Procès-verbaux des audiences publiques tenues au palais de la Paix, à La Haye, du 16 au 30 juillet et le 16 octobre 1975, sous la présidence de M. Lachs, président

Document Number
061-19750516-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1975
Date of the Document
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COUR INTERNATIONALEDEJUSTICE

MÉMOIRES. PLAIDOIRIEET DOCUMENTS

SAHARA OCCIDENTAL

VOLUME V

Exposésorau(suieJn)
ecorrespondance

INTERNATIONALCOURTOF JUSTICE

PLWDINGS, ORAL ARGUMENTS,DOCUMENTS

WESTERNSAHARA

VOLUMEV

Oral Staternents(concluded)
andCorrespondence Référenc aebrkgé e
C,I.J. Mémoires,Saharaoccidenlal,
vol.v

Abbreviatedreference :
iC.J. Plecldings,WesternSahara,
Vol. v

Node vente:
Sales numberSAHARAOCCIDENTAL

WESTERNSAHARA COUR INTERNATIONALEDE JUSTICE

MÉMOIRES,PLAIDOIRIEET DOCUMENTS

SAHARA OCCIDENTAL

VOLUMEV
Exposoraux (suifin)r
et correspondance

INTERNATIONCOURT OF JUSTICE

PLEADINGSORAL ARGUMENTS.DOCUMENTS

WESTERN SAHARA

VOLUME V

Ora\Starerne(coricluded)
andCorrespondence L'affaire du Sahara occidenrat,inscrite au rôle généralde la Cour sous le
numéro61le3janvier 1975a . fait l'objet d'un aconsultatif rendu le 16cctobre
1975(Sahara occidental,avis consultatij;C.I.J. Recueil 1975, p. 12).
Les exposéset documents relatifs à cette affaire sont publiésdans l'ordre
suivant :

Volume 1. Requête pouravis consultatif ; dossier du Secrétaire général des
Nations Unies ; exposesécrits de la France, de Panama, du Nicaragua, du
Chili, du Guatemala. de la République dominicaine,de I'Equateur,du Costa
Rica,de laColombieetde l'Espagne ;débutdesinformationset documentsde
l'Espagne.
Volume II. Suite et fin des informations et documents de l'Espagne.

Volume III. Exposésécritset documents de la Mauritanie et du Maroc.
Volume IV. Débutdes exposés oraux.
Volume V. Suite et fin des exposés oraux,correspondance.
Dans la présente édition,ni la présentation typographique. ni l'orthographe
des noms propres nesauraientêtreutilisées aux finsde l'interprétation destextes
reproduits. Les versionsou traductions différentesd'un mPmetexteen français

ou en anglais ont été maintenues.
Pour lesrenvoisd'unvolume AI'autredela présenteédition,un chiffie romain
gras indique le numérodu volume auquel ilest renvoyé.

La Haye, 1982.

The WesternSaharacase waseniered as No. 61in theCourt's GeneralListon

3 January 1975 and was the subject of an Adviçory Opinion delivered on
16 October 1975 (Western Sahara, Advisoiy Opinion, I.C.J. Reports 1975,
p. 12).
The order of publication of the statements and documents presented in this
case is as follows:
Volume 1. Request for advisory opinion ;dossier transrnitted by the Secretary-

Generai of the United Nations ; written statements of France, Panama,
Nicaragua, Chile,Guatemala, the Dominican Republic, Ecuador, Costii Rica.
Colombiaand Spain ;information and documents presented by Spain(begin-
ning).
Volume 11.Remainder of information and documents presented by Spain.
Volume III. Written statements and documents presented by Mauntania and
Morocco.
Volume IV. Oral statements (beginning).
Volume V. Remainder of oral statements ; correspondence.

Neither the typographical presentation nor the spelling of proper names
employed in this publication rnay beused for the purpose of interpreting the
texts reproduced. Diffcringversionsor translations of the sametext inEnglishor
French have been left unaltered.
Incross-referencesbetween voiumes,the number of the volume rer'erredto is
indicated with a large Roman numeral in bold type.

The Hague, 1982. TABLE DES MATIÈRES . CONTENTS

Compétencede laCour et opportunitédeson exercice en l'espèce ...
Objet de la requête.....................
Portéede la requete ....................
Conséquences ......................
Si la réponse aux questions posées peut modifierle processus de
décolonisation. elles sont sans objet car ce processus a déjàet6
définipar lesNations Unies ...............
Sens et portéede l'argumentation de l'Espagne.......
Rapports entre les questions territoriales et les principes1;i
décolonisation ..................

Si ces questions portent sur un différendterritorial que le Maron
proposé a l'Espagnede soumettre à la Cour. la réponse porterait
atteinte Bune correcte interprétation de la fonctionjudiciai.e .
La Cour n'a pas compétencegour examiner un différend par lavoie
consultative sans le consentement d'un Etatqui serait partieace
dirérend ......................
L'Espagne continuera néanmoins à contribuer aux activités de
l'Assembléegénéraleet de laCour ..............

Examen despoints de faitet de droit soulevéspar leMaroc ..... 43
Postulat de la possession immémoriale du Maroc sur le Sahara
occidental par unitéde destin historique ........... 46
Données géographiques .................. 47
Données historiques générales ............... 53

Portéetemporelle desréferenceshistoriques ......... 53
Nature destémoignages ................. 55
Prétendusfaits desouveraineté ............... 57
Caractère et organisation de l'Empirechérifien........ 57
Actes d'allégeance.dahirs.perceptions fiscales........ 59
Résistancedu peuple marocain .............. 68

Rôle de Ma el Aïnin ................. 71

Postulat de la reconnaissance internationale de la souveraineté di^
Marocsur leSahara occidental ............... 78
Traitéde Marrakech du 28 mai 1767 et traité du le' mars 179i)
entre l'Espagneet leMaroc ............... 79
Conventions concernant la protection des naufragéset la fermeture
desports (fin XVIIlesiècleet XIXesiècle) .......... 85 X SAHARA OCCIDENTAL

Page

Traite du 13 mars 1895 entre la Grande-Bretagne et le hlaroc et
accord du 4 novembre 191 1entre l'Allemagneet la France ...
Absence desouverainetédu Rlaroc au sud du Noun et du Draa . .
Postulat selon lequel certains actes internationaux ne seraient pas
opposables au hlaroc ...................
Ifni:traite deTétouan du 26 avril 1860et pretendu traité du20juin

1900entre l'Espagneet le hlaroc .............
Sahara occidental : prétendus doutes de t'Espagne quant 1 la
validitéde ses droits(1884-1885) .............
Absencedeprotestationduh4aroc(1884.1909) ........
Pratique des Etats au moment de l'expansioncoloniale......
Projet d'accord et accords entre l'Espagne et la France (1891-1912)

QUESTIOK PUT BY JUDGERUDA ......... III

EXPOSE ORAL DE hl. LACLET(A ESPAGNE .)..........
Examen despoints de faitet de droit soulevéspar la Mauritanie ...
Postulat de l'identitéentre le Bilad Chinguiti et le pretendu ensemble
mauritanien .......................
Postulat de l'unitédu prétendu ensemble mauritanien .......

Emirat de I'Adrar ....................
Tribus indépendantes desémirats ..............
Emirats maures du Sénégal ................
Postulat de la négationde l'identitédu Sahara occidental ......
Personnalité propre de la population du Sahara occidental au
moment de lacolonisation espagnole ...........

EXPOS~ ORAL DE h4. ~~ART~NEZ CARO (ESPAGNE ........
Prétentionsen cause ....................

Règles dedroit international applicables............
Absence .au moment de la colonisation espagnole. de toute souvc-
rainetéetatique sur le Sahara occidental et de tout lien juridique
intéressantlasouverainele sur ce territoire soit avec le Mar.soit
avec le prétendu ensemble mauritanien ............
Rôle de l'Espagnedans l'affair................

EXPOSE ORAL DE M . VEDEL (MAROC) .........
La Cour doit donner suite a la demande d'avisconsultatif ......
Objections de l'Espagne ..................

Les questions posées1 laCour retéventde la compétence consultative
et ne visent pas Pla mise en Œuvre d'une procédure juridictionnelle
déguisée ........................
Ces questions ne conduisent pas a trancher une contestation
territorial.......................
EHesne sont pas académiques;ellessont pertinentes ........ TABLE DES ~~ATIÈRES . CONTEXTS XI

Page
La Cour doit répondreaux questions qui lui sont poséeset non a
........................
d'autres 169
Thèsesdel'Algérie .................... 169
Terra irrtlli~is.................... 172
Dar el lslani ....................... 174
Droit intcrtemporel ................... 176
Autre détermination ................... 178

ExrosÉ OR.\L L)E hl. DUPUY(~IAROCI ...........

Remarquespréliminaires ..................
. Esistence de liensjuridiques entre le Saharaoccidentalet le hlaroc
au moment delacolonisation espagnole ...........

A . Argu riietstirésdes carte géographiques .........
B. Argumeiits historiques ................
1. Definition exactedeI'espressionouedNori~i.......
2. Politiquedu sultan hloulay 1-Iassan ..........
3. R6le joue par h.la el A'inin ..............

II. Reconnaissanceinternationale de l'existence des liens juridiques
entre leSaharaoccidentalet leMaroc ............
A .Traites de paix. de commerce et d'amitié concluspar le Maroc
aLisSVIIIC et SISt siècles...............

I. Invocation consiante del'oued Noun .........
2. TraitédeMarrakech du 28 mai 1767 .........
u) Problénie de la iraduction déstextes ........
61 Interpretation juridique destestesenprésence ....

3. Prolection desnaufrages ..............
B. Accord du 13mars 1895enire laGrande-Bretagneet le Maroc
I. Interprktation du texte ...............

7. interprétation desfaits...............
C. r\ccords internationaux relatifs au dernaritklement territorial
du Xt.aroc .....................
I.'l'raite de Tétouan du 26 avril 1860 entre l'Espagne ei le

Maroc .....................
2. ~\ccoi.dsconclus entre puissanceseuropéennespour I'etn-
blissemenidezonesd'infliience ............

Observationssur tesexposesoraux .............. 242
Réponse a laquestion dcsir Hiimphrey \.\'aldock ......... 248
Réponse i la premiErequestionde h.1.Petren .......... 249
Réponseàlatroisième questioi deR. l Pe1ri.n.......... 251Sll SAHARA OCCIDENTAL

Page
Ex~osi ORAL DE . SAWIOS(hiAURITANIE) .......... 253

Recevabilité etcompétence ................. 254
Première hypothèsede l'Espagne ...........:.. 254
Deuxième hypothésede l'Espagne ............. 255
Troisième hypothèsede l'Espagne .............. 259
Réponse ala première question de h4.Pelren ......... 263
Première question posée alaCour ............... 263

Terraii~rlliirs...................... 263
Réponsea la question de sir Humphrey Waldock ........ 268
Secondequestion posee a laCour ............... 269
Réponse ala deuxièmequestion de M.Petren ......... 269
Identitéentre le BiladChinguiti et l'ensemblemauritanien .... 270
Cohésionde l'ensemblemauritanien ............. 272
Absence de cohésion du Sahara occidental au moment de la
colonisation espagnole .................
Réponse aladeuxièmequestion de hf . Ruda ........,,
Réponsea latroisième question de hl .Petren .........
L'ensemble mauritanien constituait un peuple doué dela souverai- '
netéextérieure sans etreconstitue en Etat..........

EXPOSEORAL DE h.1. O OU LAY EEL HASSES(~.~AURITABII.) ....

Péroraison ........................

Réponseaux premièreet troisième questionsde h.1.Petren .....
I. La notion de Da1el Islam .................
2. Lesens et la portée desquestions poséea laCour .......
................
43.Le problèmedu droit intertemporel .............

A. Le droit intertemporel .tel qu'interprétépar hl. Vedel. aurait du
donner l'Algéria laTurquie ..............
B . Le droit intertemporel.tel qu'interprétépar h.1.Vedel. aurait du
donner leSoudan a1'Egypte ..............
C . Le droit intertemporel . tel qu'interprété par h4. Vedel.
rnkconnait le rapport de droit entre une population et son
territoire et aboutit a une conception dangereuse des i<droits
historiques>) ....................
D . Le droit intertemporel.tel qu'interprétépar h.Vedel .dénature
leproblèmede l'intégrité territoriale...........
5. Méprisesur l'autodétermination par confusion entre l'espèce etle
genre .........................

A . Ledroit a l'autodéterminationrelèvedu jus cogciis......
B. Les revendications territoriales ne peuvent faireéchecau droia
l'autodétermination .................. TABLEDES MATIERES . CONTENTS Sllt

EXPOS E RAL DE M . LACLETA (ESPAGNE) ............
Compétencede laCour et opportunitéde son exercice en l'espèce . .

Exercice de la fonctionjudiciairelaCour ..........
Effetdu principe de l'autodétermination ...........
Questions territoriales soumises àla Cour ............
Prétendue possession immémoriale du Maroc sur le Sahara
occidental:assise interne................

Absence d'unite géographiqueentre lespays de l'ouedNoun et la
régionde la Sakiet El Hamra..............
Absence d'unitéentre leurs populations ..........
Absence d'autoritépolitique commune ...........
Réponse a la premièrequestion de M. Ruda ..........
Prétendue reconnaissance internationale des lieiis de souveraineté
sur leterritoir:droit conventionnel ............

Prétendue existence d'unensemble mauritanien ........
Défaut de liens géographiques. religieux. cultur.léconomiques .
politiques ou juridique.................
Conséquences inadmissibles de la notion d'ensemble au point de
vue du droit international...............
Rejetdu reproche d'immobilisine faatl'Espagne .........

Péroraison........................ 359

Réponsea laquatrieme question de M .Petrén .......... 360

CLOTURE DE LA PROCEDUR OERALE SUR LA REQUETE POUR AVIS
CONSULTATIF ....................... 363

LECTURE DE L'AVIS CONSULTATIF ............... 364

Correspondance . Correspondence ................ 367 EXPOSÉS ORAUX (Sirietfin)

ORAL STATEMENTS (Concluded)PROCES-VERBAUXDES AUDIENCES PUBLIQUES

renuesau palaisdela Paixa la Haye,
du 16 au 30juilier et le 16 octobre 1975,
sous /a présidencede M. L~ar, rksideni

MINUTES OF THEPUBLICSIïTINGS

Iiefut thePeacePalace.TheHague,
from 16to 30 July anon 16 October 1975,
President Lochspresiding VINCTIEMEAUDIENCE PUBLIQUE(16 VI175. IOh (suite)

Présents:M. LACHSP ,residen; M. AMMOUN. Vice-Président; Mhil.FORS-
TER. GROS. BENCZON PETRENO . NYEAMA .ILLARD I.NACIO-PINTO. DE
CASTROM . OROZOV JIMENEZ DE ARECHAGA sir Humphrey WALDOCK,
MM. NAGENDKA SINGHR , UDA uges; M. BONI j,ge ad hoc; hl. AQUA-
RONE, Grefler.

EXPOSE ORALDE M. LACLETA

REPRÉSENTANT DUGOUVERNEMENTESPAGNOL

M. LACLETA : Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Colir,
lors de l'examen de la question relativa la désignationde juges ad l~oc,la
représentation espagnole a exprimé5 la Cour le témoignagede son profond
respect. A~ijourd'hiii,ayant le grand honneur de me retrouver devant vous, je
veux étendre ce témoignagea une Cour dont la composition a étéélargieen
vertu de l'ordonnance rendiie l22 mai dernier (C.I.JRecir~i1975,p. 6).
J'ai le plaisir de constater qu'avec la présencedExc. le juge Alphonse

Boni la représentation. au sein de la Cour, d'un des principaux systèmes
juridiques dii monde s'est accru; et aiissi que la Cous'esenrichie avec la
participation d'un jurismnsiilte d'une compétence notoire, qiii exeleplus
haute fonction judiciaire dans son pays.
Je tiens a relever aussi le fait que l'examenCour de l'affairedu Sahara
occidetrrala cette phase orale, nous a apporla contribution d'un aiitre Etat
africain, le Zaïre. Qumelsoit permis, au nom de la représentation espagnole,
d'exprimer nos salutations les plus amicalala représentationzaïroise.
Finalement, Monsieiir le Président, Messieurs les membres de la Cour, je
voudrais m'associer au deuil de tous,lesjuristes pour la disparition de l'un des
anciens membres de la Cour. le Présidentsir Arnold Duncan McNair.

Le problème de la compétenceayant étéexaminédans les exposes écritset
oraux des Gouvernements du Royaunle dii Maroc et de la Républiqiie
islamique de Mauritanie, j'ai I'honneiir d'exposer les commentaires quele
Gouvernement espagnol désire formuler par rapport auxdits exposés,
conformément a l'articl66 du Statut de lCour. Or, je ne peux pas manquer
de signaler que l'honneur de me retrouver devant laCour ne va pas, en
I'occurrence,sansun certain embarras.
Un embarras qui, d'autre part, avait déjàétéprévu, ou envisagé, d'une
certaine façon, il y a quarante ans, par quelques-uns des juges de la Cour
permanente, à l'occasion de la réformedu Règlement réaliséen l'année1936.

Le 16 mai 1934, lors de la deuxièmeséancede la trente-deuxième session de la
Cour, le Président, sirCecil Hurst,posix qiiestions de principe, en vile de la
revision du Règlement de la Cotir, dont la troisiémeavait le libellésuiv:nt
(<Y a-t-il lieu de prévoir une réglementation complète de la matière des avis
consultatifs >(C.P.J.I.YL;~~> tr2, 3eadd.,p. 10.)
Cette qiiestion, on le sait, reçiit finalement une réponse positive et le
Présidentdédara :6 SAHARA OCCIDENTAL

« la Cour doit réviser et compléter le Règlement au point de vue de la

procédure cunsulktive, afin de faciliter dans l'avenir la tâche des
jurisconsultes chargés dereprésenterun Etatqui serait intéressédans une
procédureconsultative f(C.P.J.I.sgrieD /r2, 3eadd., p. 12).
Je ne peux pas m'empêcherde me sentir visépar cette référenceprévoyante
du Président Hurst. Elle a. en outre, le grand mérite de rappeler que le
Règlementde cette Cour a pour objet de faciliter non seulement I'accomplisse-
ment de la mission de la Cour en tant qu'organe judiciaire. mais aussi la tâche
de ceux qui comparaissent devant elle.

La mêmeidéefut reprise par d'autres membres de la Cour. On disait que
l'articl71proposé - qui allait devenir l'arti82e- étaitconçu en des termes
si larges<<que la Cour peut faire ce qu'elleveut?y,mais on ajoutait que,si cela
était vrai,« il est aussi vrai que les parties ne savent pas quelle sera l'attitude
de la Cour ))(ihid..p. 408).Et,pour sa part, le Vice-PrésidentGuerrero consi-
dérait :
« qu'il faudrait, dans le Règlement,introduire une différenciationentre la

procédurevisant les avis <<sur différendr>et celle quidoits'appliquer aux
avis sur point )>.Le Règlement est fait surtout pour que les Etats
puissent savoir'comment ils doivent se présenter devant la Cour » (ibid.,
p. 4081,
Ici, le Vice-PrésidentGuerrero évoque le problème de différencierla pro-
cédurerelative aux avis sur differend de la procédure applicable aux avis sur
point.

Je me bornerai a faire une double remarque sur cette question.
Premièrement, que les débatssur le Règlement de ces années-lafont appa-
raître des propositions tendant a l'inclusion dans le Réglementde la Cour de
deux procédures différentes.et cela afin d'empêcherque les Etats ne croient
que la procédure consultative serait toujours presque identique a la procédure
contentieuse. Après de longs débats.on le sait. une telle différenciationn'eut
pas lieu. On se borna a ajouter une phrase a l'article 82 du Règlement,
spécifiantque la mesure dans laquelle les dispositions relativesa la procédure
contentieuse seraient applicables a la procédure en matière d'avis consultatif
dépendraitdu fait qu'ils'agiraitd'un avissur differend ou d'un avis sur point.
Cette idée,formulée par le juge van Eysinga. est a la base de l'article 87 du
Réglementen vigueur.
Bref, au lieu d'une procédure différenciée,on a admis la technique d'une
assimilation, assimilation dont la détermination de la portée revienta laCour.
Deuxièmement. on peut dire. des maintenant, que la logique interne de la
procédure consultative. c'est-a-direson unité fondamentale. sera maintenue

aisement au cas ou l'avis serait demandé par l'organe requérant sur une
question juridique concernant l'exercice de ses fonctions. ou bien sur des
questions juridiques générales ou abstraites, c'est-à-diredans le cas des anciens
avis sur point dont on parlait a l'article 14du Pacte de la Sociétédes Nations.
On pourrait soutenir aussi que cette logique interne de la procédure
consultative sera maintenue en cas d'avis demandé au sujet d'une question
juridique actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats. ces Etats ayant
convenu qu'un avis de laCour serait de nature a contribuer au règlementde ce
differend. Mais si l'avis est demandé au sujet d'un différend sans le
consentement préalable de l'un quelconque des Etats interessks. la logique
interne de la procédure consultative prend un aspect plut6t formel et des
contradictions profondes surgissent. Ces contradictions font sentir leurs effets EXPOSEORAL DE hl. LACLETA 7

siir lecomportementdes Etatsparticipanta la procediireet celatout au longde
son développement;elles nepourront pasêtrerésoluesavant le momentoii, la
procédureterminée,l'avissera rendu.
Ces remarques sont pertinentes en,ce qui concerne le sens et la portéedla
participationde l'Espagnedans la presenteaffaire.
La position espagnole estbien connue de la Coiir. Ali mois de mars, le
Gouvernement espagnol a soumis a la Cour un exposéécritoii étaient
examinées les circonstances de la présente affaireet les conséquences
appropriéesqu'onétaiten droit de tirer par rapport a l'exercicede la fonction
judiciaire de la Cour. Ce faisant,leGouvernement espagnol a exercéune
faciiltédécoiilantde l'artic66 du Statiitde la Coiir, en taque Membredes
Nations Unies.
En plus, le Gouvernement espagnol a présentédevant La Chur des
informationset desdocumentsau sujetdu territoire duSaharaoccidental,poiir
mieux éclairerlesdonnées dela présenteaffaire.
Et acemoment du débatje nepeux paslaissersans réponsel'affirmationdu
represenunt du Royaume dii Maroc, assiirant qiie l'Espagnea soumis à la
Giir « un certain nombre depièces précédéde'slinvéritableplaidoyertendant
a établiriine prétenduesouverainete espagnole sur le Sahara » (FV ,. 120).
Cecin'aété nullement notre intention et un telsens ne peupas ëtre attribue a
Gouvernement espagnol ne prétend pas établir une soiiveraineté dontour. Le
l'existencen'ajamaisété miseen question. D'ailleursiln'ajamais consentiace
qiie cette Coiir,ou n'importe quelleautre juridiction internationale,examine
sestitresde soiiverainetéau Sahara. Notre attitudeet notre intentionsont bien
difiérentes.Nous avons voulu simplement rempjir le devoir qui incombe a
l'Espagneen tant que Puissanceadrninistrantedu Sahara occidental,et on doit
so~ilignerqiie ce n'est qu'ace titre que l'Assembléegénérale a adressé sa
demande d'informationsa l'Espagnecontenue au paragraphe 2 de la résolu-
tion 3292(XXIX).
Lesens et la portéede la participationde I'Espagiieàla procéduredans la
présente affaire étaiendtonc clairementdéfinis.Lorsdes audiencescoticernant
la désignation desjuges ud Iioc,nolis avons mis en relief,une foisencore, le
mème fait. De l'avisdu Gouvernement espagnol, l'Assembléegénérale des
Nations Unies n'avaitpas demandéa la Coiir lin avis au sujet des qiiestions
juridiqiiesactiieliernentpendantesentre I'Espagneet n'importequel Etat.Nous
avons soutenii, néanmoins,que, si la Cour arrivait a iineconclusioncontraire
et constatait mémea titre provisoire l'existence d'iin différend,alors te
Gouvernement espagnol seraiten droii de tirer les conséqiiencesappropriéeç
au sujet de la fonction judiciaire de la Coiir et de sa compétence. Cette
conclusion avaitétéannoncée à la Cour par le Gouvernement espagnol dans
son exposéécrit.
L'ordonnance de la Cour en date du 22 mai a résolula question de la
désignationd'un juge adhoc. Pour arriver aii résultat qiienousconnaissons,la
Cour adit que :
<<aii moment de I'adoptioride la résolution3292(XXIX)[parl'Assemblée
générale] ,paraissaity avoir Lindifférendjuridiquerelatifau territoiredu
Sahara occidentalentre le Maroc et l'Espagne; que lesquestions posées
dans la reqtiétepour avispeuvent êtreconsidéréec somme se rattachant a
ce difîerend (C.I.J. Recrrril 1975p. 7).

La Cour n'a pas admis la mèmeconcliision par rapport à l'existence d'un
différendentre l'Espagneet la Mauritanie.8 SAHARA OCCIDENTAL

La décisionde la Cour est définitiveen ce qui concerne sa composition. De
ce fait. comme je le disais ily a un instant, nous sommes devant uneCour dont
la composition a étéélargie.Par contre.sa décision n'estpas définitiveau sujet
de I'existenced'un differend. On nous dira que c'est la logique interne de la
procedure consultative. mêmede la procédureconsultative dans lecas ou l'avis
serait demande sur un différend.
Pourtant, il est aisé de constater que nous nous trouvons face a une
contradiction intrinséque de la procédure consultative, car le provisoire doit

durer nécessairementjusqu'au moment ou l'avissera rendu. pour ce qui est de
l'existencedu différend :par contre. sur la base toute provisoire qu'il parait y
avoir un différend. la Cour est obligéede tirer une conclusion définitive,
concernant sa composition. Un Etat. dans cette situation procédurale. doit se
comporter devant laCour d'une façon fort inhabituelle. car la compétencedela
Cour et l'opportunité deson exercice nesont pas débattuesau préalable.avant
tout examen du fond de l'affaire. On pourrait dire que les exceptions
préliminaires.par'la logique interne de la procédure consultative.sont toujours
et nécessairement jointes au fond.
Ces considérations d'ordre procedural expliquent le plan general de notre
intervention devant la Cour dans cette phase orale.
ta première partie de notre exposéaura trait aux questions se rapportant a la
compétencede la Cour ainsi qu'a l'opportunitéde son exercice dans la présente
affaire.
La deuxième partie de notre intervention sera consacrée à l'examen de
quelques faits et points de droit soulevés par la thèse centrale du
Gouvernement du Marocconcernant lesquestions soumises ala Cour. àsavoir
que le Royaume du Maroc avait des liens de souveraineté avec le territoire du
Sahara occidental au moment de sa colonisation par l'Espagne et que. par

conséquent. ce territoire n'étaitpas terra nullius. Mon coflègue au service
juridique du ministéredes aîfairesétrangères.M. AriasSalgado. se chargera de
cette partie de notre intervention.
Finalement. la dernière partie de notre expose portera sur les faits et les
points de droit ou s'appuient les thèses centrales du Gouvernement de la
Mauritanie qui. en affirmant aussi que le Sahara occidental n'était pasres
nullius audit moment de la colonisation espagnole, prétend que l'entitédite
ensemble mauritanien avait égalementdes liensjuridiques avec le territoire. 11
me reviendra d'exposer cette troisième partie de notre intervention.
Pour lever toute équivoque. je dois répéter. dèsmaintenant, que nous ne
nous proposons nullement. en examinant les problemes territoriaux poses par
la requête d'avis.de plaider sur un différendse rattachant a ces problemes.
Mêmesi on admet que lesexceptions soulevéespar leGouvernement espagnol
sont jointes au fond par la logique de la procédure consultative, nous voulons
souligner que l'objet de notre présence devant la Cour, en ce qui concerne
l'examen desdites questions, continuera a etre celui indiqué précédemment,a
savoir de fournir a la Cour des informations et des documents pour donner
suite à la demande adressée par l'Assembléegénérale desNations Unies a
l'Espagne. en tant que Puissance administrante du territoire.

Ces remarques faites. je dois ajouter qu'il existepour les représentants du
Gouvernement espagnol un autre motif d'embarras dans la présente affaire :
celui qui a traita la façon dont certaines thèses ont été présentéedsevant fa
Cour. Si on tient compte des déclarationsfaites par leGouvernement du Maroc
aux audiences concernant la désignation desjuges ad hoc et de celles faites au
cours de cette phase orale, tant en ce qiii concerne l'existence d'un diffé-
rend qu'au sujet de la portéedelareqiiktepour avis consultatif, ileacraindre EXPOSG ORALliE M. LACLETA 9

qiie les donnéesfondamentales de la présenteaffaire soient restéea l'arriere-
plan.
Nous ne voulons pas suivre cette voie qui tend a obscurcir quelques traits
sailiants de la présente aflaire eta substituer le jeu du talent oratoire a la
rigueur de l'analyse. Tout au contraire. je m'efforcerai, des maintenant. de
préciser quelques données. quelques éléments qui sont déterminants pour
analyser les questions poséespar la resolution 3292 (XXIX) et la portéede la
requete pour avis consultatif.
Primo. on doit répéter.mêmeau risque d'êtreennuyeux,que la requétepour
avisconsultatif n'a pas étadoptée dansle néant.car ilexiste depuis des années

une procédure dedécolonisation du territoire du Sahara occidental adoptéepar
l'Assembléegénérale desNations Unies. La résolution 3292 (XXIX), par le
libelléde'son préambule.tient compte de cette donnéefondamentale en faisant
référenceexpresse au droit a la libre détermination eti l'indépendancede la
population du Sahara occidental.
Secutido. au cours des débats au sein des organes des Nations Unies
concernant l'application de la résolution i5 14 (XV) au territoire du Sahara
occidental - et je tiena rappeler que le titre de cette resolution <(portant
déclarationsur l'octroi de l'indépendanceaux pays et aux peuples coloniaux »
- des divergences de points de vue se sont manifestéesentre leGouvernement
du Maroc et le Gouvernement de la Mauritanie. d'une part. et aussi. d'autre
part. entre ces deux gouvernements et leGouvernement espagnol. Néanmoins.
il doit êtrereconnu que. après 1966. les Etats intéressés ont expressément
acceptéque la décolonisation duSahara occidental passe nécessairemeiitpar la
voie du respect de la volontéde sapopulation. A présent.leGouvernement du
Maroc a essaye de donner une interprétation de sa conduite. au sein des
Nations Unies. après1966. qui ne nie pas ces données fondamentales. Vous
trouvez ces points dans Iéxposéfait. le 25 juin dernier. par LI. Iàmbassadeur

Slaoui et on peut y lirea la page 122 (IV),que :
<<le Maroc. tout en réservant de façon constante ses droits. a voulu.
seulement dans un esprit de conciliation et pour mettre la Puissance
administrante en face de ses responsabilités.adhérera certaines modalités
préconisées parl'Assembléegénéraledans sa résolution du 20 décembre
1966 N.

Je me permets d'ajouter qu'il s'agit de la résolution 2229 (XXI). ou la
Puissance administrante est invitéea arrêterun référendumafin de permettre a
la population autochtone du territoire d'exercer son droit a l'autodéterrni- a
nation.
On doit constater que si. avant 1966. les Etats intéresses ont eu des
divergences de vues concernant le processus de décolonisation du territoire.
aprés t'adoption de la résolution 2229 (XXI). il a étéadmis par l'Assemblée
générale et aussi par la Puissance adminisirante et par les Etats intérque le
processus approprie pour arriver à la décolonisation duSahara occidental était
le processus d'autodétermination qui devait être réalisépar la voie d'un
référendumde sa population.
T2r1io.les audiences tenues par la Coiir dl1 12au16 mai (IV. p. 5-105)ont
étéimportantes en ce qui concerne l'objetde la demande d'avis. En el'fet.elles
ont souligne le fait quea la suite de la conférencede presse de SM. le roi du
Maroc. tenue le 17 septembre 1974. le ministre des affaires étrangères du
Royaume du Maroc a adressé. te 23 septembre. une note au ministre des
araires étrangèresd'Espagne proposant que les deux pays se mettent d'accord

pour saisir la Cour internationale de Justice au contentieux sur un tiirrérend10 SAHARA OCCIDENTAL

concernant le statut du Sahara occidental au moment de sa colonisation par
l'Espagne.
Quar~o,au cours des débatsde la vingt-neuvième session de l'Assemblée
générale desNations Unies, le souci de justifier le besoin de saisir la Cour
dominera l'intervention des représentants du Maroc. On exposera des
allégationstendant à montrer que la conduite de la Puissance administrante a
rendu impossible l'application actuelle du processus de décolonisationadopté
par l'Assembléegénérale - et je reviendrai plus tard sur cette question.
D'autre part, on insistera sur I'existence d'une question juridique entre le

Maroc et l'Espagne concernant le statut du territoire du Sahara occidental au
moment de sa colonisation, problème qui. de l'avis du Maroc. devrait être
examine au préalable afin que l'Assemblée générale puisse poursuivre
l'examen de la question du Sahara occidental. On a soutenu que, si I'Espagne
acceptait de soumettre. conjointement avec le Maroc, ledit différend ala Cour.
celle-ci pourrait étresaisie au contentieux. mais que, si tel n'était pasle cas.
l'Assembléegénéraledes Nations Unies devrait user de ses pouvoirs et
demander a la Cour un avis concernant le statut dudit territoire.
Enrésumé l.thèse marocaine. à laquelle s'estassociéela Mauritanie. débute
par I'existence d'un prétendu différend entre l'Espagne et ces deux pays
concernant le statut du territoire au moment de sa colonisation. La thèse
continue par la consideration que cette question juridique. actuellement
pendante, peut ètre examinée par la Cour par la voie de la juridiction

contentieuse si l'Espagne est consentante ou, alternativement, par la voie de la
juridiction consultative moyennant une requêtede l'Assembléegénérale des
Nations Unies. Or. la portéede la requête est nettement affirmée car. de l'avdie
ces deux gouvernemerits. la réponsepar la Cour aux questions soumises par I'or-
gane requérant <<peut influencer de façon fondamentale le processus de deco-
Ionisation applicable au Sahara )>conformément a la résolution 1514 (XV).
Quinto, j'examinerai plus loin l'identitéentre l'objetdes questions soumises a
la Cour dans la requêtepour avis consultatif et l'objet du prétendu différend
territorial entre le Maroc et I'Espagne. Qu'il suffise de relever ici que le
Royaume du Maroc et la République islamiquede Mauritanie. sur la base de
cette identité.ont demandéa la Cour de les autoriser a désignerdes juges ad

hoc dans la présente affaire.
Pour justifier cette prétention. le conseil de la Mauritanie a parlé de
l'existence « des relations trilaterales))concernant le fond de I'afTaire : au
surplus. il a étédit que <la lecture des exposés écrits des troisgouvernements
fait apparaître des revendications fondamentalement différentes » et que «ces
exposésécritsrévélentla situation conflictuelle trilatérale».
De son côté.le Maroc a soutenu I'existence d'undifférend territorial qui.
d'après lui, ne pouvait pas ètre niéau motif que les questions juridiques
pendantes «concernent un lointain passe, parce que ces questions se posent a
l'heure actuelle. qu'elles mettent en cause des intérêtsjuridiques présents des
deux pays ))et on a dit aussi. au nom du Maroc. que :

<(Ce qui fait l'actualitéde ce différend,c'est que ces faits juridiques
passes constituent des titres pour beaucoup d'entre eux. des titres de
souverainetéayant des applications presentes ou susceptibles d'entraîner
des implications presentes. »(IV, p. 25.)

On ajoutait que l'Assembléegénérale a conviéla Cour ace qu'elleprocèdea
l'examen de ces titres de souveraineté par la voie de son avis consultatif.
Par conséquent.vous pouvez constater. Monsieur le Président.Messieurs les
membres de la Cour. quelle serait d'aprèslesGouvernements du Marocet de laMauritanie la portéede la requètepour avis consultatif dans la présente affaire.
On peut dire que, de I'avisde ces gouvernements, la Cour est priéed'entamer
Iéxamen des titres de souveraineté sur le Sahara occidental au moment de sa
colonisation par l'Espagne et. ce faisant. un diErend juridique actuellement
pendant pourrait être résolu ens'appuyant sur I'avis de la Cour et. en plus.
I'avis de la Cour pourrait servir pour modifier d'une façon fondamentale le
processus de décolonisationarrete par l'Assembléegénérale.On voit donc la
portéeréellede la requêtepour avis consultatif.
Enfin. par l'ordonnance du 22 mai courant. laCour. aux fins de la question

préliminairequ'est la composition de laCour en l'araire, arriva a laconclusion
que :
« les éléments soumis a la Cour indiquent que. au moment de l'adoption
de la résolution 3292 (XXIX). il paraissait y avoir un différend juridique
relatiau territoire du Sahara occidental entre le hlaroc et l'Espagne :que
les questions poséesdans la requétepour avis peuvent ètre coiisidérees
comme se rattachant a ce differend r(C.1.J.Recueil 1975, p. 7).

Par contre. en ce qui concerne la demande de la Républiqueislamique de
Mauritanie, les élémentsinvoquésindiquent que. audit moment de l'adoption
de la résolution portant requêtepour avis consultatif. « il paraissait n'y avoir
aucun différendjuridique relatif au territoire du Sahara occidental entre la
Mauritanie et l'Espagne n.Celte constatation de la Cour a étéfaite aussi aux
fins de la question préliminaireportant sur la désignationdes juges ad liuc.
Nous nous çommes vus obligésd'indiquer les données qui précédent.car
eltes portent sur des points essentiels qui divisent les Etats ici représentés.Nous
ne voulons pas reprendre tout ce qui a ététraitédans les exposes écritset dans
les interventions devant la Cour concernant lesdites données.Notre but sera
d'examiner. par rapport aux élémentsprécédents. deux questions importantes.

a savoir :d'une part. quel est l'objetde la requétepour avis consultatif. compte
tenu des termes employés par la résolution 3292 (XXIX) et des travaux
préparatoires de ladite résolution et. d'autre part. nous essaierons d'établir
quelle est la portéede la requêtepour avis consultatif dans la presente affaire.
L'examen de ces deux questions nous permettra de mieux exposer certaines
conséquences par rapport a I'e.uistenced'une question juridique actiiellement
pendante entre Etats. voire I'existence d'un differend entre l'Espagne et te
hlaroc relatif au territoire du Sahara occidental. Ensuite. nous pourrons tirer
lesconséquencesqui s'imposent par rapport ala compétencede laCoiir dans la
présenteaffaireet ;il'opportunitéde son exercice.
Je dois dire. au préalable. que cet examen est nécessairepour mettre en
lumière ceque j'ai signalétout 5 l'heure au sujet de la présentationde certaines
thèsesdevant la Cour. Si on lit les interventions marocaines, tant au cours des
audiences consacrées a la question de la désignation desjugesad hoc qu'aux
audiences de cette phase orale, on est frappe par un trait dominant toutes ces
interventions. II s'agitd'un effort systématiquepour briser toutes lescatégories
juridiques. Les contours de ces catégoriessont effacéset, au lieu déri tirer les
conséquences logiques nécessaires.on s'efîorcera de présenter une pluralité
indéfiniede solutions.
Tel est le cas pour ce qui araità t'objetde la requete pour avis consultatif et
à sa portée. Pour mieux précisernotre point de vue. on peut se référer a la
question de l'existence d'undifferend entre le hlaroc et l'Espagne au sujet du

territoire du Sahara occidental. Au cours des audiences du mois de mai. le
Gouvernement marocain a soutenu l'existence d'un differendparticulier qui
porterait,selon lui. sur le titre de souveraineta l'égard duSahara occidental :12 SAHARA OCCIDEhTAL

ce différend particulier étant une partie d'un autre que le Gouvernement
marocain appelle le différend global.fondamental, essentiel. et qui porterait sur
les modalitésde la décolonisation duSahara occidental au sein des organes des
Nations Unies.
Aujourd'hui, le différenddit particulier. on essaie de le laisser à I'arriere-
plan. A propos de l'ordonnance de laCour du 22 mai écoulé.on a soutenu que
vous avez constatéune réalité, asavoir que :

<(Le différend juridique pendant est dû. en effet. a t'obstination
manifestéepar I'Espagne. durant plus de dix ans. de ne pas mettre en
Œuvre les resolutions claires et nettes de l'organisation des Nations
Unies. » (IV,p. 118.1

Si on comprend bien ce passage de l'intervention du représentantdu Maroc.
on doit conclure que la Cour. aux fins de la question préliminaire relative a la
désignationdejugesad lioc.a retenu non le différendparticulier portant sur les
titres de souverainetésur leSahara occidental, mais. au contraire. qu'ellea pris
en considérationledifférend appelé global ou généra qlui.commenous venons
de le voir. semble êtrené au sein des Nations Unies et à cause du refus de
I'Espagnede ne pas mettre en ceuvre les resolutions de l'Assembléegénérale.
Ce changement d'attitude ne peut pas nous surprendre. Si, aujourd'hui, le
iWaroc met l'accentsur le differend global ou général,en oubliant le différend
particulier, c'est pour éviter que la Cour puisse en tirer les conséquences
appropriéesquant a l'exercicede sa fonction judiciaire.
Etje me permets en passant, hlonsieur le Président. Messieursles membres
de la Cour. de rejeter catégoriquement l'affirmationque lanon-exécution par

I'Espagne des résolutions de t'Assembléegénéralea occasionné un différend
juridique entre le Maroc et I'Espagne. C'est plutot l'annonce du fait que
I'Espagne se proposait de procéder au référendum prévu qui a déclenché
l'invocation par leMaroc d'un prétendu différend. Mais.pour le momeni. je
n'insisterai pas.ni sur cette question ni sur le changement d'attitude du Maroc
quant au différend dit généraolu au différend ditparticulier.
Comme je viens de l'indiquer. la tache première. pour écarter toute
confusion, est d'analyser l'objet de la requêtepour avis consultatif. cet objet
étantdetermine par les questions soumises a la Cour par I'Assembleegénérale
des Nations Unies. A cet effet.lesremarques suivanies s'imposent.
Premièrement. les questions territoriales concernant le statut du Sahara
occidental au moment de sa colonisation par l'Espagne sont absentes dans la
série de résolutions adoptées par 1'Assembléegénéraledepuis 1966. La
meilleiire preuve qui existe, c'est le fait incontestéque, dans aucune d'entres
elles. il n'estfait réferenceau paragraphe 6 de la résolution1514(XV) relative a

l'octroide I'indkpendance aux peuples et pays sous la domination coloniale. On
n'y mentionne pas non plus la prétendueintégrité territoriale d'aucundes pays
auxquels on reconnaît la qualité de parties intéresséesaux modalités du
référendum par lequel le peuple saharien devrait exercer son droit
d'autodétermination. Ce fait est important. car le Gouvernement marocain.
avant et aprks cette date, ainsi que leGouvernement mauritanien ont manifeste
a diverses reprisesqu'ilfallaitenircompte des prétendus liens de souveraineté
existant entre ie Maroc d'une part et la Mauritanie d'autre part par rapport
,udit territoire. Si la donnée territoriale n'a pas étkretenue par l'Assemblée
générale. la raison en est claire : l'Assemblée générale. en dépit des
manifestations faites avant 1966 par ces deux goiivernements, a décidé
que la décolonisationdu territoire devraitse faire par la voie de la libre deter-
mination de sa popiilation, car cette population avait le droit de l'exercer.Donc, première conclusion, le problème territorial n'était pasune question

nouvelle en 1974, au moment de l'adoption de ta résolurionportant requête
pour avis consultatif.
Deiixiemement, d'aprèslesdonnéa fondamentales exposéep srecédemment,
on doit estimer que les qiiestions territoriales se seraient con~rétisées
en marge des Nations Unies, par la voie bilatérale,au mois deseptembre 1974.
c'est-à-direau moment oii le Gouvernement marocain a proposéà l'Espagne
de soumettre conjointement a cette Cour 1examen du caractère de res nullius
dii territoireau moment de la cotonisatiori espagnole et, aussi, l'existence
d'iin pouvoir etd'une administration établissur le Sahara, c'est-à-dire I'exis-
tence d'un lien jiiridique de souverainetéLIl'@rd du territoire.
Or il y a iine connexité directe entre les termes employés dans la note
marocaine du 23 septembre 1974 et lestermes employés dans la questions
soumises a ta Cotir. Vous pouvez constater qii'il s'agit de deux questions.
Premièrement, celle qui concerne le statut comme rpsrurllilidu territoire.La
premièredes questions soumises a la Cour parle aiissi de territoire sans maitre
([erra ~alfitrsL'identileest totale.
Mais, deuxiemement, te Goiivernement rnarmin a proposé a l'Espagnede
saisir la Cour aii contentieux d'une autre qiiestion qiii étaitforrniiléedans les
termes suivants :(4Vous prétendez qii'il n'y avait aiicun pouvoir, ni aiicune

administration établissiir le Sahara, Le Maroc prétend le contraire. 1)Vous
poiiva aussi constater qiie nous sommes en face de la deuxième des questions
soumises àla Cour par la résoliition 3292 (XXIX), car féxistenced'iin pouvoir
et d'une administration sur un territoire c'est iine airtre façon de dire qu'il
existait des liensde souveraineté par rappon au Maroc. IIestbien connu que la
Mauritanie :
n'a jamais étéassociéea l'initiative do Goiivernement niarocain [c'est-
a-dire la proposition faite le 23 septembre 19741 11s'agissait d'une
décisionpurement unilatéraleque le Gouvernement marocain aprise sans
en informer en aucune façon le Gouvernement de la République
islamique de Mauritanie. br(VI. p. 83.)

Or la Mauritanie a reconnu que la demande d'avis a étéle résultat d'une
action politique entreprise conjointement par le Xfaroc et laXlauritanie. Pour
que celle-ci puisse s'associeraux termes des qiiesiions proposéts par le Maroc à
l'Espagnele 23 septembre 1974.on a to~itsimplement ajoute. dans la deuxième
question. la référenceaux liensjuridiques qui pourraicnt exister entre leSahara
occidental et l'ensemble mauritanien.
IIimporte de souligner qu'il ne s'agitpas seulement d'iine connexitédirecte

des termes. Au point de vue juridique. la connesite setablit entre l'objetd'lin
differend qite le Maroc prétend avoir avec l'Espagne CIi'objet des questions
sotimises a la Corir. En effet. le Gouvernement du Maroc. dans la note du
23 septembre 1974. a soutenu que le Goiivernement espagnol prétendaitque le
Sahara occidental. au moment de sa colonisation. étaitune terre ou un bien en
déshérenceet qu'il n'y avait.auciin pouvoir ni riuctine administration établis
sur le Sahara. tandis que le ktaroc prétend Ic coniraire. Et je me permets
de dire en passant que la note marocaine dri 23 septembre 1974est un exemple
de ce qu'on pourrait appeler la détermination ~inilatéraled'un differend. carle
Maroc ne s'est pas limitéB exposer sa propre position sur le diffkrend mais
d'abord ila fixé la position espagnote. et. par opposition. il a affirme que le
Maroc prétend le contraire. C'est irn procédéfacile pour concrétiser un
différend.surtout sion lecompare aux grands efrorts. soiivent infructueux. qui
sont normalement nécessairespour arriver a un compromis.14 SAHARA OCCIDENTJIL

Bref. si on admet que la note marocaine concrétise ledit différend. on
pourrait difficilement nier que les questions constituant I'objetde la demande
d'avis peuvent etre considéréescommese rattachant 1 un dimirend juridique
relatif au territoire du Sahara occidental existant entre le Maroc et l'Espagne.
Quant ala Mauritanie. il ne manque que l'élément formeqlue constitile la note
marocaine du 23 septembre. Ce fait. peut-étre.n'a pas étésans importance sur

ladécisionde laCour. le 22 mai dernier. En tout cas. comme je viens de ledire.
il ya un lien direct entre l'objetdesquestionsde la requêtepolir avis consultatif
et I'objet d'un différendque le Maroc prétend qu'il existesur le statut du
territoire du Sahara occidental.
Troisièmement. par cette voie. qui débutepar la note marocaine précitéeet
conclut par l'adoption de la résolution 3292 (SSIN). on a obtenu un résuIlrit
dont la portéemérited'etre analysée.En effet. vous vous souvenez. h,lonsieur
le Président.Xlessieurs lesjuges. que les résolutions adoptéespar les Nations
Unies depuis 1966 s'étaientcaractériséespar l'exclusion de toute donnée
territoriale. et que la Puissance administrante. aussi bien que les Etats
intéressés. s'accordaienace que la décolonisationdu territoire devrait suivre le
processus de la libre détermination de sa population. Or les faits du mais de
septembre 1974. que j'ai mentionnes auparavant. ont dechainé l'irruption de
l'élémentterritorial dans l'examen du problèine du Sahara occidental par les
organes des Nations Unies.
Le Gouvernement du h4aroc a essayéde rattacher au passe cette présence
inattendue des questions territoriales en remontant aux premiers débaissur le
Sahara aux Nations Unies. c'est-à-dire la période antérieure a 1966. Le

Gouvernement du Maroc a essaye meme de soutenir une certainecontinuitéde
sa position des te début de l'action des Nations Unies jusqii'au inomcnt de
l'adoption de la résolution 3292 (XXIX). Poilr CC faire. il a eu recoursi ta
fameuse notion du différendglobal. essentiel ou fondamental qiii. risoi1avis. a
toujours existe au sein des Nations Unies concernant les modalites de
décolonisationdu territoire.
hlais le Gouvernement du Maroc ne tire pas les çonsfquences appropriées.
soit du differend partic~ilier concernant le titre de souvcrainetf. soit dl!
différend global existant au sein des .Nations Unies et q~ii concerne Ics
modalites de décolonisation du territoire. Nous allons le constater en
examinant. d'aprèsson objet. la portéede la rcqucte d'avis.
L'analyseque je viens de faire peutSC resumcr en dcux points.
Premièrement. Linexamen des questions soumises 5 la Cotir et constit~iaiit
I'objetde la requétenous montre qu'il s'agit deqiieçtions qui. par leur iiature.
se rattachent a l'attribution de la souvcrainete territoriale siir le Sahara
occidental au moment de sacolonisation par l'Espagne :et en plus qii'ilexiste
une identitéentre I'objetdesdites questions et I'objetd'un différendterrilorial
que le Maroc prétend avoir avec l'Espagne. Bref. qu'il s'agit de questioiis
territoriales actuellement pendantes entre deus Etats.
Deuxiemement. on doit conclure qu'il s'agit de questions territoriales
actuellement pendantes entre dcux Etats qui ont un rapport direct avec l'action
entreprise par les Nations Unies en vue de l'application dcs principes inclus

dans la résolution1514(XIi)au territoire non autononie du Sahara occidental.
En partant de cette conclusion. nous devons esaminer quelle cst la portic de
la requêtepour avis consultatir dans la prcsente amaire.
Le Gouvernement marocain. nous l'avons dit auparavant au cours des
audiences concernant la désignationde juges ud Ii(~a soutenu que l'examen
par la Cour des litres de souveraineté étaitde nature iavoir des applications
pour I'actioiides organes des Nations Unies. Ce faisant. eii cc qui conccrric le EXPOSE ORAL DE AI.LACLETA 15

difirend dit particulier sur letitre de souveraineté.la portee de la requêteserait
d'éclairerl'action des Nations Uiiies. De ce point de vue. I'avisdemandé a la

Cour serait un préalableaii réglernentde la question de la décolonisationdu
Sahara occidental.
Aujourd'hui. le Gouvernement marocain a insistésur ce point. laissant a
I'arriere-plan le diffcreiid territorial ou différendparticulier. D'aprèslui. I'avis
demandé sur le Sahara occidental n'a pas pour objet de résoudre iiiilitige
portant sur Iàttribution de la souveraineté territoriale : l'avis ,consultatif
demandéserait seulement une contribution de la CoiIr au fonctionricmcnt des
Nations Unies.
Quant ail différend dit global. l'on prétend arriver ail ménie résultat. La
porter de l'avis consisterait a donner a l'Assembléegenerale ((des infortiiations
qui permettront de déterminer la situation future de cc territoire )>par
I'Asseniblcegénérale.IIsemble donc que. si le différend particuliera disparu

I'arrière-plan. Ic ciifferend global se dissout aussi car, comme je le disais. le
hlaroc se refiise a tirer lesconséquences appropriéeset de I'objetdes questions
et de la portéede I'avis.Sans doute il est aiséde comprendre ce point de vue.
car les conséquences ont un effet direct sur la cornpetence de la Cour el sur
I'opportiinite de son exercice. On ne peut pas se contenter de dire qiie I'avisde
la Cour sera éclairantpour l'Assembléegénérale,sans trop précisersur quoi
portera cet éclairage.
Pour préciserla portee de la requêtepour avis. ilconvient de faire quelques
observations :

Priwo, nous venons de dire que. compte tenu de l'objet des qiiestions
soumises à la Cour. on doit constater qu'il s'agitde questions territoriales
actiiellement pendantes entre deus Etats. le Xlaroc et l'Espagne :car il y a
identité entre I'objet du differend et l'objet de la demande d'avis. Par
l'ordonnance du 22 n~aila Cour a dit. aus fins préliminaires.qii'il paraissait y
avoir un différendjuridique relatif au territoire du Sahara occidental entre le
h4aroc et l'Espagne : et que les questions posees dans la requêtepour avis
peuvent ètreconsidéréesconime se rattachant a ce differend.
011 iioiis dira que la conclusion de la Cour sur ce point n'estque provisoire.
Or. derricrc Lalogiqiie formelle de la procédiire qui s'impose laCour. ilexiste
aiissi des exigeiices qui s'iniposent aux Etats ici représentes. Et on
coniprendrait mal qu'un Etat ne puisse déduire. de mêmeque la Cour l'afait ri

titre provisoire. l'existence d'un différendet les conseqiiences opportuiies par
rapport a d'üiitrcsquestions procédiirales.
Sc.cr,tido.parlant dc cette coiistatation. on doit eii concliire que. s'ils'agit de
questioiis territoriales actuellenient pendantes entre le Maroc ct I'Espiigne.la
portce de la demande d'avisdevrait nécessairementêtrede contribuer a assister
L'AssemblCegenerale au règlement pacifique d'un differend entre deux ou
plusieiirs Etats dont cet organe aurait étésaisi.
Or. on voit tout de suite que lesdonnées fondamentalesde la présenteaffaire
sont plus coinpleses. Premièrement. on lie doit pas oublier qtie le différend
territorialüétéconcrétrisepar rapport a 1-activité de l'Assembléegcncrale des
Nations Unies concernant la décolonisationd'un territoire. La deniande d'avis
n'a pas efface ce dernier aspect du problème. et on dit seuleiitent qti'iine

dificulte juridique a surgi au cours des débatsconcernant lestatiit di1territoire
. du Sahara occidental ail moment de sa colonisation par l'Espagne. Mais on ne
doit pas oublier que l'Espagne a étépriéede saisir la Cour au contentieus
conjointement avec le Maroc. cctte démarche présupposant certes l'existence
d'lin diffërend. 1-e inoins qu'oii piiisse dire c'est qiic. d'après les travaux16 SAHARA OCCIDENT.*\I.

préparatoires. il existune contradiction entre le moyen choisi par le Maroc.
c'est-à-dire l'allégatid'un diffërend. et le batatteindre dans le processus de
décolonisationentame par l'Assembléegénérale.a savoir celui de modifier de

façon fondamentale ce processus de décolonisation.
Pourtant. comme nous l'avons expliquéaux audiences sur la désignationde
juges ad Iloc.la contradiction entre ces deux données n'est qu'apparente. Le
Maroc a voulu. dans un premier moment. placer la question du Sahara
occidental en marge de I'activitede l'Assembléegénérale.qui s'étaitpoursuivie
pendant des annéesen affirmant un certain processus de décolonisation.Pour
arrivera ce réstiltai.ila propose à l'Espagnede saisir laCour au contentieux en
vue de résoudre par un arrêt.avec la force de res jt~dicata.les questions
territoriales objet du différend. L'Espagne n'ayant pas accepté de sortir du
cadre des Nations Unies. le Pvlarûcs'est tourne vers l'Assembléegénérale.y
portant les mêmes questions territoriales qu'on présentait comme (<une
question nouvelle » susceptible d'etre examinée par la Cour par la voie
consultative.
On le voit. il s'agit d'une démarchebaséesur une transposition répétéd ees
questions propres au secteur institutionnel. au secteur interétatiquen marge

de IDrganisation. en vue de revenir. un avis de la Cour à l'appui, au cadre de
l'Assembléegénéralepour essayer de modifier d'une façon fondamentale le
processus de décolonisation.Cela équivaudrait. en dernier ressort.iianéantir
toutes les décisions prises parl'Assembléegénéralede 1966 ii1973.
Tertio.nous avons dit que l'analyse de l'objet desquestions soumises a la
Cour par la requete permettait de conclure que les questions territoriales ont
un rapport direct avec l'action des organes des Nations Unies pour la
décolonisation di1Sahara occidental.
Au sein des Nations Unies. lors des débats sur la demande d'avis. le
représentant du blaroc a afirmé que la réponse a cette question territoriale.
moyennant un avis de la Cour. peut influencer d'une façon fondamentale le
processus de décolonisationapplicable au Sahara. IIa étérépété que l'avisavait
un caractère préatable en vue d'une décision. pour ainsi dire finale. de

È'Assemblk générale a ce sujet.
Aujourd'hui. le Gouvernement marocain est plus modeste en ce qui
concerne la portéede l'avis.IIainsistéque I'avis«sera éclairant>>:on a dit que
(t1'Assembléegénerake a besoin des réponses de la Cour. mais pour autant
I'avisn'altère passon fibre choix quant aux modalitésde la décolonisationdu
Sahara occidental >r(IV, p. 158).
Vous voyez. Monsieur le Président. Messieursles membres de la Cour. que
la forme a changé. mais le fond reste te même. On a essaye de soutenir. totis
moyens a l'appui.que le processus de décolonisationdu Sahara occidental nèst
pas réglé :on croirait mêmequ'il vient de commencer. Mais cette thèseest en
contradiction avec les décisions précédentes de l'Assembléegénérale : elle est
en contradiction aussi avec la position maintenue par te blarocela Mauritanie
pendant des annéesau sein des Nations Unies.
On comprend mal. en effet. que l'Assembléegénéraleait besoin d'une
réponse de la Cour pour opber un libre choix quant aux modalités de ta
décolonisationdu Sahara occidental. Aprk un debardu probléme.tout au long

de neuf sessions. il serait ilIogrque de conclure qire I'Assemb!ee générale a
besoin d'un avis de ia Cour pour décider sur ce qu'elle-mème a décidé a
plusieurs reprises. II serait illogique, en plus. d'estimer que l'Assemblée '
générale abesoin d'itne réponse su- des questions territoriales qui avaient éte
soulevéespar le Maroc ail sein de cet organe avant 1966. mais que l'Assemblée
n'avait pas jugéespertinentes pour le choix du processus de décolonisation. EXPOSÉORALDEM. LACLETA 17

La portéede la requêtepour avis ne peut pasétredéterminéeen disant
seulement qu'elle « sera éclairantet).LaCotir devra elle-même déterniiner la
portéede ladite reqiiêt et en tirer lesconséquences voulues pour l'exercicede
sa fonctionjudiciaire.
hionsieur le Président,Messieurs les membres de la Cour, nous avons
examiné jusqu'ici, a la lumière des circonstancesdéterminantesclans la
présente affaire,et l'objetdes questions soumises a la Cour et la portéede la
reqiiêtepour avisconsiiltatif. Cetexamen, anotre avis,offrelin résultatglobal
assez négatifpar rapport aiix arguments et aux concliisionsavancés par les
Gouvernements du Maroc et de la Mauritanie.
Maintenant, ce résultatdoit être analysé a son tour. dans le cadre de la
qiiestion générale objed te notre examen, a savoir l'exercicede la fonction
judiciaire de \a Cour elsacompétencedans !a présenteaffaire. IIs'agiten
somme de tirer les conséquences appropriées des faits et des condiisions
juridiques qui ont été exposée dsevant la Cour en vue de l'examenpar celle-ci
de la présente affaire.
Je ne doute pasque notre positionsur cette qiiestion soitbienconnue. Ellea
étépréciséedans l'exposéécritdii Goiivernement espagnol, ou certaines
conséqiiencesont étéétablies à la lumièred'iine première considération de
l'objet etde la portéede la reqiiêtepour avisconsiiltatif.
Polir employer l'expression utilisép ear sir Gerald Fitzmaiiricedans son
opinion individiielle en l'affairedu Canlcrorrtisepiorrrio~iol(C.I.J.Recl~eil
1963, p. 97-98),il estapparii dksle débiitail Gouvernement espagnol que la
présentealïaire présentait((.certainstraits fort inhabitiiel», résultantde la
combinaisondes éléments divers que nous avons dégagés au commencement
de notre intervention.
Aiijourd'hui. après les débatssur la désignationde juges crd hoc et les
interventionsfaitesa la phase orale. cette première concltisiona étélargement
confirmée ;et nous poiivonsdire que lacombinaison detoiisces éléments fait,
de l'affairedu Sahara occidental. lin cas singulier, voire uniqiie,dans les
annales de lajuridiction consultative.
J'essaierade résumerla positionespagnoleen trois points, parrapport aux
arguments avancéspar d'aiitresEtatsici reprbentés, etaussi par rapport aux
conséqiiencesqu'on veut en tirer en ce qui concerne la portée de la requête
pour avis consullatif.Cestrois pointssont lessuivants :

Prillioindépendammentde l'existenced'lindifférendportant sur le statut
territorialdu Sahara occidentalau momentde lacolonisation espagnole,siI'on
soutient que la réponse de la Giir aiixdites qiiestions territoriales. qui
constitiient l'objetde la requete d'avis,je répéte,si I'on soutient qiie cette
réponse était susceptibldee modifierd'iinefaçonfondamentaleleprocessus de
décolonisationétablipar lesNations Unies.le Gouvernement espagnol priela
Cour de déclarer qu'ellene peutexaminer le rondde !areqlrète ,ar Laréponse
aux qiiestions poséesseraitsans objet,étantdonnéque lesorganes compétents
des Nations Uniesont déjàaffïrn~éa, maintes reprises. quelest le processusde
décolonisation applicableail Sahara occidental, conformémenta la résolu-
tion 15 14 (XV) portant déclarationsur l'octroide l'indépendanceaux pays et
peuplescoloniaux.
En somme. qu'il n'appartient pas 5 iiile cour de justice. même dans la
juridiction consultative.déxcrcersa fonctionjudiciaire si elle essans objet et
dépourviiede toute conscqiiencepratique.
Sec.cii~idos,l'onsoiitient l'existenced'une qiiestionjuridique actuellenieiit
pendante conceriiant le statutterritoriadu Sahara occidel-itülauinomeiit de la18 SAflARA OCCIDENTAL

colonisation espagnole. au sujet de laquelle le Maroc a propose a l'Espagne de
saisirconjointement cette Cour au contentieux, et sila Cour constate une
identitéentre I'objetdu différend etl'objetdes questions de la presente requête
pour avis consultatif. le Gouvernement espagnol. avec tout le respect voul~i
pour laCour. croit devoir lui demander qu'elle envisage l'opportunitéde ne pas
exercer sa cornpetence. En effet. I'eniploi de la voie consultative. comme
alternative après l'échecd'une tentative de recours a la voie contentieuse sur
une question identique. serait susceptible de porter atteinte a une correcte
interprétation de la fonction judiciaire que la Cour doit sauvegarder.
Terlio. finalement. si I'on soutient l'existence d'un différend juridique
actuellement pendant entre le Xlaroc et l'Espagne. portant sur des droits de
souverainetéau Sahara occidental au moinent de la colonisation par I'Espag~ie.
et si I'on admet que cette question juridique constitue l'objet de la presente

requêtepour avis consultatif. alors le Gouvernemen! espagnol. avec le plus
grand respect pour laCour. prie celle-cide déclarer quelle n'est pascompétente
pour Iéxamen de ce clifferendpar la voie consultative, car l'Espagne n'a pas
donne son consentement. ni a la détermination du différend.ni a sa soumission
a la Cour.
C'est-à-direque dans lescirconstancesde la présente affairela Cour est priée
d'affirmer une fois de plus que le consentement des Elats est et reste a la base
de I'exercicede sa fonction judiciaire. dans le cas de differends entre Etats.

Je me propose d'examiner ces trois conclusions. concernant t'exercicede la
fonction iudiciaire de laCour ct de sa com~étence.successivement. hlais avant
de passe; àl'examen des donnkes de fait et'des donnéesjuridiques qui justifient
la position espagnole. je crois nécessairede faireqiielques remarques générales
sur certains points du present debat.
Premièrement. on a soutenu q~i'iinexamen des dispositions du statut de la
Cour perniet d'établir une distinction entre. d'une part, l'existence de La
compétence de la Cour et. d'autre part. léxercice de cette compétence. La
notion de compétence de la Cour. on le voit. equivaut a celle de juridiction et.
sur ce point. je crois que les Etats ici représentessont d'accord pour admettre
que les questions soumises à la Cour par la résolution 3292 (XXlX) sont des
questions juridiques. II n'est pas besoin. de ce faid'y insister.
Cela n'ernpèchepas. certes. que ces questions juridiques. de par leur nature.
sont des questions se rapportant a la souveraineté territoriale. On doit

admettre. a cet égard.que l'attribution de la souveraineté territoriale implique
nécessairement.pour son examen. une analyse des faits matérielsou des actes
ou s'estconcrétiseI'exercicedes fonctions d'Etar sur un certain territoire pour
qu'on puissedéterminer que ce territoire relève d'uncertain pouvoir étatique.
de la souveraineté d'un Etat. On peut se demander. en partant de cette
constatation. si la voie consultative est le moyen approprie pour un tel examen
des faits.étantdonne la circonstance que!'inexistence des (<parties». au sens
procedural strict du terme, exclut tout exanien contradictoire de ces faits et
l'utilisationpar les Etats des voies ouvertes dans lajuridiction contentieuse. Ici.
comme vous l'avez bien souligné. h,fonsieur le Prcdident. la Cour se réunit
pour entendre les exposésoraux dans lecadre de l'article66. paragraphe 2. du
statut de la Cour.
Deuxiémenient. nous croyons nécessairede distinguer. d'après la jurispru-
dence de cette Cour. deux series de questions distinctes et conditionnantes de
I'exercicede son activité.au lieu de séparer.simplement. la conipétencede la
Cour et I'exercicede cette compétence.
A cet égard.on a aflirméqiic. dans le cadre des questions préliminaires.on EXPOS OERALDE M.LACLETA 19

pouvait faire une distinction entre les questions se rattachant aux bases
juridiques de la compétencede laCour et d'autres questions se rapportant a des
considérations quisont extérieures a ce premier élément. Dansle premier cas.
on pourrait parler d'exceptions préliminairesconcernant la compétencede la
Cour : dans le dernier cas. nous nous trouverions devant des exceptions a la
recevabilitéde la demande (C.I.J.Rpcneil 1963. p. 102-104).
EII partant de celle distinction. il est important de considérer l'ordre
déxamen ou. si on le veut. laprioritélogique selon kaquelleunecour dcjustice
doit déterminer ces questions. On doit admettre que certaines qiiestions
préliminairesont une prioritélogique pour l'examen a réaliserpar la Cour si
ces questions se rapportent 6l'exercicemêmedesa fonctionjudiciaire. et tel est
le cas des exceptions tendant a ce que la requêtene soit pas examinéecomme
étantsans objet et dépourvue de toute conséquence pratique :tel est lecas aussi
si desexceptions préliminairessont avancées tendant a ceque la requête ne soit

pas examinée, au motif que laCour est invitéea exercer sa compéienceet que
cet exercice serait susceptible de porter atteinte a ses fonctions comme Iribunal
judiciaire.
Dans son opinion individuelle en I'affaire du Cailieroiiti srptrtirrioi~ol.sir
Gerald Fitzmaurice a mis en lumièrelin autre point qu'ilconvient de signaler. a
savoir que
<(la question de ce qu'il convient de faire [c'est-a-dire l'oppartcinite de

['exercicede la fonction judiciaire] est en effet. lorsqu'ellc se pose. sans
rapport avec la con~pctcnceet rend inutile et indésirablLin examen de la
compétence.de sorte qu'il ne sera pas question que laCour decide qti'elle
a compétenceet refuse de l'exercer >)(C.1.J.Rc~crieil1963. p. 106).
Ce point de vue a étépartage par cette Coiir. dails son arret du2 décembre
1963, dans I'afiairedu Caiiierortris~.preit~rioirla Coura fait réferencea la

juridiction consultative en affirmant que si elle petit donner des avis
consiiltatif:
<<Néanmoins. la Cour permanente de Justice internationale el la Cour
actuelle ont tolites deux soiilignéque le pouvoir conféré la COLI^de
rendre des avis consultatifs doit s'exercer dails le cadre de la foiiction
judiciaire.>)Vbid.. p.30.)

Et taCour a ajoutéensiiite qiie :
« Lesdeux Coiirs ont eu l'occasionde forinliter. Üpropos de demandes
d'avis consultatifs. des observations qui s'appliqiieiit Cgülenient aLirôle
que doitjouer IDCoiir en matièrecontentieuse :dans lesdeus cas. InCoiir

exerce une fonction judiciaire. » (thid.)
Cette constatation par laCour de sa propre jurispriideiice est iiiiportante ails
fins de la présenteaiTaire. Elle nous autorise a souteiiir que les questions se
rapportant a l'exercicede la foiictioiijudiciaire de la Coiir sont coiiiinuiiea et
la juridiction contentieuse et a la juridiction coiisultative. car il s'agit de
sauvegarder son activitéeii tant que cour de justice, Dans son espose écrit.le
Gouvernement espagnol s'est référécette donnéeet on comprend bien qite le

gouvernement marocain essaiede dissocier I'affaidu Suituru occidetrlal des
considérations faites par la Cour dans I'affairedu Ccr~t~c*rosc,pte~irriotiol.
Cependant je n'insisterai passiirce point, même parvoie de critiq~iea des
remarques faites par le Gouvernement du Maroc a ce propos. II s~iflitde
souligner auxfins de mon argument la conclusion de la Cour dans l'affaire di1
Cur?rerorrsr~pîetitriotiul,en ce qui concerne l'ordre d'examen desqiiestionsse20 S,l HARA OCCIDESTAL

rapportant l'exercicede la fonction judiciaire et les questions concernant la
compétencede la Coiir. A cet égard.la Cour a déclare :
«Qu'au nioment ou la req~iête a étédeposee la Cour ait eu ou non
compétencepour trancher le differend qui lui étaitsoumis. il reste que les
circonstances qui se sont produites depuis lors rendent toute décision

judiciaire sans objet. 1-a Cour estime dans ces conditions que. si elle
examinait l'affaire plus avant. elle ne s'acquitterait pas des devoirs qui
sont les siens.))(C.1.J.Reciieil1963. p. 38.)
Cette conctusion. applicable à une affaire contentieuse. se rapporte a

l'exercice de la fonct~onjudiciaire de la Cour et. de ce fait. elle est aussi
applicable dans le cadre de la juridiction consultative. Par conséquent. la
déterininationde la recevabilité de la requète.eLi égard a la circonstance qu'elle
est sans objet. ou à toute autre question prtliminaire se rapportant a son
caractère de cour de justice. a une priorité logique et nécessaire sur les
questions concernant les bases de la compétencede la Cour. VINGTET UNIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (17 VI1 75, 10 h 5)

Prc;seriis:[Voir audience du 16 VI175. M. de Castro, jiigrabsent.]

Le PRÉSIDENT :Avant de donner la parole au représentant de l'Espagne,

je dois signaler que M. de Castro ne pourra pas siégerce matin et les jours
prochains en raison d'une grave maladie siIrvenue dans sa famille, qui I'a
obligé aregagner son pays.

M.LACLETA :Monsieur le Président,Messieiirs les membres de la Cour, a
la fin de l'audienced'hierj'avais résiiméla position di1Gouvernement espagnol
en trois concliisions par rapport aux argiiments avancés par d'autresEtats ici
représentes et aux conséqiiences qu'on veut en tirer en ce qui concerne la
portéede la req~iètepour avis consultatif. Ces trois conctusions contiennent
trois questions préliminairesdont les deux premièresconcernent la recevabilité
de larequëte et la troisième la compétence de la Cour. J'avais ajouté quelques
considérationsau sujet de l'ordre d'examen ou bien de la prioritéogiqiiede ces
questions pour conclure que la détermination de la recevabilitéde la requête.
eu égard a la circonstance qu'elle serait sans objet oà toute autre question
préliminairese rapportant au caractère de cette Cour comme cour de justice.
avait une priorité logique sur les questions concernant les bases de la
compétence de la Cour. Comme je l'avaisannoncé.je continuerai maintenant
mon exposé parl'examen de ces trois conclusions suivant le mèmeordredans
lequel je les avais énoncées.Mais avant d'entamer l'examen de la première de
ces questions. je me permets de rappeler l'énoncéque j'en avais donnéqui était
a peu présle suivant :indépendamment de l'existence d'undiffërend portant
sur lestatut territorial du Sahara occidental, au moment de sa colonisation par
l'Espagne. si l'on soutient qula réponsede laCour aux questions tert'itoriales
qui constituent l'objet de la requêted'avis est susceptible de modifier d'une
façon fondamentale le processus de décolonisationétablipour le territoire par
les Nations Unies, le Gouvernement espagnol prie la Cour de déclarerqu'elle

ne peut examiner le fond de la requêtecar la reponse aux questions posées
serait sans objet. étantdonnéque les organes compétents des Nations Unies
ont déjàaffirmé. a maintes reprises, quel est le processus de décolonisation
applicable au Sahara occidental conformément a la résolution 1514 (';VI.
Cette première question concerne donc l'opportunité de l'exercice de sa
fonction judiciaire par la Cour dans la présente affaire.étantdonnéle fait que,
par rapport a la portéede la requêtepour avis consultatif, toute réponse de la
Cour sur les questions territoriales posées. envue de servir de base a une
modirication de processus de décolonisaiiondu Sahara occidental. serait sans
objet.
La Cour connaît bien notre argumentation a ce sujet. Elle a étédéveloppée
dans l'expose écritdu Gouvernement espagnol. notamment aux pages 188 jus-
qu'a 191(1)el certainesconclusions ont étédéjàavancéesaux pages 221-223
dudit exposé. Donc, je n'insisterai pas sur cet argument ni stir ses bases
jriridiqiies. Néanmoins,je dois considérer deuxqiiestions concernant cet argu-
ment pour bien comprendre notre analyse.
Premièrement, il est nécessaire d'exposer Ic sens et la portée de cette
argumentation.Nous venons de dire qu'ils'agitd'une question préliminairese22 SAHARA OCCIDENTAL

rapportant a l'opportunitéde I'exercice par la Cour de sa fonction judiciaire
dans la présente affairesur la base de l'article, paragraphe 1. du Statut. car
cet article est permissif. Ce dernier point, soit dit en passant, n'a été npar
aucun des Etats ici représentés,car il est bien établidans lajurisprudence de la
Cour.
Néanmoins, on peut constater un effort. surtout de la part du Gouverne-
ment du Maroc, pour réduireles effets de ce principe guidant l'exercicede la

fonction judiciaire de la Cour. D'une part, on a soutenu que. si la Cour a la
facultéde déterminer le sens et la portée desquestions poséesdans une requête
pour avis consultatif, elle a toujours exercé cette facultédans de sages limites et
qu'elle n'a jamais abouti, par la voie d'une interprétation de la requête,a la
modification des questions y incluses. Cette attitude de la Cour est logique.
dit-on, car elle doit respecter lechoix fait par I'Assembleegénéraleet ce choix
ne serait pas respecté si la Cour aboutissait. par la voie de L'interprétationde
la requête. a laformulation de nouvelles questions.
Mais le Gouvernement espagnol ne prétend pas que la Cour arrive B la
formulation de questions nouvelles, non envisagéespar l'Assembléegénérale
lors de l'adoption de la résolutionportant requêtepour avis consultatif. Nous
avons affirmé simplement que les questions poséespar la requète ne peuvent
pas êtredissociéesdu cadre de l'activitéde l'Assembléegénérale au sein duquel
la résolution3292(XXIX) a étéadoptée, a savoir l'application de la déclaration
concernant l'octroi de l'indépendanceaux pays et aux peuples coloniaux. Ce
faisant, il appartient a la Cour de considérer la connexitéentre les questions,

objet de la requêtepour avis consultatif, et les principes établis par la résolu-
tion 15 14 (XV).
La thèse duGouvernement marocain sur ce point, on le voit, tend aréduire
les facultésde la Cour en vue d'une correcte interprétation de sa fonction
judiciaire. On doit ajouter. en plus, que cette thèse méconnait la position
maintenue par cette Cour de Justice dans lecadre de lajuridiction consultative.
Il suffit. pour le constater. d'établirune comparaison entre les données de la
présente affaire quant aux travaux préparatoires de la résolution portant
requètepour avisconsultatif et tes donnéesdans l'affaireconcernant Certaines
de'pensesdes Nations Unies. On sait bien que. par rapport au projet de
résolution présenteà l'Assembléegénéraledans cette affaire. le délégué de la
France a soumis un amendement qui, finalement, a étérejetépar cet organe.
Mais, dans une telle situation. la Cour a dit. dans son avis 1962, d'une façon
très nette, comment elle comprenait les pouvoirs lui revenant en vertu du
Statut :

<(Le rejet de l'amendement français ne constitue pas une injonction
pour la Cour d'avoir a écarter l'examen de la question de savoir si
certaines dépensesont été« décidées conformément aux dispositions de la
Charte )>sila Cour croit opportun de l'aborder. On ne doit pas supposer
que 'l'Assembléegénérale ait ainsientendu lier ou gênerla Cour dans
l'exercicede ses fonctions judiciaires;la Cour doit avoir la pleine liberté
d'examiner tous lesélémentspertinents dont elle dispose pour se faire une
opinion sur une question qui lui est poséeen vue d'un avis consultatif. »
(C.I.I. R.ec.cudi962,p. 157.1

D'autre Dart. ie crois nécessaire aussi de faire allusion a un autre oint
soulevé le~ouvernernent marocain par rapport a I'argumentespagnoisous
examen. Sur la base de certaines considérations contenues dans une des
opinions individuelles dans I'aîîaire de la Namibie. il a étésoutenu que
l'argument avancé par le Gouvernement espagnol tendait a introduire devant EXPOS~ ORALDE hl. LACLETA 23

la Cour une question reconventionnelle aux fins d'avisconsultatif~lV, p. 143).
Ce faisant, on a méconnuune foisencore le sens et la portee de l'argument
espagnol. En plus, il faut le dire, on a oubliéles donnéesparticulièresexistant
dans l'affairede laNamibie. par rapport auxquelles a étéfaite la remarque de

l'un des membres de la Cour sur ce qu'ila appelé,dans son opinion, (I'avis
reconventionnel ))et, de ce fait, on a méconnula portéede ses remarques.
Mais pourtant, le conseil du Gouvernement du Maroc a mentionnéle point
essentiel de la situation dansLinpassage qu'ila citédevant la Coiir,a savoir :.
dans l'affairede laNainibip,l'Afriquedu Sud avait posea la Cour ilne question
difirente, bien différente,de cellesqiii wnstitiiaient I'objetde la requêtepour
avis consiiltatifLe Conseil de séciiriteavait décidéde soumettre ala Cour la
question de savoir quellesétaientlesconséquences juridiquespour les Etatsde
la présencecontinue de l'Afrique du Sud en Namibie, nonobstant la résolu-
tion 276 du Conseil. Par contre,l'Afrique du Siid a priélaCourde considérer
une question tout a faitdifférente,concernant l'administrationdu territoire par
cet Etat,et dont lestermes sont bien connus par la Cour.
Dans cettesituation, la remarque faitepar lejuge dont nous venons de parler
garde toute sa pertinence. La demande de l'Afriquedu Sud étaitsans rapport
avec la question soumise à laCour, voire mêmecontraire, ail point juridique
sur lequel I'avisétaitdemandé par le Conseil de sécurité. La Cour n'a pas
considérénécessairede donner suite a cette demande, car cela équivaudraita
changer l'objet mêmede la requêteet de ce fait adonner un avis sur une
qiiestion poséepar un Etat portant sur un sujet différentde celui qui avait été
inclus dans la reqiiête. Onle voit, la Cour considère qu'elle a la facultéde
considérer toute qiiestion ayant ilne connexitéavec les qtiestions soumises
pour avis.
II estdificile de nier l'existenced'un lien de connexité entre l'objet de la

reqiiétedans la présenteaffaireet la question relative au droit de la population
du Sahara occidental a la libre détermination. D'une pan, comme il est
souligné dans le paragraphe premier du dispositif de la résolution 3292
(XXIX), les qiiestions sont soumisesa la Cour sans préjudicede l'application
des principes contenus dans la résolution1514(XV) : d'autre part, comme le
soutient le Gouvernement espagnol, une réponse de la Cour au sujet des
questions territoriales. objde la req~iêtep,ourrait porter atteinta des droits
actuels et existants, dkotilant de l'application du principe de la libre dé-
termination des pays et des peuples coloniaiix.
Monsieur le Président,Messieurs les membres de la Cour. a ce mornent de
mon expose je voudrais signaler que, a difïerentes reprises, le Goiivernement
du Maroc ainsi que celui de la Mauritanie ont essayéde réduire laportéeet les
effets d'unéventilelavis de la Cotir, dans la présenteaffaire, s'appuyant sur le
caractère simplement déclaratifou de constatation qu'il devrait avoir. Je me
dois de faire qiielques remarques sur cette question.
Premièrement. sila CoiIr constate l'existenced'un différendentre le Maroc
et 1'Espgné concernant le statut du territoire aimoment de sa colonisation,
force serait d'admettre qu'il ne s'agirait pas d'unjugement de véritéou d'lin
avis pour la simple constatation des faits. Dans un tel cas, I'avisde la Cour
aurait un effet directsile. prétentionsexistantesa l'originedu différendet,ce
faisant, il contiendrait un jugement de valeur concernant ces prétentions.Dans
l'affaireu Canierotlrisc.l>fc.riiriovlo.us avez allirméque

<<sidans un jugement déclaratoire,elle[laCour] définitLinerèglede droit
international coutiimier ou interprètelin traitérestanen vigueur, l'arrét
qii'elle rend demeure applicable dans l'avenir )> (C.LJ. Rectieil 1963,
p. 37).24 SAHARA OCCIDENTAL

En d'autres termes, on doit tirer la conclusion que si la Cour, en tant
qu'organe judiciaire. se prononce en droit sur les prétentions ousur les droits
d'une des parties à un différend.ce prononcé reste nécessairement applicable
dans l'avenir.
Deuxièmement. si la Cour constate que les questions qui constituent l'objet
de la requêted'avis et.de ce fait, la portéede la requétesont susceptibles de
porter atteinte a des droits actuels et existants. comme nous l'avons soutenu
dans lecas d'espèce, force estd'admettre aussi que l'avisde laCour n'aurait pas

un caractère de simple constatation des faits. Une telle situation se présentait
aussi dans l'affaireprécitéedu Cumeruun seplentrional. IIavait étédemande a
la Cour de prononcer un jugement déclaratoire, (<simplement un énoncédu
droit qui constituerait...un témoignagevital )pour I'Etat demandeur.
Pourtant laCour n'a pasadmis la possibilitéd'un tel jugement déclaratoire.
car elle a constatéque toute décisionjudiciaire étaitsans objet et elle a déclaré
qu'«un tribunal n'a pas simplement pour fonctionde fournir une base d'action
politique alors qu'aucune question juridique concernant des droits effectifs
n'est en jeu (C.IJ. Reciieil 1963, p. 37).
Dans la présente araire. I'examen préliminaire de la recevabilité de la
requêtenous montre qu'une cour dejustice ne peut pas êtreappeléea faire un
énoncédes raits ou du droit sans tenir compte d'une situation juridique réelle
sur laquelle un tel prononce aurait des effets directs. Autrement dit on ne peut
pas. par la voie d'un avisconstatant des faits, passer outre au droit reconna la
population du Sahara occidental a sa libre détermination et a son indé-
pendance.
Finalement. surce point je voudrais ajouter qu'il est bienconnu que laCour
a uséde ce que sir Hersch Lauterpacht a appeléjudicialcaurioirou bienj~idicial
restraint, dans toute affaire ou la question de la cornpetence de la Cour a été

soulevée.La décisionde laCour dans l'affairede l'Ormonetairepris u Rome t.n
1943 est significative. Face a une situation ou la décision de la Cour était
susceptible d'affecter des droits d'un Etat qui n'avait pas consenti a fa
juridiction de laCour. celle-cia refuse de statuer. après la constatation que le
consentementde cet Etat n'avait pasétédonnéexpressément ou implicitement
tC.IJ. ReciieilI954. p. 32).
Cette affaire est importante. car la décisionde laCour a misen reliefque tout
organe judiciaire se doit de sauvegarder ledroit d'un Etat tiers qui pourrait être
éventuellementaffectédans une procédureentamée par d'autres Etats. Dans la -
présente affaire,on voit qu'un prononcé de la Cour sur le statut juridique du
territoire du Sahara occidental. au moment de sa colonisation. meme en
écartanttoute référencea un différendavec l'Espagne. serait de nature aporter
atteinte au bien-fondé.dans leur origine. des droits de souverainetéespagnole
sur le territoire.
Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour, je vous prie
maintenant de porter votre attention sur une deuxième question que je crois
nécessaired'examiner aux fins de cet argument espagnol. concernant l'exercice
par la Cour de sa fonction judiciaire. J'essaierai d'exposer d'abord certaines
données juridiques fondamentales qui. je le crois. justifient notre position.
IIs'agit des rapports existants entre lesquestions territoriales et les principes
applicables en matiérede décolonisation des territoiresdépendants.En d'autres
termes. lesens et la portée desquestions territoriales dans l'applicationdu droit
de la décolonisation.
Nous examinerons ce sujet d'abord endes termes générauxet. ensuite. dans

son application aux données dela présenteaffaire. Cette analyse montrera que
la requêtepour avis consultatif es[ sans objet si l'on prétendque l'examen des EXPOS ORAL DE ,IILACLETA 25

questions territoriales peut modifier d'une façon fondamentale le processus de
décolonisationdéjàétablipar l'Assembléegénéraledes Nations Unies pour le
territoire du Sahara occidental.
A notre avis. l'application du droit de la decoloiiisation constitue un
processus confié a l'Assembléegénérale des NationsUnies. dans lequel cet
organe politique. s'il constate l'existenced'une situation coloniale. adopte des
résolutions quiauront un double effet.
D'une part, ces résolutionsvont inviter la Puissance administrantea mettre
fin a sa présence dans le territoire et. de cette façon. mettre un terme a la

situation de dépendance coloniale existante. De ce point de vue. on peut
considérer les résolutions de l'Assembléegénéraledans leur rapport avec le
droit de souveraineté de la Puissance administrante comme une demande de la
communauté internationale a son égard de renoncer à son titre de
souveraineté.Comme le prouve l'affaire de laNutnibip,dans certains cas. une
résolution de l'Assemblée génerale peut être équivalente mêmea une
déchéancede titre par rapport a un territoire dépendant. C'estacet aspect du
problème que s'est référéJennings, en faisant allusion a l'action de la
communaute internationale qui peut agir comme a solvetiofold titlein
possession (p.86-87).
D'autre part. si le titre de souveraineté de la Puissance administrante
disparait ou si celle-ci est déchue de ce titre. l'application du droit de la
décolonisation implique aussi une attribution de titre. par suite des résolutions
de l'Assembléegénérale.Nous arrivons ici au centre du probléme.car il s'agit
de déterminer. en fonction des circonstances de chaque cas de dépendance

coloniale. qui sera lesujet auquel on vaattribuer. par la voie de décolonisation.
letitre au territoire. En d'autres termes. leprocessus de décolonisation suppose.
comme second effet essentiel. la détermination du titulaire de la souveraineté
territoriale. après la décolonisation du territoire. Or1 a appelé cet effettlre
birilditiofnen~tifles parrapport au territoire.
Si nous considérons ce deuxième aspect du probléme. c'est-à-dire
l'attribution de la souverainetéterritoriale comme conséquencede I'application
du droit de la décolonisation. la pratique des Nations Unies nous offre les
élémentssuivants essentiels. que nous devons retenir.
Premièrement. comme vous l'avezsouligné avec vigueurdans l'affairede la
Natnibie. du fait de l'évolutiondu droit international a l'égarddes territoires
non autonomes : « il n'y a guère de doute que la ccmission sacrée de
civilisation>)avait pour objectif ultime l'autodétermination et l'indépendance
des peuples en cause )(C.I.J.Rrclieil1971, p. 31, par. 53). Ainsi lin examen
attentif dupro& généralde décolonisation,tout au long des derniers quinze
ans. nous montre la réalitédes indépendances d'un nombre considérable
moyennant l'exercice du droit de la libre determination de leurs
d'Etats,
peiiples.IIfaut dire quece fut le processus de décolonisationnormal et général
dans lequel la popiilation des anciens territoires dépendantsfut considéréepar
l'Assembléegénéralecomme le sujet ou le titiilaire du droit a la libre dé-
termination et a l'indépendance. On constate aussi qu'une fois ce droit attri-
bué par l'Assembléegénérale a la poptilation du territoire, il a été exercé par
sa popiilation malgréle faitque, dans certainscas.lin troisièmeEtat a formulé
des revendications territoriales. baséessur des prétendus droits historiques.
Deuxièmement, dans certains cas. très limités d'ailleursdans leur nombre.
les prétentions de souveraineté territoriale formulées devant les organes des
Nations Unies par de tiers Etats ont conduit &l'adoptiond'un autre procédéde
décolonisation. L'Assembléegénérale.constatant l'existence d'une souverai-
neté territoriale clairement établie.non contestee. d'un tiers Etat. sur le26 SAHARA OCCIDENTAL

territoire. au moment de sa colonisation. n'a pas affirmé le droit de la
population a la libre détermination et a l'indépendance. Aucontraire. elle a
reconnu que ce tiers Etat. souverain antérieur et indiscutable du territoire. était
le sujet ou le titulaire a qui on devait attribuer un droit au territoire en

application du droit de la décolonisation.
Cette attribution se justifie par la finalitémêmede la décolonisation. sa
raison d'être; c'est-à-dire que la liquidation des situations de dépendance. en
tant que situations de suprématie et de subordination. doit faire disparaître les
effetsde cette situation coloniale en mettant leterritoire dans lasituation la plus
proche de celle qui existait au moment de la colonisation. Dans le cas d'une
population non soumise a aucun Etat. avec un gouvernement propre au
moment de la colonisation, laconséquencesera d'attribuer a cette population la
racultéde déciderlibrement de son futur et d'atteindre l'indépendance :dans le
cas d'un territoire qui formait partie indiscutable d'un Etat tiers au moment de
la colonisation. en restaurant l'intégritterritoriale de cet Etat. détruitepar le
fait colonial.
Le procédéde décolonisation adopté dans ce dernier cas par l'Assemblée
générale a étécelui de la négociationentre la Piiissance administrante et I'Etat
tiers, en vue d'une liquidation de la situation coloniale par la voie de la
rérrocession du territoirea son titulaire antérieur.
On ne peut nier, par conséquent, que l'application du droit de la déco-
lonisation affecte la soiiveraineté territoriale, dans les sitiiations coloniales.
tant en ce qui concerne la disparition du titre de souveraineté de la Puissance
administrante qu'en relation avec l'attribution d'un titre de souverainete
territoriale. soit. normalement.a lapopulation du territoire. soit. dans certains
cas. a un tiers Etat. son titulaire antérieur et indiscutable.
Or. si nous examinons le processus généralde décolonisation en ce qui

concerne les organes et leur mécanisme interne. on peut établir deux autres
conclusions, égalementimportantes pour l'affaireprésente.
D'une part. que la double décision.signaléeauparavant, sur les titres de
souveraineté territoriale. a étéadoptéepar un organe politique :I'Assemblee
généraledes Nations Unies, sans que l'on puisse enregistrer jusqu'a la présente
affaire une intervention préliminaire quelconque de la Cour internationale de
Justice.On peut constater qu'en certainscas de décolonisationles propositions
n'ont pasmanqué - formuléesdevant les organes des Nations Unies - pour
que certaines questions territoriales, unies a la décolonisationd'un territoire.
soient soumises a la Cour internationale de Justice. Cescas sont bien connus, et
je ne veux pas m'y étendre puisqu'ils concernent des situations politiques.
aujourd'hui heureusement solutionnées.
D'autre part. si on examine la pratique des Nations Unies par rapport au
développement du processus de décolonisation d'un territoire et les revendi-
cations territoriales présentées a son égard. on constate aussi que ces
revendications furent formuléesau début du processus dedécolonisation - et
non dans une phase tardive de celui-ci :et quoi qu'elles aient étémaintenues
par tes Etats qui les ont formulées, méme aprés l'adoption par l'Assemblée
généraled'un des deux procédés susmentionnés(libre détermination ou
négociationpour la rétrocession). elles n'ont euaucun effet sur le processus de
décolonisation déjaadopté et les conclusions obtenues n'ont éténullement
remises en cause. A partir de cette perspective on pourrait penser que
l'Assembléegénéralene s'estpas montrée favorable a une éventuellerévision

de ses décisionsconcernant l'attribution de droits. déjaréaliséee .t le procédé
prévupour exercer ces droits.
Qu'il me soit permis de dire. en passant. que nous ne pouvons pas partager EXPOSEORAL DE M. LACLETA 27

lesconclusions avancéespar leGouvernement marocain en cequi concerne les
enéts desi résolutions des Nations Unies et les destinataires de ces réso-
lutions. Vous trouverez les thèses auxquelles je me préfèredans le compte
rendu de l'audience du 26juin (IV. p. 150. 154 et 155).
Premièrement. les effets des résolutions: pour réduire la portée des
resolutions adoptéespar l'Assembléegénérale,ailIrmant la libre détermination
du peuple du Sahara occidental, on nous a dit qu'<une résolutionnon exécutée

exprime un moment dans l'évolutionde la penséede l'Assembléegénérale ».et
donc. si la résolutionn'estpas exécutéel.'Assembléepeut modifier sa démarche
ou se poser de nouveaux problèmes. Cette interprétation conduit a vider de
sens la volontégénéralede l'Assembléegénérale. voiremème a nier tout effet a
des critèresadoptéspar l'Organeou au fait qu'il a constaté.A cet effet. je crois
utile de me référera la position que vous avez adoptéedans l'avisdu 21 juin
197 1dans l'affairede la Namibie. Cette Cour a artirméque :

<<Quand un organe compétent des Nations Unies constate d'une
manièreobligatoire qu'une situationest illégale.cette constatationne peut
rester sans conséquence, )(C.I.J.Recueil 1971.p. 54.)

Toute différence gardéeavec la présente espéce,I'aflirmation de la Cour
souligne un élémentimportant :que des organes politiques dans l'exercicedes
compétences qui lui ont étédévolues en constatant certains faits ou en
appliquant certaines règlessont tenus par leurs propres décisionset. de mérne,
ces décisionsentrainent des conséquencesjuridiques pour les Etats Membres.
Si on venait a admettre qu'un organe peut changer ces décisions précedentes
par d'autres opposées.dans leur contenu. cela équivaudrait a priver de tout
effetjuridique les actes des organes internationaiix.

Deuxièmement, les destinataires des résolutions :on a soutenu que les
résolutions adoptées pour la mise en Œiivre du principe de la libre déter-
mination ail Sahara occidental ne concernaient que l'Espagne comme
Puissance administrante et qu'elle neleur a pas donnésuite. Cette conclusion
est difficiaeadmettre. car les résolutions desNations Unies peuvent s'adresser
a tous les Etats, ouadesEtats particuliers. ou a un certain organe. etc. Mais si
on examine celles adoptéessur la question du Sahara occidental vous pouvez
constater que l'Assembléegénéralea fait des déclarationsnon seulement pour
l'Espagne. mais avec une portéegénérale.Tel est le cas quand elle adopte un
processus déterminé dedécolonisation ou reconnait le droit d'un peuple asa
libre détermination. Ici, leseffets des résolutisesproduisent rrga oniiiesdans
lecadrede l'organisation. Et cela n'empéchepas que pour la mise en Œiivredu
processus de décolonisation adopté l'Assembléegénéralepuisse établir des
obligations et des droits particuliersa un Etat ou a des Etats. Tel est le cas
quand la Puissance administrante est priéed'organiser un référendum,de faire
des consultations avec d'autres Etats intéressés.Le contraire équivaudrait a
concevoir les actes de l'Assembléegénéralesous une optique bilatérale.exclue
par la nature meme des résolutions.
Après les considérations que je viens de faire, on peut se demander quel est
le sens et la portée desquestions territoriales dansadécolonisation duSahara
occidental. Pour répondre acette question, il est nécessaired'examiner ledroit
spécial applicable au territoire. c'est-à-dire les résolutions successives de
l'Assembléegénérale adoptéee sn application de la Charte et de la déclaration
sur l'octroi de l'indépendanceaux pays des peuples coloniaux,unies a d'autres
textes de caractère général. C'est seulement dans ce contexte qtie la résolu-

tion 3292 (XXIX) peut être examinée. 28 SAHARA OCCIDENTAL

De même,on doit considérer, lors du déroulement dans le temps du
processus de décolonisation duSahara occidental. de 1956 a 1974. quelles ont
étélesattitudes des Etats intéressesau sujet du processus de décolonisationdu
territoire et, dans ce contexte, leurs positions concernant les problèmes de
souveraineté territoriale.
LeGouvernement espagnol aeffectuécet examen dans les pages 78a 101(1)

de son exposéécrit.Par souci d'être lplus succinct possible, je vais me référer
seulement aux points essentiels. comme l'article 56 du Règlement de ta Cour
nous le demande.
En premier lieu, les Gouvernements du Maroc et de la Mauritanie ont
soutenu, en 1974.lors des débats dela vingt-neuvième sesssion de l'Assemblée
généralee,ntreautres arguments, qu'il était nécessaiee solliciter un avis de la
Cour sur le statut juridique du territoire au moment de sa colonisation par
l'Espagne. pour que I'Assembléegénérale puisse établir . la session suivante.
les conséquences opportunes au sujet du processus de décolonisation du
territoire. Si la Cour juge qu'il ne s'agit pas d'un territoire nuliius, mais qu'il
existe des liens juridiques entre ce territoire et l'une ou l'autre ou les deux
puissances mentionnées dans la seconde question, dans ce cas. et suivant
l'opinion de ces gouvernements. le paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV)
serait applicable. Cela implique naturellement qu'on devrait suivre un
processus de décolonisation différent de celui qui a étéadopte jusqu'à
maintenant par l'Assemblée, lequelprocessus nouveau serait basé sur des
négociationsentre ces gouvernements et la Puissance administrante,en vue de
la rétrocessiondu territoire.
Le Gouvernement espagnol a présenteen détail.dans son expose écrit.les
raisons qui l'empêchentd'admettre cet expoçé du probleme. raisons qui

s'appuient aussi bien surle droit généralde la décolonisationque sur le droit
particulier applicable au territoire. II ne peut accepter,effet.qu'une telle
fapn d'exposer le probleme soit admissible en 1974. après que l'Assemblée
générale a adopte au moins huit résolutions. de 1965 a 1973. établissant le
processus a suivre pour la décolonisation du territoire, au moyen d'un
référendumde sa population. et réaffirmant le droit du peuple du Sahara
occidental aLalibre détermination eta l'indépendance.
En ce qui concerne l'attitudedes Etats intéressésl,eGouvernement espagnol
n'estimepasjustifiéque laquestion du statut territorial du Sahara occidental au
moment de fa décolonisation par l'Espagne soit suscitéea une date tardive du
processus de sa décolonisation, alors que ces mèmes Etats ont admis a
plusieurs reprises que l'organisation d'un référendumsous les auspices des
Nations Unies était le procédéapproprié pour que la population sahraouie
puisse exercer ses droits a la libre déterminationael'indépendance.
Partant de cette double constatation. le Gouvernement espagnol a estime et
estime que. si la Cour admet la possibilitéd'exercer sa compétence dans la
présente aîïaire. la question relative au statut actuel du territoire a,
certainement, une priorité logique absolue sur les questions concernant son
statut historique, c'est-à-diresur la souveraineté existant au Sahara occidental
au moment de sa colonisation par L'Espagne.
De mime. en partant de cette conclusion. le Gouvernement espagnol a
exposéune conséquenceimportante au sujet de l'exercicecorrect par la Cour
de sa fonction judiciaire, a savoir qu'il est nécessaire d'admettre que les
questions de souveraineté territoriale contenues dans la résolution 3292

(XXIX) se présentent devant le juge international comme questions « histo-
riques >et d'un simple intérêatcadémique :c'est-à-dire qu'ellesne constituent
aucunement des vraies questions juridiques. susceptibles d'ktrerésolues parla EXPOSE ORAL DE hl. LACLETA 29

Cour en application du droit. si on examine la vraie question du statut actuel
du territoire.
Je ne veux pas insister sur les raisons qui justifient cette position. amplement
développée parle Gouvernement espagnol dans son exposé écrit. Je me
limiterai simplement. pour finir ces points. a insister brièvement sur deux
considérations :
1.Comme je l'aiindiquéantérieurement. le processus de décolonisation du

Sahara occidental n'apas commencéen 1974.et l'Assembléegénéralen'a pas a
déciderex tlovoquel est le processus de décolonisation du territoire et quelles
sont les consequences du droit de la décolonisation sur les prétentions
territoriales des Etats intéressésou pour la population elle-même. Non.ces
questions ont étérésolues parl'Assembléegénérale, etcela d'une façon réitérée.
La presente demande d'avis. par conséquent. est sans objet. Pourtant.
hlonsieur le Président. Messieurs les juges. vous pourriez répondre a
l'Assembléeen lui signalant quelle est la vraie question juridique implicite dans
l'aviset. de ce fait. assister l'Assembléegénéraledans l'exercicedes foiictions
qui lui ont étédévoluesen matière de décolonisation.
Dans l'affaire du Cameroun sepienlriorial. la Cour avait adopté des
conclusions qui sont pleinement applicables a la presente affaire:

<(L'arrêtde la Cour doit avoir des consequences pratiques en ce sens
qu'ildoit pouvoir affecter lesdroits ou obligations juridiques existzintsdes
parties. dissipant ainsi toute incertitude dans leurs relationsjuridiques. En
l'espèce.aucun arrit rendu au fond ne pourrait répondre aces conditions
essentielles de laonction judiciaire.))(C.I.J.Rectieil 1962. p.31.)

Et. dans l'affairedes&ssais tiucleoires. vous y ètesrevenus en disant :
<(La présente affaire est l'une de celles dans lesquelles les circonstances

qui se sont produites ... rendent toute décisionjudiciaire sans objet >)
(C.I.J.Rc~c.crr ei74, p. 271).
Je me permets de souligner que la référence.par la Cour. a des <<coriditions
essentielles de la fonction judiciaire))ne laisse subsister le moindre doute que
ces considérations sont d'application a la juridiction contentieuse aussi bien

qu'à la juridiction consultative.
2. La priorité absolue dustatut actuel du territoire serait justifiéeaussi par la
simple logique juridique. A ce propos. je me permets de rappeler ala Chur les
considérations antcrieures concernant les effets des décisionsadoptéesdans le
processus de décolonisation sur les titres de souveraineté territoriale. II est
difficilede nier que ].Espagne. en tant que Puissance administrante. a étépriée
d'abandonner son titre de souveraineté sur le territoire. en vue de sa
décolonisation. corrélativement. l'Assembléegénérale a attribué un titre a la
souverainetédu territoire a la population du Sahara occidental. titre qui doit se
perfectionner moyennant l'exercice du droit du peuple sahraoui a la libre
détermination et ii l'indépendance. En d'autres termes, en établissant un
processus d'autodétermination du territoire base sur la volonté de la

population. les questions territoriales sont résolues d'une façon directe et
delinitive en faveur de la population du territoire.
On peut se demander quelle est la situation juridique des prétentions d'Etats
tiers. après cette décision de l'Assembléegénérale.D'aprés l'opinion du
Gouvernement espagnol. ces prétentionsont perdu toute relevance juridique et
ne peuvent êtrel'objetd'un examen. mêmeindirect. de lapart de laCour. De la
mêmefapon que la Puissance administrante doit cesser dans ses droits
souveraineté sur le territoire, pour la décolonisationde celui-ci, de meme lh 30 SAHARA OCCIDENTAL

prétentions de tiers manquent de tout effet juridique. étant donné que le
problèmeterritorial est résoluau moment ou l'Assembléegénéraleattribue a la
population la facultéde déciderle destin du territoire.
Si on n'admet pas cette conclusion, le résultat, anotre avis, serait, dans la
présente affaire, que les droits actiiels et existant en ce moment de la
popitlation sahraouie, reconnus par la résoliition 3292(XXIX) elle-même,
seraient ignoréset mis en cause, tandis que la Cour se livrerait a l'examen de
simples prétentions juridiques. On en arriverait a la conclusion qu'il suffit
d'avancer une prétention juridique a n'importe quel moment pour laisser en
suspens. voire mettre en question. des droits et des obligations établispar
l'Assembléegénérale.
De I'avisdu Gouvernement espagnol. ce résultat ne serait certainement pas
désirable conformément aux exigences d'une bonne administration de la
justice.
Je passe maintenant a la deuxieme question que j'avais indiquéeconcernant
l'exercicede la fonction judiciaire de ta Cour, a savoir que, si la Cour constate
l'identitéentre l'objet d'undifférend territorial entre le Maroc et I'Espagne et
l'objet des questions de la requêtepour avis consultatif. étant donné que
l'Espagnea été priédee saisir laCour de ce différendau contentieux, celle-cine
devrait pas examiner l'affaire plus avant, car cet examen porterait atteinta
une correcte interprétation de la fonction judiciaire.

Sur ce point, le Gouvernement espagnol a indiqué saposition aux pages 157
a 160(1)de son exposéécrit.en tirant lesconséquences appropriéespar rapport
a l'exercicede la fonction de la Cour aux pages222-223 du même document.
De ce fait, je me borneraia faire quelques remarques essentielles concernant
cetteexception ala recevabilitéde la requêtepour avis consultatif, pour mieux
expliquer et comprendre sa justification et sa portée.
Premièrement. on doit souligner un fait que j'ai mis en relief au
commencement de mon intervention. a savoir que les questions territoriales
concernant le statut du Sahara occidental au moment de sa colonisation par
I'Espagneont étéabsentes des résolutions de l'Assembléegénérale des Nations
Unies sur le territoire précédant la résolution portant requête pour avis
consultatif.
Ces questions territoriales. cependant. ont surgi d'une façon un peu
inhabituelle. Comme je l'ai dit, elles ont étésoulevéesau mois de septembre
1974 au cours de la conférencede presse de S. M. le roi du Maroc et ont été
portéesà la connaissance du Gouvernement espagnol par une note marocaine
en date du 23 septemixe 1974. Or. par cette démarche diplomatique. le
Gouvernement marocain a proposé a I'Espagne de saisir conjointement la
Cour au contentieux de certaines questions territoriales. II s'agit d'une
circonstance fondamentale dans la présente affaire.
La proposition du Gouvernement du Maroc présupposait.en bonne logique.
l'existenced'un differend juridique entre le Maroc et I'Espagne concernant le
statut territorial du Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole.
. II n'est pas question. de I'avis du Gouvernement espagnol, de déterminer le
moment ou ce différends'est concrétisépour qu'on puisse dire que certaines
prétentions juridiques ont étéavancéeset que ces prétentions juridiques n'ont
pas étéadmises par I'Espagne.
Cette question particuliére.pour le moment. n'a pas reçu un examen
approfondi de la part de certains Etats ici représentés.On pourrait soutenir.
dans une première hypothèse.que le differend est ne au moment mêmede la
colonisation par I'Espagnedu territoire. du faitde la prétendueopposition de la
part de l'Empire chérifiena I'exercicepar I'Espagne de sa souverainetésur leSahara occidental. On pourrait soutenir aussi. c'estune seconde hypothese. que
ledit différend territorial aurait surgi après 1956, et ce serait manifesté dans le
cadre des Nations Unies depuis cette date. II y a encore une troisième
hypothese. plus proche de l'existence d'un différendentre Etats ;on pourrait
concevoir que la question juridique qui serait actuellement pendante s'est
concrétisée a un moment précis, entre 1956 et 1958, car le Maroc aurait
demandé à l'Espagne, a cette époque, la rétrocession non seulement du
territoire entre l'ouedDraa et le parallèle 27O40', c'est-à-dire l'ancienne zone
sud du protectorat de l'Espagne au Maroc, mais aussi le territoire du Sahara
occidental.

Finalement, quatrième hypothese. on pourrait soutenir que le différend
territorial est néencore plus récemment.et précisément a cette date du mois de
septembre 1974 et par la voie de la note marocaine précitée.Cette précision
pourrait être confirmée si on s'en tient a la réponse donnée par le
Gouvernement marocain devant cette Cour aux questions poséespar lejuge sir
Humphrey Waldock. Ion des audiences sur la désignation dujuge ad hoc.
De l'avis du Gouvernement espagnol cette question n'a pas étédécidée
définitivementpar l'ordonnance de la Cour du 22 mai écoulé(C.I.J.Recueil
1975, p. 6). Néanmoins. son examen serait nécessaire, étant donné les
circonstances de la présente affaire.
Mais. en ce moment, il est plus important a mon avis de constater une autre
circonstance déterminante. asavoir l'identitésubstantielle entre les termes de la
note marocaine du 23 septembre 1974 et les termes de la Présenterequêtepour
avis consultatif. C'est-à-dire l'identitésubstantielle entre l'objet d'un différend
que l'Espagne a étepriéedesoumettre a cette Cour pour statuer au contentieux
et l'objetdes questions sur lesquelles ona demandéun avis consultatif.
Ce point-ci a étédéveloppéantérieurement. je n'y insisterai pas. Mais si on
tient compte des trois élémentsdont je viens de signaler la présence dans
l'affairedu Sahara occidental. on est frappé parcette conclusion :la possibilité
pour une cour de justice de répondre. par la voie d'un avis consiiltatif. a
certaines questions territoriales qui constitueraient l'objetd'un différendqu'un
Etat a propose a un autre de soumettre a la mêmeCour pour en déciderau

contentieux. ce dernier Etat ayant déniéson consentement a la saisine de la
Coiir.
La conclusion est frappante, je le répète.Pourtant elle parait avoir semblé
assez naturelle au Maroc et aussia la Mauritanie. Si vous lisezlesdocuments se
rapportant aux antécédents dela présente affaire. lors de la vingt-neuvième
session de l'Assembléegénérale,tel est le cas;si vous vous referez au moment
mêmede la conférencedepresse du 17 septembre de S. M. le roi du Maroc. tel
est aussi bien le cas. Telles étant les données fondamentales aux fins de
l'argumentation espagnole, la conséquence en est claire : la réponse a une
demande d'avis consultatif dans la présente affaire serait un moyen indirect de
passer outreau consentement d'un Etat. base de la juridiction de la Cour.
Cette possibilité.certainement. a étéenvisagéedans le passé.Je me bornerai
a citer les paroles du juge H'iniarski dansson opinion dissidente en l'affairede
l'interprétationdes Trait+ de paix. Face a une affaire oii la question de la
compétencede la Cour s'etait posée,le grand juriste polonais a affirmt; :

<<les auteurs de fa Chartedes Nations Unies ont écarté, non seulementla
juridiction obligatoire de faCour. mais une juridiction quelconque sans le
consentement des Etats en cause - et ceci pour les Membres des Nations
Unies. Rien ne serait plus étranger, voire même contraire a cette idéequi
constitue une des bases de la Charte. que de vouloir introduire la32 SAHARA OCCIDENTAL

juridiction obligatoire de la Cour par la porte des avis. » (C.I.J. Rec~rcil
1950, p. 96.)

Sir Gerald Fitzmaurice, en 1958,arrivait au même résultaten disant que la
Cour aurait des doutes bien fondés sur l'opportunité de l'exercice de sa
juridiction dans le cas oii la portée véritabled'une requête d'avis serait :
« to obtain a judicial pronouncernent in a case which is essentially a
contentious case. but which could not be brought before the Court. in

contentious proceedings )@riris/? YearBook ofliîterr~otionalLaw. 1958.
p. 143).

Egalement cette hypothèse d'une saisie par détournement des bases de la
juridiction de la Cour. sans le consentement d'un Etat en cause, a été
considéréeparmi bien d'autres auteurs comme une « compulsory jurisdiction
introduced by the back door )>(sir Humphrey Waldock, Recueil des cotrrsde
l'Académiede droit irt~eiiîariotîadle La Haye, 1962, t. 106, p. 116).Bref. c'estle
cas limite en matière d'avis consultatif, et tel est bien le cas du Sahara
occidental.
Ce détournement des bases de la juridiction de la Cour par le moyen d'un
avis consultatif. dans l'opinion du Gouvernement espagnol. constitue une

situation ou la Cour doit nécessairementconsidérer l'opportunitéde l'exercice
de sa juridiction. Tout argument concernant cette situation avancé par un Etat
doit étretraite en tant qu'exception préliminaire a la recevabilitéde la requéte.
Le fondement d'une telle exception est aisé adémontrer. D'une part on doit
retenir que l'article65 du Statut de la Cour est permissif. De ce fait. comme la
Cour l'a dit dans une jurisprudence constante. cette disposition de son Statut :
« donne a la Cour le pouvoir d'apprécier sifes circonstances de l'espècesont
telles qu'ellesdoivent le déterminer a ne pas répondrea une demande d'avis ))
(C.IJ. Recueil 1950. p. 72).

Deuxièmement, le point essentiel dans cette jurisprudence de la Cour est
constitue par c<les circonstances de I'espéce ». On penserait qu'il s'agitd'un
critère général.mais la Cour. dans l'affaire du Canlerouii septairriorial. en
parlant des limitations inhérentes a l'exercice de sa fonction judiciaire, a
nettement afirmé que ces limitations. <<pour n'êtreni faciles a classer. ni
fréquentesen pratique. n'en sont pas moins impérieuses en tant qu'obstacles
décisifsau réglernentjudiciaire )>(C.I.J.Recueil 1963. p. 30)et qu'il appartient
a la Cour de déterminer. eu égard aux circonstances de chaque cas d'espéce.
<(si ses foncrions judiciaires sont en jeu>).

Troisièmement. on doit retenir un autre élémentconcernant ces circoris-
tances. Dans l'affaire de la Narnibie.vous avez préciséque toute limitation a
I'exercice des fonctions judiciaires devrait être basée sur des raisons
<<décisives )).Je ne crois pas devoir m'attarder à démontrer que, par rapport
aux bases de la jiiridiction d'une coLlrde justice internationale, le consente-
ment des && est lin etement essentiel,et que toutdétournementde ce principe
bien établi de la justice internationale constituerait, de ce fait, une raison
« décisiven.
Finalement, s agissant d'une considération d'opportunité. tous les éléments.

mêmeextrinsèques a la requête. doiventétre retenus s'ilssont essentiels dans
un cas d'espèce.A ce point de vue. il est aise de comprendre que cette voie
indirecte pour l'examen d'une affaire contentieuse par la Cour serait troublante
pour les Etats Membres des Nations Unies. Nous avons étéaccuses par le
conseil du Gouvernement marocain de vouloir « terroriser la Cour b)telle n'est
pas. bien sur. notre intention : mais en droit les juristes doivent tirer les EXPOSEORAL DE M. LACLETA 33

conséquences appropriées des règles et des situations, si fâcheuses qu'elles
puissent ètre. Dans une affaire qui présente des aspects <(forts inhabituels ».
tirer les conséquences qui s'imposent nous parait mêmeun devoir.

Je ne crois pas nécessaire d'insistersur cet aspect de la question de
l'opportunité del'exercice de la fonction judiciaire par la Cour. IIest facile B
comprendre, car les realites des relations internationales nous offrent bien des
exemples de conflits territoriaux non réglés.le consentement d'un Etat étant
absent; et dans de tels cas on peut bien imaginer que certains Etats. des
majorités politiques a l'appui. pourraient sentir la tentation de choisir ce
détournement de la voie consultative en vue d'obtenir une réponseen droit. On
dira. certes, que l'avis netrancherait pas le conflit. qu'il n'aurait d'autre effet
que d'éclairerla situation pour l'organe requérant et. de ce fait. de contribuer
au règlement dudit conflit. Or, on peut percevoir que. une fois cette possibilité
ouverte. certaines données concernant la justice entre Etats seraient ébranlées

et nous serions. il faut l'avouer. face a une «compulsory jurisdictjon by
majority vote in a politicai organ » résultatqui, le Gouvernement espagnol le
croit, ne serait pas conforme a la Charte des Nations Unies.

L 'oardierzce,irspendue a ii h 15. est reprise àII h 35

Je vais me référermaintenant a latroisième question que j'avais mentionnée.
se rapportant a l'exercice de la fontion judiciaire de la Cour : celle de sa
compétence pour examiner un différend par la voie de la juridiction
consultative sans le consentement d'un Etat qui serait partie au différend.
L'alinéa6 de l'article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice.

reprenant le libellémême del'alinéa4 du mêmearticle du Statut de la Cour
permanente. stipule :« En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour
est cornpetente. la Cour décide.»
Dans son arrèt du 18 novembre 1953 en l'affaire Nortebohm. la Cour
aflirme :
(<Depuis l'affaire de l'Alabama, il est admis, conformément a des

précédentsantérieurs, qua moins de convention contraire. un tribunal
international est juge de sa propre compétenceet a lepouvoir d'interpréter
a cet effet les actes qui gouvernent celle-c)>(C.I.J.Recueil 1953, p. 119.)
Le Gouvernement espagnol est conscient de cette règle bien établie et.aux
effets de la présenteaudience. doit rappeler qu'il existeégalement un principe
incontesté du droit international selon lequel aucun Etat n'est obligé de
soumettre un différend avec un autre Etat à une cour internationale. Cette

soumission exige le consentement des parties et est le fondement de la
juridiction de la Cour internationale de Justice.
Or si. dans lajuridiction contentieuse. la compétence de la Cour ou de tout
autre cour internationale est basée sur le consentement des parties a un
différend,on serait admis a penser que la justice internationale. étantdonne
son caractère consensuel, ne pourrait s'exercer valablement en l'absencede ce
consentement. Dans la juridiction consultative, la situation est sans doute plus
complexe et régiepar les règles établiesa l'article 96 de la Charte et 65 du
Statut. Dans les audiences concernant la désignation desjuges od hoc. nous
avons eu l'occasion de présenter ala Cour notre position sur les rapports entre
question juridique et difierend juridique dans ce contexte. 11s'agit. a présent,
d'analyser seulement les implications de l'acceptation de l'institution de I'avis

sur diffërend.34 SAHARA OCCIDENTAL

Arrives a ce point, il semble nécessairede se rkferea deux précédentsqu'il
faudrait analyser de nouveau a la lumiere des circonstances de la présente
aiTaire.II s'agit évidemment des affaires bien connues du Statut de la Curelie
orieiifalet de I'ltrterprkialides traiti;~dc paix.
Le Gouvernement espagnol considère que. du fait que le Règlement de la
Cour prévoit. dans son article 89. la possibilitéde nommer des juges ad hoc
dans la procédure consultative. lorsque l'avis est demandéau sujet d'une
question juridique actuellement pendante entre Etats, on ne saurait tirer la
conséquenceque la Cour est toujours compétentepour connaître de ce genre
de questions. si I'on tient compte surtout que. selon l'article87 du Règlement.
la Cour doit rechercher avant tout si les questions soumises pour avis ont trait

a une question juridique actuellement pendante entre Etats. afin de déterminer
dans quelle mesure la Cour juge applicables les dispositions du Règlement
relatives a la procédure contentieuse. Si nous rapprochons cela de la
disposition de I'artic68 du Statut, cela suffit pour maintenir que la Cour peut
et doit examiner aussi le problème de sa compétencesi. comme c'est le cas, il
n'ya pas de consentement d'un Etat intéresséC . ette affirmation est solidement
appuyéepar les derniers considérants de l'ordonnance du 22 mai 1975 de cette
Cour. faisant référencea la question de la compétenceet a l'opportunitéde son
exercice (C.I.J.Recueil 1975. p. 6).
L'opinion contraire, bas& sur l'idéeque le précédent duStatut de la Carelie
orientale n'aurait plus aucune valeur, n'est pas si radicale qu'onl'aprétendu
dans des audiences précédentes.
Si.a l'audience du 12 mai. le conseil du Gouvernement marocain nous
rappelait que le précédentconstitué par la Carélie orientale est périmé.
appuyant cette thèse sur une citation tiréede l'opinion individuelle d'un des
membres de cette Cour (C.IJ. Recueil 1971. p. 171-1 731.le conseil du COU-
vernement de la Mauritanie. de son côte. nous disait. a l'audiencedu 13 mai :

<<malgrétout ce que I'on apu dire contre I'affairedu S~a~u ie la Care'lie
orientale. il y a là un point extremernent profond auquel. si la Cour devait
un jour se retrouver dans la mémesituation, elle ne pourrait pas ne pas
étreattentive » (IV, p.35).
Maintenant. je voudrais prier le conseil du Gouvernement marocain de

tourner la page 173 du Recueil 1971 et de lire,ala page 174.un paragraphe de
l'opinion individuelledéjàcitéeou ilest dit :
<(Pour qu'il y ait un différendou une question juridique entreEtats,de
telle sorte que la Cour déclare son incompétence (art. 65 du Statut.
doctrine énoncéedans I'affairedu Statur de la Carélie orientale)ou bien
applique par analogie les dispositions concernant ta procédure conten-
tieuse (art. 82 et's3 du Règlement; art. 68 du Statut). il faut que la
question ou le differend puisse par nature relever du contentieux, qu'ilsoit
apte à tomber sous ... le chapitre II du Statut et qu'il puisse étre tranché
par un arret.»

Or. nous voyons que la doctrine énoncéedans I'affaire du Sratui de la
Carélie orientalepeut étre appliquéepar la présenteCour. Quelle était cette
doctrine ? II n'est pas nécessairede répéterici toutes tes explications sur les
circonstances de l'affaire.Je voudrais seulement attirer l'attention de la Cour
sur deux considérations.
Primo. la Cour permanente souligne que I'avis demande porte sur un
differend actuellement ne entre la Finlande et la Russie. La Russie n'étant pas
membre de la Sociétédes Nations.ils'agit d'un cas prévua l'article 17du Pacte. ExPOS!? ORALDE M. LACLETA 35

L'article17 du Pacte était l'un des articles concernant le règlement des
dimerends et il ne faisait que rendre applicable aux Etats non membres le
mécanismede règlement prévupour les Membres (art. 12a 16). si I'Etat non
membre acceptait l'invitation du Conseil. La Russie n'ayant pas accepté.il n'y
avait pas lieu d'appliquer le mécanismeen ce qui concerne le Conseil de la
Sociéténi en ce qui concerne la Cour permanente. La Cour justifiait les règles
du Pacte en soulignant que celles-cine faisaient que reconnaitret appliquer un
principe qui est a la base méme du droit international : le principe de

l'indépendance des Etats :
(<II est bien établien droit international qu'aucun Etatne saurait être
obligéde soumettre ses différends aveclesautres Etats soit ala médiation.
soit a l'arbitrage. soitenfann'importe quel procédéde solution pacifique.
sans son consentement. Ce consentement peut êtredonné une fois pour
toutes sous la forme d'une obligation librement acceptee ...[soit]dans un
cas déterminé, endehors de toute obligation préexistante. (C.P.J.I.série
B n05, p. 27.)

LeGouvernement espagnol considèreque rien n'a modifiécette aflirmation
de laCour permanente. Et s'il est vraique le Maroc et l'Espagneont acceptéles
obligations contenues dans la Charte des Nations Unies et notamment dans
son chapitre VI concernant le règlement desdifférends.on ne pourrait trouver
nulle part dans la Charte la déclaration qu'un Etat Membre serait obligéde
soumettre un differend avec un autre Etat i la juridiction contentieuseou
consultative de la Cour sans son consentement.
La base de lajuridiction de la Cour est conventionnelle. et dans lajuridiction
contentieuse. et dans lajuridiction consultative. Dans les deux cas. laCour doit
se trouver devant des manifestations de consentement des Etats. car ce
consentement - vous l'avez maintes fois répété - reste a la base cle votre

juridiction. Cela a étélecas lors desaffairesdu Statut dfaCare/ieorienrale, de
l'Accèsaux écoles minoritaires allemandes en Huuie-Silésie, du Detroii de
Cot$ou, de laReporarion des dommages subis au service des Noiions Uiiies, de
Iïnierpré~aiiondes traites de paix. de I'Anglo-lranian Oil Co.. etc.
Les donnéesdel'affairedu Srarur de la Carélieorieirrale. par rappora celles
de la présente affaire. permetterit de bien mettre en lumiere le problème du
consentement dans la juridiction consultative. En ce qui concerne la position
des Etats par rapport a l'organe requérant. il est certain que l'Union soviétique
avait décidede rester en dehors de la Sociétédes Nations. Dans la présente
amaire, tout au contraire. l'Espagne est Membre de l'organisation des Nations
Unies et Etat partie au Statut de la Cour, aussi bien que les autres Etals ici
représentés.L'élémenitnstitutioiinel par conséquentest différent.
Par contre. si on tient compte de la nature des questions objet de la requète
pour avis consultatif, les donnéesdela présenteespècene diffèrentpas de celles
de l'affairedu Sfarutde /aCarélieorien~ale.Dans le cas d'espèce,de méme que
dans l'affaire précitéel,a requêtepour avis consullatif parait avoir étéadoptée
au sujet d'un diffërend entre Etats. De ce fait. !'avisne concerne pas le cadre
institutionnel de l'organisation. celui qui intéressetout Etat Membre. IIest aisé
de comprendre que par rapport a des questions touchant l'activité de
l'organisation, les Etats Membres sont censésavoir donnéleur consentement
pour que certaines questions soient soumises a la Cour pour avis corisultatif.

Ces questions intéressent l'ensemble des Membres de l'organisation. et la
requète pour avis consultatif est I'expression de la volonté généralede
l'institution requérante. Tel n'est pas le cas quand la question. objet de la
requète pour avis consultatir. est en dehors du cadre particulier de IDrga-36 SAHARA OCCIDENTAL

nisation. Une telle question doit êtrerésoluepar application des règlesgené-
rales du droit international et non par des règles du droit particulier de
l'organisation requérante. Unetellequestion est propre à ce que certains auteurs
ont appelé <(ledroit relationnel» par opposition au droit institutionne)).
Or le droit relationnel est régipar le principe du consentement des Etats.
Toute question portant sur l'application des règles générales du droit
international - donc extérieures au cadre institutionnel - exige le
Consentement des Etats en cause pour que la Cour puisse fonder sajuridiction.
Ce serait. certes. une interprétation extensive de la volonté des Etats de
soutenir qu'une fois le consentement donné pour des questions propres au

cadre de l'activitéde l'Organisation. ces Etats sont censésavoir consentis par
rapport à toute question qu'un organe viendrait a connaître. Ce qui importe
donc. c'estla compétencede l'organe requérantrarione rnaferiae.Dans lecadre
des Nations Unies, le Conseil de sécuritéet l'Assembléegénerale ont des
compétences en matière de règlement pacifique des différends, mais cette
competence ne peul pas passer outre au consentement des Etats. parties a un
différend. sur une question qui doit êtrerésolue par application du droit
international généralet qui est. par conséquent, étrangèreau cadre de la
compétencematériellede l'organisation. Tel est le cas en ce qui concerne les
questions touchant a l'attribution de la souverainetéterritoriale.
Bref,pour les matières dévolues a l'organisation. pour les matièrespropres a
la competence des organes requérants, l'article96 de la Charte. se conjuguant
avec l'article65 du Statut de la Cour. constitue la base conventionnelle de sa
juridiction. Par contre. pour ce qui est des questions en dehors de la
compétenceratione rnaleriaede l'organe requérant. comme tel est bien le cas
des questions concernant l'existence d'une souveraineté territoriale. dans ce
cas. je le répète,la base de la juridiction de la Cour doit être déterminée par
rapport au consentement des Etats en cause.

Or. dans la présente affaire. il s'agit. en outre, d'un differend qui non
seulement pourrait relever du contentieux. mais que l'on avait proposé
formellement de soumettre a l'arbitrage de cette Cour et qui satisferait a toutes
les conditions contenues dans les propos de l'un des membres de la Cour que
nous nous sommes permis de mentionner précédemment.
Avant de finir mes commentaires sur l'affaire du Srattit de la Cardie
orientale, je voudrais attirer l'attention de la Cour sur le fait que. de l'avisdu
Gouvernement espagnol, on ne peut pas arbitrairement séparer le problèmede
l'existenced'un différendde celui du manque de consentement (non d'un Etat
intéressé a l'avis.mais d'un Etat qui serait partiau différend).A l'audience du
25 juin, le conseil du Gouvernement du Maroc a voulu axer son étude de
l'affaireduStatut de la Carélieorientale sur la séparation.je dirais chirurgicale.
des trois arguments sur lesquels la Cour se serait basée pour décliner sa
compétenceen 1925 :

- prerniérernent,l'absence de consentement d'un Etat intéressé ;
- en deuxième lieu, le caractère des questions soiimises à la Cour qui
soulevaient des points de fait;
- et, troisièmement. le fait que les questions concernaient directement fe
point essentiel d'un différendactiiellement né (IV. p. 134-136).
Mais les points 1 et 3. qui sont soigneusement séparkspar le point 2, ne sont
pas indépendants. S'ils l'étaient. leconsentement de tout Etat intéressé serait

nécessairepour que la Cour puisse émettren'importe quel avis, mêmesur une
question abstraite ou théorique.
Et la présence d'un différend. mêmsei les Etats parties ne soulevaient pas EXPOSEORAL DE hl.LACLETA 37

d'objection. suflirait a inviter la Cour a déclinersa réponse.Ce n'est que la
rencontre des deux questions qui soulèveun probléme(que la Cour a résoluen
1925 en déclinantsa compétence).Si on lessépare.il n'ya plus de probléme.et

l'argument du conseil du Maroc ne prouve rien, ayant changéau préalablela
proposition qui devrait êtredémontrée.Par cette méthode il arrive a la
conclusion que Iéxistencede l'article89 du Règlement suffit pour que la Cour
exerce sa compétence quelles que soient les circonstances entourant une
demande d'avis.
Dans l'affaire de l'ltiterprétatio~zdes traités de paix, la Cour aborda la
question du manque de consentement des Gouvernements de la Bulgarie. de la
Hongrie et de la Roumanie. A ces fins. elle établit une différence dans le
principe régissantla procedure contentieuse et la procédureconsultative. Point
n'est besoin de citer les passages s'y rapportant, car ils sont bien connus.
Pourtant, il semble utile d'analyser la ratio deciderldi du refus de la Cour de
retenir l'objection a sa compétence.
En premier lieu. la Cour affirme, dans ce cas la, son pouvoir discrétionnaire
pour (appréciersi les circonstances de l'espècesont telles qu'ellesdoivent la
déterminer à ne pas répondre a une demande d'avis» (C.J.J.Recueil 1950.

p. 72).
II est statué, en deuxièmelieii, que les circonstances de la présente espèce
sont profondément différentesde celles devant lesqiielles la Cour permanente
de Justice internationale s'est trouvée dans I'affaire di1 statut de la Carélie
orientale (ihid.).
Il est dit, en troisième lieu,que la présentedemande d'avis

« ne touche assurément pas le fond même de ces différend...IIen résulte
que la position juridique des parties a ces differends ne sauraitaiicun
degré êtrecompromise par les réponsesque la Cour polirrait faire aux
questions qui lui sont posées.))fïbid.)

Quatrièmement, l'article 68 dii Statiiestinterprétéet il est signaléque son
application <<dépend des circonstances particulièresa chaque espèce etque la
Cour possède a cet égard un large pouvoir d'appréciation >(ihid.).
La concliision en est que dans cette affaire on se trou<<en présenced'me
demande d'avis qiii ne tend pas a autre chose qu'a éclairer l'Assemblée
générale » et que. <tel étantI'0bjetde la demande d'avis, la Cotir estime que
l'opposition manifestée parla Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie ne doit pas

la déterminer'às'abstenir de répondre a la demande d'avis »(ibid.).
Je me permets de signaler que nous nous trouvons ici devant une
considération fondamentale concernant l'objetet la portéede la reqiiétepour
avis.La Cour a souligné, a cette occasion, que la demande d'avisavaitun objet
trèslimite et qii'ilne s'agissaitqude donner <<certaines précisions juridiques
concernant l'applicabilite de la procédure de règlement des différends par
commissions »(ibid., p. 70).
C'est bien loinque de répondre a des questions qui. visant le statut juridique
d'un territoire, impliquent aussi le problème de l'existence d'un pouvoir
souverain et, éventueliement. la conséquence méme qu'un Etat exerçait un
pouvoir illicite en son origine. Nous avons abondamnient développe cespoints
dans notre exposé écritet il n'y a pas lieu de nous y attarder.
Mais dans I'affairede I'lnferpre'tatides traitésde paix la Cour a estiméde
toute évidence. qu'elle allaitremplir la tâche d'un authentique conseiller

juridique en disant a l'Assembléegénéralequelles étaient les possibilités
juridiques de l'action du Secrétaire générale I'Orgariisationdans le cadre des 38 SAHARA OCCIDENTAL

traitésétablisentre quelques-uns des Membres de lm0rganisationet des Etats
tiers.
Une lecture attentive des opinions dissidentes desjuges Winiarski. Zoriëic et
Krylov. etmêmede l'opinion individuelledu juge Azevedo. montre que ceux-ci
ne s'opposent pas. en réalité.a l'idéeque la Cour puisse émettre son avis au
sujet de Lavraie question soumise a la Cour, exposée dans lesquestions III
etIV de la requêtepour avis, mais plutôt aux qiiestions préalables exposées
sous les numéros 1 et II.
II y a bien sùr d'autres précédentsquant a l'exercice de la juridiction
consultative de laCour dans desaffaires ou il y avait un différendentre parties.

Mais. dans tous ces cas. le probleme du consentement ou bien celui de
l'opportunitéde I'exercice des pouvoirs de la Cour ne s'est pas poséet il ne
pouvait pas se poser. puisque les parties avaient consenti a la soumission de la
question a la Cour et, dans un cas, elles avaient mème convenu de donner a
I'avisla mêmevaleur que s'ils'agissait d'unesentence. Par conséquent. nous
pouvons faire grâce a la patience de la Cour et nous borner aux deux cas que
nous venons de commenter.
En somme. si la Charte des Nations Unies n'a pas encore consacré le
principe de l'arbitrage obligatoire de tout différend.et il est bien clair que, lors
de la conférence de San Francisco. toutes les propositions allant dans ce sens
furent rejetées, le faitqu'un Etat soit ou non Membre de IDrganisation ne
change en rien l'application des prjncjpes fondamentaux affirmes par la Cour
permanente dans son avis sur leStatut de la Curelie orientale, et par les Etats
eux-mêmes.Membres ou non des Nations Unies, principe queslejuge ZoriEic a
énonce en disant <(une règle fondamentale du droit international veut
qu'aucun Etat ne soit obligéde soumettre ses différendsavec d'autres Etats a
n'importe quel procédé. judiciaireou autre. sans son consentement » (C.1.J.

Recueil 1950. p. 99).
A ce moment de mon exposé.Monsieur le Président. Messieursles membres
de la Cour, je dois insister sur le fai- et c'est aussi une difference avec les
affaires tant du Statut de la Carélieorientale que de lhterprémfion des fruités
de paix - que le Gouvernement espagnol n'apas refusésa coopération, ni a
l'Assemblée générale, ni a la Cour. Pourtant il refuse absolument son
consentement a ce qu'un différendou bien une question juridique actuellement
pendante entre Etats. dont l'un serait l'Espagne, puisse ètre soumis a la Cour
sans son consentement. que ce soit par la voie contentieuse ou bien par la voie
consultative.
Je tiens a souligner que cette cooperation ne saurait ètre interprétéecomme
un consentement implicite. car elfe n'a étédonnée qu'aux fins d'un avis
consultatif qui. de l'avis du Gouvernement espagnol, n'étaitpas demandé sur
un differend. mais sur une divergence de vues, au sein de l'Assembléegénérale
des Nations Unies. a propos d'une question de decolonisation.
Et ici je crois utile de signaler que l'interprétation du Gouvernement
espagnol, quant a l'objet et a laportéede la requètepour avis consultatif dans la
présente affaire, a étélargement développéedans I'expose écritdu mois de
mars et aussi dans les audiences du mois de mai concernant la désignation des
juges ad hoc.

Puisque je viens de mentionner le problème du consentement implicite. je
tiensa rappefer aussi que. d'aprèslajurisprudence de cette Cour. la notion du
forum prorogarum ne serait pas applicable dans le cas d'espece. En effet. dans
l'affairede I'Anglo-Iranian Oii Co.. la Cour a dit avec autori:é
<(Pour pouvoir s'appliquer en l'espèce.le principe duforum proroga- EXPOSEORALDE M. LACLETA 39

tut1devrait élrefondésur quelque acte ou déclarationdu Couvernenient
de l'Iran impliquant un élémentde consentement a l'égard dela
compétencede la Cour. M

Et on y ajoutait:
(<IIest vrai qu'ila présenté d'autres objectionssans rapport direct avec

la question de compétence. Maisellesétaient clairement indiquéec somme
des moyens de défensequi auraient a êtretraitésseulement si l'exception
d'incompétencede l'Iran était rejetée. ucun élémend te consentement ne
saurait êtredéduitde l'attitudeadoptée parI'lran. )(C.I.J.Recl~t~il932.
p.114.)

Or. comme je l'ai signalé déjà dans les remarques initiales de cette
intervention devant la Cour. la logique formelle de la procédure consultative
produit la conséquenceque toute exception préliminaireest, nécessairementet
ab irtifiojointe au fond de l'affaire et que le Gouvernement espagnol ne
pouvait et ne peut pas encore savoir quelle sera la décisionde la Cour quanta
l'objet eta la portéede la requête niquant a sa propre compétenceou a
l'opportunité deson exercice. et ceci jusqu'au moment du prononcéfinal. Par
consequent. je dois aborder la dernièrepartie de mon exposé.
La situation oc nous nous trouvons en ce moment est vraiment fort
inhabituelle .et. de ce fait. embarrassante. Non seulement parce que le
Règlement alaissé a l'appréciationde la Cour la détermination enchaque cas
d'espèce de la mesure dans laquelle lesdispositions régissantla procédure
contentieuse seront appliquées a la procédureconsultative. C'est que. d'autre
part. la décisionrendue par la Cour le 22 mai dernier ne nous permet pas de
savoir si la Cour a définitivementadmis que dans la présente affaireii y a ou

non une question juridique actuellement pendante entre Etats. voire un
différend.Et nous ne le saurons. je viens de le dire. qu'au moment ou. la
procédure terminée.la Cour se prononcera au sujet de la demande d'avis.
II se peut finalement que la Cour décide qu'iln'y a pas de différendet que
l'objetet la portéede la requêtepour avis peuvent êtreinterprétés d'une autre
façon, et non comme le Maroc et la Mauritanie l'ontsoutenu.
Dans ce cas, si le Gouvernement espagnol terminait ici son exposé. il
n'aurait pas contribue jusqu'ala fina informerla Cour sur lesfaitsconcernant
la requétepour avis. Par conséquent.le Gouvernement espagnol croit devoir
continuer aapporter sa contribution aux activités tantde l'Assembléegénérale
que de celte Cour. mais toujours en déclarantque ceci n'impliqueaucunement
son consentement ace qu'un di-ond quelconque soit soumis a laCour par la
voie de sa juridiction consultative.
A ce stade de mon raisonnement. il y a lieu de se demander s'ilpourrait y
avoir une interprétationcohérenteet 1ogique.quipermettrait de surmonter les
contradictions. que le Gouvernement espagnol a fait ressortir abondamment

dans son expose écritaussi bien quedans ses interventions orales devant vous.
entre lesquestions contenues dans la résolution 3292 (XXIX)et lecolitexte ou
elleétait inséréec.ontradictions qui dériventdela portéeque l'onveut donner a
I'objetde la requete.
Pourtant. le représentantdu Gouvernement du hlaroc a dit que « l'objetde
cette requete n'est absolument pas de résoudre un conflit territorial. II est ...
pour la Cour, l'occasion d'éclairerl'Assembléegénéralesur une question
juridiqiie pendante.» (IV, p. 151.)
Si nousacceptions cette prémisse,la question fondamentale a résoudredans
cette affaire du SoAara occidental serait la détermination exacte de cette4 0 SAHARA OCCIDENTAL

question juridique pendante. Cette question étant exclue d'un rapport
purement bilatéralentre deux Etats, on ne pouvait que la considérerdans le
cadre du processus de dewlonisation du Sahara occidental établi par
l'Assembléegénérale des NationsUnies.
11faut alors examiner si la résolution 3292 (XXlX) introduit lin élément
nouveau permettant de pretendre à l'existence d'une situation nouvelle qui
justifierait iin changement dans le processus de décolonisation établi par
l'Assembléegénérale,comme le Maroc l'aabondamment prétendu. A ce sujet,
rien ne peut êtreplus éclairant,pour comprendre la véritableportéede cette
résolution, qiie d'examiner l'interprétationque le représentant de in Côte
d'lvoire tiii donna à l'occasion dela mise aux voix dii projet de résolutionà la
Quatrième Commission de J'Assemblégeénérale.dans le courant de lavingt-

neiivieme session de l'Assemblée.L'ambassade~irde la Côte d'lvoire rappela
qiie le groupe africain, après avoir examiné très soigneiisement le projet de
résoliitionintroduit parleMaroc et la Mauritanie, avait décided'yajoiiter
« Lincertain nombre d'élémentsqiii permettent a l'Assembléede rester
conseqiiente avec elle-meme. à savoir, premièrement. la réaffirmation.
dans le préambule, du droit à l'aiitodeterrnination du peuple du Sahara
espagnol. Deuxièmement. en ce qui concerne l'avisconsultatif demandéa
la Cour internationale de Justice, quelles que soient les réserves que
certains pourraient avoir siIr lesqiiestions qui sont posées,lesauteurs ont
pris soin de dire qite ce recouala Cour internationale de Justice neporte
pas préjudice a l'application des principes contenus dans la déclara-
tion 1514(XV)a laqiielle ilsdemeurent tous fermement attachés. Ensuite,
les aiiteiirs ont dit, au paragraphe3 du dispositif. que cet avis qui est
demandéa la Cour permettra a l'Assembléede définir lapolitiqiie asiiivre
pour accélérer.conformément à la résolution 5 14(XV),le processus de
dhlonisation ...qiii devra se faire dans les meilleures conditions pos-

sibles.>)(Nations Unies, vingt-neuvième session, doc. A/C.4/SR.213 1,
p. 18et 19.)
Je m'excuse pour cette longue citation, mais sa clartéet sa precision nous
permettent, iine fois de plus, de sitiier la question du Sahara occidental et l'objet
de la demande d'avis à la Cour internationale de Justice dans leur véritable
perspective. Si, comme c'est la pratique consacrée aux Nations Unies.
l'ambassadeur de la Côted'lvoire parlait au nom de toiis lescoautetirs du projet
de résolution.parmi tesqiiels se troiivaient le Maroc et la Mauritanie, on doit
conclure qu'il ne petit y avoir aiicune contradiction entre la résolii-
tion 3292 (XXIX) et les résolutions précédentesde l'Assembléegénérale
relatives à la question du Sahara occidental.
Ce fait étant admis,on pourrait sedemander si les q~iestionscontenues dans
cette résolution porteraient en elles-mêmes deseléments contradictoires par
rapport a la résoliition 3292(XXIX). Que la pertinence de ces questions ait

soiilevé des réserves au sein des Nations Unies avant l'approbation de la
résolution 3292 (XXIX), c'est lin fait indéniable.L'explicationen serait petit-
êtreque les questions poséesreproduisent texl~iellement Lineproposition du
Maroc àl'Espagne qiii avait pour objet, non pas d'accélérerc,onformémentà la
résolution 1514 (XV), le processiis de décolonisation du Sahara occidental,
mais de résoudre Linpréfendulitige territorial par la voie contentieiise devant
la Cour internationale de Justice, en vue de changer le processus de
décolonisation.
L'insertion de ces questions dans lecadre de fa resolution 329(XXIX). telle
qu'ellefut approuvéepar l'Assembléegénérale.oblige évidemment à Lineffort EXPOSE ORAL DE M. LACLETA 41

d'interprétation cohérente a la liimiere non seulement des travaux prépara-
toires du textemais aussien cherchant à ce que cette résolutionait un effet utile
pour « accélérerN le processus de décolonisationdéjàétablipar l'Assemblée
généraleet déterminer comment cela pourrait se faire <<dans les meilleures
conditions possibles>>.
De tout ce qui précède.on peut tirer la concliision que l'éclairagedont
l'Assembléeaurait besoin dans cette affairene porterait que sur les possibilites
qui s'ouvrent a l'application du droit de la population du Sahara à

I'a~itodéterminationA. ce stade. et pour éviter touteconfusion. je voudrais. une
fois de plus, souligner qu'il s'agit bien des modalitéspour l'application d'un
principe de décolonisation, celui de l'autodétermination. que l'Assemblée
générale a expressément réaffirmdé ans la résolution3292 (XXIX) elle-mème.
Ce serait donc les difficultésqui auraient surgi pour I'applicatiori de ces
principes de décolonisation qui auraient amené l'Assemblée générale a
demander ala Cour des éclaircissementsou des informations sur certains faits
historiques passés dont la détermination serait éventuellement utile pour
donner a la population du territoire le plus vaste éventailde possibilitésquant
au choix de son avenir.
En d'autres mots. il ne s'agiraitpas dechanger leprocessus de décolonisation
du Sahara occidental. décidé ertéaffirme maintesfoispar l'Assembléegénérale
elle-même,mais de préciserquelles devraient êtreles possibilitésde ctioix que
l'on devrait offrir au peuple du Sahara occidental au moment ou celui-ci
exercerait son droit a l'autodétermination.On sait que les consultations entre
les parties intéresséesque l'Assembléegénérale avaitrecommandées concer-
naient les modalitésde l'organisation du référendum quidevrait avoir lieu sous
lesauspices des Nations Unies. 11est aussi bien connu que le Maroc. aussi bien
que la Mauritanie. ont prétendu que de telles consultations signifiaient qu'on
devrait négocier sur l'avenir du territoire. Et je dois signaler ici que des

consultations ont eu lieu. contrairement a ce qui a étésoutenu devant cette
Cour. tant par les moyens diplomatiques habituels qu'a travers les visites
officielles effectuéespar les ministres des affaires étrangèresrespectifs (vous
trouverez la liste de ces visites au document A/C.4/SR.2126. p. 4-5, qui
apparait sous le numéro9 dans le dossier envoyéa la Cour par le Secrétaire
génkraldes Nations Unies - 1,p. 37).
Or. ces consultations n'ayant pas abouti a un accord. on pourrait soutenir
qu'il n'y aurait rien d'anormal a ce que l'Assembléegénérale.apres s'être
renseignéesur quelques donnéesqu'elle jugerait utilede connaître. intervienne
pour recommander aux Etats intéressés.d'une façon plus précise, quellessont
lesoptions - sans exclure cellede l'indépendance - que \'ondoit proposer au
peuple du Sahara occidental pour qu'ilpuisse faire librement son choix.
C'esta la luniièrede ces considérationsqu'il fautexaminer la thèsesoutenue
par le Gouvernement espagnol. qu'on ne saurait répondre aux questions
poséesdans la présenteaffaire sur Linplan purement historique. et quc la Cour
a la pleine libertéd'examiner tous leséléments pertinentsdont elledispose pour
se faire une opiiiion sur une question qui lui est posée en vue d'un avis
consultatif.
C'estpour cette raison que leGouvernement espagnol a considérénécessaire
d'insister devant la Cour sur la valeur de ces antécédentset sur la pertinence

qu'il y auraia ce que la Cour se prononce aussi sur le Statut juridique actuel
du territoire et ceci. non pour réaffirmer la souveraineté espagnole sur le
Sahara occidental - question qui n'est pas soumise a ta Cour, étant un lait
indéniable et l'Espagne ayant accepte d'abandonner cette souveraineté a la
demande de la communauté internationale - mais pour empecher qu'une42 SAHARA OCCIDENTAL

éventuelle réponseaux questions poséespuisse servir de base pour porter
atteinte aux droits acquise la population du Sahara dans le cadre du droit de
la décolonisationen lui refusant le libre choix de son avenir.
Ce n'est qu'a la lumière de cette interprétation que la représentation
espagnolese propose d'intervenirdans lesprochaines séancespour discuter les
exposésprésentespar les Gouvernements du Royaume du Maroc etde la
République islamique de la Mauritanie. et de ce fait. pour continuer a
collaborer avec la Cour dans l'espritde la recommandation contenue dans la

résolution3292 (XXIX).
IIne me reste qu'a vous remercier, Monsieur le Président. Messieursles
membres de la Cour. de fa bienveillante patience dont vous avez fait preuve
pendant mon expose. EXPOSE ORAL DE M. ARIAS-SALCADO
REPR~SENTANT DU GOUVERNEMENT ESPAGNOL

M. ARIAS-SALGADO :Monsieur le Président.Messieurs lesmembres de la
Cour. qu'ilme soit permistout d'abord devous exprimer legrand honneur que
j'éprouve a pouvoir intervenir devant la Cour internationale de Justice dans
cette phase orale de la procédure.en ma qualitéde représentant de l'Espagne.
Mon intervention consistera surtout a examiner. aussi brièvement que
possible, les arguments et les données présentes devant la Cour par le
Gouvernement marocain dans son expose écritet dans les interventions qui.
ces jours précédents.les ont interprétéset développés. Maisil me semble
nécessaire. avant d'aborder I'examen de ces questions, de faire quelques
remarques préliminaires.
La première remarque preliminaire concerne la méthode qui paroit avoir
guidéles exposés marocains. Ils ont étébâtis sur une prémissetres claire. a
savoir l'idéeanticolonialiste. Le Gouvernement marocain a ainsi voulu se
placer dans une position confortable en essayant de faire devant la Cour le
procèsdu colonialisme européen et.en particulier. du colonialisme espagnol.

On serait tenté de croire qu'en ce qui concerne I'Espagne les exposes
marocains ont utilise une idéemaitresse pour appuyer leur description des faits
historiqiies de la présenteaffaire, celleI'ennemi séculaire ))du Mtiroc. En
effet. on a soutenu que le Sahara occidental etait l'aboutissement d'un long
processus colonialiste imaginé par l'Espagne des le XV siècle. Dans cette
optique colonialiste, un des conseils du Gouvernement marocain est allé
jusqu'a établir des distinctions entre les pays accuses dans le grand procès
colonial. et. parlant du dessin politique d'un autre Etat que l'Espagne. il a dit
que ces desseins « peut-ètre avaient un aspect colonialiste. mais avaient aussi
leur part de générosité n. On comprend que la distinction ait étéestimée
nécessaire.etani donne la nationalité duconseil marocain. En tout cas. qu'ilme
soit permis de dire qu'une telle perspective idéologique nesaurait se substituer
devant une cour de justice a l'examen objectif des faits. quel que soit le
jugement de valeur qu'on pourrait porter aujourd'hui sur la période de
l'expansion coloniale européenne.
Les conséquencesde cette méthode.on lesaperçoit par exemple par.rapport
a la critique des sources historiques. Le représentant du Maroc. au cours de
l'audience tenue le lundi 30 juin a ététres clair sur ce po:Ferdinand de la

Chapelle nëtait pas une source recommandable car il avait une O tique
coloniale et il nëtait pas <«un historien disintéras4 » (IV. p. 201f Par
conséquent. on devrait rejeter son Esqlcisse d'une Iiisroire du Saliara
occiden~al.Par contre, ce mêmeFerdinand de laChapelle et d'autres historiens
français et espagnols sont abondamment utilises quand leurs explications
semblent contribuer a étayerles thèsesdu Gouvernement du Maroc.
On pourrait remarquer que tout effort pour(<décoloniserl'histoire» devrait
êtreaborde sur des bases plus rigoureuses. pour pouvoir passer du doinaine de
l'interprétation subjectiaecelui d'une analyse scientifique. A ces fins, me'il
soit permis desouligner que nous avons pris comme critèred'interprétationdes
faits du passé.des éléments qui. a notre avis. sont plus déterminants que les
simplesjugements de valeur sur le passe colonialIIest plus important de tenir
compte. parmi d'autres. deséléments suivants :44 SAHARA OCCIDENTAL

D'abord, il est nécessaired'étudier l'organisationétatiqueet les caractéris-
tiques des pouvoirs politiqiies autonomes existant dans cette période. Il est
aisé d'établircertains faits si on tient compte du changement dans
l'organisation étatique de l'Empire chérifien intervenu sous le règne du grand
sultan Mohammed III. Un historien du Maghreb. Abdallah Laraoui. a mis en
relief ces donnéesauxquelles on fera référence plusavant. Pour ce qui est des
pouvoirs locaux existant dans la partie occidentale du Sahara. au moment de la
colonisation espagnole. leur caractère une fois défini nous permettra de
montrer la réalitédes hommes et de leur action dans l'espacesaharien. Tout au
long des exposésduGouvernement du Maroc. siquelque chose est absent. c'est
bien sur cette réalitédes hommes de I'espacesaharien.
Ensuite. il faut relever qu'ilexiste un élément déterminantqui est constitue
par la réalitééconomique et sociale. Dans la présente affaire. on peut bien

parler d'une économieprécapitalisteaxéesur le commerce. La fermeture du
port d'Agadir et le role des pouvoirs locaux dans le commerce transsaharien.
parmi d'autres faits. prennent ainsi leur véritable significatCen.ne sont pas
les menées desagents consulaires européens a Mogador qui vont créerl'état
d'insoumission dans les régions du Sous et du Noun. Ce sera le fait objectif
que, depuis 1765. ces régions ont été privées du commerce maritime des
marchandises en provenance de l'Afrique noire. et que le makhzen obtiendra
ses ressources de la douane de Mogador au détriment de la position des grands
chefs du Sous et de I'ouedNoun. qui chercheront donc. par tous les moyens. le
contact avec les Européens.
Dernièrement, on ne saurait ignorer parmi les données déterminantes de
l'interprétationhistoriqiie le rôle du religieux, et en particulier des marabouts.
11est osé dedire qiie 1'Etatde Sidi Hescham, dans le Sous, n'a jamais existe
« car le fameux Etat de Sidi Meschamn'estqu'une zaouïa, c'est-à-direiinécole
religieuse ... une abbaye privilégiet rémunératrice ».Cela aétéaflirrnépar le

conseil du Coiivernement marocain (IV, p. 259). 11suffit de lire l'étudede
Georges Drague, « Esquisse d'histoire religieuse du Maroc >>,Culli~t-sde
I'Afriqtieet de l'Asie, vol. II, Paris, 1951, ou les récits de Sidi-Ibrahim de
ivlassat sur le SousBoleiiiide la Sociedadgeografira. 1886. page 210. pour
comprendre la position du marabout SidiHescham. A la page 93 de l'ouvrage
de G. Drague on peut lire que Sidi Hescham :
<<fait du grand moussem de Tazeroualt le plus important marche du Sud-
Ouest marocain. TIse constitue ainsi, aiix dépens du Soiiverain, un

véritablepetit royaume qui englobe la majeure partie des tribus de l'Anti-
Atlas occidental.>>
La politique du grand sultan Moulay Hassan a étéd'attirer les grands chefs
religieux avec un rayonnement d'influence politique. Ainsi octroie-t-ila Sidi
Hossein le titre de caïd. Mais. de la mêmefaçon que dans le cas de la famille
Beyrouk. « ce titre fait perdre a Sidi Hossein une partie de son influence en le
compromettant >>(ibid.. p. 98, note 15).
Tel est le cas aussi. en ce qui concerne le marabout saharien Ma el Ai'nin.

Parlant de la politique religieuse de Moulay Hassan, Drague a signalé unfaita
savoir :
<Ce marabout saharien prend de l'influenceparmi les tribus du Sahara
occidental et de Lbuad Noun. Il peiit devenir dangereux. Le Sultan
s'attache aussitot a le séduire.Il le fait venir auprès de lui, le comble de
faveiirs et l'autorisea ouvrir des filiales dans le Sud marocain et a
Marrakech. » (fbid., p. 100.) EXPOSE ORALDE M. ARIASSALGADO 45

Tout cela refléteLinphénomèneimportant :le rôle joiiépar les confréries
religieusesdans t'Islam maghrébinet donc, par les marabouts. Dans une étude
remarquable d'Emile butté, on soiiligne le fait que le marabout est un ètre
tout pilissant a titre personnel, car d'habitude on considère qu'il tient son
pouvoir de la c<baraka ,> divine. Et qui plus est, les marabouts ont Lin
rayonnement délimite dans l'espace. Do~itte a dit, en empruntant une
expression juridique, <(que les marabouts ont ilne compétence surtout
territoriale s'ktendanti+iin lieu concretou à toute iine contréeet que, parfois,
leur pouvoir les rend, en réalité,maitres absolus du territoire >)(E, Doutté,
Revriede I'liis,oiredesre/igi)iis1899.vol. 40,p. 360-36 1.)Ainsi, seloii le mot

de Doutté,les chefs des zaoulas sont des personnages « avec lesquels le Sultan
doit composer », car l'influence maraboutique peut contribuer a tout
soulèvement arme des tribus contre leSultan.
A la lumière de ces donnees. il n'est pas acceptable. du point de vue
historique. de présenter le marabout hla el Aïnin comme un représentant
spécial du Sultan dans le Sahara. car l'influence religieuse. politique et
économique du grand marabout du Hodh oouvait bien se Dasser du Sultan.
Mais nous re~ie~drons plus longuement sur-cepersonnage d'ansnotre exposé.
La deuxièmeremarsue vreliminaire est d'ordre juridique. LeGouvernement
marocain avoulu. sur ce plan aiissi, se placer dans une Position confortable et
il a eu recoura la notion de possesseur immémorial iidu Sahara occidental.
Je dis bien que c'est une position commode. car le conseil du Gouvernement
marocain nous a dit qu'en partant de cette idéed'une possession incontestée

pendant des sikcles :
« II en résulteque le Maroc n'a pas a invoquer des titres historiques
particuliers. Encore en présente-t-il. parsurcroît. bien entendu. mais il
n'aurait mèmepas besoin d'y recourir pour établir sa souveraineté au
Sahara occidental. i)(IV, p. 301.)

II est évident que nous nous trouvons dans une peiirioprilicipii.Le
Souvernement marocain vous suggèrede croire a ces affirmations. rneme si la
possession immémorialedu Maroc est portée a Tombouctou et au SénégalC . ar
son raisonnement est le suivant.
Au moment de la colonisation espagnole. ilexistait un seul Etat indépendant
dans le nord-ouest de l'Afrique, l'Empire chérifien :et, de ce fait. ily avait une
sorte de rayonnement naturel du pouvoir marocain sur toutes les contrées
voisines. qui comprenaient donc leSahara occidental et la Mauritanie actuelle.

La notion de <possesseur immémorial >> est ainsi étayee sur I'idee de
contiguïté territoriale. comme ila étémis en relief par le distinguéconseil du
Gouvernement marocain. qui en a fait la base spatiale de l'idée((possesseur
immémorial i).Or. comme la notion de contigu'ite territoriale n'est guère
acceptéecomme titre sur un territoire dans la jurisprudence internaiionale. le
Gouvernement marocain cherche l'appui d'undeuxieme élément.le particula-
risme. et on insistera sur les traits originaux de 1'Etat marocaiii. Cette
originalité. en droit. c'est le particularisme. et on dira que ce sont les liens
d'allégeancepersonnelle. par rapport aux grands caïds et aux tribus. que la
Cour devrait retenir.
Voila donc la logique interne du raisonnement marocain du poidl de vue
juridique. On part d'une affirmation générale,très générale.qui constitue en

elle-meme une peiitio priiicipiiet qui. dit-on. n'a pas a ètre démontrée.et tout
d'un coup on s'appuie sur le particularisme et l'on prétend que des tiens de
souverainetéterritoriale pourraient étreétablissur la base de liens d'allégeance
personnelle. Nous reviendrons sur ces élémentsdans le cours de notre expose.46 SAHARA OCCIDENTAL

mais il nous a sembléutile de faire ces remarques préliminaires car nous ne
pouvons pas souscrire a une telle méthode deraisonnement.
La troisièmeremarque préliminaireconcerne la portée du présentdébat.Sur
ce point. mon collègue. M. Lacleta, a très clairement précisé lesens de notre

présenceaujourd'hui devant la Cour. Je crois nécessairede le repeter en ce qui
concerne tout particulièrement la thèsecentrale du Gouvernement marocain.
II est évidentque ce gouvernement estime que nous sommes dans le cadre
d'un litige portant sur les titres de souveraineté territoriale sur le Sahara
occidental au moment de la colonisation espagnole. L'exposeécrit ainsique les
interventions faites devant la Cour dans cette phase orale viendraient àl'appui
de cette conclusion. Cela est mis en relief, d'ailleurs. non seulement par les
thèsesqui ont été soutenues, mais aussi par l'emploide certaines expressions de
la procédurecontentieuse,car on a parle du « mémoire marocain )>pièceécrite
qui, selon l'article 44 du Règlement, est présentéepar les demandeurs dans
la procédiire en matière contentieuse ; on a parlé de Il«agent » de ce
gouvernement et, enlin, noiis avons écouté devéritables plaidoiries sur la
souverainetéterritoriale.
Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour. mon intervention
doit s'inscrire dans le cadre de l'article66 du Statut dlaCour. qui détermine
les differentes phases de la procédureen matière consultative. Par conséquent.
je me bornerai a discuter lesexposésfaits par le Maroc et en aucune manière a
(<plaider »dans un prétendu litige de souverainetéterritoriale entre l'Espagne

et ce pays. Je ne me propose pas non plus de plaider sur Les titres de
souveraineté de l'Espagne sur leterritoire. car ils ne sauraient être examines
devant la Cour sans le consentement de I'Etatespagnol.
Encore faut-il souligner que notre tiche ne sera pas aisée. Au cours de
l'audience tenue le 2 juillet. le conseil du Gouvernement marocain nous a dit
que, au moment de la colonisation par l'Espagne, « la souveraineté marocaine
s'étendau-delà du Draa, sur le Sahara occidental », et mêmeil a citélin point
qui semble être laLimitede la prktention marocaine d'aujourd'hui, asavoir « la
presqu'îlede DakNa, donc presque a la hauteur de VillaCisneros» (IV,p. 255).
Par contre, aux pages 59, 74, 86, 87 et89 (111)de l'exposémauritanien, il a
étéaflirmé que la partie du Sahara occidental situéeau sud du fleuve de la
Sakiet el Hamra faisait juridiqiiement partie de l'ensemble mauritanien audit
moment de la colonisation espagnofe.
On est donc face aux prétentions opposéesde deux Etats concernant la
souveraineté sur le Sahara occidental, et il faut bien avouer que, dans cette
troisième branche du conflit ou différend dit trilateral. évoqué par la
Mauritanie au mois de mai, l'Espagne serait la personne interposée. Cette
donnéecaractéristiquede la présente affaire estgênanteet on a bien essayéde

la cacher en parlant du fait qu'((en définitive, il existe un nord et un sud
juxtaposant dans l'espace des liens juridiques du Sahara occidental avec le
Maroc et avec la Mauritanie >(IV, p. 119).
Or, cefteexplication a étédonnéeaprésune référenceauxdahirs « adresséea
des destinations géographiques allantjusqii'aucap Blanc » (ihid.).
Ces remarques préliminairesfaites.je passerai a l'examende la thèsecentrale
soutenue dans lesexposés duGouvernement du Maroc. Cette thésecentrale est
fondée,en réalité.sur trois postulats. qu'il conviendra d'examiner successive-
ment. Les trois postulats de la thèse marocaine peuvent être résumés comme
suit:

Premièrement. le Maroc est possesseur immémorial du Sahara occidental
par l'unitéde destin historique entre le Maroc et le Sahara. et ces liens sont EXPOSEORAL DE hl. ARIAS-SALCADO 47

démontres par l'organisation originale de l'Empire chérifien.par de nombreux '
actes de souveraineté marocains dans le Sahara occidental et. enfin. par la
.
résistancedu peuple sous lesordres du Sultan. C'estlepostulat fondamental de
la thèsemarocaine.
Deuxièmement. le Gouvernement marocain prétend que ces liens de
souverainetéont étéreconnus internationalement par les diverses conventions
signéesau XVIIIC,au XIXCet au XY siècle.II s'agit, semble-t-il.du postulat
concernant ce qu'on a appelé les (<assises internationales » de tels liens de
souveraineté,
Finalement, le Goiivernement marocain a soutenu qiie le Sahara occiden-
tal était iine création échelonnéedu colonialisme. des la seconde moitiédu
XIXC sikle et que, de ce fait, tous les actes internatioriaiix passésentrla
France et l'Espagneentre 1900 et 1912 ne lui sont pas opposables, caras actes
aiiraientété réalisés envue du «dépeçageterritorial du Maroc )p.

Ces trois postulats sont intimement unis car. comme je le disais. ils
constituent les fondements de la thèse centrale du Gouvernement marocain.
Néanmoins. il faudrait les examiner séparémentpour que le débat gagneen
clarté et. ainsi.faciliter la tâdeela Cour.
11m'échoitl'honneur de développer devant la Cour l'examen du premier
postulat de la thèse du Gouvernement du Maroc.
Le professeur Gonzalez Campos fera a son tour Iëtlide des deux autres
postiilats.
Je passedonc, avec la permission de la Cour, a l'analysedu premier postulat
de la thèse marocaine. Il s'agit de ce que l'on a appelé « les assises
internationalesde la possession immémorialedu Maroc » (IV, p. 301).
' Par rapport a ce postulat. notre examen portera nécessairement sur trois
points.
Le premier concerne lesdonnées géographiques de laprésenteaffaire par

rapport a la thèse marocaine. Le deuxiéme a trait aux données historiques
générales etle troisiémese rapporte aux faits de souveraineté invoquéspar le
Maroc au sujet du territoire.
Le premier point de cette analyse portera donc sur les données
géographiques de la présente affaire par rapport i la thèse centrale du
Gouvernement du Maroc. A cet égard. certaines précisionssont inévitables.
car on a souvent confondu des donnéesgéographiquesrelatives au territoire du
Sahara occidental. Les représentants de la Mauritanie ont considéréaussi ces
précisionscomme nécessairesau cours de leurs interventions.
Tout d'abord. on pourrait afirmer que. dans une affaire qui soulévedes
problèmes de souveraineté territoriale. le recours aux cartes géographiques
existantes parait non seulement nécessaire mais extrêmement utile. II est
surprenant de constater que le Gouvernement marocain qui se prétend
« possesseur immémorial ))du Sahara occidental a écarte le recours a la
cartographie sauf dans un cas dont nous parlerons par la suite. Nous wmrnes
donc forces de nous référeraux cartes ' présentéespar le Couverriement
espagnol comme annexes cotées B.I et 8.2 (11p. 310-3 15).
Aux lins de cette précisiongéographique, qii'il me soit permis d'utiliser la

carte no X de notre annexe B.\. Vous pouvez y voir que le Maroc est divisé
par le Haut Atlas dont la prolongation naturelle serait le cap Ghir. En
descendant vers le siid, vous voyez immédiatement la plaine baignéepar le
fleuve Sous. Cette contrée, sous la sotiveraineté marocaine dans le passe et

'Non reprodiiitessauf carteXIVà l'annexeB.2 (IV. p. 384-385).48 SAHARA OCClDENTAL

aujourd'hui. c'est le pays du Sous dont le chef-fieu le pfus important a été
Taroudant.
La plaine du Sous passée,nous sommes face
a une nouvelle chaine. c'est
l'Anti-Atlas et ici commence le Noun. Le Noun est. en réalité.une plaine
entourée de collines ou coulent un certain nombre de rivières dont I'oued
Seyyad. I'ouedOum el Achar, et ces rivieres se réunissent pour former I'oued
Assaka travers unétroitdéfilé.C'estici quese trouve le fameux cap Noun et
la contrée avoisinante a toujours été appelée le pays du Noun. Ainsi que le
Sous. le Noun est un pays de sédentaires ou l'on peut signaler un grand
nombre de villages.
Le pays du Noun est flanque i~l'estpar le djebel Bani. au sud. par ta région
de foued Draa. Un voyageur français nous apprend que :

<<La partie montagneuse confinant l'oued Draa est inculte et peu
propice a la culture. En plusieurs endroits on trouve des dunes de sable.
Comme dans le Sahara. ta seule ressource des habitanis est l'élevagedes
troupeaux. » (C. Douls, tcVoyage déxploration a travers le Sahara
occidental el le Sud marocain ». B1ilIetiirde la Socik~r'de gciograpliiede
Paris, Jetrimestre, 1888.)

Au sud du Draa. et toujours dans le territoire actuel du blaroc. nous
trouvons le commencement de la zone désertique ou saharienne proprement
dite, malgréle faitque leseffetsde la désertisationse font sentir dans une partie
du pays du Noun. Mais le territoire du Sahara occidental sous administration
espagnole est situé plusau sud, sa limite nord étantle parallèle 27O40'.
Ces précisionsélémentairesont pour but d'évitertoute équivoque entre les
références qu'on a faitesaux pays du Souset du Noun et leterritoire du Sahara
occidental. Quand on parle du Sahara. sans rien ajouter. on emploie un terme à
portée strictement géographique. D'aprèsles géographes. le grand désertest
divisé entrois parties. Celle qui nous intéresseiciest celle qu'on peut appeler la
<rpartie occidentale du Sahara H.Cette partie inclut. au sens politique du terme.
des territoires sous la souveraineté actuelle du Maroc. notamment la région
comprise entre le Draa et le parallèle 27' 40' ; elle comprend aussi des
territoires sous souveraineté algérienne et des territoires faisant partie de la

République islamiquede hlauritanie. II faut donc bien se garder de réferences
trop générales a un certain espace le qualifiant desaharien sans autre précision.
Tel n'a pas étéle cas. malheureusement. dans les exposésfaits devant cette
Cour par les Gouvernements du Maroc et de la Mauritanie. Ainsi. par
exemple, le représentant du Maroc, a l'audience tenue le 30 juin. a parié du
«Sahara occidental » en termes équivoques. car cette expression peut avoir
une portée géneraleau sens géographiqueet une portée restreinte.comme c'est
le cas du territoire objet du présent avis.
De ce fait. il est bien aiséd'établirune unitéet pas seulement une continuité
entre le territoire et les régions meridionales du Maroc. La continuité
géographique du Sahara avec une partie du Maroc ne peut pas êtremise en
doute, mais. de ce fait. on ne doit pas nécessairementarriver a la conclusion
que l'existencedu Sahara occidental a détache des parties d'un mime territoire
(IV, p. 191-193,surtotit p.2 12).En particulier, ilest difliciled'admettre que les
référencesfaites par un certain traité a l'oued Noun puissent être comprises

comme une <cconfirmation de la sotiverainetémarocaine sur les territoires du
nord du Sahara t(ihid..p.2 10).
Ces précisionsfaites. il est une autre donnée d'ordre géographique qui doit
étre examinée.II s'agit des référencesdes voyageurs, des explorateurs, des
géographes au Sud marocain. Ces référencesconcernent. bien entendu. la EXPOSEORAL DE M. ARIAS-SALGADO 49

périodede la colonisation espagnoledu Sahara occidental.On comprend bien
que le Maroc n'accepte pasces témoignages,car ils démententla thésedu
« possesseur immémorial O.
Nous ne feronspas référence iciaux anciens témoignages. Cequi importe,
c'estde relever lesréférences faitesepuis le XVIIlesièclejtisqii'auxpremieres
annéesdu XXCsiècle. A l'appendice2deI'annexeIO (II,p.40-421 nous avons
présenté a laCour qiielquesréferencesimportantes. Le représentant duMaroc
dansson intervention du30juin paraissaitlesavoir oiibliéescar nolis n'avons
entendu aucun commentaire de sa part concernant le témoignageapporte par
des hommesqiiiont, tous, trésbienconnii I'Empirechérifienet qui y ont vécu.
Tel est le cas de Chenier, au XVIIIesikle ; de James Grey Jackson, au
XIXesiècle :de Graberg di 1-lemsod, e Godard. deGatell,etc.On peut afîïrmer
qu'ilest lin fait siir leqiielilssont unanime:les limites lespliis méridionales
du Maroc ne s'étendaienp tas au-delàde l'ouedNolin oiien [outcas, de I'oued
Draa.
Avec la permission de la COLIIj.. voudrais mentionner deux témoignages
importants car ils coïncident avec le commencement de la colonisation
espagnole duSahara occidental.
Lepremier témoignagenous estfournipar levoyaged'linhommedescience
allemand, le docteiir Oskar knz, effectueen 1879, a partir de Tangerjusqii'a
Tombouctou en passant par les pays du Sous et du Noun (aTom-
bouctou », Vvyugeutr Mun~, ariSuliaru e( nli So~iduii,Paris, 1886. deux
volumes avec une carte et vingt-sept gravures).Avec l'expédition du tlocteur
Lenz,setrouvait lin hommequi avait véciide nombreusesannéesa Mogador,
Cristobal Benitezqui, a son tour. publia un récitde ses voyages qtie vous
poiiveztrouver dans la Reijisiu~o~~i~.i~~purcl r~rMuadrid, 1880.11fiit aussi
publiécomme livre sous le titreMi viciepor el i~itrriode A,fiicu(Tanger,
1889). Le voyage de l'expédition Lenn zous permet d'apprécier fortbien les
pointslimitesdu pouvoir du makhzen,deTaroudant ail fleuveDraa. A ladate
précitéei.lexistaitàTaroudant lin lieutenant du gouverneiir générad lli Sous,
délégué du grand caïd Emtiiggiii de Marrakech. Plus aii siid, le voyage se
poursuitdans une contréesoumiseau rayonnement du pouvoir dela farnillede
SidiHossein et iest intéressantde constater les derences faitesa ce poiivoir,
qtialifiépar le Gotivernement marocain de simple <<zaouïa ».Mais le point
qii'ilm'intéressede souligner devant la Cour, c'est ilne pratique établiepar
les caïds marocains a l'extrêmesud de l'empire. Les voyageurs qiii allaient
vers le Sous el Aksa, voire le Noun. étaient priésq ,uand ils sortaient de la
juridiction de ces caïds, de souscrire un document attestant qii'aucuridom-
mage n'avait été causea leur personne ou a leursbiens. A cet enel.ilsétaient
accompagnésd'habitude par iine personne dépendantdudit caïd jusqu'aux

limitesdu territoiresalisson contrôle. Levoyagede Lenznoiis montre qii'au-
delà de I'oiiedAssaka ou de l'ouedNoiin, lescaïds déclinaient toutei'espon-
sabilite.
Le deuxièmetémoignageest celuidu docteur Jannasch. lorsde I'expédition
commerciale allemande de 1886. Certains extraits de son ouvrage ont été
présentés a la Coiir comme appendice 9 a l'annexeC.11 (II,p. 461-462).En
1886 - c'estla date du deuxièmevoyage de Moiilay Hassan aii Soiis - le
docteur Jannasch noils dit qii'apresces faits.« il faut maintenant considérer
queI'ouedDraaestla frontièredel'Empireail sudet aiisrid-ouest ))soiilignant
que, nknmoins, « l'idéalde la politiqiiemarocaineest l'extensiondu poiivoir
dii Sultan ...[alTombotictoii »..En parlant d'un groupe expéditionnaire qui
avait fait naufrageà I'emboiichiirede I'ouedChevika - on trouve le point de
Chevika sur la carte IX dans le quadrillagecompris par le parallèle 28'-29O.50 SAHARA OCCIDENTAL

latitude nord,et 11°-12O, longitude ouest, point situéa cinquante kilomètresau
sud de l'oued Draa - il nous ditalors que :

« Notre croyance que le territoire de lacôte sur laquelle nous avions
débarquéétait indépendant du Maroc et habite par des tribus nomades
libres était exactecomme il fiit démontrépliis tard ..))

Et d'ajouter que cela n'empechait pas une influence du sultan du Maroc sur
ces tribus de la confédérationTekna.
On pourrait donc conclure que tes témoignages des voyageurs et des
géographessont concordants sur la limite du Sud marocain. Les références,
soit a l'oued Noun, soit a l'oued Draa, sont confirmées par les documents
envoyés.parles agents consulaires a Mogador. de la fin du XVIIF siècle a la fin
du siècledernier. Ces documents sont connus de la Cour ; il n'est donc pas
nécessaire d'insistersur les renseignements fournis sur ce point.

L'audience est levéeà 13heures VINGT-DEUXJE AMUDEIENCE PUBLIQUE (18 VI1 75. 10 h5)

Prt;sent: [Voir audience du 17 VI1 75.1

M. ARIAS-SALGADO :Monsieur le Président. Messieursles membres de la
Cour. dans mon intervention d'hier. j'en étaisarrive a une première conclusion
sur la concordance des témoignages des voyageurs. des explorateurs et des
géographesa l'égardde la limite méridionaledu Maroc depuis le XVIII' siècle.
Cette limite. rappelons-le. ne s'étendaitpas au-delà de l'oued Noun ou. en
tout cas. de l'oued Draa. Or. cette donnée géographiquea étémise en relief
dans la cartographie concernant la partie occidentale de l'Afrique. Dans une
affaire qui parait toucher a la souveraineté territoriale. il est dificile de nier
qu'un examen des cartes géographiques pourrail s'avérer utile. voire
nécessaire. pour préciser le statut d'un territoire. II est évident que la
géographie n'est pas le droit. mais un examen complet de ce problème d'un
point de vue juridique ne saurait se passer des données cartographiques
existantes.
IIest donc surprenant de constater qu'a l'audiencetenue le mercred2juillet
(IV, p.242-2871 le conseil di1Goiivernement di1hllaroc a essayi de réduirela

portée des témoignages géographiques. II est evident que le Goiivernement
espagnol n'apas étégiiide par Linso~icid'ordre esthétiqueen présentantdevant
la Cour deux annexes cartographiques dont l'importance ne saurait être
contestée.NOLIS avons estimé,a bon droit. que le recoura lacartographie était
nécessaire,car elle possèdeiine valeur jiiridiqiie incontestable devant une cour
internationale de jiistice.
A ce propos, je dois faire de [rés brèves remarques siIr la portée du
témoignagecartographiqiie.
Premièrement, siIr le fait d'écarterle recouasla cartographie:il n'est pas
besoin d'insister siir le fait que. dans leslitigesconcernant des prciblèmes
territoriaux, les Etals intéressés ont fourni à l'arbitre ou aux juges
internationaux une cartographie abondante. Le Maroc, poiir sa part, a produit
devant la Coiir iine seille ca',celle présentéecomme doaiment no 1,établie
par le géographefrançais Vuillot, éditéeà Paris en 1894.
Mais ilest incontestable qiie la i'rontiéremarquéesur la carte de Vuialla
hauteiir du parallele 21' 20' ne se réfèreen aiiciine façon a la limite siid de
l'Empire du Maroc. Notis sommes en 1894 et, comme l'a bien démontré
l'exposé écrit dii Goiivernement mauritanien, ainsi que les dociiments .:
présentespar l'Espagne. dès 1891, il existait lin projet de traitéentre l'Espagne
et la France qui partait du principe qiie la frontière entre leurs possessions
respectives serait le parallè2Io 20'. c'est-à-dire la frontière act~ielleentre le
Sahara occidental et la Mauritanie fixéepar le traité entre l'Espagne et la
France, signé a Paris le 27 juin 1900. 11sufit. poiir confirmer ceci,de se
reporter aux cartes préliminaires aux négociations qui se'trotivent sotis les
numéros VI11et ?i a l'annexe B.2et aux cartes jointes audit traite.
Mais il y a un autre fait qu'on doit soiiligner concernant cette carte de

' Non reprod~iite.
Nonreprodtiites.52 SAHARA OCCIDENTAL

Vuillot, présentéepar le Gouvernement marocain. Tout visiteiir a la Bodleian
Library a Oxfordpeut constater qiie la carte de Vuillot se trouve la avec deux
additions. D'une part. la partie correspondant a l'Empire du Maroc a été
colorée.d'autre part. ta carte porte la mention «Boundary Undefined >ra la
limite de la partie coloréequi. au sud. porte jusqu'aux environs du cap Juby.
Cette précisionaurait ete ajoutéepar le War Office.Cette carte se trouve sousle
numéro 1 a I'annexe B.2.
La deuxième remarque qu'on peut faire porte sur !a concordance des
témoignagescartographiques. A ces fins.il suffit de mentionner que l'ensemble
des cartes lprésentées parle Gouvernement espagnol comme annexes B.I et
B.2 met en évidencele fait qu'ila existe, pendant des siècleset spécialementau
moment de la colonisation espagnole, une conscience généralisée sur la limite
méridionale extrêmede l'Empire chérifien. La ligne de l'oued Draa est celle
qu'une cartographie concordante a prise comme limite du Maroc pendant trois

siècles. Lesdonnéesessentielles par rapport a cette concliision ont étémises en
reliefa la page 248 (1) et suivantes du livre 1des Ii~for~natioiiel docu~i~e~r~s
présentéspar leGouvernement espagnol a laCour.Jene soulignerai qu'un seul
point: les cartes présentéespar l'Espagne ne sont pas l'oeuvrede géographes
espagnols, mais elles ont étéétabliespar des géographes réputés de nationalité
anglaise. française. allemande ou autre. De ce fait. nous sommes en face d'un
point important et plusieurs fois relevé dans les décisions arbitrales ou
judiciaires. a savoir l'objectivitédes données géographiqueset les cartes elles-
mêmesnous indiquent les références d'aprèlsesquelles ellesont étéétablies.
A la lumière de ces deux remarques. il est aiséd'établirla portée de ces
témoignagescartographiques. IIs'agit.certes. d'un moyen de preuve indirecte.
secoi?diiry evidence. selon la doctrine et la jurisprudence. Ce caractère
secondaire. il n'est pas besoin de le souligner. ressort du fait que les cartes ne
sont pas jointes a un traité et n'en constituent pas des annexes, c'est-à-dire
qu'elles ne relèventpas de la volonté de deux ou plusieurs Etats. mais des
connaissances des personnes et des sociétéssavantes. Il n'enest pas moins vrai
que. si le témoignage cartographique est objectivement établi et qu'il est
concordant, ce moyen de preuve prend un aspect plus décisif pour la
détermination des faits. Siir ce point, me bornerai au passage de la sentence
arbitrale du 30 juin 1856 dans l'affairede I'JIdilvcs, ou l'on peut lire:

i<pour donner de l'importance en matière de propriétéà l'autorité des
géographes. ilest nécessairequ'ils soient tous, ou la plupart d'entre eux,
unanimement d'accord sur la nationalité d'un territoire donné »
(Lapradelle et Politis,Recueil des arbilrages inierizationaux, Paris. 1932.
t. II. p. 414).

L'arbitre, donc. estime. a bon droit. que la concordance des témoignages
cartographiques peut être une preuve concluante de la souveraineté
territoriale. Etant donne les circonstances de la présenteespèce.nous pouvons
estimer aussi que le témoignage cartographique contredit I'aflirmation que
I'Empirechérifienait étépossesseur immémorialdu Sahara occidental, car ses
limites méridionales ont suivi toujours ta ligne de l'oued Draa. Après 1895.
c'est-à-dire le rachat par le makhzen de la factorerie de cap Juby. les cartes
montrent la frontière marocaine s'ktendant jusqu'à ce dernier point. Cette
précisiondèmontre I'objectivitkdes renseignements cartographiques présentés
à LaCour.

' Non reproduites.saufcarte XiV à l'annexe8.2 (IV, p. 384-3851, EXPOSE ORAL DE XI. ARIAS-SALCADO 53

Je passe maintenant au deuxième point de ce premier postulat de la thèse

marocaine. Dans le point précédent. nous avons examiné les données
géographiques de la présente amaire et nous avons trouve qu'elles étaient
contraires a la prétendue possession immémorialedu hlaroc.
Maintenant. dans ce deuxième point. nous allons aborder les données
historiques généralesde la présente affaire.Pour employer une expression du
conseil du Gouvernement du Xlaroc. il s'agitde ce qui a étéappeléla « notion
temporelle rde la possession immémoriale(IV. p. 303).
Ce point a étélargement aborde dans l'exposé écrim t arocain. II l'aétéaussi
dans les interventions devant fa Cour des représentants et conseils du
Gouvernement du Maroc. A ce propos. je crois nécessairede donner quelques
précisionsconcernant la portée temporelleet la nature des témoignagesde ces

référenceshistoriques.
Premièrement. la portée temporelle des référenceshistoriques est surpre-
nante. A l'audiencetenue le lundi 30juin. le représentantdu Maroc est parti du
moment ou lesArabes. dans la grande épopéedel'Islam.arrivent a l'Atlantique
et le grand combattant arabe Okba est descendu jusqu'a l'oued Draa. Ainsi
commencerait le composant temporel de la possession immémoriale maro-
caine. Car, a la page 202 (IV). on peut lire qu'en l'année740 (un goiiverneiir
marocain est nomme a Sakiet El Hamra ».
Cette affirmation est tout au moins surprenante. II est bien connu que 732

est la date de la bataille de Poitiers. ou les Arabes sont arrivésà I'extrénienord
de leur pénétrationen Europe. Avec la mernetechnique de raisonnement. on
pourrait parler d'un gouverneur <(marocain >>a Bordeaux. à Saragosse. a
Madrid et a bien d'autres territoires. après la conquéte arabe. Mais. a la
rigueur. on doit séparer les faits de fa conquêtearabe des faits proprement
marocains.
Or, dans la présente affaire, le cadre temporel est bien délimité.La résolu-
tion 3292 (XXIX) pose ala Cour certainesquestions par rapport atimoment de
la colonisation par l'Espagne du Sahara occidental. On pourrait dire que
I'Assembtk générale a bien voulii concrétiserune certaine date. Celle-ciserait.

pour employer une expression bien connue. la <<date critique ». c'est-a-di:e
O la datea partir de laquelle les donnéesdu litige doivent êtreconsidérées
comme définitivement fixéesde telle manière que les faits postérieurs
doivent etrc tenus pour sans pertinence pour la solution du différend )>
(Dictioti~iuide Iirfen?lir~ologie~rdroitit~rert~utio~iPl.ris. 1960. p. 186).

Je ne crois pas devoir m'attarder a un examen approfondi de cette notion de
la date critique >)qui. d'ailleurs. a étéconsidéréedans l'expose écrit du
Gouvernement espagnol. II est quand mêmenécessaire de signaler que le
Gouvernement du Maroc, a la page t30 (111)de son exposéécrit, a écarté tout
recoiin à cette question, car de l'avis de ce goiivernement, (<l'exercice de sa
souveraineté a elépermanent et continu ».

Or. dans une affaire ayant trait a Ia détermination de la souvc:raineté
territoriale. l'élémenttemporel doit etre nécessairement délimite.Un examen
de la jurisprudence internationale nous démontre qu'il faut tenir compte. au
moins. de trois moments distincts. D'abord. la date critique. ou nloment
critique principal. Si l'on s'entient I'arrètde la Cour permanente de Justice
internationale dans l'affairedu Staiirjuridiqiir dit Gro&jilutidoriefifol,il s'agit
la de la ttdate a laquelle cette souveraineté danoise doit avoir existépour
frapper d'invalidité l'occupationnorvégienne ». c'est-à-dire la date à laquelle
l'occupation du territoireeut lieu(C.PJ.1.sérieA/B tr05.?.p. 45).On reviendra
sur ce point. 54 SAHARA OCCIDENTAL

Le deuxième moment. comme I'arbitre l'a mis en relief dans I'affairede I'lle
de Pahnas. a trait a I'existence d'une période critique.c'est-à-dire la periode

précédant immédiatementla date critique. ou se sont concrétisésles faits
déterminants pour pouvoir établir sile territoire était terra iiulliirs ou sous
souverainetéd'un Etat. Les référencesa cette périodecritique sont abondantes
dans la jurisprudence internationale. Finalement, il existe un troisième
moment a retenir pour l'examen des questions qui se rattachent a la
souverainetéterritoriale. II s'agitde la périodeimmédiatement postérieurea la
date critique elle-méme. Dans l'affaire des Mirlqliirrs ct Ecrdocis. I'arrétde
cette Cour. en date du 7 novembre 1953. a admis que

(<a raison des circonstances spécialesde la présente affaire. des actes
postérieurs doivent aussi êtrepris en considération par la Cour. en
exceptant les mesures qui auraient été prises en vue d'améliorer la
position en droit de la Partie intéressé)>(C.I.JRecireil1953. p. 59).

Cela dit. on peut bien comprendre la pertinence de ces précisionssur la date
critique pour la présente affaire.Lejuge ou l'arbitre kcarte le recours aux faits
historiques d'un passe lointain et cette Cour a très brillamment exprime cette
idéedans l'affaireque je viens de citer. en disant qu:
« Ce qui. de l'avisde la Cour. a une importance décisive,ce ne sont pas

des présomptions indirectes déduites d'événements du moyen âge, mais
les preuves se rapportant directement a la possession..)>(C.IJ. Recueil
1953. p. 59).
Qu'il me soit permis de faire remarquer en passant que la République
islamique de Mauritanie a cité ce passage de la Cour en 1960, face aux
prétentions historiques du Maroc sur le territoire mauritanien. Mais ce qui est

plus important a souligner. c'est un autre fait. à savoir que le problème de la
date critique se pose aussi dans une affaire territoriale. mime si un Etat se
prétend possesseurimmémorial n.
LeGouvernement marocain a invoque. àplusieurs reprises. des affirmations
de la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du Statut
jtuidique ditGr&/and orieirfulou le Danemark se réclamaitde la possession
immémoriale du territoire. Or. on peut tirer une conséquencepar rapport au
probléme de l'affaire précitée.Ce serait la suivante : que le moment
déterminant pour l'existencede la souveraineté danoise étaitle moment oh la
Norvège afait acte d'occupation d'une partie du territoire. lIO juillet 1931.La
Cour a dit. en conséquence, face a l'argument du (<possesseur immémorial».
que :

« 11y alieu de se rappeler cependant que, la date critiqlie étantcelle du
10juillet1931, iln'estpas nécessaireqiie la souverainetésur leGroenland
ait existé d'iin bout a l'autre de la période durant laquelle le Gou-
vernement danois soutient qu'elle a existé.[La Cotir a conclu que la
documentation présentéedevant la Coiir sufisait] a établirun titre valable
durant la périodequi a précédé immédiatement l'occtipation. >>(C.P.J.f.
skrir A/ B ri53, p. 45.)

II est aisé de comprendre l'importance de ces conclusions tirées de la
jurisprudence internationale pour la présenteaffaire. L'Assembléegénérale des
Nations Unies a voulu sans doute fixer un moment critique et la précisionde
l'élémenttemporel est une exigence dans toute affaire concernant l'attribution

de la souverainetéterritoriale.
' II est difficile de nier que. dans la présente espéce. fa date critique EXPOSE ORALDE LIARIAS-SALCADO 55

fondamentale ou principale est la fin de l'année1884. car la déclaraiion de
protectorat de l'Espagne a étéfaite au mois de décembrede cette année. Les
faits concernant l'établissementde la souverainetéespagnole ont étérapportés
au chapitre V du livre I des/rijorntarions et documei~fsque nous avons soumis
a la Cour (1, p. 286-2981,11n'est pas besoin de se réferer aces faits de
souveraineté. quine sont pas ceux qui nous intéressentvraiment ici. D';iilleurs.
les reférencesque nous avons faites aux actes de souverainetéde l'Espagneaux
Xb" et XVIc siècles n'avaientpas d'autre but que d'éclairerla Cour sur des

antécédents lointains de la presence espagnole a la côte de l'Afrique
occidentale. Nous n'avons d'aucune façon essayéde prouver une continuité
quelconqueentre cette présence lointaineet le moment critique auquel je viens
de me referer.
Si vous prenez la fin de l'année1884. comme la date critique ou le moment
essentiel de l'occupation espagnole. il est clair que la périodequi a précédé
immédiatement l'occupation sei'ait également déterminante. Cette période.
selon nous, débute par le premier acte international qui concerne directement
ou indirectement les rapports entre ('Espagne et le h4aroc sur ta cote de
I'iifrique occidentale. 11s'agit des traitespassaslafin du SVlllCsiècleet. en
conséquence,la périodecritique s'étendraitde 1767 a 1884.Si on veut limiter
cette période critique.la data retenir. selon nous, serait l'année1860.une date
plus proche du moment ou eut lieu la périodede l'expansion coloniale et les
annéesa retenir seraient comprises entre 1860 et 1884.

Finalement. pour ce qui est des faits postérieursa 1884. la Cour s;iura les
retenir dans la niesure ou ils sont de natura éclairerle fond du probli:me par
rapport a la conduite des Etats intéressé. ela sejustifierait car. comme il a eté
souligné par l'arbitredans i'affaire de I'ilede Paltnos et par cette Cour dans
l'affairedesMinqiriers er Ecrdiairs. la souverainetéterritoriale ne.cristallisepas
a une date donnée. mais c'est un developpement continu de l'exercice des
fonctionsétatiques.La raison eiest. comme ledisait l'arbitre Max Hubcr. que :
« II est touta fait naturel que l'établissementde la souveraineté soit

I'aboutissement d'une lente évolution.d'un développementprogressif du
contrgle étatique. C'est le cas notamment lorsque la souveraiiieté est
acquise par I'etablissemen[de la suzeraineté d'une Puissancecoloniale sur
un Etat indigène. et ence qui concerne les possessions lointaines d'un Etat
vassal.>>(Sentencearbitrale du 4 juin 1928, Revue gcj~?l;TLke dwif ittler-
/ta~iortrl lihlic935, p. 198.)
La deuxième observation que je crois nécessairede relever ici concerne la

nature des témoignages historiques presentésdevant la Cour.
Le Maroc préteiidêtrepossesseur immémorialdu Sahara occidental et dans
les exposés des represeniants du klaroc on trouve assez de références au
Sahara. Néanmoins.comme nous l'avons signaléplus haut, lesréférencessont.
pour la plupart, équivoques. Une foisaffirméle fait d'une présencehistorique
du Maroc dans leSahara. les difficultéssurgissent quand on veut prouver cette
présence.Par reference au territoire du Sahara occidental. les faitsdu prétendu
possesseur immémorialse réduisenta néant.
La possession immémoriale estun processus qui se deroule dans le temps et
par l'Œuvre des hommes. De ce rait. des témoignages divers accompagnent
nécessairementson developpement dans le temps :des témoignagesmatériels.
des témoignagesdocumentaires. des témoignages littérairescontemporains de
chaque moment du passe. Or. si l'on examine de près les moyens qui ont été
soumis ilaCour par le Marocconcernant le passéhistorique. leur nature nous
surprend. IIs'agitde réferencesCparses a des auteurs contemporains ayant ou56 SAHARA OCCIDENTAL

non le caractère d'historiens. et surtout de référencesà ce que nous avons
appeléles expéditionssahariennes de l'Empire du Maroc a la recherche des

trésorsdes royaumes du Nil et du SénégalP . ar rapport au territoire concerné
en la présente affaire il n'y a pas un seul témoignage concluant qui ait été
produit devant la Cour.
Qu'il me soit permis de soumettre quelques considérations ires brèvessur la
nature et la portée des temoignages présentés par le Gouvernement du hlaroc.
En premier lieu, les temoignages matérielsn'existentpas et aucune référence
n'y a étéfaite devant la Cour. Un des traits les plus admirés du géniede la
grande nation arabe est I'architectiire. Mais, au Sahara occidental. il serait
inutile de chercher une ville. meme une maison, dont le hlaroc pourrait se
réclamer. La nature du territoire ne justifie pas cette absence absolue de
témoignage,car, dans la grande marche prédésertiqueaux abords du Sous. il
en est autrement. Les limites du pouvoir marocain sont déterminéespar

l'existence des villes fortifiéesla ou résidaient dans le passé lescaids du
makhzen. II n'est pas nécessairede développer l'analyse pour constater que
Taroudant est la dernière ville que l'on pourrait signaler comme résidencedu
pouvoir makhzen au XIXe siècle :plus au sud. et jusqu'au Draa. tes villes et
mêmesles ksours disparaissent progressivement.
Deuxikmement, l'absence de témoignages documentaires est également
frappante. Un possesseur immémorial ne possède pas dans Levide et sans
laisser de traces de l'exercice des fonctions étatiques. Le Gouvernement
marocain a reconnu qu'il n'a existéaucune administration spéciale. spécifique
du Sahara occidental (IV, p. 304). L'absencede tout document sur le Sahara
occidental dans la période critique nous permet de nier l'existence d'une '

administration marocaine quelconque par rapport au territoire.
II est. en effet. surprenant de constater qu'un possesseur immémorial ne
puisse pas présenter devant la Cour des dahirs concernant le territoire. soit de
nature législative ou administrative. ou bien faisant état d'un minimum
d'organisation étatique. Nous savons que l'administration marocaine était
constituéepar le makhen et si on se rapporte a des écritssur le Maroc avant
1912 on peut relever que l'administration était soigneuse des documents et
qu'une copie de chacun d'eux étaitconsentée.Mais il n'existe devant la Cour
aucun document présentépar le Maroc concernant le territoire du Sahara
occidental dans la périodecritique. Certes nous verrons plus avant que certains
dahirs. pour la nomination des caids. ont étéapportés mais ils ne concernent
pas le Sahara occidental.
Un minimum d'administration marocaine. aussi originale fût-elle. nous

aurait laisse de nombreux documents en provenance du territoire ! Dans une
plaidoirie devant cette Cour. dans t'affaire du Temple de Préah Vilzear.le
professeur Paul Reuter indiquait que dans un cas Concernant l'attribution de
souverainetéles documents, pour ainsi dire « descendants )du pouvoir central
du territoire. ne suffisaient pas : il s'avérait nécessairede tenir compte des
documents (6ascendants ».c'est-a-direde ceux qui témoignent.par tes soins des
autorités inférieures. des faits qui sont arrives dans le territoire. tes actes
judiciaires. les actes administratifs nous démontrent l'exercice des fonctions
d'Etat. Mais dans l'affairedu Saliara occiderrtaila prétentiond'étrepossesseur
immémorial n'est accompagnée d'aucun document en provenance du
territoire.
Troisièmement. le Gouvernement marocain a apportécertains témoignages

littéraires,provenant d'auteurs contemporains. aux faits décrits. Tel aétéle cas
par exemple de la lecture faite par te représentant du hlaroc a l'audience du
lundi 30juin d'un passage de l'historien Fechtali.Le passage étaitassez long ;il EXPOSÉORAL DE hl.ARIAS-SALGADO 57

occupe lespages 206-207 (IV).Malheureusement,cetémoignagene concerne
pas le Sahara occidentalmais nous raconte l'expéditiond7Ahmedel Mansour
au Soudan a la recherchedu point de départdu commercede l'or. Le recoursa
cestémoignages historiquesd .'ailleurs,peut apporter aussi desdémentissur la
continuitédu passésaharien du Maroc. Legrand historien Abdallahal-Ifrani,
qui a vécude 1669 a 1740, dans son histoire sur la dynastie des Saadis,
Nuzhat-al-hadi bi-ajbar tnuluk al-qarn al-hadi,nous a racontéla réacliondes
personnages de la cour chtrifienne devant le projet du Sultan d'attaquer le
princede Gao. Lesnotables,nous dit Al-lfrani,ont réponduau Sultanqu'entre
leSoudanet notre Royaumeilexistaitun désertpleinde dangersetsidiflicile a
traverser queles qiraiha - lesoiseauxdu désert - craignaientde le faire. Ils
ont dit que:
r<Ni le Gouvernement des Almoravides. malgré Ieur courage. ni celui
des Almohades, avec toute sagrandeur. ni mêmecelui des Mérinides.
malgréson pouvoir. n'ontsongéun seul instanta faire des projets aussi
saugrenus : ils n'essayérentmeme pas de mélangerleurs affaires avec
celles de ces peuples.» (AbIfrani, op. ci!.traduction de Houdas. Paris.
1889. p. 159.)

Lemêmefaitest rapporté aussipar Al-Fechtali àla page93de l'ouvrage cité
par lereprésentantdu Maroc. L'étonnemenq tue leprojet d'ElMansour suscita
entre lespersonnagesdelacour chérifiennepeut nous montrer la discontinuité
occidental.harien, même en ce qui concernedes régionsautres que leSahara
Les données juridiquesque j'ai exposées plus haut par rapport a la date
critiqueet lesréferencesfaitesaux témoignagesdupasséhistorique me relèvent
de toute insistance a ce propos. Ce sont les faits. par rapporta la période
critique précédant immédiatemeln etmoment de lacolonisation espagnole,qui
méritentl'examendevant cettecour dejustice.
Je voudrais aborder maintenant l'examendes prétendusfaits de souverai-
neté duMaroc pendant la période critiqueau Sahara occidental.
Au cours des audiences tenues les 2 et 3 juillet, les conseils du
Gouvernement marocain ont développé devant la Cour les thèsescontenues
dans l'exposéécritde ce gouvernement par rapport a deux Elements.D'une
part, lescaractères de1'Etatmarocain et son organisation et. d'autrepart, les
actes paaiculiers ou se concrétisent.de l'avisdu Gouvernement marocain.la
possessionimmémorialedece pays sur leSahara occidental.
Si l'onexamine ces deux groupes de considérations conjointement, ilest
faciledecomprendre la raison de faireprécéder l'examednes actes particuliers
de souverainetédu recours a une analyse sur le caractèreet l'organisationde
l'Empire chérifien. Les pretendus actes de souveraineté sont tellement
inconsistants. voire inexistants.que'ondoitrecourir àcetteidéedel'originalité
foncièrede l'Empirechérifien.
Le conseil du Gouvernement marocain nousa éclairés sur l'originalitéde
1'Etatdu Maroc par rapport aux Etatseuropéensd'une partet d'autre part par
rapport aux Etats arabes. II nous a dit qu'il étaiessentiel d'abandonner le
modèled'Etat européen.centraliséet bsti sur la notion d'espaceterritorial.
c'est-à-dire l'idéede frontières, pour arriver a comprendre l'originalité
marocaine. IIa suggéré que la Cour devrait retenir un autre modèled'Etat.
basésur l'idée« d'allégeance personnelleau souverain ».Ceci le conduit, tout
naturellement. a soutenir qu'il n'était pas nécessaire de désigner des
représentantsdu pouvoir central dans les régionscar l'élémend téterminant
étaitla communautéde base. latribu et. par conséquent :58 SAHARA OCC~DENTAL

« Le chef de la communauté de base est en même temps investi du
commandement au nom du pouvoir central et l'obéissanceest ainsi
garantie par l'observation de la loi de Dieu. La communauté religieuse,
profondément unitaire,, sous-tend la communauté politique. )> (IV,
p. 260.)

En partant de ces considérations, le conseil du Gouvernement marocain se
demande pourquoi on devrait considérer comme seules valables les

conceptions européennes de I'Etatbaséessur la frontière. A son avis, cela tient
ail fait que la décolonisation dans le monde actiiel n'a pas étéaccompagnée
« d'une décolonisation des mentalitéset des habitudes de raisonnement )>(IV,
p. 261).
Voilà l'originalitéde I'Etat marocain. originalite sur la base de laquelle on a
essayé de justifier la possession immémoriale du Maroc sur le Sahara
occidental. A cet égard,qu'il me soit permis de faire deux remarques d'ordre
général.
D'abord. on doit admettre qu'il n'existe pas qu'un seul type d'Etat dans le
monde,car l'homme a fait preuve d'originalitédans l'organisation du pouvoir
politique dans chaque société.Mais il faut admettre au moins que I'Etat. tout
Etat. est le destinataire des normes du .droit international. et que le droit
international généralrégitles rapports entre toutes les communautés politiques

organiséesen Etats. Le droit international dans le passé.et de nosjours. est un
ordre juridique unique applicable àtous les Etats. quels que soient les modèles
de son organisation politique interne. SiLeGouvernement marocain insiste sur
l'originalitéde l'Empire chérifien. cette originalité.au point de vue juridique.
constitue un appel a des normes particulières, régionalesou locales. du droit
international.
Ensuite il est nécessairede souligner que. si I'on s'eloigne de l'idéeque le
droit international généralest unique. de graves conséquences pourraient en
découler. La plus fondamentale serait que le raisonnement juridique serait
incapable de produire un minimum d'accord. car on utiliserait des catégories
de base foncièrementdifférenteset I'onemploierait même,alternativement. des
allégations contradictoires. Le fait a été trèsbien mis en relief par Maurice

Flory. dans une étudesur (ilanotion du territoire arabe et son application au
problème du Sahara )(4tinliairefrancais de droit in~ertrafiotial.1957. p73).
En parlant des revendications marocaines sur le Sahara, Flory a dit que « le
fait que le Sahara soit musiilman et arabe a signifiépour le Maroc la certitude
que certains territoires sahariens étaientmarocains » Chid.).
De ce fait, on a recours a des notions lointaines de celles reconnues par le
droit international genéral.telle que Lacroyance religieuse et le phénomène des
allégeancespersonnelles. Par contre. selon l'étudedont nous parlons. dans le
cas ou les règlesgénérales dudroit international seraient favorables au Maroc,
on n'hésiteraitpas a y recourir. Et qui plus est, on se refuserait a admettreque
les positions juridiques découlant du droit musulman puissent ètre discutées

sur la base des catégories dudroit international occidental.
Tel est le raisonnement qui a étésuivi par l'exposéécritmarocain et qui a été
développé parleconseil du Gouvernement marocain lors de son intervention a
l'audience du 2 jtiillet.
Or. ces remarques préliminairesfaites. afin de clarifier leprésent débat.nous
allons examiner en particulier les faits invoqués par le Gouvernement
marocain en tant que « preuves incontestables ))de son caractèrede possesseur
immémorial duSahara occidental.
A I'audiencedu 3juillet. leconseil du Gouvernement marocain a fait ce qu'il EXPOSC ORAL DE M. ARIAS-SALGADO 59

a appelé «la synthéseultime de ces manifestations dupouvoir marocain au
Sahara occidental »(IV, p. 304).
11s'agitde quatre groupes de faits :premièrement,l'allégeance des grandes
famillesdes caïdssahariensau Sultan :deuxièmement.lesactesde nomination
et de destitution des caïds et des cadis: troisièmement. des actesde
souveraineté basés sur des perceptions fiscalesa caractère coraniqueet non
coranique ;finalement. cequi a étéappelé les décisions militaire s)et que
l'exposéécritmarocain a préféré décric remme la <(résistancedu peuple
marocain ))au Sahara, facea l'occupant espagnol.
Les deux premiers points invoqués par le Gouvernement marocain ne
peuvent pas êtredissociésd'un fait que le Gouvernement espagnol a examiné
dans le livre 1(1) des Irï$orrnafiortsel dociinieràrsavoir que les régions du
Souset du Noun étaient comprisesdans le bled siba. dans la partie insoumise
de i'Empirechérifien. Cette notions'opposea cellede bled makhzen. la partie
de l'Empiresoumisea l'administrationcentrale marocaine. IIest admis que si
un territoire estréputéd'appartenir au bled siba on le considère inclusdans
l'Empirechérifien.
Or. cequi caractérisele bledsiba,c'estlefaitde ne pasêtreadministrépar le
makhzen et, par conséquent.les régions dubled siba n'envoient pas des

contingentsd'hommesii'arméechhifienne ;lesimpôts ne sontpas perqus par
le makhzen ; le gouvernement des hommes est aux mains des caïdsnommés
par les'tribus, et qui exercent leurs fonctions pluspar l'acceptation des
gouvernés quepar une délégation du pouvoir central.
Ces trois conséquences sont importantes,car l'inexistencedu pouvoir du
rnakhzen et des représentants du Sultanva contribuer a l'apparitiontout au
long des terres considéréec somme appartenant au bled siba d'unepluralitéde
pouvoirs locaux. Mêmesi ces pouvoirs locaux ne rejettent pasd'une façon
totale leur appartenance a l'Empire chérifien.dans la réalitéils seront des
pouvoirs indépendants de focroE .t. de ce fait, les sultans devront toujours
temporiser. voire négociea rvec cespouvoirs.
Je dois ajouter immediatemeiit que ces caractéristiques dubled siba sont
propres aux territoires du Maroc el a d'autres régions duMaghreb au XlXC
siêcle.Abdelkader Zghel, dans une étudesur <<L'édificationnationale du
Maghreb )(Revue inrerriarioitalrdesscierzcesociales,1971, p. 473)a mis en
relief le fait que, aux moments ou le pouvoir central est fort. lesdynasties
arrivent par la forceet lanégociationa réduireconsidérablemenIt'exteiitionde
la terre insoumise mais.« dans lesmoments decrise.lebled rnakhzense réduit
aux villes etaux plainestrèsproches des villes.Lesnoyaux irréductiblesde la
zone de dissidencesont les régions montagneusescomme l'Atlaset leRif du
hlaroc ...et les régionsprédésertique s.Ces régions.par leurs caracieres
géographiques <<constituent une garantie contre l'actiondu pouvoir central».
On ne peut nullement appliquer ces considérationssur le bled siba aux
territoiresau sud de l'ouedDraa.Nous avons présenté dec sartes' importantes
pour établirces faits.En particulier. vous pouvezvous reporter aux cnrtes XI
et XIIa l'annexeB.2tiréesdel'ouvrage deRobert Montagne Les Berbères erle
Maglrzen darzsle srrddu Maroc (Paris, 19301,oii l'on peut voir les grandes
divisions politiques existantesdans le Haut Atlas, la plaine du Sous, I'Anti-
Atlas et leDraa. Lesdonnéesrapportéespar hlontagne, un homme qui a bien
connu ces régions, sont éloquentes: on trouve dans la plaine au sud de
Marrakech descontréessous commandementdes grands caïds: plus ausud et
a l'ouest.une zone d'administration directedu makhzenpar le moyende petits

Non reproduites,aufcarte X'IVde l'annexe6.2(IV, p.384-385).60 SAHARA OCCIDENTAL

caïds el chioukh. Au sud de Tazeroualt commence ce que Montagne appelle
<(leterritoire des Républiques indépendantes ou autonomes >):c'estleterritoire
du Sous el Aksa qui comprend I'ouedNoun et, plus au sud, I'oued Draa.
Le Sahara occidental, force est de le rappeler, est situébien au sud de l'oued
Draa. On ne peut pas prétendre que, par le truchement de la notion du bled
siba, on arrive a établir une unité. voire une identité. entre ce territoire
indépendant des pouvoirs marocains. avec d'autres territoires de l'Empire
chérifien.Le Gouvernement marocain a essayéd'établirce fait par le recours
aux caractèresoriginaux de 1'Etatmarocain. reposant sur un équilibreentre les
tribus et te Sultan. II a essayéaussi de fixer non seulement des liens politiques.

mais aussi des liens religieux et. ce faisant. de renforcer les liens politiques.
A la page 179(III)de la deuxième partie de l'exposéécritmarocain, vous en
trouvez un exemple, car de l'avisdu Gouvernement marocain
<<l'acceptationde la personne du Sultan par la communauté des croyants
a donc une importance décisive, elleengage ceux qui la donnent a une
obéissance définitive,surtout financière,des lors que le khaiife reste fidéle
au Coran >p.

On voit bien que par ces procédéson déblaye Lechemin pour faire plus
aisément des affirmations générales,comme le montre le troisième fait de
souveraineté invoquépar le Maroc pour établirson caractère de possesseur
immémorial. c'est-à-dire les perceptions fiscales a caractère coranique et non
coranique.
Je ne crois pas nécessairede m'attarder sur ce point. car il s'agit. comme
dans bien d'autres cas. d'une simple affirmation contredite par les faits. A ces
fins. qu'ilme soit permis. simplement. de relever devant laCour lesdeux points

suivants.
J'ai dit au commencement de mon expose qu'un elément important pour
comprendre dans sa réalitéhistorique les données dela présente affaire étaitle
caractère de l'organisation étatique du Maroc dans la période critique que
nous devons considérer. Cette organisation étatique a subi un changement
fondamental avec les réformesintroduites par le grand sultan Mohammed III.
qui régnaentre 1757 el 1790.Ce souverain arenversé ce qu'Abdallah Laraoui
a appelé « les élémentsdel'équation politiquemarocaine ».Au lieu d'avoir une
forte armée, comme celle du sultan Isma'il. armee indispensable pour
augmenter la fiscalitéet renforcer 1'Etat.Mohammed III décida d'établirune
fiscalitéindépendante pour ne plus avoir besoin d'une forte armee. Cette
fiscalitéproviendra des rentrées desdouanes qui vont fournir un minimum
nécessaireau fonctionnement de I'Etat. (A. Laraoui. L'hisroiredu Maghreb, uli
asai de synr/~i.se,vol. 11,Paris1975, p. 57,)

Cette fiscalitéétaitbaséesur le commerce qu'il fallaitconcentrer. pour mieux
lecontrôler, dansun seul port. Cela explique la création duport de Mogador et
la nécessitéde fermer au commerce étranger les ports d'Agadir et tous les
autres ports du Sous et du Noun. Les clauses incluses dans les traités
commerciaux des XVllIe et XIXe sièclesconcernant la fermeture des ports
trouvent une première explication dans ce changement de l'organisation de
I'Etat marocain. Mais ilexiste une autre conséquence a tirer- pour le point
que je suis en train d'examiner -, les pouvoirs locaux du Sous et du No~in
n'auront pas à craindre une forte arméedu makhzen qui pourrait forcer leur
soumission. et le bled siba se caractérisera précisémentpar le fait qu'aucun
impôt n'y est paye.
Deuxièmement. comme les impôts n'étaient paspayésdans le bled siba, il
serait difficile d'apporter les preuves de cette perception. A plus forte raison. EXPOSE ORAL DE hl. ARIAS-SALCADO 61

parler d'une fiscalitémarocaineau Sahara occidental est un peu étrange. Jesuis
en droit de faire cette affirmation en partant d'un nombre considérable de
donnéesdéjàexposées a la Cour. mais aussi en tenant compte du fait que ni
documents. ni témoignages contraires n'ont étéapportés. La raison de cette
absence d'éléments depreuve est que jamais le Sahara occidental n'a relevédu
pouvoir marocain. pas mêmepar la voie indirecte des caïds Tekna. cornme le
prétendle hlaroc.

Je ne crois donc pas nécessaire d'allerplus loin sur ce point concernant la
fiscalité.
Je passe maintenant aux deux premiers points de la thèse marocaine. a
savoir que l'exercice des fonctioiis étatiquesétaitassliréau Sahara occidental
sur une base à caractère personnel :l'allégeancedes grandes famillesdes caïds.
Cette allégeanceest mise en évidence,de l'avis du Gouvernement marocain.
par les dahirs concernant la nomination des caïds.
La reforme entreprise par Mohammed Illa eu de lourdes conséquences
pour le klaroc. méme sur ce point précis de la nomination des caïds.
L'historien auquel je me suis référé il ya un moment. Adballah Laraoui. a mis
en lumière les conséquences : en réduisantl'armée.le résultatau point de vue
de la soumission a l'intérieurde l'Empire chérifienne pouvait étreque négatif.

D'une part. dans la plaine de Marrakech. l'ordre sera assurégrâce aux tribus
Xlakzhen ou tribus Guisch. fournissant des contingents armés en échangedes
ressources de terres domaniales qui leur étaient octroyées. Mais dans les
régionsde la périphérie montagneuse.leschoses n'enallaient pas de méme :un
minimum d'obéissance étaitdemande aux chefs locaux et. comme nous dit
Laraoui :

<(de Iongiies négociations étaientsouvent nécessaires polir éviter des
révoltes ouvertes et des expéditionscoùteuses et aléatoires...Tels que les a
réorganisésMohammed Ili.les pouvoirs alaouites ne commandent pas,
ils négocient - avec les étrangers, avec les autoritéslocales - et la force
militaire n'est utiliséeque pour hâter les négociations. ))(L 'hisloirt. du
Mugfir~b. titiessai de-~~rliGse,vol. II,Paris. 1975, p. 56.)

Dans la voie de la négociationavec les forces politiques réelles, c'est-à-dire
les pouvoirs locaux, l'attention du Sultan se portait siir des personnages
religieux comme le marabout, et nous avons pu le constater dans quelques
exemples concernant le Sous et le Noun. II est naturel que l'attention de la
Cour chérifiennese soit dirigée des pouvoirs loca~ixindépendants dc,/ucfo,
pour leur octroyer des nominations comme caïds. Cela impliquait dans la
pliipart descas une négociationcar. comme nous dit Laraoiii. i<la nomination
d'un caïd a la têted'une circonscription représente tris soiivent lin compromis
entre la volontéd'un sultan et celle des populations » (op. cil.p. 55).
Les deux expéditionsdu grand siiltan hloulay Hassan en 1882 et en 1886
sont des exemples frappants de cette situation. Un historien marocain, Ahmad-
al-Nasiri, dans son Kitab al istiqsa. nous a relaté lesevenemenb de cette

période. Al-Nasiri.qui étaitcontemporain de ces événementset qui appartenait
a l'administration du makhzen, ne pouvait pas se tromper sur certains faits. 11
nous dit que, lors du voyage du Sultan,en juillet-aoiit 1882, Moulay Hassan a
nommé iincaïd parmi les gens de son armée, lui assignant comme résidence
<<la casbah de Tiznit, oii naguère résidaitle makhzen, avec la mission de prèter
secours a tous les gouverneurs du Soiis, du fleuve Oiialgas jusqii'aux confins
de l'ouedNoun et Goulimine »(Al-Nasiri, op. rité.,dit.arabe du Caire, p. 261;
édit. françaisedes Archives marocaines, 1906, vol. 9,p. 10).
On peut constater d'aprésle récit d'Al-Nasirique l'expéditionroyale au Sous62 SAHARA OCCIDENTAI.

de l'année 1882 ne réussit pas a soumettre complètement le pays. On peut
s'apercevoir aussi. d'après le passage que j'ai cité.que les limites du pouvoir
étaientsituéesbien loin au nord de ['ouedDraa, car [Oued h'oun et Goulimine
sont à côtéde l'ancienne possession espagnole de Sidi Ifni.

Le but de la deuxiémeexpéditionde Moulay Hassan au Sous en 1886 nous
est racontéeen détailpar Al-Nasiri. IIs'agissait d'un projettendant a éliminerla
dissidence dans leSous et leNoun par l'octroiaux habitants d'un port au fleuve
Assaka. AI-Nasiri nous dit que le lieu était bien choisi car c'est la «ou
convergent les habitants de toute la région,spécialementles tribus des Ait Ba
Amaran et des Tekna >>O . n peut s'apercevoir que le Sultan avait en vue une
contrke bien précise, leSous etle Noun, et des populations trèsconcrétes,les
Ait Ba Amaran et les Tekna, c'est-à-dire lespopulations sédentaires habitant
cette contrée.A ces fins, Moulay Hassan fit des nominations de caïds parmi les

chefs de la confédération desTekna, ces nominations ayant étéprécédéed se
négociations avec les notables de la régionsur l'ouverture au commerce du
port d'Assaka.
Le Sultan communiqua le résultat desdeux expéditions pardeux lettres, la
première datéedi1 16 juillet 1882, la deuxième du 13 mai 1886. Ces deux
documents sont inclus dans l'ouvrage d'Al-Nasiri (édit.arabe, Le Caire,
p. 264 ;édit.Casablanca, vol. 9, p. 180. pour celle de 1886).D'ailleurs,lors de
l'audience du mercredi 2 juillet(IV, p. 252) le conseil du Gouvernement
marocain a fait référence certains documents français présentéspal'le
L'ensemble de ces docurneiits iuontre que l'objetde l'expedition de 1886 était

d'empécherles tractations coinnzerciales des habitants du Sous et du Noiin
avec les Européens. Cette politique expliquerait l'envoi d'tin détachement de
I'arinee chérifienne pour attaquer la factorerie de klackenzie installée 3 cap
Juby. blais on ne saurait prétendre que cette expédition ait eii uiie relation
quelconqiie avec le territoire du Sahara occidental.
Ce point mérited'êtresouligne. Dans I'ét~ide de Frank E. Trout h'omcco's
Srrlrara~rFroiifiers. Genève. 1969.p. 152. 153). voiis trouvez iiiirésumébien
docuriieritesur le dernier résiiltatdes expéditionsfaites par Moiilay Hassan en
1882 et en 1886. Aprks avoir indique qiie certains postes marocains firrent
établisdans le Sous et le Noriiî. et des non~inations de caïds faites dans la

confedération des Tekna. Tro~it inet en cvidence qiie chez les popiilations
nomades plus aii sud les desseins de kloulay Hassan pour enipécher le
commerce avec les étraiigers had less siiccess )>.Les Regiieibat. la plus
puissaiite des tribus au sud dii Draa. n'acceptèrent~LICLIIcontact avec I'Eiiipire
inarocain.
Un historien distingué du Sahara a confirinéce fait en ces terincs :
<<Au cours de leur histoire. les Regiieibat ii'ontjanlais étésoumis 5 une

domination étrangère. Yolitiq~ienient.ils ont toujoiirs été iiidépendants
des En-iiratsiuauritaniens - coiiiimedes ca.idsTekna representailts de Sa
Majestéchérifienne dans le siid de l'Anti-Atlas. >>(h4aniadoii Ahiiiadoii
Ba.(<Contribution a l'histoire des Regiieibat )>Rei~srig~inrreiiicolotiiu~rx
de I~friq~ie.fiuiiçuise.ilo12. décenibre 1933. p. 277.)

A ce moment. les Regtieibat étaient les vrais iiiaitrcs du désert. Leurs
victoires arméessur les Oiilad Lab. eii 1875. sur les Oiiled Deliin. eii 1889. et
SLI~les Tadjakant de Tindouf. en 1894.et. pliis tard. la lutte iiienéecontre les
Oulad Bou Sba. marqiiere~itle moment de l'apogéepolir les Regueibat. IIn'est
pas besoin d'insistersur lefait que lesRegiieibat constitiient encore aujourd'hui
la tribu la plus iniportante dii Sahara occidental.
Deuxième fait a so~iligner :les expéditionsmilitaires de h,lo\ilay Hassan eii EXPOSGORAL DE M. ARIAS-SALGADO 63

1882 et 1886. n'ont euaucun succèssur les nomades de la confederation
Tekna. Lecolonel Lahure qui. eiî 1888.explora la contréedu Draa nous a dit
que le pays des Tekna était divisé endeux parties : au nord, le <iTekna
marocain ))où leSultan a placedescaïds etdeschioukh pour gouverneren son
nom. tel étaitle cas des Ouled Beyrouk etdes Sidi Haschem. lesseigneursde
Tazeroualt,dont le pouvoir était d'originemaraboutique. Mais la panie sud a
étéappelée les Tekna libres >).les domaines des grands nomades indépen-
dants. La mêmeremarque avait été faitepar l'explorateurGatell. en1869.Or.
les« Tekna libres»ont refusetolitesoumissionau Sultanetce fait esttrk bien
mis en reliefdarisl'ouvragede l'rout. car ilnous dit que lestribus ont même
combattu les forces marocaines qui ont essayéde détruirela factorerie de
h,lackenzieet les forces marocaines furent vaincuesdans un combat qui eut
lieu à I'embouchiire de l'ouedSakietEl Harnra, prés de cap Juby. LesTekna
libres étaientintéressésau commerce de l'établissement Mackenzie c.e qui
expliqueleur réaction.Tenant compte decesdonnées.Trout a conclu :

There is no indication that h,ioulayHassan was even able lo bring
under his control the Izergiiiin.Yaggoutand Ait Lhassen nomads found
Saharoil Froiiriersp. 153-154.)of the Draa. >)(FrankE. Trout. Moroccoi

Lesdeux faits que je viens d'énoncersont décisifspour juger de 1:iportée
rielle des dahirs portant nomination de caïds présentéspar le Maroc.
Prerniérement.tous sont postérieurs1l'expédition deMoulay Hassan,en 1886.
donc aucune preuve n'existe avant cette date. Deuxièmement.il est plus
imporiani encore de souligner que ces dahirs n'ont servi à établir aucun
contrôle sur les populations vraiment sahariennes. que ce soit les nomades
Tekna indépendants dela régionde l'ouedDraaou que cesoit. plusau sud. les
Regueibatet d'autres populations du territoire duSahara occidental.
Commeils'agitd'unequestion qui a ététraitée endétaildans lesexposés du
Gouvernement du Maroc. on doit examiner de plus près les dahirs de
nominationsdes caïds pour préciserleur pertinenceet leur portéepar rapport
au Sahara occidental.

L'artdience.stispeiidiieII h 15. est repriseà IIh50

Tout d'abord, ilsemble opportun de relever a titre préliminairele nombre
réellemenrtéduit de nominations qu'apporteun Etat qui se déclarepossesseur
immémorial du territoire. D'autre parct.sdocumentsse réfèrena t une période
trèslimitéequi s'étenduniquement de 1890 A 1909. t'argument avance a la
page 184 (111) de l'exposémarocain suivant lequel les dahirs présentésne
constituent qu'une infime partie de ceux qui ont étéexpédiés. maiq sue leur
consultation est difficile parce qu'ils se trouvent dans le patrimoine des
bénéficiairese.st peu convaincant. On doit supposer que les autorités quiles
nommaient devaientconserver quelquecontrolesur ses mandataires. rnême si
lesattributions deceux-ciétaientdonnéesseulement i titre honorifiqueIIest a
souligner.en outre. l'absencede communications envoyées a leurs supérieurs
par lescaïdseux-memes.
L'exposé du Gouvernement marocain parlede deux groupesde caids :ceux
qui sont désigné sour lesOulad Tidrarin etceux qui !e sontpour fes Tekna.
Nous commencerons par lespremiers.
Pour mieuxcomprendre lecadregéographiqueet historiqueou il faut situer
lesdocuments presentéspar le Maroc au sujet de cette tribuqui a etc l'objet
d'une analyse minutieusede Julio Caro Baroja dans son ouvrage Estcidiossalruriufzos.il faut rappeler qu'une lutte commença en 1877 entre les Oulad
Tidrarin et les Oulad Delim. car ces derniers essaycrcnt de leur faire payer
I'impot de la <<horma D. Le jeu des alliances entre les tribus lit que la lutte
s'étendit pendant plus de dix ans. Les défaites successivessubies par les
Tidrarin eurent comme conséquences.entre autres. l'émigration progressivede
la niajeure partie de celte tribu vers le Maroc. où ilss'établirentdans une zone
coinprise approximativement entre Agadir et klarrakech, dans la régionde
hl'tougui. tandis que d'autres membres de cette tribu demeurèrent dans le
Sahara occidental. Cette circonstance et la distance séparèrentdèslors les deux

branches de la tribu.
Je suis en mesure d'informer ta Cour que tout au long des cent dernières
annees les Tidrarin furent gouvernés par leurs djemaas et par les cheiks
suivants, qui se succédèrentsans intervention d'aucun caïd. Le premier fut
Abdala Ould Mohamed. auqiiel succédaEnhaimed Ould Abdala. puis vinrent
Abdala Ould Enhaimed. Mohammed Ould Sidi et Brahim blohammed. ce
dernier suivi de Jarrachi Ould Mohamed Ould el Bechir Ould Meyera. Puis la
djeinaa reprit le pouvoir sans nommer d'autres cheiksjusqu'a Ladesignation de
kloharned Ould AbdalaOuld klohammed. un des honlmes les plus prestigieux
de la tribu. en 1936.
Cette circonstance et l'examen des documents présentes par le Couverne-
ment marocain permettront d'établirque ces dociiments se rapportent tous aux
Tidrarin qiii émigrèrentau Maroc. Les faits rapportés parces documents n'ont

rien à voir, donc. avec les Ouled Tidrarin qui demeurèrent alors au Sahara
occidental.
Ainsi l'annexe 1 (III,p. 206) présentéepar le Maroc se rapporte a la
nomination de Mohamed Ben Lahabib Tidrarin comme caïd, en 1890. Or ce
personnage est totalement inconnu au Sahara occidental, alors que, vu la date
relativement proche de cette désignation, il devrait se trouver rappelédans les
généalogies sahraouies, s'ily avait exercéune autoritéquelconqlie.
Ce fait est d'autre part confiriné par le texte du document dont l'expose
niarocain n'a traduit que la première partie. Efrectivement. on y charge le caïd
klohained de s'occuper desquestions des <<Alrnorabitin-Oniriin )liu Alata )>.
Or. ces <<Almorabitin-Omriin )>n'ont jainais esisté au Sahara occidental, ni
dans des zones proches du territoire. et <<iltala» p est tin endroit tout 1 fait

inconnu.
De la lecture et de l'examen de l'annexe 4 (111, p. 207) présentée parle
Cotiverneineiit iuarocain, il apparait aussi que Ïa nomhation di; caïd
klohained el Amine Ben Ali At-Tekni. en 1899. ne concerne pas non plus les
Tidrarin du Sahara occidental. En effet. cette noinination est faite pour les
fractions des Oiiled Xloussa. Laabobal er Ouled Ali qui apparaissaient ainsi
grotipésquand. siiivailt lagénéalogiede la tribu. ellesson1éloignéesentre elles.
I'oiites les fractions des Tidrarin du Sahara occidental ont toujours eu le
menie cheik et.sielles s'étaientgroupéesune foispar fractions. lesplus proches
d'entre elles l'auraient fait suivant leur tradition généalogiqueet janiais de la
façon qiii apparaît dans le document marocain. Cela induit i penser que nous
iioiistrouvons de nouveau devant Linfait relatiraiix Tidrarin qui ont émigreau
hlaroç. Soumis aiix nouvelles conditions de leur installation parinides tribus
plus piiissantes. ils se virent obligésde foriner iine unitépeu cohérente avec

leurs traditions culturelles. chose qu'ils n'auraient jainaisfaitsur leiir terre
d'origine. le Sahara occidental.
1)'auirepart. la nomination se faitc11faveur de klohanîed Ben Ali At-Teçiîi.
membre des Ait Lahssen de la confedérationTekna. Ifest cependant notoire au
Sahara occidental qu'il ne serait pas possible de nommer un caïd Tekna pour 65
EXPOSE ORAL.DE 51.ARIAS-Ç,ALG,\DO

les Ouled Tidrarin. Seuls les Tidrarin q~iiavaient érri~greau Maroc et qiti
étaientobligésde vivre parmi des tribus etrangeres pouvaient peut-ètre l'avoir
accepté a la suite des pressions subies dans leur nouvelle installation.
L'annexe 7 (111,p. 209) se rapporte aussi inévitablement aux Tidrarin du
nord, comme cela ressort de salecture. On y dit en effe:
« A nos serviteurs agréables. toutes les tribus des Ait Hasine etAits
Ikkou, Oiiled Tidrarin, Yaggout, Mouissat, qiii sont des Ait Lahssen, des
tribus des Tekna Oued Noun. »

Or. il est notoire qite les Tidrarin ne sont pas des Tekna et ne sont pas situés
sans la régionde I'oued Noun. mais qu'ils habitent aii Sahara occidental. II
s'agit donc de deux régions bien différentes. Seuls les Tidrarin réfugiésail
klaroc ont pu vivre dans la première ari cours de leur émigrationprogressive
vers le nord.
De même,l'annexe 8 (ihid pré)sentéepar le Gouvernement marocain ne
se rapporte évidemment pas au Sahara occidental. Le document en question.
date de 1909. nomme un certain Brahim el Khalil Ben elHabib Ben Birotik el
Ouadnouni caïd pour les Ait Xloussa. Une analyse de ces tribus permet de
vérifierque les Ouled Driss ne sont pas du Sahara et que les Ait LIoussa,
Yaggout et Regueibar ont quelques fractions au nord du Draa. On peut cn
déduire que les documents ne concernent ni le Sahara occidental. ni sa
population, mais Io région deI'oitedNoiin. Cela ressort du nom niéme du caïd

désignéqu'on appelle IDuadnouni.
Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour. je voudrais en
venir maintenant à l'examen des doctiments présentés parleGouverneiiient du
Maroc sur la nomination de caïds pour les Tekna. II convient d'indiquer
comme préliminaireque fe terme Tekiia désigne.d'iine part. la confedération
des tribus bien connue établiesur lesde~txrivesde I'ouedDraa et. d'autre part.
il s'agitdii nom d'tine tribu qui habite ta régionde Marrakech et qui n'a ràen
voir avec cette confédération.
I..esdocuments présentéspar le Xlaroc portent sur une epoq~ietardive et
s'inscrivent dans la tentative de kloiilay Hassan d'attirer certaines tribus de la
zone du Draa et du Notin.
Effectivement, le débarquement de Mackenzie a Tarfaya avait mis en
lumière a la Cour chérifienneque les vagues prétentionsde souveraineté sur la
zone du Draa et sur les territoires situés plus au sitdou l'invocation d'une
suprématiespirituelle sur ceux-ci devaient secompléterpar un contrôle effectif
sur lestribus voisines de Tarfaya. si l'on voulait utiliser celles-cicomme moyen
et comme argument pour pouvoir expulser de son site la North West Africa
Company et éviterainsi lepréjudiceque celle-cidevait produire au commerce
de kIogador. Le Sultan voyait et1effet le caractère monopolistedu commerce
marocain avec I'Arriqiiesubsaharienne menacépar l'entreprise britaniiiqtie.
Cependant le commerce deTarfaya intéressait aussiles Izarguiyine et les Ait
Lahssen et venait satisfaire les souhaits exprimésa plusieurs reprises par les
pouvoirs locaux et les habitantsle I'ouedNoiin d'avoir sur leur littoral lin port
qui leur permettrait de se soustraire h'la dépendance ou au contrôle dus a
\'obligation d'utiliser ceux que dominai1 le Sultan. Ce Surent ces tribus qui.
s'opposant au pouvoir chérifien.soutinrent pendant longteinps l'entreprise de

hiackenzie.
Agissant dans ce contexte de lutte. les Sultans essayèrent d'attirer les Tekna
pour chercher linmoyen d'intervenir. Ainsi. comine nous le montre Al-Nasiri
dans son Kiiuh a/lsriqso(éditionarabe,LeCaire, p. 2611,MoulayHassan essaie
d'attirerla tribus Tekna sédentaires en leur offrantI'oiiveduuportd'iksaka. A la mort d7AbdalaOuld Ali Beiba.personnage iiifiiiant de la coiifédération
des Ait lymel. et en particulier parmi les Izarguiyine. la djemaa de la tribu

nomma Baba Ahmed Orild Sidi I'oussouf (Chtouka) pour diriger ses destins a
cotéde Brahiiii Ould Einbarek (Chtouka). Xlohainitied O~ildBel-la1(Ait Saïd)et
Suliman Ould Biiyiira Ould Gilali Ould Arjas (El Gucrran). C'est a Ould
Embarek que se réfère l'annexe 2 marocaine(Ill, p.206).
Lasituation décritedonnait une occasion propice au Sultan et celui-ci réussit
ii ce que Brahini Ould Einbarek agisse en sa faveur parmi les Tckiia.IIne se
produisi[ pas. cependant. une soumission de la tribu i l'aiitoritéchtirifienne au
sens strict du mot. car la ftactioii de tribu acceptait seulement Brahim Ould
Embarek pour la nomination qii'ilavait reçue de la djenlaa.
Dans la inènieoptique. il convient d'examiner la désignationde Brahiiti Ben
b1'BarekEch-Chtouki Er-Rouifi comme caïd pour les inembres de la tribu des
klnassir de la confédérationdes lzarguiyinei laquelle se rériirel'anne5e(111.
p. 208) présentéepar le Gouvernement du Maroc. Au sujet de celui-ci, il
convient d'indiquer que sa date d'expédition estl'année1899 et que ce fur en
cette mêmeaiiiiéeque les tzargiiiyine repoussercnt par la force des armes le
caïd Dahman Oiild Beyrouk qui avait osé pénetrer dans la citadelle qu'ils
possédaient i~Dora ou Daoha. accompagné de quelques forces niarocaines
provenant de Tarfaya.
A la iiiort dit cheik des Izarguiyine. Sulimail Oiild H~iyura. que l'on a
dejà mentionné.soi1fils,1-arosiOuld Suliinan Oiild Buytira. lui succéda.L'an-
nexe 6 (111,p. 208) datée de 1906, présentée par le Gouvernement du Maroc
sur la noniinalion dit caïd Sliniane el Aroussi. personnage inconnu au Sahara.
doit se rapporter Ould Btiyura.
Les Ait 1-ahssensouffrirent d'intrigues marocaines aiialogiies. klohamed el
Amine, aiiqiielse référel'annexe 3(111,p.207)présentéepar leGouvernement
marocain. etait Lincheik. fils et petit-fils d'un cheik et nieinbl'ailarbain
des Tekna. En niêinetcnips. on sait que le Sultan nomiim ègalernent caïd

Chiha Ould Naycin Ould Hanikeid bien que le Gouverneinei-ir marocain n'ait
pas présenté de documents l'accréditant. Les deus cheiks v~vaient en
sédentairesa oued Noun.
klohamed el Aniine visita le Sultan et revint avec une noniination
chérifienneparallèle celle qu'ilavait deji de la djcniaa. Son üutoriiéiie devait
pas. cependant. durer longteinps car. alors qu'il tentait dc pcrccv~iiimpôt
sur les Yaggout de la confédérationIyinel. il fiit assassinci.
En tout cas. il coiivieni de signaler que les fractions d'El hlouissat et d'Ait
ivloharnrned Lahsseii des Ait Jinel.citéesdans I'iiiziiexe? dii Goiivcrnemeni
marocain. habitaient dans des villages qui se trouvciit ü I'oiiedNouii. Frédéric
de la Chapelle nous en donne les noms :Tiliouin. Tidergiiisl. etc.. dails son
remarqiiable ouvrage « Les Tekna du Sud marocain », p~ibliéen octobre-
novembre 1933 dails la revue L ;l.friqlte,li;aiiçpages.589 et 634.
En conclusion, oii pourrait affirmer que les documeiits prfsentés par le
Gouvernement du Xflarocconcernant la nomination des caïds se réfcrentà une
période-trèslitnitee. celle oit le Sultan s'efforcede se faire rcconnaitre dans le
bled siba. situéentre le Sous et le Draa.
Deuxièmement, ils se réfèrenta des tribus ou des fractions de tribus
qui habitent normalement au Draa. a l'oued Noun et meme plus au nord.
c'est-à-dire dans la marche présaharienne et hors du Sahara occidental. Ainsi.
les Tidrarin aiixquelse référentles documents sont ceux qui ont émigré du
Sahara occidental et qui s'installèrent au hslaroc a la fin di! SINCsiecle. De

même,fes documents concernant les Tekna se réfèrent aux brünches de
cette confederaiion tribale qui nomadisent ou habitent normalement au nord 67
ESPOSE ORAL DE RI.;\RIAS-SALGADO

de la zone du Draa. et en particulier a I'oued Noun. L'emploi. dans certains
de ces documents. du terme Scil~araest toujours fait avec une portée géogra-
phique au caractère génériqueet il n'y a pas de riference précisea des loca-
litésou f d'autres données d'où I'on puisse déduire qu'ils'agit du Sahara
occidental.
Troisieinenient. ces documents sont tous <<descendants >>c 'est-a-dire qu'ils
sontenvoyés par celui qui se considèrecoinme souver*ain.inais. par contre.on
n'a pas présentede docunients qui attestent l'acceptation de cette autorité par
les tribus. II ne faut pas oublier que c'estl'époqueoii le niakhzen doit négocier

avec lestribus et les nominations de caÏds ne sont qii'~itititre honorifique qu'on
ajoute a une situation de fait dans le bled siba. Ce caractere nominal et
ephemere a etéinis en reliefpar les docunients de l'époqueet dans lesouvrages
des auteurs les plus divers. II ne faut pas oublier que. dans le livre vert publié
en 1960 par les autorités mauritaniennes sous le titreLa Rkptibliylie islainiqiie
de Mcruritaiiie cile Rovairir?~dl,Maroc. I'on peut lire iIa page 25 la phrase
suivante :

<(Une zone de domination locale plus ou moins ephimére et de tribus
indépendantes se constitua ainsi entre Ics pays souinis au makhzen et le
Sahara atlantique. L'envoide lettres d'investjtiire et de reconnaissimce par
des sultans alaouitesa des chefs saharieiîs ne signifie pas que leur pouvoir
s'étendait sur eux. En fait. il ne s'agissait là que d'une espèce de
propagande sans efficacité destinée a donner l'illusion d'une doiiiinatioii
salis existence réelle))

Un dernier eléinentest a signaler concernant la portéeréelledes dahirs de
noinination des caïds Tekna. Aux pages 266 à 274 (1) du livre 1 des
/i!firilrutioret~IJCIIII~C Ir~Sentks à la Cour par le Couverneinent espagnol
on voit quels étaient les rapports des caïds Tekna avec l'établissement
hrlackenzie.surtout les relations de la famille Beyrouk.
A cet égard, ilfaut rappeler que la Grande-Bretagne a to~ijoursnié. depiiis
1874. la souveraiiieté du sultan du Maroc au-delri de I'o~iedDraa. Les
documents qui constituent les appendices a l'annexe 20 (livre IV des
Ii~forilralioiisci docrir?raltII. p. 118-142) du Public Record Office de la

Grande-Bretagne sont concl~iantsa cet cgard. Qu'il sciffisede mentionizer ici le
nicmorandum sur [a frontière sud du Maroc. daté du28juin 1881et signé par
Lin homme auquel on reconnaît une connaissance approfondie des actes
internationa~ix concerilant I'i2frique.Je nie réfère Edward t.lertsle1.autetir
d'un ouvrage célèbre.Tl~eMap qfA,fica bs Trmty. Jointe a ce inéniorandurn
de Hertslet (11.appendice 22 de l'annexe 20. p. 134-1351.vous trouvez une
carte qui n'a pasétéreproduite clansle livre IV des/rtfori~iaiioiiset dociriileiirs.
mais que nous avons soumise a la Cour avec la copie de l'original de ce
dwiiment et qui,de ce fait, peut êtreonsultéedans le dossier 'des documents
inédits.
Cette carte porte la mention (<h,loorish Territory marked Green )>.et
plus bas. <(Wady Dra the acknowledged Southern Boundary of ivlorocco n.
Tel étaitl'avisdu Foreign Office cesanntes-la. Aprèsle traitéentre le Maroc et
la Grande-Bretagrie de I'annee 1895. les docuinenls du Foreign Office nous
iuontrent les événementspostérieurs. A I'appendicc 29 de l'annexe 20 (11.

p. 136-139) vous trouvez un rapport du capitaine diiRetriburioii signalant que
les tribus habitant près de la factorerie Mackenzie étaient en désaccord avec
l'extension de la souveraineté du Sultan car elles craignaient la fiscalité

' Non reproduit.68 SAHARA OCCIDENTAL

marocaine. L'occupation de l'établissementde Mackenzie eut lieu le 6 juillet
1895 (II.appendice 34 de l'annexe 20. p. 142).
klaisune question importante aux fins de mon argument petit étreposée :
quelles étaient les forces ou les autorités qui ont occ~ipèla factorerie de.
Mackenzie le 6 juillet 1895 ? Les termes de l'accord anglo-marocain sont
clairs:le Sultan enverra a cap Juby un détachement desforces du makhzen et
ce sont les forces qui ont résideà cap Juby durant une périodebien établie.de

1895a 1910.Ces forces marocaines. on lesait. Ptaient ravitailléespar mer. elles
se sont dispersées. et rouleautoritémarocaine au sud de l'oued Draa a disparu
le jour OU le Gouvernement marocain de Tarfaya partit par le bateau de
ravitaillement. En l'année1910 - il ne faut pas l'oublie- les hommes de la
famille Ma et Ainin étaientles vrais chefs du Sud marocain.
Ces réferencesont un lien direct avec la portéede l'autorité marocaine.dit-
on. qui fut bien établiedans cette contrée du fait de la nonlination des caïds
Tekna. Car ce ne sont pas les caïds Tekna qui ont occupé 1ü factorerie de
Mackenzie; ce ne sont pas les tribus soumises au Sultan qui étaient sous
l'obéissancedes caïds ou du gouverneur marocain deTarfaya. car ces tribus se
sont révoltéesaprès I'établissementdu contingent du makhzen iicap Jiiby.
Et vers les premièresannéesdu siècleactiiel. dans certains récitsde voyages.

a la région du cap Juby. on constate que la garnison marocaine était
pratiquement encerclée. car les tribus avoisinantes suivaient les directives
d'Ahel Ma el Ainin, en opposition au pouvoir chérifien.Ces données, vous les
trouvez par exemple dans l'ouvrage de D. de Saavedra, Espuiro ejt elAfrica
occidei~fal(Madrid, 1910,p. 16-171.
J'ai cru nécessaire de m'attarder sur la question concernant l'allégeance
personnelle des grandes familles de caïds et les dahirs de nomination. car les
exposésmarocains ont et6 de nature a créerdes équivoques. En parlant des
dahirs de nomination des caidset sans préciserni I'élementhumai11ni I'élénient
territorial. les Tekna sédentaires qui habitaient le No~in et le Sous sont
présentéscomme des Sahariens. Mais tesobservations queje viens de faire ont
bien montré. je t'espere. qu'aucun dahir ne faisait reference au Sahara
occidental. ni même ceux qui ont été appelés ((les Tekna libres !>.les
véritablesnomades. jamais soumis 1 l'autoritémarocaine.

Je passe maintenant. avec la perinission de la Cour. au dernier groupe de
faitssur lesq~ielsleGouvernement marocain s'appuie pour établirla prétention
qti'ilétait possesseur immémorial ))du Sahara occidental.
Je fais reference a ce qui. lors dcs audiences orales. a éappelé.tant61 i<les
décisions militaires» du Maroc facea l'occupantétranger.tantot <<la résistance
du peuple marocain ))face a I'occiipantespagnol.
Dans son exposé ecrit. te Gouvernement du Maroc a votilu presenter
quelques événementsviolents survenus au Sahara occidental pendant les
premieres années de la rolonisation comme le témoignage d'une prétendue
résistancede la part de la population a~itochtone.suivant les ordres du Sultan
et agissant au notn de I'tiniteet de l'intégritéde l'Empire chérifien(voir III.
p. 159-160).
Rien ne justifie cette thèseet. pour ne pas üloiirdir mon interventionje vais

me borner àciter quelques faits etàFairecertaines considérations qui. j'espère.
pourront éclairerla Cour 3 ce sujet.
En ce qui concerne l'attaque contre Villa Cisneros du 9 mars 1885. la
question fut examinéeaux Cortes le 28 mars 1885 (Diuriide /us .smiotirsde lus
Cr~r1e.sS. enado. vol. 22. p. 3241 i 3243) : les faits ont etc rapportés par
pltisic~irsauteurs. entre autres Domenech. AIgo sobre Rio de Oro. hladrid.
1946. page 47. NOUSsavons ainsi que les ri~iteursde I'attaqiie étaient des commerçants noniades de Ba Amar. de la tribu des Oulad Delim. que le
président du conseil des ministi,es espagnol qualifia de « libres. übsiilument
libres depuis des sièclesde toute sujétionet de tout Empire )).NOUSsavons
aussi que leur mobile étaitle vol ou lO rezzoir ... fariiilicrdans la régvo(IV.
p. 412) et que deux mois après d'autres nomades se présentèrent a Villa
Cisneros pour faire du conimerce et polir négocier. Ceux-ci précisèrent
qu'ayant eu connüiçsuncc de ladite aitaque ils poursuivirent et chitierent
scvereinent les respoiisablcs. Ils firent aussi des protestations d'aniitie et de
soumissioii au protectorat de I'Esuaci~eet demandérciit de vova.ie- à hladrid
pour rendre hommage au souverainèspagnol (Revisru de g~~gr~ifiacorlicirciol.
1885. t. 1.p.12).
I_'esposkmarocain cite ta page 123de l'ouvrage de Ramos Espinosa de los
h,lonteros.Espilu e/iAfricu (Xladrid. 19031et conclut que

<cette attaque donne lieu a iine protestation oficielle du Goiivernernent
espagnol auprès du Sultan. reconnaissance iniplicitc inais significative du
véritablemaitre de la terre)>(III. p. 159).

Or. il n'ya aucun témoignagedocumentaire de cette protestation. L~lcmesi
cela avait ete lcas. l.autcur. dont Iéspose marocajn a tire I'atllrmation. nous
précise.a ladite page de son ouvrage, que <l'empereur du Maroc. a qiii on
chargea par une note dip1orn:itiq~iele dédonimagement et le chitinient.
réponditne pas avoir de juridiction sur ce territoireM.
IIest vrai que certains iiiciderits isoléssurvinrent. eri 1887 et 1890. mais il
s'agitde faits sporadiq~ies.sans qu'on puissed'aucune façon lesattribuer 1une
résitancemarocaine organisce.
Ainsi. en juillet 1892. se produisit lcds relatia I'cnlèvementpar Ics tribus
de quelques membres de I'i'quipageespagnol du bateau Icod. affaire dans
laquelle intervint un disciple du cheik X4aelAïnin. d'origine syrieiine. iloii~me
Spiridon Ayoub. connu ensuite sous le noin de Xlohained Sbera. Lesfaitssont
rapportés par Domenech Lafilente dans son ouvrage Ma r.1Aiiiiris~4or de
S~iiura (Tétouan. 1954. p. 46 a 49) et ils nous prouvent qu'il s'agissaitd'une
affaire de dettes. que Spiridon ktait Lin agent à la solde de la factorerie

Xlackenzie. que Xla cl Aïniii s'opposa a ïinterveniion de Beyrouk dans le
règlementde cette question. et que par contre il envoya son neveii pour signer
lin accord avec lesautorites cspagnoles (Il. appendice1Xi I'aiinexc 19.p. 413-
426). Cet accord. daté du 6 mars 1893. témoignede I'aniicalerelation du cheik
avec les autoritfis espagnoles ct ricn ne montre dans son texte. ainsi qiie dans
les faits rapportes par [loinenech. que Ma el Aïnin et son neveu agissaient en
qualitéde rcprksentans du Sultan.
En tout cas. cet épisode se teriiiina par une cntenlc positive entre les
alitarites espagnoles et Ahcl kla cl A'iniiia un tel poinl que la Real Sociedad
geografica de Madrid proposa au goiiverneiiieiit dc doiiiier une preuve de
gratitude au cheik pour soi1 intervci~tion dans la liberatioii des captifs (II.
appendice I a l'annexe 12. p. 59-60).
Peut-êtreest-ce l'accordauquel seréfère l'exposémarocain dans la note 3qui
figurea la page 159(Ill) de la premièrepartie. bien que la date mentiorinéesoit
celle du 2 mars 1895 : nous n'avons pas connaissance d'un autre accord signé

avec les Ma el Aïnin pendant ces années-la.Peut-ètre. nous en parlerons aussi.
le Gouvernement marocain a-i-il voulu se référer I'accord signe avec les
Oulad Delim le 23 mars 1895 '!
L'expose marocain parle aiissi de l'attaque contre la factorerie de E'illa
Cisneros qui eut lieu le 2 novciilbre 1894 et cite dans son annexe 80 (111.
p. 354)lin passage de la page 49 de l'ouvrage de Domenech, Al,qo.sohriRia deOro. Comme on peut le constater. l'auteur indique dans ce paragraphe que les
assaillants étaient des nomades des tribus Oulad Delim, Oulad Bou Sba et
Laroussiyine et que le repréisentantde l'entreprise. après cet événement.fixa

avec plusieurs nomades de la tribu des Oiilad Delim des garanties pour les
échangescornmerciaiix avec la factorerie. Nous nous trouvonsdonc devant lin
nouvel incident qui s'estterminépar une entente avec les autoritésespagnotes
et qui ne peut ètreconsidérécomme un acte de résistancemarocain.
Le IErmars 1895, Villa Cisneros fut harceléepar quelques individus des
tribus des Oiilad Delim. Oulad Bou Sba et Laro~issiyine.En apprenant cet état
de choses. le cheik des Oulad Delim. Hamillen Beneralosi. qui était absent.
revintA ladite localité. désapprouva l'incident et déclara au gouverneur
espagnol qu'il désiraitdonner satisfaction pour ce qui étaitarrietsigner iin.
accord de soumission et d'amitié en son noin et en celui des tribus
Laroussiyine. Oulad Bou Sba et Oulad Tidrarin.
Le 23 mars 1895. on signa Lin accord par lequel lesdites tribus
reconnaissaient l'autoritéde'Espagne.Cet accord contenait aussi une sériede
cIauses concernant le commerce. la justice et les relations avec la population
autochtone. Vous en trouverez le texte. Rlonsieur le Président. hlessieurs les
membres de laCour. a l'appendice Ii l'annexeC.7 (II. p. 371-372).11constitue
un témoignagede plus sur l'entente hispano-saharao~iie et I'incons~stancedes
rares incidents qui eurent lieu sur le territoire.
Il n'existe aucun autre incident violent entre 1895 et 1928. d'après les
documents qui se trouvent dans les archives espagnoles. Dans cette dernière
année. il s'est produit une agression contre le gouverneur de Rio de Oro par
une bande étrangère au territoire qui était arrivée a Villa Cisneros en
provenance du sud aprésavoir tentéd'attaquer lesetablisseinents françaiLes
faits sont rapportes dans les documents qui figurent aux appendices 2 et 3 a
l'annexeC.7 (IIp. 372-3731et nous montrent l'adhésiona l'Espagnedes Oulad
Delim ainsi que le concours qu'ils prétesentaux autoritésespagnoles.
Les faits relatifa des accidents d'aviation. auxq~iels se réfèrel'exposé
marocain a la page159'(111 )e la première partie,ne peiivent pas non plus être
considéréscomme des actes de résistancea la présence espagnoleau Sahara
occidental et moins encore étreattribuéa iiiie action de la part des autorites
inarocaines. Tout au contraire. les faits nioiitrent que les accidents. comme
celui survenu au capitaine Martinez. cité dans l'exposémarocain. et bien
d'autres dont on peut trouver des référencesdans les appendices I a 27 i
l'annexe C.5 (II. p. 341-366). donnèrent l'occasion de démontrer l'entente
amicale et pacifique qui caractérisales relations entre la population autochtone
et les autorités espagnoles. aussi bien dans le Sahara occidental que dans la
zone sud du protectorat espagnol au ivlaro(Tarfaya). Nous estimons que les
documents cités i ce siijet sont concliiants et nous ne voulons pas prolonger
sans neccssite cet exposéen les expliquant.
En ce q~iiconcerne les faits se rapportanta I'attit~ideenvers l'Espagne de
certains menibres de la tribu Izarguiyine. auxquels fait reference l'expose
marocain à la page 160(III)de sapremière partie,il y a lieu de signalerque cet
exposé confond de façon réitéréeap Juby. ancienne zone s~iddi1protectorat

espagnol au avec leSahara occidei~tal.Il ne falit pas oublier qiic depuis
19 16l'Espagneoccupait cette zone ali nom dii siiltan du Maroc et qii'eiiese vit
ainsi obligée d'exercerl'autoritéchérifiennedans un territoire qui. comme les
vastes regions situces au nord du Draa. se trouvaipartir de 19O etjusqu'en
1934 sous l'influence et le contrCiledes AheMa el Aïnin contestataires de la
dynastie alaouite. Ce fiit prkciséinentgrice a ses relations cordiales avec les
pouvoirs locatix que l'Espagne réussAtobtenir progressivement la soumission tSSI'OSIIOHAI. IIE XI. ,\Rl,\S-ShI.GAD0 71

au makhzen de gens qui habitaient cette zoneet qtii avaient été pendant de
longlies périodesinsotimis ou indépendants del'Empire.
Les deux incidents avec lesIzargiiiyine rapportésdans l'exposémarocain
n'ont donc rien Avoir avecle Sahara occidental.II hiil retenir le fait quetoute

attitude coiitestntairc des habitants de cap Juby pouvait. en définitive. Etrc
considérée cornine dirigee coiitrc le iiiakhzen marocain lui-niême.
D'ailleurset polir mettre lesfaits dansleur véritableperspective.on nedoit
pasoublier que les Izarguiyinc avaient i~égocicavec Alvarez Perezen 1886.
avaient accueilli aniicalenient 13eiisen 1911 et 1915 et avaieni collaboré
assidiinieiit aveclesautoritésespagrioles.Vous avezdesteiiioignagesdctout cc
qiii précède.eiitre autres. daiis I'appciidicej,I'aiinese 16 (11.p. 90-91).les
appendices1I et 16 a I'annese 19(p. 105 et107-1081.danslesappendicesI et
2 A l'annexeC.9(p. 593-398) et dans les appendice';1.7.8 et 25 a l'annexeC.5
(p. 341-345. 349-350. 350-3 15et 364-3651,
En conclusion. les temoigiiages de l'entente et de tacoopératiori de la
population autochtone du Saharaoccidental aveclesautoritésespagnolessont

in~iliipleset iiidiscutables. Ils niontrent de façonconcluante que la thèsed'une
i<rksistance marocaiiie ))au Sahara occidental est dcpoiitvuc de tolite base
réelleet procèdedel'intention d'attribuera prioriaux responsablesdeqiielqlies
incidents isoles et sans importance une nationalité niarocaine qu'ils ne
possidaient paset don1ils n'avaient pas le inoindre sentimenl.
Lesfaits ne reveleni pasnon plus le moindre signedeprésencemarocaineau
Sahara occidental el constitueiit. aii contraire. Lin ti'nioignage coiitiiiu de la
présence pacifiqiie espagnolesur lin territoire dont la popiilation secoiisidera~t
libre de toute autoritéchérifienne.
Dans son exposeécritet ail coiirs de ses iiiterventions daiis les prcsentes
aiidiences le Couverilemeni marocain a essaye de présenter la figure de

niarabout Xlohamed Sidi el ,\,lustafa. hla el Aïnin. comme celle d'un
représentantde I'autoritc di1 Sultan chérifien dans la partie occideiitale dii
Sahara. On en conclut a l'existence d'iine souverainetéchérifienne qiii était
aiissi. effectivSLI~les actuels lerritoires mauritaniens que sur le Sahara
occidental proprement dit. On en dediiit aussi qu'il y avait une résistance
marocainecontre la présence espagnole dans ledit territoire.
Pour appuyer cette thèse. le Goiivernemeni marocain a présentéun
ensemble de documents et de témoignages de caractère hétérogène et
fréquenirnent incomplets qui. d'autre part. concernent des périodes trgs
liniitées. Ces iéiiioignages. loin de constittier iiiie preiive. conroiident la
véritabledonnée de la qitestion. et cecicn trois poiiiis essentiels.

D'abord en ceqiii concerne te caractèredesrelationsentre Ma el t\Ïnin ei le
Sultan. en deusi6me lieu en ce qiii concerne l'action du niarabout et. en
troisième lieu. eii ce qui concerne les liiiiitcs geographiqiies et huiiiaincs de
cetteaction.
Pour cette raison. avec la persiiiission de la COLIT.je vais essayer de
. systcniatiser. sgnthctiseet préciser.niéniebrieveniciii. ious ces points a la
luiiiicrc desinformations ci docuinents soiiinis par leCouvernement espagnol
aussi bien que de certains des életiientsprésentés par le Gouvernement dii
h.laroc.
L'origine et le sensde l'entreprise abordéepar klel t\ïnin nolis deriiontrent

qu'il s'agit d'\tri phénotnencnettement saharien qiii n'a rien P voir avec Ic
Alaroc. Venant d~iHodh, prochedes confinssoudanais. Ma elAïnin sedéplace
vers la partie occideniale du Sahara avec iiibiit ires précis:celui de faire
rayonner la no~ivclleécoleiiiystiqiie rondce par son père. IIs'agit la d'uile
entreprisespirittiellr qui. peu peu.sedéveloppedails un désird'établirun fort72 SACIARA OCCIDENTAL

pouvoir personnel sur l'ensemble saharien dans la ligne de I'épopeedes
Almoravides.
helael Aïriin comprend que cette entreprise se heurte a ta barrière que
reprcsente la coexistence de groupes nomades differenciés et autononies
politiquenient. mais qui sont unis par des intérëtscommuns face a I'estérie~irt
qui vivent dans lin mêmeespace géographique. cequi leur impose des relations
internes complexes marquées par leurs coutumes et leur histoire.
Faute d'une autoritécominune. hflael Ainiii se rend compte de la nécessité

d'établir uncentre religieux. Cconomiqiieet politique lui permettant de réaliser
entièrement son idée d'établir un pouvoir unitaire qui unifierait l'action
des tribus sahariennes indépendantes. A son reiour de La Mecque. il constate
que l'extension de la présence française ail long du Sénégala indifié
siibstantiellement I'eqiiilibresocio-éconotnique de la zone saharienne voisine.
II voit claireinent le périlqu'entraîne pour la vie saharienne la présencede la
France et. en inêmetemps. il se rerid compte qu'il s'agit1àd'une occasiori
propice pour essayer de rallier autour de lui les tribus en profitant du courant
hostile a la pénétrationde cette puissance à cette époque.
Conscient de sa faiblesse. il mène une habile politique d'eqiiilibre. II
niaintient de bonnes relations avec les autoritésespagnoles établiesau Sahara
occidental en inèinetemps qu'il essaie de profiter de l'influence spirituelle qu'il
a acqiiise au Xlaroc polir obtenir la collaboration du Sultan.

Le Gouvernement marocain attribue aux relations que hTael Aïnin établit
avec le Sultan tin caractère de soumission a la souverainetéchérifienne,ce qui.
it notre avis. est bien loin de la réalité. II ne faut pas coiifondre certaines
attitudes tactiques qui visent l'obtention d'une coopération niaterielle ainsi que
des gages de respect avec une soumission. en fait inexistante. comme devait le
prouver le denouelnent mêmede l'entreprise d'Ahel Ma el Aïnin.
Outre les iiiforinations et les documents présentésa ce sujet par te
Gouvernement espagnol. il y a lieu de constater que cetle réalité est bien
évidenteinerne dans qiielques-uns des documents présentéspar le Gouverne-
nient marocain.
Ainsi nous voyons que Domenech Laruente. cite par le Gouverneinent
marocain a la page 188(111)de la deuxième partie de son exposéécrit.nous

parle dans son livre Mu el Aiiriri. senor de Si?iurude relations diimarabout
avec le Sultan dans des terines qui nous montrent. plus qu'une soumission.
l'exerciced'une influence di1 cheik siIr le monarque chérifien.sa cour et son
peuple. LeSultan dit a hslael Aïnin qu'ilest son (ipère rrqir'ille recnnimande 2
ses desceiidanls et il lui donne une zaouia :il fait de lui son confident et son
conseiller. Ce ne sont pas là des signes de soumission.
Pour savoir cc que peiise >la el Aïnin diipouvoir politique dans son pays
d'origine. il suffit de rappeler que Dornenech cite à la page 18 de son ouvrage
une réponsedonnéepar Ma el Aïnin lors de son voyage a La klecque :

(<Dans nos terres aucun monarque ne régnecar le peuple se gouverne
lui-mémeavec la protection des chefs qu'il élitet que l'on consulte dans
certaines affaires, et il ne se passe rien.
Les documents 81 (2)et 150 (111. p.355 et 446) présentes parle Gouver-
nement marocain illustrent aussi le véritablesens des relations entre Ma el
AÏnin et la Cour chérifienne.Le premier nous dit que le marabout avait établi

a ta cour :
<<de véritables missions de propagande religieuse qui le représentent
également dans les relations politiques qu'il maintient avec le Sultan.
Le représentant de Ma el Aïnin à Fèstravaille pour étendrel'influence debson chef. fanatise les chérifs influents et les freres du Sultan qui ont
unigrand respect pour ce saint homme du désert P.

Ledeuxieme document dont je viens de parler nousapporte une prkcision de
la représentation française aTanger : « IIest a noter queXIa el Haïnin est reçu
à Fès non comme un chef indigène. mais avec le cérémonial réservé aux
personnages étrangers. b)
L'exposemarocain cite a la page 190(111)de la deuxieme partie une phrase
de l'articledeR. de Segonzac. (<IIIHiba. filsde Ma el Aïnin »(Renseigtzemenis
coloniaux. mars-avril 1917. p.64) concernant la visite du cheik ail sultan
hqoulay Abdelaziz.Cet article nous montre que le marabout. bien qu'agissant
en chef spirituel, voire politique de tout le Sahara. flatte leSultan et lui fait des
orfres sans doute tentantes pour obtenir son appui a I'entreptise du cheik
contre la pé'netration françaisea cette époque. L'auteurde l'articlenous dit :

<(Moulay .4bd el Aziz. qui a héritéde son père une vénérationun peu
craintivepour legrand sorcier soudanais. est flattéde voir tout a coup son
pouvoir étendu par-delà des lointaines régions dont nul sultan n'a reçu
l'hommage depuis le règnede son glorieux ancetre Moulay Isma'il D.

Le mirage d'une expansion a travers le désert. mêmedans le cadre d'une
simple alliance. dut séduire a cette cpoque. c'est cornpréhensibte, l'esprit du
Sultan chérifien. k4alheureusernent, comme nous le savons. tout cela allait
s'achever en 1910, quand le sultan Ma el Aïnin et apres lui ses successeurs se
lancèrent a la conquétedu Maroc.
D'ailleurs, la traduction analytique des annexes 174 et 175 (111,p.474) faite
par leGouvernement marocain peut conduire a l'erreur de voir dans quelques-
unes desexpressions utiliséesdes indices de soumission dans l'attitude du cheik
qui ne correspondent pas à la réalitéD. ans letexte arabe du premier document.
on pense que le mot taaliodfic ne renferme pas l'idéede serment mais celle de
pacte ou compromis. D'autre part dans l'annexe 175.latraduction complète du

premier paragraphe citée dans l'exposémarocain refléte.ainsi que dans le
document précédent,une égalitéde relation.
Tous ces témoignages ainsi que les documents apportéspar le Gouverne-
ment espagnol nous aident a comprendre qu'en 1890. et egalement plus tard.
les relations de i14ael-Aïnin avec le Souverain marocain s'appuient sur un
respect mutuel et non sur un lien de souverainetéou de nationalité. IIs'agiten
tout cas d'une enlente dont l'intensité etla portéechangeront avec le temps.
dans la mesure de la coïncidence ou de ladivergence de leurs interétsrespectifs.
L'objectifde cette alliance tactique a une origine claire et précisequi n'a rien
à voir avec le Sahara occidental. IIs'agit a ce moment la de s'opposer a la
pénétration française :c'estprécisément ce quise dégagedesannexes 178 a 18 1
(111.p. 477-480) présentées parle Gouvernement du hlaroc. Ces documents
font référenceatix préparatifsdes chrétiensde N'Dar (Saint-Louis du Sénégal.

selon Iànnotation marocaine). c'est-à-direles Français, pour pknétrerselon ce
que dit Ma el A'inindans l'Adrar (annexe 1791,zone désignéepar le Sultan
comme <<Sahara de notre Empire fortune »(annexe 180).
Il y a deux considérationsa faire au sujet de ces documents. D'abord. il est
clair qu'ilsse réfèrentau territoire mauritanien et n'ont riena voir avec le Rio
de Oro où l'Espagne était établiedepuis quinze ans. II est évident que la
présence espagnole n'était pasrepousséepar les iribus sahariennes. par Ahel
&lael Aïnin. ni même contestee par le Maroc. puisqu'il n'ya aucun document
qui prouve le contraire. comme nous l'avons vu etle verrons encore tout au
long de I'intervenlion espagnole devant la Cour. Ensuite les aiinexes 178 et 181 ne reflètent pasdans leur version arabe une
sounlission de Ma el Aïnin fa souveraineté du Siiltan. iiiais lin dialogue au
sujet d'une question qui les intéressetous deux. D'ailleurs. il nous semble que
Iü traduction française des textes arabes qui a éte présentée par le
Goiiverneinent marocain est quelquefois lin peu trop libre. Ainsi par exempte
on n'a pas pu retrouver dans le texte arabe de l'annexe 180 les termes eriilalrir
et proresratinris aiiprgs des rc~prprL;se~rfudiiloriiaiiques. Egalement. dans le
texte arabe de l'annexe 179. au lieu de dire <(si vous pensez ordonner aux
guerriers d'ici>>et chose que je ref~iseraide faire sans votre autorisation)>.on
po~rrrüitplulot lire « si vous eslinrez qu'on envoie des guerriers » et <(je
in'abstiens de le faire si ce ii'étaitpas votre initiat».e

Nous voyons ainsi l'entente entre Sa Majestéchérifienneet el A'ininse
développer.non pas contre l'Espagne. mais A cause du phénomèneconcret de
la préselicefrançaise à cette époqiie.II y a lieu de croire que le Sultan pensait
erronément que cette présence française était beaucoup plus proche et
menaçait directenient le territoire de ta marche prisaharienne marocaine. C'est
ce que iious dit le rapport du delégué généraldu coinitédu Maroc àTaiiger de
1907 (appendice 3 iil'annexe 12 des documents inédits '1 dont je cite le
paragraphe suivant :

<<A cette époque,comme d'ailleurs maintenant encore, le sultan de Fès
et son eiitoiirage ignoraient tout du Sud marocain et s'en faisait une
conception géographique très falisse. L'opinion généralea la cour était
que Ma el Aïilin résidaita deux ou trois jours au siid de Marrakech. en
plein territoire ii~arocain. et q~i'inimédiatei~ientcommençaient les
territoires iiiauritaniei~sd'ou la France songeaitétendre agrriiidspas son
influence territoriale vers le nord. Cette conception décidale makhzen à
engager contre nous une politiqiie dissiinulee mais assez habile qui
consistait a utiliser hla el Aïniil coinme agent politiqrreet avait cherchéà
etendre l'influence 117arocaiiieaussi loin au sud qu'il pouvail le faire>r.

Le rapport coiitiiiliait en disant pliis avan:

« La Coiir chérifienne ignorait qii'il y avait huit jours de marche de
Marrakech à I'oiicd Draa. soit huit joiirs en bled siba. Lin pays
géographiquement tnarocain. inais complèteincpt insoiimis et indepen-
dant dii inakhzen. pilis qiiütre joiirs de I'oiicdDraa (au sud de Tintazart) a
I'indoiif. ancien point de concentration de caravanes sahariennes. enfin
huit à iieiifjoiirs de Tindoufiil'oued Smara. Quand à I'énorniedistance
(1100 kiloiiietres). soit vingt-sept jours de iiiarche. qui sépare[aSakiet El
I-iatnra du dernier postc au nord de la klaiiritünie. le makhzen n'en avait
aiiciine idée»

011 compreiid dails cettc pcrspectivc le sens des re!:itiotls entre le Stiltan et
Ma el .Aiilinqui. à la fit1de i903. obtient que le inonarque chérifienadopte ilne
üttitiide aiitifraiiçaise. Taiit que le Sultaii dira qir'ils'oppose a la présence de
troupes fraiiçüises h.2ael Aii~inessaiera de maintenir de bonnes relations avec
lui. afin d'obtenir son appui. Qiiant aii Siiltanilcroit surtout qu'il va pouvoir
freiner l'avance frai~çaise qtie.coinlne norrs verioiis de le voir. il croyait
beaiicoup plus proche de la liiiiite historique marocaine de I'oued Draa.
Voila donc lecadre vkritable dii problèinede iiotre poiiit de vue. A partir de
1902. le phénomcne h.lael Aïnin représeiitepiirement et simplement le fait de

l'oppositiondes tribus saharieilnes iiidepeiidantes groupéesautour de 1~ii.n sa .

'Textes origiiiaiis.iioreprodiiits EXPOSE ORALDE 51.ARIAS-SAI.GAD0 75

qualitéde dirigeant spirituel indépendant,contre la pénétration français e
cette époqiie,Iiitte qiii devaitcontinuer jiisqii'e1934.
Maissi leSiiltan,de son coté,veut aussienrayer iiiieprésence françaiseq ,iii
menace l'Empire a partir des limitesalgériennes, ilne peiit pas s'opposerau
danger de cette présence,si ce n'esten agissant au nord et au siid'en meme
tenips, poiir éviter l'encerclemenp t ar la France. Or, le Siiltan ne peut agir
directementdans le sud, du faitde l'indépendancd eestribus saharienries etde
son manque de po~ivoirsur celles-ci.C'estpoiir celaqii'il a besoin de compter
sur Ma el Aïnin. C'estce qui se dégagede la lettredii Sultan. publiéepar Paul
Marty dans son article (<Les Fadelia » (Revur du ~~rorlcritl~.slrliii.nXXI,
1915-1916). d'oii il semble qiie le Goilvernement marocain ait tiré les
paragraphes qiii figurent aiix pages 189et 190(III)de la deuxièmepartie de
son exposéécrit.Pourtant, dans cet expose, on ne se réfère paa s d'autres
paragraphes de l'articlede Paul Marty.qiii nouséclairesur lefaitqiielestribus
auxquelles s'adressele Sultan ne sont pas des tribus marocaines, mais des
tribus voisinesde l'Empirechérifien.
Ainsi, tel qii'ilest rapportpar PaiiI Marty. a la page 160de son article,le
Sultan aiirait écri:

IIaeté portea notre connaissanceqiie voiisaviez i VOLISplaindre des
tentativeseffectiicespar desnationsétrangères dans lebut d'envahirvotre
pays, ..qiie lestribus voisinesde notre Empire sont d'avis de combattre
cesétrangers. ))
Et ilcontiniieen disant :

<<Cette ambassade vient chez nous pour connaître votre pays et en
etiidierla situation;ellecausera avec leschefs destribus poiirtout ce qui
pourrait êtredans votre intérêt et celu diii pays.IIva sans dire qiie tout
celase fera par l'intermédiaire du Cheiktrèssavant, lesid Ma el Aïnin,a
qui nous avons écrit a ce sitjet>)

Aii point culminant de son entente avec hla el Aïnin, le Sultan envoya
Moulay Idrissavec la mission de seconderle marabout dans le solilevernent
des tribus mauritaniennes contre les troupes françaises. C'esta cela que les
annexes 155 a 163 (111,p. 450-4611.présentéespar le Couvernetnent dii
Maroc, font référence.
Plustard, quand leSultanse rend compte deladétérioration deses relations
avec lesFrançais.il adopte ilne attitude de plusen plus ambiguë envers Mael
Aïninet, finalement.il l'abandonne. Cettecirconstanceest bienexpliquéedans
le document français qlii figiire comme appendice 3 a I'annexe 12 des
Ir~fon~~rrrio rrC/OCIIIIIMIIprésentés par le Gouvernement espagnol (1, p.6 1-
621.oii on peut lire:
<<ila désavoue Mael Aïnin etpromisdémpêchetrout envoid'armeset de
munitions a destination du <<marabout bleu )); il a désavouéenfin
Moulay Idriss,a promis de le rappeler et de l'interner dans une vitle
marocaine :ila enfin retirésademanded'iinedelimitationentre le Maroc
et la Mailritanie.
Cette attitude du Sultan est une reconnaissaiicede nos droits d'action
dans I'/~iti~~r/rr/dmpris entre laMauritanieel le Sud marocain. >>

La signatiire de la convention franco-marocaine du 4 mars 1910 et
l'engagement du Sithtan d'empkher toute aide a Ma elAinincontre la France
précipitentles choses, et le cheik indépendantn'a plus d'intéréa t niainteniravec celui-ci des relations dont le but priiuordial était la lutte contre la
pénétration française.
h partir de ce moment. il se rend compte qu'il doit Ititter non seulement
contre la France. mais aussi contre le pouvoir cherifien. IIse proclame sultail et
ilse lancea la poursuite de ses objectifs inaugurant ainsi la dynastie dessultans
bleus. qui allaient exercer leur pouvoir effectif et leurfliience dans les zones
sahariennes et dans le Sud marocain jtisqu'en 1934.
Par conséquent, il n'y a pas el], comme le prétend le Gouvernement
marocain, une soumission réelleet effective de Ma el Aïnin ail Sultan, et
encore moins peut-on parler de soumission des tribus sahariennes au pouvoir

politique chérifien. S'il s'est prodiiit une alliance tactique et circonstancielle,
limitéeà Iine zone géographique et a une période historique, en fait assez
courte, on ne peut pas déformerle dénouementfinal. Si,àpartir de 1910,ily a
eu une résistance d'Ahel Ma el Aïnin, ce fut contre la France et contre le
makhzen marocain même,comme il sedégagedes litfoi-riiaiioiis ef ticic~riiiciits
présentéspar le Gouvernement espagnol.
D'autre part, comme nous l'avons vu, iln'ya pas eti d'opposition d'AhelMa
el Ainin a la présence espagnoleau Sahara occidental. de mêmequ'il n'y a eu
aticune intervention ni résistance marocaine dans ce territoire, comme nous
avons eu l'occasion de l'exposer lors de l'examenque nous avons fait des actes
de résistance.
IIn'ya pas lieu deconfondre, comme le faile Goiivernement marocain sous
la rubrique « La lutte conte le colonialisme ati Sahara occidentaln, dans son
exposéécrit,page 187(111)et suivantes. le fait concerirant l'action de Ma el
Aïnin dans les territoires mauritaiiiens avec un phénomène inexistaiit de
résistancede la part de celui-ci danslesterritoires voisiiis. soiis la souveraineté
espagnole.

Bien au contraire. les faits témoignentd'une coltaboration constante d'Ahel
Ma el Aïnin avec les autoritésespagnoles. et de l'ententeaiiiicale qui a toujours
existéentre celtes-cietles pouvoirs locaux au Sahara occidental.
hfonsieur le Président.Messieurs les menibrcs de la Cour. j'arrive àlaFinde
ines observations sur les exposés marocains en ce qui coilceriie le premier
postulat de sa thèse centrale. à savoir. que le Maroc était possesseur
in>méinorial >>du Sahara occidental aii moinent de [a colonisation espagnole.
Notis avons examiné les tétnoignages géographiques et cartographiques.
TOUSsont concordants : le Maroc n'a pas eu de liens de souveraineté avec le
Sahara occidental. car la liinite inéridionale de I'Einpire chérifien a suivi
toujours le cours de l'oued Draa. Dans Iü période de 1895 a 1910. Ie hlaroc a
occupe un petit territoire environnant la factorerie de Mackenzie. inais ce fait
enregistré par les cartographes est sans rapport avec le territoire du Sahara
occidental.
h'ous avons exainine soigneusenient les donnces historiques générales et
aussi les faits de souveraineté évoquéspar le hlaroc. Or. la pretention d'être
<<possesseur iininémorial 1)esti nouveau dementie. à notre avis. par les faits.
Les actes de fiscalitéévoquésn'ont pas existéet aucun teinoignage n'a été
soumis à la Cour. Les nominations des caïds n'ont aucun rapport avec le
Sahara occidental et elles ne prouvent pas non pliis l'existence des liens

de souveraineté marocaine a l'égarddes Tekna nomades ou Tekna libres.
Enfin, on ne saurait accepter l'existence d'une résistancemarocaine organi-
see. La résistanced'un peuple contre un occupant étranger est quelque chose
de plus sérieuxque quelques incidents épars pendant trois quarts de siècle.
Avant d'en finir avec mon intervention, je voudrais tirer la conclusion
génératequi. notre avis. se dégagede l'examen des faits alléguésparleMarocpour essayer de démontrersa souverainele sur le Sahara au momcni de la
colonisation espagnole.
LeMarocn'ajamais exerce des fonctionsd'Ela1 surleSaharaoccidental. ni

par le moyen de prétendues allégeances personnelles. ni par l'action des
autoritésde I'administrarionmakhzen. De l'avisduGouvernemenr espagnol. la
continuité géographique ei la communauté des croyances religieiises ne
s~iffisentpasa fonder iintilrq~ielconque sur leterritoire.
L 'ul~dietiest lev& ciI? Ir55 VINGT-TROJSIEME AUDlENCE PUBLIQUE (21 VI175. IOh 5)

Pr~;seirr:[Voir audience du 17 VI175.]

EXPOSE ORAL DE M. CONZALEZ CAMPOS

REPREÇENTA NUTGOUVERNEMENT ESPAGNOL

M.GONZALEZCAMPOS :Monsieur le Président, Messieurs lesmembres
de la Cour. il n'est pas necessaire d'exprimer le grand honneur que ressent le .
professeiir de droit interiiational queje suisen s'adressant comme représentant
du Gouveriiement espagnol a cette Cour devant laq~iellele droit international
doit êtreexpose. recherchéet dit. 11m'appartient de presenter nos observations
sur les deuxièmeet troisième postulats de la thèseniarocaine. Je prie laCourde

bien vouloir excuser d'avance les défaillancesde iria pronoiiciation française.
Le Goiiveriiement di1Maroc s'estcru obligé d'établic rertaiiies conclusions
sur des questions souinises à la Cour en s'appuyant sur une idéecentrale. a
savoir que le Maroc était «possesseur iinineinorial>)du Sahara occidental au
nionient de la colonisation espagnole.
Nous avonsexaminé le premier postiilat de.Ia thèsecentrale marocaine. qui
a été appelé I'Uassise interne de la possession immémoriale du Maroc >>.
hlaiiiteizant. je vais aborder. avec la perinission de ta Cotir. t'examen du
deuxième postulat de cette thèse. a savoir I'<(ssise internationale))de la

pretendue possessioii iminéinoriale.
Le Gouvernement marocaiii prétend que la souveraineté de I'Enipire
chérifien sur le Sahara occidental a toujours été reconnue par les Etats
étrangersdans les conventions internationales conclues avec le Xlaroc tout au
long des NVIII'et XlSc siècleset parnii les Etats cocontractants du Maroc. par
l'Espagne elle-même.
II s'agit. senible-t-il.«dtitres conventioni-ie»sdont peut se prévatoir la
« possession iininémoriale ))du Xlaroc. A ces fins. on nous a dit que le

possesseur iinmemorial est fondé a se prevaloir d'un (<titre objecti» du
rnomeiit que la 'cornniunauté internationale 3 admis t'exercice de sa
souverainetésur le territoir:et de concllire que(c'estcet acquiescement de la
coinmiinauté internationale qui constitiie la reconnaissance de cette possession
immémoriale » (IV, p. 289-2903.
Tel est. en resumk. ledeu'xieinepostulat de ta thèsemarocaine. Pour la clarte
de notre expose. 11 faut relever que I'arguinentation du Goiiverncment du
Maroc s'appuie sur trois groupes de traités.
Le premier est constitué par le traitc sigaéMarrakech le 28 inai 1767 par

I'Espagneet l'Empire cherifieii.A cotéde ce texte. on peut examiner Linautre
traite dti NVIllCsièclesigné eiitreles deux pays:celui du IcTniars 1799.
Lc deuxième iioyau comprend « les conventions instituant le Sriltan
protecteur des naufragéseuropéensau Sahara occideiital )>- nous reprenons
lesternies inemes qui ont étédonnéspar leGouvernement rilarocain dansson
exposéccrit. deuxième partie. Au sujet de cet eiisenible conventionnel. on
parlera aussi des clabisesconcernant la ferineture des ports au siid de Mogador.
Finalement. le Gouveriiemciit inarocüin fait étatd'un troisieine groupe de« titres conventionnels » : les conventions « reconnaissant directenient la
souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ».Le texte le plus important,
semble-t-il,serait le traitéentre le Maroc et la Grande-Bretagne de 1895.
Je vais les examiner, tour à tour. A la finde cet examen. je pense qu'on
pourra conclure que 1'0assise internationale » de la possession immémoriale
dii Maroc sur le Sahara occidental correspond assez bien a I'«assise interne »,
car elle manque aussi de tout fondement.
Nous allons donc parler d'abord du traite de Marrakech de 1767. Au coiirs
de l'audience tenue le 3 juillet, le conseil du Goiivernement marocain nous a
dit :

le Royaume dii Maroc a présente a la Coiir, dans ses documents ecrits,
le texte arabe de ce traitéQue l'on me permette de rappeler que le selil
document officiel qui ait ete présentésur cette question a la Cour l'aété
par le Royaume du hilaroc. II s'agit du texte arabe de ce traité, texte
original qui a reçu le sceau du siiltan Moiilay Mohammed Ben
Abdallah. ))(IV. p. 294.)

LaTfirmation est, certes, surprenante. Le Gouvernement marocain semble
suggérer par cetteaffirmation que leGouvernement espagnol a caché alaCour
le texte arabe du traite de Marrakech pour apporter seulement le texte
espagnol. Mais les faits sont bien différents.
Premièrement. le Gouvernement espagnol a présentédevant la Cour les
textes originaux arabe et espagnol dii trait&. Vous les troiivez comme
appendice 3 a l'annexe 7 dans le dossier des documents inédits ; vous
constaterez qiie c'est iin document assez beau, car ily a le texte espagnol et le
texte arabe, dans une belle calligraphie tous les deux :c'est iine copie certifiée
conforme livrée par les Archives historiqiies nationales de Madrid, oii les
originaux sont conserves.
Deiixiémement, le texte espagnol du traite porte la signature dii
plénipotentiaireespagnol. Jorge Juan, et le texte arabe porte le sceau du sultan
Moiilay Abdallah. Par contre, le document original dii Gouvernement
marocain correspondant a son annexe 24 contient la photocopie d'lin
imprimé dans le texte espagnol et le texte arabe ' est iine 'transcription
moderne, dactylographiée ou imprimée,et le sceau du Sultan n'y figure pas. II
aurait suffit d'un examen du doc~iment marocain précité etdu document
espagnol original pour qiie le conseil du Maroc &vile de faire une telle
remarque.
Troisièmement - et toujours sur le plan formel - on doit faire remarquer
que le Goiivernement di] Maroc a soumis a la Coiir non pas une, mais deux
tradiictions françaises du même textearabe. La première. voiis la trouvez a la
page 195 (111).deuxième partie, de l'exposé écrimt arocain. Et en s'app~iyant

sur cette version l'exposenous dit quelle atteste non seiilement la soiiveraineté
di1 Sultan aii pays de I'oiied Noun. mais, en outre, sur tout le Sahara
occidental. Or, leGouvernement marocain, comme je ledisais, a présente aussi
une autre version française du texte arabe di1traité : celle de l'annexe24 (III,
p. 2231. Lemoins qu'on puisse dire c'estque ce fait est stisceptible d'introduire
iine grande confiision dans les débats étantdonné que les deiix traductions
françaisesdu texte arabe diffèrenten qiielq~iespoints essentiels I'iinede l'autre.

' Textesoriginaiix, nonreproduiis.
Non reproduite.
.'Non reproduit. 80 SAHARA OCCIDENTAL

11aurait été soiahaitableque le Gouvernement du Maroc se soitmis d'accord
avec Iiii-mêmesur la tradiiction du traite.
Lorsde l'audiencetenue te 3juiHet,leconseil du Maroca donnélecture de la
version franpise du texte arabe que nous avons appelée « première u. c'est-
a-dire celle incilise dans l'exposéécr;ta deuxième,celle de l'annexe 24, a été
oubliée.
- Après avoir citéun passage de l'arrêtde la Cour permanente de Justice
internationale dans l'affaire des ConcessiorisMui~roiizrtrarieripuIrniririequi
parle de deux textes investis d'une autoritéégale,le conseil dii Gouvernement

marocain a affirmé: « Dans le cas présent. ils ne sont pas investis d'une
autorité égale.car seul le texte arabe est un texte officiel. L'autre texte n'est
qu'une copie. )i(IV. p. 294-295.)
Qu'il me soit permis de dire, avec toute l'amitié etl'admiration que je
professe au professeur D~tpiiy,qiie l'affirmation que je viens de lire est aussi
surprenante qu'obsciire. Lesprécisionsque nous venons de fairejustifient cette
remarque. car le texte espagnol aussi bien que letexte arabe du traitésont tous
les deux des textes arrthentiques. Mais, en tout cas, si on nous dit qiiei<le
Maroc et t'Eqpagnesont aujourd'hui en désaccordsur cette disposition ))lin tel
désaccord découleraitdes divergences entre le texte arabe et le texte espagnol
du traité,les termes n'ayant pas lemême sens.
Maisje dois ajouter. en passant, qiie l'obscuritéde l'affirmation de mon cher
collegiie peut are due ait fait que le langage utilisé manque de précision
juridique. Les travaux de la Commission dit droit international et puis ceiix de
la conrérencede Vienne ont eu soin de distinguer entre diverses expressions
utiliséesdans la pratique. A l'article33 de la convention de Vienne sur le droit
des traités,on a retenti seulement la distinction enticun traité authentifiéen
deux ou plusieurs langiies P.d'iine partet, d'autre partc<une version du traité

dans une langue autre que I'iine de celles dans lesqiielles le textea été
authentifie >iLe traitédont nous parlons a étéadoptéet authentifie dans les
deiix langues arabe et espagnole.
1)ne s'agit @as,donc, d'lin texte« officieu,mais de deux textes également
authentiques. Le traité.dans ce cas, peut soulever un probleme d'interpréta-
tion, mais, comme disait la Commission du droit international. r<le
plurilinguisme du traite n'aiitorise pas celui qui l'interprète a préférer
simplement un texte a un autre » (Anriliaire de la Cornniissioridrr droit
inren~o~ionol,1966, vol. II, p. 245). Dans ce cas,les termes d'un traitésont
présurnésavoir le meme sens dans les divers textes authentiques et, si la
divergence nést pas résoluepar I'apptication des règlesgénéralesen matière
d'interprétation,dans ce dernier cas.on doit adopter le sens quicccompte tenu
de l'objet et du but di1traite concilie le mieux ces textes)>Tel est le régime
établid'une façon unanime a la conférencede Vienne OU certains d'entre vous
ont jouéun rble décisifainsi qu'a ta Commission du droit international,
Le Goilvernement dti Maroc essaie de suggérer,en marge de la convention
de Vienne qui constitue atijorird'hui k conseiisns oniriiurnsur le droit des
traités,uneméthoded'interprétation restreinte citanta l'appui un passage bien

connu de l'arrêtno 2 de la Corir permanente. Mais t'idée essentielleest celle de
la conciliation entre les termes des deux textes, idéequi étaita la base dece
passage de l'arrêtde laCOLIT c,mme ia étémis en relief dans le commentaire
de la Commission du droit international a i'articl29 du proj, final de 1966.
Voila pour le problème d'interprétation.Mais on doit diri. que c'estlin faux
problème. car c'est en réalitéun probleme de rraduction lu texte arabe en
français.Le sens du texte arabe et du texte espagnol est substantiellement le
même. Xlais il faut exanliner de plus prèsle désaccordque l'on dit exister à propos 1
du sens de l'article 18 du traité.IIdoit etre rappeléque cette clause fiit incluse
dans le traitéau sujet d'un point dont la négociation fiit vaine.car ce point ne
f~itpas accepte par 1'Enipirechérifien.
11s'agissait de la demande faite par l'Espagne en vue de la cession par le
Maroc d'un point sur lacote. au sud d'Agadir. pour faciliter la péchedes

habitants des iles Canaries. Nous avons examine avec detail les données
principales de l'affairedans la section II.chapitre III.du livre IdesItifnrilratioris
et d(~c~lino~~ (s. p. 243-2471ci je n'insisterai pas ici. Or. on est eil droit de
relever que la disposition dont iious parlons se rattache a une qiies~ionde
souveraineté territoriale et non ii Liiiesimple relation comiiierciale coriime le
prétendle Gouvernement marocain (IV, p.295-2961, question de souveraineté
territoriale par rapport au pays dc l'oued Noun et sur les territoires ail-delà.
Nous avons indiqué la base de la prétendue divergence a propos de I'ar-
ticle 18du traité : elle concerne le sens de certains terma dans les textes arabe
et espagnol. La version française du texte espagnol, vous la Lrouvez a
l'appendice 3 a l'annexe 7 (11,p. 9) desdocuments présentés par nous. Vous

avez devant vous. comme je le disais il y a un instant, deux traductions
françaises du texte arabe. Mais, malheureusement, il faut constater qiie les
traductionsen français du texte arabe du traité présentéep sar le Maroc ne sont
pas complètement exactes. De ce fait, nous avons estiméopportlin de faciliter
la tàche de la Cour avec une tradiiction française du texte arabe du traitédont
la teneur serait lasuivante :
« Notre So~iverain, que Dieu aide. se décharge de responsabilité
haburra 'u]pour les habitants des Canaries qui pécheraientsur la cote de

l'ouedNoun et sur lesierritoires au-delà. Aucune réparation dudoitimage
[darak]ne pourra lui etre exigée.pour ce qui pourrait leur arriver avec les
Arabes du territoire. puisqu'ils échappent a toute juridiction bhkuiii] el
n'ont pasde résidencelise. niais campent avec leur tente oiiils veiilent. et
vont oii ilsveulent. Que lesCanariens vont a la ruine avec ces Arabcs c'est
certain. En ce qiii serapporte a la càte d'Agadir jiisqu'a la zoiie du Garb.
elle se trouve sous l'égidede notre <<aman >: le Sultan. que Dicii aide.
accorde aux Canariens qu'ifs pèchent sur la côte d'Agadir en les
exemptant d'inipôt. et en reservant cette cote aux Canariens et autres
Espagnols, sans concurrence de personne. conformément au traitéet a la
trêve. >)

Si on fait la coniparaison entre les traductions dii texte arabe di1 traite
présentéespar le i2,lsrocet par noi.is.« le désaccord sLirlesens porte sur deux
points essentiels.
Le preinier se rapporte iila clause d'exception de responsabilitépour ce qui
pourrait arriver aux habitants des Canaries allant a la péche sur la cote de
l'ouedNoun et sur les territoires au-delà » par lesArabes de ces contrees. Dans

la version qui a étélue devant la Cour par le conseil du Maroc. te Sultan se
décharge de toute responsabilité. car <<ilest dificile d'appliquer les déci-
sions » aux Arabes du pays, étantdonnéle caractère nomade de leur vie. Par
contre, dans l'annexe 24 (111,p. 223) présentéepar le Maroc, les termes de ta
version française sont différents. puisqu'on dit que ces Arabes nomades
&happent aux décisions i)IIest évidentque les mots precitis exprimerit deux
réalités distinctes.car. s'ilst (dificile d'appliquer les décisions >)aux ,Arabes
nomades. ils sont quand inCniedans le ressort de celui qui décide :par contre.
s'il<<échappentaux décisions >).ilsne dépendentpas du btaroc.
Or. le texte arabe du traite est clair: le Sultan n'accepte aucuneresponsabilitécar <<les Arabes du territoire ...échappent B tolite juridictio)).

Le traité emploie le motarabe ulikum :ce terme. sans autre qualificatif. coiiiine
c'est le cas. signifie l'effetpratique des pouvoirs excciitif. législatifet judiciaire.
bref. du pouvoir tout court. sur une commiinaiité habitant un territoire. Vous
pouvez constater ce point en examinant la voix alikairrdans I'fiic~~c/opL;ddie c
I'lslorn(vol. 1. p. 265). Ceux qui sont sous le alrkam d'un souverain sont sou-
mis a sa juridiction. Le texte espagnol du traite arrive au même sens. « qu'ils
échappentà toute juridiction i).par d'autres termes. mais le sens est le méme.
Le deusieme point controversé se rapporte au droit exclusif de pècheque le
Maroc octroie a l'Espagne sur la cote au nord d'Agadir. Avec tout le respect.
qu'il me soit permis de dire qu'ici il n'y a pas iin probleme d'inierptetaiion,

découlantd'une divergence entre les termes arabes et espagnols du traité.mais
tout simplement un autre probleme de traduction de l'arabe en français.
En effet. les deus versions françaises présentéespar le Gouvernement
marocain affirment le contrôle du Sultan sur les chtes situéesentre Agadir
(<jusqu'a la régionou résidentles Arabes nomades >Pen ajoutant que ce fait
(<indique bien l'application de cet article ali Rio de Oro >>(exposé écrit
marocain. III, p. 195).Or, le texte arabe di] traite parle de (la c6te d'Agadir
jusqu'a la zone du Carb. elle se trouve sous l'égidede notre <aman n.
On doit admettre que le mot Garb est proche. très proche du moi Arubc.

Mais dans la langue arabe. ilexiste une difference assez nette du fait d'un point
diacritique. mais ce point diacritique est important pour la portée du traite. La
zone du Garb. d'ailleurs. estbien connue. elleest située au nord d'Agadir :voirs
la trouvez sur beaucoup decartes que vous avez devant vous. présentéespar le
Gouvernement espagnol. Le Gouvernement mauritanien. lors de l'audiencedu
9 juillet, est d'accord avec nous sur ce point et la traduction du texte qu'il a
présentée parle aussi du <(Gharb ».ayant préciséque « la régiondu Gharb est
situéeau nord et non pas au sud d'Agadir >>(IV, p. 401).
Cette region. nous dit letexte arabe. se trouve sous t'egidcde notre <<aman )).

Le mot alno11est utilisépour indiquer la soumission i Linsouverain et le Fzitde
se placer sous sa protection.Le sens des ternies dans letraite rioiisindique donc
que. sur la côte d'Agadir vers le nord. les habitants n'échappent pas A la
juridiction chérifienne.
Monsieur le Président.Messieurs les membres de laCour. je inc suis attardé
sur le pretend~idésaccordenlre les textes espagnol et arabe de l'article 18 du
traité de Marrakech pour démontrer. je l'espère. qu'il n'esiste aucune
divergence d'interprctation. le sens étantle mèmedans les deus testes.
1-aconclusion qu'on peut tirer de cette clause du traitéest bien nette :en

1767, date oii commencent les rapports conventionnels entre le Maroc et
l'Espagne concernant la côte de l'Afrique occidentale. l'article 18 du traitéde
Xlarrakech nous permet de distinguer deux zones bien précises,ail point de viie
du rayonnement du pouvoir marocain :d'Agadir vers te nord. te Maroc exerce
les fonctionsétatiqueset iloctroie ledroit exclusif de pkhe aus.Espagnols dans
la mer territoriale sur ces côtes de l'Empire. Bref. ces c6tes sont sous la
protection du pouvoir chérifienet sounjises a sa souverainete.
Par contre. quand on descend au siid d'Agadir, vers teSous el Aksa. et les
territoiresau-delà. c'est-à-dire le pays de l'oued Noun. le pays de l'oued Draa.

cap Juby. le Sultan reconnait que les Arabes nomades de ces territoires
échappent a toute juridiction. Ici. dans le monde des nomades et plus forte
raison aussi dans l'espace plus au sud. les fonctions étatiqiies ne sont pas
assurées parle Xlaroc : le Sullan se dégagede toute responsabilitépour ce qui
peut arriver aus étrangers :il n'accorde pas le droit de pèchedans cette région.
ilii'accepte pas la demande de l'Espagne de s'installer dans cette contrée. La 83
EXPOSEORAL DE M. CONZALEZ CAhlPOS

raison en est que les Arabes nomades du Soiin et. plus ail sud. sont en dehors
de lajuridiction marocaine.
Cette conclusion est renforcée par Iéxamen des actes de la nieme période.
en particiilier par des documents qui sont en rapport direct avec le traitédu
28 mai 1767.Je vais les examiner trèsbrievenient.
En premier lieu. cette affirmation se trouve confirmée par la lettre dii sultan
du Maroc au roi d'Espagne Charles Ill. le 28 mai 1767. c'est-à-dire le même
jour oii a étéconclu le traitéde Marrakech. Cette lettrc constitue un document
précieuxpolir l'interprétationde ce texte conventionnel. car elle nous explique

les raisons du refus du Siiltan de concéder a l'Espagne une pécheriedans le
pays de l'oued Noiin : les termes employésdans la lettre reprodiiisent presque
litteralement les termes utilisésiil'article 18du traité.
Le Gouverncmcnt marocain 3 présentédevant la Cour Line traduction
française du (exte arabe de la lettre. traduction qui est qualifiéetimidement
d'(1oflicieuse b)et ((non certifiéeconforme H. Une fois encore. nous avons
estime qii'il convenait de traduire exac(ement la partie qui nous intéressedu
texte arabe de cette lettre du Sultan. Avec la permission de la Cour, je
procéderai a sa lecture :

Ces Arabes n'ont pasde résidencelise. Ils vont avec leurs tentes oii
bon leur semble et aticitne jtiridiction ne les atteint. Ce ne serait donc
aucune raveiir de notre part d'ordonner qiielq~techose qui entraînerait
une ruine certaine des deux cotes. Les Canariens et les autres peuvent
pkher sur la côte d'Agadir. oi~la péchcest suffisante pour la nation
espagnole :nous leur suppriinons I'inipotde facon ne rien letirexiger en

cchange :qiioiqtie des quantitésiiiiportanles nolis ont étéoffertes pour la
pèche sur cette côte. nous les avons igiiorees rifiide reserver cette cote
pour les Espagnols, sans aucune concurrence, eii égardau traitéet a leur
bCnévolenceenvers nos serviteurs qui sont partis chez etis. Qiiant B la
cote d'Agadir ii I'o~iedNoun ei plus loin. iious iie prenons aucune
respoiisabilitéde n'iinporte q~ielcontrcteinps qiii pourrait y arriver :mais
lacôte d'Agadirjiisq~i'inotre rkgion. c'estiiiie zone qui est sous I'cgidede
notre (iai1i:in>J.

Cette traduclion coïncide avec le texteespagnol présentecomme appendice 2
a l'annexe 7 (11.p. 8-9) et reproduit les ternies de l'article 18. La juridiction
(u1ikui)i)n'atteint pas les Arabes de l'oued Noun : de la cote d'Agadir jusqu'a
l'ouedNoiin et au-delà. teSultan n'est pasrespoiisable des incidents de cluelque
sorte qLiece soit qui pourraient s'yproduire :par contre. de lacote d'Agadir a
notre région.cette zone se trouve sous I'egidede liiiiiori. c'est-à-dire sous fa
protection de I'cnipereur du >laroc. 1.3 siniilitiide des iestes en arrive à se

refléterjusque dans la calligraphie arabe de la lettre du Sirltan et de l'article IS
du traité. Ce dernier comporte à la finune faute d'orthographe dans le mot
nrriru'n(ilriira 'uau lieu de niilru ' a), faute qui se rcpétedans la lettre. ligne
douze. cc qui confirnie I'iriipression laisséepar la calligraphie que les deux
documents ont étéécrits parla mëme main. Les iestes ne poiivaient raireauire
chose que de coïncider. piiisqii'ilsreflètentla menie rkalite. L'autoritédu Sultan
ne s'exer~aitpas a l'oued Noun et au-delà.
De~ixiémeiiient.la correspondance diploriiatiqiie postCrieiire coïncide avec
I'articlcIX ct avec la lettre dii Sultan ati roi Chartes III. cti soiiligiiant le défa~it
d'aiitorite de I'Einpereur sur la région deI'oucdNOLIII1 .-CSappeiidices 4 i 18 a

I'aniîe.ue7 (11. p. 9-14) coiitieii~~ct~~t ii-iercfereiicii iine partic de cette
correspondance. Je iiie permets de citer seiileiiieiit 1111passage d'une lettre du
16juin 1767. de I'aiiibassadeur .lorge Jiian. hiisatit savoir qite I'einpei-eiirduhlaroc lui avait réitéréde vive voix. en.ce quiconcerne les territoires de I'oued
Noun :

« qu'ilsne lui appartiennent pas. qu'ilssont habites par desgens sauvages
qu'il n'ajamais pu assujettir ...cependant. il laisse au critère du Roi de
réaliser ou non cette entreprise mais sans se faire responsable des
événements )(II. appendice 4 à l'annexe 7. p. 9).

T'roisitimeinent.te traitéentre le Maroc et l'Espagne de 1799 constitue un
élémentde valeur pour confirmer l'interprétationespagnole de l'article 18. La
version arabe des articles 22,29 et 35 de ce dit traité,qui sera analyséeen détail
plus bas. établitaussi ladifférenceentre lescôtes (<du port d'iigadir a cellesqui
s'étendentvers le nord ».sur lesquelles le Sultan peut garantir lajoiiissance de
droits. et tes côtes du Sous et du Noun. sur lesquelles le Sultan proinet
seulement d'user d'une volontérésoluef'azin)pour racheter les naufragés. Le
inot arabe 'rrzinimplique la détermination d'un souverain à promouvoir les
plans menant a un objectif. en particulier les campagnes militaires ou les

expeditions. Les régions du Sous et du Noun échappent donc aux modes
d'action ordinaires d'un souverain.
Finalement, la pratique en matière de naufrages dans I'oued Noun au
XVIIIc siècle confirme l'interprétation espagnole de l'article 18, en mon-
trant dans les faits le manque de pouvoir du Sultan siir cette région.
Le Gouvernement espagnol a analyse ces faits dans la section II. chapitre III,
livre Ides Ii~~urinatiutiset docu~î~eitl(s1,p.243-2471.
Il semble opportun. en outre. d'en appeler au témoignage d'un observateur
exceptionnel de la vie marocaine au XVIIF siècle. le consul français Louis
Chenier. dont les Recherclies lIii.s~oriq~~csnstitueront le texte fondamental à
travers lequel l'Europe fera la connaissance du Maroc en cette période.
A travers son témoignage - la correspondance a été recueilliepar Grillon

dans Linouvrage intituléUircltargL;d'uffaircs air Maroc : La corr~spniiduitce
clrtcoiistrl Lotlis Chcj~iier,1767-1782. Paris. 1970 - on peut apercevoir un
changement dans la pratique des naufragésa I'ouedNoun. relevant le défaut
d'autoritédu Siiltan sur ce pays. Chenier nous dit que jiisq~i'aI'avénementau
trône de Moulay Mohammed Ben Abdallah les nogociants européensétablisà
Safi avaient coutume de négocier directement le rachat des victimes de
iia~ifrages a I'oued Noun. par l'intermédiaire d'agentsde liaison secrets en
rapport avec les tribus indépendantes de la région.Ayant appris les liaisons
secrètes niainteii~ies par les commerçants juifs de Safi avec les tribus
insoiiiiiises du sud. pour racheter les naufragéseuropéens.le Sultan essaya de
les évincerpour trava~llerpour son compte a la libérationdes naufrages. afin
de se gagner la consideratioil des pays européens. Sa participation dans le

rachat de l'équipagedu bateau français Loirise. ayant coulé a hauteur du cap
Bojador en 1776. relève clairement que le Sultan agit en tant qiie voisin
influent et non comme souverain.
Selo11le rgcit qui nous est offert par Chenier. quand le sultan hloulay
hIohammed Ben Abdallah connut le naufrage du Loilise. il envoya detix
personnes de confiance « pour aHersur les frontières du désertrançonner les
Français et les ramener dans ses Etats ))(Grillon. op.ci/.. p. 416). Ce à quoi
Chénierajoute la remarque suivante. qui est pleine d'ii-itérê :t

« J'appris. par 111avis particulier. que l'ordrede l'Empereur avait été de
ni'ani~oncer que. cornnie ces Français avaient et6 par lui rachetésdans
ilne terre qui lui est ~trangèreilne pouvait lescéder. selonlesobligations
de la loi. sans eii recevoiOLI rançon ou échange. » (Grillon. ibid.. p. 434.) EXPOSE ORAL DE hi. GONZALEZ CAMPOS 85

Le témoignage est concluank : le cap Bojador était une terre étrangère au
Maroc. Et il est confirmé.en outre. par le récitd'un des naufrages du Lotrise..
hl. Fanvel. qui nous dit dans une lettre que quand ilest arrivé au h~laroc.après
son rachat. l'Empereur l'appelapour lui dire que <je in'étaisperdu loin de son
Royaume. d'oii il m'avait racheie. et pour cette raison. je lui appartenais. et
j'etais un de ses nègres)Gbid.. p. 450).
On nousa dit, c'était« le droit posi1)mais ilne foisencore onaff~rne que
le cap Bojador estloin du Royaume du Maroc.
Cette aiTairedu Lolrise est importante car elle nous démontrequelle étaitla
situation dans les territoires au-deli de I'ouedNoiin. Sune date trèsproche du
traite de Marrakech de 1767.

Xlonsieiir Ic Président.Messieurs les membres de ln Cour. je passe ainsi au
deuxieme groupe de traites que j'avais indiqiiésau commencement de man
intervention. Le Gouvernement marocain les a appelés les conventions
instituant leSultan protecteur des naufragéseuropéensau Sahara occidental )S.
Les conventions elles-mêmessecontentent de parler de I'ouedNoun ou bien
du pays au-delà de I'oued Noun. mais cette extension au Sahara occidental.
semble-t-il.serait assez normale. car. au cours de t'audiencetenue le30juin. on
nous a dit que <<dans la terminologie de l'époque ..oued Noiin - au-delà de
I'oued Noun et oued Noun - signifie Sakiet El Hamra » (IV, p. 203). Celte
affirmation est osée.Force est de rappeler. une foiseiicore. que la géographie
ne permet pas un emploi équivoque pour tirer des conskquences juridiques.
L'oued Noun n'a jamais étéconsidérécomme une partie du territoire du

Sahara occidental car du setil point de vue géographique. après le pays de
l'oued Noun. plus au sud. c'est Ic pays de l'oued Draa. ei le Sahara occidental
conimence plus au sud encore. Mais d'un poini de vue juridique. qu'il me soit
permis de faire référence à un passage bien connu de l'arrêtde la Cotir
permanente de Justice internationale dans l'affaire du Staritr jlrridiqt~edri
Groi+~la~rdoric.irralpar rapporta l'expression géographique <<Groënland >PLa
Coiir a dit, trks nettement:<<Si I'iinedesparties alleglie qu'un sens inusitOLI
exceptionnel doit y étre attache[au terme <(Groënland »],c'estcettePartiequi
doit établir le bien-fondé de ce qri'elle avance. >>(C:.P.J.I .krieA/& 11'53,
p. 49.) Or. si un sens inusité veut êtredonné aux termes <<oued Noun H.on
peut soutenir. d'aprèsles mots de la Cour. que c-estIiiun poini pour lequel la
charge de la preuve incombe au hlaroc.

Cela dit. je voudrais apporter quelques précisions aussipar rapport à la
portée de notre examen sur ces clauses concernant les naufragés a I'oued
Noun. ainsi qu'aux clausesconcernant la rermeture des ports au sud d'Agadir.
D'abord. je vaisme réfereraux clauses concernanl la fermeture des parts.
Notre examen a étéguidéparlesouci de mettre en relief un caractère des pays
du Sous et du Noun. a savoir l'étatd'insoumission de sa population envers le
makhzen. du fait de la nouvelle politique adoptéepar lesultan Mohamed III.Si
les pays entre le Sous et le Noun sont restes. pendant la dernière piirtie du
S VI1ICsiècleet tout au long du X IXt siécle<<bled siba1)ce.fait.jele répète.st
dii Bla fermeture du port d'Agadir.
Fermer un port au commerce étranger est un acte. certes. de souverainetéde
1'Etal.Mais le problèmeest tout autre :ils'agitde nous demander quelle a étéla
causede la fermeturede ce port. et. aussi. qiiellesont étélesconséquencespour
la région. Lesdocuments de l'époquesont assez nets sur ce point. Dans un

document diplomatique espagnol - vous le trouvez comme appendice 14 a
l'annexe 8 - on peul lire ce qui suit:
<<Lors di1régne du sultan du Maroc Sidi Mohammed Ben Abdallah,86 SAHARA OCCIDENTAL

ami et alliédu roi don Carlos III.les tribus du Sous et du Noun se
soulevèrent. Le souverain marocain ferma alors le port d'Agadir qui se
trouvait entre les mains des revoltéset il fonda la ville de Mogador qui
devint la place forte de tout le commerce de la partie de ce royaume

appeléeSous.
Les fractions de tribus du Sous et de I'oued Noun sont devenues
indépendantesde ce fait. Si maintenant le Sultan ouvrait ce port d'Agadir
il ruinerait Mogador et porterait préjudiceaux revenus de ces domaines.
au bénéficedes sujets rebelles à son autorité et a celle de ses
précédesseurs.)>(II,p. 23.)

Nouveau témoignage.celui du consul de France à Mogador. dans une dépêche
adresséeau charge d'affairesde son pays aTanger - que vous trouvez comme
appendice 4 a l'annexe C.12. Les termes en sont presque les mêmes.car on y
lit:
<(On sait que l'ancien port du Sous [Agadir] fut définitivement ferme
aux navires en 1776. seizeans aprèsla fondation de hlogador. Cet acte de
rigueur gouvernementale répondait alors aux besoins de la politique

makhzénienne: il avait pour but. en supprimant les communications
maritimes du Sous avec l'étranger.de tarir une source de prospéritéqui ne
servait qu'a alimenter de continuelles révoltescontre lepouvoir central ;il
eut pour resultat de ruiner simplement cette partie de l'Empire sans profit
pour l'autorité chérifienne quin'y fut jamais instaurée d'une manière
durable. >)(II. p. 466-467.)
Voici tes textes. L'interprétationqu'ils donnent de la fermeture des Ports au

pas dnon plusest claire. On ne nie pas - etle Gouvernement espagnol ne le fait
- que le Sous et le Noun appartenaient a la souveraineté
chérifienne.Non, c'estun fait reconnu par tous les Etats a la fin di1XVIllesikle
et au XIXe siécle.Mais on reconnait, en plus, que ces contréessont une partie
du bled siba, la terre insoumise, et cela implique : afiirmer l'existence des
pouvoirs locaux, indépendants de .facto,du makhzen. Les documents nous
expliquent et les causes et les conséquencesde la fermeture des ports au sud
d'Agadir, le phénomèneessentiel pour comprendre l'étatd'insoumission de la
région. misen évidence d'ailleurs par le Gouvernement marocain lui-même
quand il aparléde lai<politiqiie economiqiie » di1s~iltanMoiilay Hassan lors
de ses voyages au Sous en 1 882 et 1886.
En ce qui concerne tes clauses sur les naufrages dans I'oued Noun. ilest
significatif qu'ellessuivent de présles clauses se rapportant a la fermeture des

ports. On a énuméré.pour la premiere fois. les ports ouverts et fermésau
commerce dans les articles additionnels de 1783 au traité entre la Grande-
Bretagne et le Maroc de 1760. Lapremiere clause sur les naufragésdans I'oued
Noun est introduite quatre ans plus tard dans l'article 10du traite de 1787
entre les Etats-Unis et le Maroc.
Si on se demande quelle est la portée de ces clauses sur les naufragés. le
Gouvernement du Maroc nous offre une réponsedifficile a admettre. D'abord,
on essaie de réduire la portée des clauses en nous disant qu'elles ctaient
nécessairesa cause des dangers reels de la côte. dangers dont les navigateurs
avaient crékun mythe depuis longtemps. Le Gouvernement marocain nous dit,
donc. que les clauses constituaient une sorte d'ccavis aux navigateurs ))- ou
avertissements - car I'Etatriverain étaitobligéde faire connaitre. semble-t-il.
aux autres Etats avec lesquels il négociait, les dangers pour la navigation

existant dans sa mer territoriale. EXPOSÉ ORAL DE hl.GONZALEZ CAMPOS 87

Mais on nous dit aussi que. par I'effet de ces clauses. le Sultan est
internationalemeni reconnu ((protecteur des naufragés ))et. desurcroit. que sa
souveraineté s'étenda I'oued Noun et au Sahara occidental. Cette interpréta-
tion est bien diflicileaadmettre car. tout au contraire. ces clauses et la pratique
concernant son application nous montrent un fait essentie: lecadre spatial de
l'exercicedes fonctions d'Etat par le h,larocdèsla fin du XVllIt siécle.Qu'ilme
soir permis d'indiquer certains points pour mieux saisir la portée des clauses
des naufragés.
Premierenient. son origine. Dans bien d'autres traités.antérieurs a 1787. le
hlaroc a inclus des clauses concernant les naufragés. Mais ce qiii nous

intéresse. c'estque celles-ciétaientd'application géncralesur toutes les côtes de
1'Einpirechérifien.sans distinction aucune. C'est le cas des clauses que nous
avons présentées a l'annexe 8 (appendices 1. 2. 3 et 4 - II. p. 16-17). Or les
documenis dont nous avons donne lecture nous signalent que 1779 est la date
de la fermeture du port d'Agadir. et qu'une périodede révoltes'ouvrit dans le
Sous ci le Noun. Donc. l'originede ces clauses est rattachée directement a l'état
d'insoumission dails le Sous et leNoun.
Deuxiéineineiit. leur contenu* Depuis le traité entre les Etats-Unis et le
hlaroc la clause des naufragéscomporte un double régime :l'und'eux peutetre
appelé générae lt l'autre particulier aux naufragésdans la côte de I'ouedNoun
et au-dela. L'existence de ce doubfe régime estle point essentiel. car on est en
droit de se demander pourquoi établirun tel régimeparticulier pour I'oued
Noun si LeMaroc exerce le pouvoir étatiquede la méme façon sur toutes les

côtes de l'Empire ?
Si on examine les différents traités présentés palreGouvernement espagnol.
en ce qui concerne le réginiedit généralnous pouvons constater que le Sutlan
s'engage a user de son pouvoir pour sauver l'équipage et meme les
marchandises: les personnes et les biens des étrangers naufragés étant
considEréssous ta protection de l'autorité chérifienne.C'est l'exercicenormal
des fonctions d'Etat. l'aspect<<positif>>de la souverainetéterritoriale.
Par contre. si un bateau faisaitnaufrage a I'ouedNoun et au-delà. lesclauses
des traites nous donnent une réponsedifférentepour ce qui est des devoirs du
Sultan. Dans ce cas, le Siiltan ne commande pas, il ne protege pas ; mais il
s'engageaessayer de libérerles naufragésdans la mesure de ses possibilités.Et

pour ce faire il mettra en =Livre son influence de souverain envers les
pop~ilationsavoisinantes de l'Empire. il négocierale rachat des naufi~ügcs.Ic
plus souvent avec les pouvoirs locaux. II ne s'agit pas pour lui d'exei-cerson
autorite.
Un exemple ailx fins que je viens d'indiquer est fourni par le réginieétabli
dans le traite entre le Maroc et l'Espagne du ICrmars 1799. La version
française du texte espagnol se trouve devant la Cour comme appendice 7 a
l'annexe 8 (II.p. 191des documents présentés par le Gouvernement espagnol.
L'articleNSIl du texte arabe de ce traitése lit conime suit:

(Si un bateau de nationalité espagnole s'échouait plusau-delà au sud
du Sous et de I'oued Noun. par l'estimationque Notre Seigneur. que Dieu
garde. éprouve envers l'Espagne. il essaiera. par to~is les moyens et
emploiera une ferme resolution pour libérerles sujets naufragés.dans la
mesure du possible. pour leur permettre de regagner leur pays. t>

Le sens est clair et si on se rapporte aux mots utilisésdans le texte arabe il
devient encore plus net. Comme nous l'avons signatéprécédemment.le mot
arabe 'uz~rexprime l'idéede mettre en Œuvre lin projet ; on ne fait aucune
référence a des mesures a adopter dans le cadre du pouvoir chérifien. 88 SAHARA OCCIDENTAL

Cette conclusion peut étre établie en examinant les documents de cette

période.d'ou il ressort que le Sultan n'agit pas dans le cadre de sa juridiction.
mais use de son influence envers les pouvoirs locaux. Qu'il mesoit permis de
faire référence a un document du consul d'Espagne au Maroc. en date du
IOoctobre 1778. document que vous trouvez a l'appendice 18 de I'annexe 7.
Ce document nous dit :
Le roi du Maroc vient d'avoir l'amabilitéde soustraire au pouvoir des
Maures sauvages de la côte du cap Noun le capitaine et deux marins

espagnols qui naufragèrent a la fin de l'annéedernière ...
Cette prévenance est d'autant plus appréciableque ce souverain n'a
aucun pouvoir sur ces Maures et qu'il a fallu user de moyens indirects
pour soustraire ces trois malheureux a leur captivité..))(II. p. 14.)
J'arrive ainsi au dernier point de mes remarques au sujet des naufragésde la
côte de I'oued Noun. II s'agit de la portéede ces faits aux fins de la présente

affaire.
On doit dire d'abord que les traitéset la pratique a t'égarddes naufragés a
I'ouedNoun nous montrent. certes. une action bénéfiqueenvers les captifs de
la part du Sultan, iin « r6le de protecteur des naufragés » (IV, p.293). Par
contre. on doit admettre aussi que les données dans la matièresont éloquentes
en ce qui concerne les limites du pouvoir effectifdu Sultan et l'exercicede son
pouvoir dans l'Empire chérifien.Tous les témoignages coïncident pour dire
qu'au nord d'Agadir le pouvoir marocain s'exerce et le Sultan commande;
d'Agadir au siid, dans le Sous. le Noun et le Draa. le Sultan négocieavec les
pouvoirs locaux, il ne commande pas. Par conséquent,dans lecas de naufragés
à I'oued Noun, les étrangers devront s'adresser, dans la plupart des cas, aux
cheiks de I'ouedNoun, parmi lesquels lin rôle de premier plan revient ail cheik
Beyrouk. . . ..
Dans toutes ces affaires - it s'agitdes cas de laSophie. de I'Esmeraldu. du
Polycurpe, du Dolores et de bien d'autres. vous les trouvez a I'annexe 9 des

documents espagnols (II, p. 32-39)-, dans toutes ces affaira, je le répète,
l'intervention de la famille Beyrouk a étédécisivepour la libérationdes captifs.
Beyrouk. de ce fait. étaitfier de son indépendance réelfea l'égarddu pouvoir
marocain. ce qui explique qu'il s'adressa en cestermes au chef de 1'Etat
espagnol. a propos des captifs dans la région :
<<le Sultan a fait tout ce qu'il a pu pour arracher les prisonniers de nos
mains sans y ètre arrivé.Ceci n'a pu êtreobtenu que lorsque nous avons

traité l'affaire avec la nation espagnole » (II.appendice 8 a I'annexe 9.
p. 38).
En résumé,les données découlant des affaires de I'oued Noun nous
montrent très nettement que l'Empire chérifien, dès la fin du XVIIle siècle
jusqu'au moment de la colonisation espagnole au Sahara occidental. n'exerçait
pas les fonctions normales d'Etat dans les régionsde I'oued Noun et de I'oued
--
Draa. du fait de l'insoumission de cette partie de l'Empire au pouvoir du
makhzen. II n'exerçait pas non plus les fonctions d'Etat sur les territoires au
sud de I'ouedDraa. la limite historique du Maroc.
IIfaut admettre. par contre. que I'Empirechérifiena occupéen 1895 l'ancien
établissementde Mackenzie sur un point précisde la cote du cap Juby. et que
cette occupation s'est prolongée jusqu'en 1910. Mais l'extension de la
souveraineté marocaine a Tarfaya ne changea en rien les données qu'onvient
de relever. au nord comme au sud de ce point de la cote l'occupation restant
ponctuelle et sans effet sur le territoire avoisinant. EXPOSEORAL DE LI . ONZALEZ CAhlPOS 89

Cette conclusion m'amène ai1troisieme et dernier groupe de traites indiqué
précédemment. II s'agit des <conventions reconnaissant directement la
souveraineté marocaine sur leSahara occidental ))selon les termes utilises par
leGouvernement marocain dans son exposé écrit. II s'agit d'une nouvelle
(assise internationale> de la possession immémoriale du Maroc, mais. comme
dans le cas précédent.les faitç nous apportent unc conclusion bien différente.
En vérité.ce groupe de traités est assez rcduit. Il comprend seuleii~cnt le
traite entre laGrande-Bretagne et IcMaroc du 13 mars 1895au sujet du rachat

de la North West Africa Company à cap Juby et l'accord entre la France et
L'Allemagnedu 4 novembre 1911.ou plus exactement les lettres annexcs audit
accord. oii se trouve une description du termeMuroc.
Cela peut nous expliquer que le Gouvernement marocain. au cours de ses
exposes dans la phase orale. nous ait parlé. a plusieurs reprises. d'unautre
traité ou protocole. car la dénoniination a changé dans les exposes. traite ou
protocole que l'on dit conclu entre l'Espagne et le h,laroc. a Xlarrakech. le
20juin 1900. soit septjours avant l'accord franco-espagnol signéa Paris sur la
limite sud et orientale du territoire. Je reviendrai sur ce fameux accord plus
tard. en traitant le troisième postulat dethèsecentrale marocaine.
D'abord.je passe a l'examen d~itraitéanglo-marocain de 1895. Au cours de
l'audience tenue le 2juillet. le conseidu Gouvernement marocain a precise

l'objet et le but de ce traité en nous disant qu'il s'agit d'un acte dc
nationalisation des installations commerciales etrangeres. par lequel le Maroc
indemnise la compagnie natiotialisec. En échange. le obtient du
gouvernement dont cette compagnie est ressortissante <<la reconnaissance
officielle de sa souveraineté du aip Juby ail cap Bojador »(IV, p. 285).
IIa étédita I'aiidiencesuivante, le3juillet, qii'ils'agitd'lin accord important
tendant <ra fixer fa substance territoriale dii Royaiime du Maroc )> par la
reconnaissance de la souveraineté marocaine (IV, p. 299).
Le recours a l'idéede nationalisation pourrait. certes. s'avérerexact pour
déterminerl'objetet lebut du traite de 1895.car ils'agit1 vrai dire de l'achatdc
la compagnie et de ses installations. Par contre. si on admet ceci. il en résulte
une disproportion évidente par rapport au deuxième élémentde la

caractérisation du traité, c'est-i-dire la reconnaissance de la souveraineté
territoriale du Maroc sur une région assezvaste sur laquelle ni le X,laroc.ni la
compagnie nationaliséeii'exerçaient aucune autoritéavant cette date.
Qii'il me soit permis de dire aussi. en passant. que le recours à l'idéede
nationalisation porte d'autres corisequences. Suivant la logiq~ic de ce
raisonnement. on comprend mal que l'Empire chérifien n'ait pasprocérlé aussi
iila nationalisation d'une autre factorerie plus au sud du cap Juby. celle de Rio
de Oro. En effet. le Goiii~ernerneiii marocain prétend aujourd'hui qiic Ic
territoire soiis souveraineté cspügnolc de Rio dc Oro. comme la factorerie de
Mackenzie, était lin simple <<comptoir commercial » (IV, p.284).
Par cette affirmation. ilvii ii I'eiicoiitdes faits. et l'affirmation devient
dérisoire.On ignore la déclarationde protectorat du inois de décembrc 1884.

acte international que l'Empire clierificii. nous le verrons. a passe soiis silence.
malgrésa vigilance. quant aiix menkcs cciiropkcnnesdans le sud de l'Empire.
On oublie que la factorerie de Rio dc Oro avait. des 1885. iine force niilitaire
espagnole et. en plus. une administration et tinc législationpropres. prescntces
par nOU5 devant la Cour. Il s'agi[ enfin. semble-t-il. d'un cccomptoir
commercial )assez spécial.car ilfigurait au sein de l'Union postale universcllc
et. après 1905.des timbres-poste avec la mcntion <(Colonia de Rio deOro >ont
circulédans toutes les partiesdit monde, y compris ail Xlaroc.
Je n'insisterai passur ce poiiit. et je reviens a la vraie factorerie. celle de la90 SAHARA OCCIDENTAL

North West Africa Company. qui est a l'origine du traité de 1895 que
j'examinais.

L'audience, suspendue à II h IO,est repriseà Il h 40

Les faits principaux concernant les affaires de Mackenzie au cap Juby sont
bien connus ; en particulier.a I'annexe 20 (II, p. 118-142) du document que
nous avons présente a la Cour. setrouve une partie des témoignages conserves
dans le Public Record Office de Londres dont la valeur est grande. Je ne crois
pas nécessaire d'insistersur les faits en vue de I'interpr-atiodu traite anglo-
marocain sur la North West Africa Company.
Comme le disait l'agent du Gouvernement français devant vous, dans
l'affairedesDroits des ressortissantsdesEtats-Unis d 'Arneriqueou Maroc :

« Devant la haute juridiction internationale ou le droit doit êtreexposé.
recherche et dit. les circonstances de fait ne sont qu'un decor qui doit
rester dans la perspective. comme un fond nécessaire.mais a sa place.>>
(C.I.J.Mémoires.vol. II. p. 147.)
Je me bornerai donc a rappeler tes principaux points de faits, très
brièvement.

Primo, les antécédents del'affaire nous permettent de déterminer que la
souverainetémarocaine ausud de l'ouedDraa n'était pasreconnue. Le Foreign
Office estime. abon droit. que Mackenzie peut s'installer dans cette place. car,
comme on lit dans Ledocument inclus comme appendice 8 aI'annexe 20, « the
scene of Mr. Mackenzie's proposed operations as you correctly pointed out to
the Government of Morocco is beyond the confines of the Sultan's territory >>
(II.p. 123).D'une façon plus catégoriqueencore, on dira :« CapeJuby is not
within the dominions of the Emperor of Morocco >>(IIappendices 2,6. 14. 17
et 26 a I'annexe 20).
Secundo. les antécédents immédiats du traité sont également significatifs.
Lors de son voyage dans le Sous en 1886 Lesultan Moulay Hassan essaie d'en
finir avec le commerce a cap Juby par l'ouverture d'un port sur le fleuve
Assaka. l'oued Noun. Mais il agira aussi dans une autre direction : un
détachement des forces militaires marocaines attaquera la factorerie de
Mackenzie. Ces événements sont soigneusement mis en évidence par les
documents conservés au Public Record Office. et la question d'une indem-

nisation a la compagnie est posée.ainsi que ses possibilitésde survie. étant
donné l'oppositiondu makhzen.
Les autorités britanniques s'étaientdéjàpose cette question et la réponseen
étaitquecapJuby pouvait étreplacésous l'autoritédu makhzen et. l'entreprise
commerciale finie, moyennant son acquisition par le Maroc :<<provided the
Sultan can give some tangible proof of his rnaterial authority over CapeJuby fi
(II. appendice 32 a I'annexe 20. p. 140).
En 1889, après l'attaque de la factorerie par les forces du Sultan. la Sociéte
géographiquede Madrid laissait voir sa préoccupationa l'égardd'une tentative
d'extension de la souveraineté du Sultan a cap Juby par le moyen de
l'acquisitionde la North West Africa Company. A ces fins. la société demande
au Gouvernement espagnol d'établirle protectorat sur la zone comprise entre
le cap Bojador et l'oued Draa, mettant en Œuvre les droits découlant pour
l'Espagne des accords signés par l'expédition d'AlvarezPérezen 1886. La
Sociétégéographiquedisait a ce propos :

« Certainement on a toujours considéréque les domaines du Sultan ne dépassaientpas feDraa. Ce qui a étédit aplusieurs reprises dans lestraités
internationaux. C'estégalenient certainque I'accordd'une Puissance n'est
pas sufisant pour la reconnaissance universelle de cette souveraineté. de
mémeque l'Angleterre ne peut pas réclamercomme possession a elle le
comptoir de cap Juby. établipar initiative particulière. sans intervention
officielle. dans un territoire - a ce moment-la - indépendant. ))(II.
a~pendice Ia l'annexe C.12. p. 465.1

Laremarque est exacte, car la North West Africa Company n9avait.pasde titre
desouverainetésiir leterritoire ei.lemakhzen n'exerçaitpas lesfonctions d'Etat
a cap Juby.
Tertio. I'aceord du 13 mars entre la Grande-Bretagne et le Maroc. selon ses
propres termes. confirme cette conclusion. La clause de reconnaissance de la
souverainetédu makhzen a étélue devant laCour. je n'estime pas nécessairede
la répéter.
Mais. d'une part. on doit reinarquer que la clause ainsi que le reste de
I'accordsemblent avoir été rédiges palre makhzen. car « chaque langue a son
géniepropre ». et la rédaction est loin d'étre habituelledans les documenls

anglais de cette période.Mais c'est la un point mineur et sans portée juridique.
I'accordayant été souscrit par la Grande-Bretagne. Ce qu'ilimporte de retenir.
c'estla disproportion existant entre l'achat d'une propriété de dimensions assez
réduites. enun endroit déterminé delacôte. et la reconnaissance assez générale
de souverainetéqui l'accompagne. IIn'estpas besoin de souligner que la North
West Africa Company n'était pas souveraine et elle ne possédait pas le
territoirebcfn~eetWi ad Dma utid CapeBnjadoratid [lie latidbelririif.n'ayant
d'autre autorité,certes. que sur les modestes batiments de cap Juby.
Or. la prétendue reconnaissance de Iü souveraineté marocaine entre l'oued
Draa et le cap Bojador en échangede l'achat d'une modeste factorerie prend sa
juste valeur. Elle était.pour le Maroc. une simple prétentionde souveraineté,u
puper cfoiirr.

Le Gouvernement de la Mauritanie. lors de l'audience tenue le IOjuillet. a
fait une analyse de I'accord qui mérite d'êtreretenue car, d'une part. son
examen a bien mis en relief que le lieu <(Tarfaya 1)est plus concret que (<les
terres appeléesTarfaya ». Ainsi. on a procédé a une extension de ces points
pour comprendre, en tant queterres de Tarfaya. la contrée entre l'oued Draa et
le cap Bojador. D'autre part. lesdocuments français de 1895(III. annexe 128.
p. 422) ainsi que le mémorandum anglais de 1904 (III. annexe 136. p. 434)
indiquent qu'il s'agitd'un point sur la chte. non de la région proche. Le
document anglais parle de « the territoryinthe neighbourhood of CapeJuby )>.
c'est-à-direl'enceinte de la factorerie de Mackenzie (IV. p. 419-421).
En effet, la suite des événements confirmecette interprétation. Pour remplir

la condition de la Grande-Bretagne qui demandait ((a tangible proof of
sovereignty » le makhzen envoie a Tarfaya. par la mer. un contingent armé.
L'exécutionde l'accord prouve bien une absence au préalablede souvcraincle
marocaine sur les lieux.
D'ailleurs, entre 1895 et 1910. cette souverainetéest restée ponctuelle.sans
aucun lien avec les pays limitrophes. Pendant pas mal de temps. les rapports
avec les tribus Tekna ont étéassez mauvais. car la garnison marocaine venait
détruirele commerce de la factorerie. éveillantla méfiancedes populaiions.
Au cours d'un voyage d'une expédition scientifique espagnole el1 1909.
Diego de Saavedra nous dit :

« les tribus des territoires des environs immédiats de la factorerie ... se
montrent si hostiles aux autorités chérifiennes que ces dernières 92 SAHARA OLCIDEKI'AL

pouvaient se dire assiégéesc .ar elles ne peuvent pas s'éloignersans danger
des murs de l'enceinte O (Espuiu ettelAJricuoccideittal. Madrid, 1910).
Le même témoignage se trouve aussi au document figurant comme
appendice 3 a l'annexe 12 (11, p. 61-62), présentépar le Gouvernement

espagnol. II s'agit d'un<<dossier de renseignements » des autorités françaises
qui contient le rapport fait en 1907 par le délégué général ducomitédu Maroc
a Tanger au gouverneur généralde l'Afrique occidentale francaise. Dans ce
document, Tarfaya est qualifiée à bon droit comme une sorte de colonie
exlraterritoriale» du Sultan, sans aucun lien avec la région avoisinante.
L'appréciation, certes. a étéfaite par un organisme qualifié par le
Gouvernement marocain de <<groiipe de pression coloniale français regrou-
pant des intérêts prives, qui s'intéressentau Maroc )(IV, p. 285). Mais de par
leur nature et tout jugement de valeur mis a part. il est difficiled'admettre que

le comité du Maroc ne connaissait pas les faits s'y rapportant. En tout cas. le
document a été inclusdans un <<dossier de renseignements ))par les autorités
françaises d'Afrique occidentale et on doit supposer que ces autoritésont pensé
qu'il avait de l'importance du point de vue des faits y contenus.
La conclusion généralequ'on peut en tirer serait la suivante : la prétendue
reconnaissance par la Grande-Bretagne de la souveraineté marocaine entre
l'oued Draa et cap Bojador a été incluse par le Maroc en échange de l'achat
et de l'indemnisation de la North West Africa Company. Son but était
d'affirmer une prétention du makhzensur des territoires qui ne relevaient pas

de sa souveraineté. Mais, d'aprésledroit international. il ne suffit pas d'avancer
une prétention. il est nécessaire d'établir I'existencde'un exercice des fonctions
d'Etat sur le territoire. et ici l'affairede Tarfaya devient éclairante.
En effet. la situation du Maroc a l'égardde Tarfaya étaittrèsproche de celle
envisagéedans l'opinion dissidente du juge Anzilotti au sujet du Danemark
dans l'affaire du Statlit juridique dii Groët~lu~rdorierltul. II disait que le
Danemark s'était contenté d'avancer des preterrtiorrs sur le territoire.
prétentions baséessur des droits historiques mais que :

<(Les prétentions historiques a la domination sur des régions entières,
prétentions qui. autrefois. avaient joue un rôle important dans
l'attribution de la souveraineté territoriale. perdaient de l'importance et
étaientprogressivement abandonnées par les Etats mêmesqui les avaient
invoqiiées.»

La raison en était, d'aprèsleJuge Anzilotti :
« Ledroit international reliait toujours plus étroitementl'existencede la

souveraineté a I'effectivitéde son exercice. et les Etats contestaient avec
succèstolite revendication qui n'était pasaccompagnéed'un tel exercice. >>
(C.P.J.I.sLirieAlB 11~53.p. 84.)
Tel avait étéle cas. comme nous venons de le voir. avec tes prétentions du

Maroc. qui avaient étécontestées par la Grande-Bretagne. car lesdites
prétentions n'étaientpas accompagnéesd'un exercice des fonctions d'Etat sur
le territoire.
A ce stade de son raisonneinent. le juge Anzilotti nous dit que le titre de
souveraineté danoise sur le Groenland devait êtrerecherché nécessairement
dans une prise de possession et non sur la base de prétendus droits historiques.
IIa ajoutéune conclusion qui s'applique ati cas de Tarfaya, a savoir :

« que l'on est en présenced'une occupation d'un territoire ~illlliris :c'est
jouer sur les mots que de rechercher le titre dans la possession et non dans EXPOS OERAL DE M.GOKZALEZ CAMPOS 93

l'occupation.car la possession d'unterritoire qui auparavant n'appartenait
nia I'Etatqui le possède.ni aun autre Etat q~ielconque.n'estautre chose

que l'occupation vue dans un moment successir plutôt que dans l'acte
initia» (ibid. p. 84).
Or la conclusion est la suivante : si quelqu'uii prétend affirnier une
souveraineté préexistante <(il faut établir le titre de cette souveraineté et en

démontrer la validité » :il ne suffit pas d'un puprr cluiil?.Par contre. si la
souverainetépréexistanten"apas été établie. Tarfayaétait unterriloire iri~llii~s
<<et on se trouve en presence d'une occupation qu'il faut juger d'aprésles règles
propres de cette institutio» (C.P.J.!.skrie A/B ii05J. p. 841.Bref, les traités
entre le Maroc et la Grande-Bretagne sontsans portée juridique pour jugerde la
souveraineté marocaine eton doit penserque lemakhzen occupaen 1895la terra
iii~llitrsde capJuby mais resta sans aucun autre rapport sur le pays plus au sud.
Je dirai quelques mots pour finir sur I'accordentre la France et l'Allemagne
du 4 novembre 1911 ou se trouve une description du terme Maroc clans les
lettres annexes a l'accord. Nous avons commenté ce point dans le livre 1des
Ir~ori~iutioiirfdocliiilei~/s.ou référenceest faite aux témoignages de cette
période quinous montrent un fait que leGouvernement marocain veut effacer

aujourd'hui. a savoir, que si leslettres annexes au traitéde 191I ont ctésignées
par la France. l'expressionRio de Oro avait assurement un sens pour la France,
qui avait reconnu dés1904 que le territoire au sud du parallele21° 40'étaiten
dehors du territoire marocain.
On voit mal comment la France. qui négociaitavec I'Allemagriesur les
affaires du Maroc en vue d'yétablirle protectorat. tiendrait un double langage
envers l'Espagne et envers l'Allemagne. dans un cas admettant que la contrée
de la Sakiet El Hamra était endehors du Maroc. dans l'autre cas considérant
qu'elle faisaitpartie de l'Empire chérifien.11n'en est pas ainsi. etle document
présenté parl'Espagne ou on fait étatde conversations du ministre espagnol
des affaires étrangèresavec les ambassadeurs de la France et de la Grande-
Bretagne au moment de la négociationde l'accord de Berlin est bien précis.
Vous trouverez ce document comme appendice 26 a l'annexe 21 (11. p.192-

193). Les passages annotes sontB la page 193. Ceux qui sont présentéspar le
Gouvernement marocain soiis la? cotes 164et 165(111,p. 462-463) confirment
d'ailleurs cette interprétation. On y appréciele souci de la Franciil'égardde
l'Espagne de ne rien changer a la situation qui fut reconnue en 1904 par les
deux pays car «that regiori is not included in the Spanish South klorocco
zone B. la région était endehors de la zonedu protectorat.
D'ailleurs. l'examenque je viens de faire des actes internationaux sur la
prétendue <<assise internationale>)de la possession iminémoriale du Maroc
nous conduit a la même conclusion. En 19 t1,il n'existait pasune garnison
marocaine mêmeB cap Juby ; comment peut-on prétendre qu'il y a eu
reconnaissance de souveraineté dans la Sakiet Et Hamra par l'Allemagnedans

une région où. contrairement a ce qu'affirme le Gouvernernerit inarocain.
l'Allemagne ne possédaitaucun intérètéconoinique ?
Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour. je vieiis de
terminer l'examen du deuxième postulat de la thèse marocaine. Nous avons
montré. je l'espère.que l'appel aux traités internatioiîaiix. loin de prouver
l'existencede liens de souverainetéentre leSahara occidental et le btaroc. nous
offre une conclusion tout autre.
Lestermes des traités.les circonstances de sa conclusion et. surtout. les faits
serapportant ason application ont mis en évidenceque I'Empirechérifien. dès
le XVIIICsiticle.au moment de la colonisation espagnole du Sahara occidental.94 SAHARA OCCIDENTAL

c'est-à-dire durant toute ta <période critique ». n'a pas exercédes fonctions
d'Etat. mêmesur des territoires considéréscomme relevant de sa souveraineté

au nord de I'ouedDraa. Sauf la situation particulière de cap Juby. c'estun fait
que la souverainet6 marocaine est restéenominale entre 1895et 1910. dans le
Noun et le Draa. le pouvoir du Sultan ayant été substitue. de fait, par divers
pouvoirs locaux.
Par conséquent. on est en droit d'estimer qu'a cause de la discontinuitédu
pouvoir marocain dans I'oued Noun et I'oued Draa. aucune souveraineté ne
peut êtreadmise plus au sud. dans des régions considérées traditionnellement
comme étant en dehors du Maroc. L'examen destraités internationaux. de
1776à 19 1 1,vient confirmer ces conclusions.

Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour. nous allons

maintenant aborder l'examen du troisième postulat du Gouvernement du
Maroc.
IIs'agitd'un argument visant sans doute a offrir une explication généraledes
faits sous une optique politique et idéologique.Mais. en mème temps. on
poursuit un but a caractèrejuridique tres précisqu'on essaie d'appuyer. bien
entendu, sur cette base politique et idéologique.
Dans sa dimension politique. l'argument du Royaume du Maroc peut être
résumécomme suit : depuis la seconde moitiédu XIXesiecle le colonialisme
européen a porté atteinte continuellement a l'intégritéterritoriale et a
l'indépendancede l'Empire chérifienpour provoquer. finalement. le <(depe-
Cage H de son territoire et l'établissementdu protectorat.

Sous cette optique, le Gouvernement du Maroc entend que le Sahara
occidental est «une création échelonnée >)de la politique du colonialisme
européen et. en particulier, de la poljtiqiie espagnole, commencéepar le traité
de Tétouande 1860 et poursuivie ultérieurement.avec l'appui international de
la France. dans les actes internationaux hispano-français de 1900. 1904
et 1912.
En partant de cette interprétation politique. l'argument du Royaume du
Maroc vise un double but juridique. D'un côté.on soutient que les actes
internationaux souscrits par la France et l'Espagne avant 1956,pour autant
qu'ilsconstituent des manifestations de la politique colonialiste européenneet
qu'ilsont étéréaliséspar des pays tiers. à l'insudu Maroc. ne sont pas. en droit.
opposables a un Maroc indépendant.Comme on peut s'en rendre compte. le
but poursuivi est de méconnaître tout simplement les frontières actuelles du

territoire du Sahara occidental.
Or. a l'aide de cette argumentation. un deuxième but est poursuivi.
concernant le statut actuel du territoire et son avenirà la fin du processus de
décolonisatioii.Selon les propres mots du Gouvernement du Maroc. l'examen
historique des faits nous montre que :
« les fe~~iruti~sspa~~~olr uscttrellestetiduciI'i~zsratrrurioii'ut?prgteizdir

Etar itidkpetidatit [au Sahara occidental]ite sotzfqtrla coritiiiiratioizd'tiiz
loilrtaiirobjecrifcolo~riulistede d151llremeritde I'Einpirecheri~etivisaizt
lu rt'alisarioii de prqfirs cotizilierciaLtx.La volonté d'accaparement des
phosphates s'est substituée aujourd'hui pour l'Espagne au mirage
commercial soudanais de la fin du XIXe siècle. mais le moyen reste le
mime : latentative de sécessionterritoriale.2(III,p. 202.)

Voila. sommairement exposé. l'argumentdu Royaumedu Maroc. Avant de
démontrer que cette conclusion est contraire aux faits. je crois opportun de
faire quelques considérations générales. EXPOSÉ ORAL. DE M. GONZALEZ CAMPOS 95

En premier lieu, j'ai dit qu'il s'agitd'un argument essentiellement politique
ou idéologique. A son point de départ. il équivaut a une dénonciation du

colonialisme européen de la fin du XIXesiècle ;dans le but viséderniérement.
concernant le processus actuel de décolonisation du territoire. il équivaua la
dénonciationd'une tentative néo-colonialiste.Maisje n'entends pas me livrer à
une analyse de cette perspective politique qui n'a pas sa place devant une cour
dejustice. Je me limiteraiasignaler simplement deux points. D'une part, que la
liquidation des situations coloniales du passé seréclainedu principe de la libre
détermination des peuples coloniaux et non pas de l'annexion pure et simple
par leurs voisins. La phrase précitéedu Gouvernement du Maroc est
parfaitement applicable au Royaume du Maroc lui-mêmeet noii pas a
l'Espagne. intéresséea en finir avec sa présenceau Sahara occidental. Si le
Gouvernement du Maroc estime que la (cdécolonisation authentique » du

territoire consiste nécessairement dans l'annexion totale ou partielle du Sahara
occidental, dans ce cas on serait admis a penser que « la volonté d'accapa-
rement des phosphates s'est substituée aujourd'hui au mirage conimercial
soudanais ))trait constant dans l'histoire du Maroc.
D'autre part, en ce qui regarde la prétendue ctentative néo-coloniale »,je
dirai seulement que la possibilitéd'un Etat indépendant au Sahara occidental
n'est pas admise exclusivement par l'Espagne et n'est pas le fruit d'une
manŒuvre politique de son &té. II suffit de rappeler les résolutions de
l'Assembléegénéralesur le territoire et sa reconnaissance du droit de libre
détermination et d'indépendance de sa population, reconnaissance que,
pendant de nombreuses années,le Royaume du Maroc a faite lui aussi.
Seconde observation générale :invoquer le spectre du colonialisme pour

justifier le passéou la menace du néo-colonialisme face au présent.c'est un
moyen facile. de rigueur presque. vis-à-vis de la Puissance administrante du
territoire. car. par définition,c'est la puissance coloniale. Or. comme l'asignalé
un historien remarquable du Maghreb. il faut bien plus qu'une critique
abstraite pour fonder une histoire scientifique >p.Cet historien. A. 1-araoui.
exprime sa critique a I'idee dec<décoloniser l'histoiren puisque <<cette idée
semble croire u qu'il suffitde montrer les présupposésidéologiquesde l'histoire
pour dkcoloniser l'histoire>>(Hisrairedr~ Moglireb. vol. 1. Paris. 1975. p. 7).
L'observation est applicable au Gouvernement du Maroc dans la mesure ou il
essaie de remplacer l'examen objectif des faits par le simple énoncédes
présupposésidéologiques.

Finalement. j'aimerais souligner le fait que l'argument avancé par le
Gouvernement du Maroc conduit a nier toute portée juridique aux frontières
actuelles du Sahara occidental. en considérantque les actes internationaux de
1900, 1904 et 1912 ne lui sont pas opposables. IIs'agitde présenter.sous une
autre forme. une revision du srnl~~quo territorial. clairement exposée par le
Gouvernement du Maroc au sein de 1Drganisation de l'unité africaine ;mais
une telle politique révisionniste.on le sait, n'a pas étéacceptéepar les Etats
indépendants de l'Afrique.
II ya lieu d'observer cependant que cette attitude du Maroc. postérieure a
1956. contrasle profondément avec celle observée par l'Empire chérifien
indépendant avant 1912. c'est-à-dire au moment de la colonisation par
l'Espagne du Sahara occidental. On serait fondé a dire. donc. que l'hypothèse
anticolonialiste trouve une limite dans la conduite mêmede l'Empire chérifien

avant 1912 et qu'il ne sufit pas, pour justifier cette conduite par la suite, de
recourir a des explications comme celles contenues a la page 192(Ill) de la
deuxième partie de son exposéécrit. Le droit international, dans certains cas,
exige des réponsesnon equivoqiies.96 SAHARA OCCIDENTAL

Sous le bénéfice de ces observations généralesj.e vais passer a l'examen des

faitset des points de droit par rapport aux différentesquestions incluses dans ce
troisième postulat du Gouvernement marocain.
Je me propose d'examiner d'abord le point de départ de cet argument.
Comme je l'aisignaléauparavant. on prktend que le colonialisme européen en
général.et le colonialisme espagnol en particulier. ont conduit au dépeçagede
l'Empire chérifien. dans un processus qui commencerait par la signature du
traitéde Tétouan le 26 avril 1860.
L'article8 de ce traitédisposait que leMaroc concéderait a l'Espagne. prèsde
Santa Cruz la Pequena. <<le territoire suffisant pour la construction d'un
etablissement de pêcherie. telque I'Espagne le possédait autrefois >r(II.

appendice 17a l'annexe 8. p. 25).te territoire. comme on lesait. fut localiséen
dernier lieu a Ifni. eilconvient de rappeler que l'endroit étaitplacéau nord de
I'ouedNoun. dans un pays habité parun groupe de la confédérationTekna. les
Ait Ba Arnaran ; bref, sur un point bien au nord du Sahara occidental.
Mais le Gouvernement du hlaroc s'est efforcé.dans ses exposes. d'établir
une connexion artificielle entre le traite de Tétouan concernant Ifni et la
présence espagnole dans le territoire du Sahara occidental. L'argument est a
double tranchant.
D'une part. on dit que l'établissementdu protectorat espagnol sur le Rio de

Oro a constitué.en 1884. un <(gage territorial))de l'Espagne sur un territoire
marocain en vue de forcer le Maroc a la cession définitived'Ifni (1II.exposé
marocain, p. 142).De cette prémisse,il s'ensuivrait, semble-t-il,que I'Espagne,
ayant rétrocédé le territoire d'Ifni au Maroc en 1969. devrait lui rétrocéder
aussi le Sahara occidental. c'est-à-dire le territoire pri<<en gage >du fait de la
déclarationde protectorat de l'année1884.
D'autre part, les longues négociationsentre I'Espagne etle Maroc en vue de
l'exécutiondu traitéde Tétouan permet au Gouvernement marocain d'établir
une deuxième connexion entre lfni et le Sahara occidental. On nous a parlé
d'un prétendu traitéentre le hlaroc et l'Espagne qui aurait étésignéle 20juin

1900 et d'aprèslequel : <Santa Cruz. que l'oncherchait toujours aplacer sur la
cote marocaine. devait ètre situéesur le territoire marocain. entre I'enibou-
chure de I'oued Draa et le cap Bojador » (IV, p. 224).
La conclusion qu'on essaie d'établir seraitla suivante :si l'Espagne accepte
un échange de territoires entre lfni et un point entre I'oued Draa et le cap
Bojador. cela suppose que tous les deux sont des territoiresmarocains et. une
fois encore. que la contrée entre I'ouedDraa et cap Bojador doit êtreréintégrée
au Maroc.
On peut constater que l'argumentation est subtile dans les deux cas. mais le
but reste le même :établirune connexion entre la Sakiet El Hamra et le Maroc.
II faut analyser les deux parties de cet argument tour a tour.

Pour ce qui est de la connexion entre le traitéde Tétouan et le territoire du
Sahara occidental. il est inadmissible d'affirmer cette idée d'un gage de
l'Espagne au Sahara en vue de l'exécutiondu traité. A cet égard il suffit
d'établircertains points :
Premièrement. le statut de ces deux territoires a toujours étébien différent.
Par letraite de Tétouan.le Maroc a cédé à l'Espagne un territoire, Ifni. qui était

soumis. au moins dejure. à la souveraineté marocaine. Dans le cas du Sahara
occidental. iln'a existéaucune cession territoriale de la part du Maroc. Cette
différencede statut juridique a été consacrée dans les résolutions desNations
Unies. En particulier. la résolution 2428 (XXII1). adoptéeen 1968, qui nous
dit: EXPOSEORAL DE M. CONZALE CZ hlPOS 97

« Notant la diliérence de nature des statuts juridiques de ces deux
territoires [Ifni et Sahara occidental]. ainsi que les processus de
décolonisation prévus par la résolution 2354 (SSlI) de l'Assemblée
généralepour ces territoires.>)

L'idéedu gage est dementie par tes faits, car le retard dans l'exécutiondu
traite de Tétouan avait des causes bien connues. Et ces circonstances de fait
sont intéressantes pour juger le pouvoir marocain une fois encore. non au
Sahara mais plus au nord. c'est-li-diriiIfni.
Lesfaits sont simples. L'Espagne a demande iiplusieiirs reprises au Maroc la

cession du territoire d'Ifni. klais la réponse du makhzen a dte totijours la
mème. entre 1860 et 1910 : le Sultana allégué sonmanque d'autoriiésur les
tribus du Sous et du Noun et a prie l'Espagne d'ajourner sa demande. Ces
allégations du makhzen étaient d'ailleurs exactes. Vous pouvez le constater
dans le document original du Gouvernement marocain correspondant B
l'annexe 37 reproduisant une dépêchedu ministre espagnol i.Taiiger du
16 mars 1881. 1.ereprésentant espagnol nous dit que

« la cession de Santa Cruz de Mar Pequena est sans doute dificile pour ce
gouvernement ...les provinces du Sous et du Nolin étantdes territoires ou
l'autoritédti Sultan est purement nominale. on ne peut mêmepas assurer
qu'il se préteraila en faire la remi».
Les démarches espagnoles seraient faciles étabtir, mais je ne vais pas
m'attarder sur ces faits.car les demandes se poursuivent entre les années 186I

jusqu'à l'année1910.
On arrive ainsi cette dernière année.ou l'on établitun accord d'exécution
pour la cession définitived'Ifni. Mais une fois encore l'étatd'insoumission du
Sous fera échouer le projet. Dans le document figurant comme appendice I a
l'annexe C.IO (Il.p.427).on naiis ditque les tribus aflirmaient qu'eilesétaient
indépendantes et que le Sultan n'avait aucun pouvoir pour céderun territoire
qui ne lui appartenait pas.De ce fait. leGouvernement espagnol se vit oblige a
envisager sérieusement d'occuper le territoire avec l'accord des pouvoirs
locaux.
Tels étantles faits. on peut se demander quelles en sont les conséqiiences +
juridiques.A ce1égard.il n'est pas nécessaired'insister ici sur les conclusions
qui ont étéavancées par rapport au premier postulat de la thèse centrale
marocaine. Si le makhzena ajournéentre 186f et 19 10 l'exécutiondu traitede
Tétouati.du faitde son inanque de pouvoir sur un territoire réputemarocain et

situe a l'oued Noun. on peut penser qu'il serait difficiled'admettre un lien de
souveraineté entre le Maroc et un territoire bien aSLI~ de l'oued Draa.
Ledeuxième aspect de cette connexion entre Ifni et leSahara occidental était
le prétendu traitéentre le hlaroc et l'Espagne du 20 juin 1900. Sur ce point. je
serai tres bref, car ilest tres difficilede parler de quelque chose qui n'existe pas.
Priino. comme il a étédit par le Gouvernetnent de la Mauritanie lors de son
intervention du 9 juillet (IV,p.415-416). si un tel traité avait étésigné.le
Gouvernement marocain n'aurait pas manque de le présenterdevant la Cour,
car il était partaece prétendu traité.Peut-être.comme dans lecas des dahirs
de nomination concernant le Sahara, le texte s'est perdu dans l'administration
makhzen.
Srclt~ido. un examen des documents de cette période existantsaux archives
espagnoles nous permet d'affirmer qu'aucun accord n'a étéconclu lors de

l'ambassade de bl. Ojeda entre l'Espagne et le k!aroc. quoique la pi'cssede
l'époque aitpublie des nouvelles erronées ace sujet.98 SAHARA OCCIDENTAL

Tertio.le Gouvernement marocain. dans le document original correspon-
dant a son annexe 37. parmi ceux qui ont ete communiqués par lui a la Cour,

nous fournit la dimension réelledu problème. IIs'agit d'une lettre de l'ancien
ministre des ,affaires étrangères de l'Espagne a don Antonio Maura dans
laquelle, en parlant des affaires du Maroc. on nous dit :
« En attendant. envoyé par M. Silvela. M. Ojeda prétendaitnégociera
Fèsplusieurs conventions se référantaux limites et approvisionnements
en eau, etc.a Ceuta et Melilla eta la cession du territoire que le makhzen
s'étaitengagéa nous remettre a Ifni. en équivalencede celui que. par le
traite de \.+'adRas. on nous avait reconnu dans la disparueSanta Cruz de

Mar Pequefia. »
Mais ce qui est révélateur.c'est le paragraphe suivant de la lettre ou le
ministre d'Etat dit: M. Ojeda, en définitive. n'obtintrien. malgréles bonnes
nouvelles qu'ilfournit a la presse» IIsouligne apres la possibilitéd'un échange

d'Ifnipour un endroit <<ou les tribus fussent moins hostiles »et cet endroit était
Tarfaya. le point sur la c6te au nord du Sahara occidental que le Maroc avait
occupe en 1895. On peut croire que les « bonnes nouvelles N fournies à la
presse par l'ambassadeur Ojeda ont pu tromper Mitjana. mais ce document
inéditde 1904 présente par le Maroc n'était pas de nature a tromper le
Gouvernement marocain.
Le deuxième point sur lequel s'appuie ce troisikme postulat du Gouverne-
ment du Maroc n'estpas moins étonnant.IIs'agitde l'affirmation contenue a la
page 145 (111)de l'exposéécrit marocain et qui revient plusieurs fois dans
d'autres pages. affirmation selon laquelle I'Espagneavait des <<doutes >>sur la
validité de ses droits sur le Sahara occidental. apres la notification du
protectorat. en décembre 1884. La correspondance diplomatique entre
l'Espagne etl'Empire cherifïen. nous dit-on. révèleles doutes du colonisateur.
chose vraiment étrange.
Ce deuxième point sert de base a une affirmation ultérieure. d'une plus

grande portee, a savoir que devant l'opposition du sultan du Maroc 5
l'occupation espagnole et en l'absence d'un titre légitime.le Goiivcrnement
espagnol aurait cherché uneautre voie pour arriver au <(dépeçage » du Maroc.
cellede la négociationavec lespuissances européennes. Et on arrivera ainsia la
conclusion - vous la trouvez à la page 146 (111)de la première partie de
Iéxposéécrit marocain - que c'est te concert européen qui attribuera a
l'Espagne une partie du territoire marocain.
Je vais examiner a prelciit le point de départde cette thèse. c'est-à-dire les
doutes qu'avait I'Espagne. colonisateur hamlétien selon le Gouvernement du
Maroc. quant à la validité deses droits sur le Sahara malgre la déclarationde
protectorat de 1884.Ce point mérite qu'ons'yarrête.car ilest possible. autour
des faits. d'apprécier la conduite du Gouvernement chérifien devant la
présenceespagnol..:dans ce territoire.
Le prcinier pl;.:,airetenir estladéclaration meme de protectorat faite par
1'Espa:;neen 1:;1(4Par rapport a ce premier point. il convient de tenir compte
des précisioiissuivantes :

En premier lieu, la date de la déclarationest antérieura l'adoption de l'acte
de Berlin, c'est-à-dire antérieure au 26 février 1885. Par conséquent. il faut
admettrt .r!ic ies prises de possessionoii les acquisitions de protectorat pos-
térieures ;:Ijciur de la ratification ou au jour de l'adhésionsont seules sou-
mises aux articles 34 et 35 >>.La non-rétroactivitéde l'actede Berlin étaitune

exigence politique admise par les Etats participant a la conférence :comme te EXPOSE ORAL DE M.GONZALEZCAMPOS 99

signale I'étiidede Salomon sur L 'ocaiputiorrdes territoiresatis ~~~aitrc!aris,
1889, p. 267) :

<<les gouvernements attachaient une extrèrneimportance au principe que
la déclaration de Berlin ne concernerait que les occupations noiivelles :
aucune der. puissances colonisatrices n'avait intérêt a ce que l'on vint
troubler et scruter son étatde possession H.

C'est pourquoi le chapitre 6 de l'actede Berlin a pour titre :(<Occupations
nouvelles sur les cotes du continent africain )>:et l'article 35 commence en
faisant allusioria « la Puissance qui. dorénavant. prendra possession d'un
territoir..» II n'y a pas lieu de s'y attarder.
Par conséquent. I'Espagne n'avait aucune obligation de notilier le
protectorat en décembre 1884. Cependant. elle fit cette notification aux

puissances en leur faisant connaitre sa volontéde s'établirdans ce territoire. JI
faut ajouter un fait qui ressort de l'appendice4 de l'annexe 17 des documents
présentéspar l'Espagne.Je me rapporte a la diffusion. faite par l'agence Fabra.
en décembre 1884. de la déclaration de protectorat. diffusion faite a toute la
presse et dans laquelle il était dit:<<les indigenes de ladite région,qui sont
arabes et qui n'ont jamais dépendudu Maroc »(II. p. 98).
Par conséquent. la déclaration espagnolede protectorat entre la cap Blancet
le cap Bojador fut un fait public et notoire. suivi de l'adoption de mesures de
toutes sortes pour organiser I'adininistration du territoire. Devant ces faits.on
est fonde a se demander quelle aétéla conduite de l'Empirechérifienqui se dit
aujourd'hui <<possesseur immémorial >>du Sahara occidental. Point n'est
besoin de se livrera un long expose des faits. car la question est fort sirnple. II

n'ajamais existéde protestation d'aucune sorte de la part de l'Empire chérifien
devant la présence espagnoledans le territoire revendiqué aujourd'hui. Cela
ressort par exemple des journaux français de I'epoqiie(Revisfa de Giiogrqfia
coinerciul, vol. 1,1886, p. 300, 30 1).
Ce fait a une portée juridique certaine. Conscient de son importance, le
Gouvernement du Maroc invoqiie, a la page 146 (III) de son exposéécrit, une
note circulaire adressée atous les représentants des Etats étrangersa Tanger,
en date du 18mai 1886,« par laqiielle ilproteste contre les menéesde certaines
puissances européennes et, en particulier, de l'Espagne au Sahara V. IIs'agitde
l'annexe 60 (111,p.327) présentée parle Royaume di1Maroc et de la citation a
la page 146 de l'ouvrage de Ranios Espinoza de los Monteiros (L'Espug11~ CII

Afrique, Madrid, 1903).
Or il suffit de lire ce document et cette citation pour démontrer que la note
circiilaire du 18 mai n'étaitnullement destinée a protester contre la présence
espagnole au Sahara. En effet, l'ouvrage de Ramos Espinoza de los Monteiros
dit àla page citéepar l'exposedu Maroc que la protestation du Sultan se réfère
expressément aux naufragés allemands du Gottorp. D'un autre côté,la note
circulaire parle de <bateaux appartenant à quelques nations étrangkres » et
non de l'établissement d'une organisation dans le territoire du Sahara
occidental. II y est dit que ces bateaux <(srisont trouvés le long des côtes de
I'oued Noun dans l'intention de faire le commerce d'exportation avec les
indigenes ». Les côtes de I'oued Noun ne sont certainement pas celles du

Sahara occidental. La note circulaire insistesur un point reproduit dans toiites
documents concernant cette régionde I'oued Noun depuis le XVIIIe siècle,
a savoir <<que l'équipageexpose la vie et les biens » dans cette région. S'il
leur arrivait quelquechose dans ce pays « la responsabilitéserait exclusivement
a eux. ce Gouvernement n'admettant aucune plainte et aucune réclamationde
leur part D.Cent vingt ans après. la note circulaire du Sultan reprend. presque100 SAHARA OCCIDENTAL

littéralement.le langage du traitéde 1767.ce qui montre bien l'existenced'une
continuité en ce qui concerne le manque d'autoritédi1Sultan sur la régionde
I'oued Noun. C'est d'autant plus surprenant qu'a cette date de 1886 se pro-
duisit. précisément.l'expéditionde Moulay Hassan au Sous.
Encore lin point de fait sur cette période immédiatement postérieure a la
déclaration espagnolede protectorat. IIs'agitde ladémarchefaitepar l'Espagne

en 1886 au Maroc. L'ambassadeur d'Espagne auprès de la Cour chérifienne a
demandé de fixer leslimites méridionalesde l'Empire. Le Gouvernement du
Maroc evoqcie ce point a la page 145 (1111de son expose écrit etproduit à
I'appiiil'annexe 9(III, p.210).
On ne saurait séparerce point-cidu point antérieurcar, si l'Empire chérifien
n'avait pas proteste en 1884 contre la déclaration de protectorat faite par
l'Espagne, ladémarchede l'ambassadeur espagnolen 1886 offrait une occasion
excellente de faire écheca la prétentionespagnole.
Mais voyons a présent quelsont étéles faits. On peut noter. en premier lieu.
que l'ambassadeur d'Espagneavait pose « la question de savoir quelles étaient
les frontières de cet Empire du cÔt6du Sous. si c'étaitI'oued Draa ou si ses
limites se terminaient a un autre endroit )).II s'agit, on peut le voir. d'une
référencefort claire a ce que l'on considérait généralementcomme la limite
historique du Maroc. IOued Draa :mêmesi l'ondemandait aussi au Maroc « si
les limites [del'Empire]se terminaient à un autre endroit ».

En deuxième lieu. l'annexe 9 nous explique clairement le motif de la
question soulevée par l'Espagne :
<<ce qui Ics incita poser de telles questions étaitle fait qu'ils possédaient
le pays dit en arabe Wudi-rd-Duliub et en espagnol Rio dr Oro )>.

IIest inutile de signaler qtie l'Espagne affirme, faceau Maroc. qu'el<ipossède
Rio de Oro D.sans éprouver aucun doute quant àla validitède ses droits. IIy a
lieu cependant de retenir. en troisième lieu. que la question des limites
méridionalesdu Maroc se posait du fait de la souverainetéespagnole à Rio de
Oro et celfidans le but. pour l'ambassadeur. de prendre toutes les précautions
nécessairesinterdisant l'intrusion d'lin étranger entre les deux possessions ».
Cela veut dire que. pour l'Espagne. en 1886. et de mêmequ'elle le fit savoir
dans les négociations de 1900. 1904 et 1912. les limites des possessions
espagnoles finissaient la ou commençaient celles du Royaume du btaroc. Ce
n'est pas la. certes. L'attituded'un Etat qui doute de ses droits sur le Sahara

occidental et qui. en plus. en 1886. venait de passer des accords avec les
pouvoirs locaux dans la région ausud de I'oued Draa.
Par contre. il est important d'examiner la réponsedu siiltan hloulay Hassan.
Le moins qu'on puisse dire est que cette réponse est assez générale.trop
généralepar rapport a la question posée.que cette reponse. au surplus. ne nie
pas ni ne met en question de quelque raton que ce soitlaprésencede I'Espagne
au Sahara occidental. car hloulay Hassan se contenta de dire que: <<les
frontiéres du territoire sur lequek nous exerçons notre souveraineté sont :
I'Egypte d'un côté, le Soudan de l'autre et Maghnia [c'est-à-dire 1'~lgériel
d'autre part ».
Cette réponseest surprenante. Le Gouvernement marocain en est conscient
et a cru nécessairede préciserque la rcference a 1'Egyptedoit êtreentendue
comme étant la partie méridionale de la Libye actiielle «qui. a I'kpoque. lui
parait relever de la souverainctc de I'Egypte)>IIn'est rien dit par contre. dans
cette note. sur la limite sud que bloulay Hassan place généreusementau
Soudan.

Finalement. le document que nous examinons se rapporte au Rio de Oro. A EXPOSÉ ORAL DE hf.GOEZALEZ CAAIPUS 101

cet égard.je dois faire une précision préliminaire concernant la traduction
authentifiéede l'original arabe produite par le Gouvernement du Maroc. car
elle n'estpas adéquatedans plusieurs aspects. En preniier fieu. ledocurnent ne
parle pas des <<habitants de cette région D mais des <iArabes de cette rcgion V.
Le mot arabe, vous vous en souvenez. est celui utilisédans le texte de 1767.

Deuxièmement. l'expression <(il en ressort)>n'estpas correcte. et on doit lire :
<<et nous ont informésque ce territoire ..>).Troisiernement. on doit lire non
pas <(la tribu Aroussiyine H. mais. sans concrétiser. (<une tribu nommée
Aroussiyine )).Et surtout le texte arabe ne dit pas que les Arabes de cette
régionsont nos ((sujets »,le mot siijel (ru'ijya,dans les textes arabes) n'étant
point employé ; on a titilisé les mots iidma Surifu, c'est-à-dire « service
chérifien ».Par conséquent,lepassage du document doit être lu dans les termes

suivants :
<<Pour ce qui est de Wadi-Ed-Dahab. cette question a été poséa eux
Arabes de cette région eton nous a informésque ce territoire se situe dans

la régiondes Ouled Delim et d'une tribu nomméeAroussiyine qui sont a
notre service chérifien. installes dans les régionsde Marrakech et de Fes.
Ils le dénomment u Ed-Dakhla. i)

Cette réponse. il faut l'avouer. n'est pas celle d'un Etat qui se dit souverain
jusqu'au Soudan et. par consequent. possesseur immémorial du Sahafa
occidental. La reponse se raniene a une simple indication géographique qui.
d'autre part. n'a pas pli Clreobtenue directement par le rnakhzen car il fallut
<<poser la question aux Arabes de cette région ))et recueillir les renscigiiements
appropriés. Un Etat qui exerce une souverainetéeffective sur lin terriioire n'a
pas recours d'habitude .à ce procéde d'enquêteaupres des habitants pour

répondreaux questions d'un autre Etat sur ses limites territoriales.
, II y a lieu a signaler le point de la réponse se rapportant aux populations
du Rio de Oro. 11est qiiestion desOuled Delim et d'une Ctribu nommée
Aroussiyine ))cette derniere référencedevant êtreentendue comme applicable
aux Larosiens. mais on ajoute que ces tribus «sont a notre service chérifien ».
installéesdans les régionsde Marrakech et de Fès. On prétend. semble-t-il.

établirune connexion entre ces tribussahariennes et Icstribus dites « Guisch ».
c'est-à-dire de ces populations du hslaroc qui. après la grande reforme du
makhzen mise en place par Mohamed III. étaient établies sur des terres
domaniales et avaient étéexemptées d'impôts en échange de 1'oblig;itionde
fournir des contingents riI'armee du Sultan. Ces tribus <<Cuisch )rou tribus
<(blakhzen >>étaient installéespt.écisementprèsde X(1arrakechet de Fks. Dans
I'ctudebien connue d'Augustin Bernard on lit :

« Autour de Fès et de Marrakech vivent des tribus klakhzeii ou le
gouvernement recrute son ;irmk. telles que les Oudaïa. les Cheraga et les
tribus déportéesa diverses époques pour des raisons politiques. (Le

Moroc. Paris. 1913. p. 234.)
Cette interprétation. d'ailleurs. est confirmée par des documents de cette
memeépoque.Dans la correspondance entre la Grande-Bretagne et le Maroc a

propos de la souveraineté a cap Juby. nous trouvons aussi I'affirniation faire
par le Maroc qu'il s'agitde tribus Guisch » ou <(tribus klakhzen )tMais cette
afirmation. comine nous venons de le voir par la localisation des tribus
ivlakhzen dans l'Empire, n'estpas conforme aux fairset ne fut pas acceptéepar
la Grande-Bretagne.
Ces précisions faites. il importe cependant de retenir un point important :
kloulay I-iassanévitede se prononcer sur fasouverainete espagnole ail Sahara 102 SAHARAOCCIDENTAL

occidental. Cette conduite de l'Empire chérifienpar rapport a l'Espagne doit
êtrecomparée avec celle observée pendant la mème période vis-à-visde la
France et de la Grande-Bretagne.
Finalement je dois signaler que cette même conduite dela part du makhzen
se répète en1908 et en 1909. Je ne vais pas m'attarder sur les faits de cette
période. IIsuffit de rappeler, quant a la délimitationdemandée par l'Espagne
en 1908, la réponseégalement élusivedu Sultan contenue dans l'annexe 10

produite par le Maroc. réponse. soulignons-le.qui ne nie pas la souveraineté
espagnole sur leSahara et qui ne s'opposepas a la délimitation proposée.On se
limite a ajourner la décision jusqu'au moment ou <(les tribus auront été
apaisées. etles causes des troubles extirpées ». Lorsque cela sera arrive. le
makhzen <(ne manquera pas de dépêcherune délégationde sa part qui
accompagnera une délégationespagnole » (Ill,p. 211).
La démarcheespagnole postérieure, de 1909, fait l'objet des documents de
l'annexe C.2(II, p. 323-327), livre 1,des Documejifscoinpl~;rnentuirsprésentés
par l'Espagne, Je me permets de relever les arguments avancés par
l'ambassadeur espagnol, que l'on troiive dans le document figurant comme
appendice 1a cette annexe C.2.On lit entre autres :

<(dans les vieux traitésdu XVIIIe siècle. lessultans ont déclare n'avoir
aucune souveraineté sur la régiondu Draa et comment. grace aux bons
officesde l'Espagne, la possession chérifienne a étéreconnue jusqu'au cap
Juby a partir duquel la contréedevient res riulli~i»(II. p. 323).

L'Espagne affirme. en 1909 de mème qu'en 1886. quel est le motif de la
proposition de délimitation :
« loin de s'agir d'une perte de territoire [marocain]. ce que nous
proposions équivalait. en réalité.a l'accroître d'autant plus que nous
n'avions pas l'intentionde lésinersur la concession au hlaroc de quelques
kilometres de plus ou de moins, au sud de ce qui est considéré. a présent.

comme le point extrémede ces possessions sur la côte de l'Atlantique.J'ai
formulé mes observations [dit l'ambassadeur] une carte a la main et
soulignél'avantage offert àcet Empire par ladétermination de la frontière
la ou l'intrusion d'une autre puissance serait encore possible. nflbid.)
L'autre puissance étaitla France qui. cette année.commençait sa marche vers
le nord. occupant l'Adrar. Le document se rapporte a ces faits expressément.
Je ne m'arrêteraipas sur cette partie de l'argumentation du Maroc. Les

documents produits devant la Cour permettent de tirer les conclusions
appropriées quant a la mise en question par le makhzen de la souveraineté
espagnole.
Mais qu'il mesoit permis d'indiquer tres briévement les conséquences en
droit de la conduite de l'Empire chérifien au moment de fa colonisation
espagnole. A cette fin. il me semble eloquent de paraphraser la question que se
posait le conseil de la Grande-Bretagne. M. Harrison. dans l'affaire des
Miriqr~ierset Ecrd/tous par rapport au manque de protestation d'un autre Etat
dans un cas d'occupation territoriale. La mime question. dans la présente
affaire. serait la suivant:« 1sit usual for one country to allow the authorities
of another country to land on ils territory. construct . . . [buildings. make
legislation, have a garrison and so forth] without saying a word about it ? )>
(C.I.J.M~Jnioires v,ol.II,p. 176).
Non. telle n'estpas la conduite d'un Etat dans la pratique internationale, car
le droit international. par rapport ii certains faits. exige des réponses non

équivoques de la part des Etats. EXPOSEORAL DE M. GONZALEZ CAMPOS 103

Par conséquent.l'affirmation suivante de sir Gerald Fitzmaurice exprime les
effetsd'une telleconduite en droit international :(1afailirre to protest. whera
protest is called for. mus1have a detrimentai efkt on the position of the party

concerneciand may afford evidence of nonexistence of titl>>(Briibll Ycar
Bookof litrrnrutiorraLow. 1955-1 956,p. 59).
Bref. l'absencede protestation facea une occupation territoriale implique la
preuve de l'inexistence d'un titre préalablesur le territoire. Teest bien le cas
dans la présenteaffaire.
Monsieur le Président. Messieursde la Cour. j'aiexaminéjusqii'ici le point
de départ de ce troisième argument exposépar le Gouvernement du CIaroc.
Avec la permission de la Cour. je me propose a présentde faire une analyse des
faits concernant la conclusioii qu'on peut tirer des thèsesprécédentes.
Vous vous rappellerez que cette conclusion était la suivante : devant
l'oppositionde I'Empirechérifiena l'établissementde la souverainetéespagnole
sur le Sahara occidental. le Gouvernement espagnol, dit-on. cherchera une
autre voie pour arriver au <<dépeçage du territoire du Maroc, celle de la
négociationavec les puissances colonialistes européennes. D'ou la conclusion
de la thèse marocaine :le Sahara occidental est une création echeiorinéedu

colonialisme, car en fait. c'est le concert européen qui attribuera a l'Espagne
une partie du territoire marocain.
Nous venons d'examiner les faits concernant le point de départ de cette
th&, faits qui. nous l'espérons,auront montre le. manque absolu de jiisti-
fication, car la présence espagnole au Sahara occidental ne se heurta à
aucun moment a l'oppositionde IEmpire chérifien.Avec le plus grand respect
pour le Royaume du hlaroc. la fidélité au témoignagede l'histoire m'oblige a
réaffirmer ce qui a déjàétédit dans l'exposé écrie tspagnol. c'est-à-dire que
l'Espagne. loin d'avoir contribué dans cette période historique au dépeçage
territorial de l'Empire chérifien.tout au contraire. comme il est démontrépar
des documents diplomatiques antérieursa la date du protectorat. a contribué a
l'extension des limites du territoire du ,Marocjusqu'au cap Juby. au sud de la
frontière historique de l'Empire. l'oued Draa.II est démontréaussi qu'en 191 2
ce fait servit de base pour la reconnaissance des limites actuelles du ivllürocau
parallèle 27O40'.
I'arconséquent.et contrairement àlaconclusion marocaine. les faitsavèrent
une réalitétrès différente. On serait fondéa dire. en employant les termes

mémesutilises par le Gouvernement du hlaroc. que le territoire méridional
compris entre l'oiiedDraa et le parallèle27O 40'est une création échelonnée du
colonialisme européen. car c'est leconcert europeen qui attribuera au Maroc
une partie de l'espace saharien au-delà des frontières historiques de l'Empire
chérifien.
J'aidéjàsouligne que la conclusion que s'efforced'établirle Gouvei.nement
marocain a une base politique et idéologique: l'anticolonialisme. II s'agit de
brosser une grande toile de fond qui finit avec l'affirmation que le traité
hispano-français du 27 novembre 1912 (1marque l'aboiitissernent d'lin long
processus colonialiste imaginé parl'Espagne dès le i;\i siècle)>(III. exposé
marocain. p. 139). 11n'est pas dans mon intention d'entrer dans l'examen de
cette grande fresque anticolonialiste ni dans chacun de ses détails.Je voudrais
simplement relever que sa composition ainsi que sa conclusion finale se basent
sur un courant historiographique sévèrement jugé par les historiens du

Maghreb eux-rnèmes.
Xlais.je le repéte.je ne veux pas entrer dans cet examen. malgrétout l'attrait
qu'il présente.Je désireseulement mettre en évidencele faitqu'après l'exposé
de ces grandes présuppositions de la colonialisation. l'expose du Gciuverne- 104 SAHARA OCCIDENTAL

ment du Maroc s'approche de l'objectif visépour soutenir que le hlaroc a été
victime au Sahara occidental de l'expansionnisme espagnol. Vous trouverez
cette aflirmation à la page139(III) de la première partie de l'exposé marocain.
Un nouveau pas en avant et voici un nouvel aspect de cette mêmeconcIusion :
« le Maroc objet du « droit diplomatique européen >>(Ill,p. 146).De l'avisdu
Gouvernement marocain. fe dépeçage territorial du Maroc est le fruit de
l'entente des puissances européennes. entente symbolisée par les traites entre
l'Espagneet la France de 1900. 1904 et 19 12.Comme il a étédit auparavant.

cette conclusion a un but fort précis:nier toute portée juridique aux frontières
actuelles du Sahara occidental établiespar ces accords.
L'argumentation du Gouvernement du Maroc sur ce point suit deux lignes
principales. Dans la première, on nie la portéejuridique des traités fixant les
frontieresdu Sahara occidental par rapport au ;\.laroc indépendant, Dans la
deuxième. il s'agit de renforcer cette conclusion en invoquant ce que le
Gouvernement marocain appelle <<le droit spécialelaborépour le Maroc par la
conférence internationale d'Algésiras >).
Cette double ligne d'arguments découlede l'oubli délibéré de la pratique
internationale du XIXe siècle concernant l'établissementde la souverainetk
territoriale. Bien entendu. nous pouvons aujourd'hui juger sévèrementles buts
poursuivis par la pratique des Etats dans cette période.l'expansion colonialeen
somme. et les aspects particuliers que cette expansion prit. 11faut cependant
admettre que les faits survenus alors doivent êtreexaminés conformémentau
droit applicablea ce moment historique et que les conséquences juridiques
doivent etre établiesen application des réglesjuridiques en vigueur a cette
epoque. Par conséquent,cette règlede droit intertemporel exige un examen des
.faits et du droit applicabla.la lumière du contexte historique.
Les points a retenir dans la pratique internationale a la fin du XIXcsiécleet
au début dusiècleprésentont fait l'objetd'un ample examen doctrinal qui a

contribue a leur connaissance et à leur analyse. Aux fins de la présenteaffaire,
je voudrais signaler les points les plus importants.
Prirno. l'établissement de la souveraineté territoriale dans cette epoque
historique eut d'habitude comme point de départla conclusion d'accords entre
les Etats européenset les autoritéslocales. Le Gouvernement de la République
islamiq ueMauritanie a exanririé dans le détailce problème dans son expose
écrit. rappelant les données bien connues de la doctrine et également de la
pratique des Etats. Par contre. leGouvernement du Maroc a passésous silence
ce point-ci dans son exposé écrit.Sans entrer dans l'analyse critique des
conclusions du Gouvernement de la Mauritanie sur l'expose de la doctrine,
l'ouvrage qui constitue sans doute l'étudela plus importante sur ce sujet a été
oublié.Je me réferea l'étudede Charles Henry Alexandrowicz, TlirE~/roprari-
A,fricanCoiifroi~tatioi~. stlady irrTreaty-Making, Leyde. t973.
Alexandrowicz. en partant d'un examen détailléde la pratique internatio-
nale dans cette période.arrive a une conclusion contraire a celle soutenue par
leGouvernement de la Mauritanie sur la portée juridiquede cesaccords. A son
avis. les accords entre les Etats européens et les autorités locales en Afrique
constituaient des titres pour l'établissement dela souveraineté territoriale par
lespuissances coloniales. titres qui étaientjuridiquement opposables auxautres
Etats européens dans la fixation des limites coloniales en Afrique. mais qui

exigeaient l'occupation du territoire. par la suite. pour déployer ses effets
juridiques complets. Pour employer une expression ariglo-saxonne. on
pourrait dire que les accords avec des autoritéslocales étaientroofs of title. le
point de départ d'unbetter rigl~t iopossess (1. Brownlie, Pririciplesof Prtblic
Iirteriiaiior~olLaw.2e éd..Oxford. p. 126-136). EXPOS~ORAL DE hl. CONZ~LEZ CAMPOS 105

Dans la présenteaffaire. cette conclusion devient évidentesi l'on considère
les négociations hispano-françaises de 1886 a 1900 concernant les titres de
l'Espagne sur l'Adrar Tmar. S'o~istrouverez les documents a l'annexe 21 (11.

p. 143-2461,livre V des lriJort?iufiotis et docirtnri~rs.J'ajouterai,en ce qiii
touche aux limites actuelles du Sahara occidental. que les titres espagnols siir la
côte au nord du cap Bojador déco~ilaientdes accords passésavec les atitorités
locales après I'expediliond'Alvarez I'érezen 1886. En 1904. l'Espagne produit
ses titres devantla Grande-Bretagne d'abord - vous trouverez les documents
comme appendices 15a 22 à l'annexe 20 (II.p. 127-1 35) - et il importe de
signaler que ces titres sont reconnus non seulement par le Foreign OTTice.
comme nous le montre le mémorandum de lord Lansdowne en aniiexe au
document figurantcomme appendice 2 1a l'annexe 2 1précitée (11,p. 18l) mais
encore par l'ambassadeur de la République francaise a Londres. hl!.Paul
Cambon. Dans le document appendice 20, annexe 21. Paul Cambon afirme
nettement aii ministre des amairesétrangéres deFrance. M. Delcassé :

« L'Espagne. installéeau Rio de Oro au sud du cap Bojador. a toujours
considere la c8te s'élevantjusqu'au cap Juby comme lui appartenant. et
des cartes anglaises la lui attribiient...
Les Espagnols sont. il faut l'avouer. assezfondes dans leur pretcntion à
la possession de territoires qui se trouvent en face et a proximité des
Canaries et qui. d'ailleurs. sont de peu de valeur.))Ill.p. 178-179.)

Cet exemple petit illustrer la portéedes titres fondéssur des accords avec les
autoritéslocales dans le droit international de la fin du XIX siècle. Point n'est
besoin d'avoir recours a Linexamen de lajurisprudence arbitrale, en particulier
à la décisiondans l'affairede 1.11d~e Boirlailiui la décisiondans l'affairede la
Baie de Dekugouoii a la décisiondans I'alTairede Iïle de Puftiias.
La conclusion. dans toutes ces affaires. est la même :les accords des Etats
européens avec les pouvoirs locaux indigenes ne supposent pas. par eux-
mêmes. untransfert de la souveraineté territoriale. car l'arbitre a ioujours
recherché des actes mettant en relief lin exercice emectifdes fonctions d'Etat
sur le territoire conteste. Par contre. ces accords avec les pouvoirs in'e'nes ne
sont pas dénués detout enét : la pratique des Etats nous montre que ces
accords étaient opposablesaus autres puissances coloniales. en tant que roofs
oJti~le,c'est-à-diredes faitsjustifiant une occupation du territoire.

C'està la Iiiniiere de cette coridiision qu'on doit considérerla pratique des
Etats. dans la pcriodc du scrrrtiihfor Afiicurt rerrirrity.Selon Alexanclrowicz.
ils'agii d'une époqtit.cliracterisee par la recherche des titres suLesterritoires
africains. en vue de son occiipation postérielirepar les puissances coloniales.
car ce n'était pas(iine cotirse pour l'occupationdes terres. moyennant un titre
originel. mais une course poiir.l'acqiiisitionde titres dériva»(op. cil..p. 6.7).
Cette donnée correspond assez bien avec le principe de base du droit
iiiternational. concernant l'acquisition de la souveraiiiete territoria:Iéffecti-
vite de I'esercicedes fonctioi~sétatiques.Le droit international prenait comme
point de départ I'Etet. estimé seul sujet de l'ordre international. Les
coinrnunautés préétatiques.voire les poiivoirs locaux indigènes. n'étaient pas
coiisiderees comme destinataires des normes sur la soliverainete territoriale.
car ces conirnuiiautes rnanqiiaient. précisément.de cet Clcrnent siructurel
propre a 1'Etat: l'organisation diipouvoir sur un territoire. en vue de I'exercice

des fonctions d'Etat.
En écoutant I'csposéde mon cher collégue. le professeur Salmon. qui a
insiste siir l'idéede peuple eii tant qii'element de base dii droit international. j'ai
eu le sentiment de me trouver rion seulement vieux jeu mais aussi face a une106 SAHARA OCCIDENTAI.

contradiction fondamentale. maintes foisexaminéepar la doctrine. l'idéed'une
communauté des Etats et l'idéed'une communauté universelle des hommes.
destinataires en dernière instance du droit international. Mais ce courant
humaniste. que personne ne peut rejeter. et moi non plus. ne permet pas de
tirer de conclusions a l'encontre du droit international en tant qu'ordre
juridique positif. On est tentéde dire. après l'analyse faitepar le conseil de la
Mauritanie. que te droit international, reposant sur l'idéed'organisation des
pouvoirs sous la forme d'Etat. et par rapport a un territoire. etait1(le droit
international des sédentaires >>: par rapport aux nomades. d'autres principes
seraient applicables. Mais tel n'est pas le cas:le droit international tout court
est un seul ordre juridique qui régit lesrapports entre Etats independants.

Comme l'adit le tribunal arbitral dans l'affairedesCay~igaIiidiuris. entre la
Grande-Bretagne et les Etats-Unis <<a tribe is not a legal uniof international
Law » (Nations Unies. Recueil des serr~eircesarbitrales. VI, p. 176).
Secriiido. la pratique internationale de cette périodenous montre l'existence
d'un autre genre d'accord ayant trait a l'établissementde fa souveraineté
territoriale. Je me rapporte a la théorie d'accords souscrits iiifer se par les
puissances europeennes moyennant lesquels on établissait les limites de ce
qu'on a appelé des <(zones d'influence b,des Etats intéresses à une région
déterminéedans I'expansion coloniale.
Sans avoir a se livrer a un examen approfondi de la notion de <<zones
d'influence P. il convient de signafer quelques elements concernant de tels

accords. D'une part. quand ils se rapportaient a des territoires considérés par
les Etats parties comme terrue irrrlliirs.lesaccords fixant les« zones d'influence
respectives » constituaient l'expression de la volontéde ces Etats de placer les
territoires sous leur souveraineté. atravers une occupation graduelle. Dans le
cas OU ces territoires avaient une organisation étatique. l'accord exprimait
l'intention des parties d'établir un régimede dépendance en plaçant ces
territoires sous protectorat. Par rapporta l'Afrique.legrand maitre néerlandais
Verzijl ne signale pas moins de trente accords de ce genre souscrits entre 1885
el 1900 ~~1ieritario1raL l aiv iir His~orical Prrspcclive. vol. III. Leyde, 1970.
p. 497-498).

Si noustenons compte de ces données.ilest facilede comprendre que de tels
accords complétaient les normes concernant I'expansion territoriale des
puissances europeennes. c'est-à-dire les regles établiesau chapitre VI de l'acte
de la conférencede Berlin. car cette convention fixait les limites respectives de
I'expansion coloniale de chaque puissance dans une zone déterminée.
Aujourd'hui, certes, on peut qualifier assez sévèrementde tels accords, mais
ils furent un élémentimportant de la pratique des Etats au moment de
I'expansion coloniale. et nous sommes obliges. par ta résolution3292 (SXIX)
elle-même.de nous référerau moment de la colonisation et au droit alors
applicable.
D'autre pari. comme l'a souligné Verzijl. les accords sur les <<zones

d'influence >)ont déterminéle régimedes frontières.J'ai ditauparavant que de
tels accords exprimaient d'habitude l'intention de soumettre un territoire
~iri~/iis la souveraineté des Etats moyennant une occupation progressive. Ils
indiquaient I'aizii?iusd'établirla souveraineté territoriale. mais celle-ci devait
êtreconsolidée par l'occupation effective du territoire. Or. le processus
d'occupation du territoire irrrllius. une fois termine par les Etats parties a
l'accord. la pratique nous montre que les limites des «zones d'influence ))
devenaient des limites entre deux frontières.frontiéresentre les possessions des
Etats.
Un illustre africaniste soviétique. Anatolii Gromyko. a montre que 40 pour EXPOSEORAL DE hlGONZALE C AMPOS 107

cent des frontières actuelles entre les Etats africains suivent des rneridiens ou
des parallèles,30 pour cent de ces frontières sont basées sur le procédé
géométriqueutilisant des lignes droites ou des courbes. et seulement 76 polir
cent sont des frontieres qu'on pourrait appeler naturelles)>tracéeseri tenant
compte des fleuves, lacs ou montagnes, etc. (« Colonialism and Territorial
Conflicts in Africa:Some Comments on African Boiindary Problems i>,dans
A fricot^ orritduryProble~ns.Uppsalla, 1969. p. 1661.
Le grand pourcentage de tracés géométriquessans doute est une
conséquence de Ia pratique internationale dans la période de l'expansion
coloniale. et en particulier de cet aspect auquel je faisais allusion des traités
établissant de<<zones d'influenceU.Mais il a lieu designaier immédiatement
qu'une foisdevenues frontièresd'Etat. apres l'occupation emectivedu territoire.
tes limites des ancienne<zones d'influence » ont survécu al'époque coloniale.

et sont maintenues actuellement comme frontieres d'Erats par les Etats
indépendants de l'Afrique.
Pour employer l'expression d'un illustre juriste égyptien. le professeur
Botitros-Ghali. apres la décolonisation.les Etats africainsont abandonné l'idée
d'une (<revision des frontiere,>en admenant par contre <<l'intangibilides
frontieres africaine» (Les cotflirs de .fro~rli errA friqtre.Paris. 1972.
p. 6-16).
Ces remarques faites. on doit considérertrèsbrièvement leur application aux
donaées de la presentc affaire. En ce qui concerne les traites etablissant la
frontiere entre le Sahara occidental et la Républiqueislamiqiie de Mailritanie.
le premier textea retenir est le projet d'accord de 1891 entre l'Espagne et la
France. projet qu'on doit considiirer comme précédentde l'accordde 1900.
L'article I parle de ((la frontiere qui séparera les possessions françaises
dépendantes de la colonie dti Sénégaldes possessions espagnoles... r)(11.

appendice 3 a l'annexe 21.p. 143).La convention de 1900 parle de la #(limite
entre les possessions espagnoles et français)(11.appendice IOa l'annexe 2 1,
p. 158).
En 1891 et en 1900. c'est un rait que ni l'Espagne ni la France n'avaient
encore établileur pouvoir sur la totalitédes territoires ainsi délimites.Mais cela
est sans portéejuridique. car le traitéde 1900 fut conçu comme un traitéfixant
des frontieres et ces limites ont étémaintenues pendant lapériode colonialeet
apres l'indépendancede la Mauritanie.
En ce qui regarde les traites concernant la frontiere du Sahara occidental
avec le hilaroc. le premier texte a retenir est celui de 1904. cést-a-dire la
convention passéeentre la France et l'Espagne le 3 octobre 1904. A cette date.
leMaroc étaitun Etat indépendant. et nous sommesdonc daris ledeuxième cas
de la pratique concernant les <<zones d'infiuence))ou l'intention des parties
était d'établiun rtgime de dépendance parvoie de protectorat, et non par voie
d'occupation. Si le traite était une convention restée secrète jusqu'au
8 novembre 191 1,ce fait est dî~a ce que les « zones d'influence> ,taient
convenues, pour la plupart. 3 l'égardd'un Etat indépendant. En effet. I'ar-

ticle II de la convention parle de la «sphère d'influence » de l'Espagne par
rapport a celle réservéea la France. Comme ils'agitd'un Etat indépendant, le
processus de réalisationde la dépendancecoloniale par lavoie du protectorat
est soigneusement réglépar la convention. notamment atix articles II et III.
Mais on doit souligner lin fait important par rapport a la zone ou sphere
d'influence établiedans la convention de 1904. car. comme nous le niontrent
les articles V eVI. les zones d'influence réglementéespar [a convention sont
au nombre de deux. D'une part, la zone ou sphere d'influence stir leterritoire
du hqaroc. en vue d'y établir lin protectorat. Comme je viens de le signaler.108 SAIIARA OCCIDENTAL

l'exercicede l'action politiquedes Etats contractants. a étésoigneusement réglé
dans le temps et dans les conditions d'exercice. C'estle régimede l'articleII.
Par contre. a l'articleVI, dernier alinéa.on lit:

(<Le Gouvernement de la République rrançaise reconnaît dès rnainte-
nant [c'est-à-dire.des 1904 et non pour t'hypothèsed'lin protectorat sur le
Maroc] au Gouvernement espagnol pleine liberte d'action sur la région
comprise entre les degrés26 et 27O40'de latitude nord et le mcridien II"
ouest de Paris. qui sont en dehorsdu territoire marocain. %*

Par conséquent. en ce qui concerne la régionde la Sakiet El Hamra. on a
établiune zone d'influence ordinaire, ou la libre occupation peut avoir lieu a
n'importe quel moment. apartir de l'entréeen vigueur de l'accord. Dans cette
zone, le moyen pour l'établissementde la souverainetéest l'occupation. Lavoie
normale d'application des accords fixant des zones d'influence. La raison en est

bien simple. La Sakiet El Hamra n'etait pas, en 1904. territoire marocain.
Le Gotivernement du hrlaroc ne peut pas nier cette réalité. Aussia-t-il
développéune deuxième ligne d'arguinents a laquelle je me suis reporté
précédemmentpour essayer de nier toute portéejuridique a la convention de
Madrid du 27 novembre 1912entre l'Espagne et la France.
On comprend aisémentla raison de cet argument. car la France. dans cette
convention avec l'Espagne, dans l'exercicedes pouvoirs qu'elle avait comme
Puissance protectrice du Maroc aux termes de laconvention de Fèsdu 30 mars
1912,a reconnu a nouveau, etcette fois-ciail nom du Maroc, qiie la régionau

sud du parallèle 27*40' était« en dehors dir territoire marocain >i.
C'est le moindre effet du dernier alinéade t'articleII de la convention de
novembre 19 12. car ilfut établique « au sud de ce parallele. les article5 et6
de la convention du 3 octobre 1906 resteront applicables m.
te Gouvernement du Maroc soutient que l'accord de 19 12 n'est pas
susceptible de produire des effets juridiques puisque. d'une part. la reférence
que je viens de citerp3r rapport h la Sakiet El Hamra est contraire « au droit
spécialélaborepour le hfaroc par ta conférenceinternationale d'Algésiras i).
laquelle établitle principe de I'integritéterritoriale du Maroc.

En deuxième lieu, le Gouvernement du Maroc soutient que la République
française. Etat protecteur du hlaroc. n'avait pas compétence pour lier le
Maroc. car. du point de vue matériel.I'acted'Algésiras.en affirmant l'intégrité
territoriale du iifaroc. avait exclu une compétencediscrétionnaire de la part de
la Puissance protectrice.
II suffit d'énoncer cettetigne d'arguments pour en percevoir la faibtesse
intrinsèque. Cependant. il convient d'envisager les deux aspects de l'argument
du Royaume di1 Maroc. tendant à priver de toute portée juridique les
conventions de 1904 et 19 12.
Pour ce qui est de ce <(droit spécial d'Algésiras )>, le Gouvernement

marocain s'appuie sur un passage de l'arrêtde cette Cour dans L'affairerelative
aux Droits des ressorfissu~itsdes Etors-Uftis d'Ati~&riiql/ea11Muroc, ou l'on
parle <(du statut du Maroc. tel qu'il résultede l'acte générald'Algésirasdu
7 avril 1906 ».statut dont la caractéristiqueessentielle serait:
((le respect des trois principes énoncésdans le préambule de l'acte, à

savoir : « de la souverainetéet de l'indépendancede Sa Majestéle Sultan.
de l'intégritéde ses Etats et de la liberté économique sans aucune
inégalité>(C.1.J.Rrcireif 1952, p. 183).
Pour ce qui est du principe « de la souverainetéet de l'indépendancede Sa

Majestéle Sultan i).il suffit de dire que. par l'adhésiondoiinee par les Etats EXPOSEORAL DE M. GONZALEZ CAhlPOS 109

partiesa l'acte d'Algésirasaux accords entre la France et l'Allemagne du
4 novembre 191 1 sur le Xlaroc et la reconnaissance du protectorat de la France
sur le Maroc. établi le30 mars 1912. ce principe. je te répéte. a perdu toute
portée a ce moment historique. On doit signaler. pourtant. que le Maroc a
donnésonadhésion al'accordfranco-allemand de 19 11 o~il'établissementd'un
protectorat étaitnettement convenu. En outre le Maroc étaitpartie au traitéde
Fèsdu 30 mars 1912.
Reste. finalement. le principe concernant((l'intégritdes Etats de Sa Majesté
le Sultan». Si ce principe fut énoncédans l'acte d'Algésiras.c'est parce qu'il
s'agit d'un principe dont se réclamaitla politique européenne par rapport au
Maroc. un principe maintenu du moment mème OU une action concertée des
Etats européens par rapport à l'Empire chérifienes1 amorcée. vers 1880. a
l'occasiondu célébre(<droit de protection». Maisce qui nous intéresseici.c'est

que le principe de l'intégriterritoriale avait une portée trèsprécis:empkcher
tout Etat qui avait des intérètséconomiquesou autres au Maroc de prGtendre
participer au partage de l'Empire chérifienel de réaliser l'annexiond'une partie
du territoire marocain en tant que solution pour(<le problèmedu Maroc ». En
conséquence. ce principe n'a de sens que dans le cadre de la question
marocaine telle qu'elle étaitenvisagéepar les chancelleries entre 1880 et 12.
Je ne crois pas nécessaire. pour démontrer ce point. d'avoir recours à
l'histoire diplomatique de cette période.ni t'examen des documents sur les
relations internationalesconcernant le La Cour connaît ces donnéeset
ette conclusion est généralement admise. Mais je dois ajouter que I'inter-
pretation que donne aujourd'hui de ce principe le Gouvernement ma-
rocain équivaut a une prtitio priticipiSi on parle du respect de l'intégrité
territoriale du Maroc en 1906. :\insi qu'on en a parle en 1956. lors de son
indépendance. il faut entendre cela seulement par rapport a la sphkre
territoriale concrète et. pour ainsi dire. universellement admise. c'est-%dire a
l'espace territorial qui. selon les Etats qui souscrivent a ce principe,

comprendrait leterritoire du Maroc. Or, nous avons deji signaléqu'en 1904les
Etais signataires du droit spéciald'Algésiras D.comnie la France. la Cirande-
Bretagne. l'Espagne et beaucoup d'autres. reconnaissaient que la Sakiet El
Harnra étaiten dehors du territoire marocain. Par conséquent. on n'estpas
fondéa soutenir,comme il est fait a la page 154(111)de l'exposémarocain, que
((l'Acte d'Algésirasa prive de toute valeur juridique l'accord de 1901 ».En
reconnaissant lestatut de laSakiet El Hamra. la France et I'Espagne ne visaient
pas l'Empire du Maroc mais un territoire considéré généralemenctomme en
dehors de ses frontières.
Je vais aborder. a présent. le dernier argument. relatif au manque de
compéiencematériellede la République françaisepour reconnaitre. au riomdu
Maroc. comme elle Lefit en 1912. que la Sakiet El Hamra n'était pas un
territoire marocain. C'est un argument figurant dans l'exposéécrit marocain.
qui n'apas étérepris durant taphase orale. II faut dire d'abord que ce n'estpas

la une these originale du hlaroc. car le Royaume dit Xlaroc s'appuie ici sur les
Etats-Unis d'Amérique.
En effel. dans l'affaire relative aux Droifsdes r~-;snrtissarses Eluts-Utiis
d21~zc;riqtreairMaroc, cet Etat. a propos de la convention de Matirid du
27 novembre 19 t2.soutint la thèsesuivante :
(<il est clair que la Franceen négociantavec I'Espagne sur les intérêts
espagnols au Maroc. a négociépour elle-méme seulement. et que les

accords avec I'Espagne n'ontpas eu pour effet de produire égalenientun
accord avec I'Etat du Maroc >>(C.I.JM~;rriuirevs,ol.II,p.124). 110 SAHARA OCCIDENTAL

C'est le fond de la thèsemarocaine d'aujourd'hui. Sila France n'a pu traiter
pour le compte du Maroc. la convention de 1912 ne lie pas le Maroc. En 1952.
les Etats-Unis ont avance cet argument sur un aspect surtout formel. car ils
soutenaient que la convention ne dit pas que la France négociepour le compte
du Maroc. Maintenant. le Maroc avance le mêmeargument en s'appuyant
rarioile rnutrriuesur le principe de l'intégritéterritoriale énoncédans l'acte
d'Algésiras.
On sait le sort de l'argument américain.II fut rejetépar laCour en 1952.Dans
une plaidoirie d'une grande rigueur juridique. l'agent du Gouvernement de la
République française. aujourd'hui juge éminent de cette Cour, a montré
l'inconsistance dela thèse desEtats-Unis d'Amérique.La partie de la plaidoirie
française à laquelle je me réfère estcontenue aux pages 167-170 du volume II
des Mémoires dans cette affaireJe citerai seulement un passage ou on lit :

<<vis-à-vis de la convention de 1912. le Maroc n'estpas un tiers ;en vertu
de la compétence formelle reçue de Sa Majesté le Sultan par l'article
premier du traitéde protectorat. la France a conclu un traite qui oblige le
Maroc »(p. 168).

Et la Cour. dans son arrèt du 27 août 1952. a confirméle bien-fondéde la
position de la France, et déclar:<<Dans ces conditions, il faut conclure que ces
accords obligent le Maroc et lui profitentt)(C.1.J.Recueil 1952, p. 193-194).
J'arriveala finM. onsieur le Président.Je désireseulement me référerencore
briévementa deux points.
D'une part. que le Royaume du Maroc ne saurait agir a l'encontre de ses
propres actes ou bien qu'ilestestopped par sa conduite antérieure par rapport a

la convention de 1912. puisque. à travers l'accord diplomatique franco-
marocain signé a Paris le 28 mai 1956, en exécution de la déclaration
commune de cette date. « le Maroc assume les obligations résultant des traites
internationaux passéspar la France ..>>.Tel est le cas de la convention du
27 novembre 1912. Le fait que ladite convention lie le Maroc est attesté parles
actes des autoritésmarocaines elles-mêmes.
D'autre part. je me bornerai a souligner que si. comme il a étéd~tpar cette
Cour en 1952. la convention de 1912 « oblige le Maroc et lui profite )>,en
demandant en 1956 ladévolution de Tarfaya. partie sud du protectorat. a
l'Espagne. le Maroc a profité des clauses territoriales de cet accord
international et, de ce fait, ilestestopped pour en nier la validitéou en anéantir

les effets juridiques en ce qui concerne lesdites dispositions territoriales. Les
élémentsde fait et les arguments sur cette question figurent aux pages 3 11 et
312 (II)du volume 1des Ii~formations eldoclrmeilts.
Je remercie la Cour de la bienveillante attention qu'elle a bien voulu me
prêter. QUESTION BY JUDGE RUDA

. M. RUDA : I should like to patquestion to the Spanish delegation today.
berore the end of the first round of oral statements. On 23 May 1975. the
Spanish Cabinet met in Madrid under the presidency of the Head of the State.
After the meeting a comm~iniquéwas made public on the same day. The
question I wish to put for the consideration of the Spanish delegalion in
relation to this conimunique is the followin: what is the meaning and the
scope of the communiquéof 23 May 1975. in particular paragraphs 3 an5 in
reiation tthe present proceedings ?(See.infra, pp.340-341.)

TheCourt rose al1.25 p.m. VINGT-QUATRIEME AUDIENCE PUBLIQUE (22 VI175, 10 h 5)

Prt;seilts[Voir audience du 17 VI175.1

EXPOSÉ ORAL DE M. LACLETA

REPRESENTANT DU GOUVERNE~IENTESPAGNOL

M. LACLETA : Monsieur le Président. Messieursles membres de la Cour.
j'ai le grand honneur de m'adresser a nouveau a la Cour. cette fois-ci pour

commenter certains aspects des exposés du Gouvernement de la République
islamique de Mauritanie. Qu'il me soit permis de dire d'abord le haut intérêt
de ces exposés pour bien saisir quelques données de la présente affaire,
notamment lecadre géographiqueet humain et les caractèresde la vie nomade.
On doit dire que les exposésmauritaniens ont étéfaits avec un grand amour
pour l'espacegéographique. le désert. etaussi avec un grand amour pour les
hommes qui habitent cette terre pleine de beautéet de rigueur. En tant que
Puissance administrante du Sahara occidental. l'Espagne est bien reconnais-
sante a la Mauritanie. car. tout au long de ses exposes. elle a mis en relief une
donnée qui n'aura échappéa personne. a savoir que la vie nomade c'est la
libertédans la nécessitede survivre et que l'indépendancede chaque groupe
humain devient aussi une condition essentielle poursa survivance. Ce seul fait
d'ailleurs doinolis empëcher d'accepter lankgatjon faitedevant JaCour par
la Mauritanie de la personnalité propre et de l'identitécomme peuple des

habitants du Sahara occidental.
Qu'il mesoit permis donc au nom des habitants dti territoire de réclamer
devant cette Cour la meme liberté etla mëme indépendanceque la Mauritanie
nous a décritescomme un trait caractéristique des nomades sahariens. de tous
les nomades du désert.
La these centrale du Gouvernement de laMauritanie a deux aspects. Dans
son cote, pour ainsi dire positif. l'exposeécritde la Mauritanie fait l'affirmation
suivante :

« au moment de la colonisation espagnole le BiladChinguiti ou ensemble
mauritanien était une entité unie par des liens historiques. religieux.
linguistiques. sociaux. cultiirels et juridiques. formant une communaute
ayant sapropre cohésion >r(III,p.89).
Cet « ensemble )>nous est décritaux pages 58 et 59 de l'expose:

<<Le Bilad Chinguiti ou ensemble chinguittien est compris entre le
méridien de Tombouctou et l'Atlantique. lefleuve Sénégaidepuis son
embouchure jusqu'à son confluent avec le Karakoro. A partir de ce point.
les limites suivent une ligne briséecorrespondantà peu prèsau tracé des
frontières entre le Mali et la Mauritanie. Vers le nordla zone frontière
court le long de i'ouedSaguiaelHamra et se potirsuit jusqiilarégionOU
cessent les possibilités de transhumance, soit la limite extrême de la
Majaba elKoubra. )>

Lors de l'audiencetenue le IOjiiillet (Ip.425-4381.cette caractérisationa étéréitéréen.ous parlant de l'unitéde I'ensemblechinguittien. unité découlant

de l'existenced'une communauté religieuse, linguistique. culturelle. artistique.
économique. politiqiie etjuridique. Je dois soiiligner qubn y a ajouté un autre
élément.le politique ne se trouvant pas dans la définitionantérieure.
Cet aspect positif. on peut le voir. suppose deux postiilats :
Premièrement. qii'ilexiste une identitéentre le Rilad Chinguiti ou ensemble
chingiiittien et leprétenduensemble mauritanien, tel qu'ilest décritmaintenant

par la République islaniique de Mauritanie aux fins d'une revendication
territoriale sur le Sahara occidental.
Deuxièmement. que tous les élémentscompris dans I'ensemble. malgréleur
hétérogénéitré econnue par la hlauritanie. forment une communauté ayaiit sa
propre cohésion. On aNrme cette conclusion par Ic recours aux données
historiques. géographiques. culturelles et autres et on arrive a une cornmu-
nautédont on affirmera son unitépolitique. à une sorte de cosouveraineté sur
I'espace qui constitue le cadre naturel de l'ensemble.

On arrive ainsi. par le truchement des données géographiques. de la
contiguïté et de l'argumentation sociologique, à englober dans un ensemble
chinguittien des groupements humains et des phénoménessociaux et c~ilturels
qui. pourtant. ont des traits différenciés. car.comme nous le verrons. le
prétendu eiisenible chinguittien réduit a ses justes proportions dans le cadre
historique n'a étérien d'autre qu'une zone de cultiire musulmane en
concurrence avec d'autres voisines.
Utilisant la noLionde I'ensenib\e. on prétend passer toui nalurellement du

domaine sociologique au domaine juridique. de lacontiguïté géographiqueet
de l'affinité religieuseaIrcommunauté politique et l'on dit qu'il y un <(pays
de Chinguiti ))qui aiirait:
(iles caractères d'une nation indépendante en dépit de sa diversité
potitiqiie. justifiée par les données objectives de la vie saharienne et
nomade. d'lin peuple forme de tribus. confédérationsde tribus. émirats.
etc.. qui. conjointement. exerçaient une cosouveraineté sur le pays de

Ching~iitioit ensemble mauritanien »(IV, p. 438).
Et. de ce fait.on aboritit à nier toute personnalilc propre icertains éléments
ou groupements qu'on a placésa priori a l'intérieurde cct ensemble. Car cette
notion de I'<(ensemble inauritanien >>possède aussi uncbtc qu'on peut appeler
négatif.11est très précis, etje me permets de lire la conclusion établie a la
page 89 (111)de l'exposéécritmauritanien. conclusion répétée au cours des

interventions orales :
« les territoires occiipes par l'Espagne, appelés« Sahara occidental >>,ne
formaient aiiciine entitépropre. n'avaient aucune identite et que lapartie
situéeau sud de l'oued Saguia el Hamra faisait jiiridiqiiement partie de
l'ensemble mauritanien >p.

L'examendes trois postiilats de la thèsemauritanienlie constituera te plan de
notre expose. D'iin coté.j;essaierai de vous montrer que l'on doit rejeter le
' premier postulat de la thèsesiir I'ensemble.car il n'existeaucune identitéentre
le Bilad Chingkiiti ou ensetnble chinguittien et ce qu'on a appelé l'ensemble
inauritanien. La référenceau pays deChinguiti. par la voie dc cette identitén'a
d'autre biit q~icccliii de placer le noyau. ou centre de gravitéde l'ensemble
chinguittien. dans une place faisant partie du territoire actuel de la hlauritanie.

au risque de confoiidre une donnéehistoriqiie et culturelle. le BiladChinguiti.
avec une réalitépolitiqile ei juridique contemporaine.114 SAHARA OCCIDENTAL

Ensuite. il faudra examiner le deuxième postulat de la thèsemauritanienne.
iisavoir la cohésion des élémentc somposant le prétendu «ensemble 1et tout

particulièrement la communaute politique. Dans cet examen. on fera une place
particulièrea l'émiratde l'Adrar, car on cherchea nouveau par lerayonnement
de cet émirat a rapprocher le Sahara occidental du territoire de la Mauritanie
actuelle. Mais on devra examiner aussi les vrais pouvoirs sahariens. les tribus
indépendantes. pour démentir cette affirmation.
Finalement. nous arriverons A l'examen du postulat negatif de la these
mauritanienne : le manque d'identité deshommes du Sahara occidental. Face a
cette thèse. la réaliténous montre que l'actuel territoire du Sahara occidental
était l'assised'un peuple saharien au caractère propre et bien défini.composé
par des tribus autonomes et indépendantesde tout pouvoir politique extérieur
qui habitaient dans un espace assez précis et qui avaient développéune
organisation et un système de vie en commun. sur la base d'une conscience
collective et d'une solidarité mutuelle.
Mais. la thèse mauritanienne nous pose un problème sur le plan de la
méthode. Avecla permission de la Cour. je ferai quelques remarques sur cette

question méthodologique. par voie d'introduction a l'examen dont je viens de
tracer tes grandes lignes.
Pour mieux précisermon but, qu'il me soit permis d'emprunter quelques
références a un cas soumis en 1862a laCour supreme de 1'Etatd'lndiana. aux
Etats-Unis. II s'agit du cas Roche c. Wasliil~giort ou la cour s'est poséla
question suivante : Does a tribe of North American Indians constitute a
State ? » IIs'agissaitd'une question préliminaireque la cour s'est poséeavant
d'entamer l'examen du fond de l'affaire, fondqui ne nous intéressepas en ce
moment. Ce qui m'intéressepar rapport a ladite question préliminaire,c'estle
raisonnement de la cour et sa conclusion.
La Cour suprêmed'lndiana commence par donner une définitionde I'Etat,
certains précédentsa l'appui, pour dire ensuite que peu des éléments dela
définitionde 1'Etatexistent dans le cas d'une tribu d'Indiens nord-américains.
Elle nous dit immédiatementque « this the Court judicially takes notice of as a

matler of general historical knowledge ». Bref, lacour considèrecertains points
de fait « as a matter of general historical knowledge )).mais elle établit les
conséquencesen droit sans permettre que les faits. par eux-mêmes,constituent
le droit.
Cette rérérenceest appropriée. Monsieur le Président. Messieurs les
membres de la Cour. car la méthode quiinspire lesarguments de la Mauritanie
tout au ldng de ses exposéspourrait êtrecaractériséecomme l'emprise absolue
de la sociologie sur le droit.
En effet. lors de l'audience tenue le 7 juillet ona affirméqu'il n'étaitpas
déplace « de faire état devant la Cour des données de l'histoire ou de I'an-
thropologie culturelle1)eton doit convenir que ces données.comme je ledisais
au commencement de mon intervention. ont étééclairantes.Par conséquent,
le représentantde la Mauritanie a invitéla Cour a se pencher sur les réalités
historiques et culturelles dont se nourrit le droit )>(IV. p. 355) .ffirmant

que la réalitésaharienne ne doit pas échapper à la Cour. Tefle est aussi notre
confiance en ce qui concerne. en particulier. la réalitédu Sahara occidental.
Mais si on fait étatdevant unecour dejustice de ces données hors du droit.
on ne doit pas oublier qu'une telle démarcheintellectuelle a certaines limites.
Passer outre a ces limites implique que le droit en tant qu'ordre juridique ou
structure formelle deviendra une seule et mêmechose avec la structure sociale
et, aux fins d'établir certainesconclusions en droit. les éléments purement
sociologiques deviennent incertains, car le droit doit s'appuyer, pour qu'il soit EXPOSEORAL DE Xi. UCLETA 115

dit par une cour de justice. sur des faits qualifiéspar l'ordrejuridique. non sur
de purs élémentsde fait. Quelques remarques peuvent servir a mieux préciser
ces afirmations par rapport a la notion de Iénsemble mauritanien.
Premièrement. le composant spatial de cette idéede I'ensemble. c'estune

donnéede la géographie, maiscomment l'établirpour que le droit puisse saisir
sa portée?
Le Gouvernement de la Mauritanie. a cette fin, vous a présentéquelques
cartes et ces cartes ont fait l'objetd'un examen avec l'appui de projections. Les
cartes nous montrent, semble-t-il, les parcours de nomadisation des tribus. les
puits, les cimetières familiaux, etc. II s'agit de données de l'anthropologie
culturelle du Sahara. mais. a propos de ces cartes. deux remarques doivent ètre
faites. La première concerne sa valeur probatoire. car le conseil de la
Mauritanie a adniis lui-mêmeleurs imperfections. La deuxiéme remarque
concerne la portéedesdites cartes de nomadisation.
En effet. le parcours de nomadisation des Tekna que la Mauritanie
considère. sans autre distinction. comme des cctribus indéniablement
marocaines ». vous a étéexpliqué. Les Tekna descendaient. semble-t-il. au
moment de la colonisation espagnole. jusqu'au cap Bojador, donc ... en
dessous de l'oued Saguia el Hamra ». Lors de l'audience du IO juillet. le conseil

du Gouvernement de la Mauritanie a essaye de préciser les limites de
I'ensemblemauritanien. soulignant que :
<<l'ensemble mauritanien s'étenddu Sénégal a l'oued Saguia cl Hamra
sous la réserve,souvent répétée. qu'au sud de cet oued commence une
zone de chevauchement avec lesnomades Teknadu bled siba marocain >>
(IV. p. 429).

Cette réserve, <<souvent répété ), est éclairante pour mon argument. II
existait, semble-t-il. un chevauchement entre les parcours de nomadisation des
Tekna <<marocains >) et des noinades de I'ensemble mauritanien. D'après la
carte. la zone de chevauchement des parcours serait situéeentre l'oued Sakiet
El Hamra et un point au sud du cap Bojador. L'endroit estcertainement a
remarquer. car. comme il est bien connu. c'estdans cette zone que se trouve le
grand gisement de phosphates du Sahara occidental. sa principale richesse
naturelle. De ce fait. les parcours de nomadisation d'autrefois pourraient Etre
invoqués comme base pour la considération de cette richesse comme une

affaire commune.
Voila mes remarques par rapport à la portee juridique des cartes sur les
parcours de nomadisation. On pourrait aller plus loin et examiner aussi la
valeur des renseignements sur les puits foréspar les gens de la Mauritanie
actuelle. bien entendu, et les cimetières familiaux, etc. Mais je ne crois pas
necessaire de m'attarder sur ces paints. car leur valeur probatoire n'est
certainement pas supérieure acelledes parcours de nomadisation ;et le résultat
final en est. en tout cas, que le composant spatial de I'ensemble nerepose sur
aucune donnéedont l'on puisse tenir compte pour établir des conséquencesen
droit.
J'ajouterai quelques mots a propos des sources sur l'ensemble mauritanien.
Elles vous ont été exposées lordse I'audiencetenue le 7 juilletIIs'agit,dans la
plupart des cas. de sources historiques et littéraires,mais. en lisant les exposés
mauritaniens. on enregistre un lait, a savoir que ces sources. propres a

l'ensemble mauritanien. ne rapportent pas des événements avecune portee
politique qui pourrait nous permettre de saisir les caracteres et les liens qu'on
dit exister entre les élémentsdudit ensemble. Breb que nous sommes face a
un manque presque absolu de documents qui puissent étayer la thèse116 SAHARAOCCIDENTAL

mauritanienne au-delà des simples donnéessociologiques sur la vie nomade.
X.iaisj'ai dit presquun vide de témoignages.En effet. il y a deus catégories
de sources dont la valeur ne saurait êtreniée.
Preniiérenient. les accords passes par les tribus indépendantes du Sahara
avcc les Espagnols et aussi avec les Français : il s'agit de documents qui se
rapportent directement au mornent de la colonisation espagnole du Sahara

occideiital et ces documents. comme nous le verrons par la suite. sont
contraires a la thèse d'un « enseinble mauritanien » oii les tribus du Sahara
occidental seraierit intcgrées.
I3eiixièn1enient.les sources puiséesBla tradition oraledes habitants. tant sur
les parcours de nornadisation que sur les rapports avec d'autres tribus
avoisinantes au moment de la colonisation espagnole :nous avons recueilli ces
tenioigiiages dans la tradition des Regueibat. des Ouled Deliin et d'autres tribus
et tous ces témoignagesnous ont montréque les hommes du Sahara occidental
ne se considéraient pas ilne soite cie parents pauvres de l'ensemble mau-
ritanien, mais, bien au contraire. ils étaient fiers de leur histoire propre et
de leur identité.Nous esposerons quelques élémentsde cette tradition et nous
vous parleroiis de qiielques téinoignagesa ce sujet au cours de I'esainen du
troisicinc point de la thke mauritanienne.

Ces reinarques faites a titre d'introduction. je passea I'esai~iendu preniier
post~ilalde Iûthèse concernant I'enseinble inauritanien. à savoir son identitc
avcc le BiladChinguiti ou ensemble chinguittien.
Or. le Bilid Chinguiti iie peut pas se confondre avec ce qu'on appelle
I'cnsen~bleiiia~iritanicn. car ils ne soiit pas iiiie inéiiie réalité.Il'abord.
Chinguiti est une ville. localiséedans l'Adrar. EII pllis. dans son acception
la plus large. en tant que Rilad Chinguiti. elle vise l'aire d'une culture m~isul-
niaile.iiiifoyer cultiirel et religieus qui eut uii certain rayonnement jusqu'au
SVP siècle.Mais il est difficiled'admeltre que. inenle dans l'acception la plus
large. Linphcnoinciie culturel. liinite daiis l'espace et le temps. soitideiltique
avec un préteiid~ieiisenible dont la portéeserait surtout géographique et ses
liniites plus larges.

Ching~iiti,comme Le Caire, Tombouctou ou Fès, « fiit a une époque un
centre iiitellectuel. dont la réputations'éteiidaàtout leSahara occidental et au
Soudan >(F. de la Chapelle, E~rcj~clop~;d dier l'lslarir.vois i~iar~ritaiiirririe).
Mais seloii F. de la Chapelle. le prestige de Chinguiti. en tant que foyer de la
cult~ireiiiiisulmaiîe. f~itdéjàdiscuté desla liii duN \i siècle par le prodigieux
i<klat des iiiédersas de Toinboiictou )> qui lui firent « ~itie coiicurreiîce
scrieuse >)Cette donnée historiqiie est importaiite. car il senible que. polir le
C;oiiveriienient de la X'laiiritanie. il existerait uiie liaison entre le Bilad
Ching~iitiet I'Erniratdc l'Adrar.
Or. la liaison est difficile a ctabtir. car. quand I'éiniratde I'Adrar apparait
daiis l'histoire. au SVIII' siècle. le BiladChiiiguiti n'ctait que l'ombre de son
grand prestige ancien. face auquel existaient les cultures du Tiris. de

Toniboiictou ct. pliis au iiord. Ic grand centre de Fès.
Avüiit de continuer inon expose. il convient d'apporter iiiaititenaiit iiiic
iinportante prccision sur la portée geographiqiie du niot Adrar. II est bien
connu que ce mot signifie IIIIJIIIU~et on le reiicoi~treet1cette zone de l'ouest
de l'Afrique avec trois qualificatifs distiiicts. corresporidant chacun a trois
régions bien diffcrcntcs entre elles. De l'ouest a l'est. se trouvent I'Adrar
Soutour. I'Adrar7'inar et I'Adrar des Ifoghas. L'Adrar Soutotif est iine region
nioiitagneuse proche de l'océanAtlantique et située un peu au nord de la
p&niiisulcdu cap Blanc. actuellement comprise dans le territoire du Sahara
occideiital. L'Adrar Tmar (011des dattes) se trouve davantage a I'intérieur. au sud-est de I'aciticlterritoire du Sahara occidental. c'est-à-dire 5 I'intcricur des
liinites de la Républiqiicislainiqiie de Mauritanie. Sur cet Adrar 'l'ni~trprit
corps I'éiiiiratde I't\drar au S\iIIIc siècle.Enfin. l'.Adrardes Ifoghas se trouve
dans tiiiezone qui appartient actiiellement aux territoires de I'AlgEric et du
Xlali. :\iictindes trois Adrar ne peut donc êtreconfondu avec titiaiitre ct.

chaque fois qlr'ilscra fait mention de l'émiratde l'.Adrar.il sera bien entendu
qiie l'Adrar Tmar constit~iesa base géographique.
Quant a la portée physique oii géographique que poiirrriii ovoii' eii le
rayonnement cultiirel du Rilad Chinguiti. I'esposémêmede la Rcpvbliqtte
islamique de Mauritanie dkfare. aiix pages 71 et 72 (III), qiie ((cet eriseigne-
ment était norissant aussi bien dans les cités-oasis (Chiadane. Chingtiiti,
Tichit, Oiialata, etc.) qiie dans les campements nomades >>.

Coinnie noiis le verrons plus bas a propos des limites giogrnphiqiics et
historiqiics de I'erniratde l'Adrar. tolites tescites siisi~icr~tionnkes. I'csccption
de Oiialatri qiii appartienl iila rCgion dii Hodh, se trotivent ;'It'ii1tcrit:tirdes
tirnites de ce q~iiscra plus tard I'émiratdc l',Adrar. 011 voit ~iiiisiq~iele Bilüd
Chingiiiti. dans son aspccl Ic plus rcel. c'est-i-dire rcligietis ct c~iltiircl.avnii
peine rriyoniic au-dcli des liniites de l'Adrar Tniar. Cettc opiiiioii csi
corroboree, page 77 (Ill) de I'exposGmauritanien :i<la ville de Chinguiti était

Lin centre dc rayoiineineni culturel actif et. en particulier. . IIII lic~i dc
rassetnblcmcnt da caravanes de pèlerinspolir La L~lecqiie )).
Ces carrtvans dc pèleriilsrectieillircnt et répandirent siir 10111Ic~irchci~iinla
renoniniee des homnies saints de la cité. Dans son rapport sur iiiivoyage
effecttiédails l'Adrar en 18'17.f'intcrprete .\lahmadoii ROL CIIhlogdad iioiis
montre comment Chingiiiti n'était.aLi SIS' siècle.qii'iinedes villcsdc I',+\drrir.

rametise pour ses tnrirabouts letrrcs ct aussi coiilnieni la rcrronimC.edc cc5
derniers qiii parvenait jiisqu'en Arabie i-ie servait qiia cc q~ie lekir soit
appliqtiéc.esclusiveinenr i eux. la désignation de <rchenagtli v. I:iicffct, il
disait de Chiiigiiiti qiie:

iCcltc villc est habitéepar des iiirirabotits (les Idotirili)ti.i'srichcs ct
rcputks les plrissavants dc l':\drar. Ils ont Linrciioni jtisqii'cii ;\rabicoit
iis sont connris sous le noin de (1chenagta. i) (Ci. I)SsirC-\liiillciiii~i.
Co~t/ribt~tio~Gt /'/~i.s!oi,e AI M~tttriiutti~.Dakar. 1960. p. 308.1

On pc~~tobscrvcr. par ce q~ija éti'dit jiisqii'ici, qii'il ii'estpas possible de
confondre Ic rnyonncnicnt rcligicux et cutlurel dc Lhingiiiti ct sa rcni,iiiiiikc
avec I'hPgiitionic politiq~iceffective dc I'ct-iiiratqiii ei~globnln cite d:.iiisses
linlites. qiiaiid cc dernier apparut ail SI:IIl' siècle.
Une fois esairiincc I'cstcnsion rkellc de cc qii'oi~appetle Ic BiliidChiiigiiiti.

voyoiis maintenant s'il existe ciitre celiii-ci et cc qiie ICSEuropCciis iippcllcnt
(6pays niaiirc r) ccttc corrélaiion ri laqiiellc prftend Ic Goiivcriiciiiciit
maiiriianien. POLII~Cprofessetir Levi-Provenqal(Eiicyc.lo/~c;di JL,I'IsI~IIIC.d.de
1913). te tcrme ~iirrtrrcpossed~ quatre acceptions difiiii-cntcs. qiii sont :
<(population citadine des ports de ['Afrique du Nord >>. LIbien (Iiiiitsiiliiiliii
&s villes dans Icbassin occidcnial de la Xl2direrrnnce o. ou bicii popirlaiioiis
arabes ou berberes. plires OLI mi'iisses de sang iioir vivnizt ail iii~rd di1

Scnégrtl B. ou bien ((rnktis d'Arabes origiiiaircs de l'Arabie di1 S~idcl de
Cingalais dans I'ilcdcCcylrin )>.,\ces acceptions. on pourrait ajo~iicrwlles des
~o~~iniuniiutk niiisuln~aiies de certaines parties dti coiitinciit :isi:iiicliicIlt
mêmedaiis la topoilynîic de l'llspagric.il n'ya pas iiioiiisdc ciiiq lieus appeles
Mom oii Mores. klais si nous nous sotiveiions q~i'i t'cpoq~iccolotiiiilc lu
litleratiire anglaise appelaitMI~J~ tous les musulmans d'Afrique. nous devrons
condure que <<Matires. Mora. Maiiren et Moors ))étaitLinterme qiri pouvait118 St\tlXRA OCCIDENTAL

s'appliqiier a n'importe quel peuple musulman ou islamisé. 11paraît donc
exagérédedireqtie <<BiladChinguiti »est l'équivalentde l'expressionde <<pays

maure » qii'iitilisaitla littératurecoloniale occidentale.
IIen arrive de ineine avec le inot cl~eilagtaou « gens de Chinguiti )>pouvant
aiissi bien signifier habitant oii originaire de la ville de Chingiiiti. au sens
restreint. qit'~inpersonnage oii iine chose en rapport avec l'école religieusede
Chingiiiti. au sens large.
L.eprofesseur de laChapelle &tic~~clop~~d dierI'/sla~ii.éd.de1913)peut nous
aider a niettreLIIIpoint final a ces considerations sur les Maures et Chinguiti. Je
rne permets de nientioiiner qiielqiies phrases sur l'expression Malrritailie 011
MLIIIIML~I ~~(~VSd;.sMut~lrs :

O Ce iiiot q~i'onavait fait dériver soit du phénicien Mairlroritti. les
Occidentaiix: i).soit. avec plus de vraisemblance. du nom d'une tribu
vivant avant I'kre chrétienne en Afrique du Nord. s'appliquait dans
I'aniiquitbail klaroc septentrional (Xlaurétanietingitane) et au nord-ouest
algcrieii (ivla~iritaiiie césarienne}. Plus tard. en étendant t'iisage. les

Européei-isont désigne ui~iformérnentsous le terme de hlaures les
populatioiis arabo-berbères de l'Afrique méditerranéenneet saharienne.
Piiis. peu a pcii. dans cet ensemble. ils ont distinguépar le nom de leurs
capitales les groiipeiiients avec lesquels leurs contacts Etaieiit les pliis
freqiients (Tripolitaiiis. Tunisiens. Algériens etXlarocains). en sorte que
I'oiiii'apllis appeléklaiires que les citadins d'origine andalouse. juive ou
iLirqiiede I'tlfriqiie du Nord et surtout les nomades du Sahara occidental.
qii~parcoururent cc qii'hhined-a[-Shingiti (dans AI-Wasit. Le Caire. en
l'an 1329 de I'hkgire)üppelle le pays de Shingit. du nom de son principal

village.>>
C'étaitce mêmeAhmed al Changuiti qui. dans son ouvrage cité.Kitab al
Wasyt. situait au klaroc la régiondu Chinguiti. sans en être trop sùr, puisqu'il
adimettait qiie. selon t'opiiiioii orientale. Chinguiti. faisait partie du pays des

Noirs (p. 14 citépar ILIR~~ptthliqitiesla~rliqlde Maiiritarlic et lRoyuttil~e dir
MLIIY)~ C). inii~eoii peut leconstater. cet auteur arabe n'étaitpas coinplètement
ail fait.A cet égard.oii pourrait s'interroger sur la précisionde la description
du Bilad Chingiiiti qu'it doiiile et a laquelle s'est référéle représentant
maiiritanien, au COLITS de I'aiidiencedu 7 juillet(IV, p. 359).
l'oiir Piiiirce point. oii doit s~gnalerque dans l'Eiic~~c1opt;d diee I'lslu~n(ed.
1960. voix Adi.cir. troisibiiie acception. Adrar de hlauritanie). l'échode ce
prcsiigc dii passe est resté.inais ceci n'a pas méritéun article spécialdans cet
o~ivrage itiiportaiit sur le iiioiidc musulman. On se contente de dire que

((Chiiigiiiti..f~itLIIIcciitre religieux et intellectuel dont l'attraction s'étendait
jusqii'aii Senegal )>Bref. aiiciiii lien n'est ii-idientre le BiladChinguiti et le
territoii-cdii Sahara occidental. mêmeaLipoint de vue culturel.
Ce fait. d'ailleurs, est bien facile à expliquer. Les routes principales du
commerce saharien passaient en dehors du territoire actuel du Sahara occi-
dental. Les routes des caravanes étaientaussi les routes de la ciilture chinguit-
tienne, vers Tomboiictoti, air sud. vers le Maroc. au nord. Le Sahara occidental
et ses habitants restaient dans iine certaine mesure a l'écartde cette influence.
Jc passc tiiaiiiteiiai~tii I'esaiiietidii detixieine post~illathèsecentrale dii

C;oiiveriieiiseni dc ILIXlaiiritaiiie : 1'~initéde ce qu'on appelle l'ensemble
iiia~ii-itanieii. l..'idt;e,d'eiiseiiiblc. en elle-mème. exprime non seiilement
I':ippiirtciiance. inais I'idcc qiie les éléiiientsii-iclus dans l'ensemble sont
hoiiiogCiics. Par coiiti.c. coiiinie il est adiiiis dans l'expose écritmauritanien.
I'ciisciiiblc dont on parle serait forint d'éléments hétérogènes. certaines EXPOSEORAL DE 51l.,\CLET,\ 119

formations politiq~iesrestana l'étatde simples tribus. d'autres ayant atleint un
degré plus complexed'intégration,comine l'émirat.
Mais l'essentiel est l'idéede cohésion, voire d'ideiititéde tout I'ensemble
mauritanien. De l'avis du Go~ivernement espagnol. les faits vont i I'eilcontrc
d'une telle conclusion et l'examen des faits peut êtrercalise en étudiant les
élémentsqui. on nolis le dit, coinposaient l'ensemble. I'armi ces entités. iinc
place de premier ordre revienta l'émirat del'Adrar. car. il faut le rappeler. la
colonisation espagiiolc du Sahara occidental a conduit.9 un rnoinent donne. a
établirdes rapports avecl'émirde I'Adrar, rapports concrétisésdans le traité
signé a la sebkha d'Idjilen 1886.
L'émiratde l'Adrar serait. semble-t-il. le noyau de l'ensemble mauritanien.
Dece fait. ilconvient d'esaininer ses limites.sa sitiiation politique et sociale. les
donnéesoffertes par les traités signéa Idjil siIr la realite sociale saharienne. et
enfin les données cartographiques.
Cet examen réaliséo .n passera a I'analpscdes autres elenlents de l'ensemble.
les tribus non constituées en émirats.et enfin on dira qiielques mots sur les
émiratsdit pays maure du Senegal.
D'abord. je vais nie référeraux limites de l'émiratde l'Adrar. selon les
témoignages historiques concernant le NIXC siécle.A ce propos. on doit dire
que ces limites ne coïncident pas avec celles que le Coiivernement de la
Mauritanie pretend faire valoir.

Dans la carte no 3 annexée a l'expose écrit inauritailien. sous l'intitulé
« Limites des territoiresde compétence des émirsde l'Adrar au XIXC siécle>>
(IV, p. 380-38 1).ces prétendues limites sont indiquéespar un tracé de petites
croix. Cette déliniitationinclut comme territoire de I'éiiliratde I'Adrar plu-
sieurs territoires qui ne lui appartenaienpas. cn particulier les salines d'ldjil.
une partie du Tiris au nord et une partie du territoire des tribus d'Ahel Iiichiri.
Regueibat et daAhel es Sahel. Cette tentative de rccoiistruction historique
a des fins politiquesest contestée parles raits. commc nous allons I'espliquer.
Elleest en contradiction non seulement avec les preuves geographiqiics et
cartographiques que nous allons analyser dans un moment. mais aussi avec
l'histoire même. y compris celle que presente le Gouvernement de la
République islamiquede Mauritanie. En effet, a la page 16 (III)de son exposé,
relatant la signature des deux traitésd'ldjil,on déclareque l'un des documents
a étésignépar les chefs detribus qui controlaient Idjil. le Tiris. l'Adrar Soutouf
et autres régionsdu Rio de Oro et que l'autre fut signé par l'émirde I'Adrar
Trnar. territoire dont les limites étaientpréciséesdans le traité.texte de ce
meme traitéprécisaiten effet que :

« Les limites du territoire cité reconnues par les Arabes du Sahara
occidental s'étendentdepuis le Tudin au nord de Ouadane jusqu'a Aksar
au sud de Oujeft :et depuis Djil et le puits Guirnit. par l'ouest, jusqu'a
Tixit. par I'est.n (La traduction du traité a étéfournie par le
Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie. dans l'annexeV
de son expose écrit,111.p. 99.)
On voit donc clairement que l'émirat de I'Adrar était, selon les limites
spécifiéesdans ce traité,une chose différenteet plus réduiteque les territoires
que la carte no 3 annexéea l'exposéécritmauritanien prétend luiattribuer. Ses
limites, selon tout ce qui précède,apparaissent sur la carte de donFrancisco
Coello et siIr le croquis no 1.présentés parle Gouvernement espagnol a la
Coiir, a l'annexe8.2,cartes VI1et XII1 lLa carte de M. Coello, dressked'après

' Non reproduites.120 SAI1ARh OCCIDENTAL

les informations réunies par I'expéditionCervera-Quiroga-Rizzo. fournit par
elle-mêmela situation approximative des lieux mentionnés. aussibien dans le
premier traite d'ldjil (Ausert. Adrar Soutouf. Tenuaka. Guerguer) que dans le
second (pilits de Turin ou Tudin, puits de Guimit). Le mérite d'avoirdressé
cette carte de I'Adrar estd'alitant plus grand qii:
« lesobservations astronomiques, topographiques, scientifiques, de toute
espèce, sont difficiles à effectuer en pays arabes. Il faut cacher les
instruments. le portefeuille de relevés.les crayons : tout est motif de
suspicion et de méfiance ..L'obtention d'lin renseignement insignifiant de

géographie coûte un travail immense » (Cervera. Expédition au
Sahara )>R.erjtredegLjographir co~n~nercialet.. II. f886-1887.p. 5).
Cependant. nous devons faire maintenant une remarque siir cette carte de
don Francisco Coello et sur les informations recueillies par l'expédition
Cervera-Quiroga-Rirzo.
Mêmesi Lalocalisation géographique d'endroits connus se trouvant dans
l'émiratde l'Adrar et dans la zone des alentours. comme Atar. Chinguiti,
Ouadarie oti les salines d'ldjia.pu se faire siniplemerit grâce aux observations
faites sur place. la situation des lieux plus a I'intCrieur. et inconniis des

Européens en 1886 - comme Tichit ou Tidjikja -, a dû être déterminéa eil
moyen des référencesobtenues des indigènes eux-mêmes.
Voila pourquoi on donna un emplacement incorrect de ces points du sudde
I'émiratde l'Adrar dans les informations des explorateurs espagnols signataires
des traitésd'ldjil et une telle erreur fut reprise dans la carte de Coello. et dans
toutes les autres qui se firent sur la base de celle-ci. Tenant compte de cette
erreur historique. les croqiiis I e2présentés parleGouvernement espagnol a
l'annexe B.2 des Docu~nctits complémentaires (c'est-à-dire lescartes XII1' et
XIV (IV, p. 384-3851]reprennent la situation erronée de Tichit et de Tidjigja
pour donner la position prkcise de ce que l'on considéra en 1886comme les
limites de I'émiratde I'Adrar et cecisous la légende :« Limites de l'émiratde
l'Adrar au XIXCsiècle d'aprèsle traitéd'ldjil » - et il s'agitbien du deuxième
traited'ldjil du 12jiiillet 1886.
Or les limites réellea.la partie sud, devraient se situer plus au sud, incluant
les localiiésde Tichit et de Tidjigka a lettr emplacement exact. klais tout ce qui
précède n'affecteniillement les limites nord et ouest qui sont les plus
intéressantes en vue de l'interprétation qiii apparaît dans la carte no 3 (IV.
p. 380-3811, annexéea l'exposémauritanien. D'ailleiirs,dans cette carle no 3,
les limites de l'émiratde l'Adrar, vers le sud. sont encore plus éloignéesde
Tichit que dans la carte de M. Coello.
L'interprétationhistoriqiie et géographiqiieprésentéepar cette carte no 3 de
fa Répiiblique islamiquede Mauritanie correspond natiirellement Biine raison
fort évidente. La délimitationdes frontières du territoire de l'émiratde I'Adrar
n'estpas faite sans intention. Il se troiive que la lignetracéeest tangente a tous
les parcours de nornadisation signalésdans cette carte- qiielqiies-iins d'entre
eux sensiblement différentsde la réalitéc , omme nous le verrons. 11 en ressofl
qiie tolites les tribus indépendantes du Sahara occidental relevaient pliis ou

moins étroitement de I'émiratde I'Adrar (Ill, exposkécritmauritanien, p. 75).
Le Goilvernement espagnol désire faireobserver qti'hson avis la carteannexe
présentéesous le numéro 3 par leGouvernement mauritanien et citéeen note 1
a la page 59 de son exposéne repose pas sur des faits historiqiies démontres.
Les Limitesdti territoire de I'cmir de l'Adrar. telles qii'interprétéespar la

' Non reproduite EXPOSEORAI. IIE 51.I.t\CI.ETA 121

cartographie de l'époque.baséesur les informations obtenues par l'expédition

Cervera-Quiroga-Rizzo, sont tracées sur le croquis no I du Gouvertiement
espagiiol d'aprèsle texte du secotid traite d'ldjilOn voit claireinent que dans
leur partie nord elles ne pouvaient pas dépasser la zone coniprise entre les
salines d'ldjil, qiii se trouvaient en dehors,et les pilits de Turou T~idin,qui
en étaient la limite septentrioiiale. Le Tiris. situe au nord-ouest d'ldjil. ne
pouvait donc appartenir i l'émirat - ce qui est confiriné par le texte du
premier traité d'ldjil cite plus haut. A plus forte raison. les tribus de I'Aheles
Sahel. tribus de la cote. ne pouvaient êtreincluses dans le territoire de l'émirat
de l'Adrar qui se trouvait a l'intérieur etséparéd"e1lespar le Tiris. Pour la
mêmeraison, les gens de 1'AhelInchiri. dont le territoire était côtier et situa
l'ouest de I'Adrar Trnar, dans une zone qui correspond aujourd'hui.
approsimativement. inoitiéau Sahara occidental et moitiéa la côte ouest de
hlauritanie. ne pouvaient entretciiir avec I'emirat de l'.Adrard'autres rapports
que ceux d'lin voisinage relatif. Enfin. lestribus Kegucibat. aussi bien dans leur
rameau Charg que dans celui du Sahel. n'avaient pas non plus de territoire

tangent a l'émirat de l'Adrar puisque les premières ne descendaient
qu'occasionnellement vers le Sud. lorsque la sccheresse les y obligeait. et que
lesautres. Sahel ou côtieres. nomadisaient dans des territoires voisins de la côte
nord du Sahara occidental.
Le seul appui que la carte no 3. annexe a l'expose mauritanien. apporte a
cette configuratioii des limites de I'cniirat de L'Adrarserait le parcours de
nomadisation des Ahel Adrara ou gens de l'Adrar. Mais ce parcours a été
déplace vers le nord-ouest sur cette carte. Effectivement. le parcours de
nomadisation des I'ahga Ben Othman. des ldouali et des Laghlal s'effectuait
normalenient PILIS au sud. Geneviève Desiré-Vuillemin.dans saCorirribiifioiici
I'ltisic~die~krMuilt-iiüllieparle des tribus du sud de brIauritanie.disant que se
trouvent dans cetre zone les Brakiia. coinprenant une partie des Ahel Yahya
Ould Sidi Othman de l'Adrar (p.II1)et des Ida Ou Ali répandus de hledrara i
Chinguiti et a Tidjikja. et des Laglilat. nombreux dans le Hodh.Or le lerritoire

Brakna est au siid-o~iestde l'actuelle i2,lauritanie. hledrara au sud. près de
I'einbouchure du Sénégal(voir la carte no 4 ' des annexes I'expose
niauritanien) et le I.lodh se trouve au sud-est de l'actuelle Mauritanie. II
apparaît ainsi clairement que l'emplacement correct des Ahel Adrara n'estpas
celui indique par la carie no3. inüis qu'on doit lessituer plus au sud. c'est-à-dire
entre IdjiletIe fleuveScncgal.
Partant de cette description diWcrentede la carte rio3. le Gouvernement
mauritanien arrive à la conclusion, exposke a la page 88 (III)sous le nurnéro 2,
que : la frontiere a coupe de la mêmemanière arbitraire les territoires des
co~II;;d~;ru~iodltciribr~.~OU d'c;uiir(irs(en particulier l'Adrar))tConclusion
dont l'erreur apparait en ce qui concerne l'cniirat de l'Adrar dans ce qui suit.
lorsqu'il en arrive a

(<rappeler ici Icscirconstances dans lesquelles la frontière fiitétab...On
se souviendra que ce qui a compte. c'est essentiellement les intérêts
réciproquesde la France et de l'Espagne et que les intérètsde la prerniére
ont largement prévalu. Ces intérêts. c'étacio tnserver I'Adrar. la sebkha
d'ldjil. la route vers les provinces algcriennes>>

Donc. si la France obtint pour elle I'Adrar el les salines d'ldjil. qui
n'appartenaient pas cet émirat - cotnme oii l'avu plus haut - coinment la
Kcptiblique islaiiiique de Mauritaiiie peut-elle affirt~ierque la frontière acoupéde iiianiere arbitraire les territoires dc l'émiratde ]'Adrar eii partictilicr ? Des
territoires des tribus cl des froiiticrcs. iiniis aiirons I'occrtsioii dc parler

posterieiireiiieiit.
Ce qii'étaiigfopolitiqiiement l'fmirat de l'Adrar. l'exposb dc la Kcpiibliqiic
islarniaiie de klaiiritanie nous l'expliqiie ii la page 63 (III) cil traitant des types
d'établissem hunnitiii du soi-disant eiiseiiiblc iiiaiiriianicii :
(<IIdécoiile des doniiées géogi-aphiq~iescl bcoiioiiiiqtics qiii précedenr
qiie les étiibtisscinctits i-icpcuvciit étreq~icde ~CLIX gro~ipes : noinades oii
s~dciitaires. Les preiiiiers prt;doiiiiiietit...

Llis siparc les titablissctiients dans le pays Tckiia (oiied No~ii~et oiied
Draa) et 'I'iiidoiif qiii soiit ail iiord de I'eiisetiible chitigiiiltien. les sciils
établisseii~ciitssedenlaires de I'ensetiible saharieii occideiital se troiivüieiit
situCsa11cwir de cette rfgion daiis l'Adrar Tiiiar. De tres anciennes oasis
c.\iistaieiit Ii. iiotaiiiiiiiiAzo~igi~i(cc~itrealmoravide. 11011 loin d'i\tiir).
Oiiadaiic. C'hingliiti. Atar. Oiijeft. 7Ïiiigui. etc. )>

IIappai-ait donc claireiiieiit que l'~iiiira1de l'Adrar ftnit iiiie régioiidisiiiicie
et indi.peiidaiitc de toutes celles des environs. raiir socialciiiciit qii'ticonoiiiiq~ie-
ment (skdeiitaires hcc iiiix iioinades). Fotitiq~ieiiieiit aussi il constitiiait Lin
noyüii de poiivoir autoiioiiie et distiiict. tant dcs illitres btliirats du sud qiic des
tribus iioinadcs ci indfpcndaiitcs dri iiord et de I'oiicst. Ccst bicii aiiisi qiie. par
sa sir~iatioii coiiiiiic iioyati iiiiiqiic sfdeiitaire de la zoiie et dc croisciiiciit dcs
rouies de caravaiics du désert. il est deveiiii iiti lieu de passage ct de
diversification dii coliiiiiercc eiitre I'Afriqiie du nord et le fleiive Skiibgal.
POLIc^ette raison. Ccrvei-a a pli dire qiie I'itifliiciicc de l'finir Oiild cl tlïda
s'éceilddeptiis Sakiet El I-lainra jiisqii'aii Skiiégal et dcpiiis la cbtc j~isqii'a
Tornboiictoii. Mais X.1C . ervera lie se troiiipnit pas d:iiis soli appi-kciatian siii-la
différciiccciitrc uiie ielle ~iiflucii~cct I'csei-ciccd'iiiic aiitorilb politiqiic. C'est
polir cela qii'il tint divcrscs conféreiices avec I'i.tiiir.d'iiii cblf. et avec les chefs
les pltis cal-ncbii-istiqiiesdes tribiis qiii peuplent le S~ih~iraoccideiital. dc I'aiici-c.

Les textes des ti-3iti.ssigiiks Idjil Ic 2 jii illc1X 86 d'line pal-ravec tes tribiis
indépendaiites et d'autre part avec I'biiiir soiit i cc propos coiicliiaiits. 1.e
preiiiier d'cntrc eiis fiii sigiif avec les tribus d'ldjil. d~i'l'ii-isoccidental. de
I'f\drar Sotito~il. dii C;iici-giicr et kiiitres. toiitcs iiuiii;idcs et habitniii la zoiic
coiiiprisc ciitrc I'Atlaiitiqiie et le versaiit occidciital de l':\drai-. leiirs clicfs
cédaiil ii I'l3pagiie :<(toiis les tcrritoircs coiiipi-is ciiii-e la cUtc dcs posscssioiis
cspagiioles de I'htliiiitiqiic du cap Bnjadoi-o~i cap Hliiiicet Iiiliinitc occidciitale
de I':\di.at-)).
Cctie cession dkniontrc claireilieiit leur iiidkpcildaiicc. l..esecoiid II-aitesigiié
avec I'btiiir pri'cisait eii oiitre les liinite~iexiicte~ de I':\drar. qiic iioiis avons
dtcriics pllis hiiiitet qiic fait apparaitre ta carte de 11.Cocllo. IIdisnit niissi qii'il
étaitsigiié <<diiiis Ic territoire dc lljil. froiilit;i-cde ]'Adrar ct Tiiia>)(ii.~iduction
tiréede l'aiiiic,~c V ii I'csposC i'crit de ILIKtipiibliqtic islaniiq~ie de Xlriiiriliiiiic,
de niêiiieqiic la citatioii aiitt;rieurc. III. p.9O)<
Par cotist;q~ieiit.si Idjil etait la I'roiitikrcde l',Adrar. on iie voit p.):oiiiiilciil

l'émirpoiivait escrccr soli a~iiciritcdc Ih vers I'Occidciit. I'eiit-cire. coiiiiiie le
disait Ccrvcra. y cxcrçiiit-il iiiie iiitliiciicc. qtie iio~is lie iiicroiis point. iiiais
jamais iinc aiitorité politiq~ie.
L'incxactii~idc dc la carte ilo3 (IV. p. 380-381)est doiic bvidciite. t\vec les
caries 11.III. IV. VI. VII. SiIl ' et SIV (IV. p. 384-385) de I'aniiesc H.2. le
Goiiveriicnieiit espagnol dbsii'c tiiciti'c cil relie1 devriiit cetic Cotir. qiiclles

' Noil rcprodiiites. ESPOSEORALDE M. LACLETA 123

étaientleslimites réellesde l'émiratde I'Adrar. limitesqui ne sont pas leproduit
d'tine invention mais qiii coïncident avec celles marquéesnon setilement dans
le texte du second traité d'ldjil siismentionne mais aussi par tous les
témoignages historiqiies, géographiques et cartographiqiies concernant
I'Adrar. Ahmadoii Mahmadoii Ba, en particillier, écrit dans son article
<<L'émiratde I'Adrar mauritanien de 1872 a 1908 n, publie par le Billletin

trimesrriel de la Soci&t~;degc;ogruphieed t 'archeologied'Oran (1.53. p. 83).que
I'Adrar se trouve :« à peu présa égale distance entre l'oued Noun et Saint-
Louis, entre Oiialata et la cote de l'Atlantiqu>>et qiie«lescaravanes mettaient
vingt jours pour aller de Chingtiiti, considérécomme le cŒur de l'Adrar, a
chaciin de ces points ».
L'Eiic~~clopr;rlice /'/.slri(édition de 1960) précisedavantage les limites
géographiques. disantail mot Adrar :

« 3. Adrar de Mauritanie (appelé aussi Adrar Tmar pour le distinguer
de I'Adrar des Ifoghas). Ensemble de plateaux sitiiés dans le Sahara
méridionalentre 19O et 23Onord. IO0el 13' 30' oiiest.>)
Ces linlites de l'Adrar Tmar coïncident presque exactement avec celles de
l'eniirai de l',Adrar.1-espoinls cites dans le second traitéd'ldjil conimc limites

de cet etnirat i'triient Tiidin oii 'Turin au nord (22O 30' de latitude nord).
A-lisrtrüii srid(19O 40' dc Iatittide nord approximativement), lespuits Citiirnita
l'oiicslO 3O de longit~ide oucst) cl Tichit a l'est (9- 40' de longitiide ouest
approsiiiiativeniciit~. Ainsi. oii voit qu'il existe presque iine eq~iivrilence
physique cnlre I'Ciiiiratdc l'Adrür et ['AdrarTmar. zone geographiqiie. Ilnfin,
Ic tenioigniigc cnrtographiqiic nous apportera la preuve fondamentale de ce
qii'éiaitl'éiiiiratde l'Adrar poliliquenient et géographiq~iementavant I'rirrivée
des Français. 1,sGuiivcriicrlieiit cspagnot a présente devantla Cotir la carte de
don Fraiicisço Cocllo. spi'ciiilcment dressée pour la Reivrc dc~gc'ogiupliie

cciifirttci-ci cl^ 1887. cürtc iracec d'après les informations apportées par
i\.lhl. Ccrvcra. Qiiiroga et Kizzo.signataires des iraitks d'ldj:lmais il prcsente
atissi une clirte dcs Editions r\riiiand Colin. pour l'ouvrage de Foncin Gkogru-
plii~~g<~~i~;r ~'ir.dition.I'aris. 1889).ei égalementune carte de 1892 de l'atlas
dc Jusitis I'erthcs. ci deiis crirtcs de l'atlas de Stieler de 1898. 1-eGoiiverne-
iiiciit cspag,nol cstiriic qiie ces cartes' seront suffisaiites pour apprccier de
hçoii dkfiiiitivc I'iiitcrprftution doignée de la réalitéque reprcscntc la carte
II"3 ai1iicst;ei I'csposi.fcrit du Gouvernement maiiritnnicri.
Concernant cette question, on doit également signaler maintenant l'interpre-
tation offerte pour qiielqiies termes qiii sont expliqiiésdans l'indexdes noms
(111. p. 117-1 23)joint i la fin de l'exposémauritanien. La seconde acception

donnéeail mot Aclrrri.estcelte d'«émirats'étendantstir l'Adrar Tmar et régions
voisines », dont notis avons précisé déjaqu'elleétaitdépourviiede fondement ;
plus encore. si l'on cherche a rapprocher I'<iAdrar Suttiif » de I'Adrar par le
procédé de dire((voir Adrar Tmar U. L'Adrar !kutouf, nous l'avons déja dit,
est iine régionvoisine de la côte du cap Blanc et aussi proche de l'Adrar que
pourrait l'êtrel'émiratdes Trar7a oii celui des Brakna. Cette régionde I'Adrar
Sotiiouf se trouve d'aillekirshors des prétendileslimites de l'émiratde l'Adrar
au XISCsiècle, tellesqiie les présentela carte no 3(IV, p. 380.381 1,tant de fois
citée.
Nous venons de présenterqiielques considérationssur les limites de l'émirat

de I'Adrar.aii StS9iecle, et nous avons VLIqu'ellesdiffëraient sensiblement de
l'interprétationdonnée par l'exposeécritmauritanien. Danscet exposéon ne

Non reproduites124 SAtI ARAOCCIDENTAL

mentionne nulle part l'étatd'anarchie dans lequel étaitplongé l'émiratde
I'Adrar. en particulier à partir de la seconde moitié du XIX' siècle. Le
Gouvernement espagnol estime qu'il est pertinent d'en faire mention et que
cela pourra contribuer a une meilleure interprétation des faits. car l'exposé
mauritanien. en sa cinquième conclusion, à la page 89 (III),prétendque :

« on se trouvait dans une périodeou l'émirde I'Adrar était ta principale
entité politiquedu Nord et du Nord-Otiest chinguittien. L'influence.sinon
le pouvoir de l'émir.s'étendaitalors - on l'a vu plus haut' - jusqu'a
l'oued de la Saguia el Hamra et jusqiiV la péninsule du Rio de Oro
(Dakhla). »

Cependant. de la lecture attentive de tout l'expose, il ne se dégage
absolument pas qu'on ait <(vu pliis haut ))que le pouvoir de 1'émir.atteignait
ces points extrèmeset le Gouvernement de la Républiquede Mauritanie en est
conscient quand il dit ((l'influence. sinon le pouvoir ». Ce n'est pas laméme
chose qu'influence et pouvoir. Les traitésd'tdjil sont la preuve que I'émirne

possédaitpas un pouvoir aussi étendu : l'un ayant etésignépar les tribus du
nord et de l'ouest. l'autre par l'émir.Si cet émiravait eu te pouvoir qu'on lui
attribue. le traitéaurait portésur Linterritoire beaucoup plus étendu.car l'émir
aurait placésous pavillon espagnol toutes ses terres. et non seulement I'Adrar
Tmar.
Quant à la situation interne de l'émirat.Mahmadou Ahmadou Ba nous
donne un excellent résumé,non seulement dansson étude (<L'Adrar dans I'a-
narchie ». parue dansRe~tseigr~e»zer?l colo~iiat~x.no 2. février1933, pages 25-

38. mais aussi dans ceHe déji citéede <<L'émiratde I'Adrar mauritanien de
1872 a 1908 )I.D'après cet auteur. véritable autoiité sur les questions de
l'Adrar au XIXe siècle,<<I'Adrar s'épuisaitdans des luttes intestinesde 1862a
1870 ))(p. 95). Malgréle régne prospèred'Ahmed Ould bl'hammed (1872-
1891). il ne connut jamais une paix complkte ni une organisat~on émirale
achevée.qui en ait pu fixer les limites. II soutint des luttes contre l'émiratdu
Tagant - bien qu'il fut cousin de son emir Bakkar Ould Souid Ahrned - et
contre l'émiratdesTrarza. malgrél'allianceéphémère qu'ilsignaavec Ely Ould
Mohamed el Habib en 1884.afin de mettre un terme aux guerres menées parle

prédécesseurde ce dernier, hlohamed el Habib. contre Ahmed Ould Aïda. qui
étaitle préciirseurd'Ould h,I'hameddans l'émiratde l'Adrar (p. 95 à 104). La
raison de cet étatde guerre continuel provenait de ce que les guerriers i<les
tiirbiilents Hassane >> étaient((trop prédisposesa l'arbitraire et l'oppression
par des sièclesd'anarchie »(p. 104).
Avec le nouvel émirAhmed Ould Sid Ahmed. la guerre se ralluma contre le
Tagant pour venger la mort de son prédécesseurA . hmed Ould M'hamed. et Sid
Ahmed se rendra fameux sous le titre d'aemir de la guerre )>(p. 106 a 118).
Cependant. en 1893. il connut pour la première fois la deroute. des mains des
Idouaïch du Tagaiit :

<(Pour l'Adrar. c'était le prélude de graves troubles intérieurs qui
allaient. dans l'espace de trois ans. ruiner la prospérité exceptionnelle
qu'avait valu au pays la paix sociale Etablie par le long règne d'ilhmed
Ould M'hamed » (p.I19).

Laissant de coté cette paix sociale éphémère. sichèrement obtenue a
l'intérieurde l'Adrar. il n'existeaucune raison polir assurer que cet émiratait
étendu son pouvoir au-delà de ses frontières. Bien au contraire. nous avons
déjà vu comment il fut harceléau sud par ses voisins du Tagant et du Trarza.

Nous verrons ensuite comment ille fut au nord par les tribus indépendantes. EXPOSEORALDE hl.LXCLETA 125

spécialementcelle des Regueibat. Cet état d'anarchien'étaitpas non plus une
particularité de l'émiratde l'Adrar. mais la situation norniale dans les autres
émiratsvoisins.
Se réferanti lafois au1 uns comme aux autres. Geneviève Désiré-Vuillemin
nous dit que : (l'autorités'émielteentre les émirs er les djemaas :jusqu'au
X>i' sièclesévitI'aliarchi>>(Les.supportsde la Mauritut~ieet di1Maroc. édition
officielledu Gouvernement de la hlauritanie. Saint-Louis. 1960. p. 20).
Or nous savons qu'au début du NF sièclela présence française effaça le
pouvoir des émirats.
Je tourne maintenant inon attention vers les tribus indépendantes des
émirats.

Dans son exposéécrit, de la page 83 a 86 (111).le Gouvernement de la
République islamique de Mauritanie s'efforce a montrer qu'en dépit de
I'indépendance absolue des tribus et des émirats.la réalitéde f'ensemble n'en
était pasmoins un fait : le fait que l'ensemblesoit ainsi fragmenté ne signifie
pas l'absenced'ensemble », lit-on dans la conclusion, page 86. Une phrase telle
que celle-ci est un peu difficile comprendre. II faudra donc analyser les
relations des tribus avec leskmirats. et en particulier avec celui de I'Adrar. étant
donnéque l'on sup ose que cefiii-ci était «la principale entitépolitique)>du
prktendu ensemble RI !.89).
L'exposéécritdu Gouvernement mauritanien nous aide à trouver la vérité
des faits. A la page 55(III), il nous montre que I.Adrar n'étaitpas laseule entité
représentative puisque.conime il ledit. lesexplorateurss'aventuraient dans des
régions sous la domination des tribus. amenaient par la diplomatie et
l'argumentation leurs interlocuteura signer des traites qui se faisaient dans la
langue et selon les usages de chaque lie<<avec leschefs lesplus prestigieux. les
plus représentatifs et dont la juridiction est la pltis étendue». Ces mots
appliques par exemple aux deux i.raitésd'ldjil. nous donnent lesens exact de la
totale indépendance,sous tous les aspects. aussi bien des tribus que de I'éinirat
de l'Adrar. et de l'indépendanceciechac~inpar rapporl aux autres.

hlais avec les mêmestribus qui signèrent le premier traitéd'ldjil. on avait
signe a Aduar-ed-Deniset un autre traite.Ce traite fiit signéle 24juin 1886 par
le cheik Beschir Ben Seyyid Shai (qui signera aussi le traitéd'ldjil) enson nom
et en celui des tribus des (<Ouled Bou Sba. les quatre branches des Outad
Delim. les Regueibat. les Isidrariin. les Rrusiyin et autr>>.
On convenait :
<<paix. amitié et relations commerciales entre la puissante nation
espagnole et les individus desdites tribus et familles » (Docu~ne~tts

présetiréaux Cortes peiidarzflu I~gislar~irde 1900par le tniï~istrcd'Etur.
art. 1, 1900. p. 43).
1-e premier traité d'ldjil ne fil qu'étendre ce premier accord commercial.
créant ainsiles bases pour l'établissementde la souverainetéespagnole sur ces
territoires de l'intérieur. La signature du second traité d'ldjil avec I'einir de
l'Adrar i la mèniedate n'a aucun caractère de ratification des anterieurs. De
leur cote. les Ouled Bou Sba. parties au traite du 24 juin comme à celui du

12 juillet 1886. avaient signéavec Bonelli un traitéen novembre 1884. pla-
çant sous protectorat espagnol la péninsiiled'uuadibée(cap Blanc)et ce traité
ne dut pas etre non plus ratifie par l'émir deI'Adrar. Ainsi.I'indépendance des
tribus de l'ouest envers l'émiratde I'Adrar se manifeste parla signature d'un
traité commercialet d'un traitede soumission a l'Espagne.Celle des iribiis entre
elles se manifeste par la signature d'un traite de protectorat avec une seule
d'entre elles. On comprend mal donc la consistance du prétendu ensemble126 SAHARA OCCIDENTt\L

chinguittien. En outre. les autres participants de cet ensemble imaginaire. les
émirats de Brakna. Trarza et Tagant et les tribus du Hodh ne figurent pas
comme protagonistes avec l'Espagne mais avec la France. avec laquelle ils
signèrent une longue sériede traitéstout long du XIXesiècle.
L'indépendanceabsolue des tribus de l'ouestet du nord de L'Adrar, lepropre
Gouvernement de la République islamique de Mauritanie ne peut que la
reconnaître dans l'étude qu'ilen fait dans les pages 78 a 83 (Ili) de son expose
écrit.11n'apporte aucune preuve de ce que l'émiratde l'Adrar fut «la principale
entitépolitique di1Nord et du Nord-Ouest chinguittien », comme il l'affirmeà
la page 89. Bienau contraire, dans les pages mentionnéesrelatives aux « autres
groupements de tribus non constitiies en émirats O, il ne fait qu'apporter
des preuves de l'indépendancede ceux-ci par rapport a l'émiratde l'Adrar.

C'est ainsi que narrant l'aventure d'Abou Nasr parmi les Oulad Delirn, il
dit que :
« Ceux-ci refusèrent de lui reconnaître la moindre autorité, se prévalant
de la tradition d'indépendancedes tribus maures àl'égardde tout Etat et le
mirent a mort dans le Tiris en 1713. » (III,p.80.)

Le territoire des Oulad Delim :
<<occupe le Guerguer, 1'Aatfet Ar-Rak jusqu'au puits O'Hasi-Bu-Hafra ...
Ils dominent les tribus des Arousiyine, Itsederari, Tidrarin et autres...et
s'étendentjusqu'a l'Adrar Soutouf » (ibid., note 2).

Tous les lieux mentionnésse trouvent a l'ouestde l'émiratde l'Adrar, c'est-
a-dire dans l'actuel Sahara occidental.
L'exposémauritanien, parlant de la tribu des Oulad Bou Sba, nous apporte
également despreuvesde leur indépendanceenvers l'émiratde l'Adrar el lesoi-
disantensemble. A la page 81,on cite non seulement letraitéde 1884signépar
Bonelli - preuve évidente de soiiverainete territoriale indiscutable- mais on
va plus loin en citant les témoignagesde Bonelli et de Cervera (note 1).Selon
Bonelli, les zones oii sont présentsles Oulad Bou Sba :

«arrivent jusqu'à Tomboiictou et la Guinée ..et ils s'imposent dans les
territoires ou ils passent par le prestige dont ils jouissent et par leur
meilleure connaissance de la religion ».

La note 1 poursuit en précisantque <<Bonelli ajoute qu'a cotéde l'émirde
l'Adrar, Abdel Aziz Uled el Mami, cheik Oulad Bou Sba, jouit d'une grande
autoritédans la région ».
Et citant CRrvera, on affirme que «les Oulad Bou Sba habitent plus
fréquemment le plateau du Tiris, le Tisnik, Ausert, Durniis, Teniulec, etc., et
maintiennent de bonnes relations avec ceux qui occupent l'Adrar )).
Pour localiser ces lieux situésa I'ouestde l'émiratde l'Adrar, il suffit dejeter
un coup d'Œilà la carte de M. Coello (carte VI1 ',annexe B.2).
Au sujet des Regueibat dont nous nous occuperons en détail plus loin,
l'exposemauritanien confirme que :

« par suite de leur accroissement démographique et du développementde
leurs troupeaux, [ils]ont acquis lin r6le politique important au milieu du
XIXe siècle...ils se sont heurtésa leurvoisinsimmédiat ..avec lesquels
ils entrèrent dans une serie de guerres »(III, p. 82).
La croissance démographique des Regueibat et leur expansion conséquente

' Non reproduite. EXPOSE ORALDE M.LACLETA 127

vers le sud fut l'origine d'un formidable noyau tribal organise cornine une
puissante confédérationqui ne fiit.jamais dominéepar l'émiratde l'Adrar.
B bien quP la page 83 de l'exposé,en parlant des institutions des tribuson
noie que I'orgaiiisaiion socio-politique étaitsimilaire a celle des émirats -
similitude qui a étéexpliquée par le Gouvernement espagnol dans ses

Iiifori~iorioiise~OCII~II~II~présentés a la Cour avec l'exposé écrid tu 27 mars
écoulé(1.p. 275 et suiv.) - le Gouvernement de laRepublique islamique de
Xla~iritaniene peut pas s'empécherde reconnaître que ((ce qui a habituelle-
ment frappé les explorateurs occidentaux. c'est la grande indépendance des
tribcisd'une part, et l'influencede la djemaa, d'autre partH.
Effectivement, nous le répétons,l'indépendance. Maisnoiis pouvons le dire
avec les paroles des auteurs citéspar la Républiqueislamique de Mauritanie
dans la note 1de la page 83 (111).D'après Douls, (<le Maure nomade est un
ennemi de toute autorite et de tout gouvernement )>et il nous parait approprié
de répéterici que les habitants de l'Adrar étaient.dans leur grandc niajorite.

sédentaires. comme le reconnait l'expose de la Rcpublique islamique de
Mauritanie.
Je reprends la citation de Douls qui disait que leklaure :
c<Indépendant.ne vivant que de liberté.il ne reconnait d'autre rnaitre
que le <<Désert etDieu >)et chaque Maure est souverain ...1-eshlaures

nomades sonr divisés parclans ou tribus mais ils sont indépendantset ne
reconnaissent aucune autoritéeffective. )>
I..acitation de Coello rapporréedans cette mime note dit textuellement que
« chaque tribu s'administre séparément,le pouvoir étant aus mains de la

djemaa )>et Quiroga a dit que (<mille fois les Maures de différentestribus nous
on dit, et mêmedevant leurs propres chefs, que l'Arabe du Désertn'en a pas
d'autres qu'Allah et Mohamed ».
La Républiqueislamique de Mauritanie (III,exposé écrit.p.86) prétendque
le faitde l'ensemble <<on le voit fort bien lorsque l'indépendancede I'erisemble
est mise en péril >PAinsi lors de la conquêtefrançaise <(les efforts furent alors
conjugués dans l'ensemble du pays chinguitrien pour l'enrayer ». mais la
véritable interprétation de cette conjugaison d'efforts, nous la trouvons au
troisièmealinéade la mime page. ou I'ondit :

<<Certes, dans certaines circonstances historiques dont la dernière fut
la conqiiéte française, des demandes d'assistance polir Iiitter contre
l'envahisseur fiirent adresséesau sultan du Maroc en tant que souverain
du pays musulman leplusproche. Cet appel s'inscrivaidans lecadre du
devoir de solidaritéislamiqiie.
Est-il besoin de rappeler qiie des appels semblables ont étéadressés
a des Etats musulmans voisins dans d'autres circonstances : au Maroc

par les Algériens luttant contre la France, et à la Turquie par des
communautés musulmanes d'Asiecentrale et du Caucase au moinent de
la conqiiêtet7ariste ?)>
Xlüisnous n'arrivons pas a comprendre pourqiioi la solidaritéislamiqiie des
cas précitésdoit se transformer en un ensemble chinguittien dans le cas
d'espéce.
Les arguments présent& @arla Mauritanie pour démontrer que les tribus

faisaient partie d'un ensemble sous l'hégémoniedc l'émiratde l'Adrar sont
dépourvus de poids. La thèse de l'hégémoniede l'émiratde l'Adrar sur les
tribus indépendantes n'est qu'lin effort pour justifier les limites exorbitantes
que l'exposémauritanien attribue a l'émirat.Si I'onaccepte cette thèse.ilrésul-128 SAHARA OCCIDENTAL

terait que destribus comme celles de Oulad Bou Sba. Oulad Delim. Arousiyine.
Regueibat. etc. ...<relevaient plus ou moins étroitement de son autorité >)(III.
p. 75). Nous avons déjàvu le manque de base de cette affirmation tant en
analysant les véritableslimites de l'émiratde I'Adrar qu'en étudiant. il ya un
moment. celles des tribus susmentionnées, nous n'allons donc pas insister sur
ce sujet. Pourtant. j'avais dit que j'allais étudier plus en détailla tribu des
Regueibat, une des plus puissantes et dont le territoire se situe au nord et au

nord-est de I'Adrar.

L 'aiidieirce,srrspaidurà II h O. es! reprise à 11 Ir55

Afin de délimiter le territoire domine par la confédération destribus des
Regueibat. nous avons cu recours iiune source faisant autorité :Geneviève
Désire-Vuilleminqui. dans son ceuvre précitéeC . oir~ribritiàil'liistoire de lu
Mulirituiiie. sépareles tribus qui sont aujourd'hui localisks dans la <<moyenne
Mauritanie )> .t qui ont leur centre dans ce qui fut Iëmirat de l'Adrar. des
tribus qui occupent maintenant ce qui est la <(Mauritanie du nord )> et le

Sahara occidental. Entre celles-ci. il y a les Oulad Delim et les Regueibat. ces
derniers. avec leurs deux grandes branches. les Sahel et les Charg (p.60 i 63).
Spécifiantencore plus. Désiré-Vuilleminaffirme : «Eii Haute Mauriiaiiir. du
plateau du Draa a I'ergCheh sévitleclimat saharien dans toute sa rigueur. sauf
dans le coin privilégiédu Zernmour. C'est le domaine presque exclusif des
grands nomades Regueibat » (p.63).
Dans une carrede la zone. nous pouvons observer que I'ergCheh s'étend en
direction nord-estdu tropique du Cancer a 28" de latitude nord entre les degrés7
et 1ouest (croquis no 1,annexe B.2, carte XII1 l}C'est-à-direqu'ilsn'arrivent à
s'introduire dans l'Adrar que quand la sécheresseles y oblige puisque, comme
dit l'auteur précité:

« La zone de nomadisation des Regueibat Sahel s'étenddu Rio de Oro a
l'Adrar...On rencontre des Regueibat L'Gouassem [ou Charg] du Sahara
espagnol a I'erg Cheh. hllais leurs déplacements sont irréguliers. Les
Regueibat expriment d'une façon imaginéeleur existence. en disant qu'ils
sont u les (ildu nuage. >(P. 64.)

Les tribus Regueibat. donc. ont été obligéedse maintenir des relations avec
l'émiratde l'Adrar. Il y a eu parfois des relations d'amitié,comme le signale
Mahmadou Ahmadou Ba dans L7t;,?lirafde l'Adrar i~iat~ritariieid t e 1872 a
1908 :

<<dans le Sahel. la renommée d'Ahmed Ould hl'hamed ne cessait de
grandir. Sa politique. bienveillante et ferme en meme temps avait fixéles
Regueibat aux abords de I'Adrar.Chez eux. il comptait des ainitiéssolides
et dévouées. >)(P. 103.)

Maison signale clairementque lesRegueibafétaient <(aux abords )de I'Adrar
et que les relations étaientd'amitiéet non pas de vassalitéI.Iy a eu aussi. et elles
ont pesébeaucoup plus. des relations d'inimitik et des guerres. Ahmadou Ba
lui-même.dans son article « L'Adrar dans l'anarchie ))que nous avons dejl
cité. fait un récit des dernieres années de l'émirat etde sa disparition dans
laquelle les Regueibat ont joué un rôle important. Au début de notre siècle.

cette puissante tribu ravagea I'Adrar. en finit avec son commerce et repoussa
ses habitants jusqu'i Tagaiit. C'estde cette époqueque date le fameux razzi de

' Non reproduite. ESI'OSE ORAL DE hl. LACLETA 129

1903.connu sous le nom de « massih > ou <<balayeur o.On ne voit donc pas la
domination de I'Adrar sur la tribu. mais peut-êtretout le contraire. a tel point
qu'en 1907 I'émirde I'Adrar deinanda aux Regueibat de l'aider dans sa lutte
contre les Torch. Dans son étudespécifiquesur les Regueibat. Co~itribu~ior ii
I'l~is~oirdes Rcgi~eibar. citéeauparavant. klahrnadou Ahmadou Ba précise
que :

«au cours de leur histoire. les Regueibat n'ont jamais étésoumis a tine
domination étrangère.Politiquement. ils ont toujours étéindépendants
des Emirats mauritaniens comme des caïds Tekna représentants de Sa
Majestéchérifiennedans le sud de l'Anti-Atlas. M(P. 277.)
Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, je dois

commenter maintenant qiielques aspects des traites de 1884et 1886, puisque le
Gouvernement de la Répiibliqtieislamique de Mauritanie, a la page 89 (III)de
son expose écrit. s'exprimede la façon suivante :
<<Les traites d'Idji1sont.i cet égard. touta fait symptomatiques. Cèsl
grace à I'iiîfliience de I'émirque tous les chefs de tribus ont pu être
rassembles a Idjil1-esdctix traites sont signéssous sa tente. It sign- ou
plutôl fait signer. suivant la tradition guerrière de l'époque - lesdeux
traites. non seulcinent celui relatif a I'tldrar. mais aussi celui relatifla
zone qiii s'étend de I'Adrar Soutouf a l'oued de la Saguia el Hamra.
Combien est symptomatiqiie le fait que les Oiilad Boii Sba qui, pitirtant,

avaient dejRsigne le(raite avec Bonelli,signent a nouveau en présence de
l'émir. ))
Le paragraphe précité ne contient pas moins de cinq inexactitudes, que noiis
allons examiner.
En premier lie~i.il n'estpas exact que les chefs des tribus se réunireni ldjil

grâce a l'influencede l'émir.Nous avons vu que l'émir n'avaitaucune autorite
sur eux etqu'ldjil n'appartenait pas l'émiratde l'Adrar.
Avant de signer le traite d'ldjil. les chefs des tribus avaiedeja signe deus
traites avec l'Espagne : celui de 1884 d'Oiiadibee et celui du 24 juin 1886 a
Dmiset. Si, pour les signer, l'infliience de I'émine fut pas nécessaire!il esta
siipposer qii'elle ne le fiit pasnon pliis pour signer celui d'ldjil. Tout cela est
confirmé par Cervera même(Expcjdi~ioi ail/Saliara, R.G.C., t. II, 1886-1887,
p. 6 et 71,leqiiet. avant sonarrivéea Idjil, écrivita I'émir ;et il nouç raconte
que :

<<Il nous envoya avec la reponse Sidi-Ahmed-Ould-ed-Dé,personnage
iniportant. qui $ait comnie~n~ission de nous accompagner- jusqu'à la
frontière de I'Adrar. OU nous attendait leSultan Ahmed Ould-el-riidda.
qui était venu i~notre rencontre des puits de 'Turin pour noils recevoir ...
Le IOjuillet ...notre caravane triversa les fameuses satines d'ldjil etnous
arrivâmes. niorts dc fatigue. sur le versant occidental des montagnes qui
servent de frontif rc l'Adrar-et-Tmarr... Lejour suivant ..Ahmed-bcn-
h~lohammed-Ould-el-Aidda.s~iltan de l'Adrar-et-Tmarr et chcf de la
nombreuse cl respectéetribu d'Yahya-u-ilozman. ordonna de monter sa
tente a 100 métresde la n0tre... AprPs plusieurs entrevues. le siiltan de
l'Adrar signa avec nouç lin traite dsoumission l'Espagne. admettant le
protectorat sur toiit le territoire occupS par la trib))

Deuxièmenient. il n'est pas csact que ces deux traitésd-ldjil aient étésignés
sous la tente de l'émir.II n'y a aucune preuve de cela. on n'en trouve aucune
mention dans les récitsdes cspeditionnaires. De toute façon le fait du lieilphysique de la signature est en soi sans importance : si les chefs des tribus
signèrent sous la tente. ceci n'a riena voir pour qued'une telle circonstance on
puisse en déduirela souverainetéde I'émirsur eux. Cervera. Quiroga et Rizzo
signerent deux documents différentset indépendants entre eux. Il n'ya pas de
raison de prétendrea l'existencede quelque lienque ce soit entre lessignataires
des deux traités si untel lien n'est pas explicite par les textes.
Troisièmement. iln'estpas exact que cemir ait fait signer letraite<(suivant la
tradition guerrière de Iëpoque o. Comme le dit le texte du second traite d'ldjil,
inclus dans l'annexe V (111, p. 98-100) a l'exposéécrit de la République
islamique de Mauritanie, I'émirne savait pas signer :«pour que soit certaine la

signature,avec nous comme représentantd'Ahmed Ben Mohamed Ould Aïda.
qui ne sait pas signer, le chérif Yeddou, desfils de Sidi Yahya, a signe » (III,
p. 99).
Quatrièmement? il n'est pas exact que I'émirait fait aussi signer les deux
traités d'Idjil. De leur texte, inclus dans l'annexe V a l'expose écrit de la
République islamique de Mauritanie précitée.il découle que le premier fut
signépar Abd el Kader I'Adjar.au nom de tous les chefs de tribu. et le second
par le susmentionné chérifYeddou Ould Sidi Yahya, au seul nom de l'émirde
l'Adrar. De merne. I'émirne signa pas non plus ni le traite d'ouadibéede 1884.
signépar Ahmed el Aluji. Mohamed Ben Yeirats el Aluji et Ahmed Ould
Mohamed el Aluji, au nom du chérifSid Abd el AzizOuld el Mami. ni celui de

Dmiset de juin 1886. signépar El Bechir Ben es Seyyid el Sbai. au nom des
mêmestribus qui signerent après le premier traité d'ldjil.
De tout ce qui preckde. il découleque, cinquièmement. il n'est pas non plus
exact que les Ouled BOUSba qui avaient signé non seulement le traitéavec
Bonelli de 1884. coninie le recoiiiiait l'expose écrit de la République de
h~lauritanie.mais aussi le traitE de Dmiset avec Cervera. Quiroga et Rizzo. en
juin 1886. en mêmetemps que les autres tribus. aient eu l'intention. en signant
le premier traite d'ldjil. de lui attribuer un caractère de ratification des
précédents. S'ilssignèrent le nouveau traité. ce fut pour mettre sous la
protection de l'Espagne tous leurs territoires et pas seulentent litpéninsuledu
cap Blanc,comme ils l'avaient faitdans le traitéd0uadibé.e de 1884.ainsi que

pour étendre la portéepurement commerciale du traitéde Dmiset dejuin 1886.
en letransformant en lin traité politiquequi mettait tous leurs territoires sous le
drapeau espagnol.
Les deux traités d'ldjil sont aussi indépendants entre eus que I'etaieiit les
territoires dont il s'agissait.Cette indépendance est démontrée.noil seulement
par le fait que les signatures étaient diffërentes. mais aussi parce que les
formules des préambules et celles dc la signature étaientaussi bien differentes.
Le premier traitéd'ldjilcomniençait donc ainsi :

« Au territoire d'Idjil (Sahara occidental) a 5 km au sud-est du puits
appelé Aoiridj, a 22"28' de latitude nord, 9O 9' 15"de longitude ouest
du méridiende Madrid, et ledouzièmejour du mois dejuillet de I'an 1886
(10 Chaoual de I'an 1303 de l'hégire.).. )(II. appendice 3 a l'annexe 16,
p.92.)

Examinons maintenant la fornlule qui précédaitla signature. nous poiivons
constater qu'elle était rédigé dee la façon suivante :

« ils manifestent to~is leur conformité au sujet du présent acte et ils
nommérent comme leur représentant pour le signer Hadj Abd el Kader
I'Aïdar.
En foi de quoi nous le signons avec le susnonime ...)>(ibid.. p. 93). EXPOS E RAL DE XI. I.ACLET,I 131

Or, le deuxième traité précisait seulement dans son préambule qu'il
s'effectuait:rrAu territoire d'Idjila la fontiere d'Adrar Tmar et le douzième
jour du mois de juillet 1886 (10 Chaoual de l'an 1303 de l'hégire )..))
(II, appendice 4 &l'annexe 16,p. 93.)
Précédantla signature, on disait que :

O Comme preuve de soumission et vassalité. le cheik Ahmed Ben
klohammed Ould el Aïda remet son cheval et son fusil au chcf de la
delégation espagnole et sollicite du gouvernement l'usage d'uii sceau
spécialpour autoriser les dociiments et la correspondance officiclle qui,
dans l'avenir. devra avoir lieu avec les autoritésd'Espagne. nllbid.)

Or. si la présencede l'émirdérivaitde l'autoritéde celui-ci sur les tribus.
comment se fait-il que ces tribus nomment comme représentant un de leurs
chefs au lieu de nommer l'émir:' Et. siles traites se signèrent sous la tente de
I'éniir.pourquoi en lit-on deux sépareset non pas un seul. signes par I'émir
dans l'exercicedesa propre autorité ?Ainsi donc, lestraites d'ldjilsont ce qu'its
sont : deux documents differents et indépendants.De la signature de l'un d'eux
par I'émir.il ne découlait et il ne découla aucune conséquence pour les
signataires de l'autre traitéantérieur. De même. iln'y eut aucune consiquence

pour les tribus du Sahara occidental de la signature du traitéde 18'11entre
I'éniiret la France (traitéFabert?.Si I'émiravait joui dequelque autorité sur ces
tribus, letraité Fabertles aurait incluses et il n'en fut pasainsi (voir l'annexe 6 a
l'exposéécritmauritanien, III, p. 101-102).
Je vais me référermaintenant a quelques aspects du traité signe entre
I'Espagne et la France le 27 juin 1900 concernant les fontieres du Rio de Oro.
En 1891, la France et l'Espagne étaient arrivées B un projet d'accord pour
délimiterleurs possessions respectives du Sénégae lt du Rio de Oro, etablissant
comme limites de celles-cile parallèle 21 20' de latitude nord. la délimitation
des Iiiirtrrlarids respectifs étanreste indéfinie. La France, se prévalant du
inanque de notification du deuxième traitéd'ldjil etd'un traitk signéavec I'émir

de ce territoireen 1891.disputa a l'Espagne ses droits sur cet émirat.
Ilans les conversations préalablesà la signature du traitéhispano-fraiiçais de
1900, l'intention de l'Espagne concernant I'liinierluiiddu Rio de Oro étaitde le
fixer aux
<<limites suivantes :au long du parallèle 21" 20' latitude nord jusqu'au
méridien 16Ode Greenwich. De la une ligne droite qui aille chercher

l'intersection du parallèle 19' au méridien13Ode Greenwich, et suivant le
long de ce parallèlejusqu'au méridien 8O fi,
comme il est établidansun télégrammedu ministèred'Etat àl'ambassadeur de
Sa Majestéà Paris, du 19 avril 1900. Dans ce télégramme,on ajoutait que ce
méridien8Oouest de Greenwich était :

«celui fixé par autorités aussi respectables que anglais Hertslet et
allemand Justus Perthes. et servira de limite orientale a nos possessions.
Cette deliniitationa pour objet de sauvegarder l'Adrar Tmar. sur lequel
I'Espagne exerce un protectorat en vertu du traité signé ;3Idjil»
(Docwi~c~~ rrssen/c< slm COWL -II1900, doc. no 19).

Ces limites furent confirmées à l'ambassadeur a Paris par le ministere d'Etat
dans sa dépêche no 140 du 20 avril 1900, en précisantque :

« on a pris comme limite orientale le méridien8Ode Greenwich, car il est
le plus proche au village de Tixit (Tischit? (Shetu). d'après la carte de Perthes et parce que ce village est la limite orientale de l'Adrar )>
(Docrrilrp relkeritis aiiCortt.;eri1900. doc. no22).

Effectivement,d'aprèsla carte de l'atlasde Perthes (carteIl' de l'annexe B.?),
Tichit se trouvait, non seulement al'ouestdu méridien ouest, mais au nord
du parallèle 19". Cette situation copiéede la carte de M. Francisco hl10 de
1887 (carte VI1 'de l'annexe B.21,ou apparaissent, pour la première fois, les
limites de l'émiratde I'Adrar, est, comme nous l'avons déjàexpliqué,quelque
peu différentede la situation réellede Tichit qui se trouvea l'ouestdu méridien .
9Oouest et au sud du paralléle 19". Cette erreur de la carte de Perthes se
répétait,donc, dans toutes les cartes de l'époque.
Mais. en 1900, quand la négociationavec la France eut lieu, les cartes les
plus dignes de confiance - Perthes, Hertslet, Stieler- contenaient toutes cette
erreur, etc'estsur elles que se fonda cette négociation.Ceci est la raison pour
laquelle l'Espagne voulait, comme frontiere sud, le parallèle 19' et, comme
frontière est, le méridien go, quand, en réalité.on aurait du proposer le
parallèle 18Oet leméridien 9",Tichit se trouvant au nord-ouest de l'intersection
de ces dernièrescoordonnées. Ce que L'Espagnevoulait, et la France refusait de
le lui accorder, c'était latotalitéde l'émiratde l'Adrar. Si l'Espagneavaitobtenu

ce qu'elle demandait, alors, oui, elle aurait séparéde l'émiratde t'Adrar une
partie de celui-ci, bien qu'elle ignorât qu'il en serait ainsi. La France ne
reconnut pas le droit de l'Espagne et l'histoire voulut ainsi que la totalitéde
l'émiratde I'Adrar restât dans son domaine. Pour une meilleure cornprkhen-
sion des limites attribuées a l'émiratde I'Adrar et des limites du protectorat
souhaites par l'Espagne, on peut consulter la carte XIV (IV, p. 384-385).
croquis no 2.de l'annexe B.2.
D'autre part, la locatisation d'autres lieux. plusi I'oiiestdails la carte de
Perthes et dans ceIIesde I'epoque. estbeaucoup plus précise.puisque tolite la
zone comprise entre lacote et lessalines d'ldjilavaitet6décriteavec une grande
exactitude par les explorateurs eiiropeens. NOLIS VOUS rappelons. à cet effet. la
localisation préciseque firent Cervera. Quiroga et R~zzodu lieu de la signature
du premier traité d'ldjil elque nous avons mentionnéeantérielirement.
La France. polir ne pas perdre I'Adrar. opposait a l'Espagne. outre le traite
Fabert de 1891 susmentionné. le manque de notification aux Puissances de la
conclusion des traites d'ldjilde 1886. En ce qui concerne ce point, l'opinion du
Goiivernement espagnol. comme le disait le ministre d'Etat a l'ambassadeur P
Paris. dans sa dépêche di1 3 mai 1900. était de porter a la connaissance du
Goiivernement français

« que si celui de Sa Majesté n'avait pas notifiéopportunément ta
célébrationdes traites d'ldjil, c'était parcequ'il ne s'y sentait nullement
obligé,puisque d'après l'article 34 de l'acte généralde la conference de
Berlin, ces notifications devaient s'effectuer seulement quand elles
concernaient l'occupation de territoires sur les côtes du continent africain
si, toutefois, ces territoires setrouvaient hors des actuelles possessions de
1'Etatqui avait effectué l'occupation.
L'Adrar Tmar ne se trouve pas situésur la côte. mais à l'intérieur et
dans I'hiriterlatid correspondant aux territoires compris entre le cap
Bojador et le cap Blanc qui furent notifiésopportunément. Il est donc
évident que ce gouvernement ne peut pas se fonder sur le manque de
notification de la part de l'Espagne ..)>(Docrttni~/iiprc;scrl/csirx Corrrs
eti 1900, doc. no 28.)

Non reprodiiite. Devant laferme attitude de la France refusant de reconnaitre la validitédu
traité d'Idjil. l'&pagne proposait comme solution alternative de tracer la
frontière k Long du paraltele 21° 20' jusqu'au méridien 14O.au lieu du
méridien 16O.pour continuer sur ce méridien 14Ojusqu'au paralléle 19'. que
l'on suivrait jusqu'à son intersection avec le méridien8O. <(De cette façon. la
partie principale de I'AdrarTmar serait sauvéeet laFrance gagnerait une zone
considérablede terrain. )(Ibid doc. no 28.)Cependant. (<la France refusant de
céderun pouce de terrain dans l'Adrar >>(ibid.. docrio33) et I'Espagrieayant
besoin de consolider sa prcsence en Guinée équatoriale. on du1 accepter le
27 juin 1900. par le traitc hispai~o-français fixant les liniitcs des possessions
espagnoles et françaises dans le golfe de Guinée et la c8te du Sahara. que
I'Adrar Tmar passe intégralement aux mains de la France. avec en plus les
salines d'ldjil.
L'intérêqtue manifestait la France pour l'émiratde l'Adrar était pareilicelui
qu'elle portail aux salines d'ldjil. Celles-ci n'étaienrpas seulement un lieu
important d'exploitation du sel. mais un lieu de croisement des routes

caravanières. Controlani la fois l'émiratet les salines. la France cherchait de
pouvoir contrôler les routes commerciales entre le nord et le sud.
Le document présenté comme annese XI dans L'expose mauritanien (III.
p. 115- 116) semble se réferer au fond de cette lutte hispano-française
concernant I'Adrar.
hlais le contenu de ce documeiit n'en est pas moins ciirieux. car il met en
relief l'indépendance des tribus. la nécessitéde la nomadisation sans limites
fixes.l'impossibilitépour un chef de tribu d'agir sans le conseritenzent de sa
djemaa. la libcrté des tribus de signer des traites qui n'obligent que leurs
signataires: bref, tous ces élerneiitsque nous nous soninies attachiisoiiligner
aniérieurement.
La remarque que nous désirons présentera la Cour en résuniant ainsi la
négociation.c'estque l'émirat de I'Adrar en finitpar appartenir en son entiera
I71ir11erlorifrançais et qu'iiuçiiiie de ses parties ne demeura 9 l'intérieurdes

tiinites des possessions espagnoles. ce qui permet au Gouvernement cspagnol
de mettre une foisde plus en cvidence l'inexactitudedu contenu de lacarte no3
(IV. p. 380-3811 présentée par le Gouvernement mauritanien. h limites
établiespar ce traitede 1900 ne faisaient rien d'autre que de reconnaitre dans
une large mesiire I'eteridue réellede t'émiratde l'Adrarci ne brisaieni en
aucune manière un prctendu ensemble mauritanien. inais la structure
harmonique d'uii protectorat espagnol créédans cette partie occidentale du
Sahara. En effet. les salincs d'ldjil. d'après le texte du traitc de 1886. se
trouvaient a cotéet en dehors de la frontiere de I'émiratde l'Adrar Tmar et.
comme l'affirme le propre exposéecrit mauritanien. a la page 16 (III),elles
étaientcontrôléespar les tribus indépendantes.
Cependant. le traitéhispano-l'rançaisde 1900 réduitle protectorat espagnol
eii accordant ila France I'èmiratde l'Adrar el les salines d'ldjil. II servit a fixer
une première partie de la frontiore du Sahara occidental avec Ic territoire qui.
aujourd'hui, appartient à la République islamiquede la Mauritanie.
Je dirai maintenant quelques mots sur les émiratsmaures du Sénégal . ce

propos, nous avons indique dans le chapitre IV, livre 1.de nos Ir![on~infiotri
doci~rii~~ifs.p. 275).qu'il était nécessaire d'insistersur la différenciation très
nette existant entrel'émiratde l'Adrar et ceux du Tagant. Trana et Rrakna.
difircnciation diie i sa localisation géographique. qui conditionnait les
rapports humains et leiir orientiltion.
Les émirats dti sud. situes sur la rive droite du fleuve Sénégal. étaient
orientés vers I'rlfrique noire iiiiisiilmai-ie et leurs relations cotnmcrciates134 SAHARA OCCIDENTAL

avaient comme noyau les rives du fleuve et te commerce de la gomme. Du
point de vue politique. leur vie étaitcentréesur le contrôle du cours moyen et
bas du Senégal.[Isétaienten rapport direct avec les Toucouleurs. le royaume
de Oualo et les pouvoirs existants dans la régiondu Soninké. c'est-à-dire les
élémentsrapprochés par le neuve et le commerce de la gomme.
L'émiratdu Tagant. de son cote. constituait la zone de transition entre les
émiratsdu Sénégal elt'émiratde L'Adrar.puisqu'ilavait des contacts aussi bien

avec celui-ci,q~i'avecle cours moyen du fleuve. Vous pouvez constater sur les
cartesI etII 'de l'annexe B.1du Gouvernement espagnol ces faits.
Si on examine le processus de formation de la Mauritanie. ce fait inerite
d'être retenu : L'ensemble mauritanien s'est formé. au moment de la
colonisation,en partant des émirats du sud. non des tribus plus au nord. En
effet. l'arrêtdu 12 mars 1903organisa le protectorat des <<pays maures du bas
Sénégal >): t'arrètéd'avril 1903 le protectorat des « pays maures dans les
Trarza H. Une première distinction est ainsi faite entre pays maures du bas
Sénegal et paysmaures desTrarza. montrant la division par rapport au fleuve.
Pour ce qui est du reste de I'«ensemble ». le Tagant et l'Adrar et tes

territoires au nord de ce dernier. ils ont été réunip sar la France plus tard. En
1904. date de la création du ((territoire civil de la mauritanie))l'union n'avait
pas étéréaliséec .ar la campagne de pénétration françaisedans l'Adrar est bien
postérieure :elle commença en decembre 1908 pour se terminer en 1909.
Tout ceci nous permet d'établirune conclusion. à savoir que les élémentsde
ce qu'on appelle l'ccensemble mauritanien ))ont manqué de cohésion au
moment de la colonisation française. comme ils manquaient de cohésion au
moment de la colonisation espagnole du Sahara occidental.
Naguère. comme aujourd'hui. le poids des réalitéséconomiquess'imposait.
En 1960, le Gouvernement mauritanien avait reconnu ce fait. nous disant que

((le poids de la démographiede la blauritanie. et plus de la moitiéde ses
ressources. se trouvent dans lesud et lesud-est du pays oii tous lescirciiits
commerciaux dépendent du Soudan et du Sénégal )> (La Rc!p~~b/iql~e
islai~riquede Mu[~n'rariie et leRoyailtne dir Maroc. p. 15).

Telle étaitla situation. comme nous venons de le voir. au moment de la
colonisation française.
Je voudrais maintenant ajouter quelques mots sur la présence du Sahara
occidental au mometlt ou s'est forméela Mauritanie. Les donnéesprincipales
se trouvent dans l'ouvrage deDésirée-Vuilleminniaintes foiscite. On peut dire.
en résume. que le projet de Coppolani. en 1899, de creer une vaste colonie
maure allant du Sénégaljiisqu'au territoire du Maroc. l'oued Draa. se heurta

par deux fois a I'existence du Sahara occidental. Ce fait met en relief une
donnée qu'on ne doit pas oublier : que le Sahara occidental etait une réalité
internationale avant la formation de la Mauritanie actuelle.
Nous arrivons maintenant ail troisième postulat de la thèse du Gouverne-
ment de la République islamiqire de Mauritanie. celui qui nie l'identitédes
hommes du territoire du Sahara occidental. Comme nous l'avons dit. nous
soutenons face a cette thèse celle de I'existence d'un peuple saharien au
caractère propre et bien défini qui habitait le territoire au moment de sa
colonisation par l'Espagne et qui étaitcompose par des tribus indépendantesde
tout pouvoir politique extérieur etqui avaient développéun système de vie en
commun; sur la base d'une conscience collective et d'une solidarité inutuelle.

Comme vous pouvez levérifierdans lesli~forrncrrioiis erdoclriiieiilpresentés

' Non reproduites. EXPOSE ORAL DE II. LACLETA 135

par le Gouvernement espagnol au sujet de la presence espagnole sui- la côte
saharienne aii cours de l'histoire. les actes internationaux concernant la pèche
et lecommerce enlre lecap Blanc et leSénégald .ans les récits desvoyageurs du
XVIIIe et du XIXesiècle.dans les accords signésavec les moulations locales
de cette région.soit par l'Espagne. soit par d'autres Etats. l'in ;le fait nullement
référence.dans tous ces témoignages.ail uretendu ensemble socio-~olitiaue.
voire juridique. chingujttjen. danslequel la population du Sahara occidental
actuellement sous administration espagnole aurait éteinserée.
Par contre, la tradition orale et écritenous prouve l'existenced'un peuple
saharien dont ledit territoire était la principale assise et dont les tribus et les

pouvoirs locaux agissaient souvent dans le cadre d'une conscience collective et
toujours sans dépendance par rapport aux autres pouvoirs voisins. et toiit
particulièrement les einirats de l'actuelleMauritanie.
Le representarit du Gouvernement de ta République islamique de
Mauritanie nous a parle deKilob al Budi~iu. (<livre de la nomadisationv. écrit
par cheik Xlohammed el Mami. originaire du territoire actiiellement
administré par l'Espagne (IV,p. 369).
11s'agit d'un livre bienconnu dans le territoire. car il est l'euvre de l'un des
plus grands écrivains de ce groupe de tribus zouaias. hommes de livres, qui
formèrent I'écoledes «éruditsdu Tiris »et qui, pendant le XVIIlesikcle et le
commencement du XIXC, donnèrent lieu au premier âge d'or de la culture
du. Sahara occidental, Entre ces hommes de lettres figurent entre autres
cheik Mohammed Ould Mohammed Salem, auteur d'un traite de droit, et
Emhammed el Tolba, grammairien et poèteexceptionnel. etSemeyedre Old
Habil-la, qui finit sesjours comme professeur à l'universitédu Caire.
Avec la permission de la Cour. je vais donc me referer ce Iring livre
minutieux du cheik Mohammed el klami. ecrit il y a environ cent quatre-

vingts ans et dont l'original. qui a étécopiéa plusieurs reprises. se trouve
actuellemeni au Sahara occidental. Mohammed el klami était devenu un
spécialiste en textes géographiques et chants régionaux. ou ildéclarait
l'indépendance séculairede son pays. Dans le Kitub al Budijw. il nous parle
longirement de la vie des nomades et de leur culttire. II fait une nette différence
entre le pays de Badia ou pays de nomades, le sien. et les autres pays voisins
entre lesquels il cite conlme les plus proches ceux de Ching~iiti. Tichit et
Tonibouctou.
II nous parle aussi de la.supérioritede la culture nomade par rapportacelle
des sédentaires et. dans ce sens. mentionne la terre de hlogafre. actuelle
Mauritanie, dans laquelle prédoininentles Zaouias, tandis que dans la notre, dit
l'auteur, dorriine les Beni Hassan qui n'ont pas de lienavec les premiers. IInous
explique aussi que dans le pays de Badia. la djemaa remplit la fonction d'iman
ct détientl'autorité.
On faitdans ce texte, dont nous pouvons mettre une copie a la disposition de

la Cour. une nette différence entre les nomades et les sédentaires. Or le
distingue conseil de la République islamiquede la Mauritanie vous a dit que :
« les sédeiitaires.vous en trouvez la au nord du Draa, c'est-à-direen plein
Maroc. vous en trouvez ici [au Sud] dans les villes de l'Adrar. Atar.
Chinguiti. Wadane. et je ne parle pas plus bas de Tijigja.de Tirhit. dans le
Tagant »(IV, p. 378).

La terre des nomades. ainsi définie. par rapport a celle des setlentaires.
coïncide sensiblement au nord avec les frontières historiqiies duMaroc et au
sud avec I'emirat de l'Adrar Tmar. A l'ouest. elle arrive jusqu'a l'océan
Atlantique, et àl'est ellesetrouverait plus ou moins définiepace que. dans les136 SAHARA OCCIDENTAL

traditions orales et écritesdu Sahara occidental, on appelle le Jat-al-Jaof ou
ligne de danger » - sorte de frontièrecommune, face a l'extérieur,de toutes
les tribus nomades qui habitaient le territoire. Cette ligne partait, selon la
tradition. des environs du cap Blanc, cbntinuait au sud-est, en territoire
aujourd'hui mauritanien. passait un peu au nord d'Atar. de Chinguiti et de
Ouadane. remontait vers le nord, traversant les puits de Turin, un peua i'estde
l'actuellefrontièredu Sahara occidental jusqu'à la sebkade Tindouf et revenait
vers l'&an en suivant le bassin du Draa. A l'intérieurde cetespace, les tribus
guerrières occupaient les meilleurs zones de pâturages et se situaient. de
préférencea.ux environs du Jat-al-Jaofc'est lecas des Regueibat et des Oulad
Delirn par exemple. tandis que les tributaires se plaçaient prèsde la c6te et les
groupes Zaoiiias occupaient la partie centrale. ce qui leur permettait de iliieus
servir les besoins culturels de ces iribus.
Lorsque les iribus sortaient di1 Jat-al-Jaof. elles savaient qu'elles n'étaient
plus dans ce cadre dëquilibre et de protection collective. Le Jat-al-Jaof était

ainsi une tioiititre aussi bien géographique que politique. car elle séparait
parfois des zoiies litigieuses ou qui appartenaienta des tribus qui ne faisaieni
pas partie de l'entente.Tel étailecas. par exemple. dans la zone di1passage du
Yetti. entre le 1-{ainrnaiiiet le Mejtnr. sur la route des caravanes1 l'est de
l'actuelSahara occidental. IIen ftait de mémedans te sud oii les Oulad Delini
avaient des litiges avec les Ouiad el Lab, qui habitaient les actuels territoires
mauritaniens entre Nouakchott et le cap Blanc.
Cepeuple saharien, qui habitait dans leszones comprises a l'intérieurdu Jat-
al-Jaof. étaitcompose de tribus. autonomes entre elles. mais il leur fallait bien
un systèmecapable iila rois de maintenir I'kquilibreinterne et de faire face. si
nécessaire.ails dangers en provenance de l'extérieur.Je ne vais pas m'attarder
ici sur des développementsconcernant le râle de certaines institutions coinme
les sorbas envoycs par les djemaas des tribus pour réglerdes problèmes avec
d'autres tribus, mais je voudrais par contre signaler que ces besoins internes, et
facea I'esrérieur.donnent lieu assez souvent a de véritablesaccords ou pactes
intertribaus qui. parfois. unissent mêmedes tribus très dimerentes.exemplede
laconsciencc collective qu'avaient lesiribus habitant l'actuelSahara occidental.
Pour ne pas alourdir niori esposé.je ne citerai qu'un esemple particiiliére-
ment pertinent.
A la fin de l'année129 1de l'hégire,correspondant a 1876,un pacte fut signé

entre les représentants des djemaas des tribus Izarguiyine, Aroussiyine et
Oulad Delim.
Ce pacte fut rédigepar Brahim Ben Embarec et copiépar Mohamed Fual
Ben Mahfud Ben kchir, cadi (ou juge) de la tribu des Izarguiyine. II s'agit
d'une alliance entre trois tribus, d'origine très différente.puisque la première
appartient au groupe des Tekna libres, la deuxième est Maaquil et la troisieme
provient des Senahyas. Le fait intéressantest que tous les signataires habitent
dans le territoirc actucllcriiSOLISadtninistration espagnole et que la datede
cet accord se rapproche beaucoup dc celleou devait commencer la colonisation
espagnole.
II est égalenient signaler que les trois tribus établissent des normes
commlines cn matière de justice - necessair Besprotection mrttuclle - et
qu'ainsi cet accord nous révèleune solidarité intertribale sans prqudice de
l'autonomie de chaque tribu. Or dans ce document. qui nous demontre la
solidarite intertribale dans le territoire. nous ne trouvons aucune référenceau
BiladChinguiti ou au Xlaroc.
Les Regrieibat.de leur coté.coinpletaient ledispositif ou les tribus guerrieres
étaient la garantie vis-à-vis de l'extérieur. Aubesoin, les tribus créent derrif ESPOSEORAL OE St. LACL-ETA 137

arbai~rou conseils chargésde régler lesproblèmes internes ou de faire facea la
menace extérieure. Nous sommes ici devant des organes communs ayant une
portée temporelle limitéeet un objet spécifique(voire iine conférence oii
participent deux ou plusieurs tribus).
Lestraditions et leschroniques du Sahara occidental nous parlent de guerres
menées par les tribus du territoire et de leur résistance aux attaques en
provenance de l'extérieur. Ainsi Abdelhai Ben Sid Ahmed Ben Al-la1 et
Lehebid Ould hlohainmed Bark Ould Abdelhai nous racontent lesguerres que
les Regueibat et lesautres tribus du territoire menèrent, par exemple, contre les
Tayacanet, originaires de la zone de Tindouf,entre 1820 et 1845,contre les Ait
Djemel et les Ait Bel-la, en provenance du Noun, a la findu XVllle siécle,
contre les3eni Hassan de l'Adrar. et enfin contre Sidi Mohamed el Quenti au
XIXCsiécle.
Au sujet de cette dernière période.il a lieu de rappeler les batailles contre
les Oiilad el Lab I'Afraya. celle de Larnaalag contre les Oulad A hined Pen
Othman. celle de Sali conire les Oulad 'iahyia Ben Othman et celle de Alous

avec les mêmestribus. Or les Ko~intase trouvent aLiTagant. les Oulad el Lab
au Trarza et les Ben Othman au Brakna el iil'Adrar. Voris en trouverez les
référencesdans l'ouvrage de Geneviève Dcsirk-Vtiillemin Co~i~ribzttic~ a~i
I'lrisioir~e IUMoitrituiiie aux pages 60 et 61.
IIy avait donc :IImoment de la colonisation espagnole du Sahara occidental
un peuple sahraoui. doué d'une cohésion et d'une conscience collective.
différenciepar rapport au Maroc et aux émirats mauritaniens. comnie nous
l'avons vu au coiirs de noire expose. Ce peuple ne se considérait nullement
comme une partie du BiladChinguiti ou de l'ensemble mauritanien.
Les premiers accords signes par les autoritésespagnoles avec les tribus du
Sahara occidental et les relations avec les differenies tribus du territo-rqui
agissent souvent collectivement - témoignent égalenientde leur indépendance
face a tout autre pouvoir estérieur. Or il est incomprehensible que s'il y avait
eu iine cosouverainete exercie avec ce qii'on appelle 1'<e <nsemble maurita-

nien D, cette circonstance ne se soit pas reflédans desactes d'une telleportée.
Cette personnalité propre du Sahara occidental et dripeuple sahraoui par
rapport aux peuples des pays voisins est lin fait historique sur leq~iel le
Couvernemetlt espagnol estime avoir présenté a laCour. dans les infoi-mations
et docunieiits eüii long des cxposes oraux. de nonibreux temoignages de toute
sorte.
La population du Sahara occidental a exprimé cette réalitéd'une façon
constante et par les moyens le. plus divers. Nous pourrions ainsi faire
réference aux déclarations souvent répétées des personnalités sahraouies à
maintes reprises et acelles des organes et des institutions du territoire tel que
par exemple le document adressépar la djernaaau chef de 1'Etaiespagnol le
23 mars 1973.Mais Pcote de tous ces témoignages.if y a aussiles déclarations
faites par les mouvements politiques tel que le parti de I'iiniténationale
sahraoui lors de son congrèsdu niois de [evrier de cette année.et il y a aiissi les
déclarations faites par des mouvements qiii se proclanient rnouvernents de
libérationdu territoire.
Tout rkccnirnent l'entitéqui se dit i<Front polir la libérationdti Sakiet El
Hamra et du Rio de Oro )>a fait parvenir ri~i.xautoritésespagnoles. lors de la

remise i celles-cidc deux prisonniers. quia rait l'objetdes iliformatic~nsde la
presse espagnole et etrangère. la copie d'un ccrit qui porte le titre dc
klérnoründum adressé a Son Excellence le prcsident du Comité de
décoionisationde l'organisation des Nations Unies ».Ce mernoranduni aurait
étélivre a la mission de visite de lad~teOrganisation internationale qui s'est138 SAIIARA OCCIDENTAL

rendue au Sahara occidental et dans les trois pays voisins pendant les mois de

mai etjuin.
Je voudrais lire quelques passages extraits de ce document. que je considère
comme intéressant étant donne son origine. pour savoir ce que pense la
population du territoire au sujet de son passé etde sa personnalitéau moment
de la colonisation espagnole :
Nous avons essayé de démontrer par le présent mémorandum
l'existence de notre histoire independante de l'Espagne avant son

occupation. du Maroc et de la hlauritanie ...
11a étéégalementdémontréquenotre pays n'ajamais étésoumis ni au
sultan du Maroc ni a l'ensemble mauritanien, au contraire. des exemples
convaincants et historiques ont étéévoquéspour démontrer I'indépen-
dance historique du Sahara vis-&vis de ses voisins ...
Si nous remontons à l'histoireancienne. nous constatons aisémentque
notre pays avait bien ses habitants avant ntêmeque le Maroc ne soit
transformé en royautéapres l'entréedes Arabes en Afrique di1 Nord et
que la Mauritanie ne soit elle aussi divisCeen émirats àla suite du déclin
des empires nègres : ces habitants étaient bien organisés socialement et
politiquement : c'estce qu'affirment les historiens arabes et portugais...
Vivant a une aire géographiquesituéeentre le sud de l'oued Draa et le
cap Blanc. notre société estsoumise a une organisation socio-politique
semblable I'organisation de toutes les sociétésnomades ou semi-
nomades. Comme partout ailleurs en Afrique saharienne. l'organisation

sociale chez nous a été profondénientinfluencéepar le mode de vie des
sociétesbédouines semi-orientales.Ceci est logique du fait de l'apport de
la civilisation arabo-musulmane qui marque profondément toute
l'Afrique du Nord et le désert sud-saharien ...
Dans leurs revendication sur le Sahara occidental. le hilaroc et la
Mauritanie invoquent des prétendues situations juridiques que leur
confèresoit une expéditionmilitaire al'intérieur des terressahraouies, soit
une allégeance politiqueavec leurs système politiques ou administratifs
respectifs...
Cette thèse serait concevable. bien entendu. dans le cadre d'une
occupation étrangèrea la suite. par exemple. d'une défaite militaire.tant
les exemples sont nombreux sur le plan historique :.c'est le cas des
empires ou émirats qui se sont étendus à un moment donné à des
territoires qui depassaient les frontièresde leur régne.Mais l'occupation et
l'allégeance.pour ètre définitives et considéréescomme facteurs de
rattachement du pays occupéa l'autoritédu souverain. roi. émir.etc..sont

soumises a des conditions bien deterniinéespar la science politiqire et le
dro~tinternational ...
Or ni le Maroc ni la Mauritanie ne peuvent justifier historiqueinent
l'existencede ces facteurs ...
L'Adrar avait une organisation socio-politique difïérente du systéme
sahraoui du fait de l'existence d'unémira l'autoritéduquel sont soumises
des tribusqui composent la société dans cette région etqui sont differentes
de celles du Sahara. Par exemple, a-t-on une seule fois entendu parler de
la soumission des Regueibat, Larrousiyine, Izirguin. Oulad Tidrarin,
Oulad Delirn. Toubalt Larnyar. Faykat. Moujjat. etc., authentiques
habitants du Sahara, a l'autoritéd'un émir del'Adrar ?Ou encore. les a-
t-on vus une seule fois participer a la confirmation de l'un des Oulad
Ahmed Aydda dans son trône ? )> ESPOSEORA DIE hl. LACLETA 139

En conclusion, au Sahara occidental au moment de la colonisation par
l'Espagne, ily avait une population douéed'une personnalité propre, popu-
lation libre et indépendante de tout autre pouvoir politique extérieur. En

particulier l'examen des faits nous a montré l'inexistence au moment de la
colonisation par l'Espagne de tout lien juridiqueentre le territoire du Sahara
Occidental et l'entité dit<<ensemble mauritanien 1)dont la réalitésociale,
politique etjuridique nesaurait êtreadmise.
Monsieur le Président.Messieurs les membres de la COLIT j. suis arrivéala
fin demon exposéetje nepeux que vous remercier dc la bienveillante attention
avec laquelle vous I'üvezecouté.QUESTIONS DE M. PETRÉN, DE SIR HUMPHREY WALDOCK
ET DE M. RUDA

M. P~REN : J'aideux questionsa poser :l'uneaux conseilsdu Maroc, de
la Mauritanieet de l'Algérie.t l'autreau conseilde la Mauritanie seulement.
Lapremière question adressé aeux conseilsdu Maroc,de la Mauritanieet de
l'Algérieest la suivant:Est-ceque des réponsesaux questions adressées5 la
Cour seraient de nature a apporter une clarificationjuridique d'unesituation
existant aujourd'hui et,dans ce casa quel égardest-ceque Iwréponsesde la
Cour auraient un tel effe?(Voirci-après p. 249-250,263 et 302.)
Ladeuxième question,adressée au conseilde la Mauritanie,est la suivant:
A quel moment et dans quel contexte est-ce que le terme censemble
mauritanien >)a fait son apparition pour la première fois ? (Voir ci-apres
p. 269-270.)

Sir Humphrey WALDOCK : The representatives of the Government of
Moroccoand the representativesof the Government of Mauritania have bolh
spoken of a certain overlapping of the intetests of their countries in the
territory to which the request foran advisory opinion relates.
Would the representativesof the Government of Moroccoplease assist the
Court by indicatingmorespecificallytheeffect whichtheyconsiderthealleged
overlapping interests of the two countries should be given by the Court in
replying to the two questions posed in General Assembly resolution 3292
(XXIX),and in particular to thesecond question ? (See i!fru.pp. 248-249.)
Would therepresenlativesof theGovernmentof Mauritaniapleaseassistthe
Court by furnishingit with their viewsonthe same point ?(See,i/$ro.pp.268-
269.)
M. RUDA : Je désire poserune question a la délégatiomauritanienne. Je
priela délégatiodne prendrelescartesnos2et 3annexéesason exposéécrit. 1-a
carte no 2 s'appelle (cParcours de nomadisation dans le nord-ouest de
I'ensemblemauriiairien (carie d'ensemble)» (IV, p. 374-3751, La carte no 3
s'appelle <Parcours de nomadisation dans le nord-ouest de l'ensembte
mauritanien(détails))>(IV,p. 380-38Il.Sion regardelacarte no2,on voitque
lescircuitsdes parcours denomadisationont unedirection nord-est-sud-ouest :
si on regarde la carteno 3. presque tous les circuits de parcours de noma-
disation ont une direction nord-ouest-est. Je demande a la délégation
mauritanienne pourquoi la carte d'ensemble aune direction de parcours de
nomadisation dimerentede cellede la carte de détails? (Voir ci-apresp. 288-
292.)

Le PRÉSIDENT :La Cour espèreque lesdélégationpsourront répondreaux
questions poséespendant le deuxiémetour desexposes. VINGT-CINQUIE~IE AUDIENCE PUBLIQUE (22 VI1 f6 h 30)

Prc'seti:s[Voir audience du 17 VI175.1

EXPOSÉ ORAL DE M. MARTINEZ CARO

h.1.hlARTINEZ CARO : Avec votre permission. Monsie~ir le Président et
Messieurs les membres de la COLI^ m.a tache consistera a formuler d'abord
quelques reflexions finales d'ordre juridiquea propos des questions soiilevées
devant vous. pour en arriver ensuite a certaines considérations d'une portéeun
peu plus générale. Avecmon intervention prendra fin l'exposéoral que la
délégation espagnole aeu l'honneur de présenter a la Cour ;j'essaierai d'être
aussi bref q~iepossible. car les points essentiels de fait et de droit ont étémis en
relief au cours des exposes précédents.
11résulte de l'analyse faitejiisqu'ici que, touten déclarant applicable la
dklaration sur I'octroj de l'indépendanceaux pays et peuples coloniaux au
territoire du Sahara occidental. la résolutuon 3292 (SXIX) portant requete
pour avis consultatif a formulé certaines questions qui. de par leur nature. sont
des questions concernant l'attribution de la souverainetéterritoriale.
Le fait est confirme par les exposes écrits et oraux du Maroc et de la
Mauritanie. IIserait difficiaenier. meme si on essaie maintenant d'en réduire
sa portée. par le truchement des allégations sur la nature simplement
déclaratoirede I'avisque la Cour peut donner.
Bref. t'analogie. voire l'identité.avec des questions territoriales soumises au

juge OLIa l'arbitre international. par le consentement des Etats. ne saurait ètre
cachée.
Or. une question concernant festatut d'un territoire appelle une réponse en
droit.
Nous sommes ainsi obligésde déterminer quelles sont les prétentions en
cause et aussi les règles du droit international d'après lesquelles ta Cour
pourrait donner une reponse en droit aux qtiestions qui lui ont étésoumises.
dans le cas ou la Cour n'admeütait pas le bien-fondé des exceptioris préli-
minaires que nous avons formulées.
En ce qui concerne le premier point. c'est4-dire la nature des prétentions
avancées parles Gouvernements du Maroc et de la Mauritanie. nous sommes
face 5 des prétentions de souveraineté sur un territoire. c'est-à-dire facea des
revendicütions territoriales. bien qu'elles s'insèrent dans le cadre des Nations
Unies. la base des prétentions m:irocaines étantnotamment l'existencede liens
historiques avec le territoire. la ikîatiritanie étayant ces prétentions sur des
bases ethniques. voire géographiques.IIexiste un certain parallelisme entre les
positions des deux Etats car:

1. Les conclusions des Gouvernements du Maroc et de la h4auritanie sont
concordantes dans la reponse negative a la question. de savoir si le Sahara
occidental étaitterra~ztrltiau nioment de sa colonisation par I'Espagrie.IIest
vrai que lesdeux gotivernements ne sont pas d'accord sur le fondement de cetteconclusion. car la notion de ferra ~itilli~est comprise par eux d'une façon bien
différente.
2. Par rapport ails liens juridiques sur le territoire. qiieslion que la Cour
devrait exainiiier si elle venait à répondre negativenieiit i la précédente.le
Gouvernement marocain, a la page 130 (111)de l'introduction a son exposé
écrit,nous a dit que : les deux questions poséesa la Cour sont intimement

liées))et sa réponsea la deuxième s'appuie sur une base historique, l'idéede
possession immémoriale.Quantaux conclusions de la Mauritanie, ellea priéla
Cour de déclarer « qu'au moment de la colonisation par l'Espagne la partie du
Sahara actuellement sous administration espagnole avait des liens juridiques
avec l'ensemble mauritanien ». Pour y arriver, on part ici d'une base
géographique. l'unitéde ce qu'on appelle l'ensemble mauritanien, dont les
élémentshumains, culturels, géographiques et historiques ont étélargement
exposes devant la Cour.

L'examen des faits auquel la délégationespagnole s'est livrée.cependant,
permet d'éclairerles donnéesfondamentales. et siir I'hisloire.et sur cet appea
la géographie. et conclure qiie les bases iiiènics des prétentions des delis
gouvernements sont contredites par les rails.
On voit que les deux thèses nesont pas exposéesdans la crudité de leurs
fondements geopolitiqiies. Le Gouvernement du R~laroc a fait appel. en tant
qu'un des eleinents fondaiiieiitüux de sa conception siir la iiotioride possesseur
irnméinorial. a iin argiiiiient pliis proche di1juridiqiie. la notion de contigui'té

territoriale. Lorsde I'aiidiencetenue le2 juillet. leconseil duGouvernement du
Maroc iioiis a dit que i(la possession iminémorialcsc foiidc i la fois stir iine
notion spatiale et sur une iiotion temporelle >p.La notion spatiale repose. a son
avis, sur des relations humaines et pose le problèmede la contiguïté(IV. p. 302
et suiv.)
II faut donc analyser cet argument particulier qui coristittie. cii qrielqtte
sorte. la couverture de l'argumentation historique.
Comme 1'~in de vous l'ajustenienl fait remarquer. la doctrine de la contiguïté
et d'autres doctriiies i base géographiqueoiii été la iiiode ati siècledernier.

surtout aus fins d'éiablirles limites d'occupatioiis f~itlires.Mais par contre:
<(by the end of the ccntury. international law had decisively rejected
geographical doctrines as distinct legal roots of tiîlc arid had niade
effective occupation the sole test of establishment of titte to new lands ».

On a adiiiis. cerles. qiie la coiitiguïtéterritori:le

(itogether with orlici gcogiapliical corisidcratioiiç. is ceriaiiily relevant.
but as a Fact assistiiig the deteri-i~iiiütioiiof the litiiits of an enective
occupation. not as an independent source of title »(Brilisli Yeur Book of
IiircrriutiotiulLon).1948, p. 342).

La conclusion es1 claire. <<contiguity is no1 a title M. elle ii'est'pas «an
independent source of title P.
Ces concliisions sont confirmées.d'ailleiirs. par lajiirisprudciicc internatio-
nale et par la pratique des Etats. IIest bien coiinti que les Iltats-Unis. lors de la
controverse avec I'IZspagneen 1815 sur les liiiiiics de la Louisialie. se sont
appuyéssur I'ideede continuité géographique. ainsi que dans la controverse
sur les iiiniles de l'Oregon avec la Graiide-Bretagiic. en 1814. niais ces
arguments ont et&avances pour jtislifier une occiipatioii postériciireet. de ce
fait. arriver5 établirla souverainetésur ces régions.
La mèrnecoiicliision peut Ctrc établieeii esaiiiiiiaiit d'aiitres controverses EXPOS ORAL DE M* ~IARTINEZ CARO 143

territoriales classiques. Tel est le cas du dilférend entre les Etats-Unis et le
Pérou,au sujet de l'llrde Lobos, en 1852 :du difrérendentre les Etats-Unis et
le Venezuela, entre 1845 et 1899,sur I'lle d'Aves: dans \a controverse, enfin,
entre les Etats-Unis et Haïti, en1873, sur I'//CdeNavcrssu.
Or. la notion de la contiguitén'a pas connu lin ineilleur sort devant l'arbitre

international. hii début dii siécle.elle a eté invoquée par le Brésildans la
controverse avec la Grande-Bretagne sur les confins de la Guyane. mais
l'arbitre. S. Al. le roi d'Italie. en 1904. rejeta toute prétentiontendaaétablir
lin titre de souveraineté aiirontime du seul fait que le territoire sous la
souveraineté d'un Etat formait une entité naturelle. une <unitéorganique de
fait». avec le territoire contigu objet du litige (Nations Unies. RPciiciil des
seirtericrsnrbi~ralest.SI. p. 21et suiv.).
Enfin, la notion de contiguïté a étérejetce dans des termes assez sévèrespar
l'arbitre Xlax Huber. dans l'affaire dI'IIde Puli?ius.eii 1928. Voici le passage.
bien connu d'ailleurs. de sa décision :

<(Ce principe de la contiguïtè n'est pas non plus admissible comme
méthode juridique pour le règlement des questions de souvcrainete
territoriale. car il manque totalenlent de précisioiiet conduirait. dans son
application. des résiiltatsarbitraires))

Telle est bien la norme. particuliéren~entapplicable aux données de la
presente affaire. car par rapport au grand espace saharien. qui va de
I'Atlaiitiqiiela iner Rouge. des abords de l'Atlasau nord jusqli'aiix fle~ivesde
l'Afrique noire. on est en droit de se deiilander oii s'arrêtela coritiguité
territoriale du prétendu possesseur imincmorial ; on est obligé aussi de se
demander ou sài-rètcnt les limites de ccttc iiiiitc géographiquequi constitue le
prétendu ensembleinauritanien.

Le conseil du Gouvernement marocain est conscient de ces limitations
juridiques. IIrend iiattribuer a la contigiiït1111rôle plutet auxiliaire. dans le
cadre de sa notion centralede possesseur irniiiémorial. A l'abride cette notion.
on afirme que la contiguïte est reconnue valable. car elle serait la base ou le
<support de rapports sociaiis réelssoutenant la possession immémoriale H (IV.
p.303).
Pour établircette conclusion, un s'appuie sur l'affaire concernant le Sla~lit
jtrridiqiidri Groi~ilaiidc~ri~~~isuulr. la base de l'uniténaturelle de I'ile.
Or. les choses sont bien diffcrcntes dans l'affaire dii Siurlrtjirridiïlrie dir
Grocï,il~ridorir~irnl, car au moment critique, c'est-à-dire a la date de
l'occtipation norvégienne. la Cour permanente de Justice internationale a
constaté l'exercice des fonctions ératiqiies de la part du Danemark : des
foiictions étatiq~iesj.e dois te soiiligner. par rapport I I'iledans sa totalité. Tel

est bien le cas des refercnces faites par le Danemark dans la correspondance
diplomatique au Ciroeland en général.ou aux colonies de Sa hlajcsté au
Groenland : tel est aussi le cas des clauses de certains traites excluant le
Groenland en général : finalemeni. c'es[bien Iccas de la législationdanoise par
rapport a la totalitédi1 territoire (C.P.JscjrirA/B i1".5_Jp. 41 et suir..). Des
actes semblables. de la part du Maroc. n'existent pas au sujet dii Sahara
occidental.
En lespèce. la Cour permanente a declaré I'existence d'iiiie souveraineté
danoise sur leGroenland. non sur la base d'une contigiiitégéographique.ni sur
la donnéeqtic le Groenland étaitune ~itlité naturelle par sa condition insiilaire.
De ce fait. l'étudedc l'lind'entre vous Blaqtielleje ine suis réfereprecisément.
conclut que :144 SAHARA OZCIDENTAL

<<The Court held Denmark to have actually displayed State authority in
regard to the whole of Greenland, stight though the impact of that
authority might have been in the contested part of the island. It lreated
Denmark as having shown not a constructive but an actual 'occupation'
of Eastern Greenland. » (Brifish Year Bookof I~rtenroîioriu law, 1948,

p. 344.)

Bref, la contiguïtépeut fixer les limites de la souverainetéterritoriale, sur la
base de I'existencede fonctions étatiquessur l'ensembledu territoire;mais elle
ne saurait sesubstituer a l'exercicede telles fonctions étatiqucar l'effectlvité
du pouvoir estla base du titresur le territoire.
Ces considérations sont applicables, nous le voyons tout de suite, dans la
prkente amaire. Ni la notion de contiguïté sans exercice des fonctions
étatiques, ni Jldée, plufôt mathématique que juridique, de l'ensemble sans
l'évidenced'une souveraineté étatique, ne sauraient ëtre pertinentes par rap-
port au territoire du Sahara occidental. L'essentielest. je le répèteune fois
encore, tes faits attestant l'exercice de fonctiond'Etatsur le territoire et. B
ce propos, nous espéronsavoir démontré, tout au long des exposésespagnols
précédents,que pas une seule pièce présentéedevant la Cour ne peut, être
considéréecomme preuve de l'existence de souveraineté sur le territoire

de la part du Maroc ou de la Mauritanie au moment de la colonisation espa-
gnole.
II convient de passer maintenant iil'examen des faits de souveraineté
invoqués par le Maroc et la Mauritanie du point de vue di1droit applicabte
auxdits faits. Ici. pour faciliter mon analyse. je crois utile de rappeler deux
donnéesimportantes.
Premièrement. ila étédit que [outrecours a des notions étrangéresau h'laroc
devrait ëire écarte,car l'Empirechérifien présenteune originalitépar rapportà
I'Etat européen. <(mais originalité aussi par rapport a 1'Etatmusiilman >(IV.
p. 259).Lerésultatde cette th& serait l'acceptation du particularisme au point
de vue juridique. car on vous conseille de vous placer. non dans le cadre des
règlesgénéralessur l'acquisition de la souverainetc territoriale. mais dans le
cadre de « l'allégeancepersonnelle )des grands caïds et des tribus au sultan du
Maroc.

Deuxièmement. en ce qui concerne les prétentionsde la hlauritanie. on nous
a parlédes parcours de nomadisaiion de certaines tribus. destombeaux des
ancêtreséponymes de ces tribus. du forage des puits ec de bien d'autres
éléments particuliers iila vie nomade et on a conclii que ces données
sociologiques serriient siiflisantes pour établir l'existence de liens juridiques
entre un prétenduensemble mauritanien a caractère historique et le territoire
du Sahan occidental.
Qu'ilme soit permis de diretout de suite par rapporti la thèsecentralede la
Xlauriianie que sa généralité rend plusdifficile de saisir savraie potée. La
notion d'<censemble >rcache une sorte de déterminismegéographique. propre
aux études de géopolitique. maiscadre mal avec un esamen sur la base du
droit. Qn est tentéaussitat de considérerque I'cnsemble mauritanien est une
sorte de communauté juridique internationale particulière. géographiquement
localisée. mais l'analysejuridique ne progresse pas. car cette notion est pIut6t

d'ordre sociologique et ce qui importe ici ce sont des rapports concrets et Ie
droit qui est applicableaces rapports.
La th&e mauritanienne se heurte aussi a une autre difficultéjuridique.La
République islamiquede hflauritanie n'estpas I'Etat successeur irnmkdiat du
prétenduensemble mauritanien historique. carla notion de hla~iritaniestnée EXPOSÉ ORAL. DE M.MART~NEZ CARO 145

en 1904. a un moment ou le territoiredu Sahara occidental avait déja une
existence bien affirinéeen fait et en droit.
Au fond. la thèse mauritanienne est bâtie sur un élémentde particiilarisme
juridique. de mémeque la thèseniarocaine. On vous invite a vous éloigner des
réglcset des categoriesdu droit international généralpour retenir des données

juridiques particulières: lesallégeancespersonnelles qu'on dit existant entre les
tribus du Sahara occidental et le hlaroc. d'une part. entre ces mêmestribus du
territoire et d'autres groupes humains dotes d'une organisation politiqiie
autonome. maintenant présentéscomme cosouverains. d'autre part.
L'appel aux liens d'allégeance personnelle. ainsi que l'invocation des
donnees propres a l'ensemble. soulèvenl immédiatement la question de savoir
quel est lesystème juridique qui serait applicablepour répondreaux questions
qui vous ont été soumises.
Par rapport a la première des questions incluses dans la résolutiori 3292
(XXIX),le hlaroc vous propose de rejeter la notion de terra riullii~spropre au
droit international général. Parcontre. leGouvernement marocain estime que :

<<La Cour ne devrait donc avoir aucune difficulte a retenir ilne notion
objective du territoire sans maître. excluant le subjectivisme et
I'européocentr-ismequi inspiraient les Etats coloniaux. » (III,p. 129.1

Cette notion dite « objective ))de l'avis de ce gouvernement, suppose un
territoire sur lequel ne s'exerce aucune autorité étatique ». Jusqu'iciIlithèse
marocaine semble exposer le droit commun, mais on ajoute tout de suite que
l'autorité étatiquesi elle existe,

<<ne doit pas nécessairement revêtir lesformes, ni reposer sur les idées
politiques qui avaient cours en Europe, mais qu'elle peut tout aussi bien
participer de types institutionnels et idéologiquestrésdifférents.
L'exigenced'autorité exercéesur le territoire est satisfaite dès lors que
celle-ci relève des systèmes traditionnels dans la région du monde
concernéeet que cette autoritéest effective. ))(Mid,)

On ne saurait pas se rallier a cette thèse. Elle suppose qula Cour pourrait
accepter une théorie ancienne, dite du <<monisme avec primauté dii droit
national B. Cette Cour et sa devancière. loin d'agirainsi. ont amriné dans une
jurisprudence constante que le droit international régitles rapports entre Etats
souverains et. de cc fait. les Etats sont soumis au droit international. Ici. par
contre. on affirme que le Maroc n'estsoumis qu'au droit marocain et que c'est
en conformité avec l'organisation étatique marocaine que nous devons
déterminer le caractère de [erra ~ilill durtersritoire.
La thèse présentéepar la Mauritanie constitue aussi un appel au parti-
cularisme juridique. Ilsufit de retenir la conclusion présentéea la page 57 (III)
de son exposé écrit, ou on demande a la Cour de dire en droit que <<ces

territoires n'étaient pas sans maître » et cela «quelle que soit l'hypothèse
retenue quant a la forme de pouvoir ou de souveraineté qui s'exerçait à
l'époquede la colonisation espagnole sur le Sahara occidental v.
Quant au Gouvernement de la Mauritanie, il y a trois hypothèses à retenir :
deux sont des hypothèses globales,a savoir pouvoir de 1'Etatmarocain, pouvoir
des tribus indépendantes du Royaume du Maroc sur le territoire ;mais en plus.
il existe une hypothèse mixte ou de conciliation :pouvoir de I'Etatmarocain et
pouvoir des tribus indépendantessur des territoires différents. Aucours de son
exposé écrit.ainsi que dans les interventions orales devant la Cour, le
Gouvernement de la Mauritanie a admis que lesTekna, qualifiéssans précision
majeure de groupe marocain, nomadisaient jusqu'a la partie nord de l'oued146 SAHARA OCCIDENTAL

Sakiet El Hamra. De ce fait. la conclusion finale est clair:leSahara occidental
n'étaitpas (erra ~~ullius l étaitl'espacedans lequel existaient deux formes de
pouvoir sur deux territoires dinerents: entre le paralléle27O40' et I'ouedSakiet
El klamra. l'organisation particulière des Tekna sous le pouvoir marocain.
donc sur la base d'une allégeance personnelle ;au siid de la Sakiet El Hamra.
une organisation du pouvoir propre au monde fabuleux de l'ensemble
mauritanien. basésur la cosouverainetédes tribus.
La these mauritanienne. par conséquent, loin d'écarter le particularisme
juridique. voire le monisme avec primauté du droit interne. tend a l'aggraver.

car il s'agit de deux particularismes. le marocain et le mauritanien, chacun
d'entre eux s'appliqiiant a des parties différentes du territoire du Sahara
occidental.
Devant cet appel au particularisme juridique. il faut serapporter. avant tout.
aux faits. Même si on admet que. dans la présente affaire.le droit applicable
pourrait étrenon l'exercice des fonctions d'Etat avec ses exigences propres.
mais des élements d'une autre nature. les faits présentésdevant la Cour
s'avèrentcontraires aux prétentionsavancées.
D'unepart. on a parle du faitque laconfédérationdesTekna. habitant I'oued
Noun. nomadisaient jusqu'au bord de I'oiiedSakiet El Hamra. lesTekna étant
considéréscomme relevant du pouvoir de l'Empire chérifienau moment de la
colonisation espagnole. De ce fait. on essaie de soutenir l'existencede certains
liens entre le Maroc et une partie du Sahara occidental.
Or. l'examen des faits appelle une double précision. Premièrement. au
moment de la colonisation espagnole, itest bien difficile.voire impossible.
d'attester une soumission de l'ensemble des Tekna au pouvoir marocain. Ce

pouvoir n'existaitpas, de fait. dans I'ouedNoun. Mais on ne peut pas accepter.
en deuxième lieu. une référencegénéraleaux Tekna sans distinguer. comme
l'ont fait toutes les étudessur ce groupe social. entre fes tribus sédentaires.
vivant dans la contréede I'oued Noun et les tribus nomades. Les premières.
soit lessédentaires.ont étéappelées.avec raison. « Tekna marocains ».car un
certain pouvoir étaitreconnu au Maroc et les dahirs de nomination des cai'ds.
nous l'avons dit. se réfèrenta cette partie des Tekna.
Par contre. en ce qui concerne les nomades. ilssont lesTekna libres. IIs'agit
de ceux qui ont ete appelésaussites <grands nomades indépendants ».a savoir
une partie des Ait Lahssen.des Izarguiyine,des Yaggout, des Ait Oussa .e sont
aussi les tribus les plus fortes qui pratiqiient le nomadisme et la puissance des
tribus et leur vie nomade permettent bien de parler de leur liberte et de leur
indépendance. Donc. on ne peut tirer aucune conséquence basée sur le
parcours de nomadisation des Tekna libres par rapport au irlaroc. car il n'existe
aucun lien d'allégeancepersonnelle. ni aucun lien de soumission de ces grands
nomades indépendants avec le Maroc.
D'autre part. en ce qui concerne la situation au sud de I'oued Sakiet El
Hamra. les faits que nous avons examinés antérieurement appellent une

réponseanalogue.
En effet. la notion d'ensemble mauritanien n'est accompagnée.ail point de
vuedes faits, par la preuve d'aucun lien d'allégeanceentre les tribus habitant le
territoire du Sahara occidental et les tribus mauritaniennes ou entre les tribus
du territoire et l'émiratde l'Adrar. Loin de se fondre et disparaître dans lecadre
dit ensemble mauritanien, les tribus du Sahara occidental ont mené une vie
propre et indkpendante des autres tribus sahariennes.
Comme nous l'avons dit ce matin. les traitéssignes avec les Espagnols au
moment de la colonisation. et en particulier lestraitesd'ldjilen sont la preuve.
car ces traitésévoquentl'idéed'une frontièreentre lesdeux territoires. Dans la EXPOS ERALDE M. MART~NE CZARO 147

tradition des hommes du Sahara occidental. leJat-al-Jnof. c'est-à-direla notion
d'uiie limite extérieure. est tres significative. et toute la tradition saharienne

démentl'idéed'lin ensemble dont le noyau serait extérieur au territoire.
Lerecours au particularisme juridique. de l'avisdu Gouvernement espagnol.
ne saurail être accepte nonplus quand on considère le droit applicable.
Premièrement. en ce qui concerne les rapports de souveraineté territoriale
qui affecteraientl'Espagne.on voit mal comment le droit particulier pourrait étre
considéréapplicable en ce qui concerne les exigences de la souveraineté
marocaine atorsque. par contre. le droit international général seraitapplicable
en cequi concerne l'établissement delasouverainetéespagnole. Cela vous a été
proposéquand on a soutenu que les conditions de l'exercicede la souvcraiiietk
marocaine doivent s'apprecier de façon différentede celles que l'onpetit exiger
de I'Etai occupant. Si on admettait une telle doctrine. le droit international
serait réduita néant.et surtout il serait difficile d'affirmer l'existencedu droit
international en tant qu'ordre juridique régissant les rapportsentre toiis les

Etats. indépendamment de leur organisation politique. socialeou Cconomiqiie.
Deuxièmement. l'appelau particularisme juridique se heurte h une difficulté
majeure. Votre jurisprudence a très bien mis en relief que 1'Etatqui invoque
l'existence derèglesde droit international particulières iine region dcterminée
est obligéde fournir la preuve devant laCour de l'existencede telles règleset de
leur application aux parties concernées.Cela n'a pasétéfait :je n'insisterai plus
sur ce point. car il n'estpas nécessaire de citerlespassages des arrêtsdelaCour
dans l'affairedu Droit d'asile.
Troisièmement. le recours au particularisme juridique basé siir dcs liens
d'allégeanceou sur l'idéed'unecommunauté naturelle arriverait 5vider de tout
contenu la notion mémede lasouverainetéterritoriale.
Dans l'affairede I'Ik de Paliiias,Max Huber a amfirme que la notion de

soiiveraineté parrapport a une partie de l'espaceest caractériséepar le pouvoir
et les fonctions Ctatiques. Si I'Etat possèdeiine compétenceescliisive sur son
propre territoire. cela decoule de l'exercicedes fonctions étatiques. De ce fait.
commeJules Basdevant l'asouligne dans son cours de 1936 I'i\cadémiede La
Haye. le fait essentiel est te rapport étroit existant entre le territoirc et les
fonctions qui incombent a 1'Etat.Un territoire est censéappartenir à i.inEtat
détermine.di1faitque. dans cet espace du globe, cet Etat exerceson poiivoir et
met en exéciition les fonctions étatiques. (J. Basdevant, Recl~eil drs ciilirs.
1936. t. 58. p. 616.1
Cette observation me conduit i une autre. ii savoir que la souveraineté
territoriale. en plus d'être unattribut de I'Etat, et seiilement de I'Etat. est
coiiditioiiriéctant 3 sa naissance que pouru-isurvie par cet üspcct positif de

l'exercicedes fonctions d'Etat. Jules Basdevant a tres bien exposé cettedonnée
en nous disant
<(que la soiiveraineté territoriale n'est pas un droit qui pourrait prendre
une forme négative etqui, une fois ne,devrait êtrerespecte, mémes'il
n'estpas exercé )(ibid.,p.6 17).

J'ai dit ail débutde mon intervention que la résolution 3292 (SSIX) avait
soulevécertains problèmes. de par sa nature. d'attributior~de la sotiveraineté
territoriale. tout en déclarant applicableau Sahara occidentIndéclaration sur
I'ociroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux contenue dans la
résolution 1514(SV).
En effet. la résolution 3292(SXIS) rappelle. au moins en trois occasions.
quelle est la vraie nature et la seule issue possibte de ce probléme de

décolonisation, qui est appelée la «question du Sahara occidental u.Nous148 SAHARA OCCIDENTAL

avons eu déjàl'occasion de le signaler devant la Cour en faisant référenceaux
paroles du distingué représentant de la Côte d'Ivoire quand il a fait la
présentation du projet de résolution devant I'Assembiéegénérale(ci-dessus
p. 40). Si nous lisons le texte de cette résolution (1,p. 6-7), nous constatons
que :

Premièrement. selon leparagraphe 3 du préambule.l'Assembléegénéralene

procède qu'après avoir réaffirmé « le droit a l'autodétermination des
populations du Sahara espagnol. conformement a la résolution 1514(XV) D.
Deuxièmement. dans le paragraphe I dti dispositif. on prccise que les
questions poséesa la Cour internationale de Justice sont « sans prgudice de
l'application des principes contenus dans la résolution 1514 (XV) de
I'Assembféegénérale B.
Cette nette affirmation ne pourrait rester dépoitrvued'effetsjuridiques quant
a la portéede la requête.
Troisièmement. d'après le paragraphe 3 du dispositif, le seul but de la
requête est d'uaccélérer le processus de décolonisation du territoire.
conformément àla résolution 1514(XV) )>.

En outre. l'Assembléegencrale. dans le paragraphe 2 du préambule. reprend
et réafirme toute une sériede résolutionsreconnaissant expressément le droit
du peuple du Sahara occidental à la libre détermination et a l'indépendance et
prévoyantl'application de la résolution 1514(XV).
Ces référencessont claires et décisiveset ont une valeur juridique précise
dans le système institutionnel des Nations Unies : elles marquent la
prééminence de la résolution 1514(XV).cléde voute de la décolonisation,dans
l'ensemble des règlesque la Cour devrait appliquer dans cette affaire. Or la
résoltition 1514 (XV) se base sur un seul grand principe, le droit a la libre
détermination despeuples autochtones. déterminant pour la décolonisation des
territoires non autonomes. C'est ce qiii ressort de son préambule. de son
dispositif et de toute l'économiede son texte.

Je n'insisteraipasdavantage sur desraisonnements juridiques qui pourraient
illustrer ce point méme.Ils ont étélonguement exposes de notre cotéet laCour.
dans sa sagesse. saurasansdoute trouver ceux qui lui conviendront. Je ne veux
pas essayer non plus de formuler des conclusions qui enferment. d'une façon
exhaustive. tous les points de faits et de droit présentéspar la délégation
espagnole dans son expose écrit etdans ses interventions orales. Toutes ces
conclusions ont étéformuléesen rapport avec chaque aspect particulier. et je
m'en remets a elles.
Pourtant. il convient peut-êtrede présenter une conclusion gcnérale des
exposésde Lapartie espagnole. quant aux:donnéesjuridiques de la question du
Sahara occidental. telle qu'elle a été soumisea la Cour. Une telle conclusion

pourrait êtreutilealaCour. qui dispose par ailleurs des plus grandes précisions
qui. conime je viens de le dire. se trouvent dans nos exposésprécédents.En la
formulant. je suis contraint. par cequ'un de mes collèguesa appelé<<la logique
formelle de la procédure consultative i),de réitérerque cette conclusion ne
prend son vrai sensqu'au cas OU laCour n'estimerait pas fondkes lesobjections
espagnoles en ce qui concerne l'opportunitéde son exercice de la fonction
judiciaire et sa propre conipetence.
A notre avis. et selon tous les élémentsa la disposition de la Cour. celle-ci
devrait constater qu'il n'existaitet qu'il ne s'exerçait aucune souveraineté
étatiquesur leterritoire du Sahara occidental au moment de sa colonisation par
l'Espagne.et qu'il n'existaitaucun lienjuridique intéressant lasouverainetésur EXPOSE ORAL DE M.MARTINEZ CARO 149

le territoire ni avec l'Empire du Maroc. ni avec le prétendu (<ciisernble
mauritanien ))entitéen tout cas sans pertinence en droit international.
En plus. dans sa réponse. la Cour ne pourrait éviterd'éclairerl'Assemblée
généralesur la relation existant entre la résolution 1514 (SV) ei d'autres
résolutions applicables auSahara occidental et lesuestjons soumises a liCour.

Je voudrais. pour terininer. offrir a la Cour quelques brèves considérations
d'une portée généraledans le cadre ou se situent les problèmes qiti nous
occupent dans cette affaire.
La présence et le rôle joue par la délégationespagnole dans I'affaire du
Saliara occidrtrraltémoigneni, a notre avis, du profond respect el de L'alla-
chement que 1eGouvernement espagnol ressent pour les hautes fonctions de
cette Cour, organe judiciaire principal des Nations Unies. Lesexposes écrits et
oraux, ainsi que la présentationdes informations et documenls en la possession
du Gouvernement espagnol. ont eu clairement pour but de collaborer avec la
haute mission de cette Cour et de prouver la bonne disposition envers l'action
politique de l'Assembléegénéraledes Nations Unies, a qui il appartiendra, une
fois que vous aurez répondu a sa requête.de continuer a connaître de cette
affaire.Si le Gouvernement espagnol a présentedes objections. a son avis bien
fondées, sur La rmevabilite des questions dans les termes ou ellesont été
formulées, étant donné la portée qu'elles pourraient avoir dans la réalité
politique internationale, celaa kte précisémentdans son désirde sauvegarder
l'exercice correct d'importantes Fonctions de justice internationale. un désir

avec lequel tous les Etats Membres de IOrganisation auront des raisons de
s'associer.
Je voudrais aussi réaffirmerque notrecomparution dans cette procedure n'a
pas eu pour but de défendre les droits de souveraineté sur le territoire du
Sahara occidental que le Gouvernement espagnol a déclaré publiquement être
disposé a transferer a Leurs Îururs et légitimes détenteurs. accepiaiit ainsi
librement le processus historique de la décolonisation. caractéristiquede notre
époque.On ne peut donc voir dalis le r6lejoue par l'Espagnedevant cette Cour
aucun essai d'exploiter. pour son propre bénéfice. lesdifferenis points de vues
qui. évidemment.ont étémanifestes par les Etats représentesici. L'Espagne ne
peut et ne veut pas se délierdu futur des peuples du Xlaghreb. avec lesqiielselle
est unie par des tiens déliniiifs de situation géographique et d'espi:riences
historiques. ainsi que par des intéretscommuns qui peuvent êtreincelligem-
ment favorisés par une coopération croissante. Pour l'Espagne. ce qui revêt
une très grande importance. c'estla paix. la sécurité.la stabilité etla prospérité
du nord de l'Afrique. Elle est donc disposéeau dialogue et a la coopkration
avec les Etats de la region. dans toutes les entreprises qui tendraieatréaliser

ces objectifs sur la base de la justice et du droit. Elle considère que I'auto-
détermination du peuple du Sahara occidental devrait aboutir a ce qu'iltrouve
la place qui lui revient tout naturellement au sein de la comniunaiité des
nations arabes. avec laquelle l'Espagne est unie par des liens pernianents
rondes sur l'histoire et sur une amitiésincère.
Dans I'aiTairedu Suliaru occidertral.l'Espagne a été respectueuseenvers les
h'ations Unies et ses organes des que ceux-ci commencèrent a adopter les
dispositions qui menaient a la dkolonisation du territoire tout au long du
processus qui a dure. naturellement. plusieurj années - je dirais bienpeu. si
on le compare a la marche généralede l'histoire.
Quiconque a participe aux activités des Nations Unies dans l'affaire di1
Saltara occidcirralpendant les annéesauxquelles je me réfère - et dans cette
salleil y a plusieurs personnes qui l'ont fait en des qiialitks diverse- peut
témoignerde la collaboration positive que nos delegaiions le~iront prCtee.Le150 SA11ARA OCCIDENTAL

Gouvernement espagnol a acceptélesrésolutionsde l'Assembléegénéraleet les
a mises en pratique selon que les circonstances l1iiont permis ou conseille.
En mêmetemps qu'il poursuivait une action de développement politique a
l'intérieurdu territoiret procédait a la préparation d'~inrecensement de la
population autochtone. entreprise dificile vu les conditions naturelles des
lieux. il se livrait aussi a une action diplomatique intense. menéefrequemment

aux plus hauts niveaux. et ayant pour objet de consulter les Etats qui. du fail
d'êtrelimitrophes. étaient intéressésau processus de décolonisation du
territoire et étaientreconnus comme tels par les Nations Unies elles-mémes.
Enfin, le Gouvernement espagnol, qui avait reconnu l'application du
principe de lalibre détermination au Sahara occidental depuis1963, année ou
le Comité de décolonisation s'occupa de cette affaire,pour la première fois,
annonça, le 20 aoUt 1974. l'organisation d'un référendumdans le territoire,
sous les auspices des Nations Unies. de la façon demandée par celles-ci, afin
que la population autochtone du Sahara occidental exerce son droit a
l'autodétermination.
X,fonsieurlePrésident. Messieursles membres de la Cour. l'expose écritdu
Gouvernement espagnol souligne. du commencement a la fin. le droit
l'autodétermination dupeuple du Sahara occidental. véritable protagoniste de
cette affaire. C'est en mentionnant ce peuple. libre quand l'Espagne est arrivée.
et que nous voulons maître de son destin. que je voudrais terminer l'exposédu
Gouvernement espagnol.
C'estla premièrefoisque la Cour se trouve defaço nirecte face2iineafîaire
relative a un territoire non autonome proprement dit. auquel la volonté
exprimée maintes fois par la communaute internationale exige que lui soit
appliquéte principe du droit des peuples a disposer d'eux-mêmes.
En reconnaissant qu'il en est ainsi, que la situation juridique crééepar les
dispositions de la Charte, par les résolutions des Nations Unies et par la
conduite de- la Puissance administrante et des Etats intéressés,s'avère

determinante par rapport a la demande d'avis consultatif, la Cour peut
contribuer, d'une façon importante, au développement du droit international
de la décolonisationet consolider les bases d'une solution juste et permanente
de la question du Sahara occidental.
Le PRÉSIDENT :Nous voici arrivés.au terme du premier tour des exposés
oraux en l'affairedu Sahara occide~iralLes Etats qui y ont participéet qui ont
exprimé le désir de reprendre la parole pour apporter des précisions
complémentaires et pour répondre aux questions des membres de la Cour
auront l'occasionde le faire durantun deuxième tour qui commencera lejeudi

24juilleta 10heures. Le premier orateur sera le représentant du Maroc. VINGT-SIX~E AMUDEIENCE PUBLIQUE(24 VII 75. 10 hl

Pr&eiits; [Voir audience d~iI7 VI175.1

EXPOS$: ORAL DE M. VEDEL
KEPRESIIN'Tr\NTDU GOUVERNEhIEST hIt\KOC;\IN

XI. VEDEL : blonsieiir le Président. Xlessieurs les membres de la Cour.
Iëmotion du débutant n'est pas réserveea lajeunesse;j'en suis aujourd'hui la
vivante preuve. Sans doute n'essaierai-je pasde faire croiaela Cour que je
subis pour la première fois Iëpreuve de la parole en public ou nieme celle des
débatsjudiciaires. Mais il ne m'avait pasétédonnéjusqu'ici d'affronter la barre
de la plus prestigietise des hautes juridictions et je ressens touti~la fois
l'honneur auquel j'accèdeet le périlauquel je m'expose. Ce n'est passeiilement
,de la science et du talent du Présidentet des membres de la Cour qiie je crains
d'êtreindigne. mais je redoute aussi la comparaison de mon inexpérience avec
celle des juristes et des diplomates de haut rang qui m'ontprecCdeou qui me
suivront a cette place. Lorsqu'on éprouve de tels sentiinents -- et ils sont
sincères.croyez-inoi - il il'estd'autre ressource que cellequ'employaient Lope
de Vega ou Calderon quand, a la fin d'une de leurs piéces.ils demandaientau
public d'excuser les fautes de l'aiiteur. La difference estque ces maitres illustres
se servaient de cctte Forinule avec la conviction qu'elle étaitinuti:tout a
l'opposé jepense que le plus i~ecessairepourmoi. avant de commencer. est

d'invoquer. Xlonsieur le I'residciit. Messieurs les membres de la Cour. votre
bienveillance et. s'il le faut. votre indulgence.
Le problème soumis a la Cour par la demande d'avis dont l'a saisie
l'Assembléegénérale des Nations Uniesn'estni facile ni sans importailce. L'on
devait certainement s'attendre des débats longs. approfondis et sérieux.
comme d'usage et, certes. les divers mémoiresde la procédrireecrite et leiirs
annexes témoignaientqu'il en serait ainsi.
Cette attente n'a pas etédéçue.Et il y a la un élemeritpositif. car il est fait.
d'une part.de la volonté desEt;its intervenants de fournirla Cour toutes les
données utiles qui sont en leiir possession et. d'autre part. de leur confiance
dans l'attention. le scriipiile et la patimenie de la Cour. Est-il pourtant
permis de s'étonner - peut-Stre est-ce la réflexion d'lin profane- de
l'importance qu'ont prise dans les productions écriteset dans Ics explications
orales des contestations hérissant de difficultéspréliminaires la sol~ttiondes
questions. pourtant simples dans leur principe. que I'hssenibléegénérale des
Nations Unies a voiilu solimettra la Cour ?
Ces contestations visent peut-être involontairement. mais sans doute
objectivement. ~nojnsle rond des qtiestions. tendent moiàscontredire lepoint

de vue du Maroc etcelui de la hlauritanie. qu'a mettre eii caiise la résolutionde
l'Assembléegénérale desNations Unies et au-delà de cette mise en cause à
infléchir. etpeut-étreridénaturer. le niecanisme mèn-iequi associe la Càula
vie des Nations Unies dorit elle est le principal organe judiciaire.
ALIdépart cependant les choses étaient assezsimples. Dans ses efforts polir
réaliser concrètement la decolonisation du Sahara occidental. I'ilssenibléegénéraledes Nations Unies rencontre un problenie juridique que lui oiit
signale le Maroc et la Mauritanie.
Selon lejugenieni de I'Assenibtéegénéralec.e probleine juridique est sérieux
et pertinent. Sérieux.carlesquestions qui se posent ne se résolvent pas pardes
évidences el lie peuvent pas étre tranchées après iin examen superficiel.
Problcnic pertineiit. car coninie on la deji dit et coiniiie il Iüudra hélas! le
redire.tasolution qui doit êtredonnée àces questions peut avoir des incidences
non négligeablessur les décis~oiisque I'ilssembléesera aiiienéeiiprendre.
Sans doute en demandant lavis de la Cour internationale de Justice,
l'Assembléen'a pas entendu aliénersi peu que ce soit son pouvoir de dkision
et sa responsabilitépolitique. Mais au nombre des élémentsdu dossier sur
lequel l'Assemblée doit se prononcer figure un problème de droit que
l'Assembléen'a pas cru pouvoir traiter parla prétéritionou par l'oubli. Elle

demande donc a la Cour de I'klairer surce probleme de droit en formulant
deux questions, toutes les deux juridiques.
Dans cette procédure. I'Asseniblk el la Cour soiit associées sans que
chacune iiihnnaisse ou soit amenée à iiieconnaitre le role qui lui revient en
propre. Les rôles de l'une et de l'autre sont en effet différentsdiffèrent par
leur nature. politique daiis un cas. juridique dans l'autre.
Je ne ferai pas a la Cour l'injure. qui se doublerait d'uiic iiaivctc. de lui dire
cequ'estle poiiit de vue juridique. Toul au plus oserai-je lui rappeler que cequi
caractérise le point de vue politique par rapport au poiiit de vue juridique.
coinnie d'ailleurs au point de vue ecoiioii~iqiieou au point de vue technique.
c'estsoli caractèreglobal. C'estque lepoint de vue politique est un poiiit de vue
synthétique qui fait masse de tous les autres. Qu'il s'agisse de politique
nationale ou de politique internationale. l'organe politique doit d'abord
rasseiiibler les doiinées de natures diverses qui iritcrf~reiit sur la décision
politique iiprendre et naturelleiiient. dans un trésgrand iioiiibre de cas. le
dossier du politiqiie coniporte des données juridiques. ilans certains cas. elles
peuvent érredcterrtiinanres. Par eseniple. Iorsque l'organe invesri du pouvoir
de décision politique se trouve devaiil une prohibitioii ou devant une
ir~jonctioiiiiiipentive de la règlede droit. Xlaisdalescas les plus nonibreux
et qui se multiplient au Turet a niesiire que t'os'élèvedans la hiérarchie des
organes investis du pouvoir de décision.les doiiiîi~s juridiques n'ont pas uii
role pleineineiii dlteriniiianl. Elles concourent avec d'autres doniiks à la prise
de décision par l'organe politique. On iie sait jainais a l'avance I'iiifluence
qu'ellesexerceront finaleiiieiit et ceci n'apparaitra qii'aprks l'iiitervention de la
décision.

Mais il suflic. pour qu'il soit iiécessairede les rasseiiiblcr. qu'il esiste une
possibilitélion purenient théorique pour qu'elles iiitervieiii~eiitdans la pesée
des considérations qii'eiivisagera I'orgaiie politique de décision. Cette
difEreiice de nature des dkisions politiques el des décisioiis juridiques
explique comment une coopération nécessaireel fécondepeut s'instituer entre
l'organe politiquequi décide et l'organejuridique appelé5l'éclairer.
Dans le système des Nations Unies. cest au principal organe judiciaire de
l'Organisation. cést-l-dirala Cour internationale de Justice. qu'il revientpar
la voie de l'avisconsultatif d'éclairerles instances habilitéesa le saisir sur les
questions juridiques les plus dificilet les plus in~portaiites.Si délicatque soit
le probleine auquel la deniande d'avisse rattache. si coiiipleses que puissent
apparaître les recherches dont lesrésultats soiitinis sous les yeux de la Cour.
on pouvait penser que le débat ne s'égareraitpas hors du sujet iiienie que
l'Assembléesoumettait a la Cour.
On pouvait s'attendreiice que de sérieusescontroverses de droit et de fait ESPOSC ORAL DE LI.VEDEL 153

retiennent l'attention. Et le temps de laCour aurait été consacreau point de
savoir si au moment de la colonisation le Sahara occidental était une terra

~trrllilet, dans la négative. quels liens s'étaientnoiies avec le Xlaroc et avec
I'ensemblemauritanien.
Or. on en vient se demander si l'esseniielde la contradiction apportéeau
point de vile du Maroc et de la Xlauritanie - du X,larocnotainment aqui est
revcnii le redoutable honneur d'otivrir la discussion - n'est pas finalement
étranger OLI en tout cas marginal par rapport ails qiiestions dont laCour est
saisie.
Sij'riibien compris. on est venu d'iciou de Ii exposer il la COLIe. premier
lieu que. polir des raisons diverseet d'ailleiirsassezcontradictoires entre elles.
la Coiir ne devrait pas répondre aux questioiis posecs : en second lieu qu'a
supposer que la Cour croie devoir donner suiteà la deinande d'avis elledevrait
écürter les questions rnêinesqui Itiisont posées et qui seraient entichées
d'éq~iivoques et peut-êtrede légèretéet leur en siibstitiier d'autres par la voiede
ce que l'euphémisme permettrait d'appeler l'interprétationconstructive de la
penséede l'Assembléegénérale.
Enfin. qu'à supposer que la Cour ne soit arretéepar aucun de ces ot>stacles

la réponsequi serait la sienne devrai1 êtred'abord carrément étrangèreaux
questions posées,puisqu'on ne devrait parler ni de terra ~t:rlliris,de liens
juridiques. ni de souveraineté. et cette réponse serait au surplus stéréotypée,
dictée ala Cour, puisqu'elle nepourrait consister qu'en un rappel du principe
d'autodétermination. d'ailleurs isolépar rapport a tout environnement juri-
dique et mutilépar sa réductiona l'institution du référendum.
A ce stade de la procédure. le hlaroc n'a pas I'iritentionde se livrer une
disciission ponct~ielledes diverses interventions orales. Ce serait abuser de la
longanimitéde la Coitr. Ce serait aussi s'exposer i des redites inutiles puisque,
siir certains points aii moins. la contradiction que nous croyons nécessaire
d'apporter s'adressera simultanénient ades thèsesveiiiies de points différents.
niais qui se recoupent au moins partiellenient. Enfin et surtout. une vue
d'enseniblc met a nu ta racine profonde de ccq~icnous jugeons ètredes erreurs
et qiti se trouvent dans la meconnaissrince des diffkrcnces qui separent le
politique et lejuridique et aussi dans celle de la coopérationqui doit s'iristituer
entre eux.
On eiit aime que cette discussion soit facilitée par l'emploid'une logique
conirnune qiii ~crniettrait de définirles points de contradiction. de lescerner et,
peut-ètre. de les réduire.Hélas. leschoses sont pliis compliquées!

Le conicnii des dialectiques qui telidena éviterque la Cour ne réponde aus
deus qiiestions qui lui sont posées estsous la dépendancede leur finalité.Tout
argunient est bon dès lors qu'il permet d'espérerqiie I'Assemblk généralene
recevra pas de la Cour l'éclaircissementqii'ellelui dernande. Dans les films a
cpisodes du cinéma miiet. si cette lëgereté m'est perniise. chaqiie fois que le
héros avait vainc11un ennemi. que l'héroïneavait échappéa lin péril.une
nouvelle péripétietes replongeait dans les difficiilteset eloignait le mariage qui
devait pourtant clore définitivement leurs aventures. Manquerais-je de révé-
rence envers vous, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, manque-
rais-je de courtoisie a l'égardde certains de ceux qui m'ont précédé 6 cette
barre en suggérant cette analogie qui ne touche certainement pas au fond,
mais se justifie par l'impression de voir se succéderles obstacles et les préli-
minaires faire place les uns aux autres ?
1-'iiiconvCtiientde cette logique finaliste est qu'ellefait flèchede tout bois et
qu'elleconduit a ce que le philosophe Bergsoii appelait ii<(sautillemerit de la
pensée n.Toiit préoccupéde ne rien perdre de ce qui pourrait écarterla Courde donner suite aux vŒux de I'rissemblle généraie,on avance un premier

argument. mais. polir poursuivre la démonstration. on l'oublieau profit d'iin
second rigoureusement incompatible avec lui et qui. ason tour. est sacrifiaun
troisieme. quitteà ce que. pour écartertelle ou telle objection. on ne revienne
en arrière.C'estainsi que. pour dissuader la Cour de rendre l'avisdemandé.on
allèguele fait que lesquestions poséesseraient tellement déterminantesqii'elles
ne sauraient relever de la competence consultative de la Cour ou niémede sa
compétenceen général.inais aussitôt après. on qualifie ces mimes qiiestions
d'académiques.
Pour dissuader la Cour de se pencher stir les dossiers qui doivent lui
permettre de répondre aux questions posées,on alléguera dans un premier
temps que la Cour aurait le pouvoir souverain d'écarter les questions qiie
l'Assembléegénéralea choisi de lui soumettre et de lui en substituer d'autres,
plus sages et plus pertinentes. mais. dans lin second temps. ce pouvoir
souverain se réduitquant au contenu des réponsesail devoir de la Cotir de
donner précisémentune réponsestéréotypee.
L'exposé.ou plut8t les exposes. que le Maroc va présenterà ce stade de la

procédure. s'efforceront de démonter ces pièges de pseudo-logique et de
recourir a une logique plus fidèleau principe de contradiction. Nous avons
essentiellement ledésirde vous persuader. h4onsieur le Président.h~lessieursles
membres de la Cour. que l'essentiel est tout de niéniede savoir. coinme le
désirel'Assembléegénérale.si. au moment de la colonisation. le Sahara était
une ferru ir~illiuset. dans la négative.ce qu'il en étaitde ses liens juridiques
avec le Maroc et avec l'ensemble mauritanien.
A la simplicitéde cet objectif répondla simplicitéde notre démarche. Dans
une première partie. nous nous efforcerons de démontrer que la Cour doit
donner suite à la demande d'avis. Dans une seconde partie. nous essaierons de
vous convaincre. Xlonsieur le Président. Xlessieurs les membres de la Cour.
qii'ilvous appartient de répondreaux deux questions poséesdans la demande
d'avis et non a d'autres qui leur seraient substituées ou ajoutées.Dans une
troisieme partie. qui ne m'incombera d'ailleurs pas.nous voiis proposerons de
dire que le Sahara occidental n'était pas. au moment de la colonisation. une
terru iri~lliiiset que. sous réserve de l'espace liéjuridiquenienti l'ensemble
mauritanien. il étaitsous la soiiverainete de I'Etat marocain.
Je commence donc la première partie de mes développements, celle qui

porte, peut-êtreprésomptueusement, comme intitulé :<<La Cour donnera suite
a la demande d'avis. »
II appartient. bien entendu. 3 la Cour. lorsqu'elle est saisie d'une demande
d'avis.de vérifierque cette demandeémane d'iin organe habifite. ce qui va de
soi. mais aussi. et peut-étresurtout. que la demande d'avis ne risque pas de la
faire sortir de son role d'institution judiciaire. ne conduit pas à dénaturer la
procédure consultative et a méconnaitre lecaractère nécessairementconven-
tionnel de la competence contentieuse :en bref. si. tout a l'heure.je m'étonnais
peut-êtrede l'étendue des développements consacrésà ces préliminaires, ce
n'estpas. croyez-le bien. le principe qui ni'en paraît peu acceptable. Xlais.si un
tel controle de la Cour qui découlede sa nature meme d'institution judiciaire
indépendante est nécessaire. il ne faut pas. au moins comme on I'afait de
manière implicite. jeter sur la procédure consultative une sorte de suspicion et
partir d'une espècede présomption selonlaquelle il faudrait démontrerd'abord
que la Cour serait compétenteet la demande d'avis recevable.Je crois qu'il faut
partir d'une présomptioninverse. Dans le cas particulier. l'Assembléegénérale

a statué aprèsun débatapprofondi. a une majorité nonéqiiivoque :elle a bien
pesél'intérêdte la demande d'avis.elle en a aussi trace exactement le libellé.Je ESPOSE ORAL DE hl. VEI)I:L
155

crois que c'est en sa faveur que la présomption doit jouer: elle doit erre
présuméeavoir légitimementuséde son droit de demander la collaboration du
principal organe judiciaire des Nations Unies pour I'eclairer sur un point de
droit controversé dont la solution lui parait utile pour pousser plus avant la
décolonisation duSahara occidental.
Sans doute. cette présomptiorin'est-ellepas irrcfragabte. mais. du moins
psychologiquement sinon juridiqueinent. c'est d'elieqii'il faut partir et ce qui
Iiiest opposéce sont des objections dont le bien-fondéest prouver par ceux
qui les invoquent. Or. ces objections. quelles sont-ell?s
La présentation par les représentants de l'Espagne a obéia cette logique
sakitillanteque j'évoqiiaisplus haut et ceci n'en facilite pas la discussion. Bien
plus. l'argumentation a étédéveloppée avecbeaucoup de profusiori. Pour
siiilplifier et pour abréger mes explications.je vous demande la permission.
Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour. de regrouper les
objections espagnoles en trois énoncés.
La premiere objection de l'Espagne est que. sous couvert de procédure
cotisiiltativils'agirait de faire trancher par la Cour un différend.et ceci au
niepris de la règledu caractère volontaire de la conipétencejuridictionnelle.
La deiixième objection qui reprend la précédenteen lui ajoutant un aspect

specifiqiie. c'est qu'en faitla Cour serait saisie d'une contestation territoriale.
La troisième objection. peut-étrela plus difficila saisir. est que la Cour ne
trouverait mêmepas matièrea statuer. car leproblémequi lui est soumis serait
tranché déjàde façon définitivepar les résolutionsvotéesprécédemment par
l'Assembléegénéraleconcernant leSahara occidental. de tellesorte que laCour
serait en présenced'une question académique.
Si je devais reprendre ces objections une par une. et dire tout ce qu'elles
peuvent inspirer. j'abuserais de votre temps. La délégation niarocaine.
notamment par la bouche de mon collègue etami le professeur Dup~iy.ont
déjà largenient repondu d'avance sur Lin certain nombre de points et
notamment par l'utilisation de la jurisprudence de votre Cour ou de la Coiir
permaneiite.
Je pourrais donc. des lors. procéder d'une autre manière en renvoyant a ce
qui a dkjà étédit. en ajoutant peut-êtresur tel ou tel point un rappel et. le cas
echcant, en faisant - excusez-moi de cette persistance a parler le langage du
cinénia - en faisant un ou deux gros plans sur une question déterminée.

La premiere objection opposée par l'Espagne est que. sous couvert de
procédureconsultative. il s'agirait de faire trancherpar la Cour un differend
alors que l'une des partiesace différend.l'Espagne. n'accepte paslajuridiction
contentieuse. I-a réponse a cette objection avait déjàétédonnée de façon
approfondie par la délégationmarocaine tant dans la partie de la procédure
relative a la composition de la Cour quedans la partie de la procedure actuelle.
Je ne redirai pas ce qui a été sibien et si utilement dit. Je me borne simplement
à qiielqiies remarques.
En premier lieu. l'existence d'une procédure consultative confiée a un
organe judiciaire qui garde dans l'exercicedesa fonction consultative la nature
judiciaire a deiix conséquences nécessaires. II est clair tout d'abord que la
procédure de l'avis - et cette idée nerencontre aucune contradictioii - ne
saurait aboutir directement ou indirectement i ce que la Cour. par voie
consultative, rende une décisionayant des effetséquivalant i ceux qu'aurait eu
lin arrêtde nature juridictionnelle qui n'aurait pli ètre rendu qu'autant que les
parties auraient accepté. d'unefavon OU d'une autre. lajuridiction de la Cour.
Mais il est non moins clair que la Cour. pourvii qu'il s'agisse dequestions
juridiques, peut avoir par la voie consultative ri statuer sur des points156 SAHARA OCCIDEhTAL

controversés sur lesquels les divers Etats intéressésont des opinions
dilfërentes. Sinon. il n'y aurait pas besoin d'une procédureconsultative : elle
serait inutile en présencede points de vue convergents et unaniines et j'ajoute.
cet argument voiis a déjàété développéde façon très pertinente. la possibilité
de désignationd';injuge ad hoc n'aunit pas de sens.
C'estentre ces deus limites que se situe l'activitéconsultative de la Cour.
Toute la thèse espagnole consiste a soutenir qu'ilexiste entre I'Espagneet le
hlaroc un différendqui par sa nature ne saurait relever du rble consultatir de la
Cour. Dans le langage qui a étéutilisé a cette barre. I'onadistingué un (<grand
difirend » ou un différend global etce que I'ona appeléun <(petit differend)).
ou plus exactenlent une opposition d'opinions juridiques sur un problénie
particulier.
Le grand differend, c'est le problème global des modalités de la
décolonisation du Sahara occidental actuellement administré par l'Espagne.

hlais ce ii'est pas une question qui se limite. même defaçon principale. aux
des Nations hUnies. elle concerne les Nations Unies dans leur eiiseinblepagneet
- a
noter simpleineiit qu'a l'intérieurde l'organisation le hlaroc et la Mauritanie
ont reçu la qiralite d'Etats concernés.
Et il ya. d'aiitre pari. ce que I'oa appeléle « petit differend».la question
juridique coirtroversee. celui-làsnèritequi fait l'objetdes questions posées : la
situation de terra r~~rlliisu Sahara occidental au moment de la colonisation.
les liensjuridiques avec l'ensemblemauritanien et avec le hfaroc. C'estcelui-la.
hlonsieur le Président.Alessieurs les membres de la Cour. qui vous est sounlis
et. comme oti aura niaintes occasions de le redire. ne serait-ce quc pour ccarter
l'insistance avec laquelte on remet devant vos yeux toute l'affairedu Siaiirfde
la CcrrC;Iieoripiirulc. la solution de la controverse juridique qui se déroule
devant vous - si elle peut avoir des incidences sur les conditions dans
lesquelles la décolonisation du Sahara sera opérée - ne réglera pas parla
mëme de façon directe cette question et. par conséquent. le prkcedeni que I'on
invoque - eiI'oncomprend pourquoi - tie peut pas l'êtrede raçoti sérieuse.

Je noterai en passant un point qui n'est pas sans importance. Le problème
juridique qui vous est soumis par I'Assenibléedes Nations Unies n'est pas né
en 1974 : ily a bien longtemps que le h,laroc soutient que la colonisaiion
espagnole dans le Sahara occidental a portésur des territoires qui étaientsous
sa souverained. II se trouve que cette controverse a ete activée par la
nonchalance qu'a mise l'Espagne a promouvoir la décolonisationqui lui était
deniandee. Et alors 1 partir du moment ou cette nonchalance de la part de la
Puissance adminisirante obligeait l'organisation des Nations Unies a approfon-
dir Ic dossier du Sahara occideiital. a envisager le moyen de sortir soit de
I'enliseinent soit de voies qui n'auraient pas été très conformes i une libre
déterniinatioiiauthentique de la population du Sahara occidental. I'Asscmblec
générale a pli estimer que le dossier juridique prenait une importance
partic~iliereci poiivait-elle inieux faire pour l'étudieret le résoudrque de le
souinettrei la Cour ?
S'ensuit-ilpourtant que la controverse qui oppose aujourd'hiii sur les deux
questions posècs a laCour ta Mauritanie et le Maroc. d'une part. eiI'Espagne.
d'autre part. ne puisse pas lui êtresoumise par voie consultative ? Répondre
affirmativement ce serait interdire dans son principe méme la procédure
consultative. car la plupardes hypothéses OU I'onconsulte sont celles ou il y a

des divergences de points de vue.
A cet égard. qu'il me soit perinis de relever une argumentation du
représentant de l'Espagne qui m'a paru spécieuse. ESWSE ORAL DE hl.YEUEI- 157

II s'agitde cequi a étédit à la séancedu 17 juillet (ci-dessus p36).
Le représentant de l'Espagne s'est efforcé de montrer que les questions qui
font l'objetde la requête concerneraientles relations entre Etats. dans lecadre
du droit international général.dans le cadre de ce qui - pour employer le
langage du profweirr Dupuy. que la délégationespagnole a bien voulu
emprunter a son tour - se rapporte au droit relationnel. Alors. comme le fait
valoir le représentantde l'Espagne. il ne s'agitpas réellementde statiier dans le
cadre d'un droit institutionnel mettant en cause le fonctionnement des Nations
Unies. La demande d'avis, par conséquent.appeléea intervenir dans le cadre
des relations interétatiqueset du droit international généralet non pas dans le
cadre institutionnel da Nations Unies, ne serait pas recevable car elle dissi-
mulerait une solution d'un différendrelevant normalement-du confentieux.
C'est oublier que I'~!ssembléegénéralen'a jamais demandé a la Cour de
l'éclairersur un diflerend qu'ily aurait entre l'Espagne et le X,laroc.Elle lui a

demandé de l'éclairersur un point de droit sur leqiiel il y a des controverses
mais qu'il lui parait necessaire d'approfondir et de résoudre pour aller pliis
avant dans sa politique de décolonisation.
J'ajoute ceci: c'estque la difference essentielleentre un arrêtet un avis nést
pas nécessairement de nature matérielle. Ce n'est pas nécessairernent le
contenu de la question qui fait ladiflërence et la mèmequestion - je veus dire
le mêmeprobleme juridique - pourrait venir devant la Cour en tant que
probleme juridique. selon lescirconstances. par une voie ou par l'autre.
La differences essentielles entre I'arrèt et I'avissont de nacure organique.
L'avis nepeut êtredemandéque dans lecadre de I'esercicede ses compétences
par I'iindes organes habilités asaisir la Cotir. Mais il peut êtredemandédth
lors qu'il sesitiic dans ce cadre. ELmênze si la meme question pouvait donner
prise a la compétericejuridictionnelle de la Cour. parce que les Etats l'auraient
saisieet s'ise trouve que dans le cadre appelé tout a l'heure jnstitutirinne>>
cette question offre un interèt pour le fonctionnenient de t'institution des
Nations Unies. la Cour peut se trouver appelée ien connaître. Je dirai que la
différencedans la nature organique des arrêtset des avis se manifeste sur bien
d'aiitres points et notamment sur celui de la force attachéea la décisionde la
Cour. Or. il me semble que la Cour. si elle éprouvait qiielque crainte de sortir
de son rOle consultatif. pourrail ëtre rassurée. 1,'avisde laCoiir aura. non

seulement taforce propre attachée a ses avis - qiii est grande mais qui n'est
pas contraignante -, mais encore, étant donnéla nature de laquestioit posée,
celle-cin'aura auciin effet operatoire. direct et aiitomatiqiie. On est bien dans le
cadre institutionnel. piiisqiie c'esta l'institutionqui aura obtenu I'avisd'en tirer
des conséqiiencessur son terrain propre qiii est celui di1chois potitique. éclaire
mais non déterminepar le point de vue jiiridiqiie. Et. sije renvoie piirement et
simplement aux explications de M. Dupuy (IV. p. 134 et suiv.) sur l'affairedu
Slcrtfide //aCrrrC;/irrieiiralec'estprécisément parceque l'analyseque je viens
de faire a peut-6tre éclairede surcroit cette idée qu'iln'y a pas de parallèle a
raire entre I'espéceprésente et celle du Stuitrr de lu Carc;lic .rieiituleVU le
retentissement de I'avissur lesdirficuttésqui peuvent séparer les parties et qui
d'ailleurs sont elles-rnérnes- sij'ose dire- absorbéesdans le probteme insti-
tutionnel de la décolonisation duSahara occidental. il n'yaura pas d'incidence
directe et-automatique de I'avis que vous rendrez siir la décision politique.
La deuxième remarque vous met devant iine sorte de rjisonnement par
l'absurde. Supposez que I'avisqu'il vous est demande de rendre soit revêt1d 1e
l'autoritéd'un arrètet que, commele proposent le Maroc et la Mauritanie, il dise
terres
marocaines et malirjtaniennes. Supposez qu'ilen soit ainsi. De quelle exGcution158 SAIIARA OCCIDESTXL

cette décision serait-ellesusceptible?Tout le monde est d'accord pour dire que
cette réponse n'entrainerait pasen elle-mémeune déchéance dutitre espagnol.
Ce n'estpas l'originede son titre qui peut amener I'Espagnea quitter leSahara
occidental, c'esttout simplement le principe de décolonisation.
Les relations entre le Maroc et la Mauritanie, d'une part. et I'Espagne.
d'autre part. ne subiraient pas de modifications juridiques ;l'ordonnancement
juridique demeurerait ce qu'ilétait.Donc. par cettesupposition qui donnerait a
votre avis la force de I'arrét.il apparait tout de suite que I'on ne peut pas faire

grief a la Cour de s'écarterde sa compétence consultative puisque la question
mèmequi lui est posée.meme par la voie contentieuse. aurait produii. si j'ose
dire. des effets consultatifs.
C'est sur le plan institutionnel que l'avis peut être opérantquant aux
cléments nouveaux qu'ilfournira a l'Assembléegénérale.d'ailleurssouveraine.
pour lui attacher telle ou telle conséquence.Si bien que I'onpeut se demander.
non pas comme le fait l'Espagne si l'activitéconsultative de la Cour dans la
présente affaire ne déguise pasune activitéjuridictionnelle. mais au contraire
si. eri touEtatde cause. laquestion juridique poséene relève paspar escellence
de l'avis consultatif. Et cette observation me fournit une transitioii pour la
troisièmeremarque.
Le représentant espagnol a presenté a la Cour un argument qu'il a cru
topique et qui est certainement i votre esprit. car il avait étéénonce dans la
procédure relative a la composition de la Cour et il a étérepris dans le débat

présent (ci-dessus p. 16). En substance, l'argument revient a ceci :l'affaire
soumise 5 la Cour est tellement constitutive d'un differend qui ne pourrait être
tranchéque par la voie contentieuse. elleest tellement semblable a ce différend
que le Maroc. par la bouche de S. hl. le Roi. avait initialement proposéque la
question ou les questions qui sont aujourd'hui portéesdevant vous par la voie
consultative fussent soumises a la Cour par la voie contentieuse.
Cette allégations'accompagne d'ailleurs du reproche fait au Maroc d'avoir
par cette proposition du Roi voiilii placer ta question du Sahara en marge de
l'activitéde l'Assembléegénérale.Ecartons ce reproche d'un mot : ce n'est pas
le hlaroc mais c'est l'Espagne qui a voulu soustraire le sort du Sahara
occidental a l'activitéde I'Assenibléegénéraleen affirmant soli intention
d'organiser unréférendum unilatéralemente ,n dehors du régimeétablipar tes
résoiutionsde l'Assembléegénéraleet. peut-ètre. reviendra-t-on à cette barre
sur la portéede la déclaration du 23 mai dernier faite par le Gouvernement
espagnol.

En ce qui concerne le Maroc. ilsuffit de faire observer que la déclarationde
S. hl. le Roi ne tendait nullement a dessaisir les Nations Unies et leur
Assernblée geriérale. Elle comportait une phrase qui a étérappclk par
l'Espagne :« La Cour deJustice - disait Sa Ir,lajes-édira ledroit sur lepoint
de savoir s'il n'y avait aucun pouvoir ni aucune administration établiesur le
Sahara. » Et cette phrase étaitaussitôt suivie d'une autre qui n'a sans doute
pas été citéejusqu'ici devant la Cour :<(Elle [la Cour] pourra 1 ce moinent-la
cclairer l'actiondes Nations Unies pour recommander au X,larocet a I'Espagne
la voie i suivre.>> C'est bien la preuve que la saisine de la Cour. mime si
l'Espagne avait consenti à cette saisine par la voie contentieiise. n'aurait
nullement dans ['intention du X'Iarocdessaisi si peu que ce soit l'Organisation
des Nations Unies.
Quant a l'argument selon lequel le véritablecaractère des questions qui vous
sont demandées par la voie de l'avisserait révélé palre rait que le klaroc avait
envisagé éventuellementavec l'accord de I'Espagne une procédure conten-

tictise.je crois qu'il estsans portée. D'abordparce que nous ne savons pas - et EXPOSEORAL DE hl. VEDEL 159

nous ne le saurons jamais - quel aurait étéle contenu exact du contentieux
soumis à la Cour. Ce contenu n'aurait étédefini que par un compromis qui.
évidemment, n'a pas été signéL . a proposition de S. M. le Roi pouvait bien
indiquer la voie pacifique etjuridique dans laquelle le Maroc invitait l'Espagne
a s'engager avec lui :il n'appartenait pas a une déclaration du monaique de
donner une qualification juridique à une affaire :en tout cas. il ne lui ap-
partenait. pas plus que de dessaisir l'ONU.de soumettre à la Cour un différend
territorial:il n'y a pas un mot des déclarations royales ou gouvernementales
qui indique ce qu'aurait étéla question soumise a la Cour.
En second lieu, rappelons ce qui a été dit plus haut de la distinction des deux
types de compétence de la Cour. la compétence juridictionnelle et la
competence consultative. La difference,on l'a dit. est non pas exclusivement
matérielle mais trés largement organique. Le trait essentiel qui caractérise

l'activitéconsultative de laCour tient au mode de saisine de laCour. a l'effetde
la décision etsurtout au fait que, pour reprendre l'expression empruntée a
hf. Dupuy mais inexactement appliquée. la demande d'avis se placedans le
cadre institutionnel et ne prétend pas empiétersur le domaine des relations
interétatiques regies par le droit international général.
A suivre l'Espagne,on arriverait d'ailleursa un résultatcurieux. a savoir que
le seul faitpour le Maroc d'avoir proposé.sans y réussir.une saisine de laCour
par la voie juridictionnelle aurait eu pour effet de priver l'Assembléegénérale
du droit de demander un avis sur cette question ayant fait l'objet d'une
tentative auparavant. Or il est évidentque cette conclusion est inadniissible.
Tous les Etats formant l'Assembléegénérale.et la Mauritanie notamment. ne
pouvaient pas voir bloquer la possibilitéde demander'qu'il soit uséde la
procédure de demande d'avis par le seul fait qu'a un moment donnél'un des
Etats Membres de I'Assembléegénérale avait envisagede porter la question
devant la Cour par la voie contentieuse. En réalité.pour aller au fond des

choses. on peut se demander s'il ne faudrait pas inverser le raisonnenient dii
représentant de l'Espagne. Je veux dire par laque le problème n'est pas de
savoir si l'Assemblée générale apu. dans le cadre de l'exercice de sa
compétence. poser les questions devant lesquelles la Cour se trouve. mais la
question est de savoir si celles-ci auraient pu être posées par la voie
contentieuse. alors que lesconséquencesde I'arrétqui aurait étérendu n'étaient
susceptibles d'êtredéduitespar aucune des deux parties qui seraient venues a la
barre de la Cour. Car. enfin. si l'Espagne s'étaitprétéea la procédure qui lui
étaitproposée.si laCour avait juge bon de statuer. l'arrêtaiirait étésimplement
verséau dossier du Sahara occidental et I'Assemblée généraleen aurait tirételle
conséquence qu'illui appartenait d'apprécieret dont aucune n'aiirait découlé
automatiquement de l'arrêtde la Cour.
Au fond. ilaurait étébeaucoup plus plausible de soutenir qiie J'arrétaurait
étéun avis déguisé que de venir soutenir aujourd'hui que l'avisdemandéserait
un arrêtdéguise.

Je conclus donc sur cette première objection de l'Espagne qu'il n'y a dans la
demande d'avis dont la Cour est saisie aucun détouriiement de procédure -
pour parler ce langage reçii dans mon droit national. La Cour est saisie de
queslions sur lesqtieltes certes les Etats concernés ne sont pas d'accord etqui
forment controverse entre eux. mais elle n'en est pas saisiepar ces Etats ;elle
en est saisie par I'Assembléegénéralea l'information de qui la réponse est
nécessaire pour exercer une activité relevant de sa competence. L.'avis a
intervenir ne créeraaux Etats ci~ncernésaucun droit direct 011 automatique.
mêmes'ildoit êtreutilisé.cequi est normal. comme Linargument pour justifier
les préférencesde tel ou tel d'entre eux. pour tel ou tel processus de160 SAHARA OCCCtENTAL

décolonisationau Sahara occidental, Mais le processus lui-mêmeest aux mains
de l'Assembléegénérale.qui n'est liée ni par ces préférences ni mêmepar l'avis
éclairant. nondéterminant comme on vous l'adit :on est vraiment au cccur de
l'activitéconsultative de la Cour. et ceci doit vous faire rejeter ta première
objection proposéepar I'Espagne;
La deuxièmeobjection. celle du différendterritorial. nous retiendra beau-
coup moins longuement car elle n'est que la reprise. sous l'aspect parti-
culier. de ta première objection.
La Cour n'est actuellement saisie d'aucune contestation territoriale. Si. en
effet. on portait devant elle une contestation territoriale par la voie déguiséede
l'avis. il faudrait déterminer entre qui et sur quoi porte cette contestation.Or
sur la question ((entre qui serait le contentieux territorial v.il n'ya que deux
réponsespossibles : le contentieux territorial serait entre la Mauritanie et le
Maroc. d'une part. et l'Espagne.d'autre part :ou lecontentieux territorial serait

entre la Mauritanie et le hlaroc. Je ne vois vraiment pas d'autres hypotheses. II
n'y a donc que deux hypothèses. et je vais vous montrer brievernent que ni
dans l'une ni dans l'autre de ces hypothèses il n'y a matière a un contentieux
territorial.
Y aurait-il un contentieux territorial entre le Maroc et la Mauritanie. d'une
part. etI'Espagne.d'autre part ?
les questions posées.et assez paradoxalement le reproche en a étéfait.
concernent. vous le savez. une situation passée.IIs'agitde savoir quel &tait.au
moment de la colonisation, le statut du territoire colonisé? Et personne n'a
soutenu. et certainement pas le Maroc. que le titre d'occiipation de l'Espagne
au Sahara occidental, sur le Sahara occidental, serait susceptible de voir sa
valeur annuléeou diminuée. selon qu'ily aurait eu oit non colonisation d'une
terra riirllitrsou d'une terrnorirrrrllius.Par conséquent. il ne s'agitpas de faire
revivre un litige territorialu passe et on accordera que. de ce point de vue. ta

contestation territoriale est difficilea saisir.
Mais il ne s'agit pas davantage d'une contestation territoriale présente. Le
Maroc ne prétendpas. n'ajamais prétendu. n'aurait jamais prétendu. mèmesi
laCour avait étésaisie par la voie contentieuse avec l'assentiment de l'Espagne.
que la décisionde taCour, mêmefavorable à sa thcse. aurait eu pour effet
d'investir le Maroc d'un titre juridique ayant un effet direct ou Lin effet
automatique.
Ce qui met en cause la présencede l'Espagne au Sahara occidental. je l'ai
déjàdit. ce ne sont pas les conditions de la colonisation. c'est le principe de
décolonisation.
Donc. dans le présent il n'y a pas de contestation territoriale. II ne s'agit
méme pas devous faire trancher par avance une contestation territoriale
future. car 1'e.t de l'avisde la Cour ne sera pas d'imposer a quiconque une
obligation juridique déterminée.De l'avisdu blaroc. si les réponsesde la Cour

aux qirestions poséessont celles qu'ilcroit exactes. l'Assembléegénérale seraen
possession d'une donnée importante qui sera versSe au dossier du probléme
politiqiie que l'Assembléegénérale devrarésoudre. Mais la Cour n'aura
tranché ni directement, ni indirectement, un litige territorialOn ne peut
mêmepas dire que l'Assembléegénéraledans toute sa souveraineté tranchera
un litige territorial. car une procédure de décolonisation. sielle peut avoir des
incidences territoriales. n'estpas en elle-meme une sorte d'arbitrage faisant Lin
sorta des prétentions territoriales. Quelque effort que fasse l'Espagne. il est
impossible de dire qu'entre elle et le hifaroc ou la Mauritanie - car ce serait
vrai aussi du côtéde la Mauritanie - il y ait, que l'on se place au présent,au
passé ou au futur,un litige,territorial. Keste la deuxième hypothèse. Yaurait-il lin litigeterritorial entre le Maroc et
la Mauritanie? II n'y en a pas. et ceci pour les raisons rnëmes qui vieniiei~t
d'étredites. mais en outre il faut tenir compte de ce que. dans les questions
posccs a la Cour. riexplicitement. ni implicitement. ni a plus forte raison dans
le présent ou dans l'avenir, il n'y a d'invitation a opérer une deliiiiitation
territoriale. Et. ce qui est aussi important. c'estqu'une telledélimitationn'esten
rien nécessaireà la solution de luquestion posée.
Supposons que. sur la premiere question. la Cour réponde que le Sahara

occidental n'étaitpas. au moment de la colonisation. une Ierru t~irlliiis.Elle
aurait a répondre a la deuxième question relative aux tiens juridiques avec
1'Etatmarocain et l'ensemble mauritanien. Or elle peut le faire, et totalement.
quel que soit le contenu de sa réponsesur ce second point sans opérer aucune
délimitatioii.Cést si vrai que le hlaroc et la Xfauriianie n'ontjamais demandé.
a un moment quelconque a la Cour. de trancher un problème territorial qui
serait pendant entre eus ou qui aurait même simplement un aspect historique.
Sansdoute ont-ils prcsente des titres dont la coincidence gcographique n'est
pas toujours absolue. Ceci s'explique d'ailleurs aisément. coninie l'avait
remarqué au nom du Maroc hl. t'ambassadeur Slaoui (IV, p. 1 18-1191, et
comme l'a notéau nom de !a Mauritanie M. l'ambassadeur Moulay el Hassen

(IV. p. 306).
Ces incertitudes géographiques peuvent s'expliquer facilement :tout d'abord
en certains cas les titres présentéspar le klaroc et par la hlauritanie se
rapportant a des périodes diCTc:rentesantérieures à la colonisation. et qui
reflètent des vicissitudes historiques. II n'ya pas de contradiction entre des
afirn~ations qui se rapportent i des tnoments differents de l'histoire. D'autre
part. le caractère nomade des populalions explique des non-concordances
géographiquesapparentes. le rnode des relations entre les hommes et le sol en
pays nomade entraine un type de formulaiion que l'on ne peut pas traduire en
terines de géographiesedentaire.
En réalité.l'absence de tout litige territorial entre le hlaroc et la hlauritanie
est établisurabondaminent par le fait que. dans lecadre des questions poséesa
laCour, ilsont la niëme opinion sur lestrois poiiits qui, si laCour lessuit. sont

sufisants pour répoiidreaux quesiions posées.
Premier poiiit : le Sahara occidental n'était pas. au morneni de la
colonisation. en aucuiie de ses parties. une terru ~iirllii~s.
Deuxième point :le Maroc ne soutient pasqu'au moment de la coloiiisation
sa souveraineté couvrait la totalitédu Sahara occidental. La Mauritanie ne
soutient pas davantage que les liens juridiques avec l'ensemble chinguittien
couvraient la totalitédu Sahara occidental.
Troisiéniepoint :lehlaroc et la Mauritanie ont montréqu'au rnomcni de la
colonisation il n'y avait pas de 110rnutr'sla~rdgéographique entre le nord.
relevant de lasouverainetc marocaine. et leSud. juridiquement lieiil'ensemble
chinguittien.
Ce sont-la trois doniices nécessaires etsuffisantes pour établir que.pas plus
qu'ellen'estsaisie d'un contentieux territorial entre l'Espagneci les deux autres

Etats concernés. la Cotir n'est saisie d'un conteniieus territorial entre la
hlauritanie et le hlaroc.
Ce serait. je crois. abuser de la patience de la Cour que de réfuter plus
longueiiient la deusikrneobjection qiicl'Espagne a présentée i l'encontre de la
demande d'avis formuléepar I'Asseinbl6cgénérale des Nations Unies.
Venons-en niaintenant la lrc>isib-neet. dans inon plail. dernière ot~jection.
qu'il nous faut examiner.
1%effet. mèmcsi la Cour ne s'arrêtait pas aux objections précédentese . llen 162 SAHARA OCCIDENTAI

rencontrerait une troisièmesur son chemin : il n'yaurait pas matièrea statuer
pour elle. En efret. et je résumela thèse espagnole.I'avisdemande est présenté
comme devant éclairer l'Assembléegénéralesur la manière de conduire le
processus de décolonisationdu Sahara occidental. Or sur ce point les Nations
Unies ont pris des décisionsirreversibles et définitives.
A partir de cesaflirniations. l'Espagnetire d'ailleurs des conclusions qui me
paraissent assez floues.A certains égardson doit comprendre que les questions
poséesii la Cour auraient un caractère académique et ne seraieiit pas <(de
vraies questions juridiques susceptibles d'être résoluespar la Cour en

application du droit )) (ci-dessus p.28-29). Ce serait donc une fin de non-
recevoir que la Cour devrait opposer a la demande d'avis, et de rappeler (ie
veux dire que l'Espagne rappelle) que, dans l'arrêtde 1963, relatif au
Cunrero~rnsepi~v~triotrall,a Cour s'est refusée a trancher une question non
susceptible d'avoirdes conséquencespratiques.
D'autre part. et ilest difticilede repartir lesvŒux de l'Espagneentre I'iineou
l'autre conclusion. d'autre part. mais peut-êtreplus profondémelit. l'Espagne
souhaiterait. et peut-ètre n'est-elle pasla seule. que. s'abstenant de répondreà
cette question de caractkre académique qui aurait étéposéea la Cour. la Cour
répondeà une question qui ne lui est pas posée endisant que. a tout jamais.
quoi qii'il advienne. quelles que soient les circonstances. quel que soit

notamment le comportement de la Puissai~ce adininistrante. I'Assemblée
généralene saurait s'ecarter d'une ligne de la procédiire de décolonisation
qu'elle aurait, selon i'Espagne, irrévocablement etirréversiblementarrêtée.
II y aurait peut-étrequelque malice a faire observer comment après avoir
essayéde détourner la Cour de répondre aux questions posées,en lui faisant
ressortir le caractere excessif du fardeau dont on voudrait charger ses épaules,
I'Espagneveut obtenir le même résultae tn présentant le caractere insignifiant
et académique de ces mêmes questions.
Tout à l'heure nous étionsobliges de montrer que. s'agissant de résoudrepar
la voie de l'avisdes questioiis juridiques dont I'éclaircisseinentest iiécessaure
fonctionnement institutionnel de l'organeq~iia demaiide l'avis. la Cour n'était
aux prises avec aucun détournement de la procedure contentieuse. qu'on ne I~ii

demandait de résoudre aiiciin litige territorial. encore inoins de prendre des
responsabilités politiquesqiii sont de la compétence de l'Assembléegénérale.
Et notis voila maintenant obligésde montrer que ces questions dont l'Espagne
gonflait la portée sont cependant reelles et non significatives. II n'y a
évidemment aucune contradiction de notre part car l'espèce d'alternative
proposéepar l'Espagne n'existepas. Et on cchappe a cette alternative. coiiiine
toujours. par le tiers parti. Ce tiers parti. cette troisiemc voie. c'est cellede la
procédure consultativequi se situe entre l'hypothèsed'un différendtranchépar
voie d'autoritépar la Cour et de façon coiiiplete. et d'autre part celdiidébat
académique fait pour Lilleinstitution universitaire et non pas une iiistitiition
judiciaire.
Simplifions si votis le voulez bien. car ici la siinplification perinet d'y voir
clair. Selon l'Espagne ou bien I'avisporte sur Linpoint de droit présentant uiie

difficulte réelle sur laquelle se manifestent des opinioiis divergentes et
susceptibles d'avoir des effetspratiques. et ators la procédure consiiltative est
interdite car on porterait atteinte de façon déto~irneeail caractère voloiitaire de
la jiiridiction internationale. ou bien il s'agit deq~iestionsn'important pas de
façon impérative et automatique des effets pratiques, et ators la procédure
consultative ne serait pas moins empéchéepar une sorte de de i~ri~~irir IiOII
cura1 pruelar.
J'aile sentiment de devoir de longues excuses a la Coiir en 1111rcpctant une 163
EXPOSE ORAL DE Li. VEDEI.

fois encore ce quele-Maroc n'a cessede dire depuis le débutde ces débats.La
procédure consultative est trks précisémentadaptée a la présente espèce.
puisque le propre d'un avis. a la différence d'un arrèt. est d'êtrenon
contraignant mais, a la différenced'un débatacadémique, d'êtrs eusceptible
d'avoir des conséquences pratiques, notamment par l'éclairageprocuré a
l'organe chargé de prendre la décision.
Je voudrais ne pas me borner a dénoncer cequi est illogique.je voudrais le
démonter plus avant et montrer comment I'Espagne passe par une sériede
propositions qui.pour la première. ne peut pas étreretenue telle quelle et pour
la seconde doit étre sérieusement amendée.

L aodiet~cc..srispeildueùII Ir 1.5,esreprise uII !z40

Monsieur le Président.klessieurs les membres de la Cour, je vous disais que
tout le raisonnement espagnol tendant a vous montrer qu'il n'ya pas matiere a
statuer. que la question qui vous est posee est une question en tout cas

académique. reposesur deux propositions. La première est d'une clartéque je
ine permets de qualifier d'exceptionnelle. On la trouve dans la bouche du
représentant de l'Espagne a la séance du 17 juillet (ci-dessus p. 25).
Examinant ce qu'est le droit positif en matiere de décolonisation. le
représentantde 1'Espagne distingue deux hypothèses :dans la première. la plus
fréquente.le processus de décolonisationpasse par l'autodétermination.qui a
pour sujet ou pour titulaire la population du territoire anciennement. depen-
dant.Quant a la seconde, je ne puis mieux faire que de cite:
«Deuxièmement. dans certains cas. très limités d'ailleurs dans leur

nombre. les prétentions de souveraineté territoriale formulées devantles
organes des Nations Unies par de tiers Etats ont coiid~iita l'adoption d'lin
autre procede de décolonisation. L'Assemblée générale. constatant
l'existenced'une souveraineté territoriale clairement établie.non contes-
tée. d'un tiersEtat. sur le territoire. au rnoment de sa colonisation. n'apas
affirme le droit de la population a la libre détermination et a
ImindépendanceA . u contraire. elle a reconnu que ce tiers Etat. souverain
anterieur et indiscutable du territoire. étaitle sujet ou le titulaire ii qui on
devait attribuer un droit au territoire en application du droit de la
décolonisation. )(Ihid p.,25-26.)

A partir de ce moment-la. on pourrait s'attendre a ce que l'Espagne
reconnaisse la pertinence de la question poséea la Cour. On ne peut pas nier.
au iiioins en supposant vraie cett.epremièreproposition. qu'il serait sans interët
pour I'Asseinbléegénéraledes Nations Unies de connaître la réponse aux
questions posées.
Mais I'Espagne. pour ne pas arriver a ce résultat. énonce une deuxième
proposition. L'Assembléegénéralea. dans la suite de ses résolutions et
notamment selon le sens que lui donne ['Espagne dans la résoluiion 3392.
definitiveinent écarte la seconde voie. Elle a fait entrer le Sahara occidental
dans le cadre de la premiere hypothèse. celle de l'autodétermination. Iles lors.
la question du statut di1Sahara occidental. au moment de la co1onit;ation.a
perdu toute pertinence. C'est qu'en effet. et je résume toujours la thése

espagnole. les décisionsde I'assenibléegenéraleont un effetjuridique absolu et
lient tous les Etatet l'Assembléeelle-mêmeet, d'autre part, il ne saurait étre
question de revenir sur le droit a la libre détermination, droit acquis par la
population du territoire depuisles résolutionsde l'Assembléegenéralequi l'ont
corisacre.164 SAHARA OCCIDENTAL

Des lors. klonsieur le Président.h4essieurs les membres de la Cour. votre
bouche est close et vos lèvrescousues. Comment iriez-vous dire que le Sahara
ne serait pas unererru ~iullii~sau moment de la colonisation ?Ce serait non
pertinent ou inoperani. Tout au plus pourriez-vous. selon les vues espagnoles.
desserrer un moment votre bâillon pour renvoyer a 1'Assembléece que le
folklore français appelle la réponse du berger a la bergère. en invitant
l'Assemblée a relire ses propres résolutions, oubliéesdans une crise d'aniticsie
vcrirablernerit désolante!
A ce point de la discussion. et au moment de reprendre les divers chaînons
du raisonnenient espagnol, j'ai leseiitiment que ce que j'ai a dire dcpasse
l'exposéde la thèsemarocaine et touche à des problèmes plus généraux.
La premiére proposition de l'Espagne. celle sur les deux processus de
décolonisation.renfernie une part de vérité.IIest esact que dans l'examen qui
lui permet de déterminer le processus de decolonisalion applicabla tel ou tel
territoire iiaguère dépendant. l'Assembléegénerale fait entrer en ligne de
cornpte et de facon hauienlent sigiiiricativele statut qui etait celui du territoire
considéréau iiiomeiii de la colonisütion. Et c'est précisémentpour cela que

vous êtessaisis.
X'laisla proposition espagnole présente deux vices qui I'alterent gravement.
Le premier. c'estqu'assezcurieusement l'Espagnelimite l'applicationde Inrègle
qu'elle énonce.a titre de deuxienie hypothèse.a des cas très limités.selon sa
propre expression. iceux ou I'i\ssemblee générale cconstate l'existenced'une
souverainetéterritoriale clairernent établie.non contestéed'un tiers Etat sur le
territoire au moment de la colonisalion ». Quelle phrase bizarre !
D'abord. il faut que la souveraineté. au monient de la colonisation. soit
clairement établie. Faut-ilcomprendre que dans lecasou ity aurait un doute. il
serait interdit de rechercher la clarté.notamment en recourantA l'organe qui
peut I'apponer, c'est-à-diracette Cour ?
II faut ensuite que cette souveraineté ne soit pas contestée, Comme c'est
&range ! Voilà une règle de droit impérative qui impow une procédure dc
décolonisation déterminée.mais il sufit. pour la tenir en échec.qu'un Etal.
n'importe lequel. la conteste. Et aussitôt. par ce droit de velo qui n'est inscrit
nulle part, la règlesolennelle est tenue échec.
Ah !On ne peut pas dire que le représentantde t'Espagneair offert a la Cour
un vëtemeiit de confection susceptible d'habiller beaucoup de situations. L'on
pense au contrairea un vêtement tellementbien calculé. médité. ajustéqi.i'ilne
puisse aller qu'a celui pour lequel ilété coupéet, visiblement. il n'a pas été

coupé pour les terres 6 la Latitude du Sahara occidenlal !
L'autre vice de la premiere proposition espagnole est de simplifier les choses
a 1-excès. eklaroc. coiivaincii de sestitres au Sahara occidental au mornent de
la coloriisation. aurail tout intérêta prendre acte de I'automatisnie que la
proposition espagnole établit entre le statut du territoire a décoloniserau
moment de la colonisation et la procédurede décolonisation.
Mais iln'estpas sùr que cet auiomatisme fonctionne avec la brutalitéque lui
prêtela théscespagnole. En réalité.le statut du territoire. au monîent dc la
colonisation, joue un rôle de premier plan dans l'appréciation d'enseniblequi
incombe a l'Assembléegénérale. Peut-onaller jusqu'a énoncer une règlede
droit qui ne laisserait li ['Assembléeaucun pouvoir d'appréciation ? Les
explications de M. Dupuy et de hl.Benriouna sur ce point. lors des exposés
marocains. ont ététrop complètes et trop claires pour que jen'y renvoie pas.
On y trouvera (voir IV, p. 162-188)les corrections que l'on doit apportea la
rigiditéexcessive de la première thèseespagnole.
Profitons d'ailleurs de cette occasion pour faire une observation rapidcesur I:SPOSE ORAL DE 11.VEDEL 165

que l'onpourrait appeler laquerelle du préalable.Pour le Maroc. le prealable à
la décolonisation duSahara occidental dans les conditions actuelles. c'estl'avis

demandéa la Cour siir les q~iestionsposées.En effet. méme si L'onconilaissail
le contenu de l'avis et s'il était favorabte au point de v~icmarocain. on ne
saurait pas les conséquencesqiie I'Assembieegeneratc cn tirera. ILse pourrait
que l'Assembléegknérate.conime elle l'afaitdans fepassé.dans descas pareils.
avec une constance d'oii la délégationespagnole tire rnémeilne règlede droit,
décideque le processus de decolonisatiori ne passe pas par lin rcPérendumet.
en cecas. I'utilitéde votre avis est évidente.Mais il se peut aussi que. dans sa
souveraineté. 1'Assembleegénérale décid ee maintenir la procédure réîéren-
daire et. en ce cas. I'utilitEdu préalablede l'avisn'estpas moins certaine. car la
réponse supposéeaux questions qiii vous sont soumises peut influencer au
moins les modalitésde l'organisation du référendumet le contenu mEmedes
choix omerts a ceux qui votent.
Mais j'en viens a la seconde proposition espagnole sur le caractère
irréversible des résolutions de l'Assembléegénéraleet celle-li radicalement
contestable. Je vous cpargnerai, h,!onsieur le Président.hissicurs les membres
de la Cour. lesredites sur le prétenduchangement d'attitude du hlartic en ce
qui concerne le processus de décolonisation duSahara occidentel.
L'attitudedu Maroc a toujours étéconstante quant a l'objectif: obteriir lafin

de la domination espagnole, mais, a aucun moment, le Maroc n'a cesséde
se souvenir que cette terre avait été arrachée a ses anciens possesseurs ;et
j'ajoute que cet argument, mêmes'il se vérifieen fait, serait sans importance
devant vous, car enfin nous ne sommes pas dans un système de droit sub-
jectif- je vais y revenir- faisant Ibbjet d'un commerce juridique, mais dans
le cadre d'undroit de caractkre objectif sur lequel les actes de volorite indi-
viduelle sont sans effet,car seules comptent les décisionsémanantde la volonté
générale.
Ce sont tes résolutionsde l'Assembléequi sont en cause iciet elles sctiles. Ici
encore, la thèse espagnole est oscillante : elfe hésiteentre deux positions et.
pour Paire bonne mesure. les affirme tour a tour. D'une pan, I'i\ssernblée
génerafen'aiirait failque répéter.dans sa résolution 3292 (SSiS). ce qu'elfe
avait déjà dit dans les resolutions précédentes : c'est la première position.
D'autre part. elle aiirail. dans la résolution 3292 (sSIS). porte atteinte à
l'autoritéde ses propres decisions qui. cependant. la liaient irréversiblementet
ailx droits du peuple sahraoui.
Sur la première affirmation, il n'espas besoin d'une longue réfutation.Si ta
Cour est aujourd'hui réunieet si nous avons l'honneur d'exercer sa science et
sa patience, c'est probablement qu'il y a quelque chose de plus dans la

résolution 3292 (XXIX)que dans les précédentes,et cette nouveauté ne tient
pas a on ne sait quel caprice du Maroc, envoütant, par quel miracle, I'Assem-
blk générale.II n'est pas davantage le fruit d'un caprice de I'Assernblée.il
est le fruit de l'attitude espagnole, sourde aux appels de l'Assembléem , et-
tant le temps a profit, non seulement pour prolonger sa présenceau Sahara
occidental, mais pour ruiner, dans leur base même,les conditions que. d'une
façon indivisible. L'Assembléeavait mises au déroulement du proclsus de
décolonisation.
Reste alors asoiitenir. au prix d'une audace redoutable. que. en dernandant
a la Cour un éclairage supplcmentaire sur une affaire enlisée par l'inertie
espagnoIe. pour ne pas dire davantage. l'Assembléegénéraleviolait le droit et
devrait. en retour. polir cela. si~btüsemonce de la Cour ?
La construction juridique espagnole destinée assurer l'immutabilité
absolue de taconduite. par I'tlssembléegénérale.dii processus de decolonisa-166 SAHARA OCCIDENTAL

tion du Sahara occidental repose sur deux arguments dont, sivous le per-
mettez, il faut tout de mêmefaire justice.
Le premier est qu'en elles-mêmesles résolutions de l'Assembléegénerale
sont irréversibles et définitives. Ellessont investies d'une immutabilite qui
serait celle d'un rejridicata.comme si l'Assembléegénerale étaitune cour de
justice. L'aflirmation est étonnante. car ilest de règle.dans I'ordreinternational
comme dans I'ordre interne. qu'un organe investi d'un pouvoir de décision
politique a toujours le droit de changer ses décisionspour l'avenir. Au prix de
procédures appropriées. les lois changent. les constitutions elles-mèmes
changent. les règles du droit international changent. on vous l'a longuement
expliqué. mais. en présence d'un probleine politique. malgré tous les
changements de circonstances. malgréles échecs rencontréssur telle voie. les
résolutionsde I'hssemblee gcnerale seraient. des leur formulation. immuables.
L'affirmation est tellement étonnante qu'il a bien fallu l'étayerde qlielques

explications. L'appui qui était ainsi recherché. l'Espagne acru le trouver dans
l'idéeque l'autorité des décisions de l'Assembléegénéraleétait absolue et
s'imposait a tous les Etats ~Membres.En elle-même.la proposition est vraie. à
une nuance près. d'ailleurs. c'est que toutes les decisions de l'Assemblée
généralen'ont pas pour destinataires l'ensemble des Etats Membres de
l'Organisation. Le contenu de telle ou telle décision peut mettre en cause
certains Membres. voire un seul. Ainsi. notamment en matière de résolutions
qui imposent. en matière de décolonisation. un comportement déterminéa la
Puissance administrante. y a-t-il un seul destinataire.
hlais.a cette précisionprés.ilest bien vrai que les résolutionsde l'Assemblée
géneraleont. à l'égarddes Etats Membres. ce que l'on peut appeler l'effetrrga
onirres. IIs'agit d'lin effet absolu dans l'espace et qui n'est pas propre aux
décisions de justice. qui est partagé par de nombreuses décisions émanant
d'organes non judiciaires. Dans I'ordre interne. Laloi. dans I'ordre internatio-

nal. lejliscogeiis.produisent dans l'espace cet effeterga oniiles.En revanche.
ceci ne resout pas leproblémede l'effetdans letemps. car ce qui esten cause. ce
n'est pas le caractère d'universalitéattachéaux effets de la décision. c'estleur
caractèrede perpétuité.Lecaractere de perpétuitéest nornlalement réservéaux
décisionsdes cours de justice :au contraire. la mutabilité caractérisela portée
dans le temps des décisionsdes organes politiques. II n'est donc pas permis
d'équivoquersur le caractère absolu des résolutionsde 1'Assembleegénerale ;
effet absolu. oui. dans l'espace. quant a son universalité dans le cadre des
Nations Unies (naturellement) : non. quant a ses effets dans le temps. c'est-
a-dire en ce qui concerne la prétendue impossibilitéde les modifier pour
l'avenir.
Aussi bien. dans l'exposéespagnol. un second argument tente de prendre le
refais de celui que je viens de combattre. La possibilite pour l'Assemblée
généralede modifier, que dis-je. de compléter ses résoliitions antérieures se
heurterait a l'obstacle desdroits acquis.
Je vous demande pardon. Monsieur le Président. Messieursles membres de

la Cour. de me livrer a un exercice de technique juridique en disant d'un mot
en quoi le respect des droits acquis fait obstaclace qu'un organe investi d'une
compétencede décisionet mêmedépolirvude tout pouvoir juridictionnel voit
cependant limitée la mutabilité de ses decisions. Selon l'explication la plus
couramment admise. c'est parce que. en portant atteinte aux droits acquis. on
porterait atteinte implicitement mais nécessairement 6la non-rétroactivitéde la
règlede droit. Sous l'empire du droit ancien. des situations subjectives ont été
créées au profit de tel individu. de telle institution. de tel Etat. Porter atteinte a
ces droits acquis. ce n'est passeulement modifier la regle de droit pour l'avenir. EXPOSEORAL DE:31.\'EI)EL 167

mais la changer pour le passe. puisqu'on metà néantdes effets qui auraient dû
êtredéfinitifs.
Bienentendu. le respect desdroitsacquis n'estpas une loi suprêmeet ilserait
oiseux de montrer comment dans la théorie juridique la plus générale.
comment en droit in~ernaiional. comment dans les divers systèmes dedroits
nationaux. la théorie des droits acquis se combine avec d'autres normes
auxquelles elle doit parfois êtresacrifiée.
Mais ce n'est passur le terrain cependant important du caractère limitéou
relatif de la theorie de droits acquis que, je voudrais contester la thèse
espagnole. C'est de Façon beaucoup plus directe sur le terrain mêmede son
application au principe de décolonisation. La question se ramène en effet a
savoir qui dans cette matière peut se prévaloir de droits acquis. II serait
absurde. et personne ne le soutient. de dire que les résolutionsde l'Assemblée
générale créent des droitsau profit de I'ttssemblee généraleelle-mêmequi se
verrait ainsi opposer des droits a son profit.
IIserait aussi absurde (etje ne crois pas. mesemble-t-il.que l'Espagnetombe
dans cette absurditéde dire que les résolutionsde l'Assembléegénéralecréent
des droits au pro13 de la Puissance administranteJe ne pense pas qu'ily ait un
droit acquis de la Puissance adniinistrantea ce que lü decoloriisation. q~iiest

une opérationqui la dessaisit.s'cipèrde telle ou telle manière.
Selon la thèse espagnole. les droits acquis en cette matière sont ceux de la
population du territoire dépendant et ceci en vertu d'un raisonnement que
j'espère ne pasdeformer tout en le résumant.
En effet. dit lathèse espagnole.pour la population du territoire dépendant.la
décolonisation la place dans l'une ou l'autre des deux situations décrites
précédemment. Dans le cas le plus fréquent.la ~écolonisaiionlui fait acquérir
letitre de souverainetédont la Puissance administrante est dépossédéeE.t c'est
le droit a I'autodetermination qui constitue ldroitacquis.
Au contraire. si. eii raison de l'existenced'une souverainetéd'un Etat tiers
au moment de lacolonisation. la libredétermination ne prévautpas. il n'ya pas
évidemmentde droits acquis.
Or une telle iinalyse ernprui~tee au schéma du droit patrimoniil. terre
d'électiondes droits subjectifs. est inadmissible.
Elle l'estd'abord polir une raison morale et juridique que le simple énoncé
de la thèse rend sensible :c'est qu'elleimplique que. dans les hypothkses ou
1'Asseniblée généralene recourt pas a la proclanintion de l'indépendance etau
référendumpour telle ou telle raison, et notamment en corisidérationdu sta-
tut du territoire au moment de la colonisation, il faudrait admettre que
I'Assenibléegénéralefait violence aux populations et les restitue à leur légitime

propriétaire comme un inspecteur de police rend à un réclamant un bijou
perdu ou volé.Aiilsi. la pratique des Nations Unies révilerait. non pas comme
l'ontmontre Al.Dupuy et BI.Bennouna. dont Icsinterventions sont salis doute
présentes a votre esprit, des modalités diverses de libération des peuples
colonisés. mais desstaluts juridiques inegaiis eiitreus en ce qui concerne les
populations appelées i la décolonisation. un statut supirieur conduisant a la
libre détermination et a I'independance et un statut inférieuOU la pop~ilation
considéréene serail plus un sujet de droit mais un simple objet.
C'est mèconnaitrc les racines profondes de la pratique des Nations Unies
qui. selon qu'elles recoureri1 telle ou telle modalitk de décolonisation. n'on!
jamais entendu instituer une différence dans les droits des populations
concernees. mais simplement faireface au nom du principe de decolonisation.
également applicable tous.a des situations differentes.
C'estaussi inéconnaitrelestermes de la résolution 1541qui met sur le memepied lesdivers processus de décolonisation.La thèse espagnole.que ses auteurs
en aient étéou non conscients. reviendrait à dire que. dans les cas oir les
Nations Unies n'ont pasopéréladécolonisation par le procédé du référendum
ou de la constitution du territoire en Etat indépendant.dans les cas futursOU il
en serait de rnëme. les populations concernées subissent une crtpiridi~liiriirrio.
Si I'on veut mettre en termes plus abstraits de technique juridique la
contestation que t'on vient d'apporter a la thèse espagnole. il faudrait montrer
que tout processus de décolonisation. quellesqu'en soient les modalitës. met en
Œuvre une procédure de droit objectif qui en tant que telle ne confèrejusqu'i
son terme - c'est-a-direjusqu'a la délivrance du titrefina- aucun droit a qui
que ce soit. Cette procédure est tout entière ordonnee a la fin des situations
coloniales dans le respect desdroits de chacun. Tant q~i'ellen'est pasconduite a
son terme. elle estsous la responsabilitédes Nations Uniesqui ont a faire faca

toutes les données propres a chaque cas et qui peuvent se modifier dans le
temps. notamment du fait du comportenient de la Puissance administrante. 11
n'y a pas de procédure qui. pliis qu'une autre. consacre ou crée ledroit des
populations concernées : il n'en est pas qui les méconnaisse ; le droita la
décolonisationest un et ne comporte pas des variétésde realisaiion inkgalesen
dignité.
Sans doute, au moment ou la procédure de décolonisation seraparvenue a
son terme. son effet sera-t-il normalement de creer des situations définitives
que I'on petit.si t'on y tient. analyser en termes de droit subjectif. C'esa ce
moment-la que I'onpourra dire que telle souverainetéa été consacréeq .ue tel
statut territorial a vu lejour. &.laisjusque-la les résolutionsdes Nations Unies
n'ont créé de droit subjectif au profit de personne et nOnt jamais entravé le
pouvoir inhérent au fonctionnement de tout organisme. a l'exception des
juridictions. de modifier ou de compléter les décisionsqu'il a prises dans le

passEsur tel ou tel point. pourvu qu'il respecte leprincipe de décolonisation
qui. comme on le redira plus loin. constitue le véritablecontenu dujirs mgeiis.
Pour le reste, il s'agit d'adapter le processus de décolonisationaiix donnéesde
la situati,on.
J'en ai ainsi termine. kflonsieur le Président.hlessieurs les membres de la
Cour. avec l'examen de la troisième et dernière objection élevéecontre la
légitimitéou la pertinence de la demande d'avis. J'espérevous avoir niontré
que la Cour a matière a statuer: l'avis qui 1~1i est demandé n'a rien
d'academiqiie. Pour qu'il puisseétrelégitimementdemandéet pour qii'ilpuisse
êtredonne. il faut et ilsilrfitque cet avis soit de natuEefournir El'Assemblée
généraledes cléments qui, sans déterminer automatiquement sa decision.
l'éclaireront et cetavis n'est pas et ne sera pas inutile tant qiie le processus de
decolonisation du Sahara occidental n'aura pas étémenéa son terme.
Ainsi se termine la première partie de cet exposéconsacréa démontrer que
la Cour esta meme de donner l'avisqui lui est demande. Sit m'est permis de
résumer très simplement les développements qui précédent.je le ferai de la

manièresuivante :

- Les questions soumises a la Cour releveni bien de sa compétence
consultative. elles ne visent pas à mettre en muvie une procédure
juridictionnelle déguisée puisqu'il s'agpitour elle non de trancher au fond un
litigeentre des parties. mais dans lecadre dii droit institutionnel d'apporter ses
lumières sur une difliculte juridique dont la solution est susceptible
d'innuencer sur les décisionsque I'Assemblkegénérale des Nations Uniesest
appeléea prendre dans l'exercice de sa compétenceei de ses responsabilités
propres. ExPOSI: ORAL DE M.VEDEL 169

- Les questions poséesà la Cour ne conduisent ni dans les relations de la
Mauritanie et du Maroc, d'une part, et de l'Espagne, d'autre part, ni dans les
relations entre le hlaroc et la Mauritanie a trancher une contestation
territoriale actuelle ou future.
- Les questions poséessont pratiques. Elles ne sont pas académiques :en
effet.si leur solution ne détermine pas de façon impérative les décisionsque
l'Assembléegénerale des Nations Unies prendra sur la décolonisation du
Sahara occidental. elle est de nature aéclairer sesdkisions et a influencer leur
teneur.
- Enfin. les questions poséessont pertinentes :en effet. quel que soit le

caractere obligatoire des décisionsarrêtées jusqu'ici par l'Assembléegcnérale
sur le problème de la décolonisation duSahara occidental. y compris d'ailleurs
la resolution 3292 (XXlS) en vertu de laquelle la Cour est saisie. ce caractere
obligatoire n'équivautpas a une immutabilitéielle que celle qui s'attacherait à
ta chose jugée ;tant que le processus de décolonisation n'aurapas ete menéa
son terme. il appartiendra a l'Assembléegénérale.sous sa seule responsabilité.
éclairéepar l'avis demandé a la Cour. de prendre les décisionsde caractere
politique appropriees, dans le respect du principe de décolonisation. a la
situation présente ou future du Sahara occidental.

Je dois maintenant en venir a la deuxième partie de cet expose que. toujours

avec cette vue d'espérance,j'airédigé au futur :« La Cour répondra aux deux
questions qui lui sont posées et non a d'autres )).
On peut difficilement imaginer deux questions. je ne dirai pas plus faciles.
c'estautre chose. inais en tout cas plus claires que celtes qui sont souniises à la
Cour.
Et cependant on est venu dire - et ce n'était pas principalementni en tout
cas exclusivement l'Espagne - que ces questions sont équivoques. Ilès lors.
on vous invite 5 corriger les infirmités ou les naïvetésde la demande d'avis. il
vous faut oublier les qiiestions poséeset leur en substituer une ou plusieurs
autres que l'Assembléegénérale a omisde vous soumettre. Votre tache s'en
trouvera simplifiée. allégéd e'autant. Nul besoin de vous pencher sur d'arides
problèmes de géographie ou d'histoire ou de vous reporter i de savantes
constructions. Vous &tes invités a rectifier charitablement tes questions
auxquelles vous devez répondreet a pratiquer ainsi ce que. dans les couvents

de jadis. on appelait la «correction fraternelle )>; mais alors, il va vous suffire
de répondreen prononçant un mot magique :l'autodétermination !
Telle est la substance d'un propos qui a ététenu devant vous par le
représentant de l'Algérieavec un talent auquel. je crois. chacun a rendu
hommage. mème et peut-étresurtout s'illui a résisté.
L'intervention laquelleje nie réfère afait vibrer en moi et probablement en
beaucoup d'autres une corde trSs sensible :celle de l'amateur de belle langue.
d'art oratoire - celle toujours presente chez leprofesseur du goût du paradoxe
brillant. La corde du juriste est hélas! plus grossière et plus difficila toucher.
Je pense que. dans la nef d'Ulysse au retour de la guerre de Troie. il aurait
suMi d'un juriste pour écarterlepérildessirènes ; dans leurs fataleschansons. il
aurait écoute.non la niélodie.mais les paroles - et. généralement.les livrets

ne valent pas les partitions.
Je vais donc devoir me livrer a une tâche qui apparaîtra d'autant plus terne
que la rnatikre à laquelle elle s'applique est plusséduisante.IIva falloir oublier
la musique pour ne penser qu'aux paroles ou. c'estplus triste encore. traduire
de la poésieen prose.
En substance et pour aller directement à l'essentiel.tout le propos auquel jeme réfèrea tendu a vous montrer que la terra ii~rllius,notion ou plutot entité
du droit ancien. est un terme logomachique de nature endogène. Destinéa
prévenir ou a réglerdans toute la mesure du possible les contradictions entre
les puissances coloniales. le terme de terra i~rrllirrsne repond a aucune règle
exogènequi viendrait limiter. du fait de l'existencede terrae non nilllirrs qu'il
implique nécessairement. le pouvoir colonisateur. Finalement. au terme d'un
long péripledans le tenips. le représentant de l'Algérienous a livréle mot de
l'énigme.Malgréles précautionspurement verbales des doctrinaires du droit et
les hypocrisies de langage. la ferra ~i~llliusn'a pas d'autre critére que son
identification a une terre colonisable. c'est-à-dire a une terre qu'un Etat

européen convoite, qu'il estime pouvoir subjuguer par la violence ou par la
ruse et pour l'occupation de laquelle il bénéficiede la complicite ou de
l'assentiment résignédes autres pays européens.
Dès lors. la question poséea la Cour relativement au caractère de terra
tiullius du Sahara au moment de la colonisation espagnole n'a pas de sens. ou.
plus exactement, selon les termes mêmes de l'intervenant (IV, p. 487) :
<(On peut même direque la réponse estcontenue dans la question elle-

meme. Etant donné que la règle applicable est conçue et énoncée
arbitrairement par celui-la meme qui veut l'appliquer a son profit. lesjeux
sont faits et il suffit de constater que l'occupation du Sahara par les
Espagnols s'est réalisée.pour considérer du même coup que le territoire
était~l~llli~lss.elon les canons de L'Europedu XIXesiecle. >)
Et, plus loin, a la mêmepage :

« La question posée a la Cour est de savoir si au moment de la
colonisation. et donc dans le contexte du droit colonialiste de l'époque.le
Sahara étaitriltlliirset non pas si les puissances coloniales ont commis. ce
qui est patent. une erreur et mêmeun crime de leconsidérercomme tel. r>

La conclusion, page 488, est fidèlea cet avis :
«on ne peut rien tirer de la première question poséea la Cour. Dans une

telle situation.il faut bien se rendre compte qu'a l'égarddu concept
dévastateur de la terra ~lullitrs.tel qu'il étaitentendu au moment de la
colonisation du Sahara. la Mauritanie elle-méme. qui allait subir la
colonisation, était considéréecomme une terra lriilliirs et le Maroc lui-
mémese trouvait a la veille d'un démembrement. C'était celale droit
européen du congres de Berlin et des accords secrets. c'était celale droit
des marchandages etdes luttes sourdes. »

Par conséquent. si la Cour s'en tient au sens en quelque sorte grammatical
des questions posées etqui font référence au systèmejuridique dit classique. en
Faiteuropéen. la Cour devrait répondre qu'au moment de la colonisation le
Sahara occidental étaitune terraiirillins, puisqu'ia étécolonisé. et qu'il n'ya
pas d'autres définition de laterra ~itllli~~sue celle de la terre colonisable et
colonisée.A cette perspective la Cour gagnerait au moins de n'avoir pas i
répondre a la seconde question posée.
Mais. dans un second mouvement. le représentantde l'Algériese demande si
la Cour ne doit pas tenir pour acquis le Faitque l'Assembléegenéralen'a pas
voulu lui poser une question qui n'a pas de sens véritable. piiisqu'elle

condamne la Cour a une réponse automatique et choquante en vertu d'un
syllogisme :<(Toutes les terres coloniséesétaient des terra iiirlfiiror leSahara
occidental a étécolonisé :donc le Sahara occidental etait une terra ~ittlliit».
Pourquoi la Cour ne se référerait-elle pasa un autre droit. autre que le droit ESPOSll ORAL Dflhl. VEIjEI. 171

europeocentrique de la colonisation. mais qui ne lui est certes pas inférieuren

dignité(et ici il faut donner son assentiment a ce propos) et dont l'application
serait particulièrenient pertinente. puisqu'ils'agit(<systèmejuridique propre
qui existait a l'époquedans ces territoires. mais qui s'esttrouve submergé par
I'impérialisniejuridique européen +)(IV. p. 489). Et toujours avec 1:imême
aisance entrainante. on vous montre. Xlonsieur le Président. hlessieurs les
membres de la Cour. qu'ilexistaitbien. encore qu'on l'ailtrop oublie. un droit
public musulman. dont la consiruction essentielle est celle de la cite
musulmane. Dar el Islam. La rkference 5 ce système de droit public ainsi
évoque permettrait alors a la Cour de donner un sens réel a la première
question posée .t cetterepense est ainsi formuléeA celte mèniepage :(<Xon. le
Sahara n'était pas unterritoire sans maitre parce qu'il appartenait à Dar el

Islam. »
Cependant. nous ne sommes pas au bout de nos peines. D'abord parce que
l'intervention manifeste un scrupule. Le représentant de l'Algériese demande
s'il estbien permis a laCour de se placer. compte tenu de la question posée,sur
le terrain du droit public du colonisé.Je cite a la mêmepage : <[La Cour] le
peut-elle vraiment alors qu'au XIXe siècle ce qui prévalait pour les Etats
européenscolonisateurs c'étaitleur droit international et non pas celuiilelacité
musulmane? » Et puis. mêmesi I'on écarte ce scrupule. méme sila Cour
répond que selon le droit public musulman le Sahara occidental n'btait pas
terru iiirlli onirsemeure embarrassé pour donner a la seconde question
formulée par la demande d'avis une réponse cohérente. En effet - je
demande pardon 3 la Cour de nies citations rèpétéesm . ais c'estpour elle tout

bénéficed'entendre le langage si plaisant de l'orateur:
O si I'on se place dans la logique du système arabo-musulm;tn pour
récuserla qualification de territoire sans maitre. iest dificile eri restant
dans le mêmesystème. a cette méme cpoque. de faire appel pour ces
territoires au concept d'Etatth.

Le malheur polir nous veut que la deuxième question soit rédigée en termes
faisant référenceà I'Etatou a un équivalent fonctionnelde celui-ci. Doi~csi l'on
se place dans la logique de Dar el Islam. il faudra que la Cour. après avoir
constaté qu'au moment de la colonisation le Sahara occidental appartenant a
Dar el Islam n'était pasferra ~tirlliirs.il îaudra que la Cour. dis-je. s'abstienne.
en réponse a la deuxieme question. de faire état de liensjuridiqlies avec I'Etat
marocain ou avec l'ensemble ina~iritanien. car de tels liens juridiques. qui

évoquent1'Etat OLIune organisation équivalente.n'ont pas de sens par.rapport
a Dar el Islam.
Ainsi lesdeux premicres voies dans lesqiiellesoii pourrait sérigager.celle du
droit européen de lacolonisation. celle du droit public musulman. se terminent
dans des espéces d'impasses. bien peu propres. notons-le en passant. a
s'accorder au point de vue marocain OLImauritanien puisque dans un cas I'on
dirait que IeSahara étaitau monient de la cotonisation uneterra itit//itet dans
lesecond qu'il n'avaitde lien qu'avec Dar el lslarn et non avec le Maroc:ou avec
l'ensemble mauritanien.
11est pourtant possible de ne pas emprunter ces impasses. I,e troisième
mouverne~lt - etVOLE entendrez le mot comme il vous convient - de l'expose
que je commente nous invite i considérerque le vrai probleme n'estpas celui
du conflit entre deux systèmes juridiques contemporains de la colonisation,

mais que le probleme est celui de la combinaison de deux droits en vigtieura
des moments différents.celui de 1'6poquecoloniale et celui du monde actuel.
Droit colonial. d'une part. droit de la décolonisalion. d'autre part. La solution172 Si\ C1ARt\OCCIDESTAL

est des lors facile. car sa méthode est fournie par la notion de droit

intertemporel et son contenu .par le principe d'aiitodetermination. piece
essentielle du jirs cogctis qui s'impose dans l'espace ii tous les Etats et A
l'Assernb1i.egénérale des Nations Uniesetle-mémeet qui doit fournir le moyen
de réglerdes situations juridiquement fondéessur la base du droit ancien mais
dont le titreestruinépar le droit nouveau.
Des lors, I'Asscmbleegénerale. sans le vouloir peut-être.mais iiécessaire-
ment. a pose l la Cour la question-de savoir selon quel principe devrait être
conduite la décolonisation du Sahara occidental et la réponse qii'il faudrait
substituer a cellesdesquestions qui vous ont étésoumises tiendrait, cotnme je
I'aidit. dans un mot :I'aiitodeterrnination.
Tel est le point de vue développéen substance par le représentant de la
Républiqiiedémocratiqitepopulaire algérienne.Je I'airésuniéhonnètement. je

ne crois pas l'avoirdéformé.ni mutilé.Mais qiielque plaisir intellectuel qu'elle
màit procure. qiielque profit que j'ai pu tirer de I'erudi~ion de I'oraieur.
quelque bel enseignement que j'ai pu recueillir sur l'art de la composition. je
dois dire qu'elle ne m'ripas convaincu et. ce qui est plus important. qu'elle n'a
pas convaincu Ic hlatoc. Je dois dire que de prime abord c'estle bons sens (qui
fait peut-être partie dujus cogeiis)qui a tire la sonnette d'alarme. sij'ose ainsi
m'exprimer. Carenfin, i quoi condgit le point de vue que je viens d'analyser et
que je me propose maintenant de critiquer ?
On propose i laCour de ne pas répondreaux qitestions qui fuisont posées et
de répondre a une question toute différenteq~ii.elle. ne Iiiiest pas posée.
On demande a la Cour de corriger l'erreur. tout de méme linpeii grossi&.
qu'aurait commise l'Assembléegénérale des NationsUnies en posant des
questions qui n'avaient pasde signification.

On invite la Cour ü déterminerelle-mime la question qtii devrait étreposée
et a prescrire elle-mëme. car c'est celaque l'onVOUS propose. les modalitésde la
décolonisationail Sahara occidental.
Enfin. et c'estd'une ironie involontaire certes. mais tout de niEmeamère. le
Xlaroc et la Mauritanie s'entendent espliquer ail noni de I'intertemporalité
qu'en vertu du droit ancien leurs titres sur leSahara occidental sont inorlç et
q~i'aunoni di1droit nouveati de la décolonisation ils sont enterres. Pourtant
quels que soient Lepouvoir du bon sens et les rapports de celui-ci avec le droit.
on ne peut répondre iiune construction aussi riche et aussi originale par cette
seule approche : ifaut voir teschoses de plus prèset dans une formiilation plus
rigoureuse.
Lepoint de vue qui est prèsentement discutérepose siir qiiütre propositions,

dont aucune ne nous parait pouvoir etre acceptée :l'identification de la terra
~~~illiiêla terre colonisée :la négationde 1'Etatet de la souverainetédans le
cadre du Dar el Islrtni : la mutilation de la théorie du droit intertemporel ; la
réductiondu jiis cogerisde la décolonisationau principe d'aiitodétertnination.
d'ailleurs lui-mémeamputéet soustrait iison environnement.
Sur le premier point. il est permis d'étresimple. En effet. il s'agit d'une
véritable prestidigitation intellectueIle. admirablement conduite. mais pour
détruiret'illusion il n'est pas nécessairede recourir ais lumièresde l'érudition
savante. IIs'agitde I'éqiiationétablieentre ferro ririlliet terre colonisable ou
colonisée.équation grâce a laqiielle on prétend faire perdre tout sens a la
question posee.
Cette équationest elle-meme équivalente a une autre. C'est que mis a part
le cas de l'Amérique,préservépar la doctrine de Monroe de la colonisa-
tion européenne, le droit international et la pratique internationale auraient

ainsi connu une technique. une dichotomie rigoureuse. ne comportant au ESK)Sf: ORAI. DE II. \'EDE[. 173

SIy siècleque deux statuts. celui de I'Etat européen dit civilise. ayant une

trocationde colonisateur. et celui desautres sociétésvouées a la colonisation. et
donc. a ce titreierrue iiulliirs.
IIn'estpas besoin d'itre savant historien pour se rendre compte qu'il n'ena
pas é~eainsi. Le staiut d'Ela1n'a étéconteste ni dans la doctrine ni dans la
pratique a des Etats cependant voués a la colonisation. Le Maroc en est un
esetnple. On en trouverait bien d'auires et te détnembrernentet la coloiiisation
de l'Empire ottoman en fourniraient de nombreux exemples.
Mais. à cet égard.nous possédoiisun témoignage plusautorise que le mien
par les recherches dont il procèdeet par la personnalité de I'auteur. IIs'agit du
livre de Li. h,lohammed Bedjaoui intitule La r~ii~olrtiioior1gc;rietiei le droii.

publie à Bruxelles en 1961. Le premier chapitre s'intitule <<L'Etat algérieii.
sujet de droii international en 1830 u.On y trouve une première notation fort
intéressanteet que je verse au dossier. car sur un autre point on peut en faire
une application directe. Pour dktcrminer la qualitéd'Etat. I'auteur dit:
« l'appréciationdoit se faire en fonction de Iëpoque : on n'oubliera pas
par exemple que la notion de Irontière.si fondanieniale de nos jours. n'a

étévéritablement introduite dans le droir en Europe qu'au SVIIIc siécle.
avec letraité d'Utrecht.On observera aussi que. sous toutes teslatitudes et
detout temps. I'autoritédes gouvernants connaît des moments d'apogée et
des heures de déclin.>*(P.18.)
Puis I'auteur montre qu'il existait bien un Etat algérien répondant au

quadruple critère du territoire. du groupeinent d'hommes. de I'orgaiiisatioii
d'une autorité publique et de l'indépendance.
II ne s'agit pasd'une demoiistration de pure doctrine : a la page siiivarite.
l'auteur iilontre que I'Etat algericn Ctajt bje1.imembre de la communauté des
nations. II l'établitpar les noinbi.etix traites conclus avec des Etats européens
ou avec les Etats-Unis. et par le rait que l'un des prétextesque ia France crut
pouvoir invoquer pour justifier son entreprise en Algérieétaitla pri:tendue
violation par leGouvernement algériendesengagements pris envers la France.
La pratique internationale établit doiicqu'il existait à une périodeclassique
des territoires promis à la colonisation et qui. cependant. consiituaient des

Etats. Bien plus. selon la thèse de hl. Bedjaoui. cette qualitéd'Etat aurait ete
conservéea l'Algérieau-delà de l'occupation française.J'ajoute d'ailleurs que
les positions francaises tes plus colonialistes n'ont jamais présenté la
colonisation de l'Algériecomme celle d'une ferra trulliirs.
II est piquant de constater que tout le paragraphe que je viens devoquer
intitule« L'Etat algérien. inembre de la communauté des nations >tpourrait
étre réécrit enreinplaçant le mot ((tllgérie t>par le mot <(hlaroc ». eii
changeant seulement les references aux instruments diplomatiques et aiix actes
de relations internationales. Enccirenoterait-on que la qualitéde membre de la
coi~iinunautédes nations que la colonisation française a masquéede bonne

hcurc pour l'Algéries'estpoursuivie sans discontinuitépour le hlaroc. de façon
proloiigéeet. à vrai dire. inintcrroinpue.
On peut dire des lors que sur ce point la cause est entendue. ta coloiiisation
avait dans la doctrine et dans la pralique. i l'époquecoloniale. d'autre base que
la lerra iitillirIIest totalement itiesact d'établirla dichotomie simpliste entre
Etats colonisatetirs etferrue millir,s. L'équation« terre colonisable ou colonisée
cgale [erra ~rrdll )ini'esst pas vraie. X.leniepar rapport au droit interriational
classique de l'époque coloniale.la question de la ierru iiirllitra lin sens
juridique non équivoque. tour conime celui des liensjuridiques possibles du
Sahara occidental et du Royaume du Xlaroc. 174 SAHARA OCCIDENTA1~

Pour reprendre une image utiliséepar le représentant de l'Algérie.poser le
problème de la ferra ~~~illirn i'est nullement l'équivalentde la devinette sur la
couleur du cheval blanc d'Henri IV. En effet, aux termes du droit et de la
pratique de l'époque.la question posée a la Cour au sujet de la ierm iiiillitts
comporte bien deux réponsespossibles en logique :le Sahara occidental a pu
être colonisé commeterra i~ulliiis.le Maroc et la Mauritanie lenient, mais c'est

une hypothèse logiquement non impossible. Le Sahara occidental a pu aussi
être colonisé comme l'Algérie.sans êtreterra tiltlliiis.
Si I'on y réfléchit d'ailleurs.l'image mêmedes catégories et des concepts
juridiques du droit international du XIXe siècle (dans le chapitre de la
décolonisation)qui a étéprésentée a la Cour n'estpas soutenable.
Ce n'est pas sur le terrain moral que je contesterai les appréciations portées
de ce point de vue par le représentant de l'Algérie.IIest bien évidentque les
bases éthiquesde ce droit de la colonisation peuvent provoquer une légitime
indignation de la part de ceux qui en ont Stéles victimes et ne justifient pasune
particulière fiertéde la part de ceux qui en ont étéles bénéficiairesC . 'està un
point de vue technique queje me place.On a présentea laCour cedroit comme
simpliste et mêmegrossier. II n'aurait conçu que des Etats colonisateurs et des
rerrue tiirllius voués a @ colonisation. Or ce droit est beaucoup plus

sophistiqué. L'entreprise coloniale fait flèchede tout bois : elle se sert ici de
l'absenced'organisation politique en se réferant a larerra tr~illins,mais ailleurs.
et on en acite des exemples, elle se sert de lanotiod n'Etat etdes mécanismes
que cette notion offre. celui de la cession. celui du traité. celui dela conquête:
elle utilise mime pour la colonisation des techniques dont l'origine est
européenne : lesannexions des territoires. ladebellafioti.le traite inégal.autant
de techniques juridiques qui ont étéappliquées dans les entreprises de
colonisation. mais qui ont une origine antérieure celles-ciet qui ont eu cours
dans les rapports:entre Etats européens.
Ce droit classique a été qualifiéd'«hypocrite » et je n'ai encore une fois
aucune intention de le réhabiliter moratement ; mais en vérité. n'est-ce pas
plutàt sa brutale franchise ou. si l'on préfère.son cynisme qui le caractérise
encore mieux queson hypocrisie ?Un droit qui admet une hiérarchieentre les
Etats et entre les peuples. qui accepte que les titres juridiques puissent étre
trouvésdans la force. mémeinjuste. n'est-il pasplus marquéde brutalite que de

dissimulation ?En vérité. mêmse i la thèsede laferra iiirlliiisétaitcommode.et
donc tentante. laou elle n'aurait pas dû objectivement trouver place. elle n'était
pas nécessairepour asseoir la colonisation. Les Etats colonisateurs avaient.
selon Lasituation considérée.tout un arsenal de catégories juridiques autres
que la ferra itirlliiis.propres a habiller juridiquement leur entreprise.
Je n'insisterai pas davantage. La colonisation, selon le langage mêniede
t'époqueconsideree. a porte sur desrerrae ~liilliuset sur desrerrue non iltrlliirs.
Par conséquent. la première des questions poséesa la Cour a un sens réel.
précis et non équivoque. tout comme par voie de conséquence la seconde
question.
Je ne pense pas. h4onsieur le Président.klessieurs les membres de la Cour.
que la Cour puisse. quelle que soit son opinion sur le fond, considérerque les
questions qui lui sont soumises par l'Assembléegénérale soient.si I'on seréfère
au droit et ii la pratique de l'époquecoloniale« artificielles nu dérisoires))et ne

puissent recevoir qu'une rkponse r<stérile», pour reprendre les expressions
utiliséesa cettebarre (IV, p. 488).
Venons-en maintenant àla deuxième proposition :la négationde I'Etatet de
la souverainerédans lecadre du Dar el Islam. On se rappelle la position que j'ai
résuméedans lecadre du droit public musulman et de lacite musulmane. Vous EXPOSEORALDE hl. VEDEI. 175

devriez dire que leSahara occidental n'était pasterra iriillicar ilappartenait a
Dar el Islam. mais vous devriez dire qu'il n'a pas de liens juridiques avec le
Royaume du Maroc ou avec l'ensemble mauritanien. car cette notion de liens
d7Etatsn'existe pasdans le Dar el Islam.

Je me sens. bien entendu. quelque peu étrangeraux aspects spécifiques dela
notion de Dar el Islam. mais le propos avance sur ce point. et d'ailleurs de
manière cursive. est tellement siinple qiie je nc me crois pas désarmépolir en
traiter.
De quoi s'agit-il en effet ? D'une sorte d'escamotage de 1'Etat marocain
et avec lui de L'ensemblemauritanien. dilués.évanouis. dissous. au sein du
Dar el Islam. Or il est tellement évident que le système étatique, avec d'ail-
leurs. comme le notait M. Bedjaoui dans le livre cite tout a l'heure. sesadap-
tations a l'histoire ea la géographie du monde musulman. coexistait avec
le Dar el Islam, que je puis. malgré mon ignorance. me prévaloir de cette
évidence.
En effet, on a dit tout t'heure que. mêmeà une époqueou l'essaimagedu
système juridique européen ne s'était pasproduit. il esistait, et ceci au sein du
Dar el Isiam. des Etats et notamment le h4aroc et d'a~itresexemples pourraient
etre cités - M. Bedjaoui cite celui de l'Algérie. C'esdtonc que le Dar el Islam
n'absorbait pas. néffriçaitpas 1'Etat.n'ôtait pasto~itobjet et toute signification

a des notions telles que cellede le souverainetc du territoire. de l'allégean1.a
seule démoiistration en sens contraire qui serait topiq~ie.serait dACtahlrue.
dans leurs rapports au sein du Dar el Islam. les gouverneinents n'entretenaient
pas de relations de type interétatique. ne signaient pas de traités.n'avaient pas
de représentations diplomatiques. ne reconnaissaient pas d'allégeances
étatiquesdes individus ou des groupements. Or a aucun inoment donnécette
démonstration iie nous a étéapportée :a aucun moment donne elle n'a été
offerte. el pour cause. car je ne la crois guère possible. L'histoire montre au
contraire que I'institiitionétatique. avecsa physiononiie spécialementadaptée a
l'histoire et P la géographie. a fait bon ménage avec Dar el Islam. et que
l'existence des Etats considérés.notamment du klaroc. était établienon
seulement a I'extcrieur du Dar el Islam. mais a l'intérieurmime de celui-ci. II
n'ya a cela aucune impossibilité logique.La superposition, la coexistenceou la
con~binaisondes systèmes institutionnels est courante dans la vie des sociétés.
II suflit que les finalites. les modalités ou les niveaux des orgariisations

considéréessoient diffcrents pour que l'existence de l'une n'implique pas la
négationou la destruction de l'autre.
Maisje n'alourdirai pas ce débatpar des reniarques de sociologie politique ;
il suffit de montrer que la coexistence du Dar el Islam et de I'Etat. histo-
riquement évidente. n'exige pas de grands efforts logiques pour s'expliquer.
Je me demande mime si l'Europe n'a pas au Xloyen Age offert un exempte
de coexistence entre l'institution étatiqueet une citéde la foi. Au XIlF siècle.
I'institutionétatiqueest non seulement établiedaiis la pratique. mais ellea reçu
des théologienset des philosophes sa première doctrine. d'ailleurs plus ouverte
et plus souple que celle dont devaient la doter trois siècles pltard les légistes
au service des souverains.
Or, l'institution étatiquebaigne dans la chrétienté« citéde la foi))qui n'est
pas une purecommunauté religieuse et morale, mais qui sécrete un droit public
et un droit privé.tantôt convergent et tant& distinct dti droit public et prive

étatique. Est-ce que le Royaume de France. les Royaumes ibériques. le
Royaume d'Angleterre, les principautés allemandes. les citésitaliennes sont
absorbésou prives de leurs attributs essentiels ? Bien plus. si a ce tableau l'on
ajoute letrait du Saint-Empire romain germanique. bien pâle il estvrai. et ceux176 SAHARA OCCIDENTI\L

plus vivaces et plus enchevëtrés de la féodalité.on mesure ta capacité de
coexistence des organisations humaines.
Il n'est pas nécessairede poursuivre. Meme par rapport au Dar el Islam,
mêmeau sein du Dar el Islam. le varo éotitun Etat revêtudes attributs de
I'Etat. et des lors il n'est pas nécessaire.pour écarter l'existence la ferra
~tltllilde recourir au Dar el Islam. IIsufit de dire. comine lecroit le Maroc.

que 1'Etatmarocain était présent au Sahara et une reponse positive est du
mëme inouvernent apportée même à la seconde question. celle des liens
juridiques avec 1'Etatniarmain.
Jén aurais terminé avec ma contestation de la proposition qui voudrait
engloutir 1'Etatmarocain dans te Dar el Islam sije ne voulais ajouter quelques
phrases précisantla position du Maroc a l'égarddu point de vue mauritanien
sur les liensjuridiques du Sahara occidental avec I'ensemblemauritanien.
J-ai montré plus haut que la Cour n'était saisie ni directement. ni
indirectement d'un contentieux territorial rnaroco-mauritanien. Il me faut
ajouter maintenant qu'elle n'estpas davantage saisie d'une controverse de droit
inlemaiional ou de droit constitutionnel entre le hlaroc et la hiauriunie. Le
point de vue du Maroc. la Cour se l'est entendu répéter.est que. existant
comme Etat souverain, il eserçait sasouveraineté au Sahara occidental au
monîent de lacoloriisationC-estune thèsesimple etcarréeet naturellement. en
ce qui leconcerne. leXlaroc n'entend point en soutenir une autre fut-ce à titre
subsidiaire. La Mauritanie pour sa part donne une autre analyse de sa présence
au Sahara occidental. ou plus exactement de celle de I'ensemblemauritanien et

des liens juridiques qui en découlaient. Cette analyse a été présentée non
seulement avec talent, avec vigueur. mais avec une argumentation a laquelle le
Xlaroc n'arien à objecter. car elle ne contrediten risaposition propre. IIn'y
a donc pas plus de controverse juridique que de litige territorial entre le Xlaroc
et la Mauritanie.
Si je puis cédera un penchant de juriste et de professeur. que >Ionsieur le
Président.Messieurs les membres de laCour. vous serez portes a excuser. je me
permets de vous livrer une remarque de constitulionnaliste :la construction
juridique mauritanienne. pour originale quélle soit. s'écarte moins du
classicisme qu'on ne pourrait le croire. Sans doute si I'onconsidérlesmodes
d'exercice de la souveraineté interne au sein de I'ensemblechinguittien. cette
sociétéinoins hiérarchique que 1'Etatclassique. ou l'autoritéet l'organisation
son1 plus diKuses. nénlre pas dans les schémas structurels habituels. Xlais si
I'on considère la souveraineté externe. c'est-à-dire la rnaniere d'êtrede
Iénsemble chinguittien par rapport au monde exterieur. on est beaucoup
moins loin de nos habitudes. On nous a montréque non seulement l'ensemble
chinguittien était animé d'une volonté de vie commune. d'un sentiment
communautaire qui dtborde largement le domaine religieux OU culturel et qui
débouche sur la regIe de droit. mais encore qu'il y avait[a une organisation
s'opposani par rapport a ce qui nqest pas elle-même. L'essentiel de la

souveraineté externe est étranger au mode d'organisation intérieure de
l'autoritépolitique. La souveraineté externe. cést précisément cetteesistence
au regard d'autrui. Il ne me semble donc pas que les liens juridiques de
I'ensemblemauritanien avec les terres sahariennes qui en faisaient partie aient
étéabsorbésdans l'appartenance au Dar el Islam.
Latroisième proposition du système dont jai entrepris ia critique concerne
le droit intertemporel. Partant d'une base sérieuset d'une théoriejuridique
reçue. on arriva en tirer des conséquenceserronéesparce que la théoriea été
mutilée eta ainsi perdu son équilibre logique. L'une des illustrations et des
formulations tes plus fameuses dela théoriedu droit intertemporel se trouve. on le sait. dans la sentence de Max Huber relativa I'lledrPatrnas :la création
d'un titre ou d'une situation juridique doit quant a sa validité se fairepar
rapport au droit de lëpoque de la création, mais le maintien de ce titre ou de
cette situation s'appréciepar rapport a l'évolution dudroit.
Et le représentant de I'Algeriea montré comment, selon lui, a partir de ce
point de vue. ilest sans intérête rechercher comment l'Espagne a acquis son
titre originel sur le Sahara occidental. puisque aussi bien cn présence de
l'évolutiondu droit international. la situation coloniale qui allait cn résulterne
peut êtrelégitimementmaintenue. Lcseul problèmejuridique qui se pose. et il
est résoluaussitôt que posé. c'estceltii de l'autodéterminationde la population
du Sahara occidental.
Tout n'estpas a rejeter dans cette analyse mais il y manque deux éléments

qui cependant seraient propres a en modifier les conclusions.
Le premier élément.dont l'absence nous parait regrettable. ce sont leseffets
du droit intertemporel non sur les titresconstituéssous l'empiredu droit ancien
et périmépar l'effetdi1droit nouveau. mais sur les droits de ceux qui ont été
sacrifiési la créationdu titre initial. Pour parler plus clairement. on saisit bien
le mécanismepar lequel l'Espagne a pu se constituer un titre sur le Sahara
occidental. mécanismerégipar ledroit ancien :on saisit bien comment elle doit
le perdre en vertu du droit conlemporain. mais on ne nous dit rien de
l'application du droit intertemporel ari hjlaroc au détriment de qiii a été
constitue letitre aiijourd'hiiien voide disparition.La logique voudrai^que le
droit nouveau. qui remet en cause I'acqtiisition du titre par l'Espagne au
tnoinent de la colonisation remelle rilissi en cause la perte de son titre par te
hfaroc la meme époque. II y a tout de même là un défautde syniéiriequi
exige une explication. J'entends bien qu'il fautcoinprcndre qiie le contenu du
droit nouveau ne rait aucune place a la notion de restitution des territoires
acquis sous l'empire du droit ancien. mais si c'est cela l'explication de
l'illogismeque je relevais. il faut tout de suite faire une réserve. et elle estde
taille: c'est que cette e.uplication n'est valable que si I'on accepte que la
qiiat~iemeproposition avancée par le représentantde I't\lgerie.selon laquelle le
contenu unique et supérieur du droit actuel se ramènerait à un principe

d'autodétermination. lui-mêmed'ailleurs réduia t la regledu référendum.elqui
ne prendrait jamais en considérationl'intégritéterritoriale. Or I'onva voir dans
quelques instants que ce point de vue est tréscontestable :je vous demande
donc. Monsieur le Président. Messieurs lesmembres de la Cour, de vous
souvenir de cette réserve.
Ledeuxième eleinent dont il faut déplorerl'absencedans lesdéveloppements
du représentant de I'AlgCrie,c'est i'interet que présente pour l'application du
droit intertemporel l'examen des titres et des situatiBntoiis les moinenis de la
chronologie considérée.II s'agit la d'une théorietrès eiaborée.moins difficile
sans doute que celle de la relativité enphysique. mais qui procède du mëme
esprit. On pourrsit aussi faire la comparaison avecune autre théorie :celle du
développement dialectique. Mais dans tous ces cas ou il s'agit d'intégrer le
phénomènetemporel. que ce soit en physique. que ce soit en philosophie de
I'histoire,que ce soit en droit. ils'agitdes efiets de la durée.de la manièredont
te temps nous impose un cadre de penséeet d'existence et I'on ne peut pas
mutiler le temps lui-mêmeen oubliant ce qui s'est passé.
Pourquoi seul le point d'arrivée.c'est-&direle droit contemporain. aurait-il
de I'intérét Pourqiioile point de départ.c'est-à-direla naturmême du titre ou
de la situation originale ne mériterait-ilpas l'exame?Dans son livre d&jicitC.
M. l'ambassadeur kdjaoui ne se borne pas a établir le droit de l'Algérieà

l'indépendance.au moment oii le livre est écrit(1961 ).mais il exarniiie avec178 Si\HARA OCCIDENTAL

une rigueur et une minutie admirables les titres (qu'ilconteste d'ailleurs) selon
lesquels. en vertu du droit du SISe siècle, l'Algéria ktécolonisée.
En d'autres termes. si le droit intertemporel est le droit de la durée, on le
mutile si on le réduia la date ultinie de la chronologie. on le prive d'une de ses
dimensions essentielles. C'estjustement cette erreur que l'Assembléegénérale
n'a pas commise. Elleest en présencedu probleme du Sahara occidental et elle
l'envisagecomme mettant en cause des donnéestrésdiverses et notamment des

donnéesjuridiques. Ces donnéesjuridiques. elle entend les maitriser. tes faire
entrer dans sa réflesion. depuis les plus anciennes jusqu'aux plus récentes.
Dans ces données l'une d'ellesfait difficulté parceque la il y a véritablement
quelque chose que l'Assembléegénéralene peut pas par ses propres lumières
tirer au clair. c'estlestatut au moment de la colonisation du Sahara occidental.
C'est a la Cour de justice qu'elle s'adresse et. ce faisant. elle se donne la
possibilitédqapp!jquer le droit intertemporel dans toute sa dimension, dans toui
le déroulement du processus. II se trouve que c'est le commencement du
processus qui donne lieu a un probleme juridique difficile alors que d'aiitres
points du déroulement sont évidemment moins campliqués. et c'est i la
Cour - parce qiie c'est la Cour qui peut résoudre ce genre de problc-
mes - que s'adresse I'Assemblcegénérale.
Je crois donc que loin que l'Assembléegénérale ait méconnules nécessités
du droit intertemporel. elle les a exactement interprétéeset c'esa l'application
de ce droit intertemporel restitue dans toutes ses dimensions que la Cour
apportera sa collaboration.
Je crois qu'il me reste le temps nécessaire. sihl. le Président n'est pas en
désaccordsur ce point. pour examiner la quatriémeproposition de l'exposédu
représentant de l'Algérie.et ainsi en terminer avec la seconde partie de cet
exposé quiverra d'ailleurs la fin de ma présence acette barre.

La quatrième proposition que je critique ramène tout le probleme de la
décolonisationau principe de I'autodetermination lui-mémeampute et prive de
son environnement.
Je note qu'il y a entre le point de vue espagnol que je rappelais tout a
l'heure et le point de vue algérien des différencescertaines mais aussi des
recoupements qui ne sont pas niables. La différence estque l'Espagne n'admet
pas que le droit de la décolonisa~ionse raméneau principe del'autodéterrnina-
lion. L'Algérieau contraire fait de ce principe l'alpha et l'oméga de la
décolonisation. Mais a partir du moment ou l'Espagne soutient que les
résolutions de I'Asseniblee généraleont définitivement et irréversiblement
prescrit le reférendum interdisant toute autre issue. et que des lors tout le
monde es1lié :les Etats intéressés.L'Assemblég eénéraleet la Cour. la position
de l'Espagne recoupe nécessairement celle de l'Algérie.
C'est la raison pour laquelle je n'infligerai pas a la Cour une nouvelle
démonstration du fait que l'Assembléegénérale a le pouvoir et,le cas échéant,
le devoir de compléter ou d'infléchir, siles circonstances l'exigent et si des
fiouveaux élemeritsapparaissent, ses resolutions précédentes.

Mais pour l'Algériecet argiinient n'estpas l'essentiel. L'Algérsitue sa thèse
plus haticet pliis loi:le principe d'autodéterminationfait partie du,jrtscogetls.
a ce titre nul ne peut s'en écarter. ni les Etatsni l'Assembléegénérale.ni la
Cour. II s'ensuit nécessairementqu'au regard de ce jt~s cugpitsles questions
posées j.la Cour n'ont nisignification ni portée etque la Cour ne peut que leur
substituer la vraie et la seule question. celte qui d'ailleurs porte sa réponen
elle-même - c'estla lecheval blanc d'Henri IV - cellede l'autodétermination
du Sahara occidental.
Si jedevais rétablirpour la premièrefois la réalitjuridique autrement riche ESPOS OIK,iLDE XI. EJEI)E1. 179

et autrement complexe. je devrais y consacrer beaucoup de temps et personne.
pas mêmevous. ne le regretterait plus que moi. Par bonheur la délégation
marocaine s'est déji longuement expliquéesur ce point. et ceci me permettra
un rappel de principes assez simples pour la démonstration desquels il me
suffira de me reporter a des arguments développéset concrets qui sont

certainement dans votre mémoire.
J'érnetsdevant vous trois affirmatioiis. La première est que le contenu réel
du jirs cogelisest le principe de décolonisationdont I'autodéterminatii~nn'est
qu'une modalité non exclusive d'autres modalités.
La seconde est que I'atitodéterniination elle-méme n'a pas pour résultat
nécessairela constitution d'un Etat indépendant.
La troisième es1 que. dans la liquidation d'une situation coloniale. les
principes et la pratique des Nations Unies tiennent compte du principe de
l'intégritterritoriale des Etats amputés par la colonisation.
Ces trois affirmations ne sont que la reprise de la démonstration de M. le
professeur Dupuy (IV. p. 1621et de M. Bennouna (ihid.,p. 178). Elles se
fondent sur un faisceau de données dont j'efneure l'essentiel:tout d'abord les
deux déclarationsles plus généralesconcernant le problème.
La résolution 1514 (SV) met en exergue <<la fin de la sujétion despeupleA
une subjugation. ii une domination et a une exploitation étrangeres .>.c'est-

a-dire la colonisation. Le droit la libre détermination est énoncémais aussi.
par trois rois si j'ai bien compte (par. 4. 6 et 7). le respect de I'intégrité
territoriale. Cet ensemble équilibré suggère toutdmème un systèmejuridique
moins unidimensionnel que celui qui vous a ete propose.
La résolution 1541 (SV) est encore plus caractéristique: en définissant le
résuliat.l'autonomie à laquelle doivent accéderles territoires non autonomes.
le principe ouvre les trois options que vous connaissez bien : c(quand il est
devenu un Etat indépendantet souverain. quand ils'est librement associe à un
Etat indépendant ou quand il s'est intégréa un Etat iridépendant D.
Pour la mise en muvre pratique de ces principes. vous savez que si le
référendumest courant. il n'est pas exclusif et sur le terrain mème - si j'ose
dire - I'esemple d'Ifni le prouve bien.
Dautre part je vous remets en mémoirela typologie tris éclairéeque vous a

présentée M.le professeur Dupuy (IV. p. 167)montrant comment est assurée
dans le processus de décolonisationla combinaison du principe d'autodétermi-
nalion avec le respect de I'intégriterritoriale. Vous savez que ledosage se fait
entre les deux principes selon les trois catégories distinguéespar kDupuy et
illiistréesroutes par des esemples. et que par conséquent il ya la absence de
formulation d'une seule règle.inais au contraire un systémepluraliste dans la
conibinaison de diverses règles.
C'est cet ensemble et tout ce qui a étédit a cette barre qui me perniet de
fonder les trois affirniations que j'enonçais tout a l'heure.
La premiérec'estque ce qu'il y a dans lejirscogeitsce n'est passpécialement
I'autodEterrninatioiiou tel autre principe. c'estla décolonisation. Cene peut pas
étrela seule autodétermination. trop des données queje viens de rappeler s'y
opposent. depuis la résolution 1541 jusqu'a des pratiques qui vous ont été
présentées ii cette barre donnant la prevalence ail principe de I'intégrité
territoriale.
Si l'on voulait définircomnie jus cugeirs cet ensemble de pratiques. si on

voulait l'éleveraurang. non seulement d'une règlede droit, mais encore d'une
règlede droit spécialementcontraignante etsiiperieure. il faudrait composer le
jfrscog~~rsnon pas seulement du principe d'a~itodetermination. mais de tous
ceux qui viennent interfërer avec lui. sont limités parlui. et le limitent lui-ineme.180 SAHARA OCCIDENTi\L

Ce n'est pas une technique juridique très satisfaisante que de placer a un
niveau supérieurun ensemble de règlesdestinées a seconcilier entre ellesavec
toutes lesdifficultésque cecisuppose. Mieux vaut dans cecas dégagerl'élément
commun a toutes les hypothèses et qui est valable sans distinction. selon les
divers cas.
Or. quel est lecommun dénominateur des principes et de lapratique ?Dans
cette matière.comme ceciapparait d'ailleurs ala lecture des résolutions 1514et
1541. ce commun dénominateur. c'estle principe de décolonisation.norme de
finalité parrapport a laquelle les autres normes sont des normes de moyens.
Ce qu'il ya de commun entre les hypothèsesviseesaux paragraphes a). b).cl
du principe VI de la résoiution 1541que je vous rappelais tout A l'heure, c'est

que les trois procédures mettent fin a une situation coloniale. Ce q~i'ily a de
commun entre la pratique ,du référendumet la pratique des rétrocessions par
négociation, ce qu'il y a de commun entre la prévalence accordée a l'auto-
déterminationet la prévalence accordée al'intégritterritoriale, c'estqu'ils'agit
toujours de modalitésde décolonisation.
Pour résoudre le problèmejuridique que je viens de poser. je reconnais qu'il
y a deuxfaçons d'opérer.
La première.c'estde donner aujiis cogetls un contenu complexe et dansune
certaine mesure contradictoire. Le principe d'autodétermination y trouve sa
place. mais il doit coexister avec d'autres principes et notamment celui de
l'intégritterritoriale. auquel il est tantôt préférable,tantôt subordonné.
Oti bien nous évacuons. et c'est ce que je pense qu'il faudrait faire. dujris
cogriis cette complexitéconflictuelle et nous lui donnons comme contenu une
norme de but. une norme de finalité, qui loin d'êtreconflictuelle aide a
résoudreles conflifs et qui est fe principe de décolonisation.
C'est la seconde solution que je crois préférable,pour des raisons que les
mathématiciens appelleraient des raisons d'élégancee,t vous savez que sous ce
mot il ne se cache pas un souci d'une esthétique frivole, mais simplement

l'application du principe de l'économiedes moyens.
Mais si vous n'étiezpas convaincus ou si I'on n'étaitpas convaincu de la
nécessité de suivre cette méthode de I'élegance. rien ne serait changé
fondamentalement. On réintégreraitdans lejiis cogetisnon pas la norme ultime
et explicative de finalité,inais un ensemble de normes qui seraient équilibrées.
qui seraient a concilier et qui donneraient lieu naturellementa toute une série
de problèmes d'application pratique.
De toute manière et c'estce qui importe pour notre propos. lejiis cogc~rsne
se réduit pas au principe d'autodétermination. Au contraire. pourvii que le
principe de décolonisation soit respecté.l'Assembléegénéraledoit se livrer à
une peséedes principes en présenceet a un choix entre les divers processus
possibles.
Et c'est pourquoi - et nous en revenons toujours la. pardon. h,Ionsieur le
Président.,Messieursles membres de la Cour - l'Assembléegénéralesollicite
de la Cour des lumières sur une donnée importante dii problème du Sahara
occidental et a droit a une réponseautre que celle. d'ailleurs fausse.de la sou-
veraineté absoluesans réserves et sans partage dii principe d'autodétermination.
La seconde proposition est que l'autodétermination n'a pas polir résultat
nécessairela constitution d'un Etat indépendant. Je n'aurai pas le front de

vouloir vous le démontrer : on n'enfonce pasles portes ouvertes et I'onn'a pas
a plaider sur la compréhension du texte de la résolution 1541(XV).
Enfin. la troisième affirmation que j'avançais sur laplace que lient dans la
réalisation de la décolonisation le principe de I'intkgrite territoriale est non
moins justifiéepar les textes et les pratiques que j'ai brièvement mentionnes. EXPOS OERAL DE XI. ifEDEL 181

i70usles trouverez complètement esposéJdans les interventions de i21D uuuy.

dont je vous ai déjàdonnéla référence,et de M. Bennouna (IV, p. 178-188).
C'est pourquoi je ne pense pas que I'on puisse acquiescer a la phrase qui
termine l'intervention du représentant de l'Algérie (IV, p. 509): <<Les
revendications territoriales n'ont jamais affectéle droit à I'autodi.terminatioii.
Ce droit est en effet un principe supérieur>)
Or. comme je viens de le rappeler. cette vue ne correspond pas à la réalité.
puiqu'il existe dans la typologie établie parAI.Dup~iyilne catégorienon theo-
rique:ce n'estpas un ensemble vide. maisune catégorie meublée de cas cqncrets
dans lesquels le principe de l'intégrité territoriajoué unr6le dominant.
Le danger des raisonnements abstraits - hélas! c'est le devoir des juristes
d'en faire- est qu'ils posentles problèmesde manitire rigide et metteni donca
nu les contradictions. II est certain que. pour la commoditb de l'exposéet du
raisonnement. on est obligéde poser les problèmes en des terriies qui font

ressortir les conflits entre les règles. ou les principes. de la hiérarchie entre
celles-c:I'onparle d'un droit préférable.d'un droit prévalent.
Fort heureusement. la vie réelle estplus souple et il se trouve que des
principes différents conduisent, Dieu merci. assez souvent a des solutions
identiques. C'est précisémentpolir cela que I'euvre de décolonisation. si elle
est guidée par des règlesjuridiques et notamment par le principe mémede
décolonisation.es1 sous I'autoritéde I'organe politique le plus représenraiifde
la communauté internationale*
C'esta lui que revient le soin de rechercher des voies qui. loin de mettre en
reliefdes conflits deprincipe. foni au coniraire valoir la possibilitédes solutions
qui les rassemblent ou qui les concilient. II faut lui donner la faculté de

rassembler le inasimum de piècespour réalisercettecruvre et il ne faut vouloir
lui imposer. titre unique. une directive qui ne laisserait d'ailleursaucrin a6le
I'organe politique etqui assignerait a la Cour un rôle beaucoup plus audacieus
que celui devant lequel on essayait de l'effrayer dans les séancesprécédentes.
Combien il serait stérile que. comme le propose le représentant de l'Algérie.
à la demande d'avisqui lui est présentéesur un point précis. laCour réponde a
la fois inutilement et inexactement (mais j'ecarte tout de suite cette hypothése)
par le rappel du seul principe d'autodétermination. amputéde son environne-
ment et ramenéd'ailleurs à la seille technique du referendun~!
Combien il serait au contraire fecond que. sachant que l'Assembléegbnérale
ne vous demande pas de déciderpour elle. mais n'entendant pas non plus voiis

amuser par un débatacadémique, veutêtreéclairée sur certains points qui a bon
droit lui paraissentirnportarit: combien ilserait fécondque tout simplement.
de la manière la plus directe. vous répondiezaux questions posées!
Comme j'achèvemaintenant. h,lonsieur le Président.klessieurs les nieinbres
de la Cour. la deuxième partie de l'intervention marocaine a ce stade de la
procédure.je ne puis conclure plus brièvementet plus simplement qu'en vous
montrant que quel que soit le système de référenceproposé pour traiter des
questions soumises a faCour. lepoint devue marocain lie se trouve pas affecté.
Si.comnie il est normal. vous entendez les questions posées. aussibien celle
concernant la qualitédeterra ~i~~llq ileicelle des liensjuridiques. par rapport
au droii internatioiial classique. le Maroc croit pouvoir établirqu'il exerçaitau
moment de ta colonisation sa souveraineté au Sahara occidental et ainsi les
questions poséesappeHent une réponse.

Si on veut faire référenceau droit public musulnian d~iDar el Islain. ceci
n'enlève riende son esistence et de sa portéea l'institution étatiquemai.ocaine.
Dans le cadre du Dar el Islam comnie dans celui du droit inierriational
classique. te Maroc croit pouvoir établir - ce qui répond ala fois aux deusquestions - qu'ilexerçait des pouvoirs d'Etat au Sahara occidental et derechef
les questions poséesappellent une réponse.
Si l'on veut faire intervenir le droit intertemporel. les questions posées
gardent encore un sens, puisqu'il est établidans le droit et dans la pratique des
Nations Unies que les conditions originaires de la décolonisation peuventcon-

duire l'Assembléegénérale, selonson jugement politique éclairepar les don-
néesjuridiques, a des processus de décolonisation obéissanttous au principe
supérieur de décolonisation, mais correspondant a des modalités différentes
d'application dece principe. Si Ion veut faire intervenir le droit intertemporel. le
Maroc vous demande encore de répondre aux questionsqui vous sont posées.
Comme je l'ai fait a la fin de la première partie de cet expose. je votis prie
d'accepter que je résumeles développements quiprecèdent :

- La Cour est saisie de deux questions dont il a étéétabli qu'elles se
rapportent a sa fonction judiciaire et qu'ellesentrent dans sa compétence.
- Ces questions sont grammaticalement claires et juridiquement non
kquivoques.
- A quelques abus qu'elle ait pu prêter.la notion de terru ~i~illiiest
définie. dans le droit de l'époque : elle vise un mode d'acquisition de la
souveraineté qui ne se confond pas avec les autres. et notamment avec la
cession et avec la conquete.
- Le point de savoir si au moment de la colonisation le Sahara occidental

éta-tunNon moins claire et non moins précise estla question de savoir si sur

cette terra 11oii iirillLe Maroc exerqait des droits de souveraineté,car meme
sielle étaitincluse dans le Dar elIslam. l'organisation politique marocaine était
celle d'un Etatdétenteurde l'attribut de souveraineté.
- La Cour n'est pas consultéesur l'effetque peut produire la survenance
d'un droit nouveau, celui de la décolonisation,sur des situations constituées
sous l'empire du droit ancien :elle l'estseulement. parce que c'est le point le
plus difficile. sur la façon dont a étéconstituée la situation soiis l'empire du
droit ancien. question dont.'selon le jugement de l'Assembléegénérale des
Nations Unies. la solution peut ètreéclairante.
- Rien ne permet a la Cour de considérer comme non pertinentes les

questions qui lui sont posées. encore moins de leur en substituer une ou
plusieurs autres. LaCour se trouve donctout simplement en présencedes deux
questions dans le libellémêmeque leur a donne l'Assembléegénérale.
J'en ai terminé et cette fois-ci définitivement. Monsieur le Président.
Messieurs les membres de la Cour. Je vous ai conduits jusqu'h ce tnoinent qui
est au fond le moment de vérité.celui ou vous allez avoir a répondre ailx

questions qui vous sont posées.Pardonnez-moi d'avoir tellement Fzitdurer ce
lever de rideau :cc n'estpas tout a fait de ma faute. lamachinerie etait quelq~ie
peu grinçante !
Vous allezvous trouver maintenant - et c'estun autre que moi qui prendra
la parole - devant le problème de fond - pardonnez-moi cette expres-
sion - le problème sérieux.Ali tnoment de quitter cette barre. je tiens à redire
combien jëprouve très vivement l'honneur qui est celui des orateurs qui
parlent devant vous. Je tiens aussi a exprimer mes remerciements pour une
attention bienveillante dont je mesure, croyez bien, Monsieur le Président,
Messieurs les membres de la Cour, tout le mérite. VINGT-SEPTIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (25VI175, 9 h 35)

Pr&s~wts :[Voir audience dii 17 VI175.1

QUESTION DE M. PETRCN

XI. PETREN : Vu l'importance donnée dans ces débats a la solidarité
religieuse. je voudrais poser uiiequestion aus conseils di] Xlaroc. de la
heiauritanieet de l'Algérie.On nous a explique que les habitants du klarduc el
Sahara occidental sont des musulmans sunnites de rite malékite.Est-ce que
cette appartenanceau ritemalékite seraitune particularitéqulesdistingue des
habitants d'autres parties du klaghreb. par exernpie des habitants de l'Algérie
voisine ?(Voir ci-aprèsp. 251-252,292-293 et302-303.) EXPOSE ORAL DE M. DUPUY
K~SPRI%ES'I'AS~D'U GOU\'ERSE.!IEST LIAROCAIS

Xi.DUPUI' :hlonsieur le Président.h,lessieurs les membres de la Cour. ce
n'estpas sans une appréhension certaineque je me présente cematin devant la
COLITC . elle que j'éprouveri la penséede devoir garder la parole la journée
durant ne le cède qu'a la crainte que je ressens de devoir lui infliger une
épreuveaustère. Que du moins la Cour considère que la bienveillance qu'elle
~enioigrieà ceux qui parlenl sa barre rit qu'elle a bien voulii m'accorder
jusqu'ici est polir moi. en cette circonstance. un encouragement précieux.
Abordant a nouveau les questions de fond à ce stade de la procedure, la
Cour se trouve devant une docutnentation considérable et contradictoirement
utilisée.Ccttc coinplexitf du dossier se trouve encore accrue par le rait qiie si le
Gouverneitient marocain. parlant lepremier. ne pouvait que répondre ailx
exposéset documents écrits.les autres gouvernements ont eu, en pratique, la
possibilité dès leur preniier tour de parole de répliquer aussi bien a nos

déclarations orales qii'i nos pièces écrites.Le Couvernenient marocain. eu
égardau principe de l'égalitdes parties serait. semble-t-il. en droit de coqsacrer
des lors de longs développements alaseule répliqueque lui accordeson tour de
parole. Cependanl. dans iesouci de ne pas prolonger une procédiiredont il .sait
que la Cour souhaite quélle soit aussi rapide que possible. nous nous effor-
cerons de centrer notre dernièreinterventionsur quelques thèmesessentiels.
A cet égard. le Gouvernen~ent marocain tient a présenter a la Cour trois
remarques prêiiniinairesqui constitlieront l'introduction à cette intervention.
remarques prêliininaires a l'ensemble des réponses aux dirrérents esposés
oraiis. qui nous perniettront aussi de confirmer l'argumentation que le
Gouverneinent marocain a lui-inéniedéveloppéepour démontrer l'existence et
la reconnaissance ii-iternatioiiale des liens juridiques du Royauine du X.iaroc
avec le Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole.
Ces remarques préliminaires sont relatives premièrement S certains
changeinciits intervenus dans laprésentationde certaines thèses espagnoles. en
second lieu a la iiiéthodc utilisée au cours des exposes oraux par les
représentantsdu Gouvernement espagnol. en troisième lieu,enfin, au contenu

juridique qu'ilconvient d'attribuea Iéxpressionutiliséepar la résolution3292
(XXIX) : uau moment de la colonisation espagnole ».
1. Pre1riii.~c.riturqitpr~;Ii;liii~ire Gouvernement marocain se félicite
de constaier que les exposes oraux présentéspar le Gouvernement espagnol
révèlentune appréciation nouvelle des /rtfon!zufia~elLJOCIII fIurniI IIlS
Cour par ce gouvernement dans les livres 1a VI (1,p. 225-425, et II, p3-309).
Cette appréciation nouvelle porte sur quatre aspects de I'argumentation
espagnole.
a) A la page 76 ci-dessus, on peut fir:(<la limite méridionalede l'Empire
chérifien a suivi toujours le cours de l'oued Draa n. Cette constatation est
en totale contradiction avec l'affirmation contenue a la page 247 (1). para-
graphe 31.que je lis:

entre le Sous et le Draa. ce seront les pouvoirs locaux autonoines
existants qui contrôleront le trafic commercial qui contribuiiI'indépen-
dance de cette région vis-à-visdu pouvoir marocain )). EXPOSÉ ORAL DE hl.DUPUI' 185

Ainsi. le Gouvernement espagnol n'entend plus établir le caractère non
marocain des provinces situéesau SLI~de l'Atlas:il renonce donc a ce premier
argument. Nous en prenons acte.
h) A la page 59 ci-dessus, on peut lire:« Il est admis que si un territoire
est répute appartenir au bled siba on le considère inclus dans l'Empire
chérifien.)>Le Gouvernement espagnol abandonne donc un deuxième type
d'argument développedans le paragraphe 5 de la page 236 (1) :

Lesterritoire d'Afrique sur leq~iell'Espagne va établirsa souveraineté.
à partir du cap d'Ag~ier[c'est-à-direa partir d'Agadir] aii cap Blanc. n'a
jamais étéso~imis iI'a~itoritdu sultan du Maroc. La cordillèrede l'Atlas
a toujours étéla frontière naturelle du klaroc..1)

Le Gouvernement du Maroc constate que. dans la phase orale, le
Gouvernement espagnol abandonne la première thèse de son livre 1 selon
taquelle la régionsituéeentre le Sous et le Draa est indépendanteet extérieure
au Maroc. Nous rappellerons en effet que. comme leGouvernement marocain
l'avait mis en Iiimière le 2 juillet. le livre I des IiIJi~nnut io ~icsirr~~e~lis
s'efforçait de jouer sur deux tableaux. D'une part. il soutenait qiie le klaroc
s'arretait a l'Atlas,a hauteur d'Agadir. et. d'autre part. ilgardait une position de
repli, selon laquelle le Maroc se serait prolongéjusqu'au Draa. soit 250 kilo-
métres plus au sud. Le Gouvernement espagnol est donc contraint, du fait
de la démonstration de l'existencede lasouverainetémarocaine. a adopter cette
position de repli. a savoir qu'au nioment de la colonisation espagriole. la

sotiverainetémarocaine s'arrêtait au Draa.
Bien entendu. en enregistrant ce progrès. nous ne saurions nous déclarer
encore satisfaits. Lesexposes oratix développes parleGouvernement espagnol
démontrent la fragilitéde cette thèse de repli elle-même puisqueà la page '2
ci-dessus on apprend qu'après 1895 la frontière méridionale dii Maroc est
portéeau cap Jiiby.
C'est donc progressivement. ou a petits pas discrets. que le Co~iveriiement
espagnol tend à redtiire son désaccordavec la réalitéobjective.
c)A la page 55 ci-dessus, on peut lire:

<<les référencesque nous avons faites aiix actes de souverairiete de
I'Espagneaux XVCet XVICsiecles n'avaientpas d'autre but que d'cclairer
la Cour sur des antécédents lointainsde la présence espagnole a la cote de
l'Afrique occidentale. Noiis n'avons d'aucune façon essaye de prouver
ilne confinuite quelconqiie entre cette présence lointaine et le nioment
critique.n

Cette citation nous amène à prcsanrer deux observations.
Première observation : ainsi. tout en renonçant à se prévaloir d'une
continuité historique prenant se:; racines au Moyen Age. le Gouvernement
espagnol invoque toiit de mêmeles témoignages relatifs 1 cette époque.assez
lointaine en effet de la date critique qu'il croit devoir fixer. dans le dessein
louabled'éclairerla Cour. A l'inverse.lorsque c'estle h4arocqui produit devant
la Cour des témoignagessur I'hisioirede liensjuridiques ayant existe entre cet

Etat et leSahara occidental. leGouvernement espagnol lesjuge sans pertinence
dans lecadre des qiiestions postes. Faut-il comprendreque seute l'Espagnea le
droit d'éclairerla Cour par des rkferences historiques'?Sinon sur quelle bulle
fonde-t-elle ce privilège judiciaire ?
Deuxième observation :I'affirniation précédente, ui s'efforcede faire croire
a une utilisation d.2sintC.resseedes titres historiques lointains. est totalement
contredite a la lecture de la page 286 (1). paragraphe 1. di1livre 1 espagnol.186 SAHARA OCCIDENTAL

Ayantconsacré unchapitre entier au XVcet au XVIesiècle,les rédacteursde
ce livre s'efforcenten abordant les événementsdu XIXe siècle,de se rattacher
a ce lointain passépour conclure a une constante historique :

iComme au cours d'époquesprécédentes.la présence espagnolesur le
littoral nord-africain qui. comprenant la zone de transition du Sous et du
Noun. s'etendait siir le Draa et le Sahara occidental..devait continuer à
être.pendant le XiXCsiécle.une constante historique. 0
Ainsi. laisse-t-on entendre que du SV au XIXc siècleil existait une constante

historique de la présence espagnole. Cenouveau repli est compréhensible : il a
semble-t-il pour objet de se libérer d'un passé encombrant. amatgame de
sentiments et d'actes juridiques désuets, charriant aussi bien des rêvesde
reconquéteque des ordres royaux unilatérauxet des bulles pontificales. letout
sous l'Œildésapprobateur de Francisco de Vitoria.
NOLISconstatons donc et prenons acte que le Gouvernement espagnol
abandonne également ce troisièmeargument.
Le Gouvernement marocain observera cependant que le Gouvernement
espagnol aurait peut-être pu s'en aviser plus tôt et alléger d'autant sa
documentation écrite.
d) La procédure orale a révélé ail représentant du Gouvernement espagnol

l'existence de la confédération tribale desTekna dont le territoire s'étenddu
Noun au nord de Villa Cisneros. sur le territoire actuel du Sahara occidental.
Le Gouvernement marocain se félicitede cette découverte tardive. mais
heureuse,car pour reprendre uiie coiirtoise formule utiliséepar un des coiiseils
espagnols a son égard. si quelque chose étaitabsente des docunients écrits
présentéspar son gouvernement. c'est bienstir iicette réalitédes hommes de
l'espacesaharien >>.
2. J'en arrive ainsi a laderixii.itrw/?arqiir pr&Ii~liiriaiqui concerne les
méthodes iitilisees par le Go~ivernement espagnol dans cette procédure orale
pour critiquer les thèses marocaines. Le Gouvernement marocain Faittoutes
reserves sur cette méthode utiliséea son encontre. et qui procède beaucoup

plus d'iine démarche souvent systéinatiqiiement désobligeante que d'une
démonstration scientifique.
Nous avons relevéau moins trois traits qui sing~ilarisentce comportement.
Le premier concerne le camo~iflagede la véritable positionespagnole sous un
formalisme artificie; le second, lin malentendu soigneiisement entretenu sur
I'expressioiid'ettroptioce~ei tiritroiiè~~e~une déformation systématique
de l'argumentation marocaine.
a) En ce qui concerne le premier de ces traits. a savoir le canlouflage de la
véritable positionespagnole sous un formalisme artificiel. il ressort du fait que
leGo~ivernementespagnol soutient qii'ilne plaide pas. mais qu'ilserait ici pour
donner devant laCour des sortes de conférences,afin de l'informer. tandis que
le Maroc plaiderait. Le Gouvernement espagnol se contenterait de fournir des

informations itla Cour. alors cependant que tout au long de ses documents
écrits.tout au long de la procédure orale. il n'a cesséde contester la thèse
marocaine, donnant a ses déclarations non pas la forine d'un exposé
informatif. mais bel et bien d'une seriede négationsconstantes des positions
juridiques du Goliverneinent marocain.
Nous assistons ainsi a la persistance de la position que l'Espagne avaitdéjà
adoptéelors des débatssur la désignationd'un juge ad Iioc.alors que. tout en
prétendant qu'il n'y avait pas de différend entre elle et le Gouvernement
marocain, elle déployaittous ses efforts et tous ses talents pour empecher la
désignation d'untel juge. EXPOSÉ ORALDE hl. DUPUY 187

II s'agit cette fois, pour le Gouvernement espagnol. de déduire l'existence

d'un litigeportant sur la souverainetéterritoriale desexpressions utilisées parle
Gouvernement marocain. C'estainsi que leconseil du Gouvernement espagnol
tire cette conclusion des termes tnénloireagelir.que nous avons utilisésparfois
dans nos écrits oudans nos déclarations orales.
On pourrait, à l'invocation par le Gouvernement espagnol de l'article 44
du Règlement (ci-dessus p. 46), lequel énumère les actes de la prcrédure
contentieuse, sans pour autant leur conférer un sens exclusif. opposer les
articles 68 du Statut. 87 du Règlement. qui posent le principe générald'une
assimitation des procédurescontentieuse et consultative.
On pourrait tout aussi bien invoquer le lapsus. assez natiirel devant une
juridiction. d'autant plus qu'ilserait tout aussi possible d'en citer desexemples
dans la bouche des conseils espagnols. qui ont égalementparlénotamment de

f~~&~~~oire.
Mais il nous semblerait ridicule de prolonger plus longtemps la rérutation
d'une argumentation entachee de puérilité.Je désirerais seulement faire
remarquer au premier intervenant de la delégationespagnole. qui craignait que
le débatsur les faits ne puisse, dans une procédure consultative, avoir réelle-
ment un caractère contradictoire,qu'ilpeut se rassurer a la suite des déclarations
de son collègue,second intervenant, lequel, tout en prétendant ne pas plaider,
a concentré cet exposé sur la contestation de nos thèses, ce qui étaitparfai-
tement son droit. Mais alors, de grâce, ne camouflons pas nos démarches.
b) Second trait qui caractérise cette méthode : le malentendu entretenu sur
l'expressioneriropc;ocenfrisnre.qui persiste dans la présentationorale des thèses
espagnoles.
Dans le cadre de cette remarque préliminaire sur la méthode d'approche
utilisée par le Gouvernement espagnol. on ne peut que constater la
permanence au niveau des exposésoraux d'une interprétationqui présentece
caractere européocentrique. lorsqu'clle porte sur des faits et des événements

survenus aii Sahara occidental. au moment de la colonisation espagnole.
Tout malentendu doit cependiant êtredissipé.II n'est pas question pour le
Gouvernement marocain de deccinsidererles traditions de penséeeuropkennes
dont il ne méconnaîtpas le rayonnement et auxquelles il rend hommage. mais
l'expression d'e~~rop~;oc~'~rrrisd roit ètre comprise comme révélant une
deformation de l'esprit consistant dans une ignorance des realites extra-
européennes.
A cet égard.l'exposé.d'une haute tenue. qui a étéprésentéa la Cour par le
distingue représentant du Zaïre. a parfaitement montré. et d'une manikre très
apaisée.la nécessitede ne pas regarder les autres avec LinŒil &ranger et. en
l'espèce.de tenir compte des réalitésafricaines.
Or. dans cette perspective.ils'avèreque la décolonisation desmentalitéset
des habitrides de raisonnement reste a l'ordre du jour. Q~ielquesexemples
puisésdans les exposésoraux du Gouvernement espagnol suffiront a justifier
cette nécessité.

Premier exemple :lorsque les populations se révoltentcontre les tentatives
de penetration étrangère,etles ne peuvent ètreguidées.selon teGoiivernement
espagnol, que par le mobile du vol (ci-dessus, p.69).
Second exemple: les exposes oraux considérésne peuvent recorinaitre
comme preuves valables et dignes de foi de l'existencedes limites de l'Empire
chérifienque les tracésfantaisistes ou politiquement orientésdes cartographes
européens.II n'esttenu a cet égardaucun comptedes documents provetiaiit de
la chancellerie chérifienne, car pour le Gouvernement espagnol « une
conscience généraliséseur la limite méridionale extrêmd ee l'Empirechcrifien»188 SAHARA OCCIDENTAL

(ci-dessusp. 52)ne peut êtreconstituke que par l'opinionde cartographes ou de

voyageurseuropéens.
Enfin, on refuse d'admettre l'originalitéde 1'Etat marocain au nom de
l'unicitéde l'ordre juridique international (ci-dessus p. 57 et suiv.).A cet
égard.car le cas mérite qu'on s'y arrêteplus longtemps. le Gouvernement
marocain tient a faire deux sériesd'observations.
Premièrement: il est établi que le droit international saisit les Etats de
L'extérieure.n tant qu'entités souveraines.II est admis par tout le monde que le
droit international n'impose pas une légitimité politique.ni une forme
constitutionnelle interne unique aux Etats. Ce serait nier la diversité des
collectivitésnationales et étatiques. qui constituent l'ensemble de la commu-
nautédes nations.
Chaque Etat a ledroitde choisir son organisation politique et administrative.
en fonction de ses données objectives et de son génie propre. Or, le
Gouvernement espagnol veut nier la spécificité de 1'Etatmarocain, telle qu'elle
a étéexposée parle conseil du Gouvernement marocain. Pour cela. il part du

postulat que l'existence d'un droit international unique impliquant un même
type d'Etat peut seule permettre de parvenir a l'élaboration d'accords inter-
nationaux.
Or. le simole bon sens et l'observation la nlus élémentairedes relations
internationales montrent que c'est par la négociation etla confrontation de
conceotions divergentes pue s'klaborent ~récisémentles normes uniformes du
droit kternationi C-est 1'acco;d entre des Etats appartenant iides
systèmes juridiques différentsqui établit entre eux des situations juridiques
communes. exactement comme. a l'heure présente.nous le voyons dans les
rapports établisentre des Etats relevant de systèmes éconoiniques. sociauxet
politiques différents.
Seconde observation :la référencequi a étéfaite à l'article du professeur
Maurice Flory est sans pertinence en l'espèce,car ce dernier. dans l'étudequi a
etécitée.analyse une certaine conception d'un leader politique marocain qu'on

ne saurait attribuer sommairement a I'Etat marocain. comme le fait le
Gouvernement espagnol. tes liens juridiques entre cet Etat et le Sahara
occidental doivent s'apprécieren fonction d'un principe de droit international
aussi classique. aussi universel. que la souverainete. Mais. dans le cas présent.
cette appreciation doit naturellement s'effectuer par rapport a la consiituiion
interne de 1'Etatmarocain. Le Gouvernement marocain n'a jamais voulii se
fonder exclusivement sur la coinmunaute de religion pour prouver l'existence
de liens juridiques avec le Sahara occidental au moment de la colonisation
espagnole. II se place dans le cadre du droit international commun. mais ce
droit repose sur la diversité des systemes étatiques.Comment. en effet. peut-on
Ctablir l'existence de liens juridiques a un monlent historique donné sans
prendre en considération les modalités constitutionnelles de l'exercice de
l'autoritéchérifienne au sein de I'Etat marocain ? On ne voit pas pourquoi.
dans ces conditions, le Gouvernement espagnol s'étonne de la constatation

évidente de l'historien Laraoui : <<la nomination d'un caïd iila tête d'une
circonscription représente tréssouvent un compromis entre la volonté d'un
sultan et celle des populations ))C'est très exactement ce que le conseil du
Gouvernement marocain a démontrédans son expose du 2 juillet 1975(IV,
p. 252-2871. La concertation intérieure n'a jamais signifié séparatisme et
indépendance ; qui plus est, l'esprit de concertation est précisémentle trait
essentiel de la monarchie. tous les théoriciensdu système monarchique l'ont
amplement démontré.non seulement dans la tradition marocaine. mais dans
bien d'autres pays. C'est notamment la tradition de la monarchie française de l'ancien régime. telleque Jean Bodin l'a montrée. analysant le roi en ses
conseils: le roi négocie avec ses Etats provinciaux. négocie avec ses
parlements. avec ses cours souveraines. C'est précisément ceqiii distingue le
tyran tel que l'ont dépeintles auteurs antiqiies. dii rnonarqiie.
Sans insister plus longtemps sur ces considérations qui reléventde l'histoire
des idées politiques et des systèmes institutionnels. j'arrive au troisième

trait caractéristique de cette méthode utilisée a l'encontre du Maroc par le
Gouvernement espagnol.
c) II s'agit des déformatioris systémaiiques de la thèse marocaine.
déformationsqui pourraient faire l'objetde nombreux exemples et dont nous
devrons. bien entendu. nous contenter. par respect pour le temps dont dispose
la Cour. de ne citer que quelques-uns seulement parmi les plus outranciers.
En premier lieu, le Gouvernement espagnol a soutenu. page 45 ci-dessus,
que <(le Goilvernement marocain a vo~ilu ... se placer dans une position
confortable )>en ayant <(recours a la notion de ((possesseur immémorial >)du
Sahara occidental )>.LeGouvernement espagnol en tire laconclusion qiie nous

nous trouvons devant ilne perifio prii~cipii. Observons tout d'abord que.
contrairement a ce qu'avance le conseil do Gouvernement espagnol. le X,laroc
ne s'estjamais déclaré possesseur immémorial duSahara occidental. mais aii
Sahara occidental. Par ailleurs. le Gouvernement espagnol est particuliGrement
mal venu a nous repr0c.r de procéderpar pétitionde principe. comme il le
déclare ci-dessu? a la meme page. L'invocation de la notion de possession
immémorialepar le Gouvernement marocain est loui au contraire I'aboutisse-
ment d'iine démonstration historique et juridique, fondée sur de niultiples
titres. Notre observation sur le fait que le possesseur immémorial pourrait
(nolis parlons ei nous parlions déjà,lors de notre précédente intervention. au

conditionnel) êtredispense de produire ses titres historiques. loin de nous
confondre. conforte au contraire notre position. Pour évitertout malentendu.
nous rappellerons que, reprenant une observation que Charles De Visscher
rivait développée avec forcedans son plaidoyer en I'aTfairedu Groërilatld
oric'111u1l.a Coui- permanente de Justice internationale a déclare que
l'établissementde la souveraineténe devait pas necessairenient remonter i une
date précise. Cependant, en dépit de I'üppel à 1:i notion de possession
immémoriale. loin de nous dispenser de fournir des titres, nous avons tenu a
prouver les liens qui. a travers l'histoire, unissaient le ilfaroc au Sahara
occidental. Pour ce faire. nous nous sonimes notamment fondés sur des
travaus d'historiens reconnus comme tels. spécialistes de ces Gpoques

anciennes et. notamment. sur les témoignages d'auteurs espagnols comme
Vernet. spécialiste de la conqiiete arabe a la période almoravide. Huici,
spécialistedes périodes alrnoravides et alniohades. En réalitéq . ui peut le plus.
peut le moins. qui pourrait se passer de titres. peu1aussi bien et encore mieux y
faire appel et précisément cen'est pas pour chercher iine solution confortable
que le Gouvernenient marocain soutient qu'il est possesseur imnièmorial ail
Sahara occidental. c'est tout ail contraire sur la production de titres nornbreiis
qu'il a voulu établir l'existence de liens jiiridiques entre Iiiiet le Sahara
occidental au moment de la colonisation espagnole. La notion de possession
iiiiini.moriale rend compte de I'hkritagehistoriqiie. On ne salirait oublier que. a

la naissance de I'Etat marocain. ati moment des Alinoravides. ce sont des
hoinmes de la Sakiet Et Hamra qiii établissent cetEtat. conduit par Youssef
Hcn Tachfin et. au moment de la dramatique crise du iiièine Etat. iilafin du
SISQt aii débutdu NSe siècle.ce soiit Ics mémeshomines qui le défendent.
avec kla el rlïiiin au service du Siiltari.
C'est bien le moment. des lors. de réfuterIcternie de i(postiilat iitilisépar190 SAHARA OCCIDENTAL

le Gouvernement espagnol pour déconsidérerla position marocaine. Pas plus
la possession immémoriale que la reconnaissance internationale des liens
juridiques entre le h.laroc et le Sahara occidental ou que ledepeçage du Maroc
ne constituent des postulats. II ne faut pas manquer d'audace pour qualifierde
postulat une démonstration historique et juridique: il est vrai que c'est aussi
pour le Gouvernement espagnol une belle occasion de se placer dans une

position qui ne manque pas de confort.
De même,le Gouvernement espagnol a déclaré a la page 56 ci-dessus :
« leGouvernement marocain a reconnu qu'il n'aexistéaucune administration
spéciale.spccifique du Sahara occidental. cette allégationdéformetotalement
le sens et laportéede notre observation. Lorsque nous faisons une remarque
on s'en saisitpour dire que nous avouons. que nous admettons. alors que cette
observation a un caractère objectif. Le Royaume du Maroc se fonde sur
l'affirmationd'lin hommequ'on a souvent citéiciet dont lamémoireest juste
titre par~iculierernent honorée par le monde des internationalistes : l'éminent
arbitre Max Huber. selon lequel ((il n'estpas necessaire qu'une administration

spéciale soitftablie sur le territoire pour maintenir lasouveraineté ». A fortiori.
leGouvernement marocain. en démontrant que l'administration marocaine au
Sahara occidental ne présentait pasde caractères particuliers. distincts du reste
de I'Enipire chérifien. établitl'unicitédu régimeadministratif des différentes
provinces de l'Empire. On ne saurait, dès lors, nous opposer comme un
désaveuce qui constitue précisémentle fondement mêmede notre thèse.
Enfin le conseil espagnol a cru pouvoir tirer un argument. aux dépens du
hlaroc. en soiilignant a plusleurs reprises que l'espression « décision militaire))
aurait remplacédans notre exposé - et probablement aussi dans notre esprit
- l'utilisation du terme« résistancemarocaine » (ci-dessus p. 59). 11 s'agitla

encore. d'un exemple de ce qu'il faut bien appeler une dkformation
systématique des propos marocains. En réalité.on ne saurait trouver nulle
contradiction dans ceux-ci. Nous avons parlédans notre synthèse coriclusive.
aux diverses declarations marocaines des décisions militairesen visant lesactes
du souverain, lesactes de souverainetéémanantdu Sultan. Pour autant, iln'y a
aucune contradiction entre la notion de « décisionmilitaire ))et la notion de
« résistance )>qui est un concept plus large associant le souverain et le peuple
dans le mémecombat.
Mais évoquer le refus marocain de la pénétrationétrangère,c'est se placer .
dans la perspective historique de la colonisation - ce qui pose une nouvelle

foisle problèmede la date critique. problème qui va faire l'objetde la troisième
remarque préliminaireque nous avons cru devoir dégager.
3. Trfii.siii.rc.i?rarqrtprdi~>iifioirr.le Gouvernement marocain tient a
faire certaines observations sur la présentationpar le Gouvernement espagnol
du contenu qu'il convient d'attribuer a l'expression <<au moment de la
colonisation espagnole ))telle qu'elle figure dans la résolution3292 (XXIX).
Si l'on se fie aux déclarations contenues à la page 46 ci-dessus. le
représentant du Gouvernement espagnol se bornera (<5 discuter les exposés
faitspar le Maroc et en aucune manière a <(plaider )>dans un prctendu litigede

souveraineté territoriale entre l'Espagne et ce pays H. Le Gouvernement
marocain prend acte de cette declaration. II a ioujours affirmé. ence qui le
concerne. que la Cour n'etait en aucun cas appelée à trancher un quelconque
litige de souveraineté territoriale et inon éminent collègue et ami. le doyen
Georges Vedel. l'arappelé hierencore avec force.
On relève donc une contradiction eiitre l'expose di1 premier et di1second
intervenant au nom du Gouvernement espagnol dans Iü phase actuelle de la
procid 1re. EXPOSÉORAL DE 31. DUPUY
191

Le représentant espagnol précitéa ajouté : <Je ne me propose pas non plus
de plaider sur les titres de souveraineté de I'Espagnesur le territoire. car ils ne
sauraient être examinés devant la Cour sans le consentement de 1'Etat
espagnol. » Le Gouvernement rtrarocain tient à rappeler à nouveau qu'il ne
plaide pas sur ces titres en eux-mêmeset qu'il ne s'y réfèrepas pour eux-
mèmes. Lorsque ses exposes oraux évoquent les titres de souveraineté de
I'Espagne, c'est tout simplement pour discuter les développements consacrés
par ieGouvernement espagnol a ce sujet dans leschapitres II. V et VI du fivre 1
afin de mieux éclairer laCour (1.p. 235-247 et 286-312).
Ayant i l'esprit lesconsidérations précédentes.on ne peut qu'être surpris
lorsque le conseil espagnol évoqueaiissit6t ce qu'ilappelle I'élementtemporel.
essayant de déterminer une date critique. Or il est admis qu'il s'agit la d'une
technique juridique utilisée par lajurisprudence internationale à l'occasion de
litiges relatifsa l'attribution de la souverainete territoriale. Nous ne pouvons. a
I'evidence.suivre sur ceterrain le representant de I'Espagne.Le Gouvernement
marocain tient a réaffirmerdevant laCour qiie la réponseaux questions qui lui
sont soumises par l'Assembléegénéralene nécessitent pasla détermination
d'une date critique. te monietit n'est pas un instant. Le moment est une
période critique.
Nous sommes certes d'accord avec le Gouvernement espagnol lorsqii'il
propose de prendre en considération que la période critique s'étendde 1767 a
f884 ;le choix de cette périodede la part du Gouvernement espagnol Ctanten
effet trcs révélateua nos yetis. C'est en effet en 1767 que va se manifester la
prerniere demande adresséepar leGouvernement espagnol au sultan dii Maroc

pour obtenir que :
S.M. impériale[marocaine]permettra aux habitants des ilesCanaries a
s'établirdans le port d'oued Noun ou dans un autre port plus loin de ses
domaines au sud de celui-ci afin qu'ils puissent saler le produit de leur
péche.» (Article 12 du projet de traitédu 20 mai 1767 communiqué par
l'ambassadeur Jorge Juan au Gouvernement marocain, III,annexe 32 C,
p. 264.)

Le Sultan, tout le monde lesait, a refuséde satisfaire a cette demande. II
faudraattendre la défaite militaireet le traite de Tétouan de 1860 pour que le
souverain s'engage, sous la cotitrainte. a concéder a I'Espagne un terrain
suffisant pour installer une pkcherie a Santa Cruz de hfar Pequena (III. an-
nexe 35 B. p. 269-272).
Cest pour cela que le représentant espagnol, a la page 55 ci-dessus, déclar:
<<Si on veut limiter cette période critique. la data retenir, selon nous, serait
l'année1860. »
Le Siiltanva essayer naturellement. par des procédés dilatoires.de retarder
l'applicationdti traitde 1860. de différerladécouvertedela mystérieuseSanta
Cruz de Mar Peqiieiia. il va méme proposer au Gouvernement espagnol le
rachat des droits concédés.C'est devant cette obstination du Sultan pour
sauvegarder l'intégrité territorialede l'Empire que les Espagnols vont décider
iinilatcralement de s'installer a Villa Cisneros.
IIapparait clairement ainsi que. selon leGoiivernement espagnol. la période
critiquede lacolonisation du Sahara occidental recoiivre en réalité uncertain
nombre d'événementsrelatifs aux tentatives de coloriisation dti Wlaroc.Nous
avons dejàexposélonguement notre position le 26juin 19 :75 - IV, pages 146
à 150 - nous n'y reviendrons donc pas.

Ces remarques introductives exposées, nous allons retrouver quelques
thèmesessentiels concernant la substance des réponsesaux questions posées a 192 SAHARA OCCIDENTAL

la Cour. Noiis nous proposons de revenir. trés logiquement. sur les deux
aspects fondamentaiix internes et internationaux des liens juridiques existant
entre leSahara occidental et le Xlarocau moment de la colonisation espagnole.
Celte démarche va nous conduire examiner successivement l'existence des
liens juridiqlies et la reconnaissance dces liens juridiques. Ce sont ces deus
themes qui feront l'objetde chacune des deus parties qu'avec l'autorisation de
la Cour nous allons avoir t'honneur de traiter aujourd'hui.

1. Existence de liens juridiques entre leSahara occidental
et le Maroc au moment de la colonisation espagnole

Bien entendu. nous n'avons pas rappeler que nous ne procédonspas ici a
lin expose discursif. mais3 une répliqueet que nous ne retenons des faits oii
des considerations juridiques quedans la mesure ou cela nous parait nécessaire
pour rcpondre aux critiques qui nous ont étéadressées.
Le représentant du Go~ivernement espagnol a déclare :
<<qtie la notion de possesseiir imiriémorial est étayéepar l'idée de
contigliïtc territoriale. comme il a éie mis en relief. ajoute-t-il. par le
conseil du Gouveriiement marocain qui en a fair kabase spatiale de l'idée

de possession inimenioriale n.
Jc soupçoniie le conseil du Gouvernement espagnol de vouloir réduire le
professetir q~ic je stiis au désespoir pcdagogique. tant il semble vouloir
démontrer que je n'ai point sii me faire comprendre.
Nous croyons en effet avoir bien marqué que la notion de contigiiité
territoriale n'étaitpas en elle-mêmela base de notre raisonnement. qu'elle
n'&ait retenue que confornicment a l'opinion des spiicialistes qui ont étudie
cette question - et notamment Charles De Visscher a propos du Groi;filu~rd

orieritul- , que dans la mesure ou elle est étayéepar des élémentshumains,
sociaux.
La notion de contig~i'ïté territoriale. en effet. nous l'avons bien marqué
devant la Cotir. n'est guère acceptée elle seille coinine iiiititre. siir le
territoire. dans la jurisprudence internationale. lorsque celui qui veut I'invo-
quer est un prétendant a l'acquisitionde la souverainetéterritoriale par le moyen
de l'occupation des territoires sans maître. hlais. tour au contraire - et tes
auteurs l'ont bien souligne -. le concept de possession immémoriale est trés
diffèrentde celui de l'occupation des territoires sans maître qui se fonde sun
ou sur des actes isoles pour lesquels I'effectivité etd'autres considérations
excluent le recours a la contiguïté.
Nous nous trouvons une fois de plus devant iine altération notable dii
raisotiiieiiieiit suivi par le Co~ivcrrienient niarocaidans les exposésoraux
qu'il üprésentési~la Cour.
Ce qu'il y a de reinarqiiable. c'est que si l'on veut bien se reporter atis
plaidoyers intervenus dans l'affairedu Groi;/~laiidc~ri~~ifuo. s'apercevra que
le Gouvcrnemcnt norvégienreprochait iuiaussi au Danemark et iison conseil

Charles Dc Visscher de fonder la possession territoriale sur la contigiiïtéet que
précisément l'éminenm t aître de Lotivain ü rait la mise ati point qtie j'avais
raite, aprPs I~ii. lors de nia preccdente intervention et que je vais trés
brievcment rappeler.
Le Goiivernenient marocain n'a jamais prétendu que lacontigtiïtl a elle
seule constit~iait tin titre siiffisant polir établir la soiiveraineté territoriale. II s'estappuyésur l'analyse effectuéeprécisémentpar l'éminentplaideur pour le

Danemark dans l'affaireprécitéeet égalementdans son ouvrage Prob/i.i?r~s de
ctii~fiiiseii druir iiiternurioitulpiiblic. pag: 35
(rSimple notion spatiale. la contiguite comme telle ne confère pas un
titre autonome à la souverainetéterritoriale. Elle n'a de pertinence que la
oii des liens naturels de dépendance physique sont renforces par la
proximitéimmédiated'une souverainetégenéralereconnue ..>>

La notioii iéographique de contiguïte ne constitue donc qu'un elémentqui
prend cependant une' importance particulière lorsque l'unitégéographique
naturelle se double. d'une part. d'une continuitéhumaine et. d'autre part. d'une
ilnite dans l'exercicede la souveraineté.C'estainsi que la pertinence juridique
des notions de proximité ou d'unité géographique est invariahlement
subordonnée a des comportemerits humains. ainsi que l'a affirméla sentence
arbitrale en l'affaire du Lac Lurinirx (Reviie gr'irt;raledir droit irlferr?utic)iial

prtblic. 1958. p. 10.3).
De telles conditions étaient parfaitement remplies au moment de la
colonisation espagnole entre le Maroc et le Sahara occidental. tout
spécialementsi nous concentrons notre examen sur la province charnière du
Noun et celle s'etendant ininlédiatement plus au sud. c'est-A-direla Siikiet El
Hainra. nous constatons que cette région, artificiellement séparéepar la
colonisation, présentait une unité tant administrative qu'humaine.
C'est de ce tout organique que nous avons parlé :c'esta lui qiie nous nous
reportons à nouveau aujourd'hui.
Lorsq~ieiious faisons allusion au faitque cette régionartificiellenîent séparée
par la colonisation présentait une unité tant administrative qu'humiiine au
moinent de la colonisation espagnole. nous voudrions rappeler qiie c'est par
une grossièreerreur, toujours renouveléepar le Gouvernement espagnol, que

I'on tend a imaginer, ou à faire croire, que la décolonisation ne s'effectue
exclusivement qu'à !'intérieurdes limitestracéespar lecolonisateur. Nous nous
permettrons de rappeler la typologie tripartite des cas que nous avons dégagés
le 26 juin dernier (IV, p. 166- 169). Nous avions distingue une première
catégorie d'hypothèses quise rattachent a la décolonisationde I'Afrique.dans
des régions oii n'existaient pas d'Etats reconnus par la commuiiauté
iiiternationale du SINC siècle : dans cette serie de cas. on a conservé la
détim~tationheritécde la périodecoloniale.
Dans une seconde catégorie.celle du territoire devenu indépendant.et dont
I'iiltégritterritoriale iie peut. selon la pratique des Nations Unies et de l'OUA,
êtrereinise en cause. nous avons évoquénotamment l'exempledu Congo. face
à la sécessionkatangaise.
Enfin. la troisièmesituatioii est fondamentalement différentedes deux précé-
dentes. Elle vise un Etat reconrili internationalerneiit avant la colonisation.
placésous la don~ination coloni~ile.et démembré ;c'est le cas du Viet Nam.

c'estcelui du Maroc, c'estdans cette perspective que I'onse place pour constater
que lesprovinces séparéed se l'Empirechérifien constituaient unfur([organique.
Rappelons que celle dernière notion est reconnue par ledroit international et
qu'elle a. notamment. tenu une place importante dans la sentence arbitrale
rendue en 1904 par le roi d'Italiedans l'affairedu Co~~resra Liiiglo-brt;si/ieti.Ce
tout organique. que nous avons nîis en valeur dans notre dernier exposé.a été
niépar le conseil du Gouvernement espagnol en se fondant sur des données
cartographiqiies et des analyses tronquées des réalitéshistoriques. géogra-
phiques et politiques. II convieiit donc de considérer i nouveau ces divers
éléments. 194 SAHARA OCCIDENTAL

Dans une double démarche. nous nous proposons d'examiner successive-

ment l'absence de pertinence des allégations espagnoles établiessur l'examen
cartographique. puis de démontrer les éléments constitutifs de ce tout
organique. Ainsi. à la lumière de cette réponse aux détracteurs.des thèses
marocaines, apparaitront Bnouveau les liensjuridiques existant entre le
et le Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole.
A. Premiére séried'observations : l'urgirtne~îtuiio~tir& des curtes gh-

grupliiqtres.L'intervenant espagnol qui a présenté un exposé oral devant la
Cour les 17 et 18 juillet1975 a estiméque la cartographie fournie par son
gouvernement constitue, selon sa propre expression, « un moyen de preuve
indirecte, secoiidury evidetice>>(ci-dessusp. 52) de la reconnaissance par les
géographeseuropéens de l'oued Draa comme frontiere du Maroc. II tire cette
conclusion de la ({concordance des témoignages cartographiques ))et de
« l'objectivitédes données géographiques».
Qu'il nous soit permis de faire remarquer à la Cour que si ces témoignages
cartographiques sont concordants en quelque domaine. c'est bien dans letir
défautd'objectivité.
A en croire le Gouvernement espagnol. l'objectivitédes cartes fournies

résulterait du fait qu'elles ont étéétabliespar des géographes de nationalité
anglaise. française ou allemande. ce qui établirait leur valeur probante.
puisqu'elles ne sont pas I'criivre de géographes espagnols.
C'estcette considération qui nous conduit a présenterdeux observations.
La première intéresseprécisémentle caractère que le représentant espagnol
attribue a ces cartes. c'est-à-dire leur impartialité.Charles De Visscher. dans
son ouvrage sur lesProblkiuesde cotiJris eiidroiit r~ierriaiiotailrblic. page 45
et page 46. écrit:

<(II arrive que certaines cartes soient suspectes. leurs auteurs s'étant
inspires de programmes politiques d'expansion territoriale. La variation
que l'on peut observer parfois dans les tracésde frontiere portés sur les
éditions successives descartes sont édifiantes a cet égard.»

II a étéabondamment prouvé par les documents écritset par les exposés
oraux que l'Espagne n'étaitpas la seule puissance intéresséeau Sud marocain.
En France. en Allemagne. en Angleterre. certains intérêts y nourrissaient aussi
quelques ambitions.
Ces cartes ont donc deux caractéristiques communes. Elles sont tracées par
des Européensen fonction de renseignements géographiques souvent inexacts
et de levéstopographiques effectues par les fameux voyageurs dont on nous
vante les exploits. Singuliers voyageurs. qui. pour nombre d'entre eux.
déguisés etrevêtus ducostume des autochtones dont ils parlaient la langue.
n'étaientautres que des agents de renseignements directement appointés soit
par les gouvernements soit par les intéretsprivésqu'ils servaient. notamment

des intérètsgroupes dans des sociétésde géographie, souvent qualifiées de
commerciales. mais dont lespréoccupationsd'objectivité n'étaient pale s trait le
plus saillant.
Nous aimerions sur ce point simplement citer deux témoignages espagnols.
Le premier concerne l'origine historique des cartes relatives a la côte
saharienne de l'Atlantique .a partir de I'oued Noun. D'intéressantesobserva-
tions nous sont fournies par Antonio Rumeu tEspu5a wi d Africa u~lu~iiica,
Madrid. 1956, p. 12 et suiv.):

(<L'Afrique atlantique commença a être familière aux érudits de
l'Occidenteuropéen,grâce aux fameuxportulans médiévaux.Majorque et EXPOSEORALDE M. DUPUY 195

Gènesétaient,a l'époque.des ateliers ou l'on élaboraitces mappetnondes
el ces cartes qui font, de nos jours, \'admirationdu monde scieiitifique.
Par la route maritime. les cartographes étaieau courani des voyages en
Afrique des Cênoiset des gens de Majorque. dont les renseignements. au
sujet des découvertes et des explorations. étaient enregistrés dans les
portulans. Par la voie terrestre. les caravanes amenaient aux ateliers
cartographiques des précieuxrenseignements plus ou moins véridiquesau

sujet de l'Afrique lointaine. Ces renseignements verbaux, rapportés par
des voyageurs et des commercants. étaientdéformespar les moyens de
transmission employés. l'erreurà côtéde la véritéet la fantaisie a cotéde
la réalité seperpétuèrent parce que les cartes des siècles postérieurs,
jusqu'au XIXCsiècleinclus, ont continué a répéter l'uneaprésl'autre les
désignationsque les cartographes du Moyen Age avaient enregistrées,que
ce soit authentique ou fabuleux.)i
Et Rumeu en tire une conclusion au sujet de I'oued Noun, à savoir la

conclusion que I'ouedNoun portésur les anciennes cartes peut êtretciutaussi
bien identifiéavec les oueds Assaka, Draa, Chebika et mème la Sakiet El
Wamra(page 1 7de son livre).
Ces observations montrent le singulier relativisme des données-cartogra-
phiques dont le Gouvernement espagnol croit pourtant pouvoir se prévaloir
avec le plus grand sérieuxdevarit la Cour.
Le deuxième témoignage précise la portée exacte du voyage de Gatell,
l'explorateur espagnol cite dans l'exposédu Gouvernement espagnol. Tomh
Garcia Figueras, dans Sulira Crifz d~ Mur Peq~,e;~u,JJili. SaIlciru(Madrid,
1941, p. 1221,écrit:

« Le 14décembre 1863, le consul d'Espagne a Tanger proposa a son
gouvernement qu'on charge Gatell de l'étudedu Sud marocain. En fevrier
1864, on lui confia une mission secrèteet, en juillet demème année,il
se rendait a Sous, ouad Noun et Tekna, arrivant méme au Sahara. ))
Le témoignagede cet explorateur. d'un genre aussi particulier. est. semble-
t-il. sujet a caution.
Au surplus. les deux gouvernements intéressés. celui duMaroc et celui de
l'Espagne, n'ont jamais accepté les limites territoriales ainsi arbitrairement

fixéesa I'oued Draa.
En ce qui concerne le Maroc. deux documents prouvent que le
Gouvernement chérifien n'ajamais accepté. au moment de la colctnisation
espagnole. l'ouedDraa comme la frontière du Royaume.
Si nous nous reportons aux annexes 9 et 9 bis (III. p. 210-211).du 6 juin
1886, nous constatons qu'a une demande de l'ambassadeur d'Espagne, le
Sultan fait répondre par son représentant a Tanger:
<<Pour ce qui est de Wadi-Ed-Dahab [Rio de Oro], une enquêtea été
effectuée auprès des nomades de cette région ; il en ressort que ce
territoire se situe dans la région des Ouled Dlim et de la tribu
Arroussiyine, qui sont nos sujets, et dont certains sont i notre service

dans les régionsde Marrakech et de Fès.rls le dénomment Dakhla. >>
II ressort de ce texte que nous retrouvons que le Sultan a consulté les
habitants de la région. Quant a la référenceaux membres des deux tribus
installea Marrakech et a Fès,il s'agitde contingents militaires a son service.
Si nous nous reportons a l'annexe 161, ils'agit d'une lettrdu ministre de
France au Maroc à M. Roume. gouverneur généralde l'Afrique occidentale 196 SAHARA OCCIDENTAI.

française en date di113 mai 1907. Dans cette lettre. le ministre de France fait
connaitre au gouverneur de I'AOFla réponsedu ministre français des affaires
étrangères a une demande de délimitation des frontièresémanant du Gou-
vernement chérifien.Voici ce que dit cette lettre:
<Par une comn-iunication en date du le' mai. hl. le ministre des affaires
étrangères m'a fait connaitre qu'il partageait, mon sentiment et il m'a
prescrit de repousser nettement. sans mêmela discuter. la proposition du

makhzen relative a la créationd'une commission de délimitationentre le
Maroc et le Sahara. ))(111.p. 459-460.)
Ce commentaire vise la demande marocaine concernant :

« la nomination de deux commissions, l'une déléguéepar votre
Gouvernement respecte, et l'autre par le Gouvernement chérifien. Ces
deux commissions se rencontreront dans cette région.afin de déterminer
les tribus jouissant de la protection française, le rnakhzen s'abstiendra
d'entamer toute espèce de relations avec les habitants de ces dernières
tribus.>>

Nous rappelons - et ce document le prouve - que le Gouvernement
chérifien ignore i l'époque l'accordsecret franco-espagnol de 1904. Son
autorités'étend.par l'intermédiairede Ma el Aïnin. sur une partie des tribus de
l'actuelSahara occidental. Le Sultan ne reconnait donc pas l'ouedDraa comme
une frontiere deson Empire.
En ce qui concerne l'Espagne. nous sommes en mesure d'informer la Cour
qu'ellenon plus n'ajamais officiellement reconnu. pendant la périodequi nous

intéresse.que I'ouedDraa étaitla frontière du hlaroc.
Cette affirmation résultedu contenu de la lettre du ministre d'Etat espagnol
a son ambassadeur a Paris en date du 7 mai 1900 (DOC~~~~~ ~reseO~Stodou
las Cortes,1900. p. 53):
<(La frontière nord du Rio de Oro devrait êtrecelle qui résulte des
limirrii du Maroc /rot1drferïnir~& cs.On ne comprend pas sur quoi est

fond& la désignationdu parallèle 26O [ au sud ducap Bojador, limite nord
du protectorat déclaréen 18841.Les cartes de l'Afrique ne signalent pas
exactement les limites du sud de l'Empire du Maroc, parce que
indubitablement on peut dire qu'elles sont inconnues, mais étant donne
qu'entre ces limites, quelles qu'elles soient, et cellesla France prétend
reconnaitre a l'Espagne au nord du Rio de Oro il n'y a pas de territoire
appartenant a une tierce puissance européenne, il n'y a pas de raison
d'imposer comme limites à nos domaines le parallèle 26O.Il est normal
que ces limites finissent au point où commencent celles du Maroc. ))

Quelle est la signification de cette lettre ? La référenceau parallèle 26O,
proposépar la France s'expliqiiepar le fait que cette ligne estau-dessous du cap
Bojador. limite nord de la déclaration du protectorat de 1884. qui porte
exclusivement sur la cote.
L'Espagne veut donc faire reconnaitre par la France que la zone intérieure
monte aussi a hauteur du cap Bojador. comme la zone côtière. Et le ministre
d'Etat indique bien que cette ligne finit au point ou commence le Maroc. Et
comme le Maroc s'est fait.reconnaitre par la Grande-Bretagne en 1895 sa
souverainetéjusqu'au cap Bojador et a l'intérieur(behi~idid. on peut donc en
conclure que le Gouvernement espagnol estimait a la mêmeépoque que la

Sakiet El Hamra étaitune terre marocaine.
Le cap Bojador était également considéré palres instructions maritimes EXPOSE ORAL DE 51.DUPUY 197

françaises comme la limite sud des côtes du Maroc :<<Instructions n;iutiques
sur lescôtes occidentales d'Afrique depuis le cap Spartel jusqu'au cap bjador
(cotesdu Maroc) », Reclreild'rrvis.iitstnictioiis.doc~rinret in61noiresre/u~iJs
ù /Y~-t?di-ogrcrp lIic /O riai>igufir~rfhli~;ar le (1L;POgLiI~&rld~>/11~Iloririe,
tome II. année 1849. page 236.
Une dernière remarque sera présentéeen ce qui concerne ces cartes
géographiques.Elle intéressele prétenduEtat de Sidi Hescham dont on a parlé
au cours des précédentes séancesorales. Contrairement a ce qui est écrita la

page 44 ci-dessus, ce n'est pas le conseil du Gouvernement marocain qui
affirme que I'Etat de Sidi Hescham n'étaitqu'une zaou'ïa ; il ne se serait pas
permis de l'affirmerde son propre mouvement. 1)n'a fait que rapporter ce que
dit un spécialistereconnu de l'étude des confréries, Michaux-Bellaireq , ue l'on
s'est contenté de citer, comme on peut s'en apercevoir en se rapportant a la
page 259 (IV).
D'ailleurs, sur ce point, le Gouvernement espagnol fournit des explications
contradictoires. En effet, aprk avoir tenté de présenter le marabout de
Tazeroualt comme régnant sur <cun véritable petit royaume >),évoque
d'ailleursdans le livre1comme lin vaste Etal couvrant le Noun. ce personnage
n'est plus aptes 1886 qualifie que dec<caïd» qui gouverne au nom du Sultan

(ci-dessus p. 63). 11est donc ose de prétendre qu'ils'agissait d'un Etat inde-
pendant.
L'ensemble de ces développements devrait montrer que la cartographie
fournie par le Gouvernement espagnol ne présente aucune vateur probante
permettant de déterminer les frontières du Maroc au moment de la
colonisation espagnole. On ne peut que partager l'opinion du maître que nous
avons tant de fois cité, Charlcs De Visscher. déclarant dans un chapitre
spécifique consacré aux cartes géographiques dans son ouvrage sur les
confins :

«On comprend la grande circonspection dont témoignent arbitres et
juges à l'égard de l'utilisation des cartes. Il n'est guère de décision
internationale qui ne contienne une miseen garde a cesujet.P>(Charles De
Visscher, Prob/i.nic.(/Lco~!fiiscriJroir iriterriutioil trblip. 46.)

En I'espéceles cartesgéographiques se sont révéléeismpuissantes àbriser la
notion de tout organique sur laquelle nous avions insisté lors de notre
présentation synthétique des positions marocaines. Pas davaniage les
diffërentes critiques avancées par le Gouvernement espagnol a leur kgard ne
parviennent à effacer les liens juridiques existant entre le Maroc et IcSahara
occidental au moment concerne par la résolution3292 (XXIX).

L 'ufrflic.iices.~ispeiac11 Iictirc.PSI repriseu I1 1120

B. C'est, toujours dans le cadre de la première partie de cet exposd. que je
vais avoir l'honneur maintenant d'aborder une deuxième séried'observations.
Elle va nous permettre de rüssenibler un faisceau d'crrgvtn~,~~h..slnriqrl~~.s
confirmant l'existencede liensjuridiques, regroupéscomme dans une sorte de
gerbe, et permettant de repondre aux objections espagnoles. Trois tiranches
nous paraissent rnaitresses, ellessous-tendent trois (hème:la définitionexacte
de l'expression «rird NO~IIIla politique du sultan Moulay Hassan. te rôle joué
par Ma el Aïnin.
1. Premier point : tud<fiiiitioiicJ.vrte.I'C~.V~~LIS .u~eI)Ioun. Ilans son
expose écrit comme dans ses déclarations orales. le Royaume du klaroc, en198 SAHARA OCClDENTAL

traitant de l'exercice effectifdesa souverainetéau Sahara occidental. comme de
ses rapports avec les puissances étrangères concernant cette région. a
fréquemment utiliséle terme d'oued Nouti.Mais ce terme et l'utilisation qui en
a étéfaite ne semblent pas avoir étécompris dans le sens qui étaitle sien au
moment de la colonisation. Il s'avère des lors nécessaire de rappeler la
signification exacte du sens et de la portéequ'il avait a ce moment. afin que les
documents versés parle Royaume du Maroc. qui en parlent. et lesexposésqui
y afferent. soient perçus dans leur véritableportée.
Au moment de la colonisation espagnole. le Notin. province marocaine.
vivait en étroitesymbiose avec une grande partie de ce qui constitue.a l'heure
actuelle, leSahara occidental et, seules, les frontières tracéesarbitrairement par
la colonisation vinrent rompre artificiellement la continuité d'un ensemble
géographique et humain. harmonieusement constitué au fil des siècles. et

administrativementorganisépar les différentssultansqui se sont succédésur le
trirne marocain.
L'expression oirrd Nmin peut être comprisedans deux sens différents : lin
sens restrictif que lui donne le Gouvernement espagnol et un sens plus large
qui est plus conforme à la réalité de l'espacseaharien. C'estdancedernier sens
que l'expression ciliedNouir est utiliséepar les documents de la chancellerie
marocaine et par les traites internationaux passes par le Maroc au XVIIIeet au
XIXCsiécle.
En ce qui concerne d'abord l'utilisation du terme a~redNo~lir par les
documents administratifs marocains. il est aiséde démontrer l'existence dulien
naturel entre la région du Noun et une partie du Sahara occidental. A cet
égard.nous voudrions faireune observation générale :lorsque nous parlons de
l'oued Noun et au-delà. aLi Sahara occidental, nous entendons faire référence.
par cette expression. soit a la Sakiet El Wamra. soit au territoire situé

immédiatementau sud du cap Bojador. Cette démonstration de L'idéqeue. dans
la realitë géographique. humaine, administrative. I'oued Noun concerne une
région. peut s'effectuer apartir de trois séries d'observations complémentaires.
géographiqueset politiques.
En premier lieu. ainsi que l'a rappelé. a juste titre. le représentant du
Gouvernement mauritanien. lesTekna sont incontestablement marocains. Or.
le <(Trab Tekna )>.c'est-à-dire la terre des Tekna. s'étend, comme l'écrit
l'éminentspecialiste. M. Vincent Monteil. dans ses notes sur les Tekna (Paris.
1948, p.251,des derniers contreforts de l'Anti-Atlasa la Sakiet El Hamra. En
outre, ajoute-t-il, Lesterrains de parcours des fractions nomades des Tekna
s'étendent <<sur plus de mille kilomètres, du sud-ouest au nord-est de Villa
Cisneros a Tagounit v.M. Vincent Monteil remarque justement dans le même
ouvrage, ala page 33 : « le cŒur de tout le pays Tekna, c'est l'ouedNoun ».
Ainsi setrouve. tout naturellement, justifiée l'utilisationdu termeolied Notrit
pour désigner.non pas une rivière. mais l'ensemblede la terre Tekna.
Deuxièmement. le Gouvernement marocain établit que sont également.

intégralement. marocainesd'autres populations occupant la régionde Sakiet El
Hamra. dont. notamment. les Tidrarin. qui nomadisent par ailleurs au sud du
parallele du cap Bojador. dans ce que l'onpeut considérercomme une zone de
chevauchement entre des tribus marocaines et celles de l'ensemble rnaurita-
nien.
Il ressort ainsi nettement des éléments geographiques, ethniques et
juridiques précédemment évoques qu'au moment de la colonisation espagnole
la Sakiet El Hamra était habitée par destribus relevant de la souveraineté
marocaine.
Sans vouloir entamer iciles questions internationales que nous examinerons 199
EXPOSEORALDE M. DUPUY

plus tard. nous devons joindrc aux témoignages d'ordre géograptiique et
politique celui que l'on peut tirer de la pratique du rachat des captifs. La
référence a l'oued Noun. dans les traites internationaux passes par te Maroc
aux SVIIIe et SIXCsiècles.tant dans notre exposéécritque dans nos exposés
oraux. a démontri.qiie ces traitésconstituaient une preuve de la souveraineté
marocaine au Sahara occidental dans cette région. Certaines interpi.ctations
erronées ayant étéexprimées. il apparaît nécessaire au Gouvcrnement
marocain de revei-iirrapidement sur ce point.
La liaison entre le Sahara occidental etle Noun ressort admirablcment d'~in
ténioignage espagnolemanarit d'un auteur citépar leconseil du Gouvernement
espagnol :dans son ouvrage Estlrdios saliariu~ios.Caro Baroja signale que le
rachat de tous Icscaptifs au Sahara occidental :(<s'effectuaittoi~jourspar oued
Noun »(note 4. p. 304).Ce fait cst d'ailleurs confirme par l'affairedu vaisseau
Esmeralda. naufrage a 180 miltes au sud du cap Soun. c'est-à-direa prosimité
immédiate du cap Bojador. L'équipageayant étécapture. le Gouvernement

espagnol ordonna a son ambassadeur a Tanger de réclamerdii Sultan qu'en
exi.cution de <<l'articl38 du traité du 20 novembre 1861 ...il use de son
pouvoir poiir sauver les marins captifs » (III.annexe 30. p. 2621.Cette lettre
révèle quelleest. dans t'espritdes gouvernements europcens cocontractants. la
véritable portéede l'expression (ILI& hiui(11q. ui concerne la c8tc marocaine
allant jusqu'au cap Bojador au moins. Par la meme. cet ordre royal esp~ignoldu
4 avril 1863 confirme la reconnaissance de la souverainetédu Siiltan ail Sahara
occidental.
Nous trouverons une noiivelle confirmation de cela dans l'affaire de I'lcod
sur laquelle nous reviendrons w~ii-etre plus lard.
La Cour reconnaitra que l'expression oued Nouii ne se limite donc pas a la
rivièrese trouvant siir le territoire actuel du klaroc, mais recouvre l'ensemble
du pays Tekna qui déborde largement sur le territoire actuel du Sahara
occidental. D'ailleurs une observationde bon sens s'impose.S'iln'yavait pas de

lien entre I'e.upressionuiredNoir~~t leSahara occidental. pourqiioi lelivre I des
/iIJori~ia~ioiet docir~ii~~t~ets les exposés oraux espagnols se seraient-ils
acharnés a nier la souveraineté marocaine dans la région du Noiin ? La
politique du grand sultan kloulay Flassan a été précisement de contrbler le
pays Tekna pour que les agents consulaires de hlogador cessent leur activité
hostile & l'intégrité territorialede l'Empire chérifien. ceqiii nous conduit tout
naturellement ;i examiner Lin second point. la politiqlre dit stlAu~i Moltkw
Hussu~i.
2. Le maintien et le renforcement de l'autoritédu makhzen sur les parties
méridionalesde l'Empire chCrifien constituent la préoccupation essentielle du
sultan Hassan ICr .out au long de son règnequi. rappelons-le. dure de 1873 ii
1894. Cette périodecorrespoiid précisementaux prcinieres tentatives sérieuses
d'empiètementsur le territoire niarocain. En effet.ilconvient de rappeler qu'en
vertu de l'article 8 du traité de pais du 26 avril 1860. que le Sultan a été

contraint de signera Tetoiian. Sa hlajestémarocaine était obligée de concéder a
perpétuitéa l'Espagne près de Santa Cruz la Pequëna :<(le terrain sriffisant
pour la formation d'un établissementde pêcheriescomme celui que l'Espagne
possédaitautrefois >> Ce teste a un caractèrequi ne laissed'étrcassez poétique.
en raison de l'incertitude qui régne sur le lieu d'implantation prçmier de
l'introuvable Santa C~LIZla Pcqiiëna. Une commission niiste devait déierrniner
\'emplacement de ce terrain. Cependant. se fondani sur cette disposition de ce
traité.lesautoritésespagnoles vont essayer de faire pression sur leSultan pour
obtenir la concession en qiiestion.
Ainsi le 14 janvier 1863. le ministre d'Etat espagnol chargé des affaires200 SAHARA OCCIDESTAI.

étrangéresécrivait i son représentanta Tanger qu'ildevait faire comprendre au
Sultan que si celui-ci ne voulait pas remettre Santa Cruz au Gouvernement
espagnol, ce dernier s'entendrait directement avecBeyrouk pour obtenir des
avantages commerciaux dans le sud du ivlaroc.
C'est la menace de sécession.tant de fois proféréepour intimider le Sultan.
Dans la mêmeperspective. le Gouvernement espagnol charge I'exploraieur
Gatell d'effectuer en1864 une exploration dans la régionconvoitéeet. dans le
rapport qu'il remet à son retour son Gouvernement. Gatell émet un avis
défavorable quant a la prise de possession de Sanla Cruz (voir l'ouvrage de
Figueras, p. 86). De 1864jusqu'a 1877, ainsi que le note Figueras a la page 89
de son livre. leGouvernement espagnol. <<tenait dans I'oiibliI'afîaideSanta
Cruz mais l'établissement de Mackenzie a Tarfaya allait produire en lui les

mêmeseffets produits par l'affaireGlass II.
Ce n'estqii'en mars 1877que leGouvernement espagnol. inquiet des projets
de Mackenzie. dépêcha au Maroc, comme ambassadeur, hl. Romeu.
L'ambassadeur avait pour mision de demander au Sultan la création de la
commission mixte prévue par le traité de 1860 pour déterminer le lieu
d'établissement définitidfu mythe de Sanra Cruz. Lesnégociationsoflicielles ne
devaient pas aboutir dans l'immédiat en raisondes réticencesdu Sultan. Aussi.
parallèlement a cet aspect diplomatique de la question de Santa Cruz. se
développentcertaines pressions de caractere prive. dans le but de créer une
situation de fait accompli, en s'efforçant d'établir des contacts avec les.
populations de la partie du sud de {'Empire chérifien. Afin de fonder cette
opérationprivéesur une basejuridique. lesecrétairede la Société espagnole de

géographie commerciale. RI. Ricard. dans son rapport du 22 février 1884.
intitulL'aileiiirde I'Espagtie au Soliura. mettait l'accent sur la nécessité
d'installerSanta Cruz entre lecap Bojador et lecap Blanc. Situédans son cadre
historique véritable, ce rapport de M. Ricard, publié a Barcelone ,en f 884,
(Establecimiento tipografico de los sucesores de N. Ramirez y Pl, a une
signification préfise;à la recherche d'un alibi, les Espagnols situaient Santa
Cruz, selon leurs besoins, tantôtaIfni tantot auRio de Oro. Cest direcombien
certains milieux espagnols exploitaient a l'époque les vastes incertitudes
spatiales qui concernaient l'emplacement de Santa Cruz.
Lesdéplacementseffectuéspar le sultan kloulay Hassan en 1882 et en 1886
se justifiaient par la volonté de risistance du Souverain aux tentatives

etrangeres de pénétration. L'historien espagnolTomas Garcia Figueras le
relèveclairement a la page 106 de son ouvrage Su~iiu C~tlf de Mar Peqlie;~a,
Ijr;Su/~uru :

<(te désir légitimedu Sultan. écrit-il.de confirmer et d'étendreses
domaines du sud de l'Empire a acquis un caractere d'une nécessité
pressante.du faitmeme des tentatives euroweennes sur lesdits territoires
dans lesquels iexistait certains élémentstravaillani pour l'indépendance
de ces régions. ens'appuyant précisémens tur les viséeseuropéennes. >P

Au cours de ses déplacements.leSultan s'estrendu aCoulimine. qui se situe
i pres de ZOOkilomètres au sud d'Agadir. el qui fut occupéepar une forte

garnison marocaine (C. Doubs. Arillr!iride I(I Sociiii~;dr g&grapfiir. Paris.
1888. p. 466).
Contrairement aux allégations de la delégation espagnole, le pays Tekna
acceptait entiérement I'a~itoritédit makhzen et nc faisait pas partie. par
consequent. du bled siba.
Noirs voudrions nous faire bien comprendre. car, des que LeGouvernement EXPOSÉ ORALDE hl. DUPUY 201

espagnol evoque la régiondu Sous et du Noun. il lui affecteimmédiatement.
par une sorte de réflexeconditionne. le qualificatif de bled siba.
Nous voudrions aussi faire une fois de plus une mise au point pour mettre
fin. nous l'espéronsà cette équivoque.L'unitédu Royaume n'estpas remise en
cause par le bled siba. L'attitude du bled siba se limite au plan fiscal et a une
répugnancetrésrépandue également en dehors du Maghreb a payer I'irrrpbLes
autres fonctions essentielles du pouvoir central. relations avec les pays étran-
gers. défense deI'lslam.ne sont pas contestées.De mi'me.est toujours acceptée
l'autorité spirituelle du Sultan. Dans cette perspective. Edmond Doutet.
dans un article publie dans la revueA,friq~ie.frud~erç 1a2i0spage 171.écrit :

<(En un sens donc Iéxpression debled muglzzcn opposéea cellc debled
sibu n'est pas exacte. car tout le Maroc. sous des formes dirférenteset a
des degrés variablessubit l'action du maghzen. »

De toutes les manieres. le bled siba n'existait pas au moment de la
colonisation dans laSakiet El Hanira. On sait en effet que la notion de hled siba
est une notion tournante. géographiquement.
Dans son ouvrage Qtrutre sièclesd'hi,~toire~nurocnirle.\'officierfrancais
A. G. P. Martin. reconnu comme un remarquable specialiste des pi-oblemes
qu'ilétudie. écri5 la page 513 :(iL'autorité chérifienneest. en 1909. respectée
jusqu'au Sous extrémeet en Sakict El Hamra. )>Cerespect. souligne Martin. est
précisémentassure par la famille hla el Aïnin.
Le sultan Moulay Hassan ne s'est pas contenté, pendant cette période
essentielle de l'histoire du hlaroc qui a constitué son règne. de réorganiser la
partie méridionale de son Enipire. il a tenu également à manifester sa
souveraineté en l'affirmant par des notes officielles adresséesaux gouverne-

ments européens.
Le Gouvernement marocain a déjàproduit et commenté(IV, p. 263-2651 la
note de protestation du 16 mai 1886 ; nous tenons a rappeler le commentaire
adressépar le miiiistre de France a Tanger au ministre des affaires étrangères
(lettre du 17 mai 1886, 111,annexe 1 19, p. 409):
« A mon avis. cette circulaire ne vise pas seulement les Allemands.

mais aussi l'installation des Anglais Mackenzie et Curtis au cap Juby et
celle que lesEspagnols se proposent. assure-t-on. de créer au Rio de Oro
dans les rnémesparages. )r
Cette interprétation du ministre français est parfaitement confirmhe par la
lettre du 2 mai 1889 adressée par le grand vizir Mfadel Gharnit a I'am-

bassadeur britannique Herbert White :
<<This isthe abridged answcr of HisSherifian Majesty and the attached
explanation supported by precise and clear proofs of how these tribes
belong to the empire of Mciroccois coiitained in many memoranda in the
hands of Our friend, the former Minister and the new one. They are
sufficient. As to the gold river, the Moorish government is not silent
towards the Spanish governmpnt about it. The Spaniards have opened

certain negotiations on the marier and have asked for a delirnitation of the
fronticr. and an answer was returned thereto. The tribes living there are
publicly known to render nllegiance 10 hZooi-ishgovernment and have its
governors of theni. »
Lesprotestations du Sultan devaient d'ailleurs cmpécherI'etablisserrientd'un
protectorat espagnol sur la Sakiet El Hainra, ce fait est confirme par l'historien

espagnol Alcala Galiano. qui écrit :202 SAHARAOCCIDEhTAL

(<Du fait des événements.le Gouvernement espagnol juste titre n'a
pas accedé B la demande de la Socieré de géographie commerciale
espagnole qui prétendaiten 1886 que notre protectorat soit déclare depuis
te fleuve du Draa jusqu'au cap Bojador. » (Alcala Galiano, Pe.sqirerias y1
cotnercio,Madrid, 1900. p. 184).

En conclusion. l'intérieurde cette periode critique qui correspond au
moment de la colonisation espagnole. l'année1886 est iiiie date importante
pour deux raisons.
Première raison : l'organisation interne de la résistance i la pénétration
étrangère parI'aniénagementterritorial du pays Tekna. ainsi que nous l'avons
démontré.Seconde raison : les manifestations externes de l'opposition a la
pénétrationétrangere dans le but de préserver la soiiverainete territoriale de
l'Empire chérifien. La permanence des liens jtiridiqties entre le Sahara
occidental et le Alaroc au nioment de la colonisation espagiiole est établiepar
les documents fournis par leGouvernement marocain. C'est le moment de s'y
référera nouveau puisque dansson exposéoral du 18juillet (ci-dessusp. 64 et
67)le Gouvernement espagnol prétend le contraire.

te représentant du Gouvernement espagnol soutient prcrnièrement que les
documents produits par le Gouvernement marocain constituent des actes
(<descendants ); deiixieniement qu'ils sont peu nombreux par rapport a
l'étenduedu territoire et de la période considérée : troisieiitenient qu'ils sont
postérieurs a I'e~péditionde bloulay Hassan de 1886 : qiiatrièmement qu'ilsme
concerneraient pas les tribus établies au Sahara occidental. NOLISallons
successivenient exanliner ces quatre arguments et nous iioiis eff'orccronsd'être
aussi clairs et aussi brefs que possible afin de ne pas lasserla Cour et en évitant
la fausse érudition fondéesur la répétitiond'affirmations gratuites.
Premier argiimcnt :Ics documents produits par le Goiiverneii-ien~inarocain

constituent des actes (<descendants ». Le représentant espagnol croit pouvoir
en tirer une conclusion hàtive :lesdahirs de nomination decaïds ne sont. dit-il.
((qu'un titre honoririque qu'on ajoute a une situation de faitdriiislebled siba 1).
Nous aimerions savoir sur quelle preuve juridique repose iiiietelleaffirmation.
Le conseil espagnol nie donc la valeur juridique des actes émanant du
Souverain, car d'apréslui :<(On n'a pas présentede documents qui attestent
l'acceptation de cette autorité par les tribus. » Lesréférences a tous ces textes
sont donnéesdans le dossier imprimé 'du Royaume du Maroc.
Citant le professeur Paul Reuter, le conseil espagnol considère que leç
documents ascendants témoignent (<par les soins des autorités inferieures, des

faits qui sont arrivés dans le territoire >)(ci-dessusp56).
Pour repoildre i cette objection. nous nous pernictlrons de citer tes
documents ascendants relatifsA I'adiiiinistratioidii lerritoire dii Sahara
occidental contetiiis dans Ic dossier dkpose par leGouverneitieiit inarocain.
Certains docunients sont directenlent ascendants. car ils soiit +iresses ail
Sultan et au makhzen :ils'agitdesannexes 23,82.83. 174.175.176, 178.179.
191 (111).Certains de ces documents, antérieurs a 1910. émanent de hla el
AÏnin et de son fils El Hiba. D'autres documents concernent des réponses
du Sultan a des lettres qui lui ont étéadressées par sesagents d'autoritéau
Sahara occidental ; ces lettres sont viséesdans les annexes 16. 59, 71, 72.

72 bis.75 et 79 (111).
Deuxièmeargument :les documents présentés seraientpeu nombreux par
rapport a l'étenduedu territoire et de la période concernée. La réponse est

' Non reproduit.Voir ci-aprèscorrespondance. na' 48 et 52p. 391 et 392.simple: le Gouvernement marocain a produit quarante-cinq documents
relatifsj.des faits d'administration intéressant lSaharü occidental au moment
de la colonisation espagnole.
'Troisièmeargument :lesdocuments fournis par le Goiivernement nlarocain
seraient tous postérieurs au déplacement de Moulay Hassan de 1886. Cette
nouvelle affirmation est tout aussi dénuéede fondement que les précedentes :
lesdociiments des annexes 59. 7 1.72.72 bis. 73. 75 et 193(111)sont aritérieurs
a cette date eta cet événement.
Quatrienie argument : les documents ne concerneraient pas les tribus
établiessur le territoire du Sahara occidental. Constatons d'abord que. sur les
quarante-cinq textes produits. seuls hilit sont contestes par le représentant du
Gouvernement espagnol. Lesquatre premiers de ces huit concernent les dahirs

de nomination relatifs a la tribu des Ouled Tidrarin. Pour en contester le
contenu. le reprksentant du ('ouvernement espagnol invoque <<l'analyse
minutieuse de Julio Caro Baroja dans son ouvrage Estttdios .sollariario)>.
Noiis avons procédé a la vérification de cette référence.Julio Caro Baroja
étudie effectivementles Ouled Tidrarin ailx pages 131et suivantes de son livre.
mais nous n'avons jamais trouve trace dans cette étude des renseignements
foiirnis par le conseil du Gouvernement espagnol.
Les renseignements donnés ci-dessus aux pages 63 et 64, que l'on peut
vérifiergrâce a l'ouvrage de Julio Caro Baroja;ne sont donc pas exacts. C'est
ainsi que le conseil espagnol prétend qu'a l'issue de combats qui ont opposé
Ouled Dlim et Ouled Tidrarin, <<la majeure partie de cette tribu émigravers le
Maroc ». Or, Julio Caro Baroja écrit,a la page 143de son étude,que seule une

infime partie de cesTidrarin a ernigré vers les Ait Oussa, qui sont installésdans
la régionde Tarîaya et non pas entre Agadir et Marrakech. La plupart sont
restésliésaux Regueibat de la Sakiet El Hamra.
Leconseil espagnol affirme, une nouvelle fois sans preuve, a la page 64 ci-
dessus, que I'arinexe 4 (111,p. 207) ne concerne pas les Tidrarin dii Sahara
occidental. car elle intéresseraitles fractions Oiiled hloussa. Laabobat et Ouled
Ali. Or. dans son livre. El Saharu espailol. publié Madrid en 1946. par les
soins du Haut-Commissariat espagnol, Angel Morales cite, a la page 91,lesdix
fractions constituant la tribu Tidrarin du Sahara occidental. parmi lesquelles
les Oiiled Ali. les Ouled Moiissa et les Laabobat. On ne sait pas poiirquoi le
conseil espagnol est <<induit a penser n. coinme il le dit. dans une conclusion
aventureuse. qu'il s'agit des Ouled Tidrarin réfugiésauprès des Tekna. ni

pourquoi il conclut que le caïd Mohammed Ben Ali est membre des Ait
Lahssen de la confédérationTekna.
L'annexe 7 ne parle pas simplement de la fraction Ouled Tidrarin. mais elle
vise égalementcinq autres tribus Tekna qui. elles, soiit installéesdans la Sakiet
El Hamra.
L'annexe 8 se rapporte également au Sahara occidental piiisqu'elte vise.
entre autres. les Ouled Tidrarin et la confëdération Regueibat de la Sakiet El
Hamra.
Lecaïd noinme par ledahir du 5 mai 1909 est Brahim el Khalil Ben elWabib
Ben Beyrouk el Ouadnouni. II est le petit-fils di1 fanieux Beyrouk. d'ou
l'appellation Ouadnouni. II s'agit biendu caïd des Regiieibat nomaclisant au
siid de la SakietEl Hanira. comme le confirme la lettre qiie lui adresse El Hiba
en décembre 1909. lettre qui est rapportéedans laReviie drt iiioiidc.t~iiisiilina~~

(1915-1916. p. 132).
Nous constatons. au passage. que les documents des annexes 21et 22 n'ont
pas étécontestés par le Gouvernement espagnol. Or. ils sont fondamentaux
pour la réponse aux questions posées a la Cour :ces deux textes soiit bu204 SAHARA OCCIDENTAI.

20 avril 1901 :ils chargent les caïds de la régionde la surveillance des côtes
marocaines comprises entre Tarfaya et Ras Bojador.

Si le Sultan utilise une orthographe derivéedu mot espagnol Bojador. c'est
tout simplement parce que la langue espagnole était utiliséecomme langue
diplomatique auxiliaire par la chancellerie marocaine. C'est la raison pour
laquelle cette orthographe es[ utiliséedans tetraitéanglo-marocain du 13 mars
1895 et c'est d'ailleursla même graphieque I'on trouve dans les annexes 58
et 70.
Le Gouvernement espagnol. aux pages 65 et 66 ci-dessus commente les
documents des annexes 2. 3, 5 et6déposé sar te Gouvernement marocain en
procédant par affirmations succcessives, sans apporter d'ailleurs la moindre
référence permettant uncontrhle des sources documentaires. Ces documents
nous conduisent à présenterquatre observations.
Premièrement, le Gouvernement espagnol reconnait que, par sa politique

commerciale et douanière, en mêmetemps que par sa politique fiscale, toutes
les tribus Tekna de I'oued Noun a la Sakiet El Harnra dépendaient de la
souverainetédu Sultan (ci-dessus p. 65, premier paragraphe). En effet, on lit,a
cette page 66 :
(<le commerce de Tarfaya ...venait satisfaire les souhaits exprimés j
plusieurs reprises par les pouvoirs locaux et les habitants de l'oued Noun

d'avoir sur letir littoral un.port qui Ieiir permettrait de se soustrairela
dépendanceoii ail contr8le dus l'obligationd'iitiliserceux que dominait
le Sultan)>.
On ne sarirait admettre plus clairemeni que les pouvoirs locaux et les
habitants du Noun étaientbel et bien sous la dependailce du Sultan.

Deuxièmement. si I'on fait abstraction des disgressions et des appréciations
personnelles du conseil du Maroc. il reste qiie les actes de nomination sont
reconnus valables juridiqiienient par le Gouvernement espagnol et que ce
dernier reconnaît égalementque les tribus viséessont bien des tribus Tekna du
Sahara occidental.
Troisième observation :leC;ouvernement espagnol aurait pu se dispenser de
formules plutbt déplaisantes qui. en tout cas. révèlent bienla nécessité de
poursuivre une certaine décolonisation des habitudes de raisonnement. Nous
pouvons a cet égardfournir deux exemples.
Eiait-il nécessaired'opposer <<Tekna marocains >>par rapport a CCTekna
libres >>alors que tous les Tekna sont marocains ? De rnème. les efforts du
Sultan pour organiser les provinces méridionales sont qualifiésdi«intrigues
marocaines D dont souffrent les populations. Page 66. on peut lire : Les Ait

Lahssen souffrirent d'intrigues marocaines. »
Quatrième observation : les développements permanents des exposés
espagnols. notamment ceux des pages 65, 66 et 67 ci-dessus. réveleiitune
méconnaissance totale des modalitésde fonctionnement du système adrninis-
tratif de I'Etat marocain ((au moment de la colonisation >). En effet. le
Gouvernement espagnol conteste la nature d'acte de souveraineté de la
nomination des caÏds parce que cet acte est précédé d'une investiture donnée
par la djemaa, organe représentatifde Latribu. Manifestement. leGouverne-
ment espagnol s'obstine a nier le mécanisme institutionnelqui a toujours existé
et qui existe toiijours ail klaroc. On ne voit pas poiirqiioi la nomination d'un
fonctionnaire d'autoritéserait sans valeur parce que précédéd ee l'acceptation
de la communaiité des adniinistrés.C'est.9 tout prix. s'ingénier à ne voir dans
le Sultan qu'un autocrate. alors qu'il s'agit,au contraire. d'un roi qiii. comme

nous l'avons montré. s'efforcede tenir compte du vmu des poptilations. 3. 11 me reste. maintenant. a examiner succinctement le dernier point de
cette première partie. consacréea la réfutationde l'interprétation espagnole.en

retenant le r0le~oirFpurMa el Aiitirt.
Disons tout de suite que le Gouvernement marocain partage l'opinion de la
République islamique de Mauritanie. reconnaissant dans son exposéoral du
9juillet 1975 (IV,p. 390-3921, la marocanite de l'actionde Ma el Aïnin a partir
de 1886. Seul. le Gouvernement espagnol s'obstine encore a soutenir que :
<l'origine et lesens de l'entreprise abordée par hla el Aïnin nous démontrent
qu'il s'agit d'unphénomène nettement saharien qui n'a rien a voir avec le
Maroc ),(ci-dessus p.71).
Or, lesimple examen de l'originede la famille Ma elAïnin et de la formation
du cheik montre a l'évidenceles liens unissant les Ahel Ma el AÏnin aussi bien
au Maroc qu'à l'ensemble mauritanien.
Certes, la famille a vécudans le Hodh, mais. ainsi que le rappelle, dans sa
minutieuse étude. Esrridiossul~uriu/io.s. aro Baroja, Mohammed el Fadil, père
du cheik et fondateur de la confrérie. avait vécu. lui et ses asccndants.

alternativement au Maroc ei üu Hodh (p. 288). L'auteur ajoute que le cheik
avait rait ses études.a partir de I'ige de seizeans. a Marrakech et il est fort
possible que l'amitiéqui Ic lie 5 Irifamille impériale marocaine date de ce
moment-là (p. 293).Plus tard. en 1858. il fera le pèlerinageà la iviecqiiepour
accompagner les enfants du sultan Moulay Abderramane.
Les sentiments profonds du cheik vont s'expriiner naturellement. tout au
loiig de sa vie, lorsque les menaces étrangèresconlre l'Empire vont se faire de
plus en plus pressantes. C'estdans ces conditions que leSultan va choisir hla el
Aïnin comme son représentant au Sahara : cette désignation s'inscrit
parfaitement dans la stratégied'enseinble définiepar le sultan hloulay Hassan.
coinine le dit Baroja, dans son ouvrage précité.page 303 :

<<En 1304 de l'hégire [c'est-à-dire en3886-18871.le cheik rklisa Lin
voyage a Marrakech. afin de visiter le nouveau sultaii kfoulay Hassan
qu'il n'avaitpas vu depuis son accession au trône. ivloulay Hassan, en
plus des cadeaux. l'approvisionna en arines a feu et le nomnia son khalifa
personnel [son représentani au Sahara. A partir de 1886. rare
étaitl'annéeau cours de laquelle d'une façon ou d'une autre. le clieik Xla
el Aïnin n'avait pasde contact avec le grand Sultan. >P

Jusqu'a son installation a Sniara. en 1898. le cheik va s'opposer i la
pénétration espagnoleau Sahara et ilva rendre conipre ai! Sultan, de façon
constante. de ses actes de résistanceet de ces relations avec les Espagnols.
comme le confirme toujours Bar.oja.déjàcite. a la page 300.
L'historien françaisMarty, dans son ouvrage EILI& sur l'lsla riuiir'c*(Paris,
1916, p. 1351,relate de la sorte l'actionde hla el Aïnin :

(<De 1890 a 1900. il sert directement le maghzen en suscitant toutes
sortes de difficultésala n~issionpolitique espagnole de Rio de Oro et aux
entreprises coinmerciales anglaises du cap Juby (Port Victoria). )>
Après la signature du traite anglo-marocain de 1895. qui reconnait la
souveraineté marocaine sur I'enseniblede la Sakiet El Hamra. le role de hla el
Aïnin devient décisif.En 1896 il se rend B Marrakech pour rencontrer le jeune

sultan Abdel Aziz. mais surtout Ba Ahmed. legrand vizir qui poiirsuit la
politique de Hassan I".
L'ambassadeur de France au Maroc, dans son rapport au ministre des
affaires étrangèresen date du 13janvier 1897 (sérieB, canon 31, dossier 1).
insiste sur la portéede la visite à Marrakech de hla el Aïnin. IIécrit:206 SAHARA OCCIDENTAL

« Ce voyage provoqué par le grand vizir aurait un autre but que le seul
échange de bénédictionsentre Moulay Abdel Aziz et le saint Marabout.
En effet désireux d'asseoir son autorité dans les confins du Sahara et
d'opposer un obstacle définitif aux convoitises étrangeres dans cette
région,le maghzen se serait assuré, pour réaliserses projets, du concours
de ce personnage influent. ))

Bien que l'ambassadeur n'aperçût que partiellement et de l'extérieur ler6le
exact de Ma el Aïnin, ce document est révélateurde l'esprit du makhzen,
soucieux, d'une part, d'accroître son autorité, car s'il avait la souveraineté il
devait consolider l'autoritéet, d'autre part, de dresser un obstacle définitifaux
pénétrationsétrangères.Ces deux démarches sont exactement celles qui sont
vues avec nettetédans cette lettre.
On ne saurait accepter dès lors la thèse exposée parle Gouvernement
espagnol à la page 68 ci-dessus, selon lequel « ta garnison marocaine [du
cap Juby] étaitpratiquement encerclée,car les tribus avoisinantes suivaient les
directives d'Ahel Ma el Aïnin, en opposition au pouvoir chérifien ».Le peu de
sérieuxde cette nouvelle affirmation gratuite apparait clairement lorsqu'on se
reporte à l'étudebien documentéede Caro Baroja qui, ne l'oublions pas, a été
charge en 1952 d'une mission officiellealin de réaliserdes étudesa caractère
ethnologique dans le Sahara espagnol par la direction générale duMarocet des

colonies, relevant de la présidencedu conseil des ministres. On peut lire dans
cet ouvrage, a la page65, que le Sultan confiaaMa el Ainin l'administration de
Tarfaya. Ce n'était d'ailleursque justice, car Ma el Ainin avait toujours lutté
contre l'installation britannique de Mackenzie.
Le témoignage de l'agent consulaire français a Mogador, contenu dans la
lettre adressée le16 juillet 1880 a son ministre des affaires étrangeres, prend
toute son importance au regard de l'argumentation espagnole :

« Le Sultan [écrit leconsul] ayantéchouésur leterrain diplomatique fit
appel au fanatisme musulman, moyen si puissant et si redoutable entre ses
mains. Un marabout, en grande vénération, reçut de lui mission de
délivrerle pays. ))

<Reçut de lui la mission de délivrer le pays. ))Cette citation montre la
véritable portée dupouvoir du Sultan qui disposait ala fois,entre ses mains, du
pouvoir politique et religieux en tant que commandeur des Croyants.
N'oublions pas que le Sultan est commandeur des Croyants, et que l'on ne
saurait distinguer en lui les pouvoirs spirituels et les pouvoirs temporels. L'un
et l'autre ne font qu'un. Reprenons la lecture de la lettre du consu:

« L'attaque eut lieu en juin 1880 pendant la nuit, il fit mettre le feu a
quelques baraquements, jetant ainsi ledésordreet l'effroiparmi lescolons

anglais qui devaient chercher un refuge sur une petite îlesituéedevant le
cap Juby. »
Ce texte et cette lettre démontrentque l'autoritédu Sultan s'étendait bienau-
deli du Draa, contrairement aux affirmations répétées duGouvernement
espagnol. Le représentant de ce gouvernement insiste également sur ce qu'il
rappelle <<le phénomèneinexistant de résistance )>dans les territoires sous la

souverainetéespagnole, et sur lesbonnes relations qui auraient existéentre Ma
el Aïnin et les autoritésespagnoles de Villa Cisneros.
11convient de rappeler de quelle manière se manifestait matériellement la
souverainetéespagnole, en dehors de l'émissionde timbres-poste. E,YPOSE ORAL DE M. DUPUY 207

Nous avons sur ce point deux précieuxtémoignagesen dehors de ceux déjà
rapportés.
Le premier est celui du généralBens,ancien gouverneur de VillaCisneros. II
décrit,dans ses mémoires parues a hladrid en 1945, l'étatde la colonie en
janvier 1904, lorsqu'il vient prendre son commandement :

<iLesemployésde la factorerie ne pouvaient pas sans danger s'éloigner
a plus de 600 mètres dii fort par craintes des hommes bleus qui étaient
toujours aux aguets. Je me suis senti humilie quand j'ai appris que la
petite popiilation composéepar des employésdu fort. de la factorerie et de
quelques pécheurs. devait payer partie de ces gains. et mêmepartager sa
nourriture. avec une bande de bandits dii désert, quila tenait sotimise a
un tribut ignominieux. ))

En 1909. selon le second dociiment espagnol. Met~loria qarc prese~~u u lus
Cortes. Madrid 1910. page 50. la situation n'aguère évolué :

<(Villa Cisneros est contituée par une enceinte en forme de carré
presque parfait : a I'intcriaiirse trouvent des batiments destinés au
logement du gouverneur politico-militaire, aux officiers. a la troupe. a la
cuisine. au dépôt.au motilin. i l'infirmerie. une chapelle. la factorerie et
les magasins qui en dépendent.Cette enceinte a deux portes d'entrée.une

proche du pavillon du gouverneur. l'autre en faCe.toutes les deiix sont
ouvertes du lever au coucher du soleil. ))
On ne pourrait mieux dire qiie la nuit ces portes sont fermees. Le texte
ajoute : <iRien n'a été fait dans le reste de nos domaines. >>

i(Rien n'a étéfait dans le reste de nos domaines, ))Remémorons-nous la'
déclaration récente d~iconseil du Gouvernement espagnol que je cite : (<la
présence espagnolen'était pas repoussée par lets ribus sahariennes ))(ci-dessus
p. 73).
Sans vouloir insister sur te déphasage qui apparait entre ces récits et cette
observation. il est certain que cette présencen'étaitque ponctuelle. i.. oi elle
étaitinexistante. on ne pouvait la repousser. Nous pouvons afirmer que el
Aïnin. insiallédans la Sakiei El Hamra. ne s'estjamais doutéqu'ilvivaii sur un

territoire théoriquement de souverainete espagnole après 1904.
Quant aux bonnes relations qu'il établit avec les autorités espagnoles
lorsqu'ilorganise. sur ordre du Sultan. la résistancea la pénctration française.
I'historien français Paul Marty nous en donne ta raison :
<<II entretient les meilleures relations avec les autorités espagnoles de

Rio de Oro. que le~irencerclement a Dakhla rend peu redoutables. illeur
envoie aplusieurs reprises ses fils.ses neveux en delégation.IIne fiiiitpas,
en effet. que leur intervention auprès dti gouverneur des Canaries vienne
tarir lasource de la contrebande. »(P. 136.1

Contrebande qui est bien sûr celle des armes, contrebande organisée par le
mak hzen.
Le représentant espagnol évoque page 69 cildessus, <<le cas relatif a
l'enlèvement par les tribus de quelques membres de l'équipageespagnol du
bateau lcod )>.L'équipageespagriol de ce bateau avait étécapturé le 70 août
1892. a I'insligatioiid'un disciplede iMael Ainin. dans la regiondu capliojador.
Cette affaire est intéressante tideux égards. D'abordremarquons que. des

que la caplure Iiiest connue. le gouverneur espagnol s'adresse au sultan
h,loulay Hassan. qui charge lecüidAhman Beyrouk de réglercette affaire. C'est
ce que nous apprend Angel Domenech Lafuente (Ma elAinin. senor deSrnaru,208 SAHARA OCCIDENTAI

p. 47). Mais. entretemps les captifs ont étéamenésà Ma el Aïnin, qui va donc
les restitueau Gouvernement espagnol.

Ensuite. la remise des captifs a étéaccompagnéede la signature d'un procès-
verbal d'accord. signéle 6 mars 1893. Le Gouvernement espagnol prenait
l'engagement <(de ne se mettre en faveur d'aucune nation qui soit ennemie du
Sultan et des musulmans » (ihid., p. 48).C'estdonc bien comme représentant
du Souverain que Ma el Aïnin règlecette affaire de l'lcod. Ce que confirme
d'ailleurs l'attitude constante de Ma el Aïnin a l'égarddes captifs européens,
ainsi que le démontreCaro Baroja (p. 304-3051 :

<(en 1314 de I'hégirecertains naufragés européens ont étécapturés a
Tarfaya et remis aux autoritésde VillaCisneros par sa mediation [cellede
Ma el m in in]i,aispus acii7aldituvoir rcwdricolnpredes,firitsULIS~llialt))[ie

me permets de souligner].

Le Gouvernement marocain ne peut a cet égard que saluer l'exploit du
conseil espagnol qui aparléde Ma el Aïnin sans jamais évoquerune seule fois
la ville de Smara. II est vrai que cette référencel'aurait embarrassé puisqu'il
prétend, dans son expose oral du 18 juillet 1975 (ci-dessus p. 56) :«au
Sahara occidental. il serait inutile de chercher une ville. mêmeune maison.
dont le Maroc pourrait se réclamer >>.On reproche donc au Roya~ime du
Maroc de ne pas avoir laissé sur une terre nomade de grands édifices

architecturaux.
Sans nul doute. j'irnagine que lorsque les Norvégiens sont arrivés dans le
Groenland oriental ils ont dii êtrefascinés par I'opulerice des édificesque
l'architecture danoise y avait installk. Mais il se trouve qu'au Sahara
occidental précisémentil y a une ville. une ville de pierre. Srnara.
Ce témoignage architectural se trouve dans la Sakiet El Hamra. Sur Smara.
creee en 1898. on peut citer diverses études. notamment celle de Terrasse.
historien français. Noie slir les i?~ot~uriierd~efsSlliuru: celle de Vieuchange.
Siilam. pages 289 et 293 ;celle de Domenech, Rlu de Oro. pages 38-40 ; celle
de Caro Baroja.Esiiidios sal~ariaiins,pages 308-316.
Smara. ce n'estpas Santa Cruz, c'est un fait historique. une ville réelle.De la

casbah et des constructions qui l'entourent. tous ces auteurs s'accordent a
reconnaitre le style architectural hispano-mauresque.
Cela ne saurait nous surprendre. puisque Smara a étéconstruite, nous
apprend-on. avec l'argent du Sultan et surtout par des Marocains. Domenech
Lafuente ecrit a la page 53 de son étudeque nous rapportons :

<<LeSultan Moulay Abd el Aziz.en plus des matériauxdeconstruction.
lui a donné [a Ma el ~ïnin] deux contremaîtres qualifies dans la
construction :l'un d'eux s'appelait HedjAli Oujdi [ilvenait d'Oujda] :les
maçons étaient originaires de Tanger. Tétouan et Fès :les artisans de

Marrakech. ))

Srnara devenait ainsi le lieu de rassemblement des tribus du désert etle relais
de la volontédu Sultan. La création deSmara en 1898ne se comprend en effet
que si on la rapproche du r6le politico-militaire de premier plan que Moulay
Hassan avait désigné a la ville de Tiznità partir de 1882. Ainsi. le 9 décembre
1909. c'estsur ordre du Sultan que Ma el Aïnin quitte Smara pour s'installera
Tiznit. comme le prouve la lettre adressée par son fils El Hiba au caïd
Mohammed Khalil des Tidrarin et des Regueitiat de la Sakiet El Hamra. Je
demande a la Cour la permission de lire cette lettre : EXPOSÉ ORAL DEM. DUPUY 209

«Le Sultan nous a demandé d'abandonner notre résidence [a Smara
sur la Saguia] pour venir à Tiznit, afin de nous rapprocher de lui. Voila
plusieurs fois qu'il nous exprimait ce desir. Nous venons donc de nous
exécuter.Mais en quelque lieu que nous soyons, nous serons toujours et
sans doute possible pour vous de vrais amis. Le Sultan nous a donné
l'ordre de cesser la guerre avec les Franqais pour le moment, jusqu'a ce
qu'illes voie et qu'il règleavec eux lesaffaires en instance, et aussi jusqu'a
ce qu'il puissevoir notre cheikMa el Aïnin.La situation est bonne chez
lesTekna al'heure actuelle. Pour terminer, sachez bien qu'en quelque lieu
que nous nous trouvions, nousseronstoujours prêts a venir en aide a nos
amis et à châtier nos ennemis, partout ou ils seront)>(Rrvriedu inotide
mirs~rlir~ati,915-1916.)

Cette lettre d'El Wibaconfirme. s'ilen était besoin,que le cheik Ma el Aïnin
étaitle représentantpersonnel du Sultan au Sahara occidental. D'ailleurs, dans
son ouvrage El Wasyr. Ahmed Ech Chinguiti relate a la page 367 la cérémonie
d'allégeancede Ma el Ainin au sultan Moulay Hafid.
Nous voici, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, a la fin de la
première partie de cet examen. IInous a montré que l'expression oire~Noir~r
visait en réalité l'ensembdu pays Tekna, qui déborde largementvers la partie
septentrional du territoire actuel du Sahara occidental. De méme, au moment

de la colonisation espagnole, le souverain Moulay Hassan et ses successeurs
ont manifestéau Sahara occidental « l'intention », pour reprendre la formule
de l'arrêtsur lS~arlitftrridiq~di!Gro~i.,rlat~dori~.,«Iet la volontéd'agiren
qualité de souverain et les manifestations ou exercices effectifs de cette
autorité>>(C.P.J.I.sL;riA/B 11"53, p. 45-46).
Le rôle de Ma el Aïnin est a cet égard largement exemplaire.
Il ne nous reste plus qu'a confirmer l'existence des liens juridiques ainsi
démontresentre le Sahara occidental et le Maroc au moment de la coloriisation
espagnole, en passant a la seconde partie de notre intervention.

II. Reconnaissance internationale de l'existence de liensjuridiques

entre le Sahara occidental et le Maroc

Cette seconde partie nous conduit a rappeler que 'l'ensemble destraités
internationaux conclus par le Maroc ou concernant le Maroc confirme
L'existencedes liens juridiques entre l'Empire chérifienet le Sahara occidental
au moment de la colonisation espagnole.
Le Gouvernement marocain se propose de démontrer que cette reconnais-
sance internationale s'estexprimire de façon non équivoqueet sous des formes
différenteset complémentaires.
En premier lieu, les traitésde paix, de commerce et d'amitiéconclus par le
Maroc aux XVIIIcet XIXe sièclesconstituent une reconnaissance implicite de
la souverainetéchérifienneau Sahara occidental.
En second lieu, la convention anglo-marocaine du 13 mars 1895 reconnaît
explicitement la souveraineté marocaine SUT le territoire du Sahara occ:idental
s'étendantjusqu'au cap Bojador.
En troisiéme lieu, il convient d'analyser les accords internationaux dont
l'objet premier est le dépeçageterritorial de l'Empire chérifien.Or, ces traités

n'entament nullement la reconnaissance internationale bien établie de la
souveraineté marocaine au Sahara occidental.
C'estcette triple démarche qu'avec l'autorisatide la Cour je compte suivre.2 10 SAHARA OCCIDENTAL

A. Premier point :lestrait& depaix, de cotiirnercetd'amitir'corzcltpur le
Maroc atrxXVliPet XIX"sièclesconstituent une reconnaissance implicite, mais
évidente,de la souveraineté marocaine, au Sahara occidental.
Avant d'aborder au fond ce qui fait l'objet de ce premier point, je tiena
présenter quelquesobservations préliminaires.
En premier lieu, le conseil du Gouvernement espagnol a déclaré,lors de
l'audience du 21 juillet 1975, que le Gouvernement marocain semblait
suggérerque le Gouvernement espagnol avait caché a laCour letexte arabe du
traitéde Marrakech de 1767 (ci-dessus p. 79).
Cette interprétation estévidemment inexacte. Le conseil du Gouvernement
marocain a simplement voulu attirer l'attention du Gouvernement espagnol
sur le fait que les documents espagnols dactylographiésremis a sa délégatioti
ne contenaient que la traduction en français du texte espagnol du traité, alors
quedans sesdocuments imprimés le Royaume du Maroc avait fourni àla Cour

et aux délégationsles textes arabes et espagnol.
En second lieu, le conseil du Gouvernement espagnol a déclaré,lors de la
mkme séance, que le texte arabe du traité précitéde 1767 produit par le
Royaume du Maroc comme annexe 24 (III, p. 223) n'était qu'a une
transcription moderne, dactylographiéeou impriméeet le sceau du Sultan n'y
figure pas » (ci-dessup. 79).
ie conseil du Gouvernement espagnol semble ainsi mettre en doute
l'authenticité du textearabe dépose parle Royaume du Maroc. Celui-ci ne peut
accepter cette allégation etil tient a la dispositiolaCour la photocopie du
texte arabe original, revêtu du sceau du Sultan. Ces deux textes sont
absolument identiques mais, dans le souci de faciliter l'analyse de ce texte, le
Gouvernement marocain a préféré présentear la Cour et aux délégations
intéresséesune transcription facilement lisible.
En troisième lieu, leconseil du Gouvernement espagnol a égalementaffirmé
« que le Gouvernement du Maroc a soumis à la Cour, pas une, mais deux
traductions françaises du meme texte arabe » (ibid.). Je Liensà précisera ce
sujet que, par suite d'une erreur purement matérielle, le document de I'an-
nexe 24 primitivement déposédifféraitpartiellement en effet du texte reproduit
dans le mémoire écrit(111,p. 195). Cependant, le Gouvernement marocain
tient à faire remarquer au conseil du Gouvernement espagnol que cette erreur
matériellea étérapidement corrigéeet que le volume imprimé 'desdocuments
marocains contient la mémetraduction que celle utiliséedans le mémoireécrit.
Ce volume imprimé et corrigé a d'ailleurs étérendu public et distribue

préalablement Al'ouverture de la procédure orale.
En revanche, il me parait utile de faire remarquer au Gouvernement
espagnol qu'il a, d'une part, donnédeux traductions diffërentes de l'article 22
du traité maroco-espagnol du 1" mars 1799 et, d'autre part, fourni une tra-
duction substantiellement erronéede l'article 10du traite passépar le Maroc et
les Etats-Unis les 23-28juin 1786. Nous reviendrons par ailleurs sur ces deux
éléments.
Cesobservations préliminaires etant faites, je vais aborder inainteirant les
problèmesde fond relatifs aux traites du XVIIICet du XIXC siècle passéspar le
Maroc et dont le conseil du Gouvernement espagnol a effectue une inter-
prétation inacceptable pour le Royaume du Maroc.
Une observation s'impose. A la page 259 (1)du livre 1de ses Itlfon?ialioel
cloclrtr~e~ltsGouvernement espagnol déclare :

'Non reproduit. Voir ci-après, correspondance, no' 52,p.391 -392. EXPOS ERALDE hf.DUPUY 211
<<Dans les traités signes par l'empereur du Maroc avec diverses
puissancesétrangères en1787, 1791, 1799. 1801, 1825, 1836, 1856 et
1861,leSouverain marocain inclutune stipulation qu'onpourrait appeler
«clausesur lesnaufragéssur I'ouedNoun »,dont lebut est d'éludertoute
responsabilitépour les actes commis par les habitants de cette région
contre leséquipages, victimed'accidentsmaritimessur lescotes.)>

Le Gouvernement espagnol en tire la conclusion suivante : <De cette façon
on reconnaît face a d'autres Etats que la souverainetédu Maroc ne s'étend
pas au territoire compris entre le Sous et le Draa.» Or, il semble que le
Gouvernement espagnol, peut-êtrea la suite d'une plus juste apprkiation
de réalitéhistoriques, ait, comme nous l'avonsdéjàrelevé. modifiésa posi-
nement espagnol a déclarél: 011ene nie pase-det leGouvernement espagnoler-
ne le fait pas non plus - que le Sous et le Noun appartenaient a la
souverainetéchérifienne.Non, c'estun fait reconnu partous les Etatà la fin
du XIXc siécleet au XVIIIc siècle. » (Ci-dessus p. 86.1te Gouvernement
. espagnol aainsi?entre ledépotde son exposéécrit etla procédure orale,rait
un premier pas vers une interprétation correcte de l'histoire. Cependant,
malgré cetteévolution,le Gouvernement marocain ne peut se déclarcrsatis-
fait,car les traites concernésont une portéeplus étendueet prouvent la sou-
veraineténon seulement sur le Noun. mais égalementau-delà, au Sahara
occidental, dans l'acceptionque j'ai donnéetout a l'heure a la formul<au
Noun et au-delà, au Sahara occidental ». Le Gouvernement marocain ne
peut donc accepter les interprétationsdéveloppéesar le conseil du Gouver-
nement espagnol lorsde l'audience du23 juillet et ilse propose de revenir
sur certains points concernant les traitéspasséspar le hlaroc au XVIIIcet
au XIXC siécle.
Ces conventions, dites <de paix et d'amitié>r.réglemententles relations
commercialesentre le Marocet ses partenaires. Certainesde leurs dispositions
relatives aux naufrages survenus a I'oued Noun, et au-delà, au Sahara
occidental, nous intéressent particulièrement parce qu'elles reconiiaissent
implicitement la souveraineté marocainesur ces régions. Les stipulations
conventionnelles relativesa I'ouedNoun prennent toute leur véritablesigni-
ficationa partir de trois observations complémentaires.

Premiére observation. l'invocationconstante de I'oued Noun s'explique
facilement par des données historiques et géographiques n'entraînant a
l'évidencaucune délimitationde souveraineté.
premiéreprésomptionde la souveraineté marocaine auNoun et au-delà, au
Sahara occidental.
Troisièmeobservation, les conventions internationales précitée,e même
que de nombreuses corresporidances diplomatiques, même espagnoles,
reconnaissent le Sultan comme protecteur des naufragésdans la régionde
I'ouedNoun.

II résultera de nos observations que les dispositions conventionnelles
relativesaux naufragésne trouvent une portéeréelle etcompréhensiveque si
l'onadmet que le Sultan est souverain sur la régiondu Noun et d'au-delà.

1. Nous ne reviendrons pas sur le premier pointa savoir que l'invacu~ion
cons~atr~ ee l'ouedNoun s'expliquefacilementpar desdonnéeshistoriqueset
géographiques,comme nous croyons l'avoir amplement explicitéil y a212 SAHARA OCCIDENTAI.

quelques instants,loselareprisede cette audiencJe meborneraiarappeler
que,d'unepart,le mytheancestral de dangedransla régiondu Noun, d'autre
part, lesdifficultésréellde navigation dans cette région, fournisse nt
premier typed'explicationsalaprésencedecesclauses relativesaux naufragés
et auxnaufragesde l'ouedNoun etde l'au-delà. Prc;sp~irs:[Voir audience du 16 VI1 75. X.1R2d .e Castro et Jiini'nez de
Arechaga. juges, absents.]

hl. DUPUY : Llonsieur le l'résident.hlessieurs Ics membres de la Cour. j'en

étaisarrive. ce matin. à la seconde partie de cet expose qui constitue lui-mëme.
la troisième parlie de l'exposédont le doyen Vedel vous a présenté. hier. les
deux premières. A l'intérieurde cetteseconde partie de ma propre intervention.
j'avais aborde ce qui en forme le premier thème. Ce preniier iheme. je me
permets de le rappeler. concerne les traites de paix. de commerce et d'amitié
reconnaissani iniplicitement la souveraineté marocaine au Sahara occidental.
Dans la prisentaiion de ce thème. j'avais dégagé trois observations. la
premièreconcernant l'invocation constante de l'oued Noun et l'explicationque
fournissent les données historiques et géographiques de cette invocatii~ndans

les iraitésexaminésetj'en étaisarrive a la seconde observation qui concerne IF
rraif~d;e Murrak~.rlide 1767 et qui constitue une premiere présomption de la
souveraineté marocaine au Noun et au-delà. au Sahara occidental.
2. L'interprétation réaliséede ce traité par le Gouvernement espagnol
implique de s'yappesantirdavantage, tant au niveau de la traduction des textes
qu'au niveau de leur interprétation juridique.
a) Le probli.i~ie lurrodrrc~io~ dtes [cirresLe conseil du Gouvernement
espagnol a conteste la traduction française du texte arabe de l'article 18 du
traitéde Marrakech de 1767.fournie par le Royaume du Maroc.

Selon le Royaume du Maroc etaprk exanien minulieux de ce texte par les
experts finguistcsde sa délégation l'article 18.dans sapartie qui intéressenotre
denionstration. s'énonceconime suit :
(<Sa Majestéimpérialemet en garde les habitants des Canaries contre
toute initiative d'aller pêchersur les cotes d'oued Soun et au-delà. II

dégage touteresponsabilitéde cequi leur arrivera de la part des Arabes du
paysauxquels il est difficiled'appliquer lesdécisions, eux quin'ont pasde
résidencefixe. qui se déplacentcomme ils veulent et plantent leurs tentes
ou ils 1-entendent. Les habitants des Canaries sont certains dëtre
malmenéspar ces Arabes. 1)

Un ceriain nombre d'observations linguistiques doivenl etre apport&. car
leGouvernement espagnol a énonce.a l'audiencedu 21 juillet. une traduction
du texte arabe [out afait contestable quant a plusieurs de ses termes.
Nous devoiü:donc reprendre tes termes qui ont fait l'objetd'une contestation
dans leur traduction. Le terme rt~barrau a ététraduit par leconseil espagnol
par la brniule a se déchargede responsabilité >aO;. la pratiqueconstante de la
chancellerie marocaine démontre que ce texte signifie ((met en garde 1)Ce
n'estdonc pas dans la premiérephrase de ce texte que le Sultan se déchargede

sa responsabilité.Sa bfajestéimpérialemet en garde les habitants desCanaries.
Le terme darak est présentépar l'Espagnecomme signifiant rcréparation du
dommage )>Selon les experts linguistes marocains. cette expression concerne
la responsabilité.l'absence de respoiisabilitéen I'eçpbx.
te terme al~kut~ine signifie nullement <ijuridiction>).L'expression utilisée
par le traite lani ru~i alltuuiti ahkail? se traduit par <<il est difficile2 14 SAHARAOCCIDENTAL

d'appliquer les decisions ». Lon7 tail allioiin7exprime en effet une idée de
mouvement et correspond parfaitement aux habitants nomades se déplaçant.
qu'il est difficiled'atteindre par des decisions administratives, parce qu'il faut
leur courir après ; pour autant. le pouvoir de décision existeau profit du
Sultan. mêmesi sa mise en Œuvre s'avèrematériellementd.ifficileen raison de
la vie nomade des intéresses.
Reprenons la traduction présentéepar le Gouvernement espagnol :

« Notre Souverain. que Dieu aide. se décharge de responsabilite pour
les habitants des Canaries qui pécheraientsur la cote de l'oued Noun et
sur les territoires au-delà. Aucune réparation du dommage ne pourra lui
êtreexigée,pour ce qui pourrait leur arriver avec les Arabes du territoire,
puisqu'ilséchappent à toute juridiction et n'ont pasde résidencefixe.mais
campent avec leur tente ou ils veulent. et vont ou ils veulent>>

Si nous comparons cette traduction et celle que nous avons présentéetout a
l'heure pour le Maroc, les remarques formelles cèdent la place a des
divergences fondamentales. Selon la traduction marocaine. en premier lieu, le
Sultan met en garde les habitants des Canaries :en second lieu. la mise en

garde effectuée.le Sultan dégagesa responsabilitéet. en troisième lieu. il la
dégage d'autant que les decisions n'atteignent pas facilement ses sujets
nomades. Ainsi. loin d'infirmer la souverainetédu Sultan au Noun et au-delà.
au Sahara occidental. l'article 18 du traitéde 1767 la confirme.
b) L'itrierpreiariotr,jrlridiqlre de~LIX~L'CIZ pr@sertce va également le
démontrer. II est incontestable que le texte arabe du traitéde1767, déposé par
le Maroc, n'implique nullement une quelconque absence de la souveraineté
marocaine sur l'oued Noun, c'est-à-dire, ne l'oublions pas. surla régiondu
Noun et au-delà, au Sahara occidental, dans les conditions que nous avons
explicitéesce matin. II ne peut, de même, êtreinterprété,comme l'a fait le
Gouvernement espagnol dans son livre 1 précité,comme une renonciation
marocaine a l'exercice de sa souveraineté au Noun et au-delà. Une telle
interprétation,en effet, est absolument contraire aux principes reconnus du
droit international, sur l'interprétation des traites. A ce propos, nous
rappellerons ce que nous n'avions qu'ébauché a l'audience du 3 juille(IV,

L'éminent juristebritannique William Edward Hall'intaflirrnait, en1917,iet c'est

toujours valable dans le droit positif actue:
« Whenever. or in so far as. a state does not contract itself out of its
fundamental legal rights by express language a treaty must be so
construed as to give effect to those rights. Thus. for example. no treaty
can be taken to restrict by implication the exercise of rights ofsovereignty

or property or self-preservation. iZny restriction of such rights must be
effected in a clear and distinct manner. >)(A Trcarise on It~~ertlaiioiial
Law, p. 348.)

Les termes mèmes et l'objet de l'article18 du traité témoignent clairement
que le mar r n'aabsolument pas reconnu. en quelque façon que ce soit. une
quelconque absence de souveraineté. Par ailleurs. dans l'éventualitéou le texte
d'untraitérédigeen deux langues n'aboutit pas a la meme traduction. ce qui est
le cas en l'espèce.l'interprétation du texte doit se faire en fonction de ta
formufation restreignant le moins des droits des Etats signataires. Nous
n'hésitonspas à rappeler que c'est ainsi que. dans l'affaireMuvrorntnaiis. la
Cour permanente de Justice internationale a effectivement déclaré icet égard : EXPOSE ORAL DE hf. DUPUY 215

(<La Cour estime que. placée enprésencede deux testes investis d'une
autorité égale.mais dont l'un parait avoir une portée pliis étendueque
l'autre. elle a le devoir d'adopter l'interprétation restreinte qui peut se
concilier avec les deux textes et qui. dans cette niesiire. correspond sans

doute a la commiine intention des Parties. ))(C.P.J./.sc;ri.AII".?.p. 19.)

Quant a l'interprétation juridique proprement dite du traité de 1767,
différents points doivent étreprécises.
D'une part. l'objetmeme de cctraite indique qu'ila étéconclu dans lebut de
définirles rapports entre les deux pays et d'organiser entre eus des relations
commerciales.
11s'agit d'un traite de paix et d'amitiéorganisant notamment les rapports
commerciaux entre lesdeux signataires et nullement d'un traitéde délimitation
territoriale. De ce faia.l'article 18. tout ce que lesultan du hlaroc signale. c'est
le danger que représenteces sujets nomades attachésa de rudes coutuines, peu

enclins a des contacts avec lesetrangers qui ne professent pas la mémereligion.
(Ces coutumes ont persisté.si l'on se reporte a l'admirable livre d'Antoine de
Saint-Exupéry. Terre des Irotiii~ie11nous raconte qiie. dans les zones mémes
OU il se trouvait. il a étéamené a participer au rachat de certains aviateurs
tombes ; or cela se passait a iine époqueet dans une zone qui relevaient de
I'a~itoritespagnole.)
De ce fait. l'article 18, le Sultanse contente de signaler le danger. En
conséquence. il a pour but de limiter sa responsabilité dans le cas ou les
pêcheurs.canariens passeraient outre à ses interdictions de pêcherdans des
zoiies marocaines autres que celles que le traitédétermine.
D'autre part. seconde observation. le texte arabe de cet article
18 dispose
qu'ilest« difficiled'appliquer des decisions aux habitaiits d'oued Noun et d'au-
delà ». Cette disposition signifie que le Sultan a le pouvoir de prendre des
décisions,envers ses sujets de l'oued Noun et du Sahara. Cependant. le
caractère nomade de ces habitants. leurs mŒurs. plus attachéesaux coutumes
islamiques relatives aux captifs qu'ailleurs. rendent plus difficile parfois
I'applicationde mesures concernant les étrangers.II est également évidentque
les dificultés cliniatiq~ies.le caractère semi-désertique du Sahara occidental
rendent particulièrement difficile. surtout au XVIIIc et aii ,YINCsiècle. ilne
surveillance constante. absolue. C'est ainsi qtie l'obligation de surveillance
varie selon les conditions géographiquesd'un pays etdépend desmoyens dont
il dispose:

Cela est reconnu. comnie rioiis l'avons rappelélors de iiotre dernière
intervention. d'une façoii généralepar le droit international. ALISVIII' siècle.
ces moyens étaientévidemment assez réduitspour un Etat comme le Maroc.
Conscient de cette situation. leSulian préféraitdégager sa responsabilitéen
avertissant expressément l'Espagne. soncocontractant. des dangers potentiels
encourus par ses nationaux s'aventurant a oued Noun et au-delà. hlalgrétout.
il est significatir de noter que l'Espagne a eu recours au Sultan lorsque ses
nationaux étaientcaptirs au Sahara occidental. ainsi que nous le verrons par
ailleurs.
II convient d'ailleurs de préciser la signification importante des mentions
conventionnelles degageant la responsabilitédu Sultan a !'oued Noun et au-
delà. au Sahara occidental. Nous avons déjàexpliqué. aI'atidiencedu 3juillet.
que le maintien en ces régionsreculéesde la coutume islamique de 121rançon

impliquait ces clauses.
Par ailleurs. le sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah. signataire des
différentsaccords du XVIIICsiècle.favorisera I'oiivertiire du Maroc aux pays2 16 SAHARA OCCIDEhTAL

étrangers. Mais pour ne pas déséquilibrer l'ordre établciette ouverture nese
fera qu'en certains points délimités.inipliquant de ce fait certaines fermetures
de pons. notaninient aoued Noun. IIétaitdéslors évident qu'il existait une

présomption de désobéissance aus réglementations du Sultan pour les
Européens captifs au Noun et au Sahara occidental. Le Sultan devait donc
dégager sa resporisabilite pour les auteurs d'actes commerciaux prkumk
illicites. puisque. le document le prouve. la plupart des navires naufragés
avaient pour objectif des inissioiis cornrnerciales. illicites dans la mesOUe
eltes coiiceriiaient des régionsferinéesau commerce.
A ct propos. une déclaration du conseil du Gouvernement espagnol a
l'audiencedu 2I juillet mériteun esaiiien particulier. Ce conseil décl:re

<tlci. dans le monde des nomades et à plus forte raison aussi dans
Ièspace plus au Sud. les fonctioiis étatiquerie sont pas assurées par le
h.iaroc; le Sultan se dégage de Joute responsabilité pour ce qui peut
arriver auxétrangers :il n'accorde pas le droit de pêchedans cette region.
il n'accepte pasla deniaiide de l'Espagnede s'installer dans cene contbp.
(Ci-dessus p. 82.)

Deux observations sedtigagent de cette déclaration.
En premier lieu, le conseil espagnol rappelle queleSultan n'accepte pas la
delitande de I'bpagiie de s'installer dans cette contrée.c'est-à-direau Noun et.
au-delà,au Sahara occidental. Déslors. sileSultan avaittapossibilitéde ne pas
accepter cette installation espagnole. c'est bien qu'il détenait la souveraineté.
Dans le cas contraire. une deniande de l'Espagne en ce sens était inutile et
dénué ee sens.
En second lieu. pour seconformer aus obligations du droit international de
la responsabilité. le sultan du Xlaroc a considéréqu'il pouvait accomplir les
iiiesures prkveiitives iiécessairesau dégagementde sa responsabilitépar le biais
d'uiie stipulation conventionnelle. avertissant les Etats européens des dangers
inhérents au Noun et au Sahara occidental.
Les clauses relativa aux naufragésetcaptifs du cap Noun peuvent donc are

comprises conime des mcqures préventivesadaptéesa la situation particulière
d'un Etat nord-africain au XVIlle et au XIXesiècle, s'efforçant de se rap-
procher des normes d'un droit international, adaptées surtout a la condition
des pays européens.
La souveraineté sur utiterritoire nèntraine pas toujours la responsabilité
pour les actes illicites coriiinis sur le territail'égarddes étrangers. La
responsabilité est fonction du degré de controle pouvant are établi sur la
population. et noii autoniatiqueinent de la seule souverainetésur le territoire.
Bieiique les régionsvises par letraitéde 1767 fassent partie intégrante du
Royaume du Xlaroc. leSulmii ne s'estime pasresponsable des actes illicitesdes
eleinciits de la population qui. en raison du caractère particuldurterritoire
saharien, peuvent échapper inatériellement a un controle direct. constant et
droit. Ces(ce que devait d'ailleurs rappeler le professeur Cavare. en se fondant
notamment sur l'affairede Miss SIOII~(Lcdroit il~fcril~l iitii~t.aIll, Paris,

1967. p. 420): <cL'Etat peut d'ailleurs dégagersa respoiisabilite en attirant
l'attention sur le danger qu'il y a pour les étrangers a s'avaricer dans telle ou
telle régioi».
IIserait fastidieux de citer tous lesarbitrages internationaux qui illustrent ces
principes.On peut néanmoins rappeler les nonibreuses décisions de la
commission ainéricano-iiiexicaine de 1868 et de la con~missioii anglo-
américaine instituée a partir du traité du 8 mai 1871. Ces exemples sont
rappeléspar Cavare dails son ouvrage précité.pages 472 et 473. EXPOSEORAL DE hl. DUPUY 217

De ce fait. et en troisième lieu. tes efforts accomplis par le Suitan pour
dégager sa responsabilitéinternationale n'excluent pas sa souveraineté au

Noun et au Sahara occidental. mais tout au contraire la prouvent et l'afirment.
En effet. si leSultan ne seconsidéraitpas lesouverain de ces régions.il n'aurait
nullement besoin de dégager sa responsabilitéinternationale a propos dcsactes
accomplis sur ces territoires.
Par ces stipulations conventionnelles visant a limiter sa responsabilité,le
Sultan se place directement dans l'hypothèse d'un Etat souverain territorial.
prévenant sa responsabitité internationale au moyen de mesures préventives
adaptéesa sa situation et consistant avertir des dangers les Etats européens.
Par ailleurs. le traitéde klarrakcch doit égalementêtreanalyse en fonction
des documents diplomatiques ayant un rapport direct avec lui. A cet égard.la
lettre du 28 mai 1767 adressée par le sultan du Mar% au roi d'Espagne
Charles III esttouta failsignificative. d'autant que Icconseil du Gouvcrtiement
espagnol a contestéla traduction présentéepar leGouvernement marocain. La
traduction présentée a la page 83 ci-dessus par le Gouvernement espagnol se
détache sensiblement du vcritable sens des termes arabes et aboutit a des
diiformations subslantielles. C'est ainsi qu'il est indiquédans cetie traduction
en français. effectuéepar le Gouvernement espagnol. a propos des nomades.

qu'aucune juridict~on ne les atteint. Or les termes arabes lut~liurt~rlliollrn
ul?X-a,nn'ont pas. ainsi que nous l'avons vu. cette signification et doiventse
traduire par l'idéedynamique qu'ifest difficilede letir appliquer des décisions.
Ce n'estdonc pas l'idéedejuridiction qui est expriméedans ce texte. mais celle
de la difficultémati'rielled'appliquer des décisiona une population nomade.
D'autre part, a la méme page, le conseil espagnol indique que les côtes
d'Agadir se trouvent sous l'égidede I'ln~ralc~',est-à-dire,selon cette traduction,
sous la protection de l'empereur du Maroc. La encore, la traduction est
inexacte et cela rejaillitsur la portéedu texte. Anranindique une idéedesûreté.
de çécurité.Dèslors. contrairement a ce qui est alléguéa la page 87 ci-dessus,
ces clauses conventionnelles ne serattachent pas une idée d'insoumission,
mais a la notion d'insécurité,particulièrement pour les étrangers.Dece fait le
Sultan, se conformant aux règlesde la responsabilité internationale. avertit de
cette situation les Etats contractants. Malgrétout, ainsi que nous l'avons note
dans notre exposé oral du 3 juillet, leSultanrembourse généralementaux Etats
européensla rançon,témoignant ainsi, une nouvellefois,de sasouveraineté au
Noun et au-del& au Sahara occidental.
3. J'en arrive ainsi au troisième des points qui structurent notre démarche
dans l'examen de ces conventions du XVIIlcet du XIXC sièclesur ce sujet: 1e.s

corrvcntiotwiristirlra~ille Sli/ia/rpr»lc.cterrrdesiraurUsL~NoirrCI uri.Çul~aru
uccide~ilul.
Deux remarques doivent tout d'abord etre faitesa propos de cet ensen7blede
conventions.
Première remarque: le conseil du Gouvernement espagnol. lors de
l'audience du 21 juillet. n'a effectue en fait que l'analyse d'un seul de ces
traités:le traité maroco-espagnol du le' mars 1799 : ce conseil a passc sous
silence les nombreux autres traités passésavec différentsEtats en 1787. 1791.
1801. 1825. 1836. 1856 et 1861. Or. ainsi que nous le verrons. cet ensemble
conventionnel constitue un faisceau probatoire convergent en favcur de
l'existencede la souverainetémarocaine dans cette région.
Seconde remarque :leGouvernement espagnol. si pointilleux qtiand il s'agit
des documents déposespar le hlaroc. a fourni lui-mémedeux tradiictions de
l'article 22 du traité maroco-espagnol du le'mars 1799 comportairt ilne
différencejuridique substanticlle. C'es1 ainsi qu'a la page 258 (1) dc ses218 SAHARA OCCIDENTAL

Ii~fonnaiiotiseldoc~rtnerirs,le Gouvernement espagnol cite l'article 22 du traité
maroco-espagnol dans les termes suivants : <(Si quelque navire espagnol
naufrageait dans le fleuve Noun ou sur sa côte. la ou S. M. le roi du Maroc
n'exerce pas sa domination ..>>En revanche, a la page 19(11).appendice 7 a
I'annexe 8. le Gouvernement espagnol. citant le mëme article de ce merne
traité. endonne le texte suivant :« Si quelque navire espagnol faisait naufrage
sur la rivière Nunt ei sa côte. dont S. kf. nraroccaine ne possède pas la

souveraineté... » Sur l'un, il n'exerce pas sa domination ; sur l'autre, il ne
possède pas la souveraineté. Ces deux interprétations differentes sont
évidemmentsignificatives :le Gouvernement espagnol hésite etne choisit pas
entre une prétendue absence de domination ci une prétendue absence de
souveraineté. Ces atermoie...ts.ont éealement et6 relevés~recédemmenta
propos des déclarations orales du 21juiiet.
On peut ainsi di~ficilemenradmettre une double traduction si diffcrente d'un
mime texte. Les divergences des textes déposéspar leGouvernement espagnol
laissent ainsi planer un certain doute sur l'exactitude de ses traductions.
A tout le moins. ces divergences manifestent l'incertitude d'un pays

européen au XVIIle siècle envers l'exacte situation politique d'une région
marocaine. Par ailleurs, nous avons également signalé au cours de notre
déclaration orale du 3 juillet(IV, p. 296) que le Gouvernement espagnol a
fourni une traduction totalement erronée de l'article IOdu traitépassépar le
hlaroc et les Etats-Unis les23et 28 juin 1786 et - fait plus graveencore - en
a tiré une interprétation rocambolesque visant l'existence d'une population
autonome au Noun et au-delà au Sahara. C'est ainsi qu'a la page 259 (1)de ses
/f~~irti~uiio~rsdO~liii7~lllle Gouvernement espagnol cite l'article IO du traité
passépar le Maroc et les Etats-Unis en 1786. Cet article stipule i propos des
naufrages survenus a I'ouedNoun : and ifany American Vesselshall be cast

on shore on the Coast of Wadnoon or any Coast thereabout. the people
belonging to her shall be protected. and assisted H. Or. le Gouvernement
espagnol considère a la mème page que les termes <<the people belonging to
her >) s'appliquent aux habitants de I'oued No~in alors qu'ri l'évidencela
traduction exacte concerne 1'séquipagey appartenant )>.
Si on aborde maintenant - une fois ces observations prcsentces -
l'examen de ces traités,on ne peut suivre non plus sur ce point l'analyse di1
Gouvernement espagnol. A l'annexe 26 de ses documents imprimés le
Gouvernement marocain a présentéle texte arabe du traité maroco-espagnol
du 1'' mars 1799 dont la traduction de l'article 22 dispose :

((Si quelque navire espagnol faisait naufrage au-deli du Sous et de
I'oued Noun, S. M. le Sultan, a cause de l'amitiéque manifeste le roi
d'Espagne, emploiera tous les moyens possibles pour sauver ou deiivrer
les naufragésjusqu'a ce qu'ils retournent a leur pays.»

Les mêmesremarques que celles présentées a propos des divergences de
traduction relatives au traitéde 1767 pourraient êtrerappelées.Nous nous en
abstiendrons. II faut cependant ajouter deux observations importantes qui
contredisent totalement la thèseespagnole.
D'une part. si l'oncompare les testes espagnols et arabes des traitésde 1767

et de 1799.on constate des divergences. Soulignons qu'il ne s'agit pluscelte fois
de problémes de traduction. mais de divergences dans la redaction et la
substance des versions arabes et espagnoles de ces traites. Seuls les textes
espagnols des traites de 1767 et f799 invoquent I'affirination par le Sultan
d'une prétendue absencede souveraineté. Au contraire. les textes arabes des
traités.tels qu'ilsvous ont étéprésentés.Monsieur le Présideni.klessieurs de la ESPOSC ORAL DE hl.DUPUY 219

Cour. de inêmeque les stipulations des conventions passéespar le Rtaroc avec

d'autres Etats. n'évoquent nullemeni une quelconque absencede souveraineté.
Elles reconnaissent. au contraire. celle-cien prévoyant l'engagementdu Sultan
de sauver,les naufrages.Ce type de stipulationa étédkja relevéa l'article IOdu
traite maroco-américain de 1786. On le retrouve également a l'articl10i17,fine
du traitéde paix du 17 septembre 1836 entre le Maroc et les Etats-Unis eta
l'articl33 du traite genkral angto-marocain du 9 décembre 1856,
Or. noiis avons rappelé précédemmentque. selon le droit international.
d'unepart les restrictions a la souveraineténe se présumentpas - il est inutile
de rappeler les nombreux préchdentsjurisprudentiels et arbitraux: qui l'ont
affirmé ' et doivent avoir étkstipulees d'une manière claire et distincteet,
d'autre part. en presence de deux textes investis d'une autorité égale. la
juridiction internationale a le devoir d'adopter l'interprétation atteignant le
moins fedroit des Etats. Si l'onreprend le traitéanglo-marocain du 9 décembre
1856. soigneusement ignoré piir le conseil du Gouvernement espagnol à
l'audiencedu 21 juillet, on constate qu'il est tou~ a rait esplicite quant a la
souveraineté marocaine au Noun et au Sahara occidenial. car il stipule iison
article XXS[ll :

«Si un bateau britannique faisait naufrage a oued Noiin ou sur une
partie quelconque de ses côtes, le sultan du Maroc usera de son autorité
pour sauver et proteger le capitaine et son équipagejusqii'a leiir retoar
leur ;pays et le consul généralbritannique ainsi qiie son reprCsentant
aiiront la possibilitéde s'ocr:~iperet s'assurer des que ceci sera possible du

sort du capitaine et de I'éqiiipagede ce bateau afin de les retirer de cette
partie du pays ;ils seront aidésdans leurs démarches conforméinent au
devoir de l'amitiépar les gouverneurs que le sultan du Maroc a dans de
tels endroits.>>(IIIp,. 196.)

L'existencedu Couverneinen1 marocain dans les régionsde l'oued soiin et
au-dela matérialisea l'évidenceIéxistencede la souveraineté du Sultan dans
ces regioiis.
Or la convention anglo-marocaine du 13 mars 1895 la confirme espressé-
ment pour toute la Sakiet El Hamra. Le traitéde 1895. dont on aperçoit mieux
maintenant favéritabtesignification. allait consacrer une possession inimémo-
riale reconnue par la communaiite internationale.
1-'articlepremier de cette convention de 1895 dispose en effet:

« Qpres que le Maroc aura acheté le fonds de commerce de la
compagnie, aucune puissance ne pourra émettre des prétentions sur les
territoires allant de I'o~rOrau a11 cap Bqjacloret al'intérieur, parceque
ces territoiresuppur,icririeiial1 Muroc. )>(III, p. 198. L'italique est de
nous:)

Tout cet ensembleconventionnel confirme donc les textes arabes des traites
cites et contredisent l'interprétation espagnole imaginant une reconnaissance
d'absence d'autorité marocaine en ces régions. De surcroit, cette thése
espagnole est encore contredite directement par le traité passéentre le hiaroc et
l'Espagne, le20 novembre 1861.
L'article 38 dce traité disposeen erCet:

<<Au cas oii un bateau espagnol ferait naufrage sur lerivage de l'oued
Noun et en toiit autre point de sa côte. le roi du hlaroc usera de son
pouvo~rpolir saliver et proiégcrlecapitaine et l'équipagejusq~i'ace qu'ils220 SAHARA OCCIDENTAL

se retrouvent dans leur pays etilsera permis au consul général d'Espagne.
au consul. vice- consul^agent consulaire ou son délégué de prendre toutes
les informations ou nouvelles nécessairessur le capitaine et l'équipage
dudit bateau, alin de pouvoir tes sauver. Les gouverneurs du roi du
Maroc apporteront eux-mêmesleur aide au consul générald'Espagne. au
consul. au vice-consul. a l'agent consulaire ou a son délégué dans leurs
démarches conformémentaux lois de l'amitiéD

Ce texte confirmeparfaitement les textes arabes des traitésde 1767. de 1799
et infirme de ce fait l'interprétation donnée par le conseil du Gouvernement
espagnol a ces deux traites. II constitue également une reconnaissance de la
souveraineté marocaine au Noun et au Sahara occidental puisque: 1) il
reconnait l'existence d'autorités marocainesau Noun et au Sahara occidental
en la personne des gouverneurs du roi du Maroc : 2) il reconnait I'effectivité

des possibilités d'actionde ces gouverneurs envers les habitants deces régions:
3) il reconnait la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental dans ces
régions.puisque. selon l'article38 lesautoritésespagnoles ont la permission de
s'enquérirdu sort des naufragés.IIest bien évidentque si. comme le soutient le
Gouvernement espagnol. le Noun et les régionssahariennes étaienten dehors
de la souveraineté marocaine. aucune permission ne serait nécessaire aux
autorités espagnoles pour entrer directement en contact avec de prétendus
pouvoirs locaux dans cette région. Au contraire. conformément aux usages
diplomatiques. ce traité établit une permission pour les autorités espagnoles
d'effectuer certaines recherches. respectant en cela la souveraineté marocaine
au Sahara occidental.
On sait que la compétenceterritoriale a un caractère exclusif du point de vue
organique. Cela signifie que seuls les organes de 1'Etat sont en principe
compétentspour exercer la souverainete sur leterritoire qui en releve. Des lors.
des organes étatiques étrangers ne peuvent en principe y pénétrerpour y
exercer des activitésqu'avec l'accord et l'assistance des autorités de I'Etat du

fort.
C'est là un principe fondamental. et que nul ne conteste en droit
international. ta pratique a d'ailleurs confirmé cette interprétation des
différents traites des XVIJP etXIXC siècles.
Nous avons ainsi évoqué.lors de notre intervention orale du 3juillet.
l'affaire de I'Esi?reralda. mentionnée a nouveau rapidement ce matin,
naufragéeà plus de 180 millesau sud du cap Noun. c'est-à-direen plein Sahara
occidental. Nous avons note que le ministre espagnol demanda 3 son
ambassadeur d'intervenir auprès du Sultan afin d'obtenir la libération des
captifs, en application de l'article38 du traité du 20 novembre 186 1.Cela
démontre avecéclatla réalitéde la soiiverainetéet des pouvoirs du Sultan.
Le conseil du Gouvernement espagnol a cependant déclaré a l'audience du
21 juillet (ci-dessus p. 84): la pratique en matière de naufragés dans
l'oued Noun. au XVilIe siécle confirme l'interprétation espagnole de I'ar-
ticle 18,en montrant dans les faits le manque de pouvoir du Sultan en cette
région».
Nous pouvons présenter. a propos de cette allégation.un certain nombre de
remarques contredisant totalement cette thèse espagnole.

Observons tout d'abord a titre préliminaireque le Gouvernement espagnol
invoque l'unique témoignage du consul français Louis Chénier. et le
Gouvernement marocain doit cependant faire reinarquer a la Cour que ce
consul a étéexpulse du Maroc. ainsi que Icrappellent le pèreLourido dans son
ouvrage Eiisa~~oItistoJ-io-grCi$c~sobre el Sultanaio de Sidi MoliutrirriedBctr EXPOSEORALDEhl. DUPUY 221

Abdullah (Grenade, 1967, p. 27) et Ibn Zaydan dans son livre Histoire de
Meknès(t. III, p. 274).
Cette expulsion a étéprovoquéepar de nombreux différendsavec le Sultan.
leconsulChénier ayant tendance a s'opposeren divers domaines a I'autoritédii
Souverain. De ce fait, le témoignagedece consul ne peut êtreconsidere comme
entièrement impartial envers l'autoritédu sultan Ben Abdallah.
En revanche. le Gouvernement marocain peut soumettre à la Cour de
nouveaux témoignagessuffisamment étalesdans le temps pour démontrer la
réalitcontinue de la souveraineiéniarocaine au Noun et au Sahara occidental
durant la périodequi nous intéresse.Deux documents sont particulikrement

significatifscetégard.
Tout d'abord une lettre du siiltan Sidi Mohammed Ben Abdallah au roi de
France. lettre en date du 4 septembre 1777. Cette lettre. extraite de l'ouvrage
d'Ibn Zaydan précédemmentciti:,déclarenotamment :

« Un bateau français a lait naufrage à l'extrémitéde notre Royaume
fortuné au Sahara. Tous ceux qui sont sortis indemnes du naufrage sont
tombés entre les mains des Béda~iinsde cette province. Des qite nous
avons eu connaissance de ce fait, nous avons dépêché quelques-uns de
nos serviteurs au Sahara. afin de reciipérer ces chrétiens françnis avec
l'intention de vous les renvoyer.»

Cette lettre prouve sans équivoque possible que. d'une part. la piirtie du
Sahara allant jusqu'au sud du cap Bojador fait partie de l'Empire chérifien et
que, d'autre part, le Sultan disposeen cette régionde I'autoriténécessaire a la
délivranceeffective des captifs eiiropéens.On voit du rnëme coup que Ibn ne
peut distinguer entre souveraineté et autorité ces deux éléments étant
incontestablement réunis a lalumière de ce témoignage.
Par ailleurs, notre annexe 58 bis (III. p. 323) indique que tes captifs
européens' en ces régions en I863 îont appel pour leur Iikration au

commandant de l'arméemarocaine, prouvant par la mêmeque les autorités
chérifiennes disposentd'une autoritéréelfe.
Ainsi setrouve acquise l'existenced'une souverainetéet d'une réelleautorité
chérifienneau Noun et au-delà, au Sahara occidental. Du mêmecoup, setrouve
infondee la thèse espagnole affirmant les pouvoirs locaux indépendants sur
cette même région. Le conseil du Gouvernement espagnol a achevé son
analyse des traités internationaux des XVIIIe et XIX'siecles en invoquant de
prétendus pouvoirs locaux qui eussent étéindépendantsdans cette région.
Il a affirmé:

<<TOUS les témoignages coincident pour dire qu'au nord d'Agadir le
pouvbir marocain s'exerce etle Sultan commande ;d'Agadirau sud, dans
le Sous, le Noun et le Draa, le Sultan négocieavec les pouvoirs locaux ;il
ne commande pas. Par conséquent, dans le cas de naufragés a l'oued
Noun, les étrangers devront s'adresser, dans la plupart des cas aux cheiks
de l'oued Noun. parmi lesquels un rôle de premier plan revient au cheik
Beyrouk. >)(Ci-dessus p.88.)

Cette thèse des pouvoirs locaiix soi-disant indépendants dans cette région
avait déjiétésoritenue par le document ecrit espagnol. oii il étaitindiquéque
non seulen~ent ces poitvoirs échappaient a l'autoritéde fait du Sultan. mais
Egalement qu'ils échappaient à la souveraineté marocaine.
Atijotird'hui. l'aspectabsolde cette thèseespagnole est altéré. puisque.insi

que nous l'avons vu. le Gorivernement espagnol reconnaît maintenant que la'272 SAHARA OCCIDENTAL

souveraineté marocaine s'étendait auSous et au Noun au moment de la
colonisation espagnole.
Dès lors le Gouvernement espagnol essaie de faire accepter l'existence de
pouvoirs tocaux qui. tout en étant sous la souveraineté chérifienne. seraient
indépendantsen fait. Cette construction juridique est pour le moins singulière
et, comme on vient de le voir, insoutenable.
Nos précédents développementa syant démontré longuement.sur la base des
multiples actes internes, la souveraineté marocaine au Noun et au Sahara
occidental. contrairement a la thèsedes pouvoirs locaux. nos analyses sur ce

thème se limitent ici aux aspects proprement internationaux de ce problème,
par ailleurs déjàévoquédansnotre mémoire écrit.
Ledocument marocain de l'annexe 75 nous parait particulièrement éclairant
cet égardcar tout en prouvant la souverainetédu Sultan au Sahara occidental
et l'obéissancedu cheik Beyrouk, il met l'accent sur certaines manŒuvres
espagnoles visant a faire miroiter aux yeux de ce cheik tous les avantages
personnels qu'il pourrait tirer d'une collaboration avec l'Espagne. et tendantii
porter atteinte l'intégritterritoriale du Maroc. Ce document est une lettre du
siiltan au cheik Beyrouk en date du 18janvier 1877. elle indique notamment :

« Nous avons reçu ta lettre et avons ainsi pris connaissance :...
De l'écriture[c'est-à-direde l'écrit- des ressortissants espagnols -
destinéeégalementa toi par laquelle ceux-ci prétendentavoir sous la main
une lettre de notre pere, feu Sa Majesté - puisse Dieu le sanctifier !-
suivant laquelle ilseserait dessaisi de Massa, d'oued Noun, du Sahara el
aurait pris l'engagement de ne as en parler.

De ce qu'ils [les Espagnolsr demandent de les laisser faire avec la
population ce qu'ils veulent. » (III. p. 349.)
A ces allégations espagnoles rapportées par Beyrouk, le Sultan répondit
fermement :

« Quant a la cession par Sa Majesté,feu notre pere, de musulmans en
général,a plus forte raison de ceux d'entre eux desessujets [c'est-à-direde
ceux de Massa, oued Noun et Sahara], cela n'apas de fondement. Loin de
là. II ne l'ajamais fait, que Dieu l'enpréserve>>(fiid.).

Le Sultan affirme ainsi. sans ambiguïté.sa souverainetéau Sahara et sur ses
sujets qui s'y trouvent. Ce docun~ent démontre par ailleurs l'obéissancede
Beyrouk a son souverain. contredisant ainsi la thèse espagnole.
Pour conclure cette analyse des clauses conventionnelles relatives aux
naufragés et qui reconnaissent, par là inerne. la souveraineté du Sultan au
Noun et au-delà. au Sahara occidental. nous tenons a rappeler. parce que cela a
étémCconnu par le conseil du Go~iveriien~entespagnol a l'audience du
2f juillet. que le Sultana choisi souverainement de fermer le conlinerce au
Noun et au Sahara marocain aus étrangers.Du faitde cet acte de souveraiiieté
économiqueil a dès lors désiré atténuer sa responsabilitéenvers les Européens
introduits dans cette zone. Le Gouvernement espagnol ne manque pas
d'audace pour nier en 1975 cette realitk historique puisque une dépéchede

l'ambassadeurd'Espagne au Maroc adressée au Sultan. en date du IO décembre
1870, prouve que l'Espagne connaissait cette mesure de fermeture du
commerce. Cette lettre est reproduite dans l'ouvrage de Dawud : Tarikli
Titwatt (Histoire de Tétouan)au tome IV. page 148. Cette lettre déclare à la
suite de la détention d'Espagnolsdans la régiondu Noun :
« Lorsque l'affairesera tranchée.I'Etatespagnol interdira le renouvelle- 1
EXPOS OERAL DE M. DUPUY 22 3

mentlde telles choses et avertira que quiconque se rendra de sa propre
volonté a oued Noun ne sera pas protégépar l'Espagne. qu'il ne
présehtera en sa faveur aucune requête. Cette promesse qui sera
prochainement tenue témoignera du désirardent de l'Espagnede prévenir
tout motif de conflit. >>

<Tout motif de conflit )avec leSiiltan, bien entendu. puisque leSultan est le
destinataire de cette lettre.
Ce témoignage remarqiiable confirme ainsi la politique economique
souveraine du Sultan au Noun ei au Sahara occidental. il éclaireles clauses de
ces différents traités duXVIIle el du XIXesiècleque nous venons d'analyser.
Si tous ces traitéssont ainsi coiicordants pour constituer une reconnaissance

implicite mais évidentede la souveraineté marocaine au Sahara occidental. la
convention anglo-marocaine du 13 mars 1895 reconnaît explicitement cette
souveraineté.

L'artdieiicr, suspeiidirrà 16 IiIO,esi reprise u 16 h 30

B.Je suis parveiiu au second point de mon analyse de cet après-micliet qui
concerne le faitsuivant: la cortverttintrde 1895 recoiiiiait expliciieilieiit la
sotrvrraiiieft:iiiarocuirieaLtSalrara occideir~al.
Leconseil espagnol a particulièrement insistésur letraitéanglo-marocain du
13 mars 1895. on lecomprend. car il est évidentque ce texte est fondainental.
piiisqu'ilétablitune reconnaissance internationale explicite de la souveraineté
marocaine jusqu'au cap Bojador.
Les argiiments développéspar le représentant espagnol concernent deux
catégories1de problèmes juridiques : un problème d'interprétation du texte.
d'une pari. et un problème d'interprétation desfaits. d'autre part. en raison

précisémentde leur importance quant a la qualification juridique des liens
existant entre le hlaroc et le Sahara occidental. au moment de la colonisation
espagnole;
1. L'iiiierprdatior~dlr lexie. Le Gouvernement marocain n'accepte pas
l'affirmation du Gouvernement espagnol (ci-dessus p. 93) selon laquelle « les
traitésentre le Maroc et la Grande-Bretagne sont sans portée juridique pour
juger de la souveraineté marocaine ».
[I s'agit'en fait d'lin traité.celui du 13 niars 1895. AUXtermes de l'article
premier de ce traite dans le texte en langue arabe. on lit :

<(Si le gouvernement achète a la compagnie susnommée les construc-

tions 'sises au lieu indiqué.iiul ne pourra émettre des prétentionssur les
terre9coinprises encre I'ouetlDraa et le cap Bojador ...ainsi que celles au-
dessus. car elles font tolites partie du territoire dii Maroc»

Le texte anglais. pour sa part. est ainSi rédige:

<<If this government biiys the buildings . . in the place above named
from the above named coinpany. no one will have any claini to the latids
thatare between Wad Draa and Cape Bojador. and al1the lands behind it
because this belongs to the territory of Morocco. »

Le ~ouwrneinent marocain conteste les commentaires présentéspar le
représentant espagnol lors de ses interventions, mais avant d'aborder les
probléniesde fond. nous voudrions efrectuer une observation préliminaire.
Le conseil espagnol laisse entendre que la clause du traite reconnaissant la224 SAHARA OCCIDEmr\L

soiiverainete marocaine jusqu'au cap Bojador a etc rédigéepar le makhzen. II
dit :(4chaque langue a son génie propre ». et la redaction est loin d'être
habituelle dans les documents anglais de cette période r>(ci-dessus p.9 1).
Cette affirmation gratuite ne repose sur aucun commencement de preuve. II
est tout de mêmecurieux de constater que le Gouvernement espagnol fournit
toutes sortes de textes relatifs au Sahara occidental, qu'il qualilie de traités,et
que le seul traitéinternational indiscutable en la forme. passe entre le hfaroc et
la Grande-Bretagne relatif
a la marocanité de la Sakiet El Clarnrü.est l'objet
d'une suspicion systématique.
Est-ce a dire qu'ont seule valeur juridique les traites internationaux. secrets
ou publics. imposés au Maroc: ceux négocies par son gouvernement
indépendantavant 1912 n'étantque despaprr clait)is sans portée?
Cette remarque préliminaire débouchedonc sur une constatation de fond :
l'accord du 13 mars 1895est bien un traité international. Le litige entre la
Grande-Bretagne et le Maroc relatif à l'installation d'unsujet anglaiacap Juby
aurait pu trouver sa sol~itiandans un simple acte de rachat relevant dii droit
interne.

La solution par un acte international. signé parle grand vizir d'une part et
un représentant duGouvernement britannique d'autre part. le ministre Satow,
prouve que le litige dépassait largement une simple affaire commerciale.
11s'agissaitde résoudre bel et bien un différendportant sur la souvcrainetc
territoriale. La qualitdessignataires est tres significative de la portéejuridique
que les deux parties ont entendu donner a leur engagement respectjf.
Dans son intervention, le conseil espagnol a déclare ci-dessus a la méme
page 91 :

(Ce qu'il importede retenir, c'estla disproportion existant entre l'achat
d'une propriétéde dimensions assez réduites, en un endroit déterminé
de la côte, et la reconnaissance assez généralede souveraineté qui
l'accompagne. )>

Que le contenu de t'accord de 1895 ne plaise que tres moderément au
Gouvernement espagnol. nous en convenons. Mais l'acteest clair et ne souffre
aucune interprétation restrictive.
Aussi rejetons-nous la théoriede la ((colonie extra-territorialedu Sultan D
reprise par le conseil espagnol. en se fondant stir t'appendice 3 de l'annexe 12
de ses documents (II. p. 62).
Nous prenons acte de la rectification intervenue. Ainsi, comme nous
l'affirmions le2 juillet (IV. p. 285).ne s'agissait pas d'undocument émanant

d'une autorité marocaine, ni d'une autoritéfrançaise.
L'explication donnée a ta page 92 ci-dessus ne laisse d'ètre plaisante. Le
comité du Xlaroc. « groupe de pression coloniale ». ci cela n'est pas un
jugement de valeur. mais une constatation historique. déformait systematiqiie-
ment les événements survenus au polir précipiter I'interveniion
rrançaise.
Lesrenseignements donnés étaient pour le moins sujets a caution. Le fait
que ce document était « inclus dans un dossier de renseignements par les
autorités françaises d'Afrique occidentale )>ne prouve pas sa valeur objective.
Le rôle d'un service de renseignements bien organisé est précisfment de
rassembler tous les renseignements. Pour autant ils ne deviennent pas une
décisiondes autorités orficielles.

Quant au « comitédu Maroc O,il n'étaitmanifestement pas compétentpour
interpréterlecontenu d'un traité international. Ainsi. I'interpretation présentée
ne correspond aucunement au but réelrecherche par les Etüts contractants. EXPOSÉ ORALDE M.DUPUY 225
I
Lors clpla signature du traité de 1895. en réalitéle Maroc a clérirése
prémunir;contre les empiétements territoriaux étrangers. Déslors. il était
normal que ie Sultan veuille obtenir de la Grande-Bretagne la reconnaissance
mais aussi la garantie internationale de la souveraineté marocaine, lorsque la
premiéreoccasion sérieusede nkgocier lui a étéofferte par irn Etat européen.
Le rer+ d'admettre l'interprétation évidente du traité de 1895 s'explique par
le souci dejustifier juridiquement l'accordsecret franco-espagnol du 3 octobre

1904 qui placera, nous le savons, la Sakiet El Hamra en dehors du territoire
marocain:
De fait. pour établirles droits de l'Espagnesur laSakiet El Harnra. le conseil
espagnol cite une lettre du 8 avril 1904.adresséepar Paul Cambon a Delcassé.
le ministre français des affaires ~trangeres:« L'Espagne installée a Rio de Oro.
au sud du cap Bojador. a toujours considéréla côte s'élevantjusqu'au capJuby
comme lui appartenant et les cartes anglaises la lui attribuent. >>
Cette lettre ne prouve pas l'existence en 1904de la souveraineté espagnole
sur la Sakiet El Hamra. car. (l'une part. l'auteur de la lettre dit que c'est
l'Espagnequi a considéréqu'elleétaitinstalléesur la côte s'élevantjusqii'au cap
Juby et que cette région luiappartenait - c'estune opinion de l'Espagne - et.
surtout, comme le rappelle justement le conseil du Gouvernement espagnol

(ci-dessus p. 92). en citant le juge Anzilotti : Le droit international reliait
toujours plus étroitement l'existence de la souveraineté a I'effectivitkde son
exercice. i)
Or. étaient les actes d'occupation effective que pouvait opposer
l'Espagne,a ceux du Maroc ?
Comme nous l'avons déjàétabli. Ma el Aïnin avait étechargépar leSultan
de l'administratiori et de la mise en défense de la Sakiet El Hamra. après son
voyage i Marrakech de 1896.
En ou~re. dans sa <(remarquable étude >) - pour reprendre l'expression
utiliséepar le conseil espagnol - sur les Tekna. Frcdéric de la Chapelle
rappelle que, parrni tes fonctioilnaites chérifiensde Tarfaya. se trouvait en
1903 le cpd Hamidou. « representant du Sultan. un amine des douanes. un

capitaine Idu port. un 'adel. c'est-à-dire un notaire de droit coranique. et un
astronom? H.
Nous sommes loin du paper claiilr. Le sens de la lettre de l'ambassadeur de
France à ,Londres se trouve d'ailleurs éclairépar une autre correspondance
postérieuie,celle du 1ermai 1904, qu'avec la permission de la Cour je vais lir:

Èn me remettant son mémorandum, le marquis de Lansdowne m'a
dit qu'il avait reçu la visite de mon collègue d'Espagne et écoutéses
doléances. Le duc de Mandas lui a racontéa sa façon tes conversationsde
1902 entre Votre Excellence et M. Leon y Castillo ;il a dit qu'il ri'yavait
pas eu d'échangede signatures, mais qu'un accord s'était établp iour la
con&ssion a l'Espagne d'une zone d'influence, s'étendantau nord, de la
Mou!ouya a I'oued Sebou, et englobant Fès,et au sud de l'oued Sous au
cap Bojador ..))(111,annexe 135, p. 433-434.)

~uisquéla zone sud d'influence espagnole au Maroc trac& en 1902 s'étend
du Sous au cap Bojador. ilest admis que cette zone fait partie du hlaroc. C'est
ce que confirme lacarte 'tiréed'unouvrage espagnol. celui de Garcia Figueras.
fusqu'au 4 octobre 1904. l'Espagne et la France ont interprété,conformé-
ment à son texte. le traité du 13 mars 1895. L'Espagne. tout d'abord. avait
appuyéla thèse marocaine. comme nous le démontrerons dans un instant. au

' Non reproduite. (Voirexposeécritmarocain. Ill, p. 149.)226 SAHARA OCCIDENTAL

cours de la négociationentre l'Angleterre etle Maroc. Lorsque l'accord a été
rendu public. l'Espagne ne l'apas contestéet. comme l'écrijtustement leconseil
espagnol :
« I'absencede protestation face a une occupation territoriale implique la

preuve de l'inexistence d'untitre préalablesur le territoire. Tel est bien le
cas dans la présente affaire. »(Ci-dessus p. 103.)
D'ailleurs. Trout. dans son étudeMorocco's Saharar~Fruittiers (Genève.
1969). préciseque. si l'Espagne. en 1884. a placéla limite nord de la région
sous son protectorat à Bojador. c'est parceque les régions situéesau-deli vers

le nord de cette limite etaient l'objet de discussions entre le Maroc et
l'Angleterre.
En ce qui concerne la France, elle devait. pour sa part. en tenir compte.
comme l'établitla réaction du ministre des affaires étrangères. lors de la
délimitation deses possessions en hflauritanieet le rattachement de ce territoire
a l'Afriqueoccidentale française. Le ministre des affaires étrangèrescrut devoir
signaler au ministre des colonies l'existence de l'arrangement intervenu le
13 mars 1895 <<entre le Gouvernement britannique et le Gouvernement
chérifienau moment de la rétrocessionau Maroc de la factorerie crééepar les
Anglais au cap Juby V. Poilr ne pas soulever des questions de voisinage et de
délimitation avec ces divers gouvernements. il réservait <<son adhésion au

projet )>(rapport Coppolani du 12juin 1901). -
La portée juridique exactede l'accordde 1895 doit égalements'apprécier en
tenant compte des faits. Certes. dans )'affairedes Droirs des r~ssor~issu~~d tes
Erats-Uriisd'A~~Griqile ait Maroc. l'agentdu Gouvernement français a déclaré.
comme le rappelle le conseil espagnol :
« Devant la haute juridiction internationale ou le droit doit êtreexposé,

recherché et dit. les circonstances de fait ne sont qu'un décor qui doit
rester dans la perspective. comme un fond nécessaire.mais a sa place. >)
(C.1.J.Mc'il~oiresv.ol. 11.p. 147.)
Nous partageons totalement cette opinion. Mais. en t'espèce.nous pensons

que, précisément,les circonstances de fait sont d'une considérableimportance,
dès lors qu'elles permettent de qualifier juridiquement les liens établisentre le
Maroc et leSahara occidental :c'estcette liaison du fait et du droit qui confère.
ici.au faitcette importance. ce qui nous conduit tout naturellement a examiner
en second lieu l'interprétation desfaits.
2. L 'iriierprt;rurines,failseffectuéepar le représentant espagnol constitue
une démonstration assez remarquable de ce qu'il a appelé l'absencede rigueur
juridique. Nous ne prendrons que deux exemples.
Premier exemple : le conseil du Gouvernement espagnol déclare, à fa
page 88 ci-dessus, en faisant référence a la présencemarocaine a Tarfaya :

<l'extension de la souveraineté marocaine a Tarfaya ne changea en rien
les donnéesqu'on vient de relever. au nord coinme au sud de ce point de
la côte. l'occupation restant ponctuelle et sans effet siir le territoire
avoisinant H.

IIprécise :« si quelqu'un prétend affirmerune souverainetépréexistante « il
faut établir le titre de cette soiiveraineté et en démontrer la validité >>:il ne
sufit pas d'un puper cfizit??» (p. 931, ce paper r/ai~rrétantle traité anglo-
marocain de 1 895.
Le Gouvernement espagnol semble inverser les situations juridiques. car
cette déclarationest pour le moins surprenante de la part d'un Etat qui, a partir EXPOSEORAL DE hl.DUPUY 227

d-une simple installation ponctuelle à VillaCisneros jusqu'en 1916.a prétendu
ala souverainetésiir l'ensemble du Sahara occidental. Aprésla description de
Villa Cisneros que nous avons présentée a la Cour selon des témoignages
exclusivement espagnols, n'est-cepas la déclarationde protectorat du mois de
décembre1884 que. d'ailleurs. l'Empire chérifienn'a pas passe sous silence en
raison de sa vigilance (IV, p. 280) qui apparaît comme un dérisoirepuper
clai~n.
Second exemple : le représentant espagnol affirme a la page 91 ci-dessus
I'Gabsence au préalable[c'est-a-dircavant le traite de 18951de souverüineté
marocaine sur les lieux u.c'est-à-diresur la région deTarfaya. C'est bien sur.

pour reprendre le langage affectionné par la délégationespagnole. une petiiio
prilzcipii,Cette affirmation est lotalement contredite par l'analyse lies faits
effectuee par le représentant espagnol lui-même.
Léxistencede la souverainetémarocaine avant 1895 sur la régionintéressée
est excellemment etablie par ce conseil. En effet. reprenons l'esliose du
représentant espagnol, aux pages 90 et 91 : il détruit lui-mêmele postulat
précedent.Les preuves de la souverainetédu Sultan et de son opposition aux
entreprises de Mackenzie, qui nous sont très obligeamment fournies, peuvent
étreregroupéesaiitour de trois théines.En effet. alors qiie le conseil espagnol
prétend que le Sultan n'est pas souverain dans la régionde Tarfaya. il nous
énumère,tous les actes de souveraineté de ce Sultan : En premier lieu.
l'opposition éconorniqiie du Sultan :((Lors de son voyage dans le Sous en
1886 le sultan Moulay Hassan cssaie d'en finir avec Jecommerce i cap Juby

par l'ouverture d'un portsur le fleuve Assaka ..))(Ci-dessus p. 90.)
L'opposition arméedu Sultan en second lieu :<(il agira aussi dans iirieautre
direction : un détachement des forces militaires marocaines attaquera la
factorerie de Mackenzie P>fibid.).
Nous avons déjàfourni le témoignage du consul de France i hlogador en
1880. Deux autres attaques d'ailleurs ont eu lieu et la portéedes attaques de
1888 et de 1889 est parfaitement analyséepar l'appendice 26, annexe 20, du
livre IV des documents espagnols (II, p. 137).11s'agit, ici, de la lettre adressée
au marquis de Salisbury par un membre de la famille Beyrouk, un personnage
qui n'a aucune fonction officielle lui-même etqui, bien que se révélantun
traîtrea p patrie,a son roi et a sa famille, est contraint de reconnaître, en
livrant des renseignements a I'ei.range:

«'Ibeg to inform your Lordship that, for a long time past, my uncle
Dahman. who was appointed Governor at N'ad Noon by the Sultan of
Morocco. has done al1 he could to damage Cape Juby. It was by the
Sultan's soldiers that the Coinpany's servants were üttacked I;ist year.
when one of their number was murdered.
It was also the Sultan's soldiers who came recently to attack the
Engljsh Company's station at Cape Juby . ..»

Ce document montre bien que l'autoritéde Beyrouk. l'oncle (<(niy uncle
Dahman n)de ce personnage douteux. auteur de cette lettre. sëtend bien au-
delà de l'oued Noun et que les tribus Teknaobéissent aus ordres du Sultan.
Enfin. l'opposition diplomatique du Sultan :elle nous est révélée palre refus
du Gouvernement espagnol de reconnaître l'accordsignépar Alvarez Pérezen
1886. Nqus aimerions revenir trèsbrièvement sur ce point.
Nous lppelons que 1'( <ccord P. visé a la page 90 ci-dessus. a déjàété

étudiédans l'exposéoral marocain du 2juillet1975 (IV p. 280-2821,11 s'agit,
en fait, d'un acte notarial signé a Lanzarote par Alvarez Pérezet un jeune
autochtone de dix-sept ans, transporté pour l'occasion aux Canaries, selon le228 SAHARA OCCIDENTAL

témoignaged7AfcalaGaliano. Ce dernier ala page 191 de son ouvrage
déjàcité:
<iDes que le Sultan a eu connaissancede cette tentative il a envoyédes
troupes a oued Noun et, le 18 mai [en fait le161 1886, le ministre
marocain des affaires étrangèresa fait adresser par l'intermédiairede son

représentant à Tanger une note circulaire de protestation a toutes les
puissances représentéesa Tanger.*r
Ciest la raison pour laquellle Gouvernement espagnol n'a jamais accepté
d'off~cialiserce documentetde placer la zone comprise entre le cap Bojadoet
oued Draa sousson protectorat. Nous citons, une fois encore, AlcalaGaliano:

« En vertu de ces faits, le Gouvernement espagnol n'a pasaccepté,à
juste raison, la demande de la Sociéde géographiecommerciale qui, en
1886, prétendait que soit déclarenotre protectorat depuis le fleuve Draa
jusqu'au cap Bo'ador en s'appuyant sur l'accord passépar ses repré-
sentanisoflicieliclest-à- parA lvarezPerez].» (P.192.)

Les actes diplomatiques de protestation adresses par le Gouvernement
marocain aux représentants étrangerstémoignentde la volontédu Sultan de
s'opposera l'installatide Mackenzie. Le Gouvernement marocain a fourni le
texte d'une protestation de janvier 1879(III, annexe 62, p. 328)et les lettres
adresséespar le ministre des affaires étrangères marocainaux ambassadeurs
anglais(III,annexes 63, 64 et 65, p. 329-3351,
Les représentants britanniques auprks du Sultan avaient, d'ailleurs, des
1875, mis en.garde Mackenzie contre le danger présentépar ses projets. Dans
une lettre du27 avril 1875,.ils lui écrivai:nt

« Comment la Grande-Bretagne pourrait-elle conserver son rôle de
soutien et de conseil du makhzen si elleaidait ceux qui portent atteinte a la
souveraineté marocaine ? *> (ItMernory of Sir Jolin DrurnrnowdHQV,
p. 317,et Kliahfaiqf rke Wesf,p. 154.)

Comme le dit le représentant espagnol lui-mêmeci-dessus page 90 :
((Ces événements sont soigneusement mis en évidence par les
documents conservés au Public Record Oflice, et la question d'une
indemnisation a la compagnie est posée, ainsi que ses possibilités de
survie, étant donne l'opposition du makhzen.))

Le makhzen avait donc établila preuve exigéepar le Gouvernement bri-
tannique pour reconnaître fa souveraineté marocaine : 0provided the Sultan
can give some tangible proof of his material authority over Cape Juby ».
Le représentantespagnol se permet tout de même de conclure« de manière
dérisoirew,pour reprendre une de ses formules, que u le makhzen n'exerçait
pas les fonctions d'Etat a cap Jub» et, page93,« que le makhzen occupa en

1895 la [erra tirillde cap Juby n. Une telle conclusion se passe de com-
mentaires, surtout lorsqu'on se rappelle la position officielle du Couverne-
ment espagnol expriméepar son chef a l'ambassadeur de France a Madrid en
1891 :
II a toujoursété reconnu que la souveraineté territoriale du Sultan
s'étendaussi loin que sa suzerainetéreligieuse et, comme il est hors de
doute que les populations du cap Juby lui sont soumises au point de vue
religieux, nous pourrions considérer sa souveraineté comme indiscu-

table.>(DOCIIIPIL'd IIplot~~ufiqri~s, fr7u~t1ça4,t. VIII,p.5 14.) La pratique a d'ailleurs confirme la justesse decetteconstatation puisque,
pendant la négociation entre te Maroc et la Grande-Bretagne. t'Espagne a
soutenu le point de vue marocain. C'est ce qiie confirme l'historien espagnol
Geronimo Becker (Hismriu del Murrit~~os,Madrid, 1915. p. 327) : « Le
Gouvernement espagnol a appuyé les intérêtsdu Maroc dans des terines tels
que le ministre des affaires étrangéresdu Sultan esprima sa gratitude au
représentant espagnol àTanger. >>
En conclusion. après s'êtrelivréa une interprétation du texte du traitéde
1895 reconnaissant la souveraineté du Sultan jusqii'au cap Bojador et du
contexte tiistorique qui contredit absol~tment les allégationespagnoles. nous
pensons qiic la Cour attacheraa ce texte l'importance dccisive qui est fasienne.
Dans son Œuvre d'interprétation. la Cour restera dans la voie tracéepar le
droit international et plusieurs fois réaffirmée par elle-même. L'Œuvre
interprétativedu juge et de l'arbitre prend en consideration et en prioritP lesens

ordinaire$ attribuer aux termes du traité.
Cette règlea étécodifiée par 13convention de Vienne du 23 mai 1969 dans
son article 31: iUn traité doit êtreinterprétéde bonne foi. suivant le sens
ordinaire a attribuer aux termes du traite dansson contexte eia la lumiere de
son objet et de son but.>r
La convention de Vienne ti'a fait que reprendre une règle juridique
constante. énoncéeen particulier par l'avis consultaiif du 3 mars i950 de la
Cour internationale de Justice sur la COII~~~~I dJCIilssernbl~egLirieriipolrr
ludrriissio~d'iriEioi aiix Natio~isUirirs(C.1.J.Rectreil 1950. p. 8:

La Cour croit nécessairede dire que )e premier devoir d'un tribunal.
appelé a interpréter et appliquer les dispositions d'un traité. est de
s'efforcer de donner effet. selon leur sens natiirel et ordinaire. a ces
dispositions prises dans leur contexte>)

In coflsequence nous concluons que la clarté des dispositions, comme le
contexte /historique. établissent sans contestaiion possible la souveraineté
marocaine du Draa au cap Bojador.

NOLIS voici du mêmecoup parvenus au troisième et dernier point de cette
seconde &mie.
C. Nous pouvons l'énoncer de la façon suivante: le Gouvernement
marocain se propose d'analyser /es accords iiitrn~ntioiinirxqiii i?zeiIeiCI^
tx>irirrICJproces.xrrsde dkineil~brerne~irterritorial de I'Einpire cf~ér-ijieieit
démontrer que ces traitésii'en~ainciif~iiillei~ie( rt~coiirzoisso~~iriefrriiafio-
iiale bietrhablirde la souilerui/rerkniarocai~~eirSolzaruoccidenfol.
A lasuite de l'exposéoraldu Gouvernement espagnol du 21 juillet (ci-dessus
p. 78-1 IO) t,Gouvernement marocain ne peut que reafirmer l'analyse qu'ila
présentée' a la Cour le l erjuillet 1975 (IV, p. 217-25 1) relative aux' traites
internationaux conclus entre puissances europknnes a la fin du SISc et au
debut du SX siècleel portant<isur » teMaroc :jedis bien asur ))le Maroc,
nous avons déjàrelevécette précisionqui situe I'Etai marocain comme l'objet
de ces conventions. II s'agit d'un processus visant air démembrernent du

Royaurny du Maroc, démembrement réalise au mépris de son droit
fondamental l'intégrité territoriale. Cetteanalyse ne procède pas d'un
qiielconq~e postulat de caractère politiqiie ou idéologique.nous tenons a le
rappeler. ,Etle résultau contraire d'une étudeminutieuse de ces con~~entions,
et en plrticulier de leurs procédures de concliision. des circonstances
historiques. des travaux préparatoires et enfin de leur contenu meme.
Comme la Cour a pu sénapercevoir. leconseil dit Gouvernement espagnol
1230 SAHARA OCCIDENTAL

est malvenu de reprocher au Maroc une optique ideologique et politique
particulière. A la page 95 ci-dessus, ce conseil de l'Espagne se livre a un
véritableprocks d'intention. il déclar:« Si le Gouvernement du Maroc estime
que la <<décolonisation authentique )>du territoire consiste nécessairement
dans l'annexion totale ou partielle du Sahara occidental..n
Le Gouvernement marocain a maintes fois soulignéque la Cour n'était pas
saisiedans la présente affaire dustatut actuel du Sahara occidental. mais qu'elle
était simplement appelée a éclairer l'Assembléegénéralequi se prononcera
finalement en connaissancede cause,compte tenu de la diversité desprincipes
et de la diversité destechniques de décolonisationdont l'Assembléegénérale
dispose.
Tout comme l'Espagne, leMaroc, en application de la résolution 3292
(XXIX), tient a apporter à la Cour le plus grand nombre de documents et
d'élémentsd'appréciationen sa possession.

A en croire l'exposédu 2t juillet1975, page 93, c'est au Gouvernement
espagnol que doit revenir le méritede présenter desdéveloppements visant à
décoloniser l'histoire. En application de cette vision historique, on apprend
ainsi, ci-dessusa la page 91, que les tribus étaient hostilea l'installation du
makhzen au cap Juby, mais. qu'elles entretenaient des relations les plus
amicales avec l'Espagne. Par le recoursa cette méthode,on découvreainsi que
des tribus musulmanes ont preferécohabiter avec les colonisateurschrétiens et
européens,on apprend de méme (p. 103) que : <c'est le concert européen qui
attribuera au Maroc une partie de l'espace saharien au-delà des frontières
historiques de l'Empire chérifien)p.
De la sorte. l'intrus n'est pas celui qu'on pense. La vocation saharienne du-
concert européen et de l'Espagne est tellement kvidente ! C'est l'Europe qui
aurait attribué une partie du Sahara au Maroc. Qu'importe si I'unitéet
l'intégrité territoriales de l'Empire chérifien sont dues aux dynasties

almoravide. almohade et alaouite ! L'excès de passion tend a confiner a
l'absurde etil serait cruel de s'appesantir sur ces observations.
Que le Maroc ait étel'objetde convoitises et de conspirationsétrangères par
suite de l'affaiblissement du makhzen. cela résultesimplement et amplement
des documents soumis a la Cour. Le conseil espagnol le reconnait lui-meme
dans saplaidoirie lorsqu'il évoque(ci-dessusp. 109) :<<la question marocaine
tellequ'elle était envisagéepar les chancelleries entre 1880et 1912».Qu'est-ce
que la question marocaine qui préoccupaitles chancelleries sinon précisément
la question des modalitésdu partage du Maroc ?
Ayant situéledébat dansson véritable contexte.leGouvernement marocain
se propose de reprendre l'analyse des traitésmentionnes par l'exposéoral du
2 1juillet 1975 et d'en donner. comme il convient. une appréciationconforme
au droit international.
1. Le iruirP dt~26 avril 1860. La thèse espagnole consiste a soutenir que
l'exposéoral marocairi a tentéd'établirune « connexion factice »entre letraité

de 1860 et ledépeçagedu Maroc. Nous allons ktablir que cette connexion est
réelle etque c'est en essayant d'appliquer sur les lieux ce traite de 1860 q~ic
l'Espagne a étéamenée à agir par la force au Sahara. ce qui a provoqué la
réaction française qui a suscité des tractations européennes et a abouti au
démembrement du Maroc. Or c'est ce démembrement qui a place sous
l'autoritéespagnole la partie marocaine du Sahara.
.Passons à l'examen des déclarations espagnolesrelatives a ce traité.
A la page 96 ci-dessus, le représentant duGouvernement espagnol affirme
que :« Par le traitéde Tétouan, le Maroc a cédé a 1'Espagneun territoire, Ifni,
qui étaitsoumis, au moins dc.,jurc.,a la souverainetémarocaine. >> EXPOSEORALDE M. DUPUY 231

La lecture du traité de 1860 permet tout d'abord de constater qu'aucune
mention n'y est faite d'Ifni. L'arti8lde ce traité dispos:
S. M. marocaines'engage aconcédera ppétuité aS. M.Catholique.sur
la cote de l'océan,près de Santa Cruz la Pequefia [la petite], le ter-
ritoire sufisant pour la construction d'un établissementde pécherie.tel que
l'Espagne le possédaitautrefois.» (11.appendice 17 a l'annexe 8. p.25.)

~'arnalgame volontairement entretenu entre Santa Cruz de Mar Pequefia et
Ifni. tel qu'on nous l'a présentéici même.tend a faire croire que le territoire
concédéen 1860 avait étébien situé parle traité.Or ce traite parle vaguement
de « la côte de l'océan >> mais jamais ne mentionne Ifni. On comprend
facilement le manque de précisiondu traitésur ce point si l'onse souvient que
ce texte a étéconclu sous la contrainta.lasuite de ladéfaitemilitaire siibie par
le Maroc en 1859. Depuis 1767. I'Espagneessayait en vain d'obtenir par to~is
les moyens une concession territoriale sur la côte méridionale du Maroc pour

donner une concrétisation à ce reve des retrouvailles de la station de Santa
Cruz. La défaitemilitaire a contraint le Maroc faire laconcession de principe
on va redonner àl'Espagne uneSantaCruz. Mais leSultan a réservé l'aveniern
refusant p'récisémenlta détermination de l'endroit concerné.
IIn'estpas étonnant dans ces conditions que leconseil de l'Espagne ait passe
sous silence le deuxième alinea de l'article8 qui ne laisse planer aucun douae
ce sujet. Que dit ce deuxième alinéa?
« Afin de mettre à exécution cequi a étéconvenu dans cet article, les
gouvernements de S. M. Catholique et de S. M. marocaine se mettront
préalablement d'accord et nommeront les mandataires de part et d'autre
pour, designer le terrain et les limites que cet établissement devra oc-

cuper. » (Ibi~i.)
Le ~ult'an va naturellement utiliser tous les moyens dilatoires pour éviter
d'exécutetl'article8. 11va faire de son mieux pour eviter de consentir aiàun
empiétement sur l'intégritéde l'Empire chérifien. II va maintenir fermement
cette attitude en depit de toutes les pressions espagnoles.
De 1863 a 1866.I'Espagne va dépécherauprès du Sultan trois ambassades
pour négocier l'applicationde l'article8 ilII.exposéécritdu Gouvei-nement
marocain; p. 14 1).Pour calmer les appétits du Gouvernement espagnol, le
Sultan va méme lui proposer dès 1878 Urie compensation pécuniaire pour
obtenir qu'il renoncea l'établissementde Santa Cruz. C'est l'objetde la mission

a hladridlconfiée a l'ambassadeur marocain Bricha en juin 1878 et Souissi
l'année suivante. Bricha sera aniene a effectuer deux démarches supplémen-
taires danb la capitale espagnole en 1880 et en1882 (111,documents déposés
par le Maroc, annexes 36et 37, p.272-2731, C'estdevant le refus persistant du
Gouvernement marocain que I'Espagne va déciderunilatéralement en 1884
d'occuperun point sur la côte de l'océan - pour reprendre les termes mêmes
de I'articl8 du traite de 1860.
Le Gouvernement espagnol est mal fondélorsqu'il déclaredans son exposé
oral, ci-déssuspage 96, que «le Gouvernement du Maroc s'est efforcé,dans
ses exposés, d'établir une conriexion artificielle entre le traite de 7'éiouan
concernant Ifni et la présence espagnole dans le territoire du Sahara
occidental )>Or. nous le savons. ce traite na jamais mentionné Ifni. L.etraité
qui concernait Santa Cruz de Mar Peq~ieha,dont l'emplacement demeurait
indéterminéet mystérieux. a étC utiliséconstamment par le Gouvernement
espagnol comme un moyen de pression et. plus tard. comme une base de
menaces pour porter atteinte ë l'intégrité territoriale duMaroc.232 SAHARA OCCIDENT~~L

C'estce qui ressort clairement de la lettre en datedu 9 décembe 1874 (Ill,
annexe 94, p. 378) adressée par l'ambassadeur de France au Maroc a son
ministre des affaires étrangères,et qui nous montre admirablement wmrnent
I'Espagnese fondait sur ce iraite de 1860 polir exercer iine pression constante
sur le Siiltan. LTambassadeurde France écrit :

L'Espagne procédera-t-et une rcvendicarion aussi injuste ? La
question de Santa Cruz continuera-t-elle 9 dormir. comme une arme au
fourreau. jusqii'au moment où des necessites de politiqiie intérieure
détermineront le cabinet de Madrid à s'enservir contre leGouverneinent
marocain ? Certains indices. quelques mots Cchappcs ii hl. I'axtot
[ministre d'Espagne à Tanger]. et qui on1 étésoigneusemenl recueillis.
tendraient faire croire qiie ce moment est peut-étreplus proche que ne le
feraient supposer la situation actiielle de l'Espagne. I'cpiiisenient de ses
ressources et la ruine de ses finances.))

Laconnexion entre Santa Cruz de Mar Peqiiefiaet lacolonisation dii Sahara
occidentat n'est pas artificielle: le Gouvernement espagnol a propose lui-
merne.pour limiter la périodecritique de cette colonisation. de retenir comtne
date t'année 1860 (ci-dessusp. 55).
Le lien entre la question de Santa Cruzet celle de lacolonisation du Sahara
apparaît encore de façon plus nette dans un compte rendu de la négociation
hispano-marocaine engagée en 190.0 a Marrakech, tel qu'il est donné par
RafaelMitjana, secrétairede ta délégation espagnole,dans sQnouvrage Ei.iel

Mogreb-EI-Aksu - Viajd ee laEii~bajada de Esparia rrlu Cork.dvl Si~lrutide
Marritecos, eriel ofio1900. éditéà Valence en 1900(F. Senipere y Compaïiiü.
éditeurs).
L'existence de cet ouvrage ayant étécontestée.nous l'avons retrolivC. Voici
la photocopie de la couverture et des passages qui nous inicresçeiit. Ce
document n'avait pasétéproduit par le h4aroc dans les picces qu'il a déposées
devant la Cour mais. puisque l'Espagne en a conteste I'csistence. nous avons
cru devoir en faire effectuer lescopies suivantes. que je tienAla disposition de
la Cour. Si elle désire en prendre connaissance. je polirrais le remettre la
Cotir. 2 vous-mente. hfonsieur le Président.ori ifR.2.le GrcBier.
Les extraits suivants de cet ouvrage son1 trèssignificatifs. Ils montrent qtie
c'est en 1900 que les efforts de I'Espagne vont se concentrer sur Ifni en y
voyant un moyen d'échange postérieurpossible. Je lis(p. 225et 226) :

((20 juin 1900. NOLIS avons de la chance :I'iriiportante qtiestiond'lfni
[notis sommes en 1900 maintenant. nolis ne soninics plus en 18601a &té
enfin resoltie dans le principe et d'une façon saiisfaisante méme qiie les
atitres réclamations formiiléespar I'Espagne. Ces lignes ii'étaientpoint
destinées a êtrepiibliees. mais la presse ayant beaucoup parle des résiilra~s
de notre ambassade jen'hésite pasa les faire sortir ait grand jour afin que
mon ouvrage soit complet puisque rien n'yest dit qui n'ait déjà étédit par

h.1.le ministre d'Etat ou par XI.le prcsident du conseil Silvelar>
11continiie:

La réponsedu Sultaii au mkmorandum présentepar X.1.It'arnbassa-
deur) Ojeda revêt la forme d'instriiction adressees ri11defcgtie de
1'Einpereura Tanger. ivl.X.lohanlmedTorres. Dans le docuinent impèrial
sont édictées lesispositions nécessaires afinqti'ilsoit proci.de ininiédiate-
ment a la cession a I'Espagne des terrains qiii seront dcsignésa prosiiiiité
d'lfni. en se conforniant aus bases établiesdans iiiiprotocole conclii et EXPOS ERALDE XI.DUPUY 233

signéà hlarrakech aujourd'hui en vue d'éviter les agressions des tribus
voisines des nouveaux établissements. ))

Je lis toujours:
« II est prévuaussi que les Hautes Parties contractantes ont tout loisir
pour entanier des négociations relativement à l'échangedudit territoire

contre d'autres ayant des caractéristiques analogues. situes dans la partie
de lacôte qui se trouve entre la rivièrede Draa et le cap Rojador.))
Comment proférer de façoii plus nette la reconnaissance de la souveraineté
marocaine jusque-la ?Et letexte de Mitjana ajoute :« Leprotocole relatifa Ifni
peut étreconsidérécornine le plus grand avantage obtenu par notre patrie

depuis 1860. ))
C'est donc bien que I'emplaceinent de Santa Cruz n'avait pasétéresolu en
1860. 11ne l'estqu'en 1900 par ce protocole spécifiquesur Ifni.
A la page 227 du même ouvrage. l'auteurajoute :
<<Pour ce qui est du protocole concernant Ifni.iln'estpas nécessairede
mettre l'accent sur son iniportance. Que I'on opte pour l'aiicienne
forteresse de Santa Cruz de Pequefia aujourd'hui designee [donc

jusque la évideinment elle ne l'était pas]ou que I'on engage des
nég~iations en vue d'un territoire analogue sur la cote de Tarfaya. il ne
fait pointde dotiie que le document signé i Marrakech csr une base
importante dont il devra ëtre tenu compte pour Ics négocialions
ultérieures)>

Et enfin.à la page 2.13.le nierne auteur déclare:
<<Plus hc~ireuxque ses prédécesseurs.hl. Ojeda est arrive a obtenir un
protocole confirmatir daiis lequel non seulement I'on reconnaît et I'on
ratifioe qui a déjàéteétabli, maisdans lequel on stipule les conditions

pour la prise de possession du territoire cédéet I'on consigne la faculté
d'en'rairelapermutation avec d'autres ayant des caractères analogues. La
nouvelle convention peut servir de base a des négociations ultérieuresqui
amèneraient la fameuse qualion d'Agadir a untermesatisfaisantpour tes
intérêtsde l'Espagne. »

Le PRESIDENT :Est-ce que le document que voiis avez cite est dans le
doinaine public ?
.M. D~PUY :Oui. klonsicur le Prksident. c'est Lin ouvrage publié par
['éditeurSeinperc y Coiiipaiïia Valence. a Madrid et a Barcelone.

Le PRESIDENT : l'oiiies ces citatioiis sont-elles tirées dece docuiiiciit ?

X.1.DUPUI' :De cedocunieiii. qui est en espagnol.
Le PRESIDENT :La Cour peut l'accepter comme partie de votre exposé
puisqu'il n'etait pasdéposeavant.

XI. DUPUI' :Aurai-je rile rendre ?

Le PRESIDENT : Non.
kt. DUPUY :Devant la force de ce témoignage. leGouvernement espagnol
n'a rien trouvé de mieux que de contester l'existence mêmede l'accord du
20 juin 1.900,Pourtant le rapport du négociateur espagnolh,litjana est confir-
mé.d'une part. par l'historienGarcia Figueras dans son livreSutiiu CrarrzI,frii,

Suhara. avril 1941.aux pages I16et 117.et. d'autre part. par leministre d'Ela1234 SAHARA OCCIDENTAL

espagnol devant le congres des députésle 7 décembre1900 (Livre des ocies ddir
cotigrèsdes déplcies.Madrid. 7 decembre 1900).

A la suite de la signature de l'accord. l'ambassade d'Espagne a Bruxelles a
cru nécessaired'enaviser le ministere des affaires étrangèresbelgepar une note
du 19 octobre 1900 ainsi libellée:
<<Le Gouvernement chérifienayant reconnu le droit de l'Espagne sur
Ifni et étant disposé iinous mettre en possession de ce port, le Gou-
vernement espagnol vient de donner des instructions a son représen-
tant a Tanger pour négocier l'échangeentre le port d'Ifni et un autre
porf situéetrlrr lfriet IPcap Bojador aitlsique lu cessiotrde la cale de
Tarjnya ente le Draa ef le cap Bojador moyennant des compensations
équitablesque l'Espagne est prête a discuter.>>(IIIannexe 37 bis fournie
par le Maroc, p. 274-275.)

Le Maroc a estime de soi1 devoir de signaler a la Cour l'existence de cet
accord en se fondant sur des témoignages concordants dont certains
proviennent d'autoritésofficiellesespagnoles. Quoi qu'il en soit. les documents
produits par le Maroc démontrent la volonté duGouvernement espagnol en
1900 de procéder h l'échangeen question. II est donc bien établi qu'en 1900
l'Espagne reconnaissait la souveraineté du Maroc sur le territoire s'étendant
jusqu'au cap Bojador.

En réalitécette reconnaissance n'étaitpas nouvelle parce que dés 1886
l'Espagne. qui venait de déclarer unilatéralementson protectorat sur le Rio de
Oro. va proposer. dans une sériede correspondances au Maroc. de déterminer
d'un commun accord la ligne de démarcation entre ses prétenduespossessions
et le territoire de l'Empire chirifi(III.annexes 9.9 bis. 10. 11. 12. f3 et 14.
p. 210-2151.
Comme le souligne le représentant del'Espagne(ci-dessus p. 1001,l'annexe 9
nous explique clairement le motif de la question soulevée par I'Espagne,en ces
termes :(<ce qui les incitea poser de telles questions était le fait qu'ils [les
Espagnols]possédaient tepays dit en arabe Wudi-ed-Dahabet en espagnol Rio
de Oro» (III,p. 210.)
Le conseil de l'Espagne en fait le commentaire'suivant :

« la question des limites méridionales du Maroc se posait du fait de la
souveraineté espagnole a Rio de Oro et cela «dans le but. pour
l'ambassadeur. de prendre toutes les précautions nécessaires interdisant
l'intrusion d'un étranger entre les deux possessions ». Cela veut dire que,
pour I'Espagne, en 1886, et de même qu'elle le fit savoir dans les négo-
ciations de 1900, 1904 et 191 2, les limites des possessions espagnoles
finissaientlaoù commençaient celles du Royaume du Maroc. » (Ci-dessus
p. 100.)
Lorsqu'on sait que I'Espagneen 1886 n'avait de prétentions que sur le Rio
de Oro. la déclaration du délégué espagnolq.ue nous venons de rapporter.

constitue une reconnaissance formelle de la souverainetédu Maroc. au moins
jusqu'au cap Bojador. c'est-à-dire sur la totalité de la Sakiet El Hamra au
moment de la colonisation espagnole.
La mémevolontéde l'Espagned'éviter atout prix que ne s'installe uneautre
puissance entre le Rio de Oro etle Maroc ressort de la lettre adresséele 30avril
1904 parle présidentdu Conseild'Etalespagnol a son premier ministre. Il ecr:t
« La France avait un intérêt spécia al fixer la limite nord des
possessions espagnoles du Sahara. mais. je me suis opposé a ses préte&tions.parce que j'estime que cette limite nous devons la discuter
avec le R4aroc)>{M~+?toirdcc.I'EcnIedipluniotique espag~role.1950. p. 98).
Le Sultan a cependant évite constamment de répondre aux zivances
espagnol4 et ila agiainsi afin de ne pas êtreamené aadmettre un empiétement
quelconque sur l'intégritéterritoriale de son Empire. On ne saurait accepter
l7interpretation, assez-désobligeante, donnée par-le conseil de l'~s~a~ne-(ci-
dessus p. 101)de l'attitude du Sultan: <cette réponse.il faut l'avouen'estpas

celle d'uni Etat quise dit souverain jusquau Soudan ».Le représentant de
I'Espagnels'est livré en effet a une déformation systématique d'une des
réponsesdonnéespar le Sultan aux questions soulevéespar l'Espagne au sujet
des limitesméridionalesde l'Empire chérifien et desa prétenduecolonic de Rio
de Oro (III, annexe 9, p.2 10).
Le Coubernernent marocain ne s'attardera pas sur les piétendueserreurs de
traduction relevéespar le conseil de l'Espagne et qui ne concernent que des
points de! détail. Mëme si l'on admet la traduction donnée par le conseil
espagnol, la réponse duSultan se lit en ces termes :

<<Pour ce qui est de \iradi-Eld-Dahab. cette question a étéposéeaux
Arabes de cette région eton noils a informes que ce territoire se situe dans
la régiondes Ouled Delim et d'une tribu nomméeAroussiyine qui sont a
notre,service chérilien. installésdans les régionsde Marrakech et de Fès.
Ils le dénomment <Ed-Dakhla. »(Ci-dessus p. 101.1
Nous connaissons ce texte. Si le Siiltana cru nécessairede s'informer. c'est

tout simplement parce que le questionnaire du Gouvernement espagnol parlait
de Rio de Oro. \Vadi-Ed-Dahab. et que cette dCnoniination de la région
concernée]n'étaitpas d'usage dans l'administration dii makhzen.
L'enquêtemenéepar le Sultan ne procède donc pas d'une méconnaissance
de la géographie, comme le laisse a penser le Gouvernement espagnol. En
s'informayt, le Sultan s'est aperçu qu'il s'agissaitIüerégionbien corinue de
Dakhla. ce qu'il précise d'ailleursdans sa réponse.
Au sur'plus. il est faux de prctendre que le Sultan s'est adressé A des
populations résidant a Marrakech. Le sens de la réponse est très clair et ne
necessite aucune interprétation. II y est dit expressémenO.pour ce qui est de
Wadi-Ed-Dahab, cette question a étéposéeaux Arabes de cette région 1).
II appaiait ainsi que le Sultan percevait clairement le sens et la portéedu
questionnaire qui lui a été adressepar leGouvernement espagnol. Sa répoilse.
volontairelment évasive. avait un contenu politique. II n'entendait nullement

donner prise aux tentatives espagnoles d'empiétementsur l'intégritéterritoriale
de l'Empife chérifien.Le Sultan n'a pas voulu céder.en dépitdes propositions
du Gouvernement espagnol, qui éiait disposé i reconnaitre la souveraineté
marocaine jusqu'au sud du cap Hojador.
2. Jénprive ainsi aux acconls co/rc/~ls Lw/rc~~~~S.VUIeIlC~CroSp~;t~~potlr
l'etablissei~ier~d~e zoiies d'iiijl~rC.'est le dernier point. le dernier moment
de mon intervention.
En ce qui concerne l'analyse de la portée jiiridique des Iraitésfixant les
frontièresdu Sahara occidental. par rapport üti indépendant. l'exposé
'oral espagnol du21 juillet 1975(ci-dessusp. 103-104)présenteen cestermes ce
qu'il considère comme la position du Gouvernement marocain : <II s'agit de
brosser une grande toile de fond qui finit avec I'amrmation que le traité
hispano-français du 27 novembre 19 12 <<marque l'aboutissement d'un long
processus~cotonialiste1)

Selon 1Ui.236 SAHARA OCCIDENTAL

<<l'argumentation du Gouvernement du Maroc sur ce point suit deux
lignes principales. Dans la prerniére.on nielaportéejuridique des traites
fixant les frontières du Sahara occidental par rapport au Maroc
indépendant. Dans la deuxième. il s'agit de renforcer cette conclusion en
invoqiiant ce que te Gouvernement marocain appelle cile droit spécial
élaborepour le Maroc par la conference internationale d'Algésiras.»

Dans son exposé écritet dans ses déclarationsorales. le Maroc a démontre
que les traités conclus entre puissances européennes ont procédé au
démembrement territorial de l'Empire chérifien. II a ainsi delini la portée
juridique exacte de ces actes internationaux. II n'entendait pas. comme le
pretend le conseil de l'Espagne, se placer sur le terrain d'une simple
contestation des frontières actuelles du Sahara occidental. Le représentant de
l'Espagne n'a pu apporter. face a la soliditéde la these marocaine. aucune
critique pertinente.Il s'est contenté de se réfugierdans une simple affirma-
tion selon laquelle« cette double ligne d'argumentation découlede l'oubli déli-
béréde lapratique internationale du XIXC siècleconcernant t'établissement
de la souveraineté territorial». Or le Gouvernement marocain a, au con-
traire, fournia la Cour une analyse du droit international classique, fondé
sur la pratique de l'époque et une documentation très étendue. 11a prouve
ainsi que les traités internationaux en question n'étaientpas conformes à ce
droit.
IIest au demeurant aiséde constater que leCouvernemen[ espagnol est sorti
du cadre international classique chaque fois que cela étaitnécessairepour les
besoins de sa démonstration. II affirme ainsi que «les titres espagnols sur la

cOteau nord du cap Bojador découlaient des accords passes avec les autorités
locales après l'expéditiond'Alvarez Pérezen 1886 w.Nous avons déjà exposé
devant la Cour les circonstances de conclusion de ce soi-disant accord. signé
par lin jeune homme de dix-sept ans. et demontréson absence totale de valeur
juridique.
Quoi qu'il en soit et si on se réfèreau droit international classique. L'Espagne
ne peut invoquer des accordsconclus avecdes autoritéslocalespour justifier ce
qu'elleappelle des titres sur la cote nord du cap Bojador. Nous avonsdémontré
que le territoire visé faisaitpartie intégrante. de t'avis mêmedes autorités
espagnoles. de l'Empire chérifien.
II est admis en effet que. dans le droit international classique. seul le
souverain pouvait disposer du territoire de I'Etat. Dans ce cadre. I'accord
conclu en 1886 ne pouvait donc avoir aucune valeur juridique.
Le conseil du Gouvernement espagnol invoque, ci-dessus page 105, la
reconnaissance de ces prétendus titres en 1904 par la Grande-Bretagne et la
France. Ces reconnaissances sont évidemment de peii de pertinence juridique
en Iéspéce.puisque ces deux puissances européennes étaient intéresséesau
partage territorial de I'Empire chérifien.

Ces reconnaissances n'etaient pas plus opposables ait Maroc que l'accord
secret de 1904 qii'ellesconcernaient.
Quant ailx accords sur les zones finnuence. ils ne peuvent pas non plus.
toujours par référence au droit international classique. constituer un
fondement juridique à un quelconque titre a la prétendiie souveraineté
territoriale de l'Espagne.
Selon le représentant du Gouvernement espagnol. les accords siIr les zones
d'influence exprimaient d'habitude « l'intention de soumettre un territoire
iiiillitisà la souverainetédes Etats moyennant une occupation progressive uki-
dessus p. 106).Suivant son raisonnement, «les limites des zones d'influence EXPOSEORAL DE M. DUPUY 237

devenaient des limites entre deux frontiéres.frontieres entre les possessions des
Etats)B.
Ainsi. le conseil du Gouvernement espagnol développe un vbritable
syllogisme !
Premièrement. les traités sur les zones d'influence portent sur des terra

t~u/Iiiis.
Deuxièmement, de tels traitésentre puissances européennesont été conclus
pour déterminer le$limites du Sahara occidental.
Troisiemement. donc le Sahara omideiital était terrerir~illiirs.
En quelque sorte. on suppose résolu le problème pose 5 la Cour: le
Gouvernement espagnol part du présupposéque le Sahara occidental était
ferra r~ulli~~s.
Tous les développements de I'expod oral du 21 juillet sur les traites
concernant leszoncs d'influencesont donc sans pertinence du point de vue des
questions posk a la Cour.
Si l'on admettait que ccs traitéssont valables dans lecas des reriAuii~illius.
encore que cela ait toujours etë conteste par la doctrine classique du droit
international. cela ne ferait pas avancer d'un pouce le problèmequi est poséa
la Cour.
JI s'agit de rkpondre prkisèineni a la question de savoir si le Sahara

occidenla1étaitou non ierru~iiilliiisau nionient dlacolonisation espagnole.
Le rappel du caractère artificiel des frontières africaines ne change rien au
probleme. L'utilisation du procédégéométrique.dans de nombreux cas. est
bien connue. Maison ne peut tirer argument de coiistatationsde ce genre.
comme le fait le Gouvernement espagnol (ci-dessus p.107).pour donner une
interprctation erronéedu principe de I'intangibilides frontieres africaines.
Une lecture attentive de l'ouvrage du profes.seur Boulros Ghali es1 à cet
egard fort éclairante. Nous lisons. dans son livre Les coriflits de froiitieres
eg Afrique. des développements a cet egard particulièrement pertinents.
M. 3outrm Ghali révèleen effet que, dans la pratique africaine, le principe
de l'intangibilitédes frontières africaines ne devait en aucune fa~n s'ap-
pliquer dans les relations entre Etats indépendants d'Afrique et puissances
coloniales. S'ilen étaitainsi, le principe mêmede la colonisation seraitremis

en cause. Le principe de I'fiti possiiferiporte sur ta conservation par les
Etats africains indépendants, dans teurs relations mutuelles, des frontières
héritéesdu colonialisme. L'intégritéterritoriale est présuméedans cette hypo-
thèse.
II n'en est pas de même lorsque la frontière sépare un Etat africain
indépendant d'un territoire sous domination coloniale. II convient de se
demander. dans cette hypothése.si I'Eiaten question n'a pas et6démembréau
moment de la colonisation. auquel cas son droit de réaliser son itilegrité
territoriale reste entier. Ainsi. le droit airiwiii ne peut étred'aucun secmursa
l'Espagne pour argumenter ses théses.
Al.surplus. mêmepar rapport au droit classique.telqu'il est décritpar le
conseil espagnol, lts traitésmentionnés ne peuvent trouver un fondement ni
une justifivtion quelconque. Le Gouvernement espagnol affirme airisi que
((dans le cas ou irs territoires avaient une organisation étalique. l'accord
exprimait l'intention des parties d'é~ablirun régimede dépendanceen plaçant
ces ierriioiresous protectorat ».
C'est dans cette optique qui risque de paraitre empreinte d'un certain

cynisme que le Gouvernenient espagnol examiiiera les traitéde 1904. 19 11 et
1912. Reinarquons tout d'abord que I'cxposeespagnol p:tr;seprudemment sous
sileiice [es projets de 1902 q~iireconnaissent la souverainetc niarocainsur la238 SAHARA OCCIDENTAL

Sakiet El Hamra, comme nous l'avonsétablidans notre exposéoral (IV, p. 226
et suiv.).
En ce qui concerne le traité secret du 3 octobre 1904. le Gouvernement
espagnol ne traite que du cas deszones d'influence. omettant de répondreaux
arguments que nous avons exposésquant a la valeurjuridique de l'article6 de
ce traité.Cet article édicteque la Sakiet El Hamra ne fait pas partie du hlaroc.
Le silence du délégué espagnol est assez éloquent, dans la mesure ou le
Gouvernement espagnol ne pouvait en aticune façon justifier le fait accompli
que consacrait l'article6.
Par ailleurs I'Espagne ne peut camoufler la volonte de démembrement
territorial du Maroc en invoquant l'intention contractuelle d'établirdes zones
d'influence sur des régionsqui relevaient d'une autorité étatique reconniie.
alors spécialement qu'elle avait a maintes reprises reconnu jusque là la
souveraineté marocaine sur la régionde Sakiet El Hamra. jusqu'au suddu cap
Bojador. comme nous l'avonsétablide plusieurs façons.
C'estce qui explique le caractère secret de l'accord de 1904 qui porte sur le

territoire d'un Etat tiers.
Pour ce qui est du traitéfranco-allemand du 4 novembre 1911.bien qu'il ne
soit pas non pliis opposable au Maroc. nous sommes en droit de signaler a la
Cour lecontenu des lettres annexéesa ce traite. qui confirme l'appartenance de
la Sakiet El Hamra au territoire marocain.
IIest significatifde constater que le représentant espagnol.sans se soucier de
logique, a estimé devoir écarterles lettres annexes mentionnées.On invoque ,
ainsi. dans un cas. les accords conclus entre puissances européenneset on les
rejette délibérémentd.'autre part. en s'appuyant sur une certaine interprétation
des circonstances et des soi-disant intentions des parties contractantes (ci-
dessus p. 93).
Or, le sens des dispositions en question est parfaitement clair. Quant aux
circonstances invoquées,le Maroc les a déjàanalyséesen les situant dans leur
véritablecontexte (IV, p. 236 et suiv.).
Les accords invoq~iespar l'Espagne ne pouvaient de toute façon entamer le
droit du Maroc a I'intégritéterritoriale qui a etc reconnu expressément par
I'acted'Algésirasdu 7 avril 1906. Le représentant de l'Espagne n'hésitepas
cependant a avancer une periiio pritlcipiselon laquelle il faut comprendre
Le principe de l'intégritéterritoriale par référenca la sphère territoriale ad-
mise par l'ensembledes quinze Etats signataires de I'acted'Algésiras.Il ajoute
que cette sphère territoriale ne comprenait pas la Sakiet El Hamra, puisque
la France, la Grande-Bretagne et l'Espagne l'avaient placéeen dehors du
Maroc.
Le Gouvernement marocain tient A réfuterde la façon la plus formelle ce

raisonnement. II est a remarquer tout d'abord que la Grande-Bretagne ii'a
jamais rien admis de tel.
Au surplus. la conception franco-espagnolemaintenue secrètedes limites de
l'Empire chérifien ne peuten aucune façon représenter l'intentiondes treize
autres parties contractantes, qui ont souscrit au principe de l'intégrité
territoriale de l'Empire chérifien.
II est nécessaire.par conséquent. de faire abstraction de l'accord secret de
1904. pour comprendre la portéeréellede I'acted'Algésiras.
Enfin. te traité franco-marocain du 30 mars 191 2 institue certes un
protectorat sur le helaroc. mais il ne comporte aucune disposition expresse
attentatoire a l'intégriterritoriale du ,Maroc.
Le Maroc est donc en droit de soutenir que comme la convention franco-
espagnole du 3 octobre 1904 lui était inopposable. ilen est de mémedu traité EXPOSE ORAL DE M.DUPUY 239
l
franco-esplgnol du 27 novembre 1912.dans la mesure ou ce traités'appuiesur
ladite conyention.
Par con~equent, on ne peut opposer au Marcc l'alinéa de l'articl2 de La
convention du 27 novembre qui dispose qu'qcau sud de ce parallèle. les ar-
ticles5 ete de la convention du 3 octobre t904 resteront applicablesn.
Quant il la conduite du Maroc postérieurea l'indépendance,on ne peut en
tirer argument. comme le fait le:conseil de l'Espagne. pour affirmer que le
Rlaroc étai~'~Ioppd par rapport a la convention de 191 2.Le Gouvernement
dii Maroc a donnéa la Cour toutes les informations concernant les iniidalités
de sa siiccqssionailx accords internationaux et en particulier lacorrespondance
échangée avecle Secrétaire générad les Nations Unies en 1956.
En conclusion. le Gouvernement espagnol n'a apporté aucun étément
nouveaii. La thèsedéveloppéepar le Gouvernei~ient du Maroc pour présenter
iilaCour les traites internationaux conserve, nous le pensons. toute sa force de
den~onstration.
l
h4onsieSr le Président. Messieurs les membres de la Cour. comme mon
éminentprédécesseura cette barre l'avait faitpour chacune des deux premières
parties de l'exposéque lui et moi présentonsau nom du Royaume du Maroc. je
voudrais rbsurner en un certain nombre de propositions simples et précises les
developpemenrs de cette troisikme partie qui s'achèvemaintenant etquin'aura
d'autre suite que la conclusion généraleque présenterasur l'ensemblehil.I'am-
bassadeur l~laoui.
Ces propositions sont les suivante:

1. Lebled siba correspond à un mode d'exercicede la souverainetédiffërent
du mode d'exercice sur le bled makhzen. Mais le bled siba. lui aussi. est ilne
terre de squverainete.
2. Compte tenu de cette donnée historique et juridique, les parcours des
tribus noniades ayant leur point d'attache dans le bled siba commedans le bled
makhzen. 1tout comme les actes d'autorité des souverains marociiins et.
notamment, les nominations de caïds. attestent qu'au moment de la
coloiiisatiqn espagnole la soiiveraineté mürocaiiie s'ttendait jusqu'air dud
cap Bojador.
3. La mêmeconséquencedoit êtretir& de l'actiondu sultan Moulay H~SWII,
action de'rkorganisation qui, elle aussi, va jusqu'au sud du cap Bojador.
4. Ma $1Aïnin n'est pas un partenaire égaldu Sultan et étranger a son
aiitorite. lais. avec tout leprestige attiicette ronction. lekhalira personnel
dii Sultan [etson action se rattache à la souverainctc iiiarocaine.
5. A ces divers élémentsqui sont la preuve de l'exercicede la souveraineté
marocaiiie au Sahara occidental s'ajoute la résistanael'étrangerqui. de plus
fort, certine son existence et son espace en fdue monde extérieur.
6. Ces afirmations de la souveraineté marocaine se doublent de sa recon-
naissance ;par la communauté internationale, puisque, des le XVIIIc siècle.
des trait) consacrent implicitement mais nécessairement la souveraineté
marocain? au Sahara occidental.

7. Le traité de 1895 apporte une nouvelle preuve, absolument détermi-
nante : l
- d'abord parce qu'il témoigne de la coniiniiite de l'assentiment de la
comm~inautc internationale iilasouverainetc nlarocaine au Sahara ;
- eiisuii~. parce que la souveraineté marocaine au Sahara occidental s'y
trouve explicitement exprimée.
I240 SAHARA OCCIDENTAL

8. Enfin,contrairement ace que prétendl'Espagne. lestraités duXXCsiêcle,
loin d'êtrela preuve d'une souveraineté réduite a I'espacemarocain actuel. sont
la démonstration que les limites de celui-ci résultent d'une mutilation de
l'espacesous souveraineté marocaine au moment de la colonisation.

hlonsieur le Président. Messieursles membres de la Cour. par ce résumede
nos développements. vous avez pu constater que nous avons traité ensemble.
dans notre argumentation. les deux questions soumises a la Cour et

concernant. l'une. le problème de la ierra iiirllii~l'autre. l'existence de liens
juridiques avec I'Etat marocain.
En effet. lapreuve de non-existence d'une [erra tiulliris au Sahara résulte
nécessairement de la preuve de laexercicede la souveraineté marocaine au
Sahara occidental a I'epoquede la colonisation.
C'estdire que l'opinion du Maroc sur les deux questions poséesa laCour est
la suivante :
- sur la premièrequestion. le Sahara occidental n'était pas.au moment de la

colonisaiion espagnole. une [erra ~t~rlli:is
- sur la seconde question. concernant les liens juridiques du Sahara
occidental avec le Maroc au moment de la colonisation espagnole. le
Royaume du Maroc exerçait sa souverainetéau Sahara occidental.
J'enai fini. Je ne saurais prolonger cette longue intervention par des propos
qui voudraient. aussi complètement que je le souhaiterais. exprimer à la Cour
combien je lui suis reconnaissant de m'avoir écouteavec tant de bienveillance
durant toute cette journée. Que la Cour. du moins. veuille bien savoir que le

fait d'êtreintervenu a sa barre. dans les diverses circonstances de cette
procédure orale. restera pour moi ie plus grand honneur de ma vie de juriste.
Je remercie la Cour. je vous remercie. hlonsieur le Président. EXPOSE ORAL DE M. SLAOUl

M. SLAOUl :Monsieur le Prcsident. hfessieurs les membres de la Cour. je
dois d'abord remercier la Cour du soiici qui a étéle sien de permettre. dans
cette phase de la procédure,que le Maroc, qui avait dli prendre la parole en
premier, puisse indiquer d'une manièresufisamment étendueles observations
q~i'appellentde sa part les interventions des autres delégations qui ont été
postérieures la sienne.
La reconnaissance que j'exprinie s'accompagne d'une obligation :celle de
limiter rnes,explications en évitant touteredite et seulement pour ajouter a ce
qiie vous savez déjàdu point de vue marocain.
Vous savez quel a étéle cornporlement général du Maroc dans le probleme
de la décolonisation duSahara occidental. Le h4aroc a toujours penséque cette
question se reliait. d'une manière qu'il a maintes fois préciséedevant

~'~ssernblcègénéraledes Nations Unies et devant la Cour elle-mènie. au
problème de son intégrité territoriale.
hlais, tout en défendant avec une constance et une vigueur bien
compréhensibles son point de vue. il n'ajamais entendu le faire valoir que dans
le cadre des Nations Unies. c'est-à-dire devant 1'Assemblcegénéraleet devant
laCour elleLn~éme e.n respectant scrupuleusement lescompétencesdesorganes
saisis. les voies par lesquelles le probleme pouvait Stre pose et les procedures
pouvant coi~duirea sa sollition.
En d'autres termes. la conviction que Ic Maroc a de son bon droit ne l'a
jamais cnttaine. soit a prétendre lc réaliser unilateralement. soit a venir
demander Sa consécration dans clesconditions qui ne seraient, ni politique-
nient. ni juridiqiiement. correctes.
La maniéredont le Maroc a entendu poser lin problème qui lui tientacŒur
de la maniere la plus profonde ne me parait pas porivoir appeler de critiques.
J'appelle. en particulier. votre attention sur la loyaure de son attitude et.
notamment. de son attitude envers la Cour.

t\aucun moment. il n'a entendu entraîner par des artifices. que. d'ailleurs.
votre scien* et votre perspicacité iiuraient facilementdéjouésl.aCour dans des
voies qui l'auraient fait sortir de son rôle.
A aucun'moment. il n'aentendu transférer Pla Cour tes responsabilitésqui
sont celles de l'Assembléegénérale des Nations Uniesqui. quelle qiie soit
I'argiimentation que le Maroc se réserve de présenter devant elle. demeure
souveraine polir apprécierlasuite qu'elle doitrcservei la solution que la Cour
donnera du problémejuridique qiii lui est soiimis.
Sans voiiloir tomber dans I'auiosatisfaction. im'est permis de mentionner
que ce souci de respecter scrupiile~tsement le rôle d'organe judiciaire et non
politique de la Coiir. le caractère coiisultati~de l'avis qui lui est demande ne
parair pas avoir étéaussi présena l'espritd'aiitres délégationsqu'a l'espritde la
délégationmarocaine.
blonsieiir te Président. Messieurs les membres de la Coiir. la décisionque

vo~~s.altezrendre sera. d'ailleurs. exemplairetje pense qii'ellesera apjieléea
faire jurisprudence. Je ne parle pas setilement de la décisionque vous rendrez
sur le fond, et dontil n'est pas besoin de montrer combien elle est riche en242 S;\H;\R,\ OCCIDENTAI.

questions de principe. indépendamment. d'ailleurs. des questions de fait très
particulières auterritoire concerné.
Mais il me semble aussi qu'en acceptant de statuer. en acceptant de répondre
aitx questions quivoiis sont posées.sans aller. comme on vous l'apeut-étreun

peu trop demandé.jusqu'a vouloir faire la leçon a l'Assembléegénéralesur la
manière dont elle doit exercer ses responsabilités.vous dessinerez cette voie
propre a lacompétenceconsultative de la Cour qui se situe a une égaledistance
d'une intervention dans te contentieux des rapports interetatiqiies et. d'autre
part. de la discussion théorique.pour ne pas dire académique.
Ce faisant. vous donnerez a l'Assembléegénérale. non seulement la
confirmation inutile que laCour apporte la plus grande compréhension dans la
coopérationqui lui est demandée,comme institution judiciaire. par les organes
politiques des Nations Unies. mais aussi vous encouragerez. pour le grand
profit de l'entente internationale et du développement du droit international. la
pratique des avis consultatils.
Je n'ai pas voulu laisser a un autre membre de la délégationmarocaine le
soin de répondre a M. le premier président de la Cour supréme du Zaïre.
M. Bayona-ba-Meya. C'était undevoir trop agréable et je tenais ii rendre

personnellement hommage a un pays frère eta une grande personnalitédont le
talent et la hauteur de vues ont fait l'admiration de tous ceux qui l'ont écoute.
Je silisûr que l'ongardera longtemps en memoire cet ino~ibliableévocation du
trésor culturel et humain de l'Afrique. cette analyse profonde des rapports
entre I'homme. la terre et la nature. cette leçon sur lasignification essentiellede
l'homme.
le lui sais gré d'avoir exposeleproblèmede la ierru iriilli~qiii fait l'objetde
la première des questions poséesa la Cour.
IIva de soi qiie la théoriede laterra ~iiillittelle qii'ellea étéappliqiiee. ne
saurait. ni êtreapprouvée tnoralement. ni maintenue dans le droit positif
actuel. Mais la thèse du Gouvernement marocain et celle d~iGouvernement
mauritanien sont que. i~iémesi I'onse reRre a la notion de [erra ii~~//irttelle
qu'elleétaitentendue dans ledroit de la colonisation au XIXCsiècle. rneme par

rapport a un cadre si peu favorable aux peuples colonisés.la spoliation du
Maroc et de l'ensemblemauritanien peut etre démontréeavec lesconséquences
politiques que ceci peut impliqiier.
Comme il a étédit et comnie je le redirai. l'appel a tel ou tel système de
référenceeuropéen ou islamiq~iene change rien a l'opinion du Maroc et de la
Mauritanie. A cet égard.mon pays ressent la plus chaleureuse satisfaction en
constatant que le point de vue du Zaïre sur les réponses qii'appellent les
questions posées a la Cour est identiquea celui du Maroc comme a celui de la
Mauritanie.
J'ai étéfrappe et jc pense. blonsieiir te Président.A~lessieules membres de
la Cour. que vous l'avezété aussipar la force avec laquelle le Zaïre a marqiié
qu'il était acquis <(a toute cause africaine en laq~ielle se débat I'integritc
territoriale>(IV, p. 439).11y a làun témoignage particulièrementimportant si
I'ontient compte de la douloureuse expérience du Zaïreen cette matière. de la

place que tient dans le cŒur et dans l'espritdes nations tout ce qui touche au
respect de l'intégritterritoriale.
II y a encore davanlage le rappel d'une donnée j~iridiqiie que I'on a
vainement essayéd'estomper ou d'effacera cette barre. a savoir que I'intkgrite
territoriale n'est pas lin principe de second rang. une regle en qiielque sorte
supplktive que I'onappliquerait a titre accessoire. mais qii'ellea une place non
inegale dans tes règlesqiii gouvernent la décolonisation.
La distance entre le point de vue exprimépar mon aini et camarade de classehloharnméd Bedjaoui au nom de la République démocratique et populaire
algérienneletle point de vue du Maroc étaittrop grande pour qu'elle n'appelle
pas des explications particulières. Nous avons dij contester le biert-fondé
juridique des théories développéesavec un redoutable talent par M. Bedjaoui.
IIs'agissait biend'une controverse juridique, car sur quel autre terrain aurait
pu se développerla contestation ?
II va de\ soi tout d'abord qu'il ne pouvait s'agirde refuser I'homniage. si
evidemmert dû a la science. à l'artde l'expositionet a l'audace intellectueltequi
ont marquk l'intervention du représentant de l'Algérie. II était évidentque le
débatjuridique - que la délégationmarocaine ne pouvait esquiver sous peine
d'abandonner son propre point de vue - se doublait d'une profonde estime a
la haute personnalitédont il fallait analyser et critiquer le propos.
contesthion purement juridique. car elle n'arien de personnel. Contestation

purement (juridique aussi parce qu'elle ne recouvre pas une divergence
politique. dont d'ailleurs ileUtété incorrectet discourtois. sielle avait existé.de
faire part a la Cour. En elTee.ar une sériede déclarations ou de communiqués
répétéest $ue n'entache aucune equivoque. aucune réticence. par l'organede
ses plus hautes autorités et tout particulièrement de la ?lus élevéS..Exc. M. le
président Houari Boumediene, la République algérienne aaffirme quélle
n'avait aucun interèt national a défendreau Sahara occidental. encore moins
aucune revendication territoriale a formuler.
Dès lors, c'est d'une contestation purement juridique qu'il s'agit puirqu'elle
ne vise ni la personne ni, ce qui serait impensable. le pays. Malheureusement.
cette contestation juridique ne pouvait se ramener a une joute d'idéesou. pour
recourir a une expression souvent employée a cette barre. a un débat
académique. De façon certes involontaire mais objectivement indéniable. la
théoriejuridique exposéepar lereprésentantde l'Algéries'opposaitdirectement
au point de vue du Maroc ou de la Mauritanie. En effet. elle se ramenait a une
panoplie d'hypothèses dont aucune ne rencontrait les points de vue marocain
et mauritalnien.
Si la Cour voulait donner au terme de terra ril~lliiIesens qui étaitle sien
dans le droit classique des cotonisateurs. il fallait dire que le Sahara étaitbien
dans ce sens et a I'epoqiiede la colonisation uneferra ~ii~lliiSi l'on donnait la
préférencea un cadre de référenceislamique. le Dar el Islam. il étaitalors
permis de dire qii'a~imoment de lacolonisation le Sahara. appartenant fiDar el
Islam, étaitune tc-n.~11oii~ii~lliiw.
Mais alors il apparaissait que laquestion des liensjuridiques avec le Maroc

ou avec l'ensemble mauritanien n'avait plus de sens. Si enfin. renonçant a
traiter la question comme soulevant un conflit de systèmes juridiques dans
l'espace,on la résolvaitpar l'applicationdu droit intertemporel, on s'apercevait
que celui-yi. tout pilissant pour consacrer la perte des droits du hlaroc et de
l'ensemble,mauritanien. étaitimpuissant a les faire revivre si peque cc soit et
que la Coyr avait le devoir de le rappeler a I'Assembleegénérale.
Si le klaroc n'avait pas combattu cette construction avec une vigueur égale
au talent mis au service de lacause algérienneilaurait étéaussi simplepour lui
d'abandon,nercette barre et de renoncer purement et simplement a son point de
vue. IIfallaitdonc soutenir lacontroverse :c'étaitpour ladélégationmarocaine
un inéluctable devoir.
L'amitiédu peuple frèrealgérien estpour nous du plus haut prix. mais. plus
précieuseencore et plus sacréeest la défensede notre histoire nationale et de
notre intégritéterritoriale.
Comme je le disais. Monsieur le Président. hlessieurs fes membres de la
Cour. en prenant la parole devant vous le 25 juin dernier (IV. p. 1181,te 244 SAHARA OCCIDENTAL

Royaume du Maroc et la Republique islamique de Mauritanie se sont présentés
devant vous dans cette procédure consultative comme ayant mission. chacun
pour son compte. d'éclairer laCour en rassemblant les renseignements qui
étaient enleur possession.
De,cette attitude. qui s'est.poursuivie au-delà même dela procédureécrite.il
est résultéune indépendance légitimedans l'expose des thèses marocaines et
mauritaniennes et - point sur lequel je n'ai pas a revenir. car il a étésouvent

évoqué devant vous - certaines incertitudes géographiques parfaitement
explicables et n'ayant d'ailleursaucune portéequant a la réponse a donner aux
questionsqui vous sont soumises.
Tout au long des débats,les délégationsmarocaine et mauritanienne ont eu
l'occasion,en exposant leurs points de vue respectifs, de faire des allusions aux
, .prétentionsde l'autre Etat concerné. ou mêmed'apporter des précisionssur Les
réflexions qu'ellesinspiraient.
Dans l'état actuel de la procédure. puisque aussi bien j'ai fait des
commentaires sur le point de vue du Zaïre et sur celui de l'Algérie.puisque
aussi bien j'en ferai tout a t'heure sur celui de l'Espagne.je voudrais suivre une
méthodeanalogue en ce qui concerne le point de vue mauritanien.
LeMaroc a pour lepoint de vue de la Mauritanie une sympathie chaleureuse
et toute naturelle puisque l'un et l'autre pays se considèrent cotnme ayant été
dépouillésd'une partie de leur territoire par l'entreprise espagnole de colo-
nisation.
Mais le combat juridique n'est pasle combat politique. II ne supporte pas la
notion de l'alliancequi se nouerait par une sorte d'entente contractuelle. Une
telle formule aui serait assez contestable dans une orocédure contentieuse
étrangèreaux droits patrimoniaux ne serait mémepas admissible dans une

procédure consultative.
La rançon en est. je l'aidéjàdit. que. par une absencedeconcertation qui est
dans la nature des.choses. par le développementd'argumentations qui mèmesi
elles ont des objectifs analogues peuvent suivre des cheminements différents.
des Etats dont les points de vue sont cependant très proches peuvent donner
l'impression de diverger. II est vrai que cette rançon a elle-même une
contrepartie :c'est la démonstration de l'absence de connivence.
Cependant. a la lecture de nos débats.en tenant compte des précisionsqui
ont étéprogressivement apportées dans l'exposéde chacun des points de vue
éclairépar celui de l'autre. je n'ai pas le sentiment que le Maroc aita apporter
de contradiction au point de vue que la délégationmauritanienne a expriméà
cette barre. II en est ainsi du moins si l'on s'en tienta l'essentiel. car bien
entendu, sur tel ou tel point, une nuancede pensée, une subtilitéde formu-
lation de la théorie juridique, un détailde fait pourraient appeler du Maroc
a l'égardde la Mauritanie, comme de la Mauritanie a l'égard duMaroc, une
observation et peut-êtreune discussion.
Mais sur ce qui est l'essentiel. c'est-à-direen ce qui concerne directement les
questions poséesa la Cour par la demande d'avisconsultatif. ilexiste entre le

point de vue marocain et le point de vue mauritanien une concordance qui
n'est pas le résultatde la concertation mais simplement de données objectives.
Ces donnéesobjectives sont bien connues de la Cour.Je ne parterai même
pas de l'identitédes buts. 11s'agitde l'identitédes donnéeshistoriques. a savoir
lesmemes procédésde colonisation émanantdu mémecolonisateur. les mëmes
conséquences :l'amputation territoriale. Et laje rappelle qu'il estévident que.
lorsque le Maroc évoque le cap Blanc et Villa Cisneros dans des dévelop-
pements d'ordre général.il n'entend paspar là mêmesoutenir que sa souverai-
neté s'exerçaistur cesrégionsau momentde lacolonisation espagnole.Ces régions ESPOS ERAL DE hl.SLAOUI 245

faisaient. en effet. partie intégrante de I'ensemble mauritanien a I'epoque
considérée.ensemble dont la République islamiquede Mauritanie est le seul
successeur,
Aussi. du moins selon ce qui résultedes débatsprécédents.car la h,latiritanie
ne s'est pas encore exprimée dans cette phase de la procédure. les positions . .
respectives de l'un et de l'autre pays sont-elles objectivement concordantes en
ce qui conkrne lebien-fondéde la demande d'avis.la compétencede laCour et
la réponse'attendriea legard des questions posées.
hlonsieui le Président. Messieursles membres de la Cour. vous seriez éton-
nés sinous ne disions pas que notre point de vue s'oppose totalement à celui

qui a été exprime au nomde l'Espagne.Cette constatation pourrait êtresereine
s'il apparaissait que la position espagnole nkt pas entièrement négative.
hfëme lorsqu'on est convaincu de la justesse de son point de vue, il arrive
que l'on puisse. sur tel ou tel point. donner raison a quelqu'un dont an ne
partage pas pour l'essentielle point de vue.
hlais au cours de cette procedure.l'Espagne 'aétésans cesse négatrice eta
conduit pied A pied ce que les militaires appellent un combat de retardement,
allant de question préliminaire en irrecevabilité. d'irrecevabilite en exception
d'incompetence. d'exception d'incompétenceen non-lieu àstatuer. Elle n'apas
été plusouverte sur le fond.
II est un point en particulier sur lequel le Maroc ne peut que ressentir
péniblementl'immobilisme de la position espagnole. II s'agit des raisoris pour
lesquelles leprobléinede la décolonisationau Sahara occidental se pose encore.
A en croire l'Espagne - et ses declarations dans cette enceinte reprennent
celles qui ont étéfaites devant l'.i\ssembleegénéraledes Nations Unies - le
processus de décolonisationse poursuivait paisiblement a une allure normale
et allait aboutir. lorsqu'ila étéinterrompu par une intempestive demande d'avis
a la Cour! Faut-il rappeler que la Puissance administrante a pratique une
politique de pure et simple inertie. du moins en apparence. car en profondeur
elle s'est surtout préoccupéede toute une série de préparatifs destinés à
procurer $n « bon H référendum.
hlais je ne me permettrais pasde retenir l'attention de la Cour s'il s'agissait

de rappeler simplement des faits qui sont connus d'elle.Je voudrais dire mon
incertitude et mon inquiétudenées d'undocument dont jusqu'ici personne n'a
fait état.même pas la délégationespagnole :je veux parler de la déclarationdu
Gouvernement espagnol du 23 mai dernier. déclarationintervenue immédiate-
ment au lendemain mêmedu jour ou a étérendue votre décision sur la
composition de ta Cour.
Dans cette déclaration, le Gouvernement espagnol tient a afirmer devant
l'opinion p,ublique,ce sont les termes employéspar lui, cinq propositioiis dont
voici la substance.
Pointno 1:
<<LTEspagncne prétend enaucune façon a prolonger sa préseliceau
aha a donatelle n'ajamais pense tirer un profit politique ou matérielet
qu'ellea servi en s'acquittanl.le mieux possible de ses devoirs a l'égard du
territoire et de la population autochtone. »

II faut citer égalementle deuxibmc point:
ccSuivant cette ligne d'riction sans équivoque. elle a accepte les
resolÙtions des Nations Unies tendant à appliquer au Sahara la politique

d'autodétermination. el a même étéjusqu'a fixer un délai pour le
déroulement du référendumnécessaire a effet.))246 SAHARA OCCIDENTAL

Je cite sans un commentaire, qui s'impose de lui-même.
Dans le troisième point. dont la rédactionest plus longue. I'Espagneafîïrrne
que, dans un souci de coopération internationale. elle n'a pas voulu s'opposar
la requêtepour avis consultatifa votre Cour. encore que cela ait pour effet de
retarder l'exécutiondes plans d'autodétermination.
La quatrieme proposition fait état d'une dégradation de la situation au

Sahara et au fait que «dans les dernières semaines se dessinaient dans le
territoire des mouvements d'opinion carrémentfavorables a I'indépendance... >)
Voici enfin la conclusion qui ne saurait échapper a la citation intégr:le
« Le gouvernement confirme son désirde donner effet aux résolutions
des Nations Unies et en même temps il annonce son intention de
transférer la souveraineté sur le territoire saharien aussitôt qu'il sera
possible. de la manièreet suivant les modalitésqui conviendront le mieux
a ses habitants et satisferont le cas échéant touteaspiration légitimede
pays intéressés a cette zone. sans préjudicede la défensede ses interèts

dans le territoire dans le cadre et par les voies du droit international. A
cette fin, les procédures appropriées sont entamées devant les Cortes
espagnoles.
En mêmetemps le gouvernement souligne expressémentque si.du fait
de circonstances indépendantes de sa volonté. la possibilitéde mener a
bien le transfert de souveraineté étaitretardéeau point de compromettre
gravement la présence espagnole au Sahara. il se réserverait le droit,
moyennant préavis donné en temps opportun aux Nations Unies, de
précipiter la transmission des pouvoirs. mettant fin définitivement a sa
présencedans le territoire.)>

IIne saurait être questioa cette barre d'engager une polémiquede caractère
politique. II ne s'agitmêmepas de relever que la conversion de I'Espagne aun
semblant d'intéretpour les résolutionsde l'Assembléegénéraleconcernant la
décolonisation duSahara occidental estconcomitante a la perspective d'un avis
de la Cour. On ne veut pas davantage ironiser sur le passage relatif a
l'acceptation par I'Espagnede la requêtepour avis consultatif, alors que les
positions prises devant la Cour ne sont guère favorables a l'aboutissement de
cette requête.
En revanche. il n'est passans intéretjuridique de noter le curieux processus
de décolonisation dans lequel. sous certaines conditions dont en fait elle sera
seule juge, I'Espagne envisage de s'engager. On apprend d'abord que se
dessinent des mouvements d'opinion carrément favorables a l'indépendance.
on apprend ensuite que le gouvernement a l'intention de transferer le plus tôt
possible la souveraineté - on ne dit pas a qui. Mais iln'est pas fait état de
l'intervention des Nations Unies dans le présent, il s'agit seulement. et

seulement dans la procédure A laquelle s'arrêterale Gouvernement espagnol,
de donner prétendument effet aux résolutionspassées.Enfin, si par hasard le
transfert de souveraineté s'avéraitimpossible. et sur un simple préavis aux
Nations Unies, la transmission des pouvoirs serait précipitée.
Dans un style fleuri, ceci ne revient-il pas aréservera I'Espagnela possibilité
de proclamer I'indépendanced'un Etat nanti d'un gouvernement choisi par
l'Espagne elle-même.sous couvert de mouvements carrément favorables a
I'indépendance?Ce qui met de singuliers guillemets a cette indépendance.
Je ne m'attarderai pas a montrer que dans une telle perspective I'Espagne
manquerait gravement a ses obligations juridiques. C'est un point de droit,
certes, mais la Cour n'en est évidemment pas saisie.
Mais, en revanche. je crois qu'il entre dans le cadre du présent débatderelever ce que l'Espagne entend par l'autodétermination. Dans le passé. elle
entendaitipar !a !a préparation et l'organisation d'un bon réferendiimcpar
l'Espagne, elle-mêmeau moment de son choix. avec les électeurs et les
questions)de son choix. Maintenant, il est envisagé (premier alinéa du
cinquième point) un transfert de souveraineté selon les modalités qui
convieridront le mieux a ses habitants. et rien ne dit que c'estle référendumqui

conviendra le mieux. Enfin. il y a cette menace de transmettre les pouvoirs a
une instance indéterminée.
Voila qui détruit singulièrementl'effetabsolu et perpétueldes résolutionsde
I'Assemblëe général e esNations Unies, qui est l'un des piliers dela these
espagnole. L'immutabilitédes modalitésde décolonisationfixéespar I'Assem-
bléegénéraleest telle dans l'argumentation espagnole qu'elle rendait quasi
sacrilège la demande d'avis a la Cour et en tout cas vous Ôtait. Monsieur le
Président,Messieurs les membres de la Cour, toute matièrea statuer. Mais elle
ne s'oppose pas a ceque la Puissance administrante - destinataire principal
des résolutions de l'Assembléegénérale - choisisse sans en référeraux
Nations Unies et sans référenduin le groupe a qui elle transmettra ses pouvoirs
pour administrer le nouvel Etat prétendument indépendant.
On ne peut pas faire coexister la théorie del'immutabilitéet de la perpétuité
des résolutionsde l'Assembléegénéraleavec l'annonce de l'intention de régler
trèsvite unilatéralement le sort du Sahara occidental.
C'est que. Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cotir. deux
dates approchent :celle oii vous allez donner votre avisl'Assembléegénérale
et celle ou va s'ouvrir la trentierne session des Nations UniesEt je n'en dirai
pas davantage car le commentaire est trop clair.
IIest tejlement rituel de conclure l'exposé d'un point e vue par la certitude
que I'on a raison que je puis me dispenser de ce rite. encore que je sois

parfaitement convaincu de lajustesse de la position marocaine. Je préf&revous
rappeler \'argumentation juridique qui vous était présentée hier: que I'on se
place dans le cadre du droit international classique, dans celui du Dar cl Islam.
que I'onfasse appel au droit intertemporel. il demeure que leSahara n'étaitpas
au moment de la colonisation une /erra ittrllius et qu'il secomposait cleterres
mauritanienne et marocaine ou chacun. en des lieux différents a l'exception
d'une zone limitéede chevauchement. exerçait u'neautorité politique.
Monsieur le Président,hlessieurs les membres de la Cour. j'adresse iine fois
encore mes remerciements a la Cour, qui a bien voulu m'entendre pour
conclure l'exposéprésentéau nom du Maroc.
Permettez-moi de différerles salutations définitives.En effet. je ne saurais
oublier que. dans les questions que MM. les membres de la Cour ont bien
voulu adresser aux délégationsprésentesdans cette enceinte. il en est pour le
moment deux. et depuis ce matin une troisième. qui concernent le Maroc.
Monsieur le Président.,avec votre autorisation. nous reponclrons a
I'ensembtédes questions poséesou a poser par MM. les membres de la Cour
avant la clhturede la procédureorale.

Le PRESIDENT :Avant de lever l'audience.je vais annoncer que la Cour se
réuniralundi matin. J'inviterai la délégationmarocainea bien vouloir répondre
au commencement de l'audienceaux questions qui sont déjàposées.si cela est
possible. Ensuite je donnerai la parole a la délégationmauritanienne pour sa
réplique. VINGT-NEUVIEME AUDIENCE PUBLIQUE(28 VI1 75.9 h 40)

Présetiis: [Voir audience du'17 VI1 75.1

M. SLAOUI : Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour.
Lors de la dernière audience. vous avez bien voulu m'autoriser. Monsieur le
Président. a répondre ce matin aux trois questions qui ont été posée s la
délégationdu Royaume du Maroc. Avec votre permission. je vais d'abord
répondrea la question de sir Humphrey Waldock.
Cette question est poséea la foisau Maroc et a la Mauritanie. Ellea la teneur
suivante :

<(Les représentants du Gouvernement marocain auraient-ils l'obli-
geance d'aider la Cour en indiquant plus précisément quelle conséquence
la Cour devrait. selon eux. tirer. dans sa réponse aux deux questions
poséesdans la résolution 3292 (XXIX) de l'Assembléegénéraleet en
particulier a la deuxième. de ce que les intérèts des deux pays
chevaucheraient ?
Les représentants du Gouvernement ma~iritanien auraient-ils I'obli-
geance d'aider la Cour en indiquant leurs vues sur le mêmepoint ?»(Ci-
dessus p. 140.)

La réponsedu hlaroc est la suivante :

IIest exact qu'iaétéraitétata diverses reprises de chevauchements. dans les
interventions orales au nom du hlaroc et de la Mauritanie.
En ce qui concerne le il a étéamené. dans la procédure orale. a
employer cette expression. notamment dans la séance du 25 juin dernier (IV.
p. 119).
II s'agissait d'expliquer pourquoi et comment le Maroc, sans contester
l'existencede liensjuridiques entre l'ensemble mauritanien et lesud du Sahara
occidental au moment de la colonisation. avait ete amené a faire étatde la
présence de tribus marocaines dans des zones de chevauchements ou.
cependant, il ne niait pas la possibilitéde liens juridiques avec l'ensemble
mauritanien.
A ce problème,j'ai moi-mêmeprécisé, aunom du Maroc, le 25 juin dernier
(ibid.:

<(Une autre confusion doit êtreécartée : elle consisterait a oublier que
la souveraineté invoquéepar le Maroc et que les liensjuridiques invoqués
par la Mauritanie se sont exercés sur destribus nomades et ont eu un
premier impact sur les hommes. Ceux-ci. certes. ont dessine dans leurs
parcours un ensemble territorial mais. en raison meme de la nature des
relations entre l'homme et le sol. des chevauchernenls géographiquessont
inévitables.>P

Sans que l'on puisse retrouver tous les passages des interventions orales ou
le Maroc a fait étatde chevauchements. il ne semble pas qu'ilait fait allusiona
des chevauchements d'intérêtsI.I s'est servi d'un terme imagépour indiquer
une situation de fait.a l'époquede la colonisation. qui étaitla suivante :
Au moment de la colonisation. il existait. a la rencontre de l'ensemble EXPOSE: ORAL DE M. SLAOUl 249

rnauritanién et de I'Etat marocain. une zone dans laquelle. compte tenu des
particularités géographiques de la région et du caractère nomade des
populations les parcourant. la délimitationdans l'espaceentre I'Etat marocain
et I'ensemblechinguittien n'était pasassurée de façon linéaire.
Compte tenu de ces précisions.le Maroc croit pouvoir répondre comme suit
a la question de sir Humphrey Mialdock sur les conséquences que la Cour
devrait tirer dees chevauchements :

1. En ce qui concerne la premiere question. les explications relatives aux
chevauchements établissentqu'il nèxistait pas entre I'ensemblechinguittien et
I'Etatmarocain. au moment de la colonisalion. une zone qui n'aurait eLiaucun
lienjuridique ni avec I'un ni avec I'autre.
Au contraire. la situation pour laquelle a étéemployée l'expression
<<chevauchement bétablit bien qu'iln'y avait pas de vide géographiqueentre
I'ensemble chjnguittien et 1'Etat marocain et que la ou finissait I'un.
commençait l'autre.
2. En ce qui concerne la seconde question. t'existencedes chevauchements
et. d'une façon générale,les incertitudes géographiques limitéesqui peuvent
exister n'ont point d'incidence sur cette question poséea la Cour.
En effet,il n'est pas demande lcelle-cid'opérerune délimitationentre I'Etat
marocain et I'ensemblechinguittien au moment de lacolonisation espagnole. 11
Iiiest seulement demandé s'ila existédes liensjuridiques entre le territoire du
Sahara occidental, d'une part. et I'Etat marocain et I'ensemble chinguittien.
d'autre part.
Les documents et les renseignements fournis par le Maroc et la Mauritanie

établissent qu'une partie du Sahara occidental au nord était sous la
souveraineté marocaine et que l'autre partie du Sahara occidental au siid avait
des liens juridiques avec I'ensemble chinguittien. II est établique. dans tout
I'ensemble du Sahara occidental, il n'existait pas d'espace qui n'eut des liens
juridiques ni avec le hlaroc ni avecI'ensemblechinguittien et. comme on vient
de le dire. les chevauchements au sens employédans les interventions orales
attestent pour une preuve supplémentaire qu'il en étaitbien ainsi.
II est donc clair que. si la Cour est convaincue par l'argumentation
marocaine. elle doit dire que l'Ela1 marocain exercait sa souveraineté au
Sahara occidental. Si la Cour est convaincue par l'argumentation niaurita-
nienne. elle devra dire qu'il existaitau Sahara occidental des liens juridiques
avec l'ensemble mauritanien.
Le fait des chevauchements. compte tenu de ce que laCour n'a pas a opérer
une délimitation territoriale. ni dans le passé.ni dans le présent. est.aux yeux
du hlaroc. totalement sans incidence sur la réponse 5fournir par laCoursur la
deuxième question.

Avec votre perniission. Monsie~irle Président.je vais maintenant répondre
aux deux questions poséespar M. Petrén.
La premiere question a été adressée a la fois au h4aroc. a la Mauritanie et a
l'Algérie.Elle est ainsi libell:e
«Est-ce que des réponsesaux questions adressées a la Cour seraient de
nature à apporter une clarification juridique d'une situation existant
aujourd'hui et, dans ce cas.hquel égardest-ce que lesréponsesde la Cour
auraient un tel effet?» (Ci-dessus p. 140.)

La réponsedu klaroc est la suivante :
La delegation marocaine a eu a diverses reprises l'occasion d'exposer son
point de vue sur la nature et la portéede l'avisdemandé la Cour.250 SAHARA OCCIDENTAL

11lui est apparu que la pratique des Nations Unies tenait compte, dans la
détermination du processusde décolonisation. du pointde savoir si leterritoire
dépendant faisait partie. au moment de la colonisation. d'un Etat encore
existant de nosjours.
D'ailleurs. l'Espagne elle-méme a reconnu que cette pratique révélaitune

règlede droit selon laquelle les revendications territoriales d'un Etat souverain
a l'égarddu territoire accédant a l'autonomie pouvait entrainer le retour du
territoire dans la souveraineté de I'Etatconsidéré. parune sorte de préférence
donnéeau principe d'intégrité territoriale sur le principe d'autodétermination
(ci-dessus p.25-26).
C'est,en effet,al'Assembléegénéralede déterminer, selon lescirconstances.
la part qui doit êtrefaite aux divers principes applicables a la décolonisation,
parmi lesquels se trouve le principe du respect de l'intégritéterritoriale. Mais
pour qu'elle soit a mêmed'opérerune telle pesée,il est évidentqu'elle doit
savoir si le principe du respect de l'intégrité territoriale estinvoqué d'unefaçon
fondée.
L'Assembléegénérales'esttrouvke devant des affirmations du Maroc, selon
lesquelles le Maroc aurait exercé sa souveraineté antérieurement a la colo-
nisation espagnole et jusqu'a celle-ciau Sahara occidental.
Ces affirmations ne pouvaient êtrevérifiéespar l'Assembléegénéraleelle-
mèrne.Elles formaient une question juridique dont la solution nécessiteI'avis
le plus autorisé qui ne pouvait etre que celui de la Cour internationale de
Justice.
II faut remarquer. comme le Maroc l'a souligné de nombreuses fois. que
I'avisattendu de la Cour n'a pas pour effet de déterminer la décisionpolitique
que l'Assembléegénéralearrêteraau sujet des modalitésde la décolonisation

au Sahara occidental.
En effet, comme on l'adit, cette décisionde caractère politique est prise au
vu de considérations d'ordre différent. parmi lesquelles les considérations
juridiques. Mais, en revanche. il serait faux de dire que l'avis de la Cour
n'aurait qu'un intérêa tcadémique.Si, en effet, il est rendu dans le sens que le
Sahara occidental était une terra i~~rlliuset que le Maroc n'y exerçait pas de
souveraineté au moment de la colonisation espagnole. l'Assembléegénérale
n'aura pas a tenir compte de l'argumentation tendant a lui faire prendre en
considérationle principe de l'intégritéterritoriale.
Mais. dans le cas contraire, en revanche. l'Assembléegénéraleaura a faire
entrer en compte, dans sa décision,le facteur très important constitué parle fait
que l'intégritéterritoriale du Maroc est en cause.
Sous lebénéfice de ces considérations.le Maroc peut donc répondre defaçon
précise a la question poséepar M. Petrén.
La clarification juridique d'une situation existant aujourd'hui qui doit être
attendue de I'avis de la Cour consiste en ce que. selon le sens des réponses
donnéespar I'avis.l'Assembléegénérale devrasoit éliminer de la discussion le
point de vue du Maroc concernant le respect de I'intégrité territoriale, soit. au
contraire. prendre ce point de vue en considérationet le faire entrer en ligne de
compte pour arrêter souverainement sa décision politique à l'égardde laquelle
I'avisde la Cour n'est pas determinant mais a l'égardde laquelle il peut avoir
une influence sérieuse.
On notera d'ailleurs que, meme si l'Assembléegénéraledécidaitde recourir a
un referendum au Sahara occidental. les modalités de ce référendum

pourraient êtreaffectéespar le fait qu'au moment de la colonisation le Maroc
exerçait sa souveraineté au Sahara. La prise en considération de ce fait
pourrait. en effet. entraîner des conséquencesquant aux Etats admis a jouer EXPOS~ ?RAL DE M.SLAOUl 251
~
un rôle ddns le processus du référendumet égalementen ce qui concerne le
contenu des questions posées aux électeurs.
L'autre jquestiondeM. Petrén est ainsi libelle

<VU l'importance donnée dans ces débats a la solidaritéreligieuse. je
voudiais poser une question aux conseils du Maroc. de la Mauritanie et
de ~'Ai~erieO. n nous a explique que les habitants du Maroc et du Sahara
occidkntal sont des musulmans sunnites de rite malékite. Est-ceque cette
appai;tenance au rite malékiteserait une particularitéqui les distingue des
habitants d'autres parties du Maghreb. par exemple des habitants de
l'Algérievoisine? >>(Ci-dessusp. 183.)
1
La Sunna est l'interprétation duCoran et du Hadith. Cette interprétation a
suivi deuxlorientations: l'une,orthodoxe. l'autre. hétérodoxe.
La différenciationentre les deux orientations résidedans une interprétation
particuliére.chez les hétérodoxes.tels lesChiites. les Kharijites. les Moatazilats.
etc. Cette interprétation puise notamment son orientation dans l'analogie etle
consensusl issu notamment de cette analogie. Par contre, l'orthodoxie est
fondée surll'interprétationdirecte du Coran. du Hadith. du Fikh (c'est-à-direle
droit musqfman) des compagnons du prophéte.et des sept juristes postérieurs.
Les rit? orthodoxes sont au nombre de quatre :ce sont desécolesjuridiques
d'interprétationde la loi coraniqueet traditionnelle. 11s'ades rites hanéfite,
hanbalite. ,malékiteet chafeite.
Le réseaud'implantation des quatre rites pourrait êtreainsi exposé: le rite

chaféiteen:Syrie et en Egypte. le hanéfiteen Irak et en Turquie et lemalékite en
Afrique dl Nord et en Arabie Saoudite. le hanbalite étant confine dans
quelques enclaves trèsrestreintes.
L'écolemalékite,celle de l'imam Malek. a pour caractéristiquede puiser ses
donnéesjurisprudentielles dans la pratique quotidienne des compagnons du
prophète. a Médine.creuset des traditions authentiques et de leurs acceptions
les plus pures.
L'orthodoxie réaliste et uniciste du peuple marocain marqua. dès
l'avènementde I'lslamen Afrique du Nord et. notamment. depuis les Idrissides
en 172 de,l'hegire (776 grégorien}. sesoptions orientées uniquement vers la
source originelle de I'lslam.
Le Maroc n'a cessé.depuis treize sikles. de synthétiser l'esprit islamique
dans ce qu'il a de plus pratique et de plus réaliste. sans s'enliser dans le
formalisme et le dogmatisme.
Le malékismese répanditen Espagne. au Sahara et en Mauritanie. comme le
reconnaît l'Espagne elle-mêmeen ce qui concerne le Sahara occidental (1,

p. 233. par. 16).Les contours de son expansion et de son évolutionépousèrent
harmonieusement lesconfins naturelsde IDccident musulman. depuis la Libye
jusqu'au Niger. en passant par Kérouan. Béjaïa.Cordoue. Fès. Sijilmassa.
Chinguiti et Tombouctou.
Cet ensemble demeurera unifie rituellement jusqu'a l'avènement ottoman
qui, au début du XVICsiècle. introduisit le rite hanéfite dans trois pays de
l'Afrique du Nord :la Libye, la Tunisie et l'Algérie.L'unicitéharmonieuse du
Maghreb arabe est alors profondément entaméeet. seuls, le Maroc. 13Mau-
ritanie et le Sahara. avecle reste de 1'Afriquemusulmane au sud du Sahara.
conservere'nt leur cachet rituel malékite. loin de toute obédience turque.
L'Empire ottoman s'est en effet arrêtéc.omme on le sait. à la frontière du
Maroc. a l'ouest. etaux confins sahariens. au sud.
Pour une documentation plus détaillée concernantl'implantation malekite et
hanéfiteen-Afrique du Nord. ilest possiblede se référer auxouvrages suivants:252 SAHARA OCCIDENTAL

1) Mudurik cd1 Cadi Apud, du VICsiècle de l'hégire,sur l'évolution du
malékisme ;
2) Dihajal Molrdltuh.de Ibn Ferhoun, écritau VIIIcsikle ;
3) Nuil el lbiihuj, de Ahmed Baba Soudanais. complément de l'ouvrage
précédent,écrit au XIc siècle;
4) Otrr~ouuii eiruyu, de Al Ghabrini, écritau VIICsikle ;

5) Al Botrsrarred,e Ibn Myriam, écritau XICside ;
6) de multiples manuels d'OctavePeslesur les applications du malékisme en
Afrique du Nord.
Enfin,on peut aussi. trésutilement, se référer a I'E~~c~~cIopOddeieI'1.slat11,
aux rubriques suivantes :rite. malékisme, hanefisrne,Maroc. Algérie.etc.
Dés l'année 172de l'hégire(776 grégorien).ldriss Icr,éluroi du Maroc a
l'unanimitéde toutes les tribus berbéres,installa son premier cadi (juge)de rite
malekite, Mohamrnrd Ibn Saïd Kaissi (consulter a ce sujet Ibn el Cadi dans '
Judnlu el Iktibu.~,pL3).Le rnalékismeest, des lors, olficiellement consacre11le
sera aussi en Andalousie, grice a l'influenced'un disciple de Malek, originaire
deTanger. Yahya el-Leithi. mort en l'an 230 de l'hégire etérige parles khalifes

omeyades de Cordoue a la dignitéde cadi suprémede toute l'Andalousie.
Cktte influence maghrébine dans tout I'Occident islamique est étayéepar
l'édificationde la Zaïtouna en Tunisie etde la Karaouyine au Maroc.
Désormais.le malékisme. avec tout son matériausunnite, trouve. dans les
cent trente chaires malékites spécialiséede la Karaouyine. un fond solide, la
source de rayonnement intellectuel qui illumina le bloc musulman régionatde
plus en plus cimente de la Méditerranéeau Niger.
Cette école malékite a fourni des jurisconsultes éminents. il s'agit de
Mohammed Ben Mohammed Dlimi, Mohammed Baba Sahraoui. Mohammed
Ben Youssef Rguibi Sahraoui. Ghalia Bent Brahim Sbaï. hlohamrned Zekkak.
de Fès. cheik Mohammed Benani. de Fès. Mohammed Sanoussi. de Fés.
Abdelwahed Ben Achir. Abou Ali Ben Rahal. du Tadla au Xlaroc. Thaini Ben
Rahmoun. de Tanger.

hlonsieur le Président. hlessieurs les membres de la Cour. nous espérons
que les réponses que nous venons de donner auront satisfait les éiainents
juristes qui nous ont fait l'honneur de les poser et complétéles eclaircissernents
fournis ala Cour.
Au moment OU s'achève. avec ces réponses. l'ultime intervention du
Gouvernement du Royaume du Maroc. mon pays tient aexprimer a laCour sa
vive gratitude pour l'attention qu'ellea accordéa ses représentantset conseils.
Qu'il me soitpermis a titre personnel de dire combien j'ai ressenti l'honneur
de conduire la delégationmarocaine dans ce débat.
II m'a kt6 donné durant les quatorze années au cours desquelles j'ai occupé
sans discontinuité divers postes ministérielsde participer a de iioinbreuses
réunions internationales dont certaines revetaient pour mon pays une très

grande importance. Puis-jeconfesser que. de toutes ces expériences.aucune ne
fut aussi impressionnante que de s'adresser a la Co~irqiijdit le droit ciitrcles
nations. Je lui suis d'autant plus reconnaissant que. par sa bienveillance. elleait
considérablement facilité ma tache. EXPOSÉ ORAL DE M. SALMON
REPRCSENTAN DU GOUVERNEMENT MAURITANIEN

M. SAL~IO :MNonsieur le Président. Messieursde la Cour. au moment où
le second tour de parole est octroaéla République islamiquede Mauritanie,
comme dans une piècede Luigi Pirandello. chacun a pu présenter les choses
.- pour faire prévaloirsa vérité.[.a subjectivité n'est cependant pas totale. La
réalitéhistorique. tout comme ledroit, présenteune irréductibioutviennent
se briser les excès. les amrmations non contrôlables. les contradictio:les
préoccupationspolitiques transparaissent sous lediscours que l'ondit. ciucroit,
objectif: leschoses sedécantent pour les choix finals qui reviendalaCour
en toute souverainetéet sérénité.
La Cour devra en particulier déterminer sielle répondraaux deux questions
précisesque l'Assembléelui a posées. L'Espagneet. dans une certaine mesure.
l'Algérieont soulevédes objections soit relatàvla compétencede laCour ou
a larecevabilitédelademande d'avissoit relativesala pertinence des questions
poséesa laCour. Pour l'Espagne. ils'agitpour l'essentieldes rnémesarguments

que ceux qui ont étéprésentes dans son expose oral. Mais on a relevé
cependant, çà etlaquelques nuances ou quelques éclairagesnouveaux ou des
affirmations nouvelles qui impliquent une réponse de la part du Gouverne-
ment de la Republique islamique de Mauritanie.
Avant 'd'aborder ces questions spécifiques. le Gouvernement de la
Républiqqeislamique de h.lauritanie voudrait rappeleanouveau a la Cour et
tres brièvement quelques eléinents purement historiques. tres simples
d'ailleurs.:que le Gouvernement espagnol s'évertue notre avisa dénaturer
pour que la Cour ne répondepas aus questions poséespar I'Assembtée.
IIest historiquement avéréque le h.laroc. depuis qu'alrecouvrél'exercice
de sa souveraineté a la fin du protectorat. et la Mauritanie, depuis 1957 et
stirtout depuis son indépendance. n'ont cesse de réclamer leterritoiredu
Sahara occidental sous administration espagnole conime partie integrante de
leur territoire. en particulier dans le cadre des Nations Unies. S'il y a des
différencesa cet égardentre le Maroc et la Mauritanie. a notre avis efles sont
purement ,formelles:quant au'rondc'est la même chose.
La hlauritanie. nous l'avonsexplique a faCour. confiante dans lechoix de la
partie de son peuple qui habite au Sahara sous administration espagnole. a
accepte lereferendtim proposé par l'Assembléepourvu qu'il sefasse dans des
conditions d'authenticitéet de respect de la volonté despoptilations et pourvu
que la Mauritanie soit consul(ee comme le demandait l'Assembléegknerale.
L'Assembféeinvitait en enet

<<la Piiissance administranaearrêteren mnsultation avec les Gouverne-
nients du Xlaroc et de la Mauritanie et toute autre partie intéresséeles
!nodallitesde l'organisation d'lin réferendD.n

A cet égard. le Gouvernement de la République islamique de Mauritanie
pense devoir rejeter les affirmarions dti Gouvernement espagnol (ci-dessus
p. 4l) selon lesquelles il y aueuiconsultation entre la Republique islamique
de Mauritanie et I'Espagnea propos du référendumau Sahara. IIy a eu certes
des contacts entre I'Espagne etla hrtauritaaipropos de ce territoire. mais ce
îiitiiniq~iement de la part de I'Espagne pour informer le Gouvernement254 SAHARA OCCIDENTAL

mauritanien de ce que le Gouvernement espagnol se proposait de faire au
Sahara. sans qu'il n'aitjamais tenu compte ni des suggestions ni des exigences
mauritaniennes. Alors. parler dans un cas de ce genre de « consultation ».c'est
aller un peu loin !
II y a deux ans a l'Assembléegénérale.le représentant permanent de la
Mauritanie, dans une déclaration. illustrait parfaitement cette situation en
disant ceci devant la Quatrième Commission :

Tout en maintenant sa confiance a I'Espagne. la Mauritanie regrette
franchement que les contacts que I'Espagne devait établir n'aient pas
donne les résultatsaue l'on ~ouvait esoérer.et ce d'autant olus vivement
que sa propre attitude a étéConciliant; L'Espagne n'a pas saisi I'occasion
de décoloniser le Sahara conformément aux résolutions des Nations
Unies. M. El Hassen tient donc à faire une fois de plus appel a l'Espagne
pour qu'elleengage sans tarder les consultations en vue de l'organisation
d'un referendum sur f'autodétermination de la population du Sahara. H
(Nations Unies. doc. A/C.4/SR.2004. p. 5.)

II est notoire d'ailleurs que la conversion de I'Espagne au principe de

l'autodéterminationet a sa modalité.le référendum,est des plus recentes.
Bienqu'acceptant ce référendum,la Mauritanie. pour sa part. n'acependant
pas cesse de rappeler leprincipe de l'intégritterritoriale et de l'uniténationale.
Nous ne reviendrons pas sur toutes les citations que nous avons faites B
l'audience publique du 4 juille(IV, p. 310-3361.
Comme la Cour le sait, a la vingt-neuvième session, l'Assembléegénérale a
poséa la Cour deux questions sur le statut du Sahara espagnol au moment de
la colonisation et, comme le reconnaît l'Espagne d'ailleurs (ci-dessusp. 141,
l'élémentterritorial a ainsi c<fait irruption>)dans le problème du Sahara
occidental par l'intervention des organes des Nations Unies. On pourrait sans
doute mieux formuler la situation en disant que ce principe. cet élément
territorial.a trouve la place qui lui revenait. Quoi qu'il en soit. pour que la
Cour écarte les deux questions posées parl'Assembléeen les déclarant non
recevables ou en se déclarant incompétente. I'Espagne a soutenu divers
arguments. C'est a ceux-ci que nous consacrerons la première partie de notre
expose. Lasecondes'attachera a répondre aux deux questions poséesàla Cour.

J'aborde donc maintenant la première partie. relative aux problèmes de
recevabilitéou de compétence.
Aux pages 17 et 18 ci-dessus, le Gouvernement espagnol a présentésa
position sous forme de trois hypothèses - le mot n'est pas de nous. il est de
l'Espagne.Ce ne sont plus donc des aflirmations ainsi que le faisait son expose
ecrit. La forme ne laissepas cependant de mettre mal a l'aise.car on ne sait pas
trop quelle hypothese est en fin de compte retenue par l'Espagne. Force est
donc de les examiner toutes les trois.
Voyons tout d'abord la premiere hypothese et, sivous me le permettez. pour
êtretout a fait sûr de ne pas trahir la penséedu Gouvernement espagnol. je lirai
le bref paragraphe qui résume cette première hypothese :

« sil'onsoutient que la réponsede la Cour ...étaitsusceptible de modifier
d'une façon fondamentale le processus de décolonisation établi par les
Nations Unies. leGouvernement espagnol prie la Cour de déclarerqu'elle
ne peut examiner le'fond de la requéte. car la réponse aux questions
poséesserait sans objet. étant donné que les organes compétents des
Nations Unies ont déjàaffirmé. amaintes reprises. quel est leprocessus de EXPOS~ORAL DE M. SALMON 255

au Sahara occidental. conforinément a la
resol$tion 1514(XV) ,>ici-dessus p. 17).

Cette hypothèse comporte plusieurs branches.
Nous ayons déjà répondu a une branche de cette hypothèse dans notre
exposéoral en montrant que la conception univoque et quasi programméeque
se faisait l'Espagne du principe de l'autodétermination ne correspondait ni au
droit international en vigueur nia la pratique de l'Assembléegénérale.Nous
ne souhaitans pas y revenir. Mentionnons simplement qu'il n'y a aucune
opposition!de principe et a priori entre les droits de la population du Sahara

sous administration espagnole et les questions posées B la Cour. Aucune,
puisqu'il s:qgit d'un avis posésur une situation bien ancréedans le temps au
XIXC siècle etque c'està l'Assembléegénéralequ'il reviendra en définitivede
prendre 15 décisionssur l'impact desréponsesdonnéespar la Coursur l'avenir
du Sahara ;occidental.
La citation dont on fait grand cas (ci-dessus p. 40) de la déclaration du
représentant de la Cote d'Ivoire prouve j.notre avis amplement la non-
contradiction entre les questions posées par l'Assemblée généraleet les
principes contenus dans la déclaration 1514(XV).
Dans une deuxième branche - oserai-je dire qu'ellem'a paru passablement
<<tordue DI- on suppose que le Maroc ou la Mauritanie peuvent soutenir que
l'avis de !a Cour sera susceptible de modifier de façon iondameritale le
processus te décolonisation.C'est la supposition de départ.
Lesdeux Etatsintéressesne sont ni desCassandre. ni des Mm Soleil, et ilest
tris malaise pour eux de faire des prévisions. En tout état de cause, on
comprend lmal comment leurs velléitésc ,omment les espoirs qu'ils pourraient
nourrir sur l'impact que pourraient avoir les réponses de la Cour sur
1'Assernblé;geénéralepuissent êtrede nature a affecter apriori la recevabilité
desquestions poséesa la Cour. Cette dernière est habituée.que je sache. i voir
utiliser po1,itiquementet diplomaiiquement ses avis. aussi bien par les organes
qui sont habilitb à les lui demander que par les Etatsqui y ont intérêtI.I n'ya.
je pense. rien de neuf dans une telle situation.
~rétendie enfin - toujours dans cette première hypothese - comme le fait
I'Espagne.;que les questions de l'autodétermination sont déjà résolues par

l'Assembléegénérale (ci-dessus p.29) est dérisoire.étantdonné te texte de la
résolution13292(SXIIO. Lerevirement n'est pas une simpfe action unilatérale
de la hlauritanie et du Maroc. Ce ne sont pas la hlauritanie et le Xlaroc qui ont
demande a l'Espagne de surseoir au référendumqu'elle n'avaitd'ailleurs pas
encore entrepris depuis dix ans. C'est l'Assembléeelle-même qui apris cette
décision.Ce n'est pas la le signe que la question soit résolue. L'i\ssemblée
prendra de nouvelles décisionssur la base de l'avisde la Cour et du rapport de
la commis~ion d'enquète envoyée sur le territoire et de l'évolutionpolitique
généralede la région. Encore utle fois. on ne voit pas comment toute cette
activité politique postérieurepourrait affecterlarecevabilité de la demande
d'avis. 1
J'en viens à la deuxième hypothèse :
I
csi ibn soutient l'existence d'une question juridique actuellement
pendinte concernant lestatut territorial du Sahara occidental au moment
de la :colonisation espagnole. au sujet de laquelle le Maroc a proposéa
l'Espagne de saisir conjointement cette Cour au contentieux. et si la Cour
constate une identitéentre I'objetdu différend et l'objetdes questions de la
requête pour avis consultatif, le Gouvernement espagnol ...
! 256 SAHARA OCCIDENTAL

[demande a la Cour] ..qu'elle envisage l'opportunité dene pas exercer sa

compétence » (ci-dessus p. 17-18).
La Cour se souviendra que nous avons rencontre cette deuxième hypothèse
dans notre exposéoral lors du premier tour des débats.
La question qui se pose ici est de savoir si le fait que la note marocaine du
23 septembre 1974. proposant a l'Espagne de saisir la Cour au contentieux de
questions proches de celles qui ont étéposéespar l'Assembléegénérale a la
Cour. doit conduire cette dernière. dans le respect d'une saine interprétationde

sa fonction judiciaire. a envisager l'opportunitéde ne pas exercer sa com-
pétcnce.
. .- Avant d'en.venir a la réponsea~cettequestion;on,constatera que clansfa
phase orale de la procédure le Gouvernement espagnol procède de manière
complétea l'amalgame de deux notions :cellede differend juridiquement ne et
celle de question juridique pendante. Je viens de faire une citation en insistant
de4a:voix sur le fait que ledeux expressions se trouvaient dans le même para-
graphe, mais je puis faire égaiementune citation (ci-dessus p. 15) ou I'Espagne
déclare :

<(compte tenu de I'objet des questions soumises a la Cour. on doit
constater qu'il s'agit de questions territoriales actuellement pendantes
entre deux Etats. le Maroc et l'Espagne :car il ya identitéentre l'objetdu
differend et I'objetde la demande d'avis. )>

LeGouvernement de la Républiqueislamique de hqauritanie ne salirait assez
soulignerdevant laCour le caraçtere a son avis dangereux de cette confusion.
La notion de question juridique pendante entraine un régime juridique
particulier au point de vue de la procédure(artic1es87 et 89 du Règlementde la
Cour :application des dispositions de la procédure contentieuse a la procédure
consultative. problème de la désignation d'un juge ad hoc - nous ne
reviendrons pas sur ce péniblesoiivenir).
La notion de différendjuridique peut entrainer des conséquences tout a fait
différentes. notamment sur l'opportunitépour la Cour de ne pas exercer sa
compétence.
IIs'agitdonc de deux notions tout à fait differentes. ayant des conséquences
différentes.,La Cour, dans son avis sur l'I~zterpr@tariordzes traitks de paix.
preii~ièreplrose. a fait parfaitement la distinction en disant qu'elle ne devrait
s'abstenir. en cas de question juridique pendante. que si la question posée
concernait directement le point essentiel d'un differend actuellement ne entre
..
deux \Etats de sorte qu'y répondre équivaudraiten siibstance a trancher un
différendentre les parties )r(C.I.J.Rec.cut.1i950, p.72).
Uonc non pas en cas d'existence d'une question juridique tout court. Je crois
qu'ilétaitimportant de montrer le danger que peut representer l'amalgame des
deux notions.
h4.aisrevenons maintenant a la question de la proposition marocaine du
23 septembre 1974. Selon l'Espagne :
« les questions constituant I'objet de la demande d'avis peiivent étre
considéréescomme se rattachant a un dirférend juridique relatif au

territoire du Sahara occidental existant entre le Maroc et I'Espagne ...il y
a un lien direct entre l'objet des questions de la requète pour avis
consultatif et l'objet d'un dimerend que le Maroc prétend qu'il existe... >r
(ci-dessus p. 14).
L'avis rendu par la Cour en 1950. nous venons de le dire; prenait comme EXPOSEORAL DE M. SALMOX 251

critèreesséntielcelui-ci :il fallait.pour que laCour n'exerce pas sacompétence.
que la quktion présentesur un point essentiel un différend actuellement né

entre deux Etats. de sorte qu'y répondreéqiiivaiidraiten substance a trancher
un differend entre les parties.
La première question qu'ilconvient donc de se poser est desavoir s'ily avait,
par la note marocaine du 23 septembre 1974. Lindifférend actuellemerit ne.
Ce n'est pas nous mais l'Espagne qui insiste sur le « prétendu différend
territorialentre le Maroc etl'Espagne » (ci-dessusp. 10, 1 2et 401.
Ce n'est pas nous. mais l'Espagne qui. non sans humour je dois le dire.
expose ceci :

que la note marocaine du 23 septembre 1974est un exemple de cequ'on
pourrait appeler la détermination unilatéraled'un différend.car le X.laroc
ne s'est pas limite a exposer sa propre position sur le différend mais
d'abo'rd ila fixela position espagnole. et. par oppoçirion. ila affirme que le
X,larocprétend le contraire. C'est un procede facile pour concrétiser un
différend...» (ci-dessus p. 13).

Ce point de vue sceptique de l'Espagne trouve. de l'avisdu Gouvernement
de la Républiqueislamique de htlauritanie. un fondement très solide en droit
adans laju(isprudence.de la Cour : . -. . .

«,il ne suffit pas que l'une des parties ü une affaire contentieuse aflirme
l'existence d'un différend avec l'autre partie. Lü siinple afirmation ne
~ufit]~as pour prouver l'existenced'un différend ..» (C.I.J. Recueil 1962,
p. 328).
Je pour+uis la citation:

li n'est pas sufisant nori plus de démontrer que les intérêtd ses deux
parti? i une telle affaire sont en conflit. II faut démontrer que la
réclamation de l'une des partieS.se heurie i I'opposiiion manifeste de
l'autrk.,>(1hid.l

« ~èxisience d'un différend internationaldemande a etre établie objective-
ment ...>>a encore ,dit la Cour dans l'affaire de I'l~r~crprC;,a~ioiiStnritc<s&>
paix (C.1.J.RPCIIL1 '950;p. 74).
Et.traitbnt de la naissance du différend.Charles De Visscher écrivait :

<(Lie différend vient a naitre lorsque I'oppositioi~des vues des
gouvèrnemcnts. telle qu'elle a &tédefinie plus haut. doit êtreconsidérée
comme officielleet définitive. )>blspecis rkciils di!droif proc~d~~rod le lu
Coiri.;;liirniuiiu~ra~e Jiniicr. Pedone. Paris. 1966.p. 43.)
On peut donc en conclure que la note marocaine du 23 septembre 1974

n'étaitpal stifi.sante pour qu'il y ait un différend actiielleinent ni. entre
l'Espagnect Ic Maroc.
Pour le, reste. nous avons déjà souligné (IV, p. 350) qu'en dkpit de
l'apparence l'objetde la demande d'avis et celuide la note marocainene sont
pas lesmêmes.
Nous voudrions approfondir un peu la question cil développant deuxidées.
d'une part! que le texte est différent.d'autre pari que le contexte est différent.
En prer$ier lieu. le lexie est différent.dii moins cn partie. car la deinande
d'aviscornpone une seconde question. dont. Contrairement icequ'a soutenu le
Gouvernement espagnol. le texte n'a pas etc impose i~la hqauritanie. niais est
d~iau contpire a uneinitiative miburitanienne :ilsuiXid'avoir Lininininiiim de

sens politique pour ç'eiirendre cciii>pie.Lorsqu'on litde inaniere attentive les258 SAHARA OCCIDENTAL

documents et les déclarations qui ont amené l'Assembléea formuler les
questions telles qu'elles apparaissent dans leur forme définitive,on se rend
compte sur ce point de l'importance de l'apport mauritanien.
Le ICroctobre 1974. soit deux mois avant l'adoption de la résolution. le

ministre des affaires étrangères de la République islamique de Mauritanie
déclarait:
« Ceci prouve qu'au moment de la penetration espagnole ilexistait bel
et bien un pouvoir traditionnel au Sahara. comme partout en Afrique. On
ne peut tirer. certes. des droits de la simple existence de ce pouvoir. Mais
les liens de ce pouvoir avec la Mauritanie indépendante n'ont nullement
besoin d'êtredémontrés.>>(NationsUnies. doc. A/PV.2251. p. 78.)

Et plus loin. dans la mêmedéclaration,il ajoutai:
« Ainsi donc, la Cour internationale de Justice devra, en même temps
qu'elle établira ou non l'existence d'un pouvoir au Sahara, déterminer
les liens de celui-ci avec la Mauritanie et leMaroc.<» (Nations Unies,

doc. AlPV.2251, p. 84.)
Et, deÙx mois plus tard, le représentant de ta Mauritanie, M. El Hassen,
devant la Quatrième Commission devait reprendre les.mêmesidéesmais en
utilisant cette fois-ci l'expression <<ensemble mauritanien » plutôt que
« Mauritanie » (Nations Unies, doc. AlC.4lSR.2 117,p. 38).On voit donc qu'il
y a une différenceentre les questions posées par la note marocaine et les
questions finalement poséespar la Cour.
Mais. ce qui est capital. c'est que le contexte est tout à fait différent.La note

marocaine était ou se voulait une prise a partie unilatérale tendanta voir
définir un differend ea faire trancher un litigequi. quoique libelléde manière
non complètement précise.avait l'allure généraled'un conflit territorial.
Dans la demande d'avis.il ne s'agitplus de trancher un litige entre le Maroc
et I'Espagne. mais de donner a l'Assembléegénérale des indicationssur la
situation juridique du territoire. au moment de sa colonisation par l'Espagne.
c'est-à-dire juste avant et au cours du processus de colonisation. et. en
particulier. de dire quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec
l'ensemble mauritanien et le Maroc. Ces élémentsne tranchent pas un
differend quelconque entre le Maroc et l'Espagne. ni entre les autres Etats
intéressés.Les réponsesseront des éléments d'appréciation pour l'Assemblée
généraleafin qu'elfe puisseexercer ses fonctions de décolonisationen pleine
connaissance de cause de tous les faits hislorico-juridiques du problème, au
moment de la colonisation. L'Assemblée.dans ses questions, ne fait nullement
allusion à'un quelconque différendhispano-marocain, elle décidedesuivre une
procédure spécifiquedans le cadre de la décolonisation.

Non content d'invoquer la note marocaine du 23 septembre 1974. le
Gouvernement espagnol a traitéde<<l'existenced'un prétendu différendentre
l'Espagne et ces deux pays [dans le contexte. les deux Etats sont le Maroc et la
Mauritanie] concernant le statut du territoire au moment de sa colonisation>>
(ci-dessus p. 10).
Et pour prouver cela. l'Espagne invoque le fait que le conseil de la
Mauritanie a parlé,lors des audiences sur le juge ad Iioc,de revendications
fondamentalement differentes n, de « situation conflictuelle trilatéra»e(IV,
p. 85).
Je dois dire que j'ai étédku. D+u sur l'impact qu'ont eu les qualités
pédagogiques du conseil de la Mauritanie sur la délégationespagnole, car
depuis mai ce conseil n'a cesséde repousser la notion de différend. La I
EXPOSEORAL DE M. SALMON 259

Mauritanie n'a jamais invoque ni soutenu que les questions posées par
l'Assembléeétaient relatives a un différend. Je mets au défi la délégation
espagnole(de trouver un seut endroit ou nous aurions tenu un pareil langage.
Au contraire. nous avons fonde toute notre argumentation sur la notion de
question juridique pendante. estimant que ce n'était pasla mêmechose.
II est vrai que la délégationespagnole essaie. je ledisais tout a l'heure. de
faire l'amalgame des deux notions et ceci explique peut-être cela.
J'enviens a la troisieme hypothèse et jecite encore l'exposéoral espagnol(ci-
dessus p. 18) :

iisi [;onsoutient l'existenced'un différendjuridique actuellement pendant
entre le Maroc et I'Espagne. portant sur des droits de souveraineté au
~aha)a occidental au moment de la colonisation par I'Espagne. etsi l'on
admet que cette question juridique constitue l'objetde la présenterequête
avis consultatif, alors le Gouvernement espagnol, ..prie [laCour]de
déclarer qu'ellen'est pas compétente pour I'exanien de ce différendpar la
voie'consultative. car l'Espagne n'a pasdonnéson consentement ..),
l
Ide~oùvernement espagnol de même :
cidise absolument son consentemenl à ce qu'undifférend ou bien une
ques!ion juridique actuellement pendante entre Etats. dont l'un serait
I'Espagne. puisseêtresoumis a laCour sans son consentement. que ce soit
par la voie contentieuse ou bien par la voie consultative » (ci-dessus
P. 38).

Ces formulations impliquent que la Cour aurait le devoir de se déclarer
incompétente si les conditions données étaient réunies. La Cour nous
permettra de ne pas revenir sur les développementsantérieursque nous avons
accordés ,a cette question et où nous avons essayé de montrer que la
jurisprudbnce de la Cour étaitfixéenon pas dans lesens d'un devoir mais dans
le sens d'une simpleJucu11e'pour elle de ne pas trouver opporririi.dans ce cas.
d'exercersa compétence.On notera au surplus. dans le libelléde cettetroisième
hypothesk. a nouveau. l'amalgame. que laMauritanie juge non fonde, entre
différend$ question juridique pendante.
Quant'au fond de l'argument. on relèvera simplement qu'aucun ciifErend
juridiquel portant sur des droits de souveraineté au Sahara occidental ne fait
l'objetdes questions posées.
Quoi qb'en dise l'Espagne(ci-dessus p. 7).il n'estpas question d'examiner les
titres de <ouverainetéde I'Espagne au Sahara ;ce dont ilest question. c'est de
déterminer a qui appartenait le territoire avoiitson arrivée! Cimputaiion faite
a la Mauiitanie (ci-dessus p. IO) estsans fondement. On y lice qui suit :<<de

l'avisde {es gouvernements [Maroc et Mauritanie], la Courest priéed'entamer
I1examen/destitres de souveraineté sur le Sahara occidental au moment de sa
colonisation par L'Espagne ...>)
LaMalritanie ne croit avoirrien dit de tel, ni s'etre livrëe, saupart, Bun
tel examen qu'ellea toujours estiméhors de propos.
L'Espa1ne a encore soutenu (ci-dessus p. 24)que :
{(Dans la présente affaire.on voit qu'un prononce de taCour sur le
statbt juridique du territoire du Sahara occidental, au moment de sa
colonisation. mêmeen écartant toute réference a un dimerend avec
lS~spagne.serait de nature a porter atteinte au bien-fonde. dans leur
origine. des droits de souveraineté espagnole sur le territoire.»
I
Encore une fois. la Mauritanie estime qu'il estparfaitement possible que la

I260 SAHARA OCCIDENTAL

Cour rende un avis sur les questions posées sans porter un jugement
quelconque sur la validitédes titres de I'Espagne, a condition. bien entendu.
qu'elle se borne a rester dans le cadre des questions qui lui sont posées.c'est-
a-dire de dire queHeetait la situation au moment de l'arrivéede I'Espagnedans

le territoire..
t'exposéoral espagnol a faitlonguement et fréquemment étatde l'affairedu
Cat~ierou~iseprrritrior~ol(ci-dessus p. 19, 20,23, 24 et 29).Il a aussi fait des
allusions a l'affairede l'Or t~loïl&faipris b Ro~rir(ci-dessus p.24). Dans ses
développements relatifs à ces deux affaires. on voit que I'Espagne assimile
complètement la procédurecontentieuse et la procédure consultative. en ce qui
concerne la nécessitédu consentement de la partie au differend. Nous ne
reviendrons pas sur ledéveloppementassez long que nous avions déjàaccordé
a cette question, a l'audience du 7 juillet, ou nous avons montré que. a notre
sens. on ne pouvait pas confondre les deux procedures. Nous ne reviendrons
pas non plus sur les termes. a notre sens. décisifs.de la Cour elle-mêmedans
son avis sur I'ltitcrpreiratioiides trnitgs de paix, prei~iièrepliuse. qui font bonne

justice de cette assimilation.
La seule chose que nous votidrions reIe~er,~c'estle mode de raisonnement
qui apparaît a la page 29 ci-dessus.
Après avoir-cité'desextraits des affaires du Catnerouii-septetre ttiesl:lol
Essais tiuciéuires.le representant du Gouvernement espagnol dit ceci :
« Je me permets de souligner que la référence.par la Cour. a des
(<conditions essentielles de la fonction judiciaire )>ne laisse subsister le

moindre doute que ces considérations sont d'application a Lajuridiction
contentieuse aussi bien qu'a lajuridiction consultative.))
Autrement dit. le raisonnement est lesuivant :si.a propos d'unarrêt.dans le
cadre d'une procédure contentieuse. la Cour décidede ne pas exercer ses
pouvoirs en se fondant sur les conditions essentielles de la fonction judiciaire.
sa jurisprudence tirée de ce cas contentieux pourrait étre appliquée a la

procédure corisultative. Nous ne pouvons suivre ce raisonnement. car s'ilest
vrai que la Cour entend respecter les conditions essentielles de la fonction
judiciaire aussi bien dans une procédure que dans l'autre. cela ne veut
évidemment pas dire que ces conditions soient les mèmes dans les deux
procédures, puisque ces dernièresrtpondent a des finalitéset a des exigences
tout a fait différentes.
On peut donc conclure de ce qui précédeque ces trois hypothèses présentées
par I'Espagne n'ont pas.de l'avisde la République islamiquede Mauritanie. a
être retenues parla Cour.
IIen va de même des propositions qui tendent a changer les questions posées
a la Cour par 1'Assemblée.Des propositions de ce genre ont étéfaites en
essayant d'actualiser. sous une forme ou sous une autre. les questions poséesa
la Cour. Ces deux questions sont clairement situées dans le temps: <<au

moment de la colonisation >>et ne devraient pas. par un moyen ou un autre.
êtreprojetéesen 1975 pour faire trancher par la Cour d'autres questions.
Or. pourtant. telleest bien la tentative du Gouvernement espagnol (ci-dessus
p. 22) - bien qu'il se défendede vouloir modifier les questions po& a la
Cour - lorsqu'ii.prend la position suivante :
le Gouvernement espagnol ne prétend pas que la Cour arrive.à la

formulation de questions nouvelles. non envisagées par L'Assemblée
générale lorsde,l'adoption de la résolution portant requète pour avis
consultatif. Nous avons allirmésimplement que les questions poséespar EXPOSEORALDE M.SALMON 261

la requêtene peuvent pas êtredissociées ...l'application de la déclaration
concernant l'octroi de l'indépendanceaux pays et aux peuples coloniaux.
Ce faisant. il appartient 1 la Cour de considérer la connexité entre les
queslions, objet de la requêtepour avis consultatif. et les principes établis
par la résolution 1514(XV). )i
I
Plus loin. le Gouvernement espagnol parle de la vraie question juridique
implicite dans l'avis»(ci-dessus p. 29).
Incidemment, on relèveraque le point de vue du Gouvernement algerien est
du même;ordre, lorsque son représentant déclare(IV, p: 490-4911 que la
Cour est en présencenon pas d'iinearaire portant sur des titres ancieiis et sur
. ..- ..-.l'appréciafiode leur.validjté, maissur,un prbkleme issu de la mise eii Œuvre '
de la resolution 1514 (XV) » et le meme représentant-reconnaît qu'il s'agit
moins d'uneadaptation que de la substitution d'une norme exactement inverse.
Ces positions, selon le Gouvernement mauritanien, mnduisent a des contra-
..dictions. , . % -
Pour prendre la position de l'Algéried'abord. on voit mat comment le
Gouverne;ment algérien peut expiiquer ce changement d'orientation de la

question avec le fait qu'il prend la positio- et àjuste titre d'ailleu-s que :
« En rendant un avis consultatif, la Cour ne saurait s'érigeren organe
de contrôle de fa politique suivie en matière de décolonisation par
l'Assembléegénéraledes Nations Unies. Le terrain sur lequel se place la
Cour est celui du droit, alors que le plan auquel se situe 1'Assemblée
généraleest celui de la politique et de l'opportunité> ,IV, p.483.)

Or. pousser la Cour à quitter le terrain historique précisque lui a indique
l'Assembléepour se lancer dans le droit à l'autodétermination à t'époque
actuelle. n'est-cepas empiétersur lesprérogativesde l'Assembléegénbrale?
Je crois qu'il faut admettre que l'Assembléea exercéses prérogatives en
posant uie question et pas une autre. comme elle les exercera encore pour
attribuerFUX réponsesde la Cour l'impact qu'ilconvient sur lecours futur des
événements.
Quant )a I'Espagne, la contradiction se situe a un autre niveau :celui de
l'application du droit intertemporel. Tant M. Arias-SaIgado (ci-dessus p.53 et
suiv.)que M. Gonzilez Campos (p. 104 et 106)ont longuement insistésur le
fait que16 datescritiques pour les questions posées àla Cour sesituaient dans
les environs de 1884 ou la période qui a immédiatement précédé cettd eate.
Sans discuter ici le mérite du choix de ces dates, iious ne comprerions pas
comment M. Lacletapeut, pour sa part; insister pour que la Cour applique aux

faits de la causla résolution 1514(XV)de 1960. Nous supposons que ce n'est
pas aux expéditionsde Bonelli, de Cervera-Quiroga-Rizzo ?Ce sont, je pense,
MM. Salgado et Gonzalez Campos qui, croyons-nous, ont raison en sesituant
dans le pisse et non dans le présent.Letexte de l'Assembléeest sans équivoque
sur la pkiiode critique:<<au moment de la colonisation >>.
Pour 1 dégagerdes limites temporelles de la question, le Gouvernement
algérien a laisséentendre que la Cour devrait traiter du principe de l'auto-
détermination,car celui-ci est par sa nature de jtrs cogt.tlsOn se souviendra
que, dan4 son exposéécrit, l'Espagne avaitdéjàfait allusion a cette possibilité.
qu'ellene semble pas avoir reprise d'ailleurs dans sesexposésoraux, si.jlaibien
éteattentif.
L'introduction de la notion dejus cogeris dans la présente affaire soulève
plus de qu'elle n'en1-esout: lejus cogeiisexiste-t-il en dehors de la
convention de Vienne-du 23 .mai 1.969qui* en traite aux articles 53 et 64 ? -262 SAHARA OCCIDENTAL

Comment la Cour devrait-elle interpréter lefait que cette convention n'est pas
encore en vigueur ? Comment devrait-elle interpreter le fait que lejus coge~rs
n'y apparait que comme un moyen d'invalidation des traités qui lui sont
contraires ? Comment pourrait-elle interpréter le fait qu'il s'agitde traitésqui
lui sont contraires« au moment de leur conclusion » ? En tout état de cause.
quel est le contenu de la norme de droit des peuples a disposer d'eux-mérnes
dont on prétendqu'elle a le caractère dejiis cogeris?
Peut-on en dissocier le principe de l'intégritéterritoriale que consacre la

Charte desNations Unies. lapratique de I'Assembléegénérale.la résolutionou
déclaration sur les relations amicales. qui dit que tous ces principes sont
intimement liéset doivent étre interprétésles uns par rapport aux autres ?
A supposer que I'onse mette d'accord sur lecontenu de la norme du droit
des peuples a disposer d'eux-mêmesaux fins de la présente affaire, cettenorme
peut-elle êtredéfiniecomme (iune norme impérative du droit international
général. acceptéeerteconnue par la communauté internationale des Etats dans
son ensemble en tant que norme a laquelle aucune dérogationn'estpermise ))?
Là ne s'arretent pas hélasles questions qui peuvent se poser pour ceux qui
souhaitent examiner d'une manière sérieusela notion dejus cogeirs.et peut-
étrela Cour riejugera-t-elle pas essentiel de s'engager dans cette recherche qui
apparait d'autant plus inutile qu'il s'agitd'une question différentede celle posée
par l'Assembléegénérale etque I'ontente desubstituer a celle que I'Assemblée
générale asoumise a la Cour.

Nombreux sont ceux qui soutiennent que l'Assembléegénéralen'est pas un
modèlede précisionou de clartédans la rédaction des textes, mais il y a des
limites que l'on ne saurait franchir dans les imputations d'incompétence
législativede cet organe.
Le rapport que l'Espagnesouhaitait voir anaiyser entre l'aspecthistorique de
la question et son aspect actuel- rapport dont l'Espagne avait souligne a ces
yeux l'intérêd tevant I'Assembléegénérale - il ne tenait qu'a I'Assemblée
généralede demander a la Cour de l'analyser. L'Assemblée - tous les Etats
qui ont plaidédans la présenteaffaire devant cette Cour l'ont reconnu - a.
dans sa résolution 3292 (XXIX). réservé expressémentt'application de la
résolution 1514 o(V). Nous avons vu dans notre exposé du 4 juillet (IV.
p.33 1)que cette référence est deslus ambiguës. L'Assemblée genérale auraitpu
faire plus. Elte aurait pposer ala Cour une troisièmequestion, par exemple :

Quels sont les rapports entre les liens qui précédentet la situation
actuelle du territoire. compte tenu de l'application des résolutions
pertinentes de l'Assembléegénéralesur la décolonisationet sur le Sahara
occidental ?)>

Cette question. l'Assembléene I'a pus posée ala Cour. L'Assemblee s'est
réservéecette part des choses. hésitant sans doute a lancer la Cour dans un
terrain politique. Elle n'ademandéa la Cour que de répondre adeux questions
précisesratioirelriateriae et ratioriete~r~porisq.uestions qui ont un caractére
juridique indéniable, l'Espagne l'admetexpressément (ci-dessus p. 18).Nous
pensons des lors qu'il est pour le moins inutile et inopportun de vouloir
entrailler la Cour sur d'autres voies.

L'aridieiice.sirsperid~ta 11h 15,est reprisea Il Iz40

Monsieur le Président. hlessieiirs déIa Cour. avant de passer a la seconde
partie de notre exposé qui sera. d'ailleurs, je dois vous le diretout de suite.
beaucoup plus longue que la première, pour que vous ne vous nourrissiez pas 1
EXPOSE ORAL DE hl. SALMON 263

d'iliusions.ijecrois que le moment est peut-être venude répondrea la premiére
question de M. Petren qui avait. un s'ensouviendra. le contenu suivant :

(<Est-cequedes réponses aux questions adresséesàla Cour seraient de
nature a apporter une clarification juridique d'une situation existant
aujourd'hui et, dans cecas, aquel égardest-ce que les réponsesde la Cour
auraiènt un tel effet?» (Ci-tlessusp. 140.)
Pour rédondreà cettequestion. nous voudrions tout dàbord, nous référerà
cette hypothèse qu'envisageait justement, devant la Quatrième Comnlission,
M. El as s repré.sentantpermanent de la Mauritanie, le 27 novembre 1974.
Voici ce qu'ildisait:

(<le p~roblèmedu Sahara est global et ne peut étrecompris que considéré
comme tel. II est possible certes d"en clarifier un aspect mais
l'homogénéitéde ces régions et l'intérêtsuperieur des popiilations
concernées ne devront en aucun cas ètre mis en cause par une
clarification. L'essentieldemeure en fait pour les pays intéressésd'aboutir
à une décolonisation complete de ce territoire conformément aux
résolutions pertinentes des Nations Unies. Ils'agitseulement de définirde
manière plus préciseles modalités pratiquesde cette décolonisation :c'est
là I'intérètue représente.pour l'Assembléegénéraled . ans la recherche de
cette définition.l'avisconsultatif a demander a la Cour. En effet. lorsque
la Cour aura établique ce territoire. au moment de sa colonisation. avait
des liens specifiques avec le Maroc et la Mauritanie. une étapeau moins
dansicette recherche aura étéfranchie. » (Natjons Unies. doc. .4/C.4/

SR.21 17. p. 39.)
IIavait ,dit quelques instants auparavant:
\
(<La Mauritanie veut prouver - et est sûre de pouvoir le fair- qu'il
existait une autorité au Sahara au moment de sa colonisation par
l'€spagne et que cette autorité. ouce territoire. avait des liens spécifiques
avec) la Mauritanie et le Maroc. L'objectif de ce recours est de faire
comprendre 3.cette partenaire et amie qu'est la Puissance administrante
que Iïnterèt portéau Sahara est déjàjustifje sur le plan juridiqueque les
consultations prévuespar lesNations Unies. a propos de ladécolonisation
du Sahara. ont pour but de définirune politique concertée tenant compte
des préoccupations des pays respectifs et dii droit des populiitions. »
(Ibid,. p. 36.)

Nous aimons a faire ces citations, Monsieur le Président. Messieurs de la
Cour. car: elles tnontreni l'opinion de la Mauritanie a ce propos. je diraisMi
rei??poreJ(~Isi~specto.avant que l'avis meme ne soit posé ; et je crois qu'il y a
peu de choses a dire de plus. Tout au pl~ispeut-on peut-êtrepréciser ceci : si
l'on admet que le territoire faisait. pour une partie. partie integrante du Bilad
~hin~uitilet, pour l'autre, partie intégrantedu Royaume du Maroc, au moment
de la colonisation. le principe de l'intégriterritoriale devrait apparaitre avec
plus de nèttetéa l'Assembléegénéralecomme un principe qui a a s'appliquer
dans la decolonisation. Mais. encore une fois. c'est l'Assembléegénéralequi
aura a trqncher la question. apeser quelle sera l'importance de cet elernent.
La Requblique islamique de Mauritanie espère avoir répondu de manière
aussi complète qu'il le souhqitea l'honorable juge.
Nous iiendrons donc maintenant à notre seconde partie. si la Cour le
permet. et nous essaierons d'examiner les deux questions qui sont poséespar
l'Assembléegénérale. 264 SAHARAOCCIDENTAL

Premièrequestion :Le Sahara occidental était-ilterra ilullius au moment de
ta colonisation par l'Espagne ?
Le représentant de 1'Algériea fait. devant la Cour. une très intéressante
analyse de ta notion de lerra t~l~lli~et je dois dire. en tout cas pour mon
compte. à bien des égardsfascinante. La fonction demystificatrice du propos
n'a.échappé à personne. IIa étémontrécomme leconcept de ferra iiulliirsavait

-u le caractere romain ou chrétien ou la structure d'Etat civilise-ioritédonné
de réifier.
transformer en chose. de « chosifier». conirne l'on dit dans le jargon philo-
sophique moderne. l'autre. de nier sa personnalité pour mieux le con-
. .quérir. La démonstration etail<impressionnante: Nos réserves : on .pouvait.
s'attendre que nous en ayons' ' portent sur la partie de la démons-
tration relative a la fonction purement endogéne - je reprends les concepts
utilisés par S. Exc. M. Bedjaoui - du concept et. de manière corres-
pondante. le refus de voir dans le droit de l'époqueune quelconque fonction
exogèneau concept.
Pour arriver a cette conclusion. S. Exc. M. Bedjaoui suit une démarche
intellectuelle qui. si elle a le méritede dévoilerle caractère idéologiquede la
notion. nous parait mésestimer la doctrine de l'époque - on nous dira que
c'est là péchécoutumier et véniel - mais aussi de nier la pratique étatique,en
particulier dans le dernier quart duXIXc siècle.
En restant dans le mêmesystèmede penséeet de langue que celui qu'ilnous
a étédonne d'entendre. il nous semble que. pour ne pas faire violence a la
réalité.il eut fallu poursuivre la démonstration. la compléter.
En eflet. a l'époque envisagée. ily avait une contradiction entre la

philosophie humaniste. les idéeslibéralesdes classes dominanles dans les pays
européens et tes appétits territoriaux de ces Etats européens. Si ces appétits
étaient favorisésetjustifiésmoralement par la notion de ferra t~ullitts.c'est la
son contenu idéologique. en revanche la couverture humaniste posait des
conditions. exigeait le consentement des populations. par l'intermédiaire de
chefs reconnus et dans des conditions n'impliquant aucun vice de consente-
ment. Certes. on peut dire que tout ceci restait formel et que la brutalitéétait
souvent le fait des exécutants.Des exécutantspeut-être. maisle droit se gardait
bien de l'assumer.
En d'autres termes, nous estimons qu'il ne faut pas présenter le droit
international de l'époquede manièrepire qu'il n'était. e droit ne se voulait pas
brutal et cynique. De la son insistance sur la nécessitédu consentement donné
par les représentants attitréspour rendre valable la cession de la souveraineté.
De là l'implication de la souveraineté du cédant pour parfaire le titre du
cessionnaire. II raut rendre justice S. Exc. M. Mohammed Bedjaoui qu'il a
d'ailleursreconnu cet aspect,,mais ce fut pour en minimiser immédiatementles
effets(IV, p.485 et 502).Pourtant, telle a étéla règlede droit qu'on ne peut
gommerd'autant plus qu'ils'estagi non seulement d'une règlemajoritaire pour
la doctrine à l'époquequi nous concerne, et à cet égard je crois qu'il faut
reprendre les travaux de synthésede Gaston Jèzeet de Charles Salomon qui
écrivaient la fin du siècl;et je doisdire qu'a cet égardlesouvrages de 1973

ne me paraissent pas pertinents. 11s'agissait donc non seulement d'une règle
majoritaire en doctrine a l'époquemais encore d'une règlequi a été suivie par
une pratique généraliséd ees Etats pendant la période en question. Encore une
fois, nous renvoyons aux develo@ments de notre exposé écrit età son an-
nexe XI (111,p. 114-116) qui montre le sérieuxavec lequel les chancelleriesse
. . penchaient sur la valeur de ces titres. A cet égard, l'Espagne ne semble pas
avoir compris pourquoi nous avions introduit cette annexe XI :ce n'etait pas du tout p*ur parler de l'Adrar, mais bien au contraire pour illustrer l'intérêt
que la Flnce portait justement aux titres de l'Espagne et comment elle les
décortiquaitpour essayer de s'eniparer de l'Adrar. La valeur de ces titres. leur
authenticité, leur opposabilité étaitune chose qui était essentiellea l'époque.et
il y a des centaines d'exemples ...

S'ilest indéniable.je veux bien le reconnaitre avec S. Exc. M. Bedjaoiii.qu'il
y a eu des « traitésde verroterie » et meme beaucoup de traites de verroterie,
tous les traitéspasses a l'époquesont loin dëtre tombésdans cette catégorie.Je
renvoie a l'ouvrage de Lindley. TlzeAcquisiifo~i ot~dGovrr~imeiifof Backward
Trrrirory irj Iti~ert~a~iofiLlaw (Longmans, Green and Co., Ltd., Londres,
19261, qui donne un expose impressionnant de la pratique des chancelleries a
l'époquequi nous concerne.
IIen découlequ'ilconvient de nuancer les conséquencesque le reprcsentant
de la République algérienneveut tirer. disons. de la faute originelle dont est
marquée la notion. cette consequence étant que la Cour ne pourrait l'utiliser
ou. je cite(<ne pourrait rien en tirer D.
IIest certes exaltant de démythifier les notions juridiques formelles età titre
personnel: nous ne critiquerons certainement pas S. Exc. M. Bedjaoui de
l'avoir fait pour la notion de [erra irullius. Mais il convient de se poser la
question des conséquences sur le plan juridique de la démythification. La
dénonciation qui a étéfaite d'une notion utilisée a la fin du XIXesiècle était
somme toute rendue aisée du fait que quatre-vingt-dix ans d'histoire se sont

ecoulésdepuis le congres de Berlin et que les historiens dévoilentsans pudeur
les intérètsréelsdes Etats : l'évolution des esprits rend aussi plus aisée la
distanciation.
Mais essayons d'appliquer la méthode d'analyse a des concepts juridiques
plus cont$mporains. S. Exc. M. Bedjaoui l'a fait lui-mërne. il faut le dire. a
plusieurs {eprises, dans d'autres ouvrages. et non sans courage. On pourrait
tenter la @me démythificationde concepts comme ceux de l'égalité des Etats.
de la libertédes mers, voire de la souverainetédes Etats.
IIs'agit'la pourtant de notions juridiques consacrées et fondamentales dans
le droit international actuel. Si on en démontre le caractére fallacieux. quelles
vont en êtreles conséquences?
Si c'est:d'en rendre te juriste conscient. pour qu'il se garde du formalisme,
qu'ilcomprenne mieux la liaison entre droit et politique. tant mieux. Mais est-il
imaginable qu'une cour internationalede justice. que laCour internationale de

Justice, qui serait convaincue par 'la démonstration. se refuse clés lors
d'appliquer la notion ? Pourrait-on demander a la Cour de nepas en tenir
compte parce que, tout compte fait. c'est de la comédie. une farce. et de se
~ontenter~deslors de reconnaitre et de donner effet a la réalitécrue. c'est-à-dire
la domination ou la zone d'influence ?
C'estpourtant a cela que l'onaboutit pour les notions juridiques de 1885 si
on écarte les concepts humaiîistes de nécessitédu consentement et de
reconnaissance de la souverainetédes tribus qui faisaient le pendant a celui de
terra ~iulliü.
Nous ne pouvons accepter cette conséquence. Ces concepts hurnanistes
étaienta I,'époque considéréscomme une garantie pour les faibles : ilsétaienta
l'époquesaluéscomme des acquitsde lacivilisation ; ilsfaisaient partie du droit
en vigueur. Comme nous l'avons prouve, la conception fiction. la conception
cynique de terru nulliusn'a triomphé que bien plus tard en doctrine. Ce n'est ..
pas. nous pensons. défendreles peuples concernésque de s'arrêteraprèsavoir .
. mis i nu te caractère mystikateur du droit de l'époque. Ce faisant. on

supprime' la sauvegarde juridique qui était pourtant bien mince. Nous ne266 SAHARA WCIDENTXL

croyons donc pas que cette démarchesejustifie. Le droit est un tout complexe
qui reflète lesmultiples contradictions des Etats. On ne peut pas le couper en
morceaux. II faut l'appliquer dans sa totalité etdansses contradictions.
L'exemplecontemporain est àcet égardrévélateur ;mêmesi la souveraineté
ou l'égalitédes Etats peut apparaitre. dans certains cas. comme une fiction. il
n'en demeure pas moins que ces notions sont aussi la seule défensedes petits
Etats contre les puissants. On voit mal ces Etats renonçant a cette défensesous

prétexte qu'il s'agirait d'une mascarade idéologique. On voit mal la Cour
internationale de Justice leur refuser le peu de garantie qu'un monde fondésur
la force leur laisse.Si chaque notion juridique a sa part importante de fonction
idéologique.cette arme peut se retourner contre celui qui l'aforgéeet la Ection
devenue réalité se transforme en un instrument de lutte pour les peuples qui en
ont étéles victimes. On pourrait en donner bien des exemples : la notion de
protectorat est finalement devenue un protectorat. les notions de cessions a bail
qui sont finalement devenues des cessions a bail. et bien d'autres.
C'est pourquoi nous estimons que le raisonnement qui consiste a limiter la
notion de ferra rr~tllia saseule fonction endogène, en minimisant et en ecar-
tant les aspects exogénesqui existaient en fait et en droit a l'époque,n'est pas
acceptable.Encore moins, la requêtequi est faiteala Cour de ne pas répondreà
la premiere question. cequi reviendrait. aprésl'avoirsaluéeau passage comme
l'hommage du vice a la vertu. a ignorer complètement la réalitésaharienne.

Que fait en effet le représentant de l'Algérie? Tout en reconnaissant que le
territoire« étaitdote d'une organisation politico-juridique dont il a étéfourni
de nombreuses preuves. aussi bien par la Mauritanie que par le Maroc... )>(IV,
p. 487).II conclut que c'«est une tout autre question qui n'esten vérité pas
posée,malheureusement, a la Cour )>rihicl.).C'estévidemmentl'inverse qui est
vrai.
On se retrouverait d'accord avec S. Exc. M. Bedjaoui lorsquiil dit que :
<(L'avisde la Cour sera donc utile ou ne sera pas. L'Assembléegénéraleattend
un éclairage utilea un problème actuel. ))(ihid., p483.)
Mais la ou nous nous séparons, c'est sur le meilleur effet utile a donner à
l'aviset en particulier aux deux questions poséesa la Cour.
Pour ce qui est de la première question. après avoir présentéla notion de
terra ~iullius comme un épouvantail colonialiste et l'avoir interprkté de la
manière que nous appelons la conception-fiction. on laisse entendre a la Cour
qu'elfe ne peut vraiment, au XXesiècle.appliquer un tel droit : « on ne peut
rien tirere la premiere question posée ala Cour n(ibid. p.488).

On nous permettra de trouver que ce n'est pas donner la le meilleur effet
utileala première question.
Comme nous l'avons dit a plusieurs reprises(11p. 56,et IV, p.427 et suiv.),
la Cour se doit d'ecarter la conception-fiction de laferra itullius parce qu'elle
n'était pasde droit a l'époque considéréeq.ue sa fonction étaitde se borner a
régler une situation d'occupation ou de conflit territorial entre puissances
occidentales. ce qui n'est pas le problème ici, et surtout qu'elfe ne répond
nullement aux préoccupationsde l'Assembléequi est de situerjuridiquement le
territoire du Sahara occidental par rapport a son environnement mauritanien
et marocain au moment de la colonisation. Dire que ces terres pouvaient ètre
occupéescomme terra i~ulliuspar l'Espagne, ce que tout le monde sait. cela
Ferasans doute plaisir a l'Espagne. maisje necrois pas que cela aidera en rien
l'Assembléegénérale.
Quant a l'Espagne. sa position a propos du caractère terra nullius demeure
ce qu'ellea toujours étét.elle qu'en elle-mémel'éternité la change. ambiguë. A

l'audience du 21 juillet1975, si M. le professeur Gonzilez Campos a traite de EXPOSEORA DLE klSALMON 267
I

terra iir,.a la region de Tarfaya ou de capJuby (ci-dessusp. 93-94et 102).en
revanche, ,tout en mettant en doute que la souveraineté ait été transférée par
des indigènes(p. 1051,il reconnaît que :
al'établissement de la souveraineté territoriale dans cette époque
historique eut d'habitude comme point de départla conclusion d'accords
entre les Etats européenset lesautoritéslocales »(ci-dessus p. 104).

Et que : j

(<cesiaccords avec les pouvoirs indigènes ne sont pas dénoués de tout
effet l la pratique des Etats nous montre que ces accords étaient
oppo$abtes aux autres puissances coloniales,en lant que rtms nf ritl..»
(ci-dessus p. 105).

C'est. en effet. on l'a exposé longiiement. ce qu'a fait l'Espagne qui s'est
toiiiours fondée sur ces traités(traitéde Bonellide 1884 ettraite d'ldjilen 1886)
pour ,iiistifiea.l'égarddes tiers. ses titres sur le territoire.
Comme. a ma connaissance. on ne fait pas de traites avec des terra~irrllillil
y a évidemment iine dificulte pour la,position espagnole. Celle-ci se garde
d'ailleursd'insister sur le fait qiie certains de ces traites n'étaientpas des traités
de cession. niais des traités de protectorat. Encore une fois. établir iin
protectorat sur ilne terru ~~itlliusc.e n'estpas facile. La position de l'Espagnei
l'époque. entout cas. n'était pasde considérerleterritoire comnleterra r~t~llirrs.
Ce qui précède et la citation de Garcia-Gallo de Diego que nous avons
reproduite dans notre exposé écrit (III. p. 55) illustrent, je pense; sans
hésitationjcepoint de vue.
Fatit-il rappeler ce que disait. lors de la session de la chambre desplites. le
24 juin 1887. au cours dit débat sur tes possessions espagnoles du Sahara

occidental. le présidentdu conseil des ministres d'Espagne. Sagasta. IIs'agissait
d'un décret du 6 avril 1887 qiii avait transformé le statut administratif dti
territoire. Et le ministre déclarait cec:
Le décretdu h avril n'a en rien change la situation des choses. Le
protectorat que nolis avons constitué la est de fait et de droit parce qu'il
respTte les stipiilations de la conférence de Berlin. et fut notifiéaux
puisences, lesquelles y ont consenti. >>(R~.visrude ,q~>o,yrufcio~~rc~rciul,

30 juin 1887. no 40, p. 346.)

<(En~spagneexerce son protectorat sur ce territoire sans pour cela qu'il
fasse1partie de la nation espagnole. >>Ubid.1

II est dans la logique de la thèse espagnole d'essayer d'affaiblirdu côté
marocain: comme du coté mauritanien les titres dont les deux pays se
prévalent!Mais cette entreprise rnéconnaiile faii fondamental qu'al'kpoque de
lacolonisijtion leSahara soiis adininistration espagnole n'était enaucune de ses
parties Li?eterru tiiillitts et qii'ii se composait de terres matiritaniennes et de
terres marocaines. Celles du k,laroc OLI bled siba sont iine zone dans laquelle
Iàtitorjtépolitique s'exerçait dans des conditions difficileset particulières,mais
qui n'en font certes pas iine lerr~iirrllildétachéede l'autorité centrale.
L'histoire desorganisations politiq~iesmêmeeuropéennes révélerait.sous
d'autres iieiix et a daiitres époqites. des phénomènes qiii n'en sont pas
sensiblemlent différents. II n'est pas certain qiie les debiits du Roya\ime de
France dans I'enchevetrenient des liens de la feodhlité. 5 une époqiie oii
l'autorité'effective du Roi s'affadissait à quelqiies lieues de Piiris. ne
I268 SAHARA OCCIDENTAL

manifestaient pas quelque ressemblance avec ce que pouvait êtrela position dii
monarque marocain a l'égarddu bled siba niarocain.
Comme leGouvernenient mauritanien l'adéjisoutenu dansson exposéoral
(IV, p. 399, le bled siba, en opposition au bled makhzen, ne traduit pas une

contestation de l'existence du po~ivoir central chérifien. mais plutet des
conditions d'exercice de ce pouvoir. La thèse espagnole srir le bled siba
niarocain ne parait donc pas recevable aux yetix du Gouvernement
mauritanien.
Les terres mauritaniennes au Sahara sous administration espagnole ne
sauraient non plus êtreconsidéréescomme lerra riilIlirElles font. en effet.
partie de l'ensemble matiritanien ou s'exerçait la soiiverainete des éniirats et
des tribus constituant les élémentsde cet ensemble.
C'esta ce point de notre exposéqu'il nous parait approprié de répondre1 la
question qui nous aétéposée parsir Hiinlphrey l\raldock :
« Les représentantsdti Goiivernement marocain ei ceux du Goiiverne-

ment mauritanien ont parléd'lin certain chevauchenient des intérëis de
leursdeux pays dans le territoire qite vise la reqiiétepour avis consultatif.
Les représentantsdii Goiivernement marocain auraient-ils l'obligeance
d'aiderla Couren indiquant plus précisément quelle conseqiience laCour
devrait selon eux tirer. dans sa réponseaiix deux questions poséesdans la
résolution 3292 (XXIX) de I'Assenibléegénéraleet en particulier a la
deuxième. de ce qiie les intérètsdes deux pays chevaucheraient ?
Les représentants du Gouvernement maiiritanien auraient-ils I'obli-
geance d'aider la Cour en indiquant letirs vues sur le n~éniepoin? >(Ci-
dessus p. 140.)

Avant d'aborder a proprenient parler lesréponsesprécises acette question. il
nous parait utile d'expliqiier la nature et les raisons des chevaiichements.
Entre les terres niaiiritaniennes et niarocained~iSahara sous adniinistra-
tion espagnole il n'y avait. estinions-nous. aii monient de la colonisation.
aucun vide géographique. Au contraire, il y avait du fait de l'entrecroisement
des parcours de nornadisation des zones de chevauchement. II estpossible de
conclure de l'entrecroisement des parcours de noniadisation des iiicertitiides
geographiqiies. Ces incertitiides sont cependant nioins grandes qu'il n'y parait
et la Cour aiirait pii s'en rendre compte si la procldure engagéedevant elle
avait étéde nature contentieuse. Or dans la présenteafraire la Coiir n'est pas
précisénientappelée a trancher lin différend territorial et encore moins a
procéder a une délimitation gcographique. II faiit donc considérer que la
controverse sur ce point partic~ilieresi ecarter.
Ixs zones de chevauchement dont il a étéquestion devant la Coiir
impliquaient la superposition de l'ensemble mauritanien. de l'ensemble
chinguitiien. et du Royaiime d~iMaroc seulement 15 oii ilserencontraient.
Cèst ainsi que la mention dti cap Blancet de VillaCisneros par le Maroc ne
satirait signifier que ces régionsse troiivaient. au moment de la colonisation.

sous la souveraineté marocaine, comme l'a reconnu S. Exc. M. Slaoui lui-
même,le 25 juillet (ci-dessusp. 244-245De même.telleou telle nomadisation
mauritanienne dans la régionde la Sakiet El Hamra ne saurait constituer une
contestation de l'appartenance a cetterégion au Royaume du Maroc qui, aux
yeux du Gouvernement mauritanien. ne s'arrêtaitpas aux limites du makhzen.
IIy a lieti d'autre part de préciser.ici. qiie les qiiestions aola Coiir se
réfèrent à une époquedéterminéeet lorsqii'on examine les donnéesobjectives
prévalant a cette époque dans le territoire actiiellement sous adniinistration
espagnole. on est nécessairemenicondiiit a parler dii chevaiichemenr.En enet. EXPOS ERAL DE M. SALMON 269

lesparcours de nomadisation des tribus relevant de l'ensemblemauritanien -
voyez les cartes nos 2 et 3 (IV, p. 374-375 et 380-3811de la Répriblique
islamique de Mauritanie - et ceux des tribus marocaines, Tekna notamment,
secroisent, les unes montant vers le nord et les autres descendant vers le sud.

Déjà, dans les cartes précitées,le Gouvernement mauritanien a clairement
indiqué que les tribus relevant du Maroc ont un parcours de nomadisation
dépassantle cap Bojador, vers le sud.
Il ne s'agit pas là d'une afirmation proprement mauritanienne et faite,
disons, pour les besoins de la cause, comme l'a laissé entendre le
Gouvernement espagnol (ci-dessus p. 115). Mais il s'agit d'une donnée
objective quise trouve confirmée par Frank Trout dans son livre. Morocco 's
Saliuran Froririers(planche 16. p. 502-502).Celui-ci indique que lesTekna ont
leur zone de nonladisation dépassant versle sud le cap Bolador.
On peut voir donc qiie I'iitilisation par la hlauritanie de la notion de
chevaiichement n'est dictée paraucun motif particulier. si ce n'estde respecter
la réalitesaharienne de I'interpeiiétrationentre l'ensemble mauritanien et le
Royaiime du Maroc. interpénétrationqui sëtendait sur une zone. somme
toute. limitée.IIaurait été. ar conséquent.arbitraire et artificiel de donner des

frontiéresprécisesséparant l'ensemble mauritanien du Royaume di1Maroc a
l'époqueconsidérée.La réalitésaharienne. en particulier dans cette région.ne
pouvait ètre enferméeen l'absencede frontières naturelles dans une logiq~iede
délimitationqui n'a étéintroduite en Afrique qiie par le colonisateur.
Quelles conséquences.dèslors. laCour devrait-elletirer dans sa réponseaux
questions de ce que les intérétdes deux pays. c'est-à-diredes deux populations
plus exactement. chevaucheraieni ? .
Pour ce qui est de la première question. laCour pourrait constater.ilpartir
de la situation décrite.que le Sahara sousadministration espagnole n'étaitterra
~tullirrsen aucune de ses parties mauritanienne et marocaine et. a fortiori. dans
les zones de chevauchen-ient.
Pour ce qui est de la seconde question, dans les zones de chevauchenient. et
c'est le point beaucoup plus délicat,il y avait nécessairementdualité d'appar-
tenance du territoire a l'ensemble mauritanien et au Royaume du mar roc.
Cette dualiténe pouvait, a l'époque,aux yeux du Gouvernement mauritanien,
setraduire que par une égalitéde droits reflétantla communauté d'intérètsdes

populations nomades.
LeGoiivernement de InRépubliquede kiauritanie espèreque la reponse qui
précedeest de nature a satisfaire l'honorable luge.
Nous pouvons ainsi passer a la seconde qiiestion posée a la Cour : quels
étaient les liens iiiridiques du territoire avec I'enseinble mauritanien et le
Royaume du Maroc ?
Avant d'aborder l'examen de cette seconde question poséea la Cour. le
Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie pense qu'il estsans
doiite opportun de repondre icia la deuxienie question adresséeailconseil de la
Mauritanie par M. le juge Petrén : « A quel moment et dans quel contexte
est-ce que le terme <(ensemble mauritanien » a fait son apparition pour la
premiere fois ? >(Ci-dessus p. 140.)
L'ensemble mauritanien est. en fait. une traduction de l'appellation pays de
Chingiiiti. nom sous lequel la hrlauritanie était plus connue dans le monde

arabo-musulman. L'Assembléegtinérale.en iitilisant cette appellation. n'a pli
que s'inspirer des dkclarations faites aux Nations Unies. le le' octobre 1974
(A/PV.225 1.p. 76)et le25 novembre 1974(A/C.4/SR.2 I17)par le ministredes
affaires etrangeresde la Républiqiieislarniqiiede hlauritanied'une part. et par
son représentant permanent i l'organisation des Nations Unies. d'autre part. En effet, dans sa déclaration. leministre des affaires étrangèresdisait ceci:

i(Du point de vue historique. la Mauritanie - ou ce que l'on appelait
BiladChinguiti - a touiours été au cours des quatorze derniers sièclescet
ensemble saharien qui s'étenddes frontières sud dii Maroc au fleiive
Sénégal etde l'Atlantique a Tilemsi. n

II faut noter que la limite Tilemsi dont il est question ici correspond aux
frontieres actuelles de la République islamiquede Mauritanie et de la Répu-
blique du Mali.
De son côte. le représentant permanent de la Mauritanie. après avoir parlé
de l'organisation politiqueen Afrique aii moment de la colonisation. déclarait :
C'est ainsi qu'en Mauritanie. plus connue a l'époquesotis le nom de
Bilad Chingiiiti.existaient les émiratsdu Trarza. d~i Brakna. dtiTagant et
de l'Adrar. Ces émirats. dont les domaines constituaient I'ensenlble

mauritanien. ont eu a lutter en commun ou individuellement contre la
colonisation franco-espagnole. >>(Ibid.. p. 37.)
C'est dire que l'appellation «ensemble mauritanien »,donnée par I'Assem-
bléegénéraledans sa résolution 3292 (XXIX), est une actualisation du nom
historique «pays de Chinguiti ». Du reste, la Cour aura relevéque la résolu-

tion 3292 (XXIX) a étévotk par une écrasante majorité,qu'aucune réserve
relativea cette appellation, contrbléedirais-je, d'ensemble mauritanien n'a été
formulée.
Pour I'epoqueet les circonstances dans lesquelles est apparue l'appellation
« pays de Chinguiti ». nous nous permettons de renvoyer a l'exposéécrit
mauritanien, pages 67 (III)et suivantes ; nous allons, d'ailleurs,y revenir dans
une certaine mesure en répondant aux arguments espagnols. Le Gouverne-
ment de la République islamiquede Mauritanie espèreavoir ainsi réponduàla
satisfaction de l'honorable juge.
Je passe ainsi à une partie de I'exposéqui se présentecomme une réponseà
l'exposéoral de l'Espagne du 22 juillet 1975 (ci-dessus p. 1 12-139). Le
Gouvernement espagnol a critiquél'ensemble niauritanien en trois points : il
n'y aurait pas d'identite entre le BiladChingiiiti et l'ensemble mauritanien : il
n'yaurait aticune cohésionde I'ensemblemauritanien : aii contraire. leSahara
occidental - sous administration espagnole - se présenterait comme une

unitédouéede cohésion.
Nous allons. si la Cour le veut bien. reprendre ces trois points. et tout
d'abord le fait qu'il n'y alirait pas d'identite entre le Bilad Chingiiiti et
I'ensemblemauritanien.
Sous ce premier point, l'Espagne a tentéde réduirel'ensemble chinguittien
dans le tenips. dans l'espace et d'en limiterI'infiuenceau seul plan de la culture.
Dans l'espace. lepays de Chinguiti se réduirait.en qiielqiie sorte.a qiielq~ies
villes de l'Adrar. Ce n'est pliis lin ensemble. c'est une peau de chagrin. Cette
vue ne correspond pas. pensons-nous. aux données de l'histoire de la région.
Historiquement. I'ensemble territorial concerne correspond au domaine
sahélienet saharien qui fut le theàtre du mouvement almoravide du siècle
de l'hégire, c'est-à-direle XIesièclede l'èrechrétienne.Nous renvoyons, à cet
égard,aux pages 67 et 68 (111)de notre exposé écritet aux écritsdlArnbrosio

Huici-Miranda, La salida de losAliiioruvidrs del drsiertoy elreirtado de Yristi!
Br11 Tasl7ji/iparus dans la revue Hespgris(1 959, p. 155 et 182) et aux travaux
de P. F. de Moraes Farias, <<The Almoravids :Some Questions concerning the
Character of the Movement during its Periods of Closest Contact with the
Western Sudan »(Bulletin de II'IFAN, XXIX. série B, 1967, p. 794et 878). L'appellation de pays de Chinguiti est attestée par divers oiivrages dont lin
opuscule de Sidi Abd Allah Ould al-Haji Ibrahim. de 1790.dont letexte arabe.
accompagné d'une traduction anglaise, a étépubliépar' H. T. Norris, The
History of Shingit according 10the Idaw Ali Tradition ))(Birllrtiride I'lF%N,
t. 24,série B, 1962, p. 393-409).
la. thèse espagnole qui veut limiter le Bilad Chinguiti a quelques villes de
I'Adrar ne trouve aucune confirmation, ni dans les ouvrages précités,ni dans
l'ouvrage tres souvent citéici El Was.vt,
IIn'est passans doute sans intérêd t e relever qu'aiiciin des auteurs qiie i'ai
citésn'estoriginaire de lacite-oasis de Ching~iiti.1'~est du Tagant. l'autre de

la régionde Mederdra (sud-ouest de la Maiiritanie actuelle).
L'adjectifclii~iguiiiies'appliqite au pays eta ses habitants depuis pliisieiirs
siècles,notamment dans les pays arabo-musulmans maghrébins et orientaux
quel que soit l'endroit dont ifsviennent dans l'ensemblechinguittien. Quelques
exemples :
Lemjeidri Oiild Habballa. de la tribu des Ahel Barikalla, qiii rappelons-le se
trouve àcheval sur le Rio de Oro et la Mauritanie ;le personnage en question
étaitoriginaire dii Tiris et non de la ville de Chingiiiti et il est enterre dans
l'Adrar So~itoiif qiii est soiis administration espagliole. II a vécu dans la.
deuxieme moitié du XVIIICsiècleet au débutdu XIXc siècle(El Wasyt, texte
arabe. p. 214-216).L'infliiencede it-,,dignement de ce savant chinguittien est
constatéeun sjéclepliis tard en Arabie Saoudite par Amin Rayhani. le célèbre
écrivain libano-américain(voir son IivreMt~lr~k AI-Arubl. Le nom de ce savant
apparaît d'ailleurs sous une forme déforméedans l'exposeoral espagnol.
Ould Mayaba. savant et professeiir de l'université Al-Azhar. il etait
originaire de la régiond'Aioun el Atrous dans le Hodh. son filsest auiourd'hui
ambassadeur de Jordanie a Dieddah.
Le cheik Xla el Aïnin. qu'on appelait le Chingiiittien, étaitoriginaire de la
régionde Nema dans le Wodh : iln'y a pas lieu. ie crois. de le présenter a
nouveau.

Des milliers de personnes originaires de Mauritanie. i'entends par la
enregistrées par l'ambassade de! la Républiqiie islamique de Ma~iritanie a
Jeddah, et du territoire sous administration espagnole. résidentactuellement
dans des villes saintes en Arabie Saoudite :ils sont tous appelés chinguittiens.
qii'ilssoient sujets de l'Espagneou de la hqauritanie.
Ainsi donc. l'appellation de cltit~grrilfieest d'usage traditionnel sans
distinguer les territoires administrés par l'Espagne de ceux relevant de la
République islamiqiie de hla~iritanie. Restreindre la notion de Chiiigiiiti a
I'Adrar ne correspond nullement a la tradition ou a ta réalité.
Le fait qu'une ville. Chinguiti. ait donne son nom a un ensemble est tres
fréquent : Algérie. Tiiniçie.Maroc. etc.
Contrairement a ce qii'avance le Gouvernement espagnol. la culture
chinguittienne n'était paslimitéeaiix centres sédentaires. mais était surtoiit la
vocation de l'ensemble des tribus nomades. et nous nous permettons de
rappeler a laCour que nous avons vivement insiste sur cet aspect particulier de
la cliltiire chingiiittienne. son contenu. ses supports sociaux - nous
renvoyons a cet égard a notre exposé écrit, pages 69 a 72 (III). On
n'oubliera pas qu'a propos justement de cette culture nomade on a parlé
d'universités nomades.Elle n'estdonc pas liéeaux villessédentaires deI'Adrar,
et encore moins àla seule ville de Chinguiti, et ne peut ètreaffectéepar ledéclin
de cette dernière en tant que centre au XVle siècle.
L'adéqiiation Hilad Chingiiiti et Pays maiire est aussi traditionnelle:
d'ailleiirs il siiffit de se pencher sur un certain nombre de cartes présentéespar272 SAHARA OCCIDENTAL

l'Espagne où l'on voit fréquemment indiquéela mention <<pays niaure >>
exactement siir cet ensemble. Cette notion de pays maiire.s'est iniposéeaux
Français lorsqu'ilsont entrepris la conq~iètede ce pays. comme aux Espagnols
d'ailleurs à la période récente(Mores). Le fait que le mot 17zuurrait pu, dans
d'autres contextes, être appliqué a des peuples différents par évolution.

sémantique (voir les quatre sens donnés par Lévi-Provençal et cités par
l'exposéespagnol que nous ne contestons pas), cela n'altèreen rien le sens
spécifique et spécialisé qiii lui est reconnu par tous polir caractériser les
habitants arabophones dont la très grande proportion se trouve dans
l'ensemblemauritanien.
Au surplus. l'appellationMnrtriralrietraduit bien cette spécificides Matires
dans le monde arabo-miisulnian.
Enfin. le Gouvernement espagnol n'a pas pu apporter la moindre preuve
'quele Bilad Chinguiti se réduisait a une aire cultiirelle et n'a repondu en rien
aux autres liens :religieux. lingiiistiques.économiqiies.politiques et j~iridiques
que noits avons soulignéstant dans notre exposé écritqwdans nos exposés
oraux.
Nous pouvons donc passer au second point de la thèse espagnole : il n'y
aurait aucune cohésionde I'ensenible mauritanien.
Si la.premiere entreprise étaitune entreprise tendant a réduir- comme ces
indiens qui rèduisaientlestètes- la seconde entreprise espagnole relève plutôt

de la dissectionet plus exactement de la vivisection.en analysaatpart. pour les
dissocier. I'Adrar.les tribus dii nord-ouest de l'ensembleet les eniirats dii siid.
Suivons les Espagnols dans leur cheminement et comniençons d'abord par
l'Adrar.
La thèse centrale du Gouvernement espagnol consiste a soutenir que le
Gouvernement de la Républiq~ieislaniique de Mailritanie a fait de I'Adrar lin
centre, le noyau de l'ensemble mauritanien (ci-dessus p. 118-119).alors que la
Mauritanie a justement essayédans son exposé écritde présenterl'Adrar dans
les relations complexes qu'il entretient avec ses voisins, et ceci d'une manière
beaucoup plus nuancée et prudente. Chacun peut êtreassure que. si nous
avions pu prouver que I'Adrar était-véritablement ce centre, nous aurions
exploite au maximum cet élément. Donc,il est inutile de souligner que nous
avons ététrésprudents et nuances lorsque nous avons pariéde I'Adrar.
Dans son expose oral du 22 juillet 1975, notamment dans les pages 118 à
128 cidessus, le Gouvernement espagnol s'estévertué a réduire a la portion
congrue le territoire de l'émiratde l'Adrar, atune ombre fuyante l'autoritéde

l'émir.
Le.prétextechoisi par leGouvernement espagnol pour en finir, s'yj'ose dire,
avec cetémirat génant,parait avoir étéla carte no 3(IV, p. 380-3811que nous
avions prkentée a la Cour et qui indiquait les limites de I'Adrar.Se rendant
peut-êtrecompte, ainsi que cela ressort de lpage 1 19ci-dessus de.13exposeoral
espagnol du 22 juillet, que parmi les entitésde l'ensemblemauritanien l'émirat
de I'Adrar a occupe une place de premier ordreau moment de la colonisation
espagnole, le Gouvernement espagnol tente,en s'y.attaquant, de minimiser un
des liens assurant l'unitéet l'intégridu BiladChinguiti.
Le Gouvernement espagnol en arrive mème à accuser le Gouvernement
mauritanien d'avoir entrepris une <<tentative de reconstruction historique àdes
fins politiques)(ihid.).Le Gouvernement espagnol affirme également que les
limites de l'émirade i'Adrar, telles qu'ellessont fixéesdans la carte no 3, sont
«en contradiction avec les preuves géographiques et cartographiques, et avec
l'histoirt).Et, enfin, bien que reconnaissant dans une certaine mesure

l'influencede l'émirde I'Adrardans lesud du territoire actuellement administré EXPOSÉORAL DE M. SALMON 273

par L'Espagne;le Gouvernement espagnol tente de réduire la portéede cette
influence.
Le Goiivernement mauritanien souhaiterait revenir brièvement siir le bien-
fondéde cette argiiiiientation. sur leslimites et le r6le de I'Adrarau monient de
la colonisation espagnole au Sahara :mais avant de passer aux observations
sur ce point. noiis voudrions vider rapidement iin point mineur soulevé par
l'Espagne: il s'agit en quelque sorte d'une leçon de géographie que l'on a
prétendudonner a propos de la notion d'Adrar en soulignant qu'il y avait trois
Adrar. En fait. Monsieur le Président. Messieursde laCotir. il y a des centaines
d'Adrar, parce que Adrar, en langue berbére,veut dire rnotrragtleet il est clair

en tout cas qu'en ce qui nous concerne nous connaissions parfaitenient la
distinction entre Adrar Tmar, Adrar Soutouf et Adrar des Ifoghas. Et il eut été
préférableque les leçons de géographie fussent données au Gouvernement
espagnol en 1900, parce qu'a ce moment-la la France, faisant la confusion
entre I'Adrar des Ifoghas qui est en Algérieet au Mali et I'Adrar Tmar, a
soutenu aux Espagnols que ce territoire étaitoccupé par la France, pacifiépar
la France, ce qui pouvait être exact pour l'Adrar des Ifoghas mais certainement
pas pour l'Adrar Trnar oh il n'y avait pas encore de Français.
En outre, le Gouvernement ,espagnol impute à la Mauritanie (ci-dessus
p. 123)une confusion faite sciemment entre les termes Adrar Slttrt~feAdrar
T~rtaren se fondant sur des indications qui apparaissent dans l'index que nous
avions fourni à la Cour (III, p.11 7).
Cet index nous l'avons faitdans lebut de faciliter pour tous et chacun I'itsage
de tous ces mots extrênlementdifficiles.nous avions nous-mêmespasse par de
grandes difficultéspour comprendre la signification d'lin certain nombre de
mots et nous avions cru qii'ilpouvait êtreutile de donner cet index. Or qiie dit-
on ? On dit qiie nous avons fait une confusion volontaire entrel'Adrar 7i7raret
l'Adrar S~irrl!fCeci est évideninient inexact. Dans l'index. so~isAdrar Ttiiar.
nous avons indiqué :<( 1. Massif niontagneux du Sahara occidental : 2. Emirat
s'étendantsur l'Adrar Tmar et régionsvoisines n ;et soiis le motAdrar Sutttrf
il est indiqué:<<Relief du sud-ouest du Tiris >>pu.is« voirAdrar Tillur ».
h4ais il est évident.ilest clair polir toute personne de bonne foi qui est
habitiiée a iitiliser lin index que les deux définitionssont differentes et que le
renvoi n'impliqtiepas nécessairenrentune affirmation d'identité. Parailleurs. la
carte no I'annexéea l'exposé écrin t~aiiritanien.carte physiqiie dii norti-ouest

de l'ensemble mauritanien, situesans ambiguïtéles deux Adrar a Leur place
respective. NOLISregrettons. dès lors. très vivement que le Gouverr~ement
espagnol ait cru devoir kniettre iine interprétation aussi discoiirtoise.
Voyons maintenant les observations espagnoles sur les limites de I'Adrar et
son rôle ail nionlent de la colonisation LI territoire SOLE administration
espagnole.
Dans son exoosé oral du 22 iiiillet 1975 ~arlant de la carte no 3
rnairitankne(i~, p. 380-381)Ic buv verne m eseagtnol s'insurge contre le
fait que selon lui:
((Cette délimitation inclut comme territoire ...de I'Adrar plusieurs
territoires qui ne lui appartenaient pas. en particulier les salines d'ldjil,
une partie du Tiris au nord et une partie du territoire ...d'Ahel Inchiri,
Regueibat et d'Ahel es Sahel. r)(Ci-dessus p. 119.)

Le Gouvernement espagnol produit sa contre-délimitation qui figure au
croquis no 1,carte XII1 '.al'annexe B.2 des documents espagnols.

Non reproduite.274 SAHARA OCCIDENTAL

Cette contre-délimitationest établie.nous dit-on. sur la base du second traité
d'ldjil signéavec l'émirde I'Adrar etde la carte de don Francisco Coello. elle-
meme dressée. selon le Gouvernement espagnol. d'après lesinformations
réuniespar l'expéditionCervera-Quiroga-Rizzo.
A son tour, le Gouvernement mauritanien voudrait faire quelqiies
observations sur'l'emploi des cartes et sur cette nauvelle délimitation des
frontières de l'émiratde l'Adrar au XIXe siécle,telle qu'elle figure dans le
croquis présentépar le Gouvernement espagnol.
La carte no 3 annexéeà l'expose écritdu Gouvernement mauritanien a été
établieavec lin grand souci de I'obiectivita partir d'élémentsf.ort rares, il est
vrai. de la tradition écriteet orale. qui sont conservésdans la famille desémirs
de I'Adrar etde certains écrits d'historiensetd'explorateiirs de l'époqueparmi
lesquels des explorateurs espagnols. On ne salirait reprocher au Goiivernement
niauritanien de ne pas produire une carte établie a l'époque historique
considéréedans la pure rigueur cartographique. car la réalitésaharienne de
l'époque se prêtait nial a l'élaborationde telles cartes. Celles faitesa Paris.

Londres oii Berlin l'étaientsur des bases très limitées:les renseignements de
qiielqiies intrépides géographes.Le Gouvernement espagnol Iiii-mêmesemble
bien reconnaitre ce point a travers la citation de Cervera qu'il rapporte dans
son exposéoral du 22juillet (ci-dessus p120) et a laquelle nous renvoyons.
Toutefois, l'intrépiditén'est pasnécessairementsynonyme de connaissance ou
de rigueur scientifique.
Si l'onexamine de plus préslecroquis des limites de I'Adrar aiiXIXe siècle.
tel qii'ilest proposé parleGoiivernement espagnol, on est frappépar la volonté
manifeste de refouler cette entitéle plus possible au sud-est. ceci d'ailleurs au
risque de commettre une erreur évidente. en plaçant dans cet émiratles deux
principaux centres. Tidickja et Tichitt. de l'émiratdu Tagant voisin.
Au surplus. dans le trace établi par le Gouvernement espagnol. la limite
ouest de l'émiratde I'Adrar. avant ta colonisation espagnole. suit curieusen~ent
une ligne droite presque parfaite entre Guiniit et Azougui, pour coïncider
strictement avec le tracéde la frontière résiiltantdu traité franco-espagnol de
1900 ! Quelle chance ! Lescontours de l'émiratde I'Adrar. telsque traces par le
Gouvernement espagnol dans son croquis no 1.révèlentpourtant une certaine
incohérence, dans la mesure ou, tenant compte d'un traité d'ldjil,ils ne
tiennent pas compte de l'autre. lis ne tiennent pas compte en effet du premier
traité d'idjil pourtant immédiatement antérieur a celui signe avec l'émirde
I'Adrar. Pourtant, ce texte prévoit l'attributionB l'Espagne <<des territoires
compris entre la côte des possessions espagnoles de l'Atlantique dcap Bojador
au cap Blanc et la limite occidentale de I'Adrar))Si on reporte sur la carte les

points précissituésle plus a l'est parmi les territoires citésdans ce texte et qui
sont :Lawej, la sebkha d'idjil, Awsred, Tenuaca et Neggir,on se rend compte
que tous ces points sont situes en réalitébeaucoup plus a l'ouest et au nord-
ouest de la limite occidentale de I'Adrar telle qu'elle résulte du croquis
espagnol, qui, lui, se base sur le second traitéd'ldjil. Pourquoi choisir un traité
plutôt que l'autre ?
Dans sa tentative de gonimer aLimoment de la colonisation tout lien. même
géographique.entre l'émiratde I'Adrar etle territoire actuellement administré
par l'Espagne. le Gouvernement espagnol en arrive. dans sa contre-
délimitation.a commettre deux erreurs qui consistent aexclure de I'Adrar la
sebkha d'idiilet tout le territoidu Tiris. IIs'agitla. en effet. de deux endroits
situés au centre du parcours de nomadisation des tribus de I'Adrar et sur
fesqiiels l'autorité de I'eniir s'exerçait effectivement au moment de la
colonisation. et ceci est atteste tant par les chroniques chingiiittiennes que par EXPOSE ORAL DE bl. SALMON 275

lesexplorateurs et historiens de I'époqiie,notamment Cervera-Quiroga, Bou el
Mogdad, Coyne, Ahmadou Mahmadou Ba, qui signalent la présence quasi
permanente dans ces territoires de la Hella oii campement émiralet y situent
lesprincipaux faits historiques de l'émirat.Nous reviendrons pliisloin en détail
sur ce point.
A propos de la sebkha d'ldiil notamment. bien qiie la propriétéde la saline
s'y trouvant appartienne a la famille des Ahel Chournad Ahel Sid hfhaniedde
la tribu adrarienne des Kounta. dont d'ailleurslecheik Mohamed Lemine Ould
Cho~iniadest l'lindes signataires dii premier traitéd'Idiil.il est bien établiqiie
Iëmir exerçait son autoritésiir le territoire de la sebkha. ce qiii se traduisait par
fa perception de redevances sur le selextrait et commercialisé.
L'historien Ahmado~i Mahmadou Ba. dont les travaiix siir l'Adrar font
autorité de l'avis niëme du Gouvernement espagnol. considère qiie la sebkha
d'Idjil fait partie du territoire de l'émirat.Il en traite dans son art«cL'Adrar
mauritanien de 1872 i 1908 ». publiéau Blilketirttrii?it.sfrielde la sncic;iede

F:Eographie et d'archkologied'Orati. mars 1922. Dans le chapitre de cette étude
consacréeà la sitiiation économiqiie de l'Adrar sous le règne d~igratid émir
Ahmed Ould h4'Hamed(1872-1891). ta page 105. l'auteur écrit:« de 1875
1891. l'exploitation des salines d'ldiil atteignit iin rnaxinllini qiifiiianlais
égalédépiiis.C'estde cette Cpoqiieque datent les vastes carrières ...N
Signalons que Panet est du niênieavis. et ceci de l'aveu de Francisco Coello.
dont les Espagnols font grand cas. bien qii'il ne se soit ianiais rendu aii Sahara
et qii'il ait fait surtout iine Œuvre de conipilation. Et Francisco Cocllo lui-
meme reconnaît qii'iln'est pas sîir. qti'iln'est pas certain siir ce point (Rrvisia
de geogrupiaco~?rtnercialn ,ovembre 1886-janvier 1887, noS25-30, p. 71 ).
Le Goiivernement espagnol lui-même produit ail nloins une carte qiii
confirme en partie la carte no 3 annexéea notre exposéécrit etqui contredit.
bien entendu. sa propre thèse :c'est peut-êtrela raison polir laquelle tout a

coup il s'est aviséd'en réduirela portéepar une note de bas de page. II s'agit
donc de la carte 11 'a l'annexe K.2,établie en 1892 :et l'Espagne aioute une
note oii l'on peut lir:« a signaler la délimitation del'Adrar Tmar qiielque peu
incorrecte pour avoir incliis les salines d'ldi>).
On s'étonneque le souci scientifique du Gouvernement espagnol ne se soit
pas étendu.a propos de la niémecarte de 1892. pour relever une aiitre erreur.
qiii consistait a inclure dans l'émirat de l'Adrar iine partie de I'éniirat du
Tagant.
Apparemmënt. il y a deux catégories de données scientifiques. Comme
I'indiqiienotre carte et celle de 1892 produite par le Goiivernement espagnol.
et ce qui coincide d'ailleurs avec le règne du puissant émir Ahmed Ould
M'Hanied et l'époquede la colonisation espagnole. la limite septentrionale de '
l'émiratqui correspondait a celle de l'exercicede l'autoritéde l'émirse situait a
Ragg Lenihoiine. legèrenient au nord-est de Villa Cisneros. Ce point est

indiquésur la carte IX ' a I'annexe B.1des documents espagnols et la carteest
intituléeMapu de los Provi~iciadselfiri-vSahara del Arcl?ipi~/ugde Crrtiorius.
Cette limite est confirméenotamment par l'historien Ahmadoii Mahrnadou
Ba.dans son article précité,ou il rapporte a la page 91 la déclarationde I'éniir
Ahmed Ould M'Hamed lui-mime. qiie noiis avons déiamentionnée :
r<Apprenez que moi qui descend dDthmane Oufd tefdhil [fondateiir du
régimedes émirsde l'Adrar]. i'assume devant Dieu et devant I'iinivers la
responsabilitéde la sécurjtédans le pays qui va dii Khatt [limite entre le

Non reproduite.276 SAHARA OCCIDENTAL

Tagantet l'Adrar1au Ragg Lamhotine [nord de l'Adrar Soiitofl.J'entends
qu'elle y règnecomplètement. Je serai impitoyable potir tousceux qui y
porteront atteinte.))
Cette déclaration doirne le ton de I'autorite de Iërnir a cette epoque qui

coïncide. rappelons-le. avec le début de la colonisation espagnole et qui est
aussi I'epoqiie de l'apogéede l'émiratde t'Adrar. ce que confirme largement
l'historien Ahmadou h4ahmadoii Ba dans son étudeprécitée.
C'est aussia cette période à laquetle il est fait référeacla page89 (111)de
l'exposeécrit du Gouvernement mauritanien, qui nous a valu, au cours de la
séancedu 22juillet, delapart du représentant du Gouvernement espagnol, le
reproche de confondre pouvoir et influence (ci-dessus p. 124). TRENTIE~~E AUDIENCE PUBLIQUE (28 VI175. 15 h 50)

PrL'senfs: [Voir audience dii 16 VI1 75. MM. de Castro ei Riida. jlrgrs.
absents.]

Le PRESIDENI-: M. Ruda. retenu par iin engagement de longue date a
l'Académiede droit international. ne pourra pas assister 6 la preniièrepartie de
l'audience.

hl, SALMON :h.lonsieur le Président.Alessieurs de laCour. j'en étais resté
ce matin au problèinedes liniites de l'Adraret ievoudrais inaintenant tr:iitcr du
problème. d'ailleurs distinct. de l'influence de l'Adrar. puisque aussi bien on
avait donnéI'imprcssionqiie nous essayons de mélanger pouvoiret irifliience.
Sur cette question. sur le point de l'influence de l'Adrar. le Goiivernen~ent
mauritanien n'a rien fait de pliis que d'essayer de transniettrc a la Cotir les
élémentsépars detradition orale et de tenioignages de voyageurs sur I'eniirqui
indiquaient ici son autorite. la son poiivoir- disons to~iioiirsson infliience.
Peul-etre que sur cette expression nos amis es-"gnols seront d'accord. Nous
maintenons l'authenticitéde ces tkmoignages qiii confirnient qii'aiidébiitde la
colonisation espagnole l'émirat de l'Adrar étaitdans une périodede grandeur et
de prospérité.II siiffit d'ailleurs de se repencher sur les témoignages des
explorateurs espagnols pour en étreentièrement convaincu. Coinmençons par

Bonelli. Bonellinous raconte que son confident lui recommande ceci - nous
sommes donc dans les annees 1884. 1885 :
<<Dans toute cette région. tu trotiveras se~ilernentdeux honln~esqiii
iouissent de l'autorité etde la synipathie générale.Abdel Aziz Oiild el
Xlami et Ahnled Ben Alohammed Ould el Aïd [ce dernier &tantl'émirde
~'~drar], dont l'amitié pourra t'être tris utile» (« Nuevos territorios
espanoles de la costa del Sahara », Bol.ii~idet.uSnciedud dc G~yyrufiude
Madrid, t. XVIII,no' 5-6, mai-juin 1885,conférencede Bonellidu 7 avril

1885, p. 351.)
Entre le traiteBonelli et l'expéditionCervera-Quiroga-Rizzo, il y a eu, ne
l'oublions pas. d'abord la destriiction du comptoir deRio de Oro par lesQiilad
Bou Sba. le retour de Ronelli et ses tractations diploniatiques qui orit dure
plusieurs mois. Et Bonelli nous raconte comment il essaie de renoticr avec les
tribus et combien son but essentiel est d'entrer en contact avec I'Aiirar. II

envoie des émissaires versI'éniirpour liiremettre iine lettre. Et voicice quea
ce1 egard. il nous dit:
«.Aprèselre restésirois ;ours Sid-Abd-Allah. ils se dirigèrent[ils'agit
donc des éniissairesa la recherche du chef principal. cheik Ould el Aïda.
qu'ils rencontrèrent a qiielque 80kilomètresau sud en un lieu appeléEl
Diouad. ou la population atteint huit mille âmes puisqiie le nonibre de
tentes dépasse le millier.
Ould el Aïda étaitarrive depuis cinq ioiirs de son voyageiiOiialata eta

Chinguiti. il prit connaissance du premier voyage de Madani et Jarneida.
[ily avait en effet eLideux voyages desémissaires de Bonelli: celui-ci est
donc le secvnd] ainsi qiie des proiets qui animaient le roi d'Espagne et les
Espagnols établissur latâte ...278 SAHARA OCCIDENTAL

Ces iours-la sont arrivés de diffcrents points des émissaires pour
féliciterOuld el Aïda et lui offrir de nombreux cadeaux de différentes
tribus déia citées[les tribus déjàcitées c'étaienpt rincipalement les Oiilad
Bou Sba et les Oulad Delim] et des Hab Tedjekants. Mexhdouf, Trarza
Ahel-Salem, Ahel el Otsman et Hasan, ces derniers fameux pour leur
piraterie. A tous, il rendit compte des excellentes nouvelles qu'il avait

reçues des Espagnols, des grands avantages que rapporteraient au pays les
établissementsqui, dans cesconditions, se fondaient sur le littoral decette
région. » (<<Viajes al interior del Sahara >>, Bole~iride lu Socirdad de
Geografiude Mudrid t. XXI, novembre et décembre 1886, p. 335.)

On aura notéau passage que le lieu OU se trouve a ce moment-là l'émir est
appeléen espagnol El Djouad et en arabe Lejwad :nous sommes en plein Tiris
espagnol. Et que les tribus qui lui apportent des présentsproviennent de toiis
les coins de l'ensemble mauritanien.
Mais il y a pliis intéressant encore. Lorsque Cervera. Quiroga et Rizzo
veulent entreprendre leur expédition. ils sont - ne l'oublions pas - a Villa
Cisneros oii Dakhla. Ils nous expliquent eus-memes que l'expéditionn'estpas
réalisable. et cecides le départde Villa Cisneros. sans I'app~iidu grand eniir.
En effet. que lit-on encore - cette fois-cide Julio Cervera Baviera ?

« Les deux chérifs[c'était deuxchérifsOulad Bou Sba] nous rappor-
térentbeaucoup de faits au sujet de leur pays et ils s'engagèrenta porter
une lettre au chef ou sultan de l'Adrar. Ahmed Ben klohanimed Ould
el Aïda. le plus respecté etcraint dans tout le Sahara occidental. el sans le
consentement duquel ils nous conseillèrent de ne pas avoir I'inten-
tion de partir vers l'intérieur.

O~ildel Aïda repondit a notre lettre en ternies encourrigeants et rioiis
envoya deux émissairesde sa tribu: le chérirJeddou Oiild Sidi Yahya.
ieune homme d'allure nobleet I'iinedes rares personnes bien elevéesque
nous ayons rencontrées dans le désert. etle chcrif Abdi Ben Tcriiiin.
favori du chef de l'Adrar.
En trois io~irs.tout fut prêtet nous partinies de Ed-Dakha. t>(Revi.srde
geografia co~?terciuIf,Crnovembre 1886-31janvier 1887, no' 25 à 30,p. 2
et suiv.,<<Expedicion al Sahara n.)

Autrement dit. l'expéditionconiprend au dcpart deux éniissairesde I'eniir :
Abdiet Jeddou.
Mais. a peine éloignésde quelque 200 kilometres les choses tournent mal
pour I'éqriipetémérairedes explorateiirs. Et voici ce que noiis dit encore Jiilio
Cervera Baviera :

(<Beauco~ipde douars se déclarèrent oiivertenientennemis et ccrivirent
au Sultan de I'Adrar[nous somnies à peu près 250 kilomètres.seton les
explications espagnoles. de I'~drar]en lui conseiltant de faire couper nos
têteset de les envoyer a Ed-Dakha pour esrur~~ii~~riiosi ie ne nie trompe
pas. cela veut dire :a titre de punition exemplaire] d'intrépides chrétiens.
NOLIS aussi lui écrivinies.en lui rendant cornpte de noire situation ei lui
demandant iine entrevue. II noiis envoya. avec la réponse.Sidi Ahnied

Ould ed DC.. personnage important qui reçut la missioii de noms
acconipagner iusq~i'ala frontière de l'Adrar. oii nous attendait le sultan
Ahnied Oiild el Aïda. qiii nolis reçut. venant du puits de Tiirin.
accompagne d'tin iniportant groupe de gens. cheiks et chefs de tribu. >$
(Revislu de geografia cui~rerciul.ICrnovembre 1886-31 janvier 1 887.
na 25 a 30. p. 6. Julio Cervera Baviera. (1Espedicion al Sahara n.1 EXPOSEORAL DE hl. SALSlON 279

Incidenlrneni. on notis apprend qiie cette frontière de I'Adrar est i vingt
heures de chanicau d'ldiil. donc bien a t'ouest de celte-ci.piiisqii:

<(Le IO iuillet. après une marche qiii dura vingt heures. notre cüravane
atteignit lesameuses salines d'ldiil et noiis arrivànies ronipus de fatigue
au versant occidental des niontagnes qui servent de frontières iil'Adrar
Trnar. N
C'est donc deux fois qu'il a parle des frontières de I'Adrar Tmar : vingt

heures avant et encore a la sebkla d'ldjil. 11faut donc croire que la frontiére
suivait plus ou moins ce chemin.
Cervera donne les renseignements conlpléinentaires s~iivants :
« 1-echef de la tribii Meschdouf. cheik El Couri. fitt celiii qui noiis
accompagna dans notre voyage de retour. noniniéchef de notre caravane
par le mêmeOuld el Aïda.

La tribu la plus nombreuse de toutes celles qui peuplent la région
reconnue dans notre voyage est celle des Yehya Ou Aozman, maîtresse
de l'Adrar et -ouvernée par le sultan Ahmed Ben Mahrnmed. Ould el
Aïda.
Pour etre la plus nombreuse. elle est aussi la plus crainte et respectée.»
(Rul~>~(ili lu Sociciiudg~~ogrlificu,. XXlJ. no 172,janvier-février 1887.
conférencedonnéepar don Julio Cervera le 2 novembre 1886, p. 17.1

ilans le nienie article. d'ailleurs.Cervera insiste alors sur I'infliiencede I'éniir
ati siid de laSakiet El Itanlra. aii Sénéglt depiiislacôte iiisqii'aTomboucioii.
\'oili donc la situation dans ce cocon espagnol dii Sahara occidental : on
jugera si lestribiis y sont entiérenientmriitresscset cloignees de toiite influence
de l'émirde I'Adrar?
;\lais venons-en ails traitésd'ldialpropos desquels on nous a reproche bien
des erreurs (ci-dessus p. 129-133).Reconnaissons ;mmédiatementque nous ne
retrouvons plus la source dont nous avons tire l'information que les traités
avaient étépasséssous la tente emirale. J'ai recherché etje n'ai pas retrouvéle
document ou j'avais pu trouver cedétail,que nous avions invoqué daiis notre
exposéécrit (III, p. 89). La Cour voudra peut-êtreaccepter que c'est le genre
de détail qii'onn'invente pas et qii'ily a évideninientiine double présomption
qiie les signatures n'ciireritpas lieu en plein soleil et qii'étantdonne le fait que
Cervera. etc.. se trouvaient dans le territoire de l'émir.les règles les plus
élémentairesde courtoisie voulaient qiie ces traités fiissent signés dans le

campenient éniiral.X~lais ils'agit la d'iin élenientsecondaire.
TOLIc ~e qiie noils venons de dire en revanche siir le voyage des explorateurs
de Dakhla 1 [diilconfirme qiie c'estgrrice 5 l'influence de I'éniirqiie tous les
chefsde tribii ont PLIëtre rasseriiblea [diil.C'esten effetsoiis la protection des
envoyés de I'cniirque se fit l'alleret le retour. Et d'ailleiirs. si on exainine les
tribus qui ont signé.qui ont participé ou premier traité d'ldiil ainsi que les
signataires de ce preniier traitc d'ldiil. on peut la encore décelerlin certain
nonibre de points qui montrent i la fois I'infliiencede I'ridgar siir ce premier
traitéet aussi d'aille~irslecaractèi-etrarisfrontiere des trib~isyiparticipaient.
Voyons d'abord le problcnie des tribus : les tribiis nieniionnees comme
participant ail traité.A cet égard. on peut se refcrer ail teste espagnodiitrait6
qui apparait 1 l'appendice 5 iil'annexe 16(11,p. 94).
Parmi ces tribus. il y en a d'abord qui étaient totalementadrariennes. c'est-
i-dire qui dependaient du sultan de I'Adrar. C'estlecas des Xleschdoufqui sont

tributaires de I'cmir. C'est le cas des Ahel Sidi Xflohammedqui est une tribu
marabotitiqiie de Ouadane. IIy avait aussi ceux qui étaientdans ce qu'on a pu280 SAHARA OCCIDENTAL

appeler la mouvance de l'Adrar. ainsi les Ahel Bellas des Oulad Xloussa qui
sont une fraction Regueibat.
Etaient en revanche de caractere transfrontiere toutes les autres :les tribus
de I'lnrichi. les Ahel Barikalla. les Oulad Bou Sba. les Oulad Delim et d'El
Aroiissiyine. etc.

Si on examine les signataires de ce premier traitéd'Id,jilqui. sd-disant. na
rien a voir avec I'Adrar. parmi eux on relèvecomme typiquement adrariens
El Kori, chef des Mechdouf, favori de l'émiret qui, on l'a vu, protégea la
mission i l'aller et au retour. Ahel Sid Mhammed : Mohammed l'Emin Ould
Chemmâd. qui est le chef de la tribu des Sidi Mohammed. et encore
Mohammed Ould Krama de la tribu émiraleYahya Ben Othman. Donc trois
des signataires du premier traite d'ldjilsontdes gens qiii dépendent intimement
de la structure adrarienne.
Dans un deuxièmegroupe. on peut mentionner lesOulad Bou Sba Dnieissat.
Dans ce groupe de signataires on a lespersonnages suivants : Lafzdal.qui est le
cherdes Oulad Bou Sba :Sidi Bexir BenesSayyid Sbai qui a servi dëmissaire a
Bonelli ; Abd el Uedud et chérif Abd el Asis Ben Adb el Kaddus et Chérif
Mohammed Bel el hluiitir. Pour tous ces Oulad Bou Sba. on se souviendra de
cequ'écrivait.un an plus tard. en 1887.Camille Douls :

De mème au Sud. deux fractions des Oulad Delirn et les Oulad Bou
Sbah qui sont voisines de l'Adrar sonten quelquesorte sous lasuzeraineté
diOuld Aïda, le sultan de la contrée.» (<<Voyage d'exploration a travers
le Sahara occidental et le Sud marocain )>.Bulleri~rde la Socidt; de
I:&oI:rapliieP.aris. 1888.p. 462.)

Dans un troisième groupe qui est encore des transfrontieres. on releve
comme personnes : Ould Afreyyit. chef d'une fraction des Regueibat Oulad
Moussa, Ahel Bellao, dont je parlais, il y a un instant. Ils sont aujourd'hui
recensésen République islamiquede Mauritanie.
Et on trouve encore comme sahEliens transfrontieres quatre Oulad Delim :
El Hafed. Hnioyyen qui est un Oudeicat. Mohammed Abdallah qui est Lin
Ouled Ra'maret Sidi Baba qui est un Oulad Tegiieddi.
Cette analyse. dont la Cour voudra' excuser le caractère certainement
fastidieux. confirme toutefois. croyons-nous. l'importance que nous attri-

buons. même pourle premier traite d'ldjil. a la personnalitéemirate et disons
une seconde conséquence, que nous engrangeons pour plus tard. c'est le
caractere totalement transfrontiere de ce traité.
Venons-en maintenant a la quatrième, je crois. prétendue erreur que nous
aurions commise a propos de ce traité : c'est lorsque dans l'expose de la
République islamique de hflauritanie nous avions dit que. suivant la tradition
guerrière de l'époque.Iëmir avait fait signer et n'avait passignélui-niême.On
nous oppose. comnie si nom ne l'avions pas lu. dans le texte espagnol. la
phrase : <que no sabe firmar ».cela veut dire donc (qui ne sait pas signer >).
Je dois dire que nousavons ététrèsétonnésde la part de nos amis espagnols
qui sont de fins connaisseurs des questions sahariennes d'avoirsoulevécepoint.
parce qu'ils devraient savoir que c'esten fait une tradition que nous avons ainsi
relevée et qu'il
ne faut pas s'en tenir a la lettre du traité.
Les émirs.en bons guerriers. simulaient de ne pas savoir écrire.pour ne pas
se faire accuser d'êtredes tnarabouts. En réalité.Ahrned Ould hlhammed est
un fin lettré. comme l'a dit ~Mahmadou Ra. dans L'g~~iira~ de /'Adrar
~iiauritariietrde 1872 a 1908 (p. 90).Les témoignagessui.la culture de cet émir
abondent. Voyez. dans ce sens. le chroniqueur de l'Adrar. Ould Ntahah. le
poète Ould Moubarakou Ould Yemin ; toutes ces référencespeuvent être ESPOSÉORAL DE M. SALXlON 281

vérifiéesdans Ahmed Baba Miske, Tubleai! clc l. Mulrri/ar~ie(p. 94).TOUS
louent l'émirpour son savoir, pour sa science.
Enfin, dernière critique qui nous est faite a propos du traite d'ldjil : on
prétend que nous avons dit que l'émirratifiait les traités desOuled Bou Sba.
Nous n'avons jamais dit, ni écrit,nulle part, que l'émir allait ratifierles traités
antérieurs, passéspar les Ouled Bou Sba a Nouadhibou et a Dmiset, comme
on nous l'impute à la page 130 ci-dessus. Nous avons simplement, a la
page 89 (III)de notre exposé écrit,émisla réflexionsuivante : Combien est
symptomatique le fait que les Oulad Bou Sba qui, pourtant, avaient déjàsigné
le traitéavec Bonelli, signent a nouveau en présencede l'émir. >>

Nous maintenons cette opinion.
L'exposéoral espagnol essaie aussi de tirer partie de l'anarchie qui aurait
régnedans l'Adrar (ci-dessusp. 123-124), sans voir qu'ilne s'agitjustement pas
de lapériodede la colonisation du Rio de Oro. A la page 124 de cet expose
oral. l'Espagne elle-mime donne une citation qui ruine sa propre thèse.
puisqu'il y est question. en enet. de la prospérité exceptionnelle qu'avaitvalu
au pays la paix sociale établiepar le long règne d'Ahmed Ould hl'hamed i).
c'est-à-diretoute la périodede la colonisation.
En tout étatde cause. la Mauritanie n'essaie pasde créeriine confi~sionentre
pouvoir et influence. Ce que nous croyons et réaffirmons.c'estque le débutde
la colonisation espagnole ail Sahara occidental coïncidait avec ilne périodede
grandeur et de prospéritéde l'émirde l'Adraret que celui-ci constituait la princi-

pale entité politique du nord et du nord-ouest chinguittiens. Nous croyons
aussi que son influence a toujours étégrande dansJoiit l'ensemblemajrritanien.
On peut encore citer deux references que nous n'avions pas citéesdans notre
exposé écrit : dans son étude parue ail B~tIIetiit Iriiilestriella Societé de
g&ograplrie et d'arc/~&logie d'Orun. en juin 1933. Mahmadou AhmadoLi Ba
ecrit que :

<([.es Oulad Abdel Oiiahed [c'est un fraction tributaire. autrefois. des
Ouled Delin1et. aiijotird'hiii. des Regueibatl paient aux Ahel Othrnan de
I'Adrar iin ghafer (redevance collective). ainsi d'ailleurs que les
Ourouzziin. 1,a marque employke pour les chameaux est celle de ces
derniers. »

On peut aussi se réfererau célébreouvrage du Julio Caro Baroja, Estirdios
salrariunos (Madrid, 1955,notamment p. 135).
Un dernier mot sur l'Adrar :l'Espagne a essayéde présenterles Adrariens
comme exclusivement sédentaires - voir pages 122,127 et 135ci-dessus.Ceci
est inexact - voir la page 74 (111)de l'expose écrit mauritanien. En fait.
les Adrariens peuvent étredivises en trois groupes. s'agissant de l'aptitudea la
nornadisation.
II y a tout d'abord les sédentairesstricts. c'est-à-dire les habitants des cites-
oasis. qii'on appelle encore les Ksouriens.
On trouve ensuite les petits nomades qui s'éloignent peu des reliefs de
l'Adrar Tmar.Je prends ici lemot <(Adrar Tmar >)dans le sens géographique.

Enfin, il y a les grands nomades, parmi lesquels il convient de mentionner
les tribus guerrières et maraboutiques qui sont mentionnéesà la page 75 (111)
de l'exposéécritmauritanien et qui nomadisent bien au sud et bien au nord des
reliefs de I'Adrar.
On sait. en particulier. que l(<hill» émiraleaimait nomadiser au Tiris. ail
Zemmo~ir et ail Tagant. C'est ainsi q~i'Ahmadoii Mahmadoit Ba signale le
campement émiral. en 1880. a Tenuaka. c'est-a-dire dans le Tiris occidental.
Rio de Oro. On se souviendra que lesémissairesde Bonelli.dont ie parlais tout 282 SAF~ARA OCCIDENTAI

a l'heure, ont trouvé la « hillaH émiralea Lejouad, en 1885, dans le Tiris

central, au Rio de Oro (Btrllr~ide lu Socidc;de ggogruphir de Madrid,
XXI, 1886, p. 335) . n 1888, la « hill» se trouve dans le Zemmour et
I'lmricli, toujours au Rio de Oro (voir Ahmadou Ba, op. cil., p. 103).Voir
encore la citation de Mahmadou Bou el Mogdad, signalée ala page 76 (III)de
notre exposéécrit.
L'émir a,d'ailleurs, non plus cette fois-cidans le nord, mais dans lesud, été,
comme on le sait, assassinéen 189 1, alors qu'il nomadisait dans la régionde
Takhsa, a la limite du pays des Brakna et prèsde l'actuelleMoudjera. Qu'on ne
vienne donc pas nous dire qu'il n'ya que des sédentaires parmi les Adrariens !
J'en ai ainsi termine avec la première partie vivisectionnée par nos amis
espagnols qui estl'Adrar. Je vais maintenant dire quelques mots seulement des
deux autres parties c'est-à-dired'une part les tribus ou confédérationsde tribus
indépendanteset d'autre part les émiratsdu sud.
Pour prouver l'absence de cohésion de l'ensemble mauritanien, le Gou-
vernement espagnol a présentéla mise en évidence de l'indépendancedes
tribus du Sahara, les unes par rapport aux autres, comme le fruit de sa
perspicacité (ci-dessus p.'126 et 133). Nous ne voudrions pas abuser du
temps de la Cour en lui citant les nombreux passages de noire exposéécritou
nous avons dit exactement la mêmechose en citant de nombreux auteurs ou
explorateurs et, en particulier, Douls, Coello et Quiroga (voir p. 83 (III) de
I'exposéécrit de la République islamique de Mauritanie). C'est donc un

fait qui n'a jamais été cache parla Mauritanie et on sait, d'ailleurs, fort bien
qu'au moment ou il s'est agi de présenter juridiquement une tentative
d'explication de l'ensemble mauritanien, c'étaitune des difficultésque nous
n'avons jamais cachée ala Cour.
En ce qui concerne le troisieme point, les émiratsdu sud, les pages 133 et
134 ci-dessus de I'exposéoral du Gouvernement espagnol, consacrks à ces
émirats, indiquent, malheureusement, la encore, que deux faits qui nous
paraissent élémentaires semblentavoir échappéaux rédacteursde cet exposé.
D'une part, les habitants de ces émiratsétaient, aumoment de la colonisation,
contrairement a ce que I'onnous dit, non pas dessédentaires.mais des pasteurs
nomades, pour les Trarza, pour les Brakna et pour les Idaouiches. Dans ces
emirats, les premiers centres sédentairesont étécréés a une époque récente,
aprésla conquêtefrançaise - Bou Tilimit, Aleg, Kiffa, etcLes seules agglo-
mérationsexistant auparavant étaientles cités-oasis(voir I'exposéécritmauri-
tanien, III, p. 63 et 1; voir aussi notre exposé oraldu 9 juillet, IV, p. 398).
L'autre erreur qui nous parait êtrefaite par I'exposéoral espagnol, c'est
lorsque I'on ne se rend pas compte que ces habitants des émirats du sud
exploitaient alors des territoires de parcours et des zones de culture allant du
fleuve Sénégaa lu Sahara. Pour des raisons de sécuritécomme de salubrité - il
y avait la présence d'insectes vecteursdans le sud - ils n'ctaient paa.cette
époque,plus polarisés par le fleuveque par leSahara. Ilsexploitaient, dans leur
nomadisation obligatoire. des tranches en gros meridjennes de l'ensemble
chinguittien.
Qu'il nous suffise de rappeler ce qui a étédit aux pages 59, 73 et74 (111)
de I'exposé ecritdu Gouvernement mauritanien ou on voit que les tribus

relevant des émirats Trarza, Brakna et Idaouiche, fréquentaientet fréquentent
encore, dans leur mouvement de transhumance, le territoire administre par
l'Espagne.
La seconde tactique espagnole apparaît ainsi en pleine lumière. Il s'agittout
simplement de balkaniser, de faire éclaterle pays chinguittien. Aux dilfërents
élémentsde l'ensemble écarteléso.n va opposer le Sulluru o~cid~ii~ul .a Cour ESPOSC ORAL DE M. SA[-hlON 283

permettra de rappeler notre niise en garde contre I'iisage qui est fait de
l'expression Suliaru occidetitol dans une acception très limitée.Certes, c'est
I'expression utiliséepar l'Assembléegénéraledans les questions posées.mais

nos craintes se sont révéléefsondées :on ~itilisecette expression. senible-t-il.
polir exclure toute réalitéde l'ensemble niauritanien et faire constater ainsi
l'absence de relation avec les habitants de la zone espagnole. En fait. on
parviendrait ainsi a ce que le pays de Chingiiiti s'évanouissepar enchantement
et devienne réellementfabuleux.
1-epays de Chinguiti couvre Linvaste espace. IIa un Nord. LinSud. LinEst.
un Ouest et mêmeune régionmoyenne. Les habitants se distribuent suivant
chacun ces secteurs d'orientation :il est donc naturel qii'il existe des regions
correspondantes :cela. a notre sens. n'a rien d'étrange.Nous ne voyons pas en
quai les habitants d'un pays cessent de former unecomm~inaiitedu simple fail
qu'ils sont répartis dans l'espace. ail gré des conditions socio-historiques et
écoclimatiquesaii lieu de s'y grouper en un seul point.
IIa étéfait bea~icoup allusion a MmeDésiré-Vuillemindans l'intervention
espagnole. L'utilisation des répartitions faites parMme Désiré-Vuillemindoit
êtrefaite avec prudence, car elles ne sont pas exernptes d'erreurs dans le
classement (C~~tîrihirtioiài I'lti.s/oirede la Mulrritairie60) :les Oulad Abd
Alla sont dits« marabouts », alors qu'il s'agitde la principale tribu guerrière
des Brakna a laquelle appartenaient les émirs, et on peut relever d'autres

exemples. De la meme manière en ce qui concerne la localisation,Mm' Désiré-
Viiillernin n'est pas toiiioura l'abri de toute critiqu: a la page 60 sous la
rubrique (au Brakna. au Trarza N.on revient a la page 61sous cellede .<tribus
du sud >).II s'agit de la mêmerégion Al-Guebla et des mémesgroupes. On
pourrait allonger la liste de ceméprises. II découledonc de tout ceci qtie le
second point du Goiivernement espagnol sur l'absence de cohésion de
l'ensemble mauritanien repose finalement sur le fait qu'il n'y avait aucune
hiérarchiede type centralisateur oii étatiqueentre les élémentsde I'ensenible.
Et la. sur ce point. iious soninies évideniment entièrement d'accord.On nous
permettra de dire que cesecond postulat se borne a exprimer des évidencesque
leGouvernement mauritanien avait Iiii-mêmelonguenient exposéesa laCoiir.
Le Gouvernement espagnol s'est en revanche soignelisement abstenu de
mettre en cause les multiples liens caractérisant l'ensemble mauritanieii. nous
en prenons acte et ne reviendrons pas. pour notre part. sur nos démonsrrations
a cet égard.
J'en viens ainsi au troisième point de I'argiimentarion espagnole. a savoir
que le Sahara soiis adrnin~stration espagnole se présente comme une unité
douéede cohésion.

L'exposéoral espagnol (ci-dessus p. 1 14)se propose de montrer :
que l'actuel territoire du Sahara occidental était l'assise d'lin peuple
saharien ari caractère propre et bien défini,compose par des tribus
autonomes et indépendantes de tout pouvoir politiqiie extérieur qui
habitaient dans un espace assez précis et qui avaient développe une
organisatioii et lin système de vie en cornniun. sur la base d'iine
conscience collective et d'une solidarité mutuellen.

La démonstration de cette thèse est tentée en différents passages, par
exemple aux pages 116, 118et 119, 120, 125a 128, 133et surtout 134 a 139,
ci-dessus.
Nous venons de rappeler i l'instant I'éq~iivoq~ieentretenue sur la
terniinologie SaIraraoccidciifal.
Ceci nous a permis de rappeler que l'ensemble mauritanien est situédans fe 284 SAHARA OCCIDENTAL

Sahara occidental. au vrai sens du terme. y compris sa frange sahélienne.Cela
étaitnécessaire.l'argumentation espagnole pouvantlaisser entendre le contraire.
Les habitants de l'ensemblesont donc sahariens et dans une proportion écrasante
pasteurs nomades. quelleque soit leur distribution régionale.
II convient donc de garder à l'esprit que El Saliara occidciiial n'est rien
d'autre que la zone administréepar l'Espagne dans le Sahara occidental.
Cette portion administrée par l'Espagne présente-t-ellela cohésion vantée?
Le Gouvernement espagnol a utilisépl~isieiirsarguments. en revanche il s'est
tu sur bien des aspects. Nous allons essayer d'examiner les uns et les a~itres.
Voyons tout d'abord le problènie de l'organisation de vie et la structure
sociale bien caractérisée. La délégationespagnole a affirinè ainsi ce qui

disting~ieraitte Sahara espagnol et ses habitants de l'ensemble niauritanien :
existence d'une organisation de la vie. d'un systèmede vie en cornniun :bref. il
y aurait une structure sociale biencaractérisk (ci-dessusp. 134).
Cette affirmation ne manque pas de laisser rêveiir.En effet. l'exposé écrit
espagnol avait fait une description - a laquelle nous nous sommes d'aille~irs
référéà s pltisieurs reprises dans nos exposésoraux - sur les caractéristiques
des tribus rnaiires qui correspond en tous points a la description que nous
avons faite de l'ensemble chinguittien (langue. religion. cultiire. mŒurs.
organisation sociale. politique. etc.). rien n'y manque. c'est la mèmechose.
Au regard d'une organisation sociale. support de conscience collective et de
solidarité mutuelle.qui serait différente. noiispensons avoir fermement proiivé
dans l'exposéécrit etdans les interventions orales l'unitéet l'homogénéité du
type d'organisation sociale. politique et culturel de l'ensemble. y conipris le
Sahara occidental occupépar l'Espagne.Si le moindre dotite pouvait subsister.

nous croyons qu'ilserait levé par l'examendu reniarquable ouvrage du savant
espagnol bien connu. Julio Caro Baroia. Estridios saliariorios. publications de
I'lnstit~itode estiid~osafricanos. Madrid. 1955. De la premiére a la dernière
lignede cet ouvrage. qui est un desclassiqiies de la sociologie saharienne. on ne
trouverait pas un trait. ni un fait significatif qiii distinguerait I'organisation en
vigtieur chez les habitants de la zone adrninistree par 1'Espagiledes autres
élémentspeuplant l'ensemble chingiiittien. ALIcontraire. I'iinitéprofonde de
l'ensemble - l'ouvrage étant essentiellen~ent consacré ail territoire espa-
gnol - en ressort trèsclairement. C'estpour cette raison qii'iinspécialistede la
Mauritanie française, Albert Leriche, lui a consacre un ample compte rendu
dans leBiilletitidel'/FAN, tome 19.sérieB. 1957.pages 315.328. qiii confirme
le contenu du livre dii professeiir Baroja. On pourrait citer d'ailleiirs d'autres
livres.I'oiivragede Sanchez fréquemmentcitédans notre exposéécritqui dans
le même sens montre encore la coniplete unité d'organisationsociale. politique
et culturelle du Sahara occidental et de la Mauritanie.

Second argument avancé par le gouvernement espagnol : le caractère
indépendant des tribus dii Sahara occidental. Ce second argument. conzme
toutes les tribus sont indépendantes les unes des autres. aussi bien au Sahara
sous administration espagnole que dans le reste de l'ensen~blechingiiittien. .je
dois dire que .jen'en ai pas saisi la portée.
Troisième argument : le caractère transfrontière de ces tribus. Cette fois-ci
c'est-nous qiii le soulevons. ce n'est plus un argument espagnol car toutes les
tribus étaientet sont transfrontières. On nous parle d'une espèced'entité.mais
comme nous l'avons montre tout a l'heure à la Cour déii a propos des traités
d'ldiil. toutes les tribus qiii habitent le Sahara occidental ont un caractère
transfrontière du fait des nomadisations. LesOulad Bou Sba se trollvent encore
auioiird'hui aii point devue administratif presque intégralement en Répiibliqiie

islamique de hlauritanie et mêmelesOulad Delirn y sont en partie. les terrainsdes uns et des autres chevauchent les frontières actiieller;. Nous pouvons
encore trouver des renseignements ires intéressants cet égard. notamment.
sur les Oulad Delim. dans <(Ensayo de iina breve description del Sahara
espaiiol »Botetiride Ill Real Soci~>d(tgeografica, hladrid, 1914, p.2961.
Examinons maintenant lin autre argument : les traites passes par les tribus
du Rio de Oro. Le Gotivernen~eritespagnol a essayéde tirer argument dti rait
qiie plusieurs traitésaiiraient cté passés parles tribus de cette region et pour
cette région.
Passons brieveinent ces traités en revue. il y en a quatre qiie nous
connaissons.
D'abord. le 28 novembre 1884. c'est le traite entre Bonelli et trois
personnalitésOulad Boii Sba (III.exposéécritde la Rép~ibliqueislaniiqiie de
Mauritanie. annexe 1,p. 9 11,ils sont passésau nom de leur chef Abd el Aziz
Ould el Mami. Ce premier traité.on s'ensouviendra. a étépassé a Nouadhibou,
c'est-à-direau cap Blanc. aux mains d'une tribu dont le territoire ne s'arrêtait
pas, je pense, comme par enchantement au parallèle 22' 20' qui allait devenir

en 1900 la frontière dii Rio de Oro et de la France. Ce traite a donc érépasse
par iine tribu de caractere évidemment transfrontiére.
Le 24 iiiin 1886, traitéentre Cervera-Quiroga-Rizzo et le chérifBéchirOuId
Seyyid des Oiilad Bou Sba. Ce traite.,ie crois que personne ne lepossède.sinon
les Espagnols I'aiiraient prodilit. mais noiis savons qu'ia existé etqii'ila été
passé enbonne et dite forme. c'estCervera et Quiroga qui parlent de cela. ce
traité aurait étépassé selon etix a Douar Demeiset. En fait d'ailleurs. ce
toponyme n'existe pas.il n'ya pas de Douar Denieiset. ils'agissaitd'tin traite
passe au canipemenl de lq fraction de Dnieissat des Oulad Boii Sba. Mais
encore iine fois. comine nous l'avons dit dans notre exposéécritnotamment 5
la page 81(1111 ,ote 1,\esOulad Bou Sba ont, etont toujours eu. un caractére
transfrontiere.
Le 10 iuillet 1886. c'estle premier traitéd'ldiil.Je renvoià I'analysçqiie,ie
viens d'en faire. il y a quelques instants. et qui montrait encore son caractere
entiérement transfrontiere. aussi bien avec l'Adrar qu'avec les autres tribus.
Le23 mars 1895. le traitéentre legouverneur dii Rio de Oro avec Hamillen
Ben Ralosi. Ce docriment apparsit au livre 1des doctinîents supplen~çntaires

espagnols. 11.appendice 1 A l'annexe C.7, pages 371a 373. 11s'agitdu chef de
la tribu des Oiilad Delim et ce traitéest passe en son nom el aii nom de sa tribu.
ainsi qu'au nom des Oiilad Bo11Sba et des Oiilad Tidrarin. Encore iine rois.on
retrouve les Oulüd Roti Sba et Fimoyyen Ould El Arotissi. qiii étaient
signataires du preniier traite d'ldiil.
Dans toiis les cas. on se trouve en présence de tribus dont te caractere
transfrontiere est reconnu de longlie date. Ces traites nc peuvent donc en
aucun cas êtrereconnus comme preuve de la personnalité propre du Sahara
occidental soiis occupation espagnole aii nioment de la colonisation.
Venons-en a qiielques remarques sur les sources cultiirelles et historiques
propres au « Sahara occidental $S.
Sous avons déiàsignale. lorsque noris avons parle des soiirces historiqiies et
cultiirelles du BiladChingiiiti. que celles-ci ne faisaient pasde distinction entre
les faitsqui auraient pli se déroiilerau Sahara espagnol et dans lereste dii Bilad
Chinguiti.
Or. l'exposéespagnol dénietoute signification politique aux sources citées

par la délégationmauritanienne- (ci-dessus p. 115). En adoptant pareille
méthode. on viderait de leur contenu véritable les manuels d'histoire des
écoliers d'auiourd'hiii et de deniain. Noiis avons signale la nütiire de ces
soiirces: il s'agit de chroniqties enregistrant des événements(rés divers :286 SAHARA OCCIDESTAL

guerres. pais. informations sur des personnafilésimportantes (émirs. cheiks.etc.).
Leur exploitation permet déjaet permettra plus encore I'étiidede l'ensemble
mauritanien. comme cela a étéfait pour d'autres régions ducontinent africain.
notamment sous I'egide de l'Unesco. Telle a étédéiàI'cetivreentreprise. au
siécledernier, par l'auteur du Wasjli qui consacre cent trente-neuf pages sur
cinq cent quatre-vingt-deux a des personnalités, tribus ou faits au Sahara dit
espagnol, alors qu'ils'agit, rappelons-le, de chroniques mauritaniennes. Ils'agit
des pages 94 a 223. 365 P 368, 438 a 443 et 509.
Ide prétendu caractere apolitique des sources historiques conduit le
Gouvernement espagnol a faire appel au renoni d'intellectuels chinguittiens
illustres. et nous rendons hommage ait zèle mis par la délegationespagnole
pour tenter d'en épuiserla liste. Sans doute. son but est-il de prouver que ces

homnies ill~istresappartiendraient a un Sahara espagnol totalement étranger
au Rilad Chingtiiti et. dès lors. on ne discerne pas très bien poiirquoi une
information de ce genre revitirait un caractere politique. selon qu'elle serait
fournie par les Espagnols ou par les Mauritaniens. En to~itétatde cause. cette
precieiise contribution espagnole nous réjouit.parce que tous les personnages
citéssont des Chinguittiens.
En effet, le cheik Mohammed el Mami des Tachomcha Ah1Barik Allah, sa
tombe se trouve a Eig, au nord de Tichla, prèsdu méridien 15*ouest. Nous
renvoyons a la notice consacrée au cheik Mohammed el Mami par le
professeur Norris, dans son ouvrage S/ii/igili FolkLiteruiiire urid Sortg
(Oxford, 1968. p. 92-101 1.Nous renvoyons aussi à I'exposé écrim t auritanien,
II[, pages 65. 80,81,a l'index, page118,et au compte rendu de l'audience du
8 juillet (IV, p373-387).
Second personnage : Mohammed Ould Mohammed Salem. mort en 1302 de
l'hégire, c'est-a-dien 1885de l'èrechrétienne.IIestenterré a Durnus, presque
al'intersection du 23" nord et du 14Oouest. Sa tribu est celle des Medlech (voir
l'exposéécritmauritanien, III. pages 72 et80, et l'index, page117).
Troisième personnage : Mhammed Ould el Tolba, mort en 1270 de l'hégire
(1854 de I'érechrétienne).enterre a Ntajjat (Efiru.voe lacarte espagnole no9 '
de l'annexe B.1, dans l'Adrar Soutouf, presque sur le 22" nord). L'auteur du
Wus.vrconsacre ace poètechinguittien célèbreune longue notice (p. 94-190).
Enfin :El Mjaydri Ould Habb-Allah, dont nous avons déjaparlé. -

Ces quatre hommes sont vraiment à leiir place ici. Ils appartiennent des
tribus qui nomadisent, en temps normal. entre la régionde Noiiakchott et le
Zenimo~ir. tribus qui ont aménagétant de points d'eau qui matérialisentleur
emprise sur le territoire parcouru. Ces tribus. oii figurent encore les
descendants de ces hommes célèbres. sont toiites administrativement
mauritaniennes. mais continuent. comme par le passe. a utiliser leur territoire
ancestral. sans égardpour les frontièresactuelles:c'est la ilne autre illustration
du caractere transfrontière» sur lequel nous avons tant insisté.aiiquel la
délégationespagnole n'a pas répondu.S'il fallaitune preuve pour saisir l'unité
du BiladChingiiiti. l'existencede ces hommes et de leiirs homologues. dénient
précieuxdii patrimoine commun a tous les Ching~iittiens. la fournirait. Voila
une manifestation de l'unitécultiirelle.
J'en viens a l'argument suivant qui est le Jur-ut-Juql: Le Gouverne-
ment espagnol. dans son exposé oral, a rait appel a cette notion (ci-dessus
p. 1361.
Nous dirons simplement que cette notion .signifie, non pas « ligne de
danger n,mais <<front d'insécurit>p.Cetteexpression est née,non pasen 1880,

'Non reproduite. EXPOSEORAL DE hl.SALhlON 287

comme on a l'airde vous le dire. mais après 1910. lorsque les Français. ayant
occupéla plus grande partie des pays maiires. mirent en place des formations
militaires mobiles. les Méharistes.contre des territoires qui ne leur étaient pas
soumis. Cette notion n'a donc lamais voulu dire « frontière commtinr: face a
l'extérieur de toutes les tribus nomades >> qui habitaient le territoire. ni
<(frontière aussi bien géographiqiieque politique>> e.pression que l'on trouve
aux pages 1237 et 12.18ci-dessus.En effet, ce front d'insécurité a vadans le
temps et dans l'espace en fonction de l'implantation progressive.a la fois des

troupes françaises et de l'occupation espagnoleet de leur position respectivesur
leterrain. Apres 1934. d'ailleurs. l'expression cessade correspondrea la réalité
et tomba en désiiétiideE. lle n'adonc pas la portée qu'onsouhaite Iiiattribuer.
celle de trait distinctif entre le territoire espagnol et celui de la Republique
islamique de htauritanie.
Le Gouvernement espagnol a encore invoque l'argument des routes
caravanières (ci-dessus a la page 118 et ala page 136). On essaie d'illustrer le
splendide isolement du Sahara espagnol par le fait que « lesroutes priiicipales
du commerce saharien passaient en dehors du territoire actuel du Sahara
' occidental »(p. 118).
Nous serons brefs siIr ce point. 11y a touioiirs eu deux routes caravanières
liant le Sud marocain au Rilad Soudan a travers l'ensemble niauritanien. La
premièreva des oasis du Draa a l'Adrar, puisau Hodh. en passant par El Farsia
et traverse donc la Sakiet El Hamra dans sa partie est. Cést ce qu'on appelle le
Triglemtouni. La seconde va de Goulimine a Saint-Loiiis. donc le long de la
côte. en traversant la Sakiet El Hamra. puis le Rio de Oro. en passant par
Tennwaka qui se troiive au milieu dii chemin. Cette seconde route caravanière.
qii'on peutappeler la route de l'ouesta totGours étéfréquentée.Ibn Hatiqal la

mentionne dé,iaau Xe sikcle(voirCo!iJg~iratiorde la Terre.traduction de J. H.
Kramers et G. Lf'iet.1.1.p. 90-91).Voir aussi Hamadou Ba et l'exposéécritde
la Mauritanie,III, page 63. Ellen'a perdu de l'importance que dans les années
1950 avec le remplacement du chameau par la circulation automobile.
Enfin. dernier argument présente par le Gouvernement espagnol. des
documents que i'appelleraides documents récents.
Polir prouver la personnalitéautonome du Sahara espagnol au moment de
la colonisation. la délégation espagnolene redoute pas de prodiiire devant la
Cour un message adressé parla diemaa au cher de I'Etat espagnol. le 23 mars
1973.Nous ne suspecterons pas la delégationespagnole d'avoir voulti donner
ce document un caractère intertemporel. NOLIS regretterions toutefois que cette
piècepersuade la Cour de l'existence auSahara occidental d'une cornmunaiité
autonome profondémentenracinéedans l'histoire.
En conclusion. le Go~ivernement de la Répiibliqiieislamique de Mauritanie
estime qiie le Go~ivernement espagnol n'a apporté aucune preuve de la
cohésion ou de la personnalité autonome du Sahara occidental sous admi-
nistration espagnole au moment de la colonisation.

L'oudic.iice.suspe~~duù e17 het~res,estreprise .417 /i20

Je so~ihaiterais maintenant, avant d'envisager de larges concliisions.
répondre.d'une part. a deux qiiestions qui nous ont étéposées par M. Ruda et
ensuite a la troisième question de hl. Petrén.
Tout d'abord la question qui nous a etéposée parM. Ruda. Sa qiiestioii est la
suivante :

((Je prie la délégationmauritanienne de prendre les cartes n" 2 et 3 annexées a son exposé écrit. La carte no 2 s'appelle c<Parcours de
nomadisation dans le nord-ouest de l'ensemble mauritanien (Carte
d'ensemble) ». La carte no3 s'appelle « Parcours de nomadisation dans le
nord-ouest de l'ensemble mauritanien (détails) W.Si on regarde la carte
no 2, on voit que lescircuits de parcours de nomadisation ont une
direction nord-est-sud-ouest. Si on regarde la carte no 3, presque tous les
circuits de parcours de nomadisation ont une direction nord-ouest-sud-
est. Je demande a la délégationmauritanienne pourquoi la carte d'en-
semble a une direction de parcours de nornadisation différentede celle
de la carte de détails.r(Ci-dessus p. 140.)

Avant de répondre a la question posée, je signale que nous avons fait
remettre a la Cour une troisiéme carte (ci-après p. 290-29 1) qui essaie de
superposer la première sur la seconde.
Avant de commenter ces detix cartes. nous estimons que la question qiii
nous a étéposée par XI. le iiige Ruda noiisa montre que. dans une certaine
nicsure. nous nous étions peut-etre mal expliqué sur les parcours de
nomadisation et qu'il y avait lieu de faire qiielqiies observations préliminaires.
que voici :

Tout d'abord. c'est que l'expression « parcours de nomadisation D.dans le
sens qiii lui est donnépar la République islamiquede Xlaiiritanie. est une (4aire
geographique n.Lin « territoir>)reconnu généralementpar la coutume a iine
oti plusieurs tribus et a l'intérieurduquel la oii les tribus nomadisent. Le
deplacement de ta tribu oti des tribus1 I'intérietirde ce territoire est commandé
principalenient par la pluviométrie et l'existence oii non de points d'eau. II
dépend ausside la localisation des différentstypes de pâturages permanents et
temporaires. des zones de sable. des zones d'erg.C'estce qui expliq~ied'aille~irs
l'importance que les tribus attachent aux puits dans ces zones : plus ily a de

points d'ea~isur un territo~re. plus la tribii qui en est propriétaire peut en
exploiter les piturages. IIfaut noter égalementqu'a l'intérieurde ce territoirela
tribii se siibdivise en groupements d'lin nombre variable de tentes et qtie les
groLipernentsappeléscouramnient canipenients sedéplacentindépendamment
les tins des autres pour mieux profiter des pât~irages.On doit se rappeler qii'on
est dans des zones arides. cc qui veut dire qu'il y a peu de pâturages. Par
consequent. si de nombreiix troiipeaus restaient ensemble. ils ne potirraient
survivre faute de nourriiure sufisante pour eux toiis.
Cette observation montre que tolite idéede direction. mêmegénérale.bien
qiiestiggerke par la forme géométriquechoisie doit etre écartée.Elle ne traduit
en erfet ni la dispersion de la tribri sur le terriniilescircuits adoptéspar les
groupements qiii la constiiiient. Ces circuits varient obligatoirement pour
chaque groupement. en fonction de la pltiviométrie. des points d'eau et dii

moiivement probable des autres grotipements.
La deuxième observation concerne l'étenduedes territoires de parcours de
nomadisation. Les ellipses tracéessur les cartesno2 et no 3 (IV, p. 374-375 et
380-3811 donnent les limites habituelles a l'intérieur desquelles setrouvent
généralementla grande majorité destribus indiquées.Il n'ya donc pas lieu de
s'étonnerque les groupements d'une même tribu nomadisentnormalement en
dehors du territoire reconnu habituellement A la tribu.
Par ailleiirs. et en raison des nécessitésclimatiqiies. lin mouvement de
translation de tolites les tribus peut se prodiiire vers te siid si telle année la
pltiviornétriea ététrès n~aiivaisedans le nord - alors dans ce cas toutes les
tribus descendent vers le sud.dans Linmouvcnient général - et. inversement.
s'ila plii dans le nord. on essaie d'esploiter les pâtiirages de la zone saharienne. ESPOS ORAL DE M. SAI.MON 289

C'est ainsi que telte annéeon va trouver les tribiis de l'Adrar qui nomadisent

dans le sud au Tagant etles tribus de I'lnchiri et lesOulad Delim au Trana.
tandis qiie les tribus Trana et Rrakna. dont le bétailest essentiellement bovin.
se rapprochent du fleuve Sénégala la recherche de pàturages appropriés. En
revanche. telle autre année oii la pluviométrie au nord a étésatisfaisante. on
retrouvera aii nord toutes le tribus indiquees et iiiêmedesgroupements du sud
dii Trarza - nous l'avons expliqué toiii a l'heure en ce qiii concernait lesgens
du Trarza qui nomadisaient parl'ois au Rio de Oro.

En résumé.les parcours de nomadisation traces siir les cartes nm 2 et 3
présentéespar la Répiiblique islamique de Mauritanie constituent des aires
géographiqiies approximativement délimitées. reconnueshabituellement à des
tribus par la tradition. A l'intérieur des limites tracées nomadise la grande
maiorité de la tribu repartie en groiipements plus ou moins importants. Le
circuit enipriinté par un groupeiiient dépendde la pl~iviometrie. de l'existence
de points d'eaii et de la nécessiii d'exploiter au mieux les pâturages existant

l'année considérée.
Reniarquons en passant que les éléments que nous venons de dc-
crire - conimunauté d'intérêts. identitédii mode et des conditions de vie.
interpénétration des tribus. chevauchement des territoires.etc. - se sont
imposés très tiit 5 l'esprit des ,iuristes et les ont anlenéélaborer ce droit
saharien doni nous avons parlé dans Lesprécédentsexposés clqui s'iinpose a
toutes les tribiis.
Ces remarques i'tant faites. nous en venons a la réponsea la question posée.

Remarqiions toiit d'abord qiie le parcours de nornadisation des Ahel es
Sahel - Oiilad Tidrarin. Laroiissiyine et Oulad Delim - dont les limites sont
indiquéessiir la carte no 2. a étéreporté. sans modification. sur la n" 3. Ces
tribus nomadisent donc dans une zone comprise entre les liniites tracéeset la
côte atlantique. II n'y a pas dechangemententre lesdeux cartes. IIconvient de
noter aiissi qtie Ic parcours de nomadisation des Ahel lnchiri dont les limites
habituellessont indiqiiées sur la carte n3.n'a pasététracésiir la carte no2. II
en est de mémede la zone de parcours de noniadisation des Ahel Adrar qiii ne

figurait passur la carte no2.
Les diffkrences apparaissent donc relativement à deux ensembles de par-
coiirs: le parcoiirs des Tekna aii nord et le parcours des Regueibat.
En ce qiii concerne toui d'abord le parcours des Tekna. sur la carte n2. le
parcours de noniadisation. appelé« limite méridionale de l'aire de parctiurs des
Tekna ». concerne l'ensemble des tribus Tekna nomades.
Sur la carte no3. la niêrneaire de parcoiirs a éclatéen deus :aire de par-
cours des Tekna que l'on appelle Aitiisa et aire de parcoiirs des Tekna

Zarguiyin - partie méridionale des terrains de parcours.
Dans la carte no 3. on a donc simplement volilu. pour plus de précision.
différencier les aires de parcours des deux tribiis appartenant a la même
fédération Tekna.
II suffit de tracer une ligne courbe englobant tesdeux aires de parcours pour
retrouver l'aire de parcoiirs des Tekna dont tes limites sont indiqiiécs sur la
carie no 2, 11 faut dire que la carte no 2 esiune carte d'ensemble pour les
Tekna.

Ide procédéappliqué pour le parcoiirs de noniadisation des Tekna a été
appliqiié au parcours de nornadisation des Regiieibat et pour les mêmes
raisons. a savoir pliis de precision toiit en évitant de surcharger la carte qtii
Ptait déiabien siirchargke.
On a donc voulu. dans [a carte no 3. differencier.i~I'intérieiir de t'aire de
parcours de noniadis:ition des Regiieibat - les grands nomades - tel qu'ilCarle n03

PARCOU R ESNOMADlSATlON DANS
LE NORD-OUEST DE L'ENSEMBLE
O Puit doul pirmanrnl. a Site di plchou Maciyid.
MAURITANIEN(DÉTAILS) a Puit doux iimwiairi. Ciid Laharl4Ml (talrcarar)~
O Puit 5.14. @ Minr d'antirnoini
Cim.tiir. @ Saline iniloit44
Palrntrai.

LIMITES DU 7ERR1TOIRE OE PARCOURS DE:

.*i m i Ahrl inchi:Tachimcna .Trndgha. AuliLab.ric...
-m.-.. Ahrl Adiiii:Yahiya-MinOuihmm.ldawali.Laght...dc
-i-i RgutibatAwlad MOUII~.
-se-*. RgutibalLigwa~sim.
>>>> Rguiibat Awlad Oiwtd.

---- Ahtl-cs-Sih4l:&lad tldrarintLunu%siyin,
A-lad Dtrïm. Awlad Bewba
-- I I Trkna :Zarpuili(parti. rn4ridioiiml4 der
iiriaindi parioun 1.
M.=-= Tikna : Aiiusi
iLimi1.sda$ tirritoirdi cornpllinta
++*+ 1 drrEmii, ar I Adiiau XIXiwieli
-.

----- 1Sahara ioccidinta.ufigure sur la carte no2. lesaires de parcours suivants :d'une part. les Reg~ieibat
Oulad Moussa, les Regueibat Legwassem. les Regueibat Oulad Daived.
Lesgrands axes des aires de parcours des deux premiérestribiis sont or~entés
approximativement nord-ouest-sud-est pour exploiter au mieux toutes les
ressources végétales permanentes - soit les dunes - et temporaires - soit les
zones de relief et les pénéplaines.

Legrand axe de la troisièmeaire de parcours est, lui, oriente approxirnative-
ment est-ouest, ce qui semble aberrant à première vue, mais il répond aux
mëmes raisons - l'exploitation de toutes les ressources végétalesdes differents
milieux selon leshasards météorologiques.
Lorsqu'on trace une ligne courbe englobant ces trois aires de par-
cours - c'estce que nous avons essayéde faire sur la troisieme carte que nous
vous avons remise - on retrouve. grosso n~odo, l'aire de parcours de
I'ensenibledes Regueibat. grands nomades. telle qu'elle figure sur la carte no 2
et dont le grand axe est orienté approximativement nord-ouest-sud-est, Nous
avons procédéa ce tracésur la carte no 3 communiquée au Greffe. Signalons
qiie la courbe n'est pas finie. car l'airede parcours des Regiieibat. qui sont de
grands nomades. se continue en Algérie etau Mali. On peut lire. a cet égard.la
thésecomplémentaire de Sougy sur le Zemmour noir.

Notis espéronsque les explications que nous avons données.sont de nature
A satisfaire l'honorable juge.
Avant de passer a nos conclusions Finales.nous souhaiterions répondre a la
troisième question de M. Petrén. poséeau cours de l'audience du 25 juillet et
qui est ainsi libellée:
((Vu l'imporlance donnée dans ces débats itla solidaritéreligieuse. ie
voudrais poser une qiiestion aux conseils du Maroc. de la Mauritanie et

de l'Algérie.On nous a expliqiie que les habitants du hlaroc et du Sahara
occidental sont des musulmans sunnites de rite malékite. Est-ceque cette
appartenance au rite malékiteserait une particularité quiles distingue des
habitants d'autres parties du Maghreb. par exemple des habitants de
l'Algérievoisine ? » (Ci-dessus p. 183.)

On observera. tout d'abord. que le monde de l'Islam s'est divisétrès tôt en
multiples sectes politico-religieuses. Lestrois principales. tesseules représentées
de nos jours. sont les sunnites. les chiites et les kharidjites. 1-e sunnisme.
largement nîajoritaire. a fini. a son tour. par se partager en qiiatre écolesou
~i~udhah ,ui sont des écolesjuridiques - le droit englobant également, à la
fois. leculte et le droit proprenient dit. Si leur accord est total en matière de
dogme. des divergences de détail les séparent. différencesqii'expliquent les
conditions historiques et géographiques des doctrines, de l'élaborationsuivie
d'une phase de fixation. Ces écolessont :le hanafisme - fondateur Abuttanifa
de Koufa en Irak au VJIIesiècle :le mafékisme - fondateur hlalik abu Anas
de Médine.Vllle siécleégalement : chanisme du nom de ech-Chafi'r. ne à La
htlecque.mort au Caire. VIIICsiècle-débutdu IX siècle :le hanbalisme. dernier

né.fondateur : le Baghdadien Ahmed Ibn Hanbal. IXesiècle.
La diffusion de ces écoles s'est faitepeu a peu soiis l'influence de facteurs
divers. Au bout d'une évolution assez longue. vers le VIc sièclede l'hégire.
c'est-à-dire le Xtle siècle de I'ére chrétienne. chaque école gagne la
prépondérance danstelle ou telle partie du monde miisulnlan. L'écolemalékite.
sans êtreabsente de l'Orient musulman - on trouve des malékites,en Arabie
Saoudite. Egypte et Républiqiie du Soudan - eut. polir sa part. l'Islam
occidental :l'Espagne musulmane. l'Afrique du Nord. le Sahara. le Tchad. le
Niger. le Nigéria. leh4ali. la Guinee et le Sénégal. L'appartenance des habitants d'un pays. comme I'ensemble mauritanien. au
rite malékite neleur confère donc pas une particularité qui les distinguerait
d'autres parties du monde musulman sunnite proche ou lointain. La large
concordance des doctrines des quatre écoles.leur consensus sur les~Iutions a
donner aux problkmes juridiques. impriment une profonde unité A tout le
monde sunnite. Les particularités se colorent d'influence locale et s'appuient
sur des coutumes que les écoles.juridiques. le malékismeen particulier. sesont
efforcéesd'adapter A l'esprit de la loi en vue de hire des coutiirnes cludroit
un tout cohérent. Elles y sont parvenues dans une large mesure. C'est le coté
vivant du droit sunnite en éfaboration permanente. D'ailleurs. au cotirs des
dernières décennies. une tendance à fondre les divergences des écoles
juridiques se dessine.
Nous espérons que lesexplications donnees ont été de nature àrépondreaux
préoccupations de l'honorable juge.
Je passe donc. Monsieur le Président.aux-conclusions gknérales-quenous

pourrions faire sur la notion d'ensemble chingiiittien.
Nous avons essayé.ici. de repondre a un certain nombre d'objections qui
ont ete faites par nos amis espagnols. d'une part. et peut-ètre aussi
d'approfondir, dans une certaine mesure, cette notion de Dar el Islam dont il
a souvent étéquestion et qui sera peut-ëtre de quelque utilitépour la Cour.
Lors de notre exposé du 10juillet 1975, nous avons essayéde montrer que
I'ensemble mauritanien constituait une nation, un peuple. doué de la
souverainetéextérieureet que, s'il n'était pasconstituéen Etat,cela n'&taitpas
de nature a lui retirer tout statut en droit international.
Cela est contestépar le Gouvernement espagnol. IIsoupçonne. dans cette
argumentation. le primat du sociologue sur le juridique (ci-dessus p. 113-115
et 1441 ; il voit, dans l'utilisation du mot peuple, un anachronisme ou il
suspecte, dans notre démarche, une tentative sacrilege de détruire I'iinitèdu

droit international qui régitseulement les rapports entre les Etats indépendants
(ci-dessusp. 106) ;il nous accvse, enfin,de faire du particularismejuridique (ci-
dessus p. 145).
Un vieil adage latin dit:lrbi .sociel/us,ibi jLe droit estfaitpour servir te
social. Le droit nést qu'une superstrucftrre qui s'adapte au social. \.'ouloir
renverser les ternies. c'est vivre dans le formalisme et l'illusion.
Cést bien pourqiioi avant d'essayer de faire des constructionsjuridiques a
propos de l'ensemble mauritanien. le Gouvernement de la République
islamique de h.la~iritania estirni:essentiel de montrerA la Cour. le mie~ixqu'il
a pli. la réalichiiiguittienne, pensant qu'il fallaitpartir d'abord de cette réalité
avant d'essayer de faire une construction .juridique.
LeChinguittien se trouve en effetdevant vous dans la situation bien ivoquée
par Montesquieu, dans une des célébres Leirr~iipersurrequi se termine par ces
mots :

a si quelqu'un par hasard apprenait à la compagnie que j'étaisPersan,
j'entendrais aussitbt autour de moi un bourdonnement : « Ali ! Ah !
Monsieur est Persan ? C'est une chose bien extraordinaire ! Comment
peut-on êtrePersan ? >>(Lettre XXX.)

Comment peut-on étreChinguittien ?Comme le Persan. pour le Parisien du
XVIIIc siècle. leChinguittien semble étre pour certains une sorte d'animal
fabiileux. Comine quoi les bons esprits restent parfois prisonniers di1carcan
imposépar les modes de penséetraditionnels.
Certains aussi ont pu se poser la question de savoir comment I'ensemble
chingiiittien s'inscrivaitdans lecadre du droit mustilman de l'epoque?IIfaut. a294 SAHARA OCCIDENTAL

cet égard, rappeler certaines notions familières a tout musulman, a savoir le
Dar el Islam et la Umma. Des l'origine,I'lslam aflirme son caractère universel.
L'univers idéaldevrait êtrerkgi par leCoran puisque celui-ci contient la parole

de Dieu révéléaeu prophète Mahomet l. Dèslors le monde se divise en deux
entités :le Dar el Islam er le Dar el Harb l. Le Dar el Islam ou domaine de
l'islam est l'espacesur lequel vivent des peuples musulmans. 11n'est pasfonde
sur des données géographiquesmais sur une appartenance religieuse. Le reste
du monde est dénommépar Dar el Harb ou domaine de la guerre. Quant a la
Umma, cette expression désigne lacommunauté humaine vivant sur le Dar el
Islam, mais ilserait faux de croire que cette communauté se traduit seulement
par des pratiques religieusessemblables. LeCoran et laSunna étant a la foisun
message religieux moral. politique et juridique. la Umma se traduit chez
chaque individu par le sentiment profond d'appartenir a un ensemble idéal. a
une sorte. de supernation. Tout ceci explique les formes particulières que
revêtirale phenomene étatique lorsqu'il apparaîtra dans le monde musulman.

A l'origine, c'est-a-diredu vivant du Prophète, chef politique et spirituel, il y
avait étroite adéquation au plutôt superposition entre la Umma et le Dar el
Islam. Lorsque Mahomet meurt en 632, il ne s'agitpas d'assurersa succession
en tant que prophète. En effet, il est, selon le Coran, le sceau, c'est-a-dire le
dernier de la ligne des prophètes '.Mais il est indispensable de lui trouver un
successeur en tant que chef de la Umma et il n'a laisséaucune instruction acet
égard.C'estainsi que va naître l'institution du khalifat. le khalife étant le chef
de lacommunauté musulmane et concentrant entre ses mains tous les pouvoirs
politiques. Toutefois leCoran restant muet sur cette question. celle-ci ne relève
pas du dogme. elle appartient tout entiéreau domaine iemporel. Cela explique
que des la mort du Prophéte les conflits idéologiques vont se développer a
propos de la conception du khalifat '.Celui-ci sera de plus en plus contesté.

puis réclamépar diverses autoritésantagonistes et cela setraduira bientôt par le
morcetlement du Dar el Islam en territoires divers Toutefois cette notion
comme celle de la Umma reste très vivace dans la conscience de tout
musulman et c'estpourquoi lemot /slai~~c,omme lerappelle Louis Gardet dans
l'Encyclopédiede l'islam, peut être compris dansdiverses acceptions.
Toutefois. toutes ces acceptions restent étroitement liéesdans la pensée
musulmane. aujourd'hui comme autrefois, et aucune étudede l'Islam. aucune
analyse de la communauté musulmane ou du monde de I'lslarn ne peut les
séparer 6. Voila qui répond a ceux qui feignent de vouloir étudier le droit
islamique ou autre indépendamment des réalités sociologiques.Le droit n'est

'ChoucriCardahi. « La conceptionet la pratique di]droit internationalprivéde
L'Islamt)RCADI. t. 60. 1937-II.p. 507-509.
Jt'orms. De la coiistiturioi~terriioriuli~des pqvs inustrln~uiiParis. 1842;
Dr. RahimuddinKemal. ge Coticrpi of Cotislitulioi~alLan~iiz IslFase Brothers.
Hyderabad, 1955. 140 pages ; hi. Flory. « La notion de territoire arabe et son
appticationau problème du Sahara.AFDI. 1957. p. 73-91.
' L.hlilliolrifroduciioiii'gt~idedti droit niri.su/. arisSirey.1971 .822 pages.
spec. p. 46. Voir aussi <La conception de I'Etatet de l'ordrelégaldans I'lslam >>,
RCADI. 1949.p. 591-687.
ElMaweidi. El-AhkunrEs-Sou1T/~aiii)u.Traittide droitpiiblic nfusi~lnia. rnest
Giroux.Paris. 1901.(Traduitpar lecomte LéonOstrorog.)
S. Mahmassani, «The Principle of International Law in the Light of lslamic
Doctrine », RCADI, t.117, 1966-1,p.201-328.
Eii~yclcipc~die I'/.slain,LeydeBrill-Paris.Maisonneuve et Larose,S.A.. 1966,
t.IV. verbo Islui~~p.. 179-185, spéc.p181. I:SPOSÉORAL DE hi.SALAIOS 295

qu'une science humaine parmi d'autres et les autres l'éclairentcomine elle
éclaireles autres. A l'étudierdans l'abstrait. on se condamne a échafauder de
fragiles constructions. parfois sediiisantes pour l'esprit mais sans rapport avec
la réalité.
Comment se pose dans le Dar el lslam le problème de I'Eiat? Les quelques

considérations qiie nous avons émises jusqu'ici nous permettent de mieux
comprendre l'apparition du phenornene étatique au sein de I'lslam. L'Etat
naitra. le plus souvent. soit de la preoccupation de réunifierle Dar el lslam soit
de la volonte de résister iides tentatives consideréescomme usurpatrices ou
comme dangereuses pour la survie de particularismes locaux '.
Dans le premier cas. il concrétisera les efforts de ceux qui se présenteront
comme les successeurs du Prophète et en tant que tels prétendront au khalifat.
Ainsi enira-t-il de l'Empire turc ou marocain au cours des derniers siècles.
Dans le second cas. il résultera du refusde reconnaître la légitimitéde cette
tentative ou de cette revendication ou de la volonté d'échapperà cette volonté
d'hégémonie.Tel sera le cas des diverses entités étatiques qiii naitront en
Algérie. enTunisie. en Egypte ou en Asie centrale.
A y regarder de près. ce phénoménen'a pas de quoi nous étonner. En

Europe. le Saint Empire a étélui aussi la manifestation d'une volonté de
ressusciter une unité disparue. rZ l'inverse, la naissance précoce de la
centralisation étatiqueen France est due en grande partie a la nécessitde lutter
contre les viséeshégemoniques dont on contestait la légitimité. C'estde la
meme manièreque naîtront I'lran et le Maroc par rapport à l'Empire ottoman.
Tout ceci nous montre que le phénomèneétatn'aJaniais étéun but en soi. n'a
jamais étéune fin dertiière.L'ecetest une technique. l'étatest un moyen. l'état
est un ensemble de procédéspar lesquels certains groupes humains cohérents
tendent de réaliser une ambition qui peut souvent se définir par le mot
<<indépendance u. Certes. au SNe siècle. il semble que ces deux notions
<< état)>'e(<indépendance )>soient tellement étroitement associéesqu'on n'en
arrive a les confondre. hlais. au filde l'histoire.il s'esttrouve des groupements
humains pour réussir iassurer leur souverainetésans pour autant recourir au
mode étatique.Tels furent certains peuples d'Asieet de la péninsulearabique.

Tels furent les Chinguittiens.
tes Chinguittiens n'ont pasforme d'Etat. car ilsn'enont pas eu besoin.Tout
comme les autres groupements humains cohérents du monde musulman. ils
avaient au plus haut point conscience de vivre au sein du Dar el Islam et
d'appartenir a la Umma. S'ils ne formèrent lamais d7Etat. les raisons s'en
dégagentaisément.
D'une part, la nature particulière de leur environnement geogi.aphiqiie
formait autour de leur territoire un glacis quasi inviolable qui les protégeait
contre des entreprises exterieures visantaconquérir une hégémonie ailsein du
monde musulman. Plus tard, cette mémenature empêcherale colonisateur de
s'assurer une véritable emprise sur cette partie du monde. Aucune pression
extérieurene contraignait donc les Chinguittiens former une entitéétatique.

D'autre part. aucune nécessitéintérieure ne vint non plus ,jouer un role de
catalyseur en ce sens. En effet. ilne se trouva jamais en leur sein d'individti
assez ambitieux ou assez puissant pour prétendre accéder au khalifat. Au
surplus. la vie nomade s'accommode mal. nous l'avons dit, de structures
centralisées et rigides. clle postule au contraire la dispersion. En outre.

' Shaybanl's Siyar,TIILIslriiiLautef Nrrtiora,translated by MajiKhadduri,The
Johns HopkinsPress,Baltimore, 1966 . 11pages.296 SAHAKA OCCIDENTAL

lorsqu'ils n'y sont pas pousséspar les circonstances que nous avons décrites
plus haut, les musulmans, même sédentaires, ne sont pas naturellement
conduits a créer un Etat. Les piliers essentiels de la société politique
musulmane sont en efîet : la liberté. l'égalila. fraternité et la ,jus'.Ces
sentiments de fraternité. de solidarité et d'interdépendance constituent une
caractéristique du droit international musulman. car ils donnent A ceux qui
sont offenses dans Lin pays te droit de réclamer l'aide de leurs coreligion-
naires '.Toutes ces raisons expliquent que le musulman. individualiste a
l'extrême. ne se trouve pas l'aisedans I'Etat de type européen, trop rigide.
trop oppresseur. Lorsqu'il est contraint de recourir à ce mode d'organisation
sociale. il lui donnera une tournure différentede celle qui a prévalu dans le
Vieux Monde. Voilà pourquoi aussi. en ignorant la réalitésocio-c~ilturelle,des
penseurs européens ont purement et simplement nié I'Etatmusulman et ont
prétenduque la notion de souveraineté n'y avait jamais dépasséle stade de la
tribu. C'est un grave contresens historique accompli avec plus ou moins de
bonne Toi.En effet. la négation. sur un territoire, d'un type d'organisation
politique. considérécomme seul eflicace. permet vite de considérerqu'ilexiste
là un vide a remplir et l'on n'est pas loin alors de parler drt.si~t~lli hllas.s
l'erreur a pu êtrecommise de bonne foi par ceux qui se sont laissésobnubiler

par ce que l'on a appelé l'anarchie du monde musulman a l'intérieurde ça
forme étatique comme en dehors de celle-ci(Milliot, op. rit.).
Lorsque cette prétendue anarchie se présente a l'intérieur de la forme
étatique: il faut êtresingulièrement aveugle pour ignorer qu'elle c'a rien de
spécifiqueau monde musulman. Lorsque par cette mêmeanarchie on prétend
qualifier les situations stables. mais non ce~tralisees. prévalanta l'intérieurdes
formes non étatiques, on fait preuve de cette forme de cécitéinfiniment plus
grave qui consiste a refuser les institutions librement adoptkes par l'autre en
fonction des nécessitésde son environnement naturel et humain. Nous voila
bien prèsde ce racisme, source de tous les ethnocides.
Tout comme on ne parlait pas d'anarchie a propos des grands ensembles
préétatiqueseuropéens. on ne peut parler d'anarchie dans cet ensemble
d'émiratset de tribus que l'ona montrés indépendantsde tout pouvoir étatique.
L'absence d'institution étatique ne signifiait pas anarchie. puisqu'on a vu les
liens miiltipleset.en particulier. les liens de droit saharien qui répondaient
parfaitement aux nécessités de la vie nomade dans une sociétépréétatique.
L'ensemble chinguittien ayant réussi.avant l'époque coloniale.a assurer sa
cohérenceet son indépendance sans recourir a la forme étatique.ayant donc
réussia réaliserle but suprérnede I'Etatsans adopter lesstructures étatiques.il

serait inconcevable qu'on l'enpénaliseauiourd'hui en prétendant qu'il n'a pas
existe. II était très différent de ce qui avait édifiéle mande prétendument
civilisé.mais il étaitDe tels ensembles difficiles classer ont d'ailleurs existi
partout au cours de I'histoire du monde. Nous n'en citerons que deux.
particulièrenient bienvenus d'ailleurs. puisque nous nous trouvons notamment
au sein de l'aire géographique de l'un d'eux. Qui a oublié ces prestigieux
« grands ducs d'occident » dont la splendeur défiaitles couronnes de France et
d'Allemagne etdont les possessions neconstituaient rien de plus qii'un ensem-
ble disparate de duchés. comtes, marquisats jatoux de leur indépendance
réciproque.Cet ensemble ne constituait ni une unité,juridique. chaque princi-
pauté y étant régiepar ses coutumes propres aussi bien en matière publique

'AhmedRechid. <iL'lslamet ldroitdesgens ».RCADf. t.60.t937-11.p.371-706.
spéc.p. 391.
Ihid. p.396-597. que privée. ni une unité linguistique - on y parlait français. flamand et
allemand - ni une unité culturelle : il était partagéentre les sphères de
civilisation française. flamande. rhénane. ni une unité économique ou
douanière. chaque principauté gardant en ces matieres toutes ses prérogatives.
ni une entité territoriale.car ilsse divisaient en plusieurs tenants. Et pourtail.
existait, et prestigieusement. cet ensemble pour lequel Charles le Teilléraire
sollicita en vain de l'Empereur une couronne royale qui lui aurait conferéun
statut juridique cohérentet une unitéapte a satisfaire lejuriste orthodoxe.
Si nous ne craignions d'abuser de la patience de la Cour. noiis nous
attarderions encore sur la Confédérationsuisse. des origines avec ses quatre
cantqns pratiquenient autonomes. et son organisation collégialeextrémernent
liche.

La question essentielle n'est donc pas celle de la qualification juridique.
Qu'un ensemble ait naguère forme ou non un Etat tel que nous l'entendons
auiourd'hui. peu importe. L'essentiel résidedans la question de savoir s'il
constituait une communauté cohérente, apte a assurer I'independance d'un
peuple vis-à-vis de l'extérieur et a adopter. 1 l'intérieur de ses limites
territoriales. une organisation qui permette à ce peuple d'y vivre selon sa
personnalité propreet dans son authenticité.
La notion de peuple que nous avons utiliséeest-elle. comme on l'a dit.
anachronique ou peu compatible avec l'ordre iuridique international ?S'agit-il
d'un humanisme que tout le monde partage sur le plan sentimental. mais
auquel on refuse la qualitéde chose sérieuse. c'est-A-direla consécriition en
droil ? Cést Ii une porte de sortie trop Facile.
A l'époquede la colonisation du Sahara occidental. la notion de peuple était
plus qu'une idéed'humaniste.
Cette idéeétait déjà ancienne en Europe. Des le traite de Westphalie en

1648, la reconnaissance par ta Maison d'Autriche de I'indépendaiicedes
Provinces-Unies - qu'on appelle les Pays-Bas - et des cantons suisses
consacrait la libertépour les peuples de se gouverner a leur gré.LaRévolution
française va parfaire la notion en balayant les anciennes structurts et les
prérogativesde souverains maîtres d'un territoire dont lespopulations n'étaient
qu'un accessoire. Elle reconnait le pouvoir au peuple et a la nation. Ceux-ci
devenaient les titiilaires directs de droitetd'obligations. Qu'on se rappelle la
célèbredéclarationde la Convention, qu'elle« accordera fraternitéet secours à
tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté et charge le pouvoir
exécutif de donner aux générauxles ordres nécessairespour porter secours a
ces peuples )).
L'idéedu peuple-nation va donner naissance a l'indkpendancede la Grèceet
de la Belgiqueen 1830. La guerre d'Orient sera pour l'occident l'occasionde la
prise de conscience du droit des peuples chrétiens de disposer d'eux-mêmes
face à la Sublime Porte. t'unité de I'ltalieet la création de l'Empire allemand

marquent le triomphe en Europe du principe du peuple-nation. Le congrésde
Berlin en 1878 reconnait I'independance de la Roumanie, de la Serbie, du
Monténégro - toujours sur la base du peuple-nation. Et on pourrait citer de
très nombreux plébiscitesqui eurent lieu a cette époquedans le mime sens. .
Tout cela montre que vers 1880la notion de peuple est une notion juridique
indéniable.Les auteurs y font d'ailleurs une place a cotéde I'Etat.Certes, ilsse
centrent toujoun sur la notion cl'Etat,mais il n'estguèred'auteurs de l'époque
qui ne parlent pas longuement de peuples. Va-t-on dire que cette recon-
naissance des peuples se limitait aux seuls peuples occidentaux ? Ecoutons
Pasquale Fiore qui, dans son NOIIVLW droil ittl~~rt~~~ri(p~b(lilc2C édition,
Pedone, Paris, 1885, page 64, disait :298 SAHARA OCCIDENTAL

fiLes droits des peuples non reconnus et sans représentation officielle
sont sous la protection collective de tous les Etats civilisés.auxquels
appartient le droit sentendre les justes réclamations des peuples

opprimes. et d'y pourvoir d'aprèsla justice et l'humanité. »
C'estla certes un ton assez paternaliste mais qui néanmoins montre bien que
les peuples autres que les peuples occidentaux n'étaient pasrepousses d'une
manihe totale par la doctrine.
Sur .le plan des principes, s'il est vrai que la notion d'Etat chasse
normalement en droit celle de peuple. il n'en demeure pas moins que la notion

de peuple est préexistantedans la périodequi précèdela création de I'Etat et
qu'elleréapparaîtlorsque I'Etatlui-mêmese dissout ou disparait. J'aiessaye ily
a une semaine de vous montrer cela par quelques exemples. Faire du droit
international un droit qui ne connaîtrait qu'un seul sujet de droit. I'Etat.est une
conception dont on ne s'attardera pas a prouver l'inexactitude. Je ne sais pas
tres bien ce que t'on dit dans les manuels de droit international en Espagne.
mais d'une manière générajle e crois que la plupart des manuels de droit inter-
national ne secontentent pas de considérer1'Etac tomme le seul sujetde droit.
Les actes de foi du Gouvernement espagnol sur l'unitédu droit internatio-
nal nous paraissent de mêmene reposer que sur des vues doctrinales que la
pratique internationale ne corrobore pas. Comme rien n'empêchait au
XIXe siecle la coexistence d'un droit international généralavec divers ordres
particuliers - le droit latino-américain, dont je veux bien reconnaitre que la
spécificité estpeut-êtremoins grande qu'on l'a dit ; les relationsiiiterse du
Commonwealth, voila quelque chose qui était.extrèmernen1important pour

tous les ouvrages de droit britanniques ;le droit du Dar el Islam, dont je vous
parlais il y a quelques instants -, rien n'empikhe aujourd'hui la coexistence
d'un droit international généralavec un droit des payseuropéens, avec un droit
des Etats socialistes ;je renvoie notamment aux études du professeurTunkin.
Nous ne nous sommes pas étendus sur ce point de doctrine. mais il nous
paraissait cependant trop important pour négligerde le so~iligner par une
rapide mise au point.
On ne peut prétendre que l'ensemble mauritanien était - pour reprendre
une expression mathématique - un ensemble vide au moment de la
colonisation. Nous avons montre - ou essaye de montrer - la réalitéde
l'ensemble chinguittien en tant qu'entitk distincte, indépendante des Etats
voisins. dans une originalitéorganique due a ses conditions de vie dans une
nature hostile et qui. a sa façon. exerçait des fonctions quasi ktatiques sur des
hommes et des femmes. le peuple chinguittien.
II n'est peut-étrepas inutile;?ce stade de brosser à grands traits l'ensemble
chinguittien. une derniérefois.

Lesgéographesont toujours constatéqu'ilconsiitue une unité géographique,
économiqueet humaine - voir :III, pages 58 et suivantes de notre exposé
écrit; IV, pages 356 et 357 ; voir aussi notre exposé cartographique, IV,
pages 373 a 387.
De même, aux yeux de ses habitants. comme a ceux des autres
communautés arabo-islamiques, le pays chinguittien correspond a une entité
bien individualisée. Des le XVlle siècle. l'expressionBilad Chingiiiti a une
signification extrêmementprécisedans tout le monde musulman. Ceci achéve
une évolution historiqueremontant au VIICsiècle - III, page 67 et suivantes,
et IV, pages 357 a 360. Il en résulte dans tout le pays chinguittien une
unification des structures sociales formant une société hiérarchiséeen forme,
pourrait-on dire, de pyramide tronquée - III, page 69 et suivantes - et EXPOSE ORAL DE hl. SALhlON 299

l'apparition d'une culture propre dont la notoriétés'étendrajusqu'aux confins
du monde musulman, notammeiit grice a la qualitéde ses étudesreligieuses et
de ses Œuvres littéraires - III,page 71 et suivante, et IV, pages 367 et 368.
Parallèlement se constitue un domaine linguistique propre - IV,pages 361et
362. Enfin, l'ensemble se présente comme une entité politique et sociale
organisée selon des structures complexes auxquelles adhère I'ensemble de la
population - III, page 72 et suivantes, eIV, pages 362 et 363. 11est régipar
un corps de règles coutumières et juridiques touta fait particulières, quoique
inspiréesde I'lslam, formant un système de droit unique et original : le droit
saharien. Celui-ci constitue un tissuserréde droits et d'obligations relatiasla
guerre, àla paix, au maintien de l'ordre,à lajustice civile,aux transhumances,
aux puits. B la famille, etc- IV, pages 364 a 367. Tous ces éléments fontde
I'ensemble une réalitécohérente qui, jusqu'a la colonisation, assure son
indépendancevis-à-visdu monde extérieur - III, pages 86 et suivantes, et IV,
pages 369 et 370. C'est pourquoi nous pouvons conclure a nouveau :

((l'ensemble chinguittien ou mauritanien se caractérise par Urie unité
profonde tenant a la géographie, aux conditions de vie a prédominance
nomade, aux relations et institutions socialesa la langue, a la culture, aux
institutions juridiques communes » (III,p.86. Voir aussi le témoignage
du professeur Monteil, IV, p. 370-3721.
Aux termes de cet exposé,le Gouvernement de la Républiqueislaniique de
Mauritanie croit devoir maintenir les conclusions qu'il a expriméesdevant la
Cour le IOjuillet (IV. p. 425-4381et prie respectueusement la Cour,en réponse
aux questions qui lui ont étéposéespar l'Assembléegénérale,de bien vouloir
dire :

Que leSahara occidental n'était. au moment de la colonisation. en aucune de
ses parties. une terre sans maître(terra irrtiiir~dcar il se composaitde terres
mauritaniennes et marocaines et relevait par conséquent. a l'exception d'une
zone limitéede chevauchement. dans sa partie sud de I'ensemblemauritanien
et dans sa partie nord du Royaume du Maroc.

h,lonsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour, il resteail
conseil de la Ma~iritanie iivous dire une dernière fois combien il a ressenti
l'honneur de pouvoir plaider devant vous et de vous prier de bien vouloir
accepter le témoignage de sa reconnaissance pour la bienveillance que vous
avez bien voulu prêter a ses exposes. EXPOSE ORAL DE M. MOULAYE EL HASSEN

REPRESENTA NUTGOUVERNEMENTMAURITANIEN

M. MOULAYEEL HASSEN: Je serai tres bref, Monsieur le Président,

Messieurs les membres de laCour.
LeGouvernement mauritanien et leGouvernement du Maroc ont été invités
par l'Assembléegénérale a fournir a la Cour tous lesélémentsdefait et de droit
en leur possession sur le problème du Sahara sous administration espagnole.
Ils ont essayé. tant dans leurs exposés écritsqu'oraux. de s'acquitter de ce
double devoir national et international.
Devoir national en effet car le Sahara sous administration espagnole faisait
partie intégrante. c'est notre conviction profonde. historiquement dans sa
partie sud de l'ensemble mauritanien et dans sa partie nord du Royaume du
Maroc. IIest légitimedk lors que devant la Cour les deux pays apportent tout
ce qui peut établirqu'au moment de la colonisation leurs territoires respectifs
avaient étéamp~itéspar la colonisation espagnole.
Devoir international aussi car 1'Assembléegénérale afait obligation aux
deux pays d'éclairerla Cour dont l'avisconsultatifest appeléa permetàrcette
Assembléegénéralede définirla politique a suivre pour fa décolonisationdu
territoire.
Dans cette procédureorale. la délégationmauritanienne a euaécouteravec
beaucoup d'intérêltes exposès faits par deux pays frér:l'Algérieet le Zakre.
Qu'ilme soit permis au nom de mon gouvernement de rendre iciun hommage

a lacontribution de qualitéapportée parces deux pays, contributioh qui nous a
incontestablement enrichis.tantsiIr le plan du ra~sonnnement théoriquequ'en
ce qui concerne les réalitésafricaines.
En ce qui la concerne. la délégationmauritanienne. en accomplissant son
devoir devant la Cour a eu peut-êtrautiliser un certain langage et a recoarir
des développementsassez longs. Son souci a étécependant tout au long de ses
interventions d'apporter chaque fois un nouvel éclaircissement sur tel ou tel
aspect du problème qui estposédevant la Cour. Y a-1-elleréussi? C'esta la
Cour de l'apprécier.
En tout étatde cause. le Gouvernement mauritanien a étéheureux et tres
honoré de prendre la parole devant cette éminente institution judiciaire
internationale. JI serait satisfait si sa contribution a pu etre d'une utilité
quelconque a la Cour.
La délégationmauritanienne a étéamenée par la force des choses a
s'adressera l'Espagneavec une certaine passion. JIfaut comprendre que. dans
l'esprit de ladélégationmauritanienne.ine s'agitpas de 1'Espagneen tarit que
telle. mais de l'Espagne entant que Puissance coloniale.
L'amitiéséculaire et les liens de toute sorte qui unissent ta Mauritanae
l'Espagneconstituent une donnee permanente que le temps n'a fait qu'enrichir
et qui résistera.i'ensuis sur. aux divergences du moment.
Cette amitié permettra. nous en sommes coiivaincusiil'Espagne de trouver
avec la Mauritanieet le Maroc. dans lecadre des Nations Unies. la solution qui

soit la plus harmonieuse parce que la plus conforme aux réalités.
En ce moment. Monsieur le Président. Messieursles membres de la Cour. je
voudrais vous exprimer encore une fois la reconnaissance et la prafonde
gratitude du Gouvernement mauritanien pour la patience et l'intérêstoutenuavec lesquels vous avez suivi toiit au long nos interventions. Soyez rissurés
aussi que ce Tutun grand honneur pour la délkgalionniauritanienne. et pour
moi personnellement. d'avoir eu l'occasionde prendre la parolea cette barre.
Nos remerciements vont Cgalement aux membres du GrelTe et aux

auxiliairesde laCour. qu'ilssoieni visibleou non visiblesqiiinous ont permis
de travailler dans les rneilleurcsconditions et ont rendu notre tache trk
agréable. TKENI'E ETUNIEME AUDIENCE PUBLIQUE (29 VI1 75. IOh 5)

Prérct~~ s [Voir audience du 17 VI1 75.1

EXPOSE ORALDE M. BEDJAOUI

REPRESENT,~XTDU COUVERNEhlEST A LGERiEN

M. BEDJAOUI :hlonsieur le Président. Messieursles membres de la Cour.
veuillez me permettre de commencer cet expose par de brèves reponses aux
questions posées parl'honorable iuge Petrén.
La première question est ainsi rédigée:
« Est-ce que des reponses aux questions adressées a la Cour seraient de

nature a apporter une clarification iuridique d'une situation existant
a~i,iourd'huiet. dans ce ca1.quel égard est-ce que les réponsesde la Cour
auraient un tel effet h(Ci-dessus p. 140.)
Compte tenu de ce que je fournirai de plus amples détailsdans quelqties

instants. ina réponse peut s'autoriser de la brièvetépour le moment et se
ramener. de façon lapidaire. a ceci:
II est évident. pour le Gouvernenient algérien. que les réponses aux
qiiestions posées.dans la mesure ou elles comporteraient des élémentspositifs
els~isceptiblesde perniettrea l'tlssemblee généralede faire appliquer le droit ii

I'aittodeterinination. ne pourraient que contribuer a la clarificatioii iuridiqiie
d'une situation existant auiourd'htii dans la régionet dans le territoire.
L'autre question se lit ainsi

(<On nous a expliqué que les habitants du Maroc et du Sahara
occidental sont des musulmans sunnites de rite malékite. Est-ceque cette
appartenance au rite malékiteserait une particularite+quiles distingue des
habitants d'autres parties du Maghreb. par exemple des habitants de
l'Algérievoisine ? )(Ci-dessus p. 183.)

Laréponse duGouvernement algérienest la suivante :

En Algérie, le ritemalékite a fait son apparition au VIIle siècle,périodeau
cours de laquelle. aprèsla disparition du Prophèteles quatre principales écoles
religieuses. malékite, hanéfite,chaféiteet hanbalite, vont élaborerchacune leur
doctrine.
Le rite malékite régira non seulement les prescriptions religieuses des
habitanis. mais aussi les rapports de ces derniers entre eux dans de multiples
domaines. notamment dans le droit de la famille.
Avec I'inlliienccottomane dans une partie de l'Afrique du Nord a partir du
SV[' siècle.le rite hanéfite s'esteffectivement introduit dans cette région.mais
il n'a iaiilais pris une extension considérable en raison de Iü faiblesse
iiiiinériquedes Turcs établisen Afrique du Nord et singulièrement en Atgérie.

Au surplus. avec le reflux de la suzerainetéottomane. ce rite est devenu en
Algérie assezinarginal. 11ne couvre aujourd'hui dans mon pays que quelquesilots. spécialenienQl'est. don1l'importance. par rapport i~l'étendudu pays et
a la vitalité du rite malékite.est considécomme insignifiante.
On est parfaitement fondé en consequence a soutenir que seul le rite
malékite doit êtreconsidéréen Algérie comme le rite dominant et officiel.
Voiti. brièvement. lesréponsesalgériennesaux qiiestions de hl. le juge Petrén.

Monsieur le Président. R,iessieursles membres de la Cour. avec un rare
talent dans l'exposition et un don si admirable pour la synthèse.M. le doyen
Vedela, au nom du Gouvernement niarocain. cherchériecarter lesarguments
que i'ai eu l'honneur d'avancer a cette barre au nom du Gouveriiement
algérien.

IIa vivement critiqué les conceptions que l'avais présentées de la terra
11111l duiDisrel Islam. du droit intertemporel ede I'autodéierminatioi~.Qu'il
me soit permis de reprendre ces questions dans l'ordre mémeou il les a
exposées.
Mais auparavant. je voudrais rappeler la position de mon pays daris cette
afîaire.
Sil'Algérie est restéefidèael'autodétermination. principe cardinal di1droit
international contemporain. c'est d'abord parce qu'elle en a accepteI'applica-
tion dansson propre territoire. alors niêmeque les septanset demi de guerre
de libération eussent sufi pour témoigner de la volonté d'independance du
peuple algérien. Eii 1962. il a étédonc organisé sur l'ensemble du territoire
algérienlin référendumd'autodétcrminatioii ou toutes tes possibilités étaient
ouverteset par leqiiel le peupla confirméson désir d'indépendance qu'il avait
déjà manifeste pourtant. durant la guerre de libéralion nationale. par une

investiturepopulaire permanente exprimée de multiples manièresau bénéfice
du Front de libération nationale et du Gouvernement provisoire de la
République algérienne.
Sil'Algérieest resleeridelaiiprincipe del'autodétermination pour le Sahara
occidental. c'est aussi parceqiie les Nations Unies. l'organisationde l'unité
africaine, et d'autres organisaiions et conférences internationales. l'ont
préconisesans relâche. non seulement du resteavec IBccord. mais mémesur
I'i~iiiiafirv-desautres paysconcernés.
Si enfin l'Algérie denleiire encore fidélementattachéea l'application de ce
principe pour le Sahara occidental. comme pour tout autre territoire
dépendant.c'est parce qu'elle ne croit pas que la véritéd'hier. proclaméeen
commun, soit subitement devenue aujourd'hui une erreur professéepar un
seul.
C'estparce qu'elle croit, comme disait un prix Nobel, Maeterlinck, que « le
monde ne finit pasaux portes des maisons >Pque l'Algérie s'estde tous temps
préoccupéede la décolonisationvéritabled'un territoire limitrophe, habitéau

surplus par des hommes avec lesquelselle partage, Comme.avecsesvoisins,
tant d'élémentsde solidarité.
On a qualifié I'autodetermination de mot magique grâce auquel i9urais
recherchéje ne saisquelle prestidigitation. Je suis attristé qu'onait cru devoir
ironiser surlin emort tendant à rendre un tant soit peu présenteune grande
absentede ce débat.la population saharienne.
Ni faveur. ni encore moins charité. l'autodéterminationreprésentepour les
peuplescolonisésle prix du sang versepour leur libération.
I'iiisque I'autodetermination debouchesur unevaricte d'options. conime il a
étéjustement soutenii 1 cettebarre.ce principe devrait logiquement êtreadmis
sansréserves. d'~inepart. parce qu'il a le mérited'offrir un éventailplus large
de solutions entre lesquelles vase faire librementuiichois et. d'autre part.304 SAHARA OCCIDENTAL

parce qu'il permet l'expression d'une volonté populaire authentique dont le
verdict ne doit pas nous effrayer. des lors que l'on nourrit la conviction. peut-
ètrelégitime.que cette population est d'avance acquisea telle ou telle solution
souhaitee.

D'éminentsreprésentants ou conseils ont allusivement fait entendre. a cette
barre. que l'Algérierejoint et soutient en cette affaire le point de vue de
t'Espagne sur certains aspects essentiels.
La poliiique de l'Algérie.qui ne peut se laisser aussi légèrementculpabiliser.
est suffisamment connue pour sa non-complaisance fonciéreavec tout ce qui
ressemble de présou de loin au colonialisme eta l'impérialisme.pour qu'ilsoit
nécessairede la faire valoir sur ces points.
Seuls ou avec nos voisins. aux Nations Unies ou dans d'autres forums
internationaux. nous n'avons cessede défendre,avec constance. le droit de la
population du Sahara occidental a s'autodeterminer. C'est même cette
constance qui est reprochéea l'Algérie.
hfon pays a touiours condamné la politique coloniale que l'Espagne n'avait
pas cru bon de reviser en dépitdu caractère général. universel et irrésistibldeu
mouvement d'émancipation et de libération dans le monde. Nous n'avons
,jamais cessé d'exiger la libération immédiate et authentique du Sahara

occidental en préconisant. a cet effet. des mesures concrètes.
Mais. si t'acceptation par l'Espagne- sans doute pour des raisons qui lui
sont propres - de l'exécutiondes résolutions desNations Unies prescrii~ant
t'autodeterminalion de la population du Sahara autorisecertains a deduire qu'il
existerait je ne sais quel«collusion » avec l'Algérieparce que celle-ci défend
{'applicationde ce principe a cette barre. ils commettraient ainsi une grave
erreur delugement en assimilant un opportunisme politique a une conviction
profonde du caractère sacre du principe de l'autodétermination.
Après tout. pourquoi ne pousserait-on pas le paradoxe jusqu'aux limites
extrêmesde l'absurdeensoutenant qu'ily a égalementcollusion sur ces mêmes
problèmes du Sahara entre l'Espagne et l'immense ma,joritk.dela communauté
internationale qui a préconise. elle aussi. l'application de ce principe a ce
territoire ?
Au surplus. les positions respectives de l'Algérieet de l'Espagne sont
nettement différenciéesdevant votre instance. puisque aussi bien mon pays

souhaite voir la Cour donner le meilleur effet utile a son avis en le fondant sur
le rappel du droit5 l'autodéterminationde la population saharienne. pendant
que l'Espagne s'en tient a I:incompétencede votre haute luridiction.
Venons-en maintenant. Monsieur le Président. Messieurstes membres de la
Cour. aux quatre points présentespar le doyen Vedel.

1. LA NOTIOS DE DAREL ISLAM

L'un d'entre eux ne me retiendra pas longuement. IIs'agitdu Dar el Islam
que l'avais présentetrèsbrièvement a la Cour. en matiéred'incidente. et qui ne
constituait. vous vous en etes rendu compte. ni la pi& essentielle de mon
argumentation. ni encore moins l'élémentdéterminant de ce débat. Nous
etions invitésplutôt a nous référera la conception de la ferrar~irlliidans le
droit international européen au XIXesiécle.

Je déplore.au passage. que l'on m'aitsingulièrement attribuéd'avoir cherché
à opérer « une sorte d'escamotage de 1'Etatmarocain >>(ci-dessus p. 1751. ien
au contraire, et l'ai le devoir a présentde le rappeler. ,favais préciséque. dans
cette construction juridique du Dar el Islam. I'Etat marocain. non seulement
rappelait par son organisation « un Eiat de type européen M.mais qu'il s'y ENPOSEOKAL DE hi. BEDJAOUI 305

ajoutait. ce qui représente une dimension et un enrichissement supplémen-
taires. des rapports spécifiquesde cet Etat avec le reste de la communaiité dti
Dar el Islam. fondéssur l'unitéde la foiet la solidarité.
J'aurais bien souhaitéque la Cour puisse retenir les concepts a la base du
Dar el Islam en la présenteaffaire. si elle n'avait ététenue de se référerau droit
international européen. comme jel'avais indique et comme ,je reviendrai Ia-
dessus plus tard.
Le Gouvernement algérien considère,comme j'ai eu l'honneur de le dire, le
Sahara occidental comme une lerra1101~iilllil~(svoir IV,481-482,quand j'ai
rapidement évoquél'histoire de ce territoireet surtout p.489 quand je me suis

fondésur le droit musulman de In régionpour l'affirmer etquand l'aiprécise
qu'il étaitinacceptable d'en arrivea la solution choquante de la terra iiirlliirs
que voudrait nous imposer le droit international colonial du XIXesiècle).
Mais la difficultéprovient de ce que I'on ne peut démontrer aisémentcette
affirmation historiquement ,justeen seréférantau droit colonial européende la
terra izirliiusque suggèrela première question.
Mais on aurait pu rechercher les liens juridiques en se référanta lin autre
droit et. en particulier. au droit piiblic marocain ou. plus généralement.si I'on
veut. au systèmede droit p~iblicmusulman de la région.

2. LE SENS ET LA PORTÉE DES QUESTIONS POSEE AS LA COUR
Sur un autre point et selon le conseil du Gouvernement marocain.

l'argumentation que. par ailleurs. j'ai eu l'honneur de développeacette barre,
n'aboutissait. ni plus ni moins. qu'a affirmer que la demande d'avis de
l'Assembléegénéralecomportait des « infirmités)).des <(naïvetés» et une
erreur grossière)>a faire <rectifier charitablement» par la Cour (ci-dessus
p. 172).
L'tllgériequi a présidé.I'annke dernière. l'Assembléegénérale nourrita
l'égardde celle-ci lin plus grand respect que ne veut lui recotinaitre cette
extrapolation regrettable de mon argumentation. Nous avons une ptus haute
conception de la dignitéet de I'Assembleegénèraleet de la Cour. L'Assemblée
généralen'aéténi naïve. ni infirnie. mais tout simplement, ie suis oblige de le
dire maintenant. gènee par le contenu de cette demande d'avis. qu'ellen'a
formiiléeni sans de longues hésitations.ni sans une certaine répugnnnce ».
Our reprendre l'expression du représentant des Etats-Unis par exemple
PNations Unies. doc. AfC.4lSR.2 131 1. La maiorité des Etats Membres
considérait autant les questions posées que la demande d'avis elle-même

comme peu heureuses en ce qu'elles interrompaient inopportunément un
processus de consultation de la poptilation concernée. Voila d'ou procède le
malaise au suiet des questions posées et voilapourqiioi l'Assembléegénérale
n'aacceptéqu'avec une résignationvisible d'adresser àla Cour sa requête pour
avis.
Au sein du groupe africain des Nations Unies. un grand nombre de
délégationsavait exprime qui leurs inquiétudes,qui leur désaccord :

<La seule questioii dont est saisie la [Quatrième]Commission [devait
déclarer. par exemple. le représentant du Kenya] est une question de
d~coliirisaiioir et dàufodr'rernziiiarinn pour la population du Sahara
espagnol ...II est donc évident a la plupart des membres ayant suivi le
débatde présque la question de l'autodéterminationet de l'indépendance
a étérelégueeau second plan ...Elle [la délégationdu ~enya] ..prie en
outre les représentantsqde bien considérer le dangereux précédentque306 SAHjlRA OCCIDENTAL

l'ONUcréera peut-être en soumettant une question de cet ordre a la Cour
internationale de Justice. )>(Nations Unies, doc. A/C.4/SR.213 1. p. 12.1

Avec d'autres. le représentantde la Libyeavait déclaréqiie la question posée
étaitla décolonisation du territoire par ledroit de son peuple a I'autodétermina-
tion. Le projet de résolution qui, amendé, allait plus tard devenir la resolu-
tion 3292(XXIX).avait en conséquence,selon ce représentant :

(<~raf~.Jiiiu~l~aLquestion : d'lin problemc de décoloilisationet d'autodéter-
iiiinaiion. 121résoliifion a fait iine question d'iiiterétsecondaire ...Cela
revient a s'ecarter serietiseineiit du fond dti probléii~eei des réalitésde la
situation, >>Vhid.. p. 22.)

On verra dons iin instant coinment sera substaiiiiellement amendéle projet
de résolution pour qu'il eviie précisémeiitde <<transforiner la question de
foiid >>ei de <<s'ec~irterde ces réalitésde Irtsit~iation)>éi~oqtiées a,vec d'autres

délégations. parle représentant de triLibye. On verra aussi. dans un instant.
qiie la Cour ne peut. notre avis. se prononcer sur tes deux questions a elle
posl'esqii'eii prenant parfaitement en considkration la natiirc. la portéeet le
sens des amendements apportés au projet de résoltition.devenu par la suite la
rksoltition 3292 (NXIS). On verra. enfin. qiie loin d'avoir substitiié des
questioiis. i~ousavons. dans notre interprétation à cette barre. restitue le fond
di1 problèine. répondant aiix préocc~ipationsréellesde l'.Assemblée générale.
Xlais poiirstiivons. je VOLIS prie. La reprkseiitante des Etats-Unis n'avait vote

le proiet. mêmeilne rois amende dans l'esprit que l'on sait. qu'avec <<une
graride répugnance.car elle y voit de nombreux élémcniscontestables » (ihid..
p. 15).
Quant a ceux. fort nombreux. que la demande d'avis ainsi rédigéeavait
embarrassés,ilsse réfugièrent,comme on le sait, soit dans un vote négatif, soit
surtout dans une massive el spectaculaire abstention. Je prends au hasard :le
représentant duCanada devait déclarerque sa délégationii'etait

« pas convaincue que l'adoption du projet de résolution contribue
necessairemeil( i faire progresser rapideinent la popiilntioii du Sahara
espagnol vers le libre cxercice de son droit I'aiitodéterininationet c'est
pourqiioi elle s'abst~endralors du vote ri(ibid.. p. 16).

I.,etiers des Eiats kleiiîbres. trèscxacieinent quarante-trois. se sont abstenus
lors dii vote final sur la résol~itioii3292 : c'cst ln preniiére fois depitis la
crc;u/iot~de lu Cour qii'iiii tel chiffre est iiiieint pour iiiie deinande d'avis

ndresske votre hatite i~iridiction.
Xrlaissi letexte a étéfinalement. ci sans enthousiasiiie. :idoptE.et laCour en
fin de cotnpte saisie. c'est avant to~~tparce qu'on a rfaffirrne. d'ailleurs de
manièretriplemen1rcpétitive.ledroit iiI'ri~itodéterminaiion de Iü population du
Sahara occidental. C'est la une pièceinaitresse et essenticllcde la résolutionpar
laquelle la Coiir est saisie. Votre haiiie,i~iridictionest ainsi priEed'examiner les
q~iestioiis poséeseir.li~ticriotdit cotiipxte qriLIc~tlroi~rIl~{IPIIItUdI,d'uvis elde.%

pr&)cciipurioiisprc;setflc~ .sc I'Assct~?hl&~+tir;rrtlc.
Aittrcnient dit. dans la rcsoliition 3292 partant dciizande d'avis. il existe.
d'un coté.deiis qiicstioiis posees relatives iiiititre historiqiie fiablir le cas
l'chéaiiiet iidéfinirsur lin territoire revendiqiie par delis lltats ct. de l'autre
coib. un titre :ictuel dl'tenii par tiiie pnpiiliition et qui est le droit a
I'ntitodctcrininaiion. Cr sot?! rz'sdci~x titrc>.sc~oriri~udiciciir.qtiisritir?fl&ris.
~~~~.sLJII~~/L,.si~i~~i/~(~t~~~ti?/l~iipprc;ciutio~ ~e lu Co~tr poitr [lit'LJIIpLiisst,
~/~;cfur~.s~ori/lc311pro.s.sibfcc~o~~cuio11s,oif 1cdirrrc;dtic/ibilit~;, Autrement dit encore. en visant par trois fois l'autodétermination des
Sahraouis. le préambule de la résolution 3292 a iiidissnliihlr~?~eiliie Ics deux

questions a une action préciseet deiii entaméede l'Assembléegénérale.
Nous ne voudrions pas nous demander a notre tour si le doyen Vedel.
ailquel nous retournerions volontiers le compliment. n'a pu de son cotépréché
irrcvérencieusement 8 la Cour 1:inaïrreie. lorsqu'il a tenté de lui démontrer
qu'elle ne pouvait <<espérerdes questions plus claires >>(ci-dessus p. 1691,en
escamotant tout lecontexte combien déterminant de cesdeux questions.

Et c'est ce conteste déterminant que révèle l'analyse du préambule de la
résolution 3292 qui fait disparaitrelecaractère académiquedesquestions. quoi
qu'en dise la thèse espagnole.
L'introduction renouveléedu droit i~l'autodétermination desSahraouis dans
la résolution 3297 représente une modification plus qiie substantielle et

décisive vouloc par l'Assemblée géncrale et apportée au sens généraldes
qiiestions primitivement privéesde leur contexte relatif a l'autodétermination.
Car siins le rappel d'ailleurs insistant du droit a l'autodétermination par
l'Assemblée générale.des réponses établissant des liens juridiques avec Ie
Xlaroc et la Xlaiiritanie auraient pu entrainer le rattachement du territoire sans
le recours l'autodétermination des Sahraouis. Force est de croire que

1'~lssembléegénérale n'a voulu d'aucune solution sans une consuliation
préalable de la population. Le ruppel irtsisluiir de ce droi~ par I'Assa)~hlk:t.
@irc;ru/c~doir c;tr~il/lerpr(il~jcouInte t~rolr~rnt~ ~dre d Nrtiot~ obliRLporir
IOrguiri.su~ioidi c.sNurioiis Uiifi PI le cudrc~dc~ rc>Jexioii/rc;ce.rsuip~our /a
Colir.
Et c'est decette faqon que I'Assenibléegenerale a entendu regarder laijerrir

ovrc dellx qrte.s!iotdit passc;.II kautdonc voir avec elle cet avenir. conîme elle
le ditelle-mème dans le préambule de la résolution.
Et c'est ainsi que les questions et les réponses ne seront ni stériles ni
académiques. De ce point de vue. ta position de I'r2lgerie enteiid être
coiisinictive, contrairement a celle de l'Espagne qui se confine a I'incompé-

tence de la Cotir.
Je vous prie de bien vouloir conserver présenta l'esprit ce probleme capital
du contexte dans Ieqiiel l'Assembléegénéralea livré ces deux questions. et sur
lequel je reviendrai en reprenant le problème du droit intertemporel.

3. LE CONCEPT 13E iiTERRA NUI-LIUS ii

Je voudrais. un bref instant. revenir au concept de la terru ~nrlliirsJe ne
reviendrai passur le fait qu'on m'a prêtecomme une conviction personnelle ce
que ,je relayais coinmc ctant Le fairde la pratique des Etats européens au
SISc siecle au siiiet du démembrement de I'Etat niarocain.

Victime de cette mème pratique des Etats colonisateurs du SI?? siecle.
I'AlgPrie avait auparavant etc conq~iiseet occupée.Et avant mêmequ'on prit la
peine de me remettre en menioire un livre que ,i'rivaiécrit a ce suiet. j'avais a
cetle barre rappelé que. non sculeiiient aiiSISC siècle. mais mémeiusqii'a la
veille de I'independaiice de mon pays.le colonisateur continuait a affirmer que
<(depuis qiie le monde est niondc. iln'y avait ,jamais eu d'Etat algérienH.

Dans le droit relationnel entre les Etats européenset lesautres. les premiers
rivaient eii tendance auSISc siecle ne pas reconnaitre les secondsen litméme
dignité d'1:tars. voire leur nier coniplètenient cette qualite. Je voudrais
renvoyer aux citations que j'ai faites de François de Martens (IV, p. 4881,
aux interrogations de l'Institut de droit iiiternational au sujet des compo-
santes étatiques de la communaute du droit des gens (IV. p. 4711, ainsi308 SAFIARA OCCIDENTAL

qu'aux formules de Bismarck qui rappelait que seul le concert européen
pouvait déciderde la créationd'un Etat (IV, p. 493).
La doctrine qui définissaitle territoire i1ir1liu.spar l'absence desouveraineté
étatique continuait. je l'ai dit. a opérer des distinctions d'une part entre la

cession. la conquète ou la prescription acquisitive. et d'autre part l'occiipation
de territoires sails inairre. Mais. comme j'ai eu l'honneur de le montrer Bcette
barre. la pratique coloniale des Etats. qui seule doit êtreprise en compte ici. a
bousculésans inénageinentces distinctions. Le professeur Salmon. conseil de
la Mauritanie, a trèsjustement rappeléhier l'existencedu courant hunianiste
dans la doctrinejuridique du XI);' siècle. etils'etaitfait l'échodes protestations
des dignes héritiersde la pensee de Francisco de Vitoria. Pourquoi ce courant
humaniste a-t-il existéet s'est-ilinsurgécontre la pratique coloniale des Etats.
sinon parce que les Etatseuropéens ne s'étaient paseinbarrasscs de distinctions
doctrinales et avaieiit pratiqué aussi conimodcment I'<o <ccupation-cession N
que 1'~occupation-conquête ».oii I'<<ccupation )simple. L'existence mémede
ce courant doctrinal apporte lapreuve des dépassements des Etats.
Que les ,juristesaient pli faire entendre leur voix de façon décisive.rien de
inoins certain. hélas! et la pratique des Etats a continué gaillardement a

ignorer leurs étatsd'àme. nous donnant ainsi malheureusement la mesure de la
relativité de l'influence du droit sur la force et plus généralementsur la
politiquea cette époque.
j'atirai l'occasiond'évoquerdans Lininstant lecas du Soudan au XIXcsiècle.
dans la rameuse affaire de FUC/II)~U qui avait opposé la France a l'Angleterre.
LeSoudan p étaitvii comme une terru ~iiilliirspar I'iindes protagonistes et par
l'autre comme simplement un territoire ou la force du conq~iérantconRre le
droit.
IIest fondameiitnlen~enlelract et historiquement prouvéque la pratique des
Etats colot~isateursa coiisidérécomine irrr-aiiirlliiis ce qu'ilIiiconvenait de
désignerainsi. et a qualifie autrement d'autres territoires selon l'opportunité du
nîoment. J'ai montré à suffisance qii'aucitn critère de distinction précis etsUr
n'avait étémis au point. Cette selrle oh.serilutioiin1i11e rollle applicutinri
scirrir$iqlre de la th~ioride la terra nullius. S'avaislonguement aussi analysé

les graildes ambiguïtés de cette théorie qui avait étéau surplus alourdie de
surcharges auxqtielies elle n'était pasprimitivement destinée.
Uéfioiis-iiousdes scheniatisations excessives qiii tombent dans la carica-
ture ! Je neveux pas que l'on rne prète l'idéeque toutes les colonisations du
NIY siècle sesont réalisées en fait par le recoursa la théoriede laterra tir~llilrs.
J'ai affifirnieque la théorie en question. dépoiirvue des critères rigoureiix
d'appréciationen mêmetenips que bardéede référencesau système étatiq~ie
européen. étaitdevenue une arme i~icof;trrifuhf.eu.tilisee discrétionnairenîent
par les Etats colonisateurs selon lerirs besoins. c'est-à-dirà tort et a travers.
Que la colonisation ait porte. selon les termes dti doyen Vedel. sur des terrcre
frirllitrsaussi bien que sur des tcrrac tiori~iiilliits.rien de plus vrai. h4aistout le
problèmeque n'avait pas resolu 5 dessein ledroit colonial de l'époque.et que le
doyeii Vedel n'évoquepas. résidaitprécisémentdans le fait de savoir comment
distinguer objectivement les unes des autres. leslerr-uc~iirl/iirset les autreOr
il n'estpas niable que cette distinction a étéabaiidonnée a l'arbitraire des Etats
qui. aux fins de la détermination de l'existenced'une entitéétatique. ont ,jugé
l'organisation politiqlides territoires convoités non seulelnent en f'onctionde

leur conception européenne deI'Etat.mais en fonction de leurs propres intérêts
de circonstances. Coii~mentdans ce cas po~irrait-onappliquer scientifiqiiement
le concept de rrrru ~illllilis? C'est tout à quoi tendait nia démonstration.
h.lonsieur le Président,hlessieurs les membres de la Cotir. 4. LE PROBLE~TEDU DROIT INTERTEMPOREL

Siir le problème du droit intertemporel - autre question évoquéepar le
doyen Vedel - la conception du conseil du Goiivernement marocain n'aura
pas manqiiéde vous surprendre.
Notre temps a mis en honneur de maniérejamais égalée le droit des peuples
a disposer d'eux-mimes. C'est un te[ droit nouveau, ou tin tel riire iroirveol~.
qui. avec le rirw nticirir et tous les autres titres historiqiies pliis antérieurs
encore. entre dans lin conflit que le droit intertemporel est charge de résoudre.
Sans quoi la fonction mémedu droit intertemporet serait absurde. Ce droit

n'a d'aucune maniere pour objet de redonner vie juridique a un titre encore
antérieur au titre aujourd'hui periméou en voie de péremption. Sinon I'on
ferait jouer au droit intertemporel un rôle qui permettrait d'accepter un titre
a une reconstitution impossible de nombre d'empires et d'ensembles qui,
dans l'espace et dans le temps, ont étéenregistrés par l'histoire. Une
telle reconstitution ne serait de mise, un tel titre historique ne serait rece-
vable en droit intertemporel que s'il recevait l'approbation de la population
consultée.
Autrement dit. en droit international contemporain. Ie coi?flit qrte le droit
itirrrtet~iporee.s/cllargc; de rksoiidrt. rst c~lili qui se iio~te erltre rorir titre
liisroriqrtr sirtrlterritoire et le droii ac~i~eld'urie poplilu~uns'u~itodc;lerrlri-
/ter siice i?ièti?eterritoire.
Le fond du débatest de savoir dans quels rapports de drojt se trouvent irlr
territoire et iirie pop~llarinii. II est de savoir comment doivent se concilier un
droit sur un territoire et le droit d'une population Ps'exprimer sur son propre
devenir. Ckst la popiilutior~qui dkidr dtt sort di1 rcrritoirr el tioti le ierritoire
qrti tratlcl~ele destiti de la poprtt'uliotr.
Qui ne voit alors que la conception du droit-intertemporel. avancée avec

téméritépar le doyen Vedel. ignore étonnamment aussi bien le droit a
t'autodétermination que les droits de l'homme. tout comme jadis celle de la
terra iirilliiis escamotait les peiiples ?
Faut-il donc prendre encore dii temps de la Cour. iI cestade Finaldes debats.
et anatpser tonguement la portée capitaledes travaux des Nations Unies et
d'autres organisations internationales. spccialement depiiis trente ans. sur ces
droits de l'homme :'
Faiit-il verser au dossier les pactes internationaux élaboréssur ces droits de
l'homme ainsi que les resolutions fondamentales prises sur ce s~iiet par
l'Assembléegénér;ile ? La Iritte menée dep~iis des décennies. avec tant de
souffle. de générosité ed te détermination par la communaiité internationale
pour la promotion desdroits de l'homme n'aura-t-elledonc décidémena tucune
incidence sur la froide inécanique grinçante d'un droit intertemporel mis au
point a sa manière par le doyen Vedel ?
Car si l'appartenance historique d'un territoire devait automatiquement
déciderdu sort d'une population. c'est-à-dire si cettepopulation n'étaitpas
préalablementconsultéesur son propre devenir. quelle diffërence. je vous le
demande. resterait-il en dignitéentre cette population et le cheptel qui. vivant
sur ce territoire. siiivrait le sort de celui-ci ?
C'est donc liIque I'onobserve la fonction éminentedu droit des peiiples

disposer d'eux-mêmesqui permet de trancher dans notre tenips tout conflit.
potentiel ou ouvert. fondésur des titres historiques.
Et cela est sage ainsi. Si I'on voit au-delit ducas du Sahara occidental, on
s'aperçoita l'évidenceque lestitres historiques sur un territoire quelconque, oii
qiie ce soit dans le monde. constituent par excellence cetteprobatio diubolicu3 10 SAHARA OCCIDENTAL

que I'on imagine dans le droit de propriété puisqu'onpeut remonter sans cesse
dans letemps la chaine des,propriétairessuccessifs.La sagesse politique autant
que la cohérence juridique se sont unies pour éleverun rempart contre cette

proba~io constituée par l'argumentation historique sans fin pour laquelle on
trouvera toujours un plus imaginatif que soi pour en remonter lecours encore
plus loin dans le temps.
Dans l'espèce.la contestation en vue de la disparition de la compétence
territoriale de l'Espagne du fait de l'application par l'Assembléegénéraledi1
principe de l'autodétermination des peuples coloniaux ne peut avoir pour
conséquencela restitution d'une qiielconque compétence territorialeantérieure
sans l'accord dela population concernée.
Si L'onveut raisonner sur l'exemple de L'affairede 1'11de PuIrnustranchée
par Max Huber, on pourrait dire que nul n'a songe que le refus de prendre
en considération le titre de la découverte aurait dU conduire a faire valoir
un titre antérieur qui aurait pu naitre de la bulle d'attribution pontificale au
XVIcsiècle!
J'avancerai deux exemples partni uiie dizuitie d'ulrtreque I'on pourrait
observer dans le continent africain a lui seul. Après quoi. la portée desdroits
historiques nous apparaîtra plus clairement en relation avec le droit des
populationsa s'exprimer. J'eriarriverai enfinau fond du problèmede l'intégrité
territoriale tel qu'il est entrevu par le conseil du Gouvernement du Maroc i
propos de I'intertemporalitédu droit.
Et d'abord les deux exemples.

A. Le droit irrfrrferiiporel,rel q~t'irlrerprdc;pM. Vedel, oirrcritd~idoirtrer
/'Aiggrii. lu Tilrqlri~

Prenons l'exemple de 1'Algcrie.Depuis le débutdi1XVie siècleetdurant pas
nioins de quatre sièclesjusqu'au moment de la conquéte française, I'Algerie
étaitune province de la Sublime Porte. La régenced'Alger était placéesous la
souveraineté de l'Empire ottoman qui nommait tolite l'administration et en
particulier le gouverneur de cette province turque. appelé selon les époques
beglierbey. ou pacha. ou dey.
Si donc I'on avaitsuivi une certaine logique. et si les deux questions posées
aujourd'hui a la Cour l'avaient étépar la Turquie a la veille de l'indépendance
de l'Algérie.autrement dit si I'on s'étaitdemandé si l'Algérieétait uneterra
tiulliiau moment de la colonisation française. la Turq~iieaurait étéfondéea
contester au Gouvernement de la France le droit d'organiser le rérérendum
d'autodétermination par lequel le peuple algériens'étaitprononcé le 3juillet

pour son indépendance.
Ainsi donc. sur la base de titres historiques. la Turquie aurait étéfondéea
revendiquer l'Algériecomme ayant étésous sa souverainetéou sa suzeraineté
atimolnent de la colonisation française.
Le réferendum d'autodétermination du 3 juillet 1962 aurait pu êtreconsi-
déréparla Turquiecomme une opération séparatistede nature àporter atteinte
à son intégritéterritoriale et aurait dû êtreécarté parla France au béné-
ficedu rattachement pur et simple de l'Algérieà la mérepatrie, démembréepar
la France en 1830, et dont les liens juridiques avec le territoire algérien au
moment de la colonisation française étaient parfaitement connus.
La prétentionturque aurait eu d'autant plus l'apparence de la légitimitque
la Sublime Porte faisait partie du club'européenau XIXCsikcleet qu'elle avait
participéau congrésde Berlin. Autre exemple : I'Egypte, qui itait au XiX' siècle daiis une ctindition
jiiridiqiie de siizci~;iiiiciC Ii I'cgürd dii siilinii de C'oiist;iiitiiioplc. riit occ~ipCepar

Ic Roya~iiiic-Uiii cil 1882 ci ~ilücCc progi'cssivciiiciit soiis iiii prolectorat
bi'iiiiriiiiqiicSc posa alors iiiis ,\iiglais Ic prob1l;iiic dii Soiid;iii qui etait lui-
iiiCiiic soiis I'u~itoriii. de I'Egyptc et. par I'iiitcriiitidiairc dc ccllc-ci. soiis la
siizei-üiiicil. dc la Stiblii~ic 1'01-ic.1.cSo~idiiii cii crrct ;ivüit rait prirtic iiiiegi-ante
de 1'l:gypte. X.lohntiiiiied :\ ly. pacha d'llgyptc. ct ses dcscciidaiiis ayant

pi~cigi'cssivciiiciii rCalisL; s;i coiiqiiCtc li püi'tir de 1870. [.es possessions
kgypiieiiiics s'6iciidirciii biciiibt ;iIn Niibic. nii liordohii. aii 13:ii~iio~ii+i. Bahr
cl Cihazal ci li13rl.gioii soiidaiiaisc dc I't:qiinic~ir. C'cst cil 1x30 qirc IL.iiiéme
pnchii d'llgypic h.lohaiiiiiicd t\1).foiidn K hartoiiiii. qiii Tiii ci qiii dciiieLi rc la

capitale du Soudan (voir 1-lassa11 Chaiik. Li, srttitrr iii/ci.ttrr/ioi~trie I'E~Y~Ic,
t'dit~oiis iiitcrii~tioiial~s. I'aris. IC)2X.p. 33). !\II iiioiiicnt dc I;i pCi1l.11-atioid ies
Aiiglais cil 1:gypic. Ic Soiidliii üppariciiait 1.1-gyptc.II Ciait adiiiiiiistrl' par lin
goi~vci'iiciii* gti~i'rril dL;sigi~Lp ; ;ir IC khedivc cgypiicti ci ayissaiit I~ii-iiiciiic en

qitaliii. dc ii.rili dii siiliaii de Coiistüiiiiiioplc (voir I'zckicl Cordoil. 3' I.c tralti'
iiiiglo-egypiicii du Ih ;ioîit I936 H. Rci~iicc/i.rln~iritr~ci~~r~r/it~ r1~[ll~lc~iskiiiotr
L~o~IIJ~~II-~;~10.17. p. 230 ci SLIIV.).
I.cs irriiihlcs qiic I'lZgypic ;I coiiiiiis daiis les aiiiii'cs 18x0-1882 et qiii
pci-iiiirciii Ic di'burqiieiiiciit nngl;iis ciii-cnt dcs i~cictiiissciiiciiis dans Ic So~idaii

CC 121rCvoIic qiii ~CI;II;Isoiis 1;icoiidii iic'de i\IoIi~iii~iicd :\ Iiiiicd. plus COI~IILI
soits Ic tioiii dc Alahdi.
I)c pliis. \ri Frrincc ci I'hiiglctei~i~ci~oiii-issaiciit dans la i'cgioii l'iii~cciivcrs
I':i~iii-c iiiic soiirdc i.iv;ilitC. qiii ciiliiiiiiiiavec Iii iiiiiiciisc aTfi1ii.cde I.jti.l~t~~/cr.

Il~iiis ccllc-ci. ci suivniii iiiiiiiiiciii-:
1.c C;riiivci-iiciiiciii li-;iii~.ais ciiiplciynii des argiiiiiciiis jiii.idiqtics. II
soiitcriaii : dc dcii~ clic.iscsI'~iiic : oii hicii Fachr>dii Liii p;ii.iic.tiii iiièiiie

iiii-c q~ic ~OLI~C 1;i \*;illi'c dii Nil. des doi~i:iiiics dii KliCdivc: r>Li bien
I'iiiv;isioii dcs Ilcrvichcs ci I;iloilgiic do11iiii;itioii dii Alahdi oiii cti pair
i.Cs~iltntde di'l;tclici* IcSoiidaii de I'llggptc et d'cil f~iirc~iiic/c~i.r.ritiirlliits.
la iiicrci d~ipi'ciiiicr occiip;iiit. Kiiisoiiiiciiiciii qtii. pciisaiciii ses:iiitciii.s.

ciiiba1.i-;issci.:iit Toi.!IiC i'aiidc-Hi-ctpgiic. I3';iiitaiil qtic ccllc-ci uvnit iiiciti.
d'aiiircs I<i:iis s'i.iablii. d;iiis d:iiiciciiitcs dCpciid;iiiccs dc I'l:gypic.
conqi~iws puis :\h;i~~doi~~~Cp cs. lc hkihdi l3t:ilic iiu Sci111~1;c iil. iT.kat
iiidi'pciidoiii dii Coiigci d~iiis Ic tci.i.iioirc dii I.ado. )>(.\iidri. I3ccciicii.i-c-
I-ctr;iiidii.r,c*< ttss;ii liisioi.iqiic ci ci.iiiqiic siir I'occiip;iii»ii coiilrile iiiode

d'acqukrir les territoires eii droit iiitcrrintioiiiil n. KciSrtc,r/c~[/t.ciii i111o.-
t~fl~itl~l~L'/f!('/~',~~.~/lt/~i'~llttlll/7~lt~~9.37. p. 648.)

1.aI'i.aricc se relii.c fiiialciiieii~. Iiii~~iiii Ic ici.i.;iiii 1ihiicI'.\iiglctci-i-c.
1.csoi.1di1 So~idaii IiitrCglCpiil- dciia coiivciitiriiis diics ((iiccai-ds Ci-oiiici >)
p:issCcsciiirc Ic Royniiiiic-Cliii ci I'l'gyptc Ics IOj;iiiioicr ci IO,iiiillct tXS9. Elles
i.i:iblissniciii qiic ioiii le Su~id;iii. y cciiiiprii; Ics pi.cwiiiccs qiii ii'iiv;iiciit jaiiinis

6cli:ippi. li littitoriii. du khCdivc Cgypiicii. iiii.iiic pciic1;iiii ILIi.t;volic iii:ilidistc.
sci;iii soiiitiis i iiii c<iiidoiiiiiiiiiiii iiiiglo-Cgypiicii. I.CS di.iipcniix iitigliiis el
cgypticn se t-ùkogrriciit siir toiitc I'C~ciiducdii tcrrilairc scii\dniinis. iiiiiirdans
iiiic pi,»viiicc. ccllc dii Soiiakiiii. sciil Ic di'npcnii Cgypiicii Ct;iit ;ii.boi.C. 1 .e
goiivci~iicii t gi.iiCriiI qiii di'icii;iiiI'ciisciiihlc dcs pu~1voii.scivils et iiiiliiaii-cs ail

Sr>iid;iii coiitiiiiiuit icr~ijo~trs i'di.c iiciiiiiiipur Ic klii.divc Cgj.piicii iii:iis avec
dCscii'iiiuis1'~iyi.kiiiciit dii C;o~i\~~i~iiciiiciib~i~iliiiliiiq~~c.312 SAHARA OCCIDENTAL

L'Egypte n'avait jamais cessé de protester contre le condominiiim. Le
condominium par définitionn'excl~iaitpas po~irtantlasouverainetéégyptienne

sur le territoire. L'Egyptecontinuait a considérerleSoudan comme une partie
~ntégranteet indivisible du territoire égyptien. Depuis lors. le probleme
soiidanais avait coiistit~iele principal bciteildes relations anglo-égyptiennes.
Le 28 février 1922. le Gouvernernent de Londres annonça la fin dii
protectorat en Egypte. niais en réservantle problénie ducondominiiim sur te
Soudan. L'Egypte continuait a dtnoncer cette atteinte a son intégrité
territoriale.
Après le traité anglo-égyptien du 26 aout 1936. qui ne réglait pas
définitivement le probleme, le roi Farouk d'Egypte décidade proclamer le
16 octobre 195 1 la réunificationde I'Egypteet du Soudan par quatre décrets-
lois approuvésà l'unanimitépar la Chambre et le Sénatégyptiens.
Les~iégociatioiiasngfo-égyptierinesreprirent aprèslecoupd'Etatdu général
Néguib en juiHet 1952 et aboutirent au paraphe de l'accord du Caire du
12 fevrier1953, grace auquel le Royaume-Uni et I'Egyptetombèrent d'accord

pour reconnailre au Soiidan le droit a l'autodétermination (<Accord anglo-
égyptien du 12 fevrier 1953 », C. A. Colliard, Actirtilitiirircrriariori«lcl
diploritutic/lic. 1950-1956,Paris, 1957,ed. Domat-Montchrestien. t. II, p. 79 et
suiv.).
Par cet accord. le Goilvernement égyptien acceptait de faire trancher le
probleiiie de l'intégrité territorialedans son ensemble grace au recours a
I'aiitodéterniinationde la popiilation soudanaise.
L'eseniple soudanais est donc intéressanta observer. Jusqu'ii la proclama-
tion de I'independance du Soiidan en 1956. et depuis 1820. la souveraineté
égyptiennen'a pratiqiiement pas subi d'éclipse.sauf qii'elles'étaitexercte sur le
territoire. tantôtescliisivenieiit. tantôt en condominiiim avec l'Angleterre. Et
cependant. et en dépit des titrespéremptoires égyptiensreconnus espresséiuent
par des actes iiîternationaus. le principe de l'intégriterritoriale de l'ensemble
egypto-soiidanais a recitlbdevant le principe supérieurde la volont6 populaire.
II serait pourtant impossible de distinguer 1'Egyptedu Soiidan siir les plans
géographique.géologique.ethnique. retigie~iOLI lingiiistiq~ie.

C. Lc droit irirerteriipart'l,ly11'i~llerprciiur M. Vedel. i~z&coriiiailte rapport
de droit elitrz. ilripoplllu~ioiicl Irirterritoire et ahnirtit ci me cnriccprinit
d~crigereirsedes droits lris~oriqiie))

J'ai précisç.Xlonsieiir le Prcsident. klessieurs les membres de la COLI^I.n
iiaturedu rapport de droit entre iiiie population et iin territoire. C'est lin tel
rapport qui rcsoiit le probleriie de la concurrence entre itn titre historiq~iesur
lin territoire et le titre actiiel d'une popiilationà s'a~itodéterminersur ce
territoire.
Ce rapport confère son éclairage véritableaux droits historiques. C'est a
quelques rénesioiis siir la portée de ces droits que je voudrais ine livrer
rapideiiient.a présent. pour iiioiitrer que. dans les relations internationales
contetiiporaincs. Ics droits historiqiies ne peuvent prévaloir que s'ils sont

confortés par iin acq~iiesceiiientde la popiilation d~iterritoire sur lequel ils
portent.
La première objection une exploitation juridique de l'antérioritéde
I'occupationd'linterritoire par telleoii telle population est enq~ielqiiesorte une
qiiestioii préalable. népreciseiiient d'iinevéritableconiîaissancede l'histoireet
du passé.I.a iiotioii de frontière linéaireest Liiienotion recente et s'il ya lin
etlscigtieiiient de l'histoira ce sujet. il ne s'agit pas de leçons artificielles. Ils'agit tout au contraire d'une niise en garde contre la transposition arbitraire.
dans ce passé. deconcepts familiers setilenicnt A notre siecte et à l'époque
contemporaine.
L'absence de limite précise.jalonnée par des poteaiis frontières. voire des
douanes. notéesur des cartes. n'est ilullenient l'apanagedes peuples noinades.
de vie pastorale. I..csstriictures fcodales. en particiilier dails l'Occidentchrétien
en Europe. ignoraieilt iila rois le droit strict de propriété.en distinguant tolite

une gamine de droits [propriété éminente.propriétf erfeciive. tisufr~iit).et la
délimitationrigoiireuse des Etats.
II en résultaitlin enchevetrenient des inouvances tel que raire réference au
droit historique serait. par esempfe. absoluniciit iiiipossible pour dire si la
Lorraine. tout ou partie, est allemande ou française :si la Savoie, tout ou
partie. est italienne ou française. En l'occurrence. cc n'estque par le recours au
priiicipe de I'autodi.teriiiination des popiilations que la question a pu ëtre
tranchée. Pour la Savoie. il y a eu esplicitcniciit coiisultation électorale en
1860. de niémeque pour Nice.
Pour la Lorraine. le droit historique pousse i I'escesaurait pli aboiitir à la

revendication de la renaissance ci'tinegrande Lotharingie. allant de la mer du
Nord au Sud de Ronic. conformL'mentau trait6 de Verdun. datant de 843. Eii
fait. ce qiii a traiichc. c'est la fidélité desh,losellatil; France.
On aiirait bien Ctonne Richelieu. ailS\'IIC siècle. en eiilployant devant lui
l'expression <<frontibres iiaiiirelle». qu'on lui a poiirtniit parfois prétéeipartir
de textes apocryphes. 11 ne songeait. en contiiiiiant le duel sécu1aii.eentre
Xlaison de France ei &,faisond'Riitriche. entre Roiirbons ei Habsbourg. qu'a
arrondir le doinaine de son souverain. I..oiiis 5111. de quelques ni~uvelles
provinces. sans gi-aiid soiici des appartenances iiatioiiales et des frontières
linéaires qui lie sigiiifiaient encore pas grand-chose polir Iiii. Plus encore

comptaient tes problenics de vassalité.
Mais il est bon de souligner que l'éveil des naiioiialiik dans {'Europedu
SISCsièclen'ajamais pli s'accoiiipagner d'iine reitiise en place fondéesur les
droits historiqiies d'occirpatioii. renforces par I'argiiment de l'existence d'lin
cadre natiirel. La seiile solution a toiijours Eté.iiièniesi le terme n'a pas été
eniploye. le recours à I'aiitodétermination.
Lors de la concliisioii des traites de Versailles. de Neiiilly. de Saint-Gerniain
ei de Triatioii, en 1919. Jiilcs Cainbon a pli dire que tracer les frontikres en
Europe orientale. seloii le principe des nationalités. intcrpritc en termes
d'histoire. c'étai<<poursitivre la qiiadrature di1cercle )et ((laisser tomber des

semences de haine >).
L'historien poloiia~sJoseph Btociszeivki. porte-parole d'iin certain roman-
tisme historique. écrivaitaprès le traite de 1921coiiclii avcc l'URSS :(<Lors de
la prise de Riga. In Pologiie a renonce en faveur de In Ktissie réclamerX.linsk
et Kiev. c'est-à-dirc la Riissie blanche et l'Ukraine qui Criisaieniparties de ses
territoires historiqiies ))II faisait ainsi axer pliih l'estune Pologne qui aiirait
englobe ainsi des coiifins eux-rnenies peuptts a soisante-qiiinze pour cent
d'Ukrairiieiis et de Hielorusses. II était poiirtaiit csact que la plus grande
Pologiie. étyliiologiqiietnent (<pays de la plaine )).s'ctaitelendue. aii teiilps des
Jagellons. de la B~iltiqiieB lanier Noire.

Mais pareillei~ieiit,la Pologne pourrait. et etlerila siigessede ile pas le faire.
revendiquer (résau-delà de Yornorze et de Wroctaw des territoires bien a
l'ouest de l'Elbeconquis au débutdu XIcsiecle par Boleslasle Vaiilant.
11y a nicnie une sorte de faux probléniea poser un dileiiime du genre : ce
territoire est soi1x3 ~liiflirichose en déshérence.qui ii'appartient a persoiine.
ou bien propriétéde f'Etat qiii petit arguer de litres historiques en sa314 SAHARA OCCIDENTAL.

possession. Lesdeux branches de l'alternative font litière. d'égalmanière.de la

volonté actuelledes populations. Volontéqui. en elle-mème.s'exprimera par
l'autodétermination. Volontéqui a des racines réellesdans la communauté
économiqueet culturelle, dans la tradition. des racines plus vivesque les textes
de traités successifs.
Non pas qu'il faille fairfi.bien au contraire. des référencesjuridiques.mais
celles-ci nesauraient êtredétachéesde leur contexte et de leurs conséquences.
Par exemple. la sagesse de la position de l'OUAsur les problemes de frontières
et les menéessécessionnistesdans telle ou telle partje de l'Afrique tient Liiine
juste appréciation du legs de l'histoire sur le double plan des textes et de
l'évolutionen profondeur selon des données économiques.linguistiques et
politique^.^
Au mois de janvier 1917. les services d'espionnage anglais ont capte un

télégramme secretdu soiis-secrétaired'Etat allemand aux affaires étrangères.
Zimmermann. adressé 5l'ambassade d'Allemagne iihlexico. IIa fallu plusieurs
semaines pour le déchiffrer complètement. mais cela en valait la peine. II
s'agissait de proposer au Mexique de <(faire la guerre ensemble et la paix
ensemble >) .vec l'assurance pour le Mexique de recouvrer. après la victoire
sur les Etats-Unis. ses <territoires perdus » en 1848 dii Texas. de l'Arizona et
de la Californie.
C'étaitune magnifique application de la théorie des droits historiques. Ces
territoires étaient peut-être res ~rr~lliusaux temps precolombiens ! Mais la
colonisation espagnole donnait des droits ailx successeiirs : le Mexique
indépendant depuis 1820. Et pourtant. le texte du telégramme fut remis au
présidentM'ilsonqui le fit publier. Les référenceshistoriques de la proniesse
allemande n'etaient. somme toute. ni très lointaines ni tellement scandalelises ;
et pourtant il y eut scandale dans l'opinion publique américaine.

Non seulement les Texans et les Californiens. jusque-la relativement
indifférents a ce qui se passait en Europe. furent dans leur immense majorité
indignes que l'on disposàt ainsi d'eux. mais les Mexicains eux-mêmesfurent
gênes par cette offre désinvolte de la part de l'Allemagne. La vague
d'indignation contre l'Allemagnecontribua a faciliter l'abandon de la neutralité
et l'entréeen guerre des Etats-Unis aux côtésde l'entente. des avril 1917. Les
conditions du moment. le sentiment des populations. avaient peséinfiniment
plus lourd que l'appelaux droits historiques.

D. Le droit iiirerte~~rporclt,el qü'in!crprc;tPpar M. Y~dcl,dc;~?atrile probletire
de /'i~?t&gritterritoriale

Je voudrais P présent vous prier de tourner votre regard. Monsieur le
Président. Messieiirs les membres de la Cour. vers le principe de l'intégrité
territoriale. évoque par le doyen Vedel dans sa critique aussi bien du droit
intertemporel que de l'autodétermination.
Qu'on m'entende bien.La revendication au nom de l'intégrité territoriale est
plus que légitime. sacrée. ,%!aislorsquélle est for-inulee par deux Etats
differents sur lin mêmeterritoire. lequel lui aussi est fondéa prkserver la
sienne. on se trouve en présence dedifficultésparticulieres que l'entente entre
ces deux Etats peut certes résoudre. mais que la consultation de la population
peut et doit encore mieux regler, non seulement par réference.comme dirait le

doyen Vedel. au principe mathématiqiied'élégancec .'est-A-direpar économie
de moyens pour parvenir au résultat.mais surtout parce que c'estledestin de la
population qui doit emporter le sort du territoire sur tequel elle vit.
Trois irit@gritt;sterritoriules et non pas une seule - sont donc en fait en ESPOS~O ?RAL DE XIBEDJAOUI 315

jeu. Et d'abord celle du territoire colonial par rapportà celui de la Puissance
administrante. J'avais fait remarquer ta Cour. icette barre. qu'en vertu de la

resoiution 2625 de 1970 portant déclaration sur les sept principes de droit
international touchant aux relations amicales et a la coopération entre Etats le
territoire d'une colonie possèdedésormais un statut séparéet distinct de celui
de I'Etat qui l'administre. Cela est lourd de conséquences juridiques et
politiques. comme.i'ai eu l'honneur de le rappeler a la Cour.
X.laisil y a. en second lieu. l'intégritédu territoire non auronome par rapport
à un voisin et. en troisieiiie lieu. l'intégrité territoriale de I'Etat voisin par

rapporta ce territoire non autonome. Voyons d'abord le problème de l'intégrité
dti territoire non autonome par rapport a un Etat voisin. problème régi par le
principe bien connu de lilti possideiis jrtris.c'est-&dire celui du respect des
frontières léguéespar la colonisation.
Ce principe. d'origine hispano-américaine. comme on sait. a eu pour effet
d'exclure l'occupation ou l'appropriation de territoires. que ce soit de la part

d'Etats extra-continentaux. ou de celle des propres républiques hispano-
américaines. Le principe impose l'obligation de maintenir les limitations
territoriales préexistantesau moinent de l'accès 1 l'indépendance de territoires
auparavant dépendants,comme devait le déclarerleConseil fédéralsuissedans
sa Setrreiice arbitrale sur div~rsc~syirc~s.sricrsc lii~ii!es pc~iiduiiirs epti/rela
Cn101nbie e? le Vet~ezirelu. rendue a Berne le 24 mars 1922. (Sentence du
Conseil fédéral suisse. Berne. 24 mars 1922. Nations Unies. Reclieil des

seirirticrs arbitrales. vo1, p. 228.)
Mais ce principe n'a rien d'uni: règle spéciale.inhéreiite exclusivement a un
certain type continental de droit international. C'est un principe général.
lo~iqiietrretrt fi& uu phc;~roi?e~fu;d~;c~~/otiisa~ntiri >lie se inanijesfe. Son
but evident est d'éviter que la décolonisation elle-mêmeet tous ses fruits ne
soient mis en danger par des luttes fratricides provoquées par une mise en

discussion des frontières au monient mème ou l'ancienne puissance coloniale
disparait.
C'est pour cette raison que. des que le phénomène qui avait caractériséla
situation de I'Amériqiie centrale et méridionale au SINC siéclea réapparu et a
caractériséla situation de l'Afrique au XSc siècle. l'application dans le sens
indiqué du principe de lirti possitkra a étéautoniatiqiie et immédiate. Et dans

le kit que les nouveaux Etats aient respectédes frontieres administratives
établies par des puissances coloniales. il faut voir l'application d'urie règle
generale valable et en vigueur. et non pas iine simple pratique de fait qui aurait
contribué a la formation graduelle d'un principe de droit international
coutumier dont la valeur serait limitée au continent africain. comme elle
l'aurait étéauparavant a l'Amérique centrale et méridionale.
L'Afrique indépendantea obéi iiu mème principe avec un empressement et

une détermination qu'elle tire de sa sagesse.C'est ce principe que la charte de
170Ut\ a solennellement consacr'e dans son préambule (alinéa 7) et dans ses
articles2. paragraphe 1.et 3.paragraphe 3. Des le premier sommet de l'OUA
tenu au Caire en 1964. la conférence des chefs d'Etat africains a fourni une
interprétation authentique de ces dispositions de la charte en dkclarant
(<solennellement que tous les Etats membres s'engagent a respecter les
frontières existant au moment ou ils ont accédca l'indépendance » (AHG/

Rés. 16. 1: « Litiges entre Etats africainau suiet des frontieres ». L'intangibi-
lité des frontiéres arricaines a Ctcréaffirmédans des termes similaires dans une
résolution prise l'année suivante encore par les chefs d'Etat africains
(résolution du 24 octobre 1965)).
C'est sur cette base que sa sont réalisces et se réalisent encore les indcpcndaiices africaines.Certes. les frontièresfurent en Afrique des créations
coloniales soiiverit sans rapport avec la gèographie physique ou humaine du
coiitinent. Plus que tous lesautres. lesAfricains en ont iine parfaite conscience.
Mais ilest A leur honneur d'avoir tout mis en ceuvre. par iine volontémûre et
délibéréep . our conserver le découpage territorial de I'ilfrique héritéde
t'époq~ic eoloniale. A la base de toute ladeniarche africaine. la preoccupation
fondanientale du développeinei~tcomportait des exigences tolites partic~ilieres
dans LIIIcontinent qui a tant besoin de stabilitéet de cohésionpour s~irvi\~re.

pour se developper et reaffirmer progressivenient son indépendancedans tous
les domaines.
De rait. les gouvernements des noiivertux Etats nrricains. a l'exception du
X,Iarocqui a fait des réserves.ont condamnésolennellement tolite tentative de
reinettre en cause les frontières existantes ai1 moment de ta décolonisation.
i11otifpris de ce que trop d'incertitudes frappaient lestitres historiqiies invoqiies
sans iine consiiltatioii popiilaire.
De mêmeledroit public interne de chaque Etat africain. dansson expression

coristitritioniiella.consacrt le respect LI principe de I'irtipo.s.si&/isj1tri.s.qiii
constitiie ilinsi la trame sur laquellSC sont tisséesles relations interafricaines:
« II n'est plus possible. ni souhaitabte. declaiait le président de la
Kkpiiblique i-iialgache.de modifier les frontières des nations au nom de
critères raciziux. religieux. etc.. car en cffct si nous prenions poiir critère

de nos rrontièresla race. la tribu ou la religion. il y aurait en Afriq~iedes
Etats qiii serajent effiicésde 121carie.» (l>isro~irsdu président de la
Képiibliquemalgache du 24 niai 1963 i l'OUA.ii .-Iddi>-tlbebit.soniinet.
CII\SIGEN/INF.~~.)

I..'iiiterventioi la tribiinc des Natioiis Unies du présidentSenghor. grand
humariiste s'ilen est et homme d'Etatdes grandes causes. est mémorable :
<<Le souci de la vèritt. s'écriait-il.m'oblige A le confesser. la seule
Europe. les seuls grands. ne sont plus responsables du nial dont nous

souffrons. C'est lemomcnt et le lieu de faire notre ntitocritiqiie. nous di1
tiers monde. Trop nombreuses en effetsont les nations dii tiers nionde qui
ont contracte la maladie desanciens colon~sate~~r :sI'espritd'ii~tolcraiiccet
de conquête! Vous reconnaissez la I'iinpérialismesous sa co~ileurbriiiic.
,jaune oti noire. Trop solivent. ceux-lh qui vitiipèrent le plus rort ie
colonialisme sont les memes q~~rieclamenl I'aiii~exiond'lin Etat frère.au
nom de la race. de l'histoireou de <<raisons ))encore pl~isdéraisonilables.
COI?IIIW.si/c principe> i//'(IJIIO~~;~~J~IJ~~II~~~c;IIiipct~~u/(~b p/o~tr/O~I.S
les peiiple.%c.omme si lanation coïnc~denécessairenlentavec la race oit la

conqiiêteancieiiiie OLJsii~~pleinenIt'appctif.>(1)iscours du présidentde la
Képubliqiiedu Senegal. Nations Unies.A.ssc,~l~h/g kr;~rc;i.~i/.45' sc'L71lcc
p1~;iiii.r~. 1octobre 1%l .)

Son ministredes affairesétrangères,hl. Doudou Thiam, devait dans la même
enceinte déclarer de son cbtè : <<Alors que nous combattons I'impéria-
lisme au dehors, nous ne faisons rien poiir le supprimerau dedans. » (Nations
Unies, ASSL,II~~IL ,~C;'IIL;~~~IL-*. cSL;~IIIL,/J/~I~~~'J1-5J,septembre, 1962.)
I.e respect des froiitières. Ic droiA I'aiitodctcriiiisi oia1tdisnp.riiicipes
cnrdiiiaiix niixqtiels. coit~mc 011 le voit. les eiif~int~dc l'hfriqiie portent Lin
attachenient à la mesiire de letir so~icide ne pas coiiîproinettre I:tpaix cl ILI
stiibilitt;du coiitiiient en sacrifiant aiix gloires mortellesdu pztst\ce soiici. le
continent africain a étkd'üiit:ii~tPILIS;ilte~itifque I'eilieitet le risqiie etaiciil et

demeurent considérables. ESPOS ORAL DE XI.BEDJXOCI 317

L'idéede promener les frontières d'un Etat iusqu'a I'extrêineIiniite que
pourraient leur assigner des chevauchées historiques plus oii nioins lointaines
représenteune prétentionqui d~marniteraittous lescontinents.
La plupart des pays africains n'y survivraient pas. nori pllis du reste que les
autre pays du monde dans leur existence internationale :

<<La violation de l'article 3 de la charie de l'OUrl. déclarait
M. Reavogui Lansana. ininistre guinée11des affaires étrangères. nous
amènerait loiii. car les cas de litiges sont tres iioinbre~ixqui po~irraient
déclencherde veritables catastrophes ...En se plaçant dans l'histoireassez
vieilledé@.on pourrait rcveiller descas iiitéressantsqui ernbarr-crs.seiûic~111
aujo~rrd'l~~~hiieil des ~irridicrio~r. insi. par exeiiiple. la Képubliquede
Guinéedétient LIItraitépar lequel la France iniposaità Alpha i'aya.alors
roi du Labe. la cession au Portugal d'une partie iniportante de IziGuinée.
auiourd'hui dite porrugaisc. en contrepartie d'une portion de la région
sénégalaisedlnoniinec Casamance. dans le souci de constitiier iine

colonie française géographiqiieinentpliis hontogene. t'oppositioti a cette
frustration vitltiiAlpha Yaya d'ëtre déporte.et les puissances colotiiales
opéreren1 facilenient leur partage. Iniagii~ezLin pett. chers fréres. les
iinplications que poserait aiiiourd'hui le retablisseiilent de l'ordre des
choses. » (Discours du 18 novembre 1963 a la première session
extraordinaire du conseil des ministres de l'OUA.à Addis-Abeba.)

Un des cseniples [esplus frappants de ce deineiiibreineiit de I'Arriquea été
trouvédalis t'Etatde Haute-Volta. D'abord territoire distinct. adniinistrépar la
France. il fut scindé.,iIravers Ics vicissit~idesde I'adii~inistraiioiicoloniale de
1904ri 1909. eii plusieurs circonscriptions rattachéesaux territoires voisins de
la Côte d'Ivoire. du N~geret d~iSo~idaii.En 19 19. il est recoiistitiie en iitie
régionadiiiinistrative autononie. En 1932. ilestB nouveau niorceléen trois
étkiiieiits.En 1947.ces trois niorceaux se ressoiideilt de nouveau pour fornier
12coloiiie delal-latite-Volta.Si I'a~itonnmieet eiisuite l'indépendance n'avaient
pas trouve ce territoire réiii~ifici.lest certain q~i'iln'yzi~iraitpas eu auiciurd'hui
d'Etat indépendantde la Haute-i'olta. ;\'leiiibrede l'Organisation des Nations
Unies. <<La Réptibl~q~id ee la Haute-Volta est ainsi sortie. selon la réflexion

d'un auteur, des mains du démiiirgecolonial. >>(R. S..<(L'échiquierafricain )),
Rc,vlrcdc,dcfii~~se~iu~i~tlule,aris.janvier 1962, p. 35.)Les exemples déthnies
diviséeset séparéesabondent :les Ashantis sont repartis entre le Ghana et la
Cote d'Ivoire ;lesEwéssont pari.agesentre leTogo et le Ghana :l'Angolael les
deux Congos comprennent sur leurs territoires les mimes ethnies. Les
arguments tirés de l'histoire sont aussi darigereux que les considérations
linguistiques oii ethniques, lorsqu'ils ne sont pas confortés par Ia volonté
exprimée d'une population. L'ancien ensemble congolais constitué avant le
XV'siecle s'eteiidait sur le territoire actuel des deus Congos et de l'Angola.
L'empire de Lunda qui s'étendait,du milieu du XVIII' sikle jusqu'aii milieu
du XIXcsiecle, de l'Angola au Mozambique, se trouve aujourd'hui partage
entre l'Angola. le Zaïre et la Zambie.
Eii r.CritC.cl cotiline iiidiqiie ci-dessus. l'iiila base du principe de I'riii

po.s.sid~~ti.s,ji.sa prisétéiiiise t:n =Livre sculcmcnt cil Aniériqiielatine et en
Akiq~ie.L'obligatioiide respecter les t'rontieresiiiteriizitionalespréexist;iiitesen
cas de siiccessioii d'Etats découled'tiiie règlegéi-iérald ee droit interiiational.
qu'on l'cxpriiiieou rion par laforn~tilede lirti possidpti.A.cet égard donc.les
iioiiibre~isesafiriiiatioi~s soleiinelles relativeà I'iiitaiigibilitcdes frontikres
coloiiiiiles et t;nia~iaiittantôt d'lloii~id'Etzitarriaiii~s. tantôt d'organes de
l'OUA elle-niénie.ont de toute cvideiicc une vale~irsimplenieiit declrirative.318 SAHARA OCCIDENTAL

nullement constitutive. Elles reconnaissent et confirment un principe existant
et ne préconisent pas la formation d'un principe nouveau ou l'extension a
l'Afrique d'une règleappliquéeiusqu'icidans un autre continent.
En tant que principe prévoyant lërection en frontières iiiternatioriales
d'anciennes délimitations administratives établiespendant l'époque coloniale.
le principe de lilri possidetisjjiiri est un critère d'ordre general. necessairement
liéa la décolonisation. ouqu'elle seproduise. En tant que principe comportant
le respect de frontières internationales préexistantes à l'émancipation. le
principe de I'jiossideris est incontestablement une règlede droit international
général.
D'une manière plus généraleo . n peut dire que le principe de l'inviolabilité

des frontieres est un des piliers du droit international. Récemment encore. la
conférencepréparatoiresur la sécuritéet lacoopérationen Europe a adoptésur
ce problème un texte qui figurera dans le document final de la conférence
convoquée pour demain matin a Helsinki et qui est ainsi conç:
<<Les Etats participants tiennent pour miituellement inviolables toutes
leurs frontieres ainsi que celles de tous les Etats d'Europe et s'abstiennent
donc maintenant et a l'avenir de toute atteinte contre ces frontières. En

conséquence. ils s'abstiennent aussi de toute exigence ou de tout acte de
mainmise sur tout ou partie du territoire d'un autre Etat participan>)
Polir les gouvernements africains issus de la décolonisation. l'intégrité
territoriale. c'est d'abord le droit absolu de recouvrer l'indépendance et de
rompre les liens coloniaux. Etdans le debat qui s'estinstaureentre partisans du

siair, quo territorial et champions d'une intégrité territorialea redéfinir.ce sont
les premiers qui ont triomphé en Afrique. L'Afrique a fait sienne, avec
I'Amerique latine. la règlede lilri possideiirj1tri.squi implique la continuité de
la possession territoriale dans les limites définies parta colonisation.
II s'agit d'un chois réfléchiqui est une exception à un principe pris par
ailleurs. En effet. les territoires décolonises lorsde l'indépendanceont. en règle
générale,rejetétous les traitéspasséspar le colonisateur. sauf precisémentles
traités fixant les frontieres. Dans un tel domaine. et soiis la direction de sir
Humphrey M'aldock. alors rapporteur spécialpolir la succession d'Rats en
matière de traites. la Commission du droit international de l'organisation des
Nat~onsUnies a maintenu lesiaii~ 4110 pour ce qui concerne la transmission

automatique des traites de frontieres a 1'Etatsuccesseur.

5. MEI>RISE SUK I~,\UTODETERhiINATI ONR CONFUSION ENTRE L'ESI'ECE ET
LEGENRE

Monsieur lePrésident.Messie~irsles membres de laCour. l'avaisinterrompu
mon propos au monlent ou i'en étais arrivé aii troisieme type d'intégrité
territoriale de I'Etat voisin par rapport au territoire non autonome.
Mais, avec votre permission et pour plus de clarté dans l'exposition, je

n'aborderai ce troisième type qu'après avoir exprimé mon sentiment sur le
dernier point examiné par le professeur Vedel, a savoir le droit a I'auto-
détermination des peuples.
Comme vous l'avezconstate la résolutiondu conflit entre le titre historique
sur un territoire et le droit a ['autodéterminationde sa population. conflit qui
est tranché par le droit intertemporel. nous a conduit. au travers des
explications complémentaires que j'ai du fourn~r, a examiner plus cotnplète- ment et dans toutes ses facettes le problème de l'intégritéterritoriale et a
aborder dei4 la dernière question de l'autodéterminationévoquée parle doyen
Vedel.
Examinons celle-cid'encore plus prés.
L'argumentation du conseil du Goiivernement marocain pourrait se
résumeren deux mouvements : d'une part. ce serait la décolonisation et non
pas le droitA t'autodeterminatioi~qui relèverait di1jus cogeeris : d'autre part. il

serait inexact de faire du droità I'autodéterminationlin principe supérieurpar
rapport à celui de l'intégritéterritoriale des Etats.

A. Le droit 1'uiirod~;ienniiiuriorrielèvdti jus cogens

Abordons le premier temps de l'argumentation du doyen Vedel. a savoir que
la décolonisation et non pas le droit à I'autodétermination releverait du jtis
co:eiis.
Sous le constitutionnaliste hors pair que i'admire toujours et qui. par son

enseignement. son action et son Œuvre. a nourri les esprits et foi'rnédes
générationsentières. a perce. pour la circonstance. un internationaliste qui m'a
laisséLincertain malaise que vous avez sans doute partage.
J'ai l'impression qu'il existe d'abord une confusion sur les mots. Quand
j'évoquele droi~ a I'autodétermination, ledoyen Vedel ne sembleenvisager que
la teclrrriqlie de celle-ci, c'est-à-dire le référendumpar lequel s'exprime une
population. Mais ce qui est plus important, c'estqu'il n'a pas vu que (<le droit
des peuples a I'autodétermination ))ou plus briévement <(le droit a I'auto-
détermination » dont j'ai parlé comme d'un principe majeur du droit

international, porté par les articles 1 et 55 de la Charte, suivant en cela le.
Président Lachs et le Vice-président Ammoun que j'avais cités(IV, p. 497-
498),est bien évidemment « le droit des peuples a disposer d'eux-mêmes )).
Or. ce <<droit des peuples a disposer d'eux-mêmes )>ou ce ((droit des peuples
a I'autodétermination )ou encore plus brièvementce « droit a I'autodeterniina-
tion )>est devenu un des grands principes du droit international conteinporain
et ladc;colorii.satioer'et1psi qli ilide.5t?~anijest.staiioin.
Veuillezme pardonner le mauvais goût que l'aia me citer moi-mêmedans ce

que,iaaidit àce propos. Mais je ne peux faire autrement a la suite de la méprise
du doyen Vedel :

« Le principe de I'autodéterminationremplit une fonction interne tout
d'abord, en cesens qu'ilpermet d'exclure toute forme d'ingérencedans les
affaires intérieures desnations. IIen possèdeune autre sous les aspects de
laquelle il représente le moyen d'atteindre l'égalité entre Etats avec la
reconnaissance de droit egaux à,tous les peuples et a toutes les nations.
Enfin. une troisième fonction permet au principe de I'autodétermination
de réaliserla libération despeuples encore subjugués. )>(lhid p. 497.)

C'estsur cette troisième fonction relative a ladecolonisation que i'aviiis porté
mes développements. On voit bien que la dc;coloirisuiioi~ir'est q~i'll11~ e.sl>ècr
d'liii gerlrc pliis vaste, qrli es/ le droit a l'uirtod~ilenniiiaiioeri.Le doyen Vedela.
par méprise.pris Iéspécepour le genre tout entier.
Le droit a I'autodéterminatiori.c'est tout a la fois le droita l'indépendance
des peuples. le droit d'instaurer le système politique et économique de son
choix. la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. etc. Je me
permets de renvoyer aux travaux préparatoires de la Charte de San Francisco
et aux articles 1el 55 de la Charte. 320 SAHARA OCCIDENTAI.

La resolution 2625 de f970 portant déclaration surlessept principes de droit
international touchant aux relations amicales et à la coyération entre Etats,
qu'ilm'arrive de temps en temps de citer. évoqueledroit a I'autodétermiilalio~i
non seulement pour les territoires non autonomes. c'est-à-dire pour la
décolonisation. mais aussi au bénéfice de.s L-iufs L>X~,S~UII~S(Voir-. sur
l'autodétermination et parmi une littérature florissante. la résolutioii de
l'Assemblée générale 637 A/V11 du 16 décembre 1952; sirtiuinphrey

\Valdock. Recueil d~.s coiirs de I;lcod@~?riede droit ititrnrarior~ul. 1962. t. 106.
p. 106 : lan Brownlie. Public Iritcrria~innul Loti!. 1966. p. 484 : voir aussi ce
qu'en a dit ici merne. a cette barre.leprofesseur Salmon.)
Qui ne voit alors que ledroit al'autodéterminationou. si l'onpréfère.ledroit
des peuples a disposer d'eux-mêmesest d'une portéebeaucoup plus vaste -
nous sommes chez hl. de La Palice - que l'unede ses trois composantes qu'est
la décoloiiisatioii? Le dénoniinateur commun : 1) au principe de non-
ingérencedans les affaires intérieures des Etats : 2)au principe d'égalité entre
Etats avec la reconnaissance de droit égaux i tous les peuples et a toutes les
nations :3) a la décolonisation.se trouve etre. comine ie i'aiindiquédans ines
premières interventions. le droit à I'a~itodetermination.le droit des peuples a

disposer d'eux-mêmes(IV, p. 496-500.)
II est donc erroné de prendre t'espècepour le genre et encore plus singulier
de reconnaitre a l'espècece qu'on refuse au genre. risavoir qu'il relèvedu jrrs
cogeiis.
En vérité.c'est bienle droit a l'autodétermination. dénominateur coininun
englobailt de ce fait la décolonisation. qui coi~stifue la nornie supérieure
relevalitdujus COK~IIS.

Je voudrais itprésent m'attacher, sinon m'attaquer.a la seconde proposition
du doyen Vedel. selon laquelle il serait inexact de faire du droit à
I'autodéterininatio~~un principe supérieur par rapport a celui de l'intégrité
territoriale des Etats.

ci)Sur ce dernier poiizt. ieviens de m'expliquer longuement et par avance.
Avant de s'opposer au droit a I'autodétermination. le principe de l'intégrité
territoriale se concretise. on l'a vil. dans trois formes concurrentes d'integrilé.
J'ai par ailleurs indiqué que l'intégritéterritoriale du territoire encore
dépendantest garantie par leprincipe de I'iifipossidrlis jr~risQuant a l'intégrité
de I'Etal voisiii du territoire non autonome. elle n'est envisagée dans la
résolution 1514 (XV). que i'ai pris la peine de relire. que polir I'uveiiir.

Auireinent dit le rattachement d'un territoire dépendant a un Etat voisin ne se
rcalise pasjuridiquement sur la base de l'intégrité territoriale de cet Etat voisin.
mais bien sur celle de la libre déterinination de la population du territoire
dépendant.
C'estce que ie voudrais 3 présentdémontrer.
b) L'intégritéterritoriale de l'%t voisin ou la décolonisationpar intégration.

Voyons ces résolutionssur la décolonisationet sur lecontenu qu'ellesdonnent
precisémenta cette intégrité territorialede 1'Etatvoisin.
On a souligiie le fait que la résolution 1514 (XV) sauvegarde. en son
paragraphe 6. « l'unitéiiationale et l'intégritéterritoriale d'ui~pays M. 011 a
a~issifait remarqiier. sur la base d'une autre résolution.la 1541(SV). que la fin
dii statut colonial n'aboutit pas obligatoirement l'indépendance. II s'agit dc dcus points dc vuc parfaitement csacis. niais lisons chaciine des
deris ri?;oliiiions :

1. L.nrésoliirion 1514 (SIi) iraite du problénie dc I'intlgriic territoriale non
sci~fenici~idans Ic ~~niïigrnphc 6 invoquk. mais eg:ileiiicnt d;iiis Ic piir:igr;iphe 7
Titial. L'uiine pourrait se \ire siiiisl'autre.
Lc paragraphe O disposc qiic toute teiitaiivc de pcirlci. :iiieiiitc ii<( I'iiiiité

n;ition:tlc ct ri I'iiitkgi'iilIcrrit<iriiiled'un p:t).s csi inctiinp;iiiblc avec les
priilcipcs de ICICharlc ». 011 ubscrver;~ d';ibord qii'il vise I'iiiiitL; et I'iiitbgriit'
d'liii<<pays )).qui peiii Cire;iiissi bicn le territoire noii tiiiLonoiiic que I'l<t:ii qiii
est dans soli voisin;igc iniriiCdi~it. OLI qii'enfi~i I'Etot coloiiis;iic~ii~ Iiii-ii1Ciiie.
Xlais I;?ii'esi pas I'cssciiticl.

Dirc ail siirpltis q~ic I'orgriiiisaIic>ii d'un rélëreiidiiiii d'iiii~odkicrinii~ntioii
porterait atteirlte iiunc uliirc nalioiinlc ii~voqiiée p:ir uii Etnt voisin. c'est
itccorder peu de pris riI'cxprcssioii d'une voloiitc popiil:iirc çi de stircroit
preiiiger du rcsi~liiit de Iri coiisi~lt:iiioii populaire qiii peiii niissi bicii :iboliiir 5
rtii rattachetneni du terriioirc.

hIais SLII-~OLIIon peut dire qtie to~ii le raisoriiiemciit rcposc stir iiiic erreur
d'iiiterpréliiiioii dii pnr:ipr:iphe h. Cette disposilion. eii el'fci. csi ici i~ii~rprciée
coniiiie visant Ic ats dc tcrriinircs,j~rr/is ru1lrlr,yirere dét:ichCsiHkg;ilciiieiii d'titi
Eiitt et qiii foiit I'obict d'iiiic rcvciidiuiiioii territoriale de ccliii-ci siIr I:i basedii

principe de I'inicgrirC.C'est Ià iiiic iiitcrprelatioi~ li~rcictcr. I..';iiialysc des
trnva~is prkpiiriitoircs inciics p~ii' les qii;ir;iiite-[rois pays iirrci-:isi:iiiqiies.
coaiiteiirs dii tcixic dii pi-ciict de résoliitioii 1514 (SV). ii~oiiire q~ic le
pariigra p he b II'(1LI/?,~0/11/~?( 7O1/ /10111 o./?j~!/ 'LIC.COIY/( '. 1.rIY~~~c~II~~c~~I~oII.~
irri~i~orirrlc~pi-ioril~; siri. Ic /)ril~~'i~lctlu lihrc ~IC;ICI.III~I~~~/~ CO II.Lcsle iitr:iit

pltitôi aux ottcintes dirigees t1iitr.sI'rii~eirir coiitre 1'iiiiL;gritC~cri~itoi~i:d'iiii pays
et particiilièrenieiit d'iiii l<t;ii i~oii\~e;iiiet iioii ridescoiitesi;iiiniis rciiioniarti
à tri1 passi. 1oini;iin (N;iiioiis Uiiics. A.ssc~nhk&gcitrh.rilc.. qiriri:ik~~rc sr,ssioti.
doc. XI AC. IOB). il s'agirai\ doiic plu\9\ d'hppoihcscs \clles quc çel\tis dii

Katanga oii di1 Biafra. (Voir les déclii~i(ioiis des repr~sciitsiits dii 1'nkiri:iii. dli
Ncpal. de l'Iran. eic.. doc. A/I>\'.9Zb. par. 70 et 7 f .)
;\,l;iis. par oillciirsIc p;ii?igrophc 7 de In rc.wlrilioii 151 J (SV). Iiiqiiclle est
intitulée. il ne falit pas I'oublier. i<1)éclaration pour l'octroi de I'i~ic/c;p~~~-

I/~IIC.C>), vise qiiaiit liii Ic<< i'cspecl des droits soiivcr:iiiis et dc I'intfgritb
territoriale de toiis Ics pciiples )i.cc qiii conforic diiiis I'idCt:qiic pai- iiiicgrite
icrritoriele oii entciid üiissi ccllc dii peuple cnloilisc.
Si doilc on lii cnscniblc les paragraphtuc 6 ci 7. oii s'npcrvoii alors que la
résotiitioi~ 15 14(SI') iiiipiis ciiiciidii lc iiioiiis dii iiioiidc s:ici'ificr I'iiitCgritL;dii

territoire noii ~ILI~C>I~C)III;i CCIICd'i111 Et;it voisiii 011 de 1;i I'~I~SS;II~CC
:idiiiinistr:inte.

2. Qttaiii Iii rl;sciliiiio1541 4SV) qiii oiivre I'eveiii~iil desopiioiis possibles
offertes ri la popii1:ttioii dii icri-itijirc iioii aiitoiiniiie. il cst cxiict qii'cllc
ii'cnvisage piis qiic I'iiidcpciidniicc. encorc qri'ellc coiisidCrc ccllc-ci coiiiiiie Iii
soliiiion In plits iinriii;ilc nii poiiii yiic. d~iiisiioiiibi.~ de rksoltitioiis. les Niitioiis
Uiiies assiiiiileiit I':iiiiodétcr'iiiiii:iiioii 1'iiidl'pciid;iiic.c ptirc ci siiiiplc cil

parlaiii. c11 iiirii~ierc de rcdoiidiiiicc. dii « droii (1 I'niitodCtci.iiiiii;iiiciii 5al
I'indépeiidiiiicc >S.
Le principe il"VI dc In ri.r;nliitioii 1541 (SV) prcvoii. otitrc I'indt'pciidance.
Iri libre :issociniioiiri 1111Ili;ii iiidi.pciidaiiori l'iiiikgrriiioiiricc dcriiicr. hlriis il

iic faiidritit pas perdre dc viie I'csisiciice d'iiii tiiitrc priiicipc de I:i nieiiic
résolution. le priiicipe 11"IS. qui pi-kvoit 1;) iiiisc ci1 r~iivi.t: dcs soliitioiis
precoiiiskcs et qiii est :iiiisi ifdigi. : (PriticipeIX
L'intégrationdevra s'ètrefaite dans les conditions suivantes :
u) le territoire intégrédevra avoir atteint un stade avance d'autonomie,

avec des institutions politiques libres. de telle sorte que ses popltlatioi~s
aient IucapacicL;de clroisiret1pleitie coi1iiaissat7cede cause. selon des
méthodesdémocratiques et largement diffusées :
b) l'intégration doitrésulterdit dgsir libreinetrtexpritnr'des pop~~latdiris
terrifoire. pleinement conscientes du changement de leur statut. la
coiisirltutioirse faisant selon des méthodes démocratiqueset largement
diffusées, impartialement appliquées et fondées sur le sigfrage
tririverseldes aditltes. L'Organisation des Nations Unies pourra. quand
elle lejugera nécessaire.contrôler l'application de ces méthodes. »

Je n'ajouterai pl~isrien. hqonsieur le Président.
Et pour terminer. je voudrais noter qu'en dépitde leur caractère souvent
artificiel les frontières coloniales héritéesen Afrique ont l'avantage d'existar.
l'inversede cette célèbre ,jument des philosophesqui avait toutes les qualités.
sauf celle d'exister.
II me reste, 1us1htrr Iior Icu.sl,a vous exprimer, Monsieur le Président,
Messieurs les membres de la Cour. ma vive et réellereconnaissance, LJXitrtit?~(i

airde, pour votre patience et votre indulgence. Nul n'en avait plus besoin que
moi a cette barre. Les imperfections de mes exposés,vous saurez, dans votre
sagesse. les imputer a mes infirmités naturelles plutôt qu'a la cause des droits de
l'homme et de la voix des peuples que j'ai essayé de défendre par I'auto-
détermination.

i.'ui~dieticxt I~I@ LJ IZ 1115 TRENTE-DI:UXIEME AUDIENCE PUBLIQUE(30 VI175.9 h 35)

Prc<~errts [Voir audience du 16 VI1 7 5. M. Ammoun. Vice-Pr&.Sidt.,r~e.t

M. de Castro. juge, absents.]

QUESTION DE M. PETRÉN

M. PEI-KEN : Je vais compléter la question que ,l'aiposéel'autre iour au
conseil de la Mauritanie polir rendre si possible ma propre compréherisionde
la réponseun peu plus claire. Ma question sera la suivante Nous avons appris
I'autre,iour que le termeeirseinh/e nrauriroi~iei?est néau cours des débatsdela
vingt-neuviémesession de l'Assembléegénéraledes Nations Unies. donc en
1974. Or. les questions que l'Assembléegénérale a adresséesà la Cour visent

une situation qui existaia une époquerévolue.au moment de la colonisation
espagnole du territoire dénomme dans ces procéduresle Sahara occidental. A
ce moment le ternie eiisenrbk iriaiiriiaiiie~zn'existait donc pas. mais il existait
un phénomèneque l'on appelait en arabe le Bilad Clrin~~ii~e it dont eirseinhle
iiiatiritaiiicn serait maintenant une traduction française. Dans lestextes anglais
de l'Assembléegenerale. cela est devenu Maiiritu~iaii Ei~ii(i>,ou Etiriol me
parait peut-êtredonner lieu a uri petit point d'interrogation. Mais. la présente
affaire étantdevant la Cour entikrement francophone, je veux m'en tenir aii
terme français. Bilad Cliiiigiiili est donc devenu er~st.~iibletilartrirairic~ii.Cela
implique tout d'abord que~rrauri!ailieirsoit synonymede CIzii~qiiiri.mais. pour
lin juge qui regrette de ne pas savoir l'arabe. la traduction de Bilud par
p~isei~ihicexige une explication. Est-ce que Bilod couvre une conception
uniquement territoriale. de mêmeque les termes bled i~iakhzerr.et bid siha tels
que i'ai cru pouvoir les comprendre au cours de ces débats(mais je serais
naturellement reconnaissant d'être éclairé a cet égard.si ,je me suis trompé)?
Est-ce que. dans la deuxième question poséepar I'Assembleegénérale.il s'agit
de deux conceptions uniquement territoriales. a savoir le Maroc et le Bilad
C/iUig~tilidénommémaintenant ~1i.swi7hie~~lar~ritorrie? ~iEn d'autres termes.
est-cequ'une terre situéea I'intér.ieuru Sahara occidental a pu faire partie soit
du hlaroc soit de I'eiiseiirbleinaurira~iie~rmais pas des deux ? i ine partie de
l'argumentation présentée a la Cour me semble cependant donner lieu a la

question de savoir siBihd Ciril~g~~ifni'a pas correspondu a une conception en
premier lieu culturelle. comprenant des éléments ethniques. religieux.
linguistiques. sociaux et autres. Si tel étaicas,est-ce qu'en fait de territoire le
Bilod Ciriirgliiri. dknomme dans la procedure actuelle riisei?rblei~iaiiriraiiieir.a
signifie le ou les territoires nu ces éléments culturels se sont trouvés
constamment ou périodiquement réuniset est-re -ue rien n'a empéchcqu'une
certaine terreaitpu faire partie la foisduBiIo ' ~.ili,y~~tit d'un Etat dont le
territoire comprenait aussi des partiesétrangèresdu Bilad Cliirigrrit?
LePRÉSIDENT : La délégationmauritanienne est priéede répondrea cette

question. La Cour apprécierait que la réponsepuisse êtredonnée a tafin de
l'audienced'aujourd'hui ;sinon,nous ferons d'autres arrangementsavant la fin
de cette audience. Je suggère que le texte de la question soit confiéa M. le
Creflier pour ëtre donnéa ladélégationmauritanienne. (Voir ci-aprèsp. 360-
362.) EXPOSE ORAL DE M. LACLETA
REPUESENTAN DUTC;OU\.'EKNE>iENT ESI't\tiNOI.

M. LACLETA :Monsieur le Président,hlessieurs les membres de laCour. je
reviens devant vous dans Icdeuxième tour des argumentsoraux pour exposer
les commentaires du Gouverneinent espagnol au sujet des interventions raites
par les représentants des Etats qui m'ont précédéa ce stade de la procédure.
Ces observations porteront sur trois points. D'iine part. nous vo~idrions

commenter les interventioiis faitesa propos des problkmes se rattachant a ta
compétencede la Cour et l'opportunitéde son exercice. D'autre part. nous
sommes obliges de faire des remarques sur des points concernant les questions
soumises a la Cour pour inieux préciserqiielques données importantes de la
présente affaire. Finalement. nous allons commenter certains points de la
déclaration qui a terminé les exposésoraux marocains. Dans le courant de
l'audience,je répondraiaussi a la question que M. Ruda n'ousa posée.
Comme je viens de le dire, la première partie de mon exposése rapportera
aux questions concernant la compétence de la Cour et I'opportunite de son
exercice.
La position espagnole a étéexposéeau cours des audiences tenues les 16 et
17juillet (ci-dessus p5-20 et30-42). Toutefois, les idéescentrales de notre
position doivent êtr eappelées,
Premièrement. nous avons essayéde mettre en relief. des les débatssur la
désignation de juges ad Iioc. que la présente affaire était caracterisce par
certains traits fort inhabituels. si on la compare avec les aiitres cas que cette

Cour et sa devancière ont eu A connaitre dans le cadre de la jiiridiction
consultative. Le conseil du Maroc. lors de ['audiencetenue le 24 iiiillet. ayant
eu recours au langage du cinema. noiis a reprochéd'avoir réaliséune sorte de
filtnitEpisodes ou le héros - semble-141.le Maroc - se tro~ive face a de
nouveaux périls - parait-il les exceptions préliniinaire- chaque fois qu'il
échappe aux difficultés.sans pouvoir ,jamais s'approcher di1 <<mariage qui
devait pourtant clore définitivement leurs aventures» (ci-dessus p. 153).
Or.si le Gouvernement espagnol s'est vu obligéde présenterdes exceptions
préliminaires ala Cour. cela est dUau fait qu'iln'apas rédigéI'argunient de ce
film a épisodes; c'est la conduite du hérosqui dictait. par elle-même.ie cours
du filni et cette conduite impose le resiiltat linal auquel la Cotir. d'apres nous.
devrait arriver en vile de sauvegarder I'exercIcede sa fonction ,j~idicIaire.
Deuxiemernent. ilest à souligner que nous avons souinis la Cour deux
exceptions relatives a la recevabilitéde la présenterequêtepour avis consultatif

et aussi ilne exception préliminaire concernant la compétencede la Cour. Le
conseil du Gouvcrnement dii Maroc o examine ces questions dans l'ordre qu'il
a jugéie plus opportun - cet examen se trouve ci-dessusa la page 155. Peut-
êtrele distinguéconseil a-t-il obéà la logique sautillante dont il nous a parle,
mais le sautillement de la pensée ne se justifie pas dans la logique du
droit en matière d'exceptions préliminaires: et nous continuons a soutenir
que lesquestions se rapportant a I'exerciceniémede la fonction judiciairde la
Cour ont une prioritélogique. 'Telest le cas de la première et de la deiixième
exception soulevées par nous. car. si ta requSte ne doit pas êtreexaminéedu
fail qu'elleserait sans objet. serait dépo~irvuede toute conséquencepratique. la
Cour ne pourrait pas poursuivre son examen ptiisavant. De meme. si l'exercice de la competence de la Cour dans la presente affaire est susceptible de porter
atteinteà sa fonction iudiciaire.le rnèiiierésultat s'impose.
Troisiememeiit. la présente espèce constitue. seloii nous. un cas limite en
matièrediivis consultatif du fait des circonstaiices qui ont précédéla requète et
aiissi en tenant compte de sa portée.Par contre. on a soutenu que les qiiestions
soiimises a la Cour rejevent bien de sa coinpetence cons~iltative, que ces
questions sont simples. pratiques, pertinentes - je me réfère aux pages 168et
169 ci-dessus.
Cette conclusion peut étreétablieseulenient au risque de nléconnaitre les
donnéesessentielles se rattachant a la foiiction iudiciaire de la Cotir en matière
d'avis consultatif. La simplification du problème équivaut. en dernier lieu. à
une dissolution dii r6le de la Cour en tant que cour de justice. Pour le
démontrer. il faiit souligner que les thésesmarocaines sur laconipétencede la

Cour dans la presente affaire sont bities sur un double posttilat.
D'une part. la fonction judiciaire de la Cour est soumise A une vraie eupilis
dirilittri~io.en s'appiiyant sur un étément a caractère organique. à savoir que
cette Cour est l'organe judiciaire principal des Nations Unies. Cet eléinent
institutionnel conditionne toiit le raisonnement marocain. niais. en dernière
analyse. ne parvient pas à effacer le fait qu'en méme tenips qu'organe des
Natioiis Unies. la Cour est son organe ,iudic~aire.
D'autre part. lafonctioniudiciaire de laCour est mise en questioii par lavoie
d'une relation singulière entre le politiqiie et lejuridiqiie. II s'agit aussi d'une
coiiclusion qui s'appuie sur le premier élémentque .jeviens de soiiligner. c'est-
a-dire Iëlement organiqite oii institutionnel. Le Gouvernement i~iarocain
suggèreque la Cour doit se borner strictement riI'exainendes questions qui lui

ont étésouinises par 1'Assembli:egénéralesans pouvoir dépasser.eii aucune
façoii. ces qiiesrions. car. si clle le faisait. elle entrerait dans le cadre du
politique. II a étédit que I'Assembleea son terrain propre « qui est celui du
chois politique. éclairé. mais non déterminé parle point de vile iiiridique >>(ci-
dessus p. 157). Mais ceci ne constitue qu'une partie de la vérité.car, en
derniere analyse, le Gouvernement marocain s'est efforce, tout au loiig de la
procédure. a isoler les questions, les plaçant sous une espéce dc cloche
pneumatique qui constituerait. semble-1-il.le seul cadre possible de l'exercice
de la fonction judiciaire de la Gjur.
Je vais faire quelques remarques à propos de ce premier postulat de la thèse
marocaine concernant la compétence de la Cour et l'opportunité de son
exercice. Je vierisde dire que, d'ziprescette conception, la Cour serait soumisea

une limitation dans l''exercicede sa fonction judiciaire et que cette limitation
découlerait tout naturellement, semble-t-il,du lien organique existant entre la
Cour et les Nations Unies,
Ma première remarque concerne l'idéede présomption qui vous a été
présentée.II n'est pas nécessaire d'insistersur la jurisprudence de la Cour, en
particulier dans les affaires de I'lrir~r/7rL;rurl i;rruitFs-& poix (C.I.J. Rec~ieil
/950. p. 72). des Jrtg~~.c.n~eJI/~Trihltnal ud)?ri)~i.s~lri'L.*OITsllr ,rqi~C/cii
corilre I'Uirc~sc(C.I.J.Rrcrteil 1956,p. 86), De CL~I.IU~II'C;~C>IISLdes Nutiotis
UtriP.s(C.I.J.Rccltril 1962, p. 15 1)et, enfin, la derniere décisiondans l'affaire
de la Nuiriibic(C.I.J.RL'L.IIL1J9~/1.p. 27) ;cette jurisprudence est constante.
La Cour a dcclarèqu'en principe une réponse à une demande d'avis « nedoit
pas étre refusée P. Ici. la Cour a voulii souligner. son caractère d'organe
,judiciairedes Nations Unies. hlztisaussi elle a établi qu'ellepouvait reruser de

répondre une deniatide d'avis <<si des raisons décisives justifaient un tel
refus ». Or. si la Coiir estinie q~icces raisons existent dans Lincas doilné.
elle doit rester fidèlaux exigences de son caractèrejudiciaire. En résurnéq , u'il 326 SAHARA OCCIDENTAL

n'est possible d'admettre aucune idée de « présomption » en faveur de la
réponsea une demande d'avis, car lesliens organiques ne sont aucunement

, déterminants. Tout au contaire, la Cour doit apprécier, dans chaque cas
d'espèce. si sa réponse à la requete pour avis consultatif constitue une
interprétation correcte de sa fonction judiciaire.
L'idéede presomption. donc. n'est pasexacte. car elle correspond mal a la
naiiire de l'organe auquel on veut l'appliquer. L'idée a retenir est celle de

<(fonction >iet on ne doit pas oublier qu'il s'agit de la fonction judiciaire avec
sesesigencespropres.
Sous le couvert de ce postulat concernant les liens organiques de la Cour.
rine autre idée essentielle pour la fonction ludiciaire. celle de différend.
s'estoiiipe iusqii'au point de devenir insaisissable. If faut souligner que. sur ce
point. les argutnents marocains ont changé à des moments distincrs. Je

voudrais a~issisignaler ceux de la Mauritanie. car son distingué conseil nous a
diti nouveau qu'une question iuridique. actuellen~ent pendante. n'est pas un
différei-idné.Leprobleme de l'équivalencedesexpressionsdifférei~det qlie.51iv11
jllridique peridurira étélonguement développélors desaudiences concernant
la désignation de irigeud /ive dans la présenteaffaire. Je peux me référeraux

pages 64 2 66 (IV) et je n'insisterai pas sur cette question. Mais je tiens a
souligner que c'est la Cour elle-meme qui, dans son avis en l'affaire de la
IYul~~ihiem, ploie l'expression « différend juridique actuellement pendant >)et
que. dans l'ordonnance du 22 mai dernier, elle a dit que:

<(au moment de l'adoption de la résolution 3292 (SXIX). il paraissait y
avoir lin differend juridique relatif au territoire du Sahara ...que les
suesiions s ose ..epeuvent ètre considéréescomme se rattachant a ce
différend et qu'en conséquence. pour l'application de l'article89 du
Règlement, l'avisconsultaiif sollicite dans celie résolution parait ètre

demande <(au suiet d'une question iiiridique actuellement pendante ...>>
(C.1.J.Reciic4l 1975.p. 7-8.)

.le reviens niaintenant i mon argument concernant l'évolution dans les
arguments d~iXlaroc.
Le premier inoment est celui oii leMaroc a propose a l'Espagne de saisir la
CorIr pour qu'elle statue au contentieux sur certaines questions concernant le
territoire du Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole. 11est
dificile de nier que le hlaroc ait soutenu. a ce moment et d'une façon assez

iietie. l'existence d'un ciilTerend.car la demande faite a l'Espagne présupposait.
pour qu'elte puisse avoir des effets devant la Cour. l'existence même d'untel
differend. Lors de l'adoption de la résolution portant requête pour avis
consultatif: le Gouvernement marocain a continué a soutenir I'existence d'un
dirférend et. au niois de mars. il a invoqué I'altic89 du Réglernentde laCour
en considérant qii.11 existait une question ,juridique actuellement pendante

entre l'Espagne et le Maroc.
Il hiit so~iligner que. lors des audiences du mois de mai. concernant la
désignation dejuges [id Iicic;la rnëme position a étémaintenue. Mais on a eu
soin de distinguer entre un (<grand différend » qui, semble-(-il. concerne le
problémc de décolonisation au sein des Nations Unies et. d'autre part. Lin
petit différend)>concernant le titre de souverainetédu Maroc sur le Sahara

occidental aLi inoment de la colonisation espagnole.
Lit Cour. par l'ordonnance du 22 mai. a déclare que. au moment de
l'adoption de la résolution portant requétepour avisconsultatif, (<il paraissait y
rivoir Lin diffircnu.
Jusqii'ici.isemble exister une certaine logique dans les événements. Mais. ESPOSÉORADEhlLrtCLET,l 327
une foiscette phase oralecommencée.nous sommes dans ledeuxièmemoment
de l'argumentation. oula notion de differend devient insaisissable.
espagnol. lors des audiences concernant la désignation de juges ad Iloc. le
Gouvernement marocain aurait senti les appréhensions de l'apprenti sorcier.
s'X'laison doit dire que le conseil du h,laroc. lors de l'audience ienue le
24juillet. est allétrèsloin dans cette volte-face. IInous a dit que mémele petit
juridiques sur unème particulier. II a été soutenu que l'Assemblée
generan'jamais demandé a la Cour de l'éclairersur Lindifférendqu'il y
le seul e<de l'éclairersur Lin point de droya des lequel ilque
controverses »(ci-dessus p. 157).
Vraiment, c'estjouer LaCour connait bien sajurisprudence sur
pour metenrelief qu'un differend est, précisément,un désaccordsur un
point de droifaiune controverse sur des points de vue juridiques ou
différend, que la Cour permanente de Justice internationale a exposée dans
l'affairedes CO~IIS1?11?fiP~;/LJ~P.J.~c;AII2p.11). JII
que nous nesavons et que nous ne sauronsétle contenuel aurait
exact du contentieuala Co)>sur la base du différend territorial
contenu du différend n'auqupar un compromin'pasétéque
signe par les deux Etats. On comprend mal un tel argument.car, coniine nous
tembre 1974 posait nettement les qiiestions &trancher par la Cour eri statuant
au contentieux. En pliis. nous avons souligsubstan- existe une identité
les termes desentereq~iètepour avis consulaclirequ'ilui revient
existe Lineibentitéentre le différendqiie l'Espagne a etc priée desoumettre
cette Courlecadre de la juridiction contentieuse .t les questions incluses
auL'effortdu Gouvernement marocain pour faire oublier. voir nier. l'existence
d'un differend ne constitue qu'un recours pour se délivrer desconséquencesen
l'opportunitéde L'exercicede sa fonction judiciaire. s'appuyant sur le point de
départde la coduGouvernement marocain. point de départqu'il avait
luEneffet, la conséquenceen est claire. Dans la présente affaire.l'exercicede
la fonction judiciaire de la Cour trouve une limite dans une raison décisive,le
avis consultalif et les termes d'un difïerend entre Etats que l'unde ces Etatsn'a
pas consasoumettre àlaCour pour qacontentieux.dlaef,
Courevenaatexercer sa compétence,aun détournement de la
basde sa juridiction.n du principe du consetreste laes Etats qui est
Leconsedu Gouvernemduklarücetéconscient de cette difficulté
essaye de la surmonter par u:d'une part. en affirmant que lend qu'il ait
difrerend territorial serait absorbé dans le différend global concernant ladécolonisaiiondu territoire :d'autre part. en limitant la portéede l'avisde la
Cour qui n'aurait d'autre effet. semble-t-il. que d'èlre verséail dossier de
L'i\ssenibléegénérate.Dans un cas camme dans l'autre. on se place dans le
terrain de refuge de l'élémentinstitutionnel. i~iaisla fonction itidiciaire de la
Cour est. dans les deux cas. égalementconipromise.
Eii ce qui concerne la première voie pour échapper Bses propres difficultés.
nous venons de souligner que. de I'avis du Goiivernemeni marocain. le
différendterritorial concernant le statut du Sahara occidental au moment de la

coloi~isatioiiespagnole serait absorbé par <<le problenie institutionnel de la
décolonisaiion du Sahara occidental ))(ci-dessus p. 157).Par cet artifice. la
fonction de la Cour ne serait plus celle d'assister l'organe reqiiératit dans le
rcgleiiieiit piicifique d'une telle controverse. mais tout siiiiplenient de l'éclairer
(<siif lin point de droit sur lequeily a des controverses )):ct ceci inalgréle fait
que la dcinande d'avis. parait-il. a étéfaite au suiet d'iinc qiiestioii juridique
:ictuellement pendante. La conclusion sera logiqiie. niais, il fa~itl'admettre. au
pris d'ncarter I'idbede différend.qu'on avait affirniee au point de depart.
Or. cette conclusion ne saurait é~readmise. car les q~iestioiisterritoriales
concernant la souverainetéterritoriale au Sahara occiden~al. üii inonient de la
colonisaiiori par l'Espagne. ne sont pas. de par leur iiaiure. des questions
propres au cadre institutionnel dans lequel on veiii les faire disparaitre. Le

Gouvernenieni m:irocain lui-mêmea soutenu qu'ils'agissaitde questioiis polir
ainsi dire indépendantes du cadre des Nations Unies. car il a propose B
l'Espagne de les soumettre a la Cour au contcntieris sans aiictine action au
prcalable de 1'Asseniblée généraleen vue de cette saisine de laCotir. IIa admis.
en outre. qu'ils'agissaitde questions «préalables »au problèmede decolonisa-
lion du Sahara occidental :cela veut dire que. si celui-ci est du ressort des
Nations Unics. les questions préalables seraient estérieures au cadre d'acliviré
de ses organes.
11ne falit pas oublier le fait que le droit applicable. poirr résoudre les

questioiis territoriales. serait autre et distinct du droit applicable pour résoudre
le problenie de la décolonisation du Sahara occidelital. Toiit ceci Equivaut a
dire que Ics questions territoriales. mêmeen admettani l'argiinient avarice par
le Goiivernement marocain. seraient des qiiestioiis incidentes i~l'activitédes
organes charges de I'applicaiionde la déclarationsur ['octroide l'indépendance
aux pays et peuples coloniaux. Si de tels organes deiiiaiidei~tA la Cour iiiiavis
sur lesqiiestioiis territoriales. oii ne peut pas prcsunler que leconsenleinent des
Elals intéressésesiste. Pour ce qui est de la iuridiciion consultati\re de la COLIT.
les Etats XIernbres des Nations Unics ont donnb. :iti prealable, leur
consentement pour toutes les questions se rapportant au cadre institutionnel.
c'est-a-direüiicadre de la volontégéneralede l'Organisation. klais on ne peut

considerer que ce consentelnent se soit étendu tout nat~irelteinentau suiet des
qiiestions incidentes a l'activiténormale de ses organes.
[-a deilsicme voie choisie par le Gouvernement du Maroc. ii l'abri de cet
eléineiitinstit~itioniiel.est. comme iele disais tout a l'heure. celle de reduire la
portce de I'avisde la Cour. La décisionde la Coiir n'aiirait d'autre destin que
celui. assez réduii.d'étreverséau dossier de 1'~Isseniblég cenerale.
En effet. au sein des organes politiques. il parait qu'il esiste ce qui a été
appele le dossier )>du Sahara occidental. Ce dossier se nourri1 de résolutions
adoptées par I'r1ssembli.egénéralemais. parait-il. parfois ilse trouve eiitraué.
Ilaiis cc cas. pour que ledossier puisse passer. on peul y verser. soi1un arrêt de
la Cour statuant au cotitentieux. soit un avis consulta\if siirlamên-iq euestion.

1,'arrétoti I'avisde la Cour doit se borner. en tout CDS . répondre A quelques
q~iestionsterriroriales concernant le passéet seulenient a ces queslions. Après EXPOSEORAI. DE hl. LACLETA 329

I'arrët ou l'avis de la Cour. il appartient a l'organe politique d'en tirer les
conséquencesappropriées.mais la Cour doit rester isoléede tout autre dément
du dossier.
On nous a dit que (<dans ses efforts pour rkaliser concrètement la
decolonisation du Sahara occidental. l'Assembléegenérale desNations Unies
rencontre Linproblème iuridiqueque lui ont signaléle X,Iarocet laMauritanie ))
(ci-dessusp. 151 -152).Il s'agit d'ailleurs d'unproblème sérieuxet pertinent, car

la solution qui sera donnée aux questions qui expriment le problème pourra
avoir des incidences sur la décision de l'Assembléegénérale.la décisionde
l'Assembléegénéralequant a la décolonisationdu Sahara occidental, si nous ne
nous trompons pas.
Or. \'Assembléegenérale demande i laCour de l'édairersur un probkme de
droit. c'est-à-dire unprobleme iiiridique. NOLIS poiirrions nous demander si le
probleme auquel on se réfèremaintenant est le probleme global politiqiie. du
ressort de l'Assemblée.Mais ce probleme. on nous le dittrèsclairement. n'est
pas un problème juridique. niais lin probleme politique. A ce moment. on

pourrait imaginer que le seul eclairage que la Cour polirrait apporter pour la
solution du probléme global serait de résoiidre le probleme juridique. Xt1ais
pourtant, a la page 152, on nous dit qu'«au nombre des éléments dudossier
sur lequel l'Assembléedoit se prononcer figure un probleme de droit )]et que
I'Assembleea demande a la Cour de (<l'éclairersurce probleme de droit P.
II en ressortirait que la Cour n'est pas priée. bien sûr. de résoudre les
problèmes politiques dont la soli.itionappartient a l'Assembléegénéraleet qui
concernent la décolonisationdu territoire du Sahara occidental :elle n'estpas
non plus priée de résoudrele probleme juridique. mais « d'éclairerI'Assemblee

généralequant 5 ce problème iuridiqiie ))qui a donnélieu aux questions posées
dans la résolution3292 (XXJS).Mais nous ne pouvons pas imaginer de quelle
façon laCoiir pourrait éclairer ce probleme. sans pour autant résoudreen droit
des questions iiiridiqties posées. En d'autres termes. quant à la question
iuridique posée.Iëclair:igc est éqiiivalenta ilne décision endroit sur Ic fond.
Pour résoiidre cette difficulté. les Gouvernements du Maroc et de la
hlauritanie nous proposent d'ignorer l'origine de la saisine de la Cour et les
conséqiiencesde sa décision.coiiclusion qui. a notre avis. est ouvertement en
contradiction avec ledevoir de la Cour de sauvegarder sa fonction iudiciaire. il
ces fins. ie ne crois pas nécessairede mattarder de nouveaii pour souligner la

jurisprudence de la Cour concernant la base de sa compétenceet leseffets de
ses décisions.IIsuffit de dire qiie le cadre instittitionnel dans lequel la Cour est
placée neperniet pas de souscrire a de tellesconclusions car. comme ie viens de
le dire. il lui appartient de sauvegarder lin correct exercice de sa fonction
iudiciaire.
Lors de I'audience tenue le 24 iiiillet.le conseit du Gouvernement niarocairi
a votilu mettre en relief qiie l'avis de la Cour n'aura aucun effet opkratoire
direct 011 automatique sur les qiiestions qui lui sont soiimises. mais un effet
plus réduit.Parfois. ila étédit qu'ils'agitd'un simple jugernent déclaratoire ou

de constatation de faits:d'autres fois. on a souten~i,tout simplement. que lavis
aurait itn effet éclairantsur les qiiesiions i~iridiquesqui voiis ont étésc~iimises.
On a soutenu même. par la voie d~iraisonnement par l'absurde. que s'ils'agit
d'lin avis ou d'un arrêt.il ne serait pas susceptible d'exécution.bref qiie nous
sommes dans le terrain du choix potitiquc «éclairemais non détermirlépar le
point de vue juridique ))(ci-dessus p. 157).
Une fois encore. cette argumentation s'étayesur l'element institutionnel et
les conséquencessont difficiles admettre. En effet, il est difficilede souscrire
a une conclusion ou toute ligne de séparation entre différend juridique330 SAHARA OCCIDENTAL

interétatique, d'unepart, et simple divergence de points de vue, d'autre part,
serait totalement efîacée; de même,la frontière entre la juridiction conten-
tieuse et lajuridiction consultative aurait totalement disparu.
Je me propose maintenant de faire quelques remarques a propos du
deuxième postulat de la thèsemarocaine concernant la compétencede la Cour
et l'opportunitéde son exercice. En résumé. cetteargumentation consiste a
isoler les questions territoriales soumises a la Cour de toutes autres questions.
mèmes'ilexiste une connexitétout a fait directe ou conditionnante. et cela au
risque de limiter l'exercicede la fonction judiciaire de la Cour.
Ce deuxièmepostulat vous est soumis en vue d'écarterla première exception
espagnole concernant la recevabilitéde la requêtepour avis consultatif. Nous
avons soutenu qu'une réponsede la Cour aux qiiestions territoriales incluses
dans la requête seraitsans objet étantdonne que I'Assembleegénérale a établi
d'une façon nette et réitéréqeuel étaitle processus de décolonisationapplicable
au territoire du Sahara occidental. Processus de décolonisation basésur ledroit
du peuple saharien a sa libre détermination et a l'indépendance. En résumé.

que l'examen de l'existenced'un droit de la population asa libre détermination
est bien une question préliminaire qui. une fois résolue.permettrait ala Cour
de ne pas poursuivre plus avant son examen.
Après les interventions des conseils des Gouvernements du hlaroc et de la
Mauritanie sur ce point. nous avons l'impressionque la thèseespagnole n'a pas
été bien comprise. Pourtant. elle est claire et s'appuie sur la iurisprudence de la
Cour. notamment dans les décisionsrendues dans tes affaires du Cariieroun
sPpter~~riunaelt desEssai~siirclkaires.L'idéeessentielle a retenir est qu'une cour
de iustice se doit de ne pas entamer I'examen d'une question si celui-ci était
condamné a rester stérilepar rapport a d'autres circonstancesde fait et de droit
considérées parla cour. En somme. que toute décision iudiciairedoit avoir des
conséquences pratiques par rapport au droit et aux obligations juridiques
existantes. sans méconnaitre les droits en cause au sujet des questions qui lui
sont soumises.
Le fait qu'il s'agitde deux affaires contentieuses n'enléve passon importance

1 Ia jurisprudence de la Courcar ses considérationsont une portéegénéraleet
concernent l'exercicede sa fonction iudiciaire. Or. elles sont applicables aussi a
la juridiction en matière d'avis consiiltatif. où La Cour exerce sa fonction
iudiciaire.
LeGouvernement espagnol n'a pas soutenu que les questions soumises a la
Cour soient. en tant que telles. des questions académiques.Ce caractere - on
peut bien dire - moot >>serait la conséquence d'une situation difficile ii
méconnaître. savoir que les Nations Unies ont détermine le processiis de
decolonisation applicable au territoire du Sahara occidental en affirmant la
libre détermination de sa population. Cettesituation juridique possèdedonc un
caractère préliminaire et. de ce rait. doit êtrerésollieavant d'eritreprendre
l'examen des questionssoumises a laCour par la résolution3292 (XXIX). Si la
Cour admet les effets d'une telle situation. a caractère préliminaire, il ne
serviraita rien de poursuivre I'examen des questior~sincluses dans la requête
poiir avis consultatif. car cet examen serait sans obiet.

Cette remarque faite. on doit dire aussi que l'argument avancé par le
Gouvernement espagnol tend a sauvegarder t'exercicede la fonction judiciai~e
de la Cour. en attribuant un effet pratiqueà sa décision.Mêmes'il s'agitd'une
exception préliminaire. elle se rattache au problème de fond de la présente
affaire et vise a établirsa vraie portée.IIest difficiled'admettre. en effet. que la
Cour face a une affaire concernant un territoire non autonome puisse faire
abstraction di1contexte généraldu droit régissantle statut d'un tel territoise.bornant U donner iine réponse susceptible de porter atteinte à des droits
décoiilantdri droit de la Charte des Nations Unles. Cependant. on a suggérea
laCoiir de resterriune place assez modeste. LaCour. semble-t-il. doit examiner
les qiiestions so~iinisesdans iin entier isolement. et cela mémedans un cas oii
la résolutionportant requêtepour avis coiisultatil débutepar la réaffirmation
dii principe de la libre détermination et nialgre le Lit que. ail par~igraphe
premier de son dispositif. rérerenceest faite ~LIXprincipes de la résolution1514
(SV). En soinme. soulever iine telle exception. priant la Coiir de considérer
l'application dans le cas déspécedi1 principe de la libre détermination ne
constitiie. en aucune nianière. une entrave fi la procédure. mais tout ail

coiitraire. la volonte de ce que la procédiireentamec par l'.+Issemblég eénérale
atteigne un résiiltatavec des erfets pratiques.
Par rapport ce suiet. les débats devant la Coitr ont permis d'établir
l'existencede divergences de points de vue assez prorondes. et sur la base et siir
les effets du processiis de décolonisation. Certains points méritent d'etre
reteniis.
l-'remiérement.la base inëme dii processiis de décolonisation. ousi l'onveut.
le principe fondamental dont noiis devons partir dans le raisonnement
iiiridiqtie. Lors de I':itidieiice ieiiLie le 24 iriillet. le distingue conseidii
Goiiveriieinent iiiarocain a exposé Lineconception assez originale de cette
donnie car. ii son rivis. en matière de situations de dépendance. le principe de

base n'est pas celui de la libre détermination des peuples inais. tout au
contraire. le principe de décoloitisation. 11s'agit. semble-1-il.d'iine ncirme de
fiiialité dont le coiîteiiii serait donné par divers moyens. voire diverses
niodalités d'applicrition et I'Assernbléegeiiernle des Nations Unies doit se
livrer. dans chaqiiç crisd'espèce.« iiuiie pesée desprincipes en présenceet A lin
choix entre lesdivers processus pussibles»(ci-dessusp. 180).
Cctte construction iuridiqiie ~ioursuitlin biit très précisqui n'a échappe i
persontic. celui de iiietrre siir ut) inéinepied les principes contenus dans la
résolution1514(SV) et. de ce fait. de réduirela lbnction de base du principe de
la libre détermination. qiii devient par ce triichemeiit une siinple iechiiique de
décolonisation. Unc telle constriiction iuridiqiie est conîpletement artificielle

car elle va A l'encontre dii drciit de In Charte des Nations Unies. Elle est
coiitraire. en plus. j I'tvolution ultérieure a l'égarddes territoires non
autononles partant d~i texte de la Charte des Nations Unies. Qiielq~ies
reinarqucs siiffiscnt pour reieter une telle constriiction. de laquelle on pourrait
parler vraiment coiilnie d'liii<i\léteineiitde confection >)susceptible d'habiller
les prétentions inarocniiies.
D'iine part. je ne peiis pas dissiiiiiiler iuon étonnenient devant le fai~LI'LI~
proresseur fran~aisde droit public essaie de couper les liens existants entre le
droit des peuples ii disposer d'cils-nièii~eset tolite I'évoluiioiiaiit(.rieiire di1
droit international. baséesur la reconnaissailce des droits de I'homiiie. Une
telje evolutioii ne peut pas oiiblier les liens du principe de l'aiitodéterii~inatio~i

avec les idéesdes graiides rcvol~~tions d~iNVIII'siecle. d'une part. et. d'autre
part. avec les principes proclaiiles de 1848 iiisqii'aux preinieres aniiéesdu
siècleactiiel. Si le principe de la libre déteriiiinatnoete incliis dans les pactes
siIr les droits de I'hornti~e.ce fait téiiioiynede l'évolutionà laquelle i'ai fait
référence.
U'aiitre part. conime voiis l'avezsoulignédans l'avisde IO71dans I'affriire
de la Ncriirihi:i<les ciiiqiiante dernières annéesont marqué ...iine évoliition
importante ))dii droit international h l'égarddes territoires non atitonoines. et
le résiiltat en a&téqiie I'aiitodeterinination a étéconsacréecoinme principe
applicable à to~isces territoires. Bref. le processus historiqiie <<avait pour332 SAHARA OCCIDENTAL '

objectif uliiine I'riutodi.ierii et liidétpiendancedes peuples en calise>i.
c'cst-i-dire des peiiples coloniaux: (C.I.J. Rect~eil1971. p. 31). 11n'est pas
nécessairedc soiiligner l'importance dans cette évolutionde la resoluiiori 15 14
(SV) sur l'octroi de l'indépendanceaiix pays et aux:peuples coloniaux. Or. la
conclusioii est aisée: le principe de base n'est pas celui de la décolonisation
mais celui de l'autodétermination despeuples coloiiiaux.

Deuxièineinent. ilest diflicile d'admettre que le processus de décolonisation
puisse se rediiire au rniig d'un s~mpledossier. ou les actes de l'Assemblée
gfncrale ne prodiiiseiit aucun effet définitif. Le conseil dii Gotivernemeiit
iilarocain a soutenu cette concliision affirmant <<qu'un organe investi d'un
poi~\~oirde décisionpolitique a touiours le droit de changer ses décisionspolir
l'avenir )>et.dc ce fait. si les résolutionsde I'Assenlbléegenéraleont un effet
absolu dans l'espace.eii revanche. ils n'ontaucun effet dans le temps. Bref. les
résoliitions des Nations Unies sont caractérisees par leur i<mutabilité >> (ci-
dessus p. 166).
Cette idee de niutabilité iustifiait niéme le changement du processus de

décolonisation. en particulier par la raison qiie la Puissance admiiiistrante
n'aurait pas doniiésuite ces résolutions. Xlais celle thèse ne peut pas èire
admise : en adoptant 1111 processus de décolonisation. les résolutions de
I'rissenibléegénérale appliquentla résolution 1514 (Si') :elle ne décidepas en
inarge du droit de la Charte des Nations Unies. L'application du droit de ta
Charte suppose que I't\sseniblee généraleconstate certains faits par rapport au
territoire. Le point essentiel est le territoire et sa popiilation. La Puissance
administraiite. avec sribonne oii mauvaise volonté d'accepter le droit dc la

décoloi~isatioii .'yest pour rien. Or. dans ce processus de constatation des faits
et d'application du droit. on ne petit pas soutenir l'idéed'lin processus de
révisionqiii pourrait è~reentamépar l'apparition de faits nouveaus concernant
ILIconduite de la Puissance administrante. Finalement. nous soniines en bon
droir d'estinier que Ics résolutions siir le Sahara occidental adoptant lin
processus de decolonisatioii s'imposent. sur ce point.a tous les Etats h'lembres.
Et, en conséqueiice. certains droits vont découler pour la population du
territoire. ainsi que certains devoira la charge de la Puissance administrante.
Xlonsieur le Président.h.lessieursIcsniembres de la Cour. lesreinarques que
ie viens dc faire iuçiiliciit le bien-fonde de la thèse espagnole. La Cour. dans

I'csercicede sa ronction iudiciaire. doit rechercher. a titre préliminaire. l'effet
dii principe de I'aiitodeterniination applicable au Sahara occidental sur les
qiiestioris qui lui ont etc souni~ses.
Si laCotir arrive A la const~itationque la population di] Sahara occidental est
titiilaire d~i droiti disposer d'elle-niénie. ainsi qii'il a étéreconnu par
I'hssciiiblt;~geiiéraledes Nations Unies. elle ne devrait pas poursuivre pl~is
:1va111OI]tts;li~içndes qiiestions territoriales. obiet de la requéted'avis.car cet
csaincti serait s:iiis portéeiuridique et dépourvu de tout effet pratique.
.le tiic propose d'aborder. dès niaintenant. le deusiéine point de mon
iii(crvcntioti. coiiceriiant quelques aspects des questions territoriales souiiiises

itla Cotir. D'tiiiepart. ines reiiirirques porteront sur un aspect de cequi a et&
appelé l'cassise internew de la possession immemoriale que le klaroc pretend
E~nblirsur leSahara occidental. Le deuxienie groupe de remarques concernera
quelques points de droit conventioilnel sur lesqiiels le hlaroc prétend fonderIn
recoiiiiaissaiice des liens de soiiveraiiietésrir le territoire.
D'abord. l'assise iiiterile de la pretendire possession marocaine. ;Ziapremière
reiiiarqiiiice propos ripour obiet d'eclaircirla position espagiiole ail siijet des
litiiites ni6ridionales du Royauinedu Maroc au rnonient de la colonisation par
l'Espagne d~iSahara occideiital. Cetie remarque est d'autant pltis nécessaireque le conseil du Goiivernemeni du Xlaroc. lors de son intervention dans la
matinee du 25 i~iillet.s'est adonnal'exerciceconsistant prendre acte de ce
qu'il a qualifiéde renonciation oii d'abandon de certains arguments espagnols
(ci-dessus p. 184-186). Or. la position de l'Espagne en ce qui concerne les
limites du Sud marocriin dans cette periode aétéet reste lmime. Neanmoins
pour la clarte dii dibat. il convieiit de rappeler ce qui:suit

Premièrement. nous avons soi.itcnu dans l'exposéécrit et dans nos inter-
ventions dans la phase orale qiic l'oued Draa étaitla limite historique de I'Em-
pire chérifien. Lin~ite gcneralement acceptée par les tiinoignages géo-

graphiques et cartographiqiies. et reconnue dans les documents diplomatiques
de toi~lesles annéescomprises dans la période critique. Néanmoins. eii 1895.
l'Empire chérifien a occupe l'enceinte de l'ancienne factorerie de h'lac-
kenzie O Tarfaya et. de ce fait. cap Juby est devenu entre 1895 et 1910 rerri-
toire marocain. &,laisce fait n'a rien changéau statut iuridique du pays proche
A l'enceintede Tarfaya. seul lieu sous souverainetémarocaine.
Deiixiemernent. l'examen de nombreux témoignages historiq~iesa montre
que. dans le territoire marocain entre te Sous et le Draa. ia existédurant la
périodecritique Linétatd'insoumission permanent des habitants par rapport au
pouvoir d~imakhzen. De ce fait. les padu Sous. du Noun et du Draa ont été
Linepartie dii bled siba marocain. Cela implique que bien qu'riit esiste iine
souveraineté nominale dii klriroc siir cette régionreconniic par d'riiitresEtots.
on ne peut pas admettre qii'ily a eu un exercice effectifet continti des fonctions
d'Etat dans le territoire palesaiitoritesmarocaines. Le pouvoir est resté aux
mains des cheiks. indtpendants dcfucro du pouvoir du makhzen. Ce filitn'est
contredit en rien par les dahirs de nomination comme caïds marocains que
certains cheiks ont reçus siirtout après 1886car leur pouvoir réelprovenait des
populations de la région.
Troiçiemement. nous avons soutenu que ni les autorités du makhzen a
Tarfaya entre 1895 et 1910, nilescheiks investis comme caïds dans le pays de
I'oued Noun durant toute la période critique. ni lesuns ni les autres n'ont
exercéaucun pouvoir sur les populations nomades au sud de I'oued Draa. Et
encore moins il n'ont exercé auciine autoritéchez les populations nomades du
territoire du Sahara occidental. Finalement la présence du marabout Ma el
Aïnin a Smara depuis 1898 ne constitue ,aucunement une circonstance

pouvant êtrereliéea l'autorité marocaine.etant donnélecaractère religieux de
Ma el A'ininet son indépendance du makhzen.
Telle a étéet telle est la position espagnole. Par conséquent, Ic Gou-
vernement espagnol est oblige de présenter une seule conclusion devant la
Cour relative a l'existence des liens de souveraineté de la part du Maroc au
Sahara occidental :que I'Empire chérifien durant toute la période allant de
1767à 1 910 n'avait aucun lien de souveraineté avec le territoire situéau sud
du parallèle27O 40'de latitude nord. IIn'estpas besoin d'établirde conclusion
sur l'absence des liens de souveraineté delaEmpirechérifiendurant la période
critique par rapport au territoire compris entre le parallèle précitéet I'oued
Draa. a l'exception de l'enceinte de Tarfaya.
Cette précision faite,ie ne volidrais pas suivre le conseil du Go~ivernement
marocain dans fa mime voie et parler du changement intervenu entre la
position marocaine telle qu'ellea étéprésentéedans l'exposémarocain clumois
de mars et la position soutenue lors de I'atidiencede la matinée d25 juillet. 1t
faut soiiligner tout sirnptement que le hlaroc qui se prétendait possesseur
immémorial dtrSahara occidental oii u~i Sahara occidental. c'est-i-dirc sur la
totalitédu territoire. a cherchéLinterrain de refuge dasrirépliqiie.se t~ornant334 SAHARA OCCIOENTt%L

a établir l'existence de liens de souveraineté dans « la province charnière du
Noun et celle s'étendantimmédiatement plus au sud, c'est-à-dire la Sakiet El
Hamra » (ci-dessus p. 193).
De l'avisdu Gouvernement marocain. ils'agitd'une région <<artificiellement
séparée parla colonisation )).Elle présentait «une unité tant administrative
qu'humaine )>etconstituait un <tout organique >)qui. semble-t-il. relevait de la
souveraineté marocainefibid.1.Pour arriver a ce résiiltat.leconseil du Maroc a
eu recours a un procédéque nous nous sommes vus obligésde dénoncer lors
de notre intervention du 21juillet en soulignant « que la geographie ne permet

pas un emploi équivoque pour tirer des conséquences jiiridiques )>(ci-dessus
p. 851 ,ar on ne peut admettre que dans la terminologie de l'époqueI'oued
Noun et au-delà de l'oued Noun ait signifié la régionde la Sakiet El Hamra.
A cette occasion. nous avons soutenu que si un Etat allègue qu'un sens
inusitéou exceptionnel doit être attaché a un terme geographiqiie. c'est cetEtat
qui doit établir le bien-fondé de son allégation. Néanmoins le conseil du
Gouvernement du Maroc. malgré cetteremarque. a dit que l'expression n~red
Noirilpeut êtrecomprisedans deux sens différents. D'une partun sens restrictif
que lui donne le Gouvernement espagnol. et un sens plus large et plus
conforme a la réalitéde l'espace saharien qui est celui utilisé dans les
documents de la chancellerie marocaine et dans les traités internationailx

passéspar le Maroc. Une fois encore, force est de répéterque si le Maroc
prétendattribuer a I'oued Noun un sens vraiment exceptionnel. englobant la
régionde la Sakiet El Hamra. la charge de la preuve en incombe au Maroc car
le sens géographique ordinaire du terme est tout autre et bien plus restreint.
Cependant ilconvient d'examiner les faits plus en détail. Maisau préalableil
est nécessaired'ajouter une remarque quant acette idéenouvelle de l'existence
d'un « tout organique D qui comprendrait I'ouedNoun et la Sakiet El Hamra.
Ici, la thèsemarocainese rapproche trèsnatiirellement de cellesoutenue par
la Mauritanie. On pourrait dire que nous sommes face 1 une noiivelle version
de l'idéed'ensemble :cette fois-ci. I'ensemblede I'oued Noun. La base de la

construction marocaine d'aujourd'hui est très similaire. elle debiite par l'idée
d'une continuité géographiqueque l'ondit exister entre le pays de I'ouedNoun
et la partie nord du Sahara occidental. te recours en est certes facitecaiexiste
quand mêmeune certaine proximité géographiqiie. maison oublie que le pays
du Noun est une réalité.au point de vue de la geographie. bien différentede
celle de la région qu'on veut rapprocher. Puis. on fait un pas en avant en
parlant de l'unité deshommes habitant l'espacequ'on a délimitéarbitrairement
a priori, mais une telle uniténe peut pas êtreétablie.Finalement on projette sur
ces données propres a la géopolitiquel'élémend t u pouvoir et le résultat final
est acquis : la Sakiet El Hamra et I'oued Noiin possédaient une même

administration. étaient sous un mêmepouvoir et la colonisation est venue
établ~rune frontière artificielle qu'on doit reieter pour rétablir l'unité de
I'ensemble.
Nous avons dit à propos de la thèsemauritairierine que le procédé était assez
commode. Mais oour établir des conséauences en droit il ne suffit oas
d'avancer celte iciéeconfortable des ensérnbles construits à priori, il iaut
examiner les élémentscomDosants de I'ensemble : --.nraahia.es. humains et
politiqiies:et iine foiscette analyse effectuée.le résultatdans les deux cas est le
même : le <(tout organique ». I'ensemble »,ne possède d'autre valeur que
sémantique.

II faut avouer cependant que cette idée de I'ensemble de l'oiied Noun
s'appuiesur un élément quimanque aI'ensembleniauritanien. Le Maroc. nous
dit-on. étaitle seul Etat indépendant dans te Maghreb et sa souveraineté était EXPOSEORAL DE XI.I.,\CLETA 335

reconnue itisqu'al'oued Draa. La tentation est forte. on lecomprend. d'étendre
le rayonnement du pouvoir chérifien iusqu'au cap Blanc. car autrefois ce
rayonnement englobait méme I'autre ensemble dont i'ai parlé. c'est-a-dire

l'ensemble mauritanien. Cela se passait a une date moins lointaine. celle de
1960 :si en 1975on se contente d'une extension jusqu'a laSakiet El Hainra sur
la base des mêmespreuves qu'autrefois. on peut dire qiie le passage dii temps
produit ses effets sur toute chose, rneme sur les prétentions territoriales.
Mais ie disais il y a lin momeiit q~i'ilconvient d'examiner les faits car il ne
sufit pas de ioiier sur les mots. Or les faits nous démontrent d'abord que I'on
ne peut pas parler d'une unitégéographique entre le pays de I'ouedNotin et la
régionde la Sakiet El Hamra et. deusiémement. q~i'iln'existe aucune unité
entre les populations des deux regions. Et surtout. qu'une mêmeautorité ne
s'exerçait pasdans le pays de I'ouedNoun et auSahara occidental.
Premièrement. iln'est pas difficile d'établirque. aussi bien au moment de la
colonisation espagriote qu'a toute aiitre date. le pays de I'ouedNoun étaitune
réalite géographique bien distincte de la région de la Sakiet El Hamra. Ce
point-ci a étémis en relief par iioiis lors de l'intervention de mon c<illegue,
M. Arias-Salgado, le 17juillet (ci-dessup. 47-50). Je ne crois pas nécessaire
d'insister sur un fait largement démontré.
Toutefois il convient de souligiier que la fausse unitégéographiqueque I'on
affirme aujourd'hui est dèrnentie par la cartographie qui voiis a étéprésentée

par le Gouvernement espagnol.
JI convient d'ajoiiter qiielques précisions. D'abord. que vous avez devant
vous plus de cinquante cartes '.présentéespar le Goiivernement espagnol. et
l'ensemble de ces témoignages cartographiques s'avkrc contraire a la thèse
soutenue par le Goiivernement marocain. IIest vrai certes que la cartographie
sur ta région neplait pas au Co~ivernement marocain car elle serait entachée
d'un viceprofond :elle a etc réaliséau service des menéescolonialistes. dans
un grand mouvement antimarocain qui va de la fin du Moyen Age jusqu'aux
premières annéesdu siècleüctiiel. hlais cela ne suffit pasa écarterle poids du
témoignagecartographiq~ie car. comme nous l'avons soiitenii. il est l'évidence
mêmede la conscience généralede tolites les époques.
Bref. lescartes nous montrent I'ouedNoun comme une régiongéographique
aux contours nets. L'oued Draa estcoiisidérecomme lalimite sud du pays de
I'oued Noun, et il n'existe pas une seule carte ou le pays du Noun s'étende
jusqu'a englober la Sakiet El Hamra.
On doit dire aussi que les ténioignagesdes voyageurs et des explorateurs
sont concluants sur le mêmepoint: le pays de I'oued Noitn est une entité

géographiquement distincte de la régionde la Sakiet El Hamra.
Je ne voudrais pas m'atrarder sur ce point en présentant devant la Cour
certains passages des récitsde Gatell. de Benitez,de Lenz et bien d'autres qui
ont bien connu les deux régions. Néanmoins,je voudrais me rapporter a un
voyageur français, Camille Douls, qui nous dit qu'ilarrivaaMarrakech a lafin
de son voyage :« sous la garde du caïd de I'oued Noun. au pouvoir duquel
j'étais tombé en pénétrantdans le territoire de I'oued Draa )>(Douls. <<El
Sahara occidental », Boleiiti de la Sociehrl ,qc,ogrufica de rtfudrid,
1887, p. 145).Douls nous dit aussi qu'il fallait presque dix jours de marche
fatigante pour arriver de la régionde la Sakiet El Harnra a la régionde I'oued
Noun et indique que le premier village marocain de la régionétaitEl Ksar eJ
Abid, au nord du Draa (ihid.,p. 158).

'Non reproduites, sauf cartXIV (IV ..384-3851 Deuxièmement. il n'existe aucune unité entre les pop~ilations de I'oued
Noiin et de la Sakiet El Hamra.

IIest facileadire en effet que les deux pays sont le cadre de la confédération
des Tekna. Mais la réalité esttout autre. Dans l'étudede Ferdinand de la
Chapelle sur ce groupement humain, les Tekna, il est mis en reliefque. depuis
les explorations faites par le colonel Lahure en 1888, entre le Draa et la Sakiet
El Hamra, on devait admettre que le pays des Tekna se divisait en deux
parties :au nord, lesTekna,marocains s'étendantdepuis I'ouedDraa et, au sud,
lesTekna libres qui s'étendentau sud du Draa (F.de la Chapelle. « Les Tekna »,
L'A,friql~c~,fru 193iç.up.79~1)..
Dans le pays de I'oued Noun. l'espace habité parles Tekna marucains, les
effets de la désertisationse font sentir. Mais c'estune régionde sédentaires ou

setrouvent divers villagesou k.solir.s,régionsoumise aux pouvoirs locaux, tels
que les B~yrotiket le marabout de Tazeroualt, Sidi Hischam. Mais I'espace au
sud de I'oued Draa constitue la zone désertique propreinent dite et cette zone
est habitéepar les grands nomades indépe~idants.les Tekna libres. dont le
parcours de nomadisation arrive jiisqu'a la régionde la Sakiet El l-lainra. Bref.
il s'agit d'une mêmeso~iche humaine. les lekna. niais l'espacea impose des
modes de vie bien différents. celuides sédentairesau nord de I'oiiedDraa. celui
des nomades aLisiid.
De ce fait. on ne peut pas soutenir une unitéde la poputation. rnèmeen
partant d'une souche coinmune. Coimme nous ditFerdinand de la Chapelle :

<(la confédération desTekna ne correspond a rien socialelnent parlant :
janiais tes tribus qui la composent n'ont eu d'organisation comimLine.
jamais mêmeelles nesemblent avoir fait front contre iiiiii~ême eiitienl...
on coiiçoit que nombre de voyageurs aient pu parler ((du >Tekna coninle

d'lin territoire. t.a tribu est seule une véritableent...Elle a ses chefs. sa
politique. sa clientèle. ses habitudes de nomadisation et de cultiire.
souvent ses villages propres. >>(/hi(/.p. 795.)

Les faits. au i~ioinentde la colonisationespagnole. mettent en évidencecette
rèalitè.On doit indiq~ier que ce sont les Tekna libres. les Izarguiyii~c. qui
signent avec Alvarez Pkrez les traitésde 18x6. par rapport aLiterritoire entre
I'oued Chcvika et lc cap Bojador : c'es1 le terrain de nomadisation des
Irargiiiyiiie. D'rt~itrcpart. ce sont aussi [esIzargiiiyine. les noniades libres. qui
vont s'opposer i l'établissementde la souverainetti marocaine i Tarfaya en
1895.car ces tribus avaient établi desrapports avec la factorerie de kiackenzie.
F~natcmcnt.il ne faiit pas oublier qu'on voit ces mêmesIzarguiyine signer un

pacte intertribal de 1876 avec d'aiitres tribus nomades sahariennes (ci-dcssiis
p. 1.36) et que ces Izarguiyine repotisserent en 1899 par la force des armes
le caïd Dahman Beyrouk quand il osa pénétrerdans la citadelle qu'ils possé-
daient à Dora (ci-dessus p. 66). 11surfira d'ajouter que selon la tradition les
Izarguiyine tuèrent la plupart des Marocains de l'enclave de Tarfaya qui
accompagnaient Beyrouk : parmi eux. Ben Yilali. Ben Faqak et Hadeidu. et que
les corps de ces derniers furent transportés par les Izarguiyine jusq~i'auDraa.
car ils ne voulaient pas que ces agresseurs étrangers puissent reposer dans le
territoire qui leur appartenait. Cet épisodea étt mentionné aussi par Caro
Baroja. quoique plus succinctement et sans donner les noms des XIarocains
tués.

Une remarque encore sur ce deuxienie point. On ne doit pas oublier que la
Sakiet El Hamra est la régionou nomadisent non seulement les Tekna libres
mais aussi les Regueibat. Ce seul fait, que personne ne peut nier, suffit adémontrerqu'il n'existe pau sne iinitéentre lepaysde I'ouedNoun et la région
saharienne précitéqeui s'appuiesur l'unitédesa population. Pour écarter cette
évidence,le Gouvernement du Maroc a eu recours a un argument qu'on ne
été affirmqéu'au moment de lacolonisation espagnoleilexistait unrapport dela

nonîades Regueibatdu Sahara occidental.Tekna, sans aucune distinction. et les
Or cette conclusion n'est pas exacte et les faits la contredisent. Au
XIXCsiécle,les Regueibatétaientlesvrais maîtresdu désert.etcesont lesTekna
sédentairesdu pays deI'ouedNounquiétaienttributaires desRegueibat.
Parfois, leGouvernement du Maroc semble oublier que l'Espagneest la
Puissance administranie dii territoire et de ce fait croire qu'elle manque de
témoignagesen provenancedes hommesqui habitentleSaharaoccidental.Les
affirmations faites dans l'exposemarocain ont étésoumises a la djeniaa des
Regueibatdu territoire et celle-cinous a fourni des renseignementsprécieux
sur lesrapportsentre Regueibatet habitants dupaysdeI'ouedNoun. Comme il
a étémisen évidencepar JulioCaro Barojadans un ouvrage récent acaractère
autobiographique (Los B~rrujcr.Madrid, 1972, p. 528-5291, un iiomade
saharien gardedans sa mémoiretous lesdéplacementsqu'ila faitsau cours de
sa vieet lesnomsdechacunedesannces.car lesnomadesdonnent àchacunele
nom de I'évenemen~ qui l'acaractérisée .u'ilsoit bon ou mauvais. Bref. \a
djemaa constitue une source d'informations vivantesur le passéhistoriquede
son groupe.
Le témoignage historique dehsommesdu Saharaoccidentalnousdit quedes
tributs étaient payéasux KegueibatTahalat.OuladTeleb.Oulad hlusa. Suaad.
Oulad Chej, Oulad Daud. Fogra. El-lam et d'autres fractions par Ics gens
habitant à Sabi dans I'ouedDraa cia Goutimineainsi que dans les erivirolis
d'Asa.lestributaires étant deAit hhssen. et d'autrestributs leurétaientpayes
par lesYaggout àGoulimineet à Tuesqui.au nord du Draa, par les AitMusaa
Labiaret par les Ait BaAmran.
Nous pourrions citer ainsi non moinsdequarante exemplesde tributs payés
aux Regueibai parles Tekna sédentaireshabitant au nord du Draa. dans le
Noun et mernepar destribus habitant plusau nord. dans des villagescomme
Tamanaret. Tata ouTiznit.C'estIccasdelatribu des Lamoisai.Mais.cequi est
plus significatif.c'estle faitqILScaïdsTekna mentionnésdans le document
marocain étaient aussi tributaires.
Qu'il me soitpermis unexemple - etjedemandel'iiidulgencedelaCour :le
caïd Ibrahim el Khil Benel HabibBenBeyrouk. cité dans l'annexemarocaine
no 8 (IIIp. 209).payaitun tribut de troischevaux paran aux RegueibatOulad
hlusa. Lesmembres de lafamille Beyrouk,Dahaman Ould Beyroukméine.qui
futcaïd àGoulimine,citedans lesannexes 16,18et 19présentéep sar le Maroc
(III.p.2 17 et2 19-220).payaient un tribut de plusieurschameaux charges de
sucre tous lesdeus ans a Erguibat Rrahim OuldDaud.
Cesévénements de la viesaharienne n'ontpasempêcheleconseildu Maroc
d'allirmer,lors de l'audiencetenuele 25juilletque lecaïd précitéI,brahim el
KhilBenel Habin Ben Beyrouk.etait <caïd des Regueibatnomadisant au sud
de la Sakiet El Hamra >(ci-dessusp. 203).L'aflirmationestsaugrenue. Jamais
une seule fraction des Regueibat du Sahara occidental n'a été soumise aux
caïds Tekna de l'oued Noun. Ei d'ailleurs,comme nous venons de le voir.
Ibrahim Ben Heyrciukétaittributaire des RegueibatOulad Musa habitant au
Sahara occidenial.
Ce seraitabuser de la patiencede laCour.à cestadede la procédure.que de
lui infliger la lecture de la liste des noms des dix-septcheiks desdifférentes338 SAHARA OCCIDENTAL

fractions des Regueibat qui ont nomadise danç la zone de la Sakiet El Hamra
et la zone du Draa dans la periode proche du document marocain. Mais cette
listeainsi que d'autres informations en provenance de la djemaa des Regueibat
sont a la disposition de la Cour. II suffira de dire que le caïd précité. Ibrahim
Ben Beyrouk. ne figure pas précisémentdans la liste des cheiks et qu'il n'a eu
aucun rapport avec lesdites fractions des Regueibat.

Je me suis attardé a la présentation de. certaines données a caractère
géographique ouappartenant a I'antropologie cult~irelledu Sahara occidental.
Ce sont les donnéessur lesquelles est construite l'idéed'ensemble et il faut les
exanliner pour démontrer leur inconsistance. Mais. devant une cour de justice.
les donnéespolitiq~iesfournies par les doc~imentsprésentes la Cour sont plus
importantes. Une analyse de celles-civa nous montrer qu'il n'existaitaucune
autoritémarocaine commune au pays de I'ouedNoun et au Sahara occidental.
Au moment de la colonisation espagnole. il faut admettre q~i'iln'existait
aucune autorité du makhzen dans la région de la Sakiet El Hamra. Le
Gouvernement du hlaroc conviendra que la réduite garnison du makhzen
installéeaTarfaya n'estarrivée.et encore par mer. qu'en 1895. Entre cettedate
et 1910 elle n'aexerce aucun pouvoir sur la régionavoisinante de I'oued Draa
et moins encore, plus au sud.dans la Sakiet El Hamra.
IIa quand mêmeétésoutenu que le pouvoir marocain s'étendait a la Sakiet

El Hamra. D'une part, il est difficile d'effacer le fait qu'il s'agit de cheiks du
est étonnante. car le pays de I'ouedNoun est une partie du bled siba marocain
et. comme vous vous en souviendrez. au bled siba le Sultan ne commande pas.
ilnégocie : et ledahirs des nominations ont un caractère plutôt honorifique.
Ces cheiks devenus ca'idsne sont pas en veritédes autorités marocaines. car
leur pouvoir émanede la djemaa du groupe qui les a nommes.
Or. niémesi on admet le caractere d'autorité marocaine des caïds du bled
siba. la conclusion serait identique:ils n'exerçaient auciin pouvoir a la Sakiet
El Hamra. D'une part. il est difficile d'effacer le fait qu'il s'agit du cheiks dit
pays de I'ouedNo~ln,c'est-à-direque l'airede rayonnement de leur pouvoir est
l'espacedes tribus sédentaires dugroupe Tekna. D'autre part. toutes les études
sur les trib~is de ces régions ont mis largement en évidence le fait que les
nomades n'étaientaucunement SOLIS le pouvoir des tribus sédentaires. Les

relations étaiena l'inverse:les noniades sont lestribus guerrièresdont la force
permet d'imposer le paiement de tributs aux sédentaires établisau nord de
I'oued Draa. En somme, on comprend mal que les tribus nomades qui
détenaient le pouvoir, soit les Tekna libres, soit les Regueibat. aient été
soumises a l'autoritédes caïds de l'oued Noun, les pays tributaires.
Ces conclusions généralespeuvent étreétablies enconsidérantdeux points.
Pri~no.lecadre spatial de l'autorité du cheikBeyro~ik.le grand caïd Tekna de
l'oued Noun. Ce personnage est. d'après les doc~iments présentés devantla
Cour. le mieux connu. Or. il n'existe pas un seul témoignage permettant
d'affirmer qu'il a exerce ilne autoritéquelconque au sud de I'ouedDraa o~ide
I'oued Chevika. Ainsi, Domenech Lafuente signale le fait que : « la contrée
sous l'influence de Beyrouk allait depuis la région de I'oued Noun jusqu'a
l'oued Chevika ), (A. Domenech, Ma cl Airtirr, Senor de Stiiara,p. 14, se
référanta un rapport sur la régionfait par Bouet Willaumer).
Dans une étudede 1889. parue dans la Revislu degeografia coi~icrcial.nous
pouvons constater que Habib Beyrouk avait déclare que <<son pouvoir

s'étendaitdans la zone comprise eiztrele fleuve Assaka [c'estaussi I'ouedNoun]
et Xibica bt(p. 183).
Les témoignages des voyageiirs nous informent que Gouljmine etail la
résidence dupouvoir des Beyrouk et nous connaissons aussi que. al'époque del'établissementde la factorerie de Mackenzie Beyrouk a vécuplus au sud. en
vue de maintenir des rapports avec ce point de lacote. Dans une lettre que vous
trouvez cornnie appendice 16 a I'annese 20 des Iiifoniio~ioris CI dociiiiieiirs
présentéspar leGouvernement espagnol (II. p. 128-129). lecheik Xlohanimed
Beyrouk signale quels sont les limites du pouvoir du Siiltan et aussi le sien. II
estclairement établique lecentrede son potivoir c'estla plaine de I'ouedNoun.
Dernier témoignage sur ce point. celui de Ferdinand de'la Chapelle. dans son
etiidc siir les Tekna oii il parle de la visite du comnlandant de La Mlrb~~iiie.

Rouet. qui dibarqua. en 1840. i l'embouchure dc l'oued Draa oii il eut une
entrevue avec le cheik. La Chapelle nolis dit:
(<1.erapport adresse par cet officier, 25 aoiil 1840. au ministre de la
Marine est particiilièrement iiitéressant.Sa carte perizletde déterminerles
limites des Etats des Beyrouk qui vont de I'ouedNoun a I'ouedChevika et
ne s'étendentg~iérevers l'intérieur.II parait tciiir siirtout les villages Ait
.Irncl Dinoum ...les Ait Ba Amram sont bien ses alliés. >> (F.de la
Chapelle. Brrllc~idii coi~~iftd:e I.Jriqtte,froiiçuise, p. 642.)

1% résume.le pouvoir des Beyrouk s'étendaitstir la zone proche a la cote.
entre lesdeus fleuves précitésI.'ouedNOLIIe It I'ouedChevika et. dans le ressort
de son poiivoir. seulement quelques tribus Tekiia étaientconiprises. L'autorité
de la îan~illeBeyroiik. d'ailleurs. a con~rnencEB s'éclipservers les dernières
années dii SISe siécle LI moment oii montait I'infliience du pouvoir '
maraboutique des Ahel Ma el Aïnin.
SLJCIIII~lOes, limites du pouvoir des caïds Tekna peuvent êtreétablies d'après
I'esamen des documents qui vous ont étéprésentes par le Gouvernement
niarocain lui-même.hlon collègiie.XI.Arias-Salgado. lors de l'audiencetenue

le 18juillet. a analyséles dahirs de nomination des caïds et. apres leur examen.
nous espéronsavoir démoniréqu'auciine de ces nomii-iaiionsne se référaient a
la régionde la Sakiet El Hamra oii B tout aiitre point du Sahara occidental.
mais au contraire, au bled siba marocain. au nord de I'oued Draa. Nous
pouvons arriver la mêmeconclusion en nous rapportant a ce que l'exposé
écritmarocain (Il 1,p. 184)appelle la correspondance officielleadressée parle
Sultan a ses représentants locaux ».J'essaierai dëtre aussi bref que possible,
mais les points qui suivent doivent êtreretenus.
Premièrement, les documents marocains des annexes 16. 17, 18, 19 et 20
(III,p. 217-2201 sont adresses li Brahim Ben Ali Ben Mohammed el Tecni
(annexe 171, a Dahmane Ben Beyrouk(annexes 16, 18el 191et a Mohammed
el Amine Ben Abdallah el Tecni (annexe 201.Ils ne mentionnent aucunement
la Sakiet El Hamra et, par contre, ilsse réfèrenta I'oued Noun. Tel est le cas
aussi desannexes 58 ha, 59, 59 bis(p. 323-327).concernant également le pays
de I'ouedNoun. Les annexes 58 (p. 322)et 23 (p. 222)se rapportent a Tarfaya
apres son occupation par le makhzen. La dernière fait étatde la solde de six

sentinelles de la garnison de Tarfaya ;ce lieu est mentionne aussicians les
annexes 71, 72. 78, 79 et 191 (p. 343-344. 352-353 et 4911,
Deuxièmement, les annexes 72 bis,73, 74, 75. 76 et 77 (p. 345-3511
concernent la famille des Beyrouk. caïds a I'oued Noun. et elles se rapportent
h des raits et a des personnes de cette region. II y ü lieu de signaler qiie
le docitment de l'annexe 77. ;ldressk I3üiiiian fleyroiik. parle clu port
d'<el Beida n. Or. ce port. appele aussi Marsa el Beida.sc tro~tvaitsur la côte
de Tarrayü. Cc fait est confirméaussi par le doclilnent figurancomnze appen-
dice 16 i l'annexe 20 des documents espagnols (11% p. 128-129).
Finaleniciit. lors de son interventioI'audieiiccteii~icl25 juilletleconseil
du X.laroc a cile l'ordre royal du 14 avril 1863. en affirniant qiie cettedisposition reconniiit que I'oued Noun est marocain et qu'il s'étendjusqii'au
cap Blanc.Mais ily a lieude rappeler que l'ordonnance royaledu 27 septembre
1863coiicernant les transactions conlmerciales entre lesilesCanaries et la cote
de l'Afrique. entre le cap Noun et le cap Blanc. dément ce fait. car ily est
aîfirméque cette régionde la côte a comme limite « au nord. I'Etat marocain
[capNoun]et. au sud. la coloniefrançaisedu Sénéga[lcap Blanc] >(11.annexe 15.
p. 87-85).
Moiîsieiir le Président.h,Iessieurs les membres de la Coiir. je ne veux pas

abuser de votre bienveillance en poursuivant pl~isavant l'examen des données
se rapportant Bcette idéed'un (1tout organique »du pays de I'ouedNoun et de
la régionsaharienne de la Sükiet El Hamra. L'analyse A laquelleje viens de me
livrera mis en relief qu'aucun pouvoir marocain ne s'étendait plusati sud de
I'ouedDraa.
Je doisavouer qu'i l'agitd'une conclusion qiiia ete exprimk par d'autres
Etats dans le passé.comme c'étaitlecas de la Grande-Bretagne au XIXcsiècle
et a~isside la Francea une date plus proche. En fait. on ne doit pas oublier qu'a
la séance tenue le 15 novembre 1960 par la Première Coinmission de
l'Assembléegénéraledes Nations Unies sur le probléniede la Mauritanie le
représentant dela France. hl. Bérard.fit un examen des limites méridionales
du Maroc par rapport atix argunients d'ordre géographique. historique.
ethnographique, juridique et politique avancés a cette occasion-la par le
représentantdu Maroc. IIen a conclu que :

<<En considérant l'histoire des confins moroco-mauritaniens. on en
arrive donc à la conclusion que la souverainetéde I'Etat marocain. telle
qu'elle aurait pu s'exprimer par la nomination d'administrateurs, la
perception d'impôts et des dimes coraniques oii par la rècitation de la
prièreau nom du Sultan. ne s'estjainais étenduede niaiiièreeffective et
durable a une portion quelconqiie d~iterritoire sitiic au-delà de l'oued
Draa. >>(A/C. I/PV. 1109. p. 47.)

Cette conclusion que les Nations Unies ont acceptée par rapport à la
Xlauritanie. ne saurait étredénieiitieen ce qui concerne lin autre territoire
arabe qui désireesprinier son droit a disposer de lui-mime. le territoire du
Sahara occidental.

L'aitdie~rc.es.tspe~rdurà II /110, c.st repriseùII II40

kloiisieur le Président. Xlessie~irsles membres de la Cour. me trouvant
devant vous encore une fois. je dois d'abord. avec votre permission répondre.
au noin du Gouvernement espagnol. a la question que S. Exc. le juge Ruda
nous avait poséeà lafin de l'audience du 21 juillet (ci-dessus p.1I1).Je me
permets de lire, dans son texte original, ladite question:

<<On 23 klay 1975. the Spaiiish Cabinet met in h*ladrid Linder the
presidency of the Head of the State. After the meeting a conimuniq~iéwas
made public on the same driy. The q~testion I wish to put for the
consideration of the Spailish delegation in relation to this coinn~uniquc is
the rollowing :what is the meaniiîg and the scope of the corni~~uniq~io ef
23 Xlay 3975. in particular paragraphs 3 and 5 in relation to the present
proceedings ? )) La réponse est lu stii~ante: 1-c coiniiiiiti~qiib rendu piiblic par le
C;ouverneiiicni espagnol. le 23 iiiai. fiir dévcloppl: ci prccise daiis la 1eiti.ede la
niëii~e date. adrcsséc aii Sccr6taire gi.tii.ral des Natioiis Uriics par le
représentant permaneiit d'Espagne :iliprtiç de cette Orgaiiisütion Idoc.

il/10095) : iln'avait pour objet qitc dc mettre en rclicfla siitiatioii crécepar les
incidents qiii ont eii lieu daiis Ic rci-ritoirc. causes par des i.lfnicnts vcniis des
pays limitrophes. Ce qiii rcvieiil lidirc que Ics niesiires appropriées ii'avaieiir
pas étéadoptees par ces Etats. qiii etaient ci soiii spi.cialciiictit obligés
niaintenir la pais. ceci ctant le devoir priiiiordiiil qiic IIICharte des Nations
Unies iiiiposc ii [OLISles hlenibrer.

Pour ces raisons. fe Go~iverticiiieiit cspagiiol a aitire I'atteiitioii des Nations
Unies sur la détérioration dc la sitiilition daiis Ic territoire. coniiiie il est
souligne daiis la lettre prccitec adresseca LI Sccretairc gi.iicrnl de Iûrganisatioti.
011 y spécifie les iiitcntioiis di] Coiivcri~enicnt csp;igiiol. cxposecs dans le
coniniiiniqiié de la iiieiiie dritc. oii ild6cl:irc iiotaiiitiiciiqii'il reiid plibliqiie sa

décisionde tiiettre fiil sa prCscnccsiir le territoire. niais daiis litfcriiic \*olonte
qii'il ne se produise aiictin vide dc po~ivoir. tl cet effet. ct afïii qiie la
respoiisabilité de la Piiissaiicc adiiiiiiistr:~iiic iic s'aggriivc davantage. ils'efforce
a ce qiie tesparties iiit6rcssl;cs prciiiicilt Icui's rcspoiisabilitbs ci1les iiivitaiit iise
rekinir dalis iine coiifkreiice. soi1dircctciiicrit. soit soiis les;iiispiccs dcç Natioiis
Uiiies. potir rendre possible le dkroiilciiiciit pacifjqiic dii prot'cssiis de

d~colonisation.
Par coiiséqueiit. le coiiiiniiiiiqiiC dii C;oiivcriieiiiciil espaytiol cl la lettre dii
23 niai adresskc ails Nations Unies aiii coiiiiiie sciilc fiil d'liariiioiiiscr. d'iirie
part. le processiis de dkcciloiiisaii«ii cil coiirs soiis Ics iiiispiccs des Natioiis
Uiiies. doiit I'esprcssioii In plus evidei~tc cst lit ph~tscnctiicllc qui SC déroiile

devant cette COLI^ e.t. d3i1trc part. I'obligaiioii qiii iticoiiibc ious les Xleiiibres
des Nations Uiiies dc tiiaiiitciiii. tu puis. cl qui. daiis le cils pi-Cscnt.s'iiiipose
pliis forteiiiciit aux pays liiiiitroplics dii Siihai-ii occidciital. à coiisc de letir
dotiblc coiiditioii d'ritats h~leiiibrcsdcs Natioils Uiiics et d'tltats iiiil:i-essk la
dFcoloiiisation di1 territoire.

Afiii d'avoir la ccrtitiide qiie ce biit soit aitciiit. le Goiiveriicniciit espiigiiol ii
déji adressétiiie deiiiaiide a11Sccri't:iirc giiih-31 dei; i\'aticiiis Liiiics pour qti'il
eiivoie tiiirepréseiitriiit dails Ic tci-riioire qtii priissct'iiifoi-iiici' siii- I'cvol~itioii de
la sitiiatioii. D'autre part. le Coiivcriiciiieni csp:igiiol sercserve le droit d'attirer
l'attention du Cotiseil de sCciiritC. si la dbt~i.ior;ilioii de I;i sii\intioii dans cette

zone coiiscillait son iiiterveiition. rfin d'adopter Ics iiicsrii'cs opporiiiiies potir y
niaiiltenir et preservcr Iü pais et la 1;Ccuritci.
Ceci implique donc un ensemble de mesures prévisibles pour que le
processus dkolonisaieur puisse etre menc a boii terme et pour empécherqu'il
ne soit perturbé par des voies de rait eti marge de la Charte des Nations

Unies.
1.acoiidiiite diiCoiiveriieiiictit csp~igiioldcvaiil Iii Cotir iiirinifeste savoloiit~
de cooperatioii avec I'Orgaiiisatiaii et ceci iiialgrc sii coiivictioii qiic la dciiiaiide
düvis consiiltaiir par 1'~~sseiiibli'egeiici.nlc pi-oloiigcrnit iit;cessnii'eti~ciit Io
prbsenceespagnole daiis le territoirc et Ics ~'~ispoiisnbilirescil di'c~i~lai~t ri1 t;iiit

que Piiissancc adiiiiiiistratile.
Fiiialenieiit. le coiiiniiiiiiqiit;dii Coiivcriiciiiciit csp;igiial et la lettre ail
Secrétairegeiiéral des Natioiis Uiiies. dritcc dii 23 iii:ioiit eté1.l:digi.scil teiiaiit
cotiipte di1 hit qite cette COLII.;illait p~i~isuivt~~ I'c>.\;iiiic~ide In pi-L;scittealfaire.
Par coiiséqiieiit. Ic Goiiveriiciiient cspagiiol ti'a iiiilleiiiciii vriiiliicrt-er iitie

situatioii stisceptiblc d'enti-avei-le cours de cetic pi,ocCdiiic oii de la 1-ctidrcsails
objet.342 S,\II:\RA OCCIDENTAL

Monsieur le President. Messieurs les membres de la Cour, je me propose
d'aborder maintenant le deuxième point auquel je m'étais référéau

commencement de mon intervention, c'est-a-dire nos remarques concernant
quelques points par rapport au droit conventionnel sur lequel le Maroc se croit
fondé a affirmer la reconnaissance internationale de prétendus liens de
souverainetésur le territoire.
Sur ce deuxième point, j'essaierai d'être asseb zref, car si on ne peut pas
admettre l'existence des liens de souveraineté entre le Maroc et le Sahara
occideiital. et ce fait ii'a pas etc adniis par d'autres Etats. il est bien difficile
d'admettre q~i'il ait pli esister iine reconiiaissai~ce internalionale de la
soiiverainetémarocaine.
D'abord. je voiidrais faire q~ielquesreinarques ati sujet du traite que nous
avons signale coiiinie iiiarqiiaiit le poinl oii devait s'ouvrir la période
critique )>.largeiiieiii coiiiprise. c'est-%dire le trait6 de hlarrakech d28 niai

1767.
Une fois encore. le Maroc fait état d'un désaccord sur l'interprétationdudit
traité,quoique le désaccord soit placédans l'optique d'une divergence entre
les versions françaises du texte arabe du traité présentées parle Maroc et par
nous.
On oiiblic que leplitriliiiguisiue d'un traite. comme ila étébien signalépar la
Coiiiiiiission dii droit internatioiial. parfois ne constit~iepas iiiie difficultéails
fiilsd'interprétation.inais to~itau contraire.kiiavantage. Les teriiles. dans les
diverses lai~giics.reitdeitt possibles darrivea.tiite interprétation adéquatede la
voloiit~des Etats. quoique chaque ternie. dans sa propre langue. corresponde à
des dotiiiéesstr~ict~irellesdistinctes.
Tel estle cas siir le niot arabeulikcinret leniot espagndoiiiiiiiosal'article18
du traité. Poiir interpréter le ternie arabe. noiis avons eu recours à
I'Eircj~clopc~ddcI'ls1~11~vo.l~iiiieI. page 265. oii voiis trouvez une étudeassez

reiiiarq~iablesiir ce ternie arabe. Le coriseil du X,laroc.par contre, écarte tout
recoiirs 5 l'idéegénérale de poiivoir. juridiction ou souverainelé. vous
proposatit dc dire qiie ce ternie exprinie « iine idéedynamique ». c'est-à-dire
qii'on lie peiit pas courir aprèsles noinades polir leur appliquer lesdlcisions. Je
me référeà la page 217 ci-dessus.
L'idkc.certes. est trèsiiigenieiise. niais assez diffic5ladmettre car etle va à
l'eiicoiitre du sens du ternie dans le teste espagiiol d~i traité. tout aiissi
auihentiqiic. Elle es1deiiieiitie par les dociinieiits se rapportant audit traité et.
fiiialeiiieiit. la coiiduiie du X,iaroc dans le pays du Noun suffit rejeter
I'esplicatioiidonnéepar te conseil iiiarocain.
Cette coiicliision es1 difficile a écarter. Le coiiseil d~iGoiiveriienient du
Xlaroc seiiible I'avo~iercat-ilvoiis propose de s'en tenir a une interprétation
restreinte du traitk. d'après laq~ielle on lie présunie pas une absence de
souveraineté de la part di1 Maroc (ci-dessus p. 214). Ici, le conseil du
Goiivei-iieiiieiiiiiiarocaiii est en coiitradiction avec tui-iiiêii~e~iipeu plus

loin on lit qiie l'article 18 lSC rapporte pas i 111problctiic de déliiiiitatioii
territoriale. niais que cet article fait partied'iiiitraité de paix et d'amitié.
org;tiiisaiit notaninient les rapporis coiiiiiierciaiix ciitre deux Etals. Mais. en
marge de cette contradiction. on ne peut pas admettre le principe d'inter-
prétation avancé car l'idéecentrale, force est de le répéter.est celle de la
conciliation des deux textes. cette conciliation permettant d'assurer l'unité du
traitéet la volontécommune des parties.
Qii'ilnie soit perniis iiiie t-eniai-quehistoriqiie siIr le rei~iplacenieiitdu iiiot
doiiiaiiies>>par celiii de «souveraineté >> dans Ics versions françaises des
trait& conclus eiili-cl'Espagneet lehlaroc aii NVIIIcsiècle. L'origine parait se trouver dans la collection de Martens. En effet, le traité du ICr mars 1799 est

publie dans le tome III du S~~ppld~~li 111rC,CIICV'I II'LI~I~Goitingen, 1807,
p. 132 el suiv.) dans son texte espagnol, mais celui-ci esi accompagne d'une
<<traduction privée» en français, et a l'articl22 du traitéon peut lire, au sujet
du pays au-delà de I'ouedNoun, que c<Sa Majestémarocaine ne possède pasla
souveraineté >> D.'ailleurs. l'articlepremier de ce traité de 1799 confirme le
traitéde l'an 1767.
L'ensemble coiiventioniiel coiiccrnant les natirrages 5 I'o~iedNoun n'en
souffre pas moins de I'inierpreta1ion doiinée par le conseil du Maroc. II a
soutenu. d'une part. que ces claiises peuvent étre coniprises conime c(des
mesures préventives adaptéesa la sitiiation partic~ilière ,>du hfaroc. d'autre
part,que les clauses sont sans portéejuridique pour deterrniner les limites

du sud marocaiii car « la souveraineté sur un territoire n'entraîne pas tou-
jours la responsabilité pour les actes illicites commis sur le territoire ». Et,
surtout, l'examen des clauses des naufragésa permis au conseil di1hfaroc de
parler,a plusieurs reprises, comme d'une seule entitéde I'oued Noiin et du
Sahara.
Ce dernier point a déjhetc cxantiné et je ne ine propose pas d'y insister.
Tolitefois. qu'il nie soitperniis de dire qu'ilest difficiled'adniettrc leprincipe de
base dont procède l'interprétationde conventions siir les nriiifrages cle l'oued
h'o~in.Dans sa décisionde 1928, dans l'affairede I'llc~~ Pulriios.l'arbitre h4ax
Fltiber a dit très nettement que:

La souverainet6 ierrilorialc ne peiti se linlitcr à sonaspect négatif.
c'est-à-direatifaitd'exclure lesnctivites des autres Etats:car c'estelle qui

sert à repartir entre les nations I'espaccsur lequel se deptoient les activités
humaines. afin de letir assurer eil tous lieiis Ic miniiiium de prolectioii
que le droit international doit garantir. » (Rcilt~cgc;~',iL;r.(u l/edroit
iriteriiatio~rupltrhl1935, p. 164-165.)

Bref. c'estsur l'aspect dit positif de la souvcraiiieté territoriale que repose
I'ei-isernbldes normes diidroit iniernatioiial. et eri particulier cellescoilcernant
la responsabilitéinternationale de I'Etat. Le droit international part de l'idee
qtie.t<sur son territoire. I'Etatesercc. eii principe.I'cgardde tous. son actioii
législative.réglementaire, administrative, juridictionnelle, coercitive >).C'est-
a-dire « qu'en principe et sous réserve des précisions nécessaires.1'Etatest
responsable de ce qui se passe sur son ierritoire »(Jules Basdevant. R~~circd

cours de I',-fcade'tnidee droit in~enzatioiialde La Haye.t.58. p. 619 et 623).
La question que iious avons poséeen vue de I'interpretation de ces clauses
reste sans réponse :pourquoi Ctablirdans des traites internatioiia~ix un rkgiilie
spécial pour les naufragés a I'oiied Nouii. réginie oii les obliga~ions du
makhzen sont bien différentesde celles assumées pour le reste des cotes de
I'Enipire ? Si la clause a étéinsérkcdans les traites. et nous avons présente
routes les claiises sur ce point. et pas seulenient celle d~itraité de 1799. la
conclusion en est que tout au long du XVlllc et du XlX' siècle le Sultan
n'eserçait pas son autoritéd'uiie niaiiiere erfectivc au pays de t'oued Noun. Et
on peut en déduire qu'au-delà de I'oiied Draa. dans le monde des arabes
noniades. il n'exerçait aucune juridiction.
Je ne nie propose pas déxaniiner l'interprétaiion qui a étéfaite du traite

entre la Grande-Bretagne et l'Empire chérifien, du 13 mars 1895. La
conclusion que nous avons établie, lorsde l'audience tenue le 21juillet, n'a pas
étémodifiéeaprès l'examen qu'en a fait le conseil du Maroc dans sa réplique
(ci-dessus p. 225-229.) Nous avons soutenu en effet que, quant au Maroc, la344 SAI1ARA OCCIDENTAL

clause concernant Tarfaya était un puprr rloir~l,car le makhzen n'exerçait
auctine souveraineté au prealable et qu'après 1895 aucune souverainetén'aété
exercéesur la totalitédu territoire entre l'oued Draa et cap Bojador <<ainsi que
celles ail-dessus>furidull îlre luridsbcliinil).
Le conseil di1 Gouveri~ement du hlaroc a adniis le principe de base sur
lequel nous avons appuyé cette conclusion. c'est-&dire qu'ilfalit établir les
titres de souveraineté et en déniontrer la validité pour affirnier une
so~iverainetépréexistante. Or. le conseil du Gouverneinent marocain s'est
adonne i l'exercicede faire application de ces principes pour cequi est dcs titres
espagnols. en oubli an^ que ces titres ne sont pas mis eii question devant la
Cour. car le problème qui nous intéresse est l'existence des liens de

souveraineté dii hlaroc et de la h,iatiritanie sur le Sahara occidental. au
moment dc la'colonisatioii espagnole.
Par conséquent.cette démarcheintellectuelle n'aboutit à rien de ce côte. sauf
a niettre en relief. pour ce qui est du hlaroc. l'exactitude de l'affirmation
espagnole.
J'arrivei la fin de mes remarques sur le droit conventionnel. Mais. bien que
ce soit inimaginable après notre intervention du 21 j~iillet. force est de se
referer. j'espere polir la dernièrfois.au fanieus trait%ou protocole de 1900
que I'onpeut bien appeler <<le traite Mitjan)).
Quelq~res remarques preliininaires s'imposent. Prilno. le conseil du
Go~ivernenientdu hlaroc a parle d'lincompte rendu de la négociationhispano-
marocaine engagéeen 1900 a Marrakech. compte rendu qui est doline par

Rafael hlitjana. secrétairde la délégationespagnole. L'affirniation estoséecar
le compte rendu d'iiiie négociatioiiest quelque chose de bien diffkrent d'un
passage d'un ouvrage. Sec~i~idoj.e prie le conseil du hlaroc de bien voiiloir
m'exc~isersi j'ai mal compris ce mot. II a dit de façon plutôt impréciseque
<(l'existence de cet ouvrage ayant tté contestée.nous l'avons retrouvé » (ci-
dessus p. 232). A ce point de son exposé,vous vous souvenez, Monsieur le
Président.h4essieiirs les membres de la Cour. le distinguéconseil du Maroc a
montre a tout le nîonde quelques pages. eii vous disant qu'il s'agissait du
fanletix document. On doit convenir que cette phase orale arrivait üii moment
de son plus grand intérêtc .'étaitle nioment de la réalité. etcomine dans les
pièces a intrigues la véritéallait resplendir, le texte du prétendu traitéallait
apparaitre.

Alors. hilonsieur le Président.h'iessieursles meinbres de la Cour. voiis avez
demandéail conseil du hlaroc si le document que I'onvenait de citer ttait du
domaine public. la réponsefut qu'il s'agissaitd'un ouvrage publiéen espagnol
oii hl. Mitjana racontait. bien sliri sa façon. le déroulement et le resiiltat.
d'après lui. des négociations. On peut dire que I'intérétdi1 moment était
brusquement tombc.
Mais qu'il me soit permis de dire que la démarcheeffectuéepar leconseil du
hlaroc a été absolument inutile. Si le representant d'un Etat devant la Cour
internationale de Justice aflirme carrément qii'il n'existe aucun traité ou
protocole en date du 20juin 1900 entre son pays et le Maroc. le inoins que I'on
puisse penser estque le représentantdc cet Etat a demande les renseignements
nécessairespour établir cette conclusion devant la Cour. Tel a étéle cas lors de

notre intervention du 21juillet. En effet.je suis en mesure d'inforiner la Cour
de deux documents qui ont une plus grande valeur que l'o~ivragede Mitjana.
doctiments se trouvant au dossier no 94 des archives de la Présidence du
Co~ivernement espagnol. section du ministère d'Etat. II s'agit d'~inepart du
klemoire relatif a mon ambassade extraordinaire atipres du sultan Moulay
Abd el Aziz H, adressé S. Exc. le marquis de Agiiilar de Campo. ministre ESPOSC ORAL DE XI.LACLETA
345

d'Etat. signé a Tanger le 2 aout 1900. Ce dociinlent fail état de toute la
négociationet de ses rcsultats. IIest la disposition de la Cour.
Le de~ixiémedocument est le rapport de la sectioti politique du niinistere
d'Etat en date di28 aoiit 1900 oii est examine le menioire de la!iegoci:ition de
M. Ojeda. IIest aussi i la disposition de la Cour.
hlais ces docunients étaiitdes originaux et n'ayant pas Etcprésentesdevant
la Cour. je ne procéderai i aucune citation de leur contenu. Toiitefois titre
d'information ala Cour. qli'iliiie soit permis de dire que les instructions pour
l'ambassade de ki. Ojeda se rapportaient à quatre points. le troisiènii: étant
l'exécutiondu traiie de Tétouan de 1860 concernant l'emplacement de Sania
Cruz de Mar PequeÏia. Je puis indiquer aussi qu'au cours de la négociation
M. Ojeda a reçu des instructions en vue de proposer au Maroc, évidemment
dans le cas OU le Gouvernement chkrifien acquiescerait. que l'exécutionde la
clause du traitéde Tétouan soit abandonnée si le hlaroc était disposé a céder a
t'Espagne le lieu de Tarfaya.
Le conseil du Gouvernement marocain a citéla page 227 de l'ouvrage de
hlitjanaet aussi le document de l'annexe 37 bis fourni par le Maroc. Dans tes
deux cas. il est fait référencea Tarfay;dans le premier d'une façon imprécise,

et dans l'annexe 37 bis([Il, p.274-275) en parlant expressémentde la côte de
: Tarfaya.
D'ailleursce fait a kt6mis en relief lors de notre intervention 2I juitlet (ci-
dessus p. 78-110).
D'autre part. nous avoiis vérifiét'acte di1coiigrésdes dèpiitEsespagnols du
7 décembre 1900 et nolis n'y avons trouve aucun fondeiiient qui puisse
appuyer la thèse inarocaine.
II n'est pas nécessairede iious poser une fois encore la méinequestion que
les représentantsde la h*lauritrinet de I'Espagiiese sont posce :s'ilesistait Lin
traité,pourquoi le Marocqui en devrait êtrel'unedes parties. se contente-t-il de
référencesindirectes ei ne présente-1-ilpasdevant laCour le texte dudii iraite?
1-aquestion. on doit en coiivcnir. est purenient rhetoriqite car il est diflicilede
Lire état de quelque chose qiii n'esiste pas.
Je voudrais passer maintenant au troisieme point de nies remarques au sujet
des qiiesrions territoriales souniisasla Cour. II s'agit de la these centrale du

Gouvernement de la hlaiiriiaiiie qiii prétendqii'au moment de la colonisation
espagnole il existait iiiie entité: I'ensenible mauritanien oii ensemble
chinguittien. dans laqiielle dait comprise la partie sud du territoire du Sahara
occidental ;et de ce rai[. toitt iiatiirellement. il prétend qu'il existait des liens
juridiques entre ce territoire el letlit enseinble mauritanien oii chinguittien.
Lors de notre intervention à l'audience tenue le 22 juillet (ci-dessus p. 112-
139). nous avons mis en relief les trois postulats sur lesquels s'étayela thèse
inauritanienne. a savoir qu'il existe une identité eiitre ledit ensemble
mauritanien et le Kilad Chiiiguiti. deuxièmement que cette entité constituait
l'expression des liens de tolite sort:géographiques. huiiiains. économiques.
juridiques et politiqiics. aLipoint qu'on pourrait soiiienir la coiicl~isionque.
tout en n'étant pas un Etat ait sens ordinaire dii terme pour Ic droit
international, l'ensemble mauritanien traduisait une souveraineté des éléments
composanr ladite entité. Enfin, troisieme point. que le Sahara occidental
comme je le disais il y a un instaiil. ne possédaitaucune identitéet ne formait
aucune entitépropre.
En vérité.la conclusioii finale de la thèse mauritanienne ainsi qiie de ses
trois postiilats est assez difficiladmettre. Xrlaisla nier. semble-!-il. est lin

péchébien grave.
En effet. le conseil de la hlaui.itliiiaepliisieurs reprises. nous rtdrr:sseLin346 SAHARA OCCIDENTAL

avertissement solennel : nier la réalitédes autres. surtout si cette realité
appartient à un cercleculturel non-européen. traduit I'ideede superioritéd'une
civilisation ou d'un systkme social. tl a étéditque cette négationconstituait du
racisme et que partant on serait préta justifier les génocides perpétrés aux
sièclespasses. II s'agit bien entendu cette fois d'une remarque courtoise. mais
malgrécela nous ne pouvons pas la passer sous silence.
D'iine part. si on acceptait la valeur de cet avertissement les termes de nos
débats seraienttrop simplifiéscar il suffirait de simples affirmations a contenu
ideotogiqrre.sans qu'il soit nécessaired'examiner tesfaits et les points de droit.
D'üiitre part. cette démarche intellectuelle constitue bien un a-priori car elle
suppose l'existenced'une réalité qui doit êtreadmise sans autre preuve. par un
acte de foi.
La thèse ma~iritanieniie nous pose d'abord Lin problème de méthode. II

faudrait convenir pour l'admettreque la sociologiea une empriseabsolue sur le
droit. Bref. qu'il suffit de faire étatde quelques donnéesextérieuresail droit
pour établirune réalité juridique. Qu'il me soit permis. avant de continuer. de
fairequelquesremarques sur l'originedesexpressionseiisei~îble~~roiiri~oirieeitr
e~iseniblechiriguii~ieiiet sur son contenu.
D'abord si vous vous rapportez aux étudessur l'histoirede la hlaiiritanie OLJ
l'histoiredu Sahara occidental. il est étonnantde constater q~i'aiicunemention
n'est faite de ces deux expressions. Pour ce qui est de li.tisetnblct~lailriiatii~ii.
elle est assez récente.Au moins cette conclusion peut être tirée del'explication
fournie par le conseil de la'klauritanie lors de l'audiencetenue le 28 juillet (ci-
dessus p. 269-2701, Si nous étions en 1974. et au moment du débat de la
résolution3292 (SXIX). on pourrait parler d'Lintrtnpore sirspecto. On est tente
de se demander sicette expression a pu êtrechoisie pour en faire Linvètement
de confection aux fins de la présente affaire.En effet. la notion d'ensemble
mauritanien n'a pas d'antécédentsdans les déclarations antérieures de la

Mauritanie aux Nations Unies. Elle ne fut pas employée non plus lors des
débatsde 1960 sur le probleme de la Mauritanie.
Deuxièmement. tout en avançant cette idéeen 1974. la Mauritanie a voulu
établir une identité entre lkiiseillble iiialrrituirietr et une autre expression :
li.iiscirtblc chiirg~lirtierl.Par ce truchement. il était plus aise d'aller à la
recherche dii temps perdu. voire de trouver un point d'appui se rapprochant du
moment de la colonisation espagnole au Sahara occidental. Mais l'identitéa
laquelle nous venons de nous referer ne repose pas sur des faits. Le Bilad
Chinguiti certes est ilne expression sur laquelle on peut se reporter a des
ouvrages du XVIIIe siècleet mêmea des périodesantérieures. mais le fait
essentiel est qu'elle possédaitun cadre spatial bien limité : le monde des
sédentaires de l'Adrar et. plus particulièrement. les villages des tribus
maraboutiques. En résumé.le BiladChinguiti <<réalitéculturelle >ne peut pas
s'étendre à toute la partie occidentale de l'Afrique ou si l'on veut a « cet
ensemble saharien qui s'étenddes frontièressud du Maroc au fleuveSénégae lt

de l'Atlantique a Telemsi »(Nations Unies. doc. A/PV.225 1.p. 76).
Troisiérnement,cette dernière phrase du ministre des affaires étrangères de
la Mauritanie est pleine d'intérêctar il est fait allusion à une autre expression.
I'ensemblesaharien. aussi identifiéavec le BiladChinguiti. La limite nord de ce
nouvel ensemble se trouverait dans les frontièressud du Maroc. Or. force est
de leconstater. il n'ya aucune coïncidence entre l'ensemblesaharien et la limite
qu'on prétend aujourd'hui attribuer a liensemble mauritanien.
D'aille~irsn peutse poser cettequestion :sil'idéemaitressede l'ensemblesaha-
rien est. parmi d'autres données.la vie nomade. pourquoi exclut-on a~ijour-
d'hui la zone de la Sakiet El Hamra. qui forme iine partie non controversce EXPOSE ORAL DE LI.LACLETA 347

du monde saharien ? 11aurait étéplus logique pour la Xlauritanie elle-mêmede
parler du inonde saharien occidental dans sa totalité car les Tekna libres
nomadisaient au siid de l'oued Draa et les Regueibat de la Sakiet sont bien des
Sahariens. Pourquoi introduire une ligne artificielle daris ce monde saharien
qui. bien qu'ellne soit pas encore décidéed.evrait. semble-t-il.êtretracéeentre
la partie sud de la Sakiet El Hamra et lecap Bojador ?On levoit. ce ne sont pas
exct~isivemrnt les fronticres ct.iloriiales anciennes qui polirraient diviser
artificiellement les peuples.
Finalement il existe encore une autre contradiction dans ce jeu des
ensembles. Lors de son intervention a la Quatrième Commission a 1:ivingt-
neuvième session de l'Assemblée générald ees Nations Unies, le représentant
permanent de la Mauritanie aux Nations Unies a fait référenceau Rilud
Sl~iriglrifidentifiant cette expressiavec les émiratsdu Trana, du Brakna,
du Tagant et de l'Adrar. Mais il est étonnant de constater qu'il a i.tédit :

<<Ces émirats, dont les domaines constituaient l'ensemble mauritanien )>
(doc. AlC.4lSR.2117, p. 37). Vous trouverez d'ailleurs toutes ces références
au compterendu de l'audiencedu 28juillet (ci-dessup. 269-2701.
Cette notion d'ensemble est vrainient élastique. Parfois. on identifie une
r6alitéculturelle limitéedans l'espace et dans le temps. c'est-à-dire le Bilad
Chingiiiti. a une entité aux contours plus larges: letisei?ible i?iul~rirui~i~ii.
D'autres fois. le BiladChingiiiti est identifie à une réalitéplus restreinte: les
émirats.au risque de faire disparaitre les tribus et les confedératiode tribus.
Finalement. le Bilad Ching~iitiest identifii~l'eiiseriiblesul~ariei~et dans ce cas
[es liniites sont étendues pour comprendre tout l'espacede la vie noniade au
sud de l'oued Draa. Mais cette dernière position contredit les liniitcs
aiijo~ird'huiadmises par la Ma~iriiaiiieelle-mêmee .xcluant la Sakiet El Hanira.
Lc moins qu'on puisse dirc c'est que l'idéede I'cnsemblc. tout cri etaiit
rcccnte. a fait preuve d'une grande souplesse. Elle est donc une notion
equivoqite et on peut bien ~iarler du monde fabuleux de I'cnsemble

mauritanien.
Leconseil du Gouvernement de la h4auritanie. lorsde son intervention de la
matinéedu 28 juillet. a fait rkference au hit que nous n'avons rien répondu
quant aux liens qu'on prétend exister a l'intérieude l'ensemblemauritanien. II
s'agit. semble-t-il. des liens religicus. cultiirels. linguistiques. econoniiqiies.
politiqiies et juridiques qui donnent la cohésionà Iénsemble.
D'abord. il est difficile de comprendre ce grief ou de supposer notre
acceptation. car la position espagnole est et reste assez ne:tnous ne pouvons
pas souscrire a l'idéeq~i'ilexistait tin ensenible mauritanien. voire Linensemble
chiriguittien. au moment de la colonisation du territoire du Sahara occidental.
Et nous ii'acceptons pas non plus que les habitants du Sahara occidental
auraient rait partie de cet ensemble. D'ailleurs. nous avons abordé. non sans
détails espérons-le. I'exanien des élémentscomposants dc I'cnsemble ct
l'absencede liens politiques et juridiqiies.
Cependant. quelques precisions paraissent necessaire pour écarter totitc
prcsornplion contraire.

I'remièrement.pour ce qui est des liens géographiques.du point de vue de la
géographie physique ct humaine. ilest difficileen effet de nier que le territoire
dii Sahara occidental et le territoire de la Mauritanie sont tous les deux:dans
l'espace saharien : plus exactement dans la partie occidentale de In grande
rcgion qui est le Sahara. Xlüiscette prccision. nous l'avonsdit. n'aboutit a rien.
car la geographie n'estpas le droit. L'existenced'un espace coiiirnun. au point
de vue géographique. et la naissance de formes d'organisation sociale
conimunes sont des faits ~LI'OIIpeut rencontrer en bien d'autres parties dumonde sans que cela affecte les données plus importantes. juridiqties et
politiq~ies.
Deuxiemement, ilen est de mêmedes liensreligieux. On doit admettre sans
inconvénientque le Sahara occidental. aussi bien que la Mauritanie, sont deux

parties d'un ensemble religieux plus large, le Dar el Islam. Et certaines
précisionsont étéapportées a-la Cour sur ce point a la suite de la question
posée par XI. Petrén. Or, il semble iiiutile de signaler au conseil de la
Uauritanie que les liens religieus n'aboutissent a rien du point de vuejuridique
et politique.
Troisièmement, lesliens culturels. Sur ce point. nous avons examiné en
détail l'entitéculturelle que fut le Bilad Chinguiti, son rayonnement dans
l'espace et son étendue dans le temps. D'ailleurs. nous avons apporte des
renseignements sur un autre foyer culturel au Tiris. Il est difficile d'admettre
qu'au nioment de la colonisation espagnole le Sahara occidental était
culturellement dépendant du pays de Chingiiiti. car il avait un foyer culturel
propre et. d'autre part. l'essor de Chinguiti était fini depuis bien longtemps.
Une foisencore, nous ne croyons pas necessaire de démontrer que l'attribution
des territoires ne se fait pas en droit international d'après des données
culturelles.
Quatrièmement. les liens écoiioiniq~ies.NOLISsommes face a une autre
donnéede la striictiire sociale. une donnée importante certes. mais sans portée
juridique par elle-même. Or qu'il iiie soit permis de faire ici une petite

remarque sur les routes caravanières par rapport au Sahara occidental. Le
conseil de la blauritanie nous a dit que le territoire ne vivait pas dans un
isolement splendide. car d'après lui il était traverse par deux routes
caravanières. La prerniere est assez étonnante :la route de la côte entre les
marches du sud du helarocet le Sénégal. Unexanien des documents présentes
devant vous met bien en reliefqiic cette rotite est inconnue et que le cheik
Bcyrouk. le grand comnierçant de l'oued Noun. q~iiavait des comptoirs dans
l'Adrar. semble ne pas avoir connu non plus cette route caravaniérede la chte.
IIest inutile de se reporter airxexplorate~irs.aux voyageurs :la route de la cete
n'existe pas.
II est vrai que le conseil de la h,Iauritanie a fait référenacette route par
rapport au NVICsiècle. Plais vous pouvez trouver une carte ' des routes
commerciales ait début du SVlc siècledans le document qui figure comme
appendice 4 a l'annexe 3 de nos I~fi~niwiio~iest doclrnieii~s.Et la route de la
cote n'existe pasnon plus sur cette carte.
La deuxième route qu'on dit traverser le Sahara occidental passait en effet
par laSakiet El Hamra. ;\.laisilest difficiled'admerrreque. par leseul fait que la
route des caravanes. de l'Adrar 3 I'oiiedNo~iii.traversait le coin oriental du

territoire a la Sakiet. la culture du pays de Chinguiti ait eu un rayonnement au
Sahara occidental. Or. on peiit se demander. d'après cette perspective
écononiique. pourquoi d'autres faits n'ont pasétédémontrésdevant la Cour.
par esenzple : le paienient de tributs entre les unités de I'ensenible au la
dépendance économique des Lins envers les autres du rait des rapports
comnierciaus. Xlais tel n'a pas étele cas ct la seule doiiiiee économique que
l'onconnait c'est.au sens large. I'cconoiiiienomade de l'élevagedes troupeaux.
Mais les échangessont absents. la depeiidance écononiiquc aussi.
Finalenient. restent les liens politiques i I'i~iterieiirde l'ensemble. Nous
avons essayk de niettre en relief que de tels liens n'existaient paset nous avons
mentionné a l'appui tant des sources Ecrites que des sources de la traditionsaharaouie. Le conseil de la Mauritanie a ce propos a fait réfkrence a
l'institution du Jar-al-Julq affrontière ou ligne de danger. élémentprécieux
dans la tradition des habitants, pour indiquer que l'espace saharien, quand
même.avait ses limites et queIe Sahara occidental s'étendant pluslargement
que le territoire actuel étaitune unité distincte destribus mauritaniennes et des
émirats.Qu'il me soit permis une double remarque sur ce point de fait.
Premièrement, selon la tradition des hommes du Sahara occidental, le Jat-

al-Jaofétait une ligne de danger,ou front du danger (lesens es: le même), créée
comme conséqueticede la pacification par la France de la Mauritanie et, par
conséquence,elle est néevers 19 10. Leconseil de la Mauritanie a reconnu que
cette ligne changeait avec le temps et il s'agit en effet d'une donnéeclu'on ne
saurait pas oublier. Mais la tradition nous dit que cette frontière idéaledans le
désertavait pris naissance vers la deuxième moitiédu XIXc siècle.àl'époquede
la grande épopée des Regueibat, les maitres du désert.Ces Regueibat,qui - les
experts nous le disent - étaient indépendants aussi bien des émirs
mauritaniens que des caïds Tekria de l'oued Noun.
Au moment de la lutte de Ma el Aïnin contre la présencefranpise, c'est-
a-dire avant 1910. le Jar-(//-Jit»/'existait bien. Beaucoup de tribus du territoire
ne se sont pas jointes 1 Ma el Aïnin. car elles craignaient de dépasser la
frontière du danger.
Deuxièmement, la notion du Jui-cd-Jaofprouve bien L'absenced'unitésur le
plan politique et mêmesur les rapports de vie dans le prétendu ensemble
saharien. Les nomades du Sahara occidental, c'est-à-dire les Izarguiyine
nomadisant a la Sakiet. les Regueibat. les Ouled Delirn, les Ouled Bou Sba.
parmi d'autres, ont passe des accords intertribaux, comme celui rapporté par
nous, qui créaient une véritable coopérationen matière juridique, mais il est
difficilede souscrirea l'idéed'une cosouveraineté sichaque tribu ou groupe de
tribus signait des traitésindépendamment de tout pouvoir des autres. Une fois
encore, force est de répéterque le monde des grands nomades sahariens est le

monde de {alibertéet de \'indépendance,tout en admettant les devoirs liésde la
fraternitéet de la justice propres a l'Islam. Pourquoi alors prétendreque cette
idéede la liberté etde l'indépendancen'avait pas de place au Sahara occidental
au moment de la colonisation espagnole ?
Une dernière remarque concernant les liens politiques. Elle fait référencea
une question controversée : les limites de l'Adrar. II importe d'y revcnir, car
nous ne pouvons pas accepter l'affirmation que le traité du 27 juin t900 ait
coupéune partie de I'Adrar. Tout au contraire, c'estune partie du territoire a
l'intérieurdu Jul-al-J(~oJ qui a été détachéeL .a victoire diplomatiqiie de la
France en 19 :00 a étéune victoire pour la Mauritanie d'aujourd'hui. nonpour
le Sahara occidental.
Mais je reviens aux faits se rapportant aux limites de I'Adrar. J'essaierai
dëtre aussi bref que possible.
Je comprends trèsbien qu'après l'intervention espagnoledans ces audiences
tendant a ramener a des proportions plus exactes l'étendue territoriale de
l'émiratde I'Adrar le conseil de la Mauritanie ait cru nécessairede faire un
nouvel effort pour épanouirle rayonnement et les limites dudit émirat. Pour ce
faire. ona insiste surle bien-fonde de la carte no 3{IV. p. 380-38 Il annexée a
l'expose écritdu Gouvernement mauritanien. Mais on nous a dit qu'elle était
établie:

(( partir d'éléments. fort rares.il est vrai. de la tradition écriteci orale.
qui sont conservésdans lafamille des émirsde I'Adrar etde certains écrits
d'historiens et d'explorateurs de l'époqueparmi lesquels des explorateurs
espagnols )(ci-dessus p.274).350 SAIIARA OCCIDENTAI

On conteste ainsi le tracé des limites de l'Adrar fait par le Gouvernement
espagnol dans les cartes XII1 ' et XVI (IV, p. 384-3851de l'annexe B.2, bien
que ces cartes aient étéétabliessur la base d'élémentsbeaucoup plus précisqui
relèvent des données objectives du traité signe a Idjil par I'emir avec les
représentants espagnolset des témoignages directsrecueillis par ceux-ci.
Nous ferons a ce sujet quelques considérations qui. nous l'estimons.aideront
a éclairer définitivementla Cour au sujet des limites de I'émiratde l'Adrar au
moment de la colonisation espagnole.
Nous avons fait la délimitationde l'émiratd'aprèsle texte du deuxieme traite
d'ldjil parce que c'était précisémenlte traitésignéavec l'émir,c'est-à-dire avec
l'autoritédu territoire. et il nous semble qu'il aurait été illogique dela faire

d'après letexte d'un autre traitésignéavec d'autres pouvoirs. comme il nous a
étésuggérépar leconseil mauritanien. En outre. ledeuxième traité d'ldjilnous
donne des points géographiques préciscomme limites de l'émirat :Toudiou.
Askar. Idjil. Gouimit et Tichitt. Par contre. le premier traite d'ldjil donne
comme limite génériquea l'est la limite occidentale de I'Adrar et seborne a
citer les territoires qui. entre cette limite et les domaines déjàespagnols de la
cote comprise entre le cap Bojador et le cap Blanc.se soumettent a l'Espagne a
partir de la signature du traité.Ces territoires sont non des points précis.mais
des régions parmi lesquelles se trouvent. selon le texte du traite. I'Auidj. la
sebkha d'ldjil.leTiris occidental. Aoucert. Nekjer. Er Rag, Rsaibet el Aidzham.
Tenuaka.Adrar Soutouf, Aguerguer et autres. Ces deux derniers mots et le fait
qu'il s'agitde régionset non de points précissemblent avoir été oubliés palre
conseil de ta Mauritanie lorsqu'il nous a reprochésde ne pas avoir tenu compte
du premier traité d'ldjil pour fixer les limites de l'émiratde I'Adrar Tmar et
lorsqu'ila essayéd'utiliser ces données.d'ailleurs sans aucun fondement. pour
essayer de contester les véritables limites de I'Adrar préciséesdans les
documents et les informations présentespar le Gouvernement espagnol. En
outre. ce fut I'emir lui-mëme qui signala les limites de l'Adrar et ces données
furent confirmées par les explorateurs espagnols d'après d'autres sources
locales. comme il nous a étérapporté par Felipe Rirzo dans son article sur les
traités d'ldjil parua laReuista de geograSucotnerc.ia1.tome 11.1886- 1887.
page 64.
D'ailleurs. les recits donnéspar Cervera. Quiroga et Rizzo sur leur voyage
jusqu'a I'Adrar Tmar nous'prouvent la précisiondes donnéesgéographiques
concernant leur parcours et nous donnent des renseignements sur la limite
occidentale de l'émiratqui coïncident avec celles du deuxieme traité d'ldjil.
Dans une conférencede M.Julio Cervera du 2 novembre 1886 r bolet ri^la
Sociedadgeogrufia. t. 22. 1887.p. 7 et suiv.). il nous raconte minutieusement
le parcours qii'ilssuivirent dans leur expéditiona l'Adrar Tmar. Nous savons
ainsi qu'ils sortirent de Rio de Oro. Ed Dakhla. passèrent par Aguerguer.
i'Aaff, I'Ar-Rak, Au-Haufrit. Tisnig ou ifs trouvèrent le douar Ed Demiset et
continuèrent par Dumus. Teniulek et Idjil jusqu'a Auig. Vous trouverez ces
noms dans la carte IX 'a l'annexe 3.1 avec quelques petites différencesdans

l'orthographe actuelle.
Alvarez Péreznous donne aussi (Revisrade geografia cornercial.novembre
1886-janvier 1887) des renseignements qui concernent les limites de I'Adrar
Tmar aussi bien que l'indépendance vis-à-vis de I'emir des tribus dont ils
avaient traversé le territoire. Ainsi. après avoir précisé qu'ils étaient
accompagnésde Yeddu Ould Sidi Yahya et de Abdi Ben Termin, émissairesde
l'émir,il raconte, à la page 4, que, se trouvant à Ksaibet el Azdam, localité

' Non reproduite.appartenant üiix Oiilcd Dclini. ceiix-ci exigèrent Lin fort tribut pour leur
permettre le passage. nieiiaçaiit de les attaqiier.
Tiniiilek. l'cmir envoya i leur rencontre Sidi Ahmed
Après. se troiiviint
O~ildled I3e avec la niission de les acconipagner jusqu'i la frontière de
l'Adrar ),ou l'émirles attendait. <(venaiit des piiits de Turin ou Toiidin )>(op.
cil..p. 61. 1.a criravane rruucrsu. je tiens a soiiligner ce mot - car dans iine
autre traductioii qiii se trouve dans le document mauritanieil, on dit
i<atteignitM. mais en espagiiol. nous l'avons vérifie,on dit traversa » - les
salines d'ldjilct arriva « au versant occidental des niontagiles q~iiservent de
rroiitiérea I'ildrrirTmar >,(op.cil..p. 7).Par conséquent.la frontièrede l'Adrar
setroiivüit entre les salines d'ldjil et I'Echbar que voiis pouvez repérerdans la
carte 1S ü I'annese B.1.

Finalement. ily a lieiide signaler que. s'ily a iine coi'ncidenceentre le tracé
de la litnite de l'Adrar Tniar entre Giiiniii et tlzougui. ctabti par le
Coiiveriicineiit cspagnol. selon le texte du dciisicnie traitéd'ldjil. etla frontière
fisce par le traiti. rranco-espagnol de 1900. il n'y a rien de sus1)ect ou
d'ctoniiant dans ce fait. car. conime IIOLIS 1';ivonslonglienient expliqué(ci-
dessus p. 131-132),la France obtint la totalitéde l'émiratde I'Adraren plus des
salines d'ldjil. Par conséquent. entre Guimit et le parallele 21° 20'.le traite de
1900 devait suivre forcement la mémeligne que celui d'ldjil.
L'Espagne n'a donc commis auciinc erreur. comme ila etc prétendu par le
conseil de la klauritanie. dans so déliniitationde l'Adrar Tniar ail iiioment de la
colonisation espagnole. Les dociin~ents el lesatitrcs temoigilages présentés la
Coiir sont bien précis etil faut en conclure qiie ni le Tiris - actiiel Sahara

occidental - ni les saliiies d'ldjil iie faisaient partie de l'émirat.
f'ai essaye de deniontrer que la notion de I'ensenible mauritanien ne peut
etre admise. car les trois postiilats siir lesqiiels elle s'appuie manquent de
rondement. D'ailleurs. le Gouvernement de la Mauritanie ii'a pas fourni a la
Coiir les elénieiits de prcuvc appropriés pour qu'un puisse admettre ces
postulüts. En pariiciilier. les lieiis politiqiies oiijiiridiqiics qii'on prétend exister
I'intcrieiirde l'ensemble nesont pas dénioiitrcs.car il ne suffit pas. aces fins.
de se conteiiter de I'csposede certaines doiinces de l'anthropologie ciilt~irellede
la partie occidentale dii Sahara.

hlais on doit dire. d'aiitre part. qiie la théseiiiaurilrinieiliie. reposant siir
cette ideede l'ensemble.nc pciit êtreadniise noil plitsdans ses conséqiieiicesdii
point de vile dii droit interiiational applicable ail iiioiiient de la colonisation
espagnole. Je ferai niaintenant qrielqiies reiniirqiies à cc siijet. car elles sont
nécessaires.
Les termes du debal ont ététrès clairement établispar le conseil de la
h,Iauritanie lors de ses interventions aux audiences du IOjuillet (IV. p. 436-
438)et de l'après-mididu 28juillet (ci-dessus p. 294-2981.Vous vous souvenez
bien que le raisonnement avait un point de départ.l'idéede <(peuple ))ou de
nation >)idee dont on prétendqu'elle constitue. du point de vue juridique. la

base réelledu droit international. tout recours a la notion d'Eiat devant etre
écarté.car t'Etat. au fond. n'est pas une réalitéhumaine. mais une simple
technique.
Mais les conséquences que le conseil de la htlauritanie prétendtirer devant
la Cour internationale de Justice en partant de cette prémisseson1 graves. Je
dirai méme qiie ces conclusions sont plutot boiileversantes pour le droit
international et pour le droit tout court. Une fois encore, force est de répéter
que la sociologie n'est pas le droit. Quelques élémentsméritent d'être mis en
lumière.
D'abord, en partant de l'idéedu peuple. on vient 1 nier toute signification352 SAI1ARA OCCIDENTAL

a I'Etat,concept juridique qui constitue, néanmoins, la base des règlesdu droit
international.Le conseil de la Mauritanie a étéassez net sur ce point et ilest allé
mêmejusqu'a donner une sorte de définition de la communauté politique
relevant de la sociologieIIsuffit, semble-t-il,qu'un groupe humain existe, avec
une personnalité propre, pour qu'on puisse parler de souveraineté de ce
groupe, sans recours a la notion de I'Etal. Surce point, il faut le souligner, le

conseil de la Mauritanie rencontre l'approbation du doyen Vedel, conseil du
Maroc, qui nous a dit, en passant, que la notion de l'ensemblemauritanien était
<<un équivalent fonctionnel »de 1'Etat(ci-dessus p. 171 ).
Ces idées. il faut le dire. cadrent mal avec les études d'anthropologie
politique. iitudes qui ont choisi comme objet d'examen. dans la plupart des cas.
des groupes nomades de l'Amériqueet aussi l'organisation politique africaine.
Je ne ferai. ici. référenceni a ces études bien connues de la Cour. ni aux
concl~isionsy établies.Mais qu'il me soit permis Linsimple renvoi i la voix
Polili~t~lAit~lzropolog~~ans la prestigieuse Iirren~urioi~aElt~cyclopediaofrlie
Social Scietices (t.12.p. 189-2021et aussi ailx étudespubliéesdans ce rnéme
ouvrage. consacrees a la Tribnl SOC'~~(Jt.~16. p. 146-151. t. 15. p. 157-1681.
Bref. les étudessur l'organisation politique dans les sociétéspréktatiques ne
concordent pas avec les conclusions soutenues par le disting~iéconseil de la
ivlaitritaiiie.Pour l'anthropologie politique. I'ideed'un ensembleest inconnue :
d'ailleurs, l'unitéde base est la tribu. le groupemena base humaine.

On doit admettre que ce point de départ. la souverainetéd~ipeuple ou de la
nation. est une idéeeuropéenne. tres a la inode durant le XIXesiécle.Elle a eu.
on le sait. une grande importance politique a cette epaqiie. Qu'ilsuffise de raire
référencea la penséepolitique du Risorgitiwrita italien et au nom de Mancini.
parnii bien d'autres qui ont affirme. avec énergie. que les vraies entités
politiqiies étaientles nations et non les Etats. créations artificielleset. le plus
souvent. réaliséespar la violence. Dans ce courant de peiisee. niaintenant
rajeuni par I'ceiivre dii conseil de la klaiiritanie. la souveraineté était un
attribut de la nation. non de 1'Etat.Mais cette idée.il faut en convenir. n'a pas
étéadinise par le droit international.
Or. les conséq~iencesqu'on a voulu établir lorsde I'aiidiencetenue I'apres-
midi du 28 juillet. ont étéa. la fois. historiques et juridiques. Du point de vue
historiqiie. le conseil de la Mauritanie a employe la notion d'ensemble pour
nous inotitrer. a l'étonnementde certains parini nous. que l'histoire moderne

n'était pas bâtiepar l'action des Etats. mais par les ensembles. Avec quelques
eseiilples à I'appiii. la conclusion générale.on peut la deviner : I'histoire de
I't~umanitla étéune grande erreur. au temps de la colonisation et a la période
de la décoloi~isation.car elle a étéfaite sur I'idede I'Etat, entité de fiction. et
non sur la base rielle. au point de vue sociologique. des ensenlbles humains.
X~Ialheiireusement.il inanqua a ce grand tableau critique le fond lointain de
l'avenir. car. si l'idée estadmise. c'est une revision de l'histoire qui nous est
proposéepour mieux I'accomnioder aux données sociotogiq~iesdii point de
départ.
1-econseil de la Mauritanie a eu recours a un texte de Xlontesq~iieu,les
Lerrr~iipersatirs. pour nous convaincre qu'il fallait admettre la réalitéde
I'ensenible chingiiittien. Qu'il me soit permis aussi de faire reference a un
auteur du SVlllc siècle.Voltaire. et au passage qui ouvre son Eluge Itisroriqllr
LJLl' rrri.s»ii,écratla demande de Mm'du Châtelet, en 1775. Voltaire disait :
<(Erasiiie fit. au SVIe siècle.I'etogede la folie. Vous m'ordonnez de vous faire

l'élogede la raison.n
Eii effet. lesconseqiiencesjuridiques de la notion d'ensemble ne peuvent pas
ètreadmises. Qiielq~iesrernarqiies tres brkves seraient appropriees. ESPOSEORAL DE hl. Lr\CI.I:T,\
353

Premièrement. quand on dit que l'homme estle destinataire dernier du droit
international. on rie rend pas un hommage hypocrite pour se mettre ensuite a
raisonner sur la base de I'Etat. Le droit international s'est formé sous
I'infltienced'lin courant de signe<<universaliste >)oii l'homme avait une place
certaine. C'est le mérite desauteurs polonais. conlme Palil Vladimiri. et des
auteurs cspiignols. aux XW et XVIFsiècles. Cette base universalisten'ajamais
disparu. inaisIridoctrine dii droit international, pour bien exposer une réalité
juridique qui constitiiait l'objetde sa réflexioii,a pris comine point de départ
1'Etat.et la sociétéinternationale a étécomprise coniiiie ilne sociétéd'Etats
souverains.
Le conseil de la klauritanie a fait des citations de quelques auteurs du XISe
sièclepour mieux fonder sa thèse. 1sufit de se rapporter à l'étudede Truyol
Serra. <(L'expansion de la société internationaleaux SISc et XSC sièclesn.

publiéedans leRc2crieildes coirrs de 1'Acudr;liiiede droit iiiteniotioiiul(1.116.
p. 95). pour constater que cette pensée~iniversalisteciait vivante a la fin du
SISe sikcle, mais elle n'allait pas jusqu'a nier le droit international en tant
qu'ordre juridiqiie régissantles rapports entre Etats souverains. Sur la base de
l'idéede la nation. coinme c'est le cas de Pasquale Fiore. ou par l'appel a lin
droit international naturel ou rationnel, coinnie c'est le cas de Boiifils. on
préconisait lin~iiiivcrsalimecertain. mais. cc faisant. ces auteurs ne rejetaient
pas le droit positif forme par la pratique des Etats.
Ileuxiémement. on comprend bien le recours a cette idee du « peuple
comme seul sujet réelde l'ordre international. Si on admet le point de départ,
la plupart des categorjes et des rkgles du droit international positiî seront
changées et.parmi les institutions a reviser. la notion nieme de la terra 11~1Ililis.
Cette notion. en effet. rétrécijtusqu'i disparaitre. ilne foisséparéede cellede
I'Etatet de I'esercice des fonctions étatiquessur Linterritoire. On prétend que.

s'ilexiste un peuple. mémeune communuaté humaine préetatiqiie.la notion de
terra 11lil1ir.s'est pas applicable. Telle est bien la caticlusion du conseil de la
Xlauritanie sur ce point. au risque de réduirele contcnu de la notion de term
niilli~tsaux:seules terres inhabitées,car. si l'élémenhtumain est présentsous la
forme de tribu ou comme groupe humain encore moins organisé, il est aisé
de parler d'une souveraineté du groupe, démontrée par son opposition a
l'extérieur etsa personnalitépropre.
Mais le raisonnement. une fois encore. est du domaine de la sociologie. On
prend les deux klémeritsdc la ncitionde groupe. au point de vue sociologique.
c'est-à-dire la cohésion intérieure - iii-groirp- et la défense facea l'extérieur
- ori!-groiip - et vous avez une communaute qui. tout en manquant
d'organisation étaiiqiie.devient titulaire de la souveraineté. Et. de ce fait. elle
est censéeavoir Lintitre sur leterritoire. même sice territoireest aussi niouvant
qu'un parcours dc nomadisation. inëme si ce parcours de nomadisation est
partagéavec d'autres tribus. Je dis bien un titre sur leterritoire d'aprèsle droit
international.

Ici. ilne fois cticorc. oii doit faire une remarque d'anthropologie politiqtie.
Les degrés d'org:inisation politique des peitplcs africains. au monient du
scrr~il~blefi~rA,fricuii ierrilorjl. étaient divers. A la conference de Berlin. en
1884-1 885. on a convenu que la notion d'Etat pouvait s'appliquer a certaines
communautés africriincs. D'ailleurs. l'histoiredc l'Afrique. au moment de la
colonisation. nolis montre l'existence de royaunics. avec Lin fort degré
d'intégrationsociale et politique. tout au long du continent africain. h*iaisles
étudessur l'histoire ou l'anthropologie politique africaine nous niontr.ent que
dans l'espace saharien, entre l'oued Draa et les abords du Sénégal, l'or-
ganisation politique de base n'étaitpas I'Etat, mais la tribii. L'existence des354 SAH,\R;\ OCCIDENTAL

émirats mauritaniens n'enlève en rienla valeur de cette conclusion. car il s'agit
aussi de formations préetatiques.

Or. du point de vue du droit international. les Etats européens ont tiréles
conséquences appropriées. Comme le démontrent les études de Charles
Salomon, Lindley, Alexandrowicz et bien d'autres, les traites passéspar les
colonisateurs avec les autoritésindigènesnon constiruéesen Etats n'étaientque
roofs OJ liflrs aperfectionner par l'occupation effective du territoire. Ulrich
Scheuner arrivait en 1938 a la conclusion. d'une portéeencore plus restreinte.
que ces accords étaient considérésp , arfois. comme appui moral du titre de
I'occupation. le seul quifût significatif du point de vue du droit internationa>>
(U. Scheuner. <<Zur Geschichte der Kolonialfrage im Volkerrecht >).Zeitsc/zrfi
,fiïrVolkerrecbf~ . 22. 1938.p. 467). hrous pouvons ai~joiird'hui.au nom des
valeurs morales. rejeter un tel état dechoses. ainsi que son influence sur le

droit international de la période de l'expansion coloniale. hlais. devant une
cour de justice. c'estte droit en vigueur a I'epoquequi doit êtreallégué.
D'ailleurs. sila thèse duconseil de la Mauritanie etait admise. on viderait de
tout contenu le droit international. par le moyen d'un retour en arrière. sur la
base des idéesdu présent.Qu'il me soit permis de citer un passage du grand
juriste que fut Max Huber, ou on lit :« Le droit international, comme un des
modes d'expression de l'histoire, doit avoir son sens propre dans le sens de
l'histoire (<<Wandlungen des Volkerrechts und Probleme der Erforschung
seiner Geschichte »,dans la Fn'pdei~s W-arte, vol. 52, 1953-1955, p. 309).
Troisièmement. la méthode suiviepar le conseil de la Mauritanie produit
ilne conséquence certaine. non seulement sur leterritoire et sur I'acqiiisitionde
la souveraineté territoriale. car elle réduitau néant la notion juridique de la

terra iiullil~smais aussi sur la notion de sujet de droit international. Au cours
de l'audience tenue l'après-midi du28 juillet. M. le professeiir Salmon nous a
fait grief sur ce point. en suggérant que les données des manuels de droit
international usuels en Espagne ne sembleraient pas dépasser l'année1919. car
seul I'Etat étaitreconnu comme sujet de droit international.
Je suis en état d'informer le distinguéconseil de la Mauritanie d'lin aspect
pour ainsi dire négatif de la conception espagnole sur les sujets du droit
international.a savoir que .les auteurs n'affirment pas que les <(ensembles )>
soient des sujets de l'ordre juridique international. On devrait les excuser
quand même.car la notion est née il y a dix mois. conime je le disais ily a
quelques minutes.

Nous nous sommes attachés a une thèseplus en accord avec le droit positif,
celle qui découlede lajurisprudence de cette Cour et de sa devancière. Lors de
l'audience tenue le fO juilletce point avait déjàétémis en relief par le conseil
de la Mauritanie. faisant une critique passionnee de l'ancienne conception sur
les sujets du droit international. {ou I'Etat trônait comme le sujet de droit
principal>P. voire exclusif. II a étédit que cette conception a changé et.
qu'a aujourd'hui. le droit international contemporain s'ouvre a des concepts
plus diversifies en matière de sujet de droit >>.Sur ce point. ila invoqué le
passage bien connu de l'avisde cette Cour dans l'affaire de la R@puru~ioidies
donimagessrrbis artservicedes N~!ioiisUtlies ou est soulignéel'hétérogénéité
de la communauté internationale actuelle. car <<les sujets de droit. dans un

système juridique. ne sont pas nécessairement identiques quant à leiir nature
ou a l'étenduede leurs droits >>(C.I.J.Recueil 1949. p. 178).
Or. il convient de souligner que la lecture de ce passage n'apas etécontinuée
et qu'on a coupe les mots finals. ou cette Cour affirme que leur nature (des
sujets de droit) dépend des besoins de la communauté. Cette omission est
significative. car en effet on rejette une idéeimportante. a savoir le caractère EXPOSEORAL DE hl. L.c\CLETA
355

évolutifde l'ordre juridique international et lacorrespondanceentre l'évolution
des nécessitesde la communauté internarionale. a chaque période historique. et
l'attribution de la personnalitéinternationalea ce moment-la. C'est une idéede
sagesse qui fait ressortir. il est vrai. que le catalogiie des sujets n'est pas un
niitiierlls clai~sirs.mais qui nous dit. d'autre part. que la notion de sujet de droit
international. comme le droit international toi11 entier. possède un sens
historique qui ne doit pas étreméconnti.
Finalement. je volidrais dire lin niot sur la notion de cosouveraineté attachée
à celle de l'ensemble mauritanien. D'aprèsune étude bien connue. il semble
qtic la notion de cosouveraineti.. ainsi que celles proches de cotidomitlil~iliet
cwitlipeririiir.ont étéforgéesa la fin dii XVIIcsiècle etau SVIIIe sièclepar des

juristes allemands. soucieux d'expliquer certaines situations existant au sein de
ce grand c(ensemble )p.si j'ose le dire. q~i'étaitle Saint Empire romain
germanique (A. Coret. Le ~.uildollli~~il~P t?ari.s. 1960. p. 1-41.
Deux élémentsméritentd'ètresignales : d'une part. que tous lesphéiiomenes
de pouvoir conjoint ou si l'on veut. dejoiiit tetlullcj7.se sont produits entre des
Etnts. Cela équivaut a dire que. d'aprésle droit international positif. une fois
encore. c'est cette <<fiction)> de 1'Etat qui constitue la base des rapports
internationaux.
Deuxièmeremarque. et celle-ci est plus importante. quel que soit le point de
départ de cette idéed'une « cosouveraineté » et son expression juridique en
droit positif, il est admis que le recours a cette technique s'appuie néces-

sairement sur l'existence d'organes communs, adoptant des décisions pour la
totalité du territoire.
On voit bien que les idéesque je viens d'exposer s'appliquent mal ala notion
de l'ensemble mauritanien, et par la nature desélémentscomposant l'ensemble
des formations preétatiques, et par l'absence d'organes communs à tous ces
éléments,douésdu pouvoir d'adopter des décisionsles concernant. IIsuffit de
rappeler les considérations faites a propos des traites passés par lestribus du
Sahara occidental. et aussi par l'émirde l'Adrar, avec lesautoritésespagnoles et
françaises. au moment de la colonisation, pour rejeter toute idéede cosou-
verainete.
J'aila inliuvaise conscience d'avoir essayé de parler au nom de 13 raison.

niais cela est parfois nécessaire.Car nous l'avons ditlors d'une internvention
antcriciire. la présenteaffaire nous offre des traits forts inhabituels. Lin de ces
traits serait le problème de compréhension. car nous sommes divisés. etsur le
point de depart. et sur les conséquences du raisonnement juridique. au sujet
des qiiestioris territoriales.
Nous avons parlé unlangagejuridique correspondant Ala période historique
considéréecertes. mais nous étions en bonne compagnie. La jurisprudence
internationale. d'une part. nous avait offert certaines conclusions. niais elles
ont été niées. La pratique des Etats nous avait démontréqtielles étaient les
règles applicablesen matière d'acquisition de La souverainetéterritoriale ; mais
ellesont et6 aussi rejetées.Nous avons voutii parler en droit et exposer devanr

cette Cour le droit international applicable au moment de la colonisation
espagnole du Sahara occidental. niais. semble-t-il. nous avons fait Œuvre de
cynisme. VOLIS comprendrez bien que nous n'avions pasd'autres possibilités.
sauf peul-êtrecelle de recourir ri la sociologie et pas au droit international.
Mais, après notre examen. une concliision généralepeut être établie :elle est
très coiirte:au moment de la colonisatioii par l'Espagne. ni leRoyaume du
Maroc. ni 1"entité dite<<ensemble mauritanien >p<(cnsemble chinguittien » ou
(<ensemble saharien >> n'avaient de liens jiiridiques de souveraineté. ni de
droits. surte territoire du Sahara occidental.356 SAHARA OCCIDENTAL

Je iie peux pas finir mon exposésans faire quelques commentaires au sujet
de la dernière partie de l'intervention de la delégation marocaine. lors de
l'audience du 25 juillet, après-midi (ci-dessusp.245 et suiv.).Je serai trèsbref.
Constater une divergence de points de vue sur desquestions juridiques devant
une cour de justice ne saurait surprendre personne. car s'ilen allait autrement,
on serait en droit de se demander quel rôle aurait a jouer. dans la présente
espéce.I'organe judiciaire principal des Nations Unies ;mais passer de cette

constatation à une accusation da<i(mmobilisme >>,que l'on déduit de ce que
l'Espagne a employéles moyens proceduraux que le Statut de la Cour et son
Règlementmettent a sa disposition pour mieux defendre son point de viie dans
la présente affaire. nesaurait êtreaccepte conime Légitime.
L'accusationde l'ambassadeur du klaroc cherche cacher la réalitéobjective
dans laqiielle se déroule aujourd'hui le processus de décolonisationdii Sahara
occidental. Quel que soit le point de vue du hlaroc quant a l'Espagne. comme
Puissance administrante du Sahara occidental. il n'en reste pas moins vrai
qu'ellea accepte de procédera une décolonisation.d'accord avec les rcsoliitions
de l'Assembléegénéraledes Nations Unies. C'est le Maroc d'abord et la

Xla~iritanicaprès qui se sont opposés a cette démarche. quand l'Espagne
annonça sa décision d'organiser.eii 1975. non iin ((bon )>réfcrendiini.comme
I'ariÏrnie I'atnbassadeur du hlaroc. mais « le>)référendumque deniandait la
rCsolution des Nations Unies. réferendum dont l'organisation ct le déroule-
nient. faut-il le rappeler. devait se faire sous Icsauspices. voire la supervision.
des Nations Unies. Je voudrais souligner cette afirmation. car on la passe
ioujoiirs sous silence. quatid le kIaroc se réfkreati rcîérendiiiiidciiiünde par
I'i\ssembléegénérale.
Quels sont donc lesgriefs que le Maroc a cru bon de porter devani la Cour
ce stade de la procédiire?On ii'insisterapoint sur la nature pureineill politiq~ie

de cette déclaration. non pertinente dii point de vue de la prbente procédure. i
notre avis. Pour le moment. qu'il suffise de rappeler que I'flspagne ii'kinitpas
uiie voix contraire a la résolution3292(SXIS). mCmcsi la deiiirindcd'avis. et
cela personne ne peut lenier. retardait le processus de decolonisation annoncc
pour le débutde l'année1975. jusq~i'atimonlent oii. l'avisde la COLI reridu.
I't\ssembléegcnérale aurait exaininE la décision de la Cotir I'&ürd dcs
questions q~iilui avaient cléposées.
L'Espagne aurait pli sans doute adopter uiie attitude bien pllis coininodc et
facile.cellede refuser sa coopération a la presrnte procédiire.Tel n'apas étCle

cris.I.'Espagne s'est faitiin devoir de collaborer pleinement avec I'Asseniblée
geilérale etavec la Cour, elle a présent6toutes les inforniations et documents
qui pourraient servir à éclairerLa Cour sur l'affaireduS(ilicirtoccii.ierrftrlet clle
est intervenue. comme c'étaitson droit. pour défendreson point de vue. et sur
la procedure et sur le rond. car les caractéristiq~iesfort inhabit~icltesde la
présenteprocédure consultative, qui ont etédéj5loiigtienient dfvcloppées.le
rendaient nécessaire.Quand on afirme qu'«au cours de cette procédure.
t'Espagnea ete sans cesse négatrice ..>)et qu'on ajoute qii'(cllc n'apas kt6 pliis
ouverte sur le fond )>on est en droit de se deniander quel est leloct~s,s~cr~!dii1
klaroc pour s'érigeren juge des interventions du Goiivcrnenient espagnol et

pour <(ressentir péniblenientI'iiiiniobilisriiede la position cspagnolcJ).
Je rnepermets de souligner qu'ils'agitd'unjugeiiieni de valeiir. non A I'cgard
des arguments juridiques présentéspar l'Espagne. dont la constatation serait
sans doute Iegitiniedevant une cour dejiistice :ils'agitpl~it8tde s'enprendre
la légitiriiitede deîendre les positions de foridque I'l<spagiica souiciiiies devant
la COLIT.
Or. si t'Espagne a adopte iine condiiite proccd\tralc qui de son point de vue étaitla meilleure pour défendrel'élément essentied le sa position. le droit dla
population du Sahara occidental a l'autodétermination tel qu'il a étéconsacre
dans la résolution 1514 (S\') et les résolutiotis pertinentesde l'Assemblée
générale.on ne saurait accepter que cette condiiite prockdtirale piiisse etre
qualifiéearbitrairement de (<négative D.
On croirait que ce que le klaroc regrette. c'est que l'Espagne ii'ait pas

renoncéà poursuivre Ic chemin trace par tes résolutions des Nations Unies. y
compris la résolution3292 (SSIS) et ne se soit pas concertée aitcours de cette
procédureavec le Maroc.
Ces considérations faites et dans le but de situer les remarques finales que
le represeiitant du Maroc a crii de son devoirdeprésenter devantla Cour. tors
de l'audience cilec.je vo~idrais me référerbrievernent i L'interprétation faite
du comnitiniqu~. rendu public à la suite d'lin conseil des riiiiiistrcs
du Couvcrncinent espagnol. du 23 mai 1975. Dans la réponsequ'on a raite5
S. Esc. lejugc Ruda. oii aplacédans son vcritable contexte Icsens et la portée
de cc conimuiiiqtié.Toute aiitre interprctation ne salirait donc Ctreconsidéree
comme authentique et tout procès d'intention fait dans une optique politique
intéresséen'a pas de place, et c'estle moins qu'on puisse dire, devant une cour
de justice.
Si l'onvoiilait proccder auireinent. on serait obligé de rappelerquIICharte
des Natioiis Unies lie aussi le Maroc et que. de ce fait. il s'estengagéà ne pas
recourir. dans ses relations interiiationalesa la nienacc OLI a l'emploi de la
force. Je n'aiirais pas voulu iii'eiigagersur cette voie mais. en cc iiioment. je

suis forcé de rappelerque dans une note qui a été distribiiee coninie docurncnt
ofl7cielde I'Assenibléegénéraledes Sations Linies.sous la Cole A/ 10082. en
date du 6 inai. le représentantpermanent de l'Espagneauprès de l'organisation
a attirél'attention du Secrétaire généraslur les déclarationsde S. XI. le roidu
X~laroc. i France-Inter. dont le contenu. en ce qui coiiceniaii le Sahara
occidental,constituait ilne inenace d'emploiunilatéralde la rorcc. incompatible
avec lesbiits et les principes de la Charte et avec les resoliitions dc I'.Asseiiiblee
péncralc des h'ations Unies sur la décolonisation du Sahara occideiital. Ces
déclarationsde S. k1.le roi du klaroc avaient étéprécédéed s'autrcs rCférences
1 L'emploide la force au sujet de Ladécolonisation dii Sahara occideiital. en
marge des Nations Unies. dans des discours prononces les II j~iirl.11juillet.
3 septcrnbrc. 1 7 septembre et 18 octobre 1974. Cette attitude n Citconfirn~ce
cette aniiéeencore düizsIcs discours prononcbs Ics 17juin et 8jiiillct.
Je peux: ii~roriiicr la Cour qu'en date du 14 jiiillet 1975. le rcpi.ésentant

perniancnt de I'Espagiieauprès des Nations Unies en a iiifornie le Secrétaire
génirülpar une note qui n'a pas encore été distribiiee coiiiine dociiiiiciit officiel
des Natioiis Unies.
Si nous en venons aux faits. ces menaces se confirment de plus en plus car
depuis le 14 février 1975 les incidents se sont multiplies. tant a I'intkrieurdu
territoire par des actes de coninzandos terroristes appuyés et encouragés de
l'extbricur. qii'aiis zones frontalières dii Sahara par les faits de delachemcnis
niilitaires appartcnant aux forces arniees du Xlaroc. doilt soisante et lin
ineiiibrcs ont etc captiires par les forccs espagnoles i~l'intérieurdu territoire.
Ki les paroles.tiites raits dont on vient de hire nientioii n'ont besoind'être
interprftés. On est bien loin du respect de la Charte et des rcsolutions de
I'tisseniblcc gérikraledes Nations Linies sur la d&coIoiiisatioridu Sahara
occidental.
X~lonsieurle Prcsident. i\,lessie~irsles nieinbres de laCour. la resoli3292i~
(SSIS) a dcniaiidé ~iiavis a la Cour internationale deJustice. Nous avons fait
étatde notre position a cet Ogardtout au long des audiciices tenues du 16 au358 SAHARA OCCIDENTAL

22 juillet. Que l'Espagne entende respecter le processus établipar les Nations
Unies. elte l'a répéta maintes reprises et l'a démontre par ses actes. avant et
aprèsle 23 mai. Efle a invite une mission de visite des Nations Unies. qui s'est
rendue dans le territoire. Faut-il rappeler que cette visite étaitdemandéepar la
résolution 3292 (XXIX) ? Elle s'est faitun devoir d'informer la Cour
conformément a ladite résolution. pour que celle-ci puisse tirer les
conséquences app_ropriéeset de la portée de la requete et de la portée des

questions qui lui ont ftéposées.C'esa laCour d'admettre ou de rejeter lebien-
fondéjuridique de nos arguments. ce qui ne saurait êtreadmis sous quelque
forme que ce soit. c'est la mise en accusation devant IüCour internationale de
Justice de la politique espagnole de décolonisation. dans le cadre des
résolutions de l'Assembléegénérale.question Svidemrnent dont la Cour ne
saurait êtresaisie.
Je suis arrivea la fin de mon exposé.Monsieur le Président.hlessieurs les
membres de la Cour et c'est ungrand honneur pour moi que de vous remercier
de votre bienveillante attention et de votre patience. EXPOSÉORALDEM.SEDO

REPRESENTANT DU GOUVERNEMENT ESPAGNOL

M. SED~ :Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour. j'ai
tenu à clore personnellement les interventionsde kadélégationespagnole dans

l'affaireduSahara occidental. Ces marques finales seront trèsbrèves. car elles
ont surtout pour objet de prksenter a la Cour les remerciements de la
représentation espagnole pour la bienveillante attention et pour la coopéra-
tion que nous avons rencontrées tout au long de cette procédiire. Ces
remerciements. je voudrais les étendre au Greflier eta tous les membres du
Greffe. dont l'organisation et les services auxiliaires nous ont permis. du point
de vue technique. de mener a bon terme notre participation acette procédure.
BIonsieur le Président. hlessicurs les membres de la Cour. je voudrais
souligner devant vous le profond sentiment de responsabilitéqiiej'ai éprouve a
présiderla délégationespagnole dans cette affaire si importante pour le'peuple
du Sahara occidental. pour l'Espagne comine Puissance adniinistrante et pour
la pais etla stabilitéde la régionnord-ouest de l'Afrique. Qu'il me soit perniis
de reitérer.encorc une fois.que mener a ternie la décolonisation du Sahara
occidental. le plus rapidement possible. d'une mariiérepacifique et conforme-
ment sus dispositions de la Charte et aris résolutions des Nations Unies.est et

le reste le seul but de l'Espagnedans cette affaire. Le grand processiis historiqiie
de la décolonisation est la veille de sa conclusion. Les Etats qui en sont le
resultatont enrichi la comrnunaiite internationale d'une nianiéredécisivedans
le domaine du droit international dont le développenient progressif a Ete
fortetnent accelérc.
Le rôle des Nations Unies et de ses resolutions i cet égardne pourrait être
négligé.L'Espagne s'est efforcéede les respecter en tant que manifestation de
volonté de la coniniunautc internationale. slirtoiit dans le domaine de la
décolonisation. ;Ilais on ne devrait pas oiiblier que les problèmes coloniaus
nous touchent au mur. car nous sommes chez nous l'objetd'un colonialisme
dont les Nations Unies se sont occupces.
De la mêmefaçon que I'Espagne s'efforcera d'en linir avec cette situation
coloniale qu'elle slipporte. par les voies pacifiqiies reconimandées par les
Nations Unies. elle a le droit d'cspcrer que dans l'affairedu Sahara occidental
les Etats intéresses respecteront non setilenient les resolutions sur la
décolonisation. inais aussi les obligations juridiques qiii se dégagentde leur

qualite d'Etats Xlembres des Nations Unies en ce qui concerne le maintien de la
paix et de la scciiritédans la rirgian.
Je lievoudrais pas terminer ces brèves observations sans esprimer notre
aniitiea tous les Etats qiii ont partic3pla procéduredans la présenteaffaire.
Les interventions raiteset les points de vue c~priniésseront sans doute iitiles
pour qiie la Cour internationale de Jusiice. organe judiciaire principal des
Nations Unies, puisse esercer les fonctions qui Iiii reviennent. en toute
connaissance de cause. La qiicstion du Sahara occiderital a franchi une
no~ivelleetape vers sasolii~iondéfinitive.Nous sonimes siirs qiiecette solution
sera fondéesur lajustice et srir ledroit. 13el'avisde l'Espagne.une paix durable
et fécondeentre tous les Erittsde cette region rklünie l'exercicepour Ic peuple
sahraoui de son droit à décider librementde son futur. EXPOSE ORAL DE hl. OULD i\.IAOULOUD
REPRÉSENTANT DU COU\'ERNEhIEBT hIAURITASl1.S

hl. OULD MAOULOUD : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour.
iM.Petréna posé a la Mauritanie ta question suivante :
<(Je vais conipleter laquestion que j'ai posée l'autjour au conseil de la
Xlauritanie pour rendre si possible ma propre coniprehensioii de la

réponse un peu plus claire. &,laquestion sera la suivante : Nous avons
appris l'autrejour que le terme aisrniblc I?ICIII~~~UI~estIne au coiirs des
débatsde la vingt-neuvième session de I'Assenibleegciiéralcdes Salions
Unies. donc en 1974. Or. les questions que I'Asseiribtéegcnérale a
adressées a la Cour visent une situation qui existaia iine &poquerévolue.
au rnonient de la colonisatioii espagnole du territoire denomnie dans ces
procédures le Sahara occidental. A ce nionient le terine eiiser~ih/e
niuliritaiiiertn'existait donc pas. mais il existait un phénomèneque l'on
appelait en arabe le Bilud Chilrgi~iriet dont e~is~iiibliiioiirifuiii~riserait
maintenant une traduction française. Dans les textes anglais de
I'Jlssembléegénerale. cela estdevenu MuirriluriioiiEiitiiy .oii Eiiriryii~e
parait peut-êtredonner lieu à un petit point d'interrogation. Mais. la
présenteaffaire étant devant la Cour entièrement francophone, je veux
m'en tenir au terme français. Bilud Cfiitrglriiiest donc devenu enseriibke

~l~airriturii~rr.laimplique tout d'abord que i~rüurirtrriiesrrit synonynie
deClij~iglrilimais.pour un juge qiii regrette de nepas savoir l'arabe. la
traduction de Bilad par errseriibleexige une explication. Est-ce que Bilud
couvre une conception uniqiiement territoriale. dc niCrneqiie les ternies
bled i~raklize~eit bledsibn tels que j'ai crti pouvoir les coiiiprendre aii
cours de ces débats (mais je serais natiirelleiiieiit recoiiiiüissr~ntd'être
eclairéà cet égard.si je me suis trompé)? Est-ce quc. dans la deuxième
question posee par l'Assembléegénerale. il s'agit de dcus conceptioiis
uniquement territoriales. a savoir le Xlaroc et leBil~Cliillg~tiiidenoinme
maintenant enss~ihke~~~aririiatii? c.~E~n d'autres ternies. est-ce qu'une
terre située ii I'intSrieur du Sahara occidental a pli faire partie soit du
soit de Iètiseir~be?ral~riluirieiiais pas des deus ? Une partie de
L'argumentationprésentéeà laCour me scrnble cependant donner lieu àla
question de savoir si Bilad Cliitigiriii n'a pas corrcspondii i iine
conception en premier lieu cultiirelle. coniprenant des elenlents eth-

iiiqties. religieux. linguistiqiies. sociaus er autres. Si tel étaitle cas. cst-ce
qu'en fait de territoire LeBilud Cliirtglriti.d&noi-iiniedans laprocédure
actuelle etisei~ib!e~liui~rilnrrie~. signifié le ou les territoires oil ces
cléments culturels se sont trouves constamnient 011 périodiquement
réunis et est-ce que rien n'a en~pkhéq~i'irnecertaine terre ait pli raire
partie9 la foisdu Bilad Clii~rglrietd'tiiEtüt dorit le territoire comprenait
aussi des parties érrangèresau BiluclClri~igriili?Ce sera la nia question))
(Ci-dessus p. 323.)

Telle était la question de 84. le juge Petrén i laquelle la delcgation de la
Xlauritanie a l'honneur de présenterla rkponse suivante :
Eii premier lieu. la reprcsentation de la Républiqiieislaiiiique de >laiiriiaiiieri I'Orgaiiisritiondes Nations Uiiics a participéavcc d'aiitres delégations zi la
rédactionde ladciisieiiic qiieslion posée parI'Asseiiiblbegenérrile.ALIcours de
la preparatioii de ce tcste. il cst apparu qiic I'espressioncirset~rhl~ itiai~ritu~/ie~~
rendait le pl~is adcquatcment possible le phenonîcric du Bilud C'f~iirgiiiti
piiisqiie celiii-ci n'était paslin Etat et se prcscntait comine lin ensemble
d'émirats,confedérationsde tribus et tribus unies sur un territoire détermine.
Deuxiémement,la traduction anglaise ne fut pas aiséed'aprèsles khos que

nous avons reçus. L'expression iiso rilliolefut immédiatement écartée comme
ne rcndaiit en ricn I'idcecxprinibc ci-dessus. 1-eiiiot ciiscriiblc~ en anglais a Lin
sens tout a fait diffcrent. IIest iitilisi'- coiniiie d'ailleurs eii fraiiçais - pour
dèsigrierune îorrnation niusicale ou chorkgraphiqiic. Firialenient le iuot eriiir~~
qiii laissait dans Icvague la striictiirc juridique tout eii iiiontrant l'unit&.étaitla
moins mauvaise des tradiictions ciicore qiiélle ne rendait pris lephétioniene
d'addition OLI de soinine d'cléiiientsdivers.
Troisieilien~cnt.leC;ouveriieineiit de la Rcpublique islaiiiique de X'lliuritanie
peut confiriiier A M. .lejuge I'etrénque. coiiiiiic ilI'a pressenti. l'expression

eirs'i~rhliilrrriii-irrii~~sii donc bicii spiioiiyiiie de Bilud Cliiiigiriri.
IZii effet. cn arabe le seiis priiiiitir dii ii!ot B~ilrd aii siilgulier est : lieu.
localité : daiis Linsciis secoiid. ~icqiiisdepiiis très toiigteiiips. ce iiiot signifie :
pays. territoire. contréc.rkgioii. C'estainsi qiie 1.011dit hlcrlsiha, bled ~ii~~klizeii
(hlc~détanlta forme dialectique de I~~tlcil.)ais dans cette dernièreacception -
c'est-à-diredans le sens pays, territoire - c'estsurtout la forme pluriclle hilud
qui est utilisée.
I-es esemples soiil iioiiibrciis. Rilad el Arab pour la peiiinstile arabique. le
pays des Arabes :Hilades-Siidaii. oiiSoiidaii. qiii signifie pays des Noirs :Bilad
el Jazair oit Algérie : Bilridel h,lnghreboit X.i:iroc. CI Rilad Isbania ou Espagne :

donc BilorlCliiiigi~iri OLI pays de Chiiigiiiti.
Rilrid a la mime fonction rnoi~phologiqueque le suffixe lrinddans leslangues
germaniques.
IJ'acception est donc claireiiierit territoriale. :\ la sous-question ainsi
formiilce :
<<fSst-ce qiie. dans la de~isiei~iequestioii posee par I'hsseiiiblee

gcntralc. ils'rigitde deus coliccptioiis ~iiiiqiicnientterritoriales. i savoir
Ic Xlaroc et le Bikrrl Clritigliiti dcnoiiiiiii' iiiainiciiai~t c.iiseiiible
~iiauritanieii:'»
- oii peut donc repoiidre par I'ailÏrniativc.

t\ la sous-qiiestion (<est-ce qii'iiiie terre sitiikc i I'iiiterietir du Sahara
occidental ri pli raire partie soit dii Xlaroc soit de I'ci~s~i~rbil~c~rritrirrriririais
pas des deus ? )) ilconvieiit a iiotrc seiis de rcpondrc de tiiriniere ii~iaiicée.
En l'absence de froiiticrc ii:itiirclle. iiioiitagiie. cours d'eau. etc.. ilne liiiiite
fixe. matEriatiscc. ii'esislai( probablcrnciit pas. 1-anotioii dc zone frontière. de
confilis. correspondait iiiietis h notre sciis ails réalitessocio-kconoiiiiqiies de
l'époque. En effet. les notions de zone frontièreou de confins expliq~ientplus
adéqiiritcnientles forines d'occtipatioiioccasioniielle de l'espaceiiihcrentes ails
çoiiditions niéiiiesde la vie en zone desertique. Certes urie îroiiticrc aurait pli
étre tracir si I'esistencç de coiiditioiis politiq~ies particiili?res avait rendu

nicessiiire iiiietelle fisation.Ces conditionsse rkalisércntlors de la colonisatioi~
par les Etats occideiit:ius. car pour cciis-ci il était csseilticl de préciser
niinii~ieiiseriiciitla liiiiitc de lciirs occiipatioiis respectives.
On peut y trouver delis raisons. 1)'iiiicpart. la conception occidentale est
largement inspirke de Iriiiotion de p;iiririioine. ce qui exige qiie l'espaceterri-
torial soit bien precisc. d'rititrepart. la coricepiion occidentalc est conditionnée362 SAHARA OCCIDENTAL

par le caractère sédentairedes populations :l'espaceterritorial doit nkcessaire-
ment êtrefini. puisqu'il est normalement conçu comme devant êtreocc~ipé
constamment par des agglomérations humaines fixes.
Les conditions régnant au Sahara occidental au moment de la colonisation
expliquent que nous ayons eu a utiliser la notion de chevauclienrent. Celle-ci
paraissait au Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie la plus
appropriéepour rendre compte du phénomène denomadisation provenant a la
fois du bled siba marocain et du BiladChinguiti.
Cette zone de chevauchement exploitee conjointement ou tour a tour n'était
évidemment pas vide d'aménagements permanents tels que points d'eau ou
cimetièresqui matérialisent l'emprisesur le territoire.
Nous en venons donc à un dernier point :étantdonnéquele BiladChinguiti
n'était pasune simpleentitécultiirelle. mais constituait une entité géopolitique
oii les pouvoirs et l'autoritéktaient exercéspar des elements de l'ensemble.

étant donné qii'il constituait une entité de droit international. la sitiiation
juridique régnantdans la zone de chevauchement ne pouvait êtreque l'égalité
de droit entre lBilad C/iiilgiiiet lebledsiha marocain. Nous l'avons explique
en répondant a la question posée parsir Humphrey Waldock.
Nous nous permettons de répéterles termes exacts que nous avons utilisés
(ci-dessus p.269) :

« dans leszones de chevauchement. et c'estle point beaucoup plus délicat.
ily avait riecessairemen1dualitéd'appartenance du territoire à l'ensemble
mauritanien et aii Royarrme du hlaroc. Cette dualité ne po~ivait. a
l'époqiie.aux yeux du Gouvernement inauritanien. se traduire que par
ifne égalitédc droits reflttant la comn~uiiaute d'intérèt des populations
nomades.

Le Gotivernement de la Republiqiie islamiqiie de Mauritanie espère ainsi
avoir répondu àla satisfactionde l'honorable juge. CLÔTURE DE LA PROC:ÉDUREORALE SUR LA REQUETE
POUR AVIS CONSULTATIF

LePRESIDENT :Nous voici donc parvenus au terme de la présentephase
de la procédure orale en matière d'avis consultatif sur le Sahara occidental,
demandé a la Cour par l'Assembléegénéraledes Nations Unies. résolu-
tion3292(XXIX). Au nom de la Cour, je tiearemercier les Gouvernements
marocain, mauritanien, zaïrois, algérienet espagnol d'avoir apporCour \a
une assistance précieuse en cette affaire, ainsi, de mêmque les autres
gouvernements qui ont fait parvena la Cour des communications écrites.Je
remercie les différents orateurs qui se sont succédédevant nous, de leur
coopérationet de leur courtoisie, et je n'oublie pas que les autres membres des
délégationsgouvernementales qui sont restés silencieuxont sans doute aussi
joué leur rôleLa Cour examinera avec le plus grand soin les arguments
développésdans lesexposésoraux et écrits,de mèmeque la documentation qui
a étémisea sa disposition.
Si tolitefois la Cour devait éprouver le besoin de précisionsou d'éléments
d'informations complémentaires. elle en aviserait les gouvernements qui ont

presentédes exposes oraux. et prie donc leurs représentants de bien voiiloir
demeurer a sadisposition.
Sous cette réserve.le Greffe informera le moment venu les gouvernements
et leSecrétaire général s ations Uniede la date a laquelle l'avissera rendu
en audience publique. PrrSenfs:M. LACHS,PrcJsidivit;M. AMMOUN, V~CLL-P~LS~ ;M CJIIIORS-
TER, GROS B,ENCZON,PETREN,'~NYEAMA. DILLAKI), IIECASTRO M,OROZOV,
JI~IENE~ DE ARCCHAGAs.ir Wumphrey WALUOCK, M. RUDA, .jrlges;
M. MN{, ,jirgadhoc : M.AQUARON Ereffier.

LEC'I'URE DE L'AVIS COKSULTA'I'IF

The PRESIDENT : 'TheCourt meets today to deliver in open court. in
accordance with Article 67 of its Statute. the Advisory Opinion oWesiertl
Snlzofa which was requested of it by the General rlsseinbly in its resolution
3292 (NSIN) of 13 Deceniber 1974.
Beforereading the Opinion, 1wish to recall that in a Ièwdays îrom now the
United Nations will celebrate its thirtieth anniversary. 'TheOrgaiiization was
officially boroii24 October 1945. theCharter - of which the Statuteofthe
Court fornrs airintegr:il pa-1 having been rafified on that datThis içnot
the time nor the placc for an evaluation of the work of the Coiirt over thcse
30 years. One observation of a general nature however may perhaps be
permitted :theCourt. as the principal,judicialorgan of the United h'ations. has
acted. in giviiig its iudgments and advisory opinions. as a court of Law. By

seeking in each case to siate what it has found to be the law. the Court has
sought. not nierely to discharge its inmediate task or rcsolving the dispute
before it. or rcsponding to the request made to it for an advisory opinion. but
ta contribute io the long-term strengihening and developnlent of international
law. by which States should be guided in their interiiational relations.
The increasing varietyand complexity of those relatioris teIOswiden the
lieldofapplicaiion of law. and thus to extend the role which the Court. as the
servant of the law. niay be called upon to play. 'rhirty years ago. the
international coiiii?iunity called the Court into being as a meofspeaceîul
settlement of disputes and as a sourof legalguidancei'orother international
organs and bodies. The goal oi'the Charter. then as iiow. is the setilement of
disputes in conformity with the principles of.juslice and international law.
1am confident that in the years to corne the Co~irtw~llnot fait to rneet the
demands which 1 hope will increasingly be made of it with a view to the
aitainment of ihai objective.

Avant d'entamer la lecturde l'avisconsultatif rendu par laCour en l'affaire

duSoliara occiikriial. ,jedois indiquer que M. Ignacio-Pinto. hospilalisédepuis
quelques ,jours. et $1.Nagendra Singh. qua dÜquitter La Haye ala suite du
deces d'un proche parent. nesont malhetireusenient pas en mesure de siéger
auiourd'hui. Ilsont cependant tous deux pris part au delibércet au scrutin
final.
Xi.Nagendra Singh était présent3.la séanceou la Cour a procédéau vote.
hl. Ignacio-Pinto n'avait pu y assisteM. le Vice-l'résidentAmmoun était
égalementsouffrant. 1-aCour lesa autorises l'unel l'autre bexprimer leur vote.
en application de l'article9, paragraphe iil. de la résoltitionlaspratiqueinterne de la Cotir en nizitierejiidiciaire. h.1.Amnio~in. rétabli. a pli prendre
aiijourd'hui sa place sur le sicge.
Le texte polycopie de l'avis consiiltatif et des déclarations. opinions
individuelles et opinions dissidentes qui y sont iointes n'a pi1êtretire qu'en un

noiiibrc très litnitéd'exemplaires. A lalin de la présente audience.il en sera
remis X,lh* l.s représentantsdes Etats ayant participe i la procédure.Leteste
imprimé sera distribuédans le coiirant du niois de novembre.
.le vais iiiuintenniit lire le teste de I':ivisconsultatif eii français.
[Le Présidentlit les paragraphes 12 a 163 de l'avisl.1

J'invite maintenant leGreffieradioint donner lecture du dispositif de ravis
consultatif en anglais.
Le GREFFIER ADJOINT : [donne lecture du dispositiren anglais ?].

Le I'RESIDEh'T : 0111étéjoints ii l'avis : les déclarations de X,lXI.Gros.
Igiiacio-Pinto et Nagcndra Singli :les exposés des opinions individuelles de
hI. leVice-Presideiii tlminoiin et de XIM. Forster. Petréil.Dillard. deCastro et
Boni :I'cspose de I'opiiiiondissidente de XI. Ruda.

Le Président.

(Signé] Manfred LACHS.

Le G refier.
(Signé] S. AQUARONE.

'Ibid..p.c68-69.1975.p. 17-69.

Document Long Title

Procès-verbaux des audiences publiques tenues au palais de la Paix, à La Haye, du 16 au 30 juillet et le 16 octobre 1975, sous la présidence de M. Lachs, président

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