Exposé écrit du Gouvernement de la République d'Afrique du Sud [traduction]

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EXPOSE ECRIT DU G OUVERNEMENT DE LA R EPUBLIQUE D ’A FRIQUE DU SUD

[Traduction]

Demande d’avis consultatif adressée à la Cour internationale de Justice par

l’Assembléegénérale des NationsUnies sur les conséquences en droit de l’édification du mur
qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le Territoire palestinien occupé, y
compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jéru salem-Est, selon ce qui est exposé dans le rapport
du Secrétaire général, compte tenu des règles et des principes du droit international, notamment la

quatrième convention de Genève de 1949 et les résolu tions consacrées à la question par le Conseil
de sécurité et l’Assemblée générale

I. Introduction

1. Par la résolution A/RES/ES-10/14 en date du 8décembre2003, l’Assembléegénérale a

décidé de demander à la Cour internationale de Justice, conformément aux dispositions de
l’article65 du Statut de la Cour, de rendre d’ urgence un avis consultatif sur les conséquences en
droit de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le
Territoire palestinien occupé, y compris à l’intéri eur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce

qui est exposé dans le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles et des principes du
droit international, notamment la quatrième conve ntion de Genève de1949 et les résolutions
consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale.

2. Dès qu’elle a reçu cette demande, la Cour a estimé que l’Organisation des Nations Unies
et ses Etats Membres seraient probablement en mesure de fournir des renseignements sur la
question qui lui était soumise. Par ordonnance du 19 décembre 2003, la Cour a fixé au 30 janvier

2004 la date d’expiration du déla i dans lequel des exposés écrits pourraient lui être soumis,
conformément au paragraphe2 de l’article66 de son Statut. Dans le présent exposé, nous
examinerons les conséquences juridiques de l’édific ation du mur qui font l’objet de la demande
d’avis consultatif.

3. La question essentielle en l’espèce consiste pour la Cour à se prononcer sur le caractère
licite ou illicite du mur.

4. Le Gouvernement sud-africain se sent te nu de présenter un exposé à la Cour sur cette
grave question. La catastrophe humanitaire qui enva hit le Territoire palestinien occupé est source
de profonde préoccupation pour le Gouvernement sud-africain, tout comme l’aggravation de la

situation en matière de sécurité en Israël. Il fa ut mettre fin à des actions, telles que la construction
du mur de séparation, qui nourrissent le cycle de la violence et de la contre-violence. Nous
sommes convaincus que le règlement du conflit israélo-palestinien passe par la voie de
négociations aboutissant à la solution qui consistà créer deux Etats, à savoir un Etat souverain

d’Israël et un Etat souverain de Palestine ayant Jérusalem-Est pour capitale. Or, la poursuite de la
construction d’un mur de séparation est un strata gème utilisé pour occuper de nouvelles terres, et
rend le règlement négocié du conflit encore plus difficile à réaliser . Le mur de séparation rendra

matériellement impossible la mise en Œuvre de la solution des deux Etats pour régler le conflit - 2 -

israélo-palestinien et menacera sérieusement toute perspective de règlement juste et pacifique et de

paix durable. Le mur de sépara tion compromet véritablement la stabilité au Moyen-Orient et sape
toute tentative faite pour aboutir à un règlement pacifique d’un conflit acharné et interminable.

II. Contexte factuel

5. Le Gouvernement sud-africain approuve et accepte l’exposé des faits relatifs à la
construction du mur dans le Territoir e palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour

de Jérusalem-Est, tel qu’exposé dans le rapport du S ecrétaire général établi en application de la
résolution ES-10/13 de l’Assemblée générale en date du 24 novembre 2003 ainsi que dans le
rapport du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de
l’homme dans les Territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, présenté conformément à

la résolution 1993/2A de la Commission relative à la question de la violation des droits de
l’homme dans les Territoires arabes occupés, y compris la Palestine (A/ES-10/248). Le présent
exposé se fonde sur les faits présentés dans lesdits rapports, dont la Cour est également saisie.

III. Compétence de la Cour

La Cour a compétence pour donner l’avis consultatif demandé

6. La Cour a compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale,
puisque le paragraphe1 de l’artic le65 de son Statut l’autorise à donner un avis consultatif à la
demande de tout organe autorisé à demander cet av is. L’Assemblée générale des Nations Unies y

est autorisée par l’article 96 de la Charte.

7. Par sa résolutionES-10/14 en date du 8 décembre 2003, l’Assemblée générale des
Nations Unies a décidé, en vertu de l’article 96 de la Charte, de demander à la Cour internationale

de Justice, conformément aux dispositions de l’ar ticle 65 du Statut de la Cour, de rendre d’urgence
un avis consultatif sur la question suivante :

«Quelles sont en droit les conséquences de l’édification du mur qu’Israël,

puissance occupante, est en train de construire dans le Territoire palestinien occupé, y
compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce qui est exposé dans
le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles et des principes de droit

international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949, et les
résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l’Assemblée
générale ?»

8. Par lettre en date du 8 décembre 2003, le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies a transmis à la Cour la résolution lui demandant de rendre un avis consultatif.

Il n’existe aucune raison décisive qui déterminerait la Cour à refuser de donner un avis
consultatif

9. A plusieurs reprises, la Cour a dit que, mê me si le pouvoir de rendre des avis consultatifs

qui lui était conféré par l’artic le65 de son Statut avait un caractère discrétionnaire, seules des
raisons décisives justifieraient de sa part le re fus de répondre à une demande d’avis. Pour nous, il
n’existe aucune raison de ce genre en ce qui concerne la demande faite à la Cour. - 3 -

IV. Exposé de droit

Généralités

10. D’emblée, le Gouvernement de la Républi que d’Afrique du Sud tient à dire clairement
que les conséquences juridiques de l’édification du mur qu’Israël est en train de construire sont

indissociables et ne sauraient être examinées séparément. Toutefois, le Gouvernement sud-africain
n’a pas l’intention de traiter toutes les conséque nces juridiques qui découl ent des mesures illicites
prises par Israël, mais se bornera à mettre en év idence les conséquences juridiques les plus graves
des violations des dispositions du droit international qu’entraîne la construction du mur.

11. D’une manière générale, avant d’aborder les conséquences juridiques, nous tenons à dire
que, quand elle examinera l’affaire qui lui est soumise, la Cour devra nécessairement tenir compte
du fait qu’elle se trouve devant une situation dans laquelle un Etat Membre de l’Organisation des

Nations Unies rejette systématiquement, depuis de nombreuses années, les décisions et résolutions
de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité. Israël s’est fait un passé déplorable en refusant
systématiquement de respecter les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité

relatives aux mesures illicites qu’il prend à l’encontre de la Palestine. Pareil comportement donne
l’impression irréfutable que cet Etat manque sérieusem ent de bonne foi. Etant un principe général
de droit, l’obligation d’agir conformément à la bonne foi fait aussi partie du droit international
(affaire relative à Certains emprunts norvégiens, arrêt , C.I.J. Recueil 1957, p.53). La non-

observation de ce principe de droit internati onal doit en elle-même avoir des conséquences
juridiques. Nous disons que le non-respect des résolutions et décisions des Nations Unies constitue
une grave méconnaissance de l’obligation juri dique d’agir de bonne foi conformément aux
principes du droit international, et contrevien t en fait à cette obligation. A cet égard, les

observations formulées par le juge Lauterpacht dans l’affaire de la Procédure de vote applicable
aux questions touchant les rapports et pétitions relatifs au Territoire du Sud-Ouest africain sont
pertinentes, et la Cour voudra peut-être en te nir compte quand elle traitera la question du
non-respect des recommandations des NationsUnies. Ces observations sont encore plus

pertinentes quand, à propos des résolutions des Nations Unies, le juge Lauterpacht dit :

«en agissant de la sorte [l’Etat] agit à ses risques et périls lorsqu’il arrive au point où
les effets cumulés d’une méconnaissan ce persistante de l’opinion exprimée par

l’Organisation conduisent à la conviction que l’Etat en question s’est rendu coupable
de déloyauté à l’égard des principes et des buts de la Charte».

Le juge ajoute que l’Etat

«qui persiste à ne pas tenir compte de l’avis de l’Organisation solennellement exprimé
et réitéré, et plus particulièrement dans le cas où l’expression de cet avis se rapproche
de l’unanimité, peut finir par dépasser la limite imperceptible entre l’impropriété et

l’illégalité, entre la discrétion et l’arbitraire, entre l’exercice de la faculté juridique de
ne pas tenir compte de la recommandation et l’abus de cette faculté, et qu’il s’est ainsi
exposé aux conséquences qui en découlent légitimement sous forme d’une sanction
juridique» ( Procédure de vote applicable aux qu estions touchant les rapports et

pétitions relatifs au Territoire du Sud-Ouest africain, opinion individuelle,
C.I.J. Recueil 1955, p. 120).

La pertinence de ces observations est d’autant plus nette qu’en vertu de l’article 25 de la Charte des

NationsUnies, le Conseil de sécurité a le pouvoir de prendre des décisions contraignantes,
auxquelles les Etats Membres sont juridiquement tenus de se conformer (article 25 de la Charte des
Nations Unies de 1945; P. Malanczuk, Akehurst’s Modern Introduction to International Law, 1989, - 4 -

p.374). Israël n’a cessé d’enfreindre cette obligation et exigence fondamentale du droit
international. C’est dans ce contexte que certain es des conséquences juridiques de la construction

du mur de séparation sont examinées ci-après.

Illicéité du mur de séparation: annexion de fait de parties du Territoire occupé de la

Palestine, y compris Jérusalem-Est

12. Il est un fait incontestable que la constr uction du mur de séparation dans le Territoire
palestinien occupé, y compris à l’intérieur et su r le pourtour de Jérusalem-Est, s’écarte nettement,

et parfois considérablement, de la ligne d’ armistice de1949, qu’il est convenu d’appeler
Ligneverte. Suivant le tracé d es tronçons existants et prévus, le mur englobe dans le territoire
israélien des parties importantes du Territoire palestinien occupé, en particulier de la Cisjordanie et
de Jérusalem-Est. Qui plus est, les travaux de construction ont entraîné la confiscation et la

destruction de terres et de ressources palestiniennes et ont eu un effet dévastateur sur la vie de
milliers de civils (aspect qui sera traité à part dans le présent exposé). Ces faits sont confirmés
dans le rapport que le Secrétaire général a étab li en application de la résolution ES-10/13 de
l’Assemblée générale (A/ES-10/248 en date du 3décembre2003) ainsi que dans le rapport du

rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme
dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, présenté en application de la résolution
1993/1/A de la Commission des droits de l’homme (E/CN.4/2004/6, en date du 8 septembre 2003).

13. Il est évident que la construction du mu r a un caractère illicite. Elle constitue non
seulement une violation de la résolution 242 du Con seil de sécurité de 1967, découlant de la guerre
de1967, mais aussi de nombreuses autres résolutions du Conseil dans lesquelles il est établi que

toutes les mesures prises par Israël en vue de modifier le caractère physique, la composition
démographique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens occupés, y
compris la ville de Jérusalem ou toute partie de cette ville, n’ont aucune validité en droit
(résolutions du Conseil de sécurité464 (1980) , 478 (1980), 298 (1971), 271 (1969), 267 (1969),

252(1968) et 237 (1967)). Le C onseil de sécurité a décidé aussi, en se référant expressément à
Jérusalem, que toutes les dispositions législatives et administratives prises par Israël en vue de
modifier le statut de la ville de Jérusalem, y compris l’expropriation de terres et de biens
immeubles, le transfert de populations et la législation visant à incor porer la partie occupée, sont

totalement nulles et non avenues (résolution 298 (1971) du Conseil de sécurité). De plus, à l’instar
d’une litanie, le Conseil de sécurité a demandé à ma intes reprises à Israël de cesser et de rapporter
toutes les mesures qui ont exacerbé la situation et ont eu un effet préjudiciable sur le processus de
paix, ce qui est nettement le cas de la constructi on du mur de séparation. La construction du mur

constitue manifestement une infraction aux dispositions de ces résolutions du Conseil de sécurité et
a donc un caractère illicite au regard du droit international (voir aussi par. 1 ci-dessus).

14. Conformément à la Charte des Nations Unies et en vertu du droit international
coutumier, l’emploi de la force dans les relations internationales contre l’intégrité territoriale ou
l’indépendance politique d’un Etat est illicite. A fortiori, un agresseur ne peut pas acquérir un
territoire par annexion ni l’acquéri r par la force (article 24) de la Charte des NationsUnies;

P. Malanczuk, Akehurst’s Modern Introduction to International Law , 1989, p.152). En outre, le
droit international n’admet pas le recours à la lé gitime défense pour régler des différends d’ordre
territorial, ce qui en l’espèce semble être le motif invoqué pour justifier la construction illicite du
mur. Le paragraphe 3 de l’artic le 2 de la Charte des Nations Unies dispose que les Etats Membres

règlent leurs différends internationaux par des moye ns pacifiques, et cette obligation s’applique
autant aux différends territoriaux qu’à toute autre catégorie de différend (P. Malanczuk, Akehurst’s
Modern Introduction to International Law, 1989, p. 314). - 5 -

15. Dans sa résolution sur la déclaration relative aux principes du droit international touchant
les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies,

l’Assemblée générale a insisté sur le principe de droit selon lequel tous les Etats ont le devoir de
s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force,
soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépenda nce politique de tout Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies. Pareil recours à la menace ou à l’emploi de

la force constitue une violation du droit intern ational et de la Charte des NationsUnies
(résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale su r la déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la
Charte des Nations Unies, en date du 24 octobre 1970).

16. En outre, tout Etat a le devoir de s’abstenir de recourir à la mena ce ou à l’emploi de la
force pour violer les lignes internationales de démarca tion, telles que les lignes d’armistice ,

établies par un accord international auquel cet Etat est partie ou qu’il est tenu de respecter pour
d’autres raisons. Nulle acquisition territoriale obte nue par la menace ou l’emploi de la force ne
sera reconnue comme légale (les italiques sont de nous) (résolution2625 (XXV) de l’Assemblée
générale sur la déclaration relative aux princip es du droit international touchant les relations

amicales et la coopération entre les Etat conformé ment à la Charte des NationsUnies, en date
du 24 octobre 1970).

17. Etant donné son coût prohibitif et ses carac téristiques de structure permanente, le mur de
séparation en construction ne constitue rien d’autre qu’une délimitation, établie unilatéralement par
Israël, de la frontière entre l’Etat d’Israël et l’ Etat de Palestine. La conséquence de fait est que,
partout où cette frontière s’écarte de la Ligne verte, qui représente actuellement la frontière

effective entre Israël et la Palestine, la zone de jonction sera annexée et incorporée dans le territoire
d’Israël. Dans sa résolution 242 de 1967, le Con seil de sécurité souligne aussi l’inadmissibilité de
l’acquisition de territoire par la guerre et a dema ndé que soit rétablie l’intégrité territoriale des
zones en cause. De plus, nous l’avons déjà dit, aux termes de la déclaration susvisée, tout Etat a le

devoir de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force pour violer les lignes
internationales de démarcation, telles que les lignes d’armistice, établies par un accord international
auquel cet Etat est partie ou qu’il est tenu de respect er, afin de régler un différend territorial et des
problèmes concernant les frontières de l’Etat. Il est évident qu’en construisant le mur de

séparation, Israël n’agit pas de bonne foi et contre vient aux obligations qui lui incombent en vertu
du droit international.

18. Israël soutient que la Ligne verte n’ a pas été confirmée en tant que frontière
internationale et que la question reste à négocier en tre les parties. Par conséquent, la thèse semble
être qu’il y aura possibilité de procéder aux «aju stements territoriaux» rendus nécessaires par des
«considérations sécuritaires» (Gerson, Israël, the West Bank and International Law , 1978, p.76;

J.McHugo, «Resolution 242: A legal reappraisal of the right-wing Israeli interpretation of the
withdrawal phrase with reference to the conflict between Israel and the Palestinians», 2002,
International and Comparative Law Quaterly , vol. 51, p.860). En doctrine, les partisans de cette
thèse avancent en outre que

«1)un Etat qui a été victime d’agression peut être reconnu comme ayant un droit
légitime à des ajustements de frontière pour des raisons de sécurité militaire; [et] 2) en
l’espèce, le Conseil de sécurité approuvera it les modifications de frontière dans la

mesure où elles seraient jugées nécessaires à la sécurité».

Cependant, ils se sont eux-mêmes empressés d’ajouter que «ces modifications ne sauraient être
imposées par l’Etat dont le droit est reconnu, mais ne pourraient être effectuées que dans le cadre

d’un règlement librement négocié, et uniquement dans la mesure où elles seraient compatibles avec - 6 -

une paix juste et durable» (Korman, The Right of Conquest: Acquisition of Territory by Force in
International Law and Practice , 1996, p.211-212; J.McHugo, «Resolution 242: A legal

reappraisal of the right-wing Israeli interpretati on of the withdrawal phrase with reference to the
conflict between Israel and the Palestinians», 2002, International and Comparative Law Quaterly ,
vol. 51, p. 861).

19. Il semble que la construction du mur de sép aration dans le Territoire occupé, y compris à
l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, repose sur l’hypothèse que le Conseil de sécurité
approuvera, selon toute probabilité, des modifications de frontière dans la mesure où elles seront

jugées nécessaires à la sécurité, et à condition qu ’elles soient compatibles avec une paix juste et
durable. Cette hypothèse va aussi dans le sens de l’interprétation qu’Israël donne manifestement au
membre de phrase «frontières sûres et reconnues» qui apparaît, dans la résolution242(1967), à
l’alinéa ii) du paragraphe 1 de ladite résolution :

«ii) cessation de toutes assertions de be lligérance ou de tous états de belligérance
et respect et reconnaissance de la souvera ineté, de l’intégrité territoriale et de
l’indépendance politique de chaque Etat de la région et de leur droit de vivre

en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou
d’actes de force».

Pour Israël, les frontières ne seront sûres que s’il est répondu à ses préoccupations sécuritaires, sans

considération de celles de la Palestine. Et ant donné l’expansion continue des colonies de
peuplement illicites, nous ne croyons pas que la c onstruction du mur représente une mesure de
sécurité légitime : c’est en revanche un acte illicite d’annexion territoriale commis sous le couvert
d’une mesure de sécurité. De plus, l’accélération de la construction du mur, ainsi que l’expansion

des colonies de peuplement illicites en terre palestinienne, constituen t un acte d’annexion
incompatible avec les obligations qui incombent à Israël conformément à la feuille de route du
Quatuor, laquelle est acceptée au niveau international.

20. La présente affaire est aussi l’exemple classique d’un cas qui présente de sérieuses
distinctions entre les violations clairement reconnues du droit international et les faits sur le terrain.
La communauté internationale se trouvera devant une situation de fait qu’il sera très difficile de

modifier. Pour nous, la construction du mur est illi cite et, quel que soit le prétexte pris pour le
construire, concrètement la conséquence en est que le mur, tel qu’il existe et tel qu’il est prévu, est
édifié dans le Territoire pal estinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de
Jérusalem-Est. Cet acte, illicite au regard du dr oit international, constitue par conséquent

l’annexion de fait de parties de ce territoire, ce qui doit être considéré comme l’une des
conséquences les plus graves de la construction du mur.

21. Nous affirmons que tout e délimitation des frontières doit être négociée entre les
deuxEtats, dans des conditions d’égalité entre eux, et non dans les conditions actuelles, où la
Palestine, avec le mur de séparation, va se trouver devant un fait accompli. Il faut que les parties
soient sur un pied d’égalité et que chacune resp ecte le droit de l’autre conformément au droit

international. Cela sera presque impossible à obtenir dans une situation où un mur long de
centaines de kilomètres a été construit et est maintenu intact par l’emploi de la force.

22. La construction du mur de séparation au ra aussi pour conséquence d’inverser le
processus normal de démarcation des frontières sur le plan pratique, que Brownlie décrit très
justement comme suit : - 7 -

«L’accord quant aux détails précis d’une frontière, consacré par un instrument
écrit, est souvent suivi de la procédure distincte de démarcation, c’est-à-dire le

marquage proprement dit de la frontière sur le terrain au moyen de poteaux, de bornes,
etc. Une frontière peut être définitive au regard de la loi, à certaines fins, sans pour
autant faire l’objet d’une démarcation. Les frontières qui sont «de fait», soit à cause
de l’absence de démarcation, soit en raison d’un différend territorial non réglé peuvent

néanmoins être acceptées comme limite juri dique de la souveraineté à certaines fins,
par exemple aux fins de la juridiction civile ou criminelle, du droit de la nationalité et
de l’interdiction d’une intrusion non permise avec ou sans emploi de la force armée.»
(I. Brownlie, Principles of Public International Law, 1988, p. 122.)

En l’espèce, la démarcation de la frontière aura été constituée par le mur de séparation avant que
les négociations proprement dites puissent avoir li eu entre les parties et préjugera, dans des
proportions insoutenables, de toute négociation sur sa délimitation. Procéder ainsi à la démarcation

unilatérale de la frontière est manifestement cont raire aux dispositions de la déclaration visée plus
haut, illicite et incompatible avec la résoluti on242 du Conseil de sécurité et le principe
d’autodétermination des peuples.

L’autodétermination du peuple palestinien

23. Dans son rapport sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens

occupés par Israël depuis 1967, présenté en application de la résolution 1993/2A de la Commission
des droits de l’homme (E/CN.4/2004/6, en date du 8septembre2003), le rapporteur spécial de la
Commission conclut que le mur porte atteinte à de ux des principes les plus fondamentaux du droit
international contemporain, à savoir l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force et le

droit à l’autodétermination.

24. Le droit à l’autodétermination et la noti on de territoire sont intrinsèquement liés. Le

droit à l’autodétermination est ancré dans la Ch arte, plus précisément dans le paragraphe2 de
l’articlepremier et dans l’article55, et est confirmé dans l’article premier commun au pacte
international relatif aux droits civils et politique s et au pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels. Il a aussi été confirmé dans de nombreuses résolutions des

NationsUnies, notamment la résolution1514 (XV) de l’Assemblée générale sur la déclaration
relative à l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et la résolution 2625 (XXV)
de l’Assemblée générale sur la déclaration relative aux principes du droit international touchant les
relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies.

25. En tant que principe fondamental du droit international, le droit à l’autodétermination a
été élevé au rang de jus cogens (P.Malanczuk, Akehurst’s Modern Introduction to International

Law, p. 327), et la Cour internationale de Justice (CIJ) le définit comme une obligation opposable à
tous (affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 90).

26. Le droit des Palestiniens, en tant que peupl e, à l’autodétermination est incontestable et a

été confirmé par l’Assemblée générale dans la résolution 3236 (XXIX) de l’Assemblée générale, en
date du 22 novembre 1974, dans laquelle l’Assemblée réaffirme :

«les droits inaliénables du peuple palestinien, y compris :

a) le droit à l’autodétermination sans ingérence extérieure;

b) le droit à l’indépendance et à la souveraineté nationales». - 8 -

27. Le droit du peuple palestinien à l’autodé termination sur la base de la souveraineté
territoriale à l’intérieur des frontières d’un Etat palestinien indépendant a été réaffirmé par les

NationsUnies à maintes reprises et constitue le principe sur lequel repose la solution des
deux Etats.

28. Pour nous, comme pour le rapporteur sp écial de la Commission d es droits de l’homme
qui l’a dit dans son rapport sur la situation des dr oits de l’homme dans les territoires palestiniens
occupés par Israël depuis1967, le mur de séparati on vise à créer des faits su r le terrain. Nous
réitérons que la construction du mur, même en l’absence d’ un acte formel d’annexion comme dans

le cas de l’annexion illicite de Jér usalem-Est par Israël, ne constitue rien d’autre qu’une annexion
de fait. Le caractère illicite de cet acte en soi a dé jà aussi été affirmé. Toutefois, le lien entre le
territoire, consacré par le principe selon lequel une solution juste et durable au problème
israélo-palestinien doit passer par la création de deux Etats à l’intérieur de frontières sûres et

reconnues, et le droit des Palestiniens à l’ autodétermination fait que ces actes d’annexion
constituent aussi une violation du droit à l’autodéte rmination. Ainsi que le signale le rapporteur
spécial :

«Un peuple ne peut exercer son droit à l’ autodétermination qu’à l’intérieur d’un
territoire donné. L’amputation des Territoires palestiniens porte gravement atteinte au
droit à l’autodétermination du peuple pal estinien dans la mesure où elle réduit
substantiellement la taille du territoire (déjà petit) sur lequel ce droit peut être exercé.»

(Par. 15.)

29. Dans le rapport qu’il a établi en application de la résolution ES-10/13 de

l’Assembléegénérale (A/ES-10/248, en date du 3 décembre2003), le Secrétaire général relève
purement et simplement que : d’après le tracé indiqué sur la carte officielle, environ 975 kilomètres
carré, soit 16,6% de la superficie de la Cisjordanie, seront entourés par le mur, soit une zone dans
laquelle vivent deuxcenttrente-septmille Pales tiniens. Cette tentative d’annexion de fait d’une

partie importante du Territoire palestinien cons titue une violation manifeste du droit du peuple
palestinien à l’autodétermination.

Application abusive, disproportionnée et illicite par Israël du concept de légitime défense

30. Nul n’ignore que la Charte des NationsUni es, dans le paragraphe 4 de son article2,
interdit aux Etats Membres de l’Or ganisation des NationsUnies de re courir à la force dans leurs

relations internationales, la seule exception à cette règle étant énoncée à l’article 51 qui consacre le
droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Etat Membre des
NationsUnies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseildesécurité ait pris les
mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Par sa nature même, le

droit de légitime défense a donc un caractère temporaire.

31. Israël a soutenu que la construction du mur était compatible avec l’article51 de
laCharte, son droit naturel de légitime défense et les résolutions1368 (2001) et 1373(2001) du

Conseil de sécurité.

32. La teneur du droit de légitime défense n’ y étant pas définie, l’article51 reste ouvert à

l’interprétation (et aux abus). Afin de prévenir un retour à la situation antérieure à la Charte, quand
le recours à la force était jugé légitime et, par conséquent, sapait un pilier de la Charte et le système
de sécurité collective, et compte tenu du fait que l’article 51 établit une exception à l’interdiction de
l’emploi de la force, il faut que le droit de légitime défense fasse l’objet d’une interprétation - 9 -

restrictive (C. Gray, International Law and the Use of Force , 2000, p. 87). Il n’est donc pas fondé
d’avancer que l’article51, qui reconnaît le cara ctère «naturel» du droit de légitime défense, a

préservé intact le droit coutumier de légitime défens e antérieur à la Charte, et ce n’est pas dans ce
sens qu’il faut interpréter la manière dont la Cour internationale de Justice dans l’affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (1986) a construit cette notion
en se référant au droit intern ational coutumier (Y.Dinstein, Aggression and Self-defence , 2001,

p. 165). Cette interprétation restrictive est celle que la Cour internationale de Justice avait à l’esprit
quand, dans son avis cons ultatif de1996 sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, elle a dit: «La Cour ne saurait au demeur ant perdre de vue le droit fondamental qu’a
tout Etat à la survie, et donc le droit qu’il a de recourir à la légitime défense, conformément à

l’article 51 de la Charte, lorsque cette survie est en cause.» (C.I.J. Recueil 1996, p. 263.)

33. A l’évidence, la Cour avait à l’esprit que le droit naturel de légitime défense au sens de

l’article 51 ne pouvait être exercé par un Etat Membre que dans des circonstances extrêmes, et c’est
pourquoi il a été dit avec autorité que l’article 51 permet la légitime défense exclusivement en cas
«d’agression armée» (Y. Dinstein, War, Aggression and Self-defence, 2001, p. 65). A propos de la
question de savoir si les attaques transfrontières perpétrées par des forces irrégulières peuvent être

considérées comme des agressions armées justifiant la légitime défense, la Cour internationale de
Justice a constaté, dans l’affaire du Nicaragua (C.I.J. Recueil 1986 (fond)) que les actes commis
par des «bandes, groupes, forces irrégulières ou me rcenaires armés» qui recourent à la force des
armes peuvent équivaloir à une agression armée à condition que la gravité en soit telle qu’ils

peuvent être assimilés à une véritable agression armée commise par des armées régulières, et que
ces forces soient envoyées par un Etat, ou agissent pour son compte. Tel n’est pas le cas dans le
conflit palestinien.

34. De larges interprétations du droit «naturel» de légitime défense ont aussi donné naissance
à la doctrine controversée de la légitime défense préventive, avancée notamment par Israël lorsqu’il
a attaqué les installations nucléaires d’Osirak en Iraq en 1981 (attaque condamnée comme un acte

d’agression prémédité et sans précédent par l’Assemb lée générale dans sa résolution 36/27). Dans
la pratique, cette doctrine est invoquée par les Etat s uniquement en dernier ressort et ne sert par
conséquent que rarement à justifier l’emploi de la force. Le manque de pratique constante des
Etats et l’opposition manifeste et sans réserve exprimée à l’encontre de cette doctrine par les Etats

Membres à l’Assemblée générale nient toute tentativ e faite pour justifier la place de cette doctrine
dans le droit international coutumier.

35. Il a souvent été dit qu’une autre exception à l’interdiction de l’emploi de la force, faite
dans la Charte, est le droit des Etats d’employer la force pour protéger leurs ressortissants, dont
l’origine remonte à un droit coutumier antérieu r à la Charte. Mais, ce droit présuppose une
intervention par la force dans un autre Etat dans le but de protéger ou de sauver des ressortissants

et, par conséquent, ne s’applique pas en l’espèce.

36. Tous les Etats conviennent que les très an ciens principes juridiques de nécessité et de

proportionnalité constituent l’essentiel de la doctrine de légitime défense et cela, depuis l’époque
de la doctrine de la guerre juste (C. Gray, International Law and the Use of Force, 2000, p. 105); la
Cour internationale de Justice a aussi analysé ces principes dans l’affaire du Nicaragua et dans
l’avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’utilisation des armes nucléaires . Ils se

définissent essentiellement par les car actéristiques suivantes: la légitime défense ne doit pas être
exercée à titre de représailles ou de punition; elle doit avoir pour but de stopper et de repousser une
agression et dépend des faits dans le cas d’espèce. Et, en l’espèce, la construction du mur par Israël

et ses conséquences pour la popul ation civile palestinienne sérieuses restrictions des
déplacements, isolement des civils de leurs cham ps, destruction de cultures, difficultés d’accès à - 10 -

l’emploi et aux services sociaux essentiels  qui sont décrites dans le rapport que le Secrétaire
général a établi en application de la résolution ES-10/13 de l’Assemblée générale (A/ES-10/248, en

date du 3décembre2003) sont totalement disp roportionnées et inutiles du fait que la défense
israélienne contre les attaques vise des attentats occasionnels et irréguliers commis par des auteurs
isolés.

37. Le mur de séparation, on l’a déjà dit, en traîne aussi une annexion de fait de parties du
Territoire palestinien occupé. L’illicéité de cette action, et son caractère inutile et disproportionné,
ressortent à l’évidence de deux précédents :

«La nécessité et la proportionnalité sont aussi essentiels dans le rejet par les
Etats de l’occupation prolongée de territoire au nom de la légitime défense. Ainsi, la
présence d’Israël dans le Sud-Liban de197 8 à2000 et l’occupation par l’Afrique du

Sud d’une zone tampon en Angola de1981 à19 88 se prétendaient justifiées par la
légitime défense et ont été toutes deux à maintes reprises et universellement
condamnées en tant qu’actes de légitime défense non nécessaires ni proportionnés.»
(C. Gray, International Law and the Use of Force, 2000, p. 108.)

Le Conseil de sécurité a demandé à Israël, dans sa résolution425, et à l’Afrique du Sud, dans sa
résolution 545, de se retirer de ces territoires.

38. Au titre des principes de nécessité et de proportionnalité, certains auteurs ont essayé de
faire valoir une théorie de l’agression armée fondée sur «l’accumulation des événements» ou «le
harcèlement». Cette théorie est avancée dans certa ins cas, comme en l’espèce, afin de justifier une

réaction, qui autrement serait disproportionnée, à un e série d’attaques. Toutefois, cette théorie est
loin de bénéficier d’un soutien géné ral dans la pratique et dans la doctrine juridique des Etats. En
outre, il reste à évaluer la nécessité et la proportionnalité sur la base des faits du cas d’espèce et,
comme indiqué, en l’espèce, la construction du mur a des conséquences totalement

disproportionnées par rapport à son objectif, facteur qu’on ne peut pas écarter en invoquant cette
théorie.

39. De ce qui précède, il ressort que la constr uction du mur de séparation par Israël ne peut
se justifier sur la base du droit de légitime défe nse énoncé dans l’article51 de la Charte.
L’article 51 n’est pas applicable en l’espèce pour les raisons suivantes :

 les attentats-suicides à l’explosif perpétrés contre Israël par des Palestiniens isolés, bien qu’ils
soient répréhensibles et causent de nombreu ses victimes innocentes parmi les civils,
n’atteignent pas le seuil fixé par le droit inte rnational pour être assimilés à des attaques armées
justifiant une réaction au titre du droit de légitime défense prévu à l’article 51;

 selon la définition de l’article51, le droit de légitime défense est un droit temporaire, qui
s’éteint dès que le Conseil de sécurité a pris les mesures nécessaires. En dépit des assurances
israéliennes selon lesquelles il s’agit d’une mesure de sécurité temporaire, les faits sur le

terrain, tels qu’exposés par le Secrétaire général dans le rapport qu’il a établi en application de
la résolutionES-10/13 de l’Assemblée générale , et la permanence même du mur donnent à
penser que tel n’est pas le cas. De plus c’est une mesure qui n’est liée en aucune manière à

l’action du Conseil de sécurité et qui est contraire à la dispos ition explicite des Nations Unies
exigeant qu’Israël «arrête la construction du mu r dans le Territoire palestinien occupé, et
revienne sur ce projet» (résolution ES-10/13 de l’Assemblée générale); - 11 -

 en tout état de cause, la justification de cette mesure sur la base du droit de légitime défense
prévu à l’article51 est abusive, irrationnelle et infondée. Le droit de légitime défense est

déclenché par une agression armée et, par conséquent «implique l’emploi de la force en retour :
il intervient en réaction à l’emploi de la force par l’autre partie» (Y. Dinstein, Aggression and
Self-Defence, 2001, p.167). Malgré le caractèr e inacceptable des mesures prises pour
construire le mur, telle que la réquisition de terres, et les gr aves répercussions humanitaires et

socio-économiques qu’elles auront pour les Palestiniens, la construction du mur n’équivaut pas
à cet emploi de la force en retour et toute tentative faite pour la justifier par la légitime défense,
tel que définie à l’article 51 est impossible à soutenir.

40. A propos de l’argument selon lequel la construction du mur est justifiée par les
résolutions 1368 (2001) et 1373 (2001) du Conseil de sécurité, adoptées dans le contexte des
attentats commis le 11 septembre 2001 sur le territoire des Etats-Unis d’Amérique, nous disons que

la construction du mur de séparation par Israël outrepasse de beaucoup ce qui était envisagé dans
ces résolutions.

41. Dans le préambule de ces résolutions, le Conseil de sécurité déclare, en termes généraux,
que tout acte de terrorisme international doit être considéré comme une menace pour la paix et la
sécurité internationales. La résolution 1373, adop tée en vertu du chapitre VII de la Charte, énonce
notamment, dans son dispositif, une décision tend ant à ce que les Etats Membres prennent les

mesures voulues pour empêcher que des actes de terrorisme ne soient commis (par. 2 b)).

42. Au demeurant, ces dispositions sont rédi gées en des termes trop généraux pour justifier

un acte donné tel que la construction du mur de sé paration qui constitue en soi une violation des
principes du droit international. A cet égard, il faut signaler que la disposition autorisant les Etats
Membres à prendre les mesures voulues pour empêch er que des actes de terrorisme ne soient
commis fait partie de plusieurs dispositions visant à lutter contre le terrorisme, dont l’une

(par. 2 g)) vise expressément à restreindre les mouvements de terroristes ou de groupes de
terroristes : «Empêcher les mouvements de terroristes ou de groupes de terroristes en instituant des
contrôles efficaces aux frontières, ainsi que des contrôles lors de la délivrance de documents
d’identité et de documents de voyage…» Il n’est pas concevable d’interpréter la mesure générale

énoncée au paragraphe 2 b) de telle façon qu’elle se substitue aux mesures spéciales de contrôle des
mouvements des terroristes et des groupes de terroristes, ni de justifier une mesure qui, tel que cela
ressort clairement du rapport établi par le Secrétaire général en application de la
résolution ES-10/13 de l’Assemblée générale (A/ES-10/248) en date du 3décembre2003,

entravera sérieusement la circulation de civils innocents ainsi que leur accès aux champs, aux lieux
de travail et aux services sociaux essentiels. Cela por te atteinte au principe général de droit selon
lequel les dispositions générales ne dérogent pas aux dispositions spéciales.

43. Nonobstant le droit qu’a Israël de protéger ses citoyens contre les attaques et le réel souci
de prévention des attentats terroristes à l’éche lle internationale, il faut noter que la lutte
internationale contre le terroris me repose sur le principe selon lequel elle doit s’inscrire dans le

cadre du droit international. Ainsi, aux termes de l’article 19 de la conve ntion internationale pour
la répression des attentats terroristes à l’explosif, qui a été ratifiée par un grand nombre de pays:
«Aucune disposition de la présente convention ne modifie les autres droits, obligations et
responsabilités qui découlent pour les Etats et les individus du droit international…»

44. Par conséquent, et compte tenu aussi d es autres arguments avancés, nous disons que les
dispositions générales des deux résolutions du Conseil de sécurité doivent être lues sous réserve de

leurs dispositions spéciales, en particulier le paragraphe2 g) de la résolution1373, et qu’aucune - 12 -

disposition de ces résolutions n’exclut l’applicabilité du droit international au Territoire palestinien
occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, ni n’autorise à agir

contrairement au droit international.

Droit humanitaire

45. Il est évident que le droit international humanitaire s’applique dès le déclenchement d’un
conflit, ce qui dans le cas du conflit israélo-palestinien, remonte à la guerre de 1967, jusqu’à ce que
les parties aient abouti à un accord général de pa ix. Par conséquent, dans le cas du Territoire
palestinien occupé, Israël, en tant que puissance oc cupante, est tenue de respecter les dispositions
du règlement de La Haye de 1907 et de la quatrième convention de Genève relative à la protection

des personnes civiles en temps de guerre de1949, qui ensemble régissent le régime juridique de
l’occupation de guerre. Ces instruments font partie du droit international coutumier et lient tous les
Etats, y compris Israël, qui est une haute partie contractante des quatre conventions de Genève
de 1949. Conformément à l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969,
une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution

d’un traité. Si un Etat doit, pour s’acquitter des ob ligations qui lui incombent en vertu d’un traité,
adopter une nouvelle loi ou en modifier une qui ex iste, il doit veiller à le faire avant l’entrée en
vigueur du traité. En droit inte rnational, par conséquent, un Etat ne peut pas faire valoir qu’il
attend que son Parlement légifère . Autrement dit, le fait que, bien qu’il ait ratifié les quatre
conventions de Genève, il ne le s a pas encore incorporées dans son droit interne et n’est donc pas

lié par leurs dispositions, le G ouvernement israélien avance un ar gument qui est dénué de tout
fondement juridique au regard des dispositions de la convention de 1969 sur le droit des traités, qui
font partie du droit international coutumier, et ont donc force obligatoire pour tous les Etats.

46. Les articles47 à78 de la quatrième convention de Genève de1949, qui sont
expressément consacrés aux territoires occupés, s’appliquent en l’espèce. L’une des règles
fondamentales est inscrite dans l’article 47 de la quatrième convention de Genève, en vertu duquel
les droits des personnes vivant dans des territoires occupés sont pl einement protégées par le droit
international. La puissance occupante, en l’espèce Is raël, ne peut modifier leur situation juridique

ni par un acte unilatéral ni pa r une annexion du territoire, car elles demeurent des personnes
protégées.

47. Le mur de séparation que le Gouvernement israélien a construit et continue de construire,

qui aboutit à l’incorporation de fait en Israël de parties du Territoire palestinien occupé, y compris
à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, porte directement atteinte à l’article47 de la
quatrième convention de Genève et constitue aussi une violation des différentes résolutions des
Nations Unies évoquées plus haut, qui exigent le retrait des forces armées israéliennes du Territoire
palestinien occupé.

48. Suivant l’exposé détaillé que le rapporteur de la Commission des droits de l’homme a
présenté dans son rapport sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens
occupés (E/CN.4/2004/6), la construction du mur a donné lieu à de nombreuses expropriations de

terres et a causé la destruction d’habita tions, de commerces, d’écoles, de réseaux
d’approvisionnement en eau et de terres agricoles a ppartenant aux Palestiniens. De tels actes sont
expressément interdits par l’article 53 de la quatrième convention de Genève aux termes duquel

«il est interdit à la puissance occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers,

appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l’Etat ou à
des collectivités publiques, à des organisati ons sociales ou coopératives, sauf dans les
cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations
militaires». - 13 -

49. Pour justifier une telle violation de l’artic le 53 de la quatrième c onvention de Genève et
la construction du mur de séparation proprement dit, le Gouvernement israé lien fait valoir que le

mur a pour but d’assurer la sécurité d’Israël et que la destruction ou la confiscation de biens
palestiniens est imposée par les nécessités de la guerre, comme le permet l’article 23 du règlement
de La Haye de 1907. Il faut préciser que la noti on d’«impératifs militaires» ne libère pas l’Etat des
obligations qui lui incombent de respecter le dro it humanitaire international. Les conventions de

Genève et les protocoles additionnels ont déjà concilié les exigences liées aux lois de la guerre et
les besoins de l’humanité.

50. Compte tenu de ces considérations, il faut examiner un certain nombre de facteurs sur le
terrain afin d’évaluer, au regard du droit international, du droit international humanitaire et du droit
international relatif aux droits de l’homme, les motifs avancés pa r le Gouvernement israélien pour
justifier ses actes; à savoir :

a) la construction du mur de séparation dans le Territoire palestinien, y compris à l’intérieur et sur
le pourtour de Jérusalem-Est, est en contradicti on directe avec le droit international qui interdit
l’annexion du territoire dans toute guerre, y compris une guerre de légitime défense;

b) le mur englobe du côté israélien la plupart d es colonies israéliennes illicites, qui font encore
l’objet de négociations entre Israël et la Pales tine. Les colonies israéliennes sont illicites parce
qu’elles constituent non seulement une tentative d’ acquisition de territoire par la force, mais

aussi une infraction aux dispositions de l’article 49 de la quatrième c onvention de Genève qui
dit clairement que «la puissance occupante ne pou rra procéder à la déportation ou au transfert
d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle»;

c) d’après le rapport du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation
des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés (E/CN.4/2004/6) et le rapport du
Secrétaire général établi en application de la résolution ES-10/13 (A/ES-10/248 en date
du3décembre2003), le mur a créé des zones fe rmées dans lesquelles est mis en place un

système de permis délivrés aux Palestiniens qui vi vent et/ou travaillent da ns la zone, ainsi que
des enclaves qui coupent les villages palestinie ns des services essentiels tels que services de
santé, écoles, ressources en eau et électricité. Ces conditions inhumaines qui résultent de la
construction du mur obligent des Palestiniens à quitter leurs maisons dans les zones touchées,

d’où un mouvement de personnes déplacées à l’inté rieur de leur pays. Les conséquences du
mur en l’espèce doivent être mesurées en fonctio n du principe de proportionnalité reconnu par
le droit humanitaire international. Elles constitu ent aussi des violations des droits de l’homme
qui doivent être appréciées au regard du pacte inte rnational relatif aux droits civils et politiques

et du pacte international relatif aux droits éc onomiques, sociaux et culturels, deux instruments
dont Israël est signataire;

d) les Nations Unies ont adopté plusieurs résolutions qui condamnent l’annexion de Jérusalem-Est,

et d’autres qui demandent que lui soit redonné le statut qu’elle avait avant son occupation.
Jérusalem-Est est donc une région occupée, une région dans laquelle il faut mettre en
application le droit international humanitaire.

51. Selon un principe bien établi en droit international, c’est d’après les règles du droit
international qu’il faut juger le comportement de l’administration militaire dans une zone purement
et simplement occupée, à savoir le Territoire palestinien occupé, y compris l’intérieur et le pourtour

de Jérusalem-Est. Il faut que les mesures de sécurité soient prises conformément au droit
humanitaire international, et perm ettent un retour rapide à une vi e civile normale. Le caractère
permanent du mur empêche de suivre toutes ces prescriptions. - 14 -

52. Le droit du Gouvernement israélien de pr endre des précautions d’ordre sécuritaire n’est
pas mis en cause. Au demeurant, ce droit ne s’ exerce pas dans le vide. Il y a des règles, des

principes et des limites, établis par le droit international humanitaire, on l’a vu plus haut, qui
régissent la manière dont ce droit peut et doit être ex ercé, et la mesure dans laquelle il peut et doit
l’être.

Droits de l’homme

53. Le droit international moderne relatif a ux droits de l’homme trouve ses origines dans la

Charte des NationsUnies. L’un des buts des Na tionsUnies, énoncés dans le paragraphe3 de
l’article1 de la Charte, est de développer et en courager le respect des droits de l’homme et des
libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. Cette
idée est reprise dans les articles13, 55 et 56. L’article55 c) prévoit que les NationsUnies

favoriseront le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales
pour tous, et l’article 56 oblige les Etats Membres à agir pour atteindre ces buts.

54. Le premier instrument international de codification des droits fondamentaux de l’homme

est la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et, bien qu’il s’agisse d’une résolution
de l’Assemblée générale dont les dispositions ont le caractère de recommandations, les droits qui y
sont consacrés sont aujourd’hui acceptés en tant que normes du droit international coutumier, et

certains ont même aussi acquis le statut de normes de droit international relevant du jus cogens
(J. Dugard, International Law: A South African Perspective , 2000, p.241). Il s’ensuit que les
dispositions de la déclaration lient tous les Etats. L’effet de traité a aussi été donné à la déclaration
universelle dans le pacte intern ational relatif aux droits civils et politiques et dans le pacte

international relatif aux droits économiques, socia ux et culturels. Outre le caractère universel qui
leur a été reconnu, les droits de l’homme sont aujourd’hui aussi des «droits inaliénables et
inviolables inhérents à tous les membres de la famille humaine» (proclamation de Téhéran, 1968).

55. Il n’est donc pas fondé de prétendre que les habitants du Territoire palestinien occupé
sont exclus de la protection accordée par les prin cipaux instruments relatifs aux droits de l’homme
(et, par voie de conséquence, des droits de l’ homme spécifiques qui se sont fixés en tant que

principes de droit international coutumier) à cause de l’absence de relation gouvernement-citoyen.
C’est là un argument sérieusement entaché de vice. Il nie le caractère universel des droits de
l’homme et le fait que ces droits sont propres à l’in dividu, et non au gouvernement. Il va sans dire
que, même quand la relation gouvernement-cit oyen est remplacée par une relation puissance

occupante-individu, ce remplacement qui résulte d’un acte unilatéral dans lequel l’individu n’a joué
aucun rôle ne saurait faire disparaître d’un coup la protection offerte par le droit international relatif
aux droits de l’homme : l’individu reste bénéficiai re au moins des droits de l’homme essentiels et
de la protection qui s’y rattache. D’après les paragraphes 2 à 4 du «résumé de la position légale du

Gouvernement d’Israël» (annexeI du rapport du S ecrétaire général établi en application de la
résolutionES-10/13 de l’Assemblée générale (A/ES-10/248 en date du 3décembre2003)), les
habitants du Territoire palestinien occupé ne bénéficieraient ni de la protection offerte par le droit
humanitaire international ni de celle qui est prévue dans le pacte international relatif aux droits

civils et politiques : cette thèse, qui créerait une l acune juridique à l’égard du Territoire palestinien
occupé dans lequel les individus ne bénéficierai ent d’aucune protection vis-à-vis de la puissance
occupante, est totalement insoutenable.

56. En ce qui concerne les droits de l’homme spécifiques qui sont touchés par la construction
du mur de séparation, aussi bien le Secrétaire général dans le rapport qu’il a établi en application de
la résolution ES-10/13 de l’Assemb lée générale en date du 20n ovembre2003 que le rapporteur

spécial de la Commission des dro its de l’homme dans son rapport su r la situation des droits de - 15 -

l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967 font état de l’expropriation
de terres, de la destruction d’arbres fruitiers et d’ oliviers, de la destruction de biens immobiliers,

d’atteintes à la liberté de circulation, d’atteintes au droit à l’éducation, au travail, à un niveau de vie
suffisant et à des services de santé ainsi que du tra itement en général réservé aux habitants de ces
territoires dans des conditions contraires aux oblig ations prescrites dans le pacte international
relatif aux droits civils et politiques, le pacte in ternational relatif aux droits économiques, sociaux

et culturels, la convention relative aux droits de l’enfant et la quatrième convention de Genève.

57. Ces mesures constituent en soi une viol ation des principes les plus fondamentaux du

droit international relatif aux droits de l’homme et, de plus, les répercussions en sont aggravées par
le fait que lesdites mesures, et la construction même du mur de séparation, ne peuvent en aucun cas
être justifiées par des impératifs militaires et s ont disproportionnées par rapport à la menace contre
laquelle elles sont prises.

V. Conclusion

En résumé :

58. A notre avis, la construc tion du mur de séparation est illicite et, quel que soit le prétexte
pris pour le construire, la consé quence pratique en est que le mur, tel qu’il existe et tel qu’il est

envisagé, est édifié dans le Territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour
de Jérusalem-Est. Cet acte, manifestement illicite au regard du droit international, constitue une
annexion de fait de parties dudit territoire, a nnexion qui doit être considérée comme l’une des
conséquences les plus graves de la construction du mur.

59. Malgré les préoccupations lé gitimes d’Israël en matière de sécurité, nous disons que la
construction du mur est une mesure disproportio nnée et non nécessaire qui ne constitue pas une

mesure de sécurité légitime, parce qu’elle élargit cette notion à l’excès et, de plus, porte atteinte à
plusieurs principes fondamentaux du droit internatio nal, tels que l’interdic tion de l’acquisition de
territoire par la force, le droit du peuple palestinie n à l’autodétermination et les droits reconnus au
peuple palestinien par le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits de

l’homme.

60. En outre, comme il deviendra concrètement une frontière de fait entre Israël et la

Palestine, le mur de séparation, au lieu d’apporter la sécurité à Israël, co mpromettra les tentatives
faites à l’échelle internationale pour aboutir à une paix globale, juste et durable dans la région,
fondée sur la solution des deux Etats.

61. Par conséquent, nous disons que la Cour devrait conclure à l’illicéité du mur au regard du
droit international.

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Exposé écrit du Gouvernement de la République d'Afrique du Sud [traduction]

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