Résumé de l'ordonnance du 15 octobre 2008

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14809
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Number (Press Release, Order, etc)
2008/4
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2008/4
Le 15 octobre 2008

Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie)

Demande en indication de mesures conservatoires

Résumé de l’ordonnance

La Cour commence par rappeler que, le 12 août2008, la Géorgie a déposé une requête
introduisant une instance contre la Fédération de Russie pour violations de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la
«CIEDR»).

La Cour relève que, dans sa requête, la Géorgie invoque, pour fonder sa compétence,
l’article 22 de la CIEDR, qui dispose que

«[t]out différend entre deux ou plusieurs Et ats parties touchant l’interprétation ou
l’application de la présente convention qui n’aura pas été réglé par voie de négociation

ou au moyen des procédures expressément pr évues par ladite convention sera porté, à
la requête de toute partie au différend, deva nt la Cour internationale de Justice pour
qu’elle statue à son sujet, à moins que es parties au différend ne conviennent d’un
autre mode de règlement».

La Cour note que, dans sa requête, la Géorgie fait notamment valoir que

«[l]a Fédération de Russie, par l’intermédiaire de ses organes et agents ainsi que
d’autres personnes et entités exerçant une autorité gouvernementale, et par
l’intermédiaire des forces séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie agissant sous sa

direction et son contrôle, a pratiqué, enouragé et appuyé la discrimination raciale
dans les régions géorgiennes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie en lançant des attaques
contre des personnes de souche géorgienne et d’autres groupes ethniques et en se
livrant à des expulsions massives de ces populations».

La Cour indique que, le 14a oût2008, la Géorgie a présenté une demande en indication de
mesures conservatoires, dans l’attente de son arrêt en l’instance, à l’effet de sauvegarder les droits
qu’elle tient de la CIEDR «s’agissant de protéger ses ressor tissants des violences à caractère
discriminatoire que leur infligent les forces mées russes opérant de concert avec des milices

séparatistes et des mercenaires étrangers». - 2 -

La Cour rappelle que, le 15 août2008, son président, se ré férant au paragraphe4 de
l’article 74 du Règlement, a adressé aux deux Parties une communication, les invitant instamment à

«agir de manière que toute ordonnance de la C our sur la demande en indication de mesures
conservatoires puisse avoir les effets voulus».

La Cour fait observer que, le 25août2008, la Géorgie, invoquant «l’évolution rapide de la

situation en Abkhazie et en Ossétie du Sud», a soumis une «demande en indication de mesures
conservatoires modifiée».

La Cour expose ensuite succinctement les arguments avancés par les Parties lors des

audiences publiques tenues les 8, 9 et 10 septembre 2008.

La Cour indique que, au terme de la procédure orale, la Géorgie l’a priée,

«dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire, d’indiquer d’urgence les mesures

conservatoires suivantes, aux fins d’évite r qu’un préjudice irréparable ne soit porté
aux droits que les personnes de souche géorgienne tiennent, respectivement, des
articles 2 et 5 de la CIEDR :

a) la Fédération de Russie prendra toutes l es mesures nécessaires pour faire en sorte
qu’aucune personne de souc he géorgienne ni aucune autre personne ne soit
soumise à des actes de violence ou de contrainte relevant de la discrimination

raciale, notamment sous la forme de meurtres ou menaces de meurtre, atteintes ou
menaces d’atteinte à l’intégrité physique, détentions illicites et prises d’otages,
destruction ou pillage de biens et autres actes accomplis dans le dessein de chasser
les personnes visées de leurs foyers ou de leurs villages en Ossétie du Sud, en

Abkhazie ou dans les régions géorgiennes adjacentes ;

b) la Fédération de Russie prendra toutes les mesures nécessaires pour empêcher que
des groupes ou des individus ne se livrent à l’encontre de personnes de souche

géorgienne à des actes de contrainte re levant de la discrimination raciale,
notamment sous la forme de meurtres ou menaces de meurtre, atteintes ou menaces
d’atteinte à l’intégrité physique, détentio ns illicites et prises d’otages, destruction
ou pillage de biens et autres actes a ccomplis dans le dessein de chasser les

personnes visées de leurs foyers ou de leurs villages en Ossétie du Sud, en
Abkhazie ou dans les régions géorgiennes adjacentes ;

c) la Fédération de Russie s’abstiendra de pr endre toute mesure portant atteinte au

droit des personnes de souche géorgienne de participer pleinement et sur un pied
d’égalité aux affaires publiques de l’Ossétie du Sud, de l’Abkhazie ou des régions
géorgiennes adjacentes.»

La Géorgie prie en outre la C our d’indiquer «d’urgence les mesures
conservatoires suivantes, dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire, aux fins
d’empêcher qu’un préjudice irréparable ne soit porté au droit au retour que les
personnes de souche géorgienne tiennent de l’article 5 de la CIEDR :

d) la Fédération de Russie s’abstiendra de prendre ou de soutenir toute mesure qui
aurait pour effet de priver les personnes de souche géorgienne ou toutes autres
personnes expulsées d’Ossétie du Sud, d’Ab khazie et de régions adjacentes en

raison de leur appartenance ethnique ou de leur nationalité de l’exercice de leur
droit de retourner dans leurs foyers d’origine ; - 3 -

e) la Fédération de Russie s’ abstiendra de prendre toute mesure, ou de soutenir toute
mesure prise par quelque groupe ou i ndividu que ce soit, qui entraverait ou

empêcherait l’exercice du droit dont peuvent se prévaloir les personnes de souche
géorgienne ou toutes autres personnes expulsées d’Ossétie du Sud, d’Abkhazie et
de régions adjacentes en raison de le ur appartenance ethnique ou de leur
nationalité de retourner dans ces régions ;

f) la Fédération de Russie s’abstiendra d’ad opter toute mesure portant atteinte au
droit des personnes de souche géorgienne de participer pleinement et sur un pied
d’égalité aux affaires publiques après leur retour en Ossétie du Sud, en Abkhazie et

dans les régions adjacentes».

La Géorgie a, au surplus, prié la Cour d’indiquer ce que suit :

«La Fédération de Russie s’abstiendra d’en traver, et elle permettra et facilitera,
la distribution de l’aide humanitaire à toutes les personnes se trouvant dans les
territoires qu’elle contrôle, indépendamment de leur appartenance ethnique.»

La Cour relève que, au terme de la procédure orale, la Fédération de Russie a résumé ainsi sa
position :

«Premièrement: le différend sur leque l le demandeur a aujourd’hui entendu

s’exprimer devant la Cour n’est mani festement pas un différend concernant la
convention de1965. Si un différend existait, il concernerait l’emploi de la force, le
droit humanitaire, l’intégrité territoriale, mais en aucune façon la discrimination
raciale.

Deuxièmement : même si le présent différend relevait de la convention de 1965,
les violations alléguées de cette convention ne sauraient relever des dispositions de
celle-ci, ne serait-ce que parce que les artic les2 et5 de la convention ne sont pas

d’application extraterritoriale.

Troisièmement: même si de telles violations s’étaient produites, elles ne
sauraient, fût-ce prima facie, être attribuables à la Russie, qui n’a jamais exercé et

n’exerce pas aujourd’hui, sur les territoires c oncernés, un contrôle tel que le seuil fixé
puisse être considéré comme franchi.

Quatrièmement: même si la conve ntion de1965 pouvait être applicable ⎯ ce

qui … n’est pas le cas ⎯, les prescriptions procédurales énoncées à l’article22 de
cette convention de 1965 ne sont pas remplies. Aucune preuve que le demandeur ait,
avant de saisir [la] Cour, proposé de négoc ier ou de recourir au mécanisme constitué
par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale n’a été produite ni

n’aurait pu l’être.

Cinquièmement: compte tenu de ces arguments, la Cour est manifestement
incompétente pour connaître de l’affaire.

Sixièmement : la Cour dût-elle, malgré tout, se déclarer compétente prima facie
pour connaître du différend, nous affirmons que le demandeur n’a pas démontré
qu’étaient remplis les critères essentiels à l’indication de mesures conservatoires.

Aucun élément de preuve crédible n’a ét é produit attestant l’existence d’un risque
imminent de dommage irrépa rable ou d’une quelconque urge nce. Les circonstances
de l’espèce n’appellent en rien l’indication de mesures conservatoires, compte tenu, - 4 -

notamment, de la procédure de règlement après conflit qui se déroule actuellement.
Par ailleurs, les mesures demandées ne tie nnent aucun compte d’un élément essentiel

aux fins de l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Cour, à savoir que les
événements d’août 2008 sont le résultat d’un emploi de la force par la Géorgie.

Enfin: les mesures conservatoires telles qu’elles ont été formulées dans les

demandes ne sauraient être indiquées puisqu’elles imposeraient à la Russie des
obligations dont celle-ci n’est pas en mesure de s’acquitter. La Fédération de Russie
n’exerce pas de contrôle effectif vis-à-vi s de l’Ossétie du Sud, de l’Abkhazie, ou
d’une quelconque autre région adjacente de la Géorgie. Les actes des organes de

l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie ou de personnes ou groupes de personnes à
caractère privé ne sauraient être attribués à la Fédération de Russie. Ces mesures, si
elles étaient indiquées, préjugeraient de l’issue de l’affaire.»

La Cour relève que la Fédération de Russie lu i a en conséquence demandé de rayer l’affaire
du rôle.

*

La Cour commence son exposé des motifs en fa isant observer que, en vertu de son Statut,

elle n’a pas automatiquement compétence pour connaître des différends juridiques entre les Etats
parties audit Statut ou entre les autres Etats admis à ester devant elle. En effet, l’un des principes
fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un différend entre des Etats sans que
ceux-ci aient consenti à sa juridiction.

La Cour ajoute que, en présence d’une demande en indication de mesures conservatoires,
point n’est besoin pour elle, avant de décider d’in diquer ou non de telles mesures, de s’assurer de
manière définitive qu’elle a compétence quant au f ond de l’affaire, mais qu’ elle ne peut indiquer

ces mesures que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une
base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée.

La Géorgie entendant, à ce stade de la procédure, fonder sa compétence exclusivement sur la

clause compromissoire contenue à l’article22 de la CIEDR, la Cour explique qu’elle doit
maintenant chercher à établir si la clause attributive de juridiction invoquée lui fournit
effectivement une base de compétence prima facie pour se prononcer sur le fond, lui permettant, si
elle estime que les circonstances l’exigent, d’indiquer des mesures conservatoires.

La Cour commence par établir que la Géorgie et la Fédération de Russie sont toutes deux
parties à la CIEDR. Elle note que la Géorgie a déposé son instrument d’adhésion le 2juin1999
sans l’assortir d’aucune réserve et que l’Union d es Républiques socialistes soviétiques (l’URSS) a

déposé son instrument de ratification le 4 février 196 9, en formulant une réserve à l’article 22 de la
convention, réserve qu’elle a cependant retirée le 8mars1989. La Cour ajoute que la Fédération
de Russie, en qualité de continuateur de la pers onnalité juridique de l’URSS, est partie à la CIEDR
sans réserve.

La Cour relève ensuite que les Parties s ont en désaccord sur le champ d’application
territorial des obligations incombant aux Etats pa rties en vertu de la CIEDR: la Géorgie avance
que la convention ne prévoit aucune limitation à son champ d’application territorial et que, en

conséquence, «les obligations incombant à la Russie en vertu de cet instrument s’étendent aux actes - 5 -

et omissions qui lui sont attribuables intervenus en territoire géorgien, et plus précisément en
Abkhazie et en Ossétie du Sud» ; la Fédération de Russie avance quant à elle que les dispositions

de la CIEDR n’ont pas d’applicabilité extraterritoriale et que, en particulier, les articles 2 et 5 de la
CIEDR ne peuvent régir la conduite d’un Etat hors de ses frontières.

La Cour fait observer que la CIEDR ne pré voit aucune limitation générale de son champ

d’application territorial et note en outre qu’en pa rticulier, ni son article2 ni son article5 ne
contiennent de limitation territoriale spécifique. La Cour en conclut que ces dispositions de la
CIEDR, à l’instar d’autres dispositions d’instru ments de même nature, paraissent généralement
applicables aux actes d’un Etat partie lorsque celui-ci agit hors de son territoire.

Relevant que la Géorgie avance que le différend concerne l’interprétation et l’application de
la CIEDR, et la Fédération de Russie qu’il porte en r éalité sur le recours à la force, les principes de
non-intervention et d’autodétermination et les violations du droit humanitaire, la Cour précise qu’il

lui appartient d’établir prima facie s’il existe un différend au sens de l’article 22 de la CIEDR.

Ayant examiné les arguments des Parties, la Cour conclut que celles-ci sont en désaccord sur
l’applicabilité des articles 2 et 5 de la CIEDR dans le contexte des événements d’Ossétie du Sud et

d’Abkhazie. En conséquence, un différend paraît ex ister entre elles quant à l’interprétation et à
l’application de la CIEDR. La Cour note, pa r ailleurs, que les actes allégués par la Géorgie
paraissent pouvoir porter atteinte à des droits conférés par la CIEDR, même si certains de ces actes
pourraient également être couverts par d’autres règles de droit international, notamment de droit

humanitaire. La Cour pense que ces éléments suffise nt à établir l’existence, entre les Parties, d’un
différend pouvant relever des di spositions de la CIEDR, condition nécessaire de sa compétence
prima facie au titre de l’article 22 de la convention.

La Cour se penche ensuite sur la question de savoir si les conditions procédurales prévues
par l’article 22 de la convention sont réunies. Elle rappelle que l’article 22 dispose qu’un différend
touchant l’interprétation ou l’application de la CI EDR peut être porté devant la Cour s’il n’a pas
«été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite

Convention». La Cour fait observer que la Géorgie avance que cette proposition ne se réfère pas à
des conditions qu’il faudrait épuiser avant que la Cour puisse être saisie du différend et affirme que
des discussions et négociations bilatérales sur les qu estions qui font l’objet de la convention ont eu
lieu entre les Parties. La Cour relève égalemen t que la Fédération de Ru ssie fait valoir qu’en

application de l’article 22 de la CIEDR, la te nue de négociations ou le recours aux procédures
prévues par la CIEDR est un préalable indispensable à sa saisine, qu’aucune négociation n’a eu lieu
entre les Parties sur des questions se rapportant à la CIEDR, et que la Géorgie n’a pas davantage

porté de telles questions à l’attention du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en
application des procédures prévues par la convention.

La Cour indique que, prise dans son sens natu rel, la formule «[t]out différend … qui n’aura
pas été réglé par voie de négociation ou au moye n des procédures expressément prévues» par la

convention, employée à l’article 22, ne donne pas à penser que la tenue de négociations formelles
au titre de la convention ou le recours aux procédures visées à l’article22 constituent des
conditions préalables auxquelles il doit être satisfait avant toute saisin e de la Cour. Selon celle-ci,

l’article 22 donne en revanche à penser que la Partie demanderesse doit avoir tenté d’engager, avec
la Partie défenderesse, des discussions sur des ques tions pouvant relever de la CIEDR. La Cour
relève qu’il ressort du dossier de l’affaire que de telles questions ont été soulevées à l’occasion de
contacts bilatéraux entre les Parties, et qu’elles n’ont manifestement pas été résolues par voie de

négociation avant le dépôt de la requête. Elle ajoute que dans plusieurs communications adressées
au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies les jours ayant précédé le dépôt de la
requête, ces mêmes questions ont été soulevées par la Géorgie et commentées par la Fédération de
Russie et que, dès lors, cette dernière était informée de la position de la Géorgie à cet égard. Elle

précise que le fait que la CIEDR n’ait pas été e xpressément mentionnée dans un contexte bilatéral
ou multilatéral ne fait pas obstacle à sa saisine sur le fondement de l’article 22 de la convention. - 6 -

A la lumière de tout ce qui précède, la Cour estime, prima facie, avoir compétence en vertu
de l’article22 de la CIEDR pour connaître de l’affaire dans la mesure où l’objet du différend

touche à «l’interprétation ou [à] l’application» de la convention.

La Cour relève que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de
l’article41 de son Statut a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en attendant

qu’elle rende sa décision, afin qu’un préjudice irréparable ne soit pas causé aux droits en litige dans
une procédure judiciaire. Elle ajoute que, lors de l’examen d’une telle demande, elle doit se
préoccuper de sauvegarder les droits que l’arrê t qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait
éventuellement reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur. Elle ajoute qu’un lien doit être

établi entre les droits allégués que les mesures c onservatoires sollicitées visent à protéger et l’objet
de l’instance pendante devant elle sur le fond de l’affaire.

Ayant rappelé les arguments des Parties à cet égard, la Cour note que les articles 2 et 5 de la

CIEDR visent à protéger les individus contre la discrimination raciale en faisant obligation aux
Etats parties de prendre certaines mesures qui s’y trouvent indiquées; que les Etats parties à la
CIEDR ont le droit d’exiger d’un Etat partie qu’il exécute les obligations spécifiques lui incombant
en vertu des articles2 et 5 de la convention; et qu’il existe un rapport de corrélation entre le

respect des droits des individus, les obligations incombant aux Etats parties en vertu de la CIEDR
et le droit des Etats parties à demander l’exécution de ces obligations. La Cour estime que les
droits que la Géorgie invoque dans sa demande en indication de mesures conservatoires (à savoir
les droits conférés par les articles 2 et 5 de la CIEDR) et qu’elle cherche à protéger en présentant

celle-ci possèdent un lien suffisant, aux fins de la procédure, avec le fond de l’affaire introduite par
elle. La Cour ajoute que ce sont les droits ains i revendiqués qui doivent retenir son attention dans
son examen de la demande en indication de mesures conservatoires.

La Cour précise ensuite que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de
l’article 41 de son Statut «présuppose qu’un préjudiceirréparable ne doit pas être causé aux droits en
litige dans une procédure judiciaire» et que ce p ouvoir ne sera exercé que s’il y a urgence,
c’est-à-dire s’il existe un réel ris que qu’une action préjudiciable aux droits de l’une ou de l’autre

Partie soit commise avant qu’elle n’ait rendu sa décision définitive.

La Cour relève que la Géorgie fait valoir que, «vu le comportement de la Fédération de
Russie en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions adjacentes, des mesures conservatoires

sont requises d’urgence», parce qu’«il existe un risque imminent de voir les personnes de souche
géorgienne [dans ces régions] brutalement expulsées, tuées, molestées, détenues de manière illicite
ou prises en otage, et leurs habitations et autres biens endommagés ou pillés», et qu’«[e]n outre, les

perspectives du retour des personnes de souche géorgienne qui ont été contraintes à prendre la fuite
se détériorent rapidement». La Géorgie avance également que «les droits en litige risquent de subir
un préjudice par définition irréparable», parce qu’«[ a]ucune satisfaction ni aucune indemnisation
ne pourront jamais réparer les formes extrêmes du préjudice qui leur a été porté».

La Cour indique que la Fédération de Russie soutient quant à elle que «la Géorgie n’a pas
établi que des droits opposables à la Russie en ve rtu des articles2 et5 de la CIEDR, aussi
largement puissent-ils être interprétés, sont expo sés à un «risque grave» de dommage irréparable».

S’agissant des événements du mois d’août 2008, la Fédération de Russie allègue que les «faits sur
lesquels il est raisonnablement pe rmis de se fonder» démentent qu ’un risque grave pèse sur les
droits maintenant invoqués par la Géorgie, arguant, premièrement, que les actions armées ont
entraîné «des pertes dans les rangs des forces arm ées de toutes les parties concernées, la mort de

civils de toutes origines ethniques ainsi qu’un dé placement massif de personnes de toutes origines
ethniques» et, deuxièmement, que «les actions armées ont aujourd’hui cessé, et [que] des civils de
toutes origines ethniques ont commencé à retourner dans les anciennes zones de conflit, quoique
pas encore dans toutes». La Fédération de Russie renvoie au cessez-le-feu annoncé le 12 août 2008

et aux six principes pour le règlement pacifique du conflit adoptés le même jour par les présidents
de la Fédération de Russie et de la République française et signés ensuite, entre les 13et - 7 -

16 août 2008, par le président de la Géorgie et les dirigeants de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie,
«par l’intermédiaire de la Russie et en présence de l’OSCE et de l’Union européenne». Elle

mentionne également les «démarches actives…devant l’OSCE…auprès de l’Union européenne
et du président Sarkozy» et note que les autres principes annoncés le 8 septembre 2008 prévoient le
déploiement de 200observateurs de l’Unioneuropéenne dans les zones tampon sud-ossète et
abkhaze et le retrait complet des forces de maintien de la paix russes.

La Cour souligne que, aux fins de sa déci sion sur la demande en indication de mesures
conservatoires, elle n’est pas appelée à établir l’ existence de violations de la CIEDR, mais à
déterminer si les circonstances exigent l’indication de mesures conservatoires à l’effet de protéger

des droits conférés par la convention. La Cour fait néanmoins observer que les droits en cause en
l’espèce, en particulier ceux énoncés à l’alinéa b) et au sous-alinéa i) de l’alinéa d) de l’article 5 de
la CIEDR, sont de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait être irréparable.

La Cour indique qu’elle est consciente du car actère exceptionnel et complexe de la situation
sur le terrain en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions adjacentes, et prend note des
incertitudes qui demeurent quant à la question de sa voir qui y détient l’autorité. Sur la foi des
informations versées au dossier de l’affaire, elle estime que la population de souche géorgienne qui

se trouve dans les régions touchées par le récent conflit demeure vulnérable. La Cour relève
également que la situation en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions adjacentes de
Géorgie est instable et pourrait changer rapideme nt. Etant donné les tensions existantes et
l’absence d’un règlement global du conflit dans cette zone, la Cour estime que les populations de

souche ossète et abkhaze demeurent également vulnérables. Elle ajoute que, s’il a été entrepris d’y
remédier, les problèmes des réfugiés et des personnes déplacées dans cette zone n’ont pas encore
été résolus dans leur totalité.

A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’il existe, s’agissant des groupes ethniques
susvisés, un risque imminent que les droits en cause subissent un préjudice irréparable.

La Cour rappelle que les Etats parties à la CIEDR «condamnent la discrimination raciale et

s’engagent à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à
éliminer toute forme de discrimination raciale». Selon elle, compte tenu des circonstances portées
à son attention, lesquelles se caractérisent par un risque grave que des actes de discrimination
raciale soient commis, la Géorgie et la Fédération de Russie ont manifestement l’obligation de faire

tout ce qui est en leur pouvoir pour veiller à ce que de tels actes ne se reproduisent pas, que ceux
commis dans le passé puissent ou non leur être juridiquement attribués.

La Cour expose qu’elle est convaincue que des mesures conservatoires doivent être

indiquées afin de protéger les droits conférés par la CIEDR qui constituent l’objet du différend.
Elle affirme que lorsqu’une demande en indicati on de mesures conservatoires lui a été présentée,
elle a le pouvoir, en vertu de son Statut, d’in diquer des mesures totalement ou partiellement
différentes de celles qui sont sollicitées, ou des m esures qui s’adressent à la partie même dont

émane la demande.

Ayant examiné la teneur des mesures demandées par la Géorgie, la Cour précise qu’elle
n’estime pas que, dans les circonstances de l’espèce, les mesures à indiquer doivent être identiques

à celles demandées par la Géorgie. Sur la base des éléments qui lui ont été soumis, elle juge
opportun d’indiquer des mesures à l’intention des deux Parties.

La Cour rappelle que ses ordonnances indiqua nt des mesures conser vatoires au titre de

l’article41 du Statut ont un caractère obligatoi re et créent donc des obligations juridiques
internationales que les deux Parties sont tenues de respecter. - 8 -

La Cour conclut en indiquant que de telles ordonnances ne préjugent en rien la question de
sa compétence pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la

requête ou au fond lui-même.

*

Le texte intégral du dernier paragraphe de l’ordonnance (par. 149) se lit comme suit :

mcotis,

L A C OUR , rappelant aux Parties leurs obligations d écoulant de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :

A. Par huit voix contre sept,

Les deux Parties devront, en Ossétie du Sud, en Abkhazie et dans les régions géorgiennes
adjacentes,

1) s’abstenir de tous actes de discrimination raciale contre des personnes, des groupes de

personnes ou des institutions ;

2) s’abstenir d’encourager, de défendre ou d’ap puyer toute discrimination raciale pratiquée par
une personne ou une organisation quelconque ;

3) faire tout ce qui est en leur pouvoir, chaque fois que, et partout où, cela est possible, afin de
garantir, sans distinction d’origine nationale ou ethnique

i) la sûreté des personnes ;

ii) le droit de chacun de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat ;

iii) la protection des biens des personnes déplacées et des réfugiés ;

4) faire tout ce qui est en leur pouvoir afin de garantir que les autorités et les institutions publiques
se trouvant sous leur contrôle ou sous leur influence ne se livrent pas à des actes de
discrimination raciale à l’encontre de peonnes, groupes de personnes ou institutions ;

POUR : Mme Higgins, président; MM.Buergenthal, Owada, Simma, Abraham, Keith,
Sepúlveda-Amor, juges ; M. Gaja, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Tomka,
Bennouna, Skotnikov, juges.

B. Par huit voix contre sept,

Les deux Parties faciliteront, et s’abstiendront d’entraver d’une quelconque façon, l’aide
humanitaire apportée au soutien des droits dont peut se prévaloir la population locale en vertu de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;

POUR : Mme Higgins, président; MM.Buergenthal, Owada, Simma, Abraham, Keith,
Sepúlveda-Amor, juges ; M. Gaja, juge ad hoc ; - 9 -

CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Tomka,
Bennouna, Skotnikov, juges ;

C. Par huit voix contre sept,

Chaque Partie s’abstiendra de tout acte qui ris querait de porter atteinte aux droits de l’autre

Partie au regard de tout arrêt que la Cour pourrait rendre en l’affaire, ou qui risquerait d’aggraver
ou d’étendre le différend porté devant elle ou d’en rendre la solution plus difficile ;

POUR : Mme Higgins, président; MM.Buergenthal, Owada, Simma, Abraham, Keith,

Sepúlveda-Amor, juges ; M. Gaja, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Tomka,

Bennouna, Skotnikov, juges ;

D. Par huit voix contre sept,

Chaque Partie informera la Cour de la manière dont elle assure l’exécution des mesures

conservatoires ci-dessus indiquées.

POUR : Mme Higgins, président; MM.Buergenthal, Owada, Simma, Abraham, Keith,

Sepúlveda-Amor, juges ; M. Gaja, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Tomka,
Bennouna, Skotnikov, juges.»

*

M. le juge Al-Khasawneh, vice-président, et MM. les juges Ranjeva, Shi, Koroma, Tomka,
Bennouna et Skotnikov ont joint à l’ordonnance l’e xposé de leur opinion dissidente commune;
M. le juge ad hoc Gaja a joint une déclaration à l’ordonnance.

___________ Annexe au résumé 2008/4

Opinion dissidente commune de M. le juge Al-Khasawneh, vice-président, et de
MM. les juges Ranjeva, Shi, Koroma, Tomka, Bennouna et Skotnikov

1. M.le juge Al-Khasawneh, vice-président , et MM.les juges Ranjeva, Shi, Koroma,

Tomka, Bennouna et Skotnikov ont voté contre l’ ordonnance car ils estiment que les conditions
nécessaires à l’indication de mesures conservatoires ne sont pas remplies en l’espèce.

2. Si l’indication de mesures conservatoires est un pouvoir inhérent à la fonction judiciaire,
les juges rappellent que la Cour doit s’assurer que les conditions nécessaires à leur indication sont
remplies. Ils rappellent que la Cour doit s’assurer qu’elle possède au moins la compétence
prima facie et que les critères du risque de préjudice irréparable et de l’urgence sont satisfaits. Ils

soulignent que les Parties sont en désaccord sur deux points, à savoir, d’une part, s’il existe un
différend entre elles «touchant à l’interprétation ou à l’application» de la c onvention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR), et, d’autre part, si la
condition préalable que le différend n’aura pas été réglé «par voie de négociation ou au moyen des

procédures expressément prévues par ladite convention» a é
té satisfaite.

3. Les juges, auteurs de l’opinion dissidente commune, estiment qu’un différend touchant à

l’application de la CIEDR doit ex ister préalablement à la saisine de la Cour. Cependant, ils ne
considèrent pas que les actes que la Géorgie attribue à la Fédération de Russie soient
nécessairement susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention. Ils poursuivent en
exprimant leur désaccord avec la majorité sur ce poi nt qui s’est, selon eux, contentée de constater

qu’un différend paraît exister sans que la preuve n’ait été apportée que les actes allégués par la
Géorgie entraient dans le champ d’application de la CIEDR.

4. S’agissant de la condition préalable de négociation posée à l’article22 de la CIEDR, les

auteurs de l’opinion dissidente commune contest ent la conclusion à laquelle est parvenue la
majorité, selon laquelle les contacts bilatéraux entre les Parties et les communications adressées au
Conseil de sécurité par la Géorgie remplissai ent la condition de négociation préalable. Ils

expliquent que de tels contacts doivent avoir porté sur la substance même de la CIEDR, soit sur son
interprétation ou son application et que la Cour aurait dû se dema nder si une négociation avait été
entamée et si, dans l’affirmative, elle était susceptible de conduire à un résultat.

5. S’agissant de la condition préalable de recours aux procédures pré
vues à l’article 22 de la
CIEDR, les auteurs de l’opinion dissidente commune rappellent que la Cour s’est contentée de
constater que ni la Géorgie ni la Fédération de Russie n’ont fait valoir que les questions en litige

avaient été portées à l’attention du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Ils
considèrent que l’interprétation de la majorité sur cette question ne confirme ni le sens ordinaire de
l’article 22, ni l’objet et le but qu’il poursuit, à savoir encourager le maximum d’Etats à souscrire à
la compétence de la Cour, avec l’assurance que les procédures prévues par la convention seront

d’abord sollicitées.

6. Les sept juges soulignent enfin qu’ils considèrent que l’ordonnance ne démontre ni
l’existence d’un quelconque risque de préjudice irréparable aux droits que la Géorgie tiendrait de la

CIEDR ni l’existence d’une situation d’urgence. Ils en déduisent que cette faiblesse trouve un écho
dans le dispositif, dans la mesure où la Cour demande finalement aux deux Parties de respecter la
convention, ce qu’elles sont en tout état de cause tenues de faire avec ou sans l’indication de

mesures conservatoires. - 2 -

Déclaration de M. le juge ad hoc Gaja

Dans sa déclaration, le juge ad hoc Gaja précise que, s’il a voté en faveur de l’indication de
toutes les mesures conservatoires, y compris celle s visées au point A du dispositif, il ne peut faire
sienne l’idée que les conditions justifiant d’adresser également ces mesures à l’Etat demandeur sont
remplies. L’Etat défendeur n’a pas prétendu que la conduite des autorités géorgiennes ou de

personnes, groupes ou institutions sous leur contrô le ou sous leur influence pourrait faire peser sur
les droits conférés par la CIEDR un risque de préjudice irréparable, en Abkhazie, en Ossétie du Sud
et dans les régions adjacentes, et la Cour ne four nit pas d’explication satisfaisante à l’appui de son
appréciation de ce risque (voir par. 143).

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Résumé de l'ordonnance du 15 octobre 2008

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