diminution de la superficie du territoire sous
sa juridiction. Or, comme l’indique la République du Bénin elle-même, les administrateurs
coloniaux étaient hostiles à ce que « l’on porte atteinte à la délimitation de leur
circonscription » .106
La requête du gouverneur du Dahomey demandant l'adoption d'un acte officiel pour
déterminer les limites ouest et sud du troisième territoire militaire et sa proposition de fixer la
limite entre les deux territoires coloniaux voisins sur le cours du fleuve démentent donc de
façon cinglante la thèse défendue par le Bénin, selon laquelle l’arrêté du 23 juillet 1900 fixe
une limite à la rive gauche du fleuve Niger.
1.36. A la suite de la proposition du gouverneur du Dahomey, la lettre n°163 du ministre des
Colonies adressée au gouverneur de l’A.O.F. datée du 7 septembre 1901 et dont l’objet est la
105
M.N., Annexes, série C, n° 3; italiques ajoutées.
10C.M./R.B., p. 129, § 2.255.
- 39Réplique de la République du Niger Chapitre I
délimitation entre le troisième territoire militaire et le Dahomey fixe la limite administrative
au cours du fleuve Niger :
« Par dépêche du 7 août 1901, n°1380, vous avez bien voulu me transmettre les extraits de deux rapports
politiques dans lesquels M. le Gouverneur du Dahomey envisageait la question de la délimitation entre le
Dahomey et le 3 ème territoire militaire, et indiquait le cours du Niger comme la meilleure ligne de
démarcation, au double point de vue géographique et politique. Vous ajoutiez que cette proposition vous
semblait acceptable.
J’ai l’honneur de vous faire connaître que je partage sur ce point votre manière de voir » .
Il ressort de cette missive que la limite proposée par le gouverneur du Dahomey dans sa lettre
du 28 mai 1901 a reçu l’approbation aussi bien du gouverneur général de l’A.O.F. que du
ministre des Colonies. En tout état de cause, celui-ci ne se réfère pas à l’arrêté du 23 juillet
1900, et encore moins à la limite à la rive gauche que ce dernier texte édicterait, selon le
Bénin. En effet, si l’arrêté du 23 juillet 1900 avait placé la limite à la rive gauche, il serait
impensable que le gouverneur du Dahomey suggère de son propre chef de fixer la limite
intercoloniale dans le cours du fleuve et que cette proposition soit acceptée tant par le
gouverneur général de l’A.O.F. que par le ministre des Colonies. C’est parce que l’arrêté du
23 juillet 1900 ne définit aucune limite entre les deux territoires voisins que ces échanges de
correspondances sont intervenus en 1901 entre les autorités coloniales concernées. Ils
s’inscrivent dans la logique de la détermination d'une limite interterritoriale, comme l’indique
ème
expressément l’objet ("Délimitation entre le 3 territoire militaire et le Dahomey") de la
lettre ministérielle du 7 septembre 1901. A cet effet, le ministre des Colonies a marqué son
accord pour fixer la limite séparant les deux entités coloniales voisines au cours du fleuve, sur
la proposition du gouverneur du Dahomey. Ces échanges de lettres en 1901 pour opérer la
délimitation entre les deux territoires ayant conduit à fixer la limite dans le cours du fleuve
ruinent la thèse du Bénin, selon laquelle l’arrêté du 23 juillet 1900 fixe une limite à la rive
gauche. Il serait insensé, voire impensable que ces trois autorités coloniales s’accordent toutes
sur une solution qui irait directement à l'encontre de l’arrêté du 23 juillet 1900.
En outre, la pratique coloniale postérieure à l’adoption de l’arrêté du 23 juillet 1900 contredit
elle aussi l’argument du Bénin soutenant que cet acte fixerait une prétendue limite à la rive
gauche.
10M.N., Annexes, série C, n° 4; italiques ajoutées.
- 40Réplique de la République du Niger Chapitre I
2. La pratique coloniale subséquente contredit la thèse selon laquelle l’arrêté du 23 juillet
1900 fixerait une limite entre les colonies du Dahomey et du Niger
1.37. Comme le Niger l’a déjà exposé dans son contre-mémoire, à la suite de la décision
ministérielle du 7 septembre 1901, toute la rive gauche passa au troisième territoire
108
militaire , excluant, de ce fait, toute emprise du Dahomey sur cette dernière. Ce changement
er
fut concrétisé par la passation de commandement dans le secteur de Gaya, le 1 juillet 1902,
109
des militaires dahoméens au lieutenant Fillandriau pour le Troisième territoire militaire .
1.38. Dans son rapport sur l’état du cercle du Moyen-Niger au quatrième trimestre 1902, le
capitaine Chevalier, qui était le résident de cette entité administrative, atteste bien, à deux
reprises, que c’est le fleuve Niger qui sert de limite entre le troisième territoire militaire et le
cercle du Moyen-Niger, circonscription administrative septentrionale de la colonie du
110
Dahomey . Le lieutenant-gouverneur du Dahomey confirme cette situation en transmettant,
en date du 26 mars 1904, le rapport du capitaine Chevalier au gouverneur générale de
l'A.O.F. .11
1.39. Dans la même veine, par sa lettre n° 92 datée du 23 décembre 1903 demandant au
gouverneur du Dahomey et dépendances de prendre un acte déterminant le domicile légal des
habitants des rives du Niger afin que les autochtones paient l’impôt uniquement où ils ont leur
domicile officiel, l’administrateur du cercle de Say atteste également que c’est le fleuve
« Niger qui sépare le troisième territoire militaire du Dahomey (Cercles de Say et de
Kandi) » .112
1.40. Il importe de souligner que les deux lettres susmentionnées et le rapport du Résident du
Moyen-Niger émanent tous des autorités dahoméennes elles-mêmes. Cela mérite
indubitablement d’être relevé. Ces documents attestent tous que c’est le fleuve qui sert de
limite entre les deux entités coloniales. Aucun d'entre eux ne souligne que la limite séparant le
troisième territoire militaire et le Dahomey est constituée par la rive gauche du fleuve. Tous
ces éléments mis ensemble convergent pour corroborer la thèse du Niger, selon laquelle
l’arrêté du 23 juillet 1900 ne définit aucune limite entre les deux territoires en cause.
10C.M.N., pp. 38-39, §§ 1.53-154.
109
M.N., p. 92, § 2.2.13.
11C.M.N., p. 58, § 2.19 et Annexes, série C, n° 73.
- 41Réplique de la République du Niger Chapitre I
1.41. Un autre élément encore atteste du fait que l'arrêté du 23 juillet 1900 n'a aucunement
procédé à une délimitation, et n'a certainement pas eu pour effet de fixer la limite
intercoloniale à la rive gauche du fleuve Niger, ce qui aurait logiquement eu pour effet
d'attribuer l'ensemble des îles du bief fluvial limitrophe au Dahomey. Si tel avait été le cas, en
effet, on ne comprend guère pourquoi, tout au long de la période coloniale, il y a eu autant de
problèmes et de contestations ainsi qu’une insistance constante des autorités coloniales sur la
nécessité de régler définitivement le problème de l’attribution des îles.
1.42. Comme le Niger l’a déjà exposé dans son mémoire, le commandant du secteur de Gaya
et le commandant de cercle de Kandi sont tombés d’accord, en juin-juillet 1914, pour retenir
le cours du bras principal du fleuve, c’est-à-dire le seul qui est toujours navigable aux basses
eaux, comme la limite entre les deux colonies . Même si la République du Bénin tente de
défendre à tort que ce modus vivendi de 1914 avait un caractère provisoire , son existence et4
sa mise en œuvre pendant la période coloniale minent la thèse du Bénin selon laquelle l’arrêté
du 23 juillet 1900 a inclus clairement tout le fleuve Niger dans le territoire dahoméen en
fixant la limite à la rive gauche du fleuve . 115
1.43. Dans sa lettre n° 239 du 27 juillet 1925 examinant les propositions du Dahomey
suggérant l’échange de l’île de Lété (Niger) contre les trois îles en face de Gaya (Dahomey),
l’administrateur Crocicchia, commandant le cercle de Niamey, souligne fort justement,
qu’aucun texte fixant la limite entre les deux colonies n’a été retrouvé :
« En 1914, le Commandant de la subdivision de Guéné (…) souleva la question de l’île de Lété, à propos
des déplacements des Peulhs d’une rive à l’autre. Aucun texte fixant la frontière entre les deux colonies ne
put être découvert. Pour trancher le différend, le lieutenant Sadoux, commandant la subdivision de Gaya,
rencontrait en juillet 1914 le commandant du cercle de Kandy, M. Geay, et il fut convenu que la limite
serait le bras principal du Niger, c’est-à-dire, le seul bras navigable aux basses eaux. Les îles furent
cataloguées et l’on détermina nettement celles qui appartiennent à chacune des deux colonies. L’île de
116
Lété fut alors classée comme appartenant au Territoire » .
111Ibid.
112R.N., Annexes, série C, n° 168.
113
M.N., pp. 125-128.
114
C.M./R.B., p. 140, § 3.13.
115Voy. infra la première section du chapitre III de la présente réplique.
116M.N., Annexes, série C, n° 42; italiques ajoutées.
- 42Réplique de la République du Niger Chapitre I
Cette missive relevant l’absence d’un texte législatif ou réglementaire délimitant la frontière
entre les deux colonies riveraines est un autre élément probant très important qui infirme la
thèse du Bénin selon laquelle l’arrêté du 23 juillet 1900 fixe une limite à la rive gauche du
fleuve.
1.44. En outre, il convient de réitérer avec force que l’exercice par le territoire militaire du
Niger, puis de la colonie du Niger de compétences dans le cours du fleuve atteste également
l’exclusion de la fixation de la limite interterritoriale à la rive gauche . De même, le fait que
l’île de Lété ait été administrée effectivement par le territoire du Niger durant toute la période
coloniale contredit pareillement l’idée de limite à la rive gauche défendue à tort par la
République du Bénin . 118
1.45. C’est donc très logiquement que la limite fixée au cours du fleuve Niger dès 1901 a été
consacrée par les arrêtés successifs du 8 décembre 1934 et du 27 octobre 1938 portant
réorganisation des divisions territoriales de la colonie du Dahomey. Ces deux textes
définissent la limite entre la colonie du Dahomey et celle du Niger en termes identiques, ainsi
qu’il suit :
« Au Nord-est, par le cours du Niger jusqu’à son confluent avec la Mékrou » .
Ces deux actes confirment bien la limite au cours du fleuve qui a été déjà fixée en 1901 par le
ministre des Colonies sur la proposition du gouverneur du Dahomey ayant été approuvée par
le gouverneur général de l’A.O.F.
1.46. Par ailleurs, il importe de souligner que la référence, dans les arrêtés de 1934 et de 1938,
au confluent de la Mékrou ( cette rivière se jette dans le fleuve à partir de la rive droite et non
de la rive gauche) comme son point terminal dans le fleuve Niger est incompatible avec la
thèse selon laquelle la limite intercoloniale aurait toujours été clairement fixée à la rive
gauche par l’arrêté du 23 juillet 1900 . Cet élément est une preuve supplémentaire
démontrant que ce dernier acte ne fixe pas une limite administrative séparant le Dahomey et le
Niger sur la rive gauche. Par conséquent, l’argument du Bénin indiquant que « les arrêtés de
1934 et de 1938 pouvant être facilement interprétés conformément à l’arrêté de 1900, qui
117
M.N., pp. 102-109 et C.M.N., pp. 94-122.
11C.M.N., pp. 148-174.
119
M.N., Annexes, série B, n° 59 et n° 61; italiques ajoutées.
- 43Réplique de la République du Niger Chapitre I
permet d’en préciser les termes en fixant une limite à la rive gauche du cours du fleuve
121
Niger… » est erroné.
1.47. Dans le même ordre d’idées, il faut relever l’absence de l’arrêté du 23 juillet 1900 parmi
les visas des arrêtés de 1934 et 1938 portant réorganisation des divisions territoriales de la
colonie du Dahomey. Si comme le prétend la République du Bénin, ce premier texte avait
déterminé les limites septentrionales du Dahomey, il aurait dû figurer dans les visas des
arrêtés de 1934 et de 1938. Tel n’est pas le cas. L’absence de l’arrêté du 23 juillet 1900 dans
les visas des deux derniers textes susmentionnés est un autre élément probant qui infirme la
thèse du Bénin, selon laquelle, cet acte juridique aurait fixé la limite entre les deux territoires
voisins.
1.48. L’idée selon laquelle la limite intercoloniale aurait toujours été clairement fixée à la rive
gauche, et de ce fait, toutes les îles qui auraient relevé du Bénin est encore infirmée par une
er
lettre du gouverneur du Dahomey, datée du 1 juillet 1954, au commandant du cercle de
Kandi :
« Vous m’avez demandé par lettre du 17 juin, de vous faire connaître si l’île située en face de
l’agglomération de Gaya appartient au Niger ou aux habitants du canton de Karimama.
En fait, les arrêtés ayant délimité la frontière entre ces deux territoires sont muets sur la question. Le
texte le plus précis dispose que « la frontière du Dahomey est déterminée à partir de la frontière
122
anglaise, par le cours du Niger puis par celui de son affluent occidental la Mékrou » » .
En se fondant sur ces propos du gouverneur du Dahomey, il apparaît clairement que les textes
ayant fixé la limite entre les deux territoires en cause omettent de préciser à quel territoire les
îles appartiennent. Il confirme également, et ce point mérite d’être relevé, que l’acte le plus
précis fixe la frontière au cours du fleuve jusqu’à son confluent avec la rivière Mékrou. Bien
que le gouverneur du Dahomey n’indique pas le texte qu’il considère comme le plus précis, il
semble bien qu'il fasse allusion à l’arrêté du 27 octobre 1938 qui fixe la limite au cours du
fleuve. En tout état de cause, il importe de souligner que le gouverneur du Dahomey ne s’est
pas, ici non plus, référé à l’arrêté du 23 juillet 1900 qui, selon le Bénin, fixerait une limite sur
la rive gauche.
120
C.M.N., pp. 128-129, § 3.77-3.78.
12C.M./R.B., p. 123-124, § 2.2.36.
122
M.N., Annexes, série C, n° 57; italiques ajoutées.
- 44Réplique de la République du Niger Chapitre I
1.49. L'ensemble des éléments qui précèdent convergent donc pour confirmer que ce dernier
acte administratif ne définit pas une limite entre les deux colonies. Si tel était le cas, les
autorités coloniales du Dahomey n’auraient pas manqué d’invoquer ce texte pour prouver que
toutes les îles relevaient de leur juridiction. Par conséquent, cette lettre du gouverneur du
Dahomey constitue un nouveau démenti à la thèse défendue par le Bénin, selon laquelle,
l’arrêté du 23 juillet 1900 délimite les deux territoires en cause. Bien au contraire, cette lettre
du gouverneur du Dahomey conforte la thèse du Niger soutenant que ce dernier acte ne fixe
aucune limite entre les deux colonies et, a fortiori, ne la place pas sur la rive gauche.
1.50. Par ailleurs, il importe encore d’ajouter que la lettre de Raynier du 27 août 1954 ne se
réfère pas plus à l’arrêté du 23 juillet 1900. De même, aussi bien les nombreuses lettres
antérieures que postérieures à la missive de Raynier, émanant tant des autorités dahoméennes
que nigériennes et relatives aux limites entre les deux colonies ne mentionnent jamais l’arrêté
du 23 juillet 1900 comme fixant la frontière à la rive gauche. Bien au contraire, la lettre du
commandant de cercle de Kandi du 9 septembre 1954 123à son collègue du cercle de Dosso et
celle du gouverneur du Dahomey du 11 décembre 1954 124à son homologue du Niger, tout en
indiquant que l’arrêté du 27 octobre 1938 ne définit pas avec précision les limites des deux
territoires voisins le mentionnent explicitement comme l’acte pertinent ayant décrit la
frontière entre les deux colonies voisines. Ces deux lettres expriment le souhait de connaître
le ou les textes auxquels M. Raynier se réfère pour établir la limite interterritoriale à la ligne
des plus hautes eaux, côté rive gauche du fleuve. Il apparaît clairement que les autorités
coloniales dahoméennes ne disposent d'aucun texte fixant la frontière sur la rive gauche. Et
pour cause, puisqu'un tel texte est inexistant. Jusqu’à présent, la République du Bénin se
trouve encore à la recherche de l'introuvable « titre colonial » qui lui permettrait de fonder sa
revendication d'une limite à la rive gauche du fleuve. Par conséquent, la thèse béninoise selon
laquelle la lettre de Raynier confirmerait le titre constitué par l’arrêté de 1900 est dénuée de
tout fondement.
Il résulte de tous les éléments qui précèdent que les autorités coloniales dahoméennes n’ont
jamais soutenu que l’arrêté du 23 juillet 1900 fixait la limite intercoloniale sur la rive gauche
du fleuve.
123
M.N., Annexes, série C, n° 59.
12M.N., Annexes, série C, n° 62.
- 45Réplique de la République du Niger Chapitre I
La pratique coloniale n’est pas la seule qui infirme la lecture que fait le Bénin de l’arrêté du
23 juillet 1900 en prétendant qu'il fixe une limite à la rive gauche du Niger. Ainsi, avant la
saisine de la Cour internationale de justice, la République du Bénin n’avait jamais invoqué
celui-ci pour tenter d’étayer sa prétention d’une frontière placée sur la rive gauche.
3. Le fait que la République du Bénin n’avait jamais invoqué l’arrêté du 23 juillet 1900
comme titre avant le mois d'août 2003 confirme que ce texte n’opère pas une délimitation
1.51. A la connaissance de la République du Niger, la République du Bénin n’avait jamais
revendiqué une frontière à la rive gauche sur la base de l’arrêté du 23 juillet 1900 avant le
dépôt de son mémoire dans le cadre de la présente instance. De son accession à la
souveraineté à la fin des sessions de la commission mixte paritaire bénino-nigérienne de
délimitation de la frontière, la République du Bénin ne s’est jamais appuyée sur l’arrêté du 23
juillet 1900 pour étayer sa revendication d'une frontière à la rive gauche du fleuve. C’est dans
son mémoire, que pour la première fois, le Bénin a soutenu que la fixation de la ligne
frontière entre le Dahomey et le Niger trouvait son fondement dans l’arrêté du 23 juillet
125
1900 . Durant les six sessions ordinaires de la commission mixte paritaire bénino-
nigérienne, la République du Bénin n’a jamais invoqué l’arrêté du 23 juillet 1900 pour tenter
d’étayer sa revendication d’une frontière placée sur la rive gauche du fleuve. Bien au
contraire, le compte rendu de la deuxième session ordinaire de la commission mixte relève la
pertinence des arrêtés n° 2812 du 8 décembre 1934 et n° 3578 du 27 octobre 1938 pour la
détermination de la frontière dans les termes suivants :
« Ces textes sont importants dans la mesure où ils fixent les limites de la colonie du Dahomey faisant
frontière dans sa partie septentrionale avec la colonie du Niger » .
Par ailleurs, à la cinquième session ordinaire de la commission mixte paritaire, parmi les
textes invoqués par la République du Bénin pour tenter d’étayer sa réclamation de la limite à
la rive gauche, il faut relever l’absence notable de l’arrêté du 23 juillet 1900 . 127
1.52. En définitive, il découle de tout ce qui précède que l’objet unique de l’arrêté du 23
juillet 1900 est de créer un troisième territoire militaire s’étendant de Say jusqu’au lac Tchad.
125
M/R.B., p. 120, § 5.17.
12M.N., Annexes, série A, n° 20, p. 4; italiques ajoutées.
12M.N., Annexes, série A, n° 28, pp. 6-7.
- 46Réplique de la République du Niger Chapitre I
Le décret du 20 décembre 1900 confirme cette création en constituant un vaste territoire
englobant les régions comprises entre le fleuve et le lac Tchad sans davantage énoncer ses
limites. De ce fait, le premier comme le second de ces textes sont dépourvus de pertinence
pour délimiter la frontière entre le Dahomey et le Niger. Dans le présent différend, s’agissant
du secteur du fleuve, l’unique texte pertinent pour déterminer la frontière entre les deux Etats
est l’arrêté du 27 octobre 1938, qui fixe la limite au cours du fleuve.
Dès lors, il apparaît que la lettre 3722/APA du 27 août 1954 ne peut être ni déclarative d’un
titre, inexistant en l’occurrence, ni constitutive d’un titre nouveau pour le Bénin.
Section 3 -
La lettre n°3722/APA du 27 août 1954 ne peut être ni déclarative d’un titre,
inexistant en l’occurrence, ni constitutive d’un titre nouveau
1.53. A côté de l'arrêté du 23 juillet 1900, c'est la lettre du gouverneur par intérim de la
colonie du Niger du 27 août 1954 qui constitue l'autre pièce maîtresse de l'argumentation de la
République du Bénin. Pourtant, cette lettre ne pourrait constituer un titre susceptible de fonder
les prétentions du Bénin, et ce pour trois raisons au moins. Tout d'abord, il convient de faire
un sort à la tentative du Bénin de conférer à la lettre du 27 août 1954 le caractère d’un acte
international. Il s’agit en effet simplement d’une correspondance interne à la colonie du Niger
qui parvint par la suite aux autorités de la colonie du Dahomey à la faveur de la collaboration
entre autorités administratives coloniales (sous-section A). C’est donc en vain que le Bénin
cherche à en faire un titre ou le révélateur d’un titre : en effet, comme le Niger l’a amplement
montré dans son contre-mémoire et le rappellera dans les développements qui suivent, cette
lettre du 27 août 1954 n’est ni déclarative d’un titre au demeurant inexistant (sous-section B),
ni constitutive d’un titre nouveau (sous-section C). Il est d'ailleurs symptomatique que la
revendication du Bénin s'éloigne singulièrement du contenu de la lettre de 1954, ce qui ne fait
que confirmer qu'il ne peut trouver dans cette dernière un titre pour fonder ses prétentions
actuelles (sous-section D).
- 47Réplique de la République du Niger Chapitre I
Sous-section A - La lettre n°3722/APA du 27 août 1954 est une simple correspondance
administrative interne du gouverneur par intérim du Niger en réponse à une sollicitation
d’une autorité administrative subalterne de sa colonie
1.54. La République du Bénin croit pouvoir démontrer que la lettre du 27 août 1954 est autre
chose qu'une « lettre interne » ; il n’y a du reste aucune « contradiction » 129 entre cette
affirmation et celle selon laquelle cette lettre avait « crée la surprise tant du côté du Niger que
130
de celui du Dahomey » . Le Niger a fourni dans son contre-mémoire force arguments qui
montrent que les autorités des deux colonies étaient à ce point surprises qu’elles n’ont pas
tenu compte de cette missive dans la pratique et que, bien au contraire, les autorités de la
colonie du Dahomey, en l’occurrence le commandant de cercle de Kandi et le gouverneur du
Dahomey lui-même, ont écrit formellement pour demander le ou les textes auxquels se
référait Raynier .131
1.55. Selon le Bénin, la lettre du 27 août 1954 est « bien loin de s’inscrire dans la procédure
« interne » parce qu’elle ferait « suite à une démarche initiée par les administrateurs de la
colonie du Dahomey, relayée par le chef de subdivision de Gaya (Niger) et le commandant de
cercle de Dosso (Niger), en direction du gouverneur du Niger » . Selon la partie adverse,
c’est donc la démarche du commandant de cercle de Kandi (Dahomey) auprès du
commandant de cercle de Dosso (Niger) qui serait à l’origine de la lettre du gouverneur par
133
intérim du Niger du 27 août 1954 . Le Bénin s’appuie à cet égard sur la lettre du
commandant de cercle de Dosso à son homologue de Kandi en date du 27 octobre 1954 et sur
celle du commandant de cercle de Kandi au gouverneur du Dahomey en date du 12 novembre
1954.
1.56. A la lecture de ces correspondances et de celles qui les ont précédées ou suscitées, il
apparaît manifestement que le Bénin éprouve des problèmes avec la chronologie des
événements et semble lire de façon cursive ces documents. En effet, comme le Niger l’a
12M.N., p. 111, § 2.2.68.
129
C-M/R-B, p. 124, § 2.239.
13M.N., p. 113, § 2.2.72 cité in C.M./R.B, p. 124, § 2.239.
13Voy. C.M.N., pp. 74-82, §§ 2.70 à 2.85.
132
C.M./R.B., pp. 124-125, § 2.240.
13Ibid., p. 125, § 2.241.
- 48Réplique de la République du Niger Chapitre I
indiqué dans son contre-mémoire 134, la séquence chronologique des échanges de
correspondances entre les autorités administratives concernées est la suivante :
- le 23 juillet 1954, le chef de la subdivision de Gaya (Niger), R. Modeste, adresse au
gouverneur de la colonie du Niger, par la voie hiérarchique, en l’occurrence par
l'intermédiaire du commandant de cercle de Dosso, une lettre par laquelle il sollicite
« tous renseignements utiles sur les îles du fleuve » – et non pas sur la limite entre les
colonies du Niger et du Dahomey – « quelques contestations sans aucune gravité
135
d’ailleurs, s’étant élevées à ce sujet avec le cercle de Kandi » ;
- le 27 août 1954, le gouverneur par intérim du Niger, Raynier, fraîchement arrivée à
Niamey, répond à la lettre de son subalterne de Gaya, dans les termes déjà rappelés par
le Niger au paragraphe 2.49 de son contre-mémoire ; 136
- le 9 septembre 1954, le commandant du cercle de Kandi (Dahomey) adresse à son
homologue de Dosso (Niger) une lettre ayant pour objet les «[l]imites entre les
Territoires du Niger et du Dahomey », dans laquelle il lui indique qu’il a, « sur la
demande du Gouverneur [du Dahomey], commencé une enquête », et lui demande
d’« interroger les populations intéressées », l’arrêté général n° 3578/AP du 27 octobre
1938 « étant muet sur les limites précises » ; 137
- le 11 octobre 1954, le commandant de cercle de Kandi relance son homologue de Dosso
par une lettre n° 1249 dans laquelle il demande à ce dernier la suite réservée à sa lettre
n° 1094 du 9 septembre 1954 ;
- le 27 octobre 1954, le commandant de cercle de Dosso répond à son homologue de
Kandi en lui communiquant la lettre du gouverneur par intérim du Niger en date du 27
138
août 1954, qu’il a obtenue en « contact[ant] le Bureau Politique du Niger » , et qui ne
constitue donc en rien une réponse aux lettres du commandant de cercle de Kandi des 9
septembre et 11 octobre 1954.
13C.M.N., pp. 74-75, § 2.71.
13C.M.N., p. 65, § 2.46 et Annexes, série C, n° 120.
13C.M.N., p. 66, § 2.49.
13M.N. Annexes, séries C, n° 59.
138
M.N. Annexes, séries C, n° 61.
- 49Réplique de la République du Niger Chapitre I
1.57. Comme on peut le constater, « [i]l est donc parfaitement clair » —pour reprendre les
termes du Bénin— que ce n’est absolument pas la lettre du commandant de cercle de Kandi
qui a provoqué celle du gouverneur par intérim du Niger en date du 27 août 1954. La lettre n°
3722 constituait en fait une réponse à la lettre du chef de la subdivision de Gaya, en date du
23 juillet 1954, adressée au gouverneur du Niger. Nulle part dans cette lettre du chef de la
subdivision de Gaya, pas plus que dans la réponse du gouverneur par intérim du Niger, il n’est
fait référence à une quelconque demande du Dahomey au sujet de la détermination de la
limite entre les colonies du Niger et du Dahomey, ou de la répartition des îles du fleuve Niger.
Il est du reste significatif qu’alors que la lettre du 23 juillet 1954 qui a provoqué celle du
gouverneur par intérim du 27 août 1954 émane du chef de la subdivision de Gaya, les
correspondances du 9 septembre et du 27 octobre 1954 s’échangent entre le commandant de
cercle de Kandi et le commandant de cercle de Dosso.
1.58. Reste l’excuse présentée par le commandant de cercle de Dosso à son homologue de
Kandi pour son « appréciation erronée, qui a motivé le retard à [l’]informer » . Selon le 139
Bénin
« si la lettre avait été « interne », les autorités du Dahomey n’auraient eu aucune raison d’en réclamer la
communication et le commandant de cercle de Dosso n’aurait eu aucune raison de s’excuser du retard pris
dans sa communication » .0
1.59. La République du Niger relève d’abord qu’il est inexact de prétendre que « les autorités
du Dahomey [ont eu à] réclamer la communication » de la lettre du 27 août 1954, dès lors
qu'elles en ignoraient tout simplement l’existence. Elles n’ont réclamé cette lettre du
gouverneur par intérim du Niger, ni dans la lettre du commandant de cercle de Kandi en date
du 9 septembre 1954 où il n’en est nullement fait mention, ni dans celle du 11 octobre 1954
qui est une lettre de relance consécutive à la lettre du 9 septembre, restée sans suite plus d’un
mois après son expédition.
1.60. Quant à l’excuse que celui-ci présente à son homologue du Dahomey, il faut être peu
familier de la courtoisie des correspondances administratives pour chercher à en inférer une
signification 141qu’elle n’a nullement s’agissant d’un échange de correspondances entre deux
139
M/R.B, Annexe 68 ; et C.M./R.B., p. 125, § 2.242.
14C.M./R.B., p. 125, § 2.43.
14C.M./R.B., p. 125, § 2.43.
- 50Réplique de la République du Niger Chapitre I
administrateurs de colonies d’une même puissance coloniale. Il n’y a aucune signification
particulière ni aucune conséquence juridique à tirer de ce qu’une autorité administrative
s’excuse auprès de son collègue d’une colonie voisine de n’avoir pas donné une suite
diligente à une correspondance au sujet d’une question pour laquelle le supérieur hiérarchique
de ce dernier – en l’occurrence le gouverneur du Dahomey – attendait des éléments de
réponse. Quoi de plus normal, en effet, pour un administrateur de s’excuser de son silence de
plus d’un mois, qui n’a été rompu que par une lettre de relance de son collègue ? Il est donc
manifeste que la lettre n° 3722 du 27 août 1954 est une correspondance purement interne d’un
gouverneur par intérim en réponse à une sollicitation exprimée par son subalterne – le chef de
la subdivision de Gaya – dans le cadre de l’administration de son territoire de
commandement, et que son supérieur hiérarchique – le commandant de cercle de Dosso – a
bien voulu communiquer à son homologue de la colonie voisine du Dahomey car elle
semblait trancher avec autorité la question de la répartition des îles du fleuve.
1.61. La deuxième lettre sur laquelle s’appuie le Bénin pour contester le caractère « interne »
de la lettre de Raynier émane du commandant de cercle de Kandi à l’adresse du gouverneur
du Dahomey et est datée du 12 novembre 1954. Là encore, le Bénin fait fi de la séquence
chronologique et s’évertue à donner à la teneur de la lettre un sens qu’elle n’a pas. Sur le plan
chronologique, cette lettre fait suite à celle du gouverneur du Dahomey par laquelle il avait
demandé au commandant de cercle de Kandi d’entreprendre « une enquête » sur
l’appartenance des îles du fleuve Niger —et non pas sur la limite entre les Territoires des
deux colonies, ni de saisir les autorités du Niger à cette fin. Par sa lettre du 12 novembre
1954, le commandant de cercle de Kandi lui rend donc compte des résultats de ses
investigations et lui communique la lettre de Raynier qu’il a obtenue du commandant de
cercle de Dosso, lequel la tient lui-même du Bureau politique de la colonie du Niger.
Le commandant de cercle de Dosso ne dit à aucun moment à son homologue du Dahomey
qu’à la suite de sa demande, il a saisi le gouverneur du Niger qui a répondu par la lettre du 27
août 1954. C’eût été un anachronisme car en septembre 1954 —date à laquelle il a été saisi
par le commandant de cercle de Kandi—, cette lettre d’août 1954 existait déjà.
1.62. L’inattention de la partie adverse est du reste attestée par le paragraphe 2.245 de son
contre-mémoire, où ce qu’elle présente comme une reconstitution de la « procédure suivie au
Niger pour répondre aux autorités du Dahomey » confirme bien que la lettre du 27 août 1954
fut une réponse à « une démarche » « entrepris(e) » par le « chef de subdivision de Gaya »
- 51Réplique de la République du Niger Chapitre I
« en direction du gouverneur du Niger par l’entremise du commandant de cercle de
Dosso » . La conclusion que le Bénin tire de ceci au paragraphe 2.246 de son contre-
mémoire, à savoir que la correspondance du chef de subdivision de Gaya du 23 juillet 1954 et
celle par laquelle Raynier lui répond le 27 août 1954 « établissent que c’est bien à l’initiative
des autorités coloniales du Dahomey que leurs homologues nigériens ont interrogé le
gouverneur du Niger », est tout simplement surréaliste : elle est sans rapport aucun avec la
teneur de ces correspondances. La lettre du 27 août 1954 fut une réaction à une demande
formulée par le chef de subdivision de Gaya, R. Modeste, et toutes les correspondances qui
l’entourent le confirment, tant dans leurs intitulés que dans leur substance.
1.63. Au-delà de cette question particulière, l’ambiguïté juridique qui caractérisait l’attitude
du Bénin vis-à-vis de cette lettre dans son mémoire, et que le Niger avait déjà relevé dans ses
143
précédentes écritures persiste dans le contre-mémoire de la partie adverse. En effet, selon le
Bénin, la lettre n° 3722/APA du 27 août 1954 constate et reconnaît « que la frontière entre la
144
colonie du Niger et la colonie du Dahomey est la rive gauche du fleuve » . De ce constat, la
partie adverse affirme :
« Cette reconnaissance de la frontière à la rive gauche du fleuve constitue un titre pour la République du
Bénin. Au surplus, ce dernier titre, qui pourrait, de toutes manières, se suffire à lui-même, n’est qu’un
acte déclaratoire de la situation établie par l’interprétation combinée des titres antérieurs que sont les
arrêtés de 1938, de 1900 et de 1898 » .
Comme on le voit, le Bénin s’empêtre dans la contradiction. Manifestement, il ne sait pas à
quoi s’en tenir s’agissant de cette lettre du 27 août 1954 : celle-ci ne peut être à la fois un
« titre » qui se suffit à lui-même et un « acte déclaratoire » d’une situation établie par des
«titres antérieurs ». En naviguant entre ces deux eaux le Bénin va assurément à la dérive, et il
y serait allé en tout état de cause quelle que fût la branche de l’alternative qu’il aurait pu
choisir, comme le Niger va le montrer maintenant.
142
C.M./R.B, p. 126, § 2.245.
14C.M.N, p. 47, § 2.02.
144
C.M/R.B, p. 130, § 2.258.
145
Ibid., p. 130 § 2.259.
- 52Réplique de la République du Niger Chapitre I
Sous-section B - La lettre n° 3722/APA du 27 août 1954 ne peut être un acte déclaratoire,
car elle ne confirme aucun titre préexistant
1.64. Le Bénin voit dans la conclusion que le Niger tire de l’analyse des dispositions
législatives et réglementaires applicables aux limites dans le secteur du fleuve ce qu’il appelle
un peu facilement
« un tour de passe-passe [qui] néglige les éléments essentiels des textes adoptés au début du XXème siècle,
dont le principal, l’arrêté du 23 juillet 1900, est totalement passé sous silence par la Partie nigérienne » .
1.65. Avant toute chose, le Niger voudrait souligner combien il peut être difficile de débattre
avec une partie à un procès qui lit de façon aussi superficielle et distraite les écritures de la
partie adverse. A propos de l’arrêté du 23 juillet 1900, le Niger se contentera de renvoyer le
Bénin au paragraphe 1.2.37 de son mémoire, intitulé « La création d’un troisième territoire
er
militaire en AOF », qui commence par une citation de l’article 1 de cet arrêté, et se poursuit
147
par une référence au décret du 20 décembre 1900 faisant suite à l’arrêté du 23 juillet . Le
Niger fait à nouveau un sort à cet arrêté du 23 juillet 1900 aux paragraphes 2.12 à 2.16 de son
contre-mémoire . On est donc bien loin d'un "silence total" du Niger sur ce point, et il est
regrettable que les écritures du Bénin fourmillent de ce genre d’accusations, faites avec tant
de légèreté.
1.66. Comme le Niger l’a amplement montré dans son contre-mémoire et dans le présent
chapitre de sa réplique, l’arrêté en question ne fixe pas la limite du troisième territoire
149
militaire, mais donne seulement des indications sur son étendue territoriale . Or, c’est le titre
par excellence dont se prévaut le Bénin pour revendiquer une frontière à la rive gauche du
fleuve. Les arrêtés de 1934 et 1938 ne l’auraient même pas confirmé ou étayé puisqu’ils sont,
de l’avis du Bénin, moins précis, parlant seulement de la limite sur le cours du fleuve Niger,
sans aucune référence à sa rive gauche. C’est la lettre du 27 août 1954 du gouverneur par
intérim qui rétablirait le lien avec ce texte du début du XX ème siècle ; en effet, cette lettre est,
selon le Bénin, à la fois confirmative et déclaratoire de cet arrêté puisqu’elle informe le chef
146C.M./R.B., p. 35, § 1.56.
147M.N., p. 48.
148
C.M.N., pp. 52-53, §§ 2.12 à 2.16.
149C.M.N., pp. 51 et s., §§ 2.12 et s. et supra, § 1.13 et s.
- 53Réplique de la République du Niger Chapitre I
de subdivision de Gaya, qui l’a provoquée, que la limite entre les deux Territoires est
constituée par la ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche du fleuve.
1.67. Mais ce lien établi par-dessus 54 ans d’histoire et de pratique administrative coloniale
est totalement artificiel et ne résiste pas le moins du monde à l’examen.
- Premièrement, la lettre du 27 août 1954 ne fait aucune référence, même allusive, à
l’arrêté du 23 juillet 1900 ; c’est sans nul doute parce que, à part le Bénin aujourd’hui,
aucune autorité coloniale de quelque rang que ce soit n’a jamais considéré que ce texte
fixait une limite, interterritoriale ou non.
- Deuxièmement, il n’y a aucune coïncidence entre la lettre de 1954 et l’arrêté de 1900
sur la manière de se référer à la rive gauche du fleuve Niger : l’arrêté du 23 juillet 1900
vise, comme on l’a vu « les régions de la rive gauche du Niger », alors que la lettre du
27 août 1954 parle de « la ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche du fleuve… » ;
par conséquent, l’arrêté renvoie à une aire géographique, cependant que la lettre indique
une limite, voire un tracé, somme toute techniquement très imprécis, comme le Niger
l’a montré dans son contre-mémoire . 150
- Troisièmement, l’arrêté de 1900 renvoie à un territoire aux contours imprécis alors que
la lettre de 1954 indique une limite à partir d’un point précis qui s’appelle Bandofay.
1.68. L’abondante documentation produite par le Niger pour étayer une pratique
administrative postérieure à 1900 et relative à la détermination de la limite entre les colonies
du Niger et du Dahomey ne trouve pas grâce aux yeux du Bénin. Et pour cause : non
seulement cette pratique administrative fait ce que ne fait pas l’arrêté du 23 juillet 1900 dans
la mesure où elle détermine la limite intercoloniale, mais encore elle infirme la conclusion
artificielle que le Bénin voudrait tirer de cet arrêté, à savoir la fixation de la limite sur la rive
gauche du fleuve. La pratique administrative qui confirme la thèse nigérienne sur une longue
période ininterrompue, jusqu’à la lettre du 27 août 1954 réduit donc à néant l’introuvable
« titre » du 23 juillet 1900.
15C.M.N., p. 87, § 3.1.
- 54Réplique de la République du Niger Chapitre I
1.69. Le Bénin s’en rend compte, et critique la position du Niger au motif que la « Partie
nigérienne n’est pas cohérente dans la hiérarchie des textes applicables » , parce qu’elle
« part de documents de moindre valeur juridique […] pour arriver aux arrêtés de 1934 et 1938 qui
152
n’auraient fait que consacrer ce qui avait déjà été décidé dans ces documents » .
1.70. La République du Niger confirme que les arrêtés de 1934 et 1938 consacrent une
pratique administrative établie à l’initiative du Dahomey (lettre du gouverneur du Dahomey
du 28 mai 1901) et fixée par la lettre n° 163 du ministre des Colonies au gouverneur général
de l’A.O.F. en date du 7 septembre 1901 dont l’objet était expressément la « délimitation
entre le Territoire militaire et le Dahomey », qui donnait la limite entre les deux Territoires
coloniaux sur le cours du fleuve Niger. La critique béninoise sur la valeur juridique des
documents étayant cette pratique administrative par rapport à l’arrêté du 23 juillet 1900
procède d’un raisonnement dont les prémices sont fausses : dans la mesure où l’arrêté du 23
juillet 1900 ne procède pas à la détermination de la limite entre le Territoire militaire et la
colonie du Dahomey, les documents administratifs subséquents, quelle que soit leur nature
juridique, n’entrent pas en opposition ou en contradiction avec lui ; ils pallient l’absence d’un
texte législatif ou réglementaire. Ils ne modifient ni n’abrogent les dispositions de l’arrêté,
celui-ci n’ayant pas le même objet ; ils le complètent en pratique. Il ne se pose donc ici
aucune question de parallélisme des formes, ni de hiérarchie des normes. Dans son contre-
mémoire, le Niger part d’ailleurs de l’arrêté du 23 juillet 1900 pour montrer qu’il fut aussitôt
153
complété, en terme de limites, par la lettre du 7 septembre 1901 . Autrement dit, la partie
nigérienne n’ignore pas l’arrêté, ne lui oppose pas la lettre en question ni les autres documents
subséquents qu’elle analyse, mais montre que le mutisme dudit arrêté sur les questions de
limite a été comblé par la pratique de l’administration coloniale. C’est donc en vain que le
Bénin tente de sauver sa thèse du caractère déclaratoire de la lettre du 27 août 1954 en
154
reprochant au Niger de procéder « à un renversement critiquable des données juridiques » .
Le Niger ne peut renverser ce qui n’existe pas.
171. Le Bénin n’est pas dupe de l’inconsistance de cette thèse du caractère déclaratoire de la
lettre du 27 août 1954. Alors il persiste dans le flou, en se disant sans doute que si la thèse de
15C.M./R.B, p. 34, § 1.55.
15Ibid., p. 35, § 1.57.
15C.M.N, p. 52, § 2.16.
154
C.M./R.B., p. 35, § 1.57
- 55Réplique de la République du Niger Chapitre I
l’acte déclaratoire ne triomphe pas, il se pourrait bien que celle de la lettre en tant qu'acte
constitutif d’un titre autonome ait quelque chance de tenir. Seulement, elle ne tient pas
davantage.
Sous-section C - La lettre n° 3722/APA du 27 août 1954 n’est pas constitutive d’un titre
autonome
1.72. Selon le Bénin, le Niger fait preuve «d’un formalisme excessif » en s’attardant
« sur le régime applicable à la création des colonies et de leur subdivisions sans s’interroger sur les règles
de compétence applicables à la fixation des limites territoriales des circonscriptions administratives
155
coloniales » .
Ce disant, le Bénin opère une distinction entre compétence en matière de création de colonie
et compétence en matière de délimitation.
1.73. Le Niger a amplement exposé dans le premier chapitre de son mémoire, sur la base
d’une analyse détaillée, les compétences des autorités coloniales en matière de création des
156
colonies et de leurs subdivisions . Quant aux compétences en matière de fixation des limites
territoriales des colonies et des différentes circonscriptions administratives, il convient de
distinguer deux situations.
1.74. En premier lieu, la compétence des autorités centrales en matière de fixation des limites
entre les colonies. Le Bénin fait à cet égard des anachronismes en brouillant la séquence
chronologique, ce qui l’amène à des conclusions erronées. En effet, dans son mémoire, la
partie adverse rappelle la distribution des compétences en la matière sous la Troisième
157
République (1875-1940), puis sous la Quatrième République (1946-1958) . Elle revient
ensuite successivement à l’exemple du rattachement de certains territoires de la colonie de
Haute-Volta à celle du Niger par le décret du 28 décembre 1926 , et au décret du 18 octobre
1904 portant réorganisation du gouvernement de l’A.O.F. , comme si les compétences
dévolues au gouverneur général de l’A.O.F. en vertu de ce décret découlaient de la
155
Ibid., p. 15, § 1.3.
15M.N., pp. 18-34.
15M/R.B, p. 79, § 3.37.
158
Ibid., p. 80, § 3.39.
15Ibid,. p. 80, § 3.40.
- 56Réplique de la République du Niger Chapitre I
Constitution française du 27 octobre 1946. C’est évidemment historiquement inexact et
juridiquement inacceptable.
1.75. Selon le Bénin, la compétence du Président de la République sous la Troisième
République, puis du Parlement sous la Quatrième République « se limitait toutefois à la
simple fixation des règles générales entourant la création, le nom et l’étendue des
160
colonies » . D’où la nécessité de « l’intervention d’autorités administratives de rang inférieur
161
afin de préciser les délimitations concernées » . Le texte de base en la matière est le décret
du 18 octobre 1904, tel qu’il a été interprété par la circulaire n° 114 C du 3 novembre 1912,
que le Bénin analyse de la façon suivante :
« Les règles de compétence qui y étaient fixées, seulement « sommairement » d’après les termes même
employés par le gouverneur général obéissaient à la règle générale suivante : le degré de précision du
texte à adopter commandait le niveau hiérarchique de l’autorité compétente. Plus, ce degré était élevé,
162
moins le niveau hiérarchique l’était » .
Le propos ne manque pas de hardiesse ; mais il est d’autant plus spéculatif que le Bénin
n’indique pas d’où il tire cette « règle générale » que ne consacre aucun texte du droit colonial
et que n’accrédite aucune source doctrinale de l’époque.
1.76. Le Bénin poursuit suivant la même méthode dans son contre-mémoire, en écrivant que
si «[l]a création des colonies du Dahomey en 1894 et du Niger en 1922, tout comme d’ailleurs
la création de l’AOF en 1895, a ainsi résulté des décrets présidentiels » pris sur le fondement
de la Constitution de la Troisième République,
« jusqu’à la réforme de 1904, le gouverneur général de l’AOF pouvait, sur habilitation des autorités
centrales de la République, créer un territoire colonial. Sa décision était par la suite confirmée par décret
du Président de la République. Tel fut le cas de l’arrêté du 23 juillet 1900, confirmé par décret du 20
décembre 1900 » .163
Là aussi, on ne trouve dans les écritures béninoises aucune indication sur l’origine de cette
règle d’habilitation.
160M/R.B, p. 79, § 3.38.
161
Ibid.
162
Ibid.
163C.M./R.B., p. 16, § 1.4.
- 57Réplique de la République du Niger Chapitre I
1.77. La distinction que le Bénin essaie d’établir entre compétence en matière de création de
colonies et compétence en matière de fixation des limites interterritoriales est purement
artificielle. On cherchera en vain un texte de la période coloniale ayant pour objet spécifique
la détermination des compétences en matière de fixations desdites limites. A la vérité, le
pouvoir de créer la colonie emportait le pouvoir implicite d’en fixer l’étendue globale d’où
l’on pouvait inférer des limites plus ou moins précises selon le cas. C’est ce qui ressort de la
pratique. Ainsi, le décret du Président de la République française du 20 décembre 1900, pris
conformément à la Constitution de la Troisième République, créait « entre le [fleuve] Niger et
164
le Tchad, un troisième territoire militaire ayant pour chef-lieu Zinder » . Pareillement, le
er
décret présidentiel du 1 mars 1919 créant la colonie de la Haute-Volta énumérait en son
er 165
article 1 les cercles formant cette colonie . Les limites de la nouvelle colonie avec la
colonie du Haut-Sénégal et Niger, dont elle était détachée, n’étaient pas fixées expressément
par le décret; elles résultaient implicitement des textes antérieurs fixant les limites des cercles
limitrophes.
1.78. Comme le Niger l’a relevé dans son mémoire , à partir de 1946, la compétence en
matière de création des colonies, et donc implicitement de détermination de leurs limites
appartient au Parlement en vertu de la Constitution de la Quatrième République. C’est ainsi
que le rétablissement de la colonie de la Haute-Volta, supprimée en 1932, se fera par la loi
167
n°47-1707 du 4 septembre 1947 . L’organisation interne des colonies, notamment la création
des cercles dont la détermination des limites de ceux qui sont limitrophes d’une autre colonie
permet indirectement de préciser les limites intercoloniales, relève des autorités coloniales, en
l’occurrence du gouverneur général de l'A.O.F.
1.79. En second lieu, s’agissant précisément des compétences des autorités coloniales en
matière de fixation des limites, il importe de souligner qu’elles sont soit explicites, soit,
comme pour les autorités de la métropole, implicites dans leurs compétences en matière de
création des circonscriptions administratives. Entre la création du troisième territoire en 1900
et le décret du 18 octobre 1904 portant réorganisation du gouvernement général de l’A.O.F.,
aucun texte particulier ne fixait les compétences des autorités coloniales en matière de
164
M.N., Annexes, série B, n° 13.
16Ibid., Annexes, série B, n° 34.
16Ibid., pp. 25-26 ; §§ 1.1..20 à 1.1..25.
167
M.N., Annexes, série B, n° 66.
- 58Réplique de la République du Niger Chapitre I
déterminations des limites interterritoriales. C’est ce qui explique qu'en 1901, le gouverneur
général de l’A.O.F. en réfère au ministre des Colonies lorsqu'il s'agit d'établir la délimitation
168
entre le Troisième Territoire militaire et le Dahomey .
1.80. Mais, comme la République du Niger l’a exposé dans son contre-mémoire, 169à partir du
décret organique du 18 octobre 1904, c’est le gouverneur général qui, en vertu de l’article 5
dudit décret,
« détermine en conseil de gouvernement et sur proposition des lieutenants-gouverneurs intéressés les
circonscriptions administratives dans chacune des colonies de l’A.O.F » .0
Le Niger a montré dans son contre-mémoire que, conformément à la circulaire n° 24 de
janvier 1905, les gouverneurs des colonies ne pouvaient apporter « aucune modification […] à
la législation en vigueur sans un arrêté signé par [le gouverneur général] ». Il leur appartenait
par ailleurs « d’arrêter toutes les mesures d’application et de détail que comporte la mise en
pratique des actes du Gouvernement général » ; encore fallait-il que ces gouverneurs (ou
lieutenants-gouverneurs) des colonies eussent à mettre en œuvre de tels actes en matière de
détermination des limites interterritoriales ou même des circonscriptions et subdivisions
administratives.
1.81. La République du Niger a également montré que la circulaire n° 114 c du 3 novembre
1912 du gouverneur général de l’A.O.F., qui était relative à la « Forme à donner aux actes
portant organisation des circonscriptions et subdivisions administratives », et qui était bien
plus précise en la matière que la circulaire de 1905, exigeait que
« toute mesure intéressant la circonscription administrative, l’unité territoriale proprement dite, c’est-à-
dire affectant le cercle, soit dans son existence (créations ou suppressions), soit dans son étendue, soit
dans sa dénomination, soit dans l’emplacement de son chef-lieu »,
168Ibid., Annexes, série C, n° 4.
169C.M.N., pp. 67-68, §§ 2.52 à 2.53.
170
M.N., Annexes, série B, n° 18.
171C.M.N., Annexes, série B, n° 75.
- 59Réplique de la République du Niger Chapitre I
soit « sanctionnée par un arrêté pris en Conseil de Gouvernement (ou, s’il y a urgence, en
commission permanente) sous réserve de ratification ultérieure » . La circulaire précise
d’ailleurs que dans « la pratique », le décret du 18 octobre 1904
« a été interprété de façon générale comme réservant au Gouverneur général le droit de fixer par arrêté
pris en Conseil de Gouvernement (ou en Commission permanente), le nombre ou l’étendue des
173
cercles… » .
C’est bien en vertu de ce décret organique de 1904 et de sa circulaire interprétative de 1912
que seront pris l’arrêté du 8 décembre 1934 par le gouverneur général Brevié, et celui du 27
octobre 1938 par son successeur, le gouverneur général Geismar, portant tous deux
réorganisation de la colonie du Dahomey. En fixant les limites du cercle de Kandi, limitrophe
avec la colonie du Niger, ces textes fixent également, indirectement ou par « implication », la
limite intercoloniale entre le Niger et le Dahomey sur le cours du fleuve Niger.
1.82. Ce sont tous ces textes de niveaux différents dans la hiérarchie des normes juridiques
coloniales, relatifs à la détermination des compétences des autorités coloniales en matière de
création et d’organisation des circonscriptions administratives coloniales, – et rien d’autre –
qui contiennent les compétences implicites desdites autorités en matière de détermination, soit
des limites interterritoriales (Président de la République, puis Parlement à partir de 1946), soit
des limites des circonscriptions et subdivisions administratives (gouverneur général de
l’A.O.F., et gouverneurs des colonies suivant une procédure bien précise). Il n’existait donc
pas de textes spécifiques attributifs de compétence en matière de fixation des limites. Le
Bénin lui-même n’en présente aucun. Au contraire, il partage l’analyse de la République du
Niger quand il écrit :
« […] le Président de la République sous la Troisième République, puis le Parlement sous la Quatrième
République, avaient compétence pour créer une colonie et donc, par implication, pour en fixer les limites
174
à l’intérieur des colonies et en fixer également les limites générales… » .
1.83. Quant aux compétences des « autorités locales » en la matière, il convient de relever :
17M.N., Annexes, série B, n° 31.
17Ibid.
174
C.M./R.B., p. 19, § 1.15.
- 60Réplique de la République du Niger Chapitre I
- que ces autorités n’avaient pas de compétences propres ou autonomes à ce sujet. Les
175
gouverneurs des colonies n’agissaient en la matière qu’en cas de besoin, « le cas échéant »
suivant la propre expression du Bénin ;
- qu’en tout état de cause, l’exercice par les autorités locales de leurs compétences en la
176
matière était, comme le Niger l’a exposé dans son contre-mémoire , strictement encadré par
certaines règles de procédure dont le non respect entraînait nécessairement l’invalidité de
leurs actes quand on considère la fermeté de l’énoncé de ces exigences procédurales
contenues dans la circulaire de 1912. A propos du « nombre des cercles » et de l’étendue
« globale de chacun d’eux […] », celle-ci prescrit ainsi à l’adresse des gouverneurs des
colonies :
« il vous appartient de préciser par des arrêtés dont je me réserve l’approbation, les limites
topographiques exactes et détaillées de chacune de ces circonscriptions » .7
En somme, la distinction opérée par le Bénin entre compétences en matière de création des
colonies ou des circonscriptions administratives et compétences pour la fixation de leurs
limites est dépourvue de tout fondement au regard du droit colonial et ne trouve aucun appui
dans la pratique des autorités coloniales . 178
1.84. A vrai dire, l’argumentation du Bénin fondée sur cette distinction vise de toute évidence
à conforter la théorie d’un pouvoir créateur de la lettre du 27 août 1954. Le Niger a largement
montré dans son contre-mémoire qu’une telle théorie est totalement infondée. D’une part,
parce que la lettre en question est contraire au droit positif de l’époque : le gouverneur de
179
colonie n’avait pas compétence pour déterminer ou modifier les limites d’une colonie .
180
D’autre part, parce qu’elle n’a pas été prise en compte par l’administration coloniale . Sur ce
second point, le Bénin écrit dans son contre-mémoire que la « prétendue surprise » que la
175
Ibid.
176
C.M.N., pp. 70-74, §§ 2.59 à 2.69.
177M.N., Annexes, série B, n° 31.
178Dans son mémoire, (p. 81, § 3.42), le Bénin prétend que « la souplesse et la décentralisation des procédures de
délimitation paraissaient indispensables » pour deux raisons principales. D’une part, « les changements de délimitation
étaient très fréquents, puisque le colonisateur français devait ajuster ces délimitations à ses nouvelles conquêtes » : ceci est
vrai en 1912, mais pas en 1954, les conquêtes coloniales étant terminées depuis longtemps à cette date. D’autre part,
l’imprécision de « la plupart des arrêtés et projets d’arrêtés modifiant les limites des cercles ou des subdivisions », selon les
termes d’une circulaire n° 93 CM2 en date du 4 février 1930 : relativement à la lettre de 1954 cet argument ne saurait
prospérer d’autant plus que le gouverneur par intérim du Niger n’a jamais prétendu qu’il a précisé quelque texte que ce soit.
179C.M.N., pp. 67-74, §§ 2.52 à 2.69.
- 61Réplique de la République du Niger Chapitre I
181
lettre du 27 août 1954 aurait provoqué est une « pure invention » du Niger . La partie
adverse utilise à cet égard une méthode éminemment contestable qui consiste à hacher menu
les citations au lieu de reproduire en entier les passages pertinents afin de permettre d’en saisir
le sens et la portée exacts. Voici, par exemple, ce que le Bénin fait de la lettre du gouverneur
du Dahomey du 11 décembre 1954 et de celle du chef de la subdivision de Gaya du 20 juin
1955 en liaison avec les écritures du Niger dans son mémoire :
« Vouloir « régler une fois pour toutes » une question et demander les textes pertinents à cette fin ne
saurait être assimilé à l’expression, par les autorités du Dahomey, de « très sérieux doutes », de
« surprise », de « réserves sur le bien fondé », de « méfiance », ni même de « prudence », comme le
prétend le Niger » .2
Il suffira de se reporter aux pages 112 à 115, paragraphes 2.270 à 2.2.76 du mémoire du Niger
pour avoir une présentation intelligible des faits basée sur la citation d’extraits pertinents et
compréhensibles des documents visés. De là, il est fort aisé de démonter la construction
artificielle à laquelle se livre le Bénin en juxtaposant des mots et groupes de mots cisaillés et
assemblés hors contexte.
1.85. Le Bénin alterne cette façon de faire avec une démarche spéculative. Ainsi, à propos des
deux lettres du chef de la subdivision de Gaya au commandant de cercle de Dosso,
respectivement en date du 20 juin 1955 et du 6 juillet 1956, il dit de la première qu’elle « ne
saurait être d’aucun secours au Niger », sous prétexte que son auteur précise qu’il formule ses
interrogations « sans vouloir soulever le moins du monde la question des limites ». Le Bénin
en tire des conclusions qui relèvent d’une imagination fertile et non pas des faits. Il écrit :
« Alors qu’il désapprouve sans doute la solution adoptée par le gouverneur du Niger, il reconnaît que la
question des limites a donc été définitivement réglée à ses yeux par la lettre du 27 août 1954, même si la
mise en œuvre de la limite à la rive gauche qu’elle implique soulève, selon lui, certaines difficultés » .
Et le Bénin ajoute, sans scrupule aucun et sans aucune preuve non plus,
« qu’Etienne à sciemment amplifié l’exposé des difficultés dont il fait état du fait de ce qui paraît bien
être une forme d’amertume » .184
180Ibid., pp. 74-82, §§ 2.70 à 2.85.
181
C.M./R.B, p. 127, § 2.249.
182
Ibid.
183C.M./R.B., p. 128, § 2.252.
- 62Réplique de la République du Niger Chapitre I
Il n’hésite pas à réitérer une telle malveillance, en affirmant à propos de la même lettre que
c’est
185
« l’amertume qui a sans doute conduit son auteur à forcer quelque peu le trait » .
Comme on peut le constater, cette appréciation étonnante vient du seul fait que le chef de la
subdivision de Gaya a osé émettre un jugement réservé sur la teneur de la lettre du 27 août
1954.
1.86. Le Bénin poursuit dans la même veine à propos de la lettre du 6 juillet 1956. Selon lui,
le chef de la subdivision de Gaya « était hostile à la limite à la rive ». Et « les administrateurs
186
territoriaux n’aim[ant] pas que l’on porte atteinte à la délimitation de leur circonscription » ,
on comprend « qu’il ait saisi la première occasion pour revenir sur la question, qui n’en était
plus une pour ses supérieurs » . De l’avis du Bénin, à la « banale question posée par le
directeur du service géographique de l’AOF relative à la limite interterritoriale entre le
Dahomey et le Niger », le chef de la subdivision de Gaya « aurait dû se borner à répondre que
188
cette limite se trouvait à la rive gauche du fleuve » . On voit bien ce qui vaut près d’un
demi-siècle plus tard au pauvre chef de subdivision les foudres de la partie béninoise : Etienne
n’a pas répondu en 1956 dans le sens de ce que le Bénin aurait voulu entendre aujourd’hui. Le
Bénin conclut, sur cette pointe de dépit :
« Cette lettre n’a bien évidemment convaincu personne puisque la lettre du 27 août 1954 du gouverneur
du Niger avait résolu la question dans un sens différent » .89
Mais, comme pour toutes les affirmations précitées, aucune démonstration, aucune référence
documentaire ne vient étayer ces déclarations, aussi sentencieuses que spéculatives.
En tout état de cause, le Niger a produit dans son mémoire 190et rappelé dans son contre-
191
mémoire toute une série d’autres éléments qui prouvent que la pratique postérieure n’a
184Ibid., § 2.253; italiques ajoutées.
185Ibid., p. 129, § 2.254.
186Ibid., § 2.255.
187
Ibid.
188
Ibid.
189Ibid., p. 130, § 2.256.
190M.N., Annexes, série C, n° 61, 62 et 65.
191
C.M.N., pp. 76-79, §§ 2.75 à 2.81 ; Annexes, série C, n° 144 et 152.
- 63Réplique de la République du Niger Chapitre I
aucunement pris en compte la lettre du 27 août 1954. Visiblement incapable de contester ces
différents éléments, le Bénin préfère les passer sous silence.
1.87. Quoiqu’il en soit, des accusations aussi graves que celles portées contre le chef de la
subdivision de Gaya ne peuvent être proférées aussi légèrement. Le Niger se fonde quant à lui
sur des faits établis historiquement par des documents d’archives – et non pas sur quelques
consultations commandées pour les besoins de la cause –, en l’occurrence des
correspondances dont il cite des extraits pour étayer telle affirmation ou asseoir telle
démonstration. C’est de cette manière qu’il a pu dégager le sentiment de surprise qui prévalut
auprès des autorités des deux colonies face à la lettre du 27 août 1954. Il ne se perd pas en
conjectures comme le fait fréquemment la partie adverse dans son contre-mémoire. Il faudra
que la République du Bénin se résolve à fournir elle aussi, au moins de temps à autre, des
preuves pour asseoir ses propos, et s’attache à lire avec le soin qui s'impose les documents
plutôt qu’à imaginer leur contenu. Elle aurait assurément été mieux inspirée de le faire vis-à-
vis de la lettre du 27 août 1954 dont tout indique, d’une part, qu’elle ne fut rien d’autre qu’une
parenthèse ouverte malencontreusement par un gouverneur par intérim du Niger qui n'était
pas au fait des problèmes et des réalités du terrain et vite refermée par lui-même ; d’autre part,
qu’elle a été une source de perplexité chez les autres autorités administratives coloniales, du
192
Niger comme du Dahomey, ainsi que le Niger l’a montré dans son contre-mémoire et
rappelé dans les présentes écritures.
Le fait que les revendications actuelles du Bénin s'éloignent considérablement du contenu de
la lettre du 27 août 1954 ne fait d'ailleurs que confirmer que cette dernière ne pourrait
constituer un titre sur lequel la partie adverse serait en mesure de fonder valablement ses
prétentions.
19C.M.N., pp.76-79, §§ 2.75 à 2.81
- 64Réplique de la République du Niger Chapitre I
Sous-section D - Le Bénin n’est pas en mesure de réconcilier la teneur de ses
revendications actuelles avec le contenu de la lettre du 27 août 1954
1.88. Ainsi que la République du Niger a déjà eu l'occasion de l'exposer de façon détaillée
dans son contre-mémoire, les prétentions formulées par le Bénin dans le cadre de la présente
instance s'éloignent considérablement des termes de la lettre de Raynier du 27 août 1954.
Cette discordance se manifeste sur deux points essentiels. D'une part, alors que la lettre n°
3722/APA parle d'une limite à la ligne des plus hautes eaux, côté rive gauche, le Bénin
revendique pour sa part une frontière à la rive gauche du fleuve. Le Niger a montré à quel
point ces deux formules étaient difficilement réconciliables, et a exposé les raisons pour
lesquelles la solution avancée par Raynier en 1954 paraissait impossible à mettre en œuvre en
193
pratique . D'autre part, alors que la lettre de 1954 évoque ce tracé entre la localité de
Bandofay et la frontière du Nigéria, le Bénin revendique une frontière à la rive gauche du
194
Niger sur l'ensemble du bief fluvial frontalier .
1.89. En réalité, le parti que le Bénin essaie de tirer de cette lettre de Raynier pour soutenir
l’idée d’une limite sur la rive gauche est contrarié par la référence au village de Bandofay
comme localité à partir de laquelle court cette limite jusqu’à la frontière du Nigeria.
L’explication que le Bénin tente de donner à cette référence à Bandofay confirme sa
démarche spéculative déjà relevée par ailleurs. Selon lui,
« le gouverneur du Niger a clairement visé Bandofay, situé à la pointe ouest de l’île de Lété, afin de bien
fixer le chef de la subdivision de Gaya sur les limites de sa circonscription » .
Il prétend fonder cette affirmation sur le fait, non démontré, selon lequel
« la question qui préoccupait les administrateurs de Gaya et le Kandi concernait tout spécialement
l’appartenance de l’île de Lété» .
1.90. Il convient tout d’abord de remarquer que Bandofay ne se trouve pas dans la subdivision
de Gaya ; il est donc inexact, sur le plan administratif, de rattacher cette localité à l’île de
Lété, comme le fait le Bénin, en la situant « à la pointe ouest de l’île ». Ensuite, le Bénin
193
C.M.N., chapitre III, section 1.
19Ibid., pp. 62 et s., §§ 2.39 et s.
195
C.M./R.B., p. 130, § 2.261.
196
Ibid., p. 130, § 2.260.
- 65Réplique de la République du Niger Chapitre I
n’explique pas pourquoi le gouverneur par intérim ne s’en est pas tenu à se prononcer sur
l’appartenance de cette île, ni pourquoi il ne s’est pas contenté de donner sa position sur Lété
et le cas échéant sur les autres îles comme aurait dû l’y incliner la lettre du chef de
subdivision de Gaya, mais s’est prononcé également sur la limite interterritoriale de Bandofay
à la frontière avec le Nigeria.
1.91. Pour sortir de l’impasse dans laquelle conduit le silence gardé par le gouverneur par
intérim du Niger sur le segment allant de Bandofay au point de confluence entre le fleuve
Niger et la Mékrou, le Bénin ose un argument fondé sur une sollicitation abusive de la
jurisprudence internationale en matière d’interprétation d’un acte destiné à fixer une frontière.
En effet, de l’avis du Bénin, la référence au segment allant de Bandofay à la frontière du
Nigeria
« ne signifie en aucune manière que seule la portion du fleuve Niger serait concernée par une limite sur la
rive gauche »197
1.92. Toujours selon le Bénin, en effet, la lettre du 27 août 1954 doit être interprétée tant à la
lumière de l'arrêté du 23 juillet 1900 que de la règle énoncée par la C.P.J.I. dans son avis
consultatif du 21 novembre 1925 dans l’affaire de l’Interprétation de l’article 3, paragraphe
2, du traité de Lausanne, qui exige qu’un acte destiné à fixer une frontière soit interprété, si
possible,
« de telle sorte que, par son application intégrale, une frontière précise, complète et définitive soit
198
obtenue» .
On ne peut manquer de relever la légèreté avec laquelle le Bénin essaie de tirer parti de cet
avis de la Cour permanente. Le problème, dans cette affaire, n’était pas d’étendre – comme
essaie de le faire la partie adverse – le tracé de la frontière à un secteur non expressément visé
dans le document relatif aux limites, comme c’est le cas du secteur de Bandofay à
l’intersection avec la Mékrou, mais plutôt de dégager, au regard des dispositions d’un traité
existant, en l’occurrence celles de l’article 3, paragraphe 2, du Traité de Lausanne, les
modalités de détermination des différents segments de la frontière de la Turquie, de la mer
19Ibid., p. 131, § 2.262.
19C.P.J.I., Série B, n° 12, p. 20 ; cité in C.M./R.B., p. 131, § 2.262.
- 66Réplique de la République du Niger Chapitre I
Méditerranée à la frontière avec la Perse . Il suffit d’ailleurs de replacer le morceau de
phrase cité par le Bénin dans son contexte pour en appréhender le sens exact.
La C.P.J.I. exposait en effet dans l'avis en cause qu'il
« arrive assez fréquemment qu’au moment où est signé un traité établissant de nouvelles frontières,
certaines fractions de ces frontières ne soient pas encore déterminées et que le traité prévoie certaines
mesures afin de les déterminer. C’est ainsi que l’article 2 du Traité de Lausanne, qui a pour but de fixer la
frontière de la Turquie entre la mer Noire et la mer Egée, et qui pour la plus grande partie du parcours
fournit des indications topographiques, s’en remet pour déterminer une fraction de la frontière helléno-
turque, à la décision de la Commission de délimitation instituée par l’article 5. Mais il est naturel que tout
article destiné à fixer une frontière soit, si possible, interprété de telle sorte que, par son application
intégrale, une frontière précise, complète et définitive soit obtenue » .
1.93. Il convient de relever que, contrairement à la situation dont la Cour permanente avait à
connaître dans l’espèce précitée :
- la lettre du 27 août 1954 n’est pas un traité ;
- la limite entre les colonies du Niger et du Dahomey est fixée au cours du fleuve
Niger et interprétée dans la pratique comme suivant le principal chenal navigable ;
- la lettre du 27 août 1954 ne s’en remet à aucun organe de délimitation pour son
application.
Si, comme le prétend le Bénin, le gouverneur par intérim du Niger entendait seulement
répondre à la préoccupation des administrateurs de Gaya et de Kandi à propos de l’île de Lété
—ce qui est en tout état de cause inexact, puisque la question posée concernait l'île de
Gaya —, il n’avait aucune raison d’aller jusqu’à la frontière du Nigeria. En définitive, la
référence à Bandofay souligne encore un peu plus la légèreté de la lettre du 27 août 1954, la
méconnaissance du terrain par son auteur et le peu d’importance qu’il attachait à sa propre
lettre.
199Ibid.
200
Ibid. p. 20 ; italiques ajoutées à la dernière phrase.
201Voy. e.a. C.M.N., p. 65, § 2.46.
- 67Réplique de la République du Niger Chapitre I
1.94. Ainsi donc, il se confirme bien qu'il n'existe aucun titre remontant à la période coloniale
sur lequel le Bénin puisse valablement fonder ses revendications actuelles. Il est bien établi
que l'arrêté du 23 juillet 1900 ne procède aucunement à une délimitation. Il n'existe aucun
précédent dans lequel une autorité coloniale quelconque aurait reconnu une semblable portée
à ce texte, et le Bénin lui-même ne lui a découvert cette vertu que l'année passée, dans le
cadre de la présente instance. Le titre sur lequel pourrait s'appuyer la partie adverse ne réside
pas plus dans la lettre n° 3722/APA du gouverneur par intérim du Niger. Celle-ci ne saurait en
effet confirmer un titre antérieur, inexistant en l'occurrence. Elle ne saurait pas plus constituer
un titre nouveau, car son auteur était dépourvu de toute compétence pour modifier les limites
de la colonie dont il avait alors la charge. En tout état de cause, comme on y reviendra
maintenant, la pratique coloniale, dans sa totalité, montre très clairement qu'il a toujours été
bien établi que c'était le cours du fleuve qui constituait la limite entre le Dahomey et le Niger.
- 68Réplique de la République du Niger Chapitre II
CHAPITRE II —
LE COURS DU FLEUVE CONSTITUE LA LIMITE
ENTRE LE BENIN ET LE NIGER
2.1. Il existe désormais un accord entre le Bénin et le Niger sur le fait que le cours du fleuve
constituait la limite entre les colonies du Niger et du Dahomey. En effet, le Niger prend acte
de ce que le point selon lequel la limite est déterminée par le cours du fleuve Niger «n’est pas
contesté par la République du Bénin » . 202
2.2. Mais cet accord n’est qu’apparent, le Bénin estimant que l’expression « cours du fleuve »
203
est « imprécise » . Il reproche au Niger de « solliciter » cette expression « au-delà du sens
204
que lui ont attribué [les] textes » coloniaux . En effet, selon le Bénin, aucun des documents
205
invoqués par le Niger ne précise «que la limite se trouve « dans » le cours du fleuve » .
2.3. Le Bénin ne peut nier l’évidence historique révélée par les nombreuses preuves
documentaires fournies par la partie nigérienne qui établissent l’émergence et la consolidation
du titre de la République du Niger (Section 1). Mais il croit pouvoir se tirer d’affaire en se
lançant dans une explication erronée du sens de l’expression « cours du fleuve». Il n’y réussit
guère, car non seulement le sens que le Niger donne à cette expression correspond à son sens
ordinaire, mais encore il est corroboré par la pratique des autorités de la colonie du Niger,
dont le Bénin essaie vainement de contester la pertinence (Section 2).
Section 1 -
L’émergence et la consolidation du titre du Niger
2.4. Il n’existe pas d’actes juridiques de nature législative ou réglementaire ayant pour objet
spécifique la détermination de la limite entre le Niger et le Dahomey pendant la période
coloniale. Toutefois, deux arrêtés, adoptés respectivement en 1934 et 1938, définissent les
limites des circonscriptions du Dahomey et, par implication, fixent la limite intercoloniale au
cours du fleuve Niger, constituant de ce fait un titre juridique formel. Préalablement à
20C.M./R.B., p. 59, § 2.67.
20Ibid., § 2.69.
20Ibid., § 2.67.
- 69Réplique de la République du Niger Chapitre II
l'adoption de ces textes, cette limite s’était déjà dégagée progressivement à travers des
échanges de correspondances entre autorités coloniales, confortés par la pratique des
administrateurs locaux. A cet égard, divers éléments permettent de montrer l’émergence du
critère du fleuve lui-même comme limite interterritoriale entre le Territoire, puis la colonie du
Niger, et la colonie du Dahomey (sous-section A).
2.5. Dans le grand éventail des actes réglementaires coloniaux et des échanges de lettres au
sujet de cette limite interterritoriale, le Bénin a choisi de ne retenir que l’arrêté du 23 juillet
1900 qui constitue pour lui un titre inoxydable, en dépit de son silence sur la question des
limites, de divers actes infirmatifs et d’une pratique totalement contraire. En effet, l’arrêté du
23 juillet 1900 ne fixant pas la limite entre la colonie du Dahomey et le Troisième territoire
militaire, comme l’a rappelé le Niger , les éléments constitutifs du titre de l’une ou l’autre
partie à la présente procédure ne peuvent se dégager que des textes et de la pratique
postérieurs audit arrêté. Dans cet ordre d’idées, il est sans conteste que dès 1901 apparaissent
les éléments qui attestent et consolident l’émergence du titre du Niger consacrant la limite sur
le cours du Niger. Et, n’en déplaise au Bénin, dès l’origine, cette limite « est apparue aux
yeux des administrateurs français comme la limite naturelle entre la colonie du Dahomey et
l’entité qui allait devenir la colonie du Niger » . Il ne s’agit pas d’une appréciation au jour
d’aujourd’hui d’une situation historique par la partie nigérienne, mais bien de la perception
qu’en avaient les administrateurs coloniaux eux-mêmes à l’époque. La République du Niger
maintient donc cette affirmation (sous-section B) qui est du reste étayée par de nombreux
documents.
2.6. Au demeurant, le titre du Niger ne repose pas sur le caractère naturel de la limite en
question, mais sur une pratique coloniale constante consacrée par les arrêtés de 1934 et 1938
dont le Bénin lui-même ne conteste pas qu’ils fixent la limite interterritoriale au cours du
fleuve. La partie adverse espère néanmoins se tirer d’affaire en essayant de détourner le sens
de l’expression « cours du fleuve » en assimilant la notion de «cours» et celle de « rive ».
Aussi le Niger rappellera-t-il, en l’étayant davantage, le sens ordinaire de cette expression
telle qu’il est fourni aussi bien par les documents techniques en matière d’hydrographie que
20Ibid., § 2.68.
206
Voy. supra, §§ 1.13 et s.
20M.N., p. 90, § 2.2.5 ; p. 99, § 2.2.34 ; cité par le Bénin : C.M./R.B., p. 55, § 2.56.
- 70Réplique de la République du Niger Chapitre II
par tous les dictionnaires, y compris les plus usuels : la notion de « cours du fleuve » implique
une limite « dans » le fleuve et non pas sur une rive (sous-section C).
Sous-section A - Les éléments montrant l’émergence du fleuve Niger comme limite
interterritoriale
2.7. Ainsi que le Niger l’a déjà exposé dans son contre-mémoire, la fixation de la limite
administrative séparant la colonie du Dahomey de celle du Niger découle d’un processus
historique 208. Dans leur course de vitesse pour la possession exclusive du fleuve Niger dans
leur zone d’influence, les troupes françaises du Soudan progressant d’ouest en est, et celles du
Dahomey avançant du sud vers le nord ont créé des postes qui s’enchevêtraient sur les bords
du fleuve. Cette dualité d’occupation a provoqué une rivalité ayant débouché sur des frictions
entre les colonies du Dahomey et du Soudan. Le directeur des affaires d’Afrique au ministère
des Colonies, Binger, lors de son passage à Dakar en janvier 1899, trancha le conflit en
octroyant au Soudan tous les territoires situés sur la rive gauche du fleuve . 209
2.8. Le Bénin conteste cette présentation des faits pour deux motifs auxquels la République du
Niger répondra successivement.
1. Le premier motif invoqué par le Bénin
2.9. La Partie adverse prétend que
« le Niger s’appuie […] sur une référence seulement indirecte, établie par ouï-dire, sans produire en tant
que telle la prétendue décision du directeur des questions d’Afrique » .
2.10. La République du Niger n’imagine pas les faits, ni ne colporte des rumeurs historiques.
Le Bénin sera sans doute déçu de savoir que les documents rédigés par le directeur des
affaires d’Afrique sur la délimitation entre le Soudan et le Dahomey dans le secteur du fleuve
Niger existent bel et bien ; Binger n’est pas le fruit de l’imagination du Niger. En effet, dans
une « Note pour le Bureau de l’Afrique » datée de Saint-Louis (Sénégal), le 15 janvier 1899,
débutant par : « Ci-inclus la dépêche 2009 relative à des propositions du gouverneur général
concernant la délimitation Soudan-Dahomey », Binger écrit :
208
C.M.N., pp. 89-115
- 71Réplique de la République du Niger Chapitre II
« Les propositions du Soudan (sur calque) étant en concordance presque absolue avec la délimitation
intervenue en date du 19 n br98 et notifiée par n° 270 au gouverneur général et n° 97 au Dahomey, il y a
lieu de considérer cette délimitation pour bonne.
Le Directeur a réglé cet incident avec les 2 colonies intéressées pendant son séjour au Sénégal.
La lettre n°2009 du gouverneur général est donc à classer et le croquis en bleu devra être considéré
comme document définitif » . 211
Or, ce croquis en bleu montre bien que la limite entre le Soudan et le Dahomey passe par le
fleuve Niger . On notera que ce croquis porte la mention "Vu. Le Directeur des Affaires
d'Afrique, C. Binger)".
Et ce dernier conclut sa note : « Affaire terminée », avant de signer : « Le Directeur-
213
Binger » .
2.11. C’est à cette note que Cornu fait référence quand il écrit que
« M. Binger, directeur des affaires de l’Afrique au Ministère des Colonies, lors de son passage au
Sénégal, en janvier, avait signé une délimitation entre le Soudan français et le Dahomey, attribuant à la
première colonie tous les territoires de la rive gauche » .14
2.12. Il faut dire que, bien avant la note de Binger, une carte avait été établie sous la direction
du commandant Destenave présentant en projet un tracé de délimitation des territoires de la
215
Boucle du Niger entre les colonies du Dahomey et du Soudan .
Le ministre des Colonies avait transmis cette carte au gouverneur du Dahomey par une
correspondance du 15 décembre 1898. Y faisant suite, le gouverneur p.i. du Dahomey
défendit avec ardeur les intérêts de sa colonie. En effet, dans une lettre portant en objet
209Ibid., pp. 37-38, §§ 1.49-1.52
210C.M./R.B., p. 32, § 1.50.
211Archives Aix-en-Provence, dossier A.O.F. VII/3, R.N., Annexes, série C, n° 162.
212Projet de délimitation des territoires de la Boucle du Niger entre les colonies du Dahomey et du Soudan français ;
Archives Aix-en-Provence, dossier A.O.F. VII/3, R.N., Annexes, série D, n° 55.
213M.N., Annexes, série C, n° 1, p. 23.
214"Notice sur le pays Zaberma et son occupation par le Dahomey", par le lieutenant Cornu, le 7 août 1899, p. 23; R.N.,
Annexes, série C, n° 166.
215Projet de délimitation des territoires de la Boucle du Niger entre les colonies du Dahomey et du Soudan français dressé par
le commandant Destenave (circa fin 1898); Archives Aix-en-Provence, dossier A.O.F. VII/3, R.N., Annexes, série D, n° 55b.
- 72Réplique de la République du Niger Chapitre II
« Délimitation du Dahomey et du Soudan », et datée de Porto-Novo le 20 janvier 1899, ledit
gouverneur écrivait :
« Avant d’accepter cette délimitation et prescrire l’évacuation des postes établis par le Dahomey à
Kirtachi, sur le Moyen-Niger et à Botou dans le Gourma, j’ai le devoir de vous faire respectueusement
remarquer que le projet de M. Destenave, s’il est définitivement adopté, aura pour principaux effets de
ruiner la province de Gourma, la seule région réellement utile de l’hinterland de la colonie du Soudan, les
caravanes du centre de l’Afrique habituées à suivre la route de Carimama-Botou-Fada-N’Gourma » . 216
Après un long plaidoyer, il suggère :
« Pour conclure je dirai qu’il n’y a aucune raison sérieuse pour abandonner au Soudan Kirtachi et Dosso.
J’espère donc que sur ce premier point le Département ne donnera pas suite à un projet qui éloignerait du
217
Dahomey toutes les caravanes du centre de l’Afrique » .
Et il termine sa longue lettre en sollicitant du ministre ses « intentions définitives au sujet du
projet de délimitation établi par le Commandant Destenave », ajoutant avec perfidie :
« En rédigeant ce projet cet officier se trouvait certainement dans un état d’esprit semblable à celui du
218
plaideur qui réclame des dommages intérêts considérables pour obtenir une somme infime » .
2.13. En tout état de cause, la supplique du gouverneur du Dahomey n’a pas reçu la suite
espérée. Certes, le gouverneur général de l’A.O.F. y accéda provisoirement. Dans un
er
télégramme officiel daté du 1 mai 1899, le gouverneur du Dahomey, Ballot, rend compte au
gouverneur général des mesures qu’il a prises à ce sujet :
« J’ai donné les ordres nécessaires pour que le poste de Dosso soit évacué dès l’arrivée du détachement
du Soudan. Mais pour Nebba, Botou, Kirtachi, le Résident supérieur à reçu l’ordre de l’évacuer seulement
si la délimitation Binger, contre laquelle j’ai protesté énergiquement, était ratifiée par le ministre des
colonies. Je vous serais reconnaissant de vouloir bien faire donner des instructions dans le même sens aux
219
Résidents de Dori et de Say afin d’éviter des conflits » .
2.14. Dans une lettre datée du 3 mai 1899 « Au sujet de la délimitation du Dahomey », le
gouverneur général rend compte à son tour au ministre des Colonies sur la question, en y
joignant copie du télégramme du gouverneur du Dahomey. Il écrit :
216Délimitation du Dahomey et du Soudan, lettre du gouverneur du Dahomey au ministre des Colonies du 20 janvier 1899;
Archives Aix-en-Provence, dossier A.O.F. VII/3; R.N., Annexes, série C, n° 163.
217Ibid.
218
Ibid.
- 73Réplique de la République du Niger Chapitre II
« En vue d’éviter les conflits toujours plus aigus entre les subordonnés, j’ai accédé provisoirement à la
demande de M. Ballot : le Soudan occupera seulement Dosso en laissant pour le moment Kebba, Botou,
Kirtachi au Dahomey et ce, bien qu’il fût entendu que la délimitation arrêtée en votre nom par M. Binger
était définitive et sans appel » .
2.15. On le voit bien, non seulement la délimitation de Binger plaçant la limite au fleuve
Niger était faite au nom du ministre des Colonies, mais elle était « définitive et sans appel ».
C’est conscient de cela que le gouverneur général n’y déroge que de manière provisoire, afin
de calmer la situation conflictuelle que l’ardeur du gouverneur Ballot ne pouvait qu’aggraver.
2.16. Du reste, il n’hésite pas à prendre sur cette question de délimitation une position
contraire à celle du gouverneur du Dahomey. La suite de sa lettre est sans ambiguïté à cet
égard. Interpellant le ministre des Colonies sur ce point, il écrit, en effet :
« Vous avez entre les mains tous les renseignements nécessaires pour apprécier la portée des
recommandations de M. le gouverneur Ballot. Laissez-moi toutefois insister sur l’intérêt qu’il y aurait à
maintenir purement et simplement votre décision qui avait précisément pour but de terminer une fois
pour toutes ces litiges de frontières, sources d’éternels conflits. Y revenir c’est ouvrir la porte à toutes les
221
difficultés » .
On ne saurait être plus clair.
2.17. Répondant à une demande de renseignement sur les limites entre le Soudan et le
Dahomey, Binger écrira, un mois plus tard, le 2 septembre 1899, dans une « Note pour le
ère
bureau Militaire (1 Section) » :
« D’un commun accord survenu entre les deux colonies il a été décidé que cette délimitation [i.e. celle
qu’il avait effectuée] serait observée jusqu’à ce que le Département ait procédé à la réorganisation
territoriale du Soudan » .2
2.18. Cette note du directeur des affaires d’Afrique, comme la lettre du gouverneur général de
l’A.O.F., qui la précède d’un mois, montre qu’il échoit au ministre des Colonies de trancher
définitivement cette question de délimitation et éclaire encore mieux l’objet de l’arrêté du
gouverneur général du 23 juillet 1900 : comme la République du Niger l’a montré et n’a cessé
219
Archives Aix-en-Provence, dossier A.O.F. VII/3; R.N., Annexes, série C, n° 164.
220
Archives Aix-en-Provence, dossier A.O.F. VII/3; R.N., Annexes, série C, n° 165. italiques ajoutées.
221Ibid. ; italiques ajoutées.
222Archives Aix-en-Provence, dossier A.O.F. VII/3; R.N., Annexes, série C, n° 167.
- 74Réplique de la République du Niger Chapitre II
de le répéter, cet arrêté a pour objet la création d’un Troisième Territoire militaire, et pas la
fixation de la limite entre ledit Territoire et la colonie du Dahomey. Suivant cet éclairage
historique fourni par les documents nouveaux présentés dans les paragraphes qui précèdent, il
apparaît d’une évidente clarté que la lettre n° 163 du ministre des Colonies en date du 7
septembre 1901, bien que complétant utilement l’arrêté du 23 juillet 1900, n’est nullement
rédigée en rapport avec cet arrêté ; elle constitue une réponse à l’exhortation du gouverneur
général de l’A.O.F. et du directeur des affaires d’Afrique qui, ayant mis tous les éléments
d’appréciation à sa disposition, attendaient qu’il se prononce définitivement sur la limite entre
le Soudan et le Dahomey.
2.19. Or, entre-temps, le gouverneur du Dahomey avait révisé sa position. Alors qu’à
l’origine, il voulait que le Dahomey restât présent sur la rive gauche du fleuve, dans une lettre
n° 457 du 28 mai 1901 223datée de Porto-Novo, il informe le gouverneur général de ce que le
poste de Carimama, qui se composait seulement de quatre hommes commandé par un gradé
indigène, servait de communication avec la rive gauche du Niger « avant que le Troisième
Territoire militaire fût constitué ». L’intérêt de conserver ce poste a disparu depuis la
constitution du Troisième Territoire, « toutes les communications étant établies par Say et par
Gaya ». Le gouverneur indique qu’il voulait rattacher Say au cercle du Moyen-Niger, au
Dahomey, mais qu’il n’a pas encore déterminé les limites de ce cercle faute de
renseignements « sur la situation de fait qui existe depuis que le commandant du Troisième
territoire militaire a compris le poste de Dosso dans un cercle dépendant de son
commandement ». Et il précise :
« En attendant, et pour empêcher tout conflit d’attribution, j’ai prié Monsieur le Capitaine Castarède de ne
plus s’occuper de la rive gauche du Niger. Seul le poste de Gaya a été maintenu pour recevoir les
caravanes Haoussas qui se rendent au Togo en passant par le Nord du Dahomey » .
2.20. Il convient de rappeler que c’est le gouverneur du Dahomey qui écrit ; qu’il écrit en
1901, un an à peine après l’arrêté du 23 juillet 1900 ; il écrit pour informer sa hiérarchie de ce
qu’il a ordonné la cessation de toute activité de sa propre colonie sur la rive gauche du Niger.
Il ajoute :
223
M.N., Annexes, série C, n° 3.
22Ibid. ; italiques ajoutées.
- 75Réplique de la République du Niger Chapitre II
« mais il serait bon que je fusse mis en possession d’un acte officiel déterminant les limites ouest et sud
du troisième territoire militaire.
Le cours du Niger me paraît remplir toutes les conditions désirables, en ce sens qu’il sépare des
225
populations n’ayant entre elles aucun lien politique important » .
2.21. Tout d’abord, il convient de relever que la mention selon laquelle le fleuve « sépare des
populations n’ayant entre elles aucun lien politique important » contredit une fois encore la
thèse de l’unité politique du Dendi défendue par le Bénin. Ce point mérite d’être souligné
puisque cette analyse émane du gouverneur du Dahomey lui-même.
2.22. Ensuite et surtout, ainsi que la République du Niger l'a déjà exposé de façon détaillée
dans le chapitre premier de la présente réplique, cette initiative propre du gouverneur du
Dahomey proposant de fixer la limite au cours du fleuve et non sur la rive gauche du Niger
entre les deux entités voisines dément de façon cinglante la thèse défendue par le Bénin, selon
laquelle l’arrêté du 23 juillet 1900 fixe la limite à la rive gauche. C'est précisément parce que
l’arrêté de juillet 1900 n’opère aucune délimitation entre les deux territoires voisins que le
gouverneur du Dahomey lui-même a proposé de fixer la limite administrative au cours du
fleuve Niger pour séparer la colonie sous sa juridiction de la nouvelle circonscription
administrative. Ainsi que cela a déjà été exposé plus haut également, cette limite a été
confirmée par une pratique administrative constante.
2.23. C’est donc, tout à fait logiquement que la limite passant dans le cours du fleuve a été
consacrée par les arrêtés successifs de 1934 et de 1938 portant réorganisation des divisions
territoriales de la colonie du Dahomey. Ces deux textes définissent la limite interterritoriale
entre la colonie du Dahomey et celle du Niger en termes quasi identiques :
- Le premier, l’arrêté du 8 décembre 1934, pris par le gouverneur général Brévié et portant
réorganisation de la colonie du Dahomey, établit indirectement la limite entre cette colonie et
celle du Niger à travers la détermination des limites est et nord-est du cercle de Kandi. Aux
er
termes de l’article 1 , 7°) de cet arrêté, le cercle de Kandi est limité :
« A l’Est, par la frontière nigérienne [lisez nigériane] jusqu’au Niger ;
Au Nord-Est, par le cours du Niger jusqu’à son confluent avec la Mékrou » .
22Ibid. ; italiques ajoutées.
- 76Réplique de la République du Niger Chapitre II
- Le second, l’arrêté du 27 octobre 1938 pris par le gouverneur général par intérim Geismar,
et portant réorganisation du territoire de la colonie du Dahomey en neuf circonscriptions
administratives parmi lesquelles le cercle de Kandi dont les limites est et nord-est sont
définies ainsi qu’il suit :
« A l’Est, par la frontière du Nigeria jusqu’au fleuve ;
227
Au Nord-Est, par le cours du fleuve Niger jusqu’à son confluent avec la Mékrou » .
2.24. Ces deux actes confirment bien la limite au cours du fleuve qui avait été fixée d’un
commun accord dès 1901 entre le gouverneur du Dahomey, le gouverneur général de l’A.O.F.
et le ministre des Colonies. Le Bénin lui-même ne conteste pas que ces textes consacrent le
cours du fleuve Niger comme limite interterritoriale ; le Niger ne peut que s’en réjouir.
Au demeurant, en se fondant sur ces deux textes retenus et acceptés par les deux parties à la
présente instance parmi les documents de base pour la délimitation de la frontière dans le
secteur du fleuve Niger au cours de la troisième session ordinaire de la commission mixte
paritaire, le Bénin et le Niger ont « considéré le cours du fleuve comme la frontière commune
sans se prononcer pour le moment sur l’appartenance des treize îles recensées » . 229
2.25. A la lumière de ce qui précède, il apparaît que le processus historique de formation de la
limite dans le secteur du fleuve entre le Dahomey et le Niger invalide totalement la thèse
béninoise d’une prétendue limite sur la rive gauche du fleuve Niger, et consacre le cours du
fleuve comme limite interterritoriale pendant la période coloniale, puis comme frontière entre
le Bénin et le Niger après l’accession de ces deux Etats à la souveraineté internationale. C’est
parce que cette proposition était « très acceptable » que le ministre des Colonies n’eut aucune
difficulté à partager « sur ce point [la] manière de voir [du gouverneur général] » . Car on ne 230
s’éloignait pas, ce faisant, de la solution Binger qui, en tout état de cause, écartait non
seulement la présence du Dahomey sur les deux rives du fleuve Niger, mais aussi l’idée d’une
limite sur la rive gauche.
226
M.N., Annexes, série C, n° 57.
22Ibid., n° 58.
228C.M./R.B., p. 59, § 2.67.
229
M.N., Annexes, série A, n° 21, p. 6 ; italiques ajoutées.
230Ibid.
- 77Réplique de la République du Niger Chapitre II
2. Le second motif invoqué par le Bénin
2.26. Le second motif avancé par la partie adverse pour contester l’« affirmation » nigérienne
fondée sur la délimitation Binger réside dans le fait que cette thèse
« ne peut être conciliée avec l’arrêté du 11 août 1898 […] lequel avait été adopté par le gouverneur du
Dahomey pour organiser les territoires des deux rives du Niger qui lui avaient été attribués par le décret
du Président de la République du 22 juin 1894. Seul, par conséquent, un nouveau décret présidentiel
pouvait modifier celui de 1894. Or ce décret n’est intervenu que le 17 octobre 1899. La prétendue
solution émanant d’un directeur du ministère des colonies, en admettant même qu’elle ait été consignée
dans un acte juridique officiel, ce que le Niger n’établit pas, ne pouvait donc en tout état de cause être
dotée de la force juridique que le Niger essaie de lui prêter, probablement pour renforcer son argument
selon lequel le fleuve Niger aurait constitué de tout temps la limite entre les deux territoires » .
2.27. Le Niger a confirmé de manière irréfutable, dans les développements qui précèdent, que
c’est dès le début de l’expansion coloniale, dans le cadre de la compétition entre le Soudan et
le Dahomey, que la limite entre les deux territoires a été établie au fleuve Niger. Cela s’est
confirmé par la suite avec la création du Troisième Territoire militaire, puis de la colonie du
Niger. La République du Niger se contente à cet égard d’exposer des faits historiques
documentés et non pas de construire abstraitement de pures hypothèses. De plus, ainsi que le
232
Niger l'a déjà exposé , il n'y a aucun problème de cohérence dans la position qu'il défend en
233
termes de "hiérarchie des textes applicables" .
2.28. En tout état de cause, le Niger ne cherche pas, dans ses développements, à entrer dans
une confrontation hiérarchique —qui serait au demeurant stérile — entre textes juridiques et
documents générés par la pratique. Son exposé a un tout autre objectif : montrer de la façon la
plus claire possible l’enchaînement des évènements dans lequel la pratique éclaire ou
complète les actes juridiques dans un contexte de conquête puis de gestion coloniales, où la
réalité du terrain impose souvent de prendre des mesures pratiques pour éviter les conflits ou
pour les résoudre. Car les limites de certaines circonscriptions administratives coloniales, et
par ricochet certaines limites interterritoriales qui en découlaient, résultaient d’un état de fait
avant d’être sanctionnées ensuite par un texte officiel. Qualifier, comme le fait le Bénin, les
échanges de correspondances de 1901 de simple « échange d’opinions entre deux autorités
23C.M./R.B., pp. 32-33, § 1.51.
23Voy. supra, §§ 1.69 et s.
233
C.M./R.B., p. 34, § 1.55.
- 78Réplique de la République du Niger Chapitre II
coloniales » , c’est donc, d’une part, méconnaître leur portée pratique, car la solution sur
laquelle elles s’accordent fut immédiatement mise en œuvre sur le terrain et, d’autre part,
perdre de vue qu’ils complètent l’arrêté du 23 juillet 1900. Et ce qu'ils y ajoutent, c’est que le
cours du fleuve Niger, qui apparaissait aux autorités coloniales comme une limite naturelle,
constitue la limite entre le Troisième Territoire Militaire nouvellement créé et la colonie du
Dahomey.
Sous-section B - La conception du fleuve Niger comme limite naturelle est bien celle des
administrateurs coloniaux
2.29. Le Bénin impute au Niger la conception selon laquelle le fleuve Niger serait la limite
naturelle entre les deux colonies . Le contre-mémoire du Bénin a beau s'en gausser sur neuf
paragraphes , c'est une donnée historique que cette position a été celle de l'administration
coloniale à l'aube de la constitution du Troisième territoire, c'est-à-dire dès 1900, en
considérant le cours du fleuve comme limite entre le Dahomey et le Troisième Territoire.
Jusqu'à preuve du contraire, une limite fluviale est une limite naturelle et non artificielle. À
défaut d'avoir dépouillé les archives accessibles à tous, le Bénin ignore les données de fait
incontestables et se borne à des exposés théoriques et académiques éloignés des situations
contemporaines aux textes qu'il prétend interpréter.
2.30. Faut-il rappeler que c'est le gouverneur de la colonie du Dahomey et dépendances,
Liotard, qui fut l'un des premiers à exprimer l'idée que le cours du Niger devait constituer la
limite entre le Dahomey et le Troisième territoire. Il exposait ce qui suit dans sa lettre n° 457
du 28 mai 1901 au Gouverneur général de l'A.O.F. :
« […] il serait bon que je fusse mis en possession d'un acte officiel déterminant les limites ouest et sud du
ème
3 territoire militaire. Le cours du Niger me paraît remplir toutes les conditions désirables, en ce sens
qu'il sépare des populations n'ayant entre elles aucun lien politique important .
2.31. La lettre n° 163 du 7 septembre 1901 déjà citée, émanant du ministre des Colonies et
adressée au gouverneur général de l'A.O.F. illustre également cette idée. Elle fait mention
23C.M./R.B., p. 24, § 1.28.
23C.M./R.B., § 2.56
236
C.M./R.B., §§ 2.58 à 2.66.
23M.N., Annexes, série C, n° 3 ; italiques ajoutées.
- 79Réplique de la République du Niger Chapitre II
« de deux rapports politiques, dans lesquels Monsieur le Gouverneur du Dahomey envisageait la question
de la délimitation entre le Dahomey et le 3 èmeterritoire militaire, et indiquait le cours du Niger comme la
meilleure ligne de démarcation, au double point de vue géographique et politique» 23.
2.32. Du côté des autorités du Troisième Territoire militaire, on note qu’en transmettant, le 2
mai 1910, une lettre du commandant de cercle de Gaya, le lieutenant Marsaud, au
commandant de la région de Niamey, le capitaine Leblond y porte une apostille n° 163 qu’il
conclut de la manière suivante :
« Le Niger constitue donc bien dans ces parages une limite naturelle entre le Territoire militaire et le
239
Dahomey » .
2.33. Moins explicite, mais allant incontestablement dans le même sens, le lieutenant-colonel
Scal, commandant du Territoire du Niger, après avoir souligné la nécessité pour le Territoire
d’avoir « une limite nette et précise », affirme :
« le Niger joue actuellement ce rôle d'une façon parfaite dans cette région. […] il semble qu’en
comparaison du gros avantage que présente le maintien du Niger comme limite entre le Territoire
Militaire et le Dahomey, il faille faire abstraction des désirs de certains indigènes de la région de
Carimama […] » . 240
2.34. Comme on peut le constater, ce n’est pas la République du Niger qui suggère que le
fleuve Niger constitue une « limite naturelle » entre le Troisième Territoire puis la colonie du
Niger d’une part, et la colonie du Dahomey d’autre part ; ce sont les autorités coloniales des
deux colonies elles-mêmes qui avaient cette perception du fleuve dans le cadre de la
détermination de la limite interterritoriale. C’est donc une donnée historique, correspondant
du reste à une réalité géographique, et non pas une opinion de la partie nigérienne.
2.35. Enfin, on relèvera le caractère stérile de la contestation développée par le Bénin au
paragraphe 2.59 de son contre-mémoire. Selon le Bénin, en effet :
238
M.N., Annexes, série C, n° 4 ; italiques ajoutées.
239
Voy. M.N., p. 97, § 2.2.29, et Annexes, série C, n° 19; italiques ajoutées.
240M.N., p. 97, § 2.2.31 et Annexes, série C, n° 21.
- 80Réplique de la République du Niger Chapitre II
241
« C’est un fait incontestable, attesté par l’arrêté du 11 août 1898 [qu’«au départ de la colonisation, la
242
présence du Dahomey s’est étendue à la rive gauche du fleuve » ], « mais le Niger cherche à en
243
relativiser la portée » .
Le Niger n'a jamais entendu remettre en cause le fait que les textes législatifs et
réglementaires organisaient la présence du Dahomey sur la rive gauche du fleuve jusqu'en
1900, c’est-à-dire à un moment où n’existait ni le Troisième Territoire militaire, ni, encore
moins, la colonie du Niger. Il s’est contenté de restituer les faits dans une perspective
chronologique, en montrant comment il a été rapidement mis fin à la présence du Dahomey
sur la rive gauche, notamment à partir de la création du Troisième Territoire militaire.
Sous-section C - La référence au « cours du fleuve » comme limite renvoie à une limite
« dans » le fleuve et non pas sur une rive
244 245
2.36. Dans son mémoire , puis dans la présente réplique , la République du Niger a retracé
de façon détaillée et précise, sur la base d’une documentation variée et abondante,
l’émergence du critère du cours du fleuve comme limite entre le Troisième territoire militaire
246
puis la colonie du Niger et la colonie du Dahomey à partir de 1901 . Le Bénin ne conteste
pas ce fait. Bien au contraire, abandonnant sa thèse intenable du contrôle des deux rives du
fleuve Niger par le Dahomey fondée sur le traité de protectorat du 21 octobre 1897 , il 247
reconnaît à plusieurs reprises dans son contre-mémoire qu’il existe sur ce point un accord
avec le Niger. Ainsi, après avoir critiqué l’idée de limite « naturelle » qu’il impute à tort,
comme vient de le montrer, au Niger, il écrit :
« Il n’en reste pas moins, et le Bénin l’admet d’autant plus volontiers qu’il en a lui-même fait état dans
son mémoire, qu’une décision a été prise par les autorités françaises fixant à partir de 1900 la limite du
248
Dahomey au fleuve, en lui retirant tout droit sur les territoires se situant sur sa rive gauche » .
Il poursuit, dans le paragraphe suivant :
241
C.M./R.B. p. 56, § 2.59.
242M.N., p. 90, § 2.2.6, cité par le Bénin, ibid.
243C.M./R.B. p. 56, § 2.59.
244M.N., pp. 90-109, §§ 2.25 à 2.2.59
245
Voy. supra, §§ 2.7 à 2.42
246
Voy. not. M.N., Annexes, série C, n° 3 et 4.
247
M/R.B., p. 119, § 5.15.
- 81Réplique de la République du Niger Chapitre II
« Il est exact que, par la suite, l’emprise du Dahomey sur les territoires situés sur la rive gauche du Niger
n’a jamais été rétablie. Malgré des revendications parfois insistantes de la part des autorités du Dahomey
quant à la création de certaines enclaves, les territoires situés sur la rive gauche sont demeurés, comme
décidé dès 1900, hors de leur emprise. Les Parties ne sont pas en désaccord sur ce point » 249
Et il ajoute dans la même veine :
« Le Bénin considère que l’arrêté de 1900 a retiré au Dahomey le contrôle qu’il exerçait ou avait vocation
à exercer sur les territoires situés sur la rive gauche du Niger. On peut en induire, comme le fait aussi le
Niger mais sur le fondement de sa thèse contestable de la limite « naturelle », que le fleuve Niger
constitue depuis cette date la limite entre le Dahomey et son voisin sur la rive gauche du fleuve, cette
limite étant fixée à la rive gauche du fleuve » .
La fin de la phrase est plutôt embrouillée, et l’on comprend aisément pourquoi : le dilemme
du Bénin, c’est de reconnaître à la fois que le fleuve Niger constitue la limite et que cette
limite est fixée sur la rive gauche du fleuve. D’où cette formulation alambiquée : « le fleuve
Niger constitue depuis cette date la limite entre le Dahomey et son voisin sur la rive gauche,
cette limite étant fixée à la rive gauche du fleuve ». S’il était aussi clair pour le Bénin que la
limite entre les deux colonies était sur la rive gauche, il eût été bien plus simple de dire : « la
rive gauche du fleuve Niger constitue la limite entre le Dahomey et son voisin », et d’éviter de
la sorte de feindre un accord sur ce point avec la République du Niger pour ensuite le remettre
en cause aussitôt.
2.37. Mais on ne peut s’empêcher de constater un accord entre les parties sur la fixation de la
limite au fleuve Niger, que souligne de façon insistante le Bénin. Car, après les trois
paragraphes déjà cités, la partie adverse écrit encore :
« Le Niger consacre quelques pages à montrer que la limite est mentionnée, dans un certain nombre de
documents, comme étant fixée par « le cours du fleuve Niger ». Ce point n’est pas contesté par la
République du Bénin » . 251
Le Niger ne peut que s’en réjouir, et en prendre acte.
248
C.M./R.B., p. 58, § 2.64.
249
Ibid., p. 58, § 2.65 ; italiques ajoutées.
250Ibid. , p.59, § 2.66.
251Ibid. , p.59, § 2.67 ; italiques ajoutées.
- 82Réplique de la République du Niger Chapitre II
2.38. Confondu par une documentation abondante et concordante, le Bénin concède, mais
essaie de ruser. Sa thèse principale de la « limite sur la rive gauche » étant battue en brèche, il
tente une construction techniquement insoutenable en essayant de combiner l’idée d’une
limite qui suit le cours du fleuve avec celle d’une limite sur la rive gauche. Selon lui, « la
mention imprécise du cours du Niger […] peut tout autant renvoyer à ses rives qu’à une ligne
252
qui se situerait dans son lit » ; le Niger tente donc « de solliciter l’expression « cours du
fleuve » au-delà du sens que lui ont attribué [les] textes » en déduisant que « la limite se
trouverait « dans » le cours du fleuve, à l’exclusion de l’un ou l’autre de ses rives » . 253
1. Le sens des notions de « cours » et de « rive » d’un fleuve
2.39. Il existe donc entre les deux parties un désaccord fondamental sur le sens de l'expression
« cours du fleuve ». Déjà, dans son mémoire, le Bénin semblait ne pas faire de différence
entre le cours et la rive. Ainsi, au paragraphe 5.03 de sa première pièce écrite, il écrivait :
« La République du Bénin montrera d’abord que la frontière suit le cours du fleuve sur sa rive
254
gauche » .
La formulation est ambiguë et un tant soit peu confuse. Cette confusion persiste dans son
contre-mémoire, où il apparaît que, selon la partie adverse,
« la notion de cours d’eau est une notion générale pour désigner le cours d’un fleuve ou d’une rivière.
Tout cours d’eau ayant nécessairement un « bord », la notion de rive est évidemment comprise dans celle
255
de cours d’eau, de cours d’un fleuve ou d’une rivière » .
2.40. Il convient de dénoncer d'emblée la manœuvre à laquelle se livre le Bénin, en opérant
plus ou moins subtilement un glissement de la notion de « cours du fleuve » à celle de « cours
d’eau », qui lui permet d’affirmer que ce dernier comprend les rives. La manœuvre est un peu
grossière et ne peut abuser personne. Aucun des documents produits ne parle de « cours
d’eau » ; ils font tous référence au cours d’un fleuve précis : le « cours du Niger », qu’ils
visent également en parlant du « cours du fleuve ». En d'autres termes, c'est en quelque sorte
le "cours du cours d'eau" en cause que visent ces différents textes. Pris dans ce sens, c’est
25Ibid., p. 59, § 2.69.
253Ibid., p. 59, § 2.67.
254
Voy. M.R.B., p. 115, § 5.03 ; cité dans C.M./R.B., p. 59, note 244..
255C.M./R.B., p. 121, § 2. 2.33.
- 83Réplique de la République du Niger Chapitre II
bien l’eau du fleuve, le liquide qui s’écoule, qui est visé et non pas le « terme général »
« cours d’eau » qui désigne « à la fois le contenant et le contenu (parfois nul) » comme le
définit le Dictionnaire français d’hydrographie de surface que le Bénin cite ici à mauvais
256
escient .
Mais au-delà de cette tentative d'amalgame, il convient de relever la confusion fondamentale
qu'opère le Bénin entre les termes "cours" et "rive", car les deux notions ont des significations
tout à fait différentes. Selon les lexiques courants, le « cours » est l’«[é]coulement continu de
l’eau des fleuves, des rivières, des ruisseaux » , alors que le terme « rive » désigne une
« ligne de démarcation entre l’eau et le sol le long d’un cours d’eau (côté sol) », la « bordure
258 259
d’une rivière » , une « bande de terre qui borde un cours d’eau » . Le Vocabulaire
juridique de Gérard Cornu, dont l’autorité est établie dans le domaine de la science juridique,
ne dit pas autre chose. On peut y lire : « Rives des cours d’eau : Bandes de terre qui bordent le
260
cours d’eau » . Ces définitions sont confirmées par les manuels techniques relatifs à
l’hydrologie . Ainsi, alors que le « cours » d’un fleuve ou d’une rivière est mouvant, la
« rive », elle, est fixe ; le cours est liquide, la rive est solide.
2.41. L’approche spécifique de la notion de « frontière à la rive » en droit international
confirme cette conception. En effet, le Dictionnaire de droit international public entend par
frontière à la rive :
- d’une part, A :
Une « [f]rontière qui suit la rive d’un cours d’eau »;
256Ibid., p. 121, § 2. 2.33.
257Voy. Dictionnaire Le Petit Robert.
258M.F. Roche, Dictionnaire d’hydrologie de surface , Paris, Masson, 1986, p. 185 ; v. aussi Dictionnaire de droit
international public, Bruxelles/Paris, Bruylant/AUF, 2001, p. 1012.
259Voy. Dictionnaire Le Petit Robert.
260 e
Voy. 4 éd. Paris, P.U.F, 2003, p. 802.
261
Voy. not. : Marcel F. Roche, op.cit ; Organisation mondiale de la Météorologie (OMM), Guide des pratiques
hydrologiques, OMM, n° 168, 5 éd., 829 p.
- 84Réplique de la République du Niger Chapitre II
- d’autre part, B :
Une « [f]rontière passant à une certaine distance de l’une des rives du cours d’eau ; il s’agit alors d’une
262
frontière fixée par référence au cours d’eau plutôt que d’une frontière aquatique authentique » .
Les exemples cités pour illustrer ce second sens de l’expression sont particulièrement
éloquents et méritent par conséquent d’être reproduits in extenso :
« A partir de ce point, la ligne-frontière suivra la rive droite jusqu’à Yarbatenda, à une distance de dix
kilomètres du fleuve » (arrangement franco-britannique du 10 août 1889, relatif à la délimitation des
possessions sur la côte occidentale de l’Afrique, art. 1, al.1, C.T.S, vol. 172, p.185).
« En Afrique orientale la sphère d’influence de l’Allemagne est limitée : (…) 2. Au Sud par une ligne qui,
commençant à la frontière septentrionale de la Province du Mozambique, suit le cours du fleuve Rovuma
jusqu’au point où celui-ci s’unit au Mainje ; à partir de ce point, la ligne longe le parallèle de ce dernier
jusqu’au lac Nyassa ; puis elle continue vers le Nord, suivant les rives est, nord et ouest du lac jusqu’à la
er
rive septentrionale de l’embouchure du fleuve Songroé (…) » (accord germano-britannique du 1 juillet
1890 relatif à Zanzibar, Helgoland et aux zones d’influence des deux pays en Afrique, art. 1, § 2, C.T.S,
vol. 173, p. 271) (traduction) .3
Il ressort de tout ce qui précède qu’une frontière ne peut être constituée à la fois par le cours et
par la rive.
2.42. Ainsi donc, si une Partie « sollicite l’expression [cours du fleuve] au-delà du sens que
lui ont donné les textes » , c’est bien le Bénin.
Or, il convient de rappeler à ce sujet les règles d’interprétation bien établies dans la
jurisprudence internationale. Si cette jurisprudence a été élaborée en général à l’occasion de
l’interprétation des traités, rien n’interdit son application à l’acte unilatéral d’un Etat soumis à
interprétation dans l’ordre juridique international. Le juge international ne peut appliquer en
la matière que les règles applicables dans son ordre juridique de référence. Dans cet ordre
d’idées, il est établi en droit international que les termes d’un texte, plus précisément, du texte
d’un traité sont présumés avoir leur sens naturel et ordinaire. Cette règle d’interprétation a été
clairement dégagée par la Cour de La Haye, puis rappelée dans diverses affaires.
262
Dictionnaire de droit international, op. cit., p. 521.
263Ibid., pp. 521-522.
264C.M./R.B., p. 59, § 2.67 ; voy. aussi p. 121, § 2. 2.33.
- 85Réplique de la République du Niger Chapitre II
Dans l’affaire du Service postal polonais à Dantzig, la C.P.J.I. s’est exprimée de la manière
suivante :
« C’est un principe fondamental d’interprétation que les mots doivent être interprétés selon le sens qu’ils
auraient normalement dans leur contexte, à moins que l’interprétation ainsi donnée ne conduise à des
265
résultats déraisonnables ou absurdes » .
La C.I.J. a rappelé la règle dans l’affaire de la Compétence de l’Assemblée générale pour
l’admission d’un Etat aux Nations Unies :
« Quand la Cour peut donner effet à la disposition d’un traité en donnant aux mots dont on s’est servi leur
sens naturel et ordinaire, elle ne peut interpréter ces mots en cherchant à leur donner une autre
266
signification » .
Il résulte de cette règle qu’il incombe à la partie qui allègue qu’un mot a un sens particulier,
d’en apporter la preuve. La C.P.J.I. l’a clairement indiqué dans l’affaire du Statut juridique du
Groenland oriental :
« le sens géographique du terme ‘Groenland’, c’est-à-dire la dénomination qui est généralement employée
dans les cartes pour indiquer l’île tout entière, doit être considéré comme l’acception usuelle de ce terme.
Si l’une des Parties allègue qu’un sens inusité ou exceptionnel doit y être attaché, c’est cette Partie qui
doit établir le bien-fondé de ce qu’elle avance » .67
Le Tribunal arbitral s’est prononcé dans le même sens en l’Affaire des réparations
allemandes selon l’article 260 du Traité de Versailles :
« C’est donc à celui qui prétend néanmoins que, dans le cas qui nous occupe les expressions en question
ont été employées dans un sens spécial qu’incombe le fardeau d’en fournir la preuve » . 268
Dans l’affaire « Laguna del Desierto » entre l’Argentine et le Chili, le tribunal arbitral a
réaffirmé la même règle :
« A party who seeks to give to a term used in a legal text an exceptional or unusual meaning different
269
from its ordinary meaning must prove this ».
265
C.P.J.I., Service postal polonais à Dantzig, avis du 16 mai 1925, Série B, n° 11, p. 39.
266
C.I.J., Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux Nations Unies, avis du 3 mars 1950, Recueil
1950, p. 8.
267
C.P.J.I., Statut juridique du Groenland oriental, arrêt du 5 avril 1933, Série A/B, n° 53 p. 49. Voy. encore dans ce
sens C.I.J., Différend frontalier, terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), arrêt du 11 septembre 1992, Recueil
1992, p. 585.
268
Affaire des réparations allemandes selon l’article 260 du Traité de Versailles, 3 septembre 1924, R.S.A., vol. I, p. 458.
- 86Réplique de la République du Niger Chapitre II
Pourtant, contrairement à ce qu'énoncent tous ces précédents, le Bénin n'avance pas le
moindre élément d'explication pour justifier que la notion de "cours du fleuve" soit comprise
dans un autre sens que son sens ordinaire et doive englober les rives du Niger.
2. L'argument de la prétendue instabilité de la rive droite du fleuve Niger est dépourvu de
fondement
2.43. Le Bénin prétend que c’est entre autre l’instabilité de la rive droite du fleuve Niger qui
a amené la puissance coloniale à préférer une limite à la rive gauche ; le Bénin soutient cette
idée en s’appuyant sur une consultation sollicitée pour les besoins de la cause, et qui prétend
que la rive gauche est « beaucoup plus stable » « depuis la confluence avec la rivière Mékrou
jusqu’à la frontière avec le Nigeria », alors que « la rive droite du fleuve se présente comme
270
une zone marécageuse aux limites difficilement définissables» . La République du Niger
271
reviendra plus loin sur l'exactitude de cette distinction , mais relève dès à présent qu'elle
montre, par déduction, que le Bénin admet bien qu’il y a une différence entre cours
(prétendument instable) du fleuve et rive (prétendument stable).
2.44. Et ce n’est pas l’utilisation anachronique que la partie adverse fait d’une jurisprudence
du Conseil d’Etat français —au demeurant non pertinente par rapport à la présente espèce—
qui pourrait accréditer sa thèse de la limite à la rive. En effet, le Bénin s’appuie sur deux
arrêts du Conseil d’Etat, l’un de 1997 et l’autre de 1981, en faisant fi de tous les principes
bien établis du droit intertemporel, pour affirmer que
« [l]e territoire des circonscriptions administratives, quel que soit par ailleurs leur statut peut englober le
lit d’une rivière (…) de la même façon qu’elle peut englober tout ou partie de la mer territoriale (…) » .
Or, dès lors que les règles de l’époque ne sont plus en vigueur, elles ne peuvent plus être
interprétées à la lumière du droit d’aujourd’hui. Elles produisent leurs effets aujourd’hui dans
le sens que leur attachait le droit de l’époque, comme l’a rappelé la Cour dans l’affaire de la
269
Dispute concerning the course of the frontier between BP 62 and Mount Fitzroy (Argentina/Chile) («Laguna del
Desierto»), 21 octobre 1994, I.L.R.,. vol. 113, p. 73.
27C.M./R.B. p. 42, § 2.12 et C.M./R.B., n° 27, p. 2 ;italiques ajoutées.
27Voy. infra, § 3.67.
272
Ibid., p. 91, § 2. 146
- 87Réplique de la République du Niger Chapitre II
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria . Autrement dit, dans la
présente espèce, ce n’est pas la façon dont le Conseil d’Etat français – ou le pouvoir législatif
ou exécutif – conçoit aujourd’hui la détermination des limites territoriales d’une
circonscription administrative bordée par un cours d’eau qui importe, mais la conception
qu’en avait cette auguste juridiction à l’époque.
2.45. Du reste, la République du Niger cherche en vain le rapport entre les propos précités du
Bénin et la question de la fixation de la limite sur une rive ou dans le cours d’un fleuve. C’est
un chemin bien sinueux pour essayer de convaincre de ce que la colonie du Dahomey pouvait
englober tout le fleuve Niger sur son territoire et que dès lors la thèse béninoise de la limite
sur la rive gauche trouve une assise tant en droit interne qu’en droit international. Seulement,
la construction théorique du Bénin n’épouse pas les faits : en près de 60 ans, de 1901 à 1960,
aucun acte de l’administration coloniale, aucun document ou rapport de mission, aucune autre
correspondance administrative n’ont jamais consacré la limite à la rive gauche du fleuve
Niger. Même la lettre du 27 août 1954 ne parle pas de limite à la rive, mais d’une limite
constituée par « la ligne des plus hautes eaux côté rive gauche », ce qui n’est pas du tout la
274
même chose .
2.46. Au demeurant, la prétendue stabilité de la rive gauche par rapport à la rive droite est
démentie par les constatations :
- du rapport Beneyton qui mentionne —sans distinguer la rive droite de la rive
gauche— que
"les berges, constamment affouillées, s'effritent …"27 ;
273Après avoir évoqué son avis consultatif sur l’affaire du Sahara occidental, dans lequel elle déclara que, à l’égard des
territoires qui n’étaient pas sans maître, mais étaient habités par des tribus ou des peuples dotés d’une organisation sociale et
politique « on voyait dans [l]es accords avec les chefs locaux…un mode d’acquisition dérivé » (C.I.J., Recueil 1975, p. 39),
la Cour écrit :
« Même si ce mode d’acquisition ne correspond pas au droit international actuel, le principe du droit intertemporel
impose de donner effet aujourd’hui, dans la présente instance, aux conséquences juridiques des traités alors
intervenus dans le delta du Niger » (C.I.J., arrêt du 10 octobre 2002, Recueil 2002, § 205).
Et, considérant que ce type de traités furent des « traités de cession de territoire » et non pas des traités de protectorat de droit
international,
« [l]a Cour conclut par conséquent que, au regard du droit qui prévalait à l’époque, la Grande Bretagne en 1913,
pouvait déterminer sa frontière avec l’Allemagne, y compris pour ce qui est de sa partie méridionale » (ibid., §
209 ; italiques ajoutées).
274
C.M.N., p. 87, § 3.1.
275M.N., Annexes, série C, n° 48, p. 6.
- 88Réplique de la République du Niger Chapitre II
- du sous-comité technique en 1998 qui mentionne à son tour ce qui suit, sans
distinguer les rives :
"[…] le Comité a eu à constater que les berges des îles et les rives du fleuve sont fortement érodées ;
277
- de l'étude IGN-France international de 2003 fournie par le Bénin , dont il résulte que
des modifications (creusements) peuvent aussi bien affecter la rive gauche que la rive
278
droite. Il suffit d'ailleurs de consulter les différentes "images" SPOT 5 de 2002
pour s'en rendre compte. La rive gauche est modifiée de manière significative sur les
planches 5, 10, 10bis, 12, 13, 14, 16, 17, 18, 19, et 20 ;
- du fait que, pour se protéger de l'inondation en période de crue, le Niger a construit
une digue de protection sur la rive gauche, pour mettre à l’abri des inondations
100.000 hectares de terres irrigables en amont de la frontière avec le Nigeria.
279
2.47. De même, l'argument tiré du toponyme Bangagoungou qui apparaît sur la carte
280
Hourst n° 38 feuille Kompa contredit la thèse du Bénin selon laquelle le colonisateur aurait
choisi délibérément d'établir la limite à la rive gauche car celle-ci serait plus stable. Le
village de Bangagoungou – qui, selon le Bénin, serait une ancienne île se trouve situé, sur la
carte Hourst, à environ 2 kilomètres de la rive gauche. Si une modification du cours du fleuve
avait eu lieu - au demeurant longtemps avant l'époque de Hourst vu l'endroit où ce dernier
situe le village - ceci signifierait une très sérieuse instabilité de la rive gauche, ce qui s'allie
mal avec la thèse du Bénin selon laquelle la rive gauche est plus stable. Au surplus, on
relèvera que les développements du Bénin sur ce point sont douteux. L'épithète "goungou"
n'est pas toujours utilisé pour désigner une île dans le sens d'une émergence entourée d'eau.
Ce terme s'emploie également pour désigner une localité entourée d'arbustes (Namari
Goungou par exemple).
2.48. Ainsi donc, comme la République du Niger l’a montré dans son mémoire , l’idée de la 281
limite à la rive a été écartée de tout temps pendant la période coloniale. Et ceci est vrai d’une
276M.N., Annexes, série A, n° 25.
277C.M./R.B., annexe n° 28.
278
C.M./R.B., annexe n° 26.
279C.M./R.B., § 2.10.
280
M.N., Annexes, série D, n° 2.
281
M.N., pp. 109-111, §§ 2.2.61 à 2.2.66.
- 89Réplique de la République du Niger Chapitre II
limite à la rive gauche comme d’une limite à la rive droite, ainsi que l’atteste, pour la rive
gauche l’inapplication de la lettre de Raynier, et pour la rive droite l’échec des tentatives de la
colonie du Haut-Sénégal et Niger en 1909, puis du Territoire militaire du Niger en 1910 et
1912, et de la colonie du Niger en 1925 de placer la limite sur cette rive. Autrement dit, ce ne
sont pas les revendications exprimées par les deux riverains du fleuve Niger en vue d’obtenir
la limite sur l’une ou l’autre rive qui pourraient être opposées à la fixation de la limite dans le
fleuve ; bien au contraire le rejet de chacune d’elle confirme la prégnance de la limite dans le
fleuve et non sur les rives. Cette solution a d'ailleurs été amplement confirmée par la pratique
des autorités coloniales, dont la pertinence est irréfutable.
Section 2 -
La pertinence de la pratique des autorités coloniales est irréfutable
2.49. La République du Niger a fourni divers éléments de la pratique pour établir que la
colonie du Niger a administré régulièrement et durablement le fleuve Niger pendant la période
coloniale, ce qui prouve que la limite avec la colonie du Dahomey ne pouvait être fixée à la
rive gauche, comme le prétend aujourd’hui le Bénin. La République du Bénin ne nie pas
l’existence de cette pratique. Elle reconnaît même que celle-ci
« atteste bien que les autorités de la colonie du Niger ont utilisé et ont administré le fleuve à une certaine
282
époque » .
2.50. Mais, ne pouvant nier les faits, le Bénin cherche à leur dénier toute portée juridique au
moyen de deux procédés. D’une part, la partie adverse essaie de jouer sur les mots, en
écrivant qu’elle
« utilise ici et utilisera par la suite le terme « administrer » utilisé par le Niger, comme équivalent au
terme « organiser » ou « gérer » » .
L’objectif est de montrer que la colonie du Niger n’agissait pas alors en tant que
«souverain » ; mais c’est enfoncer une porte ouverte, dans la mesure où c’est une donnée
élémentaire qu’une colonie ne peut agir comme souverain (sous-section A).
28C.M./R.B., p. 60, § 2.73.
28Ibid.
- 90Réplique de la République du Niger Chapitre II
D’autre part, selon le Bénin, la pratique invoquée par le Niger,
284
« est dénuée toutefois de toute portée juridique dans le cadre du présent différend »
parce que, lus à la lumière des « différentes précisions » fournies par la République du Bénin ,
« les divers documents invoqués par le Niger se trouvent évidemment privés de toute portée juridique et
285
ne peuvent donc appuyer le moindre titre territorial à son profit dans le secteur du fleuve Niger » .
Il s’agit là d’une construction fondée sur une lecture encore une fois, soit trop cursive, soit qui
fait dire aux textes ce qu’ils ne disent pas.La République du Niger confirmera, à la lumière
d’une présentation plus complète et précise des documents déjà produits, ainsi que de
nouvelles pièces, la pertinence de la pratique des autorités administratives coloniales qui
atteste de l’administration du fleuve Niger par la colonie du Niger et appuie de ce fait la thèse
nigérienne de la limite dans le cours du fleuve (sous-section B). Ces documents prouvent sans
conteste que le Niger exerçait ces activités d’administration et de gestion du fleuve sur la base
des actes de puissance publique (sous-section C).
Sous-section A - Le Territoire, puis la colonie, du Niger n’ont pas agi et ne pouvaient pas
agir en tant que « souverain »
2.51. Selon le Bénin, l’« administration » du fleuve Niger
« était réalisée par les autorités nigériennes, non pas « à titre de souverain », c’est-à-dire pour le compte
de la colonie du Niger, mais pour le compte du Gouvernement général de l’A.O.F, en son nom et sur
délégation de celui-ci » .
Il s’agissait donc, de l’avis de la partie adverse, simplement d’une « administration
287
déléguée » .
2.52. L’utilisation répétée par le Bénin des termes « souverain » ou « à titre de souverain »
laisse pour le moins perplexe en l’occurrence. Il serait sans doute déplacé de rappeler à la
partie béninoise la signification du terme « souverain » en droit international. Il est
incompréhensible que le Bénin ait poussé la confusion sur ce terme au point d’invoquer la
284Ibid.
285
Ibid., p. 66, § 2.87.
286Ibid, p. 61, § 2.73.
- 91Réplique de la République du Niger Chapitre II
jurisprudence de la C.P.J.I. dans l’affaire du Statut juridique du Groenland oriental. En citant
le passage de cet arrêt suivant lequel une prétention de souveraineté fondée sur « un exercice
continu d’autorité implique deux éléments dont l’existence, pour chacun, doit être démontrée :
l’intention et la volonté d’agir en qualité de souverain, et quelque manifestation ou exercice
288
effectif de cette autorité » , on voit bien que le Bénin a perdu de vue quel était le statut
international des protagonistes de la présente affaire au moment où ont eu lieu les faits
constitutifs de la pratique invoquée. Dans l’affaire du Groenland oriental, le Danemark et la
Norvège étaient des Etats souverains. Dans la présente affaire, le Niger et le Bénin étaient des
colonies au moment des faits. On ne peut appliquer à celles-ci une règle formulée à propos
d'Etats souverains sans faire d'amalgame. Et ce n’est pas le fait de mettre ces mots entre
guillemets qui évite la confusion lorsque l’on développe à ce point la notion de souveraineté
en l’espèce.
2.53. A l’époque considérée dans la présente espèce, il n’y avait de souverain dans aucune
colonie, et aucune colonie ne constituait une entité souveraine. Le seul souverain était
évidemment la France, et les différentes colonies ne pouvaient manifestement pas agir en tant
que souverain. Mais la souveraineté est une chose et les compétences en matière
d’organisation et de gestion dévolues à une entité non souveraine en est une autre. Et le fait
que la souveraineté dans les territoires coloniaux fût française ne signifie pas que les colonies
n’avaient pas de compétences propres.
C’est d'ailleurs en vertu de ces compétences que les autorités du territoire du Niger tiraient,
d’une part, du rattachement du « bief du fleuve Niger » au territoire du Niger et, d’autre part,
des arrêtés de 1919, 1934 et 1942 relatifs au transport sur le fleuve Niger, qu’elles ont
administré ce fleuve pendant la période coloniale. Cette «effectivité » montre très clairement
que la limite intercoloniale entre le Niger et le Dahomey n’était pas fixée sur la rive gauche,
mais bien dans le cours du fleuve. C’est ce que la République du Niger entend confirmer dans
la sous-section qui suit, à la suite de l’exposé détaillé des faits qu’elle a déjà présenté à ce
sujet dans son mémoire 289et son contre-mémoire . 290
28Ibid.
288
C.P.J.I., Arrêt du 5 avril 1933, Série A/B, n° 53, pp. 45-46, cité par le Bénin : C.M./R.B., p. 61, n° 251.
28Voy. M.N., pp. 102 à 109, §§ 2.2.42 à 2.2.59.
29Voy. C.M.N., pp. 94 à 110, §§ 3.13 à 3.39.
- 92Réplique de la République du Niger Chapitre II
Sous-section B - Les documents de la période coloniale confirment l’administration du
fleuve par la colonie du Niger et appuient la thèse nigérienne de la limite dans le fleuve
2.54. Afin de contester l’argument du Niger selon lequel « [d]e nombreux actes posés par les
administrations du Territoire, puis de la colonie, du Niger indiquent que, des origines à 1934,
l’organisation et la gestion de la navigation sur le bief fluvial Niamey-Gaya ont été assurées
exclusivement par la colonie du Niger », établissant par –là « clairement l’exercice par le
Niger de compétences dans le cours du fleuve » 291, le Bénin prétend que cet argument est
« faux et incomplet » . Il en serait ainsi
« dans la mesure où cette administration ne reposait pas uniquement ni même principalement, comme le
laisse entendre l’assertion nigérienne, sur des « actes posés par les administrations du Territoire, puis de
la colonie du Niger », mais avant tout sur des actes du gouverneur général de l’A.O.F. qui avait délégué
cette administration au nom de l’A.O.F., au Territoire puis à la colonie du Niger, lesquels devaient
293
s’acquitter de cette tâche non pas dans leur intérêt propre, mais dans l’intérêt de tous » .
2.55. C’est pour donner crédit à cette construction spéculative que le Bénin consacre de longs
développements à l’Office du Niger, dont la création serait, d’après lui, la preuve que le
fleuve était géré, fût-ce indirectement, par l’A.O.F. ou pour l’ensemble des colonies de
l’A.O.F. et non pas par une seule colonie, en l’occurrence le Niger. Par suite, la pratique
administrative invoquée par la République du Niger serait sans valeur et sans portée juridique
aucune dans la présente espèce, parce qu’elle s’inscrit dans le cadre de l’activité des
organismes intercoloniaux que furent l’Office du Niger et le Réseau Bénin-Niger. Car si, à
propos de ce dernier organisme, le Bénin concède que
« effectivement, « des origines [c’est-à-dire en réalité à partir des années 1910] à 1934 », des autorités
294
nigériennes ont été chargées d’assurer l’administration du transport fluvial sur le bief Niamey-Gaya » ,
c’est pour prétendre aussitôt que « [l]e service de la navigation sur le fleuve Niger a été confié
[…] à partir de 1934 aux autorités dahoméennes, lesquelles ont pu, sur ce fondement,
intervenir sur des territoires ne relevant pas de leur juridiction » . Ainsi, le « réseau du
291M.N., p. 104, § 2.2.47 ; cité par le Bénin : C.M/R.B., p. 63, § 2.79.
292C.M./R.B., p. 64, § 2.79.
293
Ibid.
294Ibid., p. 63, § 2.79.
295Ibid., p. 64, § 2.80.
- 93Réplique de la République du Niger Chapitre II
Bénin-Niger » « permit au gouverneur du Dahomey d’agir sur le territoire nigérien » . Le 296
Bénin en tire la conclusion suivante :
« Cette absence de toute implication du territoire dans l’administration de la navigation sur le fleuve
Niger s’explique par le fait que l’autorité centrale française a, depuis l’origine, placé l’ensemble du fleuve
Niger situé sur son territoire colonial, de sa source en Guinée à son entrée en territoire britannique du
Nigeria sous un régime commun de gestion dépendant de sa seule compétence » . 297
2.56. On ignore sur quel texte juridique ou document administratif le Bénin fonde une telle
affirmation. Comme de coutume, la partie adverse s’en tient à des généralités, ignorant les
détails des textes et les éléments de la pratique. En effet, un examen minutieux de l’ensemble
de ces données aurait permis au Bénin de réaliser qu’il fait erreur, d’une part, sur le statut et le
champ d’action territorial de l’Office du Niger qui, contrairement à ce que prétend le Bénin,
était territorialement limité au Soudan français (1) , d’autre part, sur le domaine de
compétences respectifs des colonies du Niger et du Dahomey dans le cadre du Réseau Bénin-
Niger, car même dans ce cadre, le Niger continuait de gérer la navigation sur le fleuve (2).
1. L’Office du Niger était un organisme colonial territorialement limité au Soudan français
2.57. Selon le Bénin,
«[l]a création de l’Office du Niger, sa structure, son fonctionnement et son objet montrent donc bien que
c’était [sic] les autorités centrales de la République française, puis le gouverneur général de l’Afrique
occidentale française qui avaient la haute main sur la gestion du fleuve. Lorsqu’un gouverneur local
intervenait, c’était par conséquent nécessairement pour le compte d’autres gouverneurs intéressés ou au
nom du gouverneur général de l'A.O.F. Mais cela ne pouvait en aucune manière être au nom et pour le
compte de sa propre colonie, puisque la compétence à cet effet lui faisait clairement défaut » .
Cette affirmation est la conclusion de développements qui ne montrent pas en quoi consistait
cette « haute main sur la gestion du fleuve ». On se demande d’où le Bénin a pu tirer une telle
conclusion puisque ni les textes créant, organisant et réorganisant l’Office du Niger, ni la
pratique de l’Office dans son fonctionnement concret n’autorisent une telle conclusion, et ce
d’autant moins que l’Office du Niger ne s’occupait nullement de la navigation.
296Ibid.
297
Ibid.
298C.M./R.B., p. 66, § 2.85.
- 94Réplique de la République du Niger Chapitre II
2.58. Aux termes de l’article 1 du décret du ministre des Colonies en date du 5 janvier 1932
instituant l’Office du Niger, celui-ci a
« pour objet l’étude, l’aménagement et la mise en valeur de la vallée du Niger »,
pas l’organisation ou la gestion de la navigation sur le fleuve Niger. Comme l’a écrit
l’historien Joseph-Roger de Benoist :
« Il s’agissait d’utiliser la vaste zone d’inondation appelée delta intérieur du Niger (en aval de Ségou)
pour réaliser une gigantesque opération de culture irriguée (riz et coton)…
La clef de voûte était le barrage de retenue et de régularisation qui fut implanté près de Sansanding, à
299
Markala [au Soudan]. Commencée en 1934, la construction du gros œuvre était achevée en 1940 » .
A propos des efforts de mise en valeur de la colonie du Soudan, Samir Amin, alors chercheur
à l’Institut africain de développement économique et de planification de Dakar, mis en place
par les Nations Unies, écrit :
« Dans les années 30, l’effort a été transféré vers l’aménagement des terres irriguées : environ 20.000
hectares dans la région du delta central du Niger, en aval de Ségou, entrepris dans le cadre de l’Office du
300
Niger, sur lesquels des colons seront installés, par petites parcelles » .
Ainsi, contrairement à ce que fait croire le Bénin dans son contre-mémoire, le champ d’action
de l’Office du Niger était limité au territoire soudanais, dans la zone en aval de Ségou, raison
pour laquelle le siège de l’Office était à Ségou comme le dispose l’article 1 du décret de er
1932. Il y a lieu de rappeler que Ségou est situé en territoire malien, à plus de 1.000
kilomètres de la frontière du Niger.
2.59. Les travaux de Georges Spitz, gouverneur honoraire des Colonies —balaient le moindre
doute sur le fait que l’Office du Niger était territorialement circonscrit au Soudan français, et
n’exploitait donc le fleuve Niger que sur le tronçon qui traversait cette colonie. Dans son
ouvrage intitulé Sansanding - Les irrigations du Niger, après avoir rappelé l’objet et la
localisation du siège de l’Office du Niger qui était, comme on l’a vu, à Ségou, au Soudan
français, il indique que l’Office
299
Joseph-Roger de BENOIST, La balkanisation de l’Afrique occidentale française. Les nouvelles éditions africaines, Dakar,
1979, p. 39; italiques ajoutées; R.N., Annexes, série E, n° 36.
300Samir AMIN, « Le Soudan français. Le mirage de l’Office du Niger », in Etudes maliennes (revue trimestrielle) n° 26,
juillet 1978, p. 42 ; italiques ajoutées; R.N., Annexes, série E, n° 35.
- 95Réplique de la République du Niger Chapitre II
« englobait donc désormais tous les travaux d’équipement hydraulique et agricole réalisés par cette
colonie dans la vallée du Niger » .
De fait, toutes les réalisations de l’Office du Niger dans le delta du fleuve ont eu lieu au
Soudan français. Il en est ainsi notamment :
- du barrage de Sansanding, « exactement situé à Diamarobougou, à 8 kilomètres en
amont de la petite localité de Sansanding … » ; 302
- des programmes envisagés, en particulier le projet de 1929 qui portait sur une
superficie de 960.000 hectares de surfaces irrigable sur la rive gauche, dont 510.000
hectares de terres à coton dans les cantons du Kala supérieur et inférieur, du
Kouroumari, du Kokéri, du Farimaké et du Macina, et 450.000 hectares de terres à riz
dans la province du Macina et le canton de Karéri , toutes ces circonscriptions étant
soudanaises.
2.60. Organisme de développement de l’agriculture au Soudan français, l’Office du Niger a
du reste contribué essentiellement à l’essor de cette colonie et non pas de l’ensemble des
colonies de l’A.O.F.. Ceci ressort clairement de l’ouvrage d’Emil Schreyger, intitulé
significativement L’Office du Niger au Mali 1932 à 1982, qui confirme également que
304
l’Office du Niger a opéré uniquement au Mali (ancien Soudan français) , où il existe encore
305
d'ailleurs de nos jours .
Au demeurant, présentant le cadre géographique des activités de l’Office, l’auteur part de la
présentation du « panorama géographique général » de la seule « République du Mali », et
poursuit par celle du « milieu physique de la vallée du Niger », qu’il situe dans les secteurs de
Koulikoro à Sansanding où se trouve ce qu’il appelle le « delta mort » du Niger, et de
Diafarabé à Tombouctou, où
301Georges SPITZ, Sansanding. Les irrigations du Niger, Société d’éditions géographiques, maritimes et coloniales, Paris,
1949, p. 59 ; italiques ajoutées; R.N., Annexes, série E, n° 33.
302Ibid., p. 76.
303
Ibid., pp. 83-84.
304Voy. Emil SCHREYGER, L’Office du Niger au Mali 1932 à 1982 : la problématique d’une grande entreprise agricole
dans la zone du Sahel, Steiner, 1984, p. IX ; R.N., Annexes, série E, n° 37.
305Voy. e.a. "L'Office du Niger : Assurer la sécurité alimentaire pour le Mali", in Banque mondiale, Findings – région
Afrique, n° 61, mars 1997; R.N., Annexes, série E, n° 39.
- 96Réplique de la République du Niger Chapitre II
« le cours moyen du Niger se ralentit et le fleuve se ramifie pour former une immense plaine alluviale : le
delta intérieur. Le Bani, le plus important affluent du Niger, se jette près de Mopti dans le Niger dans un
enchevêtrement de bras et de lacs. Le plat pays qui s’étend jusqu’à Tombouctou est régulièrement sujet à
des inondations. Seuls quelques plateaux surélevés restent alors visibles hors de l’eau. En aval de
Tombouctou le Niger coule dans une vallée d’environ cinq kilomètres de large vers la République du
Niger » .6
Ainsi donc, le champ d’activités de l’Office du Niger était tout entier situé en territoire
soudanais (actuel Mali), loin en amont du secteur du fleuve coulant en territoire nigérien et
plus encore du secteur servant de limite entre les colonies du Niger et du Dahomey.
2.61. Il n’est pas douteux que, sur le plan juridique, l’Office était une création métropolitaine,
instituée en A.O.F. en tant qu’établissement public doté de la personnalité civile et de
l’autonomie financière. La République du Niger ne conteste pas ce statut juridique qui ressort
de l’article 1 du décret du 5 janvier 1932. Mais il est tout aussi indiscutable qu’il s’agissait,
comme l’écrit le Bénin lui-même, d’un organisme
« rattaché au gouverneur du Soudan, à la tête duquel fut nommé, par le gouverneur général de l’A.O.F.,
l’ingénieur Emile Belime rappelé d’Asie en raison de l’expérience qu’il avait acquise en matière
d’irrigation » .
Ce rattachement est confirmé par plusieurs facteurs. Il en est ainsi du lieu du siège (Ségou),
mais aussi de la composition de l’instance de direction, en l’occurrence le Conseil
d’administration de l’Office. D'après le décret du 5 janvier 1932 portant création de
308
l'Office , le conseil d'administration était composé des membres de droit, des membres
désignés par les départements intéressés, des membres désignés par le ministre des Colonies
et des membres désignés par le gouverneur général de l’A.O.F. Parmi ces derniers devaient
figurer deux représentants des intérêts coloniaux de l’A.O.F. Mais les colonies de l’A.O.F.
n’étaient pas directement ou expressément représentées dans ce conseil d’administration. Seul
le lieutenant gouverneur du Soudan, ainsi que le commissaire du gouvernement général,
avaient le droit d’assister « autant que les circonstances le permettent, aux réunions du conseil
d’administration où ils ont entrée avec voix consultative » (art. 6). Il existait par ailleurs un
comité local de surveillance présidé par le lieutenant-gouverneur du Soudan et comprenant,
30Ibid., pp. 4-5.
307
C.M./R.B., p. 65, § 2.81.
30Ibid., C.M./R.B., Annexe n° 8.
- 97Réplique de la République du Niger Chapitre II
outre le commissaire du gouvernement général auprès de l’Office, « deux notables indigènes
désignés par le gouverneur général sur proposition du lieutenant-gouverneur du Soudan
français » (art. 6) —et de nulle autre colonie. C’est dire que l’Office du Niger était un
organisme de l’A.O.F. créé par la métropole pour promouvoir l’agriculture, implanté
territorialement dans la colonie du Soudan français et géré avec le concours de l’autorité de
ladite colonie et d’elle seule, à l’exclusion des autres colonies de l’A.O.F.
2.62. La réorganisation de l’Office par le décret du 9 décembre 1941 309n'a pas modifié la
composition de ces organes. Les changements apportés à la composition du conseil
d’administration par le décret n° 48-1178 du 18 juillet 1948 310vont dans un sens qui conforte
le rôle du gouverneur du Soudan et confirment le fait que l’Office est une affaire strictement
soudanaise : désormais « trois notabilités africaines au moins et […] cinq au plus » sont
membres du conseil d’administration ; mais elles sont « désignées par arrêté du gouverneur du
Soudan et représent[ent] les populations installées sur les aménagements en cause » (art. 4).
En outre, figurent parmi les recettes de l’Office, les « dotations du gouvernement général de
l’Afrique occidentale française et du gouvernement du Soudan » (art. 17) —et celles d’aucune
autre colonie de l’A.O.F. Cette disposition est d’ailleurs maintenue à l’article 15 du décret n°
54-1092 du 22 octobre 1954 311modifiant et complétant celui du 18 juillet 1948.
2.63. En tout état de cause, quand bien même l’Office du Niger avait le statut d’organisme de
l’A.O.F., les compétences dévolues aux instances chargées de sa gestion étaient sans
préjudice des compétences habituelles des autorités de chaque colonie pour l’administration
du territoire placé sous leur autorité. En effet, il peut exister des régimes de gestion
internationale d’un bassin hydrographique —à l’instar de celui de l’Autorité du Bassin du
Niger (ABN), créé en 1983—, ou d’une activité donnée telle une exploitation agro-
industrielle liée à un bassin fluvial —comme dans le cas de l’Office du Niger—, sans que cela
remette en cause la souveraineté des Etats membres de l’organisme de gestion (cas de l’ABN)
ou le contrôle exercé par l’entité territoriale compétente sur l’espace territorial mis en
exploitation (colonie du Soudan) ou pour la gestion du cours d’eau concerné (colonie du
Niger par rapport au fleuve). Tout dépend en fait du type de compétences dont il est question.
Certaines d’entre elles peuvent effectivement être exercées pour le compte de l’autorité
30Ibid., C.M./R.B., Annexe n° 10.
310
J.O.R.F., 24 juillet 1948, p. 7238; R.N., Annexes, série B, n° 88.
31J.O.R.F., 10 novembre 1954, p. 10620; R.N., Annexes, série B, n° 89.
- 98Réplique de la République du Niger Chapitre II
internationale ou intercoloniale, mais d’autres peuvent simultanément continuer à être
exercées par l’Etat ou l’entité territoriale concernée dans le cadre de sa souveraineté (Etat) ou
de son autorité (entité coloniale) traditionnelle qui demeurent intactes dans tous les domaines
où ce n’est pas l’autorité internationale ou intercoloniale qui est investie de compétences
particulières.
2.64. Ainsi, l’existence de l’Office du Niger – à supposer même que celui-ci eût quelque
compétence dans la gestion du fleuve Niger, quod non – n’avait pas soustrait à la colonie du
Niger l’administration du fleuve. En effet, comme la République du Niger l’a déjà relevé,
l’Office du Niger avait pour objet « l’étude, l’aménagement et la mise en valeur de la vallée
du Niger » . Ceci n’impliquait aucune compétence particulière quant à l’administration du
fleuve. L'article 1 de l'arrêté de 1932 disposait à cet égard :
« Les travaux d’équipement hydraulique et agricole réalisés par la colonie dans la vallée du Niger seront
mis à la disposition de l’Office par des convention approuvées par décret » .
Ce passage parle de « la colonie » (au singulier), confirmant par là que l’Office du Niger était
territorialement rattaché à la seule colonie du Soudan français ; il montre également que la
réalisation des « travaux d’équipement hydraulique » qui, dans la zone, pouvaient être
effectués sur le fleuve Niger lui-même ou sur ses affluents était du ressort de la colonie
concernée.
2.65. Ainsi donc, l’affirmation béninoise selon laquelle l’
« absence de toute implication territoriale de l’administration de la navigation [de la colonie du Dahomey]
sur le fleuve Niger s’explique par le fait que l’autorité centrale française a, depuis l’origine, placé
l’ensemble du fleuve Niger situé sur son territoire colonial, de sa source en Guinée à son entrée en
314
territoire britannique sous un régime commun de gestion dépendant de sa seule compétence »
est non seulement non démontrée, mais est inexacte. Cette affirmation ne peut manifestement
pas être étayée par l’expérience de l’Office du Niger, dont on a vu qu’il était territorialement
campé dans la seule colonie du Soudan français, et que son activité ne portait pas sur
l’administration du fleuve, mais plutôt sur le parti qu’il pouvait en tirer pour ses travaux
d’aménagement et de mise en valeur agricoles. L’affirmation du Bénin ne peut pas plus
312 er
Article 1 , décret du 5 janvier 1932 (loc. cit).
31Italiques ajoutées.
- 99Réplique de la République du Niger Chapitre II
s’appuyer valablement sur l’expérience du « Réseau du Bénin au Niger », comme la
République du Niger va le montrer maintenant.
2. La prétention du Bénin selon laquelle l’administration du fleuve était exercée non pas
par le Niger mais par le « Réseau Bénin-Niger » est dépourvue de fondement
2.66. Le Bénin paraît peu réceptif à l’invocation de la pratique comme moyen d’établir le titre
de la République du Niger dans la présente affaire, en particulier en ce qui concerne
l’administration et la gestion du fleuve Niger. Cette attitude se manifeste :
- soit par la raillerie; le Niger, faute de textes précis,
« n’a d’autre choix dans son mémoire que de se référer à la « pratique », qui ne prouve rien en l’espèce,
315
des autorités coloniales » ;
- soit par une tendance prononcée à minimiser l’importance et le rôle de la pratique
invoquée par le Niger : le Bénin dénie ainsi
« toute portée juridique à la « pratique administrative constante » invoquée par le Niger » ;
- mais aussi par l'incapacité de la partie adverse à produire des éléments de la pratique
administrative de l’époque au soutien de sa propre thèse.
2.67. Pour dénier tout effet juridique à la pratique des autorités de la colonie du Niger sur le
fleuve, le Bénin développe le même type d’argument qu’à propos de l’Office du Niger. Il part
de l’idée de « déconcentration » des pouvoirs formulée par la doctrine en droit colonial 317 et
318
rappelée par le Niger dans son mémoire pour soutenir que les administrations du Territoire
n’avaient qu’un pouvoir délégué par le gouverneur général de l’A.O.F. dans la gestion du
314C.M./R.B., p. 64, § 2.80.
315C.M./R.B., p. 22, § 1.22.
316
Ibid., pp.60 et s., not. § 2.73.
317
Voy. not. Bernard Durand, « Les pouvoirs du Gouverneur général de l’A.O.F », in Charles Becker, Saliom Mbaye,
Ibrahima Thioub (sous la dir. de), A.O.F., réalités et héritages. Sociétés ouest-africaines et ordre colonial, 1895-1940, Tome
1, Direction des Archives du Sénégal, Dakar, 1997, p. 58.
318M.N., p. 108, § 2.2.58.
- 100Réplique de la République du Niger Chapitre II
fleuve et que les compétences exercées en la matière n’étant nullement celles du Niger; « il ne
319
peut donc rien en être inféré du point de vue du présent différend » .
Ce curieux raisonnement trahit, d’une part, un paradoxe, car le Bénin lui-même soutient
fermement quelques pages plus haut dans son contre-mémoire la thèse de la
320
« décentralisation » des compétences entre le gouvernement de l’A.O.F. et les colonies ;
d’autre part, la méconnaissance à la fois du droit colonial et des documents d’époque. La
République du Niger maintient que vis-à-vis du gouvernement général de l’A.O.F., les
compétences des autorités des différentes colonies relevaient de la
délégation/déconcentration. En règle générale, un certain nombre de compétences des
autorités ou administrations des colonies étaient nécessairement des compétences déléguées
dans la mesure où les colonies n’étaient que des composantes d’un ensemble colonial plus
vaste appelé l’A.O.F. Mais il apparaît tout à fait inconcevable que les autorités de l’A.O.F.
aient délégué un certain nombre de responsabilités et de fonctions sur le fleuve (en particulier
en matière de transport) à des autorités d’un territoire qui n’auraient pas disposé d’un
quelconque pouvoir ou contrôle sur le cours d’eau en cause.
2.68. Au demeurant, à côté des compétences déléguées, certaines compétences étaient propres
à la colonie du Niger en matière d’administration du fleuve Niger. A cet égard, il convient de
relever qu’aux termes de l’arrêté du 26 mai 1919 du gouverneur général de l’A.O.F. fixant le
transport par flottille des chalands du Territoire militaire sur le bief dépendant dudit territoire,
le remboursement des frais de transport de personnel et de matériel se fait « au budget annexe
321
du Territoire militaire du Niger » et non pas à celui de la colonie du Dahomey ni à celui de
l’A.O.F., et le suivi des remboursements des frais de transport est assuré soit par les services
centraux de la colonie, soit par les autorités administratives locales. Sur ce point, le Bénin
essaie de tirer argument du fait que le « remboursement des transports des particuliers et de
leur matériel est poursuivi directement par les soins du commandant de cercle de Niamey ou
322
des commandants de subdivision de Gaya et de Tillabery » . En effet, le Bénin note que
31C.M./R.B., p. 64, § 2.79.
32C.M./R.B., p. 21, § 1.20.
321
Article 6 de l’arrêté du 26 mai 1919; M.N., Annexes, série B, n° 35.
32Ibid.
- 101Réplique de la République du Niger Chapitre II
« les responsables de la flottille sont les administrateurs des cercles ou subdivisions de Niamey, Gaya et
Tillabery ; non pas le gouverneur de la colonie, ce qui prouve que l’administration du fleuve n’est pas liée
323
à la compétence territoriale de la colonie » .
Non seulement, le Bénin passe sous silence le fait que le remboursement au budget annexe du
Territoire militaire du Niger était poursuivi « dans les formes ordinaires par le Bureau des
Finances à Zinder » , alors capitale du Territoire militaire – pour les frais de transport de
personnel ou de matériel qui ne doivent pas rester à sa charge — mais encore il feint d’ignorer
que les administrateurs des cercles ou de subdivisions étaient sous l’autorité du gouverneur de
la colonie et non pas de celle du gouverneur général de l’A.O.F. Les cercles ou subdivisions
n’étant pas des entités administratives autonomes, ces autorités agissaient nécessairement au
nom du gouverneur de la colonie et sous son strict contrôle, quand bien même l’arrêté plaçait
la flottille « sous [leur] autorité directe » (art. 1).
2.69. Il y a lieu de relever par ailleurs que le texte même de l’arrêté de 1919, que le Bénin
cite , sans y faire très attention, dispose en son article premier que
« la flottille des chalands du territoire militaire assure le transport sur le bief dépendant dudit
territoire… » .6
Cette formulation est contenue également dans l’intitulé même de l’arrêté.
2.70. On sait que cet arrêté du 26 mai 1919 concernait le transport entre Niamey et Gaya et
entre Gaya et Malanville. Il visait donc aussi bien le cours du fleuve dans sa longueur, y
compris le secteur servant de limite entre le territoire du Niger et la colonie du Dahomey, que
la traversée du fleuve dans sa largeur entre Gaya, au Niger, et Malanville, au Dahomey.
Comment le Bénin entend-il concilier l’affirmation de l’exclusivité des compétences du
Dahomey sur cette partie du fleuve avec un rattachement aussi net de la gestion du transport
sur le fleuve au territoire du Niger ?
A l’évidence, la partie adverse ne peut concilier les deux idées, et ne cherche surtout pas à le
faire, parce qu’elle ne recule devant aucune contradiction. Le Bénin affirme ainsi que
323C.M./R.B., p. 68, § 2.90.
324Op. cit.
325
C.M./R.B., p. 67, §§ 2.88 et 2.89.
326M.N., Annexes, série B, n° 35 ; italiques ajoutées.
- 102Réplique de la République du Niger Chapitre II
« la colonie du Niger ne pouvait organiser le transport sur le secteur du fleuve intégré sur 339 Km à son
territoire terrestre sans en faire bénéficier le secteur contesté de 151 Km lui servant de frontière avec le
Dahomey… » . 327
Cela est vrai. Mais la partie adverse poursuit dans une explication confuse en ajoutant :
« …sans pour autant qu’elle [la colonie du Niger] soit considérée comme « souveraine » sur ce secteur.
La preuve en est que non seulement l’arrêté du 26 mai 1919 a visé également Malanville, situé sans
contestation en territoire du Dahomey, mais d’autres arrêtés locaux ont fait de même […]. Or la liaison
entre Malanville et Gaya et Malanville et Niamey n’amène pas la République du Bénin à revendiquer
Gaya et Niamey, ni la République du Niger à revendiquer Malanville. Cela prouve sans équivoque que le
service ainsi géré par les autorités nigériennes, sur délégation du gouverneur général de l’A.O.F., l’était
au nom de ce dernier et dans l’intérêt des différentes colonies intéressées, et non pas en tant
qu’administration « à titre de souverain » de la part de la colonie du Niger » .
2.71. La République du Niger a déjà exposé ses vues sur l'utilisation de la notion de
329
« souveraineté » à propos des colonies . Il lui suffit de rappeler ici qu’au regard de
l’organisation des pouvoirs au sein de l’A.O.F., l’essentiel des compétences qui s’exerçaient
dans les colonies l’étaient « au nom » du gouverneur général de l’A.O.F., sans que cette
articulation juridique entre les colonies et gouvernement général supprime pour autant l’assise
territoriale des compétences des autorités de chaque colonie et les implications ratione loci de
l’exercice de ces compétences.
2.72. Quant à la référence à Malanville tant dans l’arrêté du 26 mai 1919 que dans les arrêtés
locaux relatifs à l’organisation du transport sur le fleuve Niger, la République du Niger a du
mal à comprendre en quoi elle « prouve sans équivoque », quoi que ce soit : ces textes qui
organisent le transport « sur le bief dépendant [du Territoire militaire du Niger] » dans le sens
de la longueur du fleuve l’organisent également dans le sens de sa largeur entre deux localités
précises situées sur les deux rives du fleuve, Gaya, sur la rive gauche, au Niger, et Malanville,
sur la rive droite, au Dahomey. C’est la seule signification que peut avoir la référence à ces
localités, et cette référence ne fait en rien disparaître le fait que le Niger a assuré pendant la
période coloniale l’organisation du transport sur le bief dépendant de son territoire. La
République du Niger ne revendique ni Malanville – le Bénin l’admet lui-même 330– ni la rive
327C.M./R.B., p. 70, § 2.93.
328
Ibid.
329
Voy. supra, § 2.52.
330Ibid.
- 103Réplique de la République du Niger Chapitre II
droite du fleuve ; elle soutient que la frontière avec le Bénin dans le secteur concerné est dans
le cours du fleuve et suit le chenal principal.
2.73. Il convient de rappeler qu’il existait trois niveaux de compétences en matière de
navigation sur le fleuve Niger :
- Le premier niveau était celui du gouvernement métropolitain détenteur du pouvoir
réglementaire général en métropole et pour tout l’empire colonial français ; il adoptait
les textes applicables au régime des eaux et à la navigation comme en d’autres
matières ; il agissait par voie de décret.
- Le deuxième niveau était celui du gouverneur général de l’A.O.F., titulaire du pouvoir
réglementaire général dans les colonies de l’Afrique de l'ouest qui, à ce titre, a pris un
certain nombre d’arrêtés en matière de navigation sur le Niger, notamment :
o Arrêté du 26 mai 1919 fixant le transport par flottille de chalands du territoire
militaire sur le bief dépendant dudit territoire, des passagers, fonctionnaires et
militaires entretenus par les budgets coloniaux et locaux, de leurs bagages et du
matériel ;1
o Arrêté du 14 mars 1934 portant approbation de l’arrêté n° 1098 du 31 décembre
1933 du lieutenant-gouverneur du Niger organisant le service de la navigation du
Niger sur le tronçon Ansongo-Gaya ; 332
o Arrêté n° 2707 du 30 novembre 1934 portant création du réseau du Bénin au
Niger .33
- Le troisième niveau est celui du gouverneur de la colonie, détenteur d’un pouvoir
réglementaire limité ratione loci à sa colonie, et ratione materiae à certaines matières
pour lesquelles il a compétence pour prendre des mesures d’application des arrêtés du
gouverneur général de l’A.O.F. En l’occurrence, le lieutenant-gouverneur de la
colonie du Niger a pris un certain nombre d’arrêtés portant réglementation des
activités sur le fleuve Niger dans la partie relevant de cette colonie. Il en est ainsi, par
exemple des textes ci-après :
33M.N., Annexes, série B, n° 35.
332
M.N., Annexes, série B, n° 57.
33M.N., Annexes, série B, n° 58.
- 104Réplique de la République du Niger Chapitre II
o Arrêté local n° 57 du 21 avril 1925 fixant le prix de location des chalands de la
334
flottille du Niger
o Arrêté local n° 106 du 20 août 1927 fixant le mode d’exploitation des chalands de
la flottille du Niger ;35
o Arrêté local n° 46 du 20 mars 1928 relatif aux tarifs des transports fluviaux ; 336
o Arrêté local n° 107 du 17 septembre 1928 ayant le même objet ; 337
338
o Arrêté du 20 mars 1929 complétant le précédent ;
o Arrêté du 14 janvier 1930 mettant en service le vapeur Van Vollenhoven sur
339
parcours Niamey -Gaya ;
o Arrêté local n° 38 F du 13 janvier 1942 réglementant les transports par pirogue sur
le Niger 340
2.74. La République du Bénin n’explique pas pourquoi des compétences exercées – dans ces
chaînes de compétences réparties sur trois niveaux – par une autorité de l'administration
coloniale n’aurait pas la force probante d’une pratique positive. En effet, s’il faut enlever
toute implication aux actes et à la pratique des gouverneurs des colonies, voire des
responsables des cercles et des subdivisions, au motif qu’ils n’exerçaient que des
compétences déléguées, ou pire qu’ils n’étaient pas « souverains », il faudrait en faire de
même en ce qui concerne le gouverneur général de l’A.O.F. : lui aussi agissait par délégation,
au nom du gouvernement français de qui relevait en définitive l’ensemble des colonies. C’est
donc un faux débat que celui ouvert sur ce point par le Bénin ; c’est un débat spécieux qui
crée confusion et diversion, mais qui manque de consistance juridique. Car peu importe en
définitive que le Niger ait assuré l’organisation et la gestion de la navigation sur le fleuve en
tant que « souverain » ou au nom du gouverneur général de l’A.O.F. ; ce qui est fondamental
aux fins de la présente instance, c’est, d’une part, que ce soit le Niger qui l’ait fait et pas une
autre colonie, et que tous les textes de l’époque confirment que c’est bien le Niger et le Niger
seul qui était chargé de cette responsabilité ; d’autre part, qu’aucune autorité coloniale de
334M.N., Annexes, série B, n° 40.
335
M.N., Annexes, série B, n° 46.
336M.N., Annexes, série B, n° 49.
337M.N., Annexes, série B, n° 50.
338
M.N., Annexes, série B, n° 53.
339
M.N., Annexes, série B, n° 54.
340M.N., Annexes, série B, n° 63.
- 105Réplique de la République du Niger Chapitre II
l’époque, ni de la métropole, ni de l’A.O.F., ni du Dahomey n’ait jamais contesté le fait que
cette compétence fût exercée par le Niger.
2.75. Mais le Bénin essaie de faire valoir d’autres arguments pour annihiler les implications
juridiques de la pratique nigérienne sur le fleuve, dont il sait bien l’importance en l’absence
d’un titre conventionnel, législatif ou réglementaire clair et précis. C’est pourquoi il prétend
que « [l]es documents produits par le Niger ne sont donc pas de nature à éclairer la solution au
présent différend » . Cependant, il est bien embarrassé par le fait incontestable que, depuis
l’arrêté du 26 mais 1919 jusqu’à la création du « Réseau Bénin-Niger », le Niger a exercé de
façon exclusive, continue et sans conteste l’organisation et la gestion de la navigation sur le
fleuve Niger dans le secteur concerné.
2.76. De nouveaux documents découverts par la République du Niger confirment cet état de
fait :
- Dans une lettre n° 373 T.P. du 23 décembre 1932, le gouverneur des colonies,
lieutenant-gouverneur du Niger, Tillier, adressait au lieutenant-gouverneur du
Dahomey, deux ampliations du « Règlement fixant les conditions de voyage des
Passagers à bord du Vapeur Van Vollenhoven », et, « [d]ésirant lui donner la plus
large publicité possible, le priait
« de bien vouloir l’adresser à Monsieur le Commandant de Cercle de Savalou en le priant de bien vouloir
342
le faire afficher en bonne place au Buffet Hôtel de Savé » ;
- Le « Rapport sur la pêche » dans la colonie du Niger pour l’année 1932 commence
ainsi :
« Dans la colonie du Niger la pêche peut être pratiquée principalement :
1°-Sur le Niger et ses affluents (la Sirba, la Gorobi, et le Diamangou)
2°-sur les rives du Tchad et de la Komadougou » .
Ce rapport indique en outre que
341
Ibid., p. 70, § 2.94.
34R.N., Annexes, série C, n° 170.
343
R.N., Annexes, série C, n° 169 ; italiques ajoutées.
- 106Réplique de la République du Niger Chapitre II
« Sur le Niger même, l’autochtone ne se livre pas à la pêche, si ce n’est dans la subdivision de Gaya » .
Au demeurant, le rapport estime que les populations nigériennes concernées ne tirent pas
suffisamment parti du fleuve en terme de pêche. Il observe :
« Il faudra que les populations de l’Ouest de la Colonie suivent l’exemple de l’Est et se décident à tirer
parti de la richesse en poisson du Niger […]
Des instructions ont été données aux Cercles intéressés pour vulgariser la pêche – Il faut espérer
qu’ajoutées à l’action immédiate des Administrateurs, elles créeront une émulation entre les populations
345
riveraines du fleuve, et porteront leurs fruits » .
La mention de ces activités dans un rapport établi par les autorités de la colonie du Niger
montre bien que les espaces en cause relevaient manifestement de cette colonie.
2.77. Devant tant de preuves, le Bénin est alors obligé de concéder l’administration du fleuve
par le Niger; mais c’est pour tempérer aussitôt. Il écrit :
« En effet, si les autorités nigériennes ont bien géré le service de navigation jusqu’en 1934, à cette date
cette gestion a été transférée à la colonie du Dahomey […]. Or, en application du principe de l’uti
possidetis juris, la situation en vigueur à la date la plus proche des indépendances l’emporte. De deux
choses l’une alors. Soit cette administration du service de la navigation emporte des conséquences en
termes d’attribution territoriale, et alors elle fonde le titre du Bénin et pas celui du Niger ; soit elle
n’emporte aucune conséquence en terme d’attribution territoriale, et elle ne peut être utilement invoquée
346
ni par le Bénin, ni par le Niger. La République du Bénin se range à cette seconde interprétation » .
Pour la République du Niger, l’organisation et la gestion de la navigation sur le fleuve
emportent assurément des conséquences en termes de détermination de la limite puis de la
frontière et, par conséquent, d’attribution territoriale. A cet égard, le Bénin aurait été bien
inspiré de s’appuyer sur la pratique et les documents qui l’étayent plutôt que de spéculer à
partir des seuls principes juridiques, qui ne sont pertinents dans une espèce que pour autant
qu’ils s’appuient sur des faits.
2.78. Or, en l’occurrence, contrairement à ce que soutient le Bénin, la création du « Réseau
Bénin-Niger » en 1934 ne soustrait pas l’administration du service de la navigation à la
344
Ibid., italiques ajoutées.
345
Ibid., italiques ajoutées.
346Ibid., p.70-71, § 2.94.
- 107Réplique de la République du Niger Chapitre II
colonie du Niger pour la confier à celle du Dahomey. Une lecture attentive des deux arrêtés de
1934 relatifs à cet organisme prouve absolument le contraire.
D’abord, l’arrêté n° 2707 du 30 novembre 1934 portant organisation du réseau du Bénin-
Niger, qui vise par ailleurs « l’arrêté n° 1098 du 31 décembre 1933 portant organisation du
service de la navigation du Niger au Niger, approuvé par l’arrêté général n°654 du 24 mars
1934 », confirme dans deux dispositions le maintien du service de la navigation dans la
colonie du Niger.
L’article 2, intitulé « Consistance des services », dispose :
« Le réseau du Bénin au Niger comprend les services suivants :
a) Au Dahomey :
1°- Le réseau des voies ferrées à voie de 1 mètre ;
2°- Le réseau des voies ferrées à voie de 0,60 ;
3°- Le service des transports par voitures automobiles.
4°- Le Wharf de Cotonou ;
5°- Le phare de Cotonou ;
b) Au Niger
1°- Le service de la navigation du Niger ;
2°- Le service des transports par voitures automobiles au Niger en liaison directe avec le précédent » .
L’article 7, intitulé « Attributions de l’arrondissement des transports », reprend in extenso les
dispositions de cet article 2.
Il n’est pas moins significatif que le Conseil consultatif du Réseau chargé d’assister le chef
des services du Réseau comprenne : le délégué du lieutenant-gouverneur du Dahomey et le
délégué du lieutenant-gouverneur du Niger, deux notables commerçants faisant partie du
conseil d’administration de la colonie du Dahomey ou du Niger, désignés par le lieutenant-
gouverneur du Dahomey en accord avec le lieutenant-gouverneur du Niger, ainsi que deux
347
M.N., Annexes, série B, n° 58.
- 108Réplique de la République du Niger Chapitre II
représentants des compagnies de navigation (art. 12). C’est dire que la colonie du Niger était
pleinement et étroitement impliquée dans les structures de gestion du Réseau, et ce
assurément afin de veiller à la prise en compte des intérêts du Service dont elle avait la charge
dans le cadre de cet organisme, à savoir le « Service de la navigation » sur le fleuve Niger.
Ensuite, l’arrêté général n° 2708 T.P. du 30 novembre 1934 « portant incorporation au budget
unique des chemins de fer (Annexe du budget général de l’Afrique occidentale française) à sa
section IV des exploitations industrielles annexes suivantes : Réseau des voies ferrées
d’intérêt local du Dahomey, service spécial du wharf de Cotonou, service de la navigation sur
348
le Niger au Niger) » mentionne dans son article premier le « Service de la navigation sur
le Niger au Niger » parmi les quatre exploitations industrielles de transport incorporées en
recettes et en dépenses à la section IV du budget unique des chemins de fer annexe au budget
général de l’A.O.F. ; les autres étant : le Réseau des chemins de fer d’intérêt local au
Dahomey ; les Transports par voitures automobiles au Dahomey et le Service spécial du
wharf de Cotonou. Par ailleurs, parmi les cinq divisions créées à la section IV du budget
unique figure une « Division E. Navigation sur le Niger au Niger ». Enfin, aux termes de
l’article 4, l’exécution de l’arrêté échoit aux « lieutenants-gouverneurs du Dahomey et du
Niger […] chacun pour ce qui le concerne ».
2.79. Quant à l’argument de l’uti possidetis juris, la République du Niger est d’avis avec le
Bénin que « la situation en vigueur à la date la plus proche des indépendances l’emporte » . 349
Seulement, à propos de l’administration de la navigation sur le fleuve Niger, la situation la
plus proche de l’indépendance du Bénin et du Niger, c’est-à-dire de 1960, n’est pas celle
résultant de la création du Réseau Bénin-Niger en 1934, comme le prétend le Bénin . Mais 350
351
plus encore, comme la République du Niger l’a montré dans son mémoire , la colonie du
Niger a continué à poser des actes d’organisation et de gestion du fleuve après 1934. Les
dénégations du Bénin sur ce point sont vaines.
A propos de l’arrêté n° 38 F du 13 janvier 1942 du gouverneur du Niger réglementant le
transport par pirogue sur le Niger, le Bénin tout en concédant que c’est « [l]e seule arrêté
348
C.M./R.B., Livre II, Annexes CM/R.B 1 à 22, C.M./R.B., Annexe n° 9 bis.
34C.M./R.B., p.70, § 2.94.
350Encore qu’à retenir cette date, elle ne modifie en rien le rattachement territorial du service de la navigation sur le fleuve
Niger qui, comme la République du Niger vient de le montrer, restait au Niger et sous l’autorité de cette colonie.
351
M.N., p.108, § 2.2.58.
- 109Réplique de la République du Niger Chapitre II
comportant une prérogative de puissance publique » 352relève qu’il s’agit en l’occurrence de la
réquisition. Or, selon le Bénin,
353
« la réquisition s’opère sur terre ferme et c’est ensuite que le voyage s’effectue sur le fleuve » .
Autrement dit, cet arrêté du gouverneur du Niger
« ne concernait pas l’administration du fleuve, mais celles de territoires jouxtant le fleuve » .
Un tel argument est consternant. L’arrêté du 13 janvier 1942 est intitulé explicitement :
« Arrêté du Gouverneur réglementant les transports par pirogues sur le Niger » . En ce qui 355
concerne son contenu, il suffit de rappeler quelques-unes de ses dispositions pour
qu'apparaisse toute la légèreté de l’argument béninois. Il convient de commencer par l’article
er
1 que le Bénin cite, sans doute sans le lire attentivement ; car il aurait à l’évidence réalisé
que l’on ne peut réquisitionner les pirogues pour les utiliser sur des routes ou des chemins de
fer, c’est-à-dire « sur terre ferme », mais nécessairement aux fins du transport sur un cours
d’eau, en l’occurrence le fleuve Niger. A ceci s’ajoutent les dispositions de l’article 2 qui font
état d’un bon attribué au départ à chaque transporteur et contenant entre autres mentions, la
« date de départ » et la « durée du trajet » ; celles de l’article 3 qui fixe « [l]es tarifs à
appliquer » ; et celles de l’article 4 dont la teneur suit :
« les pirogues ne pourront être mises en marche qu’après avoir été reconnues en bon état par le
Commandant de cercle ou le Chef de subdivision ».
On est bien loin de la réquisition des pirogues qui serait limitée seulement à la «terre ferme ».
C’est bien de la réglementation des conditions de transport et de navigation sur le fleuve
Niger dont il est question dans cet arrêté.
2.80. Au demeurant, de nouvelles recherches documentaires ont permis à la République du
Niger de trouver une pièce corroborant le fait que le gouverneur du Niger a continué à poser
des actes d’administration du fleuve, même dans le cadre du Réseau Bénin-Niger. Il s’agit en
l'occurrence d’une « Instruction rectificative à l’Instruction n° II » du gouverneur du Niger.
Cette instruction rectificative signée le 23 décembre 1955 par délégation du gouverneur par le
352C.M./R.B., p.69, § 2.92.
353Ibid.
354
Ibid., p.73, § 2.100.
355M.N., Annexes, Série B, n° 63 ; italiques ajoutées.
- 110Réplique de la République du Niger Chapitre II
Secrétaire général par intérim de la colonie du Niger, G. Brouin, est adressée au Directeur du
Réseau Bénin Niger. Elle est prise conformément à l’article 12 de l’arrêté n° 2.368
AE/PLAN/I du 15 octobre 1955 fixant le statut de la Caisse de compensation des Arachides et
des Transports du Niger. Confirmant par cette Instruction l’abandon de la construction d’une
portière de 45 tonnes à Malanville-Gaya, son auteur précise :
« En effet, j’ai estimé qu’il est préférable de faire l’acquisition d’un nouveau bac destiné à remplacer
celui de Gotheye actuellement en service à Malanville et qui doit être remis prochainement à la
disposition du Territoire.
Ce bac dont j’ai déjà passé commande reviendra à environ 6.000.000.
Je vous donnerai ultérieurement des instructions complémentaires sur les modalités de paiement et
d’exploitation de ce bac » .
On voit donc bien qu'en 1955 encore, c'était la colonie du Niger qui assurait le service du bac
entre Gaya et Malanville.
2.81. Ainsi, il est absolument inexact de parler, comme le fait le Bénin, de « l’administration
357
du fleuve par le Bénin » , même après 1934. Le problème du Bénin, sur ce point comme
dans toute cette affaire, c’est de ne pas apporter la moindre preuve textuelle incontestable, ni
le moindre élément de la pratique à l’appui de ses affirmations. Or, il apparaît à la lumière des
textes, dont celui produit par la partie adverse elle-même, que non seulement la création du
« Réseau Bénin-Niger » ne transfère nullement l’administration du Service de la navigation
du Niger au Dahomey, mais au contraire elle le confirme comme un service de la colonie du
Niger dont la gestion échoit à ce territoire. S’il en allait autrement, l’arrêté n° 2707 du 30
novembre 1934 n’aurait pas chargé également le lieutenant-gouverneur du Niger d’appliquer
celles de ses dispositions qui concernaient sa colonie, et ces dispositions sont, comme on vient
de le voir, celles relatives au « Service de la navigation du Niger au Niger ». De même, si le
gouverneur de l’A.O.F. avait voulu, même implicitement, écarter la colonie du Niger du
fleuve en le plaçant tout entier sous l'administration du Dahomey, on voit mal pourquoi il
aurait créé un Service de la navigation sur le Niger, au Niger et pas au Dahomey, et l’aurait
maintenu comme service de la colonie du Niger au Niger même dans le cadre de cet
organisme intercolonial ou organisme de l’A.O.F. que fut le Réseau Bénin-Niger.
35R.N., Annexes, Série C, n° 176.
35C.M./R.B., p. 72, § 2.100.
- 111Réplique de la République du Niger Chapitre II
2.82. En somme, une étude minutieuse des textes relatifs au Réseau du Bénin au Niger ainsi
que de la pratique en matière d’organisation et de gestion de la navigation sur le fleuve Niger
confirme, d’une part, que le service de la navigation du Niger, même inclus dans le Réseau,
appartenait exclusivement à la colonie au Niger et, d’autre part, que la colonie du Niger a
continué à administrer la navigation sur le fleuve même après la création du Réseau Bénin-
Niger et dans le cadre de celui-ci. Aucun autre service de la navigation sur le fleuve Niger
n’étant intégré dans le Réseau, il y a lieu de conclure que le Dahomey n’a jamais eu un
service propre de la navigation sur le fleuve Niger pendant la période coloniale. Dans ces
conditions, la République du Bénin ne peut ni contester valablement la pratique constante et
durable du Niger en matière d’administration du fleuve, et donc l'exercice de ses compétences
dans le cours du fleuve. Elle ne peut prétendre aujourd’hui, sans méconnaître les données
historiques abondantes et incontestables, qu’à cette époque-là le Dahomey contrôlait les deux
rives du fleuve. On ne peut en effet comprendre que la colonie du Dahomey qui, aux dires du
Bénin, contrôlait les deux rives du fleuve n’ait eu, pendant une aussi longue période, aucun
service de la navigation propre, pendant que l’autre territoire colonial riverain, le Niger, en
avait un, qui a été finalement intégré dans un organisme commun aux deux mais toujours sous
la responsabilité de la colonie du Niger, et ce sans la moindre protestation ou contestation du
Dahomey. La prétention béninoise d’une limite à la rive gauche constitue dans ces conditions
une position intenable.
Sous-section C - Le Niger exerçait des activités d’organisation et de gestion de la
navigation sur le fleuve Niger en tant que puissance publique
2.83. Manifestement déstabilisé par l’arrêté n° 38 F du 13 janvier 1942 du gouverneur du
Niger dont il s’évertue – bien en vain, il faut le dire – à anéantir les implications juridiques en
tant que pratique probante, le Bénin cherche à ramener les effectivités nigériennes à une
simple activité marchande consistant en l’acquisition et la location de chalands, ainsi qu'en
l’organisation du transport au moyen de ces engins. Il écrit, de façon quelque peu étonnante:
- 112Réplique de la République du Niger Chapitre II
« Il est clair qu’acheter les chalands, en réglementer la location et organiser le transport sur un fleuve,
suppléant par là la défaillance du secteur privé, n’est pas une activité de puissance publique de nature à
établir au profit de l’administration concernée juridiction sur le fleuve » .
Enoncer pareille affirmation, c’est ignorer totalement le système socio-juridique français, où
les activités de service public touchent les domaines les plus variés, y compris des domaines
où le secteur privé est actif. Organiser le transport par flottilles de chalands sur le fleuve Niger
revenait pour la colonie du Niger à organiser un service public de transport sur le fleuve, au
même titre qu’existaient et existent aujourd’hui encore en métropole, les services publics de
transport par chemin de fer (SNCF), par bus, ou par bateaux entre la Corse et le continent
(SNCM). En droit administratif français, il appartient
« à l’autorité publique compétente d’apprécier si un besoin collectif existe et s’il justifie qu’un service
359
public soit institué pour le satisfaire » .
S’agissant plus particulièrement des transports fluviaux, on rappellera que l’Office national de
la navigation créé par l’article 7 de la loi de finances du 27 février 1912 était qualifié d’
« établissement public à caractère industriel et commercial » par l’article 1 de la loi du 11 er
novembre 1949 lorsqu’il assumait des attributions d’intervention directe dans l’exploitation,
mais apparaissait, selon le Tribunal des conflits, comme un établissement public administratif
360
« lorsqu’il remplit une mission purement administrative de service public » ; à cet égard, il
« est doté d’un pouvoir de réglementation, en particulier en matière de fixation des taux de fret et de
certains tarifs » .
C’est précisément ce que fait le gouverneur dans l’arrêté du 13 janvier 1942 : il pose des actes
de puissance publique à travers la réglementation de la navigation sur le Niger, notamment en
fixant des tarifs et des conditions d’acheminement de certains frets.
Or, l’on ne peut concevoir, en droit administratif français, le pouvoir de réglementation d’un
service public qui ne s’accompagne de prérogatives de puissance publique. Le Bénin n’est du
reste pas totalement iconoclaste à ce sujet. Il réalise bien l’impasse où le conduit sa thèse et
essaie de nuancer son propos sans vouloir donner l’impression de concéder. Il écrit :
358C.M./R.B., p. 69, § 2.91.
359 e
René Chapus, Droit administratif général, 3 éd., Paris, Montchrestien, p.459.
360T.C., 10 février 1949, Guis, Rec., p. 590.
361André de Laubadère, Traité de Droit administratif. L’administration de l’économie, 3 éd., Paris, L.G.D.J., p. 349.
- 113Réplique de la République du Niger Chapitre II
« Quand bien même l’organisation du transport fluvial serait considérée comme une activité de puissance
362
publique… »
Mais il sait bien que ce n’est pas « Quand bien même… » : l’organisation du transport fluvial
est une prérogative de puissance publique en droit français d’hier et d’aujourd’hui.
2.84. La République du Niger a déjà montré dans la présente réplique que contrairement aux
impressions superficielles du Bénin, la création du Réseau Bénin-Niger n’a nullement
impliqué le transfert de l’administration du fleuve Niger au Dahomey, le Niger ayant continué
à l’assurer notamment à travers le « Service de la navigation du Niger au Niger ». L’argument
que le Bénin voudrait tirer de la «logique» découlant du prétendu transfert de l’administration
du fleuve au Dahomey à partir de 1934 est donc sans valeur.
2.85. La présence des services publics du Niger sur le fleuve est également attestée par divers
incidents qui se sont produits sur le fleuve et à propos desquels ce furent les autorités
nigériennes qui eurent à procéder.
Ainsi, tout d’abord, un incident qui s’est produit en 1938. Il est relaté par une lettre de M.
Court, gouverneur du Niger, au gouverneur du Dahomey, en date du 19 avril 1938 :
"Par ailleurs de nombreux pêcheurs en provenance de la Nigeria, viennent en pirogue dans le "W" en
profitent pour dévaster par le fer et le feu cette région pittoresque, et emportant à chaque fois de grosses
quantités de viande boucanée ou séchée, provenant d'animaux protégés ou semi-protégés. J'ai ainsi été
amené à instituer des mesures de protection, et en particulier à organiser la surveillance des pirogues à la
descente. Mais de la Mékrou à la frontière nigérienne, la rive droite du Niger est dahoméenne. Ici
encore, votre concours me serait précieux soit que vous participiez à cette surveillance grâce aux gardes
du Dahomey, soit que vous vouliez bien autoriser ceux du Niger à poursuivre les délinquants en territoire
dahoméen" 363
2.86. Un autre incident se produisit en 1944.Il montre bien que le Niger a non seulement
toujours été présent dans le cours du fleuve, mais a veillé au respect du chenal principal
comme limite intercoloniale avec le Dahomey. En effet, rendant compte au gouverneur du
Niger par un télégramme n° 282 du 8 juin 1944 d’un « incident de frontière » qui s’était
produit « à proximité de Dollé sur le territoire de la subdivision de Gaya », le commandant de
36Ibid., p. 70, § 2.93.
363
C.M.N., Annexes, série C, n° 94.
- 114Réplique de la République du Niger Chapitre II
cercle de Dosso reproduit le télégramme qu’il a reçu à propos de cet incident, et qui fait état
de ce qu’il s’est produit le mardi 6 juin 1944.
« sur une plage située en face Dollé français côté Niger. Stop. Trois gardes frontières Madecali ont
attaqué occupants pirogues se rendant marché Dollé. Stop. Cours cette bagarre nommé GAZAPI fut
mortellement blessé par projectiles arme à feu. Stop. Corps renvoyé Stop. Rendrai compte
télégraphiquement autopsie. Stop. Commandant de cercle de Kandi avisé. Stop. Sollicite instruction
stop »364
Sur la base de ce télégramme, le commandant de cercle de Dosso a entamé une enquête sur
cette affaire, et afin de la mener à bien, a
« demandé au Commandant de cercle de Kandi [Dahomey] de désigner un fonctionnaire pour
accompagner le Chef de Subdivision de Gaya et lui faciliter la convocation des témoins »365
Et il comptait descendre lui-même à Gaya et Kandi «pour procéder à l’enquête» dont il se
proposait d’adresser les résultats au gouverneur de la colonie du Niger par la première
366
occasion .
Le commandant de cercle de Dosso montrait un tel empressement et une telle détermination à
faire la lumière sur cet incident parce qu’il croyait qu’il s’était effectivement produit à
l’endroit indiqué dans le télégramme du chef de la subdivision de Gaya, c’est-à-dire dans une
partie du fleuve qui, au regard du critère du chenal principal comme limite entre les deux
colonies, relevait de la colonie du Niger.
Or, il n’en était rien. En effet, dans un second télégramme, n°295, daté du 19 juin 1944,
l’adjoint au commandant de cercle de Dosso, au nom du commandant de cercle absent, écrit :
« Contrairement à mon dernier télégramme-lettre cité en référence, affaire garde-frontière Madecali ne
s’est pas passé dans la subdivision de Gaya mais sur le territoire du Dahomey.
En conséquence me dessaisit cette affaire dont ai entretenu…(…..) cercle de Kandi venu me rencontrer
à Gaya samedi 17.
D’après l’enquête faite-Gaya l’incident avait eu lieu au point A alors que l’enquête faite sur les lieux a
367
révélé qu’il avait eu lieu en B. Il n’y a donc de ce fait aucun conflit d’attribution » .
364
R.N., Annexes, série C, n° 174.
365Ibid.
366Ibid.
- 115Réplique de la République du Niger Chapitre II
368
Il joint à ce télégramme un croquis intitulé « Affaire douaniers Madecali » qui localise le
lieu de l’incident à un point B situé sur le « Bras principal » du fleuve Niger également figuré
sur le croquis.
2.87. Un troisième incident est relaté par un rapport du chef des services des eaux et forêts du
Niger pour l’année 1947, daté du 31 mars 1948 , faisant état de l’arrestation « de nombreux
369
pêcheurs de lamantins » et de la saisie d’«une dizaine de dépouilles » .Le Bénin conteste la
valeur-probante de ce texte. Selon le Bénin,
« le rapport n’indique nullement qui a procédé à ces arrestations et saisies. Or, il n’est pas exclu qu’elles
aient été imputables aux autorités dahoméennes, ce qui, d’ailleurs semblerait le plus logique puisque ce
sont elles qui étaient, à cette époque, chargées de l’administration du fleuve » .
S’il est vrai que le rapport daté de 1948 n’indique pas qui a procédé aux arrestations et saisies
dont il rend compte ; on ne saurait admettre à ce sujet l’insinuation du Bénin tendant à
suggérer que l’arrestation avait pu être effectuée par les autorités dahoméennes, attestant par
là l’administration du fleuve par le Dahomey. On a vu par les cas reproduits ci-dessus que
telle n’était pas la pratique à l’époque.
2.88. Le journal de poste de Malanville relate également un événement, qui se situe le
dimanche 10 août 1958, et qui est d’autant plus significatif qu’il s’est produit après la lettre de
1954.
« Une pirogue venant du Niger au marché de Malanville coule au milieu du fleuve, trop chargée et
emportée par piroguier , on déplore au moins 4 femmes et 1 enfant noyés. Le piroguier et les témoins sont
371
envoyés à la Brigade de Gaya pour enquête ».
Il est clair que si le contrôle administratif avait relevé du Dahomey comme l’affirme sans
preuve le Bénin,, l’affaire n’aurait pas relevé du ressort de la brigade de Gaya.
367R.N., Annexes, série C, n° 175.
368Ibid.
369
M.N., Annexes, série C, n° 54 ; cité in C.M./R.B., p.73, § 2.100.
370C.M./R.B., p.73, § 2.100.
371R.N ., Annexes, série C, n° 177.
- 116Réplique de la République du Niger Chapitre II
2.89. Mentionnons encore le fait qu’en février 1960, décision fut prise par le ministre de
l’Intérieur à Niamey d’acheter une vedette destinée à la Brigade de gendarmerie fluviale de
Gaya 372.
2.90. Ainsi se trouve définitivement ruinée la thèse béninoise d’une limite, puis d’une
frontière à la rive gauche du Niger. Car, on le voit bien, ce n’est pas seulement la thèse de
l’administration paisible et continue du fleuve Niger par la colonie du Niger même après
1934, qui se trouve ainsi confirmée une fois de plus, mais également sa thèse selon laquelle le
tracé de la limite hier, et de la frontière aujourd’hui, passe par le chenal principal, comme la
République du Niger va maintenant le confirmer.
372
Télégramme du ministère de l’Intérieur à subdivision de Gaya du 17 février 1960, R.N., Annexes, série C, n° 185, et
Lettre du ministre de l’Intérieur de la République du Niger au ministre des Travaux publics à Niamey, du 18 février 1960,
R.N., Annexes, série C, n° 186.
- 117Réplique de la République du Niger Chapitre III
CHAPITRE III —
DANS LE COURS DU FLEUVE, C’EST LE CHENAL PRINCIPAL
QUI CONSTITUE LA LIMITE ENTRE LE BENIN ET LE NIGER
3.1. Dans la présente affaire, le seul élément de nature législative ou réglementaire légué par
le colonisateur en ce qui concerne la limite intercoloniale étant la notion de « cours du fleuve
Niger », il s’impose de rechercher comment la pratique coloniale envisageait concrètement
cette limite. Pour la République du Niger, le concept du chenal le plus profond —qui était
familier pour la navigation sur le fleuve—, est apparu dès 1914 comme un critère pratique
pour servir de limite et déterminer l’appartenance des îles à l’une ou l’autre colonie.
Deux éléments essentiels militent d’emblée en faveur du chenal principal. D’une part,
s’agissant d’un fleuve navigable, la solution adoptée sur le plan international comme étant la
plus raisonnable et la plus équitable est celle du thalweg ; on sait que la pratique coloniale a
tenu à reconnaître et à entretenir ce chenal navigable essentiel pour la navigation. D’autre
part, la pratique coloniale a clairement adopté, depuis le modus vivendi entre le commandant
du secteur de Gaya et le commandant du cercle du Moyen-Niger dont fait état la lettre de
l’administrateur Sadoux du 3 juillet 1914 , le chenal principal comme critère de délimitation
intercoloniale et d’administration des îles. Il est attesté jusqu’en 1954 que telle était la vision
de l’administration coloniale locale sur les deux rives , et cette vison n’a pas été
fondamentalement remise en cause après cette date.
3.2. A plusieurs endroits de son contre-mémoire, la partie béninoise conteste cependant que le
chenal principal du fleuve Niger constitue la limite entre le Bénin et le Niger.
Dans le présent chapitre, il y aura d’abord lieu de revenir sur la manière dont le critère du
chenal principal est apparu et a été appliqué dans la pratique des autorités coloniales (section
1). Il conviendra ensuite de préciser que, contrairement aux vues du Bénin, le chenal principal
est un critère approprié pour un fleuve navigable comme le Niger (section 2), et que la
pérennité du chenal principal n’est pas remise en cause par une prétendue instabilité du fleuve
(section 3).
373
Lettre n° 54 du 3 juillet 1914, de l’administrateur adjoint Sadoux, commandant du secteur de Gaya, à l’administrateur
commandant le cercle du Moyen- Niger, M..N., Annexes, série C, n° 29.
37Voy. en particulier l’annexe à la lettre n° 1094 du 9 septembre 1954 de Daguzay, commandant le cercle de Kandi au
commandant de cercle de Dosso, M.N., Annexes, série C n° 59.
- 118Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 1 -
L’émergence et la pérennité du critère du chenal principal
dans la pratique des autorités coloniales
3.3. En contestant que la limite ait été fixée au chenal principal du fleuve, la République du
Bénin allègue successivement que le modus vivendi de 1914 n’était qu’un épisode incertain et
provisoire, que la reconnaissance du chenal principal est sans effet sur la fixation de la limite
fluviale, et que, dans tous les cas, le critère du chenal principal n’est pas approprié.
Dans les lignes qui suivent, la République du Niger va, au contraire, montrer que, quoique
initialement provisoire, l’arrangement de 1914 s’est imposé durablement dans la suite jusqu’à
la fin de la période coloniale (sous-section A) et que l’absence d’un texte législatif et
réglementaire ou l’absence alléguée d’une représentation cartographique portant cette limite
sont sans incidence sur la pertinence et la portée de cet arrangement (sous-section B). Le
Niger va également préciser l’intérêt que présente la reconnaissance du chenal principal dans
la présente affaire (sous-section C), et montrer par ailleurs que le critère du chenal principal
est tout à fait approprié, tant en soi que pour la détermination d'une limite intercoloniale
(sous-section D).
Sous-section A - L’arrangement établi en 1914 s’est imposé durablement jusqu’à la fin de
la période coloniale
1. L’émergence de l’arrangement de 1914
3.4. Il convient de rappeler comment cet arrangement est intervenu. En 1913, le commandant
du secteur de Guéné (Dahomey) parle à Sadoux, commandant du secteur de Gaya (Niger),
d’un texte qui se trouve à Kandi (Dahomey) et qui dit que c’est le chenal principal qui doit
servir de délimitation entre les deux territoires . A la fin du mois de mai 1914, Sadoux fait
376
lui-même un relevé du cours du fleuve de Koulou à Gaya . Les 27 et 28 juin 1914, il envoie
le commis des affaires indigènes, Bigourdan, reconnaître le fleuve sur la partie restante, de
375
Lettre n° 54 du 3 juillet 1914, de l’administrateur adjoint Sadoux, commandant du secteur de Gaya, à l’administrateur
commandant le cercle du Moyen-Niger, M.N., Annexes, série C, n° 29.
37Ibid.
- 119Réplique de la République du Niger Chapitre III
Gaya à la frontière anglaise . Le 3 juillet 1914, Sadoux écrit au commandant du cercle du
Moyen-Niger (Kandi, Dahomey) une lettre dans laquelle il propose que ce soit le chenal
principal du fleuve qui serve de délimitation entre les deux territoires, en envoyant une copie
de cette lettre au commandant du secteur de Guéné (Dahomey), qui lui avait parlé de ce
378
critère l’année précédente . Cette solution a été acceptée, au moins implicitement, par les
autorités locales dahoméennes. En effet, il est peu probable que le commandant du secteur de
Guéné (Dahomey) (qui était dûment informé de cette proposition) aurait laissé cette lettre
sans réponse, si elle avait suscité des réserves de sa part.
D’ailleurs, dans sa « Monographie de Gaya » rédigée en mai 1917, l’administrateur Espéret
(commis des affaires indigènes de la subdivision de Gaya) confirmait qu’en juin- juillet 1914
« … après parcours des rives et établissement du bras toujours navigable (grand bras), un accord
provisoire a eu lieu entre le commandant de cercle de Kandy et le commandant de secteur de Gaya » et
379
que « ce grand bras [avait été] pris comme frontière des deux colonies… » .
Il donnait à ce sujet des précisions qui méritent d’être reproduites ici :
« En juillet 1914 le commandant de subdivision de Gaya s’était concerté sur place avec le commandant
du cercle de Kandy, et ils avaient mis des propositions à leurs chefs de colonie respectifs tendant à ce que
le bras toujours navigable du Niger fut uniquement pris comme frontière. Quoique ces propositions
n’aient reçu aucune approbation officielle, elles ont toujours depuis servi de bases au règlement des
contestations qui ont pu s’élever entre les différents groupes peulhs » .80
381
3.5. La République du Bénin, qui ne nie pas l’existence et l’efficacité de cet arrangement ,
essaie néanmoins d’en remettre en cause la portée, en affirmant notamment qu’il comportait
382 383
des incertitudes et qu’il n’avait pas un caractère définitif . Incidemment, le Bénin fait
également valoir que l’arrangement n’aurait pas de valeur juridique parce qu’il aurait été
384
contraire à l’arrêté du 23 juillet 1900 .
377Ibid.
378Ibid.
379M.N., § 2.3.16 et Annexes, série C, n° 32, pp. 43 et 44.
380M.N., § 2.3.18 et Annexes, série C, n° 32, p. 4.
381Voy. not. C.M./R.B., § 2.124.
382
C.M./R.B., §§ 2.119 à 2.123.
383
C.M./R.B., §§ 2.122 – 2.123 ; voy. aussi §§ 3.12 à 3.21.
384
C.M./R.B., § 2.124.
- 120Réplique de la République du Niger Chapitre III
Mais, comme on va le voir, aucun de ces arguments n’est fondé et rien n’affecte la valeur et la
pertinence de l’arrangement de 1914 pour ce qui est de la délimitation des territoires des deux
colonies.
2. Le fondement et l’objet de l’arrangement de 1914 sont certains
3.6. Le principal élément d’incertitude que semble invoquer la partie béninoise est le fait que
l’arrangement serait fondé sur un texte que l’administrateur adjoint Sadoux déclare n’avoir
jamais eu en sa possession . Le Bénin fait ici référence à un passage de la lettre de Sadoux
dans lequel il s’exprime ainsi : « … je crois en effet que c’est le chenal principal qui doit
servir de délimitation, le commandant du secteur de Guéné m’ayant cité l’an dernier à ce sujet
386
un texte qui se trouve à Kandi mais que je ne possède pas à Gaya » .
L’argument que le Bénin tente de tirer de ce passage n’est pas fondé. D’une part, le texte en
question se trouvait à Kandi (Dahomey). L’information sur l’existence d’un tel texte ne
provenait pas du chef de circonscription de Gaya (au Niger) – comme le prétend faussement
387
le Bénin en déformant le texte original dans la citation qu’il en fait —, mais du chef de la
circonscription de Guéné (au Dahomey). Si donc Sadoux ne pouvait produire le texte auquel
il faisait référence, c’est tout simplement parce que celui-ci se trouvait entre les mains des
autorités d’une colonie autre que la sienne. La partie béninoise ne semble d’ailleurs guère
avoir fait d’effort pour retrouver ce texte dans le cadre de la présente instance.
388
D’autre part, surtout, ce qui importe ici c'est, comme on l’a relevé plus haut , que le critère
du principal chenal navigable résultait d’un accord entre les autorités coloniales locales du
Dahomey et du Niger. Le fait qu’aucune réaction de protestation n’ait été enregistrée de la
part des autorités de la colonie du Dahomey en témoigne très clairement. Il est d’ailleurs
frappant que, lorsque mention a été faite de cet épisode par la suite , c’est toujours pour dire
qu’il y avait accord sur cette solution. S’il y avait eu une réaction négative des autorités du
385C.M./R.B., §§ 2.119 à 2.121 et 2.123.
386M.N., § 2.3.17 et Annexes, série C, n° 29.
387
Selon le Bénin en effet, « … [Sadoux] indique expressément, dans le membre de phrase suivant : « le Commandant du
secteur de Gaya m’[a] cité l’an dernier à ce sujet un texte qui se trouve à Kandi mais que je ne possède pas à Gaya »
(C.M./R.B., § 2.119). Or l’extrait de la lettre de Sadoux relate que l’information vient du commandant du secteur de Guéné
(Dahomey) : M.N., § 2.3.17 et Annexes, série C, n° 29.
388
Voy. supra, § 3.4.
389Sur les références ultérieures à ce modus vivendi, voy. infra, § 3.8.
- 121Réplique de la République du Niger Chapitre III
Dahomey, il n’ y a aucun doute qu’il en aurait été fait état à l’occasion de l’un ou l’autre de
ces épisodes ultérieurs. Tout confirme donc la thèse de l’accord. Ce qui comptait en réalité
était la perception que les administrateurs concernés pouvaient avoir de la solution à apporter
à la question de la limite fluviale (et de la répartition des îles du fleuve en conséquence). Or,
la perception convergente des autorités coloniales locales du Niger et du Dahomey en 1914 et
par la suite était bien que la limite passait dans le chenal principal du fleuve.
Contrairement à ce que conclut le Bénin , aucune incertitude ne subsiste donc sur l’existence
et la teneur de cet arrangement, puisque les deux administrateurs sont d’accord, sans aucune
équivoque, sur le fait que le chenal principal constitue le critère de la délimitation territoriale,
en même temps que le critère de distribution des îles entre leurs colonies respectives.
La partie béninoise est bien obligée de le reconnaître, à tout le moins implicitement,
puisqu’elle affirme qu’«il semble que cet arrangement a constitué pendant un temps le modus
vivendi sur lequel les administrateurs des régions concernées des secteurs de Kandi
391
(Dahomey) et de Dosso (Niger) se sont fondés » .
3. L’arrangement de 1914 est resté d’application continue et exclusive durant tout le reste
de la période coloniale
3.7. En rapport avec le caractère provisoire de l’arrangement de 1914, la République du Bénin
fait d’abord valoir qu’il ne s’agissait là que de simples propositions n’ayant reçu aucune
392
approbation officielle . Selon la République du Bénin, le Niger, dans ses écritures, «ne
présente nullement cette « délimitation » comme définitive : elle apparaît clairement comme
une proposition faite à l’initiative du seul lieutenant Sadoux afin de faciliter « la mise au
clair » de la question et est soumise pour observations au commandant du secteur de
393
Guéné » .
Il faut avant tout relever, que contrairement à ce que suggère le Bénin, le Niger n’a jamais
prétendu que les propositions qu’évoque Sadoux constituaient autre chose que des
propositions. Mais ce que le Bénin tente d’occulter ici, c’est de nouveau le fait que les
39C.M./R.B., § 2.124 : le Bénin évoque « le caractère ténu et seulement indirect des preuves de son existence et l’incertitude
persistante quant à sa teneur exacte ».
39Ibid.
392
Voy. spécialement : C.M./R.B., §§ 2.121 à 2.123.
- 122Réplique de la République du Niger Chapitre III
propositions en question étaient bien le résultat d’un accord entre les deux chefs de
circonscription voisins. La seule initiative propre de Sadoux est d’avoir effectué une
reconnaissance sur le fleuve et d’avoir établi une liste d’attribution des îles en fonction du
critère du chenal le plus profond, liste à laquelle son homologue du Dahomey n’a fait aucune
objection, et qu’il a donc acceptée.
Par ailleurs, le fait que ces propositions convenues n’aient pas reçu d’approbation officielle de
la part de la hiérarchie n’affecte nullement leur valeur en tant qu’arrangement provisoire, mais
durable entre autorités coloniales locales, directement concernées par les problèmes que
posait l’absence de délimitation précise dans le fleuve.
3.8. Toujours au sujet du caractère provisoire de l’arrangement de 1914, la République du
394
Bénin fait ensuite valoir à plusieurs reprises que cet arrangement a été de courte durée .
Dans un des passages de son contre-mémoire, le Bénin s’exprime de la manière suivante :
« Cet arrangement entre des administrateurs locaux n’a jamais été accepté par le Gouvernement du
Dahomey [sic] et ne semble plus avoir été invoqué après les années 1920 ; il n’a refait surface qu’en
1954, au moment où une décision définitive concernant le rattachement de l’ensemble des îles du fleuve
au Dahomey a été prise et a mis fin à la controverse… » .
Ici encore, la République du Niger insiste sur le fait qu’elle n’a jamais prétendu que
l’arrangement de 1914 avait, originellement, un caractère définitif. Mais une chose est de dire
qu’un accord est provisoire, autre chose est de dire que cet accord n’a duré que peu de temps.
Dans la présente espèce, tout en étant conçu à l’origine comme un arrangement provisoire, le
modus vivendi de 1914 est resté d’application durant tout le reste de la période coloniale,
comme en témoignent les éléments qui suivent.
En 1917, comme on l’a déjà relevé, l’administrateur Espéret, de la subdivision de Gaya,
témoignait que les propositions des administrateurs locaux constituant l’arrangement « … ont
39C.M./R.B., § 2.121.
39Voy. par exemple C.M./R.B., §§ 3.21, 3.24, 3.37.
395
C.M./R.B., § 3.21. Au § 3.37, le Bénin réaffirme que « le modus vivendi incertain de 1914 […] est d’ailleurs rapidement
tombé dans l’oubli et n’a plus reçu la moindre application après 1926 ».
- 123Réplique de la République du Niger Chapitre III
toujours depuis [juillet 1914] servi de bases au règlement des contestations qui ont pu s’élever
entre les différents groupes peulhs » . 396
En 1924, dans son étude sur « Le pays Dendi », l’administrateur-adjoint des colonies, Michel
Perron, qui avait servi à Gaya en 1916-1917, revient sur le modus vivendi de 1914 dans les
termes suivants :
« En juin- juillet 1914, le commandant du cercle de Kandy (Dahomey, dont dépend la subdivision de
Guéné contenant le Dendi de rive droite) et le commandant du secteur de Gaya établirent un modus
vivendi à propos de la possession des îles du Niger et, partant, de la frontière entre les deux colonies à cet
endroit. Il fut convenu que le cours du grand bras (seul toujours navigable) serait la frontière. Comme
conséquence, les îles situées à cinquante mètres en face même du poste de Gaya sont au Dahomey, alors
que d’autres plus en amont (la grande île de Lété par exemple) bien plus éloignées de la rive gauche sont
au territoire. Il est rendu compte aux chefs des deux Colonies intéressées, mais la question était toujours
non sanctionnée en 1917 » .397
En 1925, dans un rapport daté adressé au gouverneur du Niger, l’administrateur Crocicchia,
commandant du cercle de Niamey, rappelle encore la teneur de l’arrangement de 1914 . 398
En 1941, dans un télégramme-lettre qu’il adresse au cercle de Dosso, le chef de la subdivision
de Gaya évoque encore l’arrangement de 1914 :
« Honneur vous transmettre la liste des îles du Niger situées dans la subdivision de Gaya. Cette
affectation des îles, soit au Dahomey soit au Niger a été proposée en 1914 par le Commandant de Gaya et
par le Commandant de cercle de Kandi. Le bras toujours navigable du Niger était uniquement pris comme
frontière les propositions n’ont jamais reçu aucune approbation officielle depuis 1914. Il serait
souhaitable qu’une décision intervienne à ce sujet. La question est assez conséquente vu l’importance du
pacage en ces îles » .9
Cette correspondance montre que, près de trente ans après son adoption, le modus vivendi de
1914 servait toujours en pratique de base de détermination de la limite entre les deux colonies,
et d’attribution des îles.
396M.N., p. 126 ; Annexes, série C, n° 32, p. 4.
397
PERRON, Michel, « Le pays Dendi », Bulletin du Comité d’études historiques et scientifiques de l’A.O.F., tome VII n° 1,
janvier-mars 1924, p. 74 (M.N., Annexes, série E, n° 1).
398
M.N., p. 127, Annexes, série C, n° 42.
399
Télégramme-lettre n° 128 du 10 juin 1941; R.N., Annexes, série C, n° 173. En annexe à ce télégramme-lettre, se trouve un
tableau qui donne la liste des îles du Niger situées dans la subdivision de Gaya.
- 124Réplique de la République du Niger Chapitre III
En 1944, un incident de frontière intervenu à la hauteur de Madécali (Dahomey) entre des
400
indigènes se rendant en pirogue au marché de Dollé (Niger) et des gardes-frontière du
Dahomey, montre à quel point les administrateurs coloniaux avaient intériorisé le critère du
principal chenal navigable comme critère de limite entre les deux colonies, ainsi qu’en
témoigne le télégramme-lettre n° 296 du 19 juin 1944, que le commandant -adjoint du cercle
de Dosso adresse au gouverneur du Niger :
« Contrairement à mon dernier télégramme-lettre cité en référence affaire gardes-frontière Madécali ne
s’est pas passée dans la subdivision de Gaya mais sur le territoire du Dahomey.
En conséquence me désaisit [sic] cette affaire dont ai entretenu Commandant Cercle Kandi venu me
rencontrer à Gaya samedi dix sept.
D’après l’enquête faite Gaya l’incident avait lieu au point A alors que l’enquête faite sur les lieux a révélé
401
qu’il avait eu lieu en B. Il n’y a donc de ce fait aucun conflit d’attribution » .
Le croquis qui accompagne ce télégramme montre que le point A est situé dans le « petit bras
du fleuve » (le bras gauche), et que le point B est situé dans le « bras principal » à proximité
de la rive droite .402
Il ressort de cette correspondance que le bras principal du fleuve est bien considéré par les
autorités locales comme constituant la limite entre les deux colonies. C’est la raison pour
laquelle le commandant de cercle de Dosso se dessaisit de cette affaire (dont il s’était saisi en
croyant à tort que l’incident avait eu lieu dans le petit bras) au profit du commandant de cercle
de Kandi, qui traite de l’affaire parce que l’incident a eu lieu dans le bras principal du fleuve,
à un endroit qui fait partie du territoire dahoméen.
En 1954, par une lettre du 9 septembre adressée au commandant de cercle de Dosso (Niger),
le commandant de cercle de Kandi (Dahomey) transmettait une annexe contenant les résultats
d’une enquête à laquelle il avait procédé à la demande du gouverneur du Dahomey, annexe
qui se fondait sur le critère du bras principal (ou grand bras) pour l’attribution des principales
îles du fleuve . A ce sujet, la partie béninoise essaie de soutenir que l’auteur de cette lettre
400Télégramme-lettre du 8 juin 1944, du commandant de cercle de Dosso au gouverneur du Niger, R.N., Annexes, série C, n°
174.
401R.N., Annexes, série C, n° 175.
402
Ibid.
403M.N., p. 128, Annexes, série C, n° 59.
- 125Réplique de la République du Niger Chapitre III
étant « dans la plus grande ignorance de la question », il ne pouvait pas « adhérer
fermement » au principe que « c’est le chenal principal qui forme la limite » 40.
L’interprétation que le Bénin fait de cette correspondance est tout à fait incorrecte. En effet,
ce n’est pas l’auteur de la lettre qui est « dans la plus grande ignorance de la question », mais
bien « le chef-lieu » de la colonie. C’est parce qu’il constate que le chef-lieu est « dans la plus
grande ignorance de la question » et à la demande du gouverneur du Dahomey, que l’auteur
de la lettre a procédé à une enquête dont il transmet les résultats, qui mettent en évidence
l’application du critère du principal chenal navigable. Au cours de son enquête, l’auteur de la
lettre a dû constater que c’était le critère appliqué et l’a accepté. Il ne paraît donc nullement
erroné ou problématique d’affirmer, comme l’a fait le Niger, que l’auteur de la
correspondance en question adhère fermement à ce principe.
En 1956, lorsqu’il s’est agi de répondre à une demande de l’I.G.N.-Dakar sur « la limite
interterritoriale entre le Dahomey et le Niger », J. Etienne, chef de la subdivision de Gaya,
s’adressant au commandant de cercle de Dosso, écrivit qu’il venait de retrouver la lettre du 3
juillet 1914 qui lui paraissait « être le seul document sérieux sur la question » . Il propose,
pour régler définitivement cette affaire, « que le travail de 1914 [soit] repris conjointement par
les chefs de subdivision de Gaya et de Malanville […] [ou] mieux encore par l’ingénieur
406
d’Hydrologie actuellement à Niamey » .
En 1960, à la veille des indépendances, dans une correspondance en date du 31 juillet
adressée à son homologue de la République du Dahomey, le Premier ministre de la
République du Niger rappelle encore le modus vivendi de 1914 :
« En 1914 des contacts entre les chefs de circonscription de GAYA et de KANDI ont constitué une base
concrète de règlement, mais aucun texte n’est intervenu. Le rapport du chef de Subdivision de GAYA est
407
joint au mémoire » .
En 1961, dans son rapport sur la réunion de la Commission mixte Dahomey-Niger chargée
d’étudier l’appartenance de l’île de Lété, tenue à Gaya le 29 juin, M. Maizoumbou Samna,
secrétaire d’Etat à la présidence du Niger, indique que la délégation nigérienne faisait toujours
404
C.M./R.B., § 2.128.
40Lettre du 6 juillet 1956, M.N., p. 127, § 2.3.18 ; Annexes, série C, n° 65.
40Ibid.
407
M.N., Annexes, série A, n° 1.
- 126Réplique de la République du Niger Chapitre III
408
valoir l’arrangement de 1914 . Le texte du rapport se termine par la recommandation « …
qu’à l’occasion du règlement de l’île de Lété, le texte organique [fixe] l’appartenance de
chacune des îles du fleuve, entre Niger et Dahomey, comme d’ailleurs cela était proposé dès
1914 » .409
Confrontée à cette abondance de références au modus vivendi de 1914, la partie béninoise n'a
d'autre choix que d'avancer qu’«[a]ucun de ces documents [coloniaux] n’a cependant eu pour
objet ou pour effet de fixer le chenal navigable comme limite coloniale » . Il n’empêche410
pourtant que ces documents reflètent une opinion commune, qui se perpétue dans le temps, de
la part des administrateurs. Ceux-ci se réfèrent de façon constante à ce critère du chenal
navigable ou du bras le plus profond, et cela traduit bien la perception qu’ont les autorités de
terrain de l’emplacement exact de la limite dans le fleuve.
3.9. Tous les éléments qui viennent d’être rappelés montrent, sans contestation possible, que
jusqu’au début des années 1960, l’arrangement de 1914 a constitué le document de référence
permanent pour le règlement des questions de délimitation dans le fleuve et de répartition des
îles. Ces éléments témoignent ainsi de la pérennité de l’arrangement de 1914, puisque ce
document n’a finalement jamais été perdu de vue jusqu’à la fin de la période coloniale. En
réalité, le recours au critère du principal chenal navigable pour la délimitation entre les deux
colonies a constitué une pratique continue qui a été véritablement intériorisée par les
administrateurs de ces colonies, tout au long de la période coloniale.
Même l’épisode de la lettre du 27 août 1954 n’y change rien, puisque, comme le Niger l’a
411
amplement montré ailleurs , personne (y compris les autorités coloniales dahoméennes) n’a
pris cette lettre au sérieux, et que tout, par la suite, s’est passé comme si elle n’avait jamais
existé. Par contre, l’arrangement de 1914 n’a cessé d’être évoqué à plusieurs reprises après
cette lettre (en 1954, 1956 et 1960) jusqu’à l’accession des deux colonies à l’indépendance.
La République du Bénin n’a donc pas raison d'arguer que le modus vivendi de 1914 a été de
courte durée et qu’il n’a plus été invoqué depuis les années 1920. Cet accord est au contraire
resté d’application ininterrompue durant tout le reste de la période coloniale, soit pendant près
40M.N., Annexes, série A, n° 4, pp. 2-3.
409
Ibid., p. 5.
41C.M./R.B., § 2.117.
411
Voy. supra, §§ 1.53 et s.
- 127Réplique de la République du Niger Chapitre III
de cinquante ans. Ceci montre clairement que le caractère provisoire d’un document n’a rien à
voir avec sa durée d’application effective.
3.10. Il convient d’ajouter que ce qui caractérise ainsi l’arrangement de 1914 n’est pas
seulement sa pérennité, mais également son exclusivité. En effet, aucune autre solution n’a été
retenue durant toute la période considérée, et sur le terrain, l’arrangement de 1914 n’est entré
en concurrence avec aucune autre formule, lorsque se sont posés des problèmes de
délimitation fluviale ou de distribution des îles. La République du Niger n’a connaissance
d’aucune autre solution qui eût été appliquée, et la République du Bénin n’en a pas fait
davantage état.
La République du Bénin considère seulement à cet égard que
« … les administrateurs des deux rives ont à plusieurs reprises remis en cause ultérieurement [le modus
vivendi de 1914], ceux de la rive gauche (Niger) demandant avec insistance que la limite fut fixée à la
rive droite du fleuve, et ceux de la rive droite (Dahomey) suggérant des échanges entre les îles (échanges
qui concernaient notamment l’île de Lété) voire l’attribution d’enclaves
sur la rive gauche, ce qui montre pour le moins que personne ne tenait pour intangibles ni le principe de
délimitation provisoirement retenu, ni le rattachement des îles (y compris celle de Lété) en résulta.t »
La partie béninoise fait manifestement référence ici à l’épisode des années 1925-1926, au
cours duquel les autorités coloniales dahoméennes ont proposé que l’île de Lété (appartenant
à la colonie du Niger) soient échangée contre trois îles en face de Gaya (appartenant à la
413
colonie du Dahomey) , pendant que certaines autorités coloniales nigériennes proposaient
414
une limite à la rive droite attribuant toutes les îles à la colonie du Niger . Mais ce que le
Bénin omet évidemment de dire, c’est qu’aucune de ces propositions n’a été finalement
retenue, et que c’est la solution contenue dans l’arrangement de 1914 qui a constamment été
maintenue . La partie béninoise met donc à tort l’accent sur ces quelques propositions, plutôt
que sur l’issue de cet épisode, qui fait très clairement apparaître, au contraire, à la fois, la
pérennité et l’exclusivité de la solution de 1914. Le fait que le modus vivendi de 1914 ait été
maintenu malgré des propositions contraires formulées en 1925 ne peut que témoigner de la
41C.M./R.B., § 3.13. Voy. encore ibid. §§ 2.125 à 2.127.
41Voy. M.N., pp. 183-184, § 2.3.74.
414
Voy. M.N. pp. 184-187, §§ 2.2.66 et 2.3.74.
41Voy. M.N. pp. 186-187, §§ 2.3.74 et 2.2.66.
- 128Réplique de la République du Niger Chapitre III
conviction avec laquelle les autorités des deux colonies considéraient le principal chenal
navigable comme limite entre leurs territoires respectifs.
Par ailleurs, comme on le sait, l’idée d’une limite à « la ligne des plus hautes eaux côté rive
gauche » préconisée par la lettre du 27 août 1954 est restée purement théorique et n’a jamais
été mise en œuvre. Ayant surpris tout le monde, elle n’a été appliquée par personne. Du reste,
comme la République du Niger l’a bien montré dans ses précédentes écritures, la limite
suivant « la ligne des plus hautes eaux côté rive gauche » est tellement imprécise et
déraisonnable que même la République du Bénin semble aujourd’hui avoir renoncé à la
416
revendiquer .
3.11. Il faut enfin noter que l’arrangement de 1914 a été appliqué durant toute la période à
prendre en compte pour le règlement du présent litige. Lorsqu’une solution originellement
provisoire s’applique en fait durant toute la période pertinente pour le règlement du différend,
elle est à considérer en fait comme une solution définitive pour cette période. L’arrangement
provisoire de 1914 ayant été régulièrement et exclusivement d’application jusqu’en 1960 au
moins, il doit être considéré comme la solution définitivement retenue par l’autorité coloniale
française à la date critique. En conséquence, et en application de la règle de l’uti possidetis,
c’est cet arrangement qui doit être retenu comme définissant la limite fluviale entre le Bénin
et le Niger, et comme constituant le critère de répartition des îles entre les deux Etats à la date
de leur indépendance.
4. L’arrangement de 1914 est juridiquement valable
3.12. Dans une ultime tentative de remise en cause de l’arrangement de 1914, la République
du Bénin affirme encore – certes incidemment – que « … cet arrangement n’a en tout état de
cause aucune valeur juridique étant contraire à l’arrêté de 1900 confirmé par l’échange de
lettres de 1954 » . Il convient en premier lieu de relever l’amalgame que fait la partie
adverse avec le prétendu « échange de lettres » de 1954, et l’anachronisme qui veut que
l’arrangement de 1914 soit par avance contraire à une lettre qui interviendra quarante ans plus
tard.
416
C.M.N., §§ 3.2 à 3.11.
41C.M./R.B., § 2.124.
- 129Réplique de la République du Niger Chapitre III
En tout état de cause, l'argument du défaut de validité de l'arrangement de 1914 ne pourrait
avoir de sens que si le Bénin était en mesure d'établir que l’arrêté du 23 juillet 1900 réglait un
problème de délimitation, ce qu’il ne parvient absolument pas à faire. A dire vrai, la remise en
cause de l'arrangement de 1914 au motif de son invalidité pour contrariété à l’arrêté du 23
juillet 1900 n’a jamais été envisagée durant toute la période coloniale, et pour cause, puisque
personne, durant cette période, n’a jamais invoqué cet arrêté comme énonçant des limites.
Pour rappel, ce n’est qu’en 2003 que le Bénin lui-même, lui a, pour la première fois,
découvert cette vocation.
Par ailleurs, le Bénin se contredit de manière flagrante en déniant toute valeur juridique à un
arrangement dont il reconnaît pourtant la pleine efficacité, puisqu’il déclare notamment ce qui
suit :
« Sans doute, celles-ci [les propositions des deux administrateurs] ont-elles servi de base au règlement des
contestations entre les groupes peulhs, et l’on peut en déduire que ce modus vivendi avait une vertu
418
fonctionnelle, mais qu’il ne s’agissait pas d’une délimitation au sens juridique du t.rme »
Il ne faut pas oublier à cet égard qu’en établissant le tableau de répartition des îles du Niger
entre les deux colonies, l’administrateur Sadoux voulait régler un problème de détermination
des ressorts de la juridiction respective des deux colonies. L’administrateur rapporte en effet
qu’il a cru devoir établir cette liste, « dans le but unique de déterminer nettement le cas dans
lequel des laissez-passer de pacage doivent être délivrés aux Peulhs des deux rives et de
délimiter la compétence territoriale des tribunaux indigènes des deux colonies » . La 419
détermination de la juridiction d’une entité territoriale est bien évidemment une question
juridique. Par ailleurs, si l’arrangement ayant une telle finalité a pu servir de base au
règlement des contestations entre groupes peulhs, c’est qu’il avait certainement une valeur
juridique. Enfin, le règlement des contestations se fonde sur un critère de délimitation fluviale
et d’attribution des îles contenu dans l’arrangement, et ce critère ne peut être que juridique.
Rien ne remet donc en cause la validité, sur le plan juridique, de l’arrangement provisoire
conclu en 1914 entre autorités coloniales locales.
3.13. Pour rester sur le terrain des relations entre l’arrangement de 1914 et l’arrêté du 23
juillet 1900, il convient de souligner que l’émergence de cet arrangement montre de façon
418
C.M./R.B., § 2.123.
41M.N., Annexes, série C, n° 29.
- 130Réplique de la République du Niger Chapitre III
lumineuse que l’arrêté de 1900 ne traitait nullement des questions de limite et en particulier,
ne fixait pas de limite à la rive gauche. Car, comment expliquer autrement qu’un modus
vivendi prévoyant une solution totalement différente (une limite suivant le chenal principal du
fleuve) de ce que le Bénin fait dire à l’arrêté (une limite à la rive gauche), prenne place
paisiblement et durablement dans la pratique administrative locale, en contradiction frontale
avec un arrêté qui, une décennie plus tôt aurait fixé de manière certaine la limite à rive
gauche ? Si le Bénin avait raison dans son interprétation de l’arrêté de 1900 – quod non–, la
chose aurait été trop grossière pour pouvoir échapper totalement à la vigilance et à la
dénonciation de toutes les autorités coloniales de l’époque, et de leurs successeurs (qui tous
connaissaient l’existence de ce modus vivendi), sur une aussi longue période.
Il est particulièrement révélateur qu’en 1914, dans leur recherche d’un texte fixant une limite
sur le fleuve, les administrateurs concernés n’aient pas songé une seconde à l’arrêté de 1900,
pourtant dûment publié. Si cet arrêté établissait une limite sur le fleuve aussi clairement que le
Bénin le prétend, il est tout aussi clair que les administrateurs locaux, dans leurs recherches,
n’auraient pas manqué de l'identifier. Il est par ailleurs significatif que le seul texte auquel il
aient songé (mais que l’administrateur Sadoux, de Gaya, n’avait pas pu consulter parce qu’il
était censé se trouver à Kandi) soit un texte qui aurait établi la limite dans le chenal principal
du fleuve, et sûrement pas à la rive gauche.
L’arrangement de 1914 et les nombreuses références ultérieures qui y ont été faites montrent
donc sans contestation possible que dans tous les cas, la limite à la rive n’était nullement
envisagée par les administrateurs coloniaux. Cela se comprend d’ailleurs aisément puisque
l’arrangement de 1914 n’est intervenu que quelques années seulement après l’échec de la
dernière tentative du Dahomey, en 1910, d’obtenir une enclave au nord du fleuve , échec 420
dont les administrateurs coloniaux devaient raisonnablement encore avoir le souvenir.
3.14. Au total, il apparaît que l’arrangement provisoire de 1914, qui repose sur un accord
entre les autorités coloniales, et qui a été d’application continue et exclusive durant toute la
période à prendre en considération pour le règlement du présent litige, fonde définitivement et
valablement la limite dans le chenal principal du fleuve Niger que revendique la République
du Niger.
42M.N., §§ 2.2.16 à 2.2.23 ; C.M.N., § 3.13.
- 131Réplique de la République du Niger Chapitre III
Sous-section B - L’absence d’un texte législatif ou réglementaire établissant une limite
dans le chenal principal et l’absence alléguée d’une représentation cartographique de cette
limite sont sans incidence sur la pertinence et la portée du modus vivendi de 1914
1. La République du Niger ne prétend pas qu’un texte législatif ou réglementaire ait
expressément établi une limite dans le chenal principal
3.15. La République du Bénin affirme qu’aucun texte juridique n’a clairement établi la limite
fluviale dans le chenal principal du fleuve Niger :
« … si des propositions ont pu être évoquées par des administrateurs locaux séduits par l’hypothèse d’une
limite au chenal principal (tandis que d’autres insistaient pour une limite placée à la rive droite ou
421
gauche), le Niger ne présente aucun texte fixant la limite au chenal navigable… » .
La partie béninoise considère ainsi que « la limite n’a […] jamais été fixée au chenal
422
navigable du fleuve Niger, contrairement aux affirmations du Niger » .
3.16. La République du Niger rappellera d'emblée qu’elle ne soutient nullement qu’il
existerait un titre législatif ou réglementaire colonial fixant la limite entre le Bénin et le Niger
au chenal principal. La position du Niger consiste à affirmer que ce que les textes prévoyaient
– de manière expresse – c’est que la limite était fixée dans le cours du fleuve (ceci excluait en
tout cas, per se, toute limite à la rive). Que ce soit parce que la France se trouvait « partout
423
chez elle » , comme se plaît à le rappeler le Bénin, ou pour tout autre motif, c’est un fait que
l’autorité hiérarchique coloniale n’a jamais précisé par un texte faisant autorité, le tracé exact
de la limite dans le cours du fleuve.
3.17. C’est bien pour cette raison que la République du Niger fonde la limite qu’elle
revendique sur la pratique administrative pertinente, constituée ici par le modus vivendi de
1914 et les applications ultérieures qui en ont été faites jusqu’à la fin de la période coloniale.
On sait en effet qu’en l’absence d’un traité ou d’un texte législatif ou réglementaire interne,
une limite territoriale peut parfaitement résulter d’une pratique administrative constante,
424
constitutive d’effectivités. C’est dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Mali)
421C.M./R.B., § 2.268.
422C.M./R.B., § 2.129.
423
C.M./R.B., § 2.182.
4 2 4
- 132Réplique de la République du Niger Chapitre III
que la Cour a nettement précisé la place des effectivités par rapport aux titres
juridiques, notamment lorsque ces effectivités ne coexistent avec aucun titre juridique :
« Dans l’éventualité où l’«effectivité » ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit inévitablement être
prise en considération » .5
Par rapport à la question précise du critère du chenal principal comme limite fluviale, l’on se
trouve précisément dans le cas de figure ici envisagé par la Cour . Dans la présente espèce,
le modus vivendi de 1914 et les applications qui en ont été faites ultérieurement doivent donc
inévitablement être pris en considération pour déterminer l’étendue de chaque territoire et
donc la limite territoriale (fluviale en l’occurrence). L’arrangement de 1914 se suffit ainsi à
lui-même pour fonder cette limite.
Dans tous les cas, il ne faut cependant pas oublier que la République du Niger dispose d’un
titre juridique incontestable pour ce qui est de la limite dans le cours du fleuve (l’arrêté de
1938), titre confirmé pour le surplus par une pratique administrative constante et abondante . 427
2. Le matériau cartographique des années 1955 et 1960 représente la limite dans le chenal
principal
3.18. La République du Bénin considère en outre qu’aucune carte ou croquis n’indique la
limite fluviale dans le chenal principal :
« Ces cartes et croquis attestent en effet tous que, durant la période coloniale, les cartographes n’ont
jamais tenu comme établi, et qu’il ne leur a par conséquent jamais été indiqué qu’il était établi, que la
limite entre les deux colonies suivait le chenal navigable du fleuve Niger » .
La partie béninoise s’adonne à cet égard, à une longue critique du matériau cartographique et
des croquis présentés par la République du Niger . 429
3.19. Ce que l’on peut en dire de manière générale, c’est que le Bénin fait, une fois de plus, un
mauvais procès au Niger. Celui-ci n’a jamais prétendu que les cartes faisaient apparaître dès
425Rec. 1986, pp. 586-587, § 63.
426
Tel a été aussi le cas devant la C.I.J., dans l’affaire concernant la Souveraineté sur les îles de Pulau Ligitan et Pulau
Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt du 17 décembre 2002, §§ 126-149.
427
Voy. M.N., §§ 2.2.35 à 2.2.59 et supra chapitre II, §§ 2.54 et s.
428C.M./R.B., § 2.29 ; voy. aussi § 2.268.
429C.M./R.B., §§ 2.30 à 2.54.
- 133Réplique de la République du Niger Chapitre III
le début le chenal navigable comme limite, mais que celle-ci s’est progressivement imposée
dans la pratique, à la suite de l’adoption du modus vivendi de 1914. Jusqu’à la veille des
indépendances, le matériau cartographique ne permettait techniquement pas de faire
apparaître la limite inter-coloniale dans ce secteur sur des cartes dont l’échelle était trop petite
pour représenter clairement cette limite. Ce n’est, en effet, qu’à partir de l’échelle du
è
1/200.000 qu’il est techniquement possible de représenter, sur les cartes, une limite dans le
cours du fleuve.
Or, dans la présente espèce, les cartes de l'Afrique de l'ouest au 1/200.000 éditées par le
service géographique de l'A.O.F. à Dakar en 1955 et 1960 font clairement courir les
croisillons figurant la limite dans le cours du fleuve. Certes, la plupart du temps, le trait
s’interrompt aux îles, sauf pour la dernière avant la frontière nigériane, où la limite est
représentée dans le bras droit du fleuve. Il n’en est pas moins frappant de constater que les
cartes les plus proches de l’indépendance, dressées à une échelle suffisante pour percevoir ce
genre de détails, font apparaître la limite dans le cours du fleuve, et en tout cas pas sur la rive
gauche, alors même que les autorités du Dahomey avaient informé l'I.G.N. de l’existence de
430
la lettre de Raynier du 27 août 1954 . Il convient de rappeler à ce sujet que le Bénin lui-
même considère que la carte de 1955 est « la plus fiable publiée à la veille de
l’indépendance » . 431
3.20. De façon plus spécifique maintenant, et s’agissant tout d’abord des cartes dont le Bénin
432
considère qu’elles représentent la limite au milieu du fleuve , la partie béninoise doit
honnêtement convenir en même temps que ces cartes ne retiennent pas non plus la limite à la
rive gauche qu’elle revendique.
Quant à la carte intitulée « Carte service géographique de l’A.O.F. : fascicule VI – Niger
Atlas des Cercles » , dont le Bénin dit qu’elle ne représente pas la limite dans le chenal
43Lettre du 28 juin 1956 du commandant du cercle de Kandi au directeur du service géographique de l’A.O.F.,
M/R.B., Annexe 72.
43M/R.B., § 4.56.
432
C.M./R.B., §§ 2.35, 2.36 et 2.40.
433
M.N., Annexes, série D, n° 26.
- 134Réplique de la République du Niger Chapitre III
navigable , elle ne retient évidemment pas ledit chenal - et pour cause - elle retient la rive
droite et donne toutes les îles au Niger !
Concernant les cartes dont le Bénin relève qu’elles font passer la limite, tantôt sur la rive
435
gauche, tantôt sur la rive droite et tantôt au milieu du fleuve , le Bénin ne tient pas compte
du fait qu’à l’époque considérée (1922-1939), l’I.G.N. ne savait pas où passait la limite dans
436
le cours du fleuve. Il ne commence à s’en préoccuper, de son propre aveu , qu’à la veille des
indépendances, pour une nouvelle édition des cartes au 1/200.000, que le Bénin s’abstient
naturellement de commenter, parce qu’elles placent la limite dans le cours du fleuve,
infirmant ainsi la thèse selon laquelle la lettre du 27 août 1954 aurait eu pour effet de placer la
limite à la rive gauche du fleuve.
S’agissant des cartes au 1/50.000, éditées immédiatement après les indépendances, et des
cartes au 1/200.000, réimprimées dans les années 1960, le Bénin les écarte au motif que par
application de l’uti possidetis, elles seraient dénuées de pertinence en ce qui concerne la
détermination de la limite des deux colonies . L’exclusion par le Bénin des seules cartes
pertinentes par leur échelle, du fait qu’elles seraient postérieures à l’indépendance, repose
pourtant sur une analyse inexacte car soit, elles ne constituent que la réimpression de cartes
éditées avant 1960, soit, elles ne font que reproduire des indications qui se trouvaient déjà sur
les cartes au 1/200.000 établies avant les indépendances.
3.21. Dans tous les cas, même si aucune carte pertinente ne représentait la limite dans le
chenal principal du fleuve – ce qui, on vient de le voir, n’est pas exact – cela n’enlèverait
strictement rien à la pertinence, à la valeur et à la portée du modus vivendi de 1914, dont on a
vu par ailleurs la pérennité tout au long de la période coloniale.
Comme la Cour l’a relevé dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), les
cartes « ne constituent jamais — à elles seules et du seul fait de leur existence – un titre
434
C.M./R.B., § 2.38.
43C.M./R.B., §§ 2.39 à 2.41.
436Voy. la lettre du 20 juin 1956 du directeur du service géographique de l'A.O.F. au commandant de cercle de Dosso,
C.M.N., Annexes, série C, n° 131.
437
C.M./R.B., § 2.42.
- 135Réplique de la République du Niger Chapitre III
territorial, c’est-à-dire un document auquel le droit international confère une valeur juridique
intrinsèque aux fins de l’établissement des droits territoriaux » . 438
Le matériau cartographique que la République du Niger a soumis à la Cour possède
simplement, pour reprendre les termes de la Cour dans la même affaire, la valeur « d’une
preuve concordante qui conforte une conclusion à laquelle le juge est parvenue par d’autres
439
moyens, indépendants des cartes » .
Sous-section C - La pertinence et l’utilité des missions de reconnaissance du chenal
principal dans la présente affaire
3.22. La République du Bénin affirme encore que la reconnaissance du chenal principal est
440
sans effet sur la fixation de la limite des colonies . La partie adverse argue d’abord, à cet
égard, qu’aucune des missions de reconnaissance ou d’étude conduites sur le secteur contesté
du fleuve Niger n’avait pour objet la fixation de la limite coloniale . 441
La République du Niger voudrait faire remarquer, qu’ici encore, le Bénin tente de lui faire
dire ce qu’elle ne dit pas. Le Niger n’a jamais prétendu que les missions en question
poursuivaient un objectif de délimitation. A la rigueur, la seule qui s’inscrivait dans une telle
logique était celle de la Commission paritaire mixte, en 1998. Cela n’enlève toutefois rien à la
pertinence et à l’utilité de ces rapports, sur lesquels le Niger s’appuie pour identifier le bras le
plus profond, et pour montrer que le cours du fleuve n’a pas connu de variation significative
au cours du temps.
La République du Niger a également fait état de ces diverses missions de reconnaissance du
chenal principal pour montrer que la navigabilité du fleuve Niger a constitué de tout temps
une préoccupation majeure des autorités coloniales, étant donné que le fleuve était pour elles,
à la fois une voie de ravitaillement pour le territoire au nord du fleuve, une voie de
442
surveillance des activités des autochtones et une importante voie de trafic fluvial . Le fait
qu'il s'agissait pour la plupart de ces missions d'identifier le chenal navigable ressort d'ailleurs
43Rec. 1986, p. 582, § 54. Dans le même sens : Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt du 13 décembre 1999, Rec.
1999, p. 1098, § 84.
43Rec. 1986, p. 583, § 56.
440
C.M./R.B., § 2.105 à 2.115.
44C.M./R.B., § 2.108 à 2.111.
- 136Réplique de la République du Niger Chapitre III
clairement des termes de référence de plusieurs d'entre elles. Ainsi, l'avenant n° 2 à la
convention du 1/28 octobre 1926 relative à la mission Beneyton énonçait expressément que
cette dernière avait pour mission —ce que le Bénin passe sous silence— d'effectuer "l'étude
hydrologique du bief navigable du Niger pour déterminer la profondeur du chenal aux basses
443
eaux entre Niamey et Gaya" . C'est uniquement pour cette raison que le Niger en fait état.
Voilà en quoi les conclusions des missions de reconnaissance du fleuve peuvent être
pertinentes et en quoi elles peuvent également être intéressantes, une fois admis par ailleurs
que l’autorité coloniale a établi la limite dans le chenal navigable du fleuve Niger. Car en
effet, s’il est établi que le cours du fleuve est resté généralement le même à travers le temps et
si le chenal principal est bien identifié, alors, il devient plus aisé de déterminer la limite que
l’autorité coloniale a fixée dans le fleuve, et qui sert en même temps de critère d’attribution
des îles.
3.23. La République du Bénin prétend ensuite qu’en tout état de cause, il n’était pas certain
que les décideurs avaient nécessairement connaissance des études menées par les missions de
444
reconnaissance, spécialement pour ce qui concerne l’épisode de la lettre du 27 août 1954 . Il
est certes possible que certaines autorités coloniales n’aient pas eu connaissance de toutes les
études réalisées par les missions de reconnaissance du chenal principal. Mais, il ne faut pas
oublier que ces missions étaient tout de même commandées par l’autorité coloniale et que l’on
ne peut pas présumer qu’aucune autorité compétente n’en avait connaissance. Même si toutes
les autorités de la chaîne administrative coloniale ne recevaient pas copie des études ainsi
réalisées, l’existence de ces études pouvait être généralement connue des autorités concernées.
S’agissant du Rapport d’ensemble de l’ingénieur Beneyton par exemple, des correspondances
de 1933 entre les gouverneurs des colonies du Niger et du Dahomey, montrent que
l’information le concernant circulait. Ainsi, dans sa lettre du 24 janvier 1933, le gouverneur
de la colonie du Niger écrit-il à son homologue dahoméen ce qui suit :
« Il y aurait […] intérêt pour le Service Navigation de la Colonie du Niger de bénéficier des travaux des
sondages et du relevé du cours du fleuve effectués par la Mission [Beneyton].
44M.N., § 2.3.4 et 2.3.5. ; C.M.N., § 3.72 et 3.73.
44M.N., Annexes, série C, n° 48, p. 3.
44C.M./R.B., §§ 2.112 à 2.114.
- 137Réplique de la République du Niger Chapitre III
Je vous serais reconnaissant de m’adresser pour être communiqué à ce service un exemplaire de l’étude
de Monsieur BENEYTON » . 445
Dans une correspondance datée du 2 [?] octobre 1933, le gouverneur du Niger [?] annonce
qu’il retourne au gouverneur du Dahomey « le dossier relatif à l’étude de l’hydrographie du
bref navigable du Niger par la Mission BENEYTON » que celui-ci avait bien voulu lui
communiquer . 446
En tout état de cause, les autorités coloniales n’avaient aucunement besoin de se fonder sur de
telles études pour décider des délimitations. De façon générale, ces autorités se basaient le
plus souvent sur leurs propres enquêtes ou sur leur connaissance personnelle des lieux
concernés. Dans le cas présent, en effet, l’identification du chenal principal s’est opérée de
manière empirique par les administrateurs de terrain, en se basant sur les éléments dont ils
avaient connaissance, par leur propre expérience ou par le biais des populations locales . Et 447
ce qu’il est intéressant de relever à cet égard, c’est le fait que ces constats, qu’ils soient fondés
sur les missions d’exploration ou sur les connaissances ou expériences de terrain, sont tous
convergents lorsqu’il s’agit d’identifier le chenal principal.
Il est manifeste que les missions de reconnaissance effectuées par des experts ne
poursuivaient pas les mêmes objectifs que les actions conduites par les administrateurs
coloniaux. Alors que les premières visaient à identifier le chenal navigable en vue de proposer
des aménagements pour améliorer les conditions de navigation sur le fleuve, les secondes
visaient à identifier le chenal navigable en vue de fixer une délimitation dans le cours du
fleuve.
3.24. Il ressort des développements qui précèdent que les conclusions des études des missions
de reconnaissance du fleuve sont utiles dans la présente affaire, dans la mesure où elles font
apparaître la pérennité du cours du fleuve et permettent l’identification du chenal principal,
que l’autorité coloniale a par ailleurs retenu comme critère de délimitation territoriale et
d’attribution des îles. L’ignorance éventuelle de ces études par les autorités coloniales
n’emporte aucune conséquence, puisque les administrateurs coloniaux avaient pour habitude
445
R.N., Annexes, série C, n° 171.
44R.N., Annexes, série C, n° 172.
44Voy. supra, § 3.4.
- 138Réplique de la République du Niger Chapitre III
de se fonder sur leurs propres enquêtes et sur leur connaissance empirique des lieux, pour
procéder à des délimitations, à l’instar de ce que Sadoux a précisément fait en 1914.
Sous section D - Le critère du chenal principal est parfaitement approprié en soi, de même
que pour la détermination d'une limite intercoloniale
3.25. On verra que contrairement à ce que prétend le Bénin, le critère du chenal principal est
un critère approprié en soi (1), et qu’il est de plus approprié pour la détermination d'une limite
inter-coloniale (2).
1. Le chenal principal est un critère approprié en soi
3.26. La République du Bénin soutient apparemment, dans un premier temps, qu’en soi et
indépendamment de toute autre considération circonstancielle, le critère du chenal principal
n’est pas approprié pour procéder à une délimitation dans un cours d'eau. Il en irait ainsi,
notamment, parce que la limite qui en résulte est une limite qui « varie énormément », qui est
« impossible à fixer idéalement », et qui n’est « jamais établie d’une manière scientifiquement
448
exacte » . La partie béninoise s’appuie principalement sur des critiques qui auraient été
formulées en doctrine et spécialement dans le cours de Georges Sauser-Hall sur l’utilisation
449
industrielle des fleuves internationaux . On verra ci-après ce qu’il faut penser de l’appui
doctrinal ainsi recherché . A en croire la partie béninoise, le critère du chenal principal serait
donc inapproprié par nature, « par lui-même » , puisque les inconvénients qu’elle trouve à
cette méthode lui seraient en quelque sorte inhérents.
3.27. Une telle position est absolument indéfendable car elle est catégoriquement démentie
par la pratique. Comme la République du Niger l’a clairement montré dans ses précédentes
écritures, le thalweg est, tout au contraire, la méthode de délimitation fluviale qui a été la plus
pratiquée depuis le début du XIXè siècle, en ce qui concerne spécialement les fleuves
navigables , comme en témoigne le nombre impressionnant de traités dans lesquels c’est
448
C.M./R.B., § 2.143.
449Ibid.. Les références de l’étude en question sont « L’utilisation industrielle des fleuves internationaux », R.C.A.D.I., 1953-
II, vol. 83, p. 484.
450Voy. § suivant.
451
C.M./R.B., § 2.141.
452M.N., § 2.3.23 et C.M.N., § 3.46.
- 139Réplique de la République du Niger Chapitre III
453
cette méthode qui a été retenue pour établir la limite . Même l’éminent professeur Sauser-
Hall, que le Bénin appelle à son secours pour tenter de conforter l’argument du caractère
naturellement inapproprié du critère du chenal principal, confirme cet état de la pratique, dans
un passage lumineux, que la partie béninoise n’a bien évidemment pas vu, malgré qu’il suive
immédiatement les extraits par elle sélectionnés :
« Néanmoins la théorie du thalweg a reçu de nombreuses applications pratiques ; elle est pour ainsi dire la
seule qui soit suivie pour la détermination des frontières fluviales en Afrique, en Asie et en Amérique, et
il en a été fait application dans plusieurs arbitrages… » .
Sans doute le critère du thalweg peut-il présenter quelques inconvénients, comme tous les
autres procédés de délimitation fluviale . Mais cette méthode offre un avantage décisif qui
explique son succès dans la pratique. C’est que, s’agissant de fleuves navigables, elle assure
un accès plus équitable des Etats riverains aux eaux du fleuve, particulièrement en matière de
navigation . Par ailleurs, lorsqu’il existe des îles dans le fleuve, le thalweg trace une ligne
qui ne peut les traverser, ce qui le rend plus approprié pour attribuer les îles qui se
457
trouveraient dans un cours d’eau . Dans le cas présent, il semble précisément que ce soient
ces deux avantages cumulés de la méthode qui ont poussé l’administration coloniale à
pratiquer constamment la délimitation suivant le principal chenal navigable du fleuve Niger.
3.28. Cette évidence n’empêche pas la partie béninoise de plaider que la présence d’îles est
une raison supplémentaire pour fixer la limite à la rive « comme cela a été probablement le
cas, par exemple, lorsque la France a fixé à « la rive droite du bras principal » du fleuve
Sénégal la limite entre les colonies de la Mauritanie et du Sénégal par un décret du 8
décembre 1933, laissant l’île aux Bois à la colonie de la Mauritanie » . 458
453
Voy. les nombreux traités cités notamment par les auteurs suivants : DIPLA, Haritini, « Les règles de droit international en
matière de délimitation fluviale : remise en question ? », R.G.D.I.P ., 1985, pp. 598-604 ; CAFLISCH, Lucius, « Règles
générales du droit des cours d’eau internationaux », R.C.A.D.I ., 1989-VII, pp. 71-74 ; SCHROETER, François, « Les
systèmes de délimitation dans les fleuves internationaux », A.F.D.I., 1992, pp. 959-964.
454
G. SAUSER-HALL, op. cit. (notes 38 et 449), p. 484.
455
La République du Niger a signalé dans son contre-mémoire les graves inconvénients de la limite à la rive : C.M.N., §§
3.42 à 3.45.
456
On aime à citer à cet égard un extrait de l’arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis dans l’affaire New Jersey c. Delaware :
« The underlying rationale of the doctrine of the thalweg is one of equality and justice… If the dividing line were to be
placed in the centre of the stream rather than in the centre of the channel, the whole track of navigation would be thrown
within the territory of one state to the exclusion of the other » (reproduit par SCHROETER, F., « Les systèmes de
délimitation dans les fleuves internationaux », A.F.D.I., 1992, p. 962, note 105.
457Ibid., p. 963.
458
C.M./R.B., § 2.144; italiques ajoutées.
- 140Réplique de la République du Niger Chapitre III
Cette explication purement spéculative (comme le montre l’adverbe « probablement ») des
motifs qui se seraient trouvés à l’origine du décret du 8 décembre 1933 ne repose sur aucun
fondement. Tout d’abord, l’île aux Bois n’est pas revenue à la Mauritanie par application de
la limite à la rive droite, mais indépendamment de celle-ci, par attribution nominative
résultant du décret du 8 décembre 1933. Bien au contraire, l’attribution de l’île en fonction de
la limite à la rive aurait donné cette île au Sénégal.
Ensuite, dans le cas ainsi cité en exemple, la méthode du thalweg n’aurait pas nécessairement
fait obstacle à l’attribution de cette île à la Mauritanie. La limite à la rive, n’a, de ce point de
vue-là, présenté, aucun « avantage » comparatif spécifique. Par ailleurs, dans le cas considéré,
la limite à la rive n’a résolu aucun problème, bien au contraire. Comme cela a été relevé
ailleurs, la Mauritanie a en effet toujours refusé de se considérer comme étant liée par le
459
décret du 8 décembre 1933 . Enfin, il est également significatif que le Bénin ne soit en
mesure de citer aucun exemple authentique d’un texte où la limite à la rive aurait été retenue
en vue de résoudre spécifiquement un problème d’attribution d'îles dans un cours d'eau.
2. Le chenal principal est un critère approprié pour une limite intercoloniale
3.29. La République du Bénin prétend ensuite que le critère du chenal principal serait
inapproprié dans le cas d’espèce, parce qu’il ne s’agissait pas, à l’époque coloniale « de fixer
une limite internationale », mais plutôt « une limite interne à un même ensemble colonial » . 460
Selon la partie béninoise, « les considérations liées à l’égalité souveraine des Etats
concernés » et à l’utilisation égale des eaux du fleuve n’avaient pas à jouer en l’occurrence, et
c’est à tort que la République du Niger tenterait d’appliquer le droit international fluvial en
l’espèce ; la pratique observée au sein des Etats fédéraux (Etats-Unis ou Suisse), ou même en
461
France, serait à cet égard plus pertinente .
3.30. Cette argumentation n’est pas plus convaincante que les précédentes. Tout d’abord,
bien que les colonies du Dahomey et du Niger aient fait partie de l’ensemble colonial français,
il serait abusif de les assimiler purement et simplement à de simples subdivisions territoriales
d’un seul Etat. D’une part, il s’agissait bien d’entités distinctes jouissant d’une autonomie
constitutive et créée chacune par un acte juridique séparé. D’autre part, leurs intérêts étaient
459
C.M.N., § 3.44.
46C.M./R.B., § 2.145.
- 141Réplique de la République du Niger Chapitre III
loin de converger, notamment en matière d’assise territoriale, comme peuvent en témoigner à
la fois la vivacité avec laquelle chaque colonie défendait ses limites et les remaniements
constants des limites inter-coloniales. En somme, étant donné l’individualité administrative de
chaque colonie, l’intérêt qu’elle avait à défendre une limite donnée était parfaitement
comparable à celui qu’aurait eu, à cet égard, un Etat souverain.
Ensuite, en récusant ici l’invocation de la pratique interétatique en matière de délimitation
fluviale, la République du Bénin refuse une fois de plus au Niger ce qu’elle fait elle-même
largement. En effet, comme on a pu le constater, la partie béninoise ne s’est pas privée
d’invoquer la pratique internationale, que ce soit dans son mémoire ou dans son contre-
mémoire. Dans son mémoire et pour soutenir l’idée d’une limite à la rive, le Bénin a
longuement invoqué la pratique internationale qu’il décrie ici . Même dans son contre-
mémoire, pour contester l’applicabilité de la méthode du thalweg, la République du Bénin
commence par s’appuyer sur la pratique internationale, telle qu’elle est précisée par divers
463
auteurs qu’elle cite . La partie béninoise est donc mal venue de récuser cette pratique quand
c'est le Niger qui l’invoque.
En outre, quand bien même cette pratique internationale ne serait pas directement pertinente –
quod non —, elle n’en serait pas moins toujours utile pour dégager les grandes tendances des
solutions retenues par les Etats en cette matière, tendances qui peuvent elles-mêmes s’avérer
précieuses dans l’interprétation par analogie des textes juridiques applicables, ou de la
pratique administrative pertinente.
Enfin, dans tous les cas, et contrairement à ce que semble suggérer la partie béninoise (à
savoir que dans la pratique interne des Etats fédéraux, la limite à la rive serait plus appropriée
que la limite au thalweg ou à la ligne médiane) , il faut noter que dans ces Etats fédéraux, la
limite au thalweg est largement pratiquée. Ainsi, aux Etats-Unis d’Amérique, que le Bénin
lui-même cite en exemple , la Cour suprême a, à plusieurs reprises, appliqué le critère du
46C.M./R.B., §§ 2.145 à 2.147.
462
M/R.B., §§ 5.25 à 5.29.
46M/R.B., §§ 2.143 et 2.144.
464
C.M./R.B., § 2.145 in fine.
465
C.M./R.B., § 2.146.
- 142Réplique de la République du Niger Chapitre III
thalweg dans des délimitations entre Etats fédérés , au point que l’on a pu parler à cet égard
d’une véritable « doctrine du thalweg » . 467
Il apparaît donc clairement que l’argument tiré de l’inapplicabilité de la pratique
internationale en matière de délimitation suivant la ligne du thalweg ne repose sur aucun
fondement.
3.31. Au détour d’un propos introductif, la République du Bénin affirme par ailleurs que « le
critère du principal chenal navigable […] avait été délibérément écarté par la puissance
468
coloniale en 1900 » . Cette affirmation est franchement absurde. Elle implique en effet que
l’autorité coloniale aurait, à l’époque, considéré cette option, pour ensuite l’écarter
délibérément. Ce scénario est aussi mal fondé qu’anachronique. Il est mal fondé parce que le
critère du principal chenal navigable n’a jamais été « délibérément écarté » ; la délibération
suppose une conscience et une décision éclairée, tous éléments que la partie béninoise ne
prouve pas en l’occurrence. Ce critère ne pouvait d’ailleurs pas être écarté, car ni l’arrêté du
23 juillet 1900 ni le décret du 20 décembre 1900 n’établissaient de limites. Le scénario
présenté par le Bénin est également tout à fait anachronique puisque le critère du chenal n’a
été dégagé que bien plus tard, en 1913-1914.
Le critère du chenal navigable est donc manifestement approprié en soi, y compris – comme
c’est le cas ici – lorsque les territoires à délimiter font partie d’un même ensemble colonial. Il
l'est d'autant plus lorsqu’il s’agit, comme c’est encore le cas ici, d’un fleuve navigable.
466Voy. not. : Iowa v. Illinois (1893), DEAK, Francis, ed., American International Law Cases, vol. 4, Control of Resources,
Oceana Publications, Dobbs Ferry, New York, 1972, p. 67; Louisiana v. Mississippi (1906), ibid., pp. 80-81 ; Arkansas v.
Tennessee (1918), ibid., pp. 86-90 ; New Jersey v. Delaware (1934), ibid., pp. 115-131 ; Louisiana v. Mississippi (1984),
ibid., 2esérie, vol. 2, pp. 59-61.
467
Voy. GARNER, James W., « The doctrine of the thalweg », B.Y.B.I.L., 1935, p. 177-179.
46C.M./R.B., § 2.130.
- 143Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 2 -
Le critère du chenal principal est approprié pour un fleuve navigable comme le Niger
3.32. La République du Bénin soutient de plus que le critère du chenal principal n’est pas
approprié in casu, dès lors que le fleuve Niger ne serait pas navigable. Selon la partie
béninoise, « [l]e critère du chenal navigable n’a de sens, et n’est utilisé, que dans le cas des
469
fleuves effectivement ouverts à la navigation » . Et le Bénin d’invoquer à cet effet la
définition des voies navigables d’intérêt international contenue dans la convention de
470
Barcelone du 20 avril 1921 relative au régime des voies d’eau internationales .
La République du Bénin poursuit son exposé en arguant que « la navigabilité doit s’apprécier
en période de basses eaux, ou en tout cas, en fonction du niveau moyen des eaux » , ce qui 471
ne serait pas le cas du fleuve Niger qui ne serait « navigable qu’en période de hautes eaux » . 472
La partie béninoise conclut qu’« [i]l serait dans ces conditions inapproprié d’appliquer le
principe du principal chenal navigable pour déterminer la frontière le long d’un fleuve qui
n’est navigable qu’une moitié de l’année et l’appartenance des îles qui s’y trouvent, d’autant
473
que la France n’aurait eu aucune raison de prendre une telle décision » .
3.33. Cette position de la partie béninoise est absolument insoutenable et ne repose sur
aucun fondement. On verra dans les lignes qui suivent qu’en réalité, le Bénin se fonde sur une
définition inadéquate et indûment restrictive de la navigabilité d’un fleuve (sous-section
A), que le fleuve Niger est à classer dans la catégorie des fleuves navigables (sous-section B),
et que le bief fluvial concerné par le présent litige est navigable toute l’année pour certaines
embarcations (sous-section C). On réfutera également l’affirmation audacieuse selon laquelle
la France aurait toujours purement et simplement intégré à chaque colonie concernée, un
secteur déterminé du fleuve (sous-section D). Finalement, on rappellera que c’est précisément
le critère de la navigabilité du fleuve qui a logiquement imposé que dans le chenal navigable,
la limite suive la ligne des sondages les plus profonds (sous-section E).
469
C.M./R.B., § 2.131.
47Ibid.
47C.M./R.B., § 2.132.
472
C.M./R.B., § 2.133.
47C.M./R.B., § 2.135.
- 144Réplique de la République du Niger Chapitre III
Sous-section A - Le Bénin se fonde sur une définition inadéquate et indûment restrictive de
la navigabilité
3.34. Pour déterminer ce qu’est la navigabilité d’un fleuve, la partie béninoise se fonde sur
la définition des eaux navigables donnée par la Convention de Barcelone du 20 avril 1921, qui
a la teneur suivante :
« Est dite naturellement navigable toute voie d’eau naturelle ou partie de voie d’eau naturelle faisant
actuellement l’objet d’une navigation commerciale ordinaire ou susceptible, par ses conditions naturelles,
de faire l’objet d’une telle navigation ; par navigation commerciale ordinaire, il faut entendre une
navigation qui, étant donné les conditions économiques des pays riverains, est commercialement et
couramment praticable » .74
3.35. La définition de la navigabilité qui en découle est à la fois inadéquate et restrictive.
Tout d’abord, ce qui, à vrai dire, est défini ici n’est pas la navigabilité, qui est un état, mais
une voie d’eau naturellement navigable, qui est plutôt un espace. Ensuite, même la voie d’eau
naturellement navigable qui est ainsi définie ne l’est que de manière restrictive, puisque seule
est visée la navigation commerciale, à l’exclusion d’autres types possibles de navigation. En
réalité, on est ici en présence d’une définition conventionnelle d’une voie d’eau navigable qui
porte la marque de la spécificité des finalités commerciales poursuivies par les Etats parties à
la Convention qui la porte.
3.36. Pour avoir une bonne compréhension de la notion de navigabilité d’un cours d’eau, il
convient plutôt de se référer aux définitions généralement données à ce terme dans le langage
courant, dans le langage des hydrologues et dans le langage juridique habituel.
Dans le langage courant, la navigabilité est l’état d’un cours d’eau où l’on peut naviguer,
475
c’est-à-dire où un navire peut flotter . Dans le langage des hydrologues, la navigabilité d’un
cours d'eau se définit comme suit :
"Etat d'un cours d'eau dans lequel peuvent passer des bateaux, compte tenu de leur gabarit et de leur tirant
476
d'eau"
474C.M./R.B., § 2.131
475
Définition inspirée du Nouveau Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, 1993, p. 1655-1656.
476ROCHE, Marcel, Dictionnaire français d'hydrologie de surface, Paris, Masson, 1986, p. 159., R.N., Annexes, Série E, n°
33.
- 145Réplique de la République du Niger Chapitre III
Dans le langage juridique, la navigabilité d’un cours d’eau est généralement définie de la
manière suivante :
« Condition des cours d’eau internationaux de surface réalisée pendant toute l’année ou une partie de
celle-ci et permettant aux navires de circuler librement, avec ou sans transbordement des marchandises ou
passagers transportés » .
Le Dictionnaire de droit international public qui donne cette définition note que l’on a tenté
de restreindre la notion de navigabilité « à la seule navigation commerciale » mais que cette
limitation ne semble pas relever du droit international général . Toutes ces indications
confirment donc que la définition de la navigabilité proposée par le Bénin, inappropriée et
trop spécifique, ne peut pas être retenue pour déterminer si le fleuve Niger est navigable ou
non.
Il faut, en l’occurrence, s’en tenir aux définitions générales qui viennent d’être évoquées et
qui ne comportent aucune restriction, ni quant à la finalité de la navigation, ni quant à sa
permanence, ni quant à l’importance des embarcations concernées. Il en résulte, comme on le
verra, que toute l’argumentation que la partie béninoise avait bâtie sur cette définition
s’écroule complètement.
3.37. En rapport avec la notion de navigabilité, la partie béninoise allègue encore que « la
navigabilité doit s’apprécier en période de basses eaux, ou en tout cas en fonction du niveau
moyen des eaux » . Le Bénin fonde cette affirmation sur le dictum de la C.I.J. dans l’affaire
de l’Ile de Kasikili/Sedudu, selon laquelle « la Cour est d’avis que, pour déterminer le chenal
principal, elle doit tenir compte de la laisse des basses eaux et non des lignes de crues » . Ici, 480
la partie béninoise joue de l’amalgame, en appliquant à une question d’appréciation de la
navigabilité un critère dégagé par la Cour pour la détermination du chenal navigable. Dans
l’affaire de l’Ile de Kasikili/Sedudu, en effet, la Cour n’a nullement dit que la navigabilité
devait s’apprécier en basses eaux, mais que le chenal principal devait être déterminé en cette
période. Or, il s’agit là de deux considérations tout à fait différentes : la navigabilité est un
état, le chenal principal un lieu. L’affirmation du Bénin est donc tout simplement fausse, et
l’argument qu’il cherche à tirer de ce dictum de la Cour manque totalement de fondement.
47Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant/A.U.F., 2001, p. 729.
478
Ibid.
- 146Réplique de la République du Niger Chapitre III
Sous-section B - Le fleuve Niger est à classer dans la catégorie des fleuves navigables
3.38. En se fondant sur la définition des voies d’eau navigables donnée par la Convention de
Barcelone du 20 avril 1921, le Bénin affirme que « [l]e critère du chenal navigable n’a de
sens, et n’est utilisé que dans le cas de fleuves effectivement ouverts à la navigation » . Ce 481
faisant, la partie béninoise semble contester que le fleuve Niger soit navigable.
3.39. Si l’on se reporte à la conception générale de la navigabilité d’un fleuve que l’on vient
d’évoquer, il ne fait pourtant aucun doute que le Niger doit être rangé dans la catégorie des
fleuves navigables. Et l’on n’aurait pas tant besoin de s’y attarder, si la partie béninoise ne
jetait pas un doute sur cette évidence.
La navigabilité générale du fleuve Niger, spécialement dans le bief fluvial qui fait l’objet du
présent litige, est attestée simultanément par plusieurs éléments, parmi lesquels : le fait que
les autorités coloniales, puis étatiques, aient ordonné ou commandé de nombreuses missions
d’étude de la navigation du fleuve et de reconnaissance du chenal principal, le fait qu’on ait
cherché à améliorer les conditions de navigabilité du fleuve, les témoignages contenus dans
les rapports de ces missions d’étude et de reconnaissance ou dans d’autres documents, les
actes de réglementation de la navigation posés par l’autorité coloniale, les activités de
navigation ayant pris place sur le fleuve, et la consécration juridique de la liberté de
navigation sur le fleuve.
3.40. L’on sait que, tout au long de la période coloniale et après les indépendances, de
nombreuses missions ont réalisé des études sur le fleuve, en vue de déterminer le chenal
principal et d’assurer en tout temps sa navigabilité 482. Durant la période coloniale, ces
missions ont été effectuées, soit par des agents coloniaux, soit par des experts commis par
l’autorité coloniale, qu’il s’agisse des missions du capitaine Toutée en 1894-1895, du
lieutenant de vaisseau Hourst en 1896, de l’administrateur Sadoux en 1914, de l’ingénieur
47C.M./R.B., § 2.132; italiques ajoutées.
480
Ibid.; italiques ajoutées.
48C.M./R.B., § 2.131.
48M.N., § 2.3.7. à 2.3.15.
- 147Réplique de la République du Niger Chapitre III
Beneyton en 1926-1931, ou encore du représentant de la Région Bénin-Niger, Bigourat en
483
1949 .
Durant la période post-coloniale, une première mission d’étude sur la navigabilité du fleuve
Niger, chargée de la reconnaissance des hauts-fonds du Niger, a été exécutée par le Service
topographique et du cadastre de la République du Niger, entre 1965 et 1967 . La mission du84
bureau d’études d’ingénieurs-conseils néerlandais, NEDECO a, quant à elle, été décidée par
une convention internationale conclue entre le Dahomey, le Mali, le Niger et le Nigeria d’une
485
part, et les Pays-Bas d’autre part, en date du 22 septembre 1967 . La mission du Comité
technique mixte paritaire de 1998 a été décidée par la Commission mixte paritaire bénino-
nigérienne en 1997, pour le compte des deux gouvernements concernés. La mission
hydrologique de 2002 a, pour sa part, été ordonnée unilatéralement par la République du
Niger.
Il est évidemment impensable que toutes ces autorités auraient ordonné des missions d’étude
de la navigabilité du fleuve et de l’amélioration des conditions de sa navigabilité, si elles
avaient pensé un seul instant que le fleuve n’était pas navigable. Si, à la limite, en ce qui
concerne la première mission, on peut considérer que l’autorité coloniale pouvait être dans
l’ignorance de l’état de la navigabilité du fleuve, en revanche, s’agissant de toutes les autres
missions qui ont suivi, il est clair que les autorités coloniales les ont ordonnées en sachant
pleinement que le fleuve était navigable, et que toute la question était d’améliorer les
conditions de navigation. Il convient de remarquer par ailleurs que certaines de ces missions
ont même été commandées avec l’accord du Dahomey ou conjointement avec lui.
3.41. La plupart de ces missions visaient, on vient de le voir, l’étude de l’amélioration de la
navigabilité du fleuve Niger, et nombre d’entre elles ont formulé des propositions à cet
486
effet .
483
Ibid.
484
Voy. notamment les documents ci-après : République du Niger, ministère des finances, service topographique et du
cadastre, Mission d’étude sur la navigabilité du fleuve Niger, Rapport de fin de mission de la reconnaissance des hauts-fonds
du Niger, effectuée du 5 avril au 17 mai 1965 (R.N.erAnnexes, série C, n° 194) ; Rapport de fin de mission sur la navigabilité
et le relevé des hauts-fonds du fleuve Niger, effectuée du 1 juillet au 13 août 1965 (R.N., Annexes, série C, n° 195).
48C.M./R.B., Annexe n° 22.
486Voy. par exemple : Rapport d’ensemble de l’ingénieur Beneyton, 6 novembre 1931, M.N., Annexes, série C, n° 48, pp.
11-23 ; Rapport du 22 août 1949 de J. Bigourat, Représentant de la région Bénin-Niger, M.N., Annexes, série C, n° 55 ;
République du Niger, Ministère des Finances, Service topographique et du cadastre, Mission d’étude sur la navigabilité du
fleuve Niger, Rapport de fin de mission de la reconnaissance des hauts-fonds du Niger effectué du 5 avril au 17 mai 1965,
- 148Réplique de la République du Niger Chapitre III
Il va de soi qu’on ne peut pas améliorer la navigabilité d’un fleuve qui n’est pas déjà
navigable. La navigabilité d’un fleuve est une chose, la facilité ou la difficulté de la
navigation en est une autre. Les difficultés de navigation ne posent pas un problème de
navigabilité du fleuve, mais un problème d’amélioration des conditions de navigation.
3.42. Dans leurs rapports, les auteurs de ces études ou reconnaissances ont parfois témoigné
directement de la navigabilité du fleuve. Ainsi, on se souvient que, dans sa lettre du 3 juillet
1914, l’administrateur Sadoux, commandant du secteur de Gaya rapporte : « … j’ai entendu
par grand bras du fleuve, non le bras le plus large, mais le bras qui seul est navigable aux
487
basses eaux… » . Sadoux a donc constaté que sur le bief fluvial concerné, il existait un bras
navigable, même aux basses eaux.
Dans son rapport d’ensemble sur l’«Hydrologie du bief navigable du Niger entre Niamey et
Gaya » (1926-1932), l’ingénieur Beneyton indique clairement le contexte et l’objet de sa
mission :
« Au moment où la mission d’études s’est occupée de la reconnaissance du bief navigable du Niger, entre
Niamey et Gaya, la colonie du Niger avait déjà fait l’acquisition d’un grand vapeur le « Van
Vollenhoven » et d’un remorqueur le « Colonel Monteil ». Ces unités pouvaient —avec prudence—
circuler entre Niamey et Gaya seulement pendant 7 mois de l’année et leurs premiers voyages datent de
1930. Pour leur permettre dans l’avenir de circuler toute l’année, il fallait reconnaître le chenal et se
488
rendre compte des améliorations à apporter à celui-ci » .
Ce passage montre bien que le fleuve était navigable, même s’il fallait apporter des
améliorations pour faciliter la navigation à vapeur.
Même le rapport sur la reconnaissance effectuée sur le fleuve Niger entre Niamey et
Malanville en 1949, dont le but était pourtant la « recherche des chenaux d’étiage dans les
parties difficiles », signale que la navigation est possible, même si elle peut être difficile à
certains endroits précis . Quant au rapport de la mission NEDECO de 1970 (dont l’objet
principal était l’examen de la navigabilité du fleuve Niger entre Tossaye (Mali) et Yelwa
R.N., Annexes, série C, n° 194, pp. 4-6 ; Rapport de fin de mission sur la navigabilité et le relevé des hauts-fonds du fleuve
Niger, effectuée du 1 au 13 août 1965, 9 pages ; Rapport final de septembre 1970 sur l’étude de la navigabilité du fleuve
Niger entre Tossaye et Yelwa, NEDECO, Annexes C.M./R.B. 23, pp. VIII-1 et s. Voy. encore : Notice sur le Moyen-Niger,
par le capitaine Henri Salaman (1903 ou 1904), Annexe C.M./R.B. 5, pp. 28-32.
48M.N., Annexes, série C, n° 29. Les italiques sont dans le texte original.
488
M.N., Annexes, série C, n° 48, p. 1.
48M.N., Annexes, série C, n° 55.
- 149Réplique de la République du Niger Chapitre III
(Nigeria) et l’étude préliminaire des possibilités d’amélioration de la navigabilité du
fleuve) , il signale que le tronçon le plus intéressant à développer en matière de navigation
est précisément le tronçon Yelwa-Niamey, qui inclut le bief fluvial concerné par le présent
491
litige . Le rapport indique également qu’«[à] condition de ne rencontrer aucun autre
empêchement, la navigation pour tous les bâtiments – à l’exception des petites embarcations
telles que les pirogues – est limitée par le débit à une période moyenne de 7 mois dans une
année, période s’étendant de septembre à avril environ » . Ces observations ne peuvent
évidemment se concevoir que si l’on est en présence d’un fleuve navigable. Il faut noter à ce
sujet que, dans ses commentaires sur le rapport NEDECO, le Gouvernement du Dahomey
reconnaît que le chenal est navigable et soutient l’idée d’améliorer la navigabilité du fleuve :
« Après cette étude, il serait souhaitable de prévoir des aménagements du chenal pouvant permettre la
navigation permanente du Moyen-Niger par des pousseurs de moyennes dimensions » . 493
La mission de reconnaissance du Comité technique mixte paritaire de 1998 rapporte que
« [c]ompte tenu des obstacles signalés ci-dessus [bancs de sable et blocs de roches], la
navigation sur le fleuve est extrêmement difficile en période d’étiage » . Bien que ce passage
mette l’accent sur les difficultés de la navigation, il ne signifie nullement que la navigation
soit impossible, même en période d’étiage.
3.43. D’autres témoignages viennent encore confirmer que le Niger est parfaitement navigable
sur le bief fluvial considéré. Ainsi, dans leur étude sur le Niger Moyen publié en 1962, P.
Dubreuil et R. Lefebvre rapportent que « [l]e bief Niamey-Malanville-Dolé est navigable en
495
hautes eaux même pour les gros chalands » .
3.44. Les autres éléments qui prouvent sans conteste que le fleuve Niger est navigable,
spécialement dans le bief ici concerné, sont tous les actes d’organisation et de réglementation
de la navigation sur le fleuve posés par l’autorité coloniale et, plus tard, par les autorités des
490 er
Convention du 22 septembre 1967, C.M.N., Annexes, série A, n° 59, article 1 .
491
C.M./R.B., Annexe n° 23, pp. I-3 - I-4.
492Ibid., p. VIII-1.
493Appendice au rapport NEDECO, p. A-2; R.N., Annexes, série C, n° 196.
494
M.N., Annexes, série A, n° 25, p. 2.
495
P. DUBREUIL et R. LEFEBVRE, Monographie du Niger, C. Le Niger Moyen I. Facteurs conditionnels du régime –
Données hydrologiques, Office de la Recherche scientifique et technique d’Outre-mer, Mission d’études et d’aménagement
du Niger, mai 1962, p. 31, R.N., Annexes, série E, n° 34 ; italiques ajoutées. M. Abel Afouda, consulté par le Bénin aux fins
de la présente affaire, a repris littéralement la même constatation (C.M./R.B., Annexe n° 27, p. 23).
- 150Réplique de la République du Niger Chapitre III
496
deux Etats . Il y a lieu d’ajouter à tous les actes de réglementation qui ont été déjà
mentionnés, l’arrêté du gouverneur général n° 4270 F du 4 octobre 1946 qui porte que « [l]e
fleuve Niger est considéré comme voie légale pour l’importation de marchandises en
provenance de Nigeria, au Dahomey et au Niger, ainsi que pour l’exportation vers l’étranger
497
des marchandises de ces colonies » . Qu’il s’agisse de la création d’un service de navigation
fluviale, de la réglementation du transport fluvial ou de l’organisation et de la gestion de la
navigation sur le fleuve, ces actes n’ont évidemment de sens que si le fleuve Niger est
navigable.
Il en va de même en ce qui concerne les actes matériels posés par les mêmes autorités en
rapport avec la navigation sur le fleuve, tels que l’acquisition de divers moyens de transport et
l’utilisation effective de ces moyens . 498
è
3.45. En outre, il faut se rappeler que le fleuve Niger est soumis, depuis le XIX siècle, à un
régime international de liberté de navigation. A l’époque coloniale, ce régime a été établi par
l’Acte général de Berlin du 26 février 1885 499et par la Convention de Saint-Germain-en-Laye
du 10 septembre 1919 . Après les indépendances, c’est l’Acte relatif à la navigation et à la
coopération économique entre les Etats du Bassin du Niger du 26 octobre 1963 qui réaffirme
501
le principe de libre navigation sur le fleuve . Il tombe sous le sens que le principe de la
liberté de navigation ne peut se concevoir que s’agissant de fleuves navigables.
Par ailleurs, le Bénin étant partie aux instruments contemporains réaffirmant ce principe en ce
502
qui concerne le fleuve Niger, et l’ayant lui-même invoqué dans ses précédentes écritures ,
n’est plus admis à prétendre aujourd’hui que le fleuve n’est pas navigable. Le principe de
l’estoppel s’oppose en l’occurrence à ce que la partie béninoise prétende le contraire de ce
qu’elle a admis antérieurement (allegans contraria non audiendus est ; venire contra factum
proprium non valet).
496M.N., §§ 2.2.49 ; 2.2.51 à 2.2.54 ; 2.2.56 à 2.2.58 ; C.M.N., §§ 3.56 et 3.60. Voy. encore CM./R.B., Annexe n° 6 qui
rappelle l’historique de la création du service de la navigation du Niger et les premières expériences de navigation (pp. 1-3).
497J.O.A.O.F., 12 octobre 1946; R.N., Annexes, série B, n° 87.
498M.N., §§ 2.2.43, 2.2.48 ; C.M.N., §§ 3.56 et 3.60.
499
PARRY, Clive (ed.), The Consolidated Treaty Series ( C.T.S.), vol. 165, pp. 499-501.
500
Ibid., vol. 225, pp. 505 et s.
501C.M.N., Annexes, série A, n° 56.
502C.M./R.B., § 2.74.
- 151Réplique de la République du Niger Chapitre III
3.46. Il ressort des développements qui précèdent qu’en fait comme en droit, le Niger,
spécialement dans le bief concerné par le présent litige, est un fleuve navigable. Que la
navigabilité pose certaines difficultés à certains endroits ou à certaines époques de l’année ne
change rien à l’état naturellement navigable de ce fleuve, dont on peut d’ailleurs dire qu’il est
navigable toute l’année, à tout le moins pour certaines embarcations.
Sous-section C - Le fleuve Niger est navigable toute l’année, pour certaines embarcations
3.47. La République du Bénin soutient que le critère du principal chenal navigable n’est pas
adapté, pour un fleuve qui n’est navigable qu’une partie de l’année . Selon le Bénin : « …
dès lors que le fleuve Niger n’est pas navigable à certaines périodes dans la région en litige
[…] l’absurdité serait de retenir la navigabilité comme motif principal du tracé de la frontière
en cause. C’est d’ailleurs ce que les administrateurs coloniaux se sont constamment abstenus
504
de faire, en préférant fixer la frontière à la rive » . La partie béninoise précise que « … le
Niger n’est navigable qu’en période de hautes eaux, c’est-à-dire essentiellement d’août à
janvier ou février s’il faut en croire l’hydrogramme reproduit par la partie nigérienne », et
qu’«il n’en va pas de même en saison sèche comme le montrent certains des documents sur
505
lesquels se fonde le Niger » . Comme on va le voir, cependant, le fleuve Niger est
parfaitement navigable toute l’année, tout au moins pour certaines embarcations, et aucun
document invoqué par le Bénin n’apporte la preuve de sa prétention.
3.48. Le premier document qu’invoque le Bénin est le rapport de la mission Beneyton
(1926-1931) qui rappelle que la mission Hourst (1896) a opéré en avril et en septembre car il
n’était pas possible de naviguer aux basses eaux . La mission Hourst a en effet opéré sur le
bief fluvial en cause entre le 17 et le 24 septembre 1896 , en période de moyennes eaux.
Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que le fleuve n’était pas navigable aux basses eaux
pour des embarcations plus légères que celles utilisées par la mission Hourst.
3.49. Le deuxième document invoqué par le Bénin est le rapport de la mission Bénin/Niger
de 1949 qui montrerait que le fleuve ne serait pas navigable, dès lors que la progression de la
50C.M./R.B., §§ 2.133 et s. ; § 2.268.
50C.M./R.B.
505
C.M./R.B., § 2.133.
50Ibid.
- 152Réplique de la République du Niger Chapitre III
mission s’est effectuée « à la perche ». Ceci montrerait encore que l’accès au seul bras
praticable est interdit en partie et que le fleuve n’est guère navigable en période de basses
eaux .08
Tout d’abord, l’utilisation de la perche ne signifie pas nécessairement que le tirant d’eau est
faible, puisque la navigation à la perche est parfaitement possible dans les parties d'un cours
d'eau dont la profondeur peut aller jusqu'à 2 mètres. Ensuite, le fait que la progression se soit
faite à la perche, ne signifie pas que le fleuve n’est pas navigable ; il signifie tout au plus que
la navigation est plus difficile en cette période qu’en d’autres périodes. Il en va de même du
fait qu’un seuil rocheux situé à un point précis interdit en partie l’accès du bras droit du
fleuve, seul praticable. Cette circonstance rend la navigation plus difficile et pas impossible.
Quant à la conclusion que la partie béninoise tire du rapport, elle est tout simplement partielle.
Même si le rapport considère que « le fleuve [n]est guère navigable à cette époque, même
pour la batellerie autochtone », il reconnaît que « les pirogues des pêcheurs locaux »
509
continuent à naviguer . Le rapport souligne d’ailleurs ce qui suit : « l’empêchement majeur à
naviguer […] réside moins dans le tirant d’eau que l’on pourrait ramener en diminuant le
tonnage, que dans la longueur (30 m) de nos chalands, difficiles à faire louvoyer dans les
510
passes et dans leur masse également très difficile à remettre à flot en cas d’échouage » .
3.50. Le troisième document invoqué par la République du Bénin, est le rapport de la
mission mixte bénino-nigérienne de 1998 qui indique que la navigation sur le fleuve est
511
« extrêmement difficile en période d’étiage » . Il convient de noter au passage qu’il est pour
le moins paradoxal que le Bénin, dont on connaît pourtant l’attachement à une conception
stricte et absolue de l’uti possidetis, en vienne à invoquer sans ciller un document intervenu
trente-huit ans après les indépendances. On est là en présence d’une nouvelle illustration de la
technique, tant prisée par la partie béninoise, d’une argumentation à géométrie variable, en ce
qui concerne la règle de l’uti possidetis. Pour revenir au fond de l’argument béninois, il faut
cependant relever à nouveau que le rapport de la Commission mixte dit que la navigation est
difficile, pas impossible.
507
M.N., Annexes, série D, n° 1 à 5.
50Ibid.
509
M.N., Annexes, série C, n° 55, p. 2.
51Ibid.
- 153Réplique de la République du Niger Chapitre III
3.51. La partie béninoise invoque encore le supplément au Bulletin du Comité de l’Afrique
française qui indiquerait que la navigation est impraticable et que le fleuve se subdivise en un
très grand nombre de bras . Si, comme c’est manifestement le cas, le Bénin fait ici référence
au passage de l’étude qui concerne le tronçon Tchakatchi-Boussa, il importe de relever
d'emblée que cette partie du fleuve est située en territoire nigérian, à plus de cent kilomètres
en aval du secteur concerné par le présent litige et que l’argument que le Bénin essaie d’en
tirer manque donc totalement de pertinence.
Dans tous les cas, il convient de noter, une fois de plus, que l'extrait auquel la partie béninoise
se réfère n’est pas reproduit dans sa totalité. La suite du texte montre que le fleuve est
parfaitement navigable pour certaines embarcations : « Il ne faut donc songer qu’à l’emploi
des pirogues indigènes. Il est vrai que Toutée en a aperçu d’assez grandes pour transporter
513
cinq ou six tonnes de marchandises » . L’étude signale d’ailleurs que ce qui est impraticable
514
à certains moments de l’année ou à certains endroits, c’est « la navigation à vapeur » . Si la
navigation à vapeur est peut-être absolument impraticable, la navigation par l’usage de
pirogues indigènes de tonnage relativement important reste, elle, parfaitement possible.
3.52. Le Bénin invoque en outre une notice sur le Moyen-Niger de 1903 ou 1904 qui
rapporterait qu’entre Niamey et Gaya, de mai à la mi-août, le fleuve est si bas que toute
navigation devient pratiquement impossible pendant ces quatre mois, si bien qu’est
recommandée la construction d’un chenal pour permettre la navigation en toutes saisons,
515
projet qui n’a jamais vu le jour .
Il convient tout d’abord de préciser que dans le langage courant, l’expression « pratiquement
impossible » signifie « quasiment impossible » et pas « absolument impossible », ce qui laisse
une possibilité de navigation. Il faut ensuite noter que la navigation serait « pratiquement
impossible » durant cette période (mai à mi-août) uniquement pour les embarcations calant à
partir de 0 m 40 et nullement pour les embarcations calant 0 m 25 par exemple, comme le
51C.M./R.B., § 2.133.
512
C.M./R.B., § 2.134.
51C.M./R.B., Annexe n° 3, p. 40.
514
Ibid.
515
C.M./R.B., § 2.134.
- 154Réplique de la République du Niger Chapitre III
montre le tableau qui figure dans la notice, et qui résume les observations sur la navigabilité
du Niger .516
Par ailleurs, d’après le contexte de l’extrait auquel se réfère le Bénin, ce qui est visé dans
l’étude semble être uniquement les chalands, et pas les pirogues par exemple, pour lesquelles
la navigation ne poserait aucun problème. Enfin, le passage auquel se réfère le Bénin signale
qu’aux eaux moyennes (critère que même le Bénin retient en même temps que celui des
basses eaux), entre Niamey et Gaya, le Niger ne présente que deux passages difficiles (qui ne
rendent cependant pas la navigation impossible) à Eimikiré et près de Boumba . Ceci montre 517
encore que la navigation est possible toute l’année, malgré l’existence de deux passages
difficiles.
3.53. La République du Bénin invoque enfin un dernier document : le rapport annuel de
1911 du service de navigation du Niger qui indique qu’en période de basses eaux « la
navigation […] devient impraticable pour les moteurs, dont les aubes ou les hélices ne
518
trouvent plus l’élément nécessaire à leur propulsion » .
Mais, d’une part, ce passage ne montre pas que la navigation soit impraticable pour tous types
d’embarcations. Il vise uniquement des embarcations à moteur bien définies, ce qui montre
que la navigation reste possible pour d’autres types d’embarcations. D’autre part, la partie
béninoise omet, une fois de plus, de citer la suite de l’extrait qu’elle invoque, pourtant
éclairante sur la navigabilité permanente du fleuve :
« pendant la saison des basses eaux les transports sont effectués par une petite flottille de chalands de 2 à
519
6 tonnes, plus spécifiquement conçues pour les transports du personnel ».
Ce dernier passage montre bien évidemment que, pour certaines embarcations, le fleuve est
navigable toute l’année. Ceci est d'ailleurs encore confirmé par un autre passage du même
document :
« Comme la plupart des cours d'eau africains, le Niger offre une crue annuelle périodique qui ne se
manifeste que consécutivement et à des époques sensiblement différentes dans chacun de ses biefs.
516
C.M./R.B., Annexe n° 5, p. 28.
51Ibid., p. 27.
518
C.M./R.B., § 2.134.
519
C.M./R.B., Annexe n° 6, p. 5.
- 155Réplique de la République du Niger Chapitre III
Pour remédier aux conséquences de ces imperfections naturelles, il a été nécessaire d'adopter un matériel
520
spécial, présentant des unités variées, étudiées en vue de l'utilisation du fleuve toute l'année.[…]»
Ici encore, une lecture plus attentive des documents par la partie adverse lui aurait permis
d'éviter d'aboutir à des conclusions totalement erronées.
3.54. Il ressort des éléments qui précèdent qu’aucune des pièces avancées par le Bénin ne
prouve que le fleuve Niger n’est pas navigable toute l’année pour tous les types
d’embarcations. Elles prouvent seulement qu’à certaines périodes de l’année (les basses eaux)
et à certains endroits précis du bief fluvial considéré, la navigation est difficile (mais pas
absolument impossible) pour certains types d’embarcations.
3.55. Que le fleuve Niger soit navigable toute l’année, tout au moins pour certaines
521
embarcations, ressort encore de divers autres documents de la période coloniale . Ainsi, dans
une note sur les études générales à entreprendre en vue de l’aménagement des vallées du
Sénégal et du Niger inférieur, datée du 22 avril 1934, le directeur général de l’Office du
Niger, Bélime rapporte la constatation suivante :
« De Koulikoro à Gaya, où le bas Niger pénètre en territoire britannique, la navigation, aisée pendant la
crue, est praticable en toutes saisons. Cependant, deux seuils rocheux l’interrompent partiellement : l’un
à Tondifurma dans la zone lacustre, pendant l’étiage, l’autre à Labbezanga, en aval d’Ansongo, même aux
plus hautes eaux » .2
Il convient de signaler que ces deux seuils rocheux se trouvent en dehors du bief fluvial
concerné par le présent litige et que cette note ne signale pas d’obstacles à la navigation sur
celui-ci.
3.56. En réalité, le fleuve Niger reste donc navigable toute l’année pour certains types
d’embarcations et c’est cela qui compte. Que la navigabilité soit plus difficile à certaines
périodes de l’année pour d’autres types d’embarcations n’a aucune incidence sur la
navigabilité permanente du fleuve. Comme l’a observé la Cour dans l’affaire de l’Ile de
Kasikili/Sedudu.
52Ibid., p. 4.
52Voy. déjà les témoignages cités supra.
522
R.N., Annexes, série C, n° 172bis, pp. 1 et 2 ; italiques ajoutées.
- 156Réplique de la République du Niger Chapitre III
« … la navigabilité des cours d’eau présente une grande diversité selon les conditions naturelles qui
prévalent. Ces conditions peuvent empêcher l’utilisation du cours d’eau en question par des navires à fort
523
tonnage chargés de marchandises, mais permettre la circulation de bateaux légers à fond plat » .
On peut indubitablement déduire de cette citation qu’un fleuve dont les conditions naturelles
permettent à tout moment la circulation de bateaux légers, est un fleuve navigable en
permanence. La République du Bénin ne pourrait donc exciper du fait que la navigation sur le
bief concerné du fleuve Niger n’est possible toute l’année que pour des embarcations légères,
pour affirmer que le fleuve n’est pas navigable toute l’année.
3.57. Il faut enfin insister sur le fait que, quand bien même le Niger ne serait pas navigable
toute l’année – quod non -, il n’en résulterait pas qu’il ne soit pas un fleuve navigable.
Comme cela ressort de la définition généralement acceptée de la notion de navigabilité reprise
524
ci-dessus , un fleuve dont les conditions permettent aux navires de circuler une partie de
l’année seulement reste un fleuve navigable. En effet, toute restriction de la notion de
navigabilité à la possibilité de naviguer pendant toute l’année ne relève pas non plus du droit
525
international général . Dans tous les cas de figure, l’argument que le Bénin tente de tirer de
la circonstance que le fleuve Niger ne serait pas navigable toute l’année n’est donc pas fondé.
Sous-section D - La France n’a jamais décidé de répartir secteur par secteur le cours du
fleuve Niger entre ses différentes colonies, et d’exclure le recours au thalweg comme
limite intercoloniale
3.58. Dans le paragraphe de son contre-mémoire consacré à la contestation du critère du
chenal principal comme limite fluviale, la République du Bénin soutient encore que « la
France n’avait aucune raison de fixer la limite coloniale au chenal navigable du fleuve » parce
que « l’autorité centrale française entendait répartir secteur par secteur le cours du fleuve
526
Niger entre ses différentes colonies » . Le Bénin fonde cette allégation sur le fait que, selon
lui, « … de manière générale, les différents secteurs du fleuve ont toujours été purement et
simplement intégrés par la France à une colonie déterminée (Guinée, Mali et Niger, le
523
Recueil 1999, p. 1071, § 40.
52Supra, § 3.36.
525
Dictionnaire de droit international public, op. cit., p. 729.
526
C.M./R.B., § 2.136.
- 157Réplique de la République du Niger Chapitre III
Labenzaga [sic] à la confluence avec la Mékrou) sans jamais être coupés en deux dans le sens
527
de la longueur » . Selon la partie béninoise,
« les difficultés relevées dans le lit du fleuve et les irrégularités de son débit telles que révélées par tous
les rapports expliquent d’ailleurs bien ce choix, la France ne pouvait se lancer dans la difficile recherche
du thalweg pour délimiter ses colonies » .
Et la République du Bénin de conclure qu’«on ne voit dès lors pas pourquoi la France aurait
dérogé à sa pratique, s’agissant de la limite entre le Dahomey et le Niger » . 529
En somme, le Bénin soutient que « les difficultés relevées dans le lit du fleuve et les
irrégularités de son débit », de même que « la difficile recherche du thalweg » ont poussé
« l’autorité centrale française » à répartir « purement et simplement » secteur par secteur le
cours du fleuve entre ses différentes colonies sans recourir au thalweg et sans jamais les
« couper en deux » dans le sens de la longueur. C’est de cette façon que le Dahomey se serait
vu attribuer la totalité du bief fluvial concerné par le présent litige.
3.59. Cette construction spéculative semble bien ingénieuse, mais elle est tellement
grossière qu’elle relève, dans le meilleur des cas, d’une méconnaissance incroyable de la
géographie de la région de la part du Bénin. Car, en effet, qu’est-ce qui explique que, dans
tous les secteurs du fleuve autres que le bief fluvial ici concerné, l’autorité française n’ait pas
eu besoin de recourir au thalweg pour délimiter ses différentes colonies ? C’est tout
simplement le fait que, dans tous ces secteurs, le fleuve Niger est un fleuve successif, dont le
cours est, à chaque fois, logé totalement dans une même colonie (Guinée, Soudan/Mali et bief
Labezanga/Mekrou au Niger). Dans tous ces secteurs, le fleuve ne peut pas constituer une
frontière et cela n’a aucun sens de l’attribuer, soit par le recours au thalweg, soit même par le
recours à la rive, puisqu’il est d’office attribué dans sa totalité à un territoire donné.
Et qu’est-ce qui explique que, comme par hasard, la France ait senti le besoin de « couper en
deux dans le sens de la longueur » le secteur du fleuve en litige entre le Bénin et le Niger (bief
Mékrou/Dolé) ? C’est tout simplement parce que dans ce secteur, et dans ce secteur
seulement, le fleuve Niger devient un fleuve contigu et sert de frontière entre les deux
527
Ibid.
52C.M./R.B., § 2.137.
529
C.M./R.B., § 2.138.
- 158Réplique de la République du Niger Chapitre III
territoires. Pour reprendre les termes mêmes utilisés par la partie béninoise, voilà « pourquoi
la France aurait dérogé à sa pratique s’agissant de la limite entre le Dahomey et le Niger ».
L’argument ainsi avancé par le Bénin est donc totalement effarant. Il procède d’un amalgame
entre tous les secteurs où le fleuve est bordé des deux côtés par le territoire d’une même
colonie, et les parties de son cours où le fleuve constitue, dans le sens de la longueur, la limite
entre les deux colonies. Le raisonnement qui soutient cette argumentation est par conséquent,
à tout le moins, totalement absurde. Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, il
est clair que l’allégation ici avancée par le Bénin est purement fantaisiste.
Sous-section E - C’est le critère de la navigabilité qui impose logiquement la ligne des
sondages les plus profonds
3.60. Une fois admis que c’est le principal chenal navigable qui sert de critère de
délimitation entre le Bénin et le Niger, il faut encore déterminer où, dans ce chenal, passe
exactement la limite fluviale. Comme la République du Niger l’a déjà exposé dans ses
précédentes écritures , la limite fluviale suit la ligne des sondages les plus profonds, telle
que l’ont identifiée les missions de reconnaissance effectuées sur le fleuve.
Il convient de rappeler, à cet égard, que c’est l’objectif de poursuivre des activités de
navigation sur le fleuve Niger qui impose en pratique une telle ligne. La ligne des sondages
les plus profonds apparaît ainsi comme la conséquence logique de la fixation de la limite
fluviale dans le principal chenal navigable, dans une optique de garantie aux Etats riverains
d’une utilisation équitable du fleuve en matière de navigation. En effet, seule la ligne des
sondages les plus profonds pourrait assurer un tel résultat et c’est la raison pour laquelle elle
doit être retenue.
3.61. Dans son contre-mémoire, la partie béninoise s’attache à démontrer que, dans
l’identification du chenal navigable et de la ligne des sondages les plus profonds, les
différentes missions de reconnaissance n’ont pas effectué des sondages systématiques, et que
de ce fait, la ligne de sondages les plus profonds ne saurait être d’aucun secours pour la
République du Niger . 531
530
M.N., § 2.3.34 ; C.M.N., §§ 3.72 et 3.74.
53Voy. par exemple : C.M./R.B., § 2.51 à 2.54.
- 159Réplique de la République du Niger Chapitre III
On verra plus loin ce qu’il faut penser des différentes critiques que le Bénin formule à propos
des rapports des diverses missions de reconnaissance du principal chenal navigable du fleuve,
et des sondages effectués . Pour l’instant, la République du Niger s’attachera à montrer que,
contrairement aux prétentions du Bénin, le principal chenal navigable, qui s’est ainsi imposé
comme limite entre les deux colonies, s’avère être d’une remarquable stabilité.
Section 3 -
La pérennité du chenal principal n'est pas remise en cause
par une prétendue instabilité du fleuve
3.62. Comme on vient de l'exposer, la pratique des administrateurs coloniaux locaux a, dès
1914, dégagé le concept du chenal le plus profond —qui était aussi familier pour la navigation
sur le fleuve— comme critère pour définir la limite entre les deux colonies et déterminer le
rattachement des îles à l'une ou l'autre administration.
3.63. Afin d'exclure le recours au critère du chenal principal, l'argumentation du Bénin
consiste à soutenir, outre le fait que le fleuve ne serait pas navigable – point auquel il a été
répondu ci-dessus - que le recours au chenal principal comme ligne de délimitation ne serait
pas praticable, car le fleuve serait instable et son chenal principal changeant . 533
Le Niger commencera par démontrer que ces affirmations sont dépourvues de fondement
(sous-section A) Il montrera ensuite qu'il n'apparaît pas qu'il y ait eu de changement
significatif dans le tracé du chenal principal du fleuve sur une période de plus de cent ans
(sous-section B).
Sous-section A - Les affirmations du Bénin tendant à nier la stabilité du chenal principal
sont sans fondement
3.64. Le Bénin appuie sa position sur trois types d'arguments :
- des arguments fondés sur l'hydrologie (paragraphe 1);
- des arguments fondés sur le principe de l'uti possidetis juris (paragraphe 2) ;
532
Voy. infra, §§ 3.81 et s.
53C.M./R.B., chapitre II, section III.
- 160Réplique de la République du Niger Chapitre III
- des arguments fondés sur une prétendue absence de fiabilité des documents utilisés par
le Niger pour établir la permanence du lit du cours du fleuve (paragraphe 3).
1. Arguments fondés sur l'hydrologie
Le Bénin tire essentiellement argument du phénomène d’ensablement du fleuve (a) et,
accessoirement, de la prétendue instabilité de la rive droite par rapport à la rive gauche (b).
Ces phénomènes d’instabilité seraient prouvés par une étude récente de l’I.G.N.-France
international (c).
a) Le phénomène d'ensablement
3.65. Ainsi que la République du Niger l'a exposé dans son mémoire, le fleuve Niger est
affecté par un phénomène d'ensablement, qui se manifeste entre autres, à certains moments,
dans le bief concerné par le présent litige . Selon le contre-mémoire du Bénin : « ce
phénomène d’ensablement entraîne nécessairement un déplacement dans le temps du cours du
535
fleuve » . Le même texte insiste sur «l’instabilité du lit du fleuve et, par suite, du chenal
536 537
principal » . Contrairement à ce que soutient le Bénin , ce phénomène d'ensablement n'est
pas contradictoire avec l'idée d'un chenal stable.
Le Bénin présente — une fois de plus — la position du Niger de manière tendancieuse en lui
faisant dire que « le Niger admet » que ce phénomène entraîne nécessairement un
538
déplacement dans le temps du cours du fleuve . Le Niger n'a jamais rien soutenu de tel. Le
Bénin prétend encore que le Niger accepterait que "certaines îles ont pu être rattachées à la
539
rive du fait de la modification du cours du fleuve" . Le Niger, dans son mémoire, n’adopte
nullement ce point de vue. On cherchera en vain l’affirmation que le Bénin lui prête — de
manière peu civile —, selon laquelle la disparition de certaines îles se serait produite "du fait
de la modification du cours du fleuve".
53M.N., p. 63, § 2.1.10.
535
C.M./R.B., § 2.10.
53C.M./R.B., § 2.176.
53C.M./R.B., §§ 2.9 et 2.173 à 2.1182.
538
C.M./R.B., § 2.10.
53C.M./R.B., § 2.10, avec référence à M.N., § 2.1.10.
- 161Réplique de la République du Niger Chapitre III
Ce qu’a admis le Niger – et c’est là tout autre chose —, c’est qu’un fleuve large comme le
Niger possède de nombreux bras morts, non utilisés par le chenal principal. Si ces bras
s'ensablent définitivement et finissent par attacher une île à la rive, cela n'affecte en rien le
chenal principal qui se trouvait déjà au-delà de ces bras morts. Ainsi, les trois cas de
rattachement d'îles à la rive - que le Bénin reprend du mémoire du Niger 540- n'infirment en
rien la proposition selon laquelle le chenal navigable est resté stable.
À la vérité, l'impact du phénomène d'ensablement sur le chenal navigable est, comme on le
verra, minime. Ce chenal n'a en rien subi les évolutions "considérables" que le Bénin
541
évoque . Les arguments avancés par le Bénin sur ce point ne résistent pas à l'analyse.
3.66. Comme entre les notions de rive et de cours 542, le Bénin opère une confusion entre les
concepts de chenal et de lit. On en prendra comme exemple la citation suivante du contre-
mémoire du Bénin :
"Cette instabilité du lit du fleuve et, par suite, du chenal principal est confirmée par le rapport de la
mission Beneyton" 54.
Et de faire quelques citations du rapport Beneyton qui concernent essentiellement le lit du
544
fleuve et non le chenal . Pourtant, le rapport Beneyton donne lui-même quelques définitions
que le Bénin aurait été bien inspiré de ne pas occulter :
"Le lit mineur est le sillon habituel des eaux et la portion de vallée recouverte par les crues constitue le lit
545
majeur" .
546
"Le chenal […] n'a rien de commun avec le lit […] " .
À un seul endroit, ce rapport mentionne un impact de l'instabilité du lit du fleuve sur le
chenal:
540
M.N., §§ 2.3.38, 2.3.39 et 2.3.42; voy. également infra, § 4.20
541
C.M./R.B., § 2.11. La citation de Georges Spitz au § 2.137, relative aux bras morts du Niger, concerne une autre partie du
fleuve, située plus au nord.
542
Voy. supra, §§ 2.39 et s.
543C.M./R.B., § 2.176.
544M.N., Annexes, série C, n° 48, pp. 6, 10 et 13.
545M.N., Annexes, série C, n° 48, p. 6.
546
Ibid., p. 10.
- 162Réplique de la République du Niger Chapitre III
"Le Niger entre Niamey et Gaya semble s'être très rapproché de sa pente d'équilibre; son lit est stable
partout où il est limité par des falaises rocheuses, mais au milieu des plaines alluviales, il est très instable
et c'est sur ces parties de son parcours que se pose la question du chenal et de son balisage.
Grâce à la régularité de son régime le Niger ne possède pas un chenal très mobile tant que ce chenal n'est
pas influencé par les affluents de la rive droite dont les crues et les apports arrivent avec la baisse des
eaux du fleuve" 54.
Néanmoins, comme on le verra ci-dessous , ce phénomène n’affecte en réalité le bief
frontalier concerné par le présent litige qu’en un seul endroit du chenal touché par un
ensablement significatif ; il s’agit d’un passage situé en aval de Gaya (à la hauteur de l’île de
Dolé, juste avant la frontière avec le Nigeria). Cet ensablement récent est dû, selon toute
vraisemblance, moins aux apports provenant des affluents de la rive droite qu’à l'endiguement
effectué en amont sur la rive nigérienne dans le cours des années 1980, qui a entraîné un
surcreusement de la rive gauche, et à la colonisation du banc de sable qui s’est installé dans la
rive droite par des herbes aquatiques (bourgou) plantées par les populations locales. Ce
phénomène n'est donc en rien représentatif d'une prétendue instabilité du fleuve.
b) La prétendue instabilité de la rive droite du fleuve par rapport à la rive gauche
3.67. Le Bénin estime, par ailleurs, que « la rive droite du fleuve se présente comme zone
549
marécageuse aux limites difficilement définissables » , ce qui affecterait, à son tour, la
stabilité dans le temps du cours du fleuve Niger. Le Bénin tente de tirer de cette dernière
affirmation des conclusions relatives à ses thèses sur la prétendue sélection par la France de la
rive gauche comme limite dont on a vu plus haut le peu de crédit 55. La rive gauche n’est pas
plus stable que la rive droite. Mais, encore une fois, ce phénomène d’effritement des berges
n’a d’impact ni sur le cours général du fleuve ni sur son principal chenal navigable.
c) L'étude de l'IGN-France international
3.68. Pour écarter la thèse du Niger de la stabilité du chenal principal, le Bénin fait grand cas
d'une étude réalisée par les soins de l'IGN-France international, intitulée "Étude d'évolution
547
Ibid., p. 16.
548Voy. infra, §§ 3.86, 3.87, 3.95, 3.112.
549C.M./R.B., § 2.12 et C.M./R.B., annexe n° 27, p. 2.
- 163Réplique de la République du Niger Chapitre III
551
du fleuve Niger 1960-2002", établie en décembre 2003 . Cette étude effectue une
comparaison entre les cartes anciennes de l'IGN (1960) et les données recueillies par trois
scènes SPOT 5 en 2002. Le Bénin présente ce document comme suit :
« Une étude comparative menée par le Bénin pour les besoins du présent contre-mémoire entre les
données géographiques fournies par la carte IGN-France à l’échelle de 1/50.000 de 1960 et les données
fournies par les images SPOT recueillies en 2002 à la même échelle confirme cette instabilité du fleuve
Niger et donc des îles qui s’y trouvent. Cette étude atteste en effet que par endroits le bras le plus large a
changé et que de nombreuses îles ont vu leur configuration modifiée ou ont disparu, tandis que de
nouvelles sont apparues, ce qui ne peut être du qu’à l’évolution du cours du fleu.e »
À la vérité, ce document n'est pas aussi favorable aux thèses du Bénin que ce dernier le
prétend. Il souffre, en effet, de défauts méthodologiques tels que l’on ne peut en tirer que des
conclusions insignifiantes.
Pour conduire cette étude, centrée sur ‘‘l’évolution du fleuve Niger à partir de données
cartographiques’’, l'IGN-France international s’est servi des cartes IGN au 1/50.000 des
années 1960 et de trois scènes du satellite SPOT 5, à savoir : la scène 062-325/4 du 16
octobre 2002 ; la scène 063-325/6 du 25 août 2002 et la scène 064-326/4 du 13 janvier 2003.
À l’issue de cette étude, l’I.G.N.-France international a réalisé 23 sous-images au format A4
au 1/25.000 couvrant la totalité de la section frontalière sur le fleuve Niger. Ces ‘‘combinés
cartes-images’’ constituent l’annexe 26 du contre-mémoire de la République du Bénin.
3.69. Dans le processus de traitement des images et des cartes, l’IGN reconnaît qu' "aucune
autre donnée d’appui fiable n’était disponible, en l’absence d’observations spécifiques au sol
par GPS." Il s'agit là de la reconnaissance d’une faiblesse fondamentale de cette étude, car, on
le remarquera bientôt, le crédit à accorder aux conclusions s’avère bien problématique dans la
mesure où il est indispensable de se référer constamment au terrain pour interpréter
correctement les images. Cette étude aurait été plus crédible quant à sa méthode si les auteurs
avaient effectué la comparaison non avec les cartes à l’échelle 1/50.000, mais avec les
photographies aériennes effectuées en 1955 et en 1960 ayant servi à leur réalisation. On aurait
ainsi comparé des choses comparables : deux vues prises du ciel. Ces clichés, une fois
550
Voy. supra, §§ 2.43 et 2.46.
55C.M./R.B., annexe n° 28.
552
C.M./R.B., § 2.179.
- 164Réplique de la République du Niger Chapitre III
scannés et calés aux points GPS relevés au sol, auraient alors pu être superposés avec plus de
précision aux images SPOT 5 (panchromatique) qui donnent les mêmes informations que les
clichés aériens.
3.70. Une autre difficulté méthodologique doit retenir l'attention. Aux dires même de l’IGN
France, ces images sont des « combinés cartes-images », c'est-à-dire une superposition des
images SPOT 5 aux cartes au 1/50 000. Or, il s’agit là de documents de natures différentes au
double point de vue de la précision et des types d'informations recueillies. C’est pourquoi
l’IGN prend la précaution d’ajouter que cette méthode ne permet pas d’apprécier de façon
quantitative les évolutions du fleuve car il aurait fallu tenir compte de l’évolution réelle et des
problèmes de précision ou de déformations géométriques des anciennes cartes.
3.71. Une troisième difficulté méthodologique provient du fait que les images SPOT 5 n'ont
pas été recueillies à la même époque que les photographies aériennes qui ont servi à
l’élaboration des cartes. L’auteur de l’étude reconnaît que l’élargissement ou la diminution du
fleuve sur chaque rive serait dû à l’écart saisonnier — c'est-à-dire le niveau de la crue du
fleuve, qui ne serait pas le même pour les cartes (décembre 1960) et les images de 2002-2003
(octobre, août, janvier). Et l’I.G.N. de préconiser :
‘C’est donc aussi vers des mesures bathymétriques qu’il faudrait se tourner et les recouper avec les
553
évolutions des berges’’.
3.72. Quatrième observation — importante pour une étude portant sur l’évolution d’un
cours d’eau — : les trois scènes SPOT correspondant chacune à un bon tiers du bief
s’étendant de Boumba à Dolé n'ont pas été saisies à la même date; le premier tiers date du 16
octobre 2002, le deuxième du 25 août 2002 et le troisième du 13 janvier 2003. On a donc des
scènes correspondant à un état de crue du fleuve très différent. On se souviendra que le mois
d'août correspond à la crue locale, le mois d'octobre correspond à la fin de la crue locale et à
l’amorce de la crue dite malienne et le mois de janvier correspond à la crue malienne. L'auteur
de l'étude reconnaît lui-même l'existence de ce problème :
"c'est aussi le niveau de la crue du fleuve qui a une influence sur la comparaison du trait de rive. Entre la
carte - décembre 1960 - et les scènes SPOT 5 - août-octobre 2002 - il y a des niveaux d'eau différents,
55Op. cit., p. 12/14.
- 165Réplique de la République du Niger Chapitre III
apparemment peu visibles sur le trait de rive, mais bien réels, et dont la position est fonction de sa
topographie, en talus ou en pente plus ou moins douce" 554.
3.73. L'auteur de l'étude est aussi parfaitement conscient que la qualité de la carte de 1960
laissait parfois à désirer. Il conclut au caractère flagrant de cette défectuosité à propos de la
comparaison avec les planches SPOT 19 et 20. Il s'exprime comme suit :
"Sur ces deux dernières planches, l'écart étant systématique entre la carte et l'image, on ne peut tirer
véritablement de leçon d'évolution sans se tromper, tellement il y a une dérive géométrique d'un
document par rapport à l'autre, certainement dû à la mauvaise qualité de la carte" 555.
3.74. Enfin, et ceci est fondamental, cette étude ne se prononce, de manière générale, que sur
des modifications apparentes des rives. Elle ne se risque pas, en principe, sur le terrain de
l'identification du chenal principal. À dire vrai, l'auteur sait trop bien que pas plus les photos
aériennes que les images SPOT ne peuvent rendre compte de la profondeur d'un chenal dans
une rivière. On ne peut que mesurer la largeur d'un bras sans déterminer sa profondeur, sauf si
un ensablement affleure la surface.
Ainsi, à propos de l'île de Momboy Tounga (planche 10/10bis), l'étude avance avec
circonspection :
"L'île au nord du dit village s'est très largement déplacée vers le sud tout en perdant de sa surface. Le
chenal navigable aurait apparemment changé de côté de l'île, le bras le plus large étant en rive gauche
aujourd'hui. Ceci reste à vérifier"556.
Cette prudente réserve est, en effet, justifiée, car une étude bathymétrique montre que ce n'est
pas le cas et que le principal chenal navigable ne s'est nullement déplacé à la hauteur de cette
île .7
On retrouve encore la même circonspection de l’IGN à propos de la planche 13 relative à la
portion du fleuve en face du village de Tara :
« Iles : Apparition de deux petites îles qui semblent repousser le chenal principal vers la rive gauche » 558.
554
Ibid.
555
Ibid., p. 13/14.
556Ibid.; italiques ajoutées.
557Voy. M.N., § 2.3.46 : bras gauche profondeur 1,90m, bras droit 2,70m.
- 166Réplique de la République du Niger Chapitre III
L’usage du verbe « semblent » est bienvenu. Un examen de la situation au sol conduit, en
effet, aux constatations suivantes : il s’agit d’une zone où pousse une importante herbe
aquatique appelée ‘‘bourgou’’ contre la rive droite et qui s’enfonce dans le fleuve. Compte
tenu de la présence d’un petit affluent de rive droite légèrement en amont de ce site et
aboutissant au fleuve, les eaux qui coulent à travers cette zone se frayent un chemin dans
l’herbe en les immergeant, ce qui donne l’impression que l’on se trouve en présence d’îles à
cet endroit. Il n’y a pas le moindre indice que ce phénomène ait d'une quelconque façon
affecté le chenal principal.
On note encore la même circonspection de l’étude de l’IGN à propos de la planche 15 relative
au secteur du fleuve à la hauteur de Gaya :
559
"Le chenal principal semble se situer côté Gaya en rive droite (à vérifi.r)"
On relèvera, tout d’abord, le caractère doublement ambigu de la phrase, d'une part parce que
Gaya est situé sur la rive gauche du fleuve et d'autre part parce qu'elle peut se comprendre de
deux manières différentes : soit que le chenal principal passe dans le bras droit du fleuve à la
hauteur de l’île de Gaya ; soit qu’il passe à proximité de la rive droite dans le bras gauche.
Ceci mis à part, la planche en question est très difficile à interpréter et il faut être grand clerc
pour déceler une différence entre les deux bras au simple vu de l’image.
En tout état de cause, l'auteur de l’étude est bien conscient que sur la base des simples
observations des écarts constatés, il n'est pas possible de tirer des conclusions sur
d’éventuelles modifications du chenal principal. Une telle déduction ne pourrait être effectuée
qu’à l’issue d’observations sur le terrain. C'est ce qu'il exprime on ne peut plus clairement par
l’observation générale suivante, en conclusion de son étude :
"Sur le chenal principal
Les profils bathymétriques en long et en travers du Niger ont été reportés sur les planches n° 1 à 4
"Études du Fleuve Niger" que l'IGN a réalisé [sic] en 1982 pour le compte de l'Autorité du Bassin du
Niger sur un financement du Fonds d'aide et de coopération de la République française.
55C.M./R.B., Annexe n° 28, livre III, p. 13/14.; italiques ajoutées.
55Ibid.; italiques ajoutées.
- 167Réplique de la République du Niger Chapitre III
L'examen de ces profils associés à des contrôles d'aujourd'hui localisés, permettrait d'identifier à coup sûr
le chenal principal, sur le tracé duquel il peut subsister un doute, la largeur apparente du fleuve devant
560
nécessairement être recoupée avec sa profondeur" .
3.75. Les planches de 1982 auxquelles il est fait allusion ici — il s’agit en réalité de
mosaïques photographiques sur lesquelles ont été reportés des profils en long résultant
d’observations au sol — montrent bien que lorsqu’il est question du fleuve Niger dans les
études de navigabilité, il ne s’agit, en réalité, que du bras principal. C’est pourquoi, en
l’occurrence, les points côtés ne sont indiqués que dans le bras principal. Les profils
bathymétriques reportés sur ces photo-mosaïques ont été réalisés sur le même bras que les
études similaires faites antérieurement. Ceci démontre à suffisance que le bras navigable est
resté le même au cours des années.
3.76. En définitive, toute conclusion tirée de la seule superposition de cartes et d’images
satellitaires conduit, on le voit, à des impasses. L’étude de l’évolution du fleuve aurait exigé
au préalable la disponibilité de cartes de mêmes nature réalisées à des moments différents (de
1960 à 2003, par exemple), en vue de comparer des choses comparables. Aussi, loin de
conforter les vues du Bénin, l'étude de l'IGN-France international corrobore donc, pour ce qui
est du chenal principal, le caractère idoine de la méthode suivie par le Niger et ne remet pas
en question les conclusions que le Niger en tire. Seuls les travaux de terrain croisés avec
plusieurs décennies d’observations de relevés hydrologiques peuvent permettre de tirer des
conclusions sérieuses sur le régime du fleuve. La mission réalisée par le Niger en 2002 - tant
décriée par le Bénin - a au moins eu le mérite de procéder aux observations et relevés
nécessaires sur le terrain.
On verra plus loin ce qu'il faut penser de la même étude de l'IGN s'agissant de l'identification
561
des îles du fleuve .
2. L'argumentation fondée sur le principe de l'uti possidetis juris
3.77. Le Bénin accuse à plusieurs reprises le Niger de ne pas respecter le principe de l'uti
possidetis juris et ceci de plusieurs manières :
560
Op. cit., p. 14/14. Les planches en question sont annexées à la présente réplique (R.N., Annexes, série D, n° 51-54).
56Voy. infra, §§ 4.3 et s.
- 168Réplique de la République du Niger Chapitre III
- du fait que, dans le processus d’identification du chenal principal, il utiliserait des
cartes géographiques postérieures à l’indépendance (a);
- du fait que, dans le processus d’identification du chenal principal, il se référerait à des
missions hydrographiques postérieures à la date des indépendances (b);
- par sa position relative aux variations éventuelles de cours dans le lit du fleuve (c).
Ces divers griefs seront maintenant envisagés successivement.
a) l'utilisation de cartes postérieures à l'indépendance
3.78. Dans le processus d’identification du chenal principal, le Niger utiliserait des cartes
postérieures à l'indépendance. Et le contre-mémoire du Bénin de fustiger :
"Quant aux cartes commentées par le Niger aux paragraphes 2.1.36 à 2.1.38 de son mémoire, il suffit
562
d'observer qu'elles ont été éditées ou réimprimées après les indépendan.es "
Ce premier argument manque tout d'abord en fait pour ce qui concerne les cartes évoquées
aux §§ 2.1.36 et 2.1.37 du mémoire du Niger. Les paragraphes en question se réfèrent :
- aux cartes de l'Afrique de l'ouest au 1/200.000 (§ 2.1.36). Ces cartes ont été éditées en
1955, 1956 et 1960. Elles sont donc antérieures à l'indépendance. Seules les
réimpressions —qui se distinguent d'une réédition— sont postérieures à
l’indépendance.
- aux cartes à l'échelle de 1/50.000 (§ 2.1.37). Il est exact que ces cartes ont été éditées
après l'indépendance, mais elles sont issues des couvertures aériennes de 1955-56 et
1960.
L’ensemble de ce matériau, pour ce qui concerne la topographie du fleuve, est donc antérieur
à la date de l’indépendance.
L’argument manque également en droit. L'uti possidetis juris n'interdit évidemment pas de se
référer à des documents postérieurs à la date critique lorsqu'il s'agit d'identifier une situation
antérieure à cette date ou de montrer la nature pérenne ou, au contraire, évolutive de cette
situation. À vrai dire, le Bénin ne se prive pas, quant à lui, d'utiliser le même procédé lorsqu'il
56C.M./R.B., § 2.42.
- 169Réplique de la République du Niger Chapitre III
fait prévaloir des instruments encore plus récents (les images SPOT 5 de 2002) sur les
représentations cartographiques de l'époque 563. L'argument de la fiabilité supérieure des cartes
et relevés récents (par satellite e.a.) met le Bénin totalement en porte-à-faux par rapport à son
argumentation sur l'uti possidetis.
b) l'utilisation de missions hydrographiques postérieures aux indépendances
3.79. Constituerait encore une violation du principe de l’uti possidetis, le fait que le Niger se
réfère, pour la détermination du chenal navigable, à des missions hydrographiques
postérieures à la date critique. Cette position est notamment exprimée au § 2.106 du contre-
mémoire du Bénin :
"[…] le principe de l'uti possidetis juris applicable en l'espèce rend sans objet l'examen des missions
postérieures à 1960, puisque par définition, elles ne sauraient avoir la moindre influence sur la situation
564
antérieure" .
L'utilisation de ces études ne constitue nullement une violation du principe de l'uti possidetis
juris, mais vise seulement à obtenir des informations sur la variabilité éventuelle du chenal
navigable dans le temps. C'est dans cet esprit qu'ont été utilisés les levés de diverses missions
hydrographiques postérieures à 1960. Ainsi, par exemple, celui mentionné au § 2.1.38 du
mémoire du Niger (planches NEDECO de 1970). Le Bénin ne se prive d'ailleurs pas de
recourir à ce procédé pour mettre en cause la thèse nigérienne de la stabilité générale du
fleuve. La convergence de vues antérieure des deux États à l'égard de cette méthode a
d'ailleurs été manifestée par le fait qu'elles ont estimé nécessaire de procéder à une mission de
reconnaissance sur le fleuve en 1998 et qu'elles envisageaient à cette date de prolonger le
565
mandat de cette mission .
56CM./R.B., § 2.18.
564
Voy. aussi CM./R.B., § 2.180.
565Compte rendu de la 4mesession ordinaire de la commission mixte paritaire de délimitation de la frontière, Dosso, du 22 au
24 juin 1998, M.N., Annexes, série A, n° 26.
- 170Réplique de la République du Niger Chapitre III
c) La position relative aux variations éventuelles de cours dans le lit du fleuve.
3.80. Dans son contre-mémoire , le Bénin prétend que, pour écarter le principe de l’uti
possidetis, le Niger invoque deux arguments qui ne sauraient emporter la conviction. À
savoir :
«- un argument d’opportunité : il serait irréaliste d’attribuer les îles en fonction de la situation prévalant
en 1960 ou de s’attacher à définir un chenal principal qui aurait existé en 1960 et qui serait entre-temps
obstrué, ensablé ou asséché »,
- un argument géomorphologique : « le socle géologique du cours du fleuve [serait] extrêmement
stable ». Ceci serait attesté par « une permanence assez exceptionnelle de la ligne des sondages les plus
567
profonds » qui n’aurait « connu que des changements mineurs » » .
On examinera le premier argument de manière plus approfondie dans le chapitre concernant
568
les îles .
Pour ce qui est du second, on cherche en vain à comprendre en quoi cet argument du Niger
serait de nature à remettre en cause l'application de l'uti possidetis; il n'y a, au surplus, aucune
incompatibilité entre l’admission par le Niger du fait qu'il y a eu des changements mineurs
dans le fleuve (érosion des rives, modification de la taille des îles —quod est—, voire
ensablement) et la constatation que le socle géologique du cours du fleuve est extrêmement
stable. Ces éléments mineurs ne remettent, en effet, pas en cause la stabilité du fleuve et la
direction générale de son chenal principal.
3. La ligne d'argumentation fondée sur une prétendue absence de fiabilité des documents
utilisés par le Niger pour établir la stabilité du lit du cours du fleuve
3.81. Le Bénin s’efforce de disqualifier les sources utilisées par le Niger soit par des
arguments relatifs à la manière dont les missions hydrographiques ont été menées (a) soit du
fait de divergences entre ces sources (b)
566Voy. déjà C.M./R.B., §§ 0.30 et 1.38.
567
CM./R.B., § 2.165.
568
Voy. infra, §§ 4.25 et s.
- 171Réplique de la République du Niger Chapitre III
a) Arguments relatifs à la manière dont les missions hydrographiques ont été réalisées
3.82. Le Bénin essaye de disqualifier les diverses sources utilisées par le Niger par des
arguments fallacieux.
Ainsi, selon la partie adverse, la mission Km n'aurait pas suivi le bras le plus profond. Elle
n'aurait pas opéré une étude systématique puisqu'elle aurait simplement sondé les profondeurs
569
des bras du fleuve qu'elle a empruntés . Le Bénin en veut pour preuve que la mission aurait
choisi (sur la feuille n° 37 Bombodji) le bras droit de l'île située au nord-ouest de la carte alors
570
que le bras gauche y était indiqué comme "plus profond" . Ce que le Bénin se garde bien de
noter, c'est que la carte de Km indique expressément que ce bras quoique plus profond est
"obstrué par des cailloux "! L’exemple illustre bien le fait que c’est le chenal navigable le
plus profond que la mission a emprunté.
3.83. Il en va de même pour la tentative de disqualification de la mission Beneyton sous
divers prétextes. Ainsi, pour le Bénin, celle-ci
571
- n'aurait pas indiqué les profondeurs dans le bras gauche de l'île de Lété . Le travail
effectué par cette mission l'a été tant en période d'étiage que de hautes eaux. Dès lors
que la mission était axée sur la navigabilité, c'est évidemment le chenal le plus
navigable qui, à chaque fois, a été retenu par elle.
- se serait "largement fondée sur des ouï-dire assez incertains" . Cette affirmation est
totalement inexacte. Le rapport de mission, annexé au mémoire du Niger, montre que
Beneyton s'est basé sur plusieurs critères qu'il a mis en relation. Sa démarche fut
strictement scientifique. Il expose au contraire expressément qu'il rejette les "on-dit",
573
aussi bien ceux des indigènes que ceux des européens .
3.84. Enfin, pour la mission NEDECO de 1970, le Bénin tire argument de ce que le rapport
de cette mission indique que la ligne des grands fonds n'a été suivie qu'"autant que possible".
Il n'en résulte évidemment pas, pour autant, que le rapport NEDECO n'est d'"aucun secours"
56C.M./R.B., § 2.170.
570
C.M./R.B., § 2.51.
57C.M./R.B., § 2.52.
57C.M./R.B., § 2.170.
573
Rapport du 6 novembre 1931, M.N., Annexes, série C, n° 48, p. 8.
- 172Réplique de la République du Niger Chapitre III
au Niger pour l'identification du chenal navigable, comme l'affirme doctement le Bénin.
L'argument de la partie adverse repose sur le fait que les rédacteurs du rapport indiquent qu'à
certains endroits du bief Malanville-Yelwa en 1962, il y avait des bancs de sable qui
n'existaient plus en 1970 et que la ligne des plus grands fonds n'a été suivie qu'autant que
possible 57. Toutefois, ces réserves sont tout à fait inopérantes si le Bénin ne prouve pas que
ces remarques de NEDECO s'appliquent au bief qui nous intéresse. Cette remarque de
NEDECO portait en l'occurrence sur le bief fluvial Malanville-Yelwa, soit 210 kilomètres.
Or, le bief qui nous occupe, qui s'étend de Malanville à la frontière du Nigeria, ne représente
que 38,5 kilomètres. Il faudrait donc que le Bénin prouve que les remarques de NEDECO
s'appliquent à ce dernier bief et non pas aux 173 kilomètres qui suivent. Le Niger montrera
plus loin que la question ne s'est en réalité posée pour ce bief qu'à une période récente,
postérieurement à l'étude de NEDECO.
En conclusion, on constate que la stratégie du Bénin consiste à tirer des conséquences
démesurées d’observations de détails mineures et non pertinentes.
3.85. De manière plus générale, le Bénin essaye d'affaiblir la portée de l'ensemble des
missions de l'époque coloniale en déclarant — ce que personne ne conteste — que ces
575
missions n'avaient pas pour objet de définir une limite territoriale . On a répondu plus haut à
576
cette argumentation . Cette observation n'enlève toutefois rien à la pertinence et à l'utilité de
ces rapports, sur lesquels le Niger s'appuie pour montrer que le cours du fleuve n'a pas connu
de variation significative au cours du temps et pour l'identification du bras le plus profond qui,
lui aussi, est resté remarquablement stable ainsi qu'on pourra en juger par l'examen mené ci-
577
dessous . Ce qu'il convient de retenir de l’ensemble de ces missions, c'est le fait que leurs
constats sont, dans l’ensemble, convergents lorsqu'il s'agit d'identifier le chenal principal.
b) Les arguments relatifs à la divergence entre sources
3.86. Le Bénin déclare aussi que "[l]a Partie nigérienne constate du reste qu'il existe des
divergences entre les différentes études hydrologiques quant à l'emplacement du chenal
57C.M./R.B., §§ 2.53 et 2.54.
575
C.M./R.B., § 2.108.
57Voy. supra, § 3.22.
577
Voy. infra, §§ 3.96 et s.
- 173Réplique de la République du Niger Chapitre III
navigable » 57. Ces divergences —au demeurant exceptionnelles— ne signifient pas
nécessairement que le chenal navigable ait changé. C'est pourquoi, en cas de divergences sur
le point de savoir si le chenal passe dans le bras gauche ou le bras droit du fleuve à hauteur
d'une île, le Niger a systématiquement justifié sa conclusion, soit en retenant le constat le plus
souvent opéré par les missions de reconnaissance, soit en retenant le relevé le plus proche de
la date de l'indépendance.
Ainsi, pour l’île n° 24 (Beyo Barou), le Niger a recherché quels étaient les relevés les plus
constants dans le temps : en l'occurrence, il y a concordance entre les observations de la
579
mission Hourst (1896) et celles de NEDECO (1969) . Pour l’île n° 10 (Kotcha Barou), c’est
le relevé opéré à la date la plus proche de 1960 qui a été retenu, en l’occurrence celui effectué
par la mission NEDECO en 1969.
Le seul cas où, dans son mémoire, le Niger avait proposé de ne pas retenir le chenal de 1960
—d’ailleurs au profit du Bénin—était celui de l'île n° 25 (Dolé Barou), à la hauteur de
laquelle le bras droit du fleuve est pour le moment ensablé. La position du Bénin, selon
laquelle il faut sans exception s’en tenir à la situation de 1960, enlève au Niger les hésitations
qu’il a pu avoir sur ce point. Cette seule exception n’est donc désormais plus retenue par le
Niger .580
3.87. Par ailleurs, le Bénin fait une nouvelle fois des reproches infondés au Niger en
affirmant que ce dernier donne priorité à l'étude réalisée de façon unilatérale en 2002 sur les
581
relevés opérés au cours des autres missions . Cela est tout à fait inexact. Reprenons les cas
cités par le Bénin :82
- île n° 13 - Kata Goungou. On ne possède aucune indication pour la période qui va de
583
la mission Hourst à celle de NEDECO . En effet, la mission Beneyton n’a pas couvert
cette île. Certes, pour Hourst, qui situait cette île dans le bras droit du fleuve sous l'île de
Gaya (Gagno Goungou), le bras gauche du fleuve, au droit de cette île, était le plus
57C.M./R.B., § 2.180.
579
Voy. aussi le paragraphe suivant.
58Voy. infra, §§ 3.87, 3.95, 3.112.
58C.M./R.B., §§ 2.185 et 2.186.
582
C.M./R.B., §§ 2.185, 2.186, 2.187.
58Voy. infra, § 4. 28, n° 13, p. 229.
- 174Réplique de la République du Niger Chapitre III
profond. En revanche NEDECO, situe cette île plus au nord et c’est le bras droit qui est
le plus profond. Cette position de Kata Goungou est attestée, depuis lors, aussi bien sur
la planche 13 de l’Atlas photographique fourni par le Niger, que par la planche 15 de
SPOT 5. La mission de 2002 n’a fait que confirmer ce qu’avait constaté l’étude
NEDECO, beaucoup plus proche de la date de l’indépendance (9 ans) que celle de
Hourst (64 ans).
- île n° 24 – Beyo Barou. Cette île peut être visualisée sur la planche n° 23 de l’Atlas
photographique et sur la planche 19 de SPOT 5. Pour l’identification du chenal dans le
bras droit, le Niger s’est fondé précisément sur la concordance entre les missions
Hourst, et NEDECO. La mission 2002 n’a fait que constater qu’il en était toujours
584
ainsi .
- île n° 25 – Dolé Barou : le seul relevé du chenal le plus profond effectué à la hauteur
de cette île était celui de NEDECO pour lequel, en 1969, le bras droit du fleuve était
585
plus navigable que le gauche . Depuis 1998 au moins (date de la mission commune
Bénin/Niger), il apparaît que cette situation s’est inversée et que le bras gauche est
maintenant devenu plus navigable que le droit, en raison de la présence, dans ce dernier,
d’un important banc de sable, bien visible sur SPOT 2002 (planche 20). Il est exact que,
dans ce cas, le Niger avait proposé exceptionnellement dans son mémoire que, prenant
acte de la situation actuelle sur le terrain, la souveraineté de l’île soit laissée au Bénin
pour faire coïncider souveraineté et accès égal au chenal le plus navigable. Mais
comprenant l’attachement du Bénin au principe de l’uti possidetis, le Niger en revient
bien volontiers à l'application scrupuleuse de la règle, d’autant plus que ces dépôts de
sable constituent, par nature, un phénomène réversible et que, par un simple dragage, les
parties pourraient faire disparaître cet obstacle à la navigation. On s’en tiendra donc
strictement à la règle de l’uti possidetis, dont l’application en l’espèce a pour effet
d’attribuer cette île au Niger.
En réalité, le cas de l’île de Dolé mis à part, dans tous les autres cas où il n’y a pas
concordance entre les sources, le Niger s’en est tenu à la situation qui existait à la date la plus
58M.N., § 2.3.63.
585
Comme on l’a vu supra , telle était la situation en 1944 (§ 3.8). Un télégramme lettre n° 296 du 19 juin 1944 du
Commandant de cercle de Dosso au Gouverneur du Niger stipule qu’un incident avec les douaniers du Dahomey s’est bien
- 175Réplique de la République du Niger Chapitre III
proche de l’indépendance. Le seul cas où il n'existait pas d'autres relevés et où le Niger s'est
donc fondé seulement sur sa propre mission de 2002 est celui de l'île n° 14 - Sandi Tounga
Barou, qui n’avait été signalée comme île par aucune mission antérieure et qui devrait revenir
au Bénin, car le bras le plus profond à cet endroit est le bras gauche. La planche 16 de SPOT
5 confirme l’existence de cette île.
De façon plus générale, comme la République du Niger le montrera maintenant, toutes les
sources convergent pour confirmer que le tracé du chenal principal du fleuve Niger dans le
bief en cause est resté particulièrement stable depuis plus d'un siècle.
Sous-section B - Il n'apparaît pas qu'il y ait eu de changement significatif dans le tracé du
chenal principal du fleuve sur une période de plus de cent ans
3.88. Avant d’examiner le cheminement du chenal navigable le plus profond (3), il convient
de préciser comment le Niger envisage ce chenal par rapport à la date critique (2) et surtout
d’exposer les sources sur lesquelles le Niger se fonde pour identifier ce chenal (1).
1. Sources d'identification du chenal navigable principal
3.89. Il est piquant de constater que la stabilité générale du chenal principal est reconnue par
les experts auxquels le Bénin a lui-même fait appel, comme le démontrent les annexes jointes
au contre-mémoire du Bénin, en particulier les consultations
- de M. Afouda, selon lequel :
"C'est ainsi qu'il a été relevé qu'au niveau des principales îles du fleuve Niger dont l'île de Lété en
particulier, les bras navigables n'ont pas connu de grande variation depuis les cent dernières années
586
comprises entre 1899 et 1998" ;
- et de M. Lokovi. Ce dernier, invoquant un cas éventuel de déviation du cours du
fleuve Niger, écrit :
587
"Cas de déviation du fleuve Niger : Cette hypothèse n'est envisageable qu'au niveau de l'Ile de Lété.
réalisé au Dahomey car il a eu lieu dans le « bras principal » du fleuve Niger en face de Madecali, en l’occurrence le bras
droit.
586Abel Afouda, "Esquisse hydrologique du Niger entre Niamey et Malanville", juin 2003, C.M./R.B., Annexe n° 27, p. 27,
livre III, p. 533.
- 176Réplique de la République du Niger Chapitre III
Selon M. Lokovi, le chenal navigable serait stable, dans tout le bief fluvial concerné, sauf
éventuellement autour de l'île de Lété. Il envisage alors les trois thèses en présence - qui ne
sont en fait que deux - : d'une part, celle partagée par Hourst et la mission de 1998 qui aboutit
à la conclusion que le bras droit était le plus profond et le plus actif et, d'autre part,
"les informations recueillies sur le terrain : selon les populations de Karimama et de Goroubéri en
particulier, le bras droit du fleuve du côté du Bénin, était naguère le bras mort […]".
Mais l'auteur a l'honnêteté de reconnaître que
"[a]u regard des deux premières hypothèses, cette dernière paraît difficile à soutenir de nos jours, faute de
588
preuve matérielle."
On ajoutera que, même si la dernière hypothèse devait s'avérer exacte, il faudrait remonter à
une période antérieure à la mission Hourst (1896) pour retrouver cet état de fait ; ce qui, pour
le coup, nous éloignerait particulièrement de la date critique (1960) à laquelle le Bénin semble
fidèlement attaché.
Ainsi, les experts consultés par le Bénin sont d’accord avec la thèse générale du Niger sur le
fait que le cours du fleuve n’a pas subi d’altération significative dans le secteur concerné et on
a vu que l’étude de l’IGN, également fournie par le Bénin, ne se prononce pas sur la question
du chenal principal, estimant que l’identification de celui-ci doit faire l’objet d’études
bathymétriques. Ce sont essentiellement des études de ce type que le Niger a pris soin de
consulter pour l’identification du principal chenal navigable.
3.90. En vue d’identifier le principal chenal navigable, le Niger a utilisé les travaux de
diverses missions qui ont eu comme objet l’étude du bras navigable du fleuve. Depuis
l'examen du matériau disponible opéré dans son mémoire, le Niger a eu accès a deux sources
complémentaires, indiquées ci-dessous sous les numéros 4 et 6.
On les examinera tour à tour :
1. Les cartes du cours du Niger : Mission Hourst (feuilles 37 à 41). Levé expédié exécuté
en 1896 à l’échelle 1/50.000 ; la mission de terrain s’est déroulée entre le 17 et le 24
587
Pascal Lovoki, "Études relatives aux îles du fleuve Niger dans le secteur frontalier Bénin-Niger", rapport du 16 février
2004, C.M./R.B., Annexe n° 30, p. 2, livre III, p. 573.
58Ibid.
- 177Réplique de la République du Niger Chapitre III
septembre 1896 58 ; elle couvre l'ensemble du bief fluvial qui va du confluent de la
Mékrou à la frontière du Nigeria.
2. Le plan général à l’échelle 1/10.000 de l’étude de la navigabilité du bief fluvial du
Niger entre Niamey et Gaya : mission A. Beneyton ; la mission de terrain s’est déroulée
au cours des mois de mai à septembre 1929 et 1930 590; elle couvre le bief fluvial qui va
du confluent de la Mékrou jusqu'au débarcadère de Gaya, soit 101 kilomètres (P.K. 214
à P.K. 315).
3. La carte annexée au rapport sur la reconnaissance effectuée sur le fleuve Niger entre
Niamey et Malanville du 9 au 16 août 1949, suivant l’ordre de mission du 4 juillet 1949
591
de Monsieur le Chef des services de la régie Bénin-Niger ; elle couvre le même bief,
du PK 213 au P.K. 313, mais elle ne donne d'illustration que pour un secteur tout à fait
limité de deux kilomètres, du P.K. 257.6 au P.K. 259.5 (pointe amont de l'île de Lété).
4. Planche 4 de la mission d’étude sur la navigabilité du fleuve Niger (relevé des hauts-
fonds à l’échelle 1/10.000) réalisée par le Service topographique et du cadastre de la
République du Niger 59. Cette mission, effectuée du 1 juillet au 13 août 1965, a
couvert le secteur du P.K. 200 au P.K. 278. Il en résulte que c'est le document le plus
proche de la date des indépendances, mais qui ne couvre que 64 kilomètres du secteur
qui est en litige.
5. Planches 32 à 37 à l’échelle 1/50.000 de l’étude de la navigabilité du fleuve Niger entre
Tossaye et Yelwa, réalisée par la firme néerlandaise NEDECO. Les travaux sur le
593
terrain ont été effectués en 1969 et le rapport final produit en septembre 1970 ; le
système kilométrique adopté est différent ; le bief en litige est couvert dans sa totalité du
kilomètre 1445 (confluent avec la Mékrou) au kilomètre 1313 (frontière du Nigéria),
soit 132 kilomètres.
58M.N., Annexes, série D, n° 1 à 5.
59M.N., Annexes, série C, n° 48, p. 4.
59M.N. Annexes, série C, n° 55.
59R.N., Annexes, série D, n° 50.
593
M.N., Annexes, série D n° 43.
- 178Réplique de la République du Niger Chapitre III
6. Planches 1 à 4 à l’échelle 1/50.000 de l’étude du fleuve Niger, établie en 1979 par
594
l’IGN à partir de la mission photographique effectuée en avril 1975 (75-40/600) . Le
système kilométrique adopté est le même que celui de Beneyton. Des profils en travers
furent effectués tous les 100 mètres, du confluent de la Mékrou au débarcadère de Gaya,
soit sur 101 kilomètres.
7. Mission de terrain effectuée en 1998 conjointement par les parties sur tout le secteur
frontalier (pour les endroits où elle a déterminé le bras navigable principal) Le tableau
est reproduit en annexe II du rapport . 595
8. Mission de terrain effectuée unilatéralement en 2002 par le Niger sur tout le secteur
frontalier (pour les endroits où elle a déterminé le bras navigable principal) . 596
3.91. Dès lors que cette dernière mission a suscité diverses questions de la partie adverse, il
est nécessaire de donner quelques explications sur la manière dont elle a été conduite. Le but
de cette mission était de déterminer le comportement des bras du fleuve et des îles en fonction
du niveau d’eau, La mission de 2002 s’est déroulée en deux phases :
- une première phase en période d’étiage (juin 2002), ce qui explique les dates indiquées
pour certains relevés ;
- une deuxième phase en période de hautes eaux, qui s’est déroulée en septembre 2002.
Le rapport M 2002 est un rapport de synthèse prenant en compte les résultats obtenus
lors des deux phases.
L’équipe opérait à bord d’un Zodiaque équipé d’un moteur hors-bord ; le matériel technique
de mesures bathymétriques était constitué de perches de 6 m de long en éléments séparés de 1
m pour les faibles profondeurs et d’un saumon pour les profondeurs importantes.
L’emplacement des points de profils et les coordonnées des pointes des îles étaient relevées
au GPS portable type Garmin 45 et 38.
L’équipe était composée des techniciens suivants :
59R.N., Annexes, série D, n° 51-54.
595
C.M./R.B., Annexe n° 30, livre III, p. 583.
59M.N., § 2.3.14 et texte envoyé via le greffe de la Cour en date du 11 mars 2004.
- 179Réplique de la République du Niger Chapitre III
- Abdelkader Dodo, Dr ès Sc., Hydrogéologue, Enseignant chercheur, Université Abdou
Moumouni de Niamey, Facultés des Sciences; Directeur des Ressources en Eau,
ministère de l’Hydraulique, de l’Environnement et de la lutte contre la
Désertification ;
- Ibrahim Moussa Bouzou, Dr. Sc., Habilitation à diriger des recherches, Enseignant
chercheur, Vice-recteur de l’Université Abdou Moumouni de Niamey ;
- Radji Garba, Ingénieur hydrogéologue, Directeur national adjoint des ressources en
Eau, ministère de l’Hydraulique, de l’Environnement et de la lutte contre la
Désertification ;
- Ouba Adamou, Ingénieur géomètre principal, chef du département Topographie,
Institut géographique national du Niger ;
- Hamadou Mounkaïla, Ingénieur géomètre principal, Commission nationale des
frontières ;
- Yambo Boubacar, Technicien supérieur hydrologue, Centre national des prévisions
hydrologiques, Direction nationale des ressources en Eau, ministère de l’Hydraulique,
de l’Environnement et de la lutte contre la Désertification.
Le rapport de la mission a été transmis par l’agent du Niger au Greffier de la Cour sous
couvert d’une lettre n° 00033/SP/CACN du 11 mars 2004. Ce document est intitulé « Etude
hydrologique du bief fluvial servant de frontière entre le Niger et le Bénin : Identification des
îles » .7
2. Chenal navigable principal et date critique
3.92. La question du chenal principal et celle des îles sont en relation directe chaque fois
que le cours du fleuve rencontre une île. Passe-t-il dans le bras gauche (côté Niger) ou dans le
bras droit (côté Bénin) ? Il peut aussi être influencé par des bancs de sable, mais ceux-ci sont
le plus souvent emportés ou modifiés par les crues plus importantes.
59C.M./R.B./ Annexe n° 32, livre III, p. 603.
- 180Réplique de la République du Niger Chapitre III
Reste à déterminer à quelle date il convient de se placer pour identifier le principal chenal
navigable ? Contrairement à ce que pense le Bénin, le Niger estime, lui aussi, que c'est en
1960 qu'il faut se situer pour identifier ce chenal. À cette date quel était son cours ? À part les
indications données par les administrateurs —que le Niger a rapportées dans son mémoire,
lorsqu’elles existaient, et que le Bénin s'emploie à critiquer, sauf lorsqu'elles lui sont
favorables— la source la plus sûre est constituée par les rapports des missions citées ci-
dessus . Comme aucune mission n'a été réalisée à la date même de 1960, il faut se baser sur
les études les plus proches dans le temps de cette année-là, et pas obligatoirement, comme le
soutient le Bénin, sur les études antérieures à 1960 59. On a vu plus haut que l'étude la plus
proche de cette date est celle de 1965, maintenant à la disposition du Niger. Toutefois, cette
mission n'a parcouru qu'une partie du bief fluvial en discussion (64 kilomètres sur 132). La
plus proche ensuite est la mission NEDECO de 1969, qui a couvert la totalité du bief et a
fourni des profils en long pour l'ensemble de la frontière fluviale. Puis vient la mission IGN
de 1979, réalisée 19 ans après l’indépendance. La mission Beneyton ayant été réalisée en
1929 et 1930 se situe 30 ou 31 ans avant cette dernière. Toutes deux ont couvert le même bief,
du confluent de la Mékrou au débarcadère de Gaya. Au-delà de Gaya, on ne possède en réalité
qu'une seule source, mais particulièrement fiable : la mission NEDECO, opérée par un tiers
compétent et neutre, 9 ans après l'indépendance.
3.93. Dans son mémoire, le Niger s’est posé la question de savoir comment il conviendrait
de traiter la situation où le chenal se serait modifié depuis la date de l’indépendance. Il
convient tout d’abord de bien circonscrire dans quel cas une telle situation est susceptible de
se produire. En réalité, un problème ne se pose que si, arrivant face à une île, le chenal
navigable (c’est-à-dire le bras le plus profond) change de côté par rapport à cette île. Ce n'est
pas une question de largeur du bras mais de profondeur de celui-ci, comme cela a été
600
expliqué ci-dessus .
De la même manière, le chenal navigable le plus profond n'est en rien affecté lorsqu'une île
séparée de la rive par un bras secondaire ou un bras mort s'accole définitivement à la rive.
Dans ce cas, il n'y a pas de changement du bras principal. Les modifications qui affectent les
rives ou les îles (érosion, accrétion) n'ont en principe aucun effet sur le chenal.
59Supra, paragraphe précédent.
599
C.M./R.B. § 2.213.
60Voy. supra, § 3.74.
- 181Réplique de la République du Niger Chapitre III
De la même façon enfin, la division d'îles ou la fusion d'îlots n'est, en principe, pas de nature à
opérer un changement du chenal navigable si ce dernier reste du même côté de la formation
en cause. Dans toutes ces circonstances, une analyse bathymétrique permet seule de
déterminer la situation actuelle.
3.94. Le Niger, dans son mémoire, s’est donc posé la question de savoir, dans l’hypothèse
où il se produirait une modification du principal chenal navigable, s’il fallait considérer que la
ligne de 1960 devait l'emporter - par application de la règle de l'uti possidetis -, ou bien s’il
fallait donner la préférence à la ligne des sondes les plus profondes déterminables
aujourd'hui ? La motivation de cette interrogation était la suivante : si l'on souhaite que la
ligne du chenal navigable soit non seulement considérée comme frontière mais aussi que les
deux États voisins aient l'un et l'autre un accès au chenal navigable en terme de souveraineté,
il convenait de choisir le chenal actuel 60. Dans l'hypothèse inverse, si le chenal navigable de
1960 est aujourd'hui obstrué, seule la liberté de navigation serait assurée par les conventions
relatives au statut du fleuve Niger liant les parties, l’accès à l’eau serait précaire puisqu’il
faudrait, pour y accéder, traverser le territoire terrestre voisin. En d’autres mots, si l'on veut
que le chenal des sondes les plus profondes aujourd'hui demeure le chenal navigable de 1960,
il conviendrait de le draguer.
3.95. Dans son mémoire, le Niger avait cru devoir retenir une exception à l'application du
principe de l’uti possidetis juris à propos de la dernière île (île de Dolé) située juste avant la
602
frontière avec le Nigeria , le bras droit du fleuve s'étant récemment ensablé à cette hauteur,
alors qu'il était navigable en 1960. Cette exception avait pour effet d’attribuer l’île au Bénin.
Toutefois, à la réflexion, Le Niger se rallie à la position du Bénin selon laquelle il convient de
rester constant et d’appliquer strictement le principe de l’uti possidetis prévu par le
compromis. C’est donc à la date de 1960 qu’il faut se placer pour déterminer quel était le
chenal navigable; il n’y a dès lors pas lieu de tenir compte d’un phénomène d’ensablement
postérieur, d’ailleurs réversible.
Ces précisions étant données sur la question de la date à laquelle il faut se placer pour
identifier le principal chenal navigable, il convient maintenant de déterminer le cheminement
de celui-ci.
601
Voy. l'argumentation en ce sens dans M.N., p. 136, § 2.3.27.
60Voy. supra, §§ 3.86 et 3.87, et infra § 3.112.
- 182Réplique de la République du Niger Chapitre III
3. Cheminement de la ligne des sondages les plus profonds
3.96. Afin d'établir la pérennité de la ligne des sondages les plus profonds, le bief fluvial
servant de frontière entre les deux parties sera divisé en des sections plus ou moins longues,
selon leur configuration. Le système de mesure des distances utilisé ci-après sera celui retenu
par la mission NEDECO, qui a l’avantage d’avoir couvert l’ensemble du secteur frontalier. La
séquence est suivie d’amont en aval.
- 183Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 1 (Boumba) (du Km 1446 au Km 1441)
3.97. Ce secteur a été discuté dans le mémoire du Niger aux paragraphes 2.3.36 (Boumba
Barou Beri) et 2.3.37 (Boumba Barou Kaïna).
Cours du Niger –Mission Hourst, feuille n° 37 (Bembodji) : le chenal principal passe dans le
bras droit à la hauteur de l’île de Boumba Barou Béri.
Beneyton (k 213 à k 218) (carte 42/1) : le chenal principal passe dans le bras droit à la hauteur
des deux îles de Boumba.
Mission Service topographique 1965 (PK 210 à PK 215) : le chenal principal passe dans le
bras droit à la hauteur des deux îles de Boumba.
Mission Nedeco (Km 1446 à 1441), feuille 32 (carte 43/32) : le chenal principal passe dans le
bras droit à la hauteur des deux îles de Boumba.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planche 4 (PK 213 à PK 218) : profils en travers dans le bras
droit à la hauteur des deux îles de Boumba.
Conclusion : il n’y a pas eu de changement entre 1896 et 1979.
Selon la mission de 1998, le « bras droit [est] navigable » à la hauteur des deux îles de
Boumba. La situation était inchangée en 2002.
- 184Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 2 (Djéboukiria) (du Km 1441 au Km 1433)
3.98. Cours du Niger – Mission Hourst, feuille n° 37 (Bembodji) : bras unique.
Beneyton (Km 218 à Km 226) (carte 42/2 et 42/3) : le chenal principal passe dans le bras droit
au niveau d’une île représentée au Km 220.6, puis au sud des rochers de Djéboukiria entre les
Km 221 et 222 et au sud d’un banc de sable collé à la rive gauche, indiqué au Km 225.5.
603
Mission Service topographique 1965 (PK 215 à PK 223) : l’île a disparu . Le chenal
principal passe au travers des rochers de Djéboukiria qui tapissent le fond du lit et qui sont
indiqués comme ne formant pas un obstacle à la navigation et sous le banc de sable collé à la
rive gauche, toujours visible.
Mission Nedeco (Km 1441 à 1433), feuille 32 (carte 43/32) : le chenal principal passe au sud
des affleurements rocheux de Djéboukiria.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planche 4 (PK 218 à PK 226) : profils en travers dans le bras
unique.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal de 1930 à 1979, le chenal principal étant
toujours passé au sud ou à travers des affleurements rocheux de Djéboukiria.
60Voy. infra, § 4.21.
- 185Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 3 (Pekinga) (du Km 1433 au Km 1423)
3.99. Cours du Niger –Mission Hourst, feuilles n° 37 (Bembodji) et 38 (Kompa) : le chenal
principal passe dans le bras gauche à la hauteur d’une grosse île (Pekinga), collée à la rive
droite et bien visible sur les deux feuilles.
Beneyton (Km 226 à 236) (carte 42/4 et 42/5) : le chenal principal passe dans le bras gauche à
la hauteur de la grande île.
Mission Service topographique 1965 (PK 223 à PK 233) : bras unique.
Mission Nedeco (Km 1433 à 1423), feuille 32 (carte 43/32) : bras unique. L’île de Pekinga
semble s’être incorporée à la rive droite.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planche 4 (PK 226 à PK 236) : profils en travers dans le bras
unique ; l’île de Pekinga reste légèrement séparée de la rive droite. Ceci est confirmé par les
images Spot 5 (planche 3).
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal principal de 1896 à 1979.
La situation est restée inchangée jusqu'à nos jours.
- 186Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 4 (Kouassi ou Kwassi) (du Km 1423 au Km 1415)
3.100. Cours du Niger –Mission Hourst, feuille 38 (Kompa) : le chenal principal passe dans le
bras droit du fleuve à la hauteur de l’île dite « île couverte ».
Beneyton (Km 236 à 245) (carte 42/7 et 42/8) : le chenal principal passe dans le bras droit du
fleuve à la hauteur de l’île de Kouassi et au nord d’un banc de sable collé à la rive droite au
Km 244.8
Mission Service topographique 1965 (PK 233 à PK 242) : le chenal principal passe dans le
bras droit du fleuve à la hauteur de l’île de Kouassi, coiffée d’un chapeau de sable à l’amont.
Mission Nedeco (Km 1423 à 1415), feuille 33 (carte 43/33) : le chenal principal passe dans le
bras droit du fleuve à la hauteur de l’île de Kwassi.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planches 3 et 4 (PK 236 à PK 245) : profils en travers dans le
bras droit du fleuve à la hauteur de l’île de Kwassi.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal de 1896 à 1979.
Selon la mission de 1998, le « bras droit [est] navigable ». La situation était inchangée en
2002.
- 187Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 5 (Doubal) (du Km 1415 au Km 1409)
3.101. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 38 : le chenal principal passe au sud d’un épi
de rochers.
Beneyton (Km 245 à 251) (carte 42/6 et 42/7) : le chenal principal passe dans le bras droit
sous l’agglomérat de rochers et de banc de sable de Doubal, sous une île au Km 247.6 et sous
un banc de sable au Km 249.
Mission Service topographique 1965 (PK 242 à PK 248) : le chenal principal passe dans le
bras droit sous les rochers et des six îles au niveau de Doubal.
Mission Nedeco (1415 à 1409), feuille 33 (carte 43/33) : le chenal principal passe dans le bras
droit sous les rochers et des six îles au niveau de Doubal.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planche 3 (PK 245 à PK 251) : profils en travers dans le
fleuve, à un endroit où il ne comporte qu'un bras.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal de 1896 à 1979 puisque le chenal principal
passe toujours dans le bras droit, au sud d’un ensemble de rochers et d’îles.
La situation était inchangée en 2002.
- 188Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 6 (Sansan Goungou) (du Km 1409 au Km 1404)
3.102. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 38 (Kompa) : le chenal principal passe dans le
bras droit à la hauteur de l’île Sansan Goungou (barrage de cailloux dans le bras gauche).
Beneyton (Km 251 à 256) (carte 42/8) : le chenal principal passe dans le bras droit à la
hauteur d’un groupe de rochers au Km 251 et à la hauteur de l’île Sansan Goungou, le bras
gauche étant obstrué par des rochers.
Mission Service topographique 1965 (PK 248 à PK 253) : le chenal principal passe dans le
bras droit à la hauteur de l’île Sansan Goungou avec des rochers à l’amont.
Mission Nedeco (Km 1409 à Km 1404), feuille 33 (carte 43/33) : le chenal principal passe
dans le bras droit à la hauteur de l’île Sansan Goungou avec rochers à l’amont.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planche 3 (PK 251 à PK 256) : profils en travers dans le bras
droit à la hauteur de Sansan Goungou.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal de 1896 à 1979.
Selon la mission de 1998, le « bras droit [est] navigable ». La situation était inchangée en
2002.
- 189Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 7 (Lété) (du Km 1404 au Km 1385)
3.103. Cours du Niger–Mission Hourst, feuilles 38 (Kompa) et 39 (Karimama) : le chenal
principal passe dans le bras droit à la hauteur de l’île de Lété.
Beneyton (Km 256 à Km 275) (cartes 42/9 à 13) : le chenal principal passe dans le bras droit
à la hauteur de l’île de Lété ; petits rochers dans le bras droit qui n’empêchent pas la
navigation.
Mission 1949 : ne représente que l’amorce de l’île de Lété (amont); le chenal principal est
dessiné dans le bras droit.
Mission Service topographique 1965 (PK 253 à PK 272) : le chenal principal passe dans le
bras droit à la hauteur de l’île de Lété. Petits rochers dans le bras droit qui gênent la
navigation sans l’empêcher.
Mission Nedeco (Km 1404 à Km 1385), feuilles 33 et 34 (cartes 43/33 et 34) : le chenal
principal passe dans le bras droit à la hauteur de l’île de Lété. Petite île visible dans le bras
gauche.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planches 2 et 3 (PK 256 à PK 275) : profils en travers dans le
bras droit.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal entre 1896 et 1979.
Selon la mission de 1998, le « bras droit [est] navigable ». La situation était inchangée en
2002.
- 190Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 8 (Tondi Kouaria ou Tondikwaria et Momboye Tounga) (du Km 1385 au Km
1374)
3.104. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 39 (Karimama) : le chenal principal passe dans
le bras gauche de l’île de Tondi Kouaria et à travers une petite île en formation.
Beneyton (Km 275 à Km 287) (cartes 42/13 à 16) : le chenal principal passe dans le bras
gauche de l’île de Tondi Kouaria et dans le bras droit de l’île de Momboye Tounga, en
formation définitive.
Mission Nedeco (Km 1385 à Km 1374), feuille 34 (carte 43/34) : le chenal principal passe
dans le bras gauche de l’île de Tondi Kouaria et dans le bras droit de l’île de Momboye
Tounga.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planche 2 (PK 275 à PK 286) : profils en travers dans le bras
gauche à hauteur de Tondi Kwaria et dans le bras droit à hauteur de Momboye Tounga.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal de 1896 à 1979.
Selon la mission de 1998 : pour Tondi-Kouaria : « bras gauche navigable ».
Situation inchangée en 2002 pour les deux îles
- 191Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 9 (Sinigoungou) (du Km 1374 au Km 1365)
3.105. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 39 (Karimama) : le chenal principal passe dans
le bras droit à la hauteur de l’île de Sinigoungou en face de l’embouchure de l’Alibori.
Beneyton (Km 287 à Km 296) (cartes 42/16 et 17) : le chenal principal passe dans le bras
droit à la hauteur de l’île de Sinigoungou.
Mission Nedeco (Km 1374 à Km 1365), feuille 35 (carte 43/35) : le chenal principal passe
dans le bras droit à la hauteur de l’île de Sinigoungou.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planche 2 (PK 286 à PK 295) : profils en travers dans le bras
droit à la hauteur de l'île de Sinigoungou.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal de 1896 à 1979. Les contestations du
Bénin en ce qui concerne la détermination du bras principal navigable à la hauteur de l’île de
Sinigoungou ne sont pas convaincantes . Elles reposent sur une interprétation a contrario de
la mention qui se trouve dans le rapport de la mission de 1998. Ce dernier déclare : « bras
droit navigable (face embouchure Alibori) ». Selon le Bénin, le bras droit ne serait navigable
que face à l’embouchure de l’Alibori et il ne le serait pas en amont de cette embouchure; la
partie adverse en conclut que « l’île était du côté droit du chenal navigable à la date
critique » . Cette affirmation est pourtant clairement contredite par les constatations des
missions hydrologiques, qui sont unanimes sur ce point.
60C.M./R.B., §§ 2.208 et 2.211.
60Ibid., § 2.212.
- 192Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 10 (Lama Barou) (du Km 1365 au Km 1352)
3.106. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 40 (Tombouttou) : le chenal principal
navigable passe dans le bras droit à la hauteur d’une petite île dessinée près de la rive gauche
et de l’amorce de Lama Barou.
Beneyton (Km 296 à Km 310.5) (cartes 42/18 à 21) : le chenal principal navigable passe dans
le bras droit à la hauteur de Lama Barou
Mission Nedeco (Km 1365 à Km 1352), feuille 35 (carte 43/35) : le chenal principal
navigable passe dans le bras droit à la hauteur de Lama Barou
Etude du fleuve Niger, IGN 79 planche 1 et 2 (PK 295 à PK 308) : absence de profil en
travers à la hauteur de l’île.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal de 1896 à 1979.
Selon la mission de 1998, le « bras droit [est] navigable ». La situation était inchangée en
2002.
- 193Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 11 (Kotcha, Koki, Gagno, Kata) (du Km 1352 au Km 1340)
3.107. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 40 (Tombouttou) : l’île de Kotcha n’est pas
représentée. Le principal chenal navigable passe dans le bras gauche à la hauteur des îles de
Gaya (Gagno, Koki, Kata).
Beneyton (Km 310.5 à Km 316.2) (cartes 42/22 et 23) : le terminus de la mission ayant été le
débarcadère de Gaya, la mission n’a relevé que le chenal le plus direct y conduisant. En
conséquence, le chenal navigable passe dans le bras gauche à la hauteur de l’île de Kotcha ; le
cheminement n’est pas réalisé pour Koki et Gaya.
Mission Nedeco (Km 1352 à Km 1340), feuilles 35 et 36 (cartes 43/35 et 36) : le principal
chenal navigable passe dans le bras droit à la hauteur de l’île de Kotcha, puis dans les deux
bras à la hauteur de Gaya, et enfin dans le bras gauche à la hauteur de l'île de Koki. A la
hauteur de l'île de Kata, le chenal navigable passe dans le bras droit du fleuve.
Etude du fleuve Niger, IGN 79 : cette mission s'est terminée au débarcadère de Gaya, comme
la mission Beneyton. Il n’y a donc plus de profils à partir de ce point.
Conclusion : Les relevés deviennent rares pour cette section du fleuve. Seules les missions
Hourst et NEDECO poursuivent leur relevés au-delà du débarcadère de Gaya.Bien que la
mission NEDECO indique que les deux bras sont navigables, les profils des bras gauche et
droit indiquent que le bras droit est plus profond.
La mission de 1998 avait relevé qu'à la hauteur de Kotcha, le « bras droit [était] navigable
(face embouchure Sota) » et qu'à la hauteur de Gaya, « les deux bras sont navigables ». La
mission de 2002 est arrivée à la même conclusion pour Kotcha et pour Gaya, à la hauteur
desquels le bras droit est plus profond .06
60Pour plus de détails sur ce point, voy. M.N., pp. 152-162, §§ 2.3.51 et s.
- 194Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 12 (Gandégabi Barou Beri et Kaina) (du Km 1340 au Km 1330,5)
3.108. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 40 (Tombouttou) : le principal chenal
navigable passe dans le bras gauche à la hauteur de l’île de Gandégabi Barou Kaïna et dans le
bras droit à la hauteur de l’île de Gandégabi Barou Beri.
Mission Nedeco (Km 1340 à Km 1330.5), feuille 36 : le principal chenal navigable passe dans
le bras gauche à la hauteur de l’île Gandégabi Barou Kaïna et dans le bras droit à la hauteur de
l’île Gandégabi Barou Beri.
Conclusion : il n’y a pas eu de changement du chenal de 1896 à 1969.
Dans son contre-mémoire, le Bénin allègue ce qui suit :
« Si l’on jette un coup d’œil aux images satellitaires de la région, il apparaît plus que douteux que le bras
gauche à la hauteur de Gandegabi Barou Béri soit « sec à l’étiage », comme le prétend le Niger, ou « sec
aux basses eaux » comme le dit Sadoux. On voit clairement sur cette image que le bras gauche est d’une
largeur très appréciable, environ 190 mètres au plus étroit. […] La mission de 1998 indique seulement
qu’au niveau de l’île « « le bras droit est navigable » ce qui ne veut pas dire que le bras gauche ne le soit
607
pas » .
On constatera tout d’abord que contrairement à ses positions – fantaisistes il est vrai – sur la
contradiction entre l’uti possidetis et l’usage de sources postérieures à l’indépendance, le
Bénin fait prévaloir des informations de 1998 et de SPOT 2002 sur les levés convergents des
missions Hourst et NEDECO. L'interprétation que fait la partie adverse des dites informations
s'avère, au surplus, tout à fait contestable. Le fait qu’un bras du fleuve soit plus large ne veut
pas dire qu’il est plus profond. Les images SPOT produites par le Bénin ont été prises en
période de hautes eaux, ce qui ne contredit pas le fait que le fleuve soit sec en cet endroit à
l’étiage. Quant à l’hypothèse relative à la mission de 1998, elle n’est pas plausible. La
délégation béninoise n’aurait jamais accepté que le procès verbal de la mission de 1998 se
limite à constater que « le bras droit est navigable » si le bras gauche l’avait été également.
60C.M./R.B., § 2.203.
- 195Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 13 (Guirawa Barou) (du Km 1330,5 au Km 1326,5)
3.109. Cours du Niger–Mission Hourst, feuilles 40 (Tombouttou) et 41 (Guiris-Port d’Illo) : le
principal chenal navigable passe dans le bras droit à la hauteur de l’île de Guirawa Barou.
Mission Nedeco (Km 1330.5 à Km 1326.5), feuille 36 (carte 43/36) : le principal chenal
navigable passe dans le bras droit à la hauteur de l’île de Guirawa Barou.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal entre 1896 et 1969.
La situation est restée inchangée jusqu'à nos jours.
- 196Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 14 (Dan Kore Guirawa et Dan Djoda) (du Km 1326,5 au Km 1321,7)
3.110. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 41 (Guiris-Port d’Illo) : le principal chenal
navigable passe à travers l’île en formation collée contre la rive droite et dans le bras gauche à
la hauteur de l’île de Dan Djoda.
Mission Nedeco (Km 1326.5 à Km 1321.7), feuilles 36 et 37 (cartes 43/36 et 37) : le principal
chenal navigable passe dans le bras gauche à la hauteur tant de l’île Dan Koré Guirawa que de
l’île de Dan Djoda.
Conclusion : il n’y a pas de changement du chenal entre 1896 et 1969.
La situation est restée inchangée jusqu'à nos jours.
- 197Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 15 (Koundou barou, Goussou barou, El Hadji Chaibou 1 et 2 et Beyo barou) (du
Km 1321,7 au Km 1317)
3.111. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 41 (Guiris-Port d’Illo) : le principal chenal
navigable passe dans le bras gauche à la hauteur d’un banc de sable (disparu depuis lors) et de
Koundou barou et dans le bras droit à la hauteur des îles de Goussou barou, de El hadji
Chaïbou 1 et 2 et de Béyo barou.
Mission Nedeco (Km 1321.7 à Km 1317), feuille 37 (carte 43/37) : le chenal principal
navigable passe dans le bras gauche à la hauteur de l’île de Koundou barou et dans le bras
droit à la hauteur de toutes les autres îles (Goussou Barou, Beyo Barou, El Hadji Chaïbou
Beri et El Hadji Chaïbou Kaina).
Conclusion : il n’y a pas de divergence entre les sources pour le tracé du chenal dans ce
secteur même si l’identification des îles sur la carte de la mission Hourst n’est pas aisée. Il n'y
a donc pas de changement du chenal de 1896 à 1969. La situation est restée inchangée jusqu'à
nos jours.
- 198Réplique de la République du Niger Chapitre III
Section 16 (Dolé) (du Km 1317 au Km 1313,5)
3.112. Cours du Niger–Mission Hourst, feuille 41 (Guiris-Port d’Illo) : le principal chenal
navigable passe dans le bras droit à la hauteur de l’île de Dolé barou, qui n’est pas très
identifiable.
Mission Nedeco (Km 1317 à Km 1313.5), feuille 37 (carte 43/37) : le principal chenal
navigable passe dans le bras droit à la hauteur de l’île de Dolé barou.
Conclusion : pas de changement du chenal entre 1896 et 1969.
Comme on l’a déjà relevé plus haut, une modification s’est produite depuis la date de
608
l’indépendance et même postérieurement à la mission Nedeco . Le bras droit du fleuve est
obstrué depuis quelques années à cette hauteur par un gros banc de sable. La solution
initialement proposée par le Niger dans son mémoire tendait à faire coïncider la limite avec le
principal chenal navigable actuel. Cette solution était favorable au Bénin, puisque le bras
principal est aujourd'hui le gauche. Toute réflexion faite, comme on l’a dit plus haut, le Niger
se range à la solution préconisée par le Bénin d’une solution conforme à l'uti possidetis 609
pour ce qui concerne l’identification du chenal navigable. Par application du principe de l’uti
possidetis et de la distinction entre île et banc de sable, il n’y a pas lieu de tenir compte d’un
banc de sable – sans doute provisoire – apparu récemment dans le bras droit qui avait amené
la mission de 1998 à noter « Le bras gauche est plus navigable que le bras droit à cette
période de l’année ».
Cette adhésion plus scrupuleuse au principe de l’uti possidetis a pour effet d’attribuer l'île de
Dolé au Niger. Les deux parties devraient alors coopérer pour désensabler le bras droit, afin
de respecter leur obligation d'assurer la navigabilité du Niger en tant que cours d'eau
international.
*
60Voy. supra, §§ 3.86, 3.87 et 3.92.
- 199Réplique de la République du Niger Chapitre III
3.113. Il découle de tout ce qui précède qu’il n’y a de divergences entre les sources que pour
la section 11, en ce qui concerne la détermination de l’emplacement du chenal principal à la
hauteur des îles de Kotcha et de Gagno
En ce qui concerne Kotcha, le bras navigable est le bras gauche selon la mission Beneyton, et
610
le bras droit selon Nedeco. Contrairement à ce qu’affirme le Bénin , la raison de la
préférence accordée à la seconde source n’est pas, comme on l’a dit plus haut, le fait qu’elle
est plus récente, mais le fait qu’elle est beaucoup plus proche de la date de l’indépendance des
deux États en cause. Au surplus, telle est encore la situation aujourd’hui, comme l'ont conclu
les missions de 1998 et de 2002, ce qui facilite les choses au point de vue de l’accès égal au
chenal principal navigable.
En ce qui concerne Gagno Goungou, les sources se raréfient. Le rapport de la mission
Beneyton n’est plus utilisable puisque celle-ci s’est arrêtée à l’embarcadère de Gaya et n’a pas
examiné les deux bras. Le rapport Nedeco signale les deux bras comme navigables, mais,
selon les profils indiqués en bas de page, le bras droit est plus profond. La mission de 1998
n’a pas pris position sur ce point. Celle de 2002 conclut que le bras droit est le plus navigable.
Pour aboutir à la solution inverse, le Bénin trouve soudain des mérites aux observations de
Sadoux qu’il s’est par ailleurs évertué à détruire ; ou bien, il invoque Hourst, dont les
constations sont certainement plus éloignées de la date de l’indépendance que celles de
Nedeco.
S’agissant de Kata Goungou le rapport de la mission Beneyton n’est plus utilisable puisque
celle-ci n’a pas continué ses investigations au-delà de l’embarcadère de Gaya. Le rapport
Nedeco signale les deux bras comme navigables. La mission de 1998 n’a pas pris position sur
ce point. Celle de 2002 conclut que le bras droit est le plus navigable. Rien ne permet donc au
Bénin de soutenir l’affirmation selon laquelle « l’île de Kata Goungou se trouvait du côté
droit du chenal principal à la date critique ».
60C.M./R.B., § 2.166.
610
C.M./R.B., § 2.213.
61C.M./R.B., § 2214.
- 200Réplique de la République du Niger Chapitre III
3.114. En conclusion, on constate que, contrairement à ce que soutient le Bénin , l’analyse 612
faite dans le mémoire du Niger repose sur une méthode rigoureuse.
Comme pour ce que la Cour a observé à propos de la rivière Chobé dans l'affaire
613
Kasikili/Sedudu , il n'y a eu aucun changement radical de la situation sur les cent dernières
années, mais seulement quelques changements mineurs qui n'affectent pas le chenal principal
dans son ensemble.
3.115. Le mémoire de la République du Niger comportait la conclusion suivante :
La République du Niger prie la Cour de dire et juger que :
- La frontière entre la République du Bénin et la République du Niger dans le secteur du fleuve
Niger, depuis le confluent de la rivière Mékrou avec le fleuve Niger jusqu’à la frontière du
Nigeria, suit la ligne des sondages les plus profonds, étant entendu qu’en cas de changement à
l’avenir de cette ligne, la frontière entre la République du Bénin et la République du Niger suivra
ce nouveau tracé.
Etant donné les positions prises par la République du Niger dans la présente réplique cette
conclusion est modifiée de la manière suivante :
La frontière entre la République du Bénin et la République du Niger dans le secteur du fleuve
Niger, depuis le confluent de la rivière Mékrou avec le fleuve Niger jusqu’à la frontière du
Nigeria, suit la ligne des sondages les plus profonds telle qu’elle peut être établie à la date de
l’indépendance. Pour le cas où un changement devrait affecter cette ligne, les deux parties
feront en sorte, par des dragages appropriés, d’assurer le maintien en état de ce chenal
navigable.
612
C.M./R.B., § 2.207, par exemple : « Le tracé du chenal navigable revendiqué par le Niger comme limite des territoires des
deux parties au différend ne repose finalement sur aucune analyse sérieuse […] ».
613
Recueil 1999, p. 1065, § 31.
- 201Réplique de la République du Niger Chapitre III
Le point triple Bénin, Niger, Nigeria
3.116. On ne reviendra pas ici sur les prétentions du Bénin relatives à un point triple se situant
sur la rive gauche. Comme le Niger l’a exposé dans son contre-mémoire, « la limite entre le
Bénin et le Niger dans le secteur du fleuve suit la ligne des sondages les plus profonds dans le
cours du Niger ou de son bras principal, depuis le confluent de la Mékrou jusqu’à la frontière
du Nigeria » .614
En conséquence, le Niger n’estime pas devoir modifier les termes de l’exposé fait à ce propos
dans son mémoire, au paragraphe 2.3.67, qui se terminait par la phrase suivante :
« Le dernier point de la frontière Bénin-Niger se trouvera donc à l’intersection de la ligne des sondages
les plus profonds du fleuve Niger avec la ligne qui constitue la frontière de ces deux États avec le
Nigeria ».
Le seul point qui se trouve modifié par rapport au mémoire, c’est le tracé du cheminement
final de la ligne des sondages les plus profonds, qui, pour respecter la situation de 1960, passe
non dans le bras gauche du fleuve, mais dans son bras droit à la hauteur de l’île de Dolé avant
de rejoindre la frontière avec le Nigeria (voir croquis n° 3 révisé, ci-contre).
61C.M.N., § 3.89.
- 202Réplique de la République du Niger Chapitre IV
CHAPITRE IV —
LE CHENAL PRINCIPAL CONSTITUE UN CRITERE PERTINENT ET FIABLE
POUR LA REPARTITION DES ILES QUI SONT RESTEES LES MEMES
DANS LE TEMPS
Introduction
4.1. On se souviendra que, par l’article 2 b) du compromis qui lie les Parties, la Cour est
priée de « préciser à quel État appartient chacune des îles dudit fleuve et en particulier l’île de
Lété ».
L’identification des îles à attribuer, le critère de répartition et l’attribution de ces îles
constituent donc un point central du présent différend. On abordera ces questions dans une
première section pour examiner dans une seconde section le cas spécifique de l’île de Lété.
Section 1 -
Les îles du fleuve peuvent être identifiées et attribuées avec certitude
4.2. La méthode retenue par le Niger — à la suite de la pratique locale inaugurée en 1914
par l'accord entre le commandant du secteur de Gaya, Sadoux (Territoire militaire du Niger)
et son homologue de Guéné (Dahomey) — consiste à attribuer les îles en fonction de leur
emplacement par rapport au principal chenal navigable qui constitue la limite entre les deux
Etats dans le fleuve. On vient de voir que le chenal navigable était resté remarquablement
stable de 1896 à nos jours. Il reste à examiner quel a été le sort des îles pendant cette période
et en particulier en 1960, date à laquelle la limite intercoloniale s'est transformée en frontière
entre les deux États. Enfin, afin d’attribuer un objet juridique réellement attribuable, il
convient de s’assurer que les îles aujourd’hui existantes correspondent à celles qui existaient
en 1960.
- 203Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Le Bénin, pour mettre à mal la méthode utilisée par le Niger en vue d'identifier les îles a
avancé plusieurs arguments : certaines îles auraient disparu , d'autres seraient apparues , 616
d'autres, enfin, auraient fusionné . Le nombre total d’îles retenu par le Niger, aux fins de leur
618
attribution, serait arbitraire .
Afin de montrer que les critiques du Bénin sont infondées, le Niger mettra d’abord en
évidence la faiblesse des études sur lesquelles le Bénin s’appuie pour formuler ses critiques
(sous-section A) ; il exposera les critères qu’il adopte pour identifier les îles (sous-section B) ;
il passera ensuite à la réfutation des positions du Bénin concernant le nombre et la pérennité
des îles (sous-section C), avant de procéder à l’identification des îles qui doivent être
attribuées (sous-section D).
Sous-section A -La faiblesse des études sur lesquelles le Bénin s’appuie pour formuler ses
critiques
4.3. Le Bénin appuie essentiellement cette partie de son argumentation sur l'étude de
l'I.G.N.-France international précitée de décembre 2003 619 et sur celle de Pascal Lokovi
relative aux îles du fleuve Niger dans le secteur frontalier Bénin-Niger (rapport du 16 février
620
2004) . Il convient tout d’abord d’apprécier la pertinence de ces deux études.
1. L'étude de l'I.G.N.-France international
4.4. L'étude de l'I.G.N.-France international 621, que l'on a déjà abordée plus haut s'agissant
622
du chenal principal , est-elle de nature à remettre en cause les conclusions contenues dans le
mémoire du Niger ? On va voir qu'il n'en est rien.
615Voy. en particulier l’étude de M. Pascal Lokovi : « Etudes relatives aux îles du fleuve Niger dans le secteur frontalier
Bénin-Niger », 16 février 2004, C.M./R.B., annexe n° 30, livre III, p. 571.
616Ibid.
617Ibid.
618C.M./R.B., §§ 2.49, 2.178 et s. et 2.195.
619
C.M./R.B., annexe n° 28.
620C.M./R.B., annexe n° 30.
621Etude d’évolution du fleuve Niger 1960-2002, décembre 2003, C.M./R.B., annexe n° 28, livre III, p. 552.
622Voy. supra, §§ 3.68 et s.
- 204Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Cette étude, ayant pour objet la comparaison entre les cartes au 1/50.000 et les images SPOT
5 aboutit aux conclusions suivantes:
- sur la planche 13 : apparition de deux petites îles;
- sur la planche 15 : disparition d’une île;
- sur la planche 16 : apparition de deux îles;
- sur la planche 19 : apparition d'une île.
Il en découlerait une instabilité de ces formations et un caractère aléatoire du relevé des îles
opéré par le Niger.
Sans aborder à ce stade ce qu'il faut penser de chacun de ces prétendus avatars, qui seront
623
traités en détail plus loin , il convient de faire les observations générales qui suivent.
4.5. Toute tentative d'affirmer l'existence de changements d’état des îles ou de création
d’îles nouvelles ne peut se fonder que sur des travaux de terrain. Vu du ciel et sans avoir
effectué les vérifications nécessaires au sol, il est difficile de distinguer la différence entre les
vraies îles, les bancs de sable, les rochers, les corps émergés flottants tels que des jacinthes
d’eau, ou même des troupeaux d’hippopotames.
L’auteur de l’étude I.G.N., qui en est parfaitement conscient, écrit prudemment :
"Sur les îles nouvelles
Leur nature et leur pérennité reste à vérifier sur le terrain : on ne peut dire ici, en vue des images [sic], si
les bancs de sable qui sont à leur origine ont été ou non colonisés par de la végétation. Une enquête
auprès des riverains donnerait également une idée sur leur année d'apparition, et donc sur leur degré de
pérennité624.
4.6. Comme le reconnaît l’I.G.N.-France international, le fleuve n’a pas toujours le même
comportement selon l’écart saisonnier, et des images prises à différents moments de l’année
reflètent des réalités différentes du fleuve. En période de forte crue, une île peut donner
l'impression d'être divisée ou même de disparaître temporairement ; en période de décrue, la
62Voy. infra, §§ 4.17 et s.
62Op. cit., p. 14/14.
- 205Réplique de la République du Niger Chapitre IV
taille d’une île peut s’accroître, ou bien ce que l'on prenait pour deux îles peut se révéler n’en
être qu’une seule.
4.7. Il apparaît par ailleurs que l’auteur de l’étude ne se préoccupe pas du comportement
du fleuve dans son ensemble mais simplement de ce qui se passe dans ce qui lui semble être le
chenal principal. Sinon comment comprendre qu’en commentant les planches 7, 7bis, 8, 8bis
et 9 l’auteur ne relève pas – comme il le fait ailleurs – qu’il s’agit du bras droit à hauteur
d’une seule et même île (l’île de Lété). Pour lui, aucune île n’existe sur toutes ces planches !
625
. Il en est de même pour les planches 10 et 10bis où la grande île (l’île de Tondi Kwaria
Barou) est ignorée alors que la petite île qui apparaît dans le bras gauche du fleuve fait l’objet
de commentaires.
626
2. L'étude de Pascal Lokovi
4.8. La seconde étude sur laquelle le Bénin s’appuie pour étayer sa thèse a été rédigée par
M. Pascal Lokovi, membre de la Commission mixte paritaire de délimitation de la frontière
nigéro-béninoise, chef de l’équipe béninoise ayant participé aux travaux effectués par le sous
comité technique mixte de 1998 en vue de l’identification des îles du fleuve Niger dans le bief
fluvial concerné.
Cette étude vise à montrer que le nombre de 25 îles retenu par le Niger n’est pas crédible. En
effet, l’auteur affirme que ce nombre paraît bien fantaisiste puisqu’il ne correspond ni au
nombre d’îles recensées au cours des opérations de reconnaissance sur le fleuve Niger en
1998 (15 îles) ni au nombre d’îles figurant sur la carte au 1/50.000. L’auteur de l’étude
retient, quant à lui, le chiffre de 35 îles. Il se fonde sur l'étude de l’I.G.N. pour conclure à la
disparition, l'apparition ou la fusion d'îles.
Pas plus que l’I.G.N.-France international, l’auteur de l’étude n’a effectué, pour rédiger cette
dernière, un travail de terrain ; même s’il a utilisé les conclusions de la mission de 1998, il
prend soin de mentionner qu'il arrive à son chiffre de 35 îles "sans distinction des vraies îles
des bancs de sables " 627.
62Ibid., p. 12/14.
626Etudes relatives aux îles du fleuve Niger dans le secteur frontalier Bénin-Niger, 16 février 2004, C.M./R.B., annexe n° 30,
livre III, p. 571
62Ibid., p. 572.
- 206Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Sous-section B - Les critères adoptés par le Niger pour identifier les îles
4.9. La méthode adoptée par le Niger est la suivante. Comme la mission de la Cour est de
déterminer la souveraineté sur des îles, il est essentiel de bien faire la distinction entre les
concepts d’îles, de bancs de sables ou de rochers. Ensuite, il convient de distinguer
concrètement au sol ce qui peut être retenu comme île.
1. Définition d'une île
4.10. Il s'impose tout d'abord de définir avec précision ce que l'on entend par île et de voir
s'il est possible de retenir dans le présent contexte la même définition que pour une île dans un
contexte maritime. En droit de la mer, l'île est classiquement définie de la manière suivante :
628
"Une île est une étendue naturelle de terre entourée d'eau qui reste découverte à marée haute" .
D’une manière plus générale, englobant toutes les surfaces aquatiques, le dictionnaire Cornu
définit l’île comme suit:
"Ile. 1. Etendue de terre émergée d'une manière durable des eaux d'un océan, d'une mer, d'un lac ou d'un
629
cours d'eau" .
Le Glossary of Geology de Robert L. Bates et Julia A. Jackson, adopte une définition
similaire :
"island : A tract of land smaller than a continent, surrounded by the water of an ocean, sea, lake, or
stream" 630.
Selon le Dictionnaire de droit international public, une île fluviale ou lacustre est une
« [s]urface terrestre située dans un cours d'eau international de surface ou dans un lac et entièrement
entourée d'eau » 631.
Ces définitions ont toutes un trait commun : l’île est une étendue de terre émergée d’une
manière durable. Pour constater l’existence d’une île, il convient donc de se placer aux hautes
628
Convention de Genève (1958) sur la mer territoriale et la zone contiguë, art. 10 § 1 et, en termes identiques, convention de
1982 sur le droit de la mer, art. 121 § 1.
629Vocabulaire juridique, 4meéd., Paris, P.U.F., 2003, p. 442.
6302 éd., 1980.
631Bruxelles, Bruylant/AUF, 2001, p. 554.
- 207Réplique de la République du Niger Chapitre IV
eaux. Toutefois, afin de pouvoir déterminer si l'on est en présence d'une ou de plusieurs îles à
un endroit donné, la situation en période d'étiage est aussi pertinente. En l'occurrence, les
relevés opérés par le Niger l'ont été à la fois en période de basses eaux et de hautes eaux. 27
îles avaient été dénombrées dans le premier cas, 25 dans le second. C'est ce dernier chiffre qui
fut retenu dans le mémoire du Niger, favorisant le critère de l’émergence permanente.
2. Distinction d'avec les bancs de sable
4.11. Pour décompter le nombre d'îles, il convient de ne pas retenir les bancs de sable. Ceci
se justifie du fait que les bancs de sable sont mouvants et temporaires; ils ne présentent donc
pas suffisamment de stabilité et de permanence pour être assimilés à une île. Déposés en
période d’étiage, ils disparaissent normalement ou changent de place en période de crue.
3. Distinction d'avec les petits rochers
4.12. Il en va de même pour les petits rochers. Le fleuve Niger est parsemé de rochers plus
ou moins importants. Suivant l'usage des cartographes, ils sont répertoriés, car ils constituent
un obstacle qui peut s’avérer dangereux pour la navigation, mais ils ne sont pas considérés
comme des îles. Le Niger, pour sa part, n'a retenu comme îles que les terres émergées qui
permettaient une activité humaine (mentionnée à chaque fois dans le relevé donné dans le
mémoire : agriculture, pâturage, etc.).
Sous-section C - La réfutation des positions du Bénin concernant le nombre et la pérennité
des îles
4.13. Les positions du Bénin ne sont convaincantes ni en ce qui concerne le nombre d’îles
identifiées dans le bief fluvial frontalier, ni sur leur pérennité.
1. Réfutation des arguments du Bénin en ce qui concerne le nombre d'îles
4.14. Le Bénin, en soulignant que le nombre d'îles retenu par diverses missions ou études
varie considérablement, tente de semer le trouble dans les esprits 63. En effet, selon le contre-
mémoire de la République du Bénin, "le nombre [d’îles] passe de 15 à 41, en passant par des
63C.M./R.B., § 2.49.
- 208Réplique de la République du Niger Chapitre IV
633
estimations à 35, ou encore à 38" . Pour autant, le Bénin ne retient, dans son contre-
mémoire ni les conclusions de l’étude de l’I.G.N.-France international (qui décompte 36 îles),
ni celles de M. Pascal Lokovi, qui aboutit au chiffre de 35 îles – ces deux études s’étant
fondées sur les émergences apparaissant sur les images SPOT–, ni encore celles de la mission
de 1998 (qui en avait dénombré 15). Il écarte également le chiffre de 25 îles, qui avait été
retenu par le Niger en application des critères qui viennent d’être exposés.
En définitive, le Bénin se fixe sur le chiffre de 11 îles à répartir , sans que l'on sache si ce
sont les images panchromatiques ou les cartes qui l’ont incité à faire un tel choix. En tout état
de cause, ce chiffre ne correspond à aucun des relevés des missions hydrologiques.
Paradoxalement, ce dénombrement a pour effet de diminuer le nombre d’îles que la méthode
du Niger attribuait au Bénin. Mais ceci n’est sans doute paradoxal qu’en apparence. Il s’agit
en fait là d’une stratégie qui vise à donner l’impression que le Niger conserve pour lui 9 des
11 îles, ce qui justifierait la position du Bénin qui, par son critère de frontière à la rive, tente
de s’approprier toutes les îles du fleuve sur le bief frontalier.
Les hésitations du Bénin quant à l’identification des îles font clairement apparaître qu’il n’est
lui-même pas convaincu par les études qu’il produit et qui sont fondées sur la seule
comparaison des données cartographiques et des images. Pareille méthode conduit, en effet, à
des impasses. Cette comparaison n’est sans doute pas sans mérites, dans la mesure où elle
permet de repérer des éminences et de les comparer aux constatations antérieures faites par les
cartographes, et ainsi d'élaborer des hypothèses quant à leur nature, ou aux raisons de leur
apparition ou de leur disparition ; mais seul un contrôle sur le terrain permet de confirmer ou
d’infirmer ces hypothèses.
4.15. Pourtant, le Bénin, qui a participé à la mission de reconnaissance de 1998, se faisait
alors une idée plus raisonnable de la méthode à suivre pour déterminer le nombre d'îles. Il
n'est pas sans intérêt, à ce stade, de rappeler quelle fut la méthode suivie par cette mission. On
citera ici le paragraphe 8 de son rapport du 20 avril 1998 :
"Recensement correct des îles
633
C.M./R.B., § 2.195.
63C.M./R.B., § 2.200, p. 110.
- 209Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Par rapport au nombre d'îles relevées à partir de la carte au 1/200.000 lors de la réunion de la Commission
mixte paritaire bénino-nigérienne en avril 1997, le Comité a recensé quinze (15) îles au lieu des treize
(13) précédemment retenues.
La différence vient de ce que des 13 (treize) îles recensées sur la carte deux (2) sont des bancs de sable et
que quatre (4) nouvelles îles ont été découvertes.
Il convient de souligner par ailleurs qu'il existe dans le lit du fleuve, en cette période d'étiage, des bancs
635
de sable de grande taille qui, à s'y méprendre, seraient pris pour des îles" .
Le souci de la mission de 1998 était de vérifier sur le terrain les îles que la commission mixte
avait repérées en prenant pour base la carte au 1/200.000. Si le résultat de la mission
unilatérale du Niger s’est avéré différent de celui de la mission de 1998 (25 îles en 2002 au
lieu de 15 en 1998), c’est parce que la mission de 2002 s'est appuyée, d’une part, sur une carte
beaucoup plus précise, la carte au 1/50.000, qui prenait en compte les îles plus petites et,
d’autre part, sur des photos aériennes prises en 1973. La mission de 2002 a, en outre, utilisé
des données hydrographiques antérieures en les associant à une étude systématique du terrain
pour identifier la nature des entités affleurantes susceptibles de répondre à la définition d'une
île.
Quant au nombre retenu par l'étude résultant des images SPOT 5 de 2002, qui est encore plus
élevé (36 îles), il découle du fait que SPOT ne distingue pas les îles proprement dites des
bancs de sable ou des groupes de rochers. Ainsi, SPOT ne peut déceler, par exemple, que
Boumba Barou Kaïna n’est qu’une seule île, ou appréhender la nature exacte du fond rocheux
de Djébou Kiria. En revanche, il faut reconnaître que SPOT a permis de montrer que la zone
marécageuse de Pekinga, que l’on croyait définitivement soudée à la rive droite, est toujours
une île.
4.16. Afin d’y voir plus clair, on trouvera ci-dessous un tableau qui permet de comparer
l'identification des îles, respectivement, par le Niger, par la mission conjointe de 1998 et par
le Bénin (la numérotation des îles est celle utilisée dans le mémoire du Niger).
63M.N., Annexes, Série A, n° 25.
- 210Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Tableau comparatif des îles
Mémoire du Niger M1998 C.M./R.B.
1. Boumba Barou béri (§ 2.3.36) x x
2. Boumba Barou Kaina (§ 2.3.37) x ..
- île disparue (§ 2.3.38) x
- rochers de Djéboukiria ..
- île de Pekinga (§ 2.3.39)
3. Kouassi Barou (§ 2.3.40) x x
- Rochers et bancs de sable de Doubal
4. Sansan Goungou (§ 2.3.43) x x ..
5. Lété Goungou (§ 2.3.44) x x
6. Tondi Kwaria Barou (§ 2.3.45) x x ..
7. Monboye Tounga Barou (§ 2.3.46)
8. Sini Goungou (§ 2.3.47) x x ..
9. Lama Barou (§ 2.3.48) x x
10. Kotcha Barou (§ 2.3.49) x x ..
11. Koki Barou (§ 2.3.50)
12. Gagno Goungou (§ 2.3.51) x x ..
13. Kata Goungou (§ 2.3.52)
14. Sandi Tounga Barou (§ 2.3.53) ..
15. Gandegabi Barou Kaina (§ 2.3.54) x
16. Gandegabi Barou Béri (§ 2.3.55) x x ..
17. Guirawa Barou (§ 2.3.56)
18. Dan Koré Guirawa (§ 2.3.57) ..
19. Barou Elhadji Dan Djoda (§ 2.3.58)
20. Koundou Barou (§ 2.3.59) ..
21. Elhadji Chaïbou Barou Béri (§ 2.3.60)
22. Elhadji Chaïbou Barou Kaïna (§ 2.3.61) 636 ..
23. Goussou Barou (§ 2.3.62) x
24. Beyo Barou (§ 2.3.63) x 637 ..
25. Dolé Barou (§ 2.3.64) x x
Comme on le verra dans la suite de cet exposé, la liste des îles proposée dans le mémoire du
Niger est, à quelques nuances près, fondamentalement confirmée.
63Sous le nom de Gattawani.
637
Sous le nom de Wera Kaïna Barou.
- 211Réplique de la République du Niger Chapitre IV
2. La réfutation de l'argumentation béninoise sur les doutes qui existeraient quant à la
pérennité des îles
4.17. Le Bénin a invoqué trois types de considérations pour mettre en cause l'identification
des îles présentées par le Niger. Certaines îles seraient apparues, notamment depuis 1960 ;
d'autres auraient disparu ; d'autres encore auraient fusionné. Il est possible d’expliquer assez
aisément ces prétendus changements.
a) Iles nouvelles soi-disant apparues entre 1960 et 2002
4.18. Cette argumentation est longuement développée dans l’étude précitée de M. Lokovi. Il
convient tout d’abord de rappeler que cette étude repose sur le postulat selon lequel une
comparaison entre une carte et une image prise par satellite peut être fructueuse en l’espèce.
Or, une carte est une représentation basée sur la sélection des détails en fonction de l’échelle
et du thème de la carte, alors que l’image traduit la représentation instantanée du terrain.
Ainsi, ce n’est pas parce qu’un détail n’est pas représenté sur une carte que l’on peut conclure
à son inexistence sur le terrain. Tout est fonction de la sélection des informations opérée par
l’auteur de la carte. Une comparaison entre carte et image n’est donc pas suffisante pour
conclure à la disparition ou à la création d’îles.
Cette mise au point étant faite, on peut maintenant passer à l'examen des prétendues
découvertes de M. Lokovi. Selon lui, un certain nombre d’îles auraient fait leur apparition
dans le bief fluvial concerné entre 1960 et 2002. Pour l’identification de ces îles, il utilise,
comme l’étude de l’I.G.N., la numérotation que le Niger a proposée dans son mémoire.
- île dite n° 2-1 (Boumba Barou Kaïna)
Selon M. Lokovi, il y aurait formation d’une nouvelle île à côté de Boumba Barou Kaïna . 638
En réalité, il n’y a pas formation d’une nouvelle île. Après vérification sur le terrain à la date
du 28 août 2004, l’île de Boumba Barou Kaïna apparaît comme une île unique sans aucun
banc de sable ni à l’amont ni à l’aval ; quelques pics rocheux sont cependant visibles à
l’amont des deux îles de Boumba. Selon des informations recueillies auprès de riverains
présents sur la grande île, la partie amont de l’île de Boumba Barou Kaïna est submergée
progressivement en période de hautes eaux et finit par disparaître complètement. Seule une
63Voy. l'illustration dans C.M./R.B. p. 588 et les deux petits traits sur SPOT 2002 planche n° 1.
- 212Réplique de la République du Niger Chapitre IV
partie à l'aval de cette île reste visible en toute saison. Les cartes D42 , 43 et Topo165 32
donnent une représentation fidèle de l’île telle qu’elle se présente. Elle n’est prolongée
d’aucun banc de sable en basses eaux et encore moins en hautes eaux.
- île dite n° 6-1 (Tondi Kwaria)
Selon M. Lokovi, il y aurait formation d’une nouvelle île dans le bras droit du fleuve à la
hauteur de Tondikwaria . En réalité, il ne s'agit pas d'une nouvelle île mais d'un dépôt de
sable dans le bras droit du fleuve à hauteur de cette île . 640
- île dite n° 7-1 (Momboye Tounga)
Selon M. Lokovi, il y aurait formation d’une nouvelle île à la suite de l’île Momboye
641
Tounga . La vérification opérée par le Niger sur le terrain à la fin août 2004 a permis de
constater qu'il s’agit en réalité d’une composante de cette île, qui s'en distingue seulement en
période de hautes eaux.
- îles dites n° 8-1 à 8-3
Légèrement en amont de Tara, il y aurait, selon M. Lokovi, formation de trois îles comprises
642
entre les îles 8 (Sini Goungou) et 9 (Lama Barou) . Selon la vérification effectuée par le
Niger sur le terrain à la fin du mois d'août 2004, il s’agit en fait d’une zone sablonneuse où
une herbe aquatique appelée ‘‘bourgou’’ pousse en grande quantité contre la rive droite et
s’enfonce dans le fleuve. Compte tenu de la présence d’un petit affluent de rive droite
légèrement en amont de ce site et aboutissant au fleuve, les eaux qui traversent cette zone se
frayent un chemin à travers ces herbes en les immergeant en partie; ce qui donne l’apparence
de l'existence d'une île à cet endroit, sans en avoir le socle permanent. C’est après plusieurs
missions sur le terrain que la décision fut prise par le Niger de ne pas retenir ces formations
comme îles. Si le Bénin souhaite comptabiliser ce site comme île —qui lui reviendrait
d’ailleurs, cette formation étant accolée à la rive droite du fleuve—, le Niger n’y verrait
aucune objection.
63Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 592 et sur la planche n° 10bis de SPOT 2002.
640On notera qu’en tout état de cause, ceci est sans pertinence car le chenal navigable le plus profond se trouve sur le bras
gauche.
641
Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 592 et la planche n° 10 et 10bis de SPOT 2002.
642
Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 589 et la planche n° 13 de SPOT 2002.
- 213Réplique de la République du Niger Chapitre IV
La troisième île indiquée par la partie béninoise en aval des deux premières est tout
simplement un fragment de l’ancienne digue construite le long de la rive gauche, qui a été
emporté par les eaux. Cette ancienne digue a été remplacée par une autre bien visible sur les
images.
- îles dites n° 14 B-2 et 14 B-3 (Sandi Tounga Barou)
Selon M. Lokovi, il y aurait formation de deux îles sur la scène SPOT, situées entre les îles 13
643
(Kata Goungou) et 15 (Gandegabi Barou Kaina) . En réalité, il s'agit de l'île de Sandi
Tounga Barou (île n° 14), qui se présente sur l’image en deux parties distinctes ; cela
apparaissait déjà sur la planche 14 de l’Atlas photographique des îles fourni par le Niger. La
première composante (amont) se présente en période de basses eaux comme un important
dépôt de sable sans aucune forme de végétation, que rien ne permet de distinguer du lit du
fleuve car la dénivellation est très faible. Par ailleurs, selon les riverains, la végétation qui s’y
trouve aujourd’hui (le bourgou) est toute récente et aurait été repiquée par un riverain sur le
dépôt de sable. En tout état de cause, cette formation constitue une composante de Sandi
Tounga Barou que le Niger avait comptabilisée, bien que les documents cartographiques ne la
mentionnent pas.
- île dite n° 15-1 (Gandegabi Barou Kaïna)
Selon M. Lokovi, il y aurait formation d’une île au nord de l’île n° 15 (Gandegabi Barou
644
Kaïna) . En réalité, il s’agit de trois composantes de la même île, même si SPOT n’en a
enregistré que deux. Ceci est simplement lié à la période d’enregistrement des images et ne
traduit en rien la création d’îles nouvelles.
- île dite n° 18-1 (Dan Kore Guirawa)
Selon M. Lokovi, il y aurait formation d’une île au nord-ouest de l’île 18 (Dan Kore Guirawa)
sur la scène SPOT .L’examen réalisé par le Niger sur le terrain a permis de constater qu'il
s’agit de la végétation aquatique qui pousse contre la rive droite et qui peut être considérée
comme une composante de l’île Dan Koré Guirawa.
64Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 595 et la planche n° 16 de SPOT 2002.
64Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 595 et la planche n° 17 de SPOT 2002.
64Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 596 et la planche n° 18 de SPOT 2002.
- 214Réplique de la République du Niger Chapitre IV
- île dite n° 25-1 (dans le bras droit du fleuve à hauteur de l’île de Dolé Barou)
Comme le Niger l’a déjà indiqué dans son mémoire, il s’agit de la seule situation qui peut être
considérée comme nouvelle par rapport à 1960. Il ne s'agit cependant pas d'une île, mais bien
d'un important banc de sable qui s'est formé dans le bras droit du fleuve à la hauteur de Dolé
Barou, il y a déjà un certain nombre d'années (mais certainement pas avant à 1973, puisqu'il
n'apparaît pas sur la planche 23 de l'atlas cartographique du Niger, réalisé sur la base des
photos aériennes prises cette année-là). Ce banc de sable est à présent colonisé par la
végétation. Ses coordonnées sont les suivantes : amont : 11° 42’ 29.8’’ N – 03° 35’ 11.2’’E ;
aval : 11° 42’ 14.6’’N – 03° 35’ 32.7’’E. Cette formation a une longueur approximative de
610 mètres. On a déjà traité plus haut de cette situation . Bien qu'il ne s’agisse pas, à
proprement parler d’une île, mais d’un banc de sable, le Niger en avait tenu compte dans son
mémoire pour la détermination du principal chenal navigable, car il obstruait le bras droit,
qu'empruntait initialement ce chenal.
- île dite n° 25-2.
Selon M. Lokovi, une nouvelle île serait encore apparue à l'endroit où le fleuve entre en
647
territoire nigérian . Il est toutefois douteux qu'il s'agisse d’une île nouvelle. En effet, cette île
apparaît déjà, coupée par la frontière anglo-française, sur la carte jointe au Procès-verbal des
opérations d’abornement de la Commission franco-anglaise de délimitation des territoires
648
situés entre le Niger et le lac Tchad dressée à Londres le 19 février 1910 . Cette carte paraît
toutefois avoir représenté la position de cette île de façon assez approximative, en la situant
proche de la rive droite. C'est très vraisemblablement ce qui a conduit Sadoux à s'y référer, en
1914, dans les termes suivants :
« Ile qui se trouve en face du village de Dollé et qui est occupée [sic] par la frontière anglaise. Cette île
649
qui n’a pas été visitée par le Cdt du Secteur de Guéné semble appartenir au Dahomey » .
En réalité, il apparaît que cette île a été mal positionnée sur la carte de 1910. Ainsi qu'il
ressort de la planche n° 20 des scènes SPOT, la seule île qui existe à l'heure actuelle à cette
hauteur est en effet située beaucoup plus près de la rive gauche que de la rive droite. Mais en
64Voy. not. supra, §§ 3.86, 3.87 et 3.95.
647
Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 598 et la planche n° 20 de SPOT 2002.
64Carte 9 de l’Atlas cartographique annexé au M/R.B.
- 215Réplique de la République du Niger Chapitre IV
tout état de cause, l'on voit bien qu'il ne s'agit pas là d'une île nouvelle, puisqu'elle apparaît
déjà, au même endroit, sur les photographies aériennes de 1973, sur la base desquelles a été
réalisé l'Atlas cartographique du Niger.
4.19. Il résulte de ce qui précède qu’aucune des soi-disantes îles n’est réellement nouvelle. Il
s’agit en fait de parties d’îles, ou de rochers ou de bancs de sable. La seule île vraiment
nouvelle – et que le Bénin se garde bien de mentionner parce que le Niger la lui attribue – est
l’île n° 14 dans la liste du Niger (Sandi Tounga Barou) 650.
4.20. Le Bénin soutient aussi, dans son contre-mémoire, que deux îles dont le Niger prétend
651
avoir constaté l'existence n'étaient pas répertoriées en 1896 (c'est-à-dire par Hourst) : il
s'agit de l'île répertoriée sous le n° 2 par le Niger (Boumba Barou Kaïna - la petite île sous
Boumba Barou Béri) et de l'île n° 3 (Kouassi Barou). S'il est vrai que la première n'était pas
recensée par Hourst, probablement parce qu'il la trouva négligeable, cette affirmation est
652
fausse pour la seconde . En tout état de cause, ces deux îles étaient connues en 1960 et furent
répertoriées en 1998. Il n'y a donc pas de changement non plus en ce qui les concerne.
b) Iles soi disant disparues entre 1960 et 2002
4.21. M. Lokovi prétend également que certaines îles auraient disparu depuis 1960. Il
convient donc d'examiner ces prétentions :
- île 15-b (Kata Goungou)
653 654
Selon M. Lokovi, cette île, relevée par le Niger, aurait disparu . Comme Tara , Kata
Goungou a fait l’objet de nombreuses investigations sur place de la part du Niger. En
définitive, il s’agit de deux composantes de la même île. En période de basses eaux il est aisé
de constater qu’il s’agit de la même île malgré la présence de bancs de sable. Les coordonnées
655
indiquées dans le mémoire du Niger se rapportent à l’amont de la première composante et à
649
Lettre du 3 juillet 1914, M.N., Annexes, série C, n° 29.
650
Voy. supra § 3.87.
651C.M./ R.B., § 2.179.
652Voy. supra, § 3.100.
653
Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 595 et sur la planche n° 15 de SPOT 2002.
654Voy. supra, § 4.18.
655M.N., § 2.3.52.
- 216Réplique de la République du Niger Chapitre IV
l’aval de la seconde composante, soit une longueur d’environ 1170 mètres (590 m pour la
première, 540 m pour la seconde et une cinquantaine de mètres pour l’espace immergé entre
les deux).
- île 19 : (Barou Elhadji Dan Djoda)
656
Selon M. Lokovi, cette île aurait disparu . En réalité, le bras droit est envahi par les herbes
aquatiques (bourgou) en moyenne eaux ; en hautes eaux, les herbes sont immergées ou
coupées par les riverains et le bras est bien visible. Une visite sur place permet de constater
que l’île existe toujours bien réellement.
Indépendamment de l’étude de M. Lokovi, le contre-mémoire du Bénin mentionne trois autres
îles qui auraient disparu depuis l'époque coloniale . De ces trois îles, la première n'apparaît
658
que sur les planches de la mission Beneyton (du Km 220,350 au Km 220,750). Elle n’a plus
659
fait l’objet de relevés ensuite et n’est pas indiquée sur les cartes de 1955–1960. C’était sans
doute un banc de sable ne dépassant guère 400 mètres de long qui a disparu
postérieurement . 660
661
La seconde, appelée parfois île de Pékinga dans certains documents anciens , semblait avoir
disparu au moment de l'indépendance 662– à la suite d’un rattachement à la rive dahoméenne –
car elle n'apparaît sur aucun document postérieur à la mission Beneyton (du Km 229,800 au
663
Km 233,450 ), en particulier sur les cartes de 1955 -1960. Toutefois, sur la planche 2 de
l’Atlas photographique fourni en annexe du mémoire du Niger (photos aériennes de 1973),
comme sur la planche 3 des images SPOT, il apparaît que l’île reste séparée de la rive par un
664
mince couloir d’eau. Il y a donc lieu, finalement, de la retenir dans la liste des îles .
656
Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 596 et sur la planche n° 18 de SPOT 2002.
657Mentionnés dans M.N., §§ 2.3.38, 2.3.39 et 2.3.42.
658M.N., Annexes, série D, n° 42/2
659M.N., § 2.3.38.
660
Voy. supra, § 3.96.
661
M.N., § 2.3.39.
662Bien qu’elle fût encore mentionnée en 1954 dans un document du Dahomey : voy. M.N., § 2.3.39.
663M.N., Annexes, série D, n° 42/4 et 42/5)
664
Voy. supra, § 3.97.
- 217Réplique de la République du Niger Chapitre IV
La troisième, également mentionnée par Beneyton 665(du Km 247,3 au Km 247,8), n'est qu'un
banc de sable collé à la rive gauche 666qui ne fut —à juste titre— pas répertorié par le sous-
comité en 1998.
Encore une fois, la démonstration du Bénin s'avère complètement inexacte. Ou bien les îles
prétendument disparues sont toujours là ; ou bien il ne s’agissait pas d’îles du tout, mais de
bancs de sable.
c) Iles ayant soi disant fusionné entre 1960 et 2002
4.22. C’est encore l’étude de M. Lokovi qui développe cet argument.
- îles 12 et 13 (Gagno Goungou)
667
Selon M. Lokovi, ces deux îles auraient fusionné depuis 1960 . La situation reproduite sur
les cartes de 1960 reflète la configuration de l’île en période de hautes eaux où l’eau
submerge les herbes aquatiques et se fraye un passage à travers cette partie de l'île. Telle est
encore la situation aujourd’hui en période de hautes eaux ; la planche n° 15 des images Spot 5
fait d'ailleurs apparaître ce filet d'eau. Néanmoins, il s’agit d’une seule et même île ; la grande
île de Gaya .
- îles 22 et 22-1 (Barou El Hadj Chaibou)
Selon M. Lokovi, ces deux îles auraient fusionné depuis 1960 . Il est peu probable que l'île
identifiée par M. Lokovi sous le numéro 22-1 ait jamais existé isolément de l'île n° 22. Il
s’agit de configurations différentes de la même île en fonction de la hauteur des crues.
- îles 23 (Goussou Barou) et 24 (Beyo Barou)
669
Selon M. Lokovi, ces deux îles auraient fusionné depuis 1960 . Ceci est inexact; les deux
îles sont bien distinctes, même sur la scène SPOT 5 planche n° 19.
665
M.N., Annexes, série D, n° 42/8
66Voy. supra, § 3.98.
66Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 594 et sur la planche n° 15 de SPOT 2002.
668
Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 597 et sur la planche n° 18 de SPOT 2002.
66Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 597.
- 218Réplique de la République du Niger Chapitre IV
- île 3-1 (Doubal)
M. Lokovi oppose un groupement de six petites îles, telles qu'elles apparaissent sur la carte au
670 671
1/50.000, à un groupement de trois îles sur la scène SPOT . Comme on l’a vu ci-dessus ,
cet agglomérat de rochers, d’îlots et de sable a fait l’objet de représentations diverses selon
l’état de crue des eaux au moment où les relevés furent effectués. En période de basses eaux,
il s’agit d’une suite ininterrompue de bancs de sables recouvrant la quasi-totalité du lit du
fleuve avec quelques pitons rocheux. Au moment de la rédaction de son mémoire, pas plus
que pour la formation de Djéboukiria, le Niger n’a cru pouvoir caractériser Doubal comme un
ensemble d’îles et il reste aujourd’hui convaincu que cette qualification serait en l’espèce
abusive. A vrai dire, puisque le principal chenal navigable passe indiscutablement dans le bras
droit du fleuve à la hauteur des rochers et bancs de sable de Doubal, la question lui paraît, en
fin de compte, assez académique.
672
4.23. En conclusion, à l’exception de l’île n° 14, Sandi Tounga Barou , aucune île nouvelle
n'est apparue dans le bief fluvial frontalier depuis 1960. Les phénomènes marginaux mis en
épingle par le Bénin concernent des rochers ou des îlots à ce point minimes qu’ils ne méritent
même pas d’être relevés, ou encore d'éphémères bancs de sable. Il n’y a pas non plus de
disparition d’îles. Les de cas de semblables disparitions que le Bénin a cru pouvoir relever
concernent en réalité des dépôts de sable anciens ou récents qui ont pu apparaître de temps à
autre dans le fleuve et ont disparu. Les bancs de sable ne sont en règle générale que des
phénomènes conjoncturels réversibles liés à la dynamique du fleuve. Quant aux prétendues
fusions d’îles, il s’agit en réalité de configurations différentes de la même île à des moments
distincts des crues.
A la lumière de toutes ces observations, on peut affirmer qu’aucune situation nouvelle
permettant de conclure à l’instabilité du cours du fleuve n’a été observée à la suite de la
comparaison des données anciennes et des données récentes entre 1960 et ce jour. Au
contraire, on peut affirmer sans risque de se tromper que la topographie générale du fleuve est
restée la même en raison de la pérennité de son socle rocheux.
67Voy. l'illustration dans C.M./R.B., p. 588 et sur la planche n° 5 de SPOT 2002.
67Voy. supra, § 3.101.
67Voy. supra § 4.19.
- 219Réplique de la République du Niger Chapitre IV
À part l’île de Pekinga, île importante et connue de longue date dans la mémoire collective
des habitants, que l’on croyait définitivement fusionnée à la rive droite et qui doit être
réintégrée dans la liste des îles à attribuer produite dans le mémoire du Niger, cette liste ne
subit aucun changement. On notera que le phénomène de l’île de Pekinga n’est nullement une
situation nouvelle postérieure à l’indépendance, mais un phénomène ancien qui avait été mal
observé au moment où le Niger a arrêté la liste des îles du fleuve et qui reste identique depuis
cent ans.
Sous-section D - L’identification des îles
4.24. Dans son mémoire, le Niger avait conclu à l’existence de 25 îles devant être attribuées
par la Cour aux deux États. Avant de revenir sur cette liste et de confirmer sa validité (3), le
Niger exposera la méthode suivie dans son processus d’identification des îles (2). Mais, en
tout premier lieu, il convient de répondre aux critiques qui ont été émises par le Bénin à
propos des libertés que prendrait prétendument le Niger avec le principe de l’uti possidetis
juris en ce qui concerne l'attribution des îles (1).
1. Les critiques qui ont été émises par le Bénin à propos des libertés que prendrait
prétendument le Niger avec le principe de l’uti possidetis juris en ce qui concerne
l'attribution des îles
4.25. La critique de la République du Bénin repose sur le fait qu’au lieu de prendre pour
date critique la date des indépendances, le Niger, dans son mémoire , a proposé la date
d’aujourd’hui à l’effet de l’identification et de l’attribution des îles. De ce fait, il ne serait pas
tenu compte d’îles existant en 1960, disparues aujourd’hui, et, à l’inverse, on comptabiliserait
des îles qui n’existaient pas en 1960, et qui seraient présentes aujourd’hui. Le Niger maintient
son point de vue sur ces deux points.
Il faut, à cet égard, bien faire la distinction entre l'identification du cheminement du principal
chenal navigable et l'attribution des îles. Pour mémoire, dans le chapitre précédent de la
présente réplique, concernant le principal chenal navigable qui représentait la limite entre les
deux colonies, le Niger a exposé qu’il entendait s’en tenir strictement au principe de l’uti
67M.N., § 2.3.27.
- 220Réplique de la République du Niger Chapitre IV
674
possidetis juris de 1960 .En conséquence, le seul problème qui pouvait se poser – celui de
l’île de Dolé Barou – ne relevait pas de la question de l’existence de l’île, mais de son
emplacement par rapport au chenal principal, le bras droit étant devenu moins navigable à
675
cause de la formation d’un banc de sable. Cette question a été examinée ci-dessus et résolue
en se conformant au principe de l’uti possidetis de 1960 . 676
677
Il n’en va pas de même pour l’attribution des îles. Dans son mémoire déjà , le Niger a
montré que le principe de l'uti possidetis devait nécessairement trouver une limite dans le fait
que les parties ont donné pour mission à la Cour d'attribuer des îles. Il convient donc
nécessairement d'établir le relevé actuel de celles-ci. À supposer que des îles aient disparu
depuis 1960, la Cour ne pourrait les attribuer. À l'inverse, si de nouvelles îles étaient apparues
depuis 1960, il faudrait bien les attribuer. Ce n'est nullement là un "argument d'opportunité",
678
comme le soutient le Bénin , mais l'application d'un principe juridique que la Cour a bien
mis en lumière dans son arrêt relatif au Cameroun septentrional :
"L'arrêt de la Cour doit avoir des conséquences pratiques en ce sens qu'il doit pouvoir affecter les droits et
obligations juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans leurs relations
juridiques" 679.
C'est bien pourquoi le sous-comité technique de la commission paritaire mixte de délimitation
des frontières avait été prié par les deux parties de faire une reconnaissance du secteur du
fleuve en 1998 . De là aussi, les termes de la mission complémentaire confiée au sous-
comité technique qui devait, selon le communiqué conjoint du 3 mai 2000, pour le secteur du
fleuve Niger :
"-reprendre le recensement des îles
- définir leurs longueurs et leurs superficies
674
Voy. supra, §§ 3.86, 3.87, 3.95 et 3.112.
675
Ibid.
676Ibid.
677M.N., § 2.3.27
678CM./R.B., § 2.165.
679
C.I.J., arrêt du 2 décembre 1963, Recueil 1963, pp. 33-34.
680
Voy. le rapport de mission de reconnaissance du comité technique mixte paritaire daté du 20 avril 1998, M.N., Annexes,
série A, n° 25.
- 221Réplique de la République du Niger Chapitre IV
681
- suivre les deux bras du fleuve pour déterminer leurs largeurs et leur état de navigabili.é"
Le mémoire du Niger a ainsi conclu à l’existence de 25 îles et, comme on va le voir, à
l’exception d’une seule (Sandi Tounga Barou), toutes étaient déjà identifiées durant la période
coloniale. Cette île qui existe aujourd’hui doit bien être attribuée et, dans les vues du Niger,
doit être attribuée au Bénin car le chenal principal passe, à la hauteur de l’île, dans le bras
gauche du fleuve.
2. Méthode suivie par le Niger dans son processus d’identification des îles
682
4.26. Comme on l’a déjà exposé ci-dessus à propos du chenal navigable , la méthode
suivie par le Niger pour l’identification des îles a consisté à rechercher si l’hypothèse d’une
pérennité du socle rocheux se concrétisait en ce qui concerne les îles. C’est pourquoi, dans
son mémoire, le Niger a rassemblé toutes les données existantes : cartographiques,
hydrographiques, photographiques et administratives sur la période 1896 à 2002.
L’identification des îles par le Niger a été réalisée, en plus des documents déjà cités pour
l’identification du chenal navigable 68, sur la base des documents suivants :
1. les cartes de l’Afrique de l’ouest au 1/50000 (type Outre-mer), Institut géographique
national , à savoir :
- Kirtachi 2d, édition 64, mise à jour 65, couverture aérienne de 1955-56 ;
- Sabongari 1c, édition 1965, couverture aérienne 1960-61 ;
- Sabongari 1a, édition 1965, couverture aérienne 1960-61 ;
- Sabongari 1b, édition 1965, couverture aérienne 1960-61 ;
- Gaya 3c, édition 1965, couverture aérienne 1950, 1960-61 ;
- Gaya 3d, édition 1965, couverture aérienne 1960-61 ;
681M.N., Annexes, Série A, n° 29, annexe II.
682
Voy. supra, chapitre III, section 3.
683Voy. supra, § 3.90.
684
M.N., Annexes, série D, n° 47/1 à 10.
- 222Réplique de la République du Niger Chapitre IV
- Gaya 4c, édition 1965, couverture aérienne 1950, 1960-61 ;
2. les photographies aériennes de l’année 1973 issues de la mission 73NIG 22/125, à l’échelle
e 685
1/12 500 ;
3. les images du satellite SPOT 5 annexées au contre-mémoire de la République du Bénin, à
l’échelle 1/25 000 . 686
4.27. Ainsi que la République du Niger l’a déjà exposé plus haut, ces informations doivent
toujours être recoupées par une mission sur le terrain, afin de déterminer la nature exacte des
formes identifiées dans le cours du fleuve. Il n’y a pas lieu de retenir comme îles des bancs de
sable, instables par nature, ni des petits rochers. Sont également sans pertinence les îles qui se
sont accolées à une berge.
Sont encore dépourvus de pertinence les modifications des îles en largeur et leur apparent
déplacement. Les îles, contrairement aux bancs de sable, ne se déplacent pas, car leur socle est
rocheux ; c’est ce qui explique leur pérennité. Leur rétrécissement apparent n’est que l’effet
d’une prise de vue aérienne en période de crue. D’une manière générale, si une île a changé de
forme, si elle semble s’être divisée ou avoir fusionné avec une autre, ceci est sans
conséquence pourvu que l’île se situe toujours du même côté de la ligne des sondages les plus
profonds. Compter pour deux une île qui se divise en période de crue et qui n’en fait qu’une à
l’étiage relève du nominalisme.
3. Tableau d’attribution des îles
4.28. N° 1. Boumba Barou Béri (M.N., § 2.3.36) et
N° 2. Boumba Barou Kaina (M.N., § 2.3.37)
Hourst (1896) : seule la grande île est représentée ;
Beneyton (1929-1932) : deux îles allongées, une grande et une petite; rochers à la pointe
amont de la petite île
I.G.N. 50.000 (1960) : deux îles allongées : une grande et une petite
Serv. Topo (1965) : 2 îles avec rochers à la pointe amont
685
Voy. Atlas cartographique des îles dans la section frontalière du fleuve entre la République du Niger et la République du
Bénin.
68Des planches au 1/50.000 étaient mentionnées dans l'étude IGN-France international de 2003 (C.M./R.B., Annexes n° 28,
p. 9/14 du rapport) mais n’ont pas été jointes à ladite étude.
- 223Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Phot. aér. Niger 1973 : deux îles allongées, une grande et une petite. (planche 1)
Nedeco (1969) : deux îles allongées, une grande et une petite; petits rochers
NIG 1973 : deux îles allongées, une grande et une petite.
I.G.N. 1979 : deux îles allongées, une grande et une petite
SPOT 2002 : une grande île allongée et une petite en trois morceaux (planche 1)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
- île disparue (M.N., § 2.3.38)
Hourst (1896) : néant
Beneyton (1929-1932) : une île au Km 220.6 (probablement un banc de sable)
Serv. Topo (1965) : néant
Nedeco (1969) : néant
I.G.N. 1979 : néant
SPOT 2002 : néant (planche 2)
Présomption d’absence d’île en 1960 – pas de changement
- rochers de Djéboukiria
Hourst (1896) : néant
Beneyton (1929-1932) : rochers
Serv. Topo (1965) : rochers
Nedeco (1969) : affleurements rocheux
I.G.N. 1979 : néant
SPOT 2002 : néant (planche 2)
Existence de rochers dans le lit du fleuve, sur toute sa largeur – principal chenal navigable
situé au sud ou au travers des affleurements rocheux
N° 2bis- île de Pekinga (M.N., § 2.3.39)
Hourst (1896) : grande île bien visible
Beneyton (1929-1932) : grande île (amorcée)
I.G.N. 50.000 (1960) : zone marécageuse
Serv. Topo (1965) : pas visible
Nedeco (1969) : la grande île semble incorporée à la rive droite
- 224Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Nig 73 : l’île devant Pekinga reste légèrement séparée de la rive droite (planche 2)
SPOT 2002 : idem (planche 3)
Existence d’une île très proche de la rive droite - principal chenal navigable situé dans le bras
gauche. Présomption que l’île n’a jamais été vraiment incorporée à la rive droite
Souveraineté : Bénin
N° 3. Kouassi Barou (M.N., § 2.3.40)
Hourst (1896) : petite île couverte
Beneyton (1929-1932) : île allongée
I.G.N. 50.000 (1960) : île allongée
Serv. Topo (1965) : île allongée avec petit banc de sable
Nedeco (1969) : île allongée
Nig 73 : île allongée (planche 3)
I.G.N. 1979 : île allongée
SPOT 2002 : île allongée (planche 4)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
- Rochers et bancs de sable de Doubal
Hourst (1896) : des petits rochers en épi dans un coude du fleuve
Beneyton (1929-1932) : banc de sable – rochers et 2 îlots
I.G.N. 50.000 (1960) : groupe de 6 îlots
Serv. Topo (1965) : groupe de 6 affleurements
Nedeco (1969) : groupe de 6 îlots
SPOT 2002 : 3 îles vers la rive gauche dont une plus grande (planche 5)
Conclusion : agglomérat de rochers, îlots et bancs de sable - pas de changement - principal
chenal navigable bras droit
N°4. Sansan Goungou (M.N., §2.3.53)
Hourst (1896) : île allongée avec une petite en dessous
Beneyton (1929-1932) : île allongée avec des petits rochers en dessous à l’amont
I.G.N. 50.000 (1960) : île allongée avec une petite île dans le bras gauche
Serv. Topo (1965) : île allongée
- 225Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Nedeco (1969) : île allongée avec une petite île dans le bras gauche et rochers en dessous à la
pointe amont
Nig 73 : île allongée avec une petite île dans le bras gauche et rochers en dessous à la pointe
amont (planche 4)
I.G.N. 1979 : île allongée avec une petite île dans le bras gauche et rochers en dessous à la
pointe amont
SPOT 2002 : Grande île avec une petite île dans le bras gauche (planche 7)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 5. Lété Goungou (M.N., § 2.3.44)
Hourst (1896) : village sur l’île vers la pointe amont
Beneyton (1929-1932) : seul le bras droit est représenté avec quelques rochers
Mission 1949 : pointe amont de l’île avec les deux bras
I.G.N. 50.000 (1960) : grande île avec une petite tache dans le bras gauche
Serv. Topo (1965) : grande île avec une petite tache dans le bras gauche
Nedeco (1969) : grande île avec une petite tache dans le bras gauche
Nig 73 : grande île avec une petite tache dans le bras gauche (planche 5)
I.G.N. 1979 : grande île avec une petite tache dans le bras gauche
SPOT 2002 : grande île avec une petite tache dans le bras gauche (planches 7, 7bis, 8, 8bis, 9)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 6. Tondi Kwaria Barou (M.N., § 2.3.45)
Hourst (1896) : grande île avec une petite île en formation dans le bras gauche (Monboye
Touga)
Beneyton (1929-1932) : grande île avec une petite île en phase finale de formation dans le
bras gauche
I.G.N. 50.000 (1960) : grande île avec l’île de Momboye dans le bras gauche
Serv. Topo (1965) : grande île avec l’île de Momboye dans le bras gauche
Nedeco (1969) : grande île avec l’île de Momboye dans le bras gauche
Nig 73 : grande île avec l’île de Momboye dans le bras gauche (planche 6)
I.G.N. 1979 : grande île avec l’île de Momboye dans le bras gauche
- 226Réplique de la République du Niger Chapitre IV
SPOT 2002 : Grande île avec l’île de Momboye dans le bras gauche et un dépôt important
dans le bras droit (planche 9, 10 et 10bis)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras gauche
Souveraineté : Bénin
N° 7. Monboye Tounga Barou (M.N., § 2.3.46)
voir île n° 6 (île de Momboye) dans le bras gauche à hauteur de Tondikouaria Barou.
Nig 73 : planche n° 7
SPOT 2002 : planche n° 10
Conclusion : pas de changement depuis l’indépendance - principal chenal navigable situé dans
le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 8. Sini Goungou (M.N., § 2.3.47)
Hourst (1896) : île située en face de l'embouchure de l'Alibori
Beneyton (1929-1932) : île en face de l’embouchure de l’Alibori
I.G.N. 50.000 (1960) : île en face de l’embouchure de l’Alibori
Serv. Topo (1965) : île en face de l’embouchure de l’Alibori
Nedeco (1969) : île en face de l’embouchure de l’Alibori
Nig 73 : île en face de l’embouchure de l’Alibori (planche 8)
I.G.N. 1979 : île en face de l’embouchure de l’Alibori
SPOT 2002 : île en face de l’embouchure de l’Alibori (planche 12)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 9. Lama Barou (M.N., § 2.3.48)
Hourst (1896) : Amorce de l’île
Beneyton (1929-1932) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île et dépôt de sable en amont (planche 9)
I.G.N. 1979 : île et dépôt de sable en amont
SPOT 2002 : île (planche 15)
- 227Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 10. Kotcha Barou (M.N., § 2.3.49)
Hourst (1896) : île en face de l’embouchure de la Sota
Beneyton (1929-1932) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 10)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planche 14)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 11. Koki Barou (M.N., § 2.3.50)
Hourst (1896) : île amorcée
Beneyton (1929-1932) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 11)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planche 15)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras gauche
Souveraineté : Bénin
N°12. Gagno Goungou (M.N., § 2.3.51)
Hourst (1896) : île
Beneyton (1929-1932) : île (non incluse de manière complète dans son relevé)
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 12)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planche 15)
- 228Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 13. Kata Goungou (M.N., § 2.3.52)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île avec dépôt de sable (planche 13)
I.G.N. 1979 : île avec dépôt de sable
SPOT 2002 : île avec dépôt de sable (planche 15)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 14. Sandi Tounga Barou (M.N., § 2.3.53)
Hourst (1896) : 3 petites îles côté rive droite
I.G.N. 50.000 (1960) : pas dessinée
Nedeco (1969) : pas dessinée
Nig 73 : île et banc de sable à l’aval (planche 14)
I.G.N. 1979 : île et banc de sable à l’aval
SPOT 2002 : île et banc de sable (planche 15)
Conclusion : apparition à partir de 1973 - principal chenal navigable situé dans le bras gauche
Souveraineté : Bénin
N° 15. Gandegabi Barou Kaina (M.N., § 2.3.54)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 15)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planche 17)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras gauche
Souveraineté : Bénin
- 229Réplique de la République du Niger Chapitre IV
N° 16. Gandegabi Barou Béri (M.N., § 2.3.55)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 16)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planche 17)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 17. Guirawa Barou (M.N., § 2.3.56)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 17)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planche 17)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 18. Dan Koré Guirawa (M.N., § 2.3.57)
Hourst (1896) : île en formation
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 18)
I.G.N. 1979 : île entourée de sable, peu visible
SPOT 2002 : île (planche 18)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras gauche
Souveraineté : Bénin
N° 19. Barou Elhadji Dan Djoda (M.N., § 2.3.58)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
- 230Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 19)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planche 18)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras gauche
Souveraineté : Bénin
N° 20. Koundou Barou (M.N., § 2.3.59)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île et banc de sable à l’amont, disparu aujourd’hui (planche 20)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planche 18)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras gauche
Souveraineté : Bénin
N° 21. Elhadji Chaïbou Barou Béri (M.N., § 2.3.60)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 21)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planches 18-19)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 22. Elhadji Chaïbou Barou Kaïna (M.N., § 2.3.61)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 21)
I.G.N. 1979 : île
- 231Réplique de la République du Niger Chapitre IV
SPOT 2002 : île (planches 18-19)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras gauche
Souveraineté : Bénin
N° 23. Goussou Barou (§ 2.3.62)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 22)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île peu visible (planche 19)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 24. Beyo Barou (M.N., § 2.3.63)
Hourst (1896) : île
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 23)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île (planche 19)
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
N° 25. Dolé Barou (M.N., § 2.3.64)
Hourst (1896) : île peu visible
I.G.N. 50.000 (1960) : île
Nedeco (1969) : île
Nig 73 : île (planche 24)
I.G.N. 1979 : île
SPOT 2002 : île et dépôt de sable dans le bras droit (planches 19 et 20).
Conclusion : pas de changement - principal chenal navigable situé dans le bras droit
Souveraineté : Niger
- 232Réplique de la République du Niger Chapitre IV
On le voit, c'est un constat très net de pérennité des îles dans le temps qui ressort de cette
comparaison. L'examen sérieux de l'ensemble des sources historiques disponibles opéré par le
Niger confirme bien une remarquable constance à cet égard. Les allégations du Bénin en sens
inverse sont donc manifestement dépourvues de tout fondement.
4.29. En conclusion :
- Les îles situées entre la ligne des sondages les plus profonds déterminée à la date de
l’indépendance et la rive droite du fleuve, à savoir Pekinga, Tondi Kwaria Barou,
Koki Barou, Sandi Tounga Barou, Gandégabi Barou Kaïna, Dan Koré Guirawa, Barou
Elhadji Dan Djoda, Koundou Barou et Elhadji Chaïbou Barou Kaïna appartiennent à
la République du Bénin.
- Les îles situées entre la ligne des sondages les plus profonds déterminée à la date de
l’indépendance et la rive gauche du fleuve, à savoir Boumba Barou Béri, Boumba
Barou Kaïna, Kouassi Barou, Sansan Goungou, Lété Goungou, Monboye Tounga
Barou, Sini Goungou, Lama Barou, Kotcha Barou, Gagno Goungou, Kata Goungou,
Gandégabi Barou Beri, Guirawa Barou, Elhadji Chaïbou Barou Béri, Goussou Barou,
Beyo Barou et Dolé Barou appartiennent à la République du Niger.
4.30. L’attribution des îles à la République du Bénin et la République du Niger selon la
ligne des sondages les plus profonds déterminée à la date de l’indépendance doit être
considérée comme définitive. Il appartiendra aux parties de veiller à ce que ce chenal reste le
principal chenal navigable en effectuant les dragages nécessaires.
4.31. Parmi ces îles, celle de Lété a fait l'objet d'une contestation particulière. On vient de voir
ci-dessus 687que le principal chenal navigable s'est toujours trouvé dans le bras droit du fleuve
à la hauteur de cette île, ce qui a pour effet d'attribuer au Niger la souveraineté sur celle-ci.
Cette conclusion est au surplus confirmée par le fait qu'administrativement, l'île de Lété a
toujours relevé de la colonie du Niger pendant la période coloniale.
68Voy. supra, § 4.28, n° 5.
- 233Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Section 2 -
Les effectivités confirment au surplus l'appartenance de l'île de Lété au Niger
4.32. Ainsi que la République du Niger vient de le rappeler, le fait que le bras le plus
profond du fleuve Niger se situe entre l’île de Lété et le territoire du Bénin a pour
conséquence que cette île appartient au Niger. En soi, ce titre suffit pour assurer la pleine
souveraineté du Niger. Toutefois, étant donné son importance spatiale, l’île a toujours été
occupée par des peulhs sédentaires nigériens, et l’administration de l’île, ainsi qu’il appert des
archives coloniales la concernant depuis qu’elles existent, a toujours relevé de la
circonscription de Gaya. Il en découle que les effectivités confirment l’appartenance de l’île
au Niger.
La partie adverse prétend cependant à ce sujet que le Niger "ne parvient à présenter aucun
688
titre sur cette île, pas plus qu'un dossier convaincant d'effectivités coloniales" . La
République du Niger laisse le soin à la Cour d’apprécier laquelle des deux parties a, sur ce
point, le dossier le plus convaincant.
S’agissant des effectivités sur l’île de Lété, le dossier du Bénin reste d’une affligeante vacuité
(sous-section A). Quant aux incidents de 1960 et de 1998, que le Bénin essaye d’invoquer à
son profit, ils ne sont pas de nature à renforcer la prétention d’une effectivité béninoise sur
l’île (sous-section B).
Sous-section A - La vacuité du dossier béninois en matière d’effectivités concernant
l’île de Lété
4.33. Les dernières écritures du Bénin n’apportent rien de nouveau concernant l’effectivité
de l’administration du Dahomey sur l’île de Lété. Le contre-mémoire du Bénin se borne à
renouveler des affirmations qui ne sont pas accompagnées de la moindre preuve.
Ainsi, rien ne prouve l’affirmation selon laquelle « avant la colonisation l’île relevait
689
indiscutablement des habitants de la rive droite » . Comme cela a été souligné dans le
contre-mémoire du Niger, cette assertion est contredite par la longue utilisation de l’île par les
688
C.M./R.B., § 0.10.
68C.M./R.B., §§ 3.6 et 3.8.
- 234Réplique de la République du Niger Chapitre IV
peulhs, attestée aussi bien par la carte du lieutenant de marine Hourst datant de 1896 que par
l’ouvrage écrit par ce dernier 69.
Le fait que les gens de Gorouberi aient pu venir cultiver sur cette île, que ce soit avant le
691
début de la colonisation ou après, est d’ailleurs en soi sans pertinence , car ce qui compte,
c’est le point de savoir comment le colonisateur a réparti les espaces entre les colonies en
présence.
La citation faite par le Bénin de l’annexe à la lettre du 9 septembre 1954 adressée par le
commandant de cercle de Kandi à celui de Dosso qui fait état de ces activités de culture n’est
pas un modèle de scrupule scientifique. Voici comment cette lettre est citée dans le contre-
mémoire du Bénin :
« la lettre [du commandant de cercle de Kandi] admet du reste que « la coutume veut [que l’île Lété] soit
occupée par les gens du Dahomey » 69.
La teneur réelle du texte de l’annexe était la suivante :
« En face de Karimama, l’île de Lété qui, le bras principal étant côté Dahomey, appartient au Niger, mais
la coutume veut qu’elle soit occupée par les gens du Dahomey » 69.
On voit mal comment ce texte pourrait être interprété comme une admission de la part des
autorités du cercle de Kandi relative à la prétendue « occupation » de l'île de Lété. Ce qui est
bel et bien une admission de la part de cet administrateur, le 9 septembre 1954 – et cette date
n’est pas sans signification -, c’est que le bras principal du fleuve Niger étant du côté du
Dahomey, l’île « appartient au Niger ». Et le fait que les gens du Dahomey y possédaient des
droits coutumiers ne les transformaient pas en « occupants » et ne pouvait remettre en cause
l’appartenance de l’île au Niger, qui était attestée par une gestion administrative effective et
constante.
4.34. Le Bénin fait encore grand cas d’une prétendue admission qui aurait été faite par le
secrétaire d’Etat à la présidence au Niger, M. Maizoumbou Samna dans son rapport du 12
juillet 1961 relatif à la rencontre de Gaya du 29 juin 1961 concernant l’île de Lété. Il ressort
690
C.M.N. § 4.7.
691C.M.N. § 4.7.
692
C.M./R.B., § 3.8.
693
M.N., Annexes, série C, n° 59.
- 235Réplique de la République du Niger Chapitre IV
de la lecture de ce texte que les mots « à cette époque l’île de Lété relevait des villages de la
rive droite », que le Bénin met en exergue dans son argumentation, ne sont rien de plus que la
relation fidèle de l’opinion qui avait été exprimée, au cours de la réunion, par les notables
694
interrogés, sans que l’on sache s’il s’agissait de ceux de Gaya ou de ceux du Dahomey . Ce
n’était en rien l’opinion personnelle du secrétaire d’État nigérien.
695
En tout état de cause, le Bénin est obligé de reconnaître que cette prétendue occupation ne
constitue pas un titre. En effet, répétons-le, peu importe si des cultivateurs de la rive droite
traversaient le fleuve pour entretenir des cultures sur l’île, —au demeurant habitée en
permanence par des populations peuhles— ce qui compte c’est le sort administratif que le
colonisateur a réservé à cette île.
En revanche, on remarquera incidemment que le même document révèle que M. Mensah,
secrétaire chargé des Affaires africaines, s’exprimant pour le Dahomey, soutint « que la
frontière suit le marigot bordant l’île de Lété sur sa berge Est, et qu’ainsi elle suit le lit du
696
fleuve… » . Une telle position n’apporte guère de soutien à la prétention selon laquelle la
limite serait fixée, depuis 1900, à la rive gauche du fleuve, pas plus qu'à « la ligne des plus
hautes eaux, côté rive gauche », pour reprendre les termes de la lettre de 1954.
4.35. Visiblement gêné par le modus vivendi de 1914, constaté par la lettre précitée de
l’administrateur Sadoux, et dont on a vu qu’il est resté présent dans la pratique des
administrateurs jusqu’à l’indépendance, le Bénin est obligé, dans son contre-mémoire, d'en
reconnaître l’effectivité :
« Il n’en reste pas moins qu’en dépit des résistances des administrateurs coloniaux des circonscriptions
territoriales concernées, ce modus vivendi a guidé la conduite de ceux-ci ou, en tout cas, a été invoqué a
plusieurs reprises par ceux de la rive gauche, à l’appui des prétentions de la Colonie du Niger sur l’île de
Lété » .7
694
M.N., Annexes, série A, n° 4.
69C.M./R.B., § 3.10.
696
M.N., Annexes, série A, n° 4.
697
C.M./R.B., § 3.14.
- 236Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Il en est pris acte. Certes, le Bénin essaye d’altérer la signification et la portée de cet
698 699
arrangement . Il a été fait justice plus haut à ces prétentions . On n’y reviendra pas ici.
700
4.36. Face à un échange de télégrammes de juin 1916 montrant que la circonscription de
Gaya a bien en main une épidémie de peste bovine sur l’île de Lété, le Bénin essaye d’en
réduire la portée en insinuant que l’information initiale relative à cette maladie proviendrait
du Dahomey. Ceci est une présentation faussée des textes concernés. A une question émanant
du Dahomey, l'administrateur de Gaya répond qu’il est bien au courant de ce fait depuis 6
mois et qu'il a pris les mesures nécessaires. Le Bénin essaye alors de tirer argument du fait
que la circonscription de Gaya signale que des dispositions sont prises pour que les animaux
suspects ne traversent pas d’une rive à l’autre pour prétendre que le bras du fleuve entre l’île
de Lété et la rive droite était à sec, permettant ainsi le passage des troupeaux . Il s’agit là
d’une proposition stupéfiante qui témoigne d'une méconnaissance peu commune des usages
des troupeaux ; les rédacteurs du contre-mémoire béninois ignorent à l'évidence que les
bovins en transhumance traversent le fleuve en nageant (voy. ci-contre).
4.37. Le Bénin soutient ensuite que la partie nigérienne n’a pas apporté la preuve que « Lété
a toujours été administrée par la colonie, puis l’Etat du Niger» : « pas une lettre, pas trace
d’une enquête judiciaire, d’un acte d’état civil, d’une taxe » . Une lecture attentive du
contre-mémoire du Niger devrait détromper la partie adverse sur ce point. Et ce n’est pas
703
l’invocation du Répertoire général des localités de l’Afrique occidentale, publié en 1927 —
et que le Bénin n’a visiblement pas encore pris le temps de lire convenablement — qui devrait
conduire à une conclusion différente. La localité « Lété » mentionnée dans ce répertoire
n’était pas l’île située dans le fleuve Niger, mais un village sis dans le canton de Sekondji se
trouvant à quelque 130 kilomètres de l’île de Lété 704. Cette négligence dans l’examen des
textes, cette méconnaissance de son propre territoire, sinon cette représentation fallacieuse des
faits, ont de quoi surprendre.
698C.M./R.B., §§ 3.12 et s. Notamment en prétendant que ce modus vivendi a fait l’objet de résistance ou en soutenant à tort
que le texte n’a été évoqué qu’à propos de l’île de Lété par les seules autorités nigériennes, alors qu’il a été invoqué par les
deux parties pour différentes îles.
69Voy. supra, §§ 3.4 et s.
70M.N., Annexes, série C, n° 30 et 31.
701
C.M./R.B., § 3.15.
70C.M./R.B., § 3.25.
70C.M./R.B., § 3.24.
- 237Réplique de la République du Niger Chapitre IV
4.38. Pour le reste, la prétention selon laquelle le Dahomey exerçait l’administration sur l’île
705
de Lété repose exclusivement sur des « sommations interpellatives » dont la légèreté a été
706
démontrée dans le contre-mémoire du Niger et sur les témoignages de deux anciens
administrateurs du Dahomey, MM. Rose et Daguzay. On fera à ce propos deux remarques
préliminaires. On remarquera tout d’abord que les éléments présentés au § 3.27 (Rose) et au §
3.28 (Daguzay) du contre-mémoire du Bénin sont des témoignages de seconde main, et non
des preuves d’effectivités, contrairement à la présentation que tente d'en faire le Bénin. De
plus, ces deux témoignages sont postérieurs à la date des indépendances et leur utilisation met
une nouvelle fois le Bénin en porte-à-faux par rapport à son argumentation sur l'uti possidetis.
On s’interroge en effet immanquablement sur la logique qui conduit le Bénin à s'opposer, au
nom de ce principe, à l'utilisation par le Niger des relevés opérés sur le fleuve après 1960, et à
utiliser lui-même sans ciller des témoignages postérieurs à cette date ?
En tout état de cause, on voit mal quelle pourrait être la valeur du témoignage de l’ancien
707
administrateur Rose, contenu dans sa lettre du 28 décembre 1963 ; il serait plus crédible
s’il était motivé. Il ne l’est nullement. De ce point de vue le témoignage d’un autre ancien
administrateur, Paul Daguzay, dans sa lettre du 23 janvier 1964 708, présente plus de mérite.
On y lit ce qui suit :
« J’ai également administré le cercle de Kandi, dont dépendait Malanville en 1954-1955. A cette époque,
le Territoire du Niger et les habitants de la subdivision de Gaya considéraient bien que l’île de Lété
appartenait au Dahomey ; pour prouver leurs sentiments amicaux les habitants de Malanville permettaient
à ceux de Gaya d’y faire paître leur troupeaux. Il n’y avait donc, à l’époque aucune contestation.
D’ailleurs les cartes établies par le service géographique indiquent que la limite des deux territoires était
709
fixée entre l’île et la rive gauche du fleuve .
Malheureusement pour le Bénin, cette lettre est surtout un bon exemple de la faiblesse de la
mémoire humaine : son auteur n’y énonce que des contre-vérités. On sait maintenant
clairement que le Territoire du Niger, et Gaya en particulier, administraient l’île de Lété et ne
pouvaient donc considérer qu’elle appartenait au Dahomey. Quant aux « sentiments
704
Voy. C.M./R.B., § 4.9.
705C.M./R.B., § 3.28.
706Voy. C.M.N., annexe II « Analyse critique des « sommations interpellatives » présentées par le Bénin ».
707
C.M./R.B., § 3.27 et M/R.B., annexe n° 85.
708
C.M./R.B., § 3.27.
709M/R.B., annexe n° 87.
- 238Réplique de la République du Niger Chapitre IV
amicaux » des habitants de Malanville, on saisit mal comment ils auraient pu s’exercer à
l’égard des peulhs de l’île, dont il est prouvé qu’ils avaient déjà un village sur place en 1896
et dont le rouga a toujours été le chef coutumier. Il n’avait de permission à recevoir de
personne pour faire paître ses troupeaux dans l’île. Quant aux cartes de l’époque —il ne peut
s’agir que des cartes au 1/200.000— la feuille Sabongari indique des croisillons dans le bras
droit aussi bien à la pointe amont qu’à la pointe aval de l’île de Lété 71 !
On remarquera, au surplus —ce qui est très significatif— que Daguzay ne fait allusion ni à
l’arrêté de 1900, ni même à la lettre de 1954 —alors qu’il était en poste à Kandi en 1954-
1955 !— et qu’en outre il situe la limite intercoloniale dans le cours du fleuve entre l’île et la
rive gauche et non du côté de cette rive aux plus hautes eaux.
4.39. En ce qui concerne l’administration de l’île par le chef de subdivision de Malanville, le
711
Bénin fait montre —une fois encore— d’un fort beau talent pour réécrire l’histoire . Le
Bénin invoque un paragraphe du rapport trimestriel du chef de la subdivision de Malanville
er
du 1 avril 1960 qui se lit comme suit :
« L’élément perturbateur de l’île de Lété, le nommé Garba Hama, dit Rouga Lété a cessé ses déprédations
contre les habitants de Goroubéri. Le commandant du cercle de Kandi a effectué une tournée dans cette
712
région fin décembre » .
Et le contre-mémoire du Bénin de commenter :
« cela indique clairement que les autorités dahoméennes étaient chargées de la police sur l’île de Lété
713
[…] » .
La réalité est tout autre. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler quelques faits. Tout
d’abord, le prétendu « élément perturbateur » n’est autre que le Rouga de Lété dont on a vu
dans le contre-mémoire du Niger que les ancêtres ont été reconnus par l’administration
710
M.N., annexes, série D, carte n° 40.
711C.M./R.B., § 3.29.
712C.M./ R.B, § 3.29 et C.M./R.B., Annexe n° 18.
713
Ibidem.
- 239Réplique de la République du Niger Chapitre IV
714
française comme chef coutumier de l’île depuis l’origine de la colonisation et qu’il payait
régulièrement l’impôt de son groupement à Gaya . 715
Il découle de ce qui précède que l'administration de l'île de Lété par les autorités de la
circonscription de Gaya (Niger) est un fait incontestable, attesté par un dossier fourni
d'effectivités, et ce jusqu'à l'indépendance. Les événements dramatiques de 1960 et leurs
suites ne sont pas de nature à conduire à une conclusion différente.
Sous-section B - Les incidents de 1960 et de 1998 ne révèlent aucune effectivité du Bénin
sur l’île de Lété
4.40. A différents endroits dans ses écritures, le Bénin cherche à tirer profit des événements
survenus en 1960 sur l'île de Lété pour conforter ses thèses. Or, une fois encore, un examen
attentif des documents de l'époque permet de constater que la lecture que propose la partie
adverse de ces événements n'est en rien fondée. En particulier, la consultation du journal de
poste de Malanville, dont le Bénin a produit des extraits aussi volumineux qu’inutiles dans les
annexes de son contre-mémoire (pages 215 à 293 du livre II couvrant les années 1961 et
1962) s'avère particulièrement instructive pour comprendre l'enchaînement exact des faits qui
ont mené à ces événements et pour mesurer à quel point la partie adverse en livre une
présentation biaisée. Singulièrement, le Bénin n’a produit aucun extrait de ce document pour
les années antérieures à 1961-1962. Il s’est contenté de déposer le document original au greffe
de la Cour. Ce document couvre aussi la période du 27 avril 1958 au 30 décembre 1960. La
lecture des pages qui couvrent cette période est pourtant édifiante.
On s’attendrait à ce que le chef de poste de Malanville fasse de nombreuses références à l’île
de Lété en tant que partie de « sa » circonscription, qu’il relève les tournées qu’il y a faites,
etc. Or, il n’y a pas une seule référence à l’île de Lété pendant l’année 1958. Ceci ne manque
pas de surprendre pour une population imposable de quelque 300 personnes. Pour l’année
1959, la première référence à l’île de Lété date des 12 et 13 juin et se présente sous la forme
suivante :
714
Voy. en particulier la notice d’Espéret en 1913, M.N., § 2.3.71 et M.N., Annexes, série C, n° 81, folio 6.
71Voy. le relevé des impôts de Lété de 1923 à 1964, C.M.N., § 4.19 et C.M.N., Annexes, série C, n° 151.
- 240Réplique de la République du Niger Chapitre IV
« vendredi 12 juin Arrivée de M. le chef de subdivision de Gaya accompagné du chef village Peulh de
Lété. Le chef de subdivision de Gaya proteste contre les habitants du village de Goroubéri qui
entreprennent des champs de culture sur l’île de Lété »
« samedi 13 juin Reçu une lettre n° 131 datée du 12 juin de M. le chef de subdivision de Gaya faisant
connaître les dispositions prises pour empêcher les habitants du Dahomey de procéder à des champs de
716
culture dans l’île de Lété » (italiques ajoutées).
C’est donc en juin 1959 que les habitants de Lété conduits par leur rouga et leur
administrateur, viennent se plaindre des éléments perturbateurs que sont les gens de
Goroubéri. Il n’est pas question ici de prendre parti pour l’un ou pour l’autre dans le conflit
qui s’était élevé à l’époque entre les habitants de Lété et ceux de Gouroubéri. Il suffit de
relever, d’une part, que les troubles de cette période ont une cause inverse de celle présentée
par le Bénin et, d’autre part, que c’est bien Gaya qui administre l’île.
Une lettre du 20 juin 1959 du chef de la subdivision de Malanville au chef de la subdivision
de Gaya confirme ce point de vue :
"J'ai l'honneur de vous faire connaître que le statu quo étant maintenu, les habitants de Goroubéri ont
sursis d'ensemencer les terres qu'ils avaient préparées, en attendant le règlement définitif de l'affaire de
l'île de Lété. Mais à mon grand étonnement, il vient de m'être signalé que les peulhs Nigériens se sont
emparés des emplacements travaillés par les gens de Goroubéri.
Pour éviter tout nouveau malentendu pouvant éventuellement naître d'un tel fait, je vous demanderais de
717
bien vouloir inviter vos gardes à rappeler les Nigériens à se conformer aux mêmes conditions" .
C'est donc le chef de la subdivision de Malanville qui demande à son collègue nigérien que
les gardes républicains du Niger interviennent sur l'île de Lété pour faire cesser ce qu'il
considère comme des abus. On ne peut mieux marquer la reconnaissance que la situation de
statu quo est favorable au Niger. On se rappellera comment —défigurant complètement les
événements— le mémoire du Bénin a transformé cette invitation en un incident dramatique :
« Et pour la première fois de l’histoire de cette île, le 21 juin 1959, les gardes républicains du Niger sont
718
intervenus sur l’île pour empêcher les habitants de Goroubéri d’y cultiver leurs champs … » .
716
R.N., Annexes, série C, n° 178.
717Lettre du chef de la subdivision de Malanville au chef de la subdivision de Gaya, M/R.B., Annexe n° 74.
718M./R.B., § 1.40.
- 241Réplique de la République du Niger Chapitre IV
Les indications du journal de poste de Malanville montrent qu’en dépit de la coopération des
deux circonscriptions voisines —les deux chefs de poste voisins se font, en effet, de
fréquentes visites, apparemment fort civiles—, les incidents perdurent :
« Lundi 20 juillet […] Nos ressortissants de l’île de Lété viennent se plaindre des menaces proférées ( ?)
719
à leur encontre par ceux de Gaya. Envoyé 2 gardes sur place .
Jeudi 23 juillet […] Visite de M. Nivan ( ?), Chef Subdivision Gaya et de son député à propos des
incidents de l’île de Lété. Il est convenu que nous irions tous deux sur place prochainement 720
24 août : nouvelles doléances des habitants de Goroubéri au sujet des agissements des Nigériens de l’île
721
de Lété » .
Mais le point de vue des habitants de l’île de Lété est différent. Le député du Moyen Niger à
Gaya, Ibrahim Sama Alhadji, écrit ce qui suit le 16 septembre 1959 au chef de village de
Goroubéri :
« C’est donc sur votre bon sens, votre loyauté que je compte pour que nos protégés ne soient plus
722
menacés de mort surtout par vous gens de Goroubéri, nos parents alliés de tout temps » .
Le journal de poste de Malanville poursuit ensuite comme suit :
« 27 septembre : « En mon absence passage de M. Vanini, nouveau chef de la subdivision de Gaya, et du
député Alhadji Sama, venus pour palabrer au sujet des incidents de l’île de Lété où je m’étais rendu le
jeudi 18 au cours de ma tournée à Karimama » 723.
7 novembre : « Visite du chef de subdivision de Gaya accompagné du député de la circonscription,
724
toujours pour les palabres entre les habitants de l’île de Lété et de Goroubéri » .
« 26 décembre : A 7 h 30 arrivée des lieutenants Roquejoffre, Ronvin, Pernez, Doct. Dupeyron qui se
rendent à l’île de Lété en excursion. Sont accompagnés par MM. Bori, agent spécial et interprète, [nom
illisible], pilote. Remontent le Niger avec un bateau à propulseur du Génie de Kandi. A 18 h arrivée de M.
Collos, Cdt de cercle, Pasquin CFDT, Mmes Dormont et Pasquin, qui rejoignent à Lété les militaires
arrivés le matin. Passage du vétérinaire inspecteur des pêches et de son épouse qui repartent le Niger à
17h.
719
R.N., Annexes, série C, n° 179.
720R.N., Annexes, série C, n° 179.
721R.N., Annexes, série C, n° 180.
722R.N., Annexes, série C, n° 181.
723R.N., Annexes, série C, n° 182.
- 242Réplique de la République du Niger Chapitre IV
725
27 décembre : A 17 h retour de l’expédition de l’île de Lété et départ des visiteurs à 18h30 » .
Cette excursion paisible est transformée dans les écritures béninoise en rencontre politique qui
aurait été esquivée par Gaya. On se rappellera ce qu’exposait à ce propos le Bénin dans son
mémoire :
"Le chef de village de Goroubéri rendit compte de cet incident [du 20 juin selon le contexte des écritures
béninoises !] aussitôt au chef de subdivision de Malanville qui, par lettre n° 376/AD du 23 décembre
1959, invita le chef de subdivision de Gaya à rencontrer le commandant du cercle de Kandi dans l'île de
Lété les 26 et 27 décembre 1959. Mais la partie nigérienne s'est abstenue de venir à cette rencontre" .
On a déjà signalé que la prétendue lettre d'invitation n'est pas jointe au dossier et qu’en tout
état de cause, elle ne fut jamais reçue par son destinataire car celui-ci n'a appris cette visite
qu'ultérieurement et par d'autres voies, ainsi qu'il le relate à son supérieur:
"Le 28 décembre 1959, le chef nigérien de l'île de Lété est venu me rendre compte que le 26 décembre,
accompagné de quelques européens et du chef peulh de Mamassi, le Commandant de cercle de Kandi
(Dahomey) est passé à l'île susvisée; que le chef de village de Goroubéri et quelques uns de ses hommes
ont profité de cette occasion pour se rendre dans l'île où ils ont sommés les ressortissants Nigériens de
quitter les lieux prétendant que le passage du Commandant de cercle de Kandi et les visiteurs qui
727
l'accompagnaient était pour signifier aux Nigériens que l'île en cause est la propriété du Dahomey" .
On s’aperçoit ainsi que l’on est loin d'une visite diplomatique, ou d’une tentative de
négociation, comme le prétend le Bénin, Les habitants de Goroubéry profitent d’une visite
touristique paisible de personnalités françaises de passage —dont le commandant de Gaya
n’était même pas averti— pour terroriser la population locale.
Du 13 au 19 juin, a lieu une tournée de perception qui conduit les percepteurs de Malanville
dans les différents villages de cette circonscription. L’île de Lété n’est pas mentionnée sur
leur parcours – et pour cause, puisque les populations qui l'habitent acquittent leurs impôts à
728
Gaya .
Entretemps, les discussions se poursuivent entre les deux circonscriptions :
724R.N., Annexes, série C, n° 183.
725R.N., Annexes, série C, n° 184.
726
M/R.B., § 1.41 et C.M./R.B. § 0.16.
727
Rapport sur les incursions des Dahoméens dans l'île de Lété, note du chef de subdivision de Gaya en date du 15 janvier
1960, C.M.N., Annexes, série C, n° 142.
- 243Réplique de la République du Niger Chapitre IV
« 13 mai : Aller retour à Gaya pour l’éternelle question de l’île de Lété, mais le chef de la subdivision qui
était attendu n’était pas rentré »29.
Les autorités de Gaya et de Malanville essayent de calmer les esprits de leurs ressortissants,
sans résultat ; le conflit dégénère et trouve son point culminant dans les incidents dramatiques
du 29 juin 1960. La présentation que fait le Bénin de ces derniers appelle toutefois de
sérieuses mises point.
4.41. Le drame de juin 1960 trouve sa source dans une rivalité traditionnelle entre
agriculteurs et éleveurs que le Bénin tente de transformer en conflit frontalier. Il s’agit là
d’une approche tout à fait erronée. Comme on l’a vu au paragraphe précédent, la question de
savoir quelle colonie est habilitée à exercer ses compétences sur l'île de Lété ne constituait pas
l'objet du conflit. La question territoriale n'est venue se greffer qu'ensuite lorsque s’est posée
la question de la manière dont devaient être réprimés les délits commis sur l’île.
Le journal de poste de Malanville relate les faits de la manière suivante à la date du 30 juin :
« Le chef du village rend compte que les cultivateurs de Goroubéri se rendant sur leurs terrains de culture
à l’île de Lété ont été violemment refoulés par les peulhs nigériens habitant l’île – il y a eu 2 blessés
graves. Par représailles les gens de Goroubéri se rendirent nuitamment à l’île de Lété et incendièrent le
campement des nigériens.
Gendarmes Malanville et Gaya se rendent sur les lieux à 10 h 30. Ils rendent compte à leur retour à 19 h
30 de ce qu’il y a eu quatre morts dont le chef peulh (Rouga) parmi les nigériens » 73.
Ultérieurement, des gardes des deux côtés resteront quelques jours sur place pour assurer
l’ordre. Le 10 juillet, les trois gardes et le gendarme que le Dahomey avait envoyés sur l’île
rentrent à Malanville . 731
4.42. Le Bénin essaye de tirer argument des aspects judiciaires de cet incident et notamment
732
d’un jugement du tribunal correctionnel de Cotonou, section de Kandi, du 6 août 1964 , qui
728R.N., annexes, série C, n° 188.
729
R.N., annexes, série C, n° 187.
730R.N., Annexes, série C, n° 189. Sur le détails des événements du 29 juin, voy. encore le rapport du 19 juillet 1960 du
gendarme Martin, commandant la brigade de Malanville, M.N., Annexes, série C, n° 67.
731R.N., Annexes, série C, n° 190.
732C.M./R.B., § 3.29 et CM/RB, Annexe n° 21.
- 244Réplique de la République du Niger Chapitre IV
aurait prononcé des condamnations contre des habitants de l’île de Lété, désignée comme
relevant de la « subdivision de Malanville, Cercle de Kandi ».
Les suites judiciaires de cette affaire méritent que l’on s’y arrête un instant. Le 13 juillet 1960,
le ministre de la Justice du Niger écrivit au Premier ministre de la République du Dahomey
dans des termes qui ne laissaient aucun doute sur le fait que le gouvernement du Niger
estimait que les faits délictueux s’étaient produits sur le territoire nigérien. Cette lettre mérite
d’être citée à nouveau.
«Incidents survenus dans l’île de Lété (Subd. de Gaya, Niger)
Monsieur le Premier ministre,
Bien que j’aie lieu de supposer que vous en aurez été avisé par ailleurs, j’ai l’honneur de vous informer
des incidents qui se sont produits le 29 juin 1960 dans l’île de Lété (Subdivision de Gaya, Niger).
Quatre Peulhs ressortissants nigériens du village de Lété, situé dans l’île, ayant dans la journée chassé à
coups de bâton deux cultivateurs de Goroubéri (Dahomey) qui prétendaient y semer leur mil, tous les
gens de Goroubéri ont débarqué dans l’île vers 23 heures, envahi le village, attaqué ses habitants, mis le
feu aux cases, massacré deux vieillards, dont le chef du Groupement peulh, et provoqué indirectement la
mort de deux enfants qui, pour leur échapper, s’étaient jetés dans le fleuve et s’y sont noyés.
Le 1 juillet 1960 le juge d’instruction de Niamey ouvrait une information contre X…pour assassinats et
incendie volontaire de maisons habitées, donnait délégation judiciaire au Commandant de la brigade de
gendarmerie de Gaya pour entendre tous témoins et solliciter tous mandats d’arrêt utiles, et télégraphiait
au juge de la section de Kandi pour lui demander s’il s’était également saisi de l’affaire, le priant dans
l’affirmative, de s’en dessaisir à son profit, étant plus normal que la justice du Niger règle un crime
commis dans son propre ressort.
Le 4 juillet le juge de Kandi lui répondait qu’il n’en était pas saisi.
Le 5 juillet le Commandant de la brigade de gendarmerie de Gaya rendait compte que le Commandant de
cercle de Kandi revendiquait la possession de l’île au nom du Dahomey, et la faisait occuper par trois
gardes Républicains et un auxiliaire de la Gendarmerie.
Il indiquait également que le Commandant de la Brigade de Malanville (Dahomey) refusait de lui livrer
les coupables sans ordre de ses chefs.
Aux dernières nouvelles, le 7 juillet, le Commandant de la brigade de gendarmerie de Malanville
persistait toujours dans son refus de livrer les coupables.
- 245Réplique de la République du Niger Chapitre IV
L’appartenance au Niger ou au Dahomey de l’île de Lété a fait à plusieurs reprises, depuis de longues
années, l’objet de controverses auxquelles il serait nécessaire de mettre un terme par un accord formel
entre nos deux Etats. Je compte d’ailleurs vous adresser incessamment un mémorandum à ce sujet.
De quelque façon qu’elle doive être réglée, il n’en reste pas moins qu’en matière de droit commun, cette
question ne devrait pas faire obstacle à l’action immédiate de la justice. M. le juge d’instruction de
Niamey s’étant saisi de l’affaire dès ses débuts, il semble normal qu’il en reste chargé.
Si vous partagez cette façon de voir, il conviendrait donc :
Ou bien de faire conduire les coupables, c’est-à-dire la population mâle de Goroubéri, à la gendarmerie de
Gaya par le commandant de la brigade de gendarmerie de Malanville.
Ou bien de faire communiquer les noms de ces coupables au juge d’instruction de Niamey et d’autoriser
leur transfert au Niger après notification des mandats d’arrêt qu’il décernait à leur encontre.
Je dois ajouter qu’en raison de la nécessité qui s’imposait d’agir sans délai, le juge d’instruction de
Niamey a adressé le 7 juillet une commission rogatoire au juge de Kandi pour qu’il recherche les auteurs
des faits du 29 juin ;
Ne mettant pas en doute que vous voudrez inviter les magistrats, fonctionnaires et agents dahoméens
intéressés à apporter leur collaboration la plus entière au magistrat chargé de l’information, je vous prie
733
d’agréer, Monsieur le Premier ministre, les assurances de ma haute considération. »
Le journal de poste de Malanville rend compte de la suite des événements au Dahomey :
« 18 juillet : « La gendarmerie reçoit un mandat d’amener décerné par juge d’instruction du Niger contre
un ressortissant Dahoméen à la suite des incidents de l’île de Lété. Instructions demandées au Cdt de
cercle » 734.
19 juillet: « Ordre formel au chef de village de Goroubéri pour que ses gens ne se hasardent pas à l’île de
Lété ; il lui est également demandé d’organiser une surveillance dans son village pour barrer la route à
toute invasion éventuelle de peulhs nigériens » 735.
4 septembre : « Réponse au T.O. n° 88 du Commandant de Cercle sur pv de la gendarmerie relatif aux
incidents de l’île Lété. Le retard provient sans nul doute du Greffier de Kandi qui aurait du communiquer
736
le pv au juge de Parakou » .
733M.N., Annexes, série C, n° 66.
734R.N., Annexes, série C, n° 191.
735Ibid.
736R.N., Annexes, série C, n° 192.
- 246Réplique de la République du Niger Chapitre IV
24 novembre : « Le juge serait venu à Guéné pour entendre les hommes du village de Goroubéri à propos
737
affaire île Lété ».
738
On connaît la suite, qui a été rapportée dans les précédentes écritures du Niger . Le
Dahomey s’est refusé de livrer ses ressortissants sur la base du principe qu’en matière
d’extradition un Etat ne livre pas ses ressortissants . En conséquence, le juge d’instruction de
Niamey s’est dessaisi au profit du tribunal de Kandi, dans l’expectative d’un passage en cours
d’assises à Cotonou. En revanche, le Niger devait s’opposer, en février 1962, à ce que des
mandats d’amener décernés à Kandi soient exécutés sur l’île de Lété, où un garde de la garde
républicaine du Niger fut détaché en permanence pour éviter toute action intempestive d’un
740
gendarme dahoméen .
4.43. La manière dont la justice du Dahomey a jugé les coupables laisse perplexe. Le
jugement du tribunal correctionnel de Cotonou, section de Kandi du 6 août 1964 741est un
exemple remarquable de déni de justice.
Le jugement n’est pas très précis sur les faits. Il indique seulement que courant juin 1960
Djodi Garba, Oumarou Garba, Ouma Garba et Assane Garba ont porté des coups et
occasionné des blessures à Délingui et Titi Maïguizo, leur causant des incapacité de travail de
14 et 12 jours. Il indique aussi que dans les mêmes circonstances, 9 résidents de Goroubéri
ont détruit des cabanes de gardiens appartenant aux habitants de l’île de Lété.
Comme on le voit, ce jugement ne rend nullement compte de la gravité des faits : 47 cases
furent détruites, soit le tiers du village ; quatre personnes ont trouvé la mort au cours de cette
attaque : deux vieillards furent assassinés et deux enfants se noyèrent dans le Niger en tentant
d’échapper aux assaillants.
Le moins que l’on puisse dire est que le jugement du 6 août 1964 est aussi lapidaire sur la
procédure. Il y est mentionné seulement en préambule et au début des motifs que le juge de
section de Kandi (es qualité de représentant du parquet) a fait citer les treize prévenus devant
la section du tribunal de Kandi pour y être jugés conformément à la loi pour coups et
73R.N., Annexes, série C, n° 193.
738
C.M.N., § 4.25.
73C.M.N., Annexes, série C, n° 143.
740
C.M.N., Annexes, série C, n° 148.
741
CM/RB, Annexe n° 21.
- 247Réplique de la République du Niger Chapitre IV
blessures volontaires ou destruction de cabane de gardiens, selon le cas. Des treize personnes
prévenues, seuls Dangaradima Mossi, Noma Namata et Tcha Noma ont comparu devant le
tribunal. Les faits datant de juin 1960 et le jugement n’intervenant que le 6 août 1964, on peut
en déduire qu’il y a eu information, c'est-à-dire que le dossier a été tenu par un juge
d’instruction (probablement le juge de section de Kandi es qualité de juge d’instruction),
avant d’être renvoyé (par ordonnance du même juge) devant le tribunal correctionnel (présidé
par le même juge encore) pour jugement. C’est la procédure courante et légale devant les
sections de tribunal en matière de délit.
Le juge d’instruction n’a donc pas informé sur les meurtres commis et l’incendie volontaire
qui constituent des crimes relevant de la cour d’assise et qui ressortent clairement des
échanges de correspondances cités ci-dessus, alors même que le juge d’instruction de Niamey
s’était dessaisi des faits à son profit par application du principe de compétence personnelle,
les auteurs présumés des crimes étant Dahoméens. En tout état de cause, on peut souligner le
caractère naïf de l’inscription « Lété, cercle de Kandi ». Si le village de Lété, situé dans l’île,
avait relevé administrativement de Kandi ou Malanville, rien n’aurait justifié l’inexécution
des mandats du juge ou des cédules de citation.
Le jugement en question est très mal motivé. Comment le tribunal peut-il en effet admettre
que les faits sont prouvés et les charges suffisantes contre les quatre frères Garba qui n’ont
fait l’objet d’aucune audition à la gendarmerie, au cabinet du juge d’instruction ou devant le
tribunal. De plus, le tribunal ne donne aucune motivation relativement à la prescription, qui
est normalement intervenue, les délits (coups et blessures et destruction de cabane) se
prescrivant en trois ans. Il aurait été intéressant de préciser le dernier acte d’instruction qui a
interrompu la prescription. Le jugement étant rendu par défaut à l’encontre de 10 des 13
prévenus, sa nature inéquitable est plus flagrante vis-à-vis des quatre frères Garba qui n’ont
jamais été entendus.
Le dispositif de la décision n’appelle aucune analyse particulière. Il confirme tout simplement
la parodie de justice organisée pour garantir l’impunité aux Dahoméens auteurs de crimes sur
l’île de Lété. L’amnistie visée et appliquée, même si elle a profité aux frères Garba, confirme
cet état de fait. Ainsi, les assassinats (notamment celui du rouga de Lété) n'ont jamais été
poursuivis comme tels au Dahomey. Les crimes commis étant restés impunis, on comprend
mieux pourquoi, de 1960 à l’an 2000, plus aucun habitant de Goroubéri n’a osé s'aventurer
- 248Réplique de la République du Niger Chapitre IV
sur l'île. Il est aussi vrai – comme on l’a vu plus haut – qu’un ordre formel des autorités
dahoméennes du 11 juillet leur prescrivait de s’en abstenir.
4.44. L'incident de 1998 est, lui aussi, présenté de manière singulière par le Bénin 74. Il
résulte, on s'en souviendra, de faits qui ont été décrits comme suit par une note verbale de
protestation du ministère des Affaires étrangères du Niger du 17 février 1998 :
"le 13 janvier 1998, le sous-Préfet de Malanville s'est rendu sur l'île de Lété à la tête d'une délégation
forte d'une cinquantaine de personnes et depuis cette date, des forestiers béninois ont multiplié les visites
sur l'île pour réclamer des taxes aux habitants et confisquer le matériel des pêcheurs, auxquels ils auraient
annoncé, qu'en accord avec les autorités nigériennes, l'île appartient désormais au Bénin. C’est ainsi que
le 20 janvier dernier les habitants de Gorou Bery (Bénin) se sont rués sur l'île pour occuper les terres de
culture sous le couvert des tirs des forestiers béninois"43.
Appelé à s'expliquer, le ministère des Affaires étrangères du Bénin, loin de se borner à
suggérer le retour paisible des agriculteurs de Goroubéri sur les quelques champs qu'ils
cultivaient sur l'île de Lété avant le drame de 1960 744, fit savoir que le Bénin entendait y
procéder à divers travaux et à y installer du personnel et des habitants. La note verbale
béninoise n° 132 du 15 juin 1998 exposait comme suit le projet poursuivi:
" - La construction de barraques [sic] pour abriter les premiers habitants à installer sur l'île, dont des
agents du développement rural qui réaliseront son reboisement sur cinq (5) hectares en essences
forestières;
- le forage de deux points hydrauliques de grand diamètre pour les besoins en eau potable des populations
installées sur l'île;
- la construction d'un dispensaire pour les soins de santé primaire […] »
Une telle entreprise visant à installer des populations béninoises sur l'île — car jusqu'à cette
date, il faut le répéter, jamais aucun Béninois n'avait résidé sur l'île de Lété, l’exploitation
intermittente de terrains de culture sur l’île par des gens de Goroubéri ne pouvant en aucun
742On ne reviendra pas sur les événement de 1963, que le Bénin détourne de leur contexte au § 0.20 de son contre-mémoire.
Bien entendu, le Niger n'a jamais entendu prétendre que les événements de 1963 sont survenus à Lété, même si le titre de la
section pertinente du mémoire du Niger introduit une ambiguïté sur ce point. Le Niger a évoqué ces événements sous ce titre
car ils ont eu une influence sur la situation dans la zone frontalière. Pour le reste, la chronologie est inverse : c'est l'arrivée de
troupes à Malanville qui a conduit le Niger a en faire autant de son côté (voy. les documents produits dans le contre-mémoire
du Niger), et il n'y a jamais eu de militaires nigériens sur l'île.
743M.N., Annexes, série A, n° 23.
744"Il est apparu aux autorités béninoises compétentes que les populations du Bénin ne résident toujours pas sur l'île de Lété"
(note verbale béninoise n° 132 du 15 juin 1998, M.N., Annexes, série A, n° 24).
- 249Réplique de la République du Niger Chapitre IV
cas être qualifiée de résidence —, à y établir des installations fixes et y instaurer des services
publics, bref à constituer, postérieurement à la date critique, des "effectivités" sur une île
faisant l'objet de contestation, ne pouvait être acceptée par le Niger.
Les deux arguments avancés par le Bénin pour justifier ces actions ne peuvent être retenus.
Tout d'abord, le contre-mémoire du Bénin explique que "[l]a présence dahoméenne sur l'île de
Lété ne saurait être interprétée comme un incident, dès lors que le Bénin dispose en tout état
de cause de la souveraineté sur cette île" 74. Outre le fait que cette affirmation repose sur une
pétition de principe, en prenant pour acquis ce qui doit précisément être établi, il n'en demeure
pas moins que l'île étant de fait sous l'autorité du Niger, l'intrusion soudaine d'autorités du
Dahomey sur place et la tentative d'y développer des activités publiques ne pouvaient que
créer des tensions.
Il doit être bien clair, ensuite, que les projets de colonisation de l'île par le Bénin ne pouvaient
être couverts par le communiqué de Yamousoukro du 18 janvier 1965, qui envisageait
seulement un retour à la situation paisible qui existait avant 1960 :
"Ils ont convenu d'un commun accord, jusqu'au règlement définitif du litige de Lété, de permettre aux
nationaux des deux pays de vivre en parfaite harmonie sur cette île".
4.45. Il découle de ce qui précède que pas plus que dans ses précédentes écritures, le Bénin
n’a apporté, dans son contre-mémoire, la moindre preuve que le Dahomey exerçait sur l’île
une administration coloniale. A l'inverse, le Niger a fourni un dossier étoffé montrant que l’île
avait été administrée par la circonscription de Gaya sans discontinuité depuis les années où le
Niger a retrouvé des archives, soit de 1909 (Marsaud) jusqu’à l’indépendance.
Les prétentions du Bénin sur ce point sont donc totalement dépourvues de fondement.
74C.M./ B., § 0.22
746
M.N., Annexes, série A, n° 9. L'allégation faite au § 0.24 du C.M./R.B., selon laquelle le Niger se serait, lui-même,
appuyé, dans une note de 1993, sur l'accord de Yamoussoukro pour justifier la présence de forces de sécurité nigériennes sur
Lété ne repose sur aucun fondement.Le texte de ladite note fait en effet apparaître que le Niger rejetait les allégations de
présence de telles forces de sécurité, et ne la justifiait donc certainement pas sur la base du communiqué de Yamoussoukro.
- 250Réplique de la République du Niger Chapitre V
CHAPITRE V —
LA FRONTIERE DANS LE SECTEUR DE LA MEKROU
5.1. La position de la République du Niger en ce qui concerne la détermination de la frontière
dans le secteur de la rivière Mékrou est maintenant bien connue. Le tracé de cette frontière est
basé sur la ligne définie par le décret du 2 mars 1907 rattachant à la colonie du Haut-Sénégal
et Niger les cercles de Fada-N'Gourma et de Say , telle qu'elle a été modifiée par les décrets
du 12 août 1909 et du 23 avril 1913 modifiant la limite du Haut-Sénégal et Niger et du
Dahomey . Il s'agit, en l'occurrence, de deux segments de ligne droite. Le premier, résultant
du décret de 1907, part du point de confluence de la Mékrou avec le fleuve Niger, pour
rejoindre le point d'intersection du sommet de la chaîne montagneuse de l'Atakora avec le
méridien de Paris. Ce dernier point constitue un point double entre le Bénin et le Niger. Le
second segment de droite, qui résulte des modifications apportées au texte de 1907 par les
décrets de 1909 et 1913, part de ce point double pour rejoindre un point situé à huit kilomètres
en direction nord nord-ouest, qui constitue le point de convergence des frontières du Burkina-
Faso, du Bénin et du Niger . Cette limite n'a pas été remise en cause durant la suite de la
période coloniale et les positions qu'ont pu adopter les autorités de la République du Niger
durant la première moitié des années 1970, dans le cadre d'un projet de construction d'un
barrage sur le cours de la Mékrou en commun avec le Bénin sont sans effet juridique, car elles
sont viciées par l'erreur.
La République du Bénin a critiqué cette argumentation de manière détaillée dans son contre-
mémoire . La partie adverse estime ainsi que le décret de 1907 a été abrogé par des textes
coloniaux postérieurs, qui ont fixé la limite entre les colonies du Dahomey et du Niger au
cours de la Mékrou. Cette modification de la limite résulterait tant des textes législatifs et
réglementaires qui ont porté création de colonies ou ont défini les limites de leurs
circonscriptions dans la région, que des textes relatifs à la création de parcs de conservation
dans le secteur du W du Niger. La fixation de la limite au cours de la rivière Mékrou aurait
d'ailleurs été confirmée par les autorités nigériennes elles-mêmes dans le cadre des
négociations relatives au projet de barrage susmentionné. Selon le Bénin, ces prises de
747
M.N., Annexes, série B, n° 23.
74M.N., Annexes, série B, n° 26 et 33, respectivement.
749
Voy. M.N., pp. 227 et s., ainsi que les conclusions de la République du Niger, ibid., p. 235 et C.M.N., pp. 196-197.
- 251Réplique de la République du Niger Chapitre V
positions doivent être considérées comme pleinement valables, car il n'y aurait pas eu, en
l'espèce, d'erreur susceptible de constituer un vice de consentement.
La République du Niger répondra à chacune de ces allégations dans les pages qui suivent. Elle
montrera successivement que les textes de la période coloniale confortent ses thèses et que la
lecture qu'en propose le Bénin aboutit à des incohérences (section 1) et que les positions
adoptées par les autorités du Niger au début des années 1970 étaient bel et bien entachées
d'erreur et ne sauraient, de ce fait, se voir attribuer d'effets juridiques (section 2).
Avant d'entamer cette démonstration, toutefois, la République du Niger se doit de rappeler sa
position à l'égard des allégations que la partie adverse a cru opportun de réitérer dans son
751
contre-mémoire, selon lesquelles ce volet du litige serait artificiel . Le Niger a déjà
amplement montré dans son contre-mémoire que la détermination de la frontière dans le
secteur de la Mékrou avait constitué une pierre d'achoppement entre les deux Etats dès le
752
début des années 1970 . Il a également exposé, en introduction de la présente réplique, les
raisons pour lesquelles la présentation tronquée que s'efforçait de faire la République du
Bénin de l'objet du présent différend était inacceptable . Il se contentera donc d'observer ici
que le Bénin énonce une contre-vérité flagrante en laissant entendre que le Niger a développé
sur cette partie du litige une "thèse entièrement artificielle" "dans l'espoir de conduire la
Chambre à rendre un trompeur jugement de Salomon" . Il suffira à cet égard de rappeler que
la question des limites dans le secteur de la Mékrou a d'emblée été incluse dans le mandat de
la Commission paritaire mixte de délimitation des frontières, qui en a d'ailleurs débattu de
façon régulière au fil de ses sessions, sans que la délégation béninoise s'émeuve jamais d'un
quelconque caractère "artificiel" de cette question. Il est donc plus que temps que la partie
adverse renonce à cette présentation erronée du litige, et qu'elle se décide à adopter une
attitude plus responsable à cet égard.
75C.M./R.B., chapitre IV, pp. 152 et s.
751
Ibid., p. 153, § 4.2.
75C.M.N., pp. 176-178, § 5.2.
753
Voy. supra, § 0.3.
754
C.M./R.B., p. 153, § 4.2.
- 252Réplique de la République du Niger Chapitre V
Section 1 -
Les textes de la période coloniale confortent la thèse du Niger
5.2. La République du Bénin reconnaît que la limite entre le Haut-Sénégal et Niger (auquel
allait succéder la colonie du Niger) et le Dahomey dans le secteur de la Mékrou a initialement
été fixée par le décret du 2 mars 1907 . Encore la partie adverse ne le fait-elle pas sans
ambiguïté, car elle indique dans la foulée que
"juridiquement, cette limite ne concernait pas la colonie du Niger, puisque celle-ci n'existait pas encore à
l'époque en tant que territoire doté d'une autonomie administrative. Elle séparait les colonies du Dahomey
d'une part et du Haut-Sénégal et Niger d'autre part; en ce sens, le décret de 1907 n'est pas directement
756
pertinent dans le cadre du présent différend" .
Ce propos ne manque pas de surprendre. D'une part, parce que, s'il est exact que la colonie du
Niger n'a été constituée en entité administrative distincte qu'en 1922, la prise en compte des
limites fixées aux entités auxquelles elle a succédé s'avère indispensable pour définir ses
frontières, tant durant la période coloniale que depuis l'accession à l'indépendance. Ainsi, s'il
fallait, comme le suggère le Bénin, ne prendre en compte que les textes adoptés
postérieurement à la constitution du Niger en tant que colonie, il aurait par exemple été
totalement impossible de définir les frontières de cette entité avec le Nigeria, puisque ces
757
frontières ont été définies par des accords antérieurs à 1922 . A cet égard, le parallèle que
fait la partie adverse avec la création de la Haute-Volta est dépourvu de toute pertinence ; 758
cette colonie était, en 1919, une création entièrement nouvelle. Au contraire, la colonie du
Niger est le successeur direct d'une série d'autres entités dont la structuration progressive a
évolué au fil des premières années de la colonisation pour aboutir à la création d'une colonie
autonome en 1922.
D'autre part, la partie adverse est loin de manifester semblable réticence lorsqu'il s'agit
d'affirmer que son titre principal, en ce qui concerne la définition des limites dans le secteur
du fleuve, est constitué par l'arrêté du 23 juillet 1900 créant un troisième Territoire
75Ibid., pp. 154 et s., §§ 4.5 et s.
75Ibid., p. 155, § 4.7.
757
Cette frontière est en effet définie par la convention franco-britannique du 29 mai 1906 (M.N., Annexes, série B, n° 20) et
par le procès-verbal d'abornement du 19 février 1910 (ibid., n° 27).
75C.M./R.B., pp. 155-156, § 4.7.
- 253Réplique de la République du Niger Chapitre V
militaire . Etonnamment, la circonstance que ce texte ne concernait pas "juridiquement" "la
colonie du Niger, puisque celle-ci n'existait pas encore à l'époque en tant que territoire doté
d'une autonomie administrative" ne semble poser ici aucun problème au Bénin, même si l'on
se trouvait alors à un stade plus précoce encore de l'évolution administrative des territoires de
la région que celui atteint en 1907. La partie adverse confirme en tout état de cause clairement
par là que c'est l'ensemble des textes adoptés au cours de la période coloniale qui doit être
considéré comme pertinent dans le cadre du présent litige, y compris ceux d'entre eux qui ont
été adoptés avant que le Niger soit doté, en tant que colonie, de l'autonomie administrative.
Malgré les tergiversations du Bénin sur ce point, c'est donc bien le décret du 2 mars 1907 qui
doit constituer le point de départ de toute analyse des textes coloniaux relatifs à la
détermination des limites dans le secteur de la Mékrou.
5.3. Pour la partie béninoise, cependant, le tracé résultant de ce texte aurait été modifié par
plusieurs textes législatifs ou réglementaires postérieurs. Ce serait le cas :
er
- du décret du 1 mars 1919 portant division de la colonie du Haut-Sénégal et Niger et
760
création de la colonie de la Haute-Volta ;
- de l'arrêté du gouverneur général de l'A.O.F. du 16 avril 1926 fixant certaines
conditions d'exécution du décret du 10 mars 1925 portant réglementation de la chasse
761
et institution de parcs de refuge en A.O.F. ;
- de l'arrêté du 31 août 1927 fixant les limites entre les colonies de la Haute-Volta et du
Niger , ainsi que de son erratum du 5 octobre 1927 ; 763
- des arrêtés du 8 décembre 1934 et du 27 octobre 1938 portant réorganisation des
764
divisions territoriales de la colonie du Dahomey ;
- de l'arrêté du gouverneur du Niger 13 novembre 1937 réservant sous l'appellation Parc
national du W une partie du territoire des cercles de Niamey et de Fada N'Gourma ; 765
759Voy. e.a. C.M./R.B., p. 33, § 1.51; p. 36, §§ 1.60 et 1.61.
760
Ibid., p. 157, § 4.10.
761Ibid., pp. 159-160, §§ 4.15-4.16.
762Ibid., pp. 161-162, §§ 4.18-4.19.
763
Ibid., p. 162, § 4.20.
764Ibid., pp. 164-167, §§ 4.22-4.28.
- 254Réplique de la République du Niger Chapitre V
- de l'arrêté du gouverneur général de l'A.O.F. du 3 décembre 1952 définissant les
766
limites de la réserve du W du côté Dahomey ; et enfin
- de l'arrêté du gouverneur général de l'A.O.F. du 25 juin 1953 définissant les limites de
767
la réserve du W du côté Niger .
Il est pourtant loin d'être évident que l'ensemble de ces textes conforte effectivement la
position du Bénin. Comme elle l'avait fait dans son mémoire, en effet, la partie béninoise
prête à plusieurs d'entre eux, dans son contre-mémoire, un contenu qui va clairement au-delà
de leurs termes mêmes. Or, il s'avère en réalité qu'aucun des textes législatifs ou
réglementaires valides dont l'objet était d'établir des circonscriptions territoriales ou d'en
préciser les limites ne fixe la limite intercoloniale dans la région en cause au cours de la
rivière Mékrou (sous-section A). La Mékrou est par contre explicitement mentionnée comme
limite dans certains autres textes, qui ont pour objet la création de parcs de refuge et de
réserves de chasse. Mais il est loin d'être établi que ces derniers textes puissent avoir pour
effet de modifier une limite de colonie préalablement fixée par un décret. En tout état de
cause, il apparaît indispensable de prendre en compte le fait que ces références au cours de la
Mékrou comme limite de parcs dans cette zone doit se comprendre à la lumière des
circonstances et des connaissances très limitées qu'avaient les administrateurs coloniaux de
cette région à l'époque, ce à quoi se refuse manifestement le Bénin (sous-section B). Il
apparaîtra d'ailleurs que l'approche simplificatrice et anachronique de la partie béninoise à
l'égard de ce volet du litige, ainsi que son ignorance délibérée de certains textes coloniaux la
conduit à adopter une position erronée sur la manière de parvenir à la détermination du point
triple (sous-section C).
76Ibid., pp. 167-168, § 4.29.
76Ibid., pp. 168-169, §§ 4.30-4.31.
76Ibid.
- 255Réplique de la République du Niger Chapitre V
Sous-section A - Aucun des textes législatifs ou réglementaires valides dont l'objet était
d'établir des circonscriptions territoriales ou d'en préciser les limites ne fixe la limite
intercoloniale au cours de la rivière Mékrou
5.4. Le premier des textes sur lesquels le Bénin entend s'appuyer pour montrer que la ligne de
délimitation fixée par le décret du 2 mars 1907 a été remplacée par une limite fixée au cours
de la Mékrou est le décret du 1 mars 1919 portant division de la colonie du Haut-Sénégal et
Niger et création de la colonie de la Haute-Volta . Encore la partie adverse ne s'y réfère-t-
elle que de manière assez prudente, en se limitant à relever que ce texte implique que
"désormais, c'était une nouvelle colonie, la Haute-Volta, qui devenait frontalière de son
territoire dans le secteur de la rivière Mékrou" . Ceci aurait eu pour conséquence que "[l]e
décret de 1907 ne pouvait donc plus s'appliquer à partir de 1919" . Par ce raccourci, la partie
béninoise feint d'ignorer l'argumentation que le Niger a développée dans son mémoire sur ce
point, et n'y apporte en tout état de cause aucune réponse. Pour le Niger, en effet, le décret de
1919 avait bel et bien pour effet d'abroger celui de 1907 en ce qu'il supprimait le
rattachement des cercles de Fada et de Say au Haut-Sénégal et Niger, pour les incorporer
dans une nouvelle colonie, la Haute-Volta. Ce nouveau rattachement excluait, à l'évidence,
toute mention du décret de 1907 dans celui de 1919, comme dans les textes ultérieurs. Ce n'est
pas à dire, pour autant, que les limites définies par le décret de 1907 étaient elles aussi
abrogées ou remises en cause. Le Bénin se borne à indiquer à cet égard qu'"[i]l était fréquent
[…] que le décret créant une colonie n'indique pas ses limites exactes" . Cela est tout à fait
correct.
Mais, en l'occurrence, le décret de 1919 n'indique aucune espèce de limite, qu'elle soit exacte
ou approximative. Dès lors, quelle autre conclusion tirer que celle mise en avant par le Niger
dès ses premières écritures, à savoir que les circonscriptions rattachées à la nouvelle colonie
de la Haute-Volta lui étaient transférées dans les limites qui étaient les leurs à ce moment-là ?
Pour les cercles de Fada et de Say, il ne fait aucun doute que ces limites étaient celles définies
par le décret du 2 mars 1907, tel que modifié par les décrets de 1909 et 1913. Rien, dans le
décret portant création de la Haute-Volta, ne remet ces limites en cause. Ce ne fut pas plus le
768
M.N., Annexes, série B, n° 34.
76C.M./R.B., p. 158, § 4.12.
770
Ibid., p. 158, § 4.12.
- 256Réplique de la République du Niger Chapitre V
cas par la suite. Ainsi, il est frappant de constater que lorsque la Haute-Volta a été
772
reconstituée en 1947, elle l'a été dans ses limites de 1932 . Les limites préexistantes ont donc
été maintenues. Or, aucun texte n'a redéfini les limites entre le cercle de Say et le Dahomey
entre 1919 et 1926, date à laquelle ce cercle fut rattaché à la colonie du Niger . Le décret du73
28 décembre 1926 ayant redessiné certaines des limites du cercle de Say, en en excluant le
canton gourmantché de Botou, il aurait évidemment pu en faire de même pour la limite du
cercle côté Dahomey. Or, il n'en a rien été.
L'absence d'impact de la création de la Haute-Volta sur la définition des limites du cercle de
Say semble d'ailleurs être en définitive admise par le Bénin lui-même, puisque c'est
finalement sur des dispositions réglementaires postérieures à 1919 qu'il s'appuie pour tenter
de démontrer que la limite sera par la suite déplacée, pour être fixée sur le cours de la
Mékrou. Encore le fait-il avec la même approximation que dans son mémoire, en affirmant
péremptoirement que "[t]outes [ces dispositions réglementaires ultérieures] établissent
774
clairement que le tracé de la frontière suit la rivière Mékrou" ou que "de nombreux textes
réglementaires postérieurs à cette date avaient […] clairement reconnu que la rivière Mékrou
constituait la 'limite' entre les deux colonies" 775. Le Niger a pourtant déjà montré de façon
détaillée dans son contre-mémoire que tel n'était pas le cas et que ce n'est qu'en surajoutant au
prescrit de ces différents textes des éléments créés de toutes pièces que le Bénin parvient à
776
fonder cette affirmation . L'argumentation développée par le Bénin dans son contre-mémoire
n'apporte guère d'élément nouveau à cet égard.
5.5. La partie adverse affirme ainsi que la fixation de la limite intercoloniale au cours de la
Mékrou trouverait confirmation dans l'arrêté du 31 août 1927, tel qu'il a été modifié par
777
l'erratum du 5 octobre de la même année . On rappellera que cet arrêté, qui avait pour objet
initial la détermination des limites des colonies de la Haute-Volta et du Niger définissait en
fait les limites du cercle de Say, qu'un décret du 28 décembre 1926 avait détaché de la Haute-
771Ibid.
772
Article 2 de la loi du 4 septembre 1947, M.N., Annexes, série B, n° 66.
773Décret du 28 décembre 1926, M.N., Annexes, série B, n° 44.
774Ibid., p. 159, § 4.14.
775
Ibid., p. 163, § 4.21.
776
C.M.N., pp. 181 et s., § 5.7 et s.
777M.N., Annexes, série B, n° 47 et 48.
- 257Réplique de la République du Niger Chapitre V
778
Volta pour l'incorporer à la colonie du Niger . C'est la raison pour laquelle il a été corrigé
par un erratum, moins de cinq semaines après son adoption. Alors que l'arrêté du 31 août
faisait effectivement mention du cours de la Mékrou comme limite méridionale du cercle de
Say, le texte rectificatif s'est recentré sur son objet premier, en énonçant que la limite entre les
deux colonies suivait l'ancienne limite des cercles de Say et de Fada, jusqu'au point où cette
limite rencontrait le cours de la rivière Mékrou. Le Niger a donc toujours estimé qu'il était
impossible de se fonder sur ce texte pour établir le fait qu'en 1927, c'était bien la Mékrou qui
constituait la limite entre les deux colonies.
Cette conclusion est remise en cause par le Bénin dans son contre-mémoire à un double titre.
D'une part, en dépit de son abrogation, l'arrêté du 31 août 1927, qui fixait la limite Dahomey-
Niger dans ce secteur au cours de la Mékrou "n'en est pas moins doté d'une grande valeur
probante", car il révèlerait la perception qu'avaient les autorités de l'époque de la situation des
limites dans cette zone . D'autre part, la référence à la Mékrou comme point d'arrivée de la
limite entre la Haute-Volta et le Niger dans l'erratum du 5 octobre 1927 confirmerait que c'est
bien le cours de cette rivière qui séparerait les territoires du Dahomey et du Niger dans cette
780
région .
Le Niger reviendra plus loin sur le premier de ces arguments, qui renvoie à la question de la
perception des limites par les autorités coloniales de l'époque et, au-delà, à la nécessité de
781
resituer semblables prises de positions dans leur contexte . Il se limitera à constater, à ce
stade, que toutes les références au segment de frontière qui fait l'objet de ce volet du litige ont
été complètement expurgées de l'arrêté du 31 août 1927 à l'occasion de la rectification dont ce
texte a fait l'objet, très peu de temps après son adoption. La conséquence la plus claire en est
que la limite entre les deux colonies dans cette zone n'a pas été modifiée par cet arrêté, tel que
modifié par l'erratum du 5 octobre suivant. Il n'existait donc, à cette date, aucun texte dont le
but était de définir des limites intercoloniales qui serait venu modifier, en la fixant au cours de
la rivière Mékrou, la limite entre les colonies dans cette zone, telle qu'elle avait été décrite par
le décret du 2 mars 1907.
77Ibid., n° 44.
779
C.M./R.B., p. 162, § 4.19.
78Ibid., § 4.20.
781
Voy. infra, sous-section B, §§ 5.7 et s.
- 258Réplique de la République du Niger Chapitre V
Quant au fait que l'erratum du 5 octobre 1927 fait aboutir la ligne qui sépare les colonies de la
Haute-Volta et du Niger en un point situé sur la rivière Mékrou, il ne prouve en rien que le
cours de celle-ci a désormais été retenu comme limite entre le Niger et le Dahomey dans cette
région. Le Bénin aboutit à une conclusion erronée à cet égard, tout simplement parce qu'il
néglige de prendre en compte les décrets du 12 août 1909 et du 23 avril 1913 modifiant la
limite du Haut Sénégal et Niger et du Dahomey. Ainsi que le Niger l'a exposé dans son
mémoire, ces deux décrets ont eu pour effet de déplacer, sur une partie de son tracé, la limite
qu'avait instaurée le décret du 2 mars 1907 . Cette modification a eu pour résultat de faire se
croiser le cours de la Mékrou et la ligne de 1907, telle que modifiée par ces deux textes
subséquents. Ce point d'intersection constitue d'ailleurs le point triple, auquel aboutissent les
frontières du Burkina-Faso, du Bénin et du Niger dans cette zone . La présence de ce point
sur le cours de la Mékrou ne signifie donc en rien que l'erratum du 5 octobre 1927 puisse être
considéré comme une preuve du fait que la limite entre le Niger et le Dahomey suivait, à cette
date, le cours de cette rivière de ce point jusqu'à son confluent avec le fleuve Niger. De plus,
le Bénin fait une mauvaise lecture de l'erratum de 1927, et de l'ancienne limite des cercles de
Say et de Fada, à laquelle ce texte renvoie. Les cartes antérieures sur lesquelles cette limite
apparaît montrent en effet bien que cette ancienne limite rencontrait déjà la Mékrou . 784
L'erratum de 1927 n'apporte donc rien de nouveau à cet égard, et il est erroné d'en déduire que
la limite entre le Dahomey et le Niger dans cette zone aurait auparavant été modifiée pour
suivre le cours de la Mékrou.
5.6. L'argumentation développée par le Bénin dans son contre-mémoire au sujet des arrêtés de
1934 et 1938 portant réorganisation des divisions territoriales du Dahomey ne s'avère pas plus
convaincante. Pour rappel, aux termes de ces textes, le cercle de Kandi est limité
"Au Nord-Est : par le cours du Niger jusqu'à son confluent avec la Mékrou;
Au Nord-Ouest : la limite Dahomey-Colonie du Niger, du fleuve Niger au confluent de la Pendjari avec le
marigot Sud de Kompongou" .785
Le Niger a fait valoir, dans son mémoire que si la Mékrou avait bien constitué la limite entre
les deux colonies, il aurait été facile de l'exprimer dans cet arrêté, en utilisant une formule
782
M.N., pp. 230-232, §§ 3.1.67-3.1.68.
78Ibid., et infra, sous-section C, §§ 5.13 et s.
784
M.N., Annexes, série D, n° 10 et 11, e.a..
- 259Réplique de la République du Niger Chapitre V
similaire à celle employée pour définir la limite nord-est du cercle de Kandi ("par le cours du
Niger"). Selon le Bénin, cependant, cette différence de formulation ne devrait porter à aucune
conséquence. Ainsi que la partie adverse l'expose dans son contre-mémoire,
"[d]e toute évidence, cette référence non explicitée à la 'limite Dahomey-Colonie du Niger' ne peut
s'expliquer que parce que la limite était clairement connue de tous. Si tel n'avait pas été le cas, les
autorités coloniales auraient estimé nécessaire de préciser cette limite" .
L'argument ne manque pas de sel. Ainsi donc, la limite entre le Dahomey et le Niger aurait été
tellement bien connue de tous qu'il aurait été inutile de préciser qu'elle suivait le cours de la
Mékrou. En toute logique, c'est donc parce que tout le monde ignorait que le fleuve Niger
constituait, plus loin, la limite entre ces deux colonies que les auteurs des arrêtés de 1934 et
1938 ont jugé absolument indispensable de le préciser expressis verbis… Le Bénin, une fois
encore, propose ici une lecture quelque peu surprenante de l'histoire.
Mais la partie adverse tente d'expliquer cette absence de référence à la Mékrou comme limite
intercoloniale dans cette zone en avançant une autre explication encore. Si cette référence est
absente des deux textes, c'est parce que
"les arrêtés de 1934 et 1938 ne visaient pas à définir la limite entre les colonies du Niger et du Dahomey,
mais simplement à définir les limites des subdivisions internes à la colonie du Dahomey. Dès lors, il
787
suffisait de faire référence à la 'limite' entre ces deux colonies, sans la définir précisément" .
Cette tentative d'explication appelle deux observations. D'une part, elle ne justifie à nouveau
en rien la différence de traitement des segments nord-est et nord-ouest, respectivement, des
limites du cercle de Kandi. Si l'absence de mention de la Mékrou s'expliquait par le fait que
ces textes n'avaient pas pour objet de définir une limite intercoloniale, comment se fait-il que
les arrêtés se soient tous les deux référés explicitement au cours du Niger —qui constitue
clairement en même temps une limite intercoloniale— comme limite nord-est du cercle en
cause ? D'autre part, la vision qu'a la partie béninoise de la nature et de la portée des arrêtés de
1934 et 1938 semble avoir connu une évolution notable. Alors qu'il ne leur attribue plus, dans
785Article 1 , 7° de l'arrêté de 1934; article 1 , 8° de l'arrêté de 1938; M.N., Annexes, série B, n° 59 et 61, respectivement.
786
C.M./R.B., p. 164, § 4.23.
787
Ibid., p. 165, § 4.24.
- 260Réplique de la République du Niger Chapitre V
788
son contre-mémoire, qu'un rôle strictement interne à la colonie du Dahomey , le Bénin
écrivait dans son mémoire que nombre des textes adoptés au cours de la période coloniale
"jouaient un double rôle. En définissant les limites des subdivisions internes de chaque colonie, et en
particulier les limites de ses subdivisions situées à sa périphérie, ils définissaient par là même les limites
séparant chaque colonie des colonies limitrophes. Tel fut en particulier l'effet des deux arrêtés du
gouverneur général de 1934 et 1938 qui définissaient les limites des cercles dahoméens de Parakou et de
789
Kandi, lesquels étaient voisins de la colonie du Niger" .
Ces deux visions paraissent, à l'évidence, difficilement réconciliables. Mais sans doute le
Bénin aura-t-il l'occasion, au cours de la phase orale de la procédure, de préciser celle d'entre
elles qui recueille en fin de compte ses faveurs. En tout état de cause, aucune de ces tentatives
d'explication ne permet de conclure, comme le fait abusivement la partie béninoise, que les
arrêtés de 1934 et 1938 ont d'une quelconque manière indiqué que la limite entre les deux
colonies dans cette zone suivait le cours de la Mékrou.
Au total, il apparaît donc bien qu'aucun des textes législatifs ou réglementaires adoptés au
cours de la période coloniale en vue de créer de nouvelles entités territoriales ou de définir les
limites de circonscriptions existantes n'a modifié la ligne édictée par le décret du 2 mars 1907.
C'est en vain que l'on chercherait, dans l'un quelconque de ces textes, une nouvelle définition
de la limite entre le Dahomey et le Niger dans le secteur de la Mékrou, qui consisterait à
prendre le cours de cette rivière comme ligne de séparation entre ces deux colonies. Pareille
référence apparaît par contre indubitablement dans un procès-verbal de 1927, ainsi que dans
trois arrêtés, adoptés respectivement en 1926, 1937 et 1952. L'objet de ces derniers est
cependant tout autre, puisque ces textes concernent la création de parcs de refuge et de
réserves de chasse. De plus, il s'avère tout à fait indispensable de se replacer dans le contexte
de l'époque pour bien saisir la portée des références au cours de la Mékrou que l'on retrouve
dans ces différents textes.
78Voy. encore, dans le même sens, C.M./R.B., p. 166, § 4.26, (ii).
789
M/R.B., p. 82, § 3.43.
- 261Réplique de la République du Niger Chapitre V
Sous section B - Les références au cours de la Mékrou qui se retrouvent dans certains des
textes coloniaux ayant pour objet la création de parcs de refuge et de réserves de chasse
doivent impérativement se comprendre à la lumière des circonstances et des connaissances
de l'époque
5.7. C'est en 1926 que se retrouve pour la première fois dans un texte réglementaire la
référence au cours de la Mékrou comme limite dans le secteur concerné. Il convient toutefois
d'observer d'emblée que l'objet de l'arrêté de 1926, comme de ceux de 1937 et 1952 où l'on
trouvera par la suite cette mention, est tout à fait spécifique. Ces textes portent en effet
création de parcs de refuge —appelés par la suite "parcs nationaux", puis "réserves totales de
faune"— dans la vaste région sauvage dite du W du Niger. Il est donc bien entendu qu'en
raison de cet objet spécifique, ces arrêtés ne pouvaient avoir pour effet de modifier les limites
des colonies, telles qu'elles existaient alors. La référence à la Mékrou qui y apparaît ne peut
dès lors en aucun cas correspondre à l'énoncé d'une limite nouvelle, qui viendrait remplacer,
dans ce secteur, la ligne instituée par le décret du 2 mars 1907. Pareille référence ne pourrait
qu'être confirmative d'une limite préexistante, qui serait entre-temps venue se substituer à la
ligne droite découlant du décret de 1907. C'est d'ailleurs là la lecture que propose le Bénin du
seul de ce texte qui fait expressément mention de limites de colonies, en l'occurrence l'arrêté
du 16 avril 1926. Celui-ci fixe en effet les limites du parc des cercles de Say et de Fada, créé
dans la colonie de la Haute-Volta, de la manière suivante :
"à l'est, par le fleuve Niger; au sud, par la rivière Mékrou limite de la colonie du Dahomey, depuis son
confluent avec le Niger jusqu'au parallèle de Kompongou […]" .
Pour le Bénin, "[l]a référence à la rivière Mékrou a donc été faite en toute connaissance de
cause et par référence à sa nature juridique de limite administrative entre deux colonies" . 791
L'affirmation apparaît cependant quelque peu hâtive, et ce à un double titre. Son bien-fondé
supposerait en effet qu'il ait à la fois été répondu à la question de savoir de quel texte,
nécessairement antérieur à 1926, découle la fixation de la limite intercoloniale dans cette zone
au cours de la Mékrou et qu'il soit établi de manière sérieuse que cette référence à la Mékrou a
été faite "en toute connaissance de cause". Le Niger a montré plus haut qu'en dépit des
affirmations de la partie adverse, aucun des textes sur lesquels celle-ci a tenté de s'appuyer
790 er
Article 1 , 7°, b); M.N., Annexes, série B, n° 42.
79C.M./R.B., p. 160, § 4.15.
- 262Réplique de la République du Niger Chapitre V
pour remettre en cause la ligne de 1907 n'a fixé la limite entre colonies dans ce secteur au
792
cours de la Mékrou . Il montrera maintenant que c'est très loin d'être "en toute connaissance
de cause" que les autorités coloniales ont pu, à différents moments, faire référence au cours de
la Mékrou comme limite dans cette zone. Force est en effet de constater à cet égard que
l'approche du Bénin se caractérise par un anachronisme manifeste, qui consiste à envisager et
à analyser les agissements des autorités coloniales en se plaçant dans le contexte actuel plutôt
que dans celui de l'époque.
5.8. Le Niger a expliqué de façon détaillée dans son mémoire que le caractère sauvage et
totalement inhabité de la région dans laquelle coule la Mékrou en son cours inférieur a eu
pour conséquence que les autorités coloniales ont développé une représentation complètement
erronée du cours de cette rivière793. La façon dont ce cours d'eau a été figuré sur un très
grand nombre de cartes a joué un rôle déterminant à cet égard. Comme le résume le contre-
mémoire du Niger,
"[l]es représentations cartographiques de la région ont très longtemps présenté la Mékrou de
façon fantaisiste, suivant un cours légèrement sinueux, dans une direction analogue à la ligne
droite déterminée par le décret du 2 mars 1907"794.
En l'occurrence, ce constat s'appliquait à pas moins de quinze cartes différentes, reprises dans
le dossier cartographique de la République du Niger795. Pour le Niger, il est manifeste que
ces représentations cartographiques erronées, résultant de la méconnaissance complète de la
région concernée ont eu, à leur tour, une influence déterminante sur les positions qu'ont prises
par la suite les administrateurs coloniaux sur la question de la limite intercoloniale dans cette
zone.
Le Bénin s'efforce certes d'écarter cet argument, en le présentant comme dépourvu de toute
pertinence et comme peu vraisemblable :
"Que les autorités coloniales aient eu une connaissance approximative de la région, soit, mais que cela les
ait conduites à confondre une ligne droite artificielle mentionnée expressément dans un texte officiel avec
79Voy. supra, sous-section A, §§ 5.4 et s.
793
M.N., pp. 193-194, § 3.1.4; p. 205, § 3.1.31; pp. 209-210, § 3.1.38.
79C.M.N., p. 181, § 5.6 in fine, et les références aux cartes en question.
79M.N., Annexes, série D, n° 8, 10, 11, 12, 14, 16, 17, 19, 21, 23, 24, 32, 33, 35 et 36.
- 263Réplique de la République du Niger Chapitre V
un cours d'eau qui, manifestement, ne suivait pas un cheminement strictement rectiligne (quelle rivière le
fait d'ailleurs ?), il y a là un pas immense, que le Niger n'hésite pourtant pas à franchir" .
Et la partie adverse de noter, dans la même logique, à propos du matériau cartographique
disponible, que "sur aucune des cartes citées par le Niger la rivière n'est représentée par une
ligne droite; dans tous les cas, elle est dessinée avec des méandres plus ou moins marqués, pas
toujours rigoureusement fidèles à la réalité, mais dont l'existence est incontestable" . Le 797
moins que l'on puisse dire est que le Bénin manie à la perfection l'art de la litote. Comment,
en effet, peut-on affirmer avec un tant soit peu de sérieux que la Mékrou est représentée, sur
la plupart des cartes de la période coloniale, "avec des méandres plus ou moins marqués",
alors que cette rivière n'a la plupart du temps été figurée par les cartographes que sous la
forme d'une ligne à peu près droite, à peine marquée par l'une ou l'autre vague ondulation ?
Quant à la modeste réserve qu'introduit sur ce point la partie adverse en précisant que les
méandres en question n'étaient "pas toujours rigoureusement fidèles à la réalité", ne prête-t-
elle pas à sourire lorsque l'on compare le cours réel de la Mékrou, tel qu'il apparaît sur les
cartes modernes, avec celui qui lui a été assigné sur la grande majorité des cartes de la période
coloniale ? Par ailleurs, l'assertion du Bénin, lorsqu'il laisse entendre que le cours de la
Mékrou était mieux connu après 1907 798 ne repose sur rien. Elle est au contraire démentie par
de nombreux documents, qui couvrent quasiment toute la période coloniale.
Une fois encore, c'est à une relecture pure et simple de l'histoire que se livre la partie
béninoise en avançant de telles allégations.
5.9. Les deux parties se révèlent donc en désaccord fondamental sur cette question. Pour le
Bénin, la mauvaise connaissance de la région et les représentations cartographiques
fantaisistes du cours de la Mékrou qui en ont résulté constituent une question anecdotique,
dépourvue de la moindre pertinence pour l'établissement de la frontière dans cette zone. Seul
devrait être pris en compte à cet effet le cours réel de la Mékrou, tel qu'il est aujourd'hui
connu. Pour le Niger, au contraire, ces représentations cartographiques sont cruciales,
puisqu'elles reflètent précisément la perception de la région en cause qu'ont eue, pendant
presque toute la période coloniale, les autorités concernées. Il est fondamental de bien
796
Ibid., p. 159, § 4.14.
79Ibid., p. 171, § 4.40; voy. aussi, pour l'analyse plus détaillée des cartes à laquelle se livre le Bénin, les §§ 4.41 et suivants
de son contre-mémoire.
79C.M./R.B., p. 157, § 4.8, (iii).
- 264Réplique de la République du Niger Chapitre V
comprendre à cet égard que, même lorsqu'ils se référaient dans des textes au cours de la
Mékrou, c'était au cours de cette rivière tel qu'il apparaissait sur les cartes que les
administrateurs coloniaux se référaient, et non à son cours réel, alors totalement inconnu. Le
Bénin a, de façon constante, ignoré —ou feint d'ignorer— cette réalité à tous les stades de la
procédure. La représentation systématique de la Mékrou suivant son cours actuel sur tous les
croquis joints au mémoire béninois, alors même que ces croquis avaient pour vocation
d'illustrer les textes coloniaux dont il a été question ci-dessus, est particulièrement
symptomatique de cette approche . Il est frappant de constater que, sur l'ensemble de cette
question, le Bénin raisonne comme si les administrateurs de l'époque disposaient de toutes les
informations actuelles sur la zone en cause. C'est une parfaite illustration du modèle du
législateur rationnel, censé prendre ses décisions en complète connaissance du contexte
juridique et factuel dans lequel elles s'inscrivent, de même que de l'ensemble de leurs
conséquences. Un tel modèle correspond pourtant bien mal au contexte dans lequel la partie
adverse entend —plus ou moins consciemment— en faire application.
S'il fallait en fin de compte suivre l'argumentation du Bénin sur ce volet du litige, il apparaît
donc en tout cas tout à fait évident que le cours de la Mékrou auquel il faudrait se référer pour
fixer la frontière entre les deux Etats dans cette zone ne saurait en aucune façon être le cours
réel de cette rivière. Seul pourrait être pris en compte à cet effet le cours de la rivière tel que
se le représentaient les autorités coloniales à l'époque où elles se sont —en certaines
occasions au moins— référées à la Mékrou comme limite intercoloniale dans cette région.
Comme le montre la quasi-totalité des cartes de la période coloniale, il est manifeste que ce
cours figuré se rapproche beaucoup plus de la ligne de 1907 que du cours réel de la rivière,
que le Bénin tente de présenter comme ayant systématiquement constitué la ligne de référence
des autorités coloniales à partir des années 1920.
5.10. En tout état de cause, plusieurs éléments du dossier continuent à permettre de penser que
le cours de la Mékrou —même tel que se le représentaient de façon erronée les autorités
coloniales— n'a pas véritablement supplanté la ligne de 1907 comme limite intercoloniale
dans cette région. L'un est de nature cartographique, les trois autres sont liés, respectivement,
à l'arrêté du 25 juin 1953 portant classement en forêt domaniale et réserve de faune, dite
79Voy. de façon générale les observations formulées à ce sujet dans l'annexe I au contre-mémoire de la République du Niger
("Commentaires relatifs aux croquis contenus dans le mémoire de la République du Bénin"), pp. 198 et s.
- 265Réplique de la République du Niger Chapitre V
"Réserve totale de faune du W du Niger" et au texte équivalent adopté en 1952 du côté
dahoméen.
Soucieux de démontrer la pérennité de la limite fixée par le décret du 2 mars 1907 jusqu'à
l'aube des années 1930 au moins, le Niger s'est appuyé, dans son mémoire, sur la carte
d'ensemble politique et administrative de l'A.O.F., éditée en 1928 . Cette carte, qui constitue
une version actualisée de la carte de même objet établie en 1922 , mentionne en effet deux
dates sur l'alignement dans le secteur de la Mékrou : 2 mars 1907 et 6 septembre 1909.
Néanmoins, le Niger a par erreur mentionné comme référence de cette carte la carte n° D 29,
elle aussi intitulée carte d'ensemble politique et administrative de l'A.O.F., mais dressée au
1/2.500.000 et non au 1/10.000.000, comme l'étaient les cartes de 1922 et 1928 auxquelles la
partie nigérienne entendait en réalité se référer. Comme l'a très justement observé le Bénin
dans son contre-mémoire, la carte d'ensemble politique et administrative de l'A.O.F. dressée
au 1/2.500.000 en 1928 ne porte en effet aucune mention du décret du 2 mars 1907 dans le
secteur de la Mékrou , pas plus d'ailleurs qu'elle ne porte aucune référence quelconque aux
textes sur lesquels sont basées les limites que cette carte illustre. La République du Niger
présente ses regrets les plus sincères, tant à la partie adverse qu'à la Cour pour cette erreur, et
souhaite la rectifier en joignant, en annexe à la présente réplique, la carte de 1928 dressée au
803
1/10.000.000 à laquelle référence était faite dans son mémoire . Cette carte permet de voir
clairement que la mention des décrets de 1907 et de 1909 figure toujours en superposition de
la limite entre les colonies du Dahomey et du Niger dans cette zone. La thèse du Bénin, selon
laquelle la même mention, sur la carte de 1922, s'expliquait probablement par "un retard des
cartographes dans la mise à jour des données juridiques applicables", se révèle donc
manifestement intenable . Il en va de même de l'affirmation que cette mention a été faite par
erreur et "que cette erreur n'a jamais été reproduite par la suite, puisque toutes les cartes
postérieures à 1922 se réfèrent à la Mékrou, tandis que plus aucune ne se réfère à la ligne de
805
1907" . Une fois encore, il apparaît bien que ce que le Bénin tente de présenter comme des
certitudes bien établies ne sont en fait que des vérités très relatives. En tout état de cause, la
80M.N., p. 210, § 3.1.39.
801M.N., Annexes, série D, n° 18 ; la République du Bénin relève à bon escient dans son contre-mémoire que le mémoire du
Niger a donné une référence erronée pour cette carte, en renvoyant à la carte D 28.
802
C.M./R.B., p. 170, § 4.38.
80R.N., Annexes, série D, n° 18bis.
80C.M./R.B., p. 170, § 4.38.
- 266Réplique de la République du Niger Chapitre V
ligne de 1907 apparaît bien plus difficile à faire disparaître que ce que la partie adverse
voudrait faire croire. Le même constat ressort sans nul doute de l'analyse de l'arrêté de 1953
portant création du parc du W côté Niger.
5.11. Comme on le sait, ce texte délimite le parc de la façon suivante :
"A. Le point où la rivière Tapoa coupe la frontière entre le Territoire de la Haute-Volta et
celui du Niger pour entrer dans le territoire du Niger; B. Le confluent de la rivière Tapoa dans
le Niger; C. Le confluent de la rivière Mékrou dans le Niger; D. Le point de convergence des
frontières respectives entre les trois Territoires du Niger, du Dahomey et de la Haute-Volta".
Les limites du parc étaient précisées comme suit :
"Au Nord : la rive gauche de la rivière Tapoa, de A à B; à l'Est, le milieu du fleuve Niger ou le milieu de
son bras gauche lorsqu'il est divisé par des îles, de B à C; Au Sud, la frontière entre le territoire du Niger
et celui du Dahomey, de C à D; A l'Ouest : la frontière entre le Territoire du Niger et celui de la Haute-
806
Volta, de D à A" .
Ainsi que le soulignait le Niger dans son mémoire,
"cette formulation apparaît particulièrement révélatrice. Alors que les autres limites sont définies de façon
précise par rapport au tracé des cours d'eau (la rivière Tapoa et le fleuve Niger), aucune référence n'est
faite par le texte de 1953 au cours de la Mékrou pour ce qui est de la limite sud du parc, qui suit la ligne
séparant le territoire du Niger de celui du Dahomey" .07
On se trouve donc, à cet égard, dans une situation tout à fait similaire à celle résultant de la
formulation des arrêtés de 1934 et 1938 portant réorganisation des divisions territoriales de la
808
colonie du Dahomey, déjà évoquée ci-dessus . Si la rivière Mékrou avait constitué la limite
entre les deux territoires dans cette zone, il aurait évidemment été d'une très grande simplicité
de s'y référer expressément, comme c'était le cas lorsque les limites suivaient d'autres cours
d'eau. Selon le Bénin, cependant, cette absence de référence expresse ne soulèverait aucun
problème. Il en irait ainsi d'une part, "parce que les travaux préparatoires de cet arrêté
confirment que c'était bien la rivière Mékrou qui était visée" et, d'autre part, parce que si la
Mékrou n'était pas (sous-)entendue comme limite méridionale du parc créé du côté du Niger
805Ibid., p. 171, § 4.38.
806Loc. cit., article 1 .
807
M.N., p. 216, § 3.1.48.
808Voy. supra, § 5.6.
- 267Réplique de la République du Niger Chapitre V
en 1953, l'arrêté qui en porte création serait incompatible avec le texte qui a créé un parc
équivalent du côté du Dahomey l'année précédente et qui en fixait, quant à lui, clairement la
limite au cours de la Mékrou . Enfin, le Bénin entend tirer argument du fait que la
présentation du parc du W côté Niger (classé au patrimoine mondial de l'UNESCO), sur le
site internet de l'UNESCO, fait état des arrêtés des 1937 et 1953, auxquels le parc doit sa
création, pour en déduire que
"[l]a référence à ces arrêtés ne peut que signifier que la limite des secteurs du Parc côté Niger et côté
810
Bénin est constituée par la rivière Mékrou" .
Ce dernier argument a de quoi surprendre. On voit assez mal, en effet, comment la simple
mention, sur ce site internet, de textes dont le plus récent ne fait aucune référence à la Mékrou
alors qu'il se réfère à deux autres cours d'eau pour définir les limites du parc permettrait d'une
quelconque façon d'arriver à une conclusion aussi tranchée que celle qu'atteint le Bénin. Il n'y
a là rien d'autre qu'une pétition de principe pure et simple. Quant à l'argument relatif aux
travaux préparatoires de l'arrêté de 1953, il paraît certainement plus probant à première vue.
Mais il est aussi à double tranchant. L'avant-projet de délimitation du parc, préparé par
l'inspecteur principal des eaux et forêts du territoire du Niger s'était en effet appuyé sur les
limites fixées par l'arrêté de 1937 pour proposer comme limite sud du parc, côté Niger,
"La frontière entre les Territoires du Niger et du Dahomey (cette frontière étant matérialisée par la
811
Mékrou)…" .
Eu égard à la grande clarté de cet énoncé, il semble pour le moins légitime de s'interroger sur
les raisons pour lesquelles il n'a pas été retenu dans le texte finalement adopté. Selon le Niger,
cette omission ne doit rien au hasard, ni au fait que la fixation de la limite entre les deux
colonies au cours de la Mékrou —et plus encore à son cours réel— était tellement bien ancrée
dans tous les esprits à l'époque qu'il était inutile de l'énoncer de manière explicite. Au
contraire, tout permet de supposer que la référence expresse au cours de la Mékrou est
apparue aux autorités comme posant problème par rapport aux textes fixant les limites
intercoloniales dans la région. Le problème posé par la détermination de la superficie des
parcs, côté Niger comme côté Dahomey, en est sans nul doute le révélateur le plus probant.
809
C.M./R.B., pp. 168-169, §§ 4.30-4.31.
81Ibid., p. 169, § 4.32.
811
M/R.B., p. 104, § 4.34 et M/R.B., annexe 57.
- 268Réplique de la République du Niger Chapitre V
Ainsi que le Niger a eu l'occasion de l'expliquer dans son contre-mémoire, ce n'est en effet en
prenant comme limite sud du parc du W, côté Niger, la ligne du décret du 2 mars 1907 —ou
une ligne très proche de celle-ci— que la superficie de ce dernier correspond à celle que
812
l'arrêté de 1953 lui assigne en son article premier, soit 330.000 hectares . Si, au contraire,
c'est le cours réel de la Mékrou qui est retenu comme limite méridionale du parc, sa superficie
813
s'en verrait amputée d'un tiers, et ramenée à 220.000 hectares environ . Seule la lecture de
l'arrêté de 1953 que propose le Niger permet donc d'arriver à une solution qui ne soit pas
incompatible avec les propres termes de ce texte.
Seule également l'approche défendue par le Niger permettrait-elle d'assurer une lecture
cohérente des arrêtés de 1952 et 1953 pris individuellement, mais aussi mis en rapport l'un
avec l'autre. Comme le Niger l'a aussi montré, en effet, le même problème, en ce qui concerne
la détermination de la superficie du parc, se pose à l'égard du premier de ces textes. Ce n'est
que si la référence à la Mékrou comme limite du parc côté Dahomey, qu'énonce l'arrêté de
1952, se comprend comme une référence à son cours imaginaire, tel qu'il ressort de la quasi-
totalité des représentations graphiques de l'époque, et non comme un renvoi au cours réel de
cette rivière, que la superficie de 525.400 hectares environ annoncée par ce texte est
globalement respectée . 814
5.12. Au total, on le voit, de nombreux éléments du dossier convergent pour démentir l'image
d'apparente simplicité que tente de projeter le Bénin de l'évolution de la frontière dans le
secteur de la Mékrou. La thèse béninoise, selon laquelle la ligne fixée par le décret du 2 mars
1907 aurait été abandonnée dès 1919, pour être remplacée par le cours —réel— de la Mékrou
paraît, à l'évidence, difficilement conciliable avec plusieurs des cartes et des textes qui
viennent d'être évoqués. Aux fins de conforter sa thèse, la partie béninoise propose à plusieurs
reprises une lecture tronquée des textes. Mais elle va parfois aussi jusqu'à ignorer
délibérément certains textes qui remettent en cause ses théories.C'est le cas, en particulier, des
décrets du 12 août 1909 et du 23 avril 1913 modifiant la limite du Haut-Sénégal et Niger et du
Dahomey, dont l'ignorance par le Bénin le conduit à adopter une position erronée sur la
manière d'arriver à la détermination du point triple dans le secteur en cause.
81C.M.N., p. 190, § 5.16.
81Ibid.
81Voy. déjà C.M.N., p. 191, § 5.16.
- 269Réplique de la République du Niger Chapitre V
Sous-section C - L'ignorance délibérée par le Bénin des décrets de 1909 et 1913 le conduit
à adopter une position erronée sur la manière d'arriver à la détermination du point triple
5.13. La République du Niger a eu l'occasion d'exposer avec précision sa position sur la
question de la détermination du point triple Burkina-Faso-Bénin-Niger. Comme l'explique le
mémoire nigérien,
"dans cette zone, on s'est trouvé en présence à la fois d'un point double Niger-Dahomey et d'un point
triple Niger-Dahomey-Haute Volta. Le point d'intersection du méridien de Paris avec la chaîne
montagneuse de l'Atakora constituait un point double entre les colonies du Dahomey et du Niger. Le
point d'intersection de la limite Say-Fada avec la limite Fada-Atakora, d'une part, et de la ligne venant du
point d'intersection du méridien de Paris avec le sommet de la chaîne montagneuse de l'Atakora, d'autre
part, constituait le point triple entre les colonies du Niger, du Dahomey et de la Haute-Volta" .
Cette solution relativement complexe résulte d'une prise en compte et d'une analyse
minutieuse de l'ensemble des textes législatifs et réglementaires de la période coloniale qui
énoncent le tracé des limites de colonies, ou de circonscriptions de colonies, dans cette région.
Il s'agit, respectivement, du décret du 2 mars 1907 rattachant à la colonie du Haut-Sénégal et
Niger les cercles de Fada N'Gourma et de Say, des décrets du 12 août 1909 et du 23 avril
1913 fixant les limites entre le Dahomey et le Haut-Sénégal et Niger, ainsi que de l'erratum du
5 octobre 1927 à l'arrêté du 31 août 1927 fixant les limites des colonies de la Haute-Volta et
du Niger.
5.14. En dépit du fait que la position du Niger sur ce point est solidement appuyée par les
textes, la République du Bénin n'y voit cependant qu'un "pur artifice", en particulier pour ce
qui est de l'existence dans cette région à la fois d'un point double et d'un point triple816. La
partie béninoise remet cette approche en cause, car elle ne reposerait sur "aucun fondement
juridique"817. Il en irait ainsi, en premier lieu, en raison du fait qu'elle est fondée sur le décret
de 1907. Ce dernier n'étant plus applicable "depuis les années 1920" —on notera au passage
la remarquable imprécision du moment auquel le Bénin estime que ce texte a cessé de
produire ses effets—, il ne pourrait constituer un fondement juridique à ce point818.
L'argument est évidemment d'une valeur toute relative, dans la mesure où il prend pour acquis
81M.N., p. 232, § 3.1.69.
81C.M/R.B., p. 195, § 4.89.
81Ibid., § 4.90.
818
Ibid.
- 270Réplique de la République du Niger Chapitre V
une situation qui est loin d'être avérée en pratique, comme la République du Niger l'a montré
dans les pages qui précèdent. Mais, en tout état de cause, le Bénin, bon prince, accepte
d'envisager l'hypothèse dans laquelle ce texte aurait continué à produire des effets juridiques.
Même dans ce cas, selon la partie adverse, la thèse nigérienne serait indéfendable. La ligne
définie par le décret de 1907, et celle à laquelle l'erratum du 5 octobre 1927 fixe la limite
entre le Niger et la Haute Volta ne se croisant pas, il en résulterait "un 'vide' à la fois juridique
et géographique" et il serait "impossible, au vu de ces textes, de dire qui possède la
souveraineté territoriale au sud-est du point double Burkina/Niger et au nord-ouest du point
double Bénin-Niger"819. Cette situation a obligé le Niger "pour que sa revendication ait une
apparence de cohérence, à continuer la ligne de 1927 vers le sud-est pour rejoindre la ligne de
1907". Or, "[l]e tracé de ce second segment de droite repose en réalité sur une pure
extrapolation de la part du Niger, non étayée ni en fait ni en droit"820.
Cette présentation de la position du Niger sur cette question est totalement inacceptable, et la
République du Niger s'élève une nouvelle fois formellement contre la présentation déformée
et partielle de ses positions par la partie adverse. Le Bénin, en se livrant à pareille
présentation, ne fait rien d'autre qu'induire purement et simplement la Cour en erreur. La
construction proposée par le Niger, que le Bénin qualifie de "pure extrapolation" ou de "pur
artifice", en raison de sa prétendue absence totale de fondement juridique, prend en effet
appui sur deux textes coloniaux —les décrets du 12 août 1909 et du 23 avril 1913 fixant les
limites entre le Dahomey et le Haut-Sénégal et Niger. Le Bénin omet pourtant très
étrangement de mentionner ceux-ci à un point quelconque de son analyse et de sa critique de
la position nigérienne, alors que leur importance pour la détermination du point triple dans
cette zone a été exposée de manière détaillée dans le mémoire du Niger821. Il y est très
clairement exposé que ces textes ont eu pour effet de déplacer la limite entre les cercles du
Gourma (relevant à l'époque du Haut-Sénégal et Niger) et de l'Atakora (relevant du Dahomey)
de huit kilomètres vers le nord nord ouest. Ce sont dès lors eux qui expliquent que le point où
se rencontreront ultérieurement les limites des trois colonies voisines dans la région ne peut
plus se trouver à l'intersection du méridien de Paris et de la chaîne de l'Atakora.
81Ibid., p. 196, § 4.90.
820
Ibid., § 4.91.
82M.N., pp. 230-232, §§ 3.1.67-3.1.69.
- 271Réplique de la République du Niger Chapitre V
Ce sont ces textes qui constituent le fondement juridique de la ligne qui relie le point double
et le point triple identifiés dans le mémoire du Niger. Il est donc totalement erroné de
prétendre que cette ligne est dépourvue de tout fondement, et ce d'autant plus que ces
fondement ont été détaillés par le Niger dès le dépôt de son mémoire. Il est vrai que la
représentation graphique que le Niger a offerte de cette limite dans son mémoire822 n'est pas
des plus heureuses et que les approximations qu'y a relevées la partie adverse sont bien
réelles823. La République du Niger espère que les croquis joints à son contre-mémoire, qui
illustrent ses thèses de façon beaucoup plus claire et précise, permettront à la Cour comme à
la partie béninoise de mieux visualiser le tracé des limites et l'emplacement des points double
et triple dans cette zone, levant ainsi toute ambiguïté sur ce point.
En tout état de cause, l'illustration approximative des positions du Niger sur les croquis joints
à son mémoire n'excuse en rien le silence total conservé par la partie adverse sur les décrets
de 1909 et 1913. Mais sans doute ce silence s'explique-t-il à un double titre. D'une part,
comme on vient de le voir, parce qu'il permettait, en la tronquant, de donner une image peu
sérieuse de la position du Niger sur la question du point triple. De l'autre, parce que
l'existence même de ces textes remet foncièrement en cause la thèse du Bénin selon laquelle
la fixation de la limite intercoloniale à la Mékrou serait "le seul moyen de comprendre l'arrêté
de 1927"824. Pour la partie adverse,
"[s]i la limite daho-nigérienne avait encore été fixée en 1927 à la ligne de 1907, on se demande pour
quelle raison les autorités coloniales auraient arrêté la limite Niger/Haute Volta à la rivière Mékrou. La
logique voulait qu'on la continuât jusqu'à son point de rencontre avec la ligne de 1907" .
Une fois encore, l'argument ne tient que si l'on ignore délibérément les décrets de 1909 et
1913, et leur influence sur le tracé des limites dans la région. Ces textes ayant déplacé le
segment de la ligne de 1907 qui part de l'intersection du sommet de l'Atakora avec le méridien
de Paris vers la frontière du Togo, en créant dorénavant un point d'intersection entre ce
segment de limite et le cours de la Mékrou, il n'existait évidemment aucune raison pour le
législateur, en 1927, de prolonger la limite Niger-Haute Volta au-delà de ce cours d'eau. On le
voit, ce n'est donc, une nouvelle fois, qu'en disposant à son gré des éléments du dossier —et
82Croquis n° 4 et 5, en vis-à-vis des pages 191 et 231, respectivement.
823
Ibid.
82Ibid., p. 196, § 4.92.
82Ibid., p. 197, § 4.92.
- 272Réplique de la République du Niger Chapitre V
en l'occurrence, en en faisant purement et simplement disparaître certaines pièces— que le
Bénin parvient à établir avec autant d'assurance le bien-fondé de ses thèses.
Il est vrai que, sans justifier expressément l'exclusion des décrets de 1909 et 1913 sur cette
base, la partie adverse a soutenu, tant dans son mémoire que dans son contre-mémoire, qu'il
826
existerait en l'espèce une "période critique pour la fixation du point triple" . Cette période
critique est cependant identifiée de façon différente dans chacune de ces pièces. D'après le
mémoire béninois, il existerait en réalité deux périodes critiques, "celles comprise entre 1919
827
et 1932 et postérieure à 1947" . Selon le contre-mémoire, par contre, "la période critique
pour la fixation du point triple ne peut commencer, en droit, qu'à dater de la création de la
er 828
colonie de Haute Volta, c'est-à-dire à partir du 1 mars 1919" . Cette différence d'approche,
sur laquelle le Bénin aura peut-être l'occasion de s'expliquer, ne semble en tout état de cause
pas avoir de conséquence pratique puisque, comme l'indique la citation reprise ci-dessus,
l'objectif premier de l'argument semble être d'exclure la prise en compte de textes antérieurs à
1919. Selon la partie adverse, en effet, le point triple actuel concernant le Burkina Faso, le
Bénin et le Niger, il serait inutile de prendre en compte, en vue de son identification, des
textes antérieurs à la création de la dernière des colonies auxquelles ces Etats ont succédé.
Seraient ainsi exclus du raisonnement tous les textes qui ont précédé la création de la colonie
de la Haute-Volta, en 1919.
Le procédé est pour le moins étrange. S'il apparaît évidemment indispensable de prendre en
compte, pour la détermination du point triple, tous les textes postérieurs à la création de la
troisième colonie concernée, et ce jusqu'aux indépendances, on voit très mal en quoi il
s'imposerait d'exclure les textes antérieurs. Ceux-ci peuvent en effet s'avérer déterminants
pour l'identification des limites entre les deux territoires pré-existants, identification à son tour
indispensable pour la détermination du point triple. Ainsi, si l'on adhérait ne fût-ce qu'un
instant à la thèse du Bénin selon laquelle la limite entre le Dahomey et le Niger était fixée au
cours de la Mékrou, la fixation du point triple sur le cours de cette rivière résultant de
l'erratum du 5 octobre 1927 serait-elle d'une quelconque manière affectée par le fait que les
textes qui ont ainsi défini la limite Dahomey/Niger étaient antérieurs, plutôt que postérieurs à
1919 ? La réponse est bien évidemment négative, et il est d'ailleurs révélateur que le Bénin
82Ibid., p. 194, § 4.87.
82M/R.B., p. 110, § 4.53.
82C.M./R.B., p. 194, § 4.87.
- 273Réplique de la République du Niger Chapitre V
n'invoque aucune source doctrinale ou jurisprudentielle à l'appui de sa prétendue théorie de la
"période critique".
Plus révélateur encore est le fait que, sitôt ce prétendu principe posé, la partie adverse
s'engage dans une réfutation détaillée de la thèse nigérienne basée au premier chef, comme on
le sait, sur le décret de 1907 que la théorie béninoise de la "période critique" imposerait
829
pourtant d'écarter de l'analyse . Dès lors que le Bénin engageait le débat sur ce texte, il lui
incombait également de prendre en compte les décrets de 1909 et 1913 qui en modifiait
sensiblement la portée et dont l'importance pour la détermination correcte du point triple dans
cette zone a été amplement démontrée par le Niger. A défaut, la partie béninoise ne pouvait
s'engager —comme elle l'a fait— que dans une présentation réductrice et caricaturale de la
position du Niger sur cette question. Le Bénin a, sur ce point encore, choisi une approche
outrancièrement simplificatrice des éléments du dossier en vue de conforter l'apparence de
cohérence et de simplicité de ses thèses, tout en dénigrant, sur des fondements erronés et
incomplets, celles du Niger. Le silence gêné que le Bénin conserve sur ces textes est un
silence éloquent.
5.15. Outre la mise à l'écart délibérée des textes de 1909 et 1913, et de l'influence qu'ils ont
eue sur la modification du tracé de la limite intercoloniale dans cette zone, le raisonnement du
Bénin pèche également par le fait qu'il paraît ignorer le fait que l'ancienne limite des cercles
de Say et de Fada, à laquelle fait référence l'erratum de 1927, a toujours croisé le cours de la
Mékrou. Le tracé exact de cette limite ne ressort cependant d'aucun texte, et seules les cartes
de l'époque permettent de l'identifier avec une certaine précision . Les cartes de 1907 et
1908 montrent très clairement que cette ligne rejoint le point d'intersection du sommet de la
chaîne de l'Atacora et du méridien de Paris. Les textes de 1909 et 1913 ont eu pour effet de
faire remonter ce point de rencontre de huit kilomètres en direction du nord. L'erratum de
1927 n'a fait que confirmer cette nouvelle limite en indiquant que le point d'aboutissement de
la limite Niger – Haute-Volta était fixé à la Mékrou. Or, ce point, tel qu'on peut l'identifier sur
la carte au 1/200.000, est situé précisément à huit kilomètres du point d'intersection du
sommet de l'Atacora et du méridien de Paris, défini par le décret de 1907. La détermination du
point triple, telle qu'elle est effectuée par le Niger, est donc basée sur une lecture combinée de
ces trois textes, ainsi que par la prise en compte de la représentation de l'ancienne limite des
82Ibid., pp. 195 et s., §§ 4.89.
- 274Réplique de la République du Niger Chapitre V
cercles de Say et de Fada, telle qu'elle apparaît sur les cartes de l'époque. Cette méthode
contraste singulièrement avec celle suivie par la partie béninoise, qui s'est contentée de relever
les coordonnées du point qui apparaissait comme l'intersection des frontières du Bénin, du
Burkina Faso et Niger sur la carte I.G.N. au 1/200.000 de 1955 pour en faire le point triple
dans la région, tout en affirmant "qu'aucun texte juridique n'a fixé l'emplacement exact de ce
point" .31
5.16. Il est donc au total assez piquant de constater que la partie adverse reproche au Niger le
caractère artificiel et le manque de fondement de sa position en ce qui concerne la
détermination du point triple, alors que le Bénin lui-même fait délibérément l'impasse sur
plusieurs des textes coloniaux pertinents et se contente d'une méthode d'identification du point
triple particulièrement approximative. Comme on l'a vu, cette manœuvre s'explique toutefois
aisément, dès lors que les textes en cause justifient pleinement la position adoptée par le Niger
sur cette question, et qu'ils mettent au contraire à mal la thèse béninoise selon laquelle la
fixation du point triple sur le cours de la Mékrou ne pourrait résulter que du seul erratum du 5
octobre 1927.
Ainsi que le Niger le montrera maintenant, les tentatives de la partie béninoise de remettre en
cause l'argumentation nigérienne relative aux prises de position adoptées par le Niger au
début des années 1970 ne sont pas plus fructueuses.
Section 2 -
Les positions adoptées par les autorités du Niger au début des années 1970 étaient
bel et bien entachées d'erreur et ne sauraient se voir attribuer des effets juridiques
5.17. La République du Niger a exposé, dans son mémoire, les raisons pour lesquelles les
positions adoptées par les autorités nigériennes sur la question du tracé frontalier dans la
région de la Mékrou au début des années 1970 ne pouvaient être considérées comme un
832
acquiescement aux thèses du Bénin . Dans le cadre d'un projet de construction d'un barrage
sur la Mékrou, au site de Dyodyonga, les autorités nigériennes avaient en effet pris position
sur la question des limites entre les deux Etats dans cette zone, en indiquant que cette limite
830
Voy. M.N., Annexes, série D, n° 10 et 11.
83M/R.B., p. 111, § 4.56.
- 275Réplique de la République du Niger Chapitre V
était constituée par le cours de la Mékrou . La République du Niger a néanmoins démontré
qu'il était impossible d'accorder un effet juridique à ces prises de positions dans le cadre de la
présente instance, dès lors qu'elles étaient entachées d'erreur. C'est en effet sur la base
d'informations inexactes, et alors qu'elles se trouvaient dans l'ignorance de l'existence de
textes particulièrement pertinents, au premier rang desquels le décret du 2 mars 1907, que les
autorités nigériennes ont, à l'époque, adopté les positions qui viennent d'être rappelées. Le
centre IGN de Dakar et le ministère des Affaires étrangères français avaient de fait répondu, à
une demande des autorités nigériennes, qu'il n'avait été retrouvé aucun "texte officiel
définissant avec précision le tracé de la frontière Nigéro-Dahoméenne le long de la rivière
Mékrou" 834ou qu'il n'avait pas paru possible "de déterminer, en l'absence de textes précis, le
835
tracé de la frontière entre le Niger et le Dahomey" .
Le Niger a montré, dans son mémoire, que toutes les conditions de l'erreur se trouvaient
remplies en l'espèce et que les positions adoptées par les autorités nigériennes à la suite de
l'exhumation du décret de 1907, à la fin de l'année 1974, s'étaient nettement démarquées de
celles qu'elles avaient exprimées quelques mois auparavant . La "neutralisation" ultérieure
de cette épisode dans les négociations entre le Bénin et le Niger, tant au sujet de la poursuite
du projet de construction d'un barrage à Dyodyonga qu'à propos de la délimitation de leur
frontière commune, dans le cadre de la commission paritaire mixte, se voyait d'ailleurs
confirmée par le fait que la partie béninoise n'en avait jamais tiré argument et avait toujours
837
limité le débat aux textes de la période coloniale .
5.18. Cette approche a été vivement contestée par la République du Bénin dans son contre-
mémoire. Pour la partie adverse, en effet, les positions adoptées par les autorités nigériennes
dans le contexte qui vient d'être rappelé sont probantes dès lors qu'elles constituent une
838
reconnaissance officielle de la validité de la thèse soutenue par le Bénin . Le Niger se
trouverait de ce fait en position d'estoppel et ne pourrait revenir, dans le cadre de la présente
instance, sur une position exprimée "officiellement et sans ambiguïté, 'd'une manière claire et
83M.N., pp. 217 et s., §§ 3.1.51 et s.
83Ibid., pp. 221-222, §§ 3.1.55-3.1.56.
834
Lettre du 15 avril 1970, M.N., Annexes, série C, n° 69.
83Note verbale du 7 septembre 1971; M.N., Annexes, série C, n° 70.
83M.N., pp. 223 et s., §§ 3.1.59 et s.
837
Ibid., pp. 225-226, §§ 3.1.60-3.1.61.
- 276Réplique de la République du Niger Chapitre V
839
constante'" . Selon la partie béninoise, les autorités nigériennes cherchaient seulement à
préciser l'emplacement de la frontière sur la Mékrou (dans la rivière elle-même ou sur l'une
ou l'autre de ses rives), et elles auraient dès lors bien été convaincues que le cours même de
cette rivière constituait la frontière entre les deux Etats dans cette zone . Les réponses 840
fournies par les autorités consultées par le Niger à l'époque ne laisseraient d'ailleurs subsister
aucune ambiguïté à cet égard et c'est, partant, en pleine connaissance de cause que les
autorités nigériennes se seraient en fin de compte engagées à l'égard du Dahomey. Il
n'existerait de plus aucune erreur susceptible d'être invoquée par le Niger en vue de remettre
en cause la validité de ses prises de positions passées. L'absence d'information relative au
décret de 1907, en particulier, serait sans aucune pertinence, dès lors que ce texte aurait
841
"disparu de l'ordonnancement juridique français" dès 1919 . En tout état de cause, les
conditions d'invocation de l'erreur, définies de façon très strictes en droit international, ne
seraient pas réunies en l'espèce, entre autres du fait que le Niger aurait contribué à l'erreur et
842
aurait fait preuve de légèreté dans les engagements qu'il a pris à l'époque . Enfin, les
négociations menées plus récemment entre les deux Etats en vue de la réactivation du projet
de barrage à Dyodyonga auraient confirmé, plutôt qu'infirmé la reconnaissance, par les
autorités nigériennes, du fait que c'était bien le cours de la Mékrou qui représentait la limite
843
entre les deux Etats dans la région .
Le Niger répondra de façon systématique à ces arguments, en montrant qu'aucun d'entre eux
n'est fondé et que la thèse de l'erreur peut valablement être soutenue en l'espèce.
838C.M./R.B., p. 177, § 4.50.
839
Ibid.; la référence à la position "claire et constante" est reprise de la jurisprudence de la Cour dans les affaires du Plateau
continental de la mer du Nord (Danemark et Pays-Bas c. République fédérale d'Allemagne) et de la Frontière terrestre et
maritime (Cameroun c. Nigeria).
840
C.M./R.B., p. 178, § 4.53.
841
Ibid., p. 183, § 4.65.
842Ibid., pp. 185 et s., §§ 4.72 et s.
843Ibid., p. 190, § 4.81.
- 277Réplique de la République du Niger Chapitre V
Sous-section A - La position du Niger n'a pas été exprimée "officiellement et sans
ambiguïté, d'une manière claire et constante"
5.19. Le Niger s'attardera dans un premier temps à l'allégation de la partie adverse selon
laquelle la position des autorités nigérienne admettant la fixation de la frontière au cours de la
Mékrou aurait été exprimée "officiellement et sans ambiguïté, d'une manière claire et
constante". Si la première partie de cette assertion est incontestable, la seconde l'est beaucoup
moins. La position des autorités nigériennes sur ce point n'a en effet nullement été constante.
Dès qu'elle a pris connaissance de l'existence et de la teneur du décret du 2 mars 1907, la
partie nigérienne s'est bien gardée de réitérer d'une quelconque façon la prise de position
exprimée en 1973 et 1974, dans le contexte qui a été décrit plus haut. Il est très révélateur, à
cet égard, qu'aucune réponse n'ait été apportée par les autorités nigériennes aux propositions
dahoméennes consignées dans le procès-verbal de 1974, alors que ce texte même le
prévoyait . En dépit de négociations sur un projet d'accord relatif à la construction d'un
barrage à Dyodyonga, en 1974, un accord formel n'a jamais été conclu sur cette question à
l'époque, à partir du moment où le Niger s'est rendu compte de son erreur sur l'identification
de la frontière. Ce n'est que 25 ans plus tard qu'un accord portant sur le même projet entre les
deux parties a finalement été scellé, sans que son contenu reflète le moindre agrément de la
partie nigérienne à la fixation de la frontière entre le Niger et le Bénin dans cette zone au
cours de la Mékrou . Plus marquant encore est le fait que la partie nigérienne a toujours très
clairement défendu, dans le cadre des travaux de la Commission mixte paritaire de
délimitation des frontières, la thèse selon laquelle la ligne fixée par le décret de 1907, et non
le cours de la Mékrou, constituait la frontière entre les deux Etats dans cette région . Au vu 846
de ces différents éléments, il apparaît donc tout à fait abusif de présenter la position adoptée
par les autorités nigériennes en 1973-1974 comme ayant été exprimée de manière constante.
Bien au contraire, si l'on peut déceler une constance dans les positions du Niger sur cet aspect
du dossier depuis 1974, c'est celle qui consiste à remettre en cause la thèse d'une frontière
constituée par le cours de la Mékrou.
84Voy. M.N., Annexes, série A, n° 11, dernier paragraphe du procès-verbal.
84Voy. déjà M.N., p. 226, § 3.1.61; le texte de ce dernier traité est reproduit dans M.N., Annexes, série A, n° 27.
846 ème ème
Voy. ainsi les compte rendus des 3et 5 sessions ordinaires de la Commission (M.N., Annexes, série A, n° 21, p. 6; n°
28, p. 9)
- 278Réplique de la République du Niger Chapitre V
Sous-section B - Les autorités nigériennes n'étaient nullement convaincues que le cours
même de la Mékrou constituait la frontière entre les deux Etats dans la zone
5.20. Selon la partie adverse, les autorités nigériennes auraient d'entrée de jeu été convaincues
que la Mékrou constituait la limite entre les deux Etats dans cette zone :
"La formulation de la question posée par le ministère nigérien à l'I.G.N. prouve qu'il s'agissait bien à
l'époque de déterminer, non pas si la frontière se situait ailleurs que sur la Mékrou —cela était admis, car
sinon la question n'aurait eu aucun sens— mais où elle se situait sur la Mékrou (à la rive ou sur la rivière
847
elle-même)" .
Le Bénin entend tirer argument, pour conforter cette thèse, de la manière dont la question
adressée à l'I.G.N. a été présentée par l'auteur de la lettre. Et sans doute cette position peut-
elle trouver quelque appui dans le deuxième paragraphe de la lettre du 4 avril 1970, qui était
rédigé comme suit :
"Il s'agirait de déterminer avec précision si la frontière entre le NIGER et le DAHOMEY est représentée
par la rivière Mékrou (donc par son thalweg) ou si elle laisse tout le cours d'eau dans l'un des deux
territoires. Le pointillé de la frontière, dans les cartes ci-dessus mentionnées laisse la totalité du cours
d'eau en territoire nigérien" .
Mais cette lecture serait bien parcellaire si cet extrait n'était pas remis dans le contexte général
de la demande formulée par les autorités nigériennes de l'époque. La lettre en cause débute en
effet de la manière suivante, qui montre que la question adressée à l'I.G.N. était beaucoup plus
large et plus ouverte que ce que tente d'en laisser entendre le Bénin :
"J'ai l'honneur de vous prier de bien vouloir me donner, si possible, la référence des documents sur
lesquels se sont fondés les auteurs des cartes ci-dessous désignées et concernant la frontière entre le
NIGER et le DAHOMEY :
e
- carte 1/200 000 KIRTACHI N D 31 III
e 849
- cartes 1/50 000 KIRTACHI 1 d, 2 c et 2 d" .
On comprend immédiatement, à la lecture de cette requête, que si les autorités nigériennes ont
demandé des indications précises sur le tracé de la frontière dans ou le long de la Mékrou, ce
847
C.M./R.B., p. 178, § 4.53.
848M.N., Annexes, série C, n° 68.
849Ibid.
- 279Réplique de la République du Niger Chapitre V
n'est nullement parce qu'elles étaient convaincues que ce cours d'eau constituait la frontière
dans cette zone, ou parce que cette limite était "admise". Cette demande s'explique en fait tout
simplement par le fait que la consultation des cartes disponibles —qui constituaient
visiblement la seule source d'information dont les autorités nigériennes disposaient pour tenter
d'identifier le tracé des frontières de leur pays dans la région— faisaient apparaître le cours de
la Mékrou comme frontière.
Même si l'on ne dispose pas du texte original de la note par laquelle le ministère des Affaires
étrangères a adressé une demande de renseignements du même ordre aux autorités françaises,
la façon dont cette demande est reproduite dans la réponse transmise par l'ambassade de
France au Niger en septembre 1971 montre clairement que la demande initiale était formulée
en des termes très généraux, et n'était nullement exclusivement centrée sur la Mékrou. Selon
les termes mêmes de cette note,
"Le Ministère [des Affaires étrangères de la République du Niger] avait bien voulu demander à
l'Ambassade de transmettre à son Gouvernement une requête en vue d'obtenir des références
cartographiques afin de lui permettre de compléter sa documentation sur toutes les frontières du Niger,
héritées de la colonisation, et en particulier sur le tracé frontalier entre le Niger et le Dahomey" .
On voit donc très clairement, ici encore, que la demande initiale ne portait pas —ou en tout
cas certainement pas seulement— sur une question aussi étroite que celle à laquelle renvoie le
Bénin, et qui aurait en l'occurrence été limitée à une indétermination quant à la fixation de la
frontière sur l'une ou l'autre rive, ou dans le cours, de la Mékrou. De toute évidence, c'est une
demande beaucoup plus large sur les fondements de ses frontières dans la région en cause qui
a été adressée par le Niger, tant à l'I.G.N. qu'aux autorités françaises.
C'est au regard de la portée très générale des questions posées par le Niger à ses deux
interlocuteurs qu'il faut dès lors apprécier les réponses qui lui ont été faites de part et d'autre.
Il apparaît alors, très clairement, que ce n'est pas en toute connaissance de cause, comme le
prétend la partie adverse, que le Niger s'est engagé vis-à-vis du Dahomey sur la question de
l'identification de leur frontière commune dans la région en cause, et que la position des
autorités nigériennes a bel et bien été entachée d'erreur sur le contenu du legs colonial.
85M.N., Annexes, série C, n° 70.
- 280Réplique de la République du Niger Chapitre V
Sous-section C - Il existe bien une erreur susceptible d'être invoquée par le Niger en vue de
remettre en cause la validité de ses prises de positions passées
5.21. Pour le Bénin, les réponses fournies par l'I.G.N. et les autorités françaises aux demandes
d'information nigériennes auraient été parfaitement complètes et exactes. Aucune erreur ne
pourrait dès lors être invoquée par le Niger pour tenter de priver d'effets juridiques les
positions adoptées par les autorités nigériennes en 1973-1974 sur la base de ces informations.
En particulier, l'absence de toute référence au décret de 1907 ne causerait aucun problème à
cet égard, dès lors que ce texte avait été abrogé par le décret de 1919 portant création de la
Haute Volta . Aucun problème ne résulterait non plus, selon la partie adverse, de
l'affirmation du directeur du centre I.G.N. de Dakar, aux termes de laquelle "[i]l n'a été trouvé
dans nos archives pas plus qu'aux Archives du Sénégal de texte officiel définissant avec
précision le tracé de la frontière Niger-Dahomey le long de la rivière Mékrou" . Il en irait de
même, encore, pour celle transmise par l'ambassade de France à Niamey, qui indiquait de
façon générale qu'il "n'a donc pas paru possible aux services français compétents, de
déterminer, en l'absence de textes précis, le tracé de la frontière entre le Niger et le
853
Dahomey" . Ces deux affirmations seraient, au sens de la partie béninoise, tout à fait
exactes, dès lors qu'en ce qui concerne l'emplacement exact de la frontière sur la Mékrou,
"il n'existe, comme l'ont relevé les autorités consultées, aucun texte colonial. De fait, s'il en existe un
grand nombre qui se réfèrent à la Mékrou comme ligne frontière, il est vrai qu'aucun ne précise si cette
limite est fixée à la rive ou à la ligne médiane" .
Le Bénin ne semble, à vrai dire, pas mesurer à quel point cette affirmation mine son
argumentation, non seulement sur la question particulière de l'erreur susceptible d'être
invoquée en l'espèce, mais plus globalement sur l'ensemble de la question de la frontière dans
le secteur de la Mékrou.
5.22. L'extrait du contre-mémoire du Bénin qui vient d'être cité contient en effet une
proposition foncièrement inexacte, ou en tout cas foncièrement contradictoire avec la ligne
d'argumentation soutenue par la partie adverse sur ce secteur de la frontière. S'il était, en effet,
aussi bien admis que le prétend la partie adverse que la Mékrou constituait la limite entre les
851
C.M./R.B., p. 183, § 4.64.
85M.N., Annexes, série C, n° 69.
853
M.N., Annexes, série C, n° 70.
- 281Réplique de la République du Niger Chapitre V
colonies dans cette zone, comme l'auraient établi "un grand nombre " de textes, comment se
fait-il qu'aucun de ces textes n'est cité par le directeur de l'I.G.N. en réponse à une demande
de "référence des documents sur lesquels se sont fondés les auteurs des cartes […] concernant
la frontière entre le Niger et le Dahomey" ? Le silence des autorités sollicitées sur ce point ne
semble donc guère plaider en faveur de la thèse béninoise, selon laquelle la limite à la Mékrou
aurait, dès les années 1920, reposé sur des fondements textuels bien établis. Mais le Bénin, on
le sait, préfère ignorer la formulation très générale des demandes d'information présentées par
les autorités nigériennes en 1970 pour se tenir à la thèse qui voudrait que ces demandes n'aient
porté que sur une détermination "fine" de la limite, sur l'une ou l'autre rive, ou dans le cours
de la Mékrou.
Cependant, même à suivre ce scénario minimaliste, les réponses apportées par les autorités
consultées, en ce qu'elles font état de l'absence totale de texte pertinent, s'avèrent
problématiques. Contrairement à ce qu'affirme le Bénin avec l'autorité qui lui est coutumière,
il existe en effet au moins deux texte coloniaux qui portent cette précision. Il s'agit en
l'occurrence de l'arrêté du 16 avril 1926 fixant certaines conditions d'exécution du décret du
10 mars 1925 portant réglementation de la chasse et institution de parcs de refuge en A.O.F.,
auquel la partie béninoise ne manque d'ailleurs pas de se référer quelques pages plus tôt dans
son contre-mémoire, pour tenter d'étayer ses thèses , et de l'arrêté du gouverneur du
Dahomey du 30 septembre 1937, qui possède le même objet . Aux termes de l'article 1 , 6° du er
premier de ce texte, et de l'article 1 du second—dispositions que le Bénin ne reproduit
d'ailleurs étrangement à aucun endroit dans ses écritures—, le parc du Moyen-Niger, créé du
côté du Dahomey, est limité
856
"[…] à l'ouest, par la rive droite du Mékrou sur 75 kilomètres à partir de son confluent […]" .
La portée du premier de ces textes ne fait, selon la partie béninoise, aucun doute :
"en définissant la limite occidentale du parc institué au Dahomey dans le cercle du Moyen-Niger […] par
référence à la rivière Mékrou, cet arrêté admet nécessairement que celle-ci constitue la limite entre ces
deux colonies" .7
85C.M./R.B., p. 180, § 4.56; voy. aussi, p. 186, § 4.73, (ii).
855
Ibid., pp. 159-160, § 4.15.
856Arrêté de 1926, M.N., Annexes, série B, n° 42; souligné par la République du Niger; arrêté de 1937, M/R.B., annexe n°
45.
- 282Réplique de la République du Niger Chapitre V
Et l'on pourrait ajouter, dans cet esprit, que cet arrêté est d'autant plus intéressant qu'il fixe
cette limite avec précision, en l'établissant à la rive droite de la Mékrou. Dès lors, l'absence de
toute référence à ces textes, tant dans la réponse de l'I.G.N. que dans celle des autorités
françaises, ne peut que susciter un trouble certain. En effet, de deux choses l'une.
Soit ces textes n'ont jamais été considérés comme pertinents pour la détermination de la limite
intercoloniale dans cette zone, et il est alors logique qu'aucune référence n'y soit faite dans les
correspondances en cause. Ce serait là la seule manière d'expliquer ce silence, puisque les
arrêtés de 1926 et de 1937 paraissent à première vue contenir des éléments d'informations tout
à fait spécifiques sur la détermination précise de la limite, qu'ils fixent à la rive droite de la
Mékrou, et dès lors répondre précisément à la question des autorités nigériennes, même dans
la conception restrictive qu'en présente le Bénin.
Soit ces textes ont toujours été considérés comme pertinents pour la détermination des limites
dans le secteur de la Mékrou, où ils traduiraient une rupture claire avec la ligne de 1907, et
leur absence de mention par les deux autorités consultées par le Niger en 1970 ne peut alors
s'expliquer que par le fait que l'ensemble des textes susceptibles de présenter un intérêt pour
la détermination des limites dans cette zone avait, d'une façon ou d'une autre, été perdu de
vue, même par les services les plus actifs et compétents dans ce domaine.
Il ressort de tout ceci que la mention de l'"absence de textes précis" susceptibles d'aider à la
détermination du tracé frontalier entre le Niger et le Dahomey dans la région de la Mékrou,
dans les réponses adressées aux autorités nigériennes par les services de l'I.G.N. et par le
ministère français des Affaires étrangères, se révèle profondément problématique. Quelle que
soit la portée que l'on donne à la demande initiale des autorités nigériennes, ces réponses leur
ont offert une vision inexacte du legs colonial, en leur laissant entendre qu'il n'existait aucun
texte pertinent pour la détermination des limites dans la région en cause, alors que tel était, à
l'évidence, loin d'être le cas. C'est donc bien sur une base erronée, dans la croyance de
l'inexistence de tout texte pertinent, que les autorités nigériennes ont pris, en 1973-1974, la
position qui consistait à reconnaître le "milieu du lit majeur du cours d'eau [la Mékrou] ou
thalweg" comme frontière dans cette zone . Leur changement de position, dès la fin de
85C.M./R.B., p. 160, § 4.15.
85Pour reprendre les termes du procès-verbal de la réunion des experts des gouvernements de la République du Niger et de
la République du Dahomey au sujet de la Mékrou et du projet de barrage à réaliser sur son cours, 8 février 1974, M.N.,
Annexes, série A, n° 11.
- 283Réplique de la République du Niger Chapitre V
l'année 1974, montre que tel n'aurait à l'évidence pas été le cas si elles avaient eu pleine
connaissance de l'ensemble du legs colonial pertinent. Les effets de l'erreur sont donc bien
établis en l'espèce et il est faux de prétendre, comme le fait la partie adverse, que le Niger y a
d'une quelconque manière contribué.
Sous-section D - Le Niger n'a pas contribué à l'erreur, ni fait preuve de légèreté
5.23. Selon le Bénin, à supposer même que l'on puisse établir, en l'espèce, l'existence d'une
erreur, le Niger ne serait pas en mesure de l'invoquer car il aurait "contribué à cette erreur". Il
en aurait été ainsi pour deux raisons. En premier lieu, c'est le Niger
"qui a pris contact avec le Bénin pour la réalisation du projet commun sur la Mékrou, ce qui ne pouvait
avoir qu'une seule signification : aucun des Etats ne possédait à lui seul la Mékrou et, donc, il s'agissait de
leur frontière commune. En second lieu, on attend d'un Etat qu'il soit attentif, notamment lorsque des
questions frontalières sont en jeu, aux arguments qu'il peut faire valoir et surtout aux engagements qu'il
peut prendre à son détriment" .9
La partie béninoise insiste tout particulièrement sur ce dernier point, en observant par ailleurs
qu'
"[i]l est pour le moins surprenant qu'un Etat qui constate que le droit colonial est quasi muet sur une
question aussi fondamentale que celle de la délimitation entre deux colonies, sur laquelle repose la
définition de ses frontières, ne cherche pas à en savoir plus sur la question et, au contraire, s'engage
860
unilatéralement, puis bilatéralement, en faveur d'une solution donnée" .
Ni l'un, ni l'autre de ces arguments ne sont fondés.
Il est indéniable que c'est le Niger qui a pris contact avec les autorités du Dahomey dans la
861
perspective de la construction d'un barrage sur le site de Dyodyonga . Cela ne signifie pas
pour autant que les autorités nigériennes étaient convaincues que c'était la Mékrou qui
constituait la frontière entre les deux Etats dans cette région. Il n'est pas exceptionnel, en effet,
qu'un Etat cherche à associer un ou plusieurs de ses voisins à la réalisation d'un projet d'une
certaine ampleur. Il en va a fortiori ainsi lorsque le projet en question doit être développée
dans une région frontalière, caractère que personne ne chercherait à contester à la région de la
859Ibid., pp. 187-188, § 4.76.
860
Ibid., p. 186, § 4.73.
861M.N., p. 220, § 3.1.55.
- 284Réplique de la République du Niger Chapitre V
Mékrou. Certains des Etats de l'Afrique de l'ouest ont d'ailleurs développé ce type de
coopération, sans que cela autorise pour autant à en tirer des conclusions quant à la position
des frontières dans la région concernée. Le meilleur exemple en est sans doute fourni par le
barrage de Manantali, au Mali, dont la construction a été réalisée sous les auspices de
862
l'O.M.V.S., et qui est maintenant la co-propriété des Etats membres de cette organisation .
La démarche réalisée par le Niger auprès de son voisin dahoméen en 1969-1970 n'a donc rien
d'étonnant, ni de révélateur sur la prétendue conviction initiale des autorités nigériennes que
863
c'était la Mékrou qui constituait la frontière dans cette zone . Et à supposer même que c'eût
été là le sentiment des autorités nigériennes de l'époque, on a vu plus haut qu'il ressort de leur
correspondance avec le centre I.G.N. de Dakar que pareil sentiment n'aurait été fondé que sur
la lecture des cartes de l'I.G.N. couvrant cette région. On est donc loin, en tout état de cause,
d'une conviction solidement établie à cet égard.
Quant à l'argument selon lequel le Niger se serait engagé à la légère, alors que le doute
subsistait, et aurait par là même contribué à l'erreur, il apparaît pour le moins paradoxal de
l'invoquer ici. Le doute des autorités du Niger était, de toute évidence, bien présent au début
de l'épisode dont il est question ici. C'est précisément dans l'espoir de le dissiper qu'elles se
sont adressées, successivement, à l'I.G.N. et aux autorités de l'ancienne puissance coloniale.
Comment pourrait-on dès lors leur reprocher une impéritie ou une légèreté quelconque à cet
égard, alors même qu'elles ont fait les démarches qui leur paraissaient les plus appropriées
pour obtenir les informations dont elles ne disposaient de toute évidence pas sur le contenu du
legs colonial pour la région en cause ?
Les assurances reçues des autorités consultées ne semblaient guère laisser la place au doute :
en l'absence de tout texte colonial pertinent, il fallait comprendre que la frontière figurée sur
les cartes comme suivant le cours de la Mékrou devait, selon la pratique internationale
dominante, suivre plus exactement le thalweg de cette rivière . Où reste, dans ces conditions,
le doute dont le Bénin fait état , et qui aurait du induire les autorités nigériennes à s'abstenir
de prendre quelque engagement que ce soit en la matière ? N'est-il pas profondément
paradoxal que la partie adverse persiste à s'étonner que le Niger n'ait pas "cherché à en savoir
86Voy. Maurice KAMTO, Le droit international des ressources en eaux continentales africaines, A.F.D.I., 1990, p. 879.
86On rappellera à ce sujet que le projet de construction d'un barrage sur la Mékrou remontait à la fin de la période coloniale,
et s'inscrivait à l'époque dans le cadre de la coopération entre les colonies de la région.
864
Note verbale de l'ambassade de France du 7 septembre 1971, M.N., Annexes, série C, n° 70
- 285Réplique de la République du Niger Chapitre V
866
plus sur la question" , alors que c'est à l'évidence très exactement ce que les autorités
nigériennes ont fait à l'époque, en s'adressant aux interlocuteurs —hautement qualifiés— que
l'on sait? La République du Bénin est pourtant idéalement placée pour comprendre les efforts
que représentent pareilles démarches de la part d'un Etat en développement, qui avait, à
l'époque, acquis son indépendance depuis moins de dix ans, et qui était très loin d'être maître
de son propre passé. Il n'est d'ailleurs nullement question ici, pour le Niger, de se "décharger
de sa responsabilité" "sur un tiers", comme l'en accuse ultimement la partie adverse . 867
En formulant de telles accusations, le Bénin se trompe une nouvelle fois de cible. Si le Niger
évoque les circonstances qui l'ont conduit a adopté une position erronée en 1973-1974, ce
n'est nullement pour imputer des fautes, établir des responsabilités, ou se lancer dans de bien
vaines accusations de cet ordre. Beaucoup plus simplement, ce que la partie nigérienne a à
cœur de montrer, c'est que le Niger était loin de disposer à l'époque de toutes les informations
pertinentes quant à l'état du legs colonial en ce qui concerne les limites dans cette zone.
Quoiqu'en dise le Bénin, tous les éléments du dossier convergent pour montrer que tel était le
cas, et qu'une telle information faisait bel et bien défaut aux autorités nigériennes de l'époque.
C'est donc de manière parfaitement valable que l'erreur peut être invoquée en l'espèce comme
motif pour ne pas reconnaître d'effets juridiques à ces prises de position dans le cadre de la
présente instance.
Il n'est d'ailleurs pas innocent que la partie béninoise n'ait jamais tenté d'opposer d'une
quelconque façon aux autorités nigériennes les prises de position en cause.
865
C.M./R.B., p. 188, § 4.77.
86Ibid., p. 186, § 4.73
867
Ibid., pp. 189 et 188, respectivement, § 4.78.
- 286Réplique de la République du Niger Chapitre V
Sous-section E - Les négociations en vue de la réactivation du projet de barrage à
Dyodyonga n'ont en rien confirmé la reconnaissance par les autorités nigériennes de la
fixation de la frontière au cours de la Mékrou
5.24. Dans son mémoire, la République du Niger fait état de l'attitude adoptée par la partie
béninoise, tant dans le cadre des travaux de la Commission paritaire mixte de délimitation des
frontières qu'à l'occasion de la conclusion de l'accord de 1999 relatif au projet de barrage de
Dyodyonga pour en conclure que le Bénin lui-même n'a jamais entendu faire produire des
effets juridiques aux positions adoptées par les autorités nigériennes en 1973-1974. Les
débats, au sein de la Commission mixte, se sont toujours strictement limités à l'analyse des
textes coloniaux . Quant à l'accord de 1999, les parties se limitent, dans son préambule, à se
dire
"[c]onscient[e]s que l'ouvrage hydroélectrique qui sera réalisé sur la rivière Mékrou au site de Dyodyonga
sera édifié dans le secteur frontalier entre les deux Etats"; c'est en vain que l'on y cherchera une
quelconque référence au cours de la Mékrou comme frontière dans cette zone .
Le Bénin s'efforce de contrer cette argumentation dans l'un et l'autre de ces contextes. Il
expose ainsi dans son contre-mémoire qu'en ce qui concerne les travaux de la Commission
paritaire mixte, "le Bénin a estimé devoir concentrer ses efforts sur l'argument nigérien fondé
sur le décret du 2 mars 1907 [qui] était le seul invoqué par le Niger", "[c]ette concentration
sur le droit colonial éta[n]t justifiée par ailleurs par l'application du principe de l'uti possidetis
au respect duquel les deux Etats avaient soumis les travaux de la Commission" . L'argument870
est loin d'être probant. D'une part, on voit mal en quoi la "concentration" des efforts du Bénin
sur la contestation de la thèse nigérienne fondée sur le décret de 1907 l'aurait d'une
quelconque façon empêché d'opposer par ailleurs au Niger les positions adoptées par les
autorités nigériennes en 1973-1974, si la partie béninoise avait cru pouvoir leur attribuer
quelque effet juridique que ce soit. Tout au contraire, le Bénin aurait pu, s'il l'avait estimé
justifié, s'appuyer sur cette position pour rendre définitivement inopérante l'argumentation
nigérienne relative au décret du 2 mars 1907. Qu'il s'en soit abstenu, tout au long des six
sessions de la commission paritaire mixte, confirme bien qu'il ne lui paraissait pas possible de
868
M.N., pp. 225-226, § 3.1.60.
86Ibid., p. 226, § 3.1.61.
87C.M./R.B., p. 189, § 4.79.
- 287Réplique de la République du Niger Chapitre V
tirer argument de cet épisode, au regard des circonstances qui l'ont entouré. D'autre part,
l'argument béninois relatif aux limites imposées à la commission par le principe de l'uti
possidetis est, ici encore, pour le moins étonnant. Le Bénin adopte en effet une position toute
différente à cet égard lorsqu'il s'agit de justifier, quelques pages plus tôt dans son contre-
mémoire, la prise en compte de l'épisode de 1973-1974 dans le cadre de la présente instance :
"Certes, la position des Parties au présent différend exprimée après cette date [des indépendances] est, en
tant que telle et en principe, neutre au plan juridique en application du principe de l'uti possidetis ,
puisqu'elle est postérieure à la date critique pertinente, la date des indépendances […]. Néanmoins, la
pratique postérieure à la date critique a force probante en droit international positif dès lors qu'elle révèle
quelle était la conception que se faisaient les parties de la situation juridique existant au moment de cette
date critique" .
On appréciera, une nouvelle fois, la cohérence de la partie adverse au sujet de l'application du
principe de l'uti possidetis, dont elle se fait par ailleurs le très ardent défenseur. A la suivre, en
effet, le principe ne s'opposerait nullement à ce que les prises de position des autorités
nigériennes soient prises en compte dans le cadre de la présente instance, mais aurait expliqué
que cet épisode ait été complètement laissé de côté dans le cadre des travaux de la
commission paritaire mixte de délimitation des frontières. L'argument n'a donc guère de sens.
L'on voit bien que si la partie béninoise n'a jamais avancé d'argumentation sur ce point tout au
long des travaux de la commission, ce n'est pas en raison d'une quelconque limite imposée par
le principe de l'uti possidetis, mais tout simplement parce qu'il ne lui paraissait pas possible
d'attribuer des effets juridiques aux positions adoptées par les autorités nigériennes au début
des années 1970.
Le Bénin tente néanmoins de remettre en cause cette conclusion, pourtant inéluctable, en
posant la question suivante :
"Comment expliquer que le Bénin se soit acharné à montrer que le décret de 1907 n'était pas pertinent
puisque la frontière avait été ultérieurement établie à la Mékrou, alors même qu'il aurait considéré, dans le
même temps, que les actes de 1973 et 1974 n'étaient pas opposables au Niger car fondés sur une erreur
consistant pour le Niger à avoir cru, à tort, que la frontière était fixée à la Mékrou?" .
L'argument est relativement confus et ne répond guère à celui avancé par le Niger. La seule
question que la partie nigérienne a soulevée à cet égard est celle de la base juridique de la
871
Ibid., p. 176, § 4.47.
- 288Réplique de la République du Niger Chapitre V
position défendue par le Bénin. Or, il est constant que celle-ci a toujours été limitée au droit
colonial, et qu'à aucun moment la partie béninoise n'a entendu tiré argument de l'épisode de
1973-1974. Une nouvelle fois, tous les éléments du dossier convergent pour confirmer ce fait
bien établi, que le Bénin entend maintenant remettre en cause dès lors qu'il mine ses thèses.
5.25. Dans le même ordre d'idées encore, la partie adverse tente de montrer que la conclusion
de l'accord de 1999 relatif au projet de barrage de Dyodyonga, et les circonstances qui l'ont
entourée confirment l'acceptation, par le Niger, des thèses béninoises sur l'emplacement de la
frontière dans cette zone. Une mise au point s'impose d'emblée, que rend nécessaire une
nouvelle présentation incorrecte, par le Bénin, de l'argumentation nigérienne. Contrairement à
ce qu'énonce le contre-mémoire béninois, en effet, le Niger n'a évidemment jamais prétendu
que le Bénin avait, en 1999, "abandonné sa prétention sur la Mékrou" . Il s'agit là, une873
nouvelle fois, d'une présentation tronquée de l'argumentation nigérienne, qui se limitait à
affirmer que le Bénin avait renoncé à invoquer l'épisode de 1973-1974 à l'appui de sa
874
revendication d'une frontière à la Mékrou , ce qui, l'on en conviendra aisément, est tout
différent.
Le principal argument sur lequel s'appuie la partie adverse pour tenter de convaincre la Cour
que les autorités nigériennes auraient exprimé, en 1998 et 1999, des positions similaires à
celles de 1973-1974 est un compte rendu de la mission technique d'étude béninoise qui s'est
875
rendue à Niamey en avril 1998 aux fins de la préparation de l'accord du 14 janvier 1999 . Le
Bénin tente ainsi de conforter ses thèses sur la base de ce document, qui rapporte par exemple
que
"[l]'accès au site [de Dyodyonga par la mission] s'est fait par la traversée du parc W du Niger à partir de
Tapoa. Le parc W s'étend sur les territoires du Bénin, du Niger et du Burkina Faso et la rivière Mékrou,
sur son cours inférieur, constitue à la fois la ligne frontière entre le Bénin et le Niger et la délimitation
entre le parc W du Bénin et du [sic] parc W du Niger" .
Le même compte rendu conclut que
872
Ibid., p. 190, § 4.80.
87Ibid., p. 192, § 4.83.
87M.N., p. 226, § 3.1.61.
875
C.M./R.B., pp. 190-192, §§ 4.82 et s.
87C.M./R.B., Annexe 25
- 289Réplique de la République du Niger Chapitre V
"[l]e Ministre nigérien des Mines et de l'Energie, par les actes qu'il pose dans le cadre du projet reconnaît
que le cours inférieur de la rivière Mékrou où se trouve le site du projet d'aménagement hydroélectrique
de Dyodyonga est une ligne frontière naturelle entre la République du Niger et la République du
877
Bénin" .
Le procédé, l'on en conviendra, est pour le moins étonnant. Un compte rendu établi de façon
purement unilatérale par les membres d'une délégation béninoise ne saurait évidemment
constituer une preuve admissible de propos qui auraient été tenus par des responsables
nigériens. On voit encore moins pour quelle raison on devrait reconnaître un effet quelconque
aux qualifications juridiques qui y sont opérées, aux termes desquelles la Mékrou constituerait
la frontière dans cette zone, ou l'attitude d'un ministre nigérien équivaudrait à l'admission de
cette revendication. De telles qualifications unilatérales n'engagent évidemment que la partie
béninoise, et il est totalement exclu d'entendre en déduire quelque effet juridique que ce soit
pour le Niger. Elles ne sont que la réitération des revendications béninoises dans ce secteur.
Enfin, le Bénin entend encore tirer argument du fait que la réactivation du projet de
Dyodyonga en collaboration entre les deux Etats confirmerait que c'est bien le cours de la
rivière Mékrou qui constitue la frontière internationale dans cette région . L'argument n'était
pas probant au début des années 1970. Il ne l'est pas plus à la fin des années 1990. Le Niger a
en effet exposé les raisons pour lesquelles un projet de construction en commun d'un ouvrage
hydroélectrique n'impliquait pas nécessairement que celui-ci se trouve situé sur la frontière
des Etats concernés . La création, par le Bénin et le Niger, d'un établissement public
international en vue d'aménager et d'exploiter les ouvrages hydroélectriques en cause n'est
donc aucunement révélateur d'une quelconque admission, par le Niger, que la frontière dans
cette zone suit le cours même de la Mékrou.
*
5.26. Au total, les arguments avancés par le Bénin dans son contre-mémoire ne remettent
donc aucunement en cause la ligne d'argumentation de la République du Niger en ce qui
concerne la détermination du tracé frontalier dans le secteur de la Mékrou. La partie adverse
se trouve en effet dans l'incapacité d'identifier un texte de la période coloniale dont l'objet
877
Ibid.
87C.M./R.B., p. 192, § 4.83.
879
Voy. supra, § 5.23.
- 290Réplique de la République du Niger Chapitre V
aurait été de définir des limites de colonies ou de circonscriptions territoriales qui aurait
clairement fixé la limite intercoloniale dans cette zone au cours de la Mékrou. Quant aux
textes coloniaux relatifs à la création de parcs de refuge et de réserves de chasse, la partie
béninoise se refuse obstinément à admettre, d'une part, que ces textes ne pouvaient modifier
des limites de colonies pré-établies et, d'autre part, que si certains d'entre eux renvoient au
cours de la Mékrou comme limite des parcs qu'ils créent, ce cours est constitué par une ligne
très éloignée du cours réel de cette rivière. La superficie du parc du W du côté Niger, telle
qu'elle est donnée dans l'arrêté de 1953 qui en porte création, est l'un des éléments qui en
témoignent avec le plus d'éclat. Ce n'est, en effet, que si l'on suit la ligne fixée par le décret du
2 mars 1907 —ou une ligne très proche de celle-ci—, que le parc atteint la superficie qui lui a
initialement été conférée. Si l'on suit, au contraire, le cours réel de la Mékrou, le parc se voit
amputé de pas moins du tiers de la superficie initialement envisagée. Cette discordance
montre très clairement que le cours réel de cette rivière n'était nullement celui que les
administrateurs coloniaux avaient à l'esprit lorsqu'ils ont créé les parcs en cause.
Les efforts du Bénin visant à contredire la thèse selon laquelle la position adoptée par les
autorités nigériennes au début des années 1970 était entachée d'erreur et ne pouvait se voir
reconnaître d'effets juridiques ne sont pas plus couronnés de succès. Le Niger a montré que
cette erreur existait bel et bien, dès lors que les autorités nigériennes étaient très loin de
disposer, à l'époque, de toutes les informations nécessaires quant à la teneur du legs colonial.
C'est donc exclusivement sur la base de ce dernier que le présent volet du différend doit être
tranché. Et à cet égard, si le décret du 2 mars 1907 lui-même a bien été abrogé, la ligne qu'il a
définie a continué à servir de point de référence pour la détermination de la limite
intercoloniale dans cette zone durant toute la période coloniale. Si l'on retrouve également,
dans le legs colonial, un certain nombre de références au cours de la Mékrou, il est manifeste
qu'il s'agissait là d'un cours imaginaire, bien plus proche de la ligne de 1907 que du cours réel
de cette rivière. Ce constat s'oppose très nettement aux tentatives du Bénin de faire accroire
que, depuis les années 1920, il était bien établi que le cours réel de la Mékrou constituait la
limite entre les deux colonies dans cette zone. Tous les éléments du dossier convergent pour
montrer que tel n'a jamais été le cas, durant toute la période coloniale.
- 291Réplique de la République du Niger Conclusions
CONCLUSIONS
La République du Niger prie la Cour de dire et juger que :
La frontière entre la République du Bénin et la République du Niger dans le secteur du
fleuve Niger, depuis le confluent de la rivière Mékrou avec le fleuve Niger jusqu’à la
frontière du Nigeria, suit la ligne des sondages les plus profonds, telle qu’elle peut être
établie à la date de l’indépendance.
Cette ligne détermine l’appartenance des îles à l’une ou à l’autre des parties.
Les îles situées entre la ligne des sondages les plus profonds et la rive droite du fleuve,
à savoir Pekinga, Tondi Kwaria Barou, Koki Barou, Sandi Tounga Barou, Gandégabi
Barou Kaïna, Dan Koré Guirawa, Barou Elhadji Dan Djoda, Koundou Barou et
Elhadji Chaïbou Barou Kaïna appartiennent à la République du Bénin.
Les îles situées entre la ligne des sondages les plus profonds et la rive gauche du
fleuve, à savoir Boumba Barou Béri, Boumba Barou Kaïna, Kouassi Barou, Sansan
Goungou, Lété Goungou, Monboye Tounga Barou, Sini Goungou, Lama Barou,
Kotcha Barou, Gagno Goungou, Kata Goungou, Gandégabi Barou Beri, Guirawa
Barou, Elhadji Chaïbou Barou Béri, Goussou Barou, Beyo Barou et Dolé Barou
appartiennent à la République du Niger.
L’attribution des îles à la République du Bénin et la République du Niger selon la
ligne des sondages les plus profonds déterminée à la date de l’indépendance doit être
considérée comme définitive. Il appartiendra aux parties de veiller à ce que ce chenal
reste le principal chenal navigable en effectuant les dragages nécessaires.
La frontière entre la République du Bénin et la République du Niger dans le secteur de
la Mékrou suit une ligne composée de deux segments :
le premier segment est une ligne droite qui relie le point situé au
confluent de la rivière Mékrou avec le fleuve Niger au point situé à
l’intersection du méridien de Paris et de la chaîne montagneuse de
- 292Réplique de la République du Niger Conclusions
l’Atacora, dont les coordonnées indicatives sont les suivantes :
latitude : 11° 41’ 50’’ nord ; longitude : 2° 20’ 14’’ est ;
le second segment relie ce dernier point au point d’intersection des
anciennes limites des cercles de Say et de Fada, d’une part, et de Fada
et de l’Atacora, d’autre part, dont les coordonnées indicatives sont les
suivantes : latitude : 11° 44’ 37’’ nord ; longitude : 2° 18’ 55’’ est.
Mme Aïchatou MINDAOUDOU,
Ministre des affaires étrangères et de la
coopération,
Agent de la République du Niger.
- 293 TABLEAU RECAPITULATIF DES ILLUSTRATIONS
Croquis illustratifs du chenal navigable du fleuve Niger
Section 1 (Boumba) ................................................................................................................................ vis-à-vis p. 184
Section 2 (Djéboukiria) ...........................................................................................................................vis-à-vis p. 185
Section 3 (Pekinga) .................................................................................................................................vis-à-vis p. 186
Section 4 (Kouassi/Kwassi) ....................................................................................................................vis-à-vis p. 187
Section 5 (Doubal) ..................................................................................................................................vis-à-vis p. 188
Section 6 (Sansan Goungou) ..................................................................................................................vis-à-vis p. 189
Section 7 (Lété) .......................................................................................................................................vis-à-vis p. 190
Section 8 (Tondi Kouaria/Tondikwaria et Momboye Tounga)..............................................................vis-à-vis p. 191
Section 9 (Sinigoungou) .........................................................................................................................vis-à-vis p. 192
Section 10 (Lama Barou) ........................................................................................................................vis-à-vis p. 193
Section 11 (Kotcha, Koki, Gagno, Kata) ...............................................................................................vis-à-vis p. 194
Section 12 (Gandégabi Barou Béri et Kaina) .........................................................................................vis-à-vis p. 195
Section 13 (Guirawa Barou) ...................................................................................................................vis-à-vis p. 196
Section 14 (Dan Kore Guirawa et Dan Djoda) ......................................................................................vis-à-vis p. 197
Section 15 (Koundou Barou, Goussou Barou, El Hadji Chaibou 1 et 2, et Beyo Barou) ....................vis-à-vis p. 198
Section 16 (Dolé) ....................................................................................................................................vis-à-vis p. 199
Tableaux
Tableau comparatif des îles .............................................................................................................................. page 211
Images
Images 1, 2 et 3 : Bovins en transhumance traversant le fleuve Niger à la nage ................................. vis-à-vis p. 237 LISTE DES DOCUMENTS RETENUS
EN ANNEXE DE LA REPLIQUE DU NIGER
(TABLE DES MATIERES DU VOLUME II)
SERIE A – Documents diplomatiques ...............................................................1........................................
A. 73. Echanges de notes verbales entre la République du Bénin et la République du Niger, datées des 08
janvier 2004, 12 janvier 2004, 21 juillet 2004, 22 juillet 2004 et 28 juillet 2004 ...................................... 2
SERIE B – Documents législatifs et réglementaires ..............................................8.............................
B. 87. Arrêté du gouvernement général de l'A.O.F. du 4 octobre 1946, JO/AOF du 12 octobre 1946 .............. 9
B. 88. Décret du ministère de la France d'Outre-Mer n° 48-1178 du 18 juillet 1948 portant réorganisation de
l'office du Niger, JO de la République française du 24 juillet 1948, pp. 7238-7240 ............................. 11
B. 89. Décret du ministère de la France d'Outre-Mer n° 54-1092 du 22 octobre 1954, modifiant le décret n°
48-1178 du 18 juillet 1948 portant réorganisation de l'office du Niger, JO de la République française
du 10 novembre 1954, p. 10620 ................................................................................................................. 15
SERIE C – Documents administratifs et correspondance ......................................18......................
C. 161. Instructions politiques de la direction politique et commerciale du Ministère des Colonies au Capitaine
Toutée, 17 novembre 1894, suivie du rapport de ce dernier .................................................................... 19
C. 162. Note pour le Bureau de l'Afrique du Ministère des colonies, signée à Saint Louis par le directeur
Binger le 15 janvier 1899 .......................................................................................................................... 55
C. 163. Délimitation du Dahomey et du Soudan, lettre du 20 janvier 1899 du gouverneur du Dahomey au
ministère des colonies ............................................................................................................................... 57
er
C. 164. Télégramme officiel du 1 mai 1899, du gouverneur du Dahomey Ballot au gouverneur général de
l'A.O.F. ....................................................................................................................................................... 69
C. 165. Lettre du 3 mai 1899, du gouverneur général de l'A.O.F. au ministre des colonies ............................... 71
C. 166. Notice sur le pays Zaberma et son occupation par le Dahomey, par le lieutenant Cornu,
7 août 1899 ................................................................................................................................................ 75
C. 167. Lettre du 2 septembre 1899, du directeur Binger au Bureau militaire .................................................. 115
C. 168. Lettre n° 92 du 23 décembre 1903, de l'administration du cercle de Say au gouverneur du Dahomey et
dépendances, au sujet du domicile légal des rives du Niger ................................................................... 117
C. 169. Colonie du Niger, rapport sur la pêche, année 1932 .............................................................................. 120C. 170. Lettre n° 373 T.P. du 23 décembre 1932, du gouverneur des colonies, lieutenant-gouverneur du Niger
au lieutenant-gouverneur du Dahomey, signée Tullier .......................................................................... 124
C. 171. Lettre n° 32 du 24 janvier 1933, du gouverneur des colonies, lieutenant-gouverneur du Niger, au
lieutenant-gouverneur du Dahomey, signée Tullier ............................................................................... 126
C. 172. Lettre n° 372 du 2 octobre 1933, de Bourgine, lieutenant-gouverneur du Niger, au lieutenant-
gouverneur du Dahomey ......................................................................................................................... 129
C. 172bis Note sur les études générales à entreprendre en vue de l'aménagement des vallées du Sénégal et du
Niger inférieur, signé par Bélime, directeur général de l'Office du Niger, le 22 avril 1934................. 131
C. 173. Télégramme n° 128 du 10 juin 1941, du chef de subdivision de Gaya au Cercle de Dosso ................ 144
C. 174. Télégramme-lettre du 8 juin 1944, du commandant de cercle de Dosso au gouverneur du Niger ...... 147
C. 175. Télégramme-lettre du 19 juin 1944, du commandant de cercle de Dosso au gouverneur du Niger .... 149
C. 176. Lettre n° 2274/-/AE/PLAN/I du 23 décembre 1955, du secrétariat général p.i. au directeur du Réseau
Bénin Niger à Cotonou ............................................................................................................................ 152
C. 177. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 10 août 1958 ....................................................................... 154
C. 178. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 12-13 juin 1959, p. 37 verso .............................................. 157
C. 179. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 20 et 23 juillet 1959, pp. 41 (verso) et 42 (recto) ............. 159
C. 180. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 24 août, pp. 44 (verso) et 45 (recto) .................................. 162
C. 181. Lettre du 16 septembre 1959, de Ibrahim Sama Alhadji, député du Moyen Niger à Gaya, au chef du
village de Gouroubery (Dahomey) ......................................................................................................... 165
C. 182. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 27 septembre, p. 47 (verso) ............................................... 167
C. 183. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 7 novembre, p. 48 (verso) .................................................. 169
C. 184. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 26-27 décembre 1959, p. 51 (recto et verso) .................... 171
C. 185. Télégramme du 17 février 1960, du ministère de l'intérieur à la subdivision de Gaya ........................ 175
C. 186. Lettre du 18 février 1960, du ministère de l'Intérieur du Niger au Ministre des Travaux publics à
Niamey ..................................................................................................................................................... 177
C. 187. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 13 mai 1960, p. 61 (verso) ................................................. 179
C. 188. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 13-19 juin 1960, p. 64 (recto) ............................................ 188
C. 189. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 30 juin 1960, p. 64 (verso) ................................................ 183
C. 190. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 3 et 10 juillet 1960, p. 65 (recto et verso) ......................... 185
C. 191. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 18 et 19 juillet 1960, p. 66 (recto) ..................................... 188
C. 192. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 4 septembre 1960, p. 72 ..................................................... 190
C. 193. Extrait du Journal de Poste de Malanville, 24 novembre 1960, p. 80 ................................................... 192
C. 194. Rapport de fin de mission de la reconnaissance des hauts-fonds du Niger, effectuée du 5 avril au 17
mai 1965 par le service topographique et du cadastre du ministère des Finances de la République du
Niger ........................................................................................................................................................ 194
C. 195. Rapport de fin de mission sur la navigabilité et le relevé des hauts-fonds du fleuve Niger, effectuée du
er
1 juillet au 13 août 1965 par le service topographique et du cadastre du ministère des Finances de la
République du Niger ............................................................................................................................... 202
C. 196. Appendice au rapport NEDECO sur la navigabilité du fleuve Niger entre Tossaye et Yelwa, de
décembre 1969 (p. A-2, commentaires reçus du Dahomey) .................................................................. 212SERIE D – Documents cartographiques
La série D des annexes de la Réplique de la République du Niger fait l'objet d'un volume distinct.
SERIE E – Doctrine ......................................................................................215..............................................
E. 32. Colonel TOUTEE, Dahomé Niger Touareg. Récit de voyage, 4 èmeéd., librairie Armand Colin, Paris,
1908, pp. 325-326 .................................................................................................................................... 216
E. 33. G. SPITZ, Sansanding. Les irrigations du Niger, Société d'éditions géographiques, maritimes et
coloniales, Paris, 1949, pp. 59-60............................................................................................................ 220
E. 34. P. DUBREUIL et R. LEFEBVRE, Monographie du Niger Moyen, I. Facteurs conditionnels du
régime. Données Hydrologiques, ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique Outre-
Mer), Mission d'études et d'aménagement du Niger, mai 1962, pp. 30-31 ........................................... 224
E. 35. S. AMINE, "Le Soudan français. Le mirage de l'Office du Niger" in Etudes maliennes (revue
trimestrielle) n° 26, juillet 1978, p. 42..................................................................................................... 228
E. 36. J.-R. de BENOIST La Balkanisation de l'Afrique occidentale française, Les nouvelles éditions
africaines, Dakar, 1979, p. 39 .................................................................................................................. 231
E. 37. E. SCHREYGER, L'Office du Niger au Mali. 1932 à 1982 : la problématique d'une grande entreprise
agricole dans la zone du Sahel, Steiner, 1984, p. IX ............................................................................. 234
E. 38. M. F. ROCHE, Dictionnaire français d'hydrologie de surface, Masson, 1946 .................................... 237
E. 39. "L'Office du Niger : assurer la sécurité alimentaire pour le Mali", Banque Mondiale, Findings, Région
Afrique, n° 61, mars 1997 ....................................................................................................................... 241
Réplique de la République du Niger