INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
REPORTS OF JUDGMENTS,
ADVISORY OPINIONS AND ORDERS
CASE CONCERNING APPLICATION OF
THE CONVENTION ON THE PREVENTIONAND
PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE
(BOSNIA AND HERZEGOVINA v. SERBIA AND MONTENEGRO)
JUDGMENT OF 26 FEBRUARY 2007
2007
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
RECUEIL DES AR|TS,
AVIS CONSULTATIFS ET ORDONNANCES
AFFAIRE RELATIVE A v L’APPLICATION
DE LA CONVENTION POUR LA PRE uVENTION
ET LA REuPRESSION DU CRIME DE GE uNOCIDE
(BOSNIE-HEuGOVINE c. SERBIE-ET-uNuGRO)
ARR|TDU26FuVRIER 2007 Official citation:
Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovinva.Serbia and Montenegro),
Judgment, I.C.J. Reports 2007 ,p.43
Mode officiel de citation:
Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 ,p.43
Sales number
ISSN 0074-4441 o
N de vente: 921
ISBN 978-92-1-071029-9 26 FEBRUARY 2007
JUDGMENT
APPLICATION OF THE CONVENTION ON THE PREVENTION
AND PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE
(BOSNIA AND HERZEGOVINA v. SERBIA AND MONTENEGRO)
APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PREuVENTION
ET LA RuPRESSION DU CRIME DE GEuNOCIDE
(BOSNIE-HERZuGOVINE c. SERBIE-ET-MONTuNuGRO)
26 uVRIER 2007
ARRE|T 43
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
I. QUALITÉS 1-66
II. IENTIFICATION DE LA PARTIE DÉFENDERESSE 67-79
III. COMPÉTENCE DE LA C OUR 80-141
1) Introduction: l’exception d’incompétence soulevée par la
Serbie-et-Monténégro 80-87
2) Historique du statut de la RFY vis-à-vis de l’Organisation
des Nations Unies 88-99
3) La réponse de la Bosnie-Herzégovine 100-104
4) Précédentes décisions de la Cour revêtant une pertinence en
l’espèce 105-113
5) Principe de l’autorité de la chose jugée 114-120
6) Application du principe de l’autorité de la chose jugée à
l’arrêt de 1996 121-139
7) Conclusion: compétence retenue 140-141
IV. L E DROIT APPLICABLE :LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA
RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE 142-201
1) Bref retour sur la Convention 142-149
2) Décision rendue par la Cour en 1996 concernant la portée et
le sens de l’article IX 150-152
3) Décision rendue par la Cour en 1996 concernant le champ
d’application territorial de la Convention 153-154
4) Les obligations que la Convention impose aux parties
contractantes 155-179
5) Question de savoir si la Cour peut conclure qu’un Etat a
commis un génocide sans qu’un individu ait préalablement
été reconnu coupable de génocide par un tribunal compé-
tent 180-182
6) L’éventuelle limitation territoriale des obligations 183-184
7) Les allégations du demandeur au sujet d’un génocide qui
aurait été commis en dehors de son territoire contre des
non-nationaux 185
8) La question de l’intention de commettre le génocide 186-189
9) Intention et «nettoyage ethnique» 190
10) Définition du groupe protégé 191-201
V. Q UESTIONS RELATIVES À LA PREUVE :CHARGE DE LA PREUVE ,CRITÈRE
D ÉTABLISSEMENT DE LA PREUVE ,MODES DE PREUVE 202-230
VI. L ES FAITS INVOQUÉS PAR LE DEMANDEUR EN RAPPORT AVEC L AR -
TICLE II 231-376
1) Le contexte 231-234
2) Les entités impliquées dans les événements dont tire grief le
demandeur 235-241
3) Examen des éléments de preuve factuels: introduction 242-244
4 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 44
4) Litt. a) de l’article II: meurtre de membres du groupe pro-
tégé 245-277
Sarajevo 246-249
La vallée de la Drina 250-256
a) Zvornik 250-251
b) Les camps 252-256
i) Le camp de Sušica 252
ii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa 253-254
iii) Le camp de Batkovic´ 255-256
Prijedor 257-269
a) Kozarac et Hambarine 257-261
b) Les camps 262-269
i) Le camp d’Omarska 262-264
ii) Le camp de Keraterm 265-266
iii) Le camp de Trnopolje 267-269
Banja Luka 270
Le camp de Manjac ˇa 270
Brˇko 271-277
Le camp de Luka 271-277
5) Le massacre de Srebrenica 278-297
6) Litt. b) de l’article II: atteinte grave à l’intégrité physique
ou mentale de membres du groupe protégé 298-319
La vallée de la Drina 305-310
a) Zvornik 305
b) Focˇa 306
c) Les camps 307-310
i) Le camp de Batkovic´ 307
ii) Le camp de Sušica 308
iii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa 309-310
Prijedor 311-314
a) La municipalité 311
b) Les camps 312-314
i) Le camp d’Omarska 312
ii) Le camp de Keraterm 313
iii) Le camp de Trnopolje 314
Banja Luka 315-316
Le camp de Manjac ˇa 315-316
Brˇko 317-318
Le camp de Luka 317-318
7) Litt. c) de l’article II: soumission intentionnelle du groupe
à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction
totale ou partielle 320-354
Encerclement, bombardements et privation de nourriture 323-328
Déportations et expulsions 329-334
Destruction du patrimoine historique, religieux et culturel 335-344
5 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 45
Les camps 345-354
a) La vallée de la Drina 346-347
i) Le camp de Sušica 346
ii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa 347
b) Prijedor 348-350
i) Le camp d’Omarska 348
ii) Le camp de Keraterm 349
iii) Le camp de Trnopolje 350
c) Banja Luka 351
Le camp de Manjac ˇa 351
d) Bosanski Šamac 352
8) Litt. d) de l’article II: imposition de mesures visant à entra-
ver les naissances au sein du groupe protégé 355-361
9) Litt. e) de l’article II: transfert forcé d’enfants du groupe
protégé à un autre groupe 362-367
10) Allégation selon laquelle un génocide aurait été commis en
dehors de la Bosnie-Herzégovine 368-369
11) La question des actes réputés démontrer l’intention de com-
mettre le génocide 370-376
VII. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ DU DÉFENDEUR EN CE QUI
CONCERNE LES ÉVÉNEMENTS DE SREBRENICA ,EN VERTU DU LITT .a)
DE L’ARTICLE IIIDE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE 377-415
1) La prétendue reconnaissance 377-378
2) Le critère de responsabilité 379-384
3) La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au
défendeur à raison du comportement de ses organes 385-395
4) La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au
défendeur à raison de ses instructions ou de son contrôle 396-412
5) Conclusion quant à la responsabilité des événements de Sre-
brenica au titre du litt. a) de l’article III de la convention
sur le génocide 413-415
VIII. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ ,S’AGISSANT DE SREBRENICA , À
RAISON D’ACTES ÉNUMÉRÉS AUX LITT .b) À e) DE L’ARTICLE IIIDE LA
CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE 416-424
IX. L A RESPONSABILITÉ POUR MANQUEMENT AUX OBLIGATIONS DE PRÉVE -
NIR ET DE PUNIR LE GÉNOCIDE 425-450
1) L’obligation de prévenir le génocide 428-438
2) L’obligation de réprimer le génocide 439-450
X. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ POUR NON -RESPECT DES ORDON -
NANCES EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES RENDUES PAR
LA C OUR 451-458
XI. L A QUESTION DE LA RÉPARATION 459-470
XII. D ISPOSITIF 471
6 46
LISTE DES ACRONYMES
Abréviation Nom entier Observations
ARBiH Armée de la République de Bos-
nie-Herzégovine
CDI Commission du droit internatio-
nal
FORPRONU Force de protection des Nations
Unies
HCR Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés
JNA Armée populaire yougoslave Armée de la RFSY (a
cessé d’exister le 27 avril
1992, avec la création de
la VJ)
MUP Ministarstvo Unutrašnjih Pollova Ministère de l’intérieur
OTAN Organisation du Traité de l’Atlan-
tique Nord
RFSY République fédérative socialiste
de Yougoslavie
RFY République fédérale de Yougo-
slavie Nom de la Serbie-et-Mon-
ténégro entre le 27 avril
1992 (adoption de la
Constitution) et le 3 février
2003
TO Teritorijalna Odbrana Forces de défense territo-
riale
TPIR Tribunal pénal international pour
le Rwanda
TPIY Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie
VJ Armée yougoslave Armée de la RFY, selon
la Constitution du 27 avril
1992 (a succédé à la JNA)
VRS Armée de la Republika Srpska
7 47
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2007 2007
26 février
Rôle général
26 février 2007 no 91
AFFAIRE RELATIVE A v L’APPLICATION
DE LA CONVENTION POUR LA PRu EVENTION
ET LA Ru EPRESSION DU CRIME DE G uNOCIDE
(BOSNIE-HERZE uGOVINE c. SERBIE-ET-MONTE uNEuGRO)
ARRE |T
Présents: Mme H IGGIN, président.AM -K HASAWNEH, vice-président ;
MM. R ANJEVA,SHI,K OROMA,O WADA ,SIMMA,T OMKA,A BRAHAM,
KEITH,S EPÚLVEDA-AMOR,B ENNOUNA,S KOTNIKO, juges;
MM. M AHIO,K RECA, juges ad hoc; MOUVREUR, greffier.
u
En l’affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide,
entre
la Bosnie-Herzégovine,
représentée par
M. Sakib Sof´,c
comme agent;
M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,
comme agent adjoint;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Paris X-Nanterre, membre et
ancien président de la Commission du droit international des Nations
Unies,
M. Thomas M. Franck, professeur émérite à la faculté de droit de l’Univer-
sité de New York,
M meBrigitte Stern, professeur à l’Université de Paris I,
8 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 48
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Flo-
rence,
M me Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M., Barrister at Law, Mel-
bourne (Australie),
M me Joanna Korner, Q.C., Barrister at Law, Londres,
me
M Laura Dauban, LL.B. (Hons),
M. Antoine Ollivier, attaché temporaire d’enseignement et de recherche à
l’Université de Paris X-Nanterre,
comme conseils et avocats;
M. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Torkildsen Granskin og Rådgivning,
Norvège,
comme conseil-expert et avocat;
S. Exc. M. Fuad Šabeta, ambassadeur de Bosnie-Herzégovine auprès du
Royaume des Pays-Bas,
M. Wim Muller, LL.M., M.A.,
M. Mauro Barelli, LL.M. (Université de Bristol),
M. Ermin Sarajlija, LL.M.,
M. Amir Bajri´, LL.M.,
M me Amra Mehmedic ´, LL.M.,
M me Isabelle Moulier, doctorante en droit international à l’Université de
Paris I,
M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),
comme conseils,
et
la Serbie-et-Monténégro,
représentée par
S. Exc. M. Radoslav Stojanovic ´, S.J.D., chef du conseil juridique du
ministère des affaires étrangères de la Serbie-et-Monténégro, professeur à
la faculté de droit de l’Université de Belgrade,
comme agent;
M. Saša Obradovic´, premier conseiller à l’ambassade de Serbie-et-Monténé-
gro auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Vladimir Cvetkovic´, deuxième secrétaire à l’ambassade de Serbie-et-
Monténégro auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagents;
M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), professeur de droit à l’Université
d’Europe centrale de Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre de la Commission du droit
international, membre du barreau d’Angleterre, Distinguished Fellow au
All Souls College, Oxford,
M.meavier de Roux, maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,
M Nataša Fauveau-Ivanovi´, avocat à la cour, Paris, et membre du conseil
du barreau pénal international,
M. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), professeur de droit à l’Univer-
sité de Kiel, directeur de l’Institut Walther-Schücking,
9 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 49
M. Vladimir Djeri´, LL.M. (Michigan), avocat, cabinet Mikijelj, Janko´ &
Bogdanovic ´, Belgrade, et président de l’association de droit international
de la Serbie-et-Monténégro,
M. Igor Oluji´, avocat, Belgrade,
comme conseils et avocats;
M me Sanja Djaji´, S.J.D, professeur associé à la faculté de droit de l’Univer-
sité de Novi Sad,
M me Ivana Mroz, LL.M. (Minneapolis),
M. Svetislav Rabrenovic´, expert-associé au bureau du procureur pour les
crimes de guerre de la République de Serbie,
M. Aleksandar Djurdjic´, LL.M., premier secrétaire au ministère des affaires
étrangères de la Serbie-et-Monténégro,
M. Miloš Jastrebi´, deuxième secrétaire au ministère des affaires étrangères
de la Serbie-et-Monténégro,
M. Christian J. Tams, LL.M., Ph.D. (Cambridge), Institut Walther-Schü-
cking, Université de Kiel,
M me Dina Dobrkovic, LL.B.,
comme assistants,
L A COUR ,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant:
1. Le 20 mars 1993, le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégo-
vine (devenue, à compter du 14 décembre 1995, la «Bosnie-Herzégovine») a
déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la
République fédérale de Yougoslavie (devenue, à compter du 4 février 2003, la
«Serbie-et-Monténégro» et, à compter du 3 juin 2006, la République de Serbie
— voir plus loin paragraphes 67 à 79) au sujet d’un différend concernant d’une
part une série de violations alléguées de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale des
Nations Unies le 9 décembre 1948 (dénommée ci-après la «convention sur le
génocide» ou «la Convention»), et d’autre part diverses questions qui, selon
la Bosnie-Herzégovine, seraient liées à ces violations. La requête invoquait
comme base de compétence de la Cour l’article IX de la convention sur le géno-
cide.
2. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, la
requête a été immédiatement communiquée au Gouvernement de la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie (dénommée ci-après la «RFY») par le gref-
fier; conformément au paragraphe 3 de cet article, tous les Etats admis à
ester devant la Cour ont été informés de la requête.
3. Conformément à l’article 43 du Règlement de la Cour, le greffier a adressé
la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut à tous les Etats
figurant sur la liste des parties à la convention sur le génocide telle que tenue
par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en tant que dépo-
sitaire. Le greffier a en outre adressé au Secrétaire général la notification prévue
au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut.
4. Le 20 mars 1993, dès après le dépôt de sa requête, la Bosnie-Herzégovine
10 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 50
a présenté une demande en indication de mesures conservatoires en vertu de
l’article 73 du Règlement. Le 31 mars 1993, la Bosnie-Herzégovine a déposé au
Greffe, en l’invoquant comme base supplémentaire de compétence, le texte
d’une lettre en date du 8 juin 1992 adressée conjointement par le président de la
République du Monténégro de l’époque et le président de la République de Ser-
bie de l’époque au président de la commission d’arberrage de la conférence
internationale pour la paix en Yougoslavie. Le 1 avril 1993, la RFY a pré-
senté des observations écrites sur la demande en indication de mesures conser-
vatoires déposée par la Bosnie-Herzégovine, dans lesquelles elle a, à son tour,
prié la Cour d’indiquer des mesures conservatoires à la Bosnie-Herzégovine.
Par une ordonnance en date du 8 avril 1993, la Cour, après avoir entendu les
Parties, a indiqué certaines mesures conservatoires à l’effet de protéger des
droits conférés par la convention sur le génocide.
5. Par une ordonnance en date du 16 avril 1993, le président de la Cour a
fixé au 15 octobre 1993 la date d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire
de la Bosnie-Herzégovine et au 15 avril 1994 la date d’expiration du délai pour
le dépôt du contre-mémoire de la RFY.
6. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties,
chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’ar-
ticle 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger
en l’affaire: la Bosnie-Herzégovine a désigné M. Elihu Lauterpacht, et la RFY
M. Milenko Krec ´a.
7. Le 27 juillet 1993, la Bosnie-Herzégovine a présenté une nouvelle demande
en indication de mesures conservatoires. Par des lettres du 6 août et du
10 août 1993, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a indiqué que son gouverne-
ment entendait invoquer comme bases supplémentaires de compétence de la
Cour en l’espèce le traité entre les Puissances alliées et associées et le Royaume
des Serbes, Croates et Slovènes sur la protection des minorités, signé à Saint-
Germain-en-Laye le 10 septembre 1919, et le droit international de la guerre
coutumier et conventionnel ainsi que le droit international humanitaire. Par
une lettre du 13 août 1993, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a confirmé la
volonté de son gouvernement d’invoquer également la lettre susvisée des prési-
dents du Monténégro et de Serbie en date du 8 juin 1992 comme base supplé-
mentaire de compétence (voir le paragraphe 4).
8. Le 10 août 1993, la RFY a également présenté une demande en indication
de mesures conservatoires et, les 10 août et 23 août 1993, elle a déposé des
observations écrites sur la nouvelle demande de la Bosnie-Herzégovine. Par une
ordonnance en date du 13 septembre 1993, la Cour, après avoir entendu les
Parties, a réaffirmé les mesures indiquées dans son ordonnance du 8 avril 1993
et a déclaré que ces mesures devaient être immédiatement et effectivement mises
en Œuvre.
9. Par une ordonnance en date du 7 octobre 1993, le vice-président de la
Cour, à la demande de la Bosnie-Herzégovine, a reporté la date d’expiration du
délai pour le dépôt du mémoire au 15 avril 1994 et, en conséquence, la date
d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire au 15 avril 1995. La
Bosnie-Herzégovine a déposé son mémoire dans le délai ainsi prorogé. Par une
lettre en date du 9 mai 1994, l’agent de la RFY a déclaré que le mémoire déposé
par la Bosnie-Herzégovine ne satisfaisait pas aux conditions de l’article 43 du
Statut et des articles 50 et 51 du Règlement. Par une lettre en date du
30 juin 1994, le greffier, agissant sur instruction de la Cour, a invité la Bosnie-
Herzégovine, en vertu du paragraphe 2 de l’article 50 du Règlement, à déposer
en tant qu’annexes à son mémoire les extraits des documents qui y étaient cités.
11 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 51
La Bosnie-Herzégovine a déposé en conséquence des annexes additionnelles à
son mémoire le 4 janvier 1995.
10. Par une ordonnance en date du 21 mars 1995, le président de la Cour, à la
demande de la RFY, a reporté au 30 juin 1995 la date d’expiration du délai pour
le dépôt du contre-mémoire. Dans le délai ainsi prorogé, la RFY, se référant au
paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement du 14 avril 1978, a présenté des excep-
tions préliminaires portant sur la compétence de la Cour pour connaître de
l’affaire et sur la recevabilité de la requête. En conséquence, par une ordonnance
en date du 14 juillet 1995, le président de la Cour a constaté que, en vertu des
dispositions du paragraphe 3 de l’article 79 du Règlement de 1978, la procédure
sur le fond était suspendue et a fixé au 14 novembre 1995 la date d’expiration du
délai dans lequel la Bosnie-Herzégovine pourrait présenter un exposé écrit conte-
nant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées
par la RFY. La Bosnie-Herzégovine a déposé un tel exposé dans le délai ainsi
fixé.
11. Par une lettre en date du 2 février 1996, l’agent de la RFY a soumis à la
Cour le texte de l’accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine et
ses annexes paraphés à Dayton (Ohio) le 21 novembre 1995 et signés à Paris le
14 décembre 1995 (dénommés ci-après les «accords de Dayton»).
12. Des audiences publiques ont été tenues sur les exceptions préliminaires
entre le 29 avril et le 3 mai 1996. Par son arrêt du 11 juillet 1996, la Cour a
rejeté les exceptions préliminaires et dit qu’elle avait compétence pour statuer
sur le différend sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide et que
la requête était recevable.
13. Par une ordonnance en date du 23 juillet 1996, le président a fixé au
23 juillet 1997 la date d’expiration du délai pour le dépôt par la RFY de son
contre-mémoire. Le contre-mémoire, déposé le 22 juillet 1997, contenait des
demandes reconventionnelles. Par une lettre du 28 juillet 1997, la Bosnie-Her-
zégovine, invoquant l’article 80 du Règlement de 1978, a contesté la recevabilité
desdites demandes. Le 22 septembre 1997, au cours d’une réunion entre le pré-
sident de la Cour et les agents des Parties, ces derniers ont accepté que leurs
gouvernements respectifs déposent des observations écrites sur la question de la
recevabilité des demandes reconventionnelles. La Bosnie-Herzégovine et la
RFY ont soumis leurs observations à la Cour le 10 octobre 1997 et le 24 oc-
tobre 1997 respectivement. Par une ordonnance en date du 17 décembre 1997, la
Cour a dit que les demandes reconventionnelles présentées par la RFY dans
son contre-mémoire étaient recevables comme telles et faisaient partie de l’ins-
tance en cours puisqu’elles remplissaient les conditions énoncées aux para-
graphes 1 et 2 de l’article 80 du Règlement de 1978. La Cour a prescrit également
la présentation d’une réplique par la Bosnie-Herzégovine et d’une duplique par
la RFY sur les demandes soumises par les deux Parties, et fixé au 23 jan-
vier 1998 et au 23 juillet 1998 respectivement les dates d’expiration des délais
pour le dépôt de ces pièces. La Cour a aussi réservé le droit, pour la Bosnie-
Herzégovine, de s’exprimer par écrit sur les demandes reconventionnelles de la
RFY dans une pièce additionnelle.
14. Par une ordonnance en date du 22 janvier 1998, le président, à la
demande de la Bosnie-Herzégovine, a reporté la date d’expiration du délai pour
le dépôt de la réplique de la Bosnie-Herzégovine au 23 avril 1998 et, en consé-
quence, la date d’expiration du délai pour le dépôt de la duplique de la RFY au
22 janvier 1999.
15. Le 15 avril 1998, le coagent de la RFY a déposé des «Annexes addition-
12 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 52
nelles au contre-mémoire de la République fédéra[le] de Yougoslavie». Par une
lettre du 14 mai 1998, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine, se référant aux
articles 50 et 52 du Règlement, a contesté la recevabilité de ces documents en
raison de leur dépôt tardif. Le 22 septembre 1998, les Parties ont été informées
que la Cour avait décidé que les documents en question étaient «recevables en
tant qu’annexes au contre-mémoire dans la mesure où ils avaient été établis,
dans la langue originale, au plus tard à la date fixée par l’ordonnance du
23 juillet 1996 pour le dépôt du contre-mémoire» et que «tout document établi
après cette date devrait être annexé à la duplique si la Yougoslavie le sou-
haitait».
16. Le 23 avril 1998, dans le délai ainsi prorogé, la Bosnie-Herzégovine a
déposé sa réplique. Par une lettre en date du 27 novembre 1998, la RFY a
demandé à la Cour de reporter la date d’expiration du délai pour le dépôt de sa
duplique au 22 avril 1999. Par une lettre en date du 9 décembre 1998, la Bosnie-
Herzégovine s’est élevée contre toute prorogation du délai fixé pour le dépôt de
la duplique. Par une ordonnance du 11 décembre 1998, la Cour, eu égard à ce
que la Bosnie-Herzégovine avait elle-même bénéficié d’un report de délai pour
le dépôt de sa réplique, a reporté au 22 février 1999 la date d’expiration du délai
pour le dépôt de la duplique de la RFY. La RFY a déposé sa duplique dans le
délai ainsi prorogé.
17. Le 19 avril 1999, le président de la Cour a tenu une réunion avec les
représentants des Parties afin de connaître leurs vues sur des questions de pro-
cédure. La Bosnie-Herzégovine a fait savoir qu’elle ne déposerait pas de pièce
additionnelle sur les demandes reconventionnelles de la RFY et qu’elle consi-
dérait que l’affaire était en état. Les Parties ont aussi fait part de leurs vues sur
l’organisation de la procédure orale.
18. Par une lettre en date du 9 juin 1999, M. Zivko Radisic ´, alors président
de la présidence de Bosnie-Herzégovine, a informé la Cour de la désignation
d’un coagent, M. Svetozar Miletic ´. Par une lettre en date du 10 juin 1999, le
coagent ainsi désigné a informé la Cour que la Bosnie-Herzégovine souhaitait
se désister de l’instance. Par une lettre en date du 14 juin 1999, l’agent de la
Bosnie-Herzégovine a affirmé que la présidence de la Bosnie-Herzégovine
n’avait pris aucune mesure pour désigner un coagent ou mettre fin à la procé-
dure engagée devant la Cour. Par une lettre du 15 juin 1999, l’agent de la RFY
a déclaré que son gouvernement acceptait le désistement d’instance. Par une
lettre du 21 juin 1999, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a répété que la prési-
dence n’avait pas décidé de se désister de l’instance et il a transmis à la Cour les
lettres de deux membres de la présidence, dont le nouveau président, confir-
mant qu’aucune décision dans ce sens n’avait été prise.
19. Par des lettres en date du 30 juin 1999 et du 2 septembre 1999, le prési-
dent de la Cour a demandé au président de la présidence de préciser la position
de la Bosnie-Herzégovine sur le point de savoir si l’affaire demeurait pendante.
Par une lettre du 3 septembre 1999, l’agent de la RFY a présenté certaines
observations sur cette question, concluant que les deux Parties étaient conve-
nues de mettre fin à la procédure. Par une lettre du 15 septembre 1999, le pré-
sident de la présidence de Bosnie-Herzégovine a informé la Cour que, à
la 58 séance qu’elle avait tenue le 8 septembre 1999, la présidence avait conclu
que: i) elle «n’a[vait] pas pris la décision de se désister de l’instance introduite
devant la Cour internationale de Justice»; ii) elle «n’a[vait] pas pris la décision
de désigner un coagent en cette affaire; iii) elle informerait la Cour «en temps
utile de toute autre décision concernant cette affaire».
20. Par une lettre en date du 20 septembre 1999, le président de la Cour a
13 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 53
informé les Parties que la Cour entendait fixer le début des audiences en
l’affaire à la fin du mois de février 2000, et demandé au président de la prési-
dence de la Bosnie-Herzégovine de confirmer que la position de la Bosnie-Her-
zégovine était que la procédure devait se poursuivre. Par une lettre du 4 octobre
1999, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a confirmé que son gouvernement
estimait que la procédure devait se poursuivre et a demandé à la Cour de fixer
au plus tôt une date pour le début des audiences. Par une lettre datée du
10 octobre 1999, le membre de la présidence de la Bosnie-Herzégovine repré-
sentant la Republika Srpska a informé la Cour que la lettre du 15 septembre
1999 du président de la présidence était «dépourvue d’effet juridique», notam-
ment parce que l’Assemblée nationale de la Republika Srpska, invoquant la
Constitution de la Bosnie-Herzégovine, avait déclaré que la décision du 15 sep-
tembre «portait gravement atteinte à un intérêt vital» de la Republika Srpska.
Le 22 octobre 1999, le président a informé les Parties que, compte tenu de la
correspondance reçue sur cette question, la Cour avait décidé de ne pas tenir
d’audiences en février 2000.
21. Par une lettre en date du 23 mars 2000, sous le couvert de laquelle il
transmettait à la Cour une lettre du président de la présidence datée du
20 mars 2000, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a réaffirmé que la désignation
d’un coagent par l’ancien président de la présidence de Bosnie-Herzégovine, le
9 juin 1999, était dépourvue de base juridique et que les communications du
coagent ne reflétaient pas la position de la Bosnie-Herzégovine. L’agent affir-
mait en outre que, contrairement aux dires du membre de la présidence de
Bosnie-Herzégovine représentant la Republika Srpska, la lettre du 15 sep-
tembre 1999 ne relevait pas de la procédure de veto prévue par la Constitution
de la Bosnie-Herzégovine. L’agent priait aussi la Cour de fixer une date, aussi
rapprochée que possible, pour le début de la procédure orale.
22. Par une lettre en date du 13 avril 2000, l’agent de la RFY a transmis à la
Cour un document intitulé «Requête en interprétation de la décision de la Cour
sur la question de savoir si l’affaire relative à l’Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie) est toujours pendante», demandant l’interprétation de la déci-
sion à laquelle le président de la Cour s’était référé dans sa lettre du 22 oc-
tobre 1999. Par une lettre datée du 18 avril 2000, le greffier a informé l’agent de
la RFY que, aux termes de l’article 60 du Statut, une demande en interpréta-
tion ne pouvait porter que sur un arrêt de la Cour et que, par conséquent, le
document communiqué à la Cour le 13 avril 2000 ne pouvait pas constituer une
requête en interprétation et n’avait donc pas été inscrit au rôle général de la
Cour. Le greffier précisait que la décision visée dans la lettre du 22 octobre 1999
avait pour unique objet de ne pas tenir d’audiences en février 2000. Le greffier
demandait à l’agent de lui faire parvenir au plus vite toutes observations qu’il
pourrait souhaiter formuler sur la lettre de l’agent de la Bosnie-Herzégovine en
date du 23 mars 2000 et la lettre du président de la présidence qui y était jointe.
Par une lettre en date du 25 avril 2000, l’agent de la RFY a soumis ses obser-
vations à la Cour, en la priant de prendre acte et d’assurer l’application de
l’accord sur le désistement de l’instance constaté par l’échange de la lettre du
coagent du demandeur en date du 10 juin 1999 et de la lettre de l’agent de la
RFY en date du 15 juin 1999. Par une lettre en date du 8 mai 2000, l’agent de
la Bosnie-Herzégovine a présenté certaines observations sur la lettre de l’agent
de la RFY en date du 25 avril 2000 et réitéré le souhait de son gouvernement de
voir la procédure suivre son cours. Par des lettres datées du 8 juin, du 26 juin et
du 4 octobre 2000, d’une part, et des 9 juin et 21 septembre 2000, d’autre part,
14 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 54
les agents de la RFY et de la Bosnie-Herzégovine ont réaffirmé leurs positions
respectives.
23. Par une lettre en date du 29 septembre 2000, M. Svetozar Miletic ´,
coagent censément désigné le 9 juin 1999 par le président de la présidence de
Bosnie-Herzégovine, a redit que, selon lui, il y avait eu désistement en l’affaire.
Par une lettre datée du 6 octobre 2000, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a
affirmé que ni cette communication ni celle récemment reçue de l’agent de la
RFY n’avaient modifié la résolution du Gouvernement de la Bosnie-Herzégo-
vine de poursuivre l’instance.
24. Par des lettres en date du 16 octobre 2000, le président de la Cour et le
greffier ont informé les Parties que, ayant examiné toute la correspondance
reçue sur cette question, la Cour, à sa séance du 10 octobre 2000, avait constaté
que la Bosnie-Herzégovine n’avait pas manifesté de manière non équivoque sa
volonté de retirer sa requête et avait donc conclu qu’il n’y avait pas eu en
l’espèce désistement de la Bosnie-Herzégovine. Conformément à l’article 54 du
Règlement, la Cour, après avoir consulté les Parties, fixerait donc, le moment
venu, la date d’ouverture de la procédure orale.
25. Par une lettre en date du 18 janvier 2001, le ministre des affaires étran-
gères de la RFY a prié la Cour de suspendre la procédure ou de reporter de
douze mois la date de l’ouverture des audiences en arguant, notamment, du
changement de gouvernement intervenu en RFY et de la mutation radicale de
l’orientation et de la position internationale de ce pays qui s’en était ensuivie.
Par une lettre datée du 25 janvier 2001, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a
communiqué à la Cour les observations de son gouvernement sur la demande
de la RFY et dit que son gouvernement réservait sa position finale sur cette
question, mais que, en attendant, la Bosnie-Herzégovine restait favorable à un
prompt règlement du différend.
26. Par une lettre en date du 20 avril 2001, l’agent de la RFY a informé la
Cour que son gouvernement souhaitait retirer les demandes reconventionnelles
présentées par la RFY dans son contre-mémoire; que, par ailleurs, son gouver-
nement considérait que la Cour n’avait pas compétence ratione personae à
l’égard de la RFY, et que celle-ci avait l’intention de déposer une demande en
revision de l’arrêt du 11 juillet 1996. Le 24 avril 2001, la RFY a déposé au
Greffe de la Cour une requête introductive d’instance dans laquelle, se référant
à l’article 61 du Statut de la Cour, elle priait celle-ci de reviser l’arrêt rendu sur
les exceptions préliminaires le 11 juillet 1996 (Demande en revision de l’arrêt du
11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougo-
slavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine) , dénom-
mée ci-après l’«affaire de la Demande en revision »). En la présente espèce,
l’agent de la RFY, sous le couvert d’une lettre en date du 4 mai 2001, a soumis
un document intitulé «Initiative présentée à la Cour aux fins d’un réexamen
d’office de sa compétence» et accompagné d’un volume d’annexes (dénommé
ci-après l’«Initiative»). L’agent informait la Cour que l’Initiative reposait sur
des faits et des arguments substantiellement identiques à ceux qu’avait présen-
tés la RFY dans sa demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996, son gou-
vernement estimant qu’il s’agissait de deux cadres procéduraux également per-
tinents. Dans l’Initiative, la RFY priait la Cour de dire et juger qu’elle n’était
pas compétente ratione personae à son égard, au motif qu’elle n’était pas partie
aerStatut de la Cour avant son admission à l’Organisation des Nations Unies le
1 novembre 2000, qu’elle n’avait pas été et n’était toujours pas partie à la
15 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 55
convention sur le génocide et que, de surcroît, elle avait assorti sa notification
d’adhésion à ladite Convention, datée du 8 mars 2001, d’une réserve à l’ar-
ticle IX. La RFY priait la Cour de surseoir à statuer sur le fond tant qu’elle
ne se serait pas prononcée sur l’Initiative.
27. Par une lettre en date du 12 juillet 2001 reçue au Greffe le 15 août 2001,
la Bosnie-Herzégovine a indiqué à la Cour qu’elle n’avait pas d’objection au
retrait par la RFY de ses demandes reconventionnelles et a fait part de son
intention de présenter des observations au sujet de l’Initiative. Par une ordon-
nance en date du 10 septembre 2001, le président de la Cour a pris acte du
retrait par la RFY des demandes reconventionnelles présentées dans son contre-
mémoire.
28. Par une lettre en date du 3 décembre 2001, la Bosnie-Herzégovine a fait
connaître à la Cour son point de vue sur l’Initiative et lui a transmis un mémo-
randum sur «les différences entre la demande en revision du 23 avril 2001 et
«l’Initiative» du 4 mai 2001», ainsi qu’une copie des observations écrites et
annexes déposées par elle le 3 décembre 2001 en l’affaire de la Demande en revi-
sion. Dans cette lettre, la Bosnie-Herzégovine soutenait que «rien, en fait ou en
droit, ne permet[tait] de donner suite à cette prétendue «Initiative»» et priait la
Cour, notamment, de «répond[re] par la négative à la demande formulée par le
biais de cette «Initiative»».
29. Par une lettre en date du 22 février 2002 adressée au président de la
Cour, M. Lauterpacht a démissionné de ses fonctions de juge ad hoc en
l’affaire.
30. Sous le couvert d’une lettre du 18 avril 2002, le greffier, se référant au
paragraphe 3 de l’article 34 du Statut, a communiqué la procédure écrite au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
31. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 3 février 2003 dans l’affaire de la Demande
en revision, la Cour a jugé que la demande en revision de son arrêt du
11 juillet 1996 sur les exceptions préliminaires, déposée par la RFY en vertu de
l’article 61 du Statut de la Cour, était irrecevable.
32. Par une lettre en date du 5 février 2003, la RFY a informé la Cour que,
à la suite de l’adoption et de la promulgation par l’Assemblée de la RFY, le
4 février 2003, de la charte constitutionnelle de la Serbie-et-Monténégro, le
nom de l’Etat de la «République fédérale de Yougoslavie» était désormais
«Serbie-et-Monténégro». Le titre de l’affaire a été dûment modifié et la déno-
mination «Serbie-et-Monténégro» a été ensuite utilisée par la Cour à toutes
fins officielles.
33. Par une lettre en date du 17 février 2003, la Bosnie-Herzégovine a
confirmé sa position au sujet de l’Initiative, telle qu’elle l’avait exposée dans sa
lettre du 3 décembre 2001, et exprimé le souhait que la procédure se poursuive.
Par une lettre du 8 avril 2003, la Serbie-et-Monténégro a indiqué que, en raison
d’importants événements survenus depuis le dépôt de la dernière pièce écrite,
d’autres pièces de procédure écrite étaient nécessaires pour que la procédure
orale soit plus efficace et moins longue. Le 24 avril 2003, le président de la Cour
a tenu une réunion avec les agents des Parties pour parler de questions de pro-
cédure. La Serbie-et-Monténégro a déclaré maintenir la demande qu’elle avait
faite à la Cour de statuer sur son Initiative, tandis que la Bosnie-Herzégovine a
déclaré considérer qu’il n’était pas nécessaire de déposer des pièces écrites sup-
plémentaires. Les dates et la durée possibles de la procédure orale ont égale-
ment été abordées.
34. Par une lettre en date du 25 avril 2003, la Bosnie-Herzégovine a désigné
M. Ahmed Mahiou comme juge ad hoc en l’affaire.
16 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 56
35. Par une lettre en date du 12 juin 2003, le greffier a informé la Serbie-et-
Monténégro que la Cour ne pouvait accéder à sa demande tendant à ce que la
procédure soit suspendue jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue sur les ques-
tions de compétence soulevées dans l’Initiative mais que, si la Serbie-et-Mon-
ténégro le souhaitait, elle serait libre de présenter des observations complémen-
taires à la Cour sur les questions de compétence au cours de la procédure orale
sur le fond. Par d’autres lettres portant la même date, les Parties ont été infor-
mées que la Cour, ayant examiné la demande de la Serbie-et-Monténégro, avait
décidé de ne pas autoriser le dépôt d’autres pièces de procédure en l’affaire.
36. Dans le cadre d’un échange de lettres, en octobre et en novembre 2003,
les agents des Parties ont fait des observations sur le calendrier de la procédure
orale.
37. A la suite d’un autre échange de lettres entre les Parties, en mars et
en avril 2004, le président a tenu une réunion avec les agents des Parties le
25 juin 2004, au cours de laquelle celles-ci ont notamment présenté leur point
de vue sur le calendrier des audiences et la citation de témoins et d’experts.
38. Par des lettres en date du 26 octobre 2004, les Parties ont été informées
que, après avoir examiné la liste des affaires en état et à la lumière de toutes les
circonstances pertinentes, la Cour avait décidé de fixer au lundi 27 février 2006
la date de l’ouverture de la procédure orale en l’affaire.
39. Le 14 mars 2005, le président a rencontré les agents des Parties pour
s’informer de leurs vues sur l’organisation de la procédure orale. Au cours de
cette réunion, les deux Parties ont indiqué qu’elles avaient l’intention de faire
entendre des témoins et des experts.
40. Par des lettres en date du 19 mars 2005, le greffier, se référant aux
articles 57 et 58 du Règlement, a demandé aux Parties de fournir avant le 9 sep-
tembre 2005 des renseignements détaillés sur les témoins, experts et témoins-
experts qu’elles entendaient faire comparaître, en indiquant le ou les points
particuliers sur lesquels porterait leur déposition ou exposé. Par une lettre du
8 septembre 2005, l’agent de la Serbie-et-Monténégro a communiqué à la Cour
une liste de huit témoins et deux témoins-experts que son gouvernement sou-
haitait faire entendre au cours de la procédure orale. Par une autre lettre por-
tant la même date, l’agent de la Serbie-et-Monténégro a communiqué la liste de
cinq témoins que son gouvernement demandait à la Cour de faire déposer
conformément au paragraphe 2 de l’article 62 du Règlement. Par une lettre du
9 septembre 2005, la Bosnie-Herzégovine a communiqué à la Cour la liste des
trois experts qu’elle souhaitait faire entendre.
41. Par une lettre en date du 5 octobre 2005, l’agent adjoint de la Bosnie-
Herzégovine a informé le Greffe des vues de la Bosnie-Herzégovine sur le temps
qui paraissait nécessaire à celle-ci aux fins de l’audition des experts qu’elle sou-
haitait voir comparaître à l’audience et formulé certaines observations, notam-
ment sur la demande faite par la Serbie-et-Monténégro sur le fondement du
paragraphe 2 de l’article 62 du Règlement. Par des lettres datées du 4 et du
11 octobre 2005, l’agent et le coagent de la Serbie-et-Monténégro, respective-
ment, ont informé le Greffe des vues de leur gouvernement sur le temps qui
paraissait nécessaire à celui-ci aux fins de l’audition des témoins et témoins-
experts qu’il souhaitait voir comparaître à l’audience.
42. Par des lettres en date du 15 novembre 2005, le greffier a informé les
Parties, notamment, que la Cour avait décidé d’entendre les trois experts et
dix témoins et témoins-experts que la Bosnie-Herzégovine et la Serbie-et-Mon-
ténégro, respectivement, souhaitaient voir comparaître et qu’elle avait en outre
décidé de ne pas faire déposer, conformément au paragraphe 2 de l’article 62 du
17 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 57
Règlement, les cinq témoins proposés par la Serbie-et-Monténégro. Toutefois,
la Cour se réservait le droit d’exercer ultérieurement, s’il y avait lieu, les pou-
voirs que lui donnait cette disposition de faire comparaître de sa propre initia-
tive des personnes de son choix. Le greffier demandait aussi aux Parties de
fournir certains renseignements relatifs à l’audition des témoins, experts et
témoins-experts, notamment de préciser la langue dans laquelle chacun d’eux
s’exprimerait et, s’agissant de ceux qui emploieraient une langue autre que le
français ou l’anglais, les dispositions que les Parties entendaient prendre, en
application du paragraphe 2 de l’article 70 du Règlement, pour assurer l’inter-
prétation dans l’une des langues officielles de la Cour. Enfin, le greffier com-
muniquait aux Parties le calendrier des audiences adopté par la Cour.
43. Par une lettre en date du 12 décembre 2005, l’agent de la Serbie-et-Mon-
ténégro a informé la Cour, notamment, que huit des dix témoins et témoins-
experts que la Serbie-et-Monténégro souhaitait faire entendre s’exprimeraient
en serbe, et a présenté les dispositions que prendrait la Serbie-et-Monténégro
pour assurer l’interprétation du serbe dans l’une des langues officielles de la
Cour. Par une lettre datée du 15 décembre 2005, l’agent adjoint de la Bosnie-
Herzégovine a informé la Cour, notamment, que les trois experts cités par la
Bosnie-Herzégovine s’exprimeraient dans l’une des langues officielles de la
Cour.
44. Par une lettre en date du 28 décembre 2005, l’agent adjoint de la Bosnie-
Herzégovine, au nom de son gouvernement, a demandé à la Cour d’inviter la
Serbie-et-Monténégro, en application de l’article 49 du Statut et du para-
graphe 1 de l’article 62 du Règlement, à produire un certain nombre de docu-
ments. Par une lettre datée du 16 janvier 2006, l’agent de la Serbie-et-Monté-
négro a informé la Cour des vues de son gouvernement sur cette demande. Par
une lettre datée du 19 janvier 2006, le greffier, agissant sur instruction de la
Cour, a prié la Bosnie-Herzégovine de fournir certains renseignements se rap-
portant à la demande qu’elle avait faite dans le cadre de l’article 49 du Statut et
du paragraphe 2 de l’article 62 du Règlement. Par des lettres en date des 19 et
24 janvier 2006, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine a communiqué des
renseignements complémentaires et informé la Cour que la Bosnie-Herzégovine
avait décidé pour le moment de limiter sa demande aux passages occultés de
certains documents. Par une lettre datée du 31 janvier 2006, le coagent de la
Serbie-et-Monténégro a communiqué les vues de son gouvernement concernant
cette demande modifiée. Par des lettres datées du 2 février 2006, le greffier a
informé les Parties que la Cour avait décidé, à ce stade de la procédure, de ne
pas inviter la Serbie-et-Monténégro à produire les documents en question. Tou-
tefois, la Cour se réservait le droit d’exercer ultérieurement, s’il y avait lieu, les
pouvoirs que lui donnaient l’article 49 du Statut et le paragraphe 1 de l’ar-
ticle 62 du Règlement de demander d’office à la Serbie-et-Monténégro de pro-
duire ces documents.
45. Par une lettre en date du 16 janvier 2006, l’agent adjoint de la Bosnie-
Herzégovine a adressé au Greffe des exemplaires de documents nouveaux que
la Bosnie-Herzégovine souhaitait produire conformément à l’article 56 du
Règlement. Sous le couvert de cette même lettre et d’une lettre en date du
23 janvier 2006, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine a aussi communiqué
au Greffe des copies d’enregistrements vidéo dont la Bosnie-Herzégovine avait
l’intention de présenter des extraits au cours des audiences. Par une lettre en
date du 31 janvier 2006, le coagent de la Serbie-et-Monténégro a informé la
Cour que son gouvernement n’avait pas d’objections à ce que la Bosnie-Herzé-
govine produise les documents nouveaux. Il n’avait pas non plus d’objections à
18 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 58
ce que les enregistrements vidéo soient présentés au cours des audiences. Par
des lettres du 2 février 2006, le greffier a informé les Parties que, la Serbie-et-
Monténégro n’ayant pas soulevé d’objections, la Cour avait décidé d’autoriser
la Bosnie-Herzégovine à produire les documents nouveaux conformément à
l’article 56 du Règlement, et qu’elle avait aussi décidé de l’autoriser à présenter
au cours des audiences des extraits des enregistrements vidéo.
46. Sous le couvert d’une lettre datée du 18 janvier 2006 et reçue le 20 jan-
vier 2006, l’agent de la Serbie-et-Monténégro a transmis au Greffe des copies de
documents nouveaux que son gouvernement souhaitait produire au titre de
l’article 56 du Règlement. Par une lettre en date du 1 er février 2006, l’agent
adjoint de la Bosnie-Herzégovine a informé la Cour que la Bosnie-Herzégovine
ne s’opposait pas à la production desdits documents par la Serbie-et-Monténé-
gro. Par une lettre en date du 2 février 2006, le greffier a informé les Parties que,
la Bosnie-Herzégovine n’ayant pas soulevé d’objection, la Cour avait décidé
d’autoriser la production des documents nouveaux par la Serbie-et-Monténé-
gro. Par une lettre datée du 9 février 2006, le coagent de la Serbie-et-Monténé-
gro a transmis à la Cour certains éléments manquants des documents nouveaux
présentés le 20 janvier 2006 et fait certaines observations concernant les docu-
ments nouveaux produits par la Bosnie-Herzégovine. Par une lettre du 20 février
2006, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine a informé la Cour que la Bos-
nie-Herzégovine n’avait pas l’intention de présenter des observations au sujet
des documents nouveaux produits par la Serbie-et-Monténégro.
47. Sous le couvert d’une lettre en date du 31 janvier 2006, le coagent de la
Serbie-et-Monténégro a transmis à la Cour une liste de documents publics aux-
quels son gouvernement entendait se référer lors du premier tour de la procé-
dure orale. Par une autre lettre datée du 14 février 2006, le coagent de la Serbie-
et-Monténégro a communiqué à la Cour des exemplaires de dossiers contenant
les documents publics répertoriés dans la liste soumise le 31 janvier 2006, et l’a
informée que la Serbie-et-Monténégro avait décidé de ne pas présenter les enre-
gistrements vidéo mentionnés dans cette liste. Par une lettre datée du
20 février 2006, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine a informé la Cour que
la Bosnie-Herzégovine n’avait pas d’observations à présenter au sujet des docu-
ments publics figurant sur la liste soumise par la Serbie-et-Monténégro le
31 janvier 2006. Il a également indiqué que la Bosnie-Herzégovine se référerait,
à l’audience, à des sources analogues et prévoyait de fournir à la Cour et au
défendeur, à la fin de son premier tour de plaidoiries, un CD-ROM contenant
les versions numérisées des documents qu’elle aurait cités (voir paragraphe 54
ci-après).
48. Par une lettre en date du 26 janvier 2006, le greffier a porté à la connais-
sance des Parties certaines décisions que la Cour avait prises au sujet de l’audi-
tion des témoins, experts et témoins-experts qu’elles feraient comparaître,
notamment quant au fait que, exceptionnellement, les comptes rendus des
audiences au cours desquelles des témoins, experts et témoins-experts auraient
été entendus ne seraient pas accessibles au public ni publiés sur le site Internet
de la Cour avant la fin de la procédure orale.
49. Par une lettre en date du 13 février 2006, l’agent de la Serbie-et-Monté-
négro a informé la Cour que son gouvernement avait décidé de ne pas faire
comparaître deux des témoins et témoins-experts dont le nom figurait sur la
liste communiquée à la Cour le 8 septembre 2005 et que l’ordre dans lequel les
autres témoins et témoins-experts seraient entendus avait été modifié. Par une
lettre en date du 21 février 2006, l’agent de la Serbie-et-Monténégro a demandé
19 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 59
l’autorisation de la Cour pour interroger en serbe trois des témoins que son
gouvernement entendait faire déposer (à savoir, MM. Dušan Mihajlovic ´, Vla-
dimir Mili´evi´ et Dragoljub Mi´unovi´). Par une lettre datée du 22 février 2006,
le greffier a informé l’agent de la Serbie-et-Monténégro qu’il n’y avait, au
regard du paragraphe 3 de l’article 39 du Statut et de l’article 70 du Règlement,
aucune objection à ce qu’une telle procédure fût suivie.
50. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 du Règlement, la Cour,
après s’être renseignée auprès des Parties, a décidé que des exemplaires des
pièces de procédure et des documents annexés seraient rendus accessibles au
public à l’ouverture de la procédure orale.
51. Des audiences publiques ont été tenues du 27 février au 9 mai 2006, au
cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses:
Pour la Bosnie-Herzégovine: M. Sakib Softic´,
M. Phon van den Biesen,
M. Alain Pellet,
M. meomas M. Franck,
M Brigitte Stern,
M. Luigi Condorelli,
M me Magda Karagiannakis,
M me Joanna Korner,
M me Laura Dauban,
M. Antoine Ollivier,
M. Morten Torkildsen.
Pour la Serbie-et-Monténégro: S. Exc. M. Radoslav Stojanovic ´,
M. Saša Obradovic ´,
M. Vladimir Cvetkovic ´,
M. Tibor Varady,
M. Ian Brownlie,
M. Xavier de Roux,
M me Nataša Fauveau-Ivanovic ´,
M. Andreas Zimmerman,
M. Vladimir Djeric´,
M. Igor Olujic´.
52. Le 1 mars 2006, le greffier, sur instruction de la Cour, a demandé à la
Bosnie-Herzégovine de préciser l’origine exacte de chacun des extraits des enre-
gistrements vidéo ainsi que celle des cartes, tableaux et photographies qu’elle
avait montrés ou entendait montrer à l’audience. Le 2 mars 2006, la Bosnie-
Herzégovine a fourni à la Cour certaines informations sur les documents vidéo
qu’elle avait montrés à l’audience le 1r mars 2006 et ceux qu’elle entendait
montrer le 2 mars 2006, en indiquant leur source. Sous le couvert d’une lettre
datée du 5 mars 2006, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a transmis à la Cour
une liste précisant l’origine des extraits des documents vidéo, des cartes, des
tableaux et des photographies que la Bosnie-Herzégovine avait montrés ou
entendait montrer au cours de son premier tour de plaidoiries, ainsi que la
transcription, en anglais et en français, desdits extraits.
53. Par une lettre en date du 5 mars 2006, l’agent de la Bosnie-Herzégovine
a informé la Cour de son souhait de retirer de sa liste l’un des experts qu’elle
avait prévu de faire entendre. Dans cette lettre, l’agent de la Bosnie-Herzégo-
vine priait également la Cour de demander à chacune des Parties de lui fournir
20 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 60
pour chaque témoin, expert ou témoin-expert un résumé d’une page indiquant
les sujets qu’il aborderait devant la Cour dans le cadre de son exposé ou de sa
déposition. Par des lettres datées du 7 mars 2006, les Parties ont été informées
que la Cour les priait de lui fournir, au moins trois jours à l’avance, un résumé
en une page de la déposition ou de l’exposé de chaque témoin, expert ou
témoin-expert.
54. Le 7 mars 2006, la Bosnie-Herzégovine a communiqué à la Cour et au
défendeur un CD-ROM intitulé «Documents publics du TPIY et autres docu-
ments cités par la Bosnie-Herzégovine durant ses plaidoiries (07/03/2006)». Par
une lettre datée du 10 mars 2006, la Serbie-et-Monténégro a fait savoir à la
Cour qu’elle avait des objections à la production de ce CD-ROM, la présenta-
tion aussi tardive d’un tel volume de documents «[étant] source de graves pré-
occupations quant au respect du Règlement de la Cour et quant aux principes
d’équité et d’égalité entre les Parties». Elle indiquait également que les docu-
ments figurant sur le CD-ROM «sembl[ai]ent discutables au regard du para-
graphe 4 de l’article 56 du Règlement». Par une lettre en date du 13 mars 2006,
l’agent de la Bosnie-Herzégovine a informé la Cour des vues de son gouverne-
ment sur les objections précitées de la Serbie-et-Monténégro. Dans cette lettre,
l’agent faisait notamment valoir que tous les documents contenus dans le CD-
ROM avaient été mentionnés à l’audience par la Bosnie-Herzégovine, qu’ils
relevaient du domaine public et étaient des documents «facilement acces-
sible[s]», au sens du paragraphe 4 de l’article 56 du Règlement. L’agent ajoutait
que la Bosnie-Herzégovine était disposée à retirer le CD-ROM si la Cour le
jugeait souhaitable. Par une lettre du 14 mars 2006, le greffier a informé la Bos-
nie-Herzégovine que, le paragraphe 4 de l’article 56 du Règlement n’imposant
ni n’autorisant la présentation à la Cour de l’intégralité du texte d’un document
mentionné à l’audience en vertu de cette disposition, et la Partie adverse et la
Cour ayant quelque difficulté à gérer, à ce stade tardif de la procédure, un
volume aussi considérable de documents, lesquels étaient en tout état de cause
dans le domaine public et pouvaient donc être consultés en cas de besoin, la
Cour avait décidé qu’il était dans l’intérêt d’une bonne administration de la jus-
tice que le CD-ROM fût retiré. Par une lettre datée du 16 mars 2006, l’agent de
la Bosnie-Herzégovine a retiré le CD-ROM qui avait été présenté le 7 mars
2006.
55. Le 17 mars 2006, la Bosnie-Herzégovine a présenté une carte destinée à
être utilisée au cours de l’exposé de l’un de ses experts le matin du 20 mars
2006. Le 20 mars 2006, la Bosnie-Herzégovine a produit un dossier d’autres
documents devant être utilisés au cours de l’interrogatoire de cet expert. La Ser-
bie-et-Monténégro a élevé des objections très fermes à la présentation de ces
documents à un stade aussi tardif, faisant valoir que ses conseils n’auraient pas
le temps de se préparer au contre-interrogatoire. Le 20 mars 2006, la Cour a
décidé que la carte présentée le 17 mars 2006 ne pourrait pas être utilisée au
cours de l’exposé de l’expert. En outre, après avoir consulté les deux Parties,
elle a décidé d’annuler la séance du matin et de reporter l’audition de l’expert à
une séance de l’après-midi, afin de permettre à la Serbie-et-Monténégro de se
préparer au contre-interrogatoire.
56. Le 20 mars 2006, la Serbie-et-Monténégro a indiqué à la Cour que l’un
des témoins qu’elle avait prévu d’appeler à la barre ne déposerait finalement
pas.
57. Les experts suivants ont été appelés à la barre par la Bosnie-Herzégovine
et ont fait leurs exposés au cours des audiences publiques des 17 et 20 mars
2006: M. András J. Riedlmayer et le général sir Richard Dannatt. Ces experts
21 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 61
ont été soumis à un interrogatoire par les conseils de la Bosnie-Herzégovine et
à un contre-interrogatoire par les conseils de la Serbie-et-Monténégro. Ils ont
ensuite été soumis à un nouvel interrogatoire par les conseils de la Bosnie-
Herzégovine. Les juges Krec ´a, Tomka, Simma et le vice-président ont posé
des questions à M. Riedlmayer, lequel y a répondu oralement. Le président, le
juge Koroma et le juge Tomka ont posé des questions au général Dannatt,
lequel y a répondu oralement.
58. Les témoins et le témoin-expert suivants ont été appelés à la barre par la
Serbie-et-Monténégro et ont déposé au cours des audiences publiques des 23,
24, 27 et 28 mars 2006: M. Vladimir Lukic ´; M. Vitomir Popovic ´; le général
sir Michael Rose; M. Jean-Paul Sardon (témoin-expert); M. Dušan Mihajlo-
vi´; M. Vladimir Milic´evi´; M. Dragoljub Mic ´unovi´. Ces témoins et le témoin-
expert ont été soumis à un interrogatoire par les conseils de la Serbie-et-Mon-
ténégro et à un contre-interrogatoire par les conseils de la Bosnie-Herzégovine.
Le général Rose, M. Mihajlovic ´ et M. Milic´evi´ ont ensuite été soumis à un
nouvel interrogatoire par les conseils de la Serbie-et-Monténégro. Les juges
Ranjeva, Simma, Tomka et Bennouna ont posé des questions à M. Lukic ´,
lequel y a répondu oralement. Le vice-président ainsi que les juges Owada et
Simma ont posé des questions au général Rose, lequel y a répondu oralement.
59. A l’exception du général Rose et de M. Jean-Paul Sardon, les témoins de
la Serbie-et-Monténégro se sont exprimés en serbe et, conformément au para-
graphe 3 de l’article 39 du Statut et au paragraphe 2 de l’article 70 du Règle-
ment, la Serbie-et-Monténégro a pris toutes dispositions pour assurer l’inter-
prétation de leur déposition dans l’une des langues officielles de la Cour et le
Greffe a procédé au contrôle de cette interprétation. M. Stojanovic´ a interrogé
M. Dragoljub Mic ´unovic´ en serbe, conformément à l’échange de lettres des 21
et 22 février 2006 entre la Serbie-et-Monténégro et la Cour (voir paragraphe 49
ci-dessus).
60. Au cours des audiences, des questions ont été posées par certains
membres de la Cour, questions auxquelles des réponses ont été apportées orale-
ment et par écrit conformément au paragraphe 4 de l’article 61 du Règlement.
61. Par une lettre datée du 8 mai 2006, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a
demandé à la Cour d’autoriser l’agent adjoint à prendre brièvement la parole le
9 mai 2006 afin de rectifier une affirmation faite à l’audience par la Serbie-et-
Monténégro concernant l’un des conseils de la Bosnie-Herzégovine et l’un des
experts appelés par celle-ci à la barre. Par une lettre du 9 mai 2006, l’agent de
la Serbie-et-Monténégro a communiqué les vues de son gouvernement à ce
sujet. Le 9 mai 2006, la Cour a décidé, dans les circonstances particulières de
l’espèce, d’autoriser l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine à faire une très
brève déclaration concernant l’affirmation faite au sujet de son conseil.
62. Par une lettre datée du 3 mai 2006, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a
fait savoir à la Cour que les références indiquées dans sa plaidoirie du
2 mars 2006 comportaient des erreurs, et a communiqué à la Cour les réfé-
rences corrigées. Par une lettre en date du 8 mai 2006, l’agent de la Serbie-et-
Monténégro, «compte tenu des corrections tardives apportées par le deman-
deur, et dans un souci d’égalité entre les Parties», a prié la Cour d’accepter un
paragraphe du projet de sa plaidoirie du 2 mai 2006 qui répondait à l’une
des corrections apportées par la Bosnie-Herzégovine, mais avait été omis dans
la version finale de la plaidoirie dans le souci de «respecter le temps imparti
pour [les] plaidoiries [de la Serbie-et-Monténégro]». Par une lettre datée du
7 juin 2006, les Parties ont été informées que la Cour avait pris acte de l’expli-
22 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 62
cation fournie par l’agent de la Bosnie-Herzégovine ainsi que des observations
formulées en réponse par l’agent de la Serbie-et-Monténégro.
63. Au mois de janvier 2007, le juge Parra-Aranguren, qui avait assisté aux
audiences en l’affaire, et participé à une partie des délibérations, mais n’avait
pu, pour des raisons d’ordre médical, prendre part aux derniers stades de celles-
ci, a informé le président de la Cour que, conformément au paragraphe 1 de
l’article 24 du Statut, il estimait devoir ne pas participer au jugement de
l’affaire. Le président a considéré que la Cour devait respecter et accepter la
position du juge Parra-Aranguren, et en a informé la Cour en conséquence.
*
64. Dans la requête, les demandes ci-après ont été formulées par la Bosnie-
Herzégovine:
«En conséquence, tout en se réservant le droit de reviser, compléter ou
modifier la présente requête, et sous réserve de la présentation à la Cour
des preuves et arguments juridiques pertinents, la Bosnie-Herzégovine prie
la Cour de dire et juger:
a) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé, et continue de vio-
ler, ses obligations juridiques à l’égard du peuple et de l’Etat de Bos-
nie-Herzégovine en vertu des articles premier, II a),II b),II c),II d),
III a), III b), III c), III d), III e), IV et V de la convention sur le
génocide;
b) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de vio-
ler ses obligations juridiques à l’égard du peuple et de l’Etat de Bos-
nie-Herzégovine en vertu des quatre conventions de Genève de 1949,
de leur protocole additionnel I de 1977, du droit international coutu-
mier de la guerre, et notamment du règlement de La Haye de 1907
concernant la guerre sur terre, et d’autres principes fondamentaux du
droit international humanitaire;
c) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de vio-
ler les dispositions des articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26 et 28 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme vis-à-vis des citoyens de la Bosnie-Herzégovine;
d) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation de ses obli-
gations en vertu du droit international général et coutumier, a tué,
assassiné, blessé, violé, volé, torturé, enlevé, détenu illégalement et
exterminé des citoyens de la Bosnie-Herzégovine, et continue de le
faire;
e) qu’en traitant ainsi les citoyens de la Bosnie-Herzégovine, la Yougo-
slavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de violer les obliga-
tions qu’elle a solennellement assumées en vertu du paragraphe 3 de
l’article 1 et des articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies;
f) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a employé et continue
d’employer la force et de recourir à la menace de la force contre la
Bosnie-Herzégovine en violation des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’ar-
ticle 2 et du paragraphe 1 de l’article 33 de la Charte des Nations Unies;
g) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation de ses obli-
gations en vertu du droit international général et coutumier, a utilisé
et utilise la force et la menace de la force contre la Bosnie-Her-
zégovine;
23 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 63
h) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation de ses obli-
gations en vertu du droit international général et coutumier, a violé et
viole la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine du fait:
— d’attaques armées contre la Bosnie-Herzégovine par air et par
terre;
— de la violation de l’espace aérien de la Bosnie-Herzégovine;
— d’actes directs et indirects de coercition et d’intimidation à l’en-
contre du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine;
i) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation des obliga-
tions que lui impose le droit international général et coutumier, est
intervenue et intervient dans les affaires intérieures de la Bosnie-
Herzégovine;
j) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en recrutant, entraînant,
armant, équipant, finançant, approvisionnant et en encourageant,
appuyant, aidant et dirigeant des actions militaires et paramilitaires en
Bosnie-Herzégovine ou contre celle-ci par le moyen de ses agents et de
ses auxiliaires, a violé et viole ses obligations fondamentales et conven-
tionnelles expresses à l’égard de la Bosnie-Herzégovine et, en particu-
lier, ses obligations fondamentales et conventionnelles expresses en
vertu du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, de
même que ses obligations en vertu du droit international général et
coutumier;
k) que vu les circonstances exposées ci-dessus, la Bosnie-Herzégovine
possède le droit souverain de se défendre et de défendre son peuple en
vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies et du droit inter-
national coutumier, y compris en se procurant immédiatement auprès
d’autres Etats des armes, des matériels et fournitures militaires ainsi
que des troupes;
l) que vu les circonstances exposées ci-dessus, la Bosnie-Herzégovine
possède le droit souverain en vertu de l’article 51 de la Charte des
Nations Unies et du droit international coutumier de demander à tout
Etat de l’assister immédiatement en se portant à son secours, y com-
pris par des moyens militaires (armes, matériels et fournitures mili-
taires, troupes, etc.);
m) que la résolution 713 (1991) du Conseil de sécurité imposant un
embargo sur les livraisons d’armes à l’ex-Yougoslavie doit être inter-
prétée d’une manière telle qu’elle ne porte pas atteinte au droit naturel
de légitime défense, individuelle ou collective, de la Bosnie-Herzé-
govine en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies et des
règles du droit international coutumier;
n) que toutes les résolutions ultérieures du Conseil de sécurité qui se
réfèrent à la résolution 713 (1991) ou la réaffirment doivent être inter-
prétées d’une manière telle qu’elles ne portent pas atteinte au droit
naturel de légitime défense, individuelle ou collective, de la Bosnie-
Herzégovine en vertu des dispositions de l’article 51 de la Charte des
Nations Unies et des règles du droit international coutumier;
o) que la résolution 713 (1991) du Conseil de sécurité et toutes les réso-
lutions ultérieures du Conseil de sécurité qui s’y réfèrent ou la réaf-
firment ne doivent pas être interprétées comme imposant un embar-
go sur les livraisons d’armes à la Bosnie-Herzégovine, conformément
24 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 64
aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 24 et de l’article 51
de la Charte des Nations Unies et au principe coutumier d’ultra vires ;
p) qu’en vertu du droit de légitime défense collective reconnu par l’ar-
ticle 51 de la Charte des Nations Unies tous les autres Etats parties à
la Charte ont le droit de se porter immédiatement au secours de la
Bosnie-Herzégovine — à sa demande — y compris en lui fournis-
sant immédiatement des armes, des matériels et des fournitures mili-
taires, et des forces armées (soldats, marins, aviateurs, etc.);
q) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), et ses agents et auxiliaires,
sont tenus de mettre fin et de renoncer immédiatement à leurs viola-
tions susmentionnées de leurs obligations juridiques, et ont le devoir
exprès de mettre fin et de renoncer immédiatement:
— à leur pratique systématique de la «purification ethnique» des
citoyens et du territoire souverain de la Bosnie-Herzégovine;
— à l’assassinat, à l’exécution sommaire, à la torture, au viol, à
l’enlèvement, à la mutilation, aux blessures, aux sévices physiques
et psychologiques et à la détention des citoyens de la Bosnie-
Herzégovine;
— à la dévastation sauvage et aveugle de villages, de villes, de dis-
tricts, d’agglomérations et d’institutions religieuses en Bosnie-
Herzégovine;
— au bombardement de centres de population civile en Bosnie-
Herzégovine, et spécialement de sa capitale, Sarajevo;
— à la poursuite du siège de centres de population civile de Bosnie-
Herzégovine, et spécialement de sa capitale, Sarajevo;
— à la privation de nourriture de la population civile de Bosnie-
Herzégovine;
— aux actes ayant pour effet d’interrompre, d’entraver ou de gêner
l’acheminement des secours humanitaires envoyés par la commu-
nauté internationale aux citoyens de Bosnie-Herzégovine;
— à toute utilisation de la force — directe ou indirecte, manifeste ou
occulte — contre la Bosnie-Herzégovine, et à toutes les menaces
d’utilisation de la force contre la Bosnie-Herzégovine;
— à toutes les violations de la souveraineté, de l’intégrité territoriale
ou de l’indépendance politique de la Bosnie-Herzégovine, y com-
pris toute intervention, directe ou indirecte, dans les affaires inté-
rieures de la Bosnie-Herzégovine;
— à tout appui de quelque nature qu’il soit — y compris l’entraîne-
ment et la fourniture d’armes, de munitions, de fonds, de maté-
riels, d’assistance, d’instruction ou toute autre forme de soutien —
à toute nation, groupe, organisation, mouvement ou individu se
livrant ou se disposant à se livrer à des actions militaires ou para-
militaires en Bosnie-Herzégovine ou contre celle-ci;
r) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est tenue de payer à la
Bosnie-Herzégovine, en son propre nom et en tant que parens patriae
de ses citoyens, des réparations pour les dommages subis par les per-
sonnes et les biens ainsi que par l’économie et l’environnement de la
Bosnie à raison des violations susvisées du droit international, dont le
montant sera déterminé par la Cour. La Bosnie-Herzégovine se réserve
le droit de présenter à la Cour une évaluation précise des dommages
causés par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).»
25 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 65
65. Dans la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par
les Parties:
Au nom du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,
dans le mémoire:
«Sur la base des éléments de preuve et des arguments juridiques exposés
dans le présent mémoire, la Bosnie-Herzégovine
prie la Cour de dire et juger:
1. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro),
directement ou par le truchement de ses auxiliaires, a violé et continue de
violer la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide, en détruisant partiellement, et en tentant de détruire totalement, des
groupes nationaux, ethniques ou religieux, notamment mais non exclusi-
vement sur le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine, en par-
ticulier la population musulmane, en se livrant aux actes suivants:
— meurtre de membres du groupe;
— atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
— soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence visant
à entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
— imposition de mesures aux fins d’entraver les naissances au sein du
groupe;
2. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide en se rendant coupable d’entente en vue de com-
mettre le génocide, de complicité dans le génocide, de tentative de génocide
et d’incitation à commettre le génocide;
3. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide en aidant et encourageant des individus et des
groupes se livrant à des actes de génocide;
4. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide en manquant à son obligation de prévenir et de
punir les actes de génocide;
5. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
doit immédiatement mettre fin aux actes susmentionnés et prendre des
mesures immédiates et efficaces pour s’acquitter pleinement de ses obliga-
tions aux termes de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide;
6. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
doit effacer les conséquences de ses actes internationalement illicites et
rétablir la situation qui existait avant que les violations de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide ne fussent com-
mises;
7. Que, sa responsabilité internationale étant engagée à raison des vio-
lations susmentionnées de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) est tenue de payer à la Bosnie-Herzégovine, et cette dernière
est fondée à recevoir, en son propre nom et en tant que parens patriae de
ses citoyens, pleine réparation pour les dommages et les pertes causés,
26 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 66
réparation dont le montant sera déterminé par la Cour lors d’une phase
ultérieure de la procédure en l’instance.
La République de Bosnie-Herzégovine se réserve le droit de compléter
ou de modifier ses conclusions dans le cadre d’autres pièces de procédure.
La République de Bosnie-Herzégovine appelle également respectueuse-
ment l’attention de la Cour sur le fait qu’elle n’a pas réitéré, à ce stade,
plusieurs des demandes qu’elle avait formulées dans sa requête, partant du
postulat formel que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) a accepté la compétence de la Cour en vertu de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide. Si le défendeur
devait revenir sur son acceptation de la compétence de la Cour en applica-
tion de ladite convention — ce qu’en tout état de cause il n’est pas autorisé
à faire — le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine se réserve le droit
d’invoquer toutes les autres bases de compétence existantes, ou certaines
d’entre elles, et de formuler de nouveau toutes les conclusions et demandes
qu’il a déjà présentées, ou certaines d’entre elles.»
Au nom du Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro,
dans le contre-mémoire : 1
«La République fédérative de Yougoslavie prie la Cour internationale
de Justice de dire et juger:
1. Attendu qu’aucune des obligations créées par la convention de 1948
pour la prévention et la répression du crime de génocide n’a été violée à
l’encontre de Musulmans ou de Croates,
— puisque les actes allégués par le demandeur soit n’ont nullement été
commis, soit n’ont pas eu l’ampleur et la forme alléguées par le deman-
deur, ou
— puisque, si certains de ces actes ont été commis, ils l’ont été en
l’absence de toute intention de commettre un génocide, et/ou
— puisque ces actes n’étaient pas spécifiquement dirigés contre les membres
d’un groupe ethnique ou religieux, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas été commis
contre des individus pour la seule raison qu’ils appartenaient à un groupe
ethnique ou religieux donné, en conséquence, ces actes ne sauraient être
qualifiés d’actes de génocide ou d’autres actes prohibés par la convention
de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, et/ou
2. Attendu que les actes allégués par le demandeur dans ses pièces ne
peuvent pas être attribués à la République fédérative de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis par les organes de la République fédé-
rative de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis sur le territoire de la République fédé-
rative de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis sur ordre ou sous le contrôle des
organes de la République fédérative de Yougoslavie,
— puisqu’il n’existe aucun autre motif fondé sur les règles de droit inter-
national de les considérer comme des actes de la République fédérative
de Yougoslavie,
1 Les chefs de conclusions 3 à 6 ont trait à des demandes reconventionnelles qui furent
par la suite retirées (voir paragraphes 26 et 27 ci-dessus).
27 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 67
que la Cour rejette en conséquence toutes les demandes du demandeur et
que
3. La Bosnie-Herzégovine est responsable des actes de génocide commis
contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine et d’autres violations des obliga-
tions établies par la convention de 1948 pour la prévention et la répression
du crime de génocide
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans la
«Déclaration islamique» et, en particulier, dans le passage suivant: «Il
ne peut y avoir de paix ou de coexistence entre la «foi islamique» et les
institutions sociales et politiques «non islamiques»,
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans la
revue Novi Vox destinée à la jeunesse musulmane et, en particulier,
dans les paroles d’un «chant patriotique»:
«Chère maman, je m’en vais planter des saules,
Auxquels nous pendrons les Serbes.
Chère maman, je m’en vais aiguiser les couteaux,
Bientôt les fosses seront pleines à nouveau.»
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans le jour-
nal Zmaj od Bosne et, en particulier, dans la phrase suivante tirée d’un
article qui y a été publié: «chaque Musulman doit désigner un Serbe et
faire serment de le tuer»;
— parce que des appels publics à l’exécution de Serbes ont été diffusés sur
Radio-Hajat, ce qui constitue une incitation à commettre des actes de
génocide;
— parce que les forces armées de la Bosnie-Herzégovine, de même que
des autres organes de la Bosnie-Herzégovine, ont commis des actes de
génocide et d’autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la
prévention et la répression du crime de génocide à l’encontre de Serbes
en Bosnie-Herzégovine, actes qui ont été exposés dans le chapitre VII
du contre-mémoire;
— parce que la Bosnie-Herzégovine n’a pas empêché la perpétration, sur
son territoire, d’actes de génocide et d’autres actes prohibés par la
convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide à l’encontre de Serbes, actes qui ont été exposés dans le
chapitre VII du contre-mémoire;
4. La Bosnie-Herzégovine a l’obligation de punir les personnes respon-
sables des actes de génocide et d’autres actes prohibés par la convention de
1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
5. La Bosnie-Herzégovine est tenue de prendre les mesures nécessaires
pour que de tels actes ne se reproduisent pas à l’avenir.
6. La Bosnie-Herzégovine est tenue de supprimer toutes les consé-
quences de la violation des obligations créées par la convention de 1948
pour la prévention et la répression du crime de génocide et de verser une
juste indemnité.»
Au nom du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,
dans la réplique:
«C’est pourquoi le demandeur persiste dans les demandes qu’il a pré-
sentées à la Cour le 14 avril 1994, et reprend ses conclusions dans leur inté-
28 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 68
gralité. La Bosnie-Herzégovine prie la Cour internationale de Justice de
dire et juger:
1. Que la République fédérale de Yougoslavie, directement ou par le
truchement de ses auxiliaires, a violé et continue de violer la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, en détruisant par-
tiellement, et en tentant de détruire totalement, des groupes nationaux,
ethniques ou religieux, notamment mais non exclusivement sur le territoire
de la Bosnie-Herzégovine, en particulier la population musulmane, en
se livrant aux actes suivants:
— meurtre de membres du groupe;
— atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
— soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence visant
à entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
— imposition de mesures aux fins d’entraver les naissances au sein du
groupe;
2. Que la République fédérale de Yougoslavie a violé et continue de vio-
ler la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
en se rendant coupable d’entente en vue de commettre le génocide, de
complicité dans le génocide, de tentative de génocide et d’incitation à com-
mettre le génocide;
3. Que la République fédérale de Yougoslavie a violé et continue de vio-
ler la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
en aidant et encourageant des individus et des groupes se livrant à des
actes de génocide;
4. Que la République fédérale de Yougoslavie a violé et continue de vio-
ler la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
en manquant à son obligation de prévenir et de punir les actes de géno-
cide;
5. Que la République fédérale de Yougoslavie doit immédiatement
mettre fin aux actes susmentionnés et prendre des mesures immédiates et
efficaces pour s’acquitter pleinement de ses obligations aux termes de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide;
6. Que la République fédérale de Yougoslavie doit effacer les consé-
quences de ses actes internationalement illicites et rétablir la situation qui
prévalait avant que les violations de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide ne fussent commises;
7. Que, sa responsabilité internationale étant engagée à raison des viola-
tions susmentionnées de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, la République fédérale de Yougoslavie est tenue de payer
à la Bosnie-Herzégovine, et cette dernière est fondée à recevoir, de son
propre droit et commeparens patriae de ses citoyens, pleine réparation pour
les dommages et les pertes causés, réparation dont le montant sera déter-
miné par la Cour lors d’une phase ultérieure de la procédure en l’instance.
La Bosnie-Herzégovine se réserve le droit de compléter ou de modifier
ses conclusions dans le cadre d’autres pièces de procédure.
8. Pour les mêmes motifs, les conclusions de la République fédérale de
Yougoslavie relatives aux conclusions de la Bosnie-Herzégovine doivent
être rejetées.
9. S’agissant des demandes reconventionnelles du défendeur, le deman-
deur parvient à la conclusion suivante. La thèse selon laquelle des actes de
29 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 69
génocide auraient été commis contre des Serbes en Bosnie-Herzégovine est
dénuée de fondement, tant en fait qu’en droit. La thèse selon laquelle de
tels actes, à les supposer établis, auraient été commis sous la responsabilité
de la Bosnie-Herzégovine ou que de tels actes, à les supposer établis,
seraient attribuables à la Bosnie-Herzégovine, est dénuée de fondement,
tant en fait qu’en droit. De même, la thèse selon laquelle la Bosnie-Herzé-
govine aurait violé l’une ou plusieurs des obligations lui incombant en
vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide est dénuée de fondement, tant en fait qu’en droit. Au contraire, la
Bosnie-Herzégovine a constamment fait tout son possible pour s’acquitter
des obligations contractées en vertu de la convention et elle continuera de
le faire.
10. Pour ces raisons, la Bosnie-Herzégovine demande à la Cour inter-
nationale de Justice de rejeter les demandes reconventionnelles soumises
par le demandeur dans son contre-mémoire du 23 juillet 1997.»
Au nom du Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro,
2
dans la duplique :
«La République fédérale de Yougoslavie prie la Cour internationale de
Justice de dire et juger:
1. Attendu qu’aucune des obligations créées par la convention de 1948
pour la prévention et la répression du crime de génocide n’a été violée à
l’encontre de Musulmans ou de Croates
— puisque les actes allégués par le demandeur soit n’ont nullement été
commis, soit n’ont pas eu l’ampleur et la forme alléguées par le deman-
deur, ou
— puisque, si certains de ces actes ont été commis, ils l’ont été en
l’absence de toute intention de commettre un génocide, et/ou
— puisque ces actes n’étaient pas spécifiquement dirigés contre les
membres d’un groupe ethnique ou religieux, c’est-à-dire qu’ils n’ont
pas été commis contre des individus pour la seule raison qu’ils apparte-
naient à un groupe ethnique ou religieux donné,
en conséquence, ces actes ne sauraient être qualifiés d’actes de génocide ou
d’autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la
répression du crime de génocide, et/ou
2. Attendu que les actes allégués par le demandeur dans ses pièces ne
peuvent pas être attribués à la République fédérale de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis par les organes de la République fédé-
rale de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis sur le territoire de la République fédé-
rale de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis sur ordre ou sous le contrôle des
organes de la République fédérale de Yougoslavie,
— puisqu’il n’existe aucun autre motif fondé sur les règles du droit inter-
national de les considérer comme des actes de la République fédérale
de Yougoslavie,
2 Les chefs de conclusions 3 à 6 ont trait à des demandes reconventionnelles qui furent
par la suite retirées (voir paragraphes 26 et 27 ci-dessus).
30 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 70
que la Cour rejette en conséquence toutes les demandes du demandeur et
que
3. La Bosnie-Herzégovine est responsable des actes de génocide commis
contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine et d’autres violations des obliga-
tions établies par la convention de 1948 pour la prévention et la répression
du crime de génocide
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans la
«Déclaration islamique» et, en particulier, dans le passage suivant: «il
ne peut y avoir de paix ou de coexistence entre la «foi islamique» et les
institutions sociales et politiques «non islamiques»» ;
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans la
revue Novi Vox destinée à la jeunesse musulmane et, en particulier,
dans les paroles d’un «chant patriotique»:
«Chère maman, je m’en vais planter des saules,
Auxquels nous pendrons les Serbes.
Chère maman, je m’en vais aiguiser les couteaux,
Bientôt les fosses seront pleines à nouveau»;
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans le jour-
nal Zmaj od Bosne et, en particulier, dans la phrase suivante tirée d’un
article qui y a été publié: «chaque Musulman doit désigner un Serbe et
faire serment de le tuer»;
— parce que des appels publics à l’exécution de Serbes ont été diffusés sur
Radio-Hajat, ce qui constitue une incitation à commettre des actes de
génocide;
— parce que les forces armées de la Bosnie-Herzégovine, de même que
des autres organes de la Bosnie-Herzégovine, ont commis des actes de
génocide et d’autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la
prévention et la répression du crime de génocide (énumérés à l’ar-
ticle III) à l’encontre de Serbes en Bosnie-Herzégovine, actes qui
ont été exposés dans le chapitre VII du contre-mémoire;
— parce que la Bosnie-Herzégovine n’a pas empêché la perpétration, sur
son territoire, d’actes de génocide et d’autres actes prohibés par la
convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide (énumérés à l’article III) à l’encontre de Serbes, actes qui ont
été exposés dans le chapitre VII du contre-mémoire.
4. La Bosnie-Herzégovine a l’obligation de punir les personnes respon-
sables des actes de génocide et d’autres actes prohibés par la convention
de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
5. La Bosnie-Herzégovine est tenue de prendre les mesures nécessaires
pour que de tels actes ne se reproduisent pas à l’avenir.
6. La Bosnie-Herzégovine est tenue de supprimer toutes les consé-
quences de la violation des obligations créées par la convention de 1948
pour la prévention et la répression du crime de génocide et de verser une
juste indemnité.»
66. Dans la procédure orale, les conclusions finales ci-après ont été présen-
tées par les Parties:
Au nom du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,
à l’audience du 24 avril 2006:
31 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 71
«La Bosnie-Herzégovine prie la Cour internationale de Justice de dire et
juger:
1. Que la Serbie-et-Monténégro, par le truchement de ses organes ou
d’entités sous son contrôle, a violé les obligations qui lui incombent en
vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, en détruisant en partie et de façon intentionnelle le groupe natio-
nal, ethnique ou religieux non serbe, notamment mais non exclusivement,
sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, en particulier la population
musulmane, par les actes suivants:
— meurtre de membres du groupe;
— atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
— soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
— mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
— transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe;
2. A titre subsidiaire:
i) que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide en se rendant coupable de complicité dans le génocide tel
que défini au paragraphe 1 ci-dessus; et/ou
ii) que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide en apportant aide et soutien à des individus, des groupes et
des entités commettant des actes de génocide tels que définis au para-
graphe 1 ci-dessus;
3. Que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide en se rendant coupable d’entente en vue de commettre le géno-
cide et d’incitation à commettre le génocide tel que défini au paragraphe 1
ci-dessus;
4. Que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide en manquant à son obligation de prévenir le génocide;
5. Que la Serbie-et-Monténégro a violé et continue de violer les obliga-
tions qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide en manquant et en continuant à manquer
à son obligation de punir les actes de génocide ou autres actes prohibés par
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et
en manquant et en continuant à manquer à son obligation de transférer au
Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie les personnes accusées de génocide
ou d’autres actes prohibés par la convention et de coopérer pleinement
avec ledit Tribunal;
6. Que les violations du droit international exposées dans les conclu-
sions 1 à 5 constituent des actes illicites attribuables à la Serbie-et-Monté-
négro qui engagent sa responsabilité internationale et, en conséquence,
a) que la Serbie-et-Monténégro doit immédiatement prendre des mesures
efficaces pour s’acquitter pleinement de l’obligation qui lui incombe,
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, de punir les actes de génocide ou autres actes prohibés par
la convention, de transférer au Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie
32 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 72
les personnes accusées de génocide ou d’autres actes prohibés par la
convention et de coopérer pleinement avec ledit Tribunal;
b) que la Serbie-et-Monténégro doit réparer les conséquences de ses actes
internationalement illicites et que, par suite de la responsabilité inter-
nationale encourue à raison des violations susmentionnées de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
est tenue de payer à la Bosnie-Herzégovine, et cette dernière est fondée
à recevoir, en son nom propre et comme parens patriae, pleine répara-
tion pour le préjudice et les pertes causés. Que, en particulier, la répa-
ration doit couvrir tout préjudice financièrement évaluable correspon-
dant:
i) au préjudice causé à des personnes physiques par les actes énumé-
rés à l’article III de la convention, y compris le préjudice moral
subi par les victimes, leurs héritiers ou leurs ayants droit survivants
et les personnes dont elles ont la charge;
ii) au préjudice matériel causé aux biens de personnes physiques ou
morales, publiques ou privées, par les actes énumérés à l’article III
de la convention;
iii) au préjudice matériel subi par la Bosnie-Herzégovine à raison des
dépenses raisonnablement encourues pour réparer ou atténuer le
préjudice découlant des actes énumérés à l’article III de la conven-
tion;
c) que la nature, la forme et le montant de la réparation seront détermi-
nés par la Cour, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord
à ce sujet dans l’année suivant le prononcé de l’arrêt de la Cour, et que
celle-ci réserve à cet effet la suite de la procédure;
d) que la Serbie-et-Monténégro est tenue de fournir des garanties et assu-
rances spécifiques de non-répétition des faits illicites qui lui sont repro-
chés, les formes de ces garanties et assurances devant être déterminées
par la Cour;
7. Qu’en ne respectant pas les ordonnances en indication de mesures
conservatoires rendues par la Cour le 8 avril 1993 et le 13 septembre 1993,
la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations internationales qui sont les
siennes et est tenue de verser à la Bosnie-Herzégovine, à raison de cette
dernière violation, une indemnisation symbolique dont le montant sera
déterminé par la Cour.»
Au nom du Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro,
à l’audience du 9 mai 2006:
«La Serbie-et-Monténégro prie la Cour de dire et juger:
— que la Cour n’a pas compétence car, au moment pertinent, l’Etat
défendeur n’avait pas accès à la Cour; ou alternativement
— que la Cour n’a pas compétence car l’Etat défendeur n’est jamais
demeuré ni devenu lié par l’article IX de la convention sur la préven-
tion et la répression du crime de génocide et parce qu’il n’existe aucun
autre fondement à la compétence de la Cour.
Si la Cour détermine qu’elle a compétence, la Serbie-et-Monténégro prie la
Cour de dire et juger:
— que les demandes contenues dans les paragraphes 1 à 6 des conclusions
33 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 73
de la Bosnie-Herzégovine concernant les violations alléguées des obli-
gations incombant à l’Etat en application de la convention sur la pré-
vention et la répression du crime de génocide sont rejetées comme non
fondées en droit et en fait;
— en tout état de cause, que les actes et/ou les omissions dont le défen-
deur aurait été responsable ne sont pas imputables au défendeur. Une
telle imputation aurait nécessairement impliqué la violation du droit
applicable dans cette procédure;
— sans préjudice des demandes susvisées, que la réparation accordée à
l’Etat demandeur dans cette procédure, en application d’une interpré-
tation appropriée de la convention sur la prévention et la répression du
crime de génocide, se limite à un jugement déclaratoire;
— ensuite, et sans préjudice des demandes susvisées, qu’aucune question
relative à la responsabilité juridique concernant les violations préten-
dues des ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues
par la Cour les 8 avril 1993 et 13 septembre 1993 n’entre dans la com-
pétence de la Cour, qui ne peut accorder de remèdes appropriés à
l’Etat demandeur dans le contexte de la procédure contentieuse, et
qu’en conséquence la demande contenue dans le paragraphe 7 des
conclusions de la Bosnie-Herzégovine doit être rejetée.»
*
* *
II. IENTIFICATION DE LA PARTIE DÉFENDERESSE
67. La Cour doit d’abord examiner la question de l’identification de la
partie défenderesse en l’espèce. Après la clôture de la procédure orale, le
président de la République de Serbie, par une lettre datée du 3 juin 2006,
a informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies que,
à la suite de la déclaration d’indépendance adoptée par l’Assemblée
nationale du Monténégro le 3 juin 2006, «la République de Serbie assu-
re[rait] la continuité de la qualité de Membre de la communauté étatique
de Serbie-et-Monténégro au sein de l’Organisation des Nations Unies, y
compris au sein de tous les organes et organisations du système des
Nations Unies, en vertu de l’article 60 de la charte constitutionnelle de la
Serbie-et-Monténégro». Il a en outre indiqué que, «au sein de l’Organisa-
tion des Nations Unies, la dénomination «République de Serbie» d[evait]
désormais être utilisée à la place de l’appellation «Serbie-et-Monténé-
gro»», et ajouté que la République de Serbie «conserv[ait] tous les droits
et assum[ait] toutes les obligations de la communauté étatique de Serbie-
et-Monténégro qui découlent de la Charte des Nations Unies».
68. Par une lettre du 16 juin 2006, le ministre des affaires étrangères de
la République de Serbie a notamment informé le Secrétaire général que
«la République de Serbie continu[ait] d’exercer les droits et de respecter
les obligations découlant des traités internationaux conclus par la Serbie-
et-Monténégro», et demandé que «la République de Serbie soit considé-
rée comme partie à tous les accords internationaux en vigueur conclus
par celle-ci». Par une lettre datée du 30 juin 2006 adressée au Secrétaire
34 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 74
général, le ministre des affaires étrangères a confirmé l’intention de la
République de Serbie de continuer d’exercer les droits et de s’acquitter
des obligations découlant des traités internationaux conclus par la Serbie-
et-Monténégro. Il a précisé que «[t]outes les formalités [conventionnelles]
accomplies par la Serbie-et-Monténégro reste[raie]nt en vigueur à l’égard
de la République de Serbie avec effet au 3 juin 2006» et que, «[p]ar
conséquent, la République de Serbie maintiendra[it] toutes les déclara-
tions, réserves et notifications faites par la Serbie-et-Monténégro jusqu’à
notification contraire adressée au Secrétaire général en sa qualité de
dépositaire».
69. Le 28 juin 2006, par sa résolution 60/264, l’Assemblée générale a
admis la République du Monténégro (ci-après dénommée le «Monténé-
gro») en tant que nouveau Membre de l’Organisation des Nations Unies.
70. Par des lettres datées du 19 juillet 2006, le greffier a demandé à
l’agent de la Bosnie-Herzégovine, à l’agent de la Serbie-et-Monténégro et
au ministre des affaires étrangères du Monténégro de faire connaître à la
Cour les vues de leurs gouvernements sur les conséquences que, dans le
contexte de l’affaire, il y aurait lieu d’attacher aux développements sus-
mentionnés. Par une lettre du 26 juillet 2006, l’agent de la Serbie-et-Mon-
ténégro a indiqué que, selon son gouvernement, «il y a[vait] continuité
entre la Serbie-et-Monténégro et la République de Serbie (sur le fonde-
ment de l’article 60 de la charte constitutionnelle de la Serbie-et-Monté-
négro)». Il a fait observer que l’entité qu’avait constituée la Serbie-et-
Monténégro «a[vait] été remplacée par deux Etats distincts, la Serbie
d’une part, le Monténégro d’autre part». Dans cette situation, son gou-
vernement considérait que «c’[était] d’abord au demandeur qu’il incom-
b[ait] de prendre position et de décider s’il souhait[ait] maintenir sa
demande initiale visant à la fois la Serbie et le Monténégro, ou procéder
différemment».
71. Par une lettre au greffier datée du 16 octobre 2006, l’agent de la
Bosnie-Herzégovine s’est référé à la lettre en date du 26 juillet 2006 de
l’agent de la Serbie-et-Monténégro et a fait observer que la définition
donnée d’elle-même par la Serbie comme continuateur de l’ancienne Ser-
bie-et-Monténégro avait été acceptée tant par le Monténégro que par la
communauté internationale. Il a toutefois poursuivi comme suit:
«[C]ette acceptation ne saurait avoir d’effet sur les règles appli-
cables à la responsabilité de l’Etat. Celles-ci ne peuvent évidemment
pas être modifiées de manière bilatérale ou rétroactive. A l’époque
où le génocide a été commis et à celle où la présente instance a été
introduite, la Serbie et le Monténégro constituaient un seul et même
Etat. Par conséquent, la Bosnie-Herzégovine estime que la Serbie et
le Monténégro sont, conjointement et séparément, responsables du
comportement illicite qui est à l’origine de la présente instance.»
72. Par une lettre en date du 29 novembre 2006, le procureur général
du Monténégro, après avoir indiqué qu’il avait capacité pour agir en tant
que représentant légal de la République du Monténégro, s’est référé à la
35 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 75
lettre de l’agent de la Bosnie-Herzégovine en date du 16 octobre 2006,
citée au paragraphe précédent, dans laquelle était soutenue la thèse selon
laquelle «la Serbie et le Monténégro [étaient], conjointement et séparé-
ment, responsables du comportement illicite ... à l’origine de la présente
instance». Le procureur général a affirmé que cette allégation concernait
la responsabilité au regard du droit international de l’Etat souverain du
Monténégro, et que celui-ci considérait qu’il s’agissait là d’une tentative
visant, sans son consentement, à en faire une partie à l’affaire, «c’est-à-
dire à ce qu’il devienne défendeur dans la présente procédure». Le pro-
cureur général a appelé l’attention sur le fait que, à la suite du référen-
dum tenu le 21 mai 2006 au Monténégro, l’Assemblée nationale du
Monténégro avait adopté une décision portant proclamation de l’indé-
pendance de la République du Monténégro. Après avoir indiqué que la
République du Monténégro était devenue «un Etat indépendant doté
d’une personnalité juridique internationale à part entière dans le cadre de
ses frontières administratives existantes», le procureur général a ajouté:
«La question de la succession à la communauté étatique de Ser-
bie-et-Monténégro au regard du droit international est régie par
l’article 60 de la charte constitutionnelle, en vertu duquel le succes-
seur juridique à la communauté étatique de Serbie-et-Monténégro
est la République de Serbie, qui, en tant qu’Etat souverain, est l’Etat
continuateur s’agissant de toutes les obligations internationales et
l’Etat successeur au sein des organisations internationales.»
Le procureur général a conclu en indiquant: «Pour les motifs qui pré-
cèdent, la République du Monténégro ne peut donc pas avoir la qualité
de défendeur» dans le cadre du différend porté devant la Cour.
73. Par une lettre en date du 11 décembre 2006, l’agent de la Serbie
s’est référé aux lettres du demandeur et du Monténégro évoquées aux
paragraphes 71 et 72 ci-dessus, et a fait observer qu’il y avait «une
contradiction manifeste entre la position du demandeur, d’une part, et
celle du Monténégro, d’autre part, s’agissant de la question de savoir si la
présente instance p[ouvait] ou non conduire à une décision susceptible
d’engager la responsabilité internationale du Monténégro» à raison du
comportement illicite invoqué par le demandeur. L’agent a indiqué que
«[l]a Serbie considér[ait] que cette question d[evait] être tranchée par la
Cour».
74. La Cour observe que les faits et événements auxquels se rapportent
les conclusions finales de la Bosnie-Herzégovine remontent à une époque
où la Serbie et le Monténégro formaient un seul Etat.
75. La Cour relève que la Serbie a reconnu la «continuité entre la Ser-
bie-et-Monténégro et la République de Serbie» (paragraphe 70 ci-des-
sus), et a accepté d’assumer la responsabilité à raison «[des] obligations
découlant des traités internationaux conclus par la Serbie-et-Monténé-
gro» (paragraphe 68 ci-dessus), y compris donc les obligations découlant
de la convention sur le génocide. En revanche, le Monténégro ne prétend
pas être le continuateur de la Serbie-et-Monténégro.
36 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 76
76. La Cour rappelle que selon un principe fondamental aucun Etat ne
peut être soumis à sa juridiction sans y avoir consenti; comme la Cour l’a
fait observer dans l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru
(Nauru c. Australie), «[s]a compétence dépend en effet du consentement
des Etats et, par voie de conséquence, elle ne saurait contraindre un Etat
à se présenter devant elle...» (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1992, p. 260, par. 53). Dans son arrêt du 11 juillet 1996 (voir
paragraphe 12 ci-dessus), dont la portée sera précisée ci-après, la Cour a
constaté qu’un tel consentement existait, aux fins de la présente affaire,
de la part de la RFY, qui a pris par la suite la dénomination de Serbie-
et-Monténégro, sans changer pour autant de personnalité juridique. Il
résulte clairement des événements relatés aux paragraphes 67 à 69 ci-des-
sus que la République du Monténégro ne continue pas la personnalité
juridique de la Serbie-et-Monténégro; elle ne saurait donc avoir acquis, à
ce titre, la qualité de partie défenderesse dans la présente instance. Par
ailleurs, il ressort de la lettre du 29 novembre 2006 citée au paragraphe 72
ci-dessus qu’elle ne consent pas à la compétence de la Cour, à son égard,
aux fins du présent différend. En outre, le demandeur n’a pas prétendu,
dans sa lettre du 16 octobre 2006, que le Monténégro serait toujours par-
tie à la présente espèce, se limitant à rappeler sa thèse d’une responsabi-
lité conjointe et solidaire de la Serbie et du Monténégro.
77. La Cour relève donc que la République de Serbie demeure défen-
deresse en l’espèce; à la date du présent arrêt, elle constitue, en vérité,
l’unique défendeur. En conséquence, toute conclusion à laquelle la Cour
parviendrait dans le dispositif du présent arrêt ne pourra être dirigée qu’à
l’endroit de la Serbie.
78. Cela étant dit, il convient toutefois de garder à l’esprit que toute
responsabilité établie dans le présent arrêt à raison d’événements passés
concernait à l’époque considérée l’Etat de Serbie-et-Monténégro.
79. La Cour fait observer que la République du Monténégro est partie
à la convention sur le génocide. Toute partie à celle-ci s’est engagée à res-
pecter les obligations qui en découlent, en particulier celle de coopérer
aux fins de punir les auteurs d’un génocide.
*
* *
III. COMPÉTENCE DE LA C OUR
1) Introduction: l’exception d’incompétence soulevée par
la Serbie-et-Monténégro
80. Malgré l’arrêt rendu en 1996 sur les exceptions préliminaires
d’incompétence (Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 595, ci-après
dénommé «l’arrêt de 1996»), l’affaire étant parvenue au stade de la pro-
cédure orale sur les questions de fond, une question de compétence
importante a été soulevée dans l’Initiative, et la Cour a été priée de la
37 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 77
trancher (voir paragraphes 26-28 ci-dessus). La base de compétence invo-
quée par le demandeur — et retenue par la Cour dans son arrêt de 1996 —
est constituée par l’article IX de la convention sur le génocide. La Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie (dénommée ci-après la
«RFSY») est devenue partie à cette Convention le 29 août 1950. En
substance, la question centrale soulevée à présent par le défendeur est la
suivante: assurait-il la continuité de la RFSY au moment du dépôt de la
requête introductive d’instance? Il répond aujourd’hui par la négative:
ainsi, non seulement n’aurait-il pas été partie à la convention sur le géno-
cide à la date de l’introduction de la présente instance, mais il n’aurait
pas non plus été partie au Statut de la Cour en qualité de Membre de
l’Organisation des Nations Unies; n’étant pas partie au Statut, conclut-il,
il n’avait pas accès à la Cour, laquelle n’avait de ce fait pas compétence
ratione personae à son égard.
81. Dans le cadre de la présente affaire, cet argument a pour la pre-
mière fois été soulevé dans l’«Initiative présentée à la Cour aux fins d’un
réexamen d’office de sa compétence», déposée par le défendeur le
4 mai 2001 (voir plus haut paragraphe 26). Les circonstances à l’origine
de cette Initiative seront examinées plus en détail ci-dessous (para-
graphes 88 à 99). En bref, la situation était la suivante: le défendeur,
qui, depuis la dissolution de la RFSY, en 1992, soutenait qu’il assu-
rait la continuité de cet Etat et pouvait de ce fait conserver la qualité de
Membre de l’Organisation des Nations Unies qui avait été celle de la
RFSY, avait, le 27 octobre 2000, demandé, «comme suite à la réso-
lution 777 (1992) du Conseil de sécurité», à être admis à l’Organisation
en tant que nouveau Membre, renonçant de ce fait à sa précédente
prétention. Le défendeur alléguait qu’il était devenu manifeste, en 2000,
qu’il n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies pendant
la période allant de 1992 à 2000 ni, par conséquent, partie au Statut à la
date du dépôt de la requête en l’affaire, et qu’il n’était pas davantage par-
tie à la convention sur le génocide à cette date. Le défendeur concluait
que la Cour «n’[était] pas compétente ratione personae » à son égard et
priait la Cour de «surseoir à statuer sur le fond tant qu’elle ne se
ser[ait] pas prononcée sur» cette Initiative.
82. Par une lettre datée du 12 juin 2003, le greffier, agissant sur ins-
truction de la Cour, a informé le défendeur que la Cour ne pouvait accé-
der à la demande, formulée dans l’Initiative, tendant à ce que la procé-
dure soit suspendue jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue sur les
questions de compétence soulevées dans ce document. Il lui indiquait
néanmoins que la Cour «ne se prononcera[it] sur le fond de la présente
affaire qu’à condition d’avoir pu établir qu’elle a[vait] compétence» et
que, «si la Serbie-et-Monténégro souhait[ait] présenter à la Cour des
arguments supplémentaires sur les questions de compétence lors de la
procédure orale au fond, elle [était] libre de le faire». Le défendeur a donc
soulevé, à titre de «question de procédure», le point de savoir s’il avait
qualité pour ester devant la Cour à la date du dépôt de la requête, et cha-
38 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 78
cune des Parties a présenté à la Cour ses arguments à cet égard. Dans le
même temps, le demandeur a toutefois fait valoir que la Cour ne pouvait
pas traiter cette question, ou que le défendeur était empêché de la soule-
ver à ce stade de la procédure. Ces thèses seront examinées dans la suite
de l’arrêt.
83. Par la suite, le 15 décembre 2004, la Cour s’est prononcée dans
huit affaires introduites par la Serbie-et-Monténégro contre des Etats
membres de l’OTAN (affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force). Les requêtes introductives d’instance correspondantes avaient été
déposées le 29 avril 1999, autrement dit avant l’admission de la Serbie-
et-Monténégro (alors connue sous le nom de République fédérale de
Yougoslavie) à l’Organisation des Nations Unies, le 1 ernovembre 2000.
La Cour a, dans chacun des cas, dit qu’elle n’avait pas compétence pour
connaître des demandes formulées dans la requête (voir, par exemple,
Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), excep-
tions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 328, par. 129), au motif
que «la Serbie-et-Monténégro n’avait, au moment de l’introduction de
l’instance, qualité pour ester devant la Cour, ni en vertu du paragraphe 1,
ni en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut» (ibid., p. 327,
par. 127). La Cour a, «compte tenu des conséquences juridiques du nou-
vel état de fait existant depuis le 1 novembre 2000», conclu que «la Ser-
bie-et-Monténégro n’était pas membre de l’Organisation des Nations
Unies, ni en cette qualité partie au Statut de la Cour internationale de
Justice, au moment où elle a[vait] déposé sa requête...» (ibid., p. 311,
par. 79). La Cour ne se prononçait nulle part, dans ces arrêts, sur la ques-
tion de savoir si le défendeur était ou non partie à la convention sur le
génocide à la période pertinente.
84. Les deux Parties reconnaissent que chacun de ces arrêts est revêtu
de l’autorité de la chose jugée pour les parties en présence dans l’affaire
concernée; mais elles reconnaissent aussi que, n’ayant pas été rendus en
la présente espèce, et étant adressés à des Etats qui ne sont pas ceux par-
ties à la présente espèce, ces arrêts n’ont pas force de chose jugée aux fins
de la présente instance. Le défendeur a néanmoins invoqué, comme venant
étayer ses arguments en la présente espèce, les décisions rendues dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force quant au statut de la
RFY vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies et de la Cour en 1999.
85. La Bosnie-Herzégovine a plaidé que la Cour, à un stade aussi tar-
dif de la procédure, devrait s’abstenir d’examiner les questions soulevées
par le défendeur quant à la situation de la Serbie-et-Monténégro au
regard de l’article 35 du Statut, d’une part, et de la convention sur le
génocide, d’autre part, au motif que la conduite du défendeur à l’égard de
l’affaire avait conduit à la création d’une sorte de forum prorogatum,ou
d’une situation d’estoppel, ou qu’elle lui interdisait à ce stade de la pro-
cédure de prétendre de bonne foi qu’il n’avait pas qualité pour ester
devant la Cour à la date de l’introduction de l’instance et que les ques-
tions soulevées par le défendeur avaient déjà été tranchées par l’arrêt
de 1996 avec l’autorité de la chose jugée.
39 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 79
86. Avec l’Initiative du défendeur (paragraphe 81 ci-dessus) et la thèse
qu’il a développée par la suite à propos de sa «question de procédure», la
Cour se trouve en présence de ce qui correspond fondamentalement à une
exception d’incompétence — exception de nature préliminaire dans le
sens où, si elle est retenue, la Cour ne tranchera pas le différend au fond.
Le demandeur objecte quant à lui à ce que la Cour examine plus avant
cette exception. Ces points requièrent à l’évidence d’être examinés à titre
préliminaire, et c’est pour cette raison que la Cour a chargé le greffier
d’adresser aux Parties la lettre du 12 juin 2003, à laquelle il est fait réfé-
rence au paragraphe 82 ci-dessus. La lettre visait à indiquer que la Cour
entendrait tout argument soulevé dans l’Initiative qui pourrait lui être
présenté, non qu’elle se prononcerait de telle ou telle façon sur l’un quel-
conque de ces arguments.
87. Afin d’éclaircir le contexte dans lequel s’inscrivent ces questions, la
Cour procédera à un bref récapitulatif de l’histoire des relations entre le
défendeur et l’Organisation des Nations Unies pendant la période allant
de la dissolution de la RFSY, en 1992, à l’admission de la Serbie-et-Mon-
ténégro (alors appelée République fédérale de Yougoslavie) au sein de
l’Organisation des Nations Unies, le 1 ernovembre 2000. Les précédentes
décisions rendues par la Cour dans la présente affaire, ainsi que dans
l’affaire de la Demande en revision, ont été brièvement rappelées plus
haut (paragraphes 4, 8, 12 et 31). Elles seront évoquées plus en détail
dans la suite de l’arrêt (paragraphes 105-113), aux fins, notamment, de
l’examen des thèses de la Bosnie-Herzégovine sur la question de l’autorité
de la chose jugée.
**
2) Historique du statut de la RFY vis-à-vis de l’Organisation
des Nations Unies
88. Au début des années quatre-vingt-dix, la RFSY, Etat Membre ori-
ginaire de l’Organisation des Nations Unies constitué de la Bosnie-
Herzégovine, de la Croatie, de la Macédoine, du Monténégro, de la Serbie
et de la Slovénie, commença à se désintégrer. Le 25 juin 1991, la Croatie
et la Slovénie déclarèrent l’une et l’autre leur indépendance, suivies
par la Macédoine le 17 septembre 1991 et par la Bosnie-Herzégovine le
6 mars 1992. Le 22 mai 1992, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la
Slovénie furent admises en qualité de Membres à l’Organisation des
Nations Unies. Il en fut de même le 8 avril 1993 pour l’ex-République
yougoslave de Macédoine.
89. Le 27 avril 1992, les «participants à la session commune de l’Assem-
blée de la RFSY, de l’Assemblée nationale de la République de Serbie et
de l’Assemblée de la République du Monténégro» avaient adopté une
déclaration, dont les passages les plus pertinents en l’espèce sont les
suivants:
40 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 80
............................
1. La République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité
de l’Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de
la République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera stric-
tement tous les engagements que la République fédérative socialiste
de Yougoslavie a pris à l’échelon international.
.............................
Restant liée par toutes ses obligations vis-à-vis des organisations
et institutions internationales auxquelles elle appartient...»
(Nations Unies, doc. A/46/915, annexe II.)
90. Dans une note officielle de la mission permanente de la Yougo-
slavie auprès de l’Organisation des Nations Unies, datée du 27 avril 1992
et adressée au Secrétaire général de l’Organisation, il fut notamment
indiqué ce qui suit:
«L’Assemblée de la République fédérative socialiste de Yougo-
slavie, à la session qu’elle a tenue le 27 avril 1992, a promulgué la
Constitution de la République fédérale de Yougoslavie. Aux termes
de la Constitution, et compte tenu de la continuité de la personnalité
de la Yougoslavie et des décisions légitimes qu’ont prises la Serbie
et le Monténégro de continuer à vivre ensemble en Yougoslavie, la
République fédérative socialiste de Yougoslavie devient la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie, composée de la République de
Serbie et de la République du Monténégro.
Dans le strict respect de la continuité de la personnalité interna-
tionale de la Yougoslavie, la République fédérale de Yougoslavie
continuera à exercer tous les droits conférés à la République fédéra-
tive socialiste de Yougoslavie et à s’acquitter de toutes les obliga-
tions assumées par cette dernière dans les relations internationales, y
compris en ce qui concerne son appartenance à toutes les organisa-
tions internationales et sa participation à tous les traités internatio-
naux que la Yougoslavie a ratifiés ou auxquels elle a adhéré.»
(Nations Unies, doc. A/46/915, annexe I.)
91. Le 30 mai 1992, le Conseil de sécurité adopta la résolution 757
(1992), dans laquelle, entre autres, il notait: «[L’]affirmation de la Répu-
blique fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) selon laquelle
elle assure automatiquement la continuité de l’ex-République fédérative
socialiste de Yougoslavie comme Membre de l’Organisation des Nations
Unies n’a pas été généralement acceptée».
92. Le 19 septembre 1992, le Conseil de sécurité adopta la résolu-
tion 777 (1992), qui se lit comme suit:
«Le Conseil de sécurité,
Réaffirmant sa résolution 713 (1991) du 25 septembre 1991 et
toutes les résolutions consécutives pertinentes,
41 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 81
Considérant que l’Etat antérieurement connu comme la Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie a cessé d’exister,
Rappelant en particulier sa résolution 757 qui note que «l’affirma-
tion de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monté-
négro), selon laquelle elle assure automatiquement la continuité de
l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie comme
Membre de l’Organisation des Nations Unies n’a pas été générale-
ment acceptée»,
1. Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie
et Monténégro) ne peut pas assurer automatiquement la continuité
de la qualité de Membre de l’ancienne République fédérative socia-
liste de Yougoslavie aux Nations Unies et par conséquent recom-
mande à l’Assemblée générale de décider que la République fédéra-
tive de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une
demande d’adhésion aux Nations Unies et qu’elle ne participera pas
aux travaux de l’Assemblée générale;
2. Décide de reconsidérer la question avant la fin de la partie
principale de la quarante-septième session de l’Assemblée géné-
rale.»
La résolution fut adoptée par 12 voix contre zéro, avec 3 abstentions.
93. Le 22 septembre 1992, l’Assemblée générale adopta sa résolution
47/1, laquelle dispose:
«L’Assemblée générale,
Ayant reçu la recommandation du Conseil de sécurité, en date du
19 septembre 1992, selon laquelle la République fédérative de You-
goslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande
d’admission à l’Organisation des Nations Unies et ne participera pas
aux travaux de l’Assemblée générale,
1. Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie
et Monténégro) ne peut pas assumer automatiquement la [continuité
de la] qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies à la
place de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie
et, par conséquent, décide que la République fédérative de Yougo-
slavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande d’ad-
mission à l’Organisation et qu’elle ne participera pas aux travaux
de l’Assemblée générale;
2. Prend acte de l’intention du Conseil de sécurité de reconsidérer
la question avant la fin de la partie principale de la quarante-sep-
tième session de l’Assemblée générale.»
La résolution fut adoptée par 127 voix contre 6, avec 26 abstentions.
94. Le 25 septembre 1992, les représentants permanents de la Bosnie-
Herzégovine et de la Croatie adressèrent une lettre au Secrétaire général,
dans laquelle, se référant à la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité
42 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 82
et à la résolution 47/1 de l’Assemblée générale, ils exprimaient le point de
vue commun suivant: «Il est actuellement incontestable que la Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie n’est plus membre de l’Orga-
nisation des Nations Unies. D’autre part, il est clair que la République
fédérative de Yougoslavie n’est pas encore membre.» Ils estimaient
en conclusion que «[l]e drapeau flottant en face de l’Organisation
des Nations Unies et la plaque portant le nom «Yougoslavie» ne repré-
sent[aient] plus rien ou plus personne» et priaient le Secrétaire général de
«bien vouloir [leur] donner une explication juridique au sujet des ques-
tions soulevées plus haut» (Nations Unies, doc. A/47/474).
95. En réponse, le Secrétaire général adjoint, conseiller juridique de
l’Organisation, adressa le 29 septembre 1992 aux représentants per-
manents de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie une lettre dans la-
quelle il indiquait que «la position réfléchie du Secrétariat de l’Organisa-
tion des Nations Unies en ce qui concerne les conséquences pratiques
de l’adoption par l’Assemblée générale de la résolution 47/1» était la
suivante:
«Si l’Assemblée générale a déclaré sans équivoque que la Répu-
blique fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne pouvait
pas assurer automatiquement la continuité de la qualité de Membre
de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie à
l’Organisation des Nations Unies et que la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande
d’admission à l’Organisation, l’unique conséquence pratique de cette
résolution est que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne participera pas aux travaux de l’Assemblée géné-
rale. Il est donc clair que les représentants de la République fédéra-
tive de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peuvent plus partici-
per aux travaux de l’Assemblée générale et de ses organes subsidiaires,
ni aux conférences et réunions organisées par celle-ci.
D’un autre côté, la résolution ne met pas fin à l’appartenance de la
Yougoslavie à l’Organisation et ne la suspend pas. En conséquence,
le siège et la plaque portant le nom de la Yougoslavie subsistent, mais
dans les organes de l’Assemblée les représentants de la République
fédérale de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peuvent occu-
per la place réservée à la «Yougoslavie». La mission de la Yougo-
slavie auprès du Siège de l’Organisation des Nations Unies, ainsi que
les bureaux occupés par celle-ci, peuvent poursuivre leurs activités, ils
peuvent recevoir et distribuer des documents. Au Siège, le Secrétariat
continuera de hisser le drapeau de l’ancienne Yougoslavie, car c’est le
dernier drapeau que le Secrétariat ait connu. La résolution n’enlève
pas à la Yougoslavie le droit de participer aux travaux des organes
autres que ceux de l’Assemblée. L’admission à l’Organisation des
Nations Unies d’une nouvelle Yougoslavie, en vertu de l’article 4 de
la Charte, mettra fin à la situation créée par la résolution 47/1.»
(Nations Unies, doc. A/47/485; les italiques sont dans l’original.)
43 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 83
96. Le 29 avril 1993, l’Assemblée générale, suivant la recommandation
figurant dans la résolution 821 (1993) du Conseil de sécurité (formulée en
des termes similaires à ceux de la résolution 777 (1992)), adopta la résolu-
tion 47/229, à l’effet que «la République fédérative de Yougoslavie (Ser-
bie et Monténégro) ne participera[it] pas aux travaux du Conseil écono-
mique et social».
97. Dans ses arrêts rendus en les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force (paragraphe 83 ci-dessus), la Cour a commenté cette
suite d’événements en relevant que «tous ces éléments attestent l’assez
grande confusion et complexité de la situation qui prévalait aux
Nations Unies autour de la question du statut juridique de la République
fédérale de Yougoslavie au sein de l’Organisation pendant cette période»
(exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 308, par. 73); elle
a auparavant, dans un autre contexte, évoqué «la situation sui generis
dans laquelle se trouvait la RFY vis-à-vis de l’Organisation des Nations
Unies» pendant la période 1992-2000 (loc. cit., reprenant C.I.J. Recueil
2003, p. 31, par. 71).
98. Toutefois, en 2000, une nouvelle évolution marqua la fin de cette
situation. Le 24 septembre 2000, M. Koštunica fut élu président de la
RFY. En cette qualité, il adressa le 27 octobre 2000 au Secrétaire général
une lettre demandant l’admission de la RFY à l’Organisation des Nations
Unies dans les termes suivants:
«Après l’évolution démocratique fondamentale qui s’est produite
en République fédérale de Yougoslavie, j’ai l’honneur, en ma qualité
de président, de demander l’admission de la République fédérale de
Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies, comme suite à la
résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité .» (Nations Unies,
doc. A/55/528-S/2000/1043; les italiques sont de la Cour.)
99. Donnant suite à cette demande d’admission de la RFY à l’Orga-
nisation des Nations Unies, le Conseil de sécurité, le 31 octobre 2000,
«[r]ecommand[a] à l’Assemblée générale d’admettre la République fédé-
rale de Yougoslavie en qualité de Membre de l’Organisation des Nations
er
Unies» (Nations Unies, doc. S/RES/1326). Le 1 novembre 2000,
l’Assemblée générale, par sa résolution 55/12, «[a]yant examiné la recom-
mandation du Conseil de sécurité, en date du 31 octobre 2000» et
«[a]yant examiné la demande d’admission présentée par la République
fédérale de Yougoslavie», décida «d’admettre la République fédérale de
Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies».
**
3) La réponse de la Bosnie-Herzégovine
100. La Cour examinera à présent la réponse du demandeur à l’excep-
tion d’incompétence soulevée par le défendeur, c’est-à-dire la thèse avan-
44 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 84
cée par la Bosnie-Herzégovine selon laquelle la Cour ne doit pas exami-
ner la question soulevée par le défendeur dans son Initiative (voir plus
haut paragraphe 81) concernant son statut à la date du dépôt de la
requête introductive d’instance. La Bosnie-Herzégovine soutient tout
d’abord que la question de savoir si la RFY (Serbie et Monténégro) était
Membre de l’Organisation des Nations Unies aurait dû être soulevée par
le défendeur dès le stade des exceptions préliminaires, en 1996, et que,
celui-ci s’en étant abstenu, le principe de l’autorité de la chose jugée, qui
s’applique à l’arrêt de la Cour de 1996 sur ces exceptions, empêche cette
dernière de revenir sur la question. Le demandeur affirme ensuite que la
Cour elle-même, s’étant déclarée en 1996 compétente en l’espèce, violerait
le principe de l’autorité de la chose jugée si elle devait à présent se pro-
noncer autrement, et ne saurait remettre en question l’autorité de ses
décisions en tant que chose jugée.
101. La première affirmation, concernant les conséquences alléguées
du fait que la Serbie n’a pas soulevé la question de l’accès à la Cour au
titre de l’article 35 du Statut dès le stade des exceptions préliminaires,
peut être traitée succinctement. La Bosnie-Herzégovine a affirmé que
faire droit à l’exception du défendeur «signifierait que, après avoir intro-
duit une ou plusieurs exceptions à titre préliminaire, un défendeur pour-
rait encore en soulever d’autres, au mépris de l’efficacité de la justice, du
bon ordre du procès et, en l’espèce, de l’autorité de la chose jugée». Il
convient pourtant de noter que si une partie à une instance devant la
Cour choisit de ne pas soulever une question de compétence en usant de
la procédure des exceptions préliminaires détaillée à l’article 79 du Règle-
ment, cette partie n’en est pas pour autant nécessairement privée du droit
de soulever cette question au stade de l’examen du fond. Comme la Cour
l’a indiqué en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique
c. Etats-Unis d’Amérique) :
«Il est certes des circonstances dans lesquelles la partie qui s’abs-
tient de soulever une exception d’incompétence pourrait être consi-
dérée comme ayant accepté cette compétence (Appel concernant la
compétence du Conseil de l’OACI, arrêt, C.I.J. Recueil 1972 ,p.52,
par. 13). Mais hors de cette hypothèse, une partie qui n’use pas de la
procédure prévue à l’article 79 perd sans doute le droit d’obtenir la
suspension de la procédure sur le fond, mais n’en peut pas moins
faire valoir cette exception en même temps que ses arguments au
fond.» (Arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 29, par. 24.)
Ce premier argument de la Bosnie-Herzégovine doit donc être compris
comme une affirmation selon laquelle le défendeur, par son comporte-
ment relativement à l’instance, c’est-à-dire, notamment, faute d’avoir, à
un stade antérieur de celle-ci, soulevé la question de l’application de
l’article 35 du Statut, au moyen d’une exception préliminaire ou autre-
ment, doit être réputé avoir accepté la compétence de la Cour. Cet argu-
ment de la Bosnie-Herzégovine est à mettre ainsi en parallèle avec son
argument cité plus haut (paragraphe 85), selon lequel le défendeur serait
45 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 85
privé du droit de demander à la Cour d’examiner cette question — tant
pour des raisons de bonne foi que par estoppel ou application du principe
allegans contraria nemo audietur .
102. La Cour ne juge cependant pas nécessaire de se demander ici si le
comportement du défendeur pourrait être interprété comme valant
acquiescement à sa compétence. Pareil acquiescement, s’il était établi,
pourrait se révéler pertinent aux fins de rechercher l’existence d’une com-
pétence consensuelle, et en particulier d’une compétence ratione materiae
en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide, mais pas aux fins
de savoir si un Etat a la capacité d’être partie à une procédure devant la
Cour en vertu du Statut.
Cette dernière question peut être considérée comme une question préa-
lable à celle de la compétence ratione personae, ou comme un élément
constitutif de la compétence ratione personae. Dans un cas comme dans
l’autre, à la différence de la plupart des questions de compétence, ce n’est
pas du consentement des parties qu’il s’agit ici: comme la Cour l’a
observé dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ,
«il y a lieu d’établir une distinction entre une question de compé-
tence liée au consentement d’une partie et celle du droit d’une partie
à ester devant la Cour conformément aux prescriptions du Statut,
qui n’implique pas un tel consentement. La question qui se pose est
celle de savoir si, en droit, au moment où elle a introduit les pré-
sentes instances, la Serbie-et-Monténégro était habilitée à saisir la
Cour en tant que partie au Statut. Cette question étant indépendante
des vues ou des souhaits des Parties, la Cour ne serait pas, quand
bien même les Parties partageraient à présent le même point de vue
à cet égard, tenue pour autant de considérer ce dernier comme
nécessairement exact. Ainsi la Cour se doit-elle d’examiner la ques-
tion pour tirer ses propres conclusions indépendamment du consen-
tement des parties, ce qui n’est en aucun cas incompatible avec le
principe selon lequel la compétence de la Cour est subordonnée à un
tel consentement.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monté-
négro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2004, p. 295, par. 36; les italiques sont dans l’original.)
103. Dès lors, quand bien même le défendeur pourrait être considéré
comme ayant accepté, en la présente espèce, la compétence de la Cour,
celle-ci n’en serait en aucune façon empêchée d’examiner et de trancher la
question susmentionnée. Le même raisonnement vaut pour l’argument
selon lequel le défendeur se trouverait, soit par application du principe
d’estoppel, soit pour des considérations de bonne foi, privé de la possibi-
lité de soulever la question à ce stade. Toutes ces considérations, au bout
du compte, ne reviennent qu’à prêter au défendeur une acceptation impli-
cite, ou un consentement présumé, quant à la compétence de la Cour; or,
ainsi que cela a été exposé plus haut, le consentement ad hoc d’une partie
est distinct de la question de la capacité à ester devant la Cour.
104. Pourtant, la deuxième thèse avancée par la Bosnie-Herzégovine
46 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 86
consiste à affirmer que, objectivement et indépendamment de tout effet
du comportement du défendeur, la question de l’application de l’ar-
ticle 35 du Statut en la présente espèce a déjà été tranchée avec l’autorité
de la chose jugée et que si la Cour devait revenir sur sa décision de 1996
concernant la compétence, elle manquerait à des règles de droit fonda-
mentales. Pour apprécier la validité de cette thèse, la Cour examinera
tout d’abord les décisions dans lesquelles elle a eu, en la présente espèce,
à se prononcer sur sa compétence, ou plus précisément sur la question de
la capacité de la Serbie-et-Monténégro à se présenter devant la Cour.
**
4) Précédentes décisions de la Cour revêtant une pertinence en l’espèce
105. Le 8 avril 1993, la Cour a rendu en la présente espèce une ordon-
nance indiquant certaines mesures conservatoires. Dans cette ordon-
nance, la Cour a brièvement examiné les circonstances de l’éclatement de
la RFSY et la prétention du défendeur (qui portait alors l’appellation de
«Yougoslavie (Serbie et Monténégro)») à assurer la continuité de cet
Etat, et, à ce titre, à assurer la continuité de la qualité de Membre de
l’Organisation des Nations Unies. Elle a relevé que «la solution adoptée
ne laiss[ait] pas de susciter des difficultés juridiques», mais a conclu que
«la Cour n’a[vait] pas à statuer définitivement [à ce] stade[-là] ... de la pro-
cédure sur la question de savoir si la Yougoslavie [était] ou non membre
de l’Organisation des Nations Unies et, à ce titre, partie au Statut de la
Cour» (Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Mon-
ténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J.
Recueil 1993, p. 14, par. 18). Cette conclusion reposait en partie sur une
position adoptée à titre provisoire par la Cour quant à l’effet de la dis-
position contenue au paragraphe 2 de l’article 35 du Statut (ibid., par. 19).
L’ordonnance contenait la réserve, usuelle dans des ordonnances indi-
quant des mesures conservatoires, «qu’une décision rendue en la présente
procédure ne préjuge[ait] en rien la compétence de la Cour pour connaî-
tre du fond de l’affaire ... et qu’elle laiss[ait] intact le droit du Gou-
vernement de la Bosnie-Herzégovine et du Gouvernement de la Yougo-
slavie de faire valoir leurs moyens en ce[tte] matièr[e]» (ibid.,p .,
par. 51). Il est donc évident qu’aucune question concernant l’autorité
de la chose jugée ne se pose par rapport à l’ordonnance du 8 avril 1993.
Une autre ordonnance indiquant des mesures conservatoires a été rendue
le 13 septembre 1993, mais elle ne contenait aucun élément pertinent
à l’égard de la présente question.
106. En 1995, le défendeur a soulevé sept exceptions préliminaires
(dont l’une a été ultérieurement retirée); trois d’entre elles invitaient la
Cour à conclure qu’elle n’était pas compétente en l’espèce. Pourtant,
aucune de ces exceptions ne reposait sur la thèse selon laquelle la RFY
n’aurait pas été partie au Statut au moment du dépôt de la requête; il ne
s’agissait pas là d’une thèse formulée expressément au stade des excep-
47 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 87
tions préliminaires. A l’époque de cette procédure, la RFY persistait dans
sa prétention à assurer la continuité de la qualité de Membre de l’Orga-
nisation des Nations Unies de l’ex-RFSY; cette prétention fut contestée
par un certain nombre d’Etats, mais la position adoptée par les divers
organes déboucha sur une situation de «confusion et [de] ... complexité ...
[au sein] des Nations Unies» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-
Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2004, p. 308, par. 73). Aucune Partie ne souleva la question devant la
Cour: d’un côté, la Bosnie-Herzégovine, en tant que demandeur, tout en
niant que la RFY fût Membre de l’Organisation des Nations Unies en
qualité de continuateur de la RFSY, assurait devant la Cour que la RFY
était malgré tout partie au Statut, soit en vertu du paragraphe 2 de l’arti-
cle 35 du Statut, soit sur la base de la déclaration du 27 avril 1992 (voir
paragraphes 89 et 90 ci-dessus); de l’autre, pour la RFY, soulever la
question aurait affaibli sa prétention à assurer la continuité de la RFSY —
ou l’aurait conduite à l’abandonner —, prétention qui justifiait la conti-
nuité de sa qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies.
107. Dans son arrêt de 1996, la Cour a rejeté les exceptions prélimi-
naires du défendeur et dit «qu’elle a[vait] compétence, sur la base de
l’article IX de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, pour statuer sur le différend» (Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzé-
govine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1996 (II), p. 623, par. 47, point 2), al. a)). Elle a aussi conclu à la rece-
vabilité de la requête et déclaré que «la Cour [pouvait] désormais procé-
der à l’examen du fond de l’affaire...» (ibid., p. 622, par. 46).
108. Cependant, le 24 avril 2001, la Serbie-et-Monténégro (qui portait
alors l’appellation de «République fédérale de Yougoslavie») a déposé,
en vertu de l’article 61 du Statut, une requête en revision de l’arrêt rendu
en 1996 dans la présente espèce. La disposition invoquée indique qu’il
doit exister «un fait de nature à exercer une influence décisive et qui,
avant le prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour...». Dans sa
requête, la RFY affirmait qu’il
«[était] incontestable que l’admission de la RFY à l’Organisation des
Nations Unies le 1 er novembre 2000 en tant que nouvel Etat
Membre constitu[ait] un fait nouveau...
.............................
L’admission de la RFY à l’Organisation des Nations Unies en
tant que nouveau Membre [levait] les ambiguïtés et jet[ait] un nouvel
éclairage sur sa qualité de Membre de l’Organisation des
Nations Unies et de partie au Statut et à la convention sur le géno-
cide.» (Demande en revision, C.I.J. Recueil 2003 , p. 12, par. 18.)
En substance, la RFY affirmait que son admission à l’Organisation des
Nations Unies en 2000 laissait nécessairement entendre qu’elle n’était pas
membre de l’Organisation ni donc partie au Statut en 1993, date d’intro-
48 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 88
duction de la présente instance, si bien que la Cour n’aurait pas été com-
pétente pour connaître de l’affaire.
109. L’histoire des relations entre la RFY et l’Organisation des Nations
Unies, de l’éclatement de la RFSY en 1991-1992 à l’admission de la RFY
en tant que nouveau Membre en 2000, a été brièvement récapitulée aux
paragraphes 88 à 99. Cet historique a été examiné en détail plus d’une
fois, dans le contexte de la demande en revision visée au paragraphe 108,
ainsi que dans celui des arrêts rendus par la Cour en 2004 dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force . Dans son arrêt du
3 février 2003 relatif à la demande en revision, la Cour a soigneusement
étudié ces relations; elle a aussi rappelé les termes de son arrêt de 1996,
dans lequel elle s’était déclarée compétente. La Cour a relevé que
«la RFY affirme que les faits qui existaient au moment du prononcé
de l’arrêt de 1996 et sur la découverte desquels se fonde sa demande
en revision de l’arrêt en question étaient que «la RFY n’était pas
partie au Statut et ... ne demeurait pas liée par la convention sur le
génocide en assurant la continuité de la personnalité de l’ex-Yougo-
slavie». Elle soutient que ces «faits» ont été «révéers» par son
admission à l’Organisation des Nations Unies le 1 novembre 2000
ainsi que par [une] lettre du conseiller juridique [de l’Organisation
des Nations Unies] en date du 8 décembre 2000.
.............................
Aussi bien, la RFY, dans le dernier état de son argumentation,
prétend-elle que son admission à l’Organisation des Nations Unies et
la lettre du conseiller juridique du 8 décembre 2000 auraient sim-
plement «révélé» deux faits existant dès 1996, mais inconnus à
l’époque, à savoir qu’elle n’était pas alors partie au Statut de la
Cour et n’était pas liée par la convention sur le génocide.» (C.I.J.
Recueil 2003, p. 30, par. 66 et 69.)
110. La Cour n’a pas estimé que l’admission de la RFY en tant que
Membre serait en soi un «fait nouveau», au motif que ladite admission
avait eu lieu après la date de l’arrêt dont la revision était demandée (ibid.,
par. 68). Pour ce qui est de l’argument selon lequel les faits susceptibles
de justifier une demande en revision auraient été «révélés» par les événe-
ments de 2000, la Cour s’est prononcée comme suit:
«[En avançant cet argument], la RFY ne se prévaut cependant pas
de faits existant en 1996. Elle fonde en réalité sa requête en revision
sur les conséquences juridiques qu’elle entend tirer de faits posté-
rieurs à l’arrêt dont la revision est demandée. Ces conséquences, à les
supposer établies, ne sauraient être regardées comme des faits au
sens de l’article 61. L’argumentation de la RFY ne peut par suite
être retenue.» (Ibid., p. 30-31, par. 69.)
111. La Cour a par conséquent conclu à l’irrecevabilité de la requête
en revision. En revanche, comme elle l’a relevé dans les affaires relatives
49 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 89
àlaLicéité de l’emploi de la force , elle n’a pas, dans son arrêt relatif à la
demande en revision,
«considéré les «faits décisifs» allégués par la Serbie-et-Monténégro
comme des «faits existant en 1996» aux fins de l’article 61. Elle n’a
donc pas eu à se prononcer sur la question de savoir si des «consé-
quences juridiques» pouvaient bien être inférées des faits posté-
rieurs; en d’autres termes, la Cour n’a pas été appelée à dire s’il était
exact que la Serbie-et-Monténégro n’était pas partie au Statut ou à
la convention sur le génocide en 1996.» (Licéité de l’emploi de la
force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 313, par. 87.)
112. Dans un autre paragraphe de l’arrêt rendu en 2003 sur la demande
en revision de l’arrêt de 1996, la Cour a déclaré:
«Il découle de ce qui précède qu’il n’a pas été établi que la requête
de la RFY reposerait sur la découverte «d’un fait» qui, «avant le
prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour et de la Partie qui
demande la revision». La Cour en conclut que l’une des conditions
de recevabilité d’une demande en revision prescrites au paragraphe 1
de l’article 61 du Statut n’est pas satisfaite.» (C.I.J. Recueil 2003,
p. 31, par. 72.)
Dans ses décisions rendues en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force, la Cour est revenue sur cette conclusion:
«La Cour a donc clairement exprimé sa position, à savoir qu’une
modification rétroactive de la situation, constituant un fait nouveau,
ne pouvait avoir eu lieu en 2000, et que les conditions énoncées à
l’article 61 n’étaient donc pas satisfaites. Cela n’emportait, toutefois,
aucune conclusion de la Cour, dans la procédure en revision, quant
à ce qu’était la situation en réalité.» (Exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, p. 314, par. 89.)
113. Aux fins de la présente affaire, il ne fait donc aucun doute que
l’arrêt de 2003 sur la demande en revision formée par la RFY, bien qu’il
lie les parties et qu’il soit définitif et non susceptible de recours, ne
contient aucune conclusion quant à la question de savoir si cet Etat était
ou non Membre de l’Organisation des Nations Unies en 1993. La ques-
tion du statut de la RFY en 1993 ne figurait pas parmi celles que la Cour
a tranchées en rejetant cette demande.
**
5) Principe de l’autorité de la chose jugée
114. La Cour examinera à présent le principe de l’autorité de la chose
jugée et son application à l’arrêt rendu en 1996 en l’espèce. Le demandeur
affirme que l’arrêt de 1996, par lequel la Cour a déclaré qu’elle avait com-
50 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 90
pétence en vertu de la convention sur le génocide, «est revêtu de l’auto-
rité de la chose jugée et n’est susceptible d’aucun recours» et que «toute
décision par laquelle la Cour reviendrait sur la décision prise en 1996 ...
serait incompatible tant avec le principe res judicata qu’avec les ar-
ticles 59, 60 et 61 du Statut». Il soutient que, au même titre que ses arrêts
sur le fond, «[l]es décisions [de la Cour] en matière de compétence sont
res judicata ». Il fait en outre observer que, conformément à l’article 60
du Statut, l’arrêt rendu par la Cour en 1996 est «définitif et sans recours»,
sous la seule réserve d’une éventuelle demande en interprétation ou en
revision; or, la demande en revision de la RFY a été rejetée par la Cour
dans son arrêt du 3 février 2003. Pour sa part, le défendeur affirme que la
compétence, une fois confirmée, peut être remise en question par de nou-
velles exceptions, estimant que cela n’est contraire ni au principe de
l’autorité de la chose jugée ni au libellé de l’article 79 du Règlement de la
Cour. Il souligne «le droit et l’obligation pour la Cour [de procéder]
d’office» à l’examen de sa compétence, mentionnés en l’affaire de l’Appel
concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan) (voir
paragraphe 118 ci-dessous), et soutient que la Cour ne saurait être répu-
tée «avoir renoncé» à un tel droit pour ne pas avoir soulevé d’office cette
question lors de la phase des exceptions préliminaires.
115. Il n’existe pas de désaccord entre les Parties quant à l’existence du
principe de l’autorité de la chose jugée, même si elles l’interprètent diffé-
remment lorsqu’il s’agit d’arrêts tranchant des questions de compétence.
Le caractère fondamental de ce principe ressort des termes du Statut de la
Cour et de la Charte des Nations Unies. La pratique judiciaire de la Cour
en reflète les caractéristiques et objectifs sous-jacents. Selon ce principe,
les décisions de la Cour sont non seulement obligatoires pour les parties,
mais elles sont définitives, en ce sens qu’elles ne peuvent être remises en
cause par les parties pour ce qui est des questions que ces décisions ont
tranchées, en dehors des procédures spécialement prévues à cet effet, qui
présentent un caractère exceptionnel. L’article 59 du Statut, en dépit de
sa formulation négative, a pour élément central la proposition positive
selon laquelle la décision de la Cour est obligatoire pour les parties dans
l’affaire qui a été tranchée. L’article 60 du Statut dispose que l’arrêt est
définitif et sans recours; l’article 61 assortit la faculté des parties de
demander la revision de l’arrêt de strictes conditions de fond et de délais.
La Cour a mis l’accent sur ces conditions en 2003, lorsqu’elle a jugé irre-
cevable la demande en revision de l’arrêt de 1996 présentée par la Serbie-
et-Monténégro en l’affaire de la Demande en revision (C.I.J. Recueil 2003,
p. 12, par. 17).
116. Le principe de l’autorité de la chose jugée répond, tant dans
l’ordre international que dans l’ordre interne, à deux objectifs, l’un géné-
ral, l’autre particulier. Premièrement, la stabilité des relations juridiques
exige qu’il soit mis un terme au différend considéré. La fonction de la
Cour est, selon l’article 38 du Statut, de «régler» les «différends qui lui
sont soumis», c’est-à-dire d’y mettre un terme. Deuxièmement, il est dans
l’intérêt de chacune des parties qu’une affaire qui a d’ores et déjà été tran-
51 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 91
chée en sa faveur ne soit pas rouverte. L’article 60 du Statut explicite ce
caractère définitif des arrêts. Priver une partie du bénéfice d’un arrêt
rendu en sa faveur doit, de manière générale, être considéré comme
contraire aux principes auxquels obéit le règlement judiciaire des diffé-
rends.
117. Le défendeur avance cependant qu’une distinction peut être opé-
rée entre l’application du principe de l’autorité de la chose jugée aux
arrêts portant sur le fond d’une affaire et son application aux arrêts dans
lesquels la Cour se prononce sur sa compétence en réponse à des excep-
tions préliminaires; le défendeur affirme en particulier que «[l]es déci-
sions sur les exceptions préliminaires n’ont et ne peuvent pas avoir les
mêmes conséquences que les décisions sur le fond». La Cour fera toute-
fois observer que, conformément au paragraphe 6 de l’article 36 du Sta-
tut, les questions de compétence sont tranchées par un arrêt, et que l’ar-
ticle 60 du Statut dispose que «[l’]arrêt est définitif et sans recours», sans
opérer de distinction entre les arrêts relatifs à la compétence ou à la rece-
vabilité et les arrêts portant sur le fond. Dans sa décision du 25 mars 1999
sur la demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de
la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Came-
roun c. Nigéria), la Cour a expressément indiqué que l’arrêt de 1998, qui
portait sur un certain nombre d’exceptions préliminaires d’incompétence
et d’irrecevabilité, était revêtu de l’autorité de la chose jugée, de sorte
qu’elle ne pouvait pas connaître d’une demande appelant une conclusion
qui ne serait pas cohérente avec cet arrêt (C.I.J. Recueil 1999 (I), arrêt,
p. 39, par. 16). De même, dans son arrêt du 3 février 2003 en l’affaire de
la Demande en revision, la Cour, en commençant par se demander si les
conditions d’ouverture de la procédure en revision énoncées à l’article 61
du Statut étaient réunies, a indubitablement admis qu’un arrêt portant
sur les exceptions préliminaires pouvait faire l’objet d’une demande en
revision — ce qui supposait nécessairement qu’elle admettait le caractère
«définitif et sans recours» d’un tel arrêt. En outre, selon la thèse avancée
par le défendeur, le principe de l’autorité de la chose jugée n’interdirait
pas de remettre indéfiniment en question un arrêt rejetant une exception
préliminaire, alors qu’un arrêt retenant une telle exception, et mettant fin
à l’affaire, serait par nature définitif et irrévocable à l’égard de cette
affaire.
118. La Cour rappelle que, ainsi qu’elle l’a déclaré en l’affaire de
l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakis-
tan), elle «n’en doit pas moins toujours s’assurer de sa compétence et ...
doit, s’il y a lieu, l’examiner d’office» (arrêt, C.I.J. Recueil 1972 ,p.52,
par. 13). Cette décision, replacée dans son contexte (une affaire dans
laquelle il n’était pas question de remettre en cause une décision anté-
rieure de la Cour), ne confirme pas la thèse du défendeur. Elle ne signifie
pas que les décisions portant sur la compétence peuvent être indéfiniment
réexaminées, ni que la Cour peut, d’office ou autrement, rouvrir des ques-
tions qui ont déjà été tranchées avec l’autorité de la chose jugée. Le
défendeur soutient qu’il existe un principe selon lequel «un tribunal inter-
52 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 92
national peut examiner ou réexaminer la question de sa compétence
quelle que soit la phase de la procédure». Il invoque à cet égard le dictum
précité tiré de l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de
l’OACI (Inde c. Pakistan) , ainsi que l’affaire du Détroit de Corfou
(Royaume-Uni c. Albanie) . Il est exact que, lors de l’examen au fond de
cette affaire, la Cour, alors qu’elle avait, dans la première phase de celle-
ci, rejeté l’exception préliminaire d’incompétence soulevée par l’Albanie
et jugé que l’instance au fond devait se poursuivre (exception prélimi-
naire, arrêt, C.I.J. Recueil 1947-1948 , p. 15), examina et trancha une
exception d’incompétence concernant notamment la question de savoir si
elle avait compétence pour déterminer la réparation (fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1949, p. 23-26; 171). Cependant, aucun réexamen, par la
Cour, de l’arrêt qu’elle avait rendu ne s’ensuivit, pour la raison que,
conformément à celui-ci, les Parties avaient conclu un compromis par
lequel était notamment soumise à la Cour la question de la réparation.
L’exception d’incompétence soulevée par la suite ne concernait que l’éten-
due de la compétence découlant de ce dernier compromis.
119. Le défendeur invoque également certaines conventions internatio-
nales et les règlements d’autres juridictions internationales. Il est vrai que
la Cour européenne des droits de l’homme peut, à tout stade de la procé-
dure, rejeter une requête qu’elle considère comme irrecevable et que la
Cour pénale internationale peut, dans des circonstances exceptionnelles,
permettre qu’une exception soit soulevée à la recevabilité d’une affaire ou
à sa compétence après l’ouverture du procès. Toutefois, cette faculté pré-
vue par les instruments régissant certaines autres juridictions correspond à
leurs procédures particulières en matière de recevabilité, qui ne sont pas les
mêmes que les procédures de la Cour relatives à la compétence; elle ne cor-
robore donc pas la thèse selon laquelle il existerait un principe général
s’appliquant à la Cour, dont le Statut non seulement ne contient aucune
disposition de ce genre, mais énonce à son article 60 le principe de l’auto-
rité de la chose jugée sans l’assortir d’aucune exception. Le défendeur cite
également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
ainsi qu’une décision du Tribunal arbitral mixte germano-polonais (affaire
von Tiedemann); selon la Cour, cependant, ces décisions, qui sont fondées
sur des faits particuliers et tiennent à la nature des juridictions concernées,
ne permettent pas non plus de conclure à l’existence d’un principe suffi-
samment général et ayant assez de poids pour prévaloir sur les dispositions
claires du Statut de la Cour et sur le principe de l’autorité de la chose jugée.
120. Cela ne signifie cependant pas que, si une partie à une affaire
estime que se sont fait jour, postérieurement à la décision de la Cour, des
éléments de nature à faire apparaître que les conclusions auxquelles
celle-ci était parvenue pourraient avoir reposé sur des faits erronés ou
insuffisants, cette décision doive garder son caractère définitif, alors
même qu’elle serait en contradiction manifeste avec la réalité. Le Statut
prévoit, à cette fin, une seule procédure: celle de l’article 61, qui ouvre
la possibilité de la revision d’un arrêt aux conditions énumérées dans
cet article, lesquelles doivent, dans l’intérêt de la stabilité des relations
53 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 93
juridiques, être appliquées strictement. Ainsi qu’il a été rappelé plus
haut (paragraphe 110), la demande en revision de l’arrêt de 1996 présen-
tée par la RFY a été rejetée, car elle ne satisfaisait pas aux conditions
énumérées à l’article 61. Sous la seule réserve de cette possibilité de
revision, le principe applicable est celui de la res judicata pro veritate
habetur, ce qui signifie que les conclusions d’un arrêt doivent, aux fins
de l’affaire et entre les parties, être considérées comme exactes, et ne
sauraient être remises en question au motif que des événements posté-
rieurs feraient planer sur elles des doutes.
**
6) Application du principe de l’autorité de la chose jugée à l’arrêt
de 1996
121. Au vu de ces considérations, la Cour reviendra sur la portée et le
sens de l’arrêt de 1996. S’agissant de la compétence, cet arrêt portait pour
l’essentiel sur la question de savoir si elle pouvait être établie en vertu de
la convention sur le génocide. Il tranchait notamment certaines questions
qui avaient été soulevées quant au statut de la Bosnie-Herzégovine au
regard de la Convention; en ce qui concerne la RFY, l’arrêt indiquait
simplement ce qui suit:
«[L’]ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie ... a signé
la convention sur le génocide le 11 décembre 1948 et a déposé son
instrument de ratification, sans réserves, le 29 août 1950. Lors de la
proclamation de la République fédérative de Yougoslavie, le 27 avril
1992, une déclaration formelle a été adoptée en son nom, aux termes
de laquelle:
«La République fédérative de Yougoslavie, assurant la conti-
nuité de l’Etat et de la personnalité juridique et politique interna-
tionale de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, res-
pectera strictement tous les engagements que la République
fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon internatio-
nal.»
L’intention ainsi exprimée par la Yougoslavie de demeurer liée par
les traités internationaux auxquels était partie l’ex-Yougoslavie a été
confirmée dans une note officielle du 27 avril 1992 adressée au Secré-
taire général par la mission permanente de la Yougoslavie auprès des
Nations Unies. La Cour observe en outre qu’il n’a pas été contesté
que la Yougoslavie soit partie à la convention sur le génocide. Ainsi,
la Yougoslavie était liée par les dispositions de la convention à la
date du dépôt de la requête en la présente affaire, le 20 mars 1993.»
(Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 610, par. 17.)
54 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 94
122. Rien n’était dit dans l’arrêt de 1996 sur le statut de la RFY vis-
à-vis de l’Organisation des Nations Unies, ni sur la question de sa capa-
cité à participer à une procédure devant la Cour; pour les raisons déjà
mentionnées ci-dessus (paragraphe 106), les deux Parties s’étaient abste-
nues de solliciter une décision sur ces questions. La Cour juge toutefois
nécessaire de souligner que la question de savoir si un Etat a qualité pour
se présenter devant elle conformément aux dispositions du Statut — que
l’on y voie une question de capacité à être partie à la procédure ou un
aspect de la compétence ratione personae — passe avant celle de la com-
pétence ratione materiae, c’est-à-dire avant celle de savoir si cet Etat a
consenti à ce que la Cour règle le différend particulier porté devant elle.
C’est, par ailleurs, une question que la Cour elle-même est tenue, si
besoin est, de soulever et d’examiner d’office, le cas échéant après notifi-
cation aux parties. Il en résulte que si la Cour estime, dans une affaire
particulière, que les conditions relatives à la capacité des parties à se pré-
senter devant elle ne sont pas remplies, alors que les conditions de sa
compétence ratione materiae le sont, elle doit, quand bien même cette
question n’aurait pas été soulevée par les parties, constater que les pre-
mières conditions font défaut et en déduire qu’elle ne saurait, pour cette
raison, avoir compétence pour statuer sur le fond du différend.
123. Le dispositif des arrêts de la Cour est revêtu de l’autorité de la
chose jugée. Dans le dispositif de son arrêt rendu en 1996, la Cour a dit,
au paragraphe 47, point 2), alinéa a), «qu’elle a[vait] compétence, sur la
base de l’article IX de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, pour statuer sur le différend». Cette compétence
est donc établie avec toute l’autorité juridictionnelle de la Cour. Qu’une
partie affirme aujourd’hui que, à l’époque où l’arrêt a été rendu, la Cour
n’avait pas compétence pour statuer au motif qu’il apparaîtrait à présent
que l’une des parties n’avait pas qualité pour se présenter devant elle
revient, pour la raison exposée au paragraphe précédent, à remettre en
cause la force de chose jugée du dispositif de l’arrêt. A première vue, la
Cour n’a donc pas besoin d’examiner l’exception d’incompétence que le
défendeur tire de ce que, en 1993, il n’aurait pas eu qualité pour se pré-
senter devant la Cour.
124. Cependant, le défendeur a avancé un certain nombre d’arguments
tendant à démontrer que l’arrêt de 1996 n’était pas définitif à cet égard, et
la Cour va maintenant les examiner. Le passage de l’arrêt de 1996 qui
vient d’être cité n’est évidemment pas le seul élément du dispositif: en
effet, ainsi que le demandeur l’a relevé, la Cour a tout d’abord rejeté suc-
cessivement les exceptions préliminaires spécifiques soulevées (et non reti-
rées) par le défendeur; elle est ensuite parvenue à la conclusion citée au
paragraphe 123 ci-dessus; elle a enfin rejeté certaines bases supplémen-
taires de compétence invoquées par le demandeur. Le défendeur estime
que, pour appliquer le principe de l’autorité de la chose jugée à un arrêt
de cette nature — rendu sur des exceptions préliminaires —, la partie du
dispositif dont il doit être tenu compte et qui doit être considérée comme
revêtue de l’autorité de la chose jugée est la décision rejetant des excep-
55 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 95
tions préliminaires spécifiques, et non celle «confirm[ant] de manière très
large la compétence». Le défendeur appelle l’attention sur les disposi-
tions du paragraphe 7 de l’article 79 du Règlement de 1978, lesquelles
prévoient que, dans un arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour se
prononce sur chacune d’entre elles et «[la] retient..., la rejette ou déclare
qu’[elle] n’a pas dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusive-
ment préliminaire». Le défendeur estime donc que, dans un arrêt sur les
exceptions préliminaires, seules les parties du dispositif portant sur les-
dites exceptions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée, ce qui,
soutient-il, est conforme à l’idée que de nouvelles exceptions peuvent
être soulevées ultérieurement.
125. La Cour ne considère cependant pas que l’article 79 de son Règle-
ment ait pour objet de limiter la portée de l’autorité de la chose jugée qui
s’attache à un arrêt sur les exceptions préliminaires, pas plus qu’elle ne
considère que, dans un tel arrêt, cette autorité soit nécessairement limitée
aux parties du dispositif par lesquelles sont expressément rejetées des
exceptions. Sa jurisprudence abonde en exemples de décisions sur les
exceptions préliminaires concluant de manière générale à la compétence
de la Cour ou à la recevabilité de la requête, selon le cas, et il serait exces-
sif de supposer que toutes ces conclusions sont nécessairement superflues.
De l’avis de la Cour, si une question se pose quant à la portée de l’auto-
rité de la chose jugée qui s’attache à un arrêt, elle doit être tranchée
compte tenu du contexte dans lequel l’arrêt a été rendu (cf. Demande en
revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du
Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jama-
hiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985 , p. 218-219, par. 48).
126. A cette fin, dans le cas d’un arrêt particulier, il peut se révéler
nécessaire d’opérer une distinction entre, premièrement, les questions qui
ont été tranchées, le cas échéant implicitement, avec force de chose jugée;
deuxièmement, les questions accessoires ou subsidiaires, ou obiter dicta ;
troisièmement, celles qui n’ont pas été tranchées du tout. Ainsi, dans une
demande en interprétation d’un arrêt présentée en vertu de l’article 60 du
Statut, il peut fort bien être demandé à la Cour de régler «[u]ne diver-
gence de vues [entre les parties sur la question de savoir] si tel ou tel point
a été décidé avec force obligatoire» (Interprétation des arrêts n os 7et8
(Usine de Chorzów), arrêt n o 11, 1927, C.P.J.I. série A n o13, p. 11). Si
un point n’a en fait pas été tranché, ni expressément ni par implication
logique, l’arrêt n’a pas force de chose jugée sur celui-ci; et il peut être
nécessaire de lire une conclusion générale dans son contexte afin de déter-
miner si elle recouvre tel point en particulier.
127. Ainsi, le fait que, dans un arrêt, la Cour, en même temps qu’elle
rejette certaines exceptions préliminaires, puisse conclure qu’elle «a com-
pétence» en l’affaire ne lui interdit pas nécessairement d’examiner à un
stade ultérieur les questions de compétence qui ont pu se poser par la
suite et qu’elle n’avait pas tranchées avec force de chose jugée dans l’arrêt
en question. Les Parties ont l’une et l’autre invoqué à cet égard les déci-
56 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 96
sions successivement rendues dans l’affaire du Détroit de Corfou, que la
Cour a déjà examinées plus haut (paragraphe 118). Mention peut égale-
ment être faite des arrêts rendus sur le fond dans les deux affaires de la
Compétence en matière de pêcheries ((Royaume-Uni c. Islande) (Répu-
blique fédérale d’Allemagne c. Islande), C.I.J. Recueil 1974 ,p .,
par. 42; p. 203-204, par. 74), qui traitaient de questions mineures de
compétence bien que les arrêts antérieurs eussent expressément conclu à
la compétence (C.I.J. Recueil 1973, p. 22, par. 46; p. 66, par. 46).
Même lorsque, dans une décision préliminaire, la Cour s’est réservée
expressément de régler certaines questions de compétence à un stade
ultérieur, cette décision peut contenir une conclusion indiquant que
«la Cour a compétence» en l’espèce, cette conclusion s’entendant sous
réserve des questions à trancher ultérieurement (voir Activités militaires
et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984 ,
p. 442, par. 113, point 1), al. c), et p. 425-426, par. 76; cf. également,
s’agissant d’une exception de recevabilité, Questions d’interprétation et
d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni),
exceptions préliminaires, arrêt C.I.J. Recueil 1998 , p. 29, par. 51, et
p. 30-31, par. 53, point 2), al. b), et point 3); (Jamahiriya arabe libyenne
c. Etats-Unis), ibid., p. 134, par. 50, et p. 156, par. 53, point 2), al. b.,et
point 3)).
128. Cependant, le fait que la Cour ait, dans ces affaires, examiné des
questions juridictionnelles après avoir rendu un arrêt sur la compétence
n’autorise pas à soutenir qu’un tel arrêt peut être remis en question à tout
moment, si bien qu’il serait permis de réexaminer des questions qui ont
déjà été tranchées avec l’autorité de la chose jugée. La différence essen-
tielle entre les affaires mentionnées au paragraphe précédent et la pré-
sente espèce réside en ceci que les questions de compétence examinées à
un stade tardif dans ces affaires étaient telles que la décision rendue à leur
sujet n’était pas susceptible de contredire la conclusion par laquelle la
Cour s’était déclarée compétente dans l’arrêt antérieur. Dans les affaires
de la Compétence en matière de pêcheries , les questions soulevées avaient
trait à la portée de la compétence qui avait déjà été établie en principe
avec l’autorité de la chose jugée; dans l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires, la Cour avait clairement indiqué dans l’arrêt de 1984 que
sa conclusion en faveur de la compétence ne constituait pas une décision
définitive sur l’interprétation de la réserve dont les Etats-Unis avaient
assorti leur déclaration au titre de la clause facultative. En revanche, s’ils
étaient retenus, les arguments avancés par le défendeur dans la présente
affaire auraient pour effet — et tel est d’ailleurs leur but — de renverser
la décision de 1996.
129. Le défendeur a soutenu que la question de savoir si la RFY avait
accès à la Cour en vertu de l’article 35 du Statut n’avait en fait jamais été
tranchée en l’espèce, de sorte que l’autorité de la chose jugée n’empêche-
rait en rien la Cour d’examiner cette question au stade actuel de l’ins-
57 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 97
tance. Il a appelé l’attention sur le fait que la Cour, dans ses décisions
rendues en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, avait fait observer, commentant son arrêt de 1996, que «[l]a ques-
tion du statut de la République fédérale de Yougoslavie au regard de
l’article 35 du Statut [n’avait] pas [été] soulevée et [que] la Cour [n’avait
vu] aucune raison de procéder à son examen» (voir, par exemple, Licéité
de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 311, par. 82); et que,
«[lors]qu’elle [s’était] pronon[cée] dans le cadre de procédures incidentes»
dans la présente affaire, la Cour «n’[avait] adopt[é] aucune position défi-
nitive sur la question du statut juridique de la République fédérale de
Yougoslavie au regard de la Charte et du Statut» (ibid., p. 308-309,
par. 74).
130. Cela ne signifie toutefois pas que, en 1996, la Cour n’avait pas
conscience du fait que la solution adoptée au sein de l’Organisation des
Nations Unies sur la question de la continuité de la qualité de Membre de
la RFSY «ne laiss[ait] pas de susciter des difficultés juridiques», ainsi
qu’elle l’avait relevé dans son ordonnance du 8 avril 1993 indiquant des
mesures conservatoires (C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 18; voir plus
haut, paragraphe 105). A l’époque de la procédure relative à ses excep-
tions préliminaires, qui s’est conclue par l’arrêt de 1996, la RFY soute-
nait qu’elle était l’Etat continuateur de la RFSY. Comme la Cour l’a
indiqué dans les arrêts qu’elle a rendus dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force ,
«[l]a Serbie-et-Monténégro n’a pas spécifiquement affirmé dans sa
requête [de 1993, en l’espèce] que la Cour lui était ouverte en vertu
du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut de la Cour, mais il est
devenu par la suite manifeste que le demandeur prétendait être
Membre de l’Organisation des Nations Unies, et donc partie au Sta-
tut de la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte,
à la date du dépôt de la requête... [C]ette position a été expressément
énoncée dans le mémoire déposé par la Serbie-et-Monténégro le
4 janvier 2000.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténé-
gro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 ,
p. 299, par. 47.)
La question de savoir si la RFY était un Etat continuateur ou un Etat
successeur de la RFSY a été évoquée dans le mémoire de la Bosnie-Her-
zégovine. Le point de vue exprimé par la Bosnie-Herzégovine était que,
bien que la RFY ne fût pas membre de l’Organisation des Nations Unies,
elle était néanmoins partie au Statut en tant qu’Etat successeur de la
RFSY qui s’était expressément engagé à respecter les engagements inter-
nationaux contractés par cette dernière. Il est également essentiel,
lorsqu’on examine le texte de l’arrêt de 1996, de prendre note du contexte
dans lequel celui-ci a été rendu, en particulier en ce qui concerne l’état des
relations qui existaient alors entre le défendeur et l’Organisation des
Nations Unies, qui a été rappelé plus haut aux paragraphes 88 à 99.
58 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 98
131. Les «difficultés juridiques» précitées ont finalement été dissipées
en 2000 lorsque la RFY a abandonné sa prétention à assurer la conti-
nuité de la RFSY et qu’elle a présenté une demande d’admission à
l’Organisation des Nations Unies (voir plus haut le paragraphe 98). Ainsi
que la Cour l’a fait observer dans ses arrêts de 2004 relatifs à la Licéité de
l’emploi de la force,
«l’importance de cette évolution survenue en 2000 tient au fait
qu’elle a clarifié la situation juridique, jusque-là indéterminée, quant
au statut de la République fédérale de Yougoslavie vis-à-vis de
l’Organisation des Nations Unies. C’est en ce sens que la situation
qui se présente aujourd’hui à la Cour concernant la Serbie-et-Mon-
ténégro est manifestement différente de celle devant laquelle elle se
trouvait en 1999. Si la Cour avait alors eu à se prononcer définiti-
vement sur le statut du demandeur à l’égard de l’Organisation des
Nations Unies, cette tâche aurait été compliquée par les incertitudes
entourant la situation juridique, s’agissant de ce statut. Cependant,
la Cour se trouvant aujourd’hui à même d’apprécier l’ensemble de la
situation juridique, et compte tenu deseronséquences juridiques du
nouvel état de fait existant depuis le 1 novembre 2000, la Cour est
amenée à conclure que la Serbie-et-Monténégro n’était pas membre
de l’Organisation des Nations Unies, ni en cette qualité partie au
Statut de la Cour internationale de Justice, au moment où elle a
déposé sa requête introduisant la présente instance devant la Cour,
le 29 avril 1999.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monté-
négro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2004, p. 310-311, par. 79.)
Comme la Cour l’a reconnu ici, s’il lui a paru clair en 2004 que le défen-
deur n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies à l’époque
pertinente, la situation n’était absolument pas aussi claire en 1999 — et
encore moins en 1996. Les incohérences apparues dans les positions
exprimées par les divers organes des Nations Unies ressortent nettement
des passages cités ci-dessus aux paragraphes 91 à 96.
132. Ainsi qu’il a déjà été noté, les difficultés juridiques soulevées par
la situation du défendeur à l’égard de l’Organisation des Nations Unies
n’étaient pas expressément mentionnées dans l’arrêt de 1996. La Cour a
déclaré, comme indiqué plus haut au paragraphe 121, que «la Yougo-
slavie était liée par les dispositions de la convention [sur le génocide] à la
date du dépôt de la requête en la présente affaire» (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bos-
nie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17) et a conclu qu’«elle a[vait] compé-
tence, sur la base de l’article IX de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, pour statuer sur le différend» (ibid.,
p. 623, par. 47, point 2), al. a)). Etant donné que, ainsi que relevé ci-des-
sus, la question de la capacité d’un Etat à être partie à une procédure est
une question qui se pose avant celle de la compétence ratione materiae et
59 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 99
que la Cour doit, au besoin, soulever d’office (voir paragraphe 122 ci-
dessus), cette conclusion doit nécessairement s’interpréter comme signifiant
en toute logique que la Cour estimait à l’époque que le défendeur avait
qualité pour participer à des affaires portées devant elle. Sur cette base, la
Cour a alors formulé une conclusion sur sa compétence, avec l’autorité
de la chose jugée. Point n’est besoin pour elle, aux fins de la présente pro-
cédure, d’aller au-delà de cette conclusion en examinant par quel chemi-
nement elle y est parvenue. Que les Parties considèrent la question
comme relevant de l’«accès à la Cour» ou de la «compétence ratione per-
sonae», le fait est que la Cour n’aurait pu trancher l’affaire au fond si le
défendeur n’avait pas la capacité, en vertu du Statut, d’être partie à une
procédure devant la Cour.
133. De l’avis de la Cour, examinée dans son contexte, la conclusion
expresse énoncée dans l’arrêt de 1996 selon laquelle elle avait compétence
ratione materiae en l’espèce sur la base de l’article IX de la convention
sur le génocide n’est conciliable, en droit et en toute logique, qu’avec
l’idée que, à l’égard des deux Parties, elle avait compétence ratione per-
sonae au sens large — c’est-à-dire que la situation de l’une et de l’autre
était de nature à satisfaire aux conditions du Statut concernant la capa-
cité des Etats à se présenter devant la Cour. La Bosnie-Herzégovine était
indubitablement partie au Statut à la date du dépôt de sa requête intro-
ductive d’instance et, à l’égard de la Convention, la Cour a jugé que «la
Bosnie-Herzégovine pouvait ... [y] devenir partie» dès son admission au
sein de l’Organisation des Nations Unies (C.I.J. Recueil 1996 (II) ,
p. 611, par. 19), et que tel avait d’ailleurs été le cas. Quant à la RFY, la
Cour a jugé qu’elle «était liée par les dispositions de la convention»,
c’est-à-dire qu’elle y était partie «à la date du dépôt de la requête» (ibid.,
p. 610, par. 17); à cet égard, la Cour a pris note de la déclaration faite par
la RFY le 27 avril 1992, citée plus haut au paragraphe 89, dans laquelle
celle-ci, «assurant la continuité de l’Etat et de la personnalité juridique et
politique internationale» de la République fédérative socialiste de You-
goslavie, déclarait qu’elle «respectera[it] strictement» les engagements
internationaux pris par la RFSY. La décision de la Cour selon laquelle
elle avait compétence en vertu de la convention sur le génocide doit donc
être interprétée comme comprenant implicitement la conclusion que
toutes les conditions relatives à la capacité des Etats à se présenter devant
elle étaient remplies.
134. Le défendeur a laissé entendre que la conclusion par laquelle la
Cour, dans l’arrêt de 1996, s’était déclarée compétente, était fondée sur
un simple postulat: celui d’une continuité entre la RFSY et la RFY. Il a
appelé l’attention sur des extraits — auxquels il a déjà été fait référence
(paragraphe 129) — des arrêts rendus dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force , d’où il ressort que, en 1996, la Cour, ne
voyant aucune raison d’examiner la question de l’accès, n’a, en se pro-
nonçant dans le cadre de procédures incidentes, adopté aucune position
définitive sur la question du statut juridique du défendeur.
135. Que la RFY avait la capacité de se présenter devant la Cour en
60 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 100
vertu du Statut constitue un élément du raisonnement suivi dans l’arrêt
de 1996, qui peut — et même doit — en toute logique être sous-entendu
dans celui-ci. Pour les raisons déjà indiquées, cet élément ne saurait à tout
moment être remis en question et réexaminé. En ce qui concerne les
extraits des arrêts de 2004 sur lesquels s’appuie le défendeur, il faut tenir
compte du fait que la Cour ne se préoccupait pas alors de la portée de
l’autorité de la chose jugée à attacher à l’arrêt de 1996 puisque, de toute
façon, une telle autorité ne pouvait s’étendre aux affaires dont elle avait
alors à connaître, lesquelles opposaient des parties différentes. En 2004, il
convenait seulement pour la Cour de rechercher s’il existait, dans une
autre affaire, une conclusion expresse susceptible de l’éclairer. L’existence
d’une telle conclusion expresse n’ayant pas été démontrée, la Cour n’était
pas tenue en 2004, comme elle l’est en l’espèce, de poursuivre l’examen de
ce que pouvaient être les fondements informulés d’un arrêt rendu dans
une autre affaire, entre d’autres parties.
136. La Cour estime donc que l’arrêt de 1996 contenait une conclusion
— que celle-ci soit considérée comme portant sur la compétence ratione
personae ou comme antérieure aux questions de compétence — découlant
de la logique du raisonnement et concernant la question de la capacité de
la RFY à se présenter devant la Cour en vertu du Statut. L’autorité de la
chose jugée attachée à cet arrêt s’étend donc à cette conclusion par-
ticulière.
137. Le défendeur a toutefois soutenu que, même si tel était le cas,
«le caractère fondamental du droit d’ester en tant que préalable à
l’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire signifie que des
conclusions positives à ce sujet ne sauraient être considérées comme
finales et irréversibles avant que l’arrêt définitif soit rendu en l’affaire,
car, dans le cas contraire, la Cour risquerait de rendre une décision
finale envers une partie à l’égard de laquelle elle ne peut pas exercer
sa fonction judiciaire. Autrement dit, le droit d’ester est si fonda-
mental que, jusqu’à l’arrêt définitif, il l’emporte sur le principe de
l’autorité de la chose jugée. Ainsi, même si l’arrêt de 1996 avait for-
mulé une conclusion relative au droit d’ester, quod non, cette conclu-
sion n’empêcherait pas la Cour de pouvoir réexaminer cette question
jusqu’à la fin de la procédure.»
Un argument similaire avancé par le défendeur est fondé sur le principe
selon lequel la compétence de la Cour découlerait d’un traité, à savoir le
Statut de la Cour; le défendeur doute que le Statut ait pu conférer à
l’arrêt de 1996 un quelconque effet puisque, selon lui, il n’y était pas par-
tie. Le conseil du défendeur a déclaré:
«Nous savons aujourd’hui que lorsque, en 1996, la décision rela-
tive aux exceptions préliminaires a été rendue, le défendeur n’était
pas partie au Statut. Aucune base de compétence n’existait de la
61 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 101
sorte à l’époque; le paragraphe 6 de l’article 36 et les articles 59 et 60
ne représentaient pas une disposition conventionnelle contraignante
fournissant une éventuelle base à partir de laquelle se prononcer sur
la compétence avec effet de chose jugée.»
138. De l’avis de la Cour, ces affirmations ne s’accordent pas avec la
nature du principe de l’autorité de la chose jugée. Selon ce principe, dès
lors que la Cour s’est prononcée, que ce soit sur une question de fond
dans un différend qui lui est soumis ou sur une question concernant sa
propre compétence, sa décision à cet égard est définitive, tant pour les
parties en litige dans l’affaire (Statut, art. 59) que pour la Cour elle-même
dans le contexte de cette affaire. Aussi fondamentale qu’elle puisse être,
la question de la capacité des Etats à être parties à des affaires devant la
Cour reste une question que la Cour doit trancher conformément au
paragraphe 6 de l’article 36 du Statut et, dès lors qu’une conclusion favo-
rable à la compétence a été énoncée avec l’autorité de la chose jugée, elle
ne peut plus être remise en question ou réexaminée, si ce n’est par le biais
de la procédure en revision prévue à l’article 61 du Statut. Il est donc
impossible, juridiquement, que la Cour puisse «rendre une décision finale
envers une partie à l’égard de laquelle elle ne peut pas exercer sa fonction
judiciaire», parce que la question de savoir si un Etat est ou non une par-
tie à l’égard de laquelle la Cour a compétence est de celles que seule la
Cour a le pouvoir de trancher.
139. Le conseil du défendeur a en outre soutenu que, dans les circons-
tances de l’espèce, le recours au principe de l’autorité de la chose jugée
aurait pour conséquence que «la Cour exercerait ses fonctions judiciaires
en excédant ses pouvoirs au mépris des prescriptions impératives du Sta-
tut». Toutefois, l’application «des prescriptions impératives du Statut»
relève de la décision de la Cour dans chaque affaire qui lui est soumise et,
lorsque la Cour s’est déclarée compétente avec l’autorité de la chose
jugée, il ne peut y avoir excès de pouvoir aux fins de cette affaire, la Cour
étant seule compétente pour se prononcer sur de telles questions en vertu
de son Statut. Or, pour la Cour, res judicata pro veritate habetur ,eta l
vérité judiciaire dans le contexte d’une affaire est telle que la Cour l’a
déterminée, sous la seule réserve de la disposition du Statut concernant la
revision des arrêts. La nature de la fonction judiciaire et la nécessité
universellement reconnue de la stabilité des relations juridiques exigent
qu’il en soit ainsi.
**
7) Conclusion: compétence retenue
140. En conséquence, la Cour conclut, concernant l’argument selon
lequel le défendeur n’était pas, à la date du dépôt de la requête introduc-
tive d’instance, un Etat ayant qualité pour se présenter devant elle en
vertu du Statut, que le principe de l’autorité de la chose jugée interdit
toute remise en question de la décision contenue dans l’arrêt de 1996. Le
62 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 102
défendeur a toutefois soutenu également que l’arrêt de 1996 n’avait pas
force de chose jugée à l’égard de l’autre question, celle de savoir si, au
moment de l’introduction de l’instance, la RFY était partie à la conven-
tion sur le génocide, en tentant de montrer que, à ce moment-là, elle
n’était pas et n’aurait pas pu être partie à la Convention. Selon la Cour,
toutefois, les raisons indiquées plus haut pour considérer que l’arrêt
de 1996 tranche, avec l’autorité de la chose jugée, la question de sa com-
pétence en l’espèce s’appliquent à fortiori en ce qui concerne cet argu-
ment, puisque l’arrêt de 1996 était explicite à cet égard alors qu’il ne
l’était pas sur la question de la capacité à se présenter devant la Cour. Par
conséquent, elle ne juge pas nécessaire d’examiner l’argument du deman-
deur selon lequel le fait que le défendeur n’a pas, à l’époque, avancé les
raisons qu’il invoque aujourd’hui pour prétendre qu’il n’était pas partie à
la convention sur le génocide pourrait faire intervenir des considérations
relevant de l’estoppel ou du forum prorogatum (voir plus haut para-
graphes 85 et 101). La Cour conclut donc que, ainsi qu’elle l’a dit dans son
arrêt de 1996, elle a compétence en vertu de l’article IX de la convention
sur le génocide pour statuer sur le différend qui lui a été soumis dans la
requête déposée le 20 mars 1993. Il découle de ce qui précède que la Cour
ne juge pas nécessaire d’examiner les questions, abondamment débattues
par les Parties, relatives au statut qui, au moment du dépôt de la requête,
était celui du défendeur au regard de la Charte des Nations Unies, du
Statut de la Cour et de la convention sur le génocide.
*
141. Dans les arguments qu’elles ont échangés devant la Cour, les
Parties ont évoqué la question de savoir si les paragraphes 1 et 2 de l’ar-
ticle 35 du Statut s’appliquent également aux parties demanderesses et
aux parties défenderesses. S’agissant d’une question d’interprétation du
Statut, c’est à la Cour qu’il appartiendrait d’y répondre. Compte tenu
cependant de la conclusion à laquelle elle est parvenue au sujet de l’auto-
rité de la chose jugée qui s’attache à sa décision de 1996, la Cour ne juge
pas à présent nécessaire de le faire.
*
* *
IV. L E DROIT APPLICABLE : LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA
RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
1) Bref retour sur la Convention
142. Les parties contractantes à la Convention, adoptée le 9 dé-
cembre 1948, ont indiqué ce qui suit comme raisons pour avoir accepté
la Convention:
«Les Parties contractantes,
Considérant que l’Assemblée générale de l’Organisation des
Nations Unies, par sa résolution 96 (I) en date du 11 décembre 1946,
a déclaré que le génocide est un crime du droit des gens, en contra-
63 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 103
diction avec l’esprit et les fins des Nations Unies et que le monde
civilisé condamne,
Reconnaissant qu’à toutes les périodes de l’histoire le génocide a
infligé de grandes pertes à l’humanité,
Convaincues que pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux
la coopération internationale est nécessaire,
Conviennent de ce qui suit: ...»
143. En vertu de l’article premier, «[l]es Parties contractantes
confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en
temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à pré-
venir et à punir». L’article II définit le génocide en ces termes:
«Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quel-
conque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou
tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel:
a) meurtre de membres du groupe;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du
groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.»
L’article III dispose:
«Seront punis les actes suivants:
a) le génocide;
b) l’entente en vue de commettre le génocide;
c) l’incitation directe et publique à commettre le génocide;
d) la tentative de génocide;
e) la complicité dans le génocide.»
144. Suivant l’article IV, les personnes ayant commis l’un quelconque
de ces actes seront punies, qu’il s’agisse de gouvernants, de fonctionnaires
ou de particuliers. L’article V exige des parties contractantes qu’elles
prennent les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application de
la Convention et, notamment, qu’elles prévoient des sanctions pénales
efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou d’autres actes
énumérés à l’article III. L’article VI dispose que
«[l]es personnes accusées de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes énumérés à l’article III seront traduites devant les tribunaux
compétents de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été commis, ou
devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l’égard de
celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction».
L’article VII prévoit l’extradition.
64 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 104
145. En vertu de l’article VIII,
«[t]oute Partie contractante peut saisir les organes compétents de
l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, confor-
mément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent
appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide
ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
146. L’article IX dispose que certains différends seront soumis à la
Cour:
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interpré-
tation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y
compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de
génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la
requête d’une partie au différend.»
Les dix articles restants sont des clauses finales qui traitent de questions
telles que la participation à la Convention et l’entrée en vigueur de celle-
ci.
147. La compétence de la Cour en l’espèce n’est fondée que sur l’ar-
ticle IX de la Convention. Tous les autres fondements de compétence invo-
qués par le demandeur ont été rejetés dans l’arrêt de 1996 concernant la
compétence (C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 617-621, par. 35-41). Il s’ensuit
que la Cour ne peut trancher que les différends entre les parties contrac-
tantes visées par cette disposition. Les Parties s’opposent sur la question
de savoir si la Cour s’est définitivement prononcée, dans son arrêt de 1996,
sur la portée et le sens de cette disposition; dans la négative, elles sont en
désaccord sur les questions à l’égard desquelles la Cour a compétence en
vertu de celle-ci. La Cour se prononcera sur ces deux questions plus loin
dans le présent arrêt. Elle n’est pas habilitée à se prononcer sur des vio-
lations alléguées d’autres obligations que les Parties tiendraient du droit
international, violations qui ne peuvent être assimilées à un génocide, en
particulier s’agissant d’obligations visant à protéger les droits de l’homme
dans un conflit armé. Il en est ainsi même si les violations alléguées
concernent des obligations relevant de normes impératives ou des obliga-
tions relatives à la protection des valeurs humanitaires essentielles et que
ces obligations peuvent s’imposer erga omnes.
148. Comme elle l’a fait dans d’autres affaires, la Cour rappelle la dif-
férence fondamentale entre, d’une part, l’existence et la force contrai-
gnante d’obligations résultant du droit international et, d’autre part,
l’existence d’une cour ou d’un tribunal compétent pour résoudre des dif-
férends relatifs au respect de ces obligations. Le fait qu’une telle cour ou
un tel tribunal n’existe pas ne signifie pas que les obligations n’existent
pas. Elles conservent leur validité et leur force juridique. Les Etats sont
tenus de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du droit
international, notamment du droit international humanitaire, et demeu-
rent responsables des actes contraires au droit international qui leur sont
65 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 105
attribuables (voir, par exemple, Activités armées sur le territoire du
Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), compétence de la Cour et recevabilité de la requête, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 52-53, par. 127).
149. Que la Cour tire sa compétence de l’article IX de la Convention et
que les différends qui relèvent de cette compétence portent sur «l’inter-
prétation, l’application ou l’exécution» de la Convention n’a pas néces-
sairement pour conséquence que seule doive entrer en ligne de compte
cette Convention. Afin de déterminer si, comme le soutient le demandeur,
le défendeur a violé l’obligation qu’il tient de la Convention et, s’il y a eu
violation, d’en déterminer les conséquences juridiques, la Cour fera appel
non seulement à la Convention proprement dite, mais aussi aux règles du
droit international général qui régissent l’interprétation des traités et la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite.
**
2) Décision rendue par la Cour en 1996 concernant la portée
et le sens de l’article IX
150. Selon le demandeur, la Cour a, en 1996, au stade des exceptions
préliminaires, décidé qu’elle avait compétence en vertu de l’article IX
pour statuer sur la responsabilité de l’Etat défendeur «en matière de
génocide ou de l’un quelconque des actes énumérés à l’article III», pour
reprendre les termes dudit article, cette référence «n’exclu[an]t aucune
forme de responsabilité d’Etat». Cette question aurait selon lui été tran-
chée avec l’autorité de la chose jugée. Le défendeur soutient une interpré-
tation plus étroite de la Convention: la Cour n’aurait compétence que
pour rendre un jugement déclaratoire sur les violations des obligations de
prévenir et de réprimer la commission du génocide par des individus.
151. Le défendeur admet que la première interprétation, plus large, a
été «privilégiée par la majorité des membres de la Cour au stade des
exceptions préliminaires» et cite l’extrait suivant de l’arrêt:
«La Cour en vient maintenant à la seconde proposition de la You-
goslavie [qu’elle a avancée à l’appui de l’une de ses exceptions préli-
minaires], relative au type de responsabilité d’Etat qui serait visée à
l’article IX de la convention. D’après la Yougoslavie, seule serait
couverte la responsabilité découlant du manquement d’un Etat à ses
obligations de prévention et de répression telles qu’envisagées aux
articles V, VI et VII; en revanche, la responsabilité d’un Etat à rai-
son d’un acte de génocide perpétré par l’Etat lui-même serait exclue
du champ d’application de la convention.
La Cour observera qu’en visant «la responsabilité d’un Etat en
matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés
à l’article III», l’article IX n’exclut aucune forme de responsabilité
d’Etat.
La responsabilité d’un Etat pour le fait de ses organes n’est pas
66 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 106
davantage exclue par l’article IV de la convention, qui envisage la
commission d’un acte de génocide par des «gouvernants» ou des
«fonctionnaires».
Au vu de ce qui précède, la Cour estime devoir rejeter la cinquième
exception préliminaire de la Yougoslavie. Elle fera d’ailleurs observer
qu’il ressort à suffisance des termes mêmes de cette exception que les
Parties non seulement s’opposent sur les faits de l’espèce, sur leur
imputabilité et sur l’applicabilité à ceux-ci des dispositions de la conven-
tion sur le génocide, mais, en outre, sont en désaccord quant au sens et
à la portée juridique de plusieurs de ces dispositions, dont l’article IX.
Pour la Cour, il ne saurait en conséquence faire de doute qu’il existe
entre elles un différend relatif à «l’interprétation, l’application ou l’exé-
cution de la ... convention, y compris ... la responsabilité d’un Etat en
matière de génocide...», selon la formule utilisée par cette dernière dis-
position (voirApplicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la sec-
tion 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des
Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 198, p. 27-32).» (Appli-
cation de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II,)p. 616-617, par. 32-33; les italiques ne
figurent pas dans l’arrêt de 1996.)
Le demandeur s’appuie en particulier sur les phrases du paragraphe 32
qui apparaissent en italiques dans la citation ci-dessus. Le défendeur sou-
tient que
«l’opinion ainsi exprimée se caractérise par sa brièveté et est subor-
donnée au rejet de l’exception préliminaire fondée sur l’existence
éventuelle d’un différend relatif à l’interprétation de la convention
sur le génocide. L’interprétation adoptée de cette manière provisoire
par la Cour n’est étayée par aucun renvoi aux importants travaux
relatifs à la convention.
Dans ces conditions, il n’y a aucune raison de principe ni consi-
dération de bon sens qui indique que la question de l’interprétation
n’est désormais plus ouverte.»
Tout en affirmant que la Cour a tranché la question et s’est exprimée
avec force sur ce sujet en 1996, le demandeur dit aussi que la présente
phase de la procédure
«donnera une nouvelle fois à la Cour l’occasion de trancher cette
question importante, non seulement à l’attention des Parties, mais
dans l’intérêt des générations futures, qui ne doivent pas avoir à
craindre que les Etats jouissent d’une immunité de responsabilité
pour leurs actes de génocide».
152. La Cour a déjà examiné plus haut la question de l’autorité de la
chose jugée revêtue par l’arrêt de 1996 et indiqué qu’elle ne pourrait revenir
sur les questions tranchées avec cette autorité. Que la question aujourd’hui
soulevée par le défendeur tombe ou non dans cette catégorie, la Cour relève
67 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 107
que la dernière partie du paragraphe 33 de cet arrêt, cité ci-dessus, doit être
considérée comme indiquant que «le sens et la portée juridique» de l’ar-
ticle IX et d’autres dispositions de la Convention demeurent controversés. Il
«existe» en particulier un différend sur la question de savoir si les parties
contractantes ne peuvent être tenues responsables en vertu de la Conven-
tion que de violations des obligations de prendre des mesures législatives et
de poursuivre ou extrader les auteurs de génocide ou si les obligations
s’étendent à celle de ne pas commettre un génocide et les autres actes énu-
mérés à l’article III. Ce différend «existe» et la Cour a décidé de réserver sa
décision à ce sujet au stade de l’examen au fond. Dans ces conditions, et
compte tenu de la position prise par les Parties, la Cour déterminera à ce
stade si les obligations découlant pour les Parties de la Convention ont une
telle étendue. Autrement dit, elle décidera du «sens et [de] la portée juri-
dique» de plusieurs dispositions de la Convention, notamment l’article IX et
sa mention de «la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de
l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
**
3) La décision rendue par la Cour en 1996 concernant le champ
d’application territorial de la Convention
153. Une seconde question relative à la force de chose jugée de l’arrêt
de 1996 concerne les limites territoriales, s’il en est, de l’obligation de pré-
venir et de réprimer le génocide qui incombe aux Etats parties. Pour
étayer l’une de ses exceptions préliminaires, le défendeur a fait valoir qu’il
n’exerçait pas de juridiction sur le territoire du demandeur à l’époque
considérée. La dernière phrase du raisonnement que la Cour a tenu pour
rejeter cet argument se lit comme suit: «La Cour constate que l’obliga-
tion qu’a ainsi chaque Etat de prévenir et de réprimer le crime de géno-
cide n’est pas limitée territorialement par la convention.» (C.I.J. Recueil
1996 (II), p. 616, par. 31.)
154. Le demandeur laisse entendre que la Cour a jugé, par cette
phrase, que l’obligation s’appliquait sans limite territoriale. La Cour
n’énonce pas l’obligation d’une manière aussi affirmative. Elle ne dit pas
que l’obligation est «territorialement illimitée par la convention». En
outre, elle a, plus haut dans le paragraphe dont est tiré l’extrait, cité l’ar-
ticle VI (relativement à l’obligation qui incombe à tout Etat sur le territoire
duquel l’acte a été commis d’en traduire les auteurs en justice) comme
étant «la seule disposition pertinente» concernant les «problèmes» terri-
toriaux liés à l’application de la Convention. La phrase citée doit par
conséquent être interprétée comme se rapportant à l’engagement énoncé
à l’article premier. La Cour n’a pas, en 1996, tranché la question du
champ d’application de chaque obligation particulière résultant de la
Convention. Par conséquent, la Cour doit encore se prononcer sur cette
question, laquelle n’a pas été tranchée avec l’autorité de la chose jugée.
**
68 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 108
4) Les obligations que la Convention impose
aux parties contractantes
155. Le demandeur, pour reprendre les termes de son agent, soutient
que «[c]’est sur la responsabilité de l’Etat que porte cette affaire; notre
but est d’établir les responsabilités d’un Etat qui, à travers ses dirigeants,
à travers ses organes, a, on ne peut plus brutalement, violé l’un des ins-
truments les plus sacrés du droit international». Selon lui, la convention
sur le génocide «a créé un concept universel et conventionnel de respon-
sabilité des Etats», et «c’est précisément de la responsabilité des Etats
[pour génocide] qu’il s’agit dans la présente affaire». Il se fonde à cet
égard sur l’article IX de la Convention qui, soutient-il, «impose ... on ne
peut plus expressément aux Etats l’obligation directe de ne pas eux-
mêmes commettre de génocide ou aider à commettre un génocide». Quant
au manquement à l’obligation de prévention énoncée à l’article premier,
il est, selon le demandeur, «établi, on pourrait dire «éclipsé», par le fait
[que le défendeur] est lui-même responsable du génocide commis; ... un
Etat qui commet un génocide n’a pas tenu son engagement de le préve-
nir» (les italiques sont dans l’original). Après avoir allégué que l’ar-
ticle premier avait été violé, le demandeur poursuit son argumentation en
invoquant des «violations par le défendeur des obligations résultant de
l’article III ... auquel renvoie expressément l’article IX, violations qui
sont au cŒur de notre affaire. C’est cette disposition fondamentale qui
établit les obligations dont la violation engage la responsabilité des Etats
parties.» D’après le demandeur, la Cour aurait dès lors compétence en
vertu de l’article IX pour connaître de violations de ces obligations qui
auraient été commises par une partie contractante.
156. Le défendeur soutient au contraire que
«la convention sur le génocide n’engage pas la responsabilité des
Etats à raison d’actes de génocide en tant que tels. Les obligations
imposées par la convention concernent en effet «la prévention et la
répression du crime de génocide» lorsque ce crime est commis par
des individus: les articles V et VI [qui traitent de l’application de la
convention et de l’adoption des mesures législatives nécessaires]
sont ... très clairs sur ce point.»
Il affirme que la Cour n’a donc pas compétence ratione materiae en vertu
de l’article IX, avant d’ajouter:
«Ces dispositions [les articles premier, V, VI et IX] n’engagent pas
la responsabilité d’une partie contractante en tant que telle à raison
d’actes de génocide, mais [seulement] sa responsabilité pour ne pas
avoir prévenu ou puni les actes de génocide commis par des indivi-
dus sur son territoire ou ... relevant d’elle.»
S’agissant de ce manquement, le seul remède serait, d’après le défendeur,
un jugement déclaratoire.
69 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 109
157. A titre d’argument subsidiaire, le défendeur a également soutenu
que
«pour qu’un Etat soit responsable en vertu de la convention sur le
génocide, il faut d’abord que les faits soient établis. Or, le génocide
étant un crime, il ne peut être établi que conformément aux règles du
droit pénal, qui requièrent d’abord une responsabilité individuelle.
La responsabilité de l’Etat ne peut être engagée que lorsque l’exis-
tence du génocide a été établie au-delà de tout doute raisonnable.
Ensuite, il faut encore que la personne qui a commis le génocide
puisse engager la responsabilité de l’Etat.»
(Cet argument aborde ensuite la question de la violation de l’obligation
de prévenir et de punir, laquelle sera examinée plus loin dans le présent
arrêt.)
158. Le défendeur a en outre présenté ce qu’il a appelé des «arguments
alternatifs concernant uniquement la responsabilité de l’Etat pour les vio-
lations des articles II et III». Ces arguments traitent la question des
conditions nécessaires, en particulier celle de l’intention et celle de l’attri-
bution. Le conseil du défendeur, en présentant ces arguments, a rappelé
le principal chef de conclusions énoncé plus haut, selon lequel «[e]n
aucun cas la convention ne suggère que l’Etat lui-même pourrait com-
mettre le génocide».
159. La Cour note qu’il n’existe pas de désaccord entre les Parties quant
au fait que l’article IX inclut les différends relatifs à «la responsabilité d’un
Etat» parmi ceux qui, en tant qu’ils concernent l’interprétation, l’applica-
tion ou l’exécution de la Convention, peuvent être soumis à la Cour, et
qu’il en ressort que certaines dispositions de la Convention imposent bien
aux Etats des obligations dont la violation peut engager leur responsabi-
lité. Les articles V, VI et VII — qui exigent des mesures législatives, pré-
voyant en particulier des sanctions pénales effectives frappant les per-
sonnes coupables de génocide et d’autres actes énumérés à l’article III, ainsi
que la poursuite et l’extradition des auteurs présumés d’une infraction
— en font manifestement partie. Etant donné que ces dispositions régissant
la répression du crime de génocide ont aussi un effet ou un but dissuasif, et
donc préventif, leur application pourrait être considérée comme répon-
dant, et même satisfaisant amplement, à l’engagement de prévenir le crime
de génocide affirmé à l’article premier et évoqué dans le titre. Cet article
pourrait ainsi, à l’appui de la thèse principale du défendeur, être considéré
comme revêtant un caractère purement incitatif, ou introductif, ou encore
comme énonçant une finalité, préludant en somme aux obligations spéci-
fiques en question. La dernière disposition spécifique, à savoir l’article VIII,
qui concerne l’intervention des organes compétents de l’Organisation des
Nations Unies, peut être vue comme parachevant le système en appelant
tant à la prévention qu’à la répression du crime de génocide, cette fois au
niveau politique et non plus sous l’angle de la responsabilité juridique.
160. La Cour fait observer que les obligations que la Convention
impose à ses Etats parties sont fonction du sens ordinaire des termes de
70 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 110
celle-ci, lus dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de cet
instrument. Pour confirmer le sens ainsi établi, éliminer une ambiguïté,
un point obscur ou un résultat manifestement absurde ou déraisonnable,
il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation,
comme les travaux préparatoires de la Convention ou les circonstances
dans lesquelles celle-ci a été conclue. Il est généralement admis que ces
propositions, reprises aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne sur
le droit des traités, font partie du droit international coutumier: voir
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire pales-
tinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 , p. 174, par. 94; Avena
et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 48, par. 83; LaGrand (Allemagne c. Etats-
Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001 , p. 501, par. 99, et Souve-
raineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p. 645, par. 37, et les autres affaires citées dans ces
décisions.
161. Pour déterminer quelles sont les obligations imposées aux parties
contractantes par la convention sur le génocide, la Cour se penchera tout
d’abord sur les termes de l’article premier de la Convention. Celui-ci ren-
ferme deux propositions. Il est tout d’abord affirmé que le génocide cons-
titue un crime du droit des gens. Cette affirmation doit être lue en la
rapprochant de la déclaration qualifiant le génocide de crime de droit des
gens, adoptée deux ans plus tôt par l’Assemblée générale à l’unanimité de
ses membres dans sa résolution 96 (I), et évoquée dans le préambule de la
Convention (voir plus haut paragraphe 142). Ainsi que la Cour l’a sou-
ligné en 1951, les exigences du droit international coutumier sont recon-
nues par cette affirmation:
«Les origines de la convention révèlent l’intention des Nations
Unies de condamner et de réprimer le génocide comme «un crime de
droit des gens» impliquant le refus du droit à l’existence de groupes
humains entiers, refus qui bouleverse la conscience humaine, inflige
de grandes pertes à l’humanité, et qui est contraire à la fois à la loi
morale et à l’esprit et aux fins des Nations Unies (résolution 96 (I) de
l’Assemblée générale, 11 décembre 1946). Cette conception entraîne
une première conséquence: les principes qui sont à la base de la
convention sont des principes reconnus par les nations civilisées
comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien convention-
nel. Une deuxième conséquence est le caractère universel à la fois de
la condamnation du génocide et de la coopération nécessaire «pour
libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux» (préambule de la
convention)...
Les fins d’une telle convention doivent également être retenues. La
convention a été manifestement adoptée dans un but purement
humain et civilisateur. On ne peut même pas concevoir une conven-
tion qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère, puisqu’elle
vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes
71 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 111
humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de
morale les plus élémentaires.» (Réserves à la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.)
Dans la suite de cet avis, la Cour renvoie aux «principes de morale et
d’humanité qui sont à [l]a base [de cette convention]» (ibid., p. 24). La
Cour a déjà eu l’occasion de rappeler en la présente affaire la résolu-
tion 96 (I) (C.I.J. Recueil 1993, p. 23; voir également p. 348 et 440) et son
dictum de 1951 (C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 616), de même qu’elle a
réaffirmé ses dicta de 1951 et de 1996 au paragraphe 64 de son arrêt
du 3 février 2006 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du
Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), lorsqu’elle a ajouté que la norme interdisant le génocide
constituait assurément une norme impérative du droit international (jus
cogens).
162. Ces caractérisations de l’interdiction du génocide et de l’objet de
la Convention sont importantes pour interpréter la seconde proposition de
l’article premier, à savoir l’engagement pris par les parties contractantes
de prévenir et de punir le crime de génocide, et en particulier, dans le
présent contexte, l’engagement de prévenir. Cet engagement comporte
plusieurs éléments méritant d’être relevés. En son sens ordinaire, le terme
«s’engagent» signifie promettre formellement, s’obliger, faire un serment
ou une promesse, convenir, accepter une obligation. C’est là un terme qui
est souvent utilisé dans les traités énonçant les obligations des parties
contractantes (cf., par exemple, la convention internationale sur l’élimi-
nation de toutes les formes de discrimination raciale (7 mars 1966),
art. 2, par. 1, ou le pacte international relatif aux droits civils et politiques
(16 décembre 1966), art, 2, par. 1, et 3, notamment). Il ne revêt pas un
caractère purement incitatif et ne se limite pas à l’énoncé d’une finalité.
L’engagement n’est assorti d’aucune réserve (question qui sera étudiée
plus loin dans le cadre de l’examen de la portée de l’obligation de préven-
tion), et ne doit pas être interprété comme une simple introduction aux
dispositions qui évoquent ensuite expressément les mesures législatives,
les poursuites et l’extradition. Ces caractéristiques portent à conclure que
l’article premier, en particulier l’engagement de prévenir qui y est for-
mulé, crée des obligations distinctes de celles qui apparaissent dans les
articles suivants. Le but purement humanitaire et civilisateur de la
Convention milite également en faveur d’une telle conclusion.
163. Celle-ci est confirmée par deux aspects des travaux préparatoires
de la Convention et par les circonstances dans lesquelles celle-ci a été
conclue, pour reprendre les termes de l’article 32 de la convention de
Vienne. En 1947, lorsqu’elle demanda au Conseil économique et social de
lui soumettre un rapport et un projet de convention sur le génocide à sa
troisième session, l’Assemblée générale des Nations Unies déclara «que le
crime de génocide est un crime international qui comporte des responsa-
bilités d’ordre national et international pour les individus et pour les
72 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 112
Etats» (A/RES/180 (II)). La dualité de ces responsabilités ressort égale-
ment de deux autres résolutions corollaires qui furent adoptées le même
jour et qui étaient toutes deux adressées à la Commission du droit inter-
national (dénommée ci-après la «CDI»), nouvellement créée: la pre-
mière, relative à la formulation des principes de Nuremberg, portait sur
les droits (principe V) et les devoirs des individus, la seconde sur le projet
de déclaration des droits et des devoirs des Etats (A/RES/177 et A/RES/
178 (II)). La dualité de ces responsabilités est examinée plus avant dans le
présent arrêt (paragraphes 173-174).
164. Le second aspect des travaux préparatoires montre bien que
l’article premier revêt un caractère déclaratoire et non liminaire. Le
préambule du projet de convention qui avait été rédigé par le comité spé-
cial du génocide pour la troisième session de l’Assemblée générale et exa-
miné par la Sixième Commission se lisait en partie comme suit:
«Les Hautes Parties contractantes,
.............................
Convaincues que la collaboration internationale est nécessaire
pour assurer la prévention et la répression du génocide;
Conviennent de prévenir et de réprimer ce crime comme il est prévu
ci-dessous.»
Le premier article devait disposer: «Le génocide est un crime du droit des
gens, qu’il ait été commis en temps de paix ou en temps de guerre.» (Rap-
port du comité spécial du génocide, 5 avril au 10 mai 1948, Nations Unies,
Procès-verbaux officiels du Conseil économique et social, septième ses-
sion, supplément n 6, doc. E/794, p. 2, 18.)
La Belgique considéra qu’il fallait donner à l’engagement de prévenir et
de réprimer davantage d’efficacité en le faisant figurer dans le corps même
de la Convention plutôt que dans le préambule et proposa à la Sixième
Commission de l’Assemblée générale un article premier libellé en ces
termes: «Les Hautes Parties contractantes s’engagent à prévenir et à répri-
mer le crime de génocide» (Nations Unies, doc. A/C.6/217). Les Pays-Bas
proposèrent alors un nouveau texte d’article premier combinant le projet
du comité spécial et la proposition belge, avec quelques modifications:
«Les Hautes Parties contractantes affirment à nouveau que le génocide est
un crime du droit des gens qu’elles s’engagent à prévenir et à réprimer,
conformément aux dispositions des articles suivants.» (Nations Unies,
doc. A/C.6/220; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée géné-
rale, troisième session, première partie, Sixième Commission , comptes
rendus analytiques de la 68 séance, p. 45.) Le représentant danois estima
que l’article premier devait être rédigé de manière à le rendre plus efficace
et proposa de supprimer la dernière phrase — «conformément aux dispo-
sitions des articles suivants» (ibid., p. 47). Le représentant des Pays-Bas
approuva cette proposition (ibid., p. 49-50). Après le rejet, par 36 voix
contre 8 avec 5 abstentions, de la proposition de l’URSS tendant à sup-
primer l’article premier et celui, par 40 voix contre 8, de sa proposition de
73 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 113
transférer dans le préambule les différents points contenus dans cet article,
et après l’adoption, par 30 voix contre 7 avec 6 abstentions, de la proposi-
tion d’insérer le membre de phrase «qu’il soit commis en temps de paix ou
en temps de guerre», le texte amendé de l’article premier fut adopté par
37 voix contre 3 avec 2 abstentions (ibid., p. 51 et 53).
165. Pour la Cour, ces deux modifications — le fait que l’engagement
ait été retiré du préambule pour être inséré dans la première disposition et
le retrait du renvoi («conformément aux dispositions des articles sui-
vants») — confirment que l’article premier impose effectivement des obli-
gations distinctes en sus de celles édictées par d’autres articles de la
Convention. En particulier, les parties contractantes ont directement
l’obligation de prévenir le génocide.
166. La Cour examinera maintenant la question de savoir si les parties à
la Convention sont aussi tenues, en vertu de celle-ci, de ne pas elles-mêmes
commettre de génocide. Il convient de relever d’emblée qu’une telle obliga-
tion n’est pas expressément imposée par les termes mêmes de la Conven-
tion. Le demandeur a toutefois soutenu à titre principal qu’une telle obli-
gation découlait de l’article IX, qui donne à la Cour compétence pour
connaître des différends, «y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un
Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumé-
rés à l’article III». L’article IX étant essentiellement une clause de compé-
tence, la Cour estime devoir d’abord rechercher si l’obligation de nature
substantielle pour les Etats de ne pas commettre de génocide peut découler
des autres dispositions de la Convention. L’article premier fait obligation
aux Etats parties de prévenir la commission d’un génocide, qu’il qualifie de
«crime du droit des gens». Il n’impose pasexpressis verbis aux Etats de
s’abstenir de commettre eux-mêmes un génocide. De l’avis de la Cour,
cependant, eu égard à l’objet de la Convention tel que généralement accepté,
l’article premier a pour effet d’interdire aux Etats parties de commettre eux-
mêmes un génocide. Une telle prohibition résulte, d’abord, de la qualifica-
tion de «crime du droit des gens» donnée par cet article au génocide: en
acceptant cette qualification, les Etats parties s’engagent logiquement à ne
pas commettre l’acte ainsi qualifié. Elle résulte, ensuite, de l’obligation,
expressément stipulée, de prévenir la commission d’actes de génocide. Cette
obligation impose notamment aux Etats parties de mettre en Œuvre les
moyens dont ils disposent, dans des conditions qui seront précisées plus loin
dans le présent arrêt, afin d’empêcher des personnes ou groupes de per-
sonnes qui ne relèvent pas directement de leur autorité de commettre un acte
de génocide ou l’un quelconque des autres actes mentionnés à l’article III.
Il serait paradoxal que les Etats soient ainsi tenus d’empêcher, dans la
mesure de leurs moyens, des personnes sur lesquelles ils peuvent exercer
une certaine influence de commettre le génocide, mais qu’il ne leur soit pas
interdit de commettre eux-mêmes de tels actes par l’intermédiaire de leurs
propres organes, ou des personnes sur lesquelles ils exercent un contrôle
si étroit que le comportement de celles-ci leur est attribuable selon le droit
international. En somme, l’obligation de prévenir le génocide implique
nécessairement l’interdiction de le commettre.
74 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 114
167. La Cour conclut donc que les parties contractantes à la Conven-
tion sont tenues de ne pas commettre de génocide à travers les actes de
leurs organes ou des personnes ou groupes dont les actes leur sont attri-
buables. Cette conclusion doit aussi s’appliquer aux autres actes énumé-
rés à l’article III. Ceux-ci figurent, avec le génocide, dans la liste des actes
prohibés donnée par l’article III. Il y est fait référence au même titre
qu’au génocide à l’article IX sans qu’ils y soient présentés comme devant
être «punis»; on peut considérer que la réalisation du «but purement
humain et civilisateur» de la Convention se trouve facilitée par le fait que
les Etats sont soumis à toute cette série d’obligations venant appuyer leur
engagement de prévenir le génocide. Il est vrai que les notions utilisées
dans les litt. b) à e) de l’article III, et tout particulièrement celle de
«complicité», renvoient à des catégories bien connues du droit pénal, et
paraissent, à ce titre, spécialement adaptées à l’exercice de la répression
pénale contre des individus. Il serait toutefois peu conforme à l’objet et
au but de la Convention de nier que la responsabilité internationale d’un
Etat — quoiqu’elle possède une nature tout à fait différente de celle de la
responsabilité pénale — soit susceptible d’être engagée par le biais de l’un
des actes, autre que le génocide lui-même, énumérés à l’article III.
168. La conclusion selon laquelle les parties contractantes sont ainsi
tenues par la Convention de ne pas commettre le génocide et les autres
actes énumérés à l’article III est confirmée par une particularité du libellé
de l’article IX. Sans cette particularité et sans l’ajout du terme «exécution»
dans la disposition prévoyant la compétence de la Cour à l’égard des dif-
férends relatifs à l’«interprétation» et à l’«application» de la Convention
(un ajout qui ne semble pas significatif en l’occurrence), l’article IX serait
une disposition classique en matière de règlement des différends.
169. La particularité de l’article IX réside dans le membre de phrase
«y compris [les différends] relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière
de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’ar-
ticle III». L’expression «y compris» semble confirmer que les différends
relatifs à la responsabilité des parties contractantes pour génocide ou tout
autre acte énuméré à l’article III s’inscrivent dans un ensemble plus large
de différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de
la Convention. La responsabilité d’une partie pour génocide ou tout
autre acte énuméré à l’article III naît de son manquement aux obligations
que lui imposent les autres dispositions de la Convention, et notamment,
dans le présent contexte, l’article III, lu conjointement avec les articles
premier et II. Conformément au texte anglais de la Convention, la respon-
sabilité visée est la responsabilité pour «génocide» (le texte français
se lisant «responsabilité en matière de génocide»), et non la simple res-
ponsabilité pour «ne pas avoir prévenu ou puni le génocide». Les termes
particuliers du membre de phrase dans son ensemble confirment que
les parties contractantes peuvent être tenues pour responsables d’un
génocide ou de tout autre acte énuméré à l’article III de la Convention.
*
75 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 115
170. La Cour se penchera à présent sur trois arguments avancés par le
défendeur qui peuvent être considérés comme allant à l’encontre de la
thèse selon laquelle la Convention impose aux parties contractantes
l’obligation de ne pas commettre de génocide ni aucun des autres actes
énumérés à l’article III. Selon le premier de ces arguments, en vertu d’un
principe généralement établi, le droit international ne connaît pas de res-
ponsabilité pénale de l’Etat, et la convention sur le génocide ne comporte
pas de mécanisme permettant d’en établir une. Quant au principe, le
défendeur attire l’attention sur le rejet par la CDI, lors de la rédaction du
projet final de ses articles sur la responsabilité de l’Etat, du concept de
crime international — décision qui traduit les réactions résolument néga-
tives d’un certain nombre d’Etats face à toute notion de ce type. Le
demandeur admet que le droit international général ne connaît pas de
responsabilité pénale de l’Etat. Il soutient, sur ce point précis, que l’obli-
gation dont la violation peut engager la responsabilité du défendeur dans
le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article IX est simplement
une obligation relevant du droit international, en l’occurrence les dispo-
sitions de la Convention. La Cour fait observer que les obligations en
cause en l’espèce telles qu’elles résultent des termes de la Convention et
les responsabilités qui découleraient pour les Etats de la violation de
telles obligations sont des obligations et des responsabilités relevant du
droit international, et ne sont pas d’ordre pénal. Cet argument ne saurait
dès lors être accueilli.
171. Selon le deuxième argument du défendeur, la nature de la Conven-
tion est telle que serait exclue de son champ d’application toute responsa-
bilité d’Etat pour génocide ou pour les autres actes énumérés. La Conven-
tion, est-il dit, serait une convention de droit international pénal classique
visant essentiellement les poursuites et les sanctions pénales à l’encontre
d’individus et non la responsabilité des Etats. L’accent mis par la Conven-
tion sur les obligations et la responsabilité individuelles écarterait toute
possibilité que des Etats soient tenus pour responsables en cas de violation
des obligations énoncées à l’article III. En particulier, est-il dit, cette pos-
sibilité serait exclue du fait de la mention, à l’article III, de sanctions (à
l’encontre d’individus), de l’obligation faite par l’article IV de punir des
personnes et de celle, faite par l’article V, de prendre les mesures législa-
tives nécessaires, prévoyant notamment des sanctions pénales efficaces frap-
pant les personnes coupables de génocide, de la disposition de l’article VI
prévoyant que les personnes accusées de génocide seront traduites en jus-
tice et de celle de l’article VII exigeant des mesures d’extradition.
172. La Cour est consciente du fait que la phrase célèbre du jugement
de Nuremberg selon laquelle «[c]e sont des hommes, et non des entités
abstraites, qui commettent les crimes...» (Procès des grands criminels de
guerre devant le Tribunal militaire international, Nuremberg, jugement,
14 novembre 1947, documents officiels, t. 1, p. 235) pourrait être invo-
quée à l’appui de la thèse selon laquelle toute violation des obligations
énoncées à l’article III ne peut être que le fait d’individus. Toutefois la
Cour note que le Tribunal entendait par là réfuter l’argument selon lequel
76 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 116
«le droit international ne vise que les actes des Etats souverains et ne pré-
voit pas de sanctions à l’égard des délinquants individuels» (Jugement du
Tribunal militaire international, op. cit., p. 234), seuls les Etats étant res-
ponsables en vertu du droit international. Le Tribunal rejeta ledit argu-
ment en ces termes: «Il est admis, depuis longtemps, que le droit inter-
national impose des devoirs et des responsabilités aux personnes physi-
ques.» (Ibid., p. 234; le texte anglais comporte les termes «ainsi qu’aux
Etats», qui n’apparaissent pas dans le texte français du jugement.)
173. La Cour relève que cette dualité en matière de responsabilité
continue à être une constante du droit international. Cet élément figure
au paragraphe 4 de l’article 25 du Statut de Rome de la Cour pénale
internationale, auquel sont à présent parties cent quatre Etats: «Aucune
disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des indi-
vidus n’affecte la responsabilité des Etats en droit international.» La
Cour relève également que les articles de la CDI sur la responsabilité de
l’Etat pour fait internationalement illicite (annexe à la résolution 56/83 de
l’Assemblée générale, 12 décembre 2001) (ci-après «Articles de la CDI
sur la responsabilité de l’Etat») abordent, à l’article 58, la question par
son autre aspect: «Les présents articles sont sans préjudice de toute ques-
tion relative à la responsabilité individuelle d’après le droit international
de toute personne qui agit pour le compte d’un Etat.» Dans son com-
mentaire sur cette disposition, la Commission indique ce qui suit:
«Dans le cas de crimes de droit international commis par des agents
de l’Etat, il arrivera souvent que ce soit l’Etat lui-même qui soit res-
ponsable pour avoir commis les faits en cause ou pour ne pas les avoir
empêchés ou réprimés. Dans certains cas, notamment celui de l’agres-
sion, l’Etat sera par définition impliqué. Mais même dans ces cas, la
question de la responsabilité individuelle est en principe à distinguer
de celle de la responsabilité des Etats. L’Etat n’est pas exonéré de sa
propre responsabilité pour le comportement internationalement illi-
cite par le fait qu’il a poursuivi et puni les agents publics qui en sont
les auteurs.» (Rapport de la CDI, 2001, A/56/10, Commentaire de la
CDI sur le projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite, Commentaires sur l’article 58, par. 3.)
La Commission cite le paragraphe 4 de l’article 25 du Statut de Rome et
conclut comme suit:
«L’article 58 ... précis[e] que les articles ne traitent pas de la ques-
tion de la responsabilité individuelle en droit international de toute
personne agissant au nom d’un Etat. L’expression «responsabilité
individuelle» est revêtue d’une signification convenue à la lumière du
Statut de Rome et d’autres instruments; elle désigne la responsabilité
de personnes individuelles, y compris des agents de l’Etat, d’après
certaines règles de droit international s’appliquant à des comporte-
ments tels que la commission d’un génocide, de crimes de guerre et
de crimes contre l’humanité.»
77 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 117
174. La Cour ne voit, dans le libellé ou dans la structure des disposi-
tions de la Convention relatives à la responsabilité pénale individuelle,
rien qui puisse modifier la signification de l’article premier, lu conjointe-
ment avec les litt. a) à e) de l’article III, dans la mesure où ces disposi-
tions imposent aux Etats des obligations différentes de celles qu’il est
demandé à ceux-ci d’imposer aux individus. En outre, le fait que les
articles V, VI et VII se concentrent sur les individus ne peut en soi signi-
fier que les parties contractantes ne puissent pas être soumises à l’obliga-
tion de ne pas commettre de génocide ni aucun des autres actes énu-
mérés à l’article III.
175. Le troisième et dernier argument opposé par le défendeur à la
thèse selon laquelle la Convention fait obligation aux parties contrac-
tantes de ne pas commettre de génocide se fonde sur les travaux prépa-
ratoires de la Convention et, en particulier, de son article IX. La Cour a
déjà utilisé une partie de ces travaux pour confirmer la portée juridique
de l’engagement énoncé à l’article premier (voir plus haut les para-
graphes 164 et 165), interprétation qu’elle avait déjà retenue au vu des
termes de la Convention, de son contexte et de son objet.
176. Affirmant que la Convention, et en particulier son article IX, est
ambiguë, le défendeur soutient qu’il ressort des travaux préparatoires de
la Sixième Commission qu’il «n’était pas question de responsabilité directe
de l’Etat à raison d’actes de génocide». Il affirme que la responsabilité de
l’Etat relevait des «dispositions principales» des articles IV à VI. La
Convention concernerait la responsabilité pénale individuelle, doublée de
la responsabilité civile incombant aux Etats de prévenir et de réprimer.
Cette thèse déniant aux parties contractantes une responsabilité plus
large est fondée sur les comptes rendus des débats de la Sixième Commis-
sion et, soutient-il, étayée par le rejet des amendements proposés par le
Royaume-Uni à ce qui allait devenir les articles IV et VI. Si le premier
amendement avait été adopté, l’article IV, qui prévoit des sanctions
contre des individus ayant commis le génocide ou l’un quelconque des
actes énumérés à l’article III, aurait été complété par une phrase supplé-
mentaire ainsi libellée: «[Les actes de génocide], lorsqu’ils seront commis
par des Etats ou des gouvernements, ou en leur nom, constitueront une
violation de la présente convention.» (A/C.6/236 et corr. 1.) Cet amen-
dement fut rejeté (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée
générale, troisième session, Sixième Commission, comptes rendus analy-
e
tiques de la 96 séance, p. 355). Ce qui est devenu l’article VI aurait été
remplacé par une disposition conférant compétence à la Cour dans les cas
où l’acte de génocide est le fait de l’Etat ou du gouvernement lui-même, ou
d’un organe de l’Etat, ou aurait été présenté comme tel. Pour répondre
aux objections selon lesquelles cette proposition n’était pas recevable
(parce qu’équivalant à revenir sur une décision déjà prise), le Royaume-
Uni la retira en faveur d’un amendement soumis en commun avec la Bel-
gique à ce qui est devenu l’article IX (ibid., 100 séance, p. 394). Au sujet
de cet amendement commun, le délégué du Royaume-Uni reconnut que,
durant les débats, il était apparu clairement que la Commission désirait
78 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 118
limiter ce qui est aujourd’hui l’article VI à la responsabilité des individus
(Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, op. cit. ,
100 séance, p. 430). Aux termes de l’amendement proposé par la Belgi-
que et le Royaume-Uni, l’ajout suivant aurait été apporté: «y compris les
différends relatifs à la responsabilité d’un Etat dans les actes énumérés
aux articles II et IV [selon la numérotation du projet de convention]». Le
délégué du Royaume-Uni expliqua que la responsabilité dont il était
question était une responsabilité civile et non pas une responsabilité
e
pénale (ibid., 103 séance, p. 440). Une proposition tendanteà supprimer
ces termes fut rejetée et la disposition adoptée (ibid., 104 séance, p. 447),
avec des modifications d’ordre stylistique du comité de rédaction.
177. ParlasuiteunepropositioncommunedelaBelgique,duRoyaume-
Uni et des Etats-Unis tendant à remplacer le libellé controversé par les
mots «y compris ceux résultant de l’allégation par une Partie contrac-
tante que le crime de génocide ou l’un quelconque des autres actes énu-
mérés à l’article III a été commis dans la juridiction d’une autre Partie
contractante» fut considérée par le président de la Sixième Commission
comme une modification de fond et la Commission n’adopta pas la
motion (qui requérait une majorité des deux tiers) aux fins d’un nouvel
examen (A/C.6/305). Le président motiva ainsi sa décision qui ne fut pas
contestée:
«L’article IX prévoit que seront soumis à la Cour internationale
de Justice, entre autres, les différends relatifs à la responsabilité
d’un Etat en matière de génocide ou de l’un des actes énumérés à
l’article III, tandis que d’après l’amendement commun, il ne s’agirait
pas de différends portant sur la responsabilité de l’Etat mais résultant
d’une accusation aux termes de laquelle l’acte criminel a été commis
sur le territoire d’une des Parties contractantes.» (Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, première partie, troisième
session, comptes rendus analytiques de la 131 séance, p. 690.)
A ce moment-là des délibérations de la Sixième Commission, il était clair
que seuls les individus pouvaient être tenus pour pénalement respon-
sables aux termes du projet de convention sur le génocide. Le président
considérait manifestement que l’article IX tel qu’il venait d’être modifié
prévoyait la responsabilité de l’Etat pour génocide.
178. De l’avis de la Cour, deux points peuvent être déduits des travaux
préparatoires examinés ci-dessus. Le premier est qu’ils portaient dans une
large mesure sur des propositions allant dans le sens d’une reconnais-
sance de la responsabilité pénale des Etats; ces propositions, toutefois, ne
furent pas adoptées. Le second est que l’amendement qui fut adopté — et
qui concernait l’article IX — porte sur la compétence en matière de res-
ponsabilité de l’Etat dans l’absolu. Par conséquent, la genèse du texte
semble corroborer la conclusion à laquelle la Cour est parvenue au para-
graphe 167 ci-dessus.
179. Ayant examiné les divers arguments, la Cour affirme donc que les
79 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 119
parties contractantes sont tenues en vertu de la Convention de ne pas
commettre, par l’intermédiaire de leurs organes ou de personnes ou
groupes de personnes dont le comportement leur est attribuable, le géno-
cide ni aucun des autres actes énumérés à l’article III. En conséquence,
si un organe de l’Etat ou une personne ou un groupe de personnes dont
les actes sont juridiquement attribuables à l’Etat en question commet
l’un des actes prohibés par l’article III de la Convention, la responsa-
bilité internationale de celui-ci est engagée.
**
5) Question de savoir si la Cour peut conclure qu’un Etat a commis
un génocide sans qu’un individu ait préalablement été reconnu
coupable de génocide par un tribunal compétent
180. La Cour note que, pour que la responsabilité d’un Etat soit enga-
gée pour violation de l’obligation lui incombant de ne pas commettre de
génocide, encore doit-il avoir été démontré qu’un génocide, tel que défini
dans la Convention, a été commis. Il en va de même en ce qui concerne
l’entente en vue de commettre le génocide au sens du litt. b), la compli-
cité au sens du litt. e) de l’article III, et, ainsi qu’exposé plus loin (para-
graphe 431), l’obligation de prévenir le génocide. Le défendeur a soulevé
la question de savoir s’il est nécessaire, en droit, pour que la Cour puisse
conclure, ainsi qu’elle en a été priée, que la responsabilité d’un Etat est
engagée à raison d’un acte de génocide ou de tout autre acte visé à l’ar-
ticle III, qu’une cour ou un tribunal exerçant une compétence pénale ait
conclu à la commission d’un génocide. Selon le défendeur, la condition
sine qua non pour établir la responsabilité de l’Etat est qu’ait été préala-
blement établie, conformément aux règles du droit pénal, la responsabi-
lité d’un auteur individuel pouvant engager la responsabilité de l’Etat.
181. Les différences entre la Cour et les juridictions appelées à juger
des personnes accusées d’infractions pénales, sur le plan de la procédure
et des pouvoirs qui leur sont conférés, ne signifient pas en elles-mêmes
que la Cour soit empêchée de conclure qu’il y a eu commission du géno-
cide ou des autres actes énumérés à l’article III. En vertu de son Statut, la
Cour est habilitée à entreprendre cette tâche, en appliquant le critère
d’établissement de la preuve qui convient s’agissant d’accusations d’une
exceptionnelle gravité (paragraphes 209-210 ci-après). Pour en venir au
libellé de la Convention elle-même, la Cour a déjà jugé que l’article IX lui
confère compétence pour conclure à la responsabilité d’un Etat si le géno-
cide ou les autres actes énumérés à l’article III sont commis par ses or-
ganes, ou par des personnes ou groupes dont les actes lui sont attribuables.
182. Toute autre interprétation signifierait que la Convention n’aurait
prévu aucune voie de droit dans des cas que l’on n’aura aucune peine à se
figurer: celui de dirigeants d’un Etat ayant commis un génocide sur le ter-
ritoire de celui-ci et qui ne seraient pas traduits en justice parce qu’ils
continueraient, par exemple, à exercer un contrôle important sur les
80 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 120
organes de l’Etat, notamment la police, le ministère public et les tribu-
naux et parce qu’il n’existerait pas de juridiction pénale internationale
ayant compétence pour connaître des crimes allégués; ou celui d’un Etat
responsable qui aurait reconnu la violation. La Cour conclut donc qu’un
Etat peut voir sa responsabilité engagée en vertu de la Convention pour
génocide et complicité de génocide, sans qu’un individu ait été reconnu
coupable de ce crime ou d’un crime connexe.
**
6) L’éventuelle limitation territoriale des obligations
183. Les obligations matérielles découlant de l’article premier et de
l’article III ne semblent pas être territorialement limitées. Elles s’ap-
pliquent à un Etat, où que celui-ci se trouve agir ou en mesure d’agir pour
s’acquitter des obligations en question. La portée en droit et en fait de
cette capacité est examinée, pour ce qui est de l’obligation de prévenir le
crime de génocide, dans la partie de l’arrêt consacrée à cette dernière (cf.
paragraphe 430 ci-après). Le principal critère pertinent quant à l’obliga-
tion de s’abstenir de commettre le génocide et les autres actes énumérés à
l’article III est défini par les règles relatives à l’attribution (voir para-
graphes 379 et suiv. ci-après).
184. L’obligation d’engager des poursuites imposée par l’article VI est
en revanche expressément soumise à une limitation territoriale. Le procès
des personnes accusées de génocide doit se tenir devant les tribunaux
compétents de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été commis (voir
paragraphe 442 ci-après) ou devant une cour criminelle internationale
compétente (paragraphes 443 et suiv. ci-après).
**
7) Les allégations du demandeur au sujet d’un génocide qui aurait été
commis en dehors de son territoire contre des non-nationaux
185. Dans ses conclusions finales, le demandeur prie la Cour de statuer
sur des actes de génocide et d’autres actes illicites que le défendeur aurait
commis à l’encontre du groupe «non serbe» hors du territoire de la Bos-
nie-Herzégovine (ainsi que sur celui-ci). Dans la mesure où cette demande
viserait des victimes non bosniaques, elle pourrait soulever certaines
interrogations quant à l’intérêt juridique ou à la qualité pour agir du
demandeur à l’égard de telles questions et quant au caractère de jus
cogens qui s’attache aux normes pertinentes et au caractère erga omnes
que revêtent les obligations pertinentes. Pour les motifs exposés plus en
détail aux paragraphes 368 à 369 ci-dessous, la Cour n’aura toutefois pas
à examiner ces questions de droit.
**
81 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 121
8) La question de l’intention de commettre le génocide
186. La Cour relève que le génocide, tel que défini à l’article II de la
Convention, comporte à la fois des «actes» et une «intention». Il est bien
établi que les actes suivants —
«a) meurtre de membres du groupe;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du
groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’exis-
tence devant entraîner sa destruction physique totale ou par-
tielle;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; et
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe» —
comprennent eux-mêmes des éléments moraux. Le «meurtre» est néces-
sairement intentionnel, tout comme l’«atteinte grave à l’intégrité phy-
sique ou mentale de membres du groupe». Dans leslitt. c) et d) de l’ar-
ticle II, ces éléments moraux ressortent expressément des mots «intention-
nelle» et «visant», et implicitement aussi des termes «soumission» et
«mesures». De même, le transfert forcé suppose des actes intentionnels,
voulus. Ces actes, selon les termes de la CDI, sont par leur nature même
des actes conscients, intentionnels ou délibérés (Commentaire relatif à
l’article 17 du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de
l’humanité de 1996, rapport de la CDI 1996, Annuaire de la Commission
du droit international, 1996 , vol. II, deuxième partie, p. 47, par. 5).
187. A ces éléments moraux, l’article II en ajoute un autre. Il exige que
soit établie l’«intention de détruire, en tout ou en partie, [le] groupe
[protégé]..., comme tel». Il ne suffit pas d’établir, par exemple aux termes
du litt. a), qu’a été commis le meurtre de membres du groupe, c’est-à-dire
un homicide volontaire, illicite, contre ces personnes. Il faut aussi établir
une intention supplémentaire, laquelle est définie de manière très précise.
Elle est souvent qualifiée d’intention particulière ou spécifique, ou dolus
specialis ; dans le présent arrêt, elle sera généralement qualifiée d’«inten-
tion spécifique (dolus specialis) ». Il ne suffit pas que les membres du
groupe soient pris pour cible en raison de leur appartenance à ce groupe,
c’est-à-dire en raison de l’intention discriminatoire de l’auteur de l’acte. Il
faut en outre que les actes visés à l’article II soient accomplis dans l’inten-
tion de détruire, en tout ou en partie, le groupe comme tel. Les termes
«comme tel» soulignent cette intention de détruire le groupe protégé.
188. La spécificité de l’intention et les critères qui la distinguent appa-
raissent clairement lorsque le génocide est replacé, comme il l’a été par la
chambre de première instance du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie
(dénommé ci-après le «TPIY» ou le «Tribunal») en l’affaire Kupreškic ´ et
consorts, dans le contexte d’actes criminels qui lui sont apparentés,
notamment les crimes contre l’humanité et la persécution:
82 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 122
«[L’]élément moral requis pour la persécution est plus strict que
pour les crimes contre l’humanité habituels, tout en demeurant en
deçà de celui requis pour le génocide. Dans ce contexte, la chambre
de première instance souhaite insister sur le fait que la persécution,
en tant que crime contre l’humanité, est une infraction qui relève du
même genus que le génocide. Il s’agit, dans les deux cas, de crimes
commis contre des personnes qui appartiennent à un groupe déter-
miné et qui sont visées en raison même de cette appartenance. Ce qui
compte dans les deux cas, c’est l’intention discriminatoire: pour atta-
quer des personnes à cause de leurs caractéristiques ethniques, ra-
ciales ou religieuses (ainsi que, dans le cas de la persécution, à cause
de leurs opinions politiques). Alors que dans le cas de la persécution,
l’intention discriminatoire peut revêtir diverses formes inhumaines et
s’exprimer par le biais d’une multitude d’actes, dont l’assassinat,
l’intention requise pour le génocide doit s’accompagner de celle de
détruire, en tout ou en partie, le groupe auquel les victimes appar-
tiennent. S’agissant de l’élément moral, on peut donc dire que le
génocide est une forme de persécution extrême, sa forme la plus
inhumaine. En d’autres termes, quand la persécution atteint sa forme
extrême consistant en des actes intentionnels et délibérés destinés à
détruire un groupe en tout ou en partie, on peut estimer qu’elle cons-
titue un génocide.» (IT-95-16-T, jugement du 14 janvier 2000,
par. 636.)
189. Il convient aussi de distinguer l’intention spécifique d’autres rai-
sons ou mobiles que pourrait avoir l’auteur. Il faut prendre le plus grand
soin pour conclure, à partir des faits, à une manifestation suffisamment
claire de cette intention.
**
9) Intention et «nettoyage ethnique»
190. L’expression «nettoyage ethnique» a fréquemment été employée
pour se référer aux événements de Bosnie-Herzégovine qui font l’objet de
la présente affaire; voir, par exemple, le paragraphe 2 de la résolution 787
(1992) du Conseil de sécurité; le préambule de la résolution 827 (1993) et
le rapport, portant le même titre, joint en tant qu’annexe IV au rapport
final de la commission d’experts des Nations Unies (S/1994/674/Add.2)
(ci-après dénommé le «rapport de la commission d’experts»). Le préam-
bule de la résolution 47/121 fait état, pour décrire ce qui se déroulait en
Bosnie-Herzégovine, d’une «ignoble politique de «nettoyage ethnique», ...
forme de génocide». Il serait utile à ce stade de se pencher sur la portée
juridique que peut revêtir l’expression «nettoyage ethnique». Dans la
pratique, elle est employée, à propos d’une région ou d’une zone parti-
culière, avec le sens de «rendre une zone ethniquement homogène en uti-
lisant la force ou l’intimidation pour faire disparaître de la zone en ques-
tion des personnes appartenant à des groupes déterminés» (S/35374
83 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 123
(1993), par. 55, rapport intérimaire de la commission d’experts). Elle
n’apparaît pas dans la convention sur le génocide; de fait, lors de la
rédaction de la Convention, une proposition visant à inclure dans la défi-
nition les «mesures tendant à mettre les populations dans l’obligation
d’abandonner leurs foyers afin d’échapper à la menace de mauvais trai-
tements ultérieurs» fut rejetée (A/C.6/234). De telles mesures ne sauraient
constituer une forme de génocide au sens de la Convention que si elles
correspondent à l’une des catégories d’actes prohibés par l’article II de la
Convention ou relèvent de l’une de ces catégories. Ni l’intention, sous
forme d’une politique visant à rendre une zone «ethniquement homo-
gène», ni les opérations qui pourraient être menées pour mettre en Œuvre
pareille politique ne peuvent, en tant que telles, être désignées par le
terme de génocide: l’intention qui caractérise le génocide vise à «détruire,
en tout ou en partie» un groupe particulier; la déportation ou le dépla-
cement de membres appartenant à un groupe, même par la force, n’équi-
vaut pas nécessairement à la destruction dudit groupe, et une telle des-
truction ne résulte pas non plus automatiquement du déplacement forcé.
Cela ne signifie pas que les actes qui sont décrits comme étant du «net-
toyage ethnique» ne sauraient jamais constituer un génocide, s’ils sont
tels qu’ils peuvent être qualifiés, par exemple, de «[s]oumission intention-
nelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruc-
tion physique totale ou partielle», en violation du litt. c) de l’article II de
la Convention, sous réserve que pareille action soit menée avec l’intention
spécifique (dolus specialis) nécessaire, c’est-à-dire avec l’intention de
détruire le groupe, et non pas seulement de l’expulser de la région. Ainsi
que l’a fait observer le TPIY, s’«[i]l y a donc d’évidentes similitudes entre
une politique génocidaire et ce qui est communément appelé une poli-
tique de «nettoyage ethnique»» (Krstic ´, IT-98-33, chambre de première
instance, jugement du 2 août 2001, par. 562), il n’en reste pas moins
qu’«[i]l faut faire clairement le départ entre la destruction physique et la
simple dissolution d’un groupe. L’expulsion d’un groupe ou d’une partie
d’un groupe ne saurait à elle seule constituer un génocide.» (Stakic ´,
IT-97-24-T, chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003,
par. 519.) En d’autres termes, savoir si une opération particulière présen-
tée comme relevant du «nettoyage ethnique» équivaut ou non à un géno-
cide dépend de l’existence ou non des actes matériels énumérés à l’ar-
ticle II de la convention sur le génocide et de l’intention de détruire le
groupe comme tel. En réalité, dans le contexte de cette Convention,
l’expression «nettoyage ethnique» ne revêt, par elle-même, aucune portée
juridique. Cela étant, il est clair que des actes de «nettoyage ethnique»
peuvent se produire en même temps que des actes prohibés par l’article II
de la Convention, et permettre de déceler l’existence d’une intention spé-
cifique (dolus specialis) se trouvant à l’origine des actes en question.
**
84 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 124
10) Définition du groupe protégé
191. Lorsqu’elle examine les faits qui lui ont été soumis pour étayer les
accusations d’actes de génocide, la Cour doit tenir compte de l’identité du
groupe contre lequel il peut être considéré qu’un génocide a été commis.
Elle va donc examiner maintenant l’application en l’espèce de la condi-
tion énoncée à l’article II de la convention sur le génocide selon laquelle,
pour être constitutifs de génocide, les actes prohibés doivent être «com-
mis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel». Les Parties s’opposent sur cer-
tains aspects de la définition du «groupe». Dans ses conclusions finales,
le demandeur mentionne le «groupe national, ethnique ou religieux
non serbe, notamment mais non exclusivement, sur le territoire de la Bos-
nie-Herzégovine, en particulier la population musulmane» (paragraphe 66
ci-dessus). Il adopte donc l’approche dite négative de la définition du
groupe en question. Le défendeur voit dans cette formulation deux pro-
blèmes juridiques:
«Premièrement, le groupe visé n’est pas suffisamment défini comme
tel, car selon l’allégation du demandeur ce groupe serait des non-
Serbes, donc un ensemble de toutes les personnes vivant en Bosnie-
Herzégovine à l’exception des Serbes, mais plus particulièrement la
population musulmane qui ne représente qu’une partie de cette
population non serbe. Deuxièmement, l’intention de détruire aurait
visé une partie de la population non serbe, mais le demandeur ne
spécifie pas quelle partie du groupe aurait été visée.»
En sus de ces questions de la définition négative du groupe et de ses
limitesgéographiques(oudeleurabsence),lesPartiesontégalementdébat-
tu du choix entre l’approche subjective et l’approche objective de la défi-
nition. Elles conviennent pour l’essentiel que la jurisprudence internatio-
nale admet une approche mixte, à la fois subjective et objective. Quoi
qu’il en soit, la question ne présente pas d’importance en ce qui concerne
les faits de l’espèce et la Cour ne l’examinera pas plus avant.
192. Quoique le demandeur ait utilisé une approche négative pour
définir le groupe protégé, il cite essentiellement et presque exclusivement
les Musulmans de Bosnie en tant que groupe visé. Le défendeur, par
exemple, fait valoir que le demandeur n’a pas mentionné les Croates dans
ses plaidoiries relatives aux violences sexuelles, à Srebrenica et à Sara-
jevo, pas plus que d’autres minorités telles que «les Juifs, les Roms et les
Yougoslaves». Dans ses conclusions finales cependant, le demandeur s’en
tient à la définition négative du groupe, et la Cour doit par conséquent
l’examiner.
193. La Cour rappellera tout d’abord que l’intention est essentiellement
de détruire le groupe protégé, en tout ou en partie, comme tel. Ce groupe
doit présenter des caractéristiques positives particulières — nationales, eth-
niques, raciales ou religieuses —, et non pas une absence de telles caracté-
ristiques. L’intention doit aussi concerner le groupe «comme tel». Cela
85 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 125
signifie que le crime doit être inspiré par l’intention de détruire un en-
semble de personnes possédant une identité collective particulière. Ce qui
importe, c’est ce que ces personnes sont, et non ce qu’elles ne sont pas.
L’étymologie du mot génocide — destruction d’un groupe — implique éga-
lement une définition positive; Raphael Lemkin a d’ailleurs expliqué qu’il
avait forgé le terme à partir du grecgenos, qui signifie race ou tribu, et du
suffixe -cide, du latincaedere, tuer (Axis Rule in Occupied Europe, 1944,
p. 79). En 1945, le terme était employé dans l’acte d’accusation contre les
grands criminels de guerre traduits devant le Tribunal de Nuremberg, dans
lequel il est indiqué que les accusés «se livrèrent au génocide délibéré et
systématique, c’est-à-dire à l’extermination de groupes raciaux et
nationaux ... afin de détruire des races ou classes déterminées de popula-
tion, et de groupes nationaux, raciaux ou religieux...» (Procès des grands
criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, acte d’accu-
sation, documents officiels, t. 1, p. 46 et 47). Ainsi que la Cour l’explique
plus loin (paragraphe 198), la partie du groupe visée doit être suffisamment
importante pour que sa destruction ait des effets sur le groupe tout entier.
En outre, pour chacun des actes énumérés à l’article II, il faut que l’acte
prohibé soit commis à l’encontre de membres du «groupe».
194. Les travaux préparatoires de la Convention confirment qu’il faut
utiliser une définition positive. Le génocide — «le refus du droit à l’exis-
tence à des groupes humains entiers» — a été opposé à l’homicide — «le
refus du droit à l’existence à un individu» — par l’Assemblée générale
dans sa résolution 96 (I) de 1946, mentionnée dans le préambule de la
Convention. Les rédacteurs de la Convention se sont aussi attachés à
définir de manière positive des groupes se distinguant par des caractéris-
tiques spécifiques pour décider lesquels relèveraient de la Convention et
lesquels (les groupes politiques par exemple) seraient exclus du champ
d’application de celle-ci. La Cour s’est exprimée dans le même sens
en 1951, lorsqu’elle a déclaré que la Convention visait notamment à sau-
vegarder «l’existence même de certains groupes humains» (Réserves à la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1951 , p. 23). Pareille interprétation du géno-
cide suppose que le groupe soit identifié de manière positive. Le rejet des
propositions visant à faire entrer dans le champ d’application de la
Convention les groupes politiques et le génocide culturel démontre éga-
lement que les rédacteurs s’attachaient à définir de manière positive des
groupes présentant des caractéristiques spécifiques, distinctes et bien éta-
blies, voire immuables selon certains, ce qui ne saurait être le cas de
groupes définis négativement.
195. La Cour fait observer que la chambre d’appel du TPIY est éga-
lement parvenue, dans l’affaire Staki´ (IT-97-24-A, arrêt du 22 mars 2006,
par. 20-28), à la conclusion selon laquelle le groupe doit être défini de
manière positive, essentiellement pour des raisons identiques à celles
avancées par la Cour.
196. En conséquence, la Cour conclut qu’elle doit examiner la ques-
tion en partant du principe que le groupe doit en droit être défini de
86 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 126
manière positive et non de manière négative en tant que population «non
serbe». Le demandeur n’a que très rarement fait mention des populations
non serbes de Bosnie-Herzégovine autres que les Musulmans — les
Croates, par exemple. La Cour examinera dès lors les faits de l’espèce en
partant du principe qu’elle pourra peut-être conclure qu’un génocide a
été commis si elle peut établir l’existence d’une intention de détruire en
tant que groupe, en tout ou en partie, les Musulmans de Bosnie.
197. Les Parties se sont également intéressées à une question particu-
lière concernant l’incidence des critères géographiques sur une définition
positive du groupe. Il s’agit plus précisément des atrocités commises
en juillet 1995 à l’intérieur et aux alentours de la ville de Srebrenica et de
la question de savoir si, dans ces circonstances, il était satisfait au critère
de l’intention de détruire le «groupe» «en tout ou en partie», énoncé
dans la définition du génocide de l’article II. Cette question se pose en
raison d’une conclusion décisive en l’affaire Krsti´. Dans cette affaire, la
chambre de première instance s’est déclarée «convaincue, en dernière
analyse, que les meurtres et les atteintes graves à l’intégrité physique ou
mentale [avaient] été perpétrés avec l’intention de tuer tous les hommes
musulmans de Bosnie présents à Srebrenica qui étaient en âge de porter
les armes» (IT-98-33, jugement du 2 août 2001, par. 546). Ces hommes
ont été systématiquement visés, qu’ils fussent civils ou militaires (ibid.).
La Cour examinera plus tard (paragraphes 278-297) les faits relatifs à
cette situation. Pour le moment, elle se penchera sur la question de savoir
comment définir le «groupe» en droit, du point de vue territorial et sous
d’autres aspects.
198. Sur cette question de droit, la Cour relève trois points importants
s’agissant de déterminer la «partie» du «groupe» aux fins de l’article II.
En premier lieu, l’intention doit être de détruire au moins une partie subs-
tantielle du groupe en question. C’est ce qu’exige la nature même du
crime de génocide: l’objet et le but de la Convention dans son ensemble
étant de prévenir la destruction intentionnelle de groupes, la partie visée
doit être suffisamment importante pour que sa disparition ait des effets
sur le groupe tout entier. Cette condition relative au caractère substantiel
de la partie du groupe est corroborée par la jurisprudence constante du
TPIY et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), ainsi
que par la CDI dans son commentaire des articles du projet de code des
crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (voir, par exemple,
Krsti´, IT-98-33-A, chambre d’appel, arrêt du 19 avril 2004, par. 8-11, et
les affaires Kayishema, Byilishema et Semanza qui y sont citées, ainsi
que l’Annuaire de la CDI, 1996, vol. II, deuxième partie, p. 45, par. 8 du
commentaire de l’article 17).
199. Deuxièmement, la Cour relève qu’il est largement admis qu’il
peut être conclu au génocide lorsque l’intention est de détruire le groupe
au sein d’une zone géographique précise. Pour reprendre les termes de la
CDI, l’intention «ne doit pas nécessairement être l’anéantissement com-
plet du groupe, dans le monde entier» (ibid.). La zone dans laquelle
l’auteur du crime exerce son activité et son contrôle doit être prise en
87 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 127
considération. Comme la chambre d’appel du TPIY l’a dit et comme le
défendeur le reconnaît d’ailleurs, les possibilités qui s’offrent aux crimi-
nels constituent un élément important (Krstic ´, IT-98-33-A, arrêt du
19 avril 2004, par. 13). Ce critère des possibilités doit toutefois être appré-
cié au regard du premier facteur, essentiel, à savoir celui du caractère
substantiel. Il se peut que les possibilités s’offrant au criminel allégué
soient si limitées qu’il ne soit pas satisfait à ce critère. La Cour relève que
la chambre de première instance du TPIY a d’ailleurs souligné la néces-
sité de faire montre de prudence pour éviter que cette approche ne déna-
ture la définition du génocide (Stakic ´, IT-97-24-T, jugement du
31 juillet 2003, par. 523). Sans contester ce critère, le défendeur soutient
néanmoins que la limitation en question plaide contre l’existence de
l’intention spécifique (dolus specialis) au niveau national, celui de l’Etat,
par opposition au niveau local — argument qui, selon la Cour, se rap-
porte à l’attribution et non à la condition que soit visé un «groupe».
200. Un troisième critère proposé est d’ordre qualitatif et non quanti-
tatif. Dans l’affaire Krst´, la chambre d’appel l’a énoncé en ces termes
soigneusement pesés:
«Le nombre de personnes visées doit être considéré dans l’absolu
mais aussi par rapport à la taille du groupe dans son ensemble. Il
peut être utile de tenir compte non seulement de l’importance numé-
rique de la fraction du groupe visée, mais aussi de sa place au sein du
groupe tout entier. Si une portion donnée du groupe est représenta-
tive de l’ensemble du groupe, ou essentielle à sa survie, on peut en
conclure qu’elle est substantielle au sens de l’article 4 du Statut [qui
est calqué sur l’article II de la Convention].» (IT-98-33-A, arrêt du
19 avril 2004, par. 12, note de bas de page omise.)
Pour établir s’il est satisfait à la condition relative au «groupe», le critère
du caractère substantiel ne suffit pas toujours, bien qu’il soit un point de
départ essentiel. Il s’ensuit, de l’avis de la Cour, que l’approche qualita-
tive n’est pas suffisante. La chambre d’appel dans l’affaire Krstic ´ a
exprimé la même idée.
201. La liste de critères donnée ci-dessus n’est pas limitative, mais,
comme il vient d’être indiqué, le critère du caractère substantiel est déter-
minant. Ce sont essentiellement les critères que la chambre d’appel a
exposés dans l’affaire Krsti´, bien que la Cour donne priorité au premier.
La décision dépendra beaucoup de la manière dont le juge appréciera ces
critères ainsi que tous les autres facteurs pertinents dans chaque espèce.
* * *
V. Q UESTIONS RELATIVES À LA PREUVE :CHARGE DE LA PREUVE ,
CRITÈRE D ÉTABLISSEMENT DE LA PREUVE , MODES DE PREUVE
202. Passant à l’examen des faits du différend, la Cour doit garder à
l’esprit que de nombreuses allégations de fait présentées par le demandeur
88 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 128
sont contestées par le défendeur, bien que les points de vue des Parties sur
certaines questions se soient rapprochés au cours de l’instance. Les diver-
gences portent sur certains aspects des faits, tels que le nombre de viols
commis par des Serbes sur des Musulmans de Bosnie ou les relations quo-
tidiennes entre les autorités de Belgrade et celles de Pale, ainsi que sur les
déductions qu’il convient de tirer ou l’appréciation qu’il convient de faire
des faits — par exemple en ce qui concerne l’existence ou l’absence de
l’intention spécifique (dolus specialis) requise, ou l’imputabilité au défen-
deur des actes des organes de la Republika Srpska et de divers groupes
paramilitaires. Par ailleurs, les allégations couvrent un large éventail
d’activités, menées dans un vaste secteur et sur une longue période, et
ayant touché un nombre important de communautés et d’individus. Elles
ont déjà fait l’objet de maints comptes rendus, officiels ou non, de la part
de nombre de personnes et d’organes. Les Parties se sont très largement
appuyées sur ces comptes rendus dans leurs écritures et plaidoiries.
203. Aussi, avant de se livrer à un examen des faits allégués sur les-
quels repose la demande formée en la présente affaire, la Cour se pen-
chera-t-elle successivement, dans cette partie de l’arrêt, sur la charge de la
preuve, le critère d’établissement de la preuve et les modes de preuve.
204. En ce qui concerne la charge de la preuve, il est constant que le
demandeur est tenu d’étayer ses arguments, et qu’une partie qui avance un
fait est tenue de l’établir; ainsi qu’exposé par la Cour en l’affaire desActi-
vités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique), «c’est ... au plaideur qui cherche à établir un
fait qu’incombe la charge de la preuve» c (ompétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101). Si cette approche est généralement
acceptée par le demandeur, celui-ci soutient que la charge de la preuve
devrait, à certains égards, être renversée, notamment en ce qui concerne
l’imputabilité au défendeur d’actes de génocide allégués, compte tenu du
refus de celui-ci de produire le texte intégral de certains documents.
205. Le problème concerne, spécifiquement, les sections des docu-
ments du Conseil suprême de la défense du défendeur qui avaient été
noircies de manière à les rendre illisibles. Selon le coagent du défendeur,
ces documents avaient été classés par décision du Conseil suprême comme
secret militaire, et par décision confidentielle du Conseil des ministres de
Serbie-et-Monténégro comme documents dont la divulgation porterait
atteinte à des intérêts de sécurité nationale. Le demandeur soutient que la
Cour devrait tirer ses propres conclusions du refus du défendeur de pro-
duire des copies du texte intégral des documents. Il renvoie au pouvoir
qu’a la Cour, déjà invoqué par lui (paragraphe 44 ci-dessus), de deman-
der la production de documents en vertu de l’article 49 du Statut, lequel
dispose qu’«[e]n cas de refus, [la Cour] en prend acte». Au cours du
second tour de plaidoiries, l’agent adjoint du demandeur a soutenu que
«la Serbie-et-Monténégro ne devrait pas être autorisée à nous
répondre lorsque nous citons les documents expurgés si elle ne com-
munique pas en même temps au demandeur et à la Cour le texte com-
89 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 129
plet et non expurgé de tous les rapports sténographiques et de tous
les comptes rendus du CSD. Sinon, la Serbie-et-Monténégro aurait un
avantage considérable sur la Bosnie-Herzégovine en ce qui concerne
ces documents sur lesquels, apparemment, et certainement aux yeux
du défendeur, toute cette affaire peut se jouer. Nous demandons
expressément à la Cour de donner au défendeur les instructions cor-
respondantes.» (Les italiques sont dans l’original.)
206. A cet égard, la Cour relève que le demandeur dispose d’abondants
documents et autres éléments de preuve provenant notamment des dossiers
facilement accessibles du TPIY. Il y a eu très largement recours. Dans le
mois qui a précédé les audiences, il a soumis une série de documents dont
il y a lieu de penser qu’ils avaient été soigneusement choisis parmi les très
nombreux documents émanant du TPIY. Le demandeur a appelé à la
barre le général Dannatt, lequel, se fondant sur un certain nombre de ces
documents, a témoigné sur les relations entre les autorités de la République
fédérative de Yougoslavie et celles de la Republika Srpska ainsi que sur la
question du contrôle et du commandement. Bien que la Cour n’ait fait
droit à aucune de ses demandes tendant à l’obtention de copies non occul-
tées des documents, elle n’a pas manqué de noter l’argument du deman-
deur selon lequel elle était libre d’en tirer ses propres conclusions.
207. Sur un dernier point ayant trait à la charge de la preuve, le
demandeur soutient que la Cour devrait tirer des déductions, notamment
au sujet de l’intention spécifique (dolus specialis), à partir de faits établis,
c’est-à-dire de ce qu’il présente comme «un ensemble organisé d’actes»
qui «parlent d’eux-mêmes». La Cour examinera cette question plus loin
dans l’arrêt (voir paragraphes 370-376 ci-après).
208. Les Parties n’ont pas non plus le même point de vue concernant
la deuxième question, à savoir le critère d’établissement de la preuve. Le
demandeur, soulignant qu’il ne s’agit pas d’une affaire relevant du droit
pénal, affirme que le critère applicable est celui de la preuve prépondé-
rante ou de l’hypothèse la plus vraisemblable, dans la mesure où ses allé-
gations portent sur des violations d’obligations conventionnelles. Le
défendeur estime pour sa part que l’instance dont la Cour est saisie
«porte sur les questions les plus graves qui soient en matière de respon-
sabilité des Etats et ... une accusation d’une gravité aussi exceptionnelle
formulée contre un Etat exige un degré de certitude approprié. La preuve
ne doit laisser place à aucun doute raisonnable.»
209. La Cour a admis de longue date que les allégations formulées
contre un Etat qui comprennent des accusations d’une exceptionnelle
gravité doivent être prouvées par des éléments ayant pleine force
probante (cf. Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1949, p. 17). La Cour doit être pleinement convaincue
qu’ont été clairement avérées les allégations formulées au cours de l’ins-
tance selon lesquelles le crime de génocide ou les autres actes énumérés à
l’article III ont été commis. Le même critère s’applique à la preuve de
l’attribution de tels actes.
90 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 130
210. En ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle le
défendeur a violé les engagements qu’il avait pris de prévenir le génocide
ainsi que de punir et d’extrader les personnes accusées de ce crime, la
Cour exige qu’elle soit prouvée avec un degré élevé de certitude, à la
mesure de sa gravité.
211. La Cour en vient maintenant à la troisième question — les modes
de preuve. Les Parties lui ont présenté une grande quantité de documents
divers, provenant de sources différentes. Ils comprenaient des rapports,
des résolutions et des conclusions de divers organes des Nations Unies,
dont le Secrétaire général, l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et
sa commission d’experts, ainsi que la Commission des droits de l’homme,
la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de
la protection des minorités, et le rapporteur spécial des droits de l’homme
en ex-Yougoslavie; des documents émanant d’autres organisations inter-
gouvernementales, telles que la Conférence sur la sécurité et la coopéra-
tion en Europe; des documents, éléments de preuve et décisions du
TPIY; des publications de gouvernements; des documents émanant
d’organisations non gouvernementales; des comptes rendus et des articles
diffusés par les médias, ainsi que des livres. Les Parties ont aussi appelé à
la barre des témoins, experts et témoins-experts (paragraphes 57-58 plus
haut).
212. La Cour doit déterminer elle-même les faits qui sont pertinents au
regard des règles de droit que, selon le demandeur, le défendeur aurait
transgressées. Cette affaire présente toutefois une caractéristique peu
ordinaire. Un grand nombre des allégations présentées à la Cour ont déjà
fait l’objet d’instances devant le TPIY et de décisions rendues par ce der-
nier. La Cour examinera plus loin dans cette section de l’arrêt l’impor-
tance à leur attribuer.
213. Le jugement qu’elle portera quant au poids à accorder à un élé-
ment de preuve particulier pourra amener la Cour à rejeter cet élément
comme sujet à caution, ou à lui reconnaître force probante, ainsi qu’il
ressort, par exemple, de la pratique suivie dans l’affaire relative au Per-
sonnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis
d’Amérique c. Iran) (arrêt, C.I.J. Recueil 1980 , p. 9-10, par. 11-13), dans
celle des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1986, p. 39-41, par. 59-73) et dans celle des Activités armées sur le terri-
toire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) (arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 200-201, par. 57-61). Dans la toute dernière
affaire, la Cour a indiqué ceci:
«La Cour traitera avec prudence les éléments de preuve spéciale-
ment établis aux fins de l’affaire ainsi que ceux provenant d’une
source unique. Elle leur préférera des informations fournies à
l’époque des événements par des personnes ayant eu de ceux-ci une
connaissance directe. Elle prêtera une attention toute particulière
aux éléments de preuve dignes de foi attestant de faits ou de com-
91 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 131
portements défavorables à l’Etat que représente celui dont émanent
lesdits éléments (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 41, par. 64). La Cour accordera également du
poids à des éléments de preuve dont l’exactitude n’a pas, même
avant le présent différend, été contestée par des sources impartiales.
La Cour relève par ailleurs qu’une attention particulière mérite
d’être prêtée aux éléments de preuve obtenus par l’audition d’indivi-
dus directement concernés et soumis à un contre-interrogatoire par
des juges rompus à l’examen et à l’appréciation de grandes quantités
d’informations factuelles, parfois de nature technique. Elle tiendra
donc compte comme il convient du rapport de la commission Porter,
qui a suivi cette méthodologie. Elle relève encore que la crédibilité de
ce rapport, qui a été reconnue par les deux Parties, n’a, depuis sa
publication, jamais été contestée.» (Activités armées sur le territoire
du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 35, par. 61. Voir également les para-
graphes 78-79, 114 et 237-242.)
214. Ces termes s’appliquent aussi aux méthodes d’établissement des
faits par le TPIY, en tant qu’«éléments de preuve obtenus par l’audition
d’individus directement concernés», soumis à un contre-interrogatoire,
dont la crédibilité n’a pas ultérieurement été contestée. Les Parties ont
renvoyé la Cour à l’abondante documentation issue des procédures du
Tribunal — actes d’accusation du procureur, décisions interlocutoires
prises par les juges et les chambres de première instance, éléments de
preuve écrits et oraux, décisions des chambres de première instance sur la
culpabilité ou l’innocence de l’accusé, jugements portant condamnation
rendus à la suite d’un accord sur le plaidoyer et décisions de la chambre
d’appel.
215. A la fin de la procédure orale, les Parties étaient parvenues à un
large accord sur l’importance à attacher aux documents du TPIY. Le
demandeur n’a cessé d’y accorder une grande valeur. Au stade de la pro-
cédure écrite, le défendeur avait contesté la fiabilité des conclusions du
Tribunal, de même que la pertinence du cadre juridique dans lequel le
Tribunal se prononce et de ses procédures, ainsi que sa neutralité. Au
stade de la procédure orale, il avait considérablement modifié sa position.
Suivant les termes employés par son agent, le défendeur lui-même faisait
désormais fond sur la jurisprudence du Tribunal et avait effectivement
pris ses distances par rapport aux opinions concernant le Tribunal qu’il
avait exposées dans sa duplique. L’agent a toutefois pris soin de faire la
distinction entre différentes catégories de documents:
«[N]ous ne considérons pas que tous les matériaux du Tribunal
pour l’ex-Yougoslavie revêtent la même pertinence et aient la même
valeur probante. Nous nous appuyons premièrement sur les arrêts et
jugements du Tribunal, vu qu’uniquement les jugements peuvent
92 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 132
être considérés comme établissant de manière crédible les faits concer-
nant les crimes perpétrés.»
Il a poursuivi en faisant observer que, sauf en ce qui concernait Srebre-
nica, le Tribunal n’avait à ce jour conclu au génocide dans aucune des
situations invoquées par le demandeur. Il a également attiré l’attention
sur les critiques déjà formulées par le conseil du défendeur à l’égard du
jugement par lequel le général Krstic´ avait été reconnu coupable de com-
plicité («aiding and abetting») de génocide à Srebrenica.
216. Plusieurs décisions, correspondant aux diverses étapes de la pro-
cédure du TPIY, ont été portées à l’attention de la Cour:
1) décisions, prises par le procureur, d’inclure ou non certains chefs dans
un acte d’accusation;
2) décisions, prises par un juge après examen de l’acte d’accusation, de
confirmer celui-ci et d’émettre ou non un mandat d’arrêt;
3) en cas d’inexécution de ce mandat d’arrêt, décision prise par une
chambre de première instance (composée de trois juges), de délivrer
un mandat d’arrêt international, sous réserve que la chambre ait été
convaincue qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’accusé a
commis les crimes ou l’un des crimes qui lui sont reprochés;
4) décisions, prises par une chambre de première instance, concernant la
demande d’acquittement déposée par un accusé à l’issue de la présen-
tation des moyens de l’accusation;
5) jugements rendus par une chambre de première instance à l’issue d’un
procès;
6) jugements portant condamnation rendus par une chambre de pre-
mière instance à la suite d’un plaidoyer de culpabilité.
Certaines décisions de la chambre d’appel ont aussi été portées à l’atten-
tion de la Cour.
217. La Cour examinera ces étapes les unes après les autres. Le deman-
deur a accordé un certain poids aux actes d’accusation établis par le pro-
cureur. Toutefois, les allégations qui y sont formulées par le procureur ne
sont rien de plus que les allégations d’une partie. Elles doivent encore être
examinées dans le cadre des différentes étapes indiquées ci-dessus. Le
procureur peut décider de retirer les accusations de génocide et celles-ci
peuvent également être écartées au procès. Dès lors, l’on ne saurait, en
règle générale, accorder de poids au fait que tel ou tel chef figure dans un
acte d’accusation. Ce qui, en revanche, peut être important, c’est la déci-
sion prise par le procureur, d’emblée ou par modification de l’acte
d’accusation, de ne pas inclure ou de retirer le chef de génocide.
218. La deuxième et la troisième étapes, qui ont trait à la confirmation
de l’acte d’accusation aux mandats d’arrêt et aux chefs d’accusation, sont
de la responsabilité des juges (un seul dans la deuxième étape et trois dans
la troisième) et non de celle du procureur, et des témoins peuvent aussi
être cités dans la troisième étape, mais l’accusé ne participe généralement
pas à celle-ci. En outre, les motifs de la décision sont, en ce qui concerne
93 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 133
la deuxième étape, tirés du fait qu’au vu des présomptions, il y a lieu
d’engager des poursuites, et en ce qui concerne la troisième, du fait qu’il
existe des éléments permettant de soutenir raisonnablement que l’accusé
a commis les crimes qui lui sont reprochés.
219. L’accusé joue un rôle, en revanche, lors de la quatrième étape
— celle des demandes d’acquittement que forme la défense à la fin de la
présentation des moyens à charge et après avoir eu la possibilité de sou-
mettre à contre-interrogatoire les témoins de l’accusation, en faisant valoir
qu’«il n’y a pas d’éléments de preuve susceptible[s] de justifier une condam-
nation». Dans cette étape, le critère n’est pas que la chambre jugeant les
faits soit convaincue au-delà de tout doute raisonnable au vu des moyens à
charge (si ceux-ci sont admis), mais qu’ellepuisse l’être (Je´, IT-95-10-A,
chambre d’appel, arrêt du 5 juillet 2001, par. 37). Une affaire invoquée par
le demandeur fait ressortir l’importance, aux fins de la présente espèce, de la
moindre rigueur du critère. La chambre de première instance, en août 2005,
dans l’affaire Krajišnik, a rejeté la demande de non-lieu présentée par la
défense au nom de l’accusé, lequel devait répondre du crime de génocide et
d’autres crimes (IT-00-39-T, compte rendu d’audiences du 19 août 2005,
p. 17112-17132). A l’issue d’un procès, l’accusé fut toutefois déclaré non
coupable des crimes de génocide et de complicité de génocide. L ac’tus reus
du génocide était bien établi, mais l’intention spécifiquedolus specialis) ne
l’était pas (chambre de première instance, jugement du 27 septembre 2006,
par. 867-869). Le juge ou la chambre ne formulant de conclusion définitive
dans aucune des quatre étapes susmentionnées, la Cour n’estime pas pou-
voir accorder de poids à ces décisions. Cela ne satisferait pas au critère
d’établissement de la preuve requis par la Cour en l’espèce.
220. Il faut distinguer les procédures correspondant à ces premières
étapes de celles par lesquelles la chambre de première instance rend, lors
de la cinquième étape, son jugement à l’issue d’un procès. Les procédures
par lesquelles le Tribunal parvient à ses conclusions finales sont rigou-
reuses. Les accusés sont présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité
soit établie au-delà de tout doute raisonnable. Ils ont droit au moins à des
garanties minimales déterminées (tirées du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques), parmi lesquelles le droit de se faire assister par
un conseil, de contre-interroger les témoins à charge, d’obtenir que les
témoins à décharge soient interrogés et de ne pas être forcés de témoigner
contre eux-mêmes ou de s’avouer coupables. Le Tribunal dispose des pou-
voirs nécessaires pour exiger des Etats Membres des Nations Unies qu’ils
coopèrent avec lui, en ce qui concerne, notamment, la réunion des témoi-
gnages et la production des preuves. L’accusé reçoit communication,
préalablement à l’ouverture du procès, de nombreux éléments, parmi les-
quels les pièces réunies par l’accusation à l’appui de l’acte d’accusation,
les dépositions pertinentes de témoins et le mémoire préalable du procu-
reur dans lequel les éléments de preuve à charge sont résumés. Le procu-
reur doit également communiquer à la défense tous les éléments de
preuve de nature à disculper l’accusé et mettre à sa disposition, sous
forme électronique, l’ensemble des documents pertinents qu’il détient.
94 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 134
221. Dans la pratique, qui s’étend maintenant sur plus de dix ans, les
procès, dont beaucoup sont engagés à l’encontre de personnalités mili-
taires ou politiques pour des crimes qui auraient été commis sur de longues
périodes, et qui comportent des allégations complexes, durent générale-
ment des mois, voire des années, et peuvent entraîner l’examen de milliers
de documents et l’audition de nombreux témoins. La chambre de pre-
mière instance peut admettre tout élément de preuve pertinent ayant
valeur probante. La chambre doit motiver sa décision par écrit et les
juges peuvent y joindre des opinions individuelles et dissidentes.
222. Chaque partie a le droit de faire appel du jugement de la chambre
de première instance devant la chambre d’appel en invoquant une erreur
sur un point de droit invalidant la décision ou une erreur de fait ayant
entraîné un déni de justice. La chambre d’appel, composée de cinq juges,
ne réexamine pas les éléments de preuve, mais elle a le pouvoir d’examiner
un nouvel élément si elle estime qu’il ne pouvait pas être obtenu au moment
du procès, qu’il est pertinent et crédible et qu’il aurait pu constituer un élé-
ment décisif dans le procès. Elle doit aussi motiver sa décision par écrit et
les juges peuvent y joindre des opinions individuelles ou dissidentes.
223. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle doit en principe
admettre comme hautement convaincantes les conclusions de fait perti-
nentes auxquelles est parvenu le Tribunal en première instance, à moins,
évidemment, qu’elles n’aient été infirmées en appel. Pour les mêmes rai-
sons, il convient également de donner dûment poids à toute appréciation
du Tribunal fondée sur les faits ainsi établis, concernant par exemple
l’existence de l’intention requise.
224. Il reste à examiner la sixième étape, celle des jugements portant
condamnation à la suite d’un plaidoyer de culpabilité. Cette procédure com-
prend un exposé des faits admis et un jugement portant condamnation.
Nonobstant le plaidoyer de culpabilité, la chambre de première instance
doit être convaincue que le crime et la participation de l’accusé sont établis
par des faits suffisants. Elle doit également être convaincue que le plaidoyer
de culpabilité a été fait délibérément, en connaissance de cause et de manière
non équivoque. En conséquence, la Cour pourra, le cas échéant, accorder un
certain poids à l’exposé des faits et au jugement portant condamnation.
*
225. La Cour formulera maintenant des observations générales concer-
nant d’autres éléments de preuve qui lui ont été présentés. Certains de ces
éléments ont été produits aux fins de prouver que des propos déterminés
avaient effectivement été tenus et qu’il était donc possible d’en invoquer
le contenu. Dans de nombreux cas, ce n’est pas l’authenticité ou la véra-
cité du document qui est en cause, mais la valeur à lui accorder. Il en va
ainsi souvent des documents officiels, tels que les comptes rendus d’or-
ganes parlementaires ou les états budgétaires et financiers. C’est aussi le
cas des déclarations enregistrées à l’époque sur support vidéo ou audio,
ou encore des éléments de preuve enregistrés par le TPIY.
95 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 135
226. Dans certains cas, le contenu de ces propos représente ce que
l’auteur sait lui-même du fait devant être déterminé ou évalué. Dans
d’autres cas, il peut refléter l’opinion ou l’appréciation à posteriori du
narrateur quant aux événements; parfois, il peut ne pas être fondé sur un
témoignage direct, mais sur des ouï-dire. En fait, si les Parties n’ont que
rarement été en désaccord sur l’authenticité des preuves, elles se sont en
revanche opposées sur la question de savoir si celles-ci étaient présentées
de manière fidèle (arguant par exemple que les passages cités étaient sor-
tis de leur contexte) et quel poids ou valeur leur accorder.
227. La Cour a également été priée de se reporter à un certain nombre
de rapports émanant d’organes officiels ou indépendants relatant certains
faits pertinents. Leur valeur dépend, entre autres, 1) de la source de l’élé-
ment de preuve (par exemple, la source est-elle partiale ou neutre?), 2) de
la manière dont il a été obtenu (par exemple, est-il tiré d’un rapport de
presse anonyme ou résulte-t-il d’une procédure judiciaire ou quasi judi-
ciaire minutieuse?) et 3) de sa nature ou de son caractère (s’agit-il de
déclarations contraires aux intérêts de leurs auteurs, de faits admis ou
incontestés?).
228. Constitue un exemple particulier le rapport exhaustif intitulé «La
chute de Srebrenica», que le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies a présenté en novembre 1999 à l’Assemblée générale
(Nations Unies, doc. A/54/549). Etabli à la demande de celle-ci, le rap-
port portait sur les événements survenus depuis la création de la zone de
sécurité par le Conseil de sécurité, le 16 avril 1993 (résolution 819 (1993)
du Conseil de sécurité) jusqu’à l’endossement par celui-ci, le 15 décembre
1995, des accords de Dayton. Les Etats Membres et les autres parties
concernées avaient été exhortés à fournir toute information pertinente.
Le Secrétaire général était fort bien placé pour établir un rapport exhaus-
tif, quelques années après les événements, ainsi qu’il ressort notamment
de cette description de sa méthode de travail:
«Le présent rapport a été établi grâce aux archives des organismes
des Nations Unies ainsi qu’aux entretiens avec des personnes qui, à
des titres divers, ont participé aux événements en cause ou en avaient
une connaissance approfondie. Pour pouvoir faire mieux comprendre
ce qui s’est passé, j’ai décidé, à titre exceptionnel, de divulguer
des informations figurant dans les dossiers confidentiels de l’Organi-
sation des Nations Unies. Par ailleurs, je tiens à remercier les Etats
Membres, les organisations et les personnes qui ont communiqué des
informations pour l’établissement du texte. On trouvera à l’annexe 1
une liste des personnes avec lesquelles des entretiens ont eu lieu. Bien
que cette liste soit assez longue, des considérations de temps et
d’argent, entre autres, ne nous ont pas permis de nous entretenir
avec de nombreuses autres personnes qui auraient été en mesure
d’éclaircir d’importants aspects de la question. Dans la plupart des
cas, les entretiens ont été menés sous le couvert de l’anonymat afin
d’encourager la plus grande franchise possible. J’ai également fait
96 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 136
droit à la demande des personnes qui ont communiqué des infor-
mations à condition de ne pas être identifiées.» (Nations Unies,
doc. A/54/549, par. 8.)
229. Le chapitre intitulé «La chute de Srebrenica: 6-11 juillet 1995»
est précédé de la note suivante:
«A ce jour, l’ONU n’a pas encore rendu publics tous les détails de
l’offensive de Srebrenica qui s’est déroulée du 6 au 11 juillet 1995. Le
compte rendu qui suit a été reconstitué essentiellement à partir des
rapports de l’époque établis par le bataillon néerlandais et les obser-
vateurs militaires des Nations Unies. Ces rapports ont été complétés
par des informations contenues dans le rapport de fin de mission du
bataillon néerlandais présenté par les Pays-Bas, daté d’octobre 1995,
ainsi que par des renseignements de sources bosniennes, serbes de
Bosnie et internationales. Il fallait examiner de manière indépen-
dante les données contenues dans les diverses sources secondaires
publiées au cours des quatre dernières années et corroborer les don-
nées du rapport de fin de mission des Pays-Bas. Pour ce faire, des
entretiens ont été organisés au cours de la rédaction du présent rap-
port avec plusieurs des acteurs qui se trouvaient à Srebrenica à
l’époque ou qui participaient à la prise des décisions aux échelons
supérieurs de la hiérarchie de l’ONU.» (A/54/549, chap. VII, p. 61.)
La note introductive du chapitre suivant, «Conséquences de la chute de
Srebrenica: période du 12 au 20 juillet 1995», présente les sources de la
manière suivante:
«Dans la section suivante, on essaie de décrire, dans un récit cohé-
rent, comment des milliers d’hommes et de jeunes garçons ont été
sommairement exécutés et enterrés dans des charniers dans l’espace de
quelques jours, tandis que la communauté internationale tentait de
négocier un droit d’accès. On y indique que des éléments de preuve
ont été progressivement découverts sur les atrocités commises, mais
trop tardivement pour empêcher la tragédie qui se déroulait. En 1995,
les détails de cette tragédie ont été relatés au coup par coup par des
personnes qui avaient survécu aux exécutions massives et qui com-
mençaient à faire le récit des horreurs dont elles avaient été témoins;
des photos prises par satellite ont corroboré ultérieurement ces récits.
Le premier document officiel de l’Organisation des Nations Unies
qui évoquait la possibilité d’exécutions massives était le rapport du
rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme en date du
22 août 1995 (E/CN.4/1996/9). Il a été suivi des rapports datés du
30 août (S/1995/755) et du 27 novembre 1995 (S/1995/988), que le
Secrétaire général a soumis au Conseil de sécurité en application de la
résolution 1010 (1995). Ces rapports contenaient des renseignements
recueillis auprès d’organisations gouvernementales ou non gouverne-
mentales et reprenaient des informations publiées dans la presse inter-
nationale et dans la presse locale. Cependant, à la fin de 1995, le Tri-
97 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 137
bunal international pour l’ex-Yougoslavie n’avait pas encore obtenu
l’autorisation d’accéder à la zone pour corroborer les allégations fai-
sant état d’exécutions massives avec des preuves médico-légales.
C’est en janvier 1996 que le Tribunal a été autorisé pour la première
fois à se rendre sur les lieux des crimes. Une description détaillée de ses
constatations a été publiée en juillet 1996 lors des dépositions faites
conformément à l’article 60 du règlement de procédure du Tribunal,
dans l’action engagée contre Ratko Mladic ´ et Radovan Karadžic ´.
Depuis cette date et jusqu’à ce jour, le Tribunal a pu mener des enquêtes
plus poussées dans les zones où les exécutions auraient eu lieu et sur
les sites primaires et secondaires où des charniers auraient été repérés.
Sur la base des données scientifiques recueillies lors de ces enquêtes, le
Tribunal a pu corroborer de nombreux témoignages fournis par les sur-
vivants des massacres. Le 30 octobre 1998, il a inculpé Radislav Krstic´,
commandant du corps Drina de l’armée des Serbes de Bosnie, pour son
rôle présumé dans ces massacres. L’acte d’accusation donne un résumé
succinct des informations obtenues à ce jour sur les lieux où les exécu-
tions massives ont été commises et les dates auxquelles elles ont eu lieu.
Les sources d’information susmentionnées, conjuguées à certains
renseignements complémentaires à caractère confidentiel qui ont été
recueillis lors de l’établissement du présent rapport, constituent la
base du compte rendu présenté ci-dessous. Les sources ont été déli-
bérément occultées lorsque leur divulgation risque d’avoir des consé-
quences fâcheuses pour la poursuite des travaux du Tribunal.»
(A/54/549, chap. VIII, p. 78.)
230. Le soin avec lequel ce rapport a été établi, la diversité de ses
sources et l’indépendance des personnes chargées de son élaboration lui
confèrent une autorité considérable. Comme on le verra dans la suite
de l’arrêt, il a été extrêmement utile à la Cour.
* * *
VI. L ES FAITS INVOQUÉS PAR LE DEMANDEUR EN RAPPORT AVEC
L’ARTICLE II
1) Le contexte
231. En l’espèce, la Cour est saisie d’un différend opposant deux Etats
souverains, l’un et l’autre situés sur une partie du territoire de l’ancien Etat
connu sous le nom de République populaire fédérative (ou République
fédérative socialiste) de Yougoslavie, au sujet de l’application et de l’exécu-
tion d’une convention internationale à laquelle ils sont parties, la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide. La Cour a
pour tâche d’examiner les demandes d’ordre juridique et les allégations fac-
tuelles formulées par la Bosnie-Herzégovine à l’encontre de la Serbie-et-
Monténégro; la demande reconventionnelle soulevée au début de l’instance
par la Serbie-et-Monténégro contre la Bosnie-Herzégovine a été retirée.
98 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 138
232. A la suite du décès du président Tito, le 4 mai 1980, une prési-
dence tournante fut instituée en application des dispositions de la Cons-
titution de la RFSY de 1974. Après une crise économique longue de près
de dix ans, et dans un contexte de montée du nationalisme au sein des
républiques et d’aggravation des tensions entre les divers groupes eth-
niques et groupes nationaux, la RFSY commença à se désintégrer. Le
25 juin 1991, la Slovénie et la Croatie déclarèrent leur indépendance, sui-
vies par la Macédoine le 17 septembre 1991. (La Slovénie et la Macédoine
ne sont pas concernées par la présente instance; la Croatie a introduit
une instance distincte contre la Serbie-et-Monténégro, qui demeure ins-
crite au rôle général de la Cour.) D’après le dernier recensement en date
(celui du 31 mars 1991), les habitants étaient, à la veille de la guerre en
Bosnie-Herzégovine, quelque 44 % à se déclarer Musulmans, 31 % Serbes
et 17 % Croates (Krajišnik, IT-00-39-T et 40-T, chambre de première ins-
tance, jugement du 27 septembre 2006, par. 15).
233. Par une résolution sur la «souveraineté» adoptée le 14 octobre
1991, le Parlement de Bosnie-Herzégovine déclara l’indépendance de la
République. La validité de cette résolution fut contestée à l’époque par la
o
communauté serbe de Bosnie-Herzégovine (avis n 1 de la commission
d’arbitrage de la conférence sur la Yougoslavie (commission Badinter),
p. 3). Le 24 octobre 1991, les membres serbes du Parlement bosniaque
créèrent une assemblée distincte de la nation serbe/assemblée des Serbes
de Bosnie-Herzégovine. Le 9 janvier 1992 fut proclamée la République
du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine (qui allait devenir la Republika
Srpska le 12 août 1992), avec la réserve que la proclamation prendrait
effet dès qu’interviendrait une reconnaissance sur le plan international de
la République de Bosnie-Herzégovine. Le 28 février 1992 fut adoptée la
Constitution de la République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine.
La République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine (et la Republika
Srpska ensuite) ne fut pas reconnue et n’a pas été reconnue sur le plan
international en tant qu’Etat; elle a toutefois joui d’une certaine indépen-
dance de fait.
er
234. Les 29 février et 1 mars 1992, un référendum fut organisé sur la
question de l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Le 6 mars 1992, la
Bosnie-Herzégovine déclara officiellement son indépendance. Elle fut
reconnue par la Communauté européenne avec effet à dater du
7 avril 1992. Le 7 avril 1992, elle fut reconnue par les Etats-Unis. Le
27 avril 1992 fut adoptée la Constitution de la République fédérale de
Yougoslavie, composée de la République de Serbie et de la République
du Monténégro. Ainsi qu’indiqué plus haut (paragraphe 67), le Monté-
négro a déclaré son indépendance le 3 juin 2006. Les trois Etats ont été
admis à l’Organisation des Nations Unies: la Bosnie-Herzégovine le
22 mai 1992; la Serbie-et-ernténégro, sous le nom de République fédé-
rale de Yougoslavie, le 1 novembre 2000; et la République du Monté-
négro le 28 juin 2006.
**
99 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 139
2) Les entités impliquées dans les événements dont tire grief
le demandeur
235. Il convient à présent de définir les institutions, organisations ou
groupes qui jouèrent un rôle dans les événements tragiques qui allaient se
dérouler en Bosnie-Herzégovine. Deux des Etats souverains indépendants
nés de l’éclatement de la RFSY sont concernés par la présente instance.
D’une part, la RFY (qui s’appellera par la suite la «Serbie-et-Monténé-
gro»), qui était composée des deux républiques constitutives de la Serbie
et du Monténégro; d’autre part, la République de Bosnie-Herzégovine.
Au moment où cette dernière proclama son indépendance (le 15 octobre
1991), l’indépendance de deux autres entités avait déjà été proclamée:
celle de la Republika Srpska Krajina, en Croatie, le 26 avril 1991 et celle
de la République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, qui devait par
la suite prendre le nom de Republika Srpska, le 9 janvier 1992 (para-
graphe 233 plus haut). Cette dernière ne fut jamais reconnue comme un
Etat souverain sur le plan international, mais elle exerça un contrôle de
fait sur un territoire substantiel et put compter sur la loyauté d’un
grand nombre de Serbes de Bosnie.
236. Les Parties reconnaissent l’une et l’autre qu’il existait, à un éche-
lon inférieur, un certain nombre d’entités dont les activités s’inscrivent
dans les faits de la cause, mais elles se trouvent en désaccord quant à
l’importance de ces activités. Parmi les unités militaires et paramilitaires
qui prirent part aux hostilités figuraient, en avril 1992, cinq types de for-
mations armées en Bosnie: premièrement, l’armée populaire yougoslave
(JNA) qui allait devenir l’armée yougoslave (VJ); deuxièmement, les
unités de volontaires soutenues par la JNA et par la suite par la VJ, et le
ministère de l’intérieur (MUP) de la RFY; troisièmement, les détache-
ments de la défense territoriale municipale (TO) des Serbes de Bosnie; et,
quatrièmement, les forces de police du ministère de l’intérieur des Serbes
de Bosnie. Le MUP de la Republika Srpska contrôlait la police et les ser-
vices de sécurité, et opérait, selon le demandeur, en étroite collaboration
et coordination avec le MUP de la RFY. Le 15 avril 1992, le Gouverne-
ment bosniaque constitua une force militaire à partir de l’ancienne défense
territoriale de la République, l’armée de la République de Bosnie-Herzé-
govine (ARBiH), fusionnant plusieurs forces non officielles, y compris un
certain nombre de groupes de défense paramilitaires comme les Bérets
verts et la Ligue patriotique, la branche militaire du parti musulman de
l’action démocratique. La Cour ne fait pas abstraction des éléments de
preuve attestant la participation au conflit d’organisations musulmanes,
par exemple de moudjahidin étrangers, même si, à la suite du retrait de
ses demandes reconventionnelles par le défendeur, les activités de ces
organisations ne relèvent plus des demandes spécifiques dont est saisie la
Cour.
237. Le demandeur soutient qu’il existait, entre le gouvernement du
défendeur et les autorités de la Republika Srpska, des liens étroits de
nature politique et financière, de même qu’au niveau de l’administration
100 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 140
et du contrôle de l’armée de la Republika Srpska (VRS). La Cour relève
que le fait que les sympathies politiques du défendeur soient allées aux
Serbes de Bosnie n’est contraire à aucune règle de droit. Le demandeur
soutient toutefois que, de fait, le défendeur, sous prétexte de protéger la
population serbe de Bosnie-Herzégovine, conçut et partagea avec cette
dernière le projet d’une «Grande Serbie», apportant, en vue de sa réalisa-
tion, un soutien aux personnes et groupes responsables des activités qui
constituent, selon le demandeur, les actes de génocide dont il tire grief. Le
demandeur fonde cette affirmation tout d’abord sur les «objectifs straté-
giques» énoncés par le président Karadžic ´ à la seizième session de l’Assem-
blée de la RFY le 12 mai 1992 et publiés ultérieurement au Journal
officiel de la Republika Srpska (paragraphe 371), et ensuite sur le com-
portement qui fut constamment adopté par les forces militaires et para-
militaires serbes à l’égard des non-Serbes de Bosnie, comportement qui,
laisse-t-on entendre, traduirait une intention spécifique (dolus specialis)
générale. Ces activités seront examinées plus loin.
238. S’agissant des liens entre les armées de la RFY et de la Republika
Srpska, l’armée populaire yougoslave (JNA) de la RFSY fut effective-
ment, pendant la plus grande partie de l’existence de la RFSY, une armée
fédérale, composée de soldats provenant de toutes les républiques qui
constituaient la fédération, sans distinction entre les différents groupes
ethniques et religieux. Le demandeur prétend cependant que, même avant
l’éclatement de la RFSY, des dispositions furent prises pour faire de la
JNA une armée serbe de fait. La Cour note que, le 8 mai 1992, tous les
soldats de la JNA qui n’étaient pas d’origine bosniaque furent retirés de
Bosnie-Herzégovine. Cependant, les Serbes de Bosnie servant dans les
rangs de la JNA en Bosnie-Herzégovine constituèrent ou rejoignirent
l’armée de la Republika Srpska (la VRS), créée le 12 mai 1992, ou la
défense territoriale de la VRS. De plus, les soldats serbes de Bosnie ser-
vant dans des unités de la JNA stationnées ailleurs furent transférés en
Bosnie-Herzégovine et rejoignirent ensuite les rangs de la VRS. Le reste
de la JNA fut transformé en armée yougoslave (la VJ), qui devint l’armée
de la République fédérale de Yougoslavie. Le 15 mai 1992, le Conseil de
sécurité, dans sa résolution 752, exigea que les éléments de la JNA qui se
trouvaient en Bosnie-Herzégovine soient «ou bien retirés ou bien soumis
à l’autorité du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine ou bien dissous
et désarmés». Le 19 mai 1992, l’armée yougoslave fut officiellement reti-
rée de Bosnie-Herzégovine. Le demandeur a affirmé que, à partir de 1993,
le 30 centre du personnel de la VJ à Belgrade s’occupa «sur le plan admi-
nistratif» d’environ mille huit cents officiers de la VRS; cela signifiait que
des questions telles que celles de leurs traitements, de leurs promotions et
de leurs pensions relevaient non pas de la Republika Srpska, mais de
l’armée du défendeur. Selon celui-ci, le demandeur a largement exagéré
l’importance de ce fait: la VRS comptait environ quatorze mille officiers;
seul un petit nombre d’entre eux relevaient donc du 30 centre du per-
sonnel, et ce centre n’accordait assistance en matière administrative à la
VRS que dans une certaine mesure. Le demandeur soutient que tous les
101 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 141
officiers de la VRS restèrent membres de l’armée de la RFY, dont seule
l’appellation changea; selon le défendeur, cette allégation n’est étayée par
aucun élément de preuve. La Cour note toutefois la description complète
de ce processus aux paragraphes 113 à 117 du jugement du 7 mai 1997
rendu dans l’affaire Tadi´ par la chambre de première instance du TPIY
(IT-94-I-T), que cite le demandeur et qui corrobore pour l’essentiel les
dires de celui-ci. Le défendeur ne nie pas la réalité de ces événements,
mais il souligne qu’il s’agissait de réactions normales devant la menace
d’une guerre civile et qu’il n’existait aucun plan prémédité.
239. La Cour note encore que le demandeur soutient que la VRS était
armée et équipée par le défendeur. Il affirme que, lorsque la JNA se retira
officiellement le 19 mai 1992, elle laissa derrière elle tout son matériel
militaire, qui fut ensuite repris par la VRS. Cette affirmation est appuyée
par le rapport du Secrétaire général du 3 décembre 1992 dans lequel
celui-ci conclut que, «bien que l’armée nationale yougoslave se soit com-
plètement retirée de Bosnie-Herzégovine, d’anciens membres de cette
armée, des Serbes d’origine bosniaque, sont restés sur place avec leur
équipement, constituant l’armée de la «République serbe»» (A/47/747,
par. 11). De plus, le demandeur soutient que Belgrade approvisionna
activement la VRS en armes et en matériel pendant toute la durée de la
guerre en Bosnie-Herzégovine. Sur la base des éléments de preuve pro-
duits devant le TPIY, le demandeur affirme que jusqu’à 90 % des besoins
matériels de la VRS étaient couverts par Belgrade. Le général Dannatt,
l’un des experts appelés à la barre par le demandeur (paragraphe 57 plus
haut), a déclaré que, selon une «évaluation de la consommation» donnée
par le général Mladic´ à l’Assemblée des Serbes de Bosnie le 16 avril 1995,
42,2 % des munitions d’infanterie de la VRS étaient héritées de l’ancienne
JNA et 47 % des besoins de la VRS étaient couverts par la VJ. Pour sa
part, le défendeur nie de manière générale avoir approvisionné et équipé
la VRS mais soutient que, quand bien même il l’aurait fait, la fourniture
d’une telle assistance «est très courant[e] et n’est autre que l’un des
aspects de nombreux traités d’assistance mutuelle, tant bilatéraux que
régionaux». Le défendeur ajoute que, de surcroît, il est de notoriété
publique que les forces armées de Bosnie ont reçu une assistance exté-
rieure de sources amies. Cependant, l’un des témoins que le défendeur a
fait entendre, M. Vladimir Lukic ´, qui fut premier ministre de la Repu-
blika Srpska du 20 janvier 1993 au 18 août 1994, a rapporté que l’armée
de la Republika Srpska s’approvisionnait auprès de différentes sources
«y compris, mais pas seulement, de la République fédérale de Yougosla-
vie», ajoutant que la Republika Srpska «payait l’essentiel du matériel
militaire qu’elle recevait» des Etats qui l’approvisionnaient.
240. En ce qui concerne les liens réels entre les deux gouvernements
dans le domaine financier, le demandeur fait valoir que les économies de
la RFY, de la Republika Srpska et de la Republika Srpska Krajina
avaient été intégrées à travers la création d’une entité économique
unique, ce qui permettait au Gouvernement de la RFY de financer, outre la
sienne, les armées des deux autres entités. Le demandeur soutient que les
102 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 142
Banques nationales de la Republika Srpska et de la Republika Srpska
Krajina étaient placées sous le contrôle de la Banque nationale de You-
goslavie à Belgrade, à laquelle elles étaient directement subordonnées. Le
budget national de la RFY était dans une large mesure financé à travers
des émissions primaires de la Banque nationale de Yougoslavie, laquelle
était réputée être sous le contrôle du gouvernement, autrement dit, le
financement provenait en réalité de la création d’argent par l’inscription
de lignes de crédit au budget de la RFY à l’intention de la JNA. Il en
allait de même des budgets de la Republika Srpska et de la Republika
Srpska Krajina, lesquelles, selon le demandeur, ne disposaient pratique-
ment d’aucune source de revenu indépendante; le défendeur affirme, sans
plus de précisions, que les recettes provenaient de diverses sources. La
Banque nationale de Yougoslavie affectait des ressources (80 % prove-
naient d’émissions primaires) à des «fins spécifiques», à savoir «pour évi-
ter que la guerre n’ait une incidence négative sur l’économie de la Répu-
blique serbe de Bosnie-Herzégovine». Le défendeur a nié que le déficit
budgétaire de la Republika Srpska ait été financé par la RFY, mais il n’a
présenté aucun élément de preuve pour démontrer par quels moyens il le
fut. En outre, le défendeur souligne que tout financement accordé l’était
simplement sur la base de prêts remboursables, et ne revêtait dès lors rien
d’anormal, compte tenu en particulier de l’isolement économique de la
RFY, de la Republika Srpska et de la Republika Srpska Krajina; il a
également laissé entendre que les sommes qui auraient ainsi été versées
auraient été sous le contrôle du seul bénéficiaire, à savoir la Republika
Srpska ou la Republika Srpska Krajina.
241. La Cour constate qu’il est établi que le défendeur mettait ainsi
des ressources militaires et financières considérables à la disposition de la
Republika Srpska et que s’il avait décidé de retirer ce soutien, cela aurait
grandement limité les options ouvertes aux autorités de la Republika
Srpska.
**
3) Examen des éléments de preuve factuels: introduction
242. La Cour se penchera donc maintenant sur les faits allégués par le
demandeur, afin de déterminer, premièrement, si les atrocités dont il fait
état ont été commises, et deuxièmement, si, pour autant qu’elles soient
établies, ces atrocités relèvent de l’article II de la convention sur le géno-
cide, c’est-à-dire si les faits en question permettent d’établir l’existence
d’une intention, de la part des auteurs de ces atrocités, de détruire en tout
ou en partie un groupe déterminé (dolus specialis). Le groupe considéré
ici est, pour les raisons exposées plus haut (paragraphes 191-196), celui
des Musulmans de Bosnie; quoique les éléments de preuve soumis par le
demandeur se rapportent, affirme-t-il, au groupe plus large des non-
Serbes de Bosnie, les Musulmans de Bosnie constituaient une partie telle-
ment substantielle de celui-ci que lesdits éléments de preuve apparaissent
103 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 143
comme ayant, quant aux faits, la même valeur probante en ce qui
concerne le groupe restreint. La Cour examinera aussi les faits allégués à
la lumière de la question de savoir s’il y a des preuves convaincantes et
concordantes de l’existence d’un ensemble d’atrocités constituant un
schéma, comme l’a affirmé le demandeur, ce qui serait une preuve de
dolus specialis de la part du défendeur. A cette fin, il n’est pas nécessaire
d’examiner séparément chacun des incidents que le demandeur a rappor-
tés, ni de dresser une liste exhaustive des allégations; la Cour estime qu’il
suffit d’examiner les faits qui éclaireraient la question de l’intention ou
fourniraient des exemples d’actes dont le demandeur prétend qu’ils ont
été commis à l’encontre de membres du groupe et qui revêtiraient un
caractère systématique dont pourrait se déduire l’existence d’une inten-
tion spécifique (dolus specialis).
243. La Cour examinera les éléments de preuve en reprenant les caté-
gories d’actes prohibés établies par l’article II de la convention sur le
génocide. La nature des faits qui vont être décrits est toutefois telle que
ces catégories se recoupent très largement: ainsi, par exemple, les condi-
tions d’existence dans les camps dans lesquels ont été emprisonnés des
membres du groupe protégé ont été présentées par le demandeur comme
des violations du litt. c) de l’article II de la Convention (soumission
intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa
destruction), mais, comme un grand nombre de prisonniers des camps y
seraient morts en raison de ces conditions d’existence ou y ont été tués,
ces camps relèvent également du litt. a) (meurtre de membres du groupe
protégé).
244. Les éléments de preuve soumis à la Cour et ceux dont fait état le
TPIY comportent de fréquentes références aux actes des «Serbes» ou des
«forces serbes», et la nature des rapports qu’auraient entretenus — le cas
échéant — les protagonistes avec le défendeur n’est pas toujours claire.
Ainsi est-il tantôt affirmé que la JNA jouait un rôle en tant qu’organe de
jure du défendeur, tantôt semble-t-il clair que les participants étaient des
Serbes de Bosnie, dépourvus de tout lien de jure avec le défendeur, mais
dont les actes, est-il argué, lui seraient néanmoins attribuables à d’autres
titres. En outre, ainsi que noté au paragraphe 238 ci-dessus, il apparaît
que les éléments serbes originaires de Bosnie qui faisaient partie de la
JNA ont été intégrés à la VJ ou ont rejoint celle-ci. A ce stade du présent
arrêt, la Cour n’a pas à se pencher sur la question de savoir si les atrocités
décrites sont attribuables au défendeur; aussi utilisera-t-elle les termes
«Serbe[s]» et «forces serbes» aux seules fins de l’exposé des faits, sans
préjudice de la question du statut que la Cour pourra ensuite juger avoir
été le leur pour chaque incident. Lorsqu’elle mentionnera des documents
du TPIY ou des pièces de procédure ou plaidoiries du demandeur, la
Cour utilisera les termes employés dans l’original.
**
104 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 144
4) Litt. a) de l’article II: meurtre de membres du groupe protégé
245. Le litt. a) de l’article II de la Convention porte sur le meurtre de
membres du groupe protégé. La Cour examinera tout d’abord les élé-
ments visant à démontrer que des meurtres de membres du groupe pro-
tégé ont été commis dans les principales régions de Bosnie et dans
les différents camps de détention, et appréciera s’il existe des preuves
d’une intention spécifique (dolus specialis) dans l’un ou plusieurs de
ces cas. La Cour examinera ensuite dans cette section les éléments de
preuve relatifs aux massacres qui se sont déroulés à Srebrenica en juillet
1995.
Sarajevo
246. La Cour relève que le demandeur mentionne de façon répétée les
pertes en vies humaines causées à Sarajevo par des bombardements et des
tirs isolés. Le demandeur a cité le cinquième rapport périodique du rap-
porteur spécial de l’Organisation des Nations Unies, M. Mazowiecki, à
l’appui de l’allégation selon laquelle, entre 1992 et 1993, des civils musul-
mans furent tués à Sarajevo, en partie à cause du bombardement continu
de la ville par les forces serbes de Bosnie. Le rapporteur spécial a indiqué
que, les 9 et 10 novembre 1993, des attaques au mortier avaient fait
douze morts (E/CN.4/1994/47, 17 novembre 1992, p. 4, par. 14). Dans
son rapport périodique du 5 juillet 1995, il a fait observer que, à partir de
la fin du mois de février 1995, de nombreux civils avaient été tués par des
tirs isolés des forces serbes de Bosnie et que, «[a]u total, quarante
et un civils auraient été tués ... à Sarajevo au cours du mois de mai 1995,
selon une source locale» (rapport du 5 juillet 1995, par. 69). Il a égale-
ment été indiqué dans le rapport que, à la fin du mois de juin et au début
du mois de juillet 1995, Sarajevo avait subi d’autres bombardements
aveugles et des attaques à la roquette de la part des forces serbes de Bos-
nie, à la suite desquels de nombreux décès de civils furent signalés (rap-
port du 5 juillet 1995, par. 70).
247. La commission d’experts des Nations Unies, dans son rapport
final du 27 mai 1994, a fait le récit détaillé de la bataille et du siège de
Sarajevo. Elle a estimé que le nombre de personnes qui, pendant le siège,
avaient été tuées dans la ville de Sarajevo ou qui y étaient portées dispa-
rues s’élevait à près de dix mille (rapport de la commission d’experts,
vol. II, annexe VI, p. 8). Selon les estimations figurant dans un rapport
soumis par l’accusation au TPIY dans l’affaire Galic ´ (IT-98-29-T,
chambre de première instance, jugement du 5 décembre 2003, par. 578-
579), le nombre moyen de civils tués chaque mois est tombé de cent cinq
pour la période allant de septembre à décembre 1992 à soixante-quatre en
1993 et ving-huit pour les six premiers mois de 1994.
248. Dans le jugement qu’elle a rendu le 5 décembre 2003 en l’affaire
Gali´, la chambre de première instance du TPIY a examiné divers inci-
dents survenus dans la région de Sarajevo, tels que l’attaque au mortier
contre le marché de Markale le 5 février 1994, au cours de laquelle
105 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 145
soixante personnes avaient été tuées. La majorité de la chambre de pre-
mière instance a estimé que, «durant la période couverte par l’acte d’accu-
sation, les civils habitant les quartiers de Sarajevo tenus par l’ARBiH
[avaient] été la cible de tirs directs ou indiscriminés depuis les territoires
contrôlés par le SRK et qu’au moins des centaines de civils [étaient]
morts et des milliers [avaient été] blessés» (IT-98-29-T, jugement du
5 décembre 2003, par. 591); la chambre de première instance a ensuite
conclu: «[p]our résumer, ... les forces du SRK se sont rendues coupables
pendant la période couverte par l’acte d’accusation de chacun des crimes
qui leur sont reprochés dans ce document — crime de terrorisation,
attaques contre des civils, assassinats et actes inhumains» (ibid.,
par. 600).
249. A cet égard, le défendeur soutient de manière générale que, dans
une guerre civile, il n’est pas toujours possible de distinguer les militaires
des civils. S’il ne nie pas que des crimes ont été commis pendant le siège
de Sarajevo, des crimes qui «pourraient certainement être qualifiés de
crimes de guerre et certains même de crimes contre l’humanité», il ne
reconnaît pas l’existence d’une stratégie consistant à prendre pour
cibles des civils.
La vallée de la Drina
a) Zvornik
250. Le demandeur a présenté plusieurs allégations concernant des
meurtres commis dans la région de la vallée de la Drina. S’appuyant sur
le rapport de la commission d’experts, il affirme qu’au moins
deux mille cinq cents Musulmans sont morts à Zvornik entre avril et
mai 1992. La Cour note que les conclusions du rapport de la commission
d’experts sont fondées sur différentes déclarations de témoins et sur le
document déclassifié n o 94-11 du département d’Etat des Etats-Unis
d’Amérique (vol. V, annexe X, par. 387; vol. IV, annexe VIII, p. 342 et
par. 2884; vol. I, annexe III.A, par. 578). En outre, un reportage vidéo
sur les massacres de Zvornik a été présenté au cours de la procédure orale
(extraits du documentaire de la BBC «The Death of Yugoslavia»).
S’agissant d’incidents spécifiques, le demandeur allègue que des soldats
serbes ont exécuté trente-six Musulmans et maltraité vingt-sept enfants
musulmans à l’hôpital local de Zvornik entre le milieu et la fin du mois de
mai 1992.
251. Le défendeur conteste ces allégations et affirme que les trois
sources citées par le demandeur sont fondées sur le récit d’un seul témoin;
il considère que les trois rapports cités par le demandeur ne peuvent pas
être invoqués comme preuves devant la Cour. Le défendeur a produit la
déposition faite par un témoin devant un juge d’instruction à Zvornik,
selon laquelle le massacre prétendument perpétré à l’hôpital local de
Zvornik n’aurait jamais eu lieu. La Cour relève qu’aucun des actes
d’accusation dressés par le bureau du procureur du TPIY ne mentionnait
ce prétendu massacre à l’hôpital de Zvornik.
106 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 146
b) Les camps
i) Le camp de Sušica
252. Le demandeur invoque par ailleurs les meurtres qui auraient été
perpétrés dans des camps de détention de la région de la vallée de la
Drina. Le rapport de la commission d’experts cite la déclaration d’un
ancien gardien du camp de Sušica ayant personnellement assisté au
meurtre de trois mille Musulmans (vol. IV, annexe VIII, p. 334) et à l’exé-
cution des deux cents détenus survivants (vol. I, annexe IV, p. 31-32).
Dragan Nikolic ´, le commandant de ce camp, a plaidé coupable devant le
TPIY du meurtre de neuf prisonniers non serbes; selon les termes du
jugement portant condamnation rendu par le TPIY le 18 décembre 2003,
il «a persécuté les détenus musulmans et non serbes en se livrant sur leur
personne à des assassinats, viols et tortures, comme expressément indiqué
dans l’acte d’accusation» (Nikoli´, IT-94-2-S, par. 67).
ii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa
253. La commission d’experts mentionne en outre dans son rapport de
nombreux meurtres perpétrés au camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa
(KP Dom de Foc ˇa). Les experts ont estimé que le nombre des prisonniers
était tombé de cinq cent soixante-dix à cent trente en deux mois (vol. IV,
annexe VIII, p. 129). Le département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique a
rapporté la déclaration d’un témoin qui avait assisté à des exécutions
régulières en juillet 1992 et fait état de la présence de charniers dans ce
camp de KP Dom.
254. Dans le jugement qu’elle a rendu en l’affaire Krnojelac,al
chambre de première instance du TPIY est parvenue aux conclusions sui-
vantes concernant plusieurs meurtres commis dans ce camp:
«La chambre de première instance est convaincue au-delà de tout
doute raisonnable que toutes les personnes figurant sur la liste C
jointe à l’acte d’accusation, à l’exception de trois d’entre elles, ont
été tuées au KP Dom. Elle est convaincue que ces personnes ont été
prises dans cet enchaînement d’événements qu’a connu le KP Dom
pendant les mois de juin et juillet 1992 et que leur disparition depuis
lors ne peut raisonnablement s’expliquer que par leur décès, suite
aux actes ou omissions commis au KP Dom, avec l’intention voulue
[pour la qualification de meurtre].» (IT-97-25-T, jugement du
15 mars 2002, par. 330.)
iii) Le camp de Batkovic´
255. En ce qui concerne le camp de détention de Batkovic ´, le deman-
deur prétend que de nombreux prisonniers y sont morts des suites des
mauvais traitements infligés par les gardiens serbes. La commission
d’experts cite dans son rapport la déposition d’un témoin indiquant
l’existence d’un charnier à proximité du camp de prisonniers de Batkovic´.
Au moins quinze corps avaient été enterrés près d’une étable et les pri-
sonniers ne connaissaient ni l’identité de ceux qui y avaient été ensevelis
107 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 147
ni les circonstances de leur décès (rapport de la commission d’experts,
vol. V, annexe X, p. 9). En outre, la commission souligne dans son rap-
port que
«les mauvais traitements infligés étaient si violents que de nombreux
prisonniers sont morts. Un homme a indiqué que pendant son
séjour, de la mi-juillet à la mi-août, treize prisonniers avaient été bat-
tus à mort. Un autre prisonnier est décédé d’une gangrène non soi-
gnée. Cinq autres sont peut-être morts de faim. Vingt prisonniers
seraient morts avant le mois de septembre.» (Vol. IV, annexe VIII,
p. 63.)
Le département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique a également men-
tionné, dans le Dispatch du 19 avril 1993, que des meurtres avaient été
commis au camp de Batkovic ´. Selon un témoin, plusieurs hommes sont
morts du fait des mauvaises conditions de vie dans ce camp et des coups
o
qu’ils y avaient reçus (Dispatch, 19 avril 1993, vol. 4, n 30, p. 538).
256. Par ailleurs, le défendeur a souligné que, lorsque le rapporteur
spécial des Nations Unies avait visité le camp de prisonniers de Batkovic´,
il avait relevé: «Les prisonniers ne se sont pas plaints de mauvais traite-
ments et, dans l’ensemble, ils semblaient être en bonne santé» (rapport
du 17 novembre 1992, par. 29). Le demandeur affirme toutefois à ce sujet
qu’«il ne fait aucun doute que le camp qui a été montré à M. Mazowiecki
était un camp «modèle»».
Prijedor
a) Kozarac et Hambarine
257. En ce qui concerne la région de la municipalité de Prijedor, le
demandeur a particulièrement insisté sur le bombardement et les attaques
subis par Kozarac, à 20 kilomètres à l’est de Prijedor, et par Hambarine
en mai 1992. Le demandeur affirme que, après le bombardement, les
forces serbes exécutèrent des personnes à leur domicile et que celles qui
se rendirent furent emmenées dans un stade de football de Kozarac où
quelques hommes pris au hasard furent exécutés. Dans son rapport
(vol. I, annexe III, p. 154-155), la commission d’experts indique que:
«L’attaque de Kozarac a duré trois jours et a poussé de nombreux
villageois à fuir dans la forêt alors que les soldats tiraient «sur tout
ce qui bougeait». Des survivants ont calculé qu’au moins deux mille
villageois avaient été tués durant cette période. Les défenses des vil-
lageois sont tombées le 26 mai...
Les Serbes donnèrent alors aux villageois dix minutes pour se
rendre au stade municipal de football. De nombreuses personnes
cependant furent tuées à leur domicile avant d’avoir la possibilité
de partir. Un témoin a rapporté que plusieurs milliers de per-
sonnes voulurent se rendre en portant des drapeaux blancs, mais
que trois chars serbes ouvrirent le feu sur elles, en tuant un grand
nombre.»
108 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 148
Le défendeur affirme que le nombre des morts est exagéré, qu’«il y a eu
des combats acharnés à Kozarac les 25 et 26 mai et [qu’]il faut naturel-
lement en conclure qu’il y avait des combattants musulmans au nombre
des victimes».
258. En ce qui concerne Hambarine, le rapport de la commission
d’experts (vol. I, p. 39) signale que:
«A la suite d’un incident au cours duquel une poignée à peine de
soldats serbes furent tués dans des circonstances indéterminées, le
village d’Hambarine reçut un ultimatum le sommant de livrer un
policier qui vivait à l’endroit où s’étaient produits les tirs. Le policier
n’ayant pas été livré, le 23 mai 1992, Hambarine fut pendant plu-
sieurs heures la cible de bombardements d’artillerie.
Les tirs venaient de l’aérodrome d’Urije situé juste à l’extérieur de
la ville de Prijedor. Lorsque les bombardements cessèrent, le village
fut pris d’assaut par l’infanterie, y compris par des unités paramili-
taires, qui fouillèrent chaque maison à la recherche des habitants.
En 1991, Hambarine comptait deux mille quatre cent quatre-vingt-
dix-neuf habitants.»
Le rapporteur spécial indique, dans son rapport du 17 novembre 1992,
que
[e]ntre le 23 et le 25 mai, le village musulman d’Hambarine, situé
à 5 kilomètres au sud de Prijedor, a reçu un ultimatum: toutes les
armes devaient être livrées à 11 heures au plus tard. Puis, au prétexte
qu’on avait tiré sur une patrouille serbe, on a commencé à bombar-
der le village au mortier et des tanks sont apparus, faisant feu sur les
maisons. Les villageois se sont enfuis à Prijedor. Selon les témoins, il
y a eu de nombreuses victimes, probablement jusqu’à mille». (Rap-
port périodique du 17 novembre 1992, p. 8, par. 17 c).)
Le défendeur, citant l’acte d’accusation dans l’affaire Staki´, affirme que
«onze victimes seulement ont été identifiées» et qu’il est par conséquent
impossible que le nombre total des victimes d’Hambarine ait «atteint
mille personnes».
259. La commission d’experts conclut dans son rapport que les 26, 27
et 28 mai, le village musulman de Kozarac avait été attaqué par l’artille-
rie lourde serbe. Elle note en outre:
«La population, estimée à quinze mille personnes, fut la cible de
nombreuses exécutions sommaires, le nombre des victimes s’élevant
peut-être à cinq mille, selon certains témoins.» (Rapport de la com-
mission d’experts, vol. IV, point 4.)
260. Le demandeur a également allégué que des meurtres de membres
du groupe protégé ont été perpétrés à Prijedor même. Tant la commission
d’experts que le rapporteur spécial des Nations Unies ont recueilli des
déclarations individuelles de témoins concernant plusieurs cas de
meurtres dans la ville de Prijedor (rapport de la commission d’experts,
vol. I, annexe V, p. 54 et suiv.). En particulier, le rapporteur spécial a
109 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 149
recueilli des témoignages «de sources dignes de confiance» indiquant
que deux cents personnes avaient été tuées à Prijedor le 29 mai 1992
(rapport du 17 novembre 1992, par. 17).
261. Dans l’affaire Stakic´, la chambre de première instance du TPIY
a conclu que «nombre de personnes [avaient] été tuées au cours des
attaques menées par l’armée des Serbes de Bosnie contre des villes et des
villages majoritairement [musulmans] dans toute la municipalité de Prije-
dor, [que] plusieurs massacres de Musulmans [avaient] eu lieu» et qu’«il
[se] dégage[ait] un ensemble d’atrocités dont les Musulmans de la muni-
cipalité de Prijedor [avaient] été victimes en 1992, et qui ont été établies
au-delà de tout doute raisonnable» (IT-97-24-T, jugement du
31 juillet 2003, par. 544 et 546). Par ailleurs, dans l’affaire Brdaninla
chambre de première instance s’est dite convaincue qu’«au moins
quatre-vingts civils musulmans de Bosnie [avaient] été tués lorsque les sol-
dats et policiers serbes de Bosnie [étaient] entrés dans les villages des envi-
er
rons de Kozarac» (IT-99-36, jugement du 1 septembre 2004, par. 403).
b) Les camps
i) Le camp d’Omarska
262. S’agissant des camps de détention établis dans le secteur de Pri-
jedor, le demandeur a souligné que celui d’Omarska était «sans doute le
plus cruel de Bosnie-Herzégovine». Le rapport de la commission d’experts
rend compte des déclarations de sept témoins faisant état de mille à
trois mille meurtres (vol. IV, annexe VIII, p. 222). Il relève que
«[c]ertains prisonniers estiment que, en moyenne, dix à quinze corps
pouvaient être exposés sur l’herbe chaque matin, quand les premiers
prisonniers allaient chercher leur ration quotidienne de nourriture.
Mais d’autres cadavres ont aussi été vus à d’autres endroits et à
d’autres moments. Certains prisonniers sont morts de leurs blessures
ou d’autres causes dans les pièces où ils étaient détenus. La vision
constante de la mort et de la souffrance de codétenus faisait qu’il
était impossible pour quiconque d’oublier un certain temps sa situa-
tion. Compte tenu de la durée pendant laquelle Logor Omarska a été
utilisé, du nombre de prisonniers détenus en plein air et des alléga-
tions selon lesquelles des cadavres étaient exposés là-bas presque
chaque matin.»
Les experts concluent dans leur rapport que «toutes les informations
disponibles ... semblent indiquer qu’[Omarska] était avant tout un camp
de la mort» (vol. I, annexe V, p. 80). Le Secrétaire général de l’Organisa-
tion des Nations Unies a également reçu des rapports du Canada, de
l’Autriche et des Etats-Unis contenant des déclarations de témoins sur les
meurtres commis à Omarska.
263. Le TPIY, dans le jugement rendu par la chambre de première
instance en l’affaire Tadi´, a formulé les conclusions suivantes au sujet
d’Omarska: «Le camp d’Omarska est sans doute le plus connu [des
110 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 150
camps], celui où les conditions d’existence furent les plus effroyables.»
(IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 155.) «La chambre de première
instance a entendu trente témoins qui ont survécu aux violences systéma-
tiques qu’ils ont subies à Omarska. Toutes les dépositions parlent des
conditions d’existence effroyables qui régnaient dans le camp, où le
meurtre et la torture étaient monnaie courante.» (Ibid., par. 157.) Dans
l’affaire Stak´, la chambre de première instance a conclu dans son juge-
ment que «plus de cent personnes [avaient] été exécutées à la fin juillet 1992
au camp d’Omarska» et que,
«[v]ers la fin juillet 1992, quarante-quatre personnes [avaient] été
emmenées en autocar du camp d’Omarska. On leur a[vait] dit qu’elles
seraient échangées [vers] Bosanska Krupa. On ne les a plus jamais
revues. Les cadavres de cinquante-six personnes ont été exhumés à
Jama Lisac. Ces personnes [avaient], pour la plupart, été tuées par
balle.» (IT-97-24-T, chambre de première instance, jugement du
31 juillet 2003, par. 208 et 210.)
Au moins cent vingt personnes détenues à Omarska ont été tuées après
avoir été emmenées en autocar.
«Les cadavres de certaines de ces personnes emmenées en autocar
ont, par la suite, été retrouvés à Hrastova Glavica et identifiés. De
nombreux corps, cent vingt-six, ont été retrouvés dans ce secteur, à
environ 30 kilomètres de Prijedor. Pour cent vingt et un d’entre eux,
les experts en médecine légale ont conclu à une mort par balle.»
(Ibid., par. 212.)
264. Dans l’affaire Brdanin, la chambre de première instance a, dans
er
son jugement du 1 septembre 2004, déclaré qu’entre le 28 mai et le
6 août un nombre considérable de personnes avaient été tuées dans le
camp d’Omarska. Elle a ajouté: «Dès fin mai 1992, un camp a été établi
à Omarska où, comme le montrent les éléments de preuve, plusieurs cen-
taines de civils musulmans ou croates de Bosnie originaires de la région
de Prijedor ont été détenus, et où des meurtres ont été commis à graner
échelle.» (IT-99-36-T, chambre de première instance, jugement du 1 sep-
tembre 2004, par. 441.) «La chambre de première instance n’est pas en
mesure d’identifier précisément tous les détenus qui ont été tués au camp
d’Omarska. Elle est toutefois convaincue au-delà de tout doute raison-
nable qu’au moins quatre-vingt-quatorze personnes l’ont été, y compris
celles qui ont disparu.» (Ibid., par. 448.)
ii) Le camp de Keraterm
265. Un deuxième camp de détention était établi dans le secteur de Pri-
jedor, celui de Keraterm où, d’après le demandeur, des membres du
groupe protégé auraient également été tués. Plusieurs récits concordants
d’une exécution collective dans la pièce 3 du camp de Keraterm, le matin
du 25 juillet 1992, ont été présentés à la Cour. Ils figurent notamment
dans le Dispatch du département d’Etat des Etats-Unis et dans une lettre
111 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 151
du 5 mars 1993 adressée au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies par le représentant permanent de l’Autriche auprès de
l’Organisation des Nations Unies. Le rapport de la commission d’experts
fait état de déclarations émanant de trois témoins différents, selon les-
quelles, pendant trois mois, dix détenus avaient été tués chaque jour à
Keraterm (vol. IV, par. 1932; voir aussi vol. I, annexe V, par. 445).
266. Dans l’affaire Sikirica et consorts, la chambre de première ins-
tance du TPIY a conclu, en ce qui concerne le commandant du camp de
Keraterm, que cent soixante à deux cents hommes avaient été tués ou
blessés dans la salle connue sous le nom de pièce 3 (IT-95-8-S, jugement
portant condamnation du 13 novembre 2001, par. 103). Selon le juge-
ment, Sikirica lui-même a reconnu qu’il existait de nombreux éléments
«établissant l’assassinat et le meurtre à Keraterm d’autres individus nom-
mément désignés, pendant ses tours de garde». Des preuves existaient
également que «d’autres [avaient] été assassinés en raison de leur rang et
de leur position sociale, et de leur appartenance à un groupe ethnique ou
de leur nationalité» (ibid., par. 122). Dans l’affaire St´, la chambre de
première instance a conclu que «du 30 avril 1992 au 30 septembre 1992 ...
les meurtres étaient fréquents aux camps d’Omarska, de Keraterm et de
Trnopolje» (IT-97-24-T, jugement du 31 juillet 2003, par. 544).
iii) Le camp de Trnopolje
267. Le demandeur soutient en outre qu’il existe des preuves convain-
cantes de meurtres commis dans le camp de Trnopolje, plusieurs récits de
témoins oculaires se corroborant mutuellement. Dans son rapport, la
commission d’experts a conclu que, à Trnopolje, «[l]e régime ... était bien
meilleur qu’à Omarska et à Keraterm, mais tous les détenus y étaient
soumis à des sévices et mal nourris. Les viols, les passages à tabac et les
tortures de tout type et même les meurtres n’[y] étaient pas rares.» (Rap-
port de la commission d’experts, vol. IV, annexe V, p. 10.)
«C’est au début que la situation avait été la pire à Trnopolje, avec
le plus grand nombre de meurtres, de viols, et d’autres formes de
mauvais traitements et de torture...
Les personnes tuées dans le camp étaient généralement emportées
peu après par des détenus auxquels les Serbes avaient donné l’ordre
d’enterrer les cadavres...
Bien que Logor Trnopolje n’ait pas été un camp de la mort
comme Logor Omarska ou Logor Keraterm, le qualifier de «camp
de concentration» n’en est pas moins justifié étant donné les condi-
tions qui y régnaient.» (Ibid., vol. I, annexe V, p. 88-90.)
268. En ce qui concerne le nombre des meurtres commis à Trnopolje,
le TPIY a examiné la période du 25 mai au 30 septembre 1992, celle qui
était pertinente en l’affaire Sta´ (IT-97-24-T, chambre de première ins-
tance, jugement du 31 juillet 2003, par. 226-227). La chambre de première
instance a constaté que «les meurtres étaient fréquents aux camps
112 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 152
d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje ainsi que dans d’autres centres
de détention» (II-97-24-T, par. 544). Dans le jugement rendu en l’affaire
Brdanin, la chambre de première instance a conclu que, pendant la
période allant du 28 mai au mois d’octobre 1992,
«le camp de Trnopolje a été le théâtre de nombreux meurtres. Un
certain nombre de détenus sont morts à la suite des coups que leur
ont infligés les gardiens. D’autres ont été abattus par des gardiens.
La chambre de première instance [a] également [conclu] qu’au moins
20 détenus ont été eerenés et tués en dehors du camp.» (IT-99-
36-T, jugement du 1 septembre 2004, par. 450.)
269. En réponse aux allégations faisant état de meurtres dans les
camps de détention de la région de Prijedor, le défendeur conteste le
nombre de victimes, mais non la réalité de ces actes. Il soutient qu’à Pri-
jedor les meurtres étaient «commis de manière sporadique, et contre des
individus qui ne constituaient pas une partie substantielle du groupe». Il
fait en outre observer que les actes perpétrés dans la région de Prijedor
n’ont pas reçu du TPIY la qualification de génocide.
Banja Luka
Le camp de Manjac ˇa
270. Le demandeur soutient en outre que les meurtres étaient égale-
ment fréquents dans le camp de Manjac ˇa, à Banja Luka. La Cour note
que le rapport de la commission d’experts contient de très nombreux
récits de meurtres provenant de témoins des faits (vol. IV, par. 370-376),
et qu’un charnier renfermant cinq cent quarante corps, «probablement»
ceux de prisonniers de Manjac ˇa, est mentionné dans un rapport de
Manfred Nowak, l’expert de l’Organisation des Nations Unies sur les
personnes disparues:
«En septembre 1995, des charniers ont été découverts près de Kra-
sulje, au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine. Le gouvernement a
exhumé cinq cent quarante corps de personnes probablement déte-
nues dans le camp de concentration de Manjac ˇa en 1992. En jan-
vier 1996, un charnier renfermant vingt-sept corps de Musulmans de
Bosnie a été découvert près de Sanski Most; les victimes auraient été
tuées en juillet 1992, lors de leur transfert de Sanski Most au camp de
concentration de Manjac ˇa (près de Banja Luka).» (Nations Unies,
doc. E/CN.4/1996/36 du 4 mars 1996, par. 52.)
Brcˇko
Le camp de Luka
271. Le demandeur affirme que des membres du groupe protégé ont
aussi été tués dans le camp de Luka et à Brˇko. Le rapport de la commis-
sion d’experts confirme ces allégations. Un témoin a indiqué que «les exé-
cutions avaient souvent lieu à 4 heures du matin. Le témoin estime que,
pendant sa première semaine à Luka, plus de deux mille hommes ont été
113 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 153
tués et jetés dans la Save» (rapport de la commission d’experts, vol. IV,
annexe VIII, p. 93). Les experts affirment aussi qu’«apparemment,
les meurtres et la torture étaient quotidiens» (ibid., p. 96) et que, selon les
indications reçues,
«les corps des détenus morts ou mourants étaient souvent emportés
à la décharge du camp ou derrière les hangars des prisonniers.
D’autres détenus devaient déplacer les cadavres. Quelquefois, les pri-
sonniers étaient tués pendant qu’ils portaient les corps à la décharge.
Les morts étaient aussi emportés et jetés à proximité du commis-
sariat de police serbe situé sur la route de Majevic ˇka Brigada, à
Brˇko.» (Ibid.)
Ces conclusions sont corroborées par la preuve de l’existence d’un char-
nier découvert près du site (rapport de la commission d’experts, vol. IV,
annexe VIII, p. 101, et Dispatch du département d’Etat des Etats-Unis).
272. Dans l’affaireJelisi´, huit des treize meurtres pour lesquels l’accusé
a plaidé coupable ont été perpétrés dans le camp de Luka et les cinq autres
dans le commissariat de police de Brc ˇko (IT-95-10-T, chambre de pre-
mière instance, jugement du 14 décembre 1999, par. 37-38). Tout en esti-
mant ne pas être «en mesure d’établir de façon précise le nombre de vic-
times imputables à Goran Jelisic ´ pour la période incriminée dans l’acte
d’accusation», la chambre de première instance a «constat[é] en l’espèce
que l’élément matériel du crime de génocide [était] rempli»i(bid., par. 65).
273. Dans la décision relative à la demande d’acquittement en l’affaire
Miloševic´, la chambre de première instance a conclu que de nombreux
Musulmans avaient été détenus dans le camp de Luka en mai et en juin 1992
et qu’un grand nombre de meurtres avait été observé par des témoins (IT-
02-54-T, décision relative à la demande d’acquittement, 16 juin 2004,
par. 159, 160-168); elle a déclaré que «[l]es conditions de vie et la façon
dont les détenus étaient traités au camp de Luka étaient atroces: sévices,
viols et meurtres y étaient pratique courante» i(bid., par. 159). «Au camp
de Luka ... [l]e témoin a lui-même déplacé une douzaine ou une quinzaine
de cadavres; il en a vu une centaine, empilés comme du bois de chauffage
au camp de Luka. Tous les jours, un camion frigorifique à viande de
l’entreprise Bimeks de Brcˇko ramassait les cadavres.»I(bid., par. 161.)
274. La Cour note que, dans le jugement rendu le 1 er septembre 2004
en l’affaire Brdanin, la chambre de première instance a tiré une conclu-
sion générale concernant les meurtres de civils dans des camps et muni-
cipalités de Banja Luka, Prijedor, Sanski Most, Kljuc ˇ, Kotor Varoš et
Bosanski Novi, qu’elle a ainsi formulée:
«En résumé, la chambre de première instance est convaincue au-
delà de tout doute raisonnable qu’au vu de tous les faits relatés dans
ce chapitre du jugement que les forces serbes de Bosnie ont tué au
moins mille six cent soixante-neuf Musulmans de Bosnie et Croates
derBosnie, tous des non-combattants.» (IT-99-36-T, jugement du
1 septembre 2004, par. 465.)
114 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 154
Dans des résolutions contemporaines des faits, le Conseil de sécurité et
l’Assemblée générale ont condamné les meurtres de civils commis dans le
cadre du nettoyage ethnique ou se sont déclarés profondément préoccu-
pés par les informations faisant état de massacres (résolution 819 (1993)
du Conseil de sécurité, sixième et septième alinéas du préambule, résolu-
tion 48/153 (1993) de l’Assemblée générale, par. 5 et 6; résolution
49/196 (1994) de l’Assemblée générale, par. 6).
275. La Cour note en outre que plusieurs résolutions condamnent des
incidents particuliers. Entre autres, elles condamnent «les forces serbes de
Bosnie pour leur offensive ininterrompue contre la zone de sécurité de
Goražde, qui s’est soldée par la mort de nombreux civils» (résolution 913
(1994) du Conseil de sécurité, cinquième alinéa du préambule), condam-
nent le nettoyage ethnique «perpétré à Banja Luka, Bijeljina et dans
d’autres zones de la République de Bosnie-Herzégovine tenues par les
forces serbes de Bosnie» (résolution 941 (1994) du Conseil de sécurité,
par. 2), expriment des préoccupations face aux «violations graves du
droit international humanitaire et des droits de l’homme» commises «à
Srebrenica et aux alentours, ainsi que dans les zones de Banja Luka et de
Sanski Most» et notamment aux «informations faisant état de mas-
sacres» (résolution 1019 (1995) du Conseil de sécurité, deuxième alinéa du
préambule) et condamnent «le bombardement aveugle de civils dans les
zones de sécurité de Sarajevo, Tuzla, Bihac´ et Goražde, ainsi que l’utilisa-
tion de bombes en grappe contre des cibles civiles par les forces serbes de
Croatie et de Bosnie» (résolution 50/193 (1995) de l’Assemblée générale,
par. 5).
*
276. Sur la base des faits qui viennent d’être exposés, la Cour consi-
dère comme établi par des éléments de preuve irréfutables que des
meurtres ont été perpétrés de façon massive au cours du conflit dans des
zones et des camps de détention précis situés sur l’ensemble du territoire
de la Bosnie-Herzégovine. En outre, les éléments de preuve qui ont été
présentés démontrent que les victimes étaient dans leur grande majorité
des membres du groupe protégé, ce qui conduit à penser qu’elles ont pu
être prises pour cible de manière systématique. La Cour relève que, si le
défendeur a contesté la véracité de certaines allégations, le nombre des
victimes, les motivations des auteurs des meurtres, ainsi que les circons-
tances dans lesquelles ceux-ci ont été commis et leur qualification juri-
dique, il n’a en revanche jamais contesté le fait que des membres du
groupe protégé aient été tués en Bosnie-Herzégovine. La Cour estime
donc qu’il a été démontré par des éléments de preuve concluants que
des meurtres de membres du groupe protégé ont été commis de façon
massive et que l’élément matériel, tel que défini au litt. a) de l’article II
de la Convention, est par conséquent établi. A ce stade de son raison-
nement, la Cour n’est pas tenue de dresser la liste des meurtres commis,
ni même d’établir de manière définitive le nombre total des victimes.
115 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 155
277. Au vu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Cour
n’est cependant pas convaincue qu’il ait été établi de façon concluante
que les meurtres de masse de membres du groupe protégé ont été commis
avec l’intention spécifique (dolus specialis), de la part de leurs auteurs, de
détruire, en tout ou en partie, le groupe comme tel. Ayant examiné avec
attention les affaires portées devant le TPIY ainsi que les décisions de ses
chambres — citées plus haut —, la Cour fait observer qu’aucune des per-
sonnes déclarées coupables n’a été considérée comme ayant agi avec une
intention spécifique (dolus specialis). Les meurtres brièvement présentés
ci-dessus peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité, mais la Cour n’a pas compétence pour en juger. Dans l’exer-
cice de la compétence que lui confère la convention sur le génocide, elle
considère qu’il n’a pas été établi par le demandeur que ces meurtres cons-
tituaient des actes de génocide prohibés par la Convention. S’agissant de
la thèse du demandeur selon laquelle l’intention spécifique (dolus specia-
lis) peut être déduite du schéma des actes perpétrés tout au long du
conflit, il convient d’en réserver l’examen, la Cour devant d’abord se pen-
cher sur tous les autres actes de génocide allégués (violations des litt. b)
à e) de l’article II) (voir paragraphe 370 ci-dessous).
**
5) Le massacre de Srebrenica
278. Les atrocités commises à Srebrenica et à proximité ne sauraient
être mieux résumées que par le premier paragraphe du jugement rendu
par la chambre de première instance en l’affaire Krstic´ :
«Les événements survenus en Bosnie-Herzégovine en juillet 1995
lors de la prise par les Serbes de Bosnie de l’enclave de Srebrenica,
déclarée zone de sécurité par l’Organisation des Nations Unies
(l’«ONU»), sont bien connus dans le monde entier. En dépit d’une
résolution du Conseil de sécurité de l’ONU selon laquelle l’enclave
devait être «à l’abri de toute attaque armée et de tout autre acte
d’hostilité», des unités de l’Armée des Serbes de Bosnie (la «VRS»)
ont donné l’assaut et pris la ville. En quelques jours, environ
25 000 Musulmans de Bosnie — pour la plupart des femmes, enfants
et personnes âgées résidant dans ce secteur — ont été expulsés et,
dans une atmosphère de terreur, embarqués par les Serbes de Bosnie
à bord d’autocars bondés qui ont traversé les lignes de confrontation
pour rejoindre le territoire contrôlé par les Musulmans de Bosnie.
Les hommes musulmans de Srebrenica en âge de porter les armes
ont connu un sort différent. Des milliers d’entre eux, qui tentaient de
fuir le secteur, ont été capturés, détenus dans des conditions inhu-
maines puis exécutés. Plus de 7000 personnes n’ont jamais été
revues.» (IT-98-33-T, jugement du 2 août 2001, par. 1, notes de bas
de page omises.)
116 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 156
Le défendeur a contesté le nombre de morts, mais non la teneur de cet
exposé. Il met en revanche en doute l’existence d’une intention spécifique
(dolus specialis) ainsi que la possibilité de lui attribuer les actes dont le
demandeur tire grief. Il appelle également l’attention sur les attaques
menées par l’armée de Bosnie depuis Srebrenica et sur le fait que l’enclave
n’a jamais été démilitarisée. Le défendeur affirme que l’action militaire
engagée par les Serbes de Bosnie l’a été en représailles et dans le cadre
d’une guerre à visée territoriale.
279. Le demandeur soutient que l’attaque finale lancée contre Srebre-
nica a dû être préparée bien avant le mois de juillet 1995. Il cite un rap-
port du 4 juillet 1994 établi par le commandant de la brigade de Bratu-
nac. Celui-ci mettait en avant l’«objectif final» de la VRS: «une Podrinje
entièrement serbe. Une défaite militaire devra être infligée aux enclaves
de Srebrenica, Žepa et Goražde». Le rapport poursuivait:
«Nous devons continuer à armer, entraîner, former et préparer
l’armée de la Republika Srpska à l’exécution de cette mission cru-
ciale qui consiste à expulser les Musulmans de l’enclave de Srebre-
nica. Il n’y aura pour l’enclave de Srebrenica aucun repli, nous
devons avancer. Nous devons rendre la vie de nos ennemis intenable
et leur présence dans l’enclave impossible de sorte que, comprenant
qu’ils ne peuvent pas survivre ici, ils s’en aillent en masse, aussi vite
que possible.»
Dans l’affaire Blagojevic´, la chambre de première instance a mentionné
des témoignages indiquant que quelques «membres de la brigade de Bra-
tunac en 1994 ont déclaré que, pour eux, il ne s’agissait pas d’un ordre.
Le témoignage d’autres personnes et certains documents montrent qu’il
s’agissait en fait de la mise en Œuvre d’une stratégie.» (IT-02-60-T,
chambre de première instance, jugement du 17 janvier 2005, par. 104,
notes de bas de page omises.) D’après le demandeur, l’«objectif final»
décrit ici consistait à créer une «Podrinje entièrement serbe», confor-
mément au dessein d’établir une région serbe sur 50 kilomètres à l’ouest
de la rivière Drina qui avait été formé lors d’une réunion tenue en avril
ou mai 1991 par l’élite politique et dirigeante de la Yougoslavie. La Cour
fait observer que, comme les objectifs stratégiques de 1992, l’objectif énon-
cé dans le rapport n’envisage pas la destruction des Musulmans de Srebre-
nica, mais leur départ. La chambre n’a accordé aucun poids particulier au
rapport.
280. Le demandeur, comme la chambre, se réfère à une réunion tenue
le 7 mars 1995 entre le commandant de la Force de protection des
Nations Unies (FORPRONU) et le général Mladic ´, au cours de laquelle
ce dernier exprima son mécontentement quant au régime de la zone de
sécurité et indiqua qu’il pourrait entreprendre une action militaire contre
les enclaves situées à l’est. Il donna toutefois des assurances concernant la
sécurité de la population bosno-musulmane de ces enclaves. Le lende-
o
main, le 8 mars 1995, le président Karadžic ´ émit la directive n 7 relative
à de nouvelles opérations, qui est également citée par la chambre et par
117 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 157
le demandeur: ««Des opérations de combat planifiées et bien pensées»
doivent créer «une situation insoutenable d’insécurité totale dans laquelle
aucun espoir de survie ou de vie ne sera permis aux habitants des deux
enclaves».» La chambre chargée de l’affaire Blagojevic ´ poursuit en ces
termes:
«La mission de séparer les enclaves de Srebrenica et de Žepa a été
confiée au corps de la Drina. Suite à cette directive, le général
Ratko Mladic ´ a, le 31 mars 1995, communiqué une directive relative
o
à de nouvelles opérations, la directive n 7/1, laquelle précisait la
mission du corps de la Drina.» (IT-02-60-T, p. 38-39, par. 106.)
281. En ce qui concerne la première de ces directives, le conseil du deman-
deur a posé la question suivante: «Quelle meilleure illustration de l’intention
spécifique (dolus specialis)et destructrice des autorités de Pale?» Comme
dans le cas du rapport de juillet 1994, la Cour fait observer que l’expulsion
des habitants aurait permis d’atteindre le but de l’opération. Cette observa-
tion est confortée par la conclusion de la chambre d’appel dans l’affaire
Krsti´, à savoir que les directives n’étaient pas suffisamment claires pour éta-
blir que les membres de l’état-major principal qui les avaient données étaient
animés d’une intention spécifique (dolus specialis). «De fait, la chambre de
première instance nos même pas conclu à l’intention génocidaire des auteurs
de ces directives [n 7 et 7.1], jugeant au contraire que le plan génocidaire
avait vu le jour plus tard.» (IT-98-33-A, arrêt du 19 avril 2004, par. 90.)
282. Un bataillon néerlandais (le Dutchbat) fut déployé dans la zone
de sécurité de Srebrenica. En janvier 1995, ses effectifs dans cette zone se
chiffraient à six cents hommes environ. En février et tout au long du prin-
temps, la VRS refusa d’autoriser le retour des soldats néerlandais qui
étaient partis en permission, faisant tomber leur nombre d’au moins cent
cinquante personnes, et elle imposa des restrictions à la circulation des
convois internationaux de secours et de ravitaillement qui faisaient route
vers Srebrenica et d’autres enclaves. Il était estimé que, sans nouveau
ravitaillement, environ la moitié de la population de Srebrenica serait à
court de vivres après la mi-juin.
283. Le 2 juillet, le commandant du corps de la Drina donna l’ordre de
lancer une offensive; son objectif déclaré à l’égard de Srebrenica était de
réduire «l’enclave à sa zone urbaine». L’attaque commença le 6 juillet avec
l’explosion de roquettes près du quartier général du Dutchbat à Potoc ˇari.
Les 7 et 8 juillet furent relativement calmes en raison des mauvaises condi-
tions météorologiques, mais les bombardements s’intensifièrent aux alen-
tours du 9 juillet. Srebrenica continua à essuyer des bombes jusqu’au
11 juillet, jour de sa chute, les postes d’observation du Dutchbat ayant été
pris par la VRS. Contrairement aux attentes de celle-ci, l’armée de Bosnie-
Herzégovine n’opposa que très peu de résistance B ( lagojevi´, IT-02-60-T,
chambre de première instance, jugement du 17 janvier 2005, par. 125).
Dans son rapport, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies
cite une analyse faite par les observateurs militaires des Nations Unies
dans l’après-midi du 9 juillet, qui se concluait en ces termes:
118 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 158
««l’offensive de l’armée des Serbes de Bosnie se poursuivra jusqu’à
ce qu’elle parvienne à ses fins. Devant la quasi-absence de réaction
des Nations Unies, elle pourrait même multiplier ses objectifs et elle
est désormais en mesure d’envahir l’enclave si elle le souhaite». Les
documents obtenus par la suite de sources serbes semblent corrobo-
rer cette évaluation. Il ressort de ces documents que, au départ, les
objectifs de l’attaque des Serbes contre Srebrenica étaient limités. Ce
n’est qu’après avoir progressé avec une facilité inattendue que les
Serbes ont décidé de prendre la totalité de l’enclave. De hauts res-
ponsables serbes, civils et militaires, de la zone de Srebrenica ont
abondé dans le même sens, ajoutant, lors de discussions avec un
haut fonctionnaire de l’Organisation des Nations Unies, qu’ils
avaient décidé d’aller jusqu’à Srebrenica lorsqu’ils avaient établi que
la FORPRONU n’était ni désireuse ni capable de les arrêter.»
(Nations Unies, doc. A/54/549, par. 264.)
Dans le même sens, la chambre, dans l’affaire Blagojevic ´, indique
que:
«Au fur et à mesure que se déroulait l’opération, son objectif mili-
taire était modifié, passant de «réduire l’enclave à la zone urbaine»
[l’objectif indiqué par le corps de la Drina dans un ordre du 2 juillet] à
la prise de la ville de Srebrenica et de l’enclave tout entière. La
chambre de première instance n’a connaissance d’aucune preuve directe
concernant le moment exact où l’objectif militaire poursuivi a été modi-
fié. Les preuves démontrent effectivement que le président Karadžic ´ fut
«informé [le 9 juillet] du succès des opérations de combat menées aux
environs de Srebrenica ... qui [allaient] leur permettre d’occuper la ville
même de Srebrenica». Selon Miroslav Deronjic ´, le président du conseil
d’administration de la municipalité de Bratunac, le président Karadžic ´
lui aurait dit, le 9 juillet, que deux choix se présentaient concernant
l’opération, l’un d’eux étant la prise de la ville de Srebrenica dans son
intégralité. Plus tard dans la journée, le président Karadži´ «approuva
la poursuite des opérations en vue de la prise de Srebrenica». Au matin
du 11 juillet, la modification de l’objectif de l’opération «Krivaja 95»
était parvenue aux unités sur le terrain et, dans l’après-midi, l’ordre de
pénétrer dans Srebrenica avait atteint les brigades IKM [postes de com-
mandement avancé] de Bratunac à Pribic ´evac ainsi que le colonel Bla-
gojevi´. Le 11 juillet, Miroslav Deronji´ rendit visite à la brigade IKM
de Bratunac à Pribic´evac. Il s’entretint brièvement avec le colonel Bla-
gojevi´ au sujet de l’opération Srebrenica. Selon Miroslav Deronjic ´, la
VRS venait de recevoir l’ordre de pénétrer dans la ville de Srebrenica.»
(IT-02-60-T, chambre de première instance, jugement du 17 jan-
vier 2005, p. 47-48, par. 130.)
284. La chambre entame ensuite le récit des terribles conséquences de
la chute de Srebrenica. Le 11 juillet, une compagnie du bataillon néerlan-
dais entreprit de diriger les réfugiés vers le quartier général de la FOR-
119 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 159
PRONU à Potoc ˇari, considéré comme étant le seul endroit où ceux-ci
pourraient être en sécurité. Tous ne se dirigèrent pas vers Potoc ˇari; de
nombreux hommes musulmans allèrent se réfugier dans les bois. La VRS
eut tôt fait de bombarder les réfugiés et de tirer sur eux en dépit de leurs
efforts pour trouver une voie sûre vers Potoc ˇari où, suivant les termes
employés par le TPIY, régnait le chaos:
«La foule massée à l’extérieur de l’enceinte de la FORPRONU
grossit par milliers dans la journée du 11 juillet. Le soir, le nombre
de Musulmans de Bosnie qui se trouvaient dans la région environ-
nante était estimé entre 20 000 et 30 000 et quelque 4000 à 5000 réfu-
giés occupaient l’enceinte de la FORPRONU.
b) Les conditions de vie à Potoc ˇari
Les conditions d’hygiène dans Potoc ˇari s’étaient complètement
détériorées. Nombre des réfugiés qui cherchaient un abri au quartier
général de la FORPRONU étaient blessés. Des soins médicaux
étaient dispensés dans la mesure du possible; toutefois, il y avait une
grave pénurie de fournitures médicales. Par suite du blocage des
convois humanitaires par la VRS au cours des mois précédents, il n’y
avait presque pas de denrées fraîches au quartier général du bataillon
néerlandais. On trouvait de l’eau courante en petite quantité à l’exté-
rieur de l’enceinte. Entre le 11 et le 13 juillet 1995, la température
était très élevée, atteignant 35 degrés centigrades, et cette faible ali-
mentation en eau était insuffisante pour les 20 000 à 30 000 réfugiés
qui se trouvaient à l’extérieur de l’enceinte de la FORPRONU.»
(IT-02-60-T, par. 146-147.)
Le Tribunal développe ces points et donne des détails sur certains efforts
déployés par les Serbes de Bosnie et les autorités serbes — c’est-à-dire
l’Assemblée municipale locale, la brigade de Bratunac et le corps de la
Drina —, ainsi que par le HCR pour aider les réfugiés musulmans de
Bosnie (ibid., par. 148).
285. Selon le rapport du Secrétaire général de 1999, le 10 juillet à
22 h 45, le représentant à Belgrade du représentant spécial du Secrétaire
général appela le représentant spécial pour lui dire qu’il avait vu le pré-
sident Miloševic´, lequel lui avait répondu qu’il ne fallait pas trop compter
sur lui parce que «les Serbes de Bosnie «ne l’écoutaient pas»» (A/54/549,
par. 292). Le lendemain à 15 heures, le président appela le représentant
spécial et, suivant le même rapport, «indiqu[a] que les soldats du bataillon
néerlandais dans les zones tenues par les Serbes avaient conservé leurs
armes et leur matériel et pouvaient se déplacer librement, ce qui était
faux» (ibid., par. 307). Environ vingt minutes plus tôt, deux avions de
l’OTAN avaient largué deux bombes sur ce qu’ils pensaient être des véhi-
cules serbes remontant du sud en direction de la ville. La réaction de la
VRS est exposée dans le rapport du Secrétaire général:
«Immédiatement après ce premier déploiement de l’appui aérien rap-
proché de l’OTAN, l’armée des Serbes de Bosnie a envoyé par radio un
120 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 160
message au bataillon néerlandais. Ils menaçaient de bombarder la ville
et le PC du bataillon, où des milliers d’habitants avaient commencé à se
rassembler, ainsi que de tuer les soldats du bataillon néerlandais pris en
otage si l’OTAN continuait à avoir recours à la force aérienne. Le
représentant spécial du Secrétaire général se souvient d’avoir reçu alors
un appel téléphonique du ministre de la défense des Pays-Bas, qui de-
mandait l’arrêt de l’opération d’appui aérien rapproché parce que les sol-
dats serbes se trouvaient trop près des troupes néerlandaises, dont la sécu-
rité serait compromise. Le représentant spécial a estimé qu’il n’avait d’autre
choix que de faire droit à cette demande.» (A/54/549, par. 306.)
286. La chambre de première instance dans l’affaireBlagojevic ´ relève
que, le 11 juillet à 20 heures, eut lieu une rencontre entre un colonel néer-
landais, le général Mladi´ et d’autres personnes. Le premier dit qu’il était
venu négocier le retrait des réfugiés et demander pour eux de la nourriture
et des médicaments. Il voulait obtenir l’assurance que la population
musulmane de Bosnie et le bataillon néerlandais seraient autorisés à se
retirer de la région. Le général Mladi´ déclara qu’il ne visait pas la popu-
lation civile et que l’objectif de la réunion était de trouver un arrange-
ment. Puis il indiqua: «Vous pouvez tous partir, tous rester ou tous mou-
rir ici... Nous pouvons trouver un accord pour mettre un terme à tout ça
et résoudre de manière pacifique les questions de la population civile, de
vos soldats et des militaires musulmans.» (Blagojevic ´, IT-02-60-T,
chambre de première instance, jugement du 17 janvier 2005, par. 150-152.)
Plus tard dans la soirée, au cours d’une deuxième rencontre qui débuta à
23 heures et à laquelle assistait un représentant de la communauté musul-
mane de Bosnie, le général Mladic ´ déclara:
««Premièrement, vous devez déposer vos armes et je garantis que
tous ceux qui déposeront leurs armes vivront. Je vous donne ma parole,
d’homme et de général, que j’userai de mon influence pour aider la
population musulmane innocente qui n’est pas la cible des opérations de
combats menées par la VRS... Pour que je puisse prendre une décision,
en tant qu’homme et en tant que commandant, il faut que vos représen-
tants me fassent connaître leur position claire sur la question de savoir si
vous voulez survivre ... rester ou disparaître. Je suis prêt à recevoir ici, à
10 heures demain, une délégation de représentants des Musulmans avec
lesquels je puisse discuter du salut de ceux des vôtres qui proviennent
de ... l’ancienne enclave de Srebrenica... Nesib [un représentant musul-
man], l’avenir de votre population est entre vos mains, et pas seulement
sur ce territoire... Amenez ceux qui peuvent garantir que les armes
seront déposées et sauvez les vôtres de la destruction.»
La chambre de première instance conclut, sur la base des obser-
vations du général Mladic ´, qu’il ne savait pas que les hommes
musulmans de Bosnie avaient quitté l’enclave de Srebrenica dans la
colonne.
Le général Mladic ´ indiqua également qu’il fournirait les véhicules
pour transporter les Musulmans de Bosnie hors de Potoc ˇari. Les
121 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 161
Musulmans de Bosnie et les Serbes de Bosnie n’étaient pas sur un
pied d’égalité et Nesib Mandžic ´ avait le sentiment que sa présence
n’était nécessaire que pour donner le change à la communauté inter-
nationale. Nesib Mandžic ´ était intimidé par le général Mlad´. Aucun
signe n’annonçait qu’il se passerait quelque chose le lendemain.»
(IT-02-60-T, p. 58-59, par. 156-158.)
287. Il y eut une troisième réunion le lendemain matin, le 12 juillet. Le
Tribunal, dans l’affaire Blagojevi´, en fait le récit suivant:
«Après que les représentants des Musulmans de Bosnie se furent
présentés, le général Mladic´ déclara:
«Je veux vous aider, mais je veux une totale coopération de
la part de la population civile parce que votre armée a été vain-
cue. Il n’est pas nécessaire que les vôtres soient tués, vos maris,
vos frères ou vos voisins... Comme je l’ai dit hier soir à ce mon-
sieur, vous pouvez soit survivre soit disparaître. Pour votre sur-
vie, je demande que tous vos hommes qui ont des armes, même
ceux qui ont commis des crimes contre notre population, et ils
sont nombreux, les remettent à la VRS... Vous pouvez choisir
de rester ou de partir. Si vous souhaitez partir, vous pouvez
aller où vous voulez. Lorsque les armes auront été déposées,
chacun ira là où il indiquera qu’il veut aller. La seule chose est
de trouver l’essence nécessaire. Vous pouvez l’acheter si vous
en avez les moyens. Sinon, la FORPRONU devra faire venir
quatre ou cinq camions citernes pour remplir les réservoirs des
camions...»
Camila Omanovic ´ [qui faisait partie de la délégation musulmane]
interpréta cette déclaration comme signifiant que, si la population
musulmane de Bosnie partait, elle serait sauve, mais que, si elle res-
tait, elle périrait. Le général Mlad´ ne répondit pas clairement à la
question de savoir si la population civile serait transférée en toute
sécurité hors de l’enclave. Il indiqua que l’on allait contrôler les
hommes musulmans de Bosnie âgés de seize à soixante-cinq ans pour
vérifier que des criminels de guerre ne se trouvaient pas parmi eux, et
affirma qu’après cette opération les hommes seraient ramenés dans
l’enclave. C’était la première fois qu’une séparation des hommes du
reste de la population était mentionnée. Les représentants des Musul-
mans de Bosnie avaient l’impression que «tout avait été préparé à
l’avance, que les personnes travaillaient ensemble en équipe d’une
manière organisée» et que «Mladic ´ dirigeait l’organisation».
La troisième réunion à l’hôtel Fontana s’acheva sur un accord aux
termes duquel la VRS transférerait la population civile musulmane
de Bosnie hors de l’enclave jusqu’au territoire contrôlé par l’armée
de la Bosnie-Herzégovine, avec l’aide de la FORPRONU afin de
garantir que le transfert s’effectuerait dans des conditions accep-
tables.» (Ibid., par. 160-161.)
122 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 162
La Cour relève que les comptes rendus des propos tenus lors de ces
réunions proviennent de la transcription d’enregistrements vidéo de
l’époque.
288. A partir du 12 juillet, la VRS et le MUP de la Republika Srpska
séparèrent de leurs familles les hommes âgés de seize à soixante ou
soixante-dix ans. Les hommes musulmans de Bosnie furent dirigés vers
différents lieux mais la plupart d’entre eux furent envoyés dans une mai-
son particulière («la maison blanche») située près du quartier général de
la FORPRONU à Potoc ˇari, où ils furent interrogés. Dans l’après-midi du
12 juillet, de nombreux autocars et autres véhicules, certains en prove-
nance de Serbie, arrivèrent à Potocˇari. Seuls les femmes, les enfants et les
hommes âgés furent autorisés à monter dans les autocars à destination du
territoire contrôlé par l’armée de Bosnie-Herzégovine. Au début, des
véhicules du bataillon néerlandais tentèrent d’escorter les convois, mais la
VRS les arrêta, volant peu après entre seize et dix-huit jeeps appartenant
au bataillon néerlandais ainsi qu’une centaine d’armes légères, ce qui
empêcha d’autres escortes. Nombre des hommes musulmans de Bosnie
venant de Srebrenica et de ses environs, y compris ceux qui avaient tenté
de fuir à travers les bois, furent arrêtés et tués.
289. Il convient de mentionner également les activités de certaines
unités paramilitaires, les «Bérets rouges» et les «Scorpions», qui, selon
le demandeur, ont participé aux événements survenus à Srebrenica et à
proximité. Le demandeur a soumis à la Cour certains documents démon-
trant selon lui que les «Scorpions» avaient effectivement été envoyés dans
le secteur de Trnovo et y étaient demeurés tout au long de la période per-
tinente. Le défendeur a mis en doute l’authenticité de ces documents (qui
étaient des copies de communications interceptées et non des originaux),
sans jamais la nier formellement. Il n’a pas été contesté que les «Scor-
pions» avaient été redéployés à Trnovo. Au cours de la procédure orale, le
demandeur a présenté un enregistrement vidéo montrant l’exécution par
des paramilitaires de six Musulmans de Bosnie à Trnovo en juillet 1995.
290. Les chambres de première instance, aussi bien dans l’affaire
Krsti´ que dans l’affaire Blagojevi´, ont conclu que les forces serbes de
Bosnie avaient tué plus de sept mille hommes musulmans de Bosnie après
la prise de Srebrenica en juillet 1995 (Krstic´, IT-98-33-T, jugement du
2 août 2001, par. 426-427, et Blagojevi´, IT-02-60-T, jugement du 17 jan-
vier 2005, par. 643). Elles ont conclu dès lors que l’élément matériel du
meurtre visé au litt. a) de l’article II de la Convention était établi. Les
chambres ont également conclu dans les deux cas que les actes des forces
serbes de Bosnie constituaient l’élément matériel d’atteintes graves à
l’intégrité physique ou mentale, au sens du litt. b) de l’article II de la
Convention — à la fois des personnes qui étaient sur le point d’être exé-
cutées et des autres qui avaient été séparées de celles-ci en raison de leur
déplacement forcé et, pour certains survivants, des pertes qu’ils avaient
subies (Krsti´, ibid., par. 543, et Blagoje´, ibid., par. 644-654).
291. La Cour est pleinement convaincue que des meurtres au sens du
litt. a) de l’article II de la Convention et des actes à l’origine de graves
123 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 163
atteintes à l’intégrité physique ou mentale au sens du litt. b) de l’article II
ont été commis pendant le massacre de Srebrenica. Trois autres aspects
des décisions du TPIY concernant Srebrenica nécessitent toutefois un
examen plus approfondi — l’intention spécifique (dolus specialis),a l
date à laquelle cette intention s’est trouvée constituée, et la définition du
groupe au sens de l’article II. Une quatrième question qui n’a pas direc-
tement été soulevée devant le TPIY, mais sur laquelle la Cour doit se pen-
cher, est l’implication éventuelle du défendeur dans ces actes.
292. La chambre de première instance en l’affaire Krstic ´ a donné un
éclairage sur la question de l’intention. Dans ses conclusions, elle a consi-
déré que les éléments produits devant elle prouvaient son existence. Sous
l’intitulé «Le projet visant à exécuter les hommes musulmans de Bosnie
de Srebrenica», la chambre a conclu que, «après la prise de Srebrenica
en juillet 1995, les Serbes de Bosnie [avaient] conçu et mis en Œuvre le
projet d’exécuter le plus grand nombre possible d’hommes musulmans de
Bosnie en âge de combattre qui se trouvaient dans l’enclave» (IT-98-
33-T, jugement du 2 août 2001, par. 87). Toutes les exécutions, a jugé la
chambre, «visaient systématiquement des hommes musulmans de Bosnie
en âge de porter les armes, qu’ils [fussent] civils ou militaires» (ibid.,
par. 546). Bien que, peut-être, «au départ, la VRS n’ait envisagé d’exé-
cuter que les militaires ... [i]l est toutefois patent qu’à un certain moment
il a été décidé de capturer et de tuer tous les hommes musulmans de Bos-
nie, sans distinction. Par la suite, aucun effort n’a été fait pour distinguer
les soldats des civils.» (Ibid., par. 547.) Sous le titre «L’intention de
détruire le groupe», la chambre a examiné les conclusions des Parties
ainsi que les textes, concluant «qu’aux fins de la présente espèce, le géno-
cide d[evait] s’entendre uniquement des actes commis dans le but de
détruire tout ou partie du groupe» (ibid., par. 571; les italiques sont dans
l’original). Les actes de génocide ne supposent pas nécessairement la pré-
méditation et l’intention (de détruire un groupe) peut ne devenir le but
recherché qu’en cours d’opération (ibid., par. 572).
«Les éléments de preuve produits en l’espèce démontrent que les
massacres étaient planifiés: le nombre et la nature des forces enga-
gées, l’utilisation par les unités d’un même langage codé pour échan-
ger des informations sur les massacres, l’ampleur des exécutions et
les similarités dans les modes d’exécution sont autant d’indices ten-
dant à établir qu’il avait été décidé de tuer tous les hommes musul-
mans de Bosnie en âge de porter les armes.
La chambre de première instance n’a pu déterminer la date précise
à laquelle il a été décidé de tuer tous les hommes en âge de porter les
armes. Partant, elle ne saurait conclure que les meurtres commis à
Potocˇari les 12 et 13 juillet 1995 s’inscrivaient dans le cadre du projet
de tuer tous les hommes en âge de porter les armes. Elle est cepen-
dant convaincue que les exécutions de masse et autres massacres
commis à partir du 13 juillet faisaient partie intégrante du plan.»
(Ibid., p. 201, par. 572-573; voir également par. 591-598.)
124 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 164
293. La Cour a déjà cité (paragraphe 281) le passage de l’arrêt rendu
dans l’affaire Krsti´ par la chambre d’appel, dans lequel celle-ci n’avait
pas suivi le procureur qui invoquait des directives données plus tôt au
cours du mois de juillet, et elle rappelle les éléments de preuve relatifs au
nouveau plan adopté par la VRS en cours d’opération, lequel visait la
prise totale de l’enclave. La chambre a également rejeté l’appel interjeté
par le général Krsti´ contre la conclusion selon laquelle un génocide avait
été commis à Srebrenica. Elle a indiqué que la chambre de première ins-
tance était fondée à conclure que la destruction d’un si grand nombre
d’hommes, un cinquième de l’ensemble de la communauté de Srebrenica,
«entraînerai[t] inévitablement la disparition physique de la population
musulmane de Bosnie à Srebrenica» (IT-98-33-A, chambre d’appel, arrêt
du 19 avril 2004, par. 28-33) et que la chambre — qui était la mieux pla-
cée pour évaluer les éléments de preuve présentés au procès — était aussi
fondée à conclure que la preuve du transfert des femmes et des enfants
l’amenait à constater que des membres de l’état-major principal de la
VRS avaient l’intention de détruire les Musulmans de Bosnie de Srebre-
nica. La chambre d’appel a ainsi conclu cette partie de l’arrêt:
«Les conditions rigoureuses qui doivent être remplies pour que
l’on puisse prononcer une déclaration de culpabilité pour génocide
témoignent de la gravité de ce crime. Ces conditions — la preuve,
difficile à apporter, d’une intention spécifique, et la démonstration
que c’était l’ensemble du groupe, ou une partie substantielle de celui-
ci, qui était voué à l’extinction — écartent le risque que des déclara-
tions de culpabilité pour génocide soient prononcées à la légère.
Cependant, lorsque ces conditions sont remplies, le droit ne doit pas
répugner à désigner le crime commis par son nom. En cherchant à
éliminer une partie des Musulmans de Bosnie, les forces serbes de
Bosnie ont commis un génocide. Elles ont Œuvré à l’extinction des
40 000 Musulmans de Bosnie qui vivaient à Srebrenica, un groupe
qui était représentatif des Musulmans de Bosnie dans leur ensemble.
Elles ont dépouillé tous les hommes musulmans faits prisonniers, les
soldats, les civils, les vieillards et les enfants de leurs effets personnels
et de leurs papiers d’identité, et les ont tués de manière délibérée et
méthodique du seul fait de leur identité. Les forces serbes de Bosnie
savaient, quand elles se sont lancées dans cette entreprise génoci-
daire, que le mal qu’elles causaient marquerait à jamais l’ensemble
des Musulmans de Bosnie. La chambre d’appel affirme clairement
que le droit condamne expressément les souffrances profondes et
durables infligées, et elle donne au massacre de Srebrenica le nom
qu’il mérite: un génocide. Les responsables porteront le sceau de
l’infamie qui s’attache à ce crime, et les personnes qui envisageraient
à l’avenir de commettre un crime aussi odieux seront dès lors mises
en garde.
En concluant que des membres de l’état-major principal de la
VRS étaient animés de l’intention de détruire les Musulmans de Bos-
125 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 165
nie de Srebrenica, la chambre de première instance n’a pas contre-
venu aux exigences juridiques qui s’attachent au génocide. L’appel
de la défense sur ce point est rejeté.» (IT-98-33-A, par. 37-38.)
294. Au sujet de l’une des opinions exprimées par le demandeur, la
chambre de première instance a jugé, en l’affaire Blagojevic´, que l’inten-
tion spécifique (dolus specialis) existait avant le 12 ou le 13 juillet, date
retenue par la chambre de première instance en l’affaire Krstic´. La Cour
a déjà appelé l’attention sur la constatation de cette chambre selon
laquelle, à un moment donné (la chambre n’a pas pu déterminer «le
moment exact»), l’objectif militaire de Srebrenica avait changé, passant
de la prise de «la seule zone urbaine de l’enclave» (mentionnée dans
l’ordre du corps de la Drina du 2 juillet 1995 parfois désigné par le nom
d’opération «Krivaja 95») à la prise de la ville de Srebrenica et de
l’enclave dans leur ensemble. Plus loin dans le jugement, sous le titre
«Conclusions: un génocide a-t-il été commis?», la chambre cite le docu-
ment du 2 juillet:
«La chambre de première instance est convaincue que les actes
criminels commis par les forces serbes de Bosnie s’inscrivaient tous
dans un projet unique prévoyant le génocide des Musulmans de Bos-
nie de Srebrenica, ainsi qu’il ressort de l’opération «Krivaja 95»
dont l’objectif final était d’anéantir l’enclave et, ainsi, sa commu-
nauté musulmane bosniaque.» (Blagojevic ´, IT-02-60-T, jugement du
17 janvier 2005, par. 674.)
Et elle poursuit en ne mentionnant plus que les événements — les mas-
sacres et le transfert forcé des femmes et des enfants — qui se déroulèrent
après la chute de Srebrenica, c’est-à-dire quelque temps après le change-
ment d’objectif militaire survenu le 9 ou le 10 juillet. La conclusion rela-
tive à l’intention va dans le même sens:
«Il ne fait aucun doute pour la chambre de première instance
que tous ces actes se sont inscrits dans une même opération menée
avec l’intention de détruire la population musulmane de Bosnie de
Srebrenica. La chambre de première instance juge que les forces
serbes de Bosnie non seulement savaient que le meurtre des hommes
conjugué au déplacement forcé des femmes, des enfants et des per-
sonnes âgées entraînerait inéluctablement la disparition phy-
sique de la population musulmane de Srebrenica, en Bosnie, mais
elles visaient aussi manifestement, par ces actes, à éliminer phy-
siquement ce groupe.» (Ibid., par. 677.) (Voir également l’en-
semble des points de la liste du paragraphe 786, à l’exception du pre-
mier.)
295. La conclusion de la Cour, confortée par les jugements rendus par
les chambres de première instance dans les affaires Krstic´ et Blagojevi´,
est que l’intention requise ne s’est constituée qu’après le changement
d’objectif militaire et la prise de Srebrenica, c’est-à-dire vers le 12 ou le
13 juillet, élément qui pourrait se révéler important pour l’examen de
126 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 166
l’exécution par le défendeur des obligations lui incombant en vertu de la
Convention (paragraphe 423 ci-dessous). La Cour ne voit aucune raison
de s’écarter de la conclusion du Tribunal selon laquelle l’intention spéci-
fique (dolus specialis) requise s’est constituée à ce moment-là et à ce
moment-là seulement.
296. La Cour abordera maintenant le critère de l’article II selon lequel
doit exister l’intention de détruire en tout ou en partie un «groupe» pro-
tégé. Elle rappelle le point de droit qu’elle a développé plus haut, et en
particulier les trois éléments examinés ce faisant: le caractère «substan-
tiel» (qui constitue le critère principal), les facteurs géographiques perti-
nents et les possibilités qu’ils offrent aux criminels, et les éléments emblé-
matiques ou qualitatifs (paragraphes 197-201). La Cour rappelle ensuite
ce qu’elle a dit plus haut au sujet du caractère convaincant des conclu-
sions du TPIY concernant les faits et de l’appréciation qu’il en a donné
(paragraphe 223). Gardant cela à l’esprit, elle en vient à présent aux
conclusions formulées dans l’affaire Krstic´ (IT-98-33-T, chambre de pre-
mière instance, jugement du 2 août 2001, par. 551-599; IT-98-33-A,
chambre d’appel, arrêt du 19 avril 2004, par. 6-22), dans laquelle la
chambre d’appel a fait siennes les conclusions de la chambre de pre-
mière instance dans les termes suivants:
«En l’espèce, après avoir identifié le groupe protégé comme étant
le groupe national des Musulmans de Bosnie, la chambre de pre-
mière instance a conclu que la partie du groupe visée par l’état-major
principal de la VRS et Radislav Krstic´ était celle des Musulmans de
Srebrenica, ou des Musulmans de Bosnie orientale. Cette conclusion
est dans le droit fil des lignes directrices esquissées plus haut. Avant
la prise de la ville par les forces de la VRS en 1995, Srebrenica comp-
tait environ 40 000 Musulmans de Bosnie. Etaient compris dans ce
chiffre non seulement les habitants musulmans de la municipalité de
Srebrenica mais aussi de nombreux réfugiés musulmans de la région.
Si, par rapport à la population musulmane totale de la Bosnie-
Herzégovine à l’époque des faits, ce nombre est peu élevé, il ne faut
pas se méprendre sur l’importance de la communauté musulmane de
Srebrenica.» (IT-98-33-A, arrêt du 19 avril 2004, p. 5, par. 15; notes
de bas de page omises.)
La Cour ne voit pas de raison de s’écarter des conclusions concordantes
de la chambre de première instance et de la chambre d’appel.
297. La Cour conclut que les actes relevant des litt. a) et b) de l’ar-
ticle II de la Convention commis à Srebrenica l’ont été avec l’intention
spécifique de détruire en partie le groupe des Musulmans de Bosnie-Her-
zégovine comme tel; et que, en conséquence, ces actes étaient des actes de
génocide, commis par des membres de la VRS à Srebrenica et à proximité
à partir du 13 juillet 1995.
**
127 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 167
6) Litt. b) de l’article II: atteinte grave à l’intégrité physique ou
mentale de membres du groupe protégé
298. Le demandeur soutient que, en dehors des massacres, la popula-
tion non serbe de Bosnie-Herzégovine a été victime d’atteintes graves et
systématiques à son intégrité. Le demandeur inclut dans cette catégorie
d’actes de génocide la pratique de la terreur, le fait d’infliger des souf-
frances, ainsi que la torture et les humiliations systématiques. En outre, le
demandeur insiste particulièrement sur la question des viols systématiques
de femmes musulmanes commis pendant le conflit, selon lui dans le cadre
d’une campagne de génocide à l’encontre des Musulmans de Bosnie.
299. Le défendeur ne conteste pas que, en droit, le crime de viol puisse
constituer un acte de génocide, causant une atteinte grave à l’intégrité phy-
sique ou mentale d’une personne. Il conteste toutefois que les viols qui ont
eu lieu sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine s’inscrivent dans le cadre
d’un génocide qui y aurait été perpétré. Invoquant le rapport de la com-
mission d’experts, le défendeur soutient que les viols et actes de violences
sexuelles commis n’étaient pas des actes de génocide, mais ont été le fait de
toutes les parties belligérantes, sans intention spécifique(dolus specialis).
300. La Cour note que les Parties ne sont pas en désaccord quant au
fait que les viols et violences sexuelles peuvent être constitutifs de géno-
cide s’ils s’accompagnent d’une intention spécifique de détruire le groupe
protégé. Elle note également que le TPIR, dans son jugement du 2 sep-
tembre 1998 en l’affaire Akayesu, a dit ce qui suit des viols et violences
sexuelles en tant qu’actes de génocide:
«En effet, les viols et violences sexuelles constituent indubita-
blement des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale des
victimes et sont même, selon la chambre, l’un des pires moyens d’at-
teinte à l’intégrité de la victime, puisque cette dernière est doublement
attaquée: dans son intégrité physique et dans son intégrité men-
tale.» (TPIR-96-4-T, chambre de première instance, jugement du
2 septembre 1998, par. 731.)
Dans le jugement rendu en première instance le 31 juillet 2003 en l’affaire
Stakic´, le TPIY a considéré que
«[l’]atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale» sanctionnée par
l’alinéa b) [du paragraphe 2 de l’article 4 du Statut du TPIY]
s’entend, en particulier, d’actes de torture, de traitements inhumains
ou dégradants, de violences sexuelles, y compris les viols, d’interro-
gatoires accompagnés de violences, de menaces de mort, et d’actes
portant atteinte à la santé de la victime ou se traduisant par une défi-
guration ou des blessures. Il n’est pas nécessaire que les dommages
soient permanents ou irrémédiables.» (IT-97-24-T, chambre de pre-
mière instance, jugement du 31 juillet 2003, par. 516).
301. La Cour note en outre que des résolutions du Conseil de sécurité
et de l’Assemblée générale contemporaines des faits évoquent expressé-
128 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 168
ment les violences sexuelles. Ces résolutions étaient elles-mêmes fondées
sur des rapports soumis à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité,
notamment les rapports du Secrétaire général, de la commission d’experts,
du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme,
M. Tadeusz Mazowiecki, et de divers organismes des Nations Unies pré-
sents sur le terrain. L’Assemblée générale a souligné les «souffrances
extraordinaires des victimes de viols et de violences sexuelles» (résolu-
tion A/RES/48/143 (1993), préambule; résolution 50/192 (1995),
par. 8). Dans sa résolution 48/143 (1993), l’Assemblée générale s’est
dite
«[a]tterrée par les informations répétées et confirmées faisant état
de viols et de sévices généralisés dont les femmes et les enfants sont
victimes dans les zones de conflit armé dans l’ex-Yougoslavie, en
particulier par le fait que les forces serbes recourent systématique-
ment à ces pratiques contre les femmes et les enfants musulmans en
Bosnie-Herzégovine» (quatrième alinéa du préambule).
302. Dans plusieurs résolutions, le Conseil de sécurité s’est déclaré
alarmé par «la détention et le viol massifs, organisés et systématiques des
femmes», en particulier des femmes musulmanes en Bosnie-Herzégovine
(résolutions du Conseil de sécurité: 798 (1992), deuxième alinéa du
préambule; 820 (1993), sixième alinéa du préambule; 827 (1993), troi-
sième alinéa du préambule). En ce qui concerne les autres types d’atteinte
grave, le Conseil de sécurité condamnait dans sa résolution 1034 (1995)
«dans les termes les plus vifs les violations du droit international
humanitaire et des droits de l’homme commises par les forces serbes
de Bosnie et les forces paramilitaires dans les zones de Srebrenica,
Žepa, Banja Luka et Sanski Most, qui sont décrites dans le rapport
du Secrétaire général en date du 27 novembre 1995 et qui révèlent
une politique systématique de violations — exécutions sommaires,
viols, expulsions massives, détentions arbitraires, travail forcé et
enlèvements en grand nombre» (par. 2).
Le Conseil de sécurité a parlé de «campagne systématique de terreur» à
Banja Luka, Bijeljina et dans d’autres zones tenues par les forces serbes
de Bosnie (résolution du Conseil de sécurité: 941 (1994), quatrième alinéa
du préambule). Il s’est également déclaré préoccupé par les informations
faisant état de massacres, d’internements illicites et de travail forcé, de
viols et de déportations de civils à Banja Luka et Sanski Most (résolution
du Conseil de sécurité: 1019 (1995), deuxième alinéa du préambule).
303. L’Assemblée générale a elle aussi condamné des violations spéci-
fiques prenant la forme de tortures, brutalités, viols, disparitions, destruc-
tions de maisons et autres actes ou menaces de violence ayant pour but
de forcer les habitants à quitter leur foyer (résolution de l’Assemblée
générale: 47/147 (1992), par. 4; voir aussi résolution de l’Assemblée géné-
rale: 49/10 (1994), quatorzième alinéa du préambule, et résolution de
l’Assemblée générale: 50/193 (1995), par. 2).
129 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 169
304. La Cour passera maintenant à l’examen des allégations spéci-
fiques formulées par le demandeur à ce titre, qui concernent les différents
sites et camps présentés comme le théâtre d’actes à l’origine d’«atteinte[s]
grave[s] à l’intégrité physique ou mentale» au sens de la Convention.
S’agissant des événements de Srebrenica, la Cour a déjà conclu que la
commission de tels actes étaient établis (paragraphe 291 ci-dessus).
La vallée de la Drina
a) Zvornik
305. En ce qui concerne la région de la vallée de la Drina, le deman-
deur a appelé l’attention sur les sévices et autres actes à l’origine de
graves atteintes à l’intégrité physique ou mentale commis lors des événe-
ments de Zvornik. Il a notamment présenté à la Cour un rapport sur les
événements de Zvornik fondé sur les récits de témoins oculaires et des
recherches approfondies (Hannes Tretter et consorts, ««Ethnic Clean-
sing» Operations In the Northeast-Bosnian City of Zvornik from April
through June 1992» [«Opérations de «nettoyage ethnique» dans la ville
de Zvornik, au nord-est de la Bosnie, d’avril à juin 1992»], rapport de
l’Institut Ludwig Boltzmann pour les droits de l’homme (1994), p. 48). Le
rapport de l’Institut Ludwig Boltzmann fait état d’une politique de ter-
reur, de déplacements forcés, de torture et de viols pendant la prise de
Zvornik entre avril et juin 1992. La commission d’experts indique que
trente-cinq viols commis dans la zone de Zvornik en mai 1992 lui ont été
signalés (vol. V, annexe IX, p. 54).
b) Focˇa
306. D’autres actes à l’origine de graves atteintes à l’intégrité physique
et mentale ont été perpétrés dans la municipalité de Foˇa. Le demandeur,
en se fondant sur le jugement rendu en l’affaire Kunarac et consorts (IT-
96-23-T et 23/1-T, chambre de première instance, jugement du 22 février
2001, par. 574 et 592), affirme notamment qu’un grand nombre de
femmes ont été violées à plusieurs reprises par des soldats ou policiers
serbes de Bosnie dans la ville de Focˇa.
c) Les camps
i) Le camp de Batkovic ´
307. Le demandeur affirme en outre que les détenus du camp de
Batkovic´ étaient fréquemment battus et maltraités. Le rapport de la com-
mission d’experts cite un témoignage indiquant que «des prisonniers ont
été obligés de se livrer à des actes sexuels entre eux et parfois avec des
gardes». Le rapport poursuit: «Les passages à tabac intervenaient à une
fréquence variant, selon les sources, à raison de un à dix par jour.» (Rap-
port de la commission d’experts, vol. IV, annexe VIII, p. 62, par. 469.)
Des témoignages de seconde main — témoignages individuels rapportés
par la commission d’experts (rapport de la commission d’experts, vol. IV,
annexe VIII, p. 62-63, et annexe X, p. 9) — indiquent que les prisonniers
étaient battus et vivaient dans des conditions effroyables. Ainsi qu’il
130 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 170
a été relevé plus haut (paragraphe 256), toutefois, le rapporteur spécial,
M. Mazowiecki, écrivait dans son rapport périodique du 17 novembre
1992 que «[l]es prisonniers ... semblaient être en bonne santé» (p. 13)
mais, selon le demandeur, le camp qui lui avait été montré était un
camp «modèle», de sorte que son impression était faussée. Le départe-
ment d’Etat des Etats-Unis, dans son Dispatch en date du 19 avril 1993
(vol. 4, n 16), signale que les détenus du camp de Batkovic ´ étaient fré-
quemment battus et maltraités. Il cite notamment les propos de té-
moins rapportant que, «[à] plusieurs reprises, [eux-mêmes] et d’autres
... [avaie]nt été obligés de se déshabiller et de se livrer à des actes sexuels
entre eux et avec les gardes».
ii) Le camp de Sušica
308. Selon le demandeur, des viols et des agressions physiques ont été
commis au camp de Sušica; il a fait observer que Dragan Nikolic ´, lors de
son procès devant le TPIY, avait, ainsi qu’il ressort de l’«examen de
l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procé-
dure et de preuve» et du «jugement portant condamnation», reconnu
que de nombreuses Musulmanes avaient été violées et victimes de pra-
tiques et insultes dégradantes dans le camp même et au dehors (Nikolic ´,
IT-94-2-T, jugement portant condamnation du 18 décembre 2003, par. 87-
90) et que plusieurs hommes avaient été torturés dans ce même camp.
iii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa
309. S’agissant du camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa, le deman-
deur affirme que celui-ci fut le théâtre de passages à tabac et d’actes de
torture, et que des détenues y furent violées. Le demandeur fonde pour
l’essentiel ses allégations sur le rapport de la commission d’experts et le
Dispatch du département d’Etat des Etats-Unis. Les conclusions de la
commission d’experts reposent elles-mêmes sur des informations tirées
d’un rapport d’Helsinki Watch. Un témoin a déclaré que certains détenus
avaient été battus au KP Dom de Foc ˇa (rapport de la commission
d’experts, vol. IV, p. 128-132). Des faits similaires sont rapportés par le
département d’Etat des Etats-Unis. Selon un témoin:
«Ceux qui administraient le centre ont instillé la peur chez les pri-
sonniers musulmans en choisissant certains d’entre eux pour les bru-
taliser. Depuis sa fenêtre, dans la chambre n 13, le témoin a vu des
prisonniers être fréquemment emmenés dans un bâtiment où des
passages à tabac avaient lieu. Ce bâtiment était suffisamment proche
pour qu’il entende les cris de ceux qui y étaient battuso» (Dispatch
du département d’Etat des Etats-Unis, 19 avril 1993, n 16, p. 262.)
310. Dans le jugement qu’elle a rendu en l’affaire Kunarac le
22 février 2001, la chambre de première instance du TPIY a fait état des
déclarations de plusieurs témoins concernant les mauvaises conditions
d’existence et la brutalité qui régnaient au KP Dom de Foc ˇa. Ces témoi-
gnages semblent confirmer que les hommes et les femmes musulmans des
municipalités de Foc ˇa, Gacko et Kalinovik ont été arrêtés, rassemblés
131 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 171
puis séparés les uns des autres et emprisonnés ou détenus dans divers
centres de détention comme celui de KP Dom de Foc ˇa où certains
ont été tués, violés ou passés à tabac (Kunarac et consorts, IT-96-23-T
et IT-96-23/1-T, chambre de première instance, jugement du 22 février
2001).
Prijedor
a) La municipalité
311. La plupart des allégations de violations avancées par le deman-
deur pour la région de Prijedor ont été examinées dans la section du pré-
sent arrêt consacrée aux camps de Prijedor. Cependant, la commission
d’experts mentionne le cas d’une famille dont les neuf membres ont été
retrouvés morts à Stara Rijeka, dans la municipalité de Prijedor, après
avoir manifestement été torturés (vol. V, annexe X, p. 41). La chambre
de première instance du TPIY, dans son jugement en l’affaire Tadic ´,a
formulé la conclusion de fait suivante concernant l’attaque de deux vil-
lages de la zone de Kozarac, Jaskic ´i et Sivci:
«Le 14 juin 1992, les deux villages furent attaqués. Le matin, les
habitants de Sivci entendirent des coups de feu qui se rapprochaient,
puis des blindés et des soldats serbes pénétrèrent bientôt dans le
village... On les fit courir, les mains derrière la nuque, jusqu’à un lieu
de rassemblement situé dans la cour de l’une des maisons. En che-
min, on leur ordonna à plusieurs reprises de s’arrêter et de s’allonger
sur la route où ils étaient battus et frappés à coups de pied par les
soldats, puis ils se relevaient et se remettaient à courir jusqu’à ce que
le cycle recommence... En tout, quelque 350 hommes, surtout des
Musulmans mais aussi quelques Croates, furent traités de cette
façon à Sivci.
A l’arrivée au point de rassemblement, battus et souvent couverts
de sang, certains hommes furent sortis du rang et interrogés au sujet
des autres, ils reçurent des menaces et furent battus à nouveau. Bien-
tôt arrivèrent des autocars, cinq en tout, et les hommes reçurent
l’ordre de s’en approcher au pas de course, les mains sur la nuque, et
de s’y entasser. Ils furent ensuite emmenés au camp de Keraterm.
Les habitants du petit village de Jaskic ´i, qui comptait à peine
11 maisons, connurent une expérience analogue le 14 juin 1992, mais
des villageois furent tués. Comme Sivci, Jaskic ´i avait accueilli des
réfugiés après l’assaut sur Kozarac, mais le 14 juin 1992, beaucoup
de ces réfugiés étaient partis vers d’autres villages. Dans l’après-midi
du 14 juin 1992, on entendit des coups de feu, des soldats serbes arri-
vèrent à Jaski´i et ils ordonnèrent aux hommes de sortir de chez eux
et de se rassembler dans la rue du village, les mains sur la nuque; on
les obligea à s’allonger et ils furent roués de coups.» (IT-94-1-T,
chambre de première instance, jugement du 7 mai 1997, par. 346-
348.)
132 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 172
b) Les camps
i) Le camp d’Omarska
312. Ainsi que cela a été indiqué ci-dessus s’agissant des meurtres (para-
graphe 262), le demandeur a été en mesure de présenter des preuves abon-
dantes et convaincantes de sévices corporels constitutifs d’atteintes graves à
l’intégrité physique infligés dans le camp d’Omarska. Le rapport de la com-
mission d’experts contient des récits de témoins sur la «maison blanche» où
étaient infligés des sévices corporels, commis des viols, des actes de torture
et, à l’occasion, des exécutions, et sur la «maison rouge» qui servait aux exé-
cutions (vol. IV, annexe VIII, p. 207-222). Ces récits d’exécutions sadiques
sont corroborés par des communications des Etats-Unis au Secrétaire géné-
ral. L’élément de preuve le plus convaincant et le plus fiable est certainement
la partie factuelle du jugement du TPIY dans l’affairT eadic´ (IT-94-1-T,
chambre de première instance, jugement du 7 mai 1997). Se fondant sur les
déclarations de trente témoins, la chambre de première instance a, dans
cette décision, formulé des conclusions concernant les interrogatoires, les
passages à tabac, les viols, ainsi que les tortures et humiliations infligées à
des prisonniers musulmans dans le camp d’Omarska (voir notammein btid.,
par. 155-158, 163-167). La chambre s’est déclarée convaincue au-delà de
tout doute raisonnable que plusieurs victimes avaient été maltraitées et bat-
tues par Tadic ´ et souffraient de lésions permanentes, et que Tadic ´ avait
contraint un prisonnier à mutiler les organes génitaux d’un autre prisonnier
(ibid., par. 194-206). Le TPIY a également conclu dans d’autres affaires que
des actes de mauvais traitements et de torture, ainsi que des viols et des vio-
lences sexuelles, avaient été commis dans le camp d’Omarska: c’est le cas
notamment dans le jugement du 2 novembre 2001 en l’affairK evoˇka et
consorts (IT-98-30/1-T, chambre de première inerance, jugement, par. 21-50
et 98-108), confirmé en appel, dans celui du 1septembre 2004 en l’affaire
Brdanin (IT-99-36-T, chambre de première instance, jugement, par. 515-517)
et dans celui du 31 juillet 2003 en l’affaire Stakic´ (IT-97-24-T, chambre
de première instance, jugement, par. 229-336).
ii) Le camp de Keraterm
313. Le demandeur a également renvoyé à des preuves de sévices et de
viols au camp de Keraterm. Plusieurs témoignages reproduits dans le
rapport de la commission d’experts (vol. IV, annexe VIII, p. 225, 231,
233, 238) sont corroborés par des récits de témoins rapportés par la mis-
sion permanente de l’Autriche auprès de l’Organisation des Nations Unies
et par Helsinki Watch. L’attention de la Cour a été appelée sur plusieurs
jugements du TPIY, qui donnent aussi des informations sur les graves
sévices corporels, les viols et les violences sexuelles qui ont eu lieu dans ce
camp. Dans son jugement du 1 erseptembre 2004 en l’affaire Brdanin,la
chambre de première instance du TPIY a ainsi indiqué que
«[l]es détenus étaient battus à leur arrivée au camp de Keraterm...
Les sévices étaient infligés à l’aide de bâtons, de battes de base-ball,
de câbles électriques et de matraques...
133 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 173
Parfois, les sévices étaient à ce point violents qu’ils occasionnaient
des blessures graves ou entraînaient la mort. Les coups et les humi-
liations étaient souvent infligés sous les yeux d’autres détenus. Des
détenues ont été violées au camp de Keraterm.» (IT-99-36-T,
chambre de première instance, jugement du 1 er septembre 2004,
par. 851-852.)
La chambre de première instance, dans son arrêt du 31 juillet 2003 en
l’affaire Stak´, a estimé que
«les détenus du camp de Keraterm [avaie]nt été terriblement moles-
tés. Il s’avère que beaucoup d’entre eux ont été battus quotidienne-
ment. Jusqu’à la mi-juillet, la plupart de ces sévices se sont produits
la nuit. Après l’arrivée des détenus de Brdo, vers le 20 juillet 1992, il
n’y a «plus eu de règle», des sévices étant infligés tant le jour que la
nuit, par les gardiens et d’autres qui venaient au camp, dont certains
en uniforme militaire. Aucune exaction n’a été commise dans les
pièces puisque les gardiens n’y entraient pas. Ils faisaient générale-
ment sortir les détenus, de jour comme de nuit, pour les brutaliser.»
(IT-97-24-T, chambre de première instance, jugement, par. 237.)
La chambre a également jugé qu’existaient des preuves convaincantes
d’autres sévices et de viols perpétrés au camp de Keraterm (ibid., par. 238-
241).
Dans son jugement en l’affaire Kvoc ˇka et consorts, la chambre de pre-
mière instance a dit que, en sus des conditions de vie «abjectes» auxquel-
les les détenus de Keraterm étaient soumis, nombre d’entre eux avaient
été «impitoyablement pass[é]s à tabac» et «des femmes ... violées» (IT-
98-30/1-T, chambre de première instance, jugement du 2 novembre 2001,
par. 114).
iii) Le camp de Trnopolje
314. Des éléments de preuve démontrant que des brutalités et des viols
ont été commis dans le camp de Trnopolje ont été présentés à la Cour. Le
viol de trente à quarante détenues, le 6 juin 1992, est mentionné dans le
rapport de la commission d’experts (vol. IV, annexe VIII, p. 251-253)
ainsi que dans une publication du département d’Etat des Etats-Unis. La
chambre de première instance du TPIY a conclu, dans le jugement rendu
en l’affaire Tadi´, que des sévices avaient été infligés dans le camp de
Trnopolje et que, «[p]arce que la plupart des femmes et des jeunes filles se
trouvaient dans ce camp, le viol y était plus fréquent que dans les autres»
(IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 172-177 (par. 175)). Ces conclu-
sions relatives aux sévices et aux viols sont corroborées par d’autres déci-
sions telles que le jugement rendu en l’affaire Stakic ´, dans lequel il est
indiqué que,
«même si l’ampleur des sévices [était] moindre au camp de Trnopolje
qu’à celui d’Omarska, ils y étaient monnaie courante. Les soldats
134 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 174
serbes frappaient les détenus avec des battes de base-ball, des barres
de fer, des crosses de fusils, leurs mains, leurs pieds, ou tout ce qui
leur tombait sous la main. Les détenus qui étaient emmenés pour
être interrogés revenaient souvent couverts de bleus ou blessés» (IT-
97-24-T, chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003,
par. 242);
la chambre de première instance a par ailleurs indiqué que, ayant entendu
le témoignage d’une victime, elle était convaincue, au-delà de tout doute
raisonnable, que «des viols [avaie]nt bel et bien été commis au camp de
Trnopolje» (ibid., par. 244). La chambre de première instance est parve-
nue à des conclerions similaires dans son jugement en l’affaire Brdanin
(IT-99-36-T, 1 septembre 2004, par. 513-514 et 854-857).
Banja Luka
Le camp de Manjac ˇa
315. S’agissant du camp de Manjac ˇa, à Banja Luka, le demandeur
soutient qu’il fut le théâtre de passages à tabac, d’actes de torture et de
viols. Il se fonde essentiellement sur les déclarations de témoins citées
dans le rapport de la commission d’experts (vol. IV, annexe VIII, p. 50-
54). Celles-ci sont corroborées par la déposition faite le 9 août 1995 par
un ancien prisonnier au cours d’une audition devant le Select Committee
on Intelligence du Sénat américain et par un témoignage rapporté dans le
mémoire du demandeur (département d’Etat des Etats-Unis, Dispatch du
2 novembre 1992, p. 806). Dans sa décision relative à la demande d’acquit-
tement rendue le 16 juin 2004 en l’affaire Miloševic ´, la chambre de pre-
mière instance a reproduit la déclaration d’un témoin indiquant
«avoir été battu par la police militaire à coups de gourdins, de
câbles, de battes ou autres objets similaires au camp de Manjacˇa. Les
hommes étaient enfermés dans de petites étables dénudées et surpeu-
plées, dépourvues d’installations sanitaires. Au camp, les détenus
recevaient une quantité insuffisante de nourriture et d’eau. [On leur
rasait] la tête et [ils] étaient violemment battus pendant les interro-
gatoires.» (IT-02-54-T, chambre de première instance, décision rela-
tive à la demande d’acquittement, 16 juin 2004, par. 178.)
316. Le demandeur renvoie au rapport de la commission d’experts, qui
fait état d’informations selon lesquelles le camp de Manjacˇa accueillait un
nombre limité de femmes et celles-ci y avaient été «violées à plusieurs
reprises» pendant leur séjour. Des prisonniers musulmans avaient égale-
ment été forcés de violer des détenues (rapport de la commission d’experts,
vol. IV, annexe VIII, p. 53-54). Le défendeur souligne que le jugement
rendu en l’affaire Brdanin par la chambre de première instance a conclu
qu’il n’a pas été prouvé que les détenus avaient été soumis à des «actes
sexuels dégradants» à Manjac ˇa.
135 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 175
Brcˇko
Le camp de Luka
317. Le demandeur soutient que des actes de tortures, des viols et des
passages à tabac se sont produits dans le camp de Luka (Brc ˇko). Le rap-
port de la commission d’experts contient de nombreux récits de témoins,
y compris celui d’un garde local contraint de commettre un viol (vol. IV,
annexe VIII, p. 93-97). Le récit des viols est corroboré par de multiples
sources (département d’Etat des Etats-Unis, Dispatch du 19 avril 1993).
La Cour relèveˇen particulier les conclusions que le TPIY a formulées
dans l’affaire Ceš´ au sujet d’actes perpétrés par l’accusé dans le camp de
Luka. Dans l’accord sur le plaidoyer qu’il a conclu, l’accusé a reconnu
avoir commis des actes graves, notamment avoir battu des détenus
et contraint deux frères musulmans à avoir des relations sexuelles
entre eux (IT-95-10/1-S, jugement portant condamnation du 11 mars
2004, par. 8-17). Ces conclusions sont corroborées par des déclara-
tions de témoins ainsi que par le plaidoyer de culpabilité dans l’affaire
Jelis´.
318. Le défendeur ne nie pas que les camps en Bosnie-Herzégovine
étaient «contraires au droit humanitaire et le plus souvent contraires au
droit de guerre», mais il argue que les conditions n’étaient pas, dans
tous les camps, telles que le demandeur les a décrites. Il affirme qu’a seule-
ment été démontrée «l’existence de faits graves, commis dans une
situation particulièrement compliquée, dans un conflit armé, dans une
guerre civile et fratricide», mais pas l’intention spécifique(dolus specialis)
requise.
*
319. Ayant soigneusement examiné les éléments de preuve qui lui ont
été soumis et pris note de ceux soumis au TPIY, la Cour estime établi par
des preuves parfaitement concluantes que des membres du groupe pro-
tégé ont, au cours du conflit, et en particulier dans les camps de déten-
tion, été systématiquement victimes de mauvais traitements, de passages
à tabac, de viols et d’actes de torture généralisés ayant causé une atteinte
grave à leur intégrité physique et mentale. Les conditions requises pour
permettre de conclure à l’existence de l’élément matériel, tel que défini au
litt. b) de l’article II de la Convention, sont dès lors remplies. La Cour
estime toutefois, sur la base des éléments de preuve dont elle dispose,
qu’il n’a pas été établi de façon concluante que ces atrocités, encore
qu’elles aussi puissent être constitutives de crimes de guerre et de crimes
contre l’humanité, ont été commises avec l’intention spécifique (dolus
specialis) de détruire le groupe protégé, en tout en en partie, requise aux
fins d’établir la commission d’un génocide.
**
136 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 176
7) Litt. c) de l’article II: soumission intentionnelle du groupe à
des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique
totale ou partielle
320. Le litt. c) de l’article II de la convention sur le génocide vise la
soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partielle. A cet égard, le deman-
deur fait d’abord état d’une politique des forces serbes de Bosnie qui aurait
consisté à encercler les civils du groupe protégé dans des villages, des villes
ou des régions entières avant de bombarder ces zones et d’y interdire tout
approvisionnement afin d’affamer la population. Le demandeur soutient
ensuite que les forces serbes de Bosnie ont tenté de déporter et d’expulser le
groupe protégé des zones qu’elles occupaient. Enfin, il allègue que les
forces serbes de Bosnie ont tenté de faire disparaître toutes traces de culture
du groupe protégé en détruisant les biens historiques, religieux et culturels.
321. Le défendeur soutient que les événements invoqués par le deman-
deur se sont déroulés dans un contexte de guerre qui affectait la popula-
tion dans son ensemble, quelle que fût son origine. Selon lui, «il est
évident que dans tout conflit armé les conditions de vie de la population
civile se détériorent». Le défendeur estime que, compte tenu de la guerre
civile qui se déroulait en Bosnie-Herzégovine et entraînait des conditions
de vie inhumaines pour l’ensemble de la population vivant sur le terri-
toire de cet Etat, «il est impossible de parler d’une soumission volontaire
du seul groupe musulman ou du seul groupe des non-Serbes aux condi-
tions de vie pouvant provoquer sa destruction».
322. La Cour examinera successivement les éléments de preuve concer-
nant les trois allégations formulées par le demandeur: encerclement, bom-
bardement et privation de nourriture; déportations et expulsions; destruc-
tion du patrimoine historique, religieux et culturel. Elle se penchera
également sur les éléments de preuve présentés au sujet des conditions de
vie dans les camps de détention dont il a longuement déjà été question
ci-dessus (paragraphes 252 à 256, 262 à 273, 307 à 310 et 312 à 318).
Encerclement, bombardements et privation de nourriture
323. Le principal incident invoqué par le demandeur à cet égard est le
siège de Sarajevo par les forces serbes de Bosnie. Le conflit armé a éclaté
à Sarajevo au début du moins d’avril 1992, après la reconnaissance par la
Communauté européenne de la Bosnie-Herzégovine en tant qu’Etat indé-
pendant. La commission d’experts a estimé qu’à Sarajevo, entre le début
du mois d’avril 1992 et le 28 février 1994, outre celles qui avaient été tuées
ou portées disparues (paragraphe 247 ci-dessus), cinquante-six mille per-
sonnes avaient été blessées (rapport de la commission d’experts, vol. II,
annexe VI, p. 8). La commission a en outre estimé que, «sur toute la durée
du siège, la ville avait été frappée par trois cent vingt-neuf impacts d’obus
par jour en moyenne, avec un maximum de trois mille sept cent soixante-
dix-sept le 22 juillet 1993» (ibid.). Dans son rapport du 28 août 1992,
le rapporteur spécial a noté que
137 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 177
«[l]a ville est bombardée régulièrement... Des francs-tireurs tirent sur
des civils innocents...
Les civils vivent en permanence dans l’anxiété, ne quittant demeu-
res ou abris que lorsqu’ils y sont forcés... Les réseaux publics d’ali-
mentation en électricité et en eau ne fonctionnent plus. Les produits
alimentaires et les autres biens de première nécessité sont rares, car
l’approvisionnement dépend du pont aérien organisé par le Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et protégé par la
FORPRONU.» (Rapport du 28 août 1992, par. 17-18.)
324. La Cour relève que, par les résolutions qu’il a adoptées le 16 avril
et le 6 mai 1993, le Conseil de sécurité a déclaré Sarajevo, ainsi que Tuzla,
Žepa, Goražde, Bihac ´ et Srebrenica, «zone[s] de sécurité» devant être à
l’abri de toute attaque armée et de tout autre acte d’hostilité et entière-
ment accessibles à la FORPRONU et aux organisations humanitaires
internationales (résolutions 819 du 16 avril 1993 et 824 du 6 mai 1993).
Cependant, ces résolutions n’ont pas été respectées par les parties au
conflit. Dans son rapport du 26 août 1993, le rapporteur spécial a noté
que
«[d]epuis le mois de mai 1993, l’approvisionnement de Sarajevo en
électricité, en eau et en gaz a pratiquement cessé ... une large part des
dommages causés aux réseaux d’approvisionnement ont été délibé-
rés, comme l’attestent les ingénieurs de la Force de protection des
Nations Unies, qui ont tenté de les remettre en état. Les membres
des équipes de réparation ont été la cible tant des Serbes de
Bosnie que des forces gouvernementales.» (Rapport du 26 août 1993,
par. 6.)
Il a également constaté que les convois de vivres et de carburant du HCR
avaient été «arrêtés ou attaqués par les forces serbes de Bosnie et les
forces croates de Bosnie et parfois également par les forces gouverne-
mentales» (rapport du 26 août 1993, par. 15). La commission d’experts
a elle aussi indiqué que «le blocus de l’aide humanitaire avait été un
instrument important dans le siège» (rapport de la commission d’experts,
annexe VI, p. 17). Selon le rapporteur spécial, les bombardements et les
tirs de tireurs isolés visant la population civile ont continué, et se
sont même intensifiés, tout au long des années 1994 et 1995 (rapport
du 4 novembre 1994, par. 27-28; rapport du 16 janvier 1995, par. 13;
rapport du 5 juillet 1995, par. 67-70). Le rapporteur spécial a indiqué
que
«toutes les parties [étaient] coupables d’avoir employé la force mili-
taire contre la population civile de Sarajevo et les opérations de
secours qui s’y déroul[aient]. Toutefois, on ne saurait ignorer le fait
que la responsabilité principale incomb[ait] aux forces serbes [de
Bosnie], étant donné que c’[étaient] elles qui [avaient] adopté comme
tactique le siège de la ville.» (Rapport du 17 novembre 1992, par. 42.)
138 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 178
325. La Cour note que, en l’affaire Galic ´, la chambre de première ins-
tance du TPIY a jugé que les forces serbes (le SRK) avaient mené une
campagne de tirs isolés et de bombardements contre la population civile
de Sarajevo (Galic´, IT-98-29-T, jugement du 5 décembre 2003, par. 583).
Elle s’est déclarée
«convaincue, au vu des éléments de preuve versés au dossier, que ...
les civils habitant les quartiers de Sarajevo tenus par l’ARBiH [avaient]
été la cible de tirs directs ou indiscriminés depuis les territoires
contrôlés par le SRK et qu’au moins des centaines de civils [étaient]
morts et des milliers blessés» (ibid., par. 591).
Ces conclusions ont été confirmées ensuite par la chambre d’appel (Galic ´,
IT-98-29-A, arrêt du 30 novembre 2006, par. 107-109). Le TPIY a égale-
ment jugé que les bombes qui le 5 février 1994 avaient frappé le marché
de Markale, et fait soixante morts et plus de cent quarante blessés, pro-
venaient de derrière les lignes des Serbes de Bosnie et que ce bombarde-
ment visait délibérément des civils (ibid., par. 333 et 335, et Gal´, IT-98-
29-T, chambre de première instance, jugement du 5 décembre 2003,
par. 496).
326. Le défendeur soutient que les zones de sécurité proclamées par le
Conseil de sécurité n’avaient pas été complètement désarmées par l’armée
bosniaque. Par exemple, selon la déposition faite en l’affaire Galic´ par le
commandant adjoint du corps de l’armée de Bosnie couvrant la zone de
Sarajevo, l’armée bosniaque avait déployé quarante-cinq mille soldats à
Sarajevo. Le défendeur a également appelé l’attention sur d’autres témoi-
gnages présentés en ladite affaire selon lesquels certains militaires de
l’armée bosniaque étaient vêtus en civil et l’armée bosniaque utilisait des
bâtiments civils pour y établir ses bases, ainsi que des lieux publics pour
installer ses chars et son artillerie. De plus, le défendeur relève que, dans
son ouvrage intitulé Fighting for Peace, le général Rose a indiqué que du
matériel militaire avait été installé à proximité de populations civiles,
notamment dans l’enceinte de l’hôpital de Sarajevo et que «[l]es Bos-
niaques avaient de toute évidence choisi ce lieu afin d’y attirer les tirs
des Serbes, dans l’espoir que le carnage qui s’ensuivrait leur permettrait
de continuer à s’attirer le soutien de la communauté internatio-
nale» (Michael Rose, Fighting for Peace, 1998, p. 254).
327. Le demandeur met également en avant des éléments de preuve qui
ressortent du siège d’autres villes de Bosnie-Herzégovine. Ainsi, s’agis-
sant de Goražde, le rapporteur spécial a indiqué que l’enclave avait été
bombardée et que les convois d’aide humanitaire s’en étaient vu refuser
l’accès pendant deux mois. Bien que des vivres aient été parachutés, ils
étaient insuffisants (rapport du 5 mai 1992, par. 42). Dans un rapport
ultérieur, le rapporteur spécial a noté que, à partir du printemps 1994, la
ville avait subi une offensive militaire des forces serbes de Bosnie, au
cours de laquelle des objectifs civils, dont l’hôpital, avaient été pris pour
cibles et l’approvisionnement en eau avait été coupé (rapport du
10 juin 1994, par. 7-12). Les convois humanitaires étaient harcelés, ce
139 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 179
harcèlement prenant notamment la forme de l’arrestation de membres de
la FORPRONU et de vol de matériel (rapport du 19 mai 1994, par. 17 et
suiv.). Des événements similaires se sont produits à Bihac´, Tuzla, Cerska
et Maglaj (Bihac´: rapport du rapporteur spécial du 28 août 1992, par. 20;
rapport du Secrétaire général en application de la résolution 959 (1994),
par. 17; rapport du rapporteur spécial du 16 janvier 1995, par. 12; Tuzla:
rapport du Secrétaire général en application des résolutions 844 (1993),
836 (1993) et 776 (1992), par. 2-4; rapport du rapporteur spécial du
5 juillet 1995; Cerska: rapport du rapporteur spécial du 5 mai 1993,
par. 8-17; Maglaj: rapport du rapporteur spécial du 17 novembre 1993,
par. 93).
328. La Cour considère que la quasi-totalité des incidents rapportés
par le demandeur a été établie par les éléments de preuve disponibles. Elle
tient compte de l’affirmation selon laquelle l’armée bosniaque pourrait
avoir provoqué des attaques des forces serbes de Bosnie contre des zones
civiles, mais elle ne considère pas que les attaques en question, même si
elles étaient avérées, puissent en être d’une quelconque manière justifiées.
Se fondant sur un examen attentif des éléments de preuve présentés par
les Parties, la Cour conclut que les forces serbes ont délibérément visé des
membres civils du groupe protégé à Sarajevo ainsi que dans d’autres
villes. Toutefois, réservant la question de savoir si de tels actes sont en
principe susceptibles d’entrer dans le champ d’application du litt. c) de
l’article II de la Convention, la Cour constate qu’elle ne dispose
pas de suffisamment de preuves établissant que les actes allégués ont été
commis avec l’intention spécifique de détruire le groupe protégé en tout
ou en partie. Le TPIY a par exemple conclu, dans l’affaire Galic ´, que
«les attaques dirigées contre des civils ont été innombrables mais
qu’elles n’étaient pas en permanence d’une intensité suffisante pour
donner à penser qu’il s’agissait d’une tentative de la part du SRK
d’exterminer la population civile ou d’en obtenir la diminution par
une guerre d’usure... La seule conclusion qu[e la majorité] peut rai-
sonnablement tirer au vu des éléments de preuve versés au dossier est
que le but principal de la campagne était d’inspirer à la population
une peur extrême.» (Galic ´, IT-98-29-T, chambre de première ins-
tance, jugement du 5 décembre 2003, par. 593.)
Ces conclusions n’ont pas été infirmées par la décision rendue le 30 no-
vembre 2006 par la chambre d’appel (Galic ´, IT-98-29-A, arrêt: voir, par
exemple, par. 107-109, 335 et 386-390). Le rapporteur spécial de la Com-
mission des droits de l’homme des Nations Unies a estimé qu’«[u]ne
autre tactique utilisée pour forcer les Musulmans et les Croates à fuir
consist[ait] à assiéger une ville, en bombardant les centres habités par la
population civile et en coupant l’approvisionnement en denrées alimen-
taires et autres denrées essentielles» (rapport du 28 août 1992, par. 17).
La Cour conclut dès lors qu’il n’a pas été établi de façon concluante que
les actes ont été commis avec l’intention spécifique (dolus specialis) de
détruire en tout ou en partie le groupe protégé.
140 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 180
Déportations et expulsions
329. Le demandeur affirme que des déportations et des expulsions ont
eu lieu de manière systématique sur l’ensemble du territoire de la Bosnie-
Herzégovine. S’agissant de Banja Luka, le rapporteur spécial a relevé
que, à partir de la fin du mois de novembre 1993, «de plus en plus nom-
breux [étaient] les propriétaires qui [avaient] repris possession de leurs
appartements, expulsant sommairement les locataires musulmans et
croates», et qu’«un «office du logement» a[vait] été créé ... [qui] choisi[s-
sait] des logements pour les Serbes déplacés, expuls[ait] les occupants mu-
sulmans et croates et se rétribu[ait] pour ses services avec les biens aban-
donnés par les personnes expulsées» (rapport du 21 février 1994, par. 8).
Dans un rapport daté du 21 avril 1995 et consacré à la situation à
Banja Luka, le rapporteur spécial a indiqué que, depuis le début de la
guerre, la population musulmane locale avait diminué de 90 % (rapport
du 21 avril 1995, par. 4). Il a noté que le travail forcé imposé par les auto-
rités de facto de Banja Luka ainsi que «la virulence de la campagne de
violence» avaient «incité quasiment tous les non-Serbes à chercher à
quitter la région de Banja Luka» (rapport du 21 avril 1995, par. 24-29).
Ceux qui quittaient Banja Luka étaient obligés de verser de l’argent et de
renoncer par écrit à tout droit sur leur logement, sans possibilité de rem-
boursement (rapport du 21 avril 1995, par. 26). «Souvent, les déplace-
ments qui touch[ai]ent un grand nombre de personnes [étaient] très bien
organisés: les déplacés [étaient] transportés en autocars vers la frontière
croate.» (Rapport du 4 novembre 1994, par. 23.) Selon le rapporteur spé-
cial, «en un seul jour seulement, 460 Musulmans et Croates ont été
déplacés» (ibid.).
330. S’agissant de Bijeljina, le rapporteur spécial a relevé que, entre la
mi-juin et le 17 septembre 1994, quelque quatre mille sept cents non-
Serbes avaient été déplacés des régions de Bijeljina et de Janja. Il a noté
que nombre des personnes déplacées, «par force ou de leur propre gré,
[avaient] été harcelées et dévalisées par les forces serbes de Bosnie char-
gées d’organiser le déplacement» (rapport du 4 novembre 1994, par. 21).
Ces rapports ont été corroborés par ceux émanant d’organisations non
gouvernementales fondés sur des dépositions de témoins recueillies sur le
terrain (Amnesty International, «Bosnia and Herzegovina: Living for the
Day — Forced Expulsions from Bijeljina and Janja», décembre 1994,
p. 2).
331. En ce qui concerne Zvornik, la commission d’experts, s’appuyant
sur une étude de l’Institut Ludwig Boltzmann pour les droits de l’homme
fondée sur une analyse de cinq cents entretiens avec des personnes ayant
fui la zone, a indiqué qu’une campagne systématique de déportations
avait eu lieu (rapport de la commission d’experts, vol. I, annexe IV, p. 55
et suiv.). Dans cette étude, il a été noté que les Musulmans de Bosnie
avaient obtenu un tampon officiel sur leurs cartes d’identité indiquant un
changement de domicile en contrepartie du transfert de leurs biens à un
«office pour l’échange des maisons», ce qui est devenu par la suite une
141 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 181
condition indispensable pour pouvoir quitter la ville (Institut Lud-
wig Boltzmann pour les droits de l’homme, ««Opération de nettoyage
ethnique» dans la ville de Zvornik, au nord-est de la Bosnie, d’avril
à juin 1992», p. 28-29). Selon cette même étude, les déportations de
Musulmans de Bosnie ont débuté en mai-juin 1992, les intéressés étant
emmenés en autocar à Mali Zvornik et, de là, jusqu’à la ville bosniaque
de Tuzla ou à Subotica, à la frontière entre la Serbie et la Hongrie (ibid.,
p. 28 et 35-36). Le rapport du 10 février 1993 du rapporteur spécial
confirme ce récit en indiquant que l’on a «ordonné [aux déportés de
Zvornik], parfois sous la menace d’un fusil, de monter dans des bus et des
camions, puis dans des trains», et que, munis de passeports yougoslaves,
ils ont été ensuite emmenés à la frontière hongroise pour y être admis en
tant que réfugiés (rapport du 10 février 1993, par. 99).
332. Selon la chambre de première instance du TPIY, dans son exa-
men des actes d’accusation en l’affaire Karadžic´ et Mladi´, «des milliers
de civils ont été expulsés ou déportés illégalement en d’autres lieux à l’inté-
rieur et à l’extérieur de la République de Bosnie-Herzégovine» et «[c]es
expulsions ont eu pour effet l’élimination totale ou partielle de Musul-
mans et de Croates bosniaques de certaines régions de Bosnie-Herzégo-
vine occupées par les Serbes bosniaques». La chambre a également indi-
qué que, «dans les municipalités de Prijedor, de Foc ˇa, de Vlasenica, de
Brcˇko et de Bosanski Šamac, pour ne citer que celles-ci, la population non
serbe, à l’origine majoritaire, a[vait] été systématiquement exterminée ou
expulsée par la force et l’intimidation» (Karadž´ et Mladic´, IT-95-5-R61
et IT-95-18-R61, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’ar-
ticle 61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 16).
333. Le défendeur soutient que des déplacements de populations
peuvent être nécessaires conformément aux obligations énoncées à l’ar-
ticle 17 et au paragraphe 2 de l’article 49 de la convention de Genève
relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, par
exemple si la sécurité de la population ou d’impérieuses raisons militaires
l’exigent. Il ajoute que le déplacement de populations a toujours été
un moyen de règlement de certains conflits et cite un certain nombre
d’exemples historiques de déplacements forcés de populations à la
suite d’un conflit armé. Le défendeur soutient également que l’expulsion
d’un groupe ne peut en soi être qualifiée de génocide, mais que, selon
le jugement rendu par le TPIY dans l’affaire Stakic ´, «[i]l faut faire
clairement le départ entre la destruction physique et la simple dissolution
d’un groupe» et que «[l]’expulsion d’un groupe ou d’une partie d’un
groupe ne saurait à elle seule constituer un génocide» (Stak´, IT-97-24-T,
chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003, par. 519).
334. La Cour considère qu’il existe des éléments de preuve convain-
cants et concluants qui montrent que des déportations et des expulsions
de membres du groupe protégé ont eu lieu en Bosnie-Herzégovine. S’agis-
sant de l’argument du défendeur selon lequel, en temps de guerre, ces
déportations ou expulsions pourraient être justifiées par les dispositions
de la convention de Genève ou relever des moyens habituels de règlement
142 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 182
d’un conflit, la Cour fera observer que pareille justification ne pourrait
être acceptée si l’intention spécifique (dolus specialis) était prouvée.
Cependant, à supposer même que les déportations et expulsions puissent
être considérées comme relevant du litt. c) de l’article II de la convention
sur le génocide, la Cour ne saurait conclure, sur la base des preuves qui
lui ont été soumises, qu’il a été établi de façon concluante que ces dépor-
tations et expulsions ont été menées avec l’intention de détruire le groupe
protégé en tout ou en partie (voir paragraphe 190 ci-dessus).
Destruction du patrimoine historique, religieux et culturel
335. Le demandeur affirme que, tout au long du conflit en Bosnie-
Herzégovine, les forces serbes se sont livrées à une destruction délibérée
de biens historiques, religieux et culturels du groupe protégé, en vue de
l’«élimination de toute trace de son existence même».
336. Dans l’affaire Tadic ´, le TPIY a jugé que «[l]es symboles culturels
et religieux ... non serbes [avaient] été la cible des destructions» dans la
région de Banja Luka (Tadic ´, IT-94-1-T, chambre de première instance,
jugement du 7 mai 1997, par. 149). De plus, lors de son examen des actes
d’accusation de Karadžic ´ et de Mladic´, la chambre de première instance
a indiqué que,
«sur toute l’étendue du territoire de la Bosnie-Herzégovine placé
sous leur contrôle, les forces serbes bosniaques se sont employées à
une destruction quasi systématique du patrimoine culturel musul-
man et catholique, et notamment des édifices sacrés. Selon les esti-
mations chiffrées fournies à l’audience par le témoin-expert, le
Dr Kaiser, un total de 1123 mosquées, 504 églises catholiques et
5 synagogues ont été détruites ou endommagées, pour l’essentiel en
l’absence d’actions militaires ou après leur cessation.
Ainsi en est-il de la destruction de tout l’héritage islamique et
catholique dans la zone de Banja Luka, démographiquement domi-
née par les Serbes, et dont le point de combat le plus proche se trou-
vait à plusieurs dizaines de kilomètres de là: les mosquées et les
églises ont été totalement détruites. Certaines mosquées ont été
détruites à l’explosif, les ruines terrassées et déversées dans les dépo-
toirs publics afin d’éliminer tout vestige de la présence musulmane.
En dehors des églises et des mosquées, d’autres symboles religieux
et culturels tels que des cimetières et des monastères ont été la cible
des attaques.» (Karadžic ´ et Mladic´ , examen des actes d’accusation
dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve,
11 juillet 1996, par. 15.)
Dans l’affaire Brdanin, la chambre de première instance s’est déclarée
«convaincue au-delà de tout doute raisonnable que les forces serbes de
Bosnie [avaient] délibérément endommagé des bâtiments et des édifices
consacrés tant à la religion catholique qu’à la religion musulmane dans
er
les municipalités en question» (Brdanin, IT-99-36-T, jugement du 1 sep-
tembre 2004, par. 640 et 658). Sur la base des constatations relatives à un
143 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 183
certain nombre d’incidents survenus dans diverses régions de Bosnie-
Herzégovine, la chambre de première instance a conclu qu’«une campagne
de dévastation des édifices consacrés à la religion a[vait] eu lieu pendant
toute la durée du conflit», mais qu’elle «s’[était] intensifiée durant
l’été 1992», et que cette période limitée dans le temps de destruction à
une échelle importante «montr[ait] le caractère ciblé, contrôlé et délibéré
de la dévastation» (Brdanin, IT-99-36-T, par. 642-657). La chambre de
première instance a ainsi indiqué que la mosquée de la ville de Bosanska
Krupa avait été minée par les forces serbes de Bosnie en avril 1992, que
deux mosquées de Bosanski Petrovac avaient été détruites par les forces
serbes de Bosnie en juillet 1992 et que les mosquées de Staro Šipovo,
Bešnjevo et Pljeva l’avaient été le 7 août 1992 (ibid., par. 644, 647 et 656).
337. La commission d’experts a aussi constaté que des monuments
religieux, notamment des mosquées et des églises, avaient été détruits par
les forces serbes de Bosnie (rapport de la commission d’experts, vol. I,
annexe IV, p. 5, 9, 21 et suiv.). Dans son rapport sur la région de Prije-
dor, la commission a constaté qu’au moins cinq mosquées de la ville de
Prijedor, ainsi que leurs dépendances, avaient été détruites, et indiqué
qu’il était affirmé que les seize mosquées de la région de Kozarac avaient
toutes été détruites et que pas une seule mosquée, ni aucun autre édifice
religieux musulman, n’était demeuré intact dans la région de Prijedor
(rapport de la commission d’experts, vol. I, annexe V, p. 106). Le rapport
indique que ces édifices «n’auraient pas été profanés, endommagés ni
détruits à des fins militaires ou à l’occasion d’opérations militaires en tant
que telles», mais que, au contraire, «la plupart des destructions [avaient]
été dues à des opérations ultérieures de dynamitage» (ibid.).
338. Le rapporteur spécial a constaté que, durant le conflit, «nombre
de mosquées, d’églises et d’autres sites religieux, y compris des cimetières
et des monastères, [avaient] été détruits ou profanés» (rapport du
17 novembre 1992, par. 26). Il a particulièrement souligné «la destruction
et la profanation systématiques des mosquées et des églises catholiques
dans les zones [alors] ou précédemment sous [le] contrôle [des S]erbe[s de
Bosnie]» (rapport du 17 novembre 1992, par. 26).
339. La Bosnie-Herzégovine a appelé à déposer en tant qu’expert
M. András Riedlmayer, qui avait effectué, à la demande du procureur du
TPIY dans l’affaire Miloševic ´, une enquête de terrain sur la destruction
du patrimoine culturel dans dix-neuf municipalités de Bosnie-Herzégo-
vine, et avait par la suite mené une étude dans sept autres municipalités
dans le cadre de deux autres affaires soumises au TPIY («Destruction of
Cultural Heritage in Bosnia-Herzegovina 1992-1996: A Post-war Survey
o
of Selected Municipalities», Miloševic´, IT-02-54-T, pièce n P486). Dans
le rapport qu’il a établi pour les besoins de l’affaire Miloše´, M. Riedl-
mayer a obtenu des documents concernant trois cent quatre-vingt-douze
sites, grâce, dans 60 % des cas, à des visites directes sur place et, dans les
40 % restants, à l’examen et à la compilation de photographies et d’infor-
mations émanant d’autres sources jugées fiables, corroborées par d’autres
éléments d’information (rapport Riedlmayer, p. 5).
144 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 184
340. Dans le rapport établi par M. Riedlmayer, il est dit que, sur les
deux cent soixante-dix-sept mosquées sur lesquelles avait porté l’étude,
aucune n’était restée intacte, et que cent trente-six avaient été pratique-
ment, voire entièrement, détruites (rapport Riedlmayer, p. 9-10). Il est
conclu que
«ces monuments [avaient] manifestement été endommagés à la suite
d’attaques dirigées précisément contre eux, et non à l’occasion des
combats. En attestent les dommages dus à des explosions indiquant
que des charges avaient été placées à l’intérieur des mosquées ou des
cages d’escalier des minarets; de nombreuses mosquées [avaient] été
incendiées. Dans un certain nombre de villes, dont, notamment,
Bijeljina, Janja (municipalité de Bijeljina), ˇa, Banja Luka, Sanski
Most, Zvornik, la destruction des mosquées [avait] eu lieu alors que
le secteur se trouvait sous le contrôle des forces serbes, à des moments
où aucune action militaire n’était menée dans les environs immé-
diats.» (Ibid., p. 11.)
Il est aussi constaté que, après la destruction des mosquées,
les décombres [de mosquées] étaient déblayés et les sites nivelés au
moyen d’un équipement lourd, et tous les matériaux de construction
enlevés du site... Il exist[ait] des exemples particulièrement bien
documentés de cette pratique, notamment la destruction, dans la
ville de Bijeljina, de cinq mosquées qui [avaient] été entièrement
rasées; de deux mosquées dans la ville de Janja (municipalité de
Bijeljina); de douze mosquées et quatre monuments funéraires à
Banja Luka et de trois mosquées dans la ville de Brc ˇko.» (Ibid.,
p. 12.)
Enfin, le rapport indique que les sites des mosquées qui avaient été rasées
avaient été «transformés en décharges publiques, arrêts d’autobus, aires
de stationnement, ateliers de réparation automobile ou marchés aux
puces» (ibid., p. 14); par exemple, un complexe d’appartements et de
commerces avait été construit sur le site de la mosquée Zamlaz à Zvornik
et une nouvelle église serbe orthodoxe sur celui de la mosquée détruite de
Divic (ibid., p. 14).
341. Le rapport de M. Riedlmayer, sa déposition devant la Cour et
d’autres sources concordantes décrivent dans le détail la destruction du
patrimoine culturel et religieux du groupe protégé dans de nombreux
endroits de Bosnie-Herzégovine. Par exemple, il ressort des éléments de
preuve soumis à la Cour que douze des quatorze mosquées de Mostar
avaient été détruites ou endommagées et, d’après ce que l’on peut déduire
de la trajectoire des tirs dirigés contre le minaret, que leur destruction ou
les dégâts qu’elles avaient subis avaient été causés de manière délibérée
(Conseil de l’Europe, Rapport d’information: la destruction par la guerre
du patrimoine culturel de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine , Assem-
blée parlementaire, doc. 6756, 2 février 1993, par. 129 et 155). A Foˇa, les
quatorze mosquées historiques de la ville auraient été détruites par les
145 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 185
forces serbes. A Banja Luka, les seize mosquées que comptait la ville, y
compris les deux plus grandes, la mosquée Ferhadija (construite en 1578)
et la mosquée Arnaudija (construite en 1587), avaient toutes été détruites
par les forces serbes (département d’Etat des EtatsoUnis, Bureau of
Public Affairs, Dispatch, 26 juillet 1993, vol. 4, n 30, p. 547-548; «War
Crimes in Bosnia-Herzegovina: UN Cease-Fire Won’t Help Banja
Luka», Human Rights Watch/Helsinki Watch, juin 1994, vol. 6, n 8, o
p. 15-16; Humanitarian Law Centre, Spotlight Report, n 14, août 1994,
p. 143-144).
342. La Cour relève que des archives et bibliothèques ont aussi été
prises pour cible durant la guerre en Bosnie-Herzégovine. Le 17 mai 1992,
l’Institut d’études orientales de Sarajevo a été frappé par des bombes
incendiaires et réduit en cendres, entraînant la perte de deux cent mille
documents, dont une collection de plus de cinq mille manuscrits musul-
mans (rapport Riedlmayer, p. 18; Conseil de l’Europe, Assemblée parle-
mentaire, deuxième rapport d’information sur les dommages de guerre
causés au patrimoine culturel en Croatie et en Bosnie-Herzégovine,
doc. 6869, 17 juin 1993, p. 11, annexe 38). Le 25 août 1992, la Biblio-
thèque nationale de Bosnie a été bombardée et environ 1,5 million de
volumes ont été détruits (rapport Riedlmayer, p. 19). La Cour observe
que, même si le défendeur estime que l’origine des tirs contre ces institu-
tions n’a pas été établie avec certitude, des éléments de preuve indiquent
que l’Institut d’études orientales de Sarajevo et la Bibliothèque natio-
nale avaient été bombardés à partir des positions serbes.
343. La Cour relève que, lors du contre-interrogatoire de M. Riedl-
mayer, le conseil du défendeur a souligné que les municipalités étudiées
dans le rapport de M. Riedlmayer ne représentaient que vingt-cinq pour
cent du territoire de la Bosnie-Herzégovine. Le conseil du défendeur a
aussi mis en doute la méthodologie suivie par M. Riedlmayer pour éla-
borer son rapport. Cependant, après avoir attentivement examiné le rap-
port de M. Riedlmayer et après avoir entendu sa déposition, la Cour
considère que les conclusions de M. Riedlmayer constituent des éléments
de preuve convaincants en ce qui concerne la destruction du patrimoine
historique, culturel et religieux en Bosnie-Herzégovine, bien qu’elles
concernent une zone géographique limitée.
344. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il existe des
preuves concluantes attestant la destruction délibérée du patrimoine his-
torique, culturel et religieux du groupe protégé durant la période en ques-
tion. La Cour prend note de la conclusion du demandeur selon laquelle la
destruction d’un tel patrimoine «a été une composante essentielle de la
politique de nettoyage ethnique» et a constitué une «volonté d’effacer
toute trace de l’existence même» des Musulmans de Bosnie. Elle estime
toutefois que la destruction du patrimoine historique, culturel et religieux
ne peut pas être considérée comme une soumission intentionnelle du
groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction phy-
sique. Bien qu’une telle destruction puisse être d’une extrême gravité, en
ce qu’elle vise à éliminer toute trace de la présence culturelle ou religieuse
146 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 186
d’un groupe, et puisse être contraire à d’autres normes juridiques, elle
n’entre pas dans la catégorie des actes de génocide énumérés à l’article II
de la Convention. A cet égard, la Cour relève que, lors de son examen du
projet de convention, la Sixième Commission de l’Assemblée générale a
décidé de ne pas faire figurer le génocide culturel sur la liste des actes
punissables. En outre, la CDI a par la suite confirmé cette approche, indi-
quant:
«Il ressort clairement des travaux préparatoires de la convention ...
que la destruction dont il s’agit est la destruction matérielle d’un
groupe déterminé par des moyens soit physiques, soit biologiques, et
non pas la destruction de l’identité nationale, linguistique, religieuse,
culturelle ou autre de ce groupe.» (Rapport de la CDI sur les tra-
vaux de sa quarante-huitième session, Annuaire de la CDI, 1996,
vol. II, deuxième partie, p. 48, par. 12.)
En outre, le TPIY a adopté une approche similaire en l’affaire Krstic ´,
précisant que, même en droit international coutumier, «en dépit de[s]
développements récents», la définition du génocide était limitée aux actes
visant à la destruction physique ou biologique d’un groupe (Krstic ´,
IT-98-33-T, chambre de première instance, jugement du 2 août 2001,
par. 580). La Cour conclut que la destruction du patrimoine historique,
religieux et culturel ne peut pas être considérée comme un acte de géno-
cide au sens de l’article II de la convention sur le génocide. Dans le même
temps, elle souscrit à la remarque formulée en l’affaire Krstic ´ selon
laquelle «la destruction physique ou biologique s’accompagne souvent
d’atteintes aux biens et symboles culturels et religieux du groupe pris
pour cible, atteintes dont il pourra légitimement être tenu compte pour
établir l’intention de détruire le groupe physiquement» (ibid.).
Les camps
345. La Cour note que le demandeur a présenté des preuves solides
relatives aux conditions de vie dans les camps de détention; bon nombre
de ces preuves ont déjà été analysées dans les sections portant sur les
litt. a) et b) de l’article II. La Cour examinera brièvement les éléments de
preuve soumis par le demandeur concernant les conditions de vie dans les
principaux camps.
a) La vallée de la Drina
i) Le camp de Sušica
346. Dans le jugement portant condamnation rendu en l’affaire Dra-
gan Nikolic´, le commandant du camp de Sušica, le TPIY a jugé que
celui-ci avait soumis les détenus à des conditions inhumaines en les pri-
vant d’une alimentation adéquate, d’eau, de soins médicaux, de literie et
de toilettes (Nikolic ´, IT-94-2-S, jugement portant condamnation,
18 décembre 2003, par. 69).
147 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 187
ii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa
347. Dans l’affaire Krnojelac, la chambre de première instance du
TPIY a formulé les conclusions suivantes concernant les conditions qui
existaient dans le camp:
«[L]es conditions de vie des détenus non serbes au KP Dom
étaient terribles et déplorables, et ... beaucoup en ont conservé des
séquelles physiques et psychologiques durables. Les non-Serbes
étaient constamment enfermés dans leur cellule ou cachot, excepté à
l’heure des repas et des corvées, et se trouvaient dans des cellules sur-
peuplées bien que la prison ne fût pas pleine. En raison de ce sur-
peuplement, il n’y avait pas de lits ni même de matelas pour tous, et
le nombre de couvertures était insuffisant. Les conditions d’hygiène
étaient désastreuses. On ne pouvait au mieux se laver ou prendre une
douche, sans eau chaude, que de manière irrégulière. Il n’y avait pas
suffisamment de produits d’hygiène et de toilette. Les cellules où les
non-Serbes étaient détenus n’étaient pas assez chauffées durant le
rude hiver de l’année 1992. On s’était délibérément gardé d’installer
des appareils de chauffage, les vitres cassées n’étaient pas remplacées
et les habits que les détenus confectionnaient avec des couvertures
pour combattre le froid étaient confisqués. Les détenus non serbes
recevaient des rations de famine, ce qui a entraîné chez eux des
pertes de poids considérables et d’autres problèmes de santé.
Après avril 1992, ils ont été privés de visites et ne pouvaient donc
plus compléter les maigres rations et les quelques produits d’hygiène
qui leur étaient distribués.» (Krnojelac, IT-97-25-T, jugement du
15 mars 2002, par. 440.)
b) Prijedor
i) Le camp d’Omarska
348. Dans le jugement qu’elle a rendu en l’affaire Kvoc ˇka et consorts,
la chambre de première instance du TPIY, s’appuyant sur les récits de
détenus, a décrit comme suit les conditions d’existence difficiles dans ce
camp:
«Les détenus vivaient dans des conditions inhumaines et dans un
climat de violence psychique et physique extrême qui régnait partout
dans le camp. Les actes d’intimidation, d’extorsion, les passages à
tabac et la torture y étaient pratique courante. L’arrivée de nou-
veaux détenus, les interrogatoires, les repas, les passages aux toi-
lettes, chacune de ces occasions était un nouveau motif pour maltrai-
ter les détenus. Des personnes étrangères au camp y pénétraient et
étaient autorisées à agresser les détenus au hasard et à leur guise...
.............................
La chambre de première instance conclut que les détenus rece-
vaient de la nourriture de piètre qualité, qui était souvent avariée ou
immangeable, en raison des fortes chaleurs et des pénuries d’électri-
148 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 188
cité survenues durant l’été 1992. Les quantités étaient tout à fait
insuffisantes. D’anciens détenus ont déclaré qu’une grave famine
régnait dans le camp: la plupart d’entre eux ont perdu entre 25 et
35 kilos durant leur séjour à Omarska; d’autres bien davantage en-
core.» (Kvocˇka et sonsorts, IT-98-30/1-T, chambre de première
instance, jugement du 2 novembre 2001, par. 45 et 55.)
ii) Le camp de Keraterm
349. Dans son jugement en l’affaire Stakic ´, la chambre de première
instance, s’appuyant sur de multiples récits de témoins, a décrit comme
suit les conditions d’existence au camp de Keraterm:
«Les détenus dormaient sur des palettes de bois utilisées pour le
transport des marchandises, ou à même le béton dans une grande
pièce de stockage. Les gens étaient entassés et devaient souvent
dormir les uns sur les autres. En juin 1992, la pièce 1 qui, selon les
déclarations de témoin, était légèrement plus grande que la
salle d’audience 2 du Tribunal international (98,6 mètres carrés),
accueillait trois cent vingt personnes, et ce nombre a continué d’aug-
menter. Les détenus recevaient un repas quotidien composé de deux
fines tranches de pain et d’une sorte de ragoût. Il n’y avait pas assez
de rations pour les détenus. Bien que chaque jour des familles aient
tenté de leur faire parvenir de la nourriture et des vêtements, il était
rare qu’elles y parviennent. Les détenus pouvaient voir leurs familles
venir au camp et repartir les mains vides; donc, selon toute proba-
bilité, quelqu’un à l’entrée du camp prenait les vivres et empêchait
qu’ils soient distribués aux prisonniers.» (Stakic ´, IT-97-24-T,
chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003,
par. 163.)
iii) Le camp de Trnopolje
350. S’agissant de Trnopolje, la chambre de première instance, dans le
jugement qu’elle a rendu en l’affaire Stakic ´, a décrit comme suit les
conditions dans ce camp, en notant qu’elles étaient légèrement meilleures
qu’à Omarska ou à Keraterm:
«Les détenus recevaient de la nourriture au moins une fois par
jour, et, pendant un certain temps, leurs familles ont pu leur appor-
ter des vivres. Toutefois, la quantité de nourriture était insuffisante
et les détenus avaient souvent faim. En outre, l’eau manquait et les
toilettes étaient dans un état déplorable. La majorité des détenus
passait la nuit dehors. Certains se fabriquaient des abris de fortune à
l’aide de couvertures et de sacs en plastique. Si mauvaises qu’elles
fussent à l’évidence, les conditions de vie au camp de Trnopolje
n’étaient pas aussi épouvantables que dans les camps d’Omarska et
de Keraterm.» (Ibid., par. 190.)
149 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 189
c) Banja Luka
Le camp de Manjac ˇa
351. Selon les conclusions de la chambre de première instance du
TPIY dans le jugement portant condamnation en l’affaire Plavšic ´,
«les conditions sanitaires à Manjacˇa étaient «catastro-
phiques ... inhumaines et particulièrement cruelles»: il n’y avait
absolument aucune hygiène. Il faisait froid à l’intérieur des bâtiments
et les prisonniers dormaient à même le sol en béton. Les détenus
devaient faire leurs besoins dans l’enceinte du camp ou, la nuit, dans
un seau posé à côté de la porte de la cellule. Ils manquaient d’eau et
le peu qu’on leur donnait était pollué. Adil Draganovic ´ a déclaré
que, durant les trois premiers mois de sa détention, les détenus du
camp de Manjac ˇa souffraient de la faim; le peu de nourriture qui y
était distribué était de mauvaise qualité. Les détenus recevaient deux
maigres repas par jour, généralement composés d’une demi-tasse de
thé qui ressemblait davantage à de l’eau chaude et d’une tranche de
pain si fine qu’on y voyait au travers. Deux mille cinq cents hommes
devaient se partager 90 miches de pain, chacune découpée en 20 ou
40 tranches. La plupart des détenus ont perdu de 20 à 30 kilo-
grammes pendant leur détention à Manjac ˇa. Selon le témoin, sans
l’arrivée des représentants du CICR et du Haut Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (le «HCR»), les détenus
seraient morts de faim.» (Plavšic ´, IT-00-39-S et 40/1-S, jugement
portant condamnation du 27 février 2003, par. 48.)
d) Bosanski Šamac
352. Dans son jugement dans l’affaire Simic ´, la chambre de première
instance a conclu que
«les conditions d’emprisonnement dans les centres de détention de
Bosanski Šamac étaient inhumaines. Les détenus étaient humiliés et
avilis. L’obligation de chanter des chants tchetniks et le fait d’être
traité d’oustachi ou de balija sont les manifestations de ces violences
verbales et humiliations qui étaient infligées aux détenus. Ces der-
niers manquaient d’espace, de nourriture et d’eau. Ils vivaient dans
des conditions insalubres et n’avaient pas un accès adéquat à des
soins médicaux. Ces conditions de détention épouvantables, les trai-
tements cruels et inhumains infligés sous la forme de sévices corpo-
rels et les actes de torture ont causé d’intenses souffrances physiques,
portant ainsi atteinte aux fondements mêmes de la dignité humaine...
[Ce traitement était] fondé sur l’appartenance ethnique non serbe des
détenus.» (Simic´, IT-95-9-T, jugement du 17 octobre 2003, par. 773;
les italiques sont dans l’original.)
353. Le défendeur ne nie pas que les conditions régnant dans les camps
en Bosnie-Herzégovine aient été contraires au droit humanitaire et le plus
souvent contraires au droit de la guerre. Il note cependant que, bien
150 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 190
qu’un certain nombre de camps de détention tenus par les Serbes en Bos-
nie-Herzégovine aient fait l’objet d’enquêtes et de procédures au TPIY,
aucune condamnation pour génocide n’a été prononcée en raison des
actes criminels qui avaient pu y être commis. Au sujet du camp de Man-
jaˇa en particulier, le défendeur souligne que l’envoyé spécial du Secré-
taire général de l’Organisation des Nations Unies a visité le camp en 1992
et a constaté qu’il était dirigé correctement, et qu’une organisation huma-
nitaire musulmane qui a aussi visité le camp a trouvé que les «conditions
matérielles étaient mauvaises, surtout en termes d’hygiène, mais
[qu’]aucun signe de mauvais traitement ou d’exécution de prisonniers n’a
été observé».
354. Sur la base des éléments qui lui ont été présentés, la Cour consi-
dère qu’il a été prouvé de façon convaincante et concluante que des
conditions de vie terribles étaient imposées aux détenus des camps. Les
éléments de preuve produits ne lui ont cependant pas permis de conclure
que ces actes relevaient d’une intention spécifique (dolus specialis) de
détruire le groupe protégé, en tout ou en partie. La Cour relève à cet
égard que dans aucune des affaires concernant l’un des camps cités plus
haut le TPIY n’est parvenu à la conclusion que l’accusé avait agi avec
une telle intention spécifique (dolus specialis).
**
8) Litt. d) de l’article II: imposition de mesures visant à entraver
les naissances au sein du groupe protégé
355. Le demandeur a avancé plusieurs arguments pour montrer que
des mesures visant à entraver les naissances avaient été imposées en viola-
tion du litt. d) de l’article II de la convention sur le génocide. Première-
ment, le demandeur a soutenu que
«la séparation forcée des hommes et des femmes musulmans de Bos-
nie-Herzégovine, telle qu’elle a systématiquement été opérée lors de
la prise des différentes municipalités par les forces serbes ... a, selon
toute vraisemblance, entraîné une diminution des naissances au sein
du groupe, en raison de leur absence de contacts physiques pendant
de longs mois».
La Cour note qu’aucune preuve n’a été produite à l’appui de cette affir-
mation.
356. Deuxièmement, le demandeur a affirmé que les viols et violences
sexuelles commis sur des femmes ont entraîné des traumatismes phy-
siques qui ont altéré les fonctions reproductives des victimes et, dans cer-
tains cas, entraîné leur stérilité. Cependant, le seul élément de preuve
produit par le demandeur est l’acte d’accusation en l’affaire Gagovic ´,
dans lequel le procureur du TPIY a déclaré qu’un témoin ne pouvait plus
avoir d’enfants en raison des violences sexuelles qu’elle avait subies
(Gagovic´ et consorts, IT-96-23-I, acte d’accusation du 26 juin 1996,
151 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 191
par. 7.10). De l’avis de la Cour, un acte d’accusation établi par le procu-
reur ne constitue pas un élément de preuve convaincant (voir plus haut,
paragraphe 217). La Cour relève en outre que l’affaire Gagovic ´ n’est pas
passée en jugement en raison du décès de l’accusé.
357. Troisièmement, le demandeur a invoqué des violences sexuelles
contre les hommes, qui auraient empêché ceux-ci par la suite de procréer.
A l’appui de cette affirmation, le demandeur a indiqué que, dans l’affaire
Tadic´, la chambre de première instance avait conclu que, au camp
d’Omarska, les gardes avaient obligé un Musulman de Bosnie à arracher
avec les dents les testicules d’un autre (Tadi´, IT-94-1-T, jugement du
7 mai 1997, par. 198). Le demandeur a également cité un article du jour-
nal Le Monde rendant compte d’une étude de l’Organisation mondiale de
la santé et de l’Union européenne sur les violences sexuelles infligées aux
hommes pendant le conflit en Bosnie-Herzégovine, selon laquelle les vio-
lences sexuelles contre les hommes auraient presque toujours été accom-
pagnées de propos avertissant la victime qu’elle ne pourrait plus conce-
voir d’enfants musulmans. L’article du Monde citait aussi une déclaration
du président d’une organisation non gouvernementale, le Centre médical
pour les droits de l’homme, selon laquelle près de cinq mille hommes non
serbes auraient été victimes de violences sexuelles. La Cour note cepen-
dant que l’article du Monde n’est qu’une source secondaire. En outre, les
conclusions de l’étude de l’Organisation mondiale de la santé et de
l’Union européenne n’avaient qu’un caractère préliminaire, et rien n’in-
dique comment le Centre médical pour les droits de l’homme est par-
venu au chiffre de cinq mille hommes victimes de violences sexuelles.
358. Quatrièmement, le demandeur a soutenu que les viols et violences
sexuelles contre les hommes et les femmes entraînaient des traumatismes
psychologiques qui empêchaient les victimes de nouer des relations et de
fonder une famille. A cet égard, il a signalé que, dans l’affaire Akayesu,le
TPIR avait considéré que «le viol peut être une mesure visant à entraver
les naissances lorsque la personne violée refuse subséquemment de pro-
créer» (Akayesu, ICTR-96-4-T, chambre de première instance, jugement
du 2 septembre 1998, par. 508). La Cour relève cependant que le deman-
deur n’a pas produit d’élément prouvant que c’était le cas pour les
femmes de Bosnie-Herzégovine.
359. Cinquièmement, le demandeur a avancé que les femmes musul-
manes de Bosnie qui avaient été victimes de violences sexuelles risquaient
d’être rejetées par leur mari ou de ne pas pouvoir trouver de mari. A nou-
veau, la Cour relève qu’aucune preuve n’a été produite à l’appui de cet
argument.
360. Le défendeur considère que le demandeur «n’allègue aucun fait,
n’avance aucun argument sérieux, ne soumet aucune preuve» de ses allé-
gations selon lesquelles les viols étaient commis en vue d’entraver les
naissances au sein d’un groupe, et il note que la thèse du demandeur
selon laquelle le nombre des naissances au sein du groupe protégé avait
baissé n’est soutenue par aucune information concernant le taux de nata-
lité en Bosnie-Herzégovine, ni avant, ni après la guerre.
152 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 192
361. Ayant examiné avec soin les arguments des Parties, la Cour consi-
dère que les éléments de preuve qui lui ont été soumis par le demandeur
ne lui permettent pas de conclure que les forces serbes de Bosnie ont com-
mis des actes susceptibles d’être considérés comme des mesures visant à
entraver les naissances dans le groupe protégé au sens du litt. d) de
l’article II de la Convention.
**
9) Litt. e) de l’article II: transfert forcé d’enfants du groupe protégé à
un autre groupe
362. Le demandeur affirme que les viols étaient utilisés «comme un
moyen de perturber l’équilibre démographique par la fécondation de
femmes musulmanes avec le sperme d’hommes serbes», en d’autres
termes, qu’il s’agissait de «viols procréatifs». Le demandeur soutient que
les enfants nés à la suite de ces «grossesses forcées» ne seraient pas consi-
dérés comme faisant partie du groupe protégé, et considère que l’inten-
tion des violeurs était de transférer les enfants à naître vers le groupe des
Serbes de Bosnie.
363. A titre de preuve, le demandeur cite un certain nombre de sources
dont les suivantes. Dans l’acte d’accusation dans l’affaire Gagovic ´ et
consorts, le procureur a allégué que l’un des témoins avait été violé par
deux soldats serbes de Bosnie et que «[c]es deux auteurs de sévices lui ont
dit qu’elle donnerait naissance à des bébés serbes» (Gagovic ´ et consorts,
IT-96-23-I, acte d’accusation du 26 juin 1996, par. 9.3). Cependant,
comme elle l’a déjà fait au paragraphe 356 ci-dessus, la Cour relève qu’un
acte d’accusation ne saurait constituer une preuve convaincante aux fins
de la présente espèce et que l’affaire Gagovic´ n’est pas passée en juge-
ment. Le demandeur a également cité le rapport de la commission
d’experts indiquant qu’une femme avait été détenue et violée quotidien-
nement par trois ou quatre soldats, «qui lui disaient qu’elle donnerait
naissance à un petit Tchetnik» (rapport de la commission d’experts,
vol. I, p. 59, par. 248).
364. Le demandeur a aussi invoqué la conclusion formulée par la
chambre de première instance lors de l’examen de l’acte d’accusation
dans les affaires Karadžic ´ et Mladic´ , selon laquelle «certains camps
étaient spécialement consacrés aux viols dans le but de procréation forcée
d’enfants serbes, les femmes étant souvent détenues jusqu’à ce qu’il fût
trop tard pour avorter» et «il apparaît que l’objectif de nombreux viols
était la fécondation forcée» (Karadžic´ et Mladic´ , IT-95-5-R61 et IT-95-
18-R61, examen de l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du
Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 64). La Cour
note cependant que cette conclusion de la chambre de première instance
ne reposait que sur le témoignage d’un amicus curiae et sur l’incident sus-
mentionné rapporté par la commission d’experts (ibid., par. 64, note de
bas de page 154).
153 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 193
365. Enfin, le demandeur a déclaré que, dans l’affaire Kunarac,a l
chambre de première instance du TPIY a conclu que, après avoir violé
l’un des témoins, l’accusé lui avait dit qu’«elle aurait un bébé serbe dont
elle ne saurait jamais qui était le père» (Kunarac et consorts, IT-96-23-T
et IT-96-23/1-T, jugement du 22 février 2001, par. 583).
366. Le défendeur fait observer que les femmes musulmanes qui avaient
été violées donnaient naissance à leurs bébés en territoire musulman et
que ces bébés n’auraient donc pas été élevés par des Serbes, mais au
contraire par des Musulmans. En conséquence, selon lui, il ne peut être
prétendu que les enfants aient été transférés d’un groupe vers un autre.
367. La Cour, sur la base de ce qui précède, considère que les éléments
qui lui ont été soumis par le demandeur ne permettent pas d’établir l’exis-
tence d’une quelconque politique de grossesses forcées, pas plus que d’un
objectif consistant à transférer les enfants du groupe protégé vers un
autre groupe au sens du litt. e) de l’article II de la Convention.
**
10) Allégation selon laquelle un génocide aurait été commis en dehors
de la Bosnie-Herzégovine
368. Dans ses conclusions finales figurant dans la réplique, le deman-
deur a allégué que le défendeur avait violé les obligations lui incombant
en vertu de la convention sur le génocide «en détruisant partiellement, et
en tentant de détruire totalement, des groupes nationaux, ethniques ou
religieux, notamment mais non exclusivement sur le territoire de la Bos-
nie-Herzégovine, en particulier la population musulmane» (les italiques
sont de la Cour). Le demandeur a consacré une section de sa réplique à la
thèse selon laquelle des actes de génocide attribuables au défendeur
auraient également été perpétrés sur le territoire de la RFY; ces actes
seraient similaires à ceux commis sur le territoire bosniaque, et les élé-
ments constitutifs d’une «politique de nettoyage ethnique» auraient éga-
lement été présents sur le territoire de la RFY. Cette thèse d’un génocide
commis en RFY n’a pas été défendue par le demandeur lors de la procé-
dure orale; néanmoins, l’allégation susmentionnée ayant été maintenue
dans les conclusions finales présentées à l’issue des audiences, la Cour est
tenue de l’examiner. Le demandeur a avancé que cette politique génoci-
daire visait non seulement des civils de Bosnie-Herzégovine, mais aussi
des Albanais, des Musulmans du Sandjak, des Croates, des Hongrois
ainsi que d’autres minorités; il n’a toutefois établi aucun fait propre à
convaincre la Cour du bien-fondé de cette allégation. La Cour a déjà
indiqué (voir plus haut paragraphe 196) qu’aux fins d’établir le génocide
le groupe visé devait être défini de manière positive, et non comme celui
des «non-Serbes».
369. Dans son argumentation, le demandeur n’a pas traité séparément
la question de la nature de l’intention spécifique (dolus specialis) suppo-
sée avoir présidé aux actes qui ont été commis en RFY et dont il tire
154 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 194
grief. Il ne semble pas affirmer que certaines actions attribuables au
défendeur et commises sur le territoire de la RFY l’ont été avec une
intention spécifique (dolus specialis), propre ou limitée à ce territoire au
sens où l’objectif aurait été d’éliminer la présence des non-Serbes en RFY
même. La Cour estime, en tout état de cause, que les éléments de preuve
présentés n’étayent aucunement une telle allégation. Le demandeur a
cherché à convaincre la Cour de l’existence d’actes systématiques consti-
tuant, selon lui, la preuve d’une intention spécifique (dolus specialis) qui
aurait motivé les actions des forces serbes en Bosnie-Herzégovine et qui
se serait traduite par la destruction des Musulmans de Bosnie sur ce ter-
ritoire; ces mêmes actes systématiques se retrouveraient, est-il soutenu,
dans le traitement des Musulmans de Bosnie dans les camps créés en
RFY, ledit traitement venant donc étayer la thèse générale. Le deman-
deur a souligné que le traitement infligé à ces Musulmans de Bosnie avait
été le même que celui infligé à leurs compatriotes en Bosnie-Herzégovine.
La Cour en vient donc maintenant à la question de savoir si l’intention
spécifique (dolus specialis) peut être déduite, comme l’affirme le deman-
deur, du schéma des actions menées à l’encontre des Musulmans de Bos-
nie pris dans leur ensemble.
**
11) La question des actes réputés démontrer l’intention de commettre
le génocide
370. A la lumière de son examen des preuves factuelles qui lui ont été
soumises au sujet des atrocités commises en Bosnie-Herzégovine
entre 1991 et 1995, la Cour est parvenue à la conclusion que, sauf en ce
qui concerne les événements de juillet 1995 à Srebrenica, l’intention
requise pour que le génocide soit constitué n’a pas été démontrée de
manière concluante en rapport avec chaque incident particulier. Le
demandeur s’appuie toutefois sur l’existence alléguée d’un plan global
tendant à commettre le génocide, plan qui transparaîtrait d’un ensemble
d’actes génocidaires ou potentiellement génocidaires répondant à un
schéma et commis sur tout le territoire à l’encontre de personnes identi-
fiées dans chaque cas par leur appartenance à un groupe spécifique. Au
sujet du comportement des Serbes dans les divers camps (décrits plus
haut aux paragraphes 252 à 256, 262 à 273, 307 à 310 et 312 à 318), par
exemple, le demandeur soutient que «[l]’intention des Serbes de com-
mettre un génocide devient particulièrement claire au vu des pratiques en
vigueur dans les camps, parce qu’elles présentent une similitude frap-
pante sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine». Appelant l’atten-
tion sur les similitudes entre les actes attribués aux Serbes en Croatie et
les événements survenus ultérieurement, au Kosovo par exemple, le
demandeur fait valoir que
«il n’est pas surprenant que les prises de contrôle, ainsi que les pertes
en vies humaines et les destructions de biens culturels qui suivirent,
155 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 195
présentent les mêmes caractéristiques de 1991 à 1999. Ces actes s’ins-
crivent dans le cadre d’un seul et même projet ... consist[ant] simple-
ment et concrètement à détruire en totalité ou en partie le groupe
non serbe, dès lors que ce groupe, qui se caractérise par son origine
ethnique et sa religion, p[eut] être considéré comme un obstacle à
l’idée d’un Etat unique pour tous les Serbes.»
371. La Cour note que cet argument du demandeur passe de l’inten-
tion des personnes qui auraient commis les prétendus actes de génocide
dont il est tiré grief à l’intention d’une autorité supérieure, au sein de la
VRS ou de la Republika Srpska, ou au niveau du gouvernement du
défendeur lui-même. A défaut d’une déclaration officielle traduisant une
telle intention, le demandeur soutient que l’intention spécifique (dolus
specialis) dont étaient animés ceux qui déterminaient le cours des événe-
ments ressort clairement de la constance des pratiques observées, en par-
ticulier dans les camps, qui montrent que l’on est en présence d’un
schéma d’actes commis «dans un cadre institutionnel organisé». Toute-
fois, selon le demandeur, la «décision relative aux objectifs stratégiques»
promulguée le 12 mai 1992 par Momc ˇilo Krajišnik, président de l’Assem-
blée nationale de la Republika Srpska, et publiée au Journal officiel de la
Republika Srpska, pourrait se rapprocher de la déclaration officielle d’un
plan global; la Cour examinera tout d’abord l’importance que pourrait
avoir cette décision dans ce contexte. La traduction anglaise des objectifs
stratégiques présentée par les Parties à l’audience, extraite du rapport du
tomoin-expert Donia dans l’affaire Miloševic ´ jugée par le TPIY, pièce
n 537, peut se rendre en français comme suit:
«D ÉCISION RELATIVE AUX OBJECTIFS STRATÉGIQUES DU PEUPLE SERBE
EN BOSNIE-H ERZÉGOVINE
Les objectifs stratégiques, c’est-à-dire les priorités du peuple serbe
de Bosnie-Herzégovine, sont:
1. La séparation [du peuple serbe] des deux autres communautés
ethniques et sa constitution en Etat.
2. L’établissement d’un corridor entre la Semberija et la Krajina.
3. L’établissement d’un corridor dans la vallée de la Drina, c’est-à-
dire la suppression de la frontière constituée par la Drina entre
les Etats serbes.
4. L’établissement d’une frontière suivant l’Una et la Neretva.
5. La partition de la ville de Sarajevo en un secteur musulman et un
secteur serbe et la mise en place d’autorités étatiques véritables
dans chacun d’entre eux.
6. L’ouverture d’un accès à la mer pour la Republika Srpska.»
La Cour note que ce document n’émanait pas du Gouvernement du
défendeur. Cela étant, des preuves soumises à la Cour sous forme d’inter-
ceptions d’échanges entre Miloševic´, président de la Serbie, et Karadži´,
président de la Republika Srpska, suffisent à démontrer que les objectifs
définis traduisaient leur position commune.
156 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 196
372. Les Parties ont attiré l’attention de la Cour sur des déclarations
du président Karadžic ´ à l’Assemblée, qui semblent donner deux interpré-
tations contradictoires — la première le jour de la publication de la déci-
sion et la seconde, deux ans plus tard — du premier objectif, le plus
important. La première fois, il a, selon le demandeur, déclaré: «Il serait
infiniment préférable de trouver une solution politique à cette situation.
Le mieux serait de pouvoir immédiatement signer une trêve et fixer les
frontières, même si nous sommes un peu perdants.» Deux ans plus tard,
il disait (d’après la traduction anglaise de son discours fournie par le
demandeur):
«Nous savons avec certitude que nous devrons renoncer à quelque
chose. Cela ne fait aucun doute si nous voulons atteindre notre pre-
mier objectif stratégique: expulser nos ennemis — les Croates et les
Musulmans — de chez eux par la force des armes, de sorte que nous
ne vivions plus ensemble [avec eux] dans un même Etat.»
Le défendeur conteste la traduction anglaise, affirmant que l’objectif
déclaré n’était pas de «chasser les ennemis de force de leurs maisons»
mais de «libérer la maison des ennemis». Les objectifs de 1992 ne com-
prennent pas l’élimination de la population musulmane de Bosnie. Les
propos de 1994 — même dans la traduction qu’en donne le deman-
deur —, aussi choquants soient-ils, n’impliquent pas nécessairement
l’intention de détruire, en tout ou en partie, la population musulmane des
enclaves. La thèse du demandeur ne cadre pas avec le fait que l’un des
principaux mobiles de nombreux dirigeants serbes de Bosnie — créer un
Etat serbe plus vaste, si nécessaire par une guerre de conquête — n’exi-
geait pas nécessairement la destruction des Musulmans de Bosnie ni
d’autres communautés, mais leur expulsion. Les objectifs de 1992, en par-
ticulier le premier d’entre eux, pouvaient être atteints par le déplacement
de populations et l’acquisition de territoire — actes dont le défendeur a
reconnu l’illicéité (au moins pour le second), puisqu’ils auraient porté
atteinte à l’inviolabilité des frontières et à l’intégrité territoriale d’un Etat
qui venait d’être reconnu sur le plan international. Il est d’ailleurs signi-
ficatif que, dans les instances dans lesquelles les objectifs stratégiques
avaient été invoqués par le procureur, le TPIY ne les a pas qualifiés de
«génocidaires» (voir Beranin, IT-99-36-T, chambre de première ins-
tance, jugement du 1 septembre 2004, par. 303, et Stakic ´, IT-97-24-T,
chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003, par. 546-561
(notamment par. 548)). De l’avis de la Cour, les objectifs stratégiques
de 1992 ne permettent pas d’établir l’intention spécifique.
373. Pour en venir maintenant à l’argument du demandeur selon
lequel le schéma même des atrocités commises — sur une très longue
période, à l’encontre de nombreuses communautés, ciblant les Musul-
mans et aussi les Croates de Bosnie — démontre l’intention nécessaire, la
Cour ne peut se rallier à une proposition aussi large. Le dolus specialis,
l’intention spécifique de détruire le groupe en tout ou en partie, doit être
établi en référence à des circonstances précises, à moins que l’existence
157 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 197
d’un plan général tendant à cette fin puisse être démontrée de manière
convaincante; pour qu’une ligne de conduite puisse être admise en tant
que preuve d’une telle intention, elle devrait être telle qu’elle ne puisse
qu’en dénoter l’existence.
374. En outre, et cela aussi est significatif, cette thèse n’est pas conforme
aux conclusions du TPIY sur le génocide ni aux décisions du procureur,
parmi lesquelles celles de ne pas inclure le chef de génocide dans des actes
d’accusation où il aurait éventuellement pu le faire et de conclure des
accords sur le plaidoyer, comme dans les affaires Plavšic ´ et Sikirica (IT-
00-40 et IT-95-8), par lesquels les accusations de génocide ont été retirées.
Ces décisions du procureur du TPIY et du Tribunal peuvent être utile-
ment énumérées ici. En ce qui concerne les poursuites engagées devant le
TPIY pour génocide et crimes connexes, une distinction peut être établie
entre les cas suivants:
a) les accusés déclarés coupables de chefs liés au génocide en rapport
avec les événements de juillet 1995 à Srebrenica: affaire Krstic ´ (IT-
98-33) (déclaré coupable de génocide en première instance, puis seu-
lement de complicité («aiding and abetting») de génocide en appel) et
affaire Blagojevi´ (IT-02-60) (a interjeté appel après avoir été déclaré
coupable de complicité de génocide (pour avoir «aidé et encouragé»
sa commission); cet appel est actuellement pendant);
b) les accusés ayant conclu un accord sur le plaidoyer, en vertu duquel
ils ont plaidé coupable de crimes contre l’humanité moyennant le
retrait des chefs liés au génocide: Obrenovic ´ (IT-02-60/2) et
Momir Nikolic ´ (IT-02-60/1);
c) les personnes déclarées non coupables de chefs liés au génocide
concernant des événements survenus dans d’autres localités: Krajiš-
nik (paragraphe 219 ci-dessus) (affaire en instance d’appel), Jelisic ´
(IT-95-10) (affaire jugée), Stakic´ (IT-97-24) (affaire jugée), Brdanin
(IT-99-36) (affaire en instance d’appel) et Sikirica (IT-95-8) (affaire
jugée);
d) un accord sur le plaidoyer, dans lequel des chefs liés au génocide se
rapportant à des événements survenus dans d’autres localités ont été
retirés: Plavš´ (IT-00-39 et 40/1) (accord sur le plaidoyer), Župljanin
(IT-99-36) (retrait des chefs liés au génocide) et Mejakic ´ (IT-95-4)
(retrait des chefs liés au génocide);
e) la personne accusée de génocide et de crimes connexes en rapport
avec les événements survenus à Srebrenica et ailleurs et décédée au
cours de la procédure: Miloševic ´ (IT-02-54);
f) les personnes accusées de génocide ou de crimes connexes en rapport
avec les événements survenus ailleurs et décédées avant l’ouverture de
la procédure ou au cours de celle-ci: Kovac ˇevi´ et Drljaˇa (IT-97-24)
et Tali´ (IT-99-36/1);
g) les personnes accusées de génocide et de crimes connexes en rapport
avec les événements survenus à Srebrenica et ailleurs et non encore
jugées: Karadžic´ et Mladic´ (IT-95-5/18); et
158 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 198
h) les personnes accusées de génocide et de crimes connexes en rapport
avec les événements survenus à Srebrenica et non encore jugées:
Popovic´, Beara, Drago Nikolic ´, Borovcˇanin, Pandurevic´ et Trbic´
(IT-05/88/1) et Tolimir (IT-05-88/2).
375. Dans un certain nombre d’autres affaires se rapportant aux évé-
nements de Srebrenica (juillet 1995), les personnes concernées n’ont pas
été accusées de génocide ni d’actes connexes: Erdemovic ´ (IT-96-22)
(affaire jugée), Jok´ (IT-02-60) (affaire en instance d’appel), Miletic´ et
Gvero (IT-05-88, constituant une partie de l’affaire Popovic ´ et consorts
visée au paragraphe 374 h) ci-dessus), Perišic ´ (IT-04-81) (affaire pen-
dante) et Staniši´ et Simatovi´ (IT-03-69) (affaire pendante).
376. La Cour est déjà parvenue plus haut à la conclusion que — sous
réserve du cas de Srebrenica — le demandeur n’a pas établi que l’une
quelconque des amples et graves atrocités présentées comme constituant
des violations des litt. a) à e) de l’article II de la convention sur le géno-
cide aurait été accompagnée de l’intention spécifique (dolus specialis)
nécessaire de la part de ses auteurs. Elle conclut aussi que le demandeur
n’a pas établi l’existence de cette intention de la part du défendeur, pas
plus sur le fondement d’un plan concerté que sur celui d’une ligne de
conduite systématique qui, au vu des faits examinés ci-dessus, ne pourrait
que dénoter l’existence d’une telle intention. Toutefois, ayant conclu
(paragraphe 297 ci-dessus) que, dans le cas particulier des massacres de
Srebrenica en juillet 1995, des actes de génocide avaient été commis dans
le cadre d’opérations menées par des membres de la VRS, la Cour exa-
minera à présent la question de savoir si ces actes sont attribuables au
défendeur.
*
* *
VII. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ DU DÉFENDEUR EN CE QUI
CONCERNE LES ÉVÉNEMENTS DE S REBRENICA , EN VERTU DU LITT .a)
DE L ARTICLE III DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
1) La prétendue reconnaissance
377. La Cour commencera par relever que, selon le demandeur, le
défendeur aurait en fait reconnu qu’un génocide avait été commis à Sre-
brenica, et en aurait accepté la responsabilité juridique. Le demandeur a
appelé l’attention sur la déclaration officielle ci-après, faite par le Conseil
des ministres du défendeur le 15 juin 2005, à la suite de la diffusion, sur
une chaîne de télévision de Belgrade, le 2 juin 2005, d’un enregistrement
vidéo montrant l’exécution de six prisonniers musulmans de Bosnie près
de Srebrenica par une unité paramilitaire (paragraphe 289 ci-dessus). La
déclaration se lit comme suit:
«Les auteurs des tueries de Srebrenica et ceux qui ont ordonné et
organisé le massacre ne représentaient ni la Serbie ni le Monténégro,
159 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 199
mais un régime antidémocratique de terreur et de mort, contre lequel
la grande majorité des citoyens de Serbie-et-Monténégro ont opposé
la plus vive résistance.
Notre condamnation ne s’arrête pas aux exécutants directs. Nous
demandons que soient poursuivis tous ceux qui, non seulement à
Srebrenica mais aussi ailleurs, ont commis, organisé ou ordonné des
crimes de guerre.
Des criminels ne sauraient être traités en héros. Toute protection des
criminels de guerre, quelle qu’en soit la raison, est aussi un crime.»
Le demandeur prie la Cour de dire que cette déclaration «s’analyse ... en
une «sorte d’aveu» et qu’elle a ... une valeur probante déterminante
quant à l’imputabilité à l’Etat yougoslave du massacre de Srebrenica».
378. Il incombe à la Cour de déterminer la responsabilité du défendeur
à raison de tout acte de génocide qui pourrait être établi. La Cour peut à
cette fin prendre en considération toute déclaration, de quelque partie
qu’elle émane, en rapport avec les questions en cause et portée à son atten-
tion (voir Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil
1974, p. 263 et suiv., par. 32 et suiv., etEssais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 465 et suiv., par. 27 et
suiv.; Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 573-574, par. 38-39) et peut leur attribuer tout effet
juridique qu’elle juge approprié. Toutefois, en la présente espèce, la décla-
ration du 15 juin 2005 apparaît à la Cour comme étant de nature politique;
de toute évidence, rien ne permet de conclure qu’elle était censée constituer
une reconnaissance, laquelle aurait eu un effet juridique en contradiction
totale avec les conclusions présentéespar le défendeur devant la Cour, tant
à l’époque de la déclaration que plus tard. La Cour ne considère donc pas
que cette déclaration du 15 juin 2005 puisse l’aider à se prononcer sur les
questions qui lui sont soumises en l’espèce.
**
2) Le critère de responsabilité
379. Compte tenu des conclusions qui précèdent, il y a lieu à présent
pour la Cour de rechercher si la responsabilité internationale du défen-
deur est susceptible d’être engagée, à un titre ou à un autre, en liaison
avec les massacres commis dans la région de Srebrenica à la période
considérée, lesquels, pour les raisons qui ont été exposées, sont constitu-
tifs du crime de génocide au sens de la Convention. A cette fin, la Cour
pourra être appelée à examiner successivement les trois questions sui-
vantes. En premier lieu, il convient de se demander si les actes de géno-
cide commis pourraient être attribués au défendeur en application des
règles du droit international coutumier de la responsabilité internationale
des Etats; cela revient à se demander si ces actes ont été commis par des
personnes ou des organes dont le comportement est attribuable, dans le cas
160 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 200
particulier des événements de Srebrenica, à l’Etat défendeur. En deuxième
lieu, la Cour devra rechercher si des actes de la nature de ceux qui sont
mentionnés à l’article III de la Convention, autres que le génocide lui-
même, ont été commis par des personnes ou des organes dont le compor-
tement est attribuable à l’Etat défendeur, selon ces mêmes règles du droit
de la responsabilité internationale. Il s’agit des actes visés aux litt. b) à e)
de l’article III, parmi lesquels figure la complicité de génocide. Enfin, il y
aura lieu pour la Cour de se prononcer sur la question de savoir si l’Etat
défendeur a respecté sa double obligation de prévenir et de punir le géno-
cide, découlant de l’article premier de la Convention.
380. Ces trois questions doivent être abordées dans l’ordre qui vient
d’être indiqué, en raison des liens qui existent entre elles, et qui sont tels
que la réponse donnée à l’une d’elles peut avoir un effet sur la pertinence
ou sur la portée des autres. Ainsi, si et dans la mesure où l’examen de la
première question conduit à la conclusion que certains actes de génocide
sont attribuables à l’Etat défendeur, il serait superflu de rechercher si,
pour les mêmes faits, la responsabilité de ce dernier serait susceptible
d’être engagée aussi au titre des litt. b) à e) de l’article III de la Conven-
tion. Même s’il n’est pas théoriquement impossible que puissent être
attribués à un même Etat, au regard des mêmes faits, à la fois l’acte de
génocide (visé au litt. a) de l’article III) et des actes d’entente en vue de
commettre le génocide (art. III, litt. b)) ou d’incitation directe et
publique à commettre le génocide (art. III, litt. c)), il ne serait guère utile,
si les conditions d’attribution sont remplies au regard du litt. a), d’établir
judiciairement qu’elles le sont aussi au regard des litt. b))e t c)), la
responsabilité au titre du litt. a) absorbant les deux autres. Quant à l’éven-
tualité de retenir cumulativement, à l’égard d’un même Etat et pour les
mêmes faits, une responsabilité découlant de l’attribution à cet Etat d’actes
qualifiés de «génocide» (art. III, litt. a)), de «tentative de génocide»
(art. III, litt. d)) et de «complicité dans le génocide» (art. III, litt. e)),
elle est exclue parce que logiquement et juridiquement impossible.
381. En revanche, il n’est pas douteux que, si la Cour devait estimer
que l’Etat défendeur ne saurait se voir attribuer des actes constitutifs de
génocide au sens de l’article II et du litt. a) de l’article III de la Conven-
tion, elle ne serait pas dispensée pour autant de rechercher si la respon-
sabilité du défendeur n’est pas susceptible d’être engagée néanmoins sur
le fondement de l’attribution audit défendeur des actes, ou de certains des
actes, visés aux litt. b) à e) de l’article III. En particulier, il est clair que
des actes de complicité dans le génocide pourraient être attribués à un
Etat auquel pourtant aucun acte de génocide ne serait attribuable selon
les règles de la responsabilité internationale des Etats, sur le contenu des-
quelles on reviendra un peu plus loin.
382. En outre, la question de savoir si le défendeur a correctement exé-
cuté ses obligations de prévention et de punition du génocide ne se pose
pas dans les mêmes termes selon le sens des réponses données aux deux
questions précédentes. C’est seulement si la Cour répond par la négative
aux deux premières questions qu’elle devra se demander si le défendeur a,
161 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 201
pour l’ensemble des faits constitutifs de génocide, satisfait à son obliga-
tion de prévention. Si en effet un Etat est reconnu responsable d’un acte
de génocide (en raison de ce que cet acte a été commis par une personne
ou un organe dont le comportement lui est attribuable), ou de l’un des
autres actes visés à l’article III de la Convention (pour la même raison), la
question de savoir s’il a respecté son obligation de prévention au regard
des mêmes faits se trouve dépourvue d’objet, car un Etat ne saurait, par
construction logique, avoir satisfait à l’obligation de prévenir un géno-
cide auquel il aurait activement participé. En revanche, il va sans dire, et
les Parties n’en disconviennent pas, que l’absence de responsabilité d’un
Etat à raison de l’un quelconque des actes mentionnés aux litt. a) à e) de
l’article III de la Convention n’implique en rien que sa responsabilité ne
puisse pas être recherchée sur le fondement de la violation de l’obligation
de prévention du génocide et des autres actes visés à l’article III.
383. Enfin, il convient de préciser que si, comme il vient d’être dit, la
responsabilité d’un Etat à raison de l’un des actes susvisés prive d’objet la
question de savoir si, pour les mêmes faits, cet Etat a satisfait à son obli-
gation de prévention, elle ne rend pas pour autant nécessairement super-
flue la question de savoir s’il a satisfait à son obligation de punition à
l’égard des auteurs des faits en question. Il est en effet parfaitement pos-
sible que la responsabilité internationale d’un Etat soit engagée à la fois à
raison d’un acte de génocide (ou de complicité dans le génocide, d’incita-
tion à commettre le génocide ou de l’un quelconque des autres actes énu-
mérés à l’article III) commis par une personne ou un organe dont le
comportement lui est attribuable, et à raison de la violation par cet Etat
de son obligation de punir l’auteur dudit acte: il s’agirait là de deux faits
internationalement illicites distincts attribuables à cet Etat, susceptibles
d’être retenus cumulativement à sa charge comme fondements de sa res-
ponsabilité internationale.
384. Les liens existant entre les trois questions énoncées plus haut
(paragraphe 379) ayant été ainsi précisés, il convient à présent pour la
Cour d’examiner la première d’entre elles. Il s’agit de savoir si sont attri-
buables à l’Etat défendeur, en tout ou en partie, les massacres commis à
Srebrenica au cours de la période considérée, constitutifs du crime de
génocide au sens de l’article II et du litt. a) de l’article III de la Conven-
tion. Cette question, en vérité, se décompose en deux volets que la Cour
doit considérer successivement. Il y a lieu, d’abord, de se demander si les
actes commis à Srebrenica l’ont été par des organes de l’Etat défendeur,
c’est-à-dire par des personnes ou entités dont le comportement est néces-
sairement attribuable à ce dernier, parce qu’elles sont les instruments
mêmes de son action. Il y aura lieu ensuite, en cas de réponse négative à
la question précédente, de se demander si les actes en cause ont été com-
mis par des personnes qui, bien que ne constituant pas des organes de
l’Etat défendeur, ont agi cependant sur les instructions ou les directives
ou sous le contrôle de ce dernier.
**
162 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 202
3) La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au défendeur
à raison du comportement de ses organes
385. La première de ces deux questions renvoie à la règle bien établie,
et qui constitue l’une des pierres angulaires du droit de la responsabilité
internationale, selon laquelle le comportement de tout organe de l’Etat
est considéré comme un fait de l’Etat selon le droit international, et
engage par suite la responsabilité dudit Etat s’il constitue une violation
d’une obligation internationale qui s’impose à ce dernier. Cette règle, qui
relève du droit international coutumier, est énoncée à l’article 4 de la CDI
sur la responsabilité de l’Etat dans les termes suivants:
«Article 4
Comportement des organes de l’Etat
1. Le comportement de tout organe de l’Etat est considéré comme
un fait de l’Etat d’après le droit international, que cet organe exerce
des fonctions législative, exécutive, judiciaire ou autres, quelle que
soit la position qu’il occupe dans l’organisation de l’Etat, et quelle
que soit sa nature en tant qu’organe du gouvernement central ou
d’une collectivité territoriale de l’Etat.
2. Un organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut
d’après le droit interne de l’Etat.»
386. L’application de cette règle au cas d’espèce conduit à se demander
d’abord si les actes constitutifs de génocide commis à Srebrenica l’ont été
par des «personnes ou entités» ayant le caractère d’organes de la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie (selon le nom du défendeur à l’époque des
faits) en vertu du droit interne, tel qu’il était alors en vigueur, de cet Etat.
Force est de constater qu’aucun élément ne permet de répondre affirma-
tivement à cette question. Il n’a pas été établi que l’armée de la RFY ait
participé aux massacres, ni que les dirigeants politiques de cet Etat aient
participé à la préparation, à la planification ou, à quelque titre que ce soit,
à l’exécution de ces massacres. Il existe, certes, de nombreuses preuves
d’une participation, directe ou indirecte, de l’armée officielle de la RFY,
conjointement avec les forces armées des Serbes de Bosnie, à des opéra-
tions militaires en Bosnie-Herzégovine au cours des années précédant les
événements de Srebrenica. Cette participation a été à plusieurs reprises
dénoncée par les organes politiques des Nations Unies qui ont demandé à
la RFY d’y mettre fin (voir, par exemple, les résolutions du Conseil de
sécurité 752 (1992), 757 (1992), 762 (1992), 819 (1993), 838 (1993)). Mais il
n’est pas établi qu’une telle participation ait eu lieu dans le cadre des mas-
sacres commis à Srebrenica (voir aussi plus haut paragraphes 278 à 297).
Par ailleurs, ni la Republika Srpska ni la VRS ne constituaient des
organes de jure de la RFY, en ce sens qu’ils ne possédaient pas, en vertu
du droit interne de cet Etat, le statut d’organes de celui-ci.
387. Le demandeur a cependant affirmé que tous les officiers de la
VRS, y compris le général Mladic ´, avaient continué de relever de l’admi-
nistration militaire de la RFY, et que, jusqu’en 2002, leur solde leur avait
163 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 203
été versée par Belgrade; il soutient en conséquence que ces officiers
étaient des «organes de jure de [la RFY] ... destinés par la hiérarchie à
servir en Bosnie-Herzégovine, auprès de la VRS». Sur ce fondement, il a
également été avancé par le demandeur que, en sus de leur service dans
les rangs de la VRS, ces officiers continuaient de servir dans ceux de la VJ
et étaient donc des organes de jure du défendeur (paragraphe 238 ci-des-
e
sus). Le défendeur affirme toutefois que le 30 centre du personnel à Bel-
grade ne s’occupait «sur le plan administratif» que de certains officiers de
la VRS — ainsi les questions telles que celles de leurs soldes, de leurs pro-
motions et de leurs pensions étaient-elles traitées depuis la RFY (para-
graphe 238 ci-dessus) —, et qu’il n’a pas été établi avec certitude que le
général Mladic ´ ait été l’un d’entre eux. Le demandeur a montré que la
promotion de Mladic ´, le 24 juin 1994, au grade de général de corps
d’armée avait été traitée à Belgrade; pour le défendeur, néanmoins, cette
procédure n’était qu’une simple confirmation, à des fins administratives,
d’une promotion décidée par les autorités de la Republika Srpska.
388. La Cour relève tout d’abord qu’aucune preuve n’a été apportée
démontrant que le général Mladic ´ ou l’un quelconque des autres officiers
qui relevaient du 30 centre du personnel étaient, au regard du droit
interne du défendeur, des officiers de l’armée du défendeur — un organe
de jure de celui-ci. Il n’a pas non plus été établi de manière concluante
que le général Mladic ´ ait été l’un des officiers concernés; quand bien
même cela aurait-il été le cas, la Cour ne pense pas que le général Mladic ´
aurait dû pour autant être considéré comme ayant constitué un organe de
la RFY aux fins de l’application des règles relatives à la responsabilité de
l’Etat. Il ne fait aucun doute que la RFY fournissait un soutien considé-
rable, notamment financier, à la Republika Srpska (cf. paragraphe 241
ci-dessus) et que le versement de soldes et autres prestations à certains
officiers de la VRS constitua l’une des formes de ce soutien, mais cela ne
faisait pas pour autant automatiquement de ces officiers des organes de la
RFY. Ces officiers étaient nommés à leur commandement par le prési-
dent de la Republika Srpska et étaient soumis à l’autorité politique de
celle-ci. En l’absence de preuve du contraire, ces officiers doivent être
considérés comme ayant reçu leurs ordres de la Republika Srpska, ou de
la VRS, et non de la RFY. L’expression «organe de l’Etat», au sens du
droit international coutumier et de l’article 4 des articles de la CDI,
s’applique à toutes les personnes ou entités qui entrent dans l’organisa-
tion de l’Etat et qui agissent en son nom (cf. le commentaire de la CDI
relatif à l’article 4, par. 1). C’est cependant au nom des autorités serbes de
Bosnie — et en particulier de la Republika Srpska —, et non de la RFY,
que les officiers de la VRS, y compris le général Mladic ´, étaient, dans
l’exercice de leurs fonctions, appelés à agir. Ils exerçaient certaines pré-
rogatives de puissance publique de la Republika Srpska. La situation
particulière du général Mladic ´, ou de tout autre officier de la VRS pré-
sent à Srebrenica et qui aurait pu relever «sur le plan administratif» de
Belgrade, n’est donc pas de nature à conduire la Cour à modifier la
conclusion à laquelle elle est parvenue au paragraphe précédent.
164 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 204
389. La question se pose également de savoir si le défendeur peut être
tenu pour responsable des actes commis par les «Scorpions» dans la
région de Srebrenica. A cet égard, la Cour se penchera sur la question de
savoir s’il a été établi que les «Scorpions» étaient un organe de jure du
défendeur. Les Parties sont divisées sur la question du moment où les
«Scorpions» ont été intégrés aux forces du défendeur. Le demandeur
affirme que cette intégration résulte d’un décret de 1991 (lequel n’a pas
été produit en tant qu’annexe). Le défendeur avance que «ces règlements
n’[avaient] de pertinence que pour la guerre de Croatie en 1991» et qu’il
n’a été fourni aucun élément prouvant qu’ils étaient encore en vigueur
en 1992 en Bosnie-Herzégovine. La Cour fait observer que, même si
l’Etat unitaire de Yougoslavie était à l’époque en voie de désintégration,
c’est le statut des «Scorpions» à la mi-1995 qui est pertinent aux fins de
la présente espèce. Dans deux des documents interceptés soumis par le
demandeur (documents dont l’authenticité a été mise en doute — voir
paragraphe 289 ci-dessus), les «Scorpions» sont présentés comme rele-
vant du «MUP de Serbie» et comme étant une «unité ... du ministère
serbe de l’intérieur». Le défendeur a désigné les auteurs de ces commu-
nications, Ljubiša Borovc ˇanin et Savo Cvjetinovic ´, comme étant «de
hauts responsables des forces de police de la Republika Srpska». La
Cour relève qu’aucune de ces communications n’était adressée à Bel-
grade. Au vu de ces éléments, elle n’est pas en mesure de conclure que les
«Scorpions» étaient, à la mi-1995, des organes de jure du défendeur. De
plus, la Cour relève qu’en tout état de cause les actes d’un organe mis par
un Etat à la disposition d’une autre autorité publique ne peuvent être
considérés comme des actes de l’Etat en question si cet organe agit pour
le compte de l’autorité publique à la disposition de laquelle il se trouve.
390. Mais l’Etat demandeur développe son argumentation au-delà du
seul examen du statut des personnes ayant commis les actes de génocide
en cause selon le droit interne du défendeur; il prétend, en outre, que la
Republika Srpska et la VRS, ainsi que les milices paramilitaires connues
sous les noms de «Scorpions», «Bérets rouges», «Tigres» et «Aigles
blancs», doivent être considérées, en dépit de leur statut apparent, comme
ayant été, notamment à l’époque considérée, des «organes de fait» de la
RFY, de telle sorte que l’ensemble de leurs actes, et notamment les mas-
sacres de Srebrenica, devraient être regardés comme attribuables à la
RFY, tout comme s’il s’agissait d’organes de cet Etat selon le droit
interne de celui-ci, la réalité devant l’emporter sur l’apparence. Le défen-
deur rejette cette thèse et soutient que les entités en question n’étaient pas
des organes de fait de la RFY.
391. La première question que soulève une telle argumentation est de
savoir si un Etat peut, en principe, se voir attribuer les comportements de
personnes — ou de groupes de personnes — qui, sans avoir le statut légal
d’organes de cet Etat, agissent en fait sous un contrôle tellement étroit de
ce dernier qu’ils devraient être assimilés à des organes de celui-ci aux fins
de l’attribution nécessaire à l’engagement de la responsabilité de l’Etat
pour fait internationalement illicite. En vérité, la Cour a déjà abordé cette
165 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 205
question, et lui a donné une réponse de principe, dans son arrêt du
27 juin 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 62-64). Au paragraphe 109 de cet arrêt, la
Cour a indiqué qu’il lui appartenait de
«déterminer si les liens entre les contras et le Gouvernement des
Etats-Unis étaient à tel point marqués par la dépendance d’une part
et l’autorité de l’autre qu’il serait juridiquement fondé d’assimiler les
contras à un organe du Gouvernement des Etats-Unis ou de les
considérer comme agissant au nom de ce gouvernement» (p. 62).
Puis, examinant les faits à la lumière des informations dont elle disposait,
la Cour a relevé qu’«il n’[était] pas clairement établi que [les Etats-Unis]
exer[çai]ent en fait sur les contras dans toutes leurs activités une autorité
telle qu’on [pût] considérer les contras comme agissant en leur nom»
(par. 109), avant de conclure que «les éléments dont [elle] dispos[ait] ... ne
suffis[ai]ent pas à démontrer [la] totale dépendance [des contras] par rap-
port à l’aide des Etats-Unis», si bien qu’«il lui [était] ... impossible d’assi-
miler, juridiquement parlant, la force contra aux forces des Etats-Unis»
(p. 63, par. 110).
392. Il résulte des passages précités que, selon la jurisprudence de la
Cour, une personne, un groupe de personnes ou une entité quelconque
peuvent être assimilés — aux fins de la mise en Œuvre de la responsabilité
internationale — à un organe de l’Etat même si une telle qualification ne
résulte pas du droit interne, lorsque cette personne, ce groupe ou cette
entité agit en fait sous la «totale dépendance» de l’Etat, dont il n’est, en
somme, qu’un simple instrument. En pareil cas, il convient d’aller au-delà
du seul statut juridique, pour appréhender la réalité des rapports entre la
personne qui agit et l’Etat auquel elle se rattache si étroitement qu’elle en
apparaît comme le simple agent: toute autre solution permettrait aux
Etats d’échapper à leur responsabilité internationale en choisissant d’agir
par le truchement de personnes ou d’entités dont l’autonomie à leur
égard serait une pure fiction.
393. Cependant, une telle assimilation aux organes de l’Etat de per-
sonnes ou d’entités auxquelles le droit interne ne confère pas ce statut ne
peut que rester exceptionnelle; elle suppose, en effet, que soit établi un
degré particulièrement élevé de contrôle de l’Etat sur les personnes ou
entités en cause, que l’arrêt précité de la Cour a caractérisé précisément
comme une «totale dépendance». Il reste à rechercher si, en la présente
affaire, les personnes ou entités qui ont commis les actes de génocide de
Srebrenica possédaient, avec la RFY, à la date des faits, des liens tels
qu’on puisse les regarder comme ayant été placées sous la totale dépen-
dance de cet Etat: c’est à cette condition seulement qu’on pourrait les
assimiler à des organes du défendeur aux fins de la mise en Œuvre de la
responsabilité internationale de ce dernier.
394. A cette question, la Cour ne peut répondre que par la négative. A
la date pertinente, c’est-à-dire en juillet 1995, ni la Republika Srpska ni la
166 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 206
VRS ne pouvaient être regardées comme de simples instruments d’action
de la RFY, dépourvus de réelle autonomie. Certes, au cours des années
précédentes, les liens politiques, militaires et logistiques entre les autorités
fédérales de Belgrade et celles de Pale, entre l’armée yougoslave et la
VRS, avaient été puissants et étroits (voir plus haut le paragraphe 238) et
ces liens étaient sans nul doute demeurés forts. Mais ils n’étaient pas tels,
en tout cas à la période considérée, que les structures politiques et mili-
taires des Serbes de Bosnie dussent être assimilées à des organes de la
RFY. Il est même apparu, à cette époque, des divergences entre les res-
ponsables yougoslaves et les dirigeants des Serbes de Bosnie quant à cer-
tains choix stratégiques qui témoignaient, à tout le moins, d’une relative,
mais réelle, marge d’autonomie de la part de ceux-ci. De même, le très
important appui accordé par le défendeur à la Republika Srpska, appui
sans lequel celle-ci n’aurait pu «mener ses activités militaires et parami-
litaires les plus cruciales ou les plus significatives» (C.I.J. Recueil 1986,
p. 63, par. 111), n’impliquait pas une totale dépendance de la Republika
Srpska à l’égard du défendeur.
395. La Cour en vient maintenant à la question de savoir si les «Scor-
pions» agissaient en fait dans une situation de totale dépendance vis-à-vis
du défendeur. Aucun élément l’indiquant n’a été présenté à la Cour. Celle-ci
relève également que lorsqu’il a été demandé au général Dannatt, lors de
son audition, sous le contrôle et l’autorité de qui les groupes paramilitaires
venant de Serbie opéraient, celui-ci a répondu qu’ils «devaient avoir été
sous le commandement de Mladic ´ et avoir fait partie de la chaîne de com-
mandement de la VRS». Les Parties ont renvoyé la Cour à l’affairS etaniši´
et Simatovic´ (IT-03-69, affaire pendante). Bien que les défendeurs ne soient
pas accusés de génocide en ladite affaire, celle-ci pourrait se révéler perti-
nente aux fins de préciser le statut des «Scorpions» en tant qu’éventuels
agents du MUP de Serbie. La Cour ne peut cependant tirer d’autres conclu-
sions dans la mesure où cette affaire n’en est qu’au stade de l’accusation. A
cet égard, la Cour rappelle qu’elle ne peut former son opinion que sur la
base des informations qui ont été portées à sa connaissance au moment où
elle statue, et qui résultent des écritures et de leurs annexes, ainsi que des
plaidoiries présentées par les Parties lors de la procédure orale.
La Cour conclut donc que les actes de génocide commis à Srebrenica
ne peuvent être attribués au défendeur en tant qu’ils auraient été le fait de
ses organes ou de personnes ou entités totalement dépendantes de lui, et
que, partant, ces actes n’engagent pas, sur ce fondement, sa responsabi-
lité internationale.
**
4) La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au défendeur
à raison de ses instructions ou de son contrôle
396. La Cour doit à présent se demander, ainsi qu’il a été annoncé plus
haut (paragraphe 384), si les massacres de Srebrenica ont été commis par
167 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 207
des personnes qui, bien que n’ayant pas la qualité d’organes de l’Etat
défendeur, agissaient sur les instructions ou les directives ou sous le
contrôle de celui-ci. C’est ce que soutient le demandeur à titre subsidiaire;
le défendeur nie qu’il en ait été ainsi.
397. La Cour croit devoir insister, à ce stade de son raisonnement, sur
le fait que la question qui vient d’être énoncée ne se confond aucunement
avec celles qui ont été examinées jusqu’à présent. Elle ne se confond pas,
cela va de soi, avec celle de savoir si les personnes ayant commis les actes
de génocide avaient la qualité d’organes de l’Etat défendeur selon le droit
interne de ce dernier. Mais elle ne se confond pas non plus, malgré cer-
taines apparences, avec celle de savoir si ces personnes devaient être assi-
milées en fait à des organes de l’Etat, même si elles n’avaient pas un tel
statut selon le droit interne de celui-ci. La réponse à cette dernière ques-
tion dépend, comme il a été expliqué, de celle de savoir si ces personnes
étaient placées à l’égard de l’Etat dans une relation de totale dépendance,
au point qu’elles ne pourraient qu’être assimilées à des organes de ce der-
nier, dont l’ensemble des actes accomplis en cette qualité seraient attri-
buables à l’Etat aux fins de la responsabilité internationale. Ayant
répondu par la négative, la Cour en vient à présent à une question d’une
tout autre nature: celle de savoir si, dans les circonstances particulières
des événements de Srebrenica, les auteurs des actes de génocide ont agi
selon les instructions ou sous la direction ou le contrôle du défendeur. Si
la réponse à cette question se trouvait être affirmative, il n’en résulterait
nullement que les auteurs des actes en cause devraient être qualifiés
d’organes de la RFY, ou assimilés à de tels organes. Il en résulterait seu-
lement que la responsabilité internationale de la RFY serait engagée à
raison du comportement de ceux de ses propres organes qui ont donné les
instructions ou exercé le contrôle ayant entraîné la commission d’actes
contraires à ses obligations internationales. En d’autres termes, il n’est
plus question à présent de rechercher si les personnes ayant directement
commis le génocide agissaient en tant qu’organes de la RFY, ou pour-
raient être assimilées à de tels organes — question à laquelle il a déjà été
répondu par la négative. Il s’agit de se demander si des organes de la
RFY — ayant sans conteste cette qualité selon le droit interne de cet
Etat — ont pu être à l’origine du génocide en donnant des instructions
aux auteurs de celui-ci ou en exerçant une direction ou un contrôle et si,
par conséquent, le comportement des organes du défendeur, en étant la
cause de la commission d’actes contraires à ses obligations internatio-
nales, a constitué une violation de celles-ci.
398. A cet égard, la règle pertinente, qui appartient au droit coutumier
de la responsabilité internationale, est énoncée à l’article 8 des articles de
la CDI sur la responsabilité de l’Etat dans les termes suivants:
«Article 8
Comportement sous la direction ou le contrôle de l’Etat
Le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est
considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international si
168 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 208
cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce compor-
tement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le
contrôle de cet Etat.»
399. La disposition doit se comprendre à la lumière de la jurispru-
dence de la Cour sur ce point, et en particulier de l’arrêt de 1986 en
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) , cité ci-dessus (para-
graphe 391). Dans cet arrêt, après avoir, ainsi qu’il a été dit plus haut, écar-
té la thèse selon laquelle lescontras étaient assimilables à des organes des
Etats-Unis parce qu’ils auraient été placés sous la «totale dépendance»
de ceux-ci, la Cour a ajouté que la responsabilité du défendeur pourrait
cependant être engagée s’il était prouvé qu’il avait lui-même «ordonné ou
imposé la perpétration des actes contraires aux droits de l’homme et au
droit humanitaire allégués par l’Etat demandeur» (C.I.J. Recueil 1986,
p. 64, par. 115), ce qui l’a conduite à l’importante conclusion suivante:
«Pour que la responsabilité juridique de ces derniers [les Etats-
Unis] soit engagée, il devrait en principe être établi qu’ils avaient le
contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires [menées
par les contras] au cours desquelles les violations en question se
seraient produites.» (Ibid., p. 65.)
400. Le critère ainsi défini se distingue de celui — exposé plus haut —
qui permet d’assimiler à un organe d’un Etat une personne ou une entité
à laquelle le droit interne ne confère pas ce statut. D’une part, il n’est plus
nécessaire ici de démontrer que les personnes ayant accompli les actes
prétendument contraires au droit international étaient en général placées
sous la «totale dépendance» de l’Etat défendeur; il convient de prouver
que ces personnes ont agi selon les instructions ou sous le «contrôle effec-
tif» de ce dernier. Mais, d’autre part, il est nécessaire de démontrer que ce
«contrôle effectif» s’exerçait, ou que ces instructions ont été données, à
l’occasion de chacune des opérations au cours desquelles les violations
alléguées se seraient produites, et non pas en général, à l’égard de
l’ensemble des actions menées par les personnes ou groupes de personnes
ayant commis lesdites violations.
401. Le demandeur, il est vrai, a fait valoir que le crime de génocide,
lequel peut être constitué par un grand nombre d’actes isolés plus ou
moins séparés dans le temps et dans l’espace, est d’une nature particu-
lière. Celle-ci, argue-t-il, justifierait, entre autres conséquences, que le
«contrôle effectif» de l’Etat dont la responsabilité est recherchée soit
apprécié non point au regard de chacun de ces actes particuliers, mais au
regard de l’ensemble des opérations conduites par les auteurs directs du
génocide. De l’avis de la Cour, cependant, aucune particularité du géno-
cide ne justifie qu’elle s’écarte du critère dégagé dans l’arrêt rendu en
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (voir paragraphe 399 ci-
dessus). En l’absence d’une lex specialis expresse, les règles relatives à
169 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 209
l’attribution d’un comportement internationalement illicite à un Etat
sont indépendantes de la nature de l’acte illicite en question. Le génocide
sera regardé comme attribuable à l’Etat si et dans la mesure où les actes
matériels, constitutifs du génocide, commis par des organes ou des per-
sonnes autres que ses propres agents l’ont été, en tout ou en partie, selon
les instructions ou sous la direction ou le contrôle effectif de cet Etat.
Ainsi se présente aujourd’hui le droit international coutumier en la
matière, tel que reflété par les articles de la CDI sur la responsabilité de
l’Etat.
402. La Cour note toutefois que le demandeur a également contesté le
bien-fondé de l’application au cas d’espèce du critère adopté dans l’arrêt
relatif aux Activités militaires et paramilitaires et appelé l’attention sur
l’arrêt rendu le 15 juillet 1999 par la chambre d’appel du TPIY en
l’affaire Tadi´ (IT-94-1-A, arrêt du 15 juillet 1999). Dans cette dernière,
la chambre s’est écartée de la jurisprudence de la Cour en l’affaire des
Activités militaires et paramilitaires : elle a jugé que le critère adéquat,
pertinent selon elle à la fois pour qualifier le conflit armé en Bosnie-
Herzégovine d’international et pour attribuer à la RFY les actes commis
par les Serbes de Bosnie au regard du droit de la responsabilité interna-
tionale, était celui du «contrôle global» exercé sur ceux-ci par celle-là, cri-
tère qu’elle a jugé satisfait en l’espèce (sur ce point, voiribid., par. 145).
En d’autres termes, la chambre d’appel a été d’avis que la responsabilité
internationale de la RFY pourrait être engagée à raison des actes commis
par les Serbes de Bosnie, sur le fondement du contrôle global exercé par
elle sur la Republika Srpska et la VRS, sans qu’il soit nécessaire de prou-
ver que chaque opération au cours de laquelle auraient été commis des
actes contraires au droit international a été menée sur les instructions ou
sous le contrôle effectif de la RFY.
403. La Cour, bien qu’ayant attentivement examiné les arguments
développés par la chambre d’appel au soutien de la conclusion qui pré-
cède, n’est pas en mesure d’adhérer à cette doctrine. Tout d’abord, elle
observe que le TPIY n’était pas appelé dans l’affaire Tadic ´, et qu’il n’est
pas appelé en règle générale, à se prononcer sur des questions de respon-
sabilité internationale des Etats, sa juridiction étant de nature pénale et
ne s’exerçant qu’à l’égard des individus. Le Tribunal s’est donc, dans
l’arrêt précité, intéressé à une question dont l’examen n’était pas néces-
saire pour l’exercice de sa juridiction. Ainsi qu’il a été dit plus haut, la
Cour attache la plus haute importance aux constatations de fait et aux
qualifications juridiques auxquelles procède le TPIY afin de statuer sur la
responsabilité pénale des accusés qui lui sont déférés et, dans la présente
affaire, tient le plus grand compte des jugements et arrêts du TPIY se
rapportant aux événements qui forment la trame du différend. La situa-
tion n’est pas la même en ce qui concerne les positions adoptées par le
TPIY sur des questions de droit international général qui n’entrent pas
dans son domaine spécifique de compétence, et dont la résolution n’est
d’ailleurs pas toujours nécessaire au jugement des affaires pénales qui lui
sont soumises.
170 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 210
404. Tel est le cas de la doctrine énoncée dans l’arrêt Tadic ´ précité.
Pour autant que le critère du «contrôle global» soit utilisé aux fins de
déterminer si un conflit armé présente ou non un caractère international,
ce qui était la seule question que la chambre d’appel avait à résoudre, il
se peut parfaitement qu’il soit pertinent et adéquat: la Cour ne croit
cependant pas opportun de prendre parti sur ce point dans la présente
affaire, puisqu’elle n’est pas dans la nécessité de le trancher pour les
besoins du présent arrêt. En revanche, le critère du «contrôle global» a
été présenté par le TPIY comme ayant aussi vocation à s’appliquer dans
le droit de la responsabilité internationale aux fins de déterminer — ce
que la Cour est tenue de faire en l’espèce — dans quels cas un Etat est
responsable des actes commis par des unités paramilitaires, forces armées
ne faisant pas partie de ses organes officiels. A cet égard, il n’emporte pas
la conviction.
405. Il convient d’abord d’observer qu’aucune nécessité logique ne
conduit à adopter forcément le même critère pour résoudre les deux
questions sus-énoncées, qui sont d’une nature très différente: le degré
et la nature de l’implication d’un Etat dans un conflit armé se déroulant
sur le territoire d’un autre Etat, exigé pour que ledit conflit soit qualifié
d’international, pourraient fort bien, sans contradiction logique, être
différents de ceux qui sont exigés pour que la responsabilité de cet Etat
soit engagée à raison de tel acte particulier commis au cours du conflit
en cause.
406. Il faut ensuite remarquer que le critère du «contrôle global» pré-
sente le défaut majeur d’étendre le champ de la responsabilité des Etats
bien au-delà du principe fondamental qui gouverne le droit de la respon-
sabilité internationale, à savoir qu’un Etat n’est responsable que de son
propre comportement, c’est-à-dire de celui des personnes qui, à quelque
titre que ce soit, agissent en son nom. Tel est le cas des actes accomplis
par ses organes officiels, et aussi par des personnes ou entités qui, bien
que le droit interne de l’Etat ne les reconnaisse pas formellement comme
tels, doivent être assimilés à des organes de l’Etat parce qu’ils se trouvent
placés sous sa dépendance totale. En dehors de ces cas, les actes commis
par des personnes ou groupes de personnes — qui ne sont ni des organes
de l’Etat ni assimilables à de tels organes — ne peuvent engager la res-
ponsabilité de l’Etat que si ces actes, à supposer qu’ils soient internatio-
nalement illicites, lui sont attribuables en vertu de la norme de droit
international coutumier reflétée dans l’article 8 précité (paragraphe 398).
Tel est le cas lorsqu’un organe de l’Etat a fourni les instructions, ou
donné les directives, sur la base desquelles les auteurs de l’acte illicite ont
agi ou lorsqu’il a exercé un contrôle effectif sur l’action au cours de
laquelle l’illicéité a été commise. A cet égard, le critère du «contrôle glo-
bal» est inadapté, car il distend trop, jusqu’à le rompre presque, le lien
qui doit exister entre le comportement des organes de l’Etat et la respon-
sabilité internationale de ce dernier.
407. C’est donc à la lumière de sa jurisprudence établie que la Cour
recherchera si le défendeur a engagé sa responsabilité au titre de la règle
171 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 211
de droit international coutumier énoncée à l’article 8 des articles de la
CDI sur la responsabilité de l’Etat.
*
408. Le défendeur a souligné qu’aucune des décisions définitives ren-
dues par les chambres du TPIY en relation avec le génocide de Srebrenica
n’avait conclu à l’implication d’aucun de ses dirigeants. Sans contester
cette affirmation, le demandeur relève que le TPIY n’a pas été saisi de
cette question. La Cour observe que le TPIY ne s’est en effet pas,
jusqu’ici, directement prononcé, dans des décisions définitives, sur la
question de savoir si ces dirigeants pourraient encourir une responsabilité
de ce chef. La Cour note que le rapport du Secrétaire général de l’Orga-
nisation des Nations Unies ne conclut pas à une implication directe du
président Miloševic ´ dans le massacre. La Cour a déjà mentionné les
contacts que ce dernier avait eus avec l’Organisation des Nations Unies
les 10 et 11 juillet (paragraphe 285). Le 14 juillet, selon le rapport du
Secrétaire général,
«le négociateur de l’Union européenne, M. Bildt, s’est rendu à Bel-
grade pour rencontrer le président Miloševic ´. Les entretiens ont eu
lieu à Dobanovci, le pavillon de chasse dans les environs de Belgrade
où M. Bildt avait rencontré le président Miloševic´ et le général Mla-
di´ une semaine auparavant. Selon le compte rendu qu’il a publié de
cette deuxième rencontre, M. Bildt a demandé instamment au prési-
dent Miloševic´ de donner immédiatement au Haut Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés la possibilité de venir en aide à la
population de Srebrenica et au Comité international de la Croix-
Rouge la possibilité de commencer à enregistrer ceux qui étaient
traités par l’armée des Serbes de Bosnie comme des prisonniers de
guerre. Il a insisté aussi pour que les soldats néerlandais soient auto-
risés à partir quand ils le voudraient. Il a ajouté que la communauté
internationale ne tolérerait pas que Goražde soit attaquée et que le
«feu vert» devrait être donné pour que l’accès aux enclaves soit libre
et sans entrave. Il a demandé en outre que la route de Kiseljak à
Sarajevo («route Swan») soit ouverte à tous les transports non mili-
taires. Le président Miloševic ´ a semblé accéder à toutes ces de-
mandes, mais a aussi fait valoir qu’il n’était pas maître de la situa-
tion. Il aurait aussi expliqué, au début de la réunion, que toute l’af-
faire avait été provoquée par l’escalade des offensives lancées par les
[M]usulmans à partir de l’enclave, en violation de l’accord de
démilitarisation de 1993.
Quelques heures après le début de l’entretien, le général Mladic´ est
arrivé à Dobanovci. M. Bildt a noté que le général Mladic ´ accédait
de bonne grâce à la plupart des demandes concernant Srebrenica,
mais qu’il rejetait certaines des dispositions concernant les autres
enclaves, en particulier Sarajevo. Finalement, après l’intervention du
président Miloševic´, un accord de principe a, semble-t-il, été conclu.
172 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 212
Il a été décidé qu’une autre réunion aurait lieu le lendemain pour
confirmer les dispositions arrêtées. M. Bildt s’était déjà entendu avec
M. Stoltenberg et M. Akashi [le représentant spécial du Secrétaire
général] pour qu’ils le rejoignent à Belgrade. Il a demandé en outre
que le commandant de la FORPRONU vienne aussi à Belgrade
pour mettre au point certains détails d’ordre militaire avec le général
Mladic´.» (Nations Unies, doc. A/54/549, par. 372-373.)
409. Le 19 juillet, compte tenu de la réunion de Belgrade, M. Akashi
avait bon espoir que le président Miloševic ´ et le général Mladi´ feraient
preuve d’une certaine flexibilité. Le commandant de la FORPRONU ren-
contra Mladic ´ le 19 juillet et, tout au long de la réunion, resta en contact
avec M. Bildt, lequel menait des négociations parallèles avec le président
Miloševic´ à Belgrade. Mladic´ donna sa version des événements des jours
précédents (ses soldats avaient «achevé l’opération de façon correcte»;
quelques ««petits incidents malencontreux» avaient eu lieu»). Le com-
mandant de la FORPRONU et Mladic ´ signèrent alors un accord qui pré-
voyait ce qui suit:
«Accès, dès le lendemain, du Comité international de la Croix-
Rouge à tous les «centres de réception» où étaient détenus les
hommes et jeunes garçons de Srebrenica;
Autorisation donnée au HCR et au convoi d’aide humanitaire de
se rendre à Srebrenica;
Evacuation des blessés de Potoc ˇari, ainsi que de l’hôpital de Bra-
tunac;
Restitution des armes et du matériel du bataillon néerlandais saisis
par l’armée des Serbes de Bosnie;
Transfert du bataillon néerlandais hors de l’enclave à partir de
l’après-midi du 21 juillet, après évacuation des femmes, enfants et
personnes âgées demeurés sur place qui souhaitaient quitter les lieux.
Après la signature de cet accord, le représentant spécial du Secré-
taire général [écrivit] au président Miloševic´ en lui rappelant que
l’accord autorisant le Comité international de la Croix-Rouge à se
rendre à Srebrenica n’avait toujours pas été honoré. Un peu plus
tard, le représentant spécial du Secrétaire général [redit] par ailleurs
la même chose au téléphone au président Miloševic ´.» (Ibid., par. 392.)
410. Les Parties ont soumis à la Cour d’autres éléments de preuve ten-
dant à étayer ou au contraire à réfuter le fait que le défendeur aurait eu la
maîtrise des événements survenus à Srebrenica et dans ses environs en
juillet 1995, qu’il aurait participé à ces événements, qu’il aurait été impliqué
dans leur déroulement ou qu’il les aurait influencés. Le défendeur cite deux
rapports importants établis sept ans après les événements, qui relèvent tous
deux du domaine public et sont facilement accessibles. Le premieS r,rebre-
nica—a«Safe»Area [Srebrenica — une zone de «sécurité»], publié en 2002
par l’Institut néerlandais pour la documentation sur la guerre, est le fruit
d’un travail de longue haleine mené par une équipe d’experts. Le défendeur
173 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 213
a appelé l’attention sur le fait qu’il ne contient aucun élément indiquant que
les dirigeants de la RFY auraient été impliqués dans la planification de
l’attaque ou l’incitation au meurtre de non-Serbes, non plus que d’éléments
de preuve concrets établissant que l’armée yougoslave aurait fourni une
assistance aux forces armées de la Republika Srpska avant l’attaque, ou
indiquant que le Gouvernement de Belgrade aurait eu à l’avance connais-
sance de celle-ci. Le défendeur cite également le passage suivant tiré du
point 10 de la conclusion du rapport, point relatif aux «meurtres de masse»
et aux «exécutions» survenus après la chute de Srebrenica: «Aucun élément
n’indique qu’il existait un quelconque lien politique ou militaire avec Bel-
grade et, dans le cas de ce meurtre collectif, un tel lien est hautement impro-
bable.» Le défendeur observe en outre que, en réponse à cette affirmation, le
demandeur se contente de relever que «le rapport reconnaît lui-même qu’il
n’est pas exhaustif», et que la Cour a eu connaissance d’éléments de preuve
qui n’avaient pas été utilisés par les auteurs.
411. S’agissant de ces affirmations du défendeur, la Cour fera observer
que les auteurs du rapport concluent effectivement que Belgrade avait
connaissance de l’intention d’attaquer Srebrenica. Ils relèvent que le ren-
seignement militaire néerlandais et d’autres services de renseignement occi-
dentaux ont conclu que les opérations de juillet 1995 avaient été menées en
coordination avec Belgrade (troisième partie, chap. 7, sect. 7). Aux fins de
la présente espèce, plus important est toutefois le fait que les auteurs disent
qu’«il n’existe aucun élément de preuve qui donnerait à penser qu’il y a eu
participation du personnel militaire yougoslave ou du département de la
sécurité d’Etat (RDB) à des préparatifs en vue des exécutions. De fait, des
éléments de preuve existent qui étayent plutôt le point de vue contraire...»
(Quatrième partie, chap. 2, sect. 20.) Cela vient à l’appui du contenu du
passage tiré du point 10 de la conclusion du rapport que le défendeur a
cité, passage précédé de cette phrase: «Tout porte à croire qu’il y a eu une
décision prise directement au niveau de l’état-major de la VRS.»
412. Le second rapport, Balkan Battlegrounds, établi par la CIA et
également publié en 2002, parvient, dans son volume I intitulé «La pos-
sibilité d’une implication yougoslave», à la conclusion suivante:
«On n’a pu trouver aucune preuve qui permette de conclure à
l’implication de l’armée ou des forces de sécurité de Belgrade dans les
atrocités qui se sont déroulées après la prise de Srebrenica. S’il semble
que la VJ ou le RDB (le département de la sécurité d’Etat serbe) aient
peut-être fourni des éléments pour la bataille de Srebrenica, rien n’in-
dique en revanche que des forces dirigées par Belgrade aient été impli-
quées dans aucun des massacres qui ont eu lieu par la suite. Les témoi-
gnages de survivants restituent les événements de manière peut-être
imparfaite, et certains détails ont pu être omis. Les récits et autres élé-
ments de preuve disponibles donnent à penser que seules les forces
serbes de Bosnie ont participé aux atrocités et aux exécutions qui ont sui-
vi la conquête militaire de Srebrenica.»Ba(lkan Battlegrounds, p. 353.)
174 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 214
En réponse, le demandeur cite un passage antérieur mentionnant des
informations qui «donnent à penser» que des soldats de la VJ et, peut-
être, des éléments du département de la sécurité d’Etat serbe ont pu par-
ticiper à la bataille de Srebrenica — comme l’indique d’ailleurs la
deuxième phrase de l’extrait cité par le défendeur. Cet extrait est formulé
en termes soigneusement pesés et, fait significatif, n’indique en rien que le
défendeur aurait participé aux atrocités qui ont suivi le conflit, lesquelles
font l’objet de condamnations liées au génocide. Le conseil du défendeur
a également cité des extraits de la déposition faite au procès Miloševic ´
par le commandant adjoint du bataillon néerlandais, au cours de laquelle,
interrogé par l’accusé sur le point précité de la conclusion du rapport des
Pays-Bas, l’officier a répondu:
«Personnellement, je n’ai eu aucune preuve indiquant que l’opéra-
tion aurait été lancée en coopération avec Belgrade. Et je répète que
j’ai lu toutes sortes de rapports, d’avis, de documents dans lesquels
toutes sortes de scénarios étaient analysés, etc. Je répète que je ne
dispose d’aucune preuve indiquant que cette action, je parle de l’at-
taque sur l’enclave, aurait été lancée en coopération avec Belgrade.»
Les autres éléments de preuve sur lesquels s’appuie le demandeur
concernent l’influence, plutôt que le contrôle, exercée ou non par le pré-
sident Miloševic´ sur les autorités de Pale. Il s’agit pour l’essentiel des
dépositions faites par lord Owen et le général Wesley Clark lors du pro-
cès Miloševic´, ainsi que de publications de lord Owen. Ces éléments ne
fournissent pas une base factuelle suffisante pour établir une responsabi-
lité du défendeur à raison de ses instructions ou de son contrôle.
**
5) Conclusion quant à la responsabilité des événements de Srebrenica
au titre du litt. a) de l’article III de la convention sur le génocide
413. A la lumière des informations dont elle dispose, la Cour constate,
ainsi qu’il a été dit plus haut, qu’il n’a pas été établi que les massacres de
Srebrenica aient été commis par des personnes ou des entités ayant la
qualité d’organes du défendeur (voir plus haut paragraphe 395). Elle
constate également qu’il n’a pas été établi que ces massacres aient été
commis selon les instructions ou les directives d’organes de l’Etat défen-
deur, ni que ce dernier ait exercé un contrôle effectif sur les opérations au
cours desquelles ces massacres, qui, ainsi qu’il a été indiqué plus haut au
paragraphe 297, sont constitutifs du crime de génocide, ont été perpétrés.
Le demandeur n’a pas prouvé l’existence d’instructions émanant des
autorités fédérales de Belgrade, ou de tout autre organe de la RFY, ten-
dant à ce que les massacres soient commis, et encore moins établi que de
telles instructions aient été données avec l’intention spécifique (dolus spe-
cialis) qui caractérise le crime de génocide, ce qui serait nécessaire pour
que la responsabilité du défendeur soit retenue à ce titre. Tout semble
175 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 215
indiquer, au contraire, que la décision de tuer la population masculine
adulte de la communauté musulmane de Srebrenica a été prise par des
membres de l’état-major de la VRS, mais sans qu’il y ait eu instructions
ou contrôle effectif de la part de la RFY.
Quant aux meurtres commis par les milices paramilitaires «Scorpions»,
notamment à Trnovo (paragraphe 289 ci-dessus), même si l’on admet
qu’ils ont été un élément du génocide commis dans la région de Srebre-
nica, ce qui ne paraît pas clairement établi à la lumière des décisions ren-
dues, à ce jour, par le TPIY (voir notamment la décision de la chambre
de première instance du 12 avril 2006 dans l’affaire Stanišic´ et Simatovi´ ,
IT-03-69), il n’a pas été prouvé qu’ils aient eu lieu sur les instructions ou
sous le contrôle des organes de la RFY.
414. Enfin, la Cour constate qu’aucun des cas d’attribution à un Etat
d’un comportement déterminé, autres que ceux visés aux articles 4 et 8 de
la CDI sur la responsabilité de l’Etat, ne correspond aux circonstances de
l’espèce pour ce qui est d’une éventuelle attribution au défendeur du
génocide de Srebrenica. La Cour ne se considère pas comme tenue de
trancher à ce stade la question de savoir si les articles de la CDI sur la
responsabilité de l’Etat relatifs à l’attribution, autres que les articles 4
et 8, expriment l’état du droit international coutumier; force est en effet
de constater qu’aucun n’est applicable en la présente affaire. Les actes
constitutifs du génocide n’ont pas été commis par des personnes ou enti-
tés qui, bien que n’étant pas des organes de la RFY, auraient été habili-
tées par cet Etat à exercer des prérogatives de puissance publique (art. 5);
ils ne l’ont pas été par des organes mis à la disposition du défendeur par
un autre Etat (art. 6); ils ne l’ont pas été par des personnes exerçant en
fait des prérogatives de puissance publique du fait de l’absence ou de la
carence des autorités officielles du défendeur (art. 9); enfin, le défendeur
n’a pas reconnu et adopté comme étant le sien le comportement des
auteurs des actes de génocide (art. 11).
415. La Cour conclut de tout ce qui précède que les actes des per-
sonnes ayant commis un génocide à Srebrenica ne peuvent être attribués
au défendeur selon les règles du droit international de la responsabilité
des Etats, de telle sorte que la responsabilité internationale du défen-
deur n’est pas engagée à ce titre.
*
* *
VIII. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ ,S’AGISSANT DE S REBRENICA ,
À RAISON D ’ACTES ÉNUMÉRÉS AUX LITT .b) À e) DE L ARTICLE III
DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
416. La Cour en vient à présent à la deuxième des questions énoncées
ci-dessus au paragraphe 379, à savoir la question relative à une éventuelle
responsabilité du défendeur à raison de l’un des actes connexes au géno-
cide énumérés à l’article III de la Convention. Ces actes sont les suivants:
176 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 216
l’entente en vue de commettre le génocide (art. III, litt. b)), l’incitation
directe et publique à commettre le génocide (art. III, litt. c)), la tentative
de génocide (art. III, litt. d)) — bien qu’aucun grief ne soit formulé sous
ce chef dans les conclusions finales exposées par le demandeur en la pré-
sente espèce — et la complicité dans le génocide (art. III, litt. e)). Pour les
raisons déjà exprimées (voir plus haut, paragraphe 380), la Cour est tenue
de se prononcer sur cette question dès lors qu’elle a répondu par la néga-
tive à la question précédente, celle de la responsabilité du défendeur dans
la commission du génocide lui-même.
417. L’examen des faits de l’espèce fait ressortir que les litt. b) et c) de
l’article III sont dépourvus de pertinence dans la présente affaire. Il n’est
pas établi que des organes de la RFY, ou des personnes agissant selon les
instructions ou sous le contrôle effectif de cet Etat, auraient commis des
actes qualifiables d’«entente en vue de commettre le génocide» (art. III,
litt. b)) ou d’«incitation directe et publique à commettre le génocide»
(art. III, litt. c)), si l’on considère uniquement, comme il convient de le
faire, les événements de Srebrenica. En ce qui concerne le litt. b),cequi
a été exposé plus haut au sujet de l’attribution au défendeur des actes de
génocide, à savoir le fait que les massacres ont été commis par des per-
sonnes et groupes de personnes (notamment la VRS) n’ayant pas le
caractère d’organes du défendeur, et n’ayant pas non plus agi selon les
instructions ou sous le contrôle effectif de celui-ci, suffit à exclure sa res-
ponsabilité à cet égard. En ce qui concerne le litt. c), aucune des infor-
mations portées à la connaissance de la Cour ne permet de tenir pour
établi que des organes du défendeur, ou des personnes agissant selon ses
instructions ou sous son contrôle effectif, auraient incité directement et
publiquement à commettre le génocide de Srebrenica, pas plus, d’ailleurs,
qu’il n’est prouvé que de tels organes ou personnes auraient incité à com-
mettre des actes de génocide ailleurs sur le territoire de la Bosnie-Herzé-
govine. La Cour ne doit retenir à cet égard que des éléments de preuve
précis et incontestables, qui font manifestement défaut.
418. Plus délicate est la question de savoir s’il est possible de retenir, à
la charge des organes du défendeur ou de personnes agissant selon ses
instructions ou sous son contrôle effectif, des actes susceptibles d’être
caractérisés comme une «complicité dans le génocide», au sens du litt. e)
de l’article III.
Cette question appelle quelques observations préliminaires.
419. En premier lieu, la question de la «complicité» doit être distinguée
de celle, déjà examinée et à laquelle il a été répondu par la négative, de
savoir si les auteurs des actes de génocide commis à Srebrenica ont agi sur
les instructions ou les directives ou sous la direction ou le contrôle effectif
des organes de la RFY. Il est vrai que, dans certains systèmes nationaux
de droit pénal, le fait d’adresser des instructions ou des ordres à des per-
sonnes afin que celles-ci commettent un acte criminel est considéré comme
caractérisant la complicité dans la commission de cet acte. Dans le contexte
particulier de l’application du droit de la responsabilité internationale en
matière de génocide, cependant, s’il était établi qu’un acte de génocide a
177 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 217
été commis sur les instructions ou les directives d’un Etat, la conclusion
qu’il conviendrait d’en tirer serait que le génocide est attribuable à l’Etat,
qui en serait responsable en application de la règle rappelée plus haut
(paragraphe 398), et aucune question de «complicité» ne se poserait à cet
égard. Mais, comme il a été dit, tel n’est pas le cas en l’espèce.
En revanche, la «complicité» au sens litt. e) de l’article III de la
Convention englobe sans nul doute la fourniture de moyens destinés à
permettre ou à faciliter la commission du crime; c’est sur cet aspect que la
Cour doit donc concentrer son attention. A cet égard, il y a lieu de relever
que si la «complicité» est, comme telle, une notion absente de l’actuelle
terminologie du droit de la responsabilité internationale, elle se rapproche
d’une catégorie qui est présente dans les règles coutumières qui composent
le droit de la responsabilité des Etats, celle de l’«aide ou assistance» four-
nie par un Etat à la commission d’un fait illicite par un autre Etat.
420. A cet égard, il y a lieu de se référer aux articles de la CDI sur la
responsabilité de l’Etat, dans lesquels est exprimée la règle coutumière
suivante:
«Article 16
Aide ou assistance dans la commission du fait internationalement
illicite
L’Etat qui aide ou assiste un autre Etat dans la commission du fait
internationalement illicite par ce dernier est internationalement res-
ponsable pour avoir agi de la sorte dans le cas où:
a) Ledit Etat agit en connaissance des circonstances du fait inter-
nationalement illicite; et
b) Le fait serait internationalement illicite s’il était commis par cet
Etat.»
Bien que cette disposition ne soit pas directement pertinente en la pré-
sente affaire, puisqu’elle vise une situation caractérisée par une relation
entre deux Etats, situation qui n’est pas celle de l’espèce, elle n’est cepen-
dant pas sans intérêt. En effet, la Cour n’aperçoit pas de raison d’établir
une différence substantielle entre la «complicité dans le génocide» au
sens du litt. e) de l’article III de la Convention et l’«aide ou assistance»
d’un Etat à la commission d’un acte illicite par un autre Etat au sens de
l’article 16 précité — une fois écartée l’hypothèse de la fourniture d’ins-
tructions ou de directives ou de l’exercice d’un contrôle effectif, dont les
effets vont, dans le droit de la responsabilité internationale, au-delà de la
complicité. En d’autres termes, pour déterminer si le défendeur est res-
ponsable de «complicité dans le génocide» au sens du litt. e) de l’ar-
ticle III, ce qu’il lui appartient maintenant de faire, la Cour doit recher-
cher si des organes de l’Etat défendeur, ou des personnes agissant selon
ses instructions ou directives ou sous son contrôle effectif, ont prêté «aide
ou assistance» à la commission du génocide de Srebrenica, en un sens
qui ne diffère pas de manière sensible de celui que possèdent ces notions
dans le droit général de la responsabilité internationale.
178 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 218
421. Avant de procéder à l’examen des faits, une dernière observation
s’impose. Elle concerne le lien entre l’intention spécifique (dolus specia-
lis) qui caractérise le crime de génocide et les mobiles qui poussent le
complice (au sens de la personne fournissant aide et assistance aux
auteurs directs du crime) à agir ainsi: la question se pose de savoir si la
qualification de complicité suppose que le complice partage lui-même
l’intention spécifique (dolus specialis) de l’auteur principal. Mais quelle
que soit la réponse que l’on donne à cette question, il n’est pas douteux
que le comportement d’un organe ou d’une personne qui fournit aide ou
assistance à l’auteur du crime de génocide ne peut être qualifié de com-
plicité dans le génocide que si, à tout le moins, cet organe ou cette per-
sonne agit en connaissance de cause, c’est-à-dire, notamment, connaît
l’existence de l’intention spécifique (dolus specialis) qui anime l’auteur
principal. Si cette condition n’est pas remplie, cela suffit pour écarter la
qualification de complicité. La Cour va donc d’abord examiner si cette
dernière condition est remplie en l’espèce. C’est seulement si elle répond à
cette question de fait par l’affirmative qu’elle aura besoin d’examiner et
de trancher la question de droit énoncée plus haut.
422. La Cour n’a pas été convaincue par les éléments de preuve éma-
nant du demandeur que les conditions exposées plus haut se trouvent
réunies. Sans doute l’aide considérable fournie sur les plans politique,
militaire et financier par la RFY à la Republika Srpska et à la VRS, com-
mencée bien avant les tragiques événements de Srebrenica, s’est-elle pour-
suivie pendant ces événements. En ce sens, il n’est guère douteux que les
atrocités de Srebrenica ont pu être commises, au moins en partie, avec les
moyens dont les auteurs de ces actes disposaient en conséquence de la
politique générale d’aide et d’assistance menée par la RFY en leur faveur.
Toutefois, la Cour n’a d’autre tâche que d’établir la responsabilité juri-
dique du défendeur; des conditions bien particulières doivent pour ce
faire être réunies. Or, l’une d’entre elles fait défaut: il n’a, en effet, pas été
établi de manière indiscutable, par l’argumentation développée entre les
Parties, que les autorités de la RFY auraient fourni — et continué à four-
nir — leur aide et leur assistance aux chefs de la VRS qui ont décidé et
exécuté le génocide, à un moment où elles auraient été clairement cons-
cientes qu’un génocide était sur le point, ou en train, d’être commis, c’est-
à-dire que des massacres étaient non seulement sur le point, ou en train,
d’être perpétrés, mais qu’ils l’étaient avec l’intention spécifique, de la part
de leurs auteurs, caractérisant le génocide, c’est-à-dire l’intention de
détruire en tout ou en partie un groupe humain comme tel.
423. Il est sans doute déterminant, à cet égard, de relever qu’il n’a pas
été démontré de façon concluante que la décision d’éliminer physique-
ment la population masculine adulte de la communauté musulmane de
Srebrenica ait été, au moment où elle a été prise, portée à la connaissance
des autorités de Belgrade, et que la Cour a conclu (paragraphe 295 ci-
dessus) que cette décision avait été prise peu avant son exécution maté-
rielle, laquelle s’est déroulée sur une très brève période (entre le 13 et le
16 juillet 1995 pour l’essentiel), malgré le nombre exceptionnellement
179 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 219
élevé des victimes. Dans ces conditions, il n’a pas été établi de façon
concluante que la RFY ait fourni, au moment crucial, une aide aux
auteurs du génocide en pleine conscience de ce que cette aide serait
employée à commettre un génocide.
424. La Cour conclut de ce qui précède que la responsabilité interna-
tionale du défendeur n’est pas engagée à raison d’actes de complicité de
génocide énumérés au litt. e) de l’article III de la Convention. Au vu de
cette conclusion et de celles formulées ci-dessus relativement aux autres
litt. de l’article III, la responsabilité internationale du défendeur n’est pas
engagée sur le terrain de l’article III dans son ensemble.
* * *
IX. L A RESPONSABILITÉ POUR MANQUEMENT AUX OBLIGATIONS
DE PRÉVENIR ET DE PUNIR LE GÉNOCIDE
425. La Cour aborde à présent la troisième et dernière des questions
énoncées plus haut au paragraphe 379: l’Etat défendeur a-t-il respecté ses
obligations de prévenir et de punir le génocide, telles qu’elles découlent de
l’article premier de la Convention?
En dépit des liens évidents qui existent entre l’obligation de prévenir le
génocide et celle d’en punir les auteurs, il s’agit bien, de l’avis de la Cour,
de deux obligations distinctes, quoique reliées entre elles, qui doivent être
examinées successivement.
426. Il est vrai que l’article premier de la Convention, par sa rédaction
même, fait ressortir le lien étroit entre prévention et punition, dans les
termes suivants: «Les Parties contractantes confirment que le génocide,
qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du
droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.» Il est vrai aussi
que l’une des manières les plus efficaces de prévenir la commission d’actes
criminels, en général, est de prévoir des sanctions pénales à l’encontre des
personnes qui viendraient à commettre de tels actes, et d’appliquer effec-
tivement ces sanctions à ceux qui auraient commis les actes dont on
cherche à éviter le renouvellement. Il est vrai enfin que, alors que la
Convention comporte, dans les articles qui suivent l’article premier
précité, des dispositions plus ou moins détaillées concernant l’obligation
de répression (les articles III à VII), elle ne revient sur l’obligation
de prévenir, au-delà de son affirmation de principe à l’article premier,
qu’à l’article VIII, aux termes duquel
«[t]oute Partie contractante peut saisir les organes compétents de
l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, confor-
mément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent
appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide
ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
427. Pour autant, on ne saurait en déduire que l’obligation de préven-
tion n’aurait pas d’existence juridique propre, qu’elle serait en quelque
180 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 220
sorte absorbée par l’obligation de répression, qui serait la seule, par suite,
dont l’exécution serait susceptible d’être examinée par la Cour. L’obliga-
tion pour chaque Etat contractant de prévenir le génocide revêt une por-
tée normative et un caractère obligatoire. Elle ne se confond pas avec
l’obligation de punition, elle ne peut pas non plus être regardée comme
une simple composante de cette dernière. Elle a sa propre portée, qui va
au-delà du cas particulier envisagé à l’article VIII précité, celui de la sai-
sine des organes compétents des Nations Unies tendant à ce que ceux-ci
prennent les mesures qu’ils jugent adéquates: même une fois ces organes
saisis, s’ils le sont, les Etats parties à la Convention ne sont pas pour
autant déchargés de l’obligation de mettre en Œuvre, chacun dans la
mesure de ses capacités, les moyens propres à prévenir la survenance d’un
génocide, dans le respect de la Charte des Nations Unies et des décisions
prises, le cas échéant, par les organes compétents de l’Organisation.
C’est pourquoi la Cour examinera d’abord la manière dont le défen-
deur s’est acquitté de son obligation de prévention avant de rechercher ce
qu’il en est de l’obligation de répression.
1) L’obligation de prévenir le génocide
428. En ce qui concerne l’obligation de prévenir le génocide, la Cour
croit devoir commencer par les remarques liminaires et précisions sui-
vantes, venant s’ajouter aux observations qui précèdent.
429. En premier lieu, la convention sur le génocide n’est pas le seul ins-
trument international à prévoir l’obligation pour les Etats parties de
prendre certaines mesures afin de prévenir les actes qu’il vise à interdire.
Bien d’autres instruments comportent une obligation similaire, sous des
formes diverses: ainsi, notamment, de la convention contre la torture et
autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 dé-
cembre 1984 (art. 2); de la convention sur la prévention et la répression
des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internatio-
nale, y compris les agents diplomatiques, du 14 décembre 1973 (art. 4);
de la convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du per-
sonnel associé du 9 décembre 1994 (art. 11); de la convention internatio-
nale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif du 15 décembre
1997 (art. 15). Le contenu de l’obligation de prévention varie d’un ins-
trument à l’autre, selon le libellé des dispositions pertinentes et en fonc-
tion de la nature même des actes qu’il s’agit de prévenir.
La Cour n’entend pas, à l’occasion de la présente affaire, établir par sa
décision une jurisprudence générale qui serait applicable à tous les cas où
un instrument conventionnel, ou toute autre norme obligatoire, com-
porte, à la charge des Etats, une obligation de prévenir certains actes.
Encore moins entend-elle déterminer s’il existe, au-delà des textes appli-
cables à des domaines spécifiques, une obligation générale, à la charge
des Etats, de prévenir la commission par d’autres personnes ou entités
qu’eux-mêmes des actes contraires à certaines normes du droit interna-
tional général. La Cour se bornera donc à déterminer la portée spécifique
181 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 221
de l’obligation de prévention figurant dans la convention sur le génocide,
et pour autant qu’une telle détermination soit nécessaire à la décision à
rendre sur le différend à elle soumis. Cela ne la dispensera pas, naturel-
lement, de se référer, en tant que de besoin, à des règles de droit dont la
portée dépasse le seul domaine couvert par la Convention.
430. En deuxième lieu, il est clair que l’obligation dont il s’agit est une
obligation de comportement et non de résultat, en ce sens que l’on ne
saurait imposer à un Etat quelconque l’obligation de parvenir à empê-
cher, quelles que soient les circonstances, la commission d’un génocide:
l’obligation qui s’impose aux Etats parties est plutôt celle de mettre en
Œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue
d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide. La responsabilité
d’un Etat ne saurait être engagée pour la seule raison que le résultat
recherché n’a pas été atteint; elle l’est, en revanche, si l’Etat a manqué
manifestement de mettre en Œuvre les mesures de prévention du génocide
qui étaient à sa portée, et qui auraient pu contribuer à l’empêcher. En la
matière, la notion de «due diligence», qui appelle une appréciation in
concreto, revêt une importance cruciale. Plusieurs paramètres entrent en
ligne de compte quand il s’agit d’apprécier si un Etat s’est correctement
acquitté de l’obligation en cause. Le premier d’entre eux est évidemment
la capacité, qui varie grandement d’un Etat à l’autre, à influencer effec-
tivement l’action des personnes susceptibles de commettre, ou qui sont en
train de commettre, un génocide. Cette capacité est elle-même fonction,
entre autres, de l’éloignement géographique de l’Etat considéré par rap-
port au lieu des événements, et de l’intensité des liens politiques et de tous
ordres entre les autorités dudit Etat et les acteurs directs de ces événe-
ments. Par ailleurs, la capacité d’influence de l’Etat doit être évaluée aussi
selon des critères juridiques, puisqu’il est clair que chaque Etat ne peut
déployer son action que dans les limites de ce que lui permet la légalité
internationale; de ce point de vue, la capacité d’influence dont dispose un
Etat peut varier selon la position juridique qui est la sienne à l’égard des
situations et des personnes concernées par le risque, ou la réalité, du
génocide. Peu importe, en revanche, que l’Etat dont la responsabilité est
recherchée allègue, voire qu’il démontre, que s’il avait mis en Œuvre les
moyens dont il pouvait raisonnablement disposer, ceux-ci n’auraient pas
suffi à empêcher la commission du génocide. Une telle circonstance,
d’ailleurs généralement difficile à prouver, est sans pertinence au regard
de la violation de l’obligation de comportement dont il s’agit. Il en va
d’autant plus ainsi qu’on ne saurait exclure que les efforts conjugués de
plusieurs Etats, dont chacun se serait conformé à son obligation de pré-
vention, auraient pu atteindre le résultat — empêcher la commission d’un
génocide — que les efforts d’un seul d’entre eux n’auraient pas suffi à
obtenir.
431. En troisième lieu, la responsabilité d’un Etat pour violation de
l’obligation de prévenir le génocide n’est susceptible d’être retenue que si
un génocide a effectivement été commis. C’est seulement au moment où
l’acte prohibé (le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés
182 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 222
à l’article III de la Convention) a commencé à être commis que la viola-
tion d’une obligation de prévention est constituée. A cet égard, la Cour
rappelle une règle générale du droit de la responsabilité internationale des
Etats, que la CDI a énoncée au paragraphe 3 de l’article 14 de ses articles
sur la responsabilité de l’Etat:
............................
3. La violation d’une obligation internationale requérant de l’Etat
qu’il prévienne un événement donné a lieu au moment où l’événe-
ment survient et s’étend sur toute la période durant laquelle l’événe-
ment continue et reste non conforme à cette obligation.»
Cela ne signifie évidemment pas que l’obligation de prévenir le génocide
ne prend naissance qu’au moment où le génocide commence à être per-
pétré, ce qui serait absurde, puisqu’une telle obligation a précisément
pour objet d’empêcher, ou de tenter d’empêcher, la survenance d’un tel
acte. En réalité, l’obligation de prévention et le devoir d’agir qui en est le
corollaire prennent naissance, pour un Etat, au moment où celui-ci a
connaissance, ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence
d’un risque sérieux de commission d’un génocide. Dès cet instant, l’Etat
est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif à
l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou dont on
peut raisonnablement craindre qu’ils nourrissent l’intention spécifique
(dolus specialis), de mettre en Œuvre ces moyens, selon les circonstances.
Pour autant, si ni le génocide ni aucun des autres actes énumérés à l’ar-
ticle III de la Convention n’est finalement mis à exécution, la responsabi-
lité de l’Etat qui se sera abstenu d’agir alors qu’il l’aurait pu ne pourra
pas être recherchée a posteriori, faute que soit survenu l’événement en
l’absence duquel la violation de l’obligation de prévention n’est pas cons-
tituée, selon la règle ci-dessus énoncée.
En l’espèce, il en résulte que la Cour ne devra examiner le comporte-
ment du défendeur au regard de son obligation de prévention qu’en
liaison avec les massacres de Srebrenica, puisqu’il s’agit des seuls actes à
propos desquels elle a considéré comme établie la commission d’un géno-
cide en la présente affaire.
432. Enfin, en quatrième lieu, la Cour croit particulièrement important
d’insister sur les différences qui existent entre les conditions auxquelles
peut être constatée la violation par un Etat de l’obligation de pré-
venir le génocide — au sens de l’article premier de la Convention — et
celles qui sont exigées pour que l’Etat soit tenu pour responsable de
«complicité dans le génocide» — au sens du litt. e) de l’article III —,
dont il a été précédemment question. Ces différences sont principale-
ment au nombre de deux; elles sont d’une importance telle qu’elles inter-
disent d’assimiler d’aucune manière les deux catégories de violation con-
sidérées.
D’une part, la complicité suppose toujours, ainsi qu’il a été dit plus
haut, une action positive tendant à fournir aide ou assistance aux auteurs
principaux du génocide, alors que la violation de l’obligation de préven-
183 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 223
tion résulte de la simple abstention de prendre et de mettre en Œuvre les
mesures adéquates pour empêcher la commission du génocide. En d’autres
termes, la complicité se produit par action, la violation de l’obligation de
prévenir se produit par omission; ce qui ne fait que traduire l’idée que la
prohibition du génocide et des autres actes énumérés à l’article III, parmi
lesquels la complicité, met à la charge des Etats une obligation négative
— celle de ne pas commettre les actes prohibés — tandis que le devoir de
prévention met à la charge des Etats des obligations positives — faire de
leur mieux pour que ces actes ne se produisent pas.
D’autre part, comme il a également été dit plus haut, la complicité ne
peut être retenue à la charge d’un Etat que si, à tout le moins, ses organes
étaient conscients qu’un génocide était sur le point, ou en train, d’être
commis, et que l’aide ou l’assistance fournie par lui, à partir du moment
où cette conscience a été acquise, aux auteurs des actes criminels ou à
ceux qui seraient sur le point de les commettre, permettrait, ou rendrait
plus facile, la commission de ces actes. Autrement dit, le complice doit
avoir apporté un soutien en pleine connaissance de cause à la perpétra-
tion du génocide. En revanche, un Etat peut être considéré comme ayant
violé son obligation de prévention même s’il n’avait pas acquis la certi-
tude, au moment où il aurait dû agir mais s’en est abstenu, qu’un géno-
cide était sur le point, ou en train, d’être commis: il suffit, pour que sa
responsabilité internationale soit susceptible d’être engagée à ce titre,
qu’il ait eu connaissance, ou eût dû normalement avoir connaissance, de
l’existence d’un risque sérieux de commission d’actes de génocide. Comme
il apparaîtra plus loin, cette dernière différence pourrait se révéler déci-
sive dans la présente affaire aux fins d’apprécier les responsabilités encou-
rues par le défendeur.
433. A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour en vient à
présent à l’examen des faits de l’espèce. Pour les raisons exposées plus
haut (paragraphe 431), elle limitera son examen au comportement de la
RFY à l’égard des massacres de Srebrenica.
434. La Cour constate d’abord qu’à l’époque considérée la RFY se
trouvait, à l’égard des Serbes de Bosnie qui ont conçu et exécuté le géno-
cide de Srebrenica, dans une position d’influence qui n’était comparable à
celle d’aucun des autres Etats parties à la convention sur le génocide, en
raison de la puissance des liens politiques, militaires et financiers entre,
d’une part, la RFY et, de l’autre, la Republika Srpska et la VRS, liens
qui, s’ils s’étaient alors quelque peu distendus par rapport à la période
précédente, étaient cependant demeurés très forts.
435. En deuxième lieu, la Cour ne peut manquer de relever que la
RFY était, à la date pertinente, soumise à des obligations très spécifiques
du fait des deux ordonnances en indication de mesures conservatoires
rendues par la Cour en 1993. En particulier, dans son ordonnance du
8 avril 1993, la Cour a notamment indiqué que, bien qu’elle ne fût pas, à
ce stade très précoce de la procédure, habilitée à «conclure définitivement
sur les faits ou leur imputabilité» (C.I.J. Recueil 1993, p. 22, par. 44), elle
estimait la RFY tenue de
184 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 224
«veiller à ce qu’aucune des unités militaires, paramilitaires ou unités
armées irrégulières qui pourraient relever de son autorité ou bénéfi-
cier de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pour-
raient se trouver sous son pouvoir, son autorité, ou son influence ne
commettent le crime de génocide, ne s’entendent en vue de commettre
ce crime, n’incitent directement et publiquement à le commettre ou ne
s’en rendent complices...»C(.I.J. Recueil 1, p. 24, par. 52, point A. 2)).
L’emploi par la Cour, dans le passage précité, du terme «influence» est
particulièrement révélateur de ce que l’ordonnance ne visait pas seule-
ment les personnes ou entités dont le comportement était attribuable à la
RFY, mais aussi toutes celles avec lesquelles l’Etat défendeur entretenait
des liens étroits et sur lesquelles il pouvait exercer une certaine influence.
Bien que les deux questions soient en principe distinctes, et que la
seconde doive être examinée ci-après, il n’est pas possible, en appréciant
la manière dont le défendeur s’est acquitté de son obligation de préven-
tion au sens de la Convention, de s’abstenir de tenir compte de l’obliga-
tion qui s’imposait aussi à lui, quoique sur un fondement différent, de
mettre en Œuvre les mesures conservatoires indiquées par la Cour.
436. En troisième lieu, la Cour rappelle que, même si elle n’a pas non
plus jugé que les informations dont disposaient les autorités de Belgrade
indiquaient de manière certaine l’imminence du génocide (raison pour
laquelle la complicité dans le génocide n’a pas été retenue ci-dessus: para-
graphe 424), ces dernières ne pouvaient pas ne pas être conscientes du
risque sérieux qui existait à cet égard dès lors que les forces de la VRS avaient
décidé de prendre possession de l’enclave de Srebrenica. Parmi d’autres
documents comportant des informations suggérant nettement qu’une telle
conscience existait, il y a lieu de faire mention du rapport, déjà cité, du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (voir plus haut
paragraphes 283 et 285) établi conformément à la résolution 53/35 de
l’Assemblée générale sur «la chute de Srebrenica» (Nations Unies, doc. A/
54/549), qui relate la visite à Belgrade, le 14 juillet 1995, du négociateur de
l’Union européenne, M. Bildt, auprès de Miloševic ´. M. Bildt avait, en
substance, fait part à ce dernier de ses très graves inquiétudes et lui avait
«demandé instamment ... de donner immédiatement au Haut Com-
missariat des Nations Unies pour les réfugiés la possibilité de venir en
aide à la population de Srebrenica et au Comité international de la
Croix-Rouge la possibilité de commencer à enregistrer ceux qui étaient
traités par les Serbes de Bosnie comme des prisonniers de guerre».
437. Le demandeur a appelé l’attention sur un certain nombre d’élé-
ments de preuve mentionnés par le général Wesley Clark au cours de la
déposition par celui-ci faite devant le TPIY dans l’affaire Miloševi´.Le
général Clark a évoqué en ces termes une conversation qu’il avait eue avec
M. Miloševic ´ dans le cadre des négociations pour les accords de Dayton:
«Je suis allé voir Miloševi´. Je lui ai posé la question suivante: «Si
vous avez une si grande influence sur ces Serbes [de Bosnie], comment
185 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 225
avez-vous pu permettre au général Mladic ´ de tuer toutes ces per-
sonnes à Srebrenica?» Il m’a regardé. Il avait une expression très grave
sur le visage. Il a observé une pause avant de répondre et m’a dit: «Eh
bien, général, je lui ai dit de ne pas le faire, mais il ne m’a pas écouté.»
Et c’était dans le contexte de toute la publicité qui était faite à
l’époque autour du massacre de Srebrenica.» (Miloševic ´, IT-02-54-T,
compte rendu d’audiences du 16 décembre 2003, p. 30494-30495.)
Dans sa déposition devant le TPIY, le général Clark a émis l’opinion
selon laquelle les circonstances indiquaient que Miloševi´ avait eu connais-
sance à l’avance de ce qui allait être une «opération militaire accompa-
gnée d’un massacre» (ibid., p. 30497). Les documents du TPIY font appa-
raître que Miloševic´ a nié avoir jamais fait la déclaration évoquée par le
général Clark, mais la chambre de première instance n’en a pas moins
retenu le témoignage de ce dernier dans la décision du 16 juin 2004 par
laquelle elle a rejeté la demande d’acquittement (Miloševic ´, IT-02-54-T,
décision relative à la demande d’acquittement, 16 juin 2004, par. 280).
438. Compte tenu de leur indéniable pouvoir d’influence, et des infor-
mations dont elles disposaient, faisant état de graves préoccupations, les
autorités fédérales yougoslaves auraient dû, de l’avis de la Cour, faire de
leur mieux pour tenter d’éviter que ne se produisent les tragiques événe-
ments qui s’annonçaient, et dont l’ampleur était sinon prévisible avec cer-
titude, du moins soupçonnable. Les dirigeants de la RFY, et au premier
chef le président Miloševic´, n’ignoraient rien, en effet, du climat particu-
lièrement haineux qui régnait entre les Serbes de Bosnie et les Musulmans
dans la région de Srebrenica. Comme l’a fait observer plus haut la Cour
au paragraphe 423, il n’a pas été démontré que la décision d’éliminer
physiquement l’ensemble de la population masculine adulte de la com-
munauté musulmane de Srebrenica avait été portée à l’attention des auto-
rités de Belgrade. Néanmoins, compte tenu de toute la préoccupation qui
était celle de la communauté internationale au sujet de ce qui risquait de
se produire à Srebrenica et compte tenu des propres observations de
Miloševic´ à Mladic´, qui montraient clairement que le danger qui mena-
çait était connu et semblait être d’une nature qui pouvait donner à penser
qu’existait une intention de commettre le génocide si rien n’était fait pour
parer ce danger, il devait être clair qu’existait un sérieux risque de géno-
cide à Srebrenica. Or, le défendeur n’a établi l’existence d’aucune initia-
tive à des fins préventives, d’aucune action de sa part visant à éviter les
atrocités qui ont été commises. Force est de conclure que les organes du
défendeur n’ont rien fait pour prévenir les massacres de Srebrenica, pré-
tendant être impuissants à cette fin, ce qui ne cadre guère avec ce que l’on
sait de leur pouvoir d’influence sur la VRS. Comme il a été dit plus haut,
il n’est pas nécessaire, pour que la violation de l’obligation de prévention
soit retenue à la charge d’un Etat, qu’il soit prouvé que cet Etat avait le
pouvoir d’empêcher certainement le génocide; il suffit qu’il ait eu des
moyens d’agir en ce sens, et qu’il se soit manifestement abstenu de les
mettre en Œuvre.
186 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 226
Tel est le cas en l’espèce. La Cour conclut donc de ce qui précède que
le défendeur a violé son obligation de prévenir le génocide de Srebrenica,
et a ainsi engagé sa responsabilité internationale.
**
2) L’obligation de réprimer le génocide
439. La Cour aborde à présent la question du respect, par le défen-
deur, de son obligation de punir le crime de génocide découlant de l’ar-
ticle premier et des autres dispositions pertinentes de la Convention.
440. Dans son cinquième chef de conclusions, la Bosnie-Herzégovine
prie la Cour de dire et juger:
«5. Que la Serbie-et-Monténégro a violé et continue de violer les
obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide en manquant et en
continuant à manquer à son obligation de punir les actes de géno-
cide ou autres actes prohibés par la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide et en manquant et en continuant
à manquer à son obligation de transférer au Tribunal pénal pour
l’ex-Yougoslavie les personnes accusées de génocide ou d’autres
actes prohibés par la convention et de coopérer pleinement avec ledit
Tribunal.»
441. Ce chef de conclusions se réfère implicitement à l’article VI de la
Convention, aux termes duquel:
«Les personnes accusées de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes énumérés à l’article III seront traduites devant les tribu-
naux compétents de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été com-
mis, ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente
à l’égard de celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la
juridiction.»
442. La Cour rappelle d’abord que le génocide de Srebrenica dont elle
a constaté ci-dessus la commission n’a pas été perpétré sur le territoire de
l’Etat défendeur. Elle en déduit qu’on ne saurait faire grief à ce dernier de
n’avoir pas poursuivi devant ses propres tribunaux les personnes accusées
d’avoir participé, soit comme auteurs principaux, soit comme complices,
au génocide de Srebrenica, ou d’avoir commis l’un des autres actes men-
tionnés à l’article III de la Convention en liaison avec le génocide de Sre-
brenica. Quand bien même le droit interne de la Serbie attribuerait com-
pétence aux tribunaux répressifs de cet Etat pour juger les personnes
concernées, et même dans la mesure où un tel jugement serait compatible
avec les autres obligations internationales de la Serbie, notamment son
obligation de coopération avec le TPIY, sur laquelle la Cour reviendra
ci-après, on ne saurait déduire de l’article VI précité une obligation de
traduire devant les tribunaux de la Serbie les auteurs du génocide de Sre-
187 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 227
brenica. L’article VI n’oblige les Etats contractants qu’à instituer et exer-
cer une compétence pénale territoriale; s’il n’interdit certes pas aux Etats
de conférer à leurs tribunaux pénaux, en matière de génocide, une com-
pétence fondée sur d’autres critères que le lieu de commission du crime
compatibles avec le droit international, en particulier la nationalité de
l’accusé, il ne leur impose pas d’agir ainsi.
443. C’est donc sur l’obligation de coopération avec la «cour crimi-
nelle internationale» mentionnée par la disposition précitée, qui s’impose
aux Etats parties, que la Cour doit concentrer son attention. Il est cer-
tain, en effet, que dès lors qu’une telle juridiction a été créée, l’article VI
oblige les Etats contractants «qui en auront reconnu la juridiction» à
coopérer avec elle, ce qui implique qu’ils procèdent à l’arrestation des
personnes accusées de génocide se trouvant sur leur territoire — même si
le crime dont elles sont accusées a été commis hors de celui-ci — et que,
à défaut de les traduire devant leurs propres juridictions, ils les défèrent
devant la cour internationale compétente pour les juger.
444. Afin de déterminer si le défendeur a respecté ses obligations à cet
égard, la Cour doit d’abord répondre à deux questions préalables: le
TPIY constitue-t-il une «cour criminelle internationale» au sens de
l’article VI précité? Le défendeur doit-il être regardé comme ayant
«reconnu la juridiction» de ce tribunal, au sens de cette disposition?
445. A la première question, la Cour estime que la réponse doit être
indubitablement affirmative. La notion de «cour criminelle internatio-
nale» au sens de l’article VI doit s’entendre au moins de toute juridiction
pénale internationale créée après l’adoption de la Convention (à la date
de laquelle une telle juridiction n’existait pas) à vocation potentiellement
universelle et compétente pour juger les auteurs d’un génocide ou de l’un
quelconque des autres actes énumérés à l’article III. Peu importe, à cet
égard, la nature de l’instrument juridique en vertu duquel cette juridiction
est créée. Sans doute les rédacteurs de la convention sur le génocide envi-
sageaient-ils une création par voie conventionnelle: un indice clair en ce
sens est fourni par la référence à «celles des Parties contractantes qui ...
auront reconnu la juridiction» de la cour criminelle internationale. Mais
il serait contraire à l’objet de cette disposition d’interpréter restrictive-
ment la notion de «cour criminelle internationale» afin d’en exclure une
juridiction qui, comme cela est le cas du TPIY, a été créée en vertu d’une
résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée en applica-
tion du chapitre VII de la Charte. La Cour n’a découvert aucun élément
permettant de penser qu’une telle hypothèse était envisagée par les rédac-
teurs de la Convention, mais on ne saurait leur prêter l’intention d’avoir
voulu l’exclure.
446. La question de savoir si le défendeur doit être regardé comme
ayant «reconnu la juridiction» du TPIY au sens de l’article VI doit être,
en conséquence, traduite dans les termes suivants: le défendeur est-il sou-
mis à l’obligation de reconnaître la juridiction du TPIY et de coopérer
avec ce tribunal en vertu de la résolution du Conseil de sécurité ayant
188 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 228
créé celui-ci, ou d’une autre norme de droit international? Dans l’affir-
mative, il faudrait en conclure que la coopération avec le TPIY constitue,
pour le défendeur, à la fois une obligation découlant de la résolution en
question et de la Charte des Nations Unies, ou d’une autre norme de
droit international obligeant le défendeur à coopérer, et une obligation
découlant de sa qualité de partie à la convention sur le génocide, cette
dernière étant évidemment la seule directement pertinente en l’espèce.
447. La Cour est seulement tenue de déterminer, pour les besoins de la
présente affaire, si, à partir de la commission du génocide de Srebrenica
en juillet 1995, la RFY était tenue à une obligation de coopération avec le
TPIY et, dans l’affirmative, sur quel fondement. A cet effet, il suffit de
constater que cet Etat était en tout cas tenu de coopérer avec le TPIY au
plus tard à partir du 14 décembre 1995, date de la signature et de l’entrée
en vigueur des accords de Dayton, conclus entre la Bosnie-Herzégovine, la
Croatie et la RFY. En effet, l’annexe 1-A de ce traité, à laquelle l’article II
de ce dernier confère un caractère obligatoire pour les parties, prévoit que
celles-ci doivent coopérer pleinement, notamment, avec le TPIY. Ainsi, à
compter du 14 décembre 1995 au plus tard, et au moins sur le fondement
des accords de Dayton, la RFY doit être considérée comme ayant «reconnu
la juridiction» du TPIY au sens de l’article VI de la Convention. Ce cons-
tat suffit à la Cour aux fins du jugement de la présente affaire, puisqu’elle
est appelée à se prononcer sur le respect par le défendeur de son obligation
découlant de l’article VI de la Convention en liaison avec le génocide de
Srebrenica, à partir de la commission de ce génocide et jusqu’à l’heure
actuelle, et que le demandeur n’invoque aucun manquement à l’obligation
de coopération qui se serait spécifiquement produit entre juillet et dé-
cembre 1995. De même, la Cour n’est pas tenue de décider si, entre 1995
et 2000, l’obligation de coopération de la RFY pouvait reposer également
sur d’autres fondements juridiques que les accords de Dayton. Il va sans
dire que l’admission de la RFY comme Membre de l’Organisation des
Nations Unies en 2000 a donné à son obligation de coopération une base
supplémentaire: mais si le fondement légal de l’obligation dont il s’agit
s’est trouvé de ce fait conforté, la portée de ladite obligation n’en a pas été
affectée pour autant. Il n’y a donc pas lieu de distinguer, aux fins d’appré-
cier la manière dont le défendeur s’est acquitté de son obligation au titre de
l’article VI de la Convention, entre la période antérieure et la période pos-
térieure à son admission comme Membre de l’Organisation des
Nations Unies, en tout cas à partir du 14 décembre 1995.
448. Examinant à présent les faits de l’espèce, la question à laquelle la
Cour doit répondre est celle de savoir si le défendeur a pleinement coo-
péré avec le TPIY, notamment en procédant à l’arrestation et à la remise
de toute personne qui, accusée de génocide devant ce tribunal en raison
des massacres de Srebrenica, se trouverait sur son territoire. A cet égard,
la Cour observe tout d’abord qu’au cours de la procédure orale le défen-
deur a affirmé que l’obligation de coopération avait été respectée à partir
du changement de régime politique à Belgrade en 2000, admettant ainsi
implicitement que tel n’avait pas été le cas au cours de la période anté-
189 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 229
rieure. Le comportement des organes de la RFY avant le changement de
régime engage cependant la responsabilité internationale du défendeur
tout autant que celui de ses dirigeants politiques depuis cette date. En
outre, la Cour ne peut manquer d’accorder un certain poids à des infor-
mations nombreuses et concordantes donnant à penser que le général
Mladic´, poursuivi pour génocide devant le TPIY en tant que l’un des
principaux responsables des massacres de Srebrenica, s’est trouvé sur le
territoire du défendeur au moins à plusieurs moments et pendant des
durées importantes ces dernières années, et qu’il s’y trouve peut-être
encore à l’heure actuelle, sans que les autorités serbes aient déployé les
moyens que l’on peut raisonnablement estimer être à leur disposition
pour déterminer le lieu exact de sa résidence et procéder à son arresta-
tion. En particulier, les conseils du demandeur ont fait état pendant les
audiences de déclarations récentes faites par le ministre des affaires étran-
gères du défendeur, reproduites dans la presse internationale en avril 2006,
et selon lesquelles les services de renseignements de cet Etat connaissaient
le lieu de résidence de Mladi´ en Serbie, mais s’abstenaient de le commu-
niquer aux autorités qui seraient compétentes pour ordonner son arresta-
tion, en raison du fait que certains membres de ces services seraient
demeurés favorables au fugitif. L’authenticité et l’exactitude de ces décla-
rations n’ont à aucun moment été contestées par le défendeur.
449. Dans ces conditions, il paraît suffisamment établi aux yeux de la
Cour que le défendeur a manqué à son obligation de pleine coopération
avec le TPIY. Ce manquement constitue une violation par le défendeur
de ses devoirs en qualité de partie aux accords de Dayton et de Membre
de l’Organisation des Nations Unies et, en conséquence, une violation de
ses obligations au titre de l’article VI de la convention sur le génocide.
Sans doute la Cour n’est-elle pas compétente dans la présente affaire
pour sanctionner une violation par le défendeur de ses obligations autres
que celles qui résultent de la Convention. Mais, étant compétente pour
sanctionner la violation de l’article VI en tant qu’il oblige les Etats à co-
opérer avec la «cour criminelle internationale», il lui appartient de cons-
tater, à cette fin, que les conditions d’une telle violation sont réunies. Au
nombre de ces conditions, figure celle selon laquelle l’Etat dont la res-
ponsabilité est recherchée doit avoir «reconnu la juridiction» de ladite
«cour criminelle internationale», ce qui conduit la Cour à constater que
le défendeur était tenu par d’autres instruments internationaux que la
Convention à coopérer avec la juridiction dont il s’agit, et qu’il a manqué
à son devoir de coopération. Sur ce point, les conclusions du demandeur
relatives à la violation, par le défendeur, des articles I et VI de la Conven-
tion doivent donc être accueillies.
450. Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que le
défendeur a manqué à la fois à ses obligations, découlant de la Conven-
tion, de prévenir et de punir le génocide, et qu’à ce titre sa responsabilité
internationale est engagée.
* * *
190 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 230
X. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ POUR N ORESPECT DES ORDONNANCES
EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES RENDUES PAR LA COUR
451. Dans son septième chef de conclusions, la Bosnie-Herzégovine
prie la Cour de dire et juger:
«7. Qu’en ne respectant pas les ordonnances en indication de
mesures conservatoires rendues par la Cour le 8 avril 1993 et le
13 septembre 1993, la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations
internationales qui sont les siennes et est tenue de verser à la Bosnie-
Herzégovine, à raison de cette dernière violation, une indemnisation
symbolique dont le montant sera déterminé par la Cour.»
452. La Cour observe que ses «ordonnances indiquant des mesures
conservatoires au titre de l’article 41 [du Statut] ont un caractère obli-
gatoire» (LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2001, p. 506, par. 109). Bien que la Cour n’ait eu l’occasion de pro-
céder à un tel constat que dans un arrêt postérieur aux ordonnances rendues
par elle dans le cadre du présent différend, le caractère obligatoire desdites
ordonnances n’en est pas altéré pour autant, puisque, dans l’arrêt précité, la
Cour s’est bornée à attribuer aux dispositions du Statut le sens et la portée
qu’elles possédaient dès l’origine. Elle rappelle que l’objet des mesures
conservatoires est de protéger les droits de chacune des parties en attendant
la décision finale de la Cour. Les ordonnances en indication de mesures
conservatoires rendues par la Cour les 8 avril et 13 septembre 1993 créaient
des obligations juridiques que les deux Parties étaient appelées à respecter.
453. Dans le dispositif de son ordonnance du 8 avril 1993, au para-
graphe 52, la Cour a indiqué les mesures conservatoires suivantes:
..........................
Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) doit immédiatement, conformément à l’enga-
gement qu’il a assumé aux termes de la convention pour la préven-
tion et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948,
prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la com-
mission du crime de génocide;
...........................
Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) doit en particulier veiller à ce qu’aucune des
unités militaires, paramilitaires ou unités armées irrégulières qui
pourraient relever de son autorité ou bénéficier de son appui, ni
aucune organisation ou personne qui pourraient se trouver sous son
pouvoir, son autorité, ou son influence ne commettent le crime de
génocide, ne s’entendent en vue de commettre ce crime, n’incitent
directement et publiquement à le commettre ou ne s’en rendent com-
plices, qu’un tel crime soit dirigé contre la population musulmane
de Bosnie-Herzégovine, ou contre tout autre groupe national, eth-
nique, racial ou religieux;
.............................
191 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 231
............................
Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) et le Gouvernement de la République de
Bosnie-Herzégovine doivent ne prendre aucune mesure et veiller à ce
qu’il n’en soit prise aucune, qui soit de nature à aggraver ou étendre
le différend existant sur la prévention et la répression du crime de
génocide, ou à en rendre la solution plus difficile.»
454. Dans le dispositif de son ordonnance du 13 septembre 1993, la
Cour a réaffirmé les mesures précitées.
455. Il résulte de l’ensemble des écritures et des plaidoiries orales du
demandeur que celui-ci ne fait pas grief au défendeur de ne pas avoir res-
pecté la mesure prescrite au point B précité, et que ses conclusions por-
tent exclusivement sur les mesures énoncées aux alinéas 1) et 2) du point
A. C’est donc dans cette seule mesure que la Cour examinera la question
de savoir si le défendeur s’est pleinement acquitté de son obligation de
respecter les mesures ordonnées par la Cour.
456. Cette question trouve sa réponse dans les motifs du présent arrêt
relatifs aux autres chefs de conclusions soumis à la Cour par le deman-
deur. Il résulte de ces chefs de conclusions que, en ce qui concerne les mas-
sacres de Srebrenica en juillet 1995, le défendeur n’a pas respecté son
obligation, indiquée au paragraphe 52, joint A. 1), de l’ordonnance du
8 avril 1993 et réaffirmée par l’ordonnance du 13 septembre 1993, de
«prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la commission
du crime de génocide». Il n’a pas non plus respecté la mesure indiquée au
paragraphe 52, point A. 2), de l’ordonnance du 8 avril 1993 et réaffirmée
par l’ordonnance du 13 septembre 1993, en tant que ladite mesure lui
imposait de «veiller à ce qu’aucune ... organisation ou personne qui pour-
raient se trouver sous ... son influence ne commettent le crime de génocide».
457. En revanche, le surplus du septième chef de conclusions du deman-
deur, en tant qu’il fait grief au défendeur de n’avoir pas respecté les me-
sures conservatoires indiquées, doit être rejeté pour les motifs exposés
plus haut à propos des autres chefs de conclusions du demandeur (para-
graphes 415 et 424).
458. En ce qui concerne la demande tendant à ce que la Cour décide
que le défendeur est tenu de verser au demandeur, à raison de la violation
constatée, une indemnisation symbolique dont elle est priée de déterminer
le montant, la Cour constate que la question de la réparation du dom-
mage subi par le demandeur du fait de la violation par le défendeur d’une
partie des ordonnances en indication de mesures conservatoires se confond
avec celle de la réparation du dommage subi du fait de la violation des
obligations correspondantes résultant de la convention sur le génocide.
Elle sera donc traitée ci-après, dans le cadre de l’examen du sixième chef
de conclusions du défendeur, en ses pointsb) et c) qui sont relatifs à la
réparation financière qui, selon le demandeur, lui est due par le défendeur.
* * *
192 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 232
XI. L A QUESTION DE LA RÉPARATION
459. Ayant ainsi conclu que le défendeur avait manqué de se confor-
mer aux obligations que lui impose la Convention en matière de préven-
tion et de répression du crime de génocide, la Cour en vient à la question
de la réparation. Le demandeur, dans ses conclusions finales, prie la Cour
de dire que le défendeur
«doit réparer les conséquences de ses actes internationalement illi-
cites et que, par suite de la responsabilité internationale encourue à
raison des violations ... de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, [il] est ten[u] de payer à la Bosnie-
Herzégovine, et cette dernière est fondée à recevoir, en son nom
propre et comme parens patriae, pleine réparation pour le préjudice
et les pertes causés» (chef de conclusions 6 b)).
Le demandeur prie également la Cour de dire que le défendeur
«doit immédiatement prendre des mesures efficaces pour s’acquitter
pleinement de l’obligation qui lui incombe, en vertu de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, de punir les
actes de génocide ou autres actes prohibés par la convention, de
transférer au Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie les personnes
accusées de génocide ou d’autres actes prohibés par la convention et
de coopérer pleinement avec ledit Tribunal» (chef de conclusions
6 a)),
et qu’il «est ten[u] de fournir des garanties et assurances spécifiques de
non-répétition des faits illicites qui lui sont reprochés, les formes de ces
garanties et assurances devant être déterminées par la Cour» (chef de
conclusions 6 d)). En formulant ces conclusions, et en particulier celle
relative à la réparation, le demandeur postulait toutefois que la Cour
retiendrait non seulement la partie de sa réclamation ayant trait à l’obli-
gation de prévention et de répression, mais aussi l’affirmation selon
laquelle le défendeur avait violé l’obligation principale lui incombant de
ne pas commettre de génocide, de même que les obligations connexes
imposées par la Convention en matière de complicité, d’entente et d’inci-
tation, ainsi que l’allégation selon laquelle le défendeur avait prêté aide et
assistance à la commission d’un génocide. La Cour doit à présent exami-
ner quel est le type de réparation approprié pour les autres violations de
la Convention qui ont été alléguées à l’encontre du défendeur et qu’elle a
jugées établies, à savoir celles qui concernent les obligations de préven-
tion et de répression.
460. Le principe régissant le choix du mode de la réparation due à rai-
son d’un acte internationalement illicite consiste, ainsi qu’énoncé par la
Cour permanente de Justice internationale en l’affaire de l’Usine de
Chorzów, en ceci que «la réparation doit, autant que possible, effacer
toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vrai-
semblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis» (C.P.J.I.
193 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 233
série A n° 17, p. 47; voir aussi l’article 31 des articles de la CDI sur la
responsabilité de l’Etat). Dans les circonstances de la présente espèce, il
n’apparaît pas opportun, ainsi que le reconnaît le demandeur, de prier la
Cour de dire que le défendeur est tenu à une obligation de restitutio in
integrum. Dans la mesure où la restitution est impossible, comme l’a dit
la Cour dans l’affaire relative au Projet Gabˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), «[i]l est une règle bien établie du droit international, qu’un
Etat lésé est en droit d’être indemnisé, par l’Etat auteur d’un fait
internationalement illicite,des dommages résultant de celui-ci»
(C.I.J. Recueil 1997, p. 81, par. 152; cf. Conséquences juridiques de l’édi-
fication d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004, p. 198, par. 152-153; voir également l’article 36 des
articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat). Il convient donc de
déterminer, d’une part, les conséquences du manquement du défendeur
aux obligations lui incombant, en vertu de la convention sur le génocide,
de prévenir et de punir la commission du crime de génocide en Bosnie-
Herzégovine, et, d’autre part, le dommage que ce manquement peut être
réputé avoir causé.
461. La Cour a conclu que les autorités du défendeur ne pouvaient pas
ignorer le risque sérieux de génocide qui prévalait après la décision de la
VRS de prendre le contrôle de l’enclave de Srebrenica et que, compte
tenu du pouvoir qu’avaient ces autorités d’influer sur le cours des événe-
ments, il y a lieu de conclure que le défendeur avait les moyens d’agir
pour chercher à prévenir le génocide et qu’il s’est manifestement abstenu
de les employer (paragraphe 438). Dans cette mesure, il a donc manqué
de se conformer à l’obligation de prévention lui incombant en vertu de la
Convention. L’obligation de prévenir la perpétration du crime de géno-
cide s’impose, en vertu de la convention sur le génocide, à tout Etat partie
ayant, dans une situation donnée, les moyens de contribuer à réfréner
dans une quelconque mesure la commission de ce crime. Pour parvenir à
une telle conclusion, la Cour n’a pas eu besoin de se prononcer sur la
question de savoir si les actes de génocide commis à Srebrenica se seraient
néanmoins produits si le défendeur avait mis en Œuvre, comme il aurait
dû le faire, les moyens dont il disposait. La raison en est que, comme il a
été expliqué plus haut, l’obligation de prévenir le génocide impose à
l’Etat un devoir d’agir qui n’est pas conditionné par la certitude que l’ac-
tion entreprise parviendrait effectivement à empêcher la commission des
actes de génocide, ni même par la probabilité d’un tel résultat. Il ne
résulte donc pas des motifs par lesquels la Cour a constaté ci-dessus que
le défendeur avait violé son obligation de prévention que les terribles
souffrances engendrées par le génocide commis à Srebrenica n’auraient
pas été subies si ladite violation n’avait pas eu lieu.
462. La Cour ne saurait cependant s’en tenir là. Appelée, à présent, à
statuer sur la demande de réparation, elle doit rechercher si et dans quelle
mesure le dommage invoqué par le demandeur est la conséquence du com-
portement illicite du défendeur, de telle sorte que ce dernier serait tenu de le
réparer, conformément au principe de droit international coutumier men-
194 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 234
tionné plus haut. Dans ce contexte, la question qui vient d’être évoquée, et
qui est celle de savoir si le génocide de Srebrenica aurait eu lieu dans l’hypo-
thèse où le défendeur aurait employé, pour essayer de l’empêcher, tous les
moyens dont il disposait, devient directement pertinente quand il s’agit de
délimiter l’étendue de l’obligation de réparation incombant au défendeur en
conséquence de l’illicéité de son comportement. Il s’agit en effet de recher-
cher s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait
illicite, à savoir la violation par le défendeur de l’obligation de prévenir le
génocide, et le préjudice subi par le demandeur, consistant en dommages de
tous ordres, matériels et moraux, provoqués par les actes de génocide. Un
tel lien de causalité ne pourrait être regardé comme établi que si la Cour
était en mesure de déduire de l’ensemble de l’affaire, avec un degré suffisant
de certitude, que le génocide de Srebrenica aurait été effectivement empêché
si le défendeur avait adopté un comportement conforme à ses obligations
juridiques. Force est toutefois de constater que tel n’est pas le cas. Ainsi
qu’il a été relevé plus haut, le défendeur disposait indubitablement de
moyens d’influence non négligeables à l’égard des autorités politiques et
militaires des Serbes de Bosnie, qu’il aurait pu, et par conséquent dû, mettre
en Œuvre en vue d’essayer d’empêcher les atrocités; il n’a cependant pas été
démontré que, dans le contexte particulier de ces événements, ces moyens
eussent été suffisants pour atteindre le résultat que le défendeur aurait dû
rechercher. La Cour ne pouvant donc regarder comme établie l’existence
d’un lien de causalité entre la violation par le défendeur de son obligation
de prévention et les dommages entraînés par le génocide de Srebrenica,
l’indemnisation n’apparaît pas comme la forme appropriée de réparation
qu’appelle la violation de l’obligation de prévenir le génocide.
463. Il est néanmoins clair que le demandeur est en droit de recevoir une
réparation sous forme de satisfaction, qui pourrait on ne peut plus oppor-
tunément, ainsi que l’a suggéré le demandeur lui-même, revêtir la forme
d’une déclaration dans le présent arrêt indiquant que le défendeur a man-
qué de se conformer à l’obligation que lui impose la Convention de préve-
nir le crime de génocide. De même que dans l’affaire duDétroit de Corfou
(Royaume-Uni c. Albanie), la Cour considère qu’une déclaration de cette
nature «constitue en elle-même une satisfaction appropriée»f(ond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1949, p. 35, 36), et, comme dans cette affaire, elle fera figu-
rer cette déclaration dans le dispositif de son arrêt. Le demandeur a admis
que le manquement en question ne correspondait plus à la réalité
d’aujourd’hui, et a en conséquence retiré la demande qu’il avait formulée
dans sa réplique tendant à ce que la Cour déclare que le défendeur «a violé
et continue de violer la Convention» (les italiques sont de la Cour).
464. La Cour en vient maintenant à la question de la réparation
qu’appelle la violation, par le défendeur, de l’obligation qui lui incombe,
en vertu de la Convention, de punir les actes de génocide; invoquant, à
cet égard, l’existence d’une violation continue, le demandeur maintient,
entre autres, sa demande tendant à obtenir une déclaration en ce sens.
Ainsi que noté ci-dessus (paragraphe 440), il inclut dans ce cadre le man-
quement à l’obligation «de transférer au Tribunal pénal pour l’ex-You-
195 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 235
goslavie les personnes accusées de génocide ou d’autres actes prohibés
par la convention et de coopérer pleinement avec ledit Tribunal»; or, la
Cour a conclu que, sur ce point, le défendeur avait en effet violé l’ar-
ticle VI de la Convention (voir plus haut paragraphe 449). Une déclaration
à cet effet constitue par conséquent, comme dans le cas de la violation de
l’obligation de prévenir le génocide, une forme de satisfaction appropriée.
Cependant, le demandeur prie à cet égard la Cour de déclarer plus pré-
cisément que
«la Serbie-et-Monténégro doit immédiatement prendre des mesures
efficaces pour s’acquitter pleinement de l’obligation qui lui incombe,
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, de punir les actes de génocide ou autres actes prohibés
par la convention, de transférer au Tribunal pénal pour l’ex-Yougo-
slavie les personnes accusées de génocide ou d’autres actes prohibés
par la convention et de coopérer pleinement avec ledit Tribunal».
465. Des conclusions qu’elle a formulées ci-dessus sur la question de
l’obligation de répression prévue par la Convention, il ressort clairement
que la Cour tient pour établi que le défendeur doit encore, pour honorer
les engagements qu’il a contractés aux termes des articles premier et VI de
la convention sur le génocide, s’acquitter de certaines obligations en
matière de transfert au TPIY de personnes accusées de génocide, notam-
ment en ce qui concerne le général Ratko Mladic ´ (paragraphe 448). La
Cour inclura donc une déclaration ainsi libellée dans le dispositif du pré-
sent arrêt, déclaration constituant, selon elle, une satisfaction appropriée.
466. Dans ses conclusions finales, le demandeur prie également la
Cour de dire «que la Serbie-et-Monténégro est tenue de fournir des
garanties et assurances spécifiques de non-répétition des faits illicites qui
lui sont reprochés, les formes de ces garanties et assurances devant être
déterminées par la Cour». Telle que formulée, cette conclusion porte sur
la totalité des faits illicites, à savoir les violations de la convention sur le
génocide attribuées par le demandeur au défendeur, couvrant ainsi la vio-
lation alléguée de l’obligation incombant au défendeur de ne pas lui-
même commettre de génocide, ainsi que des obligations connexes énon-
cées par la Convention relativement à la complicité, à l’entente et à
l’incitation. Cette conclusion doit être écartée dans la mesure où ces allé-
gations l’ont été. Demeure toutefois la question de l’opportunité d’ordon-
ner au défendeur de fournir des garanties et assurances de non-répétition
s’agissant des violations des obligations de prévenir et de punir le géno-
cide qui ont été établies. La Cour prend note des arguments avancés à
l’audience par le conseil du demandeur à l’appui de cette conclusion, les-
quels ont trait, pour l’essentiel, à «des faits récents [, qui] ne laissent pas
d’être inquiétants[,] quant à la disparition réelle des mouvements appe-
lant au génocide en Serbie-et-Monténégro». Elle considère que ces indi-
cations ne constituent pas des motifs suffisants pour solliciter des garan-
ties de non-répétition. Le demandeur a également évoqué à cet égard la
question du non-respect des mesures conservatoires, mais ce point a déjà
196 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 236
été examiné (paragraphes 451 à 458), et sera mentionné ci-dessous. Dans
ces circonstances, la Cour estime que la déclaration visée au para-
graphe 465 ci-dessus est suffisante aux fins de l’obligation de répression
qui continue d’incomber au défendeur, et ne considère donc pas que
cette affaire soit de celles où il serait indiqué pour la Cour d’ordonner
que soient fournies des garanties de non-répétition.
467. Enfin, le demandeur a présenté le chef de conclusions suivant:
«[E]n ne respectant pas les ordonnances en indication de mesures
conservatoires rendues par la Cour le 8 avril 1993 et le 13 sep-
tembre 1993, la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations inter-
nationales qui sont les siennes et est tenue de verser à la Bosnie-Her-
zégovine, à raison de cette dernière violation, une indemnisation
symbolique dont le montant sera déterminé par la Cour.»
Les mesures conservatoires indiquées par la Cour dans son ordonnance
du 8 avril 1993 et répétées dans l’ordonnance du 13 septembre 1993 por-
taient spécifiquement sur l’obligation incombant au défendeur de «pré-
venir la commission du crime de génocide» et sur certaines mesures «en
particulier» qu’il s’agissait de prendre à cet effet (C.I.J. Recueil 1993,
p. 24, par. 52, point A. 1) et 2)).
468. Aux termes de l’article 41 du Statut, les mesures conservatoires
sont indiquées «en attendant l’arrêt définitif» en l’affaire, de sorte que les
mesures indiquées en 1993 deviendront caduques dès le prononcé du pré-
sent arrêt (cf. Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1952 , p. 114; Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984 ,
p. 442, par. 112). Toutefois, ainsi qu’il a déjà été relevé (voir plus haut
paragraphe 452), les ordonnances en indication de mesures conserva-
toires rendues par la Cour au titre de l’article 41 du Statut ont un carac-
tère obligatoire, et leur objet est de protéger les droits de chacune des
parties en attendant la décision finale en l’affaire.
469. La Cour a conclu ci-dessus (paragraphe 456), en ce qui concerne
les massacres commis à Srebrenica en juillet 1995, que le défendeur
n’avait pas pris les mesures qui auraient satisfait aux exigences des alinéas
1) et 2) du point A du paragraphe 52 de l’ordonnance rendue le 8 avril
1993 (exigences réaffirmées dans l’ordonnance du 13 septembre 1993). La
Cour estime toutefois, aux fins de la réparation, que le non-respect, par le
défendeur, des mesures conservatoires indiquées se rattache, ou vient
s’ajouter, à ses violations des obligations matérielles en matière de pré-
vention et de répression que lui imposait la Convention. La Cour ne juge
donc pas opportun de faire droit à la demande de la Bosnie-Herzégovine
tendant à ce que soit ordonnée une indemnisation symbolique à ce titre.
Elle fera toutefois figurer, dans le dispositif du présent arrêt, à titre de
satisfaction, une déclaration indiquant que le défendeur a manqué de se
conformer aux mesures conservatoires indiquées par la Cour dans ses
ordonnances.
197 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 237
470. La Cour relève en outre que l’une des mesures conservatoires
indiquées dans l’ordonnance du 8 avril et réaffirmées dans celle du
13 septembre 1993 s’adressait aux deux Parties. Les conclusions de la
Cour formulées aux paragraphes 456 à 457 et 469 sont sans préjudice de
la question de savoir si le demandeur a lui aussi manqué de se conformer
aux ordonnances portant mesures conservatoires.
* * *
XII. D ISPOSITIF
471. Par ces motifs,
L A COUR ,
1) par dix voix contre cinq,
Rejette les exceptions contenues dans les conclusions finales du défen-
deur suivant lesquelles la Cour n’a pas compétence; et dit qu’elle a com-
pétence, sur la base de l’article IX de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide, pour statuer sur le différend porté
devant elle le 20 mars 1993 par la République de Bosnie-Herzégovine;
me
POUR :M Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Owa-
da, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna,
juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Skotnikov, juges; M. Krec´a, juge ad
hoc;
2) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie n’a pas commis de génocide, par l’intermédiaire de
ses organes ou de personnes dont les actes engagent sa responsabilité au
regard du droit international coutumier, en violation des obligations qui
lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide;
POUR :M me Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges;
M. Krec´a, juge ad hoc;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; M. Mahiou, juge ad hoc;
3) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie n’a pas participé à une entente en vue de commettre
le génocide, ni n’a incité à commettre le génocide en violation des obli-
gations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide;
POUR :M me Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges;
M. Krec´a, juge ad hoc;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; M. Mahiou, juge ad hoc;
198 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 238
4) par onze voix contre quatre,
Dit que la Serbie ne s’est pas rendue complice de génocide en violation
des obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide;
me
POUR :M Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Sepúlveda-Amor, Skotnikov, juges; M. Krec ´a, juge ad
hoc;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Keith, Bennouna, juges;
M. Mahiou, juge ad hoc;
5) par douze voix contre trois,
Dit que, s’agissant du génocide commis à Srebrenica en juillet 1995, la
Serbie a violé l’obligation de prévenir le génocide prescrite par la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide;
POUR :M me Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor,
Bennouna, juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Tomka, Skotnikov, juges; M. Krec ´a, juge ad hoc;
6) par quatorze voix contre une,
Dit que la Serbie a violé les obligations qui lui incombent en vertu de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en ne
transférant pas Ratko Mladic ´, accusé de génocide et de complicité de
génocide, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie pour y
être jugé, et en ne coopérant donc pas pleinement avec ledit Tribunal;
POUR :M me Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-
Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : M. Krec´a, juge ad hoc;
7) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie a violé l’obligation qui lui incombait de se conformer
aux mesures conservatoires ordonnées par la Cour les 8 avril et 13 sep-
tembre 1993 en la présente affaire, en ne prenant pas toutes les mesures
qui étaient en son pouvoir pour prévenir le génocide commis à Srebrenica
en juillet 1995;
me
POUR :M Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-
Amor, Bennouna, juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : M. Skotnikov, juge; M. Krec´a, juge ad hoc;
8) par quatorze voix contre une,
Décide que la Serbie doit prendre immédiatement des mesures effec-
tives pour s’acquitter pleinement de l’obligation qui lui incombe, en vertu
199 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 239
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
de punir les actes de génocide définis à l’article II de la Convention ou les
autres actes prohibés par l’article III de la Convention, de transférer les
personnes accusées de génocide ou de l’un quelconque de ces autres actes
au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et de coopérer
pleinement avec ledit Tribunal;
POUR :M me Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-
Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : M. Kre´a, juge ad hoc;
9) par treize voix contre deux,
Dit que, s’agissant des violations des obligations visées aux points 5
et 7 ci-dessus, les conclusions formulées par la Cour sous ces points cons-
tituent une satisfaction appropriée et qu’il n’y a pas lieu en l’espèce
d’ordonner que soient versées des indemnités, ni, en ce qui concerne la
violation visée au point 5, que soient fournies des assurances et garanties
de non-répétition.
POUR :M me Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges;
M. Krec´a, juge ad hoc;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; M. Mahiou, juge ad hoc.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la
Paix, à La Haye, le vingt-six février deux mille sept, en trois exemplaires,
dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront
transmis respectivement au Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine et
au Gouvernement de la Serbie.
Le président,
(Signé) Rosalyn H IGGINS.
Le greffier,
(Signé) Philippe C OUVREUR .
M. le juge A L-KHASAWNEH , vice-président, joint à l’arrêt l’exposé de
son opinion dissidente; MM. les juges R ANJEVA ,SHI et KOROMA joignent
à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune; M. le juge R AN -
JEVA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle; MM. les juges
SHI et K OROMA joignent une déclaration commune à l’arrêt; MM. les
juges OWADA et TOMKA joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion indi-
viduelle; MM. les juges K EITH,B ENNOUNA et SKOTNIKOV joignent des
200 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 240
déclarations à l’arrêt; M. le juge ad hocAHIOU joint à l’arrêt l’exposé de
son opinion dissidente; M. le juge ad hoc K REuA joint à l’arrêt l’exposé
de son opinion individuelle.
(Paraphé) R.H.
(Paraphé) Ph.C.
201
INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
REPORTS OF JUDGMENTS,
ADVISORY OPINIONS AND ORDERS
CASE CONCERNING APPLICATION OF
THE CONVENTION ON THE PREVENTIONAND
PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE
(BOSNIA AND HERZEGOVINA v. SERBIA AND MONTENEGRO)
JUDGMENT OF 26 FEBRUARY 2007
2007
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
RECUEIL DES AR|TS,
AVIS CONSULTATIFS ET ORDONNANCES
AFFAIRE RELATIVE A v L’APPLICATION
DE LA CONVENTION POUR LA PRE uVENTION
ET LA REuPRESSION DU CRIME DE GE uNOCIDE
(BOSNIE-HEuGOVINE c. SERBIE-ET-uNuGRO)
ARR|TDU26FuVRIER 2007 Official citation:
Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovinva.Serbia and Montenegro),
Judgment, I.C.J. Reports 2007 ,p.43
Mode officiel de citation:
Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 ,p.43
Sales number
ISSN 0074-4441 o
N de vente: 921
ISBN 978-92-1-071029-9 26 FEBRUARY 2007
JUDGMENT
APPLICATION OF THE CONVENTION ON THE PREVENTION
AND PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE
(BOSNIA AND HERZEGOVINA v. SERBIA AND MONTENEGRO)
APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PREuVENTION
ET LA RuPRESSION DU CRIME DE GEuNOCIDE
(BOSNIE-HERZuGOVINE c. SERBIE-ET-MONTuNuGRO)
26 uVRIER 2007
ARRE|T43
TABLE OF CONTENTS
Paragraphs
I. QUALITÉS 1-66
II. IENTIFICATION OF THER ESPONDENT PARTY 67-79
III. TE COURT S JURISDICTION 80-141
(1) Introduction: the jurisdictional objection of Serbia and
Montenegro 80-87
(2) History of the status of the FRY with regard to the United
Nations 88-99
(3) The response of Bosnia and Herzegovina 100-104
(4) Relevant past decisions of the Court 105-113
(5) The principle of res judicata 114-120
(6) Application of the principle of res judicata to the 1996
Judgment 121-139
(7) Conclusion: jurisdiction affirmed 140-141
IV. THE APPLICABLE LAW :THE CONVENTION ON THE P REVENTION AND
PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE 142-201
(1) The Convention in brief 142-149
(2) The Court’s 1996 decision about the scope and meaning of
Article IX 150-152
(3) The Court’s 1996 decision about the territorial scope of the
Convention 153-154
(4) The obligations imposed by the Convention on the Con-
tracting Parties 155-179
(5) Question whether the Court may make a finding of geno-
cide by a State in the absence of a prior conviction of an
individual for genocide by a competent court 180-182
(6) The possible territorial limits of the obligations 183-184
(7) The Applicant’s claims in respect of alleged genocide com-
mitted outside its territory against non-nationals 185
(8) The question of intent to commit genocide 186-189
(9) Intent and “ethnic cleansing” 190
(10) Definition of the protected group 191-201
V. Q UESTIONS OFPROOF :BURDEN OF PROOF,THE STANDARD OF PROOF ,
M ETHODS OFP ROOF 202-230
VI. THE FACTS INVOKED BY THE APPLICANT,IN RELATION TO
ARTICLEII 231-376
(1) The background 231-234
(2) The entities involved in the events complained of 235-241
(3) Examination of factual evidence: introduction 242-244
4 43
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
I. QUALITÉS 1-66
II. IENTIFICATION DE LA PARTIE DÉFENDERESSE 67-79
III. COMPÉTENCE DE LA C OUR 80-141
1) Introduction: l’exception d’incompétence soulevée par la
Serbie-et-Monténégro 80-87
2) Historique du statut de la RFY vis-à-vis de l’Organisation
des Nations Unies 88-99
3) La réponse de la Bosnie-Herzégovine 100-104
4) Précédentes décisions de la Cour revêtant une pertinence en
l’espèce 105-113
5) Principe de l’autorité de la chose jugée 114-120
6) Application du principe de l’autorité de la chose jugée à
l’arrêt de 1996 121-139
7) Conclusion: compétence retenue 140-141
IV. L E DROIT APPLICABLE :LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA
RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE 142-201
1) Bref retour sur la Convention 142-149
2) Décision rendue par la Cour en 1996 concernant la portée et
le sens de l’article IX 150-152
3) Décision rendue par la Cour en 1996 concernant le champ
d’application territorial de la Convention 153-154
4) Les obligations que la Convention impose aux parties
contractantes 155-179
5) Question de savoir si la Cour peut conclure qu’un Etat a
commis un génocide sans qu’un individu ait préalablement
été reconnu coupable de génocide par un tribunal compé-
tent 180-182
6) L’éventuelle limitation territoriale des obligations 183-184
7) Les allégations du demandeur au sujet d’un génocide qui
aurait été commis en dehors de son territoire contre des
non-nationaux 185
8) La question de l’intention de commettre le génocide 186-189
9) Intention et «nettoyage ethnique» 190
10) Définition du groupe protégé 191-201
V. Q UESTIONS RELATIVES À LA PREUVE :CHARGE DE LA PREUVE ,CRITÈRE
D ÉTABLISSEMENT DE LA PREUVE ,MODES DE PREUVE 202-230
VI. L ES FAITS INVOQUÉS PAR LE DEMANDEUR EN RAPPORT AVEC L AR -
TICLE II 231-376
1) Le contexte 231-234
2) Les entités impliquées dans les événements dont tire grief le
demandeur 235-241
3) Examen des éléments de preuve factuels: introduction 242-244
444 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(4) Article II (a): killing members of the protected group 245-277
Sarajevo 246-249
Drina River Valley 250-256
(a) Zvornik 250-251
(b) Camps 252-256
(i) Sušica camp 252
(ii) Fˇa Kazneno-Popravní Dom camp 253-254
(iii) Batkov´ camp 255-256
Prijedor 257-269
(a) Kozarac and Hambarine 257-261
(b) Camps 262-269
(i) Omarska camp 262-264
(ii) Keraterm camp 265-266
(iii) Trnopolje camp 267-269
Banja Luka 270
Manjacˇa camp 270
Brcˇko 271-277
Luka camp 271-277
(5) The massacre at Srebrenica 278-297
(6) Article II (b): causing serious bodily or mental harm to
members of the protected group 298-319
Drina River Valley 305-310
(a) Zvornik 305
(b) Focˇa 306
(c) Camps 307-310
(i) Batkovi´ camp 307
(ii) Sušica camp 308
(iii) Fˇa Kazneno-Popravní Dom camp 309-310
Prijedor 311-314
(a) Municipality 311
(b) Camps 312-314
(i) Omarska camp 312
(ii) Keraterm camp 313
(iii) Trnopolje camp 314
Banja Luka 315-316
Manjacˇa camp 315-316
Brcˇko 317-318
Luka camp 317-318
(7) Article II (c): deliberately inflicting on the group condi-
tions of life calculated to bring about its physical destruc-
tion in whole or in part 320-354
Alleged encirclement, shelling and starvation 323-328
Deportation and expulsion 329-334
Destruction of historical, religious and cultural proper335-344
5 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 44
4) Litt. a) de l’article II: meurtre de membres du groupe pro-
tégé 245-277
Sarajevo 246-249
La vallée de la Drina 250-256
a) Zvornik 250-251
b) Les camps 252-256
i) Le camp de Sušica 252
ii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa 253-254
iii) Le camp de Batkovic´ 255-256
Prijedor 257-269
a) Kozarac et Hambarine 257-261
b) Les camps 262-269
i) Le camp d’Omarska 262-264
ii) Le camp de Keraterm 265-266
iii) Le camp de Trnopolje 267-269
Banja Luka 270
Le camp de Manjac ˇa 270
Brˇko 271-277
Le camp de Luka 271-277
5) Le massacre de Srebrenica 278-297
6) Litt. b) de l’article II: atteinte grave à l’intégrité physique
ou mentale de membres du groupe protégé 298-319
La vallée de la Drina 305-310
a) Zvornik 305
b) Focˇa 306
c) Les camps 307-310
i) Le camp de Batkovic´ 307
ii) Le camp de Sušica 308
iii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa 309-310
Prijedor 311-314
a) La municipalité 311
b) Les camps 312-314
i) Le camp d’Omarska 312
ii) Le camp de Keraterm 313
iii) Le camp de Trnopolje 314
Banja Luka 315-316
Le camp de Manjac ˇa 315-316
Brˇko 317-318
Le camp de Luka 317-318
7) Litt. c) de l’article II: soumission intentionnelle du groupe
à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction
totale ou partielle 320-354
Encerclement, bombardements et privation de nourriture 323-328
Déportations et expulsions 329-334
Destruction du patrimoine historique, religieux et culturel 335-344
545 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
Camps 345-354
(a) Drina River Valley 346-347
(i) Sušica camp 346
(ii) Fˇa Kazneno-Popravní Dom camp 347
(b) Prijedor 348-350
(i) Omarska camp 348
(ii) Keraterm camp 349
(iii) Trnopolje camp 350
(c) Banja Luka 351
Manjacˇa Camp 351
(d) Bosanski Šamac 352
(8) Article II (d): imposing measures to prevent births within
the protected group 355-361
(9) Article II (e): forcibly transferring children of the pro-
tected group to another group 362-367
(10) Alleged genocide outside Bosnia and Herzegovina 368-369
(11) The question of pattern of acts said to evidence an intent to
commit genocide 370-376
VII. THE QUESTION OF R ESPONSIBILITY FOE VENTS AT SREBRENICA
UNDER A RTICLEIII, ARAGRAPH (a),OF THE G ENOCIDECONVEN -
TION 377-415
(1) The alleged admission 377-378
(2) The test of responsibility 379-384
(3) The question of attribution of the Srebrenica genocide to
the Respondent on the basis of the conduct of its organs 385-395
(4) The question of attribution of the Srebrenica genocide to
the Respondent on the basis of direction or control396-412
(5) Conclusion as to responsibility for events at Srebrenica
under Article III, paragraph (a), of the Genocide Con-
vention 413-415
VIII. THEQ UESTION OFRESPONSIBILI,INR ESPECT OS REBRENIC,FOR
A CTSE NUMERATED IN ARTICLEIII, ARAGRAPHS (b) TO (e),OF
THE G ENOCIDECONVENTION 416-424
IX. T HEQ UESTION OR ESPONSIBILITY FBREACH OF THEOBLIGATIONS
TO PREVENT AND PUNISHG ENOCIDE 425-450
(1) The obligation to prevent genocide 428-438
(2) The obligation to punish genocide 439-450
X. T HE QUESTION OF RESPONSIBILITY FOBREACH OF THE C OURT’S
O RDERSINDICATING PROVISIONALM EASURES 451-458
XI. T HEQ UESTION OFREPARATION 459-470
XII. OPERATIVECLAUSE 471
6 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 45
Les camps 345-354
a) La vallée de la Drina 346-347
i) Le camp de Sušica 346
ii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa 347
b) Prijedor 348-350
i) Le camp d’Omarska 348
ii) Le camp de Keraterm 349
iii) Le camp de Trnopolje 350
c) Banja Luka 351
Le camp de Manjac ˇa 351
d) Bosanski Šamac 352
8) Litt. d) de l’article II: imposition de mesures visant à entra-
ver les naissances au sein du groupe protégé 355-361
9) Litt. e) de l’article II: transfert forcé d’enfants du groupe
protégé à un autre groupe 362-367
10) Allégation selon laquelle un génocide aurait été commis en
dehors de la Bosnie-Herzégovine 368-369
11) La question des actes réputés démontrer l’intention de com-
mettre le génocide 370-376
VII. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ DU DÉFENDEUR EN CE QUI
CONCERNE LES ÉVÉNEMENTS DE SREBRENICA ,EN VERTU DU LITT .a)
DE L’ARTICLE IIIDE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE 377-415
1) La prétendue reconnaissance 377-378
2) Le critère de responsabilité 379-384
3) La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au
défendeur à raison du comportement de ses organes 385-395
4) La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au
défendeur à raison de ses instructions ou de son contrôle 396-412
5) Conclusion quant à la responsabilité des événements de Sre-
brenica au titre du litt. a) de l’article III de la convention
sur le génocide 413-415
VIII. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ ,S’AGISSANT DE SREBRENICA , À
RAISON D’ACTES ÉNUMÉRÉS AUX LITT .b) À e) DE L’ARTICLE IIIDE LA
CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE 416-424
IX. L A RESPONSABILITÉ POUR MANQUEMENT AUX OBLIGATIONS DE PRÉVE -
NIR ET DE PUNIR LE GÉNOCIDE 425-450
1) L’obligation de prévenir le génocide 428-438
2) L’obligation de réprimer le génocide 439-450
X. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ POUR NON -RESPECT DES ORDON -
NANCES EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES RENDUES PAR
LA C OUR 451-458
XI. L A QUESTION DE LA RÉPARATION 459-470
XII. D ISPOSITIF 471
646
LIST OF ACRONYMS
Abbreviation Full name Comments
ARBiH Army of the Republic of Bosnia
and Herzegovina
FRY Federal Republic of YugoslaviName of Serbia and Mon-
tenegro between 27 April
1992 (adoption of the
Constitution) and 3 Feb-
ruary 2003
ICTR International Criminal Tribunal
for Rwanda
ICTY International Criminal Tribunal
for the former Yugoslavia
ILC International Law Commission
JNA Yugoslav People’s Army Army of the SFRY
(ceased to exist on
27 April 1992, with the
creation of the VJ)
MUP Ministarstvo Unutrašnjih Pollova Ministry of the Interior
NATO North Atlantic Treaty Organiza-
tion
SFRY Socialist Federal Republic of
Yugoslavia
TO Teritorijalna Odbrana Territorial Defence Forces
UNHCR United Nations High Commis-
sioner for Refugees
UNPROFOR United Nations Protection Force
VJ Yugoslav Army Army of the FRY, under
the Constitution of
27 April 1992 (succeeded
to the JNA)
VRS Army of the Republika Srpska
7 46
LISTE DES ACRONYMES
Abréviation Nom entier Observations
ARBiH Armée de la République de Bos-
nie-Herzégovine
CDI Commission du droit internatio-
nal
FORPRONU Force de protection des Nations
Unies
HCR Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés
JNA Armée populaire yougoslave Armée de la RFSY (a
cessé d’exister le 27 avril
1992, avec la création de
la VJ)
MUP Ministarstvo Unutrašnjih Pollova Ministère de l’intérieur
OTAN Organisation du Traité de l’Atlan-
tique Nord
RFSY République fédérative socialiste
de Yougoslavie
RFY République fédérale de Yougo-
slavie Nom de la Serbie-et-Mon-
ténégro entre le 27 avril
1992 (adoption de la
Constitution) et le 3 février
2003
TO Teritorijalna Odbrana Forces de défense territo-
riale
TPIR Tribunal pénal international pour
le Rwanda
TPIY Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie
VJ Armée yougoslave Armée de la RFY, selon
la Constitution du 27 avril
1992 (a succédé à la JNA)
VRS Armée de la Republika Srpska
7 47
INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
2007 YEAR 2007
26 February
General List
No. 91 26 February 2007
CASE CONCERNING APPLICATION OF
THE CONVENTION ON THE PREVENTION AND
PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE
(BOSNIA AND HERZEGOVINAv. SERBIA AND MONTENEGRO)
JUDGMENT
Present: President IGGINS; Vice-PresidentL-KHASAWNEH ; Judges ANJEVA,
SH,K OROMA ,O WADA ,SIMMA,T OMKA ,A BRAHAM,K EITH,SEPÚLVEDA-
AMOR ,B ENNOUNA ,S KOTNIKOV; Judges ad hoc M AHIOU,K RECA;
u
Registrar OUVREUR.
In the case concerning application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide,
between
Bosnia and Herzegovina,
represented by
Mr. Sakib Soft´,
as Agent;
Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,
as Deputy Agent;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre, Member
and former Chairman of the United Nations International Law Commis-
sion,
Mr. Thomas M. Franck, Professor Emeritus of Law, New York University
School of Law,
Ms Brigitte Stern, Professor at the University of Paris I,
8 47
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2007 2007
26 février
Rôle général
26 février 2007 no 91
AFFAIRE RELATIVE A v L’APPLICATION
DE LA CONVENTION POUR LA PRu EVENTION
ET LA Ru EPRESSION DU CRIME DE G uNOCIDE
(BOSNIE-HERZE uGOVINE c. SERBIE-ET-MONTE uNEuGRO)
ARRE |T
Présents: Mme H IGGIN, président.AM -K HASAWNEH, vice-président ;
MM. R ANJEVA,SHI,K OROMA,O WADA ,SIMMA,T OMKA,A BRAHAM,
KEITH,S EPÚLVEDA-AMOR,B ENNOUNA,S KOTNIKO, juges;
MM. M AHIO,K RECA, juges ad hoc; MOUVREUR, greffier.
u
En l’affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide,
entre
la Bosnie-Herzégovine,
représentée par
M. Sakib Sof´,c
comme agent;
M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,
comme agent adjoint;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Paris X-Nanterre, membre et
ancien président de la Commission du droit international des Nations
Unies,
M. Thomas M. Franck, professeur émérite à la faculté de droit de l’Univer-
sité de New York,
M meBrigitte Stern, professeur à l’Université de Paris I,
848 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Faculty of Law of the University of
Florence,
Ms Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M., Barrister at Law, Mel-
bourne, Australia,
Ms Joanna Korner Q.C., Barrister at Law, London,
Ms Laura Dauban, LL.B. (Hons),
Mr. Antoine Ollivier, Temporary Lecturer and Research Assistant, Univer-
sity of Paris X-Nanterre,
as Counsel and Advocates;
Mr. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Torkildsen Granskin og Rådgivning,
Norway,
as Expert Counsel and Advocate;
H.E. Mr. Fuad Šabeta, Ambassador of Bosnia and Herzegovina to the King-
dom of the Netherlands,
Mr. Wim Muller, LL.M., M.A.,
Mr. Mauro Barelli, LL.M. (University of Bristol),
Mr. Ermin Sarajlija, LL.M.,
Mr. Amir Bajric´, LL.M.,
Ms Amra Mehmedic ´, LL.M.,
Ms Isabelle Moulier, Research Student in International Law, University of
Paris I,
Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata,
Italy,
as Counsel,
and
Serbia and Montenegro,
represented by
H.E. Mr. Radoslav Stojanovic ´, S.J.D., Head of the Law Council of the
Ministry of Foreign Affairs of Serbia and Montenegro, Professor at the
Belgrade University School of Law,
as Agent;
Mr. Saša Obradovic ´, First Counsellor of the Embassy of Serbia and Mon-
tenegro in the Kingdom of the Netherlands,
Mr. Vladimir Cvetkovic ´, Second Secretary of the Embassy of Serbia and
Montenegro in the Kingdom of the Netherlands,
as Co-Agents;
Mr. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), Professor of Law at the Central Euro-
pean University, Budapest, and Emory University, Atlanta,
Mr. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., Member of the International Law
Commission, member of the English Bar, Distinguished Fellow of All
Souls College, Oxford,
Mr. Xavier de Roux, Maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,
Ms Nataša Fauveau-Ivanovic ´, avocat à la cour, Paris, member of the Coun-
cil of the International Criminal Bar,
Mr. Andreas Zimmerman, LL.M. (Harvard), Professor of Law at the Uni-
versity of Kiel, Director of the Walther-Schücking Institute,
9 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 48
M. Luigi Condorelli, professeur à la faculté de droit de l’Université de Flo-
rence,
M me Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M., Barrister at Law, Mel-
bourne (Australie),
M me Joanna Korner, Q.C., Barrister at Law, Londres,
me
M Laura Dauban, LL.B. (Hons),
M. Antoine Ollivier, attaché temporaire d’enseignement et de recherche à
l’Université de Paris X-Nanterre,
comme conseils et avocats;
M. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Torkildsen Granskin og Rådgivning,
Norvège,
comme conseil-expert et avocat;
S. Exc. M. Fuad Šabeta, ambassadeur de Bosnie-Herzégovine auprès du
Royaume des Pays-Bas,
M. Wim Muller, LL.M., M.A.,
M. Mauro Barelli, LL.M. (Université de Bristol),
M. Ermin Sarajlija, LL.M.,
M. Amir Bajri´, LL.M.,
M me Amra Mehmedic ´, LL.M.,
M me Isabelle Moulier, doctorante en droit international à l’Université de
Paris I,
M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),
comme conseils,
et
la Serbie-et-Monténégro,
représentée par
S. Exc. M. Radoslav Stojanovic ´, S.J.D., chef du conseil juridique du
ministère des affaires étrangères de la Serbie-et-Monténégro, professeur à
la faculté de droit de l’Université de Belgrade,
comme agent;
M. Saša Obradovic´, premier conseiller à l’ambassade de Serbie-et-Monténé-
gro auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Vladimir Cvetkovic´, deuxième secrétaire à l’ambassade de Serbie-et-
Monténégro auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagents;
M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), professeur de droit à l’Université
d’Europe centrale de Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,
M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre de la Commission du droit
international, membre du barreau d’Angleterre, Distinguished Fellow au
All Souls College, Oxford,
M.meavier de Roux, maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,
M Nataša Fauveau-Ivanovi´, avocat à la cour, Paris, et membre du conseil
du barreau pénal international,
M. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), professeur de droit à l’Univer-
sité de Kiel, directeur de l’Institut Walther-Schücking,
949 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Mr. Vladimir Djeric´, LL.M. (Michigan), Attorney at Law, Mikijelj, Jankovi´
& Bogdanovic ´, Belgrade, President of the International Law Association
of Serbia and Montenegro,
Mr. Igor Olujic´, Attorney at Law, Belgrade,
as Counsel and Advocates;
Ms Sanja Djajic ´, S.J.D, Associate Professor at the Novi Sad University
School of Law,
Ms Ivana Mroz, LL.M. (Minneapolis),
Mr. Svetislav Rabrenovic ´, Expert-associate at the Office of the Prosecutor
for War Crimes of the Republic of Serbia,
Mr. Aleksandar Djurdjic ´, LL.M., First Secretary at the Ministry of Foreign
Affairs of Serbia and Montenegro,
Mr. Miloš Jastrebic´, Second Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of
Serbia and Montenegro,
Mr. Christian J. Tams, LL.M., Ph.D. (Cambridge), Walther-Schücking Insti-
tute, University of Kiel,
Ms Dina Dobrkovic, LL.B.,
as Assistants,
T HE C OURT,
composed as above,
after deliberation,
delivers the following Judgment:
1. On 20 March 1993, the Government of the Republic of Bosnia and Herze-
govina (with effect from 14 December 1995 “Bosnia and Herzegovina”) filed in
the Registry of the Court an Application instituting proceedings against the
Federal Republic of Yugoslavia (with effect from 4 February 2003, “Serbia and
Montenegro” and with effect from 3 June 2006, the Republic of Serbia — see
paragraphs 67 and 79 below) in respect of a dispute concerning alleged viola-
tions of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide, adopted by the General Assembly of the United Nations on 9 Decem-
ber 1948 (hereinafter “the Genocide Convention” or “the Convention”), as well
as various matters which Bosnia and Herzegovina claimed were connected
therewith. The Application invoked Article IX of the Genocide Convention as
the basis of the jurisdiction of the Court.
2. Pursuant to Article 40, paragraph 2, of the Statute of the Court, the
Application was immediately communicated to the Government of the Federal
Republic of Yugoslavia (hereinafter “the FRY”) by the Registrar; and in
accordance with paragraph 3 of that Article, all States entitled to appear before
the Court were notified of the Application.
3. In conformity with Article 43 of the Rules of Court, the Registrar
addressed the notification provided for in Article 63, paragraph 1, of the
Statute to all the States appearing on the list of the parties to the Genocide Con-
vention held by the Secretary-General of the United Nations as depositary.
The Registrar also sent to the Secretary-General the notification provided for
in Article 34, paragraph 3, of the Statute.
4. On 20 March 1993, immediately after the filing of its Application, Bosnia
10 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 49
M. Vladimir Djeri´, LL.M. (Michigan), avocat, cabinet Mikijelj, Janko´ &
Bogdanovic ´, Belgrade, et président de l’association de droit international
de la Serbie-et-Monténégro,
M. Igor Oluji´, avocat, Belgrade,
comme conseils et avocats;
M me Sanja Djaji´, S.J.D, professeur associé à la faculté de droit de l’Univer-
sité de Novi Sad,
M me Ivana Mroz, LL.M. (Minneapolis),
M. Svetislav Rabrenovic´, expert-associé au bureau du procureur pour les
crimes de guerre de la République de Serbie,
M. Aleksandar Djurdjic´, LL.M., premier secrétaire au ministère des affaires
étrangères de la Serbie-et-Monténégro,
M. Miloš Jastrebi´, deuxième secrétaire au ministère des affaires étrangères
de la Serbie-et-Monténégro,
M. Christian J. Tams, LL.M., Ph.D. (Cambridge), Institut Walther-Schü-
cking, Université de Kiel,
M me Dina Dobrkovic, LL.B.,
comme assistants,
L A COUR ,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant:
1. Le 20 mars 1993, le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégo-
vine (devenue, à compter du 14 décembre 1995, la «Bosnie-Herzégovine») a
déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la
République fédérale de Yougoslavie (devenue, à compter du 4 février 2003, la
«Serbie-et-Monténégro» et, à compter du 3 juin 2006, la République de Serbie
— voir plus loin paragraphes 67 à 79) au sujet d’un différend concernant d’une
part une série de violations alléguées de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale des
Nations Unies le 9 décembre 1948 (dénommée ci-après la «convention sur le
génocide» ou «la Convention»), et d’autre part diverses questions qui, selon
la Bosnie-Herzégovine, seraient liées à ces violations. La requête invoquait
comme base de compétence de la Cour l’article IX de la convention sur le géno-
cide.
2. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, la
requête a été immédiatement communiquée au Gouvernement de la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie (dénommée ci-après la «RFY») par le gref-
fier; conformément au paragraphe 3 de cet article, tous les Etats admis à
ester devant la Cour ont été informés de la requête.
3. Conformément à l’article 43 du Règlement de la Cour, le greffier a adressé
la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut à tous les Etats
figurant sur la liste des parties à la convention sur le génocide telle que tenue
par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en tant que dépo-
sitaire. Le greffier a en outre adressé au Secrétaire général la notification prévue
au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut.
4. Le 20 mars 1993, dès après le dépôt de sa requête, la Bosnie-Herzégovine
1050 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
and Herzegovina submitted a request for the indication of provisional measures
pursuant to Article 73 of the Rules of Court. On 31 March 1993, Bosnia and
Herzegovina filed in the Registry, and invoked as an additional basis of juris-
diction, the text of a letter dated 8 June 1992, addressed jointly by the President
of the then Republic of Montenegro and the President of the then Republic of
Serbia to the President of the Arbitration Commission of the International
Conference for Peace in Yugoslavia. On 1 April 1993, the FRY submitted writ-
ten observations on Bosnia and Herzegovina’s request for provisional meas-
ures, in which it, in turn, recommended that the Court indicate provisional
measures to be applied to Bosnia and Herzegovina. By an Order dated
8 April 1993, the Court, after hearing the Parties, indicated certain provisional
measures with a view to the protection of rights under the Genocide Conven-
tion.
5. By an Order dated 16 April 1993, the President of the Court fixed
15 October 1993 as the time-limit for the filing of the Memorial of Bosnia and
Herzegovina and 15 April 1994 as the time-limit for the filing of the Counter-
Memorial of the FRY.
6. Since the Court included upon the Bench no judge of the nationality of
the Parties, each of them exercised its right under Article 31, paragraph 3, of
the Statute to choose a judge ad hoc to sit in the case: Bosnia and Herzegovina
chose Mr. Elihu Lauterpacht and the FRY chose Mr. Milenko Krec ´a.
7. On 27 July 1993, Bosnia and Herzegovina submitted a new request for the
indication of provisional measures. By letters of 6 August and 10 August 1993,
the Agent of Bosnia and Herzegovina indicated that his Government wished to
invoke additional bases of jurisdiction in the case: the Treaty between the
Allied and Associated Powers and the Kingdom of the Serbs, Croats and
Slovenes on the Protection of Minorities, signed at Saint-Germain-en-Laye on
10 September 1919, and customary and conventional international laws of war
and international humanitarian law. By a letter of 13 August 1993, the Agent
of Bosnia and Herzegovina confirmed his Government’s intention also to rely
on the above-mentioned letter from the Presidents of Montenegro and Serbia
dated 8 June 1992 as an additional basis of jurisdiction (see paragraph 4).
8. On 10 August 1993, the FRY also submitted a request for the indication
of provisional measures and on 10 August and 23 August 1993, it filed written
observations on Bosnia and Herzegovina’s new request. By an Order dated
13 September 1993, the Court, after hearing the Parties, reaffirmed the meas-
ures indicated in its Order of 8 April 1993 and stated that those measures
should be immediately and effectively implemented.
9. By an Order dated 7 October 1993, the Vice-President of the Court, at the
request of Bosnia and Herzegovina, extended the time-limit for the filing of the
Memorial to 15 April 1994 and accordingly extended the time-limit for the fil-
ing of the Counter-Memorial to 15 April 1995. Bosnia and Herzegovina filed its
Memorial within the time-limit thus extended. By a letter dated 9 May 1994,
the Agent of the FRY submitted that the Memorial filed by Bosnia and Herzego-
vina failed to meet the requirements of Article 43 of the Statute and Articles 50
and 51 of the Rules of Court. By letter of 30 June 1994, the Registrar, acting on
the instructions of the Court, requested Bosnia and Herzegovina, pursuant to
Article 50, paragraph 2, of the Rules of Court, to file as annexes to its Memo-
rial the extracts of the documents to which it referred therein. Bosnia and
11 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 50
a présenté une demande en indication de mesures conservatoires en vertu de
l’article 73 du Règlement. Le 31 mars 1993, la Bosnie-Herzégovine a déposé au
Greffe, en l’invoquant comme base supplémentaire de compétence, le texte
d’une lettre en date du 8 juin 1992 adressée conjointement par le président de la
République du Monténégro de l’époque et le président de la République de Ser-
bie de l’époque au président de la commission d’arberrage de la conférence
internationale pour la paix en Yougoslavie. Le 1 avril 1993, la RFY a pré-
senté des observations écrites sur la demande en indication de mesures conser-
vatoires déposée par la Bosnie-Herzégovine, dans lesquelles elle a, à son tour,
prié la Cour d’indiquer des mesures conservatoires à la Bosnie-Herzégovine.
Par une ordonnance en date du 8 avril 1993, la Cour, après avoir entendu les
Parties, a indiqué certaines mesures conservatoires à l’effet de protéger des
droits conférés par la convention sur le génocide.
5. Par une ordonnance en date du 16 avril 1993, le président de la Cour a
fixé au 15 octobre 1993 la date d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire
de la Bosnie-Herzégovine et au 15 avril 1994 la date d’expiration du délai pour
le dépôt du contre-mémoire de la RFY.
6. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties,
chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’ar-
ticle 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger
en l’affaire: la Bosnie-Herzégovine a désigné M. Elihu Lauterpacht, et la RFY
M. Milenko Krec ´a.
7. Le 27 juillet 1993, la Bosnie-Herzégovine a présenté une nouvelle demande
en indication de mesures conservatoires. Par des lettres du 6 août et du
10 août 1993, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a indiqué que son gouverne-
ment entendait invoquer comme bases supplémentaires de compétence de la
Cour en l’espèce le traité entre les Puissances alliées et associées et le Royaume
des Serbes, Croates et Slovènes sur la protection des minorités, signé à Saint-
Germain-en-Laye le 10 septembre 1919, et le droit international de la guerre
coutumier et conventionnel ainsi que le droit international humanitaire. Par
une lettre du 13 août 1993, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a confirmé la
volonté de son gouvernement d’invoquer également la lettre susvisée des prési-
dents du Monténégro et de Serbie en date du 8 juin 1992 comme base supplé-
mentaire de compétence (voir le paragraphe 4).
8. Le 10 août 1993, la RFY a également présenté une demande en indication
de mesures conservatoires et, les 10 août et 23 août 1993, elle a déposé des
observations écrites sur la nouvelle demande de la Bosnie-Herzégovine. Par une
ordonnance en date du 13 septembre 1993, la Cour, après avoir entendu les
Parties, a réaffirmé les mesures indiquées dans son ordonnance du 8 avril 1993
et a déclaré que ces mesures devaient être immédiatement et effectivement mises
en Œuvre.
9. Par une ordonnance en date du 7 octobre 1993, le vice-président de la
Cour, à la demande de la Bosnie-Herzégovine, a reporté la date d’expiration du
délai pour le dépôt du mémoire au 15 avril 1994 et, en conséquence, la date
d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire au 15 avril 1995. La
Bosnie-Herzégovine a déposé son mémoire dans le délai ainsi prorogé. Par une
lettre en date du 9 mai 1994, l’agent de la RFY a déclaré que le mémoire déposé
par la Bosnie-Herzégovine ne satisfaisait pas aux conditions de l’article 43 du
Statut et des articles 50 et 51 du Règlement. Par une lettre en date du
30 juin 1994, le greffier, agissant sur instruction de la Cour, a invité la Bosnie-
Herzégovine, en vertu du paragraphe 2 de l’article 50 du Règlement, à déposer
en tant qu’annexes à son mémoire les extraits des documents qui y étaient cités.
1151 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Herzegovina accordingly filed Additional Annexes to its Memorial on 4 Janu-
ary 1995.
10. By an Order dated 21 March 1995, the President of the Court, at the
request of the FRY, extended the time-limit for the filing of the Counter-
Memorial to 30 June 1995. Within the time-limit thus extended, the FRY, refer-
ring to Article 79, paragraph 1, of the Rules of Court of 14 April 1978, raised
preliminary objections concerning the Court’s jurisdiction to entertain the
case and to the admissibility of the Application. Accordingly, by an Order
of 14 July 1995, the President of the Court noted that, by virtue of Article 79,
paragraph 3, of the 1978 Rules of Court, the proceedings on the merits were
suspended, and fixed 14 November 1995 as the time-limit within which Bosnia
and Herzegovina might present a written statement of its observations and sub-
missions on the preliminary objections raised by the FRY. Bosnia and Herze-
govina filed such a statement within the time-limit thus fixed.
11. By a letter dated 2 February 1996, the Agent of the FRY submitted to
the Court the text of the General Framework Agreement for Peace in Bosnia
and Herzegovina and the annexes thereto, initialled in Dayton, Ohio, on
21 November 1995, and signed in Paris on 14 December 1995 (hereinafter the
“Dayton Agreement”).
12. Public hearings were held on preliminary objections between 29 April
and 3 May 1996. By a Judgment of 11 July 1996, the Court dismissed the
preliminary objections and found that it had jurisdiction to adjudicate on the
dispute on the basis of Article IX of the Genocide Convention and that the
Application was admissible.
13. By an Order dated 23 July 1996, the President fixed 23 July 1997 as the
time-limit for the filing of the Counter-Memorial of the FRY. The Counter-
Memorial, which was filed on 22 July 1997, contained counter-claims. By a let-
ter dated 28 July 1997, Bosnia and Herzegovina, invoking Article 80 of the
1978 Rules of Court, challenged the admissibility of the counter-claims. On
22 September 1997, at a meeting held between the President of the Court and
the Agents of the Parties, the Agents accepted that their respective Govern-
ments submit written observations on the question of the admissibility of the
counter-claims. Bosnia and Herzegovina and the FRY submitted their obser-
vations to the Court on 10 October 1997 and 24 October 1997, respectively. By
an Order dated 17 December 1997, the Court found that the counter-claims
submitted by the FRY were admissible as such and formed part of the current
proceedings since they fulfilled the conditions set out in Article 80, para-
graphs 1 and 2, of the 1978 Rules of Court. The Court further directed Bosnia
and Herzegovina to submit a Reply and the FRY to submit a Rejoinder relat-
ing to the claims of both Parties and fixed 23 January 1998 and 23 July 1998 as
the respective time-limits for the filing of those pleadings. The Court also
reserved the right of Bosnia and Herzegovina to present its views on the
counter-claims of the FRY in an additional pleading.
14. By an Order dated 22 January 1998, the President, at the request of
Bosnia and Herzegovina, extended the time-limit for the filing of the Reply of
Bosnia and Herzegovina to 23 April 1998 and accordingly extended the time-
limit for the filing of the Rejoinder of the FRY to 22 January 1999.
15. On 15 April 1998, the Co-Agent of the FRY filed “Additional Annexes
12 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 51
La Bosnie-Herzégovine a déposé en conséquence des annexes additionnelles à
son mémoire le 4 janvier 1995.
10. Par une ordonnance en date du 21 mars 1995, le président de la Cour, à la
demande de la RFY, a reporté au 30 juin 1995 la date d’expiration du délai pour
le dépôt du contre-mémoire. Dans le délai ainsi prorogé, la RFY, se référant au
paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement du 14 avril 1978, a présenté des excep-
tions préliminaires portant sur la compétence de la Cour pour connaître de
l’affaire et sur la recevabilité de la requête. En conséquence, par une ordonnance
en date du 14 juillet 1995, le président de la Cour a constaté que, en vertu des
dispositions du paragraphe 3 de l’article 79 du Règlement de 1978, la procédure
sur le fond était suspendue et a fixé au 14 novembre 1995 la date d’expiration du
délai dans lequel la Bosnie-Herzégovine pourrait présenter un exposé écrit conte-
nant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées
par la RFY. La Bosnie-Herzégovine a déposé un tel exposé dans le délai ainsi
fixé.
11. Par une lettre en date du 2 février 1996, l’agent de la RFY a soumis à la
Cour le texte de l’accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine et
ses annexes paraphés à Dayton (Ohio) le 21 novembre 1995 et signés à Paris le
14 décembre 1995 (dénommés ci-après les «accords de Dayton»).
12. Des audiences publiques ont été tenues sur les exceptions préliminaires
entre le 29 avril et le 3 mai 1996. Par son arrêt du 11 juillet 1996, la Cour a
rejeté les exceptions préliminaires et dit qu’elle avait compétence pour statuer
sur le différend sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide et que
la requête était recevable.
13. Par une ordonnance en date du 23 juillet 1996, le président a fixé au
23 juillet 1997 la date d’expiration du délai pour le dépôt par la RFY de son
contre-mémoire. Le contre-mémoire, déposé le 22 juillet 1997, contenait des
demandes reconventionnelles. Par une lettre du 28 juillet 1997, la Bosnie-Her-
zégovine, invoquant l’article 80 du Règlement de 1978, a contesté la recevabilité
desdites demandes. Le 22 septembre 1997, au cours d’une réunion entre le pré-
sident de la Cour et les agents des Parties, ces derniers ont accepté que leurs
gouvernements respectifs déposent des observations écrites sur la question de la
recevabilité des demandes reconventionnelles. La Bosnie-Herzégovine et la
RFY ont soumis leurs observations à la Cour le 10 octobre 1997 et le 24 oc-
tobre 1997 respectivement. Par une ordonnance en date du 17 décembre 1997, la
Cour a dit que les demandes reconventionnelles présentées par la RFY dans
son contre-mémoire étaient recevables comme telles et faisaient partie de l’ins-
tance en cours puisqu’elles remplissaient les conditions énoncées aux para-
graphes 1 et 2 de l’article 80 du Règlement de 1978. La Cour a prescrit également
la présentation d’une réplique par la Bosnie-Herzégovine et d’une duplique par
la RFY sur les demandes soumises par les deux Parties, et fixé au 23 jan-
vier 1998 et au 23 juillet 1998 respectivement les dates d’expiration des délais
pour le dépôt de ces pièces. La Cour a aussi réservé le droit, pour la Bosnie-
Herzégovine, de s’exprimer par écrit sur les demandes reconventionnelles de la
RFY dans une pièce additionnelle.
14. Par une ordonnance en date du 22 janvier 1998, le président, à la
demande de la Bosnie-Herzégovine, a reporté la date d’expiration du délai pour
le dépôt de la réplique de la Bosnie-Herzégovine au 23 avril 1998 et, en consé-
quence, la date d’expiration du délai pour le dépôt de la duplique de la RFY au
22 janvier 1999.
15. Le 15 avril 1998, le coagent de la RFY a déposé des «Annexes addition-
1252 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
to the Counter-Memorial of the Federal Republic of Yugoslavia”. By a letter
dated 14 May 1998, the Deputy Agent of Bosnia and Herzegovina, referring to
Articles 50 and 52 of the Rules of Court, objected to the admissibility of these
documents in view of their late filing. On 22 September 1998, the Parties were
informed that the Court had decided that the documents in question “[were]
admissible as Annexes to the Counter-Memorial to the extent that they were
established, in the original language, on or before the date fixed by the Order of
23 July 1996 for the filing of the Counter-Memorial” and that “[a]ny such
document established after that date [would] have to be submitted as an Annex
to the Rejoinder, if Yugoslavia so wishe[d]”.
16. On 23 April 1998, within the time-limit thus extended, Bosnia and
Herzegovina filed its Reply. By a letter dated 27 November 1998, the FRY
requested the Court to extend the time-limit for the filing of its Rejoinder to
22 April 1999. By a letter dated 9 December 1998, Bosnia and Herzegovina
objected to any extension of the time-limit fixed for the filing of the Rejoinder.
By an Order of 11 December 1998, the Court, having regard to the fact that
Bosnia and Herzegovina had been granted an extension of the time-limit for
the filing of its Reply, extended the time-limit for the filing of the Rejoinder of
the FRY to 22 February 1999. The FRY filed its Rejoinder within the time-
limit thus extended.
17. On 19 April 1999, the President of the Court held a meeting with the
representatives of the Parties in order to ascertain their views with regard to
questions of procedure. Bosnia and Herzegovina indicated that it did not
intend to file an additional pleading concerning the counter-claims made by the
FRY and considered the case ready for oral proceedings. The Parties also
expressed their views about the organization of the oral proceedings.
18. By a letter dated 9 June 1999, the then Chairman of the Presidency of
Bosnia and Herzegovina, Mr. Zivko Radisic ´, informed the Court of the appoint-
ment of a Co-Agent, Mr. Svetozar Miletic ´. By a letter dated 10 June 1999, the
thus appointed Co-Agent informed the Court that Bosnia and Herzegovina
wished to discontinue the case. By a letter of 14 June 1999, the Agent of Bosnia
and Herzegovina asserted that the Presidency of Bosnia and Herzegovina had
taken no action to appoint a Co-Agent or to terminate the proceedings before
the Court. By a letter of 15 June 1999, the Agent of the FRY stated that his
Government accepted the discontinuance of the proceedings. By a letter of
21 June 1999, the Agent of Bosnia and Herzegovina reiterated that the Presi-
dency had not made any decision to discontinue the proceedings and transmit-
ted to the Court letters from two members of the Presidency, including the new
Chairman of the Presidency, confirming that no such decision had been made.
19. By letters dated 30 June 1999 and 2 September 1999, the President of the
Court requested the Chairman of the Presidency to clarify the position of
Bosnia and Herzegovina regarding the pendency of the case. By a letter dated
3 September 1999, the Agent of the FRY submitted certain observations on
this matter, concluding that there was an agreement between the Parties to dis-
continue the case. By a letter dated 15 September 1999, the Chairman of the
Presidency of Bosnia and Herzegovina informed the Court that at its 58th ses-
sion held on 8 September 1999, the Presidency had concluded that: (i) the
Presidency “did not make a decision to discontinue legal proceedings before the
International Court of Justice”; (ii) the Presidency “did not make a decision to
name a Co-Agent in this case”; (iii) the Presidency would “inform [the Court]
timely about any further decisions concerning this case”.
20. By a letter of 20 September 1999, the President of the Court informed
13 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 52
nelles au contre-mémoire de la République fédéra[le] de Yougoslavie». Par une
lettre du 14 mai 1998, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine, se référant aux
articles 50 et 52 du Règlement, a contesté la recevabilité de ces documents en
raison de leur dépôt tardif. Le 22 septembre 1998, les Parties ont été informées
que la Cour avait décidé que les documents en question étaient «recevables en
tant qu’annexes au contre-mémoire dans la mesure où ils avaient été établis,
dans la langue originale, au plus tard à la date fixée par l’ordonnance du
23 juillet 1996 pour le dépôt du contre-mémoire» et que «tout document établi
après cette date devrait être annexé à la duplique si la Yougoslavie le sou-
haitait».
16. Le 23 avril 1998, dans le délai ainsi prorogé, la Bosnie-Herzégovine a
déposé sa réplique. Par une lettre en date du 27 novembre 1998, la RFY a
demandé à la Cour de reporter la date d’expiration du délai pour le dépôt de sa
duplique au 22 avril 1999. Par une lettre en date du 9 décembre 1998, la Bosnie-
Herzégovine s’est élevée contre toute prorogation du délai fixé pour le dépôt de
la duplique. Par une ordonnance du 11 décembre 1998, la Cour, eu égard à ce
que la Bosnie-Herzégovine avait elle-même bénéficié d’un report de délai pour
le dépôt de sa réplique, a reporté au 22 février 1999 la date d’expiration du délai
pour le dépôt de la duplique de la RFY. La RFY a déposé sa duplique dans le
délai ainsi prorogé.
17. Le 19 avril 1999, le président de la Cour a tenu une réunion avec les
représentants des Parties afin de connaître leurs vues sur des questions de pro-
cédure. La Bosnie-Herzégovine a fait savoir qu’elle ne déposerait pas de pièce
additionnelle sur les demandes reconventionnelles de la RFY et qu’elle consi-
dérait que l’affaire était en état. Les Parties ont aussi fait part de leurs vues sur
l’organisation de la procédure orale.
18. Par une lettre en date du 9 juin 1999, M. Zivko Radisic ´, alors président
de la présidence de Bosnie-Herzégovine, a informé la Cour de la désignation
d’un coagent, M. Svetozar Miletic ´. Par une lettre en date du 10 juin 1999, le
coagent ainsi désigné a informé la Cour que la Bosnie-Herzégovine souhaitait
se désister de l’instance. Par une lettre en date du 14 juin 1999, l’agent de la
Bosnie-Herzégovine a affirmé que la présidence de la Bosnie-Herzégovine
n’avait pris aucune mesure pour désigner un coagent ou mettre fin à la procé-
dure engagée devant la Cour. Par une lettre du 15 juin 1999, l’agent de la RFY
a déclaré que son gouvernement acceptait le désistement d’instance. Par une
lettre du 21 juin 1999, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a répété que la prési-
dence n’avait pas décidé de se désister de l’instance et il a transmis à la Cour les
lettres de deux membres de la présidence, dont le nouveau président, confir-
mant qu’aucune décision dans ce sens n’avait été prise.
19. Par des lettres en date du 30 juin 1999 et du 2 septembre 1999, le prési-
dent de la Cour a demandé au président de la présidence de préciser la position
de la Bosnie-Herzégovine sur le point de savoir si l’affaire demeurait pendante.
Par une lettre du 3 septembre 1999, l’agent de la RFY a présenté certaines
observations sur cette question, concluant que les deux Parties étaient conve-
nues de mettre fin à la procédure. Par une lettre du 15 septembre 1999, le pré-
sident de la présidence de Bosnie-Herzégovine a informé la Cour que, à
la 58 séance qu’elle avait tenue le 8 septembre 1999, la présidence avait conclu
que: i) elle «n’a[vait] pas pris la décision de se désister de l’instance introduite
devant la Cour internationale de Justice»; ii) elle «n’a[vait] pas pris la décision
de désigner un coagent en cette affaire; iii) elle informerait la Cour «en temps
utile de toute autre décision concernant cette affaire».
20. Par une lettre en date du 20 septembre 1999, le président de la Cour a
1353 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
the Parties that the Court intended to schedule hearings in the case beginning in
the latter part of February 2000 and requested the Chairman of the Presidency
of Bosnia and Herzegovina to confirm that Bosnia and Herzegovina’s position
was that the case should so proceed. By a letter of 4 October 1999, the Agent of
Bosnia and Herzegovina confirmed that the position of his Government was
that the case should proceed and he requested the Court to set a date for the
beginning of the oral proceedings as soon as possible. By a letter dated
10 October 1999, the member of the Presidency of Bosnia and Herzegovina
from the Republika Srpska informed the Court that the letter of 15 Septem-
ber 1999 from the Chairman of the Presidency was “without legal effects”
inter alia because the National Assembly of the Republika Srpska, acting pur-
suant to the Constitution of Bosnia and Herzegovina, had declared the decision
of 15 September “destructive of a vital interest” of the Republika Srpska. On
22 October 1999, the President informed the Parties that, having regard to the
correspondence received on this matter, the Court had decided not to hold
hearings in the case in February 2000.
21. By a letter dated 23 March 2000 transmitting to the Court a letter dated
20 March 2000 from the Chairman of the Presidency, the Agent of Bosnia and
Herzegovina reaffirmed that the appointment of a Co-Agent by the former
Chairman of the Presidency of Bosnia and Herzegovina on 9 June 1999 lacked
any legal basis and that the communications of the Co-Agent did not reflect the
position of Bosnia and Herzegovina. Further, the Agent asserted that, contrary
to the claims of the member of the Presidency of Bosnia and Herzegovina from
the Republic of Srpska, the letter of 15 September 1999 was not subject to the
veto mechanism contained in the Constitution of Bosnia and Herzegovina. The
Agent requested the Court to set a date for oral proceedings at its earliest con-
venience.
22. By a letter dated 13 April 2000, the Agent of the FRY transmitted to the
Court a document entitled “Application for the Interpretation of the Decision
of the Court on the Pendency of the case concerning Application of the Con-
vention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia
and Herzegovina v. Yugoslavia)”, requesting an interpretation of the decision
of the Court to which the President of the Court had referred in his letter dated
22 October 1999. By a letter dated 18 April 2000, the Registrar informed the
Agent of the FRY that, according to Article 60 of the Statute, a request for
interpretation could relate only to a judgment of the Court and therefore the
document transmitted to the Court on 13 April 2000 could not constitute a
request for interpretation and had not been entered on the Court’s General
List. The Registrar further explained that the sole decision to which reference
was made in the letter of 22 October 1999 was that no hearings would be held
in February 2000. The Registrar requested the Agent to transmit as soon as
possible any comments he might have on the letter dated 23 March 2000 from
the Agent of Bosnia and Herzegovina and the letter from the Chairman of the
Presidency enclosed therewith. By a letter dated 25 April 2000, the Agent of the
FRY submitted such comments to the Court and requested that the Court
record and implement the agreement for the discontinuance of the case evi-
denced by the exchange of the letter of the Co-Agent of the Applicant dated
10 June 1999 and the letter of the Agent of the FRY dated 15 June 1999. By a
letter dated 8 May 2000, the Agent of Bosnia and Herzegovina submitted cer-
tain observations regarding the letter dated 25 April 2000 from the Agent of the
FRY and reiterated the wish of his Government to continue with the proceed-
ings in the case. By letters dated 8 June, 26 June and 4 October 2000 from the
14 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 53
informé les Parties que la Cour entendait fixer le début des audiences en
l’affaire à la fin du mois de février 2000, et demandé au président de la prési-
dence de la Bosnie-Herzégovine de confirmer que la position de la Bosnie-Her-
zégovine était que la procédure devait se poursuivre. Par une lettre du 4 octobre
1999, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a confirmé que son gouvernement
estimait que la procédure devait se poursuivre et a demandé à la Cour de fixer
au plus tôt une date pour le début des audiences. Par une lettre datée du
10 octobre 1999, le membre de la présidence de la Bosnie-Herzégovine repré-
sentant la Republika Srpska a informé la Cour que la lettre du 15 septembre
1999 du président de la présidence était «dépourvue d’effet juridique», notam-
ment parce que l’Assemblée nationale de la Republika Srpska, invoquant la
Constitution de la Bosnie-Herzégovine, avait déclaré que la décision du 15 sep-
tembre «portait gravement atteinte à un intérêt vital» de la Republika Srpska.
Le 22 octobre 1999, le président a informé les Parties que, compte tenu de la
correspondance reçue sur cette question, la Cour avait décidé de ne pas tenir
d’audiences en février 2000.
21. Par une lettre en date du 23 mars 2000, sous le couvert de laquelle il
transmettait à la Cour une lettre du président de la présidence datée du
20 mars 2000, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a réaffirmé que la désignation
d’un coagent par l’ancien président de la présidence de Bosnie-Herzégovine, le
9 juin 1999, était dépourvue de base juridique et que les communications du
coagent ne reflétaient pas la position de la Bosnie-Herzégovine. L’agent affir-
mait en outre que, contrairement aux dires du membre de la présidence de
Bosnie-Herzégovine représentant la Republika Srpska, la lettre du 15 sep-
tembre 1999 ne relevait pas de la procédure de veto prévue par la Constitution
de la Bosnie-Herzégovine. L’agent priait aussi la Cour de fixer une date, aussi
rapprochée que possible, pour le début de la procédure orale.
22. Par une lettre en date du 13 avril 2000, l’agent de la RFY a transmis à la
Cour un document intitulé «Requête en interprétation de la décision de la Cour
sur la question de savoir si l’affaire relative à l’Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie) est toujours pendante», demandant l’interprétation de la déci-
sion à laquelle le président de la Cour s’était référé dans sa lettre du 22 oc-
tobre 1999. Par une lettre datée du 18 avril 2000, le greffier a informé l’agent de
la RFY que, aux termes de l’article 60 du Statut, une demande en interpréta-
tion ne pouvait porter que sur un arrêt de la Cour et que, par conséquent, le
document communiqué à la Cour le 13 avril 2000 ne pouvait pas constituer une
requête en interprétation et n’avait donc pas été inscrit au rôle général de la
Cour. Le greffier précisait que la décision visée dans la lettre du 22 octobre 1999
avait pour unique objet de ne pas tenir d’audiences en février 2000. Le greffier
demandait à l’agent de lui faire parvenir au plus vite toutes observations qu’il
pourrait souhaiter formuler sur la lettre de l’agent de la Bosnie-Herzégovine en
date du 23 mars 2000 et la lettre du président de la présidence qui y était jointe.
Par une lettre en date du 25 avril 2000, l’agent de la RFY a soumis ses obser-
vations à la Cour, en la priant de prendre acte et d’assurer l’application de
l’accord sur le désistement de l’instance constaté par l’échange de la lettre du
coagent du demandeur en date du 10 juin 1999 et de la lettre de l’agent de la
RFY en date du 15 juin 1999. Par une lettre en date du 8 mai 2000, l’agent de
la Bosnie-Herzégovine a présenté certaines observations sur la lettre de l’agent
de la RFY en date du 25 avril 2000 et réitéré le souhait de son gouvernement de
voir la procédure suivre son cours. Par des lettres datées du 8 juin, du 26 juin et
du 4 octobre 2000, d’une part, et des 9 juin et 21 septembre 2000, d’autre part,
1454 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
FRY and letters dated 9 June and 21 September 2000 from Bosnia and Herze-
govina, the Agents of the Parties restated their positions.
23. By a letter dated 29 September 2000, Mr. Svetozar Miletic´, who had pur-
portedly been appointed Co-Agent on 9 June 1999 by the then Chairman of the
Presidency of Bosnia and Herzegovina, reiterated his position that the case had
been discontinued. By a letter dated 6 October 2000, the Agent of Bosnia and
Herzegovina stated that this letter and the recent communication from the
Agent of the FRY had not altered the commitment of the Government of
Bosnia and Herzegovina to continue the proceedings.
24. By letters dated 16 October 2000 from the President of the Court and
from the Registrar, the Parties were informed that, at its meeting of 10 Octo-
ber 2000, the Court, having examined all the correspondence received on this
question, had found that Bosnia and Herzegovina had not demonstrated its
will to withdraw the Application in an unequivocal manner. The Court had
thus concluded that there had been no discontinuance of the case by Bosnia
and Herzegovina. Consequently, in accordance with Article 54 of the Rules, the
Court, after having consulted the Parties, would, at an appropriate time, fix a
date for the opening of the oral proceedings.
25. By a letter dated 18 January 2001, the Minister for Foreign Affairs of the
FRY requested the Court to grant a stay of the proceedings or alternatively to
postpone the opening of the oral proceedings for a period of 12 months due,
inter alia, to the change of Government of the FRY and the resulting funda-
mental change in the policies and international position of that State. By a let-
ter dated 25 January 2001, the Agent of Bosnia and Herzegovina communi-
cated the views of his Government on the request made by the FRY and
reserved his Government’s final judgment on the matter, indicating that, in the
intervening period, Bosnia and Herzegovina’s position continued to be that
there should be an expedited resolution of the case.
26. By a letter dated 20 April 2001, the Agent of the FRY informed the
Court that his Government wished to withdraw the counter-claims submitted
by the FRY in its Counter-Memorial. The Agent also informed the Court that
his Government was of the opinion that the Court did not have jurisdiction
ratione personae over the FRY and further that the FRY intended to submit an
application for revision of the Judgment of 11 July 1996. On 24 April 2001, the
FRY filed in the Registry of the Court an Application instituting proceedings
whereby, referring to Article 61 of the Statute, it requested the Court to revise
the Judgment delivered on Preliminary Objections on 11 July 1996 (Application
for Revision of the Judgment of 11 July 1996 in the Case concerning Applica-
tion of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary Objections
(Yugoslavia v. Bosnia and Herzegovina), hereinafter referred to as “the Appli-
cation for Revision case”). In the present case the Agent of the FRY submitted,
under cover of a letter dated 4 May 2001, a document entitled “Initiative to the
Court to Reconsider ex officio Jurisdiction over Yugoslavia”, accompanied by
one volume of annexes (hereinafter “the Initiative”). The Agent informed the
Court that the Initiative was based on facts and arguments which were essen-
tially identical to those submitted in the FRY’s Application for revision of the
Judgment of 11 July 1996 since his Government believed that these were both
appropriate procedural avenues. In the Initiative, the FRY requested the Court
to adjudge and declare that it had no jurisdiction ratione personae over the
FRY, contending that it had not been a party to the Statute of the Court until
its admission to the United Nations on 1 November 2000, that it had not been
15 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 54
les agents de la RFY et de la Bosnie-Herzégovine ont réaffirmé leurs positions
respectives.
23. Par une lettre en date du 29 septembre 2000, M. Svetozar Miletic ´,
coagent censément désigné le 9 juin 1999 par le président de la présidence de
Bosnie-Herzégovine, a redit que, selon lui, il y avait eu désistement en l’affaire.
Par une lettre datée du 6 octobre 2000, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a
affirmé que ni cette communication ni celle récemment reçue de l’agent de la
RFY n’avaient modifié la résolution du Gouvernement de la Bosnie-Herzégo-
vine de poursuivre l’instance.
24. Par des lettres en date du 16 octobre 2000, le président de la Cour et le
greffier ont informé les Parties que, ayant examiné toute la correspondance
reçue sur cette question, la Cour, à sa séance du 10 octobre 2000, avait constaté
que la Bosnie-Herzégovine n’avait pas manifesté de manière non équivoque sa
volonté de retirer sa requête et avait donc conclu qu’il n’y avait pas eu en
l’espèce désistement de la Bosnie-Herzégovine. Conformément à l’article 54 du
Règlement, la Cour, après avoir consulté les Parties, fixerait donc, le moment
venu, la date d’ouverture de la procédure orale.
25. Par une lettre en date du 18 janvier 2001, le ministre des affaires étran-
gères de la RFY a prié la Cour de suspendre la procédure ou de reporter de
douze mois la date de l’ouverture des audiences en arguant, notamment, du
changement de gouvernement intervenu en RFY et de la mutation radicale de
l’orientation et de la position internationale de ce pays qui s’en était ensuivie.
Par une lettre datée du 25 janvier 2001, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a
communiqué à la Cour les observations de son gouvernement sur la demande
de la RFY et dit que son gouvernement réservait sa position finale sur cette
question, mais que, en attendant, la Bosnie-Herzégovine restait favorable à un
prompt règlement du différend.
26. Par une lettre en date du 20 avril 2001, l’agent de la RFY a informé la
Cour que son gouvernement souhaitait retirer les demandes reconventionnelles
présentées par la RFY dans son contre-mémoire; que, par ailleurs, son gouver-
nement considérait que la Cour n’avait pas compétence ratione personae à
l’égard de la RFY, et que celle-ci avait l’intention de déposer une demande en
revision de l’arrêt du 11 juillet 1996. Le 24 avril 2001, la RFY a déposé au
Greffe de la Cour une requête introductive d’instance dans laquelle, se référant
à l’article 61 du Statut de la Cour, elle priait celle-ci de reviser l’arrêt rendu sur
les exceptions préliminaires le 11 juillet 1996 (Demande en revision de l’arrêt du
11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougo-
slavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine) , dénom-
mée ci-après l’«affaire de la Demande en revision »). En la présente espèce,
l’agent de la RFY, sous le couvert d’une lettre en date du 4 mai 2001, a soumis
un document intitulé «Initiative présentée à la Cour aux fins d’un réexamen
d’office de sa compétence» et accompagné d’un volume d’annexes (dénommé
ci-après l’«Initiative»). L’agent informait la Cour que l’Initiative reposait sur
des faits et des arguments substantiellement identiques à ceux qu’avait présen-
tés la RFY dans sa demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996, son gou-
vernement estimant qu’il s’agissait de deux cadres procéduraux également per-
tinents. Dans l’Initiative, la RFY priait la Cour de dire et juger qu’elle n’était
pas compétente ratione personae à son égard, au motif qu’elle n’était pas partie
aerStatut de la Cour avant son admission à l’Organisation des Nations Unies le
1 novembre 2000, qu’elle n’avait pas été et n’était toujours pas partie à la
1555 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
and still was not a party to the Genocide Convention; it added moreover that
its notification of accession to that Convention dated 8 March 2001 contained
a reservation to Article IX thereof. The FRY asked the Court to suspend the
proceedings on the merits until a decision was rendered on the Initiative.
27. By a letter dated 12 July 2001 and received in the Registry on
15 August 2001, Bosnia and Herzegovina informed the Court that it had no
objection to the withdrawal of the counter-claims by the FRY and stated that
it intended to submit observations regarding the Initiative. By an Order dated
10 September 2001, the President of the Court placed on record the withdrawal
by the FRY of the counter-claims submitted in its Counter-Memorial.
28. By a letter dated 3 December 2001, Bosnia and Herzegovina provided
the Court with its views regarding the Initiative and transmitted a memoran-
dum on “differences between the Application for Revision of 23 April 2001 and
the ‘Initiative’ of 4 May 2001” as well as a copy of the written observations and
annexes filed by Bosnia and Herzegovina on 3 December 2001 in the Applica-
tion for Revision case. In that letter, Bosnia and Herzegovina submitted that
“there [was] no basis in fact nor in law to honour this so-called ‘Initiative’”
and requested the Court inter alia to “respond in the negative to the request
embodied in the ‘Initiative’”.
29. By a letter dated 22 February 2002 to the President of the Court, Judge
ad hoc Lauterpacht resigned from the case.
30. Under cover of a letter of 18 April 2002, the Registrar, referring to
Article 34, paragraph 3, of the Statute, transmitted copies of the written pro-
ceedings to the Secretary-General of the United Nations.
31. In its Judgment of 3 February 2003 in the Application for Revision case,
the Court found that the FRY’s Application for revision, under Article 61 of
the Statute of the Court, of the Judgment of 11 July 1996 on preliminary objec-
tions was inadmissible.
32. By a letter dated 5 February 2003, the FRY informed the Court that,
following the adoption and promulgation of the Constitutional Charter of
Serbia and Montenegro by the Assembly of the FRY on 4 February 2003,
the name of the State had been changed from the “Federal Republic of Yugo-
slavia” to “Serbia and Montenegro”. The title of the case was duly changed
and the name “Serbia and Montenegro” was used thereafter for all official pur-
poses of the Court.
33. By a letter of 17 February 2003, Bosnia and Herzegovina reaffirmed its
position with respect to the Initiative, as stated in the letter of 3 Decem-
ber 2001, and expressed its desire to proceed with the case. By a letter dated
8 April 2003, Serbia and Montenegro submitted that, due to major new devel-
opments since the filing of the last written pleading, additional written plead-
ings were necessary in order to make the oral proceedings more effective and
less time-consuming. On 24 April 2003, the President of the Court held a meet-
ing with the Agents of the Parties to discuss questions of procedure. Serbia and
Montenegro stated that it maintained its request for the Court to rule on its
Initiative while Bosnia and Herzegovina considered that there was no need for
additional written pleadings. The possible dates and duration of the oral pro-
ceedings were also discussed.
34. By a letter dated 25 April 2003, Bosnia and Herzegovina chose
Mr. Ahmed Mahiou to sit as judge ad hoc in the case.
16 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 55
convention sur le génocide et que, de surcroît, elle avait assorti sa notification
d’adhésion à ladite Convention, datée du 8 mars 2001, d’une réserve à l’ar-
ticle IX. La RFY priait la Cour de surseoir à statuer sur le fond tant qu’elle
ne se serait pas prononcée sur l’Initiative.
27. Par une lettre en date du 12 juillet 2001 reçue au Greffe le 15 août 2001,
la Bosnie-Herzégovine a indiqué à la Cour qu’elle n’avait pas d’objection au
retrait par la RFY de ses demandes reconventionnelles et a fait part de son
intention de présenter des observations au sujet de l’Initiative. Par une ordon-
nance en date du 10 septembre 2001, le président de la Cour a pris acte du
retrait par la RFY des demandes reconventionnelles présentées dans son contre-
mémoire.
28. Par une lettre en date du 3 décembre 2001, la Bosnie-Herzégovine a fait
connaître à la Cour son point de vue sur l’Initiative et lui a transmis un mémo-
randum sur «les différences entre la demande en revision du 23 avril 2001 et
«l’Initiative» du 4 mai 2001», ainsi qu’une copie des observations écrites et
annexes déposées par elle le 3 décembre 2001 en l’affaire de la Demande en revi-
sion. Dans cette lettre, la Bosnie-Herzégovine soutenait que «rien, en fait ou en
droit, ne permet[tait] de donner suite à cette prétendue «Initiative»» et priait la
Cour, notamment, de «répond[re] par la négative à la demande formulée par le
biais de cette «Initiative»».
29. Par une lettre en date du 22 février 2002 adressée au président de la
Cour, M. Lauterpacht a démissionné de ses fonctions de juge ad hoc en
l’affaire.
30. Sous le couvert d’une lettre du 18 avril 2002, le greffier, se référant au
paragraphe 3 de l’article 34 du Statut, a communiqué la procédure écrite au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
31. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 3 février 2003 dans l’affaire de la Demande
en revision, la Cour a jugé que la demande en revision de son arrêt du
11 juillet 1996 sur les exceptions préliminaires, déposée par la RFY en vertu de
l’article 61 du Statut de la Cour, était irrecevable.
32. Par une lettre en date du 5 février 2003, la RFY a informé la Cour que,
à la suite de l’adoption et de la promulgation par l’Assemblée de la RFY, le
4 février 2003, de la charte constitutionnelle de la Serbie-et-Monténégro, le
nom de l’Etat de la «République fédérale de Yougoslavie» était désormais
«Serbie-et-Monténégro». Le titre de l’affaire a été dûment modifié et la déno-
mination «Serbie-et-Monténégro» a été ensuite utilisée par la Cour à toutes
fins officielles.
33. Par une lettre en date du 17 février 2003, la Bosnie-Herzégovine a
confirmé sa position au sujet de l’Initiative, telle qu’elle l’avait exposée dans sa
lettre du 3 décembre 2001, et exprimé le souhait que la procédure se poursuive.
Par une lettre du 8 avril 2003, la Serbie-et-Monténégro a indiqué que, en raison
d’importants événements survenus depuis le dépôt de la dernière pièce écrite,
d’autres pièces de procédure écrite étaient nécessaires pour que la procédure
orale soit plus efficace et moins longue. Le 24 avril 2003, le président de la Cour
a tenu une réunion avec les agents des Parties pour parler de questions de pro-
cédure. La Serbie-et-Monténégro a déclaré maintenir la demande qu’elle avait
faite à la Cour de statuer sur son Initiative, tandis que la Bosnie-Herzégovine a
déclaré considérer qu’il n’était pas nécessaire de déposer des pièces écrites sup-
plémentaires. Les dates et la durée possibles de la procédure orale ont égale-
ment été abordées.
34. Par une lettre en date du 25 avril 2003, la Bosnie-Herzégovine a désigné
M. Ahmed Mahiou comme juge ad hoc en l’affaire.
1656 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
35. By a letter of 12 June 2003, the Registrar informed Serbia and Montene-
gro that the Court could not accede to its request that the proceedings be sus-
pended until a decision was rendered on the jurisdictional issues raised in the
Initiative; however, should it wish to do so, Serbia and Montenegro would be
free to present further argument on jurisdictional questions during the oral pro-
ceedings on the merits. In further letters of the same date, the Parties were
informed that the Court, having considered Serbia and Montenegro’s request,
had decided not to authorize the filing of further written pleadings in the case.
36. In an exchange of letters in October and November 2003, the Agents of
the Parties made submissions as to the scheduling of the oral proceedings.
37. Following a further exchange of letters between the Parties in March
and April 2004, the President held a meeting with the Agents of the Parties on
25 June 2004, at which the Parties presented their views on, inter alia, the
scheduling of the hearings and the calling of witnesses and experts.
38. By letters dated 26 October 2004, the Parties were informed that, after
examining the list of cases before it ready for hearing and considering all the
relevant circumstances, the Court had decided to fix Monday 27 February 2006
for the opening of the oral proceedings in the case.
39. On 14 March 2005, the President met with the Agents of the Parties in
order to ascertain their views with regard to the organization of the oral pro-
ceedings. At this meeting, both Parties indicated that they intended to call wit-
nesses and experts.
40. By letters dated 19 March 2005, the Registrar, referring to Articles 57
and 58 of the Rules of Court, requested the Parties to provide, by 9 Septem-
ber 2005, details of the witnesses, experts and witness-experts whom they
intended to call and indications of the specific point or points to which the evi-
dence of the witness, expert or witness-expert would be directed. By a letter of
8 September 2005, the Agent of Serbia and Montenegro transmitted to the
Court a list of eight witnesses and two witness-experts whom his Government
wished to call during the oral proceedings. By a further letter of the same date,
the Agent of Serbia and Montenegro communicated a list of five witnesses
whose attendance his Government requested the Court to arrange pursuant to
Article 62, paragraph 2, of the Rules of Court. By a letter dated 9 Septem-
ber 2005, Bosnia and Herzegovina transmitted to the Court a list of three
experts whom it wished to call at the hearings.
41. By a letter dated 5 October 2005, the Deputy Agent of Bosnia and
Herzegovina informed the Registry of Bosnia and Herzegovina’s views with
regard to the time that it considered necessary for the hearing of the experts it
wished to call and made certain submissions, inter alia, with respect to the
request made by Serbia and Montenegro pursuant to Article 62, paragraph 2,
of the Rules of Court. By letters of 4 and 11 October 2005, the Agent and the
Co-Agent of Serbia and Montenegro, respectively, informed the Registry of the
views of their Government with respect to the time necessary for the hearing of
the witnesses and witness-experts whom it wished to call.
42. By letters of 15 November 2005, the Registrar informed the Parties,
inter alia, that the Court had decided that it would hear the three experts and
ten witnesses and witness-experts that Bosnia and Herzegovina and Serbia and
Montenegro respectively wished to call and, moreover, that it had decided not
to arrange for the attendance, pursuant to Article 62, paragraph 2, of the Rules
17 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 56
35. Par une lettre en date du 12 juin 2003, le greffier a informé la Serbie-et-
Monténégro que la Cour ne pouvait accéder à sa demande tendant à ce que la
procédure soit suspendue jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue sur les ques-
tions de compétence soulevées dans l’Initiative mais que, si la Serbie-et-Mon-
ténégro le souhaitait, elle serait libre de présenter des observations complémen-
taires à la Cour sur les questions de compétence au cours de la procédure orale
sur le fond. Par d’autres lettres portant la même date, les Parties ont été infor-
mées que la Cour, ayant examiné la demande de la Serbie-et-Monténégro, avait
décidé de ne pas autoriser le dépôt d’autres pièces de procédure en l’affaire.
36. Dans le cadre d’un échange de lettres, en octobre et en novembre 2003,
les agents des Parties ont fait des observations sur le calendrier de la procédure
orale.
37. A la suite d’un autre échange de lettres entre les Parties, en mars et
en avril 2004, le président a tenu une réunion avec les agents des Parties le
25 juin 2004, au cours de laquelle celles-ci ont notamment présenté leur point
de vue sur le calendrier des audiences et la citation de témoins et d’experts.
38. Par des lettres en date du 26 octobre 2004, les Parties ont été informées
que, après avoir examiné la liste des affaires en état et à la lumière de toutes les
circonstances pertinentes, la Cour avait décidé de fixer au lundi 27 février 2006
la date de l’ouverture de la procédure orale en l’affaire.
39. Le 14 mars 2005, le président a rencontré les agents des Parties pour
s’informer de leurs vues sur l’organisation de la procédure orale. Au cours de
cette réunion, les deux Parties ont indiqué qu’elles avaient l’intention de faire
entendre des témoins et des experts.
40. Par des lettres en date du 19 mars 2005, le greffier, se référant aux
articles 57 et 58 du Règlement, a demandé aux Parties de fournir avant le 9 sep-
tembre 2005 des renseignements détaillés sur les témoins, experts et témoins-
experts qu’elles entendaient faire comparaître, en indiquant le ou les points
particuliers sur lesquels porterait leur déposition ou exposé. Par une lettre du
8 septembre 2005, l’agent de la Serbie-et-Monténégro a communiqué à la Cour
une liste de huit témoins et deux témoins-experts que son gouvernement sou-
haitait faire entendre au cours de la procédure orale. Par une autre lettre por-
tant la même date, l’agent de la Serbie-et-Monténégro a communiqué la liste de
cinq témoins que son gouvernement demandait à la Cour de faire déposer
conformément au paragraphe 2 de l’article 62 du Règlement. Par une lettre du
9 septembre 2005, la Bosnie-Herzégovine a communiqué à la Cour la liste des
trois experts qu’elle souhaitait faire entendre.
41. Par une lettre en date du 5 octobre 2005, l’agent adjoint de la Bosnie-
Herzégovine a informé le Greffe des vues de la Bosnie-Herzégovine sur le temps
qui paraissait nécessaire à celle-ci aux fins de l’audition des experts qu’elle sou-
haitait voir comparaître à l’audience et formulé certaines observations, notam-
ment sur la demande faite par la Serbie-et-Monténégro sur le fondement du
paragraphe 2 de l’article 62 du Règlement. Par des lettres datées du 4 et du
11 octobre 2005, l’agent et le coagent de la Serbie-et-Monténégro, respective-
ment, ont informé le Greffe des vues de leur gouvernement sur le temps qui
paraissait nécessaire à celui-ci aux fins de l’audition des témoins et témoins-
experts qu’il souhaitait voir comparaître à l’audience.
42. Par des lettres en date du 15 novembre 2005, le greffier a informé les
Parties, notamment, que la Cour avait décidé d’entendre les trois experts et
dix témoins et témoins-experts que la Bosnie-Herzégovine et la Serbie-et-Mon-
ténégro, respectivement, souhaitaient voir comparaître et qu’elle avait en outre
décidé de ne pas faire déposer, conformément au paragraphe 2 de l’article 62 du
1757 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
of Court, of the five witnesses proposed by Serbia and Montenegro. However,
the Court reserved the right to exercise subsequently, if necessary, its powers
under that provision to call persons of its choosing on its own initiative. The
Registrar also requested the Parties to provide certain information related to
the hearing of the witnesses, experts and witness-experts including, inter alia,
the language in which each witness, expert or witness-expert would speak and,
in respect of those speaking in a language other than English or French, the
arrangements which the Party intended to make, pursuant to Article 70, para-
graph 2, of the Rules of Court, for interpretation into one of the official lan-
guages of the Court. Finally the Registrar transmitted to the Parties the calen-
dar for the oral proceedings as adopted by the Court.
43. By a letter dated 12 December 2005, the Agent of Serbia and Montene-
gro informed the Court, inter alia, that eight of the ten witnesses and witness-
experts it wished to call would speak in Serbian and outlined the arrangements
that Serbia and Montenegro would make for interpretation from Serbian to
one of the official languages of the Court. By a letter dated 15 December 2005,
the Deputy Agent of Bosnia and Herzegovina informed the Court, inter alia,
that the three experts called by Bosnia and Herzegovina would speak in one of
the official languages of the Court.
44. By a letter dated 28 December 2005, the Deputy Agent of Bosnia and
Herzegovina, on behalf of the Government, requested that the Court call upon
Serbia and Montenegro, under Article 49 of the Statute and Article 62, para-
graph 1, of the Rules of Court, to produce a certain number of documents. By
a letter dated 16 January 2006, the Agent of Serbia and Montenegro informed
the Court of his Government’s views on this request. By a letter dated 19 Janu-
ary 2006, the Registrar, acting on the instructions of the Court, asked Bosnia
and Herzegovina to provide certain further information relating to its request
under Article 49 of the Statute and Article 62, paragraph 2, of the Rules of
Court. By letters dated 19 and 24 January 2006, the Deputy Agent of Bosnia
and Herzegovina submitted additional information and informed the Court
that Bosnia and Herzegovina had decided, for the time being, to restrict its
request to the redacted sections of certain documents. By a letter dated 31 Janu-
ary 2006, the Co-Agent of Serbia and Montenegro communicated his Govern-
ment’s views regarding this modified request. By letters dated 2 February 2006,
the Registrar informed the Parties that the Court had decided, at this stage of
the proceedings, not to call upon Serbia and Montenegro to produce the docu-
ments in question. However, the Court reserved the right to exercise subse-
quently, if necessary, its powers under Article 49 of the Statute and Article 62,
paragraph 1, of the Rules of Court, to request, proprio motu, the production by
Serbia and Montenegro of the documents in question.
45. By a letter dated 16 January 2006, the Deputy Agent of Bosnia and
Herzegovina transmitted to the Registry copies of new documents that Bosnia
and Herzegovina wished to produce pursuant to Article 56 of the Rules of
Court. Under cover of the same letter and of a letter dated 23 January 2006, the
Deputy Agent of Bosnia and Herzegovina also transmitted to the Registry
copies of video material, extracts of which Bosnia and Herzegovina intended
to present at the oral proceedings. By a letter dated 31 January 2006, the Co-
Agent of Serbia and Montenegro informed the Court that his Government did
not object to the production of the new documents by Bosnia and Herzegovina.
Nor did it object to the video material being shown at the oral proceedings. By
18 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 57
Règlement, les cinq témoins proposés par la Serbie-et-Monténégro. Toutefois,
la Cour se réservait le droit d’exercer ultérieurement, s’il y avait lieu, les pou-
voirs que lui donnait cette disposition de faire comparaître de sa propre initia-
tive des personnes de son choix. Le greffier demandait aussi aux Parties de
fournir certains renseignements relatifs à l’audition des témoins, experts et
témoins-experts, notamment de préciser la langue dans laquelle chacun d’eux
s’exprimerait et, s’agissant de ceux qui emploieraient une langue autre que le
français ou l’anglais, les dispositions que les Parties entendaient prendre, en
application du paragraphe 2 de l’article 70 du Règlement, pour assurer l’inter-
prétation dans l’une des langues officielles de la Cour. Enfin, le greffier com-
muniquait aux Parties le calendrier des audiences adopté par la Cour.
43. Par une lettre en date du 12 décembre 2005, l’agent de la Serbie-et-Mon-
ténégro a informé la Cour, notamment, que huit des dix témoins et témoins-
experts que la Serbie-et-Monténégro souhaitait faire entendre s’exprimeraient
en serbe, et a présenté les dispositions que prendrait la Serbie-et-Monténégro
pour assurer l’interprétation du serbe dans l’une des langues officielles de la
Cour. Par une lettre datée du 15 décembre 2005, l’agent adjoint de la Bosnie-
Herzégovine a informé la Cour, notamment, que les trois experts cités par la
Bosnie-Herzégovine s’exprimeraient dans l’une des langues officielles de la
Cour.
44. Par une lettre en date du 28 décembre 2005, l’agent adjoint de la Bosnie-
Herzégovine, au nom de son gouvernement, a demandé à la Cour d’inviter la
Serbie-et-Monténégro, en application de l’article 49 du Statut et du para-
graphe 1 de l’article 62 du Règlement, à produire un certain nombre de docu-
ments. Par une lettre datée du 16 janvier 2006, l’agent de la Serbie-et-Monté-
négro a informé la Cour des vues de son gouvernement sur cette demande. Par
une lettre datée du 19 janvier 2006, le greffier, agissant sur instruction de la
Cour, a prié la Bosnie-Herzégovine de fournir certains renseignements se rap-
portant à la demande qu’elle avait faite dans le cadre de l’article 49 du Statut et
du paragraphe 2 de l’article 62 du Règlement. Par des lettres en date des 19 et
24 janvier 2006, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine a communiqué des
renseignements complémentaires et informé la Cour que la Bosnie-Herzégovine
avait décidé pour le moment de limiter sa demande aux passages occultés de
certains documents. Par une lettre datée du 31 janvier 2006, le coagent de la
Serbie-et-Monténégro a communiqué les vues de son gouvernement concernant
cette demande modifiée. Par des lettres datées du 2 février 2006, le greffier a
informé les Parties que la Cour avait décidé, à ce stade de la procédure, de ne
pas inviter la Serbie-et-Monténégro à produire les documents en question. Tou-
tefois, la Cour se réservait le droit d’exercer ultérieurement, s’il y avait lieu, les
pouvoirs que lui donnaient l’article 49 du Statut et le paragraphe 1 de l’ar-
ticle 62 du Règlement de demander d’office à la Serbie-et-Monténégro de pro-
duire ces documents.
45. Par une lettre en date du 16 janvier 2006, l’agent adjoint de la Bosnie-
Herzégovine a adressé au Greffe des exemplaires de documents nouveaux que
la Bosnie-Herzégovine souhaitait produire conformément à l’article 56 du
Règlement. Sous le couvert de cette même lettre et d’une lettre en date du
23 janvier 2006, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine a aussi communiqué
au Greffe des copies d’enregistrements vidéo dont la Bosnie-Herzégovine avait
l’intention de présenter des extraits au cours des audiences. Par une lettre en
date du 31 janvier 2006, le coagent de la Serbie-et-Monténégro a informé la
Cour que son gouvernement n’avait pas d’objections à ce que la Bosnie-Herzé-
govine produise les documents nouveaux. Il n’avait pas non plus d’objections à
1858 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
letters of 2 February 2006, the Registrar informed the Parties that, in view of
the fact that no objections had been raised by Serbia and Montenegro, the
Court had decided to authorize the production of the new documents by Bos-
nia and Herzegovina pursuant to Article 56 of the Rules of Court and that it
had further decided that Bosnia and Herzegovina could show extracts of the
video material at the hearings.
46. Under cover of a letter dated 18 January 2006 and received on 20 Janu-
ary 2006, the Agent of Serbia and Montenegro provided the Registry with
copies of new documents which his Government wished to produce pursuant
to Article 56 of the Rules of Court. By a letter of 1 February 2006, the Deputy
Agent of Bosnia and Herzegovina informed the Court that Bosnia and Herze-
govina did not object to the production of the said documents by Serbia and
Montenegro. By a letter dated 2 February 2006, the Registrar informed the
Parties that, in view of the fact that no objection had been raised by Bosnia and
Herzegovina, the Court had decided to authorize the production of the new
documents by Serbia and Montenegro. By a letter dated 9 February 2006, the
Co-Agent of Serbia and Montenegro transmitted to the Court certain missing
elements of the new documents submitted on 20 January 2006 and made a
number of observations concerning the new documents produced by Bosnia
and Herzegovina. By a letter dated 20 February 2006, the Deputy Agent of
Bosnia and Herzegovina informed the Court that Bosnia and Herzegovina did
not intend to make any observations regarding the new documents produced
by Serbia and Montenegro.
47. Under cover of a letter dated 31 January 2006, the Co-Agent of Serbia
and Montenegro transmitted to the Court a list of public documents that his
Government would refer to in its first round of oral argument. By a further
letter dated 14 February 2006, the Co-Agent of Serbia and Montenegro trans-
mitted to the Court copies of folders containing the public documents referred
to in the list submitted on 31 January 2006 and informed the Court that Serbia
and Montenegro had decided not to submit the video materials included in that
list. By a letter dated 20 February 2006, the Deputy Agent of Bosnia and
Herzegovina informed the Court that Bosnia and Herzegovina had no obser-
vations to make regarding the list of public documents submitted by Serbia and
Montenegro on 31 January 2006. He also stated that Bosnia and Herzegovina
would refer to similar sources during its pleadings and was planning to provide
the Court and the Respondent, at the end of the first round of its oral argu-
ment, with a CD-ROM containing materials it had quoted (see below,
paragraph 54).
48. By a letter dated 26 January 2006, the Registrar informed the Parties of
certain decisions taken by the Court with regard to the hearing of the witnesses,
experts and witness-experts called by the Parties including, inter alia, that,
exceptionally, the verbatim records of the sittings at which the witnesses,
experts and witness-experts were heard would not be made available to the
public or posted on the website of the Court until the end of the oral proceed-
ings.
49. By a letter dated 13 February 2006, the Agent of Serbia and Montenegro
informed the Court that his Government had decided not to call two of the
witnesses and witness-experts included in the list transmitted to the Court on
8 September 2005 and that the order in which the remaining witnesses and
witness-expert would be heard had been modified. By a letter dated 21 Feb-
ruary 2006, the Agent of Serbia and Montenegro requested the Court’s per-
19 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 58
ce que les enregistrements vidéo soient présentés au cours des audiences. Par
des lettres du 2 février 2006, le greffier a informé les Parties que, la Serbie-et-
Monténégro n’ayant pas soulevé d’objections, la Cour avait décidé d’autoriser
la Bosnie-Herzégovine à produire les documents nouveaux conformément à
l’article 56 du Règlement, et qu’elle avait aussi décidé de l’autoriser à présenter
au cours des audiences des extraits des enregistrements vidéo.
46. Sous le couvert d’une lettre datée du 18 janvier 2006 et reçue le 20 jan-
vier 2006, l’agent de la Serbie-et-Monténégro a transmis au Greffe des copies de
documents nouveaux que son gouvernement souhaitait produire au titre de
l’article 56 du Règlement. Par une lettre en date du 1 er février 2006, l’agent
adjoint de la Bosnie-Herzégovine a informé la Cour que la Bosnie-Herzégovine
ne s’opposait pas à la production desdits documents par la Serbie-et-Monténé-
gro. Par une lettre en date du 2 février 2006, le greffier a informé les Parties que,
la Bosnie-Herzégovine n’ayant pas soulevé d’objection, la Cour avait décidé
d’autoriser la production des documents nouveaux par la Serbie-et-Monténé-
gro. Par une lettre datée du 9 février 2006, le coagent de la Serbie-et-Monténé-
gro a transmis à la Cour certains éléments manquants des documents nouveaux
présentés le 20 janvier 2006 et fait certaines observations concernant les docu-
ments nouveaux produits par la Bosnie-Herzégovine. Par une lettre du 20 février
2006, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine a informé la Cour que la Bos-
nie-Herzégovine n’avait pas l’intention de présenter des observations au sujet
des documents nouveaux produits par la Serbie-et-Monténégro.
47. Sous le couvert d’une lettre en date du 31 janvier 2006, le coagent de la
Serbie-et-Monténégro a transmis à la Cour une liste de documents publics aux-
quels son gouvernement entendait se référer lors du premier tour de la procé-
dure orale. Par une autre lettre datée du 14 février 2006, le coagent de la Serbie-
et-Monténégro a communiqué à la Cour des exemplaires de dossiers contenant
les documents publics répertoriés dans la liste soumise le 31 janvier 2006, et l’a
informée que la Serbie-et-Monténégro avait décidé de ne pas présenter les enre-
gistrements vidéo mentionnés dans cette liste. Par une lettre datée du
20 février 2006, l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine a informé la Cour que
la Bosnie-Herzégovine n’avait pas d’observations à présenter au sujet des docu-
ments publics figurant sur la liste soumise par la Serbie-et-Monténégro le
31 janvier 2006. Il a également indiqué que la Bosnie-Herzégovine se référerait,
à l’audience, à des sources analogues et prévoyait de fournir à la Cour et au
défendeur, à la fin de son premier tour de plaidoiries, un CD-ROM contenant
les versions numérisées des documents qu’elle aurait cités (voir paragraphe 54
ci-après).
48. Par une lettre en date du 26 janvier 2006, le greffier a porté à la connais-
sance des Parties certaines décisions que la Cour avait prises au sujet de l’audi-
tion des témoins, experts et témoins-experts qu’elles feraient comparaître,
notamment quant au fait que, exceptionnellement, les comptes rendus des
audiences au cours desquelles des témoins, experts et témoins-experts auraient
été entendus ne seraient pas accessibles au public ni publiés sur le site Internet
de la Cour avant la fin de la procédure orale.
49. Par une lettre en date du 13 février 2006, l’agent de la Serbie-et-Monté-
négro a informé la Cour que son gouvernement avait décidé de ne pas faire
comparaître deux des témoins et témoins-experts dont le nom figurait sur la
liste communiquée à la Cour le 8 septembre 2005 et que l’ordre dans lequel les
autres témoins et témoins-experts seraient entendus avait été modifié. Par une
lettre en date du 21 février 2006, l’agent de la Serbie-et-Monténégro a demandé
1959 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
mission for the examination of three of the witnesses called by his Govern-
ment to be conducted in Serbian (namely, Mr. Dušan Mihajlovic ´,
Mr. Vladimir Milic ´evi´, Mr. Dragoljub Mic ´unovi´). By a letter dated 22 Feb-
ruary 2006, the Registrar informed the Agent of Serbia and Montenegro that
there was no objection to such a procedure being followed, pursuant to the pro-
visions of Article 39, paragraph 3, of the Statute and Article 70 of the Rules of
Court.
50. Pursuant to Article 53, paragraph 2, of the Rules, the Court, after ascer-
taining the views of the Parties, decided that copies of the pleadings and docu-
ments annexed would be made available to the public at the opening of the oral
proceedings.
51. Public sittings were held from 27 February to 9 May 2006, at which the
Court heard the oral arguments and replies of:
For Bosnia and Herzegovina: Mr. Sakib Softic´,
Mr. Phon van den Biesen,
Mr. Alain Pellet,
Mr. Thomas M. Franck,
Ms Brigitte Stern,
Mr. Luigi Condorelli,
Ms Magda Karagiannakis,
Ms Joanna Korner,
Ms Laura Dauban,
Mr. Antoine Ollivier,
Mr. Morten Torkildsen.
For Serbia and Montenegro: H.E. Mr. Radoslav Stojanovic ´,
Mr. Saša Obradovic ´,
Mr. Vladimir Cvetkovic ´,
Mr. Tibor Varady,
Mr. Ian Brownlie,
Mr. Xavier de Roux,
Ms Nataša Fauveau-Ivanovic ´,
Mr. Andreas Zimmerman,
Mr. Vladimir Djeric ´,
Mr. Igor Olujic´.
52. On 1 March 2006, the Registrar, on the instructions of the Court,
requested Bosnia and Herzegovina to specify the precise origin of each of the
extracts of video material and of the graphics, charts and photographs shown
or to be shown at the oral proceedings. On 2 March 2006 Bosnia and Herze-
govina provided the Court with certain information regarding the extracts of
video material shown at the sitting on 1 March 2006 and those to be shown at
the sittings on 2 March 2006 including the source of such video material. Under
cover of a letter dated 5 March 2006, the Agent of Bosnia and Herzegovina
transmitted to the Court a list detailing the origin of the extracts of video
material, graphics, charts and photographs shown or to be shown by it
during its first round of oral argument, as well as transcripts, in English and in
French, of the above-mentioned extracts of video material.
53. By a letter dated 5 March 2006, the Agent of Bosnia and Herzegovina
informed the Court that it wished to withdraw one of the experts it had
intended to call. In that letter, the Agent of Bosnia and Herzegovina also asked
the Court to request each of the Parties to provide a one-page outline per wit-
20 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 59
l’autorisation de la Cour pour interroger en serbe trois des témoins que son
gouvernement entendait faire déposer (à savoir, MM. Dušan Mihajlovic ´, Vla-
dimir Mili´evi´ et Dragoljub Mi´unovi´). Par une lettre datée du 22 février 2006,
le greffier a informé l’agent de la Serbie-et-Monténégro qu’il n’y avait, au
regard du paragraphe 3 de l’article 39 du Statut et de l’article 70 du Règlement,
aucune objection à ce qu’une telle procédure fût suivie.
50. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 du Règlement, la Cour,
après s’être renseignée auprès des Parties, a décidé que des exemplaires des
pièces de procédure et des documents annexés seraient rendus accessibles au
public à l’ouverture de la procédure orale.
51. Des audiences publiques ont été tenues du 27 février au 9 mai 2006, au
cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries et réponses:
Pour la Bosnie-Herzégovine: M. Sakib Softic´,
M. Phon van den Biesen,
M. Alain Pellet,
M. meomas M. Franck,
M Brigitte Stern,
M. Luigi Condorelli,
M me Magda Karagiannakis,
M me Joanna Korner,
M me Laura Dauban,
M. Antoine Ollivier,
M. Morten Torkildsen.
Pour la Serbie-et-Monténégro: S. Exc. M. Radoslav Stojanovic ´,
M. Saša Obradovic ´,
M. Vladimir Cvetkovic ´,
M. Tibor Varady,
M. Ian Brownlie,
M. Xavier de Roux,
M me Nataša Fauveau-Ivanovic ´,
M. Andreas Zimmerman,
M. Vladimir Djeric´,
M. Igor Olujic´.
52. Le 1 mars 2006, le greffier, sur instruction de la Cour, a demandé à la
Bosnie-Herzégovine de préciser l’origine exacte de chacun des extraits des enre-
gistrements vidéo ainsi que celle des cartes, tableaux et photographies qu’elle
avait montrés ou entendait montrer à l’audience. Le 2 mars 2006, la Bosnie-
Herzégovine a fourni à la Cour certaines informations sur les documents vidéo
qu’elle avait montrés à l’audience le 1r mars 2006 et ceux qu’elle entendait
montrer le 2 mars 2006, en indiquant leur source. Sous le couvert d’une lettre
datée du 5 mars 2006, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a transmis à la Cour
une liste précisant l’origine des extraits des documents vidéo, des cartes, des
tableaux et des photographies que la Bosnie-Herzégovine avait montrés ou
entendait montrer au cours de son premier tour de plaidoiries, ainsi que la
transcription, en anglais et en français, desdits extraits.
53. Par une lettre en date du 5 mars 2006, l’agent de la Bosnie-Herzégovine
a informé la Cour de son souhait de retirer de sa liste l’un des experts qu’elle
avait prévu de faire entendre. Dans cette lettre, l’agent de la Bosnie-Herzégo-
vine priait également la Cour de demander à chacune des Parties de lui fournir
2060 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
ness, expert or witness-expert detailing the topics which would be covered in his
evidence or statement. By letters dated 7 March 2006, the Parties were informed
that the Court requested them to provide, at least three days before the hearing
of each witness, expert or witness-expert, a one-page summary of the latter’s
evidence or statement.
54. On 7 March 2006, Bosnia and Herzegovina provided the Court and the
Respondent with a CD-ROM containing “ICTY Public Exhibits and other
Documents cited by Bosnia and Herzegovina during its Oral Pleadings (07/03/
2006)”. By a letter dated 10 March 2006, Serbia and Montenegro informed the
Court that it objected to the production of the CD-ROM on the grounds that
the submission at such a late stage of so many documents “raise[d] serious con-
cerns related to the respect for the Rules of Court and the principles of fairness
and equality of the parties”. It also pointed out that the documents included on
the CD-ROM “appear[ed] questionable from the point of [view of] Article 56,
paragraph 4, of the Rules [of Court]”. By a letter dated 13 March 2006, the
Agent of Bosnia and Herzegovina informed the Court of his Government’s
views regarding the above-mentioned objections raised by Serbia and Montene-
gro. In that letter, the Agent submitted, inter alia, that all the documents on the
CD-ROM had been referred to by Bosnia and Herzegovina in its oral argu-
ment and were documents which were in the public domain and were readily
available within the terms of Article 56, paragraph 4, of the Rules of Court.
The Agent added that Bosnia and Herzegovina was prepared to withdraw the
CD-ROM if the Court found it advisable. By a letter of 14 March 2006, the
Registrar informed Bosnia and Herzegovina that, given that Article 56, para-
graph 4, of the Rules of Court did not require or authorize the submission to
the Court of the full text of a document to which reference was made during the
oral proceedings pursuant to that provision and since it was difficult for the
other Party and the Court to come to terms, at the late stage of the proceed-
ings, with such an immense mass of documents, which in any case were in the
public domain and could thus be consulted if necessary, the Court had decided
that it was in the interests of the good administration of justice that the CD-
ROM be withdrawn. By a letter dated 16 March 2006, the Agent of Bosnia and
Herzegovina withdrew the CD-ROM which it had submitted on 7 March 2006.
55. On 17 March 2006, Bosnia and Herzegovina submitted a map for use
during the statement to be made by one of its experts on the morning of
20 March 2006. On 20 March 2006, Bosnia and Herzegovina produced a folder
of further documents to be used in the examination of that expert. Serbia and
Montenegro objected strongly to the production of the documents at such a
late stage since its counsel would not have time to prepare for cross-examina-
tion. On 20 March 2006, the Court decided that the map submitted on
17 March 2006 could not be used during the statement of the expert. Moreover,
having consulted both Parties, the Court decided to cancel the morning sitting
and instead hear the expert during an afternoon sitting in order to allow Serbia
and Montenegro to be ready for cross-examination.
56. On 20 March 2006, Serbia and Montenegro informed the Court that one
of the witnesses it had intended to call finally would not be giving evidence.
57. The following experts were called by Bosnia and Herzegovina and made
their statements at public sittings on 17 and 20 March 2006: Mr. András
J. Riedlmayer and General Sir Richard Dannatt. The experts were examined by
21 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 60
pour chaque témoin, expert ou témoin-expert un résumé d’une page indiquant
les sujets qu’il aborderait devant la Cour dans le cadre de son exposé ou de sa
déposition. Par des lettres datées du 7 mars 2006, les Parties ont été informées
que la Cour les priait de lui fournir, au moins trois jours à l’avance, un résumé
en une page de la déposition ou de l’exposé de chaque témoin, expert ou
témoin-expert.
54. Le 7 mars 2006, la Bosnie-Herzégovine a communiqué à la Cour et au
défendeur un CD-ROM intitulé «Documents publics du TPIY et autres docu-
ments cités par la Bosnie-Herzégovine durant ses plaidoiries (07/03/2006)». Par
une lettre datée du 10 mars 2006, la Serbie-et-Monténégro a fait savoir à la
Cour qu’elle avait des objections à la production de ce CD-ROM, la présenta-
tion aussi tardive d’un tel volume de documents «[étant] source de graves pré-
occupations quant au respect du Règlement de la Cour et quant aux principes
d’équité et d’égalité entre les Parties». Elle indiquait également que les docu-
ments figurant sur le CD-ROM «sembl[ai]ent discutables au regard du para-
graphe 4 de l’article 56 du Règlement». Par une lettre en date du 13 mars 2006,
l’agent de la Bosnie-Herzégovine a informé la Cour des vues de son gouverne-
ment sur les objections précitées de la Serbie-et-Monténégro. Dans cette lettre,
l’agent faisait notamment valoir que tous les documents contenus dans le CD-
ROM avaient été mentionnés à l’audience par la Bosnie-Herzégovine, qu’ils
relevaient du domaine public et étaient des documents «facilement acces-
sible[s]», au sens du paragraphe 4 de l’article 56 du Règlement. L’agent ajoutait
que la Bosnie-Herzégovine était disposée à retirer le CD-ROM si la Cour le
jugeait souhaitable. Par une lettre du 14 mars 2006, le greffier a informé la Bos-
nie-Herzégovine que, le paragraphe 4 de l’article 56 du Règlement n’imposant
ni n’autorisant la présentation à la Cour de l’intégralité du texte d’un document
mentionné à l’audience en vertu de cette disposition, et la Partie adverse et la
Cour ayant quelque difficulté à gérer, à ce stade tardif de la procédure, un
volume aussi considérable de documents, lesquels étaient en tout état de cause
dans le domaine public et pouvaient donc être consultés en cas de besoin, la
Cour avait décidé qu’il était dans l’intérêt d’une bonne administration de la jus-
tice que le CD-ROM fût retiré. Par une lettre datée du 16 mars 2006, l’agent de
la Bosnie-Herzégovine a retiré le CD-ROM qui avait été présenté le 7 mars
2006.
55. Le 17 mars 2006, la Bosnie-Herzégovine a présenté une carte destinée à
être utilisée au cours de l’exposé de l’un de ses experts le matin du 20 mars
2006. Le 20 mars 2006, la Bosnie-Herzégovine a produit un dossier d’autres
documents devant être utilisés au cours de l’interrogatoire de cet expert. La Ser-
bie-et-Monténégro a élevé des objections très fermes à la présentation de ces
documents à un stade aussi tardif, faisant valoir que ses conseils n’auraient pas
le temps de se préparer au contre-interrogatoire. Le 20 mars 2006, la Cour a
décidé que la carte présentée le 17 mars 2006 ne pourrait pas être utilisée au
cours de l’exposé de l’expert. En outre, après avoir consulté les deux Parties,
elle a décidé d’annuler la séance du matin et de reporter l’audition de l’expert à
une séance de l’après-midi, afin de permettre à la Serbie-et-Monténégro de se
préparer au contre-interrogatoire.
56. Le 20 mars 2006, la Serbie-et-Monténégro a indiqué à la Cour que l’un
des témoins qu’elle avait prévu d’appeler à la barre ne déposerait finalement
pas.
57. Les experts suivants ont été appelés à la barre par la Bosnie-Herzégovine
et ont fait leurs exposés au cours des audiences publiques des 17 et 20 mars
2006: M. András J. Riedlmayer et le général sir Richard Dannatt. Ces experts
2161 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
counsel for Bosnia and Herzegovina and cross-examined by counsel for Serbia
and Montenegro. The experts were subsequently re-examined by counsel for
Bosnia and Herzegovina. Questions were put to Mr. Riedlmayer by Judges
Krec´a, Tomka, Simma and the Vice-President and replies were given orally.
Questions were put to General Dannatt by the President, Judge Koroma and
Judge Tomka and replies were given orally.
58. The following witnesses and witness-expert were called by Serbia and
Montenegro and gave evidence at public sittings on 23, 24, 27 and 28 March
2006: Mr. Vladimir Lukic ´; Mr. Vitomir Popovic ´; General Sir Michael Rose;
Mr. Jean-Paul Sardon (witness-expert); Mr. Dušan Mihajlovic ´; Mr. Vladimir
Mili´evi´; Mr. Dragoljub Mic ´unovic´. The witnesses and witness-expert were
examined by counsel for Serbia and Montenegro and cross-examined by
counsel for Bosnia and Herzegovina. General Rose, Mr. Mihajlovic ´ and
Mr. Milic´evi´ were subsequently re-examined by counsel for Serbia and
Montenegro. Questions were put to Mr. Lukic ´ by Judges Ranjeva, Simma,
Tomka and Bennouna and replies were given orally. Questions were put to
General Rose by the Vice-President and Judges Owada and Simma and replies
were given orally.
59. With the exception of General Rose and Mr. Jean-Paul Sardon, the
above-mentioned witnesses called by Serbia and Montenegro gave their evi-
dence in Serbian and, in accordance with Article 39, paragraph 3, of the Statute
and Article 70, paragraph 2, of the Rules of Court, Serbia and Montenegro
made the necessary arrangements for interpretation into one of the official lan-
guages of the Court and the Registry verified this interpretation. Mr. Sto-
janovi´ conducted his examination of Mr. Dragoljub Mic ´unovi´ in Serbian in
accordance with the exchange of correspondence between Serbia and Monte-
negro and the Court on 21 and 22 February 2006 (see paragraph 49 above).
60. In the course of the hearings, questions were put by Members of the
Court, to which replies were given orally and in writing, pursuant to Article 61,
paragraph 4, of the Rules of Court.
61. By a letter of 8 May 2006, the Agent of Bosnia and Herzegovina
requested the Court to allow the Deputy Agent to take the floor briefly on
9 May 2006, in order to correct an assertion about one of the counsel of and
one of the experts called by Bosnia and Herzegovina which had been made by
Serbia and Montenegro in its oral argument. By a letter dated 9 May 2006, the
Agent of Serbia and Montenegro communicated the views of his Government
on that matter. On 9 May 2006, the Court decided, in the particular cir-
cumstances of the case, to authorize the Deputy Agent of Bosnia and Herze-
govina to make a very brief statement regarding the assertion made about its
counsel.
62. By a letter dated 3 May 2006, the Agent of Bosnia and Herzegovina
informed the Court that there had been a number of errors in references
included in its oral argument presented on 2 March 2006 and provided the
Court with the corrected references. By a letter dated 8 May 2006, the Agent of
Serbia and Montenegro, “in light of the belated corrections by the Applicant,
and for the sake of the equality between the parties”, requested the Court to
accept a paragraph of its draft oral argument of 2 May 2006 which responded
to one of the corrections made by Bosnia and Herzegovina but had been left
out of the final version of its oral argument “in order to fit the schedule of [Ser-
bia and Montenegro’s] presentations”. By a letter dated 7 June 2006, the
Parties were informed that the Court had taken due note of both the explana-
22 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 61
ont été soumis à un interrogatoire par les conseils de la Bosnie-Herzégovine et
à un contre-interrogatoire par les conseils de la Serbie-et-Monténégro. Ils ont
ensuite été soumis à un nouvel interrogatoire par les conseils de la Bosnie-
Herzégovine. Les juges Krec ´a, Tomka, Simma et le vice-président ont posé
des questions à M. Riedlmayer, lequel y a répondu oralement. Le président, le
juge Koroma et le juge Tomka ont posé des questions au général Dannatt,
lequel y a répondu oralement.
58. Les témoins et le témoin-expert suivants ont été appelés à la barre par la
Serbie-et-Monténégro et ont déposé au cours des audiences publiques des 23,
24, 27 et 28 mars 2006: M. Vladimir Lukic ´; M. Vitomir Popovic ´; le général
sir Michael Rose; M. Jean-Paul Sardon (témoin-expert); M. Dušan Mihajlo-
vi´; M. Vladimir Milic´evi´; M. Dragoljub Mic ´unovi´. Ces témoins et le témoin-
expert ont été soumis à un interrogatoire par les conseils de la Serbie-et-Mon-
ténégro et à un contre-interrogatoire par les conseils de la Bosnie-Herzégovine.
Le général Rose, M. Mihajlovic ´ et M. Milic´evi´ ont ensuite été soumis à un
nouvel interrogatoire par les conseils de la Serbie-et-Monténégro. Les juges
Ranjeva, Simma, Tomka et Bennouna ont posé des questions à M. Lukic ´,
lequel y a répondu oralement. Le vice-président ainsi que les juges Owada et
Simma ont posé des questions au général Rose, lequel y a répondu oralement.
59. A l’exception du général Rose et de M. Jean-Paul Sardon, les témoins de
la Serbie-et-Monténégro se sont exprimés en serbe et, conformément au para-
graphe 3 de l’article 39 du Statut et au paragraphe 2 de l’article 70 du Règle-
ment, la Serbie-et-Monténégro a pris toutes dispositions pour assurer l’inter-
prétation de leur déposition dans l’une des langues officielles de la Cour et le
Greffe a procédé au contrôle de cette interprétation. M. Stojanovic´ a interrogé
M. Dragoljub Mic ´unovic´ en serbe, conformément à l’échange de lettres des 21
et 22 février 2006 entre la Serbie-et-Monténégro et la Cour (voir paragraphe 49
ci-dessus).
60. Au cours des audiences, des questions ont été posées par certains
membres de la Cour, questions auxquelles des réponses ont été apportées orale-
ment et par écrit conformément au paragraphe 4 de l’article 61 du Règlement.
61. Par une lettre datée du 8 mai 2006, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a
demandé à la Cour d’autoriser l’agent adjoint à prendre brièvement la parole le
9 mai 2006 afin de rectifier une affirmation faite à l’audience par la Serbie-et-
Monténégro concernant l’un des conseils de la Bosnie-Herzégovine et l’un des
experts appelés par celle-ci à la barre. Par une lettre du 9 mai 2006, l’agent de
la Serbie-et-Monténégro a communiqué les vues de son gouvernement à ce
sujet. Le 9 mai 2006, la Cour a décidé, dans les circonstances particulières de
l’espèce, d’autoriser l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine à faire une très
brève déclaration concernant l’affirmation faite au sujet de son conseil.
62. Par une lettre datée du 3 mai 2006, l’agent de la Bosnie-Herzégovine a
fait savoir à la Cour que les références indiquées dans sa plaidoirie du
2 mars 2006 comportaient des erreurs, et a communiqué à la Cour les réfé-
rences corrigées. Par une lettre en date du 8 mai 2006, l’agent de la Serbie-et-
Monténégro, «compte tenu des corrections tardives apportées par le deman-
deur, et dans un souci d’égalité entre les Parties», a prié la Cour d’accepter un
paragraphe du projet de sa plaidoirie du 2 mai 2006 qui répondait à l’une
des corrections apportées par la Bosnie-Herzégovine, mais avait été omis dans
la version finale de la plaidoirie dans le souci de «respecter le temps imparti
pour [les] plaidoiries [de la Serbie-et-Monténégro]». Par une lettre datée du
7 juin 2006, les Parties ont été informées que la Cour avait pris acte de l’expli-
2262 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
tion given by the Agent of Bosnia and Herzegovina and the observations made
in response by the Agent of Serbia and Montenegro.
63. In January 2007, Judge Parra-Aranguren, who had attended the oral
proceedings in the case, and had participated in part of the deliberation, but
had for medical reasons been prevented from participating in the later stages
thereof, informed the President of the Court, pursuant to Article 24, para-
graph 1, of the Statute, that he considered that he should not take part in the
decision of the case. The President took the view that the Court should respect
and accept Judge Parra-Aranguren’s position, and so informed the Court.
*
64. In its Application, the following requests were made by Bosnia and
Herzegovina:
“Accordingly, while reserving the right to revise, supplement or amend
this Application, and subject to the presentation to the Court of the rele-
vant evidence and legal arguments, Bosnia and Herzegovina requests the
Court to adjudge and declare as follows:
(a) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro) has breached, and is con-
tinuing to breach, its legal obligations toward the People and State
of Bosnia and Herzegovina under Articles I, II (a),II(b),II(c),
II (d), III (a), III (b), III (c), III (d), III (e),IVandVofthe
Genocide Convention;
(b) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro) has violated and is con-
tinuing to violate its legal obligations toward the People and State of
Bosnia and Herzegovina under the four Geneva Conventions of
1949, their Additional Protocol I of 1977, the customary interna-
tional laws of war including the Hague Regulations on Land War-
fare of 1907, and other fundamental principles of international
humanitarian law;
(c) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro) has violated and continues
to violate Articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 25, 26 and 28 of the Universal Declaration of
Human Rights with respect to the citizens of Bosnia and Herzegovina;
(d) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro), in breach of its obliga-
tions under general and customary international law, has killed,
murdered, wounded, raped, robbed, tortured, kidnapped, illegally
detained, and exterminated the citizens of Bosnia and Herzegovina,
and is continuing to do so;
(e) that in its treatment of the citizens of Bosnia and Herzegovina,
Yugoslavia (Serbia and Montenegro) has violated, and is continuing
to violate, its solemn obligations under Articles 1 (3), 55 and 56 of
the United Nations Charter;
(f) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro) has used and is continuing
to use force and the threat of force against Bosnia and Herzegovina
in violation of Articles 2 (1), 2 (2), 2 (3), 2 (4) and 33 (1), of the
United Nations Charter;
(g) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro), in breach of its obliga-
tions under general and customary international law, has used and is
using force and the threat of force against Bosnia and Herzegovina;
23 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 62
cation fournie par l’agent de la Bosnie-Herzégovine ainsi que des observations
formulées en réponse par l’agent de la Serbie-et-Monténégro.
63. Au mois de janvier 2007, le juge Parra-Aranguren, qui avait assisté aux
audiences en l’affaire, et participé à une partie des délibérations, mais n’avait
pu, pour des raisons d’ordre médical, prendre part aux derniers stades de celles-
ci, a informé le président de la Cour que, conformément au paragraphe 1 de
l’article 24 du Statut, il estimait devoir ne pas participer au jugement de
l’affaire. Le président a considéré que la Cour devait respecter et accepter la
position du juge Parra-Aranguren, et en a informé la Cour en conséquence.
*
64. Dans la requête, les demandes ci-après ont été formulées par la Bosnie-
Herzégovine:
«En conséquence, tout en se réservant le droit de reviser, compléter ou
modifier la présente requête, et sous réserve de la présentation à la Cour
des preuves et arguments juridiques pertinents, la Bosnie-Herzégovine prie
la Cour de dire et juger:
a) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé, et continue de vio-
ler, ses obligations juridiques à l’égard du peuple et de l’Etat de Bos-
nie-Herzégovine en vertu des articles premier, II a),II b),II c),II d),
III a), III b), III c), III d), III e), IV et V de la convention sur le
génocide;
b) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de vio-
ler ses obligations juridiques à l’égard du peuple et de l’Etat de Bos-
nie-Herzégovine en vertu des quatre conventions de Genève de 1949,
de leur protocole additionnel I de 1977, du droit international coutu-
mier de la guerre, et notamment du règlement de La Haye de 1907
concernant la guerre sur terre, et d’autres principes fondamentaux du
droit international humanitaire;
c) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de vio-
ler les dispositions des articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26 et 28 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme vis-à-vis des citoyens de la Bosnie-Herzégovine;
d) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation de ses obli-
gations en vertu du droit international général et coutumier, a tué,
assassiné, blessé, violé, volé, torturé, enlevé, détenu illégalement et
exterminé des citoyens de la Bosnie-Herzégovine, et continue de le
faire;
e) qu’en traitant ainsi les citoyens de la Bosnie-Herzégovine, la Yougo-
slavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de violer les obliga-
tions qu’elle a solennellement assumées en vertu du paragraphe 3 de
l’article 1 et des articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies;
f) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a employé et continue
d’employer la force et de recourir à la menace de la force contre la
Bosnie-Herzégovine en violation des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’ar-
ticle 2 et du paragraphe 1 de l’article 33 de la Charte des Nations Unies;
g) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation de ses obli-
gations en vertu du droit international général et coutumier, a utilisé
et utilise la force et la menace de la force contre la Bosnie-Her-
zégovine;
2363 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
(h) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro), in breach of its obli-
gations under general and customary international law, has vio-
lated and is violating the sovereignty of Bosnia and Herzegovina
by:
— armed attacks against Bosnia and Herzegovina by air and land;
— aerial trespass into Bosnian airspace;
— efforts by direct and indirect means to coerce and intimidate the
Government of Bosnia and Herzegovina;
(i) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro), in breach of its obliga-
tions under general and customary international law, has intervened
and is intervening in the internal affairs of Bosnia and Herzegovina;
(j) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro), in recruiting, training,
arming, equipping, financing, supplying and otherwise encouraging,
supporting, aiding, and directing military and paramilitary actions in
and against Bosnia and Herzegovina by means of its agents and sur-
rogates, has violated and is violating its express charter and treaty
obligations to Bosnia and Herzegovina and, in particular, its charter
and treaty obligations under Article 2 (4), of the United Nations
Charter, as well as its obligations under general and customary inter-
national law;
(k) that under the circumstances set forth above, Bosnia and Herze-
govina has the sovereign right to defend Itself and its People under
United Nations Charter Article 51 and customary international law,
including by means of immediately obtaining military weapons,
equipment, supplies and troops from other States;
(l) that under the circumstances set forth above, Bosnia and Herze-
govina has the sovereign right under United Nations Charter
Article 51 and customary international law to request the imme-
diate assistance of any State to come to its defence, including by
military means (weapons, equipment, supplies, troops, etc.);
(m) that Security Council resolution 713 (1991), imposing a weapons
embargo upon the former Yugoslavia, must be construed in a man-
ner that shall not impair the inherent right of individual or collective
self-defence of Bosnia and Herzegovina under the terms of United
Nations Charter Article 51 and the rules of customary international
law;
(n) that all subsequent Security Council resolutions that refer to or
reaffirm resolution 713 (1991) must be construed in a manner that
shall not impair the inherent right of individual or collective self-
defence of Bosnia and Herzegovina under the terms of United Nations
Charter Article 51 and the rules of customary international law;
(o) that Security Council resolution 713 (1991) and all subsequent Secu-
rity Council resolutions referring thereto or reaffirming thereof must
not be construed to impose an arms embargo upon Bosnia and
Herzegovina, as required by Articles 24 (1) and 51 of the United
24 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 63
h) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation de ses obli-
gations en vertu du droit international général et coutumier, a violé et
viole la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine du fait:
— d’attaques armées contre la Bosnie-Herzégovine par air et par
terre;
— de la violation de l’espace aérien de la Bosnie-Herzégovine;
— d’actes directs et indirects de coercition et d’intimidation à l’en-
contre du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine;
i) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation des obliga-
tions que lui impose le droit international général et coutumier, est
intervenue et intervient dans les affaires intérieures de la Bosnie-
Herzégovine;
j) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en recrutant, entraînant,
armant, équipant, finançant, approvisionnant et en encourageant,
appuyant, aidant et dirigeant des actions militaires et paramilitaires en
Bosnie-Herzégovine ou contre celle-ci par le moyen de ses agents et de
ses auxiliaires, a violé et viole ses obligations fondamentales et conven-
tionnelles expresses à l’égard de la Bosnie-Herzégovine et, en particu-
lier, ses obligations fondamentales et conventionnelles expresses en
vertu du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, de
même que ses obligations en vertu du droit international général et
coutumier;
k) que vu les circonstances exposées ci-dessus, la Bosnie-Herzégovine
possède le droit souverain de se défendre et de défendre son peuple en
vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies et du droit inter-
national coutumier, y compris en se procurant immédiatement auprès
d’autres Etats des armes, des matériels et fournitures militaires ainsi
que des troupes;
l) que vu les circonstances exposées ci-dessus, la Bosnie-Herzégovine
possède le droit souverain en vertu de l’article 51 de la Charte des
Nations Unies et du droit international coutumier de demander à tout
Etat de l’assister immédiatement en se portant à son secours, y com-
pris par des moyens militaires (armes, matériels et fournitures mili-
taires, troupes, etc.);
m) que la résolution 713 (1991) du Conseil de sécurité imposant un
embargo sur les livraisons d’armes à l’ex-Yougoslavie doit être inter-
prétée d’une manière telle qu’elle ne porte pas atteinte au droit naturel
de légitime défense, individuelle ou collective, de la Bosnie-Herzé-
govine en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies et des
règles du droit international coutumier;
n) que toutes les résolutions ultérieures du Conseil de sécurité qui se
réfèrent à la résolution 713 (1991) ou la réaffirment doivent être inter-
prétées d’une manière telle qu’elles ne portent pas atteinte au droit
naturel de légitime défense, individuelle ou collective, de la Bosnie-
Herzégovine en vertu des dispositions de l’article 51 de la Charte des
Nations Unies et des règles du droit international coutumier;
o) que la résolution 713 (1991) du Conseil de sécurité et toutes les réso-
lutions ultérieures du Conseil de sécurité qui s’y réfèrent ou la réaf-
firment ne doivent pas être interprétées comme imposant un embar-
go sur les livraisons d’armes à la Bosnie-Herzégovine, conformément
2464 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
Nations Charter and in accordance with the customary doctrine of
ultra vires ;
(p) that pursuant to the right of collective self-defence recognized by
United Nations Charter Article 51, all other States parties to the
Charter have the right to come to the immediate defence of Bosnia
and Herzegovina — at its request — including by means of imme-
diately providing It with weapons, military equipment and supplies,
and armed forces (soldiers, sailors, air-people, etc.);
(q) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro) and its agents and surro-
gates are under an obligation to cease and desist immediately from
its breaches of the foregoing legal obligations, and is under a par-
ticular duty to cease and desist immediately:
— from its systematic practice of so-called ‘ethnic cleansing’ of the
citizens and sovereign territory of Bosnia and Herzegovina;
— from the murder, summary execution, torture, rape, kidnapping,
mayhem, wounding, physical and mental abuse, and detention of
the citizens of Bosnia and Herzegovina;
— from the wanton devastation of villages, towns, districts, cities,
and religious institutions in Bosnia and Herzegovina;
— from the bombardment of civilian population centres in Bosnia
and Herzegovina, and especially its capital, Sarajevo;
— from continuing the siege of any civilian population centres in
Bosnia and Herzegovina, and especially its capital, Sarajevo;
— from the starvation of the civilian population in Bosnia and
Herzegovina;
— from the interruption of, interference with, or harassment of
humanitarian relief supplies to the citizens of Bosnia and Herze-
govina by the international community;
— from all use of force — whether direct or indirect, overt or
covert — against Bosnia and Herzegovina, and from all threats
of force against Bosnia and Herzegovina;
— from all violations of the sovereignty, territorial integrity or
political independence of Bosnia and Herzegovina, including all
intervention, direct or indirect, in the internal affairs of Bosnia
and Herzegovina;
— from all support of any kind — including the provision of train-
ing, arms, ammunition, finances, supplies, assistance, direction
or any other form of support — to any nation, group, organiza-
tion, movement or individual engaged or planning to engage in
military or paramilitary actions in or against Bosnia and Herze-
govina;
(r) that Yugoslavia (Serbia and Montenegro) has an obligation to pay
Bosnia and Herzegovina, in its own right and as parens patriae for
its citizens, reparations for damages to persons and property as well
as to the Bosnian economy and environment caused by the foregoing
violations of international law in a sum to be determined by the
Court. Bosnia and Herzegovina reserves the right to introduce to the
Court a precise evaluation of the damages caused by Yugoslavia
(Serbia and Montenegro).”
25 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 64
aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 24 et de l’article 51
de la Charte des Nations Unies et au principe coutumier d’ultra vires ;
p) qu’en vertu du droit de légitime défense collective reconnu par l’ar-
ticle 51 de la Charte des Nations Unies tous les autres Etats parties à
la Charte ont le droit de se porter immédiatement au secours de la
Bosnie-Herzégovine — à sa demande — y compris en lui fournis-
sant immédiatement des armes, des matériels et des fournitures mili-
taires, et des forces armées (soldats, marins, aviateurs, etc.);
q) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), et ses agents et auxiliaires,
sont tenus de mettre fin et de renoncer immédiatement à leurs viola-
tions susmentionnées de leurs obligations juridiques, et ont le devoir
exprès de mettre fin et de renoncer immédiatement:
— à leur pratique systématique de la «purification ethnique» des
citoyens et du territoire souverain de la Bosnie-Herzégovine;
— à l’assassinat, à l’exécution sommaire, à la torture, au viol, à
l’enlèvement, à la mutilation, aux blessures, aux sévices physiques
et psychologiques et à la détention des citoyens de la Bosnie-
Herzégovine;
— à la dévastation sauvage et aveugle de villages, de villes, de dis-
tricts, d’agglomérations et d’institutions religieuses en Bosnie-
Herzégovine;
— au bombardement de centres de population civile en Bosnie-
Herzégovine, et spécialement de sa capitale, Sarajevo;
— à la poursuite du siège de centres de population civile de Bosnie-
Herzégovine, et spécialement de sa capitale, Sarajevo;
— à la privation de nourriture de la population civile de Bosnie-
Herzégovine;
— aux actes ayant pour effet d’interrompre, d’entraver ou de gêner
l’acheminement des secours humanitaires envoyés par la commu-
nauté internationale aux citoyens de Bosnie-Herzégovine;
— à toute utilisation de la force — directe ou indirecte, manifeste ou
occulte — contre la Bosnie-Herzégovine, et à toutes les menaces
d’utilisation de la force contre la Bosnie-Herzégovine;
— à toutes les violations de la souveraineté, de l’intégrité territoriale
ou de l’indépendance politique de la Bosnie-Herzégovine, y com-
pris toute intervention, directe ou indirecte, dans les affaires inté-
rieures de la Bosnie-Herzégovine;
— à tout appui de quelque nature qu’il soit — y compris l’entraîne-
ment et la fourniture d’armes, de munitions, de fonds, de maté-
riels, d’assistance, d’instruction ou toute autre forme de soutien —
à toute nation, groupe, organisation, mouvement ou individu se
livrant ou se disposant à se livrer à des actions militaires ou para-
militaires en Bosnie-Herzégovine ou contre celle-ci;
r) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est tenue de payer à la
Bosnie-Herzégovine, en son propre nom et en tant que parens patriae
de ses citoyens, des réparations pour les dommages subis par les per-
sonnes et les biens ainsi que par l’économie et l’environnement de la
Bosnie à raison des violations susvisées du droit international, dont le
montant sera déterminé par la Cour. La Bosnie-Herzégovine se réserve
le droit de présenter à la Cour une évaluation précise des dommages
causés par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro).»
2565 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
65. In the written proceedings, the following submissions were presented by
the Parties:
On behalf of the Government of Bosnia and Herzegovina,
in the Memorial:
“On the basis of the evidence and legal arguments presented in this
Memorial, the Republic of Bosnia and Herzegovina,
Requests the International Court of Justice to adjudge and declare,
1. That the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro),
directly, or through the use of its surrogates, has violated and is violating
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-
cide, by destroying in part, and attempting to destroy in whole, national,
ethnical or religious groups within the, but not limited to the, territory
of the Republic of Bosnia and Herzegovina, including in particular the
Muslim population, by
— killing members of the group;
— causing deliberate bodily or mental harm to members of the group;
deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to
bring about its physical destruction in whole or in part;
— imposing measures intended to prevent births within the group;
2. That the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro)
has violated and is violating the Convention on the Prevention and Pun-
ishment of the Crime of Genocide by conspiring to commit genocide, by
complicity in genocide, by attempting to commit genocide and by incite-
ment to commit genocide;
3. That the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro)
has violated and is violating the Convention on the Prevention and Pun-
ishment of the Crime of Genocide by aiding and abetting individuals and
groups engaged in acts of genocide;
4. That the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro)
has violated and is violating the Convention on the Prevention and Pun-
ishment of the Crime of Genocide by virtue of having failed to prevent and
to punish acts of genocide;
5. That the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro)
must immediately cease the above conduct and take immediate and effec-
tive steps to ensure full compliance with its obligations under the Conven-
tion on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide;
6. That the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro)
must wipe out the consequences of its international wrongful acts and
must restore the situation existing before the violations of the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide were com-
mitted;
7. That, as a result of the international responsibility incurred for the
above violations of the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide, the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and
Montenegro) is required to pay, and the Republic of Bosnia and Herze-
govina is entitled to receive, in its own right and as parens patriae for its
citizens, full compensation for the damages and losses caused, in the
26 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 65
65. Dans la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par
les Parties:
Au nom du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,
dans le mémoire:
«Sur la base des éléments de preuve et des arguments juridiques exposés
dans le présent mémoire, la Bosnie-Herzégovine
prie la Cour de dire et juger:
1. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro),
directement ou par le truchement de ses auxiliaires, a violé et continue de
violer la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide, en détruisant partiellement, et en tentant de détruire totalement, des
groupes nationaux, ethniques ou religieux, notamment mais non exclusi-
vement sur le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine, en par-
ticulier la population musulmane, en se livrant aux actes suivants:
— meurtre de membres du groupe;
— atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
— soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence visant
à entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
— imposition de mesures aux fins d’entraver les naissances au sein du
groupe;
2. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide en se rendant coupable d’entente en vue de com-
mettre le génocide, de complicité dans le génocide, de tentative de génocide
et d’incitation à commettre le génocide;
3. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide en aidant et encourageant des individus et des
groupes se livrant à des actes de génocide;
4. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide en manquant à son obligation de prévenir et de
punir les actes de génocide;
5. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
doit immédiatement mettre fin aux actes susmentionnés et prendre des
mesures immédiates et efficaces pour s’acquitter pleinement de ses obliga-
tions aux termes de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide;
6. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
doit effacer les conséquences de ses actes internationalement illicites et
rétablir la situation qui existait avant que les violations de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide ne fussent com-
mises;
7. Que, sa responsabilité internationale étant engagée à raison des vio-
lations susmentionnées de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) est tenue de payer à la Bosnie-Herzégovine, et cette dernière
est fondée à recevoir, en son propre nom et en tant que parens patriae de
ses citoyens, pleine réparation pour les dommages et les pertes causés,
2666 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
amount to be determined by the Court in a subsequent phase of the pro-
ceedings in this case.
The Republic of Bosnia and Herzegovina reserves its right to supple-
ment or amend its submissions in the light of further pleadings.
The Republic of Bosnia and Herzegovina also respectfully draws the
attention of the Court to the fact that it has not reiterated, at this point,
several of the requests it made in its Application, on the formal assump-
tion that the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro) has
accepted the jurisdiction of this Court under the terms of the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide. If the
Respondent were to reconsider its acceptance of the jurisdiction of the
Court under the terms of that Convention — which it is, in any event, not
entitled to do — the Government of Bosnia and Herzegovina reserves its
right to invoke also all or some of the other existing titles of jurisdiction
and to revive all or some of its previous submissions and requests.”
On behalf of the Government of Serbia and Montenegro,
in the Counter-Memorial : 1
“The Federal Republic of Yugoslavia requests the International Court
of Justice to adjudge and declare:
1. In view of the fact that no obligations established by the 1948 Con-
vention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide have
been violated with regard to Muslims and Croats,
— since the acts alleged by the Applicant have not been committed at all,
or not to the extent and in the way alleged by the Applicant, or
— if some have been committed, there was absolutely no intention of
committing genocide, and/or
— they have not been directed specifically against the members of one
ethnic or religious group, i.e. they have not been committed against
individuals just because they belong to some ethnic or religious group,
consequently, they cannot be qualified as acts of genocide or other acts
prohibited by the 1948 Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide; and/or
2. In view of the fact that the acts alleged by the Applicant in its sub-
missions cannot be attributed to the Federal Republic of Yugoslavia,
— since they have not been committed by the organs of the Federal
Republic of Yugoslavia,
— since they have not been committed on the territory of the Federal
Republic of Yugoslavia,
— since they have not been committed by the order or under control of
the organs of the Federal Republic of Yugoslavia,
— since there is no other grounds based on the rules of international law
to consider them as acts of the Federal Republic of Yugoslavia,
1 Submissions 3 to 6 relate to counter-claims which were subsequently withdrawn (see
paragraphs 26 and 27 above).
27 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 66
réparation dont le montant sera déterminé par la Cour lors d’une phase
ultérieure de la procédure en l’instance.
La République de Bosnie-Herzégovine se réserve le droit de compléter
ou de modifier ses conclusions dans le cadre d’autres pièces de procédure.
La République de Bosnie-Herzégovine appelle également respectueuse-
ment l’attention de la Cour sur le fait qu’elle n’a pas réitéré, à ce stade,
plusieurs des demandes qu’elle avait formulées dans sa requête, partant du
postulat formel que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) a accepté la compétence de la Cour en vertu de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide. Si le défendeur
devait revenir sur son acceptation de la compétence de la Cour en applica-
tion de ladite convention — ce qu’en tout état de cause il n’est pas autorisé
à faire — le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine se réserve le droit
d’invoquer toutes les autres bases de compétence existantes, ou certaines
d’entre elles, et de formuler de nouveau toutes les conclusions et demandes
qu’il a déjà présentées, ou certaines d’entre elles.»
Au nom du Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro,
dans le contre-mémoire : 1
«La République fédérative de Yougoslavie prie la Cour internationale
de Justice de dire et juger:
1. Attendu qu’aucune des obligations créées par la convention de 1948
pour la prévention et la répression du crime de génocide n’a été violée à
l’encontre de Musulmans ou de Croates,
— puisque les actes allégués par le demandeur soit n’ont nullement été
commis, soit n’ont pas eu l’ampleur et la forme alléguées par le deman-
deur, ou
— puisque, si certains de ces actes ont été commis, ils l’ont été en
l’absence de toute intention de commettre un génocide, et/ou
— puisque ces actes n’étaient pas spécifiquement dirigés contre les membres
d’un groupe ethnique ou religieux, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas été commis
contre des individus pour la seule raison qu’ils appartenaient à un groupe
ethnique ou religieux donné, en conséquence, ces actes ne sauraient être
qualifiés d’actes de génocide ou d’autres actes prohibés par la convention
de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, et/ou
2. Attendu que les actes allégués par le demandeur dans ses pièces ne
peuvent pas être attribués à la République fédérative de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis par les organes de la République fédé-
rative de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis sur le territoire de la République fédé-
rative de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis sur ordre ou sous le contrôle des
organes de la République fédérative de Yougoslavie,
— puisqu’il n’existe aucun autre motif fondé sur les règles de droit inter-
national de les considérer comme des actes de la République fédérative
de Yougoslavie,
1 Les chefs de conclusions 3 à 6 ont trait à des demandes reconventionnelles qui furent
par la suite retirées (voir paragraphes 26 et 27 ci-dessus).
2767 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
therefore the Court rejects all claims of the Applicant; and
3. Bosnia and Herzegovina is responsible for the acts of genocide
committed against the Serbs in Bosnia and Herzegovina and for other
violations of the obligations established by the 1948 Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide,
— because it has incited acts of genocide by the ‘Islamic Declaration’, and
in particular by the position contained in it that ‘there can be no peace
or coexistence between “Islamic faith” and “non-Islamic” social and
political institutions’,
— because it has incited acts of genocide by the Novi Vox, paper of the
Muslim youth, and in particular by the verses of a ‘Patriotic Song’
which read as follows:
‘Dear mother, I’m going to plant willows,
We’ll hang Serbs from them.
Dear mother, I’m going to sharpen knives,
We’ll soon fill pits again’;
— because it has incited acts of genocide by the paper Zmaj od Bosne,
and in particular by the sentence in an article published in it that ‘Each
Muslim must name a Serb and take oath to kill him’;
— because public calls for the execution of Serbs were broadcast on radio
‘Hajat’ and thereby acts of genocide were incited;
— because the armed forces of Bosnia and Herzegovina, as well as other
organs of Bosnia and Herzegovina have committed acts of genocide
and other acts prohibited by the 1948 Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide, against the Serbs in Bosnia
and Herzegovina, which have been stated in Chapter Seven of the
Counter-Memorial;
— because Bosnia and Herzegovina has not prevented the acts of geno-
cide and other acts prohibited by the 1948 Convention on the Preven-
tion and Punishment of the Crime of Genocide, against the Serbs on
its territory, which have been stated in Chapter Seven of the Counter-
Memorial;
4. Bosnia and Herzegovina has the obligation to punish the persons
held responsible for the acts of genocide and other acts prohibited by the
1948 Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide;
5. Bosnia and Herzegovina is bound to take necessary measures so that
the said acts would not be repeated in the future;
6. Bosnia and Herzegovina is bound to eliminate all consequences of
the violation of the obligations established by the 1948 Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide and provide
adequate compensation.”
On behalf of the Government of Bosnia and Herzegovina,
in the Reply:
“Therefore the Applicant persists in its claims as presented to this Court
on 14 April 1994, and recapitulates its Submissions in their entirety.
28 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 67
que la Cour rejette en conséquence toutes les demandes du demandeur et
que
3. La Bosnie-Herzégovine est responsable des actes de génocide commis
contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine et d’autres violations des obliga-
tions établies par la convention de 1948 pour la prévention et la répression
du crime de génocide
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans la
«Déclaration islamique» et, en particulier, dans le passage suivant: «Il
ne peut y avoir de paix ou de coexistence entre la «foi islamique» et les
institutions sociales et politiques «non islamiques»,
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans la
revue Novi Vox destinée à la jeunesse musulmane et, en particulier,
dans les paroles d’un «chant patriotique»:
«Chère maman, je m’en vais planter des saules,
Auxquels nous pendrons les Serbes.
Chère maman, je m’en vais aiguiser les couteaux,
Bientôt les fosses seront pleines à nouveau.»
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans le jour-
nal Zmaj od Bosne et, en particulier, dans la phrase suivante tirée d’un
article qui y a été publié: «chaque Musulman doit désigner un Serbe et
faire serment de le tuer»;
— parce que des appels publics à l’exécution de Serbes ont été diffusés sur
Radio-Hajat, ce qui constitue une incitation à commettre des actes de
génocide;
— parce que les forces armées de la Bosnie-Herzégovine, de même que
des autres organes de la Bosnie-Herzégovine, ont commis des actes de
génocide et d’autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la
prévention et la répression du crime de génocide à l’encontre de Serbes
en Bosnie-Herzégovine, actes qui ont été exposés dans le chapitre VII
du contre-mémoire;
— parce que la Bosnie-Herzégovine n’a pas empêché la perpétration, sur
son territoire, d’actes de génocide et d’autres actes prohibés par la
convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide à l’encontre de Serbes, actes qui ont été exposés dans le
chapitre VII du contre-mémoire;
4. La Bosnie-Herzégovine a l’obligation de punir les personnes respon-
sables des actes de génocide et d’autres actes prohibés par la convention de
1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
5. La Bosnie-Herzégovine est tenue de prendre les mesures nécessaires
pour que de tels actes ne se reproduisent pas à l’avenir.
6. La Bosnie-Herzégovine est tenue de supprimer toutes les consé-
quences de la violation des obligations créées par la convention de 1948
pour la prévention et la répression du crime de génocide et de verser une
juste indemnité.»
Au nom du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,
dans la réplique:
«C’est pourquoi le demandeur persiste dans les demandes qu’il a pré-
sentées à la Cour le 14 avril 1994, et reprend ses conclusions dans leur inté-
2868 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Bosnia and Herzegovina requests the International Court of Justice to
adjudge and declare,
1. That the Federal Republic of Yugoslavia, directly, or through the use
of its surrogates, has violated and is violating the Convention on the Pre-
vention and Punishment of the Crime of Genocide, by destroying in part,
and attempting to destroy in whole, national, ethnical or religious groups
within the, but not limited to the, territory of Bosnia and Herzegovina,
including in particular the Muslim population, by
— killing members of the group;
— causing deliberate bodily or mental harm to members of the group;
— deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to
bring about its physical destruction in whole or in part;
— imposing measures intended to prevent births within the group;
2. That the Federal Republic of Yugoslavia has violated and is violating
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-
cide by conspiring to commit genocide, by complicity in genocide, by
attempting to commit genocide and by incitement to commit genocide;
3. That the Federal Republic of Yugoslavia has violated and is violating
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-
cide by aiding and abetting individuals and groups engaged in acts of
genocide;
4. That the Federal Republic of Yugoslavia has violated and is violating
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-
cide by virtue of having failed to prevent and to punish acts of genocide;
5. That the Federal Republic of Yugoslavia must immediately cease the
above conduct and take immediate and effective steps to ensure full com-
pliance with its obligations under the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide;
6. That the Federal Republic of Yugoslavia must wipe out the conse-
quences of its international wrongful acts and must restore the situation
existing before the violations of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide were committed;
7. That, as a result of the international responsibility incurred for the
above violations of the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide, the Federal Republic of Yugoslavia is required to
pay, and Bosnia and Herzegovina is entitled to receive, in its own right and
as parens patriae for its citizens, full compensation for the damages and
losses caused, in the amount to be determined by the Court in a subse-
quent phase of the proceedings in this case.
Bosnia and Herzegovina reserves its right to supplement or amend its
submissions in the light of further pleadings;
8. On the very same grounds the conclusions and submissions of the
Federal Republic of Yugoslavia with regard to the submissions of Bosnia
and Herzegovina need to be rejected;
9. With regard to the Respondent’s counter-claims the Applicant comes
to the following conclusion. There is no basis in fact and no basis in law
29 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 68
gralité. La Bosnie-Herzégovine prie la Cour internationale de Justice de
dire et juger:
1. Que la République fédérale de Yougoslavie, directement ou par le
truchement de ses auxiliaires, a violé et continue de violer la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, en détruisant par-
tiellement, et en tentant de détruire totalement, des groupes nationaux,
ethniques ou religieux, notamment mais non exclusivement sur le territoire
de la Bosnie-Herzégovine, en particulier la population musulmane, en
se livrant aux actes suivants:
— meurtre de membres du groupe;
— atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
— soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence visant
à entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
— imposition de mesures aux fins d’entraver les naissances au sein du
groupe;
2. Que la République fédérale de Yougoslavie a violé et continue de vio-
ler la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
en se rendant coupable d’entente en vue de commettre le génocide, de
complicité dans le génocide, de tentative de génocide et d’incitation à com-
mettre le génocide;
3. Que la République fédérale de Yougoslavie a violé et continue de vio-
ler la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
en aidant et encourageant des individus et des groupes se livrant à des
actes de génocide;
4. Que la République fédérale de Yougoslavie a violé et continue de vio-
ler la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
en manquant à son obligation de prévenir et de punir les actes de géno-
cide;
5. Que la République fédérale de Yougoslavie doit immédiatement
mettre fin aux actes susmentionnés et prendre des mesures immédiates et
efficaces pour s’acquitter pleinement de ses obligations aux termes de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide;
6. Que la République fédérale de Yougoslavie doit effacer les consé-
quences de ses actes internationalement illicites et rétablir la situation qui
prévalait avant que les violations de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide ne fussent commises;
7. Que, sa responsabilité internationale étant engagée à raison des viola-
tions susmentionnées de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, la République fédérale de Yougoslavie est tenue de payer
à la Bosnie-Herzégovine, et cette dernière est fondée à recevoir, de son
propre droit et commeparens patriae de ses citoyens, pleine réparation pour
les dommages et les pertes causés, réparation dont le montant sera déter-
miné par la Cour lors d’une phase ultérieure de la procédure en l’instance.
La Bosnie-Herzégovine se réserve le droit de compléter ou de modifier
ses conclusions dans le cadre d’autres pièces de procédure.
8. Pour les mêmes motifs, les conclusions de la République fédérale de
Yougoslavie relatives aux conclusions de la Bosnie-Herzégovine doivent
être rejetées.
9. S’agissant des demandes reconventionnelles du défendeur, le deman-
deur parvient à la conclusion suivante. La thèse selon laquelle des actes de
2969 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
for the proposition that genocidal acts have been committed against Serbs
in Bosnia and Herzegovina. There is no basis in fact and no basis in law
for the proposition that any such acts, if proven, would have been com-
mitted under the responsibility of Bosnia and Herzegovina or that such
acts, if proven, would be attributable to Bosnia and Herzegovina. Also,
there is no basis in fact and no basis in law for the proposition that Bosnia
and Herzegovina has violated any of its obligations under the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide. On the con-
trary, Bosnia and Herzegovina has continuously done everything within its
possibilities to adhere to its obligations under the Convention, and will
continue to do so;
10. For these reasons, Bosnia and Herzegovina requests the Interna-
tional Court of Justice to reject the counter-claims submitted by the
Respondent in its Counter-Memorial of 23 July 1997.”
On behalf of the Government of Serbia and Montenegro,
2
in the Rejoinder :
“The Federal Republic of Yugoslavia requests the International Court
of Justice to adjudge and declare:
1. In view of the fact that no obligations established by the 1948 Con-
vention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide have
been violated with regard to Muslims and Croats,
— since the acts alleged by the Applicant have not been committed at all,
or not to the extent and in the way alleged by the Applicant, or
— if some have been committed, there was absolutely no intention of
committing genocide, and/or
— they have not been directed specifically against the members of one
ethnic or religious group, i.e. they have not been committed against
individuals just because they belong to some ethnic or religious group,
consequently they cannot be qualified as acts of genocide or other acts
prohibited by the 1948 Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide, and/or
2. In view of the fact that the acts alleged by the Applicant in its sub-
missions cannot be attributed to the Federal Republic of Yugoslavia,
— since they have not been committed by the organs of the Federal
Republic of Yugoslavia,
— since they have not been committed on the territory of the Federal
Republic of Yugoslavia,
— since they have not been committed by the order or under control of
the organs of the Federal Republic of Yugoslavia,
— since there are no other grounds based on the rules of international law
to consider them as acts of the Federal Republic of Yugoslavia,
2 Submissions 3 to 6 relate to counter-claims which were subsequently withdrawn (see
paragraphs 26 and 27 above).
30 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 69
génocide auraient été commis contre des Serbes en Bosnie-Herzégovine est
dénuée de fondement, tant en fait qu’en droit. La thèse selon laquelle de
tels actes, à les supposer établis, auraient été commis sous la responsabilité
de la Bosnie-Herzégovine ou que de tels actes, à les supposer établis,
seraient attribuables à la Bosnie-Herzégovine, est dénuée de fondement,
tant en fait qu’en droit. De même, la thèse selon laquelle la Bosnie-Herzé-
govine aurait violé l’une ou plusieurs des obligations lui incombant en
vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide est dénuée de fondement, tant en fait qu’en droit. Au contraire, la
Bosnie-Herzégovine a constamment fait tout son possible pour s’acquitter
des obligations contractées en vertu de la convention et elle continuera de
le faire.
10. Pour ces raisons, la Bosnie-Herzégovine demande à la Cour inter-
nationale de Justice de rejeter les demandes reconventionnelles soumises
par le demandeur dans son contre-mémoire du 23 juillet 1997.»
Au nom du Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro,
2
dans la duplique :
«La République fédérale de Yougoslavie prie la Cour internationale de
Justice de dire et juger:
1. Attendu qu’aucune des obligations créées par la convention de 1948
pour la prévention et la répression du crime de génocide n’a été violée à
l’encontre de Musulmans ou de Croates
— puisque les actes allégués par le demandeur soit n’ont nullement été
commis, soit n’ont pas eu l’ampleur et la forme alléguées par le deman-
deur, ou
— puisque, si certains de ces actes ont été commis, ils l’ont été en
l’absence de toute intention de commettre un génocide, et/ou
— puisque ces actes n’étaient pas spécifiquement dirigés contre les
membres d’un groupe ethnique ou religieux, c’est-à-dire qu’ils n’ont
pas été commis contre des individus pour la seule raison qu’ils apparte-
naient à un groupe ethnique ou religieux donné,
en conséquence, ces actes ne sauraient être qualifiés d’actes de génocide ou
d’autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la
répression du crime de génocide, et/ou
2. Attendu que les actes allégués par le demandeur dans ses pièces ne
peuvent pas être attribués à la République fédérale de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis par les organes de la République fédé-
rale de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis sur le territoire de la République fédé-
rale de Yougoslavie,
— puisqu’ils n’ont pas été commis sur ordre ou sous le contrôle des
organes de la République fédérale de Yougoslavie,
— puisqu’il n’existe aucun autre motif fondé sur les règles du droit inter-
national de les considérer comme des actes de la République fédérale
de Yougoslavie,
2 Les chefs de conclusions 3 à 6 ont trait à des demandes reconventionnelles qui furent
par la suite retirées (voir paragraphes 26 et 27 ci-dessus).
3070 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
therefore the Court rejects all the claims of the Applicant, and
3. Bosnia and Herzegovina is responsible for the acts of genocide com-
mitted against Serbs in Bosnia and Herzegovina and for other violations
of the obligations established by the 1948 Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide,
— because it has incited acts of genocide by the ‘Islamic Declaration’, and
in particular by the position contained in it that ‘there can be no peace
or coexistence between “Islamic faith” and “non-Islamic” social and
political institutions’,
— because it has incited acts of genocide by the Novi Vox, paper of the
Muslim youth, and in particular by the verses of a ‘Patriotic Song’
which read as follows:
‘Dear mother, I’m going to plant willows,
We’ll hang Serbs from them.
Dear mother, I’m going to sharpen knives,
We’ll soon fill pits again’;
— because it has incited acts of genocide by the paper Zmaj od Bosne,
and in particular by the sentence in an article published in it that ‘Each
Muslim’ must name a Serb and take oath to kill him;
— because public calls for the execution of Serbs were broadcast on radio
‘Hajat’ and thereby acts of genocide were incited;
— because the armed forces of Bosnia and Herzegovina, as well as other
organs of Bosnia and Herzegovina have committed acts of genocide
and other acts prohibited by the 1948 Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide (enumerated in Article III),
against Serbs in Bosnia and Herzegovina, which have been stated in
Chapter Seven of the Counter-Memorial;
— because Bosnia and Herzegovina has not prevented the acts of
genocide and other acts prohibited by the 1948 Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (enumerated
in Article III), against Serbs on its territory, which have been stated
in Chapter Seven of the Counter-Memorial;
4. Bosnia and Herzegovina has the obligation to punish the persons
held responsible for the acts of genocide and other acts prohibited by the
1948 Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide;
5. Bosnia and Herzegovina is bound to take necessary measures so that
the said acts would not be repeated in the future;
6. Bosnia and Herzegovina is bound to eliminate all the consequences
of violation of the obligations established by the 1948 Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide and to provide
adequate compensation.”
66. At the oral proceedings, the following final submissions were presented
by the Parties:
On behalf of the Government of Bosnia and Herzegovina,
at the hearing of 24 April 2006:
31 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 70
que la Cour rejette en conséquence toutes les demandes du demandeur et
que
3. La Bosnie-Herzégovine est responsable des actes de génocide commis
contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine et d’autres violations des obliga-
tions établies par la convention de 1948 pour la prévention et la répression
du crime de génocide
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans la
«Déclaration islamique» et, en particulier, dans le passage suivant: «il
ne peut y avoir de paix ou de coexistence entre la «foi islamique» et les
institutions sociales et politiques «non islamiques»» ;
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans la
revue Novi Vox destinée à la jeunesse musulmane et, en particulier,
dans les paroles d’un «chant patriotique»:
«Chère maman, je m’en vais planter des saules,
Auxquels nous pendrons les Serbes.
Chère maman, je m’en vais aiguiser les couteaux,
Bientôt les fosses seront pleines à nouveau»;
— parce qu’elle a incité à la perpétration d’actes de génocide dans le jour-
nal Zmaj od Bosne et, en particulier, dans la phrase suivante tirée d’un
article qui y a été publié: «chaque Musulman doit désigner un Serbe et
faire serment de le tuer»;
— parce que des appels publics à l’exécution de Serbes ont été diffusés sur
Radio-Hajat, ce qui constitue une incitation à commettre des actes de
génocide;
— parce que les forces armées de la Bosnie-Herzégovine, de même que
des autres organes de la Bosnie-Herzégovine, ont commis des actes de
génocide et d’autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la
prévention et la répression du crime de génocide (énumérés à l’ar-
ticle III) à l’encontre de Serbes en Bosnie-Herzégovine, actes qui
ont été exposés dans le chapitre VII du contre-mémoire;
— parce que la Bosnie-Herzégovine n’a pas empêché la perpétration, sur
son territoire, d’actes de génocide et d’autres actes prohibés par la
convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide (énumérés à l’article III) à l’encontre de Serbes, actes qui ont
été exposés dans le chapitre VII du contre-mémoire.
4. La Bosnie-Herzégovine a l’obligation de punir les personnes respon-
sables des actes de génocide et d’autres actes prohibés par la convention
de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
5. La Bosnie-Herzégovine est tenue de prendre les mesures nécessaires
pour que de tels actes ne se reproduisent pas à l’avenir.
6. La Bosnie-Herzégovine est tenue de supprimer toutes les consé-
quences de la violation des obligations créées par la convention de 1948
pour la prévention et la répression du crime de génocide et de verser une
juste indemnité.»
66. Dans la procédure orale, les conclusions finales ci-après ont été présen-
tées par les Parties:
Au nom du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,
à l’audience du 24 avril 2006:
3171 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
“Bosnia and Herzegovina requests the International Court of Justice to
adjudge and declare:
1. That Serbia and Montenegro, through its organs or entities under its
control, has violated its obligations under the Convention on the Preven-
tion and Punishment of the Crime of Genocide by intentionally destroying
in part the non-Serb national, ethnical or religious group within, but not
limited to, the territory of Bosnia and Herzegovina, including in particular
the Muslim population, by
— killing members of the group;
— causing serious bodily or mental harm to members of the group;
— deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to
bring about its physical destruction in whole or in part;
— imposing measures intended to prevent births within the group;
— forcibly transferring children of the group to another group;
2. Subsidiarily:
(i) that Serbia and Montenegro has violated its obligations under the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-
cide by complicity in genocide as defined in paragraph 1, above;
and/or
(ii) that Serbia and Montenegro has violated its obligations under the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-
cide by aiding and abetting individuals, groups and entities engaged in
acts of genocide, as defined in paragraph 1 above;
3. That Serbia and Montenegro has violated its obligations under the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
by conspiring to commit genocide and by inciting to commit genocide, as
defined in paragraph 1 above;
4. That Serbia and Montenegro has violated its obligations under the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
for having failed to prevent genocide;
5. That Serbia and Montenegro has violated and is violating its obliga-
tions under the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide for having failed and for failing to punish acts of geno-
cide or any other act prohibited by the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide, and for having failed and for fail-
ing to transfer individuals accused of genocide or any other act prohibited
by the Convention to the International Criminal Tribunal for the former
Yugoslavia and to fully co-operate with this Tribunal;
6. That the violations of international law set out in submissions 1 to 5
constitute wrongful acts attributable to Serbia and Montenegro which
entail its international responsibility, and, accordingly,
(a) that Serbia and Montenegro shall immediately take effective steps to
ensure full compliance with its obligation to punish acts of genocide
under the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide or any other act prohibited by the Convention
and to transfer individuals accused of genocide or any other act pro-
32 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 71
«La Bosnie-Herzégovine prie la Cour internationale de Justice de dire et
juger:
1. Que la Serbie-et-Monténégro, par le truchement de ses organes ou
d’entités sous son contrôle, a violé les obligations qui lui incombent en
vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, en détruisant en partie et de façon intentionnelle le groupe natio-
nal, ethnique ou religieux non serbe, notamment mais non exclusivement,
sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, en particulier la population
musulmane, par les actes suivants:
— meurtre de membres du groupe;
— atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
— soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
— mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
— transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe;
2. A titre subsidiaire:
i) que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide en se rendant coupable de complicité dans le génocide tel
que défini au paragraphe 1 ci-dessus; et/ou
ii) que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide en apportant aide et soutien à des individus, des groupes et
des entités commettant des actes de génocide tels que définis au para-
graphe 1 ci-dessus;
3. Que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide en se rendant coupable d’entente en vue de commettre le géno-
cide et d’incitation à commettre le génocide tel que défini au paragraphe 1
ci-dessus;
4. Que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide en manquant à son obligation de prévenir le génocide;
5. Que la Serbie-et-Monténégro a violé et continue de violer les obliga-
tions qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide en manquant et en continuant à manquer
à son obligation de punir les actes de génocide ou autres actes prohibés par
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et
en manquant et en continuant à manquer à son obligation de transférer au
Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie les personnes accusées de génocide
ou d’autres actes prohibés par la convention et de coopérer pleinement
avec ledit Tribunal;
6. Que les violations du droit international exposées dans les conclu-
sions 1 à 5 constituent des actes illicites attribuables à la Serbie-et-Monté-
négro qui engagent sa responsabilité internationale et, en conséquence,
a) que la Serbie-et-Monténégro doit immédiatement prendre des mesures
efficaces pour s’acquitter pleinement de l’obligation qui lui incombe,
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, de punir les actes de génocide ou autres actes prohibés par
la convention, de transférer au Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie
3272 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
hibited by the Convention to the International Criminal Tribunal for
the former Yugoslavia and to fully co-operate with this Tribunal;
(b) that Serbia and Montenegro must redress the consequences of its
international wrongful acts and, as a result of the international respon-
sibility incurred for the above violations of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, must pay, and
Bosnia and Herzegovina is entitled to receive, in its own right and as
parens patriae for its citizens, full compensation for the damages and
losses caused. That, in particular, the compensation shall cover any
financially assessable damage which corresponds to:
(i) damage caused to natural persons by the acts enumerated in
Article III of the Convention, including non-material damage
suffered by the victims or the surviving heirs or successors and
their dependants;
(ii) material damage caused to properties of natural or legal per-
sons, public or private, by the acts enumerated in Article III of
the Convention;
(iii) material damage suffered by Bosnia and Herzegovina in respect
of expenditures reasonably incurred to remedy or mitigate
damage flowing from the acts enumerated in Article III of the
Convention;
(c) that the nature, form and amount of the compensation shall be deter-
mined by the Court, failing agreement thereon between the Parties
one year after the Judgment of the Court, and that the Court shall
reserve the subsequent procedure for that purpose;
(d) that Serbia and Montenegro shall provide specific guarantees and
assurances that it will not repeat the wrongful acts complained of, the
form of which guarantees and assurances is to be determined by the
Court;
7. That in failing to comply with the Orders for indication of provi-
sional measures rendered by the Court on 8 April 1993 and 13 Septem-
ber 1993 Serbia and Montenegro has been in breach of its international
obligations and is under an obligation to Bosnia and Herzegovina to pro-
vide for the latter violation symbolic compensation, the amount of which
is to be determined by the Court.”
On behalf of the Government of Serbia and Montenegro,
at the hearing of 9 May 2006:
“Serbia and Montenegro asks the Court to adjudge and declare:
— that this Court has no jurisdiction because the Respondent had no
access to the Court at the relevant moment; or, in the alternative;
— that this Court has no jurisdiction over the Respondent because the
Respondent never remained or became bound by Article IX of the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-
cide, and because there is no other ground on which jurisdiction over
the Respondent could be based.
In case the Court determines that jurisdiction exists Serbia and Monte-
negro asks the Court to adjudge and declare:
— That the requests in paragraphs 1 to 6 of the Submissions of Bosnia
33 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 72
les personnes accusées de génocide ou d’autres actes prohibés par la
convention et de coopérer pleinement avec ledit Tribunal;
b) que la Serbie-et-Monténégro doit réparer les conséquences de ses actes
internationalement illicites et que, par suite de la responsabilité inter-
nationale encourue à raison des violations susmentionnées de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
est tenue de payer à la Bosnie-Herzégovine, et cette dernière est fondée
à recevoir, en son nom propre et comme parens patriae, pleine répara-
tion pour le préjudice et les pertes causés. Que, en particulier, la répa-
ration doit couvrir tout préjudice financièrement évaluable correspon-
dant:
i) au préjudice causé à des personnes physiques par les actes énumé-
rés à l’article III de la convention, y compris le préjudice moral
subi par les victimes, leurs héritiers ou leurs ayants droit survivants
et les personnes dont elles ont la charge;
ii) au préjudice matériel causé aux biens de personnes physiques ou
morales, publiques ou privées, par les actes énumérés à l’article III
de la convention;
iii) au préjudice matériel subi par la Bosnie-Herzégovine à raison des
dépenses raisonnablement encourues pour réparer ou atténuer le
préjudice découlant des actes énumérés à l’article III de la conven-
tion;
c) que la nature, la forme et le montant de la réparation seront détermi-
nés par la Cour, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord
à ce sujet dans l’année suivant le prononcé de l’arrêt de la Cour, et que
celle-ci réserve à cet effet la suite de la procédure;
d) que la Serbie-et-Monténégro est tenue de fournir des garanties et assu-
rances spécifiques de non-répétition des faits illicites qui lui sont repro-
chés, les formes de ces garanties et assurances devant être déterminées
par la Cour;
7. Qu’en ne respectant pas les ordonnances en indication de mesures
conservatoires rendues par la Cour le 8 avril 1993 et le 13 septembre 1993,
la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations internationales qui sont les
siennes et est tenue de verser à la Bosnie-Herzégovine, à raison de cette
dernière violation, une indemnisation symbolique dont le montant sera
déterminé par la Cour.»
Au nom du Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro,
à l’audience du 9 mai 2006:
«La Serbie-et-Monténégro prie la Cour de dire et juger:
— que la Cour n’a pas compétence car, au moment pertinent, l’Etat
défendeur n’avait pas accès à la Cour; ou alternativement
— que la Cour n’a pas compétence car l’Etat défendeur n’est jamais
demeuré ni devenu lié par l’article IX de la convention sur la préven-
tion et la répression du crime de génocide et parce qu’il n’existe aucun
autre fondement à la compétence de la Cour.
Si la Cour détermine qu’elle a compétence, la Serbie-et-Monténégro prie la
Cour de dire et juger:
— que les demandes contenues dans les paragraphes 1 à 6 des conclusions
3373 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
and Herzegovina relating to alleged violations of the obligations under
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide be rejected as lacking a basis either in law or in fact.
— In any event, that the acts and/or omissions for which the respondent
State is alleged to be responsible are not attributable to the respondent
State. Such attribution would necessarily involve breaches of the law
applicable in these proceedings.
— Without prejudice to the foregoing, that the relief available to the
applicant State in these proceedings, in accordance with the appro-
priate interpretation of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide, is limited to the rendering of a
declaratory judgment.
— Further, without prejudice to the foregoing, that any question of legal
responsibility for alleged breaches of the Orders for the indication of
provisional measures, rendered by the Court on 8 April 1993 and
13 September 1993, does not fall within the competence of the Court to
provide appropriate remedies to an applicant State in the context of
contentious proceedings, and, accordingly, the request in paragraph 7
of the Submissions of Bosnia and Herzegovina should be rejected.”
* * *
II. IDENTIFICATION OF THE R ESPONDENT PARTY
67. The Court has first to consider a question concerning the identifi-
cation of the Respondent Party before it in these proceedings. After the
close of the oral proceedings, by a letter dated 3 June 2006, the President
of the Republic of Serbia informed the Secretary-General of the United
Nations that, following the Declaration of Independence adopted by the
National Assembly of Montenegro on 3 June 2006, “the membership of
the state union Serbia and Montenegro in the United Nations, including
all organs and organisations of the United Nations system, [would be]
continued by the Republic of Serbia on the basis of Article 60 of the Con-
stitutional Charter of Serbia and Montenegro”. He further stated that “in
the United Nations the name ‘Republic of Serbia’ [was] to be henceforth
used instead of the name ‘Serbia and Montenegro’” and added that the
Republic of Serbia “remain[ed] responsible in full for all the rights and
obligations of the state union of Serbia and Montenegro under the UN
Charter”.
68. By a letter of 16 June 2006, the Minister for Foreign Affairs of the
Republic of Serbia informed the Secretary-General, inter alia, that “[t]he
Republic of Serbia continue[d] to exercise its rights and honour its com-
mitments deriving from international treaties concluded by Serbia and
Montenegro” and requested that “the Republic of Serbia be considered a
party to all international agreements in force, instead of Serbia and Mon-
tenegro”. By a letter addressed to the Secretary-General dated 30 June
34 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 73
de la Bosnie-Herzégovine concernant les violations alléguées des obli-
gations incombant à l’Etat en application de la convention sur la pré-
vention et la répression du crime de génocide sont rejetées comme non
fondées en droit et en fait;
— en tout état de cause, que les actes et/ou les omissions dont le défen-
deur aurait été responsable ne sont pas imputables au défendeur. Une
telle imputation aurait nécessairement impliqué la violation du droit
applicable dans cette procédure;
— sans préjudice des demandes susvisées, que la réparation accordée à
l’Etat demandeur dans cette procédure, en application d’une interpré-
tation appropriée de la convention sur la prévention et la répression du
crime de génocide, se limite à un jugement déclaratoire;
— ensuite, et sans préjudice des demandes susvisées, qu’aucune question
relative à la responsabilité juridique concernant les violations préten-
dues des ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues
par la Cour les 8 avril 1993 et 13 septembre 1993 n’entre dans la com-
pétence de la Cour, qui ne peut accorder de remèdes appropriés à
l’Etat demandeur dans le contexte de la procédure contentieuse, et
qu’en conséquence la demande contenue dans le paragraphe 7 des
conclusions de la Bosnie-Herzégovine doit être rejetée.»
*
* *
II. IENTIFICATION DE LA PARTIE DÉFENDERESSE
67. La Cour doit d’abord examiner la question de l’identification de la
partie défenderesse en l’espèce. Après la clôture de la procédure orale, le
président de la République de Serbie, par une lettre datée du 3 juin 2006,
a informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies que,
à la suite de la déclaration d’indépendance adoptée par l’Assemblée
nationale du Monténégro le 3 juin 2006, «la République de Serbie assu-
re[rait] la continuité de la qualité de Membre de la communauté étatique
de Serbie-et-Monténégro au sein de l’Organisation des Nations Unies, y
compris au sein de tous les organes et organisations du système des
Nations Unies, en vertu de l’article 60 de la charte constitutionnelle de la
Serbie-et-Monténégro». Il a en outre indiqué que, «au sein de l’Organisa-
tion des Nations Unies, la dénomination «République de Serbie» d[evait]
désormais être utilisée à la place de l’appellation «Serbie-et-Monténé-
gro»», et ajouté que la République de Serbie «conserv[ait] tous les droits
et assum[ait] toutes les obligations de la communauté étatique de Serbie-
et-Monténégro qui découlent de la Charte des Nations Unies».
68. Par une lettre du 16 juin 2006, le ministre des affaires étrangères de
la République de Serbie a notamment informé le Secrétaire général que
«la République de Serbie continu[ait] d’exercer les droits et de respecter
les obligations découlant des traités internationaux conclus par la Serbie-
et-Monténégro», et demandé que «la République de Serbie soit considé-
rée comme partie à tous les accords internationaux en vigueur conclus
par celle-ci». Par une lettre datée du 30 juin 2006 adressée au Secrétaire
3474 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
2006, the Minister for Foreign Affairs confirmed the intention of the
Republic of Serbia to continue to exercise its rights and honour its com-
mitments deriving from international treaties concluded by Serbia and
Montenegro. He specified that “all treaty actions undertaken by Serbia
and Montenegro w[ould] continue in force with respect to the Republic
of Serbia with effect from 3 June 2006”, and that, “all declarations,
reservations and notifications made by Serbia and Montenegro w[ould]
be maintained by the Republic of Serbia until the Secretary-General,
as depositary, [were] duly notified otherwise”.
69. On 28 June 2006, by its resolution 60/264, the General Assembly
admitted the Republic of Montenegro (hereinafter “Montenegro”) as a
new Member of the United Nations.
70. By letters dated 19 July 2006, the Registrar requested the Agent of
Bosnia and Herzegovina, the Agent of Serbia and Montenegro and the
Foreign Minister of Montenegro to communicate to the Court the views
of their Governments on the consequences to be attached to the above-
mentioned developments in the context of the case. By a letter dated
26 July 2006, the Agent of Serbia and Montenegro explained that, in his
Government’s opinion, “there [was] continuity between Serbia and Mon-
tenegro and the Republic of Serbia (on the grounds of Article 60 of the
Constitutional Charter of Serbia and Montenegro)”. He noted that the
entity which had been Serbia and Montenegro “ha[d] been replaced by
two distinct States, one of them [was] Serbia, the other [was] Monte-
negro”. In those circumstances, the view of his Government was that
“the Applicant ha[d] first to take a position, and to decide whether it
wishe[d] to maintain its original claim encompassing both Serbia and
Montenegro, or whether it [chose] to do otherwise”.
71. By a letter to the Registrar dated 16 October 2006, the Agent of
Bosnia and Herzegovina referred to the letter of 26 July 2006 from the
Agent of Serbia and Montenegro, and observed that Serbia’s definition
of itself as the continuator of the former Serbia and Montenegro had
been accepted both by Montenegro and the international community. He
continued however as follows:
“this acceptance cannot have, and does not have, any effect on the
applicable rules of state responsibility. Obviously, these cannot be
altered bilaterally or retroactively. At the time when genocide was
committed and at the time of the initiation of this case, Serbia and
Montenegro constituted a single state. Therefore, Bosnia and Herze-
govina is of the opinion that both Serbia and Montenegro, jointly
and severally, are responsible for the unlawful conduct that consti-
tute the cause of action in this case.”
72. By a letter dated 29 November 2006, the Chief State Prosecutor of
Montenegro, after indicating her capacity to act as legal representative of
the Republic of Montenegro, referred to the letter from the Agent of
35 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 74
général, le ministre des affaires étrangères a confirmé l’intention de la
République de Serbie de continuer d’exercer les droits et de s’acquitter
des obligations découlant des traités internationaux conclus par la Serbie-
et-Monténégro. Il a précisé que «[t]outes les formalités [conventionnelles]
accomplies par la Serbie-et-Monténégro reste[raie]nt en vigueur à l’égard
de la République de Serbie avec effet au 3 juin 2006» et que, «[p]ar
conséquent, la République de Serbie maintiendra[it] toutes les déclara-
tions, réserves et notifications faites par la Serbie-et-Monténégro jusqu’à
notification contraire adressée au Secrétaire général en sa qualité de
dépositaire».
69. Le 28 juin 2006, par sa résolution 60/264, l’Assemblée générale a
admis la République du Monténégro (ci-après dénommée le «Monténé-
gro») en tant que nouveau Membre de l’Organisation des Nations Unies.
70. Par des lettres datées du 19 juillet 2006, le greffier a demandé à
l’agent de la Bosnie-Herzégovine, à l’agent de la Serbie-et-Monténégro et
au ministre des affaires étrangères du Monténégro de faire connaître à la
Cour les vues de leurs gouvernements sur les conséquences que, dans le
contexte de l’affaire, il y aurait lieu d’attacher aux développements sus-
mentionnés. Par une lettre du 26 juillet 2006, l’agent de la Serbie-et-Mon-
ténégro a indiqué que, selon son gouvernement, «il y a[vait] continuité
entre la Serbie-et-Monténégro et la République de Serbie (sur le fonde-
ment de l’article 60 de la charte constitutionnelle de la Serbie-et-Monté-
négro)». Il a fait observer que l’entité qu’avait constituée la Serbie-et-
Monténégro «a[vait] été remplacée par deux Etats distincts, la Serbie
d’une part, le Monténégro d’autre part». Dans cette situation, son gou-
vernement considérait que «c’[était] d’abord au demandeur qu’il incom-
b[ait] de prendre position et de décider s’il souhait[ait] maintenir sa
demande initiale visant à la fois la Serbie et le Monténégro, ou procéder
différemment».
71. Par une lettre au greffier datée du 16 octobre 2006, l’agent de la
Bosnie-Herzégovine s’est référé à la lettre en date du 26 juillet 2006 de
l’agent de la Serbie-et-Monténégro et a fait observer que la définition
donnée d’elle-même par la Serbie comme continuateur de l’ancienne Ser-
bie-et-Monténégro avait été acceptée tant par le Monténégro que par la
communauté internationale. Il a toutefois poursuivi comme suit:
«[C]ette acceptation ne saurait avoir d’effet sur les règles appli-
cables à la responsabilité de l’Etat. Celles-ci ne peuvent évidemment
pas être modifiées de manière bilatérale ou rétroactive. A l’époque
où le génocide a été commis et à celle où la présente instance a été
introduite, la Serbie et le Monténégro constituaient un seul et même
Etat. Par conséquent, la Bosnie-Herzégovine estime que la Serbie et
le Monténégro sont, conjointement et séparément, responsables du
comportement illicite qui est à l’origine de la présente instance.»
72. Par une lettre en date du 29 novembre 2006, le procureur général
du Monténégro, après avoir indiqué qu’il avait capacité pour agir en tant
que représentant légal de la République du Monténégro, s’est référé à la
3575 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Bosnia and Herzegovina dated 16 October 2006, quoted in the previous
paragraph, expressing the view that “both Serbia and Montenegro, jointly
and severally, are responsible for the unlawful conduct that constitute[s]
the cause of action in this case”. The Chief State Prosecutor stated that
the allegation concerned the liability in international law of the sovereign
State of Montenegro, and that Montenegro regarded it as an attempt to
have it become a participant in this way, without its consent, “i.e. to
become a respondent in this procedure”. The Chief State Prosecutor
drew attention to the fact that, following the referendum held in Mon-
tenegro on 21 May 2006, the National Assembly of Montenegro had
adopted a decision pronouncing the independence of the Republic of
Montenegro. In the view of the Chief State Prosecutor, the Republic of
Montenegro had become “an independent state with full international
legal personality within its existing administrative borders”, and she
continued:
“The issue of international-law succession of [the] State union of
Serbia and Montenegro is regulated in Article 60 of [the] Constitu-
tional Charter, and according to [that] Article the legal successor of
[the] State union of Serbia and Montenegro is the Republic of
Serbia, which, as a sovereign state, [has] become [the] follower of
all international obligations and successor in international organi-
zations.”
The Chief State Prosecutor concluded that in the dispute before the
Court, “the Republic of Montenegro may not have [the] capacity of
respondent, [for the] above mentioned reasons”.
73. By a letter dated 11 December 2006, the Agent of Serbia referred
to the letters from the Applicant and from Montenegro described in
paragraphs 71 and 72 above, and observed that there was “an obvious
contradiction between the position of the Applicant on the one hand and
the position of Montenegro on the other regarding the question whether
these proceedings may or may not yield a decision which would result in
the international responsibility of Montenegro” for the unlawful conduct
invoked by the Applicant. The Agent stated that “Serbia is of the opinion
that this issue needs to be resolved by the Court”.
74. The Court observes that the facts and events on which the final
submissions of Bosnia and Herzegovina are based occurred at a period of
time when Serbia and Montenegro constituted a single State.
75. The Court notes that Serbia has accepted “continuity between Ser-
bia and Montenegro and the Republic of Serbia” (paragraph 70 above),
and has assumed responsibility for “its commitments deriving from inter-
national treaties concluded by Serbia and Montenegro” (paragraph 68
above), thus including commitments under the Genocide Convention.
Montenegro, on the other hand, does not claim to be the continuator of
Serbia and Montenegro.
36 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 75
lettre de l’agent de la Bosnie-Herzégovine en date du 16 octobre 2006,
citée au paragraphe précédent, dans laquelle était soutenue la thèse selon
laquelle «la Serbie et le Monténégro [étaient], conjointement et séparé-
ment, responsables du comportement illicite ... à l’origine de la présente
instance». Le procureur général a affirmé que cette allégation concernait
la responsabilité au regard du droit international de l’Etat souverain du
Monténégro, et que celui-ci considérait qu’il s’agissait là d’une tentative
visant, sans son consentement, à en faire une partie à l’affaire, «c’est-à-
dire à ce qu’il devienne défendeur dans la présente procédure». Le pro-
cureur général a appelé l’attention sur le fait que, à la suite du référen-
dum tenu le 21 mai 2006 au Monténégro, l’Assemblée nationale du
Monténégro avait adopté une décision portant proclamation de l’indé-
pendance de la République du Monténégro. Après avoir indiqué que la
République du Monténégro était devenue «un Etat indépendant doté
d’une personnalité juridique internationale à part entière dans le cadre de
ses frontières administratives existantes», le procureur général a ajouté:
«La question de la succession à la communauté étatique de Ser-
bie-et-Monténégro au regard du droit international est régie par
l’article 60 de la charte constitutionnelle, en vertu duquel le succes-
seur juridique à la communauté étatique de Serbie-et-Monténégro
est la République de Serbie, qui, en tant qu’Etat souverain, est l’Etat
continuateur s’agissant de toutes les obligations internationales et
l’Etat successeur au sein des organisations internationales.»
Le procureur général a conclu en indiquant: «Pour les motifs qui pré-
cèdent, la République du Monténégro ne peut donc pas avoir la qualité
de défendeur» dans le cadre du différend porté devant la Cour.
73. Par une lettre en date du 11 décembre 2006, l’agent de la Serbie
s’est référé aux lettres du demandeur et du Monténégro évoquées aux
paragraphes 71 et 72 ci-dessus, et a fait observer qu’il y avait «une
contradiction manifeste entre la position du demandeur, d’une part, et
celle du Monténégro, d’autre part, s’agissant de la question de savoir si la
présente instance p[ouvait] ou non conduire à une décision susceptible
d’engager la responsabilité internationale du Monténégro» à raison du
comportement illicite invoqué par le demandeur. L’agent a indiqué que
«[l]a Serbie considér[ait] que cette question d[evait] être tranchée par la
Cour».
74. La Cour observe que les faits et événements auxquels se rapportent
les conclusions finales de la Bosnie-Herzégovine remontent à une époque
où la Serbie et le Monténégro formaient un seul Etat.
75. La Cour relève que la Serbie a reconnu la «continuité entre la Ser-
bie-et-Monténégro et la République de Serbie» (paragraphe 70 ci-des-
sus), et a accepté d’assumer la responsabilité à raison «[des] obligations
découlant des traités internationaux conclus par la Serbie-et-Monténé-
gro» (paragraphe 68 ci-dessus), y compris donc les obligations découlant
de la convention sur le génocide. En revanche, le Monténégro ne prétend
pas être le continuateur de la Serbie-et-Monténégro.
3676 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
76. The Court recalls a fundamental principle that no State may be
subject to its jurisdiction without its consent; as the Court observed in
the case of Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia), the
Court’s “jurisdiction depends on the consent of States and, consequently,
the Court may not compel a State to appear before it . . .” (Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1992 , p. 260, para. 53). In its Judg-
ment of 11 July 1996 (see paragraph 12 above), the significance of which
will be explained below, the Court found that such consent existed, for
the purposes of the present case, on the part of the FRY, which subse-
quently assumed the name of Serbia and Montenegro, without however
any change in its legal personality. The events related in paragraphs 67 to
69 above clearly show that the Republic of Montenegro does not con-
tinue the legal personality of Serbia and Montenegro; it cannot therefore
have acquired, on that basis, the status of Respondent in the present case.
It is also clear from the letter of 29 November 2006 quoted in para-
graph 72 above that it does not give its consent to the jurisdiction of the
Court over it for the purposes of the present dispute. Furthermore, the
Applicant did not in its letter of 16 October 2006 assert that Montenegro
is still a party to the present case; it merely emphasized its views as to the
joint and several liability of Serbia and of Montenegro.
77. The Court thus notes that the Republic of Serbia remains a
respondent in the case, and at the date of the present Judgment is indeed
the only Respondent. Accordingly, any findings that the Court may make
in the operative part of the present Judgment are to be addressed to
Serbia.
78. That being said, it has to be borne in mind that any responsibility
for past events determined in the present Judgment involved at the rele-
vant time the State of Serbia and Montenegro.
79. The Court observes that the Republic of Montenegro is a party to
the Genocide Convention. Parties to that Convention have undertaken
the obligations flowing from it, in particular the obligation to co-operate
in order to punish the perpetrators of genocide.
* * *
III. THE COURT ’S JURISDICTION
(1) Introduction: The Jurisdictional Objection of Serbia and
Montenegro
80. Notwithstanding the fact that in this case the stage of oral pro-
ceedings on the merits has been reached, and the fact that in 1996 the
Court gave a judgment on preliminary objections to its jurisdiction
(Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II), p. 595, hereinafter “the
1996 Judgment”), an important issue of a jurisdictional character has
37 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 76
76. La Cour rappelle que selon un principe fondamental aucun Etat ne
peut être soumis à sa juridiction sans y avoir consenti; comme la Cour l’a
fait observer dans l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru
(Nauru c. Australie), «[s]a compétence dépend en effet du consentement
des Etats et, par voie de conséquence, elle ne saurait contraindre un Etat
à se présenter devant elle...» (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1992, p. 260, par. 53). Dans son arrêt du 11 juillet 1996 (voir
paragraphe 12 ci-dessus), dont la portée sera précisée ci-après, la Cour a
constaté qu’un tel consentement existait, aux fins de la présente affaire,
de la part de la RFY, qui a pris par la suite la dénomination de Serbie-
et-Monténégro, sans changer pour autant de personnalité juridique. Il
résulte clairement des événements relatés aux paragraphes 67 à 69 ci-des-
sus que la République du Monténégro ne continue pas la personnalité
juridique de la Serbie-et-Monténégro; elle ne saurait donc avoir acquis, à
ce titre, la qualité de partie défenderesse dans la présente instance. Par
ailleurs, il ressort de la lettre du 29 novembre 2006 citée au paragraphe 72
ci-dessus qu’elle ne consent pas à la compétence de la Cour, à son égard,
aux fins du présent différend. En outre, le demandeur n’a pas prétendu,
dans sa lettre du 16 octobre 2006, que le Monténégro serait toujours par-
tie à la présente espèce, se limitant à rappeler sa thèse d’une responsabi-
lité conjointe et solidaire de la Serbie et du Monténégro.
77. La Cour relève donc que la République de Serbie demeure défen-
deresse en l’espèce; à la date du présent arrêt, elle constitue, en vérité,
l’unique défendeur. En conséquence, toute conclusion à laquelle la Cour
parviendrait dans le dispositif du présent arrêt ne pourra être dirigée qu’à
l’endroit de la Serbie.
78. Cela étant dit, il convient toutefois de garder à l’esprit que toute
responsabilité établie dans le présent arrêt à raison d’événements passés
concernait à l’époque considérée l’Etat de Serbie-et-Monténégro.
79. La Cour fait observer que la République du Monténégro est partie
à la convention sur le génocide. Toute partie à celle-ci s’est engagée à res-
pecter les obligations qui en découlent, en particulier celle de coopérer
aux fins de punir les auteurs d’un génocide.
*
* *
III. COMPÉTENCE DE LA C OUR
1) Introduction: l’exception d’incompétence soulevée par
la Serbie-et-Monténégro
80. Malgré l’arrêt rendu en 1996 sur les exceptions préliminaires
d’incompétence (Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 595, ci-après
dénommé «l’arrêt de 1996»), l’affaire étant parvenue au stade de la pro-
cédure orale sur les questions de fond, une question de compétence
importante a été soulevée dans l’Initiative, et la Cour a été priée de la
3777 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
since been raised by the Initiative, and the Court has been asked to rule
upon it (see paragraphs 26-28 above). The basis of jurisdiction asserted
by the Applicant, and found applicable by the Court by the 1996 Judg-
ment, is Article IX of the Genocide Convention. The Socialist Federal
Republic of Yugoslavia (hereinafter “the SFRY”) became a party to that
Convention on 29 August 1950. In substance, the central question now
raised by the Respondent is whether at the time of the filing of the Appli-
cation instituting the present proceedings the Respondent was or was not
the continuator of the SFRY. The Respondent now contends that it was
not a continuator State, and that therefore not only was it not a party to
the Genocide Convention when the present proceedings were instituted,
but it was not then a party to the Statute of the Court by virtue of mem-
bership in the United Nations; and that, not being such a party, it did
not have access to the Court, with the consequence that the Court had no
jurisdiction ratione personae over it.
81. This contention was first raised, in the context of the present case,
by the “Initiative to the Court to Reconsider ex officio Jurisdiction over
Yugoslavia” filed by the Respondent on 4 May 2001 (paragraph 26
above). The circumstances underlying that Initiative will be examined in
more detail below (paragraphs 88-99). Briefly stated, the situation was
that the Respondent, after claiming that since the break-up of the SFRY
in 1992 it was the continuator of that State, and as such maintained the
membership of the SFRY in the United Nations, had on 27 October 2000
applied, “in light of the implementation of the Security Council resolu-
tion 777 (1992)”, to be admitted to the Organization as a new Member,
thereby in effect relinquishing its previous claim. The Respondent con-
tended that it had in 2000 become apparent that it had not been a Mem-
ber of the United Nations in the period 1992-2000, and was thus not a
party to the Statute at the date of the filing of the Application in this
case; and that it was not a party to the Genocide Convention on that
date. The Respondent concluded that “the Court has no jurisdiction over
[the Respondent] ratione personae”. It requested the Court “to suspend
proceedings regarding the merits of the Case until a decision on this Ini-
tiative is rendered”.
82. By a letter of 12 June 2003, the Registrar, acting on the instruc-
tions of the Court, informed the Respondent that the Court could not
accede to the request made in that document, that the proceedings be sus-
pended until a decision was rendered on the jurisdictional issues raised
therein. The Respondent was informed, nevertheless, that the Court
“w[ould] not give judgment on the merits in the present case unless it
[was] satisfied that it ha[d] jurisdiction” and that, “[s]hould Serbia and
Montenegro wish to present further argument to the Court on jurisdic-
tional questions during the oral proceedings on the merits, it w[ould] be
free to do so”. The Respondent accordingly raised, as an “issue of pro-
cedure”, the question whether the Respondent had access to the Court at
the date of the Application, and each of the parties has now addressed
38 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 77
trancher (voir paragraphes 26-28 ci-dessus). La base de compétence invo-
quée par le demandeur — et retenue par la Cour dans son arrêt de 1996 —
est constituée par l’article IX de la convention sur le génocide. La Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie (dénommée ci-après la
«RFSY») est devenue partie à cette Convention le 29 août 1950. En
substance, la question centrale soulevée à présent par le défendeur est la
suivante: assurait-il la continuité de la RFSY au moment du dépôt de la
requête introductive d’instance? Il répond aujourd’hui par la négative:
ainsi, non seulement n’aurait-il pas été partie à la convention sur le géno-
cide à la date de l’introduction de la présente instance, mais il n’aurait
pas non plus été partie au Statut de la Cour en qualité de Membre de
l’Organisation des Nations Unies; n’étant pas partie au Statut, conclut-il,
il n’avait pas accès à la Cour, laquelle n’avait de ce fait pas compétence
ratione personae à son égard.
81. Dans le cadre de la présente affaire, cet argument a pour la pre-
mière fois été soulevé dans l’«Initiative présentée à la Cour aux fins d’un
réexamen d’office de sa compétence», déposée par le défendeur le
4 mai 2001 (voir plus haut paragraphe 26). Les circonstances à l’origine
de cette Initiative seront examinées plus en détail ci-dessous (para-
graphes 88 à 99). En bref, la situation était la suivante: le défendeur,
qui, depuis la dissolution de la RFSY, en 1992, soutenait qu’il assu-
rait la continuité de cet Etat et pouvait de ce fait conserver la qualité de
Membre de l’Organisation des Nations Unies qui avait été celle de la
RFSY, avait, le 27 octobre 2000, demandé, «comme suite à la réso-
lution 777 (1992) du Conseil de sécurité», à être admis à l’Organisation
en tant que nouveau Membre, renonçant de ce fait à sa précédente
prétention. Le défendeur alléguait qu’il était devenu manifeste, en 2000,
qu’il n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies pendant
la période allant de 1992 à 2000 ni, par conséquent, partie au Statut à la
date du dépôt de la requête en l’affaire, et qu’il n’était pas davantage par-
tie à la convention sur le génocide à cette date. Le défendeur concluait
que la Cour «n’[était] pas compétente ratione personae » à son égard et
priait la Cour de «surseoir à statuer sur le fond tant qu’elle ne se
ser[ait] pas prononcée sur» cette Initiative.
82. Par une lettre datée du 12 juin 2003, le greffier, agissant sur ins-
truction de la Cour, a informé le défendeur que la Cour ne pouvait accé-
der à la demande, formulée dans l’Initiative, tendant à ce que la procé-
dure soit suspendue jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue sur les
questions de compétence soulevées dans ce document. Il lui indiquait
néanmoins que la Cour «ne se prononcera[it] sur le fond de la présente
affaire qu’à condition d’avoir pu établir qu’elle a[vait] compétence» et
que, «si la Serbie-et-Monténégro souhait[ait] présenter à la Cour des
arguments supplémentaires sur les questions de compétence lors de la
procédure orale au fond, elle [était] libre de le faire». Le défendeur a donc
soulevé, à titre de «question de procédure», le point de savoir s’il avait
qualité pour ester devant la Cour à la date du dépôt de la requête, et cha-
3878 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
argument to the Court on that question. It has however at the same time
been argued by the Applicant that the Court may not deal with the ques-
tion, or that the Respondent is debarred from raising it at this stage of
the proceedings. These contentions will be examined below.
83. Subsequently, on 15 December 2004, the Court delivered judgment
in eight cases brought by Serbia and Montenegro against Member States
of NATO (cases concerning the Legality of Use of Force). The Applica-
tions instituting proceedings in those cases had been filed on 29 April 1999,
that is to say prior to the admission of Serbia and Montenegro (then
known as the Federal Republic of Yugoslavia) to the United Nations on
1 November 2000. In each of these cases, the Court held that it had no
jurisdiction to entertain the claims made in the Application (see, for
example, Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 , p. 328, para. 129),
on the grounds that “Serbia and Montenegro did not, at the time of the
institution of the present proceedings, have access to the Court under
either paragraph 1 or paragraph 2 of Article 35 of the Statute” (ibid.,
p. 327, para. 127). It held, “in light of the legal consequences of the new
development since 1 November 2000”, that “Serbia and Montenegro was
not a Member of the United Nations, and in that capacity a State party
to the Statute of the International Court of Justice, at the time of filing its
Application . . .” (ibid., p. 311, para. 79). No finding was made in those
judgments on the question whether or not the Respondent was a party to
the Genocide Convention at the relevant time.
84. Both Parties recognize that each of these Judgments has the force
of res judicata in the specific case for the parties thereto; but they also
recognize that these Judgments, not having been rendered in the present
case, and involving as parties States not parties to the present case, do
not constitute res judicata for the purposes of the present proceedings. In
view however of the findings in the cases concerning the Legality of Use
of Force as to the status of the FRY vis-à-vis the United Nations and the
Court in 1999, the Respondent has invoked those decisions as supportive
of its contentions in the present case.
85. The grounds upon which, according to Bosnia and Herzegovina,
the Court should, at this late stage of the proceedings, decline to examine
the questions raised by the Respondent as to the status of Serbia and
Montenegro in relation to Article 35 of the Statute, and its status as a
party to the Genocide Convention, are because the conduct of the
Respondent in relation to the case has been such as to create a sort of
forum prorogatum, or an estoppel, or to debar it, as a matter of good
faith, from asserting at this stage of the proceedings that it had no access
to the Court at the date the proceedings were instituted; and because the
questions raised by the Respondent had already been resolved by the
1996 Judgment, with the authority of res judicata.
39 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 78
cune des Parties a présenté à la Cour ses arguments à cet égard. Dans le
même temps, le demandeur a toutefois fait valoir que la Cour ne pouvait
pas traiter cette question, ou que le défendeur était empêché de la soule-
ver à ce stade de la procédure. Ces thèses seront examinées dans la suite
de l’arrêt.
83. Par la suite, le 15 décembre 2004, la Cour s’est prononcée dans
huit affaires introduites par la Serbie-et-Monténégro contre des Etats
membres de l’OTAN (affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force). Les requêtes introductives d’instance correspondantes avaient été
déposées le 29 avril 1999, autrement dit avant l’admission de la Serbie-
et-Monténégro (alors connue sous le nom de République fédérale de
Yougoslavie) à l’Organisation des Nations Unies, le 1 ernovembre 2000.
La Cour a, dans chacun des cas, dit qu’elle n’avait pas compétence pour
connaître des demandes formulées dans la requête (voir, par exemple,
Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), excep-
tions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 328, par. 129), au motif
que «la Serbie-et-Monténégro n’avait, au moment de l’introduction de
l’instance, qualité pour ester devant la Cour, ni en vertu du paragraphe 1,
ni en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut» (ibid., p. 327,
par. 127). La Cour a, «compte tenu des conséquences juridiques du nou-
vel état de fait existant depuis le 1 novembre 2000», conclu que «la Ser-
bie-et-Monténégro n’était pas membre de l’Organisation des Nations
Unies, ni en cette qualité partie au Statut de la Cour internationale de
Justice, au moment où elle a[vait] déposé sa requête...» (ibid., p. 311,
par. 79). La Cour ne se prononçait nulle part, dans ces arrêts, sur la ques-
tion de savoir si le défendeur était ou non partie à la convention sur le
génocide à la période pertinente.
84. Les deux Parties reconnaissent que chacun de ces arrêts est revêtu
de l’autorité de la chose jugée pour les parties en présence dans l’affaire
concernée; mais elles reconnaissent aussi que, n’ayant pas été rendus en
la présente espèce, et étant adressés à des Etats qui ne sont pas ceux par-
ties à la présente espèce, ces arrêts n’ont pas force de chose jugée aux fins
de la présente instance. Le défendeur a néanmoins invoqué, comme venant
étayer ses arguments en la présente espèce, les décisions rendues dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force quant au statut de la
RFY vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies et de la Cour en 1999.
85. La Bosnie-Herzégovine a plaidé que la Cour, à un stade aussi tar-
dif de la procédure, devrait s’abstenir d’examiner les questions soulevées
par le défendeur quant à la situation de la Serbie-et-Monténégro au
regard de l’article 35 du Statut, d’une part, et de la convention sur le
génocide, d’autre part, au motif que la conduite du défendeur à l’égard de
l’affaire avait conduit à la création d’une sorte de forum prorogatum,ou
d’une situation d’estoppel, ou qu’elle lui interdisait à ce stade de la pro-
cédure de prétendre de bonne foi qu’il n’avait pas qualité pour ester
devant la Cour à la date de l’introduction de l’instance et que les ques-
tions soulevées par le défendeur avaient déjà été tranchées par l’arrêt
de 1996 avec l’autorité de la chose jugée.
3979 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
86. As a result of the Initiative of the Respondent (paragraph 81
above), and its subsequent argument on what it has referred to as an
“issue of procedure”, the Court has before it what is essentially an objec-
tion by the Respondent to its jurisdiction, which is preliminary in the
sense that, if it is upheld, the Court will not proceed to determine the
merits. The Applicant objects in turn to the Court examining further the
Respondent’s jurisdictional objection. These matters evidently require
to be examined as preliminary points, and it was for this reason that
the Court instructed the Registrar to write to the Parties the letter of
12 June 2003, referred to in paragraph 82 above. The letter was intended
to convey that the Court would listen to any argument raised by the Ini-
tiative which might be put to it, but not as an indication of what its ruling
might be on any such arguments.
87. In order to make clear the background to these issues, the Court
will first briefly review the history of the relationship between the
Respondent and the United Nations during the period from the break-up
of the SFRY in 1992 to the admission of Serbia and Montenegro (then
called the Federal Republic of Yugoslavia) to the United Nations on
1 November 2000. The previous decisions of the Court in this case, and
in the Application for Revision case, have been briefly recalled above
(paragraphs 4, 8, 12 and 31). They will be referred to more fully below
(paragraphs 105-113) for the purpose of (in particular) an examination of
the contentions of Bosnia and Herzegovina on the question of res judicata.
**
(2) History of the Status of the FRY with Regard to
the United Nations
88. In the early 1990s the SFRY, a founding Member State of the
United Nations, made up of Bosnia and Herzegovina, Croatia, Macedo-
nia, Montenegro, Serbia and Slovenia, began to disintegrate. On
25 June 1991 Croatia and Slovenia both declared independence, followed
by Macedonia on 17 September 1991 and Bosnia and Herzegovina on
6 March 1992. On 22 May 1992, Bosnia and Herzegovina, Croatia and
Slovenia were admitted as Members to the United Nations; as was the
former Yugoslav Republic of Macedonia on 8 April 1993.
89. On 27 April 1992 the “participants of the joint session of the
SFRY Assembly, the National Assembly of the Republic of Serbia and
the Assembly of the Republic of Montenegro” had adopted a declara-
tion, stating in pertinent parts:
40 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 79
86. Avec l’Initiative du défendeur (paragraphe 81 ci-dessus) et la thèse
qu’il a développée par la suite à propos de sa «question de procédure», la
Cour se trouve en présence de ce qui correspond fondamentalement à une
exception d’incompétence — exception de nature préliminaire dans le
sens où, si elle est retenue, la Cour ne tranchera pas le différend au fond.
Le demandeur objecte quant à lui à ce que la Cour examine plus avant
cette exception. Ces points requièrent à l’évidence d’être examinés à titre
préliminaire, et c’est pour cette raison que la Cour a chargé le greffier
d’adresser aux Parties la lettre du 12 juin 2003, à laquelle il est fait réfé-
rence au paragraphe 82 ci-dessus. La lettre visait à indiquer que la Cour
entendrait tout argument soulevé dans l’Initiative qui pourrait lui être
présenté, non qu’elle se prononcerait de telle ou telle façon sur l’un quel-
conque de ces arguments.
87. Afin d’éclaircir le contexte dans lequel s’inscrivent ces questions, la
Cour procédera à un bref récapitulatif de l’histoire des relations entre le
défendeur et l’Organisation des Nations Unies pendant la période allant
de la dissolution de la RFSY, en 1992, à l’admission de la Serbie-et-Mon-
ténégro (alors appelée République fédérale de Yougoslavie) au sein de
l’Organisation des Nations Unies, le 1 ernovembre 2000. Les précédentes
décisions rendues par la Cour dans la présente affaire, ainsi que dans
l’affaire de la Demande en revision, ont été brièvement rappelées plus
haut (paragraphes 4, 8, 12 et 31). Elles seront évoquées plus en détail
dans la suite de l’arrêt (paragraphes 105-113), aux fins, notamment, de
l’examen des thèses de la Bosnie-Herzégovine sur la question de l’autorité
de la chose jugée.
**
2) Historique du statut de la RFY vis-à-vis de l’Organisation
des Nations Unies
88. Au début des années quatre-vingt-dix, la RFSY, Etat Membre ori-
ginaire de l’Organisation des Nations Unies constitué de la Bosnie-
Herzégovine, de la Croatie, de la Macédoine, du Monténégro, de la Serbie
et de la Slovénie, commença à se désintégrer. Le 25 juin 1991, la Croatie
et la Slovénie déclarèrent l’une et l’autre leur indépendance, suivies
par la Macédoine le 17 septembre 1991 et par la Bosnie-Herzégovine le
6 mars 1992. Le 22 mai 1992, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la
Slovénie furent admises en qualité de Membres à l’Organisation des
Nations Unies. Il en fut de même le 8 avril 1993 pour l’ex-République
yougoslave de Macédoine.
89. Le 27 avril 1992, les «participants à la session commune de l’Assem-
blée de la RFSY, de l’Assemblée nationale de la République de Serbie et
de l’Assemblée de la République du Monténégro» avaient adopté une
déclaration, dont les passages les plus pertinents en l’espèce sont les
suivants:
4080 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
.“...........................
1. The Federal Republic of Yugoslavia, continuing the state, inter-
national legal and political personality of the Socialist Federal
Republic of Yugoslavia, shall strictly abide by all the commitments
that the SFR of Yugoslavia assumed internationally,
.............................
Remaining bound by all obligations to international organizations
and institutions whose member it is . . .” (United Nations doc. A/
46/915, Ann. II).
90. An official Note dated 27 April 1992 from the Permanent Mission
of Yugoslavia to the United Nations, addressed to the Secretary-General
of the United Nations, stated inter alia that:
“The Assembly of the Socialist Federal Republic of Yugoslavia, at
its session held on 27 April 1992, promulgated the Constitution of
the Federal Republic of Yugoslavia. Under the Constitution, on the
basis of the continuing personality of Yugoslavia and the legitimate
decisions by Serbia and Montenegro to continue to live together in
Yugoslavia, the Socialist Federal Republic of Yugoslavia is trans-
formed into the Federal Republic of Yugoslavia, consisting of the
Republic of Serbia and the Republic of Montenegro.
Strictly respecting the continuity of the international personality
of Yugoslavia, the Federal Republic of Yugoslavia shall continue to
fulfil all the rights conferred to, and obligations assumed by, the
Socialist Federal Republic of Yugoslavia in international relations,
including its membership in all international organizations and par-
ticipation in international treaties ratified or acceded to by Yugosla-
via.” (United Nations doc. A/46/915, Ann. I.)
91. On 30 May 1992, the Security Council adopted resolu-
tion 757 (1992), in which, inter alia, it noted that “the claim by the Fed-
eral Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro) to continue auto-
matically the membership of the former Socialist Federal Republic of
Yugoslavia in the United Nations has not been generally accepted”.
92. On 19 September 1992, the Security Council adopted resolution 777
(1992) which read as follows:
“The Security Council,
Reaffirming its resolution 713 (1991) of 25 September 1991 and all
subsequent relevant resolutions,
41 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 80
............................
1. La République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité
de l’Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de
la République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera stric-
tement tous les engagements que la République fédérative socialiste
de Yougoslavie a pris à l’échelon international.
.............................
Restant liée par toutes ses obligations vis-à-vis des organisations
et institutions internationales auxquelles elle appartient...»
(Nations Unies, doc. A/46/915, annexe II.)
90. Dans une note officielle de la mission permanente de la Yougo-
slavie auprès de l’Organisation des Nations Unies, datée du 27 avril 1992
et adressée au Secrétaire général de l’Organisation, il fut notamment
indiqué ce qui suit:
«L’Assemblée de la République fédérative socialiste de Yougo-
slavie, à la session qu’elle a tenue le 27 avril 1992, a promulgué la
Constitution de la République fédérale de Yougoslavie. Aux termes
de la Constitution, et compte tenu de la continuité de la personnalité
de la Yougoslavie et des décisions légitimes qu’ont prises la Serbie
et le Monténégro de continuer à vivre ensemble en Yougoslavie, la
République fédérative socialiste de Yougoslavie devient la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie, composée de la République de
Serbie et de la République du Monténégro.
Dans le strict respect de la continuité de la personnalité interna-
tionale de la Yougoslavie, la République fédérale de Yougoslavie
continuera à exercer tous les droits conférés à la République fédéra-
tive socialiste de Yougoslavie et à s’acquitter de toutes les obliga-
tions assumées par cette dernière dans les relations internationales, y
compris en ce qui concerne son appartenance à toutes les organisa-
tions internationales et sa participation à tous les traités internatio-
naux que la Yougoslavie a ratifiés ou auxquels elle a adhéré.»
(Nations Unies, doc. A/46/915, annexe I.)
91. Le 30 mai 1992, le Conseil de sécurité adopta la résolution 757
(1992), dans laquelle, entre autres, il notait: «[L’]affirmation de la Répu-
blique fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) selon laquelle
elle assure automatiquement la continuité de l’ex-République fédérative
socialiste de Yougoslavie comme Membre de l’Organisation des Nations
Unies n’a pas été généralement acceptée».
92. Le 19 septembre 1992, le Conseil de sécurité adopta la résolu-
tion 777 (1992), qui se lit comme suit:
«Le Conseil de sécurité,
Réaffirmant sa résolution 713 (1991) du 25 septembre 1991 et
toutes les résolutions consécutives pertinentes,
4181 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Considering that the state formerly known as the Socialist Federal
Republic of Yugoslavia has ceased to exist,
Recalling in particular resolution 757 (1992) which notes that ‘the
claim by the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Monte-
negro) to continue automatically the membership of the former
Socialist Federal Republic of Yugoslavia in the United Nations
has not been generally accepted’,
1. Considers that the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and
Montenegro) cannot continue automatically the membership of the
former Socialist Federal Republic of Yugoslavia in the United
Nations; and therefore recommends to the General Assembly that it
decide that the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Mon-
tenegro) should apply for membership in the United Nations and
that it shall not participate in the work of the General Assembly;
2. Decides to consider the matter again before the end of the
main part of the forty-seventh session of the General Assembly.”
The resolution was adopted by 12 votes in favour, none against, and
3 abstentions.
93. On 22 September 1992 the General Assembly adopted resolu-
tion 47/1, according to which:
“The General Assembly,
Having received the recommendation of the Security Council of
19 September 1992 that the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia
and Montenegro) should apply for membership in the United
Nations and that it shall not participate in the work of the General
Assembly,
1. Considers that the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and
Montenegro) cannot continue automatically the membership of the
former Socialist Federal Republic of Yugoslavia in the United
Nations; and therefore decides that the Federal Republic of Yugo-
slavia (Serbia and Montenegro) should apply for membership in the
United Nations and that it shall not participate in the work of the
General Assembly;
2. Takes note of the intention of the Security Council to consider
the matter again before the end of the main part of the forty-seventh
session of the General Assembly.”
The resolution was adopted by 127 votes to 6, with 26 abstentions.
94. On 25 September 1992, the Permanent Representatives of Bosnia
and Herzegovina and Croatia addressed a letter to the Secretary-General,
in which, with reference to Security Council resolution 777 (1992) and
42 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 81
Considérant que l’Etat antérieurement connu comme la Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie a cessé d’exister,
Rappelant en particulier sa résolution 757 qui note que «l’affirma-
tion de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monté-
négro), selon laquelle elle assure automatiquement la continuité de
l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie comme
Membre de l’Organisation des Nations Unies n’a pas été générale-
ment acceptée»,
1. Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie
et Monténégro) ne peut pas assurer automatiquement la continuité
de la qualité de Membre de l’ancienne République fédérative socia-
liste de Yougoslavie aux Nations Unies et par conséquent recom-
mande à l’Assemblée générale de décider que la République fédéra-
tive de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une
demande d’adhésion aux Nations Unies et qu’elle ne participera pas
aux travaux de l’Assemblée générale;
2. Décide de reconsidérer la question avant la fin de la partie
principale de la quarante-septième session de l’Assemblée géné-
rale.»
La résolution fut adoptée par 12 voix contre zéro, avec 3 abstentions.
93. Le 22 septembre 1992, l’Assemblée générale adopta sa résolution
47/1, laquelle dispose:
«L’Assemblée générale,
Ayant reçu la recommandation du Conseil de sécurité, en date du
19 septembre 1992, selon laquelle la République fédérative de You-
goslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande
d’admission à l’Organisation des Nations Unies et ne participera pas
aux travaux de l’Assemblée générale,
1. Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie
et Monténégro) ne peut pas assumer automatiquement la [continuité
de la] qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies à la
place de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie
et, par conséquent, décide que la République fédérative de Yougo-
slavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande d’ad-
mission à l’Organisation et qu’elle ne participera pas aux travaux
de l’Assemblée générale;
2. Prend acte de l’intention du Conseil de sécurité de reconsidérer
la question avant la fin de la partie principale de la quarante-sep-
tième session de l’Assemblée générale.»
La résolution fut adoptée par 127 voix contre 6, avec 26 abstentions.
94. Le 25 septembre 1992, les représentants permanents de la Bosnie-
Herzégovine et de la Croatie adressèrent une lettre au Secrétaire général,
dans laquelle, se référant à la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité
4282 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
General Assembly resolution 47/1, they stated their understanding as fol-
lows: “At this moment, there is no doubt that the Socialist Federal
Republic of Yugoslavia is not a member of the United Nations any more.
At the same time, the Federal Republic of Yugoslavia is clearly not yet a
member.” They concluded that “[t]he flag flying in front of the United
Nations and the name-plaque bearing the name ‘Yugoslavia’ do not rep-
resent anything or anybody any more” and “kindly request[ed] that [the
Secretary-General] provide a legal explanatory statement concerning the
questions raised” (United Nations doc. A/47/474).
95. In response, on 29 September 1992, the Under-Secretary-General
and Legal Counsel of the United Nations addressed a letter to the Per-
manent Representatives of Bosnia and Herzegovina and Croatia, in
which he stated that the “considered view of the United Nations Secre-
tariat regarding the practical consequences of the adoption by the Gen-
eral Assembly of resolution 47/1” was as follows:
“While the General Assembly has stated unequivocally that the
Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro) cannot
automatically continue the membership of the former Socialist Fed-
eral Republic of Yugoslavia in the United Nations and that the Fed-
eral Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro) should apply
for membership in the United Nations, the only practical conse-
quence that the resolution draws is that the Federal Republic of
Yugoslavia (Serbia and Montenegro) shall not participate in the
work of the General Assembly. It is clear, therefore, that representa-
tives of the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montene-
gro) can no longer participate in the work of the General Assembly,
its subsidiary organs, nor conferences and meetings convened by it.
On the other hand, the resolution neither terminates nor suspends
Yugoslavia’s membership in the Organization. Consequently, the
seat and nameplate remain as before, but in Assembly bodies repre-
sentatives of the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Mon-
tenegro) cannot sit behind the sign ‘Yugoslavia’. Yugoslav missions
at United Nations Headquarters and offices may continue to func-
tion and may receive and circulate documents. At Headquarters, the
Secretariat will continue to fly the flag of the old Yugoslavia as it is
the last flag of Yugoslavia used by the Secretariat. The resolution
does not take away the right of Yugoslavia to participate in the
work of organs other than Assembly bodies. The admission to the
United Nations of a new Yugoslavia under Article 4 of the Charter
will terminate the situation created by resolution 47/1.” (United
Nations doc. A/47/485; emphasis in the original.)
43 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 82
et à la résolution 47/1 de l’Assemblée générale, ils exprimaient le point de
vue commun suivant: «Il est actuellement incontestable que la Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie n’est plus membre de l’Orga-
nisation des Nations Unies. D’autre part, il est clair que la République
fédérative de Yougoslavie n’est pas encore membre.» Ils estimaient
en conclusion que «[l]e drapeau flottant en face de l’Organisation
des Nations Unies et la plaque portant le nom «Yougoslavie» ne repré-
sent[aient] plus rien ou plus personne» et priaient le Secrétaire général de
«bien vouloir [leur] donner une explication juridique au sujet des ques-
tions soulevées plus haut» (Nations Unies, doc. A/47/474).
95. En réponse, le Secrétaire général adjoint, conseiller juridique de
l’Organisation, adressa le 29 septembre 1992 aux représentants per-
manents de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie une lettre dans la-
quelle il indiquait que «la position réfléchie du Secrétariat de l’Organisa-
tion des Nations Unies en ce qui concerne les conséquences pratiques
de l’adoption par l’Assemblée générale de la résolution 47/1» était la
suivante:
«Si l’Assemblée générale a déclaré sans équivoque que la Répu-
blique fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne pouvait
pas assurer automatiquement la continuité de la qualité de Membre
de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie à
l’Organisation des Nations Unies et que la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande
d’admission à l’Organisation, l’unique conséquence pratique de cette
résolution est que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne participera pas aux travaux de l’Assemblée géné-
rale. Il est donc clair que les représentants de la République fédéra-
tive de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peuvent plus partici-
per aux travaux de l’Assemblée générale et de ses organes subsidiaires,
ni aux conférences et réunions organisées par celle-ci.
D’un autre côté, la résolution ne met pas fin à l’appartenance de la
Yougoslavie à l’Organisation et ne la suspend pas. En conséquence,
le siège et la plaque portant le nom de la Yougoslavie subsistent, mais
dans les organes de l’Assemblée les représentants de la République
fédérale de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peuvent occu-
per la place réservée à la «Yougoslavie». La mission de la Yougo-
slavie auprès du Siège de l’Organisation des Nations Unies, ainsi que
les bureaux occupés par celle-ci, peuvent poursuivre leurs activités, ils
peuvent recevoir et distribuer des documents. Au Siège, le Secrétariat
continuera de hisser le drapeau de l’ancienne Yougoslavie, car c’est le
dernier drapeau que le Secrétariat ait connu. La résolution n’enlève
pas à la Yougoslavie le droit de participer aux travaux des organes
autres que ceux de l’Assemblée. L’admission à l’Organisation des
Nations Unies d’une nouvelle Yougoslavie, en vertu de l’article 4 de
la Charte, mettra fin à la situation créée par la résolution 47/1.»
(Nations Unies, doc. A/47/485; les italiques sont dans l’original.)
4383 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
96. On 29 April 1993, the General Assembly, upon the recommenda-
tion contained in Security Council resolution 821 (1993) (couched in
terms similar to those of Security Council resolution 777 (1992)), adopted
resolution 47/229 in which it decided that “the Federal Republic of
Yugoslavia (Serbia and Montenegro) shall not participate in the work of
the Economic and Social Council”.
97. In its Judgments in the cases concerning the Legality of Use of
Force (paragraph 83 above), the Court commented on this sequence of
events by observing that “all these events testify to the rather confused
and complex state of affairs that obtained within the United Nations sur-
rounding the issue of the legal status of the Federal Republic of Yugo-
slavia in the Organization during this period” (Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2004 , p. 308, para. 73), and earlier the Court, in
another context, had referred to the “sui generis position which the FRY
found itself in” during the period between 1992 to 2000 (loc. cit., citing
I.C.J. Reports 2003, p. 31, para. 71).
98. This situation, however, came to an end with a new development
in 2000. On 24 September 2000, Mr. Koštunica was elected President of
the FRY. In that capacity, on 27 October 2000 he sent a letter to the
Secretary-General requesting admission of the FRY to membership in
the United Nations, in the following terms:
“In the wake of fundamental democratic changes that took place
in the Federal Republic of Yugoslavia, in the capacity of President,
I have the honour to request the admission of the Federal Republic
of Yugoslavia to the United Nations in light of the implementation
of the Security Council resolution 777 (1992) .” (United Nations
doc. A/55/528-S/2000/1043; emphasis added.)
99. Acting upon this application by the FRY for membership in the
United Nations, the Security Council on 31 October 2000 “recom-
mend[ed] to the General Assembly that the Federal Republic of Yugo-
slavia be admitted to membership in the United Nations” (United Nations
doc. S/RES/1326). On 1 November 2000, the General Assembly, by reso-
lution 55/12, “[h]aving received the recommendation of the Security
Council of 31 October 2000” and “[h]aving considered the application
for membership of the Federal Republic of Yugoslavia”, decided to
“admit the Federal Republic of Yugoslavia to membership in the United
Nations”.
**
(3) The Response of Bosnia and Herzegovina
100. The Court will now consider the Applicant’s response to the juris-
dictional objection raised by the Respondent, that is to say the conten-
44 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 83
96. Le 29 avril 1993, l’Assemblée générale, suivant la recommandation
figurant dans la résolution 821 (1993) du Conseil de sécurité (formulée en
des termes similaires à ceux de la résolution 777 (1992)), adopta la résolu-
tion 47/229, à l’effet que «la République fédérative de Yougoslavie (Ser-
bie et Monténégro) ne participera[it] pas aux travaux du Conseil écono-
mique et social».
97. Dans ses arrêts rendus en les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force (paragraphe 83 ci-dessus), la Cour a commenté cette
suite d’événements en relevant que «tous ces éléments attestent l’assez
grande confusion et complexité de la situation qui prévalait aux
Nations Unies autour de la question du statut juridique de la République
fédérale de Yougoslavie au sein de l’Organisation pendant cette période»
(exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 308, par. 73); elle
a auparavant, dans un autre contexte, évoqué «la situation sui generis
dans laquelle se trouvait la RFY vis-à-vis de l’Organisation des Nations
Unies» pendant la période 1992-2000 (loc. cit., reprenant C.I.J. Recueil
2003, p. 31, par. 71).
98. Toutefois, en 2000, une nouvelle évolution marqua la fin de cette
situation. Le 24 septembre 2000, M. Koštunica fut élu président de la
RFY. En cette qualité, il adressa le 27 octobre 2000 au Secrétaire général
une lettre demandant l’admission de la RFY à l’Organisation des Nations
Unies dans les termes suivants:
«Après l’évolution démocratique fondamentale qui s’est produite
en République fédérale de Yougoslavie, j’ai l’honneur, en ma qualité
de président, de demander l’admission de la République fédérale de
Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies, comme suite à la
résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité .» (Nations Unies,
doc. A/55/528-S/2000/1043; les italiques sont de la Cour.)
99. Donnant suite à cette demande d’admission de la RFY à l’Orga-
nisation des Nations Unies, le Conseil de sécurité, le 31 octobre 2000,
«[r]ecommand[a] à l’Assemblée générale d’admettre la République fédé-
rale de Yougoslavie en qualité de Membre de l’Organisation des Nations
er
Unies» (Nations Unies, doc. S/RES/1326). Le 1 novembre 2000,
l’Assemblée générale, par sa résolution 55/12, «[a]yant examiné la recom-
mandation du Conseil de sécurité, en date du 31 octobre 2000» et
«[a]yant examiné la demande d’admission présentée par la République
fédérale de Yougoslavie», décida «d’admettre la République fédérale de
Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies».
**
3) La réponse de la Bosnie-Herzégovine
100. La Cour examinera à présent la réponse du demandeur à l’excep-
tion d’incompétence soulevée par le défendeur, c’est-à-dire la thèse avan-
4484 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
tion of Bosnia and Herzegovina that the Court should not examine the
question, raised by the Respondent in its Initiative (paragraph 81 above),
of the status of the Respondent at the date of the filing of the Application
instituting proceedings. It is first submitted by Bosnia and Herzegovina
that the Respondent was under a duty to raise the issue of whether the
FRY (Serbia and Montenegro) was a Member of the United Nations at
the time of the proceedings on the preliminary objections, in 1996, and
that since it did not do so, the principle of res judicata, attaching to the
Court’s 1996 Judgment on those objections, prevents it from reopening
the issue. Secondly, the Applicant argues that the Court itself, having
decided in 1996 that it had jurisdiction in the case, would be in breach of
the principle of res judicata if it were now to decide otherwise, and that
the Court cannot call in question the authority of its decisions as res judi-
cata.
101. The first contention, as to the alleged consequences of the fact
that Serbia did not raise the question of access to the Court under
Article 35 at the preliminary objection stage, can be dealt with succinctly.
Bosnia and Herzegovina has argued that to uphold the Respondent’s
objection “would mean that a respondent, after having asserted one or
more preliminary objections, could still raise others, to the detriment of
the effective administration of justice, the smooth conduct of proceed-
ings, and, in the present case, the doctrine of res judicata”. It should
however be noted that if a party to proceedings before the Court chooses
not to raise an issue of jurisdiction by way of the preliminary objection
procedure under Article 79 of the Rules, that party is not necessarily
thereby debarred from raising such issue during the proceedings on the
merits of the case. As the Court stated in the case of Avena and Other
Mexican Nationals (Mexico v. United States of America) ,
“There are of course circumstances in which the party failing to
put forward an objection to jurisdiction might be held to have acqui-
esced in jurisdiction (Appeal Relating to the Jurisdiction of the
ICAO Council, Judgment, I.C.J. Reports 1972 , p. 52, para. 13).
However, apart from such circumstances, a party failing to avail
itself of the Article 79 procedure may forfeit the right to bring about
a suspension of the proceedings on the merits, but can still argue the
objection along with the merits.” (Judgment, I.C.J. Reports 2004 ,
p. 29, para. 24).
This first contention of Bosnia and Herzegovina must thus be understood
as a claim that the Respondent, by its conduct in relation to the case,
including the failure to raise the issue of the application of Article 35 of
the Statute, by way of preliminary objection or otherwise, at an earlier
stage of the proceedings, should be held to have acquiesced in jurisdic-
tion. This contention is thus parallel to the argument mentioned above
(paragraph 85), also advanced by Bosnia and Herzegovina, that the
Respondent is debarred from asking the Court to examine that issue for
45 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 84
cée par la Bosnie-Herzégovine selon laquelle la Cour ne doit pas exami-
ner la question soulevée par le défendeur dans son Initiative (voir plus
haut paragraphe 81) concernant son statut à la date du dépôt de la
requête introductive d’instance. La Bosnie-Herzégovine soutient tout
d’abord que la question de savoir si la RFY (Serbie et Monténégro) était
Membre de l’Organisation des Nations Unies aurait dû être soulevée par
le défendeur dès le stade des exceptions préliminaires, en 1996, et que,
celui-ci s’en étant abstenu, le principe de l’autorité de la chose jugée, qui
s’applique à l’arrêt de la Cour de 1996 sur ces exceptions, empêche cette
dernière de revenir sur la question. Le demandeur affirme ensuite que la
Cour elle-même, s’étant déclarée en 1996 compétente en l’espèce, violerait
le principe de l’autorité de la chose jugée si elle devait à présent se pro-
noncer autrement, et ne saurait remettre en question l’autorité de ses
décisions en tant que chose jugée.
101. La première affirmation, concernant les conséquences alléguées
du fait que la Serbie n’a pas soulevé la question de l’accès à la Cour au
titre de l’article 35 du Statut dès le stade des exceptions préliminaires,
peut être traitée succinctement. La Bosnie-Herzégovine a affirmé que
faire droit à l’exception du défendeur «signifierait que, après avoir intro-
duit une ou plusieurs exceptions à titre préliminaire, un défendeur pour-
rait encore en soulever d’autres, au mépris de l’efficacité de la justice, du
bon ordre du procès et, en l’espèce, de l’autorité de la chose jugée». Il
convient pourtant de noter que si une partie à une instance devant la
Cour choisit de ne pas soulever une question de compétence en usant de
la procédure des exceptions préliminaires détaillée à l’article 79 du Règle-
ment, cette partie n’en est pas pour autant nécessairement privée du droit
de soulever cette question au stade de l’examen du fond. Comme la Cour
l’a indiqué en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique
c. Etats-Unis d’Amérique) :
«Il est certes des circonstances dans lesquelles la partie qui s’abs-
tient de soulever une exception d’incompétence pourrait être consi-
dérée comme ayant accepté cette compétence (Appel concernant la
compétence du Conseil de l’OACI, arrêt, C.I.J. Recueil 1972 ,p.52,
par. 13). Mais hors de cette hypothèse, une partie qui n’use pas de la
procédure prévue à l’article 79 perd sans doute le droit d’obtenir la
suspension de la procédure sur le fond, mais n’en peut pas moins
faire valoir cette exception en même temps que ses arguments au
fond.» (Arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 29, par. 24.)
Ce premier argument de la Bosnie-Herzégovine doit donc être compris
comme une affirmation selon laquelle le défendeur, par son comporte-
ment relativement à l’instance, c’est-à-dire, notamment, faute d’avoir, à
un stade antérieur de celle-ci, soulevé la question de l’application de
l’article 35 du Statut, au moyen d’une exception préliminaire ou autre-
ment, doit être réputé avoir accepté la compétence de la Cour. Cet argu-
ment de la Bosnie-Herzégovine est à mettre ainsi en parallèle avec son
argument cité plus haut (paragraphe 85), selon lequel le défendeur serait
4585 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
reasons of good faith, including estoppel and the principle allegans con-
traria nemo audietur.
102. The Court does not however find it necessary to consider here
whether the conduct of the Respondent could be held to constitute an
acquiescence in the jurisdiction of the Court. Such acquiescence, if estab-
lished, might be relevant to questions of consensual jurisdiction, and in
particular jurisdiction ratione materiae under Article IX of the Genocide
Convention, but not to the question whether a State has the capacity
under the Statute to be a party to proceedings before the Court.
The latter question may be regarded as an issue prior to that of juris-
diction ratione personae, or as one constitutive element within the con-
cept of jurisdiction ratione personae. Either way, unlike the majority of
questions of jurisdiction, it is not a matter of the consent of the parties.
As the Court observed in the cases concerning the Legality of Use of
Force,
“a distinction has to be made between a question of jurisdiction that
relates to the consent of a party and the question of the right of a
party to appear before the Court under the requirements of the Stat-
ute, which is not a matter of consent. The question is whether as a
matter of law Serbia and Montenegro was entitled to seise the Court
as a party to the Statute at the time when it instituted proceedings in
these cases. Since that question is independent of the views or wishes
of the Parties, even if they were now to have arrived at a shared view
on the point, the Court would not have to accept that view as
necessarily the correct one. The function of the Court to enquire
into the matter and reach its own conclusion is thus mandatory
upon the Court irrespective of the consent of the parties and is in no
way incompatible with the principle that the jurisdiction of the
Court depends on consent.” (Legality of Use of Force (Serbia and
Montenegro v. Belgium), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2004, p. 295, para. 36; emphasis in the original.)
103. It follows that, whether or not the Respondent should be held to
have acquiesced in the jurisdiction of the Court in this case, such acqui-
escence would in no way debar the Court from examining and ruling
upon the question stated above. The same reasoning applies to the argu-
ment that the Respondent is estopped from raising the matter at this
stage, or debarred from doing so by considerations of good faith. All
such considerations can, at the end of the day, only amount to attributing
to the Respondent an implied acceptance, or deemed consent, in relation
to the jurisdiction of the Court; but, as explained above, ad hoc consent
of a party is distinct from the question of its capacity to be a party to
proceedings before the Court.
104. However Bosnia and Herzegovina’s second contention is that,
46 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 85
privé du droit de demander à la Cour d’examiner cette question — tant
pour des raisons de bonne foi que par estoppel ou application du principe
allegans contraria nemo audietur .
102. La Cour ne juge cependant pas nécessaire de se demander ici si le
comportement du défendeur pourrait être interprété comme valant
acquiescement à sa compétence. Pareil acquiescement, s’il était établi,
pourrait se révéler pertinent aux fins de rechercher l’existence d’une com-
pétence consensuelle, et en particulier d’une compétence ratione materiae
en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide, mais pas aux fins
de savoir si un Etat a la capacité d’être partie à une procédure devant la
Cour en vertu du Statut.
Cette dernière question peut être considérée comme une question préa-
lable à celle de la compétence ratione personae, ou comme un élément
constitutif de la compétence ratione personae. Dans un cas comme dans
l’autre, à la différence de la plupart des questions de compétence, ce n’est
pas du consentement des parties qu’il s’agit ici: comme la Cour l’a
observé dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ,
«il y a lieu d’établir une distinction entre une question de compé-
tence liée au consentement d’une partie et celle du droit d’une partie
à ester devant la Cour conformément aux prescriptions du Statut,
qui n’implique pas un tel consentement. La question qui se pose est
celle de savoir si, en droit, au moment où elle a introduit les pré-
sentes instances, la Serbie-et-Monténégro était habilitée à saisir la
Cour en tant que partie au Statut. Cette question étant indépendante
des vues ou des souhaits des Parties, la Cour ne serait pas, quand
bien même les Parties partageraient à présent le même point de vue
à cet égard, tenue pour autant de considérer ce dernier comme
nécessairement exact. Ainsi la Cour se doit-elle d’examiner la ques-
tion pour tirer ses propres conclusions indépendamment du consen-
tement des parties, ce qui n’est en aucun cas incompatible avec le
principe selon lequel la compétence de la Cour est subordonnée à un
tel consentement.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monté-
négro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2004, p. 295, par. 36; les italiques sont dans l’original.)
103. Dès lors, quand bien même le défendeur pourrait être considéré
comme ayant accepté, en la présente espèce, la compétence de la Cour,
celle-ci n’en serait en aucune façon empêchée d’examiner et de trancher la
question susmentionnée. Le même raisonnement vaut pour l’argument
selon lequel le défendeur se trouverait, soit par application du principe
d’estoppel, soit pour des considérations de bonne foi, privé de la possibi-
lité de soulever la question à ce stade. Toutes ces considérations, au bout
du compte, ne reviennent qu’à prêter au défendeur une acceptation impli-
cite, ou un consentement présumé, quant à la compétence de la Cour; or,
ainsi que cela a été exposé plus haut, le consentement ad hoc d’une partie
est distinct de la question de la capacité à ester devant la Cour.
104. Pourtant, la deuxième thèse avancée par la Bosnie-Herzégovine
4686 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
objectively and apart from any effect of the conduct of the Respondent,
the question of the application of Article 35 of the Statute in this case has
already been resolved as a matter of res judicata, and that if the Court
were to go back on its 1996 decision on jurisdiction, it would disregard
fundamental rules of law. In order to assess the validity of this conten-
tion, the Court will first review its previous decisions in the present case
in which its jurisdiction, or specifically the question whether Serbia and
Montenegro could properly appear before the Court, has been in issue.
**
(4) Relevant Past Decisions of the Court
105. On 8 April 1993, the Court made an Order in this case indicating
certain provisional measures. In that Order the Court briefly examined
the circumstances of the break-up of the SFRY, and the claim of the
Respondent (then known as “Yugoslavia (Serbia and Montenegro)”) to
continuity with that State, and consequent entitlement to continued
membership in the United Nations. It noted that “the solution adopted”
within the United Nations was “not free from legal difficulties”, but con-
cluded that “the question whether or not Yugoslavia is a Member of the
United Nations and as such a party to the Statute of the Court is one
which the Court does not need to determine definitively at the present
stage of the proceedings” (Application of the Convention on the Preven-
tion and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herze-
govina v. Yugoslavia (Serbia and Montenegro)), Provisional Measures,
Order of 8 April 1993, I.C.J. Reports 1993, p. 14 para. 18). This conclu-
sion was based in part on a provisional view taken by the Court as to the
effect of the proviso to Article 35, paragraph 2, of the Statute (ibid.,
para. 19). The Order contained the reservation, normally included in
orders on requests for provisional measures, that “the decision given in
the present proceedings in no way prejudges the question of the jurisdic-
tion of the Court to deal with the merits of the case . . . and leaves un-
affected the right of the Governments of Bosnia-Herzegovina and Yugo-
slavia to submit arguments in respect of [that question]” (ibid.,p .,
para. 51). It is therefore evident that no question of res judicata arises in
connection with the Order of 8 April 1993. A further Order on provi-
sional measures was made on 13 September 1993, but contained nothing
material to the question now being considered.
106. In 1995 the Respondent raised seven preliminary objections (one
of which was later withdrawn), three of which invited the Court to find
that it had no jurisdiction in the case. None of these objections were how-
ever founded on a contention that the FRY was not a party to the Stat-
ute at the relevant time; that was not a contention specifically advanced
in the proceedings on the preliminary objections. At the time of those
47 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 86
consiste à affirmer que, objectivement et indépendamment de tout effet
du comportement du défendeur, la question de l’application de l’ar-
ticle 35 du Statut en la présente espèce a déjà été tranchée avec l’autorité
de la chose jugée et que si la Cour devait revenir sur sa décision de 1996
concernant la compétence, elle manquerait à des règles de droit fonda-
mentales. Pour apprécier la validité de cette thèse, la Cour examinera
tout d’abord les décisions dans lesquelles elle a eu, en la présente espèce,
à se prononcer sur sa compétence, ou plus précisément sur la question de
la capacité de la Serbie-et-Monténégro à se présenter devant la Cour.
**
4) Précédentes décisions de la Cour revêtant une pertinence en l’espèce
105. Le 8 avril 1993, la Cour a rendu en la présente espèce une ordon-
nance indiquant certaines mesures conservatoires. Dans cette ordon-
nance, la Cour a brièvement examiné les circonstances de l’éclatement de
la RFSY et la prétention du défendeur (qui portait alors l’appellation de
«Yougoslavie (Serbie et Monténégro)») à assurer la continuité de cet
Etat, et, à ce titre, à assurer la continuité de la qualité de Membre de
l’Organisation des Nations Unies. Elle a relevé que «la solution adoptée
ne laiss[ait] pas de susciter des difficultés juridiques», mais a conclu que
«la Cour n’a[vait] pas à statuer définitivement [à ce] stade[-là] ... de la pro-
cédure sur la question de savoir si la Yougoslavie [était] ou non membre
de l’Organisation des Nations Unies et, à ce titre, partie au Statut de la
Cour» (Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Mon-
ténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J.
Recueil 1993, p. 14, par. 18). Cette conclusion reposait en partie sur une
position adoptée à titre provisoire par la Cour quant à l’effet de la dis-
position contenue au paragraphe 2 de l’article 35 du Statut (ibid., par. 19).
L’ordonnance contenait la réserve, usuelle dans des ordonnances indi-
quant des mesures conservatoires, «qu’une décision rendue en la présente
procédure ne préjuge[ait] en rien la compétence de la Cour pour connaî-
tre du fond de l’affaire ... et qu’elle laiss[ait] intact le droit du Gou-
vernement de la Bosnie-Herzégovine et du Gouvernement de la Yougo-
slavie de faire valoir leurs moyens en ce[tte] matièr[e]» (ibid.,p .,
par. 51). Il est donc évident qu’aucune question concernant l’autorité
de la chose jugée ne se pose par rapport à l’ordonnance du 8 avril 1993.
Une autre ordonnance indiquant des mesures conservatoires a été rendue
le 13 septembre 1993, mais elle ne contenait aucun élément pertinent
à l’égard de la présente question.
106. En 1995, le défendeur a soulevé sept exceptions préliminaires
(dont l’une a été ultérieurement retirée); trois d’entre elles invitaient la
Cour à conclure qu’elle n’était pas compétente en l’espèce. Pourtant,
aucune de ces exceptions ne reposait sur la thèse selon laquelle la RFY
n’aurait pas été partie au Statut au moment du dépôt de la requête; il ne
s’agissait pas là d’une thèse formulée expressément au stade des excep-
4787 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
proceedings, the FRY was persisting in the claim, that it was continuing
the membership of the former SFRY in the United Nations; and while
that claim was opposed by a number of States, the position taken by the
various organs gave rise to a “confused and complex state of affairs . . .
within the United Nations” (Legality of Use of Force (Serbia and Mon-
tenegro v. Belgium), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
2004, p. 308, para. 73). Neither party raised the matter before the Court:
Bosnia and Herzegovina as Applicant, while denying that the FRY was a
Member of the United Nations as a continuator of the SFRY, was assert-
ing before this Court that the FRY was nevertheless a party to the Stat-
ute, either under Article 35, paragraph 2, thereof, or on the basis of the
declaration of 27 April 1992 (see paragraphs 89 to 90 above); and for the
FRY to raise the issue would have involved undermining or abandoning
its claim to be the continuator of the SFRY as the basis for continuing
membership of the United Nations.
107. By the 1996 Judgment, the Court rejected the preliminary objec-
tions of the Respondent, and found that, “on the basis of Article IX of
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide, it has jurisdiction to adjudicate upon the dispute” (Application
of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary Objec-
tions, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 623, para. 47 (2) (a)). It
also found that the Application was admissible, and stated that “the
Court may now proceed to consider the merits of the case . . .” (ibid.,
p. 622, para. 46).
108. However, on 24 April 2001 Serbia and Montenegro (then known
as the Federal Republic of Yugoslavia) filed an Application instituting
proceedings seeking revision, under Article 61 of the Statute, of the
1996 Judgment on jurisdiction in this case. That Article requires that
there exist “some fact of such a nature as to be a decisive factor, which
fact was, when the judgment was given, unknown to the Court . . .”. The
FRY claimed in its Application that:
“The admission of the FRY to the United Nations as a new
Member on 1 November 2000 is certainly a new fact . . .
.............................
The admission of the FRY to the United Nations as a new
Member clears ambiguities and sheds a different light on the issue
of the membership of the FRY in the United Nations, in the Statute
and in the Genocide Convention.” (Application for Revision, I.C.J.
Reports 2003, p. 12, para. 18.)
Essentially the contention of the FRY was that its admission to member-
ship in 2000 necessarily implied that it was not a Member of the United
Nations and thus not a party to the Statute in 1993, when the proceed-
48 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 87
tions préliminaires. A l’époque de cette procédure, la RFY persistait dans
sa prétention à assurer la continuité de la qualité de Membre de l’Orga-
nisation des Nations Unies de l’ex-RFSY; cette prétention fut contestée
par un certain nombre d’Etats, mais la position adoptée par les divers
organes déboucha sur une situation de «confusion et [de] ... complexité ...
[au sein] des Nations Unies» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-
Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2004, p. 308, par. 73). Aucune Partie ne souleva la question devant la
Cour: d’un côté, la Bosnie-Herzégovine, en tant que demandeur, tout en
niant que la RFY fût Membre de l’Organisation des Nations Unies en
qualité de continuateur de la RFSY, assurait devant la Cour que la RFY
était malgré tout partie au Statut, soit en vertu du paragraphe 2 de l’arti-
cle 35 du Statut, soit sur la base de la déclaration du 27 avril 1992 (voir
paragraphes 89 et 90 ci-dessus); de l’autre, pour la RFY, soulever la
question aurait affaibli sa prétention à assurer la continuité de la RFSY —
ou l’aurait conduite à l’abandonner —, prétention qui justifiait la conti-
nuité de sa qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies.
107. Dans son arrêt de 1996, la Cour a rejeté les exceptions prélimi-
naires du défendeur et dit «qu’elle a[vait] compétence, sur la base de
l’article IX de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, pour statuer sur le différend» (Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzé-
govine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1996 (II), p. 623, par. 47, point 2), al. a)). Elle a aussi conclu à la rece-
vabilité de la requête et déclaré que «la Cour [pouvait] désormais procé-
der à l’examen du fond de l’affaire...» (ibid., p. 622, par. 46).
108. Cependant, le 24 avril 2001, la Serbie-et-Monténégro (qui portait
alors l’appellation de «République fédérale de Yougoslavie») a déposé,
en vertu de l’article 61 du Statut, une requête en revision de l’arrêt rendu
en 1996 dans la présente espèce. La disposition invoquée indique qu’il
doit exister «un fait de nature à exercer une influence décisive et qui,
avant le prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour...». Dans sa
requête, la RFY affirmait qu’il
«[était] incontestable que l’admission de la RFY à l’Organisation des
Nations Unies le 1 er novembre 2000 en tant que nouvel Etat
Membre constitu[ait] un fait nouveau...
.............................
L’admission de la RFY à l’Organisation des Nations Unies en
tant que nouveau Membre [levait] les ambiguïtés et jet[ait] un nouvel
éclairage sur sa qualité de Membre de l’Organisation des
Nations Unies et de partie au Statut et à la convention sur le géno-
cide.» (Demande en revision, C.I.J. Recueil 2003 , p. 12, par. 18.)
En substance, la RFY affirmait que son admission à l’Organisation des
Nations Unies en 2000 laissait nécessairement entendre qu’elle n’était pas
membre de l’Organisation ni donc partie au Statut en 1993, date d’intro-
4888 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
ings in the present case were instituted, so that the Court would have had
no jurisdiction in the case.
109. The history of the relationship between the FRY and the United
Nations, from the break-up of the SFRY in 1991-1992 up to the admis-
sion of the FRY as a new Member in 2000, has been briefly recalled in
paragraphs 88 to 99 above. That history has been examined in detail on
more than one occasion, both in the context of the Application for revi-
sion referred to in paragraph 108 and in the Court’s Judgments in 2004 in
the cases concerning the Legality of Use of Force. In its Judgment of
3 February 2003 on the Application for revision, the Court carefully
studied that relationship; it also recalled the terms of its 1996 Judgment
finding in favour of jurisdiction. The Court noted that
“the FRY claims that the facts which existed at the time of the 1996
Judgment and upon the discovery of which its request for revision of
that Judgment is based ‘are that the FRY was not a party to the
Statute, and that it did not remain bound by the Genocide Conven-
tion continuing the personality of the former Yugoslavia’. It argues
that these ‘facts’ were ‘revealed’ by its admission to the United
Nations on 1 November 2000 and by [a letter from the United
Nations Legal Counsel] of 8 December 2000.
.............................
In the final version of its argument, the FRY claims that its admis-
sion to the United Nations and the Legal Counsel’s letter of 8 Decem-
ber 2000 simply ‘revealed’ two facts which had existed in 1996 but
had been unknown at the time: that it was not then a party to the
Statute of the Court and that it was not bound by the Genocide
Convention.” (I.C.J. Reports 2003, p. 30, paras. 66 and 69.)
110. The Court did not consider that the admission of the FRY to
membership was itself a “new fact”, since it occurred after the date of the
Judgment of which the revision was sought (ibid., para. 68). As to the
argument that facts on which an application for revision could be based
were “revealed” by the events of 2000, the Court ruled as follows:
“In advancing this argument, the FRY does not rely on facts that
existed in 1996. In reality, it bases its Application for revision on the
legal consequences which it seeks to draw from facts subsequent to
the Judgment which it is asking to have revised. Those conse-
quences, even supposing them to be established, cannot be regarded
as facts within the meaning of Article 61. The FRY’s argument can-
not accordingly be upheld.” (Ibid., pp. 30-31, para. 69.)
111. The Court therefore found the Application for revision inadmis-
sible. However, as the Court has observed in the cases concerning Legal-
49 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 88
duction de la présente instance, si bien que la Cour n’aurait pas été com-
pétente pour connaître de l’affaire.
109. L’histoire des relations entre la RFY et l’Organisation des Nations
Unies, de l’éclatement de la RFSY en 1991-1992 à l’admission de la RFY
en tant que nouveau Membre en 2000, a été brièvement récapitulée aux
paragraphes 88 à 99. Cet historique a été examiné en détail plus d’une
fois, dans le contexte de la demande en revision visée au paragraphe 108,
ainsi que dans celui des arrêts rendus par la Cour en 2004 dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force . Dans son arrêt du
3 février 2003 relatif à la demande en revision, la Cour a soigneusement
étudié ces relations; elle a aussi rappelé les termes de son arrêt de 1996,
dans lequel elle s’était déclarée compétente. La Cour a relevé que
«la RFY affirme que les faits qui existaient au moment du prononcé
de l’arrêt de 1996 et sur la découverte desquels se fonde sa demande
en revision de l’arrêt en question étaient que «la RFY n’était pas
partie au Statut et ... ne demeurait pas liée par la convention sur le
génocide en assurant la continuité de la personnalité de l’ex-Yougo-
slavie». Elle soutient que ces «faits» ont été «révéers» par son
admission à l’Organisation des Nations Unies le 1 novembre 2000
ainsi que par [une] lettre du conseiller juridique [de l’Organisation
des Nations Unies] en date du 8 décembre 2000.
.............................
Aussi bien, la RFY, dans le dernier état de son argumentation,
prétend-elle que son admission à l’Organisation des Nations Unies et
la lettre du conseiller juridique du 8 décembre 2000 auraient sim-
plement «révélé» deux faits existant dès 1996, mais inconnus à
l’époque, à savoir qu’elle n’était pas alors partie au Statut de la
Cour et n’était pas liée par la convention sur le génocide.» (C.I.J.
Recueil 2003, p. 30, par. 66 et 69.)
110. La Cour n’a pas estimé que l’admission de la RFY en tant que
Membre serait en soi un «fait nouveau», au motif que ladite admission
avait eu lieu après la date de l’arrêt dont la revision était demandée (ibid.,
par. 68). Pour ce qui est de l’argument selon lequel les faits susceptibles
de justifier une demande en revision auraient été «révélés» par les événe-
ments de 2000, la Cour s’est prononcée comme suit:
«[En avançant cet argument], la RFY ne se prévaut cependant pas
de faits existant en 1996. Elle fonde en réalité sa requête en revision
sur les conséquences juridiques qu’elle entend tirer de faits posté-
rieurs à l’arrêt dont la revision est demandée. Ces conséquences, à les
supposer établies, ne sauraient être regardées comme des faits au
sens de l’article 61. L’argumentation de la RFY ne peut par suite
être retenue.» (Ibid., p. 30-31, par. 69.)
111. La Cour a par conséquent conclu à l’irrecevabilité de la requête
en revision. En revanche, comme elle l’a relevé dans les affaires relatives
4989 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
ity of Use of Force, it did not, in its Judgment on the Application for
revision,
“regard the alleged ‘decisive facts’ specified by Serbia and Montene-
gro as ‘facts that existed in 1996’ for the purpose of Article 61. The
Court therefore did not have to rule on the question whether ‘the
legal consequences’ could indeed legitimately be deduced from the
later facts; in other words, it did not have to say whether it was cor-
rect that Serbia and Montenegro had not been a party to the Statute
or to the Genocide Convention in 1996.” (Legality of Use of Force
(Serbia and Montenegro v. Belgium), Preliminary Objections, Judg-
ment, I.C.J. Reports 2004 , p. 313, para. 87.)
112. In a subsequent paragraph of the 2003 Judgment on the Applica-
tion for revision of the 1996 Judgment, the Court had stated:
“It follows from the foregoing that it has not been established that
the request of the FRY is based upon the discovery of ‘some fact’
which was ‘when the judgment was given, unknown to the Court
and also to the party claiming revision’. The Court therefore con-
cludes that one of the conditions for the admissibility of an applica-
tion for revision prescribed by paragraph 1 of Article 61 of the Stat-
ute has not been satisfied.” (I.C.J. Reports 2003, p. 31, para. 72.)
In its 2004 decisions in the Legality of Use of Force cases the Court
further commented on this finding:
“The Court thus made its position clear that there could have
been no retroactive modification of the situation in 2000, which
would amount to a new fact, and that therefore the conditions of
Article 61 were not satisfied. This, however, did not entail any find-
ing by the Court, in the revision proceedings, as to what that situa-
tion actually was.” (Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 2004, p. 314, para. 89.)
113. For the purposes of the present case, it is thus clear that the Judg-
ment of 2003 on the Application by the FRY for revision, while binding
between the parties, and final and without appeal, did not contain any
finding on the question whether or not that State had actually been a
Member of the United Nations in 1993. The question of the status of the
FRY in 1993 formed no part of the issues upon which the Court pro-
nounced judgment when dismissing that Application.
**
(5) The Principle of Res Judicata
114. The Court will now consider the principle of res judicata, and its
application to the 1996 Judgment in this case. The Applicant asserts that
the 1996 Judgment, whereby the Court found that it had jurisdiction
50 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 89
àlaLicéité de l’emploi de la force , elle n’a pas, dans son arrêt relatif à la
demande en revision,
«considéré les «faits décisifs» allégués par la Serbie-et-Monténégro
comme des «faits existant en 1996» aux fins de l’article 61. Elle n’a
donc pas eu à se prononcer sur la question de savoir si des «consé-
quences juridiques» pouvaient bien être inférées des faits posté-
rieurs; en d’autres termes, la Cour n’a pas été appelée à dire s’il était
exact que la Serbie-et-Monténégro n’était pas partie au Statut ou à
la convention sur le génocide en 1996.» (Licéité de l’emploi de la
force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 313, par. 87.)
112. Dans un autre paragraphe de l’arrêt rendu en 2003 sur la demande
en revision de l’arrêt de 1996, la Cour a déclaré:
«Il découle de ce qui précède qu’il n’a pas été établi que la requête
de la RFY reposerait sur la découverte «d’un fait» qui, «avant le
prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour et de la Partie qui
demande la revision». La Cour en conclut que l’une des conditions
de recevabilité d’une demande en revision prescrites au paragraphe 1
de l’article 61 du Statut n’est pas satisfaite.» (C.I.J. Recueil 2003,
p. 31, par. 72.)
Dans ses décisions rendues en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force, la Cour est revenue sur cette conclusion:
«La Cour a donc clairement exprimé sa position, à savoir qu’une
modification rétroactive de la situation, constituant un fait nouveau,
ne pouvait avoir eu lieu en 2000, et que les conditions énoncées à
l’article 61 n’étaient donc pas satisfaites. Cela n’emportait, toutefois,
aucune conclusion de la Cour, dans la procédure en revision, quant
à ce qu’était la situation en réalité.» (Exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, p. 314, par. 89.)
113. Aux fins de la présente affaire, il ne fait donc aucun doute que
l’arrêt de 2003 sur la demande en revision formée par la RFY, bien qu’il
lie les parties et qu’il soit définitif et non susceptible de recours, ne
contient aucune conclusion quant à la question de savoir si cet Etat était
ou non Membre de l’Organisation des Nations Unies en 1993. La ques-
tion du statut de la RFY en 1993 ne figurait pas parmi celles que la Cour
a tranchées en rejetant cette demande.
**
5) Principe de l’autorité de la chose jugée
114. La Cour examinera à présent le principe de l’autorité de la chose
jugée et son application à l’arrêt rendu en 1996 en l’espèce. Le demandeur
affirme que l’arrêt de 1996, par lequel la Cour a déclaré qu’elle avait com-
5090 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
under the Genocide Convention, “enjoys the authority of res judicata
and is not susceptible of appeal” and that “any ruling whereby the Court
reversed the 1996 Judgment . . . would be incompatible both with the res
judicata principle and with Articles 59, 60 and 61 of the Statute”. The
Applicant submits that, like its judgments on the merits, “the Court’s
decisions on jurisdiction are res judicata”. It further observes that, pur-
suant to Article 60 of the Statute, the Court’s 1996 Judgment is “final and
without appeal” subject only to the possibility of a request for interpreta-
tion and revision; and the FRY’s request for revision was rejected by the
Court in its Judgment of 3 February 2003. The Respondent contends that
jurisdiction once upheld may be challenged by new objections; and con-
siders that this does not contravene the principle of res judicata or the
wording of Article 79 of the Rules of Court. It emphasizes “the right and
duty of the Court to act proprio motu” to examine its jurisdiction, men-
tioned in the case of the Appeal Relating to the Jurisdiction of the ICAO
Council (India v. Pakistan) (see paragraph 118 below), and contends
that the Court cannot “forfeit” that right by not having itself raised the
issue in the preliminary objections phase.
115. There is no dispute between the Parties as to the existence of the
principle of res judicata even if they interpret it differently as regards
judgments deciding questions of jurisdiction. The fundamental character
of that principle appears from the terms of the Statute of the Court and
the Charter of the United Nations. The underlying character and pur-
poses of the principle are reflected in the judicial practice of the Court.
That principle signifies that the decisions of the Court are not only bind-
ing on the parties, but are final, in the sense that they cannot be reopened
by the parties as regards the issues that have been determined, save by
procedures, of an exceptional nature, specially laid down for that pur-
pose. Article 59 of the Statute, notwithstanding its negative wording, has
at its core the positive statement that the parties are bound by the deci-
sion of the Court in respect of the particular case. Article 60 of the Stat-
ute provides that the judgment is final and without appeal; Article 61
places close limits of time and substance on the ability of the parties to
seek the revision of the judgment. The Court stressed those limits in 2003
when it found inadmissible the Application made by Serbia and Monte-
negro for revision of the 1996 Judgment in the Application for Revision
case (I.C.J. Reports 2003, p. 12, para. 17).
116. Two purposes, one general, the other specific, underlie the prin-
ciple of res judicata, internationally as nationally. First, the stability of
legal relations requires that litigation come to an end. The Court’s func-
tion, according to Article 38 of its Statute, is to “decide”, that is, to bring
to an end, “such disputes as are submitted to it”. Secondly, it is in the
interest of each party that an issue which has already been adjudicated in
favour of that party be not argued again. Article 60 of the Statute articu-
51 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 90
pétence en vertu de la convention sur le génocide, «est revêtu de l’auto-
rité de la chose jugée et n’est susceptible d’aucun recours» et que «toute
décision par laquelle la Cour reviendrait sur la décision prise en 1996 ...
serait incompatible tant avec le principe res judicata qu’avec les ar-
ticles 59, 60 et 61 du Statut». Il soutient que, au même titre que ses arrêts
sur le fond, «[l]es décisions [de la Cour] en matière de compétence sont
res judicata ». Il fait en outre observer que, conformément à l’article 60
du Statut, l’arrêt rendu par la Cour en 1996 est «définitif et sans recours»,
sous la seule réserve d’une éventuelle demande en interprétation ou en
revision; or, la demande en revision de la RFY a été rejetée par la Cour
dans son arrêt du 3 février 2003. Pour sa part, le défendeur affirme que la
compétence, une fois confirmée, peut être remise en question par de nou-
velles exceptions, estimant que cela n’est contraire ni au principe de
l’autorité de la chose jugée ni au libellé de l’article 79 du Règlement de la
Cour. Il souligne «le droit et l’obligation pour la Cour [de procéder]
d’office» à l’examen de sa compétence, mentionnés en l’affaire de l’Appel
concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan) (voir
paragraphe 118 ci-dessous), et soutient que la Cour ne saurait être répu-
tée «avoir renoncé» à un tel droit pour ne pas avoir soulevé d’office cette
question lors de la phase des exceptions préliminaires.
115. Il n’existe pas de désaccord entre les Parties quant à l’existence du
principe de l’autorité de la chose jugée, même si elles l’interprètent diffé-
remment lorsqu’il s’agit d’arrêts tranchant des questions de compétence.
Le caractère fondamental de ce principe ressort des termes du Statut de la
Cour et de la Charte des Nations Unies. La pratique judiciaire de la Cour
en reflète les caractéristiques et objectifs sous-jacents. Selon ce principe,
les décisions de la Cour sont non seulement obligatoires pour les parties,
mais elles sont définitives, en ce sens qu’elles ne peuvent être remises en
cause par les parties pour ce qui est des questions que ces décisions ont
tranchées, en dehors des procédures spécialement prévues à cet effet, qui
présentent un caractère exceptionnel. L’article 59 du Statut, en dépit de
sa formulation négative, a pour élément central la proposition positive
selon laquelle la décision de la Cour est obligatoire pour les parties dans
l’affaire qui a été tranchée. L’article 60 du Statut dispose que l’arrêt est
définitif et sans recours; l’article 61 assortit la faculté des parties de
demander la revision de l’arrêt de strictes conditions de fond et de délais.
La Cour a mis l’accent sur ces conditions en 2003, lorsqu’elle a jugé irre-
cevable la demande en revision de l’arrêt de 1996 présentée par la Serbie-
et-Monténégro en l’affaire de la Demande en revision (C.I.J. Recueil 2003,
p. 12, par. 17).
116. Le principe de l’autorité de la chose jugée répond, tant dans
l’ordre international que dans l’ordre interne, à deux objectifs, l’un géné-
ral, l’autre particulier. Premièrement, la stabilité des relations juridiques
exige qu’il soit mis un terme au différend considéré. La fonction de la
Cour est, selon l’article 38 du Statut, de «régler» les «différends qui lui
sont soumis», c’est-à-dire d’y mettre un terme. Deuxièmement, il est dans
l’intérêt de chacune des parties qu’une affaire qui a d’ores et déjà été tran-
5191 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
lates this finality of judgments. Depriving a litigant of the benefit of a
judgment it has already obtained must in general be seen as a breach of
the principles governing the legal settlement of disputes.
117. It has however been suggested by the Respondent that a distinc-
tion may be drawn between the application of the principle of res judi-
cata to judgments given on the merits of a case, and judgments deter-
mining the Court’s jurisdiction, in response to preliminary objections;
specifically, the Respondent contends that “decisions on preliminary
objections do not and cannot have the same consequences as decisions on
the merits”. The Court will however observe that the decision on ques-
tions of jurisdiction, pursuant to Article 36, paragraph 6, of the Statute,
is given by a judgment, and Article 60 of the Statute provides that “[t]he
judgment is final and without appeal”, without distinguishing between
judgments on jurisdiction and admissibility, and judgments on the merits.
In its Judgment of 25 March 1999 on the request for interpretation of the
Judgment of 11 June 1998 in the case of the Land and Maritime Bound-
ary between Cameroon and Nigeria , the Court expressly recognized that
the 1998 Judgment, given on a number of preliminary objections to juris-
diction and admissibility, constituted res judicata, so that the Court
could not consider a submission inconsistent with that judgment (Judg-
ment, I.C.J. Reports 1999 (I) , p. 39, para. 16). Similarly, in its Judgment
of 3 February 2003 in the Application for Revision case, the Court, when
it began by examining whether the conditions for the opening of the revi-
sion procedure, laid down by Article 61 of the Statute, were satisfied, un-
doubtedly recognized that an application could be made for revision of a
judgment on preliminary objections; this could in turn only derive from a
recognition that such a judgment is “final and without appeal”. Further-
more, the contention put forward by the Respondent would signify that
the principle of res judicata would not prevent a judgment dismissing a
preliminary objection from remaining open to further challenge indefi-
nitely, while a judgment upholding such an objection, and putting an end
to the case, would in the nature of things be final and determinative as
regards that specific case.
118. The Court recalls that, as it has stated in the case of the Appeal
Relating to the Jurisdiction of the ICAO Council (India v. Pakistan),t i
“must however always be satisfied that it has jurisdiction, and must if
necessary go into that matter proprio motu”( Judgment, I.C.J. Reports
1972, p. 52, para. 13). That decision in its context (in a case in which
there was no question of reopening a previous decision of the Court) does
not support the Respondent’s contention. It does not signify that juris-
dictional decisions remain reviewable indefinitely, nor that the Court
may, proprio motu or otherwise, reopen matters already decided with the
force of res judicata. The Respondent has argued that there is a principle
that “an international court may consider or reconsider the issue of juris-
52 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 91
chée en sa faveur ne soit pas rouverte. L’article 60 du Statut explicite ce
caractère définitif des arrêts. Priver une partie du bénéfice d’un arrêt
rendu en sa faveur doit, de manière générale, être considéré comme
contraire aux principes auxquels obéit le règlement judiciaire des diffé-
rends.
117. Le défendeur avance cependant qu’une distinction peut être opé-
rée entre l’application du principe de l’autorité de la chose jugée aux
arrêts portant sur le fond d’une affaire et son application aux arrêts dans
lesquels la Cour se prononce sur sa compétence en réponse à des excep-
tions préliminaires; le défendeur affirme en particulier que «[l]es déci-
sions sur les exceptions préliminaires n’ont et ne peuvent pas avoir les
mêmes conséquences que les décisions sur le fond». La Cour fera toute-
fois observer que, conformément au paragraphe 6 de l’article 36 du Sta-
tut, les questions de compétence sont tranchées par un arrêt, et que l’ar-
ticle 60 du Statut dispose que «[l’]arrêt est définitif et sans recours», sans
opérer de distinction entre les arrêts relatifs à la compétence ou à la rece-
vabilité et les arrêts portant sur le fond. Dans sa décision du 25 mars 1999
sur la demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de
la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Came-
roun c. Nigéria), la Cour a expressément indiqué que l’arrêt de 1998, qui
portait sur un certain nombre d’exceptions préliminaires d’incompétence
et d’irrecevabilité, était revêtu de l’autorité de la chose jugée, de sorte
qu’elle ne pouvait pas connaître d’une demande appelant une conclusion
qui ne serait pas cohérente avec cet arrêt (C.I.J. Recueil 1999 (I), arrêt,
p. 39, par. 16). De même, dans son arrêt du 3 février 2003 en l’affaire de
la Demande en revision, la Cour, en commençant par se demander si les
conditions d’ouverture de la procédure en revision énoncées à l’article 61
du Statut étaient réunies, a indubitablement admis qu’un arrêt portant
sur les exceptions préliminaires pouvait faire l’objet d’une demande en
revision — ce qui supposait nécessairement qu’elle admettait le caractère
«définitif et sans recours» d’un tel arrêt. En outre, selon la thèse avancée
par le défendeur, le principe de l’autorité de la chose jugée n’interdirait
pas de remettre indéfiniment en question un arrêt rejetant une exception
préliminaire, alors qu’un arrêt retenant une telle exception, et mettant fin
à l’affaire, serait par nature définitif et irrévocable à l’égard de cette
affaire.
118. La Cour rappelle que, ainsi qu’elle l’a déclaré en l’affaire de
l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakis-
tan), elle «n’en doit pas moins toujours s’assurer de sa compétence et ...
doit, s’il y a lieu, l’examiner d’office» (arrêt, C.I.J. Recueil 1972 ,p.52,
par. 13). Cette décision, replacée dans son contexte (une affaire dans
laquelle il n’était pas question de remettre en cause une décision anté-
rieure de la Cour), ne confirme pas la thèse du défendeur. Elle ne signifie
pas que les décisions portant sur la compétence peuvent être indéfiniment
réexaminées, ni que la Cour peut, d’office ou autrement, rouvrir des ques-
tions qui ont déjà été tranchées avec l’autorité de la chose jugée. Le
défendeur soutient qu’il existe un principe selon lequel «un tribunal inter-
5292 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
diction at any stage of the proceedings”. It has referred in this connection
both to the dictum just cited from the Appeal Relating to the Jurisdiction
of the ICAO Council (India v. Pakistan), and to the Corfu Channel
(United Kingdom v. Albania) case. It is correct that the Court, having in
the first phase of that case rejected Albania’s preliminary objection to
jurisdiction, and having decided that proceedings on the merits were to
continue (Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1947-1948 ,
p. 15), did at the merits stage consider and rule on a challenge to its juris-
diction, in particular whether it had jurisdiction to assess compensation
(I.C.J. Reports 1949, pp. 23-26; 171). But no reconsideration at all by the
Court of its earlier Judgment was entailed in this because, following that
earlier Judgment, the Parties had concluded a special agreement sub-
mitting to the Court, inter alia, the question of compensation. The
later challenge to jurisdiction concerned only the scope of the jurisdiction
conferred by that subsequent agreement.
119. The Respondent also invokes certain international conventions
and the rules of other international tribunals. It is true that the European
Court of Human Rights may reject, at any stage of the proceedings, an
application which it considers inadmissible; and the International Crimi-
nal Court may, in exceptional circumstances, permit the admissibility of a
case or the jurisdiction of the Court to be challenged after the commence-
ment of the trial. However, these specific authorizations in the instru-
ments governing certain other tribunals reflect their particular admissi-
bility procedures, which are not identical with the procedures of the
Court in the field of jurisdiction. They thus do not support the view that
there exists a general principle which would apply to the Court, whose
Statute not merely contains no such provision, but declares, in Article 60,
the res judicata principle without exception. The Respondent has also
cited certain jurisprudence of the European Court of Human Rights, and
an arbitral decision of the German-Polish Mixed Arbitral Tribunal
(von Tiedemann case); but, in the view of the Court, these too, being
based on their particular facts, and the nature of the jurisdictions involved,
do not indicate the existence of a principle of sufficient generality and
weight to override the clear provisions of the Court’s Statute, and the
principle of res judicata.
120. This does not however mean that, should a party to a case believe
that elements have come to light subsequent to the decision of the Court
which tend to show that the Court’s conclusions may have been based on
incorrect or insufficient facts, the decision must remain final, even if it is
in apparent contradiction to reality. The Statute provides for only one
procedure in such an event: the procedure under Article 61, which offers
the possibility for the revision of judgments, subject to the restrictions
stated in that Article. In the interests of the stability of legal relations,
those restrictions must be rigorously applied. As noted above (para-
53 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 92
national peut examiner ou réexaminer la question de sa compétence
quelle que soit la phase de la procédure». Il invoque à cet égard le dictum
précité tiré de l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de
l’OACI (Inde c. Pakistan) , ainsi que l’affaire du Détroit de Corfou
(Royaume-Uni c. Albanie) . Il est exact que, lors de l’examen au fond de
cette affaire, la Cour, alors qu’elle avait, dans la première phase de celle-
ci, rejeté l’exception préliminaire d’incompétence soulevée par l’Albanie
et jugé que l’instance au fond devait se poursuivre (exception prélimi-
naire, arrêt, C.I.J. Recueil 1947-1948 , p. 15), examina et trancha une
exception d’incompétence concernant notamment la question de savoir si
elle avait compétence pour déterminer la réparation (fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1949, p. 23-26; 171). Cependant, aucun réexamen, par la
Cour, de l’arrêt qu’elle avait rendu ne s’ensuivit, pour la raison que,
conformément à celui-ci, les Parties avaient conclu un compromis par
lequel était notamment soumise à la Cour la question de la réparation.
L’exception d’incompétence soulevée par la suite ne concernait que l’éten-
due de la compétence découlant de ce dernier compromis.
119. Le défendeur invoque également certaines conventions internatio-
nales et les règlements d’autres juridictions internationales. Il est vrai que
la Cour européenne des droits de l’homme peut, à tout stade de la procé-
dure, rejeter une requête qu’elle considère comme irrecevable et que la
Cour pénale internationale peut, dans des circonstances exceptionnelles,
permettre qu’une exception soit soulevée à la recevabilité d’une affaire ou
à sa compétence après l’ouverture du procès. Toutefois, cette faculté pré-
vue par les instruments régissant certaines autres juridictions correspond à
leurs procédures particulières en matière de recevabilité, qui ne sont pas les
mêmes que les procédures de la Cour relatives à la compétence; elle ne cor-
robore donc pas la thèse selon laquelle il existerait un principe général
s’appliquant à la Cour, dont le Statut non seulement ne contient aucune
disposition de ce genre, mais énonce à son article 60 le principe de l’auto-
rité de la chose jugée sans l’assortir d’aucune exception. Le défendeur cite
également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
ainsi qu’une décision du Tribunal arbitral mixte germano-polonais (affaire
von Tiedemann); selon la Cour, cependant, ces décisions, qui sont fondées
sur des faits particuliers et tiennent à la nature des juridictions concernées,
ne permettent pas non plus de conclure à l’existence d’un principe suffi-
samment général et ayant assez de poids pour prévaloir sur les dispositions
claires du Statut de la Cour et sur le principe de l’autorité de la chose jugée.
120. Cela ne signifie cependant pas que, si une partie à une affaire
estime que se sont fait jour, postérieurement à la décision de la Cour, des
éléments de nature à faire apparaître que les conclusions auxquelles
celle-ci était parvenue pourraient avoir reposé sur des faits erronés ou
insuffisants, cette décision doive garder son caractère définitif, alors
même qu’elle serait en contradiction manifeste avec la réalité. Le Statut
prévoit, à cette fin, une seule procédure: celle de l’article 61, qui ouvre
la possibilité de la revision d’un arrêt aux conditions énumérées dans
cet article, lesquelles doivent, dans l’intérêt de la stabilité des relations
5393 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
graph 110) the FRY’s Application for revision of the 1996 Judgment in
this case was dismissed, as not meeting the conditions of Article 61. Sub-
ject only to this possibility of revision, the applicable principle is res judi-
cata pro veritate habetur , that is to say that the findings of a judgment
are, for the purposes of the case and between the parties, to be taken as
correct, and may not be reopened on the basis of claims that doubt has
been thrown on them by subsequent events.
**
(6) Application of the Principle of Res Judicata to the 1996 Judgment
121. In the light of these considerations, the Court reverts to the effect
and significance of the 1996 Judgment. That Judgment was essentially
addressed, so far as questions of jurisdiction were concerned, to the ques-
tion of the Court’s jurisdiction under the Genocide Convention. It
resolved in particular certain questions that had been raised as to the
status of Bosnia and Herzegovina in relation to the Convention; as
regards the FRY, the Judgment stated simply as follows:
“the former Socialist Federal Republic of Yugoslavia . . . signed the
Genocide Convention on 11 December 1948 and deposited its instru-
ment of ratification, without reservation, on 29 August 1950. At the
time of the proclamation of the Federal Republic of Yugoslavia, on
27 April 1992, a formal declaration was adopted on its behalf to the
effect that:
‘The Federal Republic of Yugoslavia, continuing the State,
international legal and political personality of the Socialist Fed-
eral Republic of Yugoslavia, shall strictly abide by all the commit-
ments that the Socialist Federal Republic of Yugoslavia assumed
internationally.’
This intention thus expressed by Yugoslavia to remain bound by
the international treaties to which the former Yugoslavia was party
was confirmed in an official Note of 27 April 1992 from the Perma-
nent Mission of Yugoslavia to the United Nations, addressed to the
Secretary-General. The Court observes, furthermore, that it has not
been contested that Yugoslavia was party to the Genocide Conven-
tion. Thus, Yugoslavia was bound by the provisions of the Conven-
tion on the date of the filing of the Application in the present case,
namely, on 20 March 1993.” (Application of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and
Herzegovina v. Yugoslavia) Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 610, para. 17.)
54 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 93
juridiques, être appliquées strictement. Ainsi qu’il a été rappelé plus
haut (paragraphe 110), la demande en revision de l’arrêt de 1996 présen-
tée par la RFY a été rejetée, car elle ne satisfaisait pas aux conditions
énumérées à l’article 61. Sous la seule réserve de cette possibilité de
revision, le principe applicable est celui de la res judicata pro veritate
habetur, ce qui signifie que les conclusions d’un arrêt doivent, aux fins
de l’affaire et entre les parties, être considérées comme exactes, et ne
sauraient être remises en question au motif que des événements posté-
rieurs feraient planer sur elles des doutes.
**
6) Application du principe de l’autorité de la chose jugée à l’arrêt
de 1996
121. Au vu de ces considérations, la Cour reviendra sur la portée et le
sens de l’arrêt de 1996. S’agissant de la compétence, cet arrêt portait pour
l’essentiel sur la question de savoir si elle pouvait être établie en vertu de
la convention sur le génocide. Il tranchait notamment certaines questions
qui avaient été soulevées quant au statut de la Bosnie-Herzégovine au
regard de la Convention; en ce qui concerne la RFY, l’arrêt indiquait
simplement ce qui suit:
«[L’]ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie ... a signé
la convention sur le génocide le 11 décembre 1948 et a déposé son
instrument de ratification, sans réserves, le 29 août 1950. Lors de la
proclamation de la République fédérative de Yougoslavie, le 27 avril
1992, une déclaration formelle a été adoptée en son nom, aux termes
de laquelle:
«La République fédérative de Yougoslavie, assurant la conti-
nuité de l’Etat et de la personnalité juridique et politique interna-
tionale de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, res-
pectera strictement tous les engagements que la République
fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon internatio-
nal.»
L’intention ainsi exprimée par la Yougoslavie de demeurer liée par
les traités internationaux auxquels était partie l’ex-Yougoslavie a été
confirmée dans une note officielle du 27 avril 1992 adressée au Secré-
taire général par la mission permanente de la Yougoslavie auprès des
Nations Unies. La Cour observe en outre qu’il n’a pas été contesté
que la Yougoslavie soit partie à la convention sur le génocide. Ainsi,
la Yougoslavie était liée par les dispositions de la convention à la
date du dépôt de la requête en la présente affaire, le 20 mars 1993.»
(Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 610, par. 17.)
5494 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
122. Nothing was stated in the 1996 Judgment about the status of the
FRY in relation to the United Nations, or the question whether it could
participate in proceedings before the Court; for the reasons already men-
tioned above (paragraph 106), both Parties had chosen to refrain from
asking for a decision on these matters. The Court however considers it
necessary to emphasize that the question whether a State may properly
come before the Court, on the basis of the provisions of the Statute,
whether it be classified as a matter of capacity to be a party to the pro-
ceedings or as an aspect of jurisdiction ratione personae, is a matter
which precedes that of jurisdiction ratione materiae, that is, whether that
State has consented to the settlement by the Court of the specific dispute
brought before it. The question is in fact one which the Court is bound to
raise and examine, if necessary, ex officio, and if appropriate after noti-
fication to the parties. Thus if the Court considers that, in a particular
case, the conditions concerning the capacity of the parties to appear
before it are not satisfied, while the conditions of its jurisdiction
ratione materiae are, it should, even if the question has not been raised by
the parties, find that the former conditions are not met, and conclude
that, for that reason, it could not have jurisdiction to decide the merits.
123. The operative part of a judgment of the Court possesses the force
of res judicata. The operative part of the 1996 Judgment stated, in para-
graph 47 (2) (a), that the Court found “that, on the basis of Article IX of
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide, it has jurisdiction to decide upon the dispute”. That jurisdic-
tion is thus established with the full weight of the Court’s judicial author-
ity. For a party to assert today that, at the date the 1996 Judgment was
given, the Court had no power to give it, because one of the parties can
now be seen to have been unable to come before the Court is, for the
reason given in the preceding paragraph, to call in question the force as
res judicata of the operative clause of the Judgment. At first sight, there-
fore, the Court need not examine the Respondent’s objection to jurisdic-
tion based on its contention as to its lack of status in 1993.
124. The Respondent has however advanced a number of arguments
tending to show that the 1996 Judgment is not conclusive on the matter,
and the Court will now examine these. The passage just quoted from the
1996 Judgment is of course not the sole provision of the operative clause
of that Judgment: as, the Applicant has noted, the Court first dismissed
seriatim the specific preliminary objections raised (and not withdrawn)
by the Respondent; it then made the finding quoted in paragraph 123
above; and finally it dismissed certain additional bases of jurisdiction
invoked by the Applicant. The Respondent suggests that, for the pur-
poses of applying the principle of res judicata to a judgment of this kind
on preliminary objections, the operative clause (dispositif) to be taken
into account and given the force of res judicata is the decision rejecting
specified preliminary objections, rather than “the broad ascertainment
55 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 94
122. Rien n’était dit dans l’arrêt de 1996 sur le statut de la RFY vis-
à-vis de l’Organisation des Nations Unies, ni sur la question de sa capa-
cité à participer à une procédure devant la Cour; pour les raisons déjà
mentionnées ci-dessus (paragraphe 106), les deux Parties s’étaient abste-
nues de solliciter une décision sur ces questions. La Cour juge toutefois
nécessaire de souligner que la question de savoir si un Etat a qualité pour
se présenter devant elle conformément aux dispositions du Statut — que
l’on y voie une question de capacité à être partie à la procédure ou un
aspect de la compétence ratione personae — passe avant celle de la com-
pétence ratione materiae, c’est-à-dire avant celle de savoir si cet Etat a
consenti à ce que la Cour règle le différend particulier porté devant elle.
C’est, par ailleurs, une question que la Cour elle-même est tenue, si
besoin est, de soulever et d’examiner d’office, le cas échéant après notifi-
cation aux parties. Il en résulte que si la Cour estime, dans une affaire
particulière, que les conditions relatives à la capacité des parties à se pré-
senter devant elle ne sont pas remplies, alors que les conditions de sa
compétence ratione materiae le sont, elle doit, quand bien même cette
question n’aurait pas été soulevée par les parties, constater que les pre-
mières conditions font défaut et en déduire qu’elle ne saurait, pour cette
raison, avoir compétence pour statuer sur le fond du différend.
123. Le dispositif des arrêts de la Cour est revêtu de l’autorité de la
chose jugée. Dans le dispositif de son arrêt rendu en 1996, la Cour a dit,
au paragraphe 47, point 2), alinéa a), «qu’elle a[vait] compétence, sur la
base de l’article IX de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, pour statuer sur le différend». Cette compétence
est donc établie avec toute l’autorité juridictionnelle de la Cour. Qu’une
partie affirme aujourd’hui que, à l’époque où l’arrêt a été rendu, la Cour
n’avait pas compétence pour statuer au motif qu’il apparaîtrait à présent
que l’une des parties n’avait pas qualité pour se présenter devant elle
revient, pour la raison exposée au paragraphe précédent, à remettre en
cause la force de chose jugée du dispositif de l’arrêt. A première vue, la
Cour n’a donc pas besoin d’examiner l’exception d’incompétence que le
défendeur tire de ce que, en 1993, il n’aurait pas eu qualité pour se pré-
senter devant la Cour.
124. Cependant, le défendeur a avancé un certain nombre d’arguments
tendant à démontrer que l’arrêt de 1996 n’était pas définitif à cet égard, et
la Cour va maintenant les examiner. Le passage de l’arrêt de 1996 qui
vient d’être cité n’est évidemment pas le seul élément du dispositif: en
effet, ainsi que le demandeur l’a relevé, la Cour a tout d’abord rejeté suc-
cessivement les exceptions préliminaires spécifiques soulevées (et non reti-
rées) par le défendeur; elle est ensuite parvenue à la conclusion citée au
paragraphe 123 ci-dessus; elle a enfin rejeté certaines bases supplémen-
taires de compétence invoquées par le demandeur. Le défendeur estime
que, pour appliquer le principe de l’autorité de la chose jugée à un arrêt
de cette nature — rendu sur des exceptions préliminaires —, la partie du
dispositif dont il doit être tenu compte et qui doit être considérée comme
revêtue de l’autorité de la chose jugée est la décision rejetant des excep-
5595 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
upholding jurisdiction”. The Respondent has drawn attention to the pro-
visions of Article 79, paragraph 7, of the 1978 Rules of Court, which pro-
vides that the judgment on preliminary objections shall, in respect of each
objection “either uphold the objection, reject it, or declare that the objec-
tion does not possess, in the circumstances of the case, an exclusively pre-
liminary character”. The Respondent suggests therefore that only the
clauses of a judgment on preliminary objections that are directed to these
ends have the force of res judicata, which is, it contends, consistent with
the view that new objections may be raised subsequently.
125. The Court does not however consider that it was the purpose of
Article 79 of the Rules of Court to limit the extent of the force of res judi-
cata attaching to a judgment on preliminary objections, nor that, in the
case of such judgment, such force is necessarily limited to the clauses of
the dispositif specifically rejecting particular objections. There are many
examples in the Court’s jurisprudence of decisions on preliminary objec-
tions which contain a general finding that the Court has jurisdiction, or
that the application is admissible, as the case may be; and it would be
going too far to suppose that all of these are necessarily superfluous con-
clusions. In the view of the Court, if any question arises as to the scope of
res judicata attaching to a judgment, it must be determined in each case
having regard to the context in which the judgment was given (cf. Appli-
cation for Revision and Interpretation of the Judgment of 24 Febru-
ary 1982 in the Case concerning the Continental Shelf (Tunisia/Libyan
Arab Jamahiriya) (Tunisia v. Libyan Arab Jamahiriya), Judgment, I.C.J.
Reports 1985, pp. 218-219, para. 48).
126. For this purpose, in respect of a particular judgment it may be
necessary to distinguish between, first, the issues which have been decided
with the force of res judicata, or which are necessarily entailed in the
decision of those issues; secondly any peripheral or subsidiary matters, or
obiter dicta ; and finally matters which have not been ruled upon at all.
Thus an application for interpretation of a judgment under Article 60 of
the Statute may well require the Court to settle “[a] difference of opinion
[between the parties] as to whether a particular point has or has not been
decided with binding force” (Interpretation of Judgments Nos. 7 and 8
(Factory at Chorzów), Judgment No. 11, 1927, P.C.I.J. Series A, No. 13 ,
pp. 11-12). If a matter has not in fact been determined, expressly or by
necessary implication, then no force of res judicata attaches to it; and a
general finding may have to be read in context in order to ascertain
whether a particular matter is or is not contained in it.
127. In particular, the fact that a judgment may, in addition to reject-
ing specific preliminary objections, contain a finding that “the Court has
jurisdiction” in the case does not necessarily prevent subsequent exami-
nation of any jurisdictional issues later arising that have not been resolved,
with the force of res judicata, by such judgment. The Parties have each
referred in this connection to the successive decisions in the Corfu Chan-
56 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 95
tions préliminaires spécifiques, et non celle «confirm[ant] de manière très
large la compétence». Le défendeur appelle l’attention sur les disposi-
tions du paragraphe 7 de l’article 79 du Règlement de 1978, lesquelles
prévoient que, dans un arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour se
prononce sur chacune d’entre elles et «[la] retient..., la rejette ou déclare
qu’[elle] n’a pas dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusive-
ment préliminaire». Le défendeur estime donc que, dans un arrêt sur les
exceptions préliminaires, seules les parties du dispositif portant sur les-
dites exceptions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée, ce qui,
soutient-il, est conforme à l’idée que de nouvelles exceptions peuvent
être soulevées ultérieurement.
125. La Cour ne considère cependant pas que l’article 79 de son Règle-
ment ait pour objet de limiter la portée de l’autorité de la chose jugée qui
s’attache à un arrêt sur les exceptions préliminaires, pas plus qu’elle ne
considère que, dans un tel arrêt, cette autorité soit nécessairement limitée
aux parties du dispositif par lesquelles sont expressément rejetées des
exceptions. Sa jurisprudence abonde en exemples de décisions sur les
exceptions préliminaires concluant de manière générale à la compétence
de la Cour ou à la recevabilité de la requête, selon le cas, et il serait exces-
sif de supposer que toutes ces conclusions sont nécessairement superflues.
De l’avis de la Cour, si une question se pose quant à la portée de l’auto-
rité de la chose jugée qui s’attache à un arrêt, elle doit être tranchée
compte tenu du contexte dans lequel l’arrêt a été rendu (cf. Demande en
revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du
Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jama-
hiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985 , p. 218-219, par. 48).
126. A cette fin, dans le cas d’un arrêt particulier, il peut se révéler
nécessaire d’opérer une distinction entre, premièrement, les questions qui
ont été tranchées, le cas échéant implicitement, avec force de chose jugée;
deuxièmement, les questions accessoires ou subsidiaires, ou obiter dicta ;
troisièmement, celles qui n’ont pas été tranchées du tout. Ainsi, dans une
demande en interprétation d’un arrêt présentée en vertu de l’article 60 du
Statut, il peut fort bien être demandé à la Cour de régler «[u]ne diver-
gence de vues [entre les parties sur la question de savoir] si tel ou tel point
a été décidé avec force obligatoire» (Interprétation des arrêts n os 7et8
(Usine de Chorzów), arrêt n o 11, 1927, C.P.J.I. série A n o13, p. 11). Si
un point n’a en fait pas été tranché, ni expressément ni par implication
logique, l’arrêt n’a pas force de chose jugée sur celui-ci; et il peut être
nécessaire de lire une conclusion générale dans son contexte afin de déter-
miner si elle recouvre tel point en particulier.
127. Ainsi, le fait que, dans un arrêt, la Cour, en même temps qu’elle
rejette certaines exceptions préliminaires, puisse conclure qu’elle «a com-
pétence» en l’affaire ne lui interdit pas nécessairement d’examiner à un
stade ultérieur les questions de compétence qui ont pu se poser par la
suite et qu’elle n’avait pas tranchées avec force de chose jugée dans l’arrêt
en question. Les Parties ont l’une et l’autre invoqué à cet égard les déci-
5696 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
nel case, which the Court has already considered above (paragraph 118).
Mention may also be made of the judgments on the merits in the two
cases concerning Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland)
(Federal Republic of Germany v. Iceland) (I.C.J. Reports 1974,p .,
para. 42; pp. 203-204, para. 74), which dealt with minor issues of jurisdic-
tion despite an express finding of jurisdiction in previous judgments
(I.C.J. Reports 1973, p. 22, para. 46; p. 66, para. 46). Even where the
Court has, in a preliminary judgment, specifically reserved certain mat-
ters of jurisdiction for later decision, the judgment may nevertheless con-
tain a finding that “the Court has jurisdiction” in the case, this being
understood as being subject to the matters reserved (see Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United
States of America), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J.
Reports 1984, p. 442, para. 113 (1) (c), and pp. 425-426, para. 76; cf.
also, in connection with an objection to admissibility, Questions of Inter-
pretation and Application of the 1971 Montreal Convention arising from
the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United
Kingdom) (Libyan Arab Jamahiriya v. United States of America), I.C.J.
Reports 1998, p. 29, para. 51, and pp. 30-31, paras. 53 (2) (b) and 53 (3);
p. 134, para. 50, and p. 156, paras. 53 (2) (b) and 53 (3)).
128. On the other hand, the fact that the Court has in these past cases
dealt with jurisdictional issues after having delivered a judgment on juris-
diction does not support the contention that such a judgment can be
reopened at any time, so as to permit reconsideration of issues already
settled with the force of res judicata. The essential difference between
the cases mentioned in the previous paragraph and the present case is this:
the jurisdictional issues examined at a late stage in those cases were such
that the decision on them would not contradict the finding of jurisdiction
made in the earlier judgment. In the Fisheries Jurisdiction cases, the
issues raised related to the extent of the jurisdiction already established in
principle with the force of res judicata ;inthe Military and Paramilitary
Activities case, the Court had clearly indicated in the 1984 Judgment that
its finding in favour of jurisdiction did not extend to a definitive ruling on
the interpretation of the United States reservation to its optional clause
declaration. By contrast, the contentions of the Respondent in the present
case would, if upheld, effectively reverse the 1996 Judgment; that indeed
is their purpose.
129. The Respondent has contended that the issue whether the FRY
had access to the Court under Article 35 of the Statute has in fact never
been decided in the present case, so that no barrier of res judicata would
prevent the Court from examining that issue at the present stage of the
57 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 96
sions successivement rendues dans l’affaire du Détroit de Corfou, que la
Cour a déjà examinées plus haut (paragraphe 118). Mention peut égale-
ment être faite des arrêts rendus sur le fond dans les deux affaires de la
Compétence en matière de pêcheries ((Royaume-Uni c. Islande) (Répu-
blique fédérale d’Allemagne c. Islande), C.I.J. Recueil 1974 ,p .,
par. 42; p. 203-204, par. 74), qui traitaient de questions mineures de
compétence bien que les arrêts antérieurs eussent expressément conclu à
la compétence (C.I.J. Recueil 1973, p. 22, par. 46; p. 66, par. 46).
Même lorsque, dans une décision préliminaire, la Cour s’est réservée
expressément de régler certaines questions de compétence à un stade
ultérieur, cette décision peut contenir une conclusion indiquant que
«la Cour a compétence» en l’espèce, cette conclusion s’entendant sous
réserve des questions à trancher ultérieurement (voir Activités militaires
et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984 ,
p. 442, par. 113, point 1), al. c), et p. 425-426, par. 76; cf. également,
s’agissant d’une exception de recevabilité, Questions d’interprétation et
d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni),
exceptions préliminaires, arrêt C.I.J. Recueil 1998 , p. 29, par. 51, et
p. 30-31, par. 53, point 2), al. b), et point 3); (Jamahiriya arabe libyenne
c. Etats-Unis), ibid., p. 134, par. 50, et p. 156, par. 53, point 2), al. b.,et
point 3)).
128. Cependant, le fait que la Cour ait, dans ces affaires, examiné des
questions juridictionnelles après avoir rendu un arrêt sur la compétence
n’autorise pas à soutenir qu’un tel arrêt peut être remis en question à tout
moment, si bien qu’il serait permis de réexaminer des questions qui ont
déjà été tranchées avec l’autorité de la chose jugée. La différence essen-
tielle entre les affaires mentionnées au paragraphe précédent et la pré-
sente espèce réside en ceci que les questions de compétence examinées à
un stade tardif dans ces affaires étaient telles que la décision rendue à leur
sujet n’était pas susceptible de contredire la conclusion par laquelle la
Cour s’était déclarée compétente dans l’arrêt antérieur. Dans les affaires
de la Compétence en matière de pêcheries , les questions soulevées avaient
trait à la portée de la compétence qui avait déjà été établie en principe
avec l’autorité de la chose jugée; dans l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires, la Cour avait clairement indiqué dans l’arrêt de 1984 que
sa conclusion en faveur de la compétence ne constituait pas une décision
définitive sur l’interprétation de la réserve dont les Etats-Unis avaient
assorti leur déclaration au titre de la clause facultative. En revanche, s’ils
étaient retenus, les arguments avancés par le défendeur dans la présente
affaire auraient pour effet — et tel est d’ailleurs leur but — de renverser
la décision de 1996.
129. Le défendeur a soutenu que la question de savoir si la RFY avait
accès à la Cour en vertu de l’article 35 du Statut n’avait en fait jamais été
tranchée en l’espèce, de sorte que l’autorité de la chose jugée n’empêche-
rait en rien la Cour d’examiner cette question au stade actuel de l’ins-
5797 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
proceedings. It has drawn attention to the fact that when commenting on
the 1996 Judgment, in its 2004 Judgments in the cases concerning the
Legality of Use of Force, the Court observed that “[t]he question of the
status of the Federal Republic of Yugoslavia in relation to Article 35 of
the Statute was not raised and the Court saw no reason to examine it”
(see, for example, Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v.
Belgium), I.C.J. Reports 2004 , p. 311, para. 82), and that “in its pro-
nouncements in incidental proceedings” in the present case, the Court
“did not commit itself to a definitive position on the issue of the legal
status of the Federal Republic of Yugoslavia in relation to the Charter
and the Statute” (ibid., pp. 308-309, para. 74).
130. That does not however signify that in 1996 the Court was
unaware of the fact that the solution adopted in the United Nations to
the question of continuation of the membership of the SFRY “[was] not
free from legal difficulties”, as the Court had noted in its Order of 8 April
1993 indicating provisional measures in the case (I.C.J. Reports 1993,
p. 14, para. 18; above, paragraph 105). The FRY was, at the time of
the proceedings on its preliminary objections culminating in the 1996
Judgment, maintaining that it was the continuator State of the SFRY.
As the Court indicated in its Judgments in the cases concerning the
Legality of Use of Force,
“No specific assertion was made in the Application [of 1993, in the
present case] that the Court was open to Serbia and Montenegro
under Article 35, paragraph 1, of the Statute of the Court, but it was
later made clear that the Applicant claimed to be a Member of the
United Nations and thus a party to the Statute of the Court, by
virtue of Article 93, paragraph 1, of the Charter, at the time of filing
of the Application . . . [T]his position was expressly stated in the
Memorial filed by Serbia and Montenegro on 4 January 2000 . . .”
(Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Pre-
liminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004, p. 299, para. 47.)
The question whether the FRY was a continuator or a successor State of
the SFRY was mentioned in the Memorial of Bosnia and Herzegovina.
The view of Bosnia and Herzegovina was that, while the FRY was not a
Member of the United Nations, as a successor State of the SFRY which
had expressly declared that it would abide by the international commit-
ments of the SFRY, it was nevertheless a party to the Statute. It is also
essential, when examining the text of the 1996 Judgment, to take note of
the context in which it was delivered, in particular as regards the contem-
porary state of relations between the Respondent and the United Nations,
as recounted in paragraphs 88 to 99 above.
58 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 97
tance. Il a appelé l’attention sur le fait que la Cour, dans ses décisions
rendues en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, avait fait observer, commentant son arrêt de 1996, que «[l]a ques-
tion du statut de la République fédérale de Yougoslavie au regard de
l’article 35 du Statut [n’avait] pas [été] soulevée et [que] la Cour [n’avait
vu] aucune raison de procéder à son examen» (voir, par exemple, Licéité
de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 311, par. 82); et que,
«[lors]qu’elle [s’était] pronon[cée] dans le cadre de procédures incidentes»
dans la présente affaire, la Cour «n’[avait] adopt[é] aucune position défi-
nitive sur la question du statut juridique de la République fédérale de
Yougoslavie au regard de la Charte et du Statut» (ibid., p. 308-309,
par. 74).
130. Cela ne signifie toutefois pas que, en 1996, la Cour n’avait pas
conscience du fait que la solution adoptée au sein de l’Organisation des
Nations Unies sur la question de la continuité de la qualité de Membre de
la RFSY «ne laiss[ait] pas de susciter des difficultés juridiques», ainsi
qu’elle l’avait relevé dans son ordonnance du 8 avril 1993 indiquant des
mesures conservatoires (C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 18; voir plus
haut, paragraphe 105). A l’époque de la procédure relative à ses excep-
tions préliminaires, qui s’est conclue par l’arrêt de 1996, la RFY soute-
nait qu’elle était l’Etat continuateur de la RFSY. Comme la Cour l’a
indiqué dans les arrêts qu’elle a rendus dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force ,
«[l]a Serbie-et-Monténégro n’a pas spécifiquement affirmé dans sa
requête [de 1993, en l’espèce] que la Cour lui était ouverte en vertu
du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut de la Cour, mais il est
devenu par la suite manifeste que le demandeur prétendait être
Membre de l’Organisation des Nations Unies, et donc partie au Sta-
tut de la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte,
à la date du dépôt de la requête... [C]ette position a été expressément
énoncée dans le mémoire déposé par la Serbie-et-Monténégro le
4 janvier 2000.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténé-
gro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 ,
p. 299, par. 47.)
La question de savoir si la RFY était un Etat continuateur ou un Etat
successeur de la RFSY a été évoquée dans le mémoire de la Bosnie-Her-
zégovine. Le point de vue exprimé par la Bosnie-Herzégovine était que,
bien que la RFY ne fût pas membre de l’Organisation des Nations Unies,
elle était néanmoins partie au Statut en tant qu’Etat successeur de la
RFSY qui s’était expressément engagé à respecter les engagements inter-
nationaux contractés par cette dernière. Il est également essentiel,
lorsqu’on examine le texte de l’arrêt de 1996, de prendre note du contexte
dans lequel celui-ci a été rendu, en particulier en ce qui concerne l’état des
relations qui existaient alors entre le défendeur et l’Organisation des
Nations Unies, qui a été rappelé plus haut aux paragraphes 88 à 99.
5898 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
131. The “legal difficulties” referred to were finally dissipated when in
2000 the FRY abandoned its former insistence that it was the continua-
tor of the SFRY, and applied for membership in the United Nations
(paragraph 98 above). As the Court observed in its 2004 Judgments in
the cases concerning the Legality of Use of Force,
“the significance of this new development in 2000 is that it has clari-
fied the thus far amorphous legal situation concerning the status of
the Federal Republic of Yugoslavia vis-à-vis the United Nations. It
is in that sense that the situation that the Court now faces in relation
to Serbia and Montenegro is manifestly different from that which it
faced in 1999. If, at that time, the Court had had to determine defini-
tively the status of the Applicant vis-à-vis the United Nations, its
task of giving such a determination would have been complicated by
the legal situation, which was shrouded in uncertainties relating to
that status. However, from the vantage point from which the Court
now looks at the legal situation, and in light of the legal conse-
quences of the new development since 1 November 2000, the Court
is led to the conclusion that Serbia and Montenegro was not a Mem-
ber of the United Nations, and in that capacity a State party to the
Statute of the International Court of Justice, at the time of filing its
Application to institute the present proceedings before the Court on
29 April 1999.” (Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v.
Belgium), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 ,
pp. 310-311, para. 79.)
As the Court here recognized, in 1999 — and even more so in 1996 — it
was by no means so clear as the Court found it to be in 2004 that the
Respondent was not a Member of the United Nations at the relevant
time. The inconsistencies of approach expressed by the various United
Nations organs are apparent from the passages quoted in paragraphs 91
to 96 above.
132. As already noted, the legal complications of the position of the
Respondent in relation to the United Nations were not specifically men-
tioned in the 1996 Judgment. The Court stated, as mentioned in para-
graph 121 above, that “Yugoslavia was bound by the provisions of the
[Genocide] Convention on the date of the filing of the Application in the
present case” (Application of the Convention on the Prevention and Pun-
ishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugosla-
via), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 610,
para. 17), and found that “on the basis of Article IX of the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, it has juris-
diction to adjudicate upon the dispute” (ibid., p. 623, para. 47 (2) (a)).
Since, as observed above, the question of a State’s capacity to be a party
to proceedings is a matter which precedes that of jurisdiction ratione mate-
riae, and one which the Court must, if necessary, raise ex officio (see
59 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 98
131. Les «difficultés juridiques» précitées ont finalement été dissipées
en 2000 lorsque la RFY a abandonné sa prétention à assurer la conti-
nuité de la RFSY et qu’elle a présenté une demande d’admission à
l’Organisation des Nations Unies (voir plus haut le paragraphe 98). Ainsi
que la Cour l’a fait observer dans ses arrêts de 2004 relatifs à la Licéité de
l’emploi de la force,
«l’importance de cette évolution survenue en 2000 tient au fait
qu’elle a clarifié la situation juridique, jusque-là indéterminée, quant
au statut de la République fédérale de Yougoslavie vis-à-vis de
l’Organisation des Nations Unies. C’est en ce sens que la situation
qui se présente aujourd’hui à la Cour concernant la Serbie-et-Mon-
ténégro est manifestement différente de celle devant laquelle elle se
trouvait en 1999. Si la Cour avait alors eu à se prononcer définiti-
vement sur le statut du demandeur à l’égard de l’Organisation des
Nations Unies, cette tâche aurait été compliquée par les incertitudes
entourant la situation juridique, s’agissant de ce statut. Cependant,
la Cour se trouvant aujourd’hui à même d’apprécier l’ensemble de la
situation juridique, et compte tenu deseronséquences juridiques du
nouvel état de fait existant depuis le 1 novembre 2000, la Cour est
amenée à conclure que la Serbie-et-Monténégro n’était pas membre
de l’Organisation des Nations Unies, ni en cette qualité partie au
Statut de la Cour internationale de Justice, au moment où elle a
déposé sa requête introduisant la présente instance devant la Cour,
le 29 avril 1999.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monté-
négro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2004, p. 310-311, par. 79.)
Comme la Cour l’a reconnu ici, s’il lui a paru clair en 2004 que le défen-
deur n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies à l’époque
pertinente, la situation n’était absolument pas aussi claire en 1999 — et
encore moins en 1996. Les incohérences apparues dans les positions
exprimées par les divers organes des Nations Unies ressortent nettement
des passages cités ci-dessus aux paragraphes 91 à 96.
132. Ainsi qu’il a déjà été noté, les difficultés juridiques soulevées par
la situation du défendeur à l’égard de l’Organisation des Nations Unies
n’étaient pas expressément mentionnées dans l’arrêt de 1996. La Cour a
déclaré, comme indiqué plus haut au paragraphe 121, que «la Yougo-
slavie était liée par les dispositions de la convention [sur le génocide] à la
date du dépôt de la requête en la présente affaire» (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bos-
nie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17) et a conclu qu’«elle a[vait] compé-
tence, sur la base de l’article IX de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, pour statuer sur le différend» (ibid.,
p. 623, par. 47, point 2), al. a)). Etant donné que, ainsi que relevé ci-des-
sus, la question de la capacité d’un Etat à être partie à une procédure est
une question qui se pose avant celle de la compétence ratione materiae et
5999 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
paragraph 122 above), this finding must as a matter of construction be
understood, by necessary implication, to mean that the Court at that
time perceived the Respondent as being in a position to participate in
cases before the Court. On that basis, it proceeded to make a finding on
jurisdiction which would have the force of res judicata. The Court does
not need, for the purpose of the present proceedings, to go behind that
finding and consider on what basis the Court was able to satisfy itself on
the point. Whether the Parties classify the matter as one of “access to the
Court” or of “jurisdiction ratione personae”, the fact remains that the
Court could not have proceeded to determine the merits unless the
Respondent had had the capacity under the Statute to be a party to pro-
ceedings before the Court.
133. In the view of the Court, the express finding in the 1996 Judgment
that the Court had jurisdiction in the case ratione materiae, on the basis
of Article IX of the Genocide Convention, seen in its context, is a finding
which is only consistent, in law and logic, with the proposition that, in
relation to both Parties, it had jurisdiction ratione personae in its com-
prehensive sense, that is to say, that the status of each of them was such
as to comply with the provisions of the Statute concerning the capacity of
States to be parties before the Court. As regards Bosnia and Herze-
govina, there was no question but that it was a party to the Statute at the
date of filing its Application instituting proceedings; and in relation to the
Convention, the Court found that it “could . . . become a party to the
Convention” from the time of its admission to the United Nations (I.C.J.
Reports 1996 (II), p. 611, para. 19), and had in fact done so. As regards
the FRY, the Court found that it “was bound by the provisions of the
Convention”, i.e. was a party thereto, “on the date of the filing of the
Application” (ibid., p. 610, para. 17); in this respect the Court took note
of the declaration made by the FRY on 27 April 1992, set out in para-
graph 89 above, whereby the FRY “continuing the State, international
legal and political personality” of the SFRY, declared that it would
“strictly abide by” the international commitments of the SFRY. The
determination by the Court that it had jurisdiction under the Genocide
Convention is thus to be interpreted as incorporating a determination
that all the conditions relating to the capacity of the Parties to appear
before it had been met.
134. It has been suggested by the Respondent that the Court’s finding
of jurisdiction in the 1996 Judgment was based merely upon an assump-
tion: an assumption of continuity between the SFRY and the FRY.
It has drawn attention to passages, already referred to above (para-
graph 129), in the Judgments in the Legality of Use of Force cases, to the
effect that in 1996 the Court saw no reason to examine the question of
access, and that, in its pronouncements in incidental proceedings, the
Court did not commit itself to a definitive position on the issue of the
legal status of the Respondent.
135. That the FRY had the capacity to appear before the Court in
60 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 99
que la Cour doit, au besoin, soulever d’office (voir paragraphe 122 ci-
dessus), cette conclusion doit nécessairement s’interpréter comme signifiant
en toute logique que la Cour estimait à l’époque que le défendeur avait
qualité pour participer à des affaires portées devant elle. Sur cette base, la
Cour a alors formulé une conclusion sur sa compétence, avec l’autorité
de la chose jugée. Point n’est besoin pour elle, aux fins de la présente pro-
cédure, d’aller au-delà de cette conclusion en examinant par quel chemi-
nement elle y est parvenue. Que les Parties considèrent la question
comme relevant de l’«accès à la Cour» ou de la «compétence ratione per-
sonae», le fait est que la Cour n’aurait pu trancher l’affaire au fond si le
défendeur n’avait pas la capacité, en vertu du Statut, d’être partie à une
procédure devant la Cour.
133. De l’avis de la Cour, examinée dans son contexte, la conclusion
expresse énoncée dans l’arrêt de 1996 selon laquelle elle avait compétence
ratione materiae en l’espèce sur la base de l’article IX de la convention
sur le génocide n’est conciliable, en droit et en toute logique, qu’avec
l’idée que, à l’égard des deux Parties, elle avait compétence ratione per-
sonae au sens large — c’est-à-dire que la situation de l’une et de l’autre
était de nature à satisfaire aux conditions du Statut concernant la capa-
cité des Etats à se présenter devant la Cour. La Bosnie-Herzégovine était
indubitablement partie au Statut à la date du dépôt de sa requête intro-
ductive d’instance et, à l’égard de la Convention, la Cour a jugé que «la
Bosnie-Herzégovine pouvait ... [y] devenir partie» dès son admission au
sein de l’Organisation des Nations Unies (C.I.J. Recueil 1996 (II) ,
p. 611, par. 19), et que tel avait d’ailleurs été le cas. Quant à la RFY, la
Cour a jugé qu’elle «était liée par les dispositions de la convention»,
c’est-à-dire qu’elle y était partie «à la date du dépôt de la requête» (ibid.,
p. 610, par. 17); à cet égard, la Cour a pris note de la déclaration faite par
la RFY le 27 avril 1992, citée plus haut au paragraphe 89, dans laquelle
celle-ci, «assurant la continuité de l’Etat et de la personnalité juridique et
politique internationale» de la République fédérative socialiste de You-
goslavie, déclarait qu’elle «respectera[it] strictement» les engagements
internationaux pris par la RFSY. La décision de la Cour selon laquelle
elle avait compétence en vertu de la convention sur le génocide doit donc
être interprétée comme comprenant implicitement la conclusion que
toutes les conditions relatives à la capacité des Etats à se présenter devant
elle étaient remplies.
134. Le défendeur a laissé entendre que la conclusion par laquelle la
Cour, dans l’arrêt de 1996, s’était déclarée compétente, était fondée sur
un simple postulat: celui d’une continuité entre la RFSY et la RFY. Il a
appelé l’attention sur des extraits — auxquels il a déjà été fait référence
(paragraphe 129) — des arrêts rendus dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force , d’où il ressort que, en 1996, la Cour, ne
voyant aucune raison d’examiner la question de l’accès, n’a, en se pro-
nonçant dans le cadre de procédures incidentes, adopté aucune position
définitive sur la question du statut juridique du défendeur.
135. Que la RFY avait la capacité de se présenter devant la Cour en
60100 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
accordance with the Statute was an element in the reasoning of the
1996 Judgment which can — and indeed must — be read into the Judg-
ment as a matter of logical construction. That element is not one which
can at any time be reopened and re-examined, for the reasons already
stated above. As regards the passages in the 2004 Judgments relied on by
the Respondent, it should be borne in mind that the concern of the Court
was not then with the scope of res judicata of the 1996 Judgment, since in
any event such res judicata could not extend to the proceedings in the
cases that were then before it, between different parties. It was simply
appropriate in 2004 for the Court to consider whether there was an
expressly stated finding in another case that would throw light on the
matters before it. No such express finding having been shown to exist, the
Court in 2004 did not, as it has in the present case, have to go on to con-
sider what might be the unstated foundations of a judgment given in
another case, between different parties.
136. The Court thus considers that the 1996 Judgment contained a
finding, whether it be regarded as one of jurisdiction ratione personae,or
as one anterior to questions of jurisdiction, which was necessary as a
matter of logical construction, and related to the question of the FRY’s
capacity to appear before the Court under the Statute. The force of
res judicata attaching to that judgment thus extends to that particular
finding.
137. However it has been argued by the Respondent that even were
that so,
“the fundamental nature of access as a precondition for the exercise
of the Court’s judicial function means that positive findings on
access cannot be taken as definitive and final until the final judgment
is rendered in proceedings, because otherwise it would be possible
that the Court renders its final decision with respect to a party over
which it cannot exercise [its] judicial function. In other words, access
is so fundamental that, until the final judgment, it overrides the prin-
ciple of res judicata. Thus, even if the 1996 Judgment had made a
finding on access, quod non, that would not be a bar for the Court to
re-examine this issue until the end of the proceedings.”
A similar argument advanced by the Respondent is based on the prin-
ciple that the jurisdiction of the Court derives from a treaty, namely
the Statute of the Court; the Respondent questions whether the Statute
could have endowed the 1996 Judgment with any effects at all, since the
Respondent was, it alleges, not a party to the Statute. Counsel for the
Respondent argued that
“Today it is known that in 1996 when the decision on preliminary
objections was rendered, the Respondent was not a party to the
Statute. Thus, there was no foothold, Articles 36 (6), 59, and 60 did
61 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 100
vertu du Statut constitue un élément du raisonnement suivi dans l’arrêt
de 1996, qui peut — et même doit — en toute logique être sous-entendu
dans celui-ci. Pour les raisons déjà indiquées, cet élément ne saurait à tout
moment être remis en question et réexaminé. En ce qui concerne les
extraits des arrêts de 2004 sur lesquels s’appuie le défendeur, il faut tenir
compte du fait que la Cour ne se préoccupait pas alors de la portée de
l’autorité de la chose jugée à attacher à l’arrêt de 1996 puisque, de toute
façon, une telle autorité ne pouvait s’étendre aux affaires dont elle avait
alors à connaître, lesquelles opposaient des parties différentes. En 2004, il
convenait seulement pour la Cour de rechercher s’il existait, dans une
autre affaire, une conclusion expresse susceptible de l’éclairer. L’existence
d’une telle conclusion expresse n’ayant pas été démontrée, la Cour n’était
pas tenue en 2004, comme elle l’est en l’espèce, de poursuivre l’examen de
ce que pouvaient être les fondements informulés d’un arrêt rendu dans
une autre affaire, entre d’autres parties.
136. La Cour estime donc que l’arrêt de 1996 contenait une conclusion
— que celle-ci soit considérée comme portant sur la compétence ratione
personae ou comme antérieure aux questions de compétence — découlant
de la logique du raisonnement et concernant la question de la capacité de
la RFY à se présenter devant la Cour en vertu du Statut. L’autorité de la
chose jugée attachée à cet arrêt s’étend donc à cette conclusion par-
ticulière.
137. Le défendeur a toutefois soutenu que, même si tel était le cas,
«le caractère fondamental du droit d’ester en tant que préalable à
l’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire signifie que des
conclusions positives à ce sujet ne sauraient être considérées comme
finales et irréversibles avant que l’arrêt définitif soit rendu en l’affaire,
car, dans le cas contraire, la Cour risquerait de rendre une décision
finale envers une partie à l’égard de laquelle elle ne peut pas exercer
sa fonction judiciaire. Autrement dit, le droit d’ester est si fonda-
mental que, jusqu’à l’arrêt définitif, il l’emporte sur le principe de
l’autorité de la chose jugée. Ainsi, même si l’arrêt de 1996 avait for-
mulé une conclusion relative au droit d’ester, quod non, cette conclu-
sion n’empêcherait pas la Cour de pouvoir réexaminer cette question
jusqu’à la fin de la procédure.»
Un argument similaire avancé par le défendeur est fondé sur le principe
selon lequel la compétence de la Cour découlerait d’un traité, à savoir le
Statut de la Cour; le défendeur doute que le Statut ait pu conférer à
l’arrêt de 1996 un quelconque effet puisque, selon lui, il n’y était pas par-
tie. Le conseil du défendeur a déclaré:
«Nous savons aujourd’hui que lorsque, en 1996, la décision rela-
tive aux exceptions préliminaires a été rendue, le défendeur n’était
pas partie au Statut. Aucune base de compétence n’existait de la
61101 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
not represent a binding treaty provision providing a possible basis
for deciding on jurisdiction with res judicata effects.”
138. It appears to the Court that these contentions are inconsistent
with the nature of the principle of res judicata. That principle signifies
that once the Court has made a determination, whether on a matter of
the merits of a dispute brought before it, or on a question of its own
jurisdiction, that determination is definitive both for the parties to the
case, in respect of the case (Article 59 of the Statute), and for the Court
itself in the context of that case. However fundamental the question of
the capacity of States to be parties in cases before the Court may be, it
remains a question to be determined by the Court, in accordance with
Article 36, paragraph 6, of the Statute, and once a finding in favour of
jurisdiction has been pronounced with the force of res judicata,itisnot
open to question or re-examination, except by way of revision under
Article 61 of the Statute. There is thus, as a matter of law, no possibility
that the Court might render “its final decision with respect to a party
over which it cannot exercise its judicial function”, because the question
whether a State is or is not a party subject to the jurisdiction of the Court
is one which is reserved for the sole and authoritative decision of the
Court.
139. Counsel for the Respondent contended further that, in the cir-
cumstances of the present case, reliance on the res judicata principle
“would justify the Court’s ultra vires exercise of its judicial functions con-
trary to the mandatory requirements of the Statute”. However, the
operation of the “mandatory requirements of the Statute” falls to be
determined by the Court in each case before it; and once the Court has
determined, with the force of res judicata, that it has jurisdiction, then for
the purposes of that case no question of ultra vires action can arise, the
Court having sole competence to determine such matters under the Stat-
ute. For the Court res judicata pro veritate habetur , and the judicial truth
within the context of a case is as the Court has determined it, subject only
to the provision in the Statute for revision of judgments. This result
is required by the nature of the judicial function, and the universally
recognized need for stability of legal relations.
**
(7) Conclusion: Jurisdiction Affirmed
140. The Court accordingly concludes that, in respect of the conten-
tion that the Respondent was not, on the date of filing of the Application
instituting proceedings, a State having the capacity to come before the
Court under the Statute, the principle of res judicata precludes any
reopening of the decision embodied in the 1996 Judgment. The Respondent
62 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 101
sorte à l’époque; le paragraphe 6 de l’article 36 et les articles 59 et 60
ne représentaient pas une disposition conventionnelle contraignante
fournissant une éventuelle base à partir de laquelle se prononcer sur
la compétence avec effet de chose jugée.»
138. De l’avis de la Cour, ces affirmations ne s’accordent pas avec la
nature du principe de l’autorité de la chose jugée. Selon ce principe, dès
lors que la Cour s’est prononcée, que ce soit sur une question de fond
dans un différend qui lui est soumis ou sur une question concernant sa
propre compétence, sa décision à cet égard est définitive, tant pour les
parties en litige dans l’affaire (Statut, art. 59) que pour la Cour elle-même
dans le contexte de cette affaire. Aussi fondamentale qu’elle puisse être,
la question de la capacité des Etats à être parties à des affaires devant la
Cour reste une question que la Cour doit trancher conformément au
paragraphe 6 de l’article 36 du Statut et, dès lors qu’une conclusion favo-
rable à la compétence a été énoncée avec l’autorité de la chose jugée, elle
ne peut plus être remise en question ou réexaminée, si ce n’est par le biais
de la procédure en revision prévue à l’article 61 du Statut. Il est donc
impossible, juridiquement, que la Cour puisse «rendre une décision finale
envers une partie à l’égard de laquelle elle ne peut pas exercer sa fonction
judiciaire», parce que la question de savoir si un Etat est ou non une par-
tie à l’égard de laquelle la Cour a compétence est de celles que seule la
Cour a le pouvoir de trancher.
139. Le conseil du défendeur a en outre soutenu que, dans les circons-
tances de l’espèce, le recours au principe de l’autorité de la chose jugée
aurait pour conséquence que «la Cour exercerait ses fonctions judiciaires
en excédant ses pouvoirs au mépris des prescriptions impératives du Sta-
tut». Toutefois, l’application «des prescriptions impératives du Statut»
relève de la décision de la Cour dans chaque affaire qui lui est soumise et,
lorsque la Cour s’est déclarée compétente avec l’autorité de la chose
jugée, il ne peut y avoir excès de pouvoir aux fins de cette affaire, la Cour
étant seule compétente pour se prononcer sur de telles questions en vertu
de son Statut. Or, pour la Cour, res judicata pro veritate habetur ,eta l
vérité judiciaire dans le contexte d’une affaire est telle que la Cour l’a
déterminée, sous la seule réserve de la disposition du Statut concernant la
revision des arrêts. La nature de la fonction judiciaire et la nécessité
universellement reconnue de la stabilité des relations juridiques exigent
qu’il en soit ainsi.
**
7) Conclusion: compétence retenue
140. En conséquence, la Cour conclut, concernant l’argument selon
lequel le défendeur n’était pas, à la date du dépôt de la requête introduc-
tive d’instance, un Etat ayant qualité pour se présenter devant elle en
vertu du Statut, que le principe de l’autorité de la chose jugée interdit
toute remise en question de la décision contenue dans l’arrêt de 1996. Le
62102 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
has however also argued that the 1996 Judgment is not res judicata as to
the further question whether the FRY was, at the time of institution of
proceedings, a party to the Genocide Convention, and has sought to
show that at that time it was not, and could not have been, such a party.
The Court however considers that the reasons given above for holding
that the 1996 Judgment settles the question of jurisdiction in this case
with the force of res judicata are applicable a fortiori as regards this con-
tention, since on this point the 1996 Judgment was quite specific, as it
was not on the question of capacity to come before the Court. The Court
does not therefore find it necessary to examine the argument of the
Applicant that the failure of the Respondent to advance at the time the
reasons why it now contends that it was not a party to the Genocide
Convention might raise considerations of estoppel, or forum prorogatum
(cf. paragraphs 85 and 101 above). The Court thus concludes that, as
stated in the 1996 Judgment, it has jurisdiction, under Article IX of the
Genocide Convention, to adjudicate upon the dispute brought before it
by the Application filed on 20 March 1993. It follows from the above that
the Court does not find it necessary to consider the questions, extensively
addressed by the Parties, of the status of the Respondent under the
Charter of the United Nations and the Statute of the Court, and its posi-
tion in relation to the Genocide Convention at the time of the filing
of the Application.
*
141. There has been some reference in the Parties’ arguments before
the Court to the question whether Article 35, paragraphs 1 and 2, of the
Statute apply equally to applicants and to respondents. This matter,
being one of interpretation of the Statute, would be one for the Court to
determine. However, in the light of the conclusion that the Court has
reached as to the res judicata status of the 1996 decision, it does not find
at present the necessity to do so.
* * *
IV. THE APPLICABLE LAW :T HE C ONVENTION ON THE P REVENTION AND
PUNISHMENT OF THE CRIME OF G ENOCIDE
(1) The Convention in Brief
142. The Contracting Parties to the Convention, adopted on 9 Decem-
ber 1948, offer the following reasons for agreeing to its text:
“The Contracting Parties,
Having considered the declaration made by the General Assembly
of the United Nations in its resolution 96 (I) dated 11 Decem-
ber 1946 that genocide is a crime under international law, contrary
63 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 102
défendeur a toutefois soutenu également que l’arrêt de 1996 n’avait pas
force de chose jugée à l’égard de l’autre question, celle de savoir si, au
moment de l’introduction de l’instance, la RFY était partie à la conven-
tion sur le génocide, en tentant de montrer que, à ce moment-là, elle
n’était pas et n’aurait pas pu être partie à la Convention. Selon la Cour,
toutefois, les raisons indiquées plus haut pour considérer que l’arrêt
de 1996 tranche, avec l’autorité de la chose jugée, la question de sa com-
pétence en l’espèce s’appliquent à fortiori en ce qui concerne cet argu-
ment, puisque l’arrêt de 1996 était explicite à cet égard alors qu’il ne
l’était pas sur la question de la capacité à se présenter devant la Cour. Par
conséquent, elle ne juge pas nécessaire d’examiner l’argument du deman-
deur selon lequel le fait que le défendeur n’a pas, à l’époque, avancé les
raisons qu’il invoque aujourd’hui pour prétendre qu’il n’était pas partie à
la convention sur le génocide pourrait faire intervenir des considérations
relevant de l’estoppel ou du forum prorogatum (voir plus haut para-
graphes 85 et 101). La Cour conclut donc que, ainsi qu’elle l’a dit dans son
arrêt de 1996, elle a compétence en vertu de l’article IX de la convention
sur le génocide pour statuer sur le différend qui lui a été soumis dans la
requête déposée le 20 mars 1993. Il découle de ce qui précède que la Cour
ne juge pas nécessaire d’examiner les questions, abondamment débattues
par les Parties, relatives au statut qui, au moment du dépôt de la requête,
était celui du défendeur au regard de la Charte des Nations Unies, du
Statut de la Cour et de la convention sur le génocide.
*
141. Dans les arguments qu’elles ont échangés devant la Cour, les
Parties ont évoqué la question de savoir si les paragraphes 1 et 2 de l’ar-
ticle 35 du Statut s’appliquent également aux parties demanderesses et
aux parties défenderesses. S’agissant d’une question d’interprétation du
Statut, c’est à la Cour qu’il appartiendrait d’y répondre. Compte tenu
cependant de la conclusion à laquelle elle est parvenue au sujet de l’auto-
rité de la chose jugée qui s’attache à sa décision de 1996, la Cour ne juge
pas à présent nécessaire de le faire.
*
* *
IV. L E DROIT APPLICABLE : LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA
RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
1) Bref retour sur la Convention
142. Les parties contractantes à la Convention, adoptée le 9 dé-
cembre 1948, ont indiqué ce qui suit comme raisons pour avoir accepté
la Convention:
«Les Parties contractantes,
Considérant que l’Assemblée générale de l’Organisation des
Nations Unies, par sa résolution 96 (I) en date du 11 décembre 1946,
a déclaré que le génocide est un crime du droit des gens, en contra-
63103 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
to the spirit and aims of the United Nations and condemned by the
civilized world,
Recognizing that at all periods of history genocide has inflicted
great losses on humanity, and
Being convinced that, in order to liberate mankind from such an
odious scourge, international co-operation is required,
Hereby agree as hereinafter provided . . .”
143. Under Article I “[t]he Contracting Parties confirm that genocide,
whether committed in time of peace or in time of war, is a crime under
international law which they undertake to prevent and to punish”.
Article II defines genocide in these terms:
“In the present Convention, genocide means any of the following
acts committed with intent to destroy, in whole or in part, a national,
ethnical, racial or religious group, as such:
(a) Killing members of the group;
(b) Causing serious bodily or mental harm to members of the
group;
(c) Deliberately inflicting on the group conditions of life calculated
to bring about its physical destruction in whole or in part;
(d) Imposing measures intended to prevent births within the group;
(e) Forcibly transferring children of the group to another group.”
Article III provides as follows:
“The following acts shall be punishable:
(a) Genocide;
(b) Conspiracy to commit genocide;
(c) Direct and public incitement to commit genocide;
(d) Attempt to commit genocide;
(e) Complicity in genocide.”
144. According to Article IV, persons committing any of those acts
shall be punished whether they are constitutionally responsible rulers,
public officials or private individuals. Article V requires the parties to
enact the necessary legislation to give effect to the Convention, and, in
particular, to provide effective penalties for persons guilty of genocide or
other acts enumerated in Article III. Article VI provides that
“[p]ersons charged with genocide or any of the other acts enumer-
ated in article III shall be tried by a competent tribunal of the State
in the territory of which the act was committed, or by such interna-
tional penal tribunal as may have jurisdiction with respect to those
Contracting Parties which shall have accepted its jurisdiction”.
Article VII provides for extradition.
64 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 103
diction avec l’esprit et les fins des Nations Unies et que le monde
civilisé condamne,
Reconnaissant qu’à toutes les périodes de l’histoire le génocide a
infligé de grandes pertes à l’humanité,
Convaincues que pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux
la coopération internationale est nécessaire,
Conviennent de ce qui suit: ...»
143. En vertu de l’article premier, «[l]es Parties contractantes
confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en
temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à pré-
venir et à punir». L’article II définit le génocide en ces termes:
«Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quel-
conque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou
tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel:
a) meurtre de membres du groupe;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du
groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.»
L’article III dispose:
«Seront punis les actes suivants:
a) le génocide;
b) l’entente en vue de commettre le génocide;
c) l’incitation directe et publique à commettre le génocide;
d) la tentative de génocide;
e) la complicité dans le génocide.»
144. Suivant l’article IV, les personnes ayant commis l’un quelconque
de ces actes seront punies, qu’il s’agisse de gouvernants, de fonctionnaires
ou de particuliers. L’article V exige des parties contractantes qu’elles
prennent les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application de
la Convention et, notamment, qu’elles prévoient des sanctions pénales
efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou d’autres actes
énumérés à l’article III. L’article VI dispose que
«[l]es personnes accusées de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes énumérés à l’article III seront traduites devant les tribunaux
compétents de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été commis, ou
devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l’égard de
celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction».
L’article VII prévoit l’extradition.
64104 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
145. Under Article VIII
“Any Contracting Party may call upon the competent organs of
the United Nations to take such action under the Charter of the
United Nations as they consider appropriate for the prevention and
suppression of acts of genocide or any of the other acts enumerated
in Article III.”
146. Article IX provides for certain disputes to be submitted to the
Court:
“Disputes between the Contracting Parties relating to the interpre-
tation, application or fulfilment of the present Convention, including
those relating to the responsibility of a State for genocide or for any
of the other acts enumerated in Article III, shall be submitted to the
International Court of Justice at the request of any of the parties to
the dispute.”
The remaining ten Articles are final clauses dealing with such matters as
parties to the Convention and its entry into force.
147. The jurisdiction of the Court in this case is based solely on
Article IX of the Convention. All the other grounds of jurisdiction
invoked by the Applicant were rejected in the 1996 Judgment on juris-
diction (I.C.J. Reports 1996 (II) , pp. 617-621, paras. 35-41). It follows
that the Court may rule only on the disputes between the Parties to
which that provision refers. The Parties disagree on whether the Court
finally decided the scope and meaning of that provision in its 1996 Judg-
ment and, if it did not, on the matters over which the Court has juris-
diction under that provision. The Court rules on those two matters in
following sections of this Judgment. It has no power to rule on alleged
breaches of other obligations under international law, not amounting to
genocide, particularly those protecting human rights in armed conflict.
That is so even if the alleged breaches are of obligations under peremp-
tory norms, or of obligations which protect essential humanitarian
values, and which may be owed erga omnes.
148. As it has in other cases, the Court recalls the fundamental distinc-
tion between the existence and binding force of obligations arising under
international law and the existence of a court or tribunal with jurisdiction
to resolve disputes about compliance with those obligations. The fact
that there is not such a court or tribunal does not mean that the obliga-
tions do not exist. They retain their validity and legal force. States are
required to fulfil their obligations under international law, including
international humanitarian law, and they remain responsible for acts
contrary to international law which are attributable to them (e.g. case
concerning Armed Activities on the Territory of the Congo (New Appli-
65 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 104
145. En vertu de l’article VIII,
«[t]oute Partie contractante peut saisir les organes compétents de
l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, confor-
mément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent
appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide
ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
146. L’article IX dispose que certains différends seront soumis à la
Cour:
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interpré-
tation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y
compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de
génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la
requête d’une partie au différend.»
Les dix articles restants sont des clauses finales qui traitent de questions
telles que la participation à la Convention et l’entrée en vigueur de celle-
ci.
147. La compétence de la Cour en l’espèce n’est fondée que sur l’ar-
ticle IX de la Convention. Tous les autres fondements de compétence invo-
qués par le demandeur ont été rejetés dans l’arrêt de 1996 concernant la
compétence (C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 617-621, par. 35-41). Il s’ensuit
que la Cour ne peut trancher que les différends entre les parties contrac-
tantes visées par cette disposition. Les Parties s’opposent sur la question
de savoir si la Cour s’est définitivement prononcée, dans son arrêt de 1996,
sur la portée et le sens de cette disposition; dans la négative, elles sont en
désaccord sur les questions à l’égard desquelles la Cour a compétence en
vertu de celle-ci. La Cour se prononcera sur ces deux questions plus loin
dans le présent arrêt. Elle n’est pas habilitée à se prononcer sur des vio-
lations alléguées d’autres obligations que les Parties tiendraient du droit
international, violations qui ne peuvent être assimilées à un génocide, en
particulier s’agissant d’obligations visant à protéger les droits de l’homme
dans un conflit armé. Il en est ainsi même si les violations alléguées
concernent des obligations relevant de normes impératives ou des obliga-
tions relatives à la protection des valeurs humanitaires essentielles et que
ces obligations peuvent s’imposer erga omnes.
148. Comme elle l’a fait dans d’autres affaires, la Cour rappelle la dif-
férence fondamentale entre, d’une part, l’existence et la force contrai-
gnante d’obligations résultant du droit international et, d’autre part,
l’existence d’une cour ou d’un tribunal compétent pour résoudre des dif-
férends relatifs au respect de ces obligations. Le fait qu’une telle cour ou
un tel tribunal n’existe pas ne signifie pas que les obligations n’existent
pas. Elles conservent leur validité et leur force juridique. Les Etats sont
tenus de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du droit
international, notamment du droit international humanitaire, et demeu-
rent responsables des actes contraires au droit international qui leur sont
65105 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
cation: 2002) (Democratic Republic of the Congo v. Rwanda), Jurisdic-
tion of the Court and Admissibility of the Application, Judgment, I.C.J.
Reports 2006, pp. 52-53, para. 127).
149. The jurisdiction of the Court is founded on Article IX of the Con-
vention, and the disputes subject to that jurisdiction are those “relating to
the interpretation, application or fulfilment” of the Convention, but it
does not follow that the Convention stands alone. In order to determine
whether the Respondent breached its obligation under the Convention,
as claimed by the Applicant, and, if a breach was committed, to deter-
mine its legal consequences, the Court will have recourse not only to the
Convention itself, but also to the rules of general international law on
treaty interpretation and on responsibility of States for internationally
wrongful acts.
**
(2) The Court’s 1996 Decision about the Scope and Meaning of
Article IX
150. According to the Applicant, the Court in 1996 at the preliminary
objections stage decided that it had jurisdiction under Article IX of the
Convention to adjudicate upon the responsibility of the respondent State,
as indicated in that Article, “for genocide or any of the other acts
enumerated in article III”, and that that reference “does not exclude any
form of State responsibility”. The issue, it says, is res judicata. The
Respondent supports a narrower interpretation of the Convention: the
Court’s jurisdiction is confined to giving a declaratory judgment relating
to breaches of the duties to prevent and punish the commission of geno-
cide by individuals.
151. The Respondent accepts that the first, wider, interpretation “was
preferred by the majority of the Court in the preliminary objections
phase” and quotes the following passage in the Judgment:
“The Court now comes to the second proposition advanced by
Yugoslavia [in support of one of its preliminary objections], regard-
ing the type of State responsibility envisaged in Article IX of the
Convention. According to Yugoslavia, that Article would only cover
the responsibility flowing from the failure of a State to fulfil its
obligations of prevention and punishment as contemplated by
Articles V, VI and VII; on the other hand, the responsibility of a
State for an act of genocide perpetrated by the State itself would
be excluded from the scope of the Convention.
The Court would observe that the reference to Article IX to ‘the
responsibility of a State for genocide or for any of the other acts enu-
merated in Article III’, does not exclude any form of State responsi-
bility.
Nor is the responsibility of a State for acts of its organs excluded
66 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 105
attribuables (voir, par exemple, Activités armées sur le territoire du
Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), compétence de la Cour et recevabilité de la requête, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 52-53, par. 127).
149. Que la Cour tire sa compétence de l’article IX de la Convention et
que les différends qui relèvent de cette compétence portent sur «l’inter-
prétation, l’application ou l’exécution» de la Convention n’a pas néces-
sairement pour conséquence que seule doive entrer en ligne de compte
cette Convention. Afin de déterminer si, comme le soutient le demandeur,
le défendeur a violé l’obligation qu’il tient de la Convention et, s’il y a eu
violation, d’en déterminer les conséquences juridiques, la Cour fera appel
non seulement à la Convention proprement dite, mais aussi aux règles du
droit international général qui régissent l’interprétation des traités et la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite.
**
2) Décision rendue par la Cour en 1996 concernant la portée
et le sens de l’article IX
150. Selon le demandeur, la Cour a, en 1996, au stade des exceptions
préliminaires, décidé qu’elle avait compétence en vertu de l’article IX
pour statuer sur la responsabilité de l’Etat défendeur «en matière de
génocide ou de l’un quelconque des actes énumérés à l’article III», pour
reprendre les termes dudit article, cette référence «n’exclu[an]t aucune
forme de responsabilité d’Etat». Cette question aurait selon lui été tran-
chée avec l’autorité de la chose jugée. Le défendeur soutient une interpré-
tation plus étroite de la Convention: la Cour n’aurait compétence que
pour rendre un jugement déclaratoire sur les violations des obligations de
prévenir et de réprimer la commission du génocide par des individus.
151. Le défendeur admet que la première interprétation, plus large, a
été «privilégiée par la majorité des membres de la Cour au stade des
exceptions préliminaires» et cite l’extrait suivant de l’arrêt:
«La Cour en vient maintenant à la seconde proposition de la You-
goslavie [qu’elle a avancée à l’appui de l’une de ses exceptions préli-
minaires], relative au type de responsabilité d’Etat qui serait visée à
l’article IX de la convention. D’après la Yougoslavie, seule serait
couverte la responsabilité découlant du manquement d’un Etat à ses
obligations de prévention et de répression telles qu’envisagées aux
articles V, VI et VII; en revanche, la responsabilité d’un Etat à rai-
son d’un acte de génocide perpétré par l’Etat lui-même serait exclue
du champ d’application de la convention.
La Cour observera qu’en visant «la responsabilité d’un Etat en
matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés
à l’article III», l’article IX n’exclut aucune forme de responsabilité
d’Etat.
La responsabilité d’un Etat pour le fait de ses organes n’est pas
66106 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
by Article IV of the Convention, which contemplates the commission
of an act of genocide by ‘rulers’ or ‘public officials’.
In the light of the foregoing, the Court considers that it must reject
the fifth preliminary objection of Yugoslavia. It would moreover observe
that it is sufficiently apparent from the very terms of that objection that
the Parties not only differ with respect to the facts of the case, their
imputability and the applicability to them of the provisions of the Geno-
cide Convention, but are moreover in disagreement with respect to
the meaning and legal scope of several of those provisions, including
Article IX. For the Court, there is accordingly no doubt that there
exists a dispute between them relating to ‘the interpretation, application
or fulfilment of the . . . Convention, including . . . the responsibility of
a State for genocide . . .’, according to the form of words employed by
that latter provision (cf.Applicability of the Obligation to Arbitrate
under Section 21 of the United Nations Headquarters Agreement of
26 June 1947, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1988p,p. 27-32).” (Appli-
cation of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime
of Genocide (Bosnia and Herzegovina v.Yugoslavia), Preliminary Objec-
tions, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II,)pp. 616-617, paras. 32-33;
emphasis now added to 1996 text.)
The Applicant relies in particular on the sentences in paragraph 32 which
have been emphasized in the above quotation. The Respondent submits
that
“this expression of opinion is of marked brevity and is contingent
upon the dismissal of the preliminary objection based upon the exist-
ence or otherwise of a dispute relating to the interpretation of the
Genocide Convention. The interpretation adopted in this provi-
sional mode by the Court is not buttressed by any reference to the
substantial preparatory work of the Convention.
In the circumstances, there is no reason of principle or considera-
tion of common sense indicating that the issue of interpretation is no
longer open.”
While submitting that the Court determined the issue and spoke emphati-
cally on the matter in 1996 the Applicant also says that this present phase
of the case
“will provide an additional opportunity for this Court to rule on
[the] important matter, not only for the guidance of the Parties here
before you, but for the benefit of future generations that should not
have to fear the immunity of States from responsibility for their
genocidal acts”.
152. The Court has already examined above the question of the author-
ity of res judicata attaching to the 1996 Judgment, and indicated that it
cannot reopen issues decided with that authority. Whether or not the
issue now raised by the Respondent falls in that category, the Court
67 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 106
davantage exclue par l’article IV de la convention, qui envisage la
commission d’un acte de génocide par des «gouvernants» ou des
«fonctionnaires».
Au vu de ce qui précède, la Cour estime devoir rejeter la cinquième
exception préliminaire de la Yougoslavie. Elle fera d’ailleurs observer
qu’il ressort à suffisance des termes mêmes de cette exception que les
Parties non seulement s’opposent sur les faits de l’espèce, sur leur
imputabilité et sur l’applicabilité à ceux-ci des dispositions de la conven-
tion sur le génocide, mais, en outre, sont en désaccord quant au sens et
à la portée juridique de plusieurs de ces dispositions, dont l’article IX.
Pour la Cour, il ne saurait en conséquence faire de doute qu’il existe
entre elles un différend relatif à «l’interprétation, l’application ou l’exé-
cution de la ... convention, y compris ... la responsabilité d’un Etat en
matière de génocide...», selon la formule utilisée par cette dernière dis-
position (voirApplicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la sec-
tion 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des
Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 198, p. 27-32).» (Appli-
cation de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II,)p. 616-617, par. 32-33; les italiques ne
figurent pas dans l’arrêt de 1996.)
Le demandeur s’appuie en particulier sur les phrases du paragraphe 32
qui apparaissent en italiques dans la citation ci-dessus. Le défendeur sou-
tient que
«l’opinion ainsi exprimée se caractérise par sa brièveté et est subor-
donnée au rejet de l’exception préliminaire fondée sur l’existence
éventuelle d’un différend relatif à l’interprétation de la convention
sur le génocide. L’interprétation adoptée de cette manière provisoire
par la Cour n’est étayée par aucun renvoi aux importants travaux
relatifs à la convention.
Dans ces conditions, il n’y a aucune raison de principe ni consi-
dération de bon sens qui indique que la question de l’interprétation
n’est désormais plus ouverte.»
Tout en affirmant que la Cour a tranché la question et s’est exprimée
avec force sur ce sujet en 1996, le demandeur dit aussi que la présente
phase de la procédure
«donnera une nouvelle fois à la Cour l’occasion de trancher cette
question importante, non seulement à l’attention des Parties, mais
dans l’intérêt des générations futures, qui ne doivent pas avoir à
craindre que les Etats jouissent d’une immunité de responsabilité
pour leurs actes de génocide».
152. La Cour a déjà examiné plus haut la question de l’autorité de la
chose jugée revêtue par l’arrêt de 1996 et indiqué qu’elle ne pourrait revenir
sur les questions tranchées avec cette autorité. Que la question aujourd’hui
soulevée par le défendeur tombe ou non dans cette catégorie, la Cour relève
67107 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
observes that the final part of paragraph 33 of that Judgment, quoted
above, must be taken as indicating that “the meaning and legal scope” of
Article IX and of other provisions of the Convention remain in dispute.
In particular a dispute “exists” about whether the only obligations of the
Contracting Parties for the breach of which they may be held responsible
under the Convention are to legislate, and to prosecute or extradite, or
whether the obligations extend to the obligation not to commit genocide
and the other acts enumerated in Article III. That dispute “exists” and
was left by the Court for resolution at the merits stage. In these circum-
stances, and taking into account the positions of the Parties, the Court
will determine at this stage whether the obligations of the Parties under
the Convention do so extend. That is to say, the Court will decide
“the meaning and legal scope” of several provisions of the Convention,
including Article IX with its reference to “the responsibility of a State
for genocide or any of the other acts enumerated in Article III”.
**
(3) The Court’s 1996 Decision about the Territorial Scope of
the Convention
153. A second issue about the res judicata effect of the 1996 Judgment
concerns the territorial limits, if any, on the obligations of the States
parties to prevent and punish genocide. In support of one of its prelimi-
nary objections the Respondent argued that it did not exercise jurisdic-
tion over the Applicant’s territory at the relevant time. In the final sen-
tence of its reasons for rejecting this argument the Court said this: “[t]he
Court notes that the obligation each State thus has to prevent and to
punish the crime of genocide is not territorially limited by the Conven-
tion” (I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 616, para. 31).
154. The Applicant suggests that the Court in that sentence ruled that
the obligation extends without territorial limit. The Court does not state
the obligation in that positive way. The Court does not say that the obli-
gation is “territorially unlimited by the Convention”. Further, earlier in
the paragraph, it had quoted from Article VI (about the obligation of
any State in the territory of which the act was committed to prosecute) as
“the only provision relevant to” territorial “problems” related to the
application of the Convention. The quoted sentence is therefore to be
understood as relating to the undertaking stated in Article I. The Court
did not in 1996 rule on the territorial scope of each particular obligation
arising under the Convention. Accordingly the Court has still to rule on
that matter. It is not res judicata.
**
68 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 107
que la dernière partie du paragraphe 33 de cet arrêt, cité ci-dessus, doit être
considérée comme indiquant que «le sens et la portée juridique» de l’ar-
ticle IX et d’autres dispositions de la Convention demeurent controversés. Il
«existe» en particulier un différend sur la question de savoir si les parties
contractantes ne peuvent être tenues responsables en vertu de la Conven-
tion que de violations des obligations de prendre des mesures législatives et
de poursuivre ou extrader les auteurs de génocide ou si les obligations
s’étendent à celle de ne pas commettre un génocide et les autres actes énu-
mérés à l’article III. Ce différend «existe» et la Cour a décidé de réserver sa
décision à ce sujet au stade de l’examen au fond. Dans ces conditions, et
compte tenu de la position prise par les Parties, la Cour déterminera à ce
stade si les obligations découlant pour les Parties de la Convention ont une
telle étendue. Autrement dit, elle décidera du «sens et [de] la portée juri-
dique» de plusieurs dispositions de la Convention, notamment l’article IX et
sa mention de «la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de
l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
**
3) La décision rendue par la Cour en 1996 concernant le champ
d’application territorial de la Convention
153. Une seconde question relative à la force de chose jugée de l’arrêt
de 1996 concerne les limites territoriales, s’il en est, de l’obligation de pré-
venir et de réprimer le génocide qui incombe aux Etats parties. Pour
étayer l’une de ses exceptions préliminaires, le défendeur a fait valoir qu’il
n’exerçait pas de juridiction sur le territoire du demandeur à l’époque
considérée. La dernière phrase du raisonnement que la Cour a tenu pour
rejeter cet argument se lit comme suit: «La Cour constate que l’obliga-
tion qu’a ainsi chaque Etat de prévenir et de réprimer le crime de géno-
cide n’est pas limitée territorialement par la convention.» (C.I.J. Recueil
1996 (II), p. 616, par. 31.)
154. Le demandeur laisse entendre que la Cour a jugé, par cette
phrase, que l’obligation s’appliquait sans limite territoriale. La Cour
n’énonce pas l’obligation d’une manière aussi affirmative. Elle ne dit pas
que l’obligation est «territorialement illimitée par la convention». En
outre, elle a, plus haut dans le paragraphe dont est tiré l’extrait, cité l’ar-
ticle VI (relativement à l’obligation qui incombe à tout Etat sur le territoire
duquel l’acte a été commis d’en traduire les auteurs en justice) comme
étant «la seule disposition pertinente» concernant les «problèmes» terri-
toriaux liés à l’application de la Convention. La phrase citée doit par
conséquent être interprétée comme se rapportant à l’engagement énoncé
à l’article premier. La Cour n’a pas, en 1996, tranché la question du
champ d’application de chaque obligation particulière résultant de la
Convention. Par conséquent, la Cour doit encore se prononcer sur cette
question, laquelle n’a pas été tranchée avec l’autorité de la chose jugée.
**
68108 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(4) The Obligations Imposed by the Convention
on the Contracting Parties
155. The Applicant, in the words of its Agent, contends that “[t]his
case is about State responsibility and seeks to establish the responsibili-
ties of a State which, through its leadership, through its organs, commit-
ted the most brutal violations of one of the most sacred instruments of
international law”. The Applicant has emphasized that in its view, the
Genocide Convention “created a universal, treaty-based concept of State
responsibility”, and that “[i]t is State responsibility for genocide that this
legal proceeding is all about”. It relies in this respect on Article IX of the
Convention, which, it argues, “quite explicitly impose[s] on States a direct
responsibility themselves not to commit genocide or to aid in the com-
mission of genocide”. As to the obligation of prevention under Article I,
a breach of that obligation, according to the Applicant, “is established —
it might be said is ‘eclipsed’ — by the fact that [the Respondent] is itself
responsible for the genocide committed; . . . a State which commits geno-
cide has not fulfilled its commitment to prevent it” (emphasis in the origi-
nal). The argument moves on from alleged breaches of Article I to “vio-
lations [by the Respondent] of its obligations under Article III . . . to
which express reference is made in Article IX, violations which stand at
the heart of our case. This fundamental provision establishes the obliga-
tions whose violation engages the responsibility of States parties.” It fol-
lows that, in the contention of the Applicant, the Court has jurisdiction
under Article IX over alleged violations by a Contracting Party of those
obligations.
156. The Respondent contends to the contrary that
“the Genocide Convention does not provide for the responsibility of
States for acts of genocide as such. The duties prescribed by the
Convention relate to ‘the prevention and punishment of the crime of
genocide’ when this crime is committed by individuals: and the pro-
visions of Articles V and VI [about enforcement and prescription] . . .
make this abundantly clear.”
It argues that the Court therefore does not have jurisdiction ratione
materiae under Article IX; and continues:
“[t]hese provisions [Articles I, V, VI and IX] do not extend to the
responsibility of a Contracting Party as such for acts of genocide but
[only] to responsibility for failure to prevent or to punish acts of
genocide committed by individuals within its territory or . . . its
control”.
The sole remedy in respect of that failure would, in the Respondent’s
view, be a declaratory judgment.
69 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 108
4) Les obligations que la Convention impose
aux parties contractantes
155. Le demandeur, pour reprendre les termes de son agent, soutient
que «[c]’est sur la responsabilité de l’Etat que porte cette affaire; notre
but est d’établir les responsabilités d’un Etat qui, à travers ses dirigeants,
à travers ses organes, a, on ne peut plus brutalement, violé l’un des ins-
truments les plus sacrés du droit international». Selon lui, la convention
sur le génocide «a créé un concept universel et conventionnel de respon-
sabilité des Etats», et «c’est précisément de la responsabilité des Etats
[pour génocide] qu’il s’agit dans la présente affaire». Il se fonde à cet
égard sur l’article IX de la Convention qui, soutient-il, «impose ... on ne
peut plus expressément aux Etats l’obligation directe de ne pas eux-
mêmes commettre de génocide ou aider à commettre un génocide». Quant
au manquement à l’obligation de prévention énoncée à l’article premier,
il est, selon le demandeur, «établi, on pourrait dire «éclipsé», par le fait
[que le défendeur] est lui-même responsable du génocide commis; ... un
Etat qui commet un génocide n’a pas tenu son engagement de le préve-
nir» (les italiques sont dans l’original). Après avoir allégué que l’ar-
ticle premier avait été violé, le demandeur poursuit son argumentation en
invoquant des «violations par le défendeur des obligations résultant de
l’article III ... auquel renvoie expressément l’article IX, violations qui
sont au cŒur de notre affaire. C’est cette disposition fondamentale qui
établit les obligations dont la violation engage la responsabilité des Etats
parties.» D’après le demandeur, la Cour aurait dès lors compétence en
vertu de l’article IX pour connaître de violations de ces obligations qui
auraient été commises par une partie contractante.
156. Le défendeur soutient au contraire que
«la convention sur le génocide n’engage pas la responsabilité des
Etats à raison d’actes de génocide en tant que tels. Les obligations
imposées par la convention concernent en effet «la prévention et la
répression du crime de génocide» lorsque ce crime est commis par
des individus: les articles V et VI [qui traitent de l’application de la
convention et de l’adoption des mesures législatives nécessaires]
sont ... très clairs sur ce point.»
Il affirme que la Cour n’a donc pas compétence ratione materiae en vertu
de l’article IX, avant d’ajouter:
«Ces dispositions [les articles premier, V, VI et IX] n’engagent pas
la responsabilité d’une partie contractante en tant que telle à raison
d’actes de génocide, mais [seulement] sa responsabilité pour ne pas
avoir prévenu ou puni les actes de génocide commis par des indivi-
dus sur son territoire ou ... relevant d’elle.»
S’agissant de ce manquement, le seul remède serait, d’après le défendeur,
un jugement déclaratoire.
69109 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
157. As a subsidiary argument, the Respondent also contended that
“for a State to be responsible under the Genocide Convention, the
facts must first be established. As genocide is a crime, it can only be
established in accordance with the rules of criminal law, under which
the first requirement to be met is that of individual responsibility.
The State can incur responsibility only when the existence of geno-
cide has been established beyond all reasonable doubt. In addition,
it must then be shown that the person who committed the genocide
can engage the responsibility of the State . . .”
(This contention went on to mention responsibility based on breach of
the obligation to prevent and punish, matters considered later in this
Judgment.)
158. The Respondent has in addition presented what it refers to as
“alternative arguments concerning solely State responsibility for breaches
of Articles II and III”. Those arguments addressed the necessary condi-
tions, especially of intent, as well as of attribution. When presenting
those alternative arguments, counsel for the Respondent repeated the
principal submission set out above that “the Convention does not suggest
in any way that States themselves can commit genocide”.
159. The Court notes that there is no disagreement between the Parties
that the reference in Article IX to disputes about “the responsibility of a
State” as being among the disputes relating to the interpretation, applica-
tion or fulfilment of the Convention which come within the Court’s juris-
diction, indicates that provisions of the Convention do impose obliga-
tions on States in respect of which they may, in the event of breach, incur
responsibility. Articles V, VI and VII requiring legislation, in particular
providing effective penalties for persons guilty of genocide and the other
acts enumerated in Article III, and for the prosecution and extradition of
alleged offenders are plainly among them. Because those provisions regu-
lating punishment also have a deterrent and therefore a preventive effect
or purpose, they could be regarded as meeting and indeed exhausting the
undertaking to prevent the crime of genocide stated in Article I and men-
tioned in the title. On that basis, in support of the Respondent’s principal
position, that Article would rank as merely hortatory, introductory or
purposive and as preambular to those specific obligations. The remaining
specific provision, Article VIII about competent organs of the United
Nations taking action, may be seen as completing the system by support-
ing both prevention and suppression, in this case at the political level
rather than as a matter of legal responsibility.
160. The Court observes that what obligations the Convention imposes
upon the parties to it depends on the ordinary meaning of the terms of
70 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 109
157. A titre d’argument subsidiaire, le défendeur a également soutenu
que
«pour qu’un Etat soit responsable en vertu de la convention sur le
génocide, il faut d’abord que les faits soient établis. Or, le génocide
étant un crime, il ne peut être établi que conformément aux règles du
droit pénal, qui requièrent d’abord une responsabilité individuelle.
La responsabilité de l’Etat ne peut être engagée que lorsque l’exis-
tence du génocide a été établie au-delà de tout doute raisonnable.
Ensuite, il faut encore que la personne qui a commis le génocide
puisse engager la responsabilité de l’Etat.»
(Cet argument aborde ensuite la question de la violation de l’obligation
de prévenir et de punir, laquelle sera examinée plus loin dans le présent
arrêt.)
158. Le défendeur a en outre présenté ce qu’il a appelé des «arguments
alternatifs concernant uniquement la responsabilité de l’Etat pour les vio-
lations des articles II et III». Ces arguments traitent la question des
conditions nécessaires, en particulier celle de l’intention et celle de l’attri-
bution. Le conseil du défendeur, en présentant ces arguments, a rappelé
le principal chef de conclusions énoncé plus haut, selon lequel «[e]n
aucun cas la convention ne suggère que l’Etat lui-même pourrait com-
mettre le génocide».
159. La Cour note qu’il n’existe pas de désaccord entre les Parties quant
au fait que l’article IX inclut les différends relatifs à «la responsabilité d’un
Etat» parmi ceux qui, en tant qu’ils concernent l’interprétation, l’applica-
tion ou l’exécution de la Convention, peuvent être soumis à la Cour, et
qu’il en ressort que certaines dispositions de la Convention imposent bien
aux Etats des obligations dont la violation peut engager leur responsabi-
lité. Les articles V, VI et VII — qui exigent des mesures législatives, pré-
voyant en particulier des sanctions pénales effectives frappant les per-
sonnes coupables de génocide et d’autres actes énumérés à l’article III, ainsi
que la poursuite et l’extradition des auteurs présumés d’une infraction
— en font manifestement partie. Etant donné que ces dispositions régissant
la répression du crime de génocide ont aussi un effet ou un but dissuasif, et
donc préventif, leur application pourrait être considérée comme répon-
dant, et même satisfaisant amplement, à l’engagement de prévenir le crime
de génocide affirmé à l’article premier et évoqué dans le titre. Cet article
pourrait ainsi, à l’appui de la thèse principale du défendeur, être considéré
comme revêtant un caractère purement incitatif, ou introductif, ou encore
comme énonçant une finalité, préludant en somme aux obligations spéci-
fiques en question. La dernière disposition spécifique, à savoir l’article VIII,
qui concerne l’intervention des organes compétents de l’Organisation des
Nations Unies, peut être vue comme parachevant le système en appelant
tant à la prévention qu’à la répression du crime de génocide, cette fois au
niveau politique et non plus sous l’angle de la responsabilité juridique.
160. La Cour fait observer que les obligations que la Convention
impose à ses Etats parties sont fonction du sens ordinaire des termes de
70110 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
the Convention read in their context and in the light of its object and
purpose. To confirm the meaning resulting from that process or to
remove ambiguity or obscurity or a manifestly absurd or unreasonable
result, the supplementary means of interpretation to which recourse may
be had include the preparatory work of the Convention and the circum-
stances of its conclusion. Those propositions, reflected in Articles 31
and 32 of the Vienna Convention on the Law of Treaties, are well recog-
nized as part of customary international law: see Legal Consequences of
the Construction of a Wall in Occupied Palestinian Territory, Advisory
Opinion, I.C.J. Reports 2004, p. 174, para. 94; case concerning Avena
and Other Mexican Nationals (Mexico v. United States of America),
Judgment, I.C.J. Reports 2004, p. 48, para. 83; LaGrand (Germany v.
United States of America), Judgment, I.C.J. Reports 2001, p. 501,
para. 99; and Sovereignty over Pulau Ligitan and Pulau Sipadan (Indo-
nesia/Malaysia), Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 645, para. 37, and
the other cases referred to in those decisions.
161. To determine what are the obligations of the Contracting Parties
under the Genocide Convention, the Court will begin with the terms of
its Article I. It contains two propositions. The first is the affirmation that
genocide is a crime under international law. That affirmation is to be
read in conjunction with the declaration that genocide is a crime under
international law, unanimously adopted by the General Assembly two
years earlier in its resolution 96 (I), and referred to in the Preamble to the
Convention (paragraph 142, above). The affirmation recognizes the exist-
ing requirements of customary international law, a matter emphasized by
the Court in 1951:
“The origins of the Convention show that it was the intention of
the United Nations to condemn and punish genocide as ‘a crime
under international law’ involving a denial of the right of existence
of entire human groups, a denial which shocks the conscience of
mankind and results in great losses to humanity, and which is con-
trary to moral law and to the spirit and aims of the United Nations
(Resolution 96 (I) of the General Assembly, December 11th 1946).
The first consequence arising from this conception is that the prin-
ciples underlying the Convention are principles which are recognized
by civilized nations as binding on States, even without any conven-
tional obligation. A second consequence is the universal character
both of the condemnation of genocide and of the co-operation
required ‘in order to liberate mankind from such an odious scourge’
(Preamble to the Convention) . . .
The objects of such a convention must also be considered. The
Convention was manifestly adopted for a purely humanitarian and
civilizing purpose. It is indeed difficult to imagine a convention that
might have this dual character to a greater degree, since its object on
the one hand is to safeguard the very existence of certain human
71 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 110
celle-ci, lus dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de cet
instrument. Pour confirmer le sens ainsi établi, éliminer une ambiguïté,
un point obscur ou un résultat manifestement absurde ou déraisonnable,
il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation,
comme les travaux préparatoires de la Convention ou les circonstances
dans lesquelles celle-ci a été conclue. Il est généralement admis que ces
propositions, reprises aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne sur
le droit des traités, font partie du droit international coutumier: voir
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire pales-
tinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 , p. 174, par. 94; Avena
et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 48, par. 83; LaGrand (Allemagne c. Etats-
Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001 , p. 501, par. 99, et Souve-
raineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p. 645, par. 37, et les autres affaires citées dans ces
décisions.
161. Pour déterminer quelles sont les obligations imposées aux parties
contractantes par la convention sur le génocide, la Cour se penchera tout
d’abord sur les termes de l’article premier de la Convention. Celui-ci ren-
ferme deux propositions. Il est tout d’abord affirmé que le génocide cons-
titue un crime du droit des gens. Cette affirmation doit être lue en la
rapprochant de la déclaration qualifiant le génocide de crime de droit des
gens, adoptée deux ans plus tôt par l’Assemblée générale à l’unanimité de
ses membres dans sa résolution 96 (I), et évoquée dans le préambule de la
Convention (voir plus haut paragraphe 142). Ainsi que la Cour l’a sou-
ligné en 1951, les exigences du droit international coutumier sont recon-
nues par cette affirmation:
«Les origines de la convention révèlent l’intention des Nations
Unies de condamner et de réprimer le génocide comme «un crime de
droit des gens» impliquant le refus du droit à l’existence de groupes
humains entiers, refus qui bouleverse la conscience humaine, inflige
de grandes pertes à l’humanité, et qui est contraire à la fois à la loi
morale et à l’esprit et aux fins des Nations Unies (résolution 96 (I) de
l’Assemblée générale, 11 décembre 1946). Cette conception entraîne
une première conséquence: les principes qui sont à la base de la
convention sont des principes reconnus par les nations civilisées
comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien convention-
nel. Une deuxième conséquence est le caractère universel à la fois de
la condamnation du génocide et de la coopération nécessaire «pour
libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux» (préambule de la
convention)...
Les fins d’une telle convention doivent également être retenues. La
convention a été manifestement adoptée dans un but purement
humain et civilisateur. On ne peut même pas concevoir une conven-
tion qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère, puisqu’elle
vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes
71111 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
groups and on the other to confirm and endorse the most elementary
principles of morality.” (Reservations to the Convention on the Pre-
vention and Punishment of the Crime of Genocide, Advisory Opinion,
I.C.J. Reports 1951, p. 23.)
Later in that Opinion, the Court referred to “the moral and humanitar-
ian principles which are its basis” (ibid., p. 24). In earlier phases of the
present case the Court has also recalled resolution 96 (I) (I.C.J. Reports
1993, p. 23; see also pp. 348 and 440) and has quoted the 1951 statement
(I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 616). The Court reaffirmed the 1951 and
1996 statements in its Judgment of 3 February 2006 in the case concern-
ing Armed Activities on the Territory of the Congo (New Application
2002) (Democratic Republic of the Congo v. Rwanda), paragraph 64,
when it added that the norm prohibiting genocide was assuredly a per-
emptory norm of international law (jus cogens).
162. Those characterizations of the prohibition on genocide and the
purpose of the Convention are significant for the interpretation of the
second proposition stated in Article I — the undertaking by the Con-
tracting Parties to prevent and punish the crime of genocide, and particu-
larly in this context the undertaking to prevent. Several features of that
undertaking are significant. The ordinary meaning of the word “under-
take” is to give a formal promise, to bind or engage oneself, to give a
pledge or promise, to agree, to accept an obligation. It is a word regularly
used in treaties setting out the obligations of the Contracting Parties (cf.,
for example, International Convention on the Elimination of All Forms
of Racial Discrimination (7 March 1966), Art. 2, para. 1; International
Covenant on Civil and Political Rights (16 December 1966), Art. 2,
para. 1, and 3, for example). It is not merely hortatory or purposive. The
undertaking is unqualified (a matter considered later in relation to the
scope of the obligation of prevention); and it is not to be read merely as
an introduction to later express references to legislation, prosecution and
extradition. Those features support the conclusion that Article I, in par-
ticular its undertaking to prevent, creates obligations distinct from those
which appear in the subsequent Articles. That conclusion is also sup-
ported by the purely humanitarian and civilizing purpose of the
Convention.
163. The conclusion is confirmed by two aspects of the preparatory
work of the Convention and the circumstances of its conclusion as
referred to in Article 32 of the Vienna Convention. In 1947 the United
Nations General Assembly, in requesting the Economic and Social Coun-
cil to submit a report and a draft convention on genocide to the Third
Session of the Assembly, declared “that genocide is an international
crime entailing national and international responsibility on the part of
individuals and States” (A/RES/180 (II)). That duality of responsibilities
72 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 111
humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de
morale les plus élémentaires.» (Réserves à la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.)
Dans la suite de cet avis, la Cour renvoie aux «principes de morale et
d’humanité qui sont à [l]a base [de cette convention]» (ibid., p. 24). La
Cour a déjà eu l’occasion de rappeler en la présente affaire la résolu-
tion 96 (I) (C.I.J. Recueil 1993, p. 23; voir également p. 348 et 440) et son
dictum de 1951 (C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 616), de même qu’elle a
réaffirmé ses dicta de 1951 et de 1996 au paragraphe 64 de son arrêt
du 3 février 2006 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du
Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), lorsqu’elle a ajouté que la norme interdisant le génocide
constituait assurément une norme impérative du droit international (jus
cogens).
162. Ces caractérisations de l’interdiction du génocide et de l’objet de
la Convention sont importantes pour interpréter la seconde proposition de
l’article premier, à savoir l’engagement pris par les parties contractantes
de prévenir et de punir le crime de génocide, et en particulier, dans le
présent contexte, l’engagement de prévenir. Cet engagement comporte
plusieurs éléments méritant d’être relevés. En son sens ordinaire, le terme
«s’engagent» signifie promettre formellement, s’obliger, faire un serment
ou une promesse, convenir, accepter une obligation. C’est là un terme qui
est souvent utilisé dans les traités énonçant les obligations des parties
contractantes (cf., par exemple, la convention internationale sur l’élimi-
nation de toutes les formes de discrimination raciale (7 mars 1966),
art. 2, par. 1, ou le pacte international relatif aux droits civils et politiques
(16 décembre 1966), art, 2, par. 1, et 3, notamment). Il ne revêt pas un
caractère purement incitatif et ne se limite pas à l’énoncé d’une finalité.
L’engagement n’est assorti d’aucune réserve (question qui sera étudiée
plus loin dans le cadre de l’examen de la portée de l’obligation de préven-
tion), et ne doit pas être interprété comme une simple introduction aux
dispositions qui évoquent ensuite expressément les mesures législatives,
les poursuites et l’extradition. Ces caractéristiques portent à conclure que
l’article premier, en particulier l’engagement de prévenir qui y est for-
mulé, crée des obligations distinctes de celles qui apparaissent dans les
articles suivants. Le but purement humanitaire et civilisateur de la
Convention milite également en faveur d’une telle conclusion.
163. Celle-ci est confirmée par deux aspects des travaux préparatoires
de la Convention et par les circonstances dans lesquelles celle-ci a été
conclue, pour reprendre les termes de l’article 32 de la convention de
Vienne. En 1947, lorsqu’elle demanda au Conseil économique et social de
lui soumettre un rapport et un projet de convention sur le génocide à sa
troisième session, l’Assemblée générale des Nations Unies déclara «que le
crime de génocide est un crime international qui comporte des responsa-
bilités d’ordre national et international pour les individus et pour les
72112 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
is also to be seen in two other associated resolutions adopted on the same
day, both directed to the newly established International Law Commis-
sion (hereinafter “the ILC”): the first on the formulation of the Nurem-
berg principles, concerned with the rights (Principle V) and duties of
individuals, and the second on the draft declaration on the rights and
duties of States (A/RES/177 and A/RES/178 (II)). The duality of respon-
sibilities is further considered later in this Judgment (paragraphs 173-174).
164. The second feature of the drafting history emphasizes the opera-
tive and non-preambular character of Article I. The Preamble to the
draft Convention, prepared by the Ad Hoc Committee on Genocide for
the Third Session of the General Assembly and considered by its Sixth
Committee, read in part as follows:
“The High Contracting Parties
.............................
Being convinced that the prevention and punishment of genocide
requires international co-operation,
Hereby agree to prevent and punish the crime as hereinafter pro-
vided.”
The first Article would have provided “[g]enocide is a crime under inter-
national law whether committed in time of peace or in time of war”
(report of the Ad Hoc Committee on Genocide, 5 April to 10 May 1948,
United Nations, Official Records of the Economic and Social Council,
Seventh Session, Supplement No. 6 , doc. E/794, pp. 2, 18).
Belgium was of the view that the undertaking to prevent and punish
should be made more effective by being contained in the operative part of
the Convention rather than in the Preamble and proposed the following
Article I to the Sixth Committee of the General Assembly: “The High
Contracting Parties undertake to prevent and punish the crime of geno-
cide.” (United Nations doc. A/C.6/217.) The Netherlands then proposed
a new text of Article I combining the Ad Hoc Committee draft and the
Belgian proposal with some changes: “The High Contracting Parties
reaffirm that genocide is a crime under international law, which they
undertake to prevent and to punish, in accordance with the following
articles.” (United Nations docs. A/C.6/220; United Nations, Official
Records of the General Assembly, Third Session, Part I, Sixth Commit-
tee, Summary Records of the 68th meeting, p. 45.) The Danish
representative thought that Article I should be worded more effectively
and proposed the deletion of the final phrase — “in accordance with the
following articles” (ibid., p. 47). The Netherlands representative agreed
with that suggestion (ibid., pp. 49-50). After the USSR’s proposal to
delete Article I was rejected by 36 votes to 8 with 5 abstentions and its
proposal to transfer its various points to the Preamble was rejected by
40 votes to 8, and the phrase “whether committed in time of peace or of
73 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 112
Etats» (A/RES/180 (II)). La dualité de ces responsabilités ressort égale-
ment de deux autres résolutions corollaires qui furent adoptées le même
jour et qui étaient toutes deux adressées à la Commission du droit inter-
national (dénommée ci-après la «CDI»), nouvellement créée: la pre-
mière, relative à la formulation des principes de Nuremberg, portait sur
les droits (principe V) et les devoirs des individus, la seconde sur le projet
de déclaration des droits et des devoirs des Etats (A/RES/177 et A/RES/
178 (II)). La dualité de ces responsabilités est examinée plus avant dans le
présent arrêt (paragraphes 173-174).
164. Le second aspect des travaux préparatoires montre bien que
l’article premier revêt un caractère déclaratoire et non liminaire. Le
préambule du projet de convention qui avait été rédigé par le comité spé-
cial du génocide pour la troisième session de l’Assemblée générale et exa-
miné par la Sixième Commission se lisait en partie comme suit:
«Les Hautes Parties contractantes,
.............................
Convaincues que la collaboration internationale est nécessaire
pour assurer la prévention et la répression du génocide;
Conviennent de prévenir et de réprimer ce crime comme il est prévu
ci-dessous.»
Le premier article devait disposer: «Le génocide est un crime du droit des
gens, qu’il ait été commis en temps de paix ou en temps de guerre.» (Rap-
port du comité spécial du génocide, 5 avril au 10 mai 1948, Nations Unies,
Procès-verbaux officiels du Conseil économique et social, septième ses-
sion, supplément n 6, doc. E/794, p. 2, 18.)
La Belgique considéra qu’il fallait donner à l’engagement de prévenir et
de réprimer davantage d’efficacité en le faisant figurer dans le corps même
de la Convention plutôt que dans le préambule et proposa à la Sixième
Commission de l’Assemblée générale un article premier libellé en ces
termes: «Les Hautes Parties contractantes s’engagent à prévenir et à répri-
mer le crime de génocide» (Nations Unies, doc. A/C.6/217). Les Pays-Bas
proposèrent alors un nouveau texte d’article premier combinant le projet
du comité spécial et la proposition belge, avec quelques modifications:
«Les Hautes Parties contractantes affirment à nouveau que le génocide est
un crime du droit des gens qu’elles s’engagent à prévenir et à réprimer,
conformément aux dispositions des articles suivants.» (Nations Unies,
doc. A/C.6/220; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée géné-
rale, troisième session, première partie, Sixième Commission , comptes
rendus analytiques de la 68 séance, p. 45.) Le représentant danois estima
que l’article premier devait être rédigé de manière à le rendre plus efficace
et proposa de supprimer la dernière phrase — «conformément aux dispo-
sitions des articles suivants» (ibid., p. 47). Le représentant des Pays-Bas
approuva cette proposition (ibid., p. 49-50). Après le rejet, par 36 voix
contre 8 avec 5 abstentions, de la proposition de l’URSS tendant à sup-
primer l’article premier et celui, par 40 voix contre 8, de sa proposition de
73113 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
war” was inserted by 30 votes to 7 with 6 abstentions, the amended text
of Article I was adopted by 37 votes to 3 with 2 abstentions (ibid., pp. 51
and 53).
165. For the Court both changes — the movement of the undertaking
from the Preamble to the first operative Article and the removal of the
linking clause (“in accordance with the following articles”) — confirm
that Article I does impose distinct obligations over and above those
imposed by other Articles of the Convention. In particular, the Contract-
ing Parties have a direct obligation to prevent genocide.
166. The Court next considers whether the Parties are also under an
obligation, by virtue of the Convention, not to commit genocide them-
selves. It must be observed at the outset that such an obligation is not
expressly imposed by the actual terms of the Convention. The Applicant
has however advanced as its main argument that such an obligation is
imposed by Article IX, which confers on the Court jurisdiction over dis-
putes “including those relating to the responsibility of a State for geno-
cide or any of the other acts enumerated in Article III”. Since Article IX
is essentially a jurisdictional provision, the Court considers that it should
first ascertain whether the substantive obligation on States not to commit
genocide may flow from the other provisions of the Convention. Under
Article I the States parties are bound to prevent such an act, which it
describes as “a crime under international law”, being committed. The
Article does not expressis verbis require States to refrain from themselves
committing genocide. However, in the view of the Court, taking into
account the established purpose of the Convention, the effect of Article I
is to prohibit States from themselves committing genocide. Such a pro-
hibition follows, first, from the fact that the Article categorizes genocide
as “a crime under international law”: by agreeing to such a categoriza-
tion, the States parties must logically be undertaking not to commit the
act so described. Secondly, it follows from the expressly stated obligation
to prevent the commission of acts of genocide. That obligation requires
the States parties, inter alia, to employ the means at their disposal, in
circumstances to be described more specifically later in this Judgment,
to prevent persons or groups not directly under their authority from
committing an act of genocide or any of the other acts mentioned in
Article III. It would be paradoxical if States were thus under an obliga-
tion to prevent, so far as within their power, commission of genocide by
persons over whom they have a certain influence, but were not forbidden
to commit such acts through their own organs, or persons over whom
they have such firm control that their conduct is attributable to the State
concernedunderinternationallaw.Inshort,theobligationtopreventgeno-
cide necessarily implies the prohibition of the commission of genocide.
74 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 113
transférer dans le préambule les différents points contenus dans cet article,
et après l’adoption, par 30 voix contre 7 avec 6 abstentions, de la proposi-
tion d’insérer le membre de phrase «qu’il soit commis en temps de paix ou
en temps de guerre», le texte amendé de l’article premier fut adopté par
37 voix contre 3 avec 2 abstentions (ibid., p. 51 et 53).
165. Pour la Cour, ces deux modifications — le fait que l’engagement
ait été retiré du préambule pour être inséré dans la première disposition et
le retrait du renvoi («conformément aux dispositions des articles sui-
vants») — confirment que l’article premier impose effectivement des obli-
gations distinctes en sus de celles édictées par d’autres articles de la
Convention. En particulier, les parties contractantes ont directement
l’obligation de prévenir le génocide.
166. La Cour examinera maintenant la question de savoir si les parties à
la Convention sont aussi tenues, en vertu de celle-ci, de ne pas elles-mêmes
commettre de génocide. Il convient de relever d’emblée qu’une telle obliga-
tion n’est pas expressément imposée par les termes mêmes de la Conven-
tion. Le demandeur a toutefois soutenu à titre principal qu’une telle obli-
gation découlait de l’article IX, qui donne à la Cour compétence pour
connaître des différends, «y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un
Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumé-
rés à l’article III». L’article IX étant essentiellement une clause de compé-
tence, la Cour estime devoir d’abord rechercher si l’obligation de nature
substantielle pour les Etats de ne pas commettre de génocide peut découler
des autres dispositions de la Convention. L’article premier fait obligation
aux Etats parties de prévenir la commission d’un génocide, qu’il qualifie de
«crime du droit des gens». Il n’impose pasexpressis verbis aux Etats de
s’abstenir de commettre eux-mêmes un génocide. De l’avis de la Cour,
cependant, eu égard à l’objet de la Convention tel que généralement accepté,
l’article premier a pour effet d’interdire aux Etats parties de commettre eux-
mêmes un génocide. Une telle prohibition résulte, d’abord, de la qualifica-
tion de «crime du droit des gens» donnée par cet article au génocide: en
acceptant cette qualification, les Etats parties s’engagent logiquement à ne
pas commettre l’acte ainsi qualifié. Elle résulte, ensuite, de l’obligation,
expressément stipulée, de prévenir la commission d’actes de génocide. Cette
obligation impose notamment aux Etats parties de mettre en Œuvre les
moyens dont ils disposent, dans des conditions qui seront précisées plus loin
dans le présent arrêt, afin d’empêcher des personnes ou groupes de per-
sonnes qui ne relèvent pas directement de leur autorité de commettre un acte
de génocide ou l’un quelconque des autres actes mentionnés à l’article III.
Il serait paradoxal que les Etats soient ainsi tenus d’empêcher, dans la
mesure de leurs moyens, des personnes sur lesquelles ils peuvent exercer
une certaine influence de commettre le génocide, mais qu’il ne leur soit pas
interdit de commettre eux-mêmes de tels actes par l’intermédiaire de leurs
propres organes, ou des personnes sur lesquelles ils exercent un contrôle
si étroit que le comportement de celles-ci leur est attribuable selon le droit
international. En somme, l’obligation de prévenir le génocide implique
nécessairement l’interdiction de le commettre.
74114 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
167. The Court accordingly concludes that Contracting Parties to the
Convention are bound not to commit genocide, through the actions of
their organs or persons or groups whose acts are attributable to them.
That conclusion must also apply to the other acts enumerated in
Article III. Those acts are forbidden along with genocide itself in the
list included in Article III. They are referred to equally with genocide in
Article IX and without being characterized as “punishable”; and the
“purely humanitarian and civilizing purpose” of the Convention may be
seen as being promoted by the fact that States are subject to that full set
of obligations, supporting their undertaking to prevent genocide. It is
true that the concepts used in paragraphs (b) to (e) of Article III, and
particularly that of “complicity”, refer to well known categories of crimi-
nal law and, as such, appear particularly well adapted to the exercise
of penal sanctions against individuals. It would however not be in
keeping with the object and purpose of the Convention to deny that
the international responsibility of a State — even though quite different
in nature from criminal responsibility — can be engaged through one
of the acts, other than genocide itself, enumerated in Article III.
168. The conclusion that the Contracting Parties are bound in this
way by the Convention not to commit genocide and the other acts enu-
merated in Article III is confirmed by one unusual feature of the wording
of Article IX. But for that unusual feature and the addition of the word
“fulfilment” to the provision conferring on the Court jurisdiction over
disputes as to the “interpretation and application” of the Convention (an
addition which does not appear to be significant in this case), Article IX
would be a standard dispute settlement provision.
169. The unusual feature of Article IX is the phrase “including those
[disputes] relating to the responsibility of a State for genocide or any of
the other acts enumerated in Article III”. The word “including” tends to
confirm that disputes relating to the responsibility of Contracting Parties
for genocide, and the other acts enumerated in Article III to which it
refers, are comprised within a broader group of disputes relating to the
interpretation, application or fulfilment of the Convention. The respon-
sibility of a party for genocide and the other acts enumerated in
Article III arises from its failure to comply with the obligations imposed
by the other provisions of the Convention, and in particular, in the
present context, with Article III read with Articles I and II. According
to the English text of the Convention, the responsibility contemplated is
responsibility “for genocide” (in French, “responsabilité . . . en matière
de génocide”), not merely responsibility “for failing to prevent or
punish genocide”. The particular terms of the phrase as a whole
confirm that Contracting Parties may be responsible for genocide and
the other acts enumerated in Article III of the Convention.
*
75 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 114
167. La Cour conclut donc que les parties contractantes à la Conven-
tion sont tenues de ne pas commettre de génocide à travers les actes de
leurs organes ou des personnes ou groupes dont les actes leur sont attri-
buables. Cette conclusion doit aussi s’appliquer aux autres actes énumé-
rés à l’article III. Ceux-ci figurent, avec le génocide, dans la liste des actes
prohibés donnée par l’article III. Il y est fait référence au même titre
qu’au génocide à l’article IX sans qu’ils y soient présentés comme devant
être «punis»; on peut considérer que la réalisation du «but purement
humain et civilisateur» de la Convention se trouve facilitée par le fait que
les Etats sont soumis à toute cette série d’obligations venant appuyer leur
engagement de prévenir le génocide. Il est vrai que les notions utilisées
dans les litt. b) à e) de l’article III, et tout particulièrement celle de
«complicité», renvoient à des catégories bien connues du droit pénal, et
paraissent, à ce titre, spécialement adaptées à l’exercice de la répression
pénale contre des individus. Il serait toutefois peu conforme à l’objet et
au but de la Convention de nier que la responsabilité internationale d’un
Etat — quoiqu’elle possède une nature tout à fait différente de celle de la
responsabilité pénale — soit susceptible d’être engagée par le biais de l’un
des actes, autre que le génocide lui-même, énumérés à l’article III.
168. La conclusion selon laquelle les parties contractantes sont ainsi
tenues par la Convention de ne pas commettre le génocide et les autres
actes énumérés à l’article III est confirmée par une particularité du libellé
de l’article IX. Sans cette particularité et sans l’ajout du terme «exécution»
dans la disposition prévoyant la compétence de la Cour à l’égard des dif-
férends relatifs à l’«interprétation» et à l’«application» de la Convention
(un ajout qui ne semble pas significatif en l’occurrence), l’article IX serait
une disposition classique en matière de règlement des différends.
169. La particularité de l’article IX réside dans le membre de phrase
«y compris [les différends] relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière
de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’ar-
ticle III». L’expression «y compris» semble confirmer que les différends
relatifs à la responsabilité des parties contractantes pour génocide ou tout
autre acte énuméré à l’article III s’inscrivent dans un ensemble plus large
de différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de
la Convention. La responsabilité d’une partie pour génocide ou tout
autre acte énuméré à l’article III naît de son manquement aux obligations
que lui imposent les autres dispositions de la Convention, et notamment,
dans le présent contexte, l’article III, lu conjointement avec les articles
premier et II. Conformément au texte anglais de la Convention, la respon-
sabilité visée est la responsabilité pour «génocide» (le texte français
se lisant «responsabilité en matière de génocide»), et non la simple res-
ponsabilité pour «ne pas avoir prévenu ou puni le génocide». Les termes
particuliers du membre de phrase dans son ensemble confirment que
les parties contractantes peuvent être tenues pour responsables d’un
génocide ou de tout autre acte énuméré à l’article III de la Convention.
*
75115 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
170. The Court now considers three arguments, advanced by the
Respondent which may be seen as contradicting the proposition that the
Convention imposes a duty on the Contracting Parties not to commit
genocide and the other acts enumerated in Article III. The first is that, as
a matter of general principle, international law does not recognize the
criminal responsibility of the State, and the Genocide Convention does
not provide a vehicle for the imposition of such criminal responsibility.
On the matter of principle the Respondent calls attention to the rejection
by the ILC of the concept of international crimes when it prepared the
final draft of its Articles on State Responsibility, a decision reflecting the
strongly negative reactions of a number of States to any such concept.
The Applicant accepts that general international law does not recognize
the criminal responsibility of States. It contends, on the specific issue,
that the obligation for which the Respondent may be held responsible, in
the event of breach, in proceedings under Article IX, is simply an obliga-
tion arising under international law, in this case the provisions of the
Convention. The Court observes that the obligations in question in this
case, arising from the terms of the Convention, and the responsibilities of
States that would arise from breach of such obligations, are obligations
and responsibilities under international law. They are not of a criminal
nature. This argument accordingly cannot be accepted.
171. The second argument of the Respondent is that the nature of the
Convention is such as to exclude from its scope State responsibility for
genocide and the other enumerated acts. The Convention, it is said, is a
standard international criminal law convention focused essentially on the
criminal prosecution and punishment of individuals and not on the
responsibility of States. The emphasis of the Convention on the obliga-
tions and responsibility of individuals excludes any possibility of States
being liable and responsible in the event of breach of the obligations
reflected in Article III. In particular, it is said, that possibility cannot
stand in the face of the references, in Article III to punishment (of indi-
viduals), and in Article IV to individuals being punished, and the require-
ment, in Article V for legislation in particular for effective penalties for
persons guilty of genocide, the provision in Article VI for the prosecution
of persons charged with genocide, and requirement in Article VII for
extradition.
172. The Court is mindful of the fact that the famous sentence in the
Nuremberg Judgment that “[c]rimes against international law are com-
mitted by men, not by abstract entities . . .” (Judgment of the Interna-
tional Military Tribunal, Trial of the Major War Criminals, 1947, Offi-
cial Documents, Vol. 1, p. 223) might be invoked in support of the
proposition that only individuals can breach the obligations set out in
Article III. But the Court notes that that Tribunal was answering the
argument that “international law is concerned with the actions of sov-
76 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 115
170. La Cour se penchera à présent sur trois arguments avancés par le
défendeur qui peuvent être considérés comme allant à l’encontre de la
thèse selon laquelle la Convention impose aux parties contractantes
l’obligation de ne pas commettre de génocide ni aucun des autres actes
énumérés à l’article III. Selon le premier de ces arguments, en vertu d’un
principe généralement établi, le droit international ne connaît pas de res-
ponsabilité pénale de l’Etat, et la convention sur le génocide ne comporte
pas de mécanisme permettant d’en établir une. Quant au principe, le
défendeur attire l’attention sur le rejet par la CDI, lors de la rédaction du
projet final de ses articles sur la responsabilité de l’Etat, du concept de
crime international — décision qui traduit les réactions résolument néga-
tives d’un certain nombre d’Etats face à toute notion de ce type. Le
demandeur admet que le droit international général ne connaît pas de
responsabilité pénale de l’Etat. Il soutient, sur ce point précis, que l’obli-
gation dont la violation peut engager la responsabilité du défendeur dans
le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article IX est simplement
une obligation relevant du droit international, en l’occurrence les dispo-
sitions de la Convention. La Cour fait observer que les obligations en
cause en l’espèce telles qu’elles résultent des termes de la Convention et
les responsabilités qui découleraient pour les Etats de la violation de
telles obligations sont des obligations et des responsabilités relevant du
droit international, et ne sont pas d’ordre pénal. Cet argument ne saurait
dès lors être accueilli.
171. Selon le deuxième argument du défendeur, la nature de la Conven-
tion est telle que serait exclue de son champ d’application toute responsa-
bilité d’Etat pour génocide ou pour les autres actes énumérés. La Conven-
tion, est-il dit, serait une convention de droit international pénal classique
visant essentiellement les poursuites et les sanctions pénales à l’encontre
d’individus et non la responsabilité des Etats. L’accent mis par la Conven-
tion sur les obligations et la responsabilité individuelles écarterait toute
possibilité que des Etats soient tenus pour responsables en cas de violation
des obligations énoncées à l’article III. En particulier, est-il dit, cette pos-
sibilité serait exclue du fait de la mention, à l’article III, de sanctions (à
l’encontre d’individus), de l’obligation faite par l’article IV de punir des
personnes et de celle, faite par l’article V, de prendre les mesures législa-
tives nécessaires, prévoyant notamment des sanctions pénales efficaces frap-
pant les personnes coupables de génocide, de la disposition de l’article VI
prévoyant que les personnes accusées de génocide seront traduites en jus-
tice et de celle de l’article VII exigeant des mesures d’extradition.
172. La Cour est consciente du fait que la phrase célèbre du jugement
de Nuremberg selon laquelle «[c]e sont des hommes, et non des entités
abstraites, qui commettent les crimes...» (Procès des grands criminels de
guerre devant le Tribunal militaire international, Nuremberg, jugement,
14 novembre 1947, documents officiels, t. 1, p. 235) pourrait être invo-
quée à l’appui de la thèse selon laquelle toute violation des obligations
énoncées à l’article III ne peut être que le fait d’individus. Toutefois la
Cour note que le Tribunal entendait par là réfuter l’argument selon lequel
76116 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
ereign States, and provides no punishment for individuals” (Judgment of
the International Military Tribunal, op. cit., p. 222), and that thus States
alone were responsible under international law. The Tribunal rejected
that argument in the following terms: “[t]hat international law imposes
duties and liabilities upon individuals as well as upon States has long
been recognized” (ibid., p. 223; the phrase “as well as upon States” is
missing in the French text of the Judgment).
173. The Court observes that that duality of responsibility continues
to be a constant feature of international law. This feature is reflected in
Article 25, paragraph 4, of the Rome Statute for the International Crimi-
nal Court, now accepted by 104 States: “No provision in this Statute
relating to individual criminal responsibility shall affect the responsibility
of States under international law.” The Court notes also that the ILC’s
Articles on the Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts
(Annex to General Assembly resolution 56/83, 12 December 2001), to be
referred to hereinafter as “the ILC Articles on State Responsibility”,
affirm in Article 58 the other side of the coin: “These articles are without
prejudice to any question of the individual responsibility under interna-
tional law of any person acting on behalf of a State.” In its Commentary
on this provision, the Commission said:
“Where crimes against international law are committed by State
officials, it will often be the case that the State itself is responsible for
the acts in question or for failure to prevent or punish them. In cer-
tain cases, in particular aggression, the State will by definition be
involved. Even so, the question of individual responsibility is in prin-
ciple distinct from the question of State responsibility. The State is
not exempted from its own responsibility for internationally wrong-
ful conduct by the prosecution and punishment of the State officials
who carried it out.” (ILC Commentary on the Draft Articles on
Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts, ILC
Report A/56/10, 2001, Commentary on Article 58, para. 3.)
The Commission quoted Article 25, paragraph 4, of the Rome Statute,
and concluded as follows:
“Article 58 . . . [makes] it clear that the Articles do not address the
question of the individual responsibility under international law of
any person acting on behalf of a State. The term ‘individual respon-
sibility’ has acquired an accepted meaning in light of the Rome
Statute and other instruments; it refers to the responsibility of indi-
vidual persons, including State officials, under certain rules of inter-
national law for conduct such as genocide, war crimes and crimes
against humanity.”
77 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 116
«le droit international ne vise que les actes des Etats souverains et ne pré-
voit pas de sanctions à l’égard des délinquants individuels» (Jugement du
Tribunal militaire international, op. cit., p. 234), seuls les Etats étant res-
ponsables en vertu du droit international. Le Tribunal rejeta ledit argu-
ment en ces termes: «Il est admis, depuis longtemps, que le droit inter-
national impose des devoirs et des responsabilités aux personnes physi-
ques.» (Ibid., p. 234; le texte anglais comporte les termes «ainsi qu’aux
Etats», qui n’apparaissent pas dans le texte français du jugement.)
173. La Cour relève que cette dualité en matière de responsabilité
continue à être une constante du droit international. Cet élément figure
au paragraphe 4 de l’article 25 du Statut de Rome de la Cour pénale
internationale, auquel sont à présent parties cent quatre Etats: «Aucune
disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des indi-
vidus n’affecte la responsabilité des Etats en droit international.» La
Cour relève également que les articles de la CDI sur la responsabilité de
l’Etat pour fait internationalement illicite (annexe à la résolution 56/83 de
l’Assemblée générale, 12 décembre 2001) (ci-après «Articles de la CDI
sur la responsabilité de l’Etat») abordent, à l’article 58, la question par
son autre aspect: «Les présents articles sont sans préjudice de toute ques-
tion relative à la responsabilité individuelle d’après le droit international
de toute personne qui agit pour le compte d’un Etat.» Dans son com-
mentaire sur cette disposition, la Commission indique ce qui suit:
«Dans le cas de crimes de droit international commis par des agents
de l’Etat, il arrivera souvent que ce soit l’Etat lui-même qui soit res-
ponsable pour avoir commis les faits en cause ou pour ne pas les avoir
empêchés ou réprimés. Dans certains cas, notamment celui de l’agres-
sion, l’Etat sera par définition impliqué. Mais même dans ces cas, la
question de la responsabilité individuelle est en principe à distinguer
de celle de la responsabilité des Etats. L’Etat n’est pas exonéré de sa
propre responsabilité pour le comportement internationalement illi-
cite par le fait qu’il a poursuivi et puni les agents publics qui en sont
les auteurs.» (Rapport de la CDI, 2001, A/56/10, Commentaire de la
CDI sur le projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite, Commentaires sur l’article 58, par. 3.)
La Commission cite le paragraphe 4 de l’article 25 du Statut de Rome et
conclut comme suit:
«L’article 58 ... précis[e] que les articles ne traitent pas de la ques-
tion de la responsabilité individuelle en droit international de toute
personne agissant au nom d’un Etat. L’expression «responsabilité
individuelle» est revêtue d’une signification convenue à la lumière du
Statut de Rome et d’autres instruments; elle désigne la responsabilité
de personnes individuelles, y compris des agents de l’Etat, d’après
certaines règles de droit international s’appliquant à des comporte-
ments tels que la commission d’un génocide, de crimes de guerre et
de crimes contre l’humanité.»
77117 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
174. The Court sees nothing in the wording or the structure of the pro-
visions of the Convention relating to individual criminal liability which
would displace the meaning of Article I, read with paragraphs (a) to (e)
of Article III, so far as these provisions impose obligations on States dis-
tinct from the obligations which the Convention requires them to place
on individuals. Furthermore, the fact that Articles V, VI and VII focus
on individuals cannot itself establish that the Contracting Parties may
not be subject to obligations not to commit genocide and the other acts
enumerated in Article III.
175. The third and final argument of the Respondent against the
proposition that the Contracting Parties are bound by the Convention
not to commit genocide is based on the preparatory work of the Conven-
tion and particularly of Article IX. The Court has already used part of
that work to confirm the operative significance of the undertaking in
Article I (see paragraphs 164 and 165 above), an interpretation already
determined from the terms of the Convention, its context and purpose.
176. The Respondent, claiming that the Convention and in particular
Article IX is ambiguous, submits that the drafting history of the Conven-
tion, in the Sixth Committee of the General Assembly, shows that “there
was no question of direct responsibility of the State for acts of genocide”.
It claims that the responsibility of the State was related to the “key pro-
visions” of Articles IV-VI: the Convention is about the criminal respon-
sibility of individuals supported by the civil responsibility of States to
prevent and punish. This argument against any wider responsibility for
the Contracting Parties is based on the records of the discussion in the
Sixth Committee, and is, it is contended, supported by the rejection of
United Kingdom amendments to what became Articles IV and VI. Had
the first amendment been adopted, Article IV, concerning the punish-
ment of individuals committing genocide or any of the acts enumerated
in Article III, would have been extended by the following additional sen-
tence: “[Acts of genocide] committed by or on behalf of States or gov-
ernments constitute a breach of the present Convention.”(A/C.6/236 and
Corr. 1.) That amendment was defeated (United Nations, Official Records
of the General Assembly, Third Session, Part I, Sixth Committee, Sum-
mary Records of the 96th Meeting , p. 355). What became Article VI
would have been replaced by a provision conferring jurisdiction on the
Court if an act of genocide is or is alleged to be the act of a State or
government or its organs. The United Kingdom in response to objections
that the proposal was out of order (because it meant going back on a
decision already taken) withdrew the amendment in favour of the joint
amendment to what became Article IX, submitted by the United King-
dom and Belgium (ibid., 100th Meeting, p. 394). In speaking to that joint
amendment the United Kingdom delegate acknowledged that the debate
had clearly shown the Committee’s decision to confine what is now
Article VI to the responsibility of individuals (ibid., 100th Meeting,
p. 430). The United Kingdom/Belgium amendment would have added
78 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 117
174. La Cour ne voit, dans le libellé ou dans la structure des disposi-
tions de la Convention relatives à la responsabilité pénale individuelle,
rien qui puisse modifier la signification de l’article premier, lu conjointe-
ment avec les litt. a) à e) de l’article III, dans la mesure où ces disposi-
tions imposent aux Etats des obligations différentes de celles qu’il est
demandé à ceux-ci d’imposer aux individus. En outre, le fait que les
articles V, VI et VII se concentrent sur les individus ne peut en soi signi-
fier que les parties contractantes ne puissent pas être soumises à l’obliga-
tion de ne pas commettre de génocide ni aucun des autres actes énu-
mérés à l’article III.
175. Le troisième et dernier argument opposé par le défendeur à la
thèse selon laquelle la Convention fait obligation aux parties contrac-
tantes de ne pas commettre de génocide se fonde sur les travaux prépa-
ratoires de la Convention et, en particulier, de son article IX. La Cour a
déjà utilisé une partie de ces travaux pour confirmer la portée juridique
de l’engagement énoncé à l’article premier (voir plus haut les para-
graphes 164 et 165), interprétation qu’elle avait déjà retenue au vu des
termes de la Convention, de son contexte et de son objet.
176. Affirmant que la Convention, et en particulier son article IX, est
ambiguë, le défendeur soutient qu’il ressort des travaux préparatoires de
la Sixième Commission qu’il «n’était pas question de responsabilité directe
de l’Etat à raison d’actes de génocide». Il affirme que la responsabilité de
l’Etat relevait des «dispositions principales» des articles IV à VI. La
Convention concernerait la responsabilité pénale individuelle, doublée de
la responsabilité civile incombant aux Etats de prévenir et de réprimer.
Cette thèse déniant aux parties contractantes une responsabilité plus
large est fondée sur les comptes rendus des débats de la Sixième Commis-
sion et, soutient-il, étayée par le rejet des amendements proposés par le
Royaume-Uni à ce qui allait devenir les articles IV et VI. Si le premier
amendement avait été adopté, l’article IV, qui prévoit des sanctions
contre des individus ayant commis le génocide ou l’un quelconque des
actes énumérés à l’article III, aurait été complété par une phrase supplé-
mentaire ainsi libellée: «[Les actes de génocide], lorsqu’ils seront commis
par des Etats ou des gouvernements, ou en leur nom, constitueront une
violation de la présente convention.» (A/C.6/236 et corr. 1.) Cet amen-
dement fut rejeté (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée
générale, troisième session, Sixième Commission, comptes rendus analy-
e
tiques de la 96 séance, p. 355). Ce qui est devenu l’article VI aurait été
remplacé par une disposition conférant compétence à la Cour dans les cas
où l’acte de génocide est le fait de l’Etat ou du gouvernement lui-même, ou
d’un organe de l’Etat, ou aurait été présenté comme tel. Pour répondre
aux objections selon lesquelles cette proposition n’était pas recevable
(parce qu’équivalant à revenir sur une décision déjà prise), le Royaume-
Uni la retira en faveur d’un amendement soumis en commun avec la Bel-
gique à ce qui est devenu l’article IX (ibid., 100 séance, p. 394). Au sujet
de cet amendement commun, le délégué du Royaume-Uni reconnut que,
durant les débats, il était apparu clairement que la Commission désirait
78118 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
the words “including disputes relating to the responsibility of a State for
any of the acts enumerated in Articles II and IV [as the Convention
was then drafted]”. The United Kingdom delegate explained that
what was involved was civil responsibility, not criminal responsi-
bility (United Nations, Official Records of the General Assembly, op. cit. ,
103rd Meeting, p. 440). A proposal to delete those words failed and the
provision was adopted (ibid., 104th Meeting, p. 447), with style changes
being made by the Drafting Committee.
177. At a later stage a Belgium/United Kingdom/United States pro-
posal which would have replaced the disputed phrase by including “dis-
putes arising from a charge by a Contracting Party that the crime of
genocide or any other of the acts enumerated in article III has been com-
mitted within the jurisdiction of another Contracting Party” was ruled by
the Chairman of the Sixth Committee as a change of substance and
the Committee did not adopt the motion (which required a two-thirds
majority) for reconsideration (A/C.6/305). The Chairman gave the
following reason for his ruling which was not challenged:
“it was provided in article IX that those disputes, among others,
which concerned the responsibility of a State for genocide or for any
of the acts enumerated in article III, should be submitted to the
International Court of Justice. According to the joint amendment,
on the other hand, the disputes would not be those which concerned
the responsibility of the State but those which resulted from an accu-
sation to the effect that the crime had been committed in the terri-
tory of one of the contracting parties.” (United Nations, Official
Records of the General Assembly, Third Session, Part I, Sixth Com-
mittee, Summary Records of the 131st Meeting , p. 690.)
By that time in the deliberations of the Sixth Committee it was clear that
only individuals could be held criminally responsible under the draft
Convention for genocide. The Chairman was plainly of the view that the
Article IX, as it had been modified, provided for State responsibility for
genocide.
178. In the view of the Court, two points may be drawn from the
drafting history just reviewed. The first is that much of it was concerned
with proposals supporting the criminal responsibility of States; but those
proposals were not adopted. The second is that the amendment which
was adopted — to Article IX — is about jurisdiction in respect of the
responsibility of States simpliciter. Consequently, the drafting history
may be seen as supporting the conclusion reached by the Court in para-
graph 167 above.
179. Accordingly, having considered the various arguments, the Court
79 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 118
limiter ce qui est aujourd’hui l’article VI à la responsabilité des individus
(Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, op. cit. ,
100 séance, p. 430). Aux termes de l’amendement proposé par la Belgi-
que et le Royaume-Uni, l’ajout suivant aurait été apporté: «y compris les
différends relatifs à la responsabilité d’un Etat dans les actes énumérés
aux articles II et IV [selon la numérotation du projet de convention]». Le
délégué du Royaume-Uni expliqua que la responsabilité dont il était
question était une responsabilité civile et non pas une responsabilité
e
pénale (ibid., 103 séance, p. 440). Une proposition tendanteà supprimer
ces termes fut rejetée et la disposition adoptée (ibid., 104 séance, p. 447),
avec des modifications d’ordre stylistique du comité de rédaction.
177. ParlasuiteunepropositioncommunedelaBelgique,duRoyaume-
Uni et des Etats-Unis tendant à remplacer le libellé controversé par les
mots «y compris ceux résultant de l’allégation par une Partie contrac-
tante que le crime de génocide ou l’un quelconque des autres actes énu-
mérés à l’article III a été commis dans la juridiction d’une autre Partie
contractante» fut considérée par le président de la Sixième Commission
comme une modification de fond et la Commission n’adopta pas la
motion (qui requérait une majorité des deux tiers) aux fins d’un nouvel
examen (A/C.6/305). Le président motiva ainsi sa décision qui ne fut pas
contestée:
«L’article IX prévoit que seront soumis à la Cour internationale
de Justice, entre autres, les différends relatifs à la responsabilité
d’un Etat en matière de génocide ou de l’un des actes énumérés à
l’article III, tandis que d’après l’amendement commun, il ne s’agirait
pas de différends portant sur la responsabilité de l’Etat mais résultant
d’une accusation aux termes de laquelle l’acte criminel a été commis
sur le territoire d’une des Parties contractantes.» (Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, première partie, troisième
session, comptes rendus analytiques de la 131 séance, p. 690.)
A ce moment-là des délibérations de la Sixième Commission, il était clair
que seuls les individus pouvaient être tenus pour pénalement respon-
sables aux termes du projet de convention sur le génocide. Le président
considérait manifestement que l’article IX tel qu’il venait d’être modifié
prévoyait la responsabilité de l’Etat pour génocide.
178. De l’avis de la Cour, deux points peuvent être déduits des travaux
préparatoires examinés ci-dessus. Le premier est qu’ils portaient dans une
large mesure sur des propositions allant dans le sens d’une reconnais-
sance de la responsabilité pénale des Etats; ces propositions, toutefois, ne
furent pas adoptées. Le second est que l’amendement qui fut adopté — et
qui concernait l’article IX — porte sur la compétence en matière de res-
ponsabilité de l’Etat dans l’absolu. Par conséquent, la genèse du texte
semble corroborer la conclusion à laquelle la Cour est parvenue au para-
graphe 167 ci-dessus.
179. Ayant examiné les divers arguments, la Cour affirme donc que les
79119 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
affirms that the Contracting Parties are bound by the obligation under
the Convention not to commit, through their organs or persons or
groups whose conduct is attributable to them, genocide and the other
acts enumerated in Article III. Thus if an organ of the State, or a person
or group whose acts are legally attributable to the State, commits any of
the acts proscribed by Article III of the Convention, the international
responsibility of that State is incurred.
**
(5) Question Whether the Court May Make a Finding of Genocide by
a State in the Absence of a Prior Conviction of an Individual for
Genocide by a Competent Court
180. The Court observes that if a State is to be responsible because it
has breached its obligation not to commit genocide, it must be shown
that genocide as defined in the Convention has been committed. That will
also be the case with conspiracy under Article III, paragraph (b), and
complicity under Article III, paragraph (e); and, as explained below
(paragraph 431) for purposes of the obligation to prevent genocide. The
Respondent has raised the question whether it is necessary, as a matter of
law, for the Court to be able to uphold a claim of the responsibility of a
State for an act of genocide, or any other act enumerated in Article III,
that there should have been a finding of genocide by a court or tribunal
exercising criminal jurisdiction. According to the Respondent, the con-
dition sine qua non for establishing State responsibility is the prior
establishment, according to the rules of criminal law, of the individual
responsibility of a perpetrator engaging the State’s responsibility.
181. The different procedures followed by, and powers available to,
this Court and to the courts and tribunals trying persons for criminal
offences, do not themselves indicate that there is a legal bar to the Court
itself finding that genocide or the other acts enumerated in Article III
have been committed. Under its Statute the Court has the capacity to
undertake that task, while applying the standard of proof appropriate to
charges of exceptional gravity (paragraphs 209-210 below). Turning to
the terms of the Convention itself, the Court has already held that it has
jurisdiction under Article IX to find a State responsible if genocide or
other acts enumerated in Article III are committed by its organs, or
persons or groups whose acts are attributable to it.
182. Any other interpretation could entail that there would be no legal
recourse available under the Convention in some readily conceivable cir-
cumstances: genocide has allegedly been committed within a State by its
leaders but they have not been brought to trial because, for instance, they
are still very much in control of the powers of the State including the
80 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 119
parties contractantes sont tenues en vertu de la Convention de ne pas
commettre, par l’intermédiaire de leurs organes ou de personnes ou
groupes de personnes dont le comportement leur est attribuable, le géno-
cide ni aucun des autres actes énumérés à l’article III. En conséquence,
si un organe de l’Etat ou une personne ou un groupe de personnes dont
les actes sont juridiquement attribuables à l’Etat en question commet
l’un des actes prohibés par l’article III de la Convention, la responsa-
bilité internationale de celui-ci est engagée.
**
5) Question de savoir si la Cour peut conclure qu’un Etat a commis
un génocide sans qu’un individu ait préalablement été reconnu
coupable de génocide par un tribunal compétent
180. La Cour note que, pour que la responsabilité d’un Etat soit enga-
gée pour violation de l’obligation lui incombant de ne pas commettre de
génocide, encore doit-il avoir été démontré qu’un génocide, tel que défini
dans la Convention, a été commis. Il en va de même en ce qui concerne
l’entente en vue de commettre le génocide au sens du litt. b), la compli-
cité au sens du litt. e) de l’article III, et, ainsi qu’exposé plus loin (para-
graphe 431), l’obligation de prévenir le génocide. Le défendeur a soulevé
la question de savoir s’il est nécessaire, en droit, pour que la Cour puisse
conclure, ainsi qu’elle en a été priée, que la responsabilité d’un Etat est
engagée à raison d’un acte de génocide ou de tout autre acte visé à l’ar-
ticle III, qu’une cour ou un tribunal exerçant une compétence pénale ait
conclu à la commission d’un génocide. Selon le défendeur, la condition
sine qua non pour établir la responsabilité de l’Etat est qu’ait été préala-
blement établie, conformément aux règles du droit pénal, la responsabi-
lité d’un auteur individuel pouvant engager la responsabilité de l’Etat.
181. Les différences entre la Cour et les juridictions appelées à juger
des personnes accusées d’infractions pénales, sur le plan de la procédure
et des pouvoirs qui leur sont conférés, ne signifient pas en elles-mêmes
que la Cour soit empêchée de conclure qu’il y a eu commission du géno-
cide ou des autres actes énumérés à l’article III. En vertu de son Statut, la
Cour est habilitée à entreprendre cette tâche, en appliquant le critère
d’établissement de la preuve qui convient s’agissant d’accusations d’une
exceptionnelle gravité (paragraphes 209-210 ci-après). Pour en venir au
libellé de la Convention elle-même, la Cour a déjà jugé que l’article IX lui
confère compétence pour conclure à la responsabilité d’un Etat si le géno-
cide ou les autres actes énumérés à l’article III sont commis par ses or-
ganes, ou par des personnes ou groupes dont les actes lui sont attribuables.
182. Toute autre interprétation signifierait que la Convention n’aurait
prévu aucune voie de droit dans des cas que l’on n’aura aucune peine à se
figurer: celui de dirigeants d’un Etat ayant commis un génocide sur le ter-
ritoire de celui-ci et qui ne seraient pas traduits en justice parce qu’ils
continueraient, par exemple, à exercer un contrôle important sur les
80120 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
police, prosecution services and the courts and there is no international
penal tribunal able to exercise jurisdiction over the alleged crimes; or the
responsible State may have acknowledged the breach. The Court accord-
ingly concludes that State responsibility can arise under the Convention
for genocide and complicity, without an individual being convicted of the
crime or an associated one.
**
(6) The Possible Territorial Limits of the Obligations
183. The substantive obligations arising from Articles I and III are not
on their face limited by territory. They apply to a State wherever it may
be acting or may be able to act in ways appropriate to meeting the obli-
gations in question. The extent of that ability in law and fact is con-
sidered, so far as the obligation to prevent the crime of genocide is con-
cerned, in the section of the Judgment concerned with that obligation (cf.
paragraph 430 below). The significant relevant condition concerning the
obligation not to commit genocide and the other acts enumerated in
Article III is provided by the rules on attribution (paragraphs 379 ff.
below).
184. The obligation to prosecute imposed by Article VI is by contrast
subject to an express territorial limit. The trial of persons charged with
genocide is to be in a competent tribunal of the State in the territory of
which the act was committed (cf. paragraph 442 below), or by an inter-
national penal tribunal with jurisdiction (paragraphs 443 ff. below).
**
(7) The Applicant’s Claims in Respect of Alleged Genocide Committed
Outside Its Territory against Non-Nationals
185. In its final submissions the Applicant requests the Court to make
rulings about acts of genocide and other unlawful acts allegedly commit-
ted against “non-Serbs” outside its own territory (as well as within it) by
the Respondent. Insofar as that request might relate to non-Bosnian vic-
tims, it could raise questions about the legal interest or standing of the
Applicant in respect of such matters and the significance of the jus cogens
character of the relevant norms, and the erga omnes character of the rele-
vant obligations. For the reasons explained in paragraphs 368 and 369
below, the Court will not however need to address those questions of law.
**
81 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 120
organes de l’Etat, notamment la police, le ministère public et les tribu-
naux et parce qu’il n’existerait pas de juridiction pénale internationale
ayant compétence pour connaître des crimes allégués; ou celui d’un Etat
responsable qui aurait reconnu la violation. La Cour conclut donc qu’un
Etat peut voir sa responsabilité engagée en vertu de la Convention pour
génocide et complicité de génocide, sans qu’un individu ait été reconnu
coupable de ce crime ou d’un crime connexe.
**
6) L’éventuelle limitation territoriale des obligations
183. Les obligations matérielles découlant de l’article premier et de
l’article III ne semblent pas être territorialement limitées. Elles s’ap-
pliquent à un Etat, où que celui-ci se trouve agir ou en mesure d’agir pour
s’acquitter des obligations en question. La portée en droit et en fait de
cette capacité est examinée, pour ce qui est de l’obligation de prévenir le
crime de génocide, dans la partie de l’arrêt consacrée à cette dernière (cf.
paragraphe 430 ci-après). Le principal critère pertinent quant à l’obliga-
tion de s’abstenir de commettre le génocide et les autres actes énumérés à
l’article III est défini par les règles relatives à l’attribution (voir para-
graphes 379 et suiv. ci-après).
184. L’obligation d’engager des poursuites imposée par l’article VI est
en revanche expressément soumise à une limitation territoriale. Le procès
des personnes accusées de génocide doit se tenir devant les tribunaux
compétents de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été commis (voir
paragraphe 442 ci-après) ou devant une cour criminelle internationale
compétente (paragraphes 443 et suiv. ci-après).
**
7) Les allégations du demandeur au sujet d’un génocide qui aurait été
commis en dehors de son territoire contre des non-nationaux
185. Dans ses conclusions finales, le demandeur prie la Cour de statuer
sur des actes de génocide et d’autres actes illicites que le défendeur aurait
commis à l’encontre du groupe «non serbe» hors du territoire de la Bos-
nie-Herzégovine (ainsi que sur celui-ci). Dans la mesure où cette demande
viserait des victimes non bosniaques, elle pourrait soulever certaines
interrogations quant à l’intérêt juridique ou à la qualité pour agir du
demandeur à l’égard de telles questions et quant au caractère de jus
cogens qui s’attache aux normes pertinentes et au caractère erga omnes
que revêtent les obligations pertinentes. Pour les motifs exposés plus en
détail aux paragraphes 368 à 369 ci-dessous, la Cour n’aura toutefois pas
à examiner ces questions de droit.
**
81121 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(8) The Question of Intent to Commit Genocide
186. The Court notes that genocide as defined in Article II of the Con-
vention comprises “acts” and an “intent”. It is well established that the
acts —
“(a) Killing members of the group;
(b) Causing serious bodily or mental harm to members of the
group;
(c) Deliberately inflicting on the group conditions of life calcu-
lated to bring about its physical destruction in whole or in
part;
(d) Imposing measures intended to prevent births within the
group; [and]
(e) Forcibly transferring children of the group to another
group” —
themselves include mental elements. “Killing” must be intentional, as
must “causing serious bodily or mental harm”. Mental elements are
made explicit in paragraphs (c) and (d) of Article II by the words
“deliberately” and “intended”, quite apart from the implications of the
words “inflicting” and “imposing”; and forcible transfer too requires
deliberate intentional acts. The acts, in the words of the ILC, are by their
very nature conscious, intentional or volitional acts (Commentary on
Article 17 of the 1996 Draft Code of Crimes against the Peace and
Security of Mankind, ILC Report 1996, Yearbook of the International
Law Commission, 1996, Vol. II, Part Two, p. 44, para. 5).
187. In addition to those mental elements, Article II requires a further
mental element. It requires the establishment of the “intent to destroy, in
whole or in part, . . . [the protected] group, as such”. It is not enough to
establish, for instance in terms of paragraph (a), that deliberate unlawful
killings of members of the group have occurred. The additional intent
must also be established, and is defined very precisely. It is often referred
to as a special or specific intent or dolus specialis ; in the present Judg-
ment it will usually be referred to as the “specific intent (dolus specia-
lis)”. It is not enough that the members of the group are targeted because
they belong to that group, that is because the perpetrator has a discrimi-
natory intent. Something more is required. The acts listed in Article II
must be done with intent to destroy the group as such in whole or in part.
The words “as such” emphasize that intent to destroy the protected
group.
188. The specificity of the intent and its particular requirements are
highlighted when genocide is placed in the context of other related crimi-
nal acts, notably crimes against humanity and persecution, as the Trial
Chamber of the International Criminal Tribunal for the former Yugosla-
via (hereinafter “ICTY” or “the Tribunal”) did in the Kupreškic ´ et al.
case:
82 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 121
8) La question de l’intention de commettre le génocide
186. La Cour relève que le génocide, tel que défini à l’article II de la
Convention, comporte à la fois des «actes» et une «intention». Il est bien
établi que les actes suivants —
«a) meurtre de membres du groupe;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du
groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’exis-
tence devant entraîner sa destruction physique totale ou par-
tielle;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; et
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe» —
comprennent eux-mêmes des éléments moraux. Le «meurtre» est néces-
sairement intentionnel, tout comme l’«atteinte grave à l’intégrité phy-
sique ou mentale de membres du groupe». Dans leslitt. c) et d) de l’ar-
ticle II, ces éléments moraux ressortent expressément des mots «intention-
nelle» et «visant», et implicitement aussi des termes «soumission» et
«mesures». De même, le transfert forcé suppose des actes intentionnels,
voulus. Ces actes, selon les termes de la CDI, sont par leur nature même
des actes conscients, intentionnels ou délibérés (Commentaire relatif à
l’article 17 du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de
l’humanité de 1996, rapport de la CDI 1996, Annuaire de la Commission
du droit international, 1996 , vol. II, deuxième partie, p. 47, par. 5).
187. A ces éléments moraux, l’article II en ajoute un autre. Il exige que
soit établie l’«intention de détruire, en tout ou en partie, [le] groupe
[protégé]..., comme tel». Il ne suffit pas d’établir, par exemple aux termes
du litt. a), qu’a été commis le meurtre de membres du groupe, c’est-à-dire
un homicide volontaire, illicite, contre ces personnes. Il faut aussi établir
une intention supplémentaire, laquelle est définie de manière très précise.
Elle est souvent qualifiée d’intention particulière ou spécifique, ou dolus
specialis ; dans le présent arrêt, elle sera généralement qualifiée d’«inten-
tion spécifique (dolus specialis) ». Il ne suffit pas que les membres du
groupe soient pris pour cible en raison de leur appartenance à ce groupe,
c’est-à-dire en raison de l’intention discriminatoire de l’auteur de l’acte. Il
faut en outre que les actes visés à l’article II soient accomplis dans l’inten-
tion de détruire, en tout ou en partie, le groupe comme tel. Les termes
«comme tel» soulignent cette intention de détruire le groupe protégé.
188. La spécificité de l’intention et les critères qui la distinguent appa-
raissent clairement lorsque le génocide est replacé, comme il l’a été par la
chambre de première instance du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie
(dénommé ci-après le «TPIY» ou le «Tribunal») en l’affaire Kupreškic ´ et
consorts, dans le contexte d’actes criminels qui lui sont apparentés,
notamment les crimes contre l’humanité et la persécution:
82122 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
“the mens rea requirement for persecution is higher than for ordi-
nary crimes against humanity, although lower than for genocide. In
this context the Trial Chamber wishes to stress that persecution as a
crime against humanity is an offence belonging to the same genus as
genocide. Both persecution and genocide are crimes perpetrated
against persons that belong to a particular group and who are tar-
geted because of such belonging. In both categories what matters is
the intent to discriminate: to attack persons on account of their eth-
nic, racial, or religious characteristics (as well as, in the case of per-
secution, on account of their political affiliation). While in the case
of persecution the discriminatory intent can take multifarious inhu-
mane forms and manifest itself in a plurality of actions including
murder, in the case of genocide that intent must be accompanied by
the intention to destroy, in whole or in part, the group to which the
victims of the genocide belong. Thus, it can be said that, from the
viewpoint of mens rea, genocide is an extreme and most inhuman
form of persecution. To put it differently, when persecution escalates
to the extreme form of wilful and deliberate acts designed to destroy
a group or part of a group, it can be held that such persecution
amounts to genocide.” (IT-95-16-T, Judgment, 14 January 2000,
para. 636.)
189. The specific intent is also to be distinguished from other reasons
or motives the perpetrator may have. Great care must be taken in finding
in the facts a sufficiently clear manifestation of that intent.
**
(9) Intent and “Ethnic Cleansing”
190. The term “ethnic cleansing” has frequently been employed to
refer to the events in Bosnia and Herzegovina which are the subject of
this case; see, for example, Security Council resolution 787 (1992), para. 2;
resolution 827 (1993), Preamble; and the Report with that title attached
as Annex IV to the Final Report of the United Nations Commission of
Experts (S/1994/674/Add.2) (hereinafter “Report of the Commission of
Experts”). General Assembly resolution 47/121 referred in its Preamble
to “the abhorrent policy of ‘ethnic cleansing’, which is a form of geno-
cide”, as being carried on in Bosnia and Herzegovina. It will be conven-
ient at this point to consider what legal significance the expression may
have. It is in practice used, by reference to a specific region or area, to
mean “rendering an area ethnically homogeneous by using force or
intimidation to remove persons of given groups from the area”
(S/35374 (1993), para. 55, Interim Report by the Commission of Experts).
It does not appear in the Genocide Convention; indeed, a proposal
83 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 122
«[L’]élément moral requis pour la persécution est plus strict que
pour les crimes contre l’humanité habituels, tout en demeurant en
deçà de celui requis pour le génocide. Dans ce contexte, la chambre
de première instance souhaite insister sur le fait que la persécution,
en tant que crime contre l’humanité, est une infraction qui relève du
même genus que le génocide. Il s’agit, dans les deux cas, de crimes
commis contre des personnes qui appartiennent à un groupe déter-
miné et qui sont visées en raison même de cette appartenance. Ce qui
compte dans les deux cas, c’est l’intention discriminatoire: pour atta-
quer des personnes à cause de leurs caractéristiques ethniques, ra-
ciales ou religieuses (ainsi que, dans le cas de la persécution, à cause
de leurs opinions politiques). Alors que dans le cas de la persécution,
l’intention discriminatoire peut revêtir diverses formes inhumaines et
s’exprimer par le biais d’une multitude d’actes, dont l’assassinat,
l’intention requise pour le génocide doit s’accompagner de celle de
détruire, en tout ou en partie, le groupe auquel les victimes appar-
tiennent. S’agissant de l’élément moral, on peut donc dire que le
génocide est une forme de persécution extrême, sa forme la plus
inhumaine. En d’autres termes, quand la persécution atteint sa forme
extrême consistant en des actes intentionnels et délibérés destinés à
détruire un groupe en tout ou en partie, on peut estimer qu’elle cons-
titue un génocide.» (IT-95-16-T, jugement du 14 janvier 2000,
par. 636.)
189. Il convient aussi de distinguer l’intention spécifique d’autres rai-
sons ou mobiles que pourrait avoir l’auteur. Il faut prendre le plus grand
soin pour conclure, à partir des faits, à une manifestation suffisamment
claire de cette intention.
**
9) Intention et «nettoyage ethnique»
190. L’expression «nettoyage ethnique» a fréquemment été employée
pour se référer aux événements de Bosnie-Herzégovine qui font l’objet de
la présente affaire; voir, par exemple, le paragraphe 2 de la résolution 787
(1992) du Conseil de sécurité; le préambule de la résolution 827 (1993) et
le rapport, portant le même titre, joint en tant qu’annexe IV au rapport
final de la commission d’experts des Nations Unies (S/1994/674/Add.2)
(ci-après dénommé le «rapport de la commission d’experts»). Le préam-
bule de la résolution 47/121 fait état, pour décrire ce qui se déroulait en
Bosnie-Herzégovine, d’une «ignoble politique de «nettoyage ethnique», ...
forme de génocide». Il serait utile à ce stade de se pencher sur la portée
juridique que peut revêtir l’expression «nettoyage ethnique». Dans la
pratique, elle est employée, à propos d’une région ou d’une zone parti-
culière, avec le sens de «rendre une zone ethniquement homogène en uti-
lisant la force ou l’intimidation pour faire disparaître de la zone en ques-
tion des personnes appartenant à des groupes déterminés» (S/35374
83123 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
during the drafting of the Convention to include in the definition “measures
intended to oblige members of a group to abandon their homes in order
to escape the threat of subsequent ill-treatment” was not accepted (A/C.6/
234). It can only be a form of genocide within the meaning of the Con-
vention, if it corresponds to or falls within one of the categories of acts
prohibited by Article II of the Convention. Neither the intent, as a matter
of policy, to render an area “ethnically homogeneous”, nor the opera-
tions that may be carried out to implement such policy, can as such be
designated as genocide: the intent that characterizes genocide is “to
destroy, in whole or in part” a particular group, and deportation or dis-
placement of the members of a group, even if effected by force, is not
necessarily equivalent to destruction of that group, nor is such destruc-
tion an automatic consequence of the displacement. This is not to say
that acts described as “ethnic cleansing” may never constitute genocide, if
they are such as to be characterized as, for example, “deliberately inflict-
ing on the group conditions of life calculated to bring about its physical
destruction in whole or in part”, contrary to Article II, paragraph (c),of
the Convention, provided such action is carried out with the necessary
specific intent (dolus specialis), that is to say with a view to the destruc-
tion of the group, as distinct from its removal from the region. As the
ICTY has observed, while “there are obvious similarities between a geno-
cidal policy and the policy commonly known as ‘ethnic cleansing’” (Krstic´,
IT-98-33-T, Trial Chamber Judgment, 2 August 2001, para. 562), yet “[a]
clear distinction must be drawn between physical destruction and mere
dissolution of a group. The expulsion of a group or part of a group does
not in itself suffice for genocide.” (Stakic ´, IT-97-24-T, Trial Chamber
Judgment, 31 July 2003, para. 519.) In other words, whether a particular
operation described as “ethnic cleansing” amounts to genocide depends
on the presence or absence of acts listed in Article II of the Genocide
Convention, and of the intent to destroy the group as such. In fact, in the
context of the Convention, the term “ethnic cleansing” has no legal sig-
nificance of its own. That said, it is clear that acts of “ethnic cleansing”
may occur in parallel to acts prohibited by Article II of the Convention,
and may be significant as indicative of the presence of a specific intent
(dolus specialis) inspiring those acts.
**
84 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 123
(1993), par. 55, rapport intérimaire de la commission d’experts). Elle
n’apparaît pas dans la convention sur le génocide; de fait, lors de la
rédaction de la Convention, une proposition visant à inclure dans la défi-
nition les «mesures tendant à mettre les populations dans l’obligation
d’abandonner leurs foyers afin d’échapper à la menace de mauvais trai-
tements ultérieurs» fut rejetée (A/C.6/234). De telles mesures ne sauraient
constituer une forme de génocide au sens de la Convention que si elles
correspondent à l’une des catégories d’actes prohibés par l’article II de la
Convention ou relèvent de l’une de ces catégories. Ni l’intention, sous
forme d’une politique visant à rendre une zone «ethniquement homo-
gène», ni les opérations qui pourraient être menées pour mettre en Œuvre
pareille politique ne peuvent, en tant que telles, être désignées par le
terme de génocide: l’intention qui caractérise le génocide vise à «détruire,
en tout ou en partie» un groupe particulier; la déportation ou le dépla-
cement de membres appartenant à un groupe, même par la force, n’équi-
vaut pas nécessairement à la destruction dudit groupe, et une telle des-
truction ne résulte pas non plus automatiquement du déplacement forcé.
Cela ne signifie pas que les actes qui sont décrits comme étant du «net-
toyage ethnique» ne sauraient jamais constituer un génocide, s’ils sont
tels qu’ils peuvent être qualifiés, par exemple, de «[s]oumission intention-
nelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruc-
tion physique totale ou partielle», en violation du litt. c) de l’article II de
la Convention, sous réserve que pareille action soit menée avec l’intention
spécifique (dolus specialis) nécessaire, c’est-à-dire avec l’intention de
détruire le groupe, et non pas seulement de l’expulser de la région. Ainsi
que l’a fait observer le TPIY, s’«[i]l y a donc d’évidentes similitudes entre
une politique génocidaire et ce qui est communément appelé une poli-
tique de «nettoyage ethnique»» (Krstic ´, IT-98-33, chambre de première
instance, jugement du 2 août 2001, par. 562), il n’en reste pas moins
qu’«[i]l faut faire clairement le départ entre la destruction physique et la
simple dissolution d’un groupe. L’expulsion d’un groupe ou d’une partie
d’un groupe ne saurait à elle seule constituer un génocide.» (Stakic ´,
IT-97-24-T, chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003,
par. 519.) En d’autres termes, savoir si une opération particulière présen-
tée comme relevant du «nettoyage ethnique» équivaut ou non à un géno-
cide dépend de l’existence ou non des actes matériels énumérés à l’ar-
ticle II de la convention sur le génocide et de l’intention de détruire le
groupe comme tel. En réalité, dans le contexte de cette Convention,
l’expression «nettoyage ethnique» ne revêt, par elle-même, aucune portée
juridique. Cela étant, il est clair que des actes de «nettoyage ethnique»
peuvent se produire en même temps que des actes prohibés par l’article II
de la Convention, et permettre de déceler l’existence d’une intention spé-
cifique (dolus specialis) se trouvant à l’origine des actes en question.
**
84124 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(10) Definition of the Protected Group
191. When examining the facts brought before the Court in support of
the accusations of the commission of acts of genocide, it is necessary to
have in mind the identity of the group against which genocide may be
considered to have been committed. The Court will therefore next con-
sider the application in this case of the requirement of Article II of the
Genocide Convention, as an element of genocide, that the proscribed acts
be “committed with intent to destroy, in whole or in part, a national, eth-
nical, racial or religious group, as such”. The Parties disagreed on aspects
of the definition of the “group”. The Applicant in its final submission
refers to “the non-Serb national, ethnical or religious group within, but
not limited to, the territory of Bosnia and Herzegovina, including in par-
ticular the Muslim population” (paragraph 66 above). It thus follows
what is termed the negative approach to the definition of the group in
question. The Respondent sees two legal problems with that formulation:
“First, the group targeted is not sufficiently well defined as such,
since, according to the Applicant’s allegation, that group consists of
the non-Serbs, thus an admixture of all the individuals living in
Bosnia and Herzegovina except the Serbs, but more particularly the
Muslim population, which accounts for only a part of the non-Serb
population. Second, the intent to destroy concerned only a part of
the non-Serb population, but the Applicant failed to specify which
part of the group was targeted.”
In addition to those issues of the negative definition of the group and its
geographic limits (or their lack), the Parties also discussed the choice
between subjective and objective approaches to the definition. The Parties
essentially agree that international jurisprudence accepts a combined
subjective-objective approach. The issue is not in any event significant on
the facts of this case and the Court takes it no further.
192. While the Applicant has employed the negative approach to the
definition of a protected group, it places major, for the most part exclu-
sive, emphasis on the Bosnian Muslims as the group being targeted. The
Respondent, for instance, makes the point that the Applicant did not
mention the Croats in its oral arguments relating to sexual violence,
Srebrenica and Sarajevo, and that other groups including “the Jews,
Roma and Yugoslavs” were not mentioned. The Applicant does however
maintain the negative approach to the definition of the group in its
final submissions and the Court accordingly needs to consider it.
193. The Court recalls first that the essence of the intent is to destroy
the protected group, in whole or in part, as such. It is a group which must
have particular positive characteristics — national, ethnical, racial or reli-
gious — and not the lack of them. The intent must also relate to the
group “as such”. That means that the crime requires an intent to destroy
85 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 124
10) Définition du groupe protégé
191. Lorsqu’elle examine les faits qui lui ont été soumis pour étayer les
accusations d’actes de génocide, la Cour doit tenir compte de l’identité du
groupe contre lequel il peut être considéré qu’un génocide a été commis.
Elle va donc examiner maintenant l’application en l’espèce de la condi-
tion énoncée à l’article II de la convention sur le génocide selon laquelle,
pour être constitutifs de génocide, les actes prohibés doivent être «com-
mis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel». Les Parties s’opposent sur cer-
tains aspects de la définition du «groupe». Dans ses conclusions finales,
le demandeur mentionne le «groupe national, ethnique ou religieux
non serbe, notamment mais non exclusivement, sur le territoire de la Bos-
nie-Herzégovine, en particulier la population musulmane» (paragraphe 66
ci-dessus). Il adopte donc l’approche dite négative de la définition du
groupe en question. Le défendeur voit dans cette formulation deux pro-
blèmes juridiques:
«Premièrement, le groupe visé n’est pas suffisamment défini comme
tel, car selon l’allégation du demandeur ce groupe serait des non-
Serbes, donc un ensemble de toutes les personnes vivant en Bosnie-
Herzégovine à l’exception des Serbes, mais plus particulièrement la
population musulmane qui ne représente qu’une partie de cette
population non serbe. Deuxièmement, l’intention de détruire aurait
visé une partie de la population non serbe, mais le demandeur ne
spécifie pas quelle partie du groupe aurait été visée.»
En sus de ces questions de la définition négative du groupe et de ses
limitesgéographiques(oudeleurabsence),lesPartiesontégalementdébat-
tu du choix entre l’approche subjective et l’approche objective de la défi-
nition. Elles conviennent pour l’essentiel que la jurisprudence internatio-
nale admet une approche mixte, à la fois subjective et objective. Quoi
qu’il en soit, la question ne présente pas d’importance en ce qui concerne
les faits de l’espèce et la Cour ne l’examinera pas plus avant.
192. Quoique le demandeur ait utilisé une approche négative pour
définir le groupe protégé, il cite essentiellement et presque exclusivement
les Musulmans de Bosnie en tant que groupe visé. Le défendeur, par
exemple, fait valoir que le demandeur n’a pas mentionné les Croates dans
ses plaidoiries relatives aux violences sexuelles, à Srebrenica et à Sara-
jevo, pas plus que d’autres minorités telles que «les Juifs, les Roms et les
Yougoslaves». Dans ses conclusions finales cependant, le demandeur s’en
tient à la définition négative du groupe, et la Cour doit par conséquent
l’examiner.
193. La Cour rappellera tout d’abord que l’intention est essentiellement
de détruire le groupe protégé, en tout ou en partie, comme tel. Ce groupe
doit présenter des caractéristiques positives particulières — nationales, eth-
niques, raciales ou religieuses —, et non pas une absence de telles caracté-
ristiques. L’intention doit aussi concerner le groupe «comme tel». Cela
85125 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
a collection of people who have a particular group identity. It is a matter
of who those people are, not who they are not. The etymology of the
word — killing a group — also indicates a positive definition; and
Raphael Lemkin has explained that he created the word from the Greek
genos, meaning race or tribe, and the termination “-cide”, from the Latin
caedere, to kill (Axis Rule in Occupied Europe (1944), p. 79). In 1945 the
word was used in the Nuremberg indictment which stated that the
defendants “conducted deliberate and systematic genocide, viz., the exter-
mination of racial and national groups . . . in order to destroy particular
races and classes of people and national, racial or religious groups . . .”
(Indictment, Trial of the Major War Criminals before the International
Military Tribunal, Official Documents, Vol. 1, pp. 43 and 44). As the
Court explains below (paragraph 198), when part of the group is
targeted, that part must be significant enough for its destruction to have
an impact on the group as a whole. Further, each of the acts listed in
Article II require that the proscribed action be against members
of the “group”.
194. The drafting history of the Convention confirms that a positive
definition must be used. Genocide as “the denial of the existence of entire
human groups” was contrasted with homicide, “the denial of the right to
live of individual human beings” by the General Assembly in its 1946 reso-
lution 96 (I) cited in the Preamble to the Convention. The drafters of the
Convention also gave close attention to the positive identification of
groups with specific distinguishing characteristics in deciding which
groups they would include and which (such as political groups) they
would exclude. The Court spoke to the same effect in 1951 in declaring as
an object of the Convention the safeguarding of “the very existence of
certain human groups” (Reservations to the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide, Advisory Opinion, I.C.J.
Reports 1951, p. 23). Such an understanding of genocide requires a posi-
tive identification of the group. The rejection of proposals to include
within the Convention political groups and cultural genocide also
demonstrates that the drafters were giving close attention to the positive
identification of groups with specific distinguishing well-established,
some said immutable, characteristics. A negatively defined group cannot
be seen in that way.
195. The Court observes that the ICTY Appeals Chamber in the Sta-
ki´ case (IT-97-24-A, Judgment, 22 March 2006, paras. 20-28) also came
to the conclusion that the group must be defined positively, essentially for
the same reasons as the Court has given.
196. Accordingly, the Court concludes that it should deal with the
matter on the basis that the targeted group must in law be defined posi-
86 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 125
signifie que le crime doit être inspiré par l’intention de détruire un en-
semble de personnes possédant une identité collective particulière. Ce qui
importe, c’est ce que ces personnes sont, et non ce qu’elles ne sont pas.
L’étymologie du mot génocide — destruction d’un groupe — implique éga-
lement une définition positive; Raphael Lemkin a d’ailleurs expliqué qu’il
avait forgé le terme à partir du grecgenos, qui signifie race ou tribu, et du
suffixe -cide, du latincaedere, tuer (Axis Rule in Occupied Europe, 1944,
p. 79). En 1945, le terme était employé dans l’acte d’accusation contre les
grands criminels de guerre traduits devant le Tribunal de Nuremberg, dans
lequel il est indiqué que les accusés «se livrèrent au génocide délibéré et
systématique, c’est-à-dire à l’extermination de groupes raciaux et
nationaux ... afin de détruire des races ou classes déterminées de popula-
tion, et de groupes nationaux, raciaux ou religieux...» (Procès des grands
criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, acte d’accu-
sation, documents officiels, t. 1, p. 46 et 47). Ainsi que la Cour l’explique
plus loin (paragraphe 198), la partie du groupe visée doit être suffisamment
importante pour que sa destruction ait des effets sur le groupe tout entier.
En outre, pour chacun des actes énumérés à l’article II, il faut que l’acte
prohibé soit commis à l’encontre de membres du «groupe».
194. Les travaux préparatoires de la Convention confirment qu’il faut
utiliser une définition positive. Le génocide — «le refus du droit à l’exis-
tence à des groupes humains entiers» — a été opposé à l’homicide — «le
refus du droit à l’existence à un individu» — par l’Assemblée générale
dans sa résolution 96 (I) de 1946, mentionnée dans le préambule de la
Convention. Les rédacteurs de la Convention se sont aussi attachés à
définir de manière positive des groupes se distinguant par des caractéris-
tiques spécifiques pour décider lesquels relèveraient de la Convention et
lesquels (les groupes politiques par exemple) seraient exclus du champ
d’application de celle-ci. La Cour s’est exprimée dans le même sens
en 1951, lorsqu’elle a déclaré que la Convention visait notamment à sau-
vegarder «l’existence même de certains groupes humains» (Réserves à la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1951 , p. 23). Pareille interprétation du géno-
cide suppose que le groupe soit identifié de manière positive. Le rejet des
propositions visant à faire entrer dans le champ d’application de la
Convention les groupes politiques et le génocide culturel démontre éga-
lement que les rédacteurs s’attachaient à définir de manière positive des
groupes présentant des caractéristiques spécifiques, distinctes et bien éta-
blies, voire immuables selon certains, ce qui ne saurait être le cas de
groupes définis négativement.
195. La Cour fait observer que la chambre d’appel du TPIY est éga-
lement parvenue, dans l’affaire Staki´ (IT-97-24-A, arrêt du 22 mars 2006,
par. 20-28), à la conclusion selon laquelle le groupe doit être défini de
manière positive, essentiellement pour des raisons identiques à celles
avancées par la Cour.
196. En conséquence, la Cour conclut qu’elle doit examiner la ques-
tion en partant du principe que le groupe doit en droit être défini de
86126 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
tively, and thus not negatively as the “non-Serb” population. The Appli-
cant has made only very limited reference to the non-Serb populations of
Bosnia and Herzegovina other than the Bosnian Muslims, e.g. the Croats.
The Court will therefore examine the facts of the case on the basis that
genocide may be found to have been committed if an intent to destroy
the Bosnian Muslims, as a group, in whole or in part, can be established.
197. The Parties also addressed a specific question relating to the
impact of geographic criteria on the group as identified positively. The
question concerns in particular the atrocities committed in and around
Srebrenica in July 1995, and the question whether in the circumstances of
that situation the definition of genocide in Article II was satisfied so far
as the intent of destruction of the “group” “in whole or in part” require-
ment is concerned. This question arises because of a critical finding in the
Krsti´ case. In that case the Trial Chamber was “ultimately satisfied that
murders and infliction of serious bodily or mental harm were committed
with the intent to kill all the Bosnian Muslim men of military age at
Srebrenica” (IT-98-33, Judgment, 2 August 2001, para. 546). Those men
were systematically targeted whether they were civilians or soldiers (ibid.).
The Court addresses the facts of that particular situation later (para-
graphs 278-297). For the moment, it considers how as a matter of law the
“group” is to be defined, in territorial and other respects.
198. In terms of that question of law, the Court refers to three matters
relevant to the determination of “part” of the “group” for the purposes
of Article II. In the first place, the intent must be to destroy at least a
substantial part of the particular group. That is demanded by the very
nature of the crime of genocide: since the object and purpose of the Con-
vention as a whole is to prevent the intentional destruction of groups, the
part targeted must be significant enough to have an impact on the group
as a whole. That requirement of substantiality is supported by consistent
rulings of the ICTY and the International Criminal Tribunal for Rwanda
(ICTR) and by the Commentary of the ILC to its Articles in the draft
Code of Crimes against the Peace and Security of Mankind (e.g. Krstic ´,
IT-98-33-A, Appeals Chamber Judgment, 19 April 2004, paras. 8-11 and
the cases of Kayishema, Byilishema, and Semanza there referred to; and
Yearbook of the International Law Commission, 1996 , Vol. II, Part Two,
p. 45, para. 8 of the Commentary to Article 17).
199. Second, the Court observes that it is widely accepted that geno-
cide may be found to have been committed where the intent is to destroy
the group within a geographically limited area. In the words of the ILC,
“it is not necessary to intend to achieve the complete annihilation of a
group from every corner of the globe” (ibid.). The area of the perpetra-
tor’s activity and control are to be considered. As the ICTY Appeals
87 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 126
manière positive et non de manière négative en tant que population «non
serbe». Le demandeur n’a que très rarement fait mention des populations
non serbes de Bosnie-Herzégovine autres que les Musulmans — les
Croates, par exemple. La Cour examinera dès lors les faits de l’espèce en
partant du principe qu’elle pourra peut-être conclure qu’un génocide a
été commis si elle peut établir l’existence d’une intention de détruire en
tant que groupe, en tout ou en partie, les Musulmans de Bosnie.
197. Les Parties se sont également intéressées à une question particu-
lière concernant l’incidence des critères géographiques sur une définition
positive du groupe. Il s’agit plus précisément des atrocités commises
en juillet 1995 à l’intérieur et aux alentours de la ville de Srebrenica et de
la question de savoir si, dans ces circonstances, il était satisfait au critère
de l’intention de détruire le «groupe» «en tout ou en partie», énoncé
dans la définition du génocide de l’article II. Cette question se pose en
raison d’une conclusion décisive en l’affaire Krsti´. Dans cette affaire, la
chambre de première instance s’est déclarée «convaincue, en dernière
analyse, que les meurtres et les atteintes graves à l’intégrité physique ou
mentale [avaient] été perpétrés avec l’intention de tuer tous les hommes
musulmans de Bosnie présents à Srebrenica qui étaient en âge de porter
les armes» (IT-98-33, jugement du 2 août 2001, par. 546). Ces hommes
ont été systématiquement visés, qu’ils fussent civils ou militaires (ibid.).
La Cour examinera plus tard (paragraphes 278-297) les faits relatifs à
cette situation. Pour le moment, elle se penchera sur la question de savoir
comment définir le «groupe» en droit, du point de vue territorial et sous
d’autres aspects.
198. Sur cette question de droit, la Cour relève trois points importants
s’agissant de déterminer la «partie» du «groupe» aux fins de l’article II.
En premier lieu, l’intention doit être de détruire au moins une partie subs-
tantielle du groupe en question. C’est ce qu’exige la nature même du
crime de génocide: l’objet et le but de la Convention dans son ensemble
étant de prévenir la destruction intentionnelle de groupes, la partie visée
doit être suffisamment importante pour que sa disparition ait des effets
sur le groupe tout entier. Cette condition relative au caractère substantiel
de la partie du groupe est corroborée par la jurisprudence constante du
TPIY et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), ainsi
que par la CDI dans son commentaire des articles du projet de code des
crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (voir, par exemple,
Krsti´, IT-98-33-A, chambre d’appel, arrêt du 19 avril 2004, par. 8-11, et
les affaires Kayishema, Byilishema et Semanza qui y sont citées, ainsi
que l’Annuaire de la CDI, 1996, vol. II, deuxième partie, p. 45, par. 8 du
commentaire de l’article 17).
199. Deuxièmement, la Cour relève qu’il est largement admis qu’il
peut être conclu au génocide lorsque l’intention est de détruire le groupe
au sein d’une zone géographique précise. Pour reprendre les termes de la
CDI, l’intention «ne doit pas nécessairement être l’anéantissement com-
plet du groupe, dans le monde entier» (ibid.). La zone dans laquelle
l’auteur du crime exerce son activité et son contrôle doit être prise en
87127 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Chamber has said, and indeed as the Respondent accepts, the opportu-
nity available to the perpetrators is significant (K´, IT-98-33-A, Judg-
ment, 19 April 2004, para. 13). This criterion of opportunity must how-
ever be weighed against the first and essential factor of substantiality. It
may be that the opportunity available to the alleged perpetrator is so
limited that the substantiality criterion is not met. The Court observes
that the ICTY Trial Chamber has indeed indicated the need for caution,
lest this approach might distort the definition of genocide (Staki´, IT-
97-24-T, Judgment, 31 July 2003, para. 523). The Respondent, while not
challenging this criterion, does contend that the limit militates against the
existence of the specific intent (dolus specialis) at the national or State
level as opposed to the local level — a submission which, in the view of
the Court, relates to attribution rather than to the “group” requirement.
200. A third suggested criterion is qualitative rather than quantitative.
The Appeals Chamber in the Krstic´ case put the matter in these carefully
measured terms:
“The number of individuals targeted should be evaluated not only
in absolute terms, but also in relation to the overall size of the entire
group. In addition to the numeric size of the targeted portion, its
prominence within the group can be a useful consideration. If a spe-
cific part of the group is emblematic of the overall group, or is essen-
tial to its survival, that may support a finding that the part qualifies
as substantial within the meaning of Article 4 [of the Statute which
exactly reproduces Article II of the Convention].” (IT-98-33-A, Judg-
ment, 19 April 2004, para. 12; footnote omitted.)
Establishing the “group” requirement will not always depend on the sub-
stantiality requirement alone although it is an essential starting point. It
follows in the Court’s opinion that the qualitative approach cannot stand
alone. The Appeals Chamber in Krstic ´ also expresses that view.
201. The above list of criteria is not exhaustive, but, as just indicated,
the substantiality criterion is critical. They are essentially those stated by
the Appeals Chamber in the Krstic ´ case, although the Court does give
this first criterion priority. Much will depend on the Court’s assessment
of those and all other relevant factors in any particular case.
* * *
V. Q UESTIONS OF PROOF :B URDEN OF P ROOF, THE STANDARD OF PROOF ,
M ETHODS OF PROOF
202. When turning to the facts of the dispute, the Court must note
that many allegations of fact made by the Applicant are disputed by the
88 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 127
considération. Comme la chambre d’appel du TPIY l’a dit et comme le
défendeur le reconnaît d’ailleurs, les possibilités qui s’offrent aux crimi-
nels constituent un élément important (Krstic ´, IT-98-33-A, arrêt du
19 avril 2004, par. 13). Ce critère des possibilités doit toutefois être appré-
cié au regard du premier facteur, essentiel, à savoir celui du caractère
substantiel. Il se peut que les possibilités s’offrant au criminel allégué
soient si limitées qu’il ne soit pas satisfait à ce critère. La Cour relève que
la chambre de première instance du TPIY a d’ailleurs souligné la néces-
sité de faire montre de prudence pour éviter que cette approche ne déna-
ture la définition du génocide (Stakic ´, IT-97-24-T, jugement du
31 juillet 2003, par. 523). Sans contester ce critère, le défendeur soutient
néanmoins que la limitation en question plaide contre l’existence de
l’intention spécifique (dolus specialis) au niveau national, celui de l’Etat,
par opposition au niveau local — argument qui, selon la Cour, se rap-
porte à l’attribution et non à la condition que soit visé un «groupe».
200. Un troisième critère proposé est d’ordre qualitatif et non quanti-
tatif. Dans l’affaire Krst´, la chambre d’appel l’a énoncé en ces termes
soigneusement pesés:
«Le nombre de personnes visées doit être considéré dans l’absolu
mais aussi par rapport à la taille du groupe dans son ensemble. Il
peut être utile de tenir compte non seulement de l’importance numé-
rique de la fraction du groupe visée, mais aussi de sa place au sein du
groupe tout entier. Si une portion donnée du groupe est représenta-
tive de l’ensemble du groupe, ou essentielle à sa survie, on peut en
conclure qu’elle est substantielle au sens de l’article 4 du Statut [qui
est calqué sur l’article II de la Convention].» (IT-98-33-A, arrêt du
19 avril 2004, par. 12, note de bas de page omise.)
Pour établir s’il est satisfait à la condition relative au «groupe», le critère
du caractère substantiel ne suffit pas toujours, bien qu’il soit un point de
départ essentiel. Il s’ensuit, de l’avis de la Cour, que l’approche qualita-
tive n’est pas suffisante. La chambre d’appel dans l’affaire Krstic ´ a
exprimé la même idée.
201. La liste de critères donnée ci-dessus n’est pas limitative, mais,
comme il vient d’être indiqué, le critère du caractère substantiel est déter-
minant. Ce sont essentiellement les critères que la chambre d’appel a
exposés dans l’affaire Krsti´, bien que la Cour donne priorité au premier.
La décision dépendra beaucoup de la manière dont le juge appréciera ces
critères ainsi que tous les autres facteurs pertinents dans chaque espèce.
* * *
V. Q UESTIONS RELATIVES À LA PREUVE :CHARGE DE LA PREUVE ,
CRITÈRE D ÉTABLISSEMENT DE LA PREUVE , MODES DE PREUVE
202. Passant à l’examen des faits du différend, la Cour doit garder à
l’esprit que de nombreuses allégations de fait présentées par le demandeur
88128 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Respondent. That is so notwithstanding increasing agreement between
the Parties on certain matters through the course of the proceedings. The
disputes relate to issues about the facts, for instance the number of rapes
committed by Serbs against Bosnian Muslims, and the day-to-day rela-
tionships between the authorities in Belgrade and the authorities in Pale,
and the inferences to be drawn from, or the evaluations to be made of,
facts, for instance about the existence or otherwise of the necessary
specific intent (dolus specialis) and about the attributability of the acts
of the organs of Republika Srpska and various paramilitary groups to the
Respondent. The allegations also cover a very wide range of activity
affecting many communities and individuals over an extensive area and
over a long period. They have already been the subject of many accounts,
official and non-official, by many individuals and bodies. The Parties
drew on many of those accounts in their pleadings and oral argument.
203. Accordingly, before proceeding to an examination of the alleged
facts underlying the claim in this case, the Court first considers, in
this section of the Judgment, in turn the burden or onus of proof, the
standard of proof, and the methods of proof.
204. On the burden or onus of proof, it is well established in general
that the applicant must establish its case and that a party asserting a fact
must establish it; as the Court observed in the case of Military and Para-
military Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States
of America), “it is the litigant seeking to establish a fact who bears the
burden of proving it” (Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J.
Reports 1984, p. 437, para. 101). While the Applicant accepts that
approach as a general proposition, it contends that in certain respects the
onus should be reversed, especially in respect of the attributability of
alleged acts of genocide to the Respondent, given the refusal of the
Respondent to produce the full text of certain documents.
205. The particular issue concerns the “redacted” sections of docu-
ments of the Supreme Defence Council of the Respondent, i.e. sections in
which parts of the text had been blacked out so as to be illegible. The
documents had been classified, according to the Co-Agent of the Respon-
dent, by decision of the Council as a military secret, and by a confidential
decision of the Council of Ministers of Serbia and Montenegro as a mat-
ter of national security interest. The Applicant contends that the Court
should draw its own conclusions from the failure of the Respondent to
produce complete copies of the documents. It refers to the power of the
Court, which it had invoked earlier (paragraph 44 above), to call for
documents under Article 49 of the Statute, which provides that “[f]ormal
note shall be taken of any refusal”. In the second round of oral argument
the Applicant’s Deputy Agent submitted that
“Serbia and Montenegro should not be allowed to respond to our
quoting the redacted SDC reports if it does not provide at the
very same time the Applicant and the Court with copies of entirely
89 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 128
sont contestées par le défendeur, bien que les points de vue des Parties sur
certaines questions se soient rapprochés au cours de l’instance. Les diver-
gences portent sur certains aspects des faits, tels que le nombre de viols
commis par des Serbes sur des Musulmans de Bosnie ou les relations quo-
tidiennes entre les autorités de Belgrade et celles de Pale, ainsi que sur les
déductions qu’il convient de tirer ou l’appréciation qu’il convient de faire
des faits — par exemple en ce qui concerne l’existence ou l’absence de
l’intention spécifique (dolus specialis) requise, ou l’imputabilité au défen-
deur des actes des organes de la Republika Srpska et de divers groupes
paramilitaires. Par ailleurs, les allégations couvrent un large éventail
d’activités, menées dans un vaste secteur et sur une longue période, et
ayant touché un nombre important de communautés et d’individus. Elles
ont déjà fait l’objet de maints comptes rendus, officiels ou non, de la part
de nombre de personnes et d’organes. Les Parties se sont très largement
appuyées sur ces comptes rendus dans leurs écritures et plaidoiries.
203. Aussi, avant de se livrer à un examen des faits allégués sur les-
quels repose la demande formée en la présente affaire, la Cour se pen-
chera-t-elle successivement, dans cette partie de l’arrêt, sur la charge de la
preuve, le critère d’établissement de la preuve et les modes de preuve.
204. En ce qui concerne la charge de la preuve, il est constant que le
demandeur est tenu d’étayer ses arguments, et qu’une partie qui avance un
fait est tenue de l’établir; ainsi qu’exposé par la Cour en l’affaire desActi-
vités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique), «c’est ... au plaideur qui cherche à établir un
fait qu’incombe la charge de la preuve» c (ompétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101). Si cette approche est généralement
acceptée par le demandeur, celui-ci soutient que la charge de la preuve
devrait, à certains égards, être renversée, notamment en ce qui concerne
l’imputabilité au défendeur d’actes de génocide allégués, compte tenu du
refus de celui-ci de produire le texte intégral de certains documents.
205. Le problème concerne, spécifiquement, les sections des docu-
ments du Conseil suprême de la défense du défendeur qui avaient été
noircies de manière à les rendre illisibles. Selon le coagent du défendeur,
ces documents avaient été classés par décision du Conseil suprême comme
secret militaire, et par décision confidentielle du Conseil des ministres de
Serbie-et-Monténégro comme documents dont la divulgation porterait
atteinte à des intérêts de sécurité nationale. Le demandeur soutient que la
Cour devrait tirer ses propres conclusions du refus du défendeur de pro-
duire des copies du texte intégral des documents. Il renvoie au pouvoir
qu’a la Cour, déjà invoqué par lui (paragraphe 44 ci-dessus), de deman-
der la production de documents en vertu de l’article 49 du Statut, lequel
dispose qu’«[e]n cas de refus, [la Cour] en prend acte». Au cours du
second tour de plaidoiries, l’agent adjoint du demandeur a soutenu que
«la Serbie-et-Monténégro ne devrait pas être autorisée à nous
répondre lorsque nous citons les documents expurgés si elle ne com-
munique pas en même temps au demandeur et à la Cour le texte com-
89129 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
unredacted versions of all the SDC shorthand records and of all of
the minutes of the same. Otherwise, Serbia and Montenegro would
have an overriding advantage over Bosnia and Herzegovina with
respect to documents, which are apparently, and not in the last place
in the Respondent’s eyes, of direct relevance to winning or losing
the present case. We explicitly, Madam President, request the Court to
instruct the Respondent accordingly.” (Emphasis in the original.)
206. On this matter, the Court observes that the Applicant has exten-
sive documentation and other evidence available to it, especially from the
readily accessible ICTY records. It has made very ample use of it. In the
month before the hearings it submitted what must be taken to have been
a careful selection of documents from the very many available from the
ICTY. The Applicant called General Sir Richard Dannatt, who, drawing
on a number of those documents, gave evidence on the relationship
between the authorities in the Federal Republic of Yugoslavia and those
in the Republika Srpska and on the matter of control and instruction.
Although the Court has not agreed to either of the Applicant’s requests
to be provided with unedited copies of the documents, it has not failed to
note the Applicant’s suggestion that the Court may be free to draw its
own conclusions.
207. On a final matter relating to the burden of proof, the Applicant
contends that the Court should draw inferences, notably about specific
intent (dolus specialis), from established facts, i.e., from what the Appli-
cant refers to as a “pattern of acts” that “speaks for itself”. The Court
considers that matter later in the Judgment (paragraphs 370-376 below).
208. The Parties also differ on the second matter, the standard of
proof. The Applicant, emphasizing that the matter is not one of criminal
law, says that the standard is the balance of evidence or the balance of
probabilities, inasmuch as what is alleged is breach of treaty obligations.
According to the Respondent, the proceedings “concern the most serious
issues of State responsibility and . . . a charge of such exceptional gravity
against a State requires a proper degree of certainty. The proofs should
be such as to leave no room for reasonable doubt.”
209. The Court has long recognized that claims against a State involv-
ing charges of exceptional gravity must be proved by evidence that is
fully conclusive (cf. Corfu Channel (United Kingdom v. Albania), Judg-
ment, I.C.J. Reports 1949 , p. 17). The Court requires that it be fully con-
vinced that allegations made in the proceedings, that the crime of geno-
cide or the other acts enumerated in Article III have been committed,
have been clearly established. The same standard applies to the proof of
attribution for such acts.
90 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 129
plet et non expurgé de tous les rapports sténographiques et de tous
les comptes rendus du CSD. Sinon, la Serbie-et-Monténégro aurait un
avantage considérable sur la Bosnie-Herzégovine en ce qui concerne
ces documents sur lesquels, apparemment, et certainement aux yeux
du défendeur, toute cette affaire peut se jouer. Nous demandons
expressément à la Cour de donner au défendeur les instructions cor-
respondantes.» (Les italiques sont dans l’original.)
206. A cet égard, la Cour relève que le demandeur dispose d’abondants
documents et autres éléments de preuve provenant notamment des dossiers
facilement accessibles du TPIY. Il y a eu très largement recours. Dans le
mois qui a précédé les audiences, il a soumis une série de documents dont
il y a lieu de penser qu’ils avaient été soigneusement choisis parmi les très
nombreux documents émanant du TPIY. Le demandeur a appelé à la
barre le général Dannatt, lequel, se fondant sur un certain nombre de ces
documents, a témoigné sur les relations entre les autorités de la République
fédérative de Yougoslavie et celles de la Republika Srpska ainsi que sur la
question du contrôle et du commandement. Bien que la Cour n’ait fait
droit à aucune de ses demandes tendant à l’obtention de copies non occul-
tées des documents, elle n’a pas manqué de noter l’argument du deman-
deur selon lequel elle était libre d’en tirer ses propres conclusions.
207. Sur un dernier point ayant trait à la charge de la preuve, le
demandeur soutient que la Cour devrait tirer des déductions, notamment
au sujet de l’intention spécifique (dolus specialis), à partir de faits établis,
c’est-à-dire de ce qu’il présente comme «un ensemble organisé d’actes»
qui «parlent d’eux-mêmes». La Cour examinera cette question plus loin
dans l’arrêt (voir paragraphes 370-376 ci-après).
208. Les Parties n’ont pas non plus le même point de vue concernant
la deuxième question, à savoir le critère d’établissement de la preuve. Le
demandeur, soulignant qu’il ne s’agit pas d’une affaire relevant du droit
pénal, affirme que le critère applicable est celui de la preuve prépondé-
rante ou de l’hypothèse la plus vraisemblable, dans la mesure où ses allé-
gations portent sur des violations d’obligations conventionnelles. Le
défendeur estime pour sa part que l’instance dont la Cour est saisie
«porte sur les questions les plus graves qui soient en matière de respon-
sabilité des Etats et ... une accusation d’une gravité aussi exceptionnelle
formulée contre un Etat exige un degré de certitude approprié. La preuve
ne doit laisser place à aucun doute raisonnable.»
209. La Cour a admis de longue date que les allégations formulées
contre un Etat qui comprennent des accusations d’une exceptionnelle
gravité doivent être prouvées par des éléments ayant pleine force
probante (cf. Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1949, p. 17). La Cour doit être pleinement convaincue
qu’ont été clairement avérées les allégations formulées au cours de l’ins-
tance selon lesquelles le crime de génocide ou les autres actes énumérés à
l’article III ont été commis. Le même critère s’applique à la preuve de
l’attribution de tels actes.
90130 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
210. In respect of the Applicant’s claim that the Respondent has
breached its undertakings to prevent genocide and to punish and extra-
dite persons charged with genocide, the Court requires proof at a high
level of certainty appropriate to the seriousness of the allegation.
211. The Court now turns to the third matter — the method of proof.
The Parties submitted a vast array of material, from different sources, to
the Court. It included reports, resolutions and findings by various United
Nations organs, including the Secretary-General, the General Assembly,
the Security Council and its Commission of Experts, and the Commis-
sion on Human Rights, the Sub-Commission on the Prevention of Dis-
crimination and Protection of Minorities and the Special Rapporteur on
Human Rights in the former Yugoslavia; documents from other inter-
governmental organizations such as the Conference for Security and Co-
operation in Europe; documents, evidence and decisions from the ICTY;
publications from governments; documents from non-governmental
organizations; media reports, articles and books. They also called wit-
nesses, experts and witness-experts (paragraphs 57-58 above).
212. The Court must itself make its own determination of the facts
which are relevant to the law which the Applicant claims the Respondent
has breached. This case does however have an unusual feature. Many of
the allegations before this Court have already been the subject of the
processes and decisions of the ICTY. The Court considers their signifi-
cance later in this section of the Judgment.
213. The assessment made by the Court of the weight to be given to a
particular item of evidence may lead to the Court rejecting the item as
unreliable, or finding it probative, as appears from the practice followed
for instance in the case concerning United States Diplomatic and Consu-
lar Staff in Tehran, Judgment, I.C.J. Reports 1980 , pp. 9-10, paras. 11-
13; Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nica-
ragua v. United States of America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports
1986, pp. 39-41, paras. 59-73; and Armed Activities on the Territory of
the Congo (Democratic Republic of the Congo v. Uganda), Judgment,
I.C.J. Reports 2005, pp. 200-201, paras. 57-61. In the most recent case
the Court said this:
“The Court will treat with caution evidentiary materials specially
prepared for this case and also materials emanating from a single
source. It will prefer contemporaneous evidence from persons with
direct knowledge. It will give particular attention to reliable evidence
acknowledging facts or conduct unfavourable to the State repre-
sented by the person making them (Military and Paramilitary Activi-
91 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 130
210. En ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle le
défendeur a violé les engagements qu’il avait pris de prévenir le génocide
ainsi que de punir et d’extrader les personnes accusées de ce crime, la
Cour exige qu’elle soit prouvée avec un degré élevé de certitude, à la
mesure de sa gravité.
211. La Cour en vient maintenant à la troisième question — les modes
de preuve. Les Parties lui ont présenté une grande quantité de documents
divers, provenant de sources différentes. Ils comprenaient des rapports,
des résolutions et des conclusions de divers organes des Nations Unies,
dont le Secrétaire général, l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et
sa commission d’experts, ainsi que la Commission des droits de l’homme,
la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de
la protection des minorités, et le rapporteur spécial des droits de l’homme
en ex-Yougoslavie; des documents émanant d’autres organisations inter-
gouvernementales, telles que la Conférence sur la sécurité et la coopéra-
tion en Europe; des documents, éléments de preuve et décisions du
TPIY; des publications de gouvernements; des documents émanant
d’organisations non gouvernementales; des comptes rendus et des articles
diffusés par les médias, ainsi que des livres. Les Parties ont aussi appelé à
la barre des témoins, experts et témoins-experts (paragraphes 57-58 plus
haut).
212. La Cour doit déterminer elle-même les faits qui sont pertinents au
regard des règles de droit que, selon le demandeur, le défendeur aurait
transgressées. Cette affaire présente toutefois une caractéristique peu
ordinaire. Un grand nombre des allégations présentées à la Cour ont déjà
fait l’objet d’instances devant le TPIY et de décisions rendues par ce der-
nier. La Cour examinera plus loin dans cette section de l’arrêt l’impor-
tance à leur attribuer.
213. Le jugement qu’elle portera quant au poids à accorder à un élé-
ment de preuve particulier pourra amener la Cour à rejeter cet élément
comme sujet à caution, ou à lui reconnaître force probante, ainsi qu’il
ressort, par exemple, de la pratique suivie dans l’affaire relative au Per-
sonnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis
d’Amérique c. Iran) (arrêt, C.I.J. Recueil 1980 , p. 9-10, par. 11-13), dans
celle des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1986, p. 39-41, par. 59-73) et dans celle des Activités armées sur le terri-
toire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) (arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 200-201, par. 57-61). Dans la toute dernière
affaire, la Cour a indiqué ceci:
«La Cour traitera avec prudence les éléments de preuve spéciale-
ment établis aux fins de l’affaire ainsi que ceux provenant d’une
source unique. Elle leur préférera des informations fournies à
l’époque des événements par des personnes ayant eu de ceux-ci une
connaissance directe. Elle prêtera une attention toute particulière
aux éléments de preuve dignes de foi attestant de faits ou de com-
91131 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
ties in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of
America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986 , p. 41, para. 64).
The Court will also give weight to evidence that has not, even before
this litigation, been challenged by impartial persons for the correct-
ness of what it contains. The Court moreover notes that evidence
obtained by examination of persons directly involved, and who were
subsequently cross-examined by judges skilled in examination and
experienced in assessing large amounts of factual information, some
of it of a technical nature, merits special attention. The Court thus
will give appropriate consideration to the Report of the Porter Com-
mission, which gathered evidence in this manner. The Court further
notes that, since its publication, there has been no challenge to the
credibility of this Report, which has been accepted by both Parties.”
(Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic Repub-
lic of the Congo v. Uganda), Judgment, I.C.J. Reports 2005 ,p.35,
para. 61. See also paras. 78-79, 114 and 237-242.)
214. The fact-finding process of the ICTY falls within this formula-
tion, as “evidence obtained by examination of persons directly involved”,
tested by cross-examination, the credibility of which has not been chal-
lenged subsequently. The Court has been referred to extensive documen-
tation arising from the Tribunal’s processes, including indictments by the
Prosecutor, various interlocutory decisions by judges and Trial Cham-
bers, oral and written evidence, decisions of the Trial Chambers on guilt
or innocence, sentencing judgments following a plea agreement and
decisions of the Appeals Chamber.
215. By the end of the oral proceedings the Parties were in a broad
measure of agreement on the significance of the ICTY material. The
Applicant throughout has given and gives major weight to that material.
At the written stage the Respondent had challenged the reliability of the
Tribunal’s findings, the adequacy of the legal framework under which it
operates, the adequacy of its procedures and its neutrality. At the stage of
the oral proceedings, its position had changed in a major way. In its
Agent’s words, the Respondent now based itself on the jurisprudence of
the Tribunal and had “in effect” distanced itself from the opinions about
the Tribunal expressed in its Rejoinder. The Agent was however careful
to distinguish between different categories of material:
“[W]e do not regard all the material of the Tribunal for the former
Yugoslavia as having the same relevance or probative value. We
have primarily based ourselves upon the judgments of the Tribunal’s
Trial and Appeals Chambers, given that only the judgments can be
92 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 131
portements défavorables à l’Etat que représente celui dont émanent
lesdits éléments (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 41, par. 64). La Cour accordera également du
poids à des éléments de preuve dont l’exactitude n’a pas, même
avant le présent différend, été contestée par des sources impartiales.
La Cour relève par ailleurs qu’une attention particulière mérite
d’être prêtée aux éléments de preuve obtenus par l’audition d’indivi-
dus directement concernés et soumis à un contre-interrogatoire par
des juges rompus à l’examen et à l’appréciation de grandes quantités
d’informations factuelles, parfois de nature technique. Elle tiendra
donc compte comme il convient du rapport de la commission Porter,
qui a suivi cette méthodologie. Elle relève encore que la crédibilité de
ce rapport, qui a été reconnue par les deux Parties, n’a, depuis sa
publication, jamais été contestée.» (Activités armées sur le territoire
du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 35, par. 61. Voir également les para-
graphes 78-79, 114 et 237-242.)
214. Ces termes s’appliquent aussi aux méthodes d’établissement des
faits par le TPIY, en tant qu’«éléments de preuve obtenus par l’audition
d’individus directement concernés», soumis à un contre-interrogatoire,
dont la crédibilité n’a pas ultérieurement été contestée. Les Parties ont
renvoyé la Cour à l’abondante documentation issue des procédures du
Tribunal — actes d’accusation du procureur, décisions interlocutoires
prises par les juges et les chambres de première instance, éléments de
preuve écrits et oraux, décisions des chambres de première instance sur la
culpabilité ou l’innocence de l’accusé, jugements portant condamnation
rendus à la suite d’un accord sur le plaidoyer et décisions de la chambre
d’appel.
215. A la fin de la procédure orale, les Parties étaient parvenues à un
large accord sur l’importance à attacher aux documents du TPIY. Le
demandeur n’a cessé d’y accorder une grande valeur. Au stade de la pro-
cédure écrite, le défendeur avait contesté la fiabilité des conclusions du
Tribunal, de même que la pertinence du cadre juridique dans lequel le
Tribunal se prononce et de ses procédures, ainsi que sa neutralité. Au
stade de la procédure orale, il avait considérablement modifié sa position.
Suivant les termes employés par son agent, le défendeur lui-même faisait
désormais fond sur la jurisprudence du Tribunal et avait effectivement
pris ses distances par rapport aux opinions concernant le Tribunal qu’il
avait exposées dans sa duplique. L’agent a toutefois pris soin de faire la
distinction entre différentes catégories de documents:
«[N]ous ne considérons pas que tous les matériaux du Tribunal
pour l’ex-Yougoslavie revêtent la même pertinence et aient la même
valeur probante. Nous nous appuyons premièrement sur les arrêts et
jugements du Tribunal, vu qu’uniquement les jugements peuvent
92132 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
regarded as establishing the facts about the crimes in a credible
way.”
And he went on to point out that the Tribunal has not so far, with the
exception of Srebrenica, held that genocide was committed in any of the
situations cited by the Applicant. He also called attention to the criti-
cisms already made by Respondent’s counsel of the relevant judgment
concerning General Krstic ´ who was found guilty of aiding and abetting
genocide at Srebrenica.
216. The Court was referred to actions and decisions taken at various
stages of the ICTY processes:
(1) The Prosecutor’s decision to include or not certain changes in an
indictment;
(2) The decision of a judge on reviewing the indictment to confirm it and
issue an arrest warrant or not;
(3) If such warrant is not executed, a decision of a Trial Chamber (of
three judges) to issue an international arrest warrant, provided the
Chamber is satisfied that there are reasonable grounds for believing
that the accused has committed all or any of the crimes charged;
(4) The decision of a Trial Chamber on the accused’s motion for acquit-
tal at the end of the prosecution case;
(5) The judgment of a Trial Chamber following the full hearings;
(6) The sentencing judgment of a Trial Chamber following a guilty plea.
The Court was also referred to certain decisions of the Appeals Chamber.
217. The Court will consider these stages in turn. The Applicant
placed some weight on indictments filed by the Prosecutor. But the claims
made by the Prosecutor in the indictments are just that — allegations
made by one party. They have still to proceed through the various phases
outlined earlier. The Prosecutor may, instead, decide to withdraw charges
of genocide or they may be dismissed at trial. Accordingly, as a general
proposition the inclusion of charges in an indictment cannot be given
weight. What may however be significant is the decision of the Prosecu-
tor, either initially or in an amendment to an indictment, not to include
or to exclude a charge of genocide.
218. The second and third stages, relating to the confirmation of the
indictment, issues of arrest warrants and charges, are the responsibility of
the judges (one in the second stage and three in the third) rather than the
Prosecutor, and witnesses may also be called in the third, but the accused
is generally not involved. Moreover, the grounds for a judge to act are, at
the second stage, that a prima facie case has been established, and at the
93 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 132
être considérés comme établissant de manière crédible les faits concer-
nant les crimes perpétrés.»
Il a poursuivi en faisant observer que, sauf en ce qui concernait Srebre-
nica, le Tribunal n’avait à ce jour conclu au génocide dans aucune des
situations invoquées par le demandeur. Il a également attiré l’attention
sur les critiques déjà formulées par le conseil du défendeur à l’égard du
jugement par lequel le général Krstic´ avait été reconnu coupable de com-
plicité («aiding and abetting») de génocide à Srebrenica.
216. Plusieurs décisions, correspondant aux diverses étapes de la pro-
cédure du TPIY, ont été portées à l’attention de la Cour:
1) décisions, prises par le procureur, d’inclure ou non certains chefs dans
un acte d’accusation;
2) décisions, prises par un juge après examen de l’acte d’accusation, de
confirmer celui-ci et d’émettre ou non un mandat d’arrêt;
3) en cas d’inexécution de ce mandat d’arrêt, décision prise par une
chambre de première instance (composée de trois juges), de délivrer
un mandat d’arrêt international, sous réserve que la chambre ait été
convaincue qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’accusé a
commis les crimes ou l’un des crimes qui lui sont reprochés;
4) décisions, prises par une chambre de première instance, concernant la
demande d’acquittement déposée par un accusé à l’issue de la présen-
tation des moyens de l’accusation;
5) jugements rendus par une chambre de première instance à l’issue d’un
procès;
6) jugements portant condamnation rendus par une chambre de pre-
mière instance à la suite d’un plaidoyer de culpabilité.
Certaines décisions de la chambre d’appel ont aussi été portées à l’atten-
tion de la Cour.
217. La Cour examinera ces étapes les unes après les autres. Le deman-
deur a accordé un certain poids aux actes d’accusation établis par le pro-
cureur. Toutefois, les allégations qui y sont formulées par le procureur ne
sont rien de plus que les allégations d’une partie. Elles doivent encore être
examinées dans le cadre des différentes étapes indiquées ci-dessus. Le
procureur peut décider de retirer les accusations de génocide et celles-ci
peuvent également être écartées au procès. Dès lors, l’on ne saurait, en
règle générale, accorder de poids au fait que tel ou tel chef figure dans un
acte d’accusation. Ce qui, en revanche, peut être important, c’est la déci-
sion prise par le procureur, d’emblée ou par modification de l’acte
d’accusation, de ne pas inclure ou de retirer le chef de génocide.
218. La deuxième et la troisième étapes, qui ont trait à la confirmation
de l’acte d’accusation aux mandats d’arrêt et aux chefs d’accusation, sont
de la responsabilité des juges (un seul dans la deuxième étape et trois dans
la troisième) et non de celle du procureur, et des témoins peuvent aussi
être cités dans la troisième étape, mais l’accusé ne participe généralement
pas à celle-ci. En outre, les motifs de la décision sont, en ce qui concerne
93133 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
third, that reasonable grounds exist for belief that the accused has com-
mitted crimes charged.
219. The accused does have a role at the fourth stage — motions for
acquittal made by the defence at the end of the prosecution’s case and
after the defence has had the opportunity to cross-examine the prosecu-
tion’s witnesses, on the basis that “there is no evidence capable of sup-
porting a conviction”. This stage is understood to require a decision, not
that the Chamber trying the facts would be satisfied beyond reasonable
doubt by the prosecution’s evidence (if accepted), but rather that it could
be so satisfied (Jelisic ´, IT-95-10-A, Appeals Chamber Judgment,
5 July 2001, para. 37). The significance of that lesser standard for present
purposes appears from one case on which the Applicant relied. The Trial
Chamber in August 2005 in Krajišnik dismissed the defence motion that
the accused who was charged with genocide and other crimes had no case
to answer (IT-00-39-T, transcript of 19 August 2005, pp. 17112-17132).
But following the full hearing the accused was found not guilty of geno-
cide nor of complicity in genocide. While the actus reus of genocide was
established, the specific intent (dolus specialis) was not (Trial Chamber
Judgment, 27 September 2006, paras. 867-869). Because the judge or the
Chamber does not make definitive findings at any of the four stages
described, the Court does not consider that it can give weight to those
rulings. The standard of proof which the Court requires in this case
would not be met.
220. The processes of the Tribunal at the fifth stage, leading to a judg-
ment of the Trial Chamber following the full hearing are to be contrasted
with those earlier stages. The processes of the Tribunal leading to final
findings are rigorous. Accused are presumed innocent until proved guilty
beyond reasonable doubt. They are entitled to listed minimum guaran-
tees (taken from the International Covenant on Civil and Political Rights),
including the right to counsel, to examine witness against them, to obtain
the examination of witness on their behalf, and not to be compelled to
testify against themselves or to confess guilt. The Tribunal has powers to
require Member States of the United Nations to co-operate with it,
among other things, in the taking of testimony and the production of evi-
dence. Accused are provided with extensive pre-trial disclosure including
materials gathered by the prosecution and supporting the indictment, rele-
vant witness statements and the pre-trial brief summarizing the evidence
against them. The prosecutor is also to disclose exculpatory material to
the accused and to make available in electronic form the collections of
relevant material which the prosecution holds.
94 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 133
la deuxième étape, tirés du fait qu’au vu des présomptions, il y a lieu
d’engager des poursuites, et en ce qui concerne la troisième, du fait qu’il
existe des éléments permettant de soutenir raisonnablement que l’accusé
a commis les crimes qui lui sont reprochés.
219. L’accusé joue un rôle, en revanche, lors de la quatrième étape
— celle des demandes d’acquittement que forme la défense à la fin de la
présentation des moyens à charge et après avoir eu la possibilité de sou-
mettre à contre-interrogatoire les témoins de l’accusation, en faisant valoir
qu’«il n’y a pas d’éléments de preuve susceptible[s] de justifier une condam-
nation». Dans cette étape, le critère n’est pas que la chambre jugeant les
faits soit convaincue au-delà de tout doute raisonnable au vu des moyens à
charge (si ceux-ci sont admis), mais qu’ellepuisse l’être (Je´, IT-95-10-A,
chambre d’appel, arrêt du 5 juillet 2001, par. 37). Une affaire invoquée par
le demandeur fait ressortir l’importance, aux fins de la présente espèce, de la
moindre rigueur du critère. La chambre de première instance, en août 2005,
dans l’affaire Krajišnik, a rejeté la demande de non-lieu présentée par la
défense au nom de l’accusé, lequel devait répondre du crime de génocide et
d’autres crimes (IT-00-39-T, compte rendu d’audiences du 19 août 2005,
p. 17112-17132). A l’issue d’un procès, l’accusé fut toutefois déclaré non
coupable des crimes de génocide et de complicité de génocide. L ac’tus reus
du génocide était bien établi, mais l’intention spécifiquedolus specialis) ne
l’était pas (chambre de première instance, jugement du 27 septembre 2006,
par. 867-869). Le juge ou la chambre ne formulant de conclusion définitive
dans aucune des quatre étapes susmentionnées, la Cour n’estime pas pou-
voir accorder de poids à ces décisions. Cela ne satisferait pas au critère
d’établissement de la preuve requis par la Cour en l’espèce.
220. Il faut distinguer les procédures correspondant à ces premières
étapes de celles par lesquelles la chambre de première instance rend, lors
de la cinquième étape, son jugement à l’issue d’un procès. Les procédures
par lesquelles le Tribunal parvient à ses conclusions finales sont rigou-
reuses. Les accusés sont présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité
soit établie au-delà de tout doute raisonnable. Ils ont droit au moins à des
garanties minimales déterminées (tirées du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques), parmi lesquelles le droit de se faire assister par
un conseil, de contre-interroger les témoins à charge, d’obtenir que les
témoins à décharge soient interrogés et de ne pas être forcés de témoigner
contre eux-mêmes ou de s’avouer coupables. Le Tribunal dispose des pou-
voirs nécessaires pour exiger des Etats Membres des Nations Unies qu’ils
coopèrent avec lui, en ce qui concerne, notamment, la réunion des témoi-
gnages et la production des preuves. L’accusé reçoit communication,
préalablement à l’ouverture du procès, de nombreux éléments, parmi les-
quels les pièces réunies par l’accusation à l’appui de l’acte d’accusation,
les dépositions pertinentes de témoins et le mémoire préalable du procu-
reur dans lequel les éléments de preuve à charge sont résumés. Le procu-
reur doit également communiquer à la défense tous les éléments de
preuve de nature à disculper l’accusé et mettre à sa disposition, sous
forme électronique, l’ensemble des documents pertinents qu’il détient.
94134 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
221. In practice, now extending over ten years, the trials, many of
important military or political figures for alleged crimes committed over
long periods and involving complex allegations, usually last for months,
even years, and can involve thousands of documents and numerous
witnesses. The Trial Chamber may admit any relevant evidence which
has probative value. The Chamber is to give its reasons in writing and
separate and dissenting opinions may be appended.
222. Each party has a right of appeal from the judgment of the Trial
Chamber to the Appeals Chamber on the grounds of error of law invali-
dating the decision or error of fact occasioning a miscarriage of justice.
The Appeals Chamber of five judges does not rehear the evidence, but it
does have power to hear additional evidence if it finds that it was not
available at trial, is relevant and credible and could have been a decisive
factor in the trial. It too is to give a reasoned opinion in writing to which
separate or dissenting opinions may be appended.
223. In view of the above, the Court concludes that it should in prin-
ciple accept as highly persuasive relevant findings of fact made by the Tri-
bunal at trial, unless of course they have been upset on appeal. For the
same reasons, any evaluation by the Tribunal based on the facts as so
found for instance about the existence of the required intent, is also
entitled to due weight.
224. There remains for consideration the sixth stage, that of senten-
cing judgments given following a guilty plea. The process involves a state-
ment of agreed facts and a sentencing judgment. Notwithstanding the
guilty plea the Trial Chamber must be satisfied that there is sufficient fac-
tual basis for the crime and the accused’s participation in it. It must also
be satisfied that the guilty plea has been made voluntarily, is informed
and is not equivocal. Accordingly the agreed statement and the senten-
cing judgment may when relevant be given a certain weight.
*
225. The Court will now comment in a general way on some of the
other evidence submitted to it. Some of that evidence has been produced
to prove that a particular statement was made so that the Party may
make use of its content. In many of these cases the accuracy of the docu-
ment as a record is not in doubt; rather its significance is. That is often
the case for instance with official documents, such as the record of par-
liamentary bodies and budget and financial statements. Another instance
is when the statement was recorded contemporaneously on audio or
videotape. Yet another is the evidence recorded by the ICTY.
95 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 134
221. Dans la pratique, qui s’étend maintenant sur plus de dix ans, les
procès, dont beaucoup sont engagés à l’encontre de personnalités mili-
taires ou politiques pour des crimes qui auraient été commis sur de longues
périodes, et qui comportent des allégations complexes, durent générale-
ment des mois, voire des années, et peuvent entraîner l’examen de milliers
de documents et l’audition de nombreux témoins. La chambre de pre-
mière instance peut admettre tout élément de preuve pertinent ayant
valeur probante. La chambre doit motiver sa décision par écrit et les
juges peuvent y joindre des opinions individuelles et dissidentes.
222. Chaque partie a le droit de faire appel du jugement de la chambre
de première instance devant la chambre d’appel en invoquant une erreur
sur un point de droit invalidant la décision ou une erreur de fait ayant
entraîné un déni de justice. La chambre d’appel, composée de cinq juges,
ne réexamine pas les éléments de preuve, mais elle a le pouvoir d’examiner
un nouvel élément si elle estime qu’il ne pouvait pas être obtenu au moment
du procès, qu’il est pertinent et crédible et qu’il aurait pu constituer un élé-
ment décisif dans le procès. Elle doit aussi motiver sa décision par écrit et
les juges peuvent y joindre des opinions individuelles ou dissidentes.
223. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle doit en principe
admettre comme hautement convaincantes les conclusions de fait perti-
nentes auxquelles est parvenu le Tribunal en première instance, à moins,
évidemment, qu’elles n’aient été infirmées en appel. Pour les mêmes rai-
sons, il convient également de donner dûment poids à toute appréciation
du Tribunal fondée sur les faits ainsi établis, concernant par exemple
l’existence de l’intention requise.
224. Il reste à examiner la sixième étape, celle des jugements portant
condamnation à la suite d’un plaidoyer de culpabilité. Cette procédure com-
prend un exposé des faits admis et un jugement portant condamnation.
Nonobstant le plaidoyer de culpabilité, la chambre de première instance
doit être convaincue que le crime et la participation de l’accusé sont établis
par des faits suffisants. Elle doit également être convaincue que le plaidoyer
de culpabilité a été fait délibérément, en connaissance de cause et de manière
non équivoque. En conséquence, la Cour pourra, le cas échéant, accorder un
certain poids à l’exposé des faits et au jugement portant condamnation.
*
225. La Cour formulera maintenant des observations générales concer-
nant d’autres éléments de preuve qui lui ont été présentés. Certains de ces
éléments ont été produits aux fins de prouver que des propos déterminés
avaient effectivement été tenus et qu’il était donc possible d’en invoquer
le contenu. Dans de nombreux cas, ce n’est pas l’authenticité ou la véra-
cité du document qui est en cause, mais la valeur à lui accorder. Il en va
ainsi souvent des documents officiels, tels que les comptes rendus d’or-
ganes parlementaires ou les états budgétaires et financiers. C’est aussi le
cas des déclarations enregistrées à l’époque sur support vidéo ou audio,
ou encore des éléments de preuve enregistrés par le TPIY.
95135 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
226. In some cases the account represents the speaker’s own know-
ledge of the fact to be determined or evaluated. In other cases the account
may set out the speaker’s opinion or understanding of events after they
have occurred and in some cases the account will not be based on direct
observation but may be hearsay. In fact the Parties rarely disagreed
about the authenticity of such material but rather about whether it was
being accurately presented (for instance with contention that passages
were being taken out of context) and what weight or significance should
be given to it.
227. The Court was also referred to a number of reports from official
or independent bodies, giving accounts of relevant events. Their value
depends, among other things, on (1) the source of the item of evidence
(for instance partisan, or neutral), (2) the process by which it has been
generated (for instance an anonymous press report or the product of a
careful court or court-like process), and (3) the quality or character of the
item (such as statements against interest, and agreed or uncontested
facts).
228. One particular instance is the comprehensive report, “The Fall of
Srebrenica”, which the United Nations Secretary-General submitted
in November 1999 to the General Assembly (United Nations doc. A/54/
549). It was prepared at the request of the General Assembly, and cov-
ered the events from the establishing by the Security Council of the “safe
area” on 16 April 1993 (Security Council resolution 819 (1993)) until the
endorsement by the Security Council on 15 December 1995 of the Day-
ton Agreement. Member States and others concerned had been encour-
aged to provide relevant information. The Secretary-General was in a
very good position to prepare a comprehensive report, some years after
the events, as appears in part from this description of the method of
preparation:
“This report has been prepared on the basis of archival research
within the United Nations system, as well as on the basis of inter-
views with individuals who, in one capacity or another, participated
in or had knowledge of the events in question. In the interest of gain-
ing a clearer understanding of these events, I have taken the excep-
tional step of entering into the public record information from the
classified files of the United Nations. In addition, I would like to
record my thanks to those Member States, organizations and indi-
viduals who provided information for this report. A list of persons
interviewed in this connection is attached as annex 1. While that list
is fairly extensive, time, as well as budgetary and other constraints,
precluded interviewing many other individuals who would be in a
position to offer important perspectives on the subject at hand. In
most cases, the interviews were conducted on a non-attribution
basis to encourage as candid a disclosure as possible. I have also
honoured the request of those individuals who provided informa-
96 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 135
226. Dans certains cas, le contenu de ces propos représente ce que
l’auteur sait lui-même du fait devant être déterminé ou évalué. Dans
d’autres cas, il peut refléter l’opinion ou l’appréciation à posteriori du
narrateur quant aux événements; parfois, il peut ne pas être fondé sur un
témoignage direct, mais sur des ouï-dire. En fait, si les Parties n’ont que
rarement été en désaccord sur l’authenticité des preuves, elles se sont en
revanche opposées sur la question de savoir si celles-ci étaient présentées
de manière fidèle (arguant par exemple que les passages cités étaient sor-
tis de leur contexte) et quel poids ou valeur leur accorder.
227. La Cour a également été priée de se reporter à un certain nombre
de rapports émanant d’organes officiels ou indépendants relatant certains
faits pertinents. Leur valeur dépend, entre autres, 1) de la source de l’élé-
ment de preuve (par exemple, la source est-elle partiale ou neutre?), 2) de
la manière dont il a été obtenu (par exemple, est-il tiré d’un rapport de
presse anonyme ou résulte-t-il d’une procédure judiciaire ou quasi judi-
ciaire minutieuse?) et 3) de sa nature ou de son caractère (s’agit-il de
déclarations contraires aux intérêts de leurs auteurs, de faits admis ou
incontestés?).
228. Constitue un exemple particulier le rapport exhaustif intitulé «La
chute de Srebrenica», que le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies a présenté en novembre 1999 à l’Assemblée générale
(Nations Unies, doc. A/54/549). Etabli à la demande de celle-ci, le rap-
port portait sur les événements survenus depuis la création de la zone de
sécurité par le Conseil de sécurité, le 16 avril 1993 (résolution 819 (1993)
du Conseil de sécurité) jusqu’à l’endossement par celui-ci, le 15 décembre
1995, des accords de Dayton. Les Etats Membres et les autres parties
concernées avaient été exhortés à fournir toute information pertinente.
Le Secrétaire général était fort bien placé pour établir un rapport exhaus-
tif, quelques années après les événements, ainsi qu’il ressort notamment
de cette description de sa méthode de travail:
«Le présent rapport a été établi grâce aux archives des organismes
des Nations Unies ainsi qu’aux entretiens avec des personnes qui, à
des titres divers, ont participé aux événements en cause ou en avaient
une connaissance approfondie. Pour pouvoir faire mieux comprendre
ce qui s’est passé, j’ai décidé, à titre exceptionnel, de divulguer
des informations figurant dans les dossiers confidentiels de l’Organi-
sation des Nations Unies. Par ailleurs, je tiens à remercier les Etats
Membres, les organisations et les personnes qui ont communiqué des
informations pour l’établissement du texte. On trouvera à l’annexe 1
une liste des personnes avec lesquelles des entretiens ont eu lieu. Bien
que cette liste soit assez longue, des considérations de temps et
d’argent, entre autres, ne nous ont pas permis de nous entretenir
avec de nombreuses autres personnes qui auraient été en mesure
d’éclaircir d’importants aspects de la question. Dans la plupart des
cas, les entretiens ont été menés sous le couvert de l’anonymat afin
d’encourager la plus grande franchise possible. J’ai également fait
96136 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
tion for this report on the condition that they not be identified.”
(A/54/549, para. 8.)
229. The chapter, “Fall of Srebrenica: 6-11 July 1995”, is preceded by
this note:
“The United Nations has hitherto not publicly disclosed the full
details of the attack carried out on Srebrenica from 6 to 11 July 1995.
The account which follows has now been reconstructed mainly from
reports filed at that time by Dutchbat and the United Nations mili-
tary observers. The accounts provided have also been supplemented
with information contained in the Netherlands report on the debrief-
ing of Dutchbat, completed in October 1995, and by information
provided by Bosniac, Bosnian Serb and international sources. In
order to independently examine the information contained in vari-
ous secondary sources published over the past four years, as well to
corroborate key information contained in the Netherlands debrief-
ing report, interviews were conducted during the preparation of this
report with a number of key personnel who were either in Srebrenica
at the time, or who were involved in decision-making at higher levels
in the United Nations chain of command.” (A/54/549, Chap. VII,
p. 57.)
The introductory note to the next chapter, “The Aftermath of the fall of
Srebrenica: 12-20 July 1995”, contains this description of the sources:
“The following section attempts to describe in a coherent narra-
tive how thousands of men and boys were summarily executed and
buried in mass graves within a matter of days while the international
community attempted to negotiate access to them. It details how evi-
dence of atrocities taking place gradually came to light, but too late
to prevent the tragedy which was unfolding. In 1995, the details of
the tragedy were told in piecemeal fashion, as survivors of the mass
executions began to provide accounts of the horrors they had wit-
nessed; satellite photos later gave credence to their accounts.
The first official United Nations report which signalled the possi-
bility of mass executions having taken place was the report of the
Special Rapporteur of the Commission on Human Rights,
dated 22 August 1995 (E/CN.4/1996/9). It was followed by the Sec-
retary-General’s reports to the Security Council, pursuant to resolu-
tion 1010 (1995), of 30 August (S/1995/755) and 27 November 1995
(S/1995/988). Those reports included information obtained from
governmental and non-governmental organizations, as well as infor-
mation that had appeared in the international and local press. By the
end of 1995, however, the International Tribunal for the Former
97 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 136
droit à la demande des personnes qui ont communiqué des infor-
mations à condition de ne pas être identifiées.» (Nations Unies,
doc. A/54/549, par. 8.)
229. Le chapitre intitulé «La chute de Srebrenica: 6-11 juillet 1995»
est précédé de la note suivante:
«A ce jour, l’ONU n’a pas encore rendu publics tous les détails de
l’offensive de Srebrenica qui s’est déroulée du 6 au 11 juillet 1995. Le
compte rendu qui suit a été reconstitué essentiellement à partir des
rapports de l’époque établis par le bataillon néerlandais et les obser-
vateurs militaires des Nations Unies. Ces rapports ont été complétés
par des informations contenues dans le rapport de fin de mission du
bataillon néerlandais présenté par les Pays-Bas, daté d’octobre 1995,
ainsi que par des renseignements de sources bosniennes, serbes de
Bosnie et internationales. Il fallait examiner de manière indépen-
dante les données contenues dans les diverses sources secondaires
publiées au cours des quatre dernières années et corroborer les don-
nées du rapport de fin de mission des Pays-Bas. Pour ce faire, des
entretiens ont été organisés au cours de la rédaction du présent rap-
port avec plusieurs des acteurs qui se trouvaient à Srebrenica à
l’époque ou qui participaient à la prise des décisions aux échelons
supérieurs de la hiérarchie de l’ONU.» (A/54/549, chap. VII, p. 61.)
La note introductive du chapitre suivant, «Conséquences de la chute de
Srebrenica: période du 12 au 20 juillet 1995», présente les sources de la
manière suivante:
«Dans la section suivante, on essaie de décrire, dans un récit cohé-
rent, comment des milliers d’hommes et de jeunes garçons ont été
sommairement exécutés et enterrés dans des charniers dans l’espace de
quelques jours, tandis que la communauté internationale tentait de
négocier un droit d’accès. On y indique que des éléments de preuve
ont été progressivement découverts sur les atrocités commises, mais
trop tardivement pour empêcher la tragédie qui se déroulait. En 1995,
les détails de cette tragédie ont été relatés au coup par coup par des
personnes qui avaient survécu aux exécutions massives et qui com-
mençaient à faire le récit des horreurs dont elles avaient été témoins;
des photos prises par satellite ont corroboré ultérieurement ces récits.
Le premier document officiel de l’Organisation des Nations Unies
qui évoquait la possibilité d’exécutions massives était le rapport du
rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme en date du
22 août 1995 (E/CN.4/1996/9). Il a été suivi des rapports datés du
30 août (S/1995/755) et du 27 novembre 1995 (S/1995/988), que le
Secrétaire général a soumis au Conseil de sécurité en application de la
résolution 1010 (1995). Ces rapports contenaient des renseignements
recueillis auprès d’organisations gouvernementales ou non gouverne-
mentales et reprenaient des informations publiées dans la presse inter-
nationale et dans la presse locale. Cependant, à la fin de 1995, le Tri-
97137 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Yugoslavia had still not been granted access to the area to corrobo-
rate the allegations of mass executions with forensic evidence.
The Tribunal first gained access to the crime scenes in Janu-
ary 1996. The details of many of their findings were made public in
July 1996, during testimony under rule 60 of the Tribunal’s rules of
procedure, in the case against Ratio [sic: Ratko] Ml´ and Radovan
Karadžic´. Between that time and the present, the Tribunal has been
able to conduct further investigations in the areas where the execu-
tions were reported to have taken place and where the primary and
secondary mass graves were reported to have been located. On the
basis of the forensic evidence obtained during those investigations,
the Tribunal has now been able to further corroborate much of the
testimony of the survivors of the massacres. On 30 October 1998, the
Tribunal indicted Radislav Krsti´, Commander of the BSA’s Drina
Corps, for his alleged involvement in those massacres. The text of the
indictment provides a succinct summary of the information obtained
to date on where and when the mass executions took place.
The aforementioned sources of information, coupled with certain
additional confidential information that was obtained during the
preparation of this report, form the basis of the account which fol-
lows. Sources are purposely not cited in those instances where such
disclosure could potentially compromise the Tribunal’s ongoing
work.” (A/54/549, Chap. VIII, p. 77.)
230. The care taken in preparing the report, its comprehensive sources
and the independence of those responsible for its preparation all lend
considerable authority to it. As will appear later in this Judgment, the
Court has gained substantial assistance from this report.
* * *
VI. THE F ACTS NVOKED BY THE A PPLICANT,IN R ELATION TO A RTICLE II
(1) The Background
231. In this case the Court is seised of a dispute between two sovereign
States, each of which is established in part of the territory of the former
State known as the Socialist Federal Republic of Yugoslavia, concerning
the application and fulfilment of an international convention to which
they are parties, the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide. The task of the Court is to deal with the legal
claims and factual allegations advanced by Bosnia and Herzegovina
against Serbia and Montenegro; the counter-claim advanced earlier in
the proceedings by Serbia and Montenegro against Bosnia and Herze-
govina has been withdrawn.
98 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 137
bunal international pour l’ex-Yougoslavie n’avait pas encore obtenu
l’autorisation d’accéder à la zone pour corroborer les allégations fai-
sant état d’exécutions massives avec des preuves médico-légales.
C’est en janvier 1996 que le Tribunal a été autorisé pour la première
fois à se rendre sur les lieux des crimes. Une description détaillée de ses
constatations a été publiée en juillet 1996 lors des dépositions faites
conformément à l’article 60 du règlement de procédure du Tribunal,
dans l’action engagée contre Ratko Mladic ´ et Radovan Karadžic ´.
Depuis cette date et jusqu’à ce jour, le Tribunal a pu mener des enquêtes
plus poussées dans les zones où les exécutions auraient eu lieu et sur
les sites primaires et secondaires où des charniers auraient été repérés.
Sur la base des données scientifiques recueillies lors de ces enquêtes, le
Tribunal a pu corroborer de nombreux témoignages fournis par les sur-
vivants des massacres. Le 30 octobre 1998, il a inculpé Radislav Krstic´,
commandant du corps Drina de l’armée des Serbes de Bosnie, pour son
rôle présumé dans ces massacres. L’acte d’accusation donne un résumé
succinct des informations obtenues à ce jour sur les lieux où les exécu-
tions massives ont été commises et les dates auxquelles elles ont eu lieu.
Les sources d’information susmentionnées, conjuguées à certains
renseignements complémentaires à caractère confidentiel qui ont été
recueillis lors de l’établissement du présent rapport, constituent la
base du compte rendu présenté ci-dessous. Les sources ont été déli-
bérément occultées lorsque leur divulgation risque d’avoir des consé-
quences fâcheuses pour la poursuite des travaux du Tribunal.»
(A/54/549, chap. VIII, p. 78.)
230. Le soin avec lequel ce rapport a été établi, la diversité de ses
sources et l’indépendance des personnes chargées de son élaboration lui
confèrent une autorité considérable. Comme on le verra dans la suite
de l’arrêt, il a été extrêmement utile à la Cour.
* * *
VI. L ES FAITS INVOQUÉS PAR LE DEMANDEUR EN RAPPORT AVEC
L’ARTICLE II
1) Le contexte
231. En l’espèce, la Cour est saisie d’un différend opposant deux Etats
souverains, l’un et l’autre situés sur une partie du territoire de l’ancien Etat
connu sous le nom de République populaire fédérative (ou République
fédérative socialiste) de Yougoslavie, au sujet de l’application et de l’exécu-
tion d’une convention internationale à laquelle ils sont parties, la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide. La Cour a
pour tâche d’examiner les demandes d’ordre juridique et les allégations fac-
tuelles formulées par la Bosnie-Herzégovine à l’encontre de la Serbie-et-
Monténégro; la demande reconventionnelle soulevée au début de l’instance
par la Serbie-et-Monténégro contre la Bosnie-Herzégovine a été retirée.
98138 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
232. Following the death on 4 May 1980 of President Tito, a rotating
presidency was implemented in accordance with the 1974 Constitution of
the SFRY. After almost ten years of economic crisis and the rise of
nationalism within the republics and growing tension between different
ethnic and national groups, the SFRY began to break up. On
25 June 1991, Slovenia and Croatia declared independence, followed by
Macedonia on 17 September 1991. (Slovenia and Macedonia are not con-
cerned in the present proceedings; Croatia has brought a separate case
against Serbia and Montenegro, which is still pending on the General
List.) On the eve of the war in Bosnia and Herzegovina which then broke
out, according to the last census (31 March 1991), some 44 per cent of
the population of the country described themselves as Muslims, some
31 per cent as Serbs and some 17 per cent as Croats (Krajišnik, IT-00-
39-T and 40-T, Trial Chamber Judgment, 27 September 2006, para. 15).
233. By a “sovereignty” resolution adopted on 14 October 1991, the
Parliament of Bosnia and Herzegovina declared the independence of the
Republic. The validity of this resolution was contested at the time by
the Serbian community of Bosnia and Herzegovina (Opinion No. 1 of the
Arbitration Commission of the Conference on Yugoslavia (the Badinter
Commission), p. 3). On 24 October 1991, the Serb Members of the
Bosnian Parliament proclaimed a separate Assembly of the Serb Nation/
Assembly of the Serb People of Bosnia and Herzegovina. On 9 Janu-
ary 1992, the Republic of the Serb People of Bosnia and Herzegovina
(subsequently renamed the Republika Srpska on 12 August 1992) was
declared with the proviso that the declaration would come into force
upon international recognition of the Republic of Bosnia and Herze-
govina. On 28 February 1992, the Constitution of the Republic of the
Serb People of Bosnia and Herzegovina was adopted. The Republic of
the Serb People of Bosnia and Herzegovina (and subsequently the Repub-
lika Srpska) was not and has not been recognized internationally as a
State; it has however enjoyed some de facto independence.
234. On 29 February and 1 March 1992, a referendum was held on the
question of independence in Bosnia and Herzegovina. On 6 March 1992,
Bosnia and Herzegovina officially declared its independence. With effect
from 7 April 1992, Bosnia and Herzegovina was recognized by the Euro-
pean Community. On 7 April 1992, Bosnia and Herzegovina was recog-
nized by the United States. On 27 April 1992, the Constitution of the
Federal Republic of Yugoslavia was adopted consisting of the Republic
of Serbia and the Republic of Montenegro. As explained above (para-
graph 67), Montenegro declared its independence on 3 June 2006. All
three States have been admitted to membership of the United Nations:
Bosnia and Herzegovina on 22 May 1992; Serbia and Montenegro,
under the name of the Federal Republic of Yugoslavia on 1 Novem-
ber 2000; and the Republic of Montenegro on 28 June 2006.
**
99 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 138
232. A la suite du décès du président Tito, le 4 mai 1980, une prési-
dence tournante fut instituée en application des dispositions de la Cons-
titution de la RFSY de 1974. Après une crise économique longue de près
de dix ans, et dans un contexte de montée du nationalisme au sein des
républiques et d’aggravation des tensions entre les divers groupes eth-
niques et groupes nationaux, la RFSY commença à se désintégrer. Le
25 juin 1991, la Slovénie et la Croatie déclarèrent leur indépendance, sui-
vies par la Macédoine le 17 septembre 1991. (La Slovénie et la Macédoine
ne sont pas concernées par la présente instance; la Croatie a introduit
une instance distincte contre la Serbie-et-Monténégro, qui demeure ins-
crite au rôle général de la Cour.) D’après le dernier recensement en date
(celui du 31 mars 1991), les habitants étaient, à la veille de la guerre en
Bosnie-Herzégovine, quelque 44 % à se déclarer Musulmans, 31 % Serbes
et 17 % Croates (Krajišnik, IT-00-39-T et 40-T, chambre de première ins-
tance, jugement du 27 septembre 2006, par. 15).
233. Par une résolution sur la «souveraineté» adoptée le 14 octobre
1991, le Parlement de Bosnie-Herzégovine déclara l’indépendance de la
République. La validité de cette résolution fut contestée à l’époque par la
o
communauté serbe de Bosnie-Herzégovine (avis n 1 de la commission
d’arbitrage de la conférence sur la Yougoslavie (commission Badinter),
p. 3). Le 24 octobre 1991, les membres serbes du Parlement bosniaque
créèrent une assemblée distincte de la nation serbe/assemblée des Serbes
de Bosnie-Herzégovine. Le 9 janvier 1992 fut proclamée la République
du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine (qui allait devenir la Republika
Srpska le 12 août 1992), avec la réserve que la proclamation prendrait
effet dès qu’interviendrait une reconnaissance sur le plan international de
la République de Bosnie-Herzégovine. Le 28 février 1992 fut adoptée la
Constitution de la République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine.
La République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine (et la Republika
Srpska ensuite) ne fut pas reconnue et n’a pas été reconnue sur le plan
international en tant qu’Etat; elle a toutefois joui d’une certaine indépen-
dance de fait.
er
234. Les 29 février et 1 mars 1992, un référendum fut organisé sur la
question de l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Le 6 mars 1992, la
Bosnie-Herzégovine déclara officiellement son indépendance. Elle fut
reconnue par la Communauté européenne avec effet à dater du
7 avril 1992. Le 7 avril 1992, elle fut reconnue par les Etats-Unis. Le
27 avril 1992 fut adoptée la Constitution de la République fédérale de
Yougoslavie, composée de la République de Serbie et de la République
du Monténégro. Ainsi qu’indiqué plus haut (paragraphe 67), le Monté-
négro a déclaré son indépendance le 3 juin 2006. Les trois Etats ont été
admis à l’Organisation des Nations Unies: la Bosnie-Herzégovine le
22 mai 1992; la Serbie-et-ernténégro, sous le nom de République fédé-
rale de Yougoslavie, le 1 novembre 2000; et la République du Monté-
négro le 28 juin 2006.
**
99139 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(2) The Entities Involved in the Events Complained of
235. It will be convenient next to define the institutions, organizations
or groups that were the actors in the tragic events that were to unfold in
Bosnia and Herzegovina. Of the independent sovereign States that had
emerged from the break-up of the SFRY, two are concerned in the
present proceedings: on the one side, the FRY (later to be called Serbia
and Montenegro), which was composed of the two constituent republics
of Serbia and Montenegro; on the other, the Republic of Bosnia and
Herzegovina. At the time when the latter State declared its independence
(15 October 1991), the independence of two other entities had already
been declared: in Croatia, the Republika Srpska Krajina, on
26 April 1991, and the Republic of the Serb People of Bosnia and Herze-
govina, later to be called the Republika Srpska, on 9 January 1992 (para-
graph 233 above). The Republika Srpska never attained international
recognition as a sovereign State, but it had de facto control of substantial
territory, and the loyalty of large numbers of Bosnian Serbs.
236. The Parties both recognize that there were a number of entities at
a lower level the activities of which have formed part of the factual issues
in the case, though they disagree as to the significance of those activities.
Of the military and paramilitary units active in the hostilities, there were
in April 1992 five types of armed formations involved in Bosnia: first, the
Yugoslav People’s Army (JNA), subsequently the Yugoslav Army (VJ);
second, volunteer units supported by the JNA and later by the VJ, and
the Ministry of the Interior (MUP) of the FRY; third, municipal Bosnian
Serb Territorial Defence (TO) detachments; and, fourth, police forces of
the Bosnian Serb Ministry of the Interior. The MUP of the Republika
Srpska controlled the police and the security services, and operated,
according to the Applicant, in close co-operation and co-ordination with
the MUP of the FRY. On 15 April 1992, the Bosnian Government estab-
lished a military force, based on the former Territorial Defence of the
Republic, the Army of the Republic of Bosnia and Herzegovina (ARBiH),
merging several non-official forces, including a number of paramilitary
defence groups, such as the Green Berets, and the Patriotic League, being
the military wing of the Muslim Party of Democratic Action. The Court
does not overlook the evidence suggesting the existence of Muslim organi-
zations involved in the conflict, such as foreign Mujahideen, although
as a result of the withdrawal of the Respondent’s counter-claims, the
activities of these bodies are not the subject of specific claims before the
Court.
237. The Applicant has asserted the existence of close ties between the
Government of the Respondent and the authorities of the Republika
Srpska, of a political and financial nature, and also as regards administra-
100 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 139
2) Les entités impliquées dans les événements dont tire grief
le demandeur
235. Il convient à présent de définir les institutions, organisations ou
groupes qui jouèrent un rôle dans les événements tragiques qui allaient se
dérouler en Bosnie-Herzégovine. Deux des Etats souverains indépendants
nés de l’éclatement de la RFSY sont concernés par la présente instance.
D’une part, la RFY (qui s’appellera par la suite la «Serbie-et-Monténé-
gro»), qui était composée des deux républiques constitutives de la Serbie
et du Monténégro; d’autre part, la République de Bosnie-Herzégovine.
Au moment où cette dernière proclama son indépendance (le 15 octobre
1991), l’indépendance de deux autres entités avait déjà été proclamée:
celle de la Republika Srpska Krajina, en Croatie, le 26 avril 1991 et celle
de la République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, qui devait par
la suite prendre le nom de Republika Srpska, le 9 janvier 1992 (para-
graphe 233 plus haut). Cette dernière ne fut jamais reconnue comme un
Etat souverain sur le plan international, mais elle exerça un contrôle de
fait sur un territoire substantiel et put compter sur la loyauté d’un
grand nombre de Serbes de Bosnie.
236. Les Parties reconnaissent l’une et l’autre qu’il existait, à un éche-
lon inférieur, un certain nombre d’entités dont les activités s’inscrivent
dans les faits de la cause, mais elles se trouvent en désaccord quant à
l’importance de ces activités. Parmi les unités militaires et paramilitaires
qui prirent part aux hostilités figuraient, en avril 1992, cinq types de for-
mations armées en Bosnie: premièrement, l’armée populaire yougoslave
(JNA) qui allait devenir l’armée yougoslave (VJ); deuxièmement, les
unités de volontaires soutenues par la JNA et par la suite par la VJ, et le
ministère de l’intérieur (MUP) de la RFY; troisièmement, les détache-
ments de la défense territoriale municipale (TO) des Serbes de Bosnie; et,
quatrièmement, les forces de police du ministère de l’intérieur des Serbes
de Bosnie. Le MUP de la Republika Srpska contrôlait la police et les ser-
vices de sécurité, et opérait, selon le demandeur, en étroite collaboration
et coordination avec le MUP de la RFY. Le 15 avril 1992, le Gouverne-
ment bosniaque constitua une force militaire à partir de l’ancienne défense
territoriale de la République, l’armée de la République de Bosnie-Herzé-
govine (ARBiH), fusionnant plusieurs forces non officielles, y compris un
certain nombre de groupes de défense paramilitaires comme les Bérets
verts et la Ligue patriotique, la branche militaire du parti musulman de
l’action démocratique. La Cour ne fait pas abstraction des éléments de
preuve attestant la participation au conflit d’organisations musulmanes,
par exemple de moudjahidin étrangers, même si, à la suite du retrait de
ses demandes reconventionnelles par le défendeur, les activités de ces
organisations ne relèvent plus des demandes spécifiques dont est saisie la
Cour.
237. Le demandeur soutient qu’il existait, entre le gouvernement du
défendeur et les autorités de la Republika Srpska, des liens étroits de
nature politique et financière, de même qu’au niveau de l’administration
100140 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
tion and control of the army of the Republika Srpska (VRS). The Court
observes that insofar as the political sympathies of the Respondent lay
with the Bosnian Serbs, this is not contrary to any legal rule. It is how-
ever argued by the Applicant that the Respondent, under the guise of
protecting the Serb population of Bosnia and Herzegovina, in fact con-
ceived and shared with them the vision of a “Greater Serbia”, in pursuit
of which it gave its support to those persons and groups responsible for
the activities which allegedly constitute the genocidal acts complained of.
The Applicant bases this contention first on the “Strategic Goals” articu-
lated by President Karadžic´ at the 16th Session of the FRY Assembly on
12 May 1992, and subsequently published in the Official Gazette of the
Republika Srpska (paragraph 371), and secondly on the consistent con-
duct of the Serb military and paramilitary forces vis-à-vis the non-Serb
Bosnians showing, it is suggested, an overall specific intent (dolus specia-
lis). These activities will be examined below.
238. As regards the relationship between the armies of the FRY and
the Republika Srpska, the Yugoslav Peoples’ Army (JNA) of the SFRY
had, during the greater part of the period of existence of the SFRY, been
effectively a federal army, composed of soldiers from all the constituent
republics of the Federation, with no distinction between different ethnic
and religious groups. It is however contended by the Applicant that even
before the break-up of the SFRY arrangements were being made to
transform the JNA into an effectively Serb army. The Court notes that
on 8 May 1992, all JNA troops who were not of Bosnian origin were
withdrawn from Bosnia-Herzegovina. However, JNA troops of Bosnian
Serb origin who were serving in Bosnia and Herzegovina were trans-
formed into, or joined, the army of the Republika Srpska (the VRS)
which was established on 12 May 1992, or the VRS Territorial Defence.
Moreover, Bosnian Serb soldiers serving in JNA units elsewhere were
transferred to Bosnia and Herzegovina and subsequently joined the VRS.
The remainder of the JNA was transformed into the Yugoslav army (VJ)
and became the army of the Federal Republic of Yugoslavia. On
15 May 1992 the Security Council, by resolution 752, demanded that
units of the JNA in Bosnia and Herzegovina “be withdrawn, or be sub-
ject to the authority of the Government of Bosnia and Herzegovina, or
be disbanded and disarmed”. On 19 May 1992, the Yugoslav army was
officially withdrawn from Bosnia and Herzegovina. The Applicant con-
tended that from 1993 onwards, around 1,800 VRS officers were “admin-
istered” by the 30th Personnel Centre of the VJ in Belgrade; this meant
that matters like their payment, promotions, pensions, etc., were handled,
not by the Republika Srpska, but by the army of the Respondent.
According to the Respondent, the importance of this fact was greatly
exaggerated by the Applicant: the VRS had around 14,000 officers and
thus only a small number of them were dealt with by the 30th Personnel
Centre; this Centre only gave a certain degree of assistance to the VRS.
The Applicant maintains that all VRS officers remained members of the
101 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 140
et du contrôle de l’armée de la Republika Srpska (VRS). La Cour relève
que le fait que les sympathies politiques du défendeur soient allées aux
Serbes de Bosnie n’est contraire à aucune règle de droit. Le demandeur
soutient toutefois que, de fait, le défendeur, sous prétexte de protéger la
population serbe de Bosnie-Herzégovine, conçut et partagea avec cette
dernière le projet d’une «Grande Serbie», apportant, en vue de sa réalisa-
tion, un soutien aux personnes et groupes responsables des activités qui
constituent, selon le demandeur, les actes de génocide dont il tire grief. Le
demandeur fonde cette affirmation tout d’abord sur les «objectifs straté-
giques» énoncés par le président Karadžic ´ à la seizième session de l’Assem-
blée de la RFY le 12 mai 1992 et publiés ultérieurement au Journal
officiel de la Republika Srpska (paragraphe 371), et ensuite sur le com-
portement qui fut constamment adopté par les forces militaires et para-
militaires serbes à l’égard des non-Serbes de Bosnie, comportement qui,
laisse-t-on entendre, traduirait une intention spécifique (dolus specialis)
générale. Ces activités seront examinées plus loin.
238. S’agissant des liens entre les armées de la RFY et de la Republika
Srpska, l’armée populaire yougoslave (JNA) de la RFSY fut effective-
ment, pendant la plus grande partie de l’existence de la RFSY, une armée
fédérale, composée de soldats provenant de toutes les républiques qui
constituaient la fédération, sans distinction entre les différents groupes
ethniques et religieux. Le demandeur prétend cependant que, même avant
l’éclatement de la RFSY, des dispositions furent prises pour faire de la
JNA une armée serbe de fait. La Cour note que, le 8 mai 1992, tous les
soldats de la JNA qui n’étaient pas d’origine bosniaque furent retirés de
Bosnie-Herzégovine. Cependant, les Serbes de Bosnie servant dans les
rangs de la JNA en Bosnie-Herzégovine constituèrent ou rejoignirent
l’armée de la Republika Srpska (la VRS), créée le 12 mai 1992, ou la
défense territoriale de la VRS. De plus, les soldats serbes de Bosnie ser-
vant dans des unités de la JNA stationnées ailleurs furent transférés en
Bosnie-Herzégovine et rejoignirent ensuite les rangs de la VRS. Le reste
de la JNA fut transformé en armée yougoslave (la VJ), qui devint l’armée
de la République fédérale de Yougoslavie. Le 15 mai 1992, le Conseil de
sécurité, dans sa résolution 752, exigea que les éléments de la JNA qui se
trouvaient en Bosnie-Herzégovine soient «ou bien retirés ou bien soumis
à l’autorité du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine ou bien dissous
et désarmés». Le 19 mai 1992, l’armée yougoslave fut officiellement reti-
rée de Bosnie-Herzégovine. Le demandeur a affirmé que, à partir de 1993,
le 30 centre du personnel de la VJ à Belgrade s’occupa «sur le plan admi-
nistratif» d’environ mille huit cents officiers de la VRS; cela signifiait que
des questions telles que celles de leurs traitements, de leurs promotions et
de leurs pensions relevaient non pas de la Republika Srpska, mais de
l’armée du défendeur. Selon celui-ci, le demandeur a largement exagéré
l’importance de ce fait: la VRS comptait environ quatorze mille officiers;
seul un petit nombre d’entre eux relevaient donc du 30 centre du per-
sonnel, et ce centre n’accordait assistance en matière administrative à la
VRS que dans une certaine mesure. Le demandeur soutient que tous les
101141 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
FRY army — only the label changed; according to the Respondent,
there is no evidence for this last allegation. The Court takes note however
of the comprehensive description of the processes involved set out in
paragraphs 113 to 117 of the Judgment of 7 May 1997 of the ICTY Trial
Chamber in the Tadic ´ case (IT-94-1-T) quoted by the Applicant which
mainly corroborate the account given by the latter. Insofar as the Respon-
dent does not deny the fact of these developments, it insists that they
were normal reactions to the threat of civil war, and there was no pre-
meditated plan behind them.
239. The Court further notes the submission of the Applicant that the
VRS was armed and equipped by the Respondent. The Applicant con-
tends that when the JNA formally withdrew on 19 May 1992, it left
behind all its military equipment which was subsequently taken over by
the VRS. This claim is supported by the Secretary-General’s report of
3 December 1992 in which he concluded that “[t]hough the JNA has
completely withdrawn from Bosnia and Herzegovina, former members of
Bosnian Serb origin have been left behind with their equipment and con-
stitute the Army of the ‘Serb Republic’” (A/47/747, para. 11). Moreover,
the Applicant submits that Belgrade actively supplied the VRS with arms
and equipment throughout the war in Bosnia and Herzegovina. On the
basis of evidence produced before the ICTY, the Applicant contended
that up to 90 per cent of the material needs of the VRS were supplied by
Belgrade. General Dannatt, one of the experts called by the Applicant
(paragraph 57 above), testified that, according to a “consumption review”
given by General Mladic ´ at the Bosnian Serb Assembly on 16 April 1995,
42.2 per cent of VRS supplies of infantry ammunition were inherited
from the former JNA and 47 per cent of VRS requirements were supplied
by the VJ. For its part, the Respondent generally denies that it supplied
and equipped the VRS but maintains that, even if that were the case,
such assistance “is very familiar and is an aspect of numerous treaties of
mutual security, both bilateral and regional”. The Respondent adds that
moreover it is a matter of public knowledge that the armed forces of Bos-
nia and Herzegovina received external assistance from friendly sources.
However, one of the witnesses called by the Respondent, Mr. Vladimir
Lukic´, who was the Prime Minister of the Republika Srpska from 20 Janu-
ary 1993 to 18 August 1994 testified that the army of the Republika
Srpska was supplied from different sources “including but not limited
to the Federal Republic of Yugoslavia” but asserted that the Republika
Srpska “mainly paid for the military materiel which it obtained” from the
States that supplied it.
240. As regards effective links between the two Governments in the
financial sphere, the Applicant maintains that the economies of the FRY,
the Republika Srpska, and the Republika Srpska Krajina were integrated
through the creation of a single economic entity, thus enabling the
FRY Government to finance the armies of the two other bodies in addi-
tion to its own. The Applicant argued that the National Banks of the
102 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 141
officiers de la VRS restèrent membres de l’armée de la RFY, dont seule
l’appellation changea; selon le défendeur, cette allégation n’est étayée par
aucun élément de preuve. La Cour note toutefois la description complète
de ce processus aux paragraphes 113 à 117 du jugement du 7 mai 1997
rendu dans l’affaire Tadi´ par la chambre de première instance du TPIY
(IT-94-I-T), que cite le demandeur et qui corrobore pour l’essentiel les
dires de celui-ci. Le défendeur ne nie pas la réalité de ces événements,
mais il souligne qu’il s’agissait de réactions normales devant la menace
d’une guerre civile et qu’il n’existait aucun plan prémédité.
239. La Cour note encore que le demandeur soutient que la VRS était
armée et équipée par le défendeur. Il affirme que, lorsque la JNA se retira
officiellement le 19 mai 1992, elle laissa derrière elle tout son matériel
militaire, qui fut ensuite repris par la VRS. Cette affirmation est appuyée
par le rapport du Secrétaire général du 3 décembre 1992 dans lequel
celui-ci conclut que, «bien que l’armée nationale yougoslave se soit com-
plètement retirée de Bosnie-Herzégovine, d’anciens membres de cette
armée, des Serbes d’origine bosniaque, sont restés sur place avec leur
équipement, constituant l’armée de la «République serbe»» (A/47/747,
par. 11). De plus, le demandeur soutient que Belgrade approvisionna
activement la VRS en armes et en matériel pendant toute la durée de la
guerre en Bosnie-Herzégovine. Sur la base des éléments de preuve pro-
duits devant le TPIY, le demandeur affirme que jusqu’à 90 % des besoins
matériels de la VRS étaient couverts par Belgrade. Le général Dannatt,
l’un des experts appelés à la barre par le demandeur (paragraphe 57 plus
haut), a déclaré que, selon une «évaluation de la consommation» donnée
par le général Mladic´ à l’Assemblée des Serbes de Bosnie le 16 avril 1995,
42,2 % des munitions d’infanterie de la VRS étaient héritées de l’ancienne
JNA et 47 % des besoins de la VRS étaient couverts par la VJ. Pour sa
part, le défendeur nie de manière générale avoir approvisionné et équipé
la VRS mais soutient que, quand bien même il l’aurait fait, la fourniture
d’une telle assistance «est très courant[e] et n’est autre que l’un des
aspects de nombreux traités d’assistance mutuelle, tant bilatéraux que
régionaux». Le défendeur ajoute que, de surcroît, il est de notoriété
publique que les forces armées de Bosnie ont reçu une assistance exté-
rieure de sources amies. Cependant, l’un des témoins que le défendeur a
fait entendre, M. Vladimir Lukic ´, qui fut premier ministre de la Repu-
blika Srpska du 20 janvier 1993 au 18 août 1994, a rapporté que l’armée
de la Republika Srpska s’approvisionnait auprès de différentes sources
«y compris, mais pas seulement, de la République fédérale de Yougosla-
vie», ajoutant que la Republika Srpska «payait l’essentiel du matériel
militaire qu’elle recevait» des Etats qui l’approvisionnaient.
240. En ce qui concerne les liens réels entre les deux gouvernements
dans le domaine financier, le demandeur fait valoir que les économies de
la RFY, de la Republika Srpska et de la Republika Srpska Krajina
avaient été intégrées à travers la création d’une entité économique
unique, ce qui permettait au Gouvernement de la RFY de financer, outre la
sienne, les armées des deux autres entités. Le demandeur soutient que les
102142 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Republika Srpska and of the Republika Srpska Krajina were set up as
under the control of, and directly subordinate to, the National Bank of
Yugoslavia in Belgrade. The national budget of the FRY was to a large
extent financed through primary issues from the National Bank of Yugo-
slavia, which was said to be entirely under governmental control, i.e. in
effect through creating money by providing credit to the FRY budget for
the use of the JNA. The same was the case for the budgets of the Repub-
lika Srpska and the Republika Srpska Krajina, which according to the
Applicant had virtually no independent sources of income; the Respon-
dent asserts that income was forthcoming from various sources, but has
not specified the extent of this. The National Bank of Yugoslavia was
making available funds (80 per cent of those available from primary
issues) for “special purposes”, that is to say “to avoid the adverse effects
of war on the economy of the Serbian Republic of Bosnia and Herze-
govina”. The Respondent has denied that the budget deficit of the
Republika Srpska was financed by the FRY but has not presented evi-
dence to show how it was financed. Furthermore, the Respondent empha-
sizes that any financing supplied was simply on the basis of credits, to be
repaid, and was therefore quite normal, particularly in view of the eco-
nomic isolation of the FRY, the Republika Srpska and the Republika
Srpska Krajina; it also suggested that any funds received would have
been under the sole control of the recipient, the Republika Srpska or the
Republika Srpska Krajina.
241. The Court finds it established that the Respondent was thus
making its considerable military and financial support available to the
Republika Srpska, and had it withdrawn that support, this would have
greatly constrained the options that were available to the Republika
Srpska authorities.
**
(3) Examination of Factual Evidence: Introduction
242. The Court will therefore now examine the facts alleged by the
Applicant, in order to satisfy itself, first, whether the alleged atrocities
occurred; secondly, whether such atrocities, if established, fall within the
scope of Article II of the Genocide Convention, that is to say whether the
facts establish the existence of an intent, on the part of the perpetrators
of those atrocities, to destroy, in whole or in part, a defined group (dolus
specialis). The group taken into account for this purpose will, for the
reasons explained above (paragraphs 191-196), be that of the Bosnian
Muslims; while the Applicant has presented evidence said to relate to the
wider group of non-Serb Bosnians, the Bosnian Muslims formed such a
substantial part of this wider group that that evidence appears to have
equal probative value as regards the facts, in relation to the more restricted
103 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 142
Banques nationales de la Republika Srpska et de la Republika Srpska
Krajina étaient placées sous le contrôle de la Banque nationale de You-
goslavie à Belgrade, à laquelle elles étaient directement subordonnées. Le
budget national de la RFY était dans une large mesure financé à travers
des émissions primaires de la Banque nationale de Yougoslavie, laquelle
était réputée être sous le contrôle du gouvernement, autrement dit, le
financement provenait en réalité de la création d’argent par l’inscription
de lignes de crédit au budget de la RFY à l’intention de la JNA. Il en
allait de même des budgets de la Republika Srpska et de la Republika
Srpska Krajina, lesquelles, selon le demandeur, ne disposaient pratique-
ment d’aucune source de revenu indépendante; le défendeur affirme, sans
plus de précisions, que les recettes provenaient de diverses sources. La
Banque nationale de Yougoslavie affectait des ressources (80 % prove-
naient d’émissions primaires) à des «fins spécifiques», à savoir «pour évi-
ter que la guerre n’ait une incidence négative sur l’économie de la Répu-
blique serbe de Bosnie-Herzégovine». Le défendeur a nié que le déficit
budgétaire de la Republika Srpska ait été financé par la RFY, mais il n’a
présenté aucun élément de preuve pour démontrer par quels moyens il le
fut. En outre, le défendeur souligne que tout financement accordé l’était
simplement sur la base de prêts remboursables, et ne revêtait dès lors rien
d’anormal, compte tenu en particulier de l’isolement économique de la
RFY, de la Republika Srpska et de la Republika Srpska Krajina; il a
également laissé entendre que les sommes qui auraient ainsi été versées
auraient été sous le contrôle du seul bénéficiaire, à savoir la Republika
Srpska ou la Republika Srpska Krajina.
241. La Cour constate qu’il est établi que le défendeur mettait ainsi
des ressources militaires et financières considérables à la disposition de la
Republika Srpska et que s’il avait décidé de retirer ce soutien, cela aurait
grandement limité les options ouvertes aux autorités de la Republika
Srpska.
**
3) Examen des éléments de preuve factuels: introduction
242. La Cour se penchera donc maintenant sur les faits allégués par le
demandeur, afin de déterminer, premièrement, si les atrocités dont il fait
état ont été commises, et deuxièmement, si, pour autant qu’elles soient
établies, ces atrocités relèvent de l’article II de la convention sur le géno-
cide, c’est-à-dire si les faits en question permettent d’établir l’existence
d’une intention, de la part des auteurs de ces atrocités, de détruire en tout
ou en partie un groupe déterminé (dolus specialis). Le groupe considéré
ici est, pour les raisons exposées plus haut (paragraphes 191-196), celui
des Musulmans de Bosnie; quoique les éléments de preuve soumis par le
demandeur se rapportent, affirme-t-il, au groupe plus large des non-
Serbes de Bosnie, les Musulmans de Bosnie constituaient une partie telle-
ment substantielle de celui-ci que lesdits éléments de preuve apparaissent
103143 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
group. The Court will also consider the facts alleged in the light of the
question whether there is persuasive and consistent evidence for a pattern
of atrocities, as alleged by the Applicant, which would constitute evi-
dence of dolus specialis on the part of the Respondent. For this purpose
it is not necessary to examine every single incident reported by the Appli-
cant, nor is it necessary to make an exhaustive list of the allegations; the
Court finds it sufficient to examine those facts that would illuminate the
question of intent, or illustrate the claim by the Applicant of a pattern of
acts committed against members of the group, such as to lead to an infer-
ence from such pattern of the existence of a specific intent (dolus
specialis).
243. The Court will examine the evidence following the categories of
prohibited acts to be found in Article II of the Genocide Convention.
The nature of the events to be described is however such that there is
considerable overlap between these categories: thus, for example, the
conditions of life in the camps to which members of the protected group
were confined have been presented by the Applicant as violations of
Article II, paragraph (c), of the Convention (the deliberate infliction of
destructive conditions of life), but since numerous inmates of the camps
died, allegedly as a result of those conditions, or were killed there, the
camps fall to be mentioned also under paragraph (a), killing of members
of the protected group.
244. In the evidentiary material submitted to the Court, and that
referred to by the ICTY, frequent reference is made to the actions of
“Serbs” or “Serb forces”, and it is not always clear what relationship, if
any, the participants are alleged to have had with the Respondent. In
some cases it is contended, for example, that the JNA, as an organ de jure
of the Respondent, was involved; in other cases it seems clear that the
participants were Bosnian Serbs, with no de jure link with the Respon-
dent, but persons whose actions are, it is argued, attributable to the
Respondent on other grounds. Furthermore, as noted in paragraph 238
above, it appears that JNA troops of Bosnian Serb origin were trans-
formed into, or joined the VRS. At this stage of the present Judgment,
the Court is not yet concerned with the question of the attributability to
the Respondent of the atrocities described; it will therefore use the terms
“Serb” and “Serb forces” purely descriptively, without prejudice to the
status they may later, in relation to each incident, be shown to have had.
When referring to documents of the ICTY, or to the Applicant’s plead-
ings or oral argument, the Court will use the terminology of the original.
**
104 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 143
comme ayant, quant aux faits, la même valeur probante en ce qui
concerne le groupe restreint. La Cour examinera aussi les faits allégués à
la lumière de la question de savoir s’il y a des preuves convaincantes et
concordantes de l’existence d’un ensemble d’atrocités constituant un
schéma, comme l’a affirmé le demandeur, ce qui serait une preuve de
dolus specialis de la part du défendeur. A cette fin, il n’est pas nécessaire
d’examiner séparément chacun des incidents que le demandeur a rappor-
tés, ni de dresser une liste exhaustive des allégations; la Cour estime qu’il
suffit d’examiner les faits qui éclaireraient la question de l’intention ou
fourniraient des exemples d’actes dont le demandeur prétend qu’ils ont
été commis à l’encontre de membres du groupe et qui revêtiraient un
caractère systématique dont pourrait se déduire l’existence d’une inten-
tion spécifique (dolus specialis).
243. La Cour examinera les éléments de preuve en reprenant les caté-
gories d’actes prohibés établies par l’article II de la convention sur le
génocide. La nature des faits qui vont être décrits est toutefois telle que
ces catégories se recoupent très largement: ainsi, par exemple, les condi-
tions d’existence dans les camps dans lesquels ont été emprisonnés des
membres du groupe protégé ont été présentées par le demandeur comme
des violations du litt. c) de l’article II de la Convention (soumission
intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa
destruction), mais, comme un grand nombre de prisonniers des camps y
seraient morts en raison de ces conditions d’existence ou y ont été tués,
ces camps relèvent également du litt. a) (meurtre de membres du groupe
protégé).
244. Les éléments de preuve soumis à la Cour et ceux dont fait état le
TPIY comportent de fréquentes références aux actes des «Serbes» ou des
«forces serbes», et la nature des rapports qu’auraient entretenus — le cas
échéant — les protagonistes avec le défendeur n’est pas toujours claire.
Ainsi est-il tantôt affirmé que la JNA jouait un rôle en tant qu’organe de
jure du défendeur, tantôt semble-t-il clair que les participants étaient des
Serbes de Bosnie, dépourvus de tout lien de jure avec le défendeur, mais
dont les actes, est-il argué, lui seraient néanmoins attribuables à d’autres
titres. En outre, ainsi que noté au paragraphe 238 ci-dessus, il apparaît
que les éléments serbes originaires de Bosnie qui faisaient partie de la
JNA ont été intégrés à la VJ ou ont rejoint celle-ci. A ce stade du présent
arrêt, la Cour n’a pas à se pencher sur la question de savoir si les atrocités
décrites sont attribuables au défendeur; aussi utilisera-t-elle les termes
«Serbe[s]» et «forces serbes» aux seules fins de l’exposé des faits, sans
préjudice de la question du statut que la Cour pourra ensuite juger avoir
été le leur pour chaque incident. Lorsqu’elle mentionnera des documents
du TPIY ou des pièces de procédure ou plaidoiries du demandeur, la
Cour utilisera les termes employés dans l’original.
**
104144 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(4) Article II (a): Killing Members of the Protected Group
245. Article II (a) of the Convention deals with acts of killing mem-
bers of the protected group. The Court will first examine the evidence of
killings of members of the protected group in the principal areas of
Bosnia and in the various detention camps, and ascertain whether
there is evidence of a specific intent (dolus specialis) in one or more of
them. The Court will then consider under this heading the evidence of the
massacres reported to have occurred in July 1995 at Srebrenica.
Sarajevo
246. The Court notes that the Applicant refers repeatedly to killings,
by shelling and sniping, perpetrated in Sarajevo. The Fifth Periodic
Report of the United Nations Special Rapporteur is presented by the
Applicant in support of the allegation that between 1992 and 1993 kill-
ings of Muslim civilians were perpetrated in Sarajevo, partly as a result of
continuous shelling by Bosnian Serb forces. The Special Rapporteur
stated that on 9 and 10 November 1993 mortar attacks killed 12 people
(E/CN.4/1994/47, 17 November 1992, p. 4, para. 14). In his periodic
Report of 5 July 1995, the Special Rapporteur observed that as from late
February 1995 numerous civilians were killed by sniping activities of
Bosnian Serb forces and that “one local source reported that a total of
41 civilians were killed . . . in Sarajevo during the month of May 1995”
(Report of 5 July 1995, para. 69). The Report also noted that, in late June
and early July 1995, there was further indiscriminate shelling and rocket
attacks on Sarajevo by Bosnian Serb forces as a result of which many
civilian deaths were reported (Report of 5 July 1995, para. 70).
247. The Report of the Commission of Experts gives a detailed account
of the battle and siege of Sarajevo. The Commission estimated that over
the course of the siege nearly 10,000 persons had been killed or were
missing in the city of Sarajevo (Report of the Commission of Experts,
Vol. II, Ann. VI, p. 8). According to the estimates made in a report pre-
sented by the Prosecution before the ICTY in the Galic ´ case (IT-98-29-T,
Trial Chamber Judgment, 5 December 2003, paras. 578 and 579), the
monthly average of civilians killed fell from 105 in September to Decem-
ber 1992, to around 64 in 1993 and to around 28 in the first six months of
1994.
248. The Trial Chamber of the ICTY, in its Judgment of 5 December
2003 in the Gali´ case examined specific incidents in the area of Sarajevo,
for instance the shelling of the Markale market on 5 February 1994
which resulted in the killing of 60 persons. The majority of the Trial
105 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 144
4) Litt. a) de l’article II: meurtre de membres du groupe protégé
245. Le litt. a) de l’article II de la Convention porte sur le meurtre de
membres du groupe protégé. La Cour examinera tout d’abord les élé-
ments visant à démontrer que des meurtres de membres du groupe pro-
tégé ont été commis dans les principales régions de Bosnie et dans
les différents camps de détention, et appréciera s’il existe des preuves
d’une intention spécifique (dolus specialis) dans l’un ou plusieurs de
ces cas. La Cour examinera ensuite dans cette section les éléments de
preuve relatifs aux massacres qui se sont déroulés à Srebrenica en juillet
1995.
Sarajevo
246. La Cour relève que le demandeur mentionne de façon répétée les
pertes en vies humaines causées à Sarajevo par des bombardements et des
tirs isolés. Le demandeur a cité le cinquième rapport périodique du rap-
porteur spécial de l’Organisation des Nations Unies, M. Mazowiecki, à
l’appui de l’allégation selon laquelle, entre 1992 et 1993, des civils musul-
mans furent tués à Sarajevo, en partie à cause du bombardement continu
de la ville par les forces serbes de Bosnie. Le rapporteur spécial a indiqué
que, les 9 et 10 novembre 1993, des attaques au mortier avaient fait
douze morts (E/CN.4/1994/47, 17 novembre 1992, p. 4, par. 14). Dans
son rapport périodique du 5 juillet 1995, il a fait observer que, à partir de
la fin du mois de février 1995, de nombreux civils avaient été tués par des
tirs isolés des forces serbes de Bosnie et que, «[a]u total, quarante
et un civils auraient été tués ... à Sarajevo au cours du mois de mai 1995,
selon une source locale» (rapport du 5 juillet 1995, par. 69). Il a égale-
ment été indiqué dans le rapport que, à la fin du mois de juin et au début
du mois de juillet 1995, Sarajevo avait subi d’autres bombardements
aveugles et des attaques à la roquette de la part des forces serbes de Bos-
nie, à la suite desquels de nombreux décès de civils furent signalés (rap-
port du 5 juillet 1995, par. 70).
247. La commission d’experts des Nations Unies, dans son rapport
final du 27 mai 1994, a fait le récit détaillé de la bataille et du siège de
Sarajevo. Elle a estimé que le nombre de personnes qui, pendant le siège,
avaient été tuées dans la ville de Sarajevo ou qui y étaient portées dispa-
rues s’élevait à près de dix mille (rapport de la commission d’experts,
vol. II, annexe VI, p. 8). Selon les estimations figurant dans un rapport
soumis par l’accusation au TPIY dans l’affaire Galic ´ (IT-98-29-T,
chambre de première instance, jugement du 5 décembre 2003, par. 578-
579), le nombre moyen de civils tués chaque mois est tombé de cent cinq
pour la période allant de septembre à décembre 1992 à soixante-quatre en
1993 et ving-huit pour les six premiers mois de 1994.
248. Dans le jugement qu’elle a rendu le 5 décembre 2003 en l’affaire
Gali´, la chambre de première instance du TPIY a examiné divers inci-
dents survenus dans la région de Sarajevo, tels que l’attaque au mortier
contre le marché de Markale le 5 février 1994, au cours de laquelle
105145 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Chamber found that “civilians in ARBiH-held areas of Sarajevo were
directly or indiscriminately attacked from SRK-controlled territory
during the Indictment Period, and that as a result and as a minimum,
hundreds of civilians were killed and thousands others were injured”
(Gali´, IT-98-29-T, Judgment, 5 December 2003, para. 591), the Trial
Chamber further concluded that “[i]n sum, the Majority of the Trial
Chamber finds that each of the crimes alleged in the Indictment —
crime of terror, attacks on civilians, murder and inhumane acts —
were committed by SRK forces during the Indictment Period” (ibid.,
para. 600).
249. In this connection, the Respondent makes the general point that
in a civil war it is not always possible to differentiate between military
personnel and civilians. It does not deny that crimes were committed
during the siege of Sarajevo, crimes that “could certainly be characterized
as war crimes and certain even as crimes against humanity”, but it does
not accept that there was a strategy of targeting civilians.
Drina River Valley
(a) Zvornik
250. The Applicant made a number of allegations with regard to kill-
ings that occurred in the area of Drina River Valley. The Applicant, rely-
ing on the Report of the Commission of Experts, claims that at least
2,500 Muslims died in Zvornik from April to May 1992. The Court notes
that the findings of the Report of the Commission of Experts are based
on individual witness statements and one declassified United States State
Department document No. 94-11 (Vol. V, Ann. X, para. 387; Vol. IV,
Ann. VIII, p. 342 and para. 2884; Vol. I, Ann. III.A, para. 578). Further,
a video reporting on massacres in Zvornik was shown during the oral
proceedings (excerpts from “The Death of Yugoslavia”, BBC documen-
tary). With regard to specific incidents, the Applicant alleges that Serb
soldiers shot 36 Muslims and mistreated 27 Muslim children in the local
hospital of Zvornik in the second half of May 1992.
251. The Respondent contests those allegations and contends that all
three sources used by the Applicant are based solely on the account of
one witness. It considers that the three reports cited by the Applicant
cannot be used as evidence before the Court. The Respondent produced
the statement of a witness made before an investigating judge in Zvornik
which claimed that the alleged massacre in the local hospital of Zvornik
had never taken place. The Court notes that the Office of the Prosecutor
of the ICTY had never indicted any of the accused for the alleged
massacres in the hospital.
106 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 145
soixante personnes avaient été tuées. La majorité de la chambre de pre-
mière instance a estimé que, «durant la période couverte par l’acte d’accu-
sation, les civils habitant les quartiers de Sarajevo tenus par l’ARBiH
[avaient] été la cible de tirs directs ou indiscriminés depuis les territoires
contrôlés par le SRK et qu’au moins des centaines de civils [étaient]
morts et des milliers [avaient été] blessés» (IT-98-29-T, jugement du
5 décembre 2003, par. 591); la chambre de première instance a ensuite
conclu: «[p]our résumer, ... les forces du SRK se sont rendues coupables
pendant la période couverte par l’acte d’accusation de chacun des crimes
qui leur sont reprochés dans ce document — crime de terrorisation,
attaques contre des civils, assassinats et actes inhumains» (ibid.,
par. 600).
249. A cet égard, le défendeur soutient de manière générale que, dans
une guerre civile, il n’est pas toujours possible de distinguer les militaires
des civils. S’il ne nie pas que des crimes ont été commis pendant le siège
de Sarajevo, des crimes qui «pourraient certainement être qualifiés de
crimes de guerre et certains même de crimes contre l’humanité», il ne
reconnaît pas l’existence d’une stratégie consistant à prendre pour
cibles des civils.
La vallée de la Drina
a) Zvornik
250. Le demandeur a présenté plusieurs allégations concernant des
meurtres commis dans la région de la vallée de la Drina. S’appuyant sur
le rapport de la commission d’experts, il affirme qu’au moins
deux mille cinq cents Musulmans sont morts à Zvornik entre avril et
mai 1992. La Cour note que les conclusions du rapport de la commission
d’experts sont fondées sur différentes déclarations de témoins et sur le
document déclassifié n o 94-11 du département d’Etat des Etats-Unis
d’Amérique (vol. V, annexe X, par. 387; vol. IV, annexe VIII, p. 342 et
par. 2884; vol. I, annexe III.A, par. 578). En outre, un reportage vidéo
sur les massacres de Zvornik a été présenté au cours de la procédure orale
(extraits du documentaire de la BBC «The Death of Yugoslavia»).
S’agissant d’incidents spécifiques, le demandeur allègue que des soldats
serbes ont exécuté trente-six Musulmans et maltraité vingt-sept enfants
musulmans à l’hôpital local de Zvornik entre le milieu et la fin du mois de
mai 1992.
251. Le défendeur conteste ces allégations et affirme que les trois
sources citées par le demandeur sont fondées sur le récit d’un seul témoin;
il considère que les trois rapports cités par le demandeur ne peuvent pas
être invoqués comme preuves devant la Cour. Le défendeur a produit la
déposition faite par un témoin devant un juge d’instruction à Zvornik,
selon laquelle le massacre prétendument perpétré à l’hôpital local de
Zvornik n’aurait jamais eu lieu. La Cour relève qu’aucun des actes
d’accusation dressés par le bureau du procureur du TPIY ne mentionnait
ce prétendu massacre à l’hôpital de Zvornik.
106146 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(b) Camps
(i) Sušica camp
252. The Applicant further presents claims with regard to killings per-
petrated in detention camps in the area of Drina River Valley. The
Report of the Commission of Experts includes the statement of an ex-
guard at the Sušica camp who personally witnessed 3,000 Muslims being
killed (Vol. IV, Ann. VIII, p. 334) and the execution of the last 200 sur-
viving detainees (Vol. I, Ann. IV, pp. 31-32). In proceedings before the
ICTY, the Commander of that camp, Dragan Nikolic ´, pleaded guilty to
murdering nine non-Serb detainees and, according to the Sentencing
Judgment of 18 December 2003, “the Accused persecuted Muslim and
other non-Serb detainees by subjecting them to murders, rapes and
torture as charged specifically in the Indictment” (Nikolic ´, IT-94-2-S,
para. 67).
(ii) Fˇa Kazneno-Popravní Dom camp
253. The Report of the Commission of Experts further mentions
numerous killings at the camp of Foc ˇa Kazneno-Popravní Dom (Foc ˇa
KP Dom). The Experts estimated that the number of prisoners at the
camp fell from 570 to 130 over two months (Vol. IV, Ann. VIII, p. 129).
The United States State Department reported one eye-witness statement
of regular executions in July 1992 and mass graves at the camp.
254. The Trial Chamber of the ICTY made the following findings on
several killings at this camp in its Judgment in the Krnojelac case:
“The Trial Chamber is satisfied beyond reasonable doubt that all
but three of the persons listed in Schedule C to the Indictment were
killed at the KP Dom. The Trial Chamber is satisfied that these per-
sons fell within the pattern of events that occurred at the KP Dom
during the months of June and July 1992, and that the only reason-
able explanation for the disappearance of these persons since that
time is that they died as a result of acts or omissions, with the rele-
vant state of mind [sc. that required to establish murder], at the KP
Dom.” (IT-97-25-T, Judgment, 15 March 2002, para. 330.)
(iii) Batkov´ camp
255. As regards the detention camp of Batkovic ´, the Applicant claims
that many prisoners died at this camp as a result of mistreatment by the
Serb guards. The Report of the Commission of Experts reports one wit-
ness statement according to which there was a mass grave located next to
the Batkovic´ prison camp. At least 15 bodies were buried next to a cow
stable, and the prisoners neither knew the identity of those buried at the
stable nor the circumstances of their deaths (Report of the Commission
107 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 146
b) Les camps
i) Le camp de Sušica
252. Le demandeur invoque par ailleurs les meurtres qui auraient été
perpétrés dans des camps de détention de la région de la vallée de la
Drina. Le rapport de la commission d’experts cite la déclaration d’un
ancien gardien du camp de Sušica ayant personnellement assisté au
meurtre de trois mille Musulmans (vol. IV, annexe VIII, p. 334) et à l’exé-
cution des deux cents détenus survivants (vol. I, annexe IV, p. 31-32).
Dragan Nikolic ´, le commandant de ce camp, a plaidé coupable devant le
TPIY du meurtre de neuf prisonniers non serbes; selon les termes du
jugement portant condamnation rendu par le TPIY le 18 décembre 2003,
il «a persécuté les détenus musulmans et non serbes en se livrant sur leur
personne à des assassinats, viols et tortures, comme expressément indiqué
dans l’acte d’accusation» (Nikoli´, IT-94-2-S, par. 67).
ii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa
253. La commission d’experts mentionne en outre dans son rapport de
nombreux meurtres perpétrés au camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa
(KP Dom de Foc ˇa). Les experts ont estimé que le nombre des prisonniers
était tombé de cinq cent soixante-dix à cent trente en deux mois (vol. IV,
annexe VIII, p. 129). Le département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique a
rapporté la déclaration d’un témoin qui avait assisté à des exécutions
régulières en juillet 1992 et fait état de la présence de charniers dans ce
camp de KP Dom.
254. Dans le jugement qu’elle a rendu en l’affaire Krnojelac,al
chambre de première instance du TPIY est parvenue aux conclusions sui-
vantes concernant plusieurs meurtres commis dans ce camp:
«La chambre de première instance est convaincue au-delà de tout
doute raisonnable que toutes les personnes figurant sur la liste C
jointe à l’acte d’accusation, à l’exception de trois d’entre elles, ont
été tuées au KP Dom. Elle est convaincue que ces personnes ont été
prises dans cet enchaînement d’événements qu’a connu le KP Dom
pendant les mois de juin et juillet 1992 et que leur disparition depuis
lors ne peut raisonnablement s’expliquer que par leur décès, suite
aux actes ou omissions commis au KP Dom, avec l’intention voulue
[pour la qualification de meurtre].» (IT-97-25-T, jugement du
15 mars 2002, par. 330.)
iii) Le camp de Batkovic´
255. En ce qui concerne le camp de détention de Batkovic ´, le deman-
deur prétend que de nombreux prisonniers y sont morts des suites des
mauvais traitements infligés par les gardiens serbes. La commission
d’experts cite dans son rapport la déposition d’un témoin indiquant
l’existence d’un charnier à proximité du camp de prisonniers de Batkovic´.
Au moins quinze corps avaient été enterrés près d’une étable et les pri-
sonniers ne connaissaient ni l’identité de ceux qui y avaient été ensevelis
107147 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
of Experts, Vol. V, Ann. X, p. 9). The Report furthermore stresses
that
“[b]ecause of the level of mistreatment, many prisoners died.
One man stated that during his stay, mid-July to mid-August, 13
prisoners were beaten to death. Another prisoner died because he
had gangrene which went untreated. Five more may have died from
hunger. Allegedly, 20 prisoners died prior to September.” (Vol. IV,
Ann. VIII, p. 63.)
Killings at the Batkovi´ camp are also mentioned in the Dispatch of the
United States State Department of 19 April 1993. According to a witness,
several men died as a result of bad conditions and beatings at the camp
(United States Dispatch, 19 April 1993, Vol. 4, No. 30, p. 538).
256. On the other hand, the Respondent stressed that, when the United
Nations Special Rapporteur visited the Batkovic ´ prison camp, he found
that: “The prisoners did not complain of ill-treatment and, in general
appeared to be in good health.” (Report of 17 November 1992, para. 29)
However, the Applicant contends that “it is without any doubt that
Mazowiecki was shown a ‘model’ camp”.
Prijedor
(a) Kozarac and Hambarine
257. With regard to the area of the municipality of Prijedor, the Appli-
cant has placed particular emphasis on the shelling and attacks on
Kozarac, 20 km east of Prijedor, and on Hambarine in May 1992. The
Applicant contends that after the shelling, Serb forces shot people in their
homes and that those who surrendered were taken to a soccer stadium in
Kozarac where some men were randomly shot. The Report of the Com-
mission of Experts (Vol. I, Ann. III, pp. 154-155) states that:
“The attack on Kozarac lasted three days and caused many vil-
lagers to flee to the forest while the soldiers were shooting at ‘every
moving thing’. Survivors calculated that at least 2,000 villagers were
killed in that period. The villagers’ defence fell on 26 May . . .
Serbs then reportedly announced that the villagers had 10 minutes
to reach the town’s soccer stadium. However, many people were
shot in their homes before given a chance to leave. One witness
reported that several thousand people tried to surrender by carrying
white flags, but three Serb tanks opened fire on them, killing many.”
108 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 147
ni les circonstances de leur décès (rapport de la commission d’experts,
vol. V, annexe X, p. 9). En outre, la commission souligne dans son rap-
port que
«les mauvais traitements infligés étaient si violents que de nombreux
prisonniers sont morts. Un homme a indiqué que pendant son
séjour, de la mi-juillet à la mi-août, treize prisonniers avaient été bat-
tus à mort. Un autre prisonnier est décédé d’une gangrène non soi-
gnée. Cinq autres sont peut-être morts de faim. Vingt prisonniers
seraient morts avant le mois de septembre.» (Vol. IV, annexe VIII,
p. 63.)
Le département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique a également men-
tionné, dans le Dispatch du 19 avril 1993, que des meurtres avaient été
commis au camp de Batkovic ´. Selon un témoin, plusieurs hommes sont
morts du fait des mauvaises conditions de vie dans ce camp et des coups
o
qu’ils y avaient reçus (Dispatch, 19 avril 1993, vol. 4, n 30, p. 538).
256. Par ailleurs, le défendeur a souligné que, lorsque le rapporteur
spécial des Nations Unies avait visité le camp de prisonniers de Batkovic´,
il avait relevé: «Les prisonniers ne se sont pas plaints de mauvais traite-
ments et, dans l’ensemble, ils semblaient être en bonne santé» (rapport
du 17 novembre 1992, par. 29). Le demandeur affirme toutefois à ce sujet
qu’«il ne fait aucun doute que le camp qui a été montré à M. Mazowiecki
était un camp «modèle»».
Prijedor
a) Kozarac et Hambarine
257. En ce qui concerne la région de la municipalité de Prijedor, le
demandeur a particulièrement insisté sur le bombardement et les attaques
subis par Kozarac, à 20 kilomètres à l’est de Prijedor, et par Hambarine
en mai 1992. Le demandeur affirme que, après le bombardement, les
forces serbes exécutèrent des personnes à leur domicile et que celles qui
se rendirent furent emmenées dans un stade de football de Kozarac où
quelques hommes pris au hasard furent exécutés. Dans son rapport
(vol. I, annexe III, p. 154-155), la commission d’experts indique que:
«L’attaque de Kozarac a duré trois jours et a poussé de nombreux
villageois à fuir dans la forêt alors que les soldats tiraient «sur tout
ce qui bougeait». Des survivants ont calculé qu’au moins deux mille
villageois avaient été tués durant cette période. Les défenses des vil-
lageois sont tombées le 26 mai...
Les Serbes donnèrent alors aux villageois dix minutes pour se
rendre au stade municipal de football. De nombreuses personnes
cependant furent tuées à leur domicile avant d’avoir la possibilité
de partir. Un témoin a rapporté que plusieurs milliers de per-
sonnes voulurent se rendre en portant des drapeaux blancs, mais
que trois chars serbes ouvrirent le feu sur elles, en tuant un grand
nombre.»
108148 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
The Respondent submits that the number of killings is exaggerated and
that “there was severe fighting in Kozarac, which took place on 25 and
26 May, and naturally, it should be concluded that a certain number of
the victims were Muslim combatants”.
258. As regards Hambarine, the Report of the Commission of Experts
(Vol. I, p. 39) states that:
“Following an incident in which less than a handful of Serb[ian]
soldiers were shot dead under unclear circumstances, the village of
Hambarine was given an ultimatum to hand over a policeman who
lived where the shooting had occurred. As it was not met, Hambar-
ine was subjected to several hours of artillery bombardment on
23 May 1992.
The shells were fired from the aerodrome Urije just outside Pri-
jedor town. When the bombardment stopped, the village was stormed
by infantry, including paramilitary units, which sought out the inhab-
itants in every home. Hambarine had a population of 2,499 in 1991.”
The Report of the Special Rapporteur of 17 November 1992, states that:
“Between 23 and 25 May, the Muslim village of Hambarine, 5 km
south of Prijedor, received an ultimatum: all weapons must be sur-
rendered by 11 a.m. Then, alleging that a shot was fired at a Serbian
patrol, heavy artillery began to shell the village and tanks appeared,
firing at homes. The villagers fled to Prijedor. Witnesses reported
many deaths, probably as many as 1,000.” (Periodic Report of
17 November 1992, p. 8, para. 17 (c).)
The Respondent says, citing the indictment in the Stakic ´ case, that
“merely 11 names of the victims are known” and that it is therefore
impossible that the total number of victims in Hambarine was “as many
as 1,000”.
259. The Report of the Commission of Experts found that on 26, 27 or
28 May, the Muslim village of Kozarac, came under attack of heavy Serb
artillery. It furthermore notes that:
“The population, estimated at 15,000, suffered a great many sum-
mary executions, possibly as many as 5,000 persons according to
some witnesses.” (Report of the Commission of Experts, Vol. IV,
pt. 4.)
260. The Applicant also claimed that killings of members of the pro-
tected group were perpetrated in Prijedor itself. The Report of the Com-
mission of Experts, as well as the United Nations Special Rapporteur
collected individual witness statements on several incidents of killing in
the town of Prijedor (Report of the Commission of Experts, Vol. I,
Ann. V, pp. 54 et seq.). In particular, the Special Rapporteur received
109 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 148
Le défendeur affirme que le nombre des morts est exagéré, qu’«il y a eu
des combats acharnés à Kozarac les 25 et 26 mai et [qu’]il faut naturel-
lement en conclure qu’il y avait des combattants musulmans au nombre
des victimes».
258. En ce qui concerne Hambarine, le rapport de la commission
d’experts (vol. I, p. 39) signale que:
«A la suite d’un incident au cours duquel une poignée à peine de
soldats serbes furent tués dans des circonstances indéterminées, le
village d’Hambarine reçut un ultimatum le sommant de livrer un
policier qui vivait à l’endroit où s’étaient produits les tirs. Le policier
n’ayant pas été livré, le 23 mai 1992, Hambarine fut pendant plu-
sieurs heures la cible de bombardements d’artillerie.
Les tirs venaient de l’aérodrome d’Urije situé juste à l’extérieur de
la ville de Prijedor. Lorsque les bombardements cessèrent, le village
fut pris d’assaut par l’infanterie, y compris par des unités paramili-
taires, qui fouillèrent chaque maison à la recherche des habitants.
En 1991, Hambarine comptait deux mille quatre cent quatre-vingt-
dix-neuf habitants.»
Le rapporteur spécial indique, dans son rapport du 17 novembre 1992,
que
[e]ntre le 23 et le 25 mai, le village musulman d’Hambarine, situé
à 5 kilomètres au sud de Prijedor, a reçu un ultimatum: toutes les
armes devaient être livrées à 11 heures au plus tard. Puis, au prétexte
qu’on avait tiré sur une patrouille serbe, on a commencé à bombar-
der le village au mortier et des tanks sont apparus, faisant feu sur les
maisons. Les villageois se sont enfuis à Prijedor. Selon les témoins, il
y a eu de nombreuses victimes, probablement jusqu’à mille». (Rap-
port périodique du 17 novembre 1992, p. 8, par. 17 c).)
Le défendeur, citant l’acte d’accusation dans l’affaire Staki´, affirme que
«onze victimes seulement ont été identifiées» et qu’il est par conséquent
impossible que le nombre total des victimes d’Hambarine ait «atteint
mille personnes».
259. La commission d’experts conclut dans son rapport que les 26, 27
et 28 mai, le village musulman de Kozarac avait été attaqué par l’artille-
rie lourde serbe. Elle note en outre:
«La population, estimée à quinze mille personnes, fut la cible de
nombreuses exécutions sommaires, le nombre des victimes s’élevant
peut-être à cinq mille, selon certains témoins.» (Rapport de la com-
mission d’experts, vol. IV, point 4.)
260. Le demandeur a également allégué que des meurtres de membres
du groupe protégé ont été perpétrés à Prijedor même. Tant la commission
d’experts que le rapporteur spécial des Nations Unies ont recueilli des
déclarations individuelles de témoins concernant plusieurs cas de
meurtres dans la ville de Prijedor (rapport de la commission d’experts,
vol. I, annexe V, p. 54 et suiv.). En particulier, le rapporteur spécial a
109149 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
testimony “from a number of reliable sources” that 200 people were
killed in Prijedor on 29 May 1992 (Report of 17 November 1992, para. 17).
261. In the Stakic´ case, the ICTY Trial Chamber found that “many
people were killed during the attacks by the Bosnian Serb army on pre-
dominantly Bosnian Muslim villages and towns throughout the Prijedor
municipality and several massacres of Muslims took place”, and that “a
comprehensive pattern of atrocities against Muslims in Prijedor munici-
pality in 1992 ha[d] been proved beyond reasonable doubt” (IT-97-24-T,
Judgment, 31 July 2003, paras. 544 and 546). Further, in the Brdanin
case, the Trial Chamber was satisfied that “at least 80 Bosnian Muslim
civilians were killed when Bosnian Serb soldiers and police entered the
villages of the Kozarac area” (IT-99-36, Judgment, 1 September 2004,
para. 403).
(b) Camps
(i) Omarska camp
262. With respect to the detention camps in the area of Prijedor, the
Applicant has stressed that the camp of Omarska was “arguably the
cruellest camp in Bosnia and Herzegovina”. The Report of the Com-
mission of Experts gives an account of seven witness statements reporting
between 1,000 to 3,000 killings (Vol. IV, Ann. VIII, p. 222). The Report
noted that
“[s]ome prisoners estimate that on an average there may have been
10 to 15 bodies displayed on the grass each morning, when the first
prisoners went to receive their daily food rations. But there were also
other dead bodies observed in other places at other times. Some pris-
oners died from their wounds or other causes in the rooms where
they were detained. Constantly being exposed to the death and suf-
fering of fellow prisoners made it impossible for anyone over any
period of time to forget in what setting he or she was. Given the
length of time Logor Omarska was used, the numbers of prisoners
detained in the open, and the allegations that dead bodies were
exhibited there almost every morning.”
The Report of the Commission of Experts concludes that “all informa-
tion available . . . seems to indicate that [Omarska] was more than any-
thing else a death camp” (Vol. I, Ann. V, p. 80). The United Nations
Secretary-General also received submissions from Canada, Austria and
the United States, containing witness statements about the killings at
Omarska.
263. In the Opinion and Judgment of the Trial Chamber in the Tadic ´
case, the ICTY made the following findings on Omarska: “Perhaps the
most notorious of the camps, where the most horrific conditions existed,
110 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 149
recueilli des témoignages «de sources dignes de confiance» indiquant
que deux cents personnes avaient été tuées à Prijedor le 29 mai 1992
(rapport du 17 novembre 1992, par. 17).
261. Dans l’affaire Stakic´, la chambre de première instance du TPIY
a conclu que «nombre de personnes [avaient] été tuées au cours des
attaques menées par l’armée des Serbes de Bosnie contre des villes et des
villages majoritairement [musulmans] dans toute la municipalité de Prije-
dor, [que] plusieurs massacres de Musulmans [avaient] eu lieu» et qu’«il
[se] dégage[ait] un ensemble d’atrocités dont les Musulmans de la muni-
cipalité de Prijedor [avaient] été victimes en 1992, et qui ont été établies
au-delà de tout doute raisonnable» (IT-97-24-T, jugement du
31 juillet 2003, par. 544 et 546). Par ailleurs, dans l’affaire Brdaninla
chambre de première instance s’est dite convaincue qu’«au moins
quatre-vingts civils musulmans de Bosnie [avaient] été tués lorsque les sol-
dats et policiers serbes de Bosnie [étaient] entrés dans les villages des envi-
er
rons de Kozarac» (IT-99-36, jugement du 1 septembre 2004, par. 403).
b) Les camps
i) Le camp d’Omarska
262. S’agissant des camps de détention établis dans le secteur de Pri-
jedor, le demandeur a souligné que celui d’Omarska était «sans doute le
plus cruel de Bosnie-Herzégovine». Le rapport de la commission d’experts
rend compte des déclarations de sept témoins faisant état de mille à
trois mille meurtres (vol. IV, annexe VIII, p. 222). Il relève que
«[c]ertains prisonniers estiment que, en moyenne, dix à quinze corps
pouvaient être exposés sur l’herbe chaque matin, quand les premiers
prisonniers allaient chercher leur ration quotidienne de nourriture.
Mais d’autres cadavres ont aussi été vus à d’autres endroits et à
d’autres moments. Certains prisonniers sont morts de leurs blessures
ou d’autres causes dans les pièces où ils étaient détenus. La vision
constante de la mort et de la souffrance de codétenus faisait qu’il
était impossible pour quiconque d’oublier un certain temps sa situa-
tion. Compte tenu de la durée pendant laquelle Logor Omarska a été
utilisé, du nombre de prisonniers détenus en plein air et des alléga-
tions selon lesquelles des cadavres étaient exposés là-bas presque
chaque matin.»
Les experts concluent dans leur rapport que «toutes les informations
disponibles ... semblent indiquer qu’[Omarska] était avant tout un camp
de la mort» (vol. I, annexe V, p. 80). Le Secrétaire général de l’Organisa-
tion des Nations Unies a également reçu des rapports du Canada, de
l’Autriche et des Etats-Unis contenant des déclarations de témoins sur les
meurtres commis à Omarska.
263. Le TPIY, dans le jugement rendu par la chambre de première
instance en l’affaire Tadi´, a formulé les conclusions suivantes au sujet
d’Omarska: «Le camp d’Omarska est sans doute le plus connu [des
110150 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
was the Omarska camp.” (IT-94-1-T, Judgment, 7 May 1997, para. 155.)
“The Trial Chamber heard from 30 witnesses who survived the brutality
to which they were systematically subjected at Omarska. By all accounts,
the conditions at the camp were horrendous; killings and torture were
frequent.” (Ibid., para. 157.) The Trial Chamber in the Staki´ Judgment
found that “over a hundred people were killed in late July 1992 in the
Omarska camp” and that
“[a]round late July 1992, 44 people were taken out of Omarska and
put in a bus. They were told that they would be exchanged in the
direction of Bosanska Krupa; they were never seen again. During
the exhumation in Jama Lisac, 56 bodies were found: most of
them had died from gunshot injuries.” (IT-97-24-T, Judgment,
31 July 2003, paras. 208 and 210).
At least 120 people detained at Omarska were killed after having been
taken away by bus.
“The corpses of some of those taken away on the buses were later
found in Hrastova Glavica and identified. A large number of bodies,
126, were found in this area, which is about 30 kilometres away from
Prijedor. In 121 of the cases, the forensic experts determined that the
cause of death was gunshot wounds.” (Ibid., para. 212.)
264. In the Brdanin case, the Trial Chamber, in its Judgment of 1 Sep-
tember 2004 held that between 28 May and 6 August, a massive number
of people were killed at Omarska camp. The Trial Chamber went on to
say specifically that “[a]s of late May 1992, a camp was set up at Omar-
ska, where evidence shows that several hundred Bosnian Muslim and
Bosnian Croat civilians from the Prijedor area were detained, and where
killings occurred on a massive scale” (IT-99-36-T, Trial Chamber Judg-
ment, 1 September 2004, para. 441). “The Trial Chamber is unable to
precisely identify all detainees that were killed at Omarska camp. It is
satisfied beyond reasonable doubt however that, at a minimum, 94 per-
sons were killed, including those who disappeared.” (Ibid., para. 448.)
(ii) Keraterm camp
265. A second detention camp in the area of Prijedor was the Kera-
term camp where, according to the Applicant, killings of members of the
protected group were also perpetrated. Several corroborating accounts of
a mass execution on the morning of 25 July 1992 in Room 3 at Keraterm
camp were presented to the Court. This included the United States Dis-
patch of the State Department and a letter from the Permanent Repre-
111 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 150
camps], celui où les conditions d’existence furent les plus effroyables.»
(IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 155.) «La chambre de première
instance a entendu trente témoins qui ont survécu aux violences systéma-
tiques qu’ils ont subies à Omarska. Toutes les dépositions parlent des
conditions d’existence effroyables qui régnaient dans le camp, où le
meurtre et la torture étaient monnaie courante.» (Ibid., par. 157.) Dans
l’affaire Stak´, la chambre de première instance a conclu dans son juge-
ment que «plus de cent personnes [avaient] été exécutées à la fin juillet 1992
au camp d’Omarska» et que,
«[v]ers la fin juillet 1992, quarante-quatre personnes [avaient] été
emmenées en autocar du camp d’Omarska. On leur a[vait] dit qu’elles
seraient échangées [vers] Bosanska Krupa. On ne les a plus jamais
revues. Les cadavres de cinquante-six personnes ont été exhumés à
Jama Lisac. Ces personnes [avaient], pour la plupart, été tuées par
balle.» (IT-97-24-T, chambre de première instance, jugement du
31 juillet 2003, par. 208 et 210.)
Au moins cent vingt personnes détenues à Omarska ont été tuées après
avoir été emmenées en autocar.
«Les cadavres de certaines de ces personnes emmenées en autocar
ont, par la suite, été retrouvés à Hrastova Glavica et identifiés. De
nombreux corps, cent vingt-six, ont été retrouvés dans ce secteur, à
environ 30 kilomètres de Prijedor. Pour cent vingt et un d’entre eux,
les experts en médecine légale ont conclu à une mort par balle.»
(Ibid., par. 212.)
264. Dans l’affaire Brdanin, la chambre de première instance a, dans
er
son jugement du 1 septembre 2004, déclaré qu’entre le 28 mai et le
6 août un nombre considérable de personnes avaient été tuées dans le
camp d’Omarska. Elle a ajouté: «Dès fin mai 1992, un camp a été établi
à Omarska où, comme le montrent les éléments de preuve, plusieurs cen-
taines de civils musulmans ou croates de Bosnie originaires de la région
de Prijedor ont été détenus, et où des meurtres ont été commis à graner
échelle.» (IT-99-36-T, chambre de première instance, jugement du 1 sep-
tembre 2004, par. 441.) «La chambre de première instance n’est pas en
mesure d’identifier précisément tous les détenus qui ont été tués au camp
d’Omarska. Elle est toutefois convaincue au-delà de tout doute raison-
nable qu’au moins quatre-vingt-quatorze personnes l’ont été, y compris
celles qui ont disparu.» (Ibid., par. 448.)
ii) Le camp de Keraterm
265. Un deuxième camp de détention était établi dans le secteur de Pri-
jedor, celui de Keraterm où, d’après le demandeur, des membres du
groupe protégé auraient également été tués. Plusieurs récits concordants
d’une exécution collective dans la pièce 3 du camp de Keraterm, le matin
du 25 juillet 1992, ont été présentés à la Cour. Ils figurent notamment
dans le Dispatch du département d’Etat des Etats-Unis et dans une lettre
111151 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
sentative of Austria to the United Nations dated 5 March 1993, addressed
to the Secretary-General. The Report of the Commission of Experts cites
three separate witness statements to the effect that ten prisoners were
killed per day at Keraterm over three months (Vol. IV, para. 1932; see
also Vol. I, Ann. V, para. 445).
266. The Trial Chamber of the ICTY, in the Sikirica et al. case, con-
cerning the Commander of Keraterm camp, found that 160 to 200 men
were killed or wounded in the so-called Room 3 massacre (IT-95-8-S,
Sentencing Judgment, 13 November 2001, para. 103). According to the
Judgment, Sikirica himself admitted that there was considerable evidence
“concerning the murder and killing of other named individuals at Kera-
term during the period of his duties”. There was also evidence that
“others were killed because of their rank and position in society and their
membership of a particular ethnic group or nationality” (ibid., para. 122).
In the Staki´ case, the Trial Chamber found that “from 30 April 1992 to
30 September 1992 . . . killings occurred frequently in the Omarska,
Keraterm and Trnopolje camps” (IT-97-24-T, Judgment, 31 July 2003,
para. 544).
(iii) Trnopolje camp
267. The Applicant further contends that there is persuasive evidence
of killing at Trnopolje camp, with individual eye-witnesses corroborating
each other. The Report of the Commission of Experts found that “[i]n
Trnopolje, the regime was far better than in Omarska and Keraterm.
Nonetheless, harassment and malnutrition was a problem for all the
inmates. Rapes, beatings and other kinds of torture, and even killings,
were not rare.” (Report of the Commission of Experts, Vol. IV, Ann. V,
p. 10.)
“The first period was allegedly the worst in Trnopolje, with the
highest numbers of inmates killed, raped, and otherwise mistreated
and tortured . . .
The people killed in the camp were usually removed soon after by
some camp inmates who were ordered by the Serbs to take them
away and bury them . . .
Albeit Logor Trnopolje was not a death camp like Logor Omar-
ska or Logor Keraterm, the label ‘concentration camp’ is none the
less justified for Logor Trnopolje due to the regime prevailing in the
camp.” (Ibid., Vol. I, Ann. V, pp. 88-90.)
268. With regard to the number of killings at Trnopolje, the ICTY
considered the period between 25 May and 30 September 1992, the rele-
vant period in the Stakic ´ case (IT-97-24-T, Trial Chamber Judgment,
31 July 2003, paras. 226-227). The Trial Chamber came to the conclusion
that “killings occurred frequently in the Omarska, Keraterm and Trno-
112 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 151
du 5 mars 1993 adressée au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies par le représentant permanent de l’Autriche auprès de
l’Organisation des Nations Unies. Le rapport de la commission d’experts
fait état de déclarations émanant de trois témoins différents, selon les-
quelles, pendant trois mois, dix détenus avaient été tués chaque jour à
Keraterm (vol. IV, par. 1932; voir aussi vol. I, annexe V, par. 445).
266. Dans l’affaire Sikirica et consorts, la chambre de première ins-
tance du TPIY a conclu, en ce qui concerne le commandant du camp de
Keraterm, que cent soixante à deux cents hommes avaient été tués ou
blessés dans la salle connue sous le nom de pièce 3 (IT-95-8-S, jugement
portant condamnation du 13 novembre 2001, par. 103). Selon le juge-
ment, Sikirica lui-même a reconnu qu’il existait de nombreux éléments
«établissant l’assassinat et le meurtre à Keraterm d’autres individus nom-
mément désignés, pendant ses tours de garde». Des preuves existaient
également que «d’autres [avaient] été assassinés en raison de leur rang et
de leur position sociale, et de leur appartenance à un groupe ethnique ou
de leur nationalité» (ibid., par. 122). Dans l’affaire St´, la chambre de
première instance a conclu que «du 30 avril 1992 au 30 septembre 1992 ...
les meurtres étaient fréquents aux camps d’Omarska, de Keraterm et de
Trnopolje» (IT-97-24-T, jugement du 31 juillet 2003, par. 544).
iii) Le camp de Trnopolje
267. Le demandeur soutient en outre qu’il existe des preuves convain-
cantes de meurtres commis dans le camp de Trnopolje, plusieurs récits de
témoins oculaires se corroborant mutuellement. Dans son rapport, la
commission d’experts a conclu que, à Trnopolje, «[l]e régime ... était bien
meilleur qu’à Omarska et à Keraterm, mais tous les détenus y étaient
soumis à des sévices et mal nourris. Les viols, les passages à tabac et les
tortures de tout type et même les meurtres n’[y] étaient pas rares.» (Rap-
port de la commission d’experts, vol. IV, annexe V, p. 10.)
«C’est au début que la situation avait été la pire à Trnopolje, avec
le plus grand nombre de meurtres, de viols, et d’autres formes de
mauvais traitements et de torture...
Les personnes tuées dans le camp étaient généralement emportées
peu après par des détenus auxquels les Serbes avaient donné l’ordre
d’enterrer les cadavres...
Bien que Logor Trnopolje n’ait pas été un camp de la mort
comme Logor Omarska ou Logor Keraterm, le qualifier de «camp
de concentration» n’en est pas moins justifié étant donné les condi-
tions qui y régnaient.» (Ibid., vol. I, annexe V, p. 88-90.)
268. En ce qui concerne le nombre des meurtres commis à Trnopolje,
le TPIY a examiné la période du 25 mai au 30 septembre 1992, celle qui
était pertinente en l’affaire Sta´ (IT-97-24-T, chambre de première ins-
tance, jugement du 31 juillet 2003, par. 226-227). La chambre de première
instance a constaté que «les meurtres étaient fréquents aux camps
112152 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
polje camps and other detention centres” (IT-97-24-T, para. 544). In the
Judgment in the Brdanin case, the Trial Chamber found that in the
period from 28 May to October 1992,
“numerous killings occurred in Trnopolje camp. A number of
detainees died as a result of the beatings received by the guards.
Others were killed by camp guards with rifles. The Trial Chamber
also [found] that at least 20 inmates were taken outside the
camp and killed there.” (IT-99-36-T, Judgment, 1 September 2004,
para. 450.)
269. In response to the allegations of killings at the detention camps in
the area of Prijedor, the Respondent questions the number of victims, but
not the fact that killings occurred. It contends that killings in Prijedor
“were committed sporadically and against individuals who were not a
significant part of the group”. It further observed that the ICTY had not
characterized the acts committed in the Prijedor region as genocide.
Banja Luka
Manjac ˇa camp
270. The Applicant further contends that killings were also frequent at
Manjac ˇa camp in Banja Luka. The Court notes that multiple witness
accounts of killings are contained in the Report of the Commission of
Experts (Vol. IV, paras. 370-376) and a mass grave of 540 bodies, “pre-
sumably” from prisoners at Manjac ˇa, is mentioned in a report on missing
persons submitted by Manfred Nowak, the United Nations Expert on
Missing Persons:
“In September 1995, mass graves were discovered near Krasulje in
northwest Bosnia and Herzegovina. The Government has exhumed
540 bodies of persons who were presumably detained at Manjaca
concentration camp in 1992. In January 1996, a mass grave contain-
ing 27 bodies of Bosnian Muslims was discovered near Sanski Most;
the victims were reportedly killed in July 1992 during their transfer
from Sanski Most to Manjaca concentration camp (near Banja
Luka).” (E/CN.4/1996/36 of 4 March 1996, para. 52.)
Brˇko
Luka camp
271. The Applicant claims that killings of members of the protected
group were also perpetrated at Luka camp and Brc ˇko. The Report of the
Commission of Experts confirms these allegations. One witness reported
that “[s]hootings often occurred at 4.00 a.m. The witness estimates that
during his first week at Luka more than 2,000 men were killed and
113 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 152
d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje ainsi que dans d’autres centres
de détention» (II-97-24-T, par. 544). Dans le jugement rendu en l’affaire
Brdanin, la chambre de première instance a conclu que, pendant la
période allant du 28 mai au mois d’octobre 1992,
«le camp de Trnopolje a été le théâtre de nombreux meurtres. Un
certain nombre de détenus sont morts à la suite des coups que leur
ont infligés les gardiens. D’autres ont été abattus par des gardiens.
La chambre de première instance [a] également [conclu] qu’au moins
20 détenus ont été eerenés et tués en dehors du camp.» (IT-99-
36-T, jugement du 1 septembre 2004, par. 450.)
269. En réponse aux allégations faisant état de meurtres dans les
camps de détention de la région de Prijedor, le défendeur conteste le
nombre de victimes, mais non la réalité de ces actes. Il soutient qu’à Pri-
jedor les meurtres étaient «commis de manière sporadique, et contre des
individus qui ne constituaient pas une partie substantielle du groupe». Il
fait en outre observer que les actes perpétrés dans la région de Prijedor
n’ont pas reçu du TPIY la qualification de génocide.
Banja Luka
Le camp de Manjac ˇa
270. Le demandeur soutient en outre que les meurtres étaient égale-
ment fréquents dans le camp de Manjac ˇa, à Banja Luka. La Cour note
que le rapport de la commission d’experts contient de très nombreux
récits de meurtres provenant de témoins des faits (vol. IV, par. 370-376),
et qu’un charnier renfermant cinq cent quarante corps, «probablement»
ceux de prisonniers de Manjac ˇa, est mentionné dans un rapport de
Manfred Nowak, l’expert de l’Organisation des Nations Unies sur les
personnes disparues:
«En septembre 1995, des charniers ont été découverts près de Kra-
sulje, au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine. Le gouvernement a
exhumé cinq cent quarante corps de personnes probablement déte-
nues dans le camp de concentration de Manjac ˇa en 1992. En jan-
vier 1996, un charnier renfermant vingt-sept corps de Musulmans de
Bosnie a été découvert près de Sanski Most; les victimes auraient été
tuées en juillet 1992, lors de leur transfert de Sanski Most au camp de
concentration de Manjac ˇa (près de Banja Luka).» (Nations Unies,
doc. E/CN.4/1996/36 du 4 mars 1996, par. 52.)
Brcˇko
Le camp de Luka
271. Le demandeur affirme que des membres du groupe protégé ont
aussi été tués dans le camp de Luka et à Brˇko. Le rapport de la commis-
sion d’experts confirme ces allégations. Un témoin a indiqué que «les exé-
cutions avaient souvent lieu à 4 heures du matin. Le témoin estime que,
pendant sa première semaine à Luka, plus de deux mille hommes ont été
113153 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
thrown into the Sava River.” (Report of the Commission of Experts
Vol. IV, Ann. VIII, p. 93.) The Report further affirms that “[a]pparently,
murder and torture were a daily occurrence” (ibid., p. 96), and that it was
reported that
“[t]he bodies of the dead or dying internees were often taken to the
camp dump or moved behind the prisoner hangars. Other internees
were required to move the bodies. Sometimes the prisoners who car-
ried the dead were killed while carrying such bodies to the dump.
The dead were also taken and dumped outside the Serbian Police
Station located on Majevicˇka Brigada Road in Brc ˇko.” (Ibid.)
These findings are corroborated by evidence of a mass grave being found
near the site (Report of the Commission of Experts, Vol. IV, Ann. VIII,
p. 101, and United States State Department Dispatch).
272. In the Jelisi´ case, eight of the 13 murders to which the accused
pleaded guilty were perpetrated at Luka camp and five were perpetrated
at the Brc ˇko police station (IT-95-10-T, Trial Chamber Judgment,
14 December 1999, paras. 37-38). The Trial Chamber further held that
“[a]lthough the Trial Chamber is not in a position to establish the precise
number of victims ascribable to Goran Jelisi´ for the period in the indict-
ment, it notes that, in this instance, the material element of the crime of
genocide has been satisfied” (ibid., para. 65).
273. In the Miloševic´ Decision on Motion for Judgment of Acquittal,
the Trial Chamber found that many Muslims were detained in Luka
camp in May and June 1992 and that many killings were observed by
witnesses (IT-02-54-T, Decision on Motion for Judgment of Acquittal,
16 June 2004, paras. 159, 160-168), it held that “[t]he conditions and
treatment to which the detainees at Luka Camp were subjected were ter-
rible and included regular beatings, rapes, and killings” (ibid., para. 159).
“At Luka Camp . . . The witness personally moved about 12 to 15 bodies
and saw approximately 100 bodies stacked up like firewood at Luka
Camp; each day a refrigerated meat truck from the local Bimeks Com-
pany in Brc ˇko would come to take away the dead bodies.” (Ibid.,
para. 161.)
274. The Court notes that the Brdanin Trial Chamber Judgment of
1 September 2004 made a general finding as to killings of civilians in
camps and municipalities at Banja Luka, Prijedor, Sanski Most, Kljuc ˇ,
Kotor Varoš and Bosanski Novi. It held that:
“In sum, the Trial Chamber is satisfied beyond reasonable doubt
that, considering all the incidents described in this section of the
judgment, at least 1,669 Bosnian Muslims and Bosnian Croats were
killed by Bosnian Serb forces, all of whom were non-combatants.”
(IT-99-36-T, Judgment, 1 September 2004, para. 465.)
114 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 153
tués et jetés dans la Save» (rapport de la commission d’experts, vol. IV,
annexe VIII, p. 93). Les experts affirment aussi qu’«apparemment,
les meurtres et la torture étaient quotidiens» (ibid., p. 96) et que, selon les
indications reçues,
«les corps des détenus morts ou mourants étaient souvent emportés
à la décharge du camp ou derrière les hangars des prisonniers.
D’autres détenus devaient déplacer les cadavres. Quelquefois, les pri-
sonniers étaient tués pendant qu’ils portaient les corps à la décharge.
Les morts étaient aussi emportés et jetés à proximité du commis-
sariat de police serbe situé sur la route de Majevic ˇka Brigada, à
Brˇko.» (Ibid.)
Ces conclusions sont corroborées par la preuve de l’existence d’un char-
nier découvert près du site (rapport de la commission d’experts, vol. IV,
annexe VIII, p. 101, et Dispatch du département d’Etat des Etats-Unis).
272. Dans l’affaireJelisi´, huit des treize meurtres pour lesquels l’accusé
a plaidé coupable ont été perpétrés dans le camp de Luka et les cinq autres
dans le commissariat de police de Brc ˇko (IT-95-10-T, chambre de pre-
mière instance, jugement du 14 décembre 1999, par. 37-38). Tout en esti-
mant ne pas être «en mesure d’établir de façon précise le nombre de vic-
times imputables à Goran Jelisic ´ pour la période incriminée dans l’acte
d’accusation», la chambre de première instance a «constat[é] en l’espèce
que l’élément matériel du crime de génocide [était] rempli»i(bid., par. 65).
273. Dans la décision relative à la demande d’acquittement en l’affaire
Miloševic´, la chambre de première instance a conclu que de nombreux
Musulmans avaient été détenus dans le camp de Luka en mai et en juin 1992
et qu’un grand nombre de meurtres avait été observé par des témoins (IT-
02-54-T, décision relative à la demande d’acquittement, 16 juin 2004,
par. 159, 160-168); elle a déclaré que «[l]es conditions de vie et la façon
dont les détenus étaient traités au camp de Luka étaient atroces: sévices,
viols et meurtres y étaient pratique courante» i(bid., par. 159). «Au camp
de Luka ... [l]e témoin a lui-même déplacé une douzaine ou une quinzaine
de cadavres; il en a vu une centaine, empilés comme du bois de chauffage
au camp de Luka. Tous les jours, un camion frigorifique à viande de
l’entreprise Bimeks de Brcˇko ramassait les cadavres.»I(bid., par. 161.)
274. La Cour note que, dans le jugement rendu le 1 er septembre 2004
en l’affaire Brdanin, la chambre de première instance a tiré une conclu-
sion générale concernant les meurtres de civils dans des camps et muni-
cipalités de Banja Luka, Prijedor, Sanski Most, Kljuc ˇ, Kotor Varoš et
Bosanski Novi, qu’elle a ainsi formulée:
«En résumé, la chambre de première instance est convaincue au-
delà de tout doute raisonnable qu’au vu de tous les faits relatés dans
ce chapitre du jugement que les forces serbes de Bosnie ont tué au
moins mille six cent soixante-neuf Musulmans de Bosnie et Croates
derBosnie, tous des non-combattants.» (IT-99-36-T, jugement du
1 septembre 2004, par. 465.)
114154 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
There are contemporaneous Security Council and General Assembly
resolutions condemning the killing of civilians in connection with ethnic
cleansing, or expressing alarm at reports of mass killings (Security Coun-
cil resolution 819 (1993), Preamble, paras. 6 and 7; General Assembly
resolution 48/153 (1993), paras. 5 and 6; General Assembly resolution 49/
196 (1994), para. 6).
275. The Court further notes that several resolutions condemn specific
incidents. These resolutions, inter alia, condemn “the Bosnian Serb forces
for their continued offensive against the safe area of Goražde, which has
resulted in the death of numerous civilians” (Security Council resolu-
tion 913 (1994), Preamble, para. 5); condemn ethnic cleansing “perpe-
trated in Banja Luka, Bijeljina and other areas of the Republic of Bosnia
and Herzegovina under the control of Bosnian Serb forces” (Security
Council resolution 941 (1994), para. 2); express concern at “grave viola-
tions of international humanitarian law and of human rights in and
around Srebrenica, and in the areas of Banja Luka and Sanski Most,
including reports of mass murder” (Security Council resolu-
tion 1019 (1995), Preamble, para. 2); and condemn “the indiscriminate
shelling of civilians in the safe areas of Sarajevo, Tuzla, Bihac ´ and
Goražde and the use of cluster bombs on civilian targets by Bosnian Serb
and Croatian Serb forces” (General Assembly resolution 50/193 (1995)
para. 5).
*
276. On the basis of the facts set out above, the Court finds that it is
established by overwhelming evidence that massive killings in specific
areas and detention camps throughout the territory of Bosnia and Herze-
govina were perpetrated during the conflict. Furthermore, the evidence
presented shows that the victims were in large majority members of the
protected group, which suggests that they may have been systematically
targeted by the killings. The Court notes in fact that, while the Respon-
dent contested the veracity of certain allegations, and the number of vic-
tims, or the motives of the perpetrators, as well as the circumstances of
the killings and their legal qualification, it never contested, as a matter of
fact, that members of the protected group were indeed killed in Bosnia
and Herzegovina. The Court thus finds that it has been established by
conclusive evidence that massive killings of members of the protected
group occurred and that therefore the requirements of the material ele-
ment, as defined by Article II (a) of the Convention, are fulfilled. At this
stage of its reasoning, the Court is not called upon to list the specific kill-
ings, nor even to make a conclusive finding on the total number of
victims.
115 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 154
Dans des résolutions contemporaines des faits, le Conseil de sécurité et
l’Assemblée générale ont condamné les meurtres de civils commis dans le
cadre du nettoyage ethnique ou se sont déclarés profondément préoccu-
pés par les informations faisant état de massacres (résolution 819 (1993)
du Conseil de sécurité, sixième et septième alinéas du préambule, résolu-
tion 48/153 (1993) de l’Assemblée générale, par. 5 et 6; résolution
49/196 (1994) de l’Assemblée générale, par. 6).
275. La Cour note en outre que plusieurs résolutions condamnent des
incidents particuliers. Entre autres, elles condamnent «les forces serbes de
Bosnie pour leur offensive ininterrompue contre la zone de sécurité de
Goražde, qui s’est soldée par la mort de nombreux civils» (résolution 913
(1994) du Conseil de sécurité, cinquième alinéa du préambule), condam-
nent le nettoyage ethnique «perpétré à Banja Luka, Bijeljina et dans
d’autres zones de la République de Bosnie-Herzégovine tenues par les
forces serbes de Bosnie» (résolution 941 (1994) du Conseil de sécurité,
par. 2), expriment des préoccupations face aux «violations graves du
droit international humanitaire et des droits de l’homme» commises «à
Srebrenica et aux alentours, ainsi que dans les zones de Banja Luka et de
Sanski Most» et notamment aux «informations faisant état de mas-
sacres» (résolution 1019 (1995) du Conseil de sécurité, deuxième alinéa du
préambule) et condamnent «le bombardement aveugle de civils dans les
zones de sécurité de Sarajevo, Tuzla, Bihac´ et Goražde, ainsi que l’utilisa-
tion de bombes en grappe contre des cibles civiles par les forces serbes de
Croatie et de Bosnie» (résolution 50/193 (1995) de l’Assemblée générale,
par. 5).
*
276. Sur la base des faits qui viennent d’être exposés, la Cour consi-
dère comme établi par des éléments de preuve irréfutables que des
meurtres ont été perpétrés de façon massive au cours du conflit dans des
zones et des camps de détention précis situés sur l’ensemble du territoire
de la Bosnie-Herzégovine. En outre, les éléments de preuve qui ont été
présentés démontrent que les victimes étaient dans leur grande majorité
des membres du groupe protégé, ce qui conduit à penser qu’elles ont pu
être prises pour cible de manière systématique. La Cour relève que, si le
défendeur a contesté la véracité de certaines allégations, le nombre des
victimes, les motivations des auteurs des meurtres, ainsi que les circons-
tances dans lesquelles ceux-ci ont été commis et leur qualification juri-
dique, il n’a en revanche jamais contesté le fait que des membres du
groupe protégé aient été tués en Bosnie-Herzégovine. La Cour estime
donc qu’il a été démontré par des éléments de preuve concluants que
des meurtres de membres du groupe protégé ont été commis de façon
massive et que l’élément matériel, tel que défini au litt. a) de l’article II
de la Convention, est par conséquent établi. A ce stade de son raison-
nement, la Cour n’est pas tenue de dresser la liste des meurtres commis,
ni même d’établir de manière définitive le nombre total des victimes.
115155 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
277. The Court is however not convinced, on the basis of the evidence
before it, that it has been conclusively established that the massive kill-
ings of members of the protected group were committed with the specific
intent (dolus specialis) on the part of the perpetrators to destroy, in
whole or in part, the group as such. The Court has carefully examined
the criminal proceedings of the ICTY and the findings of its Chambers,
cited above, and observes that none of those convicted were found to
have acted with specific intent (dolus specialis). The killings outlined
above may amount to war crimes and crimes against humanity, but the
Court has no jurisdiction to determine whether this is so. In the exercise
of its jurisdiction under the Genocide Convention, the Court finds that it
has not been established by the Applicant that the killings amounted to
acts of genocide prohibited by the Convention. As to the Applicant’s
contention that the specific intent (dolus specialis) can be inferred from
the overall pattern of acts perpetrated throughout the conflict, examina-
tion of this must be reserved until the Court has considered all the other
alleged acts of genocide (violations of Article II, paragraphs (b) to (e))
(see paragraph 370 below).
**
(5) The Massacre at Srebrenica
278. The atrocities committed in and around Srebrenica are nowhere
better summarized than in the first paragraph of the Judgment of the
Trial Chamber in the Krstic´ case:
“The events surrounding the Bosnian Serb take-over of the United
Nations (‘UN’) ‘safe area’ of Srebrenica in Bosnia and Herzegovina,
in July 1995, have become well known to the world. Despite a UN
Security Council resolution declaring that the enclave was to be ‘free
from armed attack or any other hostile act’, units of the Bosnian
Serb Army (‘VRS’) launched an attack and captured the town.
Within a few days, approximately 25,000 Bosnian Muslims, most of
them women, children and elderly people who were living in the
area, were uprooted and, in an atmosphere of terror, loaded onto
overcrowded buses by the Bosnian Serb forces and transported
across the confrontation lines into Bosnian Muslim-held territory.
The military-aged Bosnian Muslim men of Srebrenica, however,
were consigned to a separate fate. As thousands of them attempted
to flee the area, they were taken prisoner, detained in brutal condi-
tions and then executed. More than 7,000 people were never seen
again.” (IT-98-33-T, Judgment, 2 August 2001, para. 1; footnotes
omitted.)
116 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 155
277. Au vu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Cour
n’est cependant pas convaincue qu’il ait été établi de façon concluante
que les meurtres de masse de membres du groupe protégé ont été commis
avec l’intention spécifique (dolus specialis), de la part de leurs auteurs, de
détruire, en tout ou en partie, le groupe comme tel. Ayant examiné avec
attention les affaires portées devant le TPIY ainsi que les décisions de ses
chambres — citées plus haut —, la Cour fait observer qu’aucune des per-
sonnes déclarées coupables n’a été considérée comme ayant agi avec une
intention spécifique (dolus specialis). Les meurtres brièvement présentés
ci-dessus peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité, mais la Cour n’a pas compétence pour en juger. Dans l’exer-
cice de la compétence que lui confère la convention sur le génocide, elle
considère qu’il n’a pas été établi par le demandeur que ces meurtres cons-
tituaient des actes de génocide prohibés par la Convention. S’agissant de
la thèse du demandeur selon laquelle l’intention spécifique (dolus specia-
lis) peut être déduite du schéma des actes perpétrés tout au long du
conflit, il convient d’en réserver l’examen, la Cour devant d’abord se pen-
cher sur tous les autres actes de génocide allégués (violations des litt. b)
à e) de l’article II) (voir paragraphe 370 ci-dessous).
**
5) Le massacre de Srebrenica
278. Les atrocités commises à Srebrenica et à proximité ne sauraient
être mieux résumées que par le premier paragraphe du jugement rendu
par la chambre de première instance en l’affaire Krstic´ :
«Les événements survenus en Bosnie-Herzégovine en juillet 1995
lors de la prise par les Serbes de Bosnie de l’enclave de Srebrenica,
déclarée zone de sécurité par l’Organisation des Nations Unies
(l’«ONU»), sont bien connus dans le monde entier. En dépit d’une
résolution du Conseil de sécurité de l’ONU selon laquelle l’enclave
devait être «à l’abri de toute attaque armée et de tout autre acte
d’hostilité», des unités de l’Armée des Serbes de Bosnie (la «VRS»)
ont donné l’assaut et pris la ville. En quelques jours, environ
25 000 Musulmans de Bosnie — pour la plupart des femmes, enfants
et personnes âgées résidant dans ce secteur — ont été expulsés et,
dans une atmosphère de terreur, embarqués par les Serbes de Bosnie
à bord d’autocars bondés qui ont traversé les lignes de confrontation
pour rejoindre le territoire contrôlé par les Musulmans de Bosnie.
Les hommes musulmans de Srebrenica en âge de porter les armes
ont connu un sort différent. Des milliers d’entre eux, qui tentaient de
fuir le secteur, ont été capturés, détenus dans des conditions inhu-
maines puis exécutés. Plus de 7000 personnes n’ont jamais été
revues.» (IT-98-33-T, jugement du 2 août 2001, par. 1, notes de bas
de page omises.)
116156 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
While the Respondent raises a question about the number of deaths, it
does not essentially question that account. What it does question is
whether specific intent (dolus specialis) existed and whether the acts
complained of can be attributed to it. It also calls attention to the attacks
carried out by the Bosnian army from within Srebrenica and the fact that
the enclave was never demilitarized. In the Respondent’s view the mili-
tary action taken by the Bosnian Serbs was in revenge and part of a war
for territory.
279. The Applicant contends that the planning for the final attack on
Srebrenica must have been prepared quite some time before July 1995. It
refers to a report of 4 July 1994 by the commandant of the Bratunac
Brigade. He outlined the “final goal” of the VRS: “an entirely
Serbian Podrinje. The enclaves of Srebrenica, Žepa and Goražde must
be militarily defeated.” The report continued:
“We must continue to arm, train, discipline, and prepare the
RS Army for the execution of this crucial task — the expulsion of
Muslims from the Srebrenica enclave. There will be no retreat
when it comes to the Srebrenica enclave, we must advance. The
enemy’s life has to be made unbearable and their temporary stay
in the enclave impossible so that they leave en masse as soon as
possible, realising that they cannot survive there.”
The Chamber in the Blagojevic ´ case mentioned testimony showing that
some “members of the Bratunac Brigade . . . did not consider this report
to be an order. Testimony of other witnesses and documentary evidence
show that the strategy was in fact implemented.” (IT-02-60-T, Trial
Chamber Judgment, 17 January 2005, para. 104; footnotes omitted.) The
Applicant sees the “final goal” described here as “an entirely Serbian
Podrinje”, in conformity with the objective of a Serbian region 50 km to
the west of the Drina river identified in an April or a May 1991 meeting
of the political and State leadership of Yugoslavia. The Court observes
that the object stated in the report, like the 1992 Strategic Objectives,
does not envisage the destruction of the Muslims in Srebrenica, but
rather their departure. The Chamber did not give the report any particu-
lar significance.
280. The Applicant, like the Chamber, refers to a meeting on
7 March 1995 between the Commander of the United Nations Protection
Force (UNPROFOR) and General Mladic ´, at which the latter expressed
dissatisfaction with the safe area régime and indicated that he might take
military action against the eastern enclaves. He gave assurances however
for the safety of the Bosnian Muslim population of those enclaves. On
the following day, 8 March 1995, President Karadžic ´ issued the Direc-
tive for Further Operations 7, also quoted by the Chamber and the
Applicant: “‘Planned and well-thought-out combat operations’ were
117 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 156
Le défendeur a contesté le nombre de morts, mais non la teneur de cet
exposé. Il met en revanche en doute l’existence d’une intention spécifique
(dolus specialis) ainsi que la possibilité de lui attribuer les actes dont le
demandeur tire grief. Il appelle également l’attention sur les attaques
menées par l’armée de Bosnie depuis Srebrenica et sur le fait que l’enclave
n’a jamais été démilitarisée. Le défendeur affirme que l’action militaire
engagée par les Serbes de Bosnie l’a été en représailles et dans le cadre
d’une guerre à visée territoriale.
279. Le demandeur soutient que l’attaque finale lancée contre Srebre-
nica a dû être préparée bien avant le mois de juillet 1995. Il cite un rap-
port du 4 juillet 1994 établi par le commandant de la brigade de Bratu-
nac. Celui-ci mettait en avant l’«objectif final» de la VRS: «une Podrinje
entièrement serbe. Une défaite militaire devra être infligée aux enclaves
de Srebrenica, Žepa et Goražde». Le rapport poursuivait:
«Nous devons continuer à armer, entraîner, former et préparer
l’armée de la Republika Srpska à l’exécution de cette mission cru-
ciale qui consiste à expulser les Musulmans de l’enclave de Srebre-
nica. Il n’y aura pour l’enclave de Srebrenica aucun repli, nous
devons avancer. Nous devons rendre la vie de nos ennemis intenable
et leur présence dans l’enclave impossible de sorte que, comprenant
qu’ils ne peuvent pas survivre ici, ils s’en aillent en masse, aussi vite
que possible.»
Dans l’affaire Blagojevic´, la chambre de première instance a mentionné
des témoignages indiquant que quelques «membres de la brigade de Bra-
tunac en 1994 ont déclaré que, pour eux, il ne s’agissait pas d’un ordre.
Le témoignage d’autres personnes et certains documents montrent qu’il
s’agissait en fait de la mise en Œuvre d’une stratégie.» (IT-02-60-T,
chambre de première instance, jugement du 17 janvier 2005, par. 104,
notes de bas de page omises.) D’après le demandeur, l’«objectif final»
décrit ici consistait à créer une «Podrinje entièrement serbe», confor-
mément au dessein d’établir une région serbe sur 50 kilomètres à l’ouest
de la rivière Drina qui avait été formé lors d’une réunion tenue en avril
ou mai 1991 par l’élite politique et dirigeante de la Yougoslavie. La Cour
fait observer que, comme les objectifs stratégiques de 1992, l’objectif énon-
cé dans le rapport n’envisage pas la destruction des Musulmans de Srebre-
nica, mais leur départ. La chambre n’a accordé aucun poids particulier au
rapport.
280. Le demandeur, comme la chambre, se réfère à une réunion tenue
le 7 mars 1995 entre le commandant de la Force de protection des
Nations Unies (FORPRONU) et le général Mladic ´, au cours de laquelle
ce dernier exprima son mécontentement quant au régime de la zone de
sécurité et indiqua qu’il pourrait entreprendre une action militaire contre
les enclaves situées à l’est. Il donna toutefois des assurances concernant la
sécurité de la population bosno-musulmane de ces enclaves. Le lende-
o
main, le 8 mars 1995, le président Karadžic ´ émit la directive n 7 relative
à de nouvelles opérations, qui est également citée par la chambre et par
117157 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
to create ‘an unbearable situation of total insecurity with no hope of
further survival or life for the inhabitants of both enclaves’.” The Blago-
jev´ Chamber continues as follows:
“The separation of the Srebrenica and Žepa enclaves became the
task of the Drina Corps. As a result of this directive, Gen-
eral Ratko Mladic ´ on 31 March 1995 issued Directive for Further
Operations, Operative No. 7/1, which further directive specified the
Drina Corps’ tasks.” (IT-02-60-T, pp. 38-39, para. 106.)
281. Counsel for the Applicant asked in respect of the first of those
directives “[w]hat could be a more clear-cut definition of the genocidal
intent to destroy on the part of the authorities in Pale?”. As with
the July 1994 report, the Court observes that the expulsion of the inhabi-
tants would achieve the purpose of the operation. That observation is
supported by the ruling of the Appeals Chamber in the Krstic ´ case that
the directives were “insufficiently clear” to establish specific intent (dolus
specialis) on the part of the members of the Main Staff who issued them.
“Indeed, the Trial Chamber did not even find that those who issued
Directives 7 and 7.1 had genocidal intent, concluding instead that the
genocidal plan crystallized at a later stage.” (IT-98-33-A, Judgment,
19 April 2004, para. 90.)
282. A Netherlands Battalion (Dutchbat) was deployed in the Sre-
brenica safe area. Within that area in January 1995 it had about 600 per-
sonnel. By February and through the spring the VRS was refusing to
allow the return of Dutch soldiers who had gone on leave, causing their
numbers to drop by at least 150, and were restricting the movement of
international convoys of aid and supplies to Srebrenica and to other
enclaves. It was estimated that without new supplies about half of the
population of Srebrenica would be without food after mid-June.
283. On 2 July the Commander of the Drina Corps issued an order for
active combat operations; its stated objective on the Srebrenica enclave
was to reduce “the enclave to its urban area”. The attack began on 6 July
with rockets exploding near the Dutchbat headquarters in Potoc ˇari; 7
and 8 July were relatively quiet because of poor weather, but the shelling
intensified around 9 July. Srebrenica remained under fire until 11 July
when it fell, with the Dutchbat observation posts having been taken by
the VRS. Contrary to the expectations of the VRS, the Bosnia and
Herzegovina army showed very little resistance (Blagojevic ´, IT-02-60-T,
Trial Chamber Judgment, 17 January 2005, para. 125). The United
Nations Secretary-General’s report quotes an assessment made by United
Nations military observers on the afternoon of 9 July which concluded as
follows:
118 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 157
le demandeur: ««Des opérations de combat planifiées et bien pensées»
doivent créer «une situation insoutenable d’insécurité totale dans laquelle
aucun espoir de survie ou de vie ne sera permis aux habitants des deux
enclaves».» La chambre chargée de l’affaire Blagojevic ´ poursuit en ces
termes:
«La mission de séparer les enclaves de Srebrenica et de Žepa a été
confiée au corps de la Drina. Suite à cette directive, le général
Ratko Mladic ´ a, le 31 mars 1995, communiqué une directive relative
o
à de nouvelles opérations, la directive n 7/1, laquelle précisait la
mission du corps de la Drina.» (IT-02-60-T, p. 38-39, par. 106.)
281. En ce qui concerne la première de ces directives, le conseil du deman-
deur a posé la question suivante: «Quelle meilleure illustration de l’intention
spécifique (dolus specialis)et destructrice des autorités de Pale?» Comme
dans le cas du rapport de juillet 1994, la Cour fait observer que l’expulsion
des habitants aurait permis d’atteindre le but de l’opération. Cette observa-
tion est confortée par la conclusion de la chambre d’appel dans l’affaire
Krsti´, à savoir que les directives n’étaient pas suffisamment claires pour éta-
blir que les membres de l’état-major principal qui les avaient données étaient
animés d’une intention spécifique (dolus specialis). «De fait, la chambre de
première instance nos même pas conclu à l’intention génocidaire des auteurs
de ces directives [n 7 et 7.1], jugeant au contraire que le plan génocidaire
avait vu le jour plus tard.» (IT-98-33-A, arrêt du 19 avril 2004, par. 90.)
282. Un bataillon néerlandais (le Dutchbat) fut déployé dans la zone
de sécurité de Srebrenica. En janvier 1995, ses effectifs dans cette zone se
chiffraient à six cents hommes environ. En février et tout au long du prin-
temps, la VRS refusa d’autoriser le retour des soldats néerlandais qui
étaient partis en permission, faisant tomber leur nombre d’au moins cent
cinquante personnes, et elle imposa des restrictions à la circulation des
convois internationaux de secours et de ravitaillement qui faisaient route
vers Srebrenica et d’autres enclaves. Il était estimé que, sans nouveau
ravitaillement, environ la moitié de la population de Srebrenica serait à
court de vivres après la mi-juin.
283. Le 2 juillet, le commandant du corps de la Drina donna l’ordre de
lancer une offensive; son objectif déclaré à l’égard de Srebrenica était de
réduire «l’enclave à sa zone urbaine». L’attaque commença le 6 juillet avec
l’explosion de roquettes près du quartier général du Dutchbat à Potoc ˇari.
Les 7 et 8 juillet furent relativement calmes en raison des mauvaises condi-
tions météorologiques, mais les bombardements s’intensifièrent aux alen-
tours du 9 juillet. Srebrenica continua à essuyer des bombes jusqu’au
11 juillet, jour de sa chute, les postes d’observation du Dutchbat ayant été
pris par la VRS. Contrairement aux attentes de celle-ci, l’armée de Bosnie-
Herzégovine n’opposa que très peu de résistance B ( lagojevi´, IT-02-60-T,
chambre de première instance, jugement du 17 janvier 2005, par. 125).
Dans son rapport, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies
cite une analyse faite par les observateurs militaires des Nations Unies
dans l’après-midi du 9 juillet, qui se concluait en ces termes:
118158 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
“‘the BSA offensive will continue until they achieve their aims.
These aims may even be widening since the United Nations response
has been almost non-existent and the BSA are now in a position to
overrun the enclave if they wish.’ Documents later obtained from
Serb sources appear to suggest that this assessment was correct.
Those documents indicate that the Serb attack on Srebrenica
initially had limited objectives. Only after having advanced with
unexpected ease did the Serbs decide to overrun the entire enclave.
Serb civilian and military officials from the Srebrenica area have
stated the same thing, adding, in the course of discussions with a
United Nations official, that they decided to advance all the way
to Srebrenica town when they assessed that UNPROFOR was not
willing or able to stop them.” (A/54/549, para. 264.)
Consistently with that conclusion, the Chamber in the Blagojevic ´ case
says this:
“As the operation progressed its military object changed from
‘reducing the enclave to the urban area’ [the objective stated in a
Drina Corps order of 2 July] to the taking-over of Srebrenica town
and the enclave as a whole. The Trial Chamber has heard no direct
evidence as to the exact moment the military objective changed. The
evidence does show that President Karadžic ´ was ‘informed of suc-
cessful combat operations around Srebrenica . . . which enable them
to occupy the very town of Srebrenica’ on 9 July. According to
Miroslav Deronjic´, the President of the Executive Board of the Bra-
tunac Municipality, President Karadžic´ told him on 9 July that there
were two options in relation to the operation, one of which was the
complete take-over of Srebrenica. Later on 9 July, President Karad-
ž´ ‘agreed with continuation of operations for the takeover of Sre-
brenica’. By the morning of 11 July the change of objective of the
‘Krivaja 95’ operation had reached the units in the field; and by the
middle of the afternoon, the order to enter Srebrenica had reached
the Bratunac Brigade’s IKM in Pribic ´evac and Colonel Blagojevic ´.
Miroslav Deronjic´ visited the Bratunac Brigade IKM in Pribic ´evac
on 11 July. He briefly spoke with Colonel Blagojevic ´ about the
Srebrenica operation. According to Miroslav Deronjic ´, the VRS
had just received the order to enter Srebrenica town.” (IT-02-60-T,
Trial Chamber Judgment, 17 January 2005, para. 130.)
284. The Chamber then begins an account of the dreadful aftermath
of the fall of Srebrenica. A Dutchbat Company on 11 July started direct-
ing the refugees to the UNPROFOR headquarters in Potoc ˇari which was
119 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 158
««l’offensive de l’armée des Serbes de Bosnie se poursuivra jusqu’à
ce qu’elle parvienne à ses fins. Devant la quasi-absence de réaction
des Nations Unies, elle pourrait même multiplier ses objectifs et elle
est désormais en mesure d’envahir l’enclave si elle le souhaite». Les
documents obtenus par la suite de sources serbes semblent corrobo-
rer cette évaluation. Il ressort de ces documents que, au départ, les
objectifs de l’attaque des Serbes contre Srebrenica étaient limités. Ce
n’est qu’après avoir progressé avec une facilité inattendue que les
Serbes ont décidé de prendre la totalité de l’enclave. De hauts res-
ponsables serbes, civils et militaires, de la zone de Srebrenica ont
abondé dans le même sens, ajoutant, lors de discussions avec un
haut fonctionnaire de l’Organisation des Nations Unies, qu’ils
avaient décidé d’aller jusqu’à Srebrenica lorsqu’ils avaient établi que
la FORPRONU n’était ni désireuse ni capable de les arrêter.»
(Nations Unies, doc. A/54/549, par. 264.)
Dans le même sens, la chambre, dans l’affaire Blagojevic ´, indique
que:
«Au fur et à mesure que se déroulait l’opération, son objectif mili-
taire était modifié, passant de «réduire l’enclave à la zone urbaine»
[l’objectif indiqué par le corps de la Drina dans un ordre du 2 juillet] à
la prise de la ville de Srebrenica et de l’enclave tout entière. La
chambre de première instance n’a connaissance d’aucune preuve directe
concernant le moment exact où l’objectif militaire poursuivi a été modi-
fié. Les preuves démontrent effectivement que le président Karadžic ´ fut
«informé [le 9 juillet] du succès des opérations de combat menées aux
environs de Srebrenica ... qui [allaient] leur permettre d’occuper la ville
même de Srebrenica». Selon Miroslav Deronjic ´, le président du conseil
d’administration de la municipalité de Bratunac, le président Karadžic ´
lui aurait dit, le 9 juillet, que deux choix se présentaient concernant
l’opération, l’un d’eux étant la prise de la ville de Srebrenica dans son
intégralité. Plus tard dans la journée, le président Karadži´ «approuva
la poursuite des opérations en vue de la prise de Srebrenica». Au matin
du 11 juillet, la modification de l’objectif de l’opération «Krivaja 95»
était parvenue aux unités sur le terrain et, dans l’après-midi, l’ordre de
pénétrer dans Srebrenica avait atteint les brigades IKM [postes de com-
mandement avancé] de Bratunac à Pribic ´evac ainsi que le colonel Bla-
gojevi´. Le 11 juillet, Miroslav Deronji´ rendit visite à la brigade IKM
de Bratunac à Pribic´evac. Il s’entretint brièvement avec le colonel Bla-
gojevi´ au sujet de l’opération Srebrenica. Selon Miroslav Deronjic ´, la
VRS venait de recevoir l’ordre de pénétrer dans la ville de Srebrenica.»
(IT-02-60-T, chambre de première instance, jugement du 17 jan-
vier 2005, p. 47-48, par. 130.)
284. La chambre entame ensuite le récit des terribles conséquences de
la chute de Srebrenica. Le 11 juillet, une compagnie du bataillon néerlan-
dais entreprit de diriger les réfugiés vers le quartier général de la FOR-
119159 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
considered to be the only safe place for them. Not all the refugees went
towards Potocˇari; many of the Bosnian Muslim men took to the woods.
Refugees were soon shelled and shot at by the VRS despite attempts to
find a safe route to Potocˇari where, to quote the ICTY, chaos reigned:
“The crowd outside the UNPROFOR compound grew by the
thousands during the course of 11 July. By the end of the day, an
estimated 20,000 to 30,000 Bosnian Muslims were in the surround-
ing area and some 4,000 to 5,000 refugees were in the UNPROFOR
compound.
(b) Conditions in Potocˇari
The standards of hygiene within Potoˇari had completely deterio-
rated. Many of the refugees seeking shelter in the UNPROFOR
headquarters were injured. Medical assistance was given to the extent
possible; however, there was a dramatic shortage of medical sup-
plies. As a result of the VRS having prevented aid convoys from
getting through during the previous months, there was hardly any
fresh food in the DutchBat headquarters. There was some running
water available outside the compound. From 11 to 13 July 1995
the temperature was very high, reaching 35 degrees centigrade and
this small water supply was insufficient for the 20,000 to 30,000
refugees who were outside the UNPROFOR compound.”
(IT-02-60-T, paras. 146-147.)
The Tribunal elaborates on those matters and some efforts made by
Bosnian Serb and Serbian authorities, i.e., the local Municipal Assembly,
the Bratunac Brigade and the Drina Corps, as well as UNHCR, to assist
the Bosnian Muslim refugees (ibid., para. 148).
285. On 10 July at 10.45 p.m., according to the Secretary-General’s
1999 Report, the delegate in Belgrade of the Secretary-General’s Special
Representative telephoned the Representative to say that he had seen
President Miloševi´ who had responded that not much should be expected
of him because “the Bosnian Serbs did not listen to him” (A/54/549,
para. 292). At 3 p.m. the next day, the President rang the Special Repre-
sentative and, according to the same report, “stated that the Dutchbat
soldiers in Serb-held areas had retained their weapons and equipment,
and were free to move about. This was not true.” (Ibid., para. 307.)
About 20 minutes earlier two NATO aircraft had dropped two bombs on
what were thought to be Serb vehicles advancing towards the town from
the south. The Secretary-General’s report gives the VRS reaction:
“Immediately following this first deployment of NATO close air
support, the BSA radioed a message to Dutchbat. They threatened
120 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 159
PRONU à Potoc ˇari, considéré comme étant le seul endroit où ceux-ci
pourraient être en sécurité. Tous ne se dirigèrent pas vers Potoc ˇari; de
nombreux hommes musulmans allèrent se réfugier dans les bois. La VRS
eut tôt fait de bombarder les réfugiés et de tirer sur eux en dépit de leurs
efforts pour trouver une voie sûre vers Potoc ˇari où, suivant les termes
employés par le TPIY, régnait le chaos:
«La foule massée à l’extérieur de l’enceinte de la FORPRONU
grossit par milliers dans la journée du 11 juillet. Le soir, le nombre
de Musulmans de Bosnie qui se trouvaient dans la région environ-
nante était estimé entre 20 000 et 30 000 et quelque 4000 à 5000 réfu-
giés occupaient l’enceinte de la FORPRONU.
b) Les conditions de vie à Potoc ˇari
Les conditions d’hygiène dans Potoc ˇari s’étaient complètement
détériorées. Nombre des réfugiés qui cherchaient un abri au quartier
général de la FORPRONU étaient blessés. Des soins médicaux
étaient dispensés dans la mesure du possible; toutefois, il y avait une
grave pénurie de fournitures médicales. Par suite du blocage des
convois humanitaires par la VRS au cours des mois précédents, il n’y
avait presque pas de denrées fraîches au quartier général du bataillon
néerlandais. On trouvait de l’eau courante en petite quantité à l’exté-
rieur de l’enceinte. Entre le 11 et le 13 juillet 1995, la température
était très élevée, atteignant 35 degrés centigrades, et cette faible ali-
mentation en eau était insuffisante pour les 20 000 à 30 000 réfugiés
qui se trouvaient à l’extérieur de l’enceinte de la FORPRONU.»
(IT-02-60-T, par. 146-147.)
Le Tribunal développe ces points et donne des détails sur certains efforts
déployés par les Serbes de Bosnie et les autorités serbes — c’est-à-dire
l’Assemblée municipale locale, la brigade de Bratunac et le corps de la
Drina —, ainsi que par le HCR pour aider les réfugiés musulmans de
Bosnie (ibid., par. 148).
285. Selon le rapport du Secrétaire général de 1999, le 10 juillet à
22 h 45, le représentant à Belgrade du représentant spécial du Secrétaire
général appela le représentant spécial pour lui dire qu’il avait vu le pré-
sident Miloševic´, lequel lui avait répondu qu’il ne fallait pas trop compter
sur lui parce que «les Serbes de Bosnie «ne l’écoutaient pas»» (A/54/549,
par. 292). Le lendemain à 15 heures, le président appela le représentant
spécial et, suivant le même rapport, «indiqu[a] que les soldats du bataillon
néerlandais dans les zones tenues par les Serbes avaient conservé leurs
armes et leur matériel et pouvaient se déplacer librement, ce qui était
faux» (ibid., par. 307). Environ vingt minutes plus tôt, deux avions de
l’OTAN avaient largué deux bombes sur ce qu’ils pensaient être des véhi-
cules serbes remontant du sud en direction de la ville. La réaction de la
VRS est exposée dans le rapport du Secrétaire général:
«Immédiatement après ce premier déploiement de l’appui aérien rap-
proché de l’OTAN, l’armée des Serbes de Bosnie a envoyé par radio un
120160 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
to shell the town and the compound where thousands of inhabitants
had begun to gather, and to kill the Dutchbat soldiers being held
hostage, if NATO continued with its use of air power. The Special
Representative of the Secretary-General recalled having received a
telephone call from the Netherlands Minister of Defence at this time,
requesting that the close air support action be discontinued, because
Serb soldiers on the scene were too close to Netherlands troops, and
their safety would be jeopardized. The Special Representative con-
sidered that he had no choice but to comply with this request.”
(A/54/549, para. 306.)
286. The Trial Chamber in the Blagojevic ´ case recorded that on 11 July
at 8 p.m. there was a meeting between a Dutch colonel and Gen-
eral Mladic´ and others. The former said that he had come to negotiate
the withdrawal of the refugees and to ask for food and medicine for
them. He sought assurances that the Bosnian Muslim population and
Dutchbat would be allowed to withdraw from the area. General Mladic ´
said that the civilian population was not the target of his actions and the
goal of the meeting was to work out an arrangement. He then said “‘you
can all leave, all stay, or all die here’ . . . ‘we can work out an agreement
for all this to stop and for the issues of the civilian population, your sol-
diers and the Muslim military to be resolved in a peaceful way’” (Blago-
jev´, IT-02-60-T, Trial Chamber Judgment, 17 January 2005, paras. 150-
152). Later that night at a meeting beginning at 11 p.m., attended by a
representative of the Bosnian Muslim community, General Mladic ´ said:
“‘Number one, you need to lay down your weapons and I guar-
antee that all those who lay down their weapon will live. I give you
my word, as a man and a General, that I will use my influence to
help the innocent Muslim population which is not the target of the
combat operations carried out by the VRS . . . In order to make a
decision as a man and a Commander, I need to have a clear position
of the representatives of your people on whether you want to
survive . . . stay or vanish. I am prepared to receive here tomorrow
at 10 a.m. hrs. a delegation of officials from the Muslim side with
whom I can discuss the salvation of your people from . . . the former
enclave of Srebrenica . . . Nesib [a Muslim representative], the future
of your people is in your hands, not only in this territory . . . Bring
the people who can secure the surrender of weapons and save your
people from destruction.’
The Trial Chamber finds, based on General Mladic ´’s comments,
that he was unaware that the Bosnian Muslim men had left the
Srebrenica enclave in the column.
General Mladic ´ also stated that he would provide the vehicles
to transport the Bosnian Muslims out of Potoc ˇari. The Bosnian
121 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 160
message au bataillon néerlandais. Ils menaçaient de bombarder la ville
et le PC du bataillon, où des milliers d’habitants avaient commencé à se
rassembler, ainsi que de tuer les soldats du bataillon néerlandais pris en
otage si l’OTAN continuait à avoir recours à la force aérienne. Le
représentant spécial du Secrétaire général se souvient d’avoir reçu alors
un appel téléphonique du ministre de la défense des Pays-Bas, qui de-
mandait l’arrêt de l’opération d’appui aérien rapproché parce que les sol-
dats serbes se trouvaient trop près des troupes néerlandaises, dont la sécu-
rité serait compromise. Le représentant spécial a estimé qu’il n’avait d’autre
choix que de faire droit à cette demande.» (A/54/549, par. 306.)
286. La chambre de première instance dans l’affaireBlagojevic ´ relève
que, le 11 juillet à 20 heures, eut lieu une rencontre entre un colonel néer-
landais, le général Mladi´ et d’autres personnes. Le premier dit qu’il était
venu négocier le retrait des réfugiés et demander pour eux de la nourriture
et des médicaments. Il voulait obtenir l’assurance que la population
musulmane de Bosnie et le bataillon néerlandais seraient autorisés à se
retirer de la région. Le général Mladi´ déclara qu’il ne visait pas la popu-
lation civile et que l’objectif de la réunion était de trouver un arrange-
ment. Puis il indiqua: «Vous pouvez tous partir, tous rester ou tous mou-
rir ici... Nous pouvons trouver un accord pour mettre un terme à tout ça
et résoudre de manière pacifique les questions de la population civile, de
vos soldats et des militaires musulmans.» (Blagojevic ´, IT-02-60-T,
chambre de première instance, jugement du 17 janvier 2005, par. 150-152.)
Plus tard dans la soirée, au cours d’une deuxième rencontre qui débuta à
23 heures et à laquelle assistait un représentant de la communauté musul-
mane de Bosnie, le général Mladic ´ déclara:
««Premièrement, vous devez déposer vos armes et je garantis que
tous ceux qui déposeront leurs armes vivront. Je vous donne ma parole,
d’homme et de général, que j’userai de mon influence pour aider la
population musulmane innocente qui n’est pas la cible des opérations de
combats menées par la VRS... Pour que je puisse prendre une décision,
en tant qu’homme et en tant que commandant, il faut que vos représen-
tants me fassent connaître leur position claire sur la question de savoir si
vous voulez survivre ... rester ou disparaître. Je suis prêt à recevoir ici, à
10 heures demain, une délégation de représentants des Musulmans avec
lesquels je puisse discuter du salut de ceux des vôtres qui proviennent
de ... l’ancienne enclave de Srebrenica... Nesib [un représentant musul-
man], l’avenir de votre population est entre vos mains, et pas seulement
sur ce territoire... Amenez ceux qui peuvent garantir que les armes
seront déposées et sauvez les vôtres de la destruction.»
La chambre de première instance conclut, sur la base des obser-
vations du général Mladic ´, qu’il ne savait pas que les hommes
musulmans de Bosnie avaient quitté l’enclave de Srebrenica dans la
colonne.
Le général Mladic ´ indiqua également qu’il fournirait les véhicules
pour transporter les Musulmans de Bosnie hors de Potoc ˇari. Les
121161 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Muslim and Bosnian Serb sides were not on equal terms and Nesib
Mandžic ´ felt his presence was only required to put up a front
for the international public. Nesib Mandžic ´ felt intimidated by
General Mladic ´. There was no indication that anything would
happen the next day.” (IT-02-60-T, paras. 156-158.)
287. A third meeting was held the next morning, 12 July. The Tribunal
in the Blagojevi´ case gives this account:
“After the Bosnian Muslim representatives had introduced them-
selves, General Mladic´ stated:
‘I want to help you, but I want absolute co-operation from
the civilian population because your army has been defeated.
There is no need for your people to get killed, your husband,
your brothers or your neighbours . . . As I told this gentle-
man last night, you can either survive or disappear. For your
survival, I demand that all your armed men, even those who
committed crimes, and many did, against our people, surren-
der their weapons to the VRS . . . You can choose to stay or
you can choose to leave. If you wish to leave, you can go any-
where you like. When the weapons have been surrendered
every individual will go where they say they want to go.
The only thing is to provide the needed gasoline. You can
pay for it if you have the means. If you can’t pay for it,
UNPROFOR should bring four or five tanker trucks
to fill up trucks . . .’
Camila Omanovic ´ [one of the Muslim representatives] interpreted
this to mean that if the Bosnian Muslim population left they would
be saved, but that if they stayed they would die. General Mladi´ did
not give a clear answer in relation to whether a safe transport of the
civilian population out of the enclave would be carried out. Gen-
eral Mladi´ stated that the male Bosnian Muslim population from
the age of 16 to 65 would be screened for the presence of war crimi-
nals. He indicated that after this screening, the men would be returned
to the enclave. This was the first time that the separation of men
from the rest of the population was mentioned. The Bosnian Muslim
representatives had the impression that ‘everything had been pre-
pared in advance, that there was a team of people working together
in an organized manner’ and that ‘Mladic ´ was the chief organizer.’
The third Hotel Fontana meeting ended with an agreement that
the VRS would transport the Bosnian Muslim civilian population
out of the enclave to ARBiH-held territory, with the assistance of
UNPROFOR to ensure that the transportation was carried out in a
humane manner.” (Ibid., paras. 160-161.)
122 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 161
Musulmans de Bosnie et les Serbes de Bosnie n’étaient pas sur un
pied d’égalité et Nesib Mandžic ´ avait le sentiment que sa présence
n’était nécessaire que pour donner le change à la communauté inter-
nationale. Nesib Mandžic ´ était intimidé par le général Mlad´. Aucun
signe n’annonçait qu’il se passerait quelque chose le lendemain.»
(IT-02-60-T, p. 58-59, par. 156-158.)
287. Il y eut une troisième réunion le lendemain matin, le 12 juillet. Le
Tribunal, dans l’affaire Blagojevi´, en fait le récit suivant:
«Après que les représentants des Musulmans de Bosnie se furent
présentés, le général Mladic´ déclara:
«Je veux vous aider, mais je veux une totale coopération de
la part de la population civile parce que votre armée a été vain-
cue. Il n’est pas nécessaire que les vôtres soient tués, vos maris,
vos frères ou vos voisins... Comme je l’ai dit hier soir à ce mon-
sieur, vous pouvez soit survivre soit disparaître. Pour votre sur-
vie, je demande que tous vos hommes qui ont des armes, même
ceux qui ont commis des crimes contre notre population, et ils
sont nombreux, les remettent à la VRS... Vous pouvez choisir
de rester ou de partir. Si vous souhaitez partir, vous pouvez
aller où vous voulez. Lorsque les armes auront été déposées,
chacun ira là où il indiquera qu’il veut aller. La seule chose est
de trouver l’essence nécessaire. Vous pouvez l’acheter si vous
en avez les moyens. Sinon, la FORPRONU devra faire venir
quatre ou cinq camions citernes pour remplir les réservoirs des
camions...»
Camila Omanovic ´ [qui faisait partie de la délégation musulmane]
interpréta cette déclaration comme signifiant que, si la population
musulmane de Bosnie partait, elle serait sauve, mais que, si elle res-
tait, elle périrait. Le général Mlad´ ne répondit pas clairement à la
question de savoir si la population civile serait transférée en toute
sécurité hors de l’enclave. Il indiqua que l’on allait contrôler les
hommes musulmans de Bosnie âgés de seize à soixante-cinq ans pour
vérifier que des criminels de guerre ne se trouvaient pas parmi eux, et
affirma qu’après cette opération les hommes seraient ramenés dans
l’enclave. C’était la première fois qu’une séparation des hommes du
reste de la population était mentionnée. Les représentants des Musul-
mans de Bosnie avaient l’impression que «tout avait été préparé à
l’avance, que les personnes travaillaient ensemble en équipe d’une
manière organisée» et que «Mladic ´ dirigeait l’organisation».
La troisième réunion à l’hôtel Fontana s’acheva sur un accord aux
termes duquel la VRS transférerait la population civile musulmane
de Bosnie hors de l’enclave jusqu’au territoire contrôlé par l’armée
de la Bosnie-Herzégovine, avec l’aide de la FORPRONU afin de
garantir que le transfert s’effectuerait dans des conditions accep-
tables.» (Ibid., par. 160-161.)
122162 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
The Court notes that the accounts of the statements made at the meetings
come from transcripts of contemporary video recordings.
288. The VRS and MUP of the Republika Srpska from 12 July sepa-
rated men aged 16 to approximately 60 or 70 from their families. The
Bosnian Muslim men were directed to various locations but most were
sent to a particular house (“The White House”) near the UNPROFOR
headquarters in Potocˇari, where they were interrogated. During the after-
noon of 12 July a large number of buses and other vehicles arrived in
Potocˇari including some from Serbia. Only women, children and the
elderly were allowed to board the buses bound for territory held by the
Bosnia and Herzegovina military. Dutchbat vehicles escorted convoys to
begin with, but the VRS stopped that and soon after stole 16-18 Dutch-
bat jeeps, as well as around 100 small arms, making further escorts
impossible. Many of the Bosnian Muslim men from Srebrenica and its
surroundings including those who had attempted to flee through the
woods were detained and killed.
289. Mention should also be made of the activities of certain paramili-
tary units, the “Red Berets” and the “Scorpions”, who are alleged by the
Applicant to have participated in the events in and around Srebrenica.
The Court was presented with certain documents by the Applicant, which
were said to show that the “Scorpions” were indeed sent to the Trnovo
area near Srebrenica and remained there through the relevant time period.
The Respondent cast some doubt on the authenticity of these documents
(which were copies of intercepts, but not originals) without ever formally
denying their authenticity. There was no denial of the fact of the reloca-
tion of the “Scorpions” to Trnovo. The Applicant during the oral
proceedings presented video material showing the execution by para-
militaries of six Bosnian Muslims, in Trnovo, in July 1995.
290. The Trial Chambers in the Krstic ´ and Blagojevic´ cases both
found that Bosnian Serb forces killed over 7,000 Bosnian Muslim men
following the takeover of Srebrenica in July 1995 (Krstic ´, IT-98-33-T,
Judgment, 2 August 2001, paras. 426-427 and Blagojevic ´, IT-02-60-T,
Judgment, 17 January 2005, para. 643). Accordingly they found that the
actus reus of killings in Article II (a) of the Convention was satisfied.
Both also found that actions of Bosnian Serb forces also satisfied
the actus reus of causing serious bodily or mental harm, as defined in
Article II (b) of the Convention — both to those who where about to
be executed, and to the others who were separated from them in respect
of their forced displacement and the loss suffered by survivors among
them (Krstic´, ibid., para. 543, and Blagoje´, ibid., paras. 644-654).
291. The Court is fully persuaded that both killings within the terms of
Article II (a) of the Convention, and acts causing serious bodily or men-
123 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 162
La Cour relève que les comptes rendus des propos tenus lors de ces
réunions proviennent de la transcription d’enregistrements vidéo de
l’époque.
288. A partir du 12 juillet, la VRS et le MUP de la Republika Srpska
séparèrent de leurs familles les hommes âgés de seize à soixante ou
soixante-dix ans. Les hommes musulmans de Bosnie furent dirigés vers
différents lieux mais la plupart d’entre eux furent envoyés dans une mai-
son particulière («la maison blanche») située près du quartier général de
la FORPRONU à Potoc ˇari, où ils furent interrogés. Dans l’après-midi du
12 juillet, de nombreux autocars et autres véhicules, certains en prove-
nance de Serbie, arrivèrent à Potocˇari. Seuls les femmes, les enfants et les
hommes âgés furent autorisés à monter dans les autocars à destination du
territoire contrôlé par l’armée de Bosnie-Herzégovine. Au début, des
véhicules du bataillon néerlandais tentèrent d’escorter les convois, mais la
VRS les arrêta, volant peu après entre seize et dix-huit jeeps appartenant
au bataillon néerlandais ainsi qu’une centaine d’armes légères, ce qui
empêcha d’autres escortes. Nombre des hommes musulmans de Bosnie
venant de Srebrenica et de ses environs, y compris ceux qui avaient tenté
de fuir à travers les bois, furent arrêtés et tués.
289. Il convient de mentionner également les activités de certaines
unités paramilitaires, les «Bérets rouges» et les «Scorpions», qui, selon
le demandeur, ont participé aux événements survenus à Srebrenica et à
proximité. Le demandeur a soumis à la Cour certains documents démon-
trant selon lui que les «Scorpions» avaient effectivement été envoyés dans
le secteur de Trnovo et y étaient demeurés tout au long de la période per-
tinente. Le défendeur a mis en doute l’authenticité de ces documents (qui
étaient des copies de communications interceptées et non des originaux),
sans jamais la nier formellement. Il n’a pas été contesté que les «Scor-
pions» avaient été redéployés à Trnovo. Au cours de la procédure orale, le
demandeur a présenté un enregistrement vidéo montrant l’exécution par
des paramilitaires de six Musulmans de Bosnie à Trnovo en juillet 1995.
290. Les chambres de première instance, aussi bien dans l’affaire
Krsti´ que dans l’affaire Blagojevi´, ont conclu que les forces serbes de
Bosnie avaient tué plus de sept mille hommes musulmans de Bosnie après
la prise de Srebrenica en juillet 1995 (Krstic´, IT-98-33-T, jugement du
2 août 2001, par. 426-427, et Blagojevi´, IT-02-60-T, jugement du 17 jan-
vier 2005, par. 643). Elles ont conclu dès lors que l’élément matériel du
meurtre visé au litt. a) de l’article II de la Convention était établi. Les
chambres ont également conclu dans les deux cas que les actes des forces
serbes de Bosnie constituaient l’élément matériel d’atteintes graves à
l’intégrité physique ou mentale, au sens du litt. b) de l’article II de la
Convention — à la fois des personnes qui étaient sur le point d’être exé-
cutées et des autres qui avaient été séparées de celles-ci en raison de leur
déplacement forcé et, pour certains survivants, des pertes qu’ils avaient
subies (Krsti´, ibid., par. 543, et Blagoje´, ibid., par. 644-654).
291. La Cour est pleinement convaincue que des meurtres au sens du
litt. a) de l’article II de la Convention et des actes à l’origine de graves
123163 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
tal harm within the terms of Article II (b) thereof occurred during the
Srebrenica massacre. Three further aspects of the ICTY decisions relating
to Srebrenica require closer examination — the specific intent (dolus spe-
cialis), the date by which the intent was formed, and the definition of the
“group” in terms of Article II. A fourth issue which was not directly
before the ICTY but which this Court must address is the involvement, if
any, of the Respondent in the actions.
292. The issue of intent has been illuminated by the Krstic ´ Trial
Chamber. In its findings, it was convinced of the existence of intent by
the evidence placed before it. Under the heading “A Plan to Execute the
Bosnian Muslim Men of Srebrenica”, the Chamber “finds that, following
the takeover of Srebrenica in July 1995, the Bosnian Serbs devised and
implemented a plan to execute as many as possible of the military aged
Bosnian Muslim men present in the enclave” (IT-98-33-T, Judgment,
2 August 2001, para. 87). All the executions, the Chamber decided,
“systematically targeted Bosnian Muslim men of military age, regardless
of whether they were civilians or soldiers” (ibid., para. 546). While “[t]he
VRS may have initially considered only targeting military men for
execution, . . . [the] evidence shows, however, that a decision was taken,
at some point, to capture and kill all the Bosnian Muslim men indiscrimi-
nately. No effort was made to distinguish the soldiers from the civilians.”
(Ibid., para. 547.) Under the heading “Intent to Destroy”, the Chamber
reviewed the Parties’ submissions and the documents, concluding that it
would “adhere to the characterization of genocide which encompass[es]
only acts committed with the goal of destroying all or part of a group”
(ibid., para. 571; original emphasis). The acts of genocide need not be
premeditated and the intent may become the goal later in an operation
(ibid., para. 572).
“Evidence presented in this case has shown that the killings
were planned: the number and nature of the forces involved, the
standardized coded language used by the units in communicating
information about the killings, the scale of the executions, the
invariability of the killing methods applied, indicate that a decision
was made to kill all the Bosnian Muslim military aged men.
The Trial Chamber is unable to determine the precise date on
which the decision to kill all the military aged men was taken.
Hence, it cannot find that the killings committed in Potoc ˇari on 12
and 13 July 1995 formed part of the plan to kill all the military aged
men. Nevertheless, the Trial Chamber is confident that the mass
executions and other killings committed from 13 July onwards were
part of this plan.” (Ibid., paras. 572-573; see also paras. 591-598.)
124 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 163
atteintes à l’intégrité physique ou mentale au sens du litt. b) de l’article II
ont été commis pendant le massacre de Srebrenica. Trois autres aspects
des décisions du TPIY concernant Srebrenica nécessitent toutefois un
examen plus approfondi — l’intention spécifique (dolus specialis),a l
date à laquelle cette intention s’est trouvée constituée, et la définition du
groupe au sens de l’article II. Une quatrième question qui n’a pas direc-
tement été soulevée devant le TPIY, mais sur laquelle la Cour doit se pen-
cher, est l’implication éventuelle du défendeur dans ces actes.
292. La chambre de première instance en l’affaire Krstic ´ a donné un
éclairage sur la question de l’intention. Dans ses conclusions, elle a consi-
déré que les éléments produits devant elle prouvaient son existence. Sous
l’intitulé «Le projet visant à exécuter les hommes musulmans de Bosnie
de Srebrenica», la chambre a conclu que, «après la prise de Srebrenica
en juillet 1995, les Serbes de Bosnie [avaient] conçu et mis en Œuvre le
projet d’exécuter le plus grand nombre possible d’hommes musulmans de
Bosnie en âge de combattre qui se trouvaient dans l’enclave» (IT-98-
33-T, jugement du 2 août 2001, par. 87). Toutes les exécutions, a jugé la
chambre, «visaient systématiquement des hommes musulmans de Bosnie
en âge de porter les armes, qu’ils [fussent] civils ou militaires» (ibid.,
par. 546). Bien que, peut-être, «au départ, la VRS n’ait envisagé d’exé-
cuter que les militaires ... [i]l est toutefois patent qu’à un certain moment
il a été décidé de capturer et de tuer tous les hommes musulmans de Bos-
nie, sans distinction. Par la suite, aucun effort n’a été fait pour distinguer
les soldats des civils.» (Ibid., par. 547.) Sous le titre «L’intention de
détruire le groupe», la chambre a examiné les conclusions des Parties
ainsi que les textes, concluant «qu’aux fins de la présente espèce, le géno-
cide d[evait] s’entendre uniquement des actes commis dans le but de
détruire tout ou partie du groupe» (ibid., par. 571; les italiques sont dans
l’original). Les actes de génocide ne supposent pas nécessairement la pré-
méditation et l’intention (de détruire un groupe) peut ne devenir le but
recherché qu’en cours d’opération (ibid., par. 572).
«Les éléments de preuve produits en l’espèce démontrent que les
massacres étaient planifiés: le nombre et la nature des forces enga-
gées, l’utilisation par les unités d’un même langage codé pour échan-
ger des informations sur les massacres, l’ampleur des exécutions et
les similarités dans les modes d’exécution sont autant d’indices ten-
dant à établir qu’il avait été décidé de tuer tous les hommes musul-
mans de Bosnie en âge de porter les armes.
La chambre de première instance n’a pu déterminer la date précise
à laquelle il a été décidé de tuer tous les hommes en âge de porter les
armes. Partant, elle ne saurait conclure que les meurtres commis à
Potocˇari les 12 et 13 juillet 1995 s’inscrivaient dans le cadre du projet
de tuer tous les hommes en âge de porter les armes. Elle est cepen-
dant convaincue que les exécutions de masse et autres massacres
commis à partir du 13 juillet faisaient partie intégrante du plan.»
(Ibid., p. 201, par. 572-573; voir également par. 591-598.)
124164 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
293. The Court has already quoted (paragraph 281) the passage from
the Judgment of the Appeals Chamber in the Krstic ´ case rejecting the
Prosecutor’s attempted reliance on the Directives given earlier in July,
and it would recall the evidence about the VRS’s change of plan in the
course of the operation in relation to the complete takeover of the
enclave. The Appeals Chamber also rejected the appeal by General Krstic ´
against the finding that genocide occurred in Srebrenica. It held that the
Trial Chamber was entitled to conclude that the destruction of such a
sizeable number of men, one fifth of the overall Srebrenica community,
“‘would inevitably result in the physical disappearance of the Bosnian
Muslim population at Srebrenica’” (IT-98-33-A, Appeals Chamber Judg-
ment, 19 April 2004, paras. 28-33); and the Trial Chamber, as the best
assessor of the evidence presented at trial, was entitled to conclude that
the evidence of the transfer of the women and children supported its find-
ing that some members of the VRS Main Staff intended to destroy the
Bosnian Muslims in Srebrenica. The Appeals Chamber concluded this
part of its Judgment as follows:
“The gravity of genocide is reflected in the stringent requirements
which must be satisfied before this conviction is imposed. These
requirements — the demanding proof of specific intent and the
showing that the group was targeted for destruction in its entirety or
in substantial part — guard against a danger that convictions for
this crime will be imposed lightly. Where these requirements are
satisfied, however, the law must not shy away from referring to the
crime committed by its proper name. By seeking to eliminate a part
of the Bosnian Muslims, the Bosnian Serb forces committed geno-
cide. They targeted for extinction the forty thousand Bosnian Mus-
lims living in Srebrenica, a group which was emblematic of the Bos-
nian Muslims in general. They stripped all the male Muslim prisoners,
military and civilian, elderly and young, of their personal belongings
and identification, and deliberately and methodically killed them
solely on the basis of their identity. The Bosnian Serb forces were
aware, when they embarked on this genocidal venture, that the harm
they caused would continue to plague the Bosnian Muslims. The
Appeals Chamber states unequivocally that the law condemns, in
appropriate terms, the deep and lasting injury inflicted, and calls the
massacre at Srebrenica by its proper name: genocide. Those respon-
sible will bear this stigma, and it will serve as a warning to those who
may in future contemplate the commission of such a heinous act.
In concluding that some members of the VRS Main Staff intended
to destroy the Bosnian Muslims of Srebrenica, the Trial Chamber
125 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 164
293. La Cour a déjà cité (paragraphe 281) le passage de l’arrêt rendu
dans l’affaire Krsti´ par la chambre d’appel, dans lequel celle-ci n’avait
pas suivi le procureur qui invoquait des directives données plus tôt au
cours du mois de juillet, et elle rappelle les éléments de preuve relatifs au
nouveau plan adopté par la VRS en cours d’opération, lequel visait la
prise totale de l’enclave. La chambre a également rejeté l’appel interjeté
par le général Krsti´ contre la conclusion selon laquelle un génocide avait
été commis à Srebrenica. Elle a indiqué que la chambre de première ins-
tance était fondée à conclure que la destruction d’un si grand nombre
d’hommes, un cinquième de l’ensemble de la communauté de Srebrenica,
«entraînerai[t] inévitablement la disparition physique de la population
musulmane de Bosnie à Srebrenica» (IT-98-33-A, chambre d’appel, arrêt
du 19 avril 2004, par. 28-33) et que la chambre — qui était la mieux pla-
cée pour évaluer les éléments de preuve présentés au procès — était aussi
fondée à conclure que la preuve du transfert des femmes et des enfants
l’amenait à constater que des membres de l’état-major principal de la
VRS avaient l’intention de détruire les Musulmans de Bosnie de Srebre-
nica. La chambre d’appel a ainsi conclu cette partie de l’arrêt:
«Les conditions rigoureuses qui doivent être remplies pour que
l’on puisse prononcer une déclaration de culpabilité pour génocide
témoignent de la gravité de ce crime. Ces conditions — la preuve,
difficile à apporter, d’une intention spécifique, et la démonstration
que c’était l’ensemble du groupe, ou une partie substantielle de celui-
ci, qui était voué à l’extinction — écartent le risque que des déclara-
tions de culpabilité pour génocide soient prononcées à la légère.
Cependant, lorsque ces conditions sont remplies, le droit ne doit pas
répugner à désigner le crime commis par son nom. En cherchant à
éliminer une partie des Musulmans de Bosnie, les forces serbes de
Bosnie ont commis un génocide. Elles ont Œuvré à l’extinction des
40 000 Musulmans de Bosnie qui vivaient à Srebrenica, un groupe
qui était représentatif des Musulmans de Bosnie dans leur ensemble.
Elles ont dépouillé tous les hommes musulmans faits prisonniers, les
soldats, les civils, les vieillards et les enfants de leurs effets personnels
et de leurs papiers d’identité, et les ont tués de manière délibérée et
méthodique du seul fait de leur identité. Les forces serbes de Bosnie
savaient, quand elles se sont lancées dans cette entreprise génoci-
daire, que le mal qu’elles causaient marquerait à jamais l’ensemble
des Musulmans de Bosnie. La chambre d’appel affirme clairement
que le droit condamne expressément les souffrances profondes et
durables infligées, et elle donne au massacre de Srebrenica le nom
qu’il mérite: un génocide. Les responsables porteront le sceau de
l’infamie qui s’attache à ce crime, et les personnes qui envisageraient
à l’avenir de commettre un crime aussi odieux seront dès lors mises
en garde.
En concluant que des membres de l’état-major principal de la
VRS étaient animés de l’intention de détruire les Musulmans de Bos-
125165 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
did not depart from the legal requirements for genocide. The Defence
appeal on this issue is dismissed.” (Ibid., paras. 37-38.)
294. On one view, taken by the Applicant, the Blagojevic ´ Trial Cham-
ber decided that the specific intent (dolus specialis) was formed earlier
than 12 or 13 July, the time chosen by the Krstic ´ Chamber. The Court
has already called attention to that Chamber’s statement that at some
point (it could not determine “the exact moment”) the military objective
in Srebrenica changed, from “reducing the enclave to the urban area”
(stated in a Drina Corps order of 2 July 1995 referred to at times as the
“Krivaja 95 operation”) to taking over Srebrenica town and the enclave
as a whole. Later in the Judgment, under the heading “Findings: was
genocide committed?”, the Chamber refers to the 2 July document:
“The Trial Chamber is convinced that the criminal acts committed
by the Bosnian Serb forces were all parts of one single scheme to
commit genocide of the Bosnian Muslims of Srebrenica, as reflected
in the ‘Krivaja 95 operation’, the ultimate objective of which was to
eliminate the enclave and, therefore, the Bosnian Muslim commu-
nity living there.” (Blagojevic´, IT-02-60-T, Judgment, 17 Janu-
ary 2005, para. 674.)
The Chamber immediately goes on to refer only to the events — the
massacres and the forcible transfer of the women and children — after
the fall of Srebrenica, that is sometime after the change of military objec-
tive on 9 or 10 July. The conclusion on intent is similarly focused:
“The Trial Chamber has no doubt that all these acts constituted a
single operation executed with the intent to destroy the Bosnian
Muslim population of Srebrenica. The Trial Chamber finds that the
Bosnian Serb forces not only knew that the combination of the kill-
ings of the men with the forcible transfer of the women, children and
elderly, would inevitably result in the physical disappearance of the
Bosnian Muslim population of Srebrenica, but clearly intend-
ed through these acts to physically destroy this group.” (Ibid.,
para. 677.) (See similarly all but the first item in the list in para-
graph 786.)
295. The Court’s conclusion, fortified by the Judgments of the Trial
Chambers in the Krstic ´ and Blagojevi´ cases, is that the necessary intent
was not established until after the change in the military objective and
after the takeover of Srebrenica, on about 12 or 13 July. This may be
significant for the application of the obligations of the Respondent under
126 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 165
nie de Srebrenica, la chambre de première instance n’a pas contre-
venu aux exigences juridiques qui s’attachent au génocide. L’appel
de la défense sur ce point est rejeté.» (IT-98-33-A, par. 37-38.)
294. Au sujet de l’une des opinions exprimées par le demandeur, la
chambre de première instance a jugé, en l’affaire Blagojevic´, que l’inten-
tion spécifique (dolus specialis) existait avant le 12 ou le 13 juillet, date
retenue par la chambre de première instance en l’affaire Krstic´. La Cour
a déjà appelé l’attention sur la constatation de cette chambre selon
laquelle, à un moment donné (la chambre n’a pas pu déterminer «le
moment exact»), l’objectif militaire de Srebrenica avait changé, passant
de la prise de «la seule zone urbaine de l’enclave» (mentionnée dans
l’ordre du corps de la Drina du 2 juillet 1995 parfois désigné par le nom
d’opération «Krivaja 95») à la prise de la ville de Srebrenica et de
l’enclave dans leur ensemble. Plus loin dans le jugement, sous le titre
«Conclusions: un génocide a-t-il été commis?», la chambre cite le docu-
ment du 2 juillet:
«La chambre de première instance est convaincue que les actes
criminels commis par les forces serbes de Bosnie s’inscrivaient tous
dans un projet unique prévoyant le génocide des Musulmans de Bos-
nie de Srebrenica, ainsi qu’il ressort de l’opération «Krivaja 95»
dont l’objectif final était d’anéantir l’enclave et, ainsi, sa commu-
nauté musulmane bosniaque.» (Blagojevic ´, IT-02-60-T, jugement du
17 janvier 2005, par. 674.)
Et elle poursuit en ne mentionnant plus que les événements — les mas-
sacres et le transfert forcé des femmes et des enfants — qui se déroulèrent
après la chute de Srebrenica, c’est-à-dire quelque temps après le change-
ment d’objectif militaire survenu le 9 ou le 10 juillet. La conclusion rela-
tive à l’intention va dans le même sens:
«Il ne fait aucun doute pour la chambre de première instance
que tous ces actes se sont inscrits dans une même opération menée
avec l’intention de détruire la population musulmane de Bosnie de
Srebrenica. La chambre de première instance juge que les forces
serbes de Bosnie non seulement savaient que le meurtre des hommes
conjugué au déplacement forcé des femmes, des enfants et des per-
sonnes âgées entraînerait inéluctablement la disparition phy-
sique de la population musulmane de Srebrenica, en Bosnie, mais
elles visaient aussi manifestement, par ces actes, à éliminer phy-
siquement ce groupe.» (Ibid., par. 677.) (Voir également l’en-
semble des points de la liste du paragraphe 786, à l’exception du pre-
mier.)
295. La conclusion de la Cour, confortée par les jugements rendus par
les chambres de première instance dans les affaires Krstic´ et Blagojevi´,
est que l’intention requise ne s’est constituée qu’après le changement
d’objectif militaire et la prise de Srebrenica, c’est-à-dire vers le 12 ou le
13 juillet, élément qui pourrait se révéler important pour l’examen de
126166 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
the Convention (paragraph 423 below). The Court has no reason to
depart from the Tribunal’s determination that the necessary specific
intent (dolus specialis) was established and that it was not established
until that time.
296. The Court now turns to the requirement of Article II that there
must be the intent to destroy a protected “group” in whole or in part. It
recalls its earlier statement of the law and in particular the three elements
there discussed: substantiality (the primary requirement), relevant geo-
graphic factors and the associated opportunity available to the perpe-
trators, and emblematic or qualitative factors (paragraphs 197-201).
Next, the Court recalls the assessment it made earlier in the Judgment
of the persuasiveness of the ICTY’s findings of facts and its evaluation of
them (paragraph 223). Against that background it turns to the findings
in the Krstic´ case (IT-98-33-T, Trial Chamber Judgment, 2 August
2001, paras. 551-599 and IT-98-33-A, Appeals Chamber Judgment,
19 April 2004, paras. 6-22), in which the Appeals Chamber endorsed the
findings of the Trial Chamber in the following terms.
“In this case, having identified the protected group as the national
group of Bosnian Muslims, the Trial Chamber concluded that the
part the VRS Main Staff and Radislav Krstic ´ targeted was the
Bosnian Muslims of Srebrenica, or the Bosnian Muslims of Eastern
Bosnia. This conclusion comports with the guidelines outlined above.
The size of the Bosnian Muslim population in Srebrenica prior to its
capture by the VRS forces in 1995 amounted to approximately forty
thousand people. This represented not only the Muslim inhabitants
of the Srebrenica municipality but also many Muslim refugees from
the surrounding region. Although this population constituted only a
small percentage of the overall Muslim population of Bosnia and
Herzegovina at the time, the importance of the Muslim community
of Srebrenica is not captured solely by its size.” (IT-98-33-A, Judg-
ment, 19 April 2004, para. 15; footnotes omitted.)
The Court sees no reason to disagree with the concordant findings of the
Trial Chamber and the Appeals Chamber.
297. The Court concludes that the acts committed at Srebrenica falling
within Article II (a) and (b) of the Convention were committed with the
specific intent to destroy in part the group of the Muslims of Bosnia and
Herzegovina as such; and accordingly that these were acts of genocide,
committed by members of the VRS in and around Srebrenica from about
13 July 1995.
**
127 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 166
l’exécution par le défendeur des obligations lui incombant en vertu de la
Convention (paragraphe 423 ci-dessous). La Cour ne voit aucune raison
de s’écarter de la conclusion du Tribunal selon laquelle l’intention spéci-
fique (dolus specialis) requise s’est constituée à ce moment-là et à ce
moment-là seulement.
296. La Cour abordera maintenant le critère de l’article II selon lequel
doit exister l’intention de détruire en tout ou en partie un «groupe» pro-
tégé. Elle rappelle le point de droit qu’elle a développé plus haut, et en
particulier les trois éléments examinés ce faisant: le caractère «substan-
tiel» (qui constitue le critère principal), les facteurs géographiques perti-
nents et les possibilités qu’ils offrent aux criminels, et les éléments emblé-
matiques ou qualitatifs (paragraphes 197-201). La Cour rappelle ensuite
ce qu’elle a dit plus haut au sujet du caractère convaincant des conclu-
sions du TPIY concernant les faits et de l’appréciation qu’il en a donné
(paragraphe 223). Gardant cela à l’esprit, elle en vient à présent aux
conclusions formulées dans l’affaire Krstic´ (IT-98-33-T, chambre de pre-
mière instance, jugement du 2 août 2001, par. 551-599; IT-98-33-A,
chambre d’appel, arrêt du 19 avril 2004, par. 6-22), dans laquelle la
chambre d’appel a fait siennes les conclusions de la chambre de pre-
mière instance dans les termes suivants:
«En l’espèce, après avoir identifié le groupe protégé comme étant
le groupe national des Musulmans de Bosnie, la chambre de pre-
mière instance a conclu que la partie du groupe visée par l’état-major
principal de la VRS et Radislav Krstic´ était celle des Musulmans de
Srebrenica, ou des Musulmans de Bosnie orientale. Cette conclusion
est dans le droit fil des lignes directrices esquissées plus haut. Avant
la prise de la ville par les forces de la VRS en 1995, Srebrenica comp-
tait environ 40 000 Musulmans de Bosnie. Etaient compris dans ce
chiffre non seulement les habitants musulmans de la municipalité de
Srebrenica mais aussi de nombreux réfugiés musulmans de la région.
Si, par rapport à la population musulmane totale de la Bosnie-
Herzégovine à l’époque des faits, ce nombre est peu élevé, il ne faut
pas se méprendre sur l’importance de la communauté musulmane de
Srebrenica.» (IT-98-33-A, arrêt du 19 avril 2004, p. 5, par. 15; notes
de bas de page omises.)
La Cour ne voit pas de raison de s’écarter des conclusions concordantes
de la chambre de première instance et de la chambre d’appel.
297. La Cour conclut que les actes relevant des litt. a) et b) de l’ar-
ticle II de la Convention commis à Srebrenica l’ont été avec l’intention
spécifique de détruire en partie le groupe des Musulmans de Bosnie-Her-
zégovine comme tel; et que, en conséquence, ces actes étaient des actes de
génocide, commis par des membres de la VRS à Srebrenica et à proximité
à partir du 13 juillet 1995.
**
127167 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(6) Article II (b): Causing Serious Bodily or Mental Harm to Members
of the Protected Group
298. The Applicant contends that besides the massive killings, syste-
matic serious harm was caused to the non-Serb population of Bosnia and
Herzegovina. The Applicant includes the practice of terrorizing the non-
Serb population, the infliction of pain and the administration of torture
as well as the practice of systematic humiliation into this category of acts
of genocide. Further, the Applicant puts a particular emphasis on the
issue of systematic rapes of Muslim women, perpetrated as part of geno-
cide against the Muslims in Bosnia during the conflict.
299. The Respondent does not dispute that, as a matter of legal quali-
fication, the crime of rape may constitute an act of genocide, causing
serious bodily or mental harm. It disputes, however, that the rapes in the
territory of Bosnia and Herzegovina were part of a genocide perpetrated
therein. The Respondent, relying on the Report of the Commission of
Experts, maintains that the rapes and acts of sexual violence committed
during the conflict, were not part of genocide, but were committed on all
sides of the conflict, without any specific intent (dolus specialis).
300. The Court notes that there is no dispute between the Parties that
rapes and sexual violence could constitute acts of genocide, if accompa-
nied by a specific intent to destroy the protected group. It notes also that
the ICTR, in its Judgment of 2 September 1998 in the Akayesu case,
addressed the issue of acts of rape and sexual violence as acts of genocide
in the following terms:
“Indeed, rape and sexual violence certainly constitute infliction of
serious bodily and mental harm on the victims and are even, accord-
ing to the Chamber, one of the worst ways of inflicting harm on the
victim as he or she suffers both bodily and mental harm.” (ICTR-
96-4-T, Trial Chamber Judgment, 2 September 1998, para. 731.)
The ICTY, in its Judgment of 31 July 2003 in the Stakic ´ case, recognized
that:
“‘Causing serious bodily and mental harm’ in subparagraph (b)
[of Article 4 (2) of the Statute of the ICTY] is understood to mean,
inter alia, acts of torture, inhumane or degrading treatment, sexual
violence including rape, interrogations combined with beatings,
threats of death, and harm that damages health or causes disfigure-
ment or injury. The harm inflicted need not be permanent and irre-
mediable.” (IT-97-24-T, Trial Chamber Judgment, 31 July 2003,
para. 516.)
301. The Court notes furthermore that Security Council and General
Assembly resolutions contemporary with the facts are explicit in referring
128 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 167
6) Litt. b) de l’article II: atteinte grave à l’intégrité physique ou
mentale de membres du groupe protégé
298. Le demandeur soutient que, en dehors des massacres, la popula-
tion non serbe de Bosnie-Herzégovine a été victime d’atteintes graves et
systématiques à son intégrité. Le demandeur inclut dans cette catégorie
d’actes de génocide la pratique de la terreur, le fait d’infliger des souf-
frances, ainsi que la torture et les humiliations systématiques. En outre, le
demandeur insiste particulièrement sur la question des viols systématiques
de femmes musulmanes commis pendant le conflit, selon lui dans le cadre
d’une campagne de génocide à l’encontre des Musulmans de Bosnie.
299. Le défendeur ne conteste pas que, en droit, le crime de viol puisse
constituer un acte de génocide, causant une atteinte grave à l’intégrité phy-
sique ou mentale d’une personne. Il conteste toutefois que les viols qui ont
eu lieu sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine s’inscrivent dans le cadre
d’un génocide qui y aurait été perpétré. Invoquant le rapport de la com-
mission d’experts, le défendeur soutient que les viols et actes de violences
sexuelles commis n’étaient pas des actes de génocide, mais ont été le fait de
toutes les parties belligérantes, sans intention spécifique(dolus specialis).
300. La Cour note que les Parties ne sont pas en désaccord quant au
fait que les viols et violences sexuelles peuvent être constitutifs de géno-
cide s’ils s’accompagnent d’une intention spécifique de détruire le groupe
protégé. Elle note également que le TPIR, dans son jugement du 2 sep-
tembre 1998 en l’affaire Akayesu, a dit ce qui suit des viols et violences
sexuelles en tant qu’actes de génocide:
«En effet, les viols et violences sexuelles constituent indubita-
blement des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale des
victimes et sont même, selon la chambre, l’un des pires moyens d’at-
teinte à l’intégrité de la victime, puisque cette dernière est doublement
attaquée: dans son intégrité physique et dans son intégrité men-
tale.» (TPIR-96-4-T, chambre de première instance, jugement du
2 septembre 1998, par. 731.)
Dans le jugement rendu en première instance le 31 juillet 2003 en l’affaire
Stakic´, le TPIY a considéré que
«[l’]atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale» sanctionnée par
l’alinéa b) [du paragraphe 2 de l’article 4 du Statut du TPIY]
s’entend, en particulier, d’actes de torture, de traitements inhumains
ou dégradants, de violences sexuelles, y compris les viols, d’interro-
gatoires accompagnés de violences, de menaces de mort, et d’actes
portant atteinte à la santé de la victime ou se traduisant par une défi-
guration ou des blessures. Il n’est pas nécessaire que les dommages
soient permanents ou irrémédiables.» (IT-97-24-T, chambre de pre-
mière instance, jugement du 31 juillet 2003, par. 516).
301. La Cour note en outre que des résolutions du Conseil de sécurité
et de l’Assemblée générale contemporaines des faits évoquent expressé-
128168 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
to sexual violence. These resolutions were in turn based on reports before
the General Assembly and the Security Council, such as the Reports of
the Secretary-General, the Commission of Experts, the Special Rappor-
teur for Human Rights, Tadeusz Mazowiecki, and various United Nations
agencies in the field. The General Assembly stressed the “extraordinary
suffering of the victims of rape and sexual violence” (General Assembly
resolution 48/143 (1993), Preamble; General Assembly resolution 50/192
(1995), para. 8). In resolution 48/143 (1993), the General Assembly
declared it was:
“Appalled at the recurring and substantiated reports of wide-
spread rape and abuse of women and children in the areas of armed
conflict in the former Yugoslavia, in particular its systematic use
against the Muslim women and children in Bosnia and Herzegovina
by Serbian forces” (Preamble, para. 4).
302. Several Security Council resolutions expressed alarm at the
“massive, organised and systematic detention and rape of women”, in par-
ticular Muslim women in Bosnia and Herzegovina (Security Council
resolutions 798 (1992), Preamble, para. 2; resolution 820 (1993),
para. 6; 827 (1993), Preamble, para. 3). In terms of other kinds of
serious harm, Security Council resolution 1034 (1995) condemned
“in the strongest possible terms the violations of international
humanitarian law and of human rights by Bosnian Serb and para-
military forces in the areas of Srebrenica, Žepa, Banja Luka and
Sanski Most as described in the report of the Secretary-General of
27 November 1995 and showing a consistent pattern of summary
executions, rape, mass expulsions, arbitrary detentions, forced labour
and large-scale disappearances” (para. 2).
The Security Council further referred to a “persistent and systematic
campaign of terror” in Banja Luka, Bijeljina and other areas under the
control of Bosnian Serb forces (Security Council resolution 941 (1994),
Preamble, para. 4). It also expressed concern at reports of mass murder,
unlawful detention and forced labour, rape and deportation of civilians
in Banja Luka and Sanski Most (Security Council resolution 1019 (1995),
Preamble, para. 2).
303. The General Assembly also condemned specific violations includ-
ing torture, beatings, rape, disappearances, destruction of houses, and
other acts or threats of violence aimed at forcing individuals to leave
their homes (General Assembly resolution 47/147 (1992), para. 4; see
also General Assembly resolution 49/10 (1994), Preamble, para. 14, and
General Assembly resolution 50/193 (1995), para. 2).
129 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 168
ment les violences sexuelles. Ces résolutions étaient elles-mêmes fondées
sur des rapports soumis à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité,
notamment les rapports du Secrétaire général, de la commission d’experts,
du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme,
M. Tadeusz Mazowiecki, et de divers organismes des Nations Unies pré-
sents sur le terrain. L’Assemblée générale a souligné les «souffrances
extraordinaires des victimes de viols et de violences sexuelles» (résolu-
tion A/RES/48/143 (1993), préambule; résolution 50/192 (1995),
par. 8). Dans sa résolution 48/143 (1993), l’Assemblée générale s’est
dite
«[a]tterrée par les informations répétées et confirmées faisant état
de viols et de sévices généralisés dont les femmes et les enfants sont
victimes dans les zones de conflit armé dans l’ex-Yougoslavie, en
particulier par le fait que les forces serbes recourent systématique-
ment à ces pratiques contre les femmes et les enfants musulmans en
Bosnie-Herzégovine» (quatrième alinéa du préambule).
302. Dans plusieurs résolutions, le Conseil de sécurité s’est déclaré
alarmé par «la détention et le viol massifs, organisés et systématiques des
femmes», en particulier des femmes musulmanes en Bosnie-Herzégovine
(résolutions du Conseil de sécurité: 798 (1992), deuxième alinéa du
préambule; 820 (1993), sixième alinéa du préambule; 827 (1993), troi-
sième alinéa du préambule). En ce qui concerne les autres types d’atteinte
grave, le Conseil de sécurité condamnait dans sa résolution 1034 (1995)
«dans les termes les plus vifs les violations du droit international
humanitaire et des droits de l’homme commises par les forces serbes
de Bosnie et les forces paramilitaires dans les zones de Srebrenica,
Žepa, Banja Luka et Sanski Most, qui sont décrites dans le rapport
du Secrétaire général en date du 27 novembre 1995 et qui révèlent
une politique systématique de violations — exécutions sommaires,
viols, expulsions massives, détentions arbitraires, travail forcé et
enlèvements en grand nombre» (par. 2).
Le Conseil de sécurité a parlé de «campagne systématique de terreur» à
Banja Luka, Bijeljina et dans d’autres zones tenues par les forces serbes
de Bosnie (résolution du Conseil de sécurité: 941 (1994), quatrième alinéa
du préambule). Il s’est également déclaré préoccupé par les informations
faisant état de massacres, d’internements illicites et de travail forcé, de
viols et de déportations de civils à Banja Luka et Sanski Most (résolution
du Conseil de sécurité: 1019 (1995), deuxième alinéa du préambule).
303. L’Assemblée générale a elle aussi condamné des violations spéci-
fiques prenant la forme de tortures, brutalités, viols, disparitions, destruc-
tions de maisons et autres actes ou menaces de violence ayant pour but
de forcer les habitants à quitter leur foyer (résolution de l’Assemblée
générale: 47/147 (1992), par. 4; voir aussi résolution de l’Assemblée géné-
rale: 49/10 (1994), quatorzième alinéa du préambule, et résolution de
l’Assemblée générale: 50/193 (1995), par. 2).
129169 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
304. The Court will now examine the specific allegations of the
Applicant under this heading, in relation to the various areas and camps
identified as having been the scene of acts causing “bodily or mental
harm” within the meaning of the Convention. As regards the events
of Srebrenica, the Court has already found it to be established that
such acts were committed (paragraph 291 above).
Drina River Valley
(a) Zvornik
305. As regards the area of the Drina River Valley, the Applicant has
stressed the perpetration of acts and abuses causing serious bodily or
mental harm in the events at Zvornik. In particular, the Court has been
presented with a report on events at Zvornik which is based on eye-
witness accounts and extensive research (Hannes Tretter et al., “‘Ethnic
cleansing’ Operations in the Northeast Bosnian-City of Zvornik
from April through June 1992”, Ludwig Boltzmann Institute of Human
Rights (1994), p. 48). The report of the Ludwig Boltzmann Institute gives
account of a policy of terrorization, forced relocation, torture, rape
during the takeover of Zvornik in April-June 1992. The Report of the
Commission of Experts received 35 reports of rape in the area of
Zvornik in May 1992 (Vol. V, Ann. IX, p. 54).
(b) Focˇa
306. Further acts causing serious bodily and mental harm were per-
petrated in the municipality of Foc ˇa. The Applicant, relying on the
Judgment in the Kunarac et al. case (IT-96-23-T and IT-96-23/1-T,
Trial Chamber Judgment, 22 February 2001, paras. 574 and 592), claims,
in particular, that many women were raped repeatedly by Bosnian Serb
soldiers or policemen in the city of Fˇa.
(c) Camps
(i) Batkov´ camp
307. The Applicant further claims that in Batkovic ´ camp, prisoners
were frequently beaten and mistreated. The Report of the Commission of
Experts gives an account of a witness statement according to which
“prisoners were forced to perform sexual acts with each other, and some-
times with guards”. The Report continues: “Reports of the frequency
of beatings vary from daily beatings to beatings 10 times each day.”
(Report of the Commission of Experts, Vol. IV, Ann. VIII, p. 62,
para. 469.) Individual witness accounts reported by the Commission of
Experts (Report of the Commission of Experts, Vol. IV, Ann. VIII,
pp. 62-63, and Ann. X, p. 9) provide second-hand testimony that beatings
occurred and prisoners lived in terrible conditions. As already noted
130 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 169
304. La Cour passera maintenant à l’examen des allégations spéci-
fiques formulées par le demandeur à ce titre, qui concernent les différents
sites et camps présentés comme le théâtre d’actes à l’origine d’«atteinte[s]
grave[s] à l’intégrité physique ou mentale» au sens de la Convention.
S’agissant des événements de Srebrenica, la Cour a déjà conclu que la
commission de tels actes étaient établis (paragraphe 291 ci-dessus).
La vallée de la Drina
a) Zvornik
305. En ce qui concerne la région de la vallée de la Drina, le deman-
deur a appelé l’attention sur les sévices et autres actes à l’origine de
graves atteintes à l’intégrité physique ou mentale commis lors des événe-
ments de Zvornik. Il a notamment présenté à la Cour un rapport sur les
événements de Zvornik fondé sur les récits de témoins oculaires et des
recherches approfondies (Hannes Tretter et consorts, ««Ethnic Clean-
sing» Operations In the Northeast-Bosnian City of Zvornik from April
through June 1992» [«Opérations de «nettoyage ethnique» dans la ville
de Zvornik, au nord-est de la Bosnie, d’avril à juin 1992»], rapport de
l’Institut Ludwig Boltzmann pour les droits de l’homme (1994), p. 48). Le
rapport de l’Institut Ludwig Boltzmann fait état d’une politique de ter-
reur, de déplacements forcés, de torture et de viols pendant la prise de
Zvornik entre avril et juin 1992. La commission d’experts indique que
trente-cinq viols commis dans la zone de Zvornik en mai 1992 lui ont été
signalés (vol. V, annexe IX, p. 54).
b) Focˇa
306. D’autres actes à l’origine de graves atteintes à l’intégrité physique
et mentale ont été perpétrés dans la municipalité de Foˇa. Le demandeur,
en se fondant sur le jugement rendu en l’affaire Kunarac et consorts (IT-
96-23-T et 23/1-T, chambre de première instance, jugement du 22 février
2001, par. 574 et 592), affirme notamment qu’un grand nombre de
femmes ont été violées à plusieurs reprises par des soldats ou policiers
serbes de Bosnie dans la ville de Focˇa.
c) Les camps
i) Le camp de Batkovic ´
307. Le demandeur affirme en outre que les détenus du camp de
Batkovic´ étaient fréquemment battus et maltraités. Le rapport de la com-
mission d’experts cite un témoignage indiquant que «des prisonniers ont
été obligés de se livrer à des actes sexuels entre eux et parfois avec des
gardes». Le rapport poursuit: «Les passages à tabac intervenaient à une
fréquence variant, selon les sources, à raison de un à dix par jour.» (Rap-
port de la commission d’experts, vol. IV, annexe VIII, p. 62, par. 469.)
Des témoignages de seconde main — témoignages individuels rapportés
par la commission d’experts (rapport de la commission d’experts, vol. IV,
annexe VIII, p. 62-63, et annexe X, p. 9) — indiquent que les prisonniers
étaient battus et vivaient dans des conditions effroyables. Ainsi qu’il
130170 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
above (paragraph 256), however, the periodic Report of Special Rap-
porteur Mazowiecki of 17 November 1992 stated that “[t]he prisoners
. . . appeared to be in good health” (p. 13); but according to the Applicant,
Mazowiecki was shown a “model” camp and therefore his impression
was inaccurate. The United States Department of State Dispatch of
19 April 1993 (Vol. 4, No. 16), alleges that in Batkov´ camp, prisoners
were frequently beaten and mistreated. In particular, the Dispatch
records two witness statements according to which “[o]n several occa-
sions, they and other prisoners were forced to remove their clothes and
perform sex acts on each other and on some guards”.
(ii) Sušica camp
308. According to the Applicant, rapes and physical assaults were also
perpetrated at Sušica camp; it pointed out that in the proceedings before
the ICTY, in the “Rule 61 Review of the Indictment” and the Sentencing
Judgment, in the Nikolic´ case, the accused admitted that many Muslim
women were raped and subjected to degrading physical and verbal abuse
in the camp and at locations outside of it (Niko´, IT-94-2-T, Sentencing
Judgment, 18 December 2003, paras. 87-90), and that several men were
tortured in that same camp.
(iii) Fˇa Kazneno-Popravní Dom camp
309. With regard to the Foc ˇa Kazneno-Popravní Dom camp, the
Applicant asserts that beatings, rapes of women and torture were per-
petrated. The Applicant bases these allegations mainly on the Report of
the Commission of Experts and the United States State Department
Dispatch. The Commission of Experts based its findings on information
provided by a Helsinki Watch Report. A witness claimed that some
prisoners were beaten in Focˇa KP Dom (Report of the Commission of
Experts, Vol. IV, pp. 128-132); similar accounts are contained in the
United States State Department Dispatch. One witness stated that
“Those running the center instilled fear in the Muslim prisoners
by selecting certain prisoners for beatings. From his window in
Room 13, the witness saw prisoners regularly being taken to a build-
ing where beatings were conducted. This building was close enough
for him to hear the screams of those who were being beaten.” (Dis-
patch of the United States Department of State, 19 April 1993,
No. 16, p. 262.)
310. The ICTY Trial Chamber in its Kunarac Judgment of 22 Febru-
ary 2001, described the statements of several witnesses as to the poor
and brutal living conditions in Fˇa KP Dom. These seem to confirm that
the Muslim men and women from Foc ˇa, Gacko and Kalinovik muni-
cipalities were arrested, rounded up, separated from each other, and
imprisoned or detained at several detention centres like the Foc ˇa KP
131 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 170
a été relevé plus haut (paragraphe 256), toutefois, le rapporteur spécial,
M. Mazowiecki, écrivait dans son rapport périodique du 17 novembre
1992 que «[l]es prisonniers ... semblaient être en bonne santé» (p. 13)
mais, selon le demandeur, le camp qui lui avait été montré était un
camp «modèle», de sorte que son impression était faussée. Le départe-
ment d’Etat des Etats-Unis, dans son Dispatch en date du 19 avril 1993
(vol. 4, n 16), signale que les détenus du camp de Batkovic ´ étaient fré-
quemment battus et maltraités. Il cite notamment les propos de té-
moins rapportant que, «[à] plusieurs reprises, [eux-mêmes] et d’autres
... [avaie]nt été obligés de se déshabiller et de se livrer à des actes sexuels
entre eux et avec les gardes».
ii) Le camp de Sušica
308. Selon le demandeur, des viols et des agressions physiques ont été
commis au camp de Sušica; il a fait observer que Dragan Nikolic ´, lors de
son procès devant le TPIY, avait, ainsi qu’il ressort de l’«examen de
l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procé-
dure et de preuve» et du «jugement portant condamnation», reconnu
que de nombreuses Musulmanes avaient été violées et victimes de pra-
tiques et insultes dégradantes dans le camp même et au dehors (Nikolic ´,
IT-94-2-T, jugement portant condamnation du 18 décembre 2003, par. 87-
90) et que plusieurs hommes avaient été torturés dans ce même camp.
iii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa
309. S’agissant du camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa, le deman-
deur affirme que celui-ci fut le théâtre de passages à tabac et d’actes de
torture, et que des détenues y furent violées. Le demandeur fonde pour
l’essentiel ses allégations sur le rapport de la commission d’experts et le
Dispatch du département d’Etat des Etats-Unis. Les conclusions de la
commission d’experts reposent elles-mêmes sur des informations tirées
d’un rapport d’Helsinki Watch. Un témoin a déclaré que certains détenus
avaient été battus au KP Dom de Foc ˇa (rapport de la commission
d’experts, vol. IV, p. 128-132). Des faits similaires sont rapportés par le
département d’Etat des Etats-Unis. Selon un témoin:
«Ceux qui administraient le centre ont instillé la peur chez les pri-
sonniers musulmans en choisissant certains d’entre eux pour les bru-
taliser. Depuis sa fenêtre, dans la chambre n 13, le témoin a vu des
prisonniers être fréquemment emmenés dans un bâtiment où des
passages à tabac avaient lieu. Ce bâtiment était suffisamment proche
pour qu’il entende les cris de ceux qui y étaient battuso» (Dispatch
du département d’Etat des Etats-Unis, 19 avril 1993, n 16, p. 262.)
310. Dans le jugement qu’elle a rendu en l’affaire Kunarac le
22 février 2001, la chambre de première instance du TPIY a fait état des
déclarations de plusieurs témoins concernant les mauvaises conditions
d’existence et la brutalité qui régnaient au KP Dom de Foc ˇa. Ces témoi-
gnages semblent confirmer que les hommes et les femmes musulmans des
municipalités de Foc ˇa, Gacko et Kalinovik ont été arrêtés, rassemblés
131171 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Dom where some of them were killed, raped or severely beaten (Kunarac
et al, IT-96-23-T and IT-96-23/1-T, Trial Chamber Judgment, 22 Feb-
ruary 2001).
Prijedor
(a) Municipality
311. Most of the allegations of abuses said by the Applicant to have
occurred in Prijedor have been examined in the section of the present
Judgment concerning the camps situated in Prijedor. However, the Report
of the Commission of Experts refers to a family of nine found dead in
Stara Rijeka in Prijedor, who had obviously been tortured (Vol. V,
Ann. X, p. 41). The Trial Chamber of the ICTY, in its Judgment in the
Tadic´ case made the following factual finding as to an attack on two
villages in the Kozarac area, Jaski´i and Sivci:
“On 14 June 1992 both villages were attacked. In the morning the
approaching sound of shots was heard by the inhabitants of Sivci
and soon after Serb tanks and Serb soldiers entered the village . . .
There they were made to run along that road, hands clasped behind
their heads, to a collecting point in the yard of one of the houses. On
the way there they were repeatedly made to stop, lie down on the
road and be beaten and kicked by soldiers as they lay there, before
being made to get up again and run some distance further, where the
whole performance would be repeated . . . In all some 350 men,
mainly Muslims but including a few Croats, were treated in this way
in Sivci.
On arrival at the collecting point, beaten and in many cases
covered with blood, some men were called out and questioned
about others, and were threatened and beaten again. Soon buses
arrived, five in all, and the men were made to run to them, hands
again behind the head, and to crowd on to them. They were then
taken to the Keraterm camp.
The experience of the inhabitants of the smaller village of Jask´i,
which contained only 11 houses, on 14 June 1992 was somewhat
similar but accompanied by the killing of villagers. Like Sivci, Jas-
ki´i had received refugees after the attack on Kozarac but by
14 June 1992 many of those refugees had left for other villages. In
the afternoon of 14 June 1992 gunfire was heard and Serb soldiers
arrived in Jask´i and ordered men out of their homes and onto the
village street, their hands clasped behind their heads; there they were
made to lie down and were severely beaten.” (IT-94-1-T, Judgment,
7 May 1997, paras. 346-348.)
132 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 171
puis séparés les uns des autres et emprisonnés ou détenus dans divers
centres de détention comme celui de KP Dom de Foc ˇa où certains
ont été tués, violés ou passés à tabac (Kunarac et consorts, IT-96-23-T
et IT-96-23/1-T, chambre de première instance, jugement du 22 février
2001).
Prijedor
a) La municipalité
311. La plupart des allégations de violations avancées par le deman-
deur pour la région de Prijedor ont été examinées dans la section du pré-
sent arrêt consacrée aux camps de Prijedor. Cependant, la commission
d’experts mentionne le cas d’une famille dont les neuf membres ont été
retrouvés morts à Stara Rijeka, dans la municipalité de Prijedor, après
avoir manifestement été torturés (vol. V, annexe X, p. 41). La chambre
de première instance du TPIY, dans son jugement en l’affaire Tadic ´,a
formulé la conclusion de fait suivante concernant l’attaque de deux vil-
lages de la zone de Kozarac, Jaskic ´i et Sivci:
«Le 14 juin 1992, les deux villages furent attaqués. Le matin, les
habitants de Sivci entendirent des coups de feu qui se rapprochaient,
puis des blindés et des soldats serbes pénétrèrent bientôt dans le
village... On les fit courir, les mains derrière la nuque, jusqu’à un lieu
de rassemblement situé dans la cour de l’une des maisons. En che-
min, on leur ordonna à plusieurs reprises de s’arrêter et de s’allonger
sur la route où ils étaient battus et frappés à coups de pied par les
soldats, puis ils se relevaient et se remettaient à courir jusqu’à ce que
le cycle recommence... En tout, quelque 350 hommes, surtout des
Musulmans mais aussi quelques Croates, furent traités de cette
façon à Sivci.
A l’arrivée au point de rassemblement, battus et souvent couverts
de sang, certains hommes furent sortis du rang et interrogés au sujet
des autres, ils reçurent des menaces et furent battus à nouveau. Bien-
tôt arrivèrent des autocars, cinq en tout, et les hommes reçurent
l’ordre de s’en approcher au pas de course, les mains sur la nuque, et
de s’y entasser. Ils furent ensuite emmenés au camp de Keraterm.
Les habitants du petit village de Jaskic ´i, qui comptait à peine
11 maisons, connurent une expérience analogue le 14 juin 1992, mais
des villageois furent tués. Comme Sivci, Jaskic ´i avait accueilli des
réfugiés après l’assaut sur Kozarac, mais le 14 juin 1992, beaucoup
de ces réfugiés étaient partis vers d’autres villages. Dans l’après-midi
du 14 juin 1992, on entendit des coups de feu, des soldats serbes arri-
vèrent à Jaski´i et ils ordonnèrent aux hommes de sortir de chez eux
et de se rassembler dans la rue du village, les mains sur la nuque; on
les obligea à s’allonger et ils furent roués de coups.» (IT-94-1-T,
chambre de première instance, jugement du 7 mai 1997, par. 346-
348.)
132172 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(b) Camps
(i) Omarska camp
312. As noted above in connection with the killings (paragraph 262),
the Applicant has been able to present abundant and persuasive evidence
of physical abuses causing serious bodily harm in Omarska camp. The
Report of the Commission of Experts contains witness accounts regard-
ing the “white house” used for physical abuses, rapes, torture and, occa-
sionally, killings, and the “red house” used for killings (Vol. IV, Ann. VIII,
pp. 207-222). Those accounts of the sadistic methods of killing are cor-
roborated by United States submissions to the Secretary-General. The
most persuasive and reliable source of evidence may be taken to be the
factual part of the Opinion and Judgment of the ICTY in the Tadic ´ case
(IT-94-1-T, Trial Chamber Judgment, 7 May 1997). Relying on the state-
ments of 30 witnesses, the Tadic ´ Trial Judgment made findings as to
interrogations, beatings, rapes, as well as the torture and humiliation of
Muslim prisoners in Omarska camp (in particular: ibid., paras. 155-158,
163-167). The Trial Chamber was satisfied beyond reasonable doubt of
the fact that several victims were mistreated and beaten by Tad´ and suf-
fered permanent harm, and that he had compelled one prisoner to sexu-
ally mutilate another (ibid., paras. 194-206). Findings of mistreatment,
torture, rape and sexual violence at Omarska camp were also made by
the ICTY in other cases; in particular, the Trial Judgment of 2 Novem-
ber 2001 in the Kvoc ˇka et al. case (IT-98-30/1-T, Trial Chamber Judg-
ment, paras. 21-50, and 98-108) — upheld on appeal, the Trial Judgment
of 1 September 2004 in the Brdanin case (IT-99-36-T, Trial Chamber
Judgment, paras. 515-517) and the Trial Judgment of 31 July 2003 in the
Staki´ case (IT-97-24-T, Trial Chamber Judgment, paras. 229-336).
(ii) Keraterm camp
313. The Applicant also pointed to evidence of beatings and rapes at
Keraterm camp. Several witness accounts are reported in the Report of
the Commission of Experts (Vol. IV, Ann. VIII, pp. 225, 231, 233, 238)
and corroborated by witness accounts reported by the Permanent Mis-
sion of Austria to the United Nations and Helsinki Watch. The attention
of the Court has been drawn to several judgments of the ICTY which
also document the severe physical abuses, rapes and sexual violence that
occurred at this camp. The Trial Judgment of 1 September 2004 in the
Brdanin case found that:
“At Keraterm camp, detainees were beaten on arrival . . . Beatings
were carried out with wooden clubs, baseball bats, electric cables
and police batons . . .
133 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 172
b) Les camps
i) Le camp d’Omarska
312. Ainsi que cela a été indiqué ci-dessus s’agissant des meurtres (para-
graphe 262), le demandeur a été en mesure de présenter des preuves abon-
dantes et convaincantes de sévices corporels constitutifs d’atteintes graves à
l’intégrité physique infligés dans le camp d’Omarska. Le rapport de la com-
mission d’experts contient des récits de témoins sur la «maison blanche» où
étaient infligés des sévices corporels, commis des viols, des actes de torture
et, à l’occasion, des exécutions, et sur la «maison rouge» qui servait aux exé-
cutions (vol. IV, annexe VIII, p. 207-222). Ces récits d’exécutions sadiques
sont corroborés par des communications des Etats-Unis au Secrétaire géné-
ral. L’élément de preuve le plus convaincant et le plus fiable est certainement
la partie factuelle du jugement du TPIY dans l’affairT eadic´ (IT-94-1-T,
chambre de première instance, jugement du 7 mai 1997). Se fondant sur les
déclarations de trente témoins, la chambre de première instance a, dans
cette décision, formulé des conclusions concernant les interrogatoires, les
passages à tabac, les viols, ainsi que les tortures et humiliations infligées à
des prisonniers musulmans dans le camp d’Omarska (voir notammein btid.,
par. 155-158, 163-167). La chambre s’est déclarée convaincue au-delà de
tout doute raisonnable que plusieurs victimes avaient été maltraitées et bat-
tues par Tadic ´ et souffraient de lésions permanentes, et que Tadic ´ avait
contraint un prisonnier à mutiler les organes génitaux d’un autre prisonnier
(ibid., par. 194-206). Le TPIY a également conclu dans d’autres affaires que
des actes de mauvais traitements et de torture, ainsi que des viols et des vio-
lences sexuelles, avaient été commis dans le camp d’Omarska: c’est le cas
notamment dans le jugement du 2 novembre 2001 en l’affairK evoˇka et
consorts (IT-98-30/1-T, chambre de première inerance, jugement, par. 21-50
et 98-108), confirmé en appel, dans celui du 1septembre 2004 en l’affaire
Brdanin (IT-99-36-T, chambre de première instance, jugement, par. 515-517)
et dans celui du 31 juillet 2003 en l’affaire Stakic´ (IT-97-24-T, chambre
de première instance, jugement, par. 229-336).
ii) Le camp de Keraterm
313. Le demandeur a également renvoyé à des preuves de sévices et de
viols au camp de Keraterm. Plusieurs témoignages reproduits dans le
rapport de la commission d’experts (vol. IV, annexe VIII, p. 225, 231,
233, 238) sont corroborés par des récits de témoins rapportés par la mis-
sion permanente de l’Autriche auprès de l’Organisation des Nations Unies
et par Helsinki Watch. L’attention de la Cour a été appelée sur plusieurs
jugements du TPIY, qui donnent aussi des informations sur les graves
sévices corporels, les viols et les violences sexuelles qui ont eu lieu dans ce
camp. Dans son jugement du 1 erseptembre 2004 en l’affaire Brdanin,la
chambre de première instance du TPIY a ainsi indiqué que
«[l]es détenus étaient battus à leur arrivée au camp de Keraterm...
Les sévices étaient infligés à l’aide de bâtons, de battes de base-ball,
de câbles électriques et de matraques...
133173 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
In some cases the beatings were so severe as to result in serious
injury and death. Beatings and humiliation were often administered
in front of other detainees. Female detainees were raped in Keraterm
camp.” (IT-99-36-T, Trial Chamber Judgment, paras. 851-852.)
The Trial Chamber in its Judgment of 31 July 2003 in the Stakic ´ case
found that
“the detainees at the Keraterm camp were subjected to terrible
abuse. The evidence demonstrates that many of the detainees at the
Keraterm camp were beaten on a daily basis. Up until the middle of
July, most of the beatings happened at night. After the detainees
from Brdo arrived, around 20 July 1992, there were ‘no rules’, with
beatings committed both day and night. Guards and others who
entered the camp, including some in military uniforms carried out
the beatings. There were no beatings in the rooms since the guards
did not enter the rooms — people were generally called out day
and night for beatings.” (IT-97-24-T, Trial Chamber Judgment,
para. 237.)
The Chamber also found that there was convincing evidence of further
beatings and rape perpetrated in Keraterm camp (ibid., paras. 238-241).
In the Trial Judgment in the Kvocˇka et al. case, the Chamber held that,
in addition to the “dreadful” general conditions of life, detainees at Kera-
term camp were “mercilessly beaten” and “women were raped” (IT-98-
30/1-T, Trial Chamber Judgment, 2 November 2001, para. 114).
(iii) Trnopolje camp
314. The Court has furthermore been presented with evidence that
beatings and rapes occurred at Trnopolje camp. The rape of 30-40
prisoners on 6 June 1992 is reported by both the Report of the Commis-
sion of Experts (Vol. IV, Ann. VIII, pp. 251-253) and a publication of the
United States State Department. In the Tadic ´ case the Trial Chamber of
the ICTY concluded that at Trnopolje camp beatings occurred and that
“[b]ecause this camp housed the largest number of women and girls, there
were more rapes at this camp than at any other” (IT-94-1-T, Judgment,
7 May 1997, paras. 172-177 (para. 175)). These findings concerning beat-
ings and rapes are corroborated by other Judgments of the ICTY, such
as the Trial Judgment in the Stakic´ case where it found that,
“although the scale of the abuse at the Trnopolje camp was less than
that in the Omarska camp, mistreatment was commonplace. The
134 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 173
Parfois, les sévices étaient à ce point violents qu’ils occasionnaient
des blessures graves ou entraînaient la mort. Les coups et les humi-
liations étaient souvent infligés sous les yeux d’autres détenus. Des
détenues ont été violées au camp de Keraterm.» (IT-99-36-T,
chambre de première instance, jugement du 1 er septembre 2004,
par. 851-852.)
La chambre de première instance, dans son arrêt du 31 juillet 2003 en
l’affaire Stak´, a estimé que
«les détenus du camp de Keraterm [avaie]nt été terriblement moles-
tés. Il s’avère que beaucoup d’entre eux ont été battus quotidienne-
ment. Jusqu’à la mi-juillet, la plupart de ces sévices se sont produits
la nuit. Après l’arrivée des détenus de Brdo, vers le 20 juillet 1992, il
n’y a «plus eu de règle», des sévices étant infligés tant le jour que la
nuit, par les gardiens et d’autres qui venaient au camp, dont certains
en uniforme militaire. Aucune exaction n’a été commise dans les
pièces puisque les gardiens n’y entraient pas. Ils faisaient générale-
ment sortir les détenus, de jour comme de nuit, pour les brutaliser.»
(IT-97-24-T, chambre de première instance, jugement, par. 237.)
La chambre a également jugé qu’existaient des preuves convaincantes
d’autres sévices et de viols perpétrés au camp de Keraterm (ibid., par. 238-
241).
Dans son jugement en l’affaire Kvoc ˇka et consorts, la chambre de pre-
mière instance a dit que, en sus des conditions de vie «abjectes» auxquel-
les les détenus de Keraterm étaient soumis, nombre d’entre eux avaient
été «impitoyablement pass[é]s à tabac» et «des femmes ... violées» (IT-
98-30/1-T, chambre de première instance, jugement du 2 novembre 2001,
par. 114).
iii) Le camp de Trnopolje
314. Des éléments de preuve démontrant que des brutalités et des viols
ont été commis dans le camp de Trnopolje ont été présentés à la Cour. Le
viol de trente à quarante détenues, le 6 juin 1992, est mentionné dans le
rapport de la commission d’experts (vol. IV, annexe VIII, p. 251-253)
ainsi que dans une publication du département d’Etat des Etats-Unis. La
chambre de première instance du TPIY a conclu, dans le jugement rendu
en l’affaire Tadi´, que des sévices avaient été infligés dans le camp de
Trnopolje et que, «[p]arce que la plupart des femmes et des jeunes filles se
trouvaient dans ce camp, le viol y était plus fréquent que dans les autres»
(IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 172-177 (par. 175)). Ces conclu-
sions relatives aux sévices et aux viols sont corroborées par d’autres déci-
sions telles que le jugement rendu en l’affaire Stakic ´, dans lequel il est
indiqué que,
«même si l’ampleur des sévices [était] moindre au camp de Trnopolje
qu’à celui d’Omarska, ils y étaient monnaie courante. Les soldats
134174 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Serb soldiers used baseball bats, iron bars, rifle butts and their hands
and feet or whatever they had at their disposal to beat the detainees.
Individuals were who taken out for questioning would often return
bruised or injured” (IT-97-24-T, Trial Chamber Judgment, 31 July
2003, para. 242);
and that, having heard the witness statement of a victim, it was satisfied
beyond reasonable doubt “that rapes did occur in the Trnopolje camp”
(ibid., para. 244). Similar conclusions were drawn in the Judgment of
the Trial Chamber in the Brdanin case (IT-99-36-T, 1 September 2004,
paras. 513-514 and 854-857).
Banja Luka
Manjac ˇa camp
315. With regard to the Manjac ˇa camp in Banja Luka, the Applicant
alleges that beatings, torture and rapes were occurring at this camp. The
Applicant relies mainly on the witnesses cited in the Report of the Com-
mission of Experts (Vol. IV, Ann. VIII, pp. 50-54). This evidence is cor-
roborated by the testimony of a former prisoner at the Joint Hearing
before the Select Committee on Intelligence in the United States Senate
on 9 August 1995, and a witness account reported in the Memorial of the
Applicant (United States State Department Dispatch, 2 November 1992,
p. 806). The Trial Chamber, in its Decision on Motion for Judgment of
Acquittal of 16 June 2004, in the Milošev´ case reproduced the statement
of a witness who testified that,
“at the Manjaca camp, they were beaten with clubs, cables, bats, or
other similar items by the military police. The men were placed in
small, bare stables, which were overcrowded and contained no toilet
facilities. While at the camp, the detainees received inadequate food
and water. Their heads were shaved, and they were severely beaten
during interrogations.” (IT-02-54-T, Decision on Motion for Judg-
ment of Acquittal, 16 June 2004, para. 178.)
316. The Applicant refers to the Report of the Commission of Experts,
which contains reports that the Manjac ˇa camp held a limited number of
women and that during their stay they were “raped repeatedly”. Muslim
male prisoners were also forced to rape female prisoners (Report of the
Commission of Experts, Vol. IV, Annex VIII, pp. 53-54). The Respon-
dent points out that the Brdanin Trial Judgment found no evidence had
been presented that detainees were subjected to “acts of sexual degrada-
tion” in Manjacˇa.
135 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 174
serbes frappaient les détenus avec des battes de base-ball, des barres
de fer, des crosses de fusils, leurs mains, leurs pieds, ou tout ce qui
leur tombait sous la main. Les détenus qui étaient emmenés pour
être interrogés revenaient souvent couverts de bleus ou blessés» (IT-
97-24-T, chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003,
par. 242);
la chambre de première instance a par ailleurs indiqué que, ayant entendu
le témoignage d’une victime, elle était convaincue, au-delà de tout doute
raisonnable, que «des viols [avaie]nt bel et bien été commis au camp de
Trnopolje» (ibid., par. 244). La chambre de première instance est parve-
nue à des conclerions similaires dans son jugement en l’affaire Brdanin
(IT-99-36-T, 1 septembre 2004, par. 513-514 et 854-857).
Banja Luka
Le camp de Manjac ˇa
315. S’agissant du camp de Manjac ˇa, à Banja Luka, le demandeur
soutient qu’il fut le théâtre de passages à tabac, d’actes de torture et de
viols. Il se fonde essentiellement sur les déclarations de témoins citées
dans le rapport de la commission d’experts (vol. IV, annexe VIII, p. 50-
54). Celles-ci sont corroborées par la déposition faite le 9 août 1995 par
un ancien prisonnier au cours d’une audition devant le Select Committee
on Intelligence du Sénat américain et par un témoignage rapporté dans le
mémoire du demandeur (département d’Etat des Etats-Unis, Dispatch du
2 novembre 1992, p. 806). Dans sa décision relative à la demande d’acquit-
tement rendue le 16 juin 2004 en l’affaire Miloševic ´, la chambre de pre-
mière instance a reproduit la déclaration d’un témoin indiquant
«avoir été battu par la police militaire à coups de gourdins, de
câbles, de battes ou autres objets similaires au camp de Manjacˇa. Les
hommes étaient enfermés dans de petites étables dénudées et surpeu-
plées, dépourvues d’installations sanitaires. Au camp, les détenus
recevaient une quantité insuffisante de nourriture et d’eau. [On leur
rasait] la tête et [ils] étaient violemment battus pendant les interro-
gatoires.» (IT-02-54-T, chambre de première instance, décision rela-
tive à la demande d’acquittement, 16 juin 2004, par. 178.)
316. Le demandeur renvoie au rapport de la commission d’experts, qui
fait état d’informations selon lesquelles le camp de Manjacˇa accueillait un
nombre limité de femmes et celles-ci y avaient été «violées à plusieurs
reprises» pendant leur séjour. Des prisonniers musulmans avaient égale-
ment été forcés de violer des détenues (rapport de la commission d’experts,
vol. IV, annexe VIII, p. 53-54). Le défendeur souligne que le jugement
rendu en l’affaire Brdanin par la chambre de première instance a conclu
qu’il n’a pas été prouvé que les détenus avaient été soumis à des «actes
sexuels dégradants» à Manjac ˇa.
135175 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Brcˇko
Luka camp
317. The Applicant alleges that torture, rape and beatings occurred at
Luka camp (Brc ˇko). The Report of the Commission of Experts contains
multiple witness accounts, including the evidence of a local guard forced
into committing rape (Vol. IV, Ann. VIII, pp. 93-97). The account of the
rapes is corroborated by multiple sources (United States State Depart-
ment Dispatch, 19 April 1993). The Court notes in particular the findings
ˇ
of the ICTY Trial Chamber in the Cešic ´ case, with regard to acts per-
petrated in the Luka camp. In his plea agreement the accused admitted
several grave incidents, such as beatings and compelling two Muslim
brothers to perform sexual acts with each other (IT-95-10/1-S, Sentencing
Judgment, 11 March 2004, paras. 8-17). These findings are corroborated
by witness statements and the guilty plea in the Jelis´ case.
318. The Respondent does not deny that the camps in Bosnia and
Herzegovina were “in breach of humanitarian law and, in most cases, in
breach of the law of war”, but argues that the conditions in all the camps
were not of the kind described by the Applicant. It stated that all that
had been demonstrated was “the existence of serious crimes, committed
in a particularly complex situation, in a civil and fratricidal war”, but not
the requisite specific intent (dolus specialis).
*
319. Having carefully examined the evidence presented before it, and
taken note of that presented to the ICTY, the Court considers that it has
been established by fully conclusive evidence that members of the pro-
tected group were systematically victims of massive mistreatment, beat-
ings, rape and torture causing serious bodily and mental harm, during
the conflict and, in particular, in the detention camps. The requirements
of the material element, as defined by Article II (b) of the Convention
are thus fulfilled. The Court finds, however, on the basis of the evidence
before it, that it has not been conclusively established that those atroci-
ties, although they too may amount to war crimes and crimes against
humanity, were committed with the specific intent (dolus specialis) to
destroy the protected group, in whole or in part, required for a finding
that genocide has been perpetrated.
**
136 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 175
Brcˇko
Le camp de Luka
317. Le demandeur soutient que des actes de tortures, des viols et des
passages à tabac se sont produits dans le camp de Luka (Brc ˇko). Le rap-
port de la commission d’experts contient de nombreux récits de témoins,
y compris celui d’un garde local contraint de commettre un viol (vol. IV,
annexe VIII, p. 93-97). Le récit des viols est corroboré par de multiples
sources (département d’Etat des Etats-Unis, Dispatch du 19 avril 1993).
La Cour relèveˇen particulier les conclusions que le TPIY a formulées
dans l’affaire Ceš´ au sujet d’actes perpétrés par l’accusé dans le camp de
Luka. Dans l’accord sur le plaidoyer qu’il a conclu, l’accusé a reconnu
avoir commis des actes graves, notamment avoir battu des détenus
et contraint deux frères musulmans à avoir des relations sexuelles
entre eux (IT-95-10/1-S, jugement portant condamnation du 11 mars
2004, par. 8-17). Ces conclusions sont corroborées par des déclara-
tions de témoins ainsi que par le plaidoyer de culpabilité dans l’affaire
Jelis´.
318. Le défendeur ne nie pas que les camps en Bosnie-Herzégovine
étaient «contraires au droit humanitaire et le plus souvent contraires au
droit de guerre», mais il argue que les conditions n’étaient pas, dans
tous les camps, telles que le demandeur les a décrites. Il affirme qu’a seule-
ment été démontrée «l’existence de faits graves, commis dans une
situation particulièrement compliquée, dans un conflit armé, dans une
guerre civile et fratricide», mais pas l’intention spécifique(dolus specialis)
requise.
*
319. Ayant soigneusement examiné les éléments de preuve qui lui ont
été soumis et pris note de ceux soumis au TPIY, la Cour estime établi par
des preuves parfaitement concluantes que des membres du groupe pro-
tégé ont, au cours du conflit, et en particulier dans les camps de déten-
tion, été systématiquement victimes de mauvais traitements, de passages
à tabac, de viols et d’actes de torture généralisés ayant causé une atteinte
grave à leur intégrité physique et mentale. Les conditions requises pour
permettre de conclure à l’existence de l’élément matériel, tel que défini au
litt. b) de l’article II de la Convention, sont dès lors remplies. La Cour
estime toutefois, sur la base des éléments de preuve dont elle dispose,
qu’il n’a pas été établi de façon concluante que ces atrocités, encore
qu’elles aussi puissent être constitutives de crimes de guerre et de crimes
contre l’humanité, ont été commises avec l’intention spécifique (dolus
specialis) de détruire le groupe protégé, en tout en en partie, requise aux
fins d’établir la commission d’un génocide.
**
136176 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(7) Article II (c): Deliberately Inflicting on the Group Conditions of Life
Calculated to Bring about Its Physical Destruction in Whole or in Part
320. Article II (c) of the Genocide Convention concerns the deliberate
infliction on the group of conditions of life calculated to bring about its
physical destruction in whole or in part. Under this heading, the Applicant
first points to an alleged policy by the Bosnian Serb forces to encircle
civilians of the protected group in villages, towns or entire regions and to
subsequently shell those areas and cut off all supplies in order to starve
the population. Secondly, the Applicant claims that Bosnian Serb forces
attempted to deport and expel the protected group from the areas which
those forces occupied. Finally, the Applicant alleges that Bosnian Serb
forces attempted to eradicate all traces of the culture of the protected group
through the destruction of historical, religious and cultural property.
321. The Respondent argues that the events referred to by the Appli-
cant took place in a context of war which affected the entire population,
whatever its origin. In its view, “it is obvious that in any armed conflict
the conditions of life of the civilian population deteriorate”. The Respon-
dent considers that, taking into account the civil war in Bosnia and
Herzegovina which generated inhuman conditions of life for the entire
population in the territory of that State, “it is impossible to speak of the
deliberate infliction on the Muslim group alone or the non-Serb group
alone of conditions of life calculated to bring about its destruction”.
322. The Court will examine in turn the evidence concerning the three
sets of claims made by the Applicant: encirclement, shelling and starva-
tion; deportation and expulsion; destruction of historical, religious and
cultural property. It will also go on to consider the evidence presented
regarding the conditions of life in the detention camps already extensively
referred to above (paragraphs 252-256, 262-273, 307-310 and 312-318).
Alleged encirclement, shelling and starvation
323. The principal incident referred to by the Applicant in this regard
is the siege of Sarajevo by Bosnian Serb forces. Armed conflict broke out
in Sarajevo at the beginning of April 1992 following the recognition by
the European Community of Bosnia and Herzegovina as an independent
State. The Commission of Experts estimated that, between the beginning
of April 1992 and 28 February 1994, in addition to those killed or miss-
ing in the city (paragraph 247 above), 56,000 persons had been wounded
(Report of the Commission of Experts, Vol. II, Ann. VI, p. 8). It was
further estimated that, “over the course of the siege, the city [was] hit
by an average of approximately 329 shell impacts per day, with a high
of 3,777 shell impacts on 22 July 1993” (ibid.). In his report of
28 August 1992, the Special Rapporteur observed that:
137 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 176
7) Litt. c) de l’article II: soumission intentionnelle du groupe à
des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique
totale ou partielle
320. Le litt. c) de l’article II de la convention sur le génocide vise la
soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partielle. A cet égard, le deman-
deur fait d’abord état d’une politique des forces serbes de Bosnie qui aurait
consisté à encercler les civils du groupe protégé dans des villages, des villes
ou des régions entières avant de bombarder ces zones et d’y interdire tout
approvisionnement afin d’affamer la population. Le demandeur soutient
ensuite que les forces serbes de Bosnie ont tenté de déporter et d’expulser le
groupe protégé des zones qu’elles occupaient. Enfin, il allègue que les
forces serbes de Bosnie ont tenté de faire disparaître toutes traces de culture
du groupe protégé en détruisant les biens historiques, religieux et culturels.
321. Le défendeur soutient que les événements invoqués par le deman-
deur se sont déroulés dans un contexte de guerre qui affectait la popula-
tion dans son ensemble, quelle que fût son origine. Selon lui, «il est
évident que dans tout conflit armé les conditions de vie de la population
civile se détériorent». Le défendeur estime que, compte tenu de la guerre
civile qui se déroulait en Bosnie-Herzégovine et entraînait des conditions
de vie inhumaines pour l’ensemble de la population vivant sur le terri-
toire de cet Etat, «il est impossible de parler d’une soumission volontaire
du seul groupe musulman ou du seul groupe des non-Serbes aux condi-
tions de vie pouvant provoquer sa destruction».
322. La Cour examinera successivement les éléments de preuve concer-
nant les trois allégations formulées par le demandeur: encerclement, bom-
bardement et privation de nourriture; déportations et expulsions; destruc-
tion du patrimoine historique, religieux et culturel. Elle se penchera
également sur les éléments de preuve présentés au sujet des conditions de
vie dans les camps de détention dont il a longuement déjà été question
ci-dessus (paragraphes 252 à 256, 262 à 273, 307 à 310 et 312 à 318).
Encerclement, bombardements et privation de nourriture
323. Le principal incident invoqué par le demandeur à cet égard est le
siège de Sarajevo par les forces serbes de Bosnie. Le conflit armé a éclaté
à Sarajevo au début du moins d’avril 1992, après la reconnaissance par la
Communauté européenne de la Bosnie-Herzégovine en tant qu’Etat indé-
pendant. La commission d’experts a estimé qu’à Sarajevo, entre le début
du mois d’avril 1992 et le 28 février 1994, outre celles qui avaient été tuées
ou portées disparues (paragraphe 247 ci-dessus), cinquante-six mille per-
sonnes avaient été blessées (rapport de la commission d’experts, vol. II,
annexe VI, p. 8). La commission a en outre estimé que, «sur toute la durée
du siège, la ville avait été frappée par trois cent vingt-neuf impacts d’obus
par jour en moyenne, avec un maximum de trois mille sept cent soixante-
dix-sept le 22 juillet 1993» (ibid.). Dans son rapport du 28 août 1992,
le rapporteur spécial a noté que
137177 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
“The city is shelled on a regular basis . . . Snipers shoot innocent
civilians . . .
The civilian population lives in a constant state of anxiety, leaving
their homes or shelters only when necessary . . . The public systems
for distribution of electrical power and water no longer function.
Food and other basic necessities are scarce, and depend on the airlift
organized by UNHCR and protected by UNPROFOR.” (Report of
28 August 1992, paras. 17-18.)
324. The Court notes that, in resolutions adopted on 16 April and
6 May 1993, the Security Council declared Sarajevo, together with Tuzla,
Žepa, Goražde, Bihac ´ and Srebrenica, to be “safe areas” which should be
free from any armed attack or any other hostile act and fully accessible to
UNPROFOR and international humanitarian agencies (resolutions 819
of 16 April 1993 and 824 of 6 May 1993). However, these resolutions
were not adhered to by the parties to the conflict. In his report of
26 August 1993, the Special Rapporteur noted that
“Since May 1993 supplies of electricity, water and gas to Sarajevo
have all but stopped . . . a significant proportion of the damage
caused to the supply lines has been deliberate, according to United
Nations Protection Force engineers who have attempted to repair
them. Repair crews have been shot at by both Bosnian Serb and
government forces . . .” (Report of 26 August 1993, para. 6.)
He further found that UNHCR food and fuel convoys had been
“obstructed or attacked by Bosnian Serb and Bosnian Croat forces and
sometimes also by governmental forces” (Report of 26 August 1993,
para. 15). The Commission of Experts also found that the “blockade of
humanitarian aid ha[d] been used as an important tool in the siege”
(Report of the Commission of Experts, Ann. VI, p. 17). According to the
Special Rapporteur, the targeting of the civilian population by shelling
and sniping continued and even intensified throughout 1994 and 1995
(Report of 4 November 1994, paras. 27-28; Report of 16 January 1995,
para. 13; Report of 5 July 1995, paras. 67-70). The Special Rapporteur
noted that
“[a]ll sides are guilty of the use of military force against civilian
populations and relief operations in Sarajevo. However, one cannot
lose sight of the fact that the main responsibility lies with the [Bos-
nian Serb] forces, since it is they who have adopted the tactic of lay-
ing siege to the city.” (Report of 17 November 1992, para. 42.)
138 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 177
«[l]a ville est bombardée régulièrement... Des francs-tireurs tirent sur
des civils innocents...
Les civils vivent en permanence dans l’anxiété, ne quittant demeu-
res ou abris que lorsqu’ils y sont forcés... Les réseaux publics d’ali-
mentation en électricité et en eau ne fonctionnent plus. Les produits
alimentaires et les autres biens de première nécessité sont rares, car
l’approvisionnement dépend du pont aérien organisé par le Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et protégé par la
FORPRONU.» (Rapport du 28 août 1992, par. 17-18.)
324. La Cour relève que, par les résolutions qu’il a adoptées le 16 avril
et le 6 mai 1993, le Conseil de sécurité a déclaré Sarajevo, ainsi que Tuzla,
Žepa, Goražde, Bihac ´ et Srebrenica, «zone[s] de sécurité» devant être à
l’abri de toute attaque armée et de tout autre acte d’hostilité et entière-
ment accessibles à la FORPRONU et aux organisations humanitaires
internationales (résolutions 819 du 16 avril 1993 et 824 du 6 mai 1993).
Cependant, ces résolutions n’ont pas été respectées par les parties au
conflit. Dans son rapport du 26 août 1993, le rapporteur spécial a noté
que
«[d]epuis le mois de mai 1993, l’approvisionnement de Sarajevo en
électricité, en eau et en gaz a pratiquement cessé ... une large part des
dommages causés aux réseaux d’approvisionnement ont été délibé-
rés, comme l’attestent les ingénieurs de la Force de protection des
Nations Unies, qui ont tenté de les remettre en état. Les membres
des équipes de réparation ont été la cible tant des Serbes de
Bosnie que des forces gouvernementales.» (Rapport du 26 août 1993,
par. 6.)
Il a également constaté que les convois de vivres et de carburant du HCR
avaient été «arrêtés ou attaqués par les forces serbes de Bosnie et les
forces croates de Bosnie et parfois également par les forces gouverne-
mentales» (rapport du 26 août 1993, par. 15). La commission d’experts
a elle aussi indiqué que «le blocus de l’aide humanitaire avait été un
instrument important dans le siège» (rapport de la commission d’experts,
annexe VI, p. 17). Selon le rapporteur spécial, les bombardements et les
tirs de tireurs isolés visant la population civile ont continué, et se
sont même intensifiés, tout au long des années 1994 et 1995 (rapport
du 4 novembre 1994, par. 27-28; rapport du 16 janvier 1995, par. 13;
rapport du 5 juillet 1995, par. 67-70). Le rapporteur spécial a indiqué
que
«toutes les parties [étaient] coupables d’avoir employé la force mili-
taire contre la population civile de Sarajevo et les opérations de
secours qui s’y déroul[aient]. Toutefois, on ne saurait ignorer le fait
que la responsabilité principale incomb[ait] aux forces serbes [de
Bosnie], étant donné que c’[étaient] elles qui [avaient] adopté comme
tactique le siège de la ville.» (Rapport du 17 novembre 1992, par. 42.)
138178 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
325. The Court notes that in the Galic´ case, the Trial Chamber of the
ICTY found that the Serb forces (the SRK) conducted a campaign of
sniping and shelling against the civilian population of Sarajevo (Galic´,
IT-98-29-T, Judgment, 5 December 2003, para. 583). It was
“convinced by the evidence in the Trial Record that civilians in
ARBiH-held areas of Sarajevo were directly or indiscriminately
attacked from SRK-controlled territory . . ., and that as a result and
as a minimum, hundreds of civilians were killed and thousands
others were injured” (ibid., para. 591).
These findings were subsequently confirmed by the Appeals Chamber
(Gali´, IT-98-29-A, Judgment, 30 November 2006, paras. 107-109). The
ICTY also found that the shelling which hit the Markale market on
5 February 1994, resulting in 60 persons killed and over 140 injured,
came from behind Bosnian Serb lines, and was deliberately aimed at civil-
ians (ibid., paras. 333 and 335 and Galic ´, IT-98-29-T, Trial Chamber
Judgment, 5 December 2003, para. 496).
326. The Respondent argues that the safe areas proclaimed by the
Security Council had not been completely disarmed by the Bosnian army.
For instance, according to testimony given in the Galic ´ case by the
Deputy Commander of the Bosnian army corps covering the Sarajevo
area, the Bosnian army had deployed 45,000 troops within Sarajevo. The
Respondent also pointed to further testimony in that case to the effect
that certain troops in the Bosnian army were wearing civilian clothes and
that the Bosnian army was using civilian buildings for its bases and posi-
tioning its tanks and artillery in public places. Moreover, the Respondent
observes that, in his book, Fighting for Peace, General Rose was of the
view that military equipment was installed in the vicinity of civilians, for
instance, in the grounds of the hospital in Sarajevo and that “[t]he Bos-
nians had evidently chosen this location with the intention of attracting
Serb fire, in the hope that the resulting carnage would further tilt inter-
national support in their favour” (Michael Rose, Fighting for Peace,
1998, p. 254).
327. The Applicant also points to evidence of sieges of other towns in
Bosnia and Herzegovina. For instance, with regard to Goražde, the Spe-
cial Rapporteur found that the enclave was being shelled and had been
denied convoys of humanitarian aid for two months. Although food was
being air-dropped, it was insufficient (Report of 5 May 1992, para. 42).
In a later report, the Special Rapporteur noted that, as of spring 1994,
the town had been subject to a military offensive by Bosnian Serb forces,
during which civilian objects including the hospital had been targeted
and the water supply had been cut off (Report of 10 June 1994, paras. 7-
12). Humanitarian convoys were harassed including by the detention
of UNPROFOR personnel and the theft of equipment (Report of
139 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 178
325. La Cour note que, en l’affaire Galic ´, la chambre de première ins-
tance du TPIY a jugé que les forces serbes (le SRK) avaient mené une
campagne de tirs isolés et de bombardements contre la population civile
de Sarajevo (Galic´, IT-98-29-T, jugement du 5 décembre 2003, par. 583).
Elle s’est déclarée
«convaincue, au vu des éléments de preuve versés au dossier, que ...
les civils habitant les quartiers de Sarajevo tenus par l’ARBiH [avaient]
été la cible de tirs directs ou indiscriminés depuis les territoires
contrôlés par le SRK et qu’au moins des centaines de civils [étaient]
morts et des milliers blessés» (ibid., par. 591).
Ces conclusions ont été confirmées ensuite par la chambre d’appel (Galic ´,
IT-98-29-A, arrêt du 30 novembre 2006, par. 107-109). Le TPIY a égale-
ment jugé que les bombes qui le 5 février 1994 avaient frappé le marché
de Markale, et fait soixante morts et plus de cent quarante blessés, pro-
venaient de derrière les lignes des Serbes de Bosnie et que ce bombarde-
ment visait délibérément des civils (ibid., par. 333 et 335, et Gal´, IT-98-
29-T, chambre de première instance, jugement du 5 décembre 2003,
par. 496).
326. Le défendeur soutient que les zones de sécurité proclamées par le
Conseil de sécurité n’avaient pas été complètement désarmées par l’armée
bosniaque. Par exemple, selon la déposition faite en l’affaire Galic´ par le
commandant adjoint du corps de l’armée de Bosnie couvrant la zone de
Sarajevo, l’armée bosniaque avait déployé quarante-cinq mille soldats à
Sarajevo. Le défendeur a également appelé l’attention sur d’autres témoi-
gnages présentés en ladite affaire selon lesquels certains militaires de
l’armée bosniaque étaient vêtus en civil et l’armée bosniaque utilisait des
bâtiments civils pour y établir ses bases, ainsi que des lieux publics pour
installer ses chars et son artillerie. De plus, le défendeur relève que, dans
son ouvrage intitulé Fighting for Peace, le général Rose a indiqué que du
matériel militaire avait été installé à proximité de populations civiles,
notamment dans l’enceinte de l’hôpital de Sarajevo et que «[l]es Bos-
niaques avaient de toute évidence choisi ce lieu afin d’y attirer les tirs
des Serbes, dans l’espoir que le carnage qui s’ensuivrait leur permettrait
de continuer à s’attirer le soutien de la communauté internatio-
nale» (Michael Rose, Fighting for Peace, 1998, p. 254).
327. Le demandeur met également en avant des éléments de preuve qui
ressortent du siège d’autres villes de Bosnie-Herzégovine. Ainsi, s’agis-
sant de Goražde, le rapporteur spécial a indiqué que l’enclave avait été
bombardée et que les convois d’aide humanitaire s’en étaient vu refuser
l’accès pendant deux mois. Bien que des vivres aient été parachutés, ils
étaient insuffisants (rapport du 5 mai 1992, par. 42). Dans un rapport
ultérieur, le rapporteur spécial a noté que, à partir du printemps 1994, la
ville avait subi une offensive militaire des forces serbes de Bosnie, au
cours de laquelle des objectifs civils, dont l’hôpital, avaient été pris pour
cibles et l’approvisionnement en eau avait été coupé (rapport du
10 juin 1994, par. 7-12). Les convois humanitaires étaient harcelés, ce
139179 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
19 May 1994, paras. 17 et seq.). Similar patterns occurred in Bihac ´,
Tuzla, Cerska and Maglaj (Bihac ´: Special Rapporteur’s Report of
28 August 1992, para. 20; Report of the Secretary-General pursuant to
resolution 959 (1994), para. 17; Special Rapporteur’s Report of 16 Janu-
ary 1995, para. 12; Tuzla: Report of the Secretary-General pursuant to
resolutions 844 (1993), 836 (1993) and 776 (1992), paras. 2-4; Special
Rapporteur’s Report of 5 July 1995; Cerska: Special Rapporteur’s Report
of 5 May 1993, paras. 8-17; Maglaj: Special Rapporteur’s Report of
17 November 1993, para. 93).
328. The Court finds that virtually all the incidents recounted by the
Applicant have been established by the available evidence. It takes
account of the assertion that the Bosnian army may have provoked
attacks on civilian areas by Bosnian Serb forces, but does not consider
that this, even if true, can provide any justification for attacks on civilian
areas. On the basis of a careful examination of the evidence presented by
the Parties, the Court concludes that civilian members of the protected
group were deliberately targeted by Serb forces in Sarajevo and other
cities. However, reserving the question whether such acts are in prin-
ciple capable of falling within the scope of Article II, paragraph (c),
of the Convention, the Court does not find sufficient evidence that the
alleged acts were committed with the specific intent to destroy the
protected group in whole or in part. For instance, in the Galic ´ case,
the ICTY found that
“the attacks on civilians were numerous, but were not consistently so
intense as to suggest an attempt by the SRK to wipe out or even
deplete the civilian population through attrition . . . the only reason-
able conclusion in light of the evidence in the Trial Record is that the
primary purpose of the campaign was to instil in the civilian popula-
tion a state of extreme fear” (Galic ´, IT-98-29-T, Trial Chamber
Judgment, 5 December 2003, para. 593).
These findings were not overruled by the judgment of the Appeals
Chamber of 30 November 2006 (Galic ´, IT-98-29-A, Judgment: see e.g.,
paras. 107-109, 335 and 386-390). The Special Rapporteur of the United
Nations Commission on Human Rights was of the view that “[t]he siege,
including the shelling of population centres and the cutting off of supplies
of food and other essential goods, is another tactic used to force Muslims
and ethnic Croatians to flee” (Report of 28 August 1992, para. 17). The
Court thus finds that it has not been conclusively established that the acts
were committed with the specific intent (dolus specialis) to destroy the
protected group in whole or in part.
140 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 179
harcèlement prenant notamment la forme de l’arrestation de membres de
la FORPRONU et de vol de matériel (rapport du 19 mai 1994, par. 17 et
suiv.). Des événements similaires se sont produits à Bihac´, Tuzla, Cerska
et Maglaj (Bihac´: rapport du rapporteur spécial du 28 août 1992, par. 20;
rapport du Secrétaire général en application de la résolution 959 (1994),
par. 17; rapport du rapporteur spécial du 16 janvier 1995, par. 12; Tuzla:
rapport du Secrétaire général en application des résolutions 844 (1993),
836 (1993) et 776 (1992), par. 2-4; rapport du rapporteur spécial du
5 juillet 1995; Cerska: rapport du rapporteur spécial du 5 mai 1993,
par. 8-17; Maglaj: rapport du rapporteur spécial du 17 novembre 1993,
par. 93).
328. La Cour considère que la quasi-totalité des incidents rapportés
par le demandeur a été établie par les éléments de preuve disponibles. Elle
tient compte de l’affirmation selon laquelle l’armée bosniaque pourrait
avoir provoqué des attaques des forces serbes de Bosnie contre des zones
civiles, mais elle ne considère pas que les attaques en question, même si
elles étaient avérées, puissent en être d’une quelconque manière justifiées.
Se fondant sur un examen attentif des éléments de preuve présentés par
les Parties, la Cour conclut que les forces serbes ont délibérément visé des
membres civils du groupe protégé à Sarajevo ainsi que dans d’autres
villes. Toutefois, réservant la question de savoir si de tels actes sont en
principe susceptibles d’entrer dans le champ d’application du litt. c) de
l’article II de la Convention, la Cour constate qu’elle ne dispose
pas de suffisamment de preuves établissant que les actes allégués ont été
commis avec l’intention spécifique de détruire le groupe protégé en tout
ou en partie. Le TPIY a par exemple conclu, dans l’affaire Galic ´, que
«les attaques dirigées contre des civils ont été innombrables mais
qu’elles n’étaient pas en permanence d’une intensité suffisante pour
donner à penser qu’il s’agissait d’une tentative de la part du SRK
d’exterminer la population civile ou d’en obtenir la diminution par
une guerre d’usure... La seule conclusion qu[e la majorité] peut rai-
sonnablement tirer au vu des éléments de preuve versés au dossier est
que le but principal de la campagne était d’inspirer à la population
une peur extrême.» (Galic ´, IT-98-29-T, chambre de première ins-
tance, jugement du 5 décembre 2003, par. 593.)
Ces conclusions n’ont pas été infirmées par la décision rendue le 30 no-
vembre 2006 par la chambre d’appel (Galic ´, IT-98-29-A, arrêt: voir, par
exemple, par. 107-109, 335 et 386-390). Le rapporteur spécial de la Com-
mission des droits de l’homme des Nations Unies a estimé qu’«[u]ne
autre tactique utilisée pour forcer les Musulmans et les Croates à fuir
consist[ait] à assiéger une ville, en bombardant les centres habités par la
population civile et en coupant l’approvisionnement en denrées alimen-
taires et autres denrées essentielles» (rapport du 28 août 1992, par. 17).
La Cour conclut dès lors qu’il n’a pas été établi de façon concluante que
les actes ont été commis avec l’intention spécifique (dolus specialis) de
détruire en tout ou en partie le groupe protégé.
140180 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Deportation and expulsion
329. The Applicant claims that deportations and expulsions occurred
systematically all over Bosnia and Herzegovina. With regard to Banja
Luka, the Special Rapporteur noted that since late November 1993, there
had been a “sharp rise in repossessions of apartments, whereby Muslim
and Croat tenants [were] summarily evicted” and that “a form of housing
agency ha[d] been established . . . which chooses accommodation for
incoming Serb displaced persons, evicts Muslim or Croat residents and
reputedly receives payment for its services in the form of possessions left
behind by those who have been evicted” (Report of 21 February 1994,
para. 8). In a report dated 21 April 1995 dedicated to the situation in
Banja Luka, the Special Rapporteur observed that since the beginning of
the war, there had been a 90 per cent reduction in the local Muslim popu-
lation (Report of 21 April 1995, para. 4). He noted that a forced labour
obligation imposed by the de facto authorities in Banja Luka, as well as
“the virulence of the ongoing campaign of violence” had resulted in
“practically all non-Serbs fervently wishing to leave the Banja Luka
area” (Report of 21 April 1995, para. 24). Those leaving Banja Luka
were required to pay fees and to relinquish in writing their claim to their
homes, without reimbursement (Report of 21 April 1995, para. 26). The
displacements were “often very well organized, involving the bussing of
people to the Croatian border, and involve[d] large numbers of people”
(Report of 4 November 1994, para. 23). According to the Special Rap-
porteur, “[o]n one day alone in mid-June 1994, some 460 Muslims and
Croats were displaced” (ibid.).
330. As regards Bijeljina, the Special Rapporteur observed that,
between mid-June and 17 September 1994, some 4,700 non-Serbs were
displaced from the Bijeljina and Janja regions. He noted that many of the
displaced, “whether forced or choosing to depart, were subject to harass-
ment and theft by the Bosnian Serb forces orchestrating the displace-
ment” (Report of 4 November 1994, para. 21). These reports were con-
firmed by those of non-governmental organizations based on witness
statements taken on the ground (Amnesty International, “Bosnia and
Herzegovina: Living for the Day — Forced expulsions from Bijeljina and
Janja”, December 1994, p. 2).
331. As for Zvornik, the Commission of Experts, relying on a study
carried out by the Ludwig Boltzmann Institute of Human Rights based
on an evaluation of 500 interviews of individuals who had fled the area,
found that a systematic campaign of forced deportation had occurred
(Report of the Commission of Experts, Vol. I, Ann. IV, pp. 55 et seq).
The study observed that Bosnian Muslims obtained an official stamp on
their identity card indicating a change of domicile in exchange for trans-
ferring their property to an “agency for the exchange of houses” which
was subsequently a prerequisite for being able to leave the town (Lud-
141 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 180
Déportations et expulsions
329. Le demandeur affirme que des déportations et des expulsions ont
eu lieu de manière systématique sur l’ensemble du territoire de la Bosnie-
Herzégovine. S’agissant de Banja Luka, le rapporteur spécial a relevé
que, à partir de la fin du mois de novembre 1993, «de plus en plus nom-
breux [étaient] les propriétaires qui [avaient] repris possession de leurs
appartements, expulsant sommairement les locataires musulmans et
croates», et qu’«un «office du logement» a[vait] été créé ... [qui] choisi[s-
sait] des logements pour les Serbes déplacés, expuls[ait] les occupants mu-
sulmans et croates et se rétribu[ait] pour ses services avec les biens aban-
donnés par les personnes expulsées» (rapport du 21 février 1994, par. 8).
Dans un rapport daté du 21 avril 1995 et consacré à la situation à
Banja Luka, le rapporteur spécial a indiqué que, depuis le début de la
guerre, la population musulmane locale avait diminué de 90 % (rapport
du 21 avril 1995, par. 4). Il a noté que le travail forcé imposé par les auto-
rités de facto de Banja Luka ainsi que «la virulence de la campagne de
violence» avaient «incité quasiment tous les non-Serbes à chercher à
quitter la région de Banja Luka» (rapport du 21 avril 1995, par. 24-29).
Ceux qui quittaient Banja Luka étaient obligés de verser de l’argent et de
renoncer par écrit à tout droit sur leur logement, sans possibilité de rem-
boursement (rapport du 21 avril 1995, par. 26). «Souvent, les déplace-
ments qui touch[ai]ent un grand nombre de personnes [étaient] très bien
organisés: les déplacés [étaient] transportés en autocars vers la frontière
croate.» (Rapport du 4 novembre 1994, par. 23.) Selon le rapporteur spé-
cial, «en un seul jour seulement, 460 Musulmans et Croates ont été
déplacés» (ibid.).
330. S’agissant de Bijeljina, le rapporteur spécial a relevé que, entre la
mi-juin et le 17 septembre 1994, quelque quatre mille sept cents non-
Serbes avaient été déplacés des régions de Bijeljina et de Janja. Il a noté
que nombre des personnes déplacées, «par force ou de leur propre gré,
[avaient] été harcelées et dévalisées par les forces serbes de Bosnie char-
gées d’organiser le déplacement» (rapport du 4 novembre 1994, par. 21).
Ces rapports ont été corroborés par ceux émanant d’organisations non
gouvernementales fondés sur des dépositions de témoins recueillies sur le
terrain (Amnesty International, «Bosnia and Herzegovina: Living for the
Day — Forced Expulsions from Bijeljina and Janja», décembre 1994,
p. 2).
331. En ce qui concerne Zvornik, la commission d’experts, s’appuyant
sur une étude de l’Institut Ludwig Boltzmann pour les droits de l’homme
fondée sur une analyse de cinq cents entretiens avec des personnes ayant
fui la zone, a indiqué qu’une campagne systématique de déportations
avait eu lieu (rapport de la commission d’experts, vol. I, annexe IV, p. 55
et suiv.). Dans cette étude, il a été noté que les Musulmans de Bosnie
avaient obtenu un tampon officiel sur leurs cartes d’identité indiquant un
changement de domicile en contrepartie du transfert de leurs biens à un
«office pour l’échange des maisons», ce qui est devenu par la suite une
141181 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
wig Boltzmann Institute of Human Rights, “‘Ethnic Cleansing Opera-
tions’ in the northeast Bosnian city of Zvornik from April through
June 1992”, pp. 28-29). According to the study, forced deportations of
Bosnian Muslims began in May/June 1992 by bus to Mali Zvornik and
from there to the Bosnian town of Tuzla or to Subotica on the Serbian-
Hungarian border (ibid., pp. 28 and 35-36). The Special Rapporteur’s
report of 10 February 1993 supports this account, stating that deportees
from Zvornik had been “ordered, some at gunpoint, to board buses and
trucks and later trains”, provided with Yugoslav passports and subse-
quently taken to the Hungarian border to be admitted as refugees (Report
of 10 February 1993, para. 99).
332. According to the Trial Chamber of the ICTY in its review of the
indictment in the cases against Karadžic ´ and Mladic ´ , “[t]housands of
civilians were unlawfully expelled or deported to other places inside and
outside the Republic of Bosnia and Herzegovina” and “[t]he result of
these expulsions was the partial or total elimination of Muslims and Bos-
nian Croats in some of [the] Bosnian Serb-held regions of Bosnia and
Herzegovina”. The Chamber further stated that “[i]n the municipalities of
Prijedor, Foˇa, Vlasenica, Brˇko and Bosanski Šamac, to name but a few,
the once non-Serbian majority was systematically exterminated or
expelled by force or intimidation” (Karadžic ´ and Mladic ´ , IT-95-5-R61
and IT-95-18-R61, Review of the Indictment pursuant to Rule 61 of the
Rules of Procedure and Evidence, 11 July 1996, para. 16).
333. The Respondent argues that displacements of populations may
be necessary according to the obligations set down in Articles 17 and 49,
paragraph 2, of the Geneva Convention relative to the Protection of
Civilian Persons in Time of War, for instance if the security of the popu-
lation or imperative military reasons so demand. It adds that the dis-
placement of populations has always been a way of settling certain con-
flicts between opposing parties and points to a number of examples of
forced population displacements in history following an armed conflict.
The Respondent also argues that the mere expulsion of a group cannot
be characterized as genocide, but that, according to the ICTY Judgment
in the Staki´ case, “[a] clear distinction must be drawn between physical
destruction and mere dissolution of a group” and “[t]he expulsion of a
group or part of a group does not in itself suffice for genocide” (Staki´,
IT-97-24-T, Trial Chamber Judgment, 31 July 2003, para. 519).
334. The Court considers that there is persuasive and conclusive evi-
dence that deportations and expulsions of members of the protected
group occurred in Bosnia and Herzegovina. With regard to the Respond-
ent’s argument that in time of war such deportations or expulsions may
be justified under the Geneva Convention, or may be a normal way of
settling a conflict, the Court would observe that no such justification
142 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 181
condition indispensable pour pouvoir quitter la ville (Institut Lud-
wig Boltzmann pour les droits de l’homme, ««Opération de nettoyage
ethnique» dans la ville de Zvornik, au nord-est de la Bosnie, d’avril
à juin 1992», p. 28-29). Selon cette même étude, les déportations de
Musulmans de Bosnie ont débuté en mai-juin 1992, les intéressés étant
emmenés en autocar à Mali Zvornik et, de là, jusqu’à la ville bosniaque
de Tuzla ou à Subotica, à la frontière entre la Serbie et la Hongrie (ibid.,
p. 28 et 35-36). Le rapport du 10 février 1993 du rapporteur spécial
confirme ce récit en indiquant que l’on a «ordonné [aux déportés de
Zvornik], parfois sous la menace d’un fusil, de monter dans des bus et des
camions, puis dans des trains», et que, munis de passeports yougoslaves,
ils ont été ensuite emmenés à la frontière hongroise pour y être admis en
tant que réfugiés (rapport du 10 février 1993, par. 99).
332. Selon la chambre de première instance du TPIY, dans son exa-
men des actes d’accusation en l’affaire Karadžic´ et Mladi´, «des milliers
de civils ont été expulsés ou déportés illégalement en d’autres lieux à l’inté-
rieur et à l’extérieur de la République de Bosnie-Herzégovine» et «[c]es
expulsions ont eu pour effet l’élimination totale ou partielle de Musul-
mans et de Croates bosniaques de certaines régions de Bosnie-Herzégo-
vine occupées par les Serbes bosniaques». La chambre a également indi-
qué que, «dans les municipalités de Prijedor, de Foc ˇa, de Vlasenica, de
Brcˇko et de Bosanski Šamac, pour ne citer que celles-ci, la population non
serbe, à l’origine majoritaire, a[vait] été systématiquement exterminée ou
expulsée par la force et l’intimidation» (Karadž´ et Mladic´, IT-95-5-R61
et IT-95-18-R61, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’ar-
ticle 61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 16).
333. Le défendeur soutient que des déplacements de populations
peuvent être nécessaires conformément aux obligations énoncées à l’ar-
ticle 17 et au paragraphe 2 de l’article 49 de la convention de Genève
relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, par
exemple si la sécurité de la population ou d’impérieuses raisons militaires
l’exigent. Il ajoute que le déplacement de populations a toujours été
un moyen de règlement de certains conflits et cite un certain nombre
d’exemples historiques de déplacements forcés de populations à la
suite d’un conflit armé. Le défendeur soutient également que l’expulsion
d’un groupe ne peut en soi être qualifiée de génocide, mais que, selon
le jugement rendu par le TPIY dans l’affaire Stakic ´, «[i]l faut faire
clairement le départ entre la destruction physique et la simple dissolution
d’un groupe» et que «[l]’expulsion d’un groupe ou d’une partie d’un
groupe ne saurait à elle seule constituer un génocide» (Stak´, IT-97-24-T,
chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003, par. 519).
334. La Cour considère qu’il existe des éléments de preuve convain-
cants et concluants qui montrent que des déportations et des expulsions
de membres du groupe protégé ont eu lieu en Bosnie-Herzégovine. S’agis-
sant de l’argument du défendeur selon lequel, en temps de guerre, ces
déportations ou expulsions pourraient être justifiées par les dispositions
de la convention de Genève ou relever des moyens habituels de règlement
142182 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
could be accepted in the face of proof of specific intent (dolus specialis).
However, even assuming that deportations and expulsions may be
categorized as falling within Article II, paragraph (c), of the Geno-
cide Convention, the Court cannot find, on the basis of the evidence
presented to it, that it is conclusively established that such deporta-
tions and expulsions were accompanied by the intent to destroy the
protected group in whole or in part (see paragraph 190 above).
Destruction of historical, religious and cultural propert y
335. The Applicant claims that throughout the conflict in Bosnia and
Herzegovina, Serb forces engaged in the deliberate destruction of histori-
cal, religious and cultural property of the protected group in “an attempt
to wipe out the traces of their very existence”.
336. In the Tadic´ case, the ICTY found that “[n]on-Serb cultural and
religious symbols throughout the region were targeted for destruction” in
the Banja Luka area (Tadic ´, IT-94-1-T, Trial Chamber Judgment,
7 May 1997, para. 149). Further, in reviewing the indictments of Karad-
ži´ and Mladic´, the Trial Chamber stated that:
“Throughout the territory of Bosnia and Herzegovina under their
control, Bosnian Serb forces . . . destroyed, quasi-systematically, the
Muslim and Catholic cultural heritage, in particular, sacred sites.
According to estimates provided at the hearing by an expert witness,
Dr. Kaiser, a total of 1.123 mosques, 504 Catholic churches and five
synagogues were destroyed or damaged, for the most part, in the
absence of military activity or after the cessation thereof.
This was the case in the destruction of the entire Islamic and
Catholic heritage in the Banja Luka area, which had a Serbian
majority and the nearest area of combat to which was several dozen
kilometres away. All of the mosques and Catholic churches were
destroyed. Some mosques were destroyed with explosives and the
ruins were then levelled and the rubble thrown in the public dumps
in order to eliminate any vestige of Muslim presence.
Aside from churches and mosques, other religious and cultural
symbols like cemeteries and monasteries were targets of the attacks.”
(Karadži´ and Mladic ´ , Review of the Indictment Pursuant to
Rule 61 of the Rules of Procedure and Evidence, 11 July 1996, para. 15.)
In the Brdanin case, the Trial Chamber was “satisfied beyond reasonable
doubt that there was wilful damage done to both Muslim and Roman
Catholic religious buildings and institutions in the relevant municipalities
by Bosnian Serb forces” (Brdanin, IT-99-36-T, Judgment, 1 Septem-
ber 2004, paras. 640 and 658). On the basis of the findings regarding a
number of incidents in various regions of Bosnia and Herzegovina, the
143 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 182
d’un conflit, la Cour fera observer que pareille justification ne pourrait
être acceptée si l’intention spécifique (dolus specialis) était prouvée.
Cependant, à supposer même que les déportations et expulsions puissent
être considérées comme relevant du litt. c) de l’article II de la convention
sur le génocide, la Cour ne saurait conclure, sur la base des preuves qui
lui ont été soumises, qu’il a été établi de façon concluante que ces dépor-
tations et expulsions ont été menées avec l’intention de détruire le groupe
protégé en tout ou en partie (voir paragraphe 190 ci-dessus).
Destruction du patrimoine historique, religieux et culturel
335. Le demandeur affirme que, tout au long du conflit en Bosnie-
Herzégovine, les forces serbes se sont livrées à une destruction délibérée
de biens historiques, religieux et culturels du groupe protégé, en vue de
l’«élimination de toute trace de son existence même».
336. Dans l’affaire Tadic ´, le TPIY a jugé que «[l]es symboles culturels
et religieux ... non serbes [avaient] été la cible des destructions» dans la
région de Banja Luka (Tadic ´, IT-94-1-T, chambre de première instance,
jugement du 7 mai 1997, par. 149). De plus, lors de son examen des actes
d’accusation de Karadžic ´ et de Mladic´, la chambre de première instance
a indiqué que,
«sur toute l’étendue du territoire de la Bosnie-Herzégovine placé
sous leur contrôle, les forces serbes bosniaques se sont employées à
une destruction quasi systématique du patrimoine culturel musul-
man et catholique, et notamment des édifices sacrés. Selon les esti-
mations chiffrées fournies à l’audience par le témoin-expert, le
Dr Kaiser, un total de 1123 mosquées, 504 églises catholiques et
5 synagogues ont été détruites ou endommagées, pour l’essentiel en
l’absence d’actions militaires ou après leur cessation.
Ainsi en est-il de la destruction de tout l’héritage islamique et
catholique dans la zone de Banja Luka, démographiquement domi-
née par les Serbes, et dont le point de combat le plus proche se trou-
vait à plusieurs dizaines de kilomètres de là: les mosquées et les
églises ont été totalement détruites. Certaines mosquées ont été
détruites à l’explosif, les ruines terrassées et déversées dans les dépo-
toirs publics afin d’éliminer tout vestige de la présence musulmane.
En dehors des églises et des mosquées, d’autres symboles religieux
et culturels tels que des cimetières et des monastères ont été la cible
des attaques.» (Karadžic ´ et Mladic´ , examen des actes d’accusation
dans le cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve,
11 juillet 1996, par. 15.)
Dans l’affaire Brdanin, la chambre de première instance s’est déclarée
«convaincue au-delà de tout doute raisonnable que les forces serbes de
Bosnie [avaient] délibérément endommagé des bâtiments et des édifices
consacrés tant à la religion catholique qu’à la religion musulmane dans
er
les municipalités en question» (Brdanin, IT-99-36-T, jugement du 1 sep-
tembre 2004, par. 640 et 658). Sur la base des constatations relatives à un
143183 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Trial Chamber concluded that a “campaign of devastation of institutions
dedicated to religion took place throughout the conflict” but “intensified
in the summer of 1992” and that this concentrated period of significant
damage was “indicative that the devastation was targeted, controlled and
deliberate” (Brdanin, IT-99-36-T, paras. 642-657). For instance, the Trial
Chamber found that the Bosanska Krupa town mosque was mined by
Bosnian Serb forces in April 1992, that two mosques in Bosanski Petro-
vac were destroyed by Bosnian Serb forces in July 1992 and that the
mosques in Staro Šipovo, Bešnjevo and Pljeva were destroyed on
7 August 1992 (ibid., paras. 644, 647 and 656).
337. The Commission of Experts also found that religious monuments
especially mosques and churches had been destroyed by Bosnian Serb
forces (Report of the Commission of Experts, Vol. I, Ann. IV, pp. 5, 9,
21 ff.). In its report on the Prijedor region, the Commission found that at
least five mosques and associated buildings in Prijedor town had been
destroyed and noted that it was claimed that all 16 mosques in the
Kozarac area had been destroyed and that not a single mosque, or other
Muslim religious building, remained intact in the Prijedor region (Report
of the Commission of Experts, Vol. I, Ann. V, p. 106). The report noted
that those buildings were “allegedly not desecrated, damaged and
destroyed for any military purpose nor as a side-effect of the military
operations as such” but rather that the destruction “was due to later
separate operations of dynamiting” (ibid.).
338. The Special Rapporteur found that, during the conflict, “many
mosques, churches and other religious sites, including cemeteries and
monasteries, have been destroyed or profaned” (Report of 17 Novem-
ber 1992, para. 26). He singled out the “systematic destruction and profa-
nation of mosques and Catholic churches in areas currently or previously
under [Bosnian Serb] control” (Report of 17 November 1992, para. 26).
339. Bosnia and Herzegovina called as an expert Mr. András Riedl-
mayer, who had carried out a field survey on the destruction of cultural
heritage in 19 municipalities in Bosnia and Herzegovina for the Prosecu-
tor of the ICTY in the Miloševi´ case and had subsequently studied seven
further municipalities in two other cases before the ICTY (“Destruction
of Cultural Heritage in Bosnia and Herzegovina, 1992-1996: A Post-war
Survey of Selected Municipalities”, Miloševic ´, IT-02-54-T, Exhibit
Number P486). In his report prepared for the Miloševic ´ case, Mr. Riedl-
mayer documented 392 sites, 60 per cent of which were inspected first
hand while for the other 40 per cent his assessment was based on
photographs and information obtained from other sources judged to be
reliable and where there was corroborating documentation (Riedl-
mayer Report, p. 5).
144 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 183
certain nombre d’incidents survenus dans diverses régions de Bosnie-
Herzégovine, la chambre de première instance a conclu qu’«une campagne
de dévastation des édifices consacrés à la religion a[vait] eu lieu pendant
toute la durée du conflit», mais qu’elle «s’[était] intensifiée durant
l’été 1992», et que cette période limitée dans le temps de destruction à
une échelle importante «montr[ait] le caractère ciblé, contrôlé et délibéré
de la dévastation» (Brdanin, IT-99-36-T, par. 642-657). La chambre de
première instance a ainsi indiqué que la mosquée de la ville de Bosanska
Krupa avait été minée par les forces serbes de Bosnie en avril 1992, que
deux mosquées de Bosanski Petrovac avaient été détruites par les forces
serbes de Bosnie en juillet 1992 et que les mosquées de Staro Šipovo,
Bešnjevo et Pljeva l’avaient été le 7 août 1992 (ibid., par. 644, 647 et 656).
337. La commission d’experts a aussi constaté que des monuments
religieux, notamment des mosquées et des églises, avaient été détruits par
les forces serbes de Bosnie (rapport de la commission d’experts, vol. I,
annexe IV, p. 5, 9, 21 et suiv.). Dans son rapport sur la région de Prije-
dor, la commission a constaté qu’au moins cinq mosquées de la ville de
Prijedor, ainsi que leurs dépendances, avaient été détruites, et indiqué
qu’il était affirmé que les seize mosquées de la région de Kozarac avaient
toutes été détruites et que pas une seule mosquée, ni aucun autre édifice
religieux musulman, n’était demeuré intact dans la région de Prijedor
(rapport de la commission d’experts, vol. I, annexe V, p. 106). Le rapport
indique que ces édifices «n’auraient pas été profanés, endommagés ni
détruits à des fins militaires ou à l’occasion d’opérations militaires en tant
que telles», mais que, au contraire, «la plupart des destructions [avaient]
été dues à des opérations ultérieures de dynamitage» (ibid.).
338. Le rapporteur spécial a constaté que, durant le conflit, «nombre
de mosquées, d’églises et d’autres sites religieux, y compris des cimetières
et des monastères, [avaient] été détruits ou profanés» (rapport du
17 novembre 1992, par. 26). Il a particulièrement souligné «la destruction
et la profanation systématiques des mosquées et des églises catholiques
dans les zones [alors] ou précédemment sous [le] contrôle [des S]erbe[s de
Bosnie]» (rapport du 17 novembre 1992, par. 26).
339. La Bosnie-Herzégovine a appelé à déposer en tant qu’expert
M. András Riedlmayer, qui avait effectué, à la demande du procureur du
TPIY dans l’affaire Miloševic ´, une enquête de terrain sur la destruction
du patrimoine culturel dans dix-neuf municipalités de Bosnie-Herzégo-
vine, et avait par la suite mené une étude dans sept autres municipalités
dans le cadre de deux autres affaires soumises au TPIY («Destruction of
Cultural Heritage in Bosnia-Herzegovina 1992-1996: A Post-war Survey
o
of Selected Municipalities», Miloševic´, IT-02-54-T, pièce n P486). Dans
le rapport qu’il a établi pour les besoins de l’affaire Miloše´, M. Riedl-
mayer a obtenu des documents concernant trois cent quatre-vingt-douze
sites, grâce, dans 60 % des cas, à des visites directes sur place et, dans les
40 % restants, à l’examen et à la compilation de photographies et d’infor-
mations émanant d’autres sources jugées fiables, corroborées par d’autres
éléments d’information (rapport Riedlmayer, p. 5).
144184 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
340. The report compiled by Mr. Riedlmayer found that of the
277 mosques surveyed, none were undamaged and 136 were almost or
entirely destroyed (Riedlmayer Report, pp. 9-10). The report found that:
“The damage to these monuments was clearly the result of attacks
directed against them, rather than incidental to the fighting. Evi-
dence of this includes signs of blast damage indicating explosives
placed inside the mosques or inside the stairwells of minarets; many
mosques [were] burnt out. In a number of towns, including Bijeljina,
Janja (Bijeljina municipality), Foc ˇa, Banja Luka, Sanski Most,
Zvornik and others, the destruction of mosques took place while the
area was under the control of Serb forces, at times when there was
no military action in the immediate vicinity.” (Ibid., p. 11.)
The report also found that, following the destruction of mosques:
“the ruins [of the mosques] were razed and the sites levelled with
heavy equipment, and all building materials were removed from the
tiscrtsiirip
include the destruction and razing of 5 mosques in the town of
Bijeljina; of 2 mosques in the town of Janja (in Bijeljina municipal-
ity); of 12 mosques and 4 turbes in Banja Luka; and of 3 mosques in
the city of Brˇko.” (Ibid., p. 12.)
Finally, the Report noted that the sites of razed mosques had been
“turned into rubbish tips, bus stations, parking lots, automobile repair
shops, or flea markets” (ibid., p. 14), for example, a block of flats and
shops had been erected on the site of the Zamlaz Mosque in Zvornik and
a new Serbian Orthodox church was built on the site of the destroyed
Divic Mosque (ibid., p. 14).
341. Mr. Riedlmayer’s report together with his testimony before the
Court and other corroborative sources detail the destruction of the cul-
tural and religious heritage of the protected group in numerous locations
in Bosnia and Herzegovina. For instance, according to the evidence
before the Court, 12 of the 14 mosques in Mostar were destroyed or dam-
aged and there are indications from the targeting of the minaret that the
destruction or damage was deliberate (Council of Europe, Information
Report: The Destruction by War of the Cultural Heritage in Croatia and
Bosnia-Herzegovina, Parliamentary Assembly doc. 6756, 2 February 1993,
paras. 129 and 155). In Foc ˇa, the town’s 14 historic mosques were alleg-
edly destroyed by Serb forces. In Banja Luka, all 16 mosques were
destroyed by Serb forces including the city’s two largest mosques,
145 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 184
340. Dans le rapport établi par M. Riedlmayer, il est dit que, sur les
deux cent soixante-dix-sept mosquées sur lesquelles avait porté l’étude,
aucune n’était restée intacte, et que cent trente-six avaient été pratique-
ment, voire entièrement, détruites (rapport Riedlmayer, p. 9-10). Il est
conclu que
«ces monuments [avaient] manifestement été endommagés à la suite
d’attaques dirigées précisément contre eux, et non à l’occasion des
combats. En attestent les dommages dus à des explosions indiquant
que des charges avaient été placées à l’intérieur des mosquées ou des
cages d’escalier des minarets; de nombreuses mosquées [avaient] été
incendiées. Dans un certain nombre de villes, dont, notamment,
Bijeljina, Janja (municipalité de Bijeljina), ˇa, Banja Luka, Sanski
Most, Zvornik, la destruction des mosquées [avait] eu lieu alors que
le secteur se trouvait sous le contrôle des forces serbes, à des moments
où aucune action militaire n’était menée dans les environs immé-
diats.» (Ibid., p. 11.)
Il est aussi constaté que, après la destruction des mosquées,
les décombres [de mosquées] étaient déblayés et les sites nivelés au
moyen d’un équipement lourd, et tous les matériaux de construction
enlevés du site... Il exist[ait] des exemples particulièrement bien
documentés de cette pratique, notamment la destruction, dans la
ville de Bijeljina, de cinq mosquées qui [avaient] été entièrement
rasées; de deux mosquées dans la ville de Janja (municipalité de
Bijeljina); de douze mosquées et quatre monuments funéraires à
Banja Luka et de trois mosquées dans la ville de Brc ˇko.» (Ibid.,
p. 12.)
Enfin, le rapport indique que les sites des mosquées qui avaient été rasées
avaient été «transformés en décharges publiques, arrêts d’autobus, aires
de stationnement, ateliers de réparation automobile ou marchés aux
puces» (ibid., p. 14); par exemple, un complexe d’appartements et de
commerces avait été construit sur le site de la mosquée Zamlaz à Zvornik
et une nouvelle église serbe orthodoxe sur celui de la mosquée détruite de
Divic (ibid., p. 14).
341. Le rapport de M. Riedlmayer, sa déposition devant la Cour et
d’autres sources concordantes décrivent dans le détail la destruction du
patrimoine culturel et religieux du groupe protégé dans de nombreux
endroits de Bosnie-Herzégovine. Par exemple, il ressort des éléments de
preuve soumis à la Cour que douze des quatorze mosquées de Mostar
avaient été détruites ou endommagées et, d’après ce que l’on peut déduire
de la trajectoire des tirs dirigés contre le minaret, que leur destruction ou
les dégâts qu’elles avaient subis avaient été causés de manière délibérée
(Conseil de l’Europe, Rapport d’information: la destruction par la guerre
du patrimoine culturel de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine , Assem-
blée parlementaire, doc. 6756, 2 février 1993, par. 129 et 155). A Foˇa, les
quatorze mosquées historiques de la ville auraient été détruites par les
145185 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
the Ferhadija Mosque (built in 1578) and the Arnaudija Mosque (built in
1587) (United States Department of State, Bureau of Public Affairs, Dis-
patch, 26 July 1993, Vol. 4, No. 30, pp. 547-548; “War Crimes in Bosnia-
Herzegovina: UN Cease-Fire Won’t Help Banja Luka”, Human Rights
Watch/Helsinki Watch, June 1994, Vol. 6, No. 8, pp. 15-16; The Humani-
tarian Law Centre, Spotlight Report, No. 14, August 1994, pp. 143-144).
342. The Court notes that archives and libraries were also subjected to
attacks during the war in Bosnia and Herzegovina. On 17 May 1992, the
Institute for Oriental Studies in Sarajevo was bombarded with incendiary
munitions and burnt, resulting in the loss of 200,000 documents including
a collection of over 5,000 Islamic manuscripts (Riedlmayer Report, p. 18;
Council of Europe, Parliamentary Assembly; Second Information Report
on War Damage to the Cultural Heritage in Croatia and Bosnia-Herze-
govina, doc. 6869, 17 June 1993, p. 11, Ann. 38). On 25 August 1992,
Bosnia’s National Library was bombarded and an estimated 1.5 million
volumes were destroyed (Riedlmayer Report, p. 19). The Court observes
that, although the Respondent considers that there is no certainty as to
who shelled these institutions, there is evidence that both the Institute for
Oriental Studies in Sarajevo and the National Library were bombarded
from Serb positions.
343. The Court notes that, in cross-examination of Mr. Riedlmayer,
counsel for the Respondent pointed out that the municipalities included
in Mr. Riedlmayer’s report only amounted to 25 per cent of the territory
of Bosnia and Herzegovina. Counsel for the Respondent also called into
question the methodology used by Mr. Riedlmayer in compiling his
report. However, having closely examined Mr. Riedlmayer’s report and
having listened to his testimony, the Court considers that Mr. Riedl-
mayer’s findings do constitute persuasive evidence as to the destruction
of historical, cultural and religious heritage in Bosnia and Herzegovina
albeit in a limited geographical area.
344. In light of the foregoing, the Court considers that there is conclu-
sive evidence of the deliberate destruction of the historical, cultural and
religious heritage of the protected group during the period in question.
The Court takes note of the submission of the Applicant that the destruc-
tion of such heritage was “an essential part of the policy of ethnic puri-
fication” and was “an attempt to wipe out the traces of [the] very exist-
ence” of the Bosnian Muslims. However, in the Court’s view, the
destruction of historical, cultural and religious heritage cannot be con-
sidered to constitute the deliberate infliction of conditions of life calcu-
lated to bring about the physical destruction of the group. Although such
destruction may be highly significant inasmuch as it is directed to the
elimination of all traces of the cultural or religious presence of a group,
146 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 185
forces serbes. A Banja Luka, les seize mosquées que comptait la ville, y
compris les deux plus grandes, la mosquée Ferhadija (construite en 1578)
et la mosquée Arnaudija (construite en 1587), avaient toutes été détruites
par les forces serbes (département d’Etat des EtatsoUnis, Bureau of
Public Affairs, Dispatch, 26 juillet 1993, vol. 4, n 30, p. 547-548; «War
Crimes in Bosnia-Herzegovina: UN Cease-Fire Won’t Help Banja
Luka», Human Rights Watch/Helsinki Watch, juin 1994, vol. 6, n 8, o
p. 15-16; Humanitarian Law Centre, Spotlight Report, n 14, août 1994,
p. 143-144).
342. La Cour relève que des archives et bibliothèques ont aussi été
prises pour cible durant la guerre en Bosnie-Herzégovine. Le 17 mai 1992,
l’Institut d’études orientales de Sarajevo a été frappé par des bombes
incendiaires et réduit en cendres, entraînant la perte de deux cent mille
documents, dont une collection de plus de cinq mille manuscrits musul-
mans (rapport Riedlmayer, p. 18; Conseil de l’Europe, Assemblée parle-
mentaire, deuxième rapport d’information sur les dommages de guerre
causés au patrimoine culturel en Croatie et en Bosnie-Herzégovine,
doc. 6869, 17 juin 1993, p. 11, annexe 38). Le 25 août 1992, la Biblio-
thèque nationale de Bosnie a été bombardée et environ 1,5 million de
volumes ont été détruits (rapport Riedlmayer, p. 19). La Cour observe
que, même si le défendeur estime que l’origine des tirs contre ces institu-
tions n’a pas été établie avec certitude, des éléments de preuve indiquent
que l’Institut d’études orientales de Sarajevo et la Bibliothèque natio-
nale avaient été bombardés à partir des positions serbes.
343. La Cour relève que, lors du contre-interrogatoire de M. Riedl-
mayer, le conseil du défendeur a souligné que les municipalités étudiées
dans le rapport de M. Riedlmayer ne représentaient que vingt-cinq pour
cent du territoire de la Bosnie-Herzégovine. Le conseil du défendeur a
aussi mis en doute la méthodologie suivie par M. Riedlmayer pour éla-
borer son rapport. Cependant, après avoir attentivement examiné le rap-
port de M. Riedlmayer et après avoir entendu sa déposition, la Cour
considère que les conclusions de M. Riedlmayer constituent des éléments
de preuve convaincants en ce qui concerne la destruction du patrimoine
historique, culturel et religieux en Bosnie-Herzégovine, bien qu’elles
concernent une zone géographique limitée.
344. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il existe des
preuves concluantes attestant la destruction délibérée du patrimoine his-
torique, culturel et religieux du groupe protégé durant la période en ques-
tion. La Cour prend note de la conclusion du demandeur selon laquelle la
destruction d’un tel patrimoine «a été une composante essentielle de la
politique de nettoyage ethnique» et a constitué une «volonté d’effacer
toute trace de l’existence même» des Musulmans de Bosnie. Elle estime
toutefois que la destruction du patrimoine historique, culturel et religieux
ne peut pas être considérée comme une soumission intentionnelle du
groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction phy-
sique. Bien qu’une telle destruction puisse être d’une extrême gravité, en
ce qu’elle vise à éliminer toute trace de la présence culturelle ou religieuse
146186 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
and contrary to other legal norms, it does not fall within the categories of
acts of genocide set out in Article II of the Convention. In this regard, the
Court observes that, during its consideration of the draft text of the Con-
vention, the Sixth Committee of the General Assembly decided not to
include cultural genocide in the list of punishable acts. Moreover, the
ILC subsequently confirmed this approach, stating that:
“As clearly shown by the preparatory work for the Convention . . .,
the destruction in question is the material destruction of a group
either by physical or by biological means, not the destruction of the
national, linguistic, religious, cultural or other identity of a particu-
lar group.” (Report of the International Law Commission on the
work of its Forty-eighth Session, Yearbook of the International Law
Commission 1996, Vol. II, Part Two, pp. 45-46, para. 12.)
Furthermore, the ICTY took a similar view in the Krstic ´ case, finding
that even in customary law, “despite recent developments”, the definition
of acts of genocide is limited to those seeking the physical or biological
destruction of a group (Krstic ´, IT-98-33-T, Trial Chamber Judgment,
2 August 2001, para. 580). The Court concludes that the destruction of
historical, religious and cultural heritage cannot be considered to be a
genocidal act within the meaning of Article II of the Genocide Conven-
tion. At the same time, it also endorses the observation made in the
Krsti´ case that “where there is physical or biological destruction there
are often simultaneous attacks on the cultural and religious property and
symbols of the targeted group as well, attacks which may legitimately be
considered as evidence of an intent to physically destroy the group”
(ibid.).
Camps
345. The Court notes that the Applicant has presented substantial
evidence as to the conditions of life in the detention camps and much
of this evidence has already been discussed in the sections regarding
Articles II (a) and (b). The Court will briefly examine the evidence
presented by the Applicant which relates specifically to the conditions
of life in the principal camps.
(a) Drina River Valley
(i) Sušica camp
346. In the Sentencing Judgment in the case of Dragan Nikolic ´, the
Commander of Sušica camp, the ICTY found that he subjected detainees
to inhumane living conditions by depriving them of adequate food,
water, medical care, sleeping and toilet facilities (Nik´, IT-94-2-S, Sen-
tencing Judgment, 18 December 2003, para. 69).
147 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 186
d’un groupe, et puisse être contraire à d’autres normes juridiques, elle
n’entre pas dans la catégorie des actes de génocide énumérés à l’article II
de la Convention. A cet égard, la Cour relève que, lors de son examen du
projet de convention, la Sixième Commission de l’Assemblée générale a
décidé de ne pas faire figurer le génocide culturel sur la liste des actes
punissables. En outre, la CDI a par la suite confirmé cette approche, indi-
quant:
«Il ressort clairement des travaux préparatoires de la convention ...
que la destruction dont il s’agit est la destruction matérielle d’un
groupe déterminé par des moyens soit physiques, soit biologiques, et
non pas la destruction de l’identité nationale, linguistique, religieuse,
culturelle ou autre de ce groupe.» (Rapport de la CDI sur les tra-
vaux de sa quarante-huitième session, Annuaire de la CDI, 1996,
vol. II, deuxième partie, p. 48, par. 12.)
En outre, le TPIY a adopté une approche similaire en l’affaire Krstic ´,
précisant que, même en droit international coutumier, «en dépit de[s]
développements récents», la définition du génocide était limitée aux actes
visant à la destruction physique ou biologique d’un groupe (Krstic ´,
IT-98-33-T, chambre de première instance, jugement du 2 août 2001,
par. 580). La Cour conclut que la destruction du patrimoine historique,
religieux et culturel ne peut pas être considérée comme un acte de géno-
cide au sens de l’article II de la convention sur le génocide. Dans le même
temps, elle souscrit à la remarque formulée en l’affaire Krstic ´ selon
laquelle «la destruction physique ou biologique s’accompagne souvent
d’atteintes aux biens et symboles culturels et religieux du groupe pris
pour cible, atteintes dont il pourra légitimement être tenu compte pour
établir l’intention de détruire le groupe physiquement» (ibid.).
Les camps
345. La Cour note que le demandeur a présenté des preuves solides
relatives aux conditions de vie dans les camps de détention; bon nombre
de ces preuves ont déjà été analysées dans les sections portant sur les
litt. a) et b) de l’article II. La Cour examinera brièvement les éléments de
preuve soumis par le demandeur concernant les conditions de vie dans les
principaux camps.
a) La vallée de la Drina
i) Le camp de Sušica
346. Dans le jugement portant condamnation rendu en l’affaire Dra-
gan Nikolic´, le commandant du camp de Sušica, le TPIY a jugé que
celui-ci avait soumis les détenus à des conditions inhumaines en les pri-
vant d’une alimentation adéquate, d’eau, de soins médicaux, de literie et
de toilettes (Nikolic ´, IT-94-2-S, jugement portant condamnation,
18 décembre 2003, par. 69).
147187 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(ii) Fˇa Kazneno-Popravní Dom camp
347. In the Krnojelac case, the ICTY Trial Chamber made the follow-
ing findings regarding the conditions at the camp:
“the non-Serb detainees were forced to endure brutal and inade-
quate living conditions while being detained at the KP Dom, as a
result of which numerous individuals have suffered lasting physical
and psychological problems. Non-Serbs were locked in their rooms
or in solitary confinement at all times except for meals and work
duty, and kept in overcrowded rooms even though the prison had
not reached its capacity. Because of the overcrowding, not everyone
had a bed or even a mattress, and there were insufficient blankets.
Hygienic conditions were poor. Access to baths or showers, with no
hot water, was irregular at best. There were insufficient hygienic
products and toiletries. The rooms in which the non-Serbs were held
did not have sufficient heating during the harsh winter of 1992.
Heaters were deliberately not placed in the rooms, windowpanes
were left broken and clothes made from blankets to combat the cold
were confiscated. Non-Serb detainees were fed starvation rations
leading to severe weight loss and other health problems. They were
not allowed to receive visits after April 1992 and therefore could not
supplement their meagre food rations and hygienic supplies”. (Krno-
jelac, IT-97-25-T, Judgment, 15 March 2002, para. 440.)
(b) Prijedor
(i) Omarska camp
348. In the Trial Judgment in the Kvoc ˇka et al. case, the ICTY Trial
Chamber provided the following description of the poor conditions in the
Omarska camp based on the accounts of detainees:
“Detainees were kept in inhuman conditions and an atmosphere
of extreme mental and physical violence pervaded the camp. Intimi-
dation, extortion, beatings, and torture were customary practices.
The arrival of new detainees, interrogations, mealtimes, and use of
the toilet facilities provided recurrent opportunities for abuse. Out-
siders entered the camp and were permitted to attack the detainees
at random and at will . . .
.............................
The Trial Chamber finds that the detainees received poor quality
food that was often rotten or inedible, caused by the high tempera-
tures and sporadic electricity during the summer of 1992. The food
148 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 187
ii) Le camp Kazneno-Popravní Dom de Foc ˇa
347. Dans l’affaire Krnojelac, la chambre de première instance du
TPIY a formulé les conclusions suivantes concernant les conditions qui
existaient dans le camp:
«[L]es conditions de vie des détenus non serbes au KP Dom
étaient terribles et déplorables, et ... beaucoup en ont conservé des
séquelles physiques et psychologiques durables. Les non-Serbes
étaient constamment enfermés dans leur cellule ou cachot, excepté à
l’heure des repas et des corvées, et se trouvaient dans des cellules sur-
peuplées bien que la prison ne fût pas pleine. En raison de ce sur-
peuplement, il n’y avait pas de lits ni même de matelas pour tous, et
le nombre de couvertures était insuffisant. Les conditions d’hygiène
étaient désastreuses. On ne pouvait au mieux se laver ou prendre une
douche, sans eau chaude, que de manière irrégulière. Il n’y avait pas
suffisamment de produits d’hygiène et de toilette. Les cellules où les
non-Serbes étaient détenus n’étaient pas assez chauffées durant le
rude hiver de l’année 1992. On s’était délibérément gardé d’installer
des appareils de chauffage, les vitres cassées n’étaient pas remplacées
et les habits que les détenus confectionnaient avec des couvertures
pour combattre le froid étaient confisqués. Les détenus non serbes
recevaient des rations de famine, ce qui a entraîné chez eux des
pertes de poids considérables et d’autres problèmes de santé.
Après avril 1992, ils ont été privés de visites et ne pouvaient donc
plus compléter les maigres rations et les quelques produits d’hygiène
qui leur étaient distribués.» (Krnojelac, IT-97-25-T, jugement du
15 mars 2002, par. 440.)
b) Prijedor
i) Le camp d’Omarska
348. Dans le jugement qu’elle a rendu en l’affaire Kvoc ˇka et consorts,
la chambre de première instance du TPIY, s’appuyant sur les récits de
détenus, a décrit comme suit les conditions d’existence difficiles dans ce
camp:
«Les détenus vivaient dans des conditions inhumaines et dans un
climat de violence psychique et physique extrême qui régnait partout
dans le camp. Les actes d’intimidation, d’extorsion, les passages à
tabac et la torture y étaient pratique courante. L’arrivée de nou-
veaux détenus, les interrogatoires, les repas, les passages aux toi-
lettes, chacune de ces occasions était un nouveau motif pour maltrai-
ter les détenus. Des personnes étrangères au camp y pénétraient et
étaient autorisées à agresser les détenus au hasard et à leur guise...
.............................
La chambre de première instance conclut que les détenus rece-
vaient de la nourriture de piètre qualité, qui était souvent avariée ou
immangeable, en raison des fortes chaleurs et des pénuries d’électri-
148188 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
was sorely inadequate in quantity. Former detainees testified of the
acute hunger they suffered in the camp: most lost 25 to 35 kilograms
in body weight during their time at Omarska; some lost considerably
more.” (Kvoc ˇka et al., IT-98-30/1-T, Trial Chamber Judgment,
2 November 2001, paras. 45 and 55.)
(ii) Keraterm camp
349. The Stakic ´ Trial Judgment contained the following description of
conditions in the Keraterm camp based on multiple witness accounts:
“The detainees slept on wooden pallets used for the transport of
goods or on bare concrete in a big storage room. The conditions
were cramped and people often had to sleep on top of each other.
In June 1992, Room 1, which according to witness statements was
slightly larger than Courtroom 2 of this Tribunal (98.6 m ), held
320 people and the number continued to grow. The detainees were
given one meal a day, made up of two small slices of bread and some
sort of stew. The rations were insufficient for the detainees. Although
families tried to deliver food and clothing every day they rarely suc-
ceeded. The detainees could see their families walking to the camp
and leaving empty-handed, so in all likelihood someone at the gates
of the camp took the food and prevented it from being distributed to
the detainees.” (Stak´, IT-97-24-T, Trial Chamber Judgment, 31 July
2003, para. 163.)
(iii) Trnopolje camp
350. With respect to the Trnopolje camp, the Stakic ´ Trial Judgment
described the conditions as follows, noting that they were slightly better
than at Omarska and Keraterm:
“The detainees were provided with food at least once a day and,
for some time, the families of detainees were allowed to bring food.
However the quantity of food available was insufficient and people
often went hungry. Moreover, the water supply was insufficient and
the toilet facilities inadequate. The majority of the detainees slept in
the open air. Some devised makeshift . . . shelters of blankets and
plastic bags. While clearly inadequate, the conditions in the Trnopo-
lje camp were not as appalling as those that prevailed in Omarska
and Keraterm.” (Ibid., para. 190.)
149 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 188
cité survenues durant l’été 1992. Les quantités étaient tout à fait
insuffisantes. D’anciens détenus ont déclaré qu’une grave famine
régnait dans le camp: la plupart d’entre eux ont perdu entre 25 et
35 kilos durant leur séjour à Omarska; d’autres bien davantage en-
core.» (Kvocˇka et sonsorts, IT-98-30/1-T, chambre de première
instance, jugement du 2 novembre 2001, par. 45 et 55.)
ii) Le camp de Keraterm
349. Dans son jugement en l’affaire Stakic ´, la chambre de première
instance, s’appuyant sur de multiples récits de témoins, a décrit comme
suit les conditions d’existence au camp de Keraterm:
«Les détenus dormaient sur des palettes de bois utilisées pour le
transport des marchandises, ou à même le béton dans une grande
pièce de stockage. Les gens étaient entassés et devaient souvent
dormir les uns sur les autres. En juin 1992, la pièce 1 qui, selon les
déclarations de témoin, était légèrement plus grande que la
salle d’audience 2 du Tribunal international (98,6 mètres carrés),
accueillait trois cent vingt personnes, et ce nombre a continué d’aug-
menter. Les détenus recevaient un repas quotidien composé de deux
fines tranches de pain et d’une sorte de ragoût. Il n’y avait pas assez
de rations pour les détenus. Bien que chaque jour des familles aient
tenté de leur faire parvenir de la nourriture et des vêtements, il était
rare qu’elles y parviennent. Les détenus pouvaient voir leurs familles
venir au camp et repartir les mains vides; donc, selon toute proba-
bilité, quelqu’un à l’entrée du camp prenait les vivres et empêchait
qu’ils soient distribués aux prisonniers.» (Stakic ´, IT-97-24-T,
chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003,
par. 163.)
iii) Le camp de Trnopolje
350. S’agissant de Trnopolje, la chambre de première instance, dans le
jugement qu’elle a rendu en l’affaire Stakic ´, a décrit comme suit les
conditions dans ce camp, en notant qu’elles étaient légèrement meilleures
qu’à Omarska ou à Keraterm:
«Les détenus recevaient de la nourriture au moins une fois par
jour, et, pendant un certain temps, leurs familles ont pu leur appor-
ter des vivres. Toutefois, la quantité de nourriture était insuffisante
et les détenus avaient souvent faim. En outre, l’eau manquait et les
toilettes étaient dans un état déplorable. La majorité des détenus
passait la nuit dehors. Certains se fabriquaient des abris de fortune à
l’aide de couvertures et de sacs en plastique. Si mauvaises qu’elles
fussent à l’évidence, les conditions de vie au camp de Trnopolje
n’étaient pas aussi épouvantables que dans les camps d’Omarska et
de Keraterm.» (Ibid., par. 190.)
149189 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(c) Banja Luka
Manjacˇa camp
351. According to ICTY Trial Chamber in the Plavšic ´ Sentencing
Judgment:
“the sanitary conditions in Manjacˇa were ‘disastrous . . . inhuman
and really brutal’: the concept of sanitation did not exist. The tem-
perature inside was low, the inmates slept on the concrete floor and
they relieved themselves in the compound or in a bucket placed by
the door at night. There was not enough water, and any water that
became available was contaminated. In the first three months of
Adil Draganovic´’s detention, Manjacˇa was a ‘camp of hunger’ and
when there was food available, it was of a very poor quality. The
inmates were given two small meals per day, which usually consisted
of half a cup of warm tea, which was more like warm water, and a
small piece of thin, ‘transparent’ bread. Between two and a half
thousand men there were only 90 loaves of bread, with each loaf
divided into 20 or 40 pieces. Most inmates lost between 20 and 30
kilograms of body weight while they were detained at Manjacˇa. The
witness believes that had the ICRC and UNHCR not arrived, the
inmates would have died of starvation.” (Plavšic ´, IT-00-39-S and
40/1-S, Sentencing Judgment, 27 February 2003, para. 48.)
(d) Bosanski Šamac
352. In its Judgment in the Simic´ case, the Trial Chamber made the
following findings:
“the detainees who were imprisoned in the detention centres in
Bosanski Šamac were confined under inhumane conditions. The
prisoners were subjected to humiliation and degradation. The forced
singing of ‘Chetnik’ songs and the verbal abuse of being called
‘ustasha’ or ‘balija’ were forms of such abuse and humiliation of
the detainees. They did not have sufficient space, food or water. They
suffered from unhygienic conditions, and they did not have appro-
priate access to medical care. These appalling detention conditions,
the cruel and inhumane treatment through beatings and the acts of
torture caused severe physical suffering, thus attacking the very
fundamentals of human dignity . . . This was done because of the
non-Serb ethnicity of the detainees.” (Simi´, IT-95-9-T, Judgment,
17 October 2003, para. 773.)
353. The Respondent does not deny that the camps in Bosnia and
Herzegovina were in breach of humanitarian law and, in most cases, in
breach of the law of war. However, it notes that, although a number of
150 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 189
c) Banja Luka
Le camp de Manjac ˇa
351. Selon les conclusions de la chambre de première instance du
TPIY dans le jugement portant condamnation en l’affaire Plavšic ´,
«les conditions sanitaires à Manjacˇa étaient «catastro-
phiques ... inhumaines et particulièrement cruelles»: il n’y avait
absolument aucune hygiène. Il faisait froid à l’intérieur des bâtiments
et les prisonniers dormaient à même le sol en béton. Les détenus
devaient faire leurs besoins dans l’enceinte du camp ou, la nuit, dans
un seau posé à côté de la porte de la cellule. Ils manquaient d’eau et
le peu qu’on leur donnait était pollué. Adil Draganovic ´ a déclaré
que, durant les trois premiers mois de sa détention, les détenus du
camp de Manjac ˇa souffraient de la faim; le peu de nourriture qui y
était distribué était de mauvaise qualité. Les détenus recevaient deux
maigres repas par jour, généralement composés d’une demi-tasse de
thé qui ressemblait davantage à de l’eau chaude et d’une tranche de
pain si fine qu’on y voyait au travers. Deux mille cinq cents hommes
devaient se partager 90 miches de pain, chacune découpée en 20 ou
40 tranches. La plupart des détenus ont perdu de 20 à 30 kilo-
grammes pendant leur détention à Manjac ˇa. Selon le témoin, sans
l’arrivée des représentants du CICR et du Haut Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (le «HCR»), les détenus
seraient morts de faim.» (Plavšic ´, IT-00-39-S et 40/1-S, jugement
portant condamnation du 27 février 2003, par. 48.)
d) Bosanski Šamac
352. Dans son jugement dans l’affaire Simic ´, la chambre de première
instance a conclu que
«les conditions d’emprisonnement dans les centres de détention de
Bosanski Šamac étaient inhumaines. Les détenus étaient humiliés et
avilis. L’obligation de chanter des chants tchetniks et le fait d’être
traité d’oustachi ou de balija sont les manifestations de ces violences
verbales et humiliations qui étaient infligées aux détenus. Ces der-
niers manquaient d’espace, de nourriture et d’eau. Ils vivaient dans
des conditions insalubres et n’avaient pas un accès adéquat à des
soins médicaux. Ces conditions de détention épouvantables, les trai-
tements cruels et inhumains infligés sous la forme de sévices corpo-
rels et les actes de torture ont causé d’intenses souffrances physiques,
portant ainsi atteinte aux fondements mêmes de la dignité humaine...
[Ce traitement était] fondé sur l’appartenance ethnique non serbe des
détenus.» (Simic´, IT-95-9-T, jugement du 17 octobre 2003, par. 773;
les italiques sont dans l’original.)
353. Le défendeur ne nie pas que les conditions régnant dans les camps
en Bosnie-Herzégovine aient été contraires au droit humanitaire et le plus
souvent contraires au droit de la guerre. Il note cependant que, bien
150190 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
detention camps run by the Serbs in Bosnia and Herzegovina were the
subject of investigation and trials at the ICTY, no conviction for geno-
cide was handed down on account of any criminal acts committed in
those camps. With specific reference to the Manjac ˇa camp, the Respon-
dent points out that the Special Envoy of the United Nations Secretary-
General visited the camp in 1992 and found that it was being run
correctly and that a Muslim humanitarian organization also visited
the camp and found that “material conditions were poor, especially con-
cerning hygiene [b]ut there were no signs of maltreatment or execution
of prisoners”.
354. On the basis of the elements presented to it, the Court considers
that there is convincing and persuasive evidence that terrible conditions
were inflicted upon detainees of the camps. However, the evidence
presented has not enabled the Court to find that those acts were accom-
panied by specific intent (dolus specialis) to destroy the protected group,
in whole or in part. In this regard, the Court observes that, in none of
the ICTY cases concerning camps cited above, has the Tribunal found
that the accused acted with such specific intent (dolus specialis).
**
(8) Article II (d): Imposing Measures to Prevent Births within
the Protected Group
355. The Applicant invoked several arguments to show that measures
were imposed to prevent births, contrary to the provision of Article II,
paragraph (d), of the Genocide Convention. First, the Applicant claimed
that the
“forced separation of male and female Muslims in Bosnia and
Herzegovina, as systematically practised when various municipalities
were occupied by the Serb forces . . . in all probability entailed a
decline in the birth rate of the group, given the lack of physical con-
tact over many months”.
The Court notes that no evidence was provided in support of this state-
ment.
356. Secondly, the Applicant submitted that rape and sexual violence
against women led to physical trauma which interfered with victims’
reproductive functions and in some cases resulted in infertility. However,
the only evidence adduced by the Applicant was the indictment in the
Gagovic´ case before the ICTY in which the Prosecutor stated that one
witness could no longer give birth to children as a result of the sexual
abuse she suffered (Gagovi´ et al., IT-96-23-I, Initial Indictment, 26 June
1996, para. 7.10). In the Court’s view, an indictment by the Prosecutor
151 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 190
qu’un certain nombre de camps de détention tenus par les Serbes en Bos-
nie-Herzégovine aient fait l’objet d’enquêtes et de procédures au TPIY,
aucune condamnation pour génocide n’a été prononcée en raison des
actes criminels qui avaient pu y être commis. Au sujet du camp de Man-
jaˇa en particulier, le défendeur souligne que l’envoyé spécial du Secré-
taire général de l’Organisation des Nations Unies a visité le camp en 1992
et a constaté qu’il était dirigé correctement, et qu’une organisation huma-
nitaire musulmane qui a aussi visité le camp a trouvé que les «conditions
matérielles étaient mauvaises, surtout en termes d’hygiène, mais
[qu’]aucun signe de mauvais traitement ou d’exécution de prisonniers n’a
été observé».
354. Sur la base des éléments qui lui ont été présentés, la Cour consi-
dère qu’il a été prouvé de façon convaincante et concluante que des
conditions de vie terribles étaient imposées aux détenus des camps. Les
éléments de preuve produits ne lui ont cependant pas permis de conclure
que ces actes relevaient d’une intention spécifique (dolus specialis) de
détruire le groupe protégé, en tout ou en partie. La Cour relève à cet
égard que dans aucune des affaires concernant l’un des camps cités plus
haut le TPIY n’est parvenu à la conclusion que l’accusé avait agi avec
une telle intention spécifique (dolus specialis).
**
8) Litt. d) de l’article II: imposition de mesures visant à entraver
les naissances au sein du groupe protégé
355. Le demandeur a avancé plusieurs arguments pour montrer que
des mesures visant à entraver les naissances avaient été imposées en viola-
tion du litt. d) de l’article II de la convention sur le génocide. Première-
ment, le demandeur a soutenu que
«la séparation forcée des hommes et des femmes musulmans de Bos-
nie-Herzégovine, telle qu’elle a systématiquement été opérée lors de
la prise des différentes municipalités par les forces serbes ... a, selon
toute vraisemblance, entraîné une diminution des naissances au sein
du groupe, en raison de leur absence de contacts physiques pendant
de longs mois».
La Cour note qu’aucune preuve n’a été produite à l’appui de cette affir-
mation.
356. Deuxièmement, le demandeur a affirmé que les viols et violences
sexuelles commis sur des femmes ont entraîné des traumatismes phy-
siques qui ont altéré les fonctions reproductives des victimes et, dans cer-
tains cas, entraîné leur stérilité. Cependant, le seul élément de preuve
produit par le demandeur est l’acte d’accusation en l’affaire Gagovic ´,
dans lequel le procureur du TPIY a déclaré qu’un témoin ne pouvait plus
avoir d’enfants en raison des violences sexuelles qu’elle avait subies
(Gagovic´ et consorts, IT-96-23-I, acte d’accusation du 26 juin 1996,
151191 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
does not constitute persuasive evidence (see paragraph 217 above). More-
over, it notes that the Gagovi´ case did not proceed to trial due to the
death of the accused.
357. Thirdly, the Applicant referred to sexual violence against men
which prevented them from procreating subsequently. In support of this
assertion, the Applicant noted that, in the Tad´ case, the Trial Chamber
found that, in Omarska camp, the prison guards forced one Bosnian
Muslim man to bite off the testicles of another Bosnian Muslim man
(Tadi´, IT-94-1-T, Judgment, 7 May 1997, para. 198). The Applicant also
cited a report in the newspaper, Le Monde, on a study by the World
Health Organization and the European Union on sexual assaults on men
during the conflict in Bosnia and Herzegovina, which alleged that sexual
violence against men was practically always accompanied by threats to
the effect that the victim would no longer produce Muslim children. The
article in Le Monde also referred to a statement by the President of a
non-governmental organization called the Medical Centre for Human
Rights to the effect that approximately 5,000 non-Serb men were the vic-
tims of sexual violence. However, the Court notes that the article in Le
Monde is only a secondary source. Moreover, the results of the World
Health Organization and European Union study were only preliminary,
and there is no indication as to how the Medical Centre for Human
Rights arrived at the figure of 5,000 male victims of sexual violence.
358. Fourthly, the Applicant argued that rape and sexual violence
against men and women led to psychological trauma which prevented
victims from forming relationships and founding a family. In this regard,
the Applicant noted that in the Akayesu case, the ICTR considered that
“rape can be a measure intended to prevent births when the person raped
refuses subsequently to procreate” (Akayesu, ICTR-96-4-T, Trial Cham-
ber Judgment, 2 September 1998, para. 508). However, the Court notes
that the Applicant presented no evidence that this was the case for
women in Bosnia and Herzegovina.
359. Fifthly, the Applicant considered that Bosnian Muslim women
who suffered sexual violence might be rejected by their husbands or not
be able to find a husband. Again, the Court notes that no evidence was
presented in support of this statement.
360. The Respondent considers that the Applicant “alleges no fact,
puts forward no serious argument, and submits no evidence” for its alle-
gations that rapes were committed in order to prevent births within a
group and notes that the Applicant’s contention that there was a decline
in births within the protected group is not supported by any evidence
concerning the birth rate in Bosnia and Herzegovina either before or
after the war.
152 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 191
par. 7.10). De l’avis de la Cour, un acte d’accusation établi par le procu-
reur ne constitue pas un élément de preuve convaincant (voir plus haut,
paragraphe 217). La Cour relève en outre que l’affaire Gagovic ´ n’est pas
passée en jugement en raison du décès de l’accusé.
357. Troisièmement, le demandeur a invoqué des violences sexuelles
contre les hommes, qui auraient empêché ceux-ci par la suite de procréer.
A l’appui de cette affirmation, le demandeur a indiqué que, dans l’affaire
Tadic´, la chambre de première instance avait conclu que, au camp
d’Omarska, les gardes avaient obligé un Musulman de Bosnie à arracher
avec les dents les testicules d’un autre (Tadi´, IT-94-1-T, jugement du
7 mai 1997, par. 198). Le demandeur a également cité un article du jour-
nal Le Monde rendant compte d’une étude de l’Organisation mondiale de
la santé et de l’Union européenne sur les violences sexuelles infligées aux
hommes pendant le conflit en Bosnie-Herzégovine, selon laquelle les vio-
lences sexuelles contre les hommes auraient presque toujours été accom-
pagnées de propos avertissant la victime qu’elle ne pourrait plus conce-
voir d’enfants musulmans. L’article du Monde citait aussi une déclaration
du président d’une organisation non gouvernementale, le Centre médical
pour les droits de l’homme, selon laquelle près de cinq mille hommes non
serbes auraient été victimes de violences sexuelles. La Cour note cepen-
dant que l’article du Monde n’est qu’une source secondaire. En outre, les
conclusions de l’étude de l’Organisation mondiale de la santé et de
l’Union européenne n’avaient qu’un caractère préliminaire, et rien n’in-
dique comment le Centre médical pour les droits de l’homme est par-
venu au chiffre de cinq mille hommes victimes de violences sexuelles.
358. Quatrièmement, le demandeur a soutenu que les viols et violences
sexuelles contre les hommes et les femmes entraînaient des traumatismes
psychologiques qui empêchaient les victimes de nouer des relations et de
fonder une famille. A cet égard, il a signalé que, dans l’affaire Akayesu,le
TPIR avait considéré que «le viol peut être une mesure visant à entraver
les naissances lorsque la personne violée refuse subséquemment de pro-
créer» (Akayesu, ICTR-96-4-T, chambre de première instance, jugement
du 2 septembre 1998, par. 508). La Cour relève cependant que le deman-
deur n’a pas produit d’élément prouvant que c’était le cas pour les
femmes de Bosnie-Herzégovine.
359. Cinquièmement, le demandeur a avancé que les femmes musul-
manes de Bosnie qui avaient été victimes de violences sexuelles risquaient
d’être rejetées par leur mari ou de ne pas pouvoir trouver de mari. A nou-
veau, la Cour relève qu’aucune preuve n’a été produite à l’appui de cet
argument.
360. Le défendeur considère que le demandeur «n’allègue aucun fait,
n’avance aucun argument sérieux, ne soumet aucune preuve» de ses allé-
gations selon lesquelles les viols étaient commis en vue d’entraver les
naissances au sein d’un groupe, et il note que la thèse du demandeur
selon laquelle le nombre des naissances au sein du groupe protégé avait
baissé n’est soutenue par aucune information concernant le taux de nata-
lité en Bosnie-Herzégovine, ni avant, ni après la guerre.
152192 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
361. Having carefully examined the arguments of the Parties, the
Court finds that the evidence placed before it by the Applicant does not
enable it to conclude that Bosnian Serb forces committed acts which
could be qualified as imposing measures to prevent births in the protected
group within the meaning of Article II (d) of the Convention.
**
(9) Article II (e): Forcibly Transferring Children of the Protected Group
to Another Group
362. The Applicant claims that rape was used “as a way of affecting
the demographic balance by impregnating Muslim women with the sperm
of Serb males” or, in other words, as “procreative rape”. The Applicant
argues that children born as a result of these “forced pregnancies” would
not be considered to be part of the protected group and considers that
the intent of the perpetrators was to transfer the unborn children to the
group of Bosnian Serbs.
363. As evidence for this claim, the Applicant referred to a number of
sources including the following. In the indictment in the Gagovic ´ et al.
case, the Prosecutor alleged that one of the witnesses was raped by two
Bosnian Serb soldiers and that “[b]oth perpetrators told her that she
would now give birth to Serb babies” (Gagovic ´ et al., IT-96-23-I, Initial
Indictment, 26 June 1996, para. 9.3). However, as in paragraph 356
above, the Court notes that an indictment cannot constitute persuasive
evidence for the purposes of the case now before it and that the Gagovic´
case did not proceed to trial. The Applicant further referred to the
Report of the Commission of Experts which stated that one woman had
been detained and raped daily by three or four soldiers and that “[s]he
was told that she would give birth to a chetnik boy” (Report of the Com-
mission of Experts, Vol. I, p. 59, para. 248).
364. The Applicant also cited the Review of the Indictment in the
Karadžic´ and Mladic ´ cases in which the Trial Chamber stated that
“[s]ome camps were specially devoted to rape, with the aim of forcing the
birth of Serbian offspring, the women often being interned until it was
too late to undergo an abortion” and that “[i]t would seem that the aim
of many rapes was enforced impregnation” (Karadžic ´ and Mladic´ , IT-95-
5-R61 and IT-95-18-R61, Review of the Indictment pursuant to Rule 61
of the Rules of Procedure and Evidence, 11 July 1996, para. 64). How-
ever, the Court notes that this finding of the Trial Chamber was based
only on the testimony of one amicus curiae and on the above-mentioned
incident reported by the Commission of Experts (ibid., para. 64,
footnote 154).
153 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 192
361. Ayant examiné avec soin les arguments des Parties, la Cour consi-
dère que les éléments de preuve qui lui ont été soumis par le demandeur
ne lui permettent pas de conclure que les forces serbes de Bosnie ont com-
mis des actes susceptibles d’être considérés comme des mesures visant à
entraver les naissances dans le groupe protégé au sens du litt. d) de
l’article II de la Convention.
**
9) Litt. e) de l’article II: transfert forcé d’enfants du groupe protégé à
un autre groupe
362. Le demandeur affirme que les viols étaient utilisés «comme un
moyen de perturber l’équilibre démographique par la fécondation de
femmes musulmanes avec le sperme d’hommes serbes», en d’autres
termes, qu’il s’agissait de «viols procréatifs». Le demandeur soutient que
les enfants nés à la suite de ces «grossesses forcées» ne seraient pas consi-
dérés comme faisant partie du groupe protégé, et considère que l’inten-
tion des violeurs était de transférer les enfants à naître vers le groupe des
Serbes de Bosnie.
363. A titre de preuve, le demandeur cite un certain nombre de sources
dont les suivantes. Dans l’acte d’accusation dans l’affaire Gagovic ´ et
consorts, le procureur a allégué que l’un des témoins avait été violé par
deux soldats serbes de Bosnie et que «[c]es deux auteurs de sévices lui ont
dit qu’elle donnerait naissance à des bébés serbes» (Gagovic ´ et consorts,
IT-96-23-I, acte d’accusation du 26 juin 1996, par. 9.3). Cependant,
comme elle l’a déjà fait au paragraphe 356 ci-dessus, la Cour relève qu’un
acte d’accusation ne saurait constituer une preuve convaincante aux fins
de la présente espèce et que l’affaire Gagovic´ n’est pas passée en juge-
ment. Le demandeur a également cité le rapport de la commission
d’experts indiquant qu’une femme avait été détenue et violée quotidien-
nement par trois ou quatre soldats, «qui lui disaient qu’elle donnerait
naissance à un petit Tchetnik» (rapport de la commission d’experts,
vol. I, p. 59, par. 248).
364. Le demandeur a aussi invoqué la conclusion formulée par la
chambre de première instance lors de l’examen de l’acte d’accusation
dans les affaires Karadžic ´ et Mladic´ , selon laquelle «certains camps
étaient spécialement consacrés aux viols dans le but de procréation forcée
d’enfants serbes, les femmes étant souvent détenues jusqu’à ce qu’il fût
trop tard pour avorter» et «il apparaît que l’objectif de nombreux viols
était la fécondation forcée» (Karadžic´ et Mladic´ , IT-95-5-R61 et IT-95-
18-R61, examen de l’acte d’accusation dans le cadre de l’article 61 du
Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 64). La Cour
note cependant que cette conclusion de la chambre de première instance
ne reposait que sur le témoignage d’un amicus curiae et sur l’incident sus-
mentionné rapporté par la commission d’experts (ibid., par. 64, note de
bas de page 154).
153193 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
365. Finally, the Applicant noted that in the Kunarac case, the ICTY
Trial Chamber found that, after raping one of the witnesses, the accused
had told her that “she would now carry a Serb baby and would not know
who the father would be” (Kunarac et al. cases, Nos. IT-96-23-T and
IT-96-23/1-T, Judgment, 22 February 2001, para. 583).
366. The Respondent points out that Muslim women who had been
raped gave birth to their babies in Muslim territory and consequently the
babies would have been brought up not by Serbs but, on the contrary, by
Muslims. Therefore, in its view, it cannot be claimed that the children
were transferred from one group to the other.
367. The Court, on the basis of the foregoing elements, finds that the
evidence placed before it by the Applicant does not establish that there
was any form of policy of forced pregnancy, nor that there was any aim
to transfer children of the protected group to another group within the
meaning of Article II (e) of the Convention.
**
(10) Alleged Genocide outside Bosnia and Herzegovina
368. In the submissions in its Reply, the Applicant has claimed that
the Respondent has violated its obligations under the Genocide Conven-
tion “by destroying in part, and attempting to destroy in whole, national,
ethnical or religious groups within the, but not limited to the, territory
of Bosnia and Herzegovina, including in particular the Muslim
population . . .” (emphasis added). The Applicant devoted a section in its
Reply to the contention that acts of genocide, for which the Respondent
was allegedly responsible, also took place on the territory of the FRY;
these acts were similar to those perpetrated on Bosnian territory, and the
constituent elements of “ethnic cleansing as a policy” were also found in
the territory of the FRY. This question of genocide committed within the
FRY was not actively pursued by the Applicant in the course of the oral
argument before the Court; however, the submission quoted above was
maintained in the final submissions presented at the hearings, and the
Court must therefore address it. It was claimed by the Applicant that the
genocidal policy was aimed not only at citizens of Bosnia and Herze-
govina, but also at Albanians, Sandžak Muslims, Croats, Hungarians
and other minorities; however, the Applicant has not established to the
satisfaction of the Court any facts in support of that allegation. The
Court has already found (paragraph 196 above) that, for purposes of
establishing genocide, the targeted group must be defined positively, and
not as a “non-Serb” group.
369. The Applicant has not in its arguments dealt separately with the
question of the nature of the specific intent (dolus specialis) alleged to
accompany the acts in the FRY complained of. It does not appear to be
154 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 193
365. Enfin, le demandeur a déclaré que, dans l’affaire Kunarac,a l
chambre de première instance du TPIY a conclu que, après avoir violé
l’un des témoins, l’accusé lui avait dit qu’«elle aurait un bébé serbe dont
elle ne saurait jamais qui était le père» (Kunarac et consorts, IT-96-23-T
et IT-96-23/1-T, jugement du 22 février 2001, par. 583).
366. Le défendeur fait observer que les femmes musulmanes qui avaient
été violées donnaient naissance à leurs bébés en territoire musulman et
que ces bébés n’auraient donc pas été élevés par des Serbes, mais au
contraire par des Musulmans. En conséquence, selon lui, il ne peut être
prétendu que les enfants aient été transférés d’un groupe vers un autre.
367. La Cour, sur la base de ce qui précède, considère que les éléments
qui lui ont été soumis par le demandeur ne permettent pas d’établir l’exis-
tence d’une quelconque politique de grossesses forcées, pas plus que d’un
objectif consistant à transférer les enfants du groupe protégé vers un
autre groupe au sens du litt. e) de l’article II de la Convention.
**
10) Allégation selon laquelle un génocide aurait été commis en dehors
de la Bosnie-Herzégovine
368. Dans ses conclusions finales figurant dans la réplique, le deman-
deur a allégué que le défendeur avait violé les obligations lui incombant
en vertu de la convention sur le génocide «en détruisant partiellement, et
en tentant de détruire totalement, des groupes nationaux, ethniques ou
religieux, notamment mais non exclusivement sur le territoire de la Bos-
nie-Herzégovine, en particulier la population musulmane» (les italiques
sont de la Cour). Le demandeur a consacré une section de sa réplique à la
thèse selon laquelle des actes de génocide attribuables au défendeur
auraient également été perpétrés sur le territoire de la RFY; ces actes
seraient similaires à ceux commis sur le territoire bosniaque, et les élé-
ments constitutifs d’une «politique de nettoyage ethnique» auraient éga-
lement été présents sur le territoire de la RFY. Cette thèse d’un génocide
commis en RFY n’a pas été défendue par le demandeur lors de la procé-
dure orale; néanmoins, l’allégation susmentionnée ayant été maintenue
dans les conclusions finales présentées à l’issue des audiences, la Cour est
tenue de l’examiner. Le demandeur a avancé que cette politique génoci-
daire visait non seulement des civils de Bosnie-Herzégovine, mais aussi
des Albanais, des Musulmans du Sandjak, des Croates, des Hongrois
ainsi que d’autres minorités; il n’a toutefois établi aucun fait propre à
convaincre la Cour du bien-fondé de cette allégation. La Cour a déjà
indiqué (voir plus haut paragraphe 196) qu’aux fins d’établir le génocide
le groupe visé devait être défini de manière positive, et non comme celui
des «non-Serbes».
369. Dans son argumentation, le demandeur n’a pas traité séparément
la question de la nature de l’intention spécifique (dolus specialis) suppo-
sée avoir présidé aux actes qui ont été commis en RFY et dont il tire
154194 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
contending that actions attributable to the Respondent, and committed
on the territory of the FRY, were accompanied by a specific intent (dolus
specialis), peculiar to or limited to that territory, in the sense that the
objective was to eliminate the presence of non-Serbs in the FRY itself.
The Court finds in any event that the evidence offered does not in any
way support such a contention. What the Applicant has sought to do is
to convince the Court of a pattern of acts said to evidence specific intent
(dolus specialis) inspiring the actions of Serb forces in Bosnia and Herze-
govina, involving the destruction of the Bosnian Muslims in that terri-
tory; and that same pattern lay, it is contended, behind the treatment of
Bosnian Muslims in the camps established in the FRY, so that that treat-
ment supports the pattern thesis. The Applicant has emphasized that the
same treatment was meted out to those Bosnian Muslims as was inflicted
on their compatriots in Bosnia and Herzegovina. The Court will thus
now turn to the question whether the specific intent (dolus specialis) can
be deduced, as contended by the Applicant, from the pattern of actions
against the Bosnian Muslims taken as a whole.
**
(11) The Question of Pattern of Acts Said to Evidence an Intent to
Commit Genocide
370. In the light of its review of the factual evidence before it of the
atrocities committed in Bosnia and Herzegovina in 1991-1995, the Court
has concluded that, save for the events of July 1995 at Srebrenica, the
necessary intent required to constitute genocide has not been conclusively
shown in relation to each specific incident. The Applicant however relies
on the alleged existence of an overall plan to commit genocide, indicated
by the pattern of genocidal or potentially acts of genocide committed
throughout the territory, against persons identified everywhere and in
each case on the basis of their belonging to a specified group. In the case,
for example, of the conduct of Serbs in the various camps (described in
paragraphs 252-256, 262-273, 307-310 and 312-318 above), it suggests
that “[t]he genocidal intent of the Serbs becomes particularly clear in the
description of camp practices, due to their striking similarity all over the
territory of Bosnia and Herzegovina”. Drawing attention to the similari-
ties between actions attributed to the Serbs in Croatia, and the later
events at, for example, Kosovo, the Applicant observed that
“it is not surprising that the picture of the takeovers and the follow-
ing human and cultural destruction looks indeed similar from 1991
155 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 194
grief. Il ne semble pas affirmer que certaines actions attribuables au
défendeur et commises sur le territoire de la RFY l’ont été avec une
intention spécifique (dolus specialis), propre ou limitée à ce territoire au
sens où l’objectif aurait été d’éliminer la présence des non-Serbes en RFY
même. La Cour estime, en tout état de cause, que les éléments de preuve
présentés n’étayent aucunement une telle allégation. Le demandeur a
cherché à convaincre la Cour de l’existence d’actes systématiques consti-
tuant, selon lui, la preuve d’une intention spécifique (dolus specialis) qui
aurait motivé les actions des forces serbes en Bosnie-Herzégovine et qui
se serait traduite par la destruction des Musulmans de Bosnie sur ce ter-
ritoire; ces mêmes actes systématiques se retrouveraient, est-il soutenu,
dans le traitement des Musulmans de Bosnie dans les camps créés en
RFY, ledit traitement venant donc étayer la thèse générale. Le deman-
deur a souligné que le traitement infligé à ces Musulmans de Bosnie avait
été le même que celui infligé à leurs compatriotes en Bosnie-Herzégovine.
La Cour en vient donc maintenant à la question de savoir si l’intention
spécifique (dolus specialis) peut être déduite, comme l’affirme le deman-
deur, du schéma des actions menées à l’encontre des Musulmans de Bos-
nie pris dans leur ensemble.
**
11) La question des actes réputés démontrer l’intention de commettre
le génocide
370. A la lumière de son examen des preuves factuelles qui lui ont été
soumises au sujet des atrocités commises en Bosnie-Herzégovine
entre 1991 et 1995, la Cour est parvenue à la conclusion que, sauf en ce
qui concerne les événements de juillet 1995 à Srebrenica, l’intention
requise pour que le génocide soit constitué n’a pas été démontrée de
manière concluante en rapport avec chaque incident particulier. Le
demandeur s’appuie toutefois sur l’existence alléguée d’un plan global
tendant à commettre le génocide, plan qui transparaîtrait d’un ensemble
d’actes génocidaires ou potentiellement génocidaires répondant à un
schéma et commis sur tout le territoire à l’encontre de personnes identi-
fiées dans chaque cas par leur appartenance à un groupe spécifique. Au
sujet du comportement des Serbes dans les divers camps (décrits plus
haut aux paragraphes 252 à 256, 262 à 273, 307 à 310 et 312 à 318), par
exemple, le demandeur soutient que «[l]’intention des Serbes de com-
mettre un génocide devient particulièrement claire au vu des pratiques en
vigueur dans les camps, parce qu’elles présentent une similitude frap-
pante sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine». Appelant l’atten-
tion sur les similitudes entre les actes attribués aux Serbes en Croatie et
les événements survenus ultérieurement, au Kosovo par exemple, le
demandeur fait valoir que
«il n’est pas surprenant que les prises de contrôle, ainsi que les pertes
en vies humaines et les destructions de biens culturels qui suivirent,
155195 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
through 1999. These acts were perpetrated as the expression of one
single project, which basically and effectively included the destruc-
tion in whole or in part of the non-Serb group, wherever this ethni-
cally and religiously defined group could be conceived as obstructing
the all-Serbs-in-one-State group concept.”
371. The Court notes that this argument of the Applicant moves from
the intent of the individual perpetrators of the alleged acts of genocide
complained of to the intent of higher authority, whether within the
VRS or the Republika Srpska, or at the level of the Government of the
Respondent itself. In the absence of an official statement of aims reflect-
ing such an intent, the Applicant contends that the specific intent (dolus
specialis) of those directing the course of events is clear from the consist-
ency of practices, particularly in the camps, showing that the pattern was
of acts committed “within an organized institutional framework”. How-
ever, something approaching an official statement of an overall plan is,
the Applicant contends, to be found in the Decision on Strategic Goals
issued on 12 May 1992 by Momc ˇilo Krajišnik as the President of the
National Assembly of Republika Srpska, published in the Official Gazette
of the Republika Srpska, and the Court will first consider what signifi-
cance that Decision may have in this context. The English translation of
the Strategic Goals presented by the Parties during the hearings, taken
from the Report of Expert Witness Donia in the Miloševic ´ case before
the ICTY, Exhibit No. 537, reads as follows:
“D ECISION ON THE STRATEGIC G OALS OF THE S ERBIAN PEOPLE
IN BOSNIA AND HERZEGOVINA
The Strategic Goals, i.e., the priorities, of the Serbian people in
Bosnia and Herzegovina are:
1. Separation as a state from the other two ethnic communities.
2. A corridor between Semberija and Krajina.
3. The establishment of a corridor in the Drina River valley, i.e., the
elimination of the border between Serbian states.
4. The establishment of a border on the Una and Neretva rivers.
5. The division of the city of Sarajevo into a Serbian part and a
Muslim part, and the establishment of effective state authorities
within each part.
6. An outlet to the sea for the Republika Srpska.”
While the Court notes that this document did not emanate from the
Government of the Respondent, evidence before the Court of intercepted
exchanges between President Miloševi´ of Serbia and President Karadži´
of the Republika Srpska is sufficient to show that the objectives defined
represented their joint view.
156 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 195
présentent les mêmes caractéristiques de 1991 à 1999. Ces actes s’ins-
crivent dans le cadre d’un seul et même projet ... consist[ant] simple-
ment et concrètement à détruire en totalité ou en partie le groupe
non serbe, dès lors que ce groupe, qui se caractérise par son origine
ethnique et sa religion, p[eut] être considéré comme un obstacle à
l’idée d’un Etat unique pour tous les Serbes.»
371. La Cour note que cet argument du demandeur passe de l’inten-
tion des personnes qui auraient commis les prétendus actes de génocide
dont il est tiré grief à l’intention d’une autorité supérieure, au sein de la
VRS ou de la Republika Srpska, ou au niveau du gouvernement du
défendeur lui-même. A défaut d’une déclaration officielle traduisant une
telle intention, le demandeur soutient que l’intention spécifique (dolus
specialis) dont étaient animés ceux qui déterminaient le cours des événe-
ments ressort clairement de la constance des pratiques observées, en par-
ticulier dans les camps, qui montrent que l’on est en présence d’un
schéma d’actes commis «dans un cadre institutionnel organisé». Toute-
fois, selon le demandeur, la «décision relative aux objectifs stratégiques»
promulguée le 12 mai 1992 par Momc ˇilo Krajišnik, président de l’Assem-
blée nationale de la Republika Srpska, et publiée au Journal officiel de la
Republika Srpska, pourrait se rapprocher de la déclaration officielle d’un
plan global; la Cour examinera tout d’abord l’importance que pourrait
avoir cette décision dans ce contexte. La traduction anglaise des objectifs
stratégiques présentée par les Parties à l’audience, extraite du rapport du
tomoin-expert Donia dans l’affaire Miloševic ´ jugée par le TPIY, pièce
n 537, peut se rendre en français comme suit:
«D ÉCISION RELATIVE AUX OBJECTIFS STRATÉGIQUES DU PEUPLE SERBE
EN BOSNIE-H ERZÉGOVINE
Les objectifs stratégiques, c’est-à-dire les priorités du peuple serbe
de Bosnie-Herzégovine, sont:
1. La séparation [du peuple serbe] des deux autres communautés
ethniques et sa constitution en Etat.
2. L’établissement d’un corridor entre la Semberija et la Krajina.
3. L’établissement d’un corridor dans la vallée de la Drina, c’est-à-
dire la suppression de la frontière constituée par la Drina entre
les Etats serbes.
4. L’établissement d’une frontière suivant l’Una et la Neretva.
5. La partition de la ville de Sarajevo en un secteur musulman et un
secteur serbe et la mise en place d’autorités étatiques véritables
dans chacun d’entre eux.
6. L’ouverture d’un accès à la mer pour la Republika Srpska.»
La Cour note que ce document n’émanait pas du Gouvernement du
défendeur. Cela étant, des preuves soumises à la Cour sous forme d’inter-
ceptions d’échanges entre Miloševic´, président de la Serbie, et Karadži´,
président de la Republika Srpska, suffisent à démontrer que les objectifs
définis traduisaient leur position commune.
156196 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
372. The Parties have drawn the Court’s attention to statements in the
Assembly by President Karadžic ´ which appear to give conflicting inter-
pretations of the first and major goal of these objectives, the first on the
day they were adopted, the second two years later. On that first occasion,
the Applicant contended, he said: “It would be much better to solve this
situation by political means. It would be best if a truce could be estab-
lished right away and the borders set up, even if we lose something.” Two
years later he said (according to the translation of his speech supplied by
the Applicant):
“We certainly know that we must give up something — that is
beyond doubt in so far as we want to achieve our first strategic goal:
to drive our enemies by the force of war from their homes, that is the
Croats and Muslims, so that we will no longer be together [with
them] in a State.”
The Respondent disputes the accuracy of the translation, claiming that
the stated goal was not “to drive our enemies by the force of war from
their homes” but “to free the homes from the enemy”. The 1992 objec-
tives do not include the elimination of the Bosnian Muslim population.
The 1994 statement even on the basis of the Applicant’s translation, how-
ever shocking a statement, does not necessarily involve the intent to
destroy in whole or in part the Muslim population in the enclaves. The
Applicant’s argument does not come to terms with the fact that an essen-
tial motive of much of the Bosnian Serb leadership — to create a larger
Serb State, by a war of conquest if necessary — did not necessarily
require the destruction of the Bosnian Muslims and other communities,
but their expulsion. The 1992 objectives, particularly the first one, were
capable of being achieved by the displacement of the population and by
territory being acquired, actions which the Respondent accepted (in the
latter case at least) as being unlawful since they would be at variance with
the inviolability of borders and the territorial integrity of a State which
had just been recognized internationally. It is significant that in cases in
which the Prosecutor has put the Strategic Goals in issue, the ICTY has
not characterized them as genocidal (see Brdanin, IT-99-36-T, Trial
Chamber Judgment, 1 September 2004, para. 303, andStakic ´, IT-97-24-T,
Trial Chamber Judgment, 31 July 2003, paras. 546-561 (in particu-
lar para. 548)). The Court does not see the 1992 Strategic Goals as
establishing the specific intent.
373. Turning now to the Applicant’s contention that the very pattern
of the atrocities committed over many communities, over a lengthy
period, focused on Bosnian Muslims and also Croats, demonstrates the
necessary intent, the Court cannot agree with such a broad proposition.
The dolus specialis, the specific intent to destroy the group in whole or in
part, has to be convincingly shown by reference to particular circum-
stances, unless a general plan to that end can be convincingly demon-
157 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 196
372. Les Parties ont attiré l’attention de la Cour sur des déclarations
du président Karadžic ´ à l’Assemblée, qui semblent donner deux interpré-
tations contradictoires — la première le jour de la publication de la déci-
sion et la seconde, deux ans plus tard — du premier objectif, le plus
important. La première fois, il a, selon le demandeur, déclaré: «Il serait
infiniment préférable de trouver une solution politique à cette situation.
Le mieux serait de pouvoir immédiatement signer une trêve et fixer les
frontières, même si nous sommes un peu perdants.» Deux ans plus tard,
il disait (d’après la traduction anglaise de son discours fournie par le
demandeur):
«Nous savons avec certitude que nous devrons renoncer à quelque
chose. Cela ne fait aucun doute si nous voulons atteindre notre pre-
mier objectif stratégique: expulser nos ennemis — les Croates et les
Musulmans — de chez eux par la force des armes, de sorte que nous
ne vivions plus ensemble [avec eux] dans un même Etat.»
Le défendeur conteste la traduction anglaise, affirmant que l’objectif
déclaré n’était pas de «chasser les ennemis de force de leurs maisons»
mais de «libérer la maison des ennemis». Les objectifs de 1992 ne com-
prennent pas l’élimination de la population musulmane de Bosnie. Les
propos de 1994 — même dans la traduction qu’en donne le deman-
deur —, aussi choquants soient-ils, n’impliquent pas nécessairement
l’intention de détruire, en tout ou en partie, la population musulmane des
enclaves. La thèse du demandeur ne cadre pas avec le fait que l’un des
principaux mobiles de nombreux dirigeants serbes de Bosnie — créer un
Etat serbe plus vaste, si nécessaire par une guerre de conquête — n’exi-
geait pas nécessairement la destruction des Musulmans de Bosnie ni
d’autres communautés, mais leur expulsion. Les objectifs de 1992, en par-
ticulier le premier d’entre eux, pouvaient être atteints par le déplacement
de populations et l’acquisition de territoire — actes dont le défendeur a
reconnu l’illicéité (au moins pour le second), puisqu’ils auraient porté
atteinte à l’inviolabilité des frontières et à l’intégrité territoriale d’un Etat
qui venait d’être reconnu sur le plan international. Il est d’ailleurs signi-
ficatif que, dans les instances dans lesquelles les objectifs stratégiques
avaient été invoqués par le procureur, le TPIY ne les a pas qualifiés de
«génocidaires» (voir Beranin, IT-99-36-T, chambre de première ins-
tance, jugement du 1 septembre 2004, par. 303, et Stakic ´, IT-97-24-T,
chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003, par. 546-561
(notamment par. 548)). De l’avis de la Cour, les objectifs stratégiques
de 1992 ne permettent pas d’établir l’intention spécifique.
373. Pour en venir maintenant à l’argument du demandeur selon
lequel le schéma même des atrocités commises — sur une très longue
période, à l’encontre de nombreuses communautés, ciblant les Musul-
mans et aussi les Croates de Bosnie — démontre l’intention nécessaire, la
Cour ne peut se rallier à une proposition aussi large. Le dolus specialis,
l’intention spécifique de détruire le groupe en tout ou en partie, doit être
établi en référence à des circonstances précises, à moins que l’existence
157197 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
strated to exist; and for a pattern of conduct to be accepted as evidence
of its existence, it would have to be such that it could only point to the
existence of such intent.
374. Furthermore, and again significantly, the proposition is not con-
sistent with the findings of the ICTY relating to genocide or with the
actions of the Prosecutor, including decisions not to charge genocide
offences in possibly relevant indictments, and to enter into plea agree-
ments, as in the Plavši´ and Sikirica et al. cases (IT-00-40 and IT-95-8),
by which the genocide-related charges were withdrawn. Those actions of
the Prosecution and the Tribunal can be conveniently enumerated here.
Prosecutions for genocide and related crimes before the ICTY can be
grouped in the following way:
(a) convictions in respect of charges involving genocide relating to
Srebrenica in July 1995: Krstic´ (IT-98-33) (conviction of genocide
at trial was reduced to aiding and abetting genocide on appeal)
and Blagojevic ´ (IT-02-60) (conviction of complicity in genocide
“through aiding and abetting” at trial is currently on appeal);
(b) plea agreements in which such charges were withdrawn, with the
accused pleading guilty to crimes against humanity: Obrenovic ´ (IT-
02-60/2) and Momir Nikolic ´ (IT-02-60/1);
(c) acquittals on genocide-related charges in respect of events occurring
elsewhere: Krajišnik (paragraph 219 above) (on appeal), Jelisic´ (IT-
95-10) (completed), Stakic´ (IT-97-24) (completed), Brdanin (IT-99-
36) (on appeal) and Sikirica (IT-95-8) (completed);
(d) cases in which genocide-related charges in respect of events occur-
ring elsewhere were withdrawn: Plavšic ´ (IT-00-39 and 40/1) (plea
agreement), Župljanin (IT-99-36) (genocide-related charges with-
drawn) and Mejakic ´ (IT-95-4) (genocide-related charges withdrawn);
(e) case in which the indictment charged genocide and related crimes in
Srebrenica and elsewhere in which the accused died during the pro-
ceedings: Miloševic´ (IT-02-54);
(f) cases in which indictments charge genocide or related crimes in
respect of events occurring elsewhere, in which accused have died
before or during proceedings: Kovac ˇevi´ and Drljaˇa (IT-97-24) and
Tali´ (IT-99-36/1);
(g) pending cases in which the indictments charge genocide and related
crimes in Srebrenica and elsewhere: Karadžic ´ and Mladic´ (IT-95-5/
18); and
158 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 197
d’un plan général tendant à cette fin puisse être démontrée de manière
convaincante; pour qu’une ligne de conduite puisse être admise en tant
que preuve d’une telle intention, elle devrait être telle qu’elle ne puisse
qu’en dénoter l’existence.
374. En outre, et cela aussi est significatif, cette thèse n’est pas conforme
aux conclusions du TPIY sur le génocide ni aux décisions du procureur,
parmi lesquelles celles de ne pas inclure le chef de génocide dans des actes
d’accusation où il aurait éventuellement pu le faire et de conclure des
accords sur le plaidoyer, comme dans les affaires Plavšic ´ et Sikirica (IT-
00-40 et IT-95-8), par lesquels les accusations de génocide ont été retirées.
Ces décisions du procureur du TPIY et du Tribunal peuvent être utile-
ment énumérées ici. En ce qui concerne les poursuites engagées devant le
TPIY pour génocide et crimes connexes, une distinction peut être établie
entre les cas suivants:
a) les accusés déclarés coupables de chefs liés au génocide en rapport
avec les événements de juillet 1995 à Srebrenica: affaire Krstic ´ (IT-
98-33) (déclaré coupable de génocide en première instance, puis seu-
lement de complicité («aiding and abetting») de génocide en appel) et
affaire Blagojevi´ (IT-02-60) (a interjeté appel après avoir été déclaré
coupable de complicité de génocide (pour avoir «aidé et encouragé»
sa commission); cet appel est actuellement pendant);
b) les accusés ayant conclu un accord sur le plaidoyer, en vertu duquel
ils ont plaidé coupable de crimes contre l’humanité moyennant le
retrait des chefs liés au génocide: Obrenovic ´ (IT-02-60/2) et
Momir Nikolic ´ (IT-02-60/1);
c) les personnes déclarées non coupables de chefs liés au génocide
concernant des événements survenus dans d’autres localités: Krajiš-
nik (paragraphe 219 ci-dessus) (affaire en instance d’appel), Jelisic ´
(IT-95-10) (affaire jugée), Stakic´ (IT-97-24) (affaire jugée), Brdanin
(IT-99-36) (affaire en instance d’appel) et Sikirica (IT-95-8) (affaire
jugée);
d) un accord sur le plaidoyer, dans lequel des chefs liés au génocide se
rapportant à des événements survenus dans d’autres localités ont été
retirés: Plavš´ (IT-00-39 et 40/1) (accord sur le plaidoyer), Župljanin
(IT-99-36) (retrait des chefs liés au génocide) et Mejakic ´ (IT-95-4)
(retrait des chefs liés au génocide);
e) la personne accusée de génocide et de crimes connexes en rapport
avec les événements survenus à Srebrenica et ailleurs et décédée au
cours de la procédure: Miloševic ´ (IT-02-54);
f) les personnes accusées de génocide ou de crimes connexes en rapport
avec les événements survenus ailleurs et décédées avant l’ouverture de
la procédure ou au cours de celle-ci: Kovac ˇevi´ et Drljaˇa (IT-97-24)
et Tali´ (IT-99-36/1);
g) les personnes accusées de génocide et de crimes connexes en rapport
avec les événements survenus à Srebrenica et ailleurs et non encore
jugées: Karadžic´ et Mladic´ (IT-95-5/18); et
158198 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(h) pending cases in which the indictments charge genocide and related
crimes in Srebrenica: Popov´, Beara, Drago Nikoli´, Borovˇanin,
Pandurevi´ and Trbi´ (IT-05-88/1) and Tolimir (IT-05-88/2).
375. In the cases of a number of accused, relating to events in July
1995 in Srebrenica, charges of genocide or its related acts have not been
brought: Erdemovic´ (IT-96-22) (completed), Jo´ (IT-02-60) (on appeal),
Mileti´ and Gvero (IT-05-88, part of the Popovic ´ et al. proceeding
referred to in paragraph 374 (h) above), Per´ (IT-04-81) (pending) and
Staniš´ and Simatovi´ (IT-03-69) (pending).
376. The Court has already concluded above that — save in the case
of Srebrenica — the Applicant has not established that any of the wide-
spread and serious atrocities, complained of as constituting violations of
Article II, paragraphs (a) to (e), of the Genocide Convention, were
accompanied by the necessary specific intent (dolus specialis) on the part
of the perpetrators. It also finds that the Applicant has not established
the existence of that intent on the part of the Respondent, either on the
basis of a concerted plan, or on the basis that the events reviewed above
reveal a consistent pattern of conduct which could only point to the exist-
ence of such intent. Having however concluded (paragraph 297 above), in
the specific case of the massacres at Srebrenica in July 1995, that acts of
genocide were committed in operations led by members of the VRS, the
Court now turns to the question whether those acts are attributable to
the Respondent.
* * *
VII. THE Q UESTION OF R ESPONSIBILITY FOREVENTS AT SREBRENICA
UNDER A RTICLEIII, PARAGRAPH (a), OF THE GENOCIDE CONVENTION
(1) The Alleged Admission
377. The Court first notes that the Applicant contends that the
Respondent has in fact recognized that genocide was committed at Sre-
brenica, and has accepted legal responsibility for it. The Applicant called
attention to the following official declaration made by the Council of
Ministers of the Respondent on 15 June 2005, following the showing on
a Belgrade television channel on 2 June 2005 of a video-recording of the
murder by a paramilitary unit of six Bosnian Muslim prisoners near
Srebrenica (paragraph 289 above). The statement reads as follows:
“Those who committed the killings in Srebrenica, as well as those
who ordered and organized that massacre represented neither Serbia
159 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 198
h) les personnes accusées de génocide et de crimes connexes en rapport
avec les événements survenus à Srebrenica et non encore jugées:
Popovic´, Beara, Drago Nikolic ´, Borovcˇanin, Pandurevic´ et Trbic´
(IT-05/88/1) et Tolimir (IT-05-88/2).
375. Dans un certain nombre d’autres affaires se rapportant aux évé-
nements de Srebrenica (juillet 1995), les personnes concernées n’ont pas
été accusées de génocide ni d’actes connexes: Erdemovic ´ (IT-96-22)
(affaire jugée), Jok´ (IT-02-60) (affaire en instance d’appel), Miletic´ et
Gvero (IT-05-88, constituant une partie de l’affaire Popovic ´ et consorts
visée au paragraphe 374 h) ci-dessus), Perišic ´ (IT-04-81) (affaire pen-
dante) et Staniši´ et Simatovi´ (IT-03-69) (affaire pendante).
376. La Cour est déjà parvenue plus haut à la conclusion que — sous
réserve du cas de Srebrenica — le demandeur n’a pas établi que l’une
quelconque des amples et graves atrocités présentées comme constituant
des violations des litt. a) à e) de l’article II de la convention sur le géno-
cide aurait été accompagnée de l’intention spécifique (dolus specialis)
nécessaire de la part de ses auteurs. Elle conclut aussi que le demandeur
n’a pas établi l’existence de cette intention de la part du défendeur, pas
plus sur le fondement d’un plan concerté que sur celui d’une ligne de
conduite systématique qui, au vu des faits examinés ci-dessus, ne pourrait
que dénoter l’existence d’une telle intention. Toutefois, ayant conclu
(paragraphe 297 ci-dessus) que, dans le cas particulier des massacres de
Srebrenica en juillet 1995, des actes de génocide avaient été commis dans
le cadre d’opérations menées par des membres de la VRS, la Cour exa-
minera à présent la question de savoir si ces actes sont attribuables au
défendeur.
*
* *
VII. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ DU DÉFENDEUR EN CE QUI
CONCERNE LES ÉVÉNEMENTS DE S REBRENICA , EN VERTU DU LITT .a)
DE L ARTICLE III DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
1) La prétendue reconnaissance
377. La Cour commencera par relever que, selon le demandeur, le
défendeur aurait en fait reconnu qu’un génocide avait été commis à Sre-
brenica, et en aurait accepté la responsabilité juridique. Le demandeur a
appelé l’attention sur la déclaration officielle ci-après, faite par le Conseil
des ministres du défendeur le 15 juin 2005, à la suite de la diffusion, sur
une chaîne de télévision de Belgrade, le 2 juin 2005, d’un enregistrement
vidéo montrant l’exécution de six prisonniers musulmans de Bosnie près
de Srebrenica par une unité paramilitaire (paragraphe 289 ci-dessus). La
déclaration se lit comme suit:
«Les auteurs des tueries de Srebrenica et ceux qui ont ordonné et
organisé le massacre ne représentaient ni la Serbie ni le Monténégro,
159199 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
nor Montenegro, but an undemocratic regime of terror and death,
against whom the majority of citizens of Serbia and Montenegro put
up the strongest resistance.
Our condemnation of crimes in Srebrenica does not end with the
direct perpetrators. We demand the criminal responsibility of all
who committed war crimes, organized them or ordered them, and
not only in Srebrenica.
Criminals must not be heroes. Any protection of the war crimi-
nals, for whatever reason, is also a crime.”
The Applicant requests the Court to declare that this declaration “be
regarded as a form of admission and as having decisive probative force
regarding the attributability to the Yugoslav State of the Srebrenica
massacre”.
378. It is for the Court to determine whether the Respondent is
responsible for any acts of genocide which may be established. For pur-
poses of a finding of this kind the Court may take into account any state-
ments made by either party that appear to bear upon the matters in issue,
and have been brought to its attention (cf. Nuclear Tests (Australia v.
France), Judgment, I.C.J. Reports 1974 , pp. 263 ff., paras. 32 ff., and
Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974 ,
pp. 465ff., paras. 27ff.; Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of
Mali), Judgment, I.C.J. Reports 1986 , pp. 573-574, paras. 38-39), and
may accord to them such legal effect as may be appropriate. However, in
the present case, it appears to the Court that the declaration of
15 June 2005 was of a political nature; it was clearly not intended as an
admission, which would have had a legal effect in complete contradiction
to the submissions made by the Respondent before this Court, both at
the time of the declaration and subsequently. The Court therefore does
not find the statement of 15 June 2005 of assistance to it in determining
the issues before it in the case.
**
(2) The Test of Responsibility
379. In view of the foregoing conclusions, the Court now must ascer-
tain whether the international responsibility of the Respondent can have
been incurred, on whatever basis, in connection with the massacres com-
mitted in the Srebrenica area during the period in question. For the
reasons set out above, those massacres constituted the crime of genocide
within the meaning of the Convention. For this purpose, the Court may
be required to consider the following three issues in turn. First, it needs
to be determined whether the acts of genocide could be attributed to the
Respondent under the rules of customary international law of State
responsibility; this means ascertaining whether the acts were committed
by persons or organs whose conduct is attributable, specifically in the
case of the events at Srebrenica, to the Respondent. Second, the Court
160 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 199
mais un régime antidémocratique de terreur et de mort, contre lequel
la grande majorité des citoyens de Serbie-et-Monténégro ont opposé
la plus vive résistance.
Notre condamnation ne s’arrête pas aux exécutants directs. Nous
demandons que soient poursuivis tous ceux qui, non seulement à
Srebrenica mais aussi ailleurs, ont commis, organisé ou ordonné des
crimes de guerre.
Des criminels ne sauraient être traités en héros. Toute protection des
criminels de guerre, quelle qu’en soit la raison, est aussi un crime.»
Le demandeur prie la Cour de dire que cette déclaration «s’analyse ... en
une «sorte d’aveu» et qu’elle a ... une valeur probante déterminante
quant à l’imputabilité à l’Etat yougoslave du massacre de Srebrenica».
378. Il incombe à la Cour de déterminer la responsabilité du défendeur
à raison de tout acte de génocide qui pourrait être établi. La Cour peut à
cette fin prendre en considération toute déclaration, de quelque partie
qu’elle émane, en rapport avec les questions en cause et portée à son atten-
tion (voir Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil
1974, p. 263 et suiv., par. 32 et suiv., etEssais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 465 et suiv., par. 27 et
suiv.; Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 573-574, par. 38-39) et peut leur attribuer tout effet
juridique qu’elle juge approprié. Toutefois, en la présente espèce, la décla-
ration du 15 juin 2005 apparaît à la Cour comme étant de nature politique;
de toute évidence, rien ne permet de conclure qu’elle était censée constituer
une reconnaissance, laquelle aurait eu un effet juridique en contradiction
totale avec les conclusions présentéespar le défendeur devant la Cour, tant
à l’époque de la déclaration que plus tard. La Cour ne considère donc pas
que cette déclaration du 15 juin 2005 puisse l’aider à se prononcer sur les
questions qui lui sont soumises en l’espèce.
**
2) Le critère de responsabilité
379. Compte tenu des conclusions qui précèdent, il y a lieu à présent
pour la Cour de rechercher si la responsabilité internationale du défen-
deur est susceptible d’être engagée, à un titre ou à un autre, en liaison
avec les massacres commis dans la région de Srebrenica à la période
considérée, lesquels, pour les raisons qui ont été exposées, sont constitu-
tifs du crime de génocide au sens de la Convention. A cette fin, la Cour
pourra être appelée à examiner successivement les trois questions sui-
vantes. En premier lieu, il convient de se demander si les actes de géno-
cide commis pourraient être attribués au défendeur en application des
règles du droit international coutumier de la responsabilité internationale
des Etats; cela revient à se demander si ces actes ont été commis par des
personnes ou des organes dont le comportement est attribuable, dans le cas
160200 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
will need to ascertain whether acts of the kind referred to in Article III of
the Convention, other than genocide itself, were committed by persons or
organs whose conduct is attributable to the Respondent under those
same rules of State responsibility: that is to say, the acts referred to in
Article III, paragraphs (b) to (e), one of these being complicity in geno-
cide. Finally, it will be for the Court to rule on the issue as to whether the
Respondent complied with its twofold obligation deriving from Article I
of the Convention to prevent and punish genocide.
380. These three issues must be addressed in the order set out above,
because they are so interrelated that the answer on one point may affect
the relevance or significance of the others. Thus, if and to the extent that
consideration of the first issue were to lead to the conclusion that some
acts of genocide are attributable to the Respondent, it would be un-
necessary to determine whether it may also have incurred responsibility
under Article III, paragraphs (b) to (e), of the Convention for the same
acts. Even though it is theoretically possible for the same acts to result in
the attribution to a State of acts of genocide (contemplated by Art. III,
para. (a)), conspiracy to commit genocide (Art. III, para. (b)), and
direct and public incitement to commit genocide (Art. III, para. (c)),
there would be little point, where the requirements for attribution are ful-
filled under (a), in making a judicial finding that they are also satisfied
under (b) and (c), since responsibility under (a) absorbs that under the
other two. The idea of holding the same State responsible by attributing
to it acts of “genocide” (Art. III, para. (a)), “attempt to commit geno-
cide” (Art. III, para. (d)), and “complicity in genocide” (Art. III,
para. (e)), in relation to the same actions, must be rejected as untenable
both logically and legally.
381. On the other hand, there is no doubt that a finding by the Court
that no acts that constitute genocide, within the meaning of Article II and
Article III, paragraph (a), of the Convention, can be attributed to the
Respondent will not free the Court from the obligation to determine
whether the Respondent’s responsibility may nevertheless have been
incurred through the attribution to it of the acts, or some of the acts,
referred to in Article III, paragraphs (b) to (e). In particular, it is clear
that acts of complicity in genocide can be attributed to a State to which
no act of genocide could be attributed under the rules of State responsi-
bility, the content of which will be considered below.
382. Furthermore, the question whether the Respondent has complied
with its obligations to prevent and punish genocide arises in different
terms, depending on the replies to the two preceding questions. It is only
if the Court answers the first two questions in the negative that it will
have to consider whether the Respondent fulfilled its obligation of pre-
161 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 200
particulier des événements de Srebrenica, à l’Etat défendeur. En deuxième
lieu, la Cour devra rechercher si des actes de la nature de ceux qui sont
mentionnés à l’article III de la Convention, autres que le génocide lui-
même, ont été commis par des personnes ou des organes dont le compor-
tement est attribuable à l’Etat défendeur, selon ces mêmes règles du droit
de la responsabilité internationale. Il s’agit des actes visés aux litt. b) à e)
de l’article III, parmi lesquels figure la complicité de génocide. Enfin, il y
aura lieu pour la Cour de se prononcer sur la question de savoir si l’Etat
défendeur a respecté sa double obligation de prévenir et de punir le géno-
cide, découlant de l’article premier de la Convention.
380. Ces trois questions doivent être abordées dans l’ordre qui vient
d’être indiqué, en raison des liens qui existent entre elles, et qui sont tels
que la réponse donnée à l’une d’elles peut avoir un effet sur la pertinence
ou sur la portée des autres. Ainsi, si et dans la mesure où l’examen de la
première question conduit à la conclusion que certains actes de génocide
sont attribuables à l’Etat défendeur, il serait superflu de rechercher si,
pour les mêmes faits, la responsabilité de ce dernier serait susceptible
d’être engagée aussi au titre des litt. b) à e) de l’article III de la Conven-
tion. Même s’il n’est pas théoriquement impossible que puissent être
attribués à un même Etat, au regard des mêmes faits, à la fois l’acte de
génocide (visé au litt. a) de l’article III) et des actes d’entente en vue de
commettre le génocide (art. III, litt. b)) ou d’incitation directe et
publique à commettre le génocide (art. III, litt. c)), il ne serait guère utile,
si les conditions d’attribution sont remplies au regard du litt. a), d’établir
judiciairement qu’elles le sont aussi au regard des litt. b))e t c)), la
responsabilité au titre du litt. a) absorbant les deux autres. Quant à l’éven-
tualité de retenir cumulativement, à l’égard d’un même Etat et pour les
mêmes faits, une responsabilité découlant de l’attribution à cet Etat d’actes
qualifiés de «génocide» (art. III, litt. a)), de «tentative de génocide»
(art. III, litt. d)) et de «complicité dans le génocide» (art. III, litt. e)),
elle est exclue parce que logiquement et juridiquement impossible.
381. En revanche, il n’est pas douteux que, si la Cour devait estimer
que l’Etat défendeur ne saurait se voir attribuer des actes constitutifs de
génocide au sens de l’article II et du litt. a) de l’article III de la Conven-
tion, elle ne serait pas dispensée pour autant de rechercher si la respon-
sabilité du défendeur n’est pas susceptible d’être engagée néanmoins sur
le fondement de l’attribution audit défendeur des actes, ou de certains des
actes, visés aux litt. b) à e) de l’article III. En particulier, il est clair que
des actes de complicité dans le génocide pourraient être attribués à un
Etat auquel pourtant aucun acte de génocide ne serait attribuable selon
les règles de la responsabilité internationale des Etats, sur le contenu des-
quelles on reviendra un peu plus loin.
382. En outre, la question de savoir si le défendeur a correctement exé-
cuté ses obligations de prévention et de punition du génocide ne se pose
pas dans les mêmes termes selon le sens des réponses données aux deux
questions précédentes. C’est seulement si la Cour répond par la négative
aux deux premières questions qu’elle devra se demander si le défendeur a,
161201 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
vention, in relation to the whole accumulation of facts constituting geno-
cide. If a State is held responsible for an act of genocide (because it was
committed by a person or organ whose conduct is attributable to the
State), or for one of the other acts referred to in Article III of the Con-
vention (for the same reason), then there is no point in asking whether it
complied with its obligation of prevention in respect of the same acts,
because logic dictates that a State cannot have satisfied an obligation to
prevent genocide in which it actively participated. On the other hand, it is
self-evident, as the Parties recognize, that if a State is not responsible for
any of the acts referred to in Article III, paragraphs (a) to (e),ofthe
Convention, this does not mean that its responsibility cannot be sought
for a violation of the obligation to prevent genocide and the other acts
referred to in Article III.
383. Finally, it should be made clear that, while, as noted above, a
State’s responsibility deriving from any of those acts renders moot the
question whether it satisfied its obligation of prevention in respect of the
same conduct, it does not necessarily render superfluous the question
whether the State complied with its obligation to punish the perpetrators
of the acts in question. It is perfectly possible for a State to incur respon-
sibility at once for an act of genocide (or complicity in genocide, incite-
ment to commit genocide, or any of the other acts enumerated in
Article III) committed by a person or organ whose conduct is attribu-
table to it, and for the breach by the State of its obligation to punish the
perpetrator of the act: these are two distinct internationally wrong-
ful acts attributable to the State, and both can be asserted against it as
bases for its international responsibility.
384. Having thus explained the interrelationship among the three issues
set out above (paragraph 379), the Court will now proceed to consider
the first of them. This is the question whether the massacres committed at
Srebrenica during the period in question, which constitute the crime of
genocide within the meaning of Articles II and III, paragraph (a),ofthe
Convention, are attributable, in whole or in part, to the Respondent.
This question has in fact two aspects, which the Court must consider
separately. First, it should be ascertained whether the acts committed at
Srebrenica were perpetrated by organs of the Respondent, i.e., by per-
sons or entities whose conduct is necessarily attributable to it, because
they are in fact the instruments of its action. Next, if the preceding ques-
tion is answered in the negative, it should be ascertained whether the acts
in question were committed by persons who, while not organs of the
Respondent, did nevertheless act on the instructions of, or under the
direction or control of, the Respondent.
**
162 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 201
pour l’ensemble des faits constitutifs de génocide, satisfait à son obliga-
tion de prévention. Si en effet un Etat est reconnu responsable d’un acte
de génocide (en raison de ce que cet acte a été commis par une personne
ou un organe dont le comportement lui est attribuable), ou de l’un des
autres actes visés à l’article III de la Convention (pour la même raison), la
question de savoir s’il a respecté son obligation de prévention au regard
des mêmes faits se trouve dépourvue d’objet, car un Etat ne saurait, par
construction logique, avoir satisfait à l’obligation de prévenir un géno-
cide auquel il aurait activement participé. En revanche, il va sans dire, et
les Parties n’en disconviennent pas, que l’absence de responsabilité d’un
Etat à raison de l’un quelconque des actes mentionnés aux litt. a) à e) de
l’article III de la Convention n’implique en rien que sa responsabilité ne
puisse pas être recherchée sur le fondement de la violation de l’obligation
de prévention du génocide et des autres actes visés à l’article III.
383. Enfin, il convient de préciser que si, comme il vient d’être dit, la
responsabilité d’un Etat à raison de l’un des actes susvisés prive d’objet la
question de savoir si, pour les mêmes faits, cet Etat a satisfait à son obli-
gation de prévention, elle ne rend pas pour autant nécessairement super-
flue la question de savoir s’il a satisfait à son obligation de punition à
l’égard des auteurs des faits en question. Il est en effet parfaitement pos-
sible que la responsabilité internationale d’un Etat soit engagée à la fois à
raison d’un acte de génocide (ou de complicité dans le génocide, d’incita-
tion à commettre le génocide ou de l’un quelconque des autres actes énu-
mérés à l’article III) commis par une personne ou un organe dont le
comportement lui est attribuable, et à raison de la violation par cet Etat
de son obligation de punir l’auteur dudit acte: il s’agirait là de deux faits
internationalement illicites distincts attribuables à cet Etat, susceptibles
d’être retenus cumulativement à sa charge comme fondements de sa res-
ponsabilité internationale.
384. Les liens existant entre les trois questions énoncées plus haut
(paragraphe 379) ayant été ainsi précisés, il convient à présent pour la
Cour d’examiner la première d’entre elles. Il s’agit de savoir si sont attri-
buables à l’Etat défendeur, en tout ou en partie, les massacres commis à
Srebrenica au cours de la période considérée, constitutifs du crime de
génocide au sens de l’article II et du litt. a) de l’article III de la Conven-
tion. Cette question, en vérité, se décompose en deux volets que la Cour
doit considérer successivement. Il y a lieu, d’abord, de se demander si les
actes commis à Srebrenica l’ont été par des organes de l’Etat défendeur,
c’est-à-dire par des personnes ou entités dont le comportement est néces-
sairement attribuable à ce dernier, parce qu’elles sont les instruments
mêmes de son action. Il y aura lieu ensuite, en cas de réponse négative à
la question précédente, de se demander si les actes en cause ont été com-
mis par des personnes qui, bien que ne constituant pas des organes de
l’Etat défendeur, ont agi cependant sur les instructions ou les directives
ou sous le contrôle de ce dernier.
**
162202 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(3) The Question of Attribution of the Srebrenica Genocide to
the Respondent on the Basis of the Conduct of Its Organs
385. The first of these two questions relates to the well-established
rule, one of the cornerstones of the law of State responsibility, that the
conduct of any State organ is to be considered an act of the State under
international law, and therefore gives rise to the responsibility of the
State if it constitutes a breach of an international obligation of the State.
This rule, which is one of customary international law, is reflected in
Article 4 of the ILC Articles on State Responsibility as follows:
“Article 4
Conduct of organs of a State
1. The conduct of any State organ shall be considered an act of
that State under international law, whether the organ exercises
legislative, executive, judicial or any other functions, whatever
position it holds in the organization of the State, and whatever its
character as an organ of the central Government or of a territorial
unit of the State.
2. An organ includes any person or entity which has that status in
accordance with the internal law of the State.”
386. When applied to the present case, this rule first calls for a deter-
mination whether the acts of genocide committed in Srebrenica were per-
petrated by “persons or entities” having the status of organs of the Fed-
eral Republic of Yugoslavia (as the Respondent was known at the time)
under its internal law, as then in force. It must be said that there is noth-
ing which could justify an affirmative response to this question. It has not
been shown that the FRY army took part in the massacres, nor that the
political leaders of the FRY had a hand in preparing, planning or in any
way carrying out the massacres. It is true that there is much evidence of
direct or indirect participation by the official army of the FRY, along
with the Bosnian Serb armed forces, in military operations in Bosnia and
Herzegovina in the years prior to the events at Srebrenica. That partici-
pation was repeatedly condemned by the political organs of the United
Nations, which demanded that the FRY put an end to it (see, for
example, Security Council resolutions 752 (1992), 757 (1992), 762
(1992), 819 (1993), 838 (1993)). It has however not been shown that
there was any such participation in relation to the massacres com-
mitted at Srebrenica (see also paragraphs 278 to 297 above). Further,
neither the Republika Srpska, nor the VRS were de jure organs of the
FRY, since none of them had the status of organ of that State under its
internal law.
387. The Applicant has however claimed that all officers in the VRS,
including General Mladic ´, remained under FRY military administration,
and that their salaries were paid from Belgrade right up to 2002, and
163 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 202
3) La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au défendeur
à raison du comportement de ses organes
385. La première de ces deux questions renvoie à la règle bien établie,
et qui constitue l’une des pierres angulaires du droit de la responsabilité
internationale, selon laquelle le comportement de tout organe de l’Etat
est considéré comme un fait de l’Etat selon le droit international, et
engage par suite la responsabilité dudit Etat s’il constitue une violation
d’une obligation internationale qui s’impose à ce dernier. Cette règle, qui
relève du droit international coutumier, est énoncée à l’article 4 de la CDI
sur la responsabilité de l’Etat dans les termes suivants:
«Article 4
Comportement des organes de l’Etat
1. Le comportement de tout organe de l’Etat est considéré comme
un fait de l’Etat d’après le droit international, que cet organe exerce
des fonctions législative, exécutive, judiciaire ou autres, quelle que
soit la position qu’il occupe dans l’organisation de l’Etat, et quelle
que soit sa nature en tant qu’organe du gouvernement central ou
d’une collectivité territoriale de l’Etat.
2. Un organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut
d’après le droit interne de l’Etat.»
386. L’application de cette règle au cas d’espèce conduit à se demander
d’abord si les actes constitutifs de génocide commis à Srebrenica l’ont été
par des «personnes ou entités» ayant le caractère d’organes de la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie (selon le nom du défendeur à l’époque des
faits) en vertu du droit interne, tel qu’il était alors en vigueur, de cet Etat.
Force est de constater qu’aucun élément ne permet de répondre affirma-
tivement à cette question. Il n’a pas été établi que l’armée de la RFY ait
participé aux massacres, ni que les dirigeants politiques de cet Etat aient
participé à la préparation, à la planification ou, à quelque titre que ce soit,
à l’exécution de ces massacres. Il existe, certes, de nombreuses preuves
d’une participation, directe ou indirecte, de l’armée officielle de la RFY,
conjointement avec les forces armées des Serbes de Bosnie, à des opéra-
tions militaires en Bosnie-Herzégovine au cours des années précédant les
événements de Srebrenica. Cette participation a été à plusieurs reprises
dénoncée par les organes politiques des Nations Unies qui ont demandé à
la RFY d’y mettre fin (voir, par exemple, les résolutions du Conseil de
sécurité 752 (1992), 757 (1992), 762 (1992), 819 (1993), 838 (1993)). Mais il
n’est pas établi qu’une telle participation ait eu lieu dans le cadre des mas-
sacres commis à Srebrenica (voir aussi plus haut paragraphes 278 à 297).
Par ailleurs, ni la Republika Srpska ni la VRS ne constituaient des
organes de jure de la RFY, en ce sens qu’ils ne possédaient pas, en vertu
du droit interne de cet Etat, le statut d’organes de celui-ci.
387. Le demandeur a cependant affirmé que tous les officiers de la
VRS, y compris le général Mladic ´, avaient continué de relever de l’admi-
nistration militaire de la RFY, et que, jusqu’en 2002, leur solde leur avait
163203 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
accordingly contends that these officers “were de jure organs of [the
FRY], intended by their superiors to serve in Bosnia and Herzegovina
with the VRS”. On this basis it has been alleged by the Applicant that
those officers, in addition to being officers of the VRS, remained officers
of the VJ, and were thus de jure organs of the Respondent (para-
graph 238 above). The Respondent however asserts that only some of the
VRS officers were being “administered” by the 30th Personnel Centre in
Belgrade, so that matters like their payment, promotion, pension, etc.,
were being handled from the FRY (paragraph 238 above); and that it has
not been clearly established whether General Mladic ´ was one of them.
The Applicant has shown that the promotion of Mladic ´ to the rank of
Colonel General on 24 June 1994 was handled in Belgrade, but the
Respondent emphasizes that this was merely a verification for adminis-
trative purposes of a promotion decided by the authorities of the Repub-
lika Srpska.
388. The Court notes first that no evidence has been presented that
either General Mladic ´ or any of the other officers whose affairs were
handled by the 30th Personnel Centre were, according to the internal law
of the Respondent, officers of the army of the Respondent — a de jure
organ of the Respondent. Nor has it been conclusively established that
General Mladic ´ was one of those officers; and even on the basis that he
might have been, the Court does not consider that he would, for that rea-
son alone, have to be treated as an organ of the FRY for the purposes of
the application of the rules of State responsibility. There is no doubt that
the FRY was providing substantial support, inter alia, financial support,
to the Republika Srpska (cf. paragraph 241 above), and that one of the
forms that support took was payment of salaries and other benefits to
some officers of the VRS, but this did not automatically make them
organs of the FRY. Those officers were appointed to their commands by
the President of the Republika Srpska, and were subordinated to the
political leadership of the Republika Srpska. In the absence of evidence
to the contrary, those officers must be taken to have received their orders
from the Republika Srpska or the VRS, not from the FRY. The expres-
sion “State organ”, as used in customary international law and in
Article 4 of the ILC Articles, applies to one or other of the individual or
collective entities which make up the organization of the State and act on
its behalf (cf. ILC Commentary to Art. 4, para. (1)). The functions of the
VRS officers, including General Mladic ´, were however to act on behalf of
the Bosnian Serb authorities, in particular the Republika Srpska, not on
behalf of the FRY; they exercised elements of the public authority of
the Republika Srpska. The particular situation of General Mladic ´, or
of any other VRS officer present at Srebrenica who may have been being
“administered” from Belgrade, is not therefore such as to lead the
Court to modify the conclusion reached in the previous paragraph.
164 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 203
été versée par Belgrade; il soutient en conséquence que ces officiers
étaient des «organes de jure de [la RFY] ... destinés par la hiérarchie à
servir en Bosnie-Herzégovine, auprès de la VRS». Sur ce fondement, il a
également été avancé par le demandeur que, en sus de leur service dans
les rangs de la VRS, ces officiers continuaient de servir dans ceux de la VJ
et étaient donc des organes de jure du défendeur (paragraphe 238 ci-des-
e
sus). Le défendeur affirme toutefois que le 30 centre du personnel à Bel-
grade ne s’occupait «sur le plan administratif» que de certains officiers de
la VRS — ainsi les questions telles que celles de leurs soldes, de leurs pro-
motions et de leurs pensions étaient-elles traitées depuis la RFY (para-
graphe 238 ci-dessus) —, et qu’il n’a pas été établi avec certitude que le
général Mladic ´ ait été l’un d’entre eux. Le demandeur a montré que la
promotion de Mladic ´, le 24 juin 1994, au grade de général de corps
d’armée avait été traitée à Belgrade; pour le défendeur, néanmoins, cette
procédure n’était qu’une simple confirmation, à des fins administratives,
d’une promotion décidée par les autorités de la Republika Srpska.
388. La Cour relève tout d’abord qu’aucune preuve n’a été apportée
démontrant que le général Mladic ´ ou l’un quelconque des autres officiers
qui relevaient du 30 centre du personnel étaient, au regard du droit
interne du défendeur, des officiers de l’armée du défendeur — un organe
de jure de celui-ci. Il n’a pas non plus été établi de manière concluante
que le général Mladic ´ ait été l’un des officiers concernés; quand bien
même cela aurait-il été le cas, la Cour ne pense pas que le général Mladic ´
aurait dû pour autant être considéré comme ayant constitué un organe de
la RFY aux fins de l’application des règles relatives à la responsabilité de
l’Etat. Il ne fait aucun doute que la RFY fournissait un soutien considé-
rable, notamment financier, à la Republika Srpska (cf. paragraphe 241
ci-dessus) et que le versement de soldes et autres prestations à certains
officiers de la VRS constitua l’une des formes de ce soutien, mais cela ne
faisait pas pour autant automatiquement de ces officiers des organes de la
RFY. Ces officiers étaient nommés à leur commandement par le prési-
dent de la Republika Srpska et étaient soumis à l’autorité politique de
celle-ci. En l’absence de preuve du contraire, ces officiers doivent être
considérés comme ayant reçu leurs ordres de la Republika Srpska, ou de
la VRS, et non de la RFY. L’expression «organe de l’Etat», au sens du
droit international coutumier et de l’article 4 des articles de la CDI,
s’applique à toutes les personnes ou entités qui entrent dans l’organisa-
tion de l’Etat et qui agissent en son nom (cf. le commentaire de la CDI
relatif à l’article 4, par. 1). C’est cependant au nom des autorités serbes de
Bosnie — et en particulier de la Republika Srpska —, et non de la RFY,
que les officiers de la VRS, y compris le général Mladic ´, étaient, dans
l’exercice de leurs fonctions, appelés à agir. Ils exerçaient certaines pré-
rogatives de puissance publique de la Republika Srpska. La situation
particulière du général Mladic ´, ou de tout autre officier de la VRS pré-
sent à Srebrenica et qui aurait pu relever «sur le plan administratif» de
Belgrade, n’est donc pas de nature à conduire la Cour à modifier la
conclusion à laquelle elle est parvenue au paragraphe précédent.
164204 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
389. The issue also arises as to whether the Respondent might bear
responsibility for the acts of the “Scorpions” in the Srebrenica area. In
this connection, the Court will consider whether it has been proved that
the Scorpions were a de jure organ of the Respondent. It is in dispute
between the Parties as to when the “Scorpions” became incorporated into
the forces of the Respondent. The Applicant has claimed that incorpora-
tion occurred by a decree of 1991 (which has not been produced as an
Annex). The Respondent states that “these regulations [were] relevant
exclusively for the war in Croatia in 1991” and that there is no evidence
that they remained in force in 1992 in Bosnia and Herzegovina. The
Court observes that, while the single State of Yugoslavia was disinte-
grating at that time, it is the status of the “Scorpions” in mid-1995 that
is of relevance to the present case. In two of the intercepted documents
presented by the Applicant (the authenticity of which was queried — see
paragraph 289 above), there is reference to the “Scorpions” as “MUP of
Serbia” and “a unit of Ministry of Interiors of Serbia”. The Respondent
identified the senders of these communications, Ljubiša Borovc ˇanin and
Savo Cvjetinovic´, as being “officials of the police forces of Republika
Srpska”. The Court observes that neither of these communications was
addressed to Belgrade. Judging on the basis of these materials, the Court
is unable to find that the “Scorpions” were, in mid-1995, de jure organs
of the Respondent. Furthermore, the Court notes that in any event the
act of an organ placed by a State at the disposal of another public
authority shall not be considered an act of that State if the organ was
acting on behalf of the public authority at whose disposal it had been
placed.
390. The argument of the Applicant however goes beyond mere
contemplation of the status, under the Respondent’s internal law, of the
persons who committed the acts of genocide; it argues that Republika
Srpska and the VRS, as well as the paramilitary militias known as
the “Scorpions”, the “Red Berets”, the “Tigers” and the “White Eagles”
must be deemed, notwithstanding their apparent status, to have been
“de facto organs” of the FRY, in particular at the time in question, so
that all of their acts, and specifically the massacres at Srebrenica, must be
considered attributable to the FRY, just as if they had been organs of
that State under its internal law; reality must prevail over appearances.
The Respondent rejects this contention, and maintains that these were
not de facto organs of the FRY.
391. The first issue raised by this argument is whether it is possible in
principle to attribute to a State conduct of persons — or groups of per-
sons — who, while they do not have the legal status of State organs, in
fact act under such strict control by the State that they must be treated as
its organs for purposes of the necessary attribution leading to the State’s
responsibility for an internationally wrongful act. The Court has in fact
already addressed this question, and given an answer to it in principle, in
165 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 204
389. La question se pose également de savoir si le défendeur peut être
tenu pour responsable des actes commis par les «Scorpions» dans la
région de Srebrenica. A cet égard, la Cour se penchera sur la question de
savoir s’il a été établi que les «Scorpions» étaient un organe de jure du
défendeur. Les Parties sont divisées sur la question du moment où les
«Scorpions» ont été intégrés aux forces du défendeur. Le demandeur
affirme que cette intégration résulte d’un décret de 1991 (lequel n’a pas
été produit en tant qu’annexe). Le défendeur avance que «ces règlements
n’[avaient] de pertinence que pour la guerre de Croatie en 1991» et qu’il
n’a été fourni aucun élément prouvant qu’ils étaient encore en vigueur
en 1992 en Bosnie-Herzégovine. La Cour fait observer que, même si
l’Etat unitaire de Yougoslavie était à l’époque en voie de désintégration,
c’est le statut des «Scorpions» à la mi-1995 qui est pertinent aux fins de
la présente espèce. Dans deux des documents interceptés soumis par le
demandeur (documents dont l’authenticité a été mise en doute — voir
paragraphe 289 ci-dessus), les «Scorpions» sont présentés comme rele-
vant du «MUP de Serbie» et comme étant une «unité ... du ministère
serbe de l’intérieur». Le défendeur a désigné les auteurs de ces commu-
nications, Ljubiša Borovc ˇanin et Savo Cvjetinovic ´, comme étant «de
hauts responsables des forces de police de la Republika Srpska». La
Cour relève qu’aucune de ces communications n’était adressée à Bel-
grade. Au vu de ces éléments, elle n’est pas en mesure de conclure que les
«Scorpions» étaient, à la mi-1995, des organes de jure du défendeur. De
plus, la Cour relève qu’en tout état de cause les actes d’un organe mis par
un Etat à la disposition d’une autre autorité publique ne peuvent être
considérés comme des actes de l’Etat en question si cet organe agit pour
le compte de l’autorité publique à la disposition de laquelle il se trouve.
390. Mais l’Etat demandeur développe son argumentation au-delà du
seul examen du statut des personnes ayant commis les actes de génocide
en cause selon le droit interne du défendeur; il prétend, en outre, que la
Republika Srpska et la VRS, ainsi que les milices paramilitaires connues
sous les noms de «Scorpions», «Bérets rouges», «Tigres» et «Aigles
blancs», doivent être considérées, en dépit de leur statut apparent, comme
ayant été, notamment à l’époque considérée, des «organes de fait» de la
RFY, de telle sorte que l’ensemble de leurs actes, et notamment les mas-
sacres de Srebrenica, devraient être regardés comme attribuables à la
RFY, tout comme s’il s’agissait d’organes de cet Etat selon le droit
interne de celui-ci, la réalité devant l’emporter sur l’apparence. Le défen-
deur rejette cette thèse et soutient que les entités en question n’étaient pas
des organes de fait de la RFY.
391. La première question que soulève une telle argumentation est de
savoir si un Etat peut, en principe, se voir attribuer les comportements de
personnes — ou de groupes de personnes — qui, sans avoir le statut légal
d’organes de cet Etat, agissent en fait sous un contrôle tellement étroit de
ce dernier qu’ils devraient être assimilés à des organes de celui-ci aux fins
de l’attribution nécessaire à l’engagement de la responsabilité de l’Etat
pour fait internationalement illicite. En vérité, la Cour a déjà abordé cette
165205 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
its Judgment of 27 June 1986 in the case concerning Military and Para-
military Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States
of America) (Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986 , pp. 62-64). In para-
graph 109 of that Judgment the Court stated that it had to
“determine . . . whether or not the relationship of the contras to the
United States Government was so much one of dependence on the
one side and control on the other that it would be right to equate
the contras, for legal purposes, with an organ of the United States
Government, or as acting on behalf of that Government” (p. 62).
Then, examining the facts in the light of the information in its possession,
the Court observed that “there is no clear evidence of the United States
having actually exercised such a degree of control in all fields as to justify
treating the contras as acting on its behalf” (para. 109), and went on to
conclude that “the evidence available to the Court . . . is insufficient to
demonstrate [the contras’] complete dependence on United States aid”, so
that the Court was “unable to determine that the contra force may be
equated for legal purposes with the forces of the United States” (pp. 62-
63, para. 110).
392. The passages quoted show that, according to the Court’s juris-
prudence, persons, groups of persons or entities may, for purposes of
international responsibility, be equated with State organs even if that
status does not follow from internal law, provided that in fact the per-
sons, groups or entities act in “complete dependence” on the State, of
which they are ultimately merely the instrument. In such a case, it is
appropriate to look beyond legal status alone, in order to grasp the
reality of the relationship between the person taking action, and the
State to which he is so closely attached as to appear to be nothing more
than its agent: any other solution would allow States to escape their inter-
national responsibility by choosing to act through persons or entities
whose supposed independence would be purely fictitious.
393. However, so to equate persons or entities with State organs when
they do not have that status under internal law must be exceptional, for
it requires proof of a particularly great degree of State control over them,
a relationship which the Court’s Judgment quoted above expressly
described as “complete dependence”. It remains to be determined in the
present case whether, at the time in question, the persons or entities that
committed the acts of genocide at Srebrenica had such ties with the FRY
that they can be deemed to have been completely dependent on it; it is
only if this condition is met that they can be equated with organs of the
Respondent for the purposes of its international responsibility.
394. The Court can only answer this question in the negative. At the
relevant time, July 1995, neither the Republika Srpska nor the VRS could
166 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 205
question, et lui a donné une réponse de principe, dans son arrêt du
27 juin 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 62-64). Au paragraphe 109 de cet arrêt, la
Cour a indiqué qu’il lui appartenait de
«déterminer si les liens entre les contras et le Gouvernement des
Etats-Unis étaient à tel point marqués par la dépendance d’une part
et l’autorité de l’autre qu’il serait juridiquement fondé d’assimiler les
contras à un organe du Gouvernement des Etats-Unis ou de les
considérer comme agissant au nom de ce gouvernement» (p. 62).
Puis, examinant les faits à la lumière des informations dont elle disposait,
la Cour a relevé qu’«il n’[était] pas clairement établi que [les Etats-Unis]
exer[çai]ent en fait sur les contras dans toutes leurs activités une autorité
telle qu’on [pût] considérer les contras comme agissant en leur nom»
(par. 109), avant de conclure que «les éléments dont [elle] dispos[ait] ... ne
suffis[ai]ent pas à démontrer [la] totale dépendance [des contras] par rap-
port à l’aide des Etats-Unis», si bien qu’«il lui [était] ... impossible d’assi-
miler, juridiquement parlant, la force contra aux forces des Etats-Unis»
(p. 63, par. 110).
392. Il résulte des passages précités que, selon la jurisprudence de la
Cour, une personne, un groupe de personnes ou une entité quelconque
peuvent être assimilés — aux fins de la mise en Œuvre de la responsabilité
internationale — à un organe de l’Etat même si une telle qualification ne
résulte pas du droit interne, lorsque cette personne, ce groupe ou cette
entité agit en fait sous la «totale dépendance» de l’Etat, dont il n’est, en
somme, qu’un simple instrument. En pareil cas, il convient d’aller au-delà
du seul statut juridique, pour appréhender la réalité des rapports entre la
personne qui agit et l’Etat auquel elle se rattache si étroitement qu’elle en
apparaît comme le simple agent: toute autre solution permettrait aux
Etats d’échapper à leur responsabilité internationale en choisissant d’agir
par le truchement de personnes ou d’entités dont l’autonomie à leur
égard serait une pure fiction.
393. Cependant, une telle assimilation aux organes de l’Etat de per-
sonnes ou d’entités auxquelles le droit interne ne confère pas ce statut ne
peut que rester exceptionnelle; elle suppose, en effet, que soit établi un
degré particulièrement élevé de contrôle de l’Etat sur les personnes ou
entités en cause, que l’arrêt précité de la Cour a caractérisé précisément
comme une «totale dépendance». Il reste à rechercher si, en la présente
affaire, les personnes ou entités qui ont commis les actes de génocide de
Srebrenica possédaient, avec la RFY, à la date des faits, des liens tels
qu’on puisse les regarder comme ayant été placées sous la totale dépen-
dance de cet Etat: c’est à cette condition seulement qu’on pourrait les
assimiler à des organes du défendeur aux fins de la mise en Œuvre de la
responsabilité internationale de ce dernier.
394. A cette question, la Cour ne peut répondre que par la négative. A
la date pertinente, c’est-à-dire en juillet 1995, ni la Republika Srpska ni la
166206 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
be regarded as mere instruments through which the FRY was acting, and
as lacking any real autonomy. While the political, military and logistical
relations between the federal authorities in Belgrade and the authorities
in Pale, between the Yugoslav army and the VRS, had been strong and
close in previous years (see paragraph 238 above), and these ties un-
doubtedly remained powerful, they were, at least at the relevant time, not
such that the Bosnian Serbs’ political and military organizations should
be equated with organs of the FRY. It is even true that differences over
strategic options emerged at the time between Yugoslav authorities and
Bosnian Serb leaders; at the very least, these are evidence that the latter
had some qualified, but real, margin of independence. Nor, notwith-
standing the very important support given by the Respondent to the
Republika Srpska, without which it could not have “conduct[ed] its
crucial or most significant military and paramilitary activities” (I.C.J.
Reports 1986, p. 63, para. 111), did this signify a total dependence of the
Republika Srpska upon the Respondent.
395. The Court now turns to the question whether the “Scorpions”
were in fact acting in complete dependence on the Respondent. The
Court has not been presented with materials to indicate this. The Court
also notes that, in giving his evidence, General Dannatt, when asked
under whose control or whose authority the paramilitary groups coming
from Serbia were operating, replied, “they would have been under the
command of Mladic ´ and part of the chain of the command of the VRS”.
The Parties referred the Court to the Staniš´ and Simatovic´ case (IT-03-
69, pending); notwithstanding that the defendants are not charged with
genocide in that case, it could have its relevance for illuminating the
status of the “Scorpions” as Serbian MUP or otherwise. However, the
Court cannot draw further conclusions as this case remains at the indict-
ment stage. In this respect, the Court recalls that it can only form its
opinion on the basis of the information which has been brought to its
notice at the time when it gives its decision, and which emerges from the
pleadings and documents in the case file, and the arguments of the Parties
made during the oral exchanges.
The Court therefore finds that the acts of genocide at Srebrenica can-
not be attributed to the Respondent as having been committed by its
organs or by persons or entities wholly dependent upon it, and thus do
not on this basis entail the Respondent’s international responsibility.
**
(4) The Question of Attribution of the Srebrenica Genocide to
the Respondent on the Basis of Direction or Control
396. As noted above (paragraph 384), the Court must now determine
whether the massacres at Srebrenica were committed by persons who,
167 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 206
VRS ne pouvaient être regardées comme de simples instruments d’action
de la RFY, dépourvus de réelle autonomie. Certes, au cours des années
précédentes, les liens politiques, militaires et logistiques entre les autorités
fédérales de Belgrade et celles de Pale, entre l’armée yougoslave et la
VRS, avaient été puissants et étroits (voir plus haut le paragraphe 238) et
ces liens étaient sans nul doute demeurés forts. Mais ils n’étaient pas tels,
en tout cas à la période considérée, que les structures politiques et mili-
taires des Serbes de Bosnie dussent être assimilées à des organes de la
RFY. Il est même apparu, à cette époque, des divergences entre les res-
ponsables yougoslaves et les dirigeants des Serbes de Bosnie quant à cer-
tains choix stratégiques qui témoignaient, à tout le moins, d’une relative,
mais réelle, marge d’autonomie de la part de ceux-ci. De même, le très
important appui accordé par le défendeur à la Republika Srpska, appui
sans lequel celle-ci n’aurait pu «mener ses activités militaires et parami-
litaires les plus cruciales ou les plus significatives» (C.I.J. Recueil 1986,
p. 63, par. 111), n’impliquait pas une totale dépendance de la Republika
Srpska à l’égard du défendeur.
395. La Cour en vient maintenant à la question de savoir si les «Scor-
pions» agissaient en fait dans une situation de totale dépendance vis-à-vis
du défendeur. Aucun élément l’indiquant n’a été présenté à la Cour. Celle-ci
relève également que lorsqu’il a été demandé au général Dannatt, lors de
son audition, sous le contrôle et l’autorité de qui les groupes paramilitaires
venant de Serbie opéraient, celui-ci a répondu qu’ils «devaient avoir été
sous le commandement de Mladic ´ et avoir fait partie de la chaîne de com-
mandement de la VRS». Les Parties ont renvoyé la Cour à l’affairS etaniši´
et Simatovic´ (IT-03-69, affaire pendante). Bien que les défendeurs ne soient
pas accusés de génocide en ladite affaire, celle-ci pourrait se révéler perti-
nente aux fins de préciser le statut des «Scorpions» en tant qu’éventuels
agents du MUP de Serbie. La Cour ne peut cependant tirer d’autres conclu-
sions dans la mesure où cette affaire n’en est qu’au stade de l’accusation. A
cet égard, la Cour rappelle qu’elle ne peut former son opinion que sur la
base des informations qui ont été portées à sa connaissance au moment où
elle statue, et qui résultent des écritures et de leurs annexes, ainsi que des
plaidoiries présentées par les Parties lors de la procédure orale.
La Cour conclut donc que les actes de génocide commis à Srebrenica
ne peuvent être attribués au défendeur en tant qu’ils auraient été le fait de
ses organes ou de personnes ou entités totalement dépendantes de lui, et
que, partant, ces actes n’engagent pas, sur ce fondement, sa responsabi-
lité internationale.
**
4) La question de l’attribution du génocide de Srebrenica au défendeur
à raison de ses instructions ou de son contrôle
396. La Cour doit à présent se demander, ainsi qu’il a été annoncé plus
haut (paragraphe 384), si les massacres de Srebrenica ont été commis par
167207 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
though not having the status of organs of the Respondent, nevertheless
acted on its instructions or under its direction or control, as the Appli-
cant argues in the alternative; the Respondent denies that such was the
case.
397. The Court must emphasize, at this stage in its reasoning, that the
question just stated is not the same as those dealt with thus far. It is obvi-
ous that it is different from the question whether the persons who com-
mitted the acts of genocide had the status of organs of the Respondent
under its internal law; nor however, and despite some appearance to the
contrary, is it the same as the question whether those persons should be
equated with State organs de facto, even though not enjoying that status
under internal law. The answer to the latter question depends, as pre-
viously explained, on whether those persons were in a relationship of such
complete dependence on the State that they cannot be considered other-
wise than as organs of the State, so that all their actions performed in
such capacity would be attributable to the State for purposes of interna-
tional responsibility. Having answered that question in the negative, the
Court now addresses a completely separate issue: whether, in the specific
circumstances surrounding the events at Srebrenica the perpetrators of
genocide were acting on the Respondent’s instructions, or under its direc-
tion or control. An affirmative answer to this question would in no way
imply that the perpetrators should be characterized as organs of the
FRY, or equated with such organs. It would merely mean that the FRY’s
international responsibility would be incurred owing to the conduct of
those of its own organs which gave the instructions or exercised the con-
trol resulting in the commission of acts in breach of its international obli-
gations. In other words, it is no longer a question of ascertaining whether
the persons who directly committed the genocide were acting as organs of
the FRY, or could be equated with those organs — this question having
already been answered in the negative. What must be determined is
whether FRY organs — incontestably having that status under the
FRY’s internal law — originated the genocide by issuing instructions to
the perpetrators or exercising direction or control, and whether, as a
result, the conduct of organs of the Respondent, having been the cause of
the commission of acts in breach of its international obligations, consti-
tuted a violation of those obligations.
398. On this subject the applicable rule, which is one of customary
law of international responsibility, is laid down in Article 8 of the ILC
Articles on State Responsibility as follows:
“Article 8
Conduct directed or controlled by a State
The conduct of a person or group of persons shall be considered
an act of a State under international law if the person or group of
168 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 207
des personnes qui, bien que n’ayant pas la qualité d’organes de l’Etat
défendeur, agissaient sur les instructions ou les directives ou sous le
contrôle de celui-ci. C’est ce que soutient le demandeur à titre subsidiaire;
le défendeur nie qu’il en ait été ainsi.
397. La Cour croit devoir insister, à ce stade de son raisonnement, sur
le fait que la question qui vient d’être énoncée ne se confond aucunement
avec celles qui ont été examinées jusqu’à présent. Elle ne se confond pas,
cela va de soi, avec celle de savoir si les personnes ayant commis les actes
de génocide avaient la qualité d’organes de l’Etat défendeur selon le droit
interne de ce dernier. Mais elle ne se confond pas non plus, malgré cer-
taines apparences, avec celle de savoir si ces personnes devaient être assi-
milées en fait à des organes de l’Etat, même si elles n’avaient pas un tel
statut selon le droit interne de celui-ci. La réponse à cette dernière ques-
tion dépend, comme il a été expliqué, de celle de savoir si ces personnes
étaient placées à l’égard de l’Etat dans une relation de totale dépendance,
au point qu’elles ne pourraient qu’être assimilées à des organes de ce der-
nier, dont l’ensemble des actes accomplis en cette qualité seraient attri-
buables à l’Etat aux fins de la responsabilité internationale. Ayant
répondu par la négative, la Cour en vient à présent à une question d’une
tout autre nature: celle de savoir si, dans les circonstances particulières
des événements de Srebrenica, les auteurs des actes de génocide ont agi
selon les instructions ou sous la direction ou le contrôle du défendeur. Si
la réponse à cette question se trouvait être affirmative, il n’en résulterait
nullement que les auteurs des actes en cause devraient être qualifiés
d’organes de la RFY, ou assimilés à de tels organes. Il en résulterait seu-
lement que la responsabilité internationale de la RFY serait engagée à
raison du comportement de ceux de ses propres organes qui ont donné les
instructions ou exercé le contrôle ayant entraîné la commission d’actes
contraires à ses obligations internationales. En d’autres termes, il n’est
plus question à présent de rechercher si les personnes ayant directement
commis le génocide agissaient en tant qu’organes de la RFY, ou pour-
raient être assimilées à de tels organes — question à laquelle il a déjà été
répondu par la négative. Il s’agit de se demander si des organes de la
RFY — ayant sans conteste cette qualité selon le droit interne de cet
Etat — ont pu être à l’origine du génocide en donnant des instructions
aux auteurs de celui-ci ou en exerçant une direction ou un contrôle et si,
par conséquent, le comportement des organes du défendeur, en étant la
cause de la commission d’actes contraires à ses obligations internatio-
nales, a constitué une violation de celles-ci.
398. A cet égard, la règle pertinente, qui appartient au droit coutumier
de la responsabilité internationale, est énoncée à l’article 8 des articles de
la CDI sur la responsabilité de l’Etat dans les termes suivants:
«Article 8
Comportement sous la direction ou le contrôle de l’Etat
Le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est
considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international si
168208 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
persons is in fact acting on the instructions of, or under the direction
or control of, that State in carrying out the conduct.”
399. This provision must be understood in the light of the Court’s
jurisprudence on the subject, particularly that of the 1986 Judgment in
the case concerning Military and Paramilitary Activities in and against
Nicaragua (Nicaragua v. United States of America) referred to above
(paragraph 391). In that Judgment the Court, as noted above, after
having rejected the argument that the contras were to be equated with
organs of the United States because they were “completely dependent”
on it, added that the responsibility of the Respondent could still arise if
it were proved that it had itself “directed or enforced the perpetration of
the acts contrary to human rights and humanitarian law alleged by the
applicant State” (I.C.J. Reports 1986, p. 64, para. 115); this led to the
following significant conclusion:
“For this conduct to give rise to legal responsibility of the United
States, it would in principle have to be proved that that State had
effective control of the military or paramilitary operations in the
course of which the alleged violations were committed.” (Ibid., p. 65.)
400. The test thus formulated differs in two respects from the test —
described above — to determine whether a person or entity may be
equated with a State organ even if not having that status under internal
law. First, in this context it is not necessary to show that the persons who
performed the acts alleged to have violated international law were in gen-
eral in a relationship of “complete dependence” on the respondent State;
it has to be proved that they acted in accordance with that State’s instruc-
tions or under its “effective control”. It must however be shown that this
“effective control” was exercised, or that the State’s instructions were
given, in respect of each operation in which the alleged violations
occurred, not generally in respect of the overall actions taken by the per-
sons or groups of persons having committed the violations.
401. The Applicant has, it is true, contended that the crime of geno-
cide has a particular nature, in that it may be composed of a considerable
number of specific acts separate, to a greater or lesser extent, in time and
space. According to the Applicant, this particular nature would justify,
among other consequences, assessing the “effective control” of the State
allegedly responsible, not in relation to each of these specific acts, but in
relation to the whole body of operations carried out by the direct perpe-
trators of the genocide. The Court is however of the view that the par-
ticular characteristics of genocide do not justify the Court in departing
from the criterion elaborated in the Judgment in the case concerning
Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicara-
gua v. United States of America) (see paragraph 399 above). The rules
169 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 208
cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce compor-
tement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le
contrôle de cet Etat.»
399. La disposition doit se comprendre à la lumière de la jurispru-
dence de la Cour sur ce point, et en particulier de l’arrêt de 1986 en
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) , cité ci-dessus (para-
graphe 391). Dans cet arrêt, après avoir, ainsi qu’il a été dit plus haut, écar-
té la thèse selon laquelle lescontras étaient assimilables à des organes des
Etats-Unis parce qu’ils auraient été placés sous la «totale dépendance»
de ceux-ci, la Cour a ajouté que la responsabilité du défendeur pourrait
cependant être engagée s’il était prouvé qu’il avait lui-même «ordonné ou
imposé la perpétration des actes contraires aux droits de l’homme et au
droit humanitaire allégués par l’Etat demandeur» (C.I.J. Recueil 1986,
p. 64, par. 115), ce qui l’a conduite à l’importante conclusion suivante:
«Pour que la responsabilité juridique de ces derniers [les Etats-
Unis] soit engagée, il devrait en principe être établi qu’ils avaient le
contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires [menées
par les contras] au cours desquelles les violations en question se
seraient produites.» (Ibid., p. 65.)
400. Le critère ainsi défini se distingue de celui — exposé plus haut —
qui permet d’assimiler à un organe d’un Etat une personne ou une entité
à laquelle le droit interne ne confère pas ce statut. D’une part, il n’est plus
nécessaire ici de démontrer que les personnes ayant accompli les actes
prétendument contraires au droit international étaient en général placées
sous la «totale dépendance» de l’Etat défendeur; il convient de prouver
que ces personnes ont agi selon les instructions ou sous le «contrôle effec-
tif» de ce dernier. Mais, d’autre part, il est nécessaire de démontrer que ce
«contrôle effectif» s’exerçait, ou que ces instructions ont été données, à
l’occasion de chacune des opérations au cours desquelles les violations
alléguées se seraient produites, et non pas en général, à l’égard de
l’ensemble des actions menées par les personnes ou groupes de personnes
ayant commis lesdites violations.
401. Le demandeur, il est vrai, a fait valoir que le crime de génocide,
lequel peut être constitué par un grand nombre d’actes isolés plus ou
moins séparés dans le temps et dans l’espace, est d’une nature particu-
lière. Celle-ci, argue-t-il, justifierait, entre autres conséquences, que le
«contrôle effectif» de l’Etat dont la responsabilité est recherchée soit
apprécié non point au regard de chacun de ces actes particuliers, mais au
regard de l’ensemble des opérations conduites par les auteurs directs du
génocide. De l’avis de la Cour, cependant, aucune particularité du géno-
cide ne justifie qu’elle s’écarte du critère dégagé dans l’arrêt rendu en
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (voir paragraphe 399 ci-
dessus). En l’absence d’une lex specialis expresse, les règles relatives à
169209 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
for attributing alleged internationally wrongful conduct to a State do not
vary with the nature of the wrongful act in question in the absence of a
clearly expressed lex specialis. Genocide will be considered as attribut-
able to a State if and to the extent that the physical acts constitutive of
genocide that have been committed by organs or persons other than the
State’s own agents were carried out, wholly or in part, on the instructions
or directions of the State, or under its effective control. This is the state
of customary international law, as reflected in the ILC Articles on State
Responsibility.
402. The Court notes however that the Applicant has further ques-
tioned the validity of applying, in the present case, the criterion adopted
in the Military and Paramilitary Activities Judgment. It has drawn atten-
tion to the Judgment of the ICTY Appeals Chamber in the Tadic ´ case
(IT-94-1-A, Judgment, 15 July 1999). In that case the Chamber did not
follow the jurisprudence of the Court in the Military and Paramilitary
Activities case: it held that the appropriate criterion, applicable in its
view both to the characterization of the armed conflict in Bosnia and
Herzegovina as international, and to imputing the acts committed by
Bosnian Serbs to the FRY under the law of State responsibility, was that
of the “overall control” exercised over the Bosnian Serbs by the FRY;
and further that that criterion was satisfied in the case (on this point,
ibid., para. 145). In other words, the Appeals Chamber took the view that
acts committed by Bosnian Serbs could give rise to international respon-
sibility of the FRY on the basis of the overall control exercised by the
FRY over the Republika Srpska and the VRS, without there being any
need to prove that each operation during which acts were committed in
breach of international law was carried out on the FRY’s instructions, or
under its effective control.
403. The Court has given careful consideration to the Appeals Cham-
ber’s reasoning in support of the foregoing conclusion, but finds itself
unable to subscribe to the Chamber’s view. First, the Court observes that
the ICTY was not called upon in the Tadic ´ case, nor is it in general called
upon, to rule on questions of State responsibility, since its jurisdiction is
criminal and extends over persons only. Thus, in that Judgment the Tri-
bunal addressed an issue which was not indispensable for the exercise of
its jurisdiction. As stated above, the Court attaches the utmost impor-
tance to the factual and legal findings made by the ICTY in ruling on the
criminal liability of the accused before it and, in the present case, the
Court takes fullest account of the ICTY’s trial and appellate judgments
dealing with the events underlying the dispute. The situation is not the
same for positions adopted by the ICTY on issues of general inter-
national law which do not lie within the specific purview of its jurisdic-
tion and, moreover, the resolution of which is not always necessary for
deciding the criminal cases before it.
170 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 209
l’attribution d’un comportement internationalement illicite à un Etat
sont indépendantes de la nature de l’acte illicite en question. Le génocide
sera regardé comme attribuable à l’Etat si et dans la mesure où les actes
matériels, constitutifs du génocide, commis par des organes ou des per-
sonnes autres que ses propres agents l’ont été, en tout ou en partie, selon
les instructions ou sous la direction ou le contrôle effectif de cet Etat.
Ainsi se présente aujourd’hui le droit international coutumier en la
matière, tel que reflété par les articles de la CDI sur la responsabilité de
l’Etat.
402. La Cour note toutefois que le demandeur a également contesté le
bien-fondé de l’application au cas d’espèce du critère adopté dans l’arrêt
relatif aux Activités militaires et paramilitaires et appelé l’attention sur
l’arrêt rendu le 15 juillet 1999 par la chambre d’appel du TPIY en
l’affaire Tadi´ (IT-94-1-A, arrêt du 15 juillet 1999). Dans cette dernière,
la chambre s’est écartée de la jurisprudence de la Cour en l’affaire des
Activités militaires et paramilitaires : elle a jugé que le critère adéquat,
pertinent selon elle à la fois pour qualifier le conflit armé en Bosnie-
Herzégovine d’international et pour attribuer à la RFY les actes commis
par les Serbes de Bosnie au regard du droit de la responsabilité interna-
tionale, était celui du «contrôle global» exercé sur ceux-ci par celle-là, cri-
tère qu’elle a jugé satisfait en l’espèce (sur ce point, voiribid., par. 145).
En d’autres termes, la chambre d’appel a été d’avis que la responsabilité
internationale de la RFY pourrait être engagée à raison des actes commis
par les Serbes de Bosnie, sur le fondement du contrôle global exercé par
elle sur la Republika Srpska et la VRS, sans qu’il soit nécessaire de prou-
ver que chaque opération au cours de laquelle auraient été commis des
actes contraires au droit international a été menée sur les instructions ou
sous le contrôle effectif de la RFY.
403. La Cour, bien qu’ayant attentivement examiné les arguments
développés par la chambre d’appel au soutien de la conclusion qui pré-
cède, n’est pas en mesure d’adhérer à cette doctrine. Tout d’abord, elle
observe que le TPIY n’était pas appelé dans l’affaire Tadic ´, et qu’il n’est
pas appelé en règle générale, à se prononcer sur des questions de respon-
sabilité internationale des Etats, sa juridiction étant de nature pénale et
ne s’exerçant qu’à l’égard des individus. Le Tribunal s’est donc, dans
l’arrêt précité, intéressé à une question dont l’examen n’était pas néces-
saire pour l’exercice de sa juridiction. Ainsi qu’il a été dit plus haut, la
Cour attache la plus haute importance aux constatations de fait et aux
qualifications juridiques auxquelles procède le TPIY afin de statuer sur la
responsabilité pénale des accusés qui lui sont déférés et, dans la présente
affaire, tient le plus grand compte des jugements et arrêts du TPIY se
rapportant aux événements qui forment la trame du différend. La situa-
tion n’est pas la même en ce qui concerne les positions adoptées par le
TPIY sur des questions de droit international général qui n’entrent pas
dans son domaine spécifique de compétence, et dont la résolution n’est
d’ailleurs pas toujours nécessaire au jugement des affaires pénales qui lui
sont soumises.
170210 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
404. This is the case of the doctrine laid down in the Tadic ´ Judgment.
Insofar as the “overall control” test is employed to determine whether or
not an armed conflict is international, which was the sole question which
the Appeals Chamber was called upon to decide, it may well be that the
test is applicable and suitable; the Court does not however think it
appropriate to take a position on the point in the present case, as there is
no need to resolve it for purposes of the present Judgment. On the other
hand, the ICTY presented the “overall control” test as equally applicable
under the law of State responsibility for the purpose of determining — as
the Court is required to do in the present case — when a State is respon-
sible for acts committed by paramilitary units, armed forces which are
not among its official organs. In this context, the argument in favour of
that test is unpersuasive.
405. It should first be observed that logic does not require the same
test to be adopted in resolving the two issues, which are very different in
nature: the degree and nature of a State’s involvement in an armed con-
flict on another State’s territory which is required for the conflict to be
characterized as international, can very well, and without logical incon-
sistency, differ from the degree and nature of involvement required to
give rise to that State’s responsibility for a specific act committed in the
course of the conflict.
406. It must next be noted that the “overall control” test has the major
drawback of broadening the scope of State responsibility well beyond the
fundamental principle governing the law of international responsibility: a
State is responsible only for its own conduct, that is to say the conduct of
persons acting, on whatever basis, on its behalf. That is true of acts car-
ried out by its official organs, and also by persons or entities which are
not formally recognized as official organs under internal law but which
must nevertheless be equated with State organs because they are in a rela-
tionship of complete dependence on the State. Apart from these cases, a
State’s responsibility can be incurred for acts committed by persons or
groups of persons — neither State organs nor to be equated with such
organs — only if, assuming those acts to be internationally wrongful,
they are attributable to it under the rule of customary international law
reflected in Article 8 cited above (paragraph 398). This is so where an
organ of the State gave the instructions or provided the direction pur-
suant to which the perpetrators of the wrongful act acted or where it
exercised effective control over the action during which the wrong was
committed. In this regard the “overall control” test is unsuitable, for it
stretches too far, almost to breaking point, the connection which must
exist between the conduct of a State’s organs and its international
responsibility.
407. Thus it is on the basis of its settled jurisprudence that the Court
will determine whether the Respondent has incurred responsibility under
171 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 210
404. Tel est le cas de la doctrine énoncée dans l’arrêt Tadic ´ précité.
Pour autant que le critère du «contrôle global» soit utilisé aux fins de
déterminer si un conflit armé présente ou non un caractère international,
ce qui était la seule question que la chambre d’appel avait à résoudre, il
se peut parfaitement qu’il soit pertinent et adéquat: la Cour ne croit
cependant pas opportun de prendre parti sur ce point dans la présente
affaire, puisqu’elle n’est pas dans la nécessité de le trancher pour les
besoins du présent arrêt. En revanche, le critère du «contrôle global» a
été présenté par le TPIY comme ayant aussi vocation à s’appliquer dans
le droit de la responsabilité internationale aux fins de déterminer — ce
que la Cour est tenue de faire en l’espèce — dans quels cas un Etat est
responsable des actes commis par des unités paramilitaires, forces armées
ne faisant pas partie de ses organes officiels. A cet égard, il n’emporte pas
la conviction.
405. Il convient d’abord d’observer qu’aucune nécessité logique ne
conduit à adopter forcément le même critère pour résoudre les deux
questions sus-énoncées, qui sont d’une nature très différente: le degré
et la nature de l’implication d’un Etat dans un conflit armé se déroulant
sur le territoire d’un autre Etat, exigé pour que ledit conflit soit qualifié
d’international, pourraient fort bien, sans contradiction logique, être
différents de ceux qui sont exigés pour que la responsabilité de cet Etat
soit engagée à raison de tel acte particulier commis au cours du conflit
en cause.
406. Il faut ensuite remarquer que le critère du «contrôle global» pré-
sente le défaut majeur d’étendre le champ de la responsabilité des Etats
bien au-delà du principe fondamental qui gouverne le droit de la respon-
sabilité internationale, à savoir qu’un Etat n’est responsable que de son
propre comportement, c’est-à-dire de celui des personnes qui, à quelque
titre que ce soit, agissent en son nom. Tel est le cas des actes accomplis
par ses organes officiels, et aussi par des personnes ou entités qui, bien
que le droit interne de l’Etat ne les reconnaisse pas formellement comme
tels, doivent être assimilés à des organes de l’Etat parce qu’ils se trouvent
placés sous sa dépendance totale. En dehors de ces cas, les actes commis
par des personnes ou groupes de personnes — qui ne sont ni des organes
de l’Etat ni assimilables à de tels organes — ne peuvent engager la res-
ponsabilité de l’Etat que si ces actes, à supposer qu’ils soient internatio-
nalement illicites, lui sont attribuables en vertu de la norme de droit
international coutumier reflétée dans l’article 8 précité (paragraphe 398).
Tel est le cas lorsqu’un organe de l’Etat a fourni les instructions, ou
donné les directives, sur la base desquelles les auteurs de l’acte illicite ont
agi ou lorsqu’il a exercé un contrôle effectif sur l’action au cours de
laquelle l’illicéité a été commise. A cet égard, le critère du «contrôle glo-
bal» est inadapté, car il distend trop, jusqu’à le rompre presque, le lien
qui doit exister entre le comportement des organes de l’Etat et la respon-
sabilité internationale de ce dernier.
407. C’est donc à la lumière de sa jurisprudence établie que la Cour
recherchera si le défendeur a engagé sa responsabilité au titre de la règle
171211 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
the rule of customary international law set out in Article 8 of the ILC
Articles on State Responsibility.
*
408. The Respondent has emphasized that in the final judgments of
the Chambers of the ICTY relating to genocide in Srebrenica, none of its
leaders have been found to have been implicated. The Applicant does not
challenge that reading, but makes the point that that issue has not been
before the ICTY for decision. The Court observes that the ICTY has
indeed not up to the present been directly concerned in final judgments
with the question whether those leaders might bear responsibility in that
respect. The Court notes the fact that the report of the United Nations
Secretary-General does not establish any direct involvement by Presi-
dent Miloševic´ with the massacre. The Court has already recorded the
contacts between Miloševic ´ and the United Nations on 10 and 11 July
(paragraph 285). On 14 July, as recorded in the Secretary-General’s
Report,
“the European Union negotiator, Mr. Bildt, travelled to Belgrade to
meet with President Miloševic ´. The meeting took place at Doba-
novci, the hunting lodge outside Belgrade, where Mr. Bildt had met
President Miloševi´ and General Mladic ´ one week earlier. According
to Mr. Bildt’s public account of that second meeting, he pressed the
President to arrange immediate access for UNHCR to assist the
people of Srebrenica, and for ICRC to start to register those who
were being treated by the BSA as prisoners of war. He also insisted
that the Netherlands soldiers be allowed to leave at will. Mr. Bildt
added that the international community would not tolerate an attack
on Goražde, and that a ‘green light’ would have to be secured for
free and unimpeded access to the enclaves. He also demanded that
the road between Kiseljak and Sarajevo (‘Route Swan’) be opened to
all non-military transport. President Miloševic´ apparently acceded
to the various demands, but also claimed that he did not have con-
trol over the matter. Milošev´ had also apparently explained, earlier
in the meeting, that the whole incident had been provoked by
escalating Muslim attacks from the enclave, in violation of the
1993 demilitarization agreement.
A few hours into the meeting, General Mladic ´ arrived at Doba-
novci. Mr. Bildt noted that General Mladic ´ readily agreed to most
of the demands on Srebrenica, but remained opposed to some of the
arrangements pertaining to the other enclaves, Sarajevo in particu-
lar. Eventually, with President Miloševi´’s intervention, it appeared
that an agreement in principle had been reached. It was decided that
172 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 211
de droit international coutumier énoncée à l’article 8 des articles de la
CDI sur la responsabilité de l’Etat.
*
408. Le défendeur a souligné qu’aucune des décisions définitives ren-
dues par les chambres du TPIY en relation avec le génocide de Srebrenica
n’avait conclu à l’implication d’aucun de ses dirigeants. Sans contester
cette affirmation, le demandeur relève que le TPIY n’a pas été saisi de
cette question. La Cour observe que le TPIY ne s’est en effet pas,
jusqu’ici, directement prononcé, dans des décisions définitives, sur la
question de savoir si ces dirigeants pourraient encourir une responsabilité
de ce chef. La Cour note que le rapport du Secrétaire général de l’Orga-
nisation des Nations Unies ne conclut pas à une implication directe du
président Miloševic ´ dans le massacre. La Cour a déjà mentionné les
contacts que ce dernier avait eus avec l’Organisation des Nations Unies
les 10 et 11 juillet (paragraphe 285). Le 14 juillet, selon le rapport du
Secrétaire général,
«le négociateur de l’Union européenne, M. Bildt, s’est rendu à Bel-
grade pour rencontrer le président Miloševic ´. Les entretiens ont eu
lieu à Dobanovci, le pavillon de chasse dans les environs de Belgrade
où M. Bildt avait rencontré le président Miloševic´ et le général Mla-
di´ une semaine auparavant. Selon le compte rendu qu’il a publié de
cette deuxième rencontre, M. Bildt a demandé instamment au prési-
dent Miloševic´ de donner immédiatement au Haut Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés la possibilité de venir en aide à la
population de Srebrenica et au Comité international de la Croix-
Rouge la possibilité de commencer à enregistrer ceux qui étaient
traités par l’armée des Serbes de Bosnie comme des prisonniers de
guerre. Il a insisté aussi pour que les soldats néerlandais soient auto-
risés à partir quand ils le voudraient. Il a ajouté que la communauté
internationale ne tolérerait pas que Goražde soit attaquée et que le
«feu vert» devrait être donné pour que l’accès aux enclaves soit libre
et sans entrave. Il a demandé en outre que la route de Kiseljak à
Sarajevo («route Swan») soit ouverte à tous les transports non mili-
taires. Le président Miloševic ´ a semblé accéder à toutes ces de-
mandes, mais a aussi fait valoir qu’il n’était pas maître de la situa-
tion. Il aurait aussi expliqué, au début de la réunion, que toute l’af-
faire avait été provoquée par l’escalade des offensives lancées par les
[M]usulmans à partir de l’enclave, en violation de l’accord de
démilitarisation de 1993.
Quelques heures après le début de l’entretien, le général Mladic´ est
arrivé à Dobanovci. M. Bildt a noté que le général Mladic ´ accédait
de bonne grâce à la plupart des demandes concernant Srebrenica,
mais qu’il rejetait certaines des dispositions concernant les autres
enclaves, en particulier Sarajevo. Finalement, après l’intervention du
président Miloševic´, un accord de principe a, semble-t-il, été conclu.
172212 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
another meeting would be held the next day in order to confirm the
arrangements. Mr. Bildt had already arranged with Mr. Stoltenberg
and Mr. Akashi [the Special Representative of the Secretary-
General] that they would join him in Belgrade. He also requested
that the UNPROFOR Commander also come to Belgrade in order
to finalize some of the military details with Mladic ´.” (A/54/549,
paras. 372-373.)
409. By 19 July, on the basis of the Belgrade meeting, Mr. Akashi was
hopeful that both President Miloševic´ and General Mladic ´ might show
some flexibility. The UNPROFOR Commander met with Mladic ´ on
19 July and throughout the meeting kept in touch with Mr. Bildt who
was holding parallel negotiations with President Miloševic´ in Belgrade.
Mladic´ gave his version of the events of the preceding days (his troops
had “‘finished [it] in a correct way’”; some “‘unfortunate small incidents’
had occurred”). The UNPROFOR Commander and Mladic ´ then signed
an agreement which provided for
“ICRC access to all ‘reception centres’ where the men and boys of
Srebrenica were being held, by the next day;
UNHCR and humanitarian aid convoys to be given access to
Srebrenica;
The evacuation of wounded from Potoc ˇari, as well as the hospital
in Bratunac;
The return of Dutchbat weapons and equipment taken by the
BSA;
The transfer of Dutchbat out of the enclave commencing on the
afternoon of 21 July, following the evacuation of the remaining
women, children and elderly who wished to leave.
Subsequent to the signing of this agreement, the Special Repre-
sentative wrote to President Milošev´, reminding him of the agree-
ment, that had not yet been honoured, to allow ICRC access to
Srebrenica. The Special Representative later also telephoned Presi-
dent Miloševi´ to reiterate the same point.” (Ibid., para. 392.)
410. The Court was referred to other evidence supporting or denying
the Respondent’s effective control over, participation in, involvement in,
or influence over the events in and around Srebrenica in July 1995. The
Respondent quotes two substantial reports prepared seven years after the
events, both of which are in the public domain, and readily accessible.
The first, Srebrenica — a “Safe” Area , published in 2002 by the Nether-
lands Institute for War Documentation was prepared over a lengthy
period by an expert team. The Respondent has drawn attention to the
fact that this report contains no suggestion that the FRY leadership was
involved in planning the attack or inciting the killing of non-Serbs; nor
173 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 212
Il a été décidé qu’une autre réunion aurait lieu le lendemain pour
confirmer les dispositions arrêtées. M. Bildt s’était déjà entendu avec
M. Stoltenberg et M. Akashi [le représentant spécial du Secrétaire
général] pour qu’ils le rejoignent à Belgrade. Il a demandé en outre
que le commandant de la FORPRONU vienne aussi à Belgrade
pour mettre au point certains détails d’ordre militaire avec le général
Mladic´.» (Nations Unies, doc. A/54/549, par. 372-373.)
409. Le 19 juillet, compte tenu de la réunion de Belgrade, M. Akashi
avait bon espoir que le président Miloševic ´ et le général Mladi´ feraient
preuve d’une certaine flexibilité. Le commandant de la FORPRONU ren-
contra Mladic ´ le 19 juillet et, tout au long de la réunion, resta en contact
avec M. Bildt, lequel menait des négociations parallèles avec le président
Miloševic´ à Belgrade. Mladic´ donna sa version des événements des jours
précédents (ses soldats avaient «achevé l’opération de façon correcte»;
quelques ««petits incidents malencontreux» avaient eu lieu»). Le com-
mandant de la FORPRONU et Mladic ´ signèrent alors un accord qui pré-
voyait ce qui suit:
«Accès, dès le lendemain, du Comité international de la Croix-
Rouge à tous les «centres de réception» où étaient détenus les
hommes et jeunes garçons de Srebrenica;
Autorisation donnée au HCR et au convoi d’aide humanitaire de
se rendre à Srebrenica;
Evacuation des blessés de Potoc ˇari, ainsi que de l’hôpital de Bra-
tunac;
Restitution des armes et du matériel du bataillon néerlandais saisis
par l’armée des Serbes de Bosnie;
Transfert du bataillon néerlandais hors de l’enclave à partir de
l’après-midi du 21 juillet, après évacuation des femmes, enfants et
personnes âgées demeurés sur place qui souhaitaient quitter les lieux.
Après la signature de cet accord, le représentant spécial du Secré-
taire général [écrivit] au président Miloševic´ en lui rappelant que
l’accord autorisant le Comité international de la Croix-Rouge à se
rendre à Srebrenica n’avait toujours pas été honoré. Un peu plus
tard, le représentant spécial du Secrétaire général [redit] par ailleurs
la même chose au téléphone au président Miloševic ´.» (Ibid., par. 392.)
410. Les Parties ont soumis à la Cour d’autres éléments de preuve ten-
dant à étayer ou au contraire à réfuter le fait que le défendeur aurait eu la
maîtrise des événements survenus à Srebrenica et dans ses environs en
juillet 1995, qu’il aurait participé à ces événements, qu’il aurait été impliqué
dans leur déroulement ou qu’il les aurait influencés. Le défendeur cite deux
rapports importants établis sept ans après les événements, qui relèvent tous
deux du domaine public et sont facilement accessibles. Le premieS r,rebre-
nica—a«Safe»Area [Srebrenica — une zone de «sécurité»], publié en 2002
par l’Institut néerlandais pour la documentation sur la guerre, est le fruit
d’un travail de longue haleine mené par une équipe d’experts. Le défendeur
173213 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
any hard evidence of assistance by the Yugoslav army to the armed
forces of the Republika Srpska before the attack; nor any suggestion that
the Belgrade Government had advance knowledge of the attack. The
Respondent also quotes this passage from point 10 of the Epilogue to the
Report relating to the “mass slaughter” and “the executions” following
the fall of Srebrenica: “There is no evidence to suggest any political or
military liaison with Belgrade, and in the case of this mass murder such a
liaison is highly improbable.” The Respondent further observes that the
Applicant’s only response to this submission is to point out that “the
report, by its own admission, is not exhaustive”, and that this Court has
been referred to evidence not used by the authors.
411. The Court observes, in respect of the Respondent’s submissions,
that the authors of the Report do conclude that Belgrade was aware of
the intended attack on Srebrenica. They record that the Dutch Military
Intelligence Service and another Western intelligence service concluded
that the July 1995 operations were co-ordinated with Belgrade (Part III,
Chap. 7, Sect. 7). More significantly for present purposes, however, the
authors state that “there is no evidence to suggest participation in the
preparations for executions on the part of Yugoslav military personnel or
the security agency (RDB). In fact there is some evidence to support the
opposite view . . .” (Part IV, Chap. 2, Sect. 20). That supports the passage
from point 10 of the Epilogue quoted by the Respondent, which was pre-
ceded by the following sentence: “Everything points to a central decision
by the General Staff of the VRS.”
412. The second report is Balkan Battlegrounds, prepared by the
United States Central Intelligence Agency, also published in 2002. The
first volume under the heading “The Possibility of Yugoslav involve-
ment” arrives at the following conclusion:
“No basis has been established to implicate Belgrade’s military or
security forces in the post-Srebrenica atrocities. While there are indi-
cations that the VJ or RDB [the Serbian State Security Department]
may have contributed elements to the Srebrenica battle, there is no
similar evidence that Belgrade-directed forces were involved in any
of the subsequent massacres. Eyewitness accounts by survivors may
be imperfect recollections of events, and details may have been over-
looked. Narrations and other available evidence suggest that only
Bosnian Serb troops were employed in the atrocities and executions
that followed the military conquest of Srebrenica.” (Balkan Battle-
grounds, p. 353.)
174 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 213
a appelé l’attention sur le fait qu’il ne contient aucun élément indiquant que
les dirigeants de la RFY auraient été impliqués dans la planification de
l’attaque ou l’incitation au meurtre de non-Serbes, non plus que d’éléments
de preuve concrets établissant que l’armée yougoslave aurait fourni une
assistance aux forces armées de la Republika Srpska avant l’attaque, ou
indiquant que le Gouvernement de Belgrade aurait eu à l’avance connais-
sance de celle-ci. Le défendeur cite également le passage suivant tiré du
point 10 de la conclusion du rapport, point relatif aux «meurtres de masse»
et aux «exécutions» survenus après la chute de Srebrenica: «Aucun élément
n’indique qu’il existait un quelconque lien politique ou militaire avec Bel-
grade et, dans le cas de ce meurtre collectif, un tel lien est hautement impro-
bable.» Le défendeur observe en outre que, en réponse à cette affirmation, le
demandeur se contente de relever que «le rapport reconnaît lui-même qu’il
n’est pas exhaustif», et que la Cour a eu connaissance d’éléments de preuve
qui n’avaient pas été utilisés par les auteurs.
411. S’agissant de ces affirmations du défendeur, la Cour fera observer
que les auteurs du rapport concluent effectivement que Belgrade avait
connaissance de l’intention d’attaquer Srebrenica. Ils relèvent que le ren-
seignement militaire néerlandais et d’autres services de renseignement occi-
dentaux ont conclu que les opérations de juillet 1995 avaient été menées en
coordination avec Belgrade (troisième partie, chap. 7, sect. 7). Aux fins de
la présente espèce, plus important est toutefois le fait que les auteurs disent
qu’«il n’existe aucun élément de preuve qui donnerait à penser qu’il y a eu
participation du personnel militaire yougoslave ou du département de la
sécurité d’Etat (RDB) à des préparatifs en vue des exécutions. De fait, des
éléments de preuve existent qui étayent plutôt le point de vue contraire...»
(Quatrième partie, chap. 2, sect. 20.) Cela vient à l’appui du contenu du
passage tiré du point 10 de la conclusion du rapport que le défendeur a
cité, passage précédé de cette phrase: «Tout porte à croire qu’il y a eu une
décision prise directement au niveau de l’état-major de la VRS.»
412. Le second rapport, Balkan Battlegrounds, établi par la CIA et
également publié en 2002, parvient, dans son volume I intitulé «La pos-
sibilité d’une implication yougoslave», à la conclusion suivante:
«On n’a pu trouver aucune preuve qui permette de conclure à
l’implication de l’armée ou des forces de sécurité de Belgrade dans les
atrocités qui se sont déroulées après la prise de Srebrenica. S’il semble
que la VJ ou le RDB (le département de la sécurité d’Etat serbe) aient
peut-être fourni des éléments pour la bataille de Srebrenica, rien n’in-
dique en revanche que des forces dirigées par Belgrade aient été impli-
quées dans aucun des massacres qui ont eu lieu par la suite. Les témoi-
gnages de survivants restituent les événements de manière peut-être
imparfaite, et certains détails ont pu être omis. Les récits et autres élé-
ments de preuve disponibles donnent à penser que seules les forces
serbes de Bosnie ont participé aux atrocités et aux exécutions qui ont sui-
vi la conquête militaire de Srebrenica.»Ba(lkan Battlegrounds, p. 353.)
174214 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
The response of the Applicant was to quote an earlier passage which
refers to reports which “suggest” that VJ troops and possibly elements of
the Serbian State Security Department may have been engaged in the
battle in Srebrenica — as indeed the second sentence of the passage
quoted by the Respondent indicates. It is a cautious passage, and signifi-
cantly gives no indication of any involvement by the Respondent in the
post-conflict atrocities which are the subject of genocide-related convic-
tions. Counsel for the Respondent also quoted from the evidence of the
Deputy Commander of Dutchbat, given in the Miloševic ´ trial, in which
the accused put to the officer the point quoted earlier from the Epilogue
to the Netherlands report. The officer responded:
“At least for me, I did not have any evidence that it was launched
in co-operation with Belgrade. And again, I read all kinds of reports
and opinions and papers where all kinds of scenarios were analysed,
and so forth. Again, I do not have any proof that the action, being
the attack on the enclave, was launched in co-operation with Bel-
grade.”
The other evidence on which the Applicant relied relates to the influ-
ence, rather than the control, that President Miloševic ´ had or did not
have over the authorities in Pale. It mainly consists of the evidence given
at the Miloševi´ trial by Lord Owen and General Wesley Clark and also
Lord Owen’s publications. It does not establish a factual basis for finding
the Respondent responsible on a basis of direction or control.
**
(5) Conclusion as to Responsibility for Events at Srebrenica under
Article III, Paragraph (a), of the Genocide Convention
413. In the light of the information available to it, the Court finds, as
indicated above, that it has not been established that the massacres at
Srebrenica were committed by persons or entities ranking as organs of
the Respondent (see paragraph 395 above). It finds also that it has not
been established that those massacres were committed on the instructions
or under the direction of organs of the respondent State, nor that the
Respondent exercised effective control over the operations in the course
of which those massacres, which, as indicated in paragraph 297 above,
constituted the crime of genocide, were perpetrated.
The Applicant has not proved that instructions were issued by the
federal authorities in Belgrade, or by any other organ of the FRY, to
commit the massacres, still less that any such instructions were given with
the specific intent (dolus specialis) characterizing the crime of genocide,
which would have had to be present in order for the Respondent to be
held responsible on this basis. All indications are to the contrary: that the
175 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 214
En réponse, le demandeur cite un passage antérieur mentionnant des
informations qui «donnent à penser» que des soldats de la VJ et, peut-
être, des éléments du département de la sécurité d’Etat serbe ont pu par-
ticiper à la bataille de Srebrenica — comme l’indique d’ailleurs la
deuxième phrase de l’extrait cité par le défendeur. Cet extrait est formulé
en termes soigneusement pesés et, fait significatif, n’indique en rien que le
défendeur aurait participé aux atrocités qui ont suivi le conflit, lesquelles
font l’objet de condamnations liées au génocide. Le conseil du défendeur
a également cité des extraits de la déposition faite au procès Miloševic ´
par le commandant adjoint du bataillon néerlandais, au cours de laquelle,
interrogé par l’accusé sur le point précité de la conclusion du rapport des
Pays-Bas, l’officier a répondu:
«Personnellement, je n’ai eu aucune preuve indiquant que l’opéra-
tion aurait été lancée en coopération avec Belgrade. Et je répète que
j’ai lu toutes sortes de rapports, d’avis, de documents dans lesquels
toutes sortes de scénarios étaient analysés, etc. Je répète que je ne
dispose d’aucune preuve indiquant que cette action, je parle de l’at-
taque sur l’enclave, aurait été lancée en coopération avec Belgrade.»
Les autres éléments de preuve sur lesquels s’appuie le demandeur
concernent l’influence, plutôt que le contrôle, exercée ou non par le pré-
sident Miloševic´ sur les autorités de Pale. Il s’agit pour l’essentiel des
dépositions faites par lord Owen et le général Wesley Clark lors du pro-
cès Miloševic´, ainsi que de publications de lord Owen. Ces éléments ne
fournissent pas une base factuelle suffisante pour établir une responsabi-
lité du défendeur à raison de ses instructions ou de son contrôle.
**
5) Conclusion quant à la responsabilité des événements de Srebrenica
au titre du litt. a) de l’article III de la convention sur le génocide
413. A la lumière des informations dont elle dispose, la Cour constate,
ainsi qu’il a été dit plus haut, qu’il n’a pas été établi que les massacres de
Srebrenica aient été commis par des personnes ou des entités ayant la
qualité d’organes du défendeur (voir plus haut paragraphe 395). Elle
constate également qu’il n’a pas été établi que ces massacres aient été
commis selon les instructions ou les directives d’organes de l’Etat défen-
deur, ni que ce dernier ait exercé un contrôle effectif sur les opérations au
cours desquelles ces massacres, qui, ainsi qu’il a été indiqué plus haut au
paragraphe 297, sont constitutifs du crime de génocide, ont été perpétrés.
Le demandeur n’a pas prouvé l’existence d’instructions émanant des
autorités fédérales de Belgrade, ou de tout autre organe de la RFY, ten-
dant à ce que les massacres soient commis, et encore moins établi que de
telles instructions aient été données avec l’intention spécifique (dolus spe-
cialis) qui caractérise le crime de génocide, ce qui serait nécessaire pour
que la responsabilité du défendeur soit retenue à ce titre. Tout semble
175215 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
decision to kill the adult male population of the Muslim community in
Srebrenica was taken by some members of the VRS Main Staff, but with-
out instructions from or effective control by the FRY.
As for the killings committed by the “Scorpions” paramilitary militias,
notably at Trnovo (paragraph 289 above), even if it were accepted that
they were an element of the genocide committed in the Srebrenica area,
which is not clearly established by the decisions thus far rendered by the
ICTY (see, in particular, the Trial Chamber’s decision of 12 April 2006 in
the Staniš´ and Simatovi´ case, IT-03-69), it has not been proved that
they took place either on the instructions or under the control of organs
of the FRY.
414. Finally, the Court observes that none of the situations, other
than those referred to in Articles 4 and 8 of the ILC’s Articles on State
Responsibility, in which specific conduct may be attributed to a State,
matches the circumstances of the present case in regard to the possibility
of attributing the genocide at Srebrenica to the Respondent. The Court
does not see itself required to decide at this stage whether the ILC’s
Articles dealing with attribution, apart from Articles 4 and 8, express
present customary international law, it being clear that none of them
apply in this case. The acts constituting genocide were not committed
by persons or entities which, while not being organs of the FRY, were
empowered by it to exercise elements of the governmental authority
(Art. 5), nor by organs placed at the Respondent’s disposal by another
State (Art. 6), nor by persons in fact exercising elements of the govern-
mental authority in the absence or default of the official authorities of
the Respondent (Art. 9); finally, the Respondent has not acknowledged
and adopted the conduct of the perpetrators of the acts of genocide as
its own (Art. 11).
415. The Court concludes from the foregoing that the acts of those
who committed genocide at Srebrenica cannot be attributed to the
Respondent under the rules of international law of State responsibility:
thus, the international responsibility of the Respondent is not engaged on
this basis.
* * *
VIII. THE Q UESTION OF R ESPONSIBILIT,IN RESPECT OF SREBRENICA ,
FOR A CTS ENUMERATED IN A RTICLE III, ARAGRAPHS (b) TO (e),OF
THE G ENOCIDE C ONVENTION
416. The Court now comes to the second of the questions set out in
paragraph 379 above, namely, that relating to the Respondent’s possible
responsibility on the ground of one of the acts related to genocide
enumerated in Article III of the Convention. These are: conspiracy to
176 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 215
indiquer, au contraire, que la décision de tuer la population masculine
adulte de la communauté musulmane de Srebrenica a été prise par des
membres de l’état-major de la VRS, mais sans qu’il y ait eu instructions
ou contrôle effectif de la part de la RFY.
Quant aux meurtres commis par les milices paramilitaires «Scorpions»,
notamment à Trnovo (paragraphe 289 ci-dessus), même si l’on admet
qu’ils ont été un élément du génocide commis dans la région de Srebre-
nica, ce qui ne paraît pas clairement établi à la lumière des décisions ren-
dues, à ce jour, par le TPIY (voir notamment la décision de la chambre
de première instance du 12 avril 2006 dans l’affaire Stanišic´ et Simatovi´ ,
IT-03-69), il n’a pas été prouvé qu’ils aient eu lieu sur les instructions ou
sous le contrôle des organes de la RFY.
414. Enfin, la Cour constate qu’aucun des cas d’attribution à un Etat
d’un comportement déterminé, autres que ceux visés aux articles 4 et 8 de
la CDI sur la responsabilité de l’Etat, ne correspond aux circonstances de
l’espèce pour ce qui est d’une éventuelle attribution au défendeur du
génocide de Srebrenica. La Cour ne se considère pas comme tenue de
trancher à ce stade la question de savoir si les articles de la CDI sur la
responsabilité de l’Etat relatifs à l’attribution, autres que les articles 4
et 8, expriment l’état du droit international coutumier; force est en effet
de constater qu’aucun n’est applicable en la présente affaire. Les actes
constitutifs du génocide n’ont pas été commis par des personnes ou enti-
tés qui, bien que n’étant pas des organes de la RFY, auraient été habili-
tées par cet Etat à exercer des prérogatives de puissance publique (art. 5);
ils ne l’ont pas été par des organes mis à la disposition du défendeur par
un autre Etat (art. 6); ils ne l’ont pas été par des personnes exerçant en
fait des prérogatives de puissance publique du fait de l’absence ou de la
carence des autorités officielles du défendeur (art. 9); enfin, le défendeur
n’a pas reconnu et adopté comme étant le sien le comportement des
auteurs des actes de génocide (art. 11).
415. La Cour conclut de tout ce qui précède que les actes des per-
sonnes ayant commis un génocide à Srebrenica ne peuvent être attribués
au défendeur selon les règles du droit international de la responsabilité
des Etats, de telle sorte que la responsabilité internationale du défen-
deur n’est pas engagée à ce titre.
*
* *
VIII. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ ,S’AGISSANT DE S REBRENICA ,
À RAISON D ’ACTES ÉNUMÉRÉS AUX LITT .b) À e) DE L ARTICLE III
DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
416. La Cour en vient à présent à la deuxième des questions énoncées
ci-dessus au paragraphe 379, à savoir la question relative à une éventuelle
responsabilité du défendeur à raison de l’un des actes connexes au géno-
cide énumérés à l’article III de la Convention. Ces actes sont les suivants:
176216 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
commit genocide (Art. III, para. (b)), direct and public incitement to com-
mit genocide (Art. III, para. (c)), attempt to commit genocide (Art. III,
para. (d)) — though no claim is made under this head in the Applicant’s
final submissions in the present case — and complicity in genocide
(Art. III, para. (e)). For the reasons already stated (paragraph 380
above), the Court must make a finding on this matter inasmuch as it has
replied in the negative to the previous question, that of the Respondent’s
responsibility in the commission of the genocide itself.
417. It is clear from an examination of the facts of the case that sub-
paragraphs (b) and (c) of Article III are irrelevant in the present case. It
has not been proved that organs of the FRY, or persons acting on the
instructions or under the effective control of that State, committed acts
that could be characterized as “[c]onspiracy to commit genocide”(Art. III,
para. (b)), or as “[d]irect and public incitement to commit genocide”
(Art. III, para. (c)), if one considers, as is appropriate, only the events in
Srebrenica. As regards paragraph (b), what was said above regarding the
attribution to the Respondent of acts of genocide, namely that the mas-
sacres were perpetrated by persons and groups of persons (the VRS in
particular) who did not have the character of organs of the Respondent,
and did not act on the instructions or under the effective control of the
Respondent, is sufficient to exclude the latter’s responsibility in this
regard. As regards subparagraph (c), none of the information brought to
the attention of the Court is sufficient to establish that organs of the
Respondent, or persons acting on its instructions or under its effective
control, directly and publicly incited the commission of the genocide in
Srebrenica; nor is it proven, for that matter, that such organs or persons
incited the commission of acts of genocide anywhere else on the territory
of Bosnia and Herzegovina. In this respect, the Court must only accept
precise and incontrovertible evidence, of which there is clearly none.
418. A more delicate question is whether it can be accepted that acts
which could be characterized as “complicity in genocide”, within the
meaning of Article III, paragraph (e), can be attributed to organs of the
Respondent or to persons acting under its instructions or under its effec-
tive control.
This question calls for some preliminary comment.
419. First, the question of “complicity” is to be distinguished from the
question, already considered and answered in the negative, whether the
perpetrators of the acts of genocide committed in Srebrenica acted on the
instructions of or under the direction or effective control of the organs of
the FRY. It is true that in certain national systems of criminal law, giving
instructions or orders to persons to commit a criminal act is considered
as the mark of complicity in the commission of that act. However, in the
particular context of the application of the law of international respon-
sibility in the domain of genocide, if it were established that a genocidal
act had been committed on the instructions or under the direction of a
177 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 216
l’entente en vue de commettre le génocide (art. III, litt. b)), l’incitation
directe et publique à commettre le génocide (art. III, litt. c)), la tentative
de génocide (art. III, litt. d)) — bien qu’aucun grief ne soit formulé sous
ce chef dans les conclusions finales exposées par le demandeur en la pré-
sente espèce — et la complicité dans le génocide (art. III, litt. e)). Pour les
raisons déjà exprimées (voir plus haut, paragraphe 380), la Cour est tenue
de se prononcer sur cette question dès lors qu’elle a répondu par la néga-
tive à la question précédente, celle de la responsabilité du défendeur dans
la commission du génocide lui-même.
417. L’examen des faits de l’espèce fait ressortir que les litt. b) et c) de
l’article III sont dépourvus de pertinence dans la présente affaire. Il n’est
pas établi que des organes de la RFY, ou des personnes agissant selon les
instructions ou sous le contrôle effectif de cet Etat, auraient commis des
actes qualifiables d’«entente en vue de commettre le génocide» (art. III,
litt. b)) ou d’«incitation directe et publique à commettre le génocide»
(art. III, litt. c)), si l’on considère uniquement, comme il convient de le
faire, les événements de Srebrenica. En ce qui concerne le litt. b),cequi
a été exposé plus haut au sujet de l’attribution au défendeur des actes de
génocide, à savoir le fait que les massacres ont été commis par des per-
sonnes et groupes de personnes (notamment la VRS) n’ayant pas le
caractère d’organes du défendeur, et n’ayant pas non plus agi selon les
instructions ou sous le contrôle effectif de celui-ci, suffit à exclure sa res-
ponsabilité à cet égard. En ce qui concerne le litt. c), aucune des infor-
mations portées à la connaissance de la Cour ne permet de tenir pour
établi que des organes du défendeur, ou des personnes agissant selon ses
instructions ou sous son contrôle effectif, auraient incité directement et
publiquement à commettre le génocide de Srebrenica, pas plus, d’ailleurs,
qu’il n’est prouvé que de tels organes ou personnes auraient incité à com-
mettre des actes de génocide ailleurs sur le territoire de la Bosnie-Herzé-
govine. La Cour ne doit retenir à cet égard que des éléments de preuve
précis et incontestables, qui font manifestement défaut.
418. Plus délicate est la question de savoir s’il est possible de retenir, à
la charge des organes du défendeur ou de personnes agissant selon ses
instructions ou sous son contrôle effectif, des actes susceptibles d’être
caractérisés comme une «complicité dans le génocide», au sens du litt. e)
de l’article III.
Cette question appelle quelques observations préliminaires.
419. En premier lieu, la question de la «complicité» doit être distinguée
de celle, déjà examinée et à laquelle il a été répondu par la négative, de
savoir si les auteurs des actes de génocide commis à Srebrenica ont agi sur
les instructions ou les directives ou sous la direction ou le contrôle effectif
des organes de la RFY. Il est vrai que, dans certains systèmes nationaux
de droit pénal, le fait d’adresser des instructions ou des ordres à des per-
sonnes afin que celles-ci commettent un acte criminel est considéré comme
caractérisant la complicité dans la commission de cet acte. Dans le contexte
particulier de l’application du droit de la responsabilité internationale en
matière de génocide, cependant, s’il était établi qu’un acte de génocide a
177217 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
State, the necessary conclusion would be that the genocide was attribu-
table to the State, which would be directly responsible for it, pursuant to
the rule referred to above (paragraph 398), and no question of complicity
would arise. But, as already stated, that is not the situation in the present
case.
However there is no doubt that “complicity”, in the sense of
Article III, paragraph (e), of the Convention, includes the provision
of means to enable or facilitate the commission of the crime; it is thus on
this aspect that the Court must focus. In this respect, it is noteworthy
that, although “complicity”, as such, is not a notion which exists in the
current terminology of the law of international responsibility, it is similar
to a category found among the customary rules constituting the law of
State responsibility, that of the “aid or assistance” furnished by one State
for the commission of a wrongful act by another State.
420. In this connection, reference should be made to Article 16 of the
ILC’s Articles on State Responsibility, reflecting a customary rule, which
reads as follows:
“Article 16
Aid or assistance in the commission of an internationally wrongful
act
A State which aids or assists another State in the commission of
an internationally wrongful act by the latter is internationally respon-
sible for doing so if:
(a) That State does so with knowledge of the circumstances of the
internationally wrongful act; and
(b) The act would be internationally wrongful if committed by that
State.”
Although this provision, because it concerns a situation characterized by
a relationship between two States, is not directly relevant to the present
case, it nevertheless merits consideration. The Court sees no reason to
make any distinction of substance between “complicity in genocide”,
within the meaning of Article III, paragraph (e), of the Convention, and
the “aid or assistance” of a State in the commission of a wrongful act by
another State within the meaning of the aforementioned Article 16 —
setting aside the hypothesis of the issue of instructions or directions or
the exercise of effective control, the effects of which, in the law of interna-
tional responsibility, extend beyond complicity. In other words, to ascer-
tain whether the Respondent is responsible for “complicity in genocide”
within the meaning of Article III, paragraph (e), which is what the Court
now has to do, it must examine whether organs of the respondent State,
or persons acting on its instructions or under its direction or effective
control, furnished “aid or assistance” in the commission of the genocide
in Srebrenica, in a sense not significantly different from that of those con-
cepts in the general law of international responsibility.
178 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 217
été commis sur les instructions ou les directives d’un Etat, la conclusion
qu’il conviendrait d’en tirer serait que le génocide est attribuable à l’Etat,
qui en serait responsable en application de la règle rappelée plus haut
(paragraphe 398), et aucune question de «complicité» ne se poserait à cet
égard. Mais, comme il a été dit, tel n’est pas le cas en l’espèce.
En revanche, la «complicité» au sens litt. e) de l’article III de la
Convention englobe sans nul doute la fourniture de moyens destinés à
permettre ou à faciliter la commission du crime; c’est sur cet aspect que la
Cour doit donc concentrer son attention. A cet égard, il y a lieu de relever
que si la «complicité» est, comme telle, une notion absente de l’actuelle
terminologie du droit de la responsabilité internationale, elle se rapproche
d’une catégorie qui est présente dans les règles coutumières qui composent
le droit de la responsabilité des Etats, celle de l’«aide ou assistance» four-
nie par un Etat à la commission d’un fait illicite par un autre Etat.
420. A cet égard, il y a lieu de se référer aux articles de la CDI sur la
responsabilité de l’Etat, dans lesquels est exprimée la règle coutumière
suivante:
«Article 16
Aide ou assistance dans la commission du fait internationalement
illicite
L’Etat qui aide ou assiste un autre Etat dans la commission du fait
internationalement illicite par ce dernier est internationalement res-
ponsable pour avoir agi de la sorte dans le cas où:
a) Ledit Etat agit en connaissance des circonstances du fait inter-
nationalement illicite; et
b) Le fait serait internationalement illicite s’il était commis par cet
Etat.»
Bien que cette disposition ne soit pas directement pertinente en la pré-
sente affaire, puisqu’elle vise une situation caractérisée par une relation
entre deux Etats, situation qui n’est pas celle de l’espèce, elle n’est cepen-
dant pas sans intérêt. En effet, la Cour n’aperçoit pas de raison d’établir
une différence substantielle entre la «complicité dans le génocide» au
sens du litt. e) de l’article III de la Convention et l’«aide ou assistance»
d’un Etat à la commission d’un acte illicite par un autre Etat au sens de
l’article 16 précité — une fois écartée l’hypothèse de la fourniture d’ins-
tructions ou de directives ou de l’exercice d’un contrôle effectif, dont les
effets vont, dans le droit de la responsabilité internationale, au-delà de la
complicité. En d’autres termes, pour déterminer si le défendeur est res-
ponsable de «complicité dans le génocide» au sens du litt. e) de l’ar-
ticle III, ce qu’il lui appartient maintenant de faire, la Cour doit recher-
cher si des organes de l’Etat défendeur, ou des personnes agissant selon
ses instructions ou directives ou sous son contrôle effectif, ont prêté «aide
ou assistance» à la commission du génocide de Srebrenica, en un sens
qui ne diffère pas de manière sensible de celui que possèdent ces notions
dans le droit général de la responsabilité internationale.
178218 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
421. Before the Court turns to an examination of the facts, one further
comment is required. It concerns the link between the specific intent
(dolus specialis) which characterizes the crime of genocide and the
motives which inspire the actions of an accomplice (meaning a person
providing aid or assistance to the direct perpetrators of the crime): the
question arises whether complicity presupposes that the accomplice shares
the specific intent (dolus specialis) of the principal perpetrator. But
whatever the reply to this question, there is no doubt that the conduct of
an organ or a person furnishing aid or assistance to a perpetrator of the
crime of genocide cannot be treated as complicity in genocide unless at
the least that organ or person acted knowingly, that is to say, in particu-
lar, was aware of the specific intent (dolus specialis) of the principal per-
petrator. If that condition is not fulfilled, that is sufficient to exclude
categorization as complicity. The Court will thus first consider whether
this latter condition is met in the present case. It is only if it replies to that
question of fact in the affirmative that it will need to determine the legal
point referred to above.
422. The Court is not convinced by the evidence furnished by the
Applicant that the above conditions were met. Undoubtedly, the quite
substantial aid of a political, military and financial nature provided by
the FRY to the Republika Srpska and the VRS, beginning long before
the tragic events of Srebrenica, continued during those events. There is
thus little doubt that the atrocities in Srebrenica were committed, at least
in part, with the resources which the perpetrators of those acts possessed
as a result of the general policy of aid and assistance pursued towards
them by the FRY. However, the sole task of the Court is to establish the
legal responsibility of the Respondent, a responsibility which is subject to
very specific conditions. One of those conditions is not fulfilled, because
it is not established beyond any doubt in the argument between the
Parties whether the authorities of the FRY supplied — and continued to
supply — the VRS leaders who decided upon and carried out those acts
of genocide with their aid and assistance, at a time when those authorities
were clearly aware that genocide was about to take place or was under
way; in other words that not only were massacres about to be carried out
or already under way, but that their perpetrators had the specific intent
characterizing genocide, namely, the intent to destroy, in whole or in
part, a human group, as such.
423. A point which is clearly decisive in this connection is that it was
not conclusively shown that the decision to eliminate physically the adult
male population of the Muslim community from Srebrenica was brought
to the attention of the Belgrade authorities when it was taken; the Court
has found (paragraph 295 above) that that decision was taken shortly
before it was actually carried out, a process which took a very short time
(essentially between 13 and 16 July 1995), despite the exceptionally high
number of victims. It has therefore not been conclusively established
179 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 218
421. Avant de procéder à l’examen des faits, une dernière observation
s’impose. Elle concerne le lien entre l’intention spécifique (dolus specia-
lis) qui caractérise le crime de génocide et les mobiles qui poussent le
complice (au sens de la personne fournissant aide et assistance aux
auteurs directs du crime) à agir ainsi: la question se pose de savoir si la
qualification de complicité suppose que le complice partage lui-même
l’intention spécifique (dolus specialis) de l’auteur principal. Mais quelle
que soit la réponse que l’on donne à cette question, il n’est pas douteux
que le comportement d’un organe ou d’une personne qui fournit aide ou
assistance à l’auteur du crime de génocide ne peut être qualifié de com-
plicité dans le génocide que si, à tout le moins, cet organe ou cette per-
sonne agit en connaissance de cause, c’est-à-dire, notamment, connaît
l’existence de l’intention spécifique (dolus specialis) qui anime l’auteur
principal. Si cette condition n’est pas remplie, cela suffit pour écarter la
qualification de complicité. La Cour va donc d’abord examiner si cette
dernière condition est remplie en l’espèce. C’est seulement si elle répond à
cette question de fait par l’affirmative qu’elle aura besoin d’examiner et
de trancher la question de droit énoncée plus haut.
422. La Cour n’a pas été convaincue par les éléments de preuve éma-
nant du demandeur que les conditions exposées plus haut se trouvent
réunies. Sans doute l’aide considérable fournie sur les plans politique,
militaire et financier par la RFY à la Republika Srpska et à la VRS, com-
mencée bien avant les tragiques événements de Srebrenica, s’est-elle pour-
suivie pendant ces événements. En ce sens, il n’est guère douteux que les
atrocités de Srebrenica ont pu être commises, au moins en partie, avec les
moyens dont les auteurs de ces actes disposaient en conséquence de la
politique générale d’aide et d’assistance menée par la RFY en leur faveur.
Toutefois, la Cour n’a d’autre tâche que d’établir la responsabilité juri-
dique du défendeur; des conditions bien particulières doivent pour ce
faire être réunies. Or, l’une d’entre elles fait défaut: il n’a, en effet, pas été
établi de manière indiscutable, par l’argumentation développée entre les
Parties, que les autorités de la RFY auraient fourni — et continué à four-
nir — leur aide et leur assistance aux chefs de la VRS qui ont décidé et
exécuté le génocide, à un moment où elles auraient été clairement cons-
cientes qu’un génocide était sur le point, ou en train, d’être commis, c’est-
à-dire que des massacres étaient non seulement sur le point, ou en train,
d’être perpétrés, mais qu’ils l’étaient avec l’intention spécifique, de la part
de leurs auteurs, caractérisant le génocide, c’est-à-dire l’intention de
détruire en tout ou en partie un groupe humain comme tel.
423. Il est sans doute déterminant, à cet égard, de relever qu’il n’a pas
été démontré de façon concluante que la décision d’éliminer physique-
ment la population masculine adulte de la communauté musulmane de
Srebrenica ait été, au moment où elle a été prise, portée à la connaissance
des autorités de Belgrade, et que la Cour a conclu (paragraphe 295 ci-
dessus) que cette décision avait été prise peu avant son exécution maté-
rielle, laquelle s’est déroulée sur une très brève période (entre le 13 et le
16 juillet 1995 pour l’essentiel), malgré le nombre exceptionnellement
179219 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
that, at the crucial time, the FRY supplied aid to the perpetrators of the
genocide in full awareness that the aid supplied would be used to commit
genocide.
424. The Court concludes from the above that the international respon-
sibility of the Respondent is not engaged for acts of complicity in geno-
cide mentioned in Article III, paragraph (e), of the Convention. In the
light of this finding, and of the findings above relating to the other para-
graphs of Article III, the international responsibility of the Respondent is
not engaged under Article III as a whole.
*
* *
IX. THE Q UESTION OF R ESPONSIBILITY FORBREACH OF THE OBLIGATIONS
TO PREVENT AND PUNISH G ENOCIDE
425. The Court now turns to the third and last of the questions set out
in paragraph 379 above: has the respondent State complied with its obli-
gations to prevent and punish genocide under Article I of the Conven-
tion?
Despite the clear links between the duty to prevent genocide and the
duty to punish its perpetrators, these are, in the view of the Court, two
distinct yet connected obligations, each of which must be considered in
turn.
426. It is true that, simply by its wording, Article I of the Convention
brings out the close link between prevention and punishment: “The Con-
tracting Parties confirm that genocide, whether committed in time of
peace or in time of war, is a crime under international law which they
undertake to prevent and to punish.” It is also true that one of the most
effective ways of preventing criminal acts, in general, is to provide pen-
alties for persons committing such acts, and to impose those penalties
effectively on those who commit the acts one is trying to prevent. Lastly,
it is true that, although in the subsequent Articles, the Convention
includes fairly detailed provisions concerning the duty to punish
(Articles III to VII), it reverts to the obligation of prevention, stated as
a principle in Article I, only in Article VIII:
“Any Contracting Party may call upon the competent organs of
the United Nations to take such action under the Charter of the
United Nations as they consider appropriate for the prevention and
suppression of acts of genocide or any of the other acts enumerated
in article III.”
427. However, it is not the case that the obligation to prevent has no
separate legal existence of its own; that it is, as it were, absorbed by the
180 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 219
élevé des victimes. Dans ces conditions, il n’a pas été établi de façon
concluante que la RFY ait fourni, au moment crucial, une aide aux
auteurs du génocide en pleine conscience de ce que cette aide serait
employée à commettre un génocide.
424. La Cour conclut de ce qui précède que la responsabilité interna-
tionale du défendeur n’est pas engagée à raison d’actes de complicité de
génocide énumérés au litt. e) de l’article III de la Convention. Au vu de
cette conclusion et de celles formulées ci-dessus relativement aux autres
litt. de l’article III, la responsabilité internationale du défendeur n’est pas
engagée sur le terrain de l’article III dans son ensemble.
* * *
IX. L A RESPONSABILITÉ POUR MANQUEMENT AUX OBLIGATIONS
DE PRÉVENIR ET DE PUNIR LE GÉNOCIDE
425. La Cour aborde à présent la troisième et dernière des questions
énoncées plus haut au paragraphe 379: l’Etat défendeur a-t-il respecté ses
obligations de prévenir et de punir le génocide, telles qu’elles découlent de
l’article premier de la Convention?
En dépit des liens évidents qui existent entre l’obligation de prévenir le
génocide et celle d’en punir les auteurs, il s’agit bien, de l’avis de la Cour,
de deux obligations distinctes, quoique reliées entre elles, qui doivent être
examinées successivement.
426. Il est vrai que l’article premier de la Convention, par sa rédaction
même, fait ressortir le lien étroit entre prévention et punition, dans les
termes suivants: «Les Parties contractantes confirment que le génocide,
qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du
droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.» Il est vrai aussi
que l’une des manières les plus efficaces de prévenir la commission d’actes
criminels, en général, est de prévoir des sanctions pénales à l’encontre des
personnes qui viendraient à commettre de tels actes, et d’appliquer effec-
tivement ces sanctions à ceux qui auraient commis les actes dont on
cherche à éviter le renouvellement. Il est vrai enfin que, alors que la
Convention comporte, dans les articles qui suivent l’article premier
précité, des dispositions plus ou moins détaillées concernant l’obligation
de répression (les articles III à VII), elle ne revient sur l’obligation
de prévenir, au-delà de son affirmation de principe à l’article premier,
qu’à l’article VIII, aux termes duquel
«[t]oute Partie contractante peut saisir les organes compétents de
l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, confor-
mément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent
appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide
ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
427. Pour autant, on ne saurait en déduire que l’obligation de préven-
tion n’aurait pas d’existence juridique propre, qu’elle serait en quelque
180220 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
obligation to punish, which is therefore the only duty the performance of
which may be subject to review by the Court. The obligation on each
contracting State to prevent genocide is both normative and compelling.
It is not merged in the duty to punish, nor can it be regarded as simply a
component of that duty. It has its own scope, which extends beyond the
particular case envisaged in Article VIII, namely reference to the compe-
tent organs of the United Nations, for them to take such action as they
deem appropriate. Even if and when these organs have been called upon,
this does not mean that the States parties to the Convention are relieved
of the obligation to take such action as they can to prevent genocide from
occurring, while respecting the United Nations Charter and any decisions
that may have been taken by its competent organs.
This is the reason why the Court will first consider the manner in
which the Respondent has performed its obligation to prevent before
examining the situation as regards the obligation to punish.
(1) The Obligation to Prevent Genocide
428. As regards the obligation to prevent genocide, the Court thinks it
necessary to begin with the following introductory remarks and clarifica-
tions, amplifying the observations already made above.
429. First, the Genocide Convention is not the only international
instrument providing for an obligation on the States parties to it to take
certain steps to prevent the acts it seeks to prohibit. Many other instru-
ments include a similar obligation, in various forms: see, for example, the
Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment of 10 December 1984 (Art. 2); the Convention
on the Prevention and Punishment of Crimes against Internationally Pro-
tected Persons, Including Diplomatic Agents, of 14 December 1973
(Art. 4); the Convention on the Safety of United Nations and Associated
Personnel of 9 December 1994 (Art. 11); the International Convention
on the Suppression of Terrorist Bombings of 15 December 1997 (Art. 15).
The content of the duty to prevent varies from one instrument to another,
according to the wording of the relevant provisions, and depending on
the nature of the acts to be prevented.
The decision of the Court does not, in this case, purport to establish a
general jurisprudence applicable to all cases where a treaty instrument, or
other binding legal norm, includes an obligation for States to prevent cer-
tain acts. Still less does the decision of the Court purport to find whether,
apart from the texts applicable to specific fields, there is a general obliga-
tion on States to prevent the commission by other persons or entities of
acts contrary to certain norms of general international law. The Court
will therefore confine itself to determining the specific scope of the duty
to prevent in the Genocide Convention, and to the extent that such a
181 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 220
sorte absorbée par l’obligation de répression, qui serait la seule, par suite,
dont l’exécution serait susceptible d’être examinée par la Cour. L’obliga-
tion pour chaque Etat contractant de prévenir le génocide revêt une por-
tée normative et un caractère obligatoire. Elle ne se confond pas avec
l’obligation de punition, elle ne peut pas non plus être regardée comme
une simple composante de cette dernière. Elle a sa propre portée, qui va
au-delà du cas particulier envisagé à l’article VIII précité, celui de la sai-
sine des organes compétents des Nations Unies tendant à ce que ceux-ci
prennent les mesures qu’ils jugent adéquates: même une fois ces organes
saisis, s’ils le sont, les Etats parties à la Convention ne sont pas pour
autant déchargés de l’obligation de mettre en Œuvre, chacun dans la
mesure de ses capacités, les moyens propres à prévenir la survenance d’un
génocide, dans le respect de la Charte des Nations Unies et des décisions
prises, le cas échéant, par les organes compétents de l’Organisation.
C’est pourquoi la Cour examinera d’abord la manière dont le défen-
deur s’est acquitté de son obligation de prévention avant de rechercher ce
qu’il en est de l’obligation de répression.
1) L’obligation de prévenir le génocide
428. En ce qui concerne l’obligation de prévenir le génocide, la Cour
croit devoir commencer par les remarques liminaires et précisions sui-
vantes, venant s’ajouter aux observations qui précèdent.
429. En premier lieu, la convention sur le génocide n’est pas le seul ins-
trument international à prévoir l’obligation pour les Etats parties de
prendre certaines mesures afin de prévenir les actes qu’il vise à interdire.
Bien d’autres instruments comportent une obligation similaire, sous des
formes diverses: ainsi, notamment, de la convention contre la torture et
autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 dé-
cembre 1984 (art. 2); de la convention sur la prévention et la répression
des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internatio-
nale, y compris les agents diplomatiques, du 14 décembre 1973 (art. 4);
de la convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du per-
sonnel associé du 9 décembre 1994 (art. 11); de la convention internatio-
nale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif du 15 décembre
1997 (art. 15). Le contenu de l’obligation de prévention varie d’un ins-
trument à l’autre, selon le libellé des dispositions pertinentes et en fonc-
tion de la nature même des actes qu’il s’agit de prévenir.
La Cour n’entend pas, à l’occasion de la présente affaire, établir par sa
décision une jurisprudence générale qui serait applicable à tous les cas où
un instrument conventionnel, ou toute autre norme obligatoire, com-
porte, à la charge des Etats, une obligation de prévenir certains actes.
Encore moins entend-elle déterminer s’il existe, au-delà des textes appli-
cables à des domaines spécifiques, une obligation générale, à la charge
des Etats, de prévenir la commission par d’autres personnes ou entités
qu’eux-mêmes des actes contraires à certaines normes du droit interna-
tional général. La Cour se bornera donc à déterminer la portée spécifique
181221 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
determination is necessary to the decision to be given on the dispute
before it. This will, of course, not absolve it of the need to refer, if need
be, to the rules of law whose scope extends beyond the specific field
covered by the Convention.
430. Secondly, it is clear that the obligation in question is one of con-
duct and not one of result, in the sense that a State cannot be under an
obligation to succeed, whatever the circumstances, in preventing the com-
mission of genocide: the obligation of States parties is rather to employ
all means reasonably available to them, so as to prevent genocide so far
as possible. A State does not incur responsibility simply because the
desired result is not achieved; responsibility is however incurred if the
State manifestly failed to take all measures to prevent genocide which
were within its power, and which might have contributed to preventing
the genocide. In this area the notion of “due diligence”, which calls for an
assessment in concreto, is of critical importance. Various parameters
operate when assessing whether a State has duly discharged the obliga-
tion concerned. The first, which varies greatly from one State to another,
is clearly the capacity to influence effectively the action of persons likely
to commit, or already committing, genocide. This capacity itself depends,
among other things, on the geographical distance of the State concerned
from the scene of the events, and on the strength of the political links, as
well as links of all other kinds, between the authorities of that State and
the main actors in the events. The State’s capacity to influence must also
be assessed by legal criteria, since it is clear that every State may only act
within the limits permitted by international law; seen thus, a State’s
capacity to influence may vary depending on its particular legal position
vis-à-vis the situations and persons facing the danger, or the reality, of
genocide. On the other hand, it is irrelevant whether the State whose
responsibility is in issue claims, or even proves, that even if it had
employed all means reasonably at its disposal, they would not have suf-
ficed to prevent the commission of genocide. As well as being generally
difficult to prove, this is irrelevant to the breach of the obligation of con-
duct in question, the more so since the possibility remains that the com-
bined efforts of several States, each complying with its obligation to
prevent, might have achieved the result — averting the commission
of genocide — which the efforts of only one State were insufficient to
produce.
431. Thirdly, a State can be held responsible for breaching the obliga-
tion to prevent genocide only if genocide was actually committed. It is at
the time when commission of the prohibited act (genocide or any of the
other acts listed in Article III of the Convention) begins that the breach
182 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 221
de l’obligation de prévention figurant dans la convention sur le génocide,
et pour autant qu’une telle détermination soit nécessaire à la décision à
rendre sur le différend à elle soumis. Cela ne la dispensera pas, naturel-
lement, de se référer, en tant que de besoin, à des règles de droit dont la
portée dépasse le seul domaine couvert par la Convention.
430. En deuxième lieu, il est clair que l’obligation dont il s’agit est une
obligation de comportement et non de résultat, en ce sens que l’on ne
saurait imposer à un Etat quelconque l’obligation de parvenir à empê-
cher, quelles que soient les circonstances, la commission d’un génocide:
l’obligation qui s’impose aux Etats parties est plutôt celle de mettre en
Œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue
d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide. La responsabilité
d’un Etat ne saurait être engagée pour la seule raison que le résultat
recherché n’a pas été atteint; elle l’est, en revanche, si l’Etat a manqué
manifestement de mettre en Œuvre les mesures de prévention du génocide
qui étaient à sa portée, et qui auraient pu contribuer à l’empêcher. En la
matière, la notion de «due diligence», qui appelle une appréciation in
concreto, revêt une importance cruciale. Plusieurs paramètres entrent en
ligne de compte quand il s’agit d’apprécier si un Etat s’est correctement
acquitté de l’obligation en cause. Le premier d’entre eux est évidemment
la capacité, qui varie grandement d’un Etat à l’autre, à influencer effec-
tivement l’action des personnes susceptibles de commettre, ou qui sont en
train de commettre, un génocide. Cette capacité est elle-même fonction,
entre autres, de l’éloignement géographique de l’Etat considéré par rap-
port au lieu des événements, et de l’intensité des liens politiques et de tous
ordres entre les autorités dudit Etat et les acteurs directs de ces événe-
ments. Par ailleurs, la capacité d’influence de l’Etat doit être évaluée aussi
selon des critères juridiques, puisqu’il est clair que chaque Etat ne peut
déployer son action que dans les limites de ce que lui permet la légalité
internationale; de ce point de vue, la capacité d’influence dont dispose un
Etat peut varier selon la position juridique qui est la sienne à l’égard des
situations et des personnes concernées par le risque, ou la réalité, du
génocide. Peu importe, en revanche, que l’Etat dont la responsabilité est
recherchée allègue, voire qu’il démontre, que s’il avait mis en Œuvre les
moyens dont il pouvait raisonnablement disposer, ceux-ci n’auraient pas
suffi à empêcher la commission du génocide. Une telle circonstance,
d’ailleurs généralement difficile à prouver, est sans pertinence au regard
de la violation de l’obligation de comportement dont il s’agit. Il en va
d’autant plus ainsi qu’on ne saurait exclure que les efforts conjugués de
plusieurs Etats, dont chacun se serait conformé à son obligation de pré-
vention, auraient pu atteindre le résultat — empêcher la commission d’un
génocide — que les efforts d’un seul d’entre eux n’auraient pas suffi à
obtenir.
431. En troisième lieu, la responsabilité d’un Etat pour violation de
l’obligation de prévenir le génocide n’est susceptible d’être retenue que si
un génocide a effectivement été commis. C’est seulement au moment où
l’acte prohibé (le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés
182222 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
of an obligation of prevention occurs. In this respect, the Court refers
to a general rule of the law of State responsibility, stated by the ILC in
Article 14, paragraph 3, of its Articles on State Responsibility:
.“...........................
3. The breach of an international obligation requiring a State to
prevent a given event occurs when the event occurs and extends over
the entire period during which the event continues and remains not
in conformity with that obligation.”
This obviously does not mean that the obligation to prevent genocide
only comes into being when perpetration of genocide commences; that
would be absurd, since the whole point of the obligation is to prevent, or
attempt to prevent, the occurrence of the act. In fact, a State’s obligation
to prevent, and the corresponding duty to act, arise at the instant that the
State learns of, or should normally have learned of, the existence of a
serious risk that genocide will be committed. From that moment onwards,
if the State has available to it means likely to have a deterrent effect on
those suspected of preparing genocide, or reasonably suspected of har-
bouring specific intent (dolus specialis), it is under a duty to make such
use of these means as the circumstances permit. However, if neither geno-
cide nor any of the other acts listed in Article III of the Convention are
ultimately carried out, then a State that omitted to act when it could have
done so cannot be held responsible a posteriori, since the event did not
happen which, under the rule set out above, must occur for there to be a
violation of the obligation to prevent.
In consequence, in the present case the Court will have to consider the
Respondent’s conduct, in the light of its duty to prevent, solely in con-
nection with the massacres at Srebrenica, because these are the only acts
in respect of which the Court has concluded in this case that genocide
was committed.
432. Fourth and finally, the Court believes it especially important to
lay stress on the differences between the requirements to be met before a
State can be held to have violated the obligation to prevent genocide —
within the meaning of Article I of the Convention — and those to be
satisfied in order for a State to be held responsible for “complicity in
genocide” — within the meaning of Article III, paragraph (e) —a s
previously discussed. There are two main differences; they are so sig-
nificant as to make it impossible to treat the two types of violation in the
same way.
In the first place, as noted above, complicity always requires that some
positive action has been taken to furnish aid or assistance to the perpe-
trators of the genocide, while a violation of the obligation to prevent
183 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 222
à l’article III de la Convention) a commencé à être commis que la viola-
tion d’une obligation de prévention est constituée. A cet égard, la Cour
rappelle une règle générale du droit de la responsabilité internationale des
Etats, que la CDI a énoncée au paragraphe 3 de l’article 14 de ses articles
sur la responsabilité de l’Etat:
............................
3. La violation d’une obligation internationale requérant de l’Etat
qu’il prévienne un événement donné a lieu au moment où l’événe-
ment survient et s’étend sur toute la période durant laquelle l’événe-
ment continue et reste non conforme à cette obligation.»
Cela ne signifie évidemment pas que l’obligation de prévenir le génocide
ne prend naissance qu’au moment où le génocide commence à être per-
pétré, ce qui serait absurde, puisqu’une telle obligation a précisément
pour objet d’empêcher, ou de tenter d’empêcher, la survenance d’un tel
acte. En réalité, l’obligation de prévention et le devoir d’agir qui en est le
corollaire prennent naissance, pour un Etat, au moment où celui-ci a
connaissance, ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence
d’un risque sérieux de commission d’un génocide. Dès cet instant, l’Etat
est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif à
l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou dont on
peut raisonnablement craindre qu’ils nourrissent l’intention spécifique
(dolus specialis), de mettre en Œuvre ces moyens, selon les circonstances.
Pour autant, si ni le génocide ni aucun des autres actes énumérés à l’ar-
ticle III de la Convention n’est finalement mis à exécution, la responsabi-
lité de l’Etat qui se sera abstenu d’agir alors qu’il l’aurait pu ne pourra
pas être recherchée a posteriori, faute que soit survenu l’événement en
l’absence duquel la violation de l’obligation de prévention n’est pas cons-
tituée, selon la règle ci-dessus énoncée.
En l’espèce, il en résulte que la Cour ne devra examiner le comporte-
ment du défendeur au regard de son obligation de prévention qu’en
liaison avec les massacres de Srebrenica, puisqu’il s’agit des seuls actes à
propos desquels elle a considéré comme établie la commission d’un géno-
cide en la présente affaire.
432. Enfin, en quatrième lieu, la Cour croit particulièrement important
d’insister sur les différences qui existent entre les conditions auxquelles
peut être constatée la violation par un Etat de l’obligation de pré-
venir le génocide — au sens de l’article premier de la Convention — et
celles qui sont exigées pour que l’Etat soit tenu pour responsable de
«complicité dans le génocide» — au sens du litt. e) de l’article III —,
dont il a été précédemment question. Ces différences sont principale-
ment au nombre de deux; elles sont d’une importance telle qu’elles inter-
disent d’assimiler d’aucune manière les deux catégories de violation con-
sidérées.
D’une part, la complicité suppose toujours, ainsi qu’il a été dit plus
haut, une action positive tendant à fournir aide ou assistance aux auteurs
principaux du génocide, alors que la violation de l’obligation de préven-
183223 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
results from mere failure to adopt and implement suitable measures to
prevent genocide from being committed. In other words, while complicity
results from commission, violation of the obligation to prevent results
from omission; this is merely the reflection of the notion that the ban on
genocide and the other acts listed in Article III, including complicity,
places States under a negative obligation, the obligation not to commit
the prohibited acts, while the duty to prevent places States under positive
obligations, to do their best to ensure that such acts do not occur.
In the second place, as also noted above, there cannot be a finding of
complicity against a State unless at the least its organs were aware that
genocide was about to be committed or was under way, and if the aid
and assistance supplied, from the moment they became so aware onwards,
to the perpetrators of the criminal acts or to those who were on the point
of committing them, enabled or facilitated the commission of the acts. In
other words, an accomplice must have given support in perpetrating the
genocide with full knowledge of the facts. By contrast, a State may be
found to have violated its obligation to prevent even though it had no
certainty, at the time when it should have acted, but failed to do so, that
genocide was about to be committed or was under way; for it to incur
responsibility on this basis it is enough that the State was aware, or
should normally have been aware, of the serious danger that acts of
genocide would be committed. As will be seen below, this latter difference
could prove decisive in the present case in determining the responsibility
incurred by the Respondent.
433. In light of the foregoing, the Court will now consider the facts of
the case. For the reasons stated above (paragraph 431), it will confine
itself to the FRY’s conduct vis-à-vis the Srebrenica massacres.
434. The Court would first note that, during the period under con-
sideration, the FRY was in a position of influence over the Bosnian Serbs
who devised and implemented the genocide in Srebrenica, unlike that of
any of the other States parties to the Genocide Convention owing to the
strength of the political, military and financial links between the FRY on
the one hand and the Republika Srpska and the VRS on the other,
which, though somewhat weaker than in the preceding period, none-
theless remained very close.
435. Secondly, the Court cannot but note that, on the relevant date,
the FRY was bound by very specific obligations by virtue of the two
Orders indicating provisional measures delivered by the Court in 1993. In
particular, in its Order of 8 April 1993, the Court stated, inter alia, that
although not able, at that early stage in the proceedings, to make “defini-
tive findings of fact or of imputability” (I.C.J. Reports 1993,p .,
para. 44) the FRY was required to ensure:
184 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 223
tion résulte de la simple abstention de prendre et de mettre en Œuvre les
mesures adéquates pour empêcher la commission du génocide. En d’autres
termes, la complicité se produit par action, la violation de l’obligation de
prévenir se produit par omission; ce qui ne fait que traduire l’idée que la
prohibition du génocide et des autres actes énumérés à l’article III, parmi
lesquels la complicité, met à la charge des Etats une obligation négative
— celle de ne pas commettre les actes prohibés — tandis que le devoir de
prévention met à la charge des Etats des obligations positives — faire de
leur mieux pour que ces actes ne se produisent pas.
D’autre part, comme il a également été dit plus haut, la complicité ne
peut être retenue à la charge d’un Etat que si, à tout le moins, ses organes
étaient conscients qu’un génocide était sur le point, ou en train, d’être
commis, et que l’aide ou l’assistance fournie par lui, à partir du moment
où cette conscience a été acquise, aux auteurs des actes criminels ou à
ceux qui seraient sur le point de les commettre, permettrait, ou rendrait
plus facile, la commission de ces actes. Autrement dit, le complice doit
avoir apporté un soutien en pleine connaissance de cause à la perpétra-
tion du génocide. En revanche, un Etat peut être considéré comme ayant
violé son obligation de prévention même s’il n’avait pas acquis la certi-
tude, au moment où il aurait dû agir mais s’en est abstenu, qu’un géno-
cide était sur le point, ou en train, d’être commis: il suffit, pour que sa
responsabilité internationale soit susceptible d’être engagée à ce titre,
qu’il ait eu connaissance, ou eût dû normalement avoir connaissance, de
l’existence d’un risque sérieux de commission d’actes de génocide. Comme
il apparaîtra plus loin, cette dernière différence pourrait se révéler déci-
sive dans la présente affaire aux fins d’apprécier les responsabilités encou-
rues par le défendeur.
433. A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour en vient à
présent à l’examen des faits de l’espèce. Pour les raisons exposées plus
haut (paragraphe 431), elle limitera son examen au comportement de la
RFY à l’égard des massacres de Srebrenica.
434. La Cour constate d’abord qu’à l’époque considérée la RFY se
trouvait, à l’égard des Serbes de Bosnie qui ont conçu et exécuté le géno-
cide de Srebrenica, dans une position d’influence qui n’était comparable à
celle d’aucun des autres Etats parties à la convention sur le génocide, en
raison de la puissance des liens politiques, militaires et financiers entre,
d’une part, la RFY et, de l’autre, la Republika Srpska et la VRS, liens
qui, s’ils s’étaient alors quelque peu distendus par rapport à la période
précédente, étaient cependant demeurés très forts.
435. En deuxième lieu, la Cour ne peut manquer de relever que la
RFY était, à la date pertinente, soumise à des obligations très spécifiques
du fait des deux ordonnances en indication de mesures conservatoires
rendues par la Cour en 1993. En particulier, dans son ordonnance du
8 avril 1993, la Cour a notamment indiqué que, bien qu’elle ne fût pas, à
ce stade très précoce de la procédure, habilitée à «conclure définitivement
sur les faits ou leur imputabilité» (C.I.J. Recueil 1993, p. 22, par. 44), elle
estimait la RFY tenue de
184224 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
“that any military, paramilitary or irregular armed units which may
be directed or supported by it, as well as any organizations and per-
sons which may be subject to its control, direction or influence, do
not commit any acts of genocide, of conspiracy to commit genocide,
of direct and public incitement to commit genocide, or of complicity
in genocide . . .” (I.C.J. Reports 1993, p. 24, para. 52 A (2)).
The Court’s use, in the above passage, of the term “influence” is particu-
larly revealing of the fact that the Order concerned not only the persons
or entities whose conduct was attributable to the FRY, but also all those
with whom the Respondent maintained close links and on which it could
exert a certain influence. Although in principle the two issues are sepa-
rate, and the second will be examined below, it is not possible, when con-
sidering the way the Respondent discharged its obligation of prevention
under the Convention, to fail to take account of the obligation incum-
bent upon it, albeit on a different basis, to implement the provisional
measures indicated by the Court.
436. Thirdly, the Court recalls that although it has not found that the
information available to the Belgrade authorities indicated, as a matter of
certainty, that genocide was imminent (which is why complicity in geno-
cide was not upheld above: paragraph 424), they could hardly have been
unaware of the serious risk of it once the VRS forces had decided to
occupy the Srebrenica enclave. Among the documents containing infor-
mation clearly suggesting that such an awareness existed, mention should
be made of the above-mentioned report (see paragraphs 283 and 285
above) of the United Nations Secretary-General prepared pursuant to
General Assembly resolution 53/35 on the “fall of Srebrenica” (United
Nations doc. A/54/549), which recounts the visit to Belgrade on
14 July 1995 of the European Union negotiator Mr. Bildt to meet
Mr. Miloševic ´. Mr. Bildt, in substance, informed Mr. Miloševic ´ of his
serious concern and
“pressed the President to arrange immediate access for the UNHCR
to assist the people of Srebrenica, and for the ICRC to start to
register those who were being treated by the BSA [Bosnian Serb
Army] as prisoners of war”.
437. The Applicant has drawn attention to certain evidence given by
General Wesley Clark before the ICTY in the Miloševic ´ case.
General Clark referred to a conversation that he had had with Miloševic ´
during the negotiation of the Dayton Agreement. He stated that
“I went to Miloševic´ and I asked him. I said, ‘If you have so much
influence over these [Bosnian] Serbs, how could you have allowed
185 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 224
«veiller à ce qu’aucune des unités militaires, paramilitaires ou unités
armées irrégulières qui pourraient relever de son autorité ou bénéfi-
cier de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pour-
raient se trouver sous son pouvoir, son autorité, ou son influence ne
commettent le crime de génocide, ne s’entendent en vue de commettre
ce crime, n’incitent directement et publiquement à le commettre ou ne
s’en rendent complices...»C(.I.J. Recueil 1, p. 24, par. 52, point A. 2)).
L’emploi par la Cour, dans le passage précité, du terme «influence» est
particulièrement révélateur de ce que l’ordonnance ne visait pas seule-
ment les personnes ou entités dont le comportement était attribuable à la
RFY, mais aussi toutes celles avec lesquelles l’Etat défendeur entretenait
des liens étroits et sur lesquelles il pouvait exercer une certaine influence.
Bien que les deux questions soient en principe distinctes, et que la
seconde doive être examinée ci-après, il n’est pas possible, en appréciant
la manière dont le défendeur s’est acquitté de son obligation de préven-
tion au sens de la Convention, de s’abstenir de tenir compte de l’obliga-
tion qui s’imposait aussi à lui, quoique sur un fondement différent, de
mettre en Œuvre les mesures conservatoires indiquées par la Cour.
436. En troisième lieu, la Cour rappelle que, même si elle n’a pas non
plus jugé que les informations dont disposaient les autorités de Belgrade
indiquaient de manière certaine l’imminence du génocide (raison pour
laquelle la complicité dans le génocide n’a pas été retenue ci-dessus: para-
graphe 424), ces dernières ne pouvaient pas ne pas être conscientes du
risque sérieux qui existait à cet égard dès lors que les forces de la VRS avaient
décidé de prendre possession de l’enclave de Srebrenica. Parmi d’autres
documents comportant des informations suggérant nettement qu’une telle
conscience existait, il y a lieu de faire mention du rapport, déjà cité, du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (voir plus haut
paragraphes 283 et 285) établi conformément à la résolution 53/35 de
l’Assemblée générale sur «la chute de Srebrenica» (Nations Unies, doc. A/
54/549), qui relate la visite à Belgrade, le 14 juillet 1995, du négociateur de
l’Union européenne, M. Bildt, auprès de Miloševic ´. M. Bildt avait, en
substance, fait part à ce dernier de ses très graves inquiétudes et lui avait
«demandé instamment ... de donner immédiatement au Haut Com-
missariat des Nations Unies pour les réfugiés la possibilité de venir en
aide à la population de Srebrenica et au Comité international de la
Croix-Rouge la possibilité de commencer à enregistrer ceux qui étaient
traités par les Serbes de Bosnie comme des prisonniers de guerre».
437. Le demandeur a appelé l’attention sur un certain nombre d’élé-
ments de preuve mentionnés par le général Wesley Clark au cours de la
déposition par celui-ci faite devant le TPIY dans l’affaire Miloševi´.Le
général Clark a évoqué en ces termes une conversation qu’il avait eue avec
M. Miloševic ´ dans le cadre des négociations pour les accords de Dayton:
«Je suis allé voir Miloševi´. Je lui ai posé la question suivante: «Si
vous avez une si grande influence sur ces Serbes [de Bosnie], comment
185225 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
General Mladic ´ to have killed all those people at Srebrenica?’ And
he looked to me — at me. His expression was very grave. He paused
before he answered, and he said, ‘Well, General Clark, I warned him
not to do this, but he didn’t listen to me.’ And it was in the context
of all the publicity at the time about the Srebrenica massacre.”
(Miloševi´, IT-02-54-T, Transcript, 16 December 2003, pp. 30494-
30495).
General Clark gave it as his opinion, in his evidence before the ICTY,
that the circumstances indicated that Miloševic ´ had foreknowledge of
what was to be “a military operation combined with a massacre” (ibid.,
p. 30497). The ICTY record shows that Miloševic ´ denied ever making the
statement to which General Clark referred, but the Trial Chamber
nevertheless relied on General Clark’s testimony in its Decision of
16 June 2004 when rejecting the Motion for Judgment of Acquittal
(Miloševi´, IT-02-54-T, Decision on Motion for Judgment of Acquittal,
16 June 2004, para. 280).
438. In view of their undeniable influence and of the information,
voicing serious concern, in their possession, the Yugoslav federal authori-
ties should, in the view of the Court, have made the best efforts within
their power to try and prevent the tragic events then taking shape, whose
scale, though it could not have been foreseen with certainty, might at
least have been surmised. The FRY leadership, and President Miloševic ´
above all, were fully aware of the climate of deep-seated hatred which
reigned between the Bosnian Serbs and the Muslims in the Srebrenica
region. As the Court has noted in paragraph 423 above, it has not been
shown that the decision to eliminate physically the whole of the adult
male population of the Muslim community of Srebrenica was brought to
the attention of the Belgrade authorities. Nevertheless, given all the inter-
national concern about what looked likely to happen at Srebrenica, given
Miloševic´’s own observations to Mladic ´, which made it clear that the
dangers were known and that these dangers seemed to be of an order that
could suggest intent to commit genocide, unless brought under control, it
must have been clear that there was a serious risk of genocide in Sre-
brenica. Yet the Respondent has not shown that it took any initiative to
prevent what happened, or any action on its part to avert the atrocities
which were committed. It must therefore be concluded that the organs of
the Respondent did nothing to prevent the Srebrenica massacres, claim-
ing that they were powerless to do so, which hardly tallies with their
known influence over the VRS. As indicated above, for a State to be held
responsible for breaching its obligation of prevention, it does not need to
be proven that the State concerned definitely had the power to prevent
the genocide; it is sufficient that it had the means to do so and that it
manifestly refrained from using them.
186 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 225
avez-vous pu permettre au général Mladic ´ de tuer toutes ces per-
sonnes à Srebrenica?» Il m’a regardé. Il avait une expression très grave
sur le visage. Il a observé une pause avant de répondre et m’a dit: «Eh
bien, général, je lui ai dit de ne pas le faire, mais il ne m’a pas écouté.»
Et c’était dans le contexte de toute la publicité qui était faite à
l’époque autour du massacre de Srebrenica.» (Miloševic ´, IT-02-54-T,
compte rendu d’audiences du 16 décembre 2003, p. 30494-30495.)
Dans sa déposition devant le TPIY, le général Clark a émis l’opinion
selon laquelle les circonstances indiquaient que Miloševi´ avait eu connais-
sance à l’avance de ce qui allait être une «opération militaire accompa-
gnée d’un massacre» (ibid., p. 30497). Les documents du TPIY font appa-
raître que Miloševic´ a nié avoir jamais fait la déclaration évoquée par le
général Clark, mais la chambre de première instance n’en a pas moins
retenu le témoignage de ce dernier dans la décision du 16 juin 2004 par
laquelle elle a rejeté la demande d’acquittement (Miloševic ´, IT-02-54-T,
décision relative à la demande d’acquittement, 16 juin 2004, par. 280).
438. Compte tenu de leur indéniable pouvoir d’influence, et des infor-
mations dont elles disposaient, faisant état de graves préoccupations, les
autorités fédérales yougoslaves auraient dû, de l’avis de la Cour, faire de
leur mieux pour tenter d’éviter que ne se produisent les tragiques événe-
ments qui s’annonçaient, et dont l’ampleur était sinon prévisible avec cer-
titude, du moins soupçonnable. Les dirigeants de la RFY, et au premier
chef le président Miloševic´, n’ignoraient rien, en effet, du climat particu-
lièrement haineux qui régnait entre les Serbes de Bosnie et les Musulmans
dans la région de Srebrenica. Comme l’a fait observer plus haut la Cour
au paragraphe 423, il n’a pas été démontré que la décision d’éliminer
physiquement l’ensemble de la population masculine adulte de la com-
munauté musulmane de Srebrenica avait été portée à l’attention des auto-
rités de Belgrade. Néanmoins, compte tenu de toute la préoccupation qui
était celle de la communauté internationale au sujet de ce qui risquait de
se produire à Srebrenica et compte tenu des propres observations de
Miloševic´ à Mladic´, qui montraient clairement que le danger qui mena-
çait était connu et semblait être d’une nature qui pouvait donner à penser
qu’existait une intention de commettre le génocide si rien n’était fait pour
parer ce danger, il devait être clair qu’existait un sérieux risque de géno-
cide à Srebrenica. Or, le défendeur n’a établi l’existence d’aucune initia-
tive à des fins préventives, d’aucune action de sa part visant à éviter les
atrocités qui ont été commises. Force est de conclure que les organes du
défendeur n’ont rien fait pour prévenir les massacres de Srebrenica, pré-
tendant être impuissants à cette fin, ce qui ne cadre guère avec ce que l’on
sait de leur pouvoir d’influence sur la VRS. Comme il a été dit plus haut,
il n’est pas nécessaire, pour que la violation de l’obligation de prévention
soit retenue à la charge d’un Etat, qu’il soit prouvé que cet Etat avait le
pouvoir d’empêcher certainement le génocide; il suffit qu’il ait eu des
moyens d’agir en ce sens, et qu’il se soit manifestement abstenu de les
mettre en Œuvre.
186226 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
Such is the case here. In view of the foregoing, the Court concludes
that the Respondent violated its obligation to prevent the Srebrenica
genocide in such a manner as to engage its international responsibility.
**
(2) The Obligation to Punish Genocide
439. The Court now turns to the question of the Respondent’s com-
pliance with its obligation to punish the crime of genocide stemming
from Article I and the other relevant provisions of the Convention.
440. In its fifth final submission, Bosnia and Herzegovina requests the
Court to adjudge and declare:
“5. That Serbia and Montenegro has violated and is violating its
obligations under the Convention on the Prevention and Punish-
ment of the Crime of Genocide for having failed and for failing to
punish acts of genocide or any other act prohibited by the Conven-
tion on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide,
and for having failed and for failing to transfer individuals accused
of genocide or any other act prohibited by the Convention to the
International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia and to
fully co-operate with this Tribunal.”
441. This submission implicitly refers to Article VI of the Convention,
according to which:
“Persons charged with genocide or any of the other acts enumer-
ated in article III shall be tried by a competent tribunal of the State
in the territory of which the act was committed, or by such interna-
tional penal tribunal as may have jurisdiction with respect to those
Contracting Parties which shall have accepted its jurisdiction.”
442. The Court would first recall that the genocide in Srebrenica, the
commission of which it has established above, was not carried out in the
Respondent’s territory. It concludes from this that the Respondent can-
not be charged with not having tried before its own courts those accused
of having participated in the Srebrenica genocide, either as principal per-
petrators or as accomplices, or of having committed one of the other acts
mentioned in Article III of the Convention in connection with the Sre-
brenica genocide. Even if Serbian domestic law granted jurisdiction to its
criminal courts to try those accused, and even supposing such proceed-
ings were compatible with Serbia’s other international obligations,
inter alia its obligation to co-operate with the ICTY, to which the Court
will revert below, an obligation to try the perpetrators of the Srebrenica
massacre in Serbia’s domestic courts cannot be deduced from Article VI.
Article VI only obliges the Contracting Parties to institute and exercise
187 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 226
Tel est le cas en l’espèce. La Cour conclut donc de ce qui précède que
le défendeur a violé son obligation de prévenir le génocide de Srebrenica,
et a ainsi engagé sa responsabilité internationale.
**
2) L’obligation de réprimer le génocide
439. La Cour aborde à présent la question du respect, par le défen-
deur, de son obligation de punir le crime de génocide découlant de l’ar-
ticle premier et des autres dispositions pertinentes de la Convention.
440. Dans son cinquième chef de conclusions, la Bosnie-Herzégovine
prie la Cour de dire et juger:
«5. Que la Serbie-et-Monténégro a violé et continue de violer les
obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide en manquant et en
continuant à manquer à son obligation de punir les actes de géno-
cide ou autres actes prohibés par la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide et en manquant et en continuant
à manquer à son obligation de transférer au Tribunal pénal pour
l’ex-Yougoslavie les personnes accusées de génocide ou d’autres
actes prohibés par la convention et de coopérer pleinement avec ledit
Tribunal.»
441. Ce chef de conclusions se réfère implicitement à l’article VI de la
Convention, aux termes duquel:
«Les personnes accusées de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes énumérés à l’article III seront traduites devant les tribu-
naux compétents de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été com-
mis, ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente
à l’égard de celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la
juridiction.»
442. La Cour rappelle d’abord que le génocide de Srebrenica dont elle
a constaté ci-dessus la commission n’a pas été perpétré sur le territoire de
l’Etat défendeur. Elle en déduit qu’on ne saurait faire grief à ce dernier de
n’avoir pas poursuivi devant ses propres tribunaux les personnes accusées
d’avoir participé, soit comme auteurs principaux, soit comme complices,
au génocide de Srebrenica, ou d’avoir commis l’un des autres actes men-
tionnés à l’article III de la Convention en liaison avec le génocide de Sre-
brenica. Quand bien même le droit interne de la Serbie attribuerait com-
pétence aux tribunaux répressifs de cet Etat pour juger les personnes
concernées, et même dans la mesure où un tel jugement serait compatible
avec les autres obligations internationales de la Serbie, notamment son
obligation de coopération avec le TPIY, sur laquelle la Cour reviendra
ci-après, on ne saurait déduire de l’article VI précité une obligation de
traduire devant les tribunaux de la Serbie les auteurs du génocide de Sre-
187227 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
territorial criminal jurisdiction; while it certainly does not prohibit States,
with respect to genocide, from conferring jurisdiction on their criminal
courts based on criteria other than where the crime was committed which
are compatible with international law, in particular the nationality of the
accused, it does not oblige them to do so.
443. It is thus to the obligation for States parties to co-operate with
the “international penal tribunal” mentioned in the above provision that
the Court must now turn its attention. For it is certain that once such a
court has been established, Article VI obliges the Contracting Parties
“which shall have accepted its jurisdiction” to co-operate with it, which
implies that they will arrest persons accused of genocide who are in their
territory — even if the crime of which they are accused was committed
outside it — and, failing prosecution of them in the parties’ own courts,
that they will hand them over for trial by the competent international
tribunal.
444. In order to determine whether the Respondent has fulfilled its
obligations in this respect, the Court must first answer two preliminary
questions: does the ICTY constitute an “international penal tribunal”
within the meaning of Article VI? And must the Respondent be regarded
as having “accepted the jurisdiction” of the tribunal within the meaning
of that provision?
445. As regards the first question, the Court considers that the reply
must definitely be in the affirmative. The notion of an “international
penal tribunal” within the meaning of Article VI must at least cover all
international criminal courts created after the adoption of the Conven-
tion (at which date no such court existed) of potentially universal scope,
and competent to try the perpetrators of genocide or any of the other acts
enumerated in Article III. The nature of the legal instrument by which
such a court is established is without importance in this respect. When
drafting the Genocide Convention, its authors probably thought that
such a court would be created by treaty: a clear pointer to this lies in the
reference to “those Contracting Parties which shall have accepted [the]
jurisdiction” of the international penal tribunal. Yet, it would be con-
trary to the object of the provision to interpret the notion of “interna-
tional penal tribunal” restrictively in order to exclude from it a court
which, as in the case of the ICTY, was created pursuant to a United
Nations Security Council resolution adopted under Chapter VII of the
Charter. The Court has found nothing to suggest that such a possibility
was considered by the authors of the Convention, but no intention of
seeking to exclude it can be imputed to them.
446. The question whether the Respondent must be regarded as having
“accepted the jurisdiction” of the ICTY within the meaning of Article VI
must consequently be formulated as follows: is the Respondent obliged
to accept the jurisdiction of the ICTY, and to co-operate with the Tribu-
nal by virtue of the Security Council resolution which established it, or of
188 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 227
brenica. L’article VI n’oblige les Etats contractants qu’à instituer et exer-
cer une compétence pénale territoriale; s’il n’interdit certes pas aux Etats
de conférer à leurs tribunaux pénaux, en matière de génocide, une com-
pétence fondée sur d’autres critères que le lieu de commission du crime
compatibles avec le droit international, en particulier la nationalité de
l’accusé, il ne leur impose pas d’agir ainsi.
443. C’est donc sur l’obligation de coopération avec la «cour crimi-
nelle internationale» mentionnée par la disposition précitée, qui s’impose
aux Etats parties, que la Cour doit concentrer son attention. Il est cer-
tain, en effet, que dès lors qu’une telle juridiction a été créée, l’article VI
oblige les Etats contractants «qui en auront reconnu la juridiction» à
coopérer avec elle, ce qui implique qu’ils procèdent à l’arrestation des
personnes accusées de génocide se trouvant sur leur territoire — même si
le crime dont elles sont accusées a été commis hors de celui-ci — et que,
à défaut de les traduire devant leurs propres juridictions, ils les défèrent
devant la cour internationale compétente pour les juger.
444. Afin de déterminer si le défendeur a respecté ses obligations à cet
égard, la Cour doit d’abord répondre à deux questions préalables: le
TPIY constitue-t-il une «cour criminelle internationale» au sens de
l’article VI précité? Le défendeur doit-il être regardé comme ayant
«reconnu la juridiction» de ce tribunal, au sens de cette disposition?
445. A la première question, la Cour estime que la réponse doit être
indubitablement affirmative. La notion de «cour criminelle internatio-
nale» au sens de l’article VI doit s’entendre au moins de toute juridiction
pénale internationale créée après l’adoption de la Convention (à la date
de laquelle une telle juridiction n’existait pas) à vocation potentiellement
universelle et compétente pour juger les auteurs d’un génocide ou de l’un
quelconque des autres actes énumérés à l’article III. Peu importe, à cet
égard, la nature de l’instrument juridique en vertu duquel cette juridiction
est créée. Sans doute les rédacteurs de la convention sur le génocide envi-
sageaient-ils une création par voie conventionnelle: un indice clair en ce
sens est fourni par la référence à «celles des Parties contractantes qui ...
auront reconnu la juridiction» de la cour criminelle internationale. Mais
il serait contraire à l’objet de cette disposition d’interpréter restrictive-
ment la notion de «cour criminelle internationale» afin d’en exclure une
juridiction qui, comme cela est le cas du TPIY, a été créée en vertu d’une
résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée en applica-
tion du chapitre VII de la Charte. La Cour n’a découvert aucun élément
permettant de penser qu’une telle hypothèse était envisagée par les rédac-
teurs de la Convention, mais on ne saurait leur prêter l’intention d’avoir
voulu l’exclure.
446. La question de savoir si le défendeur doit être regardé comme
ayant «reconnu la juridiction» du TPIY au sens de l’article VI doit être,
en conséquence, traduite dans les termes suivants: le défendeur est-il sou-
mis à l’obligation de reconnaître la juridiction du TPIY et de coopérer
avec ce tribunal en vertu de la résolution du Conseil de sécurité ayant
188228 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
some other rule of international law? If so, it would have to be concluded
that, for the Respondent, co-operation with the ICTY constitutes both
an obligation stemming from the resolution concerned and from the
United Nations Charter, or from another norm of international law
obliging the Respondent to co-operate, and an obligation arising from its
status as a party to the Genocide Convention, this last clearly being the
only one of direct relevance in the present case.
447. For the purposes of the present case, the Court only has to deter-
mine whether the FRY was under an obligation to co-operate with the
ICTY, and if so, on what basis, from when the Srebrenica genocide was
committed in July 1995. To that end, suffice it to note that the FRY was
under an obligation to co-operate with the ICTY from 14 December 1995
at the latest, the date of the signing and entry into force of the Dayton
Agreement between Bosnia and Herzegovina, Croatia and the FRY.
Annex 1A of that treaty, made binding on the parties by virtue of its
Article II, provides that they must fully co-operate, notably with the
ICTY. Thus, from 14 December 1995 at the latest, and at least on the
basis of the Dayton Agreement, the FRY must be regarded as having
“accepted [the] jurisdiction” of the ICTY within the meaning of
Article VI of the Convention. This fact is sufficient for the Court in
its consideration of the present case, since its task is to rule upon the
Respondent’s compliance with the obligation resulting from Article VI
of the Convention in relation to the Srebrenica genocide, from when it
was perpetrated to the present day, and since the Applicant has not
invoked any failure to respect the obligation to co-operate alleged to
have occurred specifically between July and December 1995. Similarly,
the Court is not required to decide whether, between 1995 and 2000, the
FRY’s obligation to co-operate had any legal basis besides the Dayton
Agreement. Needless to say, the admission of the FRY to the United
Nations in 2000 provided a further basis for its obligation to co-operate:
but while the legal basis concerned was thereby confirmed, that did not
change the scope of the obligation. There is therefore no need, for the
purposes of assessing how the Respondent has complied with its obliga-
tion under Article VI of the Convention, to distinguish between the
period before and the period after its admission as a Member of the
United Nations, at any event from 14 December 1995 onwards.
448. Turning now to the facts of the case, the question the Court must
answer is whether the Respondent has fully co-operated with the ICTY,
in particular by arresting and handing over to the Tribunal any persons
accused of genocide as a result of the Srebrenica genocide and finding
themselves on its territory. In this connection, the Court would first
observe that, during the oral proceedings, the Respondent asserted that
the duty to co-operate had been complied with following the régime
change in Belgrade in the year 2000, thus implicitly admitting that such
had not been the case during the preceding period. The conduct of the
189 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 228
créé celui-ci, ou d’une autre norme de droit international? Dans l’affir-
mative, il faudrait en conclure que la coopération avec le TPIY constitue,
pour le défendeur, à la fois une obligation découlant de la résolution en
question et de la Charte des Nations Unies, ou d’une autre norme de
droit international obligeant le défendeur à coopérer, et une obligation
découlant de sa qualité de partie à la convention sur le génocide, cette
dernière étant évidemment la seule directement pertinente en l’espèce.
447. La Cour est seulement tenue de déterminer, pour les besoins de la
présente affaire, si, à partir de la commission du génocide de Srebrenica
en juillet 1995, la RFY était tenue à une obligation de coopération avec le
TPIY et, dans l’affirmative, sur quel fondement. A cet effet, il suffit de
constater que cet Etat était en tout cas tenu de coopérer avec le TPIY au
plus tard à partir du 14 décembre 1995, date de la signature et de l’entrée
en vigueur des accords de Dayton, conclus entre la Bosnie-Herzégovine, la
Croatie et la RFY. En effet, l’annexe 1-A de ce traité, à laquelle l’article II
de ce dernier confère un caractère obligatoire pour les parties, prévoit que
celles-ci doivent coopérer pleinement, notamment, avec le TPIY. Ainsi, à
compter du 14 décembre 1995 au plus tard, et au moins sur le fondement
des accords de Dayton, la RFY doit être considérée comme ayant «reconnu
la juridiction» du TPIY au sens de l’article VI de la Convention. Ce cons-
tat suffit à la Cour aux fins du jugement de la présente affaire, puisqu’elle
est appelée à se prononcer sur le respect par le défendeur de son obligation
découlant de l’article VI de la Convention en liaison avec le génocide de
Srebrenica, à partir de la commission de ce génocide et jusqu’à l’heure
actuelle, et que le demandeur n’invoque aucun manquement à l’obligation
de coopération qui se serait spécifiquement produit entre juillet et dé-
cembre 1995. De même, la Cour n’est pas tenue de décider si, entre 1995
et 2000, l’obligation de coopération de la RFY pouvait reposer également
sur d’autres fondements juridiques que les accords de Dayton. Il va sans
dire que l’admission de la RFY comme Membre de l’Organisation des
Nations Unies en 2000 a donné à son obligation de coopération une base
supplémentaire: mais si le fondement légal de l’obligation dont il s’agit
s’est trouvé de ce fait conforté, la portée de ladite obligation n’en a pas été
affectée pour autant. Il n’y a donc pas lieu de distinguer, aux fins d’appré-
cier la manière dont le défendeur s’est acquitté de son obligation au titre de
l’article VI de la Convention, entre la période antérieure et la période pos-
térieure à son admission comme Membre de l’Organisation des
Nations Unies, en tout cas à partir du 14 décembre 1995.
448. Examinant à présent les faits de l’espèce, la question à laquelle la
Cour doit répondre est celle de savoir si le défendeur a pleinement coo-
péré avec le TPIY, notamment en procédant à l’arrestation et à la remise
de toute personne qui, accusée de génocide devant ce tribunal en raison
des massacres de Srebrenica, se trouverait sur son territoire. A cet égard,
la Cour observe tout d’abord qu’au cours de la procédure orale le défen-
deur a affirmé que l’obligation de coopération avait été respectée à partir
du changement de régime politique à Belgrade en 2000, admettant ainsi
implicitement que tel n’avait pas été le cas au cours de la période anté-
189229 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
organs of the FRY before the régime change however engages the Respon-
dent’s international responsibility just as much as it does that of its State
authorities from that date. Further, the Court cannot but attach a certain
weight to the plentiful, and mutually corroborative, information suggest-
ing that General Mladic ´, indicted by the ICTY for genocide, as one of
those principally responsible for the Srebrenica massacres, was on the
territory of the Respondent at least on several occasions and for substan-
tial periods during the last few years and is still there now, without the
Serb authorities doing what they could and can reasonably do to ascer-
tain exactly where he is living and arrest him. In particular, counsel for
the Applicant referred during the hearings to recent statements made by
the Respondent’s Minister for Foreign Affairs, reproduced in the national
press in April 2006, and according to which the intelligence services of
that State knew where Mladic ´ was living in Serbia, but refrained from
informing the authorities competent to order his arrest because certain
members of those services had allegedly remained loyal to the fugitive.
The authenticity and accuracy of those statements has not been disputed
by the Respondent at any time.
449. It therefore appears to the Court sufficiently established that the
Respondent failed in its duty to co-operate fully with the ICTY. This fail-
ure constitutes a violation by the Respondent of its duties as a party to
the Dayton Agreement, and as a Member of the United Nations, and
accordingly a violation of its obligations under Article VI of the Geno-
cide Convention. The Court is of course without jurisdiction in the
present case to declare that the Respondent has breached any obligations
other than those under the Convention. But as the Court has jurisdiction
to declare a breach of Article VI insofar as it obliges States to co-operate
with the “international penal tribunal”, the Court may find for that pur-
pose that the requirements for the existence of such a breach have been
met. One of those requirements is that the State whose responsibility is in
issue must have “accepted [the] jurisdiction” of that “international penal
tribunal”; the Court thus finds that the Respondent was under a duty to
co-operate with the tribunal concerned pursuant to international instru-
ments other than the Convention, and failed in that duty. On this point,
the Applicant’s submissions relating to the violation by the Respondent
of Articles I and VI of the Convention must therefore be upheld.
450. It follows from the foregoing considerations that the Respondent
failed to comply both with its obligation to prevent and its obligation to
punish genocide deriving from the Convention, and that its international
responsibility is thereby engaged.
* * *
190 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 229
rieure. Le comportement des organes de la RFY avant le changement de
régime engage cependant la responsabilité internationale du défendeur
tout autant que celui de ses dirigeants politiques depuis cette date. En
outre, la Cour ne peut manquer d’accorder un certain poids à des infor-
mations nombreuses et concordantes donnant à penser que le général
Mladic´, poursuivi pour génocide devant le TPIY en tant que l’un des
principaux responsables des massacres de Srebrenica, s’est trouvé sur le
territoire du défendeur au moins à plusieurs moments et pendant des
durées importantes ces dernières années, et qu’il s’y trouve peut-être
encore à l’heure actuelle, sans que les autorités serbes aient déployé les
moyens que l’on peut raisonnablement estimer être à leur disposition
pour déterminer le lieu exact de sa résidence et procéder à son arresta-
tion. En particulier, les conseils du demandeur ont fait état pendant les
audiences de déclarations récentes faites par le ministre des affaires étran-
gères du défendeur, reproduites dans la presse internationale en avril 2006,
et selon lesquelles les services de renseignements de cet Etat connaissaient
le lieu de résidence de Mladi´ en Serbie, mais s’abstenaient de le commu-
niquer aux autorités qui seraient compétentes pour ordonner son arresta-
tion, en raison du fait que certains membres de ces services seraient
demeurés favorables au fugitif. L’authenticité et l’exactitude de ces décla-
rations n’ont à aucun moment été contestées par le défendeur.
449. Dans ces conditions, il paraît suffisamment établi aux yeux de la
Cour que le défendeur a manqué à son obligation de pleine coopération
avec le TPIY. Ce manquement constitue une violation par le défendeur
de ses devoirs en qualité de partie aux accords de Dayton et de Membre
de l’Organisation des Nations Unies et, en conséquence, une violation de
ses obligations au titre de l’article VI de la convention sur le génocide.
Sans doute la Cour n’est-elle pas compétente dans la présente affaire
pour sanctionner une violation par le défendeur de ses obligations autres
que celles qui résultent de la Convention. Mais, étant compétente pour
sanctionner la violation de l’article VI en tant qu’il oblige les Etats à co-
opérer avec la «cour criminelle internationale», il lui appartient de cons-
tater, à cette fin, que les conditions d’une telle violation sont réunies. Au
nombre de ces conditions, figure celle selon laquelle l’Etat dont la res-
ponsabilité est recherchée doit avoir «reconnu la juridiction» de ladite
«cour criminelle internationale», ce qui conduit la Cour à constater que
le défendeur était tenu par d’autres instruments internationaux que la
Convention à coopérer avec la juridiction dont il s’agit, et qu’il a manqué
à son devoir de coopération. Sur ce point, les conclusions du demandeur
relatives à la violation, par le défendeur, des articles I et VI de la Conven-
tion doivent donc être accueillies.
450. Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que le
défendeur a manqué à la fois à ses obligations, découlant de la Conven-
tion, de prévenir et de punir le génocide, et qu’à ce titre sa responsabilité
internationale est engagée.
* * *
190230 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
X. T HE Q UESTION OF RESPONSIBILITY FOR BREACH OF THE COURT ’S
ORDERS NDICATING PROVISIONAL M EASURES
451. In its seventh submission Bosnia and Herzegovina requests the
Court to adjudge and declare:
“7. That in failing to comply with the Orders for indication of
provisional measures rendered by the Court on 8 April 1993 and
13 September 1993 Serbia and Montenegro has been in breach of its
international obligations and is under an obligation to Bosnia and
Herzegovina to provide for the latter violation symbolic compensa-
tion, the amount of which is to be determined by the Court.”
452. The Court observes that its “orders on provisional measures
under Article 41 [of the Statute] have binding effect” (LaGrand (Ger-
many v. United States of America), Judgment, I.C.J. Reports 2001 ,
p. 506, para. 109). Although the Court only had occasion to make such
a finding in a judgment subsequent to the Orders that it made in the
present dispute, this does not affect the binding nature of those Orders,
since in the Judgment referred to the Court did no more than give the
provisions of the Statute the meaning and scope that they had possessed
from the outset. It notes that provisional measures are aimed at preserv-
ing the rights of each of the parties pending the final decision of the
Court. The Court’s Orders of 8 April and 13 September 1993 indicating
provisional measures created legal obligations which both Parties were
required to satisfy.
453. The Court indicated the following provisional measures in the
dispositif, paragraph 52, of its Order of 8 April 1993:
.A........................
The Government of the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia
and Montenegro) should immediately, in pursuance of its under-
taking in the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide of 9 December 1948, take all measures within
its power to prevent commission of the crime of genocide;
.).2(.........................
The Government of the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia
and Montenegro) should in particular ensure that any military,
paramilitary or irregular armed units which may be directed or sup-
ported by it, as well as any organizations and persons which may be
subject to its control, direction or influence, do not commit any acts
of genocide, of conspiracy to commit genocide, of direct and public
incitement to commit genocide, or of complicity in genocide, whether
directed against the Muslim population of Bosnia and Herzegovina
or against any other national, ethnical, racial or religious group;
.............................
191 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 230
X. L A QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ POUR N ORESPECT DES ORDONNANCES
EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES RENDUES PAR LA COUR
451. Dans son septième chef de conclusions, la Bosnie-Herzégovine
prie la Cour de dire et juger:
«7. Qu’en ne respectant pas les ordonnances en indication de
mesures conservatoires rendues par la Cour le 8 avril 1993 et le
13 septembre 1993, la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations
internationales qui sont les siennes et est tenue de verser à la Bosnie-
Herzégovine, à raison de cette dernière violation, une indemnisation
symbolique dont le montant sera déterminé par la Cour.»
452. La Cour observe que ses «ordonnances indiquant des mesures
conservatoires au titre de l’article 41 [du Statut] ont un caractère obli-
gatoire» (LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2001, p. 506, par. 109). Bien que la Cour n’ait eu l’occasion de pro-
céder à un tel constat que dans un arrêt postérieur aux ordonnances rendues
par elle dans le cadre du présent différend, le caractère obligatoire desdites
ordonnances n’en est pas altéré pour autant, puisque, dans l’arrêt précité, la
Cour s’est bornée à attribuer aux dispositions du Statut le sens et la portée
qu’elles possédaient dès l’origine. Elle rappelle que l’objet des mesures
conservatoires est de protéger les droits de chacune des parties en attendant
la décision finale de la Cour. Les ordonnances en indication de mesures
conservatoires rendues par la Cour les 8 avril et 13 septembre 1993 créaient
des obligations juridiques que les deux Parties étaient appelées à respecter.
453. Dans le dispositif de son ordonnance du 8 avril 1993, au para-
graphe 52, la Cour a indiqué les mesures conservatoires suivantes:
..........................
Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) doit immédiatement, conformément à l’enga-
gement qu’il a assumé aux termes de la convention pour la préven-
tion et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948,
prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la com-
mission du crime de génocide;
...........................
Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) doit en particulier veiller à ce qu’aucune des
unités militaires, paramilitaires ou unités armées irrégulières qui
pourraient relever de son autorité ou bénéficier de son appui, ni
aucune organisation ou personne qui pourraient se trouver sous son
pouvoir, son autorité, ou son influence ne commettent le crime de
génocide, ne s’entendent en vue de commettre ce crime, n’incitent
directement et publiquement à le commettre ou ne s’en rendent com-
plices, qu’un tel crime soit dirigé contre la population musulmane
de Bosnie-Herzégovine, ou contre tout autre groupe national, eth-
nique, racial ou religieux;
.............................
191231 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
............................
The Government of the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia
and Montenegro) and the Government of the Republic of Bosnia
and Herzegovina should not take any action and should ensure that
no action is taken which may aggravate or extend the existing dis-
pute over the prevention or punishment of the crime of genocide, or
render it more difficult of solution.”
454. The Court reaffirmed these measures in the dispositif of its Order
of 13 September 1993.
455. From the Applicant’s written and oral pleadings as a whole, it is
clear that the Applicant is not accusing the Respondent of failing to respect
measure B above, and that its submissions relate solely to the measures
indicated in paragraph A, subparagraphs (1) and (2). It is therefore only to
that extent that the Court will consider whether the Respondent has fully
complied with its obligation to respect the measures ordered by the Court.
456. The answer to this question may be found in the reasoning in the
present Judgment relating to the Applicant’s other submissions to the
Court. From these it is clear that in respect of the massacres at Srebrenica
in July 1995 the Respondent failed to fulfil its obligation indicated in
paragraph 52 A (1) of the Order of 8 April 1993 and reaffirmed in the
Order of 13 September 1993 to “take all measures within its power to
prevent commission of the crime of genocide”. Nor did it comply with
the measure indicated in paragraph 52 A (2) of the Order of 8 April 1993,
reaffirmed in the Order of 13 September 1993, insofar as that measure
required it to “ensure that any . . . organizations and persons which may
be subject to its . . . influence . . . do not commit any acts of genocide”.
457. However, the remainder of the Applicant’s seventh submission
claiming that the Respondent failed to comply with the provisional meas-
ures indicated must be rejected for the reasons set out above in respect of
the Applicant’s other submissions (paragraphs 415 and 424).
458. As for the request that the Court hold the Respondent to be
under an obligation to the Applicant to provide symbolic compensation,
in an amount to be determined by the Court, for the breach thus found,
the Court observes that the question of compensation for the injury
caused to the Applicant by the Respondent’s breach of aspects of the
Orders indicating provisional measures merges with the question of com-
pensation for the injury suffered from the violation of the corresponding
obligations under the Genocide Convention. It will therefore be dealt
with below, in connection with consideration of points (b) and (c) of the
Respondent’s sixth submission, which concern the financial compensa-
tion which the Applicant claims to be owed by the Respondent.
* * *
192 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 231
............................
Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) et le Gouvernement de la République de
Bosnie-Herzégovine doivent ne prendre aucune mesure et veiller à ce
qu’il n’en soit prise aucune, qui soit de nature à aggraver ou étendre
le différend existant sur la prévention et la répression du crime de
génocide, ou à en rendre la solution plus difficile.»
454. Dans le dispositif de son ordonnance du 13 septembre 1993, la
Cour a réaffirmé les mesures précitées.
455. Il résulte de l’ensemble des écritures et des plaidoiries orales du
demandeur que celui-ci ne fait pas grief au défendeur de ne pas avoir res-
pecté la mesure prescrite au point B précité, et que ses conclusions por-
tent exclusivement sur les mesures énoncées aux alinéas 1) et 2) du point
A. C’est donc dans cette seule mesure que la Cour examinera la question
de savoir si le défendeur s’est pleinement acquitté de son obligation de
respecter les mesures ordonnées par la Cour.
456. Cette question trouve sa réponse dans les motifs du présent arrêt
relatifs aux autres chefs de conclusions soumis à la Cour par le deman-
deur. Il résulte de ces chefs de conclusions que, en ce qui concerne les mas-
sacres de Srebrenica en juillet 1995, le défendeur n’a pas respecté son
obligation, indiquée au paragraphe 52, joint A. 1), de l’ordonnance du
8 avril 1993 et réaffirmée par l’ordonnance du 13 septembre 1993, de
«prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la commission
du crime de génocide». Il n’a pas non plus respecté la mesure indiquée au
paragraphe 52, point A. 2), de l’ordonnance du 8 avril 1993 et réaffirmée
par l’ordonnance du 13 septembre 1993, en tant que ladite mesure lui
imposait de «veiller à ce qu’aucune ... organisation ou personne qui pour-
raient se trouver sous ... son influence ne commettent le crime de génocide».
457. En revanche, le surplus du septième chef de conclusions du deman-
deur, en tant qu’il fait grief au défendeur de n’avoir pas respecté les me-
sures conservatoires indiquées, doit être rejeté pour les motifs exposés
plus haut à propos des autres chefs de conclusions du demandeur (para-
graphes 415 et 424).
458. En ce qui concerne la demande tendant à ce que la Cour décide
que le défendeur est tenu de verser au demandeur, à raison de la violation
constatée, une indemnisation symbolique dont elle est priée de déterminer
le montant, la Cour constate que la question de la réparation du dom-
mage subi par le demandeur du fait de la violation par le défendeur d’une
partie des ordonnances en indication de mesures conservatoires se confond
avec celle de la réparation du dommage subi du fait de la violation des
obligations correspondantes résultant de la convention sur le génocide.
Elle sera donc traitée ci-après, dans le cadre de l’examen du sixième chef
de conclusions du défendeur, en ses pointsb) et c) qui sont relatifs à la
réparation financière qui, selon le demandeur, lui est due par le défendeur.
* * *
192232 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
XI. T HE QUESTION OF REPARATION
459. Having thus found that the Respondent has failed to comply
with its obligations under the Genocide Convention in respect of the
prevention and punishment of genocide, the Court turns to the question
of reparation. The Applicant, in its final submissions, has asked the
Court to decide that the Respondent
“must redress the consequences of its international wrongful acts
and, as a result of the international responsibility incurred for . . .
violations of the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide, must pay, and Bosnia and Herzegovina is
entitled to receive, in its own right and as parens patriae for its
citizens, full compensation for the damages and losses caused” (sub-
mission 6 (b)).
The Applicant also asks the Court to decide that the Respondent
“shall immediately take effective steps to ensure full compliance with
its obligation to punish acts of genocide under the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide or any
other act prohibited by the Convention and to transfer individuals
accused of genocide or any other act prohibited by the Convention
to the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia
and to fully co-operate with this Tribunal” (submission 6 (a)),
and that the Respondent “shall provide specific guarantees and assur-
ances that it will not repeat the wrongful acts complained of, the form of
which guarantees and assurances is to be determined by the Court” (sub-
mission 6 (d)). These submissions, and in particular that relating to com-
pensation, were however predicated on the basis that the Court would
have upheld, not merely that part of the Applicant’s claim as relates to
the obligation of prevention and punishment, but also the claim that the
Respondent has violated its substantive obligation not to commit geno-
cide, as well as the ancillary obligations under the Convention concerning
complicity, conspiracy and incitement, and the claim that the Respond-
ent has aided and abetted genocide. The Court has now to consider what
is the appropriate form of reparation for the other forms of violation of
the Convention which have been alleged against the Respondent and
which the Court has found to have been established, that is to say
breaches of the obligations to prevent and punish.
460. The principle governing the determination of reparation for an
internationally wrongful act is as stated by the Permanent Court of Inter-
national Justice in the Factory at Chorzów case: that “reparation must,
so far as possible, wipe out all the consequences of the illegal act and
reestablish the situation which would, in all probability, have existed if
that act had not been committed” (P.C.I.J., Series A, No. 17 ,p.47:see
193 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 232
XI. L A QUESTION DE LA RÉPARATION
459. Ayant ainsi conclu que le défendeur avait manqué de se confor-
mer aux obligations que lui impose la Convention en matière de préven-
tion et de répression du crime de génocide, la Cour en vient à la question
de la réparation. Le demandeur, dans ses conclusions finales, prie la Cour
de dire que le défendeur
«doit réparer les conséquences de ses actes internationalement illi-
cites et que, par suite de la responsabilité internationale encourue à
raison des violations ... de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, [il] est ten[u] de payer à la Bosnie-
Herzégovine, et cette dernière est fondée à recevoir, en son nom
propre et comme parens patriae, pleine réparation pour le préjudice
et les pertes causés» (chef de conclusions 6 b)).
Le demandeur prie également la Cour de dire que le défendeur
«doit immédiatement prendre des mesures efficaces pour s’acquitter
pleinement de l’obligation qui lui incombe, en vertu de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, de punir les
actes de génocide ou autres actes prohibés par la convention, de
transférer au Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie les personnes
accusées de génocide ou d’autres actes prohibés par la convention et
de coopérer pleinement avec ledit Tribunal» (chef de conclusions
6 a)),
et qu’il «est ten[u] de fournir des garanties et assurances spécifiques de
non-répétition des faits illicites qui lui sont reprochés, les formes de ces
garanties et assurances devant être déterminées par la Cour» (chef de
conclusions 6 d)). En formulant ces conclusions, et en particulier celle
relative à la réparation, le demandeur postulait toutefois que la Cour
retiendrait non seulement la partie de sa réclamation ayant trait à l’obli-
gation de prévention et de répression, mais aussi l’affirmation selon
laquelle le défendeur avait violé l’obligation principale lui incombant de
ne pas commettre de génocide, de même que les obligations connexes
imposées par la Convention en matière de complicité, d’entente et d’inci-
tation, ainsi que l’allégation selon laquelle le défendeur avait prêté aide et
assistance à la commission d’un génocide. La Cour doit à présent exami-
ner quel est le type de réparation approprié pour les autres violations de
la Convention qui ont été alléguées à l’encontre du défendeur et qu’elle a
jugées établies, à savoir celles qui concernent les obligations de préven-
tion et de répression.
460. Le principe régissant le choix du mode de la réparation due à rai-
son d’un acte internationalement illicite consiste, ainsi qu’énoncé par la
Cour permanente de Justice internationale en l’affaire de l’Usine de
Chorzów, en ceci que «la réparation doit, autant que possible, effacer
toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vrai-
semblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis» (C.P.J.I.
193233 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
also Article 31 of the ILC’s Articles on State Responsibility). In the cir-
cumstances of this case, as the Applicant recognizes, it is inappropriate to
ask the Court to find that the Respondent is under an obligation of res-
titutio in integrum. Insofar as restitution is not possible, as the Court
stated in the case of the Gabˇíkovo-Nagymaros Project (Hungary/Slova-
kia), “[i]t is a well-established rule of international law that an injured
State is entitled to obtain compensation from the State which has com-
mitted an internationally wrongful act for the damage caused by it”
(I.C.J. Reports 1997, p. 81, para. 152.; cf. Legal Consequences of the
Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory, Advisory
Opinion, I.C.J. Reports 2004 , p. 198, paras. 152-153; see also Article 36
of the ILC’s Articles on State Responsibility). It is therefore appropriate
to consider what were the consequences of the failure of the Respondent
to comply with its obligations under the Genocide Convention to prevent
and punish the crime of genocide, committed in Bosnia and Herzegovina,
and what damage can be said to have been caused thereby.
461. The Court has found that the authorities of the Respondent
could not have been unaware of the grave risk of genocide once the VRS
forces had decided to take possession of the Srebrenica enclave, and that
in view of its influence over the events, the Respondent must be held to
have had the means of action by which it could seek to prevent genocide,
and to have manifestly refrained from employing them (paragraph 438).
To that extent therefore it failed to comply with its obligation of preven-
tion under the Convention. The obligation to prevent the commission of
the crime of genocide is imposed by the Genocide Convention on any
State party which, in a given situation, has it in its power to contribute to
restraining in any degree the commission of genocide. To make this find-
ing, the Court did not have to decide whether the acts of genocide com-
mitted at Srebrenica would have occurred anyway even if the Respondent
had done as it should have and employed the means available to it. This
is because, as explained above, the obligation to prevent genocide places
a State under a duty to act which is not dependent on the certainty that
the action to be taken will succeed in preventing the commission of acts
of genocide, or even on the likelihood of that outcome. It therefore does
not follow from the Court’s reasoning above in finding a violation by the
Respondent of its obligation of prevention that the atrocious suffering
caused by the genocide committed at Srebrenica would not have occurred
had the violation not taken place.
462. The Court cannot however leave it at that. Since it now has to
rule on the claim for reparation, it must ascertain whether, and to what
extent, the injury asserted by the Applicant is the consequence of wrong-
ful conduct by the Respondent with the consequence that the Respond-
ent should be required to make reparation for it, in accordance with the
194 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 233
série A n° 17, p. 47; voir aussi l’article 31 des articles de la CDI sur la
responsabilité de l’Etat). Dans les circonstances de la présente espèce, il
n’apparaît pas opportun, ainsi que le reconnaît le demandeur, de prier la
Cour de dire que le défendeur est tenu à une obligation de restitutio in
integrum. Dans la mesure où la restitution est impossible, comme l’a dit
la Cour dans l’affaire relative au Projet Gabˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), «[i]l est une règle bien établie du droit international, qu’un
Etat lésé est en droit d’être indemnisé, par l’Etat auteur d’un fait
internationalement illicite,des dommages résultant de celui-ci»
(C.I.J. Recueil 1997, p. 81, par. 152; cf. Conséquences juridiques de l’édi-
fication d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004, p. 198, par. 152-153; voir également l’article 36 des
articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat). Il convient donc de
déterminer, d’une part, les conséquences du manquement du défendeur
aux obligations lui incombant, en vertu de la convention sur le génocide,
de prévenir et de punir la commission du crime de génocide en Bosnie-
Herzégovine, et, d’autre part, le dommage que ce manquement peut être
réputé avoir causé.
461. La Cour a conclu que les autorités du défendeur ne pouvaient pas
ignorer le risque sérieux de génocide qui prévalait après la décision de la
VRS de prendre le contrôle de l’enclave de Srebrenica et que, compte
tenu du pouvoir qu’avaient ces autorités d’influer sur le cours des événe-
ments, il y a lieu de conclure que le défendeur avait les moyens d’agir
pour chercher à prévenir le génocide et qu’il s’est manifestement abstenu
de les employer (paragraphe 438). Dans cette mesure, il a donc manqué
de se conformer à l’obligation de prévention lui incombant en vertu de la
Convention. L’obligation de prévenir la perpétration du crime de géno-
cide s’impose, en vertu de la convention sur le génocide, à tout Etat partie
ayant, dans une situation donnée, les moyens de contribuer à réfréner
dans une quelconque mesure la commission de ce crime. Pour parvenir à
une telle conclusion, la Cour n’a pas eu besoin de se prononcer sur la
question de savoir si les actes de génocide commis à Srebrenica se seraient
néanmoins produits si le défendeur avait mis en Œuvre, comme il aurait
dû le faire, les moyens dont il disposait. La raison en est que, comme il a
été expliqué plus haut, l’obligation de prévenir le génocide impose à
l’Etat un devoir d’agir qui n’est pas conditionné par la certitude que l’ac-
tion entreprise parviendrait effectivement à empêcher la commission des
actes de génocide, ni même par la probabilité d’un tel résultat. Il ne
résulte donc pas des motifs par lesquels la Cour a constaté ci-dessus que
le défendeur avait violé son obligation de prévention que les terribles
souffrances engendrées par le génocide commis à Srebrenica n’auraient
pas été subies si ladite violation n’avait pas eu lieu.
462. La Cour ne saurait cependant s’en tenir là. Appelée, à présent, à
statuer sur la demande de réparation, elle doit rechercher si et dans quelle
mesure le dommage invoqué par le demandeur est la conséquence du com-
portement illicite du défendeur, de telle sorte que ce dernier serait tenu de le
réparer, conformément au principe de droit international coutumier men-
194234 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
principle of customary international law stated above. In this context, the
question just mentioned, whether the genocide at Srebrenica would have
taken place even if the Respondent had attempted to prevent it by
employing all means in its possession, becomes directly relevant, for the
definition of the extent of the obligation of reparation borne by the
Respondent as a result of its wrongful conduct. The question is whether
there is a sufficiently direct and certain causal nexus between the wrong-
ful act, the Respondent’s breach of the obligation to prevent genocide,
and the injury suffered by the Applicant, consisting of all damage of any
type, material or moral, caused by the acts of genocide. Such a nexus
could be considered established only if the Court were able to conclude
from the case as a whole and with a sufficient degree of certainty that the
genocide at Srebrenica would in fact have been averted if the Respondent
had acted in compliance with its legal obligations. However, the Court
clearly cannot do so. As noted above, the Respondent did have signifi-
cant means of influencing the Bosnian Serb military and political authori-
ties which it could, and therefore should, have employed in an attempt to
prevent the atrocities, but it has not been shown that, in the specific con-
text of these events, those means would have sufficed to achieve the result
which the Respondent should have sought. Since the Court cannot there-
fore regard as proven a causal nexus between the Respondent’s violation
of its obligation of prevention and the damage resulting from the geno-
cide at Srebrenica, financial compensation is not the appropriate form of
reparation for the breach of the obligation to prevent genocide.
463. It is however clear that the Applicant is entitled to reparation in
the form of satisfaction, and this may take the most appropriate form, as
the Applicant itself suggested, of a declaration in the present Judgment
that the Respondent has failed to comply with the obligation imposed by
the Convention to prevent the crime of genocide. As in the Corfu Chan-
nel (United Kingdom v. Albania) case, the Court considers that a decla-
ration of this kind is “in itself appropriate satisfaction” (Merits, Judg-
ment, I.C.J. Reports 1949 , pp. 35, 36), and it will, as in that case, include
such a declaration in the operative clause of the present Judgment. The
Applicant acknowledges that this failure is no longer continuing, and
accordingly has withdrawn the request made in the Reply that the Court
declare that the Respondent “has violated and is violating the Conven-
tion” (emphasis added).
464. The Court now turns to the question of the appropriate repara-
tion for the breach by the Respondent of its obligation under the Con-
vention to punish acts of genocide; in this respect, the Applicant asserts
the existence of a continuing breach, and therefore maintains (inter alia)
its request for a declaration in that sense. As noted above (paragraph 440),
the Applicant includes under this heading the failure “to transfer indi-
viduals accused of genocide or any other act prohibited by the Conven-
195 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 234
tionné plus haut. Dans ce contexte, la question qui vient d’être évoquée, et
qui est celle de savoir si le génocide de Srebrenica aurait eu lieu dans l’hypo-
thèse où le défendeur aurait employé, pour essayer de l’empêcher, tous les
moyens dont il disposait, devient directement pertinente quand il s’agit de
délimiter l’étendue de l’obligation de réparation incombant au défendeur en
conséquence de l’illicéité de son comportement. Il s’agit en effet de recher-
cher s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait
illicite, à savoir la violation par le défendeur de l’obligation de prévenir le
génocide, et le préjudice subi par le demandeur, consistant en dommages de
tous ordres, matériels et moraux, provoqués par les actes de génocide. Un
tel lien de causalité ne pourrait être regardé comme établi que si la Cour
était en mesure de déduire de l’ensemble de l’affaire, avec un degré suffisant
de certitude, que le génocide de Srebrenica aurait été effectivement empêché
si le défendeur avait adopté un comportement conforme à ses obligations
juridiques. Force est toutefois de constater que tel n’est pas le cas. Ainsi
qu’il a été relevé plus haut, le défendeur disposait indubitablement de
moyens d’influence non négligeables à l’égard des autorités politiques et
militaires des Serbes de Bosnie, qu’il aurait pu, et par conséquent dû, mettre
en Œuvre en vue d’essayer d’empêcher les atrocités; il n’a cependant pas été
démontré que, dans le contexte particulier de ces événements, ces moyens
eussent été suffisants pour atteindre le résultat que le défendeur aurait dû
rechercher. La Cour ne pouvant donc regarder comme établie l’existence
d’un lien de causalité entre la violation par le défendeur de son obligation
de prévention et les dommages entraînés par le génocide de Srebrenica,
l’indemnisation n’apparaît pas comme la forme appropriée de réparation
qu’appelle la violation de l’obligation de prévenir le génocide.
463. Il est néanmoins clair que le demandeur est en droit de recevoir une
réparation sous forme de satisfaction, qui pourrait on ne peut plus oppor-
tunément, ainsi que l’a suggéré le demandeur lui-même, revêtir la forme
d’une déclaration dans le présent arrêt indiquant que le défendeur a man-
qué de se conformer à l’obligation que lui impose la Convention de préve-
nir le crime de génocide. De même que dans l’affaire duDétroit de Corfou
(Royaume-Uni c. Albanie), la Cour considère qu’une déclaration de cette
nature «constitue en elle-même une satisfaction appropriée»f(ond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1949, p. 35, 36), et, comme dans cette affaire, elle fera figu-
rer cette déclaration dans le dispositif de son arrêt. Le demandeur a admis
que le manquement en question ne correspondait plus à la réalité
d’aujourd’hui, et a en conséquence retiré la demande qu’il avait formulée
dans sa réplique tendant à ce que la Cour déclare que le défendeur «a violé
et continue de violer la Convention» (les italiques sont de la Cour).
464. La Cour en vient maintenant à la question de la réparation
qu’appelle la violation, par le défendeur, de l’obligation qui lui incombe,
en vertu de la Convention, de punir les actes de génocide; invoquant, à
cet égard, l’existence d’une violation continue, le demandeur maintient,
entre autres, sa demande tendant à obtenir une déclaration en ce sens.
Ainsi que noté ci-dessus (paragraphe 440), il inclut dans ce cadre le man-
quement à l’obligation «de transférer au Tribunal pénal pour l’ex-You-
195235 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
tion to the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia
and to fully co-operate with this Tribunal”; and the Court has found that
in that respect the Respondent is indeed in breach of Article VI of the
Convention (paragraph 449 above). A declaration to that effect is there-
fore one appropriate form of satisfaction, in the same way as in relation
to the breach of the obligation to prevent genocide. However, the Appli-
cant asks the Court in this respect to decide more specifically that
“Serbia and Montenegro shall immediately take effective steps to
ensure full compliance with its obligation to punish acts of genocide
under the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide or any other act prohibited by the Convention
and to transfer individuals accused of genocide or any other act pro-
hibited by the Convention to the International Criminal Tribunal for
the former Yugoslavia and to fully co-operate with this Tribunal.”
465. It will be clear from the Court’s findings above on the question of
the obligation to punish under the Convention that it is satisfied that the
Respondent has outstanding obligations as regards the transfer to the
ICTY of persons accused of genocide, in order to comply with its obli-
gations under Articles I and VI of the Genocide Convention, in particu-
lar in respect of General Ratko Mladic ´ (paragraph 448). The Court will
therefore make a declaration in these terms in the operative clause of the
present Judgment, which will in its view constitute appropriate satisfac-
tion.
466. In its final submissions, the Applicant also requests the Court to
decide “that Serbia and Montenegro shall provide specific guarantees
and assurances that it will not repeat the wrongful acts complained of,
the form of which guarantees and assurances is to be determined by the
Court”. As presented, this submission relates to all the wrongful acts, i.e.
breaches of the Genocide Convention, attributed by the Applicant to the
Respondent, thus including alleged breaches of the Respondent’s obliga-
tion not itself to commit genocide, as well as the ancillary obligations
under the Convention concerning complicity, conspiracy and incitement.
Insofar as the Court has not upheld these claims, the submission falls.
There remains however the question whether it is appropriate to direct
that the Respondent provide guarantees and assurances of non-repetition
in relation to the established breaches of the obligations to prevent and
punish genocide. The Court notes the reasons advanced by counsel for
the Applicant at the hearings in support of the submission, which relate
for the most part to “recent events [which] cannot fail to cause concern as
to whether movements in Serbia and Montenegro calling for genocide
have disappeared”. It considers that these indications do not constitute
sufficient grounds for requiring guarantees of non-repetition. The Appli-
cant also referred in this connection to the question of non-compliance
with provisional measures, but this matter has already been examined
above (paragraphs 451 to 458), and will be mentioned further below. In
196 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE ARRÊT ) 235
goslavie les personnes accusées de génocide ou d’autres actes prohibés
par la convention et de coopérer pleinement avec ledit Tribunal»; or, la
Cour a conclu que, sur ce point, le défendeur avait en effet violé l’ar-
ticle VI de la Convention (voir plus haut paragraphe 449). Une déclaration
à cet effet constitue par conséquent, comme dans le cas de la violation de
l’obligation de prévenir le génocide, une forme de satisfaction appropriée.
Cependant, le demandeur prie à cet égard la Cour de déclarer plus pré-
cisément que
«la Serbie-et-Monténégro doit immédiatement prendre des mesures
efficaces pour s’acquitter pleinement de l’obligation qui lui incombe,
en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, de punir les actes de génocide ou autres actes prohibés
par la convention, de transférer au Tribunal pénal pour l’ex-Yougo-
slavie les personnes accusées de génocide ou d’autres actes prohibés
par la convention et de coopérer pleinement avec ledit Tribunal».
465. Des conclusions qu’elle a formulées ci-dessus sur la question de
l’obligation de répression prévue par la Convention, il ressort clairement
que la Cour tient pour établi que le défendeur doit encore, pour honorer
les engagements qu’il a contractés aux termes des articles premier et VI de
la convention sur le génocide, s’acquitter de certaines obligations en
matière de transfert au TPIY de personnes accusées de génocide, notam-
ment en ce qui concerne le général Ratko Mladic ´ (paragraphe 448). La
Cour inclura donc une déclaration ainsi libellée dans le dispositif du pré-
sent arrêt, déclaration constituant, selon elle, une satisfaction appropriée.
466. Dans ses conclusions finales, le demandeur prie également la
Cour de dire «que la Serbie-et-Monténégro est tenue de fournir des
garanties et assurances spécifiques de non-répétition des faits illicites qui
lui sont reprochés, les formes de ces garanties et assurances devant être
déterminées par la Cour». Telle que formulée, cette conclusion porte sur
la totalité des faits illicites, à savoir les violations de la convention sur le
génocide attribuées par le demandeur au défendeur, couvrant ainsi la vio-
lation alléguée de l’obligation incombant au défendeur de ne pas lui-
même commettre de génocide, ainsi que des obligations connexes énon-
cées par la Convention relativement à la complicité, à l’entente et à
l’incitation. Cette conclusion doit être écartée dans la mesure où ces allé-
gations l’ont été. Demeure toutefois la question de l’opportunité d’ordon-
ner au défendeur de fournir des garanties et assurances de non-répétition
s’agissant des violations des obligations de prévenir et de punir le géno-
cide qui ont été établies. La Cour prend note des arguments avancés à
l’audience par le conseil du demandeur à l’appui de cette conclusion, les-
quels ont trait, pour l’essentiel, à «des faits récents [, qui] ne laissent pas
d’être inquiétants[,] quant à la disparition réelle des mouvements appe-
lant au génocide en Serbie-et-Monténégro». Elle considère que ces indi-
cations ne constituent pas des motifs suffisants pour solliciter des garan-
ties de non-répétition. Le demandeur a également évoqué à cet égard la
question du non-respect des mesures conservatoires, mais ce point a déjà
196236 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
the circumstances, the Court considers that the declaration referred to in
paragraph 465 above is sufficient as regards the Respondent’s continuing
duty of punishment, and therefore does not consider that this is a case in
which a direction for guarantees of non-repetition would be appropriate.
467. Finally, the Applicant has presented the following submission:
“That in failing to comply with the Orders for indication of
provisional measures rendered by the Court on 8 April 1993 and
13 September 1993 Serbia and Montenegro has been in breach of its
international obligations and is under an obligation to Bosnia
and Herzegovina to provide for the latter violation symbolic compen-
sation, the amount of which is to be determined by the Court.”
The provisional measures indicated by the Court’s Order of 8 April 1993,
and reiterated by the Order of 13 September 1993, were addressed spe-
cifically to the Respondent’s obligation “to prevent commission of the
crime of genocide” and to certain measures which should “in particular”
be taken to that end (I.C.J. Reports 1993, p. 24, para. 52 (A) (1) and (2)).
468. Provisional measures under Article 41 of the Statute are indicated
“pending [the] final decision” in the case, and the measures indicated in
1993 will thus lapse on the delivery of the present Judgment (cf. Anglo-
Iranian Oil Co. (United Kingdom v. Iran), Preliminary Objections, Judg-
ment, I.C.J. Reports 1952 , p. 114; Military and Paramilitary Activities in
and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), Juris-
diction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1984 , p. 442,
para. 112). However, as already observed (paragraph 452 above), orders
made by the Court indicating provisional measures under Article 41 of
the Statute have binding effect, and their purpose is to protect the rights
of either party, pending the final decision in the case.
469. The Court has found above (paragraph 456) that, in respect of
the massacres at Srebrenica in July 1995, the Respondent failed to take
measures which would have satisfied the requirements of para-
graphs 52 (A) (1) and (2) of the Court’s Order of 8 April 1993 (reaffirmed
in the Order of 13 September 1993). The Court however considers that,
for purposes of reparation, the Respondent’s non-compliance with the
provisional measures ordered is an aspect of, or merges with, its breaches
of the substantive obligations of prevention and punishment laid upon it
by the Convention. The Court does not therefore find it appropriate to
give effect to the Applicant’s request for an order for symbolic compensa-
tion in this respect. The Court will however include in the operative
clause of the present Judgment, by way of satisfaction, a declaration that
the Respondent has failed to comply with the Court’s Orders indicating
provisional measures.
197 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 236
été examiné (paragraphes 451 à 458), et sera mentionné ci-dessous. Dans
ces circonstances, la Cour estime que la déclaration visée au para-
graphe 465 ci-dessus est suffisante aux fins de l’obligation de répression
qui continue d’incomber au défendeur, et ne considère donc pas que
cette affaire soit de celles où il serait indiqué pour la Cour d’ordonner
que soient fournies des garanties de non-répétition.
467. Enfin, le demandeur a présenté le chef de conclusions suivant:
«[E]n ne respectant pas les ordonnances en indication de mesures
conservatoires rendues par la Cour le 8 avril 1993 et le 13 sep-
tembre 1993, la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations inter-
nationales qui sont les siennes et est tenue de verser à la Bosnie-Her-
zégovine, à raison de cette dernière violation, une indemnisation
symbolique dont le montant sera déterminé par la Cour.»
Les mesures conservatoires indiquées par la Cour dans son ordonnance
du 8 avril 1993 et répétées dans l’ordonnance du 13 septembre 1993 por-
taient spécifiquement sur l’obligation incombant au défendeur de «pré-
venir la commission du crime de génocide» et sur certaines mesures «en
particulier» qu’il s’agissait de prendre à cet effet (C.I.J. Recueil 1993,
p. 24, par. 52, point A. 1) et 2)).
468. Aux termes de l’article 41 du Statut, les mesures conservatoires
sont indiquées «en attendant l’arrêt définitif» en l’affaire, de sorte que les
mesures indiquées en 1993 deviendront caduques dès le prononcé du pré-
sent arrêt (cf. Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1952 , p. 114; Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984 ,
p. 442, par. 112). Toutefois, ainsi qu’il a déjà été relevé (voir plus haut
paragraphe 452), les ordonnances en indication de mesures conserva-
toires rendues par la Cour au titre de l’article 41 du Statut ont un carac-
tère obligatoire, et leur objet est de protéger les droits de chacune des
parties en attendant la décision finale en l’affaire.
469. La Cour a conclu ci-dessus (paragraphe 456), en ce qui concerne
les massacres commis à Srebrenica en juillet 1995, que le défendeur
n’avait pas pris les mesures qui auraient satisfait aux exigences des alinéas
1) et 2) du point A du paragraphe 52 de l’ordonnance rendue le 8 avril
1993 (exigences réaffirmées dans l’ordonnance du 13 septembre 1993). La
Cour estime toutefois, aux fins de la réparation, que le non-respect, par le
défendeur, des mesures conservatoires indiquées se rattache, ou vient
s’ajouter, à ses violations des obligations matérielles en matière de pré-
vention et de répression que lui imposait la Convention. La Cour ne juge
donc pas opportun de faire droit à la demande de la Bosnie-Herzégovine
tendant à ce que soit ordonnée une indemnisation symbolique à ce titre.
Elle fera toutefois figurer, dans le dispositif du présent arrêt, à titre de
satisfaction, une déclaration indiquant que le défendeur a manqué de se
conformer aux mesures conservatoires indiquées par la Cour dans ses
ordonnances.
197237 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
470. The Court further notes that one of the provisional measures
indicated in the Order of 8 April and reaffirmed in that of 13 Septem-
ber 1993 was addressed to both Parties. The Court’s findings in para-
graphs 456 to 457 and 469 are without prejudice to the question whether
the Applicant did not also fail to comply with the Orders indicating
provisional measures.
*
* *
XII. O PERATIVE C LAUSE
471. For these reasons,
T HE C OURT ,
(1) by ten votes to five,
Rejects the objections contained in the final submissions made by the
Respondent to the effect that the Court has no jurisdiction; and affirms
that it has jurisdiction, on the basis of Article IX of the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, to adjudicate
upon the dispute brought before it on 20 March 1993 by the Republic of
Bosnia and Herzegovina;
IN FAVOUR: President Higgins; Vice-President Al-Khasawneh; Judges Owada,
Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna; Judge ad
hoc Mahiou;
AGAINST: Judges Ranjeva, Shi, Koroma, Skotnikov; Judge ad hoc Kr´a;
(2) by thirteen votes to two,
Finds that Serbia has not committed genocide, through its organs or
persons whose acts engage its responsibility under customary interna-
tional law, in violation of its obligations under the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide;
IN FAVOUR: President Higgins; Judges Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov; Judge
ad hoc Krec´a;
AGAINST: Vice-President Al-Khasawneh; Judge ad hoc Mahiou;
(3) by thirteen votes to two,
Finds that Serbia has not conspired to commit genocide, nor incited
the commission of genocide, in violation of its obligations under the Con-
vention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide;
IN FAVOUR: President Higgins; Judges Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov; Judge
ad hoc Krec´a;
AGAINST: Vice-President Al-Khasawneh; Judge ad hoc Mahiou;
198 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 237
470. La Cour relève en outre que l’une des mesures conservatoires
indiquées dans l’ordonnance du 8 avril et réaffirmées dans celle du
13 septembre 1993 s’adressait aux deux Parties. Les conclusions de la
Cour formulées aux paragraphes 456 à 457 et 469 sont sans préjudice de
la question de savoir si le demandeur a lui aussi manqué de se conformer
aux ordonnances portant mesures conservatoires.
* * *
XII. D ISPOSITIF
471. Par ces motifs,
L A COUR ,
1) par dix voix contre cinq,
Rejette les exceptions contenues dans les conclusions finales du défen-
deur suivant lesquelles la Cour n’a pas compétence; et dit qu’elle a com-
pétence, sur la base de l’article IX de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide, pour statuer sur le différend porté
devant elle le 20 mars 1993 par la République de Bosnie-Herzégovine;
me
POUR :M Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Owa-
da, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna,
juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Skotnikov, juges; M. Krec´a, juge ad
hoc;
2) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie n’a pas commis de génocide, par l’intermédiaire de
ses organes ou de personnes dont les actes engagent sa responsabilité au
regard du droit international coutumier, en violation des obligations qui
lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répres-
sion du crime de génocide;
POUR :M me Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges;
M. Krec´a, juge ad hoc;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; M. Mahiou, juge ad hoc;
3) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie n’a pas participé à une entente en vue de commettre
le génocide, ni n’a incité à commettre le génocide en violation des obli-
gations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide;
POUR :M me Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges;
M. Krec´a, juge ad hoc;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; M. Mahiou, juge ad hoc;
198238 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
(4) by eleven votes to four,
Finds that Serbia has not been complicit in genocide, in violation of its
obligations under the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide;
IN FAVOUR : President Higgins; Judges Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Sepúlveda-Amor, Skotnikov; Judge ad hoc Krec ´a;
AGAINST : Vice-President Al-Khasawneh; Judges Keith, Bennouna; Judge ad
hoc Mahiou;
(5) by twelve votes to three,
Finds that Serbia has violated the obligation to prevent genocide,
under the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime
of Genocide, in respect of the genocide that occurred in Srebrenica
in July 1995;
IN FAVOUR : President Higgins; Vice-President Al-Khasawneh; Judges Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor,
Bennouna; Judge ad hoc Mahiou;
AGAINST : Judges Tomka, Skotnikov; Judge ad hoc Krec ´a;
(6) by fourteen votes to one,
Finds that Serbia has violated its obligations under the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide by having
failed to transfer Ratko Mladic ´, indicted for genocide and complicity in
genocide, for trial by the International Criminal Tribunal for the former
Yugoslavia, and thus having failed fully to co-operate with that Tribu-
nal;
IN FAVOUR : President Higgins; Vice-President Al-Khasawneh; Judges Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-
Amor, Bennouna, Skotnikov; Judge ad hoc Mahiou;
AGAINST : Judge ad hoc Kre´a;
(7) by thirteen votes to two,
Finds that Serbia has violated its obligation to comply with the provi-
sional measures ordered by the Court on 8 April and 13 September 1993
in this case, inasmuch as it failed to take all measures within its power to
prevent genocide in Srebrenica in July 1995;
IN FAVOUR : President Higgins; Vice-President Al-Khasawneh; Judges Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-
Amor, Bennouna; Judge ad hoc Mahiou;
AGAINST : Judge Skotnikov; Judge ad hoc Krec´a;
(8) by fourteen votes to one,
Decides that Serbia shall immediately take effective steps to ensure full
compliance with its obligation under the Convention on the Prevention
199 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 238
4) par onze voix contre quatre,
Dit que la Serbie ne s’est pas rendue complice de génocide en violation
des obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide;
me
POUR :M Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Sepúlveda-Amor, Skotnikov, juges; M. Krec ´a, juge ad
hoc;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Keith, Bennouna, juges;
M. Mahiou, juge ad hoc;
5) par douze voix contre trois,
Dit que, s’agissant du génocide commis à Srebrenica en juillet 1995, la
Serbie a violé l’obligation de prévenir le génocide prescrite par la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide;
POUR :M me Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor,
Bennouna, juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Tomka, Skotnikov, juges; M. Krec ´a, juge ad hoc;
6) par quatorze voix contre une,
Dit que la Serbie a violé les obligations qui lui incombent en vertu de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en ne
transférant pas Ratko Mladic ´, accusé de génocide et de complicité de
génocide, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie pour y
être jugé, et en ne coopérant donc pas pleinement avec ledit Tribunal;
POUR :M me Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-
Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : M. Krec´a, juge ad hoc;
7) par treize voix contre deux,
Dit que la Serbie a violé l’obligation qui lui incombait de se conformer
aux mesures conservatoires ordonnées par la Cour les 8 avril et 13 sep-
tembre 1993 en la présente affaire, en ne prenant pas toutes les mesures
qui étaient en son pouvoir pour prévenir le génocide commis à Srebrenica
en juillet 1995;
me
POUR :M Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-
Amor, Bennouna, juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : M. Skotnikov, juge; M. Krec´a, juge ad hoc;
8) par quatorze voix contre une,
Décide que la Serbie doit prendre immédiatement des mesures effec-
tives pour s’acquitter pleinement de l’obligation qui lui incombe, en vertu
199239 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION JUDGMENT )
and Punishment of the Crime of Genocide to punish acts of genocide as
defined by Article II of the Convention, or any of the other acts pro-
scribed by Article III of the Convention, and to transfer individuals
accused of genocide or any of those other acts for trial by the Interna-
tional Criminal Tribunal for the former Yugoslavia, and to co-operate
fully with that Tribunal;
IN FAVOUR: President Higgins; Vice-President Al-Khasawneh; Judges Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-
Amor, Bennouna, Skotnikov; Judge ad hoc Mahiou;
AGAINST: Judge ad hoc Kre´a;
(9) by thirteen votes to two,
Finds that, as regards the breaches by Serbia of the obligations referred
to in subparagraphs (5) and (7) above, the Court’s findings in those para-
graphs constitute appropriate satisfaction, and that the case is not one in
which an order for payment of compensation, or, in respect of the viola-
tion referred to in subparagraph (5), a direction to provide assurances
and guarantees of non-repetition, would be appropriate.
IN FAVOUR: President Higgins; Judges Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov; Judge
ad hoc Krec´a;
AGAINST: Vice-President Al-Khasawneh; Judge ad hoc Mahiou.
Done in English and in French, the English text being authoritative,
at the Peace Palace, The Hague, this twenty-sixth day of February,
two thousand and seven, in three copies, one of which will be placed
in the archives of the Court and the others transmitted to the Govern-
ment of Bosnia and Herzegovina and the Government of Serbia, respec-
tively.
(Signed) Rosalyn H IGGINS,
President.
(Signed) Philippe C OUVREUR ,
Registrar.
Vice-President A L-K HASAWNEH appends a dissenting opinion to the
Judgment of the Court; Judges R ANJEVA,S HI and K OROMA append a
joint dissenting opinion to the Judgment of the Court; Judge R ANJEVA
appends a separate opinion to the Judgment of the Court; Judges S HI
and K OROMA append a joint declaration to the Judgment of the Court;
Judges O WADA and T OMKA append separate opinions to the Judgment of
the Court; Judges K EITH,B ENNOUNA and S KOTNIKOV append declarations
200 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 239
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
de punir les actes de génocide définis à l’article II de la Convention ou les
autres actes prohibés par l’article III de la Convention, de transférer les
personnes accusées de génocide ou de l’un quelconque de ces autres actes
au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et de coopérer
pleinement avec ledit Tribunal;
POUR :M me Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ran-
jeva, Shi, Koroma, Owada, Simma, Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-
Amor, Bennouna, Skotnikov, juges; M. Mahiou, juge ad hoc;
CONTRE : M. Kre´a, juge ad hoc;
9) par treize voix contre deux,
Dit que, s’agissant des violations des obligations visées aux points 5
et 7 ci-dessus, les conclusions formulées par la Cour sous ces points cons-
tituent une satisfaction appropriée et qu’il n’y a pas lieu en l’espèce
d’ordonner que soient versées des indemnités, ni, en ce qui concerne la
violation visée au point 5, que soient fournies des assurances et garanties
de non-répétition.
POUR :M me Higgins, président ; MM. Ranjeva, Shi, Koroma, Owada, Simma,
Tomka, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges;
M. Krec´a, juge ad hoc;
CONTRE : M. Al-Khasawneh, vice-président ; M. Mahiou, juge ad hoc.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la
Paix, à La Haye, le vingt-six février deux mille sept, en trois exemplaires,
dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront
transmis respectivement au Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine et
au Gouvernement de la Serbie.
Le président,
(Signé) Rosalyn H IGGINS.
Le greffier,
(Signé) Philippe C OUVREUR .
M. le juge A L-KHASAWNEH , vice-président, joint à l’arrêt l’exposé de
son opinion dissidente; MM. les juges R ANJEVA ,SHI et KOROMA joignent
à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune; M. le juge R AN -
JEVA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle; MM. les juges
SHI et K OROMA joignent une déclaration commune à l’arrêt; MM. les
juges OWADA et TOMKA joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion indi-
viduelle; MM. les juges K EITH,B ENNOUNA et SKOTNIKOV joignent des
200240 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (JUDGMENT )
to the Judgment of the Court; Judge ad hoc M AHIOU appends a dissent-
ing opinion to the Judgment of the Court; Judge ad hoc K REuA appends
a separate opinion to the Judgment of the Court.
(Initialled) R.H.
(Initialled) Ph.C.
201 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (ARRÊT ) 240
déclarations à l’arrêt; M. le juge ad hocAHIOU joint à l’arrêt l’exposé de
son opinion dissidente; M. le juge ad hoc K REuA joint à l’arrêt l’exposé
de son opinion individuelle.
(Paraphé) R.H.
(Paraphé) Ph.C.
201
Arrêt du 26 février 2007