COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
Résumé 2007/2
Le 26 février 2007
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
Résumé de l’arrêt du 26 février 2007
Historique de la procédure et conclusions des parties (par. 1-66)
La Cour commence par rappeler oes différentes étapes de la procédure (l’historique figure
dans le communiqué de presse n 2006/9 du 27février2006). Elle rappelle également les
conclusions finales présentées par les Parties au cours de la procédure orale (voir le communiqué
de presse no2006/18 du 9 mai 2006).
Identification de la partie défenderessepar. 67-79)
La Cour identifie d’abord la partie défenderesse en l’espèce. Elle relève que, après la clôture
de la procédure orale, le président de la République de Serbie, par une lettre datée du 3 juin 2006, a
informé le Secrétaire général de l’Organisation des NationsUnies que, à la suite de la déclaration
d’indépendance adoptée par l’Asse mblée nationale du Monténégro le 3juin2006, «la République
de Serbie assure[rait] la conti nuité de la qualité de Membre de la communauté étatique de
Serbie-et-Monténégro au sein de l’Organisation des NationsUnies, y compris au sein de tous les
organes et organisations du système des NationsUn ies, en vertu de l’article60 de la charte
constitutionnelle de la Serbie-e t-Monténégro». Le 28juin2006, par sa résolution 60/264,
l’Assemblée générale a admis la République du Monténégro en tant que nouveau Membre de
l’Organisation des Nations Unies.
Après avoir examiné les vues exprimée s sur la question par l’agent de la
Bosnie-Herzégovine, l’agent de la Serbie-et-Monténégro et le procureur général du Monténégro, la
Cour observe que les faits et événements auxquels se rapportent les conclusions finales de la
Bosnie-Herzégovine remontent à une époque où la Serbie et le Monténégro formaient un seul Etat.
Elle relève que la Serbie a reconnu la «continuité entre la Serbie-et-Monténégro et la
République de Serbie», et accepté d’assumer la responsabilité à raison «[des] obligations découlant
des traités internationaux conclus par la Serbie-et-Monténégro», y compris donc les obligations
découlant de la convention sur le génocide. En revanche, le Monténégro ne prétend pas être le
continuateur de la Serbie-et-Monténégro.
La Cour rappelle que selon un principe fondamental aucun Etat ne peut être soumis à sa
juridiction sans y avoir consenti. Elle dit qu’ilrésulte clairement des événements relatés que la
République du Monténégro ne continue pas la pe rsonnalité juridique de la Serbie-et-Monténégro;
elle ne saurait donc avoir acquis, à ce titre, la qualité de partie défende resse dans la présente
instance. Par ailleurs, il ressort que le Monténégro ne consent pas à la compétence de la Cour, à - 2 -
son égard, aux fins du présent différend. En outre, le demandeur n’a pas prétendu que le
Monténégro serait toujours Partie à la présente espèce, se limitant à rappeler sa thèse d’une
responsabilité conjointe et solidaire de la Serbie et du Monténégro.
La Cour relève donc que la Ré publique de Serbie demeure défenderesse en l’espèce; à la
date du présent arrêt, elle c onstitue, en vérité, l’unique défe ndeur. En conséquence, toute
conclusion à laquelle la Cour parviendrait dans le dispositif du présent arrêt ne pourra être dirigée
qu’à l’endroit de la Serbie. Cela étant dit, la Cour rappelle toutefois que toute responsabilité établie
dans le présent arrêt à raison d’événements passés concernait à l’époque considérée l’Etat de
Serbie-et-Monténégro. Elle fait en outre observer qu e la République du Monténégro est partie à la
convention sur le génocide et que toute partie à celle-ci s’est engagée à respecter les obligations qui
en découlent, en particulier celle de coopérer aux fins de punir les auteurs d’un génocide.
La compétence de la Cour (par 80-141)
⎯ L’exception d’incompétence soulevée par le défendeur
La Cour procède à l’examen d’une importante question ayant trait à la compétence, soulevée
dans l’«Initiative présentée à la Cour aux fins d’ un réexamen d’office de sa compétence», déposée
par le défendeur en 2001 (dénommée ci-après l’«Initiative»). Elle explique que la question centrale
soulevée par le défendeur est la suivante: Assu rait-il la continuité de la République fédérative
socialiste de Yougoslavie (RFSY) au moment du dépô t de la requête introductive d’instance ? Le
défendeur répond aujourd’hui par la négative: ains i, non seulement n’aurait-il pas été partie à la
convention sur le génocide à la date de l’introduc tion de la présente instance, mais il n’aurait pas
non plus été partie au Statut de la Cour en qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies ;
n’étant pas partie au Statut, conclut-il, il n’avait pas accès à la Cour, laquelle n’avait de ce fait pas
compétence ratione personae à son égard.
La Cour rappelle les circonstances à l’origine de cette Initiative. En bref, la situation était
que le défendeur, qui, depuis la dissolution de la RFSY, en1992, soutenait qu’il assurait la
continuité de cet Etat et pouvait de ce fait cons erver la qualité de Membre de l’Organisation des
Nations Unies qui avait été celle de la RFSY, ava it, le 27 octobre 2000, demandé, «comme suite à
la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité», à être admis à l’Organisation en tant que nouveau
Membre, renonçant de ce fait à sa précédente prétention.
Afin d’éclaircir le contexte da ns lequel s’inscrivent ces questions, la Cour procède à un bref
récapitulatif de l’histoire des relations entre le défendeur et l’Organisation des NationsUnies
pendant la période allant de la dissolution de la RFSY à l’admission, en tant que nouveau Membre,
de la Serbie-et-Monténégro au sein de l’Organisation des Nations Unies, le 1 novembre 2000.
⎯ La réponse de la Bosnie-Herzégovine
La Cour fait observer que le demandeur soutie nt qu’elle ne doit pas examiner la question
soulevée par le défendeur dans son Initiative. La Bosnie-Herzégovine soutient tout d’abord que la
question de savoir si la RFY était Membre de l’ Organisation des NationsUnies aurait dû être
soulevée par le défendeur dès le stade des exceptions préliminaires, en1996, et que, celui-ci s’en
étant abstenu, le principe de l’autorité de la chose jugée, qui s’applique à l’arrêt de la Cour de 1996
sur ces exceptions, empêche cette dernière de re venir sur la question. La Bonsie-Herzégovine
affirme ensuite que la Cour elle-même, s’étant déclarée en1996 compétente en l’espèce, violerait
le principe de l’autorité de la chose jugée si e lle devait à présent se pro noncer autrement, et ne
saurait remettre en question l’autorité de ses décisions en tant que chose jugée. - 3 -
S’agissant de la première affirmation de la Bonsie-Herzégovine, la Cour note que si une
partie à une instance devant la Cour choisit de ne pas soulever une question de compétence en
usant de la procédure des exceptions préliminaires détaillée à l’article 79 du Règlement, cette partie
n’en est pas pour autant nécessairement privée du droit de soulever cette question au stade de
l’examen du fond.
La Cour ne juge pas nécessaire de se dema nder si le comportement du défendeur pourrait
être interprété comme valant acquiescement à sa compétence. Pareil acquiescement, s’il était
établi, pourrait se révéler pertinent aux fins de rechercher l’existence d’une compétence
consensuelle, mais pas aux fins de savoir si un Et at a la capacité d’être partie à une procédure
devant la Cour en vertu du Statut. La Cour relè ve que cette dernière question peut être considérée
comme préalable à celle de la compétence ratione personae, ou comme un élément constitutif de la
compétence ratione personae. Dans un cas comme dans l’autre, à la différence de la plupart des
questions de compétence, ce n’est pas du consentement des parties qu’il s’agit ici. Dès lors, quand
bien même le défendeur pourrait être considéré comme ayant accepté, en la présente espèce, la
compétence de la Cour, celle-ci n’en serait en aucune façon empêchée d’examiner et de trancher la
question susmentionnée. Le même raisonnement vaut pour l’argument selon lequel le défendeur se
trouverait, soit par application du principe d’estoppel , soit pour des considérations de bonne foi,
privé de la possibilité de soulever la question à ce st ade. La Cour en vient donc à l’examen de la
deuxième thèse avancée par la Bosnie-Herzégovine, laquelle consiste à affirmer que la question de
la capacité du défendeur à être partie à des affaires devant la Cour a déjà été tranchée avec
l’autorité de la chose jugée dans l’arrêt de 1996 concernant la compétence.
⎯ Le principe de l’autorité de la chose jugée
Après s’être penchée sur ses décisions antérieu res pertinentes, notamment son arrêt de 1996,
rendu en la présente affaire sur les exceptions prélim inaires, et celui de2003 rendu en l’affaire de
la Demande en revision , la Cour examine le principe de l’autorité de la chose jugée et son
application à l’arrêt de 1996.
La Cour rappelle que le princi pe de l’autorité de la chose jugée ressort des termes du Statut
de la Cour et de la Charte des Nations Unies. Selon ce principe, les décisions de la Cour sont non
seulement obligatoires pour les par ties, mais elles sont définitives, en ce sens qu’elles ne peuvent
être remises en cause par les parties pour ce qui es t des questions que ces décisions ont tranchées,
en dehors des procédures spécialement prévues à cet effet, qui présentent un caractère exceptionnel
(la procédure de revision prévue à l’article 61 du Statut). Selon la Cour, le principe de l’autorité de
la chose jugée répond à deux objectifs : premièreme nt, la stabilité des relations juridiques exige
qu’il soit mis un terme au différend considéré ; de uxièmement, il est dans l’ intérêt de chacune des
parties qu’une affaire qui a d’ores et déjà été tranchée en sa faveur ne soit pas rouverte.
La Cour fait observer que le défendeur avance, notamment, qu’une distinction peut être
opérée entre l’application du principe de l’autorité de la chose jugé e aux arrêts portant sur le fond
d’une affaire et son application au x arrêts dans lesquels la Cour se prononce sur sa compétence en
réponse à des exceptions préliminaires. Le défendeur affirme que ces derniers «n’ont et ne peuvent
pas avoir les mêmes conséquences que les décisions sur le fond». La Cour rejette cette allégation
en faisant observer que les questions de compétence sont tranchées par un arrêt, et que l’article 60
du Statut dispose que «[l’]arrêt est définitif et sa ns recours», sans opérer de distinction entre les
arrêts relatifs à la compétence ou à la recevabilité et les arrêts portant sur le fond. La Cour ne fait
pas droit aux autres arguments du défendeur s’agissant de l’autorité de la chose jugée. Elle indique
que, si une partie à une affaire estime que se sont fait jour, postérieurement à la décision de la Cour,
des éléments de nature à faire apparaître que les conclusions auxquelles celle-ci était parvenue
pourraient avoir reposé sur des faits erronés ou insu ffisants, le Statut prévoit une seule procédure :
celle de l’article 61, qui ouvre la possibilité de la revision d’un arrêt aux conditions énumérées dans
cet article. A cet égard, elle rappelle que la demande en revision de l’arrêt de 1996 présentée par le
défendeur a été rejetée, car elle ne satisfaisait pas aux conditions énumérées à l’article 61. - 4 -
⎯ Application du principe de l’autorité de la chose jugée à l’arrêt de 1996
La Cour rappelle que le dispos itif de ses arrêts est revêtu de l’autorité de la chose jugée.
Dans le dispositif de son arrêt rendu en 1996, la Cour a dit «qu’elle a[vait] compétence, sur la base
de l’article IX de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, pour
statuer sur le différend». Selon elle, cette co mpétence est donc établie avec toute l’autorité
juridictionnelle de la Cour. Qu’une partie af firme aujourd’hui que, à l’ époque où l’arrêt a été
rendu, la Cour n’avait pas compétence pour stat uer au motif qu’il apparaîtrait à présent que l’une
des parties n’avait pas qualité pour se présenter devant elle revient, pour la raison exposée au
paragraphe précédent, à remettre en cause la force de chose jugée du dispositif de l’arrêt. La Cour
n’a donc pas besoin d’examiner l’exception d’ incompétence que le défendeur tire de ce que,
en 1993, il n’aurait pas eu qualité pour se présenter devant la Cour.
Cependant, le défendeur a avancé un certain nombre d’arguments tendant à démontrer que
l’arrêt de 1996 n’était pas définitif à cet égard. Il a, notamment, laissé entendre que, pour appliquer
le principe de l’autorité de la chose jugée à un arrêt rendu sur des exceptions préliminaires, la partie
du dispositif dont il doit être tenu compte et qui doit être considérée comme revêtue de l’autorité de
la chose jugée est la décision rejetant des exceptions préliminaires spécifiques, et non celle
confirmant de manière très large la compétence. La Cour rejette cet argument, expliquant qu’elle
ne considère pas que l’article79 de son Règlement ait pour objet de limiter la portée de l’autorité
de la chose jugée qui s’attache à un arrêt sur les exceptions préliminaires, pas plus qu’elle ne
considère que, dans un tel arrêt, cette autorité soit nécessairement limitée aux parties du dispositif
par lesquelles sont expressément rejetées des excep tions. Si une question se pose quant à la portée
de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à un arrêt, elle do it être tranchée compte tenu du
contexte dans lequel l’arrêt a été rendu. Il peut se révéler nécessaire d’opérer une distinction entre,
premièrement, les questions qui ont été tranchées avec force de chose jugée, le cas échéant
implicitement, avec force de chose jugée ; deuxièmement, les questions accessoires ou subsidiaires,
ou obiter dicta ; et, enfin, celles qui n’ont pas été tranchées du tout.
La Cour relève que le fait qu’ elle ait, par le passé, examiné dans de nombreuses affaires des
questions juridictionnelles après avoir rendu un ar rêt sur la compétence n’autorise pas à soutenir
qu’un tel arrêt peut être remis en question à tout moment, si bien qu’il serait permis de réexaminer
des questions qui ont déjà été tranchées avec l’autor ité de la chose jugée. La différence essentielle
entre les affaires mentionnées au paragraphe 127 de l’arrêt et la présente espèce réside en ceci que
les questions de compétence examinées à un stade tardif dans ces affaires étaient telles que la
décision rendue à leur sujet n’était pas susceptible de contredire la conclusion par laquelle la Cour
s’était déclarée compétente dans l’arrêt antérieur. En revanche, s’ils étaient retenus, les arguments
avancés par le défendeur dans la présente affaire auraient pour effet de renverser la décision
de 1996.
Se penchant sur l’argument du défendeur selo n lequel la question de savoir si la RFY avait
accès à la Cour n’a pas été tranchée dans l’arrê t de 1996, la Cour note que ses décisions rendues
en2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , ne signifient pas que,
en1996, la Cour n’avait pas conscience du fait que la solution adoptée au sein de l’Organisation
des NationsUnies sur la question de la continui té de la qualité de Membre de la RFSY «ne
laiss[ait] pas de susciter des difficultés juridique s». Comme la Cour l’a reconnu dans ses arrêts
de2004, s’il lui a paru clair en 2004 que le dé fendeur n’était pas membre de l’Organisation des
Nations Unies à l’époque pertinente, la situati on n’était absolument pas aussi claire en1999 ⎯ et
encore moins en 1996. Bien que les difficultés juridiques soulevées par la situation du défendeur à
l’égard de l’Organisation des Nati ons Unies n’aient pas été expressément mentionnées dans l’arrêt
de1996, la Cour a affirmé avoir compétence pour statuer sur le différend et étant donné que la
question de la capacité d’un Etat à être partie à une procédure est une question que la Cour doit, au
besoin, soulever d’office, cette conclusion doit nécessairement s’interprétercomme signifiant en toute
logique que la Cour estimait à l’époque que le défe ndeur avait qualité pour participer à des affaires
portées devant elle. Sur cette base, la Cour a al ors formulé une conclusion sur sa compétence, avec - 5 -
l’autorité de la chose jugée. Point n’est besoin pour elle d’aller au-delà de cette conclusion en
examinant par quel cheminement elle y est parvenue. Que les Parties considèrent la question comme
relevant de l’«accès à la Cour» ou de la «compétence ratione personae », le fait est que la Cour
n’aurait pu trancher l’affaire au fond si le défendeur n’avait pas la capacité, en vertu du Statut,
d’être partie à une procédure devant la Cour. Que la RFY avait la capacité de se présenter devant la
Cour en vertu du Statut constitue un élément du ra isonnement suivi dans l’ arrêt de1996, qui peut
⎯ et même doit ⎯ en toute logique être sous-entendu dans celui-ci.
⎯ Conclusion : compétence retenue
La Cour conclut, concernant l’argument selon lequel le défendeur n’était pas, à la date du
dépôt de la requête introductive d’instance, un Etat ayant qualité pour se présenter devant elle en
vertu du Statut, que le principe de l’autorité de la chose jugée interdit toute remise en question de la
décision contenue dans l’arrêt de 1996. Le défendeur a toutefois soutenu également que l’arrêt de
1996 n’avait pas force de chose jugée à l’égard de l’autre question, celle de savoir si, au moment de
l’introduction de l’instance, la RF Y était partie à la convention sur le génocide, en tentant de
montrer que, à ce moment-là, elle n’était pas et n’aurait pas pu être partie à la Convention. Selon la
Cour, toutefois, les raisons indiquées pour considérer que l’arrêt de 1996 tranche, avec l’autorité de
la chose jugée, la question de sa compétence en l’espèce s’appliquent a fortiori en ce qui concerne
cet argument, puisque l’arrêt de1996 était explicite à cet égard alors qu’il ne l’était pas sur la
question de la capacité à se présenter devant la Co ur. La Cour conclut donc que, ainsi qu’elle l’a
dit dans son arrêt de1996, elle a compétence en vertu de l’articleIX de la convention sur le
génocide pour statuer sur le différend. Il découle de ce qui précède que la Cour ne juge pas
nécessaire d’examiner les questions, abondamment débattues par les Parties, relatives au statut qui,
au moment du dépôt de la requête, était celui du défendeur au regard de la Charte des
Nations Unies, du Statut de la Cour et de la convention sur le génocide.
Le droit applicable (par. 142-201)
La Cour rappelle tout d’abord que sa co mpétence en l’espèce n’est fondée que sur
l’articleIX de la convention su r le génocide puisque tous les autres fondements de compétence
invoqués par le demandeur ont été rejetés dans l’arrêt de1996 concernant la compétence.
L’article IX dispose que
«[l]es différends entre les Par ties contractantes relatifs à l’ interprétation, l’application
ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité
d’un Etat en matière de génocide ou de l’ un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III, seront soumis à la Cour internat ionale de Justice, à la requête d’une partie
au différend.»
Il s’ensuit que la Cour ne peut trancher qu e les différends entre les parties contractantes
relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la Convention et qu’elle n’est pas habilitée
à se prononcer sur des violations alléguées d’autres obligations que les Parties tiendraient du droit
international, violations qui ne peuvent être a ssimilées à un génocide, en particulier s’agissant
d’obligations visant à protéger les droits de l’homme dans un conflit armé. Il en est ainsi même si
les violations alléguées concernent des obligations relevant de normes impératives ou des
obligations relatives à la protection des valeurs humanitaires essentielles et que ces obligations
peuvent s’imposer erga omnes.
⎯ Les obligations que la Convention impose aux parties contractantes
La Cour note qu’il existe un désaccord entre les Parties quant au sens et à la portée juridique
de l’article IX de la Convention, en particulier sur la question de savoir si les parties contractantes
ne peuvent être tenues responsables en vertu de la Convention que de violations des obligations de - 6 -
prendre des mesures législatives et de poursuivre ou extrader les auteurs de génocide ou si les
obligations s’étendent à celle de ne pas comme ttre un génocide et les autres actes énumérés à
l’article III.
La Cour fait observer que les obligations que la Convention impose à ses Etats parties sont
fonction du sens ordinaire des termes de celle-ci, lus dans leur contexte et à la lumière de l’objet et
du but de cet instrument. La Cour procède à une analyse du libellé de l’ article premier, lequel
dispose, entre autres, que «[l]es Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis
en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à
prévenir et à punir». La Cour conclut que l’article premier, en particulier l’engagement de prévenir
qui y est formulé, crée des obligations distinct es de celles qui apparaissent dans les articles
suivants. Cela est confirmé par les travaux préparatoires de la Convention et les circonstances dans
lesquelles celle-ci a été conclue.
La Cour s’intéresse ensuite à la question de sa voir si les Parties sont aussi tenues de ne pas
elles-mêmes commettre de génocide, étant donné qu’une telle obligation n’est pas expressément
imposée par les termes mêmes de la Convention. De l’avis de la Cour, eu égard à l’objet de la
Convention tel que généralement accepté, l’article premier a pour effet d’interdire aux Etats parties
de commettre eux-mêmes un génocide. Une telle prohibition résulte, d’abord, de la qualification
de «crime du droit des gens» donnée par cet article au génocide : en acceptant cette qualification,
les Etats parties s’engagent logi quement à ne pas commettre l’acte ai nsi qualifié. Elle résulte,
ensuite, de l’obligation, expressément stipulée, de prévenir la commission d’actes de génocide. Il
serait paradoxal que les Etats soient ainsi tenus d’em pêcher la commission de tels actes, mais qu’il
ne leur soit pas interdit de commettre eux-mêmes de tels actes par l’interm édiaire de leurs propres
organes, ou des personnes sur lesquelles ils exerce nt un contrôle si étroit que le comportement de
celles-ci leur est attribuable selon le droit intern ational. En somme, l’ob ligation de prévenir le
génocide implique nécessairement l’interdiction de le commettre. La Cour relève que sa
conclusion est confirmée par une particularité du libellé de l’articleIX, à savoir le membre de
phrase «y compris [les différends] relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou
de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’ar ticle III». Conformément au texte anglais de la
Convention, la responsabilité visée est la responsabilité pour «génocide», et non la simple
responsabilité pour «ne pas avoir prévenu ou puni le génocide». Les termes particuliers du membre
de phrase dans son ensemble confirment que les parties contractantes peuvent être tenues pour
responsables d’un génocide ou de tout autre acte énuméré à l’article III de la Convention.
La Cour se penche ensuite sur trois autres arguments qui peuvent être considérés comme
allant à l’encontre de la thèse selon laquelle la Convention impose aux parties contractantes
l’obligation de ne pas commettre de génocide ni aucun des autres actes énumérés à l’article III.
Selon le premier de ces arguments, en vertu d’un principe généralement établi, le droit
international ne connaît pas de resp onsabilité pénale de l’Etat, et la convention sur le génocide ne
comporte pas de mécanisme permettant d’en étab lir une. La Cour note que l’obligation dont la
violation peut engager la responsabilité du défend eur dans le cadre d’une instance introduite en
vertu de l’articleIX est simplement une obligation relevant du droit international, en l’occurrence
les dispositions de la Convention et que les obliga tions en cause en l’espèce qui découleraient pour
les Etats de la violation de telles obligations sont des obligations et des responsabilités relevant du
droit international, et ne sont pas d’ordre pénal.
Selon le deuxième argument, la nature de la Convention est telle que serait exclue de son
champ d’application toute responsa bilité d’Etat pour génoc ide ou pour les autres actes énumérés.
La Convention, est-il dit, serait une conventi on de droit international pénal classique visant
essentiellement les poursuites et les sanctions pénales à l’encontre d’individus et non la
responsabilité des Etats. La Cour ne voit, toutef ois, dans le libellé ou dans la structure des - 7 -
dispositions de la Convention relatives à la resp onsabilité pénale individuelle, rien qui puisse
modifier la signification de l’article premier, lu conjointement avec les litt. a) àe) de l’articleIII,
dans la mesure où ces dispositions imposent aux Etats des obligations différentes de celles qu’il est
demandé à ceux-ci d’imposer aux individus.
S’agissant du troisième et dernier argument, la Cour se penche sur les travaux préparatoires
de la Convention au sein de la Sixième Commis sion, lesquels démontreraient qu’il «n’était pas
question de responsabilité directe de l’Etat à rais on d’actes de génocide». Après avoir examiné
lesdits travaux, la Cour conclut toutefois qu’ils semblent corroborer la conclusion selon laquelle les
parties contractantes à la Convention sont tenues de ne pas commettre de génocide à travers les
actes de leurs organes ou des personnes ou groupes dont les actes leur sont attribuables.
⎯ Question de savoir si la Cour peut conclure qu’un Etat a commis un génocide sans qu’un
individu ait préalablement été reconnu coupable de génocide par un tribunal compétent
La Cour fait valoir que, pour que la respons abilité d’un Etat soit engagée pour violation de
l’obligation lui incombant de ne pas commettre de génocide, encore doit-il avoir été démontré
qu’un génocide, tel que défini dans la Convention, a été commis. Il en va de même en ce qui
concerne l’entente en vue de commettre le génocide au sens du litt. b), la complicité au sens du
litt. e) de l’article III, et l’obligation de prévenir le génocide.
défeelnodneur, la condition sine qua non pour établir la responsabilité de l’Etat est qu’ait
été préalablement établie, conformément aux règles du droit pénal, la responsabilité d’un auteur
individuel pouvant engager la responsabilité de l’Etat.
La Cour estime que les différences entre la Cour et les juridictions appelées à juger des
personnes accusées d’infractions pénales, sur le plan de la procédure et des pouvoirs qui leur sont
conférés, ne signifient pas en elles-mêmes que la Cour soit empêchée de conclure qu’il y a eu
commission du génocide ou des autres actes énumérés à l’articleIII. En vertu de son Statut, la
Cour est habilitée à entreprendre cette tâche, en appliquant le critère d’établissement de la preuve
qui convient s’agissant d’accusations d’une exceptionnelle gravité. Pour en venir au libellé de la
Convention elle-même, la Cour a déjà jugé que l’article IX lui confère compétence pour conclure à
la responsabilité d’un Etat si le génocide ou les autres actes énumér és à l’articleIII sont commis
par ses organes, ou par des personnes ou groupes dont les actes lui sont attribuables.
La Cour conclut donc qu’un Etat peut voir sa responsabilité engagée en vertu de la
Convention pour génocide et complicité de génocide, sans qu’un individu ait été reconnu coupable
de ce crime ou d’un crime connexe.
⎯ L’éventuelle limitation territoriale des obligations
La Cour relève que les obligations matérielles découlant de l’article premier et de l’article III
ne semblent pas être territorialement limitées. E lles s’appliquent à un Et at, où que celui-ci se
trouve agir ou en mesure d’agir pour s’acquitter des obligations en question.
L’obligation d’engager des poursuites imposée par l’article VI est en revanche expressément
soumise à une limitation territoriale. Le procès des personnes accusées de génocide doit se tenir
devant les tribunaux compétents de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été commis ou devant une
cour criminelle internationale compétente.
⎯ La question de l’intention de commettre le génocide
La Cour relève que le génocide, tel que défini à l’article II de la C onvention, comporte à la
fois des «actes» et une «intention». Il est bien établi que les actes suivants⎯ - 8 -
«a)meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner
sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;» et
«e) transfert forcé d’enfants dugroupe à un autre groupe» ⎯
comprennent eux-mêmes des éléments moraux. La Cour souligne qu’à ces éléments moraux,
l’article II en ajoute un autre : il exige que soit établie l’«intention de détruire, en tout ou en partie,
[le] groupe [protégé]…, comme tel», souvent qua lifiée d’intention partic ulière ou spécifique, ou
dolus specialis . Il ne suffit pas que les membres du groupe soient pris pour cible en raison de leur
appartenance à ce groupe. Il faut en outre que les actes visés à l’articleII soient accomplis dans
l’intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe comme tel. Les termes «comme tel»
soulignent cette intention de détruire le groupe protégé.
⎯ Intention et «nettoyage ethnique»
La Cour affirme que des mesures visant à un «nettoyage ethnique» ne sauraient constituer
une forme de génocide au sens de la Convention que si elles correspondent à l’une des catégories
d’actes prohibés par l’articleII de la Convention ou relèvent de l’une de ces catégories. Ni
l’intention, sous forme d’une politique visant à rendre une zone «ethniquement homogène», ni les
opérations qui pourraient être menées pour mettre en Œuvre pareille politique ne peuvent, en tant
que telles, être désignées par le terme de génocide. Ce la ne signifie pas que les actes qui sont
décrits comme étant du «nettoyage ethnique» ne saur aient jamais constituer un génocide, s’ils sont
tels qu’ils peuvent être qualifié s, par exemple, de «[s]oumission intentionnelle du groupe à des
conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle», en violation du
litt. c) de l’articleII de la Convention, sous rése rve que pareille action soit menée avec l’intention
spécifique (dolus specialis) nécessaire, c’est-à-dire avec l’intention de détruire le groupe, et non pas
seulement de l’expulser de la région.
⎯ Définition du groupe protégé
La Cour doit tenir compte de l’identité du gr oupe contre lequel il peut être considéré qu’un
génocide a été commis. Elle constate que les Parties s’opposent sur certains aspects de la définition
du «groupe»: le demandeur mentionne le «groupe national, ethnique ou religieux nonserbe,
notamment mais non exclusivement, sur le territoir e de la Bosnie-Herzégovi ne, en particulier la
population musulmane». Il adopte donc l’approche dite négative de la définition du groupe protégé
par la Convention.
La Cour rappellera que l’intention est essentie llement de détruire le groupe protégé, en tout
ou en partie, comme tel. Ce groupe doit prés enter des caractéristiques positives particulières
⎯nationales, ethniques, raciales ou religieuses ⎯, et non pas une absence de telles
caractéristiques. Cette interprétation est confirmée par les travaux préparatoires de la Convention.
En conséquence, la Cour conclut qu’elle doit examiner la question en partant du principe que
le groupe doit en droit être défini de manière positive et non de manière négative en tant que
population «non serbe». Le demandeur n’a que tr ès rarement fait mention des populations non
serbes de Bosnie-Herzégovine autres que les Musulmans ⎯les Croates, par exemple. La Cour
examinera dès lors les faits de l’espèce en partan t du principe qu’elle po urra peut-être conclure
qu’un génocide a été commis si elle peut établir l’ existence d’une intention de détruire en tant que
groupe, en tout ou en partie, les Musulmans de Bosnie. - 9 -
La Cour précise en outre qu’aux fins de l’artic leII, en premier lieu, l’intention doit être de
détruire au moins une partie substantielle du groupe en question. C’est ce qu’exige la nature même
du crime de génocide: l’objet et le but de la Co nvention dans son ensemble étant de prévenir la
destruction intentionnelle de groupes, la partie visée doit être suffisamment importante pour que sa
disparition ait des effets sur le groupe tout entier. Deuxièmement, la Cour relève qu’il est largement
admis qu’il peut être conclu au génocide lorsque l’in tention est de détruire le groupe au sein d’une
zone géographique précise.
⎯ Questions relatives à la preuve (par. 202-230)
La Cour se penche d’abord sur la charge de la preuve, le critère d’établissement de la preuve
et les modes de preuve.
⎯ La charge de la preuve
La Cour dit qu’il est constant que le demande ur est tenu d’étayer ses arguments, et qu’une
partie qui avance un fait est tenue de l’établir.
S’agissant du refus du défendeur de produire le texte intégral de certains documents, la Cour
relève que le demandeur a disposé d’abondants docum ents et autres éléments de preuve provenant
notamment des dossiers facilement accessibles du Tribunal pénal international pour l’ex-
Yougoslavie (TPIY). Il y a eu très largement reco urs. La Cour fait observer en dernier lieu que
bien qu’elle n’ait fait droit à aucune de ses demandes tendant à l’obtention de copies non occultées
des documents, elle n’a pas manqué de noter l’argu ment du demandeur selon lequel elle était libre
d’en tirer ses propres conclusions.
⎯ Le critère d’établissement de la preuve
Les Parties n’ont pas non plus le même point de vue concernant le critère d’établissement de
la preuve.
La Cour a admis de longue date que les allégations formulées contre un Etat qui
comprennent des accusations d’une exceptionnelle gravité doivent être prouvées par des éléments
ayant pleine force probante. La Cour doit être pleinement convaincue qu’ont été clairement avérées
les allégations formulées au cours de l’instance selon lesquelles le crime de génocide ou les autres
actes énumérés à l’articleIII ont été commis. Le même critère s’applique à la preuve de
l’attribution de tels actes.
En ce qui concerne l’affirmation du demandeu r selon laquelle le défendeur a violé les
engagements qu’il avait pris de prévenir le génoci de ainsi que de punir et d’extrader les personnes
accusées de ce crime, la Cour exige qu’elle soit prouvée avec un degré élevé de certitude, à la
mesure de sa gravité.
⎯ Les modes de preuve
Elle rappelle que les Parties lui ont présen té une grande quantité de documents divers,
provenant de sources différentes. Ils comprenaient des rapports, des résolutions et des conclusions
de divers organes des Nations Unies, des documents émanant d’autres organisations
intergouvernementales, des documents, éléments de preuve et décisions du TPIY, des publications
de gouvernements, des documents émanant d’orga nisations non gouvernementales, des comptes
rendus et des articles diffusés par les médias, ainsi que des livres. Les Parties ont aussi appelé à la
barre des témoins, experts et témoins-experts. - 10 -
La Cour doit déterminer elle-même les faits qui sont pertinents au regard des règles de droit
que, selon le demandeur, le défendeur aurait tr ansgressées. Elle reconnaît néanmoins que cette
affaire présente une caractéristique peu ordinaire, étant donné qu’un grand nombre des allégations
qui lui ont été présentées ont déjà fait l’objet d’in stances devant le TPIY et de décisions rendues
par ce dernier. La Cour doit donc examiner l’importance à leur attribuer.
Elle rappelle que dans l’affaire des Activité s armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c.Ouganda) , elle a notamment déclaré ce qui suit: «une attention
particulière mérite d’être prêtée aux éléments de preuve obtenus par l’audition d’individus
directement concernés et soumis à un contre-inte rrogatoire par des juges ro mpus à l’examen et à
l’appréciation de grandes quantités d’informations factuelles, parfois de nature technique».
La Cour affirme que ces termes s’appliquent aussi aux méthodes d’établissement des faits
par le TPIY, en tant qu’«éléments de preuve obtenus par l’audition d’individus directement
concernés», soumis à un contre-interrogatoire, dont la crédibilité n’a pas ultérieurement été
contestée.
Après avoir examiné les arguments des Parties concernant le poids à accorder aux documents
du TPIY et analysé les diverses étapes de la pro cédure de ce tribunal, la Cour conclut qu’elle doit
en principe admettre comme hautement convai ncantes les conclusions de fait pertinentes
auxquelles est parvenu le Tribunal en première in stance, à moins, évidemment, qu’elles n’aient été
infirmées en appel. Pour les mêmes raisons, il convient également de donner dûment poids à toute
appréciation du Tribunal fondée sur les faits ains i établis, concernant par exemple l’existence de
l’intention requise.
Enfin, la Cour formule des observations sur certains des autres éléments de preuve qui lui
ont été présentés. Evoquant notamment le rapp ort intitulé «La chute de Srebrenica», que le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a présenté en novembre 1999 à l’Assemblée
générale, elle observe que le soin avec lequel ce rapport a été établi, la diversité de ses sources et
l’indépendance des personnes chargées de son élabor ation lui confèrent une autorité considérable.
La Cour assure que ce rapport lui a été extrêmement utile.
Les faits (par. 231-376)
La Cour examine le contexte des faits in voqués par le demandeur ainsi que les entités
impliquées dans les événements dont tire grie f le demandeur. Elle fait observer que le
9janvier1992 la République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, qui devait par la suite
prendre le nom de Republika Srpska (RS), proclama son indépendance. La Cour précise que cette
entité ne fut jamais reconnue comme un Etat souverain sur le plan international, mais elle exerça un
contrôle de fait sur un territoire substantiel et put compter sur la loyauté d’un grand nombre de
Serbes de Bosnie.
La Cour relève que le demandeur soutient qu’il existait, entre le gouvernement du défendeur
et les autorités de la Republika Srpska, des liens étroits de nature politique et financière, de même
qu’au niveau de l’administration et du contrôle de l’armée de la Republika Srpska (VRS). La Cour
constate qu’il est établi que le défendeur metta it ainsi des ressources militaires et financières
considérables à la disposition de la Republika Srps ka et que s’il avait décidé de retirer ce soutien,
cela aurait grandement limité les options ouvertes aux autorités de la Republika Srpska.
La Cour se penche ensuite sur les faits a llégués par le demandeur, afin de déterminer,
premièrement, si les atrocités dont il fait état ont été commises, et deuxièmement, si, pour autant
qu’elles soient établies, ces atrocités relèvent de l’articleII de la convention sur le génocide,
c’est-à-dire si les faits en questi on permettent d’établir l’existence d’une intention, de la part des
auteurs de ces atrocités, de détruire en tout ou en partie un groupe déterminé, à savoir celui
constitué par les Musulmans de Bosnie. - 11 -
⎯ Litt. a) de l’article II : meurtre de membres du groupe protégé
La Cour examine les éléments visant à démo ntrer que des meurtres de membres du groupe
protégé, actes visés au litt.) de l’article I de la convention sur le génocide, ont été commis dans les
principales régions de Bosnie : Sarajevo, la vallée de la Dr ina, Prijedor, Banja Luka et Br čko ⎯
dans plusieurs camps de détention.
Elle considère comme établi par des éléments de preuve irréfutables que des meurtres ont été
perpétrés de façon massive au cours du conflit da ns des zones et des camps de détention précis
situés sur l’ensemble du territoire de la Bosnie-He rzégovine. En outre, les éléments de preuve qui
ont été présentés démontrent que les victimes ét aient dans leur grande majorité des membres du
groupe protégé, ce qui conduit à penser qu’elle s ont pu être prises pour cible de manière
systématique.
Au vu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Cour n’est cependant pas
convaincue qu’il ait été établi de façon concluante que les meurtres de masse de membres du
groupe protégé ont été commis avec l’ intention spécifique (dolus specialis) , de la part de leurs
auteurs, de détruire, en tout ou en partie, le gr oupe comme tel. Les meurtres brièvement présentés
ci-dessus peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, mais la Cour n’a
pas compétence pour en juger.
⎯ Le massacre de Srebrenica
Ayant analysé l’ensemble des faits entourant la pr ise de Srebrenica, la Cour fait observer que les
chambres de première instance, aussi bien dans l’affaire Krsti ć que dans l’affaire Blagojevi ć, ont
conclu que les forces serbes de Bosnie avaient tué plus de sept mille hommes musulmans de Bosnie
après la prise de la «zone de sécurité» en juille t1995. Elles ont conclu dès lors que l’élément
matériel du meurtre visé au litt. a) de l’articleII de la Conventi on était établi. Les chambres ont
également conclu dans les deux cas que les actes des forces serbes de Bosnie constituaient
l’élément matériel d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, au sens du litt. b) de
l’articleII de la Convention ⎯à la fois des personnes qui étaient sur le point d’être exécutées et
des autres qui avaient été séparées de celles-ci en raison de leur déplacement forcé et, pour certains
survivants, des pertes qu’ils avaient subies. La Cour est donc pleinement convaincue que des
meurtres au sens du litt. a) de l’articleII de la Convention et des actes à l’origine de graves
atteintes à l’intégrité physique ou mentale au sens du litt. b) de l’article II ont été commis pendant
le massacre de Srebrenica.
La Cour examine ensuite la question de savoir si les auteurs des actes allégués étaient animés
de l’intention spécifique, requise (dolus specialis) . La conclusion de la Cour, confortée par les
jugements rendus par les chambres de première instance du TPIY dans les affaires Krsti ć et
Blagojević, est que l’intention requise ne s’est c onstituée qu’après le ch angement d’objectif
militaire, passé de («réduire l’enclave à la zone urba ine» à la prise de la ville de Srebrenica et de
l’enclave tout entière) et la prise de Srebrenica, c’est-à-dire vers le 12 ou le 13 juillet. Cet élément
pourrait se révéler important pour l’examen de l’exécution par le défendeur des obligations lui
incombant en vertu de la Convention. La Cour ne voit aucune raison de s’é carter de la conclusion
du Tribunal selon laquelle l’inte ntion spécifique (dolus specialis) requise s’est constituée à ce
moment-là et à ce moment-là seulement.
La Cour en vient ensuite aux conclusions formulées dans l’affaire Krsti ć , dans laquelle la
Chambre d’appel a fait siennes les conclusions de la Chambre de première instance dans les termes
suivants :
«En l’espèce, après avoir identifié le groupe protégé comme étant le groupe
national des Musulmans de Bosnie, la Chambr e de première instance a conclu que la
partie du groupe visée par l’état-major principal de la VRS et Radislav Krsti ć était - 12 -
celle des Musulmans de Srebrenica, ou des Musulmans de Bosnie orientale. Cette
conclusion est dans le droit fil des lignes directrices esquissées plus haut. Avant la
prise de la ville par les forces de la VRS en 1995, Srebrenica comptait environ
40000Musulmans de Bosnie. Etaient compris dans ce chiffre non seulement les
habitants musulmans de la municipalité de Srebrenica mais aussi de nombreux
réfugiés musulmans de la région. Si, par rapport à la population musulmane totale de
la Bosnie-Herzégovine à l’époque des faits, ce nombre est peu élevé, il ne faut pas se
méprendre sur l’importance de la communauté musulmane de Srebrenica.»
La Cour ne voit pas de raison de s’écarter des conclusions concordantes de la Chambre de première
instance et de la Chambre d’appel.
La Cour conclut que le s actes relevant des litt. a) etb) de l’articleII de la Convention
commis à Srebrenica l’ont été avec l’intention spécifique de détr uire en partie le groupe des
Musulmans de Bosnie-Herzégovine comme tel ; et que, en conséquence, ces actes étaient des actes
de génocide, commis par des membres de la VRS à Srebrenica et à proximité à partir
du 13 juillet 1995.
⎯ Litt. b) de l’article II: atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe
protégé
Ayant examiné les allégations spécifiques formulées par le demandeur sous ce titre, et ayant
pris note des éléments de preuve soumis au TPIY, la Cour estime établi par des preuves
parfaitement concluantes que des membres du gr oupe protégé ont, au cours du conflit, et en
particulier dans les camps de détention, été systém atiquement victimes de mauvais traitements, de
passages à tabac, de viols et d’actes de torture généralisés ayant causé une atteinte grave à leur
intégrité physique et mentale. La Cour estime toutefois qu’il n’a pas été établi de façon concluante
que ces atrocités, encore qu’elles aussi puissent être constitutives de crimes de guerre et de crimes
contre l’humanité, ont été commises avec l’intention spécifique (dolus specialis) de détruire le
groupe protégé, en tout en en partie.
⎯ Litt. c) de l’article II : soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partielle
La Cour procède à l’examen successif des éléments de preuve concernant les trois
allégations formulées par le demandeur: encerclem ent, bombardement et privation de nourriture;
déportations et expulsions; destruction du patrim oine historique, religieux et culturel. Elle se
penche sur les éléments de preuve présentés au sujet des conditions de vie dans les camps de
détention dont il a déjà été question ci-dessus.
Après un examen attentif des éléments de preuve présentés par les Parties au sujet de
l’encerclement, des bombardements et de la privat ion de nourriture, d’une pa rt, puis au sujet des
déportations et des expulsions, d’autre part, la Co ur n’est pas en mesure de conclure que les actes
allégués ont été commis avec l’intention spécifique de détruire le groupe protégé en tout ou en
partie.
S’agissant de la destruction du patrimoine hist orique, religieux et culturel, la Cour constate
qu’il existe des preuves concluantes attestant la destruction délibérée du patrimoine historique,
culturel et religieux du groupe protégé. Cette de struction n’entre toutefois pas en tant que telle
dans la catégorie des actes de génocide énumérés à l’article II de la Convention
Sur la base des éléments qui lui ont été présen tés au sujet des camps, la Cour considère qu’il
a été prouvé de façon convaincante et concluan te que des conditions de vie terribles étaient
imposées aux détenus des camps. Les éléments de preuve produits ne lui ont cependant pas permis
de conclure que ces actes relevaient d’un e intention spécifique (dolus specialis) de détruire le - 13 -
groupe protégé, en tout ou en partie. La Cour relève à cet égard que dans aucune des affaires
concernant l’un des camps cités plus haut le TPIY n’est parvenu à la conclusion que l’accusé avait
agi avec une telle intention spécifique (dolus specialis).
⎯ Litt. d) de l’article II : imposition de mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe
protégé
⎯ Litt. e) de l’article II : transfert forcé d’enfants du groupe protégé à un autre groupe
Ayant examiné avec soin les arguments des Pa rties sous ces deux titr es, la Cour considère
que les éléments de preuve qui lui ont été soum is par le demandeur ne lui permettent pas de
conclure que les forces serbes de Bosnie ont commis de tels actes.
⎯ Allégation selon laquelle un génocide aurait été commis en dehors de la Bosnie-Herzégovine
La Cour estime que le demandeur n’a établi aucun fait propre à convaincre la Cour du
bien-fondé de l’allégation selon laquelle des actes de génocide attr ibuables au défendeur auraient
également été perpétrés sur le territoire de la RFY.
⎯ La question des actes réputés démontrer l’intention de commettre le génocide
Le demandeur s’appuie sur l’existence allé guée d’un plan global tendant à commettre le
génocide, sur tout le territoire à l’encontre de personnes identifiées dans chaque cas par leur
appartenance à un groupe spécifique.
La Cour note que cet argument du demandeur passe de l’intention des personnes qui auraient
commis les prétendus actes de génocide dont il est tiré grief à l’intention d’une autorité supérieure,
au sein de la VRS ou de la Republika Srpska , ou au niveau du gouvernement du défendeur
lui-même. Ayant examiné la «décision relative aux objectifs stratégiques» promulguée le
12mai1992 par Mom čiloKrajišnik, président de l’Assembl ée nationale de la Republika Srpska,
dans son contexte, la Cour estime néanmoins que les objectifs stratégiques de1992 ne permettent
pas d’établir l’intention spécifique.
En venant ensuite à l’argument du demandeu r selon lequel le schéma même des atrocités
commises ⎯sur une très longue période, à l’encontre de nombreuses communautés, ciblant les
Musulmans et aussi les Croates de Bosnie ⎯démontre l’intention nécessaire, la Cour indique
qu’elle ne peut se rallier à une proposition aussi large. Le dolus specialis , l’intention spécifique de
détruire le groupe en tout ou en partie, doit être établi en référence à des circonstances précises, à
moins que l’existence d’un plan général tendant à cette fin puisse être démontrée de manière
convaincante; pour qu’une ligne de conduite puisse être admise en tant que preuve d’une telle
intention, elle devrait être telle qu’elle ne puisse qu’en dénoter l’existence.
La Cour conclut que le demandeur n’a pas étab li l’existence de cette intention de la part du
défendeur, pas plus sur le fondement d’un plan concerté que sur celui d’une ligne de conduite
systématique qui, au vu des faits examinés ci-dessus, ne pourrait que dénoter l’existence d’une telle
intention. Toutefois, ayant conclu que, dans le cas particulier des massacres de Srebrenica en
juillet 1995, des actes de génocide avaient été commis, la Cour passe à l’examen de la question de
savoir si ces actes sont attribuables au défendeur. - 14 -
La responsabilité du défendeur en ce qui concerne les événements de Srebrenica (par. 377-415)
⎯ La prétendue reconnaissance
La Cour commence par relever que, selon le demandeur, le défendeur aurait en fait reconnu
qu’un génocide avait été commis à Srebrenica, et en aurait accepté la responsabilité juridique. Aux
fins de déterminer si le défendeur a reconnu sa responsabilité, la Cour peut prendre en
considération toute déclaration, de quelque partie qu’elle émane, en rapport avec les questions en
cause et portée à son attention et peut leur attri buer tout effet juridique qu’elle juge approprié.
Toutefois, en la présente espèce, la déclaration du 15juin2005, faite par le Conseil des ministres
du défendeur, à la suite de la diffusion, sur une ch aîne de télévision de Belgrade, le2juin2005,
d’un enregistrement vidéo montrant l’exécution de six prisonniers musulmans de Bosnie près de
Srebrenica par une unité paramilitaire, apparaît à la Cour comme étant de nature politique ; de toute
évidence, elle n’était pas censée constituer une reconnaissance.
⎯ Le critère de responsabilité
Aux fins de rechercher si la responsabilité internationale du défendeur est susceptible d’être
engagée, à un titre ou à un autre, en liaison avec les massacres commis dans la région de Srebrenica
à la période considérée, la Cour doit examiner su ccessivement trois questions. En premier lieu, il
doit se demander si les actes de génocide commis pourraient être attribués au défendeur dans la
mesure où ces actes ont été commis par des or ganes ou des personnes dont les actes lui sont
attribuables en application des règles du dro it international coutumie r de la responsabilité
internationale des Etats. En deuxième lieu, la Cour doit rechercher si des actes de la nature de ceux
qui sont mentionnés aux litt. b) àe) de l’articleIII de la Convention, autres que le génocide
lui-même, ont été commis par des personnes ou des organes dont le comportement est attribuable à
l’Etat défendeur. Enfin, il y aura lieu pour la Co ur de se prononcer sur la question de savoir si
l’Etat défendeur a respecté sa do uble obligation de prévenir et de punir le génocide, découlant de
l’article premier de la Convention.
⎯ La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au défendeur à raison du comportement
de ses organes
La première de ces deux questions renvoie à la règle bien établie, et qui constitue l’une des
pierres angulaires du droit de la responsabilité internationale, sel on laquelle le comportement de
tout organe de l’Etat est considéré comme un fait de l’Etat selon le droit international, et engage par
suite la responsabilité dudit Etat s’il constitue une violation d’une obligation internationale qui
s’impose à ce dernier.
L’application de cette règle au cas d’espèce conduit à se demander d’abord si les actes
constitutifs de génocide commis à Srebrenica l’ ont été par des «personnes ou entités» ayant le
caractère d’organes de la République fédérale de Yougoslavie (selon le nom du défendeur à
l’époque des faits) en vertu du droit interne, tel qu’il était alors en vigueur, de cet Etat. De l’avis de
la Cour, force est de constater qu’aucun élémen t ne permet de répondre affirmativement à cette
question. Il n’a pas été établi que l’armée de la RFY ait participé aux massacres, ni que les
dirigeants politiques de cet Etat aient participé à la préparation, à la planification ou, à quelque titre
que ce soit, à l’exécution de ces massacres. Il existe, certes, de nombreuses preuves d’une
participation, directe ou indirecte, de l’armée of ficielle de la RFY, conjointement avec les forces
armées des Serbes de Bosnie, à des opérations militaires en Bosnie-Her zégovine au cours des
années précédant les événements de Srebrenica. Cette participation a été à plusieurs reprises
dénoncée par les organes politiques des NationsUnie s qui ont demandé à la RFY d’y mettre fin. - 15 -
Mais il n’est pas établi qu’une telle participation ait eu lieu dans le cadre des massacres commis à
Srebrenica. Par ailleurs, ni la Republika Srpska ni la VRS ne constituaient des organes de jure de
la RFY, en ce sens qu’ils ne possédaient pas, en vertu du droit interne de cet Etat, le statut
d’organes de celui-ci.
S’agissant de la situation particulière du généralMladi ć, la Cour relève tout d’abord
qu’aucune preuve n’a été apportee démontrant que le général Mladić ou l’un quelconque des autres
officiers qui relevaient du 30 centre du personnel à Belgrade étai ent, au regard du droit interne du
défendeur, des officiers de l’armée du défendeur ⎯un organe de jure de celui-ci. Il n’a pas non
plus été établi de manière concluante que le généralMladi ć ait été l’un des officiers concernés;
quand bien même cela aurait-il été le cas, la Cour ne pense pas que le général Mladić aurait dû pour
autant être considéré comme ayan t constitué un organe de la RFY aux fins de l’application des
règles relatives à la re sponsabilité de l’Etat. Il ne fait aucun doute que la RFY fournissait un
soutien considérable, notamment financier, à la Repu blika Srpska et que le versement de soldes et
autres prestations à certains officiers de la VRS constitua l’une des formes de ce soutien, mais, de
l’avis de la Cour, cela ne faisait pas pour autant automatiquement de ces officiers des organes de la
RFY. La situation particulière du généralMladi ć, ou de tout autre officier de la VRS présent à
Srebrenica et qui aurait pu relever «sur le plan administratif» de Belgrade, n’est pas de nature à
conduire la Cour à modifier la conclusion à laquelle elle est parvenue au paragraphe précédent.
La question se pose également de savoir si le défendeur peut être tenu pour responsable des
actes commis par les milices paramilitaires connues sous le nom de «Scorpions» dans la région de
Srebrenica. Au vu des éléments qui lui ont été soumis, la Cour n’est pas en mesure de conclure que
les «Scorpions» ⎯ présentés dans ces documents comme étant une «unité … du ministère serbe de
l’intérieur» ⎯ étaient, à la mi-1995, des organes de jure du défendeur. De plus, la Cour relève
qu’en tout état de cause, les actes d’un organe mi s par un Etat à la dispos ition d’une autre autorité
publique ne peuvent être considérés comme des actes de l’Etat en question si cet organe agit pour
le compte de l’autorité publique à la disposition de laquelle il se trouve.
La Cour observe que, c onformément à sa jurisprudence (notamment son arrêt
du 27 juin 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) , une personne, un groupe de personnes ou une entité
quelconque peut être assimilé ⎯aux fins de la mise en Œuvre de la responsabilité
internationale ⎯à un organe de l’Etat même si une telle qualification ne résulte pas du droit
interne, lorsque cette personne, ce groupe ou cette entité agit en fait sous la «totale dépendance» de
l’Etat, dont il n’est, en somme, qu’un simple instrument. En la présente affaire, la cour ne saurait
toutefois conclure que les personnes ou entités qui ont commis les actes de génocide de Srebrenica
possédaient, avec la RFY, à la date des faits, des liens tels qu’on puisse les regarder comme ayant
été placées sous la totale dépendance de cet Etat.
A la date pertinente, c’est-à-dire en juillet 1995, ni la Republika Srpska ni la VRS ne
pouvaient, de l’avis de la Cour, être regardées comme de simples instruments d’action de la RFY,
dépourvus de réelle autonomie. La Cour ajoute qu ’il ne lui a été présenté aucun élément indiquant
que les «Scorpions» agissaient en fait dans un e situation de totale dépendance vis-à-vis du
défendeur.
La Cour conclut donc que les actes de génocide commis à Srebrenica ne peuvent être
attribués au défendeur en tant qu’ils auraient été le fait de ses organe s ou de personnes ou entités
totalement dépendantes de lui, et que, partant, ces actes n’engagent pas, sur ce fondement, sa
responsabilité internationale. - 16 -
⎯ La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au défendeur à raison de ses instructions
ou de son contrôle
La Cour se demande ensuite si les massacres de Srebrenica ont été commis par des personnes
qui, bien que n’ayant pas la qualité d’organes de l’ Etat défendeur, agissaient sur les instructions ou
les directives ou sous le contrôle de celui-ci.
La Cour indique que la règle pertinente, qui appartient au droit coutumier de la responsabilité
internationale, est que le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est considéré
comme un fait de l’Etat d’après le droit interna tional si cette personne ou ce groupe de personnes,
en adoptant ce comportement, agit en fait sur les in structions ou les directives ou sous le contrôle
de cet Etat. Cette disposition doit se comprendre à la lumière de la jurisprudence de la Cour sur ce
point, et en particulier de l’arrêt de1986 en l’ affaire des Activités militair es et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique).
En vertu du critère énoncé ci-dessus, il est nécessaire de démontrer que ce «contrôle effectif»
s’exerçait, ou que ces instructions ont été données, à l’occasion de chacune des opérations au cours
desquelles les violations alléguées se seraient produites, et non pas en général, à l’égard de
l’ensemble des actions menées par les personne s ou groupes de personnes ayant commis lesdites
violations.
La Cour constate, à la lumière des informations dont elle dispose, qu’il n’a pas été établi que
les massacres de Srebrenica aient été commis par des personnes ou des entités ayant la qualité
d’organes du défendeur. Elle constate égalemen t qu’il n’a pas été établi que ces massacres aient
été commis selon les instructions ou les directives d’organes de l’Etat défendeur, ni que ce dernier
ait exercé un contrôle effectif sur les opérations au cours desquelles ces massacres, qui sont
constitutifs du crime de génocide, ont été perpétrés.
De l’avis de la Cour, le demandeur n’a pas prouvé l’existence d’in structions émanant des
autorités fédérales de Belgrade, ou de tout autre organe de la RFY, tendant à ce que les massacres
soient commis, et encore moins établi que de telles instructions aient été données avec l’intention
spécifique (dolus specialis) qui caractérise le crime de génocide. Tout semble indiquer, au
contraire, que la décision de tu er la population masculine adulte de la communauté musulmane de
Srebrenica a été prise par des membres de l’état -major de la VRS, mais sans qu’il y ait eu
instructions ou contrôle effectif de la part de la RFY.
La Cour conclut de tout ce qui précède que les actes des personnes ayant commis un
génocide à Srebrenica ne peuvent être attribués au défendeur selon les règles du droit international
de la responsabilité des Etats, de telle sorte que la responsabilité internationale du défendeur n’est
pas engagée à ce titre.
La question de la responsabilité, s’agissant de Srebrenica, à raison d’actes énumérés aux litt. b) à e)
de l’article III de la convention sur le génocide (par. 416-424)
La Cour en vient à la deuxième des questions énoncées ci-dessus, à savoir la question
relative à une éventuelle responsabilité du défe ndeur à raison de l’un des actes connexes au
génocide énumérés à l’article III de la Convention. Elle relève que l’examen des faits fait ressortir
que seuls les actes allégués de complic ité dans le génocide, au sens du litt. e) de l’articleIII, sont
pertinents dans la présente affaire.
La question est de savoir s’il est possible de retenir de tels actes à la charge des organes du
défendeur ou de personnes agissant selon ses instructions ou sous son contrôle effectif. - 17 -
La Cour déclare que, aux fins d’établir la responsabilité du défendeur pour «complicité dans
le génocide», elle doit examiner si ces organes ou personnes ont prêté «aide ou assistance» à la
commission du génocide de Srebrenica, en un sens qu i ne diffère pas de manière sensible de celui
que possèdent ces notions dans le droit général de la responsabilité internationale. Elle doit
également établir si l’organe ou la personne qui f ournit aide ou assistance à l’auteur du crime de
génocide a agi en connaissance de cause, c’est-à-dire, notamment, connaissait l’existence ou aurait
dû connaître l’existence de l’intention spécifique (dolus specialis) qui animait l’auteur.
La Cour n’est pas convaincue par les éléments de preuve émanant du demandeur que les
conditions exposées plus haut se trouvent réunies. En particulier, il n’a pas été établi de manière
indiscutable, par l’argumentation développée entre les Parties, que les autorités de la RFY auraient
fourni ⎯ et continué à fournir ⎯ leur aide et leur assistance aux chefs de la VRS qui ont décidé et
exécuté le génocide, à un moment où elles auraient été clairement conscientes qu’un génocide était
sur le point, ou en train, d’être commis.
La Cour note qu’il est clairement déterminant, à cet égard, qu’il n’a pas été démontré de
façon concluante que la décision d’éliminer physiquement la population masculine adulte de la
communauté musulmane de Srebrenica ait été, au moment où elle a été prise, portée à la
connaissance des autorités de Belgrade.
La Cour conclut de ce qui précède que la responsabilité internationale du défendeur n’est pas
engagée à raison d’actes de complicité de génocide énumérés au litt. e) de l’articleIII de la
Convention. Au vu de cette conclusion et de celles formulées ci-dessus relativement aux autres litt.
de l’articleIII, la responsabilité internationale du défendeur n’es t pas engagée sur le terrain de
l’article III dans son ensemble.
La responsabilité pour manquement aux obligatio ns de prévenir et de punir le génocide
(par. 425-450)
La Cour fait remarquer que dans la convention sur le génocide, l’obligation de prévenir le
génocide et celle d’en punir les auteurs sont deux obligations distinctes, quoique reliées entre elles,
qui doivent être examinées successivement.
⎯ L’obligation de prévenir le génocide (par. 428-438)
La Cour fait quelques remarques liminaires. En premier lieu, la convention sur le génocide
n’est pas le seul instrument international à prév oir l’obligation pour les Etats parties de prendre
certaines mesures afin de prévenir les actes qu’il vise à interdire. En deuxième lieu, il est clair que
l’obligation dont il s’agit est une obligation de comportement et non de résultat, en ce sens que l’on
ne saurait imposer à un Etat quelconque l’obligation de parvenir à empêcher, quelles que soient les
circonstances, la commission d’un génocide : l’obligation qui s’impose aux Etats parties est plutôt
celle de mettre en Œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue
d’empêcher, dans la mesure du possible, le génoci de. La responsabilité d’un Etat ne saurait être
engagée pour la seule raison que le résultat recherché n’a pas été atteint ; elle l’est, en revanche, si
l’Etat a manqué manifestement de mettre en Œuvr e les mesures de prévention du génocide qui
étaient à sa portée, et qui auraient pu contribuer à l’empêcher. En troisièm e lieu, la responsabilité
d’un Etat pour violation de l’obligation de prévenir le génocide n’est susceptible d’être retenue que
si un génocide a effectivement été commis. Enfin, en quatrième lieu, la Cour croit particulièrement
important d’insister sur les différences qui exis tent entre les conditions auxquelles peut être
constatée la violation par un Etat de l’obligation de prévenir le génocide ⎯au sens de l’article
premier de la Convention ⎯ et celles qui sont exigées pour que l’Etat soit tenu pour responsable de
«complicité dans le génocide» ⎯au sens du litt. e) de l’articleIII ⎯, dont il a été précédemment
question. - 18 -
La Cour en vient alors à l’examen des fa its de l’espèce, en limitant son examen au
comportement de la RFY à l’égard des massacres de Srebrenica. La Cour constate d’abord qu’à
l’époque considérée la RFY se trouvait, à l’égard de s Serbes de Bosnie qui ont conçu et exécuté le
génocide de Srebrenica, dans une position d’influe nce qui n’était comparable à celle d’aucun des
autres Etats parties à la convention sur le génoci de, en raison de la puissance des liens politiques,
militaires et financiers entre, d’une part, la RFY et, de l’autre, la Republika Srpska et la VRS, liens
qui, s’ils s’étaient alors quelque peu distendus par rapport à la période précédente, étaient
cependant demeurés très forts.
En deuxième lieu, la Cour ne peut manquer de relever que la RFY était, à la date pertinente,
soumise à des obligations très sp écifiques du fait des deux ordonnances en indication de mesures
conservatoires rendues par la Cour en1993. En particulier, dans son ordonnance du 8avril1993,
la Cour a notamment indiqué que la RFY était tenue de veiller «à ce qu’aucune des unités
militaires, paramilitaires ou unités armées irréguliè res qui pourraient rele ver de son autorité ou
bénéficier de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pourraient se trouver sous son
pouvoir, son autorité, ou son influence ne commette nt le crime de génocide, ne s’entendent en vue
de commettre ce crime, n’incitent directement et publiquement à le commettre ou ne s’en rendent
complices…». L’emploi par la Cour, dans le passage précité, du terme «influence» est
particulièrement révélateur de ce que l’ordonnance ne visait pas seulement les personnes ou entités
dont le comportement était attribuable à la RFY, mais aussi toutes celles avec lesquelles l’Etat
défendeur entretenait des liens étroits et sur lesquelles il pouvait exercer une certaine influence.
En troisième lieu, la Cour rappelle que, même si elle n’a pas non plus jugé que les
informations dont disposaient les autorités de Belgrade indiquaient de manière certaine
l’imminence du génocide (raison pour laquelle la complicité dans le génocide n’a pas été retenue
ci-dessus), ces dernières ne pouvaient pas ne pas être conscientes du risque sérieux qui existait à cet
égard dès lors que les forces de la VRS avaient décidé de prendre possession de l’enclave de
Srebrenica.
Compte tenu de leur indéniable pouvoir d’ influence, et des informations dont elles
disposaient, faisant état de graves préoccupations , les autorités fédérales yougoslaves auraient dû,
de l’avis de la Cour, faire de leur mieux pour tenter d’éviter que ne se produisent les tragiques
événements qui s’annonçaient, et dont l’ampl eur était sinon prévisible avec certitude, du moins
soupçonnable. Les dirigeants de la RFY, et au premier chef le président Miloševi ć, n’ignoraient
rien, en effet, du climat particulièrement haineu x qui régnait entre les Se rbes de Bosnie et les
Musulmans dans la région de Srebrenica. Or, le défendeur n’a établi l’existence d’aucune initiative
à des fins préventives, d’aucune action de sa part visant à éviter les atrocités qui ont été commises.
Force est de conclure que les organes du défendeur n’ont rien fait pour prévenir les massacres de
Srebrenica, prétendant être impuissants à cette fi n, ce qui ne cadre guère avec ce que l’on sait de
leur pouvoir d’influence sur la VRS. Comme il a été dit plus haut, il n’est pas nécessaire, pour que
la violation de l’obligation de prévention soit rete nue à la charge d’un Etat, qu’il soit prouvé que
cet Etat avait le pouvoir d’empêcher certainement le génocide; il suffit qu’il ait eu des moyens
d’agir en ce sens, et qu’il se soit manifestement abstenu de les mettre en Œuvre.
Tel est le cas en l’espèce. La Cour conclut donc de ce qui précède que le défendeur a violé
son obligation de prévenir le génocide de Sr ebrenica, et a ainsi engagé sa responsabilité
internationale.
⎯ L’obligation de réprimer le génocide (par. 439-450)
La Cour rappelle d’abord que le génocide de Srebrenica dont elle a constaté ci-dessus la
commission n’a pas été perpétré sur le territoire de l’Etat défendeur. Elle en déduit qu’on ne
saurait faire grief à ce dernier de n’avoir pas poursuivi devant ses propres tribunaux les personnes - 19 -
accusées d’avoir participé, soit comme auteurs principaux, soit comme complices, au génocide de
Srebrenica, ou d’avoir commis l’un des autres actes mentionnés à l’articleII I de la Convention en
liaison avec le génocide de Srebrenica.
C’est donc sur l’obligation de coopératio n avec la «cour crimin elle internationale»
mentionnée par l’articleVI de la Convention qui s’impose au défendeur que la Cour doit
concentrer son attention. Il est certain, en effet, que dès lors qu’une telle juridiction a été créée,
l’article VI oblige les Etats contractants «qui en auront reconnu la juridiction» à coopérer avec elle,
ce qui implique qu’ils procèdent à l’arrestation des personnes accusées de génocide se trouvant sur
leur territoire ⎯ même si le crime dont elles sont accusées a été commis hors de celui-ci ⎯ et que,
à défaut de les traduire devant leurs propres juridictions, ils les défèrent devant la cour
internationale compétente pour les juger.
La Cour déclare que le TPIY constitue une «cour criminelle intern ationale» au sens de
l’article VI et que, à compter du 14 décembre 1995 au plus tard, date de la signature et de l’entrée
en vigueur des accords de Dayton entre la Bosnie -Herzégovine, la Croatie et la RFY, le défendeur
doit être considéré comme ayant «reconnu la juridiction» du Tribunal au sens de cette disposition.
L’annexe 1A de ce traité, liant les parties en ve rtu de son article II, stipule notamment l’obligation
d’une pleine coopération, notamment avec le TPIY.
A cet égard, la Cour observe tout d’abord qu’a u cours de la procédure orale, le défendeur a
affirmé que l’obligation de coopération avait été respectée à partir du changement de régime
politique à Belgrade en2000, admettant ainsi implic itement que tel n’avait pas été le cas au cours
de la période antérieure. Le comportement des or ganes de la RFY avant le changement de régime
engage cependant la responsabilité internationa le du défendeur tout autant que celui de ses
dirigeants politiques depuis cette date. En outre, la Cour ne peut manquer d’accorder un certain
poids à des informations nombreuses et concordantes donnant à penser que le généralMladi ć,
poursuivi pour génocide devant le TPIY en tant que l’un des principaux responsables des massacres
de Srebrenica, s’est trouvé sur le territoire du défendeur au moins à plusieurs moments et pendant
des durées importantes ces dernières années, et qu’ il s’y trouve peut-être enco re à l’heure actuelle,
sans que les autorités serbes aient déployé les moyens que l’on peut raisonnablement estimer être à
leur disposition pour déterminer le lieu exact de sa résidence et procéder à son arrestation.
Dans ces conditions, il paraît su ffisamment établi aux yeux de la Cour que le défendeur a
manqué à son obligation de pleine coopération avec le TPIY. Ce manquement constitue une
violation par le défendeur de ses devoirs en qualité de partie aux accords de Dayton et de Membre
de l’Organisation des Nations Unies et, en conséquence, une violation de ses obligations au titre de
l’article VI de la convention sur le génocide. Sur ce point, les conclusions du demandeur relatives
à la violation, par le défendeur, des articles I et VI de la Convention doivent donc être accueillies.
La question de la responsabilité pour non-respect des ordonnances en indication de mesures
conservatoires rendues par la Cour(par. 451-458)
Ayant rappelé que ses «ordonnances indiquan t des mesures conservatoires au titre de
l’article41 [du Statut] ont un caractère obligatoir e», la Cour conclut qu’il est manifeste qu’en ce
qui concerne les massacres de Srebrenica en ju illet1995, le défendeur n’a pas respecté son
obligation, indiquée au paragraphe52A.1) de l’ordonnance du 8avril1993 et réaffirmée par
l’ordonnance du 13 septembre 1993, de «prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir
la commission du crime de génocide». Il n’a pas non plus respecté la mesure indiquée au
paragraphe52A2) de l’ordonnance du 8 avril1993 et réaffirmée par l’ordonnance du
13septembre1993, en tant que ladite mesure lui imposait de «veiller à ce qu’aucune…
organisation ou personne qui pourraient se trouver sous … son influence ne commettent le crime de
génocide». - 20 -
⎯ La question de la réparation (par. 459-470)
Dans les circonstances de la présente espèce, il n’apparaît pas opportun, ainsi que le
reconnaît le demandeur, de prier la Cour de dire que le défendeur est tenu à une obligation de
restitutio in integrum. Dans la mesure où la restitution est impossible, comme l’a dit la Cour dans
l’affaire relative au Projet Gab číkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie) , «[i]l est une règle bien
établie du droit international qu’un Etat lésé est en droit d’être indemnisé, par l’Etat auteur d’un fait
internationalement illicite, des dommages résultant de celui-ci».
La Cour, appelée à statuer sur la demande de réparation, doit rechercher si et dans quelle
mesure le dommage invoqué par le demandeur est la conséquence du comportement illicite du
défendeur, de telle sorte que ce dernier serait tenu de le réparer, conformément au principe de droit
international coutumier mentionné plus haut. Dans ce contexte, la question qui est celle de savoir
si le génocide de Srebrenica aurait eu lieu dans l’hypothèse où le défendeur aurait employé, pour
essayer de l’empêcher, tous les moyens dont il disposait, devient directement pertinente. Toutefois,
la Cour n’est manifestement pas en mesure de déduire de l’ensemble de l’affaire, avec un degré
suffisant de certitude, que le génocide de Srebrenica aurait été effectivement empêché si le
défendeur avait adopté un comportement conforme à ses obligations juridiques. La Cour ne
pouvant regarder comme établie l’existence d’un lien de causalité entre la violation par le
défendeur de son obligation de prévention et le gé nocide de Srebrenica, l’indemnisation n’apparaît
pas comme la forme appropriée de réparation qu’appe lle la violation de l’obligation de prévenir le
génocide.
Il est néanmoins clair que le demandeur est en droit de recevoir une réparation sous forme de
satisfaction, qui pourrait on ne peut plus op portunément, ainsi que l’a suggéré le demandeur
lui-même, revêtir la forme d’une déclaration dans le présent arrêt indiquant que le défendeur a
manqué de se conformer à l’obligation que lui impose la Convention de prévenir le crime de
génocide.
En venant à la question de la réparation qu’a ppelle la violation, par le défendeur, de
l’obligation qui lui incombe, en vertu de la Conve ntion, de punir les actes de génocide, la Cour
tient pour établi que le défendeur doit encore, pour honorer les engagements qu’il a contractés aux
termes des articles premier et VI de la convention sur le gé nocide, s’acquitter de certaines
obligations en matière de transfert au TPIY de personnes accusées de génocide, notamment en ce
qui concerne le général Ratko Mladić.
La Cour ne juge pas opportun de faire droit à la demande du demandeur tendant à ce que soit
ordonnée une indemnisation symbolique à raison du non-respect, par le défendeur, de l’ordonnance
en mesures conservatoires rendue par la Cour le 8 avril 1993.
Dispositif (par. 471)
«Par ces motifs,
L A C OUR ,
1) par dix voix contre cinq,
Rejette les exceptions contenues dans les conclusions finales du défendeur suivant lesquelles
la Cour n’a pas compétence; et dit qu’elle a compétence, sur la base de l’articleIX de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, pour statuer sur le différend
porté devant elle le 20 mars 1993 par la République de Bosnie-Herzégovine ; - 21 -
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, juges ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
C ONTRE : MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Skotnikov, juges ; M. Kreća, juge ad hoc ;
2) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie n’a pas commis de génocide, par l’intermédiaire de ses organes ou de
personnes dont les actes engagent sa responsabilité au regard du dr oit international coutumier, en
violation des obligations qui lui incombent en vu de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide ;
POUR : Mme Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka,
Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Kreća, juge ad hoc ;
C ONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
3) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie n’a pas participé à une entente en vue de commettre le génocide, ni n’a
incité à commettre le génocide en violation desobligations qui lui incombent en vertu de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
POUR : Mme Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka,
Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Kreća, juge ad hoc ;
C ONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
4) Par onze voix contre quatre,
Dit que la Serbie ne s’est pas rendue complice de génocide en violation des obligations qui
lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
POUR : Mme Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka,
Abraham, Sepúlveda-Amor, Skotnikov, juges ; M. Kreća, juge ad hoc ;
C ONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Keith, Bennouna, juges ; M. Mahiou,
juge ad hoc ;
5) par douze voix contre trois,
Dit que, s’agissant du génocide commis à Srebrenica en juillet1995, la Serbie a violé
l’obligation de prévenir le génocide prescrite par la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Owada, Simma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, juges ;
M. Mahiou, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Tomka, Skotnikov, juges; M. Kreća, juge ad hoc ;
6) par quatorze voix contre une, - 22 -
Dit que la Serbie a violé les obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide en ne transférant pas RatkoMladć, accusé de
génocide et de complicité de génocide, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie pour
y être jugé, et en ne coopérant donc pas pleinement avec ledit Tribunal ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna,
Skotnikov, juges ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
C ONTRE : M. Kreća, juge ad hoc ;
7) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie a violé l’obligation qui lui incombait de se conformer aux mesures
conservatoires ordonnées par la Cour les 8avril et 13 septembre 1993 en la présente affaire, en ne
prenant pas toutes les mesures qui étaient enson pouvoir pour prévenir le génocide commis à
Srebrenica en juillet 1995 ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, juges ;
M. Mahiou, juge ad hoc ;
C ONTRE : M. Skotnikov, juge; M. Kreća, juge ad hoc ;
8) par quatorze voix contre une,
Décide que la Serbie doit prendre immédiatemen t des mesures effectives pour s’acquitter
pleinement de l’obligation qui lui incombe, en veru de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, de punir les acte s de génocide définis à l’articleII de la
Convention ou les autres actes prohibés par l’ar ticleIII de la Convention, de transférer les
personnes accusées de génocide ou de l’un quel conque de ces autres actes au Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, et de coopérer pleinement avec ledit Tribunal ;
POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna,
Skotnikov, juges ; M. Mahiou, juge ad hoc ;
C ONTRE : M. Kreća, juge ad hoc ;
9) par treize voix contre deux,
Dit que, s’agissant des violations des obligations visées aux points5 et7 ci-dessus, les
conclusions formulées par la Cour sous ces poin ts constituent une satisfaction appropriée et qu’il
n’y a pas lieu en l’espèce d’ordonne r que soient versées des indemnités, ni, en ce qui concerne la
violation visée au point 5, que soient fournies des assurances et garanties de non-répétition.
POUR : Mme Higgins, président; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka,
Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Kreća, juge ad hoc ;
C ONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; M. Mahiou, juge ad hoc.
* - 23 -
M. le juge A L-K HASAWNEH , vice-président, joint à l’rêt l’exposé de son opinion
dissidente; MM.les juges R ANJEVA , SHIet K OROMA joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion
dissidente commune; M. le juge R ANJEVA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle;
MM. les juges SHIet KOROMA joignent une déclaration commune à l’arrêt ; MM. les jugWADA
et TOMKA joignent à l’arrêt les exposés de leuropinion individuelle; MM.les juges K EITH,
B ENNOUNA et SKOTNIKOV joignent des déclarations à l’arrêt; M.le juge adhocAHIOU joint à
l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge adRECA joint à l’arrêt l’exposé de son
opinion individuelle.
___________ o
Annexe au résumé n 2007/2
Opinion dissidente du vice-président Al-Khasawneh
Le vice-président Al-Khasawneh estime devoir expliquer la nature de son désaccord avant
d’en exposer les raisons. Il considère que ses divergences avec la majorité, en tant qu’elles portent
non seulement sur ses conclusions mais également sur son raisonnement, les postulats qu’elle a
posés et la méthodologie qu’elle a suivie, sont suffisamment profondes pour justifier une opinion
dissidente, même s’il souscrit à certaines parties de l’arrêt —notamment en ce qui concerne la
compétence, le manquement par la Serbie à l’obligation de prévenir le génocide commis à
Srebrenica, l’absence de coopération avec le TPIY et l’inobservation de précédentes mesures
conservatoires.
En ce qui concerne la compétence, le vice-pr ésident rappelle que c’est notamment en raison
du nombre sans précédent des pha ses de procédure qui ont été consacrées à la question que justice
a tant tardé à être rendue en l’espèce. La question s’articulait autour du statut international de la
République fédérale de Yougoslavie (RFY) et sa qualité de Membre de l’Organisation des
NationsUnies, en conséquence de quoi la question de l’«accès» ⎯ démesurément amplifiée dans
le dessein de remettre en question la compétence de la Cour, clairement établie dans l’arrêt
de 1996 ⎯s’est trouvée au centre des débats. Analysan t le contexte dans lequel la question de
l’appartenance de la RFY à l’Organisation des Nati onsUnies et la prétention de cet Etat à assurer
la continuité de la République fédérative social iste de Yougoslavie (RFSY) ont vu le jour, le
vice-président en conclut que la RFY a toujours ét é Membre de l’Organisation des Nations Unies,
qu’il ne pouvait pas en être autrement et que les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de
l’Assemblée générale n’ont eu d’autre effet que de lui interdire de participer aux travaux de cette
dernière. Cette conclusion se fonde sur des él éments objectivement vérifiables: la RFSY était
Membre originaire de l’Organisation des NationsUnie s, elle n’a jamais cessé d’exister et il existe
une présomption contre la perte de la qualité de Membre de l’Organisation.
Le vice-président rappelle également que se ule la RFY pouvait, de sa propre volonté,
renoncer à sa qualité de Membre en tant qu’Etat assu rant la continuité de la RFSY et présenter une
demande d’adhésion en qualité de nouveau Membre ⎯autrement dit, d’Etat successeur. Par
conséquent, le fait qu’elle a soumis cette dema nde en2000 signifie que la RFY a assuré la
continuité entre1992 et2000, et qu’elle est devenue Etat successeur à partir de2000, et non pas,
comme l’a conclu la Cour dans ses arrêts de 2004 sur la Licéité de l’emploi de la force , qu’elle
n’était pas membre avant 2000. Aucune conclusion rétroactive ne pouvant être tirée du fait que la
RFY a été admise à l’Organisation des NationsUnies en2000, et une analyse indépendante du
statut de la RFY entre 1992 et 2000 (indépendante par rapport à ce fait) ne pouvant mener qu’à une
seule conclusion —que la RFY avait qualité de Membre entre1992 et2000—, le vice-président
juge défectueuse la logique sur laquelle reposent les arrêts de2004. Cette logique, estime-t-il en
outre, contredit la jurisprudence antérieure ⎯l’ordonnance de1993, l’arrêt de1996 et surtout
l’arrêt de 2003 sur la Demande en revision, dans le cadre duquel la Cour a, à bon droit, conclu qu’il
ne pouvait être tiré de l’admission de la RFY à l’Organisation des NationsUnies en2000 aucune
conséquence rétroactive sur sa qualité de Membre.
Le vice-président estime de surcroît que l’ Initiative présentée par la RFY demandant à la
Cour de réexaminer d’office sa compétence était entachée d’irrégularité, et juge regrettable que la
Cour, en2003, l’ait acceptée, ce qui revenait à remettre en question sa propre compétence. Cette
Initiative a eu pour effet, selon lui, d’introduire des contradictions dans la jurisprudence de la Cour,
et ne se justifiait pas au regard du Statut de la Cour. Le vice-président considère que les précédents
cités à l’appui de la thèse selon laquelle la «Cour d[oit] toujours s’assurer de sa compétence» ne
s’appliquent pas en l’espèce. - 2 -
A force de se voir opposer toutes ces contradictions ⎯ dont la responsabilité lui incombe en
grande partie ⎯, et par effet de contagion, la Cour n’a eu d’autre choix que de s’appuyer
exagérément sur le principe de l’autorité de la chose jugée, ce qui se justifie, mais n’est guère
satisfaisant. A l’évidence, la Cour s’est trouvée poussée dans ses derniers retranchements, en partie
de son propre fait.
Sur le fond, le vice-président Al-Khasawneh estime que, en recourant à un ensemble de
méthodes et de postulats qui, outre qu’ils n’ont pas leur place en droit, ne sont pas adaptés aux faits
de l’espèce, la Cour a réalisé l’exploit, pour le moins remarquable, de disculper la Serbie du
génocide commis en Bosnie-Herzégovine, en ne lui imputant, pour toute responsabilité, que celle
de ne pas avoir empêché le génocide commis à Sr ebrenica, dans lequel cependant la responsabilité
serbe, de l’avis du vice-président, ne s’est pa s limitée à un simple manquement à l’obligation de
prévention mais a été plus active.
Premièrement, puisque l’intention est généralement insaisissable et, de même que
l’imputabilité, souvent soigneusement dissimulée, la Cour aurait dû demander à avoir accès aux
documents du «Conseil suprême de la défense de Serbie» , ce qui lui aurait probablement beaucoup
facilité la tâche. Le refus de la Serbie de divulguer ces documents aurait dû à tout le moins
l’amener à assouplir un peu la procédure d’admini stration de la preuve. L’insistance mise sur
l’application à cet égard d’un «critère» extrêmement rigoureux et sur le refus de renverser la
«charge de la preuve» a placé le demandeur dans une situation extrêmement désavantageuse.
Deuxièmement, la Cour a également appliqué un cr itère très strict —celui du contrôle effectif ,
utilisé dans l’affaire Nicaragua ⎯ à une situation différente dans laquelle, entre autres,
l’appartenance à un même groupe ethnique et la volonté commune de commettre des crimes
internationaux ⎯le nettoyage ethnique, par exemple ⎯ justifiaient de s’en tenir au critère du
contrôle global . Troisièmement, la Cour s’est également refusée à déduire d’une «ligne de
conduite systématique» qu’un génocide avait été commis, passant outre, à cet égard, à l’abondante
et pertinente jurisprudence d’autres juridictions . Quatrièmement, la Cour n’a pas envisagé le
génocide comme un crime complexe —par oppositi on à l’homicide. En conséquence, des faits
qui, examinés conjointement, engagent la respons abilité de la Serbie, ont été considérés isolément
⎯ainsi, la participation du généralMladi ć aux événements de Srebrenica et le rôle des
«Scorpions». Cinquièmement, même lorsqu’il il y a eu aveu de culpabilité ⎯ avec, par exemple, la
déclaration faite par le Conseil des ministres serbe à la suite de la diffusion d’un enregistrement
vidéo montrant l’exécution, aux mains des «Scorpions», de prisonniers musulmans ⎯ il n’en a pas
été tenu compte: cette déclaratio n a été écartée, au motif qu’elle était de nature politique, alors
même que la Cour avait attaché un poids juridique à de telles déclarations dans des précédents que,
pour certains, elle n’a pas même invoqués.
Le vice-président conclut que, si elle avait cherché à se faire sa propre opinion, la Cour
aurait très certainement conclu à la responsabilité de la Serbie dans le génocide commis en
Bosnie ⎯en tant qu’auteur principal ou en tant que complice. Elle aurait pu parvenir à cette
conclusion sans se départir de sa rigueur ni de ses strictes exigences en matière d’établissement de
la preuve. En ce qui concerne Srebrenica, il ne fait aucun doute aux yeux du vice-président que la
participation active de la Serbie est établie au re gard de critères satisfaisants du point de vue des
faits et du droit.
Opinion dissidente commune de MM. les juges Ranjeva, Shi et Koroma
Dans une opinion dissidente commune jointe à l’arrêt (fond), les juges Ranjeva, Shi et
Koroma se disent vivement préoccupés de ce que le présent arrêt attribue l’autorité de la chose
jugée à l’arrêt rendu par la Cour en 1996 sur les exceptions préliminaires pour conclure «en toute
logique» que la question de la compétence rationae personae avait alors été tranchée. Les trois
juges soulignent que leur position est de nature st rictement juridique et n’implique aucun jugement
politique ou moral sur le fond de l’affaire. A leur avis, l’autorité de la chose jugée sur laquelle se
fonde l’arrêt élude largement deux questions centrales et connexes qui ont été soumises à la Cour et - 3 -
qui concernent sa compétence au moment où la requête a été déposée, à savoir: la
Serbie-et-Monténégro était-elle Membre de l’Organisation des Nations Unies et était-elle partie à la
convention sur le génocide et/ou liée par ses dispositions ?
Selon les trois juges, il convient de déterminer la portée et l’effet de l’autorité de la chose
jugée d’après les dispositions constitu tionnelles et statutaires en vigueur et d’après les conclusions
des parties à un différend donné. En outre, l’article 56 du Statut dispose que «[l]’arrêt [doit être]
motivé». Dans la présente affaire, l’arrêt laisse supposer que la question de l’accès a été examinée
et tranchée, alors que celle-ci n’avait été ni abordée par les Parties ⎯lesquelles, aux termes de
l’arrêt, n’avaient «aucun intérêt» à soulever la question à l’époque ⎯ ni tranchée par la Cour dans
son arrêt de 1996. De surcroît, les trois juges soul ignent que, selon les conclusions de l’arrêt rendu
en 2004 dans l’affaire de la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique) , la
Serbie-et-Monténégro n’était pas membre de l’Organisation des NationsUnies en1999, et que la
convention sur le génocide ne contenait aucune des «dispositions partic ulières des traités en
vigueur» ouvrant aux Etats parties l’accès à la Cour. Par conséquent, tant du point de vue des faits
que du droit, il semble évident que, si la Serbie-et-Monténégro n’était pas membre de
l’Organisation des NationsUnies en 1999, elle ne l’était forcément pas non plus le 28mars1993,
date du dépôt de la requête en l’espèce, et que le défendeur n’était donc pas admis à adhérer à la
convention sur le génocide sur la base de l’un des deux moyens énoncés à son articleXI. Le
principe de l’autorité de la chos e jugée remplit une fonction qui ne sa urait, selon les trois juges, se
substituer aux conditions posées par la Charte des Na tionsUnies ou le Statut de la Cour. Ils font
observer que la Cour devrait toujours se prononcer sur les exceptions d’incompétence lorsqu’elles
sont soulevées, comme c’est le cas en l’espèce, et que, dans l’affaire de la Licéité de l’emploi de la
force, la Cour a d’abord examiné la question de l’accès à sa juridiction, dérogeant ainsi à la règle
générale selon laquelle elle a la faculté de déterminer le chef de compétence à examiner en premier
lieu. En tout état de cause, l’application par la Co ur du principe de l’autorité de la chose jugée est,
relèvent-ils, incohérente, même dans le seul cadre du présent arrêt ; en effet, les conclusions sur la
compétence énoncées dans l’arrêt de1996, et sur le squelles se fonde le présent arrêt, visaient la
Serbie-et-Monténégro, alors que l’ef fet de l’autorité de la chose jugée attaché à l’arrêt de1996
n’est appliqué ici qu’à la Serbie.
Les juges Ranjeva, Shi et Koroma concluent d onc que l’arrêt a négligé de traiter l’une des
conclusions de fond clairement soumises à la Cour au stade actuel et que c’est seulement en
examinant l’ensemble de celles-ci que la Co ur aurait pu trancher la question de manière
juridiquement valide du point de vue juridique.
Opinion individuelle de M. le juge Ranjeva
respaonsabilité internationale d’un Etat pour omissi on sanctionne l’obligation de prévenir
le crime de génocide, qui est une obligation erga omnes . Pour satisfaire à la solidarité
internationale qui en est le fondement, une vig ilance constante est requise, dans un cadre de
coopération multilatérale. Cette obligation, qui doit être exécutée avec discernement, pèse sur tous
les Etats parties. L’obligation est appréciée in concreto par le juge, non sans difficultés, car il s’agit
essentiellement pour les Etats souverains d’ag ir préventivement par une action diplomatique
concertée.
Déclaration commune de MM. les juges Shi et Koroma
Dans une déclaration commune jointe à l’ar rêt (fond), les juges Shi et Koroma expriment
leurs sérieux doutes quant à l’interprétation de la convention sur le génocide qui y est donnée,
interprétation aux termes de laquelle un Etat pourrait être lui-même considéré comme ayant
commis le crime de génocide et en être tenu pour responsable. Selon eux, cette interprétation,
déduite «par implication» de l’article premier de la Convention, est incompatible avec l’objet et le
but de cet instrument dans son ensemble, si l’on tient compte du sens naturel de celui-ci et de - 4 -
l’intention qui était celle des part ies à l’époque où le traité a été conclu. Les juges Shi et Koroma
soutiennent que ce que la Convention prévoit, c’est de juger et de punir des individus pour le crime
de génocide, la responsabilité de l’Etat étant dé finie sous la forme de différentes obligations
spécifiques relatives à l’engagement de prévenir ce crime et de punir ceux qui le commettent; il
serait en effet absurde qu’un Etat partie à la C onvention s’engage à se pu nir lui-même en tant
qu’Etat. Selon les juges Shi et Koroma, si la Convention devait comporter une obligation aussi
importante que celle de prévoir la responsabilité pénale des Etats, cela aurait été expressément
stipulé dans le texte. Or la Convention ne con tient aucune disposition de cette nature. Les juges
Shi et Koroma relèvent que certaines propositi ons formulées lors de la négociation de la
Convention qui auraient conduit à établir la responsabilité de l’Etat pour commission du génocide
ont été rejetées. Ils font également observer qu e l’interprétation d’un traité a pour but d’en
découvrir le sens ainsi que l’intention des parties à l’époque de sa négociation, et non de parvenir à
un objectif jugé souhaitable.
* *
Toutefois, nonobstant leur désaccord avec l’interprétation de la Convention, et notamment de
son articlepremier, telle que donnée dans l’arrêt, les juges Shi et Koroma ont voté en faveur des
conclusions relatives à la préven tion du génocide commis à Srebrenica en juillet1995, dans la
mesure où ils croient à la valeur intrinsèqueme nt humanitaire de la conclusion à laquelle est
parvenue la Cour ainsi qu’à la prescription juridi que impérative énoncée à l’articlepremier de la
Convention, à savoir le devoir qui s’impose à un Etat de prendre toutes les mesures en son pouvoir,
dans le cadre du droit, pour tenter de préven ir le génocide lorsqu’il y a un risque sérieux que
celui-ci se produise et que l’Etat en question en est —ou devrait en être— conscient. Les juges
Shi et Koroma estiment cependant que la conclusion énoncée dans l’arrêt à cet égard aurait pu être
juridiquement mieux fondée si elle avait reposé su r les résolutions pertin entes adoptées par le
Conseil de sécurité dans le cadr e du chapitreVII, lesquelles ont cl airement mis au jour plusieurs
occasions manquées où les dirigeants de la RFY au raient pu prendre des mesures devant le risque
humanitaire grave et imminent que faisait pese r l’avancée des unités paramilitaires serbes de
Bosnie sur Srebrenica et ses environs. M. Miloševi ć aurait pu, et dû, user des moyens de pression,
quels qu’ils fussent, dont il disposait à l’égard de sdirigeantsserbesdeBosnieafindetenterde
prévenir le génocide de Srebrenica.
Opinion individuelle de M. le juge Owada
Le juge Owada a joint son opinion individuelle à l’arrêt de la Cour. Tout en souscrivant de
manière générale aux conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans le dispositif, il ne partage
pas sur tous les points le raisonnement suivi dans l’arrêt et il estime par ailleurs que certains aspects
importants demandent à être développés.
Premièrement, le juge Owada considère que la conclusion de la Cour concernant la question
de la qualité du défendeur pour se présenter devant elle en l’espèce ne devrait pas être comprise
comme résultant d’une application simpliste du prin cipe de l’autorité de la chose jugée. Le
demandeur a soutenu en effet que l’objection soul evée par le défendeur dans son Initiative du
4mai2001 est, par sa nature, une exception à la compétence, que, la Cour ayant dans son arrêt
de1996 sur les exceptions préliminaires tranché toutes les questions de compétence, cet arrêt est
res judicata à l’égard de la question de la compétence en l’espèce, que la Cour n’a donc pas à aller
plus loin et que l’exception soulevée une nouvelle fo is par le défendeur doit être rejetée. Pour le
juge Owada, cependant, la solution ne se résume pas à l’application pure et simple du principe de
l’autorité de la chose jugée : c’est pourquoi il souh aite développer un peu le raisonnement suivi sur - 5 -
ce point dans l’arrêt, selon sa propre façon de vo ir les choses. Tout en approuvant pleinement le
fondement juridique sur lequel reposent les arrêts re ndus en 2004 dans les affaires de la Licéité de
l’emploi de la force en ce qui concerne cette même question de la qualité de la RFY pour ester
devant la Cour (jus standi) , le juge Owada souligne que l’arrêt de1996 diffère des arrêts de2004
sur un point important. Sa conclusion est que, s’il est vrai que, dans son arrêt de 1996, la Cour n’a
pas abordé expressément, en fait, la question du jus standi , cet arrêt doit néanmoins être considéré
en droit comme ayant tranché définitivement la question, qui était restée ouverte dans l’arrêt
de 1993 sur la demande en indication de mesures conservatoires.
Deuxièmement, le juge Owada n’adhère pas à la position prise par la Cour dans l’arrêt, selon
laquelle, en vertu de l’article premier de la convention sur le génocide, les Etats parties à la
Convention ont assumé, non seulement l’obligation de prévenir et réprimer le crime de génocide
commis par des individus, mais aussi celle de ne pas commettre eux-mêmes le génocide, à peine
d’engager directement leur responsabilité internationale en vertu de la Convention même en cas de
violation de cette dernière obligation. De l’avis du juge Owada, si l’objet et le but de la convention
sur le génocide sont bien de faire disparaître le crime odieux de génocide, l’approche retenue dans
la Convention est spécifique : ce que la Conventi on prévoit comme moyen d’atteindre ce but, c’est
que les individus seront traduits devant les tribunaux nationaux et les juridictions internationales
pour répondre du crime de génocide. Selon le juge Owada, l’idée sur laquelle repose la Convention
est, sans aucun doute, que personne, y compris les Etats, ne doit pouvoir commettre ce crime
odieux qu’est le génocide ; cela ne signifie cependant pas, en l’absence de preuve contraire, que les
Etats parties aient pris l’engagement juridiqu e d’accepter une responsabilité au titre de la
Convention de telle manière que, en cas de non-re spect de cet engagement, ils puissent être tenus
pour responsables dans le cadr e du régime de la Convention . Tout en aboutissant à la même
conclusion que l’arrêt, à savoir que la Cour a, en vertu de l’article IX de la Convention, le pouvoir
d’examiner la question de la responsabilité de l’Et at en droit international général pour le fait
d’individus dont les actes sont imputables à l’Etat — question qui, à son avis, n’est pas réglée par
les dispositions de fond de la Convention—, le juge Owada s’efforce de montrer que la Cour
devrait arriver à la même conclusion sur un fondement prêtant beaucoup moins à controverse.
Opinion individuelle de M. le juge Tomka
Dans son opinion individuelle, le juge Tomka dit ne pas partager le point de vue de la
majorité selon lequel le principe de l’autorité de la chose jugée empêche la Cour de réexaminer la
question de la compétence telle qu’elle a été «f ixée» dans son arrêt du 11juillet1996. Cette
conclusion de la Cour est en contradiction av ec sa position antérieure, communiquée aux Parties
en2003 par une lettre du greffier, selon laquelle la RFY aurait la possibilité de formuler de
nouveaux arguments sur la compétence au stade de l’examen au fond. Ni le Statut ni le Règlement
de la Cour n’interdisent le dépôt d’exceptions d’ incompétence au stade du fond et la Cour doit
examiner ces questions d’office si cela est nécessaire. Quoi qu’il en soit, l’arrêt de la Cour
du 11 juillet 1996 ne réglait pas la question de compétence précisément soulevée en l’espèce : celle
de savoir si la RFY était partie au Statut de la Cour en tant que Membre de l’Organisation des
Nations Unies au moment du dépôt de la requête en mars 1993. Ainsi, la décision antérieure de la
Cour n’empêchait pas celle-ci de se pencher de nouveau sur la question de sa compétence.
Ayant examiné de nouveau cette question, le juge Tomka conclut à la compétence de la
Cour. L’exercice de cette compét ence suppose que deux conditions soient remplies : que la partie
concernée ait accès à la Cour conformément à l’artic le35 du Statut et que la Cour ait compétence
ratione personae. Le juge Tomka explique que la condition de l’accès est aujourd’hui remplie, la
er
RFY étant devenue Membre de l’Organisation des NationsUnies le 1 novembre 2000 et ayant
donc accès à la Cour depuis cette date. Quant à la compétence ratione personae , elle est établie
puisque la RFY est partie à la convention sur le gé nocide depuis avril1992 en vertu de la règle
coutumière de la succession ipso iure , telle qu’elle s’applique en cas de dissolution d’un Etat. La
tentative faite par la RFY en mars2001 pour adhé rer à la convention sur le génocide en émettant - 6 -
une réserve à l’articleIX de lad ite convention était en contradiction absolue avec le fait que, à la
même époque, elle succédait, en qualité d’Etat successeur de la RSFY, à d’autres conventions, dont
celle de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités. Cet instru ment prévoit que, en cas
de dissolution d’un Etat, les traités de l’Etat prédécesseur restent en vigueur à l’égard de chacun
des Etats successeurs. En outre, la Bosnie-Herzégovine a soulevé en temps voulu une objection à
la notification par la RFY de son adhésion à la co nvention sur le génocide. En conséquence, la
tentative de la RFY d’adhérer à la convention sur le génocide en émettant une réserve à l’article IX
doit être jugée sans effet. Le fait que la RFY n’avait pas accès à la Cour au moment où la
Bosnie-Herzégovine a déposé sa requête est un vice réparable qui, une fois qu’il y a été remédié,
n’empêche pas la Cour d’exercer sa compétence. Le juge Tomka conclut donc 1)que la Cour ne
pouvait pas valablement invoquer le principe de l’autorité de la chose jugée pour refuser
d’examiner les exceptions d’incompétence soulev ées par la RFY au stade du fond et 2)après
réexamen des objections de la FRY, que la Cour est compétente.
Le juge Tomka expose ensuite son désaccord quant à l’objet de la convention sur le génocide
et à l’interprétation de certaines de ses dispositions à la lumière de cet objet. La Convention est
essentiellement un instrument de droit pénal in ternational qui oblige les Etats à prévenir le
génocide et à punir les individus qui en sont les auteurs. Les travaux préparatoires de la
Convention ne confirment pas le point de vue se lon lequel celle-ci conçoit le génocide comme un
acte criminel d’un Etat. Contrairement à la majo rité, le jugeTomka ne pense pas que la clause
compromissoire figurant à l’articleIX de la co nvention donne aussi compétence à la Cour pour
déterminer si un Etat a commis le génocide. Par contre, elle lui confère indubitablement
compétence pour déterminer si un Etat s’est acquitté de ses obligations de prévenir le génocide et
d’en punir les auteurs, et pour dire quelle es t la responsabilité d’un Etat ayant manqué à ces
obligations. Par ailleurs, selon lui, comme le libel lé de l’articleIX de la clause compromissoire
précise «y compris [les différends] relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou
de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’ articleIII», la compétence de la Cour inclut
également le pouvoir de déterminer la «responsabilité d’un Etat en matière de génocide» sur le plan
international pour autant qu’ait ét é attribué à cet Etat l’acte criminel de génocide commis par un
auteur individuel. La Cour n’est pas la juridiction compétente pour conclure par une décision ayant
force obligatoire qu’un crime de génocide a été commis. Une telle décision doit être prise dans le
cadre d’une procédure pénale assortie d’un droit d’ appel. La Cour n’exerce pas de compétence
pénale et la procédure qui est la sienne n’est pas une procédure pénale.
Le juge Tomka estime en outre que les conclusi ons de la Cour selon lesquelles le défendeur
a manqué à son obligation de prévenir le génocide ne sont pas clairement étayées par les éléments
de preuve et ne répondent pas à l’argumentation des Parties dans sa tota lité. S’agissant du champ
d’application territorial de l’obligation des Etats pa rties de prévenir le génocide, il est d’avis que,
en vertu de l’articlepremier de la convention sur le génocide, l’Etat a bel et bien l’obligation de
prévenir le génocide en dehors de son territoire dans la mesure où il exerce sa juridiction en dehors
dudit territoire ou son contrôle sur l’activité de ce rtaines personnes à l’étranger. Cette obligation
vient s’ajouter à l’obligation non équivoque de prévenir la commission du génocide sur son
territoire. Il n’a pas été établi que la République fédérale de Yougoslavi e exerçait sa juridiction
dans les zones voisines de Srebrenica où des massa cres atroces ont été perpétrés, pas plus qu’il n’a
été établi qu’elle exerçait un contrôle sur les auteurs de ces massacres atroces commis en dehors de
son territoire. Le plan visant à tuer le plus gr and nombre possible de Musulmans de Bosnie en âge
de combattre dans l’enclave de Srebrenica a été conçu et mis en Œuvre par les Serbes de Bosnie
après la prise de contrôle de Srebrenica en juillet 1995. Telle est la conclusion de fait que le TPIY
a formulée. Mais il n’a pas été établi en fait deva nt la Cour que les auto rités de la République
fédérale de Yougoslavie avaient eu connaissance de ce plan à l’avance. De ce fait, elles n’auraient
pas pu empêcher les terribles massacres qui ont eu lieu à Srebrenica.
Enfin, le juge Tomka explique que, bien que la RFY ne soit devenue partie au Statut de la
Cour que le 1 novembre 2000 en adhérant à l’Organisation des Nations Unies, elle prétendait être
Membre de l’Organisation des NationsUnies lorsque la Cour a rendu ses ordonnances en - 7 -
indication de mesures conservatoires en 1993 ; part ant, elle aurait dû se co nsidérer comme liée par
ces dernières. De toute façon, les décisions or donnant des mesures conservatoires produisent leurs
effets à compter de la date de leur notification aux parties et demeurent en vigueur jusqu’au
prononcé du jugement définitif en l’affaire, même si le tribunal finit par conclure qu’il n’est pas
compétent. En conséquence, le juge Tomka convient que la RFY a violé certaines des mesures
conservatoires ordonnées par la Cour en 1993 alors qu’elles étaient de plein effet.
Déclaration de M. le juge Keith
Le juge Keith expose les raisons qui l’ont am ené à considérer que la Serbie-et-Monténégro
s’était rendue complice du génocide commis à Sr ebrenica en juillet 1995, au sens du litt.e) de
l’article III de la convention sur le génocide.
En résumé, il estime, sur le plan du dr oit, qu’il devait être prouvé que la
Serbie-et-Monténégro, en tant que complice pr ésumé, avait eu connaissance de l’intention
génocidaire de l’auteur principal (sans nécessairement la partager) et que, ayant connaissance de
cette intention, elle avait fourni aide et assistance à l’auteur. Sur le plan des faits, il considère que
ces deux éléments ont été prouvés conformément au critère requis.
Déclaration de M. le juge Bennouna
En accord avec la réaffirmation par la Cour de sa compétence en la présente affaire, le
jugeBennouna n’en a pas moins tenu à rappeler qu e l’admission de la Serbie-et-Monténégro aux
sein des Nations Unies, le 1 novembre 2000, n’avait d’effet que po ur l’avenir et qu’elle n’effaçait
en rien le statut qui a été le sien et celui de la RFY, au sein de l’Organisation ; ce qui a permis à cet
Etat d’ester devant la Cour en 1993 et de répondre de ses actes devant le Conseil de sécurité.
D’autre part, le jugeBennouna, qui a voté contre le point4 du dispositif relatif à la
non-complicité de la Serbie pour génocide, estime que tous les éléments étaient réunis pour
permettre à la Cour de conclure à la complicité des autorités de Belgrade, aussi bien l’assistance
sous toutes ses formes qu’ils ont fournie à la Rep ublika Srpska et à son armée, que la connaissance
qu’ils avaient ou étaient censés avoir de l’intent ion génocidaire de l’aute ur principal du massacre
de Srebrenica.
Déclaration de M. le juge Skotnikov
Le juge Skotnikov estime que la Cour n’était pas compétente en la présente affaire. Il
rappelle que dans les arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force introduites par le défendeur contre les Etats de l’OTAN, la Cour avait décidé qu’avant le
1novembre 2001, la Serbie-et-Monténégro n’était pas membre de l’Organisation des
Nations Unies. La Cour avait établi que la qua lité de Membre de l’Organisation des Nations Unies
à la date du dépôt d’une requête était, aux termes de son Statut, une condition préalable pour
qu’elle puisse connaître des demandes de la Serb ie-et-Monténégro, et que par conséquent elle
n’était pas compétente pour statuer sur ces affaires.
Toutefois, dans la présente espèce, la Cour a évité de tirer la même conclusion,
contrairement, de l’avis du juge Skotnikov, à ce qu ’elle était tenue de faire (cette affaire ayant elle
aussi été introduite avant que la Serbie-et-Montén égro ne devienne un Membre de l’Organisation
des NationsUnies), en déclarant que sa conclusi on sur la compétence dans la procédure incidente
de 1996 était définitive et sans recours.
Le juge Skotnikov fait remarquer que la questio n de l’accès à la Cour de l’Etat défendeur en
vertu de sa qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unie s n’avait pas été examinée dans
l’arrêt de1996 sur les exceptions préliminaires. Aussi la question de la compétence n’avait-elle - 8 -
pas, selon lui, été tranchée de manière définitive à ce stade. En appliquant aujourd’hui le principe
de l’autorité de la chose jugée aux conclusi ons auxquelles elle était parvenue quant à sa
compétence dans la procédure de 1996, la Cour a créé deux «réalités parall èles» : une réalité dans
laquelle elle a compétence à l’égard de la Serbie-et-Monténégro dans les instances introduites avant
le 1 novembre 2001 (ce qui est le cas de la présente af faire) et une autre dans laquelle elle n’a pas
compétence (ce qui est le cas des affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force).
Le jugeSkotnikov est en désaccord avec l’ interprétation de la Cour selon laquelle la
convention sur le génocide énonce de manière implicite une obligation pour les Etats de ne pas
eux-mêmes commettre le génocide ou les autres actes énoncés à l’articleIII de cette convention.
L’idée même d’une obligation inexprimée est à son av is sujette à caution de manière générale. En
outre, l’interprétation de la Cour est en l’occu rrence en contradiction avec les termes de la
Convention, laquelle est un instrument relatif à la responsabilité pénale individuelle.
Néanmoins, le jugeSkotnikov n’estime pas qu’une telle oblig ation inexprimée soit
absolument nécessaire pour qu’un Etat puisse être tenu responsable de génocide en vertu de la
convention sur le génocide. Il déclare que, de manière générale et par principe, dès lors que le droit
international incrime un acte, si cet acte es t commis par une personne capable d’engager la
responsabilité de l’Etat, l’Etat peut être tenu respon sable. Ce qui est, selon lui, indéniablement le
cas de la convention sur le génocide.
De l’avis du juge Skotnikov, la convention sur le génocide ne donne pas à la Cour le pouvoir
de faire davantage que de régler des différends re latifs à la responsabilité d’un Etat pour crime de
génocide, et elle ne l’habilite pas à mener une enqu ête ou statuer sur la question de savoir si oui ou
non le crime de génocide a été commis. Parce qu’elle n’a pas de compétence pénale, la Cour ne
saurait s’acquitter de cette tâche et elle ne saurait en particulier ét ablir s’il y a eu ou non intention
spécifique, ce qui constitue un élément nécessaire, l’élément moral, du crime de génocide.
En conséquence, le juge Skotnikov ne partag e pas l’opinion selon laquelle la Cour a qualité
pour établir si le crime de génocide a été commis. Cette manière de voir les choses n’est à son avis
compatible ni avec la convention sur le génocide, ni avec le Statut de la Cour.
Le juge Skotnikov estime qu’en l’espèce, il aurait suffi que la Cour se fonde sur les
conclusions du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) pour déterminer si le
crime de génocide avait été commis. Il accompagne cependant cette affirmation d’une réserve
importante : les conclusions du Tribunal ne peuvent être invoquées que dans la mesure où elles sont
conformes à la convention sur le génocide.
Or, selon lui, les seuls fois que le TPIY a conclu que des crimes connexes au crime de
génocide avaient été commis en ex-Yougoslavie, à savoir dans les affaires Krstić et Blagojević, ses
conclusions n’étaient pas conformes à la convention sur le génocide. Dans les deux affaires, les
accusés n’ont pas été déclarés coupables d’un crime reconnu par la convention sur le génocide, ils
l’ont été pour un crime prévu par le Statut du TP IY, à savoir le crime de «complicité» («aiding and
abetting») de génocide sans intention spécifique. En outre, pour établir qu’un génocide avait eu
lieu à Srebrenica, le Tribunal a statué dans ces affa ires sur l’intention spécifique de personnes non
identifiées qui ne faisaient pas l’objet de poursuites devant lui. Aussi le juge Skotnikov estime-t-il
que la Cour aurait dû ne pas teni r compte de ces conclusions du TPIY et dire que la possibilité de
qualifier le massacre de Srebrenica de génocide n’avait pas été suffisamment établie.
En conséquence, le juge Skotnikov ne peut da vantage souscrire à la conclusion de la Cour
selon laquelle le défendeur ne s’est pas conformé aux mesures conservatoires qu’elle avait
indiquées en 1993. - 9 -
Le juge Skotnikov estime que la Cour a fait intervenir une conception de l’obligation de
prévenir qui est sans doute séduisante d’un poin t de vue politique mais difficile à apprécier en
droit. Selon lui, l’obligation de prévenir ne s’ap plique qu’au territoire sur lequel un Etat exerce sa
compétence ou qui est placé sous son contrôle. Il considère qu’il s’agit d’une obligation de résultat
et non de comportement: dès lors qu’un génocide a eu lieu sur le territoire d’un Etat, la
responsabilité de ce dernier est engagée.
Enfin, le juge Skotnikov indique que l’Etat défendeur n’a pas déclaré de manière explicite
devant la Cour qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour arrêter RatkoMladi ć et le
transférer au TPIY. Il s’associe à la position de la Cour selon laquelle la Serbie est tenue de
coopérer avec le Tribunal.
Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Mahiou
C’est la première fois que la Cour est saisie pour se prononcer sur l’accusation de génocide
et ses conséquences, le génocide étant considéré co mme le plus terrible des crimes que l’on puisse
imputer aussi bien à un individu qu’à un Etat comme en l’espèce. Cette affaire permet à la Cour de
mettre en Œuvre la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et d’en
interpréter la plupart des dispositions dont certa ines ont suscité d’importants débats sur la
signification et la portée qu’il convenait de leur donner. L’importance, la complexité et la
difficulté de l’affaire concernent aussi bien l’aspect procédural ⎯puisque cela fait maintenant
quatorze ans que l’affaire est devant la Cour et que les débats sur le fond n’ont cessé d’être retardés
par un comportement du défendeur qu’il convient d’évoquer ⎯ que le fond, puisque ce terrible
drame s’est traduit par environ 100000personnes qui ont péri dans des conditions généralement
très cruelles auxquelles s’ajoute nt des séquelles physiques et psychologiques d’une ampleur
indicible.
Je partage toutes les conclusions auxquelles la Cour est parvenue sur le problème de sa
compétence bien que mon approche soit parfois quelque peu différente à propos du cheminement
suivi pour y parvenir. Il est important que la Cour ait non seulement confirmé sa compétence et
son arrêt de1996, mais qu’elle ait aussi, à ce tte occasion, précisé comment interpréter la
responsabilité des Etats telle qu’elle est recon nue par la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide.
En revanche, je ne peux souscrire à la plupart des conclusions auxquelles la Cour est
parvenue sur le fond à partir, à mon avis, d’une dé marche frileuse et contestable sur son rôle dans
l’établissement des preuves, d’un examen insuffisant des moyens de preuve fourni par le
demandeur, d’une interprétation assez singulière des fa its de l’espèce et des règles devant les régir
et, enfin, d’une méthode de raisonnement qui n’ est pas convaincante à propos de plusieurs points
très importants. Il est grave et préoccupant de constater que sans l’a pport du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, la Cour n’aura it pas pu parvenir à accomplir sa mission pour
établir les faits et en tirer les conséquences au plan des responsabilités, ce qui pose le problème
sinon de l’efficacité des règles de procédure la régissant, du moins celui de leur mise en Œuvre par
la Cour qui n’a pas entendu se donner réellement les moyens d’accomplir sa mission. Par ailleurs,
selon mon opinion, la responsabilité du défendeur est impliquée dans cette affaire en tant qu’acteur
direct dans certains crimes, même si j’admets qu’il peut y avoir matière à discussion, interprétation
et intime conviction dans certains cas. Sa responsabilité me semble bien établie en ce qui concerne
les actes de la Republika Srpska, soit en raison des liens très étroits entre cette entité et le défendeur
avec par voie de conséquence l’implication de celu i-ci dans le plan de nettoyage ethnique mis en
Œuvre entre 1992 et 1995, soit en raison des liens de subordination ou de contrôle entre le
défendeur et les personnes qui ont joué un rôle cr ucial dans ce nettoyage ethnique allant jusqu’au
génocide sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. A supposer même que les conclusions - 10 -
relatives à ces chefs d’accusation soient problématiques, les éléments en possession de la Cour
apparaissent suffisamment forts et convaincants pour retenir à tout le moins la complicité dans le
crime de génocide et il ressort clairement de sé rieuses faiblesses et contradictions dans le
raisonnement de la Cour qui exonère le défendeur d’une telle responsabilité.
Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Kreća
Bien qu’elle soit qualifiée d’individuelle, l’opinion du juge Kreća est, sur le fond, surtout une
opinion dissidente.
C’est une opinion individuelle en ce qui conc erne la principale de mande, que la Cour a
rejetée, par laquelle il était fait grief à l’Etat défendeur d’avoir violé les obligations qui lui
incombent en vertu de la convention sur le génocid e en commettant le génocide et en se rendant
coupable d’entente en vue de comm ettre le génocide, d’incitation à commettre le génocide et de
complicité dans le génocide allégué.
En ce qui concerne les autres parties du di spositif et les motifs, l’opinion du juge Kre ća est
résolument dissidente. Le juge Kre ća estime non seulement que les motifs et conclusions de la
majorité sont infondés, mais aussi qu’à plusieur s égards ils vont à l’encontre de considérations
juridiques pertinentes, voire du bon sens, ce qui leur donne l’allure d’une argumentation pour les
besoins de la cause.
Par exemple, l’opinion majoritaire sur la règle de l’autorité de la chose jugée ressemble à une
ode à l’infaillibilité des juges et non à un vé ritable raisonnement juridique quant aux
caractéristiques et aux effets de cette règle dans le cadre du droit que la Cour se doit d’appliquer.
En l’espèce, l’interpréta tion qui a été faite de cette règle abou tit fatalement à ne plus accorder
d’importance au fait que la qualité pour agir de l’ Etat défendeur est une condition essentielle pour
que toute décision prise par la Cour soit valide.
Il apparaît que la qualification de génocide qui a été donnée au tragique massacre de
Srebrenica va bien au-delà, au double plan de la forme et du fond, de ce que signifient réellement
les dispositions de la convention sur le génocide, c’est-à-dire le droit applicable en l’espèce.
Pratiquement aucun des éléments de l’intentio n particulière, qui constitue aux termes de la
Convention une condition sine qua non pour que le crime de génocide soit constitué, n’est établi
dans les jugements du TPIY en ce qui concerne le massacre de Srebrenica. Le juge Kre ća est
d’avis que ce massacre, étant donné ses caractéristiques, entre en fait dans le cadre des crimes
contre l’humanité et des crimes de guerre commis au cours de la guerre fratricide de
Bosnie-Herzégovine.
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Résumé de l'arrêt du 26 février 2007