COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Document non officiel
Résumé 2005/2
Le 12 juillet 2005
Affaire du Différend frontalier
(Bénin/Niger)
Résumé de l’arrêt du 12 juillet 2005
Historique de la procédure et conclusions des Parties (par. 1-16)
La Chambre rappelle tout d’abord que, le 3 mai 2002, par une lettre de notification conjointe
datée du 11 avril 2002, la République du Bénin (dénommée ci-après le «Bénin») et la République
du Niger (dénommée ci-après le «Niger») ont tran smis au greffier un compromis, par lequel les
gouvernements de ces deux Etats sont convenus de soumettre à une chambre de la Cour un
différend concernant «la délimitation définitive de l’ ensemble de leur frontière». A l’article2 du
compromis, la Cour était priée de :
«a) déterminer le tracé de la frontière entr e la République du Bénin et la République
du Niger dans le secteur du fleuve Niger;
b) préciser à quel Etat appartient chacune d es îles dudit fleuve et en particulier l’île
de Lété;
c) déterminer le tracé de la frontière entre les deux Etats dans le secteur de la rivière
Mékrou.»
La Chambre rappelle ensuite l’historique de l’affaire notamment pour ce qui concerne la
constitution et la composition de la Chambre. Par ordonnance du 27novembre2002, la Cour a
constitué, pour connaître de l’a ffaire, une chambre composée de M.Guillaume, président de la
Cour, de MM.Ranjeva et Kooijmans, juges, et de deux juges ad hoc . Conformément au
paragraphe2 de l’article18 du Rè glement, il est revenu à M.Guillaume, président de la Cour au
moment de la constitution de la Chambre, de pr ésider la Chambre. Toutefois, par lettre du
11 octobre 2004, M. Guillaume a informé de président de la Cour, conformé ment au paragraphe 4
de l’article13 du Statut, qu’il avait pris la cision de démissionner de la Cour à compter du
11février2005. Le 16février2005, la Cour a élu M.Abraham membre de la Chambre pour
occuper le siège devenu vacant à la suite de ladémission de M.Guillaume. Par ordonnance du
16février2005, la Cour a déclaré que, en consé quence de cette élection, la Chambre se trouvait
ainsi composée: M.Ranjeva, devenu, en sa qualité de vice-président de la Cour, président de la
Chambre, conformément au paragraphe2 de l’article18 du Règlement; MM.Kooijmans et
Abraham, juges; et MM. Bedjaoui et Bennouna, juges ad hoc. - 2 -
Enfin, la Chambre reproduit, notamment, les c onclusions finales présentées par les Parties à
la fin de la procédure orale :
Au nom du Gouvernement du Bénin,
«Pour les motifs exposés tant dans ses écritures qu’au cours des plaidoiries
orales, la République du Bénin prie la Chambre de la Cour internationale de Justice de
bien vouloir décider :
1) que la frontière entre la République du Bénin et la République du Niger suit le
tracé suivant :
⎯ du point de coordonnées 11° 54' 15" de latitude nord et 2° 25' 10" de longitude est,
elle suit la ligne médiane de la rivi ère Mékrou jusqu’au point de coordonnées
12° 24' 29" de latitude nord et 2° 49' 38" de longitude est,
⎯ de ce point, la frontière suit la rive gauche du fleuve jusqu’au point de
coordonnées 11° 41' 44" nord et 3° 36' 44" est;
2) que la souveraineté sur chacune des îles du fleuve, et en partic ulier l’île de Lété,
appartient à la République du Bénin.»
Au nom du Gouvernement du Niger,
«La République du Niger prie la Cour de dire et juger que :
1) La frontière entre la République du Béni n et la République du Niger suit la ligne
des sondages les plus profonds dans le fleuve Niger, telle qu’elle a pu être établie à
la date de l’indépendance, et ce, depui s le point de coordonnées 12°24'27" de
latitude nord et 2°49'36" de longitude est, jusqu’au point de coordonnées
11° 41' 40,7" de latitude nord et 3° 36' 44" de longitude est.
2) Cette ligne détermine l’appartenance des îles à l’une ou à l’autre des Parties.
⎯ Les îles situées entre la ligne des sondages les plus profonds et la rive droite du
fleuve, à savoir Pekinga, Tondi Kwaria Bar ou, Koki Barou, Sandi Tounga Barou,
Gandégabi Barou Kaïna, Dan Koré Guir awa, Barou Elhadji Dan Djoda, Koundou
Barou et Elhadji Chaïbou Barou Kaïna appartiennent à la République du Bénin.
⎯ Les îles situées entre la ligne des sondages les plus profonds et la rive gauche du
fleuve, à savoir Boumba Barou Béri, B oumba Barou Kaïna, Kouassi Barou,
Sansan Goungou, Lété Goungou, Monboye Tounga Barou, Sini Goungou, Lama
Barou, Kotcha Barou, Gagno Goungou, Kata Goungou, Gandé gabi Barou Béri,
Guirawa Barou, Elhadji Chaïbou Barou Béri, Goussou Barou, Beyo Barou et Dolé
Barou appartiennent à la République du Niger.
3) L’attribution des îles à la République du Bénin et la République du Niger selon la
ligne des sondages les plus profonds déte rminée à la date de l’indépendance doit
être considérée comme définitive.
4) En ce qui concerne la limite frontaliè re sur les ponts de Gaya-Malanville, celle-ci
passe par le milieu de chacun de ces ouvrages.
5) La frontière entre la République du Bénin et la République du Niger dans le
secteur de la Mékrou suit une ligne composée de deux segments : - 3 -
⎯ le premier segment est une ligne droite qui relie le point situé au confluent de la
rivière Mékrou avec le fleuve Niger au point situé à l’intersection du méridien de
Paris et de la chaîne montagneuse de l’Atacora, dont les coordonnées indicatives
sont les suivantes : latitude : 11° 41' 50" nord; longitude : 2° 20' 14" est;
⎯ le second segment relie ce dernier point au point d’intersection des anciennes
limites des cercles de Say et de Fada, d’ une part, et de Fada et de l’Atacora,
d’autre part, dont les coordonnées indicatives sont les suivantes: latitude:
11° 44' 37" nord; longitude : 2° 18' 55" est.»
Cadre géographique et contexte historique du différend (par. 17-22)
La Chambre relève que l’article2 du comp romis divise la frontière contestée en deux
secteurs: celui de la rivière Mékrou, à l’ouest, et celui du fleuve Niger, à l’est. La Chambre en
donne ensuite une brève description de chacun de ces secteurs.
Dans sa partie occidentale, cette frontiè re suit un tracé orienté approximativement de
sud-ouest en nord-est, depuis un point marquant la limite entre les deux Etats et le Burkina Faso
jusqu’au confluent de la rivière Mékrou avec le fleuve Niger.
Dans sa partie orientale, la frontière suit ce fleuve, en direction du sud-est, sur une longueur
d’environ 150kilomètres à partir dudit confluent et aboutit à un point marquant la limite des
deux Etats avec le Nigéria. Plusieurs îles sont situ ées sur le bief fluvial concerné, dont le nombre
exact et l’appartenance à l’une ou l’autre des Partie s font l’objet de contestations en la présente
instance. L’île de Lété, à laquelle se réfère explicitement l’alinéab) de l’article2 du compromis,
est la plus grande de ces îles, couvrant une quarant aine de kilomètres carrés. Fertile et dotée de
riches pâturages, l’île est habitée en permanence; selon les informations fournies par le Niger, sa
population était de quelque deux mille habitants en 2000.
Le différend frontalier qui oppose les Parties s’inscrit dans un contexte historique marqué par
l’accession à l’indépendance des territoires qui relevaient de l’Afrique occerentale française
(dénommée ci-après l’«AOF»). Le Bénin, indépendant depuis le 1 août 1960, correspond à
l’ancienne colonie du Dahomey, et le Niger, indépendant depuis le 3août1960, à un territoire
ayant connu différents avatars administratifs au cours de la période coloniale.
Les deux Parties ont fait état d’incidents surv enus sur l’île de Lété à la veille de leur
accession à l’indépendance, en 1959 et 1960. A la suite de ces événements, les deux Etats mirent
en place un processus de règlement amiable du di fférend frontalier les opposant : en 1961 et 1963,
deux commissions mixtes daho-nigériennes se réuni rent pour discuter de la question. En
octobre1963, la crise s’aggrava entre le Dahomey et le Niger au sujet de l’île de Lété et chaque
Etat publia par la suite un livre blanc où étaien t notamment exposées leurs positions respectives au
sujet du différend frontalier. De nouvelles tentatives de règlement pacifique eurent lieu dans les
années suivantes. La question de la souveraineté sur l’île de Lété ne fut cependant pas résolue et de
nouveaux incidents se produisirent dans les années suivantes, notamment en1993 et1998. Le
8avril1994, le Bénin et le Ni ger conclurent un accord portant création de la commission mixte
paritaire de délimitation de leur frontière comm une. Les efforts pour parvenir à une solution
négociée du différend ayant échoué, la commission proposa aux autorités des deux Etats de saisir
par compromis la Cour internationale de Justice.
Droit applicable et principe de l’uti possidetis juris (par. 23-31)
La Chambre relève en outre que, aux te rmes de l’article6 du compromis («Droit
applicable»), les règles et principes du droit inte rnational qui s’appliquent au présent différend
comprennent «le principe de la succession d’Etat s aux frontières héritées de la colonisation, à
savoir, l’intangibilité desdites frontières». La Ch ambre observe qu’il ressort des termes de cette - 4 -
disposition ainsi que de l’argumentation des Parties que celles-ci conviennent de la pertinence du
principe de l’uti possidetis juris pour la détermination de leur frontière commune. La Chambre
rappelle que, comme la Chambre constituée en l’affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso/République du Mali) a eu l’occasion de l’indiquer, le principe considéré «accorde au
titre juridique la prééminence sur la possession effective comme base de la souveraineté» et «vise,
avant tout, à assurer le respect des limites territoriales au moment de l’accession à l’indépendance»,
y compris des anciennes délimitations administ ratives établies pendant l’époque coloniale et
devenues frontières internationales (Différend frontal ier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 586-587, par. 63 et p. 566, par. 23).
La Chambre en conclut que, en applicat ion du principe de l’uti possidetis juris , la présente
Chambre doit rechercher quelle est, dans l’affaire dont elle est saisie, la frontière héritée de
l’administration française. Les Parties s’accordent pour dire que les dates à prendre en
considération à cet effet sont celles auxquelles elles ont respectivement ac cédé à l’indépendance, à
er
savoir les1 et 3août1960 et la Chambre observe qu ’aucune modification de la frontière n’est
intervenue entre ces deux moments très proches dans le temps.
En réponse aux opinions différentes formulées pa r les Parties s’agissant de certains aspects
de l’application du principe de l’uti possidetis juris en l’espèce, la Chambre constate en premier
lieu qu’en tout état de cause les Parties s’accord ent sur le fait que le tracé de leur frontière
commune doit être établi, conformément au principe de l’uti possidetis juris , par référence à la
situation physique à laquelle le droit colonial françai s s’est appliqué, telle qu ’elle existait à la date
des indépendances. La Chambre souligne cependa nt que les conséquences de ce tracé sur le
terrain, notamment en ce qui concerne l’appart enance des îles du fleuve à l’une ou l’autre des
Parties, doivent s’apprécier par rapport aux réalit és physiques contemporaines et qu’elle ne saurait
ignorer, dans l’accomplissement de la tâche qui lui est confiée par les Parties aux termes de
l’article 2 du compromis, l’apparition ou la disparition éventuelle de certaines îles sur le bief fluvial
concerné.
La Chambre fait remarquer, en deuxième lieu, qu’elle ne saur ait exclure à priori que des
cartes, études ou autres documents postérieurs à la date des indépendances puissent être pertinents
pour établir, en application du principe de l’uti possidetis juris , la situation qui existait alors. En
tout état de cause, le principe de l’uti possidetis ayant pour effet de geler le titre territorial, la prise
en considération de documents postérieurs à la date des indépendances ne saurait conduire à une
quelconque modification de l’«insta ntané territorial» à la date cr itique sauf, bien entendu, dans
l’hypothèse où semblables documents exprimeraient clairement l’accord des Parties à une telle fin.
La Chambre note, en troisième lieu, que la démarche des deux Parties, qui ont parfois
cherché à confirmer le titre juridique qu’elles revendiquent en faisant valoir des actes par lesquels
leurs autorités auraient, après 1960, exercé la souveraineté sur les territoires contestés, ne doit pas
nécessairement être exclue.
La Chambre rappelle que les Parties s’accord ent à reconnaître que la détermination du tracé
de la frontière et l’attribution des îles du fleuve Niger à l’une ou l’autre d’entre elles doit, en
application du principe de l’uti possidetis juris , s’apprécier à la lumière du droit colonial français,
dit «droit d’outre-mer». Les Parties se disent ég alement d’accord sur l’identification des règles
pertinentes de ce droit, mais en offrent des interprétations divergentes. Avant de se pencher sur ces
règles, la Chambre rappelle que, lorsque référence est faite à un droit interne en pareil contexte, ce
droit intervient, «non en tant que tel (comme s’il y avait un continuum juris , un relais juridique
entre ce droit et le droit international), mais seu lement comme un élément de fait, parmi d’autres,
ou comme moyen de preuve et de démonstration … [du] «legs colonial»» (ibid., p. 568, par. 30).
La Chambre observe ensuite que les possessions françaises en Afrique occidentale furent
dotées, par un décret du président de la Républi que française en date du 16juin1895, d’une
organisation administrative territoriale centralisée, placée sous l’autorité d’un gouverneur général. - 5 -
L’AOF ainsi créée était divisée en colonies, à la tête desquelles se trouvaient des
lieutenants-gouverneurs, elles-mêmes constituées de circonscriptions de base dénommées cercles et
administrées par des commandants de cercle; chaque cercle était à son tour composé de
subdivisions, administrées par des chefs de subdi vision, comprenant des cantons, qui regroupaient
plusieurs villages.
La Chambre constate que le s Parties reconnaissent que la création et la suppression des
colonies étaient du ressort des autorités métropolitaines: le président de la République française,
agissant par décret, sous l’empire de la constitu tion de la troisième République, puis le Parlement
français, après l’adoption de la constitution du 27octobre1946. La compétence pour créer des
subdivisions territoriales au sein d’une même coloni e relevait en revanche de l’autorité de l’AOF
jusqu’en 1957, lorsqu’elle fut transférée aux institutions représentatives locales.
L’article5 du décret du président de la République française, du 18octobre1904, portant
réorganisation de l’AOF, attribua au gouverneur général compétence pour «détermin[er] en conseil
de gouvernement et sur la proposition des lieutena nts-gouverneurs intéressés les circonscriptions
administratives dans chacune des colonies». Dans sa circulaire n°114c) du 3novembre1912,
relative à la forme à donner aux actes portant or ganisation des circonscriptions et subdivisions
administratives, le gouverneur général interpréta ce texte comme lui réservant «le droit de
fixer … le nombre et l’étendue des cercles qui constitu[aient], dans l’intérieur des colonies, l’unité
administrative réelle», mais précisa qu’il ét ait «admis que les lieutenants-gouverneurs
conserveraient la faculté de déterminer, par des actes émanan t de leur propre autorité, les
subdivisions territoriales créées dans l’intérieur de ces cercles». D’après cette circulaire, «toute
mesure intéressant la circonscription administrative, l’unité territoriale proprement dite, c’est-à-dire
affectant le cercle, soit dans son existence (cré ations ou suppressions), so it dans son étendue, soit
dans sa dénomination, soit dans l’emplacement de son chef-lieu» devait être sanctionnée par un
arrêté général pris en conseil de gouvernemen t; il appartenait aux lieutenants-gouverneurs «de
préciser, par des arrêtés, dont [le gouverneur géné ral se] réserv[ait] l’ approbation, les limites
topographiques exactes et détaillées de chacune de ces circonscriptions», ainsi que, «dans
l’intérieur des cercles, [de] fixer…le nombre et l’étendue des subdivisions territoriales…et
l’emplacement de leur centre» par des actes locaux.
Evolution du statut juridique des territoires concernés (par. 32-36)
Aux fins de mieux comprendre le contex te historique dans lequel se placent les
revendications des Parties en ce qui concerne la déte rmination de la frontière et l’appartenance des
îles du fleuve Niger, la Chambre retrace ensuite brièvement l’évolution du statut juridique des
territoires concernés pendant la période coloniale.
Documents et matériau cartographique pertinents aux fins du règlement du différend (par. 37-44)
La Chambre décrit ensuite les principaux doc uments pertinents aux fins du règlement du
différend frontalier, en énumérant d’une part ce ux concernant la détermination du tracé de la
frontière dans le secteur du fleuve Niger et l’a ppartenance des îles de ce fleuve à l’une ou l’autre
des Parties, et d’autre part ceux relatifs à la délimi tation dans le secteur de la rivière Mékrou. La
Chambre décrit également le volumineux matériau cartographique et photographique produit par
les Parties à l’appui de leurs thèses respectives.
Le tracé de la frontière dans le secteur du fleuve Niger et la question de savoir à laquelle des Parties
appartient chacune des îles (par. 45-124)
Preuves du titre (par. 45-74)
Prétentions du Bénin au sujet du titre - 6 -
La Chambre rappelle qu’elle est tout d’a bord invitée, selon les termes des alinéas a) et b) de
l’article 2 du compromis, à déterminer le tracé de la frontière dans le secteur du fleuve Niger, puis à
préciser à laquelle des Parties appartient chacune des îles dudit fleuve.
La Chambre fait remarquer que, en la présente instance, ces limites territoriales n’étaient rien
de plus que des délimitations entre différentes di visions administratives ou colonies relevant de la
même autorité coloniale. Ce n’est qu’au moment de l’indépendance, autrement dit de la «date
critique», que ces limites sont devenues des frontière s internationales. Les Parties ayant accédé à
l’indépendance quasiment à la même époque, la période comprise entre le 1 et le 3 août 1960 peut
être retenue comme date critique. La Chambre indi que en outre que, conformément à la démarche
adoptée par la Chambre dans l’affaire du Différe nd frontalier (Burkina Faso/République du Mali) ,
elle commence par examiner les divers actes réglementaires ou administratifs invoqués par les
Parties.
A cet égard, la Chambre rappelle que les Parties s’accordent à reconnaître que, durant la
période considérée, la création de colonies ou de territoires releva, jusqu’en 1946, de la compétence
du président de la République française, puis de celle du Parlement français, la création de
subdivisions coloniales relevant quant à elle, a ux termes du décret du 18 octobre 1904, de celle du
o
gouverneur général de l’AOF. Dans sa circulaire n 114 c) du 3novembre1912, le gouverneur
général de l’AOF précisa que les principales subdi visions («cercles») seraient déterminées par le
gouverneur général, mais que les lieutenants- gouverneurs seraient habilités à créer de nouvelles
subdivisions territoriales à l’intérieur des «cercles ». La Chambre note que les Parties s’accordent
également à reconnaître que la compétence de crée r ou d’établir des entités territoriales incluait le
pouvoir d’en déterminer l’étendue et les limites bi en que, durant la période coloniale, ce principe
n’ait jamais été rendu explicite dans aucun acte réglementaire ou administratif.
La Chambre rappelle qu’il n’est pas contesté que , dans la période qui a suivi sa création en
1894, la colonie du Dahomey englobait des territoires situés sur les deux rives du fleuve Niger. Par
arrêté du 23juillet1900, le gouvern eur général de l’AOF établit un troisième territoire militaire,
appelé à «s’étendr[e] sur les régions de la rive gauche du Niger de Say au lac Tchad qui [avaient]
été placées dans la sphère d’influence fra nçaise par la convention [anglo-française] du
14 juin 1898». Le 20 décembre 1900, le président de la République française promulgua un décret
constituant un troisième territoire militaire «entre le Niger et le Tchad». Le décret, supérieur à un
arrêté dans la hiérarchie des actes juridiques, ne contenait pas de référence à l’arrêté du
23juillet1900. De l’avis de la Chambre, le décret n’en doit pas moin s être considéré comme
venant confirmer l’arrêté du gouve rneur général, puisqu’il couvrait la même zone située entre le
(fleuve) Niger et le (lac) Tchad.
La Chambre note que le Bénin soutient que l’a rrêté du 23 juillet 1900 fixait la limite entre le
troisième territoire militaire et la colonie du Dahomey sur la rive gauche du fleuve Niger, le fleuve
lui-même et ses îles demeurant partie intégrante de cette colonie. Le Bénin soutient en outre que la
limite ainsi fixée fut confirmée par le gouverneur par intérim du Niger, dans une lettre du
27 août 1954 qui indiquait que «la limite du territoire du Niger [était] constituée de la ligne des plus
hautes eaux, côté rive gauche, à partir du village de Bandofay, jusqu’à la frontière du Nigéria» et
qu’«[e]n conséquence toutes les îles situées dans cette partie du fleuve [faisaient] partie du
territoire du Dahomey». Le Niger, pour sa part, conteste que l’arrêté du 23 juillet 1900 ait fixé une
limite; selon lui, le libellé pertinent visait simplement à indiquer l’étendue géographiquedu
territoire nouvellement créé. Il fait aussi observer qu’une entente ne tarda pas à se dégager, selon
laquelle la limite était située sur «le cours du fl euve», ce qui ne pouvait que signifier qu’elle se
trouvait dans le lit du fleuve.
De l’avis de la Chambre, on ne saurait cons idérer l’arrêté du 23juillet1900 et le décret du
20décembre1900, créant à eux deux le troisième te rritoire militaire, comme fixant les limites de
celui-ci. Les références géographiques employées ne peuvent être envisagées que comme servant à
délimiter d’une manière générale le territoire nouve llement créé; les expressions «les régions de la - 7 -
rive gauche du Niger» et «le Ni ger», figurant respectivement dans l’arrêté et dans le décret,
montrent clairement que ces zones sont alors dissociées de la colonie du Dahomey, à laquelle elles
appartenaient précédemment. La conclusion selon laquelle les instruments juridiques des 23 juillet
et 20décembre1900 ne fixaient pas de limite et n’étaient pas considérés à l’époque comme le
faisant est confirmée par la lettre du ministre français des colonies au gouverneur général de l’AOF
en date du 7 septembre 1901 qui fit référence au «cours du Niger» comme constituant la meilleure
ligne de démarcation. Bien que cette lettre ne fixe pas de limite, la Chambre estime qu’elle
représente un moyen de preuve suffisant pour établir qu’il n’y avait pas eu de délimitation l’année
précédente. La Chambre n’a pas davantage trouvé de document indiquant qu’une limite aurait été
fixée au cours des années suivantes.
La Chambre conclut donc qu’elle ne sau rait accueillir la thèse du Bénin selon laquelle
l’arrêté du 23 juillet 1900 situait la limite sur la rive gauche du fleuve Niger, délimitation qui serait
demeurée en vigueur jusqu’à la date de l’indépendance.
La Chambre se penche alors sur la lettre du gouverneur par intérim du Niger en date du
27août1954, et commence par une analyse du cont exte dans lequel celle-ci fut rédigée. Elle
constate que, compte tenu de sa conclusion selon laquelle l’arrêté du 23juillet1900 n’établissait
aucune limite, cette lettre ne pouvait être consid érée comme une confirmation autorisée d’une telle
limite, comme le soutient le Bénin. La Chambre observe en outre que, en droit colonial français, le
lieutenant-gouverneur d’une colonie n’avait pas compétence pour procéder unilatéralement à la
délimitation des limites extérieures d’une colonie. La lettre ne saurait dès lors être invoquée en tant
que telle par le Bénin comme un titre juridique qui fixait la limite sur la rive gauche du fleuve. La
Chambre en conclut qu’elle ne saurait accueillir la prétention du Bénin selon laquelle la lettre du
27 août 1954 constituerait, avec l’a rrêté du 23 juillet 1900, un titre juridi que fixant la frontière à la
rive gauche du fleuve.
Prétentions du Niger au sujet du titre
La Chambre examine ensuite les actes invoqu és par le Niger comme preuve de son titre
juridique, à savoir les arrêtés pris par le gouvern eur général de l’AOF le 8décembre1934 et le
27 octobre 1938, lesquels portent réorganisation de la structure administrative interne de la colonie
du Dahomey et offrent une description des limites de s différents «cercles». Dans les deux arrêtés,
la limite nord-ouest du «cercle» de Kandi est décrite comme étant constituée par «le cours du Niger
jusqu’à son confluent avec la Mékrou».
La Chambre relève tout d’abord que les deux arrêtés ont été pris par le gouverneur général,
autorité compétente pour établir, délimiter et réorga niser les cercles des colonies. Dans la mesure
où ils offrent une description des limites entre ces cercles et les colonies voisines relevant
également de son autorité, ces arrêtés n’ont pas un caractère exclusivement interne et peuvent
également être invoqués dans le cadre de relati ons intercoloniales. Aussi peut-on conclure, en
vertu de ces arrêtés, que le cours du fleuve Niger constituait la limite intercoloniale. La Chambre
estime qu’elle n’est pas en mesure de déduire de ce qui précède que cette limite était située dans le
fleuve, que ce soit sur le thalweg ou sur la ligne mé diane. Elle note à cet égard que la formulation
employée dans les arrêtés est la même que celle ut ilisée dans la lettre de1901 et qu’elle est tout
aussi imprécise. La notion de «cours du fleuve» recouvre plusieurs possibilités : une frontière sur
l’une ou l’autre rive du fleuve ou une frontière à un endroit quelconque dans le fleuve. La
Chambre conclut dès lors que les arrêtés de 1934 et1938 n’établissaient pas une limite dans le
fleuve; elle ne peut donc retenir la prétention du Niger quant au titre qu’il revendique. - 8 -
Effectivités permettant de déterminer la frontière (par. 75-102)
La Chambre ayant conclu qu’aucune des Parties n’a apporté la preuve de l’existence, durant
la période coloniale, d’un titre issu d’actes régl ementaires ou administratifs, elle se penche donc
ensuite sur la question de savoir si les éléments de preuve fournis par les Parties s’agissant des
effectivités permettent de déterminer le tracé de la frontière dans le secteur du fleuve Niger et
d’indiquer auquel des deux Etats appartient chacune des îles du fleuve.
La Chambre rappelle à cet égard que la Cour s’est déjà prononcée, dans un certain nombre
d’affaires, sur le rapport juridique entre effectivités et titre. Le passage le plus pertinent aux fins de
la présente espèce figure dans l’arrêt rendu en l’affaire du Différend frontalier (Burkina
Faso/République du Mali), dans lequel la Chambre de la Cour, ayant dit que «plusieurs éventualités
d[evai]ent être distinguées», a notamment indiqué, lorsqu’elle a examiné le rapport juridique entre
effectivités et titre, que: «[d]ans l’éventualité où l’«effectivité» ne co existe avec aucun titre
juridique, elle doit inévitablement être pr ise en considération» (C.I.J.Recueil1986 , p.587,
par. 63).
La Chambre examine tout d’abord les diverses activités antérieures à1954 que les Parties
présentent comme des effectivités. Elle se réfère à la lettre que, le 3juillet1914, le commandant
du secteur de Gaya (Niger) et administrateur adjoint, M. Sadoux, adressa au commandant du cercle
du Moyen-Niger (Dahomey), lettre dont l’objet était de déterminer à quelle période des permis de
pacage devaient être octroyés et de délimiter la compétence territoriale des «tribunaux indigènes»
des deux colonies. L’administrateur adjoint, M. Sadoux, avait annexé à cette lettre une liste d’îles
situées dans la zone frontalière, établie sur la base d’une reconnaissance de l’ensemble du secteur
du fleuve indiquant à quelle colonie chacune d es îles appartenait d’après son emplacement par
rapport au chenal navigable principal. Ce chen al était défini par Sadoux comme étant le «grand
bras du fleuve, non le bras le plus large, mais le bras qui seul est navigable aux basses eaux ». La
Chambre constate que le dossier de l’affaire révèle qu’une rencontre a eu lieu et débouché sur un
arrangement. Bien que des difficultés aient vu le j our en 1919 concernant l’administration de l’île
de Lété depuis Gaya, état de fait que le Dahomey contestait, l’arrangement de 1914 ⎯ baptisé par
la suite modus vivendi de 1914 ⎯ semble avoir été respecté dans les années qui suivirent.
La Chambre aborde ensuite la question des e ffectivités pour la période allant de1954 à la
date critique de 1960. Elle rappe lle que, dans une lettre datée du 27 août 1954, le gouverneur par
intérim du Niger écrivait que la frontière se situa it à «la ligne des plus hautes eaux, côté rive
gauche du fleuve, à partir du villa ge de Bandofay, jusqu’à la frontière du Nigeria» et que «toutes
les îles situées dans cette partie du fleuve f[aisaient] partie du territoire du Dahomey». La Chambre
prend note du fait que, pendant la période considérée, le Dahomey a de plus en plus souvent
prétendu détenir le droit d’administrer l’île de Lété.
Sur la base des éléments de preuve produits devant elle, la Chambre estime que, de1914
à 1954, les termes du modus vivendi tels que définis dans la lettr e de Sadoux de 1914 furent dans
l’ensemble respectés et que, pendant cette période, le chenal navigable principal du fleuve Niger fut
considéré par les deux Parties comme constituant la limite. En conséquence, le Niger exerçait son
autorité administrative sur les îles situées à gauche et le Dahomey sur celles situées à droite de cette
ligne. Le droit du Niger à administrer l’île de Lé té fut sporadiquement remis en question pour des
raisons d’ordre pratique, mais ne fut jamais contesté ni en droit ni en fait.
S’agissant des îles situées en face de Gaya , la Chambre note que, selon le modus vivendi
établi par la lettre de Sadoux de 1914, ces îles étaient considérées comme relevant du Dahomey, et
qu’aucune information ne lui a été fournie qui indiquerait que les îles en question étaient
administrées à partir d’un lieu autre que le cercle de Kandi (Dahomey). La Chambre conclut en
conséquence que, dans le secteur du fleuve, la limite était considérée comme passant du côté
gauche de ces trois îles. - 9 -
La Chambre estime que la situation n’est pas aussi claire en ce qui concerne la période allant
de 1954 à 1960. Manifestement, les deux Parti es ont occasionnellement revendiqué des droits sur
les îles, en particulier sur celle de Lété, de même qu’elles ont parfois accompli des actes
d’administration pour manifester leur autorité. Toutefois, sur la base des éléments de preuve
soumis à la Chambre, celle-ci ne peut conclure que l’administration de Lété ⎯ dont il ne fait aucun
doute que, avant1954, elle ait été exercée par le Niger ⎯ ait à l’époque effectivement été
transférée au Dahomey ou reprise par celui-ci. A ce sujet, la Chambre relève que, selon un rapport
de la gendarmerie de Malanville du 1 erjuillet 1960, Lété était alors «administrée par la subdivision
de Gaya».
Pour tous les motifs qui précèdent et dans les circonstances de l’espèce, en particulier au vu
des éléments de preuve présentés par les Parties, la Chambre conclut que la frontière entre le Bénin
et le Niger suit le chenal navigable principal du fleuve Niger tel qu’il existait à la date des
indépendances, étant entendu que, au niveau des tr ois îles situées en face de Gaya, la frontière
passe à gauche desdites îles. Il en résulte que le Bénin a un titr e sur les îles situées entre la
frontière ainsi définie et la rive droite du fleuve et le Niger sur les îles situées entre cette frontière et
la rive gauche du fleuve.
Emplacement précis de la ligne frontière dans le chenal navigable principal (par. 103-115)
La Chambre détermine ensuite l’emplacement de la ligne frontière dans le chenal navigable
principal, c’est-à-dire la ligne des sondages les plus profonds tell e qu’elle existait à la date des
indépendances.
La Chambre commence par observer que plusieurs levés hydrographiques et topographiques
ont été effectués au fil des ans sur le fleuve Ni ger et que la position du chenal navigable principal
du fleuve, telle qu’établie par ces diverses missions , apparaît plutôt constante, ce qui tendrait à
indiquer que le lit du fleuve est relativement stable et que les ensablements ayant pu se produire ont
rarement donné lieu à des changements notables de l’emplacement du chenal navigable principal.
Tel semble avoir été le cas tant à l’époque coloniale qu’après l’indépendance.
Etant donné que la Chambre est appelée à déte rminer le tracé de la limite au moment des
indépendances, le rapport portant sur une étude de la navigabilité du Mo yen Niger, réalisée
entre1967 et1970 par l’entreprise NEDECO, constitue la source de renseignements la plus utile
sur la situation existant à la date critique. La stabilité du fleuve étant démontrée, il est permis de
supposer que la situation entre 1967 et 1970 était quasiment identique à celle de 1960. A ce sujet,
la Chambre attache une grande importance au fa it que l’étude de 1967-1970 a été conduite par une
entreprise indépendante réputée pour ses compétences et son expérience et que ses résultats
figurent dans un rapport qui a été présenté aux gouv ernements de quatre Etats riverains, dont les
Parties à la présente affaire. En outre, les conc lusions énoncées dans le rapport de NEDECO n’ont
pas été contestées à l’époque de leur publication et sont corroborées par des études tant antérieures
qu’ultérieures.
o
La Chambre relève que la carte n 36 du rapport établi par NEDECO indique que, dans le
secteur faisant face au village de Gaya, le fleuve compte deux chenaux navigables. Sur la base des
informations disponibles, il n’est pas possible de dire lequel est en permanence le plus profond.
Cela est toutefois sans importance dans le cas présent, compte tenu des conclusions que la Chambre
a déjà tirées des effectivités coloniales dans ce secteur. La Chambre estime que, dans le secteur des
trois îles situées face à Gaya, la frontière est constituée par la ligne des sondages les plus profonds
du chenal navigable gauche. Cependant, au niveau de la dernière de ces îles, KataGoungou, la
frontière doit s’écarter de cette ligne et passer à gauche de l’île. - 10 -
En dehors de l’exception indiquée au paragraphe précédent, la frontière entre les Parties suit
donc la ligne des sondages les plus profonds du chen al navigable principal du fleuve Niger telle
qu’elle résulte du rapport de NEDECO de1970, à partir de l’intersection de cette ligne avec la
ligne médiane de la Mékrou jusqu’à son intersection avec la frontière des Parties avec le Nigéria.
Face à Gaya, la frontière est constituée par la ligne des sondages les plus profonds du chenal
navigable gauche, à partir du point de coordonnées 11°52'29" de latitude nord et 3°25'34" de
longitude est jusqu’au point de coordonnées 11° 51' 55" de latitude nord et 3° 27' 41" de longitude
est, où la frontière s’écarte de ce chenal et passe à gauche de l’île de Kata Goungou, pour rejoindre
ensuite le chenal navigable principal au point de coordonnées 11° 51' 41" de latitude nord et
3° 28' 53" de longitude est.
La Chambre insère ensuite dans son arrêt une table, dans laquelle sont indiquées les
coordonnées des points, numérotés de1 à154, par les quels la ligne frontière entre le Bénin et le
Niger passe dans le secteur du fleuve Niger, d’amont en aval. Ces points qui constituent la lione
frontière sont en outre représentés, à des fins d’illustration seulement, sur un croquis (n 4) joint à
l’arrêt.
Détermination de l’appartenance des îles à l’une ou l’autre des Parties (par. 116-118)
La Chambre détermine à laquelle des Parties a ppartient chacune des îles du fleuve Niger, en
suivant son cours d’amont en aval, depuis son point de confluence avec la Mékrou jusqu’à la
frontière nigériane.
La Chambre note qu’elle n’a pas reçu d’informa tions sûres qui feraient état de la formation
ou de la disparition d’îles entre1960 et1967-1970. S’agissant des années postérieures, elle
observe qu’une des îles identifiées par le Niger, à savoir Sandi Tounga Bar ou, qui n’apparaît sur
aucune carte antérieure à1973, figure sur diffé rentes photographies aériennes et images SPOT à
partir de cette année; dès lors, la Chambre aura à déterminer l’appartenance de cette île à l’une ou
l’autre des Parties. Quant à l’«île» de Pekinga, dont le Niger, dans ses conclusions finales, prétend
qu’elle appartient au Bénin, la Chambre note que celle-ci ne peut être identifiée comme une île
distincte sur les cartes annexées au rapport NEDECO, mais qu’elle semble plutôt faire partie de la
rive du fleuve, du côté du Bénin. L’arrêt énumère ensuite toutes les îles, dans le secteur pertinent
du fleuve Niger, en indiquant à laquelle des Parties elles appartiennent, conformément aux
conclusions tirées par la Chambre. Enfin, la Chambre observe que la détermination de
l’appartenance des îles est sans préjudice de tous droits privés qui pourraient être détenus sur
celles-ci.
La frontière sur les deux ponts entre Gaya (Niger) et Malanville (Bénin) (par. 119-124)
La Chambre relève enfin que le Niger l’a ég alement priée de déterminer le tracé de la
frontière sur les deux ponts entre Gaya (Niger) et Malanville (Bénin). Le Bénin soutient que la
question n’entre pas dans le cadre du différend so umis à la Chambre aux termes du compromis et
que la Chambre n’a donc pas compétence pour donner suite à la demande du Niger. La Chambre
relève à cet égard que, dans le co mpromis, «[l]a Cour est priée de …déterminer le tracé de la
frontière … dans le secteur du fle uve Niger». Les ponts entre Gaya et Malanville étant situés dans
ce secteur, la Chambre estime qu’elle a compétence pour déterminer le tracé de la frontière sur
ceux-ci.
La Chambre note que le Niger affirme que la frontière passe au milieu de chacun des ponts,
du fait que la construction et l’entretien des structures ont été financés à parts égales par les Parties
et qu’elles leur appartiennent conjointement. Le Bénin soutient pour sa part qu’une absence de
correspondance entre le tracé de la frontière sur les points et son tracé dans le fleuve au-dessous de
ces structures serait incohérente. - 11 -
La Chambre observe qu’au vu de l’absence d’accord entre les Parties la solution à retenir est
celle du report vertical de la frontière tracée sur le cours d’eau. Cette solution est conforme à la
conception générale selon laquelle une frontière marque la sépara tion des souverainetés étatiques,
autant sur la surface terrestre que dans le sous-sol et l’espace atmosphérique surjacent. En outre, la
solution du report vertical de la frontière tracée su r le cours d’eau permet de pallier les difficultés
que pourrait engendrer l’existence de deux limites distinctes se trouvant sur des plans géométriques
très proches l’un de l’autre.
Au vu de ce qui précède, la Chambre conclut que la frontière sur les ponts reliant Gaya et
Malanville suit le tracé de la frontière dans le fleuve. Cette conclusion est sans préjudice de tous
les arrangements en vigueur entre le Bénin et le Niger concernant l’utili sation et l’entretien des
ponts, dont le financement est assuré à égalité par les deux Etats. La Chambre observe en
particulier que la question du tracé de la frontière sur les ponts est entièrement indépendante de
celle de la propriété desdits ouvrages, qui appartiennent conjointement aux Parties.
Le tracé de la frontière dans le secteur de la rivière Mékrou (par. 125-145)
La Chambre détermine ensuite «le tracé de la frontière entre les deux Etats dans le secteur de
la rivière Mékrou», tâche dont elle est chargée en vertu de l’alinéa c) de l’article 2 du compromis.
Elle note que, selon le Bénin, la frontière su ivrait la ligne médiane de la rivière Mékrou
jusqu’à la frontière des Parties av ec le Burkina Faso. Cela résulterait, d’une part, de l’application
du principe de l’uti possidetis juris , dès lors qu’à la date des indépendances les territoires du
Dahomey et du Niger étaient séparés par le cours de cette rivière, en vertu des titres juridiques en
vigueur aussi bien que des effectivités; d’autre part , et en tout état de cause, une telle frontière
s’imposerait du fait de la reconnaissance forme lle par le Niger, à l’occasion des négociations
conduites entre les deux Parties en vue de la construction du barrage de Dyodyonga en1973
et 1974, de ce que la Mékrou constituait bien la limite entre leurs territoires respectifs.
La Chambre note que, selon le Niger, la frontière dans le secteur considéré suivrait une ligne
composée de deux segments : le premier serait une li gne droite dans une direction sud-ouest reliant
le point situé au confluent de la rivière Mékrou av ec le fleuve Niger au point situé à l’intersection
du méridien de Paris et de la chaîne montagneu se de l’Atakora; le second relierait ce dernier point
au point d’intersection des anciennes limites des cercles de Say et de Fada, d’une part, et de Fada et
de l’Atakora, d’autre part. Cela résulterait de la combinaison des textes réglementaires ayant fixé,
à l’époque coloniale, la limite entre le Dahomey et le Niger dans le secteur en cause, à savoir le
décret du 2mars1907 rattachant les cercles de Fada-N’Gourma et de Say à la colonie du
Haut-Sénégal et Niger (à laquelle le Niger a succédé) et ceux du 12 août 1909 et du 23 avril 1913
modifiant la limite de cette dernière colonie avec le Dahomey.
La Chambre indique qu’elle recherchera d’abord, par application du principe de
l’uti possidetis juris, quel était le tracé de la limite intercoloniale à la date critique des
indépendances, en août 1960. Elle observe que, à ce tte fin, il échet de se tourner d’abord vers les
titres juridiques invoqués par les Parties, les effectivit és ne devant intervenir, le cas échéant, qu’à
titre confirmatif ou subsidiaire, conformément aux règles ci-dessus rappelées dans son arrêt.
Le premier des textes à prendre en considérati on est le décret susmentionné du 2 mars 1907,
ayant pour objet de modifier le tracé de la limite entre la colonie du Haut-Sénégal et Niger et celle
du Dahomey, par le rattachement des cercles de Fada N’Gourma et de Say, jusqu’alors attribués au
Dahomey, à la colonie voisine. Il résulte des termes de l’article1 erde ce décret que la nouvelle
limite intercoloniale - 12 -
«est constituée, à partir de la frontière du Togo, par les limites actuelles du cercle du
Gourma jusqu’à la rencontre de la chaîne montagneuse de l’Atakora dont elle suit le
sommet jusqu’au point d’intersection avec le méridien de Paris, d’où elle suit une
ligne droite dans la direction du nord-est et aboutissant au confluent de la rivière
Mékrou avec le Niger».
La Chamere conclut qu’elle ne peut pas adhérer à l’idée, avancée par le Bénin, selon laquelle
le décret du 1 mars 1919 aurait implicitement abrogé ou modifié celui du 2 mars 1907, pour ce qui
est de la limite intercoloniale dans le secteur cons idéré. Le décret de1919 crée la colonie de la
Haute-Volta, constituée par le détachement d’un certain nombre de cercles, dont ceux de Fada
N’Gourma et Say, du Haut-Sénégal et Niger. T outefois, rien ne permet d’inférer des termes du
décret de1919 que ses auteurs auraient entendu re mettre en cause la ligne définie comme limite
intercoloniale en 1907.
Cela ne suffit néanmoins pas à infirmer la thèse soutenue par le Bénin quant au tracé de la
frontière dans le secteur considéré.
La Chambre ne peut tout d’abord manquer de relever que le décret de1919 ne se réfère ni
dans ses visas ni dans son dispositif à celui de 1907, et qu’il ne fixe pas précisément, comme le
faisait son prédécesseur, la limite intercoloniale. En réalité, le décret de 1919 ne définit le territoire
de la Haute-Volta que par la désignation des cercles qui le composent, et c’est donc aussi de cette
manière que sont définies indirectement les limites entre la Haute-Volta et les colonies voisines,
notamment le Dahomey. C’est par la dé limitation précise des cercles mentionnés à
l’articlepremier du décret du 1 ermars 1919 ⎯délimitation à laquelle ne procède pas le décret
lui-même ⎯ que pouvait être définie, à partir de cette date, la limite intercoloniale. Or, la
délimitation des cercles, principales subdivisions administratives des colonies, relevait à cette
époque de la compétence du gouverneur général. De ce qui précède, il y a lieu de déduire que si le
décret de1919 ne remettait pas en cause la limite intercoloniale fixée en 1907, il laissait intacte,
pour l’avenir, la possibilité pour le gouverneur général de fixer l’étendue des cercles considérés
comme il en avait normalement la compétence.
La Chambre note qu’un arrêté du gouverneur gé néral du 31août1927 retient la rivière
Mékrou comme la limite du cercle de Say dans sa partie contiguë à la colonie du Dahomey. Cet
arrêté a été pris par le gouverneur général à la suite, et en conséquence, du décret du
28décembre1926 rattachant à la colonie du Niger (créée quelques années plus tôt) le cercle de
Say. Il appartenait alors au gouverneur général de préciser les limites en tre les colonies de la
Haute-Volta et du Niger, dans l’exercice de sa compétence pour fixer l’étendue des cercles: tel
était l’objet de l’arrêté du 31août1927. Celui-ci , dans son articlepremier, paragraphe2, définit
ainsi la limite entre le cercle de Say et la Haute-Volta :
«Au sud-ouest [par] une ligne partant approximativement de la Sirba à hauteur
du parallèle de Say pour aboutir à la Mékrou;
Au sud-est, par la Mékrou de ce point jusqu’à son confluent avec le Niger.»
Ainsi, par cet arrêté, le gouverneur général fixe clairement la limite du cercle de Say, et par suite la
limite intercoloniale, à la Mékrou.
La Chambre observe que l’arrêté du 31août 1927 a donné lieu, le 15octobre suivant, à un
erratum qui en modifie le libellé, de manière par définition rétroactive, en en faisant disparaître la
référence au cours de la Mékrou co mme limite au sud-est entre le cercle de Say et la Haute-Volta.
Toutefois l’erratum semble bien avoir été motivé, non pas par la circonstance que le gouverneur
général n’entendait pas fixer la limite sud-est du cer cle de Say au cours de la Mékrou, mais par la
volonté de ne pas préciser la limite entre le Dahomey et le Niger dans un arrêté ayant pour objet,
comme cela résultait de son intitulé même, de fixer la limite entre le Niger et la Haute-Volta. - 13 -
La Chambre prête en outre attention aux textes relatifs à la création de réserves de chasse et
de parcs nationaux dans la région dite «du W du Niger»; e lle constate que ces instruments
retiennent tous la rivière Mékrou en vue de la délimitation des aires considérées. Si, pour les
autorités administratives ayant compétence pour prom ulguer les arrêtés en question, la Mékrou ne
représentait pas la limite intercoloniale, il est difficile de comprendre pourquoi elle avait été choisie
comme limite de ces parcs nationaux et réserves na turelles. Enfin, la Chambre constate que les
éléments cartographiques versés au dossier confirment nettement que, à partir de 1926-1927 en tout
cas, la Mékrou était généralement regardée comme la limite intercoloniale par l’ensemble des
administrations et institutions de la puissance coloniale.
L’ensemble de ces considérations conforte la thèse selon laquelle la ligne de1907 ne
correspondait plus, à la date critique, à la limite inte rcoloniale et qu’au contraire, à cette date, c’est
le cours de la Mékrou qui, selon l’opinion de l’ensemble des autorités compétentes de
l’administration coloniale, constituait la limite entre les colonies voisines ⎯alors celles du
Dahomey et du Niger.
La Chambre observe que, ainsi que l’a soute nu le Niger, le décret du 2mars1907, qui
définissait nettement une limite différente, n’a ja mais été expressément abrogé ou modifié, et qu’il
n’a pas non plus été supplanté par un autre texte de valeur moins égale ⎯soit un décret ou une
loi ⎯ qui aurait comporté des dispositions clairement incompatibles avec les siennes. Toutefois, la
Chambre se doit de souligner que le principe de l’uti possidetis juris suppose non seulement de se
référer aux titres juridiques en vigueur, mais aussi de prendre en compte la manière dont ces titres
étaient interprétés et appliqués par les autorit és publiques compétentes de la puissance coloniale,
notamment dans l’exercice de leur pouvoir norma tif. Force est de constater que les actes
administratifs édictés à partir de1927 n’ont fait l’objet d’aucune contestation devant les
juridictions compétentes, et qu’il n’apparaît pas qu’il ait jamais été reproché à l’administration
coloniale, à l’époque, de s’être indûment écartée du tracé résultant du décret de 1907.
La Chambre conclut de tout ce qui précède que, à partir de1927 en tout cas, les autorités
administratives compétentes ont considéré le cours de la Mékrou comme la limite intercoloniale
séparant le Dahomey du Niger, que ces autorités ont traduit cette délimitation dans les actes
successifs qu’elles ont édictés à partir de1927, lesquels indiquent, pour les uns, et supposent
nécessairement, pour les autres, une telle limite, et que tel était l’état du droit à la date des
indépendances en août1960. Dans ces conditions , estime la Chambre, il n’est pas nécessaire de
rechercher d’éventuelles effectivités en vue d’appliquer le principe de l’uti possidetis , les
effectivités ne pouvant présenter un intérêt, en la matière, que pour compléter ou suppléer des titres
juridiques incertains ou absents, mais ne pouvant jamais prévaloir sur des titres auxquels elles
seraient contraires. La Chambre constate, d’ailleurs, et de façon surabondante, que les Parties n’ont
invoqué que d’assez faibles effectivités dans le secteur considéré.
Eu égard à la conclusion qui précède, la Chambre relève que le débat qui a opposé les Parties
au sujet de la portée juridique de la note verbal e du Niger en date du 29août1973 et du procès-
verbal de la réunion d’experts en date du 8 févr ier 1974 devient sans objet. Il n’y a donc pas lieu
de trancher les questions de savoir si de tels actes auraient pu constituer un engagement
juridiquement contraignant pour le Niger et, dans l’affirmative, si la validité dudit engagement
aurait pu être viciée par une erreur répondant aux conditions fixées par le droit international
coutumier.
Emplacement de la ligne frontière sur la rivière Mékrou (par. 143-145)
La Chambre, enfin, détermine à quel endroit précis de la rivière Mékrou est située la
frontière entre le Bénin et le Niger.
La Chambre rappelle que, dans l’affaire relative à l’Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana/
Namibie), la Cour a fait observer que - 14 -
«[l]es traités ou conventions qui défini ssent des frontières dans des cours d’eau
désignent généralement aujourd’hui le thalweg comme frontière lorsque le cours d’eau
est navigable et la ligne médiane entre les deux rives lorsqu’il ne l’est pas, sans que
l’on puisse toutefois constater l’existence d’une pratique totalement cohérente en la
matière» (C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 1062, par. 24).
En l’espèce, la Chambre relève que les Parties ne lui ont soumis aucun document qui permettrait
d’identifier le tracé exact du thalweg de la Mékrou. La Chambre note qu’il existe
vraisemblablement une différence négligeable entre les tracés du thalweg et de la ligne médiane de
cette rivière, mais considère qu’une limite suivant la ligne médiane de la Mékrou répondrait mieux,
compte tenu des circonstances, y compris le fait que la rivière n’est pas navigable, aux exigences de
sécurité juridique propres à la détermination d’une frontière internationale.
La Chambre conclut, par suite, que, dans le sect eur de la rivière Mékrou, la frontière entre le
Bénin et le Niger est constituée par la ligne médiane de ladite rivière.
*
Le texte intégral du dispositif se lit comme suit :
mcoPifs,
ChLaambre,
1) Par quatre voix contre une,
Dit que la frontière entre la République du Béni n et la République du Niger dans le secteur
du fleuve Niger suit le tracé suivant :
⎯ la ligne des sondages les plus profonds du chenal navigable principal de ce fleuve, à partir de
l’intersection de ladite ligne avec la ligne médi ane de la rivière Mékrou, jusqu’au point de
coordonnées 11° 52' 29" de latitude nord et 3° 25' 34" de longitude est;
⎯ à partir de ce point, la ligne des sondages l es plus profonds du chenal navigable gauche,
jusqu’au point de coordonnées 11° 51' 55" de latitude nord et 3° 27' 41" de longitude est, où la
frontière s’écarte de ce chenal et passe à gauc he de l’île de Kata Goungou, pour rejoindre
ensuite le chenal navigable principal au point de coordonnées 11°51' 41" de latitude nord et
3° 28' 53" de longitude est;
⎯ à partir de ce dernier point, la ligne des s ondages les plus profonds du chenal navigable
principal du fleuve jusqu’à la frontière des Parties avec le Nigéria; et
⎯ que la ligne frontière passe, d’amont en aval , par les points, numérotés de1 à154, dont les
coordonnées sont indiquées au paragraphe 115 du présent arrêt.
POUR : M. Ranjeva, vice-président de la Cour, président de la Chambre ; MM.Kooijmans,
Abraham, juges; M. Bedjaoui, juge ad hoc;
CONTRE : M. Bennouna, juge ad hoc; - 15 -
2) Par quatre voix contre une,
Dit qu’en conséquence les îles situées sur le fleuve Niger appartiennent à la République du
Bénin ou à la République du Niger ainsi qu’indiqué au paragraphe 117 du présent arrêt;
POUR : M. Ranjeva, vice-président de la Cour, président de la Chambre ; MM.Kooijmans,
Abraham, juges; M. Bedjaoui, juge ad hoc;
CONTRE : M. Bennouna, juge ad hoc;
3) Par quatre voix contre une,
Dit que la frontière entre la République du Bé nin et la République du Niger sur les ponts
reliant Gaya et Malanville suit le tracé de la frontière dans le fleuve;
POUR : M.Ranjeva, vice-président de la Cour, président de la Chambre ; MM.Kooijmans,
Abraham, juges; M. Bedjaoui, juge ad hoc;
CONTRE : M. Bennouna, juge ad hoc;
4) A l’unanimité,
Dit que la frontière entre la République du Béni n et la République du Niger dans le secteur
de la rivière Mékrou suit la ligne médiane de cette rivière, à partir de l’intersection de cette ligne
avec la ligne des sondages les plus profonds du chen al navigable principal du fleuve Niger, jusqu’à
la frontière des Parties avec le Burkina Faso.»
___________ Annexe à Résumé 2005/2
Opinion dissidente de M. le Juge Bennouna
Le juge Bennouna n’a pu souscrire aux trois premières conclusions de la Chambre sur le
tracé de la frontière entre le Bénin et le Niger da ns le secteur du fleuve Niger et l’appartenance des
îles qui s’y trouvent. Il souscrit, par contre, à la quatrième conclusion de la Chambre sur le tracé de
la frontière entre le Bénin et le Niger dans le secteur de la rivière Mékrou.
Le juge Bennouna estime que la frontière dans le secteur du fleuve Niger se situe à la rive
gauche du fleuve, ceci aussi bien en vertu du titre ju ridique que des effectivités. Par conséquent, il
en déduit que toutes les îles sur le fleuve appartienne nt au Bénin. Selon lui, enfin, la Chambre est
incompétente pour tracer la frontière sur les deux ponts qui enjambent le fleuve Niger.
___________
Résumé de l'arrêt du 12 juillet 2005