Exposé écrit de l'Inde

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169-20180228-WRI-02-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15075
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL
DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA
RÉPUBLIQUE DE L’INDE
28 février 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Pages
CHAPITRE 1. INTRODUCTION ......................................................................................................... 1
CHAPITRE 2. LA MAURICE COLONIALE – LES FAITS HISTORIQUES ............................................... 3
CHAPITRE 3. PROCESSUS DE DÉCOLONISATION DE MAURICE – STATUT DE L’ARCHIPEL
DES CHAGOS ............................................................................................................. 5
CHAPITRE 4. RÉSOLUTIONS DES NATIONS UNIES ET AUTRES MESURES........................................ 9
CHAPITRE 5. DU BIEN-FONDÉ DE LA QUESTION SOUMISE POUR AVIS CONSULTATIF................... 14
CHAPITRE 6. CONCLUSION .......................................................................................................... 16
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1. Le 22 juin 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, par 94 voix pour,
15 voix contre et 65 abstentions, la résolution A/RES/71/292, présentée à l’initiative de Maurice
avec le soutien des Etats africains membres des Nations Unies et intitulée «Demande d’avis
consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel
des Chagos de Maurice en 1965». L’Inde s’est prononcée en faveur de la résolution1.
2. Dans sa résolution 71/292, l’Assemblée générale a décidé, conformément à l’article 96 de
la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de
l’article 65 de son Statut, un avis consultatif sur les questions suivantes :
a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice
a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des
Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations
évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre
1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et
2357 (XXII) du 19 décembre1967 ?»
b) «Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des
obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel
des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande
du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve
Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier
ceux d’origine chagossienne ?»
3. Comme le prévoit le paragraphe 2 de l’article 65 du Statut de la Cour internationale de
Justice, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Antonio Guterres, a transmis la demande d’avis
consultatif à la Cour, dans un courrier adressé à son président le 23 juin 2017.
4. Le président de la Cour, dans son ordonnance préliminaire rendue le 14 juillet 2017, a
demandé aux Etats Membres des Nations Unies susceptibles de fournir des renseignements sur la
question soumise à la Cour pour avis consultatif de se manifester auprès de cette dernière.
L’ordonnance fixait au 30 janvier 2018 la date limite de présentation desdits renseignements par
l’Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres, et au 16 avril 2018 la date d’expiration du
délai dans lequel les Etats ou organisations qui auraient présenté un exposé écrit pourraient
présenter des observations écrites sur les autres exposés écrits conformément au paragraphe 4 de
l’article 66 du Statut de la Cour. Dans son ordonnance datée du 17 janvier 2018, le président de la
1 Le 22 juin 2017, au cours du débat portant sur le point 87 de l’ordre du jour, intitulé «Demande d’avis
consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de
Maurice en 1965», qui a précédé l’examen et la mise aux voix du projet de résolution A/71/L.73, l’Inde déclare que c’est
pour elle «une question de principe que de faire valoir le processus de décolonisation et le respect de la souveraineté des
nations. Conformément à notre appui de longue date à tous les peuples qui luttent pour leur décolonisation, nous avons
également toujours soutenu Maurice, pays d’Afrique, en développement comme nous, avec lequel nous entretenons
depuis très longtemps des liens personnels, dans sa quête pour recouvrer sa souveraineté sur l’archipel des Chagos. Dans
la lignée de la position qui a toujours été la nôtre sur cette importante question de la décolonisation, l’Inde appuie le
projet de résolution A/71/L.73, proposé par Maurice et coparrainé par les membres du Groupe des Etats d’Afrique, et
votera pour». Le texte intégral de la déclaration de l’Inde est reproduit dans les Documents officiels de la soixante et
onzième session de l’Assemblée générale des Nations Unies (document A/71/PV.88, p. 15, 22 juin 2017).
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Cour, à la demande de l’Union africaine, a ensuite prorogé les deux délais respectivement au
1er mars 2018 et au 15 mai 2018.
5. Les renseignements ainsi communiqués sur les faits et éléments de droit entourant les
différents points en jeu dans la question soumise à la Cour devaient permettre d’étayer le travail
mené par cette dernière pour construire son avis consultatif.
6. L’objet de la question soumise pour avis consultatif vise surtout à déterminer dans quelle
mesure la décolonisation et l’indépendance de Maurice du Royaume-Uni, dont l’amorce (la
réalisation) remonte à mars 1968, sont considérées achevées et complètes, étant entendu que le
Royaume-Uni a conservé l’occupation de l’archipel des Chagos. Le maintien sous mandat
britannique résulte de la séparation de l’archipel des Chagos, détaché de Maurice en
novembre 1965. Il apparaît que la séparation a été actée sur la base d’une entente ou d’un accord
entre Maurice et le Royaume-Uni, prévoyant qu’en échange de l’utilisation de l’archipel des
Chagos à des fins de défense, le Royaume-Uni prenne certains engagements, portant notamment
sur le versement d’une compensation à Maurice, l’octroi de droits de pêche, les avantages tirés des
ressources pétrolières et minières, et la rétrocession des Chagos à Maurice dès lors que l’archipel
ne serait plus nécessaire à la stratégie de défense britannique. Cet accord semble avoir été mis en
place dans le cadre d’un échange de courriers entre des responsables politiques mauriciens et les
autorités britanniques.
7. L’archipel des Chagos se compose de sept atolls : le banc Speakers, le récif Blenheim,
Peros Banhos, les îles Salomon, le banc Great Chagos, Diego Garcia et les îles Egmont. Cet
ensemble, qui comprend plus de 60 îles tropicales baignées par l’océan Indien, se situe à quelque
500 kilomètres (310 miles) au sud de l’archipel des Maldives.
8. Maurice n’a cessé de faire valoir que l’archipel des Chagos faisait partie intégrante de son
territoire et de revendiquer la restitution de l’archipel par le Royaume-Uni. Nous croyons
comprendre que, bien que le Royaume-Uni reconnaisse le principe de la souveraineté mauricienne
sur les Chagos, il soutient que l’archipel sera restitué à Maurice quand il ne servira plus ses
objectifs de défense. Face à l’inaction du Royaume-Uni sur la question de la rétrocession de
l’archipel, Maurice a décidé de saisir la Cour internationale de Justice, par l’intermédiaire de
l’Assemblée générale des Nations Unies, afin d’obtenir un avis consultatif sur la question.
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CHAPITRE 2
LA MAURICE COLONIALE – LES FAITS HISTORIQUES
9. A la fin du XVe siècle, les explorateurs portugais s’aventurent pour la première fois dans
les eaux de l’océan Indien ; ils cartographient alors la position de Maurice et des autres îles des
Mascareignes, Rodrigues et la Réunion (qui est aujourd’hui une collectivité d’outre-mer française).
Au XVIe siècle, après les Portugais, l’océan Indien attire des navigateurs hollandais et anglais, les
deux nations ayant toutes deux fondé leur compagnie des Indes orientales pour mettre à profit les
débouchés commerciaux qu’offrent l’océan Indien et l’Extrême-Orient. A cette époque, Maurice
sert de port d’escale aux navires effectuant les longues traversées entre l’Europe et l’océan Indien
et il n’est alors nullement question d’établir une présence permanente sur le territoire mauricien. Ce
sera la Compagnie générale des Indes orientales, qui appartient aux Pays-Bas, qui fondera la
première colonie permanente à Maurice en 1638. Les Hollandais y maintiennent une présence
modeste, interrompue pendant une courte période, jusqu’à ce que la Compagnie quitte
définitivement l’île en 1710. Suite au départ des Hollandais, la France prend possession en 1715
de Maurice, qu’elle rebaptise «Isle de France»2.
10. Au cours de cette période, l’archipel des Chagos, pourtant très bien connu et répertorié
sur les cartes marines portugaises dès 1538, demeure largement épargné. Au milieu du
XVIIIe siècle, la France prend peu à peu possession de l’archipel, qu’elle cartographie
progressivement, et octroie des terres en concession pour l’aménagement de cocoteraies, qui
finissent par former une colonie permanente. Tout au long de cette période, la France administre
l’archipel des Chagos lui accordant le statut de dépendance de l’Isle de France3, à savoir Maurice.
En 1810, les Britanniques s’emparent de l’Isle de France, qu’ils rebaptisent Maurice. En vertu du
Traité de Paris, conclu le 30 mai 1814, la France cède l’Isle de France et toutes ses dépendances
(dont l’archipel des Chagos) au Royaume-Uni4. L’archipel des Chagos fait donc partie du territoire
de Maurice au moins depuis le XVIIIe siècle, époque à laquelle Maurice était encore une colonie
française. Sous domination coloniale française, l’archipel des Chagos était administré par la France
sous le statut de dépendance de Maurice. La France a cédé au Royaume-Uni toutes les îles
composant Maurice, y compris l’archipel des Chagos5.
L’Administration britannique
11. De la cession de Maurice par la France en mai 1814 jusqu’au 8 novembre 1965, date à
laquelle l’archipel des Chagos a été détaché de la Maurice coloniale, le Royaume-Uni considérait
l’archipel comme une dépendance de Maurice et l’administrait comme telle. L’administration
britannique de l’archipel des Chagos s’est exercée selon diverses modalités, qui lui ont notamment
valu la visite de commissaires spéciaux et de magistrats venus de Maurice6.
2 Sentence arbitrale relative au différend entre Maurice et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du
Nord concernant l’aire marine protégée des Chagos, rendue par le Tribunal arbitral le 18 mars 2015, p. 13-14, par. 56-57
(en anglais).
3 Ibid., p. 14, par. 58.
4 Ibid., par. 59.
5 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante et onzième session, doc. A/71/PV.88,
(22 juin 2017), p. 6.
6 Supra note 2, par. 61.
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12. Si les grandes lignes du régime colonial appliqué par le Royaume-Uni à cette époque ne
sont pas en question ici, les parties s’opposent toutefois sur la question de l’ampleur de l’activité
économique de l’archipel des Chagos et de son importance pour Maurice, ainsi que sur le sens à
donner au statut de dépendance de l’archipel. Maurice défend qu’il existait des «liens économiques,
culturels et sociaux étroits entre Maurice et l’archipel des Chagos» et que «l’administration de
l’archipel des Chagos en tant que partie constituante de Maurice s’est poursuivie sans interruption
pendant toute la période de la domination coloniale britannique». Le Royaume-Uni affirme pour sa
part que l’archipel des Chagos était «administré de manière très passive depuis Maurice» et qu’il
avait «en droit et en fait, un statut bien distinct de celui de l’île Maurice». Le Royaume-Uni
soutient par ailleurs que «les îles ne présentaient aucun intérêt économique pour Maurice, outre
qu’elles la fournissaient en huile de coco» et qu’en tout état de cause, les liens économiques,
sociaux et culturels qui unissaient l’archipel des Chagos et Maurice à cette époque sont sans
incidence sur le statut juridique de l’archipel7.
13. Pour obtenir un tableau plus précis de la question, il serait utile de procéder à une étude
des circonstances entourant la décolonisation et l’indépendance de Maurice, ainsi que des
résolutions des Nations Unies qui s’y rapportent.
7 Ibid., par. 62.
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CHAPITRE 3
PROCESSUS DE DÉCOLONISATION DE MAURICE – STATUT DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS
Processus de décolonisation de Maurice
14. Au début de l’année 1831, l’administration du Gouverneur britannique de Maurice est
secondée par un conseil de gouvernement nouvellement créé. Au départ, le conseil était composé
de membres de droit et de membres désignés par le Gouverneur. Ensuite, l’organe s’est
démocratisé, accueillant en son sein des membres élus. La nouvelle Constitution de Maurice,
adoptée en 1947, a remplacé le conseil de gouvernement par deux conseils distincts, l’un législatif,
l’autre exécutif. Le conseil législatif était constitué du Gouverneur, intervenant en qualité de
président, de 19 membres élus, de 12 membres désignés par le Gouverneur et de 3 membres de
droit. Les premières élections du conseil législatif se sont tenues en 1948. Aux élections suivantes,
organisées en 1953, Maurice emprunte pour la première fois le chemin de l’indépendance. Les
élus mauriciens commencent à faire pression sur le gouvernement britannique afin d’instaurer le
suffrage universel, de mettre en place un système de gouvernement avec cabinet ministériel et
d’accorder une plus large place aux représentants élus dans la composition du conseil législatif.
Dès 1959, le gouvernement de Maurice affiche ouvertement son ambition de conquérir sa complète
indépendance8.
15. Les conférences constitutionnelles de 1955 et de 1958 aboutissent à la révision de la
Constitution et à la création, en 1961, du poste de ministre en chef. En 1962, M. Seewoosagur
Ramgoolam (qui, anobli, répondra plus tard au titre de sir Seewoosagur) est nommé ministre en
chef d’un conseil des ministres présidé par le Gouverneur et, après les élections de 1963, il forme
un gouvernement de coalition rassemblant tous les partis en présence afin d’engager des
négociations avec les Britanniques sur la question de l’indépendance9. La dernière conférence
constitutionnelle, tenue à Londres en septembre 1965, est largement dominée par le débat opposant
alors les responsables politiques mauriciens favorables à l’indépendance et ceux préférant
maintenir une forme d’association avec le Royaume-Uni. Le 24 septembre 1965, au dernier jour de
la conférence, le secrétaire d’Etat aux colonies et parlementaire Anthony Greenwood, qui était
alors le ministre britannique compétent sur la question de Maurice, annonce l’intention du
gouvernement du Royaume-Uni de voir Maurice accéder à la pleine indépendance10.
Détachement de l’archipel des Chagos
16. Alors que le processus d’indépendance est lancé, le Royaume-Uni présente une
proposition visant à séparer l’archipel des Chagos du reste de la colonie, dans le but de maintenir
les Chagos sous mandat britannique. D’après Maurice, la proposition trouve son origine dans une
décision prise par le Royaume-Uni au début des années 1960 afin de «répondre au souhait des
Etats-Unis d’utiliser certaines îles de l’océan Indien à des fins de défense»11. Les Forces navales
des Etats-Unis ont retenu l’île de Diego Garcia en vue de l’implantation d’installations militaires
dans l’océan Indien. Des contacts sont établis avec le Gouvernement britannique en 1963 afin
d’évoquer l’utilisation de Diego Garcia et la nécessité d’un «détachement» si l’on veut maintenir la
souveraineté et le contrôle et assurer la sécurité de toute future base militaire qui verrait le jour sur
8 Ibid., par. 65.
9 Ibid., par. 66.
10 Ibid., par. 67.
11 Ibid., par. 69.
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l’île. C’est ainsi qu’est créé le Territoire britannique de l’océan Indien, le 8 novembre 1965, par
décret-loi (Order in Council) (UK Statutory Instrument N° 1, 1965), Territoire qui regroupe
l’archipel des Chagos et plusieurs autres îles autrefois rattachées à la colonie des Seychelles.
Le 30 décembre 1966, les Gouvernements des Etats-Unis et du Royaume-Uni signent un échange
de notes, précisant la vocation des îles Chagos, dont la totalité du territoire est désormais «vouée à
répondre aux besoins des deux gouvernements en matière de défense»12.
17. Le 19 juillet 1965, le gouverneur de Maurice transmet la proposition de détachement de
l’archipel des Chagos au conseil des ministres de Maurice. Dans un premier temps, les ministres
mauriciens ne sont pas favorables à l’idée d’un détachement, estimant que cette option ne sera pas
acceptable aux yeux de l’opinion publique à Maurice, et suggèrent une solution de rechange, à
savoir un bail emphytéotique, assorti de garanties touchant aux droits sur les ressources minières, la
pêche et les ressources agricoles. Le gouverneur de Maurice informe toutefois les ministres
mauriciens, le 13 août 1965, que la proposition de bail n’est pas viable13.
18. S’ensuit une série d’entretiens et de consultations qui déboucheront sur l’adoption d’un
accord de principe intérimaire autorisant le détachement de l’archipel en échange de l’intervention
du secrétaire d’Etat auprès du conseil des ministres recommandant que le Royaume-Uni prenne
certaines mesures. Les points ci-dessous sont retranscrits dans le projet de procès-verbal de la
réunion de Lancaster House14 : i) négociations d’un accord de défense entre la Grande-Bretagne et
Maurice ; ii) en cas d’indépendance, conclusion d’une entente entre les deux gouvernements
prévoyant que ceux-ci se concertent dans l’éventualité où une situation interne difficile menacerait
la sécurité à Maurice ; iii) versement d’une compensation financière de trois millions de livres au
gouvernement de Maurice, en plus des indemnisations prévues pour les propriétaires fonciers et de
la prise en charge des frais de réinstallation des autres personnes concernées aux Chagos ; iv) le
Gouvernement britannique devra jouer les bons offices auprès du Gouvernement des Etats-Unis
afin d’appuyer l’octroi de concessions pour les importations de sucre et la fourniture de blé et
d’autres produits de base, comme demandé par Maurice ; v) le gouvernement britannique mettra
tout en oeuvre pour convaincre le gouvernement américain de recourir à de la main-d’oeuvre et à
des matériaux de Maurice pour les chantiers de construction ouverts sur les îles ; vi) dès lors que
les installations implantées sur les îles ne seraient plus nécessaires, les îles seront restituées à
Maurice.
19. Sir Seewoosagur Ramgoolam fait savoir que, pour lui, M. Bissoondoyal et M. Mohamed,
ces termes sont acceptables en principe, mais exprime le souhait d’en référer à ses autres collègues
ministres. La partie mauricienne complète la liste, composée de six points (engagements), avec les
éléments ci-après : vii) installations de navigation et de météorologie ; viii) droits de pêche ;
ix) utilisation de la bande d’atterrissage pour les atterrissages d’urgence et dans les cas où cela est
nécessaire aux aménagements dans les autres îles ; x) en cas de découverte de ressources minières
ou pétrolières à terre ou à proximité des îles, les droits en reviennent au gouvernement de Maurice.
Ces points supplémentaires figurent dans le compte rendu final de la réunion de Lancaster House15.
20. Selon les procès-verbaux cités dans la sentence arbitrale du 18 mars 2015 relative au
différend entre Maurice et le Royaume-Uni concernant l’aire marine protégée des Chagos, le
12 Ibid., p. 2.
13 Ibid., par. 72.
14 Ibid., par. 74.
15 Ibid., par. 76-77 (on trouve au paragraphe 77 le verbatim de la réunion qui s’est tenue à Lancaster House à
14 h 30 le jeudi 23 septembre en vue de la conclusion d’une entente sur le détachement des Chagos).
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gouverneur de Maurice informe l’office des colonies, le 5 novembre 1965, que le conseil des
ministres confirme l’accord obtenu concernant le détachement de l’archipel des Chagos, étant
entendu que «le Gouvernement de Sa Majesté a pris dûment note des points vii) et viii)», signifiant
de fait que ces derniers ont été acceptés. S’agissant du point vii), l’engagement pris auprès de
l’assemblée législative exclut a) la vente ou la cession à un tiers par le Gouvernement de Sa
Majesté, ainsi que b) tout paiement ou obligation financière qui incomberait à Maurice en
contrepartie de la restitution des îles. Au point viii), les termes «à terre ou à proximité des îles»
désignent la zone à l’intérieur de laquelle Maurice serait en mesure de retirer des avantages, à
l’exclusion d’un changement de souveraineté. Je vous saurais gré de confirmer que cette
interprétation est acceptée. Le gouverneur fait également savoir que «les ministres [du Parti
Mauricien Social Démocrate] sont en désaccord et réfléchissent à la position qui sera la leur au sein
du gouvernement». Par conséquent, les parties sont en désaccord quant aux circonstances dans
lesquelles le consentement a été obtenu et, partant, quant aux implications qui en découlent16.
21. Par la suite, le détachement de l’archipel des Chagos est entériné par la création du
Territoire britannique de l’océan Indien, le 8 novembre 1965, par décret-loi. En application de ce
décret, l’administration du Territoire nouvellement créé entre dans la compétence du bureau du
Commissaire du Territoire, nommé par Sa Majesté sur les conseils du Foreign and Commonwealth
Office, et assisté par l’administrateur du Territoire17.
22. Le 19 novembre 1965, le secrétaire d’Etat informe par télégramme le gouverneur de
Maurice que, s’agissant du point vii), confirmation peut être donnée à la condition qu’il soit
clairement établi que la décision relative à la nécessité de conserver les îles doit relever
exclusivement de la compétence du gouvernement du Royaume-Uni et que le gouvernement de
Maurice ne saurait de sa propre initiative soulever la question ou faire pression pour la rétrocession
des îles18.
23. Ainsi, en 1965, le Royaume-Uni sépare l’archipel des Chagos de Maurice et les îles
d’Aldabra, Farquhar et Desroches des Seychelles, pour former le Territoire britannique de l’océan
Indien. Ces îles se voient accorder le statut officiel de territoire d’outre-mer du Royaume-Uni
le 8 novembre 1965. Toutefois, le 23 juin 1976, les îles d’Aldabra, Farquhar et Desroches sont
restituées aux Seychelles, à leur accession à l’indépendance.
Octroi de l’indépendance à Maurice
24. Le 4 mars 1968, les autorités britanniques votent le décret-loi consacrant l’indépendance
de Maurice19 (The Mauritius Independence Order, 1968), qui contient en annexe la Constitution de
Maurice. La section 2.1 du décret dispose que le 12 mars 1968 sera le «jour désigné». La
section 4.1 mentionne que la Constitution entrera en vigueur à Maurice le jour désigné, à savoir le
12 mars 1968.
25. Une note explicative (qui ne fait par ailleurs pas partie du décret-loi sur l’indépendance)
précise :
16 Ibid., par. 79-80.
17 Ibid., par. 81.
18 Ibid., par. 84.
19 Avis administratif no 54 de l’année 1968 – «The Mauritius lndependence Order, 1968».
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«En vertu de la loi de 1968 relative à l’indépendance de Maurice, cette dernière
acquerra le statut de pleine responsabilité au sein du Commonwealth le 12 mars 1968.
Le présent décret-loi prévoit qu’une constitution entre en vigueur à Maurice le même
jour, celle-ci portant entre autres création de l’assemblée législative, du pouvoir
exécutif, du système judiciaire et de la fonction publique. La constitution contient
également des dispositions concernant la citoyenneté mauricienne ainsi que les droits
fondamentaux et les libertés garantis à l’individu.»
26. C’est ainsi que Maurice accède à l’indépendance le 12 mars 1968. Il est utile de noter
que, ce jour-là, l’archipel des Chagos, utilisé pour servir les intérêts de la défense depuis
novembre 1965, est toujours sous occupation britannique.
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CHAPITRE 4
RÉSOLUTIONS DES NATIONS UNIES ET AUTRES MESURES
Résolutions des Nations Unies
27. La principale question qui se pose dans l’objet de la requête pour avis consultatif est de
savoir si la décolonisation de Maurice est complète. Principale instance mondiale chargée
d’appuyer la réalisation de l’objectif de décolonisation, l’Organisation des Nations Unies a toute
légitimité pour évaluer les efforts qu’elle met en oeuvre à l’appui de cet objectif, comme le
mentionne d’ailleurs le texte de la question soumise à la Cour.
Résolution A/RES/1514 (XV)
28. Le principal texte international portant sur la décolonisation est la résolution 1514 (XV)
de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 14 décembre 1960 et intitulée «Déclaration
sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux».
29. Le 28 novembre 1960, le Cambodge, agissant au nom de 26 pays d’Asie et d’Afrique,
dépose un projet de résolution, dont 43 Etats asiatiques et africains finiront par se porter coauteurs.
Le représentant du Cambodge indique que les auteurs du projet de texte se sont attachés à trouver
des formules et des solutions susceptibles d’être acceptées par le plus grand nombre de délégations,
à défaut de satisfaire tous les membres de l’Assemblée. Les auteurs appellent ainsi l’ensemble des
délégations à étudier le texte attentivement et avec l’esprit ouvert, afin qu’une période de l’histoire
de l’humanité à laquelle il aurait fallu mettre un point final, à savoir l’exploitation des peuples par
d’autres peuples et la domination des pays par d’autres pays, soit définitivement révolue20.
30. Les 43 pays d’Afrique et d’Asie coauteurs de la résolution présentée en vue de l’adoption
de la Déclaration sont les suivants : Afghanistan, Arabie saoudite, Birmanie, Cambodge,
Cameroun, Ceylan, Chypre, Congo (Brazzaville), Congo (Léopoldville), Côte d’Ivoire, Dahomey
(aujourd’hui le Bénin), Ethiopie, Gabon, Ghana, Guinée, Haute-Volta (aujourd’hui le
Burkina Faso), Inde, Indonésie, Iran, Iraq, Jordanie, Laos, Liban, Liberia, Libye, Madagascar,
Fédération de Malaisie, Mali, Maroc, Népal, Niger, Nigeria, Pakistan, Philippines,
République arabe unie (aujourd’hui l’Egypte et la Syrie), République centrafricaine, Sénégal,
Somalie, Soudan, Tchad, Togo, Tunisie et Turquie21.
31. L’Assemblée générale, après avoir proclamé solennellement la nécessité de mettre
rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses
manifestations, adopte le 14 décembre 1960 la résolution 1514 (XV) intitulée «Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux»22, par 89 voix pour, 0 voix contre et
9 abstentions. La liste des abstentions comprend les pays suivants : Australie, Belgique, Espagne,
20 The Yearbook of the United Nations, 1960, Part. 1: Section 1: Political and security questions, Chapter 5:
Declaration on granting independence to colonial countries and peoples, p. 46.
21 The Yearbook of the United Nations, Ibid.
22 Le texte de la résolution A/RES/1514 (XV) comprenant la Déclaration peut être consulté à l’adresse suivante :
http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/1514(XV)&refer….
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Etats-Unis d’Amérique, France, Portugal, République dominicaine, Royaume-Uni et Union
d’Afrique du Sud23.
32. Par cette déclaration, la communauté internationale se montre fermement résolue à faire
en sorte que tous les pays coloniaux, les territoires sous tutelle et les territoires non autonomes se
voient accorder l’indépendance complète et la pleine liberté, leur permettant de bâtir leurs propres
Etats-nations conformément à la volonté et aux voeux librement exprimés de leurs peuples. Le
système colonial et l’administration coloniale sous toutes leurs formes doivent être définitivement
abolis afin de permettre aux peuples de ces territoires de choisir eux-mêmes leur destin et leur
forme de gouvernement. Tous les bastions du colonialisme, s’entendant de toute forme de
possession dans le territoire d’autres pays, doivent être éliminés. Tous les pays doivent observer
strictement et de manière indéfectible les dispositions de la Charte des Nations Unies et de la
résolution (Déclaration) traitant de l’égalité du respect des droits souverains et de l’intégrité
territoriale de tous les Etats.
33. Par conséquent, la communauté internationale défend que l’élimination immédiate et
complète du colonialisme sous toutes ses formes est une étape indispensable pour encourager les
forces de la paix, du progrès et de la liberté. L’Organisation des Nations Unies, en adoptant la
Déclaration, s’acquitte en partie de la mission qu’elle s’est fixée et qui lui fait obligation de mettre
fin au système colonial.
34. La résolution appelle à mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme
sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations et dispose que «toute tentative visant à
détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est
incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies»24.
35. Il convient de noter que le Royaume-Uni figure parmi les neuf Etats qui s’abstiennent de
voter. Dans un discours où il revient sur les motifs d’abstention de la délégation, le représentant du
Royaume-Uni déclare :
«La mesure dans laquelle les peuples de ces territoires, avec notre aide,
pourront créer de nouvelles nations indivises, fortes et véritablement indépendantes
est, nous en sommes convaincus, déterminante pour leur bonheur futur ainsi que pour
le progrès et le bien-être de l’humanité tout entière.»25
Nonobstant les aspirations exprimées en ces termes, en juillet 1965, le Gouverneur de la colonie
britannique de Maurice reçoit instruction d’entamer des négociations avec les ministres mauriciens
au sujet du détachement de l’archipel des Chagos de Maurice.
Résolution A/RES/2066 (XX)
36. Suite à l’annonce publique du détachement de l’archipel des Chagos, la question est
portée devant le Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la
23 Voir les documents A/L.323 et Add.1-6, adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies le
14 décembre 1960, à sa 947e séance plénière, par vote par appel nominal.
24 Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 14 décembre 1960, par. 6 du
dispositif.
25 Creation of BIOT – The Chagos Archipelago, p. 1 (https://sites.google.com/site/thechagosarchipelagofacts/
home/creationof-biot).
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Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. En conséquence, le
16 décembre 1965, l’Assemblée générale des Nations Unies condamne le détachement dans sa
résolution 2066 (XX)26, intitulée «Question de l’île Maurice», et appelle le Royaume-Uni à mettre
en oeuvre de manière complète la résolution 1514 (XV) et à «ne prendre aucune mesure qui
démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale»27.
37. L’Assemblée générale note alors avec une profonde inquiétude que toute mesure prise
par la Puissance administrante pour détacher certaines îles du territoire de l’île Maurice afin d’y
établir une base militaire constituerait une violation de la Déclaration adoptée dans la
résolution 1514 (XV) et en particulier du paragraphe 6 de celle-ci, qui dispose que «toute tentative
visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est
incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies».
38. La résolution condamne expressément le fait que le Royaume-Uni n’ait pas appliqué la
Déclaration en vue d’une décolonisation complète du Territoire mauricien. Dans le texte de la
résolution, l’Assemblée générale invite par ailleurs le Royaume-Uni à mener à terme la
décolonisation de Maurice, à lui en faire rapport et à en faire de même devant le Comité spécial
créé pour étudier la mise en oeuvre de la Déclaration. Ignorant cet appel, le Royaume-Uni ne
renonce pas à son projet de création du Territoire britannique de l’océan Indien et poursuit ses
efforts en ce sens.
Résolution A/RES/2232 (XXI)
39. L’Assemblée générale des Nations Unies se saisit à nouveau de cette question en
décembre 1966, s’intéressant aux territoires de tous les Etats mentionnés dans la résolution 1514
(XV) du 14 décembre 1960.
40. L’Assemblée générale adopte la résolution 2232 (XXI)28 le 20 décembre 1966. Dans
cette résolution, elle réaffirme le droit inaliénable des peuples des territoires coloniaux, y compris
celui de Maurice, à l’indépendance complète et totale. En demandant aux Puissances
administrantes d’appliquer sans retard les résolutions des Nations Unies visant la décolonisation
complète des territoires, elle réitère sa déclaration selon laquelle toute tentative visant à détruire
partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux est
incompatible avec la Charte des Nations Unies. L’Assemblée générale décide que l’Organisation
des Nations Unies devra prêter toute l’aide nécessaire aux peuples de ces territoires dans les efforts
qu’ils déploient pour décider librement de leur statut futur. Elle prie le Comité spécial d’accorder
une attention spéciale aux territoires coloniaux et le charge de faire rapport à l’Assemblée générale,
lors de sa vingt-deuxième session, sur l’application de cette résolution.
Résolution A/RES/2357 (XXII)
41. Devant l’absence de mesures prises par la (les) puissance(s) coloniale(s) en vue d’une
décolonisation complète, ces dernières ignorant de fait toutes les résolutions précédemment
26 Le texte de la résolution A/RES/2066 (XX) est disponible à l’adresse http://www.un.org/en/ga/
search/view_doc.asp?symbol=A/RES/2066(XX)&referer=/english/&Lang=F.
27 Par. 3 et 4 du dispositif de la résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965.
28 Le texte de la résolution A/RES/2232 (XXI) est disponible à l’adresse http://www.un.org/en/ga/
search/view_doc.asp?symbol=A/RES/2232(XXI)&referer=/english/&Lang=F.
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adoptées à cet effet, l’Assemblée générale se saisit à nouveau de cette question à l’occasion de sa
vingt-deuxième session (1967) et adopte la résolution 2357 (XXII)29, le 19 décembre 1967.
42. Dans cette résolution, l’Assemblée générale réaffirme qu’elle condamne et déplore le
défaut d’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux. Elle réitère également toutes les demandes relatives à la nécessité de porter aide et
assistance aux peuples de ces territoires, ainsi qu’aux obligations de rapport du Comité spécial.
Arbitrage
43. Suite à l’annonce par le Gouvernement du Royaume-Uni le 20 décembre 2010 de la
création d’une aire marine protégée (AMP) dans la zone maritime entourant l’archipel des Chagos,
le Gouvernement de Maurice a engagé une procédure d’arbitrage en application de la convention
des Nations Unies sur le droit de la mer, remettant en cause la légalité de la décision britannique au
motif qu’il existe un différend quant à la souveraineté s’exerçant sur l’archipel. Maurice soutient
alors qu’au sens de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et du droit international,
le Royaume-Uni n’est pas l’«Etat côtier» au titre de l’archipel des Chagos et n’a donc pas
compétence pour prétendre à la création d’une AMP dans les eaux bordant l’archipel. Le
Royaume-Uni et Maurice ont déposé leurs arguments devant le Tribunal arbitral en avril 2014.
44. Le Tribunal a examiné en détail les engagements pris par le Royaume-ni envers les
ministres mauriciens au cours des pourparlers de Lancaster House en septembre 1965. Le
Royaume-Uni avait avancé que ces engagements n’étaient pas contraignants et n’avaient aucun
statut en droit international. Le Tribunal a toutefois rejeté cet argument, maintenant au contraire
que ces derniers étaient porteurs de sens et avaient force contraignante. Il a considéré que les
engagements pris par le Royaume-Uni à l’égard de Maurice sur la question des droits de pêche et
des droits s’exerçant sur les ressources pétrolières et minières dans l’archipel des Chagos étaient
juridiquement contraignants30. Le Tribunal a déclaré à l’unanimité que les engagements du
Royaume-Uni relatifs a) aux droits de pêche, b) à la restitution à terme de l’archipel des Chagos, et
c) aux avantages découlant de la découverte de ressources minières ou pétrolières, avaient valeur
d’obligations juridiquement contraignantes pour le Royaume-Uni31.
45. Le Tribunal a examiné les circonstances entourant le détachement de l’archipel et a
conclu que les engagements du Royaume-Uni faisaient partie de l’accord négocié par lequel a été
obtenu le consentement mauricien au détachement et constituaient la preuve qu’il y avait intention
d’opposer un accord contraignant au Royaume-Uni, indépendamment du caractère contraignant ou
non desdits engagements avant l’indépendance. Du point de vue du droit, le Tribunal a noté que le
Royaume-Uni avait réitéré ses engagements à maintes reprises depuis l’accession de Maurice à
l’indépendance et a conclu que le Royaume-Uni était, en application du principe général de droit de
l’estoppel, irrecevable à nier le caractère contraignant de ces engagements.
46. La souveraineté s’exerçant sur l’archipel des Chagos n’étant pas tranchée et en l’absence
de consultations suffisantes avec Maurice, pourtant nécessaires pour que soient dûment pris en
compte les droits et intérêts mauriciens en vertu de la convention des Nations Unies sur le droit de
29 Le texte de la résolution A/RES/2357 (XXII) est disponible à l’adresse http://www.un.org/en/ga/search/
view_doc.asp?symbol=A/RES/2357(XXII)&referer=/english/&Lang=F.
30 Sentence arbitrale, supra note 2, par. 547.B, p. 215.
31 Ibid.
- 13 -
la mer, le Tribunal arbitral a décidé que la création de l’AMP bordant l’archipel des Chagos par le
Royaume-Uni était contraire à la convention32.
47. Le Tribunal a rendu sa sentence le 18 mars 2015, concluant à l’unanimité que l’AMP
proclamée en avril 2010 par le Royaume-Uni dans les eaux de l’archipel des Chagos avait été
établie en violation du droit international, et était donc illégale.
Efforts régionaux
48. En juin 2015, l’Assemblée de l’Union africaine a adopté une résolution sur l’archipel des
Chagos33. L’Union africaine y reconnaît l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, comme
partie intégrante du territoire de Maurice. Cette résolution traduit l’engagement ferme de Maurice
d’exercer dans les faits sa souveraineté sur l’archipel des Chagos, conformément aux principes du
droit international. Dans la résolution, l’Union africaine déplore la poursuite de l’occupation par le
Royaume-Uni de l’archipel des Chagos, laquelle revient à nier à Maurice l’exercice de sa
souveraineté sur l’archipel et suspend la décolonisation de l’Afrique à un stade inachevé.
49. L’Union africaine affirme, par cette résolution, que l’archipel des Chagos a été
illégalement retiré du territoire de Maurice par le Royaume-Uni, en violation du droit international
et des résolutions des Nations Unies. L’Union africaine, s’engageant à apporter son plein soutien à
Maurice, appelle le Royaume-Uni à mettre fin à son occupation illégale de l’archipel des Chagos et
à restituer ce dernier à Maurice.
32 Ibid.
33 Assembly/AU/Res.l (XXV) — Doc. EX.CL/901 (XXVII).
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CHAPITRE 5
DU BIEN-FONDÉ DE LA QUESTION SOUMISE POUR AVIS CONSULTATIF
50. Les dossiers du Cabinet britannique datant du détachement de l’archipel des Chagos
révèlent que M. Harold Wilson, alors Premier ministre, a informé le Premier ministre de Maurice
en septembre 1965 que consentir au détachement des Chagos était l’un des prix à payer pour
obtenir l’indépendance. Dans la période qui s’est ouverte juste après l’indépendance, la séparation
des Chagos n’a eu que peu de conséquences sur l’Etat de Maurice nouvellement formé, alors en
proie à des problèmes économiques et ethniques, et il faut attendre juin 1980 pour qu’une majorité
au parlement mauricien demande pour la première fois au Royaume-Uni de restituer les Chagos à
Maurice, la première revendication officielle étant présentée par Maurice le 9 octobre 1980 par la
voix de son Premier ministre devant l’Assemblée générale des Nations Unies34.
51. En 1982, suite à la publication du rapport d’un Select Committee sur la chronologie des
événements de 1965, le Gouvernement de Maurice adopte officiellement la position selon laquelle
l’archipel des Chagos a été illégalement excisé du territoire mauricien. Depuis lors, Maurice n’a eu
de cesse de revendiquer la souveraineté des Chagos. De son côté, le Royaume-Uni a invariablement
défendu que la revendication de souveraineté était entendue, tout en reconnaissant qu’il céderait les
îles à Maurice dès lors qu’elles ne seraient plus nécessaires à sa stratégie de défense35.
52. La Constitution de Maurice établit qu’outre l’île principale de Maurice, l’Etat mauricien
s’étend aux îles périphériques de Rodrigues, Agalega, Cargados, Carajos et l’archipel des Chagos,
ainsi qu’à toute autre île relevant de l’Etat de Maurice. Le Gouvernement de la République de
Maurice a déclaré qu’il ne reconnaissait pas le Territoire britannique de l’océan Indien, créé par le
Royaume-Uni en détachant l’archipel des Chagos du territoire de Maurice avant son accession à
l’indépendance, et affirme que l’archipel des Chagos fait partie intégrante du territoire de Maurice
tant au regard du droit mauricien qu’en application du droit international36.
Dépeuplement
53. Entre 1967 et 1973, quelque 2 000 Chagossiens sont déplacés des îles Chagos et
transportés par bateau vers Maurice et les Seychelles37. La déportation des Ilois se fait
apparemment contre leur gré et sans consultation aucune. Le reste de la population chagossienne
résidant sur l’île de Diego Garcia aurait également été embarquée de force sur des navires en
partance pour les îles Peros Banhos et Salomon. Dès 1973, les résidents permanents de l’archipel
des Chagos ont tous été délogés38. Tout au long des discussions internes relatives aux possibilités
de réinstallation des Chagossiens, le gouvernement du Royaume-Uni, comme l’indiquent des
mémorandums de cette période, était pleinement conscient qu’il proposait l’expropriation des Ilois
34 Supra note 28, p. 2.
35 Ibid.
36 Chagos remains a matter for discussion. Le Defimedia. Archivé à partir de l’article original le 27 avril 2015.
Extrait le 22 septembre 2012, https://en.wikipedia.org/wiki/Chagos_Archipelago_sovereignty_dispute#ci….
37 Norton-Taylor, R(2012) Diego Garcia archives shed light on fate of deported Chagos Islanders.
http://www.theguardian.com/uk/2012/apr/18/archives-diego-garcia, voir Modélisation des Nations Unies à l’UC Davis :
XVe Conférence de modélisation des Nations Unies de l’UC Davis, 20-21 mai 2017, p. 8. (http://dmunc.org/wpcontent/
uploads/UNSC-Formatted.pdf).
38 Modélisation des Nations Unies à l’UC Davis, ibid., p. 8-9.
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de leurs terres natales et, pour autant qu’aient été évoqués les droits garantis aux Ilois par la loi, il
s’est montré résolu à les bafouer39.
54. Il est utile de noter dans ce contexte que le décret-loi portant création du Territoire
britannique de l’océan Indien, tel que promulgué par Sa Majesté en 1965, donnait tous pouvoirs au
Commissaire pour «édicter des lois afin d’assurer la paix, l’ordre et la bonne gouvernance du
territoire». En vertu des pouvoirs que lui confère la section 11 du décret-loi, le commissaire publie
le BIOT Ordinance de 1971. La section 4 de cet arrêté prévoit l’expulsion forcée de tous les
habitants. En août 1998, un Chagossien du nom d’Olivier Bancoult saisit la Haute Cour de Justice
d’Angleterre, auprès de laquelle il dépose un recours en révision judiciaire. Au cours de la
procédure, la validité de l’arrêté d’immigration de 1971 est remise en cause et, le 3 novembre 2000,
la Cour divisionnaire conclut que la section 4 de l’arrêté d’immigration dépasse le cadre légal de la
Constitution du Territoire britannique de l’océan Indien40.
55. Le 10 juin 2004, le Gouvernement du Royaume-Uni promulgue au rang de loi le
décret-loi de 2004 portant création du Territoire britannique de l’océan Indien (Constitution) et le
décret-loi de 2004 relatif au Territoire britannique de l’océan Indien (immigration)41. En déclarant
que personne n’a le droit de résidence sur le territoire, ni même le droit d’y entrer sans autorisation,
ces décrets-lois matérialisent l’abrogation du droit dont disposent les Chagossiens à vivre sur le
territoire. Sur cette base, M. Bancoult introduit une nouvelle contestation judiciaire en 2006
[Bancoult (2)], amenant la Cour divisionnaire du Royaume-Uni à déclarer les décrets-lois
irrationnels42. En appel, les décrets-lois sont considérés à l’unanimité comme constituant un abus
de pouvoir. En 2008, le secrétaire d’Etat dépose un appel devant la Chambre des Lords afin qu’elle
statue sur la validité de la section 9 du décret-loi de 2004 (Constitution) portant création du
Territoire britannique de l’océan Indien, ce sur quoi les Lords estiment, sur le fond, qu’il s’agit
d’une question de politique étrangère sur laquelle le système judiciaire n’a pas à intervenir43.
56. Dans son annonce de la création d’une aire marine protégée (AMP) dans le Territoire
britannique de l’océan Indien en 2010, le secrétaire aux affaires étrangères du Royaume-Uni,
M. David Miliband, évoquait également la mise en place d’une réserve marine mise en défens (no
take), où la pêche professionnelle était interdite44. La mesure semble avoir des implications directes
sur l’éventuelle réinstallation de la population autochtone de l’archipel des Chagos.
39 Accords entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique. https://sites.google.com/
site/thechagosarchipelagofacts/diego-garcia/us-uk-agreements. Modélisation des Nations Unies à l’UC Davis, ibid., p. 9.
40 Regina (Bancoult) v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs and Another (No,1) Divisional
Court, Queen’s Bench Division, (2000) 123 ILR 555. Modélisation des Nations Unies à l’UC Davis, ibid.
41 British lndian Ocean Territory (Constitution Order) Buckingham Palace, The Queen’s Majesty in Council
(2004). Modélisation des Nations Unies à l’UC Davis, ibid., p.10.
42 R. (Bancoult) v. Secretary of Foreign and Commonwealth Affairs (2006) EWHC 1038 (Divisional Court).
Modélisation des Nations Unies à l’UC Davis, ibid.
43 UK Court of Appeal (2008) QB 365/ 3 WLR 955. Modélisation des Nations Unies à l’UC Davis, ibid.
44 Rincon, P. (2010) UK Sets up Chagos Islands Marine Reserve. http://news.bbc.co.uk/2/hi/
science/nature/8599125.stm>.
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CHAPITRE 6
CONCLUSION
57. Les faits historiques situent l’archipel des Chagos au sein du territoire mauricien
pendant toute la période précoloniale, coloniale et postcoloniale. Lorsque les îles Chagos sont
placées sous l’administration coloniale britannique, elles le sont parce qu’elles sont rattachées au
territoire mauricien.
58. Le Royaume-Uni, à partir du mois de mai 1814, administre / occupe l’archipel des
Chagos dans la continuité du territoire mauricien en sa qualité de puissance coloniale. L’entente
passée en novembre 1965 entre Maurice et le Royaume-Uni prévoyant le maintien des Chagos sous
mandat britannique à des fins de défense et la restitution ultérieure de l’archipel à Maurice lorsqu’il
ne sera plus nécessaire à la stratégie de défense britannique constitue par ailleurs en soi une preuve
que Maurice était et demeure la nation détentrice de la souveraineté sur l’archipel des Chagos, et
ce, indépendamment de qui utilise ou administre actuellement ces îles et à quelles fins.
59. Par conséquent, l’aspect historique de l’affaire démontre et établit que l’archipel des
Chagos fait partie du territoire mauricien, excluant la souveraineté de tout autre Etat.
60. L’aspect juridique, lui, devrait s’enraciner et s’ancrer dans les faits historiques, le
comportement des nations concernées et l’examen de la ou des questions pertinentes par les
organes et institutions compétents, l’Organisation des Nations Unies étant la première instance
compétente dans les affaires internationales. Maurice a accédé à l’indépendance le 12 mars 1968.
D’un point de vue juridique, la chronologie des événements qui ont précédé l’indépendance, l’ont
façonnée et l’ont suivie est décisive pour déterminer si la décolonisation est ou non achevée.
61. L’Organisation des Nations Unies, en décembre 1960, reconnaissant que les peuples du
monde souhaitent ardemment la fin du colonialisme dans toutes ses manifestations ; persuadée
qu’il faut mettre fin au colonialisme et à toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination
dont il s’accompagne ; convaincue que tous les peuples ont droit à la pleine liberté et à l’intégrité
de leur territoire national, proclame solennellement la nécessité de mettre rapidement et
inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations,
dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale. Cette résolution énonce que «toute tentative
visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est
incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies».
62. Or, en contradiction avec la résolution de novembre 1965, la rétention / le détachement
de l’archipel des Chagos est acté(e), décision qui semble être prise en violation des obligations
découlant de la résolution. L’Organisation des Nations Unies se prononce sur le détachement de
l’archipel des Chagos dans sa résolution 2066 (XX), intitulée «Question de l’île Maurice» et
adoptée en décembre 1965. Dans ce texte, elle appelle le Royaume-Uni à appliquer pleinement la
résolution 1514 (XV) et à «ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île
Maurice et violerait son intégrité territoriale». La résolution fait obligation au Royaume-Uni
d’achever la décolonisation de Maurice et d’en faire rapport à l’Assemblée générale ainsi qu’au
Comité spécial.
63. Toutefois, le Royaume-Uni ne renonce pas à son projet de détachement de l’archipel des
Chagos. Devant l’absence de mesures britanniques allant dans le sens d’une décolonisation
- 17 -
complète des territoires, dont Maurice, et consacrant un tel résultat, l’Assemblée générale des
Nations se saisit à nouveau de la question en décembre 1966. Condamnant le défaut d’application
de ses résolutions et le maintien des occupations coloniales, l’Assemblée générale adopte la
résolution 2232 (XXI) le 20 décembre 1966, dans laquelle elle réaffirme le droit des territoires
coloniaux, y compris Maurice, d’accéder à l’indépendance complète et totale, et appelle les
Puissances administrantes à achever sans retard la décolonisation. Confrontée à l’inaction des
Puissances administrantes, l’Assemblée générale prend à nouveau position dans des termes
similaires dans la résolution 2357 (XXII), adoptée le 19 décembre 1967.
64. Le Tribunal arbitral constitué par accord entre Maurice et le Royaume-Uni a, dans sa
sentence arbitrale du 18 mars 2015, conclu à l’unanimité au caractère juridiquement contraignant
des engagements pris par le Royaume-Uni concernant : les droits de pêche de Maurice dans les
eaux de l’archipel des Chagos ; la restitution à terme de l’archipel à Maurice ; et les avantages
découlant des ressources minières et pétrolières découvertes à terre et à proximité de l’archipel. La
sentence établit que la création par le Royaume-Uni de l’aire marine protégée dans les eaux de
l’archipel est contraire au droit et nie de fait au Royaume-Uni le statut d’Etat côtier au titre des
Chagos. Par ailleurs, en établissant le caractère juridiquement contraignant de l’engagement pris
par le Royaume-Uni concernant la rétrocession de l’archipel à Maurice, la sentence confirme
l’obligation juridique faite au Royaume-Uni en ce sens.
65. Les faits historiques concernant l’archipel des Chagos et les aspects juridiques qui leur
sont associés confirment : la souveraineté de Maurice sur l’archipel des Chagos (fait par ailleurs
admis par le Royaume-Uni), la non-application par le Royaume-Uni des résolutions des
Nations Unies relatives à la décolonisation de Maurice, et le caractère aujourd’hui inachevé du
processus de décolonisation de Maurice.
Respectueusement soumis,
Associé et conseiller juridique,
Ministère des affaires étrangères,
Gouvernement de l’Inde,
(Signé) M. Vishmu Dutt SHARMA.
28 février 2018
___________

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Exposé écrit de l'Inde

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