Audience publique tenue le mardi 7 mars 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de Mme Higgins, président

Document Number
091-20060307-ORA-01-00-BI
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Number (Press Release, Order, etc)
2006/11
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CR 2006/11

International Court Cour internationale
of Justice de Justice

THHEAGUE LAAYE

YEAR 2006

Public sitting

held on Tuesday 7 March 2006, at 10 a.m., at the Peace Palace,

President Higgins presiding,

in the case concerning the Application of the Convention on the Prevention and Punishment

of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro)

________________

VERBATIM RECORD
________________

ANNÉE 2006

Audience publique

tenue le mardi 7 mars 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de Mme Higgins, président,

en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)

____________________

COMPTE RENDU

____________________ - 2 -

Present: Presieitgins
Vice-Presi-Kntasawneh

Ranjevaudges
Shi
Koroma
Parra-Aranguren

Owada
Simma
Tomka
Abraham

Keith
Sepúlveda
Bennouna
Skotnikov

Judges ad hoc AhmedMahiou
Kre Milenko ća

Couvrisrar

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -

Présents : Mme Higgins,président
AlKh.vsce-prh,ident

RaMjev.
Shi
Koroma
Parra-Aranguren

Owada
Simma
Tomka
Abraham

Keith
Sepúlveda
Bennouna
Sjoteiskov,

MM. Ahmed Mahiou,
KMrilenko ća, juges ad hoc

Cgoefferr,

⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -

The Government of Bosnia and Herzegovina is represented by:

Mr. Sakib Softić,

as Agent;

Mr. Phon van den Biesen, Attorney at Law, Amsterdam,

as Deputy Agent;

Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisX-Nanterre, Member and former Chairman of

the International Law Commission of the United Nations,

Mr. Thomas M. Franck, Professor of Law Emeritus, New York University School of Law,

Ms Brigitte Stern, Professor at the University of Paris I,

Mr. Luigi Condorelli, Professor at the Facultyof Law of the University of Florence,

Ms Magda Karagiannakis, B.Ec, LL.B, LL.M.,Barrister at Law, Melbourne, Australia,

Ms Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, London,

Ms Laura Dauban, LL.B (Hons),

as Counsel and Advocates;

Mr. Morten Torkildsen, BSc, MSc, Tork ildsen Granskin og Rådgivning, Norway,

as Expert Counsel and Advocate;

H.E. Mr. Fuad Šabeta, Ambassadorof Bosnia and Herzegovina to the Kingdom of the Netherlands,

Mr. Wim Muller, LL.M, M.A.,

Mr. Mauro Barelli, LL.M (University of Bristol),

Mr. Ermin Sarajlija, LL.M,

Mr. Amir Bajrić, LL.M,

Ms Amra Mehmedić, LL.M,

Mr. Antoine Ollivier, Temporary Lecturer and Research Assistant, University of Paris X-Nanterre, - 5 -

Le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine est représenté par :

M. Sakib Softić,

coagment;

M. Phon van den Biesen, avocat, Amsterdam,

comme agent adjoint;

M. Alain Pellet, professeur à l’Université de ParisX-Nanterre, membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies,

M. Thomas M. Franck, professeur émérite à lafaculté de droit de l’Université de New York,

Mme Brigitte Stern, professeur à l’Université de Paris I,

M. Luigi Condorelli, professeur à la fact de droit de l’Université de Florence,

Mme Magda Karagiannakis, B.Ec., LL.B., LL.M.,Barrister at Law, Melbourne (Australie),

Mme Joanna Korner, Q.C.,Barrister at Law, Londres,

Mme Laura Dauban, LL.B. (Hons),

comme conseils et avocats;

M. Morten Torkildsen, BSc., MSc., Tork ildsen Granskin og Rådgivning, Norvège,

comme conseil-expert et avocat;

S. Exc. M. Fuad Šabeta, ambassadeur de Bosn ie-Herzégovine auprès duRoyaume des Pays-Bas,

M. Wim Muller, LL.M., M.A.,

M. Mauro Barelli, LL.M. (Université de Bristol),

M. Ermin Sarajlija, LL.M.,

M. Amir Bajrić, LL.M.,

Mme Amra Mehmedić, LL.M.,

M. Antoine Ollivier, attaché temporaire d’ense ignement et de recher che à l’Université de

Paris X-Nanterre, - 6 -

Ms Isabelle Moulier, Research Student in International Law, University of Paris I,

Mr. Paolo Palchetti, Associate Professor at the University of Macerata (Italy),

as Counsel.

The Government of Serbia and Montenegro is represented by:

Mr. Radoslav Stojanović, S.J.D., Head of the Law Council of the Ministry of Foreign Affairs of
Serbia and Montenegro, Professor at the Belgrade University School of Law,

as Agent;

Mr. Saša Obradović, First Counsellor of the Embassy of Serbia and Montenegro in the Kingdom of
the Netherlands,

Mr. Vladimir Cvetković, Second Secretary of the Embassy of Serbia and Montenegro in the
Kingdom of the Netherlands,

as Co-Agents;

Mr.Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), Professor of Law at the Central European University,
Budapest and Emory University, Atlanta,

Mr. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., Member of the International Law Commission, member of
the English Bar, Distinguished Fellow of the All Souls College, Oxford,

Mr. Xavier de Roux, Master in law, avocat à la cour, Paris,

Ms Nataša Fauveau-Ivanović, avocat à la cour, Paris and member of the Council of the
International Criminal Bar,

Mr. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), Professor of Law at the University of Kiel, Director
of the Walther-Schücking Institute,

Mr. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), Attorney at Law, Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,

Belgrade, and President of the International Law Association of Serbia and Montenegro,

Mr. Igor Olujić, Attorney at Law, Belgrade,

as Counsel and Advocates;

Ms Sanja Djajić, S.J.D., Associate Professor at the Novi Sad University School of Law,

Ms Ivana Mroz, LL.M. (Minneapolis),

Mr. Svetislav Rabrenović, Expert-associate at the Office of th e Prosecutor for War Crimes of the
Republic of Serbia, - 7 -

Mme Isabelle Moulier, doctorante en droit international à l’Université de Paris I,

M. Paolo Palchetti, professeur associé à l’Université de Macerata (Italie),

cocomnseils.

Le Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro est représenté par :
M. Radoslav Stojanović, S.J.D., chef du conseil juridique du ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro, professeur à la faculté de droit de l’Université de Belgrade,

coagment;

M. Saša Obradovi ć, premier conseiller à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume des

Pays-Bas,

M. Vladimir Cvetković, deuxième secrétaire à l’ambassade de Serbie-et-Monténégro au Royaume
des Pays-Bas,

comme coagents;

M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), professeur de droit à l’Université d’Europe centrale de

Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,

M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., membre de la Commission du droit international, membre
du barreau d’Angleterre, Distinguished Fellow au All Souls College, Oxford,

M. Xavier de Roux, maîtrise de droit, avocat à la cour, Paris,

Mme Nataša Fauveau-Ivanovi ć, avocat à la cour, Paris, et membre du conseil du barreau pénal
international,

M. Andreas Zimmermann, LL.M. (Harvard), professeur de droit à l’Université de Kiel, directeur de

l’Institut Walther-Schücking,

M. Vladimir Djeri ć, LL.M. (Michigan), avocat, cabinet Mikijelj, Jankovi ć & Bogdanovi ć,
Belgrade, et président de l’association de droit international de la Serbie-et-Monténégro,

M. Igor Olujić, avocat, Belgrade,

comme conseils et avocats;

Mme Sanja Djajić, S.J.D, professeur associé à la faculté de droit de l’Université de Novi Sad,

Mme Ivana Mroz, LL.M. (Minneapolis),

M. Svetislav Rabrenovi ć, expert-associé au bureau du procureur pour les crimes de guerre de la
République de Serbie, - 8 -

Mr. Aleksandar Djurdjić, LL.M., First Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and
Montenegro,

Mr. Miloš Jastrebić, Second Secretary at the Ministry of Foreign Affairs of Serbia and Montenegro,

Mr. Christian J. Tams, LL.M. PhD. (Cambridge), Walther-Schücking Institute, University of Kiel,

Ms Dina Dobrkovic, LL.B.,

as Assistants. - 9 -

M. Aleksandar Djurdji ć, LL.M., premier secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,

M. Miloš Jastrebi ć, deuxième secrétaire au ministère des affaires étrangères de la
Serbie-et-Monténégro,

M. Christian J. Tams, LL.M., PhD. (Cambridge), Institut Walther-Schücking, Université de Kiel,

Mme Dina Dobrkovic, LL.B.,

comme assistants. - 10 -

The PRESIDENT: Please be seated. Professor Condorelli, we did not hear you last evening:

you have the floor now.

M. CONDORELLI : Je vous remercie beauc oup, Madame le président. Madame le

président, Messieurs les juges,

LA RECONNAISSANCE PAR LE DEFENDEUR DE SA RESPONSABILITE INTERNATIONALE

POUR LE GENOCIDE

1. La semaine dernière l’agent adjoint de la Bosnie-Herzégovine, Phon van den Biesen, a

soumis à la Cour des images terribles, montrant plusieurs membres de l’unité paramilitaire de

police serbe, les Scorpions, en train d’assassine r avec un cynisme révoltant des captifs, des

Musulmans de Bosnie-Herzégovine, dans les environs de Srebrenica. Je rappelle que les Scorpions

constituaient une unité de choc de la police serbe, dépendante du mi nistère des affaires intérieures

de Serbie, que celui-ci avait créée, entraînée etarmée: en somme, indiscutablement des organes

d’Etat. Les images en question, lorsqu’elles ont été transmises par une chaîne de télévision de

Belgrade, le 2 juin 2005, ont provoqué une énorme émotion dans l’opinion publique du pays, ainsi

que de nombreuses prises de position de la part de quantité de personnalités politiques. De toute

part on a invoqué, en particulier, la nécessité de mettre en Œuvre une répression appropriée; et

effectivement les assassins ont ét é vite identifiés et arrêtés (mai s pas, pour incroyable que cela

puisse paraître, leur commandant) : ils sont actuellement en attente de procès.

2. Le 15juin2005 le Conseil des ministr es de Serbie-et-Monténégro, à savoir l’organe

suprême de gouvernement de l’Etat fédéral, a adopté une déclaration officielle qui a fait la une de

tous les média du pays. Le conseil des ministre s, se faisant l’interprète du sentiment populaire, a

condamné solennellement les «crimes commis contre des prisonniers et des civils bosniaques à

Srebrenica en 1995». Ce document, Madame et Messieurs les juges, figure dans votre dossier

d’aujourd’hui.

3. La déclaration comporte un paragraphe important; tellement important qu’il convient de le

citer mot à mot et de le commenter attentivement. En voici la teneur, dans une traduction en

français que je considère fidèle : - 11 -

«Ceux qui ont accompli les tueries à Sr ebrenica et ceux qui ont ordonné et
organisé le massacre ne représentaient ni la Serbie ni le Monténégro, mais un régime

antidémocratique de terreur et de mort, cont re lequel la grande majorité des citoyens
de Serbie-et-Monténégro ont opposé la plus forte résistance.

Notre condamnation ne s’arrête pas a ux exécutants directs. Nous demandons

que soient poursuivis tous ceux, et non seulement pour Srebrenica, qui ont commis,
organisé ou ordonné des crimes de guerre.

Les criminels ne peuvent pas être des héros. Toute protection des criminels de

guerre, pour quelque raison que ce soit, est aussi un crime.»

4. Madame le président, ces paroles sont belles. Ces paroles sont nobles : elles font honneur

au pays que représentent nos éminents collègues siég eant de l’autre côté de la barre. Ces paroles

vont dans le bon sens : c’est de la pleine reconna issance de la responsabilité du demandeur pour le

génocide qu’a besoin le peuple martyr de Bosn ie-Herzégovine. Comme l’a dit l’agent de la

Bosnie-Herzégovine il y a une semain e, l’avenir des relations entr e les deux pays qui s’affrontent

aujourd’hui devant vous ne pourra jamais être serei n et amical, que s’il est basé sur la vérité. Mais

ces paroles sont insuffisantes, outre que bien tardives, face à l’énormité du crime de génocide qu’a

perpétré le «régime antidémocratique de te rreur et de mort» gouvernant à l’époque la

Serbie-et-Monténégro. C’est pour cela, c’est pour que la «parole suffisante» soit dite, et pour que

les actes s’y accordent désormais effectivemen t, que nous nous trouvons devant votre Cour,

confiants que vous saurez dire le mot juste.

5. Madame le président, Messieurs les juges, la déclaration que je viens de citer n’a pas

seulement une grande importance sur le plan moral et politique. Elle a aussi une portée juridique

évidente, que je souhaite mettre en exergue maintenant, en complétant par là nos propos concernant

l’attribution du génocide au défendeur.

6. Ce que le Conseil des ministres de Serb ie-et-Monténégro condamne avec force est, vous

l’avez entendu, le «massacre» (c’est le mot employ é) de Srebrenica. Ceux qu’il condamne ne sont

pas seulement les «exécutants», le s tueurs, mais avant tout ceux qui ont «organisé et ordonné» ce

massacre: les «représentants» (je répète encore les mots employés) du «régime antidémocratique

de terreur et de mort» qui était alors au gouvern ement de l’Etat, un régime qu’on n’hésite pas à

qualifier comme non représentatif du peuple serbo-monténégrin.

7. Il va de soi que le reproche d’absence de représentativité du gouvernement de l’époque

constitue le cŒur d’une ferme condamnation au plan politique et idéologique, mais ne saurait - 12 -

impliquer ⎯comment le pourrait-il d’ailleurs? ⎯ la méconnaissance du fait qu’il s’agissait bien

du gouvernement au pouvoir en RFY au moment des fait incriminés, internationalement reconnu

par tous : un gouvernement dont les agissements, au nom du principe universellement reconnu de la

continuité de l’Etat malgré les changement de ré gime, restent des faits de l’Etat qui continuent

d’engager sa responsabilité internationale. Ai-je besoin de rappeler cette sorte de locus classicus

1
du droit international qu’est la sentence arbitrale en l’affaire Tinoco et l’une des source doctrinales

dont l’arbitre s’était inspiré, à savoir les mots él égants et toujours très actuels d’un ancien maître,

John Basset Moore, qui écrivait il y a cent ans ce qui suit :

«Changes in the government or the inte rnal policy of a state do not as a rule

affect his position in international law. A monarchy may be transformed into a
republic or a republic into a monarchy; ab solute principles may be substituted for
constitutional, or the reverse; but, though the government changes, the nation remains,
2
with rights and obligations unimpaired...»

8. En somme, reconnaître la responsabilité du gouvernement au pouvoir pendant la première

moitié des années quatre-vingt-dix à Belgrade pour le massacre de Srebrenica signifie reconnaître

la responsabilité de l’Etat yougoslave, tout comme l’Allemagne ou l’Italie démocratiques

d’aujourd’hui continuent de porter la responsab ilité internationale des faits illicites gravissimes

perpétrés avant et pendant la de uxième guerre mondiale pa r les régimes nazi et fasciste alors au

pouvoir dans ces pays.

9. Il s’impose, Madame le président, d’analyser finement la valeur et les effets juridiques de

cette reconnaissance, aux fins du règlement du présent différend. La première remarque à faire est

que la Bosnie-Herzégovine n’invoque pas du tout à ce sujet le principe que la Commission du droit

international, dans ses articles sur la responsabilité internationale de l’Etat, a consacré à l’article 11.

Dans cet article, en effet, il est question de com portements qui, en application des principes relatifs

à l’attribution, n’étaient pas imputables à l’Etat au moment où ils ont été commis, mais qui le

deviennent ultérieurement du fait que, à posteriori, l’Etat «reconnaît et adopte» (c’est la formule

utilisée), ces comportements comme «étant sien(s)». Cela n’a rien à voir avec la situation qui est

présentement sub judice : la Bosnie-Herzégovine attribue à la déclaration citée la valeur, non pas

1
Aguilar-Armory and Royal Bank of Canada Claims ( Tinoco Case), Award of 12 Janua ry 1922, R.S.A., vol.1,
p. 376.
2Digest of International Law, vol. I, Washington, 1908, p. 249. - 13 -

de «cause» de l’attribution de faits auxquels elle se réfère, mais de pre uve, de preuve décisive,

d’une telle attribution.

10. Dans son arrêt du 19 décembre dernier en l’affaire entre le Congo et l’Ouganda votre

Cour s’est penchée sur la valeur probatoire des d éclarations venant des organes d’un Etat. Elle a

dit que la Cour «prêtera une attention toute par ticulière aux éléments de preuve dignes de foi

attestant de faits ou de comportements défavorab les à l’Etat que représente celui dont émanent

3
lesdits éléments…» .

11. C’est un enseignement classique, sur lequel la Cour est revenue en se référant, en tant

que précédent in terminis, à l’arrêt de 1986 en l’affaire nicara guayenne, où elle avait par ailleurs

développé bien davantage son ra isonnement concernant l’effet pr obatoire des «déclarations de

représentants d’Etat, parfois du plus haut niveau da ns la hiérarchie politique» (ce qui est, notons-le

en passant, assurément notre cas). Votre Cour, à l’époque, avait jugé alors que :

«des déclarations de cette nature, émanan t de personnalité politiques officielles de

haut rang, parfois même du rang le pl us élevé, possèdent une valeur probante
particulière lorsqu’elles reconnaissent des faits ou des comportements défavorables à
l’Etat que représente celui qui les a formul ées. Elles s’analysent alors en une sorte
4
d’aveu.»

12. Un peu plus loin, toujours dans le même arrêt de 1986, la Cour avait indiqué avec encore

plus de précision ce que ce genre de déclaration s ont en mesure de prouver: «L’un des effets

juridiques qui peuvent s’attacher à ces déclarations est qu’elles peuvent être considérées comme

établissant la matérialité des faits, leur imput abilité aux Etats dont les autorités ont fait les

déclarations et, dans une moindre mesure, la qualification juridique desdits faits.» 5

13. Puis la Cour avait appliqué ces concepts au cas d’espèce. Et avait constaté que la

déclaration des Etats-Unis qui était alors en cause (invoquant la légitime défense comme prétendue

cause justificative de ses actes d’emploi de la fo rce contre le Nicaragua) ni n’indiquait ni

n’énumérait des faits précis et ne pouvait donc pas être appréciée comme une sorte d’«aveu

3
Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) , arrêt
du 19 décembre 2005, par. 61.
4 Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contcelui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis

d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 41, par. 64.
5 Ibid., p. 43, par. 71. - 14 -

généralisé», alors qu’ on pouvait y voir «à coup sûr une rec onnaissance quant à l’imputabilité de

6
certains des actes incriminés» .

14. Madame et Messieurs de la Cour, dans not re cas, la déclaration du Conseil des ministres

de Serbie-et-Monténégro que je suis en trai n de commenter est sans nul doute, au vu de son

contenu, trop générale pour qu’on puisse y voir la reconnaissance de l’imputabilité à l’Etat

défendeur de l’ensemble des crimes qui on t été perpétrés contre les non-Serbes de

Bosnie-Herzégovine pendant les années du génocide, et ce même si la déclaration fait bien allusion

aux crimes autres que ceux de Srebrenica: on ne saurait donc y voir un «a veu généralisé» à ce

sujet, et la Bosnie-Herzégovine ne le prétend pas. Par contre, la déclaration est absolument précise

quant au massacre de Srebrenica de 1995, dont elle admet explicitement qu’il s’est agi d’un fait de

l’Etat, puisque elle reconnaît que c’est le Gouvern ement de l’Etat yougoslave de l’époque qui l’a

organisé, ordonné et fait exécuter. Il est donc justifié, Madame et Messieurs les juges, de demander

à votre Cour de bien vouloir dire et juger que la déclaration de 2005 du Conseil des ministres de

Serbie-et-Monténégro s’analyse (j’utilise l’expression de la Cour) en une «sorte d’aveu» et qu’elle

a ⎯c’est là votre expression ⎯ une valeur probante déterminante quant à l’imputabilité à l’Etat

yougoslave du massacre de Srebrenica.

15. Il faut cependant ajouter une remarque . Le massacre de Srebrenica ne saurait être

correctement évalué si on le détachait du contex te dans lequel il a pris place et grâce auquel il

révèle sa vraie signification. En effet, l’extermin ation systématique en peu de jours de milliers et

milliers d’hommes captifs, réalisée au moyen d’une opération militaire de grande envergure qui a

indiscutablement demandé une planification et une organisation des plus complexes, représente une

sorte d’aboutissement de la campagne génocidaire visant à «purifier» ethniquement une partie du

territoire de la Bosnie-Herzégovine. Srebrenica est en fait l’épisode ultime, et sans doute l’un des

plus terrifiants, le point d’orgue d’une entrepri se criminelle unique, fruit d’une conception unique

et réalisée par une série d’actions d’organes, structures et groupes divers s’échelonnant dans le

temps. La reconnaissance de la responsabilité de la République fé dérale Yougoslavie pour

6
Ibid., p. 45, par. 74. - 15 -

Srebrenica, dernier maillon de la chaîne, imp lique donc inévitablement une reconnaissance de

responsabilité pour le génocide dont Srebrenica constitue une composante inséparable.

16. Mais revenons au texte de la déclaration. Il est vrai que celle-ci désigne le massacre

de 1995 comme «crime de guerre», et non pas comme génocide. Mais cela n’affaiblit nullement la

valeur probatoire de ce document: la Cour ava it d’ailleurs bien signalé en1986 que ce genre de

déclarations peuvent être vues «dans une moindr e mesure» comme établissant la «qualification

juridique» des faits 7. Cela est parfaitement naturel, puisque jura novit curia . Autrement dit, les

faits doivent être prouvés au juge international, alor s que c’est la mission du juge de dire le droit.

Narra mihi factum, dabo tibi jus, disaient les Latins : ce brocard classique est parfaitement de mise,

comme chacun le sait, dans le procès international. Les faits de Srebrenica, le massacre à froid de

quelque huit mille hommes coupables de ne pas être Serbes, ont été l’objet devant vous de preuves

concluantes : des preuves qui ont d’ailleurs déjà convaincu le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie

8
à le qualifier de génocide . L’imputation de ces faits à la RFY a également été l’objet de preuves

concluantes, que vient couronner et rendre irréfutables la reconnaissance de la part de l’Etat dont la

responsabilité est engagée. C’est à la Cour mainte nant de juger si, oui ou non, ces faits imputables

au défendeur doivent être qualifiés juridiquement ⎯sur la base de la convention de1948 ⎯ de

composantes du crime de génocide, comme le demandeur croit vous l’avoir démontré.

17. Madame le président, ceci conclut la première partie de ma plaidoirie. Avec votre

permission je vais continuer sur un tout autre suje t qui est le sujet relatif à la violation par le

défendeur des obligations de prévenir et punir le crime de génocide. Merci.

7
Ci-dessus, note 4.
8 TPIY, Le procureur c. Krstić, affaire n IT-98-33-A, Chambre d’appel, arrêt, 19 avril 2004, p. 3-17, par. 5-38 et

Coambre de première instanceI, j ugement, 2 août 2001, par.539-599; TPIY, Le procureur c. Blagojevi ć, affaire
n IT-02-60-T, Chambre de première instance I,osection A, 17 janvier 2005, p. 235-248, par. 638-677. Voir aussi, TPIY,
Le procureurs c. Karadži ć et Mladić, affaires n IT-95-5-R61 etIT-95-18-R61, examen des actes d’accusation dans le
cadre de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, Chambre de première instance, décision du 11 juillet 1996,
p. 59-61, par. 92-95 et affaire n IT-02-54-T, Chambre de première instance, décision relative à la demande de jugement
d’acquittement, 16 juin 2004, par. 246 et 288. - 16 -

L A VIOLATION PAR LE DEFENDEUR DES OBLIGATIONS DE PREVENIR

ET PUNIR LE CRIME DE GENOCIDE

1. Introduction

1. Madame le président, Messieurs les juges, parmi les obligations que la convention de 1948

impose à tous les Etats, y compris bien en tendu tant la Serbie-et-Monténégro que la

Bosnie-Herzégovine, on trouve à la première place l’obligation de prévenir et punir ce «crime du

droit des gens» qu’est le génocide. Cette obligati on est formulée d’une mani ère très générale et,

pour ainsi dire, introductive à l’article I, qui re prend de près le titre de la convention. Des

dispositions ultérieures, que l’on trouve aux articles IV à VIII, viennent apporter toute une série de

spécifications et de précisions indispensables a ux fins de sa mise en Œuvre. Ces autres

dispositions, cependant, sont surtout centrées sur la répression, alors que la prévention fait l’objet

d’une réglementation bien peu développée.

2. Il est vrai cependant qu’aucune frontière pr écise ne saurait être établie entre prévention et

répression. En effet, d’une part, un appareil répr essif bien organisé et en mesure d’infliger des

sanctions appropriées par rapport à la gravité du crime joue ⎯ on le sait bien ⎯ un rôle préventif

très important; et, d’autre part, une prévention efficace requiert la répression d’éventuels actes

préparatoires du génocide (comme l’entente en vue de commettre le génocide ou la tentative, etc.),

ou encore d’actes constitutifs de l’incitation à commettre le génocide. Autrement dit, la punition de

la plupart des actes dits «ancilla ires» qu’identifie l’article III de la convention, et dont mon

collègue et ami Alain Pellet a parlé déjà hier, joue un rôle certain en matière préventive, sans

évidemment épuiser le champ des mesures de prévention.

3. Prévention veut dire, en effet, que tout Etat doit adopter «les moyens nécessaires et

appropriés» (je dirais plutôt : tous les moyens nécessaires et appropriés en sa faveur) afin de

«protéger les populations du génocid e, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes

contre l’humanité»: je suis en train d’utiliser les mots par lesquels le sommet mondial de

septembre dernier, a proclamé ce qu’on appelle la «responsabilité de protéger» 9. Une

responsabilité qui ⎯comme l’indique le document que je suis en train de citer ⎯ incombe à

chaque Etat, mais en même temps «à la communauté internationale, dans le cadre de l’Organisation

9Document final de la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement à l’Assemblée générale des Nations Unies de

septembre 2005, Nations Unies, doc. A/60/L.1, 20 septembre 2005, par. 138 et 139. - 17 -

des Nations Unies». Je tiens à rappeler que par la proclamation de la responsabilité de protéger on

a entendu donner une réponse solennelle ⎯certes bien insuffisante en soi, mais tout de même

significative ⎯ aux préoccupations exprimées avec force par le Secrétaire général dans son rapport

du millénaire , quant à la capacité de la communauté in ternationale d’empêcher que ne soient

commises à l’avenir de nouvelles violations gravissimes et massives des droits de l’homme comme

celles du Rwanda et de Srebrenica. C’est di re que le génocide contre les non-Serbes de

Bosnie-Herzégovine est l’un des événements trag iques majeurs qui continuent de pousser la

communauté internationale à la recherche de moyens davantage idoines à empêcher la répétition de

crimes gravissimes du même genre.

4. Toutes, je dis bien toutes les obligations en matière de prévention et répression du crime

de génocide établies par la convention de 1948 ont été gravement violées par le défendeur et, en ce

qui concerne la répression, continuent de l’être encore aujourd’hui: c’est à vous démontrer cela

que je vais m’attacher dans la présente plaidoirie. Par contre, je ne vais analyser ni le rôle prévu à

l’article VIII de la convention de 1948 pour l’Organisation des Nations Unies dans la prévention et

la répression du génocide, ni le rôle que les Nations Unies ont effectivement joué et continuent de

jouer par rapport au génocide perpétré en Bosnie -Herzégovine. Je me gard erai bien évidemment

aussi d’ouvrir le dossier si épineux de l’ intervention humanitaire comme moyen d’arrêter ⎯ le cas

échéant par l’emploi de la force ⎯ un génocide en cours. La raison de ce choix est évidente:

quelle que puisse être la réponse à la question de savoir si l’ONU (et plus en général la

communauté internationale) s’est ou non acquitt ée correctement en l’espèce de sa «responsabilité

de protéger» le peuple martyrisé de Bosnie-Her zégovine et comment elle devra s’y prendre à

l’avenir face à d’éventuels nouveaux génocides, la responsabilité internationale de la

Serbie-et-Monténégro reste entièrement engagée, suite à la violation des obligations prévues par la

convention de 1948, y compris celle de prévenir et punir.

5. Je ferme cette parenthèse et j’en viens aux vi olations de l’article I de la convention. Nous

en sommes, Madame le président, au dernier jour du premier tour de plaidoiries de la

Bosnie-Herzégovine; il pourrait apparaître étonna nt que le demandeur vienne vous présenter

10
Rapport du Secrétaire général sur les travaux de l’Organisation, doc. A/54/1, 1999, p. 48. - 18 -

seulement à cette heure tardive son point de vue sur un sujet si central d’après la convention.

Cependant, c’est bien sûr l’échelle de gravité des faits illicites commis par la Serbie-et-Monténégro

qui a dicté l’ordre de nos présentations, puisqu’il va de soi que la gravité pourtant évidente des

violations de l’article I se relativise considérab lement par rapport à la perpétration par la RFY du

crime de génocide lui-même. Mais il est temps ma intenant de compléter notre propos en traitant

justement de l’obligation de prévenir et punir.

2. La sphère d’application ratione loci des obligations de prévenir et punir le génocide

6. Il faut cependant, Ma dame le président, rappeler in limine l’enseignement de votre Cour,

dans l’arrêt de 1996 (sur les exceptions préliminaires) relatif à la présente affaire, quant à la sphère

d’application ratione loci des obligations prévues par la convention de 1948. En répondant à l’une

des exceptions préliminaires soulevées par le défendeur, la Cour avait commencé par relever

qu’une seule disposition de la conve ntion contient une référence territoriale : c’est l’article VI, qui

se limite à prévoir que les personnes accusées de l’ un des actes prohibés par la convention «seront

traduites devant les tribunaux compétents de l’Et at sur le territoire duquel l’acte a été commis…».

Après quoi votre Cour a souligné encore une fois avec grande force la nature particulière des droits

et obligations consacrés par la convention, en les qualifiant d’ erga omnes (les temps n’étaient pas

11
encore mûrs pour que vous lâchiez le mot «jus cogens», comme vous l’avez fait il y a un mois ); et

en prenant appui sur ces considérations la Cour a co nstaté «que l’obligation qu’a ainsi chaque Etat

12
de prévenir et réprimer le crime de génocide n’est pas limitée territorialement par la convention» .

7. Permettez-moi, Madame le président, de formuler quelques brèves considérations, basées

sur votre propre jurisprudence, concernant la si gnification et les effets du principe que vous avez

ainsi reconnu : cela est indispensable pour la suite de mon propos.

8. Le premier précédent, bien classique, auquel j’ aimerais faire appel, c’est l’avis consultatif

de 1971 sur la Présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie , dans lequel votre Cour avait

statué que :

11 Activités armées sur le territoir e du Congo (nouvelle requête:2002(République démocratique du Congo

c. Rwanda), arrêt du 3 février 2006, par. 64.
12Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie) exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616, par. 31. - 19 -

«Le fait que l’Afrique du Sud n’a plus aucun titre juridique l’habilitant à
administrer le territoire ne la libère pas d es obligations et responsabilités que le droit

international lui impose envers d’autres Et ats et qui sont liés à l’exercice de ses
pouvoirs dans ce territoire. C’est l’autorité effective sur un territoire, et non la
souveraineté ou la légitimité du titre, qui constitue le fondement de la responsabilité de
13
l’Etat en raison d’actes concernant d’autres Etats.»

9. La notion d’après laquelle tout Et at, quand il tient sous sa juridiction ⎯ que ce soit

légalement ou illégalement ⎯ un territoire qui n’est pas le sien et y exerce des fonctions étatiques,

doit respecter les règles internationales per tinentes par rapport aux fonctions exercées, est

confirmée par une riche jurisprudence relative spéci alement aux droits de l’homme. Ainsi, dans

l’avis consultatif du 9juillet2004 (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le

Territoire palestinien occupé) , votre Cour s’est préoccupée de dé terminer les instruments devant

être respectés par Israël au-delà de ses frontières, en territoire occupé justement; et a observé, au

sujet du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, que,

«si la compétence des Etats est avant tout te rritoriale, elle peut parfois s’exercer hors

du territoire national. Compte tenu de l’ objet et du but du pacte …, il apparaîtrait
naturel que, même dans cette dernière hypot hèse, les Etats parties au pacte soient
14
tenus d’en respecter les dispositions.»

10. Et la Cour, après avoir pris note de la pr atique du Comité des droits de l’homme sur la

question, tire la conclusion d’après laquelle: «l e pacte est applicable aux actes d’un Etat agissant

dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire» . Il en va de même d’après la

16 17
Cour pour le pacte international relatif a ux droits économiques, sociaux et culturels , ainsi que

pour la convention relative aux droits de l’enfant de 1989.

11. Dans un sens similaire, comme il a déjà été signalé par le professeurPellet, la riche

jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme s’est orientée. Je me limiterai à cet

égard à citer la synthèse de cette jurisprudence qu’en présente l’arrêt Banković de2001 1; pour la

13
Conséquences juridiques pour les Et ats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 54, par.118.
14
Conséquences juridiques de l’édification d’ un mur dans le Territoire palestinien occupé , avis consultatif du
9 juillet 2004, par. 109.
15
Ibid., par. 111.
16Ibid., par. 112.

17Ibid., par. 113.
18 o
Affaire Bankovi ć etautresc.Belgiqueet 16 autres Etats contractants , requête n 52207/99, décision,
12 décembre 2001, par. 71. - 20 -

Cour européenne l’effet extraterritorial de la convention européenne des droits de l’homme se

produit lorsqu’un Etat

«au travers du contrôle effectif exercé par lui sur un territoire extérieur à ses frontières
et sur ses habitants par suite d’une occu pation militaire ou en vertu du consentement,

de l’invitation ou de l’acquiescement du gou vernement local, assum[e] l’ensemble ou
certains des pouvoirs publics relevant normalement des prérogatives de celui-ci».

12. Madame le président, je ne vois pas la moindre raison empêchant de considérer qu’une

telle conclusion s’impose d’autant plus pour la conven tion sur le génocide, au vu de son objet et de

son but sur lesquels la Cour a tant insisté. L’ absence de limitations territoriales de l’obligation de

prévenir et réprimer le crime de génocide, que vous avez mise en évidence en 1996, signifie donc

qu’un Etat partie à la conventi on doit s’acquitter de cette obligati on même en dehors de sa sphère

de souveraineté territoriale, quand il exerce ⎯que ce soit légalement ou illégalement ⎯ un

contrôle effectif sur un territoire extérieur à ses frontières en y assumant des prérogatives de la

puissance publique. Le génocide contre les non-Serb es de Bosnie-Herzégovine a été perpétré alors

que sur le territoire concerné le défendeur exerçait indéniablement son autorité, d’abord légalement

au titre de sa souveraineté territoriale, puis illé galement à partir de l’indépendance de la

Bosnie-Herzégovine. Ainsi qu’on l’a vu, le degré de ce contrôle, qu’il fût exercé directement (au

moyen de son propre appareil organique de jure) ou pour certains aspects indirectement (par le

biais d’entités dépendant totalement de lui), a été pendant toutes les années du génocide

certainement suffisant pour déclencher la mise en application de l’article I de la convention

de 1948.

3. La violation par le défendeur de l’obligation de prévention

13. Madame le président, Messieurs les juges, j’en viens maintenant, après ces nécessaires

prémisses, à l’obligation de prévention. Comme l’a noté AlainPellet, la semaine dernière,

vendredi, rien n’est plus facile que démontrer l es manquements de la Serbie-et-Monténégro à cette

obligation: le fait même que le génocide a ét é perpétré, et qu’il engage la responsabilité

internationale du défendeur, prouve logiquement du même coup que celui-ci ne s’est pas acquitté

de l’obligation de le prévenir. Mais il n’y a pas que la logique pour étayer un tel constat. Je veux

dire par là que l’examen des faits permet de recueillir des preuves évidentes quant à l’absence

totale de mesures de prévention prises par des autorités compétentes, que ce soit de la RFY ou de la - 21 -

RepublikaSrpska, et ce malgré des appels pressants venant de toute part, malgré les résolutions

tant du Conseil de sécurité que de l’Assemblée générale, malgré les ordonnances de votre Cour du

8 avril et du 13 septembre 1993.

14. Certes, la législation interne requise par l’article V de la convention, en vue de la mise en

Œuvre au niveau national des règles de la convent ion, existe bien auprès du défendeur, et celle-ci

⎯il faut l’admettre ⎯ prévoit assurément in abstracto des sanctions pénales efficaces qui

permettraient de frapper les personnes coupables de génocide ou d’actes préparatoires, d’incitation,

etc. On peut dire la même chose à l’égard aussi des mesures visant à conformer le droit interne du

défendeur aux principes et règles du droit interna tional humanitaire: la Serbie-et-Monténégro fait

19
valoir cet argument dans ses écritures , et la Bosnie-Herzégovine ne le conteste nullement. Ce que

la Bosnie par contre fait valoir haut et fort est que cette législation n’a pas du tout été appliquée et

qu’aucune mesure sérieuse de prévention n’a été adoptée par les pouvoirs publics compétents.

Madame le président, le silence gardé sur ces thèmes par le défendeur est impressionnant: nos

contradicteurs n’ont pas été en mesure de cite r un seul document significatif qui démontrerait que

la chaîne de commandement se souciait du respect des principes du droit humanitaire et qu’elle

l’exigeait de ses subordonnés, que ce fût au niveau le plus élevé des autorités civiles et militaires

suprêmes, ou au niveau le plus bas des formations opérant sur le terrain.

15. L’absence de mesures sérieuses de préven tion ne pouvait qu’engendrer auprès de la

main-d’Œuvre du génocide la conscience que les crimes contre les non-Serbes de

Bosnie-Herzégovine ne seraient pas punis, ai nsi que l’ont relevé de nombreux rapports

20
internationaux et certains jugements du Tri bunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie . En

réalité, loin d’être prévenue, la perpétration des cr imes en question était au contraire préconisée et

encouragée en tant qu’instrument de purification ethnique. Parmi les indices indirects, mais fort

éloquents, de cette vérité il faut compter la prom otion au sein de l’armée yougoslave des officiers

de l’armée de la RepublikaSrpska responsab les d’opérations militaires ayant abouti à ces

19
Duplique, p. 568, par. 3.2.2.3.
20CR 2006/7, p. 41, par. 112. - 22 -

massacres, comme celui de Srebrenica en1995: les plaidoiries de la Bosnie-Herzégovine ont

fourni des renseignements bien documentés à ce sujet . 21

16. L’absence de répression, on le sait, est géné ratrice de criminalité. Des épisodes qui ont

déjà été présentés dans les plaidoiries de la Bo snie-Herzégovine le montrent bien. Ainsi, par

exemple, nous avons déjà rappelé plus d’une fois l’aveu d’ un haut responsable de la

Republika Srpska, Biljana Plasvić, déclarant devant le TPIY qu’elle avait bien eu connaissance des

traitements inhumains et cruels infligés aux non-Serb es, mais qu’elle avait refusé d’y croire et de

diligenter des enquêtes : «j’ai donc ignoré ces accusations sans même les vérifier», reconnut-elle 22.

Il va de soi qu’une telle attitude est très exact ement aux antipodes de celle que les autorités

devraient tenir pour prévenir la commission des crimes.

17. Un autre exemple fort significatif a été cité par ma collègue LauraDauban la semaine

passée 23. Il se réfère au massacre du 7mai1992 perpétré à Crkvina par des agents de la sécurité

d’Etat de la RFY qui avaient assassiné seize civils détenus. Dans le jugement Simi ć de2003 le

TPIY se déclare convaincu qu’une réunion avait eu lieu à Belgrade deux jours après, auprès du

secrétariat fédéral pour la défense du peuple, au cours de laquelle des officiers hauts gradés avaient

été informés de ce massacre; mais aucune mesure ne fut prise, ni aucune censure adressée aux

agents qui l’avaient perpétré. Désormais, donc, tous les agents savaient pertinemment qu’aucun

risque de répression ne serait encouru lors de la commission à l’avenir de crimes gravissimes du

même genre.

18. On pourrait, Madame et Messieurs les juges, dresser une longue liste d’épisodes

analogues, indicatifs de l’absence complète de mesu res de prévention. Mais je pense qu’il suffira,

pour compléter mon propos, de s’arrêter un moment sur l’épisode qui prouve mieux le climat

d’impunité totale qui régnait à tous les niveaux, concernant le génocide contre les non-Serbes de

Bosnie-Herzégovine. Il s’agit du témoignage du général Clark dans l’affaire Miloševi ć, dont a

parlé l’agent adjoint de la Bosnie-Herzé govine, Phon van den Biesen, vendredi dernier 2. Le

21CR 2006/8, p. 39.
22
Voir plus haut, note 11.
23
CR 2006/6, p. 10.
24CR 2006/8, p. 48, par. 33. - 23 -

général Clark a expliqué devant le Tribunal péna l international pour l’ex-Yougoslavie avoir eu un

colloque avec Slobodan Milošević au cours duquel il lui avait posé la question de savoir pourquoi

celui-ci avait permis au général Mladi ć de tuer tant de personnes à Srebrenica. La réponse, vous

l’avez entendue, Madame et Messieurs les juges, c’est : «Et bien, général Clark, je lui ai dit de ne

pas le faire, mais il ne m’a pas écouté.» C’est une réponse qui permet de comprendre au moins

trois choses: primo, au minimum le président de la Serbie savait d’avance ce qui allait arriver à

Srebrenica; secundo, il n’a pris aucune disposition pour empêcher le général Mladi ć de perpétrer

l’un des plus terribles massacres de l’après deuxième guerre mondiale, sauf ⎯ si l’on y croit ⎯ à

donner un vague conseil; tertio, une fois le massacre accompli, ni le président Miloševi ć ni aucune

autre autorité n’adopta quelque mesure que ce so it pour censurer la conduite du général Mladi ć ou

pour le punir. Au contraire, la carrière du général Mladi ć n’eut aucunement à souffrir à cause des

événements de Srebrenica.

4. Les violations par le défendeur de l’obligation de punir

19. L’article VI de la convention prescrit que les personnes accusées de génocide ou d’actes

«ancillaires» doivent être traduites «devant les tr ibunaux compétents de l’Etat sur le territoire

duquel l’acte a été commis ou devant la cour crim inelle internationale qui sera compétente à

l’égard de celles des parties cont ractantes qui en auront reconnu la juridiction». Il est donc

question, d’après la convention de1948, d’un doub le niveau répressif: national et international.

Concernant ce dernier, il est clair que la créa tion en1993 du Tribunal pénal international pour

l’ex-Yougoslavie a réalisé, c oncernant l’espace territorial correspondant au territoire de

l’ex-Yougoslavie, ce qui n’était en 1948 qu’une simp le hypothèse, voire plutôt un vŒu. Il s’ensuit

que la répression du génocide par le biais du TPIY doit être considérée comme pleinement en

harmonie avec l’article VI de la convention.

20. Une précision s’impose toutefois à ce sujet. L’existence de ce Tribunal, et le fait qu’il

est compétent pour la répression du génocide n’exem pte nullement les Etats issus de la dislocation

de l’ex-Yougoslavie de l’obligation prévue par la convention de1948 de punir au travers de leur

appareil judiciaire interne les personnes ayant commis le génocide ou les autres actes interdits à

l’article III. Autrement dit, le TPIY ne saurait jouer pour la Serbie-et-Monténégro le rôle d’alibi ou - 24 -

de circonstance justificative de ses manquements à l’obligation de répression telle que prévue par la

convention de 1948.

21. Et pourtant, Madame le président, Messieurs les juges, c’est avec une grande tristesse

qu’on est bien obligé de constater qu’au cune poursuite n’a jamais été lancée en

Serbie-et-Monténégro envers des personnes r esponsables du crime de génocide ou de crimes

ancillaires contre les non-Serbes de Bosnie-Herzégovine 25. Et pourtant ce génocide a bel et bien eu

lieu, ce n’est certes pas une invention de la Bo snie-Herzégovine! Le TPIY l’a d’ailleurs déjà

constaté à plusieurs reprises, tout au moins pour ce qui est des événements de Srebrenica de 1995.

L’absence de poursuites pour génocide est donc en elle-même la preuve d’une violation grave de la

convention de 1948 de la part du défendeur.

22. Quant à l’argument que le défendeur croit pouvoir tirer du texte de l’articleVI, suivant

lequel l’obligation de poursuivre les auteurs du gé nocide incombe exclusivement à l’Etat sur le

territoire duquel le génocide a été commis, donc à la Bosnie-Herzégovine et non pas à la

Serbie-et-Monténégro, il n’a aucun mérite, et ce pour au moins deux raisons.

23. En premier lieu, comme je l’ai signalé tout à l’heure, le territoire sur lequel le génocide a

été perpétré était à l’époque critique sous le contrôle effectif de la RFY. Aux fins de la répression,

par conséquent, ce territoire doit être assimilé à celui du défendeur, ce qui met en branle

l’obligation de la Serbie-et-Monténégro de traduire devant ses propres juges les personnes accusées

de génocide commis en Bosnie-Herzégovine.

24. En deuxième lieu, des actes «ancillaires », comme l’entente en vue de commettre le

génocide, l’incitation ou la complicité, ont sans doute été commis sur le territoire du défendeur

stricto sensu. D’où l’obligation pour celui-ci de procéder à la répression de leurs auteurs.

25. Madame le président, indéniablement le défendeur ne respecte absolument pas son

obligation de répression, telle que consacrée dans la convention de 1948. Ni d’ailleurs ⎯ il faut le

dire ⎯ il ne respecte suffisamment l’obligation de réprimer les autres «core crimes», à savoir les

crimes de guerre et les crimes contre l’human ité commis par ses agents en Bosnie-Herzégovine

entre 1991 et 1995, ainsi que l’ont remarqué d’innombrables fois, par exemple, le Comité des droits

25Sur les poursuites relatives aux crimes internationaux en Serbie-et-Monténégro depuis 1995, voir

OSCE ⎯ Mission to Serbia and Montenegro, War Crimes before Domestic Courts, Belgrade, 2003, p. 10-14. - 25 -

de l’homme, l’OSCE, le président et le procureur du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie, etc. Il est

vrai cependant que la question de la répression de ces autres crimes internationaux, à savoir les

crimes de guerre et les crimes contre l’humanité , ne relève pas de la compétence de votre Cour

dans le cas présent, du fait même de ne pas se rapp orter à la convention de1948. Il vaut tout de

même la peine, cependant, de citer au moins l’év aluation faite en 2004 par le Comité des droits de

l’homme, concernant la Serbie-et-Monténégro, pa rce qu’en fait cette évaluation couvre toutes les

violations graves des droits de l’homme, y comp ris donc le génocide. Le Comité s’est ainsi

exprimé :

«Le Comité est préoccupé par la persis tance de l’impunité pour les violations

graves des droits de l’homme, aussi avant qu’après les changements d’octobre2000.
S’il salue l’intention déclarée de l’Etat pa rtie de procéder à des enquêtes sur les
violations antérieures des droits de l’homme et d’en poursuivre les auteurs, le Comité

déplore toutefois que les enquêtes sérieuses débouchant sur des poursuites et des 26
condamnations à la mesure de la gravité des crimes commis soient trop rares.»

26. Quant à l’autre manière de s’acquitter de l’obligation de répression du génocide, à savoir

la pleine collaboration avec le TPIY, il n’y a, Ma dame le président, qu’à lire les rapports que

présentent chaque année au Conseil de sécurité le président et le procureur du TPIY pour constater

combien cette collaboration, après avoir été quasiment non existante jusqu’au tournant du

millénaire, est finalement restée réticente, d ilatoire, incomplète, notamment en matière de

génocide, et ce malgré des améliorations appréciables que traduit la loi fédérale du 11 avril 2002 du

défendeur relative à la collaboration avec le TPIY. Une confirmation toute récente de cette attitude

vient des conclusions du Conseil de l’Uni on européenne qui, dans sa session des 27 et

28février2006 dédiée aux Balkans occidentaux, «a pris note avec préoccupation des récentes

déclarations de Mme Carla del Ponte, procureur en chef du TPIY, selon lesquelles la

Serbie-et-Monténégro ne coopère pas de manière satisfaisante avec le Tribunal» 27. Certes,

Slobodan Milošević est actuellement sous procès: ce fut un acte courageux de le mettre entre les

mains de la justice pénale internationale. Mais ce que je me permets d’appeler le «scandale

Mladić» dure malheureusement toujours, comme dure toujours d’ailleurs le «scandale Karadži ć» :

26
Observations finales du Comité des droits de l’homme, Serbie-et-Monténégro, NatioUnies,
doc. CCPR/CO/81/SEMO (2004).
27Conseil de l’Union européenne, conclusion du conseil sur les Balkans occidentaux, deux mille sept cent
douzième session du conseil relations extérieures ⎯ Bruxelles, 27 et 28 février 2006. - 26 -

ces deux personnes jouissent, en effet, de la protec tion du leadership de la Republika Srpska, qui

refuse de déférer aux justes requêtes de la co mmunauté internationale ainsi que du Gouvernement

de la Bosnie-Herzégovine, mais jouissent également de la protection du défendeur. Concernant le

général Mladić, le Conseil suprême de la défense de la Serbie-et-Monténégro a tout récemment

encore, le 1 efévrier dernier, publié les résultats d’une enquête ayant établi que jusqu’en

janvier 2002 Ratko Mladić avait pu résider dans des établisseme nts militaires en Serbie, et qu’il

continuait à jouir de la protection de certains milieux militaires de la Serbie-et-Monténégro.

27. Madame le président, Messieurs les juges, je crois vous avoir démontré que le défendeur

a, d’une part, violé gravement son obligation de prévention prévue par la convention de1948 et,

d’autre part, a violé gravement et continue de violer l’obligation de répression que lui impose la

même convention.

28. Madame le président, Messieurs les juges, j’ai terminé la plaidoirie. Je vous prie,

Madame le président, de bien vouloir donner main tenant la parole si vous le voulez bien au

professeur Pellet.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Condorelli. I now call Professor Pellet.

M. PELLET : Madame le président, Messieurs les juges,

L ES CONSEQUENCES DE LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE

DU DEFENDEUR

1. A l’occasion de l’ouverture des audiences, le 27 février, le vice-premier ministre de la

Serbie-et-Monténégro a déclaré: «This is not ab out the truth, this is about $100billion of war

28
reparations. I think that this is all playing with fire» . M.Labus, avec tout le respect que je lui

dois, a doublement tort. L’affaire qui vous est soum ise est d’abord et avant tout une question de

vérité ⎯ celle qui est due aux victimes du génocide pe rpétré contre les populations non serbes de

Bosnie-Herzégovine et, en particulier, mais pas exclusivement, contre les Musulmans qui avaient le

malheur de vivre, souvent depuis des générations, dans les zones que les dirigeants serbes avaient

décidé de «nettoyer» et de rendre ethniquement pures; une vérité incontestable, judiciairement dite,

28
Herald Tribune, 28 février 2006, p. 3. - 27 -

qui est due aux survivants dont les parents, les enfants, les sŒurs ou les frères ont disparu, aux

torturés, aux femmes violées, aux hommes victim es de sévices sexuels, aux centaines de milliers

⎯ aux millions ⎯ d’exilés forcés, traumatisés par la brutalité de leur expulsion, de la confiscation

de leurs biens, et qui n’osent pas revenir dans leurs foyers malgré les accords de Dayton-Paris et les

29
exigences de la communauté internationale .

2. M.Labus a tort aussi parce que, ce que demande la Bosnie-Herzégovine, ce ne sont pas

des réparations de guerre, mais la réparation des dommages causés aux victimes du génocide et au

demandeur, dans la stricte mesure où le lien entre la violation ⎯ ou les violations ⎯ de la

convention et ces préjudices pourra être établi. Ces dommages n’ont pas été chiffrés et nous

sommes, de ce côté de la barre en tout cas, dans l’incapacité de les évaluer et n’avons jamais tenté

de le faire. C’est pourquoi, Madame le préside nt, la Bosnie-Herzégovine a constamment prié la

30
Cour de bien vouloir, conformément à sa pratique habituelle , déterminer le montant des

indemnités dues à ce titre lors d’une phase ultérieure de la procédure 31.

3. Au demeurant, la Bosnie-Herzégovine ne re viendra devant la Cour à cette fin que si ceci

s’avère nécessaire. Et ce ne le sera pas forcément. Comme son agent ne manquera pas de le dire

avec plus d’autorité que moi lorsqu’il conclura notre second tour de plaidoiries, en avril, la Partie

bosniaque, qui n’est animée par aucun esprit de re vanche ou de lucre, se propose, une fois les

principes juridiques acquis, d’entamer avec son voisin serbo-monténégrin, des négociations

constructives pour déterminer les suites (y compris financières) à donner à l’arrêt que vous rendrez.

Ce n’est que si ces négociations échouent dans un dé lai raisonnable, qui pourrait être fixé à un an,

29
Cf. S/RES/1016 (1995), 21 septembre 1995, par. 7; S/RES/1031 (1995), 15 décembre 1995, par.8;
S/RES/1034 (1995), 21 décembre 1995, par. 4-5; S/RES/ 1088 (1996), 12 décembre 1996, par. 11; S/RES/1174 (1998),
15juin1998, préambule; S/RES/1247 (1999), 12 juin 1999, id.; S/RES/1423 (2002), 12 juillet 2002, id.; S/RES/1491
(2003), 11 juillet 2003, id.; S/RES/1575 (2004), 22 novembre 2004, id.; S/RES/1639 (2005), 21 novembre 2005, id.; voir
aussi A/RES/57/10, 16 décembre 2002; A/RES/55/24, 15 janvier 2001; A/RES/53/35, 30 novembre 1998; A/RES/50/193,
11 mars 1996.
30
Voir par exemple, Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt , C.I.J. Recueil 1949, p.26;
Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt , C.I.J. Recueil 1974,
p. 204; Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats -Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 46; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et cont re celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p.142-143 et 149, et Activités armées sur le te rritoire du Congo (République
démocratique du Congo c.Ouganda), arrêt , par. 260-261 et 344. Voir aussi Projet Gab číkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie), C.I.J. Recueil 1997, p. 81, par. 151.

31Voir mémoire, p. 294, par. 7; réplique, p. 972, par. 2.7. - 28 -

que la Bosnie-Herzégovine se tournerait vers vous pour vous prier d’ arrêter le montant d’une juste

indemnité, conformément aux principes du droit international.

4. Ceci ne pourra être fait qu’à deux conditio ns. En premier lieu, ces futures négociations

n’ont de chances sérieuses d’aboutir que si les deux Parties les abordent dans un esprit ouvert et de

32
bonne foi . Et sans vouloir ressasser des querelles que l’ on espère dépassées, il faut bien dire que

l’attitude constamment dilatoire de la Partie serbo- monténégrine dans l’affaire soumise à la Cour

33
constitue un fâcheux précédent . Je pense en particulier, Madame le président, aux promesses non

tenues faites dans la lettre du ministre des affaires étrangères de Serbie-et-Monténégro au président

de la Cour le 18janvier2001 laissant espérer «t he way for finding an amicable solution to all

outstanding controversies» after «a careful re view of Yugoslavia’s position in our cases pending

before the International Court of Justice». Co mme vous le savez, rien, rigoureusement rien, ne

s’est produit qui puisse conduire la Croatie ou la Bo snie-Herzégovine à renoncer à leurs requêtes.

Mais on peut espérer qu’il en ira différemment à l’avenir ⎯les plaidoiries de la Partie

serbo-monténégrine à partir de mercredi donne ront peut-être des signaux d’espoir en ce sens… ⎯

et l’intervention de votre arrêt, Madame et Messieurs les juges, peut grandement y contribuer.

5. La seconde condition, Madame le président , c’est, je l’ai déjà dit, que votre arrêt

détermine clairement et le principe de la r esponsabilité du défendeur, et les conséquences qu’il

convient d’en tirer sur le plan juridique afin que les négociations entre les Parties sur son exécution

puissent se faire sur des bases solides et indiscutables . C’est pour cela qu’il nous a paru utile de

revenir sur les conséquences de la responsabilité de la Serbie-et- Monténégro que vous déclarerez

dans votre arrêt. Je le ferai relativement br ièvement car la Bosnie-Herzégovine a présenté ces

34
conséquences de manière assez précise dans ses écritures et le défendeur n’a pas estimé utile d’y

répondre ⎯ sans doute d’ailleurs parce qu’il ne les conteste pas dans leur principe puisque, mutatis

mutandis, les conclusions (Submissions) qu’il avait lui-même soumises à la Cour au titre de ses

32
Cf. Activités armées sur le territoire du Cong(République démocratique du Congo c.Ouganda) , arrêt du
19 décembre 2005, par. 261.
33
Voir le récapitulatif de la procédure in CR 2006/2 (27 février 2006), p. 22-26, par. 17-30.
34Voir mémoire, p. 294, Conclusions, par. 5-7; réplique, quatrième partie, p. 867-889. - 29 -

demandes reconventionnelles, auxquelles il a maintenant renoncé, étaient très similaires, dans leur

principe, aux conclusions de la Bosnie-Herzégovine . 35

6. Toutefois trois remarques générales sont de mise :

1. le génocide, défini comme un «crime» par la convention de 1948, constitue une violation grave

d’une obligation découlant d’une norme impérativ e du droit international général, ce qui peut

avoir une incidence sur les conséquences de sa perpétration;

2. et ceci pose sans doute, concrètement, des ques tions plus difficiles, les violations de la

convention attribuables au défendeur, dont nous avons essayé de présenter un tableau, aussi

complet et documenté que possible, sont diverses et ont, pour certaines, des conséquences

particulières; enfin,

3. je souhaite insister sur une violation «inciden te», si je puis dire, dont la Bosnie-Herzégovine

demande également à la Cour de tirer des con séquences: le non-respect par le défendeur des

mesures conservatoires ordonnées à deux reprises en 1993.

7. Je le ferai pour terminer. Auparavant, je re viendrai sur la question de la réparation due à

la Bosnie-Herzégovine et sur les autres conséquenc es de l’arrêt que vous a llez rendre, Madame et

Messieurs les juges.

I. La réparation due à la Bosnie-Herzégovine

8. Il n’est sans doute pas nécessaire, Madame le président, de s’attarder sur les principes

généraux applicables ⎯d’autant moins, je le répète, que le défendeur ne les a pas récusés alors

qu’ils sont exposés en assez grands détails dans les écritures de la Bosnie-Herzégovine. Au

surplus, ils sont bien connus et guère contestés. Il suffit donc de rappeler que :

1. le principe fondamental, énoncé par la CPJI dans l’affaire de l’ Usine de Chorzów, «est que la

réparation doit, autant que possible, effacer tout es les conséquences de l’acte illicite et rétablir

l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis» 36; ce principe

fondamental est repris à l’article31 des articl es de la Commission du droit international de

2001;

35
Voir contre-mémoire, p. 1085, par. 4-6; duplique, p. 665, par. 4-6.
36Usine de Chorzów, fond, arrêt n 13, 1928, C.P.I.J. série A n 17, p. 47 - 30 -

2. conformément aux dispositions de l’article 34 du même texte, «[l]a réparation intégrale du

préjudice causé par le fait internationaleme nt illicite prend la forme de restitution,

d’indemnisation et de satisfaction…»;

3. étant donné que la restitution cons iste «dans le rétablissement de la situation qui existait avant

37
que le fait illicite ne soit commis» , c’est une citation de la CD I, elle constitue un mode de

réparation prioritaire car elle est, par définitio n, la plus apte à assurer effectivement la

réparation intégrale du préjudice subi 38;

4. toutefois, dans la mesure où la restitutio in integrum s’avère matériellement impossible ou

«hors de toute proportion avec l’avantage qui résulterait de la restitution plutôt que de

39
l’indemnisation» , la réparation peut prendre la forme d’une indemnisation qui se traduit par le

«paiement d’une somme correspondant à la valeur qu’aurait la restitution en nature» 40;

5. et enfin, «[l]’Etat responsable du fait intern ationalement illicite est tenu de donner satisfaction

pour le préjudice causé par ce fait dans la mesure où il ne peut pas être réparé par la restitution

ou l’indemnisation» 41.

1. La restitutio in integrum

9. En principe, comme la CDI y insiste dans ses commentaires de ses articles sur la

responsabilité de l’Etat, «[e]n tant que première forme de réparation, la restitution revêt une

importance particulière lorsque l’obligation violée…découle d’une norme impérative du droit

international général» . Et le génocide, aussi bien que les autres actes énumérés à l’article III de la

convention de 1948, relèvent, sans aucun doute de cette catégorie.

37
Article 35 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite.
38
Cf. le paragraphe 3) du commentaire de l’article 35 des articles précités de lerCDI, rapport de la Commission
du droit international sur les travaux de sa cinquante-troisième session, 23 avril-1 juin et 2 juillet-10 août2001,
(A/56/10), p.257 (et James Crawford, Les articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de
l’Etat, Pedone, Paris, 2003, p. 255-256).
39
Articles de la Commission du droit international, art. 35 b).
40 o o
Usine de Chorzów, fond, arrêt n 13, 1928, C.P.I.J. série A n 17, p. 47.
41
Articles de la Commission du droit international, art. 38, par. 1.
42Commentaire de l’article 35 des articles de la Commiss ion du droit international, paragraphe 6), (Rapport de la
er
CDI sur les travaux de sa cinqua nte-troisième session, 23 avril-1 juin et 2 juillet-10 août 2001, (A/56/10), p.260 et
J. Crawford, op. cit., p. 258), voir aussi le paragraphe 3) du commentaire, ibid., p. 257 et J. Crawford, op. cit., p. 256). - 31 -

10. Toutefois, en l’espèce, le recours à ce mode de réparation se heurte à des objections qui

semblent insurmontables :

⎯ en premier lieu, les dommages corporels et les traumatismes psychologiques causés aux

victimes ne sont pas, sauf, peut-être, rarissim es exceptions pour les premiers, susceptibles de

restitutio in integrum : on ne ressuscite pas les morts, on ne rend par leurs membres aux

amputés, leur fierté aux femmes et aux hommes violés; on n’efface pas la douleur et la

souffrance humaines par des décrets juridiques;

⎯ en second lieu, pour ce qui est des dommages caus és aux biens, certains, sans doute pourraient

être restitués : les biens mobiliers volés par les militaires et paramilitaires serbes, par exemple;

mais la preuve de leur détention par ceux-ci est quasiment impossible; quant à la remise en état

des biens immobiliers, religieux et culturels, publics et privés, systématiquement endommagés

dans le cadre de la politique de terreur conçue par les autorités de la RFY et mise en Œuvre par

leurs organes ou sous leur contrôle, deux éléments s’opposent à leur restitution : d’une part, les

faits remontent maintenant à plus d’une dizaine d’années et, fort heureusement, la remise en

état de ces biens a été largement effect uée sous les auspices du Gouvernement de

Bosnie-Herzégovine; d’autre part, ces biens se trouvent en territoire bosniaque et le demandeur

ne souhaite pas qu’il soit porté atteinte à sa souveraineté territoriale, quand bien même ce serait

en exécution d’un arrêt de la Cour internationale de Justice.

43
11. Dès lors, par nécessité ⎯ essentiellement ⎯ et par choix ⎯ très marginalement, la

Bosnie-Herzégovine ne vous demande pas, Madame et Messieurs de la Cour, de décider que la

Serbie-et-Monténégro est tenue à une obligation de restitutio in integrum.

12. Faute de restitution, c’est donc vers l’indemnisation qu’il faut se tourner.

2. L’indemnisation

13. Je l’ai dit tout à l’heure, la Bosnie-Herzé govine ne demande pas à la Cour d’en fixer le

montant. Ni votre haute juridiction, Madame et Messieurs les juges, ni nous-mêmes, ne disposons

du reste des éléments nécessaires à cette fin, pas même pour avancer un quelconque ordre de

43Voir l’article 43 b) des articles de la C.D.I. et le commentaire de cette disposition (par. 6)) (Rapport de la C.D.I.
sur les travaux de sa cinquant e-troisième session, 23 avril-1n et 2 juillet-10 août 2001, (A/56/10), p.326-327et
J. Crawford, op. cit., p.315); voir aussi le paragrap11) du commentaire de l’article 35 (ibid., p.261-262 et J.
Crawford, ibid., p. 260). - 32 -

grandeur. Et la Bosnie-Herzégovine a la c onviction que cette opération se prête mieux à une

négociation diplomatique de bonne foi qu’à un débat judiciaire ne fût-ce que parce que ceci est sans

doute davantage une affaire d’experts que de juristes ⎯mais ceci à condition (mais ce sont des

conditions importantes), je l’ai di t aussi, que cette négociation ne tr aîne pas en longueur et qu’elle

puisse prendre appui sur un arrêt qui fixe clairement les principes juridiques applicables.

14. Il nous semble que ceux-ci devraient consister, d’une part, en l’énumération des

préjudices indemnisables et, d’autre part, dans l’in dication des principes applicables au calcul de

l’indemnité. Pour sa part, la Bosnie-Herzégovine considère qu’à ces deux fins, les règles figurant

dans les dispositions pertinentes des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait

internationalement illicite, bien qu ’ils n’aient pas fait l’objet d’ une convention en bonne et due

forme, reflètent les règles généralement applicab les en la matière et constituent certainement un

point de départ incontournable.

15. En ce qui concerne les préjudices indemnisables, ce sont aussi bien les dommages

matériels que les préjudices moraux subis par les ressortissants de Bosnie-Herzégovine victimes du

génocide 44qui, les uns comme les autres, sont «su sceptibles d’évaluation financière, y compris

45
[pour les premiers] le manque à gagner da ns la mesure où celui-ci est établi» et les dommages

matériels causés par les actes de génocide aux colle ctivités territoriales et autres entités publiques,

ainsi qu’à l’Etat lui-même de Bosnie-Herzégovine. Sans que la liste soit exhaustive, il s’agit

notamment :

⎯ des dommages causés aux personnes physiques par les actes énumérés à l’articleII de la

convention, y compris le pretium doloris des survivants et des ayants droit de ceux qui ont été

assassinés;

⎯ il s’agit aussi des pertes matérielles subies pa r les personnes physiques ou morales, publiques

ou privées, du fait des actes génocidaires dont elles ont été victimes (destruction ou

confiscation de leurs biens dans le cadre de la politique de terreur qui constitue une composante

essentielle du génocide dont la Serbie-et-Monténégro est responsable, destruction systématique

des édifices publics, culturels ou religieux appartenant aux groupes visés par la politique

44
Cf. articles de la CDI, art. 31, par. 2.
45Articles de la CDI, art. 36, par. 2. - 33 -

génocidaire du défendeur, en particulier des mos quées et des églises catholiques, etc.); et il

s’agit aussi

⎯ il s’agit aussi des préjudices collectifs subis par suite du génocide (coût induit par l’afflux des

réfugiés musulmans et croates fuyant les zones «ethniquement épurées» et par leur accueil,

frais encourus par le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine pour les accueillir et tenter

d’atténuer leurs souffrances, y compris les pensions qui leur sont dues, ainsi que les dépenses

engagées pour essayer de s’opposer à la politique d’épuration ethnique menée par le défendeur

sur son territoire).

16. Pour ce qui est des principes applicables à l’indemnisation dans la présente affaire, il n’y

a pas lieu de s’y attarder (mais la Bosnie-Her zégovine vous demande de bien vouloir les rappeler

formellement dans votre arrêt, Madame et Messi eurs les juges, afin que les Parties puissent se

fonder sur eux dans leurs négociations futures ou, si celles-ci échouaient, dans la phase de la

présente affaire qui sera consacrée à l’évaluation du préjudice). Ces principes sont connus et ne

devraient, à vrai dire, pas présenter de particularités marquées dans la présente affaire. Certes, la

violation grave d’une norme de jus cogens est en cause, mais, après de longs débats 46, la CDI a

renoncé à considérer qu’il pouvait en résulter l’ exigence de dommages-intérêts punitifs et les

articles40 et41 consacrées à ce type de violations ne le prévoient pas 47. La Bosnie-Herzégovine

vous demande en conséquence, Ma dame et Messieurs les juges, de bien vouloir indiquer les

principes de base classiques qui sont applicables afin de guider les Parties dans la mise en Œuvre de

votre arrêt. Il pourrait, à vrai dire, ne s’agir que de principes très généraux, du moment qu’ils

permettent à la Bosnie-Herzégovine et à la Serbie -et-Monténégro de négocier sur des bases saines,

conformes aux règles de base du droit de la responsabilité. Dans cet esprit, il serait essentiel que la

Cour précise que l’indemnité due par le défe ndeur doit compenser intégralement tous les

dommages susceptibles d’évaluation financière causés par le génocide perpétré contre les

populations non serbes, en particulier les Musulman s, de Bosnie-Herzégovine. J’ajoute que, si les

46 Annuaire de la Commission du droit international , 2000, vol. 1, 265séance-2653 séance, 2-8août2000,
p. 323-340 et 344-363; 2661 séance, 16 août 2000, p. 409-410, par. 55-76.
47
Voir le paragraphe 4 du commentaire de l’article 4 des articles de la CDI, rapport de la CDI sur les travaux de
sa cinquante-troisième session, 23 avril-1 juin et 2 juillet-10 août 2001, doc. A/56/10, p. 89; J. Crawford, op. cit., p. 262.
Voir aussi l’introduction de J. Crawford dans le même ouvrage, p. 23 et 43. - 34 -

Parties parviennent à un accord, la Bosnie-Herzé govine ne s’opposerait pas à un échelonnement

des paiements (qui devrait être raisonnable en fonction de la somme finalement arrêtée), à

condition que ceux-ci fassent l’objet d’une garantie.

17. Reste cependant un problème accessoire ma is que je souhaite aborder, Madame le

président, même si nous le considérons comme marg inal et s’il ne relève, comme Luigi Condorelli

et moi y avons insisté hier, que de nos conclusions tout à fait subsidiaires : celui de savoir comment

l’indemnité doit être calculée si, comme nous ne le souhaitons ni ne le croyons, vous estimiez que

le défendeur n’est pas l’auteur principal, mais le complice du génocide. Comme cette éventualité

nous paraît improbable, je m’en tiendrai à de brèves considérations en forme presque

«télégraphique» :

1. il est certainement exact qu’en principe un Etat n’est responsable en droit international que de

son propre fait;

2. la règle n’est cependant pas absolue et, par exemple, dans l’affaire du Détroit de Corfou , le

Royaume-Uni a obtenu que l’Albanie soit condamnée à lui payer le montant intégral de

l’indemnité qui lui était due alors même que ce lle-ci n’était pas à l’origine du préjudice auquel

elle n’avait contribué que par sa négligence 48;

3. en outre, en la présente espèce, il convient certainement de tenir compte de la nature impérative

de la source de l’obligation violée; les mêmes raisons fondamentales qui militent à l’encontre

49
de la prise en considération de toute circonstance excluant l’illicéité conduisent à considérer

qu’un Etat ne saurait s’abriter derrière le fait qu’il n’a été «que» le complice d’un génocide

commis par des entités non étatiques pour s’exonérer d’une part de responsabilité; du reste,

4. comme l’écrit l’auteur d’un ouvrage bien connu consacré au droit international de la

responsabilité :

«many strong cases of «aid and assistance» w ill be primarily classifiable as instances

of joint responsibility and it is only in the more marginal cases that a separate category
of delict is called for… [T]he supply of combat units, vehicles, equipment, and
personnel for assisting an aggressor, would constitute a joint responsibility.» 50

48
Voir Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 17-18 et 22-23 et Détroit
de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fixation du montant des réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 250.
49
Voir CR 2006/8, p. 21-22, par. 31-35; voir aussi CR 2006/10, par. 55.
50Ian Brownlie, System of the Law of Nations ⎯ State Responsibility, première partie, OUP, 1983, p. 191. - 35 -

Il doit certainement en aller de même en matière de génocide.

3. Lasatisfaction

18. Vous aurez peut-être remarqué, Madame le président, que, lorsque j’ai énuméré les

dommages susceptibles de réparation par la voie de l’indemnisation, je me suis abstenu de

mentionner deux catégories de préjudices :

⎯ d’une part, ceux, moraux, causés à l’Etat demandeur; et

⎯ d’autre part, ceux résultant de deux chefs distin cts de responsabilité : l’incitation à commettre

le génocide et l’entente en vue de le commettr e, sans parler des conséquences des violations

des obligations de prévenir et de punir le génocide.

19. C’est que, ni les uns, ni les autres, ne se pr êtent, à vrai dire, à une évaluation financière.

Aussi bien, n’est-ce pas sous la forme d’une indemnité que la Bosn ie-Herzégovine demande

réparation au titre de ces différents manquements à la convention de 1948 attribuable au défendeur.

Comme je l’ai indiqué au début de ma présentation, elle n’est pas, contrairement aux intentions qui

lui sont prêtées par certains en Serbie-et-Montén égro, inspirée par un quelconque «appât du gain».

Du reste, dans cet esprit, aussi grave que soit l’atteinte aux droits qu’elle tient de la convention

de 1948, elle renonce à vous demander de lui accord er «des dommages-intérêts correspondant à la

gravité de l’atteinte» comme elle l’avait suggéré dans sa réplique 51. Il y a d’ailleurs à cela une

raison juridique : lorsque la réplique a été rédigée, au début de 1998, la CDI avait tout juste entamé

la deuxième lecture de son projet d’articles sur la responsabilité et le premier, adopté en1996,

envisageait que l’Etat lésé puisse obtenir «en cas d’atteinte grave aux droits de l’Etat lésé, des

52
dommages-intérêts correspondant à la gravité de l’atteinte» . Or, dans les articles qu’elle a

adoptés en seconde lecture en 2001, la CDI ne mentionne ⎯ délibérément 53 ⎯ plus cette forme de

satisfaction et paraît même l’exclure en consid érant qu’il s’agirait, en quelque sorte, de

51 P. 874-875, par. 11-12.
52
Annuaire de la Commission du droit international, 1993, art. 45, par. 2, al. c), du projet, p. 79.
53
e Voir sur ce point les débats de la Coemission, Annuaire de la Commission du droit international, 2000, vol. 1,
2635 séance, 9 juin 2000, p.194, par. 14; 2638 séance, 12 juillet 2000, p.217-225. Voir aussi le paragraere 8 du
commentaire de l’article 37, rapport de la CDI sur les travaux de sa cinquante-tr oisième session, 23 avril-juin et
2 juillet-10 août 2001, doc. A/56/10, p. 289. - 36 -

dommages-intérêts punitifs, dont j’ai dit tout à l’he ure qu’ils n’avaient pas droit de cité dans le

droit international contemporain.

20. Mais ceci, bien entendu, ne signifie pas que la Serbie-et-Monténégro n’est pas tenue de

donner satisfaction à la Bosnie-Herzégovine sous d’autres formes. Etant donné le contexte

judiciaire de la présente affaire, la modalité la pl us naturelle de satisfacti on, celle à laquelle on

54
songe immédiatement, la plus usuelle aussi dans de telles circonstances , est évidemment une

déclaration formelle par la Cour de céans selon laquelle la Serbie-et-Monténégro a violé les

obligations lui incombant au titre des articles I à V ⎯ inclusivement ⎯ de la convention. C’est

aussi ce que vous demandait la Bo snie-Herzégovine dans sa réplique 55et c’est ce qu’elle persiste à

vous prier de décider à ce titre ⎯avec, cependant, une petite nuance. Dans ses conclusions, la

Bosnie-Herzégovine précisait qu’e lle vous demandait de dire et juger que le défendeur non

seulement avait violé, mais aussi continuait de violer, ces dispositions. Comme nous l’avons

plusieurs fois répété durant ces plaidoiries, cette dernière demande ne corre spond plus à la réalité

d’aujourd’hui ⎯ sauf, mais c’est un point important, en ce qui concerne l’obligation de punir dont

nous avons le regret de constater, Luigi Condorelli vient de vous en entretenir, qu’elle est toujours

largement ignorée par le défendeur.

21. Dans sa réplique, la Bosnie-Herzégovine vous demandait aussi, Madame et Messieurs les

juges, sous la rubrique «satisfaction», de décider que le défendeur devait sanctionner effectivement

les personnes responsables de génocide et des autres actes énumérés à l’article III de la convention,

y compris aux plus hauts échelons, et de coopérer à cette fin avec le Tri bunal pénal international

pour l’ex-Yougoslavie. Cela aussi, elle vous le demande toujours mais, même si ce n’est peut-être

qu’un scrupule de professeur sans grande porté e pratique (quoique, pour les juristes, les

classifications rigoureuses soient toujours utiles), il me semble que ces demandes relèvent

davantage des autres conséquences de la respon sabilité de la Serbie-et-Monténégro. Je me

demande, Madame le président, si ceci ne serait pas un bon moment pour la pause.

54Voir le paragraphe 6 du commentaire de l’article 37 des articles de la CDI, rapport de la CDI sur les travaux de
er
sa cinquante-troisième session, 23 avril-1in et 2 juillet-10 août 2001, doc . A/56/10, p. 287-288; J. Crawford, op. cit.,
p. 280-281.
55P. 874, par. 9; Conclusions, p. 972, par. 7.1-7.4. - 37 -

The PRESIDENT: Yes, I think it might be, Professor Pellet. The Court will rise for

10 minutes.

The Court adjourned from 11.15 to 11.25 a.m.

The PRESIDENT: Please be seated.

M.PELLET: Madame le président, avant la pa use j’indiquais qu’après avoir parlé de la

réparation au sens strict, j’en arrivais aux autres conséquences de la responsabilité de la

Serbie-et-Monténégro.

II. Autres conséquences de la responsabilité de la Serbie-et-Monténégro

22. Même si, trop souvent, on l’y réduit, la responsabilité ⎯c’est-à-dire l’ensemble des

conséquences découlant d’un fait internationalement illicite 56 ⎯ ne se traduit pas seulement par

l’obligation de réparer. Aussi bien les artic les de la CDI sur la responsabilité, avant même

d’évoquer la réparation, posent-ils, en deux brefs articles, trois autres principes aux termes desquels

l’Etat responsable d’un fait internationalement illicite est tenu :

57
⎯ d’exécuter l’obligation violée ;

⎯ de mettre fin au fait internationalement illicite si celui-ci continue 58; et

⎯ «d’offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées si les circonstances

l’exigent» 59 (bien qu’en ce qui me concerne, je sois assez tenté de ne voir dans ces dernières

qu’une forme de satisfaction).

1. La cessation de la violation de l’obligation de punir

23. Comme je l’ai dit il y a quelques instants, Madame le président, la Serbie-et-Monténégro

a, aujourd’hui, cessé de violer la convention de 194 8, et il ne paraît pas nécessaire de s’appesantir

sur l’obligation de mettre fin aux violations qui en traînent sa responsabilité dans la présente affaire

56
Voir Roberto Ago, reoisième rappor t sur la responsabilité des EtatsAnnuaire de la Commission du droit
international, 1971, vol. II, 1rtie, p. 219, par. 36; voir aussi Annuaire de la Commission du droit international, 1975,
vol. II, p. 178.
57
Art. 29.
58 Art. 30 a).

59 Art. 30 b). - 38 -

ni de rappeler qu’elle a toujours le devoir de l’exécuter ⎯sauf à relever au passage que, bien

qu’elle ait affecté d’adhérer à la convention le 6mars2001 6, elle a toujours été liée, et continue

d’être liée par ses obligations conventionnelles.

24. Au demeurant, je l’ai dit également, bien que le défendeur ait, aujourd’hui, mis fin à la

plupart de ses violations de la convention, il en est une, comme vient de le montrer

Luigi Condorelli qu’il continue de commettre : il ne s’acquitte pas, ou pratiquement, pas ⎯ en tout

cas il s’en acquitte de façon très partielle ⎯ de son obligation de punir malgré l’engagement formel

qu’il a pris à cet égard en vertu de l’article I et des dispositions des articles IV à VI. Dès lors, la

Bosnie-Herzégovine persiste à pr ier la Cour de constater que la Serbie-et-Monténégro non

seulement a violé, mais continue de violer, la convention en manquant à son obligation de punir les

actes de génocide et les autres actes énumérés à l’article III b), c), d) et, e) et de sanctionner leurs

auteurs.

25. Cette déclaration judiciaire est d’autant plus pressante que, comme le professeur

Condorelli l’a expliqué, à ce jour, la Serbie-et-M onténégro s’est montrée peu réceptive aux appels

pressants et répétés des organes des Nations Unies et, en particulier, du Conseil de sécurité 61. Ainsi

que la Cour l’a rappelé :

«Quand un organe compétent des Nati onsUnies constate d’une manière

obligatoire qu’une situation est illégale, cette constatation ne peut rester sans
conséquence. Placée en face d’une telle situ ation, la Cour ne s’acquitterait pas de ses
fonctions judiciaires si elle ne déclara it pas qu’il existe une obligation pour les
62
Membres des Nations Unies en particulier, de mettre fin à cette situation.»

2. Les garanties de non-répétition incombant à la Serbie-et-Monténégro

26. Le second problème qui se pose, Madame le président, au regard de ces «autres

conséquences», est celui des assu rances et garanties de non-répé tition qu’il incombe au défendeur

60Note du Secrétaire général, doc. LA 41 TR/221/1 (4-1), 21 mars 2001. Voir aussi Demande en revision de
l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c.Bosnie-Herzégovine), arrêt ,
C.I.J. Recueil 2003, p. 24-25, par. 52.

61Cf. S/PRST/2004/28, 4 juillet 2004; S/RES/1534 ( 2004), 26 mars 2004, par. 1; S/RES/1503 (2003),
28août2003, par. 2; S/PRST/2002/ 39, 18 décembre 2002; S/RES/1207 (1998) , 17 novembre 1998; S/PRST/1996/23,
8mai 1996. Voir aussi A/RES/57/10, 16 décembre 2002. Voir aussi le dernie r rapport au Conseil de sécurité du
procureur du TPIY, S/PV.5328 (15 décembre 2005), p. 12.

62 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 54, par. 117. - 39 -

d’offrir et, en l’occurrence, à la Cour de décide r. Il n’est en effet pas douteux que vous avez,

Madame et Messieurs les juges, compétence à cette fin. Dans l’affaire LaGrand, vous avez

estimé :

«qu’un différend portant sur les voies de droit à mettre en Œuvre au titre d’une

violation de la convention qu’invoque l’Allemagne est un différend concernant
l’interprétation ou l’application de la c onvention et qui de ce fait relève de la
compétence de la Cour. S’il est établi que la Cour a compétence pour connaître d’un

différend portant sur une question détermin ée, elle n’a pas besoin d’une base de
compétence distincte pour examiner les re mèdes demandés par une partie pour la
violation en cause ( Usine de Chorzów , C.P.J.I. série A n o9, p. 22). La Cour a par

suite compétence en l’espèce pour connaître de la quatrième conclusion de
l’Allemagne.» 63

Il en va évidemment de même en la présente espèce.

27. Comme l’explique la CDI, ces assurances et garanties «ont une fonction préventive et

64
peuvent être considérées comme un renfor cement positif de l’exécution future» . «Elles sont le

plus souvent demandées lorsque l’Etat lésé a des raisons de penser que le simple retour à la

65
situation préexistante ne le protège pas de manière satisfaisante» . En la présente espèce, la

Bosnie-Herzégovine a, malheureusement, des raisons de le penser et, étant donnée l’importance des

obligations en cause et la gravité de leur violation, de telles garanties s’imposent sans aucun doute.

28. La Bosnie-Herzégovine ne conteste pas le caractère démocratique du régime

serbo-monténégrin actuel. Elle est sensible aux paroles de repentirs partiels et tardifs des dirigeants

aujourd’hui au pouvoir à Belgrade, dont Luigi Con dorelli a analysé un exemple au début de la

matinée. Il reste que des menaces graves demeurent et que des faits récents ne laissent pas d’être

inquiétants quant à la disparition réelle des mouvements appelant au génocide en

Serbie-et-Monténégro. Juste quelques exemples, Madame le président, si vous le voulez bien :

⎯ aux dernières élections, le Parti socialiste et le Parti radical serbe ont totalisé, ensemble, à peu

près 25 % des voix; ils sont dirigés respectivemen t, de fait, depuis leur prison, par Milošević et

Sešelj;

63
LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 485, par. 48.
64Paragraphe 1) du commentaire de l’article 30 (rapport de la Commission du droit international sur les travaux
de sa cinquante-troisième session, 23 avril-1uin et 2 juillet-10 août 2001, A/56/10, p.233 et J. Crawforop. cit.,

p. 235).
65Paragraphe 9) du même commentaire (ibid., p. 236 et J. Crawford, ibid., p. 237). - 40 -

⎯ le 17 mai 2005 une association d’étudiants, ayan t pignon sur rue, («Nomokanon») a organisé

un débat à la faculté de droit de Belgrade sur le thème «La vérité sur Srebrenica»; en guise de

ce débat, il en ressort que ⎯ d’une dépêche de la BBC ⎯ «no crime at all took place and that

the victims were soldiers of the Musl im army sacrificed by Alija Izetbegovi ć to provoke a

foreign military intervention» 66 ⎯ cela, Madame le président, s’appelle du révisionnisme;

⎯ autre et dernier exemple, tout récent (mais nous pourrions malheureusement les multiplier)

⎯ ce n’était pas la BBC tout à l’heure, pardon ⎯ : «About 10.000 Serbian Radical Party (SRS)

supporters rallied in the Serb capital ch anting slogans and carrying pictures of

General Mladić» 67 ⎯ cela se passait le 26 février dernier; Mladi ć est recherché pour génocide

par le TPIY; il vit depuis 1998 à Belgrade 68 où il a régulièrement touché sa solde militaire au

69
moins jusqu’en 2002 et sa pension jusqu’en 2005; les autorités serbes refusent de le remettre

au Tribunal.

29. Le fait que les autorités serbes n’arrêtent pas les acteurs principaux des atrocités

commises durant les années noires du génocide, ne la isse guère augurer d’un strict respect de la

convention à l’avenir.

30. De même, la stratégie dilatoire du défe ndeur devant la Cour, sa superbe ignorance des

ordonnances en indication de mesures conservatoires de1993 ⎯ignorance sur laquelle je vais

revenir dans un instant, sa remise en cause incessante de votre compétence au mépris de l’autorité

de la chose jugée, ne rassurent pas vraiment l es autorités bosniaques sur son attachement au «but

purement humain et civilisateur» de la convention et aux «fins supérieures qui sont [sa] raison

70
d’être» .

31. S’il est un cas dans lequel des garanties de non-répétition s’imposent, c’est probablement

celui qui nous occupe, à la fois du fait de l’impor tance des obligations en cause et des risques

persistants qu’elles ne soient pas respectées par le défendeur.

66
http://cm.greekhelsinki.gr/index.php?sec=194&cid=684 ⎯ consulté le 6 mars 2006.
67
http://www.news.bbc.co.uk/1/hi/world/europe/4749420.stm, consulté le 6 mars 2006.
68CR/2006/8 (Pellet), p. 19, par. 26.

69 Voir Le Monde , 30 décembre 2005, http://www.lemonde.fr/ web/imprimer_element/0,40-0@2-3214,50
-725750,0.html, consulté le 5 mars 2006.

70 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif ,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23. - 41 -

32. Cela étant, Madame le président, force es t de reconnaître que, chaque fois que l’on parle

d’assurances et de garanties de non-répétition, les ju ristes se demandent quelle peut bien en être la

consistance, tant il est vrai qu’elles relèvent plutôt, en tout cas en l’espèce, d’un état d’esprit et d’un

contexte politique ⎯ d’autant plus qu’il n’existe guère de précédent très probant.

⎯ Dans l’affaire LaGrand, la Cour a considéré que l’engage ment pris par les Etats-Unis de

poursuivre leur vaste programme d’information c oncernant les droits consulaires des étrangers

satisfaisait «à la demande de l’Allemagne visant à obtenir une assurance générale de

71
non-répétition» , mais, en ce qui concerne les assurances plus précises que demandait

l’Allemagne, elle en est restée à des considérations assez générales en précisant que «[l]e choix

72
des moyens doit revenir aux Etats-Unis» .

⎯ Dans l’affaire Avena, la haute juridiction s’est bornée à affirmer que ce qu’elle avait dit dans

73
l’arrêt LaGrand demeurait applicable et satisfaisait à une demande comparable du Mexique .

⎯ Enfin, dans son récent arrêt du 19 décembre 2005, la Cour s’est déclarée d’avis que

«les engagements pris par l’Ouganda en ve rtu de l’accord tripartite satisfont à la

demande de la RDC tendant à obtenir d es garanties et assurances de non-répétition
spécifiques. La Cour attend et exige des Parties qu’elles se conforment aux
obligations qui leur incombent en vertu de cet accord et du droit international
74
général.»

33. Cette jurisprudence, pour restreinte qu’elle soit, donne tout de même des indications. Si,

durant les audiences à venir, la Serbie-et-M onténégro donnait des assurances formelles selon

lesquelles elle s’engage, à l’aven ir, à respecter scrupuleusement l es obligations découlant de la

convention, la Bosnie-Herzégovine vous prierait, Ma dame et Messieurs les juges, de bien vouloir

en prendre acte en des termes très fermes, dont l’arrêt de décembre dernier donne un exemple

remarquable. Si cela ne devait pas être le cas, la Bosnie-Herzégovine s’en remet à la Cour pour

trouver les formules qui seraient de nature à incite r l’Etat défendeur à s’acquitter de son obligation

71
LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 513, par. 124.
72Ibid., p. 514, par. 125.

73Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 69,
par. 150.

74 Activités armées sur le territoire du Congo (R épublique démocratique du Congo c.Ouganda) , arrêt du
19 décembre 2005, par. 257. - 42 -

d’offrir des garanties effectives de non-répétition de quelque violation que ce soit de la convention

de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.

III. Le non-respect par le défendeur des ordonnances en indication

de mesures conservatoires

34. Ceci, Madame le président, n’épuise pas la litanie des obligations auxquelles la

Serbie-et-Monténégro était tenue dans le cadre de la présente affaire et qu’elle n’a pas respectées.

Il en est une autre : le défendeur n’a, en effet, pas respecté les obligations que les deux ordonnances

75
de la Cour en indication de mesures conservatoires mettaient à sa charge , engageant ainsi

également sa responsabilité internationale.

35. Je tiens à préciser, Madame et Messieurs les juges, qu’en vous demandant de vous

prononcer sur ce point, la Bosnie-Herzégovine ne cherche nullement à étendre votre compétence

au-delà de celle que vous tenez de la convention de 1948, ou à obtenir davantage que ce qui lui est

dû en vertu des principes généraux de la responsab ilité de l’Etat en droit international dont j’ai

indiqué qu’ils étaient applicables aux violations de la convention 76.

36. Cette demande est conforme à la solu tion retenue par la C our dans son arrêt LaGrand,

dans lequel elle a considéré que des conclusions relatives au non-respect de mesures conservatoires

portent «sur des questions qui découlent direct ement du différend opposant les parties devant la

Cour» 77. A cette occasion, la Cour a réaffirmé

«ce qu’elle a dit dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries, lorsqu’elle a

estimé que, afin de considérer le différe nd sous tous ses aspects, elle pouvait aussi
connaître d’une conclusion qui «se fonde su r des faits postérieurs au dépôt de la
requête mais découlent directement de la qu estion qui fait l’objet de cette requête. A

ce titre, elle relève de la compétence de la Cour…» ( Compétence en matière de
pêcheries (République fédérale d’A llemagneIc s.lande), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 203.) Lorsque la Cour a compétence pour trancher un

différend, elle a également compétence pour se prononcer sur des conclusions la priant
de constater qu’une ordonnance en indica tion de mesures conservatoires rendue aux
fins de préserver les droits des parties à ce différend n’a pas été exécutée.» 78

75
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil1993 , p.3 et ibid.,
ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 325.
76
CR 2006/8, p. 27, par. 48.
77LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 483, par. 45.

78Ibid., p. 484, par. 46. - 43 -

37. En la présente occurrence, le défendeur a violé les obligations découlant des ordonnances

de 1993, dont il ne fait aucun doute qu’elles prescrivai ent des mesures obligatoires. Et la question

se pose dès lors des conséquences juridiques de ces manquements.

1. La violation par le défendeur des m esures obligatoires indiquées par les ordonnances
de 1993

38. Madame le président, nous savons, depuis l’arrêt LaGrand de 2001 79 en tout cas, que les

mesures conservatoires que la Cour indique au titre de l’article 41 de son Statut sont obligatoires

⎯ ou en tout cas peuvent l’être ⎯ pour la ou les parties auxquelles elles s’adressent. Dans notre

affaire, la Cour a, par deux fois, en 1993, indiqué de telles mesures. Dans les deux cas, elle a

adopté, ou réaffirmé, une mesure s’adressant aux deux Parties et deux autres spécifiquement visant

uniquement le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie.

39. Ces mesures sont juridiquement obligatoires. Dans l’affaire LaGrand, la Cour a affirmé,

de manière catégorique, dans le paragraphe 109 de son arrêt, que «les ordonnances indiquant des

80
mesures conservatoires au titre de l’ar ticle 41 ont un caractère obligatoire» . Celles adoptées

en 1993 ne font pas exception à la règle.

40. Dans sa première ordonnance, celle du 8 avril 1993, la Cour, à l’unanimité, a décidé

que :

«Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) doit immédiatement, conformément à l’engagement qu’il a assumé aux

termes de la convention pour la préventi on et la répression du crime de génocide du
9décembre 1948, prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la
commission du crime de génocide.» 81

Plus spécifiquement, et par 13 voix contre une, la Cour indiquait ensuite que :

«Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) doit en particulier veiller à ce qu’aucune des unités militaires,
paramilitaires ou unités armées irrégulières qui pourraient relever de son autorité ou

bénéficier de son appui, ni aucune orga nisation ou personne qui pourraient se trouver
sous son pouvoir, son autorité, ou son influe nce ne commettent le crime de génocide,

79Ibid., p. 466.

80Affaire LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil2001 , p.506, par.109. Voir
aussi, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun etle Nigéria (Cameroun c.Nigéria; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p.453, par. Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005, par. 263.

81Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. erbie-et-Monténégro), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993,
C.I.J. Recueil 1993, p. 24, par. 52 A.1); les italiques sont de nous. - 44 -

ne s’entendent en vue de commettre ce crim e, n’incitent directement et publiquement
à le commettre ou ne s’en rendent complic es, qu’un tel crime soit dirigé contre la
population musulmane de Bosnie-Herzégovine, ou contre tout autre groupe national,
82
ethnique, racial ou religieux.»

Enfin, la Cour, par une formule plus traditionnelle , enjoignait aux deux Parties de ne rien faire qui

pût aggraver ou étendre le différend ou en rendre la solution plus difficile . 83

41. Le langage très ferme utili sé par la Cour n’est pas celui d’une simple exhortation. Le

Gouvernement yougoslave « doit immédiatement … prendre toutes les mesures en son

pouvoir … afin de prévenir la commission du crime de génocide»; il « doit en particulier veiller» à

ce qu’aucun des actes punissables énumérés à l’article III de la convention ne soit commis «contre

la population musulmane…, ou contre tout autre gr oupe national, ethnique, racial ou religieux».

Ce sont là, Madame le président, des mesures tr ès précises dont le caractère obligatoire n’est pas

douteux.

42. Le défendeur les a superbement ignorées ⎯ comme il a ignoré les invitations (peut-être

pas obligatoires en elles-mêmes), que le président de la Cour avait adressées aux Parties le

5août1993, les pressant d’agir conformément aux mesures indiquées en avril qui, précisait-il,

«continuent de s’appliquer» 84. Ce n’est pas une simple affirm ation de notre part, ni la seule

constatation de l’évidence telle qu’elle se dé gage des preuves que la Bosnie-Herzégovine a

présentées à la Cour par écrit et au cours de la procédure orale. En effe t, la seconde ordonnance

rendue le 13 septembre 1993 dans la même affaire ⎯ ce qui constitue un cas unique dans l’histoire

de la Cour ⎯ se limite à réaffirmer, à de très larg es majorités (14voix contre une ou 13voix

85
contre2), les mesures précédemment indiquées , elle n’en constitue pas moins, pour la raison

précisément qu’il s’agit d’une réaffirmation pure et simple, une preuve éclatante du non-respect de

la première ordonnance par la Serbie-et-Monténégro.

43. La motivation de l’ordonnance du 13 sep tembre 1993 ne laisse du reste aucun doute sur

le fait que la Cour en était convaincue. Après avoir rappelé que de nouvelles mesures

82
Ibid., par. 52 A.2); les italiques sont de nous.
83
Ibid., p. 24, par. 52 A 1) et 52 A 2); les italiques sont de nous.
84Cf. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c.Serbie-et-Monténégro), mesures c onservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p.334,

par. 10.
85Ibid., p. 349-350, par. 61. - 45 -

conservatoires ne peuvent être sollicitées que si elles répondent à «des circonstances nouvelles de

nature à en justifier l’examen», la Cour c onsidère que «cette condition doit en l’espèce être

86
considérée remplie» . Elle estime «que la situation dangereuse qui prévaut actuellement exige non

pas l’indication de mesures conservatoires s’ajoutant à celles qui ont été indiquées par

87
l’ordonnance de la Cour du 8avril1993…mais la mise en Œuvre immédiate de ces mesures» .

Et elle s’en explique en constatant que :

«depuis que l’ordonnance du 8 avril 1993 a été rendue, et en dépit de cette ordonnance

et de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des
Nations Unies, de très vives souffrances ont été endurées et de lourdes pertes en vies
humaines ont été subies par la popula tion de Bosnie-Herzégovine dans des

circonstances qui bouleversent la conscience humaine et sont à l’évidence
incompatibles avec la loi morale ainsi qu’avec l’esprit et les fins des Nations Unies» . 88

La Cour ajoute :

«le risque grave, alors redouté par la Cour, que soient prises des mesures de nature à

aggraver ou à étendre le différend existant sur la prévention et la répression du crime
de génocide, ou à en rendre la solution plus difficile, a été accru par la persistance de
conflits sur le territoire de la Bosnie-Her zégovine et la commission d’actes odieux au
89
cours de ces conflits» .

Enfin la Cour précise que :

«tenant compte, entre autres, des rép onses apportées par les deux Parties à une
question, posée à l’audience, sur le point de savoir quelles dispositions elles avaient

prises «pour assurer le respect de l’ordonnance du 8 avril 1993», n’est pas convaincue
que tout ce qui pouvait être fait ait été fait pour prévenir la commission du crime de
génocide sur le territoire de la Bosnie-H erzégovine et pour veiller à ce qu’aucune

mesure ne soit prise qui soit de nature à aggraver ou étendre le différend existant ou en
rendre la solution plus difficile».

44. Le défendeur objectera sans doute qu’il n’ est pas nommément visé par ces constatations.

Certes, mais il l’était par les mesures adoptées en avril. Et, d’emblée, la Cour avait rejeté une

demande de la RFY tendant à l’«indication plus spécifique de mesures à l’adresse de la

Bosnie-Herzégovine», indication que, précise-t-elle, les circonstances, «telles qu’elles se présentent

90
actuellement» n’exigent pas . C’est donc bien le non-respect par la Yougoslavie des obligations

86Ibid., p. 337, par. 22.

87Ibid., p. 249, par. 59.
88
Ibid., p. 348, par. 52; les italiques sont de nous.
89Ibid., par. 348, par. 53; les italiques sont de nous.

90Ibid., p. 347, par. 46. - 46 -

lui incombant en vertu de l’ordonnance d’avril qui conduit la Cour à réitérer les mesures qu’elle lui

avait enjoint de prendre, preuve accablante que la première ordonnance n’a pas été respectée.

45. Malheureusement, Madame le président, cela n’a servi à rien. Aucune disposition n’a

bien évidemment été prise pour assurer le respect des ordonnances rendues par la Cour. Les faits

que nous vous avons présenté au cours de ces derniers jours parlent d’eux-mêmes et il serait

dérisoire de ma part d’égrener les faits prouvant que la Serbie-e t-Monténégro n’a jamais pris

91
«sérieusement en considération les indications ainsi données» par la Cour. Il vous revient donc,

Madame et Messieurs les juges, d’en prendre acte et de tirer :

2. Les conséquences de la violation des mesures conservatoires

46. Le non-respect par le défendeur des mesures indiquées à deux reprises par la Cour

constitue, sans aucun doute un fait internationaleme nt illicite distinct de ceux qui engagent sa

responsabilité dans cette affaire. Il fait naître, en quelque sorte, une responsabilité «incidente»,

dont on voit bien qu’elle ne se confond pas avec cel le résultant de ses violations multiples mais qui

entretient avec cette responsabilité principale des liens étroits, ce qui ne manque pas de poser des

problèmes difficiles en ce qui concerne son contenu précis ⎯ ne fût-ce qu’en vertu du principe non

bis in idem.

47. Je laisse de côté, Madame le président, la cessation de l’obligation violée et la reprise de

son exécution : de toute manière, les obligations incombant au défendeur auront cessé d’exister dès

que vous aurez rendu votre arrêt, comme cela résulte implicitement du paragraphe 2 de l’article 41

du Statut et comme vous l’avez dit dans votre arrêt Avena 92. Il en va de même à fortiori s’agissant

des assurances et garanties de non-répétition.

48. En ce qui concerne l’indemnis ation, la Cour, dans l’affaire LaGrand, en a, sans

ambiguïté, admis la possibilité puisqu’elle a expl iqué qu’elle aurait pris un certain nombre de

facteurs «en considération si la conclusion de l’Allemagne avait comporté une demande à fin

93
d’indemnité» ⎯mais elle n’en comportait pas. Au demeurant, il me semble qu’une

91
Activités militaires et param ilitaires au Nicaragua et contre ce(Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J.Recueil1986 , p.144, par. 289, cité dal’ordonnance du 13septembre1986, C.I.J. Recueil 1993,
p. 349, par. 58.
92
Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt du 31 mars 2004, par. 152.
93LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 508, par. 116. - 47 -

indemnisation au titre de la responsabilité encourue par une partie pour le non-respect des mesures

indiquées dans une ordonnance en indication de mesures conservatoires supposerait que ces

mesures soient très spécifiques et ajoutent quelque chose de particulier aux obligations dont la

violation est l’objet du différend. Or ce n’est pas ce qu’a fait la Cour dans ses ordonnances de

1993: elle a, bien plutôt, fermement, rappelé la RFY à ses devoirs en vertu de la convention de

1948. A cet égard, les violations des obligations découlant des ordonnances se confondent au fond

avec celles de la convention elle-même et toute indemnisation au titre de la violation des unes ferait

inévitablement double emploi avec l’indemnité due à la Bosnie-Herzégovine pour la violation des

autres. Le principe non bis in idem décidément s’y oppose.

49. Ces considérations valent tout autant pour la restitution : on voit mal ce qui pourrait être

«restitué»; le mal est fait; même la Cour ne possède p as la clé de la machine à remonter le temps.

Ne reste donc que la satisfaction ⎯ cela est suffisant mais pose, à nouveau, la question de la forme

qu’elle pourrait revêtir.

50. Dans les deux seules affaires dans les quelles la Cour a accueilli favorablement une

conclusion portant sur le non-respect d’une ordonna nce en indication de mesures conservatoires,

elle s’est bornée à faire une simple déclaration en ce sens ⎯déclaration qui se trouve cependant

94
incluse dans le dispositif lui-même .

51. Le comportement du défendeur appelle cer tainement un constat clair de votre part, et

constitue non seulement l’occasion, d’une part , de réaffirmer l’importance des mesures

conservatoires que vous indiquez et le caractère ob ligatoire qu’elles revêtent, mais aussi, d’autre

part, d’établir incontestablement que la Serb ie-et-Monténégro a violé les mesures que, par

deux fois, vous lui aviez prescrites.

52. Ceci paraît d’autant plus important en l’ espèce que, comme la Cour l’avait souligné dès

son ordonnance du 8 avril 1993 95, et comme elle l’a rappelé dans celle du 13 septembre de la même

96
année , «le crime de génocide «bouleverse la consci ence humaine, inflige de grandes pertes à

l’humanité … et est contraire à la loi morale ainsi qu’à l’esprit et aux fins des Nations Unies»»,

94
Ibid., p.516, par. 128.5. Voir aussActivités armées sur le territoir e du Congo (nouvelle requête:2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda), arrêt du 19 décembre 2005, par. 345.7.
95
C.I.J. Recueil 1993, p. 23, par. 49.
96Ibid., p. 348, par. 51. - 48 -

selon les termes de la résolution 96 (I) de l’Asse mblée générale en date du 11 décembre 1946 sur

«Le crime de génocide» . 97

53. Telle est d’ailleurs la raison essentielle, Ma dame et Messieurs de la Cour, pour laquelle

la Bosnie-Herzégovine vous dema nde de ne pas vous en tenir à une simple déclaration et de

marquer la gravité du manquement en lui octroyant ce que l’article 45 du projet d’articles de la CDI

sur la responsabilité de l’Etat adopté en première lecture en 1996 appelait «des dommages-intérêts

symboliques». L’article 37 des articles définitif s de 2001, moins spécifique, ne mentionne pas

expressément cette possibilité et se borne à indique r que «[l]a satisfaction peut consister en une

reconnaissance de la violation, une expr ession de regrets, des excuses formelles ou toute autre[s]

modalité[s] appropriée [s]», parmi lesquelles le commentaire mentionne «l’octroi de

98
dommages-intérêts symboliques pour préjudice non pécuniaire» dont il donne des exemples.

54. Il va de soi, Madame le préside nt, que, pour ce qui est du montant de ces

dommages-intérêts symboliques, la Bosnie-Herzégovi ne s’en remet entièreme nt à la sagesse de la

Cour.

55. La raison pour laquelle nous vous suggérons ceci, Madame et Messieurs de la Cour, est

presque évidente. Il nous est en effet apparu que, lorsque la Cour indique, avec fermeté, à un Etat

qu’il lui appartient de respecter l’une des obliga tions les plus fondamentales, les plus impératives,

les plus sacrées ⎯la plus importante peut-être dans le droit international contemporain:

l’interdiction du génocide; lorsqu’elle précise les mesures concrètes que cet Etat devrait prendre, et

que cet Etat non seulement ne fait rien, rigoureu sement rien, pour s’acquitter de ses obligations

mais continue de perpétrer un génocide, la Cour ne peut pas ne pas tirer les conséquences de

l’ampleur de la violation ⎯fût-ce de manière symbolique ⎯et réagir simplement comme elle le

ferait face à un fait internationalement illicite «ordinaire».

56. Madame le président, il est toujours regre ttable qu’un Etat viole le droit international

⎯ mais commettre un génocide, ne pas le prévenir, y inciter, faire des plans à cette fin, s’abstenir

97Voir aussi, Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951 , p.23 ou Application de la convention pour la préven tion et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 , p.616, par. Activités
armées sur le territoire du Congo (nouvelle requêt e:2002) (République démocratique du Congo c.Rwanda) , arrêt du
19 décembre 2005, par. 64.

98Paragraphe 5) du commentaire (rapport de la Commiss ion du droit international sur les travaux de sa
cinquante-troisième session, 23 avril-1in et 2 juillet-10 août 2001, A/56/10, p. 286 et J. Crawford, op. cit., p. 280). - 49 -

de poursuivre les individus qui s’en rendent coupables, c’est autre chose; c’est la violation la plus

grave des violations graves. Il convient évidemment d’en tenir compte lorsqu’il s’agit de tirer les

conséquences de la responsabilité qui s’ensuit. La Bosnie-Herzégovine est convaincue que vous le

ferez.

Madame et Messieurs les juges, je vous remercie vivement de votre écoute attentive. Et je

vous prie, Madame le président, de bien vouloirdonner la parole à mon très respecté collègue et

ami, le professeur Thomas Franck. Thank you very much, Madam President.

The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. I call Professor Franck.

Mr. FRANCK: May it please the Court.

T HE CONTINUING IMPORTANCE OF ICJ DETERMINATIONS
UNDER G ENOCIDE C ONVENTION A RT. IX

1. We have taken the Court on a long and deeply troubling journey through the facts that

give rise to our claim that Bosnia, in the critical period just after its independence and admission to

the United Nations, became the victim of a brutal genocide.

2. We have sought to make clear that these undeniable events took place with the active

participation of the authorities in Belgrade, thgovernment of a neighbouring state. In the

pleadings that followed, this evidence of attributability was further developed.

3. We have urged this Cour t to weigh the credible sources of our evidence, especially

evidence from the principal organs of the United Nations and their rapporteurs, the

Secretary-General, and the ICTY judgments. Where Respondents have insisted on withholding

evidence or producing it to the ICTY only on co ndition of its non-disclosure for use in this

proceeding we have asked you to draw the only possible inferences, especially when the redactions

seem to come in the context of discussions on how to supply and aid the Republika Srspka, its

government, economy and army.

4. We have established the basis, in law, for the responsibility of the Respondent for

genocide, conspiring to commit genocide, and comp licity with genociding, as well as for failing to

prevent or punish those who commit it, or to transfer indicted persons to stand trial at the ICTY. - 50 -

5. We have demonstrated that the States parties to the Genocide Convention intended to

create, and did create, a remedy to deal with any future outbreak of the scourge of Genocide. They

did this by writing Article IX into the Conventio n, which makes provision for such disputes to be

brought to this Court.

6. Has not the Government of Bosnia, in the name of hundreds of thousands of Bosnian ⎯

those killed, tortured, raped and displaced forever ⎯ earned the right to make the request

envisioned in Article IX? And do es Article IX not make clear that this Court will answer that

request, that it will do so by determining “the responsibility of a state for genocide”?

7. The answer to those questions ought not to strain our capacity for treaty interpretation.

8. But, laws evolve, and the Genocide Conve ntion is almost 55 years old. Much has

happened. Genocide, once thought to have been banished forever from human capacity for evil,

has reasserted itself as a deliberately chosen inst rument for the conduct of politics: in Rwanda,

Croatia, and, yes, in Bosnia.

9. So, you have before you a “dispute” that you are called upon to resolve by a determination

of responsibility.

10. And yet, some may want to argue that th is responsibility has been mitigated by events

that have occurred since the Convention entered in to force. Chief among these subsequent events

is the momentous development of a criminal jurisdiction for the punishment of certain international

crimes committed by persons, including genocide. Now that we have the International Criminal

Tribunals for Yugoslavia and Rw anda, and the International Criminal Court, each with an

extensive investigatory and pro secutorial capability, is it really still useful and necessary for the

International Court of Justice to play its determ inative role under Article IX of the Genocide

Convention? This is essentially a question of legal, or judicial, policy.

11. This very question was raised by two judges of this Court in 1996, during the preliminary

objections phase of this case, and in deference to them and to others who may harbour the same

question, it behoves us to spend a few final moments of this phase of our first pleadings in

addressing the issue. - 51 -

12. In a joint declaration appended to the 1996 decision of this Court, Judges Shi and

Vereshchetin discussed the creation and mandates of the ICTY and the ICC and the bearing of

those developments on this case. They said, in part:

“The determination of the in ternational community to bring individual
perpetrators of genocidal acts to justice, irrespec tive of their ethnicity or the position
they occupy, points to the most appropriate course of action.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Therefore, in our view, it might be argued that this Court is perhaps not the
proper venue for the adjudication of th e complaints which the Applicant has
99
raised . . .”

13. As to why this Court might not any lo nger be the proper venue, the two judges cited a

then recent article by Britain’s Chief Prosecutor at the Nuremberg War Crimes Trials,

Sir Hartley Shawcross. They quoted approvingly an article in which he had expressed the opinion

that “[t]here can be no reconciliation unless indivi dual guilt for the appalling crimes of the last few

years replaces the pernicious theory of collectiv e guilt on which so much hatred hangs”. The

Shi/Vereshchetin opinion thus seemed to entertain th e possibility that Bosnia seeks, by this action,

to have this Court declare the “collective guilt” of the Respondent, and through it, the collective

guilt of the Serb people.

14. We need to spend a few minutes addressing these concerns, even if they were not those

of a majority of the judges of this Court. Do es this Court, in discharging its responsibility under

ArticleIX to establish the “responsibility” of a St ate for genocide, risk perpetuating a notion of

“collective guilt”?

15. Indeed, we need to address two related concerns of legal policy: first, that proceedings in

this Court would be duplicative of proceedings in the ICTY and, second, that our proceedings risk

perpetuating the notion of collective guilt. So, fi rst, Professor Pellet, last Friday, addressed the

matter of duplication of functions between this Court and the ICTY.

16. Quite clearly, the drafters of the Genoc ide Convention intended to provide both for

punishment of individuals who participate in a genocidal enterprise and for the responsibility of

States, which put the machinery and resources of the nation at the disposal of such an enterprise.

99
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and
Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II), p. 632. - 52 -

ArticlesIV, V and VI of the Convention est ablish the modalities for punishing individual

perpetrators, while Article IX concurrently estab lishes the means by which the ICJ will attribute

State responsibility. Evidently, the drafters sa w the two remedies as distinct, unduplicative and

both necessary to an effective régime for ridding the world of the scourge of genocide.

17. But, does the creation of an interna tional criminal process for addressing individual

criminal responsibility in any way alter the importa nce of this Court’s playing its assigned role in

addressing State responsibility for genocide? No, it merely realizes the development foreseen by

the Convention in Article VI, which envisions the creation of “an international penal tribunal” for

the trial of “persons”, as an alternative to such persons’ trial “by a competent tribunal of the State

in the territory of which the act was committe d”. If anything, the Convention expected the

jurisdiction of national criminal courts to be supplemented or replaced by the new international

criminal tribunal when it came to the trial of individuals, but certainly it envisioned no comparable

effect on the jurisdiction or the importance of this Court in making determinations of State

responsibility.

18. This does not appear to be clear to our opponents who, in their Rejoinder 100challenged

us “to quote the provision of the Genocide Convention referring to the State as the perpetrator of

Genocide”. Apparently there remains, still, an importa nt role for this Court to explain, not only to

Respondent, but to governments everywhere, that, yes, there is State responsibility for genocide

and that, moreover, this Court has full authority, under the Convention ⎯ an authority it will

exercise ⎯ to determine when a State has incurred responsibility for violations of the Convention.

19. Second, is such State responsibility tantamount to a determination of “collective guilt”?

20. Emphatically, it is not.

21. We recognize that, to blame an entire peopl e, the population of the State, for the acts of

the State would be to assert a discredited notion of “collective guilt”. We celebrate the emergence

of a human rights régime that recognizes the rights of the individual as distinct from, and

sometimes even in opposition to, those of the State. We recognize and celebrate the emergence of

a parallel system of personal legal accountability. And we emphasize that, in this modern age of

100
1999, p. 644, para. 4.1.1.2. - 53 -

individual rights and duties, it is untenable to blame an entire polis ⎯ the whole citizenry ⎯ for

the wrongs committed either by individual criminals or by a criminal government.

22. Obviously, we are not trying to resuscitate the hoary notions of collective guilt, the guilt

of all Serbs. We freely acknowledge that collectiv e guilt is the discredited detritus of an age when

individuals were legally indistinguishable from, or mere serfs of, their ruler: the king or the State.

But, just as obviously, even in the new era of individual rights and responsibilities, the State has not

ceased to exist. It is, and it acts, and it must be accountable. When the State commits a great evil,

it cannot be allowed to escape responsibility by the punishment of a few leaders. As pointed out in

Oppenheim,

“acts committed by individuals as agents of the state constitute quite separate wrongs
of the principal and the agent. Those act s are directly, and not merely vicariously

attributable to the state which authorized 101 permitted, or failed to take reasonable
measures to prevent or punish those acts.”

Thus, there is State responsibility for commission of genocide and separate State responsibility for

failure to discharge the “preventive and remedial obligations of the state... for the breach of

which . . . the state bears direct responsibility” 102.

23. In this way does modern international la w distinguish between the criminal acts of a

person ⎯ whether Prime Minister, field commander, pris on capo, or leader of a private militia ⎯

and the failure of a State to live up to its solemn legal obligations to other States. Although claims

in both circumstances may proceed from the same fact s, they involve the breach of quite separate

legal obligations. And there must be separate remedies for both kinds of responsibility in the

unique circumstances of genocide.

24. Thus, there can be no question of collectiv e guilt, and none, either, of double jeopardy in

the law that forms the basis of our case.

25. Behind these somewhat technical legal issues, however, there is a larger moral, or policy

question, one which, I am sure, this Court, in its quest for fairness in its jurisprudence, would wish

us to address.

101
Oppenheim, International Law, 9th ed., p. 501, Note 13.
10Id., p. 502, para. 145. - 54 -

26. Is it fair that the entire State be held accountable for the actions initiated by its leaders

and executed by its organs?

27. If you were to find that the Respondent committed genocide, is that finding of State

responsibility not likely to impose a burden on all its citizens, regardless of whether they did, or did

not, support or tolerate the acts of a régime which has now been overthrown?

28. In response, it is once more necessary to emphasize that, in finding the State responsible,

you would in no way be making a de termination of the people’s collective guilt. Clearly, there

were Serbs who understood the enormity of what was being done in their name, and who opposed

the régime in Belgrade. But, as Professor Mich ael Walzer, the eminent Princeton philosopher, has

pointed out, even though “it cannot be said that every citizen is the author of every state policy”,

nevertheless, “every one of them can rightly be called to account”. He explains,

“citizenship is common destiny, and no one, not even [the regime’s] opponents . . . can

escape the effect of a bad regime, an am bitious or fanatic leadership, or an
overreaching nationalism. But if men and women must accept this destiny, they can
sometimes do so with a good conscience, for the acceptance says nothing about their
103
individual responsibility. The distribution of costs is not the distribution of guilt.”

29. When the State injures a citizen, that citi zen and the State living under the rule of law

may be entitled to compensation, although the inju ry may have been perpetrated by one person ⎯

say a police malefactor ⎯ all citizens, all taxpayers must assume the responsibility not the guilt to

make appropriate amends a nd to reaffirm the rule of law. So, too, the rule of law in relations

between States: all citizens of a malefactor State mu st be invited to participate in the restitution of

the victim and the reaffirmation of the rule of law. Citizenship has many privileges, it has its

duties, citizenship is destiny. It implies not collective guilt but surely a common assumption of

responsibility.

30. The distribution of costs, not the distribution of guilt, is what this case is about. It is both

fair and right that the citizenry of any State that visits serious injury on another State should have to

bear at least a significant part of the cost of co mpensating and restituting the victims. By “costs” I

do not only refer to monetary compensation but, also, more importantly, to historic rectification. It

costs a contrite malefactor some measure of national pride to say: “Yes, these terrible things were

103
Michael Walzer, Just and Unjust Wars, 1977, p. 297. - 55 -

done in the name of our nation and we deeply regret them; we offer our condolences to the

victims, and we would like to help to heal the woun ds we inflicted, for we have truly turned a new

page.”

31. Such an act of sharing the burden of r econstituting the victim, in itself, is good enough

reason not to abandon the concept of State respons ibility which creates a right on the part of the

victim to something more than a mournful shrug: “that’s life in the Balkans”. The law that

imposes this State responsibility is a useful, even essential, complement to criminal remedies

against individual perpetrators a nd the burden-sharing it imposes on recalcitrant miscreants is an

essential part of the healing process.

32. There is, however, another reason why Stat e responsibility must not be allowed to fall

into desuetude.

33. We noted in an earlier part of our presentation that this Court, in the 1951 Reservations

Advisory Opinion, had observed that the Genocid e Convention, more than any other treaty, had

been “adopted for a purely humanitarian and civ ilizing purpose”. In other words, the Convention

has a hortatory function. That “civilizing purpose” is to teach all persons, everywhere, that they

cannot escape responsibility for egregious wrongs comm itted against other persons in their name.

In this sense, the role of the ICJ in carryi ng out the functions assigned it by the Genocide

Convention is an essential redressing of what w ould otherwise be the undesired and unintended

side-effect of the growth of individual criminal responsibility. That effect is described by

Professor Mark Drumbl:

“[T]he deliberate choice by internat ional criminal justice institutions to
selectively blame a handful of individuals . . . erases . . . the involvement of ordinary
[persons]... This, in turn, leads to a re tributive shortfall, in so far as only a few

people receive th104 just deserts, while many powerful States and organizations avoid
accountability.”

This Court must ensure against such retrogression.

34. State responsibility, in respect of genoc ide, speaks not of collective guilt but of the

obligation of a State to share in remedying the consequences of its violation of international law. It

summons the people of the victim State and the victim izer State to work together to ameliorate the

104
Mark A. Drumbl, Sands: From Nuremberg to The Hague (book rev.), 103 Mich. L.Rev. 1295 (2005). - 56 -

damage done, to display a new determination to wo rk together, to rebuild, to reconstitute. You

have already been reminded of the Permanent Court of International Justice’s decision in the merits

phase of the Factory at Chorzów case 105: “that reparations must, as far as possible, wipe out all the

consequences of the illegal act and re-establish the situation which would, in all probability, have

existed if that act had not been committed”.

35. It is the development of a shared determ ination to “wipe out all the consequences of the

illegal act” which, alone, might usher in a new era in the Balkans. This Court can promote that

shared determination.

36. And then there is the futu re. By the way this case is deci ded, the law can play several

important “civilizing” roles. It can summon pers ons, everywhere, to display the courage to oppose

criminal activities by their Government.

37. It can proclaim that a nation’s toleran ce of, or complicity in, egregious illegal conduct

cannot be expiated by punishing a few notorious leaders. It can ensure that the burdens ⎯ and they

are not only monetary ⎯ of reconstituting that which was illegally destroyed is shared and does not

come to rest exclusively on the bowed and bloodied heads of the victims.

38. That contrite, responsible and humane visi on of a new future is far from what we have

seen in the pleadings coming from the other side. The Respondent thinks that, on a technicality, it

may escape any need to take responsibility, any dut y to participate in addressing the consequences

of the Bosnian genocide. ProfessorVarady, until recently Serbia and Montenegro’s Agent in the

actions brought by his country against the NATO St ates, has told his fellow Serbs, as recorded in

their media, that his object, in those other cases, his “main strategic goal”, had been “to shift the

collective responsibility to an individual one” 106. By this he meant that he aspired, in arguing the

NATO cases before this Court, to ensure that hi s country would not be held responsible, in our

present case, for the Bosnian genocide, that it woul d escape State responsibility, that the price, if

any, would be paid by individual criminal defenda nts in another tribunal. Were that, indeed, the

outcome of this case, that the State cannot be held responsible for its leaders’ horrendous actions, it

would eviscerate the Genocide Convention and make us all much more vulnerable.

105
Factory at Chorzów, Merits, Judgment No. 13, 1928, P.C.I.J., Series A, No. 17, p. 47.
1012/NIN/9, December 2004. - 57 -

39. What an undesirable development that would be! We respectfully urge the Court to

make clear that this was not the law expounded in the NATO cases.

40. Important steps forward have been take n by the introduction of a functional notion of

personal criminal responsibility, implemented by a legitimate international judiciary. Those

developments have encouraged us to hope that our generation has made significant progress out of

a despondent past. To quote ICTY Judge Theodor Meron, speaking as President of that Tribunal,

“Those who drafted, on the heels of the Second World War and the Holocaust,
the Convention for the Prevention and Punish ment of the Crime of Genocide, were
animated by the desire to ensure that th e horror of a state-organized deliberate and

massive murder of a group of people purely because of their identity will never recur
in the history of mankind.” 107

41. What a terrible bargain it would turn out to be, if personal criminal liability would have

been achieved at the cost of State responsibility. And what a misunderstanding of the requisites of

justice.

42. In modern international law, the State no longer owns the individual; rather, individuals

collectively own the State. On this Bench are persons who have been leaders in this legal

transformation. With the privilege of that new status, the people who constitute the modern State

must willingly accept their share in State responsibili ty, not be encouraged to shirk it. We plead

with this Court to clarify any lingering confus ion between State responsibility and the notion of

collective guilt. To hold the Respondent responsible for genocide is not at all to assert that the

people of Serbia and Montenegro all share the gu ilt of this genocide. Clearly, they do not. But

their State deliberately led, helped, trained, ar med, clothed, paid and inspired those who did

commit genocide. While many of them do not sh are the perpetrators’ guilt, they all share the

citizens’ responsibility to admit the enormity of what was done in their name and to help make

amends.

43. This case affords the Court an extrao rdinary opportunity to fulfil the Convention’s

“civilizing mission”.

44. It is essential for the Court to assume the important role assigned to it by ArticleIX of

the Genocide Convention. Assess the evidence. Fix responsibility. Teach the nations and rekindle

107
Press Release CT/P.I.S./860-e, 23 June 2004. - 58 -

the hopes of the victims. This is a role no ot her international instituti on can perform and whose

only alternative is the all too familiar recurring cycles of blood and vengeance.

45. Madam President, honourable Members of th is Court, this ends our first round of

pleadings. We have focused mainly on the facts and patterns of facts that have come to our

knowledge since our Reply. We have tried to refrain from repleading facts already demonstrated in

earlier pleadings, but urge you also to take these into account, for they notably conform to the

pattern. We have not argued in great detail the issue of your jurisdiction because this Court has

spoken definitively on this issue in so far as it pertains to our case. We expect you to treat the

elements of your decision, in 2003, on the request for revision, as res judicata. We will certainly

have more to say after having heard the pleadings of the Respondent, no doubt on this and other

matters, beginning tomorrow. Bosnia expresses its deep appreciation for the opportunity to

present, in such detail, its case for your consideration.

The PRESIDENT: Thank you, ProfessorFranck. This brings us to the close of the first

round of oral argument of Bosnia and Herzegovina . The Court will meet at 10a.m. tomorrow to

begin hearing the first round of oral argument of Serbia and Montenegro. The Court now rises.

The Court rose at 12.50 p.m.

___________

Document Long Title

Audience publique tenue le mardi 7 mars 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de Mme Higgins, président

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