DEUXIÈPIE PARTIE
SÉANCES PUBLIQUES
tenues al6 Palais de la Paix, La Haye,
les 16 févrieret 31950,
sous la $résidencede M. Basdevant, Président
PLAIDOIRIES
PART II
PUBLIC SITTINGS
held ut the Peace Palace, The Hague,
on February 16th and ~March3rd. 1950,
the PresidLM.Basdevant, presiding
PLEADINGS PREMIÈRE SÉANCE PUBLIQUE' (16 ir50, 11 k.)
Prése~~:tshlbl. RASDEVANT P,résiden; GUERRERO, Vice-Présiden;
ALV,%REZ H,ACKWORTH \\',INIARSKI, ORIEICD, E VISSCHERs,ir ARNOLD
MCNAIR,hl. KLAESTAD B,ADAWP I ACHAM, M. KKYLOVR , EAD,HSU&Io,
AZEVEDOj,uges ;hl. HAMBRO,Gr~fier.
Pvésentégalement :
Le représentant du Gouvernement français : hl. Georges SCELLE,
professeur honoraire des facultés de droit, membre de la Commission
du Droit international des Natioiis Unies.
Le PRÉSIDEST,ouwant l'audience, signale que la Cour se réunit
pour entendre les exposés oraux qui seront présentésdans l'affaire
relativeà la compétence de l'Assembléegénérale pourl'admission de
nouveaux Membres des Nations Unies.
Par une résolution datée du 22 novembre 1949, l'Assembléegénérale
des Nations Unies a décidéde demander A la Cour un avis consultatif
à ce sujet. Le Président prie le GREFFIERde donner lecture de cette
résolution.
Cette lecture donnée, le PRÉSIDESTrappelle que la requète pour
avis a fait l'objet des notifications d'usage. Etant donnéqu'elle touchait
à l'interprétation d'un article de la Charte (en l'espèce, l'article 4),
elle a été.conformément à l'article 66 du Statut, communiquée à
tous les gouvernements des Membres des Nations Unies jugés sus-
ceptibles, par la Cour, de fournir des renseignements sur la question..
Le délaide la procédure ecrite a étéfixépar une ordoiinance datée
du 2 décembre,1949. La Cour a reçu, par ordre de dates, des obser-
vations écrites émanant des Gouvernements des huit Etats suivants :
U. R. S. S., République socialiste soviétique de Biélorussie,République
soviétique socialiste &Ukraine, Égypte. Tchécoslovaquie, Etats-Unis
d'Amérique. Argentine, Venezuela.
Bien que les exposésécritsde ces deux derniers États soient parvenus
au Greffe de la Cour aprhs la clature du délai fixépar l'ordonnance
du 2 décembre 1949, le Président a décidécependant, en vertu du
pouvoir que lui confère en cette matière l'article 37 du Règlement,
d'accepter ces exposés comme ayant étévalablement déposés.
Le Secrétaire général des Nations Unies a également transmis un
exposé.par les soins de hl.Ivan Kerno, Secrétaire généraladjoint
chargé du Dé artement juridique des Nations Unies. 11 a fait aussi
remettre A la [Our une s.riede documents conformément à l'article 6j
du Statut de la Cour.
Troisième séance dlaCour. YEAR 19jo
FIRST PUBLIC SITTING ' (16 Ir50, II am.)
Presenl :PresidetatBASDEVAN TVice-PresidentGUERRERO ; Jtldges
ALVAREZH , ACKIVORTH \,I'~ARSKI,Zo~rfrC,DE VISSCHERS,~I'ARNOLD
MCNAIR, KLAESTAD,BADAWIPASH.~, KRYLOV,READ, HSU MO,
AZEVEDO : Registrar HAMBRO.
Also present :
The representative of the French Government : hl.Georges SCI~LLE,
Honorary Professor of the Faculties of Law, member of the International
Law Comrnittee of the United Nations.
The PRESIDISNdT eclared the sitting open and said that the Court
had met to hear the oral statements which would be submitted in
the case concerning the competence of the General Assembly for the
admission of new Afembers to the United Nations.
By a resolution dated Xovemher zznd, 1949, the General Assembly
of the United Nations had decided to request the Court ta give an
advisory opinion on this subject. He asked the REGISTRAR to read the
resolution in question.
The test having been read, the PRESIDENT observed that the request
As it was concerned with the interpretation of an article of the Charter
(namely Article 4). it had been communicated, as prescribed by
Article 66 of the Statute, ta al1 the governments of Members of the
United Nations considered by the Court as likely to be able to furnisli
information on the question.
The time-limit for the witten procedure had been fised by an order,
dated December znd, 1949. The Court had received written statements
from the Governments of the eight following States, in order of dates :
U.S.S.R., Byelorussian Soviet Socialist Republic, Ukrainian Soviet
Socialist Republic, Egypt, Czechoslovakia, United States of America,
Argentins, Venezuela.
Although the written statements of the two last-named States reached
the Registry of the Court after the espiry of the time-limit laid down
in the Order of December 2nd. 1949. he had decided, in conformity
with the power conferred on him, on this point, by Article 37 of the
Rules of Court, to accept these statements as having been validly
suhmitted.
The Secretary-General of the United Nations had also transmitted
a statement, through kir. Ivan Kerno, Assistant Secretary-General in
charge of the Legal Department of the United Nations. He had also
furnished the Court with a number of documents, as was required by
Article 65 of the Court's Statute.
1 Third meeting of the Court.157 CIKQUIÈ~~~ESÉASCE (3 III jo)
La Cour a décidéde tenir, à partir du 16 février,~gjo, c'est-à-dire
aujourd'hui, des audiences au cours desquelles seraient entendus les
exposés oraux. La France et l'Argentine avaient fait savoir qu'un
exposé oral serait présenté en leur nom, mais seule la France a
persisté dans cette intention. Le représentant désignéa étéM. Georges
Scelle, professeur honoraire à la Faculté de droit de Paris.
M. Ivan Kerno, désignépar le Secrétaire généraldes Nations Unies
pour le représenter dans cette affaire, a fait connaître à la Cour qu'à
moins que celle-ci n'en exprimàt le désir, il n'avait pas l'intention
d'assisterà la procédure orale.
Le Président constate la présence devant la Cour du représentant
du Gouvernement français et lui donne la parole.
M. le professeur Georges SCELLEprononce l'exposé reproduit en
annexe 1,qu'il termine.
Le PRÉSIDE~Tprononce la clôture de la procédure orale eu cette
affaire et annonce que la Cour va entrer en délibéré.
L'audience est levée à 12 h. 50.
Le Président de la Cour :
(Signé)I~ASDEVANT.
Le Greffier de la Coiir :
(Signé)E. HAIBRO.
CINQUIGME SEANCE PUBLIQUE (3 III50, II h.)
Présenls: [Voir première séance, à l'exception de M. Georges Scelle.]
Présentségalemen :t
M. Ivan KERNO,Secrétaire généraladjoint, représentant du Secré-
taire généraldes Nations Unies, assistéde M. HSUAN-Tsui-Liu,membre
de la Division des questions juridiques généralesau Secrétariat des
Nations Unies.
Son Exc. 31. J. P. GARNIER,ambassadeur extraordinaire et pléni-
potentiaire de France à La Haye, représentant le Gouvernement
français.
L'henorable Benjamin V. COHEN,représentant le Gouvernement
des Etats-Unis d'Amérique.
Le PRESIDENT,ouvrant l'audience, indique que la Cour se réunit
pour prononcer l'avis qui lui a été demandép .ar l'Assembléegénérale
des Xations Unies, au sujet de la compétence de l'Assembléegénérale
pour l'admission de nouveaux Membres des Xations Unies.
1 Voir p. 159.
' Seiriemc séance delaCour. FIFTH SITTIXG (3 III j~) 157
The Court had decided to hold public sittings for the hearing of the
orai statements, beginning on that day, February 16th, 1950. France
and Argentina had given notice that they intended to submit oral
statements, but that intention had only heen maintained in the case
of France. M. Georges Scelle, Honorary Professor of the Faculty of
Law in Paris, had been designated as the representative of France.
Mr. Ivan Kerno, who had heen appointed by the Secretary-Geoeral
of the United Nations to represent him in this case, had informed the
Court that, unless it so desired, he did not .ro.ose to be present at the
oral proceedings.
The President noted that the representative of the French Govern-
ment was present in Court, and called on him to address the Court.
Professor Georges SCELLEdelivered the address which is reproduced
in the annex 1, and concluded his observations.
The PR ES ID EN ^ronounced the closure of the oral proceedings in
this case and said that the Court would deliberate on the issues.
The Court rose at 12.50 p.m.
(Signed) RASDEVANT,
President.
(Signed)E. HAMBRO,
Registrar.
FIFTH PUBLIC SITïINGz (3 III50, II a.m.)
Present : [See first sitting, with the exception of M. Georges Scelle.]
Also present :
Mr. Ivan KERNO, Assistant Secretary-General, representing the
Secretary-General of the United Nations, assisted by Mr. HSUAN-
Tsur-LIU, member of the General Legal Division at the Secretanat
of the United Nations.
H.E. hl. J. P. GARSIER,French- Ambassador extraordinary and
plenipotentiary in The Hague, representing the French Govemment.
The Honorable Benjamin V. COHEN,representing the Government
of the United States of Amenca.
The PRESIDENT declared the sitting open and said that the Court
had assembled to deliver the opinion which it had been asked to give
by the General Assembly of the United Nations on the subject of the
competence of the General Assembly for the admission of new Members
to the United Nations.
--
1 Sze p. 159.
Sixteenth meeting of the Court. Il prie le GREFFIERde donner lecture de la résolution par laquelle
l'Assembléegénérale ademandé cet avis à la Cour.
Après cette lecture, le PRDSIDENTajoute que, conformément à
l'article 67 du Statut, le Secrétaire généraldes Nations Unies et le
Gouvernement français, dont un représentant a pris part aux débats
oraux dans l'affaire, ont étédûment prévenus de la présente audience.
Le représentant du Secrétaire généraldes Xations Unies étant
présent devant la Cour, l'exemplaire officielde l'avis, destiné au Secré-
taire général,vient d'êtreremis entre ses mains.
La Cour, par application de l'article 39, paragraphe 2, du Statut,
ayant désignécomme faisant foi le texte français de l'avis, le Président
annonce qu'il va donner lecture de ce texte.
Cette lecture effectuée, ilprie ie Greffier de donner lecture en anglais
du dispositif de l'avis.
Le GREFFIER ayant lu ce dispositif, le PRÉSIDENTsignale que
MM. Alvarez et Azevedo, juges, déclarant ne pas pouvoir se rallier à
l'avis de la Cour et se prévalant du droit que leur confere l'article 57
du Statut, joignent audit avis l'exposéde leur opinion dissidente. 11
ajoute que les auteurs de ces opinions lui ont fait connaître qu'ils ne
désiraient pas en donner lecture à l'audience.
Le Président prononce la clôture de l'audience.
L'audience est levée à II h. 35.
[Signatures.] FlFTH SITTING (3 111 50)
15~
He reqiiested the REGISTRAR to read the resolution under which the
General Assemhly requested this opinion from the Court.
After the resolution had been read, the PRESIDENTadded that, in
accordance with Article 67 of the Statute, the Secretary-General of the
United Nations and the French Government, whose representative
was participating in the oral proceedings in the case, had heen duly
notified of the sitting.
He added that the representative of the Secretary-General.of the
United Nations was present in Court : the official copy of the Court's
opinion, which was intended for the Secretary-General, had just been
handed to this representative.
Pursuant to Article 39, paragraph 2, of the Statute, the Court had
determined that the French text of the opinion should be considered
as authoritative. The President said that he would now read the French
text. 1
When the text had been read, the President requested the Registrar
to read the operative clause of the opinion in the English text.
The REGI~TRAR having read the operative clause. the PRESIDENT
said that Judges Alvarez and Azevedo had announced that they could
not agree with the Court's opinion and, availing themselves of the nght
conferred on them by Article 57 of the Statute, had appended their
dissenting opinions to the Court's opinion. The authors of these opinions
had informed him that they did not wish to read them at the public
sitting.
The President declared the sitting closed.
The Court rose at 11.35 a.m. ANNEXE AUX PROCÈS-VERBAUX
ANNEX TO THE MINUTES
EXPOSE DE BI. GEORGES SCELLE
(REP&SEN,TANT DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS)
A LA SÉANCE PUBLIQUE DU 16 FÉVRIER 1950
Monsieur le Président. Messieurs les Tu~es. C'est la deuxi~ ~ ~oi~~-
que la Cour est sollicitée de donner un Gis consultatif au sujet de
l'article4 de la Charte de San-Francisco. Le Gouvernement francais
en est particulièrement heureux. Il a tenu à se faire représente; à
cette audience pour que les termes de I'article 4 en particulier, comme
les termes de n'importe quel article de la Charte, soient dûment inter-
prétés par la plus haute autorité qui ait compétence pour ce faire.
1.- Au surplus, l'affaire qui est devant vous aujourd'hui n'est
pas la mêmeque celle qui s'est présentée lors devotre avis consultatif
le 28 mai 1948. Il s'agissait alors de la question de l'admissibilité
éventuelle des candidatures devant les organes des Nations Unies.
Il s'agit aujourd'hui d'une question différente, de la question de l'ad-
mission, deuxième problème qui fait suite à celui dans lequel l'avis
a déjà étérendu. Que ces deux problèmes soient distincts, je n'ai
pas, je le suppose, à insister sur ce point. Déjà dans l'avis consultatif
du 2 mai 1948 la Cour a très nettement pris parti, comme il vous
suffira pour le constater de vous reporterà la publication de la Cour,
page 62.
Pourtant, dans les deux cas, aussi bien il y a deux ans qu'aujourd'hui,
on a pu soutenir que la Cour n'était pas compétente ; on l'a soutenu
pour cette raison qu'il y auraià la base une question d'ordre politique,
Cet argument ne nous retiendra guère. La question de savoir s'il y
a derrière une affaire portée devant une juridiction un arrière-plan
politique n'a aucune pertinence, ni eu droit interne ni en droit inter-
national. Il n'y aurait pas id'affair» devant un tribunal quelconque
s'il n'y avait pas un intérêtmatériel en jeu. En droit civil français,
dans tous les systèmes de droit internes. l'intérêt d'un particulierest
un intérêtégalement R politiquenau sens le plus large et étymologique
du mot. 11en est de même pourun Etat, mais la prise en considération
d'un intérêtlégitime doit se transformer en réalitéjuridique ; pour
cela il faut consulter la loi, les règles du droit, et c'est précisément
ce qui vous est demandé. Il est inutile d'insister sur ce point qui a
déjà étéjugé un nombre considérable de fois. Nous sommes ici par-
faitement en règleavec les termes de l'articl13 du Pacte de la Société
des Nations et avec l'article65 du chapitre IV du Statut de la Cour,
et nous aiions passer immédiatement au fond de l'affaire. II. - La question qui se pose devant la Cour peut se résumer plus
brièvement que ne le fait la demande d'avis consultatif. Vous savez
d'ailleurs que cette demande a passé par plusieurs étapes successives
pour êtreramenée à cette formule plus brève. Aujourd'hui, la Cour
a simplement à .trancher la question suivante :lorsque le Conseil n'a
fait aucune recommandation au sujet d'une candidature, l'Assemblée
peut-eue prendre une décision d'admission ? Voilà le problème dans
sa simplicité.
Il semble que pour y répondre il suffise de relire les termes de
l'article 4 de la Charte, termes si clairs qu'il semble même qu'iln'y
ait pas de question : uL'admission comme Membre des Nations Unies
de tout État remplissant ces conditions se faif par décision de l'As-
semblée eénéralesur recommandation du Conseil de Sécurité. >)Il
est donc clair, au premier abord, qu'il faut une recommandation du
Conseil de Sécurité pourque l'Assemblée puisseentamer sa procédure.
Nous sommes ici-en pdsence de ce qu'en technique juridique nous
appelons r iin acte-condition».La recommandation est l'acte-condition
gràce auquel l'acte suivant, c'est-à-dire l'admission, peut avoir une
valeur juridique. Si cet acte-condition n'intervient pas, tout le reste
de la procédure estimmédiatement vicié.C'est un procédé detechnique
juridique extrêmement connu, mêmedans des cas moins importants,
par exemple lorsqu'il s'agit de nommer un fonctionnaire, un professeur,
etc. II y a des épreuves,il y a la recommandation d'un jury, et si cette
recommandation du jury n'intervient pas, il ne peut y avoir de nomi-
nation. La pratique du Conseilsur ce point est tout à fait en corrélation
avec cette pratique généralede tout système juridique.
Si l'acte-condition n'a pas lieu, par conséquent nous n'avons pas
à nous préoccuper de la procédure à suivre. Sur ce point, les règles
du Conseil, aussi bien que celles de l'Assemblée, sont entièrement
d'accord. (Voir Règlement du Conseil, articles 66 à 70, Règlement
de l'Assemblée, articles 123 à 125.) Cette procédure, d'ailleurs, est
tout à fait d'accord avec l'esprit généralde la Charte. L'admission
d'un nouveau Membre parmi les Nations Unies est une question dont
les répercussions politiques peuvent être considérables ; la primauté
et l'initiative qui sont données au Conseil se justifient pleinement.
Sur ce point encore je me permettrai de reprendre les termes d'un
avis dissident de l'arrêtdu 28 mai 1948, avis qui, d'ailleurs, ne soulève
aucune espèce de contradiction avec l'ensemble de l'arrêt. Cet avis
dissident, que vous trouverez aux pages 101, 102 de la publication
de la Cour. s'exprime comme suit, et de la façon la plus nette :
r Selon l'article 24 de la Charte, au Conseil de Sécurité incombe
«la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité
iinteriationales>,.'Ce divoir prime tous les autres, et je ne crois
pas que l'on puisse - à défautd'une disposition expresse - limiter
le pouvoir et le devoir du Conseil découlant de l'article 24, ....par
la seule voie d'une interprétation restrictive de I'article 4 .... c'est
précisément à cause de ce devoir que le parag~aphe 2 de l'article 4
ne donne à l'Assemblée ledroit de décidersur l'admission de nouveaux
Membres que sous la condition d'une recommandation préalable
du Conseil ....
Les membres du Conseil doivent donc, dans l'intérêtsuprême
de l'Organisation, jouir d'un large pouvoir discrétionnaire ...n Cependant, la thèse de l'Argentine - que je connais par le ménioire
écrit qui m'a étécommuniqué - soutient : 1) clne le Conseil doit,
en tout état de cause, faire une recommandation favorable ou défa-,
vorable sur la candidature: zl et. aue cette recommandation soit
affirmative ou négative, que l'Assehbiée a le droit de passer outre.
En ce aui concerne la vremière affirmation. il semble <luele mémoire
argentin cherche à créerune sorte de confusion entre le vote du Conseil
et la recommandation. Il cherche à assimiler le vote du Conseil à une
recommandation. au moins une recommandation implicite. On trouve
à la page 128 du mémoireargentin le texte suivant : ifLorsqu'il n'y a
unanimité ni en faveur de la candidature ni contrairement à cette
candidature, le vote peut prendre deux directions et la recommanda-
tion devient favorable ou défavorable selon le nombre et le sens des
votes émis.»Vous voyez le moyen subreptice que l'on chercheà employer
pour assimiler deux actes très différents.uUn nombre de voix inférieur
à sept représente une opinion défavorable et le Conseil doit également
aviser de ce fait l'Assemblée générale.n (p. 128.« L'opinion défavorable
du Conseil a étéexprimée par le vote, et la recommandation défa-
vorable doit êtrecommuniquée à l'Assemblée.
Cette habileté ne peut tromper personne. 1.e vote et la recommanda-
tion sont deux actes successifs et différents.Le vote sert à dégagerles
conditions éventuelles d'une recommandation et, une fois c& condi-
tions dégagées,le vote peut suivre, mais le vote en lui-mêmen'est
pas.une recommandation. Je crois que sur ce point encore il est inutile
d'insister.
La thèse argentine confond ainsi la phase de l'admissibilité avec la
phase de l'admission. II faut d'abord voter sur l'admissibilité (et c'est
la seule chose que le Conseil puisse faire au début) pour qu'ensuite
l'Assembléesoit saisie de ce vote sur l'admissibilité et puisse passer à
la procédure d'admission dans laquelle elle est senle compétente.
La tbèse argentine semble revêtirun aspect plus juridique lorsqu'eue
cherche à établir que le Conseil a l'obligation et non le droit de faire une
recommandation et d'exercer sa compétence. Malheureusement. cette
tbèse qui, au premier abord, pourrait paraître séduisante, car elle fait
état d'un des récents progrès de la technique juridique, est en réalité
hors de sujet. La thèse argentine cherche à distinguer entre ce qui est
l'obligationfonctionnelledu Conseil et ledroit du Conseil d'agir : c'est
la distinction entre le droit subjectif et la fonction. Mais une pareille
distinction est ici hors de cause. On peut se demander si un particulier
qui exerce un droit politique, par exemple l'électorat, exerce un droit
ou une fonction. Mais on considère vraiment avec un certain étonne-
ment qu'on cherche à transporter cette thèse à l'usage soit d'un fonc-
tionnaire, qui n'a. jamais de droit subjectif à exercer, mais surtout
d'un organe, et d'un organe de droit public international, tel que le
Conseil de l'organisation des Nations Unies.
Il va de soi que jamais on ne peut se demander sérieusement si le
Conseil exerce un droit subjectif ou une fonction. Le Conseil exerce
toujours et ne peut jamais exercer qu'une fonction. Par conséquent,
la distinction subtile que l'Argentine cherche à faire entre les différents
cas où le Conseil est appelé à prendre une initiative est une distinction
qui, du point de vue juridique, n'a vraiment aucune espècede pertinence.162 ESPOSÉ DE M. SCELLE (FRASCE) - 16 11 50
La seule chose qu'on puisse se demander, quand il s'agit d'un organe
juridique comme le Conseil, c'est si sa compétence est plus ou moins
.liée, ouplus ou moins discrétionnaire.
Tout organe de droit public a une compétence, et cette compétence
est toujours liéedans un certains sens, sans quoi ce serait l'arbitraire,
et dans un autre sens elle est toujours en quelque mesure discrétion-
naire, sans quoi ce serait assimiler l'organe à un robot. Il faut donc
se demander quelle est la marge de compétence discrétionnaire que le
Conseil peut avoir en l'occurrence. Voilà comment la question se pose.
II est dans la situation de tout autre organe politique, d'uii législateur,
d'un juge, d'un titulaire du pouvoir exécutif qui dispose toujours d'un
certain degré d'appréciationen ce qui concerne le inoineiit et l'oppor-
tunOn doit tenir compte aussi, en l'espèce,de la procédure du Conseil,
iiotamment lorsqu'il s'agit, comme c'est le cas, d'une pratique invé-
térée,uniforme, qui n'a jamais étécontestée, sauf lorsque l'Argentine
s'est trouvée morneritanément membre du Conseil. La pratique du
Conseil doit êtreconsidéréecomme une coutume procédurale lorsqu'elle
est nettement établie.
D'ailleurs, vous savez, Messieurs, que ce n'est pas le seul cas où
une compétence de ce genre soit accordée au Conseil. Kous allons,
si\,eus le voulez bien, en énumérer plusieurs.
C'est le cas de l'article j, relatifà la suspension des pouvoirs des
Membres de l'O. N. U. ; c'est le caç de l'article 6, relaàileur excl~sion
é\reiituell; c'est le cas de l'article 93, visant l'admission des Etats
au Statut de la Cour, et de l'article 4 du,Statut de la Cour, visant la
participation à l'électiondes juges d'un Etat qui est partie au Statut
inais non membre des Nations Unies. Enfin, c'est le cas de l'article.97,
se rapportant à la nomination du Secrétaire général.
Dans tous ces cas, 13 ~~rocédure aboutit à la mEme technique :elle
débute par une initiative et uiie recommandation du Conseil.
Or, en ce qui concerne l'article 5, il va de soi que le Coriseilest libre
d'apprécier l'opportunité de recommander ou non la suspension, que
c'est à lui de prendre l'initiative et que l'Assembléene peut rien faire
sans cette initiative. L'exposéargeiitin le reconnaît d'ailleursa fortiori,
et je n'y insiste pas, en ce qui concerne l'exclusion, c'est-à-direl'article 6.
En ce qui concerne l'article 93 relatif à l'accession d'un Etat au
Statut de la Cour, l'Argentine reconnaît également ,que le Conseil
peut - je repreiids ses propres termes - «laisser dormir la demande i,.
Enfin, en ce qui concerne l'article 97, je crois que sur ce point -
c'est l'article relatàfla désignation du Secrétaire généra l on pour-
rait déclarer que le pouvoir discrétionnaire du Conseil est un peu
plus restreint que sur les autres. D'abord, peut-ètre, parce qu'il n'y
a pas de candidature, j'entends de candidature officielle,et en second
lieu, parce qu'on consoit mal le fouctionnemeiit de 1:O. ,K. U. sans
Secrétaire général.Par conséquent, en raison des obligations mémes
qui résultent de la nature des choses, comme aurait dit Montesquieu,
il faut bien que le Conseil prenne l'initiative de proposer un Secrétaire
général, puisquesans cela le grand mécanisme mondial ne pourrait
pas jouer. I'ous savez d'ailleurs que même en cequi concerne la nomina-
tion du Secrétaire généralle veto joue. Sur ce point il n'y a pas de
texte précis, mais il y a une résolution très nette de la Conférence
plénihrede San-Francisco, en date du 20 juin 1945. EXPOSÉ DE nl. SCELLE (FRAXCE) - 16 II 50 163
Dans tous ces cas, l'analogie avec l'article 4 est évidente:initiative
du Conseil, recommandation nécessaire. Onne comprendrait pas plus
que l'Assemblée veuille imposer aux cinq grnndes Puissances qui ont
des sièges permanents au Conseil un Secrétaire généralque ces Puis-
sances n'accepteraient pas, qu'on ne comprendrait que l'Assemblée
générale veuille leur imposerun associé dont l'une d'elles au moins
ne voudrait pas.
Ainsi pourrons-nous négliger compl&tement un autre argument du
mémoireargentin dans lequel il est dit «la Charte ne contient aucune
disposition expresse qui confie au Conseil de Sécurité le privilkge de
ne pas présenter de recommandation à l'Assemblée n.
Nous répondrons tout simplement qu'on ne trouve non plus dans
la Charte aucun texte exprès qui oblige le Conseil à faire une recom-
mandation à l'Assembléelorsqu'il ne lui plaît pas d'en faire.
Voilà, je crois, ce que l'on peut dire sur l'interprétation littérale
du texte, et je me reprocherais d'y insister davantage. Ce texte est
très clair. II aboutit d'ailleuàune espècede balancement de pouvoirs,
ce qui est un des traits caractéristiques de la Charteavec cette différence
que le dernier mot appartient tout de méme à l'Assemblée.
III.- On pourrait s'arrêterlà s'il n'y avait la question des travaux
préparatoires, dont l'Argentine a voulu tirer de grands arguments.
En ce qui concerne les travaux préparatoires, il semble qu'il n'ait
jamais étéplus indiqué d'invoquer la jurisprudence constante de la
Cour, réaffirméepar elle dans l'avis du zS mai. d'aprèslaquelle, lorsque
le texte dont on demande l'interprétation est parfaitement clair, il
n'y a pas lieu de recourir aux travaux préparatoires.
Je ne vous infligerai pas la lecture des nombreux arrêts ou avis
dans lesquels cette doctrine est réaffirmée.Je citerai simplement,
par exemple, l'avis consultatif du 12 aoîit 1922 sur la compétence
de l'organisation internationale du Travail en matière agricole; l'avis
consultatif du 21 novembre 1925 dans l'affaire de Mossoul; l'arrêt
du IO septembre 1929 sur la compétence de la Commission inter-
nationale de l'Oder, et enfin l'arrét du 24 juin 1932 sur le statut
juridique du Territoire de Memel.
Lorsque la Cour, par hasard, croit devoir, ce qui lui arrive quelque-
fois, se référeraux avis consultatifs, elle le fait avec beaucoup de
circonspection, d'une façon extrêmement précautionneuse. Elle affirme,
notamment, que ces travaux préparatoires «ne peuvent êtreinvoqués
pour changer le sens naturel du texte » (voir avis consultatif du
8 décembre 1927 relatif à la compétence dela Commission européenne
du Danube).
C'est ce point qui nous intéresse aujourd'hui particulièrenient,
parce que, précisément, l'évocation destravaux préparatoires dans
le mémoirede l'Argentine paraît nettement avoir pour but de changer
le sens naturel du texte et de favoriser non pas son interprétation,
mais sa reuisio~i.
La politique de l'Argentine, depuis qu'elle s'est attachée h cette
question, n'est pas du tout une politique d'interprétation comme elle
le paraît, c'est une politique de modification et de revision du texte
qui est dirigée en grande partie contre le veto.164 EXPOSÉ DE 11. SCELLE (FRANCE) - 16 II 50
Je m'empresse d'ajouter d'ailleurs, et je regrette que le représentant
de l'Argentine ne soit pas présent parce que j'aurais aiméle lui dire,
que c'est parfaitement le droit de l'Argentine de combattre le veto et
que c'est de sa part une attitude extrêmement noble que de vouloir
mettre fin h.l'espècede deadlock dans lequel se trouve aujourd'hui le
Conseil en ce qui concerne I'admission des nombreuses candidatures de
pays dont la présence à l'OA .'.U. serait infiniment précieuse pour les
travaux de cette grande organisation et pour la consolidation de la paix.
Mais enfin, quelle que puisse êtrela noblesse des buts que poursuit
l'Argentine, nous ne pouvons pas, malheureusement, confondre un
idéal avec une disposition de droit parfaitement claire.
L'évolution de l'Argentine va donc vers une revision. Je passerai
brihement sur l'histoire de cette action de l'Argentine, simplement
pour en souligner les points particuliers.
Dès la première session de l'Assembléegénérale,en 1946 (Première
Commisssion, p. 40). le délégué de l'Argentine déclare :« L'Assemblée
généraleest souveraine pour examiner toutes les questions relatives
à I'admission ou au refus d'admettre de nouveaux Membres ....Le
représentant de l'Argentine estime que l'Assemblée n'est pas tenue
d'adopter les recornmandations.du Conseil de Sécurité ....Toute autre
interprétalionpermettrait a un Etal de s'opposer d lui seulà l'admission
d'u~tpays. II
C'est clair. C'est le yeto qui est visé.
A la deuxième session, en 1947. z6mc séance de la Première Com-
mission, pages 338, 342. 365 du compte rendu officiel, la délégation
argentine cherche cctte fois à faire admettre des candidats pour les-
quels le Conseil n'a fait aucune recommandation à la suite du veto du
représentant de YU. R. S. S., et la quasi-totalité des dhlégués,dont
ceux de la France, s'étant opposés?icette proposition, le déléguargentin
retire sa proposition (p. 346).
En 1 46 (nous sommes, cette fois, devant la Commission politique
spécialer,l'Argentine soumet un nouveau projet de résolution, oii c'est
la thèse de l'obligation pour le Coiiseil de faire iine recommandation
positive ou négativequi intervient, mais toujours pour couvrir l'attaque
contre le veto.
La Commission politique décide que l'Assemblée générale pourra,
soit repousser l'admission qui fait l'objet d'une recommandation favo-
rable, ou accueillir une demande d'admission qui a fait l'objet d'une
recommandation défal-orablepar un vote des deux tiers de ces membres
nré~ ~ ~-e-~votants.
Cette fois encore, devarit une opposition compacte, l'Argentine
retire sa ~ro~osition. Décidément.il semble aue I'Arcentine ne tienne
pas à po;ssér jusqu'au bout des'initiatives Sans expoir.
Lors de la deuxième partie de la Troisième Session de l'Assemblée
générale,c'est l'admission de l'Etat d'Israël qui vient en discussion.
Cette admission est recommandée par g voix contre une et une absten-
tion, sur laquelle je n'insisterai pas. Le Président déclareque la recom-
mandation sera faite. La Commission politique spéciale,après en avoir
délibéré, décidd eans le mêmesens et enregistre avec soin cette atté-
nuation de la pratique du veto qui devrait, semble-t-il, donner au moins
un commencement de satisfaction au Gouvernement argentin, alors
qu'on est étonnéqu'il en tire parti pour combattre, précisément,la
tlièse qui n'est pas la sienne. EXPOSÉ DE M. SCELLE (FRANCE) - IG II jo 165
Cette fois encore le Gouvernement d'Argentine soutient que le veto
ne peut pas s'appliquer à l'admission de nouveaux Membres. Mais le
Président de l'Assembléegénérale décide qu'il ne s'agit là que d'une
question de règlement intérieur du Conseil, que le Conseil en est par
conséquentmaître. et l'Assembléegénéralese range à cette façon de voir
(séanceplénièredu 20 septembre. p. 330).
Au Conseil de Sécurité, le déléguéde l'Argentine revient, bien
entendu, à la charge, en avril 1948, en soutenant qu'il s'agit là d'une
question de procédure, mais en oubliant que le point de savoir s'il
s'agit d'une question de procédure ou d'une question ,de fond est
considérécomme une question de fond et que le Conseil a toujours
précisésur ce point que le veto pouvait s'exercer.
Mais le Règlement de l'Assemblée,adopté en janvier 1946, comporte
un article 1x5 dont la teneur est la suivante :
«Si le Conseil de Sécurité recommandle 'admission de l'État
qui fait !a demande, l'Assembléegénéraleexamine si le candidat
est un Etat pacifique et s'il est capable de remplir les obliga-
tions de la Charte et disposé à le faire.I)
~~ texte est extrêmement imnortant. car il montre très bien que
jiisqu'au moment oii la recomm:in<lati<inest inter\.eniie I':lssemblée
g4iii.r:ilt:iic peut pas dijciiter les questioiij d':icliniisibilitr',c'rst-a-dire
oue non sciil~<iii~~eilil11's i>lij trniiclier sur I'adinissioii, niais riu'elle
doit attendre la recommandation eiie-mêmepour discuter une quéstion
d'admissibilité.
L'incident est particulièrement caractéristique.
Je rappellerai, en outre. qu'à la PremiéreSession ordinaire de l'Assem-
bléede 1946, l'Australie avait proposéla formation d'une commission
mixte du Conseil de Sécuritéet de l'Assembléepour étudierleurs compé-
tences respectives en matière d'admission d'un nouveau Membre.
Le Comité désigné par l'Assemblée,et choisi avec soin, prit comme
1 base de son travail la résolution suivante :
ccLe Comitéa reconnu qu'aux termes de l'article 4, paragraphe 2,
de la Charte, l'Assembléen'a pas le droit de déciderd'admettre
un nouveau Membre sans l'avis /nuorabledu Conseil de Sécurité. n
Voilà une question sur laquelle on a beaucoup épilogué :la recom-
mandation peut-elle être ou ne pas êtrefavorable? Elle est tranchée :
u sans l'avis tauorable du Conseil de Sécurité u. (Voir document de
l'Assemblée A/284, p. 3.)
Finalement, les règlements élaboréspar les deux commissions et
adoptés tant par l'Assembléeque par le Conseil de Sécuritésont nette-
ment concordants et se bornent à déclarer que al'Assemblée ale droit
de demander au Conseil de procéder à un nouvel examen, dans le cas
où le Conseil de Sécuriténe recommande pas l'admission de l'Etat qui
fait la demande, ou remet à plus tard l'exercice de la demande II.(Règle-
ment du Conseil de Sécurité, articles58 à 60, et Réglementde l'Assem-
blée générale,articles 123 à 127.)
Ceci encore est caractéristiaue. On laisse ici un pouvoir supplémen-
taire A I':\scenil,l6eauquel jeiiiis presque teiitc de Compdrer ii;i'ccrtaiii
pou\,oir classique goii\~eriieinental,le droit qui est conlrré nu I'rl'sidcnt
de IliRi.l~iibli<lucde deinander uiie sccuride dclibr:ratioii. C'eIr.droit166 EXPOSE DE hl. SCELLE (FRANCE) - 16 II50
pour l'Assembléede demander au Conseil de Sécurité uneseconde ou
une troisième délibération.
Le lit-.e paraît vidé. Il ne s'azit as ici d'une rtransaction D mais
siinylement d'une tiinterpi~tatioii~. ("est I'inierl>rc'tatisiide la compc-
tcnce dijcréiiuiiii;~ircdu Conseil, 13qur.lest reconnue cxprdsris virbis.
et à laquelle il est simplement ajoufé une précision.
IV.- Pour combattrecette liquidation définitivedu1itige,l'Argentine
exhume de la masse écrasante des travaux préparatoires de la Confé-
rence de San-Francisco, un document qu'elle monte en épingle : le
rapport du Comité I de la Commission II qui contient, en effet, un
paragraphe dont je vais donner lecture et qui, au premier abord, peut
en effet dégagerune certaine atmosphère de doute. C'est le paragraphe
suivant :
«Le comité a étéavisé que le nouveau texte, dans l'opinion
du Comité consultatif de juristes, ne diminue pas le droit de
l'Assemblée d'accepter ou de reieter une recommandation en
faveur de l'admissi'on d'un nouveau Membre (in cauda qenenum)
ou une recommandation déconseillantl'admission d'un Etat aux
Nations Unies.
Le comité a décidé (voilaqui semble aggraver les choses) que
cette interprétation devra étre incluse dans son procès-verbal
comme étant celle à donner à cette disposition de la Charte, et,
se basant sur cette décision, iiâ approuvé le texte sous la forme
suggéréepar le Comité de coordination. »
Voilà le texte sur lequel l'Argentine croit devoir s'appuyer et peut,
en effet, dans une certaine limite essayer de le faire, et sur lequel
tourne toute la question.
Une observation préliminaire. Il n'est pas sûr du tout que ce texte
signifie ce qu'on veut lui faire dire. Je me permettrai de remarquer
que ce texte a étérédigéet écrit avant que le Conseil soit entré en
action, c'est-à-dire avant que le Conseil ait établi sa coutume de faire
ou de ne pas faire de recommandation, Par conséquent, on peut s'ex-
pliquer que ceux qui ont rédigéce texte aient imaginé que le Conseil
prendrait l'habitude de faire une recommandation soit favorable soit
défavorable. Les travaux préparatoires ne parlent que de recomman-
dations favorables, mais il est possible que dans l'esprit de ceux qui
ont rédigé letexte - nous verrons comment - il y eut l'idéeque le
Conseil agirait d'autre façon. Mais le Conseil était parfaitement libre
d'agir d'une façon ou d'une autre, et c'est la jurisprudence du Conseil
qui, sur ce point, va fixer les choses. Ce texte apparaît donc comme
une sorte de présupposition.
Nous allons voir maintenant, au point de vue de l'interprétation
des précédents, quelle peut être la valeur intrinsèque du document.
Remontons assez en arrière pour voir comment ce texte s'est introduit
dans la masse des documents préparatoires de San-Francisco. II faut
revenir jusqu'aux Propositions de Dumbarton Oaks (chapitre V,
section U). Le texte proposé était le suivant :ciL'Assemblée générale
devrait avoir le pouvoir d'admettre de nouveaux Membres dans
l'organisation, sur la recommandation du Conseil de Sécurité. u EXPOSÉ DE M. SCELLE (FRASCE) - 16 11 jO 167
Sur ce, plusieurs amendements sont déposési la Conférencede San-
Francisco devant le ComitéII. D'abord une proposition du Gouverne-
ment égyptien tendant à borner le rôle du Conseil de Sécurité à celui
d'un rdonneur de conseils » ; ensuite un projet australien limitant le
droit d'initiative du Conseil aux Etats qui auraient étéen guerre
avec les Nations Unies avant une date déterminée, soit septembre 1g39.
Ces propositions apparaissent à la troisième séancedu ComitéIl/r,
et, sur l'intervention des Etats-Unis qui les combat nettement. le
compte rendu sommaire rapporte : uOn réclame pour le Conseil de
Sécurité uneautorité dominante et que la Charte ne puisse contenir
entre l'Assemblée généraleet le Conseil de Sécurité. Cela montrefférends
clairement la nécessitéd'attribuer au Conseil de Sécuritépleine respon-
sabilité pour l'admission de nouveaux Membres. i)Ce teste fut adopté
par 22 voix contre 9.
A sa onzième séance, le zj mai, le Comité 1111adopta par zS voix
contre O, c'est-à-dire li l's?iuitimitle texte proposé par son comité
de rédaction : «L'Assemblée a le pouvoir d'admettre de nouveaux
Membres dans l'organisation sur la recommandation du Conseil de
Sécurité» (cloc.594, page 402). Le rapporteur souligna le sens de cette
décision: «Certains déléguése,n appuyant l'acceptation de ce principe,
insistent sur le fait que le but primordial de la Charte est de créer
une assurance complète contre une résurrection de la guerre et que,
par conséquent, c'est le Conseil de Sécuritéqui doit assumer la respon-
sabilité initiale de proposer la participation de nouveaus Ilembres. n
C'est ici que nous allons voir poindre le document, et nous allons
le voir poindre au sein de deux organismes annexes des commissions
de la Conférencede San-Francisco, je veux dire devant le Comité de
coordination et devant le Cornite des juristes. Ces deux comités, et
j'insiste sur ce point, quelle que fût leur utilité, qu'il ne me vient pas
à l'esprit de discuter, ne sont pas des organes majeurs qui prennent
des décisions, ce sont des organes complémentaires qui n'ont le droit
de prendre aircnne décision sur le fond des résolutions adoptées.
Le Comité de coordination a pour mission d'éliminer les contra-
dictions éventuelles des textes en se référant, au besoin, au Comité
exécutif. c'est-à-dire aux erandes Puissances. Oua-t au Comité des
juristes,'composé de personialités éminentes dont les souvenirs doivent
êtreencore assez frais sur ce point, il était chargé de vérifierla termi-
nologie et les répercussions ébentuelles au poini de vile du droit du
libellé des textes. Voilà leur mission. Ce ne sont pas, à proprement
parler. des comités ou des commissions de la conférence : cc sont des
organes de sîireté ayant pour but d'établir, dans une forme définitive,
concrète, insusceptible d'interprétation, les résolutions des comités
de la conférence.
Le Comité de coordination modifia donc légèrement la rédaction
antérieure (huitième et neuvième séances, 30 mai et ler juin) :u Les
Etats seront admis comme Membres de l'organisation par l'Assemblée
généralesur la recommandation du Conseil de Sécurité. »Le Comitéde
;uurdiiiation [>enjequ'il est poil Iogiqiilep:irlcrilcnouve:iiix .\leiiibres
t:iriqu'ils ne sontp.= t-ncorcintrodiiits. (:'eiiiscrupulc assez rsccjsif.
mais nous verronsque le Comitéde coordination était scrupuleux.
A son toqr, le Comitéconsultatif des juristes part de cette constata-
tion que 1'Etat candidat doit souscrire aux obligations de la Charteavant la décisionde l'Assembléeet il propose un texte qui, cette fois,
est devenu le texte définitif :«L'admission comme Membre des Nations
Unies de tout Etat remplissant ces conditions [conditions du paragraphe
11 sefait [voilà le changement capital] sur la recommandation du Conseil
de Sécurité. u Je souligne les mots Nse faiti,(will beeffectedby a decision
ofthe GeneralAssemblyupon therecommendation O/ theSecnrity Council).
Ce qui peut se lire : la décisionde l'Assemblée vise lesort définitifde
la recommandation.
Cependant, le Comité de coordination n'est pas encore tout à fait
content. Le Comitéde coordination a encore un scrupule ou un souci :
il se demande si vraiment l'Assemblée, à la suite de cette rédaction,
n'a pas étéprivée de l'essentiel de ses droits et il s'en enquiert, par
l'intermédiaire de son secrétaire. aupres du Comité des juristeS.Le
Comitédes juristes répond d'une façon un peu laconique, si j'ose me
permettre cette réflexion,que a le texte est clair à cet égard. iiCe qui
signifie que l'Assembléepeut rejeter une. recommandation favorable et
que, par coiiséquent,elle est maîtresse de la décision définitive (voir les
documents U.X.C.I.O. \V.D. 405 C.0./166, 14meséancedu Comitédes
juristes, 18 juin).
Le secrétaire du Comité des juristes confirme alors cette interpré-
tation par une lettre adresséeau secrétaireduComité1111(doc.U.N.C.I.O.,
1og4, vol. S. p. 490). Et c'est dans cette lettre du secrétairedu Comité
des juristes au secrétairedu Comité1111que nous rencontrons la phrase
malencontreuse. La valeur officielie d'un document de ce genre est au
moins suiette à caution. Il s'agit d'une lettre d'un secrétairede comité à
un secréiaire d'un autre com'itéet, malheureusement, cette lettre va
au delà de ce qu'avait décidé le Comité des juristes.Voici le passage de
cette lettre :a Le Comitédes iuristes estime ane le terine Ndécision »
ne fait aucun doute sur le fait que l'~ssembléégénéralepeut accepter
ou rejeter une recommandation du Conseil de Sécurité. »
11est dommage que le secrétaire ne s'en soit Das tenu là :mais il
continue, il commen'te : cEn d'autres termes, l'Assembléegénéralepeut
accepter ou rejeter une recommandation tendant à l'admission d'un
nou6eau hlembre ir- ce qui est parfaitement exact - u ou elie peut
accepter ou rejeter une recommandation tendant à la non-admission
d'un État déterminé comme hlembre des Nations Unies II,ce qui.
malheureusement, devait se révélertout à fait faux.
Le secrétaire du Comitédes juristes veut rassurer le Coinitéde coordi-
nation, et le Comité 1111ensuite, sur le fait que les pouvoirs de l'Assem-
bléen'ont pas étédiminués. Mais dans son zèle il va trop loin, et il
auemetlteces bouuoirs.il les auemente Dar un commentaire aui semble
lu< êtrepersohel. hl&lheureus&ent, ci sont là des choses q;i amvent
dans les assemblées diplomatiques, mêmeles mieux ordonnées.
Ce document va faire houle.de neige ; ilva êtreincorporé dans un
autre document. Le rapporteur du Comité 1111 prend acte de cette
lettre qui lui a étécommuniquée et eii reproduit les termes dans son
rapport. Le passage du rapport auquel je fais allusion est le suivant :
n Les textes n'affaiblissent en rien le texte original adopté par le Comité
de coordination. n Le rapporteur du Comité 1111 reproduit dans son
rapport final du 19 juin 1945 le commentaire. nullement autorisé, et
qui est peut-être le résultat d'une simple inadvertance du secrétaire
du Comité des juristes. Il ajoute, par surcroît : c Le comité a décidé
que cette interprétation devra êtreincluse dans le procés-verbal comme EXPOSE DE M. SCELLE (FRAKCE) - 16 11 50 1~9
étant celle à donner à cette disposition de la Charte et, se basant sur
cette interprétation, il a approuvé le texte sous la forme suggéréepar
le Comité de coordination >,(disons: bar le secrétairedu Comité de
coordination). (U.N.C.I.O.. vol. 8, p. 408, doc. rogzL
Évidemment, le rapport du Comité 1111est un document officiel,
mais aui semble adultéréDar le fait au'on v a introduit des ~hrases
d'un document qui, lui. réssemble plÛs à ;ne communication*privée
entre deux secrétaires de comités qu'à un véritable document officiel
de la conférence.
Jamais, en réalité,l'hostilité de la Cour à l'utilisation des travaux
préparatoires n'a été mieux justifiée que dans les circonstances
préientes !
Je ne discuterai pas, si vous le voulez bien, et dictionnaire en mains,
la vhritable signification du mot irecoinniandation >idont le mémoire
argentin fait grand état.
Une recommandation peut être positive, eue peut être négative.
Dans les dictionnaires, tous les mots ont toujours plusieurs sens,
mais il faut admettre que la recommandation favorable est le sens le
plus probable, car enfin. faire une recommandation de ne pas faire
quelque chose, c'est faire une non-recommandation. Mais laissons ce
point qui n'a aucune importance.
V. - J'en amve maintenant à mes conclusions.
Pour rester sur un terrain solide, il suffit de s'en tenirà la foisà
la pratique du Conseilet àl'exégèsela plus simple du texte de l'article 4.
II suffit de repasser les grandes lignes des travaux préparatoires
pour s'apercevoir qu'ils ne contredisent en rien et qu'ils réaffirment
au contraire, à de multiples reprises, l'interprétation la plus nette du
texEnfin, il suffit de connaître l'origine du document litigieux pour
voir que sa yaieur est, à tout le moins, tres douteuse.
Lorsque le Conseil ne parvient pas à se mettre d'accord sur une
recommandation favorable, rien ne lui défend, dans le texte de la
Charte de s'abstenir de recommander.
Cette abstention, c'est le contenu de son pouvoir discrétionnaire.
L'Assembléen'a pas d'autre droit que de lui demander de revoir cette
décision, de réfléchirà nouveau sur la question.
Au sur~lus. en terminant. ie me Dermettrai de vous faire remar-
quer que ia démandeconsultat:ve, telie qu'elle a étéfinalement rédigée
Dar l'Assemblée.a perdu beau cou^de son ampleur. Elle était primiti-
irement conçue en &denombreux paragraphes; mais elle s'est Ïétrécie
finalement comme la peau de chagrin. Telle qu'elle est devant vous,
elle ne fait aucuneallusion Bl'éventualid'unerecontniandationnégative.
Elle vous demande, simplement, de dire si le Conseil de Sécuritéa
le droit de ne pas faire de recommandation et si, en l'absence de
recommandation, l'Assemblée peut passer à la procédure du para-
graphe 2, c'est-à-dirà la procédure de l'admission.
Je crois qu'il serait toutfait inutile et mêmesuperfétatoire d'insister
davantage.
En terminant, je voudrais Seulement vous faire part d'une réflex/on
qui m'est venue en étudiant cette affaire. Contrairement à l'opinion170 EXPOSÉ DE 31.SCELLE (FRANCE) - 16 11 50
généralementreçue, je ne me serais jamais douté qu'on pouvait avoir
tant de mal à enfoncer une porte ouverte. Cela tient. sans doute, à .
ce que lorsque la porte est ouverte on ne trouve rien derrière que
l'on puisse combattre, mais dans ce cas, le plus sage est de passer
tranquillement à travers cette porte et de ne pas s'arrêter,comme le
dit encore l'expression commune, raux bagatelles de la porte ».
Procès-verbaux des séances publiques tenues au Palais de la Paix, La Haye les 16 février et 3 mars 1950, sous la présidence de M. Basdevant, président