Exposé écrit du Gouvernement de l'Australie [traduction]

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1553
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EXPOSE ECRIT DU G OUVERNEMENT AUSTRALIEN

1. Dans sa résolution ES-10/14 adoptée le 8décembre 2003, l’Assemblée générale des

NationsUnies a demandé à la Cour internationale de Justice de rendre un avis consultatif sur la
question suivante :

«Quelles sont en droit les conséquences de l’édification du mur qu’Israël,

puissance occupante, est en train de construire dans le Territoire palestinien occupé, y
compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce qui est exposé dans
le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles et des principes de droit

international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949, et les
résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l’Assemblée
générale ?» (A/RES/ES-10/14, dossier no 2 ) 1

Le Gouvernement australien présente les ob servations ci-après en réponse à l’ordonnance de
la Cour du 19décembre2003 qui fixe les délais dans lesquels des exposés écrits concernant cette
question peuvent être présentés à la Cour par l’Organisation des NationsUnies et ses Etats
Membres.

2. La requête pour avis consultatif est soum ise à la Cour à un moment où, sur le plan

international, il se dégage un consensus de plus en plus large sur les démarches nécessaires à la
réalisation d’un règlement global, juste et durable du conflit israélo-palestinien. Le Gouvernement
australien appuie fermement la feuille de route axée sur des résultats en vue d’un règlement
permanent du conflit israélo-palestinien prévoyan t deux Etats (feuille de route) (S/2003/529 du
o
7 mai 2003, dossier n 70); cette feuille de route a été établie par le Quatuor international —
composé des représentants des Etats-Unis d’Amérique, de l’Union européenne, de la Fédération de
Russie et de l’Organisation des NationsUnies— et approuvée à l’unanimité par le Conseil de
o
sécurité dans la résolution 1515 adoptée le 19 novembre 2003 (S/RES/1515 (2003), dossier n 36).
Le Gouvernement australien tient tout particuliè rement à ce qu’il ne soit pris aucune mesure
susceptible de compliquer davantage l’activité du Quatuor international ou de compromettre
l’exécution de la feuille de route. A cet égar d, le Gouvernement australien demeurera toujours

fondamentalement attaché à l’intégrité territoriale d’Israël et à son droit à vivre en paix à l’intérieur
de frontières sûres et définies. En même temps, le Gouvernement australien reconnaît aussi le droit
et l’aspiration légitimes du peuple palestinien à la création d’un Etat palestinien viable et

démocratique.

3. Le Gouvernement australien considère que, si la Cour rend un avis consultatif en l’espèce,

ce pourrait avoir un effet négatif plutôt que positif su r l’exécution de la feuille de la route et sur
l’action menée actuellement par le Quatuor interna tional, compte tenu en particulier de la nature
sélective et unilatérale de la qu estion par laquelle il est demandé un avis à la Cour. En outre,

l’Australie déclare, pour les raisons énoncées ci -après, que certaines considérations conduisent
inévitablement à conclure que la Cour, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, doit dire
qu’il est inopportun de rendre un avis sur la question qui lui est soumise.

4. Le Gouvernement australien ne formule auc une conclusion quant au fond de la question.
Sur cet aspect, l’Australie réserve sa position.

1Les numéros de dossier cités dans cet exposé correspondent aux numéros insc rits dans le dossier des éléments
rassemblés par le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies en application du paragraphe 2 de l’article 65 du Statut

de la Cour internationale de Justice. - 2 -

LE POUVOIR D ’APPRECIATION DE LA C OUR DANS LES REQUETES POUR AVIS CONSULTATIF

5. Il est bien établi que l’article65 du Statut de la Cour confère à celle-ci un pouvoir
d’appréciation lui permettant de dé terminer si elle doit rendre un av is consultatif, même si elle a
compétence pour connaître de la requête. Comme l’a dit la Cour en l’affaire Interprétation des

traités de paix :

«L’article 65 du Statut est permissif. Il donne à la Cour le pouvoir d’apprécier
si les circonstances de l’espèce sont telles qu’elles doivent la déterminer à ne pas

répondre à une demande d’avis. La Cour possède à cet égard un large pouvoir
d’appréciation.» ( Interprétation des traités de pai x conclus avec la Bulgarie, la
Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.)

De même, en l’affaire Sahara occidental, la Cour a dit :

«Dans l’exercice de ce pouvoir discréti onnaire, la Cour internationale de
Justice, de même que la Cour permanente de Justice internationale, a toujours suivi le
principe selon lequel, en tant que corps judici aire, elle doit rester fidèle aux exigences

de son caractère judiciaire, même lorsqu’elle rend des avis consultatifs. S’il lui est
posé une question juridique à laquelle elle a incontestablement compétence pour
répondre, elle peut néanmoins refuser de le faire. Comme la Cour l’a déclaré dans des

avis consultatifs antérieurs, le caractère permissif de l’article65, paragraphe1, lui
donne le pouvoir d’apprécier si les circons tances de l’espèce sont telles qu’elles
doivent la déterminer à ne pas répondre à une demande d’avis.» ( Sahara occidental,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21.)

6. Il n’est pas non plus contesté que l’exerci ce de la compétence consultative de la Cour doit
être accompagné de toutes les garanties judiciaires nécessaires. En fait, la Cour a souligné à
maintes reprises que certaines restrictions s’appl iquent à l’exercice de sa compétence consultative

et que ces restrictions visent en particulier les questions soumises à la Cour qui risquent de
l’empêcher de se conformer à sa fonction judiciaire (Interprétation des traités de paix conclus avec
la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72;

Cameroun septentrional, exceptions préliminaires, arrêt du 2 décembre 1962, C.I.J. Recueil 1963 ,
p. 30; Sahara occidental, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1975, p. 20; Applicabilité de la section 22
de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies , avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1989, p. 191; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de

la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999, p. 78).

7. La Cour a montré qu’elle cherchera à savoir s’il existe des raisons l’obligeant à refuser

d’exercer sa compétence consultative. A cet égard, elle a pris soin de rattacher étroitement ses
observations aux circonstances de chaque affaire, y compris aux fins pour lesquelles la requête
avait été formulée (voir Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la
Roumanie, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71; Réserves à la convention pour la prévention

et la répression du crime de génocide, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1951, p.19; Conséquences
juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif ,
C.I.J. Recueil 1971, p.24-27; Licéité de la menace ou de l’em ploi d’armes nucléaires, avis

consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 235). En l’espèce, la requête pour avis consultatif soulève sous
une forme épineuse la question de l’opportunité. - 3 -

8. L’Australie considère qu’il existe des ra isons impérieuses pour que la Cour, exerçant son
pouvoir d’appréciation, refuse de rendre l’avis demandé. Premièrement, le défaut de consentement

d’Israël rend le prononcé d’un avis consultatif inco mpatible avec le caractère judiciaire de la Cour,
notamment parce que la requête vi se sans aucun doute les droits et les responsabilités d’Israël.
Deuxièmement, il faut rejeter la requête, car tout avis rendu par la Cour serait dépourvu d’objet ou
de but, notamment au vu des mesures prises et d es décisions adoptées par l’Assemblée générale et

le Conseil de sécurité. Troisièmement, le pronon cé d’un avis consultatif risquerait de nuire à des
initiatives qui tendent actuellement à régler le conf lit israélo-palestinien. Nous allons examiner
successivement chacune de ces considérations.

a) Le défaut de consentement d’Israël rend le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec
le caractère judiciaire de la Cour

9. La Cour a régulièrement affirmé qu’elle do it veiller à l’intégrité de sa fonction judiciaire.
En outre, en tant qu’organe judiciaire, la Cour a souligné qu’elle doit rester fidèle aux obligations
liées à son caractère judiciaire lorsqu’elle rend des avis consultatifs (voir Composition du Comité
de la sécurité maritime de l’Organisation interg ouvernementale consulta tive de la navigation

maritime, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1960, p.153; Conséquences juridiques pour les Etats de
la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la
résolution276 (1970) du Conse il de sécurité, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1971, p.27; Sahara
occidental, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1975, p.25; Demande de réformation du jugement

n°273 du Tribunal administratif des Na tions Unies, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1982, p.334).
Sur ce point, la Cour a dit que l’absence de consen tement de la part d’un Etat concerné à la
procédure consultative dont il s’agit est un élém ent pertinent à prendre en considération pour

apprécier l’opportunité de rendre un avis ( Interprétation des traités de paix conclus avec la
Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie , avis consultatif, C.I.J.Recueil1951 , p.72; Sahara
occidental, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1975, p.12; Statut de la Carélie orientale, avis
consultatif, 1923, C.P.I.J. série B n 5, p. 29).

10. En l’affaire du Sahara occidental, la Cour a défini explicitement le type de situations
dans lesquelles un défaut de con sentement doit l’obliger à refuse r de rendre un avis demandé par
l’Assemblée générale. La Cour a dit :

« Ainsi le défaut de consentement d'un Etat intéressé peut, dans certaines
circonstances, rendre le prononcé d'un avis c onsultatif incompatible avec le caractère
judiciaire de la Cour. Tel serait le cas si les faits montraient qu'accepter de répondre

aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n'est pas tenu de soumettre
un différend au règlement judiciaire s'il n’est pas consentant.» ( C.I.J. Recueil 1975,
p. 25.)

11. L’examen de la jurisprudence de la C our confirme que, pour ré pondre à la question de
savoir si le prononcé d’un avis consultatif serait incompatible avec le caractère judiciaire de la
Cour, il faut tenir compte des circonstances de chaque espèce. Il ressort aussi de la jurisprudence

de la Cour que celle-ci ne se prononce sur les droits et obligations des Etat s dans l’exercice de sa
compétence consultative que s’il apparaît clairement qu’un tel prononcé va faciliter l’action menée
par l’Organisation des Nations Unies et n’aura pas pour effet de compromettre la position juridique
d’un Etat concerné qui a exprimé son opposition à la procédure.

12. Ainsi, en l’affaire Interprétation des traités de paix , la Cour a examiné les exceptions
soulevées par la Bulgarie, la Hongrie et la Roum anie qui avaient affirmé qu’en répondant à la

demande d’avis consultatif, la C our porterait atteinte au princi pe selon lequel aucune procédure - 4 -

judiciaire relative à une question de droit pendant e entre Etats ne peut être engagée sans leur
consentement. En décidant de rendre l’avis demandé, la Cour a déclaré :

«Ainsi qu’il a été dit, la présente demande d’avis concerne uniquement
l’applicabilité à certains différends de la procédure de règlement instituée par les
traités de paix, et il est permis d’en conclu re qu’elle ne touche assurément pas le fond

même de ces différends… Il en résulte que la position juridique des parties à ces
différends ne saurait à aucun degré être compromise par les réponses que la Cour
pourrait faire aux questions qui lui sont posées.» (C.I.J. Recueil 1950, p. 71.)

13. De même, en l’affaire Sahara occidental , la Cour était saisie d’une requête de
l’Assemblée générale lui demandant de rendre un avis consultatif su r des questions portant sur le
concept de terra nullius et sur celui des liens juridiques à respecter dans le cadre de la
décolonisation du Sahara occidental. En examin ant une exception formulée par l’Espagne contre

l’opportunité de l’exercice de la fonction consultative de la Cour , la Cour a conclu qu’il était
pertinent de rendre l’avis demandé pour les raison suivantes :

«Il existe dans la présente affaire une controverse juridique mais c’est une

controverse qui a surgi lors des débats de l’Assemblée générale et au sujet de
problèmes traités par elle. Il ne s’agit pas d’une controverse née indépendamment,
dans le cadre de relations bilatérales… Le règlement de ce problème sera sans effet
sur les droits que l’Espagne possède actuellement en tant que Puissance administrante

mais il aidera l’Assemblée générale à se prononcer sur la politique à suivre pour
accélérer le processus de décolonisation du te rritoire. Il en résulte que la position
juridique de l’Etat qui a refusé son consen tement à la présente instance «ne saurait à
aucun degré être compromise par les réponses que la Cour pourrait faire aux questions

qui lui sont posées».» (C.I.J. Recueil 1975, p. 25 et 27.)

14. La Cour a adopté la même méthode pour examiner s’il était pour elle opportun de

répondre à la requête pour avis cons ultatif dans des affaires mettant en jeu une question juridique
pendante entre l’Organisation des Nations Unies et un Etat Membre (voir Conséquences juridiques
pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)
nonobstant la résolution276 (1970) du C onseil de sécurité, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1971,

p. 16; Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités
des NationsUnies, C.I.J. Recueil 1989, p.177). Par exemple, dans l’affaire Privilèges et
immunités, il avait été demandé à la Cour de rendr e un avis consultatif sur la question de
l’applicabilité de la convention sur les privilèg es et immunités des Nations Unies au rapporteur

spécial (ressortissant roumain à l’époque) de la sous-commission de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des minorités. En étudiant les arguments soumis par la
Roumanie sur la question de savoir pourquoi la C our devait refuser de rendre l’avis demandé, la
Cour a dit :

«la Cour doit examiner si, en l’espèce, «accepter de répondre aurait pour effet de
tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre un différend au
règlement judiciaire s’il n’est pas consentant». La Cour estime qu’en la présente

affaire accepter de répondre n’aurait pas un tel effet. Certes, dans la résolution par
laquelle il demande l’avis de la Cour, le Conseil conclu t qu’une divergence de vues
s’est élevée entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement roumain quant

à l’applicabilité de la convention au cas de M. Dumitru Mazilu. Mais cette divergence
de vues et la question posée à la Cour comp te tenu de celle-ci, ne doivent pas être
confondues avec le différend entre l’Organisa tion des Nations Unies et la Roumanie
au sujet de l’ application de la convention générale au cas de M.Mazilu.»

(C.I.J. Recueil 1989, p. 191.) - 5 -

15. A la différence des affaires évoquées ci-d essus, en l’espèce la Cour n’est pas invitée à
préciser l’applicabilité de certaines conventions ni à répondre à d’autres questions de caractère

préliminaire. Au contraire, la Cour est invitée à se prononcer en général sur les «conséquences
juridiques» de la conduite et des activités d’Isr aël considérées par rapport aux «règles et principes
du droit international», et notamment la quatriè me convention de Genève de 1949. La question
dont la Cour est saisie a été formulée de telle so rte qu’elle porte directement sur les droits et

responsabilités de l’une des parties au conflit alors que cette partie a exprimé sa vive opposition à
la procédure. La requête a pour effet de so umettre à la Cour des éléments-clé du conflit
israélo-palestinien afin que la Cour se prononce san s le consentement d’Israël. A la différence de
l’affaire des Privilèges et immunités, la Cour, en l’espèce, n’est pas simplement invitée à dire si les

conventions pertinentes s’appliquent. Le libellé de la requête actuelle, s’il est retenu aux fins d’une
réponse, va bien au-delà car l’avis de la Cour est sollicité sur l’ observation par Israël «des règles et
des principes du droit international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949». En
d’autres termes, il est par la requête demandé à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si

des violations particulières de traités particuliers sont commises suite à la conduite particulière d’un
Etat, alors que lesdits traités énoncent leurs propres dispositions en vue du règlement des différends
ou, s’ils n’énoncent pas de disposition en ce se ns, sont normalement assujettis à la règle

fondamentale de droit international selon laquelle un Etat ne peut être soumis à la compétence de la
Cour internationale sans son consentement. Au toriser pareille utilisation de la procédure
consultative de la Cour pour passer outre à cette règle a des incidences lourdes pour l’adhésion des
Etats aux traités et est manifestement contraire à l’ opportunité judiciaire. Il ne serait pas approprié

que la Cour fasse droit à cette requête en l’absence du consentement d’Israël.

16. Dire que de tels prononcés judiciaires n’ont pas en eux-mêmes force obligatoire ne
répond pas à ces préoccupations. A cet égard, il conv ient de rappeler les observations formulées

par le juge Gros dans la déclaration qu’il a jointe à l’avis consultatif rendu par la Cour en l’affaire
Sahara occidental :

«la Cour, lorsqu’elle rend un avis consultatif sur une question de droit, dit le droit.

L’absence de force obligatoire ne transforme pas la démarche judiciaire en
consultation juridique qu’on utilise ou non à sa guise. L’avis consultatif détermine le
droit applicable à la question posée; il est possible que l’organe qui a demandé l’avis

ne le suive pas dans son action, mais cet organe sait qu’il ne pourrait adopter une
position contraire au prononcé de la Cour av ec une efficacité quelconque sur le plan
juridique.» ( Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p7.3
(déclaration du juge Gros).)

Voilà qui confirme que le prononcé d’un avis consulta tif par la Cour aura un effet réel et direct sur
une partie au conflit. Par con séquent, on court un risque réel et compris comme tel de voir la
position en droit d’Israël compromise par la ré ponse, quelle qu’elle soit, que la Cour pourrait

donner à la question qui lui est soumise.

b) Un avis consultatif sur cette question serait «dépourvu d’objet ou de but»

17. Il est bien établi que la Cour ne rend pas un avis consultatif comme si c’était une fin en
soi. La Cour a tenu à affirmer à maintes reprises qu’elle exercera sa compétence consultative
uniquement dès lors «qu’elle a abouti à la conc lusion que les questions qui lui sont posées sont
pertinentes, qu’elles ont un effet pratique à l’heur e actuelle et que par conséquent elles ne sont pas

dépourvues d’objet ou de but». ( Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p.20
et 37.)

18. Dans la plupart des affaires où cette questi on a été soulevée, la Cour a souligné que la

motivation principale, quand elle rend l’avis demandé, est de donner des indications à suivre à - 6 -

l’organe qui l’a sollicitée aux fins de l’exercice pa r ledit organe de ses fonctions statutaires. En
fait, par le passé, la Cour a rappelé les termes e xplicites de la résolution pertinente qui précisaient

bien que le but de la requête était d’aider l’or gane pertinent des Nations Unies à s’acquitter de ses
fonctions. Par exemple, en l’affaire Sahara occidental, la Cour a rappelé que l’Assemblée générale
avait signalé qu’elle voulait continuer d’examiner la question de la décolonisation du Sahara
occidental en tenant compte de l’avis consultatif de la Cour. Ayant pris acte de cette déclaration, la

Cour a conclu que l’avis demandé par l’Assemblé e générale rendrait celle-ci «mieux à même de se
prononcer sur la politique à suivre pour décoloniser le Sahara occidental» ( C.I.J. Recueil 1975,
p. 20) et «fournira à l’Assemblée générale des éléments de caractère juridique qui lui seront utiles
quand elle traitera à nouveau» de la question ( C.I.J. Recueil 1975, p.37). Des considérations de

même nature ont orienté la démarche de la Cour quand elle a été saisie des Réserves à la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide , et qu’elle a rappelé que
l’objet de la requête à cette occasion était d’«écl airer les NationsUnies dans leur action propre»
(C.I.J. Recueil 1951, p. 19), et aussi quand elle a été saisie de la question de la Namibie (Sud-Ouest

africain), la Cour indiquant alors qu’elle était disposée à rendre un avis consultatif en réponse à une
requête du Conseil de sécurité parce que cela «serai t utile au Conseil de sécurité pour continuer à
examiner la question de Namibie et pour la réa lisation des objectifs recherchés par le Conseil».

(C.I.J. Recueil 1971, p. 24.)

19. Par opposition, la résolution ES-10/14 de l’ Assemblée générale où figure la requête pour
avis consultatif en l’espèce ne contient aucune d éclaration de cette nature sur l’objectif de la

requête car il n’est guère probable que l’avis demandé aidera l’A ssemblée générale des
NationsUnies à s’acquitter de la fonction qu’elle exerce du point de vue du conflit
israélo-palestinien. De surcroît, il est demandé à la Cour dans cette requête de se prononcer sur des
questions de fond sur lesquelles l’Assemblée géné rale a déjà formulé cer taines conclusions et

exprimé un jugement. Ces conclusions sont énon cées dans la résolution ES-10/13 de l’Assemblée
générale, adoptée le 21 octobre 2003, et dans le préambule de la résolution même où est formulée
la requête à la Cour. Le paragraphe 1 du dispositif de la résolution ES-10/13 dit en effet :

«Exige qu’Israël arrête la construction du mur dans le territoire palestinien
occupé, y compris Jérusalem-Est et ses alentours, et revienne sur ce projet, qui s’écarte
de la ligne d’armistice de 1949 et qui est contraire aux dispositions pertinentes du droit
o
international.» (A/Res/ES-10/13, dossier n 14.)

De même, il est dit dans le préambule de la résolution ES-10/14 :

« Réaffirmant l’applicabilité au territoire palestinien occupé, y compris

Jérusalem-Est, de la quatrième convention de Genève, et du protocole additionnelI
aux conventions de Genève…

Ayant à l’esprit que les difficultés sur le terrain ne font que s’aggraver avec le

temps, Israël, puissance occupante, continuant à refuser de respecter le droit
international pour ce qui est de l’édification du mur susmentionné, avec toutes les
répercussions et conséquences néfastes qu’elle entraîne…» (A/Res/ES-10/14,
dossier n 2.)

20. Par conséquent, un avis consultatif de la Cour sur la question qui lui est soumise ne serait
d’aucune utilisation pratique pour l’Assemblée générale puisque celle-ci a déjà exprimé l’opinion

définitive citée ci-dessus. Dans cette résoluti on, il est simplement demandé d’avaliser ou
d’approuver des conclusions juridiques que l’Assemblée générale a déjà formulées. Ce n’est pas là
la forme appropriée à donner à la question posée. De même, faire droit à une requête demandant à
la Cour d’entériner des conclusions juridiques dé jà formulées par l’Assemblée générale n’est pas - 7 -

conforme à la fonction judiciaire de la Cour (voir Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1993, p. 333 et 367 (opinion individuelle du juge Oda)).

21. En outre, les organes politiques de l’Orga nisation des Nations Unies n’ont pas besoin
d’indications sur la politique à suivre lorsqu’ils tr aitent de problèmes découlant de la question sur

laquelle il est demandé un avis à la Cour en l’espèce. L’accord est réalisé au sein de l’Organisation
des Nations Unies sur une politique claire et globale à adopter face au conflit israélo-palestinien, y
compris en ce qui concerne les questions de sécurité, la protection des colonies de peuplement ainsi
que les déplacements des personnes et des biens. L es termes de la feuille de route expriment cette

politique établie. La feuille de route demeure la clé de voûte de l’action menée par la communauté
internationale pour résoudre les questions li ées au règlement du conflit. Le Gouvernement
australien déclare donc qu’un avis consultatif sur cette question n’aurait aucun «effet pratique à
l’heure actuelle» et serait «dépourvu d’objet ou de but».

c) Un avis consultatif sur cette question aurait probablement un effet préjudiciable aux
négociations et aux travaux des Nations Unies dans leur ensemble

22. Il est bien établi dans la jurispruden ce de la Cour que la réponse qu’elle donne à une
requête pour avis consultatif représente sa participation aux activités de l’ONU (voir Réserves à la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,

C.I.J. Recueil 1951, p. 19; Demande de réformation du jugement n ° 333 du Tribunal administratif
des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1987, p. 31; Licéité de la menace ou de l’emploi
d’armes nucléaires, avis cons ultatif, C.I.J. Recueil 1996, p.234-235). A cet égard, la Cour a fait
observer qu’elle «a toujours été consciente de ses responsabilités en tant qu’organe judiciaire

principal des Nations Unies» ( Licéité de la menace ou de l’em ploi d’armes nucléaires, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 235; Charte des Nations Unies, art. 92).

23. Compte tenu du rôle et des responsabilités de la Cour, il faudrait mettre l’accent sur la
question de savoir si la Cour peut jouer un rôle constructif en apportant une aide aux autres organes
de l’ONU. A cet égard, si une réponse à une requê te pour avis consultatif est peu susceptible de
fournir une assistance constructive aux autres organes de l’ONU ou risque d’avoir un effet

préjudiciable aux activités de l’ONU, l’obligation incombant à la Cour de protéger son caractère
judiciaire et la nécessité pour elle de jouer un rôle constructif en tant qu’organe de l’ONU font
qu’elle doit exercer son pouvoir d’appréciation pour refuser de répondre à la requête.

24. L’affaire examinée en l’espèce est exceptionnelle. La Cour en est saisie à un moment où
les parties au conflit israélo-palestinien sont convenues d’un commun accord de mettre en Œuvre la
feuille de route. La feuille de route est un plan fondé sur des résultats et assorti d’un objectif, qui

vise à aboutir à un règlement final et global du conflit israéo-palestinien. Elle énonce les
obligations des deux parties concernant les aspects du différend qui ont trait à des considérations
sensibles d’ordre politique, sécuritaire, économique, humanitaire et stratégique (voir le document
S/2003/529 du 7mai2003, dossier n o70). Les termes de la feuille de route ont été approuvés et

réaffirmés par les parties au conflit, le Secrétai re général de l’Organisation des NationsUnies,
l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, et ce dernier a indiqué qu’il restait «saisi de la
question» (voir S/RES/1515 (2003) du 19 novembre 2003, dossier n 36). o

25. L’activité du Conseil de sécurité ajoute une dimension supplémentaire à l’espèce. La
Cour a démontré qu’elle «aura conscience» qu’ une question qui lui est soumise est également
soumise au Conseil de sécurité dans l’exercice de pouvoirs où la Cour possède la compétence
discrétionnaire ( Plateau continental de la mer Egée , mesures conservato ires, ordonnance du

11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p1.2; Personnel diplomatique et consulaire des - 8 -

Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 21-22; Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etat s-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité,

arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 392). Dans les affaires où la C our a décidé d’examiner une question,
elle a souligné que l’exercice simultané des fonctions de la Cour et de celles du Conseil de sécurité
contribuerait de manière positive au règlement paci fique d’un différend ou à la solution à apporter
à une situation examinée par le Conseil de sécurité (voir Personnel diplomatique et consulaire des

Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 21-22; Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etat s-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité,
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 434-435). Par conséquent, lorsqu’il est raisonnable de craindre que la
participation de la Cour n’ait pas ces effets positifs, la Cour doit, car c’est la décision qu’il convient

de prendre, refuser de se prononcer sur la question.

26. Qui plus est, il ne serait guère approprié que la Cour rende un avis sur une question

formulée de manière à la fois si large (à savoir «quelles sont en droit les conséquences…») mais si
sélective quant à son objet lorsqu’on la situe dans le contexte général du conflit. La Cour n’aiderait
pas à régler le conflit au moyen de la mise en Œ uvre de la feuille de route en rendant un avis
consultatif sur la barrière de sécurité. D’autres asp ects juridiques de caractère actuel, tels que la

licéité et la responsabilité sur le plan international des attentats-suicide à l’intérieur d’Israël, ne sont
pas couverts par la question. Rendre un avis portant exclusivement sur la licéité de la barrière de
sécurité serait nécessairement fragmentaire et ne serait d’aucun concours pour le règlement du
conflit.

27. Le Gouvernement australien considère que, si la Cour devait rendre un avis en l’espèce,
il ne pourrait avoir d’effet positif ni sur les trava ux du Conseil de sécurité, ni dans le cadre des

activités que l’ONU tout entière consacre au règl ement du conflit israélo-palestinien. Le prononcé
d’un avis consultatif risquerait même de rendre un règlement durable du conflit encore plus
difficile à réaliser. Comme nous l’avons dit, le prononcé d’un avis juridique par la Cour sur les
éléments de droit sélectifs soulevés par la requête risque fort de faire sérieusement obstacle aux

progrès de la mise en Œuvre de la feuille de route et de contraindre les parties au conflit à engager
un débat stérile sur les incidences de l’avis de la Cour au lieu de s’acquitter des obligations que la
feuille de route leur impose. Par ailleurs, un av is de la Cour risque aussi de faire douter des
réalisations et des engagements passés. Bref, quelle que soit la conclu sion que la Cour serait

amenée à formuler sur le fond de la question qui lui est posée, il est peu probable qu’elle
contribuerait au règlement pacifique du conflit.

28. Compte tenu de ces considérations, le G ouvernement australien considère que la Cour
peut décider judicieusement que le meilleur moyen, pour elle, de servir les intérêts de
l’Organisation des Nations Unies et de la communaut é internationale dans son ensemble consiste à
refuser de rendre l’avis consultatif demandé. De surcroît, comme nous l’avons indiqué, un avis

consultatif que la Cour pourrait rendre sur la question qui lui est posée aurait peu de chance de
contribuer de manière positive à l’exécution de la fe uille de route. Du reste, cet avis risque
véritablement d’avoir des incidences préjudi ciables pour le processus de paix. Vu les
considérations énoncées dans le présent exposé, le Gouvernement australien estime qu’il y a des

raisons impérieuses obligeant la Cour à exercer s on pouvoir d’appréciation pour refuser de rendre
l’avis demandé.

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Exposé écrit du Gouvernement de l'Australie [traduction]

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