Résumé de l'ordonnance du 18 juillet 2011

Document Number
16584
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Number (Press Release, Order, etc)
2011/5
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2011/5
Le 18 juillet 211

Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire
du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande)
(Cambodge c. Thaïlande)

Demande en indication de mesures conservatoires

Résumé de l’ordonnance du 18 juillet 2011

1. Requête et demande en indication de mesures conservatoires (par. 1 à 18 d e l’ordonnance)

Requête introductive d’instance (par. 1 à 5)

La Cour commence par rappeler que, dans sa req uête, le Cambodge invoque le premier

paragraphe du dispositif de l’a rrêt de1962, dans lequel la Cour a déclaré que «le temple de
PréahVihéar [était] situé en te rritoire relevant de la souverain eté du Cambodge». La Cour note
l’argument du Cambodge selon lequel «elle n’aurait pas pu parvenir à une telle conclusion si elle
n’avait pas au préalable reconnu qu’il existait unefrontière juridiquement établie entre les deux

Parties dans la zone concernée». Elle rappelle aussi que le demandeur laisse entendre que, dans les
motifs de l’arrêt de 1962, elle a considéré que les deux Parties avaient, par leur conduite, reconnu la
ligne tracée sur la carte de l’annexe I au mémoire du Cambodge (ci-après la «carte de l’annexe I»),
carte établie en1907 par la commission mixte franc o-siamoise, comme représentant la frontière
entre le Cambodge et le Royaume de Thaïlande (ci-après la «Thaïlande») dans la zone du temple de

PréahVihéar. Elle relève également que le Ca mbodge invoque la jurisprudence de la Cour selon
laquelle, «si, en principe, toute demande en interprétation doit porter sur le dispositif de l’arrêt, elle
peut également porter sur ceux des motifs qui en sont inséparables».

La Cour rappelle ensuite que, dans sa requête, le demandeur invoque le deuxième paragraphe

du dispositifde l’arrêt de 1962, dans lequel la Cour a déclaré que «la Thaïlande [était] tenue de
retirer tous les éléments de forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a[vait]
installés dans le temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien». La Cour relève aussi
que, selon le demandeur, cette obligation découle du fait que le temple de PréahVihéar et ses
environs sont situés en territoire relevant de sa souveraineté, comme il est reconnu dans le premier

paragraphe du dispositif, et «dépasse un retrait de la seule enceinte du temple lui-même pour
s’étendre à la région du temple en général». Elle note que, selon le Cambodge, «l’énoncé de cette
obligation dans le dispositif de l’arrêt indique que celle-ci doit être considérée comme une
obligation générale et continue incombant à la Th aïlande de ne pas pénétrer dans le territoire

cambodgien». - 2 -

La Cour observe également que, selon le Cambodge, sa compétence pour connaître d’une
demande en interprétation de l’un de ses arrêts est directement fondée sur l’article 60 du Statut qui

dispose que, «[e]n cas de contestation sur le sens et la portée de l’arrêt, il appartient à la Cour de
l’interpréter, à la demande de toute partie» et que, «au terme de sa requête, le Cambodge formule la
demande suivante :

«Etant donné «…que le temple de PréahVihéar est s itué en territoire relevant
de la souveraineté du Cam bodge» (point 1 du dispositif), ce qui est la conséquence
juridique du fait que le temple est situé du côté cambodgien de la frontière telle qu’elle
fut reconnue par la Cour dans son arrêt, et sur la base des faits et arguments juridiques

développés ci-dessus, le Cambodge prie resp ectueusement la Cour de dire et juger
que :

L’obligation pour la Thaïlande de «retirer tous les éléments de forces armées ou

de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a installés dans le temple ou dans ses
environs situés en territoire cambodgien» ( point2 du dispositif) est une conséquence
particulière de l’obligation générale et continue de respecter l’intégrité du territoire du
Cambodge, territoire délimité dans la région du temple et ses environs par la ligne de

la carte de l’annexe I sur laquelle l’arrêt de la Cour est basé».»

Demande en indication de mesures conservatoires (par. 6 à 11)

La Cour rappelle ensuite que, «le 28 avril 201 1, après avoir déposé sa requête, le Cam bodge,
se référant à l’article 41 du Statut et à l’article 73 du Règlement, a également déposé une demande
en indication de mesures conservatoires afin de «fai re cesser [l]es incursions [de la Thaïlande] sur

son territoire» en attendant que la Cour se prononce sur la demande en interprétation de l’arrêt
de1962»» et que, «dans sa demande en indication de mesures conservatoires, le Cambodge se
réfère au fondement de la compétence de la Cour invoqué dans sa requête».

La Cour fait état des affirmations du Cambodge selon lesquelles, «depuis le 22 avril 2011, de
graves incidents armés se sont produits dans la zone du temple de PréahVihéar, ainsi qu’à
plusieurs endroits situés le long de la frontière en tre le Cambodge et la Thaïlande». Elle relève
également que, selon le Cambodge, «la Thaïlande est à l’origine de ces incidents ». La Cour note

que, selon le demandeur, «ces incidents ont causé des pertes en vies humaines, des blessés, ainsi
que des évacuations de populations». La Cour relève aussi que «dans sa demande, le Cambodge
fait valoir que si celle-ci venait à être rejetée, et si la Thaïlande persistait dans son comportement,
les dommages causés au temple de PréahVihéar ainsi que les souffrances et les pertes en vies

humaines qui résultent de ces affrontements s’ac centueraient». La Cour précise que, selon le
Cambodge, «[l’]urgence s’impose, aussi bien pour sa uvegarder [s]es droits…en attendant que la
Cour se prononce ⎯droits qui portent sur sa souveraineté, son intégrité territoriale, ainsi que sur

l’obligation de non-ingérence de la Thaïlande ⎯ que pour éviter l’aggravation du différend».

La Cour rappelle que, «au term e de sa d e mande en indication de mesures conservatoires, le
Cambodge [la] prie de bien vouloir indiquer les mesures suivantes jusqu’au prononcé de son arrêt

sur la demande en interprétation: i)«un retra it immédiat et inconditionnel de toutes les forces
thaïlandaises des parties du territoire cambodgien dans la zone du temple de PréahVihéar»;
ii)«l’interdiction de toute activité militaire de la Thaïlande dans la z one du temple de Préah
Vihéar»; et iii) «l’abstention de tout acte ou acti on de la part de la Thaïlande qui pourrait entraver

les droits du Cambodge ou aggraver le différend dans l’instance au principal». Elle précise que le
demandeur la prie également, «en raison de la gravité de la situation, de bien vouloir examiner de
toute urgence sa demande en indication de mesures conservatoires». - 3 -

La Cour expose ensuite succinctement l’historique de la procédure (par. 12 à 17).

La Cour note qu’au terme de son second tour d’observations orales le Royaume de Thaïlande
l’a priée «de rayer de son rôle l’instance introduite par le Royaume du Cambodge le 28 avril 2011».

2. Contestation sur le sens et la portée de l’arrêt de 1962 e t compétence de la Cour

(par. 19 à 32)

La Cour observe d’abord que, lorsqu’elle est saisie d’une demande en indication de mesures
conservatoires dans le cadre d’une procédure en interprétation d’un arrêt en vertu de l’article 60 du

Statut, [elle] doit déterminer si les conditions auxquelles elle peut, aux termes de cet article,
connaître d’une demande en interprétation, paraissent être remplies.

La Cour rappelle que l’article 60 est ainsi libellé : «L’arrêt est définitif et sans recours. En

cas de contestation sur le sens et la portée de l’arrêt, il appartient à la Cour de l’interpréter, à la
demande de toute partie», et que cette disposition est complétée par l’article 98 du Règlement, qui
précise en son paragraphe 1 : «En cas de contestation sur le sens ou la portée d’un arrêt, toute partie
peut présenter une demande en interprétation…».

La Cour relève, au paragraphe 21 de son ordonnance, «que la compétence que l’article 60 du
Statut [lui] confère…n’est subordonnée à l’existe nce d’aucune autre base ayant fondé, dans
l’affaire initiale, sa compétence à l’égard des parties» et «qu’il s’ensuit que, même si la base de

compétence invoquée dans la première affair e est devenue caduque, la Cour, en vertu de
l’article 60 du Statut, peut néanmoins connaître d’une demande en interprétation dès lors qu’existe
une «contestation sur le sens et la portée» de tout arrêt rendu par elle». La Cour précise néanmoins

qu’elle «ne peut indiquer des mesures conser vatoires dans le cadre d’une procédure en
interprétation d’un arrêt que si elle constate qu’il semble prima facie exister une «contestation» au
sens de l’article60 du Statut». Elle ajoute « qu’elle n’a pas besoin de s’assurer de manière
définitive, à ce stade, qu’une telle contestation existe».

La Cour rappelle qu’une contestation au sens de l’article 60 du Statut doit être comprise
comme une divergence d’opinions ou de vues entre les parties quant au sens et à la portée d’un
arrêt rendu par la Cour, et que l’existence d’une telle contestation n’exige pas que soient remplis

les mêmes critères que ceux qui déterminent l’exis tence d’un différend visé au paragraphe2 de
l’article 36 du Statut.

Après avoir fait observer «qu’il est constant qu ’une contestation au sens de l’article 60 du

Statut doit porter sur le dispositif de l’arrêt en cause et ne peut concerner les motifs que dans la
mesure où ceux-ci sont inséparables du disposit if», la Cour précise qu’il lui revient alors de
«rechercher si une contestation entre les Parties, au sens de l’article 60 du Statut, paraît exister en
l’espèce». Elle rappelle les positions adoptées par les parties (paragraphes 25 à 30 de

l’ordonnance) et conclut que, à la lumière de ces positions, «une divergence d’opinions ou de vues
paraît exister entre elles sur le sens et la port ée de l’arrêt de1962». La Cour dit que cette
divergence paraît porter, i) «tout d’abord, sur le sens et la portée de l’expression «environs situés en
territoire cambodgien» utilisée au deuxième paragraphe du dispositif de l’arrêt»; ii)«ensuite, sur la

nature de l’obligation imposée à la Thaïlande, dans le deuxième paragraphe du dispositif de l’arrêt,
de «retirer tous les éléments de forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens», et
notamment sur le point de savoir si cette obliga tion est de caractère continu ou instantané»; et
iii) «finalement, sur la question de savoir si l’arrêt a ou non reconnu avec force obligatoire la ligne

tracée sur la carte de l’annexe I comme représentant la frontière entre les deux Parties». La Cour
rappelle que «la Cour permanente de Justice internationale a déjà eu l’ occasion d’indiquer qu’une
divergence de vues sur la question de savoir si tel ou tel point a été décidé avec force obligatoire
constitue, elle aussi, un cas qui rentre dans le cadre de l’article 60 du Statut». - 4 -

Ayant conclu «qu’une contestation paraît ainsi exister entre les Parties quant au sens et à la
portée de l’arrêt de1962 et [qu’elle] paraît dès lors pouvoir connaître, en vertu de l’article60 du

Statut, de la demande en interprétation dudit arrêt présentée par le Cambodge», la Cour estime,
«par conséquent, [qu’elle] ne saurait faire droit à la demande de la Thaïlande tendant à la radiation
de la présente instance du rôle» et «qu’une base su ffisante existe pour qu[’elle] puisse indiquer les
mesures conservatoires sollicitées par le Cambodge, si les conditions requises à cet effet sont

remplies».

La Cour examine ensuite les conditions requi ses pour l’indication de mesures conservatoires
(par. 33 à 56).

3.Caractère plausible des droits allégués da ns l a demande principale et lien entre
ces droits et les mesures demandées (par. 33 à 45)

Après avoir relevé «que le pouvoir d’indique r des mesures conservatoires qu[ ’elle] tient de
l’article41 de son Statut a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en attendant
qu’elle rende sa décision» et «qu’il s’ensuit [qu’ elle] doit se préoccuper de sauvegarder par de

telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement
reconnaître à l’une ou à l’autre des parties», la Cour indique, d’une part, qu’elle «ne peut exercer ce
pouvoir que si les droits allégués par une partie apparaissent au moins plausibles» et, d’autre part,
«que, dans une procédure au titre de l’article 60 du Statut, cela suppose que les droits que la partie

sollicitant des mesures conservatoires prétend faire découler de l’arrêt en cause à la lumière de
l’interprétation qu’elle do nne de celui-ci apparaissent au moins plausibles». La Cour note par
ailleurs «qu’un lien doit être établi entre les dr oits allégués et les mesures conservatoires
sollicitéesaux fins de les protéger» et que, «dans une procédure au titre de l’article60 du Statut,

cela suppose que les mesures conservatoires demandées par une partie aient un lien avec les droits
qu’elle prétend faire découler de l’arrêt en cause à la lumière de l’interp rétation qu’elle donne de
celui-ci».

Caractère plausible des droits allégués dans la demande principale (par. 35 à 41)

Après avoir brièvement rappelé les positions des parties sur le caractère plausible des droits

allégués dans la dema nde principale (par. 35 et 36), la Cour estime «qu’il convient, à titre liminaire,
de préciser que l’article 60 du Statut ne soumet les demandes en interprétation à aucune condition
de délais». Elle souligne qu’elle «peut connaître d’une demande en interprétation dès lors
qu’existe une contestation sur le sens et la port ée d’un arrêt», et qu’«une telle contestation peut

parfaitement, en soi, trouver sa source dans des faits postérieurs au prononcé dudit arrêt». La Cour
considère qu’«à ce stade de la procédure, [e lle] n’a pas à se pronon cer définitivement sur
l’interprétation que le Cambodge av ance de l’arrêt de 1962 et sur les droits qu’il prétend en tirer».
Elle ajoute que, «pour les besoins de l’examen de la demande en indication de mesures

conservatoires, [elle] doit seulement rechercher si ces droits sont au moins plausibles».

La Cour rappelle ensuite que, «dans le dispositif de son arrêt de 1962, [elle] a notamment
déclaré que le temple de PréahVihéar était s itué en territoire relevant de la souveraineté du

Cambodge et que la Thaïlande était tenue de retirer tous les éléments de ses forces armées installés
dans le temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien». Elle relève «que
l’interprétation de l’arrêt de1962 que le Cambodge avance pour faire valoir ses droits ⎯ à savoir
le droit au respect de sa souverain eté sur la zone du temple de Préah Vihéar et à l’intégrité de son

territoire ⎯ consiste à affirmer que la Cour n’a pu parvenir à ces conclusions qu’après avoir
reconnu l’existence d’une frontière entre les deux Etats et constaté que le temple et ses «environs» - 5 -

se trouvaient du côté cambodgien de celle-ci». Le Cambodge allègue que l’expression «environs
situés en territoire cambodgien» inclut la zone qui entoure l’enceinte du temple et qu’il en résulte

«que la Thaïlande a l’obligation continue de ne pas porter atteinte à la souveraineté cambodgienne
sur cette zone».

La Cour conclut que «les droits revendiqués pa r le Cambodge, en tant qu’ils sont fondés sur

l’arrêt de1962, tel qu’il l’interp rète, sont plausibles», et elle pr écise que, si «cette conclusion ne
préjuge pas de l’issue de la procédure principale…, elle n’en est pas moins suffisante aux fins de
l’examen de la présente demande en indication de mesures conservatoires».

Lien entre les droits allégués et les mesures demandées (par. 42 à 45)

Après avoir brièvement rappelé les positions des parties sur ce point (par. 42 à 43), la Cour
rappelle que «dans le cadre d’une procédure en interprétation, [elle] est appelée à éclaircir le sens et

la portée de ce qui a été décidé avec force oblig atoire dans un arrêt». Elle observe «que le
Cambodge cherche à obtenir des éclaircissements sur le sens et la portée de ce qui a été décidé avec
force obligatoire dans l’arrêt de1962 en l’affaire du Temple de PréahVihéar (Cambodge

c. Thaïlande)», en la priant «de préciser le sens et la portée du dispositif de cet arrêt en ce qui
concerne l’étendue de sa souveraineté dans la zone du temple ( voir paragraphe5 [de
l’ordonnance])». Dans sa demande en indicatio n de mesures conservatoires (paragraphe11 de
l’ordonnance), le Cambodge, en attendant la décision définitive de la Cour, «sollicite précisément

la protection des droits à la souveraineté sur cette zone qu’il prétend tenir du dispositif de l’arrêt
de 1962». La Cour conclut que «les mesures conservatoires demandées visent ainsi à protéger les
droits que le Cambodge invoque dans sa demande en interprétation» et «que le lien requis entre les
droits allégués et les mesures sollicitées est partant établi».

4. Risque de préjudice irréparable ; urgence (par. 46 à 68)

La Cour rappelle tout d’abord qu’elle tient de l’article41 de son Statut «le pouvoir

d’indiquer de s mesures conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits
en litige dans une procédure judiciaire» et que son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires
«ne sera exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un

préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant [qu’elle] n’ait rendu sa décision
définitive». Il lui revient donc d’«examiner si, dans la présente instance, un tel risque existe».

La Cour rappelle ensuite les faits tels que rapportés par les Parties au cours de l’instance

(par. 48 à 52).

La Cour observe (par.53) qu’«à ce stade de la procédure, [ell e] est seulement appelée à
examiner si les circonstances portées à sa c onnaissance exigent l’indication de mesures
conservatoires». En l’espèce, elle constate «qu’il ressort du dossier de l’affaire que des incidents se

sont produits à diverses reprises entre les Parties dans la zone du temple de PréahVihéar». Elle
relève ainsi que, «depuis le 15juillet2008, des affrontements armés ont eu lieu et se sont
poursuivis dans cette zone, notamment entre le4 et le7février2011, causant des pertes en vies

humaines, des blessés et des déplacements de popul ations», et «que des dommages ont été causés
au temple et aux biens qui s’y rattachent». Elle note que, «le 14 février 2011, le Conseil de sécurité
a demandé qu’un cessez-le-feu permanent soit conclu entre les deux Parties et a apporté son soutien
à l’[Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ci-après l’«ANASE»)] pour trouver une solution

au conflit», et «que le président de l’ANASE a en conséquence proposé aux Parties de déployer des
observateurs le long de leur frontière, mais que cette proposition n’a toutefois pas été suivie
d’effets, faute d’accord entre les Parties sur les modalités de sa mise en Œuvre». La Cour ajoute
qu’«en dépit de ces tentatives de règlement pacifique du différend, un échange de tirs entre les

deux Parties s’est encore produit le 26 avril 2011 dans la zone du temple». - 6 -

La Cour observe (par.54) que «l’existence d’un cessez-le-feu «ne [la] prive…pas…des
droits et devoirs qui sont les siens dans l’affaire portée devant elle»» et «qu’elle n’a dès lors pas à

établir, à ce stade de la procédure, si le cessez-le-f eu verbal qui a été négocié le 28 avril 2011 entre
les commandants militaires des deux Parties couvre ou non la zone du temple de PréahVihéar».
Elle estime ensuite que «les droits que le Cambodge prétend détenir en vertu de l’arrêt de1962
dans la zone du temple pourraient subir un préjudice irréparable résultant des activités militaires

dans cette zone et, en particulier, des pertes en vies humaines, des atteintes à l’intégrité physique
des personnes et des dommages infligés au temple ainsi qu’aux biens qui s’y rattachent». Après
avoir constaté «qu’il existe des prétentions concurrentes sur le te rritoire entourant le temple» et
«que la situation dans la zone du temple de PréahVihéar demeure instable et pourrait se

détériorer», la Cour estime «qu’en raison des tensions persistantes et de l’absence de règlement du
conflit, il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits
revendiqués par le Cambodge». Elle conclut ainsi qu’il y a urgence en l’espèce.

La Cour en déduit, d’une part, qu’elle peut indiquer des mesures conservatoires, ainsi qu’il
est prévu à l’article 41 de son Statut, et que les circonstances de la présente espèce exigent qu’elle
le fasse. Elle relève, d’autre part, qu’elle tie nt de son Statut «le pouvoir d’indiquer des mesures
totalement ou partiellement différentes de celle s sollicitées, ou des mesures qui s’adressent à la

partie même dont émane la demande, comme il ressort du paragraphe 2 de l’article75 du
Règlement». Elle rappelle «qu’elle a déjà exercé ce pouvoir en plusieurs occasions», et précise
que, lorsqu’elle indique des mesures conservatoires à l’effet de sauvegarder des droits déterminés,

elle dispose aussi, «indépendamment des demandes des parties, … du pouvoir d’indiquer des
mesures conservatoires en vue d’empêcher l’a ggravation ou l’extensi on du différend quand elle
estime que les circonstances l’exigent».

Après avoir examiné la teneur des mesures dema ndées par le Cambodge, la Cour «n’estime

pas que, dans les circonstances de l’espèce, les mesures à indiquer doivent être identiques ou se
limiter à celles demandées par [celui-ci]». Ayant analysé les éléments qui lui ont été soumis,
«[elle] juge opportun d’indiquer des mesures adressées aux deux Parties».

La Cour souligne «que la z one du temple de Préah Vihéar a été le théâtre d’affrontements
armés entre les Parties et [qu’elle] a déjà cons taté que ces affrontements risquaient de se
reproduire». Elle estime qu’il lui revient (par. 61) «de s’assurer, dans le cadre de la présente

procédure, que des dommages irréparables ne seront causés ni aux personnes ni aux biens dans
cette zone jusqu’au prononcé de son arrêt sur la demande en interprétation» . Elle en conclut que,
«aux fins d’empêcher la survenance d’un dommage irréparable, il convient d’exclure
provisoirement toute présence de forces armées dans une zone entourant la zone du temple, sans

préjudice de l’arrêt qu[’elle] rendra sur la demande en interprétation présentée par le Cambodge».

La Cour poursuit en indiquant qu’elle «estime né cessaire, aux fins de protéger l es droits qui
sont en cause dans la présente procédure, de définir une zone qui devra provisoirement être

exempte de toute présence militaire, sans préjudice de l’administration normale, y compris de la
présence des personnels non militaires nécessaires à la sécurité des personnes et des biens». Elle
définit ensuite cette zone démilitarisée provisoire (voir par. 62 et croquis joint à l’ordonnance et en
annexe au présent résumé) et dit que «les deux Parties devront, pour se conformer à la présente

ordonnance, retirer toutes les forces armées actuellement présentes dans la zone ainsi définie [et]
que les deux Parties devront s’abstenir non seuleme nt de toute présence militaire dans cette zone
démilitarisée provisoire, mais aussi de toute activité armée dirigée à l’encontre de ladite zone»
(par. 63).

La Cour dit également (par.64) que «les de ux Parties devront p oursuivre la coopération
qu’elles ont engagée dans le cadre de l’ANASE et permettre notamment aux observateurs mandatés
par cette organisation d’accéder à la zone démilitarisée provisoire». - 7 -

La Cour précise (par.65) qu’il n’est pas contesté que le temple de PréahVihéar lui-même
appartient au Cambodge, que «le Cambodge doit, en toutes circonstances, avoir libre accès au

temple et qu’il doit pouvoir y ravitailler son personnel non militaire»; la Thaïlande doit, par
conséquent, «prendre toutes les mesures qui seraient nécessaires pour ne pas faire obstacle à un tel
accès libre et ininterrompu».

La Cour rappelle alors aux Parties, i) que «l a Charte des Nations Unies fait obligation à tous
les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies de s’abstenir dans leurs relations
internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale
ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de to ute autre manière incompatible avec les buts des

Nations Unies» ; ii) que «les Etats Membres de l’Organisation sont également tenus de régler leurs
différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité
internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger» ; et iii) que «les deux Parties sont
tenues, en vertu de la Charte et du droit inte rnational général, de respecter ces principes

fondamentaux du droit international».

La Cour souligne enfin que ses ordonnances «indiquant des mesures conservatoires au titre
de l’article 4 [de son Statut] ont un caractère obligatoire» et qu’elles créent donc «des obligations

juridiques internationales que les deux Parties s ont tenues de respecter». Elle ajoute qu’une
décision rendue en la présente procédure relative à la demande en indication de mesures
conservatoires «ne préjuge aucune question dont [elle] aurait à connaître dans le cadre de l’examen
de la demande en interprétation».

Dispositif (par. 69)

Le texte intégral du dernier paragraphe de l’ordonnance se lit comme suit :

m«Ptfs,

L A C OUR ,

A) A l’unanimité,

Rejette la demande du Royaume de Th aïlande tendant à la radiation du rôle de la Cour de

l’instance introduite le 28 avril 2011 par le Royaume du Cambodge ;

InBi)que à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :

1) Par onze voix contre cinq,

Les deux Parties doivent, immédiatement, retirer leur personnel militaire actuellement
présent dans la zone dém ilitarisée provisoire, telle que définie au paragraphe62 de la présente

ordonnance, et s’abstenir de toute présence militaire dans cette zone et de toute activité armée
dirigée à l’encontre de celle-ci ;

POUR : M. Tomka, vice-président; MM.Koroma, Simma, Abraham, Keith, Bennouna,

Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Owada, président ; M. Al-Khasawneh, Mmes Xue, Donoghue, juges ; M. Cot,
juge ad hoc ;

2) Par quinze voix contre une,

La Thaïlande ne doit pas faire obstacle au libre accès du Cam bodge au tem ple de
Préah Vihéar ni à la possibilité pour celui-ci d’y ravitailler son personnel non militaire ; - 8 -

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM.Koroma, Al-Khasawneh,
Simma, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood,

Mme Xue, juges ; MM. Guillaume, Cot, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Donoghue, juge ;

3) Par quinze voix contre une,

Les deux Parties doivent poursuivre la coopération qu’elles ont engagée dans le cadre de
l’ANASE et permettre notamment aux observateurs mandatés par cette organisation d’accéder à la

zone démilitarisée provisoire ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM.Koroma, Al-Khasawneh,

Simma, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood,
Mme Xue, juges ; MM. Guillaume, Cot, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Donoghue, juge ;

4) Par quinze voix contre une,

Les deux Parties doivent s’abstenir de toutacte qui risquerait d’ aggraver ou d’ étendre le

différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM.Koroma, Al-Khasawneh,
Simma, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood,

Mme Xue, juges ; MM. Guillaume, Cot, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Donoghue, juge ;

C) Par quinze voix contre une,

Décide que chaque Partie informera la Cour de la manière dont elle assurera l’exécution des
mesures conservatoires ci-dessus indiquées ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM.Koroma, Al-Khasawneh,
Simma, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood,
Mme Xue, juges ; MM. Guillaume, Cot, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Donoghue, juge ;

D) Par quinze voix contre une,

Décide que, jusqu’à ce que la Cour rende son arrêt sur la demande en interprétation, elle
demeurera saisie des questions qui font l’objet de la présente ordonnance.

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM.Koroma, Al-Khasawneh,
Simma, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood,
Mme Xue, juges ; MM. Guillaume, Cot, juges ad hoc ;

CONTRE : Mme Donoghue, juge.» - 9 -

M. le juge WADA , président, joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente ; M. le

juge K OROMA joint une déclaration à l’ordonnance; M.le juge A L-KHASAWNEH joint à
l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente; M.le juge C ANÇADO T RINDADE joint à
l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; Mmes les UEget DONOGHUE joignent à

l’ordonnance les exposés de leur opinion dissidente; M.le juge ad GoUILLAUME joint une
déclaration à l’ordonnance; M.le juge ad hCOT joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion
dissidente.

___________ croquis de la zone démdilitarisée provisoire teldle qu’identifiée par lad cour

Ce croquis a été éytabli à seule fin yd’illustration

104°37'E 104°37'30"E 104°38'E 104°38'30"E 104°39'E 104°39'30"E 104°40'E 104°40'30"E 104°41'E 104°41'30"E 104°42'E 104°42'30"E 104°43'E 104°43'30"E

THAÏLANDE

14°26'N

14°25'30"N

400 300 200
C D
14°25'N
400

300
500
500 200

14°24'30"N

6 0 0

500

14°24'N
400
B 300
500
200 400
300

14°23'30"N 3 0 0 5 0 00 0 200
2 0 0 4 0 0
Temple de

Préah Vihéar

14°23'N

A

14°22'30"N

zone démilitarisée prpovisoire
route

piste
14°22'N sentier

(an€ien‚ es€alier
€ourƒes de niveau„ pé…uidistan€e de 20 pm
0 0.55 1 2 km
Système géodésique WyGS84 CAMBODGE
Altitudes exprimées yen mètres par rapport yau niveau moyen de lya merOpinion dissidente de M. le président Owada

Dans son opinion dissidente, le présidentOwada , s’il souscrit à la décision de la Cour de
prescrire l’établissement d’une zone démilitari sée provisoire aux fins d’un désengagement
militaire, déclare être en désaccord avec la délimi tation concrète de cette zone effectuée par la

Cour.

Il est en effet demandé à toutes les forces armées de se retirer, dans l’attente de la décision
finale quant au fond en l’instance principale, d’une zone qui, telle que la Cour l’a définie, s’étend à

certaines portions de territoires des Parties dont la souveraineté n’est pas contestée. Or, dans des
affaires comparables, également marquées par un risq ue de conflit armé dans la zone en cause, la
Cour s’est par le passé bornée, en indiquant des mesures conservatoires, à prescrire aux parties de
retirer leurs forces, en principe, de «la zone en litige». Le présidentOwada estime que, pour

compréhensible que soit sa crainte de voir éclat er un conflit armé ayant pour objet la zone
entourant le temple de PréahVihéar, la Cour ne devrait pas fixer la zone démilitarisée provisoire
par référence au quadrilatère défi ni dans l’ordonnance, ni n’est d’ailleurs, dans les limites de la
compétence qui est la sienne en la présente espèce, fondée à le faire. En outre, les Parties seraient,

selon lui, davantage à même de donner effet à cette zone démilitarisée si la Cour la circonscrivait
au territoire (d’environ 4,6km²) en litige entre elles, les deux Etats pouvant aisément, sur place,
déterminer les limites de cette zone, en se référant à leurs revendications de frontière respectives.

Déclaration de M. le juge Koroma

Dans sa déclaration, le juge Koroma déclare avoir voté en faveur de l’ordonnance de la Cour,
mais souligne que la zone démilitarisée qui s’y trouve établie revêt un caractère provisoire et

qu’elle ne préjuge en aucun cas le sort de la requê te soumise à la Cour. L’ordonnance, estime-t-il,
vise à empêcher qu’aient lieu entre les Parties de nouveaux affrontements armés susceptibles de
porter atteinte aux droits de l’une ou de l’autre tandis que l’affaire demeure pendante devant la
Cour.

Le juge Koroma indique que, en arrêtant les modalités exactes des mesures conservatoires
qu’elle prévoit d’indiquer, la Cour doit tenir compte de l’existence, de la nature et de l’ampleur de
tout conflit armé entre les Parties. Selon lui, la Cour doit également apprécier le risque de voir les

hostilités reprendre en cours d’instance. Le juge Koroma relève que, dans d’autres affaires mettant
en jeu un conflit armé, la Cour a indiqué des me sures conservatoires similaires à celles qu’elle a
prescrites en la présente instance pour préserver les droits des Parties. En l’espèce, ajoute-t-il, les
éléments de preuve soumis à la Cour ont permis d’établir que d es incidents armés répétés avaient

eu lieu entre les deux Etats, y compris des bombard ements à l’artillerie lourde — d’où la décision
de la Cour de créer une zone démilitarisée provisoire suffisamment étendue pour réduire au
minimum le risque de nouveaux bombardements et affrontements armés.

Le juge Koroma conclut que l’ordonnance de la C our doit être co mprise comme visant à
empêcher toute reprise du conflit armé entre les deux Parties et non comme tendant à préjuger la
requête dont la Cour est saisie.

Opinion dissidente de M. le juge Al-Khasawneh

Dans son opinion dissidente, lejugeAl-Kh asawneh expose les raisons pour lesquelles il a

voté contre le pointB1) du dispositif de l’ordonnance. S’il reconnaît que, en principe, toutes les
conditions voulues pour indiquer des mesures conser vatoires sont réunies dans la présente affaire,
le juge Al-Khasawneh se dissocie toutefois de la décision de la Cour d’établir une «zone
démilitarisée provisoire» dont les deux Parties se voient prescrire de retirer leur personnel militaire.

Selon lui, il s’agit là d’une mesure excessive et inutile, puisqu’il suffirait, pour protéger dûment et - 2 -

efficacement les droits auxquels les activités m ilitaires menées dans la zone du temple de
Préah Vihéar risquent de causer un préjudice irréparable, de prescrire aux deux Parties de s’abstenir

de toute activité militaire dans la zone du temple ou à l’encontre de celle-ci. Du reste, signale
lejugeAl-Khasawneh, en créant, sans auc un critère identifiable, une «zone démilitarisée
provisoire», la Cour prête le flanc à des accusations d’arbitraire, ce qu’elle aurait pu éviter en
limitant la portée des mesures conservatoires au strict nécessaire pour protéger les droits en jeu en

attendant l’arrêt définitif.

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

1. Le juge Cançado Trindade explique en introduction d’ une opinion individuelle composée
de douze parties que, étant donné la grande importa nce qu’il attache aux questions traitées par la
Cour dans la présente ordonnance, ou que celle-ci met en jeu, il éprouve la nécessité de livrer, dans

le cadre d’une affaire qu’il conçoit comme «transcendantale», les fondements de sa position
personnelle en la matière. Il le fait animé d’un sens du devoir da ns l’exercice de la fonction
judicaire internationale, et y est d’autant plus enclin que certains des enseignements qu’il tire de
cette ordonnance de la Cour ne s’y «trouvent pas exprimés et développés expressément» (partie I).

2. Après cette introduction, le juge CançadoTrindade décline sa réflexion autour des
thématiques suivantes : a) le passage du temps et la dimension claire-obscure du droit ; b) la densité

du temps; c) la dimension temporelle en droit international; d) la quête d’intemporalité; e) de
l’intemporalité au cadre temporel; f) le passage du temps et le clair-obscur de l’existence; g) le
temps, l’interprétation juridique et la nature de l’obligation juridique; h) du temps à l’espace: le
territoire et le peuple réunis; i) les effets des mesures conservatoires dans le cas d’espèce (visant

notamment la protection de la population dans un territoire, l’interdiction du recours à la menace ou
à l’emploi de la force, et la protection du pa trimoine culturel et spirituel de l’humanité); j) les
mesures conservatoires, au-delà d’une conception pu rement territorialiste; avant de conclure par
quelques k) considérations finales sub specie aeternitatis.

3. Le juge CançadoTrindade s’arrête tout d’abord s ur «les multiples facettes de la relation
entre le temps et le droit», une question qui révèle la dimension claire-obscure du droit

international ainsi, en définitive, que de l’existen ce elle-même, (partieII). Il met en garde contre
toute assomption d’une progression linéaire dans le domaine de la réglementation des relations
entre Etats, entre êtres humains, ou entre Etats et êtres humains. Les présentes demandes en
indication de mesures conservatoires et en in terprétation de l’arrêt rendu par la Cour le

15juin1962 en l’affaire du Temple de PréahVihéar témoignent du caractère factuellement
imprévisible des tentatives de règlement pacifique, comme pour nous dissuader de tenir pour acquis
tout progrès obtenu dans ces relations entre Etats, entre êtres humains, ou entre ceux-ci et ceux-là.

4. A cet égard, le jugeCançadoTrindade rappelle certains passages des plaidoiries
présentées à la Cour voici près de cinquante ans (à l’ occasion des audiences publiques de
mars 1962), puis en vient à l’examen de ce qu’il appe lle la «densité du temps», elle aussi portée à

l’attention de la Cour il y a un demi-siècle (par tieIII). Le temps n’ayant pas suspendu son vol,
mais poursuivant inexorablement son cours, le ju geCançadoTrindade passe en revue les faits
nouveaux (qui se sont produits dans les années 2000, 2007-2008 et 2011) soumis à la Cour dans le
cadre des deux demandes pendantes de vant elle. Selon lui, la di mension temporelle, dans la

présente affaire du Temple de PréahVihéar , peut s’apprécier sous différents angles, qu’il analyse
tout au long de son opinion individuelle. - 3 -

5. Pour le jugeCançadoTrindade, la di mension temporelle est de toute évidence
intrinsèquement liée à la notion de «développement progressif» du droit international. Dès lors, la

recherche consciente de nouvelles solutions juridiques passe par une bonne connaissance des
solutions retenues dans le passé et de l’évolution du droit applicable en tant que système ouvert et
dynamique, capable de répondre à des besoin s de réglementation changeants. De fait ⎯ ajoute le

juge Cancado Trindade ⎯, la dimension temporelle sous-tend t out l’édifice du droit en général, et
du droit international public en particulier. Le temps est un élément constitutif du droit, de son
interprétation et de son application, et de toutes les situations et relati ons humaines que celui-ci
régit. Le juge Cançado Trindade déplore ensuite les «écueils» auxquels mènent «inéluctablement»

la vision statique du positivisme juridique et la pensée «réaliste».

6. Selon lui, la notion de temps est mani festement très présente dans to ut le droit

international procédural. En droit matériel, la dimension temporelle se re trouve dans quasiment
toutes les branches du droit international public, co mme le droit des traités (réglementation pro
futuro), le règlement pacifique des différends internationaux (règlement pro futuro ), la succession
d’Etats, le droit international re latif aux droits de l’homme, ou en core le droit international de

l’environnement. Dans le domaine de la régl ementation des espaces (droit de la mer ou droit de
l’espace extra-atmosphérique, par exemple), la dimension temporelle est également très présente.
La conscience de la nécessité (garantie dans pl usieurs conventions multilatérales en vigueur) de
répondre aux besoins des générations actuelles et futures s’est aujourd’hui généralisée.

7. La présente affaire, axée sur le temple de Préah Vihéar, paraît au juge Cançado Trindade
avoir résisté à l’épreuve du temps et porter l’empreinte d’une certaine intemporalité. Monument de
e
l’art khmer, le temple date de la première moitié du XI siècle; il a été bâti pour traverser les
siècles, et pour répondre aux besoins spirituels des fi dèles de la région (partieV). Les temples et
les lieux saints ⎯ ajoute le juge Cançado Trindade ⎯, expressions de la foi dans les différentes
religions, ont été érigés en différents lieux et sur tous les continents, dans le cadre d’une quête

d’intemporalité, pour rendre éternelle la foi humaine en la gravant dans la pierre.

8. Les faits qui se sont récemment produits (2007-2 011) dans la région montrent que ce qui

devait être un monument symbole d’intemporalité est à nouveau en litige devant la Cour, ce qui
soulève, entre autres, la question du cadre temporel (partieVI). L’affaire du Temple de
Préah Vihéar se trouve à présent, un demi-siècle après avoir été tranchée par la Cour le
15juin1962, portée derechef à son attention, au moyen de deux demandes du Cambodge, dont

l’une vise à obtenir l’interprétation de l’arrê t de1962, et l’autre l’indication de mesures
conservatoires. Dans le cadre de la première, l’ Etat demandeur affirme que sa requête n’intervient
pas horsdélai, le droit de demander l’aide de la Cour pour régler l’affaire n’étant assorti d’aucun
délai à l’article 60 du Statut.

9. L’Etat défendeur, s’il reconnaît qu’aucun dé lai n’est effectivem ent fixé à l’article60,
soutient qu’une interprétation «renvoie» au texte de l’arrêt, tandis qu’une demande en indication de

mesures conservatoires, elle, «est tourn ée vers l’avenir», la «tension entre les
deux…s’exacerb[ant] davantage encore avec le te mps». Selon le jugeCa nçadoTrindade, le fait
que la Thaïlande et le Cambodge aient tous de ux jugé bon d’examiner, chacun à sa façon, la
question ⎯qui paraît les avoir fait réagir ⎯ du cadre temporel dans les circonstances de la

présente instance, rend cette affaire «réellement fascinante», en tant qu’elle montre «le visage
humain d’une affaire interétatique devant la Cour».

10. Selon le jugeCançadoTrindade, la présent e affaire semble contenir quelques
enseignements, pas forcément aisément intelligibles, en mati ère de «limites spatiales et - 4 -

temporelles», censées «non pas séparer, mais réunir les pays et leurs peuples». Le juge
Cançado Trindade note que «toutes les cultures, même les plus anciennes, sous les latitudes les plus

diverses, ont appréhendé, chacune à leur façon, le mystère du temps qui passe»; il n’est aucun
milieu social qui ne dispose de représentations coll ectives renvoyant à son orig ine et à son destin.
Un legs spirituel est transmis au fil du temps, de génération en générati on, constituant un «parfait
continuum spirituel entre les générations»; d’où l’importance de la conscience de vivre dans le

temps.

11. Le jugeCançadoTrindade ajoute que «le temps qui passe , ⎯source de désespoir pour

les uns ⎯ rapproche en réalité inéluctablement les vivants de leurs morts, les rattachant les uns aux
autres, et que la préservation de l’héritage spirituel de nos prédécesseurs constitue pour ceux-ci une
manière de communiquer avec les vivants, et vice-vers a» (partie VII). Il relève ensuite, s’agissant

du clair-obscur de l’existence elle-même, les distin ctions qui existent entre temps chronologique et
temps biologique, d’une part, et entre temps biologi que et temps psychologique, de l’autre. Le
temps des êtres humains leur apporte d’abord l’ innocence et l’espoir, pui s l’expérience et la
mémoire ; il «ne dissocie pas, mais relie, le début et la fin de l’existence humaine».

12. Le juge Cançado Trindade s’intéresse ensuite au temps dans son rapport à l’interprétation
juridique et à la nature de l’obligation juridique (partieVIII). A cet égard, il relève que, dans la
longue histoire du droit des gens, un demi-siècle peut paraître plus ou moins long, selon la manière

dont nous le percevrons, de «la période que nous aurons en tête. Tout sera fonction de la densité du
temps…de la période en question ⎯selon qu’elle aura été riche en événements ou qu’il ne s’y
sera absolument rien passé d’important.» On ne saurait perdre de vue le fait que le temps et

l’espace ne font pas partie du monde empirique ou réel ⎯ ajoute-t-il ⎯, mais relèvent de la
«constitution mentale» qui nous permet d’examiner et de comprendre les événements passés ou en
cours.

13. Le jugeCançado Trindade rappelle que, en ce q u i concerne l’interprétation juridique, le
Cambodge et la Thaïlande s’oppo sent quant à l’existence d’une obligation revêtant, pour l’un, un
caractère continu , pour l’autre, un caractère instantané . Dans une demande en indication de

mesures conservatoires telle que celle dont est saisie la Cour, se rapportant à une situation qui
semble satisfaire aux conditions préalables d’urgence et de gravité, ainsi que d’imminence et de
préjudice irréparable, la Cour ne peut tout si mplement refuser de répondre aux questions qui lui
sont soumises. Dans le cadre de relations interétatiques (en l’espèce entre le Cambodge et la

Thaïlande), lorsqu’est en jeu le principe fondamental de l’interdiction du recours à la menace ou à
l’emploi de la force ⎯comme c’est ici le cas ⎯, l’obligation correspondante est, pour les Etats
concernés, une obligation continue ou permanente (et non immédiate ou «instantanée»).

14. Le juge CançadoTrindade en vient ensuite à un autre aspect de l’affaire, délaissant ses
considérations relatives au rapport du droit au temps pour analyser le rapport du droit à l’espace. Il

se concentre sur l’«élément humain de la notion d’Etat: la population», qui commande de
s’intéresser au territoire et aux personnes (partieIX ). Il examine dans ce cadre les deux tours de
réponses du Cambodge et de la Thaïlande à la série de questions qu’il leur a posées au terme de
l’audience publique tenue le31mai2011, questions qui avaient trait aux conséquences, sur les

conditions de vie des habitants de la zone du temple de PréahVihéar, des incidents qui s’y sont
produits depuis le 22 avril 2011.

15. S’il relève que les réponses des Parties c onvergent sur certai ns points et divergent sur

d’autres, le juge Cançado Trindade estime que, bi en qu’«elles apportent quelques éclaircissements
et que la situation semble avoir é volué dans le bon sens, en ce qui concerne le retour volontaire et - 5 -

en toute sécurité des habitants dans leurs foyers, le calme demeure précaire et semble provisoire».
Il rappelle que le cessez-le-feu n’est que verbal, rien ne garantissant que les hostilités armées ne

reprendront pas et que la population ne sera pas de nouveau déplacée. Le cessez-le-feu «semble
être temporaire», et rien n’indique que le conflit n’éclatera pas de nouveau.
LejugeCançadoTrindade estime donc qu’en la présente affaire, «des mesures conservatoires
s’imposent afin d’empêcher ou d’ éviter une nouvelle aggravation du différend ou de la situation,

compte tenu du caractère de gravité, de l’urgence et du risque de préjudice irréparable que cette
situation présente déjà».

16. Le jugeCançadoTrindade fait observer, à cet égard, qu’il est pour ainsi dire devenu
courant de demander des mesures conservatoires afin d’empêcher ou d’éviter l’«aggravation» du
différend ou de la situation en cause. Cela se mble cependant «quelque peu tautologique», un
différend ou une situation nécessitant l’indication de mesures conservatoires revêtant déjà, par

définition, un caractère de gravité et d’urgence, dès lors qu’il implique un préjudice probable ou
imminent. En conséquence, il serait plus exact de solliciter l’indication de mesures conservatoires
en vue d’empêcher ou d’éviter d’aggraver plus encore le différend ou la situation en cause.

17. Le juge CançadoTrindade s’intéresse ensuite aux effets des mesures conservatoires
indiquées en l’espèce (partie X). Selon lui, le «droit international s’efforce, d’une certaine manière,
de faire Œuvre d’anticipation lorsqu ’il régit les faits sociaux, pour parer le désordre et le chaos,

ainsi que tout préjudice irréparable. C’est le droit lui-même et non le recours abusif à la force qui
est de nature anticipative». D’où la raison d’être des mesures co nservatoires: prévenir et éviter
que ne soit causé un préjudice irréparable dans des situations marquées au coin de la gravité et de
l’urgence. Pareilles mesures revêtent «un caractère préventif, en ce qu’ elles sont de nature

prospectives, tournées vers l’avenir» et reflèten t la dimension préventive de la sauvegarde des
droits.

18. Le juge CançadoTrindade estime que d’autres enseigne m ents peuvent être tirés de la
présente décision de la Cour en l’affaire du Temple de PréahVihéar en ce qui concerne: a) la
protection de la population vivant dans un territoire ; b) l’interdiction du recours à la menace ou à
l’emploi de la force; c) la protection du patrimoine mondial, culturel et spirituel. S’agissant du

premier point, le juge CançadoTrindade estime que «rien, d’un point de vue épistémologique,
n’empêche ou ne rend inapproprié d’étendre la protection offerte par des mesures conservatoires du
type de celles indiquées dans la présente ordonnance à la vie humaine ainsi qu’au patrimoine
mondial, culturel et spirituel». Au contraire, se lon lui, «les mesures conservatoires indiquées dans

la présente ordonnance ont ceci de positif que leur protection s’étend non seulement à la zone
territoriale en cause, mais aussi —par l’affirmation de l’interdiction du r ecours à la menace ou à
l’emploi de la force, conformément à ce qui constitue un principe fondamental du droit

international ... ⎯ à la vie et à l’intégrité d’êtres humains vivant ou se trouvant dans la zone
concernée, ou à proximité de celle-ci, ainsi qu’a u temple de PréahVihéar lui-même, situé dans
ladite zone, et à tout ce que le temple représente».

19. De l’avis du juge Cançado Trindade, la C our accorde toute l’attention voulue au respect
des principes fondamentaux du droit internationa l, tels que consacrés par la Charte des
Nations Unies (article 2) et pris en considération pa r le droit international gé néral, en particulier le
principe de l’interdiction du recours à la mena ce ou à l’emploi de la force (paragraphe4 de

l’article 2), ainsi que le principe de règlement pacifique des différends (paragraphe 3 de l’article 2).
Le jugeCançadoTrindade s’arrête tout partic ulièrement sur la reconnaissance de la «valeur
universelle» du temple de Préah Vihéar, que le co mité du patrimoine mondial a inscrit sur la liste

du patrimoine mondial de l’Unesco le 7 juillet 2008, en application des dispositions pertinentes de
la convention de1972 concernant la protection du partimoine mondi al, culturel et naturel. La - 6 -

protection offerte par les mesures conservatoires indiquées par la Cour s’étend donc également, en
l’espèce, au patrimoine mondial, culturel et spirituel.

20. Bien que la Cour ait, à cet égard, pris la bonne décision en établissant une «zone
démilitarisée provisoire dans les environs du tem ple de PréahVihéar», elle l’a fait, estime-t-il,

selon une approche traditionnelle et un «raisonneme nt réducteur», se souciant «principalement de
territoire, alors même que l’affaire qui lui est so umise [allait] bien au-delà». Or, au-delà d’une
approche strictement territoriale, le juge Cança doTrindade considère néc essaire, en matière de
protection, de prendre en compte ⎯ expressément ⎯ «le peuple et le territoire, ensemble »

(partie XI). La Cour devrait, selon lui, être au jourd’hui prête à accorder toute l’importance requise
à la dimension humaine.

21. Le juge Cançado Trindade ajoute que si l’on prend en outre en considération, aux fins de
l’indication de mesures conservatoires, la protection du patrimoine mondial, culturel et spirituel, la
situation qui en résulte n’en apparaît «que plus complexe et l’approche strictement territoriale
moins satisfaisante». Cela montre à quel point la protection offerte par des mesures conservatoires

peut, dans ces circonstances, être multidimensionne lle, allant bien au-delà de la souveraineté
territoriale d’un Etat pour englober territoires, peuples et valeurs humaines.

22. Les considérations finales du juge Cançado Trindade sont présentées «sub specie
aeternitatis», et portent en particulier sur la protection des besoins spirituels des êtres humains»
(partieXII). Le juge estime qu’existent, para llèlement aux préjudices matériels et moraux, des
«préjudices spirituels» ; et en contrepoint de la notion de préjudice au «projet de vie», il propose de

conceptualiser celle de préjudice au «projet de vie après la mort». Il déplore les incidents
récemment survenus dans la z one du temple de PréahVihéar, chef d’Œuvre de l’art et de
l’architecture khmers bâti dans la première moitié du XI esiècle afin de répondre aux aspirations
religieuses d’êtres humains.

23. Rappelant l’importance et les origines conceptuelles des religions ainsi que les
interactions entre celles-ci et entre les cultures, le juge CançadoTri ndade indique que le rapport,

dans ses différents aspects, entre les religions et le droit des gens lui-même a été l’objet d’une
attention constante au cours des quatre-vingt-dix dernières années et que l’intérêt pour cette
question perdure aujourd’hui encore. Selon lui, «l e patrimoine culturel et spirituel semble plus
relever d’une dimension humaine que de la dimension étatique tr aditionnelle, et paraît transcender

la dimension purement interétatique à laquelle la Cour est habituée».

24. Pour le juge CançadoTrindade, «au-delà des Etats se trouvent les êtres humains, qui

s’organisent en société et forment l’Etat. Celui-ci n’est pas, et n’a jamais été, conçu comme une fin
en soi, mais comme un moyen de régir et d’amélio rer les conditions de vie de la societas gentium ,
en gardant à l’esprit le principe d’humanité, entre autres principes fondamentaux du droit des gens,
de sorte à parvenir à la réalisation du bien commun . Au-delà des Etats, les titulaires ultimes du

droit à la sauvegarde et à la préservation du patrimoine culturel et spirituel sont les collectivités
humaines concernées, ou l’humanité dans son ensemble ».

25. De l’avis du juge CançadoTrinda de, l’affaire du Temple de PréahVihéar touche aux

«valeurs humaines suprêmes, dont la protection n’est pas in connue du droit des gens, bien qu’elle
n’ait jusqu’à présent pas été suffisamment étudiée dans la jurisprudence et la doctrine
internationales». La présente ordonnance se rapporte directement à l’arrêt rendu le 15 juin 1962, il

y a un demi-siècle, en l’affaire du Temple de Préah Vihéar , en laquelle la Cour avait expressément - 7 -

indiqué, au paragraphe2 du dispos itif, que «la Thaïlande [était] tenue de retirer tous les éléments
de forces armées ou de police ou autres gardes ou ga rdiens qu’elle a[vait] in stallés dans le temple

ou dans ses environs [vicinity , en anglais] situés en territoire cambodgien». Le juge
Cançado Trindade fait observer que le temple demeure le point de référence par rapport auquel est
définie cette vicinity (du latin vicinitas ), et que la zone démilitarisée provisoire établie par la
présente ordonnance couvre le territoire voisin (vicinus) du temple.

26. Le juge Cançado Trindade conclut, en ce qui co ncerne le contrôle de l’exécution par les
Parties des mesures indiquées, que la protecti on offerte par la présente ordonnance s’étend aux

personnes vivant dans ladite z one et dans ses environs ainsi qu’au temple de PréahVihéar
lui-même ⎯ et à tout ce qu’il représente et qui lui est associé depuis des temps immémoriaux ⎯,
désormais considéré par l’Unesco comme faisant partie du patrimoine mondial, culturel et spirituel.
Il ajoute que «les cultures, comme les êtres humains, sont vulnérables et doivent être protégées.

L’universalité du droit internationa l repose sur le respect de la diversité culturelle». Le juge
CançadoTrindade se félicite que la Cour ait, pour la première fo is de son histoire, indiqué des
mesures conservatoires ayant, ainsi qu’il les perç oit, «si clairement une telle portée», ce qui est,
selon lui, «parfaitement en accord avec le jus gentium contemporain».

Opinion dissidente de Mme le juge Xue

Si elle souscrit à la décision de la Cour d’ indiquer des mesures conservatoires, le jugeXue
nourrit toutefois certaines réserves à l’égard du point B) 1) du dispositif de l’ordonnance, dans
lequel est établie une zone démilita risée provisoire. Une telle mesu re lui semble excessive, et le
juge Xue doute que la Cour ait exercé à bon escien t le pouvoir discrétionnaire dont elle dispose en

matière d’indication de mesures conservatoires.

Le jugeXue note que, dans toutes les affaires qui soit mettaient directement en jeu un
différend territorial soit avaient des i mplications de cet ordre, la Cour, lorsqu’elle a indiqué des

mesures conservatoires, a toujours confiné celles- ci aux territoires en litige, sans jamais aller
au-delà des zones en question. S’il lui est certe s loisible d’indiquer des mesures conservatoires
indépendamment des demandes formulées par les Par ties lorsque les circonstances l’exigent, le
jugeXue craint que la Cour n’ait usé quelque peu librement de son pouvoir discrétionnaire en

précisant les coordonnées de la zone démilitarisée provisoire et en étendant la portée des mesures
conservatoires à des territoires qui ne sont pas en litig e entre les Parties. Dans la même optique, le
juge Xue regrette que la Cour n’ait pas suffisa mment motivé sa décision d’adopter une telle zone,
entre autres mesures conservatoires, et, surtout, qu’elle n’ait pas indiqué pourquoi cette mesure

extraordinaire s’imposait dans les circonstances fa ctuelles de l’espèce. Le jugeXue craint en
particulier que le fait de délimiter une zone démilitarisée provisoire sur carte plane, sans une bonne
connaissance de la situation sur le terrain, ne donne lieu à des difficultés inattendues qui

desserviraient en réalité les intérêts légitimes des Parties.

Aux yeux du jugeXue, la Cour aurait pu se borner à prescrire aux Parties de s’abstenir de
toute activité militaire «dans la zone du tem ple», selon l’expression maintes fois utilisée de part et
d’autre, afin de préserver leurs droits respectifs dans le cadre de la procédure principale. Elle aurait

aussi pu suivre la pratique mise en Œ uvre dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina
Faso/République du Mali) en prescrivant aux Parties de déterminer par elles-mêmes, avec le
concours de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, les positions vers lesquelles leurs

forces armées devaient se replier, et en n’arrêtant elle-même, dans un second temps, ces positions
par voie d’ordonnance qu’à défaut d’un accord entre les deux Etats.

Enfin, le juge Xue fait observer que la Cour s’en est tenue jusqu’ici au principe énoncé dans

sa jurisprudence selon lequel, lorsqu’elle indique des mesures conservatoires, il doit exister un lien
entre les droits qui font l’objet de la procédure principale sur le fond et les mesures demandées. - 8 -

Les mesures conservatoires ici indiquées doivent logiquement se rattacher aux droits en jeu dans le
cadre de la procédure principale. Or, la zone démilitarisée provisoire établie au pointB)1) du

dispositif ne présente pas dans une mesure raisonnable ce lien nécessaire.

Opinion dissidente de Mme le juge Donoghue

Le juge Donoghue joint à l’ordonnance une opinion dissidente car, si elle partage l’avis de la
Cour selon lequel l’affaire ne devrait pas être rayée du rôle, elle ne souscrit pas aux mesures
conservatoires indiquées. Selon elle, il n’est en rien certain que le Statut autorise la Cour à

prescrire des mesures conservatoires dans le cadre d’une demande en interprétation dont elle n’est
fondée à connaître qu’au titre de l’article60 du Statut. Le jugeDonoghue estime que, même à
supposer que la Cour ait cette faculté, les mesures indiquées ce jour outrepassent les limites de sa
compétence, en particulier en ce qu’elles s’étende nt à des zones qui ne font pas l’objet de la

contestation. Elle conclut également que, da ns la présente ordonnance, la Cour reconnaît à
l’article 60 une portée autrement plus étendue qu’elle ne l’avait fait da ns le seul autre cas où, dans
une procédure en interprétation, elle a indiqué des mesures conservatoires (Demande en
interprétation de l’arrêt du 31mars2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains

(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique)) et que cette ordonnance
va beaucoup plus loin que celles rendues jusqu’à pr ésent dans le cadre de différends relatifs à des
zones frontalières. La compétence conférée à la Cour en vertu de l’article60 semblant perdurer
indéfiniment, sans que les Etats puissent s’y soustr aire, le juge Donoghue craint que l’ordonnance

rendue ce jour n’amène lesdits Etats à douter qu e la Cour respectera les limites posées à sa
compétence et, partant, ne les dissuade d’accepter cette dernière.

Déclaration de M. le juge ad hoc Guillaume

Le juge ad hoc Guillaume estime, comme la Cour, que les conditions requises pour l’octroi
de mesures conservatoires sont remplies en l’espèce. Il souligne dans cette perspective que la Cour

a compétence pour connaître à la fois du désaccord entre les Parties concernant l’interprétation du
paragraphe 2 de l’arrêt de 1962 et de celui relatif à l’autorité de la chose jugée des motifs de l’arrêt
pour ce qui est du tracé de la frontière entre les deux Etats.

Il expose les motifs pour lesquels il s’est rallié à la création d’une zone démilitarisée
relativement vaste et rappelle les garanties que la Cour a données au Cambodge en ce qui concerne
le temple lui-même : réaffirmation de la souveraineté cambodgienne ; obligation pour la Thaïlande
de ne pas faire obstacle au libre accès du Cambodge au temple; possibilité de stationner dans le

temple les personnels de police nécessaires à la sécurité des personnes et des biens.

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Cot

Dans son opinion dissidente, le juge ad hoc Jean-Pierre Cot constate qu’il est exceptionnel
que la Cour indique des mesures conservatoires à l’occasion d’un recours en interprétation. Le seul
précédent, en l’affaire Avena (ordonnance du 16juillet2008), n’est en rien comparable. Dans la
présente affaire, il s’agit d’un arrêt vieux de ci nquante ans, dont l’application n’a pas posé de

problème pendant des décennies. Or les mesures conservatoires limitent l’exercice de la
souveraineté territoriale des Etats. Le juge ad hoc Cot attire l’attention sur le danger de
détournement de procédure dans une telle hypothèse. Le requérant peut tenter de greffer une

nouvelle affaire ⎯recours en revision ou en non-exécution d’une décision antérieure ⎯ sur la
demande d’interprétation. De ce fait, l’exigence fondamentale du consentement des Parties à
l’instance, serait contournée. - 9 -

Le juge ad hoc Cot considère par ailleurs que la mesure conservatoire principale indiquée par
la Cour, l’institution d’une zone démilitarisée provisoire, est imprudente. Les Parties n’ont apporté

aucune précision sur les données topographiques et st ratégiques de l’affaire. Dans ces conditions,
tracer une zone démilitarisée provisoire relève d’une «stratégie en chambre» et conduit à indiquer
des mesures conservatoires qui risquent d’être in applicables sur le terrain. Le juge ad hoc Cot
aurait préféré que la Cour s’inspire du précédent de l’affaire du Différend frontalier

(BurkinaFaso/République du Mali) . La Chambre de la Cour, dans sa sagesse, avait constaté
l’absence de données lui permettant d’indiquer une mesure de désarmement et avait limité son
indication de mesures conservatoires au soutien apporté aux efforts de l’organisation régionale
concernée, la présidence indonésienne de l’ANASE dans l’instance actuelle.

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Résumé de l'ordonnance du 18 juillet 2011

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