C 4/CR 91/15
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
YEAR 1991
Public sitting of the Chamber
held on Monday 6 May 1991, at 10 a.m., at the Peace Palace,
Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding
in the case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening)
VERBATIM RECORD
ANNEE l991
Audience publique de la Chambre
tenue le lundi 6 mai 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre
en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant))
COMPTE RENDU
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Present:
Judge Sette-Camara, President of the Chamber
Judges Sir Robert Jennings, President of the Court
Oda, Vice-President of the Court
Judges ad hoc Valticos
Torres Bernárdez
Registrar Valencia-Ospina
- 3 -
Présents :
M. Sette-Camara, président de la Chambre
Sir Robert Jennings, Président de la Cour
M. Oda, Vice-Président de la Cour, juges
M. Valticos
M. Torres Bernárdez, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier
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The Government of El Salvador is represented by:
Dr. Alfredo Martínez Moreno,
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Roberto Arturo Castrillo, Ambassador,
as Co-Agent;
and
H. E. Dr. José Manuel Pacas Castro, Minister for Foreign Relations,
as Counsel and Advocate.
Lic. Berta Celina Quinteros, Director General of the Boundaries'
Office,
as Counsel;
Assisted by
Prof. Dr. Eduardo Jiménez de Aréchaga, Professor of Public
International Law at the University of Uruguay, former Judge and
President of the International Court of Justice; former President
and Member of the International Law Commission,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C., Director of the Research Centre
for International Law, University of Cambridge, Fellow of Trinity
College, Cambridge,
Prof. Prosper Weil, Professor Emeritus at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Dr. Francisco Roberto Lima, Professor of Constitutional and
Administrative Law; former Vice-President of the Republic and
former Ambassador to the United States of America.
Dr. David Escobar Galindo, Professor of Law, Vice-Rector of the
University "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador)
as Counsel and Advocates;
and
Dr. Francisco José Chavarría,
Lic. Santiago Elías Castro,
Lic. Solange Langer,
Lic. Ana María de Martínez,
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Le Gouvernement d'El Salavador est représenté par :
S. Exc. M. Alfredo Martínez Moreno
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Roberto Arturo Castrillo, Ambassadeur,
comme coagent;
S. Exc. M. José Manuel Pacas Castro, ministre des affaires
étrangères,
comme conseil et avocat;
Mme Berta Celina Quinteros, directeur général du Bureau des
frontières,
comme conseil;
assistés de :
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, professeur de droit international
public à l'Université de l'Uruguay, ancien juge et ancien
Président de la Cour internationale de Justice; ancien président
et ancien membre de la Commission du droit international,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international à la
Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux de
New York et du District de Columbia,
M. Elihu Lauterpacht, C.B.E., Q.C., directeur du centre de recherche
en droit international, Université de Cambridge, Fellow de Trinity
College, Cambridge,
M. Prosper Weil, professeur émérite à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Francisco Roberto Lima, professeur de droit constitutionnel et
administratif; ancien vice-président de la République et ancien
ambassadeur aux Etats-Unis d'Amérique,
M. David Escobar Galindo, professeur de droit, vice-recteur de
l'Université "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador),
comme conseils et avocats;
ainsi que :
M. Francisco José Chavarría,
M. Santiago Elías Castro,
Mme Solange Langer,
Mme Ana María de Martínez,
- 6 -
Mr. Anthony J. Oakley,
Lic. Ana Elizabeth Villata,
as Counsellors.
The Government of Honduras is represented by:
H.E. Mr. R. Valladares Soto, Ambassador of Honduras to the
Netherlands,
as Agent;
H.E. Mr. Pedro Pineda Madrid, Chairman of the Sovereignty and
Frontier Commission,
as Co-Agent;
Mr. Daniel Bardonnet, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Derek W. Bowett, Whewell Professor of International Law,
University of Cambridge,
Mr. René-Jean Dupuy, Professor at the Collège de France,
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Julio González Campos, Professor of International Law,
Universidad Autónoma de Madrid,
Mr. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, Professor of International Law,
Universidad Complutense de Madrid,
Mr. Alejandro Nieto, Professor of Public Law, Universidad
Complutense de Madrid,
Mr. Paul De Visscher, Professor Emeritus at the Université de
Louvain,
as Advocates and Counsel;
H.E. Mr. Max Velásquez, Ambassador of Honduras to the United Kingdom,
Mr. Arnulfo Pineda López, Secretary-General of the Sovereignty and
Frontier Commission,
Mr. Arias de Saavedra y Muguelar, Minister, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
Mr. Gerardo Martínez Blanco, Director of Documentation, Sovereignty
and Frontier Commission,
Mrs. Salomé Castellanos, Minister-Counsellor, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
- 7 -
M. Anthony J. Oakley,
Mme Ana Elizabeth Villata,
comme conseillers.
Le Gouvernement du Honduras est représenté par :
S. Exc. M. R. Valladares Soto, ambassadeur du Honduras à La Haye,
comme agent;
S. Exc. M. Pedro Pineda Madrid, président de la Commission de
Souveraineté et des frontières,
comme coagent;
M. Daniel Bardonnet, professeur à l'Université de droit, d'économie
et de sciences sociales de Paris,
M. Derek W. Bowett, professeur de droit international à l'Université
de Cambridge, Chaire Whewell,
M. René-Jean Dupuy, professeur au Collège de France,
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Julio González Campos, professeur de droit international à
l'Université autonome de Madrid,
M. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, professeur de droit international
à l'Université Complutense de Madrid,
M. Alejandro Nieto, professeur de droit public à l'Université
Complutense de Madrid,
M. Paul de Visscher, professeur émérite à l'Université catholique de
Louvain,
comme avocats-conseils;
S. Exc. M. Max Velásquez, ambassadeur du Honduras à Londres,
M. Arnulfo Pineda López, secrétaire général de la Commission de
Souveraineté et de frontières,
M. Arias de Saavedra y Muguelar, ministre de l'ambassade du Honduras
à La Haye,
M. Gerardo Martínez Blanco, directeur de documentation de la
Commission de Souveraineté et de frontières,
Mme Salomé Castellanos, ministre-conseiller de l'ambassade du
Honduras à La Haye,
- 8 -
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, Partner in Frère Cholmeley, Paris,
as Counsel;
Mr. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mrs. Olmeda Rivera,
Mr. Raul Andino,
Mr. Miguel Tosta Appel
Mr. Mario Felipe Martínez,
Mrs. Lourdes Corrales,
as Members of the Sovereignty and Frontier Commission.
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M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils;
M. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mme Olmeda Rivera,
M. Raul Andino,
M. Miguel Tosta Appel,
M. Mario Felipe Martínez,
Mme Lourdes Corrales,
comme membres de la Commission de Souveraineté et des frontières.
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The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. We begin the hearings today on the
third disputed sector of the land frontier, the so-called Sazalapa-Arcatao or Sazalapa-La Virtud. It
is the section of the land frontier that lies between the boundary marker called Pacacío on the river of
the same name and extends as far as the Poza del Cajón on the River Amatillo or Gualcuquin. It is
agreed that Honduras will be the first delegation to address the Chamber, and I give the floor to
Professor Gonzalez Campos.
M. GONZALEZ CAMPOS : Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'ai déjà eu
l'honneur de m'adresser à la Cour plénière en tant que représentant du Gouvernement espagnol lors
de l'avis consultatif concernant le Sahara occidental, et ce déjà à l'époque avec un sentiment
d'admiration et de profond respect pour la Cour. Aujourd'hui, le Gouvernement de la République du
Honduras m'honore de sa confiance, et je prends à nouveau la parole dans cette salle. Au seuil de
mon exposé qu'il me soit permis, Monsieur le Président, d'assurer à la Chambre de la Cour que je
garde intact, 16 ans plus tard, le même sentiment de profond respect et d'admiration à son égard.
INTRODUCTION
1. A l'instar de mon collègue et ami, M. Sánchez Rodríguez, je vais avoir à procéder à un
examen fondé sur des données particulières à certaines des zones en litige de la frontière terrestre; et
d'abord, sur celle qui, d'après les termes de l'article 16 du traité général de paix, est comprise entre la
borne de Pacacio, à l'ouest, et la borne Poza del Cajón à l'est. Je reste donc dans le domaine du
concret, tandis que les plaidoiries des premières audiences ont porté sur les questions générales du
présent débat; mais force est de constater le rapport entre les deux domaines - le général et le
concret - et les faits ici analysés peuvent certainement illustrer ces questions.
Par conséquent, je ne reviendrai sur ces questions générales que si besoin en est, et par voie de
simple référence. Leur exposé, si vous me permettez l'image, a été du ressort de l'état-major, mes
collègues ayant tracé, en fait, les grandes lignes du présent débat. En réalité, Monsieur le Président,
ma tâche se veut plus modeste : elle ressemble plutôt à celle de l'infanterie, et je suis donc obligé de
coller au terrain, autrement dit aux faits. Et cela au risque d'une aridité certaine dans mon exposé.
2. Par ailleurs, même si l'on reste sur ce terrain du concret, mon exposé doit surmonter une
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autre difficulté liée à la précédente. Il s'agit, Monsieur le Président, Messieurs les juges, de la
position très comfortable dans laquelle El Salvador a voulu se placer dans le débat, position d'où
découlent les différents arguments qui ont été avancés dans les pièces de la procédure écrite.
Il semble, en effet, que nos contradicteurs aient pris comme point de départ les règles
concernant la relation entre "titres juridiques" et "effectivités" qui ont été énoncées par l'arrêt de la
Chambre de la Cour dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Mali),
(C.I.J. Recueil 1986, p. 586 et 587), le passage de l'arrêt de 1986 ayant été transcrit à plusieurs
reprises dans les pièces de la procédure écrite d'El Salvador (MES, par. 3.12 et 7.19; RES, p. 116,
par. 4.12). Et on peut aisément concevoir qu'après avoir envisagé les quatre hypothèses qui y sont
indiquées, ils se soient placés dans la position très confortable de l'Etat qui, ayant un titre sur le
territoire fondé sur l'uti possidetis juris, peut se prévaloir, en plus, des "effectivités" qui viendraient
corroborer son titre.
Dans la réplique d'El Salvador, cette position générale est expressément admise, car on y
affirme qu'"El Salvador a prouvé que les faits [la possession effective] correspondent au droit [titres
officiels des terrains communaux]", autrement dit — poursuit la réplique — que "les territoires, les
îles et les espaces maritimes sont administrés par lui, et qu'il est en possession du titre, entendant par
là le document écrit approprié" (RES, p. 119, par. 4.18).
3. Telle est, certainement, la position générale d'El Salvador depuis son mémoire jusqu'à sa
réplique. Et on peut comprendre qu'il en soit ainsi en ce qui concerne ce secteur litigieux de la
frontière terrestre : El Salvador prétend en effet se fonder sur l'uti possidetis juris, sur la base du
titre d'Arcatao de 1724, et prétend en outre avoir exercé l'administration effective de tout le secteur,
depuis la date de l'indépendance jusqu'a nos jours, et même, il le dit, avant.
En revanche, nos adversaires ont essayé de placer le Honduras dans une position
inconfortable, à en juger par les efforts suivants. D'une part, en affirmant que le Honduras n'a pas
produit en ce qui concerne ce secteur "de titre officiel ayant valeur juridique ni même tout autre titre"
(RES, p. 63, par. 3.41) et l'on reviendra sur ce propos. D'autre part, El Salvador soutient que le
Honduras n'a eu aucune possession effective dans le secteur, ni dans le passé, ni à l'heure actuelle.
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Bref, le Honduras serait dans la position audacieuse, voire téméraire, d'un Etat qui revendique un
territoire sans aucun titre juridique à l'appui. Et enfin, sa revendication serait très récente.
Voici, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les termes du débat selon nos
contradicteurs. Mais il ne s'agit, en fait, que d'un beau rève, un beau rève sans lendemain, car les
arguments d'El Salvador, qu'ils soient d'ordre positif ou négatif, sont simplement des affirmations,
des mots, et ils sont dénués de tout fondement factuel. Une fois analysés ces arguments, la position
de nos adversaires est entâchée de la même faiblesse que celle qui, comme nous l'enseignent certains
ouvrages cinématographiques devenus célèbres, frappe ces malheureuses créatures de la nuit que
sont les vampires : au contact de la lumière, en plein jour, elles tombent en poussière.
4. Je m'efforcerai donc d'apporter de la clarté dans le débat. Et pour faire ressortir la faiblesse
de la position générale adoptée par nos adversaires, je diviserai mon exposé sur ce secteur en deux
grandes parties.
- Dans la première, j'aborderai la question centrale - et on pourrait dire, la seule vraie question
dont vous soyez saisis - des limites des anciennes provinces espagnoles à la date du
15 septembre 1821. C'est-à-dire, l'application du principe de l'uti possidetis juris en ce qui concerne
ce secteur. Et sur ce premier sujet je pourrai être plus bref, compte tenu de l'examen déjà effectué
dans les pièces de la procédure écrite que le Honduras vous a déjà soumises, et ne revenir que sur les
points les plus saillants, en considérant les arguments et points de fait inclus dans la réplique
d'El Salvador.
- Dans la seconde partie de mon exposé, je me propose d'examiner le deuxième élément de la
position d'El Salvador : les "effectivités" qu'il invoque dans ce secteur. D'un côté, en effet, on peut
remarquer que dans la réplique d'El Salvador le recours aux "effectivités" est encore plus marqué
que dans les deux écrits précédents; ce qui exige que le sujet soit dûment examiné. D'un autre côté,
la Chambre de la Cour aura également noté qu'El Salvador, après avoir invoqué, en toute parité, l'uti
possidetis juris et les "effectivités", avance encore un autre argument, fondé sur l'extension de son
territoire et de sa population par rapport au territoire et à la population du Honduras.
Cependant, s'agissant de ce dernier argument, une donnée mérite d'être soulignée dès à
- 13 -
présent : quand nos adversaires font appel à une sorte d'équité contra legem, ils prétendent s'appuyer
sur les arguments d'ordre humain pour le justifier. Ainsi, ils ont parlé dans la réplique des
"répercussions humaines profondes" qu'aurait une décision de la Chambre de la Cour qui arracherait
les zones litigieuses : "à un Etat comme El Salvador, dont la taille est déjà si injustement réduite..."
(RES, p. 120, par. 4.20). C'est un vieil argument; on le recontre lors des premières negociations du
XIXe
siècle et on voit que nos adversaires restent fidèles aux positions d'hier.
Or, comme j'espère le démontrer dans cette seconde partie, l'argument d'El Salvador n'a pas
d'assises. Et une fois atteinte cette conclusion, la conséquence coule de source : l'appel à l'équité, le
dernier recours de nos adversaires, n'est pas seulement un argument qui manque de toute portée
juridique devant la Chambre de la Cour; il devient, en réalité, un argument fallacieux, car dénué de
tout rapport avec les faits humains qui lui servent de base.
PARTIE I. L'APPLICATION DE L'UTI POSSIDETIS JURIS DE 1821
1. J'en arrive maintenant, Monsieur le Président, à la première partie de mon exposé,
concernant l'application de l'uti possidetis juris dans ce secteur. Et ici, j'essaierai d'abord de
démontrer, face à la première conclusion positive d'El Salvador, que celui-ci ne possède pas de titre
juridique sur ce secteur pour l'application de l'uti possidetis juris; car le titre d'Arcatao de 1724 ne
peut pas justifier le tracé de la frontière qu'il a soumis dans ses conclusions.
En une seconde étape, je me propose, face à la première conclusion négative avancée par
El Salvador, de démontrer qu'en revanche le Honduras peut justifier son tracé sur la base de l'uti
possidetis juris. Car les documents coloniaux qu'il vous a soumis, et aussi le titre d'Arcatao
lui-même, permettent aisément de déterminer quelles étaient les limites des anciennes provinces
en 1821.
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1. El Salvador ne possède pas de titre sur le territoire
fondé sur l'uti possidetis juris, compte tenu
des limites des terres d'Arcatao
1. Nos adversaires, en effet, invoquent le titre des terres d'Arcatao de 1724 pour justifier le
tracé de la frontière qu'ils ont soumis à la Cour dans les conclusions des pièces écrites. Or, il est aisé
de démontrer que, même en admettant comme hypothèse l'interprétation d'El Salvador sur les limites
des terres d'Arcatao :
- Primo : il n'y a pas coïncidence entre lesdites limites et le tracé qu'il revendique dans ses
conclusions.
- Secundo : compte tenu de ce fait, le tracé fondé sur le titre d'Arcatao ne peut justifier les
prétentions d'El Salvador sur la totalité de la zone litigieuse.
- Enfin : l'interprétation d'El Salvador des limites du terrain d'Arcatao, d'après le document
de 1724, est complètement erronée. Je passe donc au premier point.
A) Le tracé des limites des terres d'Arcatao et la ligne frontière
revendiquée par El Salvador
1. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la carte 4.1 du contre-mémoire du Honduras,
que vous avez devant vous dans un format élargi, peut illustrer assez bien les divergences des Parties
sur la délimitation de la frontière terrestre. Mais elle peut aussi servir à faire ressortir la "dualité"
des tracés d'El Salvador, point souligné par le Honduras à la fois dans son contre-mémoire
(p. 263-269 et 280-283) et dans sa réplique (p. 266-271).
En réalité, cette carte n'est qu'un ensemble ou une combinaison de tracés déjà représentés sur
d'autres cartes figurant dans les mémoires de chacune des Parties. Et avec votre permission,
Monsieur le Président, je voudrais rappeler l'origine des différents tracés qui y sont inclus ainsi que
leur portée en matière de délimitation.
2. En ce qui concerne le tracé hondurien, celui en vert, il commence à la borne de Pacacío et
suit à la borne de La Poza del Toro, puis la rivière Sazalapa, puis Guanacaste et il descend jusqu'à
Lagunetas; et de Lagunetas il va à la pointe finale du secteur.
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C'est le tracé en vert. Il représente les limites des anciennes provinces d'après les documents
de 1821, qu'il s'agisse de documents produits par le Honduras, ou du titre d'Arcatao proprement dit.
Bref, la carte 4.1 se borne à reproduire sur ce point le tracé de la carte du Honduras B.5.2, que vous
trouvez en regard de la page 328 de son mémoire. Mais d'autre part, s'agissant de la portée de ce
tracé, deux remarques liminaires très brèves.
- La première, pour rappeler que le Honduras ne soutient dans ses conclusions qu'un seul
tracé, celui en vert.
- La seconde, pour préciser que le tracé hondurien, comme il est dit sur la carte d'origine, la
B.5.2 du mémoire, est fondée sur les limites des juridictions des anciennes provinces.
3. Passons maintenant aux tracés salvadoriens, et je dis bien, aux tracés au pluriel, car
El Salvador vous a soumis deux tracés distincts. Dans la carte hondurienne 4.1 en effet, sont
reproduits les tracés qui ont été représentés dans deux des cartes du mémoire d'El Salvador :
- Le premier, coloré en violet, est celui de la carte 6.III de l'annexe cartographique, qui est
aussi celui de la carte 6.3, insérée au chapitre 6 de cette pièce écrite. Et son titre en anglais est le
suivant : "Interpretation of the Common Title of Arcatao, which protects the zone of Zazalapa". Je
tiens à souligner "which protects the zone of Zazalapa". Il s'agit donc de la limite des terres
d'Arcatao selon l'interprétation salvadorienne du titre de 1724.
- Le deuxième tracé, celui coloré en rose, est repris d'une autre carte d'El Salvador, celle
numérotée 6.9, concernant la localisation des "terres de la Couronne" (tierras realengas en espagnol)
dans le secteur. Mais cette carte, semble-t-il mes adversaires pourront le nier — cette carte est
tombée, car le conseil d'El Salvador a admis au cours de l'audience du 3 mai après-midi que la
question des "tierras realengas" "actually arise" seulement dans le secteur de Nahuaterique. Je fais
référence au compte rendu 14 page 18. Bien, j'accepte le rendez-vous à Nahuaterique et je prends
acte qu'El Salvador a modifié les conclusions concernant ce secteur, parce que, aux conclusions du
mémoire, au point 1.2, référence est faite pour tous les secteurs des prétentions du Salvador se
fondant sur les "tierras realengas". Mais vous trouvez le même tracé dans une autre carte du
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mémoire d'El Salvador, une carte insérée dans le chapitre 7, se rapportant aux "effectivités" et dont
le titre en anglais est le suivant : "Human Settlements included in the Non-Delimited Zones,
El Salvador-Honduras Frontier Arcatao or Sazalapa". Cette carte de "Human Settlements" vous
l'avez aussi devant vous.
Alors, quel est le tracé coloré en rose ? Le tracé coloré en rose commence ici, il suit le cours
d'un fleuve et tout à coup il va en droite à un point qu'il a pu appeler "some highly hills", et puis,
alors en droite jusqu'à un autre point et il descend en droite jusqu'au fleuve. Le tracé en droite n'était
pas la spécialité des autorités espagnoles. Mais quand même c'est le cas du tracé en rose; et sur ce
tracé en rose on reviendra à la seconde partie de mon exposé.
Or, si l'on compare les deux tracés d'El Salvador, certaines remarques, de fait et de droit,
s'imposent. Ma première remarque, de pure constatation, est la suivante : les deux tracés ne
coï ncident pas, et on peut l'observer à la carte 4.1 très nettement, mais il faut examiner ces
données :
- Dans la partie nord-ouest du secteur en litige, de la borne de Pacacio à la rivière Sazalapa,
on peut observer que le tracé du terrain d'Arcatao reste très à l'est du tracé en rose, celui des
"Human Settlements". De telle sorte que même si l'on admet l'interprétation d'El Salvador du titre de
1724, un grand "vide" en résulte; et de ce fait, le premier argument avancé par nos adversaires vient
à tomber pour cette partie du tracé. Je fais référence à cette partie : le titre d'Arcatao ne commence
qu'ici; et alors, est-ce que nos adversaires, même en admettant par hypothèse leur interprétation,
peuvent nous expliquer sur quel titre ils fondent leur droit, d'ici jusqu'ici? Et d'ailleurs, quels sont les
fondements pour cette partie du tracé ? Parce que le titre d'Arcatao ne couvre que la vallée de
Sazalapa, d'après l'interprétation d'El Salvador.
- Si l'on poursuit plus à l'est, les limites des terres d'Arcatao (toujours selon l'interprétation
d'El Salvador) ne dépassent le tracé hondurien de la rivière de Sazalapa que dans une petite partie.
Celle-ci. Mais il reste l'autre tracé très au nord.
- En revanche, un fait nous surprend si on va plus à l'est : ici, vers le milieu de la zone, le tracé
du titre d'Arcatao dépasse et va plus loin que le tracé de la carte des "Human Settlements". Ici, c'est
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le tracé d'Arcatao, celui en violet; celui-ci c'est le tracé de la carte de "Human Settlements", qui est le
tracé des conclusions du Salvador. Et alors ici, dans ce triangle, dépasse complètement; et alors
El Salvador tombe dans une contradiction parce que cette partie était "tierra realenga" après la carte
6.8. Bon, la carte est tombée, mais comment justifier cette partie du tracé ? Le titre d'Arcatao va
plus loin, ici je pense qui après l'interprétation du titre nous pourrons trouver la réponse.
Mais si l'on continue vers le sud-est, on peut remarquer que le tracé des terres d'Arcatao
s'écarte à nouveau du tracé en rose de la carte de "Human Settlements", ne dépassant d'ailleurs le
tracé de Honduras que pour englober les terres de Gualcimaca. Je fais référence à cette partie
centrale, celle qui va d'Arcataguera à Laguneta, voilà le tracé fondé sur les "effectivités", voici le
tracé fondé sur le titre d'Arcatao. Il reste toute cette partie non couverte par le titre d'Arcatao qui en
réalité ne prend que les terres de Gualcimaca. On reviendra sur ce point.
- Enfin, toujours vers l'est, même si on l'étend à volonté, comme l'ont fait nos adversaires, le
tracé d'Arcatao en tout ne dépasse la borne de Lagunetas, ici vous pouvez voir qu'ici finit le titre
d'Arcatao et il en reste toute cette partie; alors ici, il n'y a pas de titre de la part d'El Salvador. Il en
résulte donc un autre "vide" de titres salvadoriens assez considérable par rapport au tracé de la carte
en rose des "Human Settlements". Voici pour la dualité des tracés d'El Salvador.
5. Ma deuxième remarque concerne la portée de ces deux tracés d'El Salvador. Et ici deux
points sont à relever. Premier point : s'agissant du tracé de la limite des terres d'Arcatao fondé sur le
titre de 1724, la carte 6.3 du mémoire d'El Salvador affirm que ce titre "protège la zone de
Sazalapa". Et dans la réplique on nous dit encore une fois, que ce document de 1724 est le titre "sur
lequel il fonde ses droits dans ce secteur et qui expliquent sa possession actuelle de tout le secteur"
(RES. p. 63, par. 3.41).
Or, la simple remarque factuelle que j'ai faite plus haut apporte un démenti suffisamment net à
ces affirmations, car le tracé des terres d'Arcatao ne coïncide pas avec celui de la carte des "Human
Settlements". Et même en admettant par hypothèse la thèse du Salvador sur l'interprétation des titres
coloniaux pour l'application de l'uti possidetis juris (à savoir, que la concession de la terre impliquait
un contrôle ou transfert de juridiction selon le droit espagnol), c'est la thèse du Salvador, lors des
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premières audience — nos adversaires ne peuvent pas justifier l'affirmation faite dans la réplique
salvadorienne. L'écart entre les deux tracés est en effet trop grand, comme on vient de l'observer.
Second point, El Salvador lui-même apporte un démenti encore plus frappant au premier
fondement des thèses qu'il soutient. En effet, la Chambre de la Cour se sera demandée, comme le fit
le Gouvernement du Honduras en examinant le mémoire d'El Salvador, quel est le tracé que ce
dernier soutient dans ses conclusions. Et la réponse, même si elle a été entourée d'une ambiguïté
certaine, est celle-ci : El Salvador prétend à une délimitation de la frontière terrestre sur la base d'un
tracé, décrit au paragraphe 6.71 de son mémoire, qui correspond précisément au tracé représenté sur
la carte concernant les "Human settlements". C'est-à-dire, à un tracé, d'après El Salvador, qui est
différent de celui des limites des terres d'Arcatao.
B. Conclusion
1. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, quelles conclusions peut-on tirer de ce qui
précède ? La première conclusion est d'ordre négatif et concerne l'affirmation faite dans la réplique
d'El Salvador à laquelle j'ai fait allusion il y a un instant. On nous dit, en effet, qu'El Salvador
"fonde ses droits dans ce secteur" sur le titre des terrains communaux d'Arcatao et que ce titre
explique "sa possession actuelle dans tout le secteur" (RES, p. 63, par. 3.41).
Or, cette affirmation est inexacte, compte tenu de ce que nous avons vu il y a un instant, car la
limite des terres d'Arcatao n'englobe pas "tout le secteur". En conséquence, l'argumentation générale
d'El Salvador tombe dès le premier argument : El Salvador n'est pas dans la situation d'un Etat qui
aurait un titre sur le territoire, fondé sur l'uti possidetis juris; car ce titre manque largement en
réalité, et c'est là, même en n'admettant, par hypothèse, le tracé des terres d'Arcatao d'après
l'interprétation d'El Salvador.
2. Force est donc de convenir que la conclusion à laquelle le Honduras est arrivé dans son
contre-mémoire est la bonne : la délimitation ne pouvant se fonder sur l'uti possidetis juris de 1821,
le fondement de la position d'El Salvador, pour la partie extérieure au titre d'Arcatao est toute autre,
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c'est le recours aux "effectivités" (CMH, vol. I, p. 279-283). J'aborderai ce point à la partie II de
mon exposé et j'y espère démontrer que ce deuxième fondement de la position d'El Salvador tombe
aussi en poussière à l'analyse des faits. Mais je tiens à souligner que le Salvador n'est pas pour cette
partie dans la position d'un Etat qui aurait un titre et en plus des "effectivités". Il manque de titre.
2. Deuxième point. Le tracé hondurien est fondé sur
l'uti possidetis juris de 1821
1. Je passe donc au second point de cette première partie de mon exposé, qui concerne ce que
l'on peut appeler le fondement négatif de la position générale d'El Salvador à l'encontre du Honduras.
En effet, d'après nos contradicteurs:
"Il est concluant, il faut le souligner dès l'abord, que le Honduras n'ait pas produit, au
sujet de ce secteur, de titre officiel ayant valeur juridique ni même tout autre titre." (RES,
p. 63, par. 3.41).
Il s'ensuivrait donc que le Honduras, en absence de toute preuve, n'est pas fondé à invoquer l'uti
possidetis juris de 1821.
Telle est la position adoptée par El Salvador. Mais après un examen des faits et des questions
de droit liés à cet argument, on verra qu'elle est foncièrement inexacte. Pour procéder à cet examen,
j'aborderai en premier lieu la question des moyens de preuve produits par le Honduras. Ensuite, je
reviendrai à la carte 4.1 pour analyser les données qui nous apportent les moyens de preuve ainsi que
le titre d'Arcatao lui-même.
Sur ces deux points, Monsieur le Président, mon collègue, le professeur Nieto a fait justice
aux arguments salvadoriens et je ne voudrais pas m'attarder. S'agissant du premier, en effet, les
arguments d'El Salvador sur la "force probante" des documents coloniaux sont assez singuliers, bien
qu'un examen particulier des documents produits par le Honduras semble nécessaire ici, compte tenu
qu'il est de nature à illustrer précisément l'argument salvadorien. En ce qui concerne mon second
point, un examen très détaillé a été déjà réalisé dans les pièces de la procédure écrite et, de ce fait, je
ne reviendrai que sur les données essentielles.
- 20 -
A) Premier point. La position d'El Salvador face aux moyens
de preuve produits par le Honduras aux fins de
l'application de l'uti possidetis juris
1. Ce qui nous ramène encore une fois aux premières audiences; mais voyons-les en concret.
Sur ce point, la carte 4.1 peut nous servir aussi, car elle nous indique les titres des terrains antérieurs
à 1821 qui ont été présentés par le Honduras, à l'exception du titre de San Juan de Lacatao de 1776.
Mais on peut aussi se rapporter à la carte B.5.2 du mémoire hondurien que vous avez aussi devant
vous et qui donne les mêmes indications en couleur.
A cet égard, il y a lieu de souligner que le point de départ de la position d'El Salvador sur cette
question se trouve dans son contre-mémoire. En effet, l'examen des documents produits par le
Honduras permet de constater ce qui suit :
1) commençons par la partie nord de la zone contestée. A propos des titres honduriens de
San Juan El Chapulin de 1776 et de Concepción de las Cuevas de 1741, je vous signale, ici, la
situation des deux titres; à propos de ces deux titres, El Salvador ne nous dit pas s'il s'agit de "titres
officiels" ou non. Mais il les exclut du débat avec un argument singulier, dont le texte mérite d'être
cité :
"Ces textes, dit El Salvador, n'indiquent ni l'un ni l'autre que les habitants d'Arcatao
aient été convoqués ou aient été présents, et ils n'ont donc pu fixer les limites juridictionnelles
des deux provinces." (Contre-mémoire, p. 88, par. 3.62.)
Argument singulier, disais-je, comme une simple constatation suffit pour le prouver. En effet,
un simple regard sur la carte 4.1 ou la carte B.5.2 infirme l'argument d'El Salvador car, on observe,
en effet, que les terres d'Arcatao, soit d'après l'interprétation du Honduras, soit d'après
l'interprétation d'El Salvador, ne sont pas contiguës à celles de Concepción de las Cuevas et, à
fortiori, à celles de San Juan El Chapulin, plus à l'ouest. En conséquence, on voit mal pourquoi
l'arpenteur de ces deux terrains aurait dû convoquer les habitants d'Arcatao. Et les habitants
d'Arcatao, d'ailleurs, n'étaient certainement pas les autorités compétentes en droit espagnol "pour
fixer les limites des deux provinces". Je pense que la carte est claire, à l'encontre de l'interprétation
du Salvador : le titre d'Arcatao commence ici et vous voyez que lors de l'arpentage de Concepción de
- 21 -
las Cuevas ou San Juan de Chapulin, on reste loin des terres d'Arcatao. L'argument est simplement
inexact.
2) Plus à l'est, vous trouvez le titre hondurien des terres de San Francisco de Sazalapa,
arpenté en 1741. Ce terrain est limitrophe des terres d'Arcatao, et de ce fait les habitants d'Arcatao
ont été convoqués par le juge commissaire des terres, Don José de Rivera, et ont été présents à la
limite de la rivière Sazalapa (MH, annexes, vol. IV, annexe X.1.2, p. 1830 et 1832). Par
conséquent, les reproches d'El Salvador adressés aux deux premiers documents n'ont pas de raison
d'être.
Mais El Salvador a exclu aussi ce document, et il l'a fait en affirmant qu'"il n'est pas, lui non
plus, un titre officiel de terrains communaux" (CMES, par. 3.60, p. 78). Et pour ce faire, il a eu
recours à un autre argument qui fut l'objet de débats lors des premières audiences : il s'agit, nous dit
El Salvador, d'un "titre de terrains privés" et non d'un titre de "terrains communaux".
Sans revenir sur ce débat général, je puis me borner à une simple remarque : sous le régime dit
de la "composición de tierras", en Amérique, les terrains des communautés indigènes, de même que
ceux appartenant à des particuliers, étaient condédés par la Couronne d'Espagne dans le cadre de la
même procédure et conformément aux mêmes dispositions régissant la matière. Et tel est bien le cas
du titre des terrains d'Arcatao de 1724 et de celui de San Francisco de Sazalapa, arpenté en 1741 :
tous les deux sont des "ejidos de composición", concédés par la Couronne dans la deuxième période
du régime de "composición" des terres, celui ouvert par le brevet royal du 30 octobre 1692. Et les
titres portent référence à cette disposition dans les deux cas. Or, pourquoi alors ces documents
auraient-ils l'un et l'autre une "force probante" distincte ?
D'autre part, aux fins de l'application de l'uti possidetis juris de 1821, l'essentiel est la
détermination des limites des anciennes provinces, d'après les documents de l'administration coloniale
espagnole ou des autorités ecclésiastiques. Messieurs les juges, partant, on peut comprendre la
finalité sous-jacente de la distinction établie en désespoir de cause par El Salvador, ainsi que son
rejet du titre de Sazalapa. Dans ce document de 1741, comme on le verra plus loin, une donnée
essentielle apparaît : la rivière Sazalapa est la limite des anciennes provinces; et la carte concernant
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les cures de Guarita, dernièrement soumise par le Honduras, le confirme assez nettement. Je
reviendrais plus tard sur ce point parce que les documents sont vraiment concluants.
3) Si l'on condidère à présent le titre hondurien des terres de Colopele, qui est un document
très important, il est placé ici; il jouxte les terres de Sazalapa, il jouxte Arcatao, il jouxte San Juan
d'Arcatao. Bon, si l'on considère à présent le titre hondurien de Colopele, la position d'El Salvador
est la même : il "n'est pas lui non plus un titre officiel de terrains communaux" (CMES, par. 3.59,
p. 77). Et on peut se demander, en suivant les arguments de nos adversaires, si l'exclusion de ce
document est due à l'absence des habitants d'Arcatao, premier reproche, quand le terrain de Colopele
a été arpenté. Et la réponse est non, car ce document nous dit qu'en arrivant à un endroit appelé
Guanacaste, sur lequel je reviendrais, où se trouve une borne des terres d'Arcatao, l'arpenteur a
"trouvé les habitants de ce village avec leur titre" (MH, annexes, vol. IV, annexe X.1.5, p. 1895).
Est-ce qu'il s'agit de terres de propriété privée ? C'est le reproche contre le titre de Sazalapa. Une
fois encore, la réponse est non. Les terres de Colopele ont été arpentées à la demande de la
communauté indigène de Guarita, qui se plaignait qu'elle manquait de terres à cultiver pour assurer
sa subsistance (MH, annexes, vol. IV, annexe X.1.5, p. 1884). La communauté de Guarita mérite le
même traitements que la communauté d'Arcatao et le titre de Guarita est de même nature que le titre
d'Arcatao.
Or, Monsieur le Président, quelle est donc la raison qui peut justifier l'exclusion par
El Salvador du titre de Colopele ? Il n'y en a pas; et nos adversaires sont forcés de convenir avec
nous que cette exclusion est purement arbitraire. Mais même si elle n'est pas justifiée, on peut
trouver une explication, compte tenu du passage auquel je me suis reféré à propos de la présence des
habitants d'Arcatao : on y faisait allusion à l'endroit appelé "Guanacaste", où se trouve une borne des
terres d'Arcatao. Et on indique dans le document qu'à cet endroit il y a une borne d'Arcatao. Il en
résulte tout simplement, pour l'interprétation d'El Salvador, qu'elle n'a pas de sens. Et la carte
précitée des cures de Guarita, encore une fois, apporte un démenti frappant : la rivière de Sazalapa
suit une direction vers le nord-est, mais dans la carte il y a un autre tracé qui suit le sud-est et ce
tracé renferme l'expression "Curato d'Arcatao". Ce tracé est la limite des terres d'Arcatao, du
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Guanacaste à Arcataguera comme on le verra.
4) Il ne reste, finalement, que les titres honduriens de Gualcimaca de 1783 et ceux des terres
de San Juan de Lacatao de 1766 et 1786. Lors de l'arpentage du premier, les habitant d'Arcatao
étaient présents avec leur titre (MH, annexes, vol. IX, annexe X.1.6.A., p. 1927 et 1929), mais nos
contradicteurs préfèrent ignorer cette donnée, en cherchant à nouveau un refuge dans la distinction
que l'on vient de commenter, et ils affirment qu'il ne s'agit pas "d'un titre officiel de terrains
communaux" mais d'une propriété privée (CMES, par. 3.56, p. 75).
Mais il est à remarquer que la position d'El Salvador à l'égard de ce titre de Gualcimaca est
entourée d'une certaine ambiguïté allant jusqu'à la contradiction. D'une part, en effet, ce titre n'aurait
aucune "force probante", si on accepte la distinction faite par nos adversaires; c'est un titre de
propriété privée; mais d'autre part, tel n'est pas le cas, car les bornes indiquées dans ce document,
nous dit El Salvador, "confirment la délimitation qui résulte du titre officiel des terrains communaux
d'Arcatao (CMES, par. 3.56, p. 175).
J'accepte volontiers cette affirmation, car les bornes du titre de Gualcimaca, en effet, coïncident avec
celles des terres d'Arcatao, comme le Honduras l'a mis en relief, et il s'agit d'un point important
quant au document produit par le Honduras. Mais, ceci dit, Monsieur le Président, on ne peut pas
"souffler froid" et "souffler chaud", et nos adversaires sont obligés de choisir : soit admettre, soit
nier, sa force probante, à moins de prétendre, à mi-chemin entre les deux, qu'un document hondurien
n'a de force probante que s'il est favorable à El Salvador.
5) Or Monsieur le Président, Messieurs les juges, telle est précisément la situation à laquelle
on arrive avec les titres de San Juan de Lacatao de 1786, parce qu'ici nos contradicteurs ont "soufflé
le froid" et "soufflé le chaud", on va le voir. Le titre antérieur, celui de 1776 "n'est pas un titre
officiel de terrains communaux", nous disent-ils, (CMES, p. 72, par. 3.51) et le réarpentage de 1786
non plus, n'ayant pas reçu en outre "l'approbation des autorités judiciaires de Guatemala" (CMES,
p. 74, par. 3.54).
Mais dans sa réplique, El Salvador semble avoir oublié cette récusation de la pièce précédente.
Il y est, d'abord, fait allusion à "certains titres officiels qui ont été présentés par le Honduras" puis,
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plus particulièrement, au "titre officiel des terrains communaux de San Juan de Lacatao de 1786"
(RES, p. 64, par. 3.43 et 3.44). Et les deux paragraphes qui suivent dans la réplique où le titre
hondurien est largement utilisé par El Salvador, commencent précisément par la même expression
"Le titre officiel poursuit..." (RES, p. 65, par. 3.45 et 3.46, les italiques sont de nous). Alors, est-ce
que nos contradicteurs pourraient nous dire quelle est la nature de ce titre d'Arcatao de 1786 ? C'est
un titre officiel ou ce n'est pas un titre officiel ? On ne peut pas se tenir à mi-chemin.
Comment expliquer ce changement d'attitude d'El Salvador, qui est en contradiction, non
seulement avec son contre-mémoire, mais aussi avec ce qui est dit à la page antérieure de la réplique,
où l'on affirme que le Honduras n'a produit aucun "titre officiel" ni "même tout autre titre" ? La
raison est très simple, Monsieur le Président, Messieurs les juges : comme on le verra plus avant, le
titre hondurien est utilisé pour pouvoir combler la "lacune" des titres d'El Salvador dans le secteur
compris entre Lagunetas et la Poza del Cajón. Je cite l'affirmation d'El Salvador, ce titre de
San Juan de Lacatao de 1786 permet "ainsi, de compléter les titres officiels sur lesquels se fonde
El Salvador dans ses revendications de frontières" (RES, p. 64, par. 3.43).
Monsieur le Président, Messieurs les juges, voici encore une autre distinction établie par nos
adversaires qui semble être très proche de ce qu'on a appelé le mos italicus qui disait primum ponam
casum; secundum dividem, et ils ont fait pas mal de distinction. Voici une nouvelle distinction, et je
vais l'exprimer. La distinction pourrait s'énoncer ainsi : il y a des "titres officiels des terrains
communaux" (par définition, ceux d'El Salvador) et des "titres des terrains privés" (par définition,
c'est produit par le Honduras). C'est la règle. Mais parfois, un titre de terrains privés (comme c'est
le cas de Lacatao) peut être considéré comme un "titre officiel de terrains communaux"; l'exception
s'appliquant quand le document peut être utilisé en faveur d'El Salvador pour combler une lacune ou
compléter un titre officiel.
3. Il suffit d'énoncer cette conclusion, plutôt singulière en matière de preuve, pour pouvoir
constater que toutes les distinctions et tous les arguments utilisés par El Salvador ne constituent, en
vérité, qu'une vêtement taillé sur mesure pour servir à deux finalités.
- D'abord, pour conforter la position d'El Salvador, qui serait le seul Etat à avoir produit des
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documents servant l'application de l'uti possidetis juris.
- Deuxièmement - et il semble que ce soit là la finalité fondamentale des arguments et des
distinctions d'El Salvador - pour récuser les documents antérieurs à 1821 produits par le Honduras
qui sont à l'encontre des arguments d'El Salvador. Bref, disait le romancier, si vous restez tout seul
et vous exposez vos idées vous avez toujours raison.
L'attitude d'El Salvador à l'égard des documents honduriens sur la zone en litige devient
simplement arbitraire, et on peut donc abandonner l'étude de cette question; et je passe maintenant au
second volet de mon exposé sur l'application de l'uti possidetis juris dans ce secteur, car je me
propose de démontrer quelles étaient les limites des anciennes provinces d'après les documents
honduriens et d'après le titre d'Arcatao lui-même.
Monsieur le Président, je vois que l'on approche de 11 heures. Je suis à votre disposition, je
peux continuer un quart d'heure, ou bien est-ce que je m'arrête ici ?
Le PRESIDENT : Vous continuez.
M. GONZALEZ CAMPOS : Bien.
B) Les limites des anciennes provinces dans ce secteur
aux fins de l'application de l'uti possidetis juris de 1821
1. A ce stade, je ne tiens pas à revenir sur l'examen très détaillé auquel il a été procédé tant
dans le contre-mémoire que dans la réplique du Honduras; je me contenterai donc de considérer
seulement les points de fait et de droit abordés à ce sujet dans la réplique d'El Salvador (RES,
p. 63-69). Pour ce faire, je ne suivrai pas l'ordre dans lequel ces questions ont été traitées par nos
adversaires, car les deux rubriques qu'ils ont utilisées ("A. Terres correspondant au titre officiel des
terrains communaux d'Arcatao", et "B. L'interprétation correcte du titre officiel des terrains
communaux d'Arcatao"), cachent le problème fondamental du débat : quels sont les points
géographiques qui, d'après les documents antérieurs à 1821, y compris le titre d'Arcatao,
constituaient les limites des anciennes provinces ?
Pour répondre à cette question, je me propose d'examiner les points essentiels du tracé
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hondurien; pour chacun, je ferai ressortir d'abord la position d'El Salvador dans sa réplique, puis les
données résultant des documents coloniaux. Ce qui permettra, j'espère, de fixer les termes du débat
dans tous les secteurs de la frontière et approcher le terrain en collant le plus près aux faits.
1. De la baie Pacacio à la borne Poza del Toro
1. Si l'on commence à l'ouest, le premier secteur du tracé est celui compris entre la borne de
Pacacio et la borne Poza del Toro. C'est ici, Messieurs les Juges, la borne de Pacacio, et la borne
Poza del Toro. C'est le premier grand vide des documents salvadoriens. Ici El Salvador ne peut
certainement pas invoquer le titre d'Arcatao de 1724, la limite occidentale de ces terres se trouvant
très à l'est. Et face aux données des titres honduriens de San Juan El Chapulin et Concepción
de las Cuevas, nos adversaires se sont bornés :
a) d'une part, à récuser les deux titres honduriens de la façon assez singulière que j'ai relevée il
y a un instant (CMES, p. 78, par. 3.61);
b) d'autre part, à garder un silence très significatif sur un titre salvadorien, celui de
Santa Lucía; document auquel se réfère l'arpentage du terrain de Concepción de las Cuevas de 1719
lorsqu'il est dit que le ravin de la Puerta "sert de borne à cet endroit et à l'endroit appelé Santa Lucía"
(MH, annexes, vol. IV, annexe X.1.1., p. 1820).
Messieurs les Juges, Santa Lucía est ici et il y a un lieu qui s'appelle précisément Santa Lucía
ici. Mais El Salvador n'indique pas le titre de Santa Lucía qui peut-être a été perdu dans l'incendie
des archives nationales qui, très sélectivement, a épargné le titre d'Arcatao et détruit peut-être ceux
de Nombre de Jesús et ceux de Santa Lucía, parce qu'il y en a un autre ici qui nous manque aussi.
En résumé, Monsieur le Président, El Salvador n'a pas produit un seul moyen de preuve pour
l'application de l'uti possidetis juris dans cette première partie du tracé. Et dans ces circonstances,
quelle conclusion tirer, Messieurs les Juges, sur les limites des anciennes provinces dans cette partie
du tracé ? Le Honduras espère, en toute confiance, que la Chambre de la Cour établira un tracé de
la frontière entre les deux Etats conformément aux conclusions qu'il vous a soumises.
2. La rivière de Sazalapa en tant que limite
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2. Passons donc à la deuxième partie du tracé, la rivière Sazalapa, en tant que limite. Cette
limite de cette partie du tracé est la suivante : elle est comprise entre la Poza del Toro et suit tout le
long de la rivière Sazalapa jusqu'à un point que nous appelons Poza de la Golondrina; c'était la limite
des anciennes provinces. On va le constater. [Quelle interprétation ont donnée nos adversaires du
document de 1724.]
Or, Monsieur le Président, je dois aborder ici une question d'ordre plus général que l'on peut
retrouver pour d'autres parties du tracé. En effet, la position d'El Salvador, ici comme ailleurs, est
celle du "titre isolé". Le "titre isolé", car un seul document est utilisé par El Salvador, le titre
d'Arcatao. Mais ce faisant, on écarte d'autres documents postérieurs, compte tenu, nous disent-ils,
que ceux-ci n'auraient aucune force probante. Et on arrive, tout court, à une complète
dénaturalisation des données historiques, car l'uti possidetis juris est enraciné dans l'histoire et après
le titre d'Arcatao les terrains de Colopele, de Sazalapa, d'Arcatao ont été arpentés à nouveau et alors,
c'est cet ensemble, ce mosaïque, le seule moyen qui peut nous montrer quelles étaient les limites des
anciennes provinces.
Mais ceci dit, voyons si les limites des terres d'Arcatao, comme El Salvador le prétend dans le
tracé violet, dépassaient vers le nord la rivière de Sazalapa.
Car la position d'El Salvador est la suivante : l'arpenteur est venu par la Quebrada
Colomariguan puis le Chupadero del Agua Caliente et est monté ici - il place ici le Chupadero del
Agua Caliente -, puis les arbres de Sicaguites, puis on descend le Gualquire, et puis la rivière
Sazalapa. Il y a ici ce qu'on peut appeler une "remontée vers le nord" de la part d'El Salvador. Et
cette remontée se porte sur la vallée de Sazalapa.
Mais quelle est la réponse ?
3. Trois points seulement suffisent pour démontrer qu'ils ont dépassé la rivière Sazalapa.
Primo : selon le titre de 1724, l'arpenteur n'a dépassé à aucun moment la rivière de Sazalapa et
El Salvador en est arrivé, pour obtenir le résultat contraire, à introduire non moins de quatre
modifications dans l'emplacement des lieux auxquels se réfère ce document (CMH, vol. I,
p. 289-291). Sans revenir là-dessus, une fois de plus je me contenterai, pour démontrer ce que
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j'avance, de faire valoir un seul point mais incontestable. Et ceci d'après le document de 1724,
l'arpenteur est arrivé à un endroit appelé Chupadero del Agua Caliente en venant du sud vers le nord.
Mais à cet endroit il a changé de direction : "pour aller de l'ouest vers l'est". Et ce qui est plus
important, il n'a pas modifié la direction de l'arpentage et est arrivé ensuite, allant de l'est vers
l'ouest, aux arbres appelés Sicaguites (lieu qui est indiqué sur la carte 6.III d'El Salvador comme
Sicahuites, mais il est ici, Messieurs les Juges, dans la carte d'El Salvador, il y a un lieu qui s'appelle
Sicahuites, ici, au sud du Sazalapa) et vous trouvez la même toponymie dans la carte hondurienne
qui est devant vous. Sicahuites n'est pas ici, comme El Salvador le place; Sicahuites est ici, au sud
du Sazalapa. Je poursuis : l'arpenteur, toujours de l'ouest vers l'est, est allé d'abord aux arbres
Sicahuites, puis au petit ravin qui descend vers le confluent des rivières Gualquire et Sazalapa - et
nous sommes ici - pour remonter enfin la rivière de Sazalapa. Or, Messieurs les Juges, tous les
points, comme il est aisé de le constater sur la carte, sont alignés dans la direction ouest-est. Il n'y a
donc aucune "remontée vers le nord" au-delà de la rivière Sazalapa. On a marché en amont de cette
rivière (et le texte espagnol nous dit "arriba de Sazalapa") et cela se faisait, comme nous le dit le
document relatif aux terres d'Arcatao : "en longeant la province de Gracias a Dios" et les terres de
l'Hacienda de Sazalapa. Nous avons donc la limite des terres et aussi la limite des provinces sur la
rivière de Sazalapa.
Secundo : Les références que l'on trouve dans d'autres documents, soit antérieurs, soit
postérieurs à 1821, sont tout aussi concluantes.
Prenons par exemple le document de l'arpentage de la Hacienda de Sazalapa de 1741 : l'arpenteur a
marché "de l'ouest vers l'est, en remontant le ravin en question de Sazalapa". Or c'est la même chose
que dans le titre d'Arcatao de 1724. Puis il a rencontré les habitants d'Arcatao avec leur titre qui lui
ont dit "que le ravin en question (Sazalapa) constituait la limite et la division des terres". Autrement
dit, Sazalapa était la limite des provinces et la limite des terres; car les indigènes d'Arcatao,
remarquons-le, ont, au XVIIIe
siècle, distingué les deux domaines, alors que le Gouvernement
d'El Salvador, aujourd'hui, semble le confondre. Mais quelque chose mérite d'être souligné : et c'est
le témoignage du maire d'Arcatao, cette fois-ci, en 1843, car il est aussi concluant que les
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témoignages du maire d'Arcatao du XVIIIe
siècle. Le domaine de Sazalapa a été arpenté à nouveau
au XIXe
siècle et requis par l'arpenteur du domaine de Sazalapa pour être présent lors du nouvel
arpentage, le maire d'Arcatao a répondu "je dois vous dire qu'il est vrai que les terres de ce village
jouxtent les terres de Sazalapa et leurs limites sont la rivière de Sazalapa, sans aller au-delà de cette
rivière ni rester en-deçà de celle-ci" (RH, annexes, vol. 1, p. 116).
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la concordance est parfaite entre les données
de 1741 et celles de 1843; et c'est le maire d'Arcatao qui fait cette déclaration sur les limites des
anciennes provinces au XVIIIe
siècle et au siècle dernier. Et malgré cela, nos adversaires
souhaitent-ils encore insister sur la soi-disante "remontée" au nord du fleuve Sazalapa ou bien
préfèrent-ils comme d'habitude garder le silence sur ces faits ? Je leur laisse leur choix.
Enfin : il ne nous reste, pour cette partie du tracé, qu'à évoquer la confirmation qui nous est
fournie par le nouveau document que le Honduras a versé au dossier la semaine dernière. Le retard
dans la présentation de ce document étant dû à la procédure de légalisation à laquelle il a été soumis
dans l'archevêché de Guatemala. Il s'agit en effet, d'un document écclésiastique, parce que
l'article 26 du traité général de paix ne parle pas seulement de documents coloniaux séculiers mais
aussi de documents écclésiastiques. Il s'agit d'un document écclésiastique, qui est le croquis de la
cure (le curato) de Guarita, signé par la cure Cisneros (vous l'avez devant vous en reproduction); et
même si ce document n'est pas daté, la caligraphie est certainement du XVIIIe
siècle.
Or, qu'est-ce que ce document permet d'établir ? La même chose que ce que je viens
d'indiquer à propos des documents de 1724 (Arcatao), de 1741 ou 1841. En effet, vous y trouvez la
limite du Curato de Guarita et du Curato d'Arcatao; il s'agit d'une ligne montrant le confluent de la
rivière "Pasacio" et de la rivière "Gulcinga"; et même si celle de Sazalapa n'est pas portée sur la ligne
servant de limite, on sait que les rivières "Pasacio" [Pacacio en réalité] et Gulcinga [ou Gualsinga]
qui sont représentées, sont des affluents de la rivière Sazalapa. Deuxièmement, on constate
qu'au-delà de la limite de la cure de Guarita, au nord de la rivière Sazalapa, figurent deux numéros
- 6 et 7 - qui correspondent, le premier à un village, celui de Sazalapa, et le second à la Hacienda de
San Pablo. On y trouve aussi en regard des numéros 8 et 9, San Cristobal et Chapulin. Bref, ce
- 30 -
croquis confirme et les titres des terres au nord de Sazalapa, et, ce qui est plus important, la limite
entre les deux provinces; car c'est la limite des deux curatos, Guarita et Arcatao, et la limite, c'est la
rivière Sazalapa. J'ai fini ici avec la partie concernant Sazalapa. Et avec votre permission,
Monsieur le Président, je passe à la troisième partie du tracé d'après le Honduras, qui va de la rivière
Sazalapa à la borne de Guanacaste. C'est une partie importance de la ligne.
3. De la rivière Sazalapa à la borne de Guanacaste
4. D'ici, sur la rivière Sazalapa jusqu'ici, la borne de Guanacaste. Et vous pouvez voir que
cette ligne est un barrage à l'encontre de la remontée salvadorienne vers le nord-est, parce que la
limite s'arrête ici. Selon l'interprétation d'El Salvador, en partant du titre d'Arcatao de 1724,
l'arpenteur aurait continué en amont de la rivière Sazalapa jusqu'à ce qu'il arrive "au sommet des
collines très élevées" : collines qui, d'après El Salvador, "ne peuvent être que celles du Cerro
del Fraile", où se trouvait un arbre appelé Guanacaste (RES, p. 67, par. 3.49). Et après cette
remontée sur l'imaginaire, car les références sont tout à fait imprécises, El Salvador nous dit que
l'arpenteur serait "descendu" en changeant de direction et marchant du nord vers le sud, pour arriver
à la borne d'Arcataguera, puis aux autres bornes plus au sud (ibid., p. 67-68). Mais ce faisant,
El Salvador va à l'encontre des données concluantes de plusieurs documents postérieurs au titre
d'Arcatao de 1724, comme le Honduras l'a déjà mis en relief dans les pièces de la procédure écrite
(CMH, vol. I, p. 291-293 et RH, vol. I, p. 320-326).
Néanmoins, El Salvador a insisté sur son interprétation dans la réplique (RES, p. 67-69,
par. 3.49 à 3.51) : et il y a donc lieu, Monsieur le Président, à ce stade du débat, de préciser les
données servant de fondement au tracé hondurien. Mais deux points préliminaires sont à souligner.
1) D'une part, les terrains d'Arcatao ont bien été arpentés en 1723, mais après cette date, ont
également fait l'objet d'un arpentage les terres limitrophes : San Juan de Lacatao, en 1776 et puis
1786, puis le terrain de Colopele, en 1779. Et les documents de ces derniers arpentages sont
postérieurs et ils permettent de fixer, on pourrait dire par contraste, les limites d'Arcatao. On
comprend donc aisément pourquoi El Salvador ne peut pas accepter la "force probante" de ces
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documents, comme je l'ai indiqué plus haut.
2) D'autre part, en partant de cette donnée, on peut constater que la borne de Guanacaste,
appelée aussi El Platanar ou La Cañada, constitue un point de repère où convergernt les limites des
trois domaines précités : celui d'Arcatao mais aussi celui de Colopele et San Juan de Lacatao. Si l'on
tient exclusivement au titre d'Arcatao de 1724, il nous dit seulement, après avoir mentionné les
bornes d'Arcataguera, Sapo et Guanpo, "qu'il convient de noter que ces terres (Arcatao) sont
limitrophes des terres de San Juan de Lacatao" (mémoire d'El Salvador, annexes, p. 18). Mais après
l'arpentage de Colopele, en 1779, Guanacaste devient un point triple.
5. Ceci dit, laissons parler les documents pour étayer cette conclusion.
1) Premier fait à remarquer : en 1776, les terres de San Juan de Lacatao sont arpentées et ce
document nous dit qu'on est arrivé "à un coteau qu'on appelle Platanar", au sommet duquel "se
trouvaient le maire et les habitants de San Bartolomé d'Arcatao", lesquels ont déclaré "que cet
endroit était la limite de leurs terres" (mémoire du Honduras, annexes, vol. IV, annexe X.1.7,
p. 1.988). La contiguïté des deux domaines, d'après ce document, commence donc du côteau du
Platanar.
2) Deuxième fait, le plus décisif, qui nous est fourni par l'arpentage de Colopele en 1779.
L'arpentage, Monsieur le Président, a commencé ici, très haut, en bordant, en jouxtant, les terres de
Sazalapa et il dit qu'on marchait ayant à la droite les terres de Sazalapa. Mais après être arrivé à la
rivière Sazalapa, le document nous dit qu'on marchait longeant à la droite les terres d'Arcatao. Et ils
sont arrivés à ce point de Guanacaste et là était le maire d'Arcatao. Et puis le document nous dit
qu'ils ont continué l'arpentage vers le nord-est et ont changé, ils venaient sud-est et ils ont continué
nord-est, et le document nous dit qu'à partir de ce point on longeait les terres de Lacatao (mémoire
du Honduras, annexes, vol. IV, annexes X.1.5, p. 1895); alors le document n'appelle pas une seule
réserve. Il est concluant et quelle est la conclusion qu'on peut en tirer ? La conclusion est très
simple. Guanacaste est le tripoint de Colopele, Arcatao et San Juan de Lacatao et c'est la limite des
anciennes provinces.
3) Enfin, la donnée précédente est confirmée par les croquis de la limite de la cure de Guarita,
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signé par le curé Cisneros. Dans ce croquis vous trouvez au sud de la rivière Sazalapa l'expression
"Curato de Arcatao" (cure d'Arcatao). On le lit bien, au sud de la rivière Sazalapa vous trouvez
l'expression "Curato d"Arcatao" et vous pouvez constater, Messieurs les Juges, qu'à la droite du
croquis ont été tracées deux lignes : la première monte vers le nord-est, et c'est le cours de la rivière
Sazalapa, comme on peut le constater dans n'importe quelle carte sur le secteur; mais la seconde
offre un grand intérêt, car elle descend vers le sud-est et même si rien n'est indiqué dans le croquis,
vous pouvez apprécier que cette ligne suit la même direction de l'arpentage de Colopele de 1779. En
outre, cette ligne renferme l'expression "Curato d'Arcatao", à l'est. Que peut-on en conclure,
Messieurs ? La conclusion est simple : cette ligne qui va de la rivière Sazalapa vers le sud-est dans
le croquis est la limite du "Curato d'Arcatao"; si l'on veut, la limite des anciennes provinces. Et une
fois ce point admis, l'interprétation d'El Salvador s'effondre complètement. Guanacaste, est un point
essentiel pour le tracé dans ce secteur de la frontière terrestre.
Si vous le permettez, Monsieur le Président, vous trouvez que c'est peut-être le temps de faire
la pause.
Le PRESIDENT : I thank Professor Campos. Since you are going to begin another point, we
will take our break now and will be back in 15 minutes.
M. GONZALEZ CAMPOS : Thank you very much.
L'audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 45.
- 33 -
Le PRESIDENT: Please be seated. The sitting is resumed and I give the floor again to
Professor González Campos.
M. GONZALEZ CAMPOS : Thank you Mr. President.
4. J'avais examiné la troisième partie du tracé, celle qui va de la rivière Sazalapa à la borne de
Guanacaste, le barrage à l'encontre de la thèse du Salvador.
4. De Guanacaste à Arcataguera
6. Je passe maintenant à la quatrième partie du tracé hondurien qui va de la borne de
Guanacaste jusqu'au mont d'Arcataguera. Je tiens à souligner où sont ces points. C'est ici
Guanacaste, le point final de la partie précédente, c'est ici Arcataguera. Il s'agit donc d'un tracé où
les terres d'Arcatao et les terres de San Juan de Lacatao jouxtent, et, ceci dit, il faut rappeler que les
terres de San Juan de Lacatao de la province de Gracias a Dios ont été arpentées en 1776 et 1768.
Mais, ici, deux remarques seulement concernant cette partie du tracé :
1). La première concerne le titre d'Arcatao de 1724, qui nous dit qu'après l'arbre de
Guanacaste, on changea de direction "en marchant du nord vers le sud". En 1776, lors de l'arpentage
de San Juan de Lacatao, on est arrivé à la borne del Platanar, où se trouvaient les habitants
d'Arcatao et le document nous dit qu'on a continué en "marchant sur le fil de la montagne nommée
El Caracol, ayant en vue, sur le côté ouest, le village d'Arcatao, en suivant les limites territoriales des
indigènes..." (MH, annexe, vol. IV, annexe X.1.7, p. 1988-1989).
Vous pouvez constater que si on va du nord vers le sud, et sur la carte on peut apprécier qu'il
y a une montagne, de là on pourrait voir le village d'Arcatao.
Or, nous avons la direction et même le nom de l'endroit où on a poursuivi l'arpentage. Est-ce
qu'il y a une montagne dite El Caracol, au sud, et je souligne, au sud de la borne de Guanacaste ?
La réponse, comme la Chambre de la Cour le sait déjà, est affirmative : sur la carte
salvadorienne 6.III, et également sur la carte hondurienne 4.1, vous trouvez en effet représenté un
"Cerro Caracol".
2) Deuxième remarque, sur le point final de cette partie du tracé, à savoir la borne située sur
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la colline d'Arcataguera. L'endroit est indiqué dans le titre d'Arcatao de 1724, qui précise qu'il y a
"un Portezuelo" (en espagnol) que traverse la route qui conduit à la ville de Gracias a Dios.
En 1776, lors de l'arpentage de San Juan de Lacatao, on a seulement indiqué qu'on est arrivé "à un
mont pointu", sans en préciser le nom; mais on ajoute qu'à cet endroit "se trouve un petit col
(Portillo, en espagnol) qui constitue le chemin allant du village (Arcatao) à cette hacienda" (MH,
annexes, vol. IV, annexe X.1.7, p. 1989). Et quand les terres de Gualcimaca sont arpentées en 1783,
le document nous dit qu'au pied d'une colline escarpée, on a rencontré les habitants d'Arcatao avec
leur titre et ils "ont fait constater qu'il y avait une borne au pied de cette petite colline escarpée qui
sert de limite de leurs terres de celles du domaine de San Juan de Lacatao" (ibid., annexes, vol. IV,
p. 1929). Finalement, en 1786, le nouvel arpentage de San Juan de Lacatao confirme cette donnée
(CMH, annexes, annexe IV.3, p. 164).
Il s'agit donc d'un point triple depuis 1783, pour les terres d'Arcatao, de San Juan de Lacatao
et de Gualcimaca, le nouveau domaine. Et cette donnée, je tiens à le souligner, a été expressément
admise par El Salvador dans son contre-mémoire (CMES, p. 75, par. 3.57). Cependant, nos
adversaires semblent l'avoir oubliée dans leur réplique, où l'on insiste encore une fois sur
l'interprétation extensive du titre d'Arcatao (RES, o. 68-69).
En conclusion, dans cette quatrième partie du tracé, à partir de la borne del Guanacaste, les
limites des anciennes provinces suivaient en direction nord-sud le fil du cerro El Caracol, jusqu'à
arriver au pied d'une colline escarpée où il y a un col, traversé par un chemin, cet endroit étant
dénommé la colline d'Arcataguera.
Je finis ici avec cette partie du tracé.
5) De la borne de Arcataguera jusqu'au col de las Lagunetas
7. Les points sont ici, Messieurs les juges, Arcataguera et suit une liste de bornes que vous
trouvez dans les titres d'Arcatao et dans le titre de Gualcimaca. Et le Honduras, dans le
contre-mémoire, a mis d'un côté les bornes d'Alcatao et d'un autre côté les bornes de Gualcimaca. Et
le point final est ici, à La Lagunetas; et à la Lagunetas le document atteste que c'était la limite des
anciennes provinces. Or, depuis la borne d'Arcataguera, la concordance des bornes, dans le titre des
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deux terrains, Arcatao et Gualcimaca, est une donnée que le Honduras a mis en relief, comme je le
disais il y a un instant, estimant que c'était un fait concluant à l'encontre de l'interprétation
d'El Salvador (CMH, vol. I, p. 303-306).
Et ce point a été aussi admis par nos adversaires dans leur contre-mémoire, à l'examen du titre
de Gualcimaca de 1783. Ils ont affirmé, en effet, que "de manière générale, on peut dire que ces
bornes (des terres de Gualcimaca) coïncident avec celles du titre officiel des terrains communaux de
San Bartolomé d'Arcatao"; indiquant, par voie d'exemple, les bornes de Cerro El Sapo, du Cerro
Guanpa, du Cerro Caracol et du Cerro El Ocotillo (CMES, par. 3.57, p. 76).
Il s'agit, comme j'espère le mettre en évidence, d'un point très important aux fins de la
délimitation. Mais après avoir admis cette donnée, nos adversaires ont essayé de réduire, voire
d'exclure totalement, les conséquences qui en découlent.
- Dans le contre-mémoire, il est admis, certes, que les bornes coïncident, mais il est affirmé au
préalable que "l'emplacement des bornes figurant dans l'arpentage de Gualcimaca présente certaines
difficultés". Et sans aucune analyse de ces difficultés, on se contente de réfuter l'emplacement de la
borne du Cerro El Tambor d'après la carte B.5.2 du mémoire du Honduras, par rapport au Cerro
El Caracol (CMES, p. 65 et 76, par. 3.57).
- Mais le problème pour El Salvador, il faut en convenir avec nos adversaires, est
l'emplacement des bornes des terres de Gualcimaca. C'est ce qui amène El Salvador à revenir dans
sa réplique sur la question de la localisation de la borne du Cerro El Caracol, jugée inexacte ou
imaginaire, pour conclure que cette erreur de localisation explique que le Honduras place mal tous
les points indiqués dans le titre d'Arcatao (RES, p. 69, par. 3.52).
Monsieur le Président, Messieurs les juges, telle est la position d'El Salvador qui ne constitue,
en réalité, qu'une fuite devant les faits. Compte tenu de cette attitude, il ne semble pas nécessaire
d'insister sur l'analyse déjà réalisée par le Honduras dans les pièces de la procédure écrite et sur la
coïncidence des bornes et sur leur emplacement; je me permets, tout simplement, de vous renvoyer
aux considérations exposées dans le contre-mémoire et dans la réplique du Honduras, sans revenir, à
ce stade du débat, sur les faits et les arguments qui y sont exposés (RH, vol. I, p. 331-333).
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8. Néanmoins, je voudrais ajouter une autre remarque en ce qui concerne l'emplacement des
bornes des terres de Gualcimaca. La remarque serait la suivante : El Salvador ne peut plus
continuer à ignorer où sont situées les terres de Gualcimaca d'après l'arpentage de 1783, même si les
deux cartes du contre-mémoire d'El Salvador sur cette zone en litige (3.E et 3.F) occultent
délibérément les limites et la localisation de ce terrain.
En effet, Monsieur le Président, Messieurs les juges, il suffit de fixer l'emplacement des terres
de Gualcimaca pour que toute l'interprétation d'El Salvador s'effondre. Et la raison en est très
simple : si les bornes des terres coï ncident avec celles des terrains d'Arcatao (comme il est admis
par El Salvador), elles ne peuvent pas être situées, en même temps, à la limite des terres d'Arcatao
avec celles de San Juan de Lacatao, comme on les représente sur la carte 6.III du mémoire
salvadorien, en ignorant tout simplement les terres de Gualcimaca. On comprend que cette
position d'El Salvador soit celle de son mémoire. Après le titre des terres de Gualcimaca,
Gualcimaca existe bien et ils sont obligés de l'admettre; il n'est plus possible maintenant de maintenir
qu'il n'y a pas de terres de Gualcimaca.
J'attends donc une réponse de nos adversaires sur la localisation des terres de Gualcimaca et
sur la contradiction que je viens de mettre en évidence. Et pour le moment, je puis conclure sur cette
partie du tracé en affirmant qu'à partir de la borne d'Arcataguera, la limite des anciennes provinces
suit la coïncidence des bornes entre les terres d'Arcatao et celles de Gualcimaca, telle que représentée
sur la carte hondurienne 4.1 que vous avez devant vous, et d'après les termes des conclusions que le
Honduras a soumises à la Chambre de la Cour.
6. De Lagunetas jusqu'à la borne Poza del Cajón
J'en arrive ainsi à la dernière partie du tracé, celle comprise entre le col de Lagunetas, limite
des anciennes provinces et la borne Poza del Cajón, le point extrême à l'est. Et ici je puis être très
bref, bien que deux remarques liminaires s'imposent :
1) D'abord le point de départ, le col de Lagunetas. Ce point ici. Le col de lagunetas est admis
par El Salvador comme constituant "le dernier point de la ligne séparant Arcatao de Gualcimaca"
(CMES, p. 76, par. 3.57), Gualcimaca était la terre qu'El Savador semble ignorer. Il n'y a donc pas
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lieu d'insister sur les données concernant ce point, qui ont été exposées par le Honduras dans sa
réplique (RH, vol. I, p. 333-335). Las Lagunetas est le point triple entre les terres d'Arcatao, de
Gualcimaca et de Nombre de Jesús.
2) Ma deuxième remarque vise à rappeler que nos contradicteurs n'ont pas produit le titre des
terres de Nombre de Jesús, ni aucun titre concernant cette partie finale du tracé. Placés devant cette
difficulté, ils ont eu recours au titre hondurien des terres de San Juan de Lacatao de 1786, tout en
écartant celui antérieur de 1776. D'abord, dans leur contre-mémoire, puis dans leur réplique
(CMES, p. 74 et 75, par. 355; RES, p. 64-66, par. 3.44-3.46).
10. Mais si nos adversaires ont cherché refuge dans les documents honduriens de 1786, ils
l'ont fait, je tiens à le souligner, sans aucun respect pour le texte, car, aux pages 64 à 66 de leur
réplique, ils ont utilisé la technique suivante : ils ont d'abord opéré la transcription d'un passage du
document, puis ont affirmé que celui-ci corroborait les thèses d'El Salvador, sans se soucier de ce
que le texte transcrit contredisait cette affirmation.
Ainsi, à la page 65 de la réplique, paragraphe 3.45, il est fait état de l'opposition du
propriétaire du domaine de Nombre de Jesús, de la province de San Salvador, lors de l'arpentage
de 1786. Puis, après la citation d'un passage du document, on ajoute que "ceci signifie que le "Juez
de tierras" a admis les prétentions des habitants de Nombre de Jesús ... et a confirmé ainsi cette
juridiction sur cette partie initiale de ce secteur contesté". Or, une simple lecture du document
de 1786 permet de constater :
1) Que le juge des terres, à l'encontre de l'affirmation d'El Salvador, a très clairement rejeté la
position du bachelier Simon Amaya sur la limite du domaine de Nombre de Jesús, en faisant
référence à l'arpentage du terrain de San Juan de Lacatao de 1776 et également à l'arpentage de 1742
du terrain de Nombre de Jesús. Et il a souligné que le propriétaire antérieur, Raimundo Amaya, qui
avait été présent à l'arpentage de 1776, aurait dû porter plainte devant l'Audience du Guatemala, ce
qu'il n'a pas fait (contre-mémoire du Honduras, annexes, p. 162-163).
Et après avoir donné ces raisons - qui font d'ailleurs ressortir le respect des autorités
espagnoles pour les limites des juridictions, à l'encontre de la thèse d'El Salvador - il a procédé de la
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même façon que lors de l'arpentage précédent de 1776, en ordonnant à l'arpenteur : "de continuer la
mesure par cet angle" et de rechercher les bornes anciennes de Nombre de Jesús. C'est-à-dire en
partant de la jonction du ravin de Tuquin, El Amatillo ou Palo Verde et en direction nord-est,
parce que l'arpentage qu'on avait commencé ici en bas continuait dans cette direction. Le document
de 1786, par conséquent, n'apporte aucun appui aux conclusions d'El Salvador.
2) Qu'on aboutit au même résultat pour ce qui est de l'affirmation d'El Salvador au
paragraphe 3.46 de sa réplique concernant le tracé à partir de la borne de la Poza del Cajón (réplique
d'El Salvador, p. 65-66). Après avoir cité un nouveau passage du document de 1786, on ajoute que :
"la frontière qui commence au Poza del Cajón sur le río Amatillo ou Gualcuquin ne s'écarte
pas de ce cours d'eau de la manière dont le prétend le Honduras, mais, au contraire, le suit
comme l'affirme El Salvador".
En fait, le passage qu'El Salvador transcrit du document de 1786 vient après celui que l'on a
indiqué, où le juge de terres a ordonné à l'arpenteur de continuer l'arpentage "par cet angle" et il a
fait référence, en plus, au "ravin" d'Amatillo, c'est-à-dire au ravin dénommé Tuquin, de
Los Amatillos ou Palo Verde, qui marquait les limites des anciennes provinces.
11. Ceci dit, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je voudrais attirer votre attention sur
une affirmation d'El Salvador à la fin de la page 65, paragraphe 3.46, de sa réplique. Après avoir
opéré la transcription du passage du document précité que je viens de commenter, nos adversaires,
nous renvoyant à la carte 6.III, nous disent ceci : "Le tracé de la frontière revendiquée par
El Salvador rejoint précisément la ligne décrite dans cet arpentage, suivant le petit Río Gualcuquin
ou El Amatillo."
On parle de "la frontière revendiquée par El Salvador"; or, il convient de rappeler que,
d'après les conclusions de son mémoire, El Salvador prétend que "partant de la borne Poza del Cajón
sur la rivière dénommée Guayquiquin, Gualcuquin ou El Amatillo ... la frontière suit ladite rivière en
amont sur 5000 mètres jusqu'à sa source" (mémoire d'El Salvador, conclusions et par. 6.71). Le
document de 1786, par contre, fait référence au confluent du ravin Tuquin, de Los Amatillos ou
Palo Verde avec ladite rivière, continuant ensuite en direction est-nord-est. Et vous voyez, Messieurs
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les Juges, où est la séparation, la divergence entre les Parties.
D'après El Salvador, le titre de 1786 dirait qu'on a continué jusqu'à la source, tandis que lors
de l'arpentage, on le voit très aisément sur n'importe quelle carte, le bachelier Simon Amaya est sorti
ici, très près de la rivière, et on l'a vu continuer sur cet angle, en direction est-nord-ouest. Alors le
titre de 1786 ne peut jamais étayer les conclusions d'El Salvador.
Et alors, si le document de 1786 n'est pas - ne peut pas être - le fondement des conclusions
d'El Salvador, quel est le fondement ? A quoi bon rechercher un point d'appui dans les documents
coloniaux servant à l'application de l'uti possidetis juris ? Et le passage que je lis est significatif; le
document de 1786 ferait ressortir, d'après El Salvador, que le tracé fondé sur les effectivités "rejoint"
la ligne fondée sur l'uti possidetis juris. On peut faire la jonction des deux arguments comme on fait
la jonction ou bien la confusion entre les deux données de l'article 26 du traité général de paix. Il
semble qu'on peut tout mêler, les faits et le droit, les titres et la possession. Une ligne est à la fois
commencement de l'une et de l'autre. Je pense que ce n'est pas la bonne méthode. Il faut jeter de la
clarté sur le débat.
Je finis ici, Monsieur le Président, l'examen de la position hondurienne et aussi de la position
d'El Salvador.
3. Conclusion
12. On arrive au coeur de la position d'El Salvador, c'est-à-dire au recours aux "effectivités".
Il est temps donc d'aborder la seconde partie de mon exposé, consacrée précisément à l'examen des
"effectivités" dont El Salvador entend se prévaloir. Mais avant d'y arriver, quelles conclusions
générales peut-on tirer en ce qui concerne l'application de l'uti possidetis juris dans ce secteur ?
De l'avis du Gouvernement du Honduras, deux conclusions s'imposent que j'expose très
brièvement :
- D'une part, on a constaté que le titre d'Arcatao de 1724 ne peut pas justifier les prétentions
d'El Salvador dans ce secteur, l'interprétation qu'il donne de ce document étant, en plus, inexacte.
Par conséquent, El Salvador ne peut pas fonder ses droits dans ce secteur sur la base de l'uti
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possidetis juris de 1821.
- En revanche, le tracé de la ligne frontière que le Honduras a soumis à la Chambre de la Cour
est attesté par divers documents antérieurs à 1821, qui nous indiquent quelles étaient les limites des
anciennes provinces; documents non contredits, et même corroborés, par le titre des terres d'Arcatao
lui-même. En conséquence, les droits du Honduras par rapport à la délimitation dans ce secteur sont
fondés sur l'uti possidetis juris de 1821.
Partie II. LE RECOURS PAR EL SALVADOR AUX ARGUMENTS D'ORDRE
HUMAIN ("effectivités")
1. Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Chambre, j'aborde à présent la seconde
partie de mon exposé, concernant les "effectivités" dont El Salvador entend se prévaloir dans cette
zone de la frontière terrestre. Il s'agit, comme je l'ai souligné plus haut, du deuxième fondement
juridique de la position du Salvador, qui prétend se placer dans la position confortable d'un Etat qui
aurait, non seulement un titre, mais en plus la possession effective de ce territoire.
Mais en réalité, le premier fondement, on vient de le voir, fait totalement défaut. Et, à la fin
de cette seconde partie de mon exposé, j'espère avoir démontré aussi que les fameuses "effectivités"
n'ont d'autre base que les affirmations de nos contradicteurs; les belles paroles sont démenties par les
faits.
Pour y arriver, je me propose de traiter séparément trois questions. La première concerne
l'extension dans le temps et dans l'espace des "effectivités" d'après nos adversaires, ce qui nous
permettra de mieux analyser les faits. La deuxième se rapporte aux moyens de preuve des
"effectivités" produits par El Salvador; si je puis ainsi les qualifier, car la preuve des faits est
absente. Et, finalement, je me reporterai aux documents postérieures à 1821 qui ont été présentés
par le Honduras.
1. L'étendue dans le temps et dans l'espace des "effectivités"
A. LES "EFFECTIVITES" DU POINT DE VUE TEMPOREL
1. Sur l'étendu des "effectivités" dans le temps, la position d'El Salvador, comme d'habitude,
est plutôt radicale. Et il suffit, pour le confirmer, de rappeler les affirmations faites par nos
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adversaires; les belles paroles.
En effet, ils ont soutenu dans leur mémoire qu'"El Salvador a traditionnellement eu la
possession de ce secteur pendant des siècles, tant à l'époque coloniale qu'après l'indépendance"
(MES, chap. VI, par. 6.23; les italiques sont de nous). Je pense, Monsieur le Président, que c'est
vraiment beaucoup dire si l'on se réfère à la République d'El Salvador, car l'indépendence n'a été
acquise qu'en 1821.
Et dans la réplique, la même position est reprise car, après avoir fait une référence au titre
d'Arcatao, on nous dit que les droits salvadoriens fondés sur ce titre "expliquent sa possession
actuelle de tout le secteur" (RES, par. 3.41, p. 63). Et on affirme au chapitre IV que les documents
produits par El Salvador permettent de prouver "qu'il a administré et administre effectivement tous
les secteurs de la frontière terrestre revendiqués par le Honduras", en faisant mention expressément
de celui d'"Arcatao ou Sazalapa" (RES, par. 4013, p. 117).
2. Voilà donc la position d'El Salvador sur l'étendue des "effectivités" mesurées dans le temps,
qu'on pourrait résumer ainsi : il a existé une parfaite continuité, de l'époque coloniale à nos jours,
dans la possession effective de ce secteur par El Salvador. Et la base de cette situation, aujourd'hui
et autrefois, serait le titre d'Arcatao de 1724. El Salvador, par conséquent, prétend se présenter
devant la Chambre de la Cour comme le "possesseur immémorial" du territoire. Et le Honduras, en
revanche, ne serait qu'un Etat qui aurait, tout récemment, revendiqué le secteur en litige.
Mais ici quelques remarques de principe s'imposent. Premièrement, il est à souligner que le
radicalisme de la position d'El Salvador est lourd de conséquences pour lui. Si on comparaît devant
une cour de justice, il ne suffit pas d'affirmer simplement l'existence d'"effectivités" depuis l'époque
coloniale jusqu'à nos jours. Les faits, certainement, doivent s'accorder avec ces affirmations; et en
plus, il faut faire la preuve des faits.
Deuxièmement, pour ce qui est des "effectivités" à l'époque coloniale, j'espère avoir démontré,
dans la première partie de mon exposé, que les faits sont en contradiction avec les affirmations
d'El Salvador. Car, si El Salvador soutient que la province de San Salvador avait juridiction sur le
secteur contesté et avait la charge de son administration, on ne comprend pas, en premier lieu, que ce
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soit le titre d'Arcatao qui puisse constituer la base de cette affirmation, compte tenu de la limite des
terres. Et d'ailleurs, je ferais une remarque marginale. Nos adversaires utilisent le titre d'Arcatao à
ce qu'on pourrait appeler dans la terminologie de droit international privé "la double fonction". Le
titre serait fondement du droit et en même temps preuve des "effectivités". Alors je pense qu'un
débat postérieur pourra mettre en clair que la double fonction n'existe pas, parce que si on a un titre
corroboré par des "effectivités", nous avons besoin de la preuve des "effectivités". Les titres, soit La
Palma, soit Arcatao, ne suffisent pas pour les deux fonctions. Mais, ceci dit, on comprend mal
comment les autorités de la province de Comayagua ont pu intervenir dans la totalité de ce secteur et
arpenter les terrains qui y sont situés, d'autant plus qu'il a été indiqué à divers endroits, que ceux-ci
constituaient la limite de Gracias a Dios et Comayagua par rapport à la province de San Salvador.
Bref, l'affirmation d'El Salvador concernant les "effectivités" à l'époque coloniale est, par
conséquent, démentie par les documents antérieures à 1821 que le Honduras a produits, et aussi par
les limites du titre d'Arcatao.
Troisièmement, par le manque de toute preuve concernant les "effectivités" sauf qu'on admette
l'idée d'un transfert du territoire et d'un contrôle administratif qui en découlerait. Mais les théories ne
sont pas toujours bâties sur les faits.
Finalement, si l'on considère la situation d'après 1821, on doit convenir qu'un Etat qui prétend
être le "possesseur immémorial" du territoire, n'aurait aucun mal à attester qu'il a exercé et exerce
une administration effective. Des moyens de preuve concluants, en effet, ne doivent pas lui manquer,
même en admettant que ses archives nationales ou les archives des localités aient été en grande partie
détruites au siècle dernier.
Mais, comme on le verra par la suite, en examinant les moyens de preuve produits par
El Salvador, tel n'est pas le cas. Et l'Etat qui se prétend le "possesseur immémorial" du secteur
litigieux ne nous offre même pas une ébauche de preuve pour pouvoir fonder son affirmation. Je
passe donc au deuxième volet.
B. L'étendue dans l'espace des "effectivités"
1. Examinons maintenant l'étendue dans l'espace des "effectivités" qu'El Salvador fait valoir.
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Pour cela il faut se rappeler la carte 6.9, incluse dans le mémoire salvadorien, plus précisément au
chapitre 7, concernant les "effectivités", que nous avons reproduit pour pouvoir être regardée à
présent. L'intitulé de cette carte, que vous avez devant vous, est le suivant : "Human Settlements
Included in the Non-Delimited Zones, El Salvador-Honduras Frontier, Arcatao or Zazalapa". Et je
voudrais faire, au sujet de cette carte, trois remarques :
1) Primo, on peut voir que la ligne la plus extérieure correspond au tracé revendiqué par
El Salvador dans ses conclusions, la ligne plus au nord et plus à l'est. Et quant au tracé plus au sud,
il correspond, à quelques variations près du côté de Gualcimaca, à celui décrit dans les conclusions
du mémoire hondurien. Bref, mises à part ces variations concernant Gualcimaca, cette carte nous
montre les prétentions des deux Parties dans ce secteur de la frontière terrestre.
2) Secundo, cette carte 6.9 nous montre la localisation de seize, et je tiens à le souligner, seize
villages ou "human settlements". Je vous fait grâce des noms que je pense qu'on pourra le voir. Il y a
du sud vers le nord : La Ceiba, Lagunetas, Plazuelas, etc., Los Filos, et dans la partie nord-ouest,
Sazalapa, El Corozal, Las Cuevas, San Pablo, Los Apantes, etc. Je reviendrai sur les noms plus
tard.
3) Tercio, sur la gauche de la carte, El Salvador a établi une distinction entre ces "human
settlements", ceux de Plazuela, qui est au sud, Gualcimaca au milieu et Sazalapa étant des "cantons".
Les autres, plus petits, des "hameaux" soit des "caseríos" en espagnol.
4. Si l'on revient maintenant à la réplique d'El Salvador, je rappelle une affirmation qui est
faite concernant les "effectivités". On y dit, en effet, qu'accepter la frontière revendiquée par le
Honduras "reviendrait à lui transférer les quinze communes suivantes..." et on indique les noms des
quinze localités sur les seize que j'ai mentionnées auparavant (RES, p. 63, par. 3.41). Mais cette
affirmation appelle trois observations :
1) D'abord, il est à noter que dans la réplique, on ne distingue pas entre "hameaux" et
"cantons" comme on l'avait fait sur la carte 6.9; et toutes les localités sont élevées au rang de
"communes", ce qui n'est certainement pas le cas. Il s'agit en réalité de petits villages, soit des
hameaux, soit des bourgades, avec des maisons assez disséminées dans l'espace, des "caseríos" en
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espagnol). Pour ne citer que deux exemples, Gualcimaca est présenté par El Salvador comme un
"canton". Gualcimaca est ici, Messsieurs les Juges. Ici au centre. Il est présenté, je disais, comme
un "canton" sur la carte 6.9 mais en fait ce n'est qu'un "hameau", sous dépendance administrative de
la municipalité de La Virtud d'ailleurs. Et Los Filos qui est ici et qui est un endroit très intéressant,
Los Filos n'est qu'une bourgade ou "caserío" du hameau nommé La Cuesta de la même municipalité.
2) A remarquer aussi que les noms des localités indiquées sur la carte 6.9 et dans la réplique
d'El Salvador ne coïncident pas dans quatre cas avec les dénominations des lieux que vous trouvez
dans la carte produite par le Honduras. Je me limite simplement à l'indiquer, il s'agit de La Ceiba, de
Jocotillo, El Pito et finalement d'El Portillo del Aguacate. Dans la carte hondurienne elles sont
indiquées comme bourgades de Palo Verde, bourgade d'El Llanito, "caserío" Los Dubones et
finalement "caserío" El Limón près du Portillo del Frayle. Mais c'est une remarque de pur fait.
3) Finalement, il manque un de ces "human settlements", car de seize on passe à quinze; et la
localité exclue dans la réplique est Plazuelas. Plazuelas est ici et vous verrez que je marque un point
qui est en bas de la ligne revendiquée par le Honduras. Ici c'est Plazuelas. Et alors, qu'est-ce qui
s'est passé ? Je pense que ce fait trouve une explication très simple : la carte 6.9 a éte faite avant de
connaître les conclusions du mémoire du Honduras, mais le Honduras ne revendique pas Plazuelas et
comme le Honduras ne revendique pas Plazuelas, malheureusement El Salvador avait inclus
Plazuelas et avait apporté des documents concernant Plazuelas. Alors c'est l'explication, je pense, de
l'erreur.
Mais si on laisse de côté Plazuelas, la carte 6.9 suffit à nous montrer qu'El Salvador prétend
avoir des "effectivités" sur la totalité de ce secteur contesté de la frontière terrestre. Et cette
possession effective, plus concrètement, s'exercerait sur quinze localités ou "human settlements".
C'est ce qu'on peut déduire des affirmations de la réplique et de la carte 6.9 : quinze localités au
moins, quinze localités placées sur la totalité du secteur. C'est la prétention d'El Salvador.
El Salvador, une fois encore, soutient une position plutôt radicale et la même remarque qu'on a
faite sur les "effectivités" dans le temps s'impose à nouveau au sujet des "effectivités" dans l'espace.
L'Etat qui prétend être le possesseur immémorial de tout le secteur en litige devrait pouvoir justifier
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cette prétention sans difficulté, avec des preuves à l'appui touchant les quinze localités, au moins les
quinze localités indiquées dans la carte 6.9 de la réplique. Mais, examinons les moyens de preuve.
C'est mon troisième point.
3. Les moyens de preuve des "effectivités
produits par El Salvador
1. Et d'abord, à en juger par les affirmations d'El Salvador, la preuve des "effectivités" dont il
se prévaut, est importante et sérieuse, voire concluante. Dans son mémoire, il a dit que son autorité
sur ce secteur était confirmée par l'exercice d'une compétence concernant
"l'enregistrement des titres fonciers au cadastre, l'octroi des titres communaux à des personnes
jouissant d'une possession et la tenue du registre d'état civil des habitants, ainsi que par les
archives des élections municipales et présidentielles qui ont eu lieu dans cette région".
J'observe qu'il manque quelque chose parce que en tant que lecteur de la jurisprudence
internationale, les éléments que les tribunaux ont considérés dans des cas relatifs à l'exercice de la
souveraineté, il y a autre chose. Où est le criminel ? Qui est l'Etat qui administre la justice dans le
territoire ? Disons aussi où sont les fonctionnaires qui sont nommés parce que ce sont les autorités
qui doivent agir, il doit y avoir des fonctionnaires ? Troisièmement, où sont les autres services
publics ? Mais, ceci est une remarque tout à fait marginale. Je poursuis. Dans le contre-mémoire,
outre deux cartes sur la densité comparative des populations d'El Salvador et du Honduras et une
carte sur le réseau routier, on a soumis certains documents concernant ce qu'on appelle "La
juridiction militaire", établis par le ministère de la défense et de la sécurité publique (contre-mémoire
d'El Salvador, p. 139, par. 4.19). Et enfin, dans sa réplique, El Salvador prétend s'appuyer sur une
communication du Président du Honduras, concernant la fin des hostilités de 1969 (réplique
d'El Salvador, p. 70, par. 3.53).
2. Tel est le bilan en gros des preuves salvadoriennes sur les "effectivités". Et la Chambre de
la Cour aura sans doute remarqué, à propos de ce bilan, que le volume des preuves est en diminution
de la première à la dernière des pièces écrites d'El Salvador, et que du concret on passe au général.
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Ce qui peut surprendre, vu les critiques du Honduras sur les moyens de preuve produits par nos
adversaires (contre-mémoire du Honduras, vol. I, p. 282-283), et ils auraient été tentés d'apporter les
preuves dans la réplique mais ils ne l'ont pas fait.
Par ailleurs, si on laisse de côté les trois cartes et la communication hondurienne de 1969, qui
n'ont rien à faire vraiment dans l'histoire, et que l'on s'en tienne aux choses concrètes, c'est-à-dire aux
documents concernant directement ce secteur, il nous reste seulement les documents annexés au
mémoire et au contre-mémoire du Honduras. Il convient donc de les examiner.
3. Pour ce qui est des documents annexés au mémoire d'El Salvador, on peut aisément
constater que la plupart des affirmations de nos contradicteurs dans cet écrit ne correspondent pas
aux moyens de preuve qu'ils ont produit :
1) Primo, on a affirmé dans le mémoire qu'avait été présentée dans les annexes, une
documentation "sur l'enregistrement des titres fonciers au cadastre". L'affirmation est inexacte pour
ce secteur, aucun document de cette nature n'a été présenté.
2) Secundo, on a affirmé aussi qu'avait été jointe aux annexes une documentation concernant
"l'octroi de titres communaux à des personnes jouissant d'une possession". A nouveau, l'affirmation
est inexacte, aucun document de cette nature n'a été produit en ce qui concerne ce secteur.
3) Tertio, on a affirmé qu'avait été soumise, dans les annexes, une documentation tirée des
"archives des élections municipales et présidentielles qui ont eu lieu dans la région". Une fois encore,
cette documentation fait défaut. Et alors qu'est-ce qui nous reste ?
B) Il nous reste d'abord 17 documents concernant les actes d'état civil et puis quelques
certificats très intéressants concernant la juridiction militaire. Examinons les !
1. [Il ne reste donc que des séries de documents et la première série concerne,] Les documents
d'état civil. Sont présentés 17 documents constitutifs de naissance ou de décès.
Et nos adversaires doivent reconnaître que le nombre des documents est plutôt réduit; parce
que 17 documents pour l'Etat qui se prétend être le possesseur immémorial depuis l'époque coloniale
à nos jours et de "tout le secteur", je dirai que c'est assez réduit.
2. Mais quelques remarques à l'égard de ces documents suffisent :
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1) D'abord, El Salvador prétend être le "possesseur immémorial" du territoire. Eh bien,
quelles sont les dates des faits attestés dans les 17 documents concernant l'état civil ? Les dates vont
de 1910 à 1985, ce qui constitue un premier démenti. Mais on peut observer, en outre, que les
17 actes d'état civil sont "polarisés" vers deux moments très éloignés l'un de l'autre : sept documents
sont de la période 1910-1911 et 10 de la période 1977-1985. Par conséquent, au "vide" très étendu
de la période 1821 à 1909, s'ajoute un autre, non négligeable, pour la période 1920-1977. C'est un
trou, mais c'est un grand trou !
2) Deuxièmement, El Salvador, qui prétend être en possession de "tout le secteur", fait
référence à 15 localités. Mais est-ce que les documents salvadoriens, qui sont 17, portent sur les
15 localités ? La réponse, une fois encore, est non. Les 15 localités, par rapport à la preuve
présentée par El Salvador, sont réduites à trois. Je dis bien, à trois, à savoir : Sazalapa, Los Filos et
Gualcimaca. Il s'agit des trois points, Sazalapa, Los Filos et Gualcimaca, trois points seulement.
Enfin, si l'on examine conjointement le lieu et les dates de ces documents, une autre
"polarisation", très significative, apparaît. En effet, on peut constater que tous les documents faisant
référence à Los Filos (au centre) sont ceux de la première période, celle de 1910-1919. Et aucun
autre document n'est produit sur des faits ayant eu lieu avant ou après ces dates. Dix années, sur
plus d'un siècle et demi, c'est vraiment peu.
Par contre, en ce qui concerne Sazalapa et aussi Gualcimaca, on constate que tous les
documents sont ceux de la deuxième période, celle allant de 1977 à 1985. De telle sorte, que le
"vide" (le grand trou) des moyens de preuve, pour ce qui est de ces deux localités, est loin d'être
négligeable : aucune preuve ne nous est fournie pour la période allant de 1821 à 1976, c'est-à-dire,
tout simplement pour les 150 premières années qui suivent l'indépendance.
C) Les documents concernant les "effectivités militaires"
1. Voilà le résultat, assez négatif des premières.
Mais ici, El Salvador pourrait se trouver dans une meilleure position car il s'agit de l'armée,
un service public qui, sauf accord avec un autre Etat, n'agit que dans les limites du territoire
étatique. Et, d'autre part, il est bien connu que l'armée est l'un des services de l'Etat qui, non
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seulement produit un nombre considérable de documents, mais qui, en outre, les garde soigneusement
dans ses archives. De ce fait, on pourrait attendre des documents militaires qu'ils nous fournissent
des rapports très complets sur les postes occupés, leurs effectifs, leurs rapports de patrouille, les
incidents avec les honduriens et bien d'autres documents. Et même je m'en serais contenté, Monsieur
le Président, parce que d'ailleurs je travaille dans une autre affaire qui est aussi devant la Cour, et
vous savez, j'ai un dossier grand comme ça de documents militaires. Il y a un point que j'ai constaté,
c'est un point très petit perdu dans un continent, disons, très loin de La Virtud Sazalapa, les
conditions sont tout à fait différentes. Mais, les documents militaires portent tous un nom de poste :
il y a un papier du poste, un sceau, un numéro enregistré. Et je me serais contenté d'un seul papier
qui dirait "poste militaire de Gualcimaca". Mais vous verrez qu'il manque.
Ceci dit, je disais qu'El Salvador pourrait se trouver dans une meilleure position, mais quels
sont les documents sur la "juridiction militaire" présentés à la Chambre de la Cour ? Sans vouloir
trop m'attarder sur l'analyse de ces documents militaires, quelques remarques s'imposent néanmoins :
1) D'abord, la Chambre de la Cour aura constaté que ces attestations du ministère de la
défense d'El Salvador indiquent en haut des documents la municipalité d'El Salvador, puis le canton,
concernés. Elles permettent donc de mesurer l'étendue dans l'espace de ces moyens de preuve. Et
bien, on y trouve, à nouveau, des documents portant sur deux des "cantons" qu'on connaît par les
actes d'état civil[, à savoir : Gualcimaca et Los Filos], à la partie centrale, Gualcimaca et Los Filos.
Mais en plus, on y a ajouté aussi Plazuelas ainsi que trois nouveaux cantons : Quipure, Hacienda
Vieja et El Zapotal.
La raison qui a amené l'inclusion de Plazuelas (qui est en bas de la ligne, vous vous
souvenez), on peut l'imaginer, je l'ai déjà expliqué. Mais pour ce qui est des trois autres cantons,
l'explication est passablement plus difficile. Quipure, en effet, est un canton qui se trouve dans le
territoire d'El Salvador et, par conséquent, en dehors de la zone contestée. Ce canton se situe ici,
dans la municipalité de Nombre de Jesús. Mais on ne le comprend pas; Quipure n'a pas de rôle dans
cette histoire. Hacienda Vieja, le deuxième, est assez loin de la zone en litige : il appartient à la
municipalité de Nueva Trinidad, qui est de ce côté-ci. Ca c'est le village d'Arcatao, il est de ce
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côté-ci, il est loin de la zone en litige. Et enfin, El Zapotal est dans le même cas : il est plus à l'ouest
encore, face à la frontière délimitée et à cinq kilomètres de la borne de Pacacio. El Zapotal est ici,
comme vous pouvez le voir. [Ce sont les certificats d'un poste militaire concernant El Zapotal].
Or, Monsieur le Président, s'agissant de l'armée, parfois l'armée prend des positions
défensives, et peut-être pourrait-on expliquer qu'elle ait établi une deuxième ligne. Mais en tout cas,
ils n'ont aucun rapport avec l'affaire.
2) Il ne nous reste donc que Gualcimaca et Los Filos. Ma deuxième remarque serait la
suivante : dans le cas de Los Filos, les documents remontent aux années 1936, 1939, 1942, 1950
et 1960. Par contre, seules les années 1960, 1962 et 1964 ont été attestées en ce qui concerne
Gualcimaca. On ne comprend pas très bien ces divergences de dates mais, en tout cas, la période
1960-1964 pour le dernier, ou celle de 1936-1960 pour le premier, ne répond certainement pas aux
affirmations d'El Salvador sur la possession effective de tout le secteur de l'indépendance à nos jours.
4. Mais ce sont des minutiae, comme dirait mon illustre contradicteur, des petits détails.
Alors, entrons dans l'argument. Car ces documents, indépendamment des deux remarques
précédentes, soulèvent une question plus importante : en réalité qu'est-ce qu'ils attestent ?
Si on lit le contre-mémoire d'El Salvador, référence y est faite à l'installation par les forces
armées
"en divers lieux des postes militaires, comprenant un chef de poste, un adjoint, des caporaux
et des soldats formant des patrouilles militaires qui ont étendu leur zone d'intervention aux
autres cantons et hameaux représentés sur les cartes déjà mentionnées qui figurent dans le
mémoire d'El Salvador" (CMES, p. 139, par. 4.19).
Et il y est ajouté que, dans les attestations du ministère de la défense et de la sécurité publique, on
trouve les noms, grades et affectations des militaires qui "ont reçu pour mission de protéger la
population salvadorienne dans les secteurs réclamés par le Honduras" (ibid.).
Bref, le contre-mémoire semble nous dire que, dans le secteur en cause, il y aurait deux postes
militaires d'El Salvador, l'un à Gualcimaca et l'autre à Los Filos, les personnes figurant dans les
certificats du ministère de la défense étant, pour certaines années, les membres de ces deux postes
militaires.
5. Mais, en réalité, ce n'est pas le cas. Si l'on se rapporte à l'"Explanatory Note" de
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l'annexe XI au contre-mémoire salvadorien qui inclut ces documents, et aux documents eux-mêmes.
Le résultat est assez différend, et l'examen de ces deux données permet aisément de le vérifier.
1) Examinons d'abord la "Explanatory Note" qui précède ces certificats. Dans son premier
alinéa, El Salvador affirme avoir exercé une juridiction militaire sur les secteurs en litige de la
frontière terrestre, et il cite tout le secteur sauf Guascoran, mais inclut Arcatao et Sazalapa. Donc,
le premier alinéa se termine avec une liste de tous les secteurs en litige. Et puis au deuxième alinéa
on lit le texte suivant, que je répète en anglais avec mon mauvais accent :
"Following this note are annexed the Formal Records of the members of the Rural
Military Posts and of the Fields Patrols proceeding therefrom which cover the period
from 1922 to 1964." (CMES, annexes, vol. IX, Explanatory Note, annexe XI. Les italiques
sont de nous.)
Et si on fait la liaison entre le premier et le deuxième alinéas, il en ressort une certaine
ambiguïté. S'agit-il des états nominatifs des personnes qui ont été membres des unités militaires
établies dans certaines localités ou bien s'agit-il des listes de personnes qui sont originaires de ces
localités et qui ont fait le service militaire dans les forces armées d'El Salvador ?
2) Examinons ensuite les documents établis par le ministère de la défense. Et on peut
constater, en effet, que le ministère ne certifie pas l'existence des postes militaires ou de patrouilles à
Gualcimaca et à Los Filos; il n'y a aucune attestation, même si le deuxième paragraphe de
l'Explanatory Note semble suggérer le contraire. Dans la plupart de ces documents, après le nom,
l'âge, la profession, la localité et le canton, figure une référence significative "Caserne où il a fait le
service militaire" (en espagnol, cuartel donde sirvió; abrégé C.d.s. dans plusieurs documents). Et
sous cette dernière rubrique est indiqué, en abrégé, le nom du régiment auquel la personne en
question a appartenu.
Prenons par exemple le certificat concernant le canton de Plazuelas de l'année 1936. Sous la
rubrique cuartel donde sirvió (caserne où il a fait le service militaire), on trouve "1° Artilleria" (cela
veut dire premier régiment d'artillerie). On peut alors demander à El Salvador si le poste militaire de
Plazuelas était à ce point important qu'il comprenait même une section du régiment d'artillerie pour
protéger les nationaux d'El Salvador contre le Honduras. La réponse ne peut certainement pas être
affirmative, car, pour l'année 1939 - nous étions en 1936 - il ne s'agit pas du premier régiment
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d'artillerie, mais du deuxième régiment d'infanterie; et, en 1960, du septième régiment d'infanterie.
6. Il faut, en fait, pour confirmer la conclusion précédente, s'arrêter sur le format et les
données de ces documents. Le format, d'après ce que je viens de mettre en évidence, est délibérément
équivoque. Pour chaque année, il y a toujours douze noms, et les personnes sont rangées d'après leur
grade militaire, avec un commandant, un commandant en second, ce qui vise à évoquer la liste des
personnes faisant partie d'un poste militaire. Mais la référence à la "caserne où il a fait le service
militaire" dément cette suggestion : si l'on prend le certificat pour 1942 du canton de San Ramón,
municipalité de Citalá - et c'est cela la certification -, on constatera que la personne qui y apparaît
comme "commandant" appartient au régiment d'artillerie, le commandant en second, à la milice;
puis, un caporal, au 7e
régiment, et un autre à la milice; il en va de même pour les soldats : quatre
seraient dans la milice, trois au 7e
régiment et finalement deux au 14e
régiment.
Je ne veux pas analyser ces documents plus en détail, mais une donnée particulière m'a
surpris : les mêmes personnes figurent dans un même canton pour différentes années. Or, l'âge de
ces personnes ne correspond pas à l'intervalle de temps qui sépare ces documents : par exemple dans
le certificat concernant le canton de Gualcimaca pour l'année 1960, le sergent Octaviano Rodríguez
est âgé de 22 ans; en 1962, deux années après, il a atteint l'âge de 28 ans, ce qui représente un cas
singulier de vieillissement. Et de même pour le caporal Leandro Amaya, âgé de 28 ans en 1960 qui,
devenu soldat - le pauvre ! - en 1962, a vieilli suffisamment vite pour atteindre 35 ans.
6. Or, je ne voudrais pas m'attarder trop sur les certificats concernant la juridiction militaire.
Les contradictions d'un document à l'autre sont trop abondantes. Et d'ailleurs, je me serais contenté,
je le répète, d'un seul document qui dirait : patrouille militaire de Los Filos, année telle, et quelques
personnes qui auraient signé; je me serais contenté d'une attestation disant : un document militaire
quelconque, pas ce document, parce que ces documents ne sont pas la preuve d'autorités militaires.
Ces documents sont la preuve de personnes qui, nées à Gualcimata et à Los Filos, ont fait le service
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militaire à El Salvador. Et on fait le service militaire parfois dans la milice, parfois dans le régiment
d'artillerie, parfois dans l'infanterie; jamais elles n'en ont fait partie. Ces certificats sont des
certificats de personnes qui ont fait le service militaire au Salvador.
J'attends la réponse de mes adversaires, mais probablement ces questions resteront-elles sans
réponse, car les postes militaires n'ont jamais existé. Ce fait d'ordre négatif, au demeurant, ressort
clairement de l'analyse des documents postérieurs à 1821 qui ont été produits par le Honduras.
Je pense, Monsieur le Président, que je pourrais peut-être finir; alors je vais analyser le
troisième point.
3. Les prétendues "effectivités" d'El Salvador sont nettement
contredites par les documents présentés par le Honduras
1. Dans cette dernière partie de mon examen sur les "effectivités", je voudrais simplement
vous rappeler les différentes séries de documents postérieurs à 1821 présentés par le Honduras et
faire valoir brièvement les points les plus saillants de ces moyens de preuve.
A. Les titres des terrains dans le secteur de 1836 à 1844
1. Le premier groupe de documents est constitué par les titres des terrains dans ce secteur
accordés par la République du Honduras après l'indépendance. Ces documents appellent deux
remarques que nous allons faire; en troisième lieu, certaines données fournies par ces documents.
1) Première remarque ; nous avons étudié l'application de l'uti possidetis juris dans ce secteur
à l'aide de la carte hondurienne 4.1 que vous avez devant vous. Par ailleurs, vous connaissez bien
les six propriétés qui ont été arpentées au XVIIIe
siècle par les autorités espagnoles de la province de
Comayagua : il s'agit, d'ouest en est, de San Juan El Chapulin, Concepción de las Cuevas, San
Francisco de Sazalapa, Colopele, Lacatao et Gualcimaca; et quant à l'étendue de chacune de ces
propriétés, elle est tracée sur cette carte.
Maintenant, je vous prie d'examiner, en regard de la page 352 de la réplique du Honduras, la
carte III.1 que vous avez aussi devant vous. Or, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, on est
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frappé, en comparant les deux cartes, car la continuité est absolue entre la situation antérieure à
l'indépendance et la situation immédiatement postérieure à l'indépendance à 1821. En effet,
- le titre de Conceptión de las Cuevas est encore en vigueur en 1843, au moment du nouvel
arpentage de Sazalapa (RH, vol. I, p. 352-353);
- le nouveau titre de Sazalapa, accordé en 1844, (RH, annexes, vol. I, annexe III.1) concerne
les mêmes terres comprises dans le titre colonial de 1744-1746, et c'est attesté par le croquis du
domaine qui est inclu aux annexes du Honduras;
- les terres de Colopele ont été également arpentées en 1837 et 1838, ce qui a donné lieu à
l'octroi de deux titres nouveaux, ceux de Colopele et de Los Naranjos (MH, annexes, vol. IV,
annexes X.1.9 et X.1.11), les deux nouveaux titres coïncidant parfaitement avec l'ancien de 1779;
- le domaine de San Juan de Lacatao, qui est le plus étendu, a été divisé entre 1837 et 1844,
donnant lieu aux titres républicains des ejidos de La Virtud de 1836, de San Antonio de Las Cuevas,
San Cayetano, San José de la Junta, tous trois de 1837, des ejidos de La Virtud de 1838 et de
San Sebastián de Palo Verde de 1844 (MH, annexes, vol. IV, annexes X.1.8, X.1.12 et X.1.13).
Mais les nouveaux titres correspondent parfaitement au domaine couvert par l'ancien titre de 1786;
- finalement, continuité parfaite aussi en ce qui concerne les terres de Gualcimaca, le titre
républicain de 1837 (MH, annexes, vol. IV, annexe X.1.6.B) ayant été accordé pour le même
domaine couvert par le titre colonial de 1783. Ceci dit, quelle conclusion peut-on tirer de ces
données ? A mon sens, elle ne fait aucun doute : les autorités de la République du Honduras, dans la
première moitié du siècle passé, ont agit dans le même ressort où les autorités espagnoles de la
province du Honduras avaient agi au XVIIIe
siècle et pour la même matière.
2) Et ma dernière remarque : les dates des titres. Elles vont de 1836 à 1844. C'est-à-dire une
période postérieure de 25 à 33 ans à l'indépendance. Il ne s'agit donc pas d'une période "suspecte", la
controverse sur les limites n'ayant pas encore surgi. Et je rappelle les remarques faites par El
Salvador à propos du titre de La Palma; il a été octroyé dans une période non suspecte. J'espère
qu'El Salvador fera de même pour les titres honduriens de la même période. Il faut se demander
enfin les données des titres. Mais, Monsieur le Président, je ne vais pas m'attarder parce que,
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concernant la rivière Sazalapa, j'ai cité la déclaration du maire de Sazalapa, faite en 1843. Elle est
concordante avec celle faite au XVIIIe
siècle. Pour le Guanacaste, vous avez la même concordance.
De ce fait, je pense que les titres permettent de préciser la continuité entre les données antérieures et
postérieures à l'indépendance. Et, enfin, en ce qui concerne la dernière partie du secteur de
Lagunetas à la Poza del Cajón, je pense qu'il est intéressant de se rapporter à ces documents, ils sont
des années 1844 et 1836. Et on peut souligner, d'un côté, que les héritiers du domaine de Nombre de
Jesús ont été présents; d'un autre côté, qu'on a suivi le titre de Lacatao de 1786 et il n'y a eu aucun
conflit sur les limites, ce qui fait que la thèse salvadorienne vient à s'effondrer.
Et, finalement, le dernier document, le titre de San Sebastián de Palo Verde de 1844, nous
parle de la jonction d'un petit ravin.
Je pense, Monsieur le Président, que je ne voudrais pas non plus m'attarder sur un autre point,
le document concernant la correspondance interne et la correspondance diplomatique que le
Honduras vous a soumis dans les annexes de la réplique. Car [qu'est-ce que nous montre ce
document ? Et] qu'est-ce que nous montrent les documents que le Honduras vous a soumis dans
l'annexe IX de sa réplique ? Je dirais très brièvement ceci : d'abord, chaque fois qu'El Salvador a
essayé de pénétrer dans certaines parties du secteur contesté, il y a eu des protestations du Honduras
très catégoriques. Je dois dire une chose : il n'y a en réalité que trois points où il y a eu des
pénétrations des Salvadoriens : Sazalapa, Gualcimaca et aussi El Amatillo. Et vous verrez dans les
documents quels ont été les rapports entre les deux Etats dans cette matière. Deuxièmement,
El Salvador a reconnu à plusieurs reprises dans les documents de la correspondance diplomatique et
dans les actes entre les deux Républiques des points qu'aujourd'hui il réclame.
Tel est la cas pour la rivière Sazalapa. La rivière Sazalapa, dit un document d'El Salvador
de 1946, sert de limite entre les deux Républiques (RH, annexes, vol. I annexe III.15, p. 147). Ce
qui corrobore d'ailleurs la déclaration du maire d'Arcatao de 1844 et aussi celle du XVIIe
siècle.
Quant à Gualcimaca, où il y avait une patrouille militaire, il ne faut pas l'oublier, et où des
incidents se sont produits, El Salvador a admis, et cela à trois reprises, entre 1952 et 1958, que cette
localité fait partie du territoire du Honduras (RH, annexes, vol. I, annexes III.23, p. 157; III.25,
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p. 159 et III.33, p. 167). Et en ce qui concerne La Vecina, une autre localité que vous trouvez sur la
carte (RH, annexes, vol. I annexe III.12, p. 143), El Salvador fait la même reconnaissance,
reconnaissance que vous trouvez aussi pour Lagunetas. Lagunetas appartient au territoire hondurien
(RH, annexes, vol. I annexe III.14, p. 146). Bref, La rivière Sazalapa, Gualcimaca, La Vecina et
Lagunetas sont des points qui couvrent presque toute la totalité du tracé et ce sont des points où
El Salvador prétend avoir eu des "effectivités" depuis l'époque coloniale.
C. Les témoignages sur la présence humaine et l'exercice
des fonctions dans le secteur par les autorités
du Honduras
Et effet, nous vous avons soumis des témoignages sur la présence humaine et l'exercice des
fonctions dans le secteur par les autorités du Honduras (RH, annexes, vol. II, annexe IX.3,
p. 513-633). Et vous savez que la thèse d'El Salvador concernant "effectivités" et les arguments
d'ordre humain, est construite en deux échelons.
D'abord, on dit : il y a une communauté salvadorienne enracinée dans la zone; puis, il y a des
services publics de l'Etat d'El Salvador qui ont travaillé pour cette communauté. Et alors ma
question est : où sont les communautés salvadoriennes ? Où sont les services publics d'El Salvador ?
Où est la preuve de l'exercice des fonctions d'Etat ? Et si vous vous reportez à l'annexe du
Honduras, vous pouvez trouver non pas 17 documents d'état civil, mais plus de 600, et quand il y a
un nombre considérable, ça prouve que quelque chose existe là.. Mais si vous vous demandez qui a
exercé des fonctions d'Etat, qui a jugé au criminel par des faits de la zone, qui a fait des nominations
de maires, qui a fait des nominations d'écoles, vous trouverez les documents dans l'annexe IX du
Honduras.
[1.] Et de ce fait, Monsieur le Président, je ne voudrais pas trop m'attarder en faisant une
analyse très détaillée de tous ces documents. Je voudrais simplement finir avec les conclusions qu'on
peut tirer après l'exposé que je viens de faire.
CONCLUSIONS
- D'une part, on s'en souvient, El Salvador prétend avoir un droit sur le territoire fondé sur
l'uti possidetis juris, le titre d'Arcatao servant d'appui. Dans la première partie de mon exposé, j'ai
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fait valoir que ce premier élément de la position de nos adversaires manque de fondement. En
revanche, le Honduras, lui, a un titre sur le territoire, fondé sur les divers documents servant à
l'application de l'uti possidetis juris, y compris le titre d'Arcatao lui-même.
- D'autre part, El Salvador prétend qu'il y a eu administration effective de tout le secteur en
litige, à l'époque coloniale par la province de San Salvador et depuis l'indépendance jusqu'à nos jours
par les autorités de la République. Dans la seconde partie de mon exposé, j'espère avoir démontré
que les arguments d'ordre humain et les "effectivités" d'El Salvador n'ont aucun fondement; en
revanche, les documents postérieurs à 1821, que le Honduras vous a soumis, attestent que les
autorités honduriennes ont exercé des fonctions étatiques sur la totalité du territoire, et que la seule
présence humaine, dans les localités de ce secteur, est celle des nationaux honduriens.
2. Par conséquent, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la situation [d'El Salvador se
trouve] est renversée : El Salvador n'a aucun titre sur le territoire compris entre la borne de Pacacio
et la borne Poza del Cajón. Et j'espère, en toute confiance, que la ligne frontière entre les deux
Républiques sera tracée en conformité avec les conclusions de la République du Honduras.
Mais je tiens à souligner, pour terminer, que si El Salvador n'a aucun droit sur le territoire en
litige et, en particulier, si les arguments d'ordre humain et les "effectivités" sont sans fondement, on
se demande comment juger le dernier appel qui vous est adressé à propos des "répercussions
humaines profondes" qu'aurait une décision de la Chambre de la Cour qui "arracherait" le territoire
en cause à El Salvador. Je me bornerai à dire, une fois encore, que cet appel est fallacieux, et j'ose
dire qu'on pourrait sans doute porter un jugement encore plus sévère.
Merci, Monsieur le Président, de votre patience, si je me suis attardé sur certains points. Et
aussi de votre indulgence, Messieurs les juges, ainsi que de celle des interprètes, compte tenu des
défaillances de mon français. Merci, Monsieur le Président.
The PRESIDENT: I thank Professor Gonzalez Campos. I enquire from the delegation of
El Salvador whether it would be willing to speak tomorrow morning or would it prefer to have more
time and to speak in the afternoon?
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Mr. MARTINEZ MORENO : Mr. President, El Salvador will be delighted to answer the
long intervention of Professor González Campos tomorrow morning.
The PRESIDENT: The Chamber is adjourned until tomorrow morning at 10 o'clock.
The Chamber rose at 1.15 p.m.
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Audience publique de la Chambre tenue le lundi 6 mai 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre