Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel
AFFAIRE RELATIVE À LA LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE
(Y OUGOSLAVIE c. PORTUGAL) (MESURES CONSERVATOIRES)
Ordonnance du 2 juin 1999
Dans une ordonnance rendue en l’affaire relative à la « 50. Par ces motifs,
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), la
LA COUR,
Cour a rejeté par onze voix contre quatre la demande en 1) Par onze voix contre quatre,
indication de mesures conservatoires présentée par la Rejette la demande en indication de mesures
République fédérale de Yougoslavie (RFY). En outre la conservatoires présentée par la République fédérale de
Cour a affirmé qu’elle reste saisie de l’affaire. La suite
de la procédure a été réservée par quatorze voix contre une. Yougoslavie le 29 avril 1999;
POUR : M. Schwebel, Président de la Cour;
La Cour était composée comme suit : M. Weeramantry, MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh,
Vice-Président, faisant fonction de président; M. Schwebel, Fleischhauer, Koroma, M me Higgins, MM. Parra-
Président de la Cour; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Aranguren, Kooijmans, juges;
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma,
Vereshchetin, M meHiggins, MM. Parra-Aranguren, CONTRE : M. Weeramantry, Vice-Président, faisant
Kooijmans, juges; M. Kreca, juge ad hoc; M. Valencia- fonction de président en l’affaire; MM. Shi,
Vereshchetin, juges; M. Kreca, juge ad hoc;
Ospina, Greffier.
* 2) Par quatorze voix contre une,
Réserve la suite de la procédure.
* * POUR : M. Weeramantry, Vice-Président, faisant
fonction de président en l’affaire; M. Schwebel,
Le texte complet du dispositif de l’ordonnance est ainsi
libellé : Président de la Cour; MM. Bedjaoui, Guillaume,
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma,
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112 Vereshchetin, M me Higgins, MM. Parra-Aranguren, dans le maintien de la paix et de la sécurité», la Cour
Kooijmans, juges; M. Kreca, juge ad hoc; « estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se
CONTRE : M. Oda, juge. » présentent devant elle doivent agir conformément à leurs
obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des
* autres règles du droit international, y compris du droit
* * humanitaire ».
La Cour rappelle ensuite qu’ellen «’a pas
M. Koroma, juge, a joint un e déclaration à l’ordonnance
de la Cour. M.Oda, M meHiggins, et MM.Parra-Aranguren automatiquement compétence pour connaître des différends
et Kooijmans, juges, y ont joint les exposés de leur opinion juridique» entre États et que «l’un des principes
individuelle. MW. eeramantry, Vice-Président, faisant fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un
différend entre des États sans que ceux-ci aient consenti à sa
fonction de président en l’affaire, MM. Shi et Vereshchetin, juridictin. Elle ne peut indiquer de mesures
juges, et M.Kreca, juge ad hoc, y ont joint les exposés de conservatoires sans que sa co mpétence en l’affaire ait été
leur opinion dissidente. établie prima facie.
* Au sujet de la première base de compétence invoquée, la
* * Cour fait observer qu’aux termes de sa déclaration, la
Yougoslavie limite son acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour aux «différends, surgissant ou
Rappel des faits pouvant surgir après la signature de la présente déclaration,
Le 29avril 1999, la Yougoslavie a déposé une requête
qui ont trait à des situations ou à des faits postérieurs à
introductive d’instance contre le Portugal pour «violation ladite signature... » La Cour indique qu’aux fins d’apprécier
de l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force», sa compétence en l’affaire, il suffit de déterminer si le
accusant cet État de bombar der le territoire yougoslave différend porté devant elle a «surgi» avant ou après le
« conjointement avec d’autres États membres de l’OTAN ». 25avril 1999, date de la signature de la déclaration. Elle
Le même jour, elle a présenté une demande en indication de constate que les bombardements ont commencé le 24mars
mesures conservatoires, priant la Cour d’ordonner au 1999 et se sont poursuivis, de façon continue, au-delà du
Portugal de «cesser immédiatem ent de recourir à l’emploi 25avril 1999. Il ne fait ainsi pas de doute pour elle «qu’un
de la force» et de «s’abstenir de tout acte constituant un différend d’ordre juridique ... a “surgi” entre la Yougoslavie
recours ou une menace de recours à la force» contre la et [le Portugal], comme avec les autres États membres de
RFY. l’OTAN, bien avant le 25 avril 1999 ». La Cour conclut que
Pour fonder la compétence de la Cour, la Yougoslavie a les déclarations faites par les parties ne constituent pas une
invoqué les déclarations par lesquelles les deux États ont base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima
facie être fondée en l’espèce.
accepté la juridiction obligatoire de la Cour à l’égard de tout
autre État acceptant la même ob ligation (Art.36, par.2, du Quant à l’argument du Portugal selon lequel la
Statut de la Cour), ainsi que l’article IX de la Convention Yougoslavie n’est pas un État membre des Nations Unies vu
pour la prévention et la répression du crime de génocide, les résolutions 777 (1992) et 821 (1993) du Conseil de
adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le sécurité, ainsi que les résolutions 47/1 (1992) et 48/8 (1993)
9décembre 1948. L’article IX de la Convention sur le de l’Assemblée générale des Nations Unies, ni un État partie
génocide prévoit que les différends entre les parties
au Statut de la Cour, la Cour considère qu’elle n’a pas à
contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou examiner cette question compte tenu du fait qu’elle a conclu
l’exécution de la Convention seront soumis à la Cour que les déclarations ne constituent pas une base de
internationale de Justice. compétence.
À propos de l’article IX de la Convention sur le
Raisonnement de la Cour génocide, la Cour indique qu’elle doit rechercher si les
Dans son ordonnance, la Cour souligne tout d’abord violations de la Convention alléguées par la Yougoslavie
qu’elle est « profondément préoccupée par le drame humain, sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet
instrument et si, par suite, la Cour pourrait avoir compétence
les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que pour connaître du différend ratione materiae . Dans sa
connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond» du requête, la Yougoslavie indique que l’objet du différend
différend, «ainsi que par les victimes et les souffrances porte notamment sur «les actes commis par le Portugal, en
humaines que l’on déplore de façon continue dans violation de son obligation internationale ... de ne pas
l’ensemble de la Yougoslavie». Elle se dit également
«fortement préoccupée par l’emploi de la force en soumettre intentionnellement un groupe national à
Yougoslavie» qui, «danslescirconstances actuelles ... desconditions d’existence devant entraîner sa destruction
physique». Elle soutient que le bombardement constant et
soulève des problèmes très graves de droit international». intensif de l’ensemble de son territoire, y compris les zones
En gardant « présents à l’esprit les buts et les principes de la les plus peuplées, constitue «une violation grave de
Charte des Nations Unies, ainsi que les responsabilités qui l’articleII de la Convention sur le génocide», que c’est la
lui incombent, en vertu de ladite Charte et [de son] Statut,
113nation yougoslave tout entière, en tant que telle, qui est prise de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains
pour cible et que le recours à certaines armes, dont on actes avec le droit in ternational». «[L]a compétence exige
connaît par avance les conséq uences dommageables à long le consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que
terme sur la santé et l’environnement, ou la destruction de la quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa
plus grande partie du réseau d’alimentation en électricité du compétence et entendu les deux parties faire pleinement
pays, dont on peut prévoir d’avance les conséquences valoir leurs moyens en droit ». Elle souligne que « les États,
catastrophiques, «témoigne[nt] implicitement de l’intention qu’ils acceptent ou non la juri diction de la Cour, demeurent
de détruire totalement ou partiellement» le groupe national en tout état de cause responsables des actes contraires au
yougoslave en tant que tel. Pour sa part, le Portugal fait droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur
valoir que «l’intention spécifique qui est nécessaire pour seraient imputables» et que «tout différend relatif à la
que [l]e crime [de génocide] existe est absente en l’espèce », licéité de tels actes doit être réglé par des moyens pacifiques
que les actes auxquels le Port ugal aurait pris part «ne dont le choix est laissé aux parties conformément à
répondent pas, à l’évidence, à la commission d’un crime qui l’Article33 de la Charte». Dans ce cadre, «les parties
suppose un effort de sélection quant au choix des victimes, doivent veiller à ne pas aggraver ni étendre le différend».
en contradiction avec l’e ffet aléatoire des moyens La Cour réaffirme que «lorsqu’un tel différend suscite une
employés» et que dès lors, «les éléments tant objectif que menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte
subjectif du crime de génocide font défaut». La Cour d’agression, le Conseil de sécurité est investi de
constate que, d’après la Co nvention, la caractéristique responsabilités spéciales en vertu du chapitre VII de la
essentielle du génocide est la destruction intentionnelle d’un Charte ».
groupe national, ethnique, racial ou religieux; elle précise
que «le recours ou la menace du recours à l’emploi de la Déclaration du juge Koroma
force contre un État ne sauraient en soi constituer un acte de
Dans sa déclaration, M. Koroma fait observer qu’il
génocide au sens de l’article II de la Convention sur le s’agit peut-être des affaires les plus graves dont la Cour ait
génocide». Elleajoute qu’il n’apparaît pas au présent stade
de la procédure que les bombardements qui constituent jamais été saisie, s’agissant de l’indication de mesures
l’objet de la requête yo ugoslavec«omporte[nt] conservatoires. Il relève que ces mesures, selon la
effectivement l’élément d’intentionnalité, dirigé contre un jurisprudence, ont pour objet de prévenir la violence et le
groupe comme tel, que requiert la disposition» sus- recours à l’emploi de la force, de sauvegarder la paix et la
indiquée. La Cour indique dès lors qu’elle n’est pas en sécurité internationales ainsi que de jouer un rôle important
dans le mécanisme de règlement des différends que prévoit
mesure de conclure, à ce stade de la procédure, que les actes la Charte des Nations Unies. Aussi l’indication de telles
que la Yougoslavie impute au Portugal seraient susceptibles
d’entrer dans les prévisions de la Convention sur le mesures est-elle, selon lui, l’une des fonctions les plus
génocide; et l’article IX de la Convention sur le génocide ne importantes de la Cour.
constitue partant pas une base sur laquelle sa compétence Mais l’octroi de telles mesures, souligne M. Koroma, ne
pourrait prima facie être fondée en l’espèce. peut se faire qu’en conformité avec le Statut de la Cour. À
cet égard et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour ne fera
En ce qui concerne l’argument du Portugal qui fait valoir pas droit à une demande en indication de mesures
que, à la date à laquelle la Yougoslavie a porté l’affaire
devant la Cour, «il n’était pas partie à la Convention sur le conservatoires lorsqu’elle n’a pas compétence prima facie
génocide –bien que son instrument d’adhésion ait déjà été ou lorsque d’autres circonstances s’opposent à leur
déposé aux Nations Unies », la Cour estime qu’eu égard à la prononcé.
conclusion à laquelle elle est parvenue au sujet de Il estime toutefois que la Cour, organe judiciaire
principal des Nations Unies dont la principale raison d’être
l’article IX de la Convention sur le génocide comme base de
compétence, point n’es t besoin pour elle d’examiner cette demeure le maintien de la paix et de la sécurité
question aux fins de déterminer si elle peut ou non indiquer internationales, a une obligation claire et nette de contribuer
des mesures conservatoires en l’espèce. au maintien de la paix et de la sécurité internationales et de
La Cour conclut qu’elle « n’a pas prima facie fournir le cadre judiciaire, qui doit permettre de résoudre un
compétence pour connaître de la requête de la conflit juridique, tout particulièrement lorsque celui-ci non
seulement menace la paix et la sécurité internationales mais
Yougoslavie» et qu’elle «ne saurait dès lors indiquer engendre aussi des souffrances humaines énormes et des
quelque mesure conservatoire que ce soit». Toutefois, les
conclusions auxquelles la Cour est parvenue «ne préjugent pertes en vies humaines qu’on ne cesse de déplorer. C’est
en rien [s]a compétence ... pour connaître du fond de pourquoi il se joint aux autres membres de la Cour pour
l’affaire » et elles « laissent intact le droit du Gouvernement appeler à un règlement pacifique du conflit conformément à
yougoslave et du Gouvernement portugais de faire valoir l’Article 33 de la Charte et pour exhorter les Parties à ne pas
aggraver ni étendre le différ end et à respecter le droit
leurs moyens en la matière ». international, y compris le droit humanitaire et les droits de
La Cour rappelle enfin qu’il «existe une distinction l’homme de tous les citoyens yougoslaves.
fondamentale entre la questio n de l’acceptation par un État
114 Opinion individuelle du juge Oda Opinion individuelle du juge Higgins
M.Oda appuie la décision de la Cour de rejeter les Dans ses opinions individuelles, M meHiggins aborde
demandes en indication de mesures conservatoires deux questions que soulèvent les instances où la République
présentées par la République fédérale de Yougoslavie contre fédérale de la Yougoslavie invoque la compétence de la
les 10 États défendeurs. M.Oda approuve la décision de la Cour sur le fondement du paragraphe 2 de l’Article 36 du
Cour de rayer de son rôle gé néral les affaires relatives à Statut. La première concerne les limitations ratione
l’Espagne et aux États-Unis, mais, dans les huit autres temporis dont sont assorties les « clauses facultatives » et en
affaires, il a voté contre le paragraphe du dispositif de particulier celle de savoir à quel moment surgit un différend
l’ordonnance par lequel la Cour a indiqué qu’elle et quand les événements en cause se sont produits. Ces
«[r]éserv[ait] la suite de la procédure», car il estime que notions sont analysées compte tenu de la déclaration même
ces huit affaires devraient aussi être rayées du rôle général de la Yougoslavie. La deuxième question est de savoir
de la Cour à ce stade de la procédure. exactement ce qu’il faut démontrer pour que la Cour soit
Selon M.Oda, la République fédérale de Yougoslavie convaincue qu’elle a compétence prima facie , lorsqu’elle
n’est pas membre des Nations Unies et n’est pas en envisage d’indiquer des mesures conservatoires. Certaines
conséquence partie au Statut de la Cour internationale de questions de compétence sont d’une telle complexité qu’il
Justice. Pour ce seul motif, la Cour aurait dû conclure à n’est pas du tout possible de les examiner à ce stade de la
l’irrecevabilité des requêtes présentées par la République procédure. Le report de leur examen à un stade ultérieur ne
fait pas obstacle à ce que la Cour détermine si elle a ou non
fédérale de Yougoslavie, qui de ce fait auraient dû être
rayées du rôle général de la Cour. compétence prima facie au regard de l’Article 41.
Il examine toutefois ensuite la question de savoir si la
République fédérale de Yougoslavie aurait pu présenter les Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren
requêtes dans ces affaires sur le fondement de certains
MP.arra-Aranguren rappelle que la Yougoslavie
instruments juridiques, à supposer que celle-ci puisse être soutient que «le bombardement ... de zones habitées
considérée comme partie au Statut. Après avoir examiné yougoslaves constitue ... une violation de l’articleII de la
i)le sens de la clause facultative du Statut de la Cour; ii)le Convention sur le génocide», ce que nie le défendeur;
contexte des traités conclus en 1930 et 1931 avec la qu’un différend d’ordre juridique s’est élevé entre les parties
Belgique et les Pays-Bas respectivement; et iiil)a
Convention sur le génocide de 1948, il conclut qu’aucun de du fait de l’existence d’«une situation dans laquelle les
ces instruments ne confère à la Cour compétence pour points de vue des deux Parties, quant à l’exécution ou à la
non-exécution de certaines obligations découlant d’[un
connaître de l’une ou l’autre de ces 10 requêtes. traité], sont nettement opposés », comme la Cour l’a précisé
Tout comme la Cour, M. Oda pense que celle-ci doit, dans sa décision du 11juillet 1996 (Application de la
faute de disposer d’une base de compétence, rejeter les Convention pour la prévention et la répression du crime de
demandes en indication de mesures conservatoires dans les génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
10 instances. La Cour ayant décidé qu’elle n’a pas
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p.614 et 615,
compétence pour connaître de ces affaires, fût-ce prima par.29); et que, selon l’article 9 de la Convention sur le
facie, cela ne peut signifier, selon lui, qu’elle n’a aucune génocide, «[l]es différends entre les Parties contractantes
compétence que ce soit à l’égard de ces affaires. Il s’ensuit, relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la
selon M.Oda, que les requêtes doivent être rejetées à ce présente Conventio» n seront soumis à la Cour
stade de la procédure non seulement dans les affaires internationale de Justice. Aussi estime-t-il que la Cour a
concernant l’Espagne et les États-Unis où la Cour conclut à prima facie compétence pour se pr ononcer sur les mesures
son incompétence manifeste, mais aussi dans toutes les
conservatoires sollicitées par la Yougoslavie.
autres affaires puisqu’elle a relevé qu’elle n’avait même pas La Yougoslavie a demandé à la Cour d’indiquer que le
compétence prima facie. défendeur «doi[t] cesser immédiatement de recourir à
M.Oda signale aussi que la distinction opérée par la l’emploi de la force et doi[ t] s’abstenir de tout acte
Cour entre les requêtes –qui ont pratiquement le même constituant une menace de recours ou un recours à l’emploi
objet– résulte simplement des positions différentes que les
États ont pu adopter à l’égard des divers documents qu’il y a de la force contre la République fédérale de Yougoslavie».
Or, la menace de recours ou le recours à l’emploi de la force
lieu d’appliquer pour déterminer la compétence de la Cour. contre un État ne saurait en lui-même constituer un acte de
Or cette distinction aboutira à un résultat différent pour la génocide au sens de la Convention sur le génocide. La
suite de la procédure dans chacune de ces instances. Pour Yougoslavie sollicite donc l’indication de mesures
M.Oda, il s’agit là d’une situation illogique, qui étaye sa conservatoires qui ne visent pas à garantir les droits qu’elle
conviction que les dix affaires au raient dû être rejetées à ce tient de la Convention sur le génocide, à savoir le droit de ne
stade de la procédure, pour la totalité de leurs éléments.
pas être victime d’actes qui peuvent être qualifiés de crimes
115de génocide par celle-ci. Selon M. Parra-Aranguren, il n’y a 5.Selon M.Kooijmans, le raisonnement de la Cour
donc pas lieu d’indiquer les mesures demandées par la manque de cohérence à cet égard. Ces autres titres de
Yougoslavie. compétence n’entrent en ligne de compte que si la validité
de la déclaration –du moins au stade actuel de la
Opinion individuelle du juge M. Kooijmans procédure– est acceptée. Le raisonnement de la Cour
présume la validité de la déclaration. La Cour aurait dû le
1. M.Kooijmans joint à l’ord onnance de la Cour l’exposé dire et aurait dû justifier son point de vue.
de son opinion individuelle dans les instances introduites
par la Yougoslavie contre la Belgique, le Canada, les Pays- 6. Selon M. Kooijmans, il n’était certes pas nécessaire pour
Bas, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni la Cour de se prononcer définitivement sur l’admission de la
respectivement. Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies. Il sait
parfaitement que la résolutio n 47/1 est sans précédent et
Il ne partage pas le point de vue de la Cour selon lequel soulève un certain nombre de questions juridiques d’une très
la déclaration par laquelle la Yougoslavie a accepté la grande complexité qui exigeront une analyse approfondie et
juridiction obligatoire de la Cour le 25 avril 1999 ne saurait une évaluation rigoureuse par la Cour à un stade ultérieur de
établir un titre de compétence dans la présente affaire même
prima facie du fait des réserves figurant dans les la procédure.
Quelle que soit la difficulté de la question, les décisions
déclarations de l’Espagne et du Royaume-Uni ainsi que de pertinentes ont été prises par les organes de l’Organisation
la limitation ratione temporis figurant dans la déclaration de des Nations Unies (le Conseil de sécurité et l’Assemblée
la Yougoslavie (il s’agit des instances introduites contre la générale) qui ont compétence exclusive en matière
Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal). Il estime
que la Cour n’a pas compétence prima facie, parce que la d’admission, et ces décisions ne sauraient être méconnues
déclaration de la Yougoslavie, pour ce qui est de sa validité, ou ignorées.
prête à controverse. La question de la validité de cette 7. Selon M.Kooijmans, les doutes que soulèvent les
décisions prises par les organes compétents de
déclaration constitue une question préliminaire que la Cour l’Organisation des Nations Unies à l’égard de l’admission
aurait dû examiner dès le départ. de la Yougoslavie et de la validité de la déclaration que
Comme cette question n’est pas pertinente dans les
quatre autres affaires (contre la France, l’Allemagne, l’Italie celle-ci a faite sont toutefois si sérieux que la Cour aurait dû
et les États-Unis) –ces États ne reconnaissant eux-mêmes conclure que cette déclaration ne saurait constituer pour elle
une base de compétence prima facie. La Cour ne devrait
pas la juridiction obligatoire de la Cour –, point n’est besoin indiquer des mesures conservatoires que si sa compétence
de joindre l’exposé d’une opinion individuelle pour celles- pour connaître du différend apparaît comme
ci. raisonnablement probable. Or cette probabilité raisonnable
2. Selon le texte même du paragraphe 2 de l’Article 36 du n’existe pas dans ces affaires, étant donné la validité
Statut, seuls les États qui y sont parties peuvent reconnaître
la juridiction de la Cour comme obligatoire en remettant une incertaine de la déclaration.
8. Si tel est le cas, les questions comme les réserves et les
déclaration d’acceptation au Secrétaire général de limitations ratione temporis sur le fondement desquelles la
l’Organisation des Nations Unies. Les États Membres de Cour s’est prononcée sont dénuées de pertinence
cette organisation sont d’office parties au Statut. Chacun des puisqu’elles sont totalement subordonnées à la question
six États défendeurs a fait valoir que la déclaration
d’acceptation de la République fédérale de Yougoslavie n’a préliminaire de la validité de la déclaration.
pas été faite valablement étant donné que cet État n’est pas
membre des Nations Unies. Opinion dissidente de M. Weeramantry,
Vice-Président
3. Le 22septembre 1992, l’Assemblée générale, sur la
recommandation du Conseil de sécurité, a décidé que la M.Weeramantry a joint à l’ordonnance rendue dans
République fédérale de Yougoslavie ne pouvait pas assumer cette affaire l’exposé de son opinion dissidente, qui est
automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation fondée sur les mêmes motifs qu’il a énoncés dans son
des Nations Unies à la place de l’ancienne République opinion dissidente dans Yougoslavie c. Belgique.
fédérative socialiste de Yougoslavie et qu’elle devrait donc
présenter une demande d’admission à l’Organisation des Opinion dissidente du juge Shi
Nations Unies. Dans l’immédiat , elle ne participerait pas
aux travaux de l’Assemblée générale (résolution 47/1). La Dans les quatre instances introduites par la Yougoslavie
République fédérale de Yougoslavie n’a jamais présenté de contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal,
demande d’admission. M.Shi se dit en désaccord avec la conclusion de la Cour
selon laquelle la limitation ratione temporis figurant dans la
4. Dans les ordonnances qu’elle rend dans ces affaires, la déclaration d’acceptation par la Yougoslavie de la
Cour élude la question de la validité contestée de la compétence obligatoire de la Cour fait que celle-ci n’a pas
déclaration de la Yougoslavie. Elle estime ne pas avoir à
examiner cette question puisque la déclaration ne saurait lui compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de
conférer compétence prima facie sur le fondement d’autres l’Article 36 de son Statut pour indiquer les mesures
titres. conservatoires sollicitées par la Yougoslavie.
116 Par sa déclaration signée le 25avril 1999, la En outre, pour des motifs semblables à ceux qu’il a
Yougoslavie a reconnu la co mpétence obligatoire «pour exposés dans les déclarations relatives aux six autres
tous les différends, surgissant ou pouvant surgir après la affaires, M.Shi regrette que la Cour, confrontée à une
signature de la présente déclaration, qui ont trait à des situation de grande urgence, se soit abstenue de faire une
situations ou à des faits postérieurs à ladite signature...» déclaration générale exhortant les parties à agir
DanslescasoùlaCourse trouve en présen ce d’une telle conformément aux obligations qui sont les leurs en vertu de
«formule de double exclusion», il lui appartient de la Charte des Nations Unies et de toutes les règles du droit
déterminer tant la date du différend que les situations ou international applicables en l’ espèce et au moins à ne pas
faits ayant donné lieu à celui-ci. aggraver ou étendre leurs différends dès après le dépôt de la
S’agissant du premier aspect de la condition relative à la demande de la Yougoslavie et indépendamment de la
date, la Cour doit déterminer quel est l’objet du différend conclusion à laquelle la Cour pourrait parvenir sur sa
qui, dans les affaires en cause, se compose d’un certain compétence prima facie en attendant qu’elle rende son arrêt
nombre d’éléments constitutifs. La section «Objet du définitif. La Cour s’est également abstenue d’user de la
différend» dans chacune des requêtes présentées par la faculté que lui donne le paragraphe 1 de l’article 75 de son
règlement de statuer d’office sur les demandes bien que la
Yougoslavie indique qu’il s’agit d’actes commis par le
défendeur en violation de ses obligations internationales de Yougoslavie l’en ait priée.
ne pas recourir à l’emploi de la force contre un autre État, de Pour ces motifs, M.Shi s’ est vu dans l’obligation de
ne pas s’immiscer dans les a ffaires intérieures d’un autre voter contre le paragraphe 1 du dispositif des quatre
État, de ne pas porter atteinte à la souveraineté d’un autre ordonnances.
État, de protéger les populations civiles et les biens de
caractère civil en temps de guerre, de protéger
Opinion dissidente du juge Vereshchetin
l’environnement, etc. M.Vereshchetin commence son opinion dissidente par
On ne saurait affirmer que le différend est né avant que
tous les éléments constitutifs aient existé. Même si les une déclaration d’ordre général, qu’il joint à toutes les
bombardements aériens du territoire de la Yougoslavie ont ordonnances rendues par la Cour, dans laquelle il affirme
commencé quelques semaines av ant la date critique que que les circonstances extraordin aires et sans précédent des
affaires dont la Cour a été saisie imposaient à celle-ci la
représente la signature de la déclaration, ceux-ci, avec les nécessité d’agir promptement, et , si nécessaire, d’office. Il
conséquences qui les accompagnent, ne constituent pas un explique ensuite pourquoi il n’a aucun doute qu’il existait
différend. Certes, la Yougoslavie avait avant la date critique une compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de
accusé l’OTAN de recourir illégalement à l’emploi de la
force à son encontre, mais ce grief ne constitue tout au plus l’Article 36 du Statut de la Cour, en ce qui concerne les
qu’un des nombreux éléments constitutifs du différend. En requêtes introduites contre la Belgique, le Canada, les Pays-
outre, l’OTAN ne saurait être assimilé au défendeur ni ne Bas et le Portugal. Pour ce qui est de la Belgique et des
Pays-Bas, la Cour a aussi compétence prima facie en vertu
saurait être celui-ci, ratione personae, dans les affaires en des accords signés entre la Belgique et la Yougoslavie le
cause. Le différend n’a pris naissance qu’à une date 25mars 1930 et entre les Pays-Bas et la Yougoslavie le
postérieure à la signature de la déclaration. 11 mars 1931.
S’agissant du second aspect de la condition relative à la
date, le différend porte sur la prétendue violation de diverses MV.ereshchetin est en désaccord avec deux
obligations internationales par des recours à la force, sous la propositions fondamentales sur lesquelles, à son avis,
reposent les arguments allant à l’encontre des thèses
forme de bombardements aériens du territoire de la précitées et que la Cour a accueillis dans ses ordonnances.
Yougoslavie, que le demandeur impute à l’État défendeur. Il La première proposition est que le texte de la déclaration
est évident que la prétendue violation d’obligations par un
tel fait «continu» s’est d’abord produite au moment où ce yougoslave acceptant la juridiction de la Cour, et en
fait a débuté, c’est-à-dire des semaines avant la date particulier le libellé de la ré serve qui y figure, ne confère
critique. Étant donné que les bombardements aériens se sont pas compétence prima facie à la Cour. La deuxième
proposition est que le moment choisi pour la présentation
poursuivis bien au-delà de la date critique et se poursuivent par la Yougoslavie de bases additionnelles de compétences
encore, la période au cours de laquelle a été perpétrée la ne permet pas à la Cour de conclure qu’elle a compétence
violation de ces obligations s’étend sur la totalité du laps de prima facie à l’égard des instances introduites contre la
temps qui s’est écoulé pendant que ces faits se poursuivaient
et ne prendra fin qu’à la cessation de ceux-ci par l’État Belgique et les Pays-Bas.
défendeur. En ce qui concerne la première proposition,
M. Vereshchetin est d’avis que la Cour, en refusant de tenir
On peut conclure que la limitation ratione temporis compte de l’intention explicite de la Yougoslavie, interprète
figurant dans la déclaration de la Yougoslavie n’empêche sa déclaration d’une façon qui pourrait conduire à la
absolument pas de reconnaître à la Cour, sur le fondement
du paragraphe 2 de l’Article 36 de son Statut, compétence conclusion absurde que la Yougoslavie entendait, par sa
prima facie pour indiquer des mesures conservatoires dans déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour,
les affaires en cause. exclure la juridiction de la Cour à l’égard de ses requêtes
introductives d’instance contre les défendeurs.
117 En ce qui concerne la deuxième proposition, qui a trait à l’Allemagne et les Pays-Bas) comptent sur le siège un juge
l’invocation de motifs de compétence additionnels, dans le de leur nationalité.
cas de la Belgique et des Pays-Bas, la préoccupation Concurremment, si l’on suit la jurisprudence constante
légitime de la Cour concernant le respect du «principe du de la Cour, aucun des États défendeurs n’a le droit de
contradictoire et la bonne administration de la justice», de désigner un juge ad hoc (Juridiction territoriale de la
l’avis de M.Vereshchetin, ne peut être étendue au point de commission internationale de l’Oder; Régime douanier
soustraire à priori le chef de compétence additionnel à son entre l’Allemagne et l’Autriche).
examen, uniquement parce que les États défendeurs n’ont
pas eu assez de temps pour préparer leurs arguments pour y Point n’est besoin de souligner la très grande importance
des questions susmentionnées, car il est évident qu’elles ne
répondre. Certes, on ne saurait considérer comme normal voient pas leurs effets se limiter à la procédure, mais
qu’un nouveau chef de compétence soit invoqué au qu’elles peuvent aussi avoir des conséquences concrètes
deuxième tour des exposés oraux. Toutefois, les États d’une portée considérable.
défendeurs ont eu la possibilité de présenter leur réplique à
la Cour, et ils ont fait usage de cette possibilité pour Selon MK . reca, la Cour a accordé une grande
présenter diverses observations et objections à l’encontre du importance au critère de l’impératif humanitaire dans sa
jurisprudence récente relativ e à l’indication de mesures
nouveau chef de compétence. Au besoin, ils auraient pu conservatoires, en particulier dans les affaires touchant
demander une prolongation des audiences. Pour sa part, le directement des personnes physiques. Par sa seule force, ce
demandeur peut raisonnablement soutenir que l’invocation critère a permis d’écarter certaines règles pertinentes tant de
tardive des nouveaux chefs de compétence a eu pour cause
la situation extraordinaire en Yougoslavie, dans laquelle la procédure que de fond qui s’appliquaient à l’indication de
préparation des requêtes s’est effectuée dans les conditions mesures conservatoires (voir par exemple l’affaire
crées par les bombardements aériens quotidiens auxquels LaGrand). Ainsi, les considérations d’ordre humanitaire,
indépendamment des normes du droit international en
procédaient les défendeurs. matière de droits de l’homme et de libertés, ont d’une
Le refus de la majorité de prendre en considération les certaine manière acquis une signification juridique
nouveaux chefs de compétence es t clairement contraire aux autonome; elles ont échappé à la sphère de la morale et de la
dispositions de l’article 38 du Règlement de la Cour et à la
jurisprudence de la Cour. Le refus de tenir dûment compte philanthropie pour pénétrer dans le domaine du droit.
de l’intention d’un État qui fait une déclaration Dans la présente instance, il semble que l’«impératif
humanitaire » ait perdu la position juridique autonome qu’il
d’acceptation de la juridiction de la Cour est également avait ainsi acquise. Ce fait doit être souligné étant donné les
incompatible avec la jurisprudence de la Cour et avec les circonstances particulières de l’espèce. À la différence des
règles coutumières d’interprétation des instruments
juridiques. De l’avis de MV . ereshchetin, toutes les affaires jugées récemment par la Cour, l’«impératif
conditions nécessaires à l’indication de mesures humanitaire» dont il est question ici a pour objet le sort
conservatoires, découlant de l’Article 41 du Statut de la d’une nation entière, au sens littéral. La République fédérale
de Yougoslavie et les groupes nationaux et ethniques qui la
Cour et de sa jurisprudence bi en établie, ont été réunies, et composent sont soumis depuis maintenant plus de deux
la Cour aurait indubitablement dû indiquer de telles mesures mois à des attaques continues de la part d’une «armada»
pour ce qui concerne les quatre États susmentionnés. aérienne redoutable et très organisée, commandée par les
Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc États les plus puissants de la terre. De plus, l’arsenal utilisé
dans les attaques dirigées contre la Yougoslavie comprend
Dans son opinion dissidente, M.Kreca met l’accent sur des armes dont les effets ne sont limités ni dans l’espace ni
les points suivants : dans le temps, comme l’uranium appauvri, qui causent des
dommages irréparables et d’une portée considérable à la
M. Kreca estime qu’aucune des fonctions de l’institution santé de l’ensemble de la population.
du juge ad hoc visant à assurer l’égalité au sein de la Cour
n’a été respectée dans ce cas particulier. Il découle de la M.Kreca estime qu’en ce qui concerne l’appartenance
lettre et de l’esprit du paragraphe 2 de l’Article 31 du Statut de la Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies, la
de la Cour, si on l’applique au cas d’espèce, que la Cour est restée fidèle à sa position qui consiste à «éluder»
Yougoslavie, en tant qu’État demandeur, aurait dû avoir le la question en continuant d’affirmer «[qu’elle] n’a pas à
droit de désigner autant de juges ad hoc pour prendre place examiner cette question à l’effet de décider si elle peut ou
non indiquer des mesures conservatoires dans le cas
sur le siège, étant donné qu’il faut assurer une égalité entre
l’État demandeur et les États défendeurs qui comptent un d’espèce ». Pourtant, M. Kreca est profondément convaincu
juge de leur nationalité sur le siège et qui font cause que la Cour aurait dû répondre à la question de savoir si la
commune. Le droit naturel à une représentation égale au République fédérale de Yougoslavie peut ou non, à la
sein de la Cour, traduction du principe fondamental de lumière de la résolution 47/1 de l’Assemblée générale et de
l’égalité des parties, signifie concrètement que la l’usage établi au sein de l’organisation universelle, être
République fédérale de Yougoslavie aurait dû avoir le droit considérée comme Membre des Nations Unies et en
particulier, comme partie au Stat ut de la Cour; en effet, le
de désigner cinq juges ad hoc car cinq des 10 États
défendeurs (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, texte de la résolution 47/1 ne fait aucune mention du statut
118de la République fédérale de Yougoslavie en tant que partie soucier d’établir s’il y a effectivement intention d’imposer à
au Statut de la Cour internationale de Justice. De même, un groupe des conditions qui menacent sa survie. Eu égard à
M. Kreca est convaincu que la Cour aurait dû répondre à l’objet des mesures conservatoires, on peut dire qu’à ce
cette question, étant donné en particulier que le texte de la stade de la procédure il suffit de démontrer que, lors de
résolution, qui constitue une contradictio in adjecto, et plus bombardements à grande échelle, il existe un risque objectif
spécialement l’usage au sein de l’organisation universelle que soient créées des conditions dans lesquelles la survie du
après son adoption il y a près de sept ans, lui fournissaient group e est menacée.
tous les arguments voulus pour se prononcer sur la question.
De l’avis de M. Kreca, la position de la Cour en ce qui
M. Kreca est d’avis que l’emploi de la force armée à concerne sa juridiction ratione temporis est très contestable,
grande échelle, particulièrement à l’encontre d’objets et de et ce pour deux motifs fondamentaux. Premièrement, pour
moyens qui sont des éléments essentiels d’une vie normale, des raisons générales liées à la jurisprudence de la Cour en
peut mener à la « soumission ... du groupe à des conditions l’epèce, d’une part, et à la nature de la procédure en
d’existence » qui entraînent « sa destruction physique » indication de mesures conservatoires, d’autre part, et
(Convention sur le génocide, art. II). deuxièmement, pour des raisons particulières tenant aux
Certes, précise M. Kreca, il peut être soutenu que les circonstances de l’espèce. S’agissant de la juridiction de la
actes de cette nature servent à affaiblir les capacités Cour, il paraît incontestable que la Cour interprète de façon
militaires de la République fédérale de Yougoslavie. On ne libérale l’élément ratione temporis de sa compétence en
saurait toutefois considérer cette explication comme un matière d’indication de mesures conservatoires. Certes, la
argument sérieux. En effet, on risque facilement d’être procédure en indication de mesures conservatoires ne vise
amené à soutenir, si on se laisse emporter par cette pas à statuer de façon finale et définitive sur la compétence
de la Cour. Le qualificatif « prima facie » lui-même indique
argumentation, que la puissance militaire se compose après
tout de personnes, et que le fait de tuer sur une grande qu’il ne s’agit pas d’établir la compétence définitive, mais
échelle des civils peut être tenu pour une sorte de mesure de une compétence découlant ou censée découler normalement
précaution visant à empêcher le maintien ou, en cas de d’un fait juridique pertinent qui est défini comme étant le
mobilisation, l’accroissement de la puissance militaire d’un « titre de compétence ». Il peut être affirmé que le « titre de
État. compétence » suffit en soi à fonder la compétence prima
facie, sauf lorsque l’absence de compétence sur le fond est
M. Kreca rappelle en outre que, dans le cadre de manifeste (affaires sur la Compétence en matière de
procédures incidentes, la Cour ne peut et ne doit pas se
pêcheries).
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Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999