Observations écrites des Iles Marshall

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169-20180511-WRI-02-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15239
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL
DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE DES ÎLES MARSHALL
11 mai 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION ........................................................................................................................... 1
II. CONSIDÉRATIONS LIMINAIRES.................................................................................................... 2
a) Les questions posées concernent la décolonisation, non la souveraineté .............................. 2
b) Le libellé non contraignant des résolutions 1514 et 2066 ..................................................... 2
c) Consentement vicié à l’accord de 1965 ................................................................................. 3
d) La nécessité d’un plébiscite avant une séparation ................................................................. 4
III. CONCLUSIONS ............................................................................................................................. 5
I. INTRODUCTION
1. Par sa résolution 71/292 en date du 22 juin 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies
a prié la Cour, conformément à l’article 65 du Statut de celle-ci, de donner un avis consultatif sur
les questions suivantes :
«a) Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice
a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des
Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des
obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du
14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre
1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?
b) Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des
obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de
l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne
et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle
se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux,
en particulier ceux d’origine chagossienne ?».
2. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a transmis la demande d’avis
consultatif à la Cour par lettre en date du 23 juin 2017, déposée au Greffe le 28 juin 2017.
3. La Cour a fixé au 15 mai 2018 la date d’expiration du délai dans lequel de nouvelles
observations écrites sur la question pourraient lui être présentées en réponse aux autres exposés
écrits, conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son Statut.
4. Ayant présenté son exposé écrit le 1er mars 2018, la République des Iles Marshall souhaite
faire usage de la possibilité qui lui est donnée de formuler des observations écrites et, dans le
respect du délai ainsi fixé, soumet à la Cour les considérations suivantes.
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II. CONSIDÉRATIONS LIMINAIRES
a) Les questions posées concernent la décolonisation, non la souveraineté
5. Dans son exposé écrit, le Royaume-Uni soutient que les questions posées à la Cour, qui,
dans la mesure où elles régleraient la problématique de la souveraineté, sont donc de nature
bilatérale, ne devraient pas être tranchées dans un cadre multilatéral par voie d’avis consultatif.
6. Les Iles Marshall sont d’un autre avis. Une demande d’avis consultatif sur les questions a)
et b) n’a pas pour objet le règlement définitif ou la pleine résolution des questions liées à la
souveraineté, qui ne relève pas du pouvoir de l’Assemblée générale à l’issue d’un vote majoritaire
et n’est pas non plus la finalité d’un avis consultatif. Un règlement aussi définitif de la question de
la souveraineté nécessiterait par essence la mise en place d’un cadre bilatéral. Une demande d’avis
consultatif non contraignant, sollicité par une entité multilatérale et relatif à des principes
applicables soumis à son examen, se distingue aisément, de par sa nature et de par sa fonction, d’un
accord bilatéral visant à saisir la Cour d’une affaire nécessitant un règlement contraignant,
enjoignant aux parties de respecter un accord mutuel sur la souveraineté.
7. La clarification des principes pertinents de droit international, notamment ceux afférents à
la question de la décolonisation et à la situation des Chagos, intéresse directement le débat au sein
de l’Assemblée générale et permettrait d’alimenter celui-ci à la fois en ce qui concerne Chagos, qui
relève de son domaine pour ce qui est de certaines résolutions préalables, et la question de la
décolonisation en général pour ce qui est des points à l’ordre du jour.
8. Il est important de noter que si le droit international était clair sur la question de la
décolonisation, point ne serait besoin, pour la Cour, de rendre un avis consultatif. Le fait que
31 Etats et une organisation aient déposé des exposés écrits présentant des points de vue aussi
variés sur le droit international prouve que les questions posées à la Cour ne se restreignent pas aux
seuls intérêts de Maurice et du Royaume-Uni et qu’un tel avis consultatif revêt de l’importance
pour les échanges multilatéraux au sein de l’Assemblée générale.
b) Le libellé non contraignant des résolutions 1514 et 2066
9. Le Royaume-Uni part du postulat que les résolutions 1514 et 2066 de l’Assemblée
générale n’utilisent aucun libellé contraignant permettant de conclure que le processus de
décolonisation de Maurice n’était pas valide. Les Iles Marshall sont convaincues que le problème
d’une telle interprétation est que, même non contraignantes, les résolutions ne peuvent rester lettre
morte sur le plan juridique ni être considérées comme dénuées d’effet juridique, car c’est la finalité
même de l’Assemblée générale qui serait alors remise en cause.
10. Selon l’article 13 de la Charte des Nations Unies,
«[l]’Assemblée générale provoque des études et fait des recommandations en vue de :
a) développer la coopération internationale dans le domaine politique et encourager le
développement progressif du droit international et sa codification ;
b) développer la coopération internationale dans les domaines économique, social, de
la culture intellectuelle et de l’éducation, de la santé publique, et faciliter pour
tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, la jouissance des
droits de l’homme et des libertés fondamentales.»
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11. Par conséquent, de par son libellé non contraignant, une résolution de l’Assemblée
générale devrait être reconnue comme une mesure non obligatoire à visée politique et persuasive, et
se trouve au coeur de tout droit naissant et en voie de formation, même lorsque les points de vue
continuent, certes, de diverger. «Les résolutions adoptées par l’Assemblée générale peuvent donc
bien être présentées comme des textes qui cristallisent, formulent et expriment le point de vue ou
l’opinion de la communauté internationale des Etats.»1
12. La résolution 2066 de l’Assemblée générale était un moyen d’exprimer les profondes
préoccupations de la communauté internationale quant à l’apparente iniquité du processus de
colonisation de Maurice. Même non contraignante, cette résolution symbolise l’idée qu’il était
 et qu’il demeure  nécessaire que l’Assemblée générale examine plus avant la séparation de
l’archipel des Chagos et l’ensemble du processus de décolonisation de Maurice.
13. Même si l’on soutient qu’aucune approbation officielle n’était nécessaire, il va sans dire
que le fait même qu’il y ait rejet formel devrait constituer une raison suffisante pour mettre fin à un
accord inéquitable.
14. La résolution 2066 de l’Assemblée générale constituait le rejet formel à l’accord ayant
donné lieu à la séparation de l’archipel. En effet, le paragraphe 4 de son dispositif «[i]nvite la
puissance administrante à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice
et violerait son intégrité territoriale».
15. Le fait que l’Assemblée générale ait examiné d’aussi près la séparation de l’archipel des
Chagos a une incidence sur le processus de décolonisation de Maurice. Pour cette raison, il
convient d’examiner avec une attention particulière la question de la décolonisation à Maurice et
dans d’autres pays, ainsi que les accords conclus pour parvenir à cette décolonisation.
c) Consentement vicié à l’accord de 1965
16. Le Royaume-Uni affirme que la convention de Vienne relève deux motifs justifiant
l’invalidation d’un accord international pour vice de consentement :
«Article 51. CONTRAINTE EXERCÉE SUR LE REPRÉSENTANT D’UN ETAT
L’expression du consentement d’un Etat à être lié par un traité qui a été obtenue
par la contrainte exercée sur son représentant au moyen d’actes ou de menaces dirigés
contre lui est dépourvue de tout effet juridique.
Article 52. CONTRAINTE EXERCÉE SUR UN ETAT PAR LA MENACE OU L’EMPLOI DE LA
FORCE
Est nul tout traité dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l’emploi de
la force en violation des principes de droit international incorporés dans la Charte des
Nations Unies.»
1 Celine van den Rul, Why have Resolutions of the UN General Assembly If They Are Not Legally Binding?
Consultable sur le site Internet ci-après : www.e-ir.info/2016/06/16/why-have-resolutions-of-the-un-general-assembl…-
are-not-legally-binding/#_tfn20.
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17. Par conséquent, selon le Royaume-Uni, le consentement à la séparation de l’archipel des
Chagos par le biais de l’accord conclu en 1965 doit être considéré comme valide car aucune des
théories susmentionnées ne s’y applique.
18. La Cour devrait rejeter cet argument au motif que la convention de Vienne n’est pas
applicable à l’accord de 1965.
19. Selon l’article 4 de cette convention,
«[s]ans préjudice de l’application de toutes règles énoncées dans la présente
Convention auxquelles les traités seraient soumis en vertu du droit international
indépendamment de ladite Convention, celle-ci s’applique uniquement aux traités
conclus par des Etats après son entrée en vigueur à l’égard de ces Etats».
20. Non seulement Maurice n’était pas un Etat indépendant au moment de la conclusion de
l’accord ayant donné lieu à la séparation de l’archipel des Chagos, mais la convention de Vienne
n’a été adoptée qu’en 1969, et pour cette raison, elle ne peut s’appliquer aux accords ayant été
passés avant son entrée en vigueur.
21. Au vu de l’article susmentionné, la convention de Vienne a reconnu le principe de la
non-rétroactivité et ne peut donc être appliquée à l’espèce. En outre, le gouvernement colonial de
Maurice était en passe d’accéder à la qualité d’Etat et il n’en était donc pas encore un à part entière.
Ce n’est pas la convention, mais le processus de décolonisation tel que défini à l’Assemblée
générale qui doit servir de prisme pour évaluer le contexte et la manière dont une autorité
administrante a agi selon ses intérêts propres face à un peuple qui dépendait d’elle et qui
revendiquait son indépendance. Il y a inévitablement un contexte à prendre en compte, qui exige un
examen plus approfondi.
d) La nécessité d’un plébiscite avant une séparation
22. Ainsi qu’il est indiqué dans l’exposé écrit de Maurice, le choix libre et volontaire des
Chagossiens était une étape nécessaire pour valider la séparation de l’archipel des Chagos de
Maurice sur la base du droit à l’autodétermination. Cette séparation ne pouvait se faire que par voie
de référendum ou de plébiscite, qui n’a pas eu lieu lors de la séparation des Chagos. Et même avec
de tels plébiscites, il demeure nécessaire d’examiner scrupuleusement les situations dans lesquelles
l’autorité administrante a des intérêts propres, et où l’on attend d’elle un sens plus aigu de la
responsabilité internationale et du caractère sacré de la mission qui lui est confiée.
23. L’obtention du choix libre et volontaire des peuples sur le point de subir un
rapprochement ou une division de leur territoire est un moyen que le Royaume-Uni a beaucoup
utilisé en organisant des plébiscites dans plusieurs de ses colonies. Le fait que ces plébiscites aient
eu lieu avant et après la séparation de l’archipel des Chagos invalide l’argument selon lequel les
référendums étaient une nouvelle politique de la puissance administrante. Au contraire, l’absence
de plébiscites à Chagos et à Maurice ne fait que prouver que tout était organisé en vue d’atteindre
les résultats escomptés, à savoir le démembrement du territoire de Maurice.
24. Les Iles Marshall, sur la base d’un plébiscite organisé durant la dernière phase de la fin
du régime de tutelle de l’Organisation des Nations Unies, ont accepté d’accueillir sur l’atoll de
Kwajalein une installation militaire permanente des Etats-Unis. L’accord a été conclu, quoique non
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sans difficulté ni controverse, dans le cadre d’un pacte avec les Etats-Unis avalisé par voie
démocratique, et il prévoit un bail emphytéotique, un comité de gestion mixte permettant aux deux
Etats de soulever et de régler tout différend mutuel, ainsi que des normes écologiques adoptées
conjointement. Il est en effet très possible que les habitants d’une petite nation insulaire formée
d’atolls aient la capacité de conclure de leur plein gré un accord avec le pays hôte, exprimé
idéalement dans le cadre de relations interétatiques souveraines et délibérées. Si les Iles Marshall
soutiennent qu’il convient d’examiner avec une attention particulière les situations dans lesquelles
les intérêts propres d’une autorité administrante sont en jeu, il est toutefois également possible de
voir le libre arbitre s’exercer lorsqu’il exprimé dans le cadre de relations interétatiques égalitaires
ou concertées.
III. CONCLUSIONS
25. L’avis consultatif de la Cour ne devrait pas avoir pour objet le règlement d’une question
aussi essentielle que la souveraineté, à savoir si l’archipel des Chagos devrait rester avec le
Royaume-Uni ou être restitué à Maurice, mais porter au contraire sur le point de savoir si les
principes du droit international évoqués doivent s’appliquer pour rétablir l’équité dans des
processus qui étaient orientés par un déséquilibre des pouvoirs (processus qui ne sont pas exclusifs
à Maurice) et qui intéressent le débat à l’Assemblée générale. Le fait que 31 Etats et une
organisation aient déposé des exposés écrits est la preuve qu’un débat multilatéral est nécessaire et
pertinent.
26. Le principe de la non-rétroactivité reconnu par l’article 4 de la convention de Vienne ne
permet pas d’appliquer les règles relatives au vice du consentement, définies dans les articles 51 et
52 de cet instrument, à l’accord ayant mené à la séparation de l’archipel des Chagos. C’est à travers
le prisme de la décolonisation que de tels accords doivent être évalués et qu’il convient d’examiner
avec une attention particulière les situations dans lesquelles une autorité administrante tire un
intérêt propre de sa relation avec un peuple dépendant.
27. Non seulement un référendum ou un plébiscite constituait une étape nécessaire pour
valider la séparation de l’archipel des Chagos, mais c’était également la méthode employée par le
Royaume-Uni dans plusieurs autres cas, ce qui prouve qu’il était faisable de prendre en compte le
choix libre et volontaire des peuples concernés. Bien qu’il demeure nécessaire d’examiner avec une
attention particulière les situations dans lesquelles une autorité administrante tire un intérêt propre
d’un peuple dépendant, chacun est à même de faire la distinction entre un cadre contractuel
souverain et une séparation.
Le 11 mai 2018.
Le conseiller juridique,
mission permanente de la République des
Iles Marshall auprès des Nations Unies,
(Signé) Caleb W. CHRISTOPHER.
___________

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