Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15321
AU NOM DE DIEU
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À CERTAINS ACTIFS IRANIENS
(RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE)
OBSERVATIONS ET CONCLUSIONS DE LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
1er septembre 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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CHAPITRE I. INTRODUCTION ......................................................................................................... 1
PARTIE I. LA VÉRITABLE NATURE ET L’OBJET RÉEL DES DEMANDES DE
L’IRAN ......................................................................................................................................... 7
CHAPITRE II. L’OBJET DU DIFFÉREND PORTÉ DEVANT LA COUR .................................................. 7
Section 1. L’objet du différend tel que défini par l’Iran est clair ............................................. 7
Section 2. Les Etats-Unis présentent le différend sous un faux jour ....................................... 8
A. La présentation trompeuse du traité d’amitié de 1955 par les Etats-Unis ...................... 9
B. Les relations économiques entre l’Iran et les Etats-Unis ............................................. 13
C. L’objet du différend ne peut pas être reformulé par les Etats-Unis ............................. 17
Section 3. Les accusations des Etats-Unis contre l’Iran ne sont pas pertinentes pour le
différend et la Cour ne saurait se prononcer à leur égard ................................................. 19
PARTIE II. LES EXCEPTIONS À LA COMPÉTENCE DE LA COUR SOULEVÉES PAR
LES ÉTATS-UNIS ..................................................................................................................... 21
CHAPITRE III. LA COUR EST COMPÉTENTE POUR CONNAÎTRE DE TOUTES LES DEMANDES
PRÉSENTÉES PAR L’IRAN ........................................................................................................ 21
Section 1. Introduction ........................................................................................................... 21
Section 2. La nature limitée des exceptions à la compétence de la Cour soulevée par
les Etats-Unis .................................................................................................................... 22
Section 3. Considérations générales touchant à l’interprétation ............................................ 23
CHAPITRE IV. L’EXCEPTION DES ETATS-UNIS QUANT À L’APPLICABILITÉ DU TRAITÉ À LA
BANQUE MARKAZI EN TANT QUE «SOCIÉTÉ» ......................................................................... 25
Section 1. L’interprétation par les Etats-Unis de la notion de «société» au sens du
traité est erronée ................................................................................................................ 26
A. L’argument de la «lecture naturelle» ........................................................................... 26
B. L’argument «contextuel» ............................................................................................. 27
C. L’argument de l’«objectif du traité» ............................................................................ 30
D. L’argument de l’«historique des négociations» ........................................................... 32
Section 2. L’exception relative à la notion de «société» ne revêt pas un caractère
préliminaire ....................................................................................................................... 34
CHAPITRE V. L’EXCEPTION RELATIVE À L’IMMUNITÉ SOULEVÉE PAR LES DES
ETATS-UNIS EST INADAPTÉE ET DOIT ÊTRE REJETÉE ............................................................. 35
Section 1. Introduction ........................................................................................................... 35
Section 2. Le paragraphe 2 de l’article III du traité d’amitié ................................................. 38
Section 3. Le paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié ................................................. 43
Section 4. Le paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié ................................................. 45
- ii -
Section 5. Le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié : violation par les
Etats-Unis du droit de l’Iran à la liberté de commerce et de navigation entre les
territoires de l’Iran et des Etats-Unis ................................................................................ 46
Section 6. Réponse à l’allégation des Etats-Unis selon laquelle le traité d’amitié de
1955 n’était pas destiné à codifier le droit de l’immunité souveraine .............................. 48
CHAPITRE VI. LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ D’AMITIÉ DE 1955
N’EXCLUT PAS LES QUESTIONS ÉNUMÉRÉES DANS CELUI-CI DE LA COMPÉTENCE DE LA
COUR ...................................................................................................................................... 51
PARTIE III. LES EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITÉ DES ÉTATS-UNIS NE SONT
PAS FONDÉES .......................................................................................................................... 55
CHAPITRE VII. ABSENCE D’ABUS DE DROIT ............................................................................... 55
Section 1. Absence de précédent dans les différends entre Etats ........................................... 60
Section 2. Défaut de pertinence des précédents tirés de différends entre investisseur et
Etat invoqués par les Etats-Unis ....................................................................................... 61
Section 3. L’Iran n’abuse pas de ses droits en vertu du traité ni de la fonction
judiciaire de la Cour .......................................................................................................... 62
CHAPITRE VIII. LA THÉORIE DES «MAINS PROPRES» EST SANS PERTINENCE S’AGISSANT
DES DEMANDES DE L’IRAN PRÉSENTÉES À LA COUR, OU NE S’APPLIQUE PAS À
CELLES-CI ............................................................................................................................... 67
Appendice A. Les allégations des Etats-Unis ne sont pas fondées ........................................ 74
A. Les accusations de terrorisme en tant qu’éléments de la politique étrangère des
Etats-Unis ................................................................................................................... 74
B. L’absence de définition du terme «terrorisme» ............................................................ 74
C. Les accusations erronées des Etats-Unis contre l’Iran en tant qu’Etat soutenant
le terrorisme ................................................................................................................ 76
D. L’Iran en tant que victime d’activités terroristes et d’autres actes hostiles ................. 78
PARTIE IV. CONCLUSIONS ......................................................................................................... 81
CHAPITRE IX. OBSERVATIONS FINALES ...................................................................................... 81
CHAPITRE X. CONCLUSIONS ....................................................................................................... 85
LISTE DES ANNEXES ................................................................................................................... 87
___________
LISTE DES ABRÉVIATIONS ET ACRONYMES
traité d’amitié de
1955
traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires
éd. édition
et al. et autres (et alii)
Fed. Reg. Federal Register
FSIA Loi de 1976 sur l’immunité des Etats étrangers (Foreign Sovereign
Immunities Act)
AIEA Agence internationale de l’énergie atomique
ICC Chambre de commerce internationale
CIRDI Centre international pour le règlement des différends relatifs aux
investissements
CDI Commission du droit international
I.L.R. International Law Reports
MI mémoire de l’Iran
ITRSHRA Loi de 2012 sur la réduction de la menace iranienne et les droits de
l’homme en Syrie (Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act)
OFAC Bureau de contrôle des actifs étrangers (Office of Foreign Assets
Control)
C.P.J.I. Cour permanente de justice internationale
S.D.N.Y. District Sud de New York (Southern District of New York)
TSRA Loi sur la réforme des sanctions commerciales et l’amélioration des
exportations (Trade Sanctions Reform and Export Enhancement Act of
2000)
CNUDCI Commission des Nations Unies pour le droit commercial international
U.S.C. Code des Etats-Unis (United States Code)
convention de
Vienne
convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités
___________
CHAPITRE I
INTRODUCTION
1.1. Dans les présentes observations et conclusions, l’Iran répond aux exceptions
préliminaires des Etats-Unis à la recevabilité de l’ensemble des demandes de l’Iran et à la
compétence de la Cour à l’égard d’une partie d’entre elles. Il importe d’insister d’emblée sur le fait
que ces exceptions préliminaires ont été avancées par les Etats-Unis nonobstant l’existence d’une
convergence de vues entre les Parties sur trois points essentiels : a) le traité d’amitié, de commerce
et de droits consulaires de 1955 entre les Etats-Unis et l’Iran (le «traité d’amitié de 1955») demeure
en vigueur entre les Parties1 ; b) il existe néanmoins un différend en vertu du paragraphe 2 de
l’article XXI de ce traité ; et c) le critère pertinent de détermination de la compétence
ratione materiae est celui défini par la Cour dans son arrêt en l’affaire des Plates-formes
pétrolières2. Ces points d’accord sont importants pas simplement parce qu’ils rétrécissent le
champ des questions sur lesquelles la Cour est appelée à se prononcer, mais aussi parce qu’ils
invalident en grande partie l’argumentation qu’ont choisi de développer les Etats-Unis au stade de
la compétence.
1.2. Concernant le premier point d’accord entre les Parties, les Etats-Unis n’ont pas avancé
que le fonctionnement du traité avait été suspendu en vertu des règles pertinentes du droit
international général, ni qu’il pourrait l’être3. Les Parties sont donc d’accord pour considérer que
les Etats-Unis demeurent tenus d’exécuter intégralement et de bonne foi toutes les obligations
contractées par eux de leur plein gré en concluant le traité. Au nombre de celles-ci figure leur
obligation, au titre de l’article XXI du traité, de soumettre à la Cour les différends portant sur
l’interprétation ou l’application du traité.
1.3. Confrontés à cette difficulté, les Etats-Unis ont choisi de formuler leurs exceptions par
référence à des allégations vagues et mal fondées, telles que «[p]ar ses actes …, l’Iran a foulé aux
pieds les objectifs d’amitié et de coopération du traité, altérant ainsi fondamentalement la relation
bilatérale»4. De manière regrettable, ce point est alors l’occasion d’introduire une contestation, non
fondée en droit, de la recevabilité5, elle-même basée sur des allégations dépourvues de fondement,
dommageables et fausses. La réponse à la position des Etats-Unis est simple : le traité d’amitié de
1955 est, d’un commun accord, en vigueur, et doit être respecté. Ce fait juridique ne saurait être
contourné par une théorie dépourvue du moindre fondement selon laquelle l’invocation par un Etat
de ses droits en vertu d’un traité lorsque le défendeur soutient que ledit Etat s’est livré à d’autres
activités illicites au regard d’autres sources du droit international (sur lesquelles, de surcroît, la
Cour n’est pas compétente pour se prononcer) constitue un abus de droit.
1.4. Concernant le deuxième des principaux points d’accord entre les Parties, les Etats-Unis
ne nient pas l’existence d’un différend portant sur l’interprétation ou l’application du traité d’amitié
de 1955. En effet, l’exposé des exceptions préliminaire des Etats-Unis confirme l’existence d’un
différend relevant du paragraphe 2 de l’article XXI du traité, y compris quant à l’interprétation de
ses diverses dispositions.
1 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 50, par. 6.11.
2 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16.
3 Les Etats-Unis auraient pu choisir de dénoncer le traité conformément à ses dispositions ou autrement, mais ils
ne l’ont pas fait. Ils se sont, en fait, appuyés sur le traité, y compris devant le tribunal des différends irano-américains.
4 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 11, par. 2.7.
5 Résumé dans les exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 4, par. 1.9.
1
2
- 2 -
1.5. En dépit de cela, les Etats-Unis ont jugé bon, à tort, de reformuler les demandes précises
avancées par l’Iran dans sa requête et son mémoire à trois principaux égards :
a) les Etats-Unis allèguent que l’Iran «conteste … des sanctions» adoptées par eux6. Il s’agit d’une
caractérisation inexacte des demandes de l’Iran en l’espèce ;
b) les Etats-Unis soutiennent que l’Iran a présenté à la Cour des demandes en vertu du droit
international coutumier. Il s’agit, là encore, d’une inexactitude. L’Iran ne conteste des mesures
adoptées par les Etats-Unis que pour autant qu’elles contreviennent au traité d’amitié de 1955.
Le droit international coutumier n’intervient que dans la mesure où le traité y fait expressément
ou implicitement référence, ou requiert une référence à celui-ci ;
c) les Etats-Unis allèguent que l’Iran «tente … d’impliquer la Cour dans un affrontement
stratégique de plus grande ampleur»7. Il s’agit, une nouvelle fois, d’une description inexacte des
demandes iraniennes. L’Iran fonde ses demandes uniquement sur le traité d’amitié de 1955 :
peu importe que ce différend s’inscrive dans le cadre d’un autre plus large. A l’inverse, ce sont
les Etats-Unis qui invoquent «l’histoire des relations bilatérales extrêmement agitées entre
l’Iran et les Etats-Unis», ainsi qu’une supposée «litanie de ses méfaits internationaux» et des
«décennies d’infractions»8, et cherchent à s’appuyer sur ces aspects. Il s’agit là d’un exemple
du fait, déjà relevé précédemment, que les exceptions préliminaires des Etats-Unis sont centrées
sur des allégations infondées, dommageables et fausses contre l’Iran. En outre, les exceptions
des Etats-Unis en matière de compétence sont centrées exclusivement sur la question de
l’immunité, et font la part belle au statut de la banque Markazi, tout en ignorant les autres
aspects des demandes de l’Iran. Il existe néanmoins un certain nombre de demandes iraniennes
qui n’ont pas trait à l’immunité et ne concernent pas spécifiquement le statut de la
banque Markazi.
1.6. Quant au troisième point d’accord, les deux Parties reconnaissent que le critère de
détermination de la compétence ratione materiae est tel que défini par la Cour dans son arrêt en
l’affaire des Plates-formes pétrolières, bien qu’elles ne soient pas d’accord sur la bonne application
de ce critère. Ainsi qu’expliqué plus amplement dans la partie II ci-après, les Etats-Unis soulèvent
trois exceptions d’incompétence en relation avec certains aspects des demandes de l’Iran ; or,
chacune est vouée à échouer sur la base d’une application simple du critère de l’arrêt Plates-formes
pétrolières. En résumé :
a) la première exception des Etats-Unis en matière de compétence est que la banque Markazi n’est
pas une «société» au sens conféré à ce terme dans le traité d’amitié de 1955 et qu’elle ne
remplit donc pas, à ce titre, les conditions requises pour bénéficier des protections substantielles
auxquelles ont droit les sociétés en vertu des articles III, IV et V.
i) Cette exception repose sur une tentative déplacée et déroutante pour trouver dans le traité
un supposé «critère fonctionnel» en vertu duquel la notion de «sociétés» serait, semble-t-il,
réservée à des entités exerçant ce que les Etats-Unis décrivent comme des «activités
commerciales». L’interprétation des Etats-Unis n’est pas compatible avec la définition de
«sociétés» aux fins du traité, qui figure dans le paragraphe 1 de l’article III, telle que
confirmée par les travaux préparatoires, et elle doit donc être rejetée. Conformément au
critère de l’arrêt rendu en l’affaire des Plates-formes pétrolières, les demandes de l’Iran en
relation avec la banque Markazi remplissent au minimum les conditions pour relever de
6 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 52, par. 6.15.
7 Ibid., p. 2, par. 1.4.
8 Ibid.
3
4
- 3 -
chacune des dispositions susvisées du traité, et sont donc de la compétence de la Cour
conformément au paragraphe 2 de l’article XXI.
ii) Le demandeur relève que les Etats-Unis maintiennent que l’«Iran était partie à la
procédure d’exécution Peterson», et que
«l’Iran [a], par l’entremise de la banque Markazi, avancé devant le[s] tribuna[ux]
américain[s] des arguments qui vont à l’encontre de ce qu’il a en la présente espèce
affirmé à la Cour quant au statut de la banque Markazi, aux questions touchant à
l’immunité souveraine et au traité.»9
Il ne s’agit ici que d’une simple illustration du refus constant des Etats-Unis de respecter le
statut juridique distinct de la banque Markazi. L’allégation réitérée d’une omission de
divulgation par l’Iran de documents importants, qui faisaient l’objet de la demande
(rejetée) de divulgation spécifique par les Etats-Unis, demeure sans fondement. Ainsi que
l’a déjà expliqué l’Iran dans sa lettre en date du 12 avril 2017, il n’était nullement dans
l’obligation de déposer les documents réclamés par les Etats-Unis. En tout état de cause,
les nombreux documents de la procédure Peterson joints par l’Iran à son mémoire
montrent clairement que la banque Markazi a fait valoir certains arguments devant les
tribunaux américains. La banque Markazi est néanmoins une entité juridique distincte et
ses arguments ne sont pas automatiquement imputables à l’Etat iranien. La Cour se
souviendra en outre de sa décision du 19 avril 2017 dans laquelle elle concluait que «les
Etats-Unis d’Amérique n’[avaient] pas suffisamment démontré la pertinence des
documents en question aux fins de toute exception préliminaire…». Les Etats-Unis n’en
continuent pas moins à alléguer que l’Iran a omis «de joindre en annexe à son mémoire
des copies des pièces de procédure supposées venir à l’appui de ses assertions»10. Cette
assertion est clairement entachée d’erreur et les exceptions préliminaires des Etats-Unis ne
contiennent rien qui mette en question la décision de la Cour du 19 avril 201711.
b) La deuxième exception des Etats-Unis en matière de compétence est qu’il n’existe pas, en vertu
du traité, de droit à l’immunité pour la banque Markazi.
i) Les Etats-Unis soutiennent que ni le paragraphe 2 de l’article III, ni les paragraphes 1) et
2) de l’article IV, ni le paragraphe 1 de l’article V, ni le paragraphe 1 de l’article X, ni non
plus le paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié de 1955 n’accordent expressément de
droits en matière d’immunité. Il s’agit cependant là d’un argument sélectif et hors de
propos dans le contexte de l’interprétation du traité. Au lieu de répondre aux arguments
effectivement avancés par l’Iran dans son mémoire, les Etats-Unis allèguent à tort que
l’Iran souhaite importer dans le traité l’ensemble du corpus du droit international
coutumier. La position de l’Iran est que des dispositions spécifiques du traité d’amitié de
1955 imposent aux Etats-Unis une obligation d’appliquer, dans leurs rapports avec les
sociétés iraniennes s’inscrivant dans le cadre du traité, certaines règles spécifiques du droit
international, y compris en matière d’immunité souveraine.
ii) Les Etats-Unis affirment également que la banque Markazi ne saurait en aucun cas avoir
droit à une quelconque immunité en relation avec ses droits réels si elle est une «société»
au sens conféré à ce terme dans le traité. En effet, les Etats-Unis s’efforcent de présenter
cette incompatibilité supposée entre le statut de la banque en tant que société et la
revendication d’immunité de l’Iran en relation avec la banque comme une incohérence
9 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 1-2, par. 1.3.
10 Ibid., p. 3, par. 1.6.
11 L’Iran croit savoir que les autorités fédérales américaines ont désormais accès à ces documents en conséquence
de l’ordonnance rendue par un tribunal fédéral de première instance sur demande de leur part.
5
- 4 -
majeure dans les conclusions de l’Iran concernant la banque Markazi. Il n’y a cependant
pas de raison qu’une société ne puisse avoir droit à une immunité (ou, en d’autres termes,
pas de raison que toutes les entités ayant droit au bénéfice de l’immunité de l’Etat doivent,
pour conserver ce droit, avoir une forme autre que sociale) ; et rien dans le traité ne prévoit
le contraire.
iii) Outre qu’elle traduit une interprétation erronée de la définition du terme «société» dans le
traité, la position des Etats-Unis rapproche à tort le terme «commerce», tel qu’il est
employé dans l’article X du traité, et l’expression «exception commerciale» utilisée en
droit de l’immunité de l’Etat. Ce faisant, les Etats-Unis font fi aussi bien des conclusions
de la Cour dans son arrêt en l’affaire des Plates-formes pétrolières quant au sens large du
terme «commerce» dans l’article X, que du fait que divers aspects d’activités bancaires
centrales classiques sont intrinsèquement liés au commerce. En effet, la banque Markazi
est impliquée dans tous les échanges commerciaux extérieurs iraniens puisqu’elle est,
entre autres, fournisseur, par l’entremise de banques commerciales iraniennes, de devises
étrangères, et notamment de dollars des Etats-Unis.
iv) Conformément au critère de détermination de la compétence de la Cour, les demandes sont
à tout le moins susceptibles de relever de chacune des dispositions susmentionnées du
traité d’amitié de 1955, et sont donc de la compétence de la Cour conformément au
paragraphe 2 de l’article XXI.
c) La troisième exception des Etats-Unis est que la Cour n’est pas compétente pour connaître de
l’une des mesures en cause en l’espèce, le décret présidentiel (executive order) n° 1359912. Le
défendeur soutient que cette mesure est exclue du champ d’application du traité en vertu du
paragraphe 1 de l’article XX. L’exception repose sur une interprétation erronée du paragraphe 1
de l’article XX comme imposant une condition à la compétence. Il est révélateur que le seul
élément invoqué à l’appui de cette assertion soit une décision unique d’un tribunal arbitral dans
une affaire opposant un investisseur à un Etat, concernant une disposition d’un traité rédigée
différemment et portant sur une question différente. La position des Etats-Unis ignore à la fois
le sens ordinaire et le contexte du paragraphe 1 de l’article XX, et les conclusions de la Cour
dans les affaires Nicaragua et Plates-formes pétrolières selon lesquelles le paragraphe 1 de
l’article XX (ou, dans le cas de l’affaire Nicaragua, la disposition équivalente) offrait
simplement un moyen de défense potentiel lors de l’examen au fond. Il s’ensuit que l’exception
des Etats-Unis ne porte pas, par nature, sur la compétence, et qu’à supposer même que tel soit le
cas, elle n’en devrait pas moins être rejetée puisqu’elle n’a manifestement pas un caractère
exclusivement préliminaire.
1.7. Il découle de ce qui précède que chacune des trois exceptions d’incompétence soulevées
par les Etats-Unis est dépourvue de la moindre valeur, et que toutes peuvent être réglées aisément
par référence aux points d’accord entre les Parties et à la jurisprudence constante de la Cour en
matière de compétence.
1.8. Les exceptions d’irrecevabilité des Etats-Unis, déjà évoquées précédemment, sont tout
aussi infondées. Les Etats-Unis plaident en faveur de la prise en compte de notions très larges telles
que l’«abus de droit» et les «mains sales», qui n’ont, ni l’une ni l’autre, jamais été appliquées par la
Cour pour faire obstacle à une demande, et ne sont pas même établies en droit international. Des
allégations d’abus de droit et de mains sales n’ont pas de caractère préliminaire ; elles concernent le
fond. Les Etats-Unis ont, en outre, échoué à démontrer que les critères de l’abus de droit et des
mains sales étaient remplis en l’espèce.
12 Décret présidentiel (executive order) n° 13599, 5 février 2012, 77 Fed. Reg. 6659 (MI, annexe 22).
6
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1.9. Ainsi qu’indiqué précédemment, les Etats-Unis formulent, dans leurs exceptions
préliminaires, des allégations sans fondement, dommageables et fausses contre l’Iran en relation
avec des questions qui à la fois sont dépourvues de pertinence et échappent à la compétence de la
Cour. Les Etats-Unis allèguent que
«[d]es décennies durant, l’Iran a parrainé et soutenu le terrorisme international, et s’est
livré à des actions de déstabilisation en violation de ses obligations en matière de nonprolifération
nucléaire, de missiles balistiques, de trafic d’armes et de lutte contre le
terrorisme»13.
L’Iran rejette ces allégations14 dépourvues de pertinence. Il semble qu’elles aient été avancées par
les Etats-Unis, non dans le cadre d’une contestation fondée en droit à la compétence ou à la
recevabilité, mais plutôt d’une tentative pour que la Cour voie l’Iran sous le jour le plus
défavorable (et trompeur) possible. Il convient en outre de préciser que (ce qui, une fois de plus, est
évident) les exceptions d’irrecevabilité des Etats-Unis ne sont pas préliminaires par nature
puisqu’elles soulèvent des questions complexes portant sur des faits contestés qui ne pourraient être
jugées (si tant est qu’elles le puissent) que lors de l’examen au fond.
1.10. Les sections suivantes des présentes observations et conclusions sont organisées
comme suit :
dans la partie I (chapitre II), l’Iran réaffirme la nature et l’objet réels de ses demandes, telles
qu’exposées dans sa requête et dans son mémoire. En bref, la demande de l’Iran repose
entièrement sur le fait que les Etats-Unis ont contrevenu, et contreviennent, à leurs obligations
en vertu du traité d’amitié de 1955, causant un préjudice à l’Iran et aux sociétés iraniennes ;
dans la partie II, l’Iran traite des trois exceptions d’incompétence des Etats-Unis. Pour les
raisons résumées ci-dessus, elles sont toutes dépourvues de fondement et ne peuvent qu’être
rejetées sur la base de l’application simple du critère de compétence ratione materiae en
l’affaire des Plates-formes pétrolières15 ;
le chapitre III ouvre cette partie en identifiant notamment la nature limitée des exceptions
d’incompétence soulevées par les Etats-Unis ;
le chapitre IV répond à l’exception des Etats-Unis selon laquelle la banque Markazi n’est pas,
aux fins du traité, une «société», ainsi que ce terme est défini dans le paragraphe 1 de
l’article III ;
le chapitre V répond à l’«exception en matière d’immunité» des Etats-Unis en abordant
notamment la critique américaine selon laquelle l’Iran ne se serait pas livré à un exercice
adéquat d’interprétation du traité, cherchant, à tort, à voir appliqué le droit international
coutumier ;
le chapitre VI répond à l’exception des Etats-Unis concernant l’effet du paragraphe 1 de
l’article XX et du décret présidentiel no 13599 ;
la partie III répond à l’allégation des Etats-Unis selon laquelle la demande de l’Iran serait
irrecevable en totalité. L’Iran démontre que les Etats-Unis ne peuvent invoquer aucun
13 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 11, par. 3.1.
14 Voir ci-dessous, appendice A, chap. VIII.
15 Voir ci-dessus, par. 1.6.
8
- 6 -
argument à l’appui de leurs conclusions basées sur les notions d’«abus de droit» (chapitre VII)
et de «mains sales» (chapitre VIII) ;
la partie IV contient un court exposé des conclusions (chapitre IX), et les présentes
observations et conclusions s’achèvent sur les conclusions de l’Iran dans le chapitre X.
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PARTIE I
LA VÉRITABLE NATURE ET L’OBJET RÉEL DES DEMANDES DE L’IRAN
CHAPITRE II
L’OBJET DU DIFFÉREND PORTÉ DEVANT LA COUR
2.1. L’Iran a saisi la Cour d’un différend juridique concernant des violations multiples et
continues du traité d’amitié de 1995 commises par les Etats-Unis, et souhaite obtenir de la Cour
une décision à cet égard. Sa requête et son mémoire sont très clairs à cet égard.
2.2. Les Etats-Unis ont néanmoins choisi de soutenir que l’Iran avait un autre objectif. Ils
prétendent que : «l’Iran ne recherche pas la résolution d’un différend juridique limité ayant trait
aux dispositions» du traité d’amitié de 195516. L’essence des exceptions préliminaires des
Etats-Unis concernant la recevabilité de la requête de l’Iran est que la véritable nature du litige
diffère de la description qui en est faite dans la requête et le mémoire de l’Iran. Les Etats-Unis
s’abritent derrière l’excuse selon laquelle l’Iran s’efforcerait «d’impliquer la Cour dans un
affrontement stratégique de plus grande ampleur»17 pour proposer un «socle», en termes de
contexte et d’éléments de preuve, inexact et dépourvu de liens directs avec le différend réel porté
devant la Cour par l’Iran. En somme, les Etats-Unis demandent à la Cour de rejeter les demandes
de l’Iran comme étant irrecevables, non pour ce qu’elles sont, mais en raison de ce que les
Etats-Unis voudraient qu’elles soient.
2.3. Dans le présent chapitre, l’Iran démontrera :
dans la section 1, que l’objet du différend tel que défini par l’Iran est clair ;
dans la section 2, que les Etats-Unis décrivent le différend sous un faux jour ; et
dans la section 3, que les accusations des Etats-Unis contre l’Iran présentées dans le chapitre 3
de leurs exceptions préliminaires sont dépourvues de pertinence pour le litige, et que la Cour
n’est pas en position d’en connaître.
SECTION 1
L’OBJET DU DIFFÉREND TEL QUE DÉFINI PAR L’IRAN EST CLAIR
2.4. Dans sa requête du 14 juin 201618 et son mémoire du 1er février 201719, l’Iran a présenté
les demandes précises dont est saisie la Cour en l’instance. En substance, ces demandes sont les
suivantes :
premièrement, les EtatsUnis, par leurs actes, en particulier la non-reconnaissance du statut
juridique distinct de sociétés iraniennes, parmi lesquelles la banque Markazi, ont manqué à
leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur imposent paragraphe 1 de
l’article III du traité d’amitié de 195520. Le paragraphe 1 de l’article III prévoit la
16 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 2, par. 1.4.
17 Ibid.
18 Requête de l’Iran, p. 13-16, par. 32.
19 Mémoire de l’Iran, p. 64-117, par. 4.1-6.20.
20 Ibid., p. 126, par. 8.1 a) i).
9
10
- 8 -
reconnaissance par chaque Partie du statut juridique des «sociétés» constituées en vertu des lois
et règlements en vigueur de l’autre Partie ;
deuxièmement, par leurs actes, et en particulier :
i) le traitement injuste et discriminatoire de sociétés iraniennes ainsi que de leurs biens ;
ii) le fait de ne pas assurer à ces sociétés et à leurs biens la protection et la sécurité la plus
constante ;
iii) le fait d’exproprier ces sociétés de leurs biens et de les priver de leur libre accès aux
tribunaux des Etats-Unis ; et
iv) le non-respect du droit de ces sociétés d’acquérir et d’aliéner des biens ;
les Etats-Unis ont manqué à leurs obligations envers l’Iran, notamment à celles que leur
imposent le paragraphe 2 de l’article III, les paragraphes 1 et 2 de l’article IV, le
paragraphe 1 de l’article V et du paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié de 195521 ;
troisièmement, que les Etats-Unis ont appliqué des restrictions illégales sur les transferts
financiers de sociétés iraniennes, et notamment de la banque Markazi, et interféré avec la
liberté de commerce entre les territoires des parties au traité, en violation, entre autres, du
paragraphe 1 de l’article VII et du paragraphe 1 de l’article X du traité22.
2.5. Les demandes de l’Iran sont directement liées à une série de lois, de règlements et de
décisions de justice des Etats-Unis qui ont progressivement privé les sociétés iraniennes et leurs
biens (ainsi que les participations) des protections et droits garantis par le traité d’amitié de 195523.
Il s’agit d’un différend relatif à «certains actifs iraniens», ainsi qu’au traitement réservé par les
Etats-Unis aux sociétés iraniennes et à leurs intérêts économiques.
SECTION 2
LES ETATS-UNIS PRÉSENTENT LE DIFFÉREND SOUS UN FAUX JOUR
2.6. Dans leurs exceptions préliminaires, les Etats-Unis soutiennent, en substance, que le
différend introduit par l’Iran n’est pas présenté comme il convient. Ils cherchent à substituer aux
demandes de l’Iran, y compris en relation avec les aspects factuels de celles-ci, un ensemble
distinct de supposés «faits» qu’ils décrivent comme les «fondements contextuels [et] probatoires»
de leurs exceptions préliminaires24. Selon les Etats-Unis, ceux-ci devraient être examinés par la
Cour, et constitueraient des fondements suffisants pour lui permettre de refuser de se prononcer sur
les demandes de l’Iran.
2.7. Aucun de ces supposés «fondements» ne relève du champ d’application du différend
exposé par l’Iran dans sa requête et son mémoire. Or, les Etats-Unis soutiennent que le différend
actuel engloberait l’ensemble des rapports irano-américains (y compris aux niveaux politique et
stratégique) depuis 1979.
21 Mémoire de l’Iran, p. 126, par. 8.1 a) ii).
22 Ibid., p. 126, par. 8.1 a) iii).
23 Voir également ci-dessous, p. 13, par. 2.10 et suiv.
24 Première partie des exceptions préliminaires des Etats-Unis, notamment les chapitres 2, 3, 4 et 5.
11
- 9 -
2.8. Les Etats-Unis proposent que la Cour apprécie la recevabilité des demandes de l’Iran sur
la base de la théorie suivante :
a) le litige introduit par l’Iran (affaire que la Cour a choisi d’intituler «Certains actifs iraniens») ne
saurait se rapporter à «certains actifs iraniens», c’est-à-dire, à un «différend juridique limité
ayant trait aux dispositions d’un traité de commerce»25, car les rapports commerciaux entre les
deux Etats se sont transformés en «rupture profonde et prolongée des relations»26 ;
b) dans la mesure où le commerce entre les deux Etats est inexistant, il s’ensuit que toute demande
censée concerner un «instrument commercial et consulaire d’un type courant et de nature
circonscrite»27 tel que le traité d’amitié de 1955 dissimule nécessairement une affaire plus
importante28 ; et
c) ainsi, il appartiendrait à la Cour d’apprécier la recevabilité des demandes de l’Iran, non pour ce
qu’elles sont, mais à la lumière d’un «affrontement stratégique de plus grande ampleur»29, que
les Etats-Unis prétendent décrire dans la première partie de leurs exceptions préliminaires.
2.9. Cette théorie est trompeuse à tous égards :
dans la sous-section A, l’Iran explique que les Etats-Unis ne peuvent redéfinir le traité d’amitié
de 1955 dans le but de limiter sa portée en contradiction avec l’accord conclu entre les Parties ;
dans la sous-section B, l’Iran démontre que les Etats-Unis ne peuvent ignorer l’existence de
certains échanges commerciaux et économiques entre les territoires iranien et américain ; et
dans la sous-section B, l’Iran montre que les Etats-Unis ne peuvent reformuler l’objet du
différend.
A. La présentation trompeuse du traité d’amitié de 1955
par les Etats-Unis
2.10. Les Etats-Unis reconnaissent que le traité d’amitié de 1955 «visait à faciliter des
rapports commerciaux, économiques et consulaires»30 (c’est-à-dire, les rapports économiques) avec
l’Iran. Les Etats-Unis ne s’en efforcent pas moins systématiquement de limiter la portée de cet
instrument31 pour «réduire» le périmètre des échanges commerciaux et des relations consulaires32.
25 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 2, par. 1.4.
26 Ibid., p. 4, par. 1.9.
27 Ibid., p. 3, par. 1.7.
28 Ibid. Voir également ibid., p. 2, par. 1.5 : «l’Iran tente de se servir du traité et d’en faire le prétexte tout trouvé
(ce que dément la réalité) de ses revendications, dont le noyau ne concerne pas des entités commerciales, mais le
traitement de l’Iran lui-même, ou de sa banque centrale, et de supposées violations non des dispositions du traité, mais du
droit international coutumier» ; p. 47, par. 6.2 : «[u]n différend stratégique de longue date ne saurait prospérer sous le
couvert d’une affaire reposant sur un traité commercial et consulaire» ; p. 50, par. 6.10 : «[p]eut-être l’Iran considère-t-il
le traité comme une arme de plus dans le cadre de cette rivalité stratégique de longue haleine» ; p. 50, par. 6.11 : «la
demande de l’Iran en l’espèce ne constitue pas une invocation de bonne foi du traité, et ..., de ce fait, la Cour devrait
décliner sa compétence» ; p. 53, par. 6.17 : «le différend actuel ne saurait être affublé des oripeaux d’un différend
transactionnel ne portant que sur des questions d’ordre technique ayant trait à l’application du traité à une activité
commerciale ou consulaire en cours. Les demandes de l’Iran concernent, au contraire, diverses mesures prises dans le
contexte de l’antagonisme qui oppose, de longue date, les Parties. Le différend n’a rien à voir avec les intérêts protégés
par le traité».
29 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 2, par. 1.4, et p. 47, par. 6.1.
30 Ibid., p. 8, par. 2.1.
31 Ibid., p. 3, par. 1.7, et p. 55, par. 6.27.
12
13
- 10 -
Selon les Etats-Unis, «[l]es activités que le traité était destiné à régir» consistaient en «des rapports
commerciaux et consulaires normaux et courants»33.
2.11. Ainsi que le démontrera l’Iran, il s’agit d’une tentative trompeuse pour limiter le
champ d’application du traité d’amitié de 1955 par les Etats-Unis. Le but des Etats-Unis est
évident : plus le périmètre du traité est limité, plus il est aisé de soutenir que les demandes de l’Iran
sont extérieures à son champ d’application. Mais cette allégation repose sur une distorsion des
termes et de l’objet du traité. En outre, dans le traité, la notion de «commerce» est plus large que
celle invoquée par les Etats-Unis.
a) Le champ d’application du traité
2.12. Les hautes Parties contractantes ont défini le champ d’application du traité dans son
préambule, en indiquant qu’elles étaient «animé[e]s du désir … d’encourager les échanges et les
investissements mutuellement profitables et l’établissement de relations économiques plus étroites
entre leurs peuples»34. En anglais, le titre complet du traité est «Treaty of Amity, Economic
Relations, and Consular Rights between the United States of America and Iran. Signed at Tehran,
on 15 August 1955». Ainsi que l’a souligné la Cour dans son arrêt de 1996 en l’affaire des
Plates-formes pétrolières :
«47. [I]l y a lieu de relever en outre que, dans sa version originale anglaise, le
titre même du traité de 1955 contrairement à celui de la plupart des traités
semblables conclus par les Etats-Unis à la même époque, tel le traité de 1956 entre les
Etats-Unis et le Nicaragua vise, à côté de l’«amitié» et des «droits consulaires»,
non le «commerce («Commerce») mais, plus largement, les «relations économiques»
(«Economic Relations»).»35
2.13. La Cour a poursuivi en mettant l’accent sur le périmètre plus large du traité tel que
décrit dans l’article I :
«en insérant dans le corps même du traité la formule figurant à l’article premier, les
deux Etats ont entendu souligner que la paix et l’amitié constituaient la condition du
développement harmonieux de leurs relations commerciales, financières et
consulaires et qu’un tel développement renforcerait à son tour cette paix et cette
amitié. Par voie de conséquence, l’article premier doit être regardé comme fixant un
32 Par exemple, les Etats-Unis présentent en maintes occasions le traité d’amitié de 1955 comme un simple «traité
commercial» ou un «traité commercial et consulaire» : ses dispositions seraient celles d’un «traité de commerce»
(exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 2, par. 1.4 ; p. 40, note no 172 ; p. 80, par. 8.7 ; p. 90, par. 8.24 ; p. 94,
par. 8.34, et p. 102, par. 9.15, les italiques sont de nous) ; il s’agit d’un «instrument commercial et consulaire»
(exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 3, par. 1.7, les italiques sont de nous) ; «le traité d’amitié est un accord
commercial et consulaire» (exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 8, titre de la section (A) du chapitre 2, les italiques
sont de nous) ; «[l]e traité d’amitié fait partie d’une série de vingt et un traités commerciaux et consulaires postérieurs à la
deuxième guerre mondiale» (exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 8, par. 2.2, les italiques sont de nous) ; ce
différend concernerait «un traité commercial et consulaire» (exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 47, par. 6.2, les
italiques sont de nous) ; le traité de 1955 aurait trait à une «activité commerciale et consulaire» (exceptions préliminaires
des Etats-Unis, p. 48, par. 6.5, et p. 49, par. 6.7, les italiques sont de nous) ; et protégeant «des intérêts relevant d’un type
d’activité donné (les relations commerciales et consulaires)» (exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 48, par. 6.6, et
p. 81, par. 8.8, les italiques sont de nous).
33 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 47, par. 6.2.
34 Les italiques sont de nous.
35 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 47.
14
- 11 -
objectif à la lumière duquel les autres dispositions du traité doivent être interprétées et
appliquées.»36
Curieusement, les Etats-Unis citent cet extrait et mettent les mêmes mots en italiques37, alors qu’ils
insistent dans leur argumentation sur le fait que le traité serait un instrument purement
commercial38, ou un traité destiné à régir les relations commerciales et/ou consulaires entre les
Parties39, en évitant soigneusement d’employer le mot «financier», et en concédant dans deux cas
seulement, sans doute par inadvertance, qu’il pouvait concerner les «relations commerciales et
économiques»40.
2.14. Contrairement aux assertions des Etats-Unis, le traité n’est pas uniquement consacré
aux relations commerciales et consulaires ; il traite, de manière plus générale, de relations
économiques et consulaires plus larges, entre autres choses.
b) La notion de «commerce» ou de «relations commerciales»
2.15 En tout état de cause, à supposer même que le traité ait été limité aux affaires
«commerciales» (ce qui n’était pas le cas), le mot «commerce», tel qu’utilisé dans le traité suffirait,
en soi, à inclure l’objet du présent différend. Ici encore, il est significatif que les Etats-Unis, bien
que citant longuement d’autres passages moins pertinents de l’arrêt de 1996 en l’affaire des
Plates-formes pétrolières, omettent d’attirer l’attention de la Cour sur les paragraphes les plus
pertinents. Il convient donc de citer ces passages dans leur intégralité. En réponse à l’interprétation
suivant laquelle «le mot «commerce», au paragraphe 1 de l’article X, ne désignerait que les
activités d’achat et de vente», la Cour a expliqué ce qui suit :
«[d]e l’avis de la Cour, rien n’indique que les parties au traité aient entendu utiliser le
mot «commerce» dans un sens différent de celui généralement admis. Or le mot
«commerce», dans son acception usuelle, ne se limite pas aux seules activités d’achat
et de vente ; il a des connotations qui dépassent le simple fait d’acheter et de vendre, et
comprend «l’ensemble des transactions, arrangements, etc., nécessaires à cette fin»
(The Oxford English Dictionary, 1989, vol. 3, p. 552 [traduction du Greffe]).
Dans le langage juridique, ce terme n’est pas non plus limité aux activités
d’achat et de vente, puisqu’il peut viser «non seulement l’achat, la vente ou les
échanges de marchandises, mais aussi les instruments et les agents qui favorisent ces
échanges et les moyens et opérations par lesquels ceux-ci s’effectuent, ainsi que le
transport des personnes et des marchandises, que ce soit par voie terrestre ou par voie
maritime» (Black’s Law Dictionary, 1990, p. 269 [traduction du Greffe]).
De même, l’expression «commerce international» désigne, dans son sens
propre, «l’ensemble des transactions à l’importation et à l’exportation, des rapports
d’échange, d’achat, de vente, de transport, des opérations financières, entre nations»
et, parfois même, «l’ensemble des rapports économiques, politiques, intellectuels entre
36 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 813-814, par. 27-28 (les italiques sont de nous).
37 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 48, par. 6.6 ; voir également p. 9-10, par. 2.4 ; p. 42-43, par. 5.8, et
p. 81, note no 327.
38 Ibid., p. 2, par. 1.4 ; p. 80-81, par. 8.7 ; p. 102, par. 9.15 et p. 40, note no 172.
39 Ibid., p. 47, par. 6.1 ; p. 47, par. 6.2 (à deux reprises) ; p. 47-48, par. 6.3 ; p. 48, par. 6.5 ; p. 48-49, par. 6.6 ;
p. 49, par. 6.7 ; p. 48, par. 6.8 ; p. 53, par. 6.17 ; p. 55-56, par. 6.27, et p. 81, par. 8.8.
40 Ibid., p. 52, par. 6.14, ou p. 53, par. 6.18 (les italiques sont de nous).
15
- 12 -
Etats et entre leurs ressortissants» (Dictionnaire de la terminologie du droit
international (établi sous l’autorité du président Basdevant), 1960, p. 126).
Ainsi, que le mot «commerce» soit pris dans son sens le plus commun ou au
sens juridique, au plan interne ou international, il revêt une portée qui excède la seule
référence aux activités d’achat et de vente.
46. Les traités portant sur des questions commerciales règlent une vaste gamme
de questions accessoires liées au commerce, telles que le transport maritime, la
circulation des biens et des personnes, le droit de fonder et d’exploiter des entreprises,
la protection contre les voies de fait, la liberté de communication, l’acquisition et la
jouissance des biens. Par ailleurs, dans son rapport intitulé «Développement progressif
du droit commercial international», le Secrétaire général des Nations Unies cite, parmi
diverses questions relevant du droit commercial international, la conduite d’activités
commerciales relatives au commerce international, les assurances, le transport et
d’autres sujets (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, vingt et
unième session, annexes, point 88 de l’ordre du jour, doc. A/6396 ; également
reproduit dans Basic Documents on International Trade Law, Chia-Jui Cheng (dir.
publ.), 2e éd. révisée, p. 3).
La Cour observe que le traité de 1955 règle également, dans ses articles
généraux, une grande diversité de questions accessoires liées au commerce.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
48. La Cour rappellera au demeurant que, dans la décision rendue en l’affaire
Oscar Chinn (C.P.J.I. série A/B n° 63, p. 65), ... [l]a Cour permanente a affirmé :
«La liberté de commerce, telle qu’elle résulte de la convention, est la faculté, en
principe illimitée, de se livrer à toute activité commerciale, que celle-ci ait pour objet le
négoce proprement dit, c’est-à-dire la vente et l’achat des marchandises, ou qu’elle
s’applique à l’industrie et notamment à l’industrie des transports, qu’elle s’exerce à
l’intérieur ou qu’elle s’exerce avec l’extérieur par importation ou exportation.» (Ibid.,
p. 84.)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
49. La Cour conclut de tout ce qui précède qu’il serait naturel d’interpréter le mot
«commerce» au paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 comme incluant des activités
commerciales en général non seulement les activités mêmes d’achat et de vente, mais
également les activités accessoires qui sont intrinsèquement liées au commerce»41.
2.16. En effet, un argument similaire a été avancé par les Etats-Unis eux-mêmes dès 1956,
lorsque le département d’Etat américain a, lors d’une audience de la commission des affaires
étrangères du sénat des Etats-Unis, souligné que le traité de 1955 conclu avec l’Iran faisait partie
d’un «programme de négociation de traités de commerce et d’échanges commerciaux»42. Au
moment de la signature du traité, la position des Etats-Unis était que le commerce et les échanges
commerciaux devaient être distingués, et que les uns comme les autres devaient être inclus dans le
périmètre du traité de 1955.
41 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 818-819, par. 45-49.
42 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, annexe 7, p. 3 (les italiques sont de nous).
16
17
- 13 -
2.17. Il s’ensuit que les tentatives des Etats-Unis visant à cantonner le champ d’application
du traité aux seules relations commerciales et à limiter le sens du terme «commerce» aux «activités
d’achat et de vente» sont vaines.
B. Les relations économiques entre l’Iran et les Etats-Unis
2.18. C’est à tort que les Etats-Unis soutiennent qu’il n’existe pas de commerce, ni même
d’«échanges économiques» entre l’Iran et les Etats-Unis43. En dépit des difficultés politiques et
juridiques entre les deux Etats, certaines relations économiques continuent d’exister. Les
Etats-Unis sont pleinement au fait de ces relations économiques, puisqu’ils ont autorisé les
transactions ou échanges sous-jacents.
a) L’importance des relations économiques entre l’Iran et les Etats-Unis
2.19 Contrairement à l’impression que les Etats-Unis s’efforcent de créer dans leurs
exceptions préliminaires, les relations économiques entre les deux Etats n’ont jamais cessé. Selon
le bureau fédéral américain du recensement [U.S. Census Bureau], au cours des dix dernières
années, le commerce direct entre les deux Etats s’est élevé à plus de 3 milliards de dollars des
Etats-Unis, les exportations américaines vers l’Iran représentant 85 % de ces échanges44. Le
graphique suivant montre, en valeurs cumulées et ajustées en fonction de l’inflation, les niveaux
d’exportations directes des Etats-Unis vers l’Iran au cours de la période allant de janvier 2010 à
avril 2017.
Exportations des Etats-Unis vers l’Iran (valeurs cumulées,
en millions de dollars des Etats-Unis)
2.20. Les rapports des douanes iraniennes confirment l’existence d’un flux d’échanges
commerciaux limité mais réel entre les deux territoires :
43 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 4, par. 1.9.
44 Bureau fédéral américain du recensement [U.S. Census Bureau], «Trade in Goods with Iran» [Les échanges de
marchandises avec l’Iran], disponible au 22 janvier 2017 (MI, annexe 97). Les données du bureau fédéral américain du
recensement décrivent les exportations et importations commerciales directes réelles vers et depuis l’Iran au cours de la
période concernée. Ces chiffres ne reflètent pas encore les conséquences économiques de certaines des transactions
commerciales réalisées depuis la conclusion du plan d’action global commun et la levée partielle du régime de sanctions
qui s’en est suivie ; voir plus loin, par. 2.25.
18
- 14 -
«[e]n termes tendanciels, les importations en provenance des Etats-Unis d’Amérique
[ci-après, les «Etats-Unis»] ont régulièrement reflété une croissance progressive
globale au cours de la période allant du 21 mars 2011 au 18 février 2017 ... Au cours
des onze mois de l’année en cours [calendrier iranien 2016-2017], les Etats-Unis sont
passés au 25e rang en termes d’échanges ... .
Les exportations de notre pays vers les Etats-Unis ont, après des baisses
successives en 2013 et 2014, connu une hausse et progressé, de manière remarquable,
de 4,689 % en tonnage et de 1,982 % en valeur en dollars, pour atteindre 351 tonnes et
10 millions de dollars des Etats-Unis en 2015 ... . Au cours des onze mois de l’année
en cours également, cette tendance à la hausse s’est poursuivie, avec une augmentation
indiquée de 1,640 % en tonnage et de 2,784 % en valeur exprimée en dollars des
Etats-Unis.»45
2.21. Il est donc absurde, pour les Etats-Unis, d’alléguer, dans leurs exceptions préliminaires,
une «absence, de longue date, de rapports commerciaux ... normaux entre les Parties»46 ainsi
qu’une absence, «entre les Etats-Unis et l’Iran, de relations commerciales ... significatives»47. Au
nombre des exemples récents de relations commerciales «significatives» entre l’Iran et les
Etats-Unis, nous nous contenterons de citer les suivants :
a) en avril 2017, accord de fourniture par Boeing de trente avions de type B737 à la société de
transport aérien iranienne Aseman Airlines48, commande qui devrait bientôt être doublée, ce qui
porterait sa valeur à un montant estimé de 6 milliards de dollars des Etats-Unis49 ;
b) en décembre 2016, accord de fourniture par Boeing, de quatre-vingts avions à la société de
transport aérien iranienne Iran Air, pour une valeur estimée de 16,6 milliards de dollars des
Etats-Unis50 ; et
c) en avril 2016, achat par le ministère fédéral de l’énergie des Etats-Unis de 32 tonnes d’eau
lourde à l’Iran, pour une valeur totale de 8,6 millions de dollars des Etats-Unis51.
2.22. D’autres éléments de preuve, tels que la création, en 2015, d’une chambre de
commerce américano-iranienne basée à Washington, DC52, ainsi que les accords portant sur la
45 Administration des douanes de la République islamique d’Iran, Rapport sur les transactions commerciales avec
les Etats-Unis d’Amérique, 2017 (annexe 57), p. 4.
46 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 50, par. 6.1.
47 Ibid., p. 52, par. 6.8.
48 «Boeing Co. says it signed new $3 billion deal with Iranian airline» [Boeing Co. annonce la signature d’un
marché de 3 milliards de dollars des Etats-Unis avec une compagnie iranienne], AP, 4 avril 2017 (annexe 43).
49 «Iranian airline finalizes deal to purchase 60 Boeing planes» [Une compagnie aérienne iranienne finalise un
marché pour l’achat de 60 avions de la marque Boeing], AP, 10 juin 2017 (annexe 50).
50 «Boeing seals $16,6 billion deal with Iran Air» [Boeing conclut un marché de 16,6 milliards de dollars des
Etats-Unis avec Iran Air], AP, 11 décembre 2016 (annexe 41).
51 «U.S. to buy heavy water from Iran’s nuclear program» [Les Etats-Unis vont acheter de l’eau lourde provenant
du programme nucléaire iranien], Reuters, 22 avril 2016 (annexe 40).
52 «Iran, U.S. to open joint Chamber of Commerce: Report» [L’Iran et les Etats-Unis sur le point d’ouvrir une
chambre de commerce commune], Agence France Presse, 27 novembre 2013 (annexe 35).
19
- 15 -
fourniture de services de télécommunications entre sociétés iraniennes et américaines53, confirment
l’existence de rapports économiques «significatifs» entre l’Iran et les Etats-Unis.
b) Le rôle des Etats-Unis dans le maintien de relations économiques limitées mais réelles avec
l’Iran
2.23. Les échanges économiques décrits précédemment n’ont pas eu lieu contre la volonté
des autorités fédérales américaines, mais avec leur accord exprès. Il est évident que les Etats-Unis
considèrent que les intérêts de leurs propres ressortissants et sociétés sont un motif suffisant de
poursuivre des relations économiques avec l’Iran.
2.24. En 2010 déjà, le bureau de contrôle des actifs étrangers [Office of Foreign Assets
Control, «OFAC»] avait délivré près de 10 000 permis à des entités désireuses de vendre des
marchandises à l’Iran ou de les exporter à destination de celui-ci54. L’évaluation des permis
confirme la politique généreuse adoptée par ce service du Trésor des Etats-Unis en relation avec les
demandes d’autorisation de commercer avec l’Iran55. Si la plupart de ces permis ont été accordés
sur la base des dérogations prévues par la loi fédérale américaine de 2000 sur la réforme des
sanctions commerciales et l’amélioration des exportations (Trade Sanctions Reform and Export
Enhancement Act, «TSRA»)56, qui n’autorise que l’exportation de denrées alimentaires, de matières
premières agricoles et de matériel médical à usage humanitaire, ces exceptions ont fréquemment
été entendues très largement57.
2.25. L’adoption, le 18 octobre 2015, du plan d’action global commun (le «plan d’action
global commun») et la remise du rapport final de l’Agence internationale de l’énergie atomique
(l’«AIEA»)58 (qui concluait à l’absence d’indications crédibles d’activités en Iran pertinentes pour
le développement d’un dispositif nucléaire explosif après 2009»59) se sont traduites par une
augmentation significative des échanges économiques entre les Etats-Unis et l’Iran, en dépit des
efforts des Etats-Unis pour amoindrir les effets du plan d’action global commun. Outre des permis
généraux d’exportation de «matières premières agricoles», ainsi que de «médicaments et
53 Par exemple, en 2011, des demandeurs américains ont été autorisés à saisir et à distribuer les fonds dus à la
société iranienne de télécommunications (Telecommunications Company of Iran) par une société américaine du même
secteur en vertu d’une «relation bilatérale entre sociétés de télécommunications» utilisant «un processus périodique de
règlement et de compensation destiné à déterminer le payeur et le bénéficiaire nets», Estate of Michael Heiser v. Islamic
Republic of Iran, tribunal fédéral de première instance (U.S. District Court), District de Columbia, 10 août 2011,
807 F Sup. 2d 9 (MI, annexe 50).
54 Z. Goldfarb, «Firms licensed to do business in countries on U.S. terror list» [Des entreprises autorisées à
travailler avec des pays figurant sur la liste américaine des pays terroristes], The Washington Post, 24 décembre 2010
(annexe 31).
55 J. Becker, «Licenses Granted to U.S. Companies Run the Gamut» [Les permis accordés à des sociétés
américaines couvrent toute la gamme des activités], New York Times, 24 décembre 2010 (annexe 30).
56 Loi de 2000 sur la réforme des sanctions commerciales et l’amélioration des exportations (Trade Sanctions
Reform and Export Enhancement Act), titre IX de la loi générale (public law) 106 387 (28 octobre 2000) (annexe 2).
57 J. Becker, «U.S. Approved Business with Blacklisted Nations» [Les autorités fédérales ont autorisé des
activités commerciales avec des nations figurant sur une liste noire], New York Times, 23 décembre 2010 (annexe 29) ;
cet auteur explique qu’au nombre des permis accordés à des fins humanitaires en vertu de la loi sur la réforme des
sanctions commerciales et l’amélioration des exportations, le bureau de contrôle des actifs étrangers a autorisé
l’exportation vers l’Iran de «cigarettes, de chewing-gum Wrigley’s, de sauce piquante de Louisiane, de produits
médicamenteux d’amaigrissement, de compléments alimentaires pour le culturisme et de matériels de rééducation par le
sport».
58 «Final Assessment on Past and Present Outstanding Issues regarding Iran’s Nuclear Programme» [Evaluation
finale des questions passées et présentes en suspens concernant le programme nucléaire iranien], AIEA, 2 décembre
2015, GOV/2015/68.
59 Ibid., p. 15, par. 87.
20
- 16 -
d’équipements médicaux» vers l’Iran60, les autorités américaines ont mis en place une gamme de
permis d’échanges commerciaux ouvrant le commerce entre les deux Etats dans plusieurs
domaines, avec notamment :
a) le 30 mai 2013, avant même l’adoption du plan d’action global commun, l’autorisation
d’exporter ou de réexporter vers l’Iran, à partir des Etats-Unis ou par une personne sous
souveraineté américaine, des services de communication par Internet à forfait61 ;
b) le 21 janvier 2016, l’autorisation d’importer aux Etats-Unis, depuis l’Iran ou un pays tiers,
certaines denrées alimentaires et certains tapis d’origine iranienne62 ; et
c) le 24 mars 2016, l’autorisation d’exportation ou de réexportation vers l’Iran, par une personne
sous souveraineté américaine, d’un avion de transport commercial de passagers, ainsi que des
pièces et services liés63.
2.26. Une fois encore, la délivrance de ces permis généraux d’échanges de marchandises a
été motivée par les intérêts des Etats-Unis. Le permis général I autorisant l’exportation vers l’Iran
d’un avion américain a été délivré peu avant que Boeing ne conclue des contrats de vente avec
deux des trois principales sociétés de transport aérien iraniennes64. Indépendamment des raisons
sous-jacentes aux permis d’exportation, l’allégation des Etats-Unis selon laquelle les relations
économiques entre l’Iran et les Etats-Unis auraient connu une «rupture profonde et prolongée»65 est
fallacieuse. Lors du Forum économique mondial de 2017, le ministre iranien des affaires étrangères
a confirmé que «[son pays] [était] ouvert à des relations économiques même avec les Etats-Unis.
Même si nous avons des différends avec les Etats-Unis, nous ne sommes pas opposés à des
relations économiques, ainsi qu’en atteste le marché que nous avons signé avec Boeing»66.
2.27. En somme, il existe incontestablement certaines relations économiques entre les deux
Parties, et il n’est pas contesté que ces relations économiques entrent dans le cadre du traité
d’amitié de 1955. Il s’agit là précisément du critère défini par la Cour dans son arrêt rendu en
l’affaire des Plates-formes pétrolières pour déterminer sa compétence ratione materiae en l’affaire,
c’est-à-dire, pour «rechercher si les violations du traité de 1955 alléguées par l’Iran entrent ou non
dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour est compétente
60 Article 560.530 du titre 31 du code de réglementation fédérale (Code of Federal Regulations, C.F.R.) (au
1er juillet 2016) (annexe 6).
61 Permis général D du bureau de contrôle des actifs étrangers (autorisant l’exportation et la réexportation à des
personnes en Iran de certains services, logiciels et équipements utiles à l’échange de communications personnelles, sous
réserve de certaines limitations), à compter du 30 mai 2013 (annexe 3).
62 Arrêté définitif du bureau de contrôle des actifs étrangers (complétant les permis généraux délivrés en
application de la réglementation de l’Iran en matière de transactions et de sanctions autorisant l’importation aux Etats-
Unis de certaines denrées alimentaires et de tapis d’origine iranienne, ainsi que les transactions liées, et les opérations s’y
rapportant), entré en vigueur le 21 janvier 2016 (annexe 4).
63 Permis général I du bureau de contrôle des actifs étrangers (autorisant certaines transactions liées à la
négociation et à la conclusion de contrats auxiliaires pour des activités remplissant les conditions requises pour
autorisation en vertu de la circulaire relative aux permis en matière d’activités liées à l’exportation ou à la réexportation
vers l’Iran d’aéronefs de transport commercial de passagers, ainsi que de pièces et de services liés), en date du 24 mars
2016 (annexe 5).
64 Voir ci-dessus, par. 2.21.
65 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 4, par. 1.9.
66 «Iran Open to Business Ties with US» [L’Iran prêt à nouer des liens commerciaux avec les Etats-Unis],
Financial Tribune, 19 janvier 2017 (annexe 42).
21
22
- 17 -
pour connaître ratione materiae par application du paragraphe 2 de l’article XXI»67. Ainsi que l’a
expliqué Mme Higgins dans une opinion individuelle :
«32. On a aussi donné à entendre que la ‘plausibilité’ est également un critère
permettant d’établir si la Cour est ou non compétente. La Cour a dit en l’affaire
Ambatielos qu’elle devait déterminer si les arguments avancés par 1’Etat demandeur
«au sujet des dispositions du traité sur lesquelles la réclamation
Ambatielos est prétendument fondée sont de caractère suffisamment
plausible pour permettre la conclusion que la réclamation est fondée sur
un traité» (C.I.J. Recuei1 1953, p. 18 ; les italiques sont de nous).
Mais le «caractère plausible» n’était pas le critère permettant de conclure que la
réclamation pouvait peut-être être fondée sur le traité. Le seul moyen d’établir en la
présente instance si les demandes de l’Iran sont fondées de façon assez plausible sur le
traité de 1955 consiste à accepter provisoirement que les faits allégués par l’Iran sont
vrais et à interpréter dans cette optique les articles premier, IV et X du traité à des fins
juridictionnelles, c’est-à-dire pour voir s’il est possible, sur la base des faits invoqués
par l’Iran, qu’il y ait violation de l’une au moins de ces dispositions.»68
2.28. Ce critère est généralement admis69 et il est aisément satisfait en l’espèce.
C. L’objet du différend ne peut pas être reformulé par les Etats-Unis
2.29. Ainsi qu’indiqué précédemment70, les Etats-Unis entendent reformuler l’affaire
introduite par l’Iran dans le but d’obscurcir la nature du différend71. Mais, d’un point de vue
juridique, un défendeur ne peut reformuler l’affaire introduite par le demandeur pour soulever des
exceptions non pertinentes à sa recevabilité. Ainsi que l’a expliqué la Cour, un défendeur ne peut
«imposer par cette voie au demandeur n’importe quelle demande, au risque de porter atteinte aux
droits de celui-ci et de compromettre la bonne administration de la justice»72. Dans les procédures
67 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 810, par. 16. Voir également, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine
c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 113, Opinion individuelle du
juge Abraham, p. 140, par. 9.
68 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 803, Opinion individuelle de Mme Higgins, p. 856, par. 32 ; voir également, p. 857-58,
par. 34.
69 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie et
Herzégovine c. Bosnie et Monténégro), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 615, par. 30 ; voir
également : Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le
désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 22,
par. 54 ; Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999, p. 137, par. 38 ; Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements
(CIRDI), sentence, 8 février 2005, Plama Consortium Limited c. Bulgarie, affaire CIRDI n° ARB/03/24, par. 119 ;
CIRDI, Décision sur l’annulation, 5 septembre 2007, Industria Nacional de Alimentos, SA et Indalsa Peru´, SA
c. République du Pérou, affaire CIRDI n° ARB/03/4, par. 117-19 ; Commission des Nations unies pour le droit
commercial international (CNUDCI), sentence provisoire, 1er décembre 2008, Chevron Corporation (USA) et Texaco
Petroleum Company (USA) c. la République d’Equateur, affaire CPA n° 34877, par. 103, 105 et 109-10 ; CIRDI,
sentence, 10 février 2012, SGS Société Générale de Surveillance SA c. République du Paraguay, affaire CIRDI
n° ARB/07/29, par. 47-8 et 50-3.
70 Voir ci-dessus, par. 2.2.
71 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 2, par. 1.4.
72 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie et Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 257-58, par. 31.
23
- 18 -
dont est saisie la Cour, les différends sont définis par les termes de la requête. En l’affaire de la
Compétence en matière de pêcheries, la Cour a écrit :
«[i]l ne fait pas de doute qu’il revient au demandeur, dans sa requête, de présenter à la
Cour le différend dont il entend la saisir et d’exposer les demandes qu’il lui soumet.»73
Dans son arrêt rendu en 2015 en l’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à la mer, la
Cour a, en outre, souligné que :
«Pour identifier l’objet du différend, la Cour se fonde sur la requête, ainsi que sur les
exposés écrits et oraux des parties. Elle tient notamment compte des faits que le
demandeur invoque à l’appui de sa demande (voir Essais nucléaires (Australie
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 263, par. 30 ; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 467, par. 31 ; Compétence
en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 449, par. 31 ; p. 449-450, par. 33).»74
2.30. En l’espèce, l’objet du différend tel que défini par la requête et le mémoire de l’Iran est
simple, et il ne saurait raisonnablement être interprété comme recouvrant ce que les Etats-Unis
appellent un «affrontement stratégique de plus grande ampleur»75. Il s’agit d’un différend portant
sur l’interprétation et l’application du traité d’amitié de 195576, qui est indubitablement en vigueur
entre les Parties77. Il a trait à «certains actifs iraniens», pour reprendre le titre donné à l’affaire par
la Cour, ainsi qu’au traitement réservé par les Etats-Unis aux sociétés iraniennes et à leurs intérêts
économiques.
2.31. L’Iran souligne également que les Etats-Unis interprètent ses demandes de manière
erronée, en dépit de leur clarté. Les Etats-Unis soutiennent, par exemple, que
«[l]’allégation de l’Iran selon laquelle nombre des mesures américaines en cause
contreviennent aux principes de l’immunité souveraine consacrés par le droit
international coutumier est au coeur même de sa requête. Pour la quasi-totalité des
articles du traité qu’il invoque, l’Iran se plaint que les règles relatives à l’immunité de
l’Etat ont été ignorées dans le cadre du contentieux lié au terrorisme devant les
tribunaux américains.»78
Le noyau des demandes de l’Iran et, en fait, l’affaire dans son ensemble, concerne la conduite,
imputable aux Etats-Unis et remplissant les conditions requises pour constituer un ensemble de
violations du traité d’amitié de 1955. Aucune demande de l’Iran ne concerne une violation du droit
international coutumier en soi. Le traité comporte une série de protections qui, par les termes
mêmes dans lesquels elles sont garanties, exigent le respect de certains droits dont la source se
trouve dans le droit international coutumier.
73 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 447, par. 29.
74 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2015, p. 602-603, par. 26.
75 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 2, par. 1.4.
76 Voir ci-dessus, par. 2.4-2.5.
77 Voir ci-dessous, par. 7.8-7.10.
78 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 78, par. 8.1.
24
- 19 -
2.32. Il s’ensuit que la reformulation de l’objet du différend par les Etats-Unis et
l’interprétation inexacte par ceux-ci des demandes de l’Iran peuvent difficilement être considérées
comme une lecture de bonne foi de l’affaire iranienne, et qu’elles doivent être rejetées.
SECTION 3
LES ACCUSATIONS DES ETATS-UNIS CONTRE L’IRAN NE SONT PAS PERTINENTES
POUR LE DIFFÉREND ET LA COUR NE SAURAIT SE PRONONCER À LEUR ÉGARD
2.33. Dans sa requête79 et son mémoire80, l’Iran a exposé les fondements de fait et de droit de
ses demandes, qui sont, les uns comme les autres, liés aux relations économiques entre l’Iran et les
Etats-Unis.
2.34. Ni la nature d’irrecevabilité ni l’exactitude de cess moyens de fait et de droit ne sont à
l’origine des exceptions soulevées par les Etats-Unis. Au contraire, les Etats-Unis reconnaissent
que le traité de 1955 est en vigueur entre les Parties81, et admettent que, pour se prononcer sur
l’exception des «mains sales», la Cour devrait «considérer comme vraies les allégations de l’Iran
concernant les mesures prises par les Etats-Unis»82. Les Etats-Unis ne prétendent pas même que les
faits sur lesquels repose l’argumentation de l’Iran sont, de par leur nature, tels qu’ils ne sauraient
donner lieu aux demandes dont l’Iran a saisi la Cour. Au lieu de cela, les Etats-Unis fondent les
exceptions à la recevabilité sur un ensemble distinct de supposés «faits»83 qui peuvent être résumés
sous la forme d’une triple liste d’actes censément fautifs que les Etats-Unis entendent imputer à
l’Iran : actes de terrorisme84, violation d’obligations en matière de non-prolifération nucléaire85 et
violation d’obligations dans les domaines des missiles balistiques et du trafic d’armes86.
2.35. L’Iran conteste vigoureusement ces accusations87. Toutefois, l’argument central dans le
contexte de la présente pièce de procédure consacrée aux exceptions préliminaires est que ces
accusations sont entièrement dépourvues de pertinence pour le litige dont est saisie la Cour. Nulle
part il n’est allégué que l’une de ces accusations relèverait du champ d’application des dispositions
du traité invoquées par l’Iran en l’affaire.
2.36. Non seulement les accusations portées contre l’Iran par les Etats-Unis sont étrangères à
ce différend, mais encore la Cour n’est pas en position de conclure de quelque manière que ce soit
à cet égard. En effet, en dépit des tentatives répétées des Etats-Unis pour présenter leurs allégations
comme des «faits»88 ou des «éléments factuels»89, qui seraient «incontestable[s]»90, ce qu’ils
appellent les «fondements contextuels [et] probatoires» de leurs exceptions d’irrecevabilité ne sont
79 Requête de l’Iran, p. 2-12, par. 6-31, et p. 13-16, par. 32.
80 Mémoire de l’Iran, p. 15-44, par. 2.1-2.64, et p. 45-63, par. 3.1-3.54.
81 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 50, par. 6.11.
82 Ibid., p. 59, par. 6.34.
83 Ibid., p. 33, par. 3.43.
84 Ibid., p. 12- 24, par. 3.5-3.30.
85 Ibid., p. 24-27, par. 3.32-3.37.
86 Ibid., p. 27-29, par. 3.37-3.40.
87 Voir ci-dessous, appendice A, chap. VIII.
88 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 30, par. 3.43.
89 Ibid.
90 Ibid., p. 54, par. 6.26.
25
- 20 -
que de simples accusations portées contre l’Iran, dépourvues de tout fondement. Les Etats-Unis
demandent à la Cour de dire et juger
a) que des actes allégués constituent des faits établis en même temps qu’une violation du droit
international ;
b) que ces actes sont imputables à l’Iran (en d’autres termes, que l’Iran est responsable, au plan
international, de ces faits illicites) ; et
c) que cette responsabilité internationale alléguée constitue un fondement suffisant pour priver
l’Iran du droit qui lui est reconnu par le traité de porter cette affaire devant la Cour. Une
stratégie aussi mal fondée ne saurait aboutir et excède les limites de la phase de la procédure
consacrée aux exceptions préliminaires .
2.37. Il s’ensuit que les accusations non fondées formulées dans la première partie des
exceptions préliminaires des Etats-Unis sont dépourvues de pertinence, qu’elles sont étrangères à
l’objet du litige dont la Cour a été saisie par l’Iran, et qu’en tout état de cause, la Cour ne saurait se
prononcer sur elles. Elles doivent donc être écartées en totalité.
26
- 21 -
PARTIE II
LES EXCEPTIONS À LA COMPÉTENCE DE LA COUR SOULEVÉES
PAR LES ÉTATS-UNIS
CHAPITRE III
LA COUR EST COMPÉTENTE POUR CONNAÎTRE DE TOUTES LES DEMANDES
PRÉSENTÉES PAR L’IRAN
SECTION 1
INTRODUCTION
3.1. Selon le critère de compétence ratione materiae tel qu’énoncé par elle dans son arrêt en
l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour
«doit rechercher si les violations du traité de 1955 alléguées par l’Iran entrent ou non
dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour est
compétente pour connaître ratione materiae par application du paragraphe 2 de
l’article XXI»91.
La question clef est celle de savoir si, en présumant que les faits sont tels qu’exposés par l’Iran, les
violations alléguées sont «susceptibles» de relever du champ d’application des dispositions du
traité invoquées92.
3.2. Dans leurs exceptions préliminaires, les Etats-Unis avancent trois exceptions distinctes à
la compétence ratione materiae de la Cour à l’égard de diverses parties des demandes de l’Iran.
Chacune des exceptions des Etats-Unis est entachée d’erreur et devrait être rejetée.
3.3. La première exception, à laquelle l’Iran répond dans le chapitre IV ci-après, est que la
banque Markazi n’est pas une «société» aux fins des articles III, IV et V (l’«exception société»).
3.4. La deuxième exception, à laquelle répond l’Iran dans le chapitre V ci-après, est que la
suppression par les Etats-Unis des immunités de juridiction et d’exécution ne saurait emporter
violation du paragraphe 2 de l’article III, des paragraphes 1 et 2 de l’article IV ou du paragraphe 1
de l’article X du traité (l’«exception immunité»)93. Les Etats-Unis ont refusé à l’Iran et aux sociétés
détenues par l’Etat iranien, au nombre desquelles la banque Markazi, l’immunité de juridiction à
l’égard des tribunaux américains protégée par le traité d’amitié de 1955 et à laquelle ils ont droit en
vertu du droit international et avaient droit auparavant en droit américain. Les Etats-Unis ne nient
pas ces actes, mais opposent que les demandes dont l’Iran a saisi la Cour sortent du champ
d’application du paragraphe 2 de l’article XXI du traité.
3.5 La troisième exception, à laquelle répond l’Iran dans le chapitre VI ci-après, est que le
paragraphe 1 de l’article XX exclut l’applicabilité du traité d’amitié de 1955 à l’une (seulement)
91 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 810, par. 16.
92 Ibid., p. 819-820, par. 50-52. Voir également, Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Italie), mesures
conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 490, par. 25.
93 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 80, par. 8.6, et p. 95, par. 8.36.
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28
- 22 -
des mesures des Etats-Unis dont l’Iran soutient qu’elle constitue une violation du traité, c’est-àdire,
le décret présidentiel 13599 (l’«exception article XX»).
SECTION 2
LA NATURE LIMITÉE DES EXCEPTIONS À LA COMPÉTENCE DE LA COUR SOULEVÉE
PAR LES ETATS-UNIS
3.6. Avant d’en venir aux détails des exceptions d’incompétence soulevées par les
Etats-Unis, il convient de souligner que ces exceptions concernent certains aspects seulement des
demandes de l’Iran. Il est inutile que l’Iran traite des aspects de sa demande contre lesquels aucune
exception n’a été élevée, et pour lesquels il est donc possible de passer sans retard à une décision
sur le fond.
3.7. Les Etats-Unis ne contestent pas la demande de l’Iran fondée sur le paragraphe 1 de
l’article III du traité d’amitié de 1955 en relation avec la reconnaissance de la personnalité morale
de sociétés iraniennes, excepté pour ce qui est de la définition du terme «société» dans la mesure où
celui-ci s’applique à la banque Markazi. En ce qui concerne les demandes fondées sur le
paragraphe 2 de l’article III, les Etats-Unis n’ont soulevé aucune exception à l’égard de celles des
demandes de l’Iran qui concernent des violations du droit des sociétés iraniennes (et notamment
des sociétés appartenant à l’Etat iranien) :
a) d’accéder aux tribunaux américains, conformément au traité, pour la reconnaissance par la
justice de leur personnalité morale et d’obtenir une telle reconnaissance, droit auquel est
également accordé une protection distincte en vertu du paragraphe 1 de l’article III ;
b) de ne pas être tenues pour responsables, et donc de ne pas être tenues de réparer des dommages
liés à des actes censément fautifs de l’Etat iranien dans des procédures auxquelles les sociétés
iraniennes n’étaient pas parties ;
c) de faire valoir une défense reposant sur la loi et les faits au(x) moment(s) de la faute alléguée,
sans qu’elle soit affectée par une législation rétroactive ciblée ou discriminatoire ; et
d) de ne pas être traitées moins favorablement que les sociétés d’un pays tiers94.
3.8. En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article IV du traité, plusieurs aspects importants
de l’interprétation de cette disposition avancée par l’Iran ne sont pas contestés :
a) les Etats-Unis ne contestent pas l’interprétation avancée par l’Iran du droit des sociétés
iraniennes, ainsi que de leurs biens et entreprises, à un traitement conforme au critère du
traitement juste et équitable, qui interdit une conduite des Etats-Unis :
i) arbitraire, manifestement/foncièrement inéquitable, injuste ou singulière ;
ii) discriminatoire ;
iii) impliquant une absence de procédure équitable conduisant à un résultat contraire à une
bonne administration de la justice ; et/ou
iv) contraire aux attentes légitimes des sociétés et des ressortissants iraniens95 ;
94 Les violations américaines sont décrites dans le mémoire de l’Iran, p. 83-86, par. 5.14-5.18.
29
- 23 -
b) les Etats-Unis ne contestent pas d’avantage que la rédaction du paragraphe 1 de l’article IV
atteste de l’intention des parties d’édicter une interdiction large96. Laissant de côté la question
des immunités, les Etats-Unis ne contestent pas non plus expressément l’idée que la conformité
des mesures en cause aux principes du droit international coutumier ou, au contraire, leur
caractère contradictoire par rapport à la pratique d’autres Etats (c’est-à-dire, le fait qu’aucun, ou
quasiment aucun, autre Etat n’ait adopté de mesures équivalentes), constituent des facteurs
importants pour l’application du critère du traitement juste et équitable97 ;
c) les Etats-Unis ne mettent pas en cause l’interprétation avancée par l’Iran de l’obligation de
veiller à ce que les droits légaux contractuels de sociétés et de ressortissants iraniens bénéficient
de moyens de mise en oeuvre effectifs, conformément aux lois en vigueur, car fournissant une
protection plus large que l’interdiction de déni de justice à elle seule98.
3.9. L’unique exception des Etats-Unis à la compétence de la Cour pour juger de l’existence
d’une violation du paragraphe 1 de l’article V se limite à leur affirmation selon laquelle la
banque Markazi n’est pas une «société» aux fins des protections accordées par le traité99. Les
Etats-Unis ne contestent pas l’interprétation faite par l’Iran du paragraphe 1 de l’article V100. Les
Parties sont, en outre, d’accord sur le fait que l’effet des mesures américaines en cause en l’espèce
a été de priver la banque Markazi du droit d’aliéner ses biens comme bon lui semblait.
3.10. Les Etats-Unis n’ont pas élevé d’exception à la compétence de la Cour à l’égard des
demandes de l’Iran en vertu de l’article VII du traité. En outre, l’exception des Etats-Unis, telle que
l’Iran l’entend, est limitée, en ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article X, à une contestation de
la compétence en relation avec les «demandes liées à la notion d’immunité souveraine des
Etats»101.
SECTION 3
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES TOUCHANT À L’INTERPRÉTATION
3.11. Pour déterminer si les violations alléguées sont «susceptibles» de relever du champ
d’application des dispositions du traité d’amitié de 1955 sur lesquelles s’appuie l’Iran, les
dispositions pertinentes doivent être interprétées. L’Iran a déjà précisé et interprété les dispositions
du traité sur lesquelles elle s’appuie dans son mémoire, et il revient sur les dispositions pertinentes
dans les chapitres restants de la présente partie II. Dans leurs exceptions préliminaires, les
Etats-Unis ont soutenu que l’Iran n’avait pas procédé, dans son mémoire, à une interprétation
appropriée du traité102. Ils allèguent notamment que l’Iran s’efforce, à tort, d’appliquer le droit
95 Voir mémoire de l’Iran, p. 87-93, par. 5.22 à 5.36. L’unique élément de l’interprétation donnée dans ces
paragraphes par l’Iran que contestent (implicitement) les Etats-Unis est l’allégation, au paragraphe 5.36, selon laquelle les
attentes légitimes de toutes les sociétés iraniennes voulaient que les principes d’immunité souveraine en vertu du droit
international seraient respectés.
96 Voir ibid., p. 93-94, par. 5.37-5.38.
97 Ibid., p. 94, par. 5.39.
98 Ibid., p. 95, par. 5.40 à 5.41.
99 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, chap. 9.
100 Voir mémoire de l’Iran, p. 108, par. 5.73 à 5.74.
101 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 95, par. 8.36.
102 Ibid., p. 40, par. 5.4, et p. 44, par. 5.12.
30
31
- 24 -
international coutumier plutôt que le traité103. Ces critiques sont mal fondées. L’Iran formulera trois
remarques générales quant à l’interprétation.
3.12. Premièrement, si l’Iran est d’accord avec l’affirmation des Etats-Unis selon laquelle «la
Cour ne saurait établir sa compétence à partir de «quelques impressions»» et «doit donc à cet égard
procéder à une analyse détaillée» pour interpréter les articles du traité censément violés»104, il est
également vrai qu’elle ne saurait pas plus la décliner «à partir de «quelques impressions»». Et
pourtant, c’est bien ce que les Etats-Unis demandent à la Cour de faire dans les chapitres 1 à 4 de
leurs exceptions préliminaires. Ainsi qu’indiqué dans les chapitres I et II ci-dessus, ces chapitres
des exceptions préliminaires des Etats-Unis ne traitent pas du différend à proprement parler, ni
même du traité d’amitié de 1955, mais contiennent au contraire des allégations préjudiciables et à
caractère spéculatif sur des questions qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour105.
3.13. L’«analyse détaillée» qu’appellent de leurs voeux les Etats-Unis doit prendre en compte
dans son intégralité la règle générale codifiée par l’article 31 de la convention de Vienne sur le
droit des traités (ci-après la «convention de Vienne»), notamment par l’alinéa c) du paragraphe 3 de
l’article 31 (voir plus loin le chapitre V). Ainsi que l’a expliqué la Commission du droit
international (CDI) dans son Commentaire de la convention de Vienne, les dispositions de
l’article forment une seule règle, étroitement intégrée106.
3.14. Deuxièmement, les critiques des Etats-Unis concernant le travail d’interprétation
auquel s’est livré l’Iran dans son mémoire témoigne en grande partie de leur propre incapacité à
saisir le sens ordinaire des dispositions du traité invoquées par l’Iran. Par exemple, comme
l’indique l’Iran dans son mémoire, et ainsi qu’il l’explique en détail dans les chapitres IV et V
ci-après, certaines dispositions du traité requièrent spécifiquement, conformément à leur sens
ordinaire et en appliquant l’ensemble des principes d’interprétation bien établis, que l’on se réfère
et se conforme à certaines règles spécifiques du droit international, concernant notamment le statut
juridique distinct des sociétés et le droit de l’immunité souveraine.
3.15. Troisièmement, l’Iran relève que les Etats-Unis gardent le silence sur le principe bien
établi de l’effet utile invoqué par l’Iran dans son mémoire107. Ce principe requiert qu’un traité soit
interprété de manière à donner à chaque disposition «le maximum de poids et d’effet» , et de
manière «qu’il soit possible d’attribuer une raison et un sens à chaque partie du texte »108.
L’interprétation d’une disposition par référence aux règles pertinentes du droit international est
l’une des méthodes qui permettent de donner un effet significatif à cette disposition.
Indépendamment de cela, un effet significatif doit être donné aux dispositions expresses du
paragraphe 2 de l’article IV du traité, qui renvoie expressément aux normes fixées par le droit
international.
103 Ibid., p. 40-41, par. 5.4-5.5.
104 Ibid., p. 42, par. 5.7.
105 Voir chap. 1, par. 1.5 c) et 1.9, et chap. 2, par. 2.33-2.37 ci-dessus.
106 Rapport de la CDI sur les travaux de la deuxième partie de sa dix-septième session (Nations Unies,
doc. 1/6309/Rev.I), in Annuaire de la Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 220.
107 Mémoire de l’Iran, p. 88, par. 5.24. Il est reconnu par la Cour, par exemple, en l’affaire du Différend
territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 23, par. 47.
108 Troisième rapport sur le droit des traités par Sir Humphrey Waldock, Rapporteur spécial (Nations Unies,
doc. A/CN.4/167 et Add. 1-3), in Annuaire de la Commission du droit international, 1964, vol. II, p. 56, par. 12.
32
- 25 -
CHAPITRE IV
L’EXCEPTION DES ETATS-UNIS QUANT À L’APPLICABILITÉ DU TRAITÉ
À LA BANQUE MARKAZI EN TANT QUE «SOCIÉTÉ»
4.1. Dans le chapitre 9 de leurs exceptions préliminaires, les Etats-Unis soutiennent que «la
banque Markazi ne peut ... revendiquer les protections reconnues aux «sociétés» par le traité»109. Ils
font valoir que :
«l’Iran soutient de manière paradoxale que sa banque centrale, la banque Markazi, est
à la fois une entité étatique ayant droit à l’immunité et une «société» bénéficiant des
protections prévues par les articles III, IV et V du traité».110
4.2. Les Etats-Unis affirment en outre que la qualité de «société», au sens du traité, dépend
des fonctions que remplit l’entité111, au nombre desquelles ne sauraient figurer les fonctions
régaliennes112. Les Etats-Unis allèguent que :
«[l]es articles III, IV et V sont, au contraire, destinés à donner des assurances aux
«sociétés» ou «aux ressortissants et aux sociétés» de l’autre haute partie contractante
dans l’exercice d’activités privées et commerciales. Ces articles ne comportent pas de
règles régissant le traitement devant être accordé aux hautes parties contractantes
elles-mêmes, ou à leurs entités étatiques exerçant des fonctions régaliennes»113.
Les Etats-Unis concluent que, la banque Markazi étant une banque centrale et exerçant des
fonctions régaliennes, et dans la mesure où elle agissait en tant que telle lorsqu’elle a été soumise
par les Etats-Unis au traitement dont se plaint l’Iran, les demandes de ce dernier concernant la
banque Markazi ne se rapportent pas à une «société» protégée par les articles III, IV et V du traité.
4.3. L’exception relative à la notion de société soulevée par les Etats-Unis est présentée
comme une exception préliminaire à la compétence de la Cour. A cet égard, l’Iran allègue :
premièrement, que dans l’hypothèse où la Cour considérerait qu’il s’agit bien là d’une
exception préliminaire à la compétence, elle doit être rejetée en raison du caractère erroné de
l’interprétation par les Etats-Unis de la notion de «société» au sens du traité ;
deuxièmement, que cette «exception préliminaire» ne revêt pas de caractère préliminaire.
109 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 99, titre de la section B du chapitre 9.
110 Ibid., p. 95-96, par. 9.1. Il n’y a rien de «paradoxal» à ce qu’une banque centrale soit également une société.
Les banques centrales d’Etats tels que la Belgique, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas, Singapour, l’Afrique du sud,
la Suisse et la Turquie sont des sociétés dans le système juridique interne de ces pays. La Banque nationale de Belgique
est une société anonyme, la Banque de Grèce une société anonyme, la De Nederlandsche Bank, banque centrale des
Pays-Bas, une société anonyme, l’Autorité monétaire de Singapour une société au sens de la loi singapourienne sur les
sociétés, la banque de réserve sud-africaine (South African Reserve Bank) une société par actions, la Banque nationale
suisse une société anonyme fondée sur une loi fédérale spéciale et la banque centrale de la République de Turquie, une
société par actions.
111 Ibid., p. 100, par. 9.11.
112 Ibid.
113 Ibid., p. 96, par. 9.2.
33
34
- 26 -
SECTION 1
L’INTERPRÉTATION PAR LES ETATS-UNIS DE LA NOTION DE «SOCIÉTÉ»
AU SENS DU TRAITÉ EST ERRONÉE
4.4. Les Etats-Unis conviennent avec l’Iran que le terme «sociétés», tel qu’il est employé
dans le paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié de 1955, est défini en termes larges, et qu’il
inclut à la fois des entités détenues par des acteurs privés et des entités détenues par l’Etat114. Les
Etats-Unis reconnaissent également, que la banque Markazi «[a], de par son statut juridique, la
qualité de personne morale»115.
4.5. Les Etats-Unis contestent néanmoins que le terme «société» puisse englober les entités
détenues par un Etat et exerçant des fonctions régaliennes. Ils soutiennent que «[l]e terme
«sociétés» ne se comprend pas spontanément comme incluant [les banques centrales et les autres
organes publics]»116, et que le «contexte, ... l’objet, ... [le] but et ... l’historique de la négociation»
du traité amènent à conclure que «[l’]interprétation fonctionnelle est l’unique manière de
comprendre les dispositions du traité»117.
4.6. Ainsi qu’il sera démontré ci-après, cette analyse est erronée à tous égards et doit être
rejetée.
A. L’argument de la «lecture naturelle»
4.7. L’argument des Etats-Unis quant à une prétendue «lecture naturelle» manque de clarté.
Il paraît suggérer une interprétation du terme «sociétés» tel qu’il apparaît au paragraphe 1 de
l’article III118, mais également une interprétation des «obligations contenues dans les articles III, IV
et V», en soutenant qu’elles doivent être «lues de manière naturelle et dans leur contexte»119.
4.8. A l’inverse, le sens ordinaire des termes du traité ne laisse aucun doute sur deux points :
a) les «obligations contenues dans les articles III, IV et V» s’appliquent explicitement aux
«sociétés», sans la moindre réserve120 ; et
b) le paragraphe 1 de l’article III prévoit expressément que «[a]u sens du présent traité, le terme
«sociétés» doit s’entendre des sociétés de capitaux ou de personnes, des compagnies et de
toutes associations, qu’elles soient ou non à responsabilité limitée et à but lucratif». Suivant une
114 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 103-104, par. 9.18.
115 Ibid., p. 98, par. 9.6. Bien que les Etats-Unis refusent à la banque Markazi le statut de société du fait de ses
fonctions régaliennes, en vertu de l’article 1603 du titre 28 du code des Etats-Unis, les entités telles que les banques
centrales peuvent incontestablement avoir un statut de personne morale distincte. Cette disposition prévoit en effet
qu’«[u]n «établissement ou organisme d’un Etat étranger» désigne toute entité ... 1) qui est une personne morale, sociale
ou autre ... et 2) qui est un organe d’un Etat étranger ou d’une subdivision politique de celui-ci, ou dont une majorité des
actions ou autres droits réels appartient à un Etat étranger ou à une subdivision politique de celui-ci».
116 Ibid., p. 100, par. 9.11.
117 Ibid.
118 Ibid.
119 Ibid., p. 104, par. 9.19.
120 Les dispositions s’appliquent également aux «ressortissants», et leur interprétation n’est pas en litige entre les
Parties.
35
- 27 -
«lecture naturelle» du traité, le terme «sociétés» tel qu’employé dans le traité, doit
nécessairement s’interpréter à la lumière du paragraphe 1 de l’article III.
4.9. S’agissant du paragraphe 1 de l’article III, l’argument des Etats-Unis revient tout
simplement à affirmer que la définition du terme «sociétés» ne saurait s’appliquer à la banque
Markazi121. Cette allégation n’est pas confirmée par le sens ordinaire du texte lui-même du
paragraphe 1 de l’article III, qui atteste que l’intention des hautes parties contractantes était de
donner au mot «société» une acception large122 et qu’elles en étaient ainsi convenues.
Contrairement à ce qu’allèguent les Etats-Unis123, le terme «sociétés» n’est aucunement limité aux
entités «commerciales»124 ou à celles exerçant des «activités commerciales» ; le paragraphe 1 de
l’article III inclut explicitement les entités «qu’elles soient ou non à responsabilité limitée et à but
lucratif»125.
B. L’argument «contextuel»
4.10. Les Etats-Unis soutiennent qu’interprété dans son contexte, le terme «sociétés» tel que
défini dans le paragraphe 1 de l’article III fait nécessairement référence à des entités «en tant
qu’elles exercent des activités privées et commerciales»126. Ils allèguent aussi que, «[e]n ce qui
concerne les entités publiques, l’article XI apporte ... un contexte indispensable à l’interprétation
des obligations établies par le traité en matière de traitement, et notamment à celles prévues par les
articles III, IV et V»127, ce qui amènerait à conclure que les entités exerçant des fonctions
régaliennes ne sont pas des «sociétés» au regard du traité128. Aucune de ces allégations ne résiste à
l’examen.
4.11. S’agissant de la première, relative au contexte, le traité ne contient aucun terme
susceptible d’être interprété comme limitant le sens du terme «sociétés» dans les articles III, IV et
V à des entités exerçant certaines fonctions ou laissant penser que les protections du traité prévues
dans ces dispositions sont réservées à des sociétés exerçant certaines activités spécifiées.
4.12. En effet, il ressort du texte du traité d’amitié de 1955129 que, lorsqu’il était dans leur
intention d’assortir les protections substantielles du traité de certaines restrictions ou de les limiter à
certaines activités, les parties au traité l’ont fait expressément :
121 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 100, par. 9.11.
122 Voir ci-dessus, par. 4.4.
123 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 98-99, par. 9.7. Selon Setser : ««activités commerciales» est rendu
synonyme d’«activité à but lucratif» dans l’article VII du traité avec Israël, et d’«activité destinée à réaliser un bénéfice»
dans un certain nombre d’autres traités», Setser, 55 AM. SOC. INT’L L. PROC. 99 (exceptions préliminaires des
Etats-Unis, annexe 229).
124 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 2, par. 1.5.
125 Dans le même sens, voir également le paragraphe 1 de l’article VI :
«[d]ans le cas de ressortissants de l’une des hautes parties contractantes qui résident dans les territoires de
l’autre haute partie contractante et dans le cas de ressortissants ou de sociétés de l’une des hautes parties
contractantes qui se livrent, dans lesdits territoires, au commerce ou à toute autre activité à but lucratif ou
non lucratif, lesdites charges et obligations ne seront pas plus onéreuses que celles qui sont imposées aux
ressortissants et aux sociétés de cette autre haute partie contractante».
126 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 96, par. 9.2.
127 Ibid., p. 101-102, par. 9.14.
128 Ibid., p. 102, par. 9.15.
129 Mémoire de l’Iran, annexe 1.
36
- 28 -
le paragraphe 1 de l’article II prévoit que les parties au traité doivent admettre les
«ressortissants» de l’autre partie sur leur territoire et les autoriser à y demeurer «en vue de se
livrer au commerce entre les territoires des deux hautes Parties contractantes ou de se consacrer
à des activités commerciales connexes» ;
le paragraphe 2 de l’article II prévoit que les parties au traité doivent autoriser les
«ressortissants» de l’autre partie à «se consacrer à une activité philanthropique, éducative ou
scientifique» «aussi longtemps que leurs activités ne sont pas contraires à l’ordre, à la sécurité
ou à la moralité publics» ;
le paragraphe 1 de l’article VI concerne les impôts, taxes ou droits auxquels sont assujettis les
ressortissants et les sociétés des autres Parties «qui se livrent, dans lesdits territoires, au
commerce ou à toute autre activité à but lucratif ou non lucratif» ;
le paragraphe 4 de l’article XI contient une dérogation aux immunités qui est expressément
limitée aux «entreprise[s]» exerçant «dans les territoires de l’autre haute Partie contractante
une activité commerciale ou industrielle de quelque nature que ce soit, y compris le transport
des marchandises» ; et
le paragraphe 2 de l’article XX prévoit expressément que le traité «n’accorde aucun droit en
vue de l’exercice d’une activité politique».
4.13. A l’inverse, lorsque leur intention n’était pas de restreindre les protections du traité ou
de les limiter à certaines activités, les parties ont employé le terme générique d’«activités», sans
l’assortir d’aucune autre précision :
dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article III, s’agissant de la disposition selon
laquelle le «statut juridique des sociétés constituées sous le régime des lois et règlements de
l’une des hautes Parties contractantes applicables en la matière sera reconnu dans les territoires
de l’autre haute Partie contractante», le terme générique d’«activité» est utilisé («droit de se
livrer à l’activité en vue de laquelle elles sont organisées») ;
le paragraphe 2 de l’article III prévoit que «la même latitude [d’accéder aux tribunaux
judiciaires et aux organismes administratifs] sera donnée aux sociétés n’exerçant aucune
activité dans le pays, sans qu’elles aient à se faire immatriculer ou à accomplir des formalités
ayant pour objet de les assimiler aux sociétés nationales». Cette disposition contredit
directement l’allégation des Etats-Unis selon laquelle le terme «sociétés» devrait être défini en
fonction des activités ou des fonctions exercées par une entité. En effet, même des entités
constituées en vertu du droit iranien n’exerçant aucune activité aux Etats-Unis remplissent les
conditions requises pour bénéficier des protections prévues par le paragraphe 2 de l’article III
du traité ;
le paragraphe 4 de l’article IV fait référence sans autre précision aux «sociétés» et à «leur
activité» ; et
le paragraphe 1 de l’article V évoque «la bonne marche des activités prévues par le présent
traité».
4.14. En ce qui concerne la seconde allégation, les Etats-Unis se lancent dans une longue
interprétation basée sur le paragraphe 4 de l’article XI qui, affirment-ils, fait la lumière sur
37
38
- 29 -
l’interprétation du terme «sociétés» tel qu’employé dans le traité130. Ces arguments peuvent être
résumés comme suit :
a) «les entreprises détenues par l’Etat opérant sur le marché aux côtés de sociétés privées (et
seulement ces entreprises ... jouiraient des droits ... [du] traité, mais ... ne dev[r]aient pas être
placées dans une position privilégiée au motif qu’elles [sont] propriété publique»)131 ; et
b) le paragraphe 4 de l’article XI a été conçu pour veiller à ce que ces entreprises ne se trouvent
pas dans une position privilégiée par rapport aux sociétés américaines. En conséquence, «la
clause de renonciation à l’immunité (paragraphe 4 de l’article XI) vis[e] à faire en sorte que les
entreprises détenues par l’Etat à même d’invoquer les droits du traité ne puissent se soustraire
aux responsabilités auxquelles sont assujetties les entreprises privées américaines avec
lesquelles elles sont en concurrence»132.
4.15. Cette théorie est, au mieux, discutable puisque les raisons et les modalités de la
pertinence du paragraphe 4 de l’article XI pour l’interprétation contextuelle du mot «sociétés» tel
que défini et employé dans le traité ne sont pas claires. La portée du paragraphe 4 de l’article XI est
extrêmement limitée ; celui-ci traite des «entreprises» qui «exerce[nt] dans les territoires de l’autre
haute Partie contractante une activité commerciale ou industrielle de quelque nature que ce soit, y
compris le transport des marchandises». A l’inverse, les articles III, IV et IV ont une portée
nettement plus large, puisqu’ils englobent tout type d’activité exercé par une société, y compris «à
but ... non lucratif». En outre, aucun des documents analysant la portée du paragraphe 4 de
l’article XI invoqués par les Etats-Unis ne traite du mot «sociétés», ni ne fait référence au terme tel
qu’employé dans les articles III, IV ou V du traité d’amitié de 1955 ou dans des traités d’amitié, de
commerce et de navigation.
4.16. Le raisonnement des Etats-Unis est, en outre, vicié. Selon eux, les droits prévus par les
articles III, IV et V du traité sont présumés accordés uniquement à des sociétés publiques, cette
expression s’entendant comme des «entreprises détenues par l’Etat opérant sur le marché»133. Or,
si tel était le cas, le paragraphe 4 de l’article XI ne spécifierait pas que ces entreprises publiques ne
peuvent se prévaloir de l’immunité «si» elles exercent «une activité commerciale ou industrielle de
quelque nature que ce soit, y compris le transport des marchandises», parce qu’elles seraient déjà
supposées exercer des activités de ce type. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les Etats-Unis,
si le paragraphe 4 de l’article XI était pertinent aux fins de l’interprétation du paragraphe 1 de
l’article III, il confirmerait simplement qu’en vertu du traité, le terme «sociétés» n’est pas limité
aux entités exerçant des activités commerciales et économiques, mais qu’il englobe des entités
créées en vertu des lois et règlements des Parties, indépendamment de la nature de leurs activités
ou de leurs fonctions.
4.17. En d’autres termes, l’articulation correcte entre le paragraphe 1 de l’article III et le
paragraphe 4 de l’article XI est la suivante :
a) le paragraphe 1 de l’article III requiert la reconnaissance du statut juridique des «sociétés»
constituées en vertu des lois et règlements de l’une ou l’autre des hautes Parties contractantes,
ce qui inclut divers types d’entités, qu’elles soient privées ou publiques ;
130 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 101-103, par. 9.13-9.17.
131 Ibid., p. 101, par. 9.13.
132 Ibid.
133 Ibid. (les italiques sont de nous).
39
- 30 -
b) le paragraphe 4 de l’article XI énonce une règle spéciale applicable aux entreprises détenues par
l’Etat, qui peuvent se prévaloir des droits du traité parce qu’elles sont des «sociétés», telles que
définies dans le paragraphe 1 de l’article III. Ces sociétés jouissent des droits prévus par le
traité, et notamment de la protection offerte par les immunités lorsqu’elles ont droit à de telles
immunités. Ce n’est qu’à la condition qu’elles exercent «dans les territoires de l’autre haute
Partie contractante une activité commerciale ou industrielle de quelque nature que ce soit, y
compris le transport des marchandises», et dans cette mesure seulement, qu’elles ne peuvent
revendiquer les immunités, tout en continuant néanmoins à jouir des autres protections du traité.
4.18. Par conséquent, les «sociétés», ainsi que ce terme est défini largement dans le
paragraphe 1 de l’article III, qui, «dans les territoires de l’autre haute Partie contractante[,]
[n’exercent pas] une activité commerciale ou industrielle de quelque nature que ce soit, y compris
le transport des marchandises», sont effectivement «mise[s] à l’abri des obligations [du
paragraphe 4] de l’article XI, et notamment de la renonciation à l’immunité, tout en étant
simultanément considérée[s] comme [des] «société[s]» en droit de se prévaloir des articles du traité
régissant le traitement des sociétés»134. Contrairement à ce que soutiennent les Etats-Unis, cette
situation n’altère en rien «le délicat équilibre recherché par les rédacteurs du [traité]»135 qui, selon
les Etats-Unis136, était destiné à garantir que sociétés américaines et étrangères agiraient sur les
mêmes bases lorsqu’elles seraient en concurrence. En effet, le traitement réservé à une société ne
faisant pas concurrence à des sociétés américaines, et qui donc n’est pas soumise au paragraphe 4
de l’article XI, n’a pas le moindre effet sur cet équilibre.
C. L’argument de l’«objectif du traité»
4.19. En ce qui concerne l’«objectif du traité», les Etats-Unis, bien loin de toute référence au
paragraphe 4 de l’article XI137, formulent deux points spécifiques auxquels l’Iran répond comme
suit.
4.20. Premièrement, les Etats-Unis allèguent que
«Lorsque des entités publiques accomplissent des actes de nature régalienne, et
non lorsqu’elles opèrent en tant qu’entreprises commerciales, la nature même de ces
actes signifie qu’elles ne peuvent agir comme des sociétés privées. Elles interviennent
dans une sphère qui n’est pas régie par un traité de commerce. ... Les articles III, IV
et V n’énoncent pas plus des règles applicables aux modalités de traitement par les
Parties des activités traditionnelles de banque centrale de l’autre Partie, qu’ils ne
sauraient être interprétés comme régissant des opérations liées à des établissements
publics dispensant une assistance internationale ou menant des activités militaires.»138
4.21. L’argument des Etats-Unis repose sur deux hypothèses, toutes deux erronées.
Contrairement à la position des Etats-Unis :
134 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 103, par. 9.17.
135 Ibid.
136 Ibid., p. 101-102, par. 9.13-9.14.
137 Ibid., p. 101, par. 9.13. Les Etats-Unis semblent faire référence au paragraphe 4 de l’article XI, aussi bien en
ce qui concerne la dimension contextuelle que l’analyse des objectifs du traité. L’Iran a répondu à des arguments plutôt
qu’aux éléments contextuels.
138 Ibid., p. 102, par. 9.15.
40
41
- 31 -
a) le traité de 1955 n’est pas un simple traité «de commerce»139. Le terme «commerce» ne figure
même pas dans le préambule du traité, qui décrit son objet ; et
b) une entité exerçant des fonctions régaliennes peut, en même temps, à certains égards, agir
exactement de la même manière qu’une société privée. En outre, en ce qui concerne les banques
centrales, leurs activités ne sont pas limitées à des missions analogues à celles «liées à des
établissements publics en charge de l’assistance internationale ou d’activités militaires», en
supposant, de manière purement hypothétique, que cette comparaison soit pertinente. En effet,
les activités d’une banque centrale incluent l’aide aux sociétés privées dans leurs activités, la
participation à des activités commerciales à des fins qui leur sont propres, et la facilitation de
relations commerciales conduites par des entités privées et publiques, dans un contexte
international140.
4.22. Deuxièmement, les Etats-Unis renvoient à un extrait de l’arrêt sur l’exception
préliminaire en l’affaire des Plates-formes pétrolières rédigé en ces termes :
«L’ensemble de ces dispositions vise la manière dont les personnes physiques et
morales en cause doivent, dans l’exercice de leurs activités privées ou
professionnelles, être traitées par 1’Etat concerné. En d’autres termes, ces dispositions
détaillées ont pour objet le traitement par chacune des parties des ressortissants et
sociétés de l’autre partie ainsi que de leurs biens et entreprises. De telles dispositions
ne couvrent pas les actions menées en l’espèce par les Etats-Unis contre l’Iran»141.
Les Etats-Unis en déduisent qu’«il n’a jamais été envisagé que les actes de nature régalienne
accomplis par des entités étatiques puissent être considérés comme des «activités privées et
professionnelles» relevant des dispositions du traité concernant les «ressortissants
et … sociétés»»142.
4.23. Les Etats-Unis soulignent à juste titre que les déclarations qui précèdent ont
uniquement trait au paragraphe 1 de l’article IV, et non à l’article III ou à l’intégralité des
protections du traité offertes aux «sociétés»143, mais omettent que, dans ce passage, la Cour
répondait simplement à l’argument iranien selon lequel «[i]l appartiendrait par suite à la Cour
d’apprécier la licéité des actions armées des Etats-Unis au regard de ces dispositions»144. Dans son
139 Voir ci-dessus, par. 2.12-2.14.
140 Par exemple, la Banque d’Angleterre explique ainsi le rôle qu’elle joue dans les paiements :
«[l]es paiements jouent un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de l’économie. La Banque
d’Angleterre fait office d’agent de règlement des banques et d’autres membres de plusieurs systèmes de
paiement. Tel est notamment le cas des paiements réglés en temps réel liés à CHAPS et CREST. Au cours
d’une journée moyenne, nous réglons des paiements interbancaires dont la valeur avoisine 500 milliards
de livres sterling, soit près d’un tiers du PIB annuel du Royaume-Uni. Ces transactions couvrent, ou soustendent,
la quasi-totalité des paiements ayant lieu dans l’économie britannique, des salaires aux factures
des entreprises, des achats de véhicules aux ventes de café, et des retraites aux investissements. Nous
réglons également les virements interbancaires nets de plusieurs systèmes de détail et de cartes. En
d’autres termes, nous mettons à disposition des moyens sûrs permettant aux banques d’effectuer des
transferts interbancaires, ce qui réduit le risque pour toutes les personnes participant aux transactions de
ce type et contribue au renforcement de la stabilité financière». Voir bankingandpayments.aspx.
141 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 816, par. 36.
142 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 102-103, par. 9.16.
143 Ibid.
144 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 815-816, par. 33.
42
- 32 -
arrêt, la Cour s’est bornée à évoquer le type de «traitement» qu’est destiné à régir le paragraphe 1
de l’article IV, c’est-à-dire, le «traitement ... [des] ressortissants et ... sociétés de l’autre haute
Partie contractante», plutôt que les actions armées conduites par un Etat contre l’autre. En l’espèce,
l’Iran ne se plaint pas d’une action armée des Etats-Unis contre la banque Markazi, et les
Etats-Unis n’ont fait aucun effort pour expliquer (ce qui leur serait impossible) comment une
analogie pourrait être établie logiquement entre le traitement de la banque Markazi et des actions
armées contre l’Iran.
4.24. En tout état de cause, les Etats-Unis se trompent lorsqu’ils affirment qu’une société
détenue par l’Etat comme la banque Markazi n’exerce pas d’«activités professionnelles». Les
activités bancaires d’une banque centrale sont des «activités professionnelles». La banque Markazi
est incontestablement partie prenante à des actes en rapport avec le «commerce»145 ou
intégralement liés au commerce. En outre, l’achat et la vente de valeurs mobilières dans le contexte
d’opérations d’open market sont des activités économiques par nature, conduites par des sociétés
privées aussi bien que par des banques centrales, et relèvent d’«activités professionnelles».
D. L’argument de l’«historique des négociations»
4.25. Le rappel, par les Etats-Unis, de l’historique des négociations ne reflète pas exactement
les points pertinents146. Il s’agit des suivants.
4.26. La question de savoir si des entités détenues par l’Etat doivent être considérées comme
des «sociétés» au sens du traité a été débattue par les parties au traité. L’Iran avait initialement
proposé d’insérer le mot «privées» après le mot «sociétés» dans le projet d’article III d’une version
antérieure du texte147. Les Etats-Unis ont expliqué que cette proposition n’était pas acceptable, pour
les raisons exposées plus loin, et l’Iran a accepté de retirer sa proposition et d’adopter une
définition plus large qui figure dans la version définitive du texte du paragraphe 1 de l’article III.
4.27. La position du département d’Etat des Etats-Unis a été énoncée au cours d’une réunion,
le 16 novembre 1954 :
«dans ses commentaires à cet égard, le département d’Etat a expliqué qu’il avait lieu
de croire qu’il était possible que le but de ce paragraphe ait été compris de manière
erronée. La disposition n’est pas destinée à conférer aux sociétés quelque droit que ce
soit d’opérer en Iran, mais simplement à faire en sorte qu’elles soient reconnues en
tant qu’entités commerciales, principalement pour qu’elles puissent faire valoir ou
défendre leurs droits en justice en tant qu’entités commerciales. En ce sens, le
paragraphe 1 est lié au paragraphe 2 de l’article. En vertu du projet de traité, aucune
société américaine ne peut exercer une activité économique en Iran, excepté dans la
mesure permise par ce dernier. Il est souhaitable que le statut commercial soit reconnu
pour garantir le droit d’entités commerciales étrangères (celles qui vendent des
marchandises ou fournissent des services à l’Iran, aussi bien que celles autorisées à
opérer sur son territoire) d’accéder librement aux tribunaux pour recouvrer des dettes,
protéger des droits attachés à des brevets, faire exécuter des contrats, etc. Le
145 Voir les articles 11 et 13 de la loi monétaire et bancaire iranienne (approuvée le 9 juillet 1972, avec
modifications ultérieures du 3 mars 2016) (MI, annexe 73).
146 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 103-104, par. 9.18.
147 Lettre de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran au département d’Etat des Etats-Unis datée du 16 octobre
1954, p. 3 (MI, annexe 2).
43
- 33 -
département a demandé si les représentants iraniens pourraient réexaminer leur
suggestion à la lumière de cette explication.»148
4.28. Les Etats-Unis ont, par la suite, insisté sur le fait qu’en vertu du traité proposé, aucune
société étrangère ne devait être considérée comme en droit d’exercer des activités dans le pays de
l’autre Partie, sauf autorisation expresse de celle-ci. Dans un télégramme du département d’Etat
américain à l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran daté du 13 décembre 1954, la position ferme des
Etats-Unis, telle qu’énoncée par le secrétaire d’Etat John Foster Dulles, était que :
«[d]éfinition dans paragraphe un article III du traité, à toutes fins du traité, comme
sociétés privées crée précédent d’effet discutable pour intérêts deux pays vu penchant
nombreux pays vers entreprises publiques. Iran semble comprendre cela lorsque
propose accord distinct garantissant droits de leurs sociétés publiques aux Etats-Unis.
Telle disposition affiche intention discriminatoire à l’égard de sociétés publiques pays
tiers et inacceptable ici pour défaut évident de réciprocité.
Département d’Etat a étudié avec grand soin divers aspects de la question dans
effort pour identifier moyens acceptables d’obliger Iran en relation avec sa
proposition. Suite potentiellement utile. Insérer nouvelle phrase après première phrase
paragraphe un : «[i]l est entendu toutefois qu’en elle-même la reconnaissance de ce
statut juridique ne donnera pas aux sociétés le droit de se livrer à l’activité en vue de
laquelle elles ont été constituées.»
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ambassade peut présenter aide-mémoire indiquant que l’intention des
propositions des Etats-Unis n’est pas d’imposer à l’une ou l’autre des parties
d’admettre entreprises de l’autre, y compris les sociétés publiques, mais qu’objet est
de mettre en place traitement conforme à normes raisonnables des entreprises que peut
admettre une partie de son propre chef.»149
4.29. Ainsi, les travaux préparatoires, et notamment l’explication avancée par les Etats-Unis
pour rejeter toute restriction apportée à la définition du terme «sociétés», telle qu’acceptée par
l’Iran, confirme que les parties au traité n’avaient pas l’intention de limiter les protections du traité
aux entités exerçant certaines activités ou fonctions commerciales ou d’affaires. Les Etats-Unis
indiquent clairement que la définition du mot «sociétés» et la reconnaissance de leur statut
juridique, qui permet notamment de revendiquer en justice les protections accordées par le traité,
n’ont pas de lien avec «l’activité en vue de laquelle elles sont organisées». Il s’ensuit que les parties
au traité ont compris et convenu que la nature des activités ou des fonctions d’entités constituées en
vertu du droit de l’autre partie était absolument dépourvue de pertinence pour trancher la question
de savoir si elles doivent être considérées comme des «sociétés» aux fins du traité.
4.30. En conclusion, l’Iran allègue que l’exception soulevée par les Etats-Unis selon laquelle
la banque Markazi n’est pas une «société» au sens du traité devrait être rejetée. La banque Markazi,
qui est une entité juridique distincte dotée de la personnalité morale, constituée conformément aux
lois et règlements en vigueur en Iran, est clairement une «société», ainsi que ce terme a été défini
largement par le traité d’amitié de 1955. Les obligations du traité en vertu des articles III, IV et V
étant au bénéfice de «sociétés», y compris la banque Markazi, le traitement réservé à la banque par
148 Aide-mémoire de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran datée du 20 novembre 1954, p. 2 (MI, annexe 3).
149 Télégramme du département d’Etat des Etats-Unis à l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran daté du
13 décembre 1954 (MI, annexe 5).
44
45
- 34 -
les Etats-Unis est à tout le moins susceptible d’emporter violation de ces obligations et relève dès
lors de la compétence de la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article XXI.
SECTION 2
L’EXCEPTION RELATIVE À LA NOTION DE «SOCIÉTÉ» NE REVÊT PAS
UN CARACTÈRE PRÉLIMINAIRE
4.31. Ainsi que démontré précédemment, la Cour devrait rejeter l’exception des Etats-Unis
car la banque Markazi est une société en vertu d’une interprétation de bonne foi du terme
«sociétés» tel qu’employé dans le traité.
4.32. L’Iran allègue en outre que l’exception des Etats-Unis n’a pas de caractère
préliminaire.
4.33. En effet, loin de l’argument selon lequel une banque centrale ne saurait, pour des
raisons de principe, être une «société» en vertu du traité parce qu’elle exerce des fonctions
régaliennes, l’allégation des Etats-Unis paraît être que la banque Markazi ne peut être protégée par
le traité dans la présente affaire parce qu’elle n’a pas, en relation avec les faits pertinents pour les
demandes de l’Iran, exercé d’«activités privées et commerciales»150, d’«activités privées et
professionnelles»151 ou d’«activités commerciales»152, et parce qu’elle ne se «livr[ait] pas à des
activités commerciales»153.
4.34. Néanmoins, les activités de la banque Markazi, y compris en relation avec les faits
pertinents pour les demandes de l’Iran, sont clairement «professionnelles», et même dans le cadre
de l’approche des Etats-Unis basée sur une «interprétation fonctionnelle», elles sont, par nature,
économiques. Certaines des activités de la banque Markazi sont également conduites par des
sociétés privées (par exemple, la conclusion de contrats, la possession de biens, l’achat de valeurs
mobilières) et relèvent du commerce.
4.35. Ainsi, dans la mesure où les exceptions des Etats-Unis requièrent de la Cour qu’elle se
prononce sur la nature des activités de la banque Markazi en relation avec le fondement factuel des
demandes de l’Iran, cette exception concerne des questions qui ne peuvent être jugées que sur le
fond, et dont le caractère n’est aucunement préliminaire154.
150 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 96, par. 9.2.
151 Ibid., p. 102-103, par. 9.16.
152 Ibid., p. 104, par. 9.20.
153 Ibid., p. 96, par. 9.2 ; p. 102-103, par. 9.16, et p. 104, par. 9.20.
154 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 462-463, par. 136 ; p. 463, par. 139 ; et p. 465, par. 143.
46
- 35 -
CHAPITRE V
L’EXCEPTION RELATIVE À L’IMMUNITÉ SOULEVÉE PAR LES DES ETATS-UNIS
EST INADAPTÉE ET DOIT ÊTRE REJETÉE
SECTION 1
INTRODUCTION
5.1. L’exception relative à l’immunité soulevée par les Etats-Unis repose sur un exercice
sélectif d’interprétation de traité, centré sur l’absence de référence expresse aux immunités, et qui
n’aborde pas les arguments en matière d’interprétation de traité avancés par l’Iran dans son
mémoire. L’exception des Etats-Unis peut s’énoncer, dans sa totalité, comme suit :
«Tous les articles du traité invoqués par l’Iran ... (c’est-à-dire, le paragraphe 2
de l’article III, le paragraphe 1 de l’article IV, le paragraphe 2 de l’article IV, le
paragraphe 1 de l’article X et le paragraphe 4 de l’article XI) sont muets sur les
protections offertes en matière d’immunité souveraine.»155
A l’appui de leur position, les Etats-Unis soutiennent que les traités d’amitié, de commerce et de
navigation, et notamment le traité d’amitié de 1955, «ne sont pas, et n’ont jamais eu vocation à
être, des instruments de codification de protections liées à l’immunité souveraine dont jouissent les
Etats ou d’autres entités étatiques ; ces questions sont régies par d’autres règles, qui existent
séparément de ces traités»156.
5.2. L’exception relative à l’immunité soulevée par les Etats-Unis est entachée d’erreurs. Le
critère permettant de déterminer si la Cour a compétence pour connaître des demandes pertinentes
de l’Iran ne consiste pas en la question de savoir si le traité dans son intégralité (et encore moins
d’autres traités ou les traités d’amitié, de commerce et de navigation en général) est un instrument
de codification du droit de l’immunité souveraine. L’approche correcte consiste à déterminer si la
bonne interprétation ou application des dispositions du traité exige de s’assurer qu’est respecté le
droit de l’immunité, que ce soit parce que la formulation expresse d’articles du traité renvoie à ces
règles, ou aux fins d’interprétation conformément à l’ensemble des règles établies de
l’interprétation des traités.
5.3. Les Etats-Unis n’ont pas répondu à l’argument de l’Iran selon lequel la nature même des
protections mises en place par ces dispositions du traité suppose de se référer aux règles du droit
international coutumier de l’immunité (ainsi qu’aux lois fédérales américaines relatives à
l’immunité)157. A la lumière de cet argument, il apparaît clairement que les demandes de l’Iran sont
à tout le moins susceptibles de relever de ces dispositions, interprétées correctement, et, partant, de
la compétence de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié de 1955.
5.4. L’élément central concernant les règles d’interprétation sur lesquelles les Parties sont en
désaccord, et qui, de ce fait, mérite d’être développé dans le présent chapitre, a trait à la règle
consacrée par l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne. Les Etats-Unis
allèguent que l’utilisation que fait l’Iran de l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 constitue une
«tentative de réécriture du traité» et un effort pour «importer des règles de droit international sans
155 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 80, par. 8.6. Voir également, dans le même sens, p. 93-94,
par. 8.32.
156 Ibid., p. 80, par. 8.5. Voir également p. 79, par. 8.2.
157 Mémoire de l’Iran, chap. V.
47
48
- 36 -
rapport avec les dispositions du traité interprétées»158. A cet égard, l’Iran fait valoir les cinq
arguments généraux suivants :
a) la règle énoncée à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne requiert
que toutes les règles pertinentes du droit international applicables dans les relations entre les
parties soient prises en compte, ainsi qu’il ressort de l’emploi du futur à valeur d’impératif
«sera» ;
b) l’expression «toute règle pertinente de droit international applicable» fait implicitement
référence aux «sources du droit international» qui figurent dans le paragraphe 1 de l’article 38
du Statut de la Cour internationale de Justice159. Ainsi que l’a remarqué le groupe d’étude sur la
fragmentation du droit international, l’application de la règle peut donc nécessiter qu’il soit fait
référence à toutes dispositions conventionnelles, règles du droit international coutumier et/ou
principes généraux du droit international applicables160 ;
c) la règle énoncée à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne requiert
que «toute règle pertinente» du droit international applicable soit prise en compte. L’allégation
des Etats-Unis selon laquelle «pertinente» doit s’entendre comme «concern[ant] l’objet de la
disposition en cause» est appliquée de manière excessivement étroite161.
i) la règle énoncée dans la convention de Vienne ne prévoyant pas de conditions de
pertinence, le terme «pertinente» doit s’entendre dans son sens ordinaire. Si les rédacteurs
avaient eu l’intention de limiter le recours aux règles de droit international «concernant
l’objet de la disposition en cause» en relation avec l’interprétation du traité, ils auraient
employé la formulation plus restrictive qui figure dans l’article 30 de la Convention162 ;
ii) la Cour a confirmé qu’une règle de droit international sera «pertinente» si elle a une
«certaine incidence»163 sur l’interprétation. De même, le groupe d’étude sur la
158 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 93-95, par. 8.30-8.35.
159 Voir, par exemple, Tulip Real Estate and Development Netherlands B.V. c. République de Turquie, affaire
CIRDI no ARB/11/28, décision sur l’annulation, 30 décembre 2015, par. 87 : «[l]es règles pertinentes de droit
international englobent toutes les sources de droit international». Le sens ordinaire de l’expression «règle pertinente de
droit international» est confirmé par les travaux préparatoires de la convention de Vienne : Sixième rapport sur le droit
des traités par sir Humphrey Waldock, Rapporteur spécial (Nations Unies, doc. A/CN.4/186 and et. 1-7), in Annuaire de
la Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 97, par. 10.
160 CDI, conclusions des travaux du groupe d’étude sur la fragmentation du droit international : difficultés
découlant de la diversification et de l’expansion du droit international (Nations Unies, doc. A/CN.4/L.702, 18 juillet
2006), in Annuaire de la Commission du droit international, 2006, vol. II, part 2, p. 180, par. 18 : «[l]e paragraphe 3 c) de
l’article 31 traite du cas dans lequel des sources matérielles extérieures au traité sont pertinentes pour son interprétation.
Ces sources peuvent être notamment d’autres traités, des règles coutumières ou des principes généraux de droit». Voir
également, par exemple, Philip Morris Brand Sàrl (Switzerland), Philip Morris Products S.A. (Switzerland) et Abal
Hermanos S.A. (Uruguay) c. Oriental Republic of Uruguay, affaire CIRDI no ARB/10/7 (MM. Piero Bernardini,
James Crawford et Gary Born), sentence, 8 juillet 2016, par. 317.
161 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 44, par. 5.12.
162 L’article 30 concerne l’application de traités successifs portant sur le même objet.
163 Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 219, par. 114. Voir également Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran
c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 161, Opinion individuelle du juge Simma, p. 330, par. 9: «La
Cour ... admet donc à juste titre le principe selon lequel les dispositions d’un traité doivent être interprétées et appliquées
à la lumière du droit conventionnel applicable entre les parties ainsi que des règles de droit international général
«entourant» le traité».
49
- 37 -
fragmentation du droit international fait référence aux règles «qui exercent des effets sur
les mêmes faits ... [que] le traité interprété»164 ;
iii) contrairement à ce que suggèrent les Etats-Unis165, Gardiner n’approuve pas cette
interprétation restrictive. Il explique :
«[i]l semble raisonnable de considérer que le sens ordinaire des règles de droit
international «pertinentes» fait référence à celles concernant le même objet que la ou
les dispositions du traité interprétées ou affectant, de quelque manière que ce soit,
cette interprétation»166 ;
d) en ce qui concerne l’expression «applicable dans les relations entre les parties», le terme
«parties» désigne les parties contractantes au traité interprété, conformément à la définition de
«partie» énoncée à l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 2 de la convention de Vienne167 ;
e) le sens ordinaire de l’expression «applicable dans les relations entre les parties» englobe les
situations dans lesquelles la règle pertinente de droit international est en vigueur entre les Etats
parties au traité interprété. Ainsi que l’explique le commentaire de la CDI, cet alinéa c) du
paragraphe 3 de l’article 31 était destiné à n’«énoncer qu’un principe général sans chercher à en
définir les conséquences»168.
5.5. La Cour a appliqué la règle énoncée à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 en
maintes occasions169. Dans l’avis consultatif sur la Namibie, par exemple, elle a interprété la notion
de «mission sacrée» par référence à la Charte de l’Organisation des Nations Unies et au droit
international coutumier, relevant qu’un «instrument international doit être interprété et appliqué
dans le cadre de l’ensemble du système juridique en vigueur au moment où l’interprétation a
lieu»170. En l’affaire des Plates-formes pétrolières, les Etats-Unis ont avancé un argument sur le
fond similaire en substance à celui avancé en la présente espèce, conférant une fonction
excessivement restrictive à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31. La Cour a rejeté cet
argument171.
5.6. Contrairement à ce qu’allèguent les Etats-Unis172, la Cour n’a pas «confirmé
l’interprétation étroite de l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur
le droit des traités en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier», différente fondamentalement
164 Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et du développement du droit
international – Rapport du Groupe d’étude de la CDI, Nations Unies, doc. A/CN.4/L.682 (13 avril 2006), par. 416.
165 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 44, par. 5.12.
166 R. Gardiner, Treaty Interpretation (OUP 2015), p. 299.
167 Alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 2 de la convention de Vienne : ««partie» s’entend d’un Etat qui a
consenti à être lié par le traité et à l’égard duquel le traité est en vigueur». Voir également R. Gardiner, Treaty
Interpretation, p. 310-317.
168 Troisième rapport sur le droit des traités par sir Humphrey Waldock, Rapporteur spécial (Nations Unies,
doc. A/CN.4/167 et Add. 1-3), in Annuaire de la Commission du droit international, 1964, vol. II, p. 61.
169 Voir, par exemple, Plateau continental de la mer Egée, arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 34-35, par. 80 ; Ile de
Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 1059, par. 18 ; et Certaines questions concernant
l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 219, par. 112-114.
170 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31, par. 53.
171 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 817, par. 41-43.
172 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 45-46, par. 5.15.
50
- 38 -
de la présente espèce puisque, ainsi que le soulignent les Etats-Unis, l’Argentine soutenait que «les
«clauses de renvoi» contenues dans ces articles permett[aient] l’incorporation et l’application
d’obligations découlant d’autres traités et engagements internationaux liant les Parties»173. La Cour
a rejeté cet argument sur la base du libellé spécifique de ladite «clause de renvoi»174, au lieu
d’adopter une interprétation plus étroite de l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31. De fait, cette
disposition n’est pas même mentionnée dans l’arrêt.
5.7. Les allégations des Etats-Unis selon lesquelles les demandes de l’Iran reposent sur une
interprétation erronée du traité et constituent une tentative d’application du droit international
coutumier plutôt que du traité d’amitié de 1955 sont dépourvues de tout fondement. Dans son
mémoire, ainsi que dans les présentes observations, l’Iran applique aux dispositions du traité qu’il
invoque les principes solidement établis d’interprétation des traités auxquels il a été fait référence
précédemment .
5.8. Dans la suite du présent chapitre, l’Iran traite des dispositions du traité mises en cause
par cet aspect de l’exception d’incompétence des Etats-Unis (sect. 2 à 5), avant de répondre à
l’argument de ceux-ci selon lequel le traité a été négocié et conclu indépendamment du droit de
l’immunité souveraine (sect. 6).
SECTION 2
LE PARAGRAPHE 2 DE L’ARTICLE III DU TRAITÉ D’AMITIÉ
5.9. La suppression, par les Etats-Unis, du droit de la banque Markazi d’accéder librement
aux tribunaux américains et, en particulier, de son droit d’invoquer des moyens de défense fondés
sur l’immunité, ainsi que de s’en voir accorder le bénéfice, est à tout le moins susceptible de
relever du paragraphe 2 de l’article III et, par là même, de la compétence de la Cour en vertu du
paragraphe 2 de l’article XXI.
5.10. Dans son mémoire, l’Iran explique que le paragraphe 2 de l’article III comporte deux
éléments, s’appliquant, l’un comme l’autre, aux «sociétés», sans que ce terme soit assorti d’aucune
restriction. Le premier élément donne aux sociétés iraniennes un droit absolu d’accéder librement
aux tribunaux judiciaires et aux organes administratifs des Etats-Unis175. Le second élément
requiert que cet accès soit autorisé «[e]n toute circonstance», à des conditions non moins favorables
que celles qui sont applicables aux sociétés des Etats-Unis ou à celles de tout pays tiers. L’Iran
explique ensuite que son droit d’accéder librement aux tribunaux américains «à tous les degrés de
la juridiction, tant pour faire valoir que pour défendre» les droits de ses sociétés et ressortissants,
«[e]n vue d’assurer une administration rapide et impartiale de la justice» en vertu du paragraphe 2
de l’article III du traité d’amitié de 1955, inclut, dans son sens ordinaire, le droit d’invoquer les
droits applicables en matière d’immunité et à se voir accorder le bénéfice des immunités de
juridiction et d’exécution pertinentes176.
173 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 43,
par. 56 et p. 45, par. 61.
174 Ibid., p. 45-46, par. 62-63.
175 La thèse de l’Iran concernant le paragraphe 2 de l’article III du traité de 1955 est présentée dans le mémoire de
l’Iran, chap. V 1), par. 5.2 à 5.18.
176 Mémoire de l’Iran, p. 79, par. 5.5, et p. 85-86, par. 5.17-5.18.
51
52
- 39 -
5.11. Les Etats-Unis reconnaissent que le paragraphe 2 de l’article III requiert que les
sociétés iraniennes aient accès aux tribunaux judiciaires américains177. Ils soutiennent cependant
que le paragraphe 2 de l’article III exclut le droit, pour les sociétés iraniennes (y compris les
sociétés propriété de l’Etat iranien), de revendiquer et de se voir accorder des immunités de
juridiction et d’exécution pertinentes178. En soulevant cette exception, les Etats-Unis n’ont pas
traité des allégations de l’Iran relatives à l’interprétation correcte du texte de la disposition. En
effet, ils n’ont pas contesté l’argument de l’Iran selon lequel le paragraphe 2 de l’article III accorde
le droit absolu et «le[] plus généra[l]» à accéder librement aux tribunaux américains179. Au lieu de
cela, les Etats-Unis fondent leur exception sur la seule absence de toute référence expresse aux
immunités180. Il s’agit là d’une approche sélective de l’interprétation des traités qu’il convient de
rejeter181. Rien dans le paragraphe 2 de l’article III n’est de nature à laisser penser que seules
certaines formes d’accès, ou certaines demandes ou défenses, sont protégées. La question est, en
l’espèce, celle de savoir si la demande de l’Iran selon laquelle l’accès aux tribunaux judiciaires est
refusé aux sociétés iraniennes (entre autres par refus de l’immunité) peut trouver son fondement
dans le paragraphe 2 de l’article III. Il est clair que tel est le cas.
5.12. En outre, les Etats-Unis ont décrit sous un jour inexact l’argument de l’Iran selon
lequel le paragraphe 4 de l’article XI du traité fait partie du contexte et confirme que l’intention des
parties n’était pas de renoncer à des immunités au titre d’activités exercées en vertu de prérogatives
de la puissance publique182. Les Etats-Unis soutiennent que cette disposition est un «élément
essentiel de l’effort du traité pour instaurer des conditions égales entre les entreprises publiques et
leurs équivalents privés engagés dans des activités relevant de domaines spécifiques régis par le
traité»183. A cet égard, il existe un terrain commun entre les Parties quant à l’objectif du
paragraphe 4 de l’article XI, ainsi que le montre le mémoire de l’Iran184. Les Etats-Unis soutiennent
toutefois alors que le paragraphe 4 de l’article XI «n’indique donc en aucune manière que le traité
était également destiné à constituer une source de droits positifs en matière d’immunité
souveraine»185. Cet argument est destiné à semer la confusion. La thèse de l’Iran n’est pas que le
traité d’amitié de 1955 est une source de droits en matière d’immunité souveraine parce qu’il aurait
vocation à jouer le rôle de code de l’immunité souveraine. Il s’agit plutôt de dire que le traité
prévoit une série importante de protections qui, par référence à leurs propres dispositions, peuvent
protéger les droits à des immunités dont la source se trouve dans le droit international coutumier (et
le droit des Etats-Unis).
5.13. Les Etats-Unis s’efforcent de s’appuyer sur les arguments marqués par l’Iran dans le
cadre de procédures engagées devant des tribunaux américains et selon lesquelles le paragraphe 4
de l’article XI n’emporte pas renonciation à l’immunité de l’Etat lui-même, mais à celle de ses
«entreprises», arguments formulés à l’appui de l’affirmation distincte selon laquelle l’Iran ne croit
177 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 80, par. 8.6 et p. 93-94, par. 8.32.
178 Ibid., p. 95, par. 8.36 : «l’Iran ne peut invoquer le paragraphe 2 de l’article III ... comme base de compétence
en relation avec des demandes liées à la notion d’immunité souveraine des Etats».
179 Mémoire de l’Iran, p. 79, par. 5.4.
180 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 80, par. 8.6 : le paragraphe 2 de l’article III est «muet[] sur les
protections offertes en matière d’immunité souveraine».
181 Voir sect. 1 ci-dessus.
182 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, chap. 8, sect. C.
183 Ibid., p. 82, par. 8.10.
184 Mémoire de l’Iran, p. 80, par. 5.8.
185 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 82, par. 8.10, et p. 87-89, par. 8.21 à 8.23.
53
- 40 -
pas que cette disposition ait un quelconque effet sur l’immunité186. Une fois encore, néanmoins, les
Etats-Unis présentent sous un faux jour la position de l’Iran. Il est peu honnête d’attendre de l’Iran
qu’il soutienne que le paragraphe 4 de l’article XI constitue une dérogation générale à l’immunité
souveraine (position contraire au texte, au contexte, à l’objet et au but du traité, ainsi qu’à la
position juridique de l’Iran). L’argument de l’Iran est différent et clair : le paragraphe 4 de
l’article XI ne limite pas le droit à invoquer l’immunité en relation avec les actes correspondant à
l’exercice d’une prérogative de la puissance publique, et implique clairement l’existence d’une
obligation conventionnelle de respecter cette immunité187.
5.14. Alors que l’Iran maintient que le paragraphe 4 de l’article XI impose une obligation
implicite d’accorder des immunités en relation avec des activités correspondant à l’exercice de
prérogatives de la puissance publique, la pertinence de cette disposition aux fins de l’interprétation
du paragraphe 2 de l’article III ne dépend pas de l’existence d’une telle obligation implicite188.
5.15. Les arguments avancés par les Etats-Unis concernant la pratique alléguée de l’Iran en
relation avec le paragraphe 4 de l’article XI n’ont pas, non plus, d’incidence sur l’interprétation du
paragraphe 2 de l’article III. A cet égard, les Etats-Unis prétendent que l’Iran et certaines entités de
l’Etat iranien «ont laissé passer maintes occasions, lors de litiges devant des tribunaux américains,
de faire valoir l’immunité souveraine comme un droit sanctionné par le traité»189. Ils font référence
à deux affaires, à une note diplomatique et aux débats parlementaires de l’Iran. Il sera traité
brièvement de chacun tour à tour.
5.16. Premièrement, dans le cadre de la procédure devant le 5e circuit, en 1979-1981,
concernant une action contractuelle contre l’Iran, son organisme de sécurité sociale et le ministère
de la santé et des affaires sociales190 :
a) l’Iran avait insisté sur le fait que le traité s’appliquait non pas à l’Etat iranien mais uniquement à
ses entreprises, mais formulait cette affirmation en liaison avec le paragraphe 4 de l’article XI,
et non avec l’article X ou le paragraphe 2 de l’article III, qui n’étaient pas en cause dans la
procédure américaine ;
b) l’Iran soutenait que le traité ne constituait pas une dérogation générale à l’immunité souveraine,
position qui est toujours la sienne en la présente affaire191. L’argument simple et juste avancé
par l’Iran dans les conclusions soumises par lui devant la juridiction américaine était que le
paragraphe 4 de l’article XI
«ne [pouvait] être considéré comme supprimant l’immunité souveraine de tous les
établissements publics entretenant quelque contact que ce soit avec les territoires de
186 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, par. 8.23, ainsi que, par exemple, annexe 230, p. 31.
187 Voir mémoire de l’Iran, par. 5.8.
188 Voir ibid., p. 83, par. 5.13 :
«[à] cet égard, les mesures législatives, exécutives et judiciaires des Etats-Unis ont également contrevenu
à l’obligation implicite du paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié de 1955 concernant les actes jure
imperii et/ou les situations dans lesquelles l’Etat iranien et les sociétés détenues par celui-ci n’exerçaient
pas d’activités commerciales aux Etats-Unis».
189 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, chap. 8, sect. B, par. 8.2 et 8.13.
190 Ibid., p. 84-85, par. 8.14 à 8.16.
191 Ibid., p. 84, par. 8.14 ; annexe 228, p. 35.
54
- 41 -
l’autre Etat, mais uniquement celle des «entreprises» publiques en concurrence avec
des entreprises locales et exploitées à des fins lucratives»192 ;
c) les Etats-Unis s’efforcent de déduire du fait que les arguments de l’Iran devant les tribunaux
américains étaient basés sur la loi fédérale américaine sur l’immunité des Etats étrangers
(Foreign Sovereign Immunities Act, «FSIA»), et non sur le traité d’amitié de 1955, une
reconnaissance du fait que ce dernier ne constituait pas une base permettant à l’Iran d’invoquer
l’immunité. Aucune déduction de ce type ne saurait être faite. L’invocation par l’Iran des
dispositions de la loi sur l’immunité des Etats étrangers relatives à la renonciation, à la
dérogation applicable aux activités commerciales, à la saisie conservatoire et à l’immunité en
matière de mesures d’exécution sur fonds et actifs193 est parfaitement logique devant un tribunal
américain. Le fait que la loi sur l’immunité des Etats étrangers ait fourni, devant les tribunaux
américains, le «cadre régissant»194 les questions d’immunité en droit américain n’exclut
nullement la pertinence des dispositions du traité en liaison avec l’immunité dans le cadre du
droit international lors d’une procédure internationale ;
d) en tout état de cause, l’affaire remonte à trente-cinq ans ; elle a eu lieu au cours de la période
difficile qui a immédiatement suivi la révolution, alors que l’Iran était partie à plus de
400 affaires et avait des difficultés à faire parvenir des instructions pertinentes à ses conseils
aux Etats-Unis.
5.17. Deuxièmement, s’agissant de la procédure d’exécution devant le 2e circuit en l’affaire
Peterson, les Etats-Unis prétendent que les arguments de la banque Markazi reposent sur la loi sur
l’immunité des Etats étrangers plutôt que sur le traité d’amitié195. La posture adoptée par la banque
Markazi est de peu de secours aux Etats-Unis :
a) tout d’abord, le défendeur dans cette affaire n’était pas l’Iran mais la banque Markazi, qui est
une entité distincte qui assure comme elle l’entend sa défense dans les litiges auxquels elle est
partie ;
b) ensuite, ainsi qu’indiqué un peu plus haut, la banque Markazi était parfaitement fondée à
invoquer la loi sur l’immunité des Etats étrangers dans une procédure interne américaine ;
c) enfin, les Etats-Unis soutiennent à tort que le fait que la banque Markazi «n’a[it] pas invoqué de
violation [du traité] basée sur le rejet par la juridiction inférieure de l’allégation iranienne selon
laquelle les actifs étaient protégés par l’immunité souveraine» signifie que la banque (et l’Iran)
pensai(en)t qu’aucune immunité souveraine ne s’appliquait en vertu du traité196. En fait, la
banque Markazi arguait que l’article 8772 du titre 22 du code des Etats-Unis («loi de 2012 sur
la réduction de la menace iranienne et sur les droits de l’homme en Syrie» (Iran Threat
Reduction and Syria Human Rights Act of 2012, «ITRSHRA») :
«comporte des dispositions détaillées prévoyant qu’il s’applique «nonobstant toute
autre disposition légale, y compris toute disposition de la loi sur l’immunité des Etats
étrangers, et prévalant sur toute disposition incompatible d’une loi d’Etat» (22 U.S.C.
§ 8772 a) 1) (les italiques sont de nous). Le Congrès s’est ainsi montré relativement
192 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, annexe 228, p. 33 (les italiques sont dans l’original). Le même
argument est avancé dans les exceptions préliminaires des Etats-Unis, annexe 230, p. 30.
193 Ibid., annexe 228, p. 13-14, 36-42, 44.
194 Ibid., p. 85, par. 8.16.
195 Ibid., p. 85-86, par. 8.17.
196 Ibid., p. 86-87, par. 8.18 (les italiques sont de nous).
55
56
- 42 -
précis quant aux «disposition[s] légale[s]» qu’il entendait abroger par l’article 8772 et
n’a pourtant pas fait la moindre référence au traité dans l’article 8772.»197
Il n’est donc pas surprenant que la banque Markazi n’ait pas soutenu que l’immunité souveraine
existait en vertu du traité. Elle inscrivait ses conclusions dans le contexte spécifique, et pour les fins
limitées, de la «clause prévoyant que le paragraphe 8722 [du titre 22 du code des Etats-Unis]
s’applique «nonobstant toute autre disposition de la loi»»198.
5.18. Les Etats-Unis tentent de s’appuyer sur l’absence de toute référence explicite au traité
dans la note diplomatique iranienne de 1998 contestant les jugements initiaux rendus contre
l’Iran199. L’objet de cette brève note (d’une page et demie) est de présenter non pas une
argumentation juridique complète, mais, de manière succincte et urgente, la protestation de l’Iran
contre les actes des Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, la note prévoit expressément que les biens de
l’Iran «jouissent de l’immunité sur la base des obligations des Etats-Unis en vertu de traités
internationaux».
5.19. Enfin, les Etats-Unis affirment que les débats parlementaires iraniens sur la législation
privant les Etats-Unis de l’immunité ne présentent pas explicitement ces mesures prises comme
«une réponse à ce que l’Iran considérait comme des violations du traité»200. L’absence de référence
expresse au traité n’est pas pertinente. Celui-ci n’était pas en cause dans les débats parlementaires.
En fait, ces débats conduisent à penser que la législation iranienne constituait une contre-mesure en
réponse aux violations commises par les Etats-Unis, ce qui était effectivement le cas201.
5.20. Les cas de figure ci-dessus sont loin d’établir l’existence d’une pratique ultérieure
pertinente. En effet, une pratique ultérieure n’est pertinente que si elle donne lieu à un «accord
ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses
dispositions»202. Les cas cités par les Etats-Unis ne démontrent l’existence d’aucun «accord» entre
les parties au traité sur le fait que celui-ci ne contiendrait pas de dispositions qui, de par leurs
termes, pourraient être interprétées comme apportant une protection aux droits à immunité en vertu
du droit international coutumier. Ainsi que le relève un éminent commentateur :
«[l]a valeur interprétative d’une pratique ultérieure qui, par définition, n’est pas un
accord écrit formel, dépend entièrement du caractère cohérent de la pratique, l’accord
étant celui de toutes les parties et l’interprétation en résultant étant une interprétation
unique autonome»203.
197 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, annexe 233, p. 43.
198 Ibid., p. 86, par. 8.18, note no 348. En tout état de cause, l’idée que le traité de 1955 ne concerne pas
l’immunité souveraine en particulier doit être distinguée d’une reconnaissance du fait qu’elle ne concerne pas du tout
l’immunité souveraine.
199 Ibid., p. 86, par. 8.17, citant MI, annexe 89.
200 Ibid., p. 86, par. 8.17.
201 Voir, par exemple, ibid., annexe 167, p. 2, et annexe 168, p. 2.
202 Alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités (les italiques sont
de nous).
203 R. Gardiner, Treaty Interpretation (OUP 2015), p. 268.
57
- 43 -
En outre, les Etats-Unis citent une pratique iranienne rejetant une interprétation du traité comme
emportant renonciation générale à l’immunité, ce qui est différent d’une pratique montrant que
l’Iran ne considérait pas que l’immunité s’applique du tout dans le cadre du traité.
5.21. Sur la base d’une interprétation adéquate du paragraphe 2 de l’article III, la suppression
par les Etats-Unis du droit de la banque Markazi à invoquer des moyens de défense fondés sur
l’immunité, et à en bénéficier, dont les Etats-Unis ne nient pas qu’elle en jouirait autrement (à
l’instar des banques centrales d’Etats tiers) en droit américain, et auquel elle a droit en vertu du
droit international coutumier, est à tout le moins susceptible de relever de cette disposition204. Cette
interprétation est confirmée par une référence aux travaux préparatoires qui montre que les parties
au traité se sont mises d’accord sur le fait que la définition du terme «sociétés» englobait les
sociétés détenues par l’Etat205, de sorte que les questions d’immunité susceptibles de se poser
seraient soumises à la renonciation limitée prévue par le paragraphe 4 de l’article XI. La Cour est
donc compétente ratione materiae pour juger de cet aspect de la demande de l’Iran conformément
au paragraphe 2 de l’article XXI.
SECTION 3
LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE IV DU TRAITÉ D’AMITIÉ
5.22 La suppression (incontestée) par les Etats-Unis d’immunités auxquelles a droit la
banque Markazi est à tout le moins susceptible d’emporter violation du droit des sociétés iraniennes
à un traitement juste et équitable ou de la protection contre les traitements injustes ou
discriminatoires pouvant porter atteinte à leurs droits ou à leurs intérêts légalement acquis,
conformément au paragraphe 1 de l’article IV. La violation alléguée relève donc de la compétence
de la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article XXI.
5.23 Dans son mémoire, l’Iran a montré que les actes des Etats-Unis constituaient de
multiples violations du paragraphe 1 de l’article IV.
5.24 S’agissant de la première protection énoncée dans le paragraphe 1 de l’article IV, le
traitement juste et équitable :
a) les actes des Etats-Unis sont arbitraires, clairement inéquitables, injustes et spécifiques 206. La
suppression par les Etats-Unis des immunités auxquelles a droit la banque Markazi, et qui
protègent ses biens, est à la fois scandaleuse et contraire à la pratique de tous les autres Etats (à
l’exception du Canada)207 ;
b) les actes des Etats-Unis sont discriminatoires208. La banque Markazi a été traitée différemment
(par rapport aux autres sociétés iraniennes) et s’est vu refuser les moyens élémentaires de
défense fondés sur l’immunité d’exécution généralement offerts aux biens d’une banque
centrale. La nature discriminatoire des mesures des Etats-Unis est mise en évidence par le fait
que celles-ci sont contraires au droit international coutumier et ne se reflètent pas, de manière
204 Mémoire de l’Iran, p. 81-83, par. 5.12 à 5.13. Contrairement aux allégations des Etats-Unis, dans la note
no 371 de leurs exceptions préliminaires, la comparaison adéquate sur la base du paragraphe 2 de l’article III est avec le
traitement accordé aux banques centrales. Voir mémoire de l’Iran, p. 85, par. 5.17.
205 Voir ci-dessus, par. 4.26 à 4.29. Voir également mémoire de l’Iran, p. 65-66, par. 4.5.
206 Mémoire de l’Iran, p. 96-97, par. 5.44.
207 Voir ibid., chap. III, sect. 2 A) a) ii), p. 55, par. 3.29.
208 Ibid., p. 97-98, par. 5.45.
58
- 44 -
générale, dans la pratique d’autres Etats209, mais aussi par le fait que la loi américaine
(article 502 de la loi sur la réduction de la menace iranienne et sur les droits de l’homme en
Syrie) est allée jusqu’à viser la banque Markazi spécifiquement et individuellement en l’affaire
Peterson, en la privant rétroactivement des moyens de défense prévus en droit américain210 ;
c) la nature déraisonnable et discriminatoire des mesures américaines est soulignée par le fait que
celles-ci sont contraires au droit international coutumier et à la pratique d’autres Etats (y
compris des Etats-Unis avant les modifications apportées à la loi sur l’immunité des Etats
étrangers en cause dans la présente espèce)211, ainsi que par le fait que la législation américaine
vise très spécifiquement la banque Markazi (y compris avec effet rétroactif). L’atteinte aux
droits légalement acquis de la banque Markazi est manifeste puisque celle-ci a été privée de
sommes considérables sur lesquelles elle dispose de droits de propriété en common law ou dont
elle est la propriétaire effective ;
d) les actes des Etats-Unis impliquent une absence de procédure équitable, ce qui a abouti à un
résultat contraire à une bonne administration de la justice ou a donné lieu à un déni de justice en
ce qui concerne la banque Markazi212. Par autorité législative et exécutive, la banque Markazi
s’est vue dénier le droit :
i) d’user de moyens de défense fondés sur l’immunité ; et
ii) de bénéficier de cette immunité ;
e) les actes des Etats-Unis ont déçu, et continuent à décevoir, les attentes légitimes de la banque
Markazi qui est en droit d’escompter ne pas être visée spécifiquement, de même que ses biens,
par l’adoption de textes aux effets discriminatoires et/ou rétroactifs et que, au vu des obligations
contractées par les Parties dans le cadre du traité de 1955, les principes applicables en matière
d’immunité souveraine en vertu du droit international seront respectés213.
5.25. Contrairement à ce qu’affirment les Etats-Unis214, les demandes de l’Iran en vertu du
paragraphe 1 de l’article IV sont limitées aux violations des droits des sociétés iraniennes (y
compris des sociétés détenues par l’Etat)215. Pour juger de ces demandes, et notamment de
l’allégation de violation de l’obligation de traitement juste et équitable, la Cour doit examiner le
contexte factuel et juridique pertinent, en d’autres termes, la suppression par les Etats-Unis des
immunités souveraines216.
5.26. Au lieu de traiter des arguments de l’Iran concernant l’interprétation du paragraphe 1
de l’article IV, en rapport avec le paragraphe 2 de l’article III, les Etats-Unis se limitent, dans leur
209 Voir mémoire de l’Iran, chap. III, sect. 2 A) a) ii), p. 55, par. 3.29 à 3.30.
210 Bank Markazi v. Peterson et al., Cour suprême des Etats-Unis, 20 avril 2016, 578 U.S. 1 (2016), Opinion
dissidente conjointe du président Roberts et de la juge Sotomayor, p. 7-8 (MI, annexe 66).
211 Mémoire de l’Iran, chap. II, sect. 1, p. 16, par. 2.4.
212 Ibid., p. 98, par. 5.46.
213 Ibid., p. 98-99, par. 5.47.
214 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 93, par. 8.30, note no 368, et p. 100, par. 9.11, note no 394.
215 Mémoire de l’Iran, p. 96, par. 5.43: «[d]ans le cas de la première protection contenue dans le paragraphe 1
de l’article IV, l’obligation d’accorder, à tout moment, un traitement juste et équitable aux sociétés iraniennes (entre
autres), ainsi qu’à leurs biens et entreprises, les actes des Etats-Unis ont contrevenu, et continuent de contrevenir, à
chacun des éléments du traitement juste et équitable identifié dans le paragraphe 5.26 ci-dessus, et ont donc violé la
première partie du paragraphe 1 de l’article IV». Voir également, p. 98-99, par. 5.47.
216 Voir ibid., p. 96-97, par. 5.44 a) et d).
59
60
- 45 -
exception, à observer que les dispositions expresses du paragraphe 1 de l’article IV «sont muet[te]s
sur les protections offertes en matière d’immunité souveraine»217. Ce qui n’ajoute rien. La question
(à ce stade) est de savoir si les conditions du paragraphe 1 de l’article IV peuvent s’appliquer, et
non s’il y est expressément fait référence aux termes «immunité souveraine». Les Etats-Unis
relèvent également que, dans son arrêt en l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour a
considéré que cette disposition «ne pos[ait] ... pas de normes applicables au cas particulier» et
qu’elle ne pouvait ainsi constituer un fondement à sa compétence218. Cette conclusion spécifique
n’est pas pertinente en l’espèce et ne vient pas à l’appui de l’exception d’incompétence des
Etats-Unis.
SECTION 4
LE PARAGRAPHE 2 DE L’ARTICLE IV DU TRAITÉ D’AMITIÉ
5.27. La suppression par les Etats-Unis des immunités auxquelles a droit la banque Markazi
est à tout le moins susceptible d’emporter violation du droit à une protection et une sécurité
assurées de la manière la plus constante en vertu du paragraphe 2 de l’article IV et relève ainsi de la
compétence de la Cour fixée par le paragraphe 1 de l’article XXI.
5.28. Ainsi que l’a expliqué l’Iran dans son mémoire, la première phrase du paragraphe 2 de
l’article IV confère aux sociétés iraniennes le droit à ce que la protection et la sécurité de leurs
biens soient assurées de la manière la plus constante et ne soient «en aucun cas [inférieures] aux
normes fixées par le droit international»219.
5.29. Les Etats-Unis ne nient pas que la protection requise en vertu du paragraphe 2 de
l’article IV est aussi bien juridique que physique220. Tel est ce qui ressort de leurs conclusions
devant la chambre en l’affaire ELSI en relation avec le paragraphe 1 de l’article IV du traité
d’amitié, de commerce et de navigation de 1948 entre l’Italie et les Etats-Unis221.
5.30. Au lieu de traiter des arguments de l’Iran concernant l’interprétation du paragraphe 2
de l’article IV, les Etats-Unis se limitent, une fois de plus, dans leur exception, à remarquer que
celle disposition est «muet[te] sur les protections offertes en matière d’immunité souveraine»222.
Néanmoins, le sens ordinaire du «droit à une protection et une sécurité assurées de la manière la
plus constante», et «en aucun cas [inférieures] aux normes fixées par le droit international», en
vertu du paragraphe 2 de l’article IV requiert une référence aux règles de droit international
coutumier telles qu’elles existent à un moment donné, y compris le droit de l’immunité, ainsi que
leur respect. En conséquence, ces règles de droit international coutumier sont incorporées par
référence et s’appliquent directement au «seuil» de protection offert par le paragraphe 2 de
l’article IV du traité.
217 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 80, par. 8.6.
218 Ibid., p. 42-43, par. 5.8, citant Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis
d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 36.
219 Mémoire de l’Iran, p. 100-102, par. 5.52 à 5.57.
220 Voir ibid., p. 101, par. 5.57, citant Elettronica Sicula S.P.A. (ELSI), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 66, par. 111,
appliquant le paragraphe 1 de l’article V du traité d’amitié, de commerce et de navigation de 1948 entre l’Italie et les
Etats-Unis. Comparer avec les exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 90-92, par. 8.25-8.29, qui traitent uniquement
de la question de savoir si le paragraphe 2 de l’article IV requiert le respect du droit de l’immunité souveraine.
221 Elettronica Sicula S.P.A. (ELSI), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 65-66, par. 109, citant les conclusions des
Etats-Unis selon lesquelles «le défendeur a violé ses obligations [d’offrir une protection et une sécurité constantes] en
s’abstenant, pendant un délai déraisonnable de seize mois, de statuer sur la «légitimité» de la réquisition».
222 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 80, par. 8.6.
61
- 46 -
5.31. De manière similaire au paragraphe 2 de l’article IV, le renvoi à d’«autres règles de
droit international» dans le paragraphe 3 de l’article 2 de la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer223 a été considéré par le tribunal constitué conformément à l’annexe VII de ladite
convention en l’affaire de l’Archipel des Chagos comme imposant aux parties l’obligation
d’exercer leur souveraineté sur la mer territoriale sous réserve des règles générales de droit
international224. Le tribunal a, en conséquence, jugé que «le droit international général exige[ait]
que le Royaume-Uni agisse de bonne foi dans ses relations avec Maurice et respecte ses
engagements»225. Le renvoi n’a pas été interprété comme étant limité d’une manière équivalente à
celle maintenant souhaitée par les Etats-Unis.
5.32. La saisie, qui n’est pas contestée, des droits de la banque Markazi sur des valeurs
mobilières s’élevant à un montant de 1,895 milliard de dollars des Etats-Unis en l’affaire
Peterson226 est à tout le moins susceptible d’emporter violation du droit de la banque Markazi à la
protection et la sécurité de ses biens assurées de la manière la plus constante conformément au
paragraphe 2 de l’article IV. Cette violation inclut le refus à la banque Markazi d’une protection
telle que requise par le droit international sous la forme d’immunités d’exécution concernant ses
biens, ainsi que le refus à la banque Markazi de toute forme de défense en droit pour la protection
de ses biens en l’affaire Peterson (voir l’incidence de l’article 502 de la loi sur la réduction de la
menace iranienne et sur les droits de l’homme en Syrie)227. La Cour est donc compétente pour
connaître de cet aspect de la demande de l’Iran au titre du paragraphe 2 de l’article XXI du traité.
SECTION 5
LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE X DU TRAITÉ D’AMITIÉ : VIOLATION PAR LES ETATS-UNIS
DU DROIT DE L’IRAN À LA LIBERTÉ DE COMMERCE ET DE NAVIGATION ENTRE
LES TERRITOIRES DE L’IRAN ET DES ETATS-UNIS
5.33. La suppression par les Etats-Unis d’immunités auxquelles a droit la banque Markazi est
probablement à tout le moins susceptible d’emporter violation du droit à la liberté de commerce
entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis en vertu du paragraphe 1 de l’article X. Elle relève
donc de la compétence de la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article XXI du traité.
5.34. Il est convenu que le paragraphe 1 de l’article X doit être interprété conformément à
l’arrêt que la Cour a rendu en l’affaire des Plates-formes pétrolières228. Ainsi que l’a expliqué
l’Iran dans son mémoire :
a) par «commerce», on entend «[l]es activités commerciales en général» et «les activités
accessoires qui sont intrinsèquement liées au commerce»229 ;
223 Le paragraphe 3) de l’article 2 se lit comme suit : «[l]a souveraineté sur la mer territoriale s’exerce dans les
conditions prévues par les dispositions de la convention et les autres règles du droit international».
224 Chagos Marine Protected Area Arbitration (The Republic of Mauritius v The United Kingdom of Great
Britain and Northern Ireland), sentence, 18 mars 2015, par. 514-516.
225 Ibid., par. 517.
226 Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran et al., tribunal fédéral de première instance (U.S. District Court),
district sud de New York, 28 février 2013, 2013 U.S. Dist. LEXIS 40470 (S.D.N.Y. 2013) (MI, annexe 58), confirmé par
Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran et al., cour d’appel fédérale, deuxième circuit, 9 juillet 2014, 758 F.3d 185
(2nd Cir. 2014) (MI, annexe 62), puis par Bank Markazi v. Peterson et al., Cour suprême des Etats-Unis, 20 avril 2016,
578 U.S. 1 (2016) (MI, annexe 66).
227 Mémoire de l’Iran, p. 103, par. 5.60.
228 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 94, par. 8.34.
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b) tout acte susceptible de compromettre la «liberté de commerce» relève du paragraphe 1 de
l’article X230 ; et
c) la disposition protège la liberté de commerce «entre les territoires des deux hautes Parties
contractantes»231.
5.35. S’ils réitèrent leur argument principal selon lequel le paragraphe 1 de l’article X est
«muet[] sur les protections offertes en matière d’immunité souveraine»232, les Etats-Unis ne
contestent pas l’interprétation que fait l’Iran de la «liberté de commerce» comme une «notion
large»233. L’arrêt de la Cour en l’affaire des Plates-formes pétrolières démontre que l’absence
d’une disposition expresse peut ne pas être déterminante. Nonobstant le défaut de définition
expresse du terme «commerce», la Cour a jugé que celui-ci ne devait pas être interprété comme
comprenant seulement les «activités mêmes d’achat et de vente», mais comme incluant également
«les activités accessoires qui sont intrinsèquement liées au commerce»234.
5.36. Le droit de l’Etat iranien aux immunités souveraines et celui de la banque Markazi aux
immunités de banque centrale sont «intrinsèquement lié[]s» à la «liberté de commerce» entre les
territoires des parties au traité235. Le rejet de cette proposition par les Etats-Unis repose sur une
interprétation étroite des deux notions de «liberté de commerce» et d’«actes ... accomplis à titre
souverain» comme mutuellement exclusives236. Dans leur interprétation, les Etats-Unis confondent
à tort, dans le droit de l’immunité de l’Etat, la notion large de «liberté de commerce» du traité
d’amitié de 1955 et celle, totalement distincte et plus étroite, d’actes jure gestionis (qu’ils décrivent
comme des «actes commerciaux ou privés»).
5.37. Dans son mémoire, l’Iran expliquait que
«[l]e devoir essentiel d’une banque centrale est de protéger et de réguler le système
monétaire et la devise de cet Etat, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
Les banques centrales jouent donc un rôle clef dans l’exercice par l’Etat de sa
souveraineté monétaire.»237
229 Mémoire de l’Iran, p. 113, par. 6.13. A cet égard, l’Iran précise que les Etats-Unis acceptent le critère de
«liaison intrinsèque» : voir exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 94, par. 8.34.
230 Ibid., p. 113, par. 6.14.
231 Ibid.,par. 6.15.
232 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, par. 8.6.
233 Mémoire de l’Iran, p. 114, par. 6.16.
234 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 819, par. 49. Voir ci-dessus, par. 2.15-2.17.
235 Voir ci-dessus, par. 4.24.
236 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 94, par. 8.34 : «[l]’Iran n’explique toutefois pas comment une
disposition d’un traité de commerce concernant la liberté de commerce ... peut logiquement être interprétée comme créant
des obligations afférentes aux circonstances dans lesquelles les Parties offriront les protections attachées à l’immunité
souveraine aux actes de l’autre accomplis à titre souverain».
237 Mémoire de l’Iran, p. 53, par. 3.24.
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- 48 -
Ainsi que l’a expliqué le tribunal en l’affaire de l’Or monétaire pris à Rome en 1943, les activités
bancaires centrales «affecte[nt] la prospérité économique de l’ensemble de la communauté»238. Les
Etats-Unis admettent que «le traité d’amitié aborde implicitement la question des activités de la
banque centrale, dans son article VII relatif à l’application des restrictions de change»239. A cet
égard, le paragraphe 3 de l’article VII reconnaît explicitement que ces activités de banque centrale
peuvent «[influer] ... [sur le] commerce, [les] transports et [les] investissements»240. De telles
activités relèvent clairement de l’exercice de l’autorité souveraine, indépendamment du fait que la
banque centrale soit une «société» au sens du paragraphe 1 de l’article III.
5.38. Dans le cas de la banque Markazi, qui est une «société», les parties conviennent que la
loi monétaire et bancaire iranienne de 1972 prévoit que la banque Markazi «aura pour tâche de
formuler et d’appliquer les politiques monétaire et de crédit sur la base de la politique économique
générale de l’Etat», et que les «objectifs de la Banque centrale de la République islamique d’Iran
sont de préserver la valeur de la monnaie et l’équilibre de la balance des paiements, de faciliter les
transactions commerciales et de contribuer au développement économique du pays»241. En effet,
ainsi qu’indiqué dans le chapitre I ci-dessus, la banque Markazi fournit, entre autres, des devises
pour le commerce extérieur, et a donc un rôle à jouer dans le cadre de l’achat, par des compagnies
iraniennes, à hauteur de plusieurs milliards de dollars, d’avions neufs de marque Boeing, ainsi que
d’autres transactions commerciales autorisées en vertu des lois et règlements en vigueur aux
Etats-Unis. Il s’ensuit que l’interférence des Etats-Unis avec les fonctions d’une banque centrale
telle que la banque Markazi par la suppression d’immunités à laquelle elle a droit est, à tout le
moins, susceptible d’interférer avec la «liberté de commerce» entre les territoires des parties, dans
une mesure identique, voire en réalité supérieure, au blocage d’un port ou à l’explosion d’une
plate-forme pétrolière242.
SECTION 6
RÉPONSE À L’ALLÉGATION DES ETATS-UNIS SELON LAQUELLE LE TRAITÉ D’AMITIÉ
DE 1955 N’ÉTAIT PAS DESTINÉ À CODIFIER LE DROIT DE L’IMMUNITÉ SOUVERAINE
5.39. Enfin, et de manière distincte, l’Iran répondra aux allégations des Etats-Unis selon
lesquelles les traités d’amitié, de navigation et de commerce, au nombre desquels le traité d’amitié
de 1955, «ne sont pas, et n’ont jamais eu vocation à être, des instruments de codification de
protections liées à l’immunité souveraine dont jouissent les Etats ou d’autres entités étatiques ; ces
questions sont régies par d’autres règles, qui existent séparément de ces traités»243. Ainsi
qu’expliqué précédemment, il ne s’agit pas là du critère adéquat aux fins de la présente espèce. Cet
argument n’est pas non plus exact d’un point de vue factuel.
238 Voir, par exemple, affaire de l’Or monétaire pris à Rome en 1943 (Etats-Unis/France/Royaume-Uni/Italie),
sentence du 20 février 1953, 20 I.L.R. 441, p. 474 : «[m]ême lorsqu’elles revêtent la forme d’un établissement financier
privé, ou semi-privé, les banques investies du privilège exclusif d’émettre des billets de banque reconnus comme des
coupures ayant cours légal et valides pour les paiements remplissent une fonction qui affecte la prospérité économique de
l’ensemble de la communauté, puisqu’il leur incombe de régulariser toutes les transactions monétaires. En les créant, un
Etat vise moins à tirer profit de leur activité qu’à permettre à toute la communauté nationale de profiter des avantages de
la stabilité monétaire.»
239 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 102, par. 9.15, note no 404.
240 Voir également, paragraphe 5 de l’article VIII du traité de 1955.
241 Loi monétaire et bancaire iranienne, paragraphes a) et b) de l’article 10 (MI, annexe 73), cités dans les
exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 97-98, par. 9.5. Voir également mémoire de l’Iran, p. 66-67, par. 4.7.
242 A cet égard, concernant l’échelle de l’interférence des Etats-Unis avec la «liberté de commerce», l’Iran
rappelle que, dans la procédure Peterson, les tribunaux américains ont également saisi et remis les «actifs bloqués» de la
banque Markazi, s’élevant à 1,895 milliard de dollars des Etats-Unis et consistant en droits sur des valeurs mobilières.
243 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 80, par. 8.5. Voir également, p. 79, par. 8.2.
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- 49 -
5.40. Les parties au traité avaient envisagé que des questions touchant à l’immunité se
poseraient dans le cadre des protections prévues par le traité, sous réserve de la dérogation limitée
du paragraphe 4 de l’article XI. Le libellé de celui-ci en atteste de manière évidente. Ainsi
qu’indiqué dans le chapitre IV ci-dessus, le terme «sociétés», tel que défini dans le paragraphe 1 de
l’article III, englobe tout type d’entité sociale, et notamment celles appartenant, en totalité ou en
partie, à l’Etat, ou contrôlées de même par lui, sans tenir compte de la nature de leurs activités. Il
comprend les organismes et établissements publics qui jouissent d’un statut juridique distinct et de
l’immunité pour les actes dans l’exercice de l’autorité souveraine.
5.41. En principe, tout type de société peut recevoir instruction ou pouvoir de l’Etat
d’exercer certaines fonctions régaliennes. Ainsi, les sociétés privées peuvent-elles recevoir
l’instruction ou le pouvoir d’assurer la garde de détenus dans les établissements pénitentiaires ou
d’exercer des fonctions policières sur les lignes de chemin de fer. Une immunité peut être attachée
à l’exercice de ces fonctions, et l’Etat a droit au respect de son immunité lorsque des organes
auxquels il a donné instruction d’agir en son nom, ou donné pouvoir pour ce faire, le font. Mais les
sociétés appartenant à l’Etat ou contrôlées par lui sont plus susceptibles d’agir dans l’exercice de
leur autorité souveraine et de bénéficier de l’immunité de l’Etat.
5.42. Les Etats-Unis soutiennent que la référence aux immunités consulaires dans le traité
implique que d’autres immunités ne sont pas incluses dans le périmètre du traité244. Néanmoins, la
référence expresse à certains types d’immunité (consulaire) et à certains aspects de l’immunité
souveraine (dérogation en vertu du paragraphe 4 de l’article XI) montre simplement que les règles
de droit international en matière d’immunité ont été considérées comme applicables à bon droit
dans le cadre du traité. Nulle part dans celui-ci n’est indiqué ou suggéré que d’autres questions
concernant l’immunité que celles expressément mentionnées ne pourront être prises en compte. En
fait, les questions d’immunité doivent être examinées et régies comme n’importe quelle autre règle
de droit international pertinente du point de vue du traité (ainsi que par référence au droit américain
lorsque celui-ci s’applique en vertu de la disposition de la nation la plus favorisée, dans le
paragraphe 2 de l’article III). A cet égard, les rédacteurs ont expressément fait référence à d’autres
règles de droit international, par exemple, dans les termes du paragraphe 2 de l’article IV, ainsi
qu’indiqué précédemment.
5.43. Pour les Etats-Unis, «l’objet et le but» du traité «n’[ont] pas de lien logique» avec
l’immunité souveraine. Ils seraient, selon eux, consacrés aux rapports commerciaux et
consulaires245. L’arrêt relatif aux Plates-formes pétrolières cité par les Etats-Unis confirme
toutefois que le traité englobe un domaine plus large et qu’il traite de «l’accès aux tribunaux et à
l’arbitrage», ainsi que des «garanties offertes aux ressortissants et sociétés de chacune des parties
contractantes, ainsi qu’à leurs biens et entreprises» qui, dans un cas comme dans l’autre, sont, selon
le critère appliqué par la Cour en l’affaire des Plates-formes pétrolières, «intrinsèquement liés» au
droit de l’immunité246. La question en la présente espèce consiste à déterminer si les protections
offertes par le traité sont susceptibles de donner lieu à l’application des règles régissant l’immunité.
Il est clair que tel est le cas.
5.44. Contrairement à ce que suggèrent les Etats-Unis, l’Iran ne prétend pas qu’il faille
interpréter le traité comme «incorporant ... l’ensemble des dispositions du droit international»
244 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 5, par. 1.14, et p. 80-81, par. 8.7.
245 Ibid., p. 81, par. 8.8, citant Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique),
exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 813, par. 27.
246 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 813, par. 27. Voir ci-dessus, par. 5.34-5.35.
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- 50 -
concernant des relations pacifiques et amicales entre les deux Etats247. Il convient plutôt de
l’interpréter, entre autres, par référence à ses dispositions, y compris à tout renvoi, ainsi qu’en
tenant compte des règles de droit international applicables entre les parties au traité248.
5.45. Dans son arrêt en l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour n’a pas limité l’objet
et le but du traité aux relations commerciales et consulaires, mais a considéré que le traité était
destiné à encourager le «développement harmonieux de leurs relations commerciales, financières et
consulaires» qui renforcerait à son tour cette paix et cette amitié entre les parties249. Au nombre des
règles qui facilitent un tel développement figurent celles régissant l’immunité qui attribuent la
compétence entre les parties au traité et protègent d’un contrôle juridictionnel étranger les actes
accomplis dans l’exercice d’une autorité régalienne. Les règles concernant d’autres aspects du droit
international, telles que celles sur la délimitation des espaces maritimes, ne sont pas pertinentes
pour ces rapports entre les parties au traité.
5.46. Les Etats-Unis soutiennent qu’il existait, en 1955, une diversité de vues quant aux
théories de l’immunité souveraine, considérée par certaines comme absolue et par d’autres comme
limitée, de sorte que le texte du traité devait être suffisamment précis pour confirmer celui de ces
points de vue que les parties entendaient adopter dans leurs relations250. Néanmoins, trois ans avant
l’adoption du traité de 1955, les Etats-Unis avaient clairement exposé leur position dans la lettre
Tate de 1952251. En outre, le texte du traité était précis quant à la doctrine restrictive dans le
paragraphe 4 de l’article XI, qui est identique au projet américain standard de traité d’amitié, de
commerce et de navigation. Ainsi que souligné dans l’étude Sullivan, «le paragraphe 3 de
l’article XVIII était, bien sûr, une application claire de la théorie restrictive et en harmonie avec la
lettre Tate»252.
5.47. Les Etats-Unis soutiennent que les travaux préparatoires n’incluent aucune mention
indiquant que le traité affecterait l’immunité de l’Etat ou offrirait une immunité à des sociétés
détenues par l’Etat253. Ils s’appuient seulement sur trois télégrammes entre l’ambassade des Etats-
Unis à Téhéran et le département d’Etat américain254. Ces télégrammes sont de simples instantanés
révélateurs d’un moment donné dans un processus complexe de négociation et ne sauraient
constituer une preuve définitive de l’intention des parties.
247 Voir exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 81, par. 8.9.
248 Voir ci-dessus, par. 3.13-3.15 et 5.2-5.7.
249 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 814, par. 28.
250 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 82-83, par. 8.11.
251 Ibid., annexe 225.
252 C. Sullivan, «Treaty of Friendship, Commerce and Navigation, Standard Draft» [traité d’amitié, de commerce
et de navigation], département d’Etat des Etats-Unis (1962), p. 271-272 (MI, annexe 20).
253 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 83, par. 8.12.
254 Mémoire de l’Iran, annexe 2 ; exceptions préliminaires des Etats-Unis, annexes 226-227.
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CHAPITRE VI
LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ D’AMITIÉ DE 1955
N’EXCLUT PAS LES QUESTIONS ÉNUMÉRÉES DANS CELUI-CI
DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR
6.1. L’exception soulevée par les Etats-Unis en relation avec le paragraphe 1 de l’article XX
du traité d’amitié de 1955 est limitée à un seul aspect des demandes de l’Iran, les violations
alléguées occasionnées par la promulgation et l’application du décret présidentiel (executive order)
n° 13599255. Les Etats-Unis soutiennent que, conformément à l’alinéa c) et/ou d) du paragraphe 1
de l’article XX, «le décret présidentiel n° 13599 échappe clairement au champ d’application du
traité, et de ce fait, à la compétence de la Cour»256. Cette exception est entachée d’erreur parce
qu’elle ne repose pas sur un fondement textuel et qu’elle est incompatible avec la jurisprudence de
la Cour. Elle devrait également être rejetée. Bien interprété, le paragraphe 1 de l’article XX du
traité offre un moyen de défense sur le fond potentiel en excusant une conduite qui, autrement,
constituerait une violation : il n’exclut pas ces questions du périmètre du traité.
6.2. Ainsi que l’a souligné la Cour dans son arrêt en l’affaire des Plates-formes pétrolières,
le point de départ réside dans le fait que «le traité de 1955 ne contient aucune disposition excluant
expressément certaines matières de la compétence de la Cour»257. Au lieu de cela, le paragraphe 1
de l’article XX prévoit, dans la mesure pertinente, que le traité :
«1. … ne fera pas obstacle à l’application de mesures :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
c) réglementant la production ou le commerce des armes, des munitions et du
matériel de guerre, ou le commerce d’autres produits lorsqu’il a pour but direct ou
indirect d’approvisionner des unités militaires ;
d) ou nécessaires à l’exécution des obligations de l’une ou l’autre des hautes Parties
contractantes relatives au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité
internationales ou à la protection des intérêts vitaux de cette haute Partie
contractante sur le plan de la sécurité».
6.3. Il est courant que la Cour doive interpréter la disposition même qui lui est soumise. Le
paragraphe 1 de l’article XX ne prévoit pas que la conséquence d’un «défaut de mesure de nonrecevoir
» est l’inapplicabilité du traité aux mesures spécifiées dans celui-ci.
6.4. L’interprétation du paragraphe 1 de l’article XX avancée par les Etats-Unis est
dépourvue de fondement textuel. Le sens ordinaire de la proposition «[l]e présent traité ne fera pas
obstacle à l’application de mesures» n’est pas que les questions spécifiées sont exclues du champ
d’application du traité, mais que l’adoption de telles mesures ne constituera pas une violation du
traité (lorsque, ainsi que déterminé lors de la phase de jugement sur le fond, les mesures relèvent
effectivement du champ d’application du paragraphe 1 de l’article XX). Le sens ordinaire de
255 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 4-5, par. 1.12 ; p. 62, par. 7.1, et p. 65-78, par. 7.10-7.37.
256 Ibid., p. 78, par. 7.37.
257 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20.
69
70
- 52 -
l’expression «faire obstacle» est «rendre impossible»258. Le paragraphe 1 de l’article XX prévoit
ainsi simplement que le traité ne «rend pas impossible» l’application par une partie de mesures
spécifiées dans les sous-paragraphes c) ou d). Le paragraphe 1 de l’article XX ne décrit pas les
conséquences qui surviennent lorsqu’une partie applique effectivement ces mesures. Néanmoins,
par analogie, l’expression «faire obstacle» fait écho aux circonstances excluant l’illicéité du droit
international général, c’est-à-dire, à l’existence d’un moyen de défense et non d’une limitation de
compétence. Le sens ordinaire est attesté par le contexte, y compris l’absence de toute référence à
l’article XX dans le paragraphe 2 de l’article XXI, qui délimite la compétence de la Cour.
6.5. En outre, l’interprétation du paragraphe 1 de l’article XX avancée par les Etats-Unis
contredit la jurisprudence de la Cour. Celle-ci a déjà examiné l’effet du paragraphe 1 de
l’article XX dans son arrêt en l’affaire des Plates-formes pétrolières et jugé que «le paragraphe 1 d)
de l’article XX ne restrei[gnait]pas sa compétence dans [ladite] affaire, mais offr[ait] seulement aux
Parties une défense au fond qu’il leur appartiendra[it], le cas échéant, de faire valoir le moment
venu»259. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a confirmé son interprétation antérieure de la
clause, libellée à l’identique, incluse dans le traité d’amitié, de commerce et de navigation de 1956
entre les Etats-Unis et le Nicaragua en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci260 :
«[l]’article XXI définit les cas dans lesquels le traité prévoit lui-même des exceptions
au caractère général de ses autres dispositions, mais il ne tend nullement à faire
échapper l’interprétation et l’application de ses propres termes à la compétence de la
Cour prévue par l’article XXIV. Que la Cour soit compétente pour déterminer si des
mesures prises par l’une des Parties relève d’une exception ressort également a
contrario de ce que le texte de l’article XXI du traité n’a pas repris le libellé antérieur
de l’article XXI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Cette
disposition du GATT, prévoyant des exceptions au jeu normal de l’Accord général,
précise que celui-ci ne sera pas interprété comme empêchant une partie contractante
de prendre «toutes mesures qu’elle estimera nécessaires à la protection des intérêts
essentiels de sa sécurité», dans des domaines comme la fission nucléaire, les
armements, etc. Le traité de 1956 fait simplement état au contraire des mesures
«nécessaires» et non pas de celles considérées comme telles par une partie.»261
«[L]’article XXI du traité stipule que le «traité ne fera pas obstacle à
l’application» de telles mesures. La question se pose donc de savoir si l’article XXI
peut être invoqué [comme moyen de défense opposé à] une demande ...»262
6.6. A la lumière des conclusions de la Cour énoncées ci-dessus, c’est à tort que les
Etats-Unis allèguent que l’arrêt Nicaragua «n’interdisait pas non plus l’examen de la clause
équivalente en tant qu’exception d’incompétence ... [et] [n’]abord[ait pas] expressément la question
de savoir si, dès lors qu’il était établi qu’une mesure relevait du champ de l’exception, elle pouvait
être exclue de la compétence de la Cour»263. L’analyse la plus simple, et la seule compatible avec le
258 «Faire obstacle» (Preclude) in Oxford English Dictionary, Oxford, O.U.P., 7e éd., 2012.
259 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20.
260 Ibid., citant Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 116, par. 222, et p. 136, par. 271.
261 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 116, par. 222 (les italiques sont de nous).
262 Ibid., p. 136, par. 271 (les italiques sont de nous).
263 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 64, par. 7.8.
71
- 53 -
sens ordinaire et le contexte de l’article XX, est que, lorsque la disposition s’applique, elle offre un
moyen de défense contre une conduite qui, autrement, constituerait une violation du traité.
6.7. En outre, l’exception soulevée par les Etats-Unis en référence à l’article XX ne pourrait,
en tout état de cause, être considérée comme ayant un caractère exclusivement préliminaire au sens
du paragraphe 7 de l’article 79 du Règlement de la Cour. Il ressort clairement des arrêts de la Cour
dans les affaires Nicaragua et Plates-formes pétrolières que la question de l’interprétation et de
l’application du paragraphe 1 de l’article XX du traité de 1955 n’a pas de caractère exclusivement
préliminaire, mais qu’elle est intrinsèquement liée au fond264. Dans l’arrêt Nicaragua, la Cour a
jugé que :
«[l]es Parties s’étant réservé chacune par l’article XXI du traité de 1956 la faculté de
déroger aux autres dispositions de cet instrument, la possibilité d’invoquer les clauses
de cet article doit être examinée dès lors qu’une contradiction apparaît entre
certaines conduites des Etats-Unis et les dispositions pertinentes du traité.
L’appréciation des conduites des Etats-Unis au regard de ces dispositions pertinentes
du traité relevant de l’application du droit plus que de son interprétation, la Cour y
procédera dans le cadre de son évaluation générale des faits constatés par rapport au
droit applicable.»265
6.8. L’argument des Etats-Unis repose, non sur le libellé du paragraphe 1 de l’article XX,
mais sur une décision unique parmi les multiples cas d’arbitrage entre investisseur et Etat dans
laquelle le tribunal examinait une disposition très différente266. La sentence du tribunal en l’affaire
EnCana c. Equateur n’est d’aucune utilité aux Etats-Unis. Ces derniers ont omis de porter à
l’attention de la Cour le texte de la disposition spécifique en cause dans cette affaire aussi bien que
le raisonnement principal du tribunal. Le paragraphe 1 de l’article XII du traité d’investissement
bilatéral de 1996 entre le Canada et l’Equateur stipule que «[s]auf ce que prévoit le présent article,
aucune disposition du présent accord ne s’applique à des mesures fiscales»267. Sur la base du sens
ordinaire de cette disposition spécifique, le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître des
mesures fiscales autres que celles dont il est spécifié qu’elles constituent des exceptions268. Cette
décision ne saurait néanmoins aider les Etats-Unis, la disposition en cause en l’affaire EnCana
étant rédigée de manière significativement différente de celle du paragraphe 1 de l’article XX du
traité d’amitié de 1955.
264 Pour cette raison, l’allégation des Etats-Unis selon laquelle leur exception basée sur l’alinéa d) du
paragraphe 1 de l’article XX peut être transformée en une «autre exception sur laquelle le défendeur demande une
décision avant que la procédure sur le fond se poursuive» est erronée : voir exceptions préliminaires des Etats-Unis,
p. 65, par. 7.9.
265 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 116, par. 225 (les italiques sont de nous).
266 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 63, par. 7.5, citant EnCana Corp c. République d’Equateur,
CNUDCI, London Court of International Arbitration (LCIA) n° UN3481 (M. James Crawford, président ;
M. Horacio Grigera Naón ; M. Christopher Thomas), sentence, 3 février 2006, par. 130-149 (exceptions préliminaires des
Etats-Unis, annexe 195).
267 Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement de la République de l’Equateur pour la
promotion et la protection réciproques des investissements, signé le 29 avril 1996, entré en vigueur le 6 juin 1997, 2027
UNTS I-34972, cité dans EnCana Corp c. République d’Equateur, CNUDCI, affaire LCIA n° UN3481, sentence,
3 février 2006, par. 108 et appendice II (exceptions préliminaires des Etats-Unis, annexe 195).
268 EnCana Corp c. République d’Equateur, par. 110 : «la disposition juridictionnelle du traité d’investissement
bilatéral ne s’applique pas non plus puisque, sous réserve des exceptions énumérées, rien dans le traité d’investissement
bilatéral ne s’applique aux mesures fiscales, y compris l’article XIII». Voir également par. 149, concluant que la mesure
en cause était «exclue du champ d’application du traité d’investissement bilatéral par l’article III».
72
- 54 -
6.9. En effet, une formulation proche de celle en cause en l’affaire EnCana figure ailleurs
dans le traité. Il peut, par exemple, être fait référence au paragraphe 2 de l’article XVI, qui prévoit
que la protection offerte par «[l]es dispositions du paragraphe précédent ne s’appliqueront pas» aux
questions spécifiées. Ce qui montre que, lorsque les parties ont eu l’intention d’exclure des aspects
du périmètre du traité, ainsi que l’on pourrait s’y attendre, elles l’on fait expressément. A l’inverse,
le paragraphe 1 de l’article XX ne prévoit pas l’inapplicabilité des obligations substantielles du
traité. Le contexte du paragraphe 1 de l’article XX confirme encore, si besoin était, l’interprétation
de celui-ci avancée par l’Iran et adoptée par la Cour en l’affaire des Plates-formes pétrolières.
6.10. La tentative des Etats-Unis de peindre sous un jour différend leur position antérieure
devant la Cour en l’affaire des Plates-formes pétrolières est également déroutante. Ainsi que la
Cour l’a reconnu dans son arrêt, les Etats-Unis ont admis qu’«aborder la question de
l’interprétation et de l’application du paragraphe 1 d) de l’article XX relevait de l’examen au
fond»269. Les Etats-Unis soutiennent désormais que cette concession a été faite sans pour autant
reconnaître que cette disposition «p[ouvait] jamais donner lieu à une question de compétence»270. Il
est inutile que la Cour examine le champ d’application de la concession des Etats-Unis en l’affaire
des Plates-formes pétrolières271. Le point, en l’espèce, est que, si les Etats-Unis avaient cru que
l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX constituait un socle solide pour une exception
préliminaire en matière de compétence, ils auraient fait valoir/maintenu cet argument. Il n’est pas
contesté que les Etats-Unis ne l’ont pas fait272.
6.11. La position des Etats-Unis est donc incompatible à la fois avec les conditions du traité
d’amitié de 1955 et avec la jurisprudence antérieure de la Cour. Essentiellement, les Etats-Unis
invitent, à mauvais escient, la Cour à interpréter le paragraphe 1 de l’article XX comme s’il était
rédigé ainsi : «rien dans le présent traité ne s’appliquera aux mesures suivantes». Ce faisant, les
Etats-Unis ont ignoré le raisonnement de la Cour en l’affaire Nicaragua portant sur ce point
particulier.
6.12. Pour toutes les raisons qui précèdent, l’invocation par les Etats-Unis du paragraphe 1
de l’article XX comme base pour une exception préliminaire contestant la compétence de la Cour
est erronée et doit être rejetée.
269 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20, citant le compte rendu de l’audience publique de la C.I.J. du 23 septembre
1996, p. 35-36, Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (M. Crook pour les
Etats-Unis). Voir également le compte rendu de l’audience publique de la C.I.J. du 17 septembre 1996, p. 32-33,
Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (M. Crook pour les Etats-Unis) :
«l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX … exclut certaines questions du fonctionnement du traité… Aujourd’hui, la
question est celle de la compétence de la Cour. A cet égard, l’interprétation et l’application de l’alinéa d) du paragraphe 1
de l’article XX ne sont pas en cause maintenant … L’importance de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX n’est pas
au coeur de notre position concernant le défaut de compétence de la Cour … il n’est pas nécessaire que la Cour traite des
arguments spécifiques concernant l’interprétation et l’application de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX, à moins
que n’ait lieu à l’avenir une phase d’examen sur le fond».
270 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 63-64, par. 7.6.
271 L’Iran souligne néanmoins que la suggestion des Etats-Unis selon laquelle le droit d’invoquer l’alinéa d) du
paragraphe 1 de l’article XX à titre d’exception préliminaire serait réservé à l’examen au fond n’est pas confirmée par le
dossier : voir exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 63-64, par. 7.6, citant la duplique des Etats-Unis d’Amérique
(23 mars 2001), par. 4.02, Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique). Dans leur
duplique, les Etats-Unis adoptaient la même position que lors de la phase des exceptions préliminaires et déclaraient que
l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX concernait les mesures qui «ne sont pas interdites» par le traité (duplique,
par. 4.03) et offrent «une défense complète» (par. 4.04).
272 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 63-64, par. 7.6 : «[d]ans l’affaire des Plates-formes pétrolières, les
Etats-Unis ont réservé l’invocation de la clause relative aux «intérêts vitaux ... sur le plan de la sécurité» de l’alinéa d) du
paragraphe 1 de l’article XX à la phase de l’examen au fond…».
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74
- 55 -
PARTIE III
LES EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITÉ DES ÉTATS-UNIS
NE SONT PAS FONDÉES
CHAPITRE VII
ABSENCE D’ABUS DE DROIT
7.1. A l’inverse des exceptions d’incompétence soulevées par les Etats-Unis, les «exceptions
à la recevabilité portent sur la recevabilité de la requête dans son ensemble…» et, «[c]ompte tenu
du caractère prépondérant … , elles sont exposées en premier»273. Elles reposent sur deux
fondements :
l’abus du traité par l’Iran ; et
les mains sales de l’Iran.
Dans ce chapitre, l’Iran répond à la première de ces exceptions, la seconde sera traitée dans le
chapitre VIII.
7.2. Les Etats-Unis résument ainsi leur première exception à la recevabilité de la requête de
l’Iran :
«La première exception consiste à soutenir que le fait que l’Iran s’appuie sur le
traité pour fonder la compétence de la Cour en cette affaire constitue un abus de droit.
Le traité présupposait l’existence de relations commerciales et consulaires normales
entre les Etats-Unis et l’Iran, qu’il avait vocation à régir. Or, tel n’est plus le cas
depuis près de quatre décennies. Les demandes de l’Iran en l’espèce s’inscrivent dans
le contexte d’une rupture profonde et prolongée des relations, période durant laquelle
les échanges économiques généraux entre l’Iran et les Etats-Unis ont, de même que les
relations consulaires, été réduits à néant. L’Iran n’en a pas moins tenté de revêtir ses
allégations du manteau du langage commercial dont use le traité, mais ses demandes
ne visent pas réellement à préserver des droits protégés par les dispositions de celui-ci.
Permettre à l’Iran de se prévaloir du traité, dans ces circonstances, pour invoquer la
compétence de la Cour reviendrait à valider un abus de droit et à porter atteinte à
l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour.»274
7.3. L’exception des Etats-Unis comporte de multiples allégations.
7.4. Premièrement, les Etats-Unis allèguent que «l’Iran considère [peut-être] le traité comme
une arme de plus dans le cadre de cette rivalité stratégique de longue haleine. Mais l’autoriser à le
faire en l’espèce reviendrait à subvertir l’objet du traité et à détourner la fonction judiciaire de la
Cour»275.
273 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 3-4, par. 1.8.
274 Ibid., p. 4, par. 1.9.
275 Ibid., p. 50, par. 6.10.
75
76
- 56 -
7.5. La Cour a réglé cette question en 1980, lors du différend que lui avaient soumis les
Etats-Unis contre l’Iran, et a, par la suite, réitéré sa position en l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique :
««aucune disposition du Statut ou du Règlement ne lui interdit de se saisir d’un aspect
d’un différend pour la simple raison que ce différend comporterait d’autres aspects, si
importants soient-ils».
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nul n’a cependant jamais prétendu que, parce qu’un différend juridique soumis
à la Cour ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se refuser à
résoudre dans l’intérêt des parties les questions juridiques qui les opposent. La Charte
et le Statut ne fournissent aucun fondement à cette conception des fonctions ou de la
juridiction de la Cour ; si la Cour, contrairement à sa jurisprudence constante,
acceptait une telle conception, il en résulterait une restriction considérable et
injustifiée de son rôle en matière de règlement pacifique des différends
internationaux.»276
7.6. En dépit de cette conclusion limpide, les Etats-Unis ont, une nouvelle fois, avancé le
même argument en l’affaire Lockerbie277. La Cour a jugé que :
«23. Les Etats-Unis ne nient pas que, comme tels, les faits de la cause puissent
entrer dans les prévisions de la convention de Montréal. Toutefois, ils soulignent
qu’en l’espèce, dès que la Libye a invoqué la convention de Montréal, ils ont fait
valoir que celle-ci n’était pas en jeu car la question à régler n’avait pas trait à des
«divergences bilatérales» mais «était celle d’une menace à la paix et à la sécurité
internationales résultant d’un terrorisme parrainé par un Etat».
24. Ainsi, les Parties s’opposent sur la question de savoir si la destruction de
l’appareil de la Pan Am au-dessus de Lockerbie est régie par la convention de
Montréal. Il existe donc un différend entre les Parties sur le régime juridique
applicable à cet événement. Un tel différend concerne, de l’avis de la Cour,
l’interprétation et l’application de la convention de Montréal, et, conformément au
paragraphe 1 de l’article 14 de la convention, il appartient à la Cour de le trancher.»278
Contrairement aux allégations des Etats-Unis, la compétence de la Cour n’est pas limitée aux
«différend[s] transactionnel[s]» portant sur «des questions d’ordre technique»279. L’Iran ne nie pas
que le différend juridique limité, mais pas anodin, dont il a saisi la Cour pourrait être lié à un
conflit politique plus large entre lui et les Etats-Unis ; il n’en demeure pas moins que le règlement
de ce différend spécifique contribuerait à la réalisation des objectifs du traité d’amitié de 1955 et
qu’il ne saurait être ignoré de manière justifiée au simple motif qu’il s’inscrit dans le cadre d’un
différend plus vaste ou qu’il est lié à celui-ci.
276 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 439-440, par. 105, citant un extrait de l’arrêt Personnel
diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 19, par. 36, et p. 20, par. 37.
277 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 92.
278 Ibid., p. 123, par. 23 et 24. Voir également, par exemple, Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique
(Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 604, par. 32.
279 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 53, par. 6.17.
77
- 57 -
7.7. La position de l’Iran est donc que les Etats-Unis ne peuvent réécrire les demandes de
l’Iran (qui concernent certains actifs iraniens), ni reformuler dans leurs exceptions préliminaires
l’objet du différend tel qu’énoncé dans la requête et le mémoire280. A ce stade de la procédure, il
s’agit d’évaluer la recevabilité de l’affaire telle que présentée par l’Iran. En conséquence, le
supposé «différend stratégique plus large» évoqué par les Etats-Unis est simplement dépourvu de
pertinence.
7.8. Ensuite, les Etats-Unis allèguent que «[l]a situation qui prévaut à ce jour entre les Parties
est fort différente de celle envisagée par elles en 1955 et cristallisée dans le texte du traité»281. Les
Etats-Unis affirment que les conditions fondamentales sous-tendant le traité n’existent plus entre
les parties. Non seulement, tel n’est pas le cas282, mais les Etats-Unis sont également responsables
de la situation actuelle du fait de leurs multiples violations du traité283. En outre, il revient à la Cour
de déterminer si des conditions fondamentales du traité subsistent ou non.
7.9. Ainsi, même si les faits étaient tels qu’allégués par les Etats-Unis (ce qui est
formellement contesté), la situation actuelle ne peut servir de prétexte pour affirmer que le traité est
inapplicable. Selon l’adage bien connu, également ancré dans le bon sens le plus élémentaire, nemo
auditur propriam turpitudinem allegans. Ainsi que l’a déclaré la Cour permanente de Justice
internationale :
«C’est ... un principe généralement reconnu par la jurisprudence arbitrale
internationale, aussi bien que par les juridictions nationales, qu’une Partie ne saurait
opposer à 1’autre le fait de ne pas avoir rempli une obligation ou de ne pas s’être servi
d’un moyen de recours, si la première, par un acte contraire au droit, a empêché la
seconde de remplir l’obligation en question, ou d’avoir recours à la juridiction qui lui
aurait été ouverte.»284
7.10. Ce principe constitue le socle des limitations applicables à la possibilité d’invoquer une
situation rendant l’exécution impossible (article 61 de la convention de Vienne sur le droit des
traités) ou un changement fondamental de circonstances (article 62 de la même convention) pour
suspendre l’exécution d’un traité, ce qui est précisément ce que cherchent à faire les Etats-Unis :
article 61, paragraphe 2 :
«[l]’impossibilité d’exécution ne peut être invoquée par une partie comme motif pour
mettre fin au traité, pour s’en retirer ou pour en suspendre l’application si cette
impossibilité résulte d’une violation, par la partie qui l’invoque, soit d’une obligation
280 Voir ci-dessus, par. 2.29-2.32.
281 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 47-48, par. 6.3.
282 Voir ci-dessus, par. 2.18-2.22, et sect. 3, plus loin.
283 Voir ci-dessus, par. 2.4-2.5.
284 Affaire relative à l’Usine de Chorzow (compétence), arrêt n°8, 1927, C.P.J.I, série A, n° 9, p. 31 ; opinions
dissidentes des juges Read et Azevedo, Interprétation des traités de paix (deuxième phase), Avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1950, p. 244, 252-254 ; Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 67,
par. 110.
78
- 58 -
du traité, soit de toute autre obligation internationale à l’égard de toute autre partie au
traité»285.
article 62, paragraphe 2 :
«[u]n changement fondamental de circonstances ne peut pas être invoqué comme
motif pour mettre fin à un traité ou pour s’en retirer :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
b) [s]i le changement fondamental résulte d’une violation, par la partie qui l’invoque,
soit d’une obligation du traité, soit de toute autre obligation internationale à l’égard
de toute autre partie au traité»286.
Et il va de soi qu’aucune partie à un traité ne saurait invoquer sa propre violation pour suspendre
l’exécution dudit traité287.
7.11. L’Iran relève que les Etats-Unis invoquent diverses raisons pour justifier leur
non-respect des dispositions du traité. A ce stade néanmoins, la Cour n’est pas appelée à se
prononcer sur la licéité de leur conduite. En outre, ainsi qu’elle l’a relevé en l’affaire Nicaragua :
«Si un Etat agit d’une manière apparemment inconciliable avec une règle
reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifications
contenues dans la règle elle-même, il en résulte une confirmation plutôt qu’un
affaiblissement de la règle, et cela que l’attitude de cet Etat puisse ou non se justifier
en fait sur cette base.»288
Ainsi, le fait même que les Etats-Unis s’efforcent de justifier leur non-respect du traité confirme
que les obligations qu’il comporte continuent à exister.
7.12. Selon les Etats-Unis,
285 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 47, par. 94 :
«[l]es règles de la convention de Vienne sur le droit des traités concernant la cessation d’un traité violé (qui ont été
adoptées sans opposition), peuvent, à bien des égards, être considérées comme une codification du droit coutumier
existant dans ce domaine».
286 Le paragraphe 3 de l’article 62 de la convention de Vienne sur le droit des traités est libellé comme suit :
«3. [s]i une partie peut, conformément aux paragraphes qui précèdent, invoquer un changement fondamental de
circonstances comme motif pour mettre fin à un traité ou pour s’en retirer, elle peut également ne l’invoquer que pour
suspendre l’application du traité». Dans son arrêt du 25 septembre 1997, la Cour a souligné que «[l]e fait que l’article 62
de la convention de Vienne sur le droit des traités soit libellé en termes négatifs et conditionnels indique d’ailleurs
clairement que la stabilité des relations conventionnelles exige que le moyen tiré d’un changement fondamental de
circonstances ne trouve à s’appliquer que dans des cas exceptionnels» (Projet Gabčíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7, p. 64-65, par. 104.). La Cour a également déclaré que «l’article 62
de la convention de Vienne sur le droit des traités ... p[ouvait], à bien des égards, être considéré comme une codification
du droit coutumier existant en ce qui concerne la cessation des relations conventionnelles en raison d’un changement de
circonstance» (Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1973, p. 18, par. 36).
287 Voir article 60 de la convention de Vienne sur le droit des traités (extinction d’un traité ou suspension de son
application comme conséquence de sa violation) qui est rédigé comme suit : «[u]ne violation substantielle d’un traité
bilatéral par l’une des parties autorise l’autre partie à invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou
suspendre son application en totalité ou en partie» (les italiques sont de nous).
288 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 98, par. 186.
79
- 59 -
«[l]es demandes de l’Iran en l’espèce constituent un abus des droits offerts par le
traité, et l’allégation de l’Iran selon laquelle la Cour aurait compétence sur la base du
traité doit donc être rejetée comme irrecevable. Les demandes de l’Iran sont abusives
au regard des circonstances de l’espèce parce qu’elles détournent l’objet du traité».289
7.13. Ainsi que démontré précédemment290, le différend entre les Etats-Unis et l’Iran porté
devant la Cour relève du champ d’application du traité. Même si l’on accepte la définition très
large des Etats-Unis selon laquelle «[i]l y a abus de droit lorsque, entre autres, une partie exerce un
droit d’une manière autre que «sincèrement en vue d’obtenir les intérêts que ce droit est destiné à
protéger»291, ou lorsqu’une partie exerce un droit ou pouvoir prévu par le traité dans un but
détourné292»293, il convient de souligner que ce principe n’a jamais été appliqué comme interdisant
une demande dans un différend entre Etats. Dans les paragraphes qui suivent, l’Iran explique que la
Cour a clairement indiqué qu’il ne pouvait s’agir que d’une défense sur le fond (sect. A). Par
conséquent, les seuls précédents invoqués par les Etats-Unis dans lesquels un tribunal ou une cour a
jugé une demande irrecevable concernent des différends entre investisseur et Etat
fondamentalement différents de la présente espèce (sect. B). En tout état de cause, rien dans la
demande de l’Iran ne constitue un abus de droit (sect. C).
289 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 50, par. 6.12.
290 Voir ci-dessus, par. 2.12-2.15, par. 2.27 et par. 2.30-2.31.
291 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 51, note no 211 : «Bin Cheng, General Principles of Law as
Applied by International Courts and Tribunals [«Principes généraux du droit tels qu’appliqués par les cours et tribunaux
internationaux»], p. 131-32 (1953) («[i]l découle d[e] l’interdépendance des droits et obligations que l’exercice des droits
doit être raisonnable. L’exercice raisonnable et de bonne foi d’un droit suppose que celui-ci soit exercé sincèrement en
vue d’obtenir les intérêts que ce droit est destiné à protéger et qu’il ne soit pas destiné à porter atteinte de manière
inéquitable aux intérêts légitimes d’un autre Etat, que ceux-ci aient été acquis par traité ou en vertu du droit international
général.»)».
292 Ibid., note no 212 : «Par exemple, Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J.
Recueil 1997, p. 78-79, par. 142 (précisant que le principe de bonne foi «implique qu’au cas particulier c’est le but du
traité, et l’intention dans laquelle les parties ont conclu celui-ci, qui doivent prévaloir sur son application littérale. Le
principe de bonne foi oblige les Parties à l’appliquer de façon raisonnable et de telle sorte que son but puisse être
atteint») ; Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J.
Recueil 2008, p. 279, par. 6 (déclaration du juge Keith) («[j]e vais à présent examiner les raisons que le juge a données
dans son soit-transmis pour écarter les principes de bonne foi, d’abus de droit et de détournement de pouvoir. Ces
principes imposent à l’organisme d’Etat en question d’exercer le pouvoir aux fins pour lesquelles celui-ci lui a été conféré
et non à des fins erronées ou au gré de facteurs sans rapport avec les objectifs visés») ; Miroļubovs et autres c. Lettonie,
requête 798/05, arrêt, par. 62 (CEDH, 15 décembre 2009) (annexe 174) («[l]a Cour considère donc que la notion
d’«abus», au sens de l’article 35, par. 3, de la Convention, doit être comprise dans son sens ordinaire retenu par la théorie
générale du droit à savoir le fait, par le titulaire d’un droit, de le mettre en oeuvre en dehors de sa finalité d’une
manière préjudiciable») ; Emmanuel Gaillard, «Abuse of Process in International Arbitration» [«L’abus de procédure
dans l’arbitrage international»], 32 ICSID Rev. 17, 36 (2017) (annexe 175) (expliquant que l’«abus du principe processuel
pourrait … permettre le rejet de demandes introduites avec des arrière-pensées et non pour le règlement d’un véritable
différend»).»
293 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 50-51, par. 6.13.
80
- 60 -
SECTION 1
ABSENCE DE PRÉCÉDENT DANS LES DIFFÉRENDS ENTRE ETATS
7.14. Ainsi qu’elle le sait, la Cour n’a jamais rejeté de demande ou de demande
reconventionnelle sur la base d’une exception portant sur un abus de droit294.
7.15. En outre, les autorités mêmes invoquées par les Etats-Unis à l’appui de leur allégation
selon laquelle «[l]’obligation d’agir de bonne foi implique le principe correspondant (largement
reconnu par les tribunaux internationaux) selon lequel il ne saurait être abusé de ces droits»295
confirment que l’abus de droit n’a jamais été considéré par la Cour comme une exception
d’irrecevabilité :
a) l’affaire relative aux Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France
c. Etats-Unis d’Amérique) avait trait aux conclusions générales sur le fond (que «le pouvoir
d’évaluer appartient aux autorités douanières, mais [qu’]elles doivent en user raisonnablement
et de bonne foi»), mais ne concernait pas les exceptions préliminaires296 ;
b) de même, la référence à un «abus» en l’affaire des zones franches de la Haute-Savoie et du
Pays de Gex ne concernait ni la recevabilité ni la compétence mais, à titre de «réserve», le
pouvoir d’imposition297. Dans le même arrêt, la Cour permanente soulignait qu’«[elle] ne
saurait présumer l’abus de droit»298 ;
c) en l’affaire relatives à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond) :
i) la notion d’«abus de droit» n’était pas invoquée en relation avec une
exception préliminaire, mais plutôt comme donnant lieu à une violation
alléguée du traité, la Cour expliquant que «ce n’est qu’un abus de ce droit ou
un manquement au principe de la bonne foi qui pourraient donner à un acte
d’aliénation le caractère d’une violation du traité»299 ;
ii) la Cour permanente a conclu qu’«un tel abus ne se vérifi[ait] pas dans le cas
actuel»300 parce que les fondements n’étaient pas suffisants pour ne pas
considérer «la transaction effectuée ... comme une transaction effective»,
plutôt que comme «destiné[e] à procurer ... un avantage illicite et à priver
294 Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 63, par. 26 ; Certaines terres à phosphates
à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 38 ; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 622, par. 46 ; Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde),
compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2000, p. 30, par. 40 ; Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
(Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2007, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 9, par. 21.
295 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 50-51, par. 6.13.
296 Affaire relative aux Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 212.
297 Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B no 46, p. 167.
298 Ibid.
299 Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt no 6, 1925, C.P.J.I. série A no 6,
p. 30.
300 Ibid.
81
82
- 61 -
l’autre d’un avantage auquel elle aurait droit» ou comme «acte destiné à
porter atteinte aux droits de la Pologne»301 ; et
iii) ce raisonnement s’inscrit à l’appui de la demande de l’Iran selon laquelle rien
n’indique que la création des sociétés iraniennes pertinentes ou que la
poursuite d’activités commerciales ne soit pas authentique.
7.16. Ainsi qu’indiqué par la Cour dans les affaires des Pêcheries :
«Si, comme l’Islande le soutient, des changements fondamentaux sont
intervenus en ce qui concerne les techniques de pêche dans les eaux entourant
l’Islande, ces changements ne pourraient avoir d’intérêt qu’aux fins de la décision
relative au fond du différend et c’est au stade du fond que la Cour pourrait avoir à
examiner cette thèse, comme tous autres arguments que l’Islande pourrait invoquer à
l’appui de la légitimité de l’extension de sa juridiction en matière de pêcheries au-delà
des dispositions de l’échange de notes de 1961. Mais de tels changements ne sauraient
modifier en quoi que ce soit l’obligation d’accepter la compétence de la Cour, seule
question qui se pose en la présente phase de l’instance. II s’ensuit que les dangers que
les transformations des techniques de pêche feraient courir aux intérêts vitaux de
l’Islande ne sauraient constituer un changement fondamental pour ce qui est du
maintien en vigueur ou de la caducité de la clause compromissoire établissant la
compétence de la Cour.»302
SECTION 2
DÉFAUT DE PERTINENCE DES PRÉCÉDENTS TIRÉS DE DIFFÉRENDS ENTRE
INVESTISSEUR ET ETAT INVOQUÉS PAR LES ETATS-UNIS
7.17. Les Etats-Unis invoquent deux affaires d’investissement, Churchill Mining
c. Indonésie et Philip Morris c. Australie, pour alléguer que «[l]orsqu’une procédure est intentée
sur la base d’un abus de droit, les demandes introduites dans le cadre de celles-ci sont
irrecevables»303.
7.18. Dans la première affaire, Churchill Mining c. Indonésie, le tribunal a considéré que
«les demandes [étaient] basées sur des documents contrefaits pour mettre en oeuvre une fraude
destinée à obtenir des droits miniers» et que «[l]’irrecevabilité s’appliqu[ait] à toutes les demandes
présentées dans le cadre de l’arbitrage, parce que la totalité du projet d’EKCP constitu[ait] une
entreprise illicite affectée par de multiples faux et que toutes les demandes concernaient
l’EKCP»304. Dans la seconde affaire, Philip Morris c. Australie, le tribunal constitué dans le cadre
301 Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt no 6, 1925, C.P.J.I. série A no 6,
p. 37-38.
302 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil
1973, p. 21, par. 40, et Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), compétence
de la Cour, arrêts, C.I.J. Recueil 1973, p. 64, par. 40 (les italiques sont de nous).
303 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 50-51, par. 6.13.
304 Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), sentence,
6 décembre 2016, Churchill Mining PLC et Planet Mining Pty Ltd c. République d’Indonésie, affaire CIRDI
n° ARB/12/14 et 12/40, p. 191, par. 528-529.
83
- 62 -
du règlement de la CNUDCI a admis l’argument de l’abus de droit au motif que l’investisseur, une
personne privée, avait abusé de sa personnalité morale305.
7.19. Il paraîtra évident que de telles situations ne peuvent se produire dans les affaires entre
Etats. En outre, à la différence de ce qui se passe dans le contexte des rapports entre un investisseur
et un Etat, dans les relations interétatiques, la situation dans laquelle survient un différend est régie
par le paragraphe 3 de l’article 2 et l’article 33 de la Charte des Nations Unies. Les parties au
différend ont une obligation de règlement pacifique des différends qui inclut, entre autres moyens,
le «règlement juridictionnel». L’exécution de l’obligation de régler pacifiquement un différend par
règlement juridictionnel ne saurait constituer un abus de droit. Au contraire, un refus de mettre en
oeuvre la disposition du traité en vigueur qui prévoit la soumission de «[t]out différend qui pourrait
s’élever entre les hautes Parties contractantes quant à l’interprétation ou à l’application du présent
traité et qui ne pourrait pas être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique»
constitue, sinon un abus de droit, à tout le moins, indubitablement, une violation pure et simple de
cette disposition.
SECTION 3
L’IRAN N’ABUSE PAS DE SES DROITS EN VERTU DU TRAITÉ
NI DE LA FONCTION JUDICIAIRE DE LA COUR
7.20. Il est remarquable que les Etats-Unis n’offrent pas l’argument le plus ténu à l’appui de
leurs allégations selon lesquelles la requête de l’Iran en l’espèce constitue un abus de droit ou de
procédure. Dans l’exposé de leur position, les Etats-Unis tantôt avancent des affirmations gratuites,
tantôt prennent leurs désirs pour des réalités. Cet exposé est constitué de quatre paragraphes que
l’Iran examine tour à tour brièvement ci-après.
7.21. Le premier argument des Etats-Unis est le suivant :
«6.14 Les demandes de l’Iran en l’espèce ne concernent pas des différends
survenus dans le cours d’une activité économique ou consulaire ordinaire et amicale,
pour la simple raison que, ainsi qu’indiqué précédemment, une telle activité n’existe
pas, à ce jour, entre les parties. Les efforts de l’Iran pour faire entrer les demandes
qu’il entend faire valoir dans les dispositions du traité constituent donc un abus de
droits.»306
7.22. Concernant le premier argument :
a) ainsi que démontré précédemment307, il est inexact que les «activités» envisagées par les parties
au traité n’existent plus ;
305 Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), sentence sur la compétence
et la recevabilité, 17 décembre 2015, Philip Morris Asia Limited c. Commonwealth d’Australie, affaire CPA n° 2012-12,
p. 185, par. 588. Voir également : CIRDI, décision sur la compétence, 29 avril 2004, Tokios Tokeles c. Ukraine, affaire
CIRDI n° ARB/02/18, par. 54-56 ; CIRDI, sentence, 2 octobre 2006, ADC Affiliate Limited et ADC & ADMC
Management Limited c. la République de Hongrie, affaire CIRDI n° ARB/03/16, par. 359 ; CIRDI, sentence, 29 juillet
2008, Rumeli Telekom A.S. et Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri A.S. c. République du Kazakhstan, affaire
CIRDI n° ARB/05/16, par. 206 ; CIRDI, sentence, 22 juin 2017, Capital Financial Holdings Luxembourg SA
c. République du Cameroun, affaire CIRDI n° ARB/15/18, p. 74, par. 360.
306 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 52, par. 6.14.
307 Voir ci-dessus, par. 2.19-2.22.
84
- 63 -
b) le traité a été invoqué devant les tribunaux fédéraux américains, qui n’ont pas considéré qu’il
s’agissait là d’un abus de droit308 ; il n’y a aucune raison qu’il en aille différemment lorsque la
question est portée devant la Cour ;
c) les Etats-Unis sont responsables du niveau actuel des activités régies par le traité ;
d) les Etats-Unis n’ont pas fait le moindre effort pour prouver leur allégation selon laquelle l’Iran
s’efforce de «faire entrer les demandes qu’il entend faire valoir dans les dispositions du traité».
7.23. Déjà, dans son arrêt de 1980 en l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des
Etats-Unis à Téhéran, la Cour avait considéré que :
«bien que le mécanisme permettant de faire jouer effectivement ce traité soit sans nul
doute actuellement bloqué du fait de la rupture des relations diplomatiques entre les
deux Etats décidée par les Etats-Unis, les dispositions du traité continuent à faire
partie du droit applicable entre les Etats-Unis et l’Iran»309.
Telle était également la situation lorsque la Cour s’est prononcée en l’affaire des Plates-formes
pétrolières, procédure qui a débuté en 1992, c’est-à-dire, après la date à laquelle, selon les
allégations des Etats-Unis, les relations économiques entre les parties au traité auraient cessé. Dans
son arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis dans cette affaire, la
Cour s’est exprimée comme suit :
«pour commencer … les Parties ne contestent pas que le traité de 1955 était en
vigueur à la date d’introduction de la requête de l’Iran et est d’ailleurs toujours en
vigueur. La Cour rappellera qu’elle avait décidé en 1980 que le traité de 1955 était
alors applicable (affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des
Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 28, par. 54) ; aucune circonstance
n’a été portée en l’espèce à sa connaissance, qui pourrait l’amener aujourd’hui à
s’écarter de cette façon de voir»310.
7.24. La Cour n’a pas de raison de considérer aujourd’hui que l’Iran abuse de son droit
d’agir en vertu du traité d’amitié de 1955 alors que tel n’était pas le cas en 1992. Et le fameux
opinion dictum de la Cour dans son arrêt de 1980 demeure plus vrai que jamais :
«C’est précisément au moment où des difficultés se présentent que le traité
prend toute son importance ; l’objet même de l’article XXII, paragraphe 2, du traité de
1955 est de procurer le moyen de parvenir au règlement amical de difficultés
semblables par la Cour ou par d’autres voies pacifiques. Conclure qu’une action
devant la Cour en vertu de l’article XXI, paragraphe 2, ne serait pas ouverte aux
308 Bennett et al. v. The Islamic Republic of Iran et al., cour d’appel fédérale, neuvième circuit, 22 février 2016,
817 F.3d 1131, tel que modifié le 14 juin 2016, 825 F.3d 949 (9th Cir. 2016), p. 21-22 (MI, annexe 64) ; Peterson et al.
v. Islamic Republic of Iran et al., cour d’appel fédérale, deuxième circuit, 9 juillet 2014, 758 F.3d 185 (2nd Cir. 2014),
p. 7 (MI, annexe 62) ; voir également Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran et al., tribunal fédéral de première
instance, district sud de New York, 28 février 2013, [2013 U.S. Dist. LEXIS 40470] (S.D.N.Y. 2013), p. 52 (MI,
annexe 58) ; Weinstein et al. v. Islamic Republic of Iran et al., cour d’appel fédérale, deuxième circuit, 15 juin 2010, 609
F.3d 43 (2d Cir. 2010), p. 20-23 (MI, annexe 47).
309 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 28, par. 54.
310 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 809, par. 15.
85
86
- 64 -
parties au moment précis où cette voie de recours est le plus nécessaire serait donc
contraire au but même du traité de 1955»311.
7.25. S’il est exact qu’en raison de la conduite des Etats-Unis, l’exécution du traité est loin
d’être satisfaisante, contrairement à leurs assertions, certaines relations économiques entre les
parties ont toujours existé, à une échelle et dans des domaines limités.
7.26. En outre, les tribunaux américains se sont appuyés sur le traité et l’ont appliqué, y
compris dans certaines des procédures pivot en l’espèce. Aucun tribunal américain n’est allé
jusqu’à prétendre que les sociétés iraniennes commettaient un abus de droit en appelant à
l’application du traité. Au contraire, en l’affaire Peterson, la cour d’appel fédérale (deuxième
circuit) a conclu (à tort) :
«En résumé, la remise des actifs bloqués en vertu de l’article 8772 est
pleinement conforme aux obligations des Etats-Unis en vertu du traité d’amitié. Et en
présumant, théoriquement, que tel ne soit pas le cas, l’article 8772 devrait être
interprété comme abrogeant toutes dispositions incompatibles du traité.»312
7.27. Deuxièmement, les Etats-Unis allèguent ce qui suit :
«6.15. Les demandes formulées par l’Iran en l’espèce ne concernent pas, de son
propre aveu, des intérêts découlant du type d’activité que le traité était conçu pour
protéger. L’Iran conteste, par exemple, des sanctions imposées par les Etats-Unis qui,
avec d’autres mesures, américaines et multilatérales, ciblent les efforts de l’Iran pour
se doter de capacités dans le domaine des missiles balistiques, ainsi que son soutien au
terrorisme, et la facilitation de celui-ci, en particulier par la fourniture d’armes313.
L’Iran conteste également diverses mesures législatives adoptées par les Etats-Unis en
vertu desquelles des personnes physiques peuvent obtenir réparation au titre des
préjudices corporels et pertes en vies humaines causés par des actes de terrorisme
accomplis par des responsables, employés ou agents de l’Etat, ou avec leur
soutien314.»315
7.28. Concernant cet argument :
a) l’Iran conteste certaines mesures adoptées par les Etats-Unis uniquement dans la mesure où
elles contreviennent au traité d’amitié de 1955. Si les mesures américaines sont également
contraires au droit international à maints autres égards, cet aspect ne relève pas du différend
porté devant la Cour par l’Iran ;
b) dans ce cas, l’Iran conteste notamment la violation par les Etats-Unis des droits et protections
auxquels ont droit les sociétés iraniennes en vertu du traité de 1955, et notamment le défaut de
311 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 28, par. 54.
312 Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran et al., cour d’appel fédérale, deuxième circuit, 9 juillet 2014,
758 F.3d 185 (2nd Cir. 2014), p. 7 (MI, annexe 62) ; voir également ci-dessus, note no 308.
313 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 52, note no 214 : «Voir ci-dessus, chap. 4, sect. A».
314 Ibid., note no 215 : «Voir ibid.».
315 Ibid., par. 6.15.
87
- 65 -
reconnaissance de leur statut juridique et de l’octroi de leur liberté d’accès aux tribunaux
américains, tant pour faire valoir que pour défendre leurs droits316 ;
c) ainsi qu’expliqué en détail ci-après317, les Etats-Unis n’ont fourni aucun élément de preuve
permettant d’établir, conformément aux normes et procédures reconnues internationalement,
l’attribution à l’Iran des actions auxquelles il est fait référence dans les exceptions
préliminaires. Et l’Iran réitère formellement qu’il condamne, et a toujours condamné, le
terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations318.
7.29. Selon le troisième argument des Etats-Unis :
«6.16. A cet égard, les demandes de l’Iran concernant l’immunité souveraine
sont particulièrement exorbitantes. Avant d’introduire la présente instance, l’Iran s’est
opposé de manière répétée à l’idée selon laquelle l’unique disposition du traité
concernant l’immunité souveraine (la renonciation à l’immunité contenue dans le
paragraphe 4 de l’article XI) s’appliquerait à l’Iran ou à toute entité de l’Etat iranien
autre qu’une «entreprise» au sens de cette disposition319. En outre, dans la procédure
d’exécution Peterson proprement dite, la banque Markazi est allée jusqu’à soutenir
que le traité d’amitié ne constituait pas une «disposition en droit se rapportant à
l’immunité souveraine»320. L’Iran n’en soutient cependant pas moins que le traité
requiert que soit reconnu à l’Iran et aux entités iraniennes le bénéfice des «immunités
d’application générale» en vertu du droit international coutumier321. Cette tentative de
réécriture du traité pour qu’il corresponde aux besoins actuels de l’Iran va à l’encontre
des principes fondamentaux de la bonne foi322 et n’en prouve que de manière plus
éclatante que l’Iran s’efforce, de manière abusive, de manipuler le traité au mépris de
son objet et de son but.»323
7.30. En ce qui concerne cet argument :
a) ainsi qu’exposé dans le chapitre V ci-dessus, le paragraphe 2 de l’article IV du traité requiert
expressément un renvoi au droit international, qui inclut le droit des immunités souveraines324 ;
b) contrairement à ce que prétendent les Etats-Unis, l’Iran n’a jamais allégué le contraire. Ainsi
que rappelé dans le chapitre V ci-dessus, l’Iran a déjà expliqué, dans sa réponse à la demande
de production de documents des Etats-Unis, que «la banque Markazi est une entité juridique
distincte et que, comme les Etats-Unis, l’Iran «ne dispose pas d’un accès indépendant à ces
316 Mémoire de l’Iran, p. 12, par. 1.30, p. 70-77, par. 4.18-4.36, p. 81-87, par. 5.11-5.21, p. 87-100,
par. 5.22-5.51, p. 102-103, par. 5.58-5.60, p. 106-107, par. 5.69-5.71 et p. 109, par. 5.75-5.76.
317 Voir ci-dessous appendice A, par. A.10 à A.15.
318 Voir ibid., par. A.15.
319 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 52, note no 216 : «Voir ci-dessous chap. 8, sect. B.»
320 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 52, note no 217 : «mémoire de la Défenderesse-Appelante banque
Markazi, 45, Deborah Peterson, et al. v. Islamic Republic of Iran, et al. (n° 13-2952) (2d Cir., 19 novembre 2013)
(annexe Etats-Unis 233)».
321 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 52, note no 218 : «Par exemple, mémoire de l’Iran, par. 5.44 a).».
322 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 52, note no 219 : «Voir, par exemple, Bin Cheng, p. 141 («[l]e fait
qu’«un homme ne soit pas autorisé à souffler le chaud et le froid, à affirmer une chose à un moment avant de la nier plus
tard» est un principe de bonne foi»).»
323 Ibid., p. 52, par. 6.16.
324 Voir ci-dessus, par. 5.30-5.31.
88
- 66 -
documents parce qu’il n’est pas partie à la procédure» devant la justice américaine»325. Par
conséquent, les conclusions de la banque Markazi devant les tribunaux américains ne sauraient
être imputées à l’Iran. En tout état de cause, ainsi qu’expliqué précédemment, les conclusions
de la banque Markazi s’inscrivaient dans le cadre du sens spécifique, et des fins limitées, de la
«clause «nonobstant»» de l’article 8772 du titre 22 du code des Etats-Unis326 ;
c) l’approche des Etats-Unis est erronée. Le bon critère, tel que défini en l’affaire des
Plates-formes pétrolières, porte sur le fait de savoir si la suppression, par les Etats-Unis,
d’immunités est susceptible d’«entre[r] ou non dans les prévisions de ce traité»327.
7.31. En ce qui concerne le quatrième «argument» avancé par les Etats-Unis à l’appui de leur
invocation d’un abus de droit, c’est-à-dire, le fait que «le différend actuel ne saurait être affublé des
oripeaux d’un différend transactionnel ne portant que sur des questions d’ordre technique ayant
trait à l’application du traité à une activité commerciale ou consulaire en cours»328, il a déjà été
traité ci-dessus329.
7.32. Concernant la fonction judiciaire de la Cour, l’Iran souligne que l’unique source faisant
autorité citée par les Etats-Unis est l’arrêt relatif au Cameroun septentrional330. Néanmoins, celuici
est de peu de secours en relation avec l’exception américaine car, dans cette affaire, ainsi que le
reconnaissent les Etats-Unis, «la question portait sur l’interprétation d’un traité qui n’était plus en
vigueur»331 :
«[t]out au long de la procédure, la République du Cameroun a soutenu qu’elle
demandait uniquement à la Cour de rendre un jugement déclaratoire énonçant que,
avant l’expiration de l’accord de tutelle en ce qui concerne le Cameroun septentrional,
le Royaume-Uni avait contrevenu aux dispositions de l’accord et que, si la requête
était recevable et si la Cour avait compétence pour en connaître au fond, non
seulement la Cour pourrait rendre un tel jugement déclaratoire, mais encore elle
devrait le faire»332.
7.33. Il est, en effet, difficile de comprendre pourquoi et comment l’introduction d’une
requête devant la Cour, conformément à la clause compromissoire d’un traité «d’amitié, de
commerce et de droits consulaires», en invoquant un certain nombre de dispositions substantielles
dudit traité, dont l’application est d’évidence au moins plausible, pourrait constituer un abus de
droits ou de procédure. Le fait de saisir la Cour en vertu d’une disposition en matière de
compétence en vigueur, et dans une affaire dans laquelle les demandes se rapportent à la violation
de traités, ne peut, et il s’agit là d’une question de principe, être considéré comme un abus de
procédure. Et juger de ces questions entre précisément dans les attributions de la Cour, à laquelle il
incombe «de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis».
325 Réponse de l’Iran du 12 avril 2017 à la demande de production de documents des Etats-Unis du 30 mars 2017,
p. 2.
326 Voir ci-dessus, par. 5.17 c).
327 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 803, p. 810, par. 18.
328 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 53, par. 6.17.
329 Voir ci-dessus, par. 7.6.
330 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 54, par. 6.22.
331 Ibid.
332 Affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt du
2 décembre 1963, C.I.J. Recueil 1963, p. 36.
89
- 67 -
CHAPITRE VIII
LA THÉORIE DES «MAINS PROPRES» EST SANS PERTINENCE S’AGISSANT
DES DEMANDES DE L’IRAN PRÉSENTÉES À LA COUR,
OU NE S’APPLIQUE PAS À CELLES-CI
8.1. Selon le résumé fait par les Etats-Unis eux-mêmes de l’exception à la recevabilité de la
requête de l’Iran qu’ils ont soulevée sur la base de la théorie des «mains sales»,
«le fait que l’Iran n’ait pas les mains propres devrait empêcher la Cour de poursuivre
la procédure en cette affaire. Les allégations de l’Iran à l’encontre des Etats-Unis
s’articulent autour de mesures américaines impliquant la responsabilité juridique et
politique de l’Iran en qualité d’Etat soutenant un terrorisme dirigé contre les Etats-
Unis, leurs ressortissants et d’autres, durant les quarante dernières années, ainsi que du
fait de ses violations répétées de ses obligations en matière de lutte contre le
terrorisme, de prolifération des armes et de trafic d’armes. L’Iran se présente devant la
Cour en ayant les mains sales, et la Cour devrait refuser d’exercer la compétence dont
elle peut disposer puisque les mesures américaines que conteste aujourd’hui l’Iran ont
été prises en réponse à la conduite même de ce pays.»333
8.2. L’intention de l’Iran n’est pas de se lancer dans un débat long et stérile concernant ces
allégations ; elles sont, en tout état de cause, dépourvues de pertinence pour la résolution de la
présente affaire. Il suffit de souligner qu’en portant ces accusations contre l’Iran, les Etats-Unis ont
adopté la tactique consistant à dénigrer la partie adverse tout en ignorant les arguments de celle-ci.
Ils ne peuvent néanmoins, en introduisant de telles allégations, détourner l’attention du différend
réel porté par l’Iran devant la Cour.
8.3. L’Iran a la certitude que la Cour ne laissera pas les Etats-Unis faire de la présente
procédure judiciaire l’occasion d’un exercice de propagande. L’Iran n’a pas l’intention de répondre
à ces allégations dépourvues de fondement, qu’il considère à la fois comme non pertinentes et
comme sortant du cadre de la compétence de la Cour, ainsi qu’il l’a expliqué dans les présentes
observations334. Aussi l’Iran a-t-il décidé de formuler quelques commentaires d’ordre général, dans
un appendice succinct au présent chapitre335.
8.4. Cet appendice replace brièvement les accusations américaines de terrorisme dans leur
contexte en montrant l’utilisation qui en est faite par les Etats-Unis pour atteindre leurs objectifs de
politique étrangère, ainsi que pour déstabiliser des Etats étrangers336. L’instrumentalisation
politique de la notion d’«Etat soutenant le terrorisme» est l’une des raisons qui a empêché, et
continue d’empêcher, les Etats de parvenir à un accord sur la définition du «terrorisme» en droit
international, et ce, en dépit des avancées limitées réalisées dans le domaine spécifique du droit
pénal international337.
8.5. Au cours des quatre dernières décennies, les Etats-Unis ont poursuivi une stratégie de
désinformation en accusant systématiquement l’Iran de plusieurs attentats terroristes. Alors même
333 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 4, par. 1.10.
334 Voir ci-dessus, chap. II, sect. 3.
335 Voir ci-dessous, appendice A, chap. VIII, les allégations des Etats-Unis sont dépourvues de fondement.
336 Voir ibid., par. A.2-A.4.
337 Ibid., par. A.5-A.9.
90
91
- 68 -
que Téhéran était frappée par de tels attentats, les Etats-Unis suggéraient que l’Iran en était
responsable et lui infligeaient de nouvelles sanctions à raison de son prétendu soutien au
terrorisme338.
8.6. L’Iran rejette catégoriquement, ainsi qu’il l’a toujours fait, l’ensemble de ces allégations.
Il rappelle qu’il a été victime de plusieurs attentats terroristes et que ses dirigeants ont clairement
condamné le terrorisme sous toutes ses formes339.
8.7. Si elles sont sans fondement, les accusations portées contre l’Iran par les Etats-Unis ne
sauraient, en tout état de cause, faire obstacle à la recevabilité de la requête de l’Iran.
8.8. Bien que la doctrine des «mains propres» ait parfois été invoquée devant des cours ou
tribunaux internationaux, l’Iran n’a pu, après des recherches approfondies, trouver un seul cas dans
lequel une demande entre Etats avait été rejetée sur cette base. La Cour a systématiquement rejeté
les exceptions d’irrecevabilité fondées sur cette doctrine340. Il est révélateur que, par exemple, la
Cour ne se soit pas appuyée sur les éléments extrêmement variés cités par le juge Schwebel dans
l’exposé de son opinion dissidente en l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis341 et qu’elle ne se soit pas
référée à la doctrine des mains propres dans son arrêt de 1984. Il convient en effet de noter que,
bien qu’il fasse, dans son opinion dissidente, la part belle à l’opinion individuelle du juge Hudson
en l’affaire des Prises d’eau à la Meuse, le juge Schwebel a choisi d’ignorer l’avertissement du
juge Hudson, selon lequel :
«Le principe général est de ceux qu’un tribunal international doit appliquer
avec beaucoup de prudence. On ne saurait certainement estimer que, pour qu’un Etat
pût se présenter devant un tribunal international afin d’obtenir l’interprétation d’un
traité, il faudrait que cet Etat eût préalablement prouvé qu’il a rempli toutes les
obligations assumées par lui en vertu de ce traité.»342
8.9. La doctrine a été longuement débattue dans le cadre de la procédure en l’affaire
Barcelona Traction343, mais il est clair que son rejet expéditif par M. Rolin, agent de la Belgique344,
a satisfait la Cour, au point qu’elle n’a pas cru bon d’en faire la moindre mention dans son arrêt345.
338 Voir ci-dessous, appendice A, par. A.10-A.14.
339 Voir ibid., par. A.15-A.20.
340 Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 134, par. 268 ; Projet Gabčíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 73, par. 133 ; Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République
démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 160-162, par. 35 (déclaration de Mme van den
Wyngaert) ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2003, p. 177-178, par. 28-30 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
occupé, opinion consultative, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 163, par. 63 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique
c. Etats- Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 38, par. 45-47 ; Délimitation maritime dans l’océan Indien
(Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2017, p. 45, par. 139-143.
341 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 393-394 (opinion dissidente du juge Schwebel).
342 Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique), arrêt, 28 juin 1937 C.P.J.I. (sér. A/B) n° A/B, n° 70, p. 77 (les
italiques sont de nous).
343 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête, 1962), CR 1964/2, vol. III,
p. 680-681 (Reuter).
92
- 69 -
8.10. En l’affaire de Certaines terres à phosphates, l’Australie soutenait que la requête de
Nauru faisait obstacle à sa mauvaise foi, mais la Cour a considéré :
«que la requête de Nauru a[vait] été présentée de manière appropriée dans le cadre des
voies de droit qui lui [avaient été] ouvertes. La Cour n’a pas à ce stade à apprécier les
conséquences éventuelles du comportement de Nauru sur le fond de l’affaire. Il lui
suffit de constater que ce comportement n’équivaut pas à un abus de procédure.
L’exception de l’Australie sur ce point doit aussi être rejetée.»346
8.11. En l’affaire Avena, la Cour a examiné «l’exception des Etats-Unis selon laquelle la
demande mexicaine est irrecevable en ce sens que le Mexique ne devrait pas être autorisé à
invoquer contre les Etats-Unis des normes qu’il ne suit pas dans sa propre pratique»347. Elle a
conclu ainsi :
«47. La Cour ajoutera qu’il est en tout état de cause essentiel de garder à l’esprit
la nature de la convention de Vienne. Celle-ci énonce certaines normes que tous les
Etats parties doivent observer aux fins du «déroulement sans entrave des relations
consulaires» qui, comme la Cour l’a fait observer en 1979, est important dans le droit
international contemporain «en ce [sens] qu’il favorise le développement des relations
amicales entre les nations et assure protection et assistance aux étrangers résidant sur
le territoire d’autres Etats» (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à
Téhéran, mesures conservatoires, ordonnance du 15 décembre 1979, C.I.J.
Recueil 1979, p. 20, par. 40). Par conséquent, même s’il était démontré que la pratique
du Mexique en ce qui concerne l’application de l’article 36 n’était pas exempte de
critique, les Etats-Unis ne pourraient s’en prévaloir comme exception à la recevabilité
de la demande mexicaine. La cinquième exception d’irrecevabilité des Etats-Unis ne
saurait donc être accueillie.»348
La situation en l’espèce est similaire : quelles qu’elles soient, les allégations formulées contre l’Iran
ne constitueraient pas un motif d’irrecevabilité de sa demande.
8.12. La Cour a, une nouvelle fois, adopté une solution similaire dans l’arrêt de 2003 qu’elle
a rendu en l’affaire des Plates-formes pétrolières. Les Etats-Unis n’avaient pas argué alors que les
questions relatives aux «mains propres» concernaient la recevabilité et qu’il convenait de se
pencher sur celles-ci avant tout examen sur le fond ; et ils n’avaient pas non plus demandé à la
Cour de rejeter la demande de l’Iran comme irrecevable ; ils faisaient plutôt valoir que «par [son]
comportement, l’Iran «s’[était] lui-même ôté tout droit à la réparation qu’il cherch[ait] à obtenir
devant la Cour», et qu’«il ne saurait se voir reconnaître aucun droit à réparation en l’espèce»»349.
La Cour a relevé
344 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête, 1962), CR 1964/1, vol. II,
p. 336-338 (Rolin).
345 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964,
p. 6.
346 Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 38.
347 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004,
p. 38, par. 45. Voir également LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J Recueil 2001, p. 488-489,
par. 61-63.
348 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J Recueil 2001, p. 484-485, par. 47.
349 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 177, par. 29.
93
- 70 -
«que, pour parvenir à cette conclusion, il lui faudrait examiner les actions de l’Iran et
des Etats-Unis dans le golfe Persique durant la période pertinente ce qu’elle doit
également faire pour statuer sur la demande iranienne et la demande reconventionnelle
des Etats-Unis».
Et de conclure :
«30. [c]’est pourquoi la Cour n’est pas tenue, à ce stade de son arrêt, de se
pencher sur la conclusion des Etats-Unis tendant à ce que la demande de l’Iran soit
rejetée et à ce que la réparation qu’il sollicite lui soit refusée en raison du
comportement attribué à l’Iran. La Cour va maintenant examiner les demandes
formulées par l’Iran et les moyens de défense invoqués par les Etats-Unis.»350
8.13. Cet examen de la jurisprudence interétatique est largement cohérent par rapport à la
position habituelle dans les affaires d’investissement, résumée par le tribunal arbitral constitué en
l’affaire Ioukos :
«1358. [l]e tribunal n’est pas convaincu qu’existe un «principe général du droit
reconnu par les nations civilisées», au sens de l’alinéa e) du paragraphe 1 de
l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice, qui interdirait à un
investisseur de porter une demande devant un tribunal arbitral en vertu d’un traité
d’investissement au motif qu’il aurait ce qu’il est convenu d’appeler «les mains sales».
1359. Les principes généraux du droit requièrent un certain degré de
reconnaissance et de consensus. Néanmoins, sur la base des affaires citées par les
parties, le tribunal considère qu’il existe une dose importante de controverse quant à
l’existence d’un principe des «mains sales» en droit international. ...
1362. Néanmoins, ainsi que le soulignent les demandeurs, en dépit d’un examen
de la jurisprudence qui semble avoir été approfondi, le défendeur n’a pas été à même
de citer une seule décision majoritaire dans laquelle une juridiction internationale ou
un tribunal arbitral a appliqué le principe des «mains sales» dans un différend
interétatique ou entre investisseur et Etat, et a conclu qu’en tant que principe de droit
international, il faisait obstacle à une demande.
1363. Le tribunal conclut donc que les «mains sales» n’existent pas en tant que
principe général du droit international qui ferait obstacle à une demande d’un
investisseur, tels que les demandeurs en l’espèce»351.
8.14. La jurisprudence du Tribunal des réclamations irano-américaines n’est pas plus
positive en ce qui concerne l’utilisation de la doctrine des «mains propres». Les Etats-Unis font
référence à la jurisprudence de cette juridiction pour montrer que «[l]’Iran lui-même a invoqué la
doctrine»352, mais omettent de mentionner que, dans chacune des trois affaires qu’ils invoquent, le
tribunal a refusé d’appliquer ladite doctrine :
en l’affaire Aryeh, le tribunal a dit que les allégations du défendeur «selon lesquelles la
demande devrait être rejetée sur la base des théories des mains propres, de l’estoppel, de
350 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 177-178, par. 29-30.
351 Sentence définitive, 10 juillet 2014, Yukos Universal Limited c. la Fédération de Russie, affaire C.P.A.
n° AA 227, p. 431-432, par. 1358-1363.
352 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 58, par. 6.32.
94
- 71 -
l’inexactitude de déclarations, de la bonne foi ou de la responsabilité de l’Etat» ne reposaient
sur aucun fondement353 ;
en l’affaire Karubian, le tribunal a rejeté «l’allégation du demandeur selon laquelle une fin de
non-recevoir devrait être opposée à l’argumentation du défendeur selon laquelle il avait acheté
illégalement un bien immobilier en Iran en qualité de titulaire d’une double nationalité»354 ; et
en l’affaire Mohtadi, il a conclu que «la question de la jouissance, par le demandeur, de droits
réels immobiliers d’une manière incompatible avec le droit iranien ne donnerait pas lieu à
décision. Le tribunal estime donc inutile d’examiner cette question»355.
Il convient en outre de noter que, dans chacune de ces trois affaires, la conduite en cause était celle
du demandeur, qui était une personne physique. Si le tribunal avait accepté l’argument basé sur la
doctrine des «mains propres», sa décision aurait simplement confirmé que celle-ci pouvait être
utilisée en relation avec une protection diplomatique ou une situation similaire, mais en aucune
manière pour faire obstacle à une requête introduite par un Etat.
8.15. Il y a de cela plus d’un demi-siècle, M. Jean Salmon a, dans un article qui a fait date,
exprimé l’idée qu’une doctrine autonome des «mains propres» était «inutile» (en français dans le
texte) et n’était pas fondée356. M. Charles Rousseau a, de même, fait remarquer qu’«il n’[était] pas
possible de considérer la théorie des mains propres comme une institution du droit coutumier
général»357. Ce point de vue a été cité par le rapporteur spécial de la Commission du droit
international sur la responsabilité des Etats, M. James Crawford, qui le reprenait à son compte et
reconnaissait que «la conclusion à laquelle était parvenue Charles Rousseau sembl[ait] toujours
d’actualité»358 ; pour sa part, le rapporteur spécial sur la protection diplomatique, M. John Dugard,
maintenait que «la théorie des mains propres n’occup[ait] pas une place particulière dans les
demandes de protection diplomatique»359, et cette position a été reprise par la commission360.
8.16. Ainsi que l’a clairement expliqué le tribunal en l’affaire Guyana c. Suriname :
«[a]ucune définition généralement acceptée de la doctrine des mains propres n’a été
élaborée en droit international. Les commentaires du projet d’articles de la
Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat reconnaissent que la
353 Moussa Aryeh v. The Islamic Republic of Iran, sentence n° 583-266-3, 25 septembre 1997, 33 Iran-U.S.
C.T.R. 368, p. 387, par. 62 (exceptions préliminaires des Etats-Unis, annexe 187).
354 Rouhollah Karubian v. The Government of the Islamic Republic of Iran, sentence n° 569-419-2, 6 mars 1996,
32 Iran-U.S. C.T.R. 3, p. 38, par. 153 (exceptions préliminaires des Etats-Unis, annexe 189).
355 Jahangir Mohtadi and Jila Mohtadi v. The Government of the Islamic Republic of Iran, sentence
n° 573-271-3,2 décembre 1996, 32 Iran-U.S. C.T.R. 124, p. 155, par. 92 (exceptions préliminaires des Etats-Unis,
annexe 188).
356 J. Salmon, «Des mains propres comme conditions de recevabilité des réclamations internationales», Annuaire
français du droit international, Vol. 10, 1964, p. 265.
357 Traduction dans A/CN.4/498/Add.2, Deuxième rapport sur la responsabilité des Etats, par M. James Crawford,
rapporteur spécial, cinquante et unième session de la CDI, 3 mai-23 juillet 1999, par. 331, note no 654 ; original en
français : C. Rousseau, Droit international public, Tome V. Les rapports conflictuels, 5e éd. (Paris, Sirey, 1983), par. 170.
358 Ibid., par. 334.
359 A/CN.4/546, Sixième rapport sur la protection diplomatique, par M. John Dugard, Rapporteur spécial,
cinquante-septième session de la CDI, 2 mai-3 juin et 4 juillet-5 août 2005, par. 9.
360 Voir Rapport de la CDI, cinquante-troisième session, 2001, Documents officiels de l’Assemblée générale des
Nations Unies, cinquante-sixième session, Supplément n° 10, A/56/10, p. 173.
95
96
- 72 -
doctrine n’a été appliquée que rarement361 et que, lorsqu’elle a été invoquée, son
expression a revêtu des formes diverses. La Cour internationale de justice a, en
maintes occasions, refusé d’examiner l’application de la doctrine362, et ne l’a jamais
utilisée pour déclarer irrecevable une demande ou un recours. ... [L]’emploi de la
doctrine des mains propres a été parcimonieux, et son application dans les cas où elle a
été invoquée a été contradictoire»363.
8.17. En tout état de cause, point s’engager dans une discussion futile sur les faits :
l’utilisation procédurale qu’entendent faire les Etats-Unis de la doctrine des mains propres pour
convaincre la Cour de rejeter la requête in limine litis n’est besoin de ne saurait prévaloir.
8.18. La doctrine des mains propres n’a rien à voir avec la recevabilité d’une demande. Et
lorsque, ainsi que tel est le cas en l’espèce, un préjudice «immédiat» a été causé à un Etat par le fait
internationalement illicite d’un autre Etat, il ne saurait être question qu’une cour ou un tribunal
international soit empêché d’examiner la demande du premier au prétexte que l’Etat demandeur
lui-même aurait commis une violation du droit international au détriment du second. Accepter une
telle théorie reviendrait à légitimer le droit de chacun de faire sa propre loi, ce que la possibilité
d’un règlement judiciaire est spécifiquement destinée à éviter, et ne manquerait pas de déboucher
sur le démantèlement progressif de l’ordre international. Comme l’écrivait M. Jean Salmon à la fin
de son étude approfondie de la jurisprudence internationale dans ce domaine, à laquelle il a été fait
référence plus haut364 : dans ces cas, «les arbitres n’ont jamais déclaré la demande irrecevable.
Accueillir l’irrecevabilité dans cette hypothèse aurait eu pour conséquence de reconnaître la légalité
des représailles»365.
8.19. En outre, dans la mesure où la doctrine des «mains sales» peut exister en droit
international, elle ne s’applique que lorsque le demandeur accomplit «un acte qui est précisément
semblable, en droit et en fait», à celui dont il se plaint comme d’une violation imputable au
défendeur366. La conduite du demandeur doit concerner l’obligation réciproque même sur laquelle
il fonde sa demande. En l’arrêt Guyana c. Suriname, le tribunal a rejeté l’argument des «mains
sales» avancé par le Suriname (aussi bien en relation avec la recevabilité que sur le fond), entre
autres, au motif que, «dans sa troisième demande, le Guyana all[éguait] que le Suriname a[vait]
violé son obligation de ne pas user de la force ou de la menace de recourir à la force, alors même
que le Suriname fond[ait] son argument des mains propres sur la violation alléguée, par le Guyana,
d’une obligation différente en liaison avec l’autorisation par le Guyana d’activités de forage dans
361 Tribunal de l’annexe VII, sentence, 17 septembre 2007, Guyana c. Suriname, affaire C.P.A. n° 2004-04,
p. 135, note no 476 : «James Crawford, Articles de la Commission du Droit International sur la responsabilité de l’Etat :
Introduction, textes et commentaires, p. 162 (2002)».
362 Tribunal de l’annexe VII, sentence, 17 septembre 2007, Guyana c. Suriname, affaire C.P.A. n° 2004-04,
p. 135, note no 477 : «Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, opinion
consultative, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136, par. 63 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-
Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 161, par. 100 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro
c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 279 : dans cette affaire, la Belgique soulevait la
question des mains propres dans ses exceptions préliminaires (exceptions préliminaires du Royaume de Belgique, Licéité
de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), (5 juillet 2000), disponible à l’adresse suivante :
http://www.icj-cij.org/docket/files/105/8340.pdf), mais la Cour n’a pas traité de cet argument dans son arrêt».
363 Ibid., p. 135-136, par. 418.
364 Voir ci-dessus, par. 8.15.
365 «Des mains propres comme condition de recevabilité», A.F.D.I., 1964, p. 259.
366 Voir tribunal de l’annexe VII, sentence, 17 septembre 2007, Guyana c. Suriname, affaire C.P.A. n° 2004-04,
p. 137-138, par. 420-421 citant Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique), opinion individuelle de M. Hudson,
p. 78, par. 325.
97
- 73 -
des eaux disputées. Aussi n’est-il nullement question que le Guyana lui-même [ait contrevenu] à
une obligation réciproque sur laquelle il entend s’appuyer»367.
8.20. L’exception des Etats-Unis ne remplit pas cette condition. En effet, les Etats-Unis n’ont
même pas soutenu que les accusations sur la base desquelles ils allèguent que l’Iran aurait les
mains sales constituent des violations en cours des obligations de l’Iran en vertu du traité d’amitié.
Il n’est pas allégué que l’Iran a violé une obligation réciproque qu’ils entendent invoquer. Au lieu
de cela, les Etats-Unis affirment qu’«[o]utre son soutien au terrorisme, l’Iran contrevient depuis des
années, par sa conduite, aux obligations qui lui incombent en vertu du TNP et des restrictions en
résultant imposées conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies»368.
*
* *
8.21. Quelle que soit l’utilisation (très limitée) de la doctrine des «mains propres» dans la
jurisprudence investisseur-Etat, elle ne s’applique pas, en tout état de cause, aux affaires entre Etats
dans lesquelles une partie ne pourrait en aucun cas exciper d’un fait internationalement illicite de
l’autre pour chercher à empêcher une cour ou un tribunal international de rendre une décision. A
fortiori, il ne saurait être envisagé qu’une demande fondée sur la doctrine des mains propres fasse
obstacle à la recevabilité d’une requête introductive d’instance devant la Cour, ce qui aurait pour
effet d’encourager le recours aux contre-mesures. En outre, le fait que l’Iran aurait pu contrevenir à
certaines de ses obligations en vertu du traité (quod non) ne peut lui interdire de faire usage de son
droit procédural : la détermination des responsabilités des Etats-Unis à raison des violations du
traité d’amitié de 1955 constitue l’objet même du recours à la Cour sur la base de l’article XXI du
traité.
367 Voir tribunal de l’annexe VII, sentence, 17 septembre 2007, Guyana c. Suriname, affaire C.P.A. n° 2004-04,
p. 138, par. 421. Voir également l’opinion dissidente du juge Schwebel en l’affaire Nicaragua, dans laquelle il s’appuie
sur l’opinion du juge Hudson pour conclure que le Nicaragua «s’était lui-même privé du nécessaire locus standi» requis
pour faire valoir ses demandes, puisqu’il était coupable d’une conduite illicite cause de «morts et de destructions
généralisées» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, opinion dissidente du juge Schwebel, respectivement p. 394, par. 272, et
p. 392, par. 268), ou la décision du tribunal CIRDI sur la compétence en l’affaire Niko Resources (Bangladesh) Ltd
v. People’s Republic of Bangladesh et al, rejetant la défense fondée sur les «mains sales», au motif qu’entre autres, «il
n’existe pas de rapport de réciprocité entre la réparation que cherche maintenant à obtenir le demandeur dans cet arbitrage
et des actes passés dont les défendeurs prétendent qu’ils supposent des mains sales» (décision sur la compétence, 19 août
2013, affaires CIRDI n° ARB/10/11 et n° ARB/10/18, par. 483).
368 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 24, par. 3.31.
98
- 74 -
APPENDICE A
LES ALLÉGATIONS DES ETATS-UNIS NE SONT PAS FONDÉES
A.1. Ainsi qu’expliqué plus haut369, l’Iran se refuse de faire le jeu des Etats-Unis qui ne
cherchent qu’à ternir son image et détourner l’attention du véritable différend en cause en l’espèce
dont l’Iran a saisi la Cour. Seules quelques observations d’ordre général seront formulées dans cet
appendice.
A. Les accusations de terrorisme en tant qu’éléments
de la politique étrangère des Etats-Unis
A.2. Les allégations des Etats-Unis sont le fruit d’une politique hostile adoptée peu après le
renversement du régime du Chah, en 1979. Ce régime avait été porté au pouvoir par un coup d’Etat
organisé et soutenu par les Etats-Unis contre le gouvernement national iranien en 1953370 ; il était
l’un des plus proches alliés des Etats-Unis dans la région. Cette nouvelle politique des Etats-Unis
les a conduits à tout mettre en oeuvre pour contraindre et intimider le nouveau gouvernement
iranien par tous moyens, directs ou indirects.
A.3. C’est dans le cadre de cette politique que les Etats-Unis ont, en janvier 1984, placé
l’Iran sur la liste du département d’Etat des Etats «soutenant le terrorisme», à un moment où le
nouveau pouvoir iranien défendait le pays contre de multiples attentats et assassinats perpétrés par
des groupes terroristes soutenus par les Etats-Unis, ainsi que contre l’agression dirigée par Saddam
Hussein avec un appui américain considérable dans les domaines diplomatique, financier, du
renseignement et de l’entraînement.
A.4. L’accusation portée par les Etats-Unis contre d’autres pays concernant le «soutien au
terrorisme» est destinée à promouvoir les objectifs des Etats-Unis en matière de politique étrangère.
Les Etats-Unis se servent du mot «terrorisme» comme d’une étiquette commode leur permettant de
s’en prendre à leurs adversaires. L’accusation est, en effet, une allégation nébuleuse destinée à
servir leurs propres intérêts. Tel est en particulier le cas en l’absence de définition convenue en
droit international de la notion de terrorisme en tant que telle.
B. L’absence de définition du terme «terrorisme»
A.5. Les autorités fédérales des Etats-Unis sont convenues, dans leur rapport de 1997 intitulé
Patterns of Global Terrorism [formes récurrentes du terrorisme international], qu’«[a]ucune
définition unique du terrorisme n’était universellement admise»371. Cette situation n’a pas changé
en dépit de la volonté croissante des Etats de mettre en commun leurs efforts pour parvenir à une
interprétation commune d’infractions graves condamnées par tous les Etats et élaborer un corpus
détaillé de droit pénal international, avec l’appui d’institutions internationales, culminant avec
l’adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (ci-après, la «CPI»). Ces
développements n’ont toujours pas produit de définition généralement acceptée du terrorisme et
369 Voir ci-dessus, par. 8.2.
370 Voir les documents récemment déclassifiés par l’agence centrale de renseignement des Etats-Unis (Central
Intelligence Agency, CIA) aux mois d’août 2013 (archives de la sécurité nationale (National Security Archive), «CIA
Confirms Role in 1953 Iran Coup» [La CIA confirme avoir pris part au coup d’Etat de 1953 en Iran], 19 août 2013
(annexe 34)) et de juin 2017 (archives de la sécurité nationale, «Iran 1953: State Department Finally Releases Updated
Official History of Mosaddeq Coup» [Iran 1953 : le département d’Etat rend finalement publique l’histoire officielle mise
à jour du coup d’Etat contre Mossadegh], 15 juin 2017 (annexe 54)).
371 Département d’Etat des Etats-Unis, Patterns of Global Terrorism [Schémas du terrorisme international], 1997,
Publication du département d’Etat n° 10535, Introduction, p. 3 (annexe 56).
99
100
- 75 -
n’ont pas non plus permis de parvenir à un accord sur l’inscription du «terrorisme» parmi les
infractions relevant de la compétence de la CPI.
A.6. L’une des principales raisons de l’absence de consensus entre les Etats est l’exclusion
du périmètre de la définition du terrorisme des guerres de libération nationale ou des luttes pour
l’autodétermination. Ces divergences ont empêché l’adoption du projet de convention générale sur
le terrorisme international. Seules des conventions sectorielles ont été adoptées, et elles définissent
des actes de terrorisme très particuliers. L’unique convention plus large qui a été adoptée, la
convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, ne définit toujours pas
le terrorisme mais donne sa propre définition des actes terroristes, en partie par un renvoi à de
précédentes conventions. La Cour a eu très récemment l’occasion de rappeler que, du point de vue
du droit international, le «soutien au terrorisme» ne saurait se réduire à une incantation politique,
mais devrait impliquer une définition, remplir des conditions déterminées et reposer sur des
preuves factuelles :
«75. En l’espèce, les actes auxquels l’Ukraine se réfère (voir le paragraphe 66
ci-dessus) ont fait un grand nombre de morts et de blessés dans la population civile.
Cela étant, afin de déterminer si les droits dont l’Ukraine recherche la protection sont
au moins plausibles, il est nécessaire de rechercher s’il existe des raisons suffisantes
pour considérer que les autres éléments figurant au paragraphe 1 de l’article 2, tels que
les éléments de l’intention ou de la connaissance qui ont été mentionnés ci-dessus
(voir le paragraphe 74), et celui relatif au but auquel il est fait référence à l’alinéa b)
dudit paragraphe, sont réunis. A ce stade de la procédure, l’Ukraine n’a pas soumis à
la Cour de preuves offrant une base suffisante pour que la réunion de ces éléments
puisse être jugée plausible.»372
A.7. Le droit international coutumier ne donne pas non plus de définition du terrorisme, ni
même d’un acte de terrorisme. En 2003, une cour d’appel fédérale a déclaré «que le droit
international coutumier ne prévo[yait] pas, à cette date, de poursuites contre les auteurs d’actes
«terroristes» en vertu du principe d’universalité, en partie en raison de l’incapacité des Etats à
parvenir à un quelconque consensus sur la définition du terrorisme.»373
A.8. Au-delà des difficultés que présente une définition générale du terrorisme, la notion de
«terrorisme d’Etat» a également donné lieu à une vive polémique. Le «terrorisme» n’a, par
exemple, pas été inclus à titre d’infraction d’Etat dans la liste contenue dans le paragraphe 3 de
l’article 19 du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat tel qu’adopté en première
lecture en 1996374. Il convient également de noter que le terme «terrorisme» a été retiré du projet de
code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de la CDI (1996)375. Le projet de statut
d’une cour pénale internationale élaboré en 1994 par la CDI incluait divers «crimes définis par les
traités existants» se rapportant à des infractions terroristes spécifiques (par exemple, les crimes
contre les aéronefs civils, les navires et les personnes protégées par le droit international), mais ne
comportait nulle reconnaissance d’un crime de «terrorisme» reconnu par le droit international
372 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de
Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 26, par. 75.
373 United States of America v. Yousef et al., cour d’appel fédérale, deuxième circuit, 4 avril 2003, 327 F.3d 56,
p. 39 (annexe 7).
374 Nations Unies, doc. A/51/10 (1996). Voir Skubiszewski, K., «The Definition of Terrorism» [La définition du
terrorisme], 19 Israel Yearbook on Human Rights (1989), p. 47.
375 Nations Unies, doc. A/CN.4/L.532 du 8 juillet 1996.
101
- 76 -
coutumier en tant que tel376. De même, en dépit de plusieurs propositions en ce sens, jamais un tel
crime n’a été inscrit dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ; au contraire, les
dispositions du traité (article 5) relatives au «terrorisme» en ont été retirées, avec le soutien des
Etats-Unis. Au cours de la récente conférence d’examen de Kampala, en 2010, les Pays-Bas ont
suggéré d’ajouter le crime de terrorisme dans l’article 5 mais leur proposition n’a pas recueilli le
soutien de la majorité des participants. Il est intéressant de remarquer que, dans leur proposition, les
Pays-Bas reconnaissaient «l’absence d’une définition du terrorisme acceptable par tous»377.
A.9. Enfin, il convient de souligner que les résolutions du Conseil de sécurité ne tentent pas
de définir le terrorisme en général : elles affirment plutôt l’existence d’un intérêt international à
voir éliminés les «actes de terrorisme international sous toutes ses formes, qui mettent en danger ou
détruisent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les relations internationales et
compromettent la sécurité des Etats»378. Ces résolutions ne sont pas basées sur une quelconque
définition juridique du terrorisme, mais relèvent de la discrétion et de la liberté d’appréciation
reconnues au Conseil de sécurité en vertu de la Charte. Deux arguments suffisent à cet égard.
a) Premièrement, ainsi qu’indiqué précédemment, aucune résolution du Conseil de sécurité de ce
type n’a été adoptée au sujet de l’Iran ; pas une seule résolution, en plus de 35 ans, depuis que
les nouvelles autorités iraniennes ont remplacé le régime du Chah.
b) Deuxièmement, ni les résolutions du Conseil de sécurité elles-mêmes ni aucune autre norme
internationale n’apportent le moindre soutien à l’idée qu’un Etat aurait le droit de décider que
des actes, où qu’ils soient commis dans le monde, constituent des «actes terroristes» et de se
servir de cette décision prise unilatéralement pour justifier un comportement qui serait
autrement illicite. En bref, les résolutions n’offrent aucune base permettant aux Etats-Unis de se
faire justice au niveau international en toute impunité.
C. Les accusations erronées des Etats-Unis contre l’Iran
en tant qu’Etat soutenant le terrorisme
A.10. Au cours des quatre dernières décennies, les Etats-Unis ont usé de tous les moyens
dont ils disposaient pour affaiblir et diffamer l’Iran, en le dépeignant à tort sous les traits d’un «Etat
soutenant le terrorisme» et en se livrant à d’autres actes de déstabilisation. De nombreuses années
durant, les fonctionnaires et agents publics des Etats-Unis ont mené, par leur discours politique,
une campagne concertée de désinformation visant à faire du nom «Iran» un synonyme de
terrorisme, en dépeignant les responsables iraniens comme des soutiens du terrorisme. La
désinformation est devenue à ce point partie intégrante de leur discours que, quel que soit l’endroit
où étaient commis des actes de terrorisme, en ce qui concernait les Etats-Unis, l’Iran était présenté
comme responsable. En 1996, le secrétaire à la défense des Etats-Unis a ainsi accusé l’Iran d’avoir
pris part à l’attentat à la bombe commis contre les tours de Khobar379 : par la suite, néanmoins, les
autorités saoudiennes ont, à l’issue de leur enquête, conclu qu’«aucun étranger n’avait joué le
moindre rôle dans cette explosion», et que l’attentat «était le fait de Saoudiens»380.
376 Annuaire de la Commission du droit international, 1994, vol. II, 2e partie, p. 26-69.
377 Assemblée des Etats Parties, huitième session, rapport du bureau sur la conférence de révision – addendum,
10 novembre 2009, ICC-ASP/8/43/Add.1, annexe IV, p. 13.
378 Résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies n° 1044, du 31 janvier 1996,
préambule, par. 1.
379 S. Robinson, «Gingrich in call to arms against Iran terror bases» [Gingrich appelle aux armes contre les bases
terroristes iraniennes], The Daily Telegraph, 5 août 1996 (annexe 22).
380 «Riyadh accepts for first time that bombers of US base were Saudi» [Riyad reconnaît pour la première fois
que les auteurs de l’attentat contre une base américaine étaient saoudiens], Agence France Presse, 21 mai 1998
(annexe 25).
102
103
- 77 -
A.11. Après les abominables attentats terroristes commis à Téhéran le 7 juin 2017, le
président des Etats-Unis, Donald Trump, est allé jusqu’à laisser entendre que l’Iran l’aurait
mérité381. Le jour même où Téhéran était frappée par ces attentats meurtriers, le Sénat américain a
adopté de nouvelles sanctions contre l’Iran en raison du soutien censément apporté au terrorisme
par le pays382.
A.12. L’Iran rejette catégoriquement les accusations de soutien au terrorisme portées à son
encontre par les Etats-Unis. Il estime que le fait de le qualifier de soutien au terrorisme est infondé
et internationalement illicite. L’étiquette d’«Etats soutenant le terrorisme» est accollée à certains
pays de manière unilatérale et totalement opaque. Les Etats-Unis appliquent deux poids et deux
mesures, au gré de leurs intérêts politiques et financiers, même en présence de preuves indiquant
clairement l’existence d’un «soutien financier et logistique clandestin» de leurs alliés383. Il est
intéressant de remarquer que Cuba a récemment été retiré de la liste des «Etats soutenant le
terrorisme» après avoir renoué des relations diplomatiques avec les Etats-Unis. Tel a également été
le cas de l’Irak lorsque les Etats-Unis ont établi des relations diplomatiques avec le régime de
Saddam Hussein, en 1984. La récente crise entre les Etats arabes du golfe Persique est également
intéressante à cet égard. Deux semaines après la visite en Arabie Saoudite du président américain,
les Saoudiens et d’autres pays de la région ont accusé le Qatar de soutenir le terrorisme, accusation
ensuite reprise par le président des Etats-Unis qui a déclaré que «[l]a nation qatarienne finan[çait]
malheureusement de longue date le terrorisme à un très haut niveau»384. Ce qui n’a pas empêché les
Etats-Unis de vendre des armes, et notamment des chasseurs à réaction, au Qatar quelques jours
plus tard, alors que la diplomatie américaine revenait sur ces accusations385.
A.13. Les Etats-Unis n’ont produit aucun élément de preuve établissant, conformément aux
normes ou procédures internationalement reconnues, la responsabilité de l’Iran dans les actes
auxquels il est fait référence dans leurs exceptions préliminaires, et notamment les actes allégués
attribués à des groupes militants tels que le Hezbollah ou le Hamas. En outre, contrairement à ce
que prétendent les Etats-Unis, ces organisations ne sont nullement des supplétifs de l’Iran ou
d’autres Etats susceptibles de les soutenir. Il s’agit simplement de groupes d’insurgés qui défendent
leur pays contre une invasion et une occupation étrangère. Le Hezbollah est au Liban un parti
politique extrêmement populaire et indépendant, dont un certain nombre de membres siègent au
sein du cabinet et au parlement. Le Hamas aussi est un parti politique en Palestine occupée, élu par
la population de Gaza pour diriger le gouvernement.
381 Voir, par exemple, J. Cook, «Trump Suggests Iran Brought Deadly Terrorist Attacks Upon Itself» [Trump
suggère que l’Iran mérite les attentats terroristes qui le frappent], www.huffingtonpost.com, 7 juin 2017 (annexe 46) ; ou
I. Tharoor, «Terror in Iran reveals the hypocrisy of Trump and his allies» [Les attentats terroristes en Iran révèlent
l’hypocrisie de Trump et de ses alliés], The Washington Post, 8 juin 2017 (annexe 48).
382 Voir Z. Jilani, R. Grim, «Bucking Bernie Sanders, Democrats Move Forward on Iran Sanctions After Terror
Attack in Tehran» [Infligeant un camouflet à Bernie Sanders, les démocrates se prononcent en faveur des sanctions contre
l’Iran après les attentats terroristes de Téhéran], The Intercept, 7 juin 2017 (annexe 47) ; ou R. Shabad, «Senate passes
measure to expand sanctions on Iran and Russia» [Le Sénat adopte une mesure destinée à renforcer les sanctions contre
l’Iran et la Russie], www.cbsnews.com, 15 juin 2017 (annexe 55).
383 F. Zakaria, «How Saudi Arabia Played Donald Trump» [Comment l’Arabie saoudite a floué Donald Trump],
The Washington Post, 25 mai 2017 (annexe 45).
384 Voir, par exemple, N. Gaouette, D. Merica & R. Browne, «Trump: Qatar must stop funding terrorism»
[Trump : le Qatar doit cesser de financer le terrorisme], CNN, 10 juin 2017 (annexe 51) ; ou D. Smith & S. Siddiqui,
«Gulf crisis: Trump escalates row by accusing Qatar of sponsoring terror» [Crise du Golfe : Trump aggrave le conflit en
accusant le Qatar d’encourager le terrorisme], The Guardian, 9 juin 2017 (annexe 49).
385 Voir, par exemple, P. Beaumont, «US signs deal to supply F-15 jets to Qatar after Trump terror claims» [Les
Etats-Unis négocient la fourniture au Qatar de F-15 après les accusations de terrorisme de Trump], The Guardian, 15 juin
2017 (annexe 52) ; R. Browne, «Amid diplomatic crisis Pentagon agrees $12 billion jet deal with Qatar» [En pleine crise
diplomatique, le Pentagone donne son accord à une vente d’avions de 12 milliards $ au Qatar], CNN, 15 juin 2017
(annexe 53).
104
- 78 -
A.14. A suivre l’approche du Gouvernement des Etats-Unis consistant à qualifier ces
groupes de «terroristes», cet Etat lui-même peut être considéré comme «soutenant le terrorisme»,
puisqu’il a été impliqué dans la création de groupes d’insurgés ou a soutenu ceux-ci (par exemple,
dans les années 1980, lorsqu’il est venu en aide aux groupes qui combattaient l’occupation de
l’Afghanistan par l’Union soviétique)386. Il a été reconnu que les Etats-Unis avaient apporté un
soutien à la fondation d’organisations terroristes telles qu’Al-Qaida et l’Etat islamique d’Iraq et du
Levant (Daech). Voici ce que déclarait devant le Congrès Mme Hillary Clinton, alors secrétaire
d’Etat des Etats-Unis : «[c]eux que nous combattons aujourd’hui, nous les avons créés il y a
20 ans»387. L’actuel président des Etats-Unis a souligné à maintes reprises au cours de sa campagne
présidentielle qu’«Obama et Hillary Clinton [avaient] créé Daech»388.
D. L’Iran en tant que victime d’activités terroristes et d’autres actes hostiles
A.15. L’Iran a toujours condamné le terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses
manifestations, et il l’a fait au plus haut niveau389. En effet, après la révolution, il a lui-même été
victime d’activités terroristes conduites par des groupes soutenus principalement par les Etats-Unis.
A titre d’exemple, plus de 17 000 civils et agents publics iraniens ont été tués par l’organisation des
moudjahidines du peuple iranien («OMPI») et le conseil national de la résistance iranienne
(«CNRI») lors d’attentats à la bombe et d’assassinats. Des membres et soutiens de l’OMPI et du
CNRI ont été très actifs aux Etats-Unis et avaient accès aux représentants des autorités fédérales
américaines. Des représentants de ces groupes n’ont cessé de contacter des membres du sénat et de
la chambre des représentants du Congrès et ont rencontré des hauts responsables fédéraux
américains390.
A.16. En 1998, les talibans ont tué dix diplomates iraniens en Afghanistan lors du siège du
consulat iranien de Mazâr-e Charîf. Entre 2010 et 2012, cinq scientifiques iraniens spécialistes du
nucléaire ont été assassinés par des groupes terroristes. Ces dernières années, des groupes
terroristes ont tué de nombreux civils et personnels de sécurité dans une seule province iranienne
386 Voir S. Galster, «The September 11th Sourcebooks Vol. II: Afghanistan: Lessons from the Last War
Afghanistan: The Making of U.S. Policy, 1973-1990» [Recueils de documents-sources du 11 septembre : vol. II :
l’Afghanistan : les enseignements de la dernière guerre l’Afghanistan : l’élaboration de la politique des Etats-Unis,
1973-1990»], The National Security Archive, 9 octobre 2001 (annexe 26).
387 Voir «Hillary Clinton speaks out about US links with Taliban» [Hillary Clinton s’exprime au sujet des liens
qu’entretiennent les Etats-Unis avec les talibans], SouthAsiaNews, disponible à l’adresse suivante :
www.youtube.com/watch?v=X2CE0fyz4ys (consultation la plus récente : le 16 août 2017).
388 Voir R. LoBianco & E. Landers, «Trump: Clinton, Obama «created ISIS»» [Trump : Clinton et Obama ont
«créé Daech»], CNN, 3 janvier 2016 (annexe 38) ; ou K. Ng, «Donald Trump says Barack Obama and Hillary Clinton
«created ISIS»» [Donald Trump dit que Barack Obama et Hillary Clinton ont «créé Daech»], The Independent, 3 janvier
2016 (annexe 39).
389 Voir G. A. Nader, «Interview with President Ali Akbar Hashemi Rafsanjani» [Entretien avec le président
Ali Akbar Hachemi Rafsandjani], Middle East Insight, juillet-août 1995, vol. XI, n° 5, p. 10 (annexe 19) ; «Transcript of
interview with Mohammad Khatami, Former President of the Islamic Republic of Iran» [Transcription de l’entretien avec
Mohammad Khatami, ancien président de la République islamique d’Iran], CNN, 7 janvier 1998, p. 8 (annexe 23). Voir
également déclaration de S. Exc. M. Kamal Kharrazi, ministre des affaires étrangères de la République islamique d’Iran,
devant la cinquante-deuxième session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, New York,
22 septembre 1997 (annexe 8) ; Déclaration de S. Exc. M. Seyed Mohammad Khatami, ancien président de la République
islamique d’Iran, 21 septembre 1998 (annexe 9) ; Déclaration de S. Exc. M. Hassan Rohani, président de la République
islamique d’Iran, devant la soixante-huitième session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, New
York, 24 septembre 2013, p. 3 (annexe 10).
390 Voir, par exemple, Mojahed, MKO Bulletin, n° 295, février-mars 1993 (annexe 15) ; Mojahed, MKO Bulletin,
n° 294, décembre 1992 (annexe 14) ; Mojahed, MKO Bulletin, n° 298, mai 1993 (annexe 18) ; Mojahed, MKO Bulletin,
numéro exclusif, automne 1991 (annexe 12) ; Mojahed, MKO Bulletin, n° 297, avril 1993 (annexe 17) ; voir également
S. M. Hersh, «Our Men in Iran» [Notre agent en Iran], The New Yorker, 5 avril 2012 (annexe 32) ; Daniel Chaitin, «Sen.
John McCain meets with Iranian dissidents relocated to Albania» [Le sénateur John McCain rencontre des dissidents
iraniens installés en Albanie], Washington Examiner, 15 avril 2017 (annexe 44).
105
- 79 -
(Sistan-et-Baloutchistan). Plus récemment, l’attentat terroriste qui a frappé Téhéran (revendiqué par
Daech) le 7 juin 2017 a coûté la vie à 18 civils et en a blessé 45 autres.
A.17. Les Etats-Unis accusent également l’Iran de «contrev[enir] depuis des années, par sa
conduite, aux obligations qui lui incombent en vertu du TNP et des restrictions en résultant
imposées conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies»391. La manière
dont les Etats-Unis présentent cette question est fallacieuse et ignore de nombreux autres facteurs
relatifs au programme nucléaire pacifique de l’Iran qui ne peuvent être débattus ici. En effet, toutes
les installations et matières nucléaires de l’Iran ont fait l’objet d’inspections constantes et
rigoureuses de l’AIEA. Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a jamais déclaré que l’Iran violait le
traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), et l’AIEA n’a jamais affirmé que des
matières nucléaires de l’Iran avaient été utilisées à des fins autres que pacifiques.
A.18. En résumé, la principale raison sous-tendant le différend (dont la Cour n’est pas saisie)
réside dans la politique menée par les Etats-Unis après 1979 concernant le programme pacifique de
l’Iran et tendant à réduire les livraisons, par les membres de l’AIEA, de combustible à uranium
enrichi et d’autres matériaux destinés aux réacteurs de recherche iraniens et à priver l’Iran de ses
droits inaliénables en vertu du TNP et des accords de l’AIEA392. Le différend a été réglé par le plan
d’action global commun, qui a notamment réaffirmé les droits de l’Iran en vertu desdits accords,
sans toutefois pouvoir empêcher les autorités fédérales et le Congrès américain de poursuivre leur
politique de sanctions contre l’Iran ou les sociétés et ressortissants iraniens. Il est regrettable que
ces questions aient, à tort, été présentées à la Cour à des fins préjudicielles.
A.19. De même, les autres accusations portées contre l’Iran par les Etats-Unis sont soit le
fruit d’une approche hostile des Etats-Unis envers l’Iran, soit sorties de leur contexte. L’Iran n’a
pas l’intention de s’appesantir sur ces questions, qui sont dépourvues de pertinence aux fins de
toute exception d’incompétence ou d’irrecevabilité valablement introduite, mais il se réserve le
droit d’y répondre à un stade ultérieur de la procédure, si nécessaire. Il suffit ici de souligner que
l’Iran considère que les Etats-Unis ont déstabilisé le Moyen Orient par leurs politiques et leurs
actions mal venues. Au nombre de celles-ci figure notamment l’occupation de l’Irak en 2003, qui a
déstabilisé ce pays et ouvert la voie à des groupes terroristes émergents tels que Daech393.
A.20. Enfin, pour replacer les choses dans leur contexte, l’Iran se doit de faire ici brièvement
référence à un certain nombre d’actions américaines hostiles visant l’Iran après le renversement, en
1979, du régime du Chah qui était soutenu par les Etats-Unis :
a) la mission en Iran du général Robert E. Hyser, en janvier 1979, destinée à monter un coup
d’Etat de la dernière chance avant la révolution ;
391 Voir exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 24, par. 3.31.
392 Les représentants des Etats-Unis mettaient publiquement en cause le besoin, pour l’Iran, de recourir à l’énergie
nucléaire compte tenu de l’importance des ressources pétrolières, alors que ces mêmes Etats-Unis avaient encouragé
l’Iran, dans les années 1970, à développer son énergie nucléaire au motif qu’il finirait par manquer de pétrole (R. Erlich,
«U.S. Tells Iran: Become a Nuclear Power» [Les Etats-Unis conseillent à l’Iran de choisir la voie du nucléaire], Foreign
Policy in Focus, 28 novembre 2007) (annexe 27).
393 I. Tharoor, «Iraq’s Crisis: Don’t Forget the 2003 U.S. Invasion» [Crise irakienne : n’oublions pas l’invasion
américaine de 2003], The Washington Post, 5 avril 2014 (annexe 36) ; D. Rohde, «The Iraq Takeaway: American Ground
Invasions Destabilize the Middle East» [Ce qu’il faut conserver à l’esprit au sujet de l’Irak : les invasions du pays par les
Etats-Unis ont déstabilisé le Moyen Orient], The Atlantic, 20 mars 2013 (annexe 33) ; D. Hussain, «ISIS: The
«Unintended Consequences» of the US-led War on Iraq» [Daech : les «conséquences inattendues» de la guerre conduite
par les Etats-Unis en Irak], Foreign Policy Journal, 23 mars 2015 (annexe 37).
106
107
- 80 -
b) l’opération militaire américaine conduite dans le désert de Tabas le 24 avril 1984 (désignée
«Opération «Eagle Claw»»), qui s’est soldée par un échec ;
c) le complot en vue de la tentative de coup d’Etat de Nojeh du 9 juillet 1980 visant à renverser la
jeune République islamique d’Iran ;
d) le soutien apporté à Saddam Hussein dans son agression contre l’Iran par divers moyens394 ;
e) l’attaque et la destruction de certaines unités navales iraniennes et de plusieurs installations
pétrolières offshore dans le golfe Persique395 ;
f) la destruction d’un aéronef civil iranien au-dessus du golfe Persique, tuant la totalité des
300 passagers à bord396 ; et
g) l’intervention dans les affaires iraniennes par l’affectation de fonds à des opérations
clandestines, en menaçant l’Iran d’une attaque militaire et en faisant publiquement état de leur
soutien à un changement de régime en Iran397.
394 Dont la limitation des flux d’armes vers l’Iran, le remplacement de l’Irak par l’Iran sur la liste des Etats
soutenant le terrorisme en 1984, la fourniture à l’Irak de matériels, de matériaux et de données en relation avec ses
attaques illicites, chimiques et au moyen de missiles balistiques, contre des objectifs militaires et civils iraniens, ainsi que
la mise à la disposition de l’Irak d’une aide financière, diplomatique et en matière de renseignement. Voir, par exemple,
Chambre des représentants du Congrès des Etats-Unis, Rapport sur l’enquête de la commission des affaires bancaires sur
la succursale BNL d’Atlanta, Congressional Record, 102e Congrès (1991-1992), 2 mars 1992 (annexe 1) ; C.W.
Weinberger, Fighting for Peace [La lutte pour la paix], Warner Books, 1990, p. 358 ; H. Kissinger, «Clinton and the
World» [Clinton et le monde], Newsweek, 1er février 1993, p. 12 (annexe 16) ; K. R. Timmerman, «Europe’s Arms
Pipeline to Iran» [Le pipeline d’armes européen vers l’iran], The Nation, vol. 245, 18 juillet 1987, p. 47 (annexe 11) ;
Rapport au Congrès du Services d’études et d’analyses du Congrès (Congressional Research Service, CRS), «Terrorism:
Middle Eastern Groups and State Sponsors» [Terrorisme : groupes du Moyen-Orient et Etats soutiens], 9 août 1995
(annexe 20) ; M. Waas et D. Frantz, «Abuses in US Aid to Iraqis Ignored» [Le détournement de l’aide américaine par les
Irakiens passé sous silence], Los Angeles Times, 22 mars 1992 (annexe 13) ; R. Wright, «Some See Hypocrisy in U.S.
Stand on Iraq Arms; Mideast: Officials say American intelligence aided Baghdad’s use of chemical weapons against Iran
in 80s» [La position des Etats-Unis sur les armes irakiennes considérée par certains comme un signe d’hypocrisie ;
Moyen-Orient : des responsables indiquent que le renseignement américain a aidé Bagdad à employer des armes
chimiques contre l’Iran durant les années 80], Los Angeles Times, 16 février 1998 (annexe 24) ; voir également, M.
Phythian, Arming Iraq: How the US and Britain Secretly Built Saddam’s War Machine [Armer l’Irak : comment les
Etats-Unis et la Grande Bretagne ont construit secrètement la machine de guerre de Saddam], North Western University
Press, Boston, p. 37 ; E. Sciolino, The Outlaw State: Saddam Hossein’s Quest for Power and the Gulf Crises [L’Etat hors
la loi : la quête du pouvoir de Saddam Hussein et les crises du Golfe], John Wiley & Sons, New York 1991, p. 166.
395 Voir Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2003, p. 161.
396 Incident aérien du 3 juillet 1988 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique).
397 Voir, par exemple, R. Smith et T. Lippman, «White House Agrees to Bill Allowing Covert Action Against
Iran» [La Maison blanche approuve un projet de loi autorisant la conduite d’opérations clandestines contre l’Iran], The
Washington Post, 22 décembre 1995 (annexe 21) ; «Obama says on Iran all options on the table» [Obama dit qu’en ce qui
concerne l’Iran, toutes les options sont sur la table], Reuters, 21 avril 2009 (annexe 28) ; «Tillerson says U.S. Iran policy
is «peaceful transition of that government»» [Tillerson explique que la politique iranienne des Etats-Unis consiste à
encourager une transition pacifique vers un autre régime], www.msn.com, 21 juin 2017 consultable sur
www.msn.com/en-ca/lifestyle/smartliving/tillerson-says-us-iran-policy-i…-
BBCXUa8 (consultation la plus récente : 16 août 2017).
- 81 -
PARTIE IV
CONCLUSIONS
CHAPITRE IX
OBSERVATIONS FINALES
9.1. Dans le présent chapitre sont brièvement rappelés les principaux arguments juridiques
avancés dans les exceptions préliminaires des Etats-Unis, ainsi que les principales réponses
apportées à ceux-ci par l’Iran. Ce rappel est sans préjudice des réponses détaillées énoncées dans
les chapitres précédents des présentes observations.
9.2. Les Etats-Unis ont déposé un document important, reposant en grande partie sur des
allégations et des critiques non pertinentes et infondées formulées contre l’Iran, à l’appui de leurs
exceptions préliminaires. Lesdites exceptions reposent sur quatre positions juridiques que les
Etats-Unis demandent à la Cour de faire siennes et qui sont exposées dans les conclusions, aux
pages 107 et 108 du document en question.
PREMIÈRE PROPOSITION DES ETATS-UNIS : LES DEMANDES DE L’IRAN
SONT IRRECEVABLES
9.3. Premièrement, les Etats-Unis soutiennent que toutes les demandes de l’Iran sont
irrecevables. Ils affirment que les conditions fondamentales qui sous-tendaient le traité d’amitié
n’existent plus entre les Parties398. L’Iran a néanmoins fait remarquer que les Etats-Unis n’avaient
pas dénoncé le traité399 et que certaines relations économiques (une notion plus large que les
relations commerciales)400 entre les Etats-Unis et l’Iran perduraient401.
9.4. Les Etats-Unis expliquent que les demandes de l’Iran sont abusives, qu’elles doivent
être considérées comme irrecevables402 et que connaître de cette affaire compromettrait l’intégrité
de la fonction judiciaire de la Cour403. L’Iran a rappelé la manière dont la Cour avait traité de tels
arguments par le passé404 et souligné que les Etats-Unis n’expliquaient pas en quoi il serait «abusif»
de faire valoir des demandes liées à des violations spécifiques de dispositions spécifiques du
traité405.
9.5. Les Etats-Unis affirment que l’Iran a les «mains sales ... , souillées par des décennies de
soutien au terrorisme et d’autres actes déstabilisateurs contrevenant au droit international» et que,
de ce fait, ses demandes sont irrecevables406. Délaissant les allégations non pertinentes et infondées
des Etats-Unis, l’Iran a exposé que la doctrine des «mains propres» n’avait rien à voir avec la
recevabilité d’une requête et ne jouait aucun rôle dans les affaires entre Etats. Il a également passé
398 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 47-50, par. 6.3-6.11.
399 Voir ci-dessus, par. 1.2-1.4.
400 Voir ci-dessus, par. 2.12-2.17.
401 Voir ci-dessus, par. 2.18-2.28.
402 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 50-53, par. 6.12-6.18.
403 Ibid., p. 53-54, par. 6.19-6.23.
404 Voir ci-dessus, par. 7.4-7.16.
405 Voir ci-dessus, par. 7.20-7.31.
406 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, p. 54-61, par. 6.25-6.38.
108
109
- 82 -
en revue la jurisprudence concernant cette théorie et souligné que cette doctrine n’avait jamais été
appliquée par la Cour pour déclarer une requête irrecevable407.
DEUXIÈME PROPOSITION DES ETATS-UNIS : LES MESURES AMÉRICAINES BLOQUANT OU
GELANT DES ACTIFS DE L’ETAT IRANIEN OU D’INSTITUTIONS FINANCIÈRES IRANIENNES
(TELLES QUE DÉFINIES DANS LE DÉCRET PRÉSIDENTIEL AMÉRICAIN N° 13599)
NE RELÈVENT PAS DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR
9.6. Dans un deuxième temps, les Etats-Unis demandent que soient rejetées toutes les
demandes iraniennes selon lesquelles les mesures américaines bloquant ou gelant des actifs publics
iraniens ou d’institutions financières iraniennes violent le traité. Ce point concerne spécifiquement
le décret présidentiel américain n° 13599. L’argument avancé par les Etats-Unis est que ces
mesures sont exclues de la compétence de la Cour par le paragraphe 1 de l’article XX du traité408.
9.7. L’Iran a rappelé que la Cour avait examiné le paragraphe 1 de l’article XX en l’affaire
des Plates-formes pétrolières et argué que, lorsqu’elle s’appliquait, cette disposition constituait une
défense sur le fond d’une conduite qui, autrement, emporterait violation du traité, mais ne
restreignait pas la compétence de la Cour409. En outre, la question de la portée du paragraphe 1 de
l’article XX ne revêt en aucun cas un caractère exclusivement préliminaire au sens du paragraphe 7
de l’article 79 du Règlement de la Cour410. De surcroît, l’Iran a relevé que cette exception des
Etats-Unis ne concernait qu’un aspect de sa thèse et était sans incidence sur d’autres aspects de sa
requête411.
TROISIÈME PROPOSITION DES ETATS-UNIS : TOUTES LES DEMANDES INTRODUITES EN VERTU
D’UNE QUELCONQUE DISPOSITION DU TRAITÉ D’AMITIÉ BASÉES SUR LE NON-RESPECT
SUPPOSÉ, PAR LES ETATS-UNIS, DE L’IMMUNITÉ SOUVERAINE DE JURIDICTION ET/OU
D’EXÉCUTION DE L’ETAT IRANIEN, DE LA BANQUE MARKAZI OU D’ENTITÉS
DÉTENUES PAR L’ETAT IRANIEN, ÉCHAPPENT À LA COMPÉTENCE
DE LA COUR
9.8. L’allégation suivante des Etats-Unis est que toutes les demandes reposant sur un droit à
l’immunité souveraine échappent à la compétence de la Cour, parce qu’elles ne relèvent pas des
dispositions du traité412.
9.9. L’Iran a fait valoir que la question n’était pas de savoir si le traité dans son intégralité
était un instrument de codification du droit de l’immunité souveraine, mais si certaines de ses
dispositions nécessitaient la prise en compte du respect du droit de l’immunité413. Il a cité plusieurs
de ces dispositions en exemple :
a) le paragraphe 2 de l’article III («libre accès aux tribunaux judiciaires ... tant pour faire valoir
que pour défendre leurs droits)414 ;
407 Voir ci-dessus, par. 8.1-8.21.
408 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, chapitre 7.
409 Voir ci-dessus, par. 6.1-6.6.
410 Voir ci-dessus, par. 6.7-6.11.
411 Voir ci-dessus, par. 3.6-3.10.
412 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, chapitre 8.
413 Voir ci-dessus, par. 5.1-5.8 et par. 5.39-5.47.
414 Voir ci-dessus, par. 5.9-5.21.
110
- 83 -
b) le paragraphe 1 de l’article IV («traitement juste et équitable» et interdiction faite aux parties de
prendre «aucune mesure arbitraire ou discriminatoire pouvant porter atteinte à leurs droits ou à
leurs intérêts légalement acquis»)415 ;
c) le paragraphe 2 de l’article IV (droit à «protection et ... sécurité des biens ... assurées de la
manière la plus constante ... et [n’étant] inférieures en aucun cas aux normes fixées par le droit
international»)416 ;
d) le paragraphe 1 de l’article V (droit de louer, d’acheter, d’acquérir et de céder des biens)417 ;
e) le paragraphe 1 de l’article VII (droit de procéder à des paiements, remises et transferts de
fonds)418 ; et
d) le paragraphe 1 de l’article X (liberté de commerce et de navigation).
9.10. L’Iran soutient que toutes ces dispositions sont, à première vue, évidemment
susceptibles de violation par refus des droits à l’immunité devant des tribunaux américains.
QUATRIÈME PROPOSITION DES ETATS-UNIS : TOUTES LES DEMANDES CONCERNANT DE
SUPPOSÉES VIOLATIONS DES ARTICLES III, IV OU V DU TRAITÉ FONDÉES SUR LE
TRAITEMENT RÉSERVÉ À L’ETAT IRANIEN OU À LA BANQUE MARKAZI ÉCHAPPENT
À LA COMPÉTENCE DE LA COUR
9.11. Les Etats-Unis allèguent, enfin, que l’Etat iranien et la banque Markazi n’ont pas droit
à une protection en vertu du traité419. Ils expliquent que la banque Markazi est «une entité d’un Etat
étranger exerçant des fonctions régaliennes»420 et ne saurait donc constituer une «société» en vertu
du traité et bénéficier de ses protections421.
9.12. L’Iran a souligné, au paragraphe 1 de son article III, que le traité définissait les
«sociétés» auxquelles il s’applique, et ce, en des termes qui incluent la banque Markazi et d’autres
sociétés iraniennes touchées par les mesures américaines en cause en l’espèce. Cette interprétation
repose sur le sens ordinaire des dispositions du traité dans leur contexte ; elle est confirmée par
l’examen des travaux préparatoires, conformément aux règles de la convention de Vienne en
matière d’interprétation des traités422. Il n’est, en outre, pas rare qu’une banque centrale soit
constituée en vertu du droit interne423. De surcroît, l’Iran a souligné que l’invocation, par les
Etats-Unis, des fonctions exercées par la banque Markazi nécessitait un examen des faits et ne
pouvait donc être une question à caractère préliminaire424.
415 Voir ci-dessus, par. 5.22-5.26.
416 Voir ci-dessus, par. 5.27-5.32.
417 Mémoire de l’Iran, p. 108-109, par. 5.72-5.76.
418 Ibid., p. 110-112, par. 6.2-6.9.
419 Exceptions préliminaires des Etats-Unis, chap. 9.
420 Ibid., p. 97-99, par. 9.4-9.8.
421 Ibid., p. 99-104, par. 9.9-9.19.
422 Voir ci-dessus, p. 34-44, par. 4.4-4.30.
423 Voir ci-dessus, p. 33, note no 110.
424 Voir ci-dessus, par. 4.31-4.35.
111
112
- 84 -
LE CARACTÈRE RESTREINT DES EXCEPTIONS DES ETATS-UNIS
À LA COMPÉTENCE DE LA COUR
9.13. L’Iran a également souligné que les exceptions préliminaires des Etats-Unis à la
compétence de la Cour portaient (à la différence des exceptions d’irrecevabilité) uniquement sur
des parties spécifiques de la requête de l’Iran.
9.14. Ainsi que l’a relevé l’Iran, les Etats-Unis ne contestent pas la compétence de la Cour
concernant les demandes fondées sur l’article III du traité (reconnaissance du statut juridique des
sociétés et libre accès aux tribunaux), excepté en relation avec une société, la banque Markazi425. Il
en est de même dans le cas des articles IV et V du traité426. De même, les Etats-Unis ne soulèvent
aucune exception à la compétence de la Cour concernant les demandes de l’Iran liées à une
violation de l’article VII du traité ou (sauf pour ce qui a trait aux demandes relatives à l’immunité
souveraine) à une violation du paragraphe 1 de l’article X.
9.15. Pour ces motifs, ainsi qu’au vu des raisons et explications figurant dans les chapitres
précédents, l’Iran prie la Cour de rejeter toutes les exceptions préliminaires des Etats-Unis et de
procéder à l’examen de sa requête.
425 Voir ci-dessus, par. 3.7.
426 Voir ci-dessus, par. 3.8-3.9.
- 85 -
CHAPITRE X
CONCLUSIONS
10.1. Pour les raisons exposées ci-dessus, la République islamique d’Iran prie la Cour :
a) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis dans leurs conclusions en
date du 1er mai 2017 ; et
b) de déclarer qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées par la République
islamique d’Iran dans sa requête du 14 juin 2016, et de procéder à l’examen de celles-ci.
Respectueusement,
L’agent du Gouvernement de la République islamique d’Iran
(Signé) M. H. ZAHEDIN LABBAF.
___________
113
- 86 -
ATTESTATION
Je, soussigné M. H. Zahedin Labbaf, agent de la République islamique d’Iran, certifie par la
présente que les exemplaires des présentes observations et conclusions, ainsi que les documents
joints en annexe, sont des copies conformes des documents originaux, et que les traductions en
anglais sont exactes.
La Haye, le 1er septembre 2017.
L’agent du Gouvernement de la République islamique d’Iran,
(Signé) M. H. ZAHEDIN LABBAF.
___________
114
- 87 -
LISTE DES ANNEXES
Partie I — Documents législatifs des Etats-Unis
Annexe 1 Chambre des représentants du Congrès des Etats-Unis, Rapport sur l’enquête de la
commission des affaires bancaires sur la succursale BNL d’Atlanta, Congressional
Record, 102e Congrès (1991-1992), 2 mars 1992 (extraits)
Annexe 2 Loi de 2000 sur la réforme des sanctions commerciales et l’amélioration des
exportations [Trade Sanctions Reform and Export Enhancement Act], titre IX de la
loi générale (public law) 106 387 (28 octobre 2000)
Partie II — Documents du pouvoir exécutif des Etats-Unis
Annexe 3 Permis général D du bureau de contrôle des actifs étrangers (OFAC) (autorisant
l’exportation et la réexportation à des personnes en Iran de certains services,
logiciels et équipements utiles à l’échange de communications personnelles, sous
réserve de certaines limitations), à compter du 30 mai 2013
Annexe 4 Arrêté définitif du bureau de contrôle des actifs étrangers (OFAC) (complétant les
permis généraux délivrés en application de la réglementation de l’Iran en matière
de transactions et de sanctions autorisant l’importation aux Etats-Unis de certaines
denrées alimentaires et de tapis d’origine iranienne, ainsi que les transactions
liées, et les opérations s’y rapportant), entré en vigueur le 21 janvier 2016
Annexe 5 Permis général I du bureau de contrôle des actifs étrangers (OFAC) (autorisant
certaines transactions liées à la négociation et à la conclusion de contrats
auxiliaires pour des activités remplissant les conditions requises pour autorisation
en vertu de la circulaire relative aux permis en matière d’activités liées à
l’exportation ou à la réexportation vers l’Iran d’aéronefs de transport commercial
de passagers, ainsi que de pièces et de services liés), en date du 24 mars 2016
Annexe 6 Article 560.530 du titre 31 du code de réglementation fédérale (Code of Federal
Regulations, C.F.R.) (au 1er juillet 2016)
Partie IV — Décisions de justice des Etats-Unis
Annexe 7 United States of America v. Yousef et al., cour d’appel fédérale, deuxième circuit»,
4 avril 2003, 327 F.3d 56, p. 39 (extraits)
Partie V — Déclarations officielles iraniennes
Annexe 8 Déclaration de S.E. M. Kamal Kharrazi, Ministre des affaires étrangères de la
République islamique d’Iran, devant la cinquante-deuxième session de
l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, New York,
22 septembre 1997
- 88 -
Annexe 9 Déclaration de S. Exc. M. Seyed Mohammad Khatami, ancien président de la
République islamique d’Iran, devant la cinquante-troisième session de
l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, New York,
21 septembre 1998
Annexe 10 Déclaration de S. Exc. M. Hassan Rohani, président de la République islamique
d’Iran, devant la soixante-huitième session de l’Assemblée générale de
l’Organisation des Nations Unies, New York, 24 septembre 2013
Partie VI - Articles de presse
Annexe 11 K. R. Timmerman, «Europe’s Arms Pipeline to Iran» [Le pipeline d’armes
européen vers l’Iran], The Nation, vol. 245, 18 juillet 1987
Annexe 12 Mojahed, MKO Bulletin, Exclusive Issue [numéro special], Automne
1991(extraits)
Annexe 13 M. Waas & D. Frantz, «Abuses in US Aid to Iraqis Ignored» [Les abus de l’aide
américaine aux irakiens sont ignorés], Los Angeles Times, 22 mars 1992
Annexe 14 Mojahed, MKO Bulletin, n° 294, décembre 1992
(extraits)
Annexe 15 Mojahed, MKO Bulletin, n° 295, février-mars 1993
(extraits)
Annexe 16 Henry Kissinger, «Clinton and the World,» [Clinton et le monde], Newsweek,
1 février 1993
Annexe 17 Mojahed, MKO Bulletin, n° 297, avril 1993 (extraits)
Annexe 18 Mojahed, MKO Bulletin, n° 298, mai 1993 (extraits)
Annexe 19 G. A. Nader, «Interview with President Ali Akbar Hashemi Rafsanjani» [Entretien
avec le président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani], Middle East Insight, juilletaoût
1995, Vol. XI, n° 5
Annexe 20 Rapport au Congrès du Services d’études et d’analyses du Congrès
(Congressional Research Service, CRS), «Terrorism: Middle Eastern Groups and
State Sponsors» [Terrorisme : groupes du Moyen-Orient et Etats soutiens], 9 août
1995 (extraits)
Annexe 21 R. Smith et T. Lippman, «White House Agrees to Bill Allowing Covert Action
Against Iran» [La Maison blanche approuve un projet de loi autorisant la conduite
d’opérations clandestines contre l’Iran], The Washington Post, 22 décembre 1995
Annexe 22 S. Robinson, «Gingrich in call to arms against Iran terror bases» [Gingrich appelle
aux armes contre les bases terroristes iraniennes], The Daily Telegraph, 5 août
1996
- 89 -
Annexe 23 «Transcript of interview with Mohammad Khatami, Former President of the
Islamic Republic of Iran» [Transcription de l’entretien avec Mohammad Khatami,
ancien président de la République islamique d’Iran], CNN, 7 janvier 1998
Annexe 24 R. Wright, «Some See Hypocrisy in U.S. Stand on Iraq Arms; Mideast: Officials
say American intelligence aided Baghdad’s use of chemical weapons against Iran
in 80s» [La position des Etats-Unis sur les armes irakiennes considérée par
certains comme un signe d’hypocrisie ; Moyen Orient : des responsables indiquent
que le renseignement américain a aidé Bagdad à employer des armes chimiques
contre l’Iran durant les années 80], Los Angeles Times, 16 février 1998
Annexe 25 «Riyadh accepts for first time that bombers of US base were Saudi» [Riyad
reconnaît pour la première fois que les auteurs de l’attentat contre une base
américaine étaient saoudiens], Agence France Presse, 21 mai 1998
Annexe 26 S. Galster, Vol. II: Afghanistan: Lessons from the Last War – Afghanistan: The
Making of U.S. Policy, 1973-1990» [Recueils de documents-sources du
11 septembre : vol. II : l’Afghanistan : les enseignements de la dernière guerre –
l’Afghanistan : l’élaboration de la politique des Etats-Unis, 1973-1990»], The
National Security Archive, 9 octobre 2001
Annexe 27 R. Erlich, «U.S. Tells Iran: Become a Nuclear Power» [Les Etats-Unis conseillent
à l’Iran de choisir la voie du nucléaire], Foreign Policy in Focus, 28 novembre
2007
Annexe 28 «Obama says on Iran all options on the table» [Obama dit qu’en ce qui concerne
l’Iran, toutes les options sont sur la table], Reuters, 21 avril 2009
Annexe 29 J. Becker, «U.S. Approved Business with Blacklisted Nations» [Les autorités
fédérales ont autorisé des activités commerciales avec des nations figurant sur une
liste noire], New York Times, 23 décembre 2010
Annexe 30 J. Becker, «Licenses Granted to U.S. Companies Run the Gamut» [Les permis
accordés à des sociétés américaines couvrent toute la gamme des activités], New
York Times, 24 décembre 2010
Annexe 31 Z. Goldfarb, «Firms licensed to do business in countries on U.S. terror list» [Des
entreprises autorisées à travailler avec des pays figurant sur la liste américaine des
pays terroristes], The Washington Post, 24 décembre 2010
Annexe 32 S. M. Hersh, «Our Men in Iran» [Notre agent en Iran], The New Yorker, 5 avril
2012
Annexe 33 D. Rohde, «The Iraq Takeaway: American Ground Invasions Destabilize the
Middle East» [Ce qu’il faut conserver à l’esprit au sujet de l’Irak : les invasions du
pays par les Etats-Unis ont déstabilisé le Moyen-Orient], The Atlantic, 20 mars
2013
Annexe 34 Archives de la sécurité nationale (National Security Archive), «CIA Confirms
Role in 1953 Iran Coup» [La CIA confirme avoir pris part au coup d’Etat de 1953
en Iran], 19 août 2013
Annexe 35 «Iran, U.S. to open joint Chamber of Commerce: Report» [L’Iran et les Etats-Unis
sur le point d’ouvrir une chambre de commerce commune : compte-rendu],
Agence France Presse, 27 novembre 2013
- 90 -
Annexe 36 I. Tharoor, «Iraq’s Crisis: Don’t Forget the 2003 U.S. Invasion» [Crise irakienne :
n’oublions pas l’invasion américaine de 2003], The Washington Post, 5 avril 2014
Annexe 37 D. Hussain, «ISIS: The «Unintended Consequences» of the US-led War on Iraq»
[Daech : les «conséquences inattendues» de la guerre conduite par les Etats-Unis
en Irak], Foreign Policy Journal, 23 mars 2015
Annexe 38 R. LoBianco & E. Landers, «Trump: Clinton, Obama «created ISIS» [Trump :
Clinton et Obama ont «créé Daech»], CNN, 3 janvier 2016
Annexe 39 K. Ng, «Donald Trump says Barack Obama and Hillary Clinton ‘created ISIS’»
[Donald Trump dit que Barack Obama et Hillary Clinton ont «créé Daech»], The
Independent, 3 janvier 2016
Annexe 40 «U.S. to buy heavy water from Iran’s nuclear program» [Les Etats-Unis vont
acheter de l’eau lourde provenant du programme nucléaire iranien], Reuters,
22 avril 2016
Annexe 41 «Boeing seals $16,6 billion deal with Iran Air» [Boeing conclut un marché de 16,6
milliards USD avec Iran Air], AP, 11 décembre 2016
Annexe 42 «Iran Open to Business Ties with US» [L’Iran prêt à nouer des liens commerciaux
avec les Etats-Unis], Financial Tribune, 19 janvier 2017
Annexe 43 «Boeing Co. says it signed new $3 billion deal with Iranian airline» [Boeing Co.
annonce la signature d’un marché de 3 milliards USD avec une compagnie
iranienne], AP, 4 avril 2017
Annexe 44 D. Chaitin, «Sen. John McCain meets with Iranian dissidents relocated to
Albania» [Le sénateur John McCain rencontre des dissidents iraniens installés en
Albanie], Washington Examiner, 15 avril 2017
Annexe 45 F. Zakaria, «How Saudi Arabia Played Donald Trump» [Comment l’Arabie
saoudite a floué Donald Trump], The Washington Post, 25 mai 2017
Annexe 46 J. Cook, «Trump Suggests Iran Brought Deadly Terrorist Attacks Upon Itself»
[«Trump suggère que l’Iran mérite les attentats terroristes qui le frappent»],
www.huffingtonpost.com, 7 juin 2017
Annexe 47 Z. Jilani, R. Grim, «Bucking Bernie Sanders, Democrats Move Forward on Iran
Sanctions After Terror Attack in Tehran» [Infligeant un camouflet à Bernie
Sanders, les démocrates se prononcent en faveur des sanctions contre l’Iran après
les attentats terroristes de Téhéran], The Intercept, 7 juin 2017
Annexe 48 I. Tharoor, «Terror in Iran reveals the hypocrisy of Trump and his allies» [Les
attentats terroristes en Iran révèlent l’hypocrisie de Trump et de ses alliés], The
Washington Post, 8 juin 2017
Annexe 49 D. Smith & S. Siddiqui, «Gulf crisis: Trump escalates row by accusing Qatar of
sponsoring terror» [Crise du Golfe : Trump aggrave le conflit en accusant le Qatar
d’encourager le terrorisme], The Guardian, 9 juin 2017
Annexe 50 «Iranian airline finalizes deal to purchase 60 Boeing planes» [Une compagnie
aérienne iranienne finalise un marché pour l’achat de 60 avions de marque
Boeing], AP, 10 juin 2017
- 91 -
Annexe 51 N. Gaouette, D. Merica & R. Browne, «Trump: Qatar must stop funding
terrorism» [Trump : le Qatar doit cesser de financer le terrorisme], CNN, 10 juin
2017
Annexe 52 P. Beaumont, «US signs deal to supply F-15 jets to Qatar after Trump terror
claims» [Les Etats-Unis négocient la fourniture au Qatar de F-15 après les
accusations de terrorisme de Trump], The Guardian, 15 juin 2017
Annexe 53 R. Browne, «Amid diplomatic crisis Pentagon agrees $12 billion jet deal with
Qatar» [En pleine crise diplomatique, le Pentagone donne son accord à une vente
d’avions de 12 milliards $ au Qatar], CNN, 15 juin 2017
Annexe 54 Archives de la sécurité nationale, «Iran 1953: State Department Finally Releases
Updated Official History of Mosaddeq Coup» [Iran 1953 : le département d’Etat
rend finalement publique l’histoire officielle mise à jour du coup d’Etat contre
Mossadegh], 15 juin 2017
Annexe 55 R. Shabad, «Senate passes measure to expand sanctions on Iran and Russia» [Le
Sénat adopte une mesure destinée à renforcer les sanctions contre l’Iran et la
Russie], www.cbsnews.com, 15 juin 2017
Partie VII — Autres documents
Annexe 56 Département d’Etat des Etats-Unis, Patterns of Global Terrorism [Schémas du
terrorisme international], 1997, Publication du département d’Etat n° 10535
Annexe 57 Administration des douanes de la République islamique d’Iran, Report on
Commercial Transactions with the United States of America [Rapport sur les
transactions commerciales avec les Etats-Unis d’Amérique], 2017
___________
Observations et conclusions de la République islamique d'Iran sur les objections préliminaires des Etats-Unis d'Amérique