Exposé écrit de la Serbie

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169-20180227-WRI-02-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15085
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT
DE LA RÉPUBLIQUE DE SERBIE
27 février 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
INTRODUCTION ................................................................................................................................. 1
CHAPITRE 1. COMPÉTENCE DE LA COUR ET OPPORTUNITÉ, POUR CELLE-CI, DE DONNER
L’AVIS CONSULTATIF DEMANDÉ ............................................................................... 3
[1].1. La requête pour avis consultatif a été adressée par un organe expressément autorisé
par la Charte des Nations Unies ......................................................................................... 3
[1].2. Les questions posées ont un caractère juridique ................................................................. 3
[1].3. Pouvoir discrétionnaire de la Cour de donner un avis consultatif ...................................... 5
CHAPITRE 2. LE PROCESSUS DE DÉCOLONISATION DE MAURICE N’A PAS ÉTÉ VALIDEMENT
MENÉ À BIEN EN RAISON DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS
DE MAURICE ET DU DÉPLACEMENT DE LA POPULATION DE L’ARCHIPEL ................. 7
[2].1. Violation de l’intégrité territoriale de Maurice ................................................................... 7
[2].2. Le déplacement de la population de l’archipel des Chagos en tant que fait illicite et
crime de droit international (déplacement forcé) ................................................................ 8
[2].3. La décolonisation de Maurice n’a pas été validement menée à bien .................................. 9
CHAPITRE 3. CONSÉQUENCES JURIDIQUES .................................................................................. 10
CONCLUSION ................................................................................................................................... 11
___________
INTRODUCTION
1. Conformément à l’ordonnance du 14 juillet 2017 de la Cour internationale de Justice («la
Cour»), la République de Serbie présente son exposé écrit sur la demande d’avis consultatif formée
par l’Assemblée générale le 22 juin 2017 concernant les questions suivantes :
a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice
a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des
Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des
obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du
14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre
1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?»
b) «Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des
obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de
l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne
et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle
se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux,
en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
2. Motivée par un profond et sincère attachement aux principes de la primauté du droit dans
les relations internationales, du règlement pacifique des différends internationaux et de la
décolonisation, fermement ancrés dans le droit et la pratique des Nations Unies, la République de
Serbie a voté pour la résolution 71/292, adoptée par l’Assemblée générale le 22 juin 2017.
3. La République de Serbie considère qu’il est essentiel pour la stabilité des relations
internationales, le développement de relations amicales et la préservation de la paix et de la sécurité
internationales que tout règlement politique soit réalisé en conformité avec le droit international.
*
* *
4. La présente espèce concerne quelques-uns des principes fondamentaux du droit
international contemporain. Pour que le processus de décolonisation de Maurice soit complétement
et durablement réglé, il faudrait que la Cour donne son avis sur les questions posées par
l’Assemblée générale et offre ainsi des orientations juridiques non seulement à l’Assemblée
générale, mais encore aux autres organes des Nations Unies et aux Etats Membres.
5. L’avis de la Cour en l’espèce serait éminemment utile, compte tenu en particulier de ce
que l’Assemblée générale a adopté, pour le cinquantième anniversaire de la Déclaration sur l’octroi
de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, la résolution 65/119 par laquelle elle
proclamait la période 2011-2020 troisième Décennie internationale de l’élimination du
colonialisme. L’avis de la Cour aiderait à clarifier certains aspects juridiques très importants de la
décolonisation et apporterait une importante contribution à l’action que mène depuis longtemps
l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour mettre fin au colonialisme. Il est dans l’intérêt de la
stabilité des relations internationales que tous les différends, tous les processus de décolonisation et
- 2 -
tous les autres différends territoriaux trouvent leur aboutissement dans une solution conforme au
droit international.
6. En la présente espèce, la Cour pourrait jouer un rôle important non seulement en offrant
un cadre dans lequel exprimer des vues divergentes sur quelques-unes des questions juridiques
internationales les plus fondamentales, mais encore en apportant une solution à ces questions et en
proposant des orientations juridiques applicables à tout processus politique en cours ou à venir. De
même que la jurisprudence de la Cour a servi de référence en de nombreuses occasions par le
passé, de même il semble assuré qu’elle contribuera puissamment aujourd’hui à mener la
décolonisation à son terme et qu’elle offrira des orientations juridiques susceptibles d’influer sur
d’autres affaires, y compris au-delà du contexte de la décolonisation.
- 3 -
CHAPITRE 1
COMPÉTENCE DE LA COUR ET OPPORTUNITÉ, POUR CELLE-CI,
DE DONNER L’AVIS CONSULTATIF DEMANDÉ
7. La République de Serbie soutient respectueusement que la Cour a compétence pour
donner l’avis consultatif demandé et qu’il n’existe aucune raison pour qu’elle s’abstienne d’exercer
cette compétence.
8. Selon la jurisprudence constante de la Cour :
«Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’avis consultatif, la Cour doit commencer par
déterminer si elle a compétence pour donner l’avis demandé et, dans l’affirmative,
examiner s’il existe une quelconque raison pour elle, sur la base de son appréciation
discrétionnaire, de refuser d’exercer une telle compétence en l’espèce.»1
9. Le droit applicable et la jurisprudence de la Cour veulent que trois conditions soient
remplies pour que la Cour puisse exercer sa compétence consultative. La première condition est
que l’organe ou l’organisation qui lui demande d’exercer cette compétence soit autorisé à ce faire;
la deuxième est que la question ou les questions posées doivent avoir un caractère juridique; et la
troisième est que la Cour doit s’assurer de l’opportunité d’exercer sa compétence.
[1].1. LA REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF A ÉTÉ ADRESSÉE PAR UN ORGANE
EXPRESSÉMENT AUTORISÉ PAR LA CHARTE DES NATIONS UNIES
10. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour, «[l]a Cour peut donner
un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura
été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet
avis». Selon le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies, «[l]’Assemblée
générale … peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question
juridique».
11. En la présente espèce, c’est l’Assemblée générale des Nations Unies, c’est-à-dire un
organe des Nations Unies expressément autorisé par la Charte des Nations Unies à ce faire, qui a
demandé un avis consultatif à la Cour.
[1].2. LES QUESTIONS POSÉES ONT UN CARACTÈRE JURIDIQUE
12. La deuxième condition est que la question doit avoir un caractère juridique.
13. Dans un avis consultatif récent, la Cour a formulé la conclusion ci-après :
«Il appartient également à la Cour de s’assurer que la question sur laquelle son
avis est demandé est une «question juridique» au sens de l’article 96 de la Charte et de
1 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (I), par. 17 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 232, par. 10 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 144, par. 13.
- 4 -
l’article 65 du Statut … Une question qui invite expressément la Cour à dire si une
certaine action est conforme ou non au droit international est assurément une question
juridique. Comme la Cour l’a relevé par le passé, des questions «libellées en termes
juridiques et soul[evant] des problèmes de droit international ... sont, par leur nature
même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit» (Sahara occidental, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15), et donc revêtent un caractère juridique,
au sens de l’article 96 de la Charte et de l’article 65 du Statut» (Conformité au droit
international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 16, par. 25).
14. En la présente espèce, il est demandé à la Cour de donner un avis consultatif sur deux
questions juridiques.
15. La première question se lit comme suit :
«Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque
Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel
des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des
obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du
14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre
1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?»
16. La validité du processus de décolonisation d’une entité territoriale particulière est sans
conteste une question de nature juridique. Les principaux points en cause dans le contexte plus
large de cette question sont la licéité de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice et le
déplacement de la population de l’archipel par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du
Nord (le «Royaume-Uni»). La question se pose aussi de savoir si le maintien de l’archipel sous
l’administration du Royaume-Uni est conforme au droit international. Ce sont là assurément de très
importantes questions juridiques.
17. La deuxième question, formulée en termes précis et concrets, concerne les conséquences
juridiques d’un fait illicite :
«Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des
obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel
des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande
du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve
Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier
ceux d’origine chagossienne ?»
18. Il semble incontestable que la détermination des conséquences juridiques d’un fait illicite
ayant un caractère continu est une question d’ordre juridique2.
2 Dans le cas d’espèce, nous considérons qu’est constituée la violation d’obligations par des faits ayant un
caractère continu, au sens du paragraphe 2 de l’article 14 du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite.
- 5 -
[1].3. POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DE LA COUR DE DONNER UN AVIS CONSULTATIF
19. Le pouvoir qu’a la Cour de donner un avis consultatif a un caractère discrétionnaire.
Selon sa jurisprudence constante, «la Cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner un avis
consultatif même lorsque les conditions pour qu’elle soit compétente sont remplies»
(Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44). De même, «[l]e pouvoir discrétionnaire de
répondre ou non à une demande d’avis consultatif vise à protéger l’intégrité de la fonction
judiciaire de la Cour et sa nature en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies (Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5, p. 29 ;
Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 175, par. 24 ; Demande de réformation du jugement no 273 du
Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, p. 334, par. 22 et
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157, par. 44-45). Ceci dit, la Cour sait que sa réponse à
une requête pour avis consultatif «constitue une participation de la Cour […] à l’action de
l’Organisation et, [qu’]en principe, elle ne devrait pas être refusée» (Interprétation des traités de
paix (première phase), avis consultatif, C. I. J. Recueil 1950, p. 71 ; Différend relatif à l’immunité
de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78-79, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans
le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44). En
conséquence, la jurisprudence constante de la Cour veut que seules des «raisons décisives» puissent
amener celle-ci à refuser de donner un avis en réponse à une demande entrant dans sa compétence
(Jugements du Tribunal administratif de l’O.I.T. sur requêtes contre l’U.N.E.S.C.O., avis
consultatif du 23 octobre 1956, C.I.J. Recueil 1956, p. 86 ; Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 156, par. 44 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance
relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 16-17, par. 29).
20. Dans la présente affaire, il n’existe aucune raison pour que la Cour refuse de donner
l’avis consultatif demandé. Au contraire, il existe des raisons décisives pour lesquelles elle devrait
participer à l’action de l’ONU et donner un avis juridique sur des questions très sensibles.
L’intégrité de la Cour serait gravement compromise si celle-ci refusait d’exercer sa compétence en
l’espèce.
21. Pour se prononcer sur cette question, comme il est dit dans l’avis consultatif sur la
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, «dès lors que l’Assemblée a demandé un
avis consultatif sur une question juridique par la voie d’une résolution qu’elle a adoptée, la Cour ne
prendra pas en considération, pour déterminer s’il existe des raisons décisives de refuser de donner
cet avis, les origines ou l’histoire politique de la demande, ou la répartition des voix lors de
l’adoption de la résolution» (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 16 ; voir aussi Conformité au droit
international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 18, par. 33).
22. Dans le cas d’espèce, cependant, la Cour doit garder à l’esprit que la question renvoie à
une situation persistante liée au processus de décolonisation, lequel est la condition sine qua non à
remplir pour atteindre les buts des Nations Unies visés à l’article 1 de la Charte et recouvre un
ensemble de principes juridiques qui ne sont pas seulement très importants pour la décolonisation,
mais qui sont aussi d’application générale, comme le principe de l’intégrité territoriale.
- 6 -
23. En donnant un avis consultatif sur le cas d’espèce, la Cour s’acquittera de son mandat
d’organe judiciaire principal des Nations Unies et offrira à l’Assemblée générale, aux autres
organes et organismes des Nations Unies et aux Etats Membres de l’ONU les orientations
juridiques voulues pour qu’ils conduisent leur action en conformité avec le droit international.
24. De même, donner l’avis consultatif demandé aiderait considérablement à «[d]évelopper
entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des
peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes», comme le prévoit la Charte des Nations Unies en
son article 1, et à atteindre le but collectif des Etats Membres consistant à faire des Nations Unies
«un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes».
25. Même s’il existe un différend d’ordre bilatéral (entre le Royaume-Uni et la République
de Maurice), le processus de décolonisation ne saurait être traité comme une question strictement
bilatérale. La décolonisation est une question qui figure depuis longtemps au programme des
travaux des Nations Unies et comprend des aspects juridiques importants sur lesquels de nombreux
Etats ont des vues divergentes. Les problèmes y afférents ne devraient pas être traités comme des
problèmes bilatéraux, mais comme des problèmes intéressant la communauté internationale dans
son ensemble.
26. Tous les différends de cet ordre ont une dimension bilatérale. Cette dimension bilatérale
est certes présente ici dans les rapports entre la Puissance administrante (le Royaume-Uni en
l’occurrence) et une entité qui passe par un processus de décolonisation (Maurice en l’occurrence).
Cela n’en fait cependant pas un différend purement bilatéral. Sont en cause en effet les obligations
internationales de la Puissance administrante, qui est tenue de respecter le droit international et de
promouvoir «les intérêts des habitants» des territoires dont les populations ne s’administrent pas
encore complètement elles-mêmes. Ce n’est pas seulement à l’égard du territoire considéré, mais à
l’égard de la communauté internationale dans son ensemble, que ces obligations engagent la
Puissance administrante.
27. Les faits d’un Etat qui a assumé la responsabilité d’administrer des territoires non
autonomes ne sauraient être examinés dans le cadre exclusivement bilatéral des rapports de cet Etat
avec le territoire administré ou avec un pays dont il a assuré l’administration. Un tel examen doit
s’appuyer sur la Charte des Nations Unies3 et sur les résolutions pertinentes de l’Assemblée
générale.
28. Dans une affaire où l’Assemblée générale a invité le Royaume-Uni «à ne prendre aucune
mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale»
(résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965 de l’Assemblée générale, réaffirmée par plusieurs
résolutions ultérieures, dont la résolution 71/292 du 22 juin 2017), il importe au plus haut point que
l’organe judiciaire principal des Nations Unies se prononce et donne un avis consultatif sur les
questions qui se sont posées au moment de la séparation de l’archipel des Chagos en 1965 et qui
sont toujours pendantes.
3 Et en particulier sur son article 73 qui dispose que «[l]es Membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la
responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes
reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission
sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de
sécurité internationales établi par la présente Charte…»
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CHAPITRE 2
LE PROCESSUS DE DÉCOLONISATION DE MAURICE N’A PAS ÉTÉ VALIDEMENT MENÉ À BIEN
EN RAISON DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE ET
DU DÉPLACEMENT DE LA POPULATION DE L’ARCHIPEL
29. La République de Serbie appuie fermement l’action menée pour mettre rapidement et
inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations
conformément aux principes du droit international réaffirmés par l’Assemblée générale dans un
certain nombre de ses résolutions.
30. Les «règles et principes de la décolonisation» sont bien établis dans le droit des
Nations Unies, et en particulier dans la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux
peuples coloniaux adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre
1960 et généralement acceptée. La République de Serbie lance un vigoureux appel au plein respect
de la norme impérative du droit international qui veut que «toute tentative visant à détruire
partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible
avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies».
31. La Déclaration précitée se fonde sur la constatation que «les peuples du monde
souhaitent ardemment la fin du colonialisme dans toutes ses manifestations». Comme il est dit dans
son préambule, «le maintien du colonialisme empêche le développement de la coopération
économique internationale, entrave le développement social, culturel et économique des peuples
dépendants et va à l’encontre de l’idéal de paix universelle des Nations Unies».
[2].1. VIOLATION DE L’INTÉGRITÉ TERRITORIALE DE MAURICE
32. L’intégrité territoriale d’un pays est l’une des valeurs fondamentales de l’ordre juridique
et politique contemporain et une norme impérative du droit international général.
33. La violation de l’intégrité territoriale de Maurice a été portée à l’attention des
Nations Unies avec l’adoption par l’Assemblée générale, le 16 décembre 1965, de sa résolution
2066 (XX) intitulée Question de l’île Maurice. Dans cette résolution,
«[n]otant avec une profonde inquiétude que toute mesure prise par la Puissance
administrante pour détacher certaines îles du territoire de l’île Maurice afin d’y établir
une base militaire constituerait une violation de ladite déclaration et en particulier du
paragraphe 6 de celle-ci»4,
l’Assemblée générale invitait «la Puissance administrante à ne prendre aucune mesure qui
démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale».
34. L’Assemblée générale a confirmé cette position le 20 décembre 1966, entre autres
occasions, lorsqu’elle a adopté sa résolution 2232 (XXI) dans laquelle elle réitérait sa déclaration
selon laquelle toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et
l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à établir des bases et des installations militaires
4 Le paragraphe 6 de la Déclaration sur la décolonisation se lit comme suit : «Toute tentative visant à détruire
partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les
principes de la Charte des Nations Unies».
- 8 -
dans ces territoires est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et
de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale ».
35. Le 19 décembre 1967, l’Assemblée générale adoptait la résolution 2357 (XXII) dans
laquelle elle réitérait une fois de plus sa position sur l’intégrité territoriale et invitait à nouveau les
puissances administrantes à appliquer sans retard toutes ses résolutions pertinentes.
36. Le 10 décembre 2010, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, l’Assemblée générale adoptait la
résolution 65/118 dans laquelle elle se déclarait profondément préoccupée «de constater que,
cinquante ans après l’adoption de la Déclaration, le colonialisme n’a[vait] pas encore été totalement
éliminé», réaffirmait tous les principes énoncés dans la Déclaration et, entre autres, priait
instamment «les Etats Membres de veiller à l’application intégrale et rapide de la Déclaration et des
autres résolutions pertinentes de l’Organisation» (par. 10). Le 6 décembre 2016, l’Assemblée
générale adoptait la résolution 71/122 intitulée Application de la Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, dans laquelle elle réaffirmait toutes ses
résolutions antérieures relatives à la décolonisation.
*
* *
37. Dans les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale, le démembrement de l’archipel
des Chagos a été déclaré contraire à la Charte des Nations Unies, en particulier parce qu’il violait
l’intégrité territoriale de Maurice.
38. Ces résolutions ayant été ignorées par la Puissance administrante, le territoire de
l’archipel des Chagos est toujours sous le régime colonial du Royaume-Uni.
39. Le détachement de l’archipel des Chagos de l’île Maurice par l’ancienne puissance
coloniale (le Royaume-Uni) préalablement à l’indépendance de Maurice a constitué une violation
du droit international, et notamment une violation de l’intégrité territoriale et du droit à
l’autodétermination de Maurice.
[2].2. LE DÉPLACEMENT DE LA POPULATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS EN TANT QUE FAIT
ILLICITE ET CRIME DE DROIT INTERNATIONAL (DÉPLACEMENT FORCÉ)
40. Le débat sur la résolution 71/292 à l’Assemblée générale a montré clairement qu’il n’est
guère contesté que la population d’une partie de Maurice (l’archipel des Chagos) a été expulsée de
force par le Royaume-Uni après la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice. Le Royaume-
Uni lui-même l’a confirmé, notamment à la séance plénière du 22 juin 2017 de l’Assemblée,
lorsque son représentant a fait la déclaration suivante :
- 9 -
«À l’instar des gouvernements successifs qui l’ont précédé, le Gouvernement
britannique actuel a exprimé ses regrets sincères quant à la manière dont les
Chagossiens ont été expulsés du Territoire britannique de l’océan Indien à la fin des
années 60 et au début des années 1970.»5
41. Le déplacement de la population de l’archipel des Chagos constitue un fait de
«déplacement forcé» au sens du droit pénal international, qui regroupe sous ce terme l’expulsion et
le transfert forcé de population6. L’actus reus du déplacement forcé tel que l’a établi la
jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux est constitué par «a) le déplacement de
personnes, par l’expulsion ou tout autre acte coercitif, b) de la région où elles se trouvent
légalement, c) sans motif valable en droit international». Cela signifie «l’évacuation illégale
d’individus hors de leur territoire de résidence, contre leur volonté… [L’expulsion] suppose … le
transfert hors du territoire national alors que [le transfert forcé] s’opère à l’intérieur des frontières
d’un Etat»7.
42. Il est bien établi dans la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux que «[l’]un
des éléments clés de la notion de déplacement est son caractère involontaire» et que «c’est
l’absence de «choix véritable» qui confère au déplacement son caractère illicite». Il est également
bien établi que «le consentement exprimé dans des circonstances le privant de toute valeur ne
permet pas de conclure à l’existence d’un choix véritable»8.
43. Dans le cas d’espèce, rien dans le droit international ne justifie le déplacement des
habitants de l’archipel des Chagos. Aucune des raisons admises pour légitimer un déplacement de
population n’est présente en l’espèce : le déplacement forcé en cause n’est motivé ni par la sécurité
de la population civile ni par des raisons militaires impératives9.
[2].3. LA DÉCOLONISATION DE MAURICE N’A PAS ÉTÉ VALIDEMENT MENÉE À BIEN
44. La décolonisation de Maurice n’a pas été validement menée à bien parce qu’il a été
procédé à la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice contrairement au droit international,
en violation notamment de l’intégrité territoriale et du droit à l’autodétermination de Maurice. Lors
du démembrement de Maurice, le Royaume-Uni, en sa qualité de Puissance administrante, a
commis une grave violation du droit international en déplaçant par la force la population de
l’archipel des Chagos.
5 Compte rendu de la séance plénière du 22 juin 2017 de l’Assemblée générale à sa 88e session, publié sous la
cote A/71/PV.88, p. 12 sur 23.
6 Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, affaire no IT-05-87-T, Le Procureur c. Milan Milutinović,
Nikola Šainović, Dragoljub Ojdanić, Nebojša Pavković, Vladimir Lazarević et Sreten Lukić, jugement du 26 février 2009
(Milutinović et consorts), par. 163.
7 Milutinović et consorts, par. 165.
8 Ibid.
9 Le paragraphe 166 du jugement en l’affaire Milutinović et consorts explicite les conditions dans lesquelles le
déplacement de personnes peut être légitime.
- 10 -
CHAPITRE 3
CONSÉQUENCES JURIDIQUES
45. Tout fait internationalement illicite emporte des conséquences juridiques. La première et
la plus importante de ces conséquences est qu’il doit être mis fin au fait illicite. Il doit donc être mis
fin à la violation persistante de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et du droit à
l’autodétermination de Maurice10. Concrètement, la souveraineté de Maurice sur l’archipel des
Chagos doit être établie ; autrement dit, le fait que cet archipel appartient à Maurice doit être
reconnu et il faut autoriser d’urgence le retour dans leurs foyers des personnes qui ont été expulsées
de l’archipel.
46. Concrètement encore, il est indifférent que le Royaume-Uni ait conclu un traité à long
terme avec les Etats-Unis et mis en place des installations militaires sur l’archipel des Chagos11.
Selon l’article 103 de la Charte des Nations Unies en effet, les obligations découlant de cet
instrument prévalent sur les obligations découlant de tout autre accord international. Il n’est nul
besoin ici pour la Cour d’examiner, et certainement pas d’examiner en détail, les relations
contractuelles entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Ces relations ne sauraient être invoquées
pour justifier l’inexécution des obligations liées à la situation. La violation de l’intégrité territoriale
de Maurice doit prendre fin et le processus de décolonisation de Maurice doit être mené à bien
conformément au droit international nonobstant les relations contractuelles entre le Royaume-Uni
et les Etats-Unis d’Amérique.
47. Les obligations liées aux faits internationalement illicites associés à la décolonisation de
Maurice sont des obligations à l’égard de la communauté internationale dans son ensemble et
doivent être remplies aussitôt que possible. La réinstallation dans l’archipel des Chagos, en
particulier, devrait être immédiatement autorisée.
10 Voir l’article 30 du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite
(Commission du droit international, 2001).
11 «Notre accord actuel avec les États-Unis dure jusqu’en 2036. Nous ne pouvons pas, à 19 ans de distance,
prédire exactement ce que notre défense nécessitera au-delà de cette date. Nous ne devons pas prendre, et ne prendrons
pas, de décisions arbitraires, prématurées ou basées sur des renseignements insuffisants. Nous ne pouvons pas jouer avec
l’avenir de la sécurité régionale et mondiale. Les assurances que Maurice a tenté de donner sur l’avenir de la base
manquent de crédibilité. En revanche, le Royaume-Uni maintient son engagement. Lorsque nous n’aurons plus besoin du
territoire à des fins de défense, sa souveraineté passera à Maurice. C’est, d’ailleurs, exactement ce que nous avons fait
avec l’accord très similaire conclu avec les Seychelles en 1965. Nous avons cédé la souveraineté des îles aux Seychelles
lorsqu’elles avaient cessé d’être requises à des fins de défense.» A/71/PV.88, 22 juin 2017, p. 13.
- 11 -
CONCLUSION
48. La République de Serbie conclut respectueusement que la Cour a compétence pour
donner l’avis consultatif demandé et qu’il n’existe aucune raison pour qu’elle refuse d’exercer cette
compétence. Il existe des raisons décisives pour qu’elle participe à l’action de l’ONU et offre un
avis juridique sur des questions très sensibles. Son intégrité serait gravement compromise si la
Cour devait refuser d’exercer sa compétence en l’espèce.
49. Selon la République de Serbie, la Cour devrait, dans son avis consultatif, déclarer que le
processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien quand l’indépendance
a été octroyée à Maurice en 1968, la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice ayant été
conduite en violation du droit international, et en particulier du principe d’intégrité territoriale et du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
50. Il doit être mis fin dès que possible à la violation persistante de l’intégrité territoriale de
Maurice et du droit du peuple mauricien à disposer de lui-même, notamment en reconnaissant que
l’archipel des Chagos fait partie de Maurice et en permettant à Maurice de mettre en oeuvre un
programme de réinstallation de ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne.
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Exposé écrit de la Serbie

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