Exposé écrit de Chypre

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169-20180212-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15067
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION
DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF
EXPOSÉ ÉCRIT
PRÉSENTÉ PAR
LA RÉPUBLIQUE DE CHYPRE
12 FÉVRIER 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION ........................................................................................................................... 1
II. COMPÉTENCE DE LA COUR ......................................................................................................... 2
A. L’Assemblée générale a compétence pour former une demande ....................................... 2
B. La demande a pour objet un avis consultatif sur une question juridique ............................ 3
C. Conclusion .......................................................................................................................... 4
III. IL N’EXISTE PAS DE RAISONS DÉCISIVES QUI EMPÊCHENT LA COUR DE DONNER L’AVIS
CONSULTATIF DEMANDÉ ............................................................................................................. 5
IV. CONCLUSION .............................................................................................................................. 8
I. INTRODUCTION
1. La République de Chypre soumet le présent exposé écrit conformément à l’ordonnance du
14 juillet 2017 de la Cour qui fait suite à la demande d’avis consultatif introduite par la résolution
71/292 du 22 juin 2017 de l’Assemblée générale des Nations Unies publiée sous la cote
A/RES/71/292.
2. Conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies et à l’article 65 du Statut de la
Cour, l’Assemblée générale a demandé à la Cour, par sa résolution 71/292, de donner un avis
consultatif sur les questions suivantes :
«a) Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a
obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des
Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des
obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du
14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre
1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?
b) Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des
obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de
l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne
et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle
se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux,
en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
3. La République de Chypre présente cet exposé écrit pour les motifs suivants.
Premièrement, en tant que membre de la communauté internationale, elle considère que le cadre
juridique international qui gouverne la décolonisation a encore besoin d’être clarifié, notamment
parce que le droit à l’autodétermination a acquis le caractère de norme impérative (jus cogens) et
que les obligations qui découlent de ce droit ont le caractère d’obligations erga omnes. La
République de Chypre considère que la décolonisation est un sujet approprié pour un avis
consultatif, compte tenu du rôle crucial joué par l’Assemblée générale dans le processus de
décolonisation. Il en résulte que la République de Chypre considère également que l’Assemblée
générale et la communauté internationale tireraient un grand avantage d’un avis consultatif sur la
licéité du processus de décolonisation de Maurice et sur ses conséquences. A cette fin, la
République de Chypre souligne le rôle essentiel que joue la Cour par le biais de ses avis
consultatifs sur les questions qui lui sont soumises par des organes autorisés tels que l’Assemblée
générale.
4. Deuxièmement, Chypre est elle aussi une ancienne colonie sur le territoire de laquelle, à la
fin du régime colonial britannique en 1960, le Royaume-Uni a conservé deux zones pour en faire
des bases à usage exclusivement militaire. La réflexion de la Cour sur le cadre juridique
international régissant le processus de décolonisation et ses conséquences, ainsi que les
éclaircissements que la Cour pourrait apporter à cet égard, présentent donc un intérêt direct pour la
République de Chypre.
5. C’est en ayant ces considérations à l’esprit que la République de Chypre a voté pour la
résolution 71/292 du 22 juin 2017 publiée sous la cote A/RES/71/292, qui contient la demande
d’avis consultatif formée par l’Assemblée générale.
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6. A ce stade de la procédure, la République de Chypre examinera la compétence de la Cour
pour donner un avis consultatif sur les questions formulées dans la résolution 71/292 de
l’Assemblée générale et fera connaître ses vues en faveur de cette compétence, tout en se réservant
pleinement le droit de présenter à un stade ultérieur de nouvelles observations sur des points de
fond intéressant ces questions.
II. COMPÉTENCE DE LA COUR
7. Le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour se lit comme suit :
«La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la
demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des
Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis.»
8. Le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies énonce que «[l’]Assemblée
générale … peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question
juridique.»
9. Conformément à ces dispositions, la Cour est compétente dès lors que i) l’Assemblée
générale est autorisée par le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte à demander un avis
consultatif, ce qu’elle a fait par sa résolution 71/292 du 22 juin 20171 ; ii) l’Assemblée générale a
compétence pour former cette demande puisque celle-ci porte sur des questions qui se posent dans
le cadre de ses activités; et iii) l’avis demandé concerne des questions juridiques. La République de
Chypre ne formulera d’observations que sur les deux derniers de ces points, puisque la résolution
précitée a été adoptée par 94 voix contre 15, avec 65 abstentions, et a par conséquent été adoptée
régulièrement par la majorité requise des Etats Membres de l’Organisation présents et votants,
conformément à l’article 86 du Règlement intérieur de l’Assemblée générale2.
A. L’Assemblée générale a compétence pour former une demande
10. Le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies autorise l’Assemblée
générale à demander un avis consultatif «sur toute question juridique» (les italiques sont de nous).
Cette disposition ne prévoit pas qu’une telle demande émanant de l’Assemblée générale doive
porter sur des questions qui se posent dans le cadre de ses activités, comme c’est le cas des
demandes émanant des organes mentionnés au paragraphe 2 du même article. La Cour a souligné
fortement cette distinction dans sa jurisprudence3. Cela n’empêche pas qu’elle ait également
examiné, dans cette même jurisprudence, le point de savoir si l’objet de telle ou telle demande
d’avis consultatif avait un rapport avec les activités de l’Assemblée générale4.
1 Nations Unies, doc. A/RES/71/292.
2 L’article 86 du Règlement intérieur de l’Assemblée générale précise que l’expression «membres présents et
votants» figurant aux paragraphes 2 et 3 de l’article 18 de la Charte des Nations Unies s'entend des membres votant pour
ou contre et exclut les membres qui s’abstiennent de voter.
3 Voir, par exemple, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au
Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 413, par. 19 (qui cite Demande de réformation du jugement no 273 du
Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, par. 21).
4 Voir, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 413, par. 21 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), par. 16 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 232-233, par. 11 et 12 ; Interprétation des traités de paix, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 65-70.
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11. Il est manifeste en l’espèce que l’objet de la demande s’inscrit dans le cadre des activités
de l’Assemblée générale. L’article 10 de la Charte confère à l’Assemblée de vastes pouvoirs, y
compris celui de «discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre de la présente Charte».
Le paragraphe 2 de l’article 1, l’article 55 et l’article 73 de la Charte, tels qu’ils ont pu être
interprétés et appliqués dans ce qui constitue, après plusieurs décennies, la pratique constante de
l’Assemblée générale, avec notamment en toile de fond la résolution 1514 (XV) de 1960 et de
nombreuses résolutions ultérieures5, établissent clairement que les questions relatives au droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes et au processus de décolonisation entrent dans le champ
d’application de la Charte et, par conséquent, dans le cadre des activités de l’Assemblée générale6.
Celle-ci s’est d’ailleurs intéressée directement au processus de décolonisation de Maurice, en
particulier dans ses résolutions 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966
et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967.
12. L’avis de la Cour sur la question de savoir si le processus de décolonisation de Maurice a
été validement mené à bien et sur les conséquences juridiques du maintien de l’archipel des Chagos
sous l’administration du Royaume-Uni revêt une importance cruciale pour tout examen futur du
processus de décolonisation de Maurice auquel pourrait procéder l’Assemblée générale agissant
dans le cadre de ses pouvoirs, y compris celui de faire des recommandations sur la question.
B. La demande a pour objet un avis consultatif sur une question juridique
13. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies et du
paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour, la Cour ne peut donner un avis consultatif que sur
une «question juridique». La Cour a établi que les questions «libellées en termes juridiques et
soul[evant] des problèmes de droit international … [étaien]t, par leur nature même, susceptibles de
recevoir une réponse fondée en droit7». La résolution 71/292 invite la Cour à interpréter des règles
et des principes de droit international qui concernent des aspects fondamentaux de l’ordre juridique
international et du système des Nations Unies, dont la décolonisation et l’autodétermination. Les
questions formulées dans la résolution ont incontestablement un caractère éminemment juridique.
14. Pour répondre à ces questions, la Cour devra analyser les conditions à remplir au regard
du droit international, y compris les résolutions et la jurisprudence des Nations Unies, pour
validement mener à bien une décolonisation, ainsi que les conséquences de tout écart par rapport à
ce processus. Ces questions ont donc un caractère juridique.
15. Qu’une question présente également des «aspects politiques» ne fait pas obstacle à la
compétence de la Cour8. Comme celle-ci l’a déclaré, le fait «qu’une question revête des aspects
politiques ne suffit pas à lui ôter son caractère juridique9». Elle a aussi précisé que
5 Voir, par exemple, les résolutions de l’Assemblée générale 1654 (XVI) du 27 novembre 1961; 43/47 du
22 novembre 1988; 55/146 du 8 décembre 2000; 65/118 du 10 décembre 2010; 65/119 du 10 décembre 2010 ; 71/122 du
6 décembre 2016; les résolutions annuelles relatives à la diffusion d’informations sur la décolonisation; et les travaux du
Comité dit «des Vingt-Quatre» créé par la résolution 1654 (XVI) et chargé d’étudier l’application de la résolution 1514
(XV), lequel Comité a exercé ses fonctions sans interruption depuis sa création.
6 Voir également Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, par. 54 et suiv.
7 Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1996 (I), p. 73, par. 15 (qui cite Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, par. 15).
8 Voir, par exemple, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 155, par. 41 ; Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal
administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 171-172, par. 14.
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«pour trancher le point — qui touche à sa compétence —de savoir si la question qui
lui est posée est d’ordre juridique, elle ne doit tenir compte ni de la nature politique
des motifs qui pourraient avoir inspiré la demande, ni des conséquences politiques que
pourrait avoir son avis»10.
16. Ainsi, la Cour a conclu qu’elle avait compétence pour connaître d’une requête où il lui
était demandé si «l’utilisation [d’armes nucléaires] par un Etat constituerait … une violation de ses
obligations au regard du droit international», malgré le contexte politique de cette requête et la
nature politique des mobiles qui la sous-tendaient, parce qu’elle posait «une question juridique»11.
De même, la Cour a admis qu’une requête où il lui était demandé de se prononcer sur les
«conséquences juridiques» de l’édification par Israël d’un mur dans le territoire palestinien occupé
posait «une question juridique». Elle s’est donc déclarée compétente parce que la requête la
chargeait de «déterminer les principes et règles existants, [de] les interpréter et [de] les
appliquer …, apportant ainsi à la question posée une réponse fondée en droit»12.
17. En la présente espèce, l’Assemblée générale a demandé à la Cour de lui donner son avis
sur le point de savoir si le processus de décolonisation d’un certain territoire avait été validement
mené à bien au regard des règles applicables du droit international et quelles étaient les
conséquences juridiques du maintien de ce territoire sous l’administration d’un certain Etat. Les
questions ainsi posées à la Cour lui imposent de déterminer les principes et les règles juridiques à
respecter pour mener validement à bien un processus de décolonisation, de les interpréter et de les
appliquer. Ces questions en tant que telles invitent la Cour à «s’acquitter d’une tâche
essentiellement judiciaire»13.
C. Conclusion
18. Il s’ensuit que la Cour a compétence en la présente espèce pour donner un avis
consultatif, puisque cet avis lui a été demandé par l’Assemblée générale en sa qualité d’organe
dûment autorisé et en rapport avec ses activités et qu’il porte sur des questions juridiques,
remplissant ainsi les conditions prévues au paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour et au
paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies.
9 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415, par. 27.
10 Ibid., par. 27
(«comme la Cour l’a maintes fois déclaré, qu’une question revête des aspects politiques ne suffit pas à lui
ôter son caractère juridique. La Cour ne saurait refuser de répondre aux éléments juridiques d’une
question qui, quels qu’en soient les aspects politiques, l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement
judiciaire, à savoir, en la présente espèce, l’appréciation d’un acte au regard du droit international. La
Cour a également précisé que, pour trancher le point— qui touche à sa compétence —de savoir si la
question qui lui est posée est d’ordre juridique, elle ne doit tenir compte ni de la nature politique des
motifs qui pourraient avoir inspiré la demande, ni des conséquences politiques que pourrait avoir son avis
(Conditions de l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 61, et Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par. 13).»
11 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 16
et 17.
12 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 153-154, par. 38 (qui cite Licéité de la menace ou de l'emploi d’armes nucléaires, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par. 13).
13 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415, par. 27.
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III. IL N’EXISTE PAS DE RAISONS DÉCISIVES QUI EMPÊCHENT LA COUR
DE DONNER L’AVIS CONSULTATIF DEMANDÉ
19. La présente Cour a interprété le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut comme lui
reconnaissant le pouvoir discrétionnaire de donner ou de refuser de donner l’avis consultatif
demandé même lorsque les conditions de sa compétence sont remplies14. Elle n’a cependant jamais
exercé ce pouvoir pour refuser de donner un avis consultatif15. Comme l’a maintes fois déclaré la
Cour, «[s]a réponse constitue une participation de la Cour, elle-même «organe des Nations Unies»,
à l’action de l’Organisation et, en principe, elle ne devrait pas être refusée16». La Cour a également
déclaré que seules des «raisons décisives» pourraient la conduire à exercer son pouvoir
discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif17.
20. Les avis consultatifs ont pour objet de donner aux organes qui les ont demandés les
éléments de droit dont ils ont besoin pour guider leur action18. En la présente espèce, il n’existe
aucune raison décisive qui puisse inciter la Cour à refuser de donner un avis consultatif. Les avis
consultatifs concernant les questions de décolonisation revêtent une grande importance pour
l’Assemblée générale. Ils sont demandés pour aider l’Assemblée à conduire son action; et ils sont
donnés à l’organe qui les a demandés plutôt qu’aux Etats. La Cour a d’ailleurs déclaré que les
motifs ayant inspiré les Etats qui sont à l’origine, ou votent en faveur, d’une résolution portant
demande d’avis consultatif «ne sont pas pertinents au regard de l’exercice par la Cour de son
pouvoir discrétionnaire de répondre ou non à la question qui lui est posée»19. Le pouvoir
14 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157, par. 44 (qui cite Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 234-235, par. 14).
15 Sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale, l’a fait une seule fois, en 1923 : Statut de la
Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5. Cependant, les circonstances particulières qui ont amené la
Cour permanente à s’abstenir de donner un avis consultatif en l’espèce étaient que la question qui lui avait été posée
concernait directement un différend déjà né auquel était partie un Etat qui n'avait pas adhéré au Statut de la Cour
permanente, n’était pas membre de la Société des Nations, s’opposait à la procédure et refusait d’y prendre part de
quelque manière que ce soit (voir Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234-236, par. 14). En réalité, le fait que la Société des Nations n’avait pas compétence pour
traiter d’un différend impliquant des Etats non membres qui refusaient son intervention a été pour la Cour une «raison
décisive» de s’abstenir de donner un avis consultatif en l’espèce (voir Sahara occidental, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1975, p. 23-24, par. 30). Dans la présente espèce, l’objet n’est pas un différend déjà né, mais le point de
savoir si le processus de décolonisation d’un certain territoire a été validement mené à bien et les conséquences juridiques
du maintien de ce territoire sous l’administration d’un Etat qui non seulement est partie au Statut de la Cour et membre
fondateur de l’Organisation des Nations Unies, mais encore participe à la procédure.
16 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, deuxième phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 65-71. Voir aussi, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 30 ; Conséquences juridiques
de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157,
par. 44.
17 Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1956, p. 77-86 ; voir aussi Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226, par. 14. Dans l’exposé écrit qu’il a présenté pour l’avis consultatif sur les Conséquences
juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, le Royaume-Uni a également reconnu que,
comme la Cour l’a déclaré dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,
«seules des «raisons décisives» pouvaient l’amener à refuser de donner un avis lorsque cela lui était demandé par un
organe ou une institution compétente» et que «[p]armi les vingt-trois demandes d’avis consultatif sur lesquelles la Cour a
eu à se pencher jusqu’à aujourd’hui, il n’y en a aucune où elle ait trouvé des raisons de ce genre… » Conséquences
juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), exposé
écrit du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, 30 janvier 2004, par. 3.4.
18 Dans son avis consultatif sur les Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 15-19, la Cour a formulé l’observation suivante : «L’objet de la
présente demande d'avis est d'éclairer les Nations Unies dans leur action propre.»
19 Voir Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 417, par. 33.
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discrétionnaire qu’a la Cour de donner un avis consultatif est indifférent à ces motifs, comme l’est
d’ailleurs la compétence de la Cour (voir aussi le paragraphe 14 plus haut).
21. La Cour a également établi que c’est à l’organe dont émane la requête qu’il appartient de
décider s’il a besoin d’un avis consultatif particulier pour exercer ses fonctions comme il convient.
Dans la présente espèce, il est manifeste que les questions que l’Assemblée générale pose à la Cour
sont à la fois urgentes et pertinentes au regard des travaux de l’Assemblée et qu'elles ont «un effet
pratique à l’heure actuelle», compte tenu du rôle crucial que joue l’Assemblée dans l’élimination
des derniers vestiges de la colonisation20. Par sa résolution 65/119 du 10 décembre 2010,
l’Assemblée générale a proclamé la période 2011-2020 troisième Décennie internationale de
l’élimination du colonialisme. De plus, dans sa résolution 71/122 du 6 décembre 2016, elle a appelé
à une mise en oeuvre immédiate et intégrale de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux
pays et aux peuples coloniaux. L’Assemblée générale continue de guider le processus de
décolonisation conformément à ses prérogatives et s’emploie à le mener à son terme.
22. L’avis consultatif demandé faciliterait la réalisation de ces objectifs, puisque la requête a
un rapport direct avec ces résolutions et soulève les importantes questions évoquées aux
paragraphes 3 et 25 du présent exposé. Il donnera à l’Assemblée générale des orientations utiles
pour l’exercice de ses responsabilités en matière de décolonisation.
23. Pendant le débat sur le projet de résolution qui est devenu la résolution 71/292 de
l’Assemblée générale ainsi que dans leurs explications de vote, certains Etats ont avancé que
l’objet de l’avis consultatif était en fait une question bilatérale entre Maurice et le Royaume-Uni et
essayé de jeter le doute sur les mobiles des Etats qui soutenaient la résolution, en leur imputant de
chercher à contourner le principe du consentement nécessaire au règlement judiciaire des différends
entre Etats ou d’un différend territorial entre deux Etats21.
24. Comme l’a déclaré la Cour dans son avis sur l’Interprétation des traités de paix, le
consentement n’est pas le fondement de sa juridiction en matière consultative, même quand la
demande d'avis a trait à une question juridique actuellement pendante entre Etats22. Cela ne
l’empêche pas d’examiner régulièrement l'opposition marquée par certains Etats intéressés sous
l’angle de l’opportunité judiciaire23, parce que «le défaut de consentement d’un Etat intéressé peut,
dans certaines circonstances, rendre le prononcé d'un avis consultatif incompatible avec le caractère
judiciaire de la Cour»24.
25. A ce sujet, la République de Chypre soutient que, comme la Cour l’a dit dans son avis
consultatif sur la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance
relative au Kosovo et comme il est dit au paragraphe 19 du présent exposé, les motifs ayant inspiré
les Etats qui sont à l’origine, ou votent en faveur, d’une résolution portant demande d’avis
20 Voir le critère défini dans Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12-37, par. 73 ; voir aussi
les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI)
du 20 décembre 1966, 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 et 2625 (XXV) du 24 octobre 1970.
21 Voir le compte rendu de la séance du 22 juin 2017 de l’Assemblée générale, publié sous la cote A/71/PV.88.
22 Interprétation des traités de paix (première phase), avis consultatif, C. I. J. Recueil 1950, p. 71.
23 Conséquences juridiques de l’édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 157-158, par. 47.
24 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33.
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consultatif «ne sont pas pertinents au regard de l’exercice par la Cour de son pouvoir
discrétionnaire de répondre ou non à la question qui lui est posée».
26. De plus, si en l’espèce les Etats intéressés ont effectivement exprimé des vues
divergentes sur les questions qui font l’objet de la présente requête pour avis consultatif, la Cour a
fait observer dans ses avis sur l’Edification d’un mur dans le territoire palestinien occupé et sur la
Présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) que de telles divergences
de vues sur des questions juridiques ont marqué presque toutes les procédures consultatives25. En
tout état de cause, l’objet de la présente requête ne saurait être considéré comme une question
purement bilatérale entre Maurice et le Royaume-Uni. Les questions intéressant la décolonisation
sont tout à fait justiciables d’un avis consultatif, si l’on considère que l’Assemblée générale joue un
rôle crucial dans le processus de décolonisation, que l’autodétermination a acquis le caractère de
norme impérative (jus cogens) et que les obligations découlant de la décolonisation sont des
obligations erga omnes. L’ONU dans son ensemble et l’Assemblée générale en particulier tireront
un avantage considérable des conseils et des éclaircissements que l’organe judiciaire principal des
Nations Unies leur apportera sur la validité du processus de décolonisation et ses conséquences. Il
s’agit là sans aucun doute d’une question présentant un intérêt direct pour les Nations Unies.
27. Enfin, comme la Cour l’a déclaré dans son avis consultatif sur le Sahara occidental, et
comme on l’a expliqué plus haut, la requête en l’espèce a pour objet d'obtenir de la Cour un avis
consultatif que l’Assemblée générale estime utile pour pouvoir exercer comme il convient ses
fonctions relatives à la décolonisation, et en particulier au processus de décolonisation d’un
territoire spécifique26. L’intérêt légitime de l’Assemblée générale à obtenir un avis consultatif de la
Cour pour éclairer son action future ne saurait être affecté par l’existence éventuelle entre des Etats
d’une question juridique pendante, voire même d’un différend, qui soulève des questions ayant un
rapport avec les questions que contient sa requête pour avis consultatif27.
28. Pour conclure, la faculté que possède la Cour de donner un avis consultatif sur une
question présentant un intérêt direct pour l’Organisation des Nations Unies et son Assemblée
générale ne dépend pas et ne saurait dépendre du consentement d’un Etat ou d’un groupe d’Etats
particulier. Ce serait aller contre le but visé par les organes autorisés qui introduisent une requête
lorsqu’ils ont besoin de l’assistance de l’organe judiciaire principal des Nations Unies sur une
question qui «doit être regardée comme intéressant directement l’Organisation des
Nations Unies28».
29. Il n’existe par conséquent pas de raisons décisives pour que la Cour s’abstienne de
donner l’avis consultatif qui lui a été demandé. Cet avis aura en fait une importance considérable
pour les travaux de l’Assemblée générale des Nations Unies.
25 Conséquences juridiques de l'édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 157-158, par. 47 ; Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique
du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1971, p. 24, par. 34.
26 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 26-27, par. 39.
27 Ibid., p. 27, par. 41.
28 Voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158-159, par. 49. Voir aussi le paragraphe 50 : «L’objet de la requête dont la Cour est saisie est
d’obtenir de celle-ci un avis que l’Assemblée générale estime utile pour exercer comme il convient ses fonctions. L’avis
est demandé à l’égard d’une question qui intéresse tout particulièrement les Nations Unies, et qui s’inscrit dans un cadre
bien plus large que celui d’un différend bilatéral. Dans ces conditions, la Cour estime que rendre un avis n’aurait pas pour
effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire et qu’elle ne saurait dès lors, dans l’exercice de son
pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un avis pour ce motif.»
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IV. CONCLUSION
30. La République de Chypre conclut en conséquence que :
a) La demande d’avis consultatif formée par l’Assemblée générale remplit les conditions prévues
par le Statut de la Cour et la Charte des Nations Unies en ce qui concerne tant la compétence de
l’organe dont elle émane que le fond de la demande ; et la Cour a donc compétence en l’espèce.
b) Il n’existe pas de «raisons décisives» pour que la Cour ne donne pas l’avis consultatif qui lui a
été demandé.
La République de Chypre se réserve le droit de communiquer de nouvelles informations et
de présenter de nouvelles observations sur les questions posées à la Cour pour avis consultatif dans
un éventuel deuxième exposé écrit dont la date limite de présentation a été fixée au 15 mai 2018.
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Exposé écrit de Chypre

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