COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
2007/5 Résumé
Le 13 décembre 2007
Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie)
Exceptions préliminaires
Résumé de l’arrêt du 13 décembre 2007
Historique de la procédure et conclusions des Parties (par. 1-14)
Le 6décembre2001, le Nicaragua a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive
d’instance contre la Colombie au sujet d’un différend portant sur un «ensemble de questions
juridiques connexes… qui demeurent en suspen s» entre les deux Etats «en matière de titre
territorial et de délimitation maritime» dans les Caraïbes occidentales.
Dans sa requête, le Nicaragua entendait fonder la compétence de la Cour sur les dispositions
de l’articleXXXI du traité américain de règlemen t pacifique, dénommé officiellement «pacte de
Bogotá», ainsi que sur les déclarations faites par les Parties en vertu de l’article 36 du Statut de la
Cour permanente de Justice internationale, c onsidérées, pour la durée restant à courir, comme
comportant acceptation de la juridiction obligatoire de la présente Cour aux termes du paragraphe 5
de l’article 36 de son Statut.
La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles
s’est prévalue du droit que lui confère le paragrphe3 de l’article31 du Statut de procéder à la
désignation d’un juge adhoc pour siéger en l’affaire. Le Nicaragua a d’abord désigné
M. Mohammed Bedjaoui, qui a démissionné le 2 mai 2006, puis M. Giorgio Gaja. La Colombie a
désigné M. Yves Fortier.
Par ordonnance du 26février2002, la Cour a fixé au 28avril2003 la date d’expiration du
délai pour le dépôt du mémoire du Nicaragua et au 28 juin 2004 la date d’expiration du délai pour
le dépôt du contre-mémoire de la Colombie. Le Nicaragua a dé posé son mémoire dans le délai
ainsi prescrit.
Le 21 juillet 2003, dans le délai prescrit au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement, tel que
modifié le 5décembre2000, la Colombie a soul evé des exceptions préliminaires à la compétence
de la Cour. En conséquence, par ordonnance du 24 septembre 2003, la Cour, constatant qu’en
vertu des dispositions du paragraphe 5 de l’article79 du Règlement la procédure sur le fond était - 2 -
suspendue, a fixé au 26 janvier 2004 la date d’e xpiration du délai dans lequel le Nicaragua pourrait
présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires
soulevées par la Colombie. Le Nicaragua a déposé un tel exposé dans le délai ainsi fixé, et l’affaire
s’est ainsi trouvée en état pour ce qui est des exceptions préliminaires.
Des audiences publiques ont été tenues entre le 4juin et le 8juin2007. A la fin de la
procédure orale, les Parties ont présenté à la Cour les conclusions finales ci-après :
Au nom du Gouvernement de la Colombie,
«Conformément à l’article60 du Règlem ent de la Cour, la Colombie prie
respectueusement la Cour, au vu de ses écritures et de ses plaidoiries, de dire et juger
que :
1) en vertu du pacte de Bogotá, et en particulier de ses articles VI et XXXIV, elle n’a
pas compétence pour connaître du différend qui lui est soumis par le Nicaragua au
titre de l’article XXXI et déclare ce différend terminé ;
2) en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut, elle n’a pas compétence pour
connaître de la requête du Nicaragua ; et que
3) la requête du Nicaragua est rejetée.»
Au nom du Gouvernement du Nicaragua,
«Conformément à l’article 60 du Règlement de la Cour et pour les motifs
exposés dans ses écritures et à l’audience, la République du Nicaragua prie
respectueusement la Cour de dire et juger que :
1. Les exceptions préliminaires soulevées par la République de Colombie quant
à la compétence fondée sur le pacte de Bogotá et quant à celle fondée sur le
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour sont dénuées de validité.
2. A titre subsidiaire, la Cour est prié e de dire et juger, conformément aux
dispositions du paragraphe 9 de l’article79 du Règlement, que les exceptions
soulevées par la République de Colombie ne revêtent pas un caractère exclusivement
préliminaire.
3. En outre, la République du Nicaragua prie la Cour de rejeter la demande de la
République de Colombie tendant à ce que le différend dont l’a saisie le Nicaragua en
vertu de l’article XXXI du pacte de Bogotá soit déclaré «terminé», conformément aux
articles VI et XXXIV dudit instrument.
4. Toutes les questions qui n’auraient pas été explicitement traitées dans ses
observations écrites et à l’audience sont expressément réservées pour le stade de
l’examen au fond de la présente instance.»
Le contexte historique (par. 15-32)
La Cour expose brièvement l’histoire qui sert de toile de fond au différend entre les Parties
(dont certaines parties seulement sont évoquées ci-après).
Elle note qu’un «traité de règlement territorial entre la Colombie et le Nicaragua» (dénommé
ci-après le «traité de 1928») fut signé à Managua le 24mars1928, dans lequel les deux pays
exprimèrent leur volonté de «mettre un terme au conflit territorial pendant entre elles». Aux termes
de l’article premier de ce traité : - 3 -
«La République de Colombie reconnaît la souveraineté pleine et entière de la
République du Nicaragua sur la côte de Mosquitos, comprise entre le cap de
GraciasaDios et la rivière San Juan, et sur les îles Mangle Grande et MangleChico
dans l’océan Atlantique (Great Corn Island et Little Corn Island). La République du
Nicaragua reconnaît la souveraineté pleine et entière de la République de Colombie
sur les îles de San Andrés, de Providencia, de Santa Catalina, et sur les autres îles,
îlots et récifs qui font partie de l’archipel de San Andrés.
Le présent traité ne s’applique pas aux récifs de Roncador, Quitasueño et
Serrana, dont la possession fait actuellement l’objet d’un litige entre la Colombie et les
Etats-Unis d’Amérique.» [Traduit par le Secrétariat de la Société des Nations, à titre
d’information.]
Les instruments de ratification du traité de 1928 furent échangés à Managua le 5mai1930.
Les Parties signèrent à cette occasion un protocole d’échange des ratifications (dénommé ci-après
le «protocole de 1930»). Il y était indiqué que le traité de 1928 avait été conclu entre la Colombie
et le Nicaragua «pour mettre un terme à la question pendante entre les deux républiques au sujet de
l’archipel de San Andrés et Providencia et de la côte de Mosquitos nicaraguayenne». Le protocole
disposait que
«[l]es soussignés, en vertu des pleins pouvoirs qui leur [avaient] été conférés et
conformément aux instructions de leurs gouvernements respectifs, déclar[ai]ent que
l’archipel de San Andrés et Providencia, mentionné à l’article premier du traité
susmentionné, ne s’étend[ait] pas à l’ ouest du quatre-vingt-deuxièmedegré de
longitude Greenwich» [traduit par le Secrétariat de la Société des Nations, à titre
d’information].
Dans une note diplomatique du 4juin1969, la Colombie prot esta contre l’octroi par le
Nicaragua de certaines concessions d’explora tion et de certains permis de reconnaissance
pétroliers, qui couvraient, selon elle, Quitasue ño et les eaux environnantes ainsi que des zones
maritimes s’étendant à l’est du 82 eméridien. S’agissant de Quitasueño, la Colombie faisait
observer que le traité de 1928 mentionnait explicitement que les cayes de Roncador, Quitasueño et
Serrana étaient en litige entre la Colombie et l es Etats-Unis. En outre, la Colombie «réservait
formellement… ses droits sur le territoire mentionné , ainsi que sur la zone maritime adjacente».
S’agissant des zones maritimes où des concessions d’ exploration pétrolière avaient été octroyées,
e
elle faisait observer qu’aux term es du protocole de1930 le 82 méridien constituait la frontière
occidentale de l’archipel de San Andrés et Providencia.
Dans une note diplomatique du 12 juin1969, le Nicaragua affirmait, en ce qui concerne les
concessions d’exploration pétrolière, que les zone s en question faisaient partie de son plateau
continental et que les concessions avaient pa r conséquent été accordées «de par les droits
souverains qu[e le Nicaragua] exer c[çait] pleinement et effectiv ement, conformément aux normes
du droit international». Quant à la mention du 82 eméridien dans le protocole de1930, le
Nicaragua affirmait : «Une simple lecture des text es … révèle que cette di sposition a pour objectif
d’établir clairement et spécifiquement, de façon restrictive, l’étendue de l’archipel de SanAndrés
et… ne peut d’aucune façon être interprétée comme délimitant les droits du Nicaragua ou créant
une frontière entre les deux pays. Au contraire, [cette disposition] reconna ît et confirme que le
Nicaragua a la souveraineté [pleine et entière sur le] territoire national dans cette zone.»
Dans une note en réponse datée du 22septemb re1969, la Colombie fit notamment «une
e
déclaration officielle de souveraineté su r les zones maritimes situées à l’est du 82 méridien de
Greenwich» en s’appuyant sur le traité de 1928 et le protocolede1930. La Colombie signalait
également que le traité de 1928 avait exclu les cay es de Roncador, Quitasueño et Serrana «de toute
négociation entre la Colombie et le Nicaragua». - 4 -
Le 23 juin 1971, le Nicaragua envoya un mémorandum au département d’Etat des Etats-Unis
dans lequel il réservait officiellement ses droits sur son plateau continental aux alentours de
Roncador, Quitasueño et Serrana et notait que son gouvernement considérait que ces bancs
faisaient partie de son plateau continental. Il indiquait en outre qu’il ne pouvait pas accepter
l’affirmation de la Colombie selon laquelle le 82 eméridien, mentionné dans le protocole de 1930,
fixait la ligne de séparation entre les zones mar itimes respectives des deux Etats, étant donné que
ce méridien constituait simplement la limite de l’archipel de San Andrés.
Le 8septembre1972, la Colombie et les Etats-Un is signèrent le traité relatif aux statuts de
Quitasueño, de Roncador et de Serrana (connu égalem ent sous le nom de traité Vásquez-Saccio et
ainsi dénommé ci-après). L’article premier du traité disposait que «le Gouvernement des
Etats-Unis renon[çait] à faire valoir toute prétenti on de souveraineté sur Quita Sueño, Roncador et
Serrana». Le même jour, la Colombie et les Etats-Unis échangèrent des notes exposant leurs
«positions juridiques concernant l’article premier d[u] traité». Les Etats-Unis affirmaient que, pour
leur part, ils estimaient notamment que «Quita Sueño étant constamment immergée à marée haute,
cette formation ne se prêtait pas pour l’instant à l’ exercice de la souveraineté» et que le traité
de1928 ne s’appliquait pas à Roncador, Quitasueño et Serrana. La Colombie indiquait, quant à
elle, qu’elle considérait que «le statut physique de Quita Sueño n’[était] pas incompatible avec
l’exercice de la souveraineté» et que, «suite à la renonciation par les Etats-Unis à la souveraineté
sur Quita Sueño, Roncador et Serrana, la République de Colombie [était] le seul détenteur légitime
d’un titre sur ces bancs et cayes, conformément au [traité de1928 et au protocole de1930] et au
droit international».
Le 4octobre1972, l’Assemblée nationale du Ni caragua adopta une déclaration officielle
portant proclamation de la souveraineté du Nicar agua sur Roncador, Quitasueño et Serrana.
Le7octobre1972, le Nicaragua protesta officie llement, dans des notes diplomatiques adressées à
la Colombie et aux Etats-Unis, contre la signature du traité Vásquez-Saccio et maintenait que «les
bancs situés dans cette [zone] … f[aisaient] partie d[u territoire du Nicaragua] et … [étaient] donc
soumis à sa souveraineté». Il ajoutait qu’il ne pouvait pas accepter l’affirmation de la Colombie
selon laquelle le 82 méridien, mentionné dans le protocol e de1930, constituait la ligne frontière
entre les zones maritimes respectives des deux Etats, puisque cette assertion était contraire à la
lettre et à l’esprit du protocole dont l’oejet était clairement de préciser que l’archipel de San Andrés
ne s’étendait pas à l’ouest au-delà du 82 méridien.
Enjuillet1979, le gouvernement sandinist e arriva au pouvoir au Nicaragua. Le
4 février 1980, le ministre des affaires étrangères du Nicaragua publia une déclaration officielle et
un «Libro blanco» (dénommé ci-après le «livre blanc») dans lequel le Nicaragua déclarait
«la nullité et l’absence de validité du traité Bárcenas-Meneses-Esguerra [le traité de
1928]… conclu dans un contexte historique qui disqualifiait en tant que gouvernants
les présidents imposés par les forces améric aines d’intervention au Nicaragua et qui
violait … les principes de la Constitution nationale en vigueur…»
.
Dans une note diplomatique adressée au Nicaragua le 5 février 1980, la Colombie rejetait la
déclaration du 4février1980 comme «une revendica tion infondée qui [allait] à l’encontre de la
réalité historique et enfrei[gnait] les principes l es plus élémentaires du droit international public».
De l’avis du Gouvernement colombien, le traité de 1928 «[était] un instrument valide, permanent et
pleinement applicable à la lumière des normes juridiques universellement reconnues».
Le nouveau gouvernement qui arriva au pouvoir au Nicaragua en 1990 et ceux qui suivirent
ont maintenu, quant au sens de certaines dispositi ons du traité de 1928 et du protocole de 1930, la
position qui avait été énoncée à partir de1969 et, qu ant à la nullité du traité de1928, la position
exposée dans le livre blanc de 1980. - 5 -
Objet du différend (par. 33-42)
La Cour commence par observer que les Parties ont exposé des thèses différentes quant aux
questions de savoir si un différend subsiste entre e lles et, le cas échéant, quel en est l’objet. Aussi
lui échet-il d’examiner ces questions avant de considérer les exceptions préliminaires soulevées par
la Colombie.
La Cour rappelle que, selon le Nicaragua, le différend soumis à la Cour concernait i)la
validité du traité de1928 ainsi que sa terminaiso n en raison d’une viol ation substantielle;
ii)l’interprétation du traité de1928, s’agissan t en particulier de l’étendue géographique de
l’archipel de San Andrés ; iii) les conséquences ju ridiques de l’exclusion de Roncador, Quitasueño
et Serrana du champ d’application du traité de 1928; et iv) la délimitation maritime entre les
Parties, notamment la significati on juridique de la mention du 82 eméridien dans le protocole
de1930. De l’avis du Nicaragua, la quatrième que stion «impliqu[ait] et englob[ait] toutes les
autres». A cet égard, il a fait valoir que la questi on de la souveraineté sur les formations maritimes
était à la fois accessoire et préalable à celle de la délimitation maritime. Enfin, le Nicaragua a
soutenu que la question de savoir si le traité de 1928 avait réglé toutes les questions opposant les
Parties constituait «l’objet même du différend» et «le fond de l’affaire».
La Colombie a, pour sa part, nié qu’il subsis tait un différend dont la Cour serait compétente
pour connaître, prétendant que les questions en litige avaient déjà été réglées par le traité de 1928.
Elle a par ailleurs affirmé que la délimitation mar itime, et non la détermina tion de la souveraineté
sur les formations maritimes, était le véritable objectif que visait le Nicaragua par sa requête.
La Cour note que le demandeur doit certes, conf ormément au paragraphe 1 de l’article 40 du
Statut, lui présenter ce qui constitue selon lui l’« objet du différend», mais que c’est à elle qu’il
appartient de déterminer, compte tenu des conclusions des Parties, quel est l’objet du différend dont
elle est saisie. A titre liminaire, la Cour rappelle que les Parties sont en désaccord sur la question
de savoir si le différend qui les oppose a été «réglé» par le traité de 1928 au sens de l’article VI du
pacte de Bogotá. La Cour fait en premier lieu observer que l’articleVI du pacte dispose que les
procédures de règlement des différends établies dans cet instrument «ne pourront plus s’appliquer
ni aux questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties, ou d’une décision arbitrale
ou d’une décision d’un tribunal international, ni à celles régies par des accords ou traités en vigueur
à la date de la signature du présent pacte» (c’est la Cour qui souligne). La Cour fait aussi observer
que, aux termes de l’article XXXIV du pacte, les différends portant sur des questions régies par des
accords ou traités doivent être déclarés «terminés» au même titre que les différends portant sur des
questions réglées au moyen d’une entente entre les parties, d’une décision arbitrale ou d’une
décision d’un tribunal international. Elle consid ère que, dans les circonstances propres à l’espèce,
aucune distinction quant aux effets juridiques n’est à faire, aux fi ns de l’application de l’article VI
du pacte, entre une question «réglée» et une question «régie» par le traité de 1928. Compte tenu de
ce qui précède, la Cour décide d’utiliser dans la suite de l’arrêt le mot «réglée».
Après avoir examiné les arguments du Nicaragua, la Cour considère que le point de savoir si
le traité de 1928 et le protocole de 1930 ont réglé l es questions en litige entre les Parties au sujet de
la souveraineté sur les îles et autres formations maritimes et du tracé de la frontière maritime ne
constitue pas l’objet du différend entre les Parti es et que, dans les circonstances de l’espèce, il
s’agit d’une question préliminaire.
En ce qui concerne l’affirmation de la Colomb ie selon laquelle l’intérêt du Nicaragua réside
en fait dans la délimitation mar itime et non dans la déterminati on de la souveraineté sur les
formations maritimes, la Cour relève toutefois que, sur ce dernier point, «la réclamation de l’une
des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre». - 6 -
La Cour conclut donc que les questions qui constituent l’objet du différend opposant les
Parties au fond, sont, premièrement, la souverainet é territoriale (c’est-à-dire la souveraineté sur les
îles et autres formations maritimes qu’elles revendiquent) et, deuxièmement, le tracé de la frontière
maritime entre elles.
Première exception préliminaire (par. 43-120)
⎯ Aperçu général des arguments des Parties
La Cour rappelle que la Colombie, dans le cadre de sa première exception préliminaire,
soutient que, en application des articles VI et XX XIV du pacte de Bogotá, elle n’a pas compétence
pour connaître du différend qui lui est soumis par le Nicaragua au titre de l’article XXXI du pacte
et devrait déclarer ce différend terminé. A cet ég ard, la Colombie, invoquant l’article VI du pacte
de Bogotá, affirme que les questions soulevées par le Nicaragua ont été réglées par un traité qui
était en vigueur à la date de la conclusion du pacte, à savoir le traité de 1928 et le protocole
de1930. La Colombie ajoute que ce point peut et doit être considéré au stade des exceptions
préliminaires.
Le Nicaragua soutient que la Cour est compét ente en vertu de l’articleXXXI du pacte de
Bogotá. A cet égard, il affirme que le traité de 1928 et son protocole de 1930 n’ont pas réglé, au
sens de l’article VI du pacte de Bogotá, le différe nd l’opposant à la Colombie parce que ledit traité
était nul ou avait pris fin et que, même à supposer que tel n’était pas le cas, il ne couvrait pas
l’ensemble des points à présent en litige entre les Parties. Le Nicaragua prétend par ailleurs que la
Cour ne saurait se prononcer sur ces questions à ce stade de la procédure, car il faudrait pour cela
qu’elle se livre à un examen du fond de l’affaire.
⎯ Le stade de la procédure approprié aux fins de l’examen de l’exception préliminaire
La Cour rappelle que, aux termes du paragraphe 9 de l’article 79 de son Règlement, elle peut
donner suite à une exception préliminaire de trois fa çons: elle «retient l’exception, la rejette ou
déclare que cette exception n’a pas dans les ci rconstances de l’espèce un caractère exclusivement
préliminaire». La Cour rappelle en outre que, dans les affaires des Essais nucléaires , elle a,
quoique dans des circonstances légèrement différe ntes, souligné que, lorsqu’elle examine des
questions de compétence et de recevabilité, elle a le droit et, dans certaines circonstances, peut
avoir l’obligation de prendre en considération d’autres questions qui, sans qu’on puisse les classer
peut-être à strictement parler parmi les problèm es de compétence ou de recevabilité, appellent par
leur nature une étude préalable à celle de ces problèmes.
La Cour estime qu’il n’est pas dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de se
contenter à ce stade de faire état d’un désaccord entr e les Parties sur le point de savoir si le traité
de 1928 et le protocole de 1930 ont réglé les ques tions sur lesquelles porte le différend au sens de
l’article VI du pacte de Bogotá, se réservant d’en trancher tous les aspects au stade du fond.
En principe, une partie qui soulève des excep tions préliminaires a droit à ce qu’il y soit
répondu au stade préliminaire de la procédure, sauf si la Cour ne dispose pas de tous les éléments
nécessaires pour se prononcer sur les questions so ulevées ou si le fait de répondre à l’exception
préliminaire équivaudrait à trancher le différend, ou certains de ses éléments, au fond. La Cour ne
se trouve en l’espèce dans aucune de ces deux situati ons. Rechercher si elle a compétence pourrait
amener la Cour à effleurer certains aspects du fond de l’affaire. Par ailleurs, la Cour a déjà établi
que le point de savoir si le traité de 1928 et le protocole de 1930 ont réglé les questions en litige ne
constituait pas l’objet du différend au fond. Il s’agit en fait d’une question préliminaire qu’elle doit
trancher afin de déterminer si elle a compétence. - 7 -
Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’elle ne saurait retenir l’argument du
Nicaragua selon lequel elle est emp êchée de connaître, à ce stade de la procédure, de la première
exception préliminaire de la Colombie.
⎯ Le système juridictionnel établi par le pacte de Bogotá
La Cour cite les dispositions du pacte de B ogotá pertinentes en l’espèce, en commençant par
l’article XXXI, qui est libellé comme suit :
«Conformément au paragraphe2 de l’article36 du Statut de la Cour
internationale de Justice, les Hautes Parties contractantes en ce qui concerne tout autre
Etat américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans
convention spéciale tant que le présent traité restera en vigueur, la juridiction de la
Cour sur tous les différends d’ordre juridique surgissant entre elles et ayant pour
objet :
a) [l]’interprétation d’un traité ;
b) [t]oute question de droit international ;
c) [l]’existence de tout fait qui, s’il éta it établi, constituerait la violation d’un
engagement international ;
d) [l]a nature ou l’étendue de la réparation qui découle de la rupture d’un engagement
international.»
Les autres dispositions pertinentes du pacte sont les articlesVI etXXXIV. L’articleVI
dispose que
«[c]es procédures ne pourront non plus s’a ppliquer ni aux questions déjà réglées au
moyen d’une entente entre les parties, ou d’une décision arbitrale ou d’une décision
d’un tribunal international, ni à celles régies par des accords ou traités en vigueur à la
date de la signature du présent pacte».
Aux termes de l’article XXXIV :
«Si, pour les motifs indiqués aux articlesV, VI et VII de ce traité, la Cour se déclarait
incompétente pour juger le différend, celui-ci sera déclaré terminé.»
Ces dispositions montrent que, si la Cour de vait conclure que les questions qui lui ont été
soumises par le Nicaragua au titre de l’articleX XXI du pacte de Bogotá ont déjà été réglées par
l’une des voies exposées à l’articleVI dudit pacte, elle n’aurait pas la compétence requise aux
termes du pacte pour statuer sur l’affaire.
⎯ Point de savoir si le traité de 1928 et le prot ocole de 1930 ont réglé les questions en litige entre
les Parties
La Cour examine les arguments avancés par les Parties ainsi que les circonstances de la
conclusion du traité de1928 et de la signature du protocole de1930. Elle déclare qu’afin de
déterminer si elle est compétente, il lui échet de trancher le point de savoir si, à la date de
conclusion du pacte de Bogotá en 1948, les quest ions soulevées par le Nicaragua étaient, aux
termes de l’article VI dudit pacte, «régies par des accords ou traités en vigueur». A cet effet, il lui
faudra en premier lieu examiner si le traité, qui selon la Colombie aurait réglé les questions qui
constituent l’objet du différend, était en vigueur en 1948. - 8 -
La Cour note qu’en ce qui concerne la validité du traité de1928, le Nicaragua soutient
premièrement que cet instrument a été «signé en flagrante violation de la Constitution
nicaraguayenne de1911 qui était en vigueur en 1928». Le Nicaragua a ffirme deuxièmement que,
lors de la conclusion du traité, le pays était occupé militairement par les Etats-Unis et était empêché
à la fois de conclure des traités qui étaient contra ires aux intérêts des Etats-Unis et de refuser de
conclure des traités imposés par ceux-ci. Il soutie nt à cet égard que la Colombie, consciente de
cette situation, «a profité de l’occupation du Nicar agua par les Etats-Unis pour lui extorquer la
signature du traité de 1928». Le Nicaragua affirme être resté sous l’influence des Etats-Unis même
après le retrait des dernières troupes américaines au début de 1933.
La Colombie soutient, pour sa part, que l’affi rmation du Nicaragua concernant la nullité du
traité de 1928 est sans fondement. Elle fait observer que, à supposer même que le traité de 1928 ait
été incompatible avec la Constitution nicaraguayenne de 1911 ou que le Nicaragua n’ait pas eu la
compétence voulue pour conclure librement des traités en raison de l’occupation par les Etats-Unis,
ces arguments n’ont pas été soulevés au cours du processus de ratification qui s’est déroulé devant
le Congrès nicaraguayen en 1930, pas plus qu’au long des cinquante années qui ont suivi. Elle fait
observer que ces arguments ont en fait été soulevés pour la première fois en1980. La Colombie
fait en outre observer que, en 1948, lorsque le pact e de Bogotá fut conclu, le Nicaragua ne formula
aucune réserve à l’égard du traité de 1928, en dépi t du fait qu’il était conscient d’en avoir le droit
puisqu’il en formula une portant sur la validité d’ une sentence arbitrale. Enfin, la Colombie
affirme qu’en conséquence le Nicaragua est à présent empêché de soulever la question de la
validité du traité de 1928 et de son protocole de 1930.
La Cour rappelle que l’articleVI du pacte de Bogotá visait clairement à empêcher que les
procédures prévues dans celui-ci, et en particulie r les voies de recours de nature judiciaire, pussent
être utilisées afin de rouvrir des questions déjà ré glées entre les parties au pacte par une décision
judiciaire internationale ou par un traité. En ratif iant le pacte, les Etats ont envisagé la possibilité
de soumettre aux procédures prévues par celui-ci des questions non encore ainsi réglées.
Les Etats parties au pacte de Bogotá devaient avoir considéré que les questions réglé
es par
un traité ou par une décision judiciaire internati onale étaient définitivement résolues, sauf réserve
spécifique formulée à cet égard au titre des articles LIV et LV du pacte. Lorsqu’il est devenu partie
au pacte de Bogotá, c’est-à-dire l’instrument qu’il invoque à présent comme base de compétence, le
Nicaragua ne formula aucune réserve concernant le traité de 1928, alors qu’il assortit le pacte d’une
réserve s’agissant des décisions arbitrales dont il contestait la validité. La Cour relève qu’il
n’existe aucune preuve que les Etats parties au pacte de Bogotá de1948, y compris le Nicaragua,
auraient considéré le traité de1928 comme nul. Le 25mai1932, le Nicaragua fit enregistrer le
traité et le protocole par la Société des Na tions comme un accord obligatoire, conformément à
l’article18 du Pacte de la Société des Nations, la Colombie ayant déjà fait enregistrer le traité le
16 août 1930.
La Cour rappelle que le Nicar agua a argué de la «nullité et [de] l’absence de validité» du
traité de1928 pour la première fois dans une déclaration officielle et un livre blanc publiés le
4 février 1980. La Cour note donc que, pendant plus de cinquante an s, le Nicaragua a considéré le
traité de1928 comme valide et n’a jamais préte ndu ne pas être lié par celui-ci, même après le
retrait des dernières troupes des Etats-Unis au début de1933. Jamais pendant ces cinquante
années, même après être devenu Membre de l’ Organisation des NationsUnies en1945 et avoir
rejoint l’Organisation des Etats américains en 1948, il n’a prétendu que ce traité aurait été nul pour
quelque raison que ce soit, y compris pour avoir été conclu en violation de sa Constitution ou sous
la contrainte de l’étranger. Au contraire, le Nicaragua a de manière significative, à diverses
reprises, agi comme si le traité de 1928 était valide. Ainsi, en 1969, en réponse à l’affirmation de
la Colombie selon laquelle le 82 eméridien, mentionné dans le protocole de1930, constituait la
frontière maritime entre les deux Etats, le Nicara gua n’invoqua pas l’absence de validité du traité,
mais soutint au contraire que le traité de1928 et le protocole de1930 n’avaient pas opéré de
délimitation maritime. De même, en1971, dans le cadre des démarches qu’il effectua auprès des - 9 -
Etats-Unis pour réserver ses droits sur Roncador, Quitasueño et Serrana, le Nicaragua ne mit pas en
question la validité du traité de 1928. En conséquence, la Cour estime que le Nicaragua ne peut pas
à présent affirmer que le traité de 1928 n’était pas en vigueur en 1948.
La Cour conclut dès lors que le traité de192 8 était valide et en vigueur à la date de la
conclusion du pacte de Bogotá en 1948, date à reteni r aux fins de déterminer si les dispositions de
l’article VI de ce pacte, qui prévoient une exception à la compétence dévolue à la Cour en vertu de
son article XXXI, trouvent à s’appliquer.
La Cour rappelle que le Nicar agua affirme que, même si le traité de 1928 était valide, il a
pris fin en raison de l’interpré tation que la Colombie en a faite en1969, interprétation que le
Nicaragua qualifie de violation s ubstantielle du traité. La Colombie s’oppose à cette affirmation.
La Cour considère que la question de savoir si le traité a pris fin en 1969 est sans pertinence quant à
sa compétence, étant donné que le point déterminant, aux termes de l’article VI du pacte de Bogotá,
est celui de savoir si le traité de1928 était en vigueur à la date de la signature dudit pacte,
c’est-à-dire en 1948, et non en 1969. La Cour n’a donc pas à examiner, aux fins d’établir si elle a
compétence, la question de la prétendue terminaison en 1969 du traité de 1928.
La Cour se penche ensuite sur la question de savoir si le traité et son protocole de 1930 ont
réglé les points litigieux entre les Parties et si, par conséquent, elle a compétence en l’affaire en
vertu de l’article XXXI du pacte. Elle rappelle avoir déjà conclu que les Parties s’opposent au
fondsur deux points, à savoir, premièrement, la souveraineté territoriale su r des îles et d’autres
formations maritimes et, deuxièmement, le tracé de la frontière maritime entre les Parties.
La Cour note que les Parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le traité de 1928 a
réglé divers points relatifs à la souveraineté territo riale, à savoir la souveraineté sur les trois îles de
l’archipel de San Andrés expressément mentionnées dans ledit traité, l’étendue et la composition du
reste de l’archipel de San Andrés ainsi que la s ouveraineté sur Roncador, Qu itasueño et Serrana.
Les Parties sont également en d ésaccord sur la question de savoir si le protocole de1930 a opéré
une délimitation maritime entre elles.
S’agissant de sa compétence pour connaître de la question de la souveraineté sur les îles de
l’archipel de San Andrés nommément désignées, la Cour considère qu’il ressort clairement des
termes de l’article premier du traité de 1928 que ce traité a réglé, au sens de l’article VI du pacte de
Bogotá, la question de la souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina.
De l’avis de la Cour, il n’est pas nécessaire d’interpréter plus avant le traité de 1928 pour tirer cette
conclusion et la question ne comporte aucun aspect que seul un examen au fond puisse élucider.
L’affirmation du Nicaragua selon laquelle le traité de 1928 est nul a déjà été examinée par la
Cour. Quant à l’assertion additionnelle du Nicaragua selon laquelle le traité de 1928 a pris fin par
suite d’une violation substantielle due à l’interprétation de ce texte adoptée par la Colombie à partir
de 1969, la Cour n’a pas examiné à ce stade cette question, puisqu’elle est sans utilité pour trancher
celle de sa compétence sur la base de l’article VI du pacte de Bogotá. Même si la Cour devait juger
que le traité de1928 a pris fin, comme le pr étend le Nicaragua, cela ne changerait rien à la
souveraineté de la Colombie sur les îles de SanAn drés, Providencia et SantaCatalina. La Cour
rappelle que c’est un principe de droit internatio nal qu’un régime territorial établi par traité
«acquiert une permanence que le traité lui- même ne connaît pas nécessairement» et que la
persistance de ce régime ne dépend pas de la survie du traité par lequel ledit régime a été convenu.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour juge qu’elle peut, à ce stade de la procédure,
considérer comme tranchée la question des trois îles de l’archipel de SanAndrés expressément
nommées au premier paragraphe de l’article premier du traité de 1928. Cette question a été réglée
par le traité. Par conséquent, l’ar ticleVI du pacte est applicable sur ce point et la Cour n’est pas - 10 -
compétente en vertu de l’articleXXXI du pact e de Bogotá pour connaître de la question de la
souveraineté sur les trois îles concernées. La Cour retient donc la première exception préliminaire
soulevée par la Colombie en ce qu’elle a trait à sa compétence pour connaître de la question de la
souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina.
En ce qui concerne la question de l’étendue et de la composition du reste de l’archipel de
San Andrés, la Cour rappelle que les Parties s’accord ent à considérer que l’archipel de San Andrés
comprend les îles de SanAndrés, Providencia et Santa Catalina ainsi que des îlots et des cayes
adjacents. Les Parties sont toutefois en d ésaccord sur la question de savoir quelles autres
formations maritimes font partie de l’archipel.
La Cour estime qu’il ressort très claireme nt du libellé du premier paragraphe de
l’article premier du traité de 1928 que celui-ci ne répond pas à la question de savoir quelles sont, en
dehors des îles de SanAndrés, Providencia et Sant aCatalina, les formations maritimes qui font
partie de l’archipel de SanAndrés sur lequel la Colombie a souveraineté. Dans ces conditions,
cette question n’a pas été réglée au sens de l’ articleVI du pacte de Bogotá et la Cour est
compétente en vertu de l’articleXXXI de ce pact e. La Cour ne peut donc retenir la première
exception préliminaire soulevée par la Colombie en ce qu’elle a trait à sa compétence pour
connaître de la question de la s ouveraineté sur les formations ma ritimes, autres que les îles de
San Andrés, Providencia et Santa Catalina, qui font partie de l’archipel de San Andrés.
Quant à sa compétence pour connaître de la question de la souveraineté sur Roncador,
Quitasueño et Serrana, la Cour fait observer que le sens du second paragraphe de l’article premier
du traité de 1928 est clair : ce traité ne s’applique pas aux trois formations maritimes en question.
En conséquence, les limitations contenues dans l’ article VI du pacte de Bogotá ne s’appliquent pas
à la question de la souveraineté sur Roncador, Quitasueño et Serrana. La Cour est ainsi compétente
pour trancher cette question en vertu de l’article XXXI du pacte de Bogotá. Elle ne peut donc
retenir la première exception préliminaire soulevée par la Colombie en ce qu’elle a trait à sa
compétence pour connaître de la question de la souveraineté sur Roncador, Quitasueño et Serrana.
S’agissant de sa compétence pour connaître de la question de la délimitation maritime, la
Cour, après avoir examiné les arguments présentés par les Parties et les éléments qui lui ont été
soumis, conclut que le traité de1928 et le protocole de1930 n’ont pas opéré de délimitation
générale des espaces maritimes entre la Colombie et le Nicaragua. Comme le différend concernant
la délimitation maritime n’a pas été réglé par le traité de 1928 et le protocole de 1930 au sens de
l’article VI du pacte de Bogotá, la Cour est compét ente en vertu de l’article XXXI du pacte. Aussi
ne peut-elle pas retenir la première exception préliminaire soulevée par la Colombie en ce qu’elle a
trait à sa compétence pour connaître de la question de la délimitation maritime entre les Parties.
Seconde exception préliminaire (par. 121-140)
Outre l’articleXXXI du pacte de Bogotá, le Nicaragua a invoqué comme base de
compétence de la Cour les déclarations des Parties faites en vertu de l’article36 du Statut de la
Cour permanente de Justice internationale, c onsidérées, pour la durée restant à courir, comme
comportant acceptation de la juridiction obligatoire de la présente Cour aux termes du paragraphe 5
de l’article 36 de son Statut.
Dans sa seconde exception préliminaire, la Colombie affirme que la Cour n’a pas
compétence sur cette base. Elle affirme que la compétence dévolue à la Cour par le pacte de
Bogotá est déterminante et donc exclusive. Etant donné que la Cour est compétente en vertu de
l’article XXXIV du pacte pour déclarer que le différe nd est terminé, et qu’elle en a le devoir dans
l’espèce sous examen, elle ne devrait pas chercher plus avant à examiner si elle pourrait être
compétente en vertu de la clause facultative. A l’appui de sa thèse, la Colombie invoque l’arrêt
rendu par la Cour dans l’affaire relative à des Actions armées fr ontalières et transfrontalières
(Nicaragua c.Honduras) , dans laquelle le Nicaragua souten ait lui aussi que la Cour était - 11 -
compétente sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá et sur celle des déclarations faites en
vertu de la clause facultative. La Colombie relève que, dans cette affaire, la Cour a déclaré que
«les relations entre les Etats parties au pacte de Bogotá sont régies par ce seul pacte» et que
«l’engagement figurant à l’article X XXI… constitue un engagement autonome
indépendant de tout autre engagement que les parties peuvent par ailleurs avoir pris ou
prendre en remettant au Secrétaire généra l de l’Organisation des NationsUnies une
déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire conformément aux
paragraphes2 et 4 de l’article36 du Statut» (Actions armées frontalières et
transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 82, par. 27, et p. 85, par. 36).
La Colombie considère que la Cour posait ainsi le principe de la primauté du titre de
juridiction en vertu du pacte de Bogotá. Elle conclut que, lorsqu’un demandeur invoque à la fois le
pacte de Bogotá et des déclarations faites en ve rtu de la clause facultative, c’est le pacte de
Bogotá ⎯la lex specialis ⎯ qui s’applique ou, en d’autres termes, qui devient décisif et
déterminant.
La Colombie affirme que, dans l’affaire des Actions armées , la Cour a décidé que le titre de
juridiction tiré du pacte de Bogotá prévalait sur les déclarations facultatives postérieures. La
Colombie précise que, dans l’espèce sous exam en, l’argument selon lequel le pacte de Bogotá
prévaut est d’autant plus fort que les déclarati ons facultatives du Nicaragua et de la Colombie ont
été faites avant l’entrée en vigueur du pacte de Bogotá. C’est pourquoi le pacte de Bogotá est non
seulement lex specialis mais aussi lex posterior.
De l’avis de la Colombie, «c’ est le pacte de Bogotá qui constitue le titre de juridiction de la
Cour dans notre affaire» et si la Cour devait c onclure qu’elle n’a pas compétence pour trancher le
différend, elle serait tenue de déclarer en app lication du pacte que le différend est terminé aux
termes de l’article XXXIV, «non pas aux seules fins de la compétence de la Cour en vertu du pacte,
mais à tous égards». La Colombie affirme à ce propos qu’un différend ne saurait être réglé et
terminé, et en même temps constituer un différend pouvant être jugé par la Cour en vertu de la
juridiction qui lui est reconnue aux termes de la cl ause facultative. Il s’ensuit que, dès lors que la
Cour aura déclaré le différend entre les Parties terminé en vertu du pacte de Bogotá, il ne subsistera
aucun litige auquel la compétence pourrait s’appli quer à un autre titre, notamment à celui des
déclarations faites par les Parties en vertu de la clause facultative.
La Colombie affirme en outre que, de toute façon, la Cour n’aurait nullement compétence au
titre des déclarations faites par les Parties en vert u de la clause facultative puisque, à la date du
dépôt de la requête du Nicaragua (en décembre2001), elle avait retiré la sienne. La Colombie
soutient enfin que, même si sa déclaration était jugée avoir été en vigueur au moment du dépôt de
la requête du Nicaragua, le différend allégué échapperait à son champ d’application en raison d’une
réserve excluant les différends nés de faits antérieurs au 6 janvier 1932.
Le Nicaragua fait valoir pour sa part que, si la Cour a déclaré dans son arrêt en l’affaire des
Actions armées que «les relations entre les Etats parties au pacte de Bogotá sont régies par ce seul
pacte», cela ne peut toutefois «prive[r] les déclar ations faites en vertu de la clause facultative de
tout effet en tant que base de compétence autonome» étant donné qu’elles «ont une valeur
intrinsèque et [que] leur mise en Œuvre n’est pas subordonnée à d’autres chefs de compétence». Il
considère que primauté du pacte ne signifie pas excl usivité. Le Nicaragua soutient que la Cour l’a
elle-même reconnu dans l’a ffaire des Actions armées lorsqu’elle a déclaré que le pacte de Bogotá
était «indépendant de tout autre engagement que les par ties peuvent par ailleurs avoir pris… en
remettant… une déclaration d’acceptation de la ju ridiction obligatoire» (c’est la Cour qui - 12 -
souligne). Il fait valoir que, dans l’affaire des Actions armées , la Cour n’a pas écarté la possibilité
d’être également compétente sur la base des déclarations facultatives des Parties, mais a
simplement conclu qu’il ne lui «[était] pas n écessaire… de s’interroger» à ce sujet étant donné
qu’elle s’était déjà déclarée compétente en vertu du pacte de Bogotá.
De l’avis du Nicaragua, si la Cour devait d éclarer le différend terminé en application de
l’articleXXXIV du pacte, il conv iendrait d’interpréter cette conc lusion dans le cadre du pacte
lui-même. Ainsi le différend ne serait-il termin é que dans la mesure où il n’y aurait plus la
possibilité d’invoquer le pacte comme base de comp étence. Le Nicaragua souligne que pareille
conclusion en vertu de l’article XXXIV du pacte n’exclut pas pour autant l’existence d’autres bases
de juridiction, comme les déclarations faites par les Parties en vertu de la clause facultative.
Le Nicaragua estime que les deux bases de compétence — à savoir l’article XXXI du pacte
de Bogotá et les déclarations faites par les Parties en vertu de la clause facultative ⎯ sont
complémentaires et qu’il appartient à la Cour de décider s’il convient de s’appuyer sur l’une d’elles
seulement ou sur les deux à la fois. Il fait ob server que les Etats parties au pacte de Bogotá
entendaient étendre la compétence de la Cour et non limiter les obligations existantes découlant
d’autres instruments. A cet égard, le Nicaragua se réfère à l’énoncé de la Cour permanente de
Justice internationale dans l’affaire de la Co mpagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie au sujet
de la multiplicité d’engagements conclus en faveur de la juridiction obligatoire.
Le Nicaragua nie que la déclaration de la Co lombie n’ait pas été en vigueur au moment du
dépôt de la requête. Il fait valo ir qu’un délai raisonnable est requis pour le retrait des déclarations
et que la Colombie n’a pas rempli cette condition. Le Nicaragua ne conteste pas que la déclaration
de la Colombie s’appliquait uni quement aux différends nés de fait s postérieurs au 6 janvier 1932 ;
il affirme toutefois que le fait générateur du diffé rend, à savoir l’interprétation du traité de 1928 et
du protocole de1930 adoptée par la Colombie à pa rtir de1969, s’est produit après cette date.
Enfin, le Nicaragua, se référant aux dispositions du paragraphe9 de l’ article 79 du Règlement,
affirme qu’en tout état de cause l’exception soulevée par la Colombie ne revêt pas un caractère
exclusivement préliminaire.
La Cour constate tout d’abord que la questi on de savoir si les déclarations faites par les
Parties en vertu de la clause facultative peuvent constituer une base de compétence distincte et
suffisante en l’affaire ne se pose, désormais, qu’à l’égard de la partie du différend relative à la
souveraineté sur les trois îles expressément nommé es dans l’article premier du traité de1928, à
savoir San Andrés, Providencia et Santa Catalina. La Cour a commencé par examiner l’exception
préliminaire de la Colombie concernant sa comp étence sur la base du pacte de Bogotá et elle a
conclu qu’elle était compétente pour connaître de tous les autres aspects du différend sur le
fondement de l’article XXXI du pacte. Il est donc inutile qu’elle se demande si, pour ces aspects,
les déclarations des Parties en vertu de la cl ause facultative pourraient également constituer une
base de compétence.
La Cour rappelle que, dans l’affaire des Actions armées , elle a déclaré que, «[c]omme les
relations entre les Etats parties au pacte de Bogotá sont régies par ce seul pacte, la Cour recherchera
d’abord si elle a compétence sur la base de l’article XXXI du pacte» (c’est la Cour qui souligne).
Or, la seule interprétation possible de cette déclar ation est de considérer que la Cour, au vu des
deux titres de compétence invoqués, ne pouvait les ex aminer en même temps et a décidé d’aller du
particulier au général, sans sous-entendre par là que le pacte de Bogotá prévalait sur le second titre
de compétence, à savoir les déclarations faites en vertu de la clause facultative, et excluait celui-ci.
La Cour estime donc que les dispositions du p acte de Bogotá et les déclarations faites en
vertu de la clause facultative constituent deux bases distinctes de compétence de la Cour qui ne
s’excluent pas mutuellement. Elle fait observer que la clause facultative pourrait lui conférer une
compétence plus étendue que celle qui découle du pacte de Bogotá. - 13 -
La Cour constate que ni la Colombie ni le Nicaragua n’ont assorti leurs déclarations
respectives en vertu de la clause facultative de réserves identiques ou comparables à la restriction
contenue à l’article VI du pacte de Bogotá. Aussi la restriction imposée par l’article VI du pacte de
Bogotá ne serait-elle pas applicable à la compétence découlant de la clause facultative.
La Cour déclare avoir établi que le traité de 1928 attribuait à la Colombie la souveraineté sur
les îles de San Andrés, Providencia et Santa Ca talina aux fins de déterminer si elle avait
compétence pour connaître de cette question en vert u du pacte de Bogotá. Ce fait est cependant
tout aussi pertinent aux fins d’établir si la Cour a compétence sur la base d es déclarations faites en
vertu de la clause facultative. A cet égard, la Cour fait observer que sa compétence sur cette base
est expressément subordonnée, aux termes du paragr aphe2 de l’article36 du Statut, à l’existence
d’un «différend d’ordre juridique» entre les Parties.
La Cour ayant conclu qu’il ne subsistait pas de différend juridique entre les Parties sur la
question de la souveraineté sur les trois îles, ellne peut être compétente pour connaître de cette
question, ni sur la base du pacte de Bogotá, ni sur celle des déclarations faites en vertu de la clause
facultative.
A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il ne servirait à rien en pratique de
poursuivre l’examen des autres questions soulev ées par la seconde exception préliminaire de la
Colombie. La Cour retient donc la seconde excep tion préliminaire d’incompétence soulevée par la
Colombie au titre des déclarations fa ites en vertu de la clause faculta tive, en ce qu’elle a trait à sa
compétence pour connaître de la question de la souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia
et Santa Catalina, et constate qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’exception préliminaire en ce qu’elle a
trait à la souveraineté sur les autres formations maritimes en litige età la délimitation maritime entre
les Parties.
Suite de la procédure (par. 141)
Conformément au paragraphe9 de l’article79 du Règlement, les délais pour la suite de la
procédure seront fixés ultérieurement par la Cour par voie d’ordonnance.
Dispositif (par. 142)
«Par ces motifs,
L A C OUR ,
1) S’agissant de la première exception pr éliminaire d’incompétence, soulevée par la
République de Colombie sur la base des articles VI et XXXIV du pacte de Bogotá :
a) Par treize voix contre quatre,
Retient l’exception d’incompétence en ce qu’elle a trait à la souveraineté sur les îles de
San Andrés, Providenciaet Santa Catalina ;
POUR : MmeHiggins, président; MM. Shi, Koroma , Parra-Aranguren, Buergenthal, Owada,
Simma, Tomka, Keith, Sepúlveda-Amor, Skotnikov, juges; MM.Fortier, Gaja, juges
ad hoc ;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ;MM. Ranjeva, Abraham, Bennouna, juges ;
b) A l’unanimité,
Rejette l’exception d’incompétence en ce qu’elle a trait à la souverain eté sur les autres
formations maritimes en litige entre les Parties ; - 14 -
c) A l’unanimité,
Rejette l’exception d’incompétence en ce qu’elle a trait à la délimitation maritime entre les
Parties ;
2) S’agissant de la secondeexception préliminaire d’incompétence, soulevée par la République
de Colombie quant aux déclarationsdes Parties reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour :
a) Par quatorze voix contre trois,
Retient l’exception d’incompétence en ce qu’elle a trait à la souveraineté sur les îles de San
Andrés, Providencia et Santa Catalina ;
POUR : MmeHiggins, président; MM. Shi, Koroma , Parra-Aranguren, Buergenthal, Owada,
Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Skotnikov, juges ; MM.Fortier, Gaja,
juges ad hoc ;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Bennouna, juges ;
b) Par seize voix contre une,
Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’exception d’incompétence en ce qu’elle a trait à la
souveraineté sur les autres format ions maritimes en litig e et à la délimitation maritime entre les
Parties;
POUR : MmeHiggins, président; M.Al-Khasawneh, vice-président; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Parra-Aranguren, Buergenthal, Owada, Tomka, Abraham, Keith,
Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, jug es ; MM. Fortier, Gaja, juges ad hoc;
CONTRE : M. Simma, juge ;
3) S’agissant de la compétence de la Cour,
a) A l’unanimité,
Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour statuer sur
le différend relatif à la souveraineté sur les formations maritimes revendiquées par les Parties autres
que les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina ;
b) A l’unanimité,
Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour
statuer sur le différend relatif à la délimitation maritime entre les Parties.»
*
M. le juge A L-K HASAWNEH , vice-président, joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
dissidente ; M. le jugeANJEVA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges
PARRA -ARANGUREN , SIMMA et TOMKA joignent des déclarations à l’arrêt ; M. le jugBRAHAM
joint à l’arrêt l’exposé de son opinon individuelle; M. le juge K EITH joint une déclaration à
l’arrêt ; M. le jugeENNOUNA joint à l’arrêt l’exposé de son opini on dissidente ; M. le juge ad hoc
G AJA joint une déclaration à l’arrêt.
___________ Annexe au résumé n o2007/5
Opinion dissidente du vice-président Al-Khasawneh
Le vice-président Al-Khasawneh a considéré qu’il n’était pas en mesure de souscrire aux
arguments et aux conclusions de l’arrêt faisant droit aux exceptions préliminaires d’incompétence
soulevées par la Colombie relativement à la souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina. Tout en reconnaissant qu’il peut être nécessaire pour la Cour d’effleurer le fond
d’une affaire pour établir sa compétence au stade des exceptions préliminai res, le vice-président
Al-Khasawneh estime que les circonstances de l’espèce étaient telles qu’une décision sur la
compétence aux termes du pacte de Bogotá et du para graphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour
n’avait pas un caractère exclusivement préliminaire (voir Règlement de la Cour, art. 79, par. 9).
Les circonstances particulières de l’espèce qui conduisent à cette conclusion sont les
suivantes: afin de déterminer si la Cour est compétente aux termes du pacte de Bogotá en ce qui
concerne le différend relatif aux trois îles susmenti onnées, la Cour doit trancher la question de la
validité du traité de 1928 et du pr otocole de 1930 (validité qui est contestée par le Nicaragua).
Cette analyse est nécessaire car l’article VI du p acte de Bogotá exclut la compétence de la Cour
internationale de Justice en ce qui concerne les questions «régies par des accords ou des traités en
vigueur à la date de la conclusion du présent traité». Toutefois, la validité du traité de 1928 et celle
du protocole de 1930 sont également essentielles pour trancher au fond le différend en ce qui
concerne la souveraineté sur les trois îles nommé ment désignées de l’archipel de San Andrés.
Ainsi, la conclusion de l’arrêt selon laquelle la Cour n’a pas co mpétence aux termes du pacte de
Bogotá au motif que le traité de 1928 et le prot ocole de 1930 sont valides a pour effet de préjuger
un aspect important du fond du différend avant que t ous les arguments y afférents aient pu être
développés.
Cette conclusion a également pour effet d’écarte r diverses questions complexes de fait et de
droit que le Nicaragua a soulevées lorsqu’il a allégué que le traité de 1928 et le protocole de 1930,
ayant été conclus sous la contrainte, n’étaient pas valides, sans laisser aux Parties la possibilité de
présenter à la Cour l’ensemble de leurs arguments et sans que celle-ci expose de manière
appropriée les raisons de la décision à laquelle elle est parvenue.
Le vice-président Al-Khasawneh ne partage pas l’opinion de la Cour selon laquelle le
paragraphe9 de l’article79 du Règlement de la Cour contient une présomption en faveur de la
partie qui soulève une exception préliminaire.
Enfin, le vice-président Al-Khasawneh estime que la Cour n’a pu parvenir à la position selon
laquelle régler la question de la validité du traité de 1928 et du protocole de 1930 n’«équivaudrait
[pas] à trancher le différend … au fond» qu’en dé finissant le différend étroitement et en créant une
distinction artificielle entre l’objet du différend et les questions en litige. Tout en reconnaissant que
la Cour conserve la liberté de définir l’objet du différend sur la base des conclusions des parties, le
vice-président estime que, dans cette affaire, la Cour a dépassé les limites de cette liberté,
lesquelles limites sont imposées par des considérations de légitimité et de bon sens.
Opinion individuelle de M. le juge Ranjeva
La première exception préliminaire de la Colombie n’a pas un caractère exclusivement
préliminaire explique le juge Ranjeva dans s on opinion. Les arguments exposés par les Parties
confirment les liens intimes entre les questions procédurales. En effet, en déclarant que le traité
de1928 aurait mis fin au différend entre le Nicarag ua et la Colombie lorsqu’il a dévolu des trois
îles de SanAndrés, Providencia et Santa Catalina, l’arrêt statue sur de ux conclusions au fond du
demandeur: la revendication de la souveraineté sur ces îles et la nullité pour vices de fond dudit - 2 -
traité et la coercition et la violation des dis positions constitutionnelles internes. Le juge Ranjeva
estime que l’arrêt établit une confusion entre l’op posabilité du traité au Nicaragua et la nullité
comme sanction de l’invalidité du traité. Au non-respect du contradictoire s’ajoute une lacune que
l’arrêt ne règle pas: la motivation du choix de l’article VI du pacte de Bogotá comme base de
juridiction au détriment de la clause optionnelle.
Déclaration de M. le juge Parra-Aranguren
1. Bien qu’il ait voté en faveur du dispositif de l’arrêt, le juge Parra-Aranguren ne souscrit
pas au paragraphe 136, dans lequel il est indiqué : «la Cour estime que les dispositions du pacte de
Bogotá et les déclarations faites en vertu de la clause facultative constitu ent deux bases distinctes
de compétence de la Cour qui ne s’excluent pas mutuellement».
2. Pour parvenir à la conclusion figurant au paragraphe 136, la C our a invoqué l’arrêt rendu
en l’affaire des Actions armées frontalières et transfrontalières ((Nicaragua c.Honduras),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988 , p. 85, par. 36) et une citation tirée de l’arrêt
rendu en1939 par la Cour permanente en l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de
o
Bulgarie ((Belgique c. Bulgarie), arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n 77, p. 76).
3. Le juge Parra-Aranguren considère toutef ois que la décision rendue en l’affaire des
Actions armées n’étaye pas ladite conclusion de l’ arrêt car, ainsi qu’il est indiqué au
paragraphe 134, «la Cour répondait simplement, pour les rejeter, aux arguments du Honduras» ; et
que l’extrait de l’arrêt rendu en1939 en l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de
Bulgarie (Belgique c.Bulgarie) n’est pas applicable car, en la présente espèce, il n’y a pas
«multiplicité d’engagements conclus en faveur de la juridiction obligatoire» de la Cour.
4. Le juge Parra-Aranguren fait observer que, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe122 de
l’arrêt, le Nicaragua et la Colombie ont fait ⎯respectivement le 24septembre1929 et le
30 octobre 1937 ⎯ des déclarations en vertu de l’article 36 du Statut de la Cour permanente de
Justice internationale, déclarations qui sont considérées comme comportant acceptation de la
juridiction obligatoire de la présente Cour aux termes du paragraphe 5 de l’article 36 de son Statut ;
les Parties ont par la suite fait de nouvelles déclara tions en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut de la Cour, conformément à l’article XXXI du pacte de Bogotá, lorsqu’elles ont
respectivement ratifié ce dernier en1950 et196 8. De l’avis du juge Parra-Aranguren, il est
impossible que deux déclarations différentes resten t simultanément en vigueur dans les relations
entre le Nicaragua et la Colombie, la seconde déclaration ayant nécessairement remplacé la
première dans lesdites relations.
5. Le juge Parra-Aranguren estime par con séquent que les déclarations faites par le
Nicaragua et la Colombie en vertu de la clause facultative, respectivement en 1929 et 1937, ne sont
plus en vigueur, et qu’elles ne peuvent donc pas être invoquées comme base de compétence de la
Cour.
Déclaration de M. le juge Simma
Bien qu’il soit satisfait du présent arrêt d’une manière générale, le juge Simma exprime des
doutes sur le fait de savoir si la Cour a correctem ent appliqué l’articleVI du pacte de Bogotá au
traité de1928 entre le Nicaragua et la Colombie . Dans le même ordre d’idées, le jugeSimma
éprouve des difficultés considérables face à la mani ère dont la Cour conçoit la relation existant - 3 -
entre, d’une part, la notion de question «régi[e] par des…traités en vigueur» à l’époque de la
conclusion du pacte, en1948, et, d’autre part, la notion de persistan ce d’un «différend d’ordre
juridique» en tant que condition préalable à ce qu’ elle puisse exercer sa compétence sur la base
d’une déclaration d’acceptation faite en vertu de la clause facultative.
La question centrale est celle de la souveraineté sur les îles de SanAndrés, Providencia et
Santa Catalina. La Cour conclut que le traité de 1928 a réglé cette question de manière définitive,
alors que le Nicaragua prétendait, notamment , que ce traité était invalide ab initio . Suivant l’arrêt,
toutefois, le Nicaragua s’est, par la manière dont il s’est comporté à l’égard du traité pendant plus
de cinquante ans, privé du droit d’invoquer pareille invalidité; le traité doit donc être considéré
comme ayant été «valide et en vigueur» en 1948, la Cour n’ayant dès lors pas compétence en vertu
du pacte de Bogotá. De l’avis du juge Simma, la perte du droit d’invoquer l’invalidité du traité au
regard des conditions énoncées dans le pacte de Bogotá met seulement un terme à la question dans
le cadre de ce pacte; s’il existait une deuxième base de compétence indépendante conférant
effectivement compétence à la Cour, la question de l’invalidité du traité de 1928 resterait ouverte et
le Nicaragua pourrait la plaider de nouveau, cette fois dans son intégralité. Tel aurait pu être le cas
en l’espèce, compte tenu des déclarations d’accepta tion en vertu du paragra phe2 de l’article36
soumises par les deux Parties. La Cour estime cependant que sa conclusion selon laquelle elle n’a
pas compétence au titre du pacte de Bogotá la pr ive également de compétence au titre du système
de la clause facultative, bien qu’elle rec onnaisse se trouver en présence de deux bases de
compétence distinctes qui ne s’excluent pas mutuellement. Aussi le juge Simma considère-t-il que
la Cour aurait dû poursuivre l’examen de la ques tion de sa compétence en passant à l’examen des
déclarations faites par les Parties en vertu de la clause facultative et en analysant attentivement
l’effet de la réserve rationetemporis dont la déclaration colombienne est assortie, ainsi que la
dénonciation de cette déclaration par la Colombie. Si la Cour avait procédé ainsi, soit une réponse
négative aurait une fois pour toutes été apportée à la question de la compétence, soit les arguments
du Nicaragua relatifs au droit des traités auraient pu connaître leur juste sort au stade du fond.
Déclaration de M. le juge Tomka
Le juge Tomka partage l’opinion de la Cour selon laquelle le Nicaragua a considéré, pendant
plus de cinquanteans, que le traité de 1928 éta it valide et a ainsi acquiescé à la validité de cet
instrument. En conséquence, le premier argume nt du Nicaragua selon lequel le traité de 1928 était
nul parce qu’il aurait été conclu en violation de la Constitution nicaraguayenne alors en vigueur ne
saurait être accepté.
Le Nicaragua a également fait valoir qu’au cour s de la période pertinente, il était privé de sa
capacité internationale étant donné qu’il ne pouvait pas librement exprimer son consentement à être
lié par des traités internationaux. Il semble que la majorité de la Cour ait traité ce second argument
comme le premier, mais le juge Tomka considère qu’il appelle une réponse distincte.
Le deuxième motif de nullité invoqué par le Nicaragua n’est pas sans soulever des
difficultés. S’il devait être interprété au sens la rge, il irait alors à l’encontre de l’autre base
invoquée par le Nicaragua pour fonder la compétence de la Cour, à savoir la déclaration faite en
vertu de la clause facultative visée au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. En effet, le Nicaragua
a fait cette déclaration en 1929, précisément pendant la période pertinente au cours de laquelle son
gouvernement aurait été privé de sa capacité intern ationale. Le Nicaragua reconnaît toutefois que,
de manière générale, il pouvait conclure des traités in ternationaux. Il est alors difficile d’admettre
sa thèse selon laquelle le Gouvernement nicaraguayen aurait été privé de sa capacité internationale
au cours de la période pertinente. C’est pourq uoi le Nicaragua précise que lorsqu’il était sous
occupation des Etats-Unis, il était empêché de conc lure des traités qui auraient été contraires aux
intérêts de ces derniers et de re fuser de conclure des traités que ce ux-ci lui demandaient de signer. - 4 -
Les intérêts ou les demandes d’un Etat tiers ne constituent toutefois pas des motifs suffisants pour
rendre un traité nul et non avenu. En outre, la C our n’aurait pas été en mesure de parvenir à une
décision sur la question de la contrainte allégué e par le Nicaragua sans examiner la licéité du
comportement des Etats-Unis, lesquels ne sont pas partie à la présente affaire.
Le juge Tomka souscrit donc aux conclusions de la Cour selon lesquelles la question de la
souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina ne doit pas être tranchée au
stade du fond.
Opinion individuelle de M. le juge Abraham
Le juge Abraham exprime son accord avec les so lutions, en substance, que retient l’arrêt en
ce qui concerne tous les aspects du différend autres que la souveraineté sur
les trois îles
nommément désignées à l’article premier du traité de 1928 (SanAndrés, Providencia et Santa
Catalina). Pour tous ces autres aspects, il approuve la Cour d’avoir décidé que les questions
soulevées par la demande du Nicaragua n’ont pas été réglées par le traité de 1928, que la Cour est
donc compétente pour en connaître sur la base de l’ articleXXXI du pacte de Bogotá, et qu’il n’y
avait pas lieu pour elle de rechercher si elle pouvait être également compétente sur la base des
déclarations facultatives d’acceptation de la juridict ion obligatoire de la Cour souscrites par les
deux Parties.
En revanche, le juge Abraham se dissocie de la manière dont la Cour a traité la question de la
souveraineté sur les trois îles susmentionnées.
En premier lieu, il estime que la Cour aurait dû considérer que la première exception de la
Colombie ⎯tendant à contester la compétence de la Cour sur la base du pacte de Bogotá ⎯ ne
présentait pas, à cet égard, un caractère exclusivement préliminaire, et que son examen devait être
renvoyé à la phase ultérieure de la procédure, ap rès les débats au fond. En effet, pour statuer
complètement sur cette exception, la Cour a dû prendre parti sur l’argument du Nicaragua tiré de la
prétendue nullité du traité de 1928, notamment parce qu’il aurait été conclu sous la contrainte.
Selon le juge Abraham, la Cour ne disposait pas, à ce stade, de tous les éléments nécessaires pour
trancher cette question, et la manière dont elle l’ a réglée soulève autant de difficultés qu’elle n’en
résout. En particulier, le juge Abraham regrette que la Cour ait abordé dès le stade préliminaire,
sans nécessité aucune et sans e xpliciter suffisamment son raisonnement, la question délicate de
savoir si un Etat se prétendant victime d’une cont rainte résultant de l’emploi ou de la menace
illicite de la force pouvait encore invoquer ladite contrainte comme cause de nullité d’un traité,
lorsque, par son comportement suivant la conclusi on dudit traité, il avait manifesté pendant une
certaine période son acquiescement à la validité de celui-ci.
En second lieu, en ce qui concerne la seconde exception préliminaire de la Colombie ⎯
tendant à contester la compétence de la Cour sur la base des déclarations facultatives ⎯ le juge
Abraham approuve la Cour d’avoir décidé qu’elle n’était pas compétente sur cette base pour
connaître de la partie du différend re latif aux trois îles, mais pas le s motifs par lesquels la Cour a
justifié sa décision.
Selon le juge Abraham, le pacte de Bogotá constitue l’unique base de compétence applicable
dans les rapports entre des Etats parties au pacte, et les déclarations facultatives sont inopérantes.
En revanche, il n’est pas exact, selon lui, de dire que le différend entre les Parties relatif aux trois
îles n’existe plus, parce qu’il aurait été réglé pa
r traité de 1928, comme le fait l’arrêt. Pour le
juge Abraham, une telle motivation procède d’une confusion préoccupante entre les questions de
fond ⎯ le traité de 1928 conduit peut-être à régler le différend en faveur de la Colombie ⎯ et les
questions de compétence et de recevabilité ⎯ le constat qui précède ne devrait pas, par lui-même,
empêcher la Cour d’exercer sa compétence sur un différend bien réel. - 5 -
Déclaration de M. le juge Keith
Le juge Keith souligne que, conformément au principe de bonne administration de la justice,
il incombe à la Cour de trancher une question en litige à un stade préliminaire pour autant qu’elle
puisse valablement se prononcer au stade en question et que, ce faisant, le règlement de l’affaire
s’en trouve facilité. Dans l’exercice de ce pouvoir et de cette responsabilité, la Cour doit disposer
des éléments qui lui sont nécessaires à cette fin, et chaque Partie doit se voir conférer les mêmes
droits à l’effet de présenter sa cause et de réfuter les allégations formulées à son encontre.
Dans les circonstances de l’espèce, selon le juge Keith, la Cour pouvait valablement décider,
comme elle l’a fait, que la question de la souveraineté sur les trois îles désignées avait été réglée en
faveur de la Colombie. Il ne s ubsiste pas de différend sur cette qu estion et, partant, la Cour n’est
pas compétente à cet égard.
Opinion dissidente de M. le juge Bennouna
Le jugeBennouna a voté, d’une part, contre la première décision de la Cour retenant
l’exception préliminaire d’incompétence soulevée par la Colombie, sur la base du pacte de Bogotá,
en ce qu’elle a trait à la souveraineté sur les île s de San Andrés, Providencia et Santa Catalina
(dispositif, par. 1) a)). Il a estimé que cette exception n’a pas dans les circonstances de l’espèce un
caractère exclusivement préliminaire, au sens de l’article 79, paragraphe 9, du Règlement de la
Cour. En effet, alors que le p acte de Bogotá exclut de la comp étence de la Cour les questions
«régies par des accords ou traités en vigueur», le Nicaragua a contesté la validité du traité signé
avec la Colombie en 1928, et ratifié en 1930, qui a été invoqué par ce pays comme fondement de sa
souveraineté sur les trois îles.
Dans la mesure où le Nicaragua s’appuie sur la contrainte dont il aurait été l’objet à un
moment où il était sous occupation des Etats-Unis, pour en déduire la nullité ab initio du traité
de 1928, le juge Bennouna considère que la Cour ne pouvait s’engager à ce stade dans la recherche
d’une telle contrainte sur l’Etat et de ses consé quences sur la capacité de contracter du Nicaragua,
sans traiter du fond du litige.
Le juge Bennouna a voté, d’autre part, contre le paragraphe 2) a) du dispositif selon lequel la
Cour n’a pas non plus compétence, sur la b ase des déclarations facultatives des Parties,
reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (Statut, art.36, par.2). En retenant cette
exception, la Cour a de nouveau décliné sa compét ence pour les trois îles. Le juge Bennouna qui
relève que la Cour, après avoir jugé être en présence «de deux bases distinctes de compétence…
qui ne s’excluent pas mutuellement», est parvenue pourtant à exclure la seconde, fondée sur les
déclarations facultatives, par référence à l’examen de la première, fondée sur le pacte de Bogotá, en
concluant à l’absence de différend entre les Parties.
Pour le jugeBennouna, les déclarations facu ltatives doivent être appréciées en elles-mêmes
et ne peuvent être limitées que par les réserves spécifiques que les Parties auraient faites à leur
sujet. A partir de là, il y a bien, selon lui, un différend, une opposition de thèses juridiques entre les
Parties au sujet de la validité du traité de 1928.
Déclaration de M. le juge ad hoc Gaja
Dans sa déclaration, le juge ad hoc Gaja critique l’appréciatio n de la Cour selon laquelle
celle-ci n’est pas compétente sur la base des déclar ations faites en vertu de la clause facultative car
il ne subsiste pas de différend entre les Parties su r la question de la souveraineté sur les îles qui - 6 -
furent attribuées expressément à la Colombie par le traité de1928. Toutefois, il souscrit aux
conclusions de la Cour sur ce point compte tenu de la réserve de la Colombie suivant laquelle ladite
déclaration ne s’appliquait «qu’aux différends nés de faits postérieurs au 6 janvier 1932». Il estime
que tous les faits relatifs au contenu et à la validité du traité de 1928 dataient d’avant 1932.
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Résumé de l'arrêt du 13 décembre 2007