Audience publique tenue le lundi 15 octobre 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger)

Document Number
149-20121015-ORA-01-00-BI
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2012/25
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Uncorrected

CR 2012/25

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LAAYE THHEGUE

ANNÉE 2012

Audience publique

tenue le lundi 15 octobre 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Tomka, président,

en l’affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso/Niger)

________________

COMPTE RENDU
________________

YEAR 2012

Public sitting

held on Monday 15 October 2012, at 10 a.m., at the Peace Palace,

President Tomka presiding,

in the case concerning the Frontier Dispute
(Burkina Faso/Niger)

____________________

VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -

Présents : M. Tomka,président
Sepúl.vvace-poé,ident

OwMaMa.
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Crnçadoe
Yusuf
Greenwood

XuMe mes
Donoghue
Gaja.
Sebutinede

Bhgn.dari,
MaMhiou.
jDgesdet, ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Present: Presient ka
Vice-Presipeúnltveda-Amor

Judges Owada
Abraham
Keith
Bennouna

Skotnikov
Cançado Trindade
Yusuf
Greenwood

Xue
Donoghue
Gaja
Sebutinde

Bhandari
Judges ad hoc Mahiou
Daudet

Registrar Couvreur

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

Le Gouvernement du Burkina Faso est représenté par :

S. Exc. M. Jerôme Bougouma, ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de
la sécurité,

comme agent ;

S. Exc. Mme Salamata Sawadogo/Tapsoba, ministre de la justice, garde des sceaux,

S. Exc. M. Frédéric Assomption Korsaga, ambassadeur du Burkina Faso auprès du Royaume des
Pays-Bas,

comme coagents ;

S. Exc. M. Alain Edouard Traoré, ministre de la communication, porte-parole du Gouvernement,

comme conseiller spécial ;

Mme Joséphine Kouara Apiou/Kaboré, directrice générale de l’administration du territoire,

M. Claude Obin Tapsoba, directeur général de l’Institut géographique du Burkina Faso,

M. Benoît Kambou, professeur à l’Université de Ouagadougou,

M. Pierre Claver Hien, historien, chercheur au centre national de la recherche scientifique et
technologique,

comme agents adjoints ;

M.MathiasForteau, professeur à l’Université ParisOuest, Nanterre-La Défense, membre de la

Commission du droit international,

M. Alain Pellet, professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense, ancien président de la
Commission du droit international, membre associé de l’Institut de droit international,

M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Pa ris Ouest, Nanterre-La Défense, directeur du
Centre de droit international de Nanterre, avocat au barreau de Paris (cabinet Sygna Partners),

comme conseils et avocats ;

M. Halidou Nagabila, ingénieur topographe,

M. André Bassolé, expert en géomatique,

M. Dramane Ernest Diarra, administrateur civil,

e
M Benoît Sawadogo, avocat à la Cour,

M Héloïse Bajer-Pellet, avocat au barreau de Paris,

M. Romain Pieri, chercheur en droit international,

M.LudovicLegrand, chercheur au Centre de dr oit international de Nanterre (CEDIN), juriste

(cabinet Sygna Partners),

M. Simplice Honoré Guibila, directeur général des affaires juridiques et consulaires,

M. Daniel Bicaba, ministre conseiller à l’ambassade du Burkina Faso à Bruxelles,

comme conseillers. - 5 -

The Government of Burkina Faso is represented by:

H.E. Mr. Jérôme Bougouma, Minister for Territorial Administration, Decentralization and Security,
Asgent;

H.E. Ms Salamata Sawadogo/Tapsoba, Minister of Justice and Keeper of the Seals,

H.E.Mr. Frédéric Assomption Korsaga, Ambassador of Burkina Faso to the Kingdom of the

Netherlands,
Cso-Agents;

H.E. Mr. Alain Edouard Traoré, Minister of Communication, Government Spokesman,

as Special Adviser;

Ms Joséphine Kouara Apiou/Kabore, Director-General of Territorial Administration,

Mr. Claude Obin Tapsoba, Director-General of the Geographical Institute of Burkina,

Mr. Benoît Kambou, Professor at the University of Ouagadougou,

Mr. Pierre Claver Hien, Historian, Researcher at the National Science and Technology Research
Centre,

Dseputy-Agents;

Mr.Mathias Forteau, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, Member of
the International Law Commission,

Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense, former Chairman
of the International Law Commission, associate member of the Institut de droit international,

Mr.Jean-Marc Thouvenin, Professor at the University of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
Director of the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), member of the Paris Bar
(Cabinet Sygna partners),

as Counsel and Advocates;

Mr. Halidou Nagabila, Surveying Engineer,

Mr. André Bassolé, Geomatics Expert,

Mr. Dramane Ernest Diarra, Civil Administrator,

Maître Benoît Sawadogo, Avocat à la Cour,

Maître Héloïse Bajer-Pellet, member of the Paris Bar,

Mr. Romain Pieri, International Law Researcher,

Mr. Ludovic Legrand, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Lawyer
(Cabinet Sygna partners),

Mr. Simplice Honoré Guibila, Director-General of Legal and Consular Affairs,

Mr. Daniel Bicaba, Minister-Counsellor, Embassy of Burkina Faso in Brussels,
Asdvisers. - 6 -

Le Gouvernement du Niger est représenté par :

S. Exc. M. Mohamed Bazoum, ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la coopération,
de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur, président du comité d’appui aux conseils
du Niger,

comme chef de la délégation et agent ;

S. Exc. M. Abdou Labo, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, de la sécurité publique, de la
décentralisation, et des affaires religieuses,

comme coagent ;

S. Exc. M Karidio Mahamadou, ministre de la défense nationale,

S. Exc. M. Marou Amadou, ministre de la justice, garde des sceaux, porte-parole du gouvernement,

S. Exc. M. Issaka Djibo, ambassadeur de la République du Niger auprès du Royaume des

Pays-Bas,

comme coagents adjoints ;

M.Sadé Elhadji Mahaman, conservateur des archives et bibliothèques, coordonnateur du

secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme agent adjoint ;

M.JeanSalmon, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles, membre de l’Institut de
droit international, membre de la Cour permanente d’arbitrage,

comme conseil principal ;

M. Maurice Kamto, professeur agrégé de droit public , avocat au barreau de Paris, ancien doyen de
la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II, ancien président et
membre de la Commission du droit internationa l, membre associé de l’Institut de droit

international,

M.PierreKlein, professeur de droit et directeur adjoint du Centre de droit international de
l’Université libre de Bruxelles,

M.AmadouTankoano, professeur de droit internatio nal, enseignant-chercheur et ancien doyen de
la faculté de sciences économiques et juridiqu es de l’Université AbdouMoumouni de Niamey
du Niger,

comme conseils ;

Mme MartynaFalkowska, chercheuse au Centre de droit international à l’Université libre de
Bruxelles,

comme assistante des conseils ; - 7 -

The Government of Niger is represented by:

H.E.Mr. Mohamed Bazoum, Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation, African
Integration and Nigeriens Abroad, Chairman of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Head of the Delegation and Agent;

H.E.Mr.Abdou Labo, Minister of State for the Interior, Public Security, Decentralization and
Religious Affairs,

as Co-Agent;

H.E. Mr. Karidio Mahamadou, Minister of National Defence,

H.E. Mr. Marou Amadou, Minister of Justice, Keeper of the Seals, Government Spokesman,

H.E. Mr. Issaka Djibo, Ambassador of Niger to the Kingdom of the Netherlands,

as Deputy Co-Agents;

Mr.Sadé Elhadji Mahaman, Curator of Archives and Libraries, Co-ordinator of the Permanent
Secretariat of the Support Committee to Counsel for Niger,

as Deputy Agent;

Professor Jean Salmon, Professor emeritus of the Université Libre de Bruxelles, Member of the
Institut du droit international, member of the Permanent Court of Arbitration,

as Lead Counsel;

Professor Maurice Kamto, Professor agrégé of public law, member of the Pa ris Bar, former Dean

of the Faculty of Law and Political Science at the University of YaoundéII, former Chairman
and Member of the International Law Commissi on, associate member of the Institut de droit
international,

Professor Pierre Klein, Professor of Law at the Université Libre de Bruxelles, Deputy-Director of
the Centre of International Law,

Professor Amadou Tankoano, Professor of International Law, former Dean of the Faculty of

Economic and Legal Science, Lecturer and Re searcher at Abdou Moumouni University in
Niamey, Niger,

as Counsel;

MsMartyna Falkowska, Researcher at the Centre of International Law, Université Libre de
Bruxelles,

as Assistant; - 8 -

Le général Maïga Mamadou Youssoufa, gouverneur de la région de Tillabéri,

M.AmadouTcheko, directeur général des affaires juridiques et consulaires au ministère des
affaires étrangères, de la coopéra tion, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,
coordinateur adjoint du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le colonelMahamaneKoraou, secrétaire permanent de la commission nationale de frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger (en retraite),

M. Mahamane Laminou Amadou Maouli, magistrat, rapporteur du comité d’appui aux conseils du

Niger,

M.HassimiAdamou, ingénieur géomètre principa l, directeur général de l’Institut géographique
national du Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.HamadouMounkaila, ingénieur géomètre princi pal à la commission nationale des frontières,
membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Mahamane Laminou, ingénieur géomètre principal, expert à l’institut géographique national du

Niger, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Soumaye Poutia, magistrat, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

M. Idrissa Yansambou, directeur des archives nationales du Niger, membre du comité d’appui aux
conseils du Niger,

M. Belko Garba, ingénieur géomètre, membre du comité d’appui aux conseils du Niger,

Le général Yayé Garba, ministère de la défense nationale, membre du comité d’appui aux conseils
du Niger,

M. Seydou Adamou, conseiller technique du ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères, de la

coopération, de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

M. Abdou Abarry, directeur général des relations bilatérales au ministère des affaires étrangères, de
la coopération de l’intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur,

Le colonel Harouna Djibo Hamani, directeur de la coopération militaire, des opérations et du
maintien de la paix au ministère des affaires étrangères, de la coopération, de l’intégration
africaine et des Nigériens à l’extérieur,

comme experts ;

M. Ado Elhadji Abou, ministre conseiller à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Chitou Boubacar, chargé du protocole à l’ambassade du Niger à Bruxelles,

M. Salissou Mahamane, agent comptable du comité d’appui aux conseils du Niger,

M.AbdoussalamNouri, secrétaire principal au secrétariat permanent du comité d’appui aux
conseils du Niger,

Mme Haoua Ibrahim, secrétaire au secrétariat permanent du comité d’appui aux conseils du Niger,

comme personnel d’appui. - 9 -

General Maïga Mamadou Youssoufa, Governor of the Region of Tillabéri,

Mr.Amadou Tcheko, Director-General of Legal and Consular Affairs at the Ministry of Foreign
Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad, Deputy Co-ordinator of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Col. (retired) Mahamane Koraou, Permanent Secretary to the National Boundaries Commission,
member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou Amadou Maouli, Magistra t, Rapporteur of the Support Committee to

Counsel for Niger,

Mr.Hassimi Adamou, Chief Surveyor, Director-Gen eral of the National Geographical Institute of
Niger (NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Hamadou Mounkaila, Chief Surveyor at the National Boundaries Commission, member of the
Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Mahamane Laminou, Chief Surveyor, Expert at the National Geographical Institute of Niger

(NGIN), member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr. Soumaye Poutia, Magistrat, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Idrissa Yansambou, Director of the National Archives of Niger, member of the Support
Committee to Counsel for Niger,

Mr. Belko Garba, Surveyor, member of the Support Committee to Counsel for Niger,

General Yayé Garba, Ministry of National Defe nce, member of the Support Committee to Counsel
for Niger,

Mr. Seydou Adamou, Technical Adviser to the Minister of State for Foreign Affairs, Co-operation,

African Integration and Nigeriens Abroad,

Mr.Abdou Abarry, Director-General of Bilatera l Relations, Ministry of Foreign Affairs,
Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

Col. Harouna Djibo Hamani, Director of Milita ry Co-operation and Peace-Keeping Operations,
Ministry of Foreign Affairs, Co-operation, African Integration and Nigeriens Abroad,

as Experts;

Mr. Ado Elhadji Abou, Minister-Counsellor, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Chitou Boubacar, Protocol Officer, Embassy of Niger in Brussels,

Mr. Salissou Mahamane, Accountant of the Support Committee to Counsel for Niger,

Mr.Abdoussalam Nouri, Principal Secretary, Perm anent Secretariat of the Support Committee to

Counsel for Niger,

MsHaoua Ibrahim, Secretary, Permanent Secretariat of the Support Committee to Counsel for
Niger,

as Support Staff. - 10 -

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit

aujourd’hui pour entendre le second tour de plaidoiries du BurkinaFaso. Je donne à présent la

parole au professeur Pellet, conseil et avocat du Burkina Faso. Vous avez la parole, Monsieur.

M. PELLET : Merci beaucoup, Monsieur le président.

M ÉTHODOLOGIE ET DROIT APPLICABLE

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, le professeur Salmon, que je ne

1
qualifierai pas de «vieil ami» , car il a la fougue et la vivacité de la jeunesse ⎯mais d’ami très

cher ⎯ JeanSalmon donc, vous a dit, en interrompant sa plaidoirie vendredi dernier, pour la

pause-déjeuner que, «comme vous av[i]ez été très sag es, vous aur[i]ez droit à la suite de ce conte

2
durant l’après-midi» . L’aveu est éloquent. Oui, Mesdames et Messieurs de la Cour, nos

contradicteurs et amis vous ont bercé d’un conte, parfois fascinant ⎯car ils ont du talent,

quelquefois touchant ⎯ car les diseurs savent faire appel à la sensibilité de leur auditoire. Mais,

comme tous les contes, il relève de la féerie et aurait sans doute dû être précédé de l’avertissement

usuel selon lequel : «toute ressemblance avec des faits réels ⎯ et l’on devrait ajouter : «et avec le

droit positif» ⎯ serait purement fortuite».

2. Malheureusement, après l’envoûtement, vient le temps du retour à la réalité des faits et à

la lex dura. Le temps de réaliser que nous sommes ici devant une Cour, qui dit le droit avec le

consentement des Parties et dans la mesure de cel ui-ci; une juridiction, à laquelle il n’appartient

3
pas de reviser les engagements des Etats, mais de veiller à leur mise en Œuvre ; pas de redessiner

des frontières qui lui sembleraient ⎯ ou qui sembleraient à l’une des Parties ⎯ plus satisfaisantes

ou plus commodes ou plus jolies, mais de dire où se trouvent les frontières, conformément au droit

applicable (qu’ici le Burkina et le Niger ont fixé limitativement); pas d’aboutir à une «solution

équitable», qui serait de mise dans une délimitati on maritime, mais de se fonder (pas seulement de

1Voir CR 2012/22, p. 22, par. 8 (Salmon).

2CR 2012/23, p. 56, par. 6 (Salmon).
3
Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgar ie, la Hongrie et la Roumanie, deuxième phase, avis
consultatif, C. I.J. Recueil 1950, p.229; voir auAcquisition de la nationalité polonaise, avis consultatif, 1923,
C.P.J.I. sérieB n 7, p. 20; Droits des ressortissants des Etats-UnisAmérique au Maroc (France c.Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil1952 , p. 196 ; Sud-Ouest africain (Ethiopie c.Afrique du Sud; Libéria c.Afrique du
Sud), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1966, p. 48, par. 91. - 11 -

«prendre en considération» ⎯ de se fonder) sur les instruments désignés comme pertinents ⎯ et

seuls pertinents ⎯ pour trancher (complètement) le différend frontalier entre les Parties.

3. Dès lors, il nous faut, par exemple, prendre nos distances face au mythe du «Temps béni

4
des colonies» que glorifie un chanteur populaire français : et malheureusement, il n’y a guère de

«gentil colonisateur»; et la France ⎯je suis le premier à le regretter ⎯ n’y a pas fait exception.

Et si certains administrateurs de terrain se soucia ient sans doute des sentiments et des intérêts de

ceux que l’on appelait les «indigènes», les décisions prises à Paris ou à Dakar (et c’est là seulement

que celles qui nous intéres sent pouvaient être prises) ⎯ ces décisions se fondaient bien plutôt sur

ce que l’on croyait là (à Paris et à Dakar), être de l’intérêt de la puissance coloniale dans des

régions récemment occupées et encore mal connues. Un intérêt mal compris peut-être ⎯ mais qui

a conduit les autorités françaises à adopter, quoiqu’en disent nos amis de l’autre côté de la barre,

des frontières souvent arbitraires et taillées à la serpe. La nôtre n’y fait pas exception.

4. Monsieur le président, mes collègues et moi regrettons de rompre le charme et de devoir

décrire une réalité moins poétique et idyllique que celle qu’ont imaginée nos contradicteurs. Et

sans prétendre à l’originalité, nous le ferons conformément au plan suivant :

⎯ dans un premier temps, je reviendrai sur les qu estions de méthodologie et de droit applicable

qui ont occupé l’essentiel des plaidoiries de la Partie nigérienne; j’en profiterai pour donner

nos réponses aux questions posées par les juges Bennouna et Donoghue ;

⎯ les professeursJean-MarcThouvenin et Mathia sForteau se partageront ensuite la tâche

d’expliquer à la fois pourquoi le tracé, tortueux, que défend le Niger, relève, en effet, du conte,

et en quoi celui que nous proposons est seul conforme aux principes applicables à la

délimitation de la frontière litigieuse, ceci suc cessivement en ce qui concerne le «secteur de

Téra» et celui «de Say» ;

⎯ enfin, Mme la ministreSawadogo/Tapsoba, coagent du BurkinaFaso, formulera quelques

remarques conclusives avant de lire nos conclusions finales.

4Michel Sardou, Au temps des colonie;stext e disponible su:rhttp:/ /www.lyricsmania.com/

le_temps_des_colonies_lyrics_michel_sardou.html - 12 -

I. L’objet du différend

(réponse à Mme la Juge Donoghue)

[Projection n o 1 : Question de Mme la juge Donoghue.]

5. Monsieur le président, à ce stade très tardif de la procédure, je ne pense pas qu’il soit

nécessaire de revenir en détail sur l’objet du diffé rend soumis à la Cour. Toutefois, la question

qu’a posée vendredi dernier Mme la jugeDonoghue me donne l’occasion d’une clarification, qui

me paraît utile, sur un aspect particulier de celui-ci.

6. Pour y répondre, il me faut revenir su r une précision terminologique. Dans le texte

français de l’article 2, paragraphe 2, du compromis, le seul qui fait foi, les Parties prient la Cour de

leur «donner acte ... de leur entente» ; dans la traduction du Greffe, cela se lit : «place on record the

Parties’ agreement». Comme je l’ai dit la semaine dernière 5, malgré tout le respect que j’ai pour le

travail des traducteurs et des interprètes de la Cour, je ne suis pas très convaincu en l’espèce par

cette traduction et il me semble que « understanding», par exemple, aurait mieux traduit «entente»

que le mot «agreement».

7. Ceci étant, la question de Mme la juge Donoghue est de savoir si cette entente est

obligatoire pour les Parties. Notre réponse est la suivante ⎯ je me permets de me référer aussi à ce

que j’en ai dit mardi dernier 6: elle le sera lorsque la Cour en aura pris acte. Les raisons de cette

réponse (qui se fonde d’abord sur la lettre même de cette disposition du compromis), sont les

suivantes :

1) noustrouvons très regrettable ⎯et je le dis solennellement au nom du BurkinaFaso ⎯ que

M. l’agent de la République du Niger ait affirmé que son pays «a ratifié» («ratifié», Monsieur le

président)

«l’échange de notes intervenu entre le Niger et le Burkina Faso en date des
29 octobre et 2 novembre 2009 …conformément à l’article7 de l’accord du

28 mars 1987 qui dispose :

«le résultat des travaux d’abornement sera consigné dans un instrument
juridique qui sera soumis à la signature et à la ratification des deux
7
parties contractantes».» ;

5CR 2012/21, p. 27, par. 6 (Pellet).
6
Ibid., p. 29-30, par. 9-10 (Pellet).
7CR 2012/22, p. 13, par. 14 (Bazoum) (les italiques sont de nous). - 13 -

et le conseil du Niger de renchérir: «le processus de ratification de cet accord a été mené à son

terme au Niger» 8; la Partie nigérienne n’a pas apporté la moindre preuve de ses dires à cet égard ;

en tout cas, le Burkina, pour sa part, n’a pas ratif ié cet échange de lettres qu’aucune des Parties n’a

enregistré aux Nations Unies ;

2) si cet échange de lettres constitue un traité au sens du droit internationa l, soumis à ratification

en vertu de l’article 7 de l’accord de 1987, comme l’a affirmé l’agent du Niger, il n’est alors, en

tout cas, pas «juridiquement consacré» en droit international, pour reprendre l’expression du

9
Niger à propos du tracé consensuel de1988 ou du compromis politique de1991 ; il n’a, en

effet, pas été ratifié par les deux Etats; il demeure, par conséquent, juridiquement non

obligatoire entre les Parties si l’on suit ce raisonnement ;

3) c’est justement parce que, dans des cas de ce genre, le Niger se considère comme n’étant pas lié

10
par de tels accords imparfaits ⎯ et il n’a pas tort sur le plan strictement juridique ⎯ que les

autorités burkinabè ont demandé que le paragr aphe2 de l’article2 soit inséré dans le

compromis ;

11
4) et au surplus, comme je l’ai rappe lé dans ma plaidoirie de mardi dernier , l’entente des Parties

⎯ l’understanding ⎯ constituée par l’échange de lettres des 29 octobre et 2 novembre 2009 est

postérieure à la conclusion du compromis et ne tirer a sa force obligatoire que de votre arrêt,

Mesdames et Messieurs de la Cour.

8. Ce n’est que lorsque celui-ci aura pris acte de cette entente ⎯ de cet understanding ⎯ que

le différend frontalier, que les Parties ont soum is à la Cour sera complétement réglé. I hope,

Judge Donoghue, that I have clearly answered your question.

o
[Fin de la projection n 1.]

II. Le droit applicable

9. Monsieur le président, quelques mots maintenant sur le droit applicable ⎯ et je dis bien :

«le droit...».

8 CR 2012/22, p. 24, par. 3 (Salmon) (les italiques sont de nous).
9
CMN, p. 15, par. 1.0 ; p. 47, par. 1.2.2 ; p. 54-56, par. 1.2.19-1.2.23.
10Voir notamment CR 2012/22, p. 32, par. 20 (Salmon) ; p. 43-44, par. 29-30 (Kamto).

11CR 2012/21, p. 29-30, par. 7-9 (Pellet). - 14 -

[Projection n 2 : Comparaison entre les compromis Bénin/Niger et Burkina/Niger.]

10. Je ne vous apprendrai rien, Mesdames et Me ssieurs de la Cour, en rappelant qu’il est

fixé, de manière fort claire, par l’article 6 du compromis du 24 février 2009. C’est une disposition

assez particulière ⎯d’abord parce qu’elle existe (elle n’a pas d’équivalent dans certains

compromis ⎯ par exemple dans celui adopté par le Burkina et le Mali en 1983, à l’exception d’une

12
brève allusion au principe uti possidetis dans le préambule ); ensuite parce que, lorsqu’un

compromis comprend une telle clause, elle en reste en général à un très grand degré de généralité
.

Tel est le cas du compromis de 2002 dans Bénin/Niger aux termes duquel :

«Les règles et principes du droit international qui s’appliquent au différend sont

ceux énumérés au paragraphe1 de l’article 38 du Statut de la Cour internationale de
Justice, y compris le principe de la succession d’Etats aux frontières héritées de la
colonisation, à savoir l’intangibilité des frontières.»

11. Le texte de l’article 6 du compromis de 2009 est très proche de celui que je viens de lire

⎯à deux nuances près. La première ⎯l’équation entre succession aux frontières coloniales et

leur «intangibilité» ⎯ me semble assez anodine. Pas la seconde. Le renvoi à l’accord du

28 mars 1987 entre le Burkina et le Niger est au contraire crucial.

o o
[Fin de la projection n 2 ⎯ Projection n 3 : Articles 1 et 2 de l’accord du 28 mars 1987.]

12. C’est que la nuance n’est pas mince: par son silence, le compromis dans

Burkina/République du Mali renvoyait au droit international général; celui dans Bénin/Niger

n’allait pas beaucoup plus loin: les règles et pr incipes du droit international de l’article38 et

l’uti possidetis juris, ce n’est pas très compromettant. Mais le renvoi à l’accord de 1987, c’est autre

chose, et c’est autrement plus contraignant :

⎯ la frontière entre les deux Etats est celle que décrit l’arrêté de 1927 précisé par son erratum ;

celle-ci et pas une autre ;

⎯ étant entendu seulement qu’«[e]n cas d’insuffisance de l’arrêté et de son erratum, le tracé sera

celui figurant sur la carte à 1/200000 de l’Institut géographique national de France,

édition 1960, et/ou de tout autre document pertinent, accepté d’accord parties».

Ceci, Mesdames et Messieurs les juges, c’est le droit, la lex specialis, qui s’impose aux Parties et,

du même coup, à la Cour.

12http://www.icj-cij.org/docket/files/69/10664.pdf. - 15 -

13. Oh là, là, Monsieur le président, je vois déjà ⎯ je devine ⎯ les réactions indignées de

mes adversaires et amis; j’entends leurs imprécations: «fétichisme du texte» 13 ! «Fixation

freudienne» 14! «Passion pour les formes» 15! «Sacralisation» 16! Non, non ! Juste la lecture des

dispositions d’un traité que les Parties ont adoptées tout à fait librement et consciemment, et qui

font droit entre elles.

14. Et j’ajoute que, si fétichisme il y a, nos contra dicteurs ne sont pas en reste. Certes, ils ne

sont pas regardants en matière de formalisme : ils admettent avec bonne grâce que «[c]es limites

sont en réalité des limites de fait, qui ne sont que rarement fixées par des textes» 17 et que, dans la

région qui nous concerne, aucun texte ayant quelque valeur juridique que ce soit n’a jamais défini

les limites des circonscriptions coloniales entre chefs de ces mêmes circonscriptions 18, alors même

que ceux-ci n’avaient aucune compétence en matière de délimitation interc oloniale (ni même une

compétence finale s’agissant de délimitation in tracoloniale d’ailleurs) ; ils acceptent sans scrupule

particulier que des croquis non datés et à la prove nance incertaine puissent constituer des preuves

recevables et décisives. C’est ailleurs qu’ils fétichisent ⎯et notamment, dès lo rs qu’il s’agit de

l’arrêt de la Chambre de la C our de1986 dans l’affaire du Différend frontalier

(Burkina Faso/République du Mali), qu’ils récitent comme un bréviaire !

15. Monsieur le président, j’ai le plus grand respect ⎯presque de l’affection! ⎯ pour cet

arrêt fondateur, que j’ai moi-même cité à maintes reprises la semaine dernière ⎯ et le

BurkinaFaso n’a, assurément, pas à s’en plaindr e comme notre agent l’a rappelé lundi dernier 19.

Encore faut-il s’y référer à bon escient ⎯et garder présente à l’esprit la différence (de taille) qui

existe entre les deux compromis: celui de1983 ne renvoyait pas à un accord ⎯entre les Parties.

Le nôtre, celui du 24février2009, le fait; il s’ag it d’un accord en bonne et due forme, pas d’une

13CR 2012/22, p. 36, par. 9 (Kamto).
14
Ibid., p. 31, par. 20 (Salmon).
15
CR 2012/24, p. 38, par. 19 (Klein).
16CR 2012/22, p. 26, par. 7 (Salmon), et p. 36, par. 9 (Kamto) ; CR 2012/23, p. 15, par. 12 (Salmon). Voir aussi

CR 2012/23, p. 14, par. 10 (Salmon), ou CR 2012/24, p. 37, par. 19 (Klein).
17CR 2012/22, p. 23, par. 23 (Tankoano).

18Voir, par exemple, CR 2012/24, p. 11, par. 10 (Salmon) [«accord» Garnier/Lichtenberger pour la pose de la
borne de Vibourié] ; CR 2012/24, p. 14, par. 15 et p. 18, par. 18 (Salmon) [«accord» Roser/Boyer].

19CR 2012/19, p. 13, par. 2 (Bougouma). - 16 -

simple «entente», d’un «understanding» à la portée juridique incertaine, mais bien d’un traité, qui

indique expressément sur la base de quels instruments la frontière doit être déterminée.

16. Bien entendu en revanche, dans toute la mesure où la loi spéciale que les Parties se sont

donnée n’est pas pertinente pour régler le pré sent différend et, donc, ne conduit pas à écarter

certaines des règles que, faute d’accord, la Cham bre de1986 avait appliquées, rien n’empêche

⎯tout recommande au contraire ⎯ de se référer à l’arrêt de la Chambre. Et c’est notamment le

cas en ce qui concerne le principe uti possidetis dont a parlé excellemment mon ami

Maurice Kamto ⎯ excellemment, mais par trop abstraitement. Car il l’a fait, justement, sans tenir

compte du fait qu’il doit s’appliquer, dans notre espèce, en tenant pleinement compte du

compromis ; du renvoi que ce compromis effectue à l’accord de 1987 et des mentions, exclusives,

que fait ce dernier, de l’ arrêté de 1927 et de son erratum d’une part, à titre subsidiaire, de la carte

de l’IGN France de1960 d’autre part. Or, Monsieur le président, le droit applicable c’est avant

tout ceci.

17. Au demeurant, et sous cette (important e) réserve, nous n’avons rien à redire à la

présentation magistrale qu’a faite le doyenKamto du principe général uti possidetis 20 ⎯ c’est au

sujet de l’application qu’il veut en faire en l’espèce que nous avons quelque réticence. Et

notamment en ce qui concerne sa conception, fort rigide ⎯ formaliste... ⎯ de la date critique. Il la

veut unique et nous somme de choisir ⎯ ou plutôt il proclame que la seule date critique à prendre

en considération est celle des indépendances: le s 3-5 août1960 (ne chipotons pas à deuxjours

près : de toute manière ils n’ont pas d’importance ⎯ dans notre affaire en tout cas) 21.

18. Monsieur le président, je n’ai, en ce qui me concerne, aucune espèce de fétichisme ⎯ en

tout cas pas pour ce qui est de la date critique. Et je suis tout prêt à admettre que, pour

l’application du principe uti possidetis, c’est dans notre affaire, août 1960. Mais, ceci n’a guère

d’importance pratique ⎯ et pour au moins deux raisons :

20
CR 2012/22, p. 33-35, par. 2-5.
21Voir ibid., p. 37, par. 11. - 17 -

⎯ en premier lieu, la notion de date critique n’ est pas univoque: elle intervient, certes, pour

déterminer la date à laquelle le principe uti possidetis s’applique, mais elle est également

22
pertinente pour fixer celle à laquelle un différend s’est cristallisé ;

⎯ en second lieu et plus largement, l’expression sert, en réalité, à désigner toute date à laquelle il

faut s’arrêter pour apprécier le statu quo (qu’il soit, d’ailleurs, territorial ou non).

19. C’est ce qu’a fait la Chambre de la Cour dans Burkina/République du Mali . Elle a

d’abord expliqué qu’une première date critique était celle des indépendances, à laquelle est fixé,

23
selon sa formule justement célèbre (qu’a rappelée d’ailleurs MauriceKamto ), «l’instantané

territorial» qui donne la photographie du «legs colonial» 24. Mais comme l’a rappelé aussi mon

cher contradicteur, «[l]’uti possidetis règle la question du legs colonial, pas nécessairement celle du

25
contenu précis dudit legs colonial» . Et c’est pour cela que la Chambre de 1986 a dû effectuer un

retour en arrière, un flash back, pour déterminer ce «contenu» ⎯c’est-à-dire le tracé de la

frontière ; elle constate que la loi de 1947 rétablissait la Haute- Volta dans ses limites de 1932, qui

n’ont pas été modifiées depuis lors ; en conséquence,

«la tâche de la Chambre consiste en l’espèce à indiquer le tracé de la frontière dont les

deux Etats ont hérité du colonisateur lors de leur accession à l’indépendance....
[C]ette tâche revient en l’occurrence à chercher à établir les lignes qui constituaient les
limites administratives de la colonie de la Haute-Volta jusqu’au 31décembre1932.»

(Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J.Recueil1986 ,
p. 632, par. 148.)

20. Il en va de même dans notre affaire : 1960 renvoie à 1947, qui renvoie à 1932. Mais il

faut remonter un petit peu plus loin dans le temps car, au fond, 1987 (du fait de l’accord des Parties

du 28mars) «enjambe», si je puis dire, toute cette période, et renvoie directement à l’ erratum de

1927 avec un zoom avant sur la carte de 1960 en cas d’insuffisance de celui-ci.

[Fin de la projection n 3.]

22 Voir par exemple: Différend territorial et maritime entre Nicaragua et le Honduras dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c.Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p.698, par.117; voir aussSouveraineté sur Pulau

Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Mala isie), arrêt, C.I.J.Recueil2002 , p.682, par.135; Souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J.Recueil2008 , p.27-28,
par. 32-36.
23
CR 2012/22, p. 37, par. 12 (Kamto).
24 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 568, par. 30.

25 CR 2012/22, p. 37, par. 12 (Kamto). - 18 -

21. Du même coup, Monsieur le président, se trouve fixée la méthodologie à suivre en la

présente espèce.

III. Questions de méthode

22. Le château de cartes échafaudé par le Niger ⎯le «conte» que ses conseils ont

inventé ⎯est résumé tout entier de la manière suivante par le professeurSalmon: après avoir

affirmé que «les textes de 1927» (il s’agit de l’arrêté et de son erratum) ne constituent «qu’une

preuve parmi d’autres» du tracé de la frontière, il a ajouté

«En amont des textes de 1927, le Nige r rappelle que ces textes ont été adoptés
en exécution du décret du président de la République du 28 décembre 1926 ... et qu’ils
ne peuvent donc avoir pour objet que de donner effet aux remaniements de cercles et

de cantons que ce décret opère. Qu’il est aussi raisonnable d’examiner des actes
préparatoires effectués par les deux colonies concernées afin de préparer les arrêtés
d’application.

En aval, il convient d’être attentif à l’application des textes de 1927 sur le
terrain par les autorités coloniales pour remédier à leur insuffisance.» 26

23. N’était le respect sincère que j’ai pour le professeur Sa lmon, je dirais qu’il a «tout faux».

Et je dois dire que je vois mal pourquoi vous «trouver[iez] plus de charme» ⎯ce sont ses

termes ⎯à la complexité intellectuelle de la c onstruction imaginée de toutes pièces par nos

contradicteurs qu’à la solution de l’équation, en effet «sans inconnue», que les Parties vous ont

27
soumise . Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Même devant la Cour de céans,

il peut arriver que les problèmes se posent en termes simples ⎯ je pense, par exemple à l’affaire de

28
la Bande d’Aouzou , que celle qui nous réunit aujourd’hui rappelle à certains égards : nous avons,

comme c’était le cas dans cette affaire, un instrument, l’ erratum de 1927, auquel le tracé de la

frontière doit être conforme; il suffit de l’appliquer ⎯ quitte, lorsque c’est nécessaire , à

l’interpréter ; à l’interpréter, pas à le trahir même si, trop souvent, «interpréter, c’est

trahir» ⎯désolé pour nos excellentes interprètes! ⎯ traduttore, traditore. Et lorsqu’il se révèle

26
CR 2012/22, p. 28, par. 12 (Salmon).
27
Ibid., p. 31, par. 19 (Salmon).
28Voir Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad),arrêt, C.I.J.Recueil1994 , p. 6 ; voir en
particulier, p. 25, par. 51. - 19 -

insuffisant ⎯ insuffisant, pas insatisfaisant ⎯ il faut se reporter à la carte de l’IGNFrance de

1960. Tout ceci ⎯ trop simple sans doute ⎯ soulève l’indignation de nos contradicteurs.

A. L’imperfection alléguée de l’erratum
o
[Projection n 4 : Le tracé de la frontière.]

24. Première indignation ⎯et première erreur: le texte de l’erratum serait «imparfait,

imprécis, lacunaire sur certains points, erroné sur d’autres» 29. Le Niger en voit pour preuve que,

dès son édiction, «de nombreuses voix se [seraient] élevées dans les deux colonies concernées pour

déplorer les incertitudes de la limite territoriale» 30. On entre de plain-pied dans le conte, Monsieur

le président: oh oui! le tracé de l’erratum a suscité des protestations, y compris, et même avant

tout, de la part des administrateurs de cercle de Dori (comme le professeurKlein l’a

répété 31 ⎯mais qu’est-ce que cela change?). Toutefois, ces protestations n’ont, sans aucune

exception, nullement porté sur l’existence et le car actère obligatoire du tracé, très rarement sur son

manque de clarté. Au contraire, comme nous l’avons montré 32, les administrateurs locaux

critiquent un tracé qu’ils comprennent et connaissent parfaitement bien ! Simplement un exemple,

Monsieur le président: en 1929, Taillebourg, le commandant de cercle de Dori, se démène pour

obtenir une modification de l’erratum ; «je me rends compte», écrit-il notamment à son homologue

de Tillabéry (mais il mène une véritable ca mpagne générale!), «je me rends compte que ma

demande a de faibles bases , et je ne la formule qu’en raison des difficultés croissantes que les

33
limites réglementaires, dès qu’elles sont rigoureusement observées, créent au cercle de Dori» .

25. De même, à maintes reprises, nos amis de l’autre côté de la barre ⎯à commencer par

Monsieur l’agent du Niger lui-même ⎯affirment que, dès l’accession des deux pays à

l’indépendance, les responsables «ont déployé de nombreux efforts en vue de l’identification du

29
CR2012/22, p.28, par.11 (Salmon); voir aussi CR2012/ 22, p.31, par.20 (Salmon); CR2012/22, p.39,
par.16 (Kamto); CR2012/23, p.27, B (Klein); p.45, par. 31 (Kamto) ; p. 54, par. 4 (Salmon) ; CR 2012/24, p. 16,
par. 15 (Salmon).
30
CR2012/22, p.11, par.8 (Bazoum); voir aussi CR2012/22, p.39, par.16 (Kamto); CR2012/23, p.28-29,
par. 9-10 (Klein).
31CR 2012/23, p. 26, par. 7, ou p. 28-29, par. 9 (Klein).

32Voir CR 2012/19, p. 62, par. 45, et CMBF p. 29-37, par. 1.26-1.39, en particulier p. 33-36, par. 1.29-1.36.

33Lettre du commandant de cercle de Dori du 19août1929, MN, annexeC27, p.2; voir aussi sa lettre du
9 août 1929, MN, annexe C 24, p. 3. - 20 -

34
tracé précis de la frontière» . Avec tout le respect dû, ce n’est pas exactement cela, Monsieur le

président : les deux pays n’ont pas cherché à identifier leur frontière commune (en tout cas si l’on

considère qu’«identifier» est synonyme de «délimiter»); ils se sont, d’emblée, attachés à la

démarquer sur le terrain, à l’aborner sur la base de l’ erratum. Cela a été le cas à partir de 1964 ;

c’est ce qu’ils ont tenté de faire dans les années 1980; et c’est en vue de la matérialisation de la

frontière qu’ils concluent l’accord du 28mars 1987. Et non sans quelques succès(même si la

solution retenue doit encore être revêtue de l’autorité de la chose jugée) : comme je l’ai montré la

semaine dernière 35, c’est en se fondant sur l’ erratum (à une insuffisance près ⎯ surmontée

conformément aux directives de l’accord de 1987) que les deux segments de la frontière qui font

l’objet de l’entente ⎯ l’understanding ⎯ visée à l’article2, paragraphe2, du compromis ont été

abornés. Plus même, le tracé consensuel entériné lors de la quatrième rencontre de la commission

36
technique mixte d’abornement, en septembre 1988 , repose quasi-exclusivement sur l’ erratum de

1927 ; le «quasi» s’expliquant par le recours à la carte IGN France de 1960 pour déterminer le tracé

de la frontière sur un segment situé dans le s ecteur allant de Bossébangou à l’intersection de la

37
Sirba et du parallèle de Say ⎯ conformément, ici encore, à ce que prévoit l’accord de 1987.

26. Certes, faute d’avoir fait l’objet d’un tra ité en bonne et due forme, ce tracé consensuel

38
n’est pas opposable au Niger , en tant que découlant d’un texte conventionnel. La cause est

entendue. Mais, comme la Chambre de la Cour l’a précisé dans l’affaire du Golfe de Fonseca, si la

Cour :

«ne saurait tenir compte des concessions qui auraient pu être faites au cours des
négociations au sujet de la position de la limite ; ... elle peut à bon droit tenir compte

de l’opinion que partageaient les Parties [à l’époque] en 1881 et en 1884 quant à la
base et la portée de leur différend» ( Différend frontalier terrestre, insulaire et

maritimeS(a Ellador/Honduras; Nicaragua (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 406, par. 73 (les italiques sont de nous)).

34
CR 2012/22, p. 12, par. 10 (Bazoum) ; voir aussi : CR 2012/23, p. 33 ; par. 15 (Klein).
35Voir CR 2012/19, p. 65, par. 49 (Pellet).

36Procès-verbal de la quatrième rencontre de la commission technique mixte d’aborne ment de la frontière
Niger-Burkina à Niamey, 26, 27 et 28 septembre 1988, MBF, annexe n 81; voir aussi MBF, annexe cartographique
no15.

37Voir MBF, p. 155, par. 4.142.

38Voir CR 2012/22, p. 44, par. 31 (Kamto). - 21 -

«L’aspect important des négociati ons de [pour nous: 1987 et 1988]
est ... l’identité de vues des Parties en ce qui concerne le fondement et la portée de leur

différend.» (Ibid., p. 407, par. 76).

Au demeurant, si le consensus sur le tracé de 1988 résulte certes de la concertation entre les experts

des deux pays, le tracé lui-même n’est que la co nséquence de l’application pure et simple de

l’accord de 1987. Je note d’ailleurs que ce tracé consensuel n’est pas le résultat de «négociations»

à proprement parler comme l’ont répété à l’envi nos contradicteurs, c’est-à-dire de la recherche

d’une solution nouvelle, acceptable par les Parties. Les experts de la commission mixte étaient

tenus par la délimitation «telle que décrite» par l’erratum de 1927, et ne pouvaient s’en écarter.

B. Les insuffisances de l’erratum et la carte de 1960

[Fin de la projection n° 4 ⎯ Projection n° 5 : Réponse à la question de M. le juge Bennouna.]

27. Mesdames et Messieurs de la Cour, l’ erratum n’est pas incomplet et il n’est que très

marginalement insuffisant. Quand ⎯ exceptionnellement ⎯ il l’est, il faut avoir recours à la carte

IGN France de1960 au 1/200 000. Et ceci me conduit à donner notre réponse à la question de

M. le juge Bennouna. Elle est double.

28. Il nous faut d’abord expliquer «dans quelle mesure» nous acceptons «le recours à la carte

IGN de 1960 pour le tracé de la frontière» entre les Parties. La réponse se trouve, à vrai dire, dans

l’accord du 28 mars 1987 et, en particulier, dans so n article 2 : on ne peut avoir recours à la carte

qu’en cas d’insuffisance de l’arrêté précisé par son erratum, et, faute d’un quelconque autre

document accepté d’accord parties, d’une part, on doit y avoir recours et, d’autre part, on ne peut

avoir recours qu’à elle . Ce n’est pas du fétichisme, Monsie ur le président, ce n’est pas du

formalisme, ce n’est pas «freudien»; c’est tout simplement ce que dit le texte de 1987, auquel

renvoie le compromis.

29. Mais attention, il ne faut pas inverser l’ordre des facteurs et prendre la carte comme point

de départ, pas que nos interlocut eurs n’hésitent pas à franchir allègrement. Ainsi le professeur

Salmon, après avoir paru admettre que la carte s’est vu accorder «un statut de titre subsidiaire»,

n’hésite pas à expliquer qu’«il a semblé légitime [au Niger] de prendre pour base cette source

39
subsidiaire» . Et mon éminent contradicteur va même plus loin ⎯beaucoup plus loin: après

39
CR 2012/23, p. 55, par. 5 (Salmon) (les italiques sont de nous). - 22 -

avoir admis que le Niger «prenait pour base», donc, la carte de 1960, il explique que «le Niger a

scrupuleusement suivi» sa politique consistant à ne s’écarter «de la ligne IGN que pour des motifs»

fondés sur…«l’existence d’une borne coloniale dont les auteurs de la car te n’avaient pas eu

connaissance», d’un prétendu «accord postérieur à l’ indépendance», de «renseignements datant de

la période coloniale» et d’un «ensemble de raisons» ⎯qu’il ne détaille pas ⎯ dans le secteur de

Say 40. De longs commentaires ne sont pas nécessaires ; je pense qu’il me suffit de relever que :

⎯ non, la «base» n’est pas la carte de 1960, mais l’erratum de 1927 ; et

⎯ non, on ne peut pas, en cas d’insuffisance de celui-ci, substituer au tracé de la carte un

improbable salmigondis de documents coloniaux pl us ou moins formels (plutôt moins que plus

d’ailleurs...).

Si vous me permettez ce mauvais je u de mots, Monsieur le président (dont je ne suis d’ailleurs pas

sûr qu’il soit traduisible en anglais) : la carte figure au menu imposé par l’accord de 1987 ⎯ qu’il

soit appétissant ou non, ce n’est pas la question; le Niger prétend, lui, choisir «à la carte», pour

satisfaire ses préférences culinaires. Il ne le peut pas

30. Ce n’est pas, au demeurant, tout à fait la fin de l’histoire ⎯ je le concède volontiers ⎯,

car il faut encore déterminer à quel moment on se trouve face à une insuffisance du texte de

référence. La réponse, ici encore, me pa raît être dans le texte : il faut que l’ erratum ne suffise pas

pour que l’on puisse tracer la ligne frontière. Mon ami le professeurPierreKlein s’est donné

beaucoup de mal pour montrer que l’ erratum dans son ensemble souffrait de cette tare

41 42
d’insuffisance , et il a dénoncé «l’inanité» de la position du Burkina et l’outrecuidance de ses

conseils qui, seuls contre tous, s’obstineraient à nier l’obscurité de l’ erratum 43. Nous ne postulons

pourtant rien, Monsieur le président; il s’agit d’un problème technique, et nous nous bornons à

constater que les experts des deux Parties ont estimé, en 1988, qu’il était parfaitement possible de

prendre l’erratum pour base de la délimitation quitte à se ra battre sur la carte dans les cas où

celui-ci ne décrit pas la frontière à suffisance; et, dans le seul cas où la carte n’a pas permis de

40CR 2012/23, p. 56, par. 6 (Salmon) (les italiques sont de nous).
41
Voir CR 2012/23, p. 21-34 (Klein).
42
Ibid., p. 21, par. 1 (Klein).
43Voir notamment ibid., p. 22, par. 2 et 3 ; ou p. 32-33, par. 15 (Klein). - 23 -

suppléer à l’erratum, car un nom qui y était mentionné ne figurait pas sur celle-ci, la commission

mixte a, conformément au texte et à l’esprit de l’article 2 de l’accord de 1987, fait prévaloir

l’erratum sur la carte en interprétant le texte de cet instrument 44.

[Fin de la projection n° 5 ⎯ Projection n° 6 : L’erratum de 1927 et la carte de 1960.]

31. Monsieur le président, l’autre volet de la question du juge Bennouna consiste à demander

«sur quelle(s) portion(s) chacune des Parties accepte «le recours à la carte IGN de 1960 pour le

tracé de la frontière entre elles. Le schéma qui est projeté à l’écran en ce moment illustre la

position du Burkina sur ce point. La ligne verte est conforme à la fois à la description du tracé

figurant dans l’erratum et sur la carte ; la ligne rouge représente le tracé de l’erratum lorsque celui

de la carte ne coïncide pas avec lui, et la ligne jaune ⎯ que l’on ne voit pas très bien sur l’écran ⎯,

le tracé de la carte lorsque l’ erratum est insuffisant. Les professeursThouvenin etForteau

détailleront ces segments de la frontière et les raisons qui ont conduit les techniciens à penser que,

dans ces rares hypothèses (une seule en ce qui nous concerne), l’ erratum était insuffisant (il s’agit

45
du petit segment dont je parlais il y a un instant , qui est situé dans le secteur allant de

Bossébangou à l’intersection de la Sirba et du parallèle de Say).

32. J’espère avoir répondu à la satisfacti on du juge Bennouna, mais, comme vous nous y

avez invités Monsieur le président, nous nous réser vons la possibilité de compléter éventuellement

cette réponse d’ici le 24 octobre.

[Fin de la projection n° 6 ⎯ Projection n° 7 : L’article 2 du décret du 28 décembre 1926.]

C. Le titre et les effectivités

33. Avant d’en terminer, Monsieur le préside nt, je souhaite, avec votre permission, aborder

un dernier point qui divise toujours ⎯ et profondément ⎯ les Parties sur la méthode à suivre pour

la délimitation dans notre espèce ⎯ pas dans l’abstrait et au nom de grands principes, mais dans les

circonstances propres à notre affaire, qui sont assez pa rticulières. Je veux parler des relations entre

le titre et les effectivités, et de la conception étra nge que s’en font nos amis de l’autre côté de la

barre. Ces relations doivent, en l’espèce, être appréciées à la lumière de celles qui existent entre

44
Voir CR 2012/19, p. 34-35, par. 20-22 (Pellet).
45Voir ci-dessus par. 25. - 24 -

l’erratum et le décret du président de la République française du 28décembre1926, et des

conséquences qu’en tirent ⎯ ou que n’en tirent pas… ⎯ nos contradicteurs.

34. En les écoutant la semaine dernière, j’ai été frappé par la diminution de l’intérêt du Niger

pour ce texte pourtant fort important ⎯ il est vrai que, d’une façon générale, la Partie nigérienne ne

se passionne pas pour les textes ⎯ ; elle préfère le «vécu», moins palpable sous l’angle juridique.

Certes, le professeur Salmon a affirmé en passant, dans sa dernière intervention, que le décret

46
de 1986 constituait «[l]’élément de base qu’il ne faut jamais oublier» . Mais, si l’on met à part les

47
rappels historiques faits par le professeur Tankoano , seul le même JeanSalmon y a consacré de

brefs développements dans sa plaidoirie sur ce qu’il appelle le «postulat du caractère artificiel et

arbitraire de la frontière coloniale» 48.

35. Je ne reviens pas sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un «postulat» mais d’une

49
constatation ⎯ et d’une constatation qui n’est pas très étonnante lorsque l’on tient compte

⎯ de l’époque (les Français arrivent ta rd dans la région et, la «pacifient» ⎯ mot politiquement

correct alors ... ⎯ encore plus tard) ;

⎯ de la géographie (la région était éloignée du «centre» de l’AOF et, quoiqu’en disent nos

50 51 52
contradicteurs , elle était peu peuplée ; et elle est assez inhospitalière ) ;

53
⎯ en un mot, de la mauvaise connaissance qu’en avaient les autorités coloniales , et de leur

comportement, nettement moins philanthropique que celui que leur prête la Partie nigérienne 54 .

46
CR 2012/23, p. 53, par. 3 (Salmon).
47CR 2012/22, p. 21, par. 19 et p. 23, par. 24 (M. Tankoano) ; voir aussi CR 2012/23, p. 55, par. 4 (Salmon), et

CR 2012/24 p. 24, par. 3 (Klein).
48
CR 2012/23, p. 50, par. 6 et 7 (Salmon).
49Voir CR 2012/19, p. 44, par. 4-5 (Pellet) ; CR 2012/20, p. 28-30, par. 68-70 (Forteau).

50Voir CR 2012/22, p. 54, par. 13 (Salmon).

51Voir CMBF, p. 76, par. 3.30.

52CR 2012/19, p. 34, par. 16 (Tapsoba).
53 o
CMBF, p. 88-90, par.3.61-3.63; note n 521 CM2 du service géographique de l’AOF du 25juin1938;
CMBF, annexen o 6 ; lettre n 112 du 10 avril 1932 et rapport de tournée de l’administrateur Roser ; MN, annexe C 45,
p.4 télégramme-lettre n o47, adressé par le chef de la subdivision de Say au cercle de Dori, 18juin1935, MN,

annexe C 61; rapport du chef de la subdivision de Téra su r le recensement du canton de Diagourou, MN, annexeC 84,
p. 5.
54
Voir ci-dessus, par. 3 et CR 2012/19, p. 48-49, par. 15-16 (Pellet). - 25 -

36. Pour en revenir plus particulièrement à l’article2 du décret du 28décembre1926, le

professeurSalmon en dit essentiellement deux choses, que j’ai le regret de croire l’une et l’autre

inexactes :

⎯ en premier lieu, «[l]e fait que le décret présidentiel s’exprime en termes de cantons, c’est-à-dire

d’unités d’administration locale bien identifiées qui existaient déjà en 1910...ne va pas

55
vraiment dans le sens d’une volonté d’établir une ligne arbitraire et artificielle» ;

⎯ en second lieu et surtout, tout en affirmant que «le Niger ne perd pas de vue» l’alinéa2 de

l’article2 du décret de1926 (qui est actuelle ment projeté à l’écran), mon contradicteur

proclame péremptoirement que «l’action du g ouverneur général en décrivant les limites

résultant des déplacements opérés par décret... ne pouvait avoir qu’un effet déclaratif et non

56
constitutif» .

Quelques brefs développements sur chacune de ces fortes affirmations.

37. La première, est doublement discutable. D’une part, la formule selon laquelle les

cantons étaient des «unités d’administration locale bien identifiées» est admirablement ambiguë:

bien sûr, il s’agit d’unités territoriales dont l’existe nce, le chef-lieu, une bonne partie de l’assise

territoriale étaient connues; mais, pour ce qui es t de leurs limites précises, c’est une autre

affaire... Le professeur Tankoano a affirmé que les autorités coloniales n'auraient fait que «jouer au

57
puzzle toujours avec les mêmes pièces» . Mais, ce n’est pas le problème : pour pouvoir «jouer»

ainsi, il faut que les pièces soient dessinées. Pour ce qui est des limites des cantons jouxtant l’autre

colonie concernée, ce dessin existe: il est le fait de l’ erratum de1927, qui a délimité le territoire

des deux colonies; ailleurs, comme le relève du re ste notre contradicteur, il s’agit en général de

limites de fait, «rarement fixées par des textes» 58et de limites incertaines.

38. Ainsi, en août 1954 encore le chef de subdivision de Téra constate, «comme la plupart de

[ses] prédécesseurs qu’une délimitation exacte de ce canton de Diagourou [dont, le chef disait,

59
en 1920, ignorer totalement les limites ] est absolument impossible malgré les inépuisables

55 CR 2012/23, p. 50, par. 6 (Salmon).
56
Ibid., par. 7.
57
CR 2012/22, p. 22-23, par. 23 (Tankaono).
58 Ibid., voir ci-dessus par. 14.

59 Voir MN, annexe C 45, p. 4. - 26 -

60
revendications et différends que cette situation provoque» . D’ailleurs, les procès-verbaux de

rencontres entre les administrateurs locaux des tinées à essayer de régler ce genre de litiges ne

plaident pas vraiment en faveur de la thèse nigé rienne : c’est parce qu’il y avait des problèmes de

limites entre les circonscriptions voisines que ces ré unions ou ces visites de terrain ont lieu. Et

l’incertitude sur ces limites ⎯ jusque dans les années 1950, à la veille des indépendances, n’est pas

vraiment étonnante; il s’agit d’une administratio n encore jeune (il ne faut pas oublier que la

Haute-Volta et le Niger sont constitués en col onies autonomes respectivement en 1919 et 1922), et

la délimitation précise des cantons n’était sûrement pas son souci premier: comme je l’ai dit

lundi dernier, la France était ⎯ ou se croyait ⎯ partout chez elle 61. D’autre part, c’est la seconde

critique que l’on peut adresser à notre contradicteur, on ne voit pas très bien comment il peut

affirmer que le décret de 1926 ne va pas «dans le sens d’une volonté d’établir une ligne arbitraire et

artificielle»62. Il ne va, à vrai dire, dans aucun sens : il ne concerne pas la délimitation et renvoie

au gouverneur général de l’AOF, qui est compétent pour cela, le soin de déte rminer «le tracé de la

limite des deux colonies dans cette région» 63. Tout au plus peut-on en tirer la conclusion que cette

limite n’existait pas ou n’était pas suffisamment précise ⎯sinon, on voit mal pourquoi le

gouverneur général aurait été chargé d’en «déterminer le tracé».

39. Et, à vrai dire, cette constatation de bon sens fait coup double: elle montre non

seulement que le colonisateur n’avait pas une confiance aussi totale que les avocats du Niger dans

la préexistence de limites des subdivisions locales ⎯ cercles ou cantons ⎯ bien identifiées ; mais

aussi que la seconde affirmation du professeur Sa lmon selon laquelle l’a rrêté ne «pouvait avoir

qu’un effet déclaratif et non constitutif» n’est pas fondée ⎯ ou plutôt elle le serait dans la mesure

où le gouverneur général n’aurait pas été compét ent pour décider «le rattachement d’un territoire

donné à une colonie» comme l’a dit mon contradicteur 64 en se référant à l’exposé très clair du

65
professeur Tankoano ; mais il l’était, justement, pour dé terminer la consistance précise des

60
Rapport du chef de la subdivision de Téra sur le recensement du canton de Diagourou, p. 5, MN, annexe C 84.
61
Voir CR 2012/19, p. 61, par. 44 (Pellet).
62
CR 2012/22, p. 50, par. 6 (Salmon).
63 MBF, annexe n 26.

64 CR 2012/23, p. 50, par. 7 (Salmon).
65
Ibid., p. 17-19, par. 7-19. - 27 -

circonscriptions territoriales dans son ressort et des limites intercoloniales: le décret de1926

l’invite à exercer cette compétence dans la région qui nous intéresse. C’est en application de cette

invitation qu’il va adopter l’arrêté, puis l’erratum, de 1927.

40. Et celui-ci, n’en déplaise à nos contradicteurs 66, est bien le titre territorial sur lequel il

vous appartient de vous fonder, M esdames et Messieurs les juges, pour rendre votre arrêt. Et les

effectivités coloniales n’ont aucun rôle à jouer, autre que confirmatif, ains i que l’a expliqué la

Chambre de la Cour dans Burkina/République du Mali que je cite :

«Dans le cas où le fait correspond exactement au droit, où une administration
effective s’ajoute à l’uti possidetis juris, l’«effectivité» n’intervient en réalité que pour

confirmer l’exercice du droit né d’un titre juridique. Dans le cas où le fait ne
correspond pas au droit, où le territoire objet du différend est administré effectivement
par un Etat autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le

titulaire du titre.» ( Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986. p. 585-586, par. 63.)

41. Le professeur Kamto se trompe d’hypothèse, Monsieur le président. Nous sommes dans

l’une, ou peut-être l’autre, des deux hypothèses que je viens de mentionner, mais sûrement pas dans

celle dans laquelle s’est placé mon contradicteur et néanmoins ami, celle dans laquelle le titre

n’opèrerait pas délimitation. L’ erratum «détermine le tracé» de la frontière contestée sur toute sa

67
longueur. L’ uti possidetis parle ici d’une voix on ne peut plus assurée . Et, à cet égard, je le

répète 68, l’arrêt de1986 ne constitue pas un précédent invocable dans la présente espèce: les

Parties ont pris soin de préciser, dans l’article 2 de l’accord de 1987 auquel renvoie le compromis,

le titre frontalier sur lequel elles se fondent et les moyens de preuve qu’elles peuvent

invoquer ⎯ l’erratum lui-même et, à titre subsidiaire, la carte de1960. L’affaire

Burkina/République du Mali était, à cet égard, complètement différente; le principe de la «libre

admissibilité des preuves» auquel s’accroche le Niger 69y était pleinement applicable. Il n’est tout

66
Voir notamment CR 2012/22, p. 26, par. 7 (Salmon).
67Voir. CR2012/22, p.38, par.15; p.39, par.16; ou p.45; par.32 (Kamto) ⎯ voir Différend frontalier

terrestre, insulaire et maritime (ElSalvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J.Recueil1992 , p.386,
par. 41.
68Voir ci-dessus par. 15-16.

69Voir CR 2012/23, p. 39-42 (Kamto). - 28 -

simplement pas convenable de prétendre, da ns la nôtre, que «l’a rrêté de 1927 et son erratum sont

70
un élément de preuve, parmi d’autres, de la limite frontière» .

42. Et la même chose vaut, bien sûr, Monsieur le président, en ce qui concerne la preuve

cartographique, sur laquelle, la Chambre de la Cour s’est exprimée en 1986 de la manière suivante,

alors même qu’aucun titre décisif n’avait été adopté par accord entre les Parties comme c’est le cas

en notre espèce :

«En matière de délimitation de frontières ou de conflit territorial international,
les cartes ne sont que de simples indications, plus ou moins exactes selon les cas;

elles ne constituent jamais ⎯ à elles seules et du seul fait de leur existence ⎯ un titre
territorial, c’est-à-dire un document auquel le droit international confère une valeur
juridique intrinsèque aux fins de l’établissement des droits territoriaux.» (Différend
frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J.Recueil1986 , p.582,

par. 54.)

«Elles n’ont de valeur que comme preuves à caractère auxiliaire ou

confirmatif, ce qui exclut également la possibilité de leur conférer la qualité de
présomptions juris tantum ou réfragables, ayant pour effe t de renverser le fardeau de
la preuve.» (Ibid., p. 583, par. 56 (les italiques sont de nous).)

43. Monsieur le président, les contes parlent souvent des sirènes, dont on a dit que le chant

charme ⎯ et perd ⎯ les navigateurs. Nos contradicteurs ont tenté de vous séduire en entonnant la

romance ⎯parfois un peu cacophonique ⎯ des réalités du terrain, de la frontière «vécue», des

limites ethniques scrupuleusement respectées par le colonisateur. Je ne suis pas certain que, malgré

l’amitié que j’ai pour lui, JeanSalmon ait le charme des sirènes (il en a d’autres); mais je suis

convaincu, Mesdames et Messieurs de la Cour, que vous ne vous perdrez pas dans le labyrinthe

compliqué de la thèse nigérienne et que vous vous en tiendrez à la rigueur, plus discrète et austère,

de l’application des règles juridiques que, dans leur sagesse, les Parties vous ont priés de bien

vouloir appliquer.

44. Ceci clôt ma plaidoirie. Jean-MarcThouvenin et MathiasForteau vont maintenant

appliquer la méthode que je viens d’esquisser aux deux secteurs de la frontière (dont je rappelle que

nous ne les adoptons que par commodité, car la fron tière est une). Je vous remercie très vivement

de votre écoute, Mesdames et Messieurs les juges. Et je vous prie, Monsieur le président, de bien

vouloir donner la parole au professeur Thouvenin.

70
Voir CR 2012/23, p. 45-52 (Kamto). - 29 -

Le PRESIDENT: Mercibeaucoup. Je donne la parole au professeur Thouvenin bien qu’il

soit assis un peu loin de la barre.

M. THOUVENIN : Merci, Monsieur le président. Je me hâte…

L ES EFFECTIVITÉS COLONIALES REVENDIQUÉES PAR LE N IGER

o
[Projection n 1.]

1. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs les juges, au cours des plaidoiries de

vendredi dernier, le Niger a maintenu que le tracé qu’il revendique dans le secteur de Téra suit pour

l’essentiel la ligneIGN de1960, à partir de la borne de Tao ⎯pas avant, sauf s’agissant des

enclaves de Petelkolé et Oussaltane 71. La Partie nigérienne a également consacré quelques minutes

au cas deBangaré. Ce tracé est tout entier ⎯sauf à Petelkolé, j’y reviendrai dans un instant--

fondé sur des effectivités contraires au titre qu’est l’ erratum, ce qui conduit d’emblée à conclure à

son rejet. Pour autant, afin d’éclairer complètement la Cour, je reviendrai sur les arguments

avancés par le Niger, et montrerai qu’en tout état de cause les effectivités alléguées ne soutiennent

aucunement le tracé qu’il revendique.

o
[Fin de la projection n 1.]

I. L’enclave de Petelkolé

2. S’agissant de l’enclave dePetelkolé, les longs développements qu’y a consacrés le

72
professeur Salmon appellent quatre observations. Premièrement, notre contradicteur affirme que

Petelkolé «n’apparaît ni sur le croquis de Delbos, ni sur celui de Prudon» 73. C’est curieux. J’ai en

main un croquis produit deux fois par le Niger, en annexesC13 et C14 de son mémoire.

o 74
[Projection n 2.] «[I]l s’agit du croquisDelbos de juin1927» . Lunettes sur le nez, tenant la

carte à l’endroit, j’y vois Petelkolé). [Projection n o3.] Et il est côté voltaïque de la limite.

71
CR 2012/24, p. 13, par. 14 (Salmon).
72Ibid., p. 13-18, par. 15-17 (Salmon).

73MN, liste des annexes, série D – carte D 3 ; CR 2012/24, p. 14, par. 15.

74Voir lettre du ministre des affair es étrangères du Niger au Greffe de la Cour, du 7septembre 2012, portant
correction de certaines erreurs matérielles, annexe. - 30 -

3. Deuxièmement, l’exégèse aride, pour ne p as dire impénétrable, que livre le conseil

75
principal du Niger à propos du rapport Roser de1932 révèle, de sa part, une profonde

incompréhension de ce document. (On peut peut-être enlever ce document.)

4. Roser et Boyer, dit-il, étaient ⎯je cite le professeur Salmon ⎯ «deux commandants de

76 77
cercle» . M. Boyer était chef du canton de Téra, comme cela ressort du rapport Roser .

5. Le conseil du Niger soutient aussi que les deux administrateurs, en 1932, «interprètent le

tracé de la ligne de l’ erratum…en termes cartographiques selon la carte «nouvelle frontière»».

78
Roser, nous dit-on, la considérait comme «la carte officielle» . C’est une extrapolation. A aucun

endroit de son rapport, M. Roser ne parle de la carte «nouvelle frontière».

6. Ce que ne dit pas le professeur Salmon, qui n’est pas une extrapolation mais ressort de la

simple lecture de ce rapport, est que Petelkolé n’était pas du tout un objet de préoccupation

o
de Roser. [Projection n 4.] Ce qui intéressait le commandant de cercle de Dori, en Haute-Volta,

ce qui constituait le véritable enjeu de son propos, c’était le «sa illant triangulaire dont les sommets

sont Higa, Nabambori et Tingou». Et, s’il souhaitait que l’ erratum fût corrigé, c’était surtout parce

79
que la limite qu’il pose «a[vait] tranché dans [ce] saillant» .

[Animation.]

80
Il est là, le melon du professeur Salmon ; tranché «d’un coup de machette».

7. C’est ce qui explique que ce que Roser proposait de voir consacrer dans un

nouvel erratum se lise en ces termes :

«la limite entre les cercles deDori et deTillabéry est déterminée comme elle l’a été

par MM. les administrateursDelbos etPrud’h on en1927. En particulier, dans la
région du triangle Higa-Nabambori-Tingou , elle l’est par les deuxmassifs
81
montagneux dits du Grand et du Petit Sesséra.»

75
CR 2012/24, p. 14-16, par. 15 (Salmon).
76
Ibid., p. 14, par. 15 (Salmon).
77
MN, annexe C 45.
78 CR 2012/24, p. 14, par. 15 (Salmon).

79 MN, annexe C 45.

80 CR 2012/22, p. 55, par. 15 (Salmon).
81
Ibid. - 31 -

8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je sais bien que le Niger ne

plaide pas cette ligne verte que vous voyez à l’écran, puisqu’il a une lecture sélective de ce qu’il

appelle l’accord Roser/Boyer. Mais si accord il y a 82 -- quod non ⎯,comme il le martèle, et si cet

83
accord définit «très exactement où passait la limite defait, au kilomètreprès» , comme l’affirme

le professeur Salmon, alors c’est bel et bien cette ligne verte que le Niger revendique.

9. Troisièmement, la Partie nigéri enne croit pouvoir tirer d’un croquis du canton

de Diagourou, sans auteur connu, qu’il date de 1954 sans que ceci apparaisse sur le document qu’il

produit, que Petelkolé est nigérien 84. Au fond, la Partie nigérienne oppose ce croquis au titre qu’est

o
l’erratum. [Projection n 5.] La fragilité de l’argument saute aux yeux.

10. Enfin, quatrièmement, le Niger revient sur la position du poste frontière juxtaposé entre

le Niger et le Burkina, établi sur la base ⎯ sur la seule base ⎯ du fameux rapport établi par le

comité bilatéral (Burkina-Niger) d’identification du site d’implantation des postes de contrôle

juxtaposés sur la route Ouagadougou-Dori-Téra-Niamey 85.

11. J’ai indiqué lundi dernier que ce comité ne disposait d’aucune compétence pour tracer ou

86
reconnaître les frontières entre le Burkina et le Niger . Le professeur Salmon me répond, cinglant,

que: «les deuxEtats [avaient] parfaitement le dr oit de décider de créer un poste de contrôle

87
juxtaposé et, à cette occasion, de constater où passait leur frontière respective» .

C1ert.es , les deux Etats peuvent évidemment décider de modifier le tracé de leur frontière.

Mais, pas ce comité qui n’avait nulle compétence à cet égard. Il était d’ailleurs dirigé,

côté Burkina, par le directeur régional des infrastructures, des transports et de l’habitat du Sahel, et

par un conseiller technique du ministère de l’équipement, pour le Niger. Ni l’un, ni l’autre, n’avait

le pouvoir de conclure un accord de frontière.

82CR 2012/24, p. 15, par. 15 (Salmon).
83
Ibid., p. 16.
84
Ibid., p. 16-17, par. 15 (Salmon).
85Ibid., p. 17, par. 16 (Salmon).

86CR 2012/20, p. 39-40, par. 39 (Thouvenin).

87CR 2012/24, p. 18, par. 16 (Salmon) ; voir aussi CR 2012/22, p. 30, par. 18 (Salmon). - 32 -

13. Au demeurant, il est un peu scabreux d’en tendre les avocats du Niger s’appuyer sur ce

88
rapport, qui date de juin 2006 , pour adosser la revendication territoriale nigérienne sur l’enclave

de Petelkolé.

14. En effet, le 2février2006, soit quatre mois avant les travaux de ce comité, le premier

ministre du Niger adressait une lettre à son homologue burkinabè, où il écrivait la chose suivante :

«Comme vous le savez, les travaux d’a bornement de notre frontière ont été

suspendus depuis 1990… Comme vous le savez également, nos deux gouvernements
ont décidé de maintenir le statuquo jusqu’à l’achèvement des opérations de
matérialisation du tracé de la frontière. Ce tte mesure conservatoire, régulièrement

réitérée à l’occasion des rencontres entre les ministres, les autorités administratives
frontalières et entre les responsables des for ces de défense et de sécurité de nos deux
pays, visait principalement à aplanir, voir e à éviter tout litige né d’une interprétation

erronée du tracé convenu… Pour un règlemen t durable de ces problèmes, il me paraît
nécessaire et urgent de faire reprendre les travaux de matérialisation de notre frontière,
en mettant les moyens appropriés à la disposition de la commission mixte paritaire de
délimitation de la frontière.» 89

15. Ainsi donc,

⎯ d’un côté, en février2006, le premier ministre du Niger rappelle avec solennité au premier

ministre burkinabè que, pour éviter tout e interprétation erronée du tracé convenu ⎯ tracé

convenu signifiant le tracé convenu en1987 ⎯, un statuquo est en vigueur, d’accord parties,

jusqu’à la fin des travaux de démarcation de la commission mixte établie par l’accord de 1987 ;

⎯ d’un autre côté, vendredi dernier, les conseils du Niger ont soutenu qu’il était évident que les

appréciations de juin 2006 d’un comité sans au cune compétence en matière frontalière, et dont

les appréciations sont de toute évidence erronées, seraient opposables au Burkina.

16. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs les juges, en droit, dès lors qu’il était

entendu entre les deux Etats, comme cela avait été rappelé solennellement par le Niger en

février 2006, dès lors que le statu quo devait être respecté jusqu’à la fin des travaux d’abornement

officiels, ce qui est évident est que les actes isolés de fonctionnaires techniques ne sauraient être

opposés ni à l’un, ni à l’autre Etat s’agissant de leur frontière commune.

88CMN, annexeA24, rapport du comité bilatéral (Bur kina-Niger) d’identification du site d’implantation des

postes de contrôle juxtaposés sur la route Ouagadougou-Dori-Téra-Niamey, 9 juin 2006.
89MN, annexe A 10, lettre n 000082 du premier ministre du Niger au prem ier ministre du Burkina Faso, en date
du 2 février 2006. - 33 -

17. Du reste, si les conseils du Niger prétendent le contraire, M. l’agent du Niger, lui, ne le

prétend pas. A cette barre, la semaine dernière , il a souligné que, depuis les indépendances, les

deux Etats ne sont parvenus

«qu’à la délimitation et à la démarcation de la moitié seulement de la frontière. Ne

pouvant s’accorder sur le reste , les deux Etats ont conclu en février2009 le
compromis par lequel ils ont confié à la Cour le règlement de la partie de la frontière
demeurée en litige.» 90

Il a également évoqué la frontière dans «le secteu r allant de la borne ast ronomique de Tong-Tong

au début de la boucle de Botou sur laquelle nous ne nous sommes pas entendus» 91. L’agent du

Niger devant la Cour ne sait donc pas que les deux Etats se sont entendus sur le tracé de la frontière

au niveau de Petelkolé pour la bonne et simple raison qu’ils ne se sont pas entendus.

II. L’enclave d’Oussaltane

18. S’agissant de l’enclave d’Oussaltane, je me bornerai à quelques observations relatives

aux trois principaux arguments entendus durant les plaidoiries orales.

19. Il a d’abord été avancé, pour prouver l’appartenance d’Oussaltane au Niger durant la

période coloniale, que : «[L]es membres de certaines tribus déclarent que Oussaltane où ils étaient

installés faisait partie de la subdivision de Téra.» 92 Si l’on comprend bien, ce que déclarent des

personnes privées vaudrait, pour le Niger, effectiv ités coloniales. En droit international, les

effectivités sont faites du «comportement des autorités administratives» 93.

94
20. A ensuite été convoquée une lettre du chef de la subdivision de Téra du 24 mai 1935 .

Le Niger estime que ce document «confirme que le campement d’Oussaltane «est sur le territoire

de Téra»» 95. En réalité, c’est une effectivité inverse qui en ressort, puisque cette lettre apprend à

son lecteur attentif que c’est Dori, en Haute-Volta ⎯ ou plutôt, qui fut en Haute-Volta auparavant

et qui redeviendra Haute-Volta par la suite puisque nous sommes en 1935 – c’est Dori qui exerçait,

90
CR 2012/22, p. 13, par. 13 (Bazoum).
91
Ibid.
92 CR 2012/24, p. 18, par. 18 (Salmon).

93 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 586-587, par. 63.

94 CR 2012/24, p.19, par. 18 (Salmon), et CMN, annexe C 60, lettre n 161 du chef de subdivision de Téra au
cercle de Tillabéry en date du 24 mai 1935.
95
CR 2012/24, p. 19, par. 18 (Salmon). - 34 -

en1935, l’autorité administrative sur Oussaltane. Il y est écrit: «Boulohoré [c’est le nom d’une

personne] a reçu la convocation à Oussalta des mains d’un représentant de Dori.» 96 Ceci précisé, je

conviens que l’argument n’est pas recevable, pui sque nous nous situons en1935, alors que la

Haute-Volta avait déjà été disloquée.

21. Enfin, le conseil du Niger a avancé comme preuve supplémentair e de l’appartenance

d’Oussaltane au Niger un document de 1951 où il est écrit: «[l]e chef de la subdivision de Téra,

dans un télégramme-lettre adressé au cercle de Tilla béry le 11 juillet 1951, reprend à l’identique la

formule de l’accord Roser/Boyer d’avril 1932» 97. On aurait tendance à dire «et alors ?». Mais, à

vrai dire, la Partie adverse a eu bien raison d’a ttirer l’attention de la Cour sur ce document-là, dont

voici l’extrait réellement pertinent :

«Le commandant de cercle de Dori, au cours de la liaison effectuée à Téra

le 29 juin [nous sommes en 1951] a de nouveau affirmé l’intérêt que présentait à son
sens la matérialisation des limites sur la base de l’ erratum … de 1927, en joignant
directement la borne de Tao à Bossébangou.» 98

On verra difficilement derrière ces mots une quelconque effectivité coloniale nigérienne relative à

Oussaltane. En revanche, c’est une réaffirmation tout à fait éclairante du titre ⎯ l’erratum ⎯ et de

la conception qu’on s’en faisait en 1951.

III. Bangaré

22. J’en viens très brièvement, Mesdames et Messieurs les juges, à Bangaré. Je dois dire que

nous avons eu le sentiment d’une certaine fébrilité de l’autre côté de la ba rre lorsqu’il s’est agi

d’évoquer ce village.

23. Il faut dire que l’essentiel de la thèse nigérienne repose sur l’idée que les contours du

canton de Diagourou auraient été bien établis duran t la période coloniale, alors que les documents

qu’il produit montrent exactement le contraire.

24. Ainsi du rapport de l’administrateur Ro ser de1932, dont le Niger a imprudemment fait

une pièce maîtresse de son échafaudage. Parlant du chef du Diagourou, Roser explique dans son

rapport qu’«[o]n lui a donné [en] 1919 ou 1920, sans en définir exactement les limites, un territoire

96
CMN, annexe C 60.
97MN, annexe C 73.

98CMN, annexe C 73, télégramme-lettre officiel n 70 du chef de la subdivision de Téra au cercle de Tillabéri, en
date du 11 juillet 1951, y compris la reproduction au 1/500 000 d’un croquis de M. Delbos. - 35 -

qui forme l’actuel canton du Diagourou. Il rec onnaît lui-même qu’il ignor e les limites de son

canton.» 99

25. Ainsi, encore, du recensement du canton de Diagourou de 1954, vingt-deux ans plus tard,

100 101
qui figure au dossier . La Partie adverse en retire que Bangaré était nigérien . Mais ce que l’on

retiendra de ce document figure à sa page 13. Ev oquant le canton de Diagourou, le rapport fait le

point sur :

«le problème des limites territoriales, qui revient périodiquement à l’occasion d’un
quelconque palabre de terrains. Comme il a ét é dit dans la première partie, l’aspect
artificiel du canton, la date récente d’un gr and nombre d’intéressés, ne permettent pas

de fixer de contours de façon nette et définitive car ce serait rouvrir la voie aux
rancunes et aux jalousies… Il faut donc conserver cet état de fait.»

26. Deux informations tout à fait essentielles en ressortent :

⎯ premièrement, les limites du canton de Diagourou étaient, selon l’administration coloniale,

«artificielles». En effet, l’erratum trace une limite intercoloniale droite, donc artificielle, qui se

trouve par conséquent être la limite ouest du canton de Diagourou ;

⎯ deuxièmement, il était difficile en 1954 d’établir la limite sur le terrain de manière nette et

définitive, car l’administrati on coloniale s’attendait à des ennuis avec les populations locales,

précisément parce que la limite était artificielle.

En termes d’effectivités coloniales, ce document va donc directement à l’encontre de la thèse du

Niger.

27. Le professeurSalmon s’est dit perplexe après avoir entendu, puis lu, ma plaidoirie de

lundi dernier 102, avant de juger ⎯sans autre procès ⎯ que toutes mes remarques sont inexactes,

qu’il faut le croire sur parole, car c’est très sincèrement qu’il vous dit que tout ce que j’ai dit est

«incorrect». Alternativement, il serait tout à fa it disposé à remettre à la Cour un résumé de son

opinion à cet égard 103.

99
MN, annexe C 45.
100
MN, annexe C 84, rapport du chef de la subdivision de Téra sur le recensement du canton de Diagourou, en
date du 10 août 1954.
101
CR 2012/24, p. 21, par. 19 (Salmon).
102Ibid.

103Ibid. - 36 -

28. Je ne ferai pas de commentaire. Aussi je me permettrai de réaffirmer ⎯ par renvoi pour

ne pas lasser la Cour ⎯ toutes les observations, pertinentes aux yeux du Burkina, de ma plaidoirie

104
de l’après midi de lundi dernier .

29. Je vous remercie, Monsieur le président, et vous prie de bien vouloir appeler à la barre le

professeur Forteau.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsieur le professeur Thouvenin. Je donnerai la parole

au professeur Forteau après la pause. Je décl are une pause de 20minutes. L’audience est

suspendue.

L’audience est suspendue de 11 h 15 à 11 h 35.

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. La parole est à vous, Monsieur le professeur

Forteau.

M. FORTEAU : Merci, Monsieur le président.

L E «SECTEUR DE TÉRA »

LE TRACÉ DE L ’ERRATUM ENTRE TONG -TONG ET B OSSÉBANGOU

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je m’attacherai, dans cette

première partie de plaidoirie, à répondre aux allégations nigériennes selon lesquelles le tracé de

l’erratum ne suivrait pas deux segments de droite da ns le secteur de Téra. Pour reprendre

l’aimable compliment du professeur Salm on, je poursuivrai donc ce matin les

105
«explications … vraiment confondantes» que j’ai eu l’honneur de développer lundi dernier.

2. Avant de m’y livrer, il n’est pas inutile drappeler la substance de la thèse nigérienne:

celle-ci tient tout entière dans le syllogisme suivant, non démontré à ce jour : la limite de l’ erratum

de 1927 ne devait être rien de plus qu’une reproduction des limites traditionnelles des cantons ; or,

106
«une limite de divers cantons habités et juxtaposés ne peut être rectiligne» ; donc le tracé serait

nécessairement sinueux. CQFD.

104
CR 2012/20, p. 41-45, par. 50-61 (Thouvenin).
105
CR 2012/23, p. 14, par. 11 (Salmon).
106CMN, par. 1.1.22. - 37 -

3. Pour montrer que ce syllogisme ne tient p as, il suffit de rappeler, d’une part, comment

l’erratum doit être interprété, d’autre part, comment il a été interprété.

I. Comment l’erratum doit-il être interprété ?

4. En ce qui concerne le premier point, plusieurs remarques s’imposent ⎯ et vous

retrouverez le texte de l’erratum sous l’onglet n° 1 du dossier des juges.

5. Tout d’abord, le titre frontalier que constitue l’erratum est un acte juridique, qu’il convient

d’interpréter à l’aune de son objet. Celui-ci n’ est ni discuté, ni discutable: il s’agissait d’opérer

une délimitation, comme l’exigeait le décret de décembre 1926.

6. Pour ce faire, l’auteur de l’acte, le gouve rneur général de l’AOF, n’avait pas trente-six

méthodes à sa disposition pour délimiter le territoire des colonies ⎯sauf à considérer qu’il

107
n’entendait pas opérer une telle délimitation, co mme le suggère le Niger contre toute raison .

Pour tracer une limite administrative ou une frontiè re, il n’existe que deux méthodes : se référer à

un élément naturel (une rivière, par exemple), ou bien indiquer des points frontières, que viendra

relier une ligne artificielle.

7. Si le choix est fait d’une ligne artificielle, la présomption, à défaut d’indication contraire,

est que la limite suit une ligne droite. Le Niger n’a pas contesté la semaine passée qu’il existe bien

108 109
une telle présomption que l’on retrouve appliquée en jurisprudence et dont, d’ailleurs, le

professeur Salmon s’est lui-même prévalu en estimant que les limites du cercle de Say définies

dans l’arrêté d’août1927, qui ne contient, dans le passage qu’il a cité, aucune mention de lignes

droites, constitueraient tout de même un tracé «en termes de segments de droites, mises à part les

limites fluviales» 110.

8. Si on lit l’ erratum à la lumière de ces remarques, le sens du texte est clair: il se réfère

expressément dans certains secteurs à des éléments na turels; il ne le fait pas dans d’autres où il

retient uniquement des points frontièr es par lesquels doit passer la ligne ⎯c’est le cas dans le

secteur de Téra. Il s’en déduit que, puisque l’auteur de l’erratum n’a pas choisi dans ce secteur une

107Voir CR 2012/22, p. 52, par. 11 in fine (Salmon) («si on avait voulu le délimiter»).
108
CR 2012/23, p. 21, par. 23 (Salmon).
109CR 2012/20, p. 29-30, par. 69 (Forteau).

110CR 2012/23, p. 11, par. 4 (Salmon). - 38 -

frontière naturelle, c’est une frontière artificielle qu’il a retenue. Prétendre l’inverse, c’est faire

violence et au texte et à son objet.

La9. structuration même du texte de l’ erratum est éclairante par ailleurs; ce sont là des

considérations de texte sur les quelles le Niger a gardé un entier silence la semaine passée, alors

pourtant que l’accord de 1987 renvoie à la frontière «telle que décrite» par l’erratum.

10. Lorsqu’on lit l’ erratum, il apparaît manifestement que la plume de son auteur suit le

cours du tracé : «les limites», dit l’ erratum, «sont déterminées comme suit» : « une ligne» qui part

des hauteurs de N’Gouma, puis passe successivement par un certain nombre de points jusqu’à

Tong-Tong ; «cette ligne ⎯ autrement dit, l’auteur de l’erratum a toujours le crayon sur le tracé, sa

main ne s’est pas levée ⎯, s’infléchit ensuite vers le sud-est pour couper la piste automobile de

Téra à Dori à la borne astronomique de Tao située à l’ouest de la mare d’Ossolo et [de nouveau, le

crayon est resté sur le tracé, qui se poursuit] atteindre la rivière Sirba à Bossébangou». «Elle [c’est

toujours la même ligne, le crayon est toujours sur le tracé] remonte presque aussitôt», etc.

11. Le texte est donc limpide: c’est bien une limite complète que l’auteur de l’ erratum a

entendu tracer, en mentionnant les divers points de passage successifs d’une seule et même ligne .

Autrement dit, la limite, en 1927, est complètement tracée.

12. Le Niger prétend de son côté que le tracé se rait en réalité sinueux à partir de la borne de

Tao. Mais si c’était vrai, il aurait été décrit comme tel dans l’erratum ⎯ comme cela a été fait, par

exemple, dans la boucle de Botou, nous y reviendr ons. Le fait est que ce n’est pas ce qu’a fait

l’auteur de l’erratum dans ce secteur.

13. Dans ce secteur, pour reprendre le s termes adéquats du professeur Kamto, l’ erratum

111
«fournit assez de renseignements permettant de déterminer le tracé exact de la frontière» : celle-

ci passe par trois points sans emprunter de frontière naturelle ni d’autres points intermédiaires: il

s’agit donc d’une frontière en deux segments de droite.

111
CR 2012/23, p. 37, par. 7 (Kamto). - 39 -

II. Comment l’erratum a-t-il été interprété ?

14. Le Niger reproche toutefois au Bu rkina d’adopter une approche totalement

112
«désincarnée» de l’ erratum . Regardons donc, pour surplus de droit, comment celui-ci a été

interprété, d’abord par l’Etat nigérien, ensuite par les autorités ou administrateurs coloniaux.

A. L’interprétation de l’Etat nigérien

15. Je ne reviens pas sur l’opinion émise en 1988 par les autorités nigériennes lors des

113
travaux de la commission mixte, point qui a été abordé tout à l’heure par le professeur Pellet .

16. Je ne reviens pas non plus sur l’interpréta tion ministérielle authentique de 1991, qui va

114
dans le même sens et à propos de laquelle les conseils du Niger n’ont apporté aucun nouvel

115
argument par rapport à ceux du contre-mémoire .

17. Il convient en revanche de remarquer que le tracé du Niger n’est guère compatible avec

sa propre thèse selon laquelle la limite de 1927 était censée reprendre les limites de fait des cantons

et ne pouvait donc être «rectiligne» 116.

18. Dans le secteur de Say, comme dans le secteur de Téra, le Niger a lui-même recours à un

nombre important de lignes droites. En particulier :

[Projection n o 1: Le tracé du Niger ⎯les segments de droite jusqu’à la borne astronomique de

Tao.]

⎯ dans tout le secteur aborné du point triple avec le Mali jusqu’à la borne de Tong-Tong ;

⎯ puis de Tong-Tong à Vibourié, et de Vibourié à Tao ;

o
[Projection n 2 : Le tracé du Niger ⎯ les segments de droite à partir du «point triple».]

⎯ du prétendu «point triple» jusqu’à la fin du saillant également ;

⎯ ainsi que jusqu’au début de la boucle de Botou ;

⎯ de même de la boucle de Botou jusqu’au poi nt triple avec la Mékrou, sauf à l’endroit où

l’erratum indique expressément des limites naturelles.

112
Voir par exemple CR 2012/23, p. 28, par. 9 (Salmon).
113
Voir ci-dessus, plaidoirie d’Alain Pellet.
114Voir CR 2012/20, p. 30, par. 72-73 (Forteau).

115Voir CR 2012/23, p. 43, par. 28 (Kamto) ; ibid., p. 14, par. 11 (Salmon) ; voir la réponse in CR 2012/20, p. 30,
par. 73 (Forteau).

116CMN, par. 1.1.22. - 40 -

19. Voilà qui fait beaucoup de lignes droites pour un texte dont on nous dit de l’autre côté de

la barre qu’il était censé retranscrire les limites factuelles des cantons qui ne pouvaient pas être

rectilignes. Cela ne cadre pas plus avec l’a ffirmation du professeurSalmon selon qui «le Niger

117
conteste que la limite dans le secteur de Téra … soit composée de lignes droites» .

[Projection n o 3 : Tracé du Niger dans le premier secteur.]

20. Le Niger lui-même y a recours en effet dans ce secteur jusqu’à la borne de Tao, sans que

l’on comprenne très bien pourquoi, subitement, à la borne de Tao, comme cela apparaît sur le

croquis, le Niger change son fusil d’épaule et se met soudainement à re vendiquer une frontière

suivant un grand nombre d’éléments naturels et sur la base de prétendues effectivités. Pourquoi ce

qui valait en amont de Tao ne vaudrait-il plus en aval ? La question reste posée.

o
[Fin de la projection n 3.]

21. Le Niger ne conteste pas davantage que le terme «s’infléchir» utilisé dans l’ erratum

renvoie à un changement de direction entre deux segm ents de droite de part et d’autre du point

d’inflexion ⎯ en l’occurrence la borne de Tong-Tong. Encore que je dois admettre que je suis un

peu perdu par les plaidoiries du Niger sur ce point.

22. Le professeurSalmon a affirmé vendredi matin que le Niger n’aurait pas admis que le

tracé de l’erratum serait en deux segments de droite de part et d’autre de Tong-Tong. Cette forte

affirmation sera cependant contredite le jour-même … par le même professeur Salmon ! De part et

d’autre de la pause-déjeuner, ce sont deux thèses contraires qui seront successivement plaidées.

[Projection n o 4 : Tracé entre Tong-Tong et Tao.]

23. Le professeur Salmon a contesté vendredi matin tout d’abord que

«le Niger en arriverait lui aussi à deux segments de droite … Le Niger, qui utilise ici

un point limite intermédiaire ⎯la borne de Vibourié, ne soutient évidemment pas
qu’il s’agit d’une interprétation de l’erratum, puisqu’il s’en écarte.» 118

24. Le tracé revendiqué par le Niger entre Tong-Tong et Vibourié puis jusqu’à Tao ne serait

donc pas une interprétation de l’erratum. Le Niger affirme ici en effet s’écarter du tracé décrit par

le titre frontalier ⎯ ce qui est tout à fait singulier et tout à fait étranger au droit déclaré applicable

117
CR 2012/23, p. 12-13, par. 7 (Salmon).
118Ibid., p. 14, par. 11 (Salmon) (les italiques sont de nous). - 41 -

par les Parties. A contrario, cela revient à admettre par ailleurs que le tracé de l’ erratum, lui,

rejoint directement les bornes de Tong-Tong et de Tao.

25. Mais le vendredi après-midi, le professeur Salmon affirme cette fois-ci qu’

«[i]l est évident que le Niger n’a jamais prétendu que l’implantation de la borne [de

Vibourié] avait eu pour effet de déplacer la ligne prévue par l’ erratum mais, s’il faut
suivre ce que dit le texte, il s’agissait d’ une interprétation de celui-ci… Le Niger
voit… dans cet accord [de 1935 relatif à l’implantation d’une borne à Vibourié] une
119
simple interprétation de l’erratum de 1927.»

26. Il semble donc cette fois-ci que le tracé du Niger autour de Vibourié interpréterait bien

l’erratum, ce que le Niger contestait le matin même. Tout cela est fort confus, sauf la conclusion

qu’en tire le professeur Salmon : «la limite dans ce secteur est donc constituée de deux segments de

120
droite» . Autrement dit, le Niger admet bien que la limite telle que décrite par l’ erratum suit des

segments de droite au niveau du point d’inflexion de Tong-Tong.

B. L’interprétation des autorités et administrateurs coloniaux

27. J’en viens, Monsieur le pr ésident, à l’interprétation de l’ erratum retenue durant la

période coloniale ⎯encore une fois, à titre uniquemen t subsidiaire, le texte de l’ erratum se

suffisant à lui-même.

o
[Projection n 5 : Croquis de la subdivision de Téra soumis par le Niger.]

28. S’agissant de la période antérieure à 1927, le Niger a projeté à maintes reprises son

croquis fétiche censé représenter la limite traditionnelle de la subdivision de Téra en 1910, laquelle

aurait dû être entérinée par l’erratum de 1927. Ce croquis ne prouve rien cependant : d’une part, le

Niger indique dans son mémoire qu’il s’agit là d’ un «croquis sans date (mais postérieur à 1932) ni

légende» 121; ce n’est donc pas un document fiable, ce qu’il ne vous a pas été rappelé lors des

audiences ; d’autre part, le croquis ne reporte aucune ligne sinueuse, au contraire.

29. Le Niger admet par ailleurs qu’aucun act e colonial n’a jamais décrit ces limites avant

1927. On ne sait donc pas trop d’où le Niger tire sa prétendue «limite de 1910».

[Fin de la projection n o5.]

119
CR 2012/24, p. 12-13, par. 12 (Salmon).
120
Ibid., p. 11-12, par. 11 (Salmon).
121MN, annexe C 47. - 42 -

30. On relèvera tout de même en passant ⎯ ce qui abonde dans le sens d’un tracé artificiel

dans ce secteur :

⎯ que le croquis du capitaine Coquibus, tout juste antérieur à 1910 ⎯ il date de 1908 ⎯ qui n’a

122
pas été retrouvé mais sur lequel le Niger s’appuie , ce croquis de 1908, ce croquis-Coquibus,

a été décrit en 1927 comme «ne porta[n]t que des lignes conventionnelles avec indications de

points» 123 ⎯ «conventionnelles» s’entendant ici d’artificielles ⎯ et non pas de consacrées par

un traité comme cela a été malencontreusemen t traduit dans les annexes des pièces de

procédure en traduction anglaise ;

⎯ que l’administrateur Prudon dit également de ce croquis-Coquibus de 1908 qu’il reportait une

«ligne idéale de délimitation» et que les champs des indigènes «chevauch[ai]ent sur la limite

suivant la ligne conventionnelle établie» 124 ;

⎯ que le professeurSalmon a par ailleurs rappelé que le tracé proposé à titre de nouvelle limite

125
par les administrateurs Delbos et Prudon en 1927 s’est «éloign[é]» de la ligne de

délimitation «tracée» par Coquibus en 1908 12, car Prudon, nous dit le professeurSalmon, le

«trouvait sur une certaine partie du parcours «idéal »» et que Delbos «estimait qu’il portait des

127
«lignes conventionnelles»» (toujours au sens toujours d’artificielles) ;

⎯ que, de leur côté, les tracés, d’ailleurs divergents, proposés par Delbos et Prudon, n’ont joué

comme le Niger le reconnaît «aucun rôle da ns la délimitation retenue par le gouverneur

128
général» . Autrement dit, leurs propositions visant à s’écarter des lignes conventionnelles et

idéales du capitaine Coquibus n’ont pas été retenues.

31. Qu’en est-il après l’adoption de l’erratum ?

32. Le Niger nous renvoie à l’image d’un erratum qui aurait coexisté harmonieusement avec

les précisions de terrain que lui auraient apportées les administrateurs coloniaux qui auraient ainsi,

122Voir CR 2012/23, p. 15-18, par. 13-16 (Salmon).
123
MN, annexe C 20.
124
MN, annexe C 15.
125
CR 2012/23, p. 16, par. 14 (Salmon).
126MN, annexe C 15 («la ligne idéale de délimitation tracée par le capitaine Coquibus»).

127CR 2012/23, p. 16, par. 14 (Salmon).
128
CR 2012/23, p. 17, par. 15 (Salmon). - 43 -

sans jamais faire violence au texte, ni à l’inten tion de son auteur, comblé les lacunes, évacué les

imprécisions, rectifié les incohérences du texte, pour finalement aboutir au tracé sinueux que vous

propose aujourd’hui le Niger 129⎯ bref, les administrateurs coloniaux seraient venus

progressivement combler une ligne qui n’aurait été définie qu’en pointillés en 1927. Ce n’est pas

correct, ni en droit, ni en fait.

33. Je rappellerai tout d’abord que les autorités coloniales placées sous l’autorité du

gouverneur général de l’AOF étaient chargées par l’article 2 de l’arrêté corrigé de 1927, non pas de

le compléter, mais de «l’exécuter».

34. Je rappellerai ensuite que ce que le Niger range dans la catégorie des précisions ou des

compléments apportés à l’erratum dans ce secteur sont en réalité des contestations de celui-ci, qui

ont débouché sur des propositions de modification ⎯ qui n’ont pas abouti.

35. Je soulignerai également que les éléments du dossier montrent nettement qu’à l’époque

coloniale, après1927, il n’y avait pas de doute quant au fait que l’ erratum retenait bien dans ce

secteur un tracé complet en deux segments de droite.

o
[Projection n 6: Le croquis de 1927 «nouvelle frontière de la Haute-Volta et du Niger» de 1927 au

1/1 000 000.]

36. Le Niger tente tout d’abord de prendre appui à cet égard sur le dossier cartographique, en

brandissant ce qu’il appelle la «carte capitale» de 1927. Selon le professeur Salmon, «le tracé des

130
limites qui y figure est en complète contradiction avec [l]es thèses du Burkina» .

37. Vous me permettrez, Monsieur le président, de faire les commentaires suivants.

38. Tout d’abord, ce croquis est incontestablement erroné en certains de ses éléments

puisque, en particulier, la limite n’atteint pas la rivièreSirba àBossébangou, comme le prévoit

pourtant l’erratum. J’y reviendrai tout à l’heure.

39. A supposer même l’absurde, à savoir que ce croquis serait entièrement fidèle à l’erratum,

servirait-il pour autant les thèses du Niger ? Assurément non, et pour plusieurs raisons :

⎯ le croquis reporte les différents points frontières désignés
dans l’ erratum; dans le secteur

de Téra et si l’on met de côté l’erreur commise sur Bossébangou, le tracé du croquis rejoint ces

129
CR 2012/23, p. 54, par. 4 (Salmon).
130Ibid., p. 18-19, par. 18 (Salmon). - 44 -

points, et ces points seulement, par des lignes d’un seul tenant (et non pas par une ligne

interrompue, qui demanderait à être précisée); il n’y a pas ici non plus de tracé sinueux, qui

passerait par des points intermédiaires: avant le saillant, il y a Tong-Tong puisTao, et

c’est tout ; et entre ces points, des lignes qui les rejoignent directement ;

⎯ le croquis montre par ailleurs que lorsque la dé limitation d’un canton a dû épouser des limites

sinueuses, comme c’est le cas, dans le secteur de Say, du canton de Botou ⎯ en bas à droite du

croquis ⎯ l’auteur de l’ erratum a rédigé ce texte en conséquence, en multipliant les points

frontières, et en se référant à des éléments naturels et des villages ;

⎯ c’est là un point tout à fait important : le professeur Salmon nous a dit à plusieurs reprises que

131
le secteur deSay était moins peuplé, moins connu, moins habité que le secteur deTéra .

Pourtant, dans ce secteur-là (celui deSay), l’auteur de l’erratum a estimé devoir définir et a

défini un tracé complexe et sinueux. Le secteur de Téra étant mieux connu que celui deSay,

on ne voit donc pas ce qui aurait empêché de procéder de la même manière entreTong-Tong

et Bossébangou s’il s’était avéré que cela dût être fait. Le fait est que le gouverneur général de

l’AOF a retenu dans ce secteur une ligne artificielle, sans aucune sinuosité. Le contraste avec

la boucle de Botou n’est ni forfuit, ni anodin ;

⎯ le professeurSalmon nous a enfin expliqué que la forme de la ligne entre Tong-Tong et le

début du saillant «est celle d’une ligne recourbée et non de deux segments de droites» 132. C’est

admettre, dans tous les cas, que la ligne n’est pas sinueuse ⎯de fait, les croquis de l’époque

représentent la limite sous la forme de segments à peu près droits ou droits, mais jamais sous

une forme sinueuse ni avec des enclaves, comme le fait aujourd’hui la revendication nigérienne

133
après la borne de Tao ;

[Projection n o6bis : Ajouter la ligne surlignée par le Niger dans le croquis n 5 de l’onglet n 17 du o

dossier des juges du Niger.]

⎯ toujours est-il qu’il suffit de poser une règle sur le croquis de 1927 pour constater qu’il retient

en réalité un tracé ayant le profil de deuxsegments de droite; cela ressort d’ailleurs du tracé

131
CR 2012/23, p. 12, par. 6 (Salmon).
132Ibid., p. 20, par. 20 (Salmon).

133Voir les croquis MN, annexes D, 5 ; 10 ; 11 ; 13 ; 14 ; 15 ; 16 ; 17 ; 18 ; 19 ; 20 et 22. - 45 -

o o
surligné en orange par le Niger sur le croquisn 5 de l’onglet n 17 de son dossier des juges,

qui apparaît à l’écran.

[Fin de la projection n o 6bis.]

40. Le Niger a enfin tenté de donner l’impression qu’il n’aurait plus été fait référence à ce

tracé en deuxsegments de droite après l’adoption de l’ erratum. Mais le Niger a plaidé par

omission, en s’abstenant de mentionner les nomb reux documents de l’époque coloniale que j’avais

présentés à la Cour la semaine passée qui, tous, montraient que les administrateurs coloniaux

avaient compris que l’erratum traçait une limite artificielle, composée de deux segments de droite,

134
entre Tong-Tong, Tao et Bossébangou .

41. Le professeurKlein, il est vrai, a évoqué la lettre du commandant de cercle deDori du

9août1929 qui témoignerait, selon lui, des «flottements terminologiques» de l’ erratum dans le

135 136
secteur deTéra . Mais ce n’est pas ce qui découle de cette lettre . Dans celle-ci,

l’administrateur propose de modifier les limites actuelles pour échapper à ce qu’il appelle les

«rigueurs de la délimitation de1927». Il pr opose sur cette base de déposer une «demande

d’atténuation des rigueurs de la délimitation de 1927». Il indique encore que ledit erratum ne parle

pas de «cantons, mais seulement de limites» et reconnaît que cette différence est «capital[e]». La

même expression («la rigueur des textes officiels» ) se retrouve dans une lettre du commandant de

cercle de Dori du 14 août 1929 137.

42. Il est symptomatique d’ailleurs que dans une lettre tout juste antérieure à celle citée par le

professeurKlein, en date du 31juillet1929 , le commandant de cercle deDori ne s’alarme

nullement de l’imprécision de la limite dans ce secteur ; tout à l’inverse, évoquant expressément la

délimitation opérée par l’ erratum, il affirme vouloir «essa[yer] d’obtenir de Téra un peu moins de

138
précision dans les limites entre Dori et Tillabéry» . Un peu moins de précision, et non pas un peu

plus de précision. Il s’agit une fois de plus de tenter d’échapper aux rigue urs de la délimitation de

l’erratum.

134
CR 2012/20, p. 28-29, par. 68 (Forteau).
135
CR 2012/23, p. 26, par. 7 (Klein).
136Voir MN, annexe C 24.

137MN, annexe C 25.

138MN, annexe C 23, p. 2. - 46 -

43. Dans une lettre du 19 août 1929, le même co mmandant de cercle de Dori fait encore état

des difficultés que peuvent créer «les limites réglementaires [de1927], dès qu’elles sont

rigoureusement observées» 139. Autrement dit, il n’a pas de doute quant au fait que l’ erratum a

complètement défini le tracé de la limite. Ce qui pose difficulté, ce n’est pas l’imprécision de la

limite, c’est son caractère trop rigoureux.

44. Le 6 février 1932, le chef de cabinet du lieutenant-gouverneur de la Haute-Volta qualifie

à son tour la limite de l’ erratum dans le secteur deTéra de «limite toute cartographique» 140, bref

artificiel.

45. Le 10 avril 1932, l’adjoint d es services civils Roser interprète l’ erratum comme retenant

une ligne qui «ne tient aucun compte de la réalité» et dont l’effet est de placer le village de Bangaré

141
«àl’ouest, du côtéVolta de la fameuse «ligne»» . C’est effectivement ce que fait la fameuse

142
ligne en deuxsegments de droite, ce que finit par admettre le professeurSalmon . Roser en

appelle alors à une «modification de cette limite», qui, comme on le sait, n’adviendra pas.

46. L’épisode de la borne de Vibourié le c onfirme. Le professeur Salmon affirme que «c’est

la l6igne droite inventée par le BurkinaFaso qui ne passe pas» par cette borne implantée

en 1935 143. Mais ceci est en opposition complète avec le procès-verbal d’implantation de cette

borne qui dit clairement que la limite dans ce secteur «pass[e] par une droite idéale partant de la

144
borne de Tong-Tong et allant à la borne astronomique de Tao» . On peut difficilement faire plus

clair. Cet extrait du procès-verbal de1935 sera repris expressis verbis sixans plus tard dans la

monographie du cercle de Tillabéry de 1941, en relation directe avec la délimitation opérée en 1927

145
par l’erratum .

47. Le 19mai1943, il est encore fait état de la «limite officielle Dori-Téra fixée par arrêté

146
de1927 et, comme vous le savez, purement théorique et idéale» ; le 11juillet1951, on parlera

139MN, annexe C 27.
140
MN, annexe C 44.
141
MN, annexe C 45.
142
CR 2012/24, p. 19-20, par. 19 (Salmon).
143Ibid., p. 12, par. 12 (Salmon).

144MN, annexe C 56.

145MN, annexe C 65, dernière page.
146
MN, annexe C 67. - 47 -

encore des «limites sur la base de l’ erratum…de1927, …joignant directement la borne deTao

à Bossébangou» 147 ; le 24décembre1953, de «la «ligne Ta o-Sirba» de l’arrêté» qui constitue une

ligne de forme plus «idéal[e]» que les propos itions de segments droits que Delbos avaient

148
formulées en 1927 .

48. Point de limites sinueuses, de limites de faits, d’ajustements progressifs d’une ligne qui

aurait été imprécise. Ce qui ressort de tous ces documents est clair: l’erratum a retenu une

délimitation artificielle, sous la forme de deux seg ments de droite, entre les bornes de Tong-Tong,

Tao et Bossébangou.

49. Il reste à préciser que la localisation des trois points frontières de la limite dans ce secteur

ne pose pas difficulté. Les coordonnées de la borne de Tong-Tong so nt données dans le

compromis de saisine de la Cour. Le Niger n’a à aucun moment remis en cause par ailleurs les

coordonnées que le Burkina a f ournies du point où la frontière atteint la rivièreSirba à

Bossébangou. Il subsiste uniquement une divergence minime entre les Parties quant aux

coordonnées de la borne deTao. Le Niger n’ explique pas comment il a déterminé les siennes 149.

Le Burkina, de son côté, ne conf ond pas la borne de Tao qui serait située dans le village même de

150
Tao et la borne astronomique de Tao, comme l’allègue le professeur Salmon . Les coordonnées

que le Burkina retient de ce point frontière sont celles qui figurent dans la fiche signalétique de la

borne astronomique de Tao de1927, qui contient la mention explicite: «Nouvelle frontière

Haute-Volta avec Niger» 151. La localisation de ce point ne saurait donc faire débat.

50. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cette dernière indication clôt

la présentation du Burkina relative au tracé de la fr ontière dans le secteur de Téra telle que décrite

par l’erratum laquelle suit deux segments de droite entre Tong-Tong, Tao et Bossébangou.

147MN, annexe C 73.
148
MN, annexe C 79, p. 2.
149
Voir CMBF, par. 0.14 et 3.4.
150CR 2012/24, p. 13, par. 14 (Salmon).

151MBF, annexe 41. - 48 -

LE «SECTEUR DE SAY »

L E POINT DE DÉPART DE LA FRONTIÈRE DANS LE SECTEUR DE S AY

1. Monsieur le président, nous en avons donc fini avec le premier tronçon ; nous en venons

au second, celui du «secteur de Say». Je dirai quelques mots du point de départ de la frontière dans

ce secteur avant que le professeur Thouvenin prenne le relais pour la suite du tracé.

2. Comme on le sait, l’erratum fixe ce point à la rivière Sirba à Bossébangou. Le Niger, de

son côté, écarte ce point pour lui préférer ce qu’il estim e être l’ancien «point triple» des cercles de

Tillabéry, Dori et Say.

3. En réponse à l’exposé du professeurKlein sur le sujet, je commencerai par raisonner

comme si le Niger avait raison (I) avant d’expliquer pourquoi il a tort (II).

I. Si le Niger avait raison (quod non)
o
[Projection n 1 : le «point triple» nigérien.]

4. Un mot d’explication, toutefois, au préalable, sur le croquis projeté, pour bien comprendre

ce qui va suivre. La ligne rouge est le tracé de l’erratum, qui atteint Bossébangou, continue ensuite

vers l’ouest avant que s’amorce le saillant, qui vient rejoindre notre point P2, la pointe du saillant,

avant que la frontière redescende au sud. Si l’ on raisonne en termes de «point triple» entre trois

cercles comme le fait le Niger, ce poi nt seraitBossébangou aux termes de l’ erratum 15. De son

côté, le Niger estime que la pointe du saillant ser ait plus au nord et qu’elle correspondrait par

ailleurs à l’ancien point triple. Selon le Niger, l’erratum aurait donc commis une erreur en retenant

Bossébangou comme point frontière au lieu de ce «poi nt triple» nigérien. En admettant que le

Niger ait raison ⎯je raisonne pour l’instant comme si c’était le cas, encore faudrait-il localiser

précisément ce point triple.

5. Au premier tour de plaidoiries, nous nous é tions interrogés sur la méthode suivie par le

Niger pour trouver les coordonnées de son point triple. Voyons quelles réponses nous ont été

fournies par le professeur Klein.

6. D’une part, il a affirmé qu’il n’existe aucun acte de délimitation antérieur à1927

153
définissant ce point . Cela bien entendu complique la t âche du Niger puisque celui-ci demande

152
CMBF, par. 4.28.
15CR 2012/24, p. 30 (Klein). - 49 -

donc désormais à la Cour de faire prévaloir un point qui n’a pas été consacré, ni défini, par un texte

colonial avant1927, sur celui expressément défini, lui, par le gouverneur général de l’AOF dans

l’erratum de 1927.

7. D’autre part, le professeurKlein a affirmé pouvoir s’appuyer sur un certain nombre de

croquis, mais en concédant qu’ils n’étaient pas entièrement fiables ⎯ de fait, ils ne reportent qu’un

point double à la seule exception du croquis très grossier du capitaineBoutiq de1909 154.

L’éminent conseil du Niger a continué en affirmant que «ce ne sont décidément pas les sources qui

155
font défaut au Niger pour permettre l’identification de l’emplacement de ce point triple» . Le

Niger peut l’affirmer, nous n’en savons pas plus sur la manière dont il s’y est pris pour aboutir, à

partir de ces sources que d’ailleurs il ne présente pas, aux coordonnées de son point triple, données

à la seconde près dans son mémoire 156.

8. Sur l’ensemble des croquis produits par le Niger qui reproduisen t un saillant, aucun ne

comporte pourtant de données techniques permettant de localiser précisément le point triple

nigérien 157. Le Niger pense pourtant pouvoir déduire de ces croquis, non seulement que le point

qu’il revendique serait un point trip le pour la seule raison qu’il ser ait situé à la pointe du saillant,

mais aussi que ce point serait situé au nord-ouest de Bossébangou, à une trentaine de kilomètres de

ce village. Mais encore une fois, sur quelle base ?

9. Dans ses écritures, le Niger estime que ce point triple correspondrait au village

158
de Nababori ou Nabambori, ou alternativement à un point situé à proximité de ce village .

10. Le Niger s’appuie cependant à cet effet sur un document avec lequel la thèse nigérienne

n’est tout simplement pas compatible. Le professeurKlein rappelait vendredi matin en effet

que Delbos avait critiqué l’erratum en 1927 au motif qu’il eût été préférable, selon lui, que la limite

intercoloniale se dirigeât vers «Nababori atteignant à l’ouest d’Alfassi le cercle de Say et non à

159
Bossébangou qui est plus haut» .

154
MN, annexe D 1.
155
CR 2012/24, p. 30-31 (Klein).
156
Voir MN, par. 6.25.
157Voir les annexes n 1, 5, 6, 7, 9, 10, 11, 14, 15, 16, 17, 18, 19 et 20 de la série D du mémoire nigérien.

158MN, par. 7.19 ; CMN, par. 2.2.5 ; CR 2012/24, p. 31, par. 11 (Klein).
159
CR 2012/23, p. 30, par. 12, citant MN, annexe C 20 ; CMN, par. 2.2.5. - 50 -

11. Deux conclusions s’en déduisent: d’une part, depuis l’ erratum, c’est Bossébangou qui

constitue le point triple ⎯ d’où la critique de Delbos ; d’autre part, le point revendiqué par le Niger

ne peut pas êtreNababori, puis que si c’était le cas, il se serait trouvé non pas au nord de

Bossébangou comme le prétend le Niger, mais au sud de Bossébangou. Delbos dit en effet que

Bossébangou est situé plus haut que Nababori. J’ajoute d’ailleurs que Delbos estimait que ce point

était «sur la Cirba» 160; Nababori serait ainsi au sud de Bossébangou et sur la Sirba ; ce n’est pas le

cas du point triple nigérien. Rien ne vient donc, on le voit, justifier ce point.

II. Les autres raisons pour lesquelles le Niger à tort

12. Par contraste avec la thèse du Niger, l’ erratum de 1927 est clair : il retient expressément

un point frontière qu’il désigne comme étant «la rivière Sirba à Bossébangou».

13. Le Niger persiste toutefois à trouver la me ntion de ce point «erronée». Je ne reprendrai

pas l’ensemble des éléments développés la semaine passée qui établissent que le Niger ne peut se

161
fonder sur quelque théorie de l’erreur que ce soit pour échapper au texte clair de l’ erratum . Je

me limiterai à répondre aux allégations du professeurKlein puis à formuler une série

d’observations finales qui ont toute leur importance.

14. J’en viens aux arguments du professeur Klein.

15. En premier lieu, le fait qu’en l’espèce, un traité ⎯ l’accord de 1987 ⎯ désigne la

frontière comme étant celle «telle que décrite par l’erratum» n’empêcherait pas, selon le

professeurKlein, de plaider l’erreur pour écarter l’ erratum. Aucun argument n’est cependant

162
avancé à l’appui de cette idée que contredit votre jurisprudence de1994 dans l’affaire

Libye/Tchad, je n’y reviens pas 163.

16. En second lieu, le professeur Klein admet qu’à la date de 1927, il n’existait aucun texte

ayant délimité le cercle de Say. Cela complique la recherche de son «point triple» puisque celui-ci

doit se situer à l’intersection des limites de trois cercles. Selon le Niger toutefois, «entre1899

160Voir MN, annexe C 16.
161
Voir CR 2012/20, p. 47-57, par. 7-38 (Forteau).
162CR 2012/24, p. 25-26, par. 5.

163CR 2012/20, p. 49-50, par. 13-14 (Forteau). - 51 -

164
et 1910» , et même plus précisément entre le moment où le cercle de Say apparaît et le moment

en1910 où le point triple disparaît (je rappelle au passage qu’en1901 les limites du territoire de

165
Say restaient encore à définir ), en moins de dix ans donc, il aurait «existé des limites [le terme de

limite doit être pris ici au sens strict] à ce cerc le, qui sont graduellement devenues ce que l’on peut

légitimement appeler des «limites traditionnelles» sur la base desquelles l’on pourrait trouver le

166
point triple .

17. On connaissait la «coutume sauvage» ou «la coutume-TGV[à très grande vitesse]» 167,

voici que le Niger invente la limite-TGV – «la li mite Traditionnelle à Grande Vitesse» ! En moins

de dix ans, dans une région inhabitée ou inexpl orée, des limites coloniales traditionnelles purement

factuelles seraient nées et se seraient fixées une fois pour toutes en 1910 avec une telle certitude et

une telle précision géographique qu’elles auraient lié les mains du gouverneur général de l’AOF

dix sept ans plus tard au moment de l’élaboration de l’erratum ! Est-ce vraiment convaincant ?

18. A défaut, en réalité, de toute indication sur les limites exactes de la région en1910, le

professeurKlein s’en remet au croquis «nouvelle fr ontière» de1927, qu’il substitue d’un tour de

main au titre que constitue l’ erratum ⎯sans même estimer devoir en passer par la carte de1960

qui, pourtant, est seule visée dans l’accord de 19 87 comme source subsidiaire en cas d’insuffisance

de l’ erratum 168. Il est vrai que le Niger sera it bien en peine de montrer que l’ erratum est

insuffisant ici; et de toute manière, comme vous le voyez à l’écran, le tracé de la carte de1960

passe comme l’erratum par Bossébangou.

19. Ce n’est pas le cas en revanche du tracé du croquis «nouvelle frontière» de1927, qui a

été projeté tout à l’heure, qui n’atteint pas Bo ssébangou. Le professeur Klein y voit la preuve que

l’auteur de l’erratum s’est trompé. J’y vois, au contraire, la preuve que c’est l’auteur du croquis

qui s’est trompé. C’était l’auteur du croquis qui devait suivre le tracé défini dans l’ erratum et non

l’inverse. Certes, la Cour a pris en compte ce croquis dans l’affaire Burkina/République du Mali ;

164CR 2012/23, p. 53, par. 3 (Salmon).
165
CR 2012/20, p. 52, par. 24 (Forteau).
166
CR 2012/24, p. 26, par. 6 (Klein).
167Voir notamment R.-J. Dupuy, «Coutume sage et coutume sauvage», Mél. Rousseau, 1974, p. 75-89.

168CR 2012/24, p. 26-27, par. 7-8 (Klein). - 52 -

mais le professeur Klein ne cite que partiellement le passage pertinent de l’arrêt de 1986 : la Cour y

a d’abord affirmé, il est vrai, que

«même s’il ne peut être établi que lad ite carte [de1927] avait été éditée par
l’administration coloniale, il reste que l’auteur de cette carte avait acquis ⎯ après
avoir lu les textes réglementaires et éventue llement consulté les cartes qui lui étaient

accessibles ⎯ une compréhension très claire de l’intention sous-jacente aux textes, ce
qui lui avait permis de traduire ensuite lui-même cette intention sur une carte».

20. Mais la Cour a pris soin aussitôt d’ajouter ⎯et c’est le passage que ne cite pas le

professeur Klein ⎯ que «cela ne signifie pas forcément que l’interprétation de l’ erratum donnée

par cette carte était la bonne» ( Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt,

C.I.J. Recueil 1986, p. 646, par. 171).

21. De fait, dans le cas de Bossébangou, ce n’ est manifestement pas la bonne interprétation

puisque l’auteur du croquis ne poursuit pas le tracé jusqu’au point frontière de Bossébangou.

22. Le professeurKlein se garde bien enfin de mentionner les nombreux documents

postérieurs à 1927 qui sont venus confirmer que la ligne était bien conçue comme devant passer par

Bossébangou et que Bossébangou est bien le point frontière pertinent. J’avais cité un grand

169
nombre de ces documents lundi dernier qui ne laissaient pas le moindre doute à cet égard . Le

silence du Niger sur ce point est assez assourdissant.

23. Une dernière série d’observations, Monsieur le président, sur la théorie de l’erreur

invoquée par le Niger. Il faut en effet dissiper une illusion. Le Niger a dit et répété que l’ erratum

serait erroné en ce qu’il amputerait le cercle de Say d’une partie de son territoire au profit de la

170
Haute-Volta . Le raisonnement du Niger est le suivant: le point triple aurait été

traditionnellement situé au nord-ouest de Bosséb angou et, par conséquent, en ne faisant pas

atteindre la limite à ce point triple, mais en la décalant vers l’est pour la relier à Bossébangou,

l’erratum aurait porté préjudice au cercle de Say et à la colonie du Niger. Mais est-ce vraiment ce

qui s’est historiquement passé ?

[Projection n o 2 : La délimitation de l’arrêté d’août 1927.]

24. Remarquons d’abord que l’ erratum a décalé, par rapport à l’ arrêté d’août1927, la

délimitation non pas d’ouest en est (de gauche à dr oite, pour faire simple ), comme le prétend le

169
CR 2012/20, p. 57-63, par. 39-64 (Forteau).
170Voir, par exemple, MN, par. 2.2.10. - 53 -

Niger, mais en sens inverse: en effet, en son ar ticle premier, paragraphe 1, l’arrêté d’août1927

fixait le point triple ⎯le voilà, le fameux point triple ⎯ entre le cercle de Tillabéry, le cercle de

Say et la Haute-Volta «sur la rivière Sirba (limite de cercle de Say) aux environs et au sud de

Boulkalo», c’est-à-dire, comme vous le voyez à l’écran, au nord- est que Bossébangou ⎯ et non

comme le prétend le Niger au nord-ouest de ce vi llage; le même point triple se retrouve sur le

croquis joint au procès-verbal du 2février1927 17; écoutons également Delbos, qui le

17décembre1927, d’une part, ne remet pas en caus e l’arrêté d’août1927 sur ce point, et, d’autre

part, écrit ce qui suit: arrivant du nord, «le capitaine Coquibus [il se réfère ici à la carte du

capitaine Coquibus de1908] avait pris une direction sud-est allant aboutir au sud de Boulkabo et

172
non Bossébango» : c’est exactement ce que fait l’arrêt d’août 1927.

[Projection n o 3 : La délimitation de l’arrêté et de l’erratum de 1927.]

25. En déplaçant ce point triple vers le sud, à Bossébangou, l’ erratum a porté préjudice non

pas à la colonie du Niger, mais à la Haute-Volta 173.

26. C’est ce qui explique que, au lendemain même de l’adoption de l’ erratum, ce soit le

commandant de cercle de Dori, Delbos, relevant de la Haute-Volta, qui se soit plaint de la

délimitation opérée par l’erratum, qui, disait-il notamment, lui avait fait perdre le canton du Yagha

174
qui se trouvait entre la ligne d’août1927 et celle d’octobre1927 . C’est ce qui explique aussi,

nous l’avons rappelé tout à l’heure, que ce soient les autorités de Dori, côté Haute-Volta, qui se

plaindront dans les mois qui suivront de la «rigueur» de la délimitation opérée en 1927.

27. Nulle trace en revanche d’une protestation émanant du commandant de cercle de Say

dont pourtant le Niger nous dit aujourd’hui qu’i l aurait été le grand perdant de la délimitation

opérée en1927; cela en dit long sur la prétendue existence d’un point triple là où le Niger le

localise; il faut le répéter: en réalité, le cercle de Say n’a rien perdu en1927; il a au contraire

obtenu un saillant.

171Voir MBF, annexe 30, croquis, page de gauche.
172
MN, annexe C 20, p.1.
173Voir MN, annexe C 21, p. 2.

174MN, annexe C 20, p. 2 ; et MN, annexes D 2 et D 3. - 54 -

28. Saillant nullement immémorial au demeurant, comme le croit le Niger, puisque, s’il

apparaît pour la première fois sur le croquis du cap itaine Boutiq de 1909, il ne semblait pas exister

un an auparavant sur une carte autrement plus souvent utilisée, celle du capitaine Coquibus dressée

en1908; c’est précisément sur cette carte de1908 ⎯que les Parties n’ont pu retrouver mais que

lui avait en sa possession ⎯ que le gouverneur du Niger le 26 janvier 1926 s’appuie ⎯ en en

présentant un croquis synthétique ⎯ pour indiquer les changements d’affectation territoriale qu’il

175
réclame et qu’il obtiendra du gouverneur général de l’AOF ; la «carte schématique» que le

gouverneur du Niger joint à sa lettre de1926, qui est projetée à l’écran mais que vous trouverez

o
dans un format plus lisible dans le dossier des juges sous l’onglet n 3, comporte quatre indications

importantes :

o
[Projection n 4: Croquis annexé à la lettre du go uverneur du Niger du 26janvier1926 (MBF,

annexe 24).]

⎯ le point triple se trouve en1908 sur la Sirba; la lettre de Delbos de décembre1927, que j’ai

176
cité tout à l’heure , confirme que c’est à ce même point, «Boulkalo», que le

capitaineCoquibus a abouti en1908 et c’est ce point-là aussi que retiendra l’arrêté

d’août 1927 ;

⎯ il n’y a par ailleurs aucun saillant au niveau de ce point triple ;

⎯ les cantons dont le gouverneur du Niger réclame ⎯ il aura gain de cause en décembre 1926 ⎯

le rattachement à sa colonie (cantons dont le professeurSalmon nous a égrené la liste la

177
semaine passée ) sont situés en bordure de la rive droite du fleuve Niger : du sud vers le nord,

on trouve le Dargol, le Songai, le Kokoro, le Logomaten, le Gorouol; tous ces cantons se

trouvent à l’est de la ville de Téra ⎯donc à distance du secteur en dispute aujourd’hui entre

les Parties ; j’ai presque envie de dire que ces cantons sont collés à la rive du fleuve Niger ⎯ et

pour cause, puisque, explique le gouverneur du Niger dans sa même lettre de janvier 1926, ces

cantons «s’étendaient primitivement» de part et d’autre du fleuve Niger ; nous sommes donc en

présence de populations riveraines du fleuve; le gouverneur de la Haute-Volta, informé de

175
MBF, annexe 24.
176
MN, annexe C 20, p. 1.
177CR 2012/22, p. 51, par. 9 (Salmon). - 55 -

cette demande du gouverneur du Niger, parlera d’ailleurs quelques jours plus tard, pour viser le

territoire dont on lui annonce qu’il va être dépossédé, de «la partie du cercle de Dori bordant la

178
rive gauche du fleuve, jusqu’à Téra» ⎯ jusqu’à Téra, et pas au-delà ⎯ cela vaut y compris

pour Diagourou qui ne figure pas sur cette carte mais qui est placé sur les cartes de l’époque au

sud-est de Tera ;

⎯ quatrième et dernière indication: la ligne abou tissant au point triple sur la Sirba n’est pas

droite, certes, mais elle est fortement incurvée vers l’est, et non vers l’ouest : autrement dit, elle

pointe vers le fleuve Niger ; la délimitation de 1927 sera donc, une fois de plus, à cet égard-là

aussi, très généreuse pour la colonie du Niger, puisque non seulement elle tracera en août une

ligne droite passant au sud-ouest de Téra, mais pa r ailleurs elle fixera le point d’aboutissement

de cette ligne, non plus à Boulkalo, mais plus au sud, à Bossébangou.

29. Pour nous résumer, si une «erreur histor ique» devait donc être rectifiée, ce serait au

profit de la Haute-Volta, et non l’inverse. Nous te nons cependant à rassurer et la Cour et le Niger,

le Burkina l’a dit et répété : il ne confond pas l’histoi re et le droit, et il se plie au legs colonial, tel

que fixé par l’erratum de 1927, quelle qu’en soit la rigueur 179.

30. Pour conclure, Monsieur le président, si erre ur il y avait eu, elle ne serait pas celle que le

Niger prétend; mais ce débat est sans importance, car la limite, «telle que décrite» par le titre

frontalier, a été fixée définitivement en octobre 1927 à la rivière Sirba à Bossébangou. Un point,

c’est tout.

Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remerc ie bien vivement de votre attention, et je

vous serais très reconnaissant, Monsieur le préside nt, de céder la parole à mon collègue et ami

Jean-Marc Thouvenin pour la présentation du tracé à partir de Bossébangou.

LE PRESIDENT: Merci, professeur Forteau. J’invite maintenant votre collègue, le

professeur Thouvenin, à continuer la plaidoirie du Burkina Faso. Vous avez la parole, Monsieur.

178 o
MBF, annexe n 25.
179CR 2012/19, p. 44, par. 4 (Pellet). - 56 -

M. THOUVENIN : Merci, Monsieur le président.

L E TRACÉ DE BOSSÉBANGOU AU DÉBUT DE LA BOUCLE DE B OTOU
o
1. [Projection n 1.] Mesdames et Messieurs de la Cour, je me présente à nouveau devant

vous aujourd’hui pour évoquer le tracé de la fron tière dans ce qu’on a appelé, jusqu’à présent, le

«secteur de Say». Permettez-moi d’emblée de s ouligner que l’utilisation de cette formule par le

Burkina, par pure commodité, n’a strictement aucune signification juridique.

2. J’insiste sur ce point, Monsieur le président, parce que, vendredi, la Partie nigérienne a

lancé une série de charmes dont elle a le secret, visant à faire croire que l’ erratum plierait devant

une sorte de principe d’inviolabilité des limites de cette entité territoriale que le Niger a baptisée le

cercle «traditionnel» de Say.

3. Il n’est en réalité pas exact, contrairement à ce qu’a soutenu le professeur Salmon, que «la

seule altération apportée à la forme traditionnelle du cercle de Say par l’erratum du 5 octobre 1927

180
est l’extraction du canton de Botou qui reste en Haute-Volta» . L’ erratum, en délimitant deux

colonies, n’a jamais eu pour objet de sacraliser le prétendu tracé traditionnel du cercle de Say.

4. La preuve en est d’ailleurs que, à l’évidence, la forme que la limite intercoloniale a donnée

au cercle de Say, par implication car ce n’était pas son objet, a évolué entre l’arrêté d’août 1927 et

l’erratum d’octobre qui l’a corrigé. En août, le cercle de Say fut délimité, au nord-est, par la rivière

Sirba de son embouchure, c’est-à-dire du fleuve Niger, jusqu’à Bossébangou. De ce point, c’est-à-

dire de Bossébangou, la limite remontait aussitôt au nord-ouest pour former un saillant. L’arrêté

indique: «de ce point [Bossébangou], un saillant ». Le cercle de Say comportait donc, à ce

moment, un saillant comportant une ligne nord-ouest partant de Bossébangou. [Projection n°2.]

Cela ne posait aucune difficulté, puisque la limite en provenance de Tao n’aboutissait pas à

Bossébangou mais ⎯comme on vient de l’indiquer ⎯ plus à l’est sur la Sirba, aux environs de

Boulkalo. La limite en provenance de Tao suivait donc le cheminement suivant: venant de Tao,

elle arrivait en ligne droite sur la Sirba, à que lques kilomètres au nord-est de Bossébangou, c’est à

dire à Boulkalo. De là, elle remontait la rivière Sirba ⎯ d’est en ouest ⎯ jusqu’à Bossébangou et,

180CR 2012/23, p. 12, par. 5 (Salmon). - 57 -

de là, elle remontait au nord-ouest pour former un saillant. La limite nord ouest du cercle de Say

avait alors la même forme.

[Animation.]

L’5. erratum ne pouvait conserver cette solution pour la bonne et simple raison qu’il établit

que la limite en provenance de Tao arrive du sud-ouest non pas à l’est de Bossébangou, mais

directement à Bossébangou. Ce faisant, il ne pouv ait conserver le principe d’un saillant partant

immédiatement de Bossébangou, puisque cela aura it conduit la ligne en provenance de Tao à

revenir sur ses pas à partir de Bossébangou. C’est pourquoi il a simplement décalé vers l’ouest le

saillant ⎯il l’a fait glisser vers l’ouest ⎯, en indiquant que ce saillant ne s’amorce pas

immédiatement à partir de Bossébangou, mais «presque aussitôt» après que la ligne eut atteint la

rivière Sirba à Bossébangou. Finalement, il opérait une translation, vers l’ouest, de l’ensemble du

tracé qui résultait de l’arrêté d’août 1927, d’ailleurs au détriment de la Haute-Volta et au plus grand

bénéfice du Niger. En tout état de cause, et c’est ceci qui importe ici, l’administration coloniale

n’avait absolument pas à l’idée de respecter un quelconque tracé traditionnel du cercle de Say. [Fin

de projection.]

6. Au-delà de son intenable plaidoyer sur l’in tangibilité des limites du cercle de Say, que dit

le Niger sur son propre tracé ? Peu. Nous a vons entendu des critiques sur le tracé du Burkina et

sur l’erratum, mais pratiquement rien sur le tracé du Niger :

⎯ la Cour a entendu une lecture, faite par le professeur Salmon, du texte de l’erratum insistant sur

ses aspérités ⎯ le saillant, la ligne revenant au sud 181 ⎯, pendant qu’était projeté le croquis

de 1927, comme si l’un et l’autre correspondaient, alors que ⎯ tout au contraire ⎯ le croquis

de 1927 ne respecte manifestement pas le texte de l’erratum ; par ailleurs,

⎯ le Niger a projeté un croquis, dont on nous a dit qu’il montre un tracé qui «s’écarte de celui de

la carteIGN dans le secteur de Bossébangou et des «quatre villages» pour…différentes

raisons, [et] s’en rapproche par contre beaucoup plus, voire même se confond avec le tracé

de 1960 pour la partie sud du cercle de Say» 182.

181
CR 2012/23, p. 12, par. 5 (Salmon).
18CR 2012/24, p. 39, par. 20 (Klein). - 58 -

7. Faut-il le souligner, ce tracé, revendi qué par le Niger, que la Cour connaît bien

maintenant, ne respecte aucun ⎯je dis bien aucun ⎯ des termes de l’ erratum de1927 s’agissant

du secteur allant de Bossébangou au début de la boucle de Botou, si ce n’est la position de ce

dernier point. Le point sur la Sirba à Bosséb angouest escamoté, au profit d’un fantomatique

«point triple» ou double ⎯on ne sait plus très bien; le professeur Forteau vient d’en parler. Le

saillant passe à la trappe. La rencontre du parallèle de Say et de la rivière Sirba n’a jamais lieu. Et

pour finir, la ligne droite entre ce dernier point et le début de la boucle de Boutou est pliée en deux.

8. Sans m’attarder davantage à réfuter ce tracé, je m’attacherai maintenant à réfuter les

critiques avancées par la Partie nigérienne à l’encontre du tracé burkinabè.

9. A entendre le professeurKlein, ce tracé serait le fruit d’«extrapolations prétendument

183
scientifiques à partir du texte de l’ erratum» . En matière d’extrapolations, je crois en effet que

nos contradicteurs ont de belles leçons à nous donner. Mais, Monsieur le président, le travail

accompli par le Burkina est beaucoup plus modeste qu’on ne le dit de l’autre côté de la barre. Il se

borne à respecter l’accord de 1987, c’est-à-dire à considérer que la frontière est telle que décrite par

l’erratum et, en cas d’insuffisance de cette description, telle que reportée sur le tracé de la carte

de1960. N’en déplaise à nos contradicteurs, pour qui «tout devient merve illeux dans la brume»

selon la formule d’Oscar Wilde, il s’agit d’une démarche claire, d’une méthode, qui n’a pas les

charmes de l’incertitude si chers au professeur Salmon, mais qui permet de tracer la frontière avec

certitude, conformément au droit international applicable en la présente instance.

I. Du point P au point P1

10. De manière plus précise, le professeur Klein a contesté le tracé revendiqué par le Burkina

entre le point P et le point P1 [projection n o 3]. Je ne suivrai pas l’ordre dans lequel il a égrainé ses

objections, mais je tâcherai de répondre à toutes.

11. La première, il faut le souligner, reflèt e une certaine incompréhension des plaidoiries de

184 185
mardi dernier , tout comme du mémoire du Burkina Faso , puisque selon mon contradicteur, le

183
CR 2012/24, p. 34, par. 15 (Klein).
184
CR 2012/21, p. 14-15, par. 14-19.
185MBF, p. 104-108, par. 4.18-4.23. - 59 -

186
Burkina s’en remettrait, à partir de Bossébangou, au tracé de la carte de1960 . Ce n’est pas le

cas; comme je l’ai démontré mardi, la portion de tr acé se trouvant sur la rive droite de la Sirba,

187
résulte de l’ erratum . Il se trouve, c’est un fait, qu’elle est correctement représentée sur la

carte IGN. Tant mieux.

12. Mon contradicteur croit alors pertinent, ce qui n’est pas le cas, de s’en prendre au tracé

reporté par l’IGN en 1960, «[p]our la bonne et simple raison qu’il paraît avoir été créé ex nihilo par

les auteurs de la carte et qu’on n’en trouve trace sur aucun autre document de la période

188
coloniale» . Il ajoute: «[l]a carte IGN de1960 est ⎯ je le répète ⎯ la seule à suivre ce

cheminement, sans aucune base dans les text es de1927, ni dans une quelconque pratique

189
ultérieure» . J’invite la Partie nigérienne à médite r cette analyse, qui n’est pas moins valable

pour le secteur de Téra que pour le secteur de Say : il n’existe en effet pas un seul document, pas

une seule carte, de la période coloniale, qui re présente la limite dans le secteur de Téra d’une

manière ne serait-ce qu’approchante de celle reportée sur la carte de 1960.

13. Il n’en reste pas moins qu’en s’attaquant au tracé de la carte de 1960 comme elle le fait,

la partie nigérienne se trompe de cible. Si le tracé cartographique de1960 peut servir à la

détermination de la frontière, en cas d’insuffisance de la description de l’ erratum, c’est pour la

seule raison que le Niger et le Burkina en ont souverainement convenu, en1987. Peu importe,

donc, si le tracé ne trouve «aucune base dans l es textes de 1927», pour reprendre les mots de mon

190
contradicteur , ce qui reste discutable. Car c’est précisément en cas d’insuffisance de l’ erratum à

décrire le tracé susceptible d’être reporté sur une carte, que le tracé cartographique de 1960, qui ne

saurait donc correctement l’illustrer ⎯sauf à correctement illustrer une insuffisance ⎯ devient

pertinent.

186CR 2012/24, p. 29, par. 10 (Klein).

187CR/2012/21, p. 14-15, par. 18-19 et p. 16, par. 23-24.
188
CR 2012/24, p. 29, par. 10 (Klein).
189Ibid.

190Ibid. - 60 -

14. Le professeur Klein observe aussi que: «[s]i les auteurs des textes de1927 avaient

entendu que la limite suive le cours de la Sirba da ns cette zone, ils l’auraient évidemment exprimé

191
en ces termes» . Mais, à vrai dire, peu importent, ici, les pensées profondes des auteurs des textes

de1927. Ce qui importe, c’est ce que le Niger et le Burkina ont souverainement décidé en1987.

Or, ils ont décidé que leur frontière est telle que décrite par l’ erratum. La seule question qui se

pose est alors de savoir si la description donnée de la frontière
par l’erratum conduit à la voir suivre

la rive droite de la rivièreSirba. Or, mardi, en me basant uniquement su r cette description, j’ai

montré que tel est le cas 192.

o
15. [Projection n 4.] Se plaçant ensuite sur le terrain de la perplexité, mon contradicteur en

vient à s’interroger à haute voix devant la Cour :

«même en tenant compte de la formulation exacte de l’ erratum, du fait qu’il se réfère

à une ligne qui remonte non pas aussitôt, mais «presque aussitôt» dans la direction
opposée à celle dont elle provient, ne faudrait-il pas s’attendre à ce que le tracé qui
résulte de cette description soit du type de celle que vous voyez maintenant… ?» 193.

Il s’agit de la ligne en rouge discontinu qui apparaît sur la projection.

16. Franchement, Mesdames et Messieurs les j uges, on ne s’y attend pas du tout. La ligne

montrée par le professeur Klein, «remonte aussitôt vers le nord-ouest». L’ erratum indique pour sa

part qu’elle remonte presque aussitôt. J’ai expliqué l’origine de cette expression à l’instant.

«Presque», c’est un mot qui veut dire quelque chos e. Si je dis à la Cour que ma plaidoirie est

presque terminée ⎯je mentirais, mais admettons que je le dise dans 7 ou 8minutes, cela voudra

dire, non pas qu’elle est terminée, mais qu’elle ne l’est pas encore ⎯ mais va l’être sous peu.

o
17. [Projection n 5.] La conclusion du Burkina est donc qu’il y a forcément une portion de

tracé, après que la frontière a atteint Bossébangou, et avant qu’elle entame sa remontée vers le

nord-ouest. C’est cette portion qui suit nécessairement la rivière Sirba.

191
CR 2012/24, p. 29, par. 10 (Klein).
192
CR 2012/21, p. 14-16, par. 14-24.
193CR 2012/23, p. 25, par. 6 (Klein). - 61 -

II. Le «saillant»

18. [Animation.] J’en viens au «saillant des quatre villages», comme l’appelle mon

194 195
contradicteur tout en affirmant, non sans humour, que «il est évident» qu’il n’y a pas saillant

196
dans cette zone . Trois observations s’imposent.

19. Première observation: contrair ement à ce que soutient mon confrère 197, la thèse du

Burkina s’agissant du saillant, ne consiste pas à s’en remettre en totalité au tracé cartographique

[animation]. Ce n’est que pour la portion allant du point P1 au point P2 que le recours à ce tracé

s’impose. Pour tout le reste du saillant, la description donnée par l’ erratum suffit à tracer la

frontière.

20. Deuxième observation: j’en suis confus, Monsieur le président, mais je regrette de ne

pouvoir commenter en détail les plaidoiries orales de vendredi relatives à la localisation précise des

198
quatre villages . Je n’ai pas compris grand chose, si ce n’est que pour localiser Tankouro, qui est

un des quatre villages cités dans l’erratum. Premièrement, le Niger n’a pas effectué les recherches

supplémentaires qu’il annonçait dans son contre-mémoire; de uxièmement, il a procédé à un

obscure assemblage de cartes aboutissant à des résultats contradictoires s’agissant de la localisation

de Tankouro ⎯que tout le monde s’accorde par ailleurs à reconnaître impossible; puis,

troisièmement, il a conclu que Tankouro se trouve forcément localisé à l’endroit le plus favorable à

199
sa thèse . La méthode est, on en conviendra, bien curieuse, et ne saurait convaincre.

III. A hauteur du parallèle de Say

21. [Projection n o 6.] Mon contradicteur revient sur le croquis n o 16 du contre-mémoire du

Niger, et continue à s’appuyer sur cet «élément de preuve» pour contester la frontière telle qu’elle

résulte de l’erratum, en dépit des critiques du Burkina, argua nt que ce dernier n’en a pas contesté

l’authenticité 200.

194CR 2012/24, p. 31, par. 11 (in fine) (Klein).
195
Ibid., p. 32, par. 12 (Klein).
196
Ibid.
197
Ibid.
198Ibid., p. 32-34, par. 12-15 (Klein).

199Ibid., p. 33-34, par. 15 (Klein).
200
Ibid., p. 34-35, par. 16 (Klein). - 62 -

22. Il revient naturellement à la Cour de dé terminer la force probante de ce document, dont

je rappellerai seulement, outre qu’il est d’origin e, de date, et d’objet incertains, qu’il est

incompatible avec le texte réglementaire qu’est l’ erratum, l’accord de 1987, le protocole d’accord

de 1987, et la carte IGN de 1960.

23. Il a par ailleurs été reproché au Burkina d’avoir trahi les termes de l’ erratum de1927,

alors que nous prétendons nous y attacher de ce côté-c i de la barre. Il est vrai qu’aux fins de ma

présentation de vendredi dernier, j’ai indiqué que le pointP3 se trouvait «à l’intersection de la

RivièreSirba et du parallèle de Say». Je ne conteste évidemment pas que le mot «intersection»

n’est pas dans le texte de l’ erratum, aux termes duquel la frontière «revenant au Sud, … coupe de

nouveau la Sirba à hauteur du parallèle de Say».

24. Pour autant, «intersection entre la Sirba et le parallèle de Say» est très exactement ce que

le texte de l’erratum signifie.

25. Ce n’est pas dit avec ces mots, parce que tel n’est pas le langage retenu en matière de

délimitation de territoires. L’expression rencontrée pour exprimer l’idée qu’une frontière passe par

un point qui se trouve à la rencontre d’une ligne et d’un parallèle est: «à la hauteur de». On le

trouve, par exemple, dans le traité de1972 délimitant la frontière entre le Maroc et l’Algérie. La

raison de l’utilisation de ce langage est évidente: un parallèle n’est, lorsque l’on regarde la carte

des méridiens, rien d’autre qu’une «hauteur».

IV. Du point P3 au début de la boucle de Botou

[2r6o.jntion o7.] S’agissant de la dernière porti on de la frontière, allant du pointP3

⎯l’intersection du parallèle de Say avec la Sirba ⎯ au début de la boucle de Botou, la Cour

connaît maintenant très bien les thèses respectives : pour le Burkina, conformément à la description

limpide ⎯les Parties en conviennent 201⎯ de l’ erratum, la frontière est en ligne droite. Pour le

Niger, elle est constituée de deux segments de droite.

201
CR 2012/24, p. 36, par. 18 (Klein). - 63 -

27. La Partie nigérienne allègue pour s’en ju stifier qu’il existerait un accord international,

acquis depuis des décennies 20, qui aurait eu pour effet de modifier le tracé de l’ erratum 20. Cet

204 205
accord serait informel . Il s’agirait d’un acquiescement .

28. Le Burkina aurait donc acquiescé, depuis les indépendances, à ce que la frontière ne

passe pas là où l’ erratum le dit. Et, selon le professeur Klei n, «ce ne sont pas les positions

adoptées par les experts dans le cadre des trava ux de la commission mixte en 1988 qui y changent

quelque chose» 206.

29. Mais, à vrai dire, ce n’est pas la commission mixte qui met à bas le soi-disant

acquiescement du Burkina. C’est le Niger lui mê me qui, en signant l’accord de 1987 a considéré,

souverainement, que la frontière qui fait droit est celle que décrit l’ erratum, complété en cas

d’insuffisance par le tracé de la carte de 1960. Point n’est question, dans l’accord de1987, de

l’accord informel antérieur dont fait état le Niger. Par conséquent, à supposer même qu’il ait existé

⎯ quod non ⎯, il aurait été, par le fait même de l’accord de1987, purement et simplement

répudié. Le Niger a-t-il protesté ? Le Niger a-t-il fait valoir, après 1987, que l’ erratum ne pouvait

pas faire droit pour le tronçon de la frontière entre le point P3 et le début de la boucle de Botou ?

Aucunement. C’est pourtant de telles protestati ons que les experts nigériens de la commission

mixte auraient dû élever en1988, et lors de toutes les réunions qui ont suivi. Les seules

protestations que le Niger a élevées concernent le compromis de1991, alors que ce compromis

consacrait le fameux tracé en deux segments de droites revendiqué par le Niger.

30. A vrai dire, le Burkina n’a entendu parler de ce prétendu acquiescement, qui serait acquis

depuis des décennies, que…vendredi dernier. Il me semble, Monsieur le président, que, pour

qu’un acquiescement ait pour effet de modifier un tracé de frontière, il en faut un peu plus. Dans

l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South

Ledge, votre Cour a d’ailleurs jugé que :

202CR 2012/24, p. 36, par. 18 (Klein).
203
Ibid.
204
Ibid., p. 38, par. 19 (Klein).
205Ibid.

206Ibid. - 64 -

«tout changement du titulaire de la souveraineté territoriale fondé sur le comportement
des Parties, …doit se manifester clairement et de manière dépourvue d’ambiguïté au

travers de ce comportement et des faits pertin ents. Cela vaut tout particulièrement si
ce qui risque d’en découler pour l’une d es Parties est en fait l’abandon de sa
souveraineté sur une portion de son territoire.» ( Souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt,

C.I.J. Recueil 2008, p. 51, par. 32.)

31. Dans la présente espèce, ce qui est clair et dépourvu d’ambiguïté est que le Niger et le

Burkina ont souverainement accepté, non pas taciteme nt mais par voie de traité, que la frontière

entre les deux pays est telle que décrite par l’ erratum. Et, en se référant à l’accord de1987, le

compromis de2009 confirme encore, si besoin en était, l’absence totale d’un quelconque accord

tacite à modifier la frontière qui en résulte.
o
32. [Projection n 8] Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ceci achève

ma plaidoirie de ce jour, ainsi que celles des conseils du Burkina Faso dans la présente affaire.

Nous vous remercions très vivement de votre bienveillante attention, et je vous prie de bien vouloir

appeler à la barre Mme le coagent du Burkina Faso pour de brefs propos conclusifs et la lecture des

conclusions finales de la Partie burkinabè.

LE PRESIDENT : Merci, Monsieur Thouvenin. Je donne la parole à S. Exc. Mme Salamata

SawadogoTapsoba, coagent du BurkinaFaso et minist re de la justice. Vous avez la parole,

Madame.

Mme SAWADOGO TAPSOBA : Merci, Monsieur le président.

1. Monsieur le président, Mesdames et Mess ieurs les juges, en l’absence de l’agent du

Burkina Faso qui a dû quitter La Haye pour des raisons impérieuses et qui m’a priée de vous

transmettre ses regrets, j’ai l’honneur de clôturer le second tour des plaidoiries orales de mon pays,

en ma qualité de ministre de la justice, garde des sceaux, coagent du Burkina Faso.

2. Nos conseils ont présenté la thèse juridique du Burkina Faso. Il est aisé de la résumer.

Elle est d’une grande clarté : nous demandons simple ment à votre haute juridiction de confirmer le

tracé de la frontière tel qu’il résulte de l’ erratum de 1927, au besoin suppléé par celui figurant sur

la carte de l’Institut géographi que national de France de1960 lorsque le texte de référence est

insuffisant pour la déterminer sans ambiguïté. Et nous vous demandons de bien vouloir faire cela, - 65 -

Mesdames et Messieurs les juges, qu’il s’agisse des secteurs abornés de la frontière, qui ont fait

l’objet de l’«entente» entre le Burkina et le Niger visée au paragraphe2 de l’article2 du

compromis, ou de la partie de celle-ci contestée par le Niger. Tel est l’objet des conclusions que je

lirai dans quelques instants.

3. Auparavant, qu’il me soit permis de faire quelques brèves remarques de nature générale.

4. En premier lieu, nous avons été quelque peu surpris de constater que, jusqu’à la dernière

minute ⎯et la semaine dernière encore ⎯, lors de ses plaidoiries du premier tour, la République

du Niger ait, à maintes reprises, modifié non seulement son argumentation, mais aussi ses

revendications. Un jour la ligne frontière est courbe; un autre, dans le même secteur, elle est

brisée ; et un troisième, droite, avant que la Partie nigérienne ne revienne à l’une ou l’autre de ses

premières conclusions. L’ erratum de 1927 est le titre frontalier de référence, puis il devient un

élément de preuve parmi tant d’autres. Et hon nêtement, Monsieur le président, dire que ces

revirements sont dus à la «découverte» de nouveaux faits n’est pas une bonne justification : aucun

des documents joints au contre-mémoire (dont rien ne dit, d’ailleurs, qu’ils aient été découverts

tardivement) ne justifie les «virages» opérés par le Niger entre son mémoire et son contre-mémoire.

A plus forte raison, celui-ci ne peut-il pas imputer à la découverte de faits nouveaux ses

changements ⎯ souvent radicaux ⎯ de position entre la fin de la procédure écrite et les audiences

de la semaine dernière : ni l’une, ni l’autre Partie n’ont déposé de documents nouveaux auprès du

Greffe de la Cour.

5. Ces variations, pour ne pas dire ces retournements, dans les thèses du Niger n’ont pas

facilité notre défense, et je tiens à dire que nous protesterions avec beaucoup d’énergie auprès de

vous-même, Monsieur le président, si, à l’occasion de leur second tour de plaidoiries orales, nos

frères nigériens venaient à exposer une argumen tation nouvelle ou une conc lusion inédite. Nous

avons accepté, à leur demande, de plaider en prem ier, mais c’est évidemment à la condition que

l’égalité entre les Parties soit pleinement respectée.

6. Ma deuxième remarque concerne, de mani ère générale, l’attitude du Niger en ce qui

concerne la délimitation de la frontière. Je ne veux pas reve nir sur les espoirs qu’a fait naître

l’adoption par les experts des deux Parties du tr acé consensuel de1988, dont l’adoption aurait - 66 -

permis, si aisément, de faire l’économie du pr ésent contentieux; mais, pour des raisons qui nous

échappent, le Niger s’est refusé à consacrer juridiquement cette solution pourtant presque évidente.

Convaincus qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès, le Burkina s’est déclaré prêt à

ratifier le compromis politique de1991 ⎯pourtant désavantageux pour lui ⎯; la République du

Niger l’a finalement désavoué. Et voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les juges, nous sommes

aujourd’hui devant vous à la fin de ce procès ⎯bon procès, assurément car nous avons toute

confiance dans la conformité au droit de la solution que vous adopterez; mais lourd et coûteux

pour nos deux pays et qui aurait facilement pu être évité. Voilà pourquoi aussi nous vous

demandons de bien vouloir répondre dans leur inté gralité aux demandes que les Parties vous ont

adressées dans l’article2 du compromis ⎯ceci afin qu’il soit mis fin définitivement et

complètement au différend frontalier entre les deux pays. Ce différend constitue, comme l’a

rappelé l’agent du Burkina Faso à l’ouverture de ces audiences, la seule ombre à nos relations avec

la République sŒur du Niger.

7. Troisième et dernière remarque enfin ⎯ plus générale. Nous l’avons dit souvent au cours

de ces plaidoiries, mais il n’est sans doute pas «superfétatoire» de le répé ter une dernière fois:

l’affaire qui vous est soumise, Mesdames et Messieurs les juges, est particulièrement simple. Elle

l’est parce que les Parties ⎯ et vous-mêmes maintenant ⎯ peuvent se fonder sur un titre frontalier,

beaucoup plus net et complet que ceux qui couvrent la plupart des frontières africaines ⎯ quand il

en existe. Je n’ose imaginer ce qui arrive rait si vous succombiez au «charme» du jeu des

effectivités ou des limites coloniales «vécues» pour remettre en question ou même, simplement,

pour «compléter» ou «préciser» le tracé autosuffisant de l’ erratum de1927: ce serait ouvrir la

boîte de Pandore et encourager les Etats d’A frique (d’ailleurs sans doute aussi) à remettre en

question les frontières les mieux établies pour les mo tifs les plus ténus. Votre rôle s’en trouverait

sans doute allongé mais je ne suis pas sûre que ce soit nécessaire, ni que vous le souhaitiez.

8. Monsieur le président, avant de lire les conclusions finales du BurkinaFaso, je voudrais

vous adresser, ainsi qu’à tous les Membres de la Cour, nos vifs remerciements pour la patience et

l’attention avec lesquelles vous nous avez entendus et vous redire la confiance totale de mon pays

pour votre très haute juridiction. Notre gratitude va aussi à M.
le greffier, et à toute la remarquable

équipe du Greffe dont le professionnalisme, l’efficacité et la disponibilité nous ont impressionnés, - 67 -

ainsi qu’aux interprètes qui, dans une affaire «unilingue», ont dans l’autre cabine une tâche

particulièrement lourde. Je ne pe ux omettre ni nos conseils et avocats, ni toute notre équipe qui

s’est beaucoup investie dans la préparation de not re dossier et de ces plaidoiries, avec une mention

spéciale pour nos cartographes pour le travail accompli. Et je ne saurais oublier nos frères et sŒurs

nigériens que je salue à nouveau en leur disant que le Gouvernement et le peuple burkinabè sont

convaincus que l’arrêt que rendra la Cour contri buera à renforcer davantage les bonnes relations

qui existent si heureusement entre nos deux pays.

9. Monsieur le président, Mesdames et Mess ieurs les juges, conformément aux dispositions

de l’article60, paragraphe2, du Règlement de la Cour, je vais maintenant donner lecture des

conclusions finales du Burkina Faso.

Compte tenu de l’ensemble des considérations de son mémoire, de son
contre-mémoire et de ses plaidoiries orales, le Burkina Faso a l’honneur de conclure à

ce qu’il plaise à la Cour internationale de Justice de dire et juger que la frontière entre
le Burkina Faso et la République du Niger suit le tracé décrit au paragraphe 5.1 de son
mémoire dont les coordonnées écrites précises sont reproduites dans les conclusions

écrites que nous avons remises au Greffe de la Cour.

Conformément à l’article7, paragraphe4, du compromis, le BurkinaFaso prie
par ailleurs la Cour de désigner dans son arrêt trois experts qui assisteront les Parties

en tant que de besoin aux fins de la démarcation.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je vous remercie de votre aimable

attention.

Le PRESIDENT : Excellence, je vous remercie. La Cour prend acte des conclusions finales

dont vous venez de donner lecture au nom du Burk inaFaso. La République du Niger présentera

son second tour de plaidoiries le mercredi17octo bre, de15 heures à18heures. L’audience est

levée.

L’audience est levée à 13 heures.

___________

Document Long Title

Audience publique tenue le lundi 15 octobre 2012, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, président, en l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger)

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