Exceptions préliminaires de la République fédérale de Yougoslavie

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14522
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Incidental Proceedings
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10755

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE À L’APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA
PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE

(CROATIE c. YOUGOSLAVIE)

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DE LA RÉPUBLIQUE
FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE

SEPTEMBRE 2002

[Traduction du Greffe]Liste des annexes........................................................................
.......................................................iii

Première partie. Exposé succinct de la demande et de ses motifs...................................................... 1

Deuxième partie. Contexte........................................................................
......................................... 3

Troisième partie. Première exception préliminaire: la Cour n’a pas compétence ratione

personae........................................................................
................................................................ 6

A. La RFY est devenue partie contractante à la convention sur le génocide par voie
d’adhésion, le 12 mars 2001 (avec effet à compter du 10 juin 2001) La RFY n’est jamais

devenue liée par l’article IX de la convention sur le génocide ............................................... 7

B. Avant d’en devenir partie contractante pa r adhésion, la RFY ne pouvait devenir, et n’est
pas devenue, partie à la convention sur le génocide ................................................................ 9

B.1. La RFY n’avait pas même qualité pour être partie contractante à la convention sur le
génocide avant l’introduction de la requête , parce qu’elle n’était pas membre de
l’Organisation des NationsUnies et qu’elle n’ avait jamais reçu l’invitation prévue à

l’article XI de la convention sur le génocide ...................................................................... 9

B.2. Même si la RFY avait eu la qualité voul ue pour devenir partie contractante à la
convention sur le génocide avant la date d’introduction de la requête, elle ne l’est

devenue à aucun des titres possibles avant le 10 juin 2001 ; et, encore une fois, la RFY
n’est jamais devenue liée par l’article IX de la convention sur le génocide.................... 10

a) La convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités n’était pas

en vigueur au moment de la succession...................................................................... 11

b) Rien ne fonde une application rétroactive de la convention de Vienne de 1978 sur
la succession d’Etats en matière de traités................................................................. 13

c) La compétence de la Cour ne saurait être fondée sur une continuité postulée ou
déclarée à tort........................................................................
..................................... 14

d) La compétence de la Cour ne saurait être fondée sur la thèse de la succession
automatique aux traités ........................................................................
...................... 22

1) L’historique de la rédaction de la convention de Vienne de 1978 sur la

succession d’Etats en matière de traités montre que la thèse d’une succession
automatique aux traités relatifs aux dro its de l’homme n’était pas reconnue en
droit international ........................................................................
......................... 23

2) La pratique du conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies............ 24

3) Les conditions requises aux fins de l’ét ablissement d’une règle de succession
automatique aux traités relatifs aux dr oits de l’homme n’ont jamais été
remplies ........................................................................
........................................ 24

4) La pratique pertinente des Etats après l’adoption de la convention de Vienne
de 1978 sur la succession d’Etats en matiè re de traités conforte l’idée que les
traités relatifs aux droits de l’homme ne sont pas soumis à la succession

automatique ........................................................................
.................................. 25

5) La pratique du dépositaire ........................................................................
............ 28 - ii -

6) La pratique des Etats en ce qui concerne l’ex-RFSY contredit la thèse de la
succession automatique ........................................................................
................ 29

e) Même si la succession automatique aux dis positions des traités relatifs aux droits
de l’homme était un principe communéme nt reconnu, cela ne pourrait concerner
les dispositions de l’article IX de la convention sur le génocide................................ 34

f) L’allégation selon laquelle la compétence de la Cour est fondée sur l’article IX
n’est pas appuyée par des considérations th éoriques concernant les droits acquis
de la population de l’Etat successeur........................................................................
. 37

Quatrième partie. Deuxième exception préliminai re: la requête est irrecevable pour autant
qu’elle renvoie à des actEs ou omissions antérieurs au 27 avril 1992 ........................................ 43

A. La RFY n’existait pas avant le 27 avril 19 92 L’allégation selon laquelle la RFY était un

«Etat in statu nascendi» est dépourvue de fondement........................................................... 43

B. Absence d’identité de facto entre la RFY (Serbie et Monténégro) et la RFSY...................... 46

B.1. La dissolution de la RFSY fut un lent processus, dont l’achèvement n’a été confirmé
qu’en juillet 1992........................................................................
...................................... 46

B.2. En 1991, les postes clés de la RFSY n’ étaient pas occupés par des Serbes; leurs

titulaires exerçaient leurs fonctions, étaient nombreux à s’opposer à M.Milošević et
coopéraient avec la communauté internationale............................................................... 47

a) Dans la diplomatie de la RFSY, les ré publiques constitutives autres que la Serbie

et le Monténégro étaient correctement représentées en 1991 et au début de l’année
1992........................................................................
.................................................... 48

b) En 1991 et au début de l’année 1992, la C our constitutionnelle de la RFSY n’était

pas majoritairement composée de Serbes ; et ses décisions ne portaient nullement
l’empreinte d’une partialité pro-serbe ....................................................................... 48

B.3. L’origine territoriale ou ethnique des titula ires de fonctions officielles en RFSY ne

peut corroborer, et ne corrobore pas, l’allégation d’une identité de facto entre la
RFSY et la RFY........................................................................
........................................ 51

Cinquième partie. Troisième exception prélimin aire: certaines des conclusions spécifiques du

demandeur sont en soi irrecevables et sans objet........................................................................
53

A. La demande tendant à déférer M.Miloševi ć devant l’autorité judiciaire compétente» est
irrecevable et sans objet........................................................................
................................. 53

B. La demande tendant à obtenir des informations sur le sort des ressortissants croates portés
disparus est irrecevable et sans objet ........................................................................
............. 54

C. La demande de restitution de biens culturels est irrecevable et sans objet............................. 55

Conclusions finales ........................................................................
.................................................. 58 - iii -

LISTE DES ANNEXES

Annexe 1 Laura Silber et Allan Little : The Death of Yugoslavia, BBC Books, Londres,1995, p. 86,
125-126
Annexe2 Données officielles du bureau fédéral des statistiques de la RFSY (Savezni zavod za
statistiku), bulletin statistique (Statisti čki bilten) no 1934, Belgrade, 1992 [Tableau non

reproduit]
Annexe 3 Census of Refugees and other War-Affected Persons in the Federal Republic of
Yugoslavia [Recensement des refugiés et autres personnes affectées par la guerr
e en
République fédérale de Yougoslavie], publié par le HCR, Belgrade, 1996, p. 20, 22, 33

Annexe4 Recensement de la population de Croatie pour l’ année 2001, par ethnie, par
ville/municipalité, disponible à l’adresse :
http://www.dzs.hr/Eng/Census/census2001.htm [Tableau non reproduit]
Annexe5 Notification d’adhésion, en date du 6 mars 2001, de la République fédérale de

Yougoslavie à la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide
Annexe 6 Note en date du 21 mars 2001 du Secrét aire général accusant réception de l’instrument
d’adhésion notifié par le Gouvernement de la RFY

Annexe 7 Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, partie I, chap. IV
Annexe 8 Hans-Heinrich Jescheck, Die internationale Genocidium-Konvention vom
9.Dezember1948 und die Lehre vom Völkerstrafrecht , Zeitschrift für die gesamte

Strafrechtswissenschaft, 1954, p. 193-217 [Non reproduit]
Annexe9 Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.E/19 : Traités multilatéraux déposés auprès du
Secrétaire général, état au 31 décembre 2000, vol. II, partie I, chap. XXIII
Annexe10 Nations Unies, doc . A/51/318–S/1996/706 (1996) : Accord portant normalisation des

relations entre la République fédérative de Yougoslavie et la République de Croatie ,
signé le 23 août 1996
Annexe 11 Commission d’arbitrage Badinter, avis n° 1, 8 et 11, RGDIP 1993, vol. 97, no 1, 2 et 4, p.
264-265, 588, 590, 1102-1105 [Non reproduit]

Annexe 12 Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général , «Informations de nature
historique»
Annexe13 Déclaration du 27 avril 1992 adopt ée le 27 avril 1992 à une session commune de
l’Assemblée de la RFSY, de l’Assemblée nati onale de la République de Serbie et de

l’Assemblée de la République du Monténégro [Nations Unies, doc. A/46/915, annexe II]
Annexe 14 Nations Unies, doc. S/23877 (1992) : lettre datée du 27 avril 1992, adressée au président
du Conseil de sécurité par le chargé d’affaires par intérim de la mission permanente de la
Yougoslavie auprès de l’Organisation des Nations Unies

Annexe 15 Nations Unies, doc. A/46/915 (1992) : lettre datée du 6 mai 1992, adressée au Secrétaire
général par le chargé d’affair es par intérim de la mission pe rmanente de la Yougoslavie
auprès de l’Organisation des Nations Unies
Annexe 16 Précis de la pratique du Secrétaire général en tant que dé positaire de traités multilatéraux

[Nations Unies, doc. ST/LEG/7/REV1]
Annexe17 Nations Unies, doc. S/1994/198 (1994 ) : lettre datée du 16février1994 adressée au
Secrétaire général par le représentant perm anent de la Croatie à l’Organisation des

Nations Unies
Annexe 18 Nations Unies, doc. A/50/75-E/1995/10 (1995) : lettre datée du 30 janvier 1995 adressée
au Secrétaire général par le représenta nt permanent de la Croatie auprès de
l’Organisation des Nations Unies

Annexe19 Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.E/19 : Traités multilatéraux déposés auprès du
Secrétaire général, état au 31 décembre 2000, vol.I, partie I (traités de l’Organisation
des Nations Unies), chap. IV (droits de l’homme), p. 131-132
Annexe20 Lettre du 27 octobre 2000 adressée au Se crétaire général par le président de la

République fédérale de Yougoslavie, M. Košt unica, sollicitant l’admission de son pays à
l’Organisation des Nations Unies
Annexe 21 Nations Unies, doc. S/RES 1326 (2000), résolution 1326 (2000) du Conseil de sécurité ; - iv -

et Nations Unies, doc. A/RES/55/12, résolution 55/12 (2000) de l’Assemblée générale
Annexe 22 Liste des Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies, état au 18 décembre 2000

Annexe23 Lettre en date du 8 décembre 2000 du Conseiller juri dique de l’Organisation des
NationsUnies et document interne relatif à l’admission de la République fédérale de
Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies le 1er novembre 2000 : Incidence sur les
traités déposés auprès du Secrétaire général

Annexe 24 Annuaire de la Commission du droit international, 1974, vol. II, première partie, p. 44
Annexe 25 Conférence des Nations Unies sur la succession d’Etats en matière de traités, Documents
officiels, vol. III, Documents de la Conférence, Nations Unies, doc. A/CONF.80/C.1/L.22
et A/CONF.80/ C.1/L.35, p. 122-124

Annexe 26 Mustafa Kamil Yasseen, La convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière
de traités, AFDI, 1978, p. 107 [Non reproduit]
Annexe 27 Nations Unies, Annuaire juridique, 1976, p. 227
Annexe 28 Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, partie I, chap. IV

Annexe 29 Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, partie I, chap. IV
Annexe30 Lucius Caflish, «La pratique suisse en matière de droit international public 1996»,
SZIER, 1997, p. 684 [Non reproduit]

Annexe31 «La pratique de la France dépositairede traités multilatéraux en matière de succession
d’Etats», CAHDI, 1994, vol. 8, p. 2 [Non reproduit]
Annexe32 Menno T. Kamminga, «State Succession in Respect of Human Rights Treaties» [La
succession d’Etats à l’égard des traités relatifs aux droits de l’homme], JEDI,vol. 7,

1996, p. 477.
Annexe33 Nations Unies, doc. S/26349 (1993) : aide -mémoire de la missi on permanente de la
Croatie, daté du 23 août 1993
Annexe34 Nations Unies, doc. CERD/SP/51 (1994) : note verbale en date du 14janvier1994

adressée au Secrétaire général par la mission permanente de la Croatie auprès de
l’Organisation des Nations Unies
Annexe35 Nations Unies, doc. CCPR/SP/40 (1994) : aide mémoire envoyé pour être distribué à la
treizième réunion des Etats parties au PIDCP

Annexe 36 Nations Unies, doc. CCPR/SP/SR.18 (1994) : compte rendu analytique de la 18e réunion
des Etats parties au pacte international relatif aux droits civils et politiques tenue le 16
mars 1994
Annexe 37 Nations Unies, doc. CCPR/SP/SR.19 (1994) : compte rendu analytique de la 19e réunion

des Etats parties au pacte international relataux droits civils et politiques tenue le
9 décembre 1994
Annexe38 OscarSchachter, «The Development of International Law Through the Legal Opinions

of the United Nations Secretariat», BYIL, 1948, p. 91-106
Annexe39 D. P. O’Connell, State Succession in Municipal and International Law [Succession
d’Etats en droit interne et en droit international], vol. II, Cambridge, 1967, p. 213 et 301
Annexe40 D. P. O’Connell, State Succession in Municipal and International Law [Succession

d’Etats en droit interne et en droit international], vol. I (relations internes), 1967, p. 245
Annexe41 Nations Unies, doc. E/CN.4/1998/171 (1998) : note verbale en date du 20avril1998,
signée au nom de la Croatie par M. Darko Bekić, ambassadeur, mission permanente de la
République de Croatie Conseil économique et social

Annexe42 Rapport de la Commission du droit international, Documents officiels de l’Assemblée
générale, cinquante-sixième session, supplément no0 , do./56/10 (2001)
Cinquante-troisième session 23 avril–1er juin et 2 juillet–10 août 2001
Annexe 43 Ian Brownlie, Principles of Public International Law, 5e éd., Oxford 1998, p. 77

Annexe 44 Yougoslavia Through Documents ⎯ From its Creation to its Dissolution, [La
Yougoslavie à travers les documents ⎯ De sa création jusqu’à sa dissolution],
dir. publ. Snežana Trifunovska, Martinus Nijhoff, 1994, p. 286, 310-315 et 334-337

Annexe45 Enquête présentée par le service juridique et du personnel du ministère fédéral des
affaires étrangères de la RFY, datée du 27 novembre 2001 Cabinet du ministre fédéral
Annexe46 Enquête publiée par la Cour constitutionnelle de Yougos lavie le 14novembre2001 au
sujet de la nomination et de la cessati on de fonctions des juges de la Cour - v -

constitutionnelle de Yougoslavie (RFSY) originaires de la République de Slovénie, de la
République de Macédoine, de la République de Croatie et de la République de Bosnie

Herzégovine («Predled izbora i prestanka funkcije sudijama Ustavnog suda Jugoslavije
(SFRJ) iz Republike Slovenije, Republike Makedonije, Republike Hrvatske i Republike
Bosne i Hercegovine»)
Annexe47 Décision de la cour constitutionnelle de la RFSY noIU-83/1-91 du 16octobre1991,

Journal officiel de la RFSY no 86/1991 du 29 novembre 1991, p. 1363 et 1364
Annexe48 Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavi e noIIU-66/91 du 23octobre1991,
Journal officiel de la RFY no 3/1992 du 10 janvier 1992, p. 29 et 30
Annexe 49 Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie no IU 184/1-91, Journal officiel de

la RFSY no 19/1992 du 20 mars 1992, p. 285 et 286.
Annexe 50 Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie, no IU 9/1-91, Journal officiel de la
RFSY, no 19/92 du 20 mars 1992, p. 286 et 287
Annexe 51 Veljko Kadijević, Moje vidjenje raspada [Ma perception de la dissolution], Belgrade,

1993, p. 151 [Non reproduit]
Annexe 52 Journal officiel de la RFSY du 20 décembre 1991, p. 1437-38
Annexe53 Protocole de coopération du 17 avril 1996 entre la commission gouvernementale de la

République fédérale de Yougoslavie chargée de s affaires humanitaires et de la question
des personnes disparues et la commission gouve rnementale de la République de Croatie
chargée de la question des personnes détenues et des personnes disparues
Annexe54 Lettre en date du 29 novembre 2001 adressé e au ministère des affaires étrangères de la

RFY par M. Maksim Kora ć, président de la commission gouvernementale de la RFY
chargée des questions humanitaires et des personnes disparues
Annexe 55 Procès verbal de la réunion entre le groupe d’experts de la co mmission gouvernementale
de la République fédérale de Yougoslavie chargée des affaires humanitaires et de la

question des personnes disparues et l’office gouvernemental de la République de Croatie
chargé de la question des personnes détenues et des personnes disparues, Belgrade, 6-
7 novembre 2001
Annexe 56 Conseil de l’Europe, assemblée parlemen taire, «Destruction par la guerre du patrimoine

culturel de Croatie et de Bosnie Herzé govine», commission de la culture et de
l’éducation, septième rapport d’information, doc. 7308, 15 mai 1995
Annexe 57 Déclaration conjointe de M. Goran Svilanovi č, ministre des affaires étrangères de la
RFY, et de M. Tonino Picula, ministre d es affaires étrangères de la République de

Croatie, publiée le 11 novembre 2001
Annexe58 Procès verbal du 10 décembre 2001 relatif aux travaux du groupe d’experts pour le
conditionnement et le transfert/la récepti on des biens muséaux du musée municipal de

Vukovar et autres objets de Vukovar mis en dépôt au musée de la Voïvodine et au musée
municipal de Novi Sad ; et addendum en date du 13 décembre 2001 PREMIÈRE PARTIE
15

EXPOSÉ SUCCINCT DE LA DEMANDE ET DE SES MOTIFS

1.1. Le 2juillet1999, la République de Cr oatie (ci-après dénommée «la Croatie») a déposé

auprès de la Cour internationale de Justice (ci-après dénommée «la Cour») une requête introductive
d’instance contre la République fédérale de Yougoslavie (ci-après dénommée «la RFY»), se
rapportant à des violations de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide (ci-après dénommée «la convention sur le génocide») qu’aurait co mmises la RFY. Le
er
1 mars2001, la Croatie a présenté un mémoire dans lequel l’une de ses allégations n’était plus
formulée, alors que d’autres étaient précisées.

1.2. Dans son mémoire du 1 ermars2001 (ci-après «le mémoire»), la Croatie affirme que la

Cour a compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide et du paragraphe 1 de
l’article 36 de son Statut.

1.3. Dans les présentes exceptions préliminaires, la RFY soutient que la Cour internationale
de Justice n’est pas compétente à son égard dans l’affaire relative à l’ Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (dénommée ci-après «Croatie
c. Yougoslavie»), et que la requête de la Croatie est irrecevable.

1.4. La RFY montrera que la Cour n’est pas compétente à son égard en l’espèce. La RFY
n’est devenue partie contractante à la convention sur le génocide que le 10juin2001, et elle n’a

jamais été liée par son article IX.

1.5. La RFY fera également valoir qu’elle a vu le jour le 27avril1992, et que, partant, les
16
actes ou omissions antérieurs ne sauraient être considérés comme des actes ou omissions de son fait
et ne sauraient lui être attribués, pour la simple raison qu’avant cette date, elle n’existait pas. Ainsi
la RFY ne saurait-elle être tenue pour responsable d’actes ou omissions antérieurs au 27 avril 1992.
La requête est donc irrecevable pour autant qu’elle renvoie à des actes ou omissions antérieurs au

27 avril 1992.

1.6. Le défendeur fera enfin valoir que tr ois demandes spécifiques énoncées par la Croatie

dans sa requête ne sont pas recevables, et que ⎯quand bien même elles l’auraient été, quod non
⎯ elles sont désormais sans objet. La Croatie demandait notamment :

⎯ l’adoption de mesures efficaces aux fins de déférer à la justice des personnes telles que

Slobodan Milošević;

⎯ des informations concernant le sort des citoyens croates portés disparus ; et

⎯ la restitution des biens culturels.

1.7. Le défendeur soutient que la Cour n’a pas compétence en l’espèce, et que les demandes

présentées par la Croatie sont irrecevables. Si la Cour devait en juger au trement, le défendeur se
réserve expressément le droit de soulever d es demandes reconventionnelles, au sujet d’actes de
génocide commis par le demandeur sur le territoire de l’ancienne République fédérative socialiste

de Yougoslavie (ci-après dénommée «la RFSY»).- 2 - - 3 -

DEUXIÈME PARTIE

CONTEXTE

17 2.1. Le demandeur a présenté dans son mémoire une appréciation et une interprétation du
tragique enchaînement des événements qui se sont produits dans l’ex-Yougoslavie et dans ses Etats

successeurs. L’examen de ces allégations relève du fond. Le défendeur se réserve expressément le
droit de les réfuter. Il tient en outre à répéter qu’il tient la Cour interationale de Justice pour
incompétente en l’espèce et que les prétentions du demandeur sont irrecevables.

2.2. Sans entrer dans un débat sur les alléga tions relevant du fond, le défendeur donnera un
bref aperçu de sa position sur la nature du confl it, à seule fin d’aider à mieux comprendre les
exceptions préliminaires qu’il formule dans la présente pièce de procédure.

2.3. Le défendeur convient avec le demandeur que la mort de «Josip Broz Tito, qui fut
longtemps président de la République fédérative socialiste de Yougoslavie» a été «le point de
départ» d’événements déterminants. Avec le dépa rt de Tito de la scène politique, nombre de voies

s’ouvraient à la Yougoslavie, dont l’une était la dissolution. Ajoutons ici que la mort de Tito a
coïncidé avec les débuts de l’effondrement du comm unisme en Europe de l’Est. Les dirigeants
politiques de la RFSY cherchaient de nouvelles bases pour asseoir leur autorité ― ils les trouvèrent
dans le nationalisme. Alors que la diversité ethnique et culturelle avait, pendant des dizaines

d’années, été relativement protégée et encouragée, l’intolérance et la calomnie ethniques eurent le
18 champ libre. L’incitation à la haine contre d’ autres groupes ethniques devint un outil d’ascension
politique courant.

2.4. Le nouveau gouvernement de la RFY n’a aucune raison de nier que ce nationalisme
haineux ait servi de marchepied à M. Miloševi ć. Il tient simplement à préciser que le nationalisme
serbe n’était pas seul en jeu. L’intolérance nationaliste a également marqué l’ascension d’autres
dirigeants, en particulier celle de M. Franjo Tudjman, en Croatie.

2.5. Dans ce contexte d’escalade de l’intolé rance nationale, la situation des minorités était
particulièrement précaire. Etre Croate en Serbie sous Tito n’était pas un handicap ; cela le devint
sous celle de M. Miloševi ć. Parallèlement, dans ce climat de nationalisme agressif et ostentatoire,

les Serbes de Croatie réagirent avec anxiété à la perspective de devenir minoritaires au sein d’une
Croatie séparée de la Yougoslavie et présidée par M. Tudjman.

2.6. Le demandeur soutient que les craintes des Serbes de Croatie étaient inspirées par la
propagande de M.Miloševi ć. Il serait difficile de le nier. Force est toutefois d’ajouter que la
propagande de Belgrade n’explique pas à elle seule les craintes et appréhensions des Serbes de
Croatie ainsi que leur hésitation à accepter de vivre dans une Croatie indépendante. Cette

hésitation trouvait aussi sa source dans les stéréo types anti-serbes relayés par les médias croates,
ainsi que dans les propos des autorités croates, qui contestaient et mettaient en péril le droit des
Serbes de souche à conserver leur identité culture lle, tout comme ils contestaient et mettaient en
péril certains de leurs droits humains fondamentaux. - 4 -

2.7. Les slogans politiques en faveur de l’indépendance croate, loin de les inclure, excluaient
généralement les Serbes de souche vivant en Croatie, insistaient sur la différence ethnique, et
19
étaient souvent malveillants et injurieux. Ainsi ⎯ pour ne citer qu’un exemple caractéristique ⎯,
M. Tudjman jugea bon de déclarer, pendant sa campagne : «Dieu merci, ma femme n’est ni juive ni
1
serbe» .

2.8. Les tragiques événements qui ont eu lieu ne sauraient se résumer à un conflit
unidimensionnel opposant des méchants et des victim es. Il importe de souligner que, à la fin de
cette succession d’événements tragiques, un Etat croate a bel et bien vu le jour, et été reconnu par

la communauté internationale. Le nouveau gouve rnement de la RFY ne fait pas exception: il
reconnaît lui aussi à la Croatie la qualité d’Etat souverain. Or, tandis que cet Etat se mettait en
place, la Croatie se vidait de sa minorité serbe . Selon un recensement effectué en 1991,
2
580762Serbes vivaient alors en Croatie . Leur nombre a diminué de manière spectaculaire. La
principale vague de départs fut déclenchée par l’opération Tempête, qui débuta le 4 août 1995.

2.9. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ci-après dénommé le «TPIY») a
engagé des poursuites contre certains généraux cr oates accusés d’avoir commis des crimes contre

l’humanité visant la population serbe de Croatie, en particulier au cour s de l’opération Tempête
⎯qui, à elle seule, contraignit quelque 200 000Serbes à quitter la Croatie. Selon l’acte

d’accusation émis par le TPIY à l’encontre du général croate Ante Gotovina,
20
«[e]ntre le 4 août 1995 et le 15 novembre 1995, ceux qui sont restés chez eux, ou qui y

sont retournés pendant les semaines qui ont suivi l’offensive, ont finalement été
contraints à fuir la région devant la pe rsistance des meurtres, incendies criminels,
pillages, harcèlements, campagnes de terre ur et menaces d’atteintes physiques aux

personnes et aux biens, commis par les forces croates. L’accumulation de ces actes
illicites s’est soldée par l’expulsion et/ou le déplacement à grande échelle d’environ
3
150 000 à 200 000 Serbes de Krajina vers la Bosnie-Herzégovine et la Serbie.»

2.10. Ces éléments d’information sont corroborés par les statistiques du Haut Commissariat

des NationsUnies aux réfugiés (HCR), d’après lesquelles 195703 personnes ont quitté la Croatie
pour se réfugier en Yougoslavie au cours de la période examinée, soit entre le 1 erjuillet et le
4
31décembre1995 (ce qui couvre la période de l’opération Tempête) . Selon cette même
publication du HCR, 282642réfugiés serbes de Croatie au total sont passés en RFY entre 1991
et 1996 . Le défendeur relève que la RFY n’était pas la seule destination des réfugiés serbes de

Croatie. Le HCR indique que

1
Voir L. Silber et A. Little, The Death of Yugoslavia, BBC Books, Londres, 1995, p. 86 (annexe 1).
2 Données officielles du bureau fédéral des statistiques de la RFSY (Savezni zavod za statistiku). Voir Statistički
o
bilten, n 1934, Belgrade, 1992 (annexe 2) (les chiffres mentionnés ont été signalés).
3 Voir TPIY, Le procureur c.Ante Gotovina , affaire n IT-01-45, acte d’accusation, par.20, disponible à
l’adresse suivante : http://www.un.org.icty/indictment/french/got-ii010521f.htm.

4 Voir le Census of Refugees and other War-Affected Persons in the Federal Republic of Yugoslavia, publié par le
HCR, Belgrade, 1996, p. 20 (annexe 3).

5 Voir HCR, op. cit., p. 22 (voir annexe 3). - 5 -

«[l]e principal afflux de réfugiés vers la Serbie se produisit au cours de la seconde
21 moitié de l’année1995, après le lancement, par l’armée croate, d’une attaque qui
devait amener plus de 180 000 Se rbes de Croatie à fuir leurs foyers, dans la région de

la Krajina, da6s le cadre de ce qui constitua l’exode le plus massif de l’histoire de
l’humanité» .

2.11. Les chiffres officiels du recensement de la population de Croatie pour l’année2001,
publié le 17juin2002, révèlent une diminutio n saisissante du nombre de Serbes. Entre 1991
et2001, la population serbe de Croatie a perdu e nviron deux-tiers des ses membres. Ils étaient

580762 (soit 12,2% de la population) dans le r ecensement de 1991, 201631 (soit 4,54% de la
population) , dans celui de 2001.

6 Voir HCR, op. cit., p. 33 (voir annexe 3).

7 Voir les chiffres du recensement de la population de Croatie pour l’année 2001, rendu public le 17 juin 2002, à
l’adresse : http://www.dzs.hr/Eng/Census/census2001.htm (annexe4). Les statistiques de 1991 sont données dans le
bulletin du bureau fédéral des statistiques de la RFY (annexe 2). - 6 -

22 - 7 -

23 TROISIÈME PARTIE

PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

LA COUR N’A PAS COMPÉTENCE RATIONE PERSONAE

3.1. Le demandeur affirme que la Croatie et la RFY étaient toutes deux liées par la
convention sur le génocide à la date de l’introduction de la requête croate, le 2juillet1999 (MC,

par.6.06). A ce titre, le demandeur soutient que la Cour est compétente pour connaître de ce
différend en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide et du paragraphe 1 de l’article 36
de son Statut (MC, par. 6.01).

3.2. Le demandeur a avancé, à l’appui de ses allégations, les arguments suivants :

a) «Lors de la dissolution de la RFSY, la Croatie, ainsi que les autres Etats

successeurs de la RFSY, dont la République fédérale de Yougoslavie, sont devenus
liés par les termes de la convention sur le génocide.

Le principe de base, à cet égard, estexposé à l’article34 de la convention de

Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités…» (MC, par. 6.06 et 6.07.)

b) «[I]l est généralement admis que des habitants d’un territoire fondés à jouir de la

protection de certains droits humains grantis par des traités fondamentaux ne
sauraient en être privés du simple fait qu’un Etat a succédé à un autre sur ce
territoire» (MC, par. 6.07).

24 3.3. Le demandeur affirme également que sa pos ition est étayée par l’arrêt rendu par la Cour
le 11juillet1996 en l’affaire Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie (exceptions préliminaires) (MC,

par. 6.09).

3.4. Les allégations du demandeur sont dépour vues de fondement. Le défendeur démontrera

qu’il n’a été lié par la convention sur le géide qu’à compter du 10juin2001 et qu’il ne l’a
jamais été par son article IX.

A. LA RFY EST DEVENUE PARTIE CONTRACTANTE À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE PAR
VOIE D ’ADHÉSION ,LE 12 MARS 2001 (AVEC EFFET À COMPTER DU 10 JUIN 2001)

L A RFY N’EST JAMAIS DEVENUE LIÉE PAR L ’ARTICLE IX

DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE

3.5. La RFY est devenue Membre de l’Organisation des Nations Unies le 1 novembre 2000.

Après son adhésion à l’Organisation, la RFY a e nvoyé, le 8 mars 2001, une notification d’adhésion
à la convention sur le génocide, qui contient une réserve à l’articleIX . Cette notification se lit
comme suit :

8
Voir annexe 5. - 8 -

«Notification d’adhésion de la République fédérale de Youg
oslavie
à la convention de 1948 pour la prévention et
la répression du crime de génocide

[Traduction du Greffe]

Considérant que la République fédérale de Yougoslavie a déclaré, le

27avril1992, que «la République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité de
25 l’Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de la République
fédérative socialiste de Yougoslavie, respect era[it] strictement tous les engagements
que la République fédérative socialis te de Yougoslavie a pris à l’échelon

international»,

Considérant qu’en prétendant assurer cette continuité, la République fédérale de
Yougoslavie postulait également qu’elle succédait à la République fédérative
socialiste de Yougoslavie en sa qualité de Membre de l’Organisation des

Nations Unies,

Considérant que, cette prétention et ce postulat de continuité n’ont finalement
été acceptés ni par l’Organisation des NationsUnies, ni par les autres Etats

successeurs de la République fédérative socia liste de Yougoslavie, et sont donc restés
sans effet,

Considérant en outre que la situation a enfin été clarifiée le 1rnovembre 2000,

lorsque la République fédérale de Yougoslavie a été admise comme nouvel Etat
Membre de l’Organisation des Nations Unies,

Considérant donc qu’il est maintenant établi que la République fédérale de

Yougoslavie n’a pas succédé le 27avril1992, ni à aucune autre date ultérieure, à la
République fédérative socialiste de Yougoslavie en sa qualité de partie à la convention
pour la prévention et la répression du crim e de génocide et dans ses droits et
obligations découlant de cette convention c onformément au postulat selon lequel elle

lui succédait en qualité de Membre de l’Orga nisation des Nations Unies et assurait la
continuité de l’Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de la
République fédérative socialiste de Yougoslavie,

En conséquence , je soumets au nom du Gouve rnement de la République

fédérale de Yougoslavie la présente notification d’adhésion à la convention pour la
26 prévention et la répression du crime de génoc ide, en application de l’articleXI de
ladite convention et avec la réserve suivante à son article IX :

«La République fédérale de Yougoslavie ne se considère pas liée
par l’articleIX de la convention po ur la prévention et la répression du
crime de génocide; c’est pourquoi , pour qu’un différend auquel la
République fédérale de Yougoslavie est partie puisse être valablement

soumis à la Cour internationale de Justice en vertu dudit article, le
consentement spécifique et exprès de la République fédérale de
Yougoslavie est nécessaire dans chaque cas».»

En foi de quoi, j’ai signé cet instrument d’adhésion à Belgrade le 6 mars 2001.

(Signé) Goran S VILANOVIĆ ,

Ministre des affaires étrangères de la RFY. - 9 -

3.6. Dans une note datée du 21mars2001, le Secrétaire général a accusé réception de
l’instrument d’adhésion envoyé par le Gouvernement de la RFY, dans les termes suivants :

«L’instrument susmentionné a été déposé auprès du Secrétaire géné
ral le

12 mars 2001, date de sa réception.

Il a été dûment pris note des réserves émises dans ce document.

Conformément au troisième paragraphe de son articleXIII, la convention
entrera en vigueur pour la Yougoslavie le quatre-vingt-dixième jour suivant la date de
dépôt de l’instrument d’adhésion, c’est-à-dire le 10 juin 2001.» 9

27 3.7. Le Secrétaire général, agissant en qualité de dépositaire, acceptait ainsi l’adhésion de la

RFY, et les documents officiels du dépositaire indiquent10ans équivoque que la Yougoslavie a
adhéré à la convention sur le génocide le 12mars2001 . Conformément à l’articleXIII de la
convention, l’adhésion de la RFY a pris effet le 10 juin 2001.

3.8. La RFY n’est jamais devenue liée par l’article IX de la convention sur le génocide.

B. A VANT D ’EN DEVENIR PARTIE CONTRACTANTE PAR ADHÉSION ,LA RFY NE POUVAIT
DEVENIR ,ET N ’EST PAS DEVENUE , PARTIE À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE

B.1. La RFY n’avait pas même qualité pour être partie contractante à la convention sur le
génocide avant l’introduction de la requête, parce qu’elle n’était pas membre de
l’Organisation des Nations Unies et qu’elle n’avait jamais reçu l’invitation

prévue à l’article XI de la convention sur le génocide

3.9. La RFY n’était pas partie contractante à la convention sur le génocide l
e 2 juillet 1999,
ni avant cette date (contrairement à ce qui est allé gué dans la requête). Il n’est pas donné à tout
Etat de devenir partie contractante à la conven tion sur le génocide. Cette convention, dont le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies est le dépositaire, est ouverte sans condition

28 aux Membres de l’Organisation. Les Etats non-membres doivent recevoir une invitation. Aux
termes de son article XI,

«[l]a présente Convention sera ouverte jusqu’au 31décembre1949 à la signature au
nom de tout Membre de l’Organisation des Na tions Unies et de tout Etat non membre
à qui l’Assemblée générale aura adressé une invitation à cet effet.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

A partir du 1 erjanvier 1950, il pourra être a dhéré à la présente Convention au

nom de tout Membre de l’Organisation des Na tions Unies et de tout Etat non membre
qui aura reçu l’invitation susmentionnée.

9
Voir l’intégralité de la note du Secrétaire général à l’annexe 6 ; les italiques sont de nous.
10Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire ral, état au 31décembre2002, partieI, chap.IV,
Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.E/21, p. 123. - 10 -

Les instruments d’adhésion seront déposés auprès du Secrétaire général de

l’Organisation des Nations Unies.»

3.10. Le 3décembre1949, l’Assemblée généra le des NationsUnies publia une résolution

dans laquelle elle confirmait le pr incipe énoncé à l’articleXI et autorisait le Secrétaire général à
adresser des invitations spéciales à tout pays non membre de l’Organisation des NationsUnies
remplissant certains critères. Aux termes de cette résolution, l’Assemblée générale :

« Considérant qu’il est souhaitable que des invitations soient adressées aux Etats
non membres qui ont manifesté, en prenant part aux activités qui se rapportent aux

Nations Unies, le désir de développer la coopération internationale,
29
1. Décide de demander au Secrétaire général d’envoyer l’invitation précitée à
tous les Etats non membres de l’Organisa tion qui sont ou qui deviendront membres

actifs d’une ou plusieurs institutions spécialisées des NationsUnies ou11ui sont ou
deviendront parties au Statut de la Cour internationale de Justice.»

3.11. Cette résolution fut, dans la pratique, observée et confirmée. Ainsi, la République
fédérale d’Allemagne reçut-elle, le 20 décembre 1950, une invitation spéciale du Secrétaire général
à adhérer à la convention sur le génocide en qualité de partie contractante . 12

3.12. Il est aujourd’hui établi que la RFY n’était pas membre de l’Organisation des

Nations Unies au moment de la dissolution de la RFSY, en 1992, et il ne fait aucun doute qu’elle
n’a jamais reçu de l’Assemblée générale ni du Secrétaire général d’invita tion à devenir partie
contractante à la convention sur le génocide. La RFY n’aurait donc pas pu devenir partie
contractante à la convention sur le génocide avant son adhésion à l’Organisation des Nations Unies.

Après être devenue Membre de l’Organisation, la RFY a adhéré à la convention sur le génocide, en
formulant une réserve à l’article IX.

30 B.2. Même si la RFY avait eu la qualité voulue pour devenir partie contractante à la
convention sur le génocide avant la date d’introduction de la requête, elle ne l’est
devenue à aucun des titres possibles avant le 10 juin 2001 ; et, encore une fois,

la RFY n’est jamais devenue liée par l’article IX
de la convention sur le génocide

13
3.13. Ni l’un ni l’autre des deux arguments avancés par le demandeur (MC, 6.06 et 6.07)
ne vient étayer l’affirmation selon laquelle la RFY serait devenue partie contractante à la
convention sur le génocide (et liée par son article IX) par voie de succession.

Nous démontrerons ci-après que :

a) la convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités n’était pas en vigueur au

moment où s’est produite la succession à l’ex-RFSY ;

11Voir la résolution 368 (IV) de l’Assemblée générale, en date du 3 décembre 1949.
12
Voir H. H. Jescheck, Die internationale Genocidium-Konvention vom 9. Dezember1948 und die Lehre vom
Völkerstrafrecht, Zeitschrift für die gesamtefrechtswissenschaft, 1954, p.193-217 (annexe8) (l’extrait cité est
signalé).
13Cités au par. 3.2 des présentes exceptions préliminaires. - 11 -

b) il ne peut-y avoir d’application rétroactive de la convention de Vienne sur la succession d’Etats
en matière de traités ;

c) la compétence de la Cour ne saurait être fondée sur une continuité postulée ou déclarée à tort ;

d) la compétence de la Cour ne saurait être fondée sur la thèse de la succession automatique de

parties à des traités relatifs aux droits de l’homme ;

e) en particulier, il ne peut y avoir, et il n’y a pas eu, de succession automatique en ce qui
concerne l’article IX de la convention sur le génocide ;

31 f) des considérations théoriques concernant les droits acquis de la population de l’Etat successeur
ne sauraient appuyer l’allégation selon laquelle la compétence de la Cour est fondée sur
l’article IX de la convention sur le génocide.

a) La convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités n’était pas en vigueur
au moment de la succession

3.14. Le mémoire indique que la RFY est deve nue partie à la convention sur le génocide en
vertu de l’article34 de la convention de Vie nne de 1978 sur la succession d’Etats en matière de
traités (MC, 6.07). Le demandeur n’a pas fait valoir —ni n’aurait pu le faire— que l’article34
représente le droit international coutumier. En reva nche, il cite le libellé de cet article, et s’appuie

sur ses dispositions. Toutefois, la convention de Vienne de 1978 ne pouvait s’appliquer, et ne s’est
pas appliquée, à la succession à la RFSY, parce qu’elle n’était pas encore en vigueur lorsque
celle-ci a eu lieu.

3.15. Le paragraphe 1 de l’artic le 7 de la convention est on ne peut plus clair sur le fait que
les règles de celle-ci s’appliquent uniquement à l’égard d’une succession d’Etats ayant lieu après
l’entrée en vigueur de la convention (laquelle s’est produite le 6 novembre 1996) 1. Aux termes du

paragraphe 1 de l’article 7,

«[s]ans préjudice de l’application de toutes règles énoncées dans la présente
Convention auxquelles les effets d’une succession d’Etats seraient soumis en vertu du

32 droit international indépendamment de la Convention, celle-ci s’applique uniquement
à l’égard d’une succession d’Etats qui s’est produite après son entrée en vigueur, sauf
s’il en est autrement convenu» (les italiques sont de nous).

3.16. La succession de la RFY s’est évidemment produite avant cette date. Les dates exactes
auxquelles les diverses républiques ont succédé à la R FSY varient peut-être, mais il ne fait aucun
doute qu’en ce qui concerne la RFY, la succession remonte au 27 avril 1992, c’est-à-dire le jour de

sa formation.

3.17. D’après la définition retenue dans la convention de Vienne de 1978 elle-même,
«[l’]expression «date de la succession d’Etats» s’entend de la date à laquelle l’Etat successeur s’est

substitué à l’Etat prédécesseur dans la responsab ilité des relations internationales du territoire

14
Voir les Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au 31 décembre 2000, vol. II, partie I
(traités des Nations Unies), chap. XXIII (droit des traités), Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.E/19, p. 281, annexe 9. - 12 -

auquel se rapporte la succession d’Etats» 15. La RFY a clairement montré qu’elle avait assumé la

15
Alinéa e) du paragraphe1 de l’article2 de la convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de
traités de 1978. - 13 -

responsabilité des relations internationales de son territoire après le mois d’avril1992 et avant
novembre1996, notamment en concluant un gra nd nombre de traités. Parmi eux figurent

108accords bilatéraux, dont l’accord portant norma 16 lisation des relations entre la République
fédérale de Yougoslavie et la République de Croatie .

33 3.18. Il n’a, du reste, jamais été contesté que la succession était achevée en 1992, comme
l’ont attesté à maintes reprises les documents internationaux.

o
3.19. Par exemple, dans son avis n 11, la commission d’arbitrage de la conférence pour la
paix en Yougoslavie, ou commission d’arb itrage Badinter, fréquemment invoquée par le

demandeur, a souligné ce qui suit :

«En conséquence, la Commission d’Arbitrage est d’avis :

que les dates auxquelles les Etats issus de l’ancienne RFSY ont succédé à celle-ci sont
les suivantes :

⎯ le 8 octobre 1991 pour la République de Croatie et la République de Slovénie,

⎯ le 17 novembre 1991 pour l’ex-République yougoslave de Madédoine,

⎯ le 6 mars 1992 pour la République de Bosnie-Herzégovine,

⎯ et le 27 avril 1992 pour la Ré publique fédérale de Yougoslavie
(Serbie-Monténégro).» 17

3.20. La convention de Vienne de 1978 sur la succession d’Etats en matière de traités n’était,
de toute évidence, en vigueur à aucune de ces dates, et ne pouvait régir le règlement de la question

34 de la succession en matière de traités. Reconna issant ce simple fait, aucun Etat successeur de
l’ancienne RFSY n’a invoqué l’ar ticle34 de la convention de Vi enne de 1978 à des fins de
succession aux traités. Tous —Croatie et RFY comprises—décidèrent de soumettre des

notifications expresses de succession, ou d’adhésion, aux traités auxquels ét ait partie l’ancienne
RFSY . 18

b) Rien ne fonde une application rétroactive de la convention de Vienne de 1978 sur la
succession d’Etats en matière de traités

3.21. Une seule clause de la convention de Vienne de 1978 pourrait éventuellement en
autoriser l’application rétroactive, mais elle est clairement dépourvue de pertinence en l’espèce. Le

paragraphe 2 de l’article 7 de la convention permet à tout Etat de faire une déclaration indiquant
«[qu’]il appliquera les dispositions de la c onvention à l’égard de sa propre succession d’Etats,

16Voir l’ Accord portant normalisation des relations entla République fédérative de Yougoslavie et la

République de Croatie, signé le 23 août 1996 ; Nations Unies, doc. A/51/318–S/1996/706, 1996 (annexe 10).
17Par. 10 de l’avis n 11, réédité in RGDIP 1993, vol. 97, n 4, p. 1105 (annexe 11).

18La Croatie a soumis, le 27juillet1992, une notification de succession assortie d’une liste énumérant
spécifiquement les traités multilatéraux auxquels elle avait l’intention de succéTraités multilatéraux déposés
auprès du Secrétaire général, état au 31 décembre 2002, «Inf ormations de nature historique», état au 31 décembre 2002,
Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.E/21 (annexe 12). - 14 -

laquelle s’est produite avant l’entrée en vigueur de la convention…». Seule une telle déclaration 19

aurait permis d’étendre l’applicabilité de la convention à la succession de la RFY. Toutefois, la
RFY n’a jamais fait de déclaration de ce type.

35 c) La compétence de la Cour ne saurait être fondée sur une continu ité postulée ou déclarée à
tort

20
3.22. Le demandeur invoque une déclaration adoptée le 27avril1992 à une session
commune de l’Assemblée de la RFSY , de l’Assemblée nationale de la République de Serbie et de
l’Assemblée de la République du Monténégro. Dans son mémoire, la Croatie en cite l’extrait

suivant :

«La République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité de l’Etat et de la

personnalité juridique et politique internationale de la République fédérative socialiste
de Yougoslavie, respectera strictement tous les engagements que la République
fédérative socialiste de Yougoslavie a pr is à l’échelon international.» (MC,

par. 2.138.)

36 Dans une note de bas de page jointe à cette citation, la Croatie souligne toutefois : «Ni la Croatie ni

aucune autre des Républiques de la RFSY ayant accédé à l’indépendance n’admettent que la RFY
ait été le «continuateur», au sens juridique, de la RFSY.» (MC, par. 2.138, note p. 220.)

3.23. La déclaration du 27avril1992 fut portée à l’attention de l’Organisation des
NationsUnies par une note. La Croatie, qui s’appuie sur cette note et sur la déclaration
(«proclamation»), affirme que «[l] note du 27 avril 1992, se référant à la proclamation de la RFY,

peut être traitée comme une notification de su ccession à la convention sur le génocide» (MC,
par. 6.09, note 9).

3.24. Le défendeur démontrera que la déclaration du 27 avril 1992 et la note par laquelle elle
fut transmise à l’Organisation des Nations Unies n’avaient pas pour objet la succession à un traité,
et ne pouvaient avoir un tel objet.

Il y a à cela trois raisons distinctes, dont chacune suffit à montrer que ni la déclaration ni la
note ne valaient instrument de succession :

⎯ ni le texte ni le contexte de la déclaration ou de la note ne confortent l’idée que celles-ci
valaient actes de succession. Au contraire, ils l’infirment ;

19Seules la République tchèque et la Slovaquie firent des déclar ations de cette nature. Celle de la République
tchèque se lit comme suit :

«Conformément aux paragraphes 2 et 3 de l’article 7 de la convention de Vienne sur la succession
d’Etats en matière de traités, conclue à Vienne le 23août1978, République tchèque déclare qu’elle
appliquera les dispositions de la convention à l’égard de sa propre succession, qui a eu lieu avant l’entrée
en vigueur de la convention, par rapport à tout auEtat contractant ou Etat partie à la convention qui
accepte la déclaration.

La République tchèque déclare en même temps qu’elle accepte la déclaration faite par la
République slovaque lorsque celle-ci a ratifié onvention conformément aux paragraphes2 et 3 de
l’article 7 de la convention.»

Voir Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général,état au 31 décembre 2000, vol. II, partie I,
chap. XXIII, Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.E/19, p. 281 (annexe 9).
20
Voir le texte de la déclaration à l’annexe 13.
21A l’époque, la question de savoir si l’Assemblée fédérale de la RFSY existait encore était controversée. - 15 -

⎯ la déclaration et la note ne constituaient pas, et ne pouvaient constituer, une formalité
conventionnelle acceptable, parce qu’elles ne désignaient spécifiquement aucun traité ni

n’émanaient d’une autorité compétente ;
37
⎯ ni la déclaration ni la note n’ont été considérées comme des instruments de succession.

Le défendeur montrera en outre que la revendication eff ectivement formulée dans la

déclaration et dans la note (celle de la continuité — ou, autrement dit, de l’identité) n’a jamais été
acceptée et est demeurée sans effet.

Ni le texte ni le contexte de la déclaration ou de la note ne confortent l’idée que celles-ci
constituaient des instruments de succession. Au contraire, ils l’infirment.

3.25. Ni la déclaration ni la note ne com portent la moindre référence à la succession.

D’ailleurs, le terme ou la notion de «succession» est totalement absent tant de leur texte que de leur
contexte. Il y est en revanche affirmé que la RFY assurait la continuité de la personnalité de
la RFSY.

3.26. La déclaration était censée affirmer les «vues sur les objectifs…de la politique
générale». Elle se présente comme une décl aration «[d]es représentants du peuple de la
République de Serbie et la République du Monténég ro», dont les auteurs sont, est-il précisé à la fin
du texte, «les participants à la session commune». La première phrase de la déclaration souligne

que les citoyens de Serbie et du Monténégro expriment leur volonté commune «de demeurer au
38 sein de l’Etat commun de Yougoslavie». A l’éviden ce, le sentiment que la Yougoslavie continuait
d’exister, que la RFY était le même Etat que la RFSY et qu’elle assurait la continuité de son
identité constituait le postulat politique fondamental dont découlaient les vues exprimées dans la

déclaration.

3.27. L’objectif exprès de celle -ci était de rendre compte des vues des participants sur des
objectifs de la politique générale. Ainsi qu’ils l’indiquent en introduction de la déclaration,

«restant profondément déterminés à parvenir à un règlement pacifique de la crise
yougoslave, [les participants] souhait[ai]ent exprimer leurs vues sur les objectifs
fondamentaux, immédiats et à long terme de la politique générale deleurEtat

commun, ainsi que sur ses relations avec l es anciennes Républiques yougoslaves» (les
italiques sont de nous).

3.28. La première des «vues» ainsi exprimées est celle qui a été citée et invoquée par le

demandeur :

«La République fédérative de Yougoslavie, assurant la continuité de l’Etat et de
la personnalité juridique et politique inte rnationale de la Ré publique fédérative

socialiste de Yougoslavie, respectera st rictement tous les engagements que la
République fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon international.» - 16 -

3.29. De plus, la déclaration du 27avril199 2 n’était pas adressée au dépositaire, mais au
président du Conseil de sécurité, ce qui est logique eu égard au fait qu’il s’agissait d’une
déclaration de politique générale, et non d’une formalité conventionnelle 22. La déclaration et la

39 note furent communiquées sous le couvert d’une lettre datée du 6 mai 1992 adressée au Secrétaire
général, par laquelle celui-ci était prié de les distribuer «comme documents officiels de
l’Assemblée générale» , ce qui montre une nouvelle fois que la déclaration et la note constituaient
toutes deux des documents politiques, et non des formalités conventionnelles.

3.30. Plus important encore, de même que celui de la déclaration, le contenu de la note ne

laisse pas le moindre doute, et montre bien, que le postulat sur lequel se fondait la RFY pour fonder
sa prétention à assurer la continuité des obligations de la RFSY était celui d’une continuité de la
personnalité (identité). La note indique que

«compte tenu de la continuité de la personnalité de la Yougoslavie et des décisions
légitimes qu’ont prises la Serbie et le Monténégro de continuer à vivre ensemble en
Yougoslavie, la République fédérative so cialiste de Yougoslavie devient la

République fédérale de Yougosla vie, composée de la République de Serbie et de la
République du Monténégro» (les italiques sont de nous).

3.31. Sur cette base, et en mettant clairement en avant le postulat d’une continuité de la
personnalité comme seul fondement permettant à la RFY d’assumer les obligations de la RFSY, la
note poursuit :

40 « Dans le strict respect de la continuité de la personnalité internationale de la
Yougoslavie, la République fédérale de Yougosla vie continuera à exercer tous les
droits conférés à la République fédérative socialiste de Yougoslavie et à s’acquitter de

toutes les obligations assumées par cette derniè re dans les relations internationales, y
compris en ce qui concerne son appartenance à toutes les organisations internationales
et sa participation à tous les traités inte rnationaux que la Yougoslavie a ratifiés ou

auxquels elle a adhéré.» (Les italiques sont de nous.)

A ce titre, la RFY était présentée, dans la note comme un «membre fondateur de l’Organisation des
24
Nations Unies.»

La déclaration et la note étaient des déclar ations de politique généra le (faisant valoir une
prétention à la continuité) et non des formalités conventionnelles.

La déclaration et la note ne constituaient pas, et ne pouvaient constituer, une formalité

conventionnelle acceptable, parce qu’elles ne désignaient expressément aucun traité ni
n’émanaient d’une autorité compétente

3.32. Si la déclaration et la note ne pouvaient absolument constituer une formalité

conventionnelle, c’est aussi parce qu’elles ne désignaient aucun traité. Aucun traité en particulier

22
Voir la lettre datée du 27avril 1992, adressée au présiden t du Conseil de sécurité par le chargé d’affaires par
intérim de la mission permanente de la Yougoslavie auprès de l’Organisaton des NationsUnies, Nations Unies,
doc. S/23877 (1992), annexe 14.
23
Voir la lettre datée du 6 mai 1992, adressée au Secrre général par le chargé d’affaires par intérim de la
mission permanente de la Yougoslavie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. A/46/915 (1992),
annexe 15.
24Note datée du 27 avril 1992 adressée au Secrétaire général par la mission permanente de la Yougoslavie auprès
de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, annexe 15. - 17 -

n’y était mentionné ou cité, et aucune liste de trait és pertinents n’était jointe ni ajoutée. A des fins
de succession, des déclarations précises ou des références à des traités en particulier sont

nécessaires.

3.33. C’est ce qu’a clairement confirmé le Secrétaire général, en sa qualité de dépositaire des

traités multilatéraux. S’exprimant à propos des «déclarations «générales » de succession», il
soulignait :
41
«Les Etats nouvellement indépendants soumettent souvent au Secrétaire général

des déclarations «générales» de succession en demandant le plus souvent que le texte
en soit communiqué à tous les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies.
Le Secrétaire général fait droit à ce type de demande…mais ne considère pas la

déclaration comme un instrument valable de succession à l’un quelconque des traités
déposés auprès de lui et il notifie en ce sens le gouvernement du nouvel Etat intéressé.
Ce faisant, il s’appuie sur les considérations suivantes.

De par le dépôt d’un instrument de succession, l’Etat qui succède se trouve lié,
de son propre chef, par le traité auquel s’applique la succession, avec les mêmes droits
et obligations que s’il avait ratifié le traité , y avait adhéré ou l’avait accepté de toute
autre manière. En conséquence, la ligne constante du Secrétaire général en tant que

dépositaire a été de n’inclure un Etat qui succède dans la liste des Etats parties à un
traité déterminé que sur la base d’un document formel de même nature que les
instruments de ratification, d’adhésion, etc., c’est-à-dire d’une notification émanant du

chef d’Etat, du chef de gouvernement ou du ministre des affaires étrangères, qui
désigne nommément le traité ou les trait és par le(s)quel(s) l’Etat en cause se
reconnaît lié.

42
Les déclarations généra les n’offrent pas une base juridique suffisante pour
permettre l’inclusion des Etats intéressés dans la liste des parties reproduite dans la
publication Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire gé
néral.» 25

3.34. La déclaration et la note du 27 avril1992 étaient des déclarations générales ― pas
même des «déclarations générales de succession», mais
des déclar ations de politique générale.
Elles ne désignaient aucun traité, ni n’émanaien t d’aucune des autorités tenues pour compétentes

par le dépositaire. A la fin du texte de la déclaration, «l es participants à la session commune de
l’Assemblée de la RFSY, de l’Assemblée nationale de la République de Serbie et l’Assemblée de la
République de Monténégro» étaient désignés comme les signataires. La note émanait de la

«mission permanente de la RFSY (RFY) auprès de l’Organisation des Nations Unies». L’une et
l’autre furent transmises sous le couvert d’une lettre adressée par le chargé d’affaires par intérim de
la «mission permanente de la Yougoslavie auprès de l’Organisation des NationsUnies» 26 au
Secrétaire général, le priant de les distribuer comme documents officiels à l’Assemblée générale.

Ni la déclaration ni la note n’émanaient donc d’autorités reconnues comme compétentes. Pour
cette raison aussi, la déclaration et la note ne pouvaient valoir acte de succession.

25Précis de la pratique du Secrétaire général en tant que dépositaire de traités multilatéraux, par. 303-305 (note de
bas de page omise), Nations Unies, doc. ST/LEG/7/REV1 (annexe 16) ; les italiques sont de nous.
26
Voir annexe 15. - 18 -

43 La déclaration et la note constituaient, de par leur teneur, une revendication de
continuité, et elles ont également été considéré es ainsi, et non comme une notification de

succession

3.35. La déclaration et la note ont été appréciées conformément à leur contenu réel. Elles ont

été considérées comme une revendication, une affirm ation que la RFY assurait la continuité de la
personnalité de l’ex-RFSY et, partant, de l’a ppartenance de celle-ci à l’ONU et à d’autres
organisations internationales, ainsi que de la qualité de partie aux traités qu’elle avait conclus.

Cette affirmation de la continuité et ses conséquences étaient parfaitement comprises, mais
elles n’ont pas pour autant été acceptées. La Cr oatie et les autres ex-Républiques yougoslaves ont
vigoureusement contesté l’affirmation selon laquelle la RFY assurait la continuité de la qualité de
Membre de l’ONU et d’autres organisations intern ationales de la RFSY, contestant également que

la RFY conserve les droits, les obligations et le statut internationaux qui avaient été ceux de la
RFSY.

3276. Pour citer un exemple, le 16 février 1994, dans une lettre adressée au Secrétaire
général , le représentant permanent de la Croatie à l’Organisation des Nations Unies prit position
sur «la déclaration … adoptée le 27 avril 1992 à la session commune de l’Assemblée nationale de
la République de Serbie et l’Assemblée de la Républi que du Monténégro». Citant la déclaration, il

44 expliquait pourquoi la Croatie n’avait pas réagi plus tôt, et indiquait en des termes dénués de toute
ambiguïté que la Croatie s’opposait à la reve ndication de continuité formulée dans cette
déclaration :

«La République de Croatie s’élève én ergiquement contre le fait que la
République fédérative de Yougoslavie (Ser bie et Monténégro) prétend assurer la
continuité de l’Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de

l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie.»

3.37. Cette même lettre montre clairement que la Croatie rejetait jusqu’à l’hypothèse selon

laquelle la déclaration avait pu valoir notificati on de succession. Elle indique en outre que la
Croatie accepterait (au conditionnel) une notification de succession mais à la condition que pareille
notification soit faite :

«si la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) notifiait son
intention, en ce qui concerne son territoire, d’être considérée partie, en vertu de sa
succession à la République fédérative socialiste de Yougoslavie, aux traités conclus
par l’Etat prédécesseur à compter du 27avr il1992, date à laquelle la République

fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en sa qualité de nouvel Etat, a
assumé la responsabilité de ses relations in ternationales, la République de Croatie
honorerait pleinement cette notification de succession» . 28

45 De toute évidence, la Croatie ne considérait pas la déclaration, ni la note, comme une notification
de succession — et pas davantage comme un acte en ayant les effets.

3.38. Une année plus tard, dans une lettre en date du 30janvier1995, la Croatie faisait
toujours état de la notification de succession comme d’une démarche qui pourrait se produire, et
indiquait à nouveau sa position, à savoir qu’elle prendrait en considération une notification de

succession si la République fé dérale de Yougoslavie en faisait une. Une fois de plus, il s’ensuit

27Voir Nations Unies, doc. S/1994/198 (1994), annexe 17.
28
Ibid ; les italiques sont de nous. - 19 -

que, pour la Croatie, pareille notification de succession n’avait pas été donnée par la déclaration ou

par la note du 27avril1992; et que la RFY n’ét ait devenue d’aucune autre manière partie aux
traités multilatéraux auxquels l’ex-RFSY était partie. La lettre indique :

« Si la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) faisait part
de son intention d’être considérée, en tant qu’Etat successeur, comme partie aux
traités multilatéraux conclus par l’Etat prédécesseur à compter du 27 avril 1992, date à

laquelle la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a assumé, en
sa qualité de nouvel Etat, la responsabilité de ses relations internationales, la
République de Croatie prendrait bonne note de cette notification de succession.» 29

3.39. La pratique du dépositaire confirme également que tant la déclaration que la note du
27 avril 1992 n’ont jamais été considérées comme des instruments de succession. Avant qu’il soit

clairement établi que la RFY est devenue Memb re de l’Organisation des NationsUnies le
46 1 novembre 2000 seulement, le dépositaire faisait bien figurer en pratique la «Yougoslavie» parmi
les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies et les parties contractantes à certains traités.

Cette pratique a peut-être été une source d’ambiguïtés et créé l’apparence d’une qualité de membre
—mais la seule apparence susceptible d’être créée était celle de la continuation de la qualité de
membre. La date d’adhésion mentionnée pour la «Yougoslavie» était toujours celle à laquelle

l’ex-Yougoslavie (et non la RFY) était devenue Membre de l’Organisation, ou partie contractante à
tel ou tel traité. Si l’hypothèse de la succession avait été envisagée, la date d’adhésion mentionnée
aurait été celle de la succession, comme c’est le cas aujourd’hui pour la RFY, la Croatie et d’autres

Etats Membres. Avant que la RFY ne devienne Membre de l’Organisation des NationsUnies en
novembre 2000, la «Yougoslavie» figur ait dans la liste des Etats Membres, où il était indiqué que
son adhésion remontait au 26juin1945; cela pouvait créer l’illusion d’une continuité de la

personnalité de l’ex-RFSY as surée par la RFY, mais certainement pas celle d’une succession par
un Etat dont l’adhésion aurait eu lieu le 27 avril 1992.

3.40. De même, avant que le statut de la RFY ne soit clarifié, la «Yougoslavie» figurait sur la
liste des parties contractantes à la convention su r le génocide, avec comme date de signature le
11décembre1948, et comme date de ratification le 29août1950 30. Ce même document indique
31
que la Croatie est devenue partie contractante le 12 octobre 1992 par voie de succession . Or, une
fois de plus, l’indication selon laquelle la «Yougoslavie» était une partie contractante depuis 1950 a
peut-être créé l’apparence de la continuité de l’existence d’une «Yougoslavie» en tant que partie
47
contractante, mais cela ne pouvait en aucune manière confirmer l’hypothèse, ni même l’impression,
que la RFY serait devenue partie contractante à la convention sur le génocide en vertu d’une
déclaration, automatiquement ou par d’autres voies.

3.41. Depuis lors, la situation a été éclai rcie. Dans la publication intitulée «Traités

multilatérau32déposés auprès du Secrétaire général», sous la rubrique «Inf ormations de nature
historique» , le dépositaire offre des éléments d’explication, qui montrent que la déclaration et la
note étaient indubitablement considérées comme une revendication de continuité.

29Voir Nations Unies, doc. A/50/75-E/1995/10 (1995), annexe 18 ; les italiques sont de nous.
30
Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au 31décembre2000, vol. I, partieI (traités
de l’Organisation des NationsUnies), chap.IV (droits dl’homme), NationsUnies, doc. ST/LEG/SER.E/19, p. 136,
annexe 19.
31
Ibid., p. 135.
32 Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, «Informations de nature historique»,
Nations Unies, doc. ST/LEG/SER.E/21, annexe 12. - 20 -

3.42. Il est indiqué, dans cette rubrique, que :

«[l]a Yougoslavie a été instituée le 27avril199 2, à la suite de la promulgation de la

constitution de la République fé dérale de Yougoslavie ce même jour. Cela étant, la
Yougoslavie a fait savoir au Secrétaire géné ral, le 27avril1992, qu’elle entendait
assurer la continuité de la personnalité juridique internationale de l’ex-Yougoslavie.
En conséquence, elle revendiquait la qualité de membre des organisations

internationales dont l’ex-Yougoslavie avait fait partie. De même, elle affirmait que
tous les actes effectués par l’ex-Yougoslavie à l’égard de divers traités devaient être
48 attribués directement à la Yougoslavie, car il s’agissait du même Etat… La
Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Sl ovénie et l’ex-République yougoslave de

Macédoine…se sont élevées contre cette revendication. » (Les italiques sont de
nous.)

La prétention exprimée dans la déclarati on et dans la note était donc une revendication

d’identité (continuité de la personnalité) —et c’est ainsi qu’elle fut considérée. Ces documents
n’étaient pas censés faire de la RFY un Membre de l’Organisation des NationsUnies ni en faire
une partie aux traités. Tous deux exprimaient au contraire une aspiration politique à la continuité
(identité). L’affirmation de l’identité (continu ité de la personnalité) vise à confirmer ce qui est

considéré comme un état de fait — la RFY est la même personne que l’ex-Yougoslavie et, partant,
la RFY reste Membre de l’Organisation des NationsUnies et reste partie aux traités ratifiés par
l’ex-Yougoslavie —, et non à créer des engagements, des droits ou des obligations.

La déclaration et la note n’étaient pas cen sées être des dé marches conventionnelles, elles

n’ont pas été considérées comme des démarches conventionnelles ⎯et elles n’étaient pas des
démarches conventionnelles.

La revendication effectivement formulée da ns la déclaration et dans la note (la
revendication de continuité, ou autrement dit, d’identité) n’a jamais été acceptée et est
demeurée sans effet

3.43. La tentative que fit l’ancien Gouvernement de la RFY pour que celle-ci soit reconnue
comme l’héritière de la personnalité juridique inte rnationale de l’ex-RFSY, acquière à ce titre la
qualité de membre d’organisations internationales et de partie à des traités, échoua. Les «vues»
politiques exprimées dans la déclaration du 27avril1992, et dans la note par laquelle cette

49 déclaration fut transmise à l’Orga nisation des Nations Unies, ne pouvaient avoir d’incidence à cet
égard, et elles n’en eurent pas. La succession d’Etat se produisit, bien évidemment, mais non au
titre, ni selon les termes, d’une déclaration qui n’était pas censée être une déclaration de succession
et qui ne pouvait être considérée comme telle. Cette déclaration était assurément une déclaration

de continuité. Dans la déclara tion du 27 avril 1992, la RFY ne prétendait pas, et ne laissait même
pas entendre, qu’elle serait un membre d’organisations internationales, ou qu’elle serait liée par des
traités, autrement que dans l’hypothèse selon laquelle elle assurerait la continuité de la
personnalité de la RFSY.

3.44. La prétention de la RFY à rester membre d’organisations internationales et partie aux
traités en assurant la continuité de l’Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de
la République fédérative socialiste de Yougoslavie bénéficia effec tivement d’un certain soutien,

suscita des incertitudes et fut diversement accueillie, mais elle ne fut pas acceptée en fin de compte.

3.45. Dans ces conditions, le nouveau Gouvernem ent de la RFY adopta la seule ligne de

conduite qui lui restait ouverte. Le 27octobre 2000, le président Koštunica adressa une lettre au - 21 -

33
Secrétaire général pour solliciter l’admission de la RFY à l’Organisation des Nations Uners . Sur
recommandation du Conseil de sécurité, l’Assemblée générale décida le 1 novembre 2000
d’admettre la RFY comme Membre de l’Organisation des Nations Unies . 34

50 3.46. La décision rendue par l’Assemblée générale le 1 ernovembre 2000 dénouait enfin les
dilemmes et incertitudes, et excluait la possibilité que la RFY eût été Membre de l’Organisation des
er
NationsUnies avant le 1 novembre2000. La RFY devenait un nouvel E ttemede
l’Organisation des Nations Unies ⎯ ce qui signifiait à l’évidence qu’elle ne l’était pas auparavant.

3.47. La RFY fut admise en qualité de nouveau Membre le 1 ernovembre 2000, et ainsi
s’acheva une période où des indications contradictoires autorisaient des interprétations divergentes.

Il ne restait plus qu’un fait indubitable : la RFY n’ass urait pas la continuité de la personnalité de la
RFSY, et n’avait pas été membre de l’Organisation des Nations Unies avant le 1 ernovembre 2000.
Sur la liste la plus récente des Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies (sa mise à jour

date du 18 décembre 2000), la «Yougoslavie» figure en tant qu’Etat Membre et la date d’admission
indiquée est le 1 novembre 2000. Une note explicative précise :

«La République [fédérative socialiste ] de Yougoslavie fut l’un des Membres
fondateurs de l’Organisation des NationsUni es, puisqu’elle en a signé la Charte le
26juin1945 et qu’elle l’a ratifiée le 19oc tobre1945, et ce jusqu’au démembrement

du pays survenu avec la création, puis l’admission au sein des NationsUnies [en
qualité de nouveau membre], de la Bosnie-Herzégovine, de la République de Croatie,
de la République de Slovénie, de l’ex -République yougoslave de Macédoine et de la

République fédérale de Yougoslavie.
51
La République fédérale de Yougoslavie a été admise comme Etat Membre de

l’Organisation des NationsUnies suite àer’ adoption par 35Assemblée générale de la
résolution A/RES/55/12 en date du 1 novembre 2000.»

3.48. Après son admission, la RFY fut invitée par le conseiller juridi que de l’Organisation
des NationsUnies à décider si elle voulait ou non assumer les droits et les obligations de
36
l’ex-RFSY au titre des traités internati onaux. Dans sa lettre du 8décembre 2000 , le conseiller
juridique indiquait «[qu’à son] avis, … la République fédérale de Yougoslavie devrait maintenant
accomplir les formalités requises à l’égard des traités considérés si elle envisage[ait] d’assumer, en

qualité d’Etat successeur, les droits et obligations qui en découl[ai]ent» [traduction du Greffe] (les
italiques sont de nous).

3.49. Il importe d’ajouter que la lettre du c onseiller juridique était accompagnée d’une liste
de traités à l’égard desquels la RFY, pour y devenir partie, devait accomplir des formalités
conventionnelles. Cette liste incluait la convention sur le génocide . Le fait que la RFY n’était pas

auparavant partie à la convention sur le génocide était donc confirmé. Ainsi, en décembre 2000, la
RFY était en mesure de décider si elle souhaita it soit succéder, soit adhérer, soit encore ne pas
succéder ni adhérer aux traités auxquels l’ex-RFSY était partie.

33Voir annexe 20.
34
Voir la résolution1326 (2000) du Conseil de sécuritla résolution55/12 (2000) de l’Assemblée générale
(annexe 21).
35
Voir www.un.org/french/aboutun/etatsmbr.htm (annexe 22) ; les italiques sont de nous.
36Voir annexe 23. - 22 -

52 3.50. Avant le mois de novembre 2000, le nom abrégé de «Yougoslavie» était utilisé, dans la

liste des formalités conventionnelles publiée pa r le dépositaire, pour désigner à la fois
l’ex-Yougoslavie et la RFY. Il s’ensuivait une situation qui, comme l’a à juste titre indiqué la
Cour, «ne laiss[ait] pas de su sciter des difficultés juridiques» 37. Maintenant qu’il est devenu clair
que la prétention de la RFY à assurer la con tinuité est restée sans lendemain, les formalités

effectuées par l’ex-Yougoslavie ne figurent plus en regard d’une désignation qui pourrait entraîner
une confusion avec la RFY. Dans les «Informations de nature historique» publiées par le
Secrétaire général en sa qualité de dépositaire, il est désormais indiqué que

«[l]es formalités effectuées par la Yougosla vie figurent désormais dans la présente
publication en regard de la désignation «Y ougoslavie» [et l]es formalités effectuées
par l’ex-Yougoslavie … dans les notes de bas de page se rapportant à la désignation
38
«ex-Yougoslavie»».

3.51. En bref, la déclaration du 27avril1992, la note par laquelle celle-ci fut soumise à

l’Organisation des Nations Unies, la réaction du dépositaire et le statut indéterminé de la
Yougoslavie au sein de l’Organisation ont bien donné des indications contradictoires quant à savoir
si la RFY assurait ou non la continuité de la personnalité, de la qualité de Membre de l’ONU et de

partie à des traités de la RFSY. Toutefois, cette déclaration, la note et la pratique suivie par le
dépositaire n’ont jamais incité à croire (et ont même au contraire démenti) que la RFY était
devenue partie, par voie de succession, aux traités auxquels était partie l’ex-RFSY. Il est clair,
aujourd’hui, que la RFY n’a pas assuré la continuité de la personnalité, de la qualité de Membre de
53
l’ONU ni de celle de partie aux traités, de la RFSY. La RFY est devenue un nouveau Membre de
l’Organisation des NationsUnies le 1 ernovembre2000 et elle est devenue partie contractante à la
convention sur le génocide par voi e d’adhésion, le 10 juin 2001 ⎯ en formulant une réserve à son

article IX.

d) La compétence de la Cour ne saurait être fo ndée sur la thèse de la succession automatique
aux traités

3.52. Ainsi qu’il a été démontré ci-dessus, le défendeur n’a jamais four ni de notification de

succession à la convention sur le génocide.

3.53. Le défendeur démontrera maintenant qu’il n’est jamais devenu lié à la convention sur

le génocide par voie de succession automatique, car aucune règle de cette nature n’existait avant
l’adoption de la convention de Vienne de1978 su r la succession d’Etats en matière de traités, ou
n’a été formulée depuis lors. C’est ce qu’établissent :

1) l’historique de la rédaction de la convention de Vienne de 1978 ;

2) la pratique du conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies ;

3) le fait que les conditions requises aux fins de l’établissement d’une règle concernant la
succession automatique aux traités relatifs aux droits de l’homme ne sont pas remplies ;

4) la pratique des Etats en la matière ;

37
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures conservatoires,
ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 14.
38
Voir annexe 12. - 23 -

5) la pratique suivie par le dépositaire ;

6) la pratique des Etats (notamment celle du demandeur lui-même) à l’égard de l’ex-RSFY.

54 1) L’historique de la rédaction de la convention de Vienne de 1978 sur la succession d’Etats
en matière de traités montre que la thèse d’une succession automatique aux traités relatifs

aux droits de l’homme n’était pas reconnue en droit internation
al

3.54. Dans le cadre de ses travaux préparat oires à la conférence diplomatique de 1977-1978,
qui aboutit à l’adoption de la convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités,

la Commission du droit international s’était demandée si le principe de succession automatique
devait s’appliquer aux traités de caractère normatif tels que les conventions de Genève de1949.
Elle conclut par la négative. S’étant longuement penchée sur la question, la Commission du droit

international affirma que «l’application du principe de la continuité n’avait pas d’appui dans la
pratique…» . De fait, la Commission du droit international (CDI) parvint à la conclusion que

«[l]a pratique suivie par les Etats semblait en contradiction manifeste avec la thèse
selon laquelle un Etat nouvellement indépendant «a l’obligation de se considérer lié
par un traité général de car actère normatif qui était applicable à l’égard de son
40
territoire avant son accession à l’indépendance»» .

3.55. La CDI, analysant de manière plus approfondie la pratique des Etats à l’égard des
55
conventions de Genève de 1949, releva que, si plusieurs d’entre eux avaient notifié leur succession,
beaucoup d’autres étaient de venus parties par adhésion 41, ce qui infirmait incontestablement la
thèse de la succession automatique.

3.56. La CDI observa notamment que les tra ités à caractère norma tif ne pouvaient être

soumis à un régime de succession automatique, pa rce qu’ils pouvaient «contenir des dispositions
«purement conventionnelles», telles qu’une disposition relative à l’ arbitrage obligatoire des
différends» .2

3.57. La CDI n’inclut donc pas dans ses projets d’articles de disposition spécifique
concernant les traités à caractère normatif, qui aurait également pu valoir pour la convention sur le

génocide.

3.58. Au cours de la conférence diplomatique de Vienne de 1977-1978, d’autres propositions

analogues en faveur de la succession automatique aux traités à caractère normatif soumises par
56

39Annuaire de la Commission du droit international, 1974, vol. II, n 1, p. 44 (annexe 24).

40Ibid.
41
Ibid., p. 44.
42Ibid., p. 45 ; les italiques sont de nous. - 24 -

43
l’URSS et les Pays-Bas 44urent retirées, lorsqu’il devint mani feste qu’elles ne recueilleraient pas
suffisamment d’adhésions .

2) La pratique du conseiller juridique de l’Organisation des Nations Uni
es

3.59. Cette approche correspond également à la position adoptée par le conseiller juridique

de l’Organisation des Nations Unies, qui avait déjà déclaré, en 1976, à propos de la convention de
Genève relative au statut des réfugiés :

«le Secrétaire général, en sa qualité de dépositaire des accords internationaux,
considère qu’un Etat présumé successeur à un accord ne devient partie à cet accord
qu’après le dépôt d’une notification de su ccession se référant audit accord… Outre la

succession, l’Etat intéressé peut encore recourir au moyen normal de participation
expressément prévu par la convention de 1951 et le protocole de1957, à savoir
l’adhésion.» 45

57 3) Les conditions requises aux fins de l’étab lissement d’une règle de succession automatique

aux traités relatifs aux droits de l’homme n’ont jamais été
remplies

3.60. Ainsi qu’il a été démontré ci-dessus, aucune règle de succession automatique n’avait

été établie avant 1978 s’agissant des traités relatifs aux droits de l’homme. Le défendeur soutient
qu’aucune règle de succession automatique n’a vu le jour non plus, en droit international
coutumier, dans la période pertinente, à savoir l’ intervalle de moins de quinze ans allant de1978

à 1992.

3.61. Dans sa conclusion bien connue, exprimée dans les affaires du Plateau continental de

la mer du Nord , la Cour à propos d’une période de brièveté comparable, à savoir les onze années
qui s’étaient écoulées entre 1958 et 1969 a dit ce qui suit :

«Bien que le fait qu’il ne se soit écoulé qu’un bref laps de temps ne constitue
pas nécessairement un empêchement à la formation d’une règle nouvelle de droit
international coutumier … il demeure indispen sable que dans ce laps de temps, aussi

bref qu’il ait été, la pratique des Etats, y compris ceux qui46ont particulièrement
intéressés, ait été fréquente et pratiquement uniforme…»

3.62. Ces conditions n’ont manifestement pas été remplies, ni ne pouvaient l’être, en la
présente espèce. La pratique des Etats est loin d’avoir été «pratiquement uniforme» et n’a pas non

58 plus été «fréquente». Du reste, la pratique des Etats en général ⎯et en particulier celle qui
concerne la RFY ⎯, a infirmé la thèse de la succession automatique.

43
Voir Conférence des Nations Unies sur la succession d’Etas en matière de traités, Documents officiels,
vol.III, Documents de la Conférence , Nations Unies, doc.A/CONF.80/C.1/L. 22 et A/CONF.80/ C.1/L.35, p.122-124
(annexe 25).
44
M.Yasseen, La convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traitéAFDI, 1978, p.107
(annexe 26).
45Voir Nations Unies, Annuaire juridique, 1976, p. 227 (annexe 27).

46Affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark; République
fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 43, par. 74 ; les italiques sont de nous. - 25 -

3.63. Il convient cependant de noter que, s’ag issant de la succession à des traités relatifs aux
droits de l’homme, toute pratique des Etat s fait quasiment défaut jusqu’au début des

annéesquatre-vingt-dix, les cas de succession d’ Etats ayant été extrêmement rares entre1978
et 1990.

3.64. La pratique existante des Etats, et notamment celle des Etats successeurs (les Etats

«particulièrement intéressés»), ne conforte pas la thèse de la succession automatique. Au contraire,
la pratique pertinente appuie l’idée que les traités relatifs aux droits de l’homme ne sont pas soumis
au régime de la succession automatique.

4) La pratique pertinente des Etats après l’adop tion de la convention de Vienne de 1978 sur

la succession d’Etats en matière de traités conforte l’idée que les traités relatifs aux droits
de l’homme ne sont pas soumis à la succession automatique

Pratique à l’égard des Etats successeurs de l’ex-URSS

3.65. La pratique des Etats qui ont succédé à l’ex-URSS n’est pas «pratiquement uniforme»,
et infirme la thèse de la succession automatique. Certains Etats ont soumis des notifications
expresses de succession, d’autres n’ont entrepris aucune démarche. Plus important encore, un

grand nombre d’Etats successeurs apparus sur le territoire de l’ex-URSS ont adhéré à divers traités
relatifs aux droits de l’homme fondamentaux tels que :

59 ⎯ le pacte international relatif aux droits civils et politiques 47 ;

48
⎯ le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;

49
⎯ la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ;

⎯ la convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou
50
dégradants ;

51
⎯ la convention relative aux droits de l’enfant ;

52
60 ⎯ la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;

47Sont devenus parties par adhésion à ce pacte les pays suivants: l’Ar ménie (23 juin 1993), l’Azerbaïdjan
(13 août 1992), la Géorgie (3 mai 1994), le Kirghizistan (7 octobre 1994), la République de Moldova (26 janvier 1993),
le Tadjikistan (4 janvier 1999), le Turkménistan (1mai 1997), l’Ouzbékistan (28 septembre 1995).

48Sont devenus parties par adhésion à ce pacte les pays suivants : l’Arménie (13 septembre 1993), l’Azerbaïdjan
(13 août 1992), la Géorgie (3 mai 1994), le Kirghizistan (7 octobre 1994), la République de Moldova (26 janvier 1993),
le Tadjikistan (4 janvier 1999), le Turkménistan (1mai 1997), l’Ouzbékistan (28 septembre 1995).

49Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivan ts: l’Arménie (13 septembre 1993),
l’Azerbaïdjan (10 juillet 1995), la Géorgie (26 octobre 1994), le Kazakhstan (26 août 1998), le Kirghizistan
(10février1997), la République de Moldova (1 ejuillet 1994), le Tadjikistan ( 26 octobre 1993), le Turkménistan
er
(1 mai 1997), l’Ouzbékistan (19 juillet 1995).
50Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivan ts: l’Arménie (13 septembre 1993),

l’Azerbaïdjan (16 août 1996), la Géorgie (26 octobre 1994), le Kazakhstan (26 août 1998), le Kirghizistan
(5septembre1997), la République de Moldova (28 novembre 1995), le Tadjikis tan (11 janvier 1995), le Turkménistan
(25 juin 1999), l’Ouzbékistan (28 septembre 1995).
51
Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivants: l’Arménie (23 juin 1993),
l’Azerbaïdjan (13 août 1992), le Kirghizistan (7 octobre1994), la République de Moldova (26 janvier 1993), le
Tadjikistan (26 octobre 1993), le Turkménistan (20 septembre 1993), l’Ouzbékistan (29 juin 1994). - 26 -

53
⎯ la convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ;

⎯ la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid . 54

Or, tous ces traités avaient été ratifiés par l’URSS ; la pratique confirme donc que les Etats
successeurs de l’URSS ne sont pas devenus liés par les divers traités relatifs aux droits de l’homme

par voie de succession automatique.

Il en est allé de même en ce qui concerne la convention sur le génocide (voir plus bas les

paragraphes3.71-3.73, qui traitent de la pra tique spécifique des Etats à l’égard de cette
convention).

3.66. La pratique d’autres Etats confirme l’absence de succession automatique s’agissant des
traités relatifs aux droits de l’homme. Le défe ndeur voudrait notamment appeler l’attention de
61 l’éminente Cour sur la décision de la Cour fédé rale suisse indiquant que le Kazakhstan n’a pas

succédé au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après dénommé «le PIDCP»)
faute de notification à cet effet. La Cour fédérale indiquait :

«la République du Kazakhstan est, juridique ment, l’un des Etats successeurs de
l’ancienne Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS)… En tant qu’Etat
successeur de l’ancienne URSS, la Répub lique du Kazakhstan est libre d’exprimer ou

non son consentement à être liée par les tra ités auxquels l’Etat dont elle est issue est
partie. L’expression de ce consentement peut prendre la forme d’une simple
déclaration de succession…Jusqu’ici, le Kazakhstan n’a pas exprimé, selon les

modalités décrites, son consentement à être lié par le pacte ONU II ou par la
convention des Nations Unies contre la to rture et les autres traitements ou peines
inhumains, cruels ou dégradants, du 10 décembre 1984…» 55

3.67. Il ressort aussi de la pratique de la République fédérale d’Allemagne (ci-après

dénommée la «RFA») que les traités relatifs aux droits de l’homme auxquels seule l’ex-République
démocratique d’Allemagne (ci-ap rès dénommée la «RDA») avait été partie contractante ne
demeurèrent pas en vigueur sur le territoire de l’ ex-RDA une fois celui-ci rattaché à la RFA. Cette

62 pratique va donc à l’encontre de l’interprétation de la thèse des droits acquis développée par le
demandeur.

3.68. Il convient en particulier de noter que la RDA avait déjà ratifié la convention des
NationsUnies contre la torture en 1987 56, alors que la RFA ne la ratif ia que le 31 octobre 1990.

Néanmoins, tant la réponse faite par le représenta nt allemand auprès du Comité contre la torture

52
Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivants: l’Arménie (23 juin 1993),
l’Azerbaïdjan (16 août 1996), la Géorgie (2 juin 1995), le Kazakhstan (26 août 1998), le Kirghizistan (5 septembre 1997),
la République de Moldova (26janvier1993), le Tadjikistan (11 janvier 1995), le Turkménistan (29 septembre 1994),
l’Ouzbékistan (28 septembre 1995).
53
Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivants: l’Arménie (23 juin 1993),
l’Azerbaïdjan (16 août 1996), la Géorgie (31 mars 1995), la République de Moldova (26 janvier 1993).
54
Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivants: l’Arménie (23 juin 1993),
l’Azerbaïdjan (16 août 1996), le Kirghizistan (5 septembre 1997).
55Voir BGE, vol. 123 II, p. 518-519 ; les italiques sont de nous.

56Voir Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, partie I (traités des Nations Unies), chap. IV
(droits de l’homme), notes 3 et 4 du texte (annexe 28). - 27 -

57
lors de la quarante-huitième session de celui-ci que le premier rapport allemand sur la mise en
Œuvre de la convention 58 impliquent que la ratification préalab le par la RDA ne resta pas effective
sur le territoire de l’ex-RDA. La RFA avait donc considéré que le principe de la succession

automatique aux traités relatifs aux droits de l’homme ne s’appliquait pas.

3.69. Le fait que la RFA ne s’estimait pas, et ne s’estime toujours pas, liée par les traités
relatifs aux droits de l’homme ratifiés antérieure ment par l’ex-RDA est en core confirmé par sa

pratique à l’égard de la convention internationale sur 59élimination et la répression du crime
63 d’apartheid, que l’ex-RDA avait ratifiée en 1974 . Cette convention n’est pas mentionnée dans la
liste officielle allemande des traités en vigueur , ce qui confirme que la RFA considérait que les

obligations conventionnelles découlant de la conve ntion internationale pour l’élimination et la
répression du crime d’apartheid ⎯qui, de même que la convention sur le génocide, établit un

crime international (en l’occurrence, le crime d’apartheid) ⎯ n’avaient pas été maintenues par voie
de succession, et ce, pas même en ce qui concerne le territoire et la population de l’ex-RDA.

La pratique adoptée par des Etats nouvellement indépendants, en particulier à l’égard de
la convention de Genève relative au statut des réfugiés

3.70. Le défendeur répète que, jusqu’en 1990, les cas de succession automatique étaient rares
dans la pratique des Etats. Les exemples s ont plus nombreux après 1990 mais leur nombre reste

limité ⎯ et ils ne viennent pas étayer la thèse de la succession automatique. Il faut noter qu’un très
grand nombre d’Etats nouvellement indépendants ⎯même s’ils étaient à même de notifier leur

succession à l’égard de la convention de Genève relative au statut des réfugiés ⎯ ont préféré ⎯
tant avant qu’après 1978 ⎯ adhérer à celle-ci.

60
Tel est le cas de la Papouasie-Nouvelle-Guinée , d’anciennes colonies françaises
⎯ Burkina Faso, Cambodge, Tchad, Gabon, Madagascar et Mauritanie 61 ⎯ ainsi que d’anciennes

64 colonies britanniques ⎯Bahamas, Belize, Dominique, Kenya, Seychelles, îles Salomon,
République-unie de Tanzanie et Zimbabwe . 62

La pratique spécifique à l’égard de la convention sur le génocide

3.71. En ce qui concerne en particulier la c onvention sur le génocide, les cas de pratique des
Etats qui infirment la thèse de la succession automatique sont nombreux, compte tenu du fait qu’un
grand nombre d’Etats successeurs ont adhéré à la Convention. D’autres ont notifié expressément

qu’ils succédaient à l’ancien Etat à l’égard de la Convention ou n’ont pr is absolument aucune

57Report of the Committee against torture, NationsUnies, Documents officiels de l’Assemblée générale,
quarante-huitième session, supplément n44, doc. A/48/44 (1993), p. 30.

58Voir Nations Unies, doc. CAT/C/12/Add.1, du 17 mars 1992, p. 1.

59Voir Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire gé néral, partieI (traités des NationsUnies), chap.IV
(droits de l’homme), état au 31 décembre 2002 (annexe 29).
60
L’Australie a étendu la convention sur le génocide à la Papouasie-Nouvelle-Gu inée avec effet au
22 janvier 1954 ; pourtant, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a adhéré à la Convention le 17 juillet 1986.
61
La France a étendu l’applicabilité de la convention sur le génocide à ses colonies avec effet au 23 juin 1954 ;
pourtant, le Burkina Faso a adhéré à la Convention le 18 juin 1980; le Cambodge, en octobre 1992; le Tchad, le
19 août 1981 ; le Gabon, le 27 avril 1964 ; Madagascar, le 18 décembre 1967 ; et la Mauritanie, le 5 mai 1987.
62
Le Royaume-Uni a étendu l’applicabilité de la convention sur le génocid e à ses colonies avec effet au
11 mars 1954 ; pourtant, les Bahamas ont adhéré à la Convention le 15 septembre 1993;le Belize, le 27juin1990; la
Dominique, le 17 février 1994; le Kenya, le 16 mai 1966; les Seychelles, le 23 avril 1980;les Iles Salomon, le
28 février 1995 ; la République-Unie de Tanzanie, le 12 mai 1964 ; et le Zimbabwe, le 25 août 1981. - 28 -

mesure conventionnelle. Tout cela montre claireme nt qu’il n’existe pas de pratique uniforme ni
même seulement de pratique courante. La pratique existante ne confirme pas la thèse de la
succession automatique mais la contredit.

3.72. Les Etats successeurs qui ont adhéré à la convention sur le génocide comprennent le
63 64 65 66
Rwanda , les Tonga , l’Algérie , le Bangladesh , la plupart des Etats qui ont succédé à l’URSS
65 (à savoir l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghi zistan, la République de
67
Moldova et l’Ouzbékistan) , ainsi que le défendeur lui-même.

3.73. Il est particulièrement important de noter que, à l’exception des seules Croatie et
Bosnie-Herzégovine en ce qui concerne l’adhésion de la RFY, aucune autre partie contractante à la
convention sur le génocide ne s’est jamais, jus qu’à ce jour, opposée à ce que des Etats successeurs

adhèrent à la Convention. En outre, le demandeur lui-même a acquiescé à cette pratique en ce qui
concerne sept cas d’Etats qui ont succédé à l’ex-U SSR et qui ont adhéré postérieurement à la date
à laquelle la Croatie est devenue elle-même partie contractante à la convention sur le génocide.

5) La pratique du dépositaire

3.74. La pratique du dépositaire indique de la même façon que le principe de la succession
automatique ne s’applique pas à l’égard des traités relatifs aux droits de l’homme.

La pratique du Gouvernement suisse en sa qualité de dépositaire des conventions de

Genève de 1949 et de leurs protocoles additionnels

3.75. Le Gouvernement suisse a toujours eu la même position, à savoir que, pour qu’un Etat

66 successeur soit enregistré comme une partie contr actante aux quatre conventions de Genève de
1949 ou à l’un de leurs protocoles additionnels, ledit Etat doit avoir déposé une notification
expresse mentionnant les traités à l’égard desquels cet Etat souhaitait succéder. Le Gouvernement

suisse estime que, à cet égard, on ne peut faire de distinction entre les différentes sortes de traités
multilatéraux. On en trouve confirmation dans une déclaration relative à la pratique de la Suisse

faite par celui qui était (alors) conseiller juridique du Gouvernement suisse, L. Caflish :

63
La Belgique a étendu l’applicabilité de la convention sur le génocide au territoire sous tutelle du
Rwanda-Burundi par une déclaration datée du 13 mars 1952 ; pourtant, le Rwanda y a adhéré le 16 avril 1975.
64
Le Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont étendu l’applicabilité de la convention sur le
génocide au Royaume des Tonga par une décl aration datée du 2 janvier 1970; pourtantles Tonga y ont adhéré le
16 février 1972.
65
La convention sur le génocide est entrée en vigueur à l’égard dla France le 14 octobre 1950; l’Algérie a
adhéré à la Convention le 31 octobre 1963.
66
Le Pakistan a ratifié la convention sur le génocide le 12 octobre 1957; le Bangladesh y a adhéré le
5 octobre 1998.
67
Les pays suivants sont devenus pa rties contractantes par adhésion : l’Azerbaïdjan (le 16 août 1996), l’Arménie
(le 23 juin 1993), la Géorgie (le 11 octobre 1993), le Kazakhstan (le 26 août 1998), le Kirghizistan (le 5 septembre 1997),
la République de Moldova (le 26 janvier 1993) et l’Ouzbékistan (le 9 septembre 1999).

Le Tadjikistan et le Turkménistan n’ont pris absolument aucune mesure à ce sujet.
Le Bélarus et l’Ukraine sont devenus parties contractantes à part entière en 1954.

L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ne se considèrent pas comme des Etats successeurs de l’URSS. - 29 -

«Elle 68 n’opère à cet égard aucune distinction selon la nature ou l’objet du

traité. En matière de succession d’Etats aux conventions de Genève. La pratique du
dépositaire suisse est identique à celle qu’il observe pour d’autres traités ouverts à
l’ensemble de la communauté internationale, telle, par exemple, la Convention sur le

commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées
d’extinction (CITES).» 69

La pratique du Gouvernement français en sa qualité de dépositaire du protocole de
Genève de1925 concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants,

toxiques ou similaires [et de moyens bactériologiques]

3.76. De manière tout à fait comparable, le Gouvernement français, agissant en sa qualité de
dépositaire du protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz

asphyxiants, toxiques ou similaires [et de moyens bactériologiques], a estimé qu’un Etat successeur
67 n’était lié par ledit traité que s’il avait préal ablement déposé une notification de succession
expresse à l’égard de ce traité .0

La pratique du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en qualité de

dépositaire

3.77. Il en va de même pour le Secrétaire gé néral de l’Organisation des Nations Unies. En
effet, sa position mûrement réfléchie est que, même si un Etat successeur accepte ce qu’il est

convenu d’appeler un accord de dé volution ou dépose une notificati on générale de succession, on
ne peut pas considérer que cet Etat est une partie contractante en vertu de la succession . 71

6) La pratique des Etats en ce qui concerne l’ex-RFSY contredit la thèse de la succession
automatique

3.78. La pratique suivie par les Etats particulièrement intéressés ⎯à savoir celle qui a été
suivie dans le cas de la dissolution de l’ex-RFSY ⎯ contredit clairement la thèse de la succession

automatique. Le demandeur lui-même (ainsi que d’autres Etats successeurs de l’ex-Yougoslavie)
s’est invariablement opposé à l’id ée que la RFY ait pu devenir partie contractante aux traités
relatifs aux droits de l’homme par voie de succession automatique.

3.79. La Croatie s’en remet à un seul article théorique pour défendre le principe de la
succession automatique dans le domaine des traités relatifs aux droits de l’homme. Il s’agit de

68 l’article de M. Kamminga intitulé : «La succession d’Etats à l’égard des traités relatifs aux droits de
l’homme.» Précisément dans cet article, M. Ka mminga révèle que la Croatie s’est constamment
opposée à la thèse selon laquelle la RFY est devenue pa rtie à des traités relatifs aux droits de

l’homme par voie de succession automatique. Selon les propres termes de M. Kamminga :

«La Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Slovénie ont fait valoir que la RFY ne

saurait être considérée comme une partie à des traités tels que le pacte international
relatif aux droits civils et politiques, la c onvention internationale sur l’élimination de

68C’est-à-dire la Suisse (la note de bas de page est de nous).
69
L. Caflish, «La pratique suisse en matière de droit international public 1996», SZIER, 1997, p. 684 ; annexe 30.
70
Voir CAHDI «La pratique de la France dépositaire de traités multilatéraux en matière de succession d’Etats»,
CAHDI, 1994, vol. 8, p. 2 ; annexe 31.
71Voir annexe 16. - 30 -

toutes les formes de discrimination raciale et la convention sur l’élimination de toutes

les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elles fondent cette conclusion sur
l’argument selon lequel, d’une part, la RFY ne saurait automatiquement assumer la
continuation de la personnalité juridique de la RFSY et, d’autre part, la RFY a refusé
de succéder officiellement comme partie à c es traités. Cette thèse ayant prévalu aux
72
réunions des Etats parties auxdits traités, la RFY s’est vu interdire d’y assister.»
[Traduction du Greffe.]

3.80. En effet, la Croatie (ainsi que la Bo snie-Herzégovine et la Slovénie) a fait valoir à
maintes reprises et toujours de la même manière que la RFY ne saurait être considérée comme une
partie à des traités parce qu’elle ne pouvait assu mer automatiquement la continuation de la

personnalité juridique de la RFSY et qu’elle n’avait pas déposé de notification de succession
officielle. Ce raisonnement exclut clairement la succession automatique.

69
3.81. Dès 1993, la Croatie adopte une position de principe tranchée. Dans une lettre datée
du23août1993 adressée au président du Conseil de sécurité par le ministre croate des affaires
étrangères, la Croatie fait valoir que la RFY «n’a pas été automatiquement accepté[e]» comme

partie à nombre de traités internationaux «dan s la mesure où les dépositaires l[a] considèrent
comme étant simplement l’un des Etats successeurs» et conclut que : «Par suite de la dissolution de
l’ancien Etat, l’Etat appelé République fédéra le de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devra
déposer un instrument de succession à tous les tra ités internationaux auxquels il souhaite continuer
73
d’être partie.»

3.82. Ce même argument a été avancé à plusieur s reprises, en particulier au sujet des traités

relatifs aux droits de l’homme. Pour l’illustrer, la mission permanente de la Croatie auprès de
l’Organisation des Nations Unies a souligné, dans son aide-mémoire du 14 janvier 1994, que :

«Comme la soi-disant «Républi que fédérative de Yougoslavie»
(Serbie et Monténégro) n’a pas fait part au Secrétaire général de sa volonté de
devenir, en tant que l’un des Etats successeurs de l’ancienne RFSY, partie à la
Convention internationale sur l’éliminati on de toutes les formes de discrimination

raciale, cette entité ne saurait être considérée comme telle. De ce fait, la délégation de
70 la soi-disant «République fédérative de Yougoslavie» n’a pas le droit de participer à la
quinzième réunion des Etats parties à la conve ntion internationale sur l’élimination de
74
toutes les formes de discrimination raciale.»

3.83. Par suite de telles initiatives et de telles actions, la RFY s’est vu interdire d’assister aux

réunions entre Etats parties aux traités. On peut le démontrer à l’aide de nombreux exemples.

3.84. Par exemple, dans l’aide-mémoire qu’ elle a envoyé pour qu’il soit distribué à la

treizième réunion des Etats parties au PIDCP, la Croatie a souligné que :

«La République fédérative de Yougoslavie (SerbieetMonténégro) n’ayant pas
notifié au Secrétaire général qu’elle succédait au pacte international relatif aux droits

civils et politiques en tant que l’un des Etats successeurs de l’ancienne République

72M. T. Kamminga, «State Succession in Respect of Human Rights Tr eaties» [La succession d’Etats à l’égard
des traités relatifs aux droits de l’homme], EJIL, vol. 7, 1996, p. 477 ; annexe 32.
73
Voir Nations Unies, doc. S/26349, 1993 ; annexe 33.
74
Voir Nations Unies, doc. CERD/SP/51, 1994, p. 3 ; annexe 34 ; les italiques sont de nous. - 31 -

fédérative socialiste de Yougoslavie, elle ne peut être considérée comme étant partie
au pacte, et de ce fait sa délégation n’a pas le dr oit de participer à la treizième réunion
des Etats parties au pacte international relatif aux droits civils et politiques.» 75

3.85. Pendant la dix-huitièmeréunion des Etat s parties au pacte international relatif aux

droits civils et politiques qui s’est tenue le 16mars1994, M.Ša ćirbej a proposé, au nom de la
71 Bosnie-Herzégovine, «que les Etats parties décident de ne pas laisser la République fédérative de

Yougosla76e (Serbie et Monténégro) participer au x travaux de la réunion des Etats parties au
pacte» [traduction du Greffe]. M. Matešić, le représentant de la Croatie, a ajouté que :

«Si la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) souhaite
être considérée comme une partie au pacte, elle doit notifier au Secrétaire général, en
sa qualité de dépositaire des traités interna tionaux, qu’elle succède comme partie au

pacte, en tant que l’un des Etats successeu rs de l’ancienne République fédérative
socialiste de Yougoslavie. Elle n’y est actuellement pas partie et n’a donc aucun droit
de participer à la réunion.» 77 [Traduction du Greffe.]

Après l’exposé de ces arguments, la proposition de la Bosnie-Herzégovine d’exclure la RFY de la
Réunion fut adoptée par 51 voix pour, 1 voix contre et 20 abstentions . 78

3.86. Cette succession d’arguments et d’événements s’est répétée à plusieurs reprises.

Pendant la dix-neuvièmeréunion des Etat parties au pacte international relatif aux droits civils et
politiques, M.Mišic, le représentant de la Bosnie-Herzégovine proposa que: «les Etats parties

décident que la République fédérative de Yougoslavie (Ser79e et Monténégro) ne participe pas aux
72 travaux de la réunion des Etats parties au pacte» [traduction du Greffe] . Cette proposition fut
approuvée et développée par le représ entant de la Croatie (M.Mateši ć) qui déclara que la RFY

«n’avait pas notifié son adhésion au pacte au Secr étaire général, ayant qu alité de dépositaire des
traités internationaux, [et que] cet Etat ne d[eva] it donc pas être autorisé à participer aux réunions
des Etats parties.» 80 [Traduction du Greffe.] La motion de la Bosnie-Herzégovine fut adoptée et la
81
RFY se vit interdire de participer à la Réunion .

3.87. Dans tous ces cas, la thèse de la successi on automatique aurait abouti à une conclusion
différente (à savoir que la RFY aurait dû en réalité assister aux réunions des Etats parties).
Pourtant, la Croatie ainsi que d’autres Etats parties aux traités relatifs aux droits de l’homme ont

affirmé le contraire à plusieurs reprises, indiquant que la RFY ne pouvait pas avoir obtenu la
qualité de partie aux traités relatifs aux droits de l’homme (auxquels la RFSY était partie) sans

avoir notifié officiellement son adhésion ou sa succession ⎯ et telle est l’opinion qui a prévalu.

3.88. Enfin, le défendeur attir e l’attention de la Cour sur une lettre datée du 30 janvier 1995 82
émanant du représentant permanent de la Croatie auprès de l’Organisation des NationsUnies ,
73

75
Voir Nations Unies, doc. CCPR/SP/40, 1994, p. 3 ; annexe 35 ; les italiques sont de nous.
76Voir Nations Unies, doc. CCPR/SP/SR.18, 1994, p. 3, par. 2 ; annexe 36.

77Ibid., p. 6, par.21.

78Ibid., p. 7, par.23.
79
Voir Nations Unies, doc. CCPR/SP/SR.19, 1994, p. 3 ; annexe 37.
80
Ibid., p. 4.
81Ibid., p. 8.

82Voir Nations Unies, doc. A/50/75-E/1995/10 ; annexe 18. - 32 -

lettre qui constitue un résumé de la position adoptée par le demandeur au sujet de la question de
l’éventuelle qualité de partie aux traités relatifs aux droits de l’homme de la RFY. Cette lettre était
adressée au Secrétaire général en sa qualité de dé positaire des traités multilatéraux et contenait des

observations sur un document relatif à «la succession, l’adhésion ou la ratification par les Etats qui
ont succédé à l’ex-Yougoslavie, l’ex-Union soviétique et l’ex-Tchécoslovaquie». Dans sa lettre, la
Croatie «s’élève énergiquement» c ontre le fait que la «Yougoslavie» figure sur la liste des parties
aux traités relatifs aux droits de l’homme puis que cette dénomination po urrait être interprétée

comme désignant la RFY. Elle affirme à nouv eau dans cette lettre que, conformément aux
résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale «ainsi qu’aux règles
générales du droit international régissant la successi on d’Etats», la RFY ne saurait être considérée
comme le successeur automatique de l’ex-RFSY en ce qui concerne les traités multilatéraux. La

Croatie rappelle dans sa lettre que :

«[l]es représentants de la Répub lique fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) n’ont pas été autorisés à participer aux réunions et conférences

internationales d’Etats parties aux traités multilatéraux dont le Secrétaire général est
dépositaire (entre autres, la convention sur l’ interdiction ou la limitation de l’emploi
de certaines armes classiques qui peuven t être considérées comme produisant des
effets traumatiques excessifs ou comme frappa nt sans discrimination, la convention

relative aux droits de l’enfant, la conventi on sur l’élimination de toutes les formes de
74 discrimination à l’égard des femmes, la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, le pacte international relatif aux droits
civils et politiques) étant donné que cet Etat ne s’était pas conformé aux règles du

droit international régissant la succession d’Etat s. A plusieurs occasions en effet, la
République fédérative de Yougoslavie (Serb ie et Monténégro) avait cherché à
participer à des rencontres internationales en tant qu’Etat partie sans s’être présentée
comme Etat successeur.» (Les italiques sont de nous.)

La Croatie souligne plus loin dans la même lettre :

« Si la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) faisait part
de son intention d’être considérée , en tant qu’Etat successeur, comme partie aux

traités multilatéraux conclus par l’Etat prédécesseur à compter du 27 avril 1992, date à
laquelle la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a assumé, en
sa qualité de nouvel Etat, la responsabilité de ses relations internationales, la
République de Croatie prendrait bonne note de cette notification de succession.» (Les

italiques sont de nous.)

3.89. Il ne fait aucun doute que la Croatie ⎯ ainsi que d’autres Etats successeurs ⎯ ont

invariablement et sans équivoque rejeté le fait que la RFY pouvait devenir partie contractante aux
traités relatifs aux droits de l’homme autrement que par une notification expresse. Il est également
manifeste que la notification qu’attendait la Croatie était une notification de succession. Rien de tel
n’est venu de la RFY.

3.90. L’ancien Gouvernement de la RFY avait effectivement fait valoir que celle-ci
continuait d’être Membre de l’Organisation des Na tions Unies et partie contractante aux traités
auxquels la RFSY avait été partie (y compris les traités relatifs aux droits de l’homme); mais il

75 s’était pour cela constamment et exclusivement fondé sur l’hypothèse que la RFY continuait la
personnalité de la RFSY, hypothèse qui s’est révélée être erronée. La RFY n’a pas prétendu être
partie à des traités par voie de succession et n’a pas non plus cherché à l’être. - 33 -

3.91. Les déclarations de la Croatie, en revanche, s’inscrivaient précisément dans le contexte
de la succession. Celle-ci a clairement et invariablement nié que la RFY ait pu devenir un Etat

partie aux traités par la voie de la succession auto matique, en soulignant et en répétant que la RFY
ne pouvait être considérée comme partie aux traités relatifs aux droits de l’homme sans notification
de succession officielle. Cette position n’était pas de celles qui sont prises à partir de quelque
hypothèse sans fondement. La logique du rejet de la succession automatique n’était pas fondée sur

une appréciation de la dissolution de la RFSY qui se serait révélée être erronée. Il n’y avait aucun - 34 -

malentendu d’aucune sorte. Se fondant sur une interprétation de la disso lution de la RFSY qui
s’est finalement révélée être l’interprétation correcte, la Croatie a catégoriquement refusé
l’éventualité d’une succession automatique à l’égard d es traités relatifs aux droits de l’homme. La
Croatie ne saurait donc, à présent, affirmer de bonne foi le contraire.

e) Même si la succession automatique aux dispositions des traités relatifs aux droits de l’homme
était un principe communément reconnu, cela ne pourrait concerner les dispositions de

l’article IX de la convention sur le génocide

3.92. Le défendeur va à présent démontrer que, même s’il était effectivement devenu lié,

76 quid non, par la convention sur le génocide en application de la succession automatique, celle-ci ne
pouvait s’étendre qu’aux garanties de fond de la Convention et ne pouvait s’appliquer à l’article IX
de la Convention. Cette conclusion s’impose car :

⎯ premièrement, les instruments prévoyant le rè glement pacifique des différends ne sont pas
susceptibles de succession automatique ; et

⎯ deuxièmement, les clauses conventionnelles qui prévoient la juridiction de mécanismes
internationaux de supervision peuvent être dissociées des dispositions de fond du traité.

Les instruments prévoyant le règlement pacifique des différends ne sont pas susceptibles
de succession automatique

3.93. En 1947, le conseiller juridique de l’ Organisation des Nations Unies indiqua que: «il

est clair qu’il n’y a pas succession à l’égard des droits et des devoirs de l’ancien Etat découlant de
ses traités politiques tels que traités … de règlement pacifique» 83[traduction du Greffe].

3.94. Comme nous l’avons déjà mentionné , la Commission du droit international a
également adopté cette approche pendant ses trav aux sur la codification du droit relatif à la
succession d’Etats à l’égard des traités. Elle n’a pas créé de catégorie spécifique de traités dits

normatifs qui aurait été visée par le principe de la succession automatique, précisément parce que
77 «ces traités peuvent contenir des dispositions «purement conventionnelles», telles qu’ une
disposition relative à l’arbitrage obligatoire des différends» .4

3.95. Cette façon de voir est d’ailleurs confirmée par une décision dans laquelle la Cour
suprême du Pakistan a déclaré que :

«en règle générale, un nouvel Etat ainsi créé succèdera à l’égard des droits et
obligations nés exclusivement de traités concernant expressément ses
territoires … mais non à l’égard des droits et oblig ations découlant de traités qui ont

83
Cité par O. Schachter, «The development of International Law through the Legal Opinions of the United
Nations Secretariat», BYIL, 1948, p. 106, annexe 38.
84
Voir annexe 24, p. 44 ; les italiques sont de nous. - 35 -

85
une incidence sur l’Etat … par exemple, de traités … d’arbitrage… » [traduction du
Greffe].

3.96. Cette position selon laque lle les obligations contractuelles concernant le règlement des
différends, qui sont essentiellement des obligations politiques, ne sont pas transmissibles en vertu
du droit international est également confirmée par d’éminents auteurs. Selon D. P. O’Connell, l’un

des principaux experts en la matière, la questi on de savoir si les obligations conventionnelles se
transmettent dépend de leur objet. O’Connell pren d note du fait que l’objet des traités va de la
renonciation à la guerre et du règlement pacifique des différends internationaux aux poids et
78
mesures, en passant par les droits d’auteur et la contrefaçon, et souligne : «Il est manifeste que ces
traités ne sont pas tous transmissibles : aucun Et at ne reconnaît avoir succédé à l’Acte général pour
le règlement pacifique des différends internationaux.» 86 [Traduction du Greffe.]

3.97. Ainsi, tant la pratique que l’opini on mûrement réfléchie des spécialistes montrent

clairement que les clauses conventionnelles prévoyant le règlement pacifique des différends ne sont
pas susceptibles de succession automatique. Le dé fendeur prétend par conséquent que l’article IX
de la convention sur le génocide n’est pas visé pa r le principe de la succession automatique et que

la RFY n’y est en conséquence pas liée, même si la Cour estime, quid non, que les dispositions de
fond de la convention sur le génocide sont visées par le principe de la succession automatique à
l’égard des traités.

La question de la succession à l’égard de l’articl e IX de la convention sur le génocide peut

être séparée d’une succession automatique hypothétique à l’égard des dispositions de
fond de la Convention

3.98. D. P. O’Connell indique qu’une partie tr ansmissible d’un traité peut être séparée d’une
autre qui ne l’est pas, si les deux parties

a) ont des objets distincts ;

b) ne dépendent pas l’une de l’autre ; et

87
79 c) ne sont pas indissociablement liées dans les modalités d’exécution du traité .

Il conclut en donnant un exemple convaincant: «D ans un traité dispositif, une clause d’arbitrage
88
peut être considérée comme accessoire et dissociable.» [Traduction du Greffe.]

3.99. Les trois conditions énoncées par O’Connell sont réunies en ce qui concerne

l’article IX de la convention sur le génocide.

85
Cour suprême du Pakistan, Yangtze (London) Ltd. v. Barlas Brothers (Karachi) and co., arrêt du 6juin1961
(voir la documentation concernant la succ ession d’Etats, Nations Unies, série législative doc. ST/LEG/SER.B/14, p. 137
et suivantes ; également cité dans la déclaration du Gouvernement de l’Inde qui maintenait sa déclaration du 28 mai 1973
et répondait à la lettrdu Pakistan du 25 mai 1973, C.I.J. Mémoires, Procès de prisonniers de guerre pakistanais
(Pakistan c. Inde), 1973, p. 147-148) ; les italiques sont de nous.
86
D.P. O’Connell, State Succession in Municipal and International Law [Succession d’Etats en droit interne et
en droit international], vol. II, Cambridge, 1967, p. 213 (sans les notes de bas de page) ; annexe 39.
87
Ibid., p. 301.
88Ibid. - 36 -

3.100. Les articles I à VIII traitent de la définition du génocide, des obligations de fond

incombant aux parties de punir le crime de gé nocide et de la coopéra tion entre les parties
contractantes. Se démarquant clairement de ces articles, l’articleIX ne se rapporte ni aux droits
individuels ni à la coopération entre les Etats parties. Au lieu de cela, il octroie à la Cour

internationale de Justice la compétence pour résoudre les différends entre les parties contractantes
qui ont accepté cette juridiction, portant ainsi sur un domaine entièrement différent.

3.101. Les différentes dispositions de la c onvention sur le génocide ne dépendent pas les
unes des autres ni ne sont liées de manière indi ssociable dans le mécanisme de l’exécution du
traité. En effet, les dispositions de fond de la convention sur le génocide conservent leur valeur

normative et peuvent être appliquées par des mécanismes ordinaires prévus par le droit
international.

80 3.102. Ainsi, même si la Cour devait conclure ⎯contrairement à la thèse du défendeur ⎯
que la RFY est devenue partie contractante à la convention sur le génocide en vertu de la
succession automatique, celle-ci ne couvrirait pas l’ar ticle IX de la Convention mais seulement les

obligations de fond qui y sont énoncées.

3.103. Le principe de la séparation et la nécessité de séparer les règles de fond des
dispositions juridictionnelles ont été clairement confirmés dans l’ordonnance de la Cour en date du
10 juillet 2002 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002)
89
(République démocratique du Congo c.Rwanda) . Au paragraphe71 de cette ordonnance ⎯ se
référant aux principes qui sont à la base de la Convention et non à des dispositions spécifiques du
traité ⎯, la Cour a indiqué que lesdits principes «sont des principes reconnus par les nations

civilisées comme obligeant les Etat s même en dehors de tout lien conventionnel». Citant son avis
consultatif de1951, la Cour a également souligné que: «les droits et obligations consacrés par la
convention sont des droits et obligations erga omnes ». Mais elle a aussitôt ajouté en termes
dépourvus d’ambigüité que la juridiction est différe nte. Au même paragraphe 71 de l’ordonnance,

la Cour a également souligné que :
81
«elle n’a de juridiction à l’égard des Etats que dans la mesure ou ceux-ci y ont

consenti; et que, lorsque la compétence de la Cour est prévue dans une clause
compromissoire contenue dans un traité, cette compétence n’existe qu’à l’égard des
parties au traité qui sont liées par ladite clause, dans les limites stipulées par
90
celle-ci» .

La Cour, au paragraphe 72, a encore insisté sur le fait que la convention sur le génocide n’interdit
pas les réserves et qu’une réserve à l’article IX «ne porte pas sur le fond du droit, mais sur la seule

compétence de 91 Cour;…elle n’apparaît dès lors pas contraire à l’objet et au but de la
Convention» .

89Activités armées sur le territoir e du Congo (nouvelle requête:2(République démocratique du Congo
c. Rwanda), ordonnance du 18 septembre 2002, C.I.J. Recueil 2002, p. 299, //www.icj-cij.org/docket/files/126/8157.pdf.
90
Ibid., p. 25-26, par. 71.
91Ibid., p. 26, par. 72. - 37 -

f) L’allégation selon laquelle la compétence de la Cour est fondée sur l’article IX n’est pas

appuyée par des considérations th éoriques concernant les droits acquis de la population de
l’Etat successeur

3.104. En s’efforçant de présenter des théo ries qui pourraient justifier sa position, le
demandeur se réfère également au principe des droits acquis (MC, par.6.07). La source sur
laquelle il s’appuie est un article de M. Kammi nga. Expliquant son argument selon lequel les
traités relatifs aux droits de l’homme peuvent ne pas être altérés par la succession d’Etats,

82 M.Kamminga, l’auteur cité par le demandeur, te nte de s’appuyer sur «[l]a doctrine des droits
acquis, telle qu’appliquée par la Cour permanente de Justice internationale en l’affaire des Colons
allemands en Pologne» 92 [traduction du Greffe].

3.105. Le défendeur fait valoir que l’affaire des colons allemands n’apporte aucun soutien à
la position du demandeur, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, dans cette affaire, la succession

des droits acquis en vertu de traités n’est absolume nt pas prise en considération. En revanche, la
question était de savoir si les droits privés acqui s par des particuliers a ux termes de contrats
auxquels l’autre partie était un Etat (l’Allemagne) c ontinueraient d’exister après le changement de

souveraineté. La question principale était formulée très clairement :

«La principale question en présence de laquelle se trouve maintenant la Cour est

la suivante: La souveraineté et le dro it à la propriété des domaines d’Etat ayant
changé, le colon qui a passé un Rentengutsvertrag avec l’Etat prussien est-il en droit
d’exiger du Gouvernement polonais, en tant que nouveau propriétaire, l’exécution de
ce contrat, y compris la consommation du transfert par l’Auflassung ?» 93

3.106. Les effets du traité de Versailles, si gné le 28 juin 1919 et du «Traité de Minorités»
(signé le même jour) furent également examinés ma is personne ne laissa entendre que les droits en
83
question avaient été acquis en vertu de ces traités. La CPJI prit note des circonstances dans
lesquelles les contrats (Rentengutsverträge et Pachtverträge) , conclus avant l’armistice du
11novembre1918, qui accordaient des possessions aux colons allemands, conduisirent à la

«Germanisation» de certains territoires et elle fit également observer que «l’obligation imposée aux
colons en question d’abandonner leurs foyers aboutirait à une dégermanisation». La CPJI ajouta :
«Mais bien qu’une telle mesure puisse s’expliquer, elle est précisément de celles que le Traité de
Minorités a voulu rendre impossible.» 94 Elle insista encore: «Mais les considérations politiques

primitivement associées aux Rentengutsverträge, ne leur enlèvent, en auc une façon, leur caractère
de contrat de droit civil» .

3.107. Comme M.Kamminga le reconnaît lui- même, la CPJI n’a traité que d’une catégorie
spécifique de droits, différents de ceux dont il est question en l’espèce. L’affaire des colons
allemands portait sur les droits privés (droits immobiliers) acquis en vertu du droit interne de l’Etat

prédécesseur. Comme elle l’indiquait dans son avis consultatif :

«Des droits privés, acquis conformément au droit en vigueur, ne deviennent

84 point caducs à la suite d’un changement de souveraineté. Personne ne nie que le droit
civil allemand ⎯ tant matériel que formel n’a cessé de s’appliquer dans les territoires

92Kamminga, op. cit., p. 472 ; annexe 32.

93Avis consultatif donné par la Cour le 10 septembre 1923 au sujet de ces questions touchant les colons
d’origine allemande, dans les territoires cédés par l’Allemagne à la Pologne, C.P.J.I. série B n
94
Ibid., p. 24-25.
95Ibid., p. 39. - 38 -

dont il s’agit. On ne saurait prétendre que, alors que la législation survit, les droits
96
privés acquis conformément à cette législation soient condamnés à périr.»

3.108. Il est clair que la CPJI n’a pas défini de règle générale de succession concernant les

droits acquis ⎯elle n’a absolument pas traité de la succession à l’égard des traités ni de la
succession en matière de droits acquis en vertu de traités. La CPJI a rendu son avis consultatif dans
un contexte tel qu’il ne peut avoir de rapport av ec les traités relatifs aux droits de l’homme.

Expliquant le sens de l’expression «droits privés» dans ce contexte, O’Connell précise que: «Par
conséquent, tels qu’interprétés en droit international, les droits acquis sont des droits corporels ou
incorporels, conférés à juste titre à une personne physique ou morale et ayant une valeur pouvant
être estimée pécuniairement.» 97 [Traduction du Greffe.] Ce principe des droits acquis n’a aucune

pertinence en l’espèce.

L’argument du demandeur portant sur la p ermanence des droits de l’homme de la

population de l’Etat successeur ne saur ait étayer la thèse de la succession
automatique y compris en ce qui concerne l’article IX

3.109. Cherchant un moyen de fonder la comp étence de la Cour, le demandeur avance la
proposition suivante, qui s’inscrit dans la logique des droits acquis :
85
«De plus, il est généralement accepté que la population d’un territoire en droit

de bénéficier de la protection de certain s droits de l’homme découlant des traités
fondamentaux relatifs aux droits de l’homme ne peut être privée de ces droits par le
simple fait qu’un Etat succède à un autre sur ledit territoire.» (MC, par. 6.07.)

Le défendeur a déjà démontré plus haut que la thèse de la succession automatique ⎯ et celle de la
succession automatique à l’égard de l’articleIX en particulier ⎯ n’est pas reconnue en droit

international. La notion de permanence des dr oits de l’homme de la population de l’Etat
successeur ne vient pas étayer plus avant la reve ndication de compétence fondée sur l’article IX de
la convention sur le génocide.

3.110. L’argument du demandeur vise manifestement à montrer que la RFY est restée liée
par la convention sur le génocide, et par l’article IX en particulier, et ce, même après être devenue

un Etat à part entière, distinct de son prédécesseur, la RFSY. Toutefois, l’argument ⎯ outre qu’il
est tout à fait contraire à la thèse avancée à plusie urs reprises par la Croatie à propos de la question
de la qualité de partie de la RFY a ux traités relatifs les droits de l’homme 98 ⎯ ne trouve aucun
fondement dans les règles établies de droit inte rnational; le demandeur n’a même pas cherché à

démontrer une «acceptation sans réserve». De plus, même s’il devait être reçu, l’argument ne
conduit tout simplement pas à la conclusion que vise le demandeur.

86 3.111. Le raisonnement du demandeur déplace le centre d’attention des considérations
d’équité applicables aux Etats vers celles qui sont applicables à la population. Cette priorité ainsi
donnée vise à contourner les éléments d’appréciation établis, tels que le principe selon lequel les

obligations conventionnelles en dr oit international doivent être fondées sur le consentement des
Etats. C’est beaucoup s’avancer que d’écar ter ce principe. L’argument repose sur des
préoccupations respectables, mais il doit encore être analysé ⎯ et il n’est pas (du moins pas

96Ibid., p. 36
97
D. P. O’Connell, op. cit., vol. I (relations internationales), 1967, p. 245 ; annexe 40.
98
Voir, plus haut, par. 3.78-3.91. - 39 -

encore) devenu une règle de droit international. En outre, le défendeur démontrera que même si le
droit international devait adopter la thèse selon la quelle les droits de l’homme dont bénéficie la

population d’un certain territoire continuent d’être reconnus à cette population après la succession
d’Etats, ladite thèse ne saurait servir de fondement à la compétence de la Cour en l’espèce.

3.112. Même si l’on devait accepter que la popul ation se voit accorder la priorité et admettre
la thèse du maintien de la protection des droits de l’homme qui découlent de traités et qui ont été
acquis par la population d’un certain territoire, cela n’aurait de sens que si l’on considérait les

droits fondamentaux reconnus à la population par les dispositi ons pertinentes de traités relatifs aux
droits de l’homme. Les droits de l’homme de la population n’ont absolument rien à voir avec la
structure technique des traités, qui comprend notamment les techniques de notification, les langues
officielles (celle de la population considérée n’en fait peut-être même pas partie) et les modalités de

règlement des différends entre les Etats. En d’ autres termes, la conclusion logique de la thèse
avancée (même si elle devait être acceptée) ne saurait être la succession en bloc à l’égard des traités
mais plutôt la permanence des droits de l’homme fondamentaux. L’articleIX ne formule aucun
droit de l’homme fondamental mais établit plutôt une voie juridictionnelle spécifique, qui s’ajoute à

87 d’autres possibilités juridictionnelles prévues par le dro it interne et le droit international (et dont le
nombre a augmenté ces dernières années).

3.113. Il est important d’ajouter que l’ article IX n’est jamais devenu un principe
généralement reconnu. Il ne formule aucun dr oit fondamental de la personne humaine, mais
énonce l’une des voies possibles pour le règlement pacifique des différends entre Etats. Même

parmi les Etats qui ont ratifiés la convention sur le génocide, l’adhésion à cette voie juridictionnelle
demeure simplement l’un des choix possibles (et no n une règle généralement acceptée). Cela est
confirmé par le fait qu’ un nombre important de parties contractantes ⎯dont le défendeur ⎯ ont
indiqué des réserves en ce qui concerne l’article IX de la convention sur le génocide et ne sont donc
99
pas devenues liées par ladite disposition .

3.114. En outre, si l’on suit précisément l’aspect privilégié par le demandeur et l’argument

qu’il avance dans le cas de la succession de la RFY, on parvient à la déduction suivante. Tant que
le territoire de la RFY (Serbie et Monténégro) appartenait à la RFSY, sa population bénéficiait de
«la protection de certains droits de la personne humaine découlant d es traités relatifs aux droits de

l’homme» [traduction du Greffe] ratifiés par la RFSY (y compris de la protection contre le
88 génocide). L’argument est le suivant: «par le simple fait qu’un Etat a succédé au précédent à
l’égard de ce territoire» [traduction du Greffe] (à savoir, le territoire qui, après succession, est
devenu celui de la RFY), la population de l’Etat successeur ne devrait pas être privée de la

protection des droits de l’homme acquise tandis que ce territoire appartenait à la RFSY. Cela
signifie clairement que la population de la RFY ne devrait pas être privée de cette protection.

99
Une réserve à l’article IX a été faite par l’Albanie, l’Algérie, l’Argentine, Bahreïn, le Bangladesh, le Belarus, la
Bulgarie, la Chine, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l, la Malaisie, le Maroc, la Mongolie, les Philippines, la
Pologne, la Roumanie, le Rwanda, la Ru ssie, Singapour, l’Espagne, l’Ukraine, les Etats-Unis d’Amérique, le Venezuela,
le Viet Nam, le Yémen et la RFY.

A ce jour, une réserve à l’article IX a été maintenue par l’Algérie, l’Argentine, Bahreïn, le Bangladesh, la Chine,
l’Inde, la Malaisie, le Maroc, les Philippines, le Rwanda, Singapour, l’Espagne, les Etats-Unis d’Amérique, le Venezuela,
le Viet Nam, le Yémen et la RFY (annexe 7). - 40 -

3.115. C’est exactement l’interprétation donnée par la Croatie elle-même et par d’autres

Etats successeurs de l’ex-RFSY. Dans une note verbale, datée du 20avril1998, adressée à la
Commission des droits de l’homme des Nations Unies au nom des missions permanentes de la
Bosnie-Herzégovine, de la République de Croatie , de la République de Macédoine et de la
République de Slovénie, celles-ci ont souligné :

«En conséquence, la RFY devrait notifier qu’elle succède à tous les instruments
internationaux pertinents y compris aux in struments relatifs aux droits de l’homme,

comme l’on fait d’autres Etat successeurs.

Tous les Etats successeurs sont néanmoin s tenus de protéger et de respecter les
droits de l’homme de leurs citoyens au niveau atteint au moment de la dissolution de

l’ancien Etat, sans perdre de vue les pr100 cipes de droit international coutumier et
l’universalité des droits de l’homme.» [Traduction du Greffe.]

Cela confirme encore la position de la Croatie selon laquelle une notification de succession est

nécessaire afin de succéder à la qualité de par tie à un traité. En outre, le sens donné à la
89 permanence de «droits acquis» (à savoir, la prot ection des droits de l’homme existant au moment
de la dissolution de l’ancien Etat) est indiqué en termes dépourvus d’ambiguïté. Ainsi, ce que les
Etats successeurs seraien t «néanmoins» (en l’absence de qualité de partie au traité) tenus de

protéger et de respecter, ce serait les droits de l’homme de leurs citoyens (dans le cas de la RFY,
les citoyens de la RFY) conformément aux normes générales relatives aux droits de l’homme.

3.116. Même si l’on devait accepter ce raisonne ment, il ne concerne tout simplement en rien
l’article IX. L’article IX n’ouvre aucun droit à la populat ion de l’Etat successeur (de la RFY). En
revanche, il prévoit une voie procédurale spécifique pour d’autres Etats qui seraient en litige avec

la RFY concernant l’interprétation, l’applicati on ou l’exécution de la Convention. La Croatie
demande également que des réparations lui soient versées par la population de l’Etat successeur.
Etre confronté à une telle demande en tant que défendeur constitue di fficilement un titre pour
«bénéficier de la protection de certains droits de l’homme découlant de traité s relatifs aux droits de

l’homme» [traduction du Greffe].

3.117. Le raisonnement qu’offre le demandeur n’aboutit tout simplement pas à la conclusion

voulue. Le fait est que la voie procédurale formulée à l’articleIX ne peut être établie que par un
engagement exprès et spécifique des Etats successeurs; elle ne constitue manifestement pas un
droit de l’homme accordé à la population de l’Etat successeur (la RFY).

Il s’ensuit que :

a)La RFY est devenue un Etat Membre de l’Organisation des Nations Unies le
1 novembre2000. Avant cela, la RFY ne pouva it être devenue partie contractante à la

90 convention sur le génocide sans y avoir été spécialement invitée par l’Assemblée générale ou le
Secrétaire général. La RFY n’a jamais reçu une telle invitation. Après avoir accédé à la qualité
de Membre de l’Organisation d es NationsUnies, la RFY est devenue, le 10juin2001, partie

contractante à la convention sur le génocide pa r adhésion, sans être liée par l’article IX, car sa
notification d’adhésion contenait une réserve claire audit article.

100
Note verbale datée du 20 avril 1998, Nations Unies doc . E/CN.4/1998/171, 1998; annexe 41; les italiques
sont de nous. - 41 -

b) La RFY n’est jamais devenue partie contractan te à la convention sur le génocide en vertu de
l’article 34 de la convention de Vienne de 1978 sur la succession d’ Etats en matière de traités,
car cette convention ne s’applique qu’aux successi ons postérieures à l’entrée en vigueur de la

Convention. La RFY a succédé à la RFSY en 1992, alors que la convention est entrée en
vigueur en 1996. En outre, il n’existe manif estement aucun fondement permettant d’appliquer
rétroactivement la convention de Vienne à l’égard de la RFY.

c) La RFY n’est jamais devenue partie contractante à la convention sur le génocide par suite de la
déclaration des «représentants du peuple de la Ré publique de la Serbie et de la République du
Monténégro» ou de la note de «la mission permanen te de la République fédérative socialiste de
Yougoslavie (République fédérale de Yougoslavie)». La déclaration et la note du 27 avril 1992

étaient des déclarations politiques et non des actes conventionnels. En outre, elles ne sauraient
91 avoir de conséquences relativement aux traités, car elles ne contenaient aucune mention des
traités cités et n’émanaient pas d’autorités compétentes. Même si ces déclarations politiques
étaient pertinentes, elles ne revendiquaient pas de succession et n’en laissaient entendre

aucune ; elles ne contenaient qu’une expression de l’aspiration des représentants de la Serbie et
du Monténégro à continuer automatiquement la personnalité juridique in ternationale de la
RFSY. La Croatie ainsi que d’autres Etats succ esseurs se sont vivement et invariablement
opposés à cette prétention. La revendication de con tinuité formulée dans la déclaration et dans

la note a finalement été rejetée et n’a eu aucun effet.

d) La RFY n’est pas devenue partie contractante à la convention sur le gé nocide sur le fondement
de la succession automatique. La succession automatique à l’égard des traités relatifs aux droits

de l’homme n’est pas une règle généralement reconnue; il s’agit au contraire d’une thèse
contestée. Les Etats et le dépositaire n’ont pas, dans la pratique, adhéré à cette thèse. La
pratique des Etats concernant la succession de l’ex-RFSY, y compris celle de la Croatie ⎯ et la
pratique des Etats en ce qui concerne les traité s relatifs aux droits de l’homme en particulier ⎯

a clairement écarté la thèse de la succession automatique.

e) En outre, même si la succession automatique des traités relatifs aux droits de l’homme était une
règle généralement acceptée, quid non, et même si la protection des droits de l’homme dont
92
bénéficie la population d’un territoire devait se poursuivre automatiquement après la succession
d’Etats, l’article IX de la convention sur le gé nocide ne serait pas visé et ne pourrait pas l’être.
Les instruments prévoyant le règlement pacifi que des différends ne sont pas susceptibles de
succession automatique. L’article IX est intransmissible par nature et peut être dissocié des

parties du traité qui le sont. De plus, la norme contenue dans l’article IX n’est pas généralement
acceptée, même parmi les parties contractantes à la Convention. Qui plus est, l’article IX ne
formule aucun droit de l’homme fondamental pour la population de la RFY; il prévoit en
revanche une voie procédurale spécifique pour les autres Etats en litige avec la RFY.

er
f) La RFY est devenue Membre de l’Organisation des Nations Unies le 1 novembre 2000. La
RFY a rejoint la convention sur le génocide en tant que nouvel Etat par une notification
d’adhésion datée du 12mars2001. Cette notifi cation d’adhésion contient une réserve sans

équivoque à l’article IX. La RFY n’a jamais ét é liée par l’article IX de la convention sur le
génocide. En conséquence, la compétence de la Cour en l’espèce ne saurait être fondée sur
l’article IX de la convention sur le génocide. Puisqu’aucun autre fondement de compétence n’a
été allégué ⎯ ni ne pouvait l’être ⎯ le défendeur soutient que la Cour n’a pas compétence en

l’espèce.- 42 - - 43 -

93 QUATRIÈME PARTIE

DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

LA REQUÊTE EST IRRECEVABLE POUR AUTANT QU’ELLE RENVOIE À
DES ACTES OU OMISSIONS ANTÉRIEURS AU 27 AVRIL 1992

4.1. Les incidents les plus graves relatés par le demandeur sont antérieurs à la création de la

RFY. Le mémoire situe la tragédie de Vukovar entre le 25 août 1991 et le 20 novembre 1991 (MC,
par. 4.147, 4.153, 4.158, 4.161, 4.164 et 4.173) et le bombardement de la zone de Dubrovnik entre
le 1 octobre1991 et la fin de cette même année (MC, par.5.235). Il n’est pas contesté que ces

faits, qui ont revêtu une importanc e cruciale dans le déroulement du drame qui s’est joué sur le
territoire de l’actuelle Croatie, datent deseconde moitié de l’année1991. Ces événements
tragiques ont fait de nombreuses victimes et, en t oute logique, la question de la responsabilité se

pose. Une chose est néanmoins certaine : la responsabilité ne peut être imputée qu’à des personnes
qui existaient au moment où les crimes allégués ont été commis. Les actes ou omissions antérieurs
à la naissance de la RFY ne sauraient en aucun cas être attribués à cette dernière.

A. LA RFY N’EXISTAIT PAS AVANT LE 27 AVRIL 1992

L’ALLÉGATION SELON LAQUELLE LA RFY ÉTAIT UN «ETAT IN STATU NASCENDI »EST

DÉPOURVUE DE FONDEMENT

4.2. Le demandeur cherche à contourner cet obstacle manifeste à la recevabilité en

94 soumettant que la RFY a été un Etat « in statu nascendi à partir du milieu de l’année 1991» (MC,
par. 1.22). Cette proposition, toutefois, n’a pas été démontrée. En outre, la notion din statu
nascendi, telle que définie par les sources invoquées da ns le mémoire, ne trouve à l’évidence pas à
s’appliquer en l’espèce.

4.3. Le demandeur cherche confirmation de sa thèse dans l’article 10 du projet d’articles de
la Commission du droit international sur la responabilité de l’Etat, et dans un bref extrait des

Principles of Public International Law de M. Brownlie (MC, par. 8.42).

4.4. Indépendamment de la question de savoi r si les sources mentionnées ci-dessus sont, sur

le principe, revêtues d’une autorité suffisante pour peser dans le règlemen t d’un différend, le fait
est que, en l’espèce, elles ne confortent pas la thèse selon laquelle la RFY pourrait être responsable
d’actes ou omissions antérieurs à sa formation.

4.5. Dans son mémoire, la Croatie s’est fond ée sur le projet d’articles auquel travaillait alors
la CDI. Depuis le dépôt du mémoire, ce projet darticles a été remanié. Ainsi, dans la version de
101
juillet 2001 , l’article 10, invoqué par le demandeur, se lit comme suit :

«Comportement d’un mouvement insurrectionnel ou autre

1. Le comportement d’un mouvement in surrectionnel qui devient le nouveau
gouvernement de l’Etat est considéré comme un fait de cet Etat d’après le droit
international.

101
Voir Nations Unies, doc. A/CN.4/L.602/rev.1. - 44 -

95 2. Le comportement d’un mouvement insurrectionnel ou autre qui parvient à créer un
nouvel Etat sur une partie du territoire d’un Etat préexistant ou sur un territoire

sous son administration est considéré comme un fait de ce nouvel Etat d’après le
droit international.

3. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . »

4.6. Les règles définies dans l’actuel projet d’articles de la CDI ne sont pas des normes de
droit international coutumier géné ralement admises (assurément pas à ce stade, et il n’est pas

certain qu’elles le deviennent). Mais quand bien même elles le seraient, elles ne pourraient justifier
la proposition avancée par le demandeur. Le contexte auquel fait référence le projet d’articles de la
CDI n’a rien à voir avec le cadre dans lequel se sont inscrits les événements en ex-Yougoslavie.

4.7. La Croatie, dans son mémoire, invoque le paragraphe 2 de l’article 10 du projet
d’articles, qui concerne les mouvements ayant réussi à créer un nouvel Etat. Il est fait référence au

«comportement de tout mouvement qui parvient à créer un nouvel Etat sur un territoire donné»
[traduction du Greffe] (MC, par. 8.33). Ce ne sont pas là les termes exacts de l’actuel paragraphe 2
de l’article 10 du projet d’articles, mais la différe nce n’est pas fondamentale. Sur le fondement de
l’article 10 du projet d’articles, le demandeur soutient qu’un comportement qui s’est traduit par une

violation d’une obligation internationale peut êt re attribuable à un Etat s’il est le fait d’un
mouvement qui est parvenu à créer un nouvel Etat, même s’il est antérieur à la création définitive
de ce nouvel Etat (MC, par. 8.33).

4.8. Or, cet argument fait long feu dans le contexte yougoslave. D’après le commentaire
associé à l’article 10 du projet d’articles dans le ra pport de 2001 de la CDI, le paragraphe2 de
l’article 10 couvre le contexte

96 «où les structures du mouvement révolutionnaire insurrectionnel, ou autre, sont
devenues celles d’un nouvel Etat, qui s’est constitué par sécession ou décolonisation

d’une partie du territoire qui était précé102 emment soumis à la souveraineté ou à
l’administration de l’Etat prédécesseur» .

La succession d’événements ayan t conduit à la création de la RFY ne correspond pas du tout au

contexte auquel renvoient les projets d’articles de la CDI. Le cadre conceptuel et les notions sur
lesquels repose cette disposition («mouvement révolutionnaire insurrectionnel ou autre»,
«sécession ou décolonisation») ne sont tout simple ment pas transposables. La Serbie et le
Monténégro n’étaient pas des colonies ⎯ni ne souhaitaient faire sécessi on. Du reste, si l’on se

place dans l’optique adoptée par le demandeur, la question se pose de savoir quels sont les
mouvements insurrectionnels ou autres , et quel est le territoire, qu’il convient de prendre en
compte. Aucun mouvement (insurrectionnel ou assi milé) n’ambitionnait, au cours de la crise

yougoslave, de créer un nouvel Etat sur le territoire de la RFY.

4.9. Le passage de l’ouvrage de M. Brownlie cité par le demandeur ne fait que confirmer

l’inadéquation de la notion d’Etat «in statu nascendi» en l’espèce. Le demandeur cite le passage
suivant: «Il n’est pas rare que les Etats apparaissent dans un premier te mps en tant qu’entités
belligérantes placées sous une autorité politique qui, parfois, est appelée «gouvernement
provisoire» et fonctionne effectivement comme tel.» (MC, par. 8.42.) Il est clair que — de même

qu’en ce qui concerne les projets d’articles de la CDI —, le contexte ici est celui de mouvements de

102
Rapport de la Commission do droit international, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale,
cinquante-sixième session, supplément n doc. A/56/10 (2001), annexe 42 ; les italiques sont de nous. - 45 -

libération ou de mouvements insurrectionnels luttant pour l’indépendance et finissant par prendre le
contrôle d’un territoire, contexte radicalement différent de celui de la dissolution de la RFSY et de
97
la création de la RFY. Aucun mouvement, en effet, ne se battait pour l’indépendance de la RFY.

4.10. Ces différences deviennent plus fl agrantes encore lorsque l’on se reporte, dans

l’ouvrage de M.Brownlie, à la phrase qui pr écède celle que cite le demandeur. Le passage
consacré par M.Brownlie aux Etats in statu nascendi commence en effet par l’observation
suivante: «Une communauté politique très viable qu i contrôle une certaine partie de territoire et
aspire à la qualité d’Etat risque de peiner un temps avant d’atteindre cet objectif.»03

4.11. Il s’agit d’une observation logique, mais qui ne s’applique nullement au cas de la RFY.
Aucun mouvement ni «communauté politique» n’aspir ait, dans le cadre du conflit yougoslave, à la
création de la RFY.

4.12. L’indépendance d’un Etat qui eût couvert l’actuel territoire de la RFY n’était ni
l’objectif déclaré ni le dessein caché de l’une ou de l’autre des parties au conflit. La création de la

RFY n’était une revendication d’aucun mouvement «i nsurrectionnel ou autre» ; aucune des parties
belligérantes n’aurait fait sien cet objectif. Soucieux de pallier cette faille manifeste, le demandeur
98 avance une interprétation assez déroutante. Il affirme que la JNA (l’armée de la RFSY) agissait en
tant qu’armée serbe de facto, promouvant les intérêts des Serbes (MC, par. 3.02) — Il évoque, à cet

égard, «les ambitions de «Grande Serbie» nourries par la RFY, qui se trouvait alors in statu
nascendi» (MC, par. 3.02). Une fois de plus, ces élém ents n’entrent tout simplement pas dans le
cadre invoqué. D’après les projets d’articles de la CDI ou la citation extraite de l’ouvrage de

Brownlie, il va de soi qu’un mouvement aspire à la qualité d’Etat pour l’Etat qui se trouve in statu
nascendi. Or, selon l’interprétation avancée dans le mémoire, il y aurait bien eu un Etat in statu
nascendi (la RFY), mais qui recherchait la qualité d’Etat pour un autre territoire , celui de la
«Grande Serbie».

Les éléments définitoires de la notion in statu nascendi ne sont tout simplement pas adaptés
aux événements qui se sont effectivement succédé pour conduire à la dissolution de la RFSY et à la
création de la RFY.

4.13. La Croatie renvoie également, dans s on mémoire, au mouvement insurrectionnel des
Serbes de Croatie (Serbes des Krajinas), qu’elle accuse d’avoir été complice de M.Milošević, et
d’avoir pris part à son «projet». La définition donnée au paragraphe2 de l’article10 du projet

d’articles de la CDI, et la citation tirée de l’ouvr age de M. Brownlie, s’appliquerait en réalité bien
mieux aux «Krajinas» serbes — régions sous contrôle serbe établies sur le territoire de la Croatie
(MC, par. 2.89, 2.90, 2.100, 2.115). Ici — indépe ndamment du jugement que l’on peut porter sur

leur cause—, on pourrait effectivement parler de «mouvement insurrectionnel» aspirant à la
qualité d’Etat. Mais l’Etat auquel les Serbes des Krajinas aspiraient n’était à l’évidence pas la RFY
(la Serbie et le Monténégro, qui n’incluent pas les Krajinas) — et l’on sait, au demeurant, que ces
mouvements ne sont pas «parv[enus] à créer un nouvel Etat».
99

103 e
I. Brownlie, Principles of Public International Law, 5 éd., Oxford 1998, p. 77 (annexe 43). - 46 -

B. A BSENCE D ’IDENTITÉ DE FACTO ENTRE LA RFY (S ERBIE ET M ONTÉNÉGRO )ET LA RFSY

4.14. La Croatie soutient, dans son mémoire, que les autorités fédérales de la RFSY, les

autorités de la République de Serbie, et les insurgés serbes en Croatie formaient en réalité une seule
et même partie au conflit (MC, par. 3.01, 8.40, etc. ). Le défendeur affirme qu’il n’en était rien, et
qu’une identité entre l’ex-RFSY et la RFY ne saurait être postulée. Dans la suite de cette partie 104,

on démontrera qu’en 1991, et même encore dans le courant de l’année1992, les autorités de la
RFSY (gouvernement, Cour constitutionnelle, diplomatie, par exemple) comptaient parmi leurs
représentants des personnes originaires de t outes les républiques constitutives, dont la

Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, la Slovénie et la Croatie. Les objectifs et les considérations de
ces personnes n’étaient, ni ne pouvaient être, identiques. La majorité d’entre elles cessèrent
d’occuper leurs fonctions après la création de la RFY, et n’en devinrent pas même citoyens ou

résidents.

4.15. Le demandeur soutient qu’à partir du milieu de l’a nnée 1991, «[e]t plus

particulièrement d’octobre1991, les organes du gouvernement et autres autorités fédérales
pertinents de la RFSY cessèrent de fonctionner en tant que tels et devinrent des organes et autorités
100 de facto de la RFY en gestation, agissant sous le contrôle direct des dirigeants serbes»

(MC,par.8.40). Or, les faits et les événements n’étayent pas cette affirmation. Le défendeur
démontrera que, en 1991, et au début de l’ann ée 1992, les autorités fédérales continuaient de
fonctionner, que les postes n’étaient pas tous occupés par des Serbes et que leurs initiatives

n’étaient pas exclusivement orientées dans le sens des intérêts des Serbes ou des Monténégrins.

B.1. La dissolution de la RFSY fut un lent processus, dont l’achèvement

n’a été confirmé qu’en juillet 1992

4.16. Le 29 novembre 1991 encore, la commi ssion Badinter indiquait dans son avis n 1 que

«la Républiqu105socialiste] fédérative de Yougoslavie [était] engagée dans un processus de
dissolution» . Le processus en question fut un processus long et complexe, au cours duquel les
républiques et provinces constitutives restèrent repr ésentées au sein des institutions fédérales,

tandis que les autorités fédérales bénéficiaient d’un certain soutien international, et manifestaient
une résistance à l’instrumentalisation. C’est seulement le 4 juillet 1992 que la commission
Badinter exprima, dans son avis n 8, l’avis «que le processus de dissolution de la RFSY mentionné
o
101 dans l’avisn 1 du 29novemb106991 [était] arrivé à son terme et qu’il fa[llait] constater que la
RFSY n’exist[ait] plus» . Avant l’achèvement de ce processus, l’efficacité des institutions
fédérales a pu se trouver progressivement amoindr ie, la marge de manŒuvre en dehors des

structures constitutionnelles ne cessant donc de croître. Mais les institutions fédérales
fonctionnaient encore, et la RFSY continuait d’exister.

10Voir ci-dessous, par. 4.17 et suiv.
105
Annexe 11.
10RGDIP 1993, vol. 97, n 2, p. 590 (annexe 11). - 47 -

B.2. En 1991, les postes clés de la RFSY n’étaient pas occupés par des Serbes ; leurs titulaires
exerçaient leurs fonctions, étaient nombreux à s’opposer à M. Milošević et
coopéraient avec la communauté internationale.

4.17. Au cours de l’année 1991, les plus haut s responsables de l’Etat fédéral, à savoir le
président de la présidence de la RFSY (M.Stipe Mesi ć ⎯qui est aujourd’hui président de la
Croatie), le premier minist re fédéral (M.AnteMarkovi ć) et le ministre des affaires étrangères

(M. Budimir Lončar), étaient des Croates. Ainsi, à l’évidence, les plus hautes fonctions ⎯ et leurs
titulaires ⎯ n’étaient pas, contrairement à ce qu’a affirmé la Croatie dans son mémoire

(MC, par. 8.40), aux mains d’«organes et [d’]autorités de facto de la RFY en gestation, agissant
sous le contrôle direct des dirigeants serbes».

4.18. Il est tout à fait possible que M. Miloševi ć ait cherché à prendre le contrôle des
institutions yougoslaves. Mais la tâche n’était p as aisée. La Croatie reconnaît dans son mémoire,
qu’au cours de la session de la présidence de la R FSY de mars1991, le ministre de la défense

fédérale, le général Kadijević, demanda à la présidence de la RFSY de proclamer l’état d’urgence,
sans qu’il fût fait droit à sa demande. Le mémo ire précise que cette demande «faisait sans doute
suite aux événements survenus en mars 1991 à Pakr ac», en Croatie (MC, par. 3.32). En réalité, il
est plus probable que la demande tendant à instau rer l’état d’urgence trouvait son origine dans les
102 107
manifestations massives contre Miloševi ć qui eurent lieu à Belgrade le 9mars1991 . Cette
manifestation de l’opposition serbe donna lieu à d es affrontements avec la police, et la JNA fut
amenée à déployer ses chars contre plusieurs centaines de milliers de manifestants belgradois.

Quelques jours plus tard, le 12mars1991, l’instau ration de l’état d’urgence était demandée. Or,
s’il est certain que M.Miloševi ć exerçait une influence sur certains membres de la présidence
fédérale, cette influence était insuffisante. Il importe de préciser que les divergences d’opinion

entre les membres de la présidence fédérale ne correspondaient pas à des lignes ethniques. La voix
déterminante contre la demande (et, partant, contre Miloševi ć) fut celle d’un Serbe de Bosnie,
M. Bogić Bogićević 108.

4.19. En juin 1991, la communauté européenne continuait d’afficher sa confiance dans la
capacité des acteurs politiques yougoslaves de maîtriser les événements en Yougoslavie. Dans une

déclaration datant du 8 juin 1991, elle s’exprimait ainsi :

«[l]a Communauté et ses Etats membres notent avec satisfaction l’issue de la

rencontre des six présidents des républiques, qui s’est déroulée le 6 juin à Sarajevo. Il
103 s’agit là d’un pas en avant encourageant sur la voie du retour à l’ordre constitutionnel
et de la reprise du dialogue pacifique sur l’avenir des structures yougoslaves.» 109
[Traduction du Greffe.]

4.20. En 1991, ⎯et, dans une moindre mesure, au début de l’année 1992 ⎯, la RFSY

continuait ses activités, et son maintien, sous une forme ou sous une autre, restait envisageable. Le
7 juillet 1991, l’«accord de Brioni» (déclaration de la troïka européenne et des parties directement

107
Telle fut, du reste, l’interprétation avancée par M. Stipe Mesi ć, membre croate de la présidence, voir L. Silber
et A. Little, The Death of Yugoslavia, BBC Books, Londres 1995, p. 125 (annexe 1).
108
Ces faits ne sont pas contestés. Entre autres sourconfirmant cette version de s faits, voir L.Silber et
A. Little, ibid., p. 125-126 (annexe 1).
10Communiqué de pre sse P.54/91, publié in Yugoslavia Through Documents ⎯From its Creation to its
Dissolution, Snežana Trifunovska (sous la dir. de), Martinus Nijhoff 1994, p. 286 (annexe 44). - 48 -

110
intéressées par la crise yougoslave) s’appuyait pour beaucoup sur la présidence de la RFSY, et
indiquait, parmi les principes qu’il «conviendra[it] d’observer strictement», que «la présidence
collégiale d[evait] exercer sa pleine capacité et jouer son rôle politi que et constitutionnel,
111
notamment en ce qui concerne les forces armées fédérales» [traduction du Greffe].

4.21. Le 1 eseptembre1991, pour mettre fin aux affrontements armés en Croatie, un

cessez-le-feu fut signé à Belgrade. Au nombre des signataires figuraient, outre
M. Hans van den Broek, pour le compte de la Communauté européenne, les présidents de
l’ensemble des six républiques constitutives, la présidence de la RFSY et M. A. Marković, premier

ministre fédéral. M.StipeMesi ć, président de la présidence de la RFSY (et représentant de la
Croatie) signa l’accord «au nom de la présidence de la RFSY, agissant également en qualité de
commandant suprême collectif des forces armées» 112. Une fois de plus, la RFSY se présente

104 clairement comme un protagoniste distinct, et ayan t une position distincte, des dirigeants serbes.
La personne qui agissait au nom du «commandant suprême collectif des formées armées» de la
RFSY était le représentant de la Croatie.

a) Dans la diplomatie de la RFSY, les républiq ues constitutives autres que la Serbie et le

Monténégro étaient correctement représentées en 1991 et au début de l’année 1992

4.22. La diplomatie de la RFSY était toujours active dans la seconde moitié de l’année 1991,

et n’était en aucun cas le simple pendant de la diplomatie serbe. Le ministre des affaires étrangères
était M. Budimir Lončar, originaire de Croatie. Le chef de la mission de la RFSY à l’ONU à
New York était M. Darko Šilović, originaire de Croatie ; il ne fut rappelé que le 12 mars 1992 113.

4.23. En 1991, et au début de l’année 1992, la RFSY comptait quarante et un ambassadeurs
114
originaires de républiques autres que la Serbie et le Monténégr
o .

b) En 1991 et au début de l’année 1992, la Cour constitutionnelle de la RFSY n’était pas

majoritairement composée de Serbes; et ses d écisions ne portaient nullement l’empreinte
d’une partialité pro-serbe

4.24. La Cour constitutionne lle de Yougoslavie (RFSY) continua elle aussi ses activités
en1991 et au début de l’année 1992. Au cours de cette période, un nombre croissant de lois
adoptées en Croatie et en Slovénie, notamment , mais également en Serbie, commençaient à

remettre en question le système constitutionnel de la RFSY. En 1991 et 1992, la Cour
105 constitutionnelle de Yougoslavie conclut dans bien des cas à l’ anticonstitutionnalité de ces lois.
Beaucoup ⎯mais en aucun cas la totalité ⎯ d’entres elles émanaient de Croatie ou de Slovénie.

110Trifunovska, op. cit., p. 311-315 (annexe 44).

111Trifunovska, op. cit., p. 312 (annexe 44).
112
Trifunovska, op. cit., p. 335 (annexe 44).
113Voir l’enquête présentée par le service juridique et du personnel du ministère fédéral des affaires étrangères de

la RFY, datée du 27 novembre 2001 (annexe 45).
114Ibid. - 49 -

Mais dans un très grand nombre de décisions (pas moins devingt-quatre, pour la seule année
1991 !), la Cour constitutionnelle déclara anticonstitutionnelles des lois serbes 115.

106 4.25. Sans entrer dans l’analyse détaillée d es décisions rendues par la Cour constitutionnelle
de la RFSY en 1991 et au début de l’année 1992, le défendeur voudrait mettre en exergue certaines

constantes qui se dégagent clairement de sa jurisprudence :

a) En 1991 et au début de l’année 1992, la C our constitutionnelle de Yougoslavie cherchait
manifestement à protéger le système constitutionnel de la RFSY : il ne s’agissait pas pour elle

d’encourager, voire seulement de tolérer une «République fédérale de Yougoslavie in statu
nascendi» ;

b) la composition de la Cour constitu tionnelle de la Yougoslavie continuait d’être le reflet de la
107
RFSY ⎯les juges qui participaient à ces décisi ons n’étaient pas originaires des seules

républiques de Serbie et du Monténégro, pas davantage qu’ils n’étaient tous serbes ou
monténégrins de souche ;

c) dans la plupart de ces cas, l’initiative (tendant à ce que la Cour déclare anticonstitutionnelles les

mesures croates, serbes ou autres) était pri se par le gouvernement fédéral, dont le premier
ministre, M. Ante Marković, était un croate de Croatie.

115 o
Il s’agit des décisions suivantes: 1)Décision de la Cour constitu tionnelle de Yougoslavie n II-U-87/90 du
19février1991, publiée dans le J ournal officiel de la RFSYn o37/91; 2)Décision de la Cour constitutionnelle de
Yougoslavie n IU-108/1-90 du 14mars1991, Journal officiel de la RFSYn 50/91; 3)Décision de la Cour
o o
constitutionnelle de Yougoslavie n IU-130/1-90odu 10avril1991, Journal officiel de la RFSYn 40/91 ; 4) Décosion de
la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n IU-78/1-90 du 10avril1991, Journal officiel de la RFSYn 45/91 ;
5)Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n II-U-103/90 du 10avril1991, Journal officiel de la
RFSY n 45/91; 6)Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n II-U-101/90 du 10avril1991, Journal
o o
officiel de la RFSYn 59/91; 7oDécision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n IU-11/1-91 do 24 avril 1991,
Journal officiel de la RFSYn 44/91; 8)Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n IU-131/1-90 du
24avril1991, Journal officiel de la RFSYn o44/91; 9)Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie
noII-U-9/91 du 24avril1991, Journal officiel de la RFSYn o45/91; 10)Décision de la Cour constitutionnelle de
o o
Yougoslavie n IU-128/1-90 du 14mai1o91, Journal officiel de la RFSYn 44/91; 11)oécision de la Cour
constitutionnelle de Yougoslavie n IU-84/1-90 du 14 mai 1991, Journal officiel de la RFSY n 50/91 ; 12) Décision de la
Cour constitutionnelle de Yougoslavie n II-U-121/90, 113/90 et II-U-120/90, 112/90 du 29 mai 1991, Journal officiel de
la RFSYn o51/91; 13)Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n o II-U-104/90 du 12 juin 1991, Journal
o o
officiel de la RFSYn 57/91; 14)Décision de laoCour constitutionnelle de Yougoslavie n IU-124/1-90 du
10 juillet 1991, Journal officiel de la RFSYn 62/91; 15)Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie
n IU-125/1-90, IU-125/2-90, IU-125/3-90, IU-125/4-90, IU-125/5-90, IU-125/6-90, IU-6/1-91 et IU-10/1-91 du
10 juillet 1991, Journal officiel de la RFSYn o62/91; 16)Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie
o o
n II-U-102/90 do 10 juillet 1991, Journal officiel de la RFSYn 62/91; 17)Décision oe la Cour constitutionnelle de
Yougoslavie n IU-66/1-91 du 11 septembre 1991, Journal officiel de la RFSYn 77/91; 18)Décision de la Cour
constitutionnelle de Yougoslavie n IIU-10/91 du 2 octobre 1991, Journal officiel de la RFSY n 1/92 ; 19) Décision de la
Cour constitutionnelle de Yougoslavie n IU-83/1-91 du 16octobre1991, Journal officiel de la RFSYn o 86/91 ;
o
20)Décisoon de la Cour cons titutionnelle de Yougoslavie n IIU-66/91 du 2ooctobre1991, Journal officiel de la
RFSY n 3/92 ; 21) Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n IIU-106/90 du 23 octobre 1991, Journal
officiel de la RFSYn 13/92; 22)Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n o IU-72/1-91 du
24octobre1991, Journal officiel de la RFSYn o2/92; 23)Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie
o o
n IU-58/1-90 do 11 décembre 1991, Journal officiel de la RFSYn 25/92; 24)Décisionode la Cour constitutionnelle de
Yougoslavie n II-U-41/91 du 24 décembre 1991, Journal officiel de la RFSY n 16/92.

(Etant donné que le défendeur n’a pas l’intention d’analys er la teneur de ces décisions, et qu’il n’invoque pas les
arguments qui y sont exposés, mais qu’il entend simplement démontrer que la Cour constitutionnelle de Yougoslavie a

rendu un nombre tout à fait considérable de décisions défavorables à des lois ou intérêts serbes ⎯ ces décisions étant
accessibles au public ⎯, il ne soumettra pas, à ce stade, leurs textes sous forme d’annexes. Il s’empressera bien sûr de le
faire, si cette démarche lui est demandée.) - 50 -

4.26. La Cour constitutionnelle de la RFSY se composait de quatorze juges : deux originaires

de chacune des six républiques, et un pour chac une des deux provinces que comptait la Serbie (la
Vojvodine 116 etleKosovo 117). Jusqu’au 27avril1992, la Cour constitutionnelle de Yougoslavie

prit ses décerions à la quasi-totalité de ses membres : les quatorze juges restèrent tous en fonction
jusqu’au 1 août 1991, et onze d’entre eux continuèrent de siéger jusqu’à la disparition de la RFSY
ou, autrement dit, jusqu’à la création de la RFY, le 27 avril 1992 118.

Dans les paragraphes suivants, le défende ur reviendra sur quelques-unes des décisions

rendues par la Cour constitutionnelle en 1991 et 1992.

4.27. En 1991, de même que d’autres républiqu es, la Serbie tenta d’attribuer davantage de
108 ressources à son propre budget (au lieu de les affect er à celui de la fédération). Le gouvernement

fédéral, sous la condu ite de M.AnteMarkovi ć, saisit la Cour constitutionnelle de la Yougoslavie
d’une demande en anticonstitutionnalité. Dans la pl upart des cas, la Cour conclut que ces actes de
la Serbie étaient effectivement anticonstitutionnels. Ainsi, le 16octobre1991 ⎯ agissant à

l’initiative du gouvernement fédéral ⎯, la Cour constitutionnelle de la RFSY jugea
anticonstitutionnelle la loi serbe de 1991, qui prévoy ait d’affecter au budget serbe (et non plus au
119
budget de la RFSY) le produit de l’impôt sur le chiffre d’affaires .

4.28. De même (et une fois de plus, à l’initiative du gouvernemen t fédéral), le Cour
constitutionnelle de la Yougoslavie conclut, le 23octobre1991 , à l’anticonstitutionnalité des

dispositions d’une autre loi serbe de 1991 qui prévoy ait d’affecter non plus au budget fédéral, mais
à celui de la Serbie, les recettes des droits de douane et des taxes à l’importation 120.

4.29. Le 1j2 anvie1r992, la Cour constitutionnelle de Yougoslavie déclara

anticonstitutionnel un texte en vertu duquel la Ré publique de Croatie re prenait à son compte
plusieurs lois fédérales relatives à des organisa tions économiques (affirmant par là sa compétence
législative sur des questions régies par la législation fédérale) 121.

109 4.30. En février1992, la Cour constitutionn elle de Yougoslavie Œuvrait encore à faire
respecter la Constitution de la RFSY et, le 12 févr ier 1992, elle déclara anticonstitutionnelle la loi
adoptée par la Croatie qui conférait à son gouvernement le pouvoir d’indiquer des mesures
122
conservatoires aux fins de protéger les intérêts économiques croates .

116
Les droits de la province autonome de Vojvodine fure nt radicalement restreints sous la présidence de
Milošević, mais la province conservait celui de désigner des juges à la Cour constitutionnelle de la RFSY.
117
A l’instar de la Vojvodine, le Kosovo conservait le droit de nommer des juges à la Cour constitutionnelle de
Yougoslavie, bien que l’autonomie de la province ait été très fortement réduite sous M. Milošević.
118
Voir, à l’annexe46, l’enquête («Pregled») publié e par la Cour constitutionnelle de Yougoslavie le
14 novembre 2001.
119 o
o Décision de la Cour constitutionnelle de la RFSY n IU-83/1-91 du 16octobre1991, Journal officiel de la
RFSY n 86/91 du 29 novembre 1991, p. 1363-1364 (annexe 47).
120 o o
Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n IIU-66/91, Journal officiel de la RFSY n 3/92 du
10 janvier 1992, p. 29-30 (annexe 48).
121 o o
Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n IU-184/1-91, Journal officiel de la RFSY n 19/1992
du 20 mars 1992, p. 285-286 (annexe 49).
122 o o
Décision de la Cour constitutionnelle de Yougoslavie n IU-9/1-91, Journal officiel de la RFSY n 19/92 du
20 mars 1992, p. 286-287 (annexe 50). - 51 -

4.31. En 1991 et au début de l’année 1992, la Cour constitutionnelle de la RFSY n’était pas

sous l’emprise des Serbes. Elle n’était pas non plus un simple instrument au service de leurs
intérêts. Pendant la période critique, les autorités tant croates que serbes tentèrent de contester ou
de contourner les règles et procédures fédérales. La Cour constitutionnelle de la RFSY opposa une
résistance opiniâtre à ces tentatives.

B.3. L’origine territoriale ou ethnique des titulaires de fonctions officielles en RFSY ne peut
corroborer, et ne corrobore pas, l’allégation d’une identité

de facto entre la RFSY et la RFY

4.32. Dans son mémoire, la Croatie affirm e que, à partir d’octobre1991, les autorités

fédérales de la RFSY ont «agi sous le contrôle direct des dirigeants serbes, notion qui renvoie en
particulier au président de la Serbie, mais s’étend également aux représentants concernés des
ministères de la défense et de l’intérieur» (MC, par. 8.40 b)).

110 Il est très difficile d’admettre la notion de «dirigeants serbes», lorsqu’elle est censée
renvoyer non seulement aux dirigeants de la Répub lique de Serbie, mais au ssi à ceux de la RFSY,
qui, pour beaucoup, n’étaient pas originaires de Serbie. Pour rendre son argument plus plausible, le

demandeur préconise de ne s’intéresser qu’ aux fonctions fédérales «pertinentes» ⎯ excluant
implicitement du champ des «fonctions pertinentes» celles, entre autres, de président de la
présidence, de premier ministre, de ministre des affaires étrangères ou de ministre de la justice. On

aura peine à souscrire à cette manière de voir, mais, même à se placer dans l’optique du
demandeur, force est de constater que certains dirig eants n’étaient pas originaires de Serbie, mais
bien d’autres républiques.

4.33. Ainsi, le secrétaire fédéra l à la défense nationale de l’époque ⎯ particulièrement visé
dans le mémoire ⎯ était le général VeljkoKadijevi ć, originaire de Croatie. En quoi est-il un

«dirigeant serbe»? Son origine ethnique pourrait avoir été tenue pour un facteur supplémentaire.
Est-ce là ce qui définit un «dirigeant serbe», et qui pourrait donner à penser que la RFSY était sous
le contrôle de «dirigeants serbes»? Rappe lons, pour mémoire, que l’origine ethnique de
M. Kadijević est en réalité double : serbe et croate 123. La Croatie, dans son mémoire, voit dans le

général Kadijević un porte-drapeau des intérêts serbes. Le défendeur n’entend pas se prononcer sur
111 les actes ou les penchants du général Kadijevi ć. La question qui se pose est celle de son lien avec
la (future) RFY ⎯ or, il est difficile de le retracer, et, à fortiori, de l’admettre. Kadijevi ć

⎯ général de la RFSY originaire de Croatie ⎯ peut-il être tenu pour l’un des principaux acteurs de
la «RFY in statu nascendi» au motif que l’un de ses parents était serbe ?

4.34. Nombreux sont les événements tragiques relatés dans le mémoire qui se sont déroulés
alors que la présidence de la RFSY, et le commandement suprême collectif des forces armées
yougoslaves, étaient aux mains de M. StipeMesi ć, le représentant de la Croatie (et son actuel

président). Jusqu’à sa démission, le 20décembre 1991, le premier ministre fédéral de la RFSY
était M. Ante Marković, Croate de Croatie 124. Jusqu’au mois de décembre1991, les fonctions de

123
M. Kadijević est né le 21 novembre 1925 en Croatie. Son père, M. Dusăn Kadijević, était un Serbe de Croatie
et sa mère, Mme Janja Patrlj, une Croate de Croatie. Dans ses Mémoires, Kadijević écrit: «la question de mes attaches
nationales a été posée. Mon père est serb e, ma mère croate… Je suis, par convi ction, yougoslave. Quoi qu’il advienne,
je le resterai.» (V. Kadijeć, Moje vidjenje raspada [Ma perception de la dissolution], Belgrade, 1993, p.151)
(annexe 51) (l’extrait traduit est signalé).
12M. Ante Marković exerça les fonctions de premier ministre de la RFSY jusqu'au 20 décembre 1991, date de sa
démission (l’appendice 5 du mémoire le confirme à la page 21). Le Journal officiel de la RFSY en date du

20 décembre 1991 publie encore des décrets signés par le premier ministre Marković le 17 décembre 1991 (annexe 52). - 52 -

ministre des affaires étrangères étaient exercées par M.BudimirLonc ăr (lui aussi Croate de
Croatie), celles de ministre de la justice par M. Vlado Kambovski, de Macédoine.

4.35 Le défendeur ne cherche pas à insinuer que MMM . esi ć, Marković, Loncăr
etKambovski devraient se voir imputer la res ponsabilité des crimes commis en Croatie. Un tel
propos serait inexact, voire cynique. Mais il entend montrer qu’on ne saurait, dans le contexte des
bouleversements violents qui ont eu lieu sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, se contenter

d’associer des conséquences et des responsabilités à des fonctions, structures ou entités pour établir
la vérité et rendre la justice.

4.36 L’armée qui a assiégé Vukovar et Dubr ovnik en 1991 était l’armée de la RFSY, pas
112
celle de la RFY. Les individus qui ont commis des crimes au cours du conflit ont engagé leur
responsabilité, quelle qu’ait été l’armée dans laquelle ils opéraient, et qu’ils soient ensuite devenus
citoyens de la RFY, de la Croatie, ou de tout au tre Etat successeur. La Croatie a toujours maintenu
qu’il n’y avait pas d’identité entre la RFSY et la RFY, cette dernière n’étant que l’un des cinq Etats

ayant, chacun au même titre, succédé à la RFSY. Cette position est devenue la thèse
communément admise. La RFY étant née le 27 avril 1992, elle est responsable de ses propres actes
ou omissions à compter de cette date.

Il s’ensuit que :
113

Avant le 27 avril 1992, la RFY n’existait pas.

La notion d’Etat in statu nascendi n’est pas une notion établie, et il n’existe pas, en droit
international, de règle établie sur la responsabilité des «Etats in statu nascendi».

noLton «in statu nascendi» n’a pas sa place dans le contexte de la dissolution de la RFSY
et de l’apparition de la RFY.

La notion invoquée par le demandeur, quand bien même elle serait consacrée par une règle
de droit international, n’est pas conciliable avec l’allure générale des faits de l’espèce.

En outre, l’apparition de la RFY ne peut simple ment être antidatée, au prétexte qu’elle et la
RFSY ne feraient qu’une. Il n’existe d’identité ni de jure ni de facto entre la RSFY et la RFY.

Leurs territoires n’étaient pas les mêmes. Les autorités fédérales et les autorités serbes ou
monténégrines n’étaient pas les mêmes. L’orig ine des titulaires de char ges publiques ne saurait
déterminer ni modifier l’identité d’un Etat ⎯ et le pourrait-elle, il n’en demeurerait pas moins que
les faits contredisent la thèse que le demandeur cherche à faire valoir. Jusqu’à la fin de

l’année 1991, la plupart des détenteurs des plus hautes fonctions de la RFSY n’étaient ni originaires
de Serbie ni serbes. Il est donc impossible de rédui re la RFSY et les institutions de la RFSY à la
114 Serbie et au Monténégro (ou à la future RFY) sur la base de la provenance territoriale ou de
l’origine ethnique de leurs représentants.

En outre, aucun mouvement, aucun objectif insurrectionnel, aucune sécession, aucune
situation de fait n’a été officialisé par la création de la RFY.

La RFY et la RFSY ne constituent pas une seule et même entité. La RFY est l’un des

cinq Etats qui ont chacun succédé au même titre à la RFSY.

La RFY ne saurait être responsable d’actes ou omissions antérieurs à sa naissance. - 53 -

CINQUIÈME PARTIE
115

TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

CERTAINES DES CONCLUSIONS SPÉCIFIQUES DU DEMANDEUR SONT EN SOI
IRRECEVABLES ET SANS OBJET

A. LA DEMANDE TENDANT À DÉFÉRER M. M ILOŠEVIĆ DEVANT L ’AUTORITÉ JUDICIAIRE

COMPÉTENTE » EST IRRECEVABLE ET SANS OBJET

5.1. Dans sa conclusion finale 2 a), le demandeur cherche à obtenir que la RFY

«pren[ne] sans délai des mesures efficaces pour traduire devant l’autorité judiciaire
compétente ses citoyens ou d’autres personnes se trouvant sous sa juridiction sur
lesquels pèse une très forte présomption d’avoir commis les actes de génocide visés à

l’alinéa a) du paragraphe 1, ou l’un quelconque des autres actes visés à l’alinb) du
paragraphe1, et en particulier l’ancien président de la République fédérale de
Yougoslavie Slobodan Milošević, et de veiller à ce qu’ils soient dûment sanctionnés à
raison de leurs crimes s’ils sont déclarés coupables» (conclusion 2 a), MC, p. 414).

5.2. Or, des actes d’accusation individuels ont bel et bien été établis par le procureur du
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ci-après le « TPIY») à l’encontre de tels

suspects de la RFY et de Croatie. Depuis le dépôt du mémoire, un acte d’accusation a ainsi été
116 décerné (en octobre 2001) contre M. Milošević «agissant seul ou de concert avec d’autres
participants à l’entreprise criminelle commune»125. Les crimes imputés à M. Milošević, ainsi qu’à
d’autres, en rapport avec le territoire croate,comprenaient des crimes contre l’humanité, des

violations des conventions de Vienne et des violations du droit ou des coutumes de la guerre
⎯ mais pas le génocide. Nul n’a été appelé à répondre devant le TPIY du génocide prétendument
commis en Croatie (et même si de tels chefs avaient été invoqués, il n’en resterait pas moins que la

responsabilité individuelle et l’inte ntion d’une personne ph ysique sont d’une tout autre nature que
la responsabilité et l’intention d’un Etat, auxquelles elles ne sauraient être assimilées.)

5.3. Le défendeur soutient que, s’il est parfa itement légitime de chercher à obtenir que les
auteurs des crimes commis pendant les hostilités en ex-Yougoslavie fassent l’objet de poursuites et
de sanctions effectives, le cadre dans lequel ces que stions doivent être soulevées n’est pas celui de
la présente instance devant la Cour, dans laquelle la compétence invoquée (et contestée) et les

limites procédurales sont définies par l’article IX de la convention sur le génocide.

5.4. En outre, M. Milošević a été renversé par les habitants de la RFY à l’automne 2000, il a

été arrêté par les nouvelles autorités yougoslaves en avril2001, il a été transféré au TPIY le
28 juin 2001. M. Milošević se trouve à présent à La Haye, aux mains du TPIY. Le 11 avril 2002,
la RFY a promulgué une loi sur la coopération avec le Tribunal de La Haye. Après son adoption,

117 un certain nombre d’accusés ont été livrés au TPIY par les autorités de la RFY, et un certain
nombre d’autres, résidant sur le territoire de laRFY, se sont rendus. Parmi eux figuraient le
général Mrkšić, accusé de crimes commis lors du siège de Vukovar, et M. Milan Marti ć, mis en
cause pour le bombardement de Zagreb.

125 o
TPIY, Le procureur c. Milošević, affaire n IT-01-50-I, acte d’accusation initial d’octobre 2001, par. 26 ; voir :
http://www.un.org/icty/indictment/french/mil-ii011008f.htm. - 54 -

5.5. Pour ces raisons, la conclusion 2 a) du demandeur est irrecevable et sans objet.

B. LA DEMANDE TENDANT À OBTENIR DES INFORMATIONS SUR LE SORT DES RESSORTISSANTS
CROATES PORTÉS DISPARUS EST IRRECEVABLE ET SANS OBJET

5.6. La deuxième conclusion spécifique de la Croatie est une demande tendant à ce que la
RFY

«communiqu[e] sans délai au demandeur t outes les informations en sa possession ou
sous son contrôle sur le sort des ressorti ssants croates portés disparus à la suite des
actes de génocide dont elle s’est rendue res ponsable et, plus généralement, coop[ère]

avec les autorités de la République de Croa tie en vue de déterminer conjointement ce
qu’il est advenu de ces personnes ou de leurs dépouilles» (conclusion 2 b), MC,
p. 414).

5.7. Il s’agit, là aussi, d’une demande qui tombe hors du champ d’application de la
convention sur le génocide — et qui, au surplus, est devenue sans objet. Certes, plusieurs années

après la fin du conflit armé, on ignore toujours ce qu e sont devenus certains ressortissants croates,
tout comme on ignore ce qu’il est advenu de cer tains ressortissants yougoslaves. Le nouveau
gouvernement de la RFY coopère avec la Croatie en vue de faire la lumière sur leur sort. De fait,
118
cette coopération a commencé avan t même l’entrée en fonction du nouveau gouvernement. Un
accord de coopération en matière de recherche des personnes disparues avait déjà été conclu entre
M. Milutinović, ministre des affaires étrangères de la RFY, et M.Grani ć, son homologue de

Croatie, le 17novembre1995 à Dayton (Ohio). Da ns le cadre de sa mise en application, la
commission du Gouvernement de la RFY chargée des questions humanitaires et des personnes
disparues, d’une part, et la commission du Gouvernement croate chargée des personnes détenues et
126
des personnes disparues, d’autre part, ont signé, le 17 avril 1996, un «protocole de coopération» .
Ce protocole prévoit une obligation mutuelle d’échange de renseigne ments concernant les
personnes portées disparues (art.2), et la libération, de part et d’autre, des prisonniers de guerre,
ainsi que des civils et officiers et autres soldats détenus (art. 3).

5.8. Le 23août1996, a été conclu un «acc ord portant normalisation des relations entre la
127
RFY et la République de Croatie» , qui prévoit l’échange immédiat d’informations sur les
personnes portées disparues. L’article 6 de cet acco rd ne laisse aucune ambiguïté sur le fait que
l’échange de renseignements concernant les personnes portées manquantes constitue une obligation
des deux «parties contractantes» 128
.

119 5.9. Depuis lors, des progrès considérables ont été réalisés. Conformément aux dispositions

du protocole de coopération du 17avril1996, la commi ssion de la Croatie et celle de la RFY ont
tenu huit réunions depuis le mois de novembre1996 (la plupart du temps en présence de
représentants de la Croix-Rouge in ternationale). Au cours de ces réunions, la RFY a remis à la

126Pour le texte de ce protocole, voir l’annexe 53.
127
Voir l’annexe 10.
128Aux termes de l’article 6, «[l]es parties contractantes s’engagent à hâter sans retard le règlement de la question
des personnes portées disparues et échangeront immédiatement tous renseignements dont elles disposent au sujet de ces
personnes». - 55 -

partie croate 1093 protocoles détaillés concernant des personnes ayant trouvé la mort au cours des
129
opérations militaires de Vukovar .

5.10. La tâche n’est pas aisée, chaque partie a certes reproché à l’autre de ne pas coopérer

pleinement, mais des efforts ont indéniablement été consentis de bonne foi. Le Comité
International de la Croix-Rouge (CICR) et le TPIY se consacrent également à cette tâche, et tant la
RFY que la Croatie coopèrent actuellement av ec ces deux institutions. Récemment, le
7 novembre 2001, M. Maksim Korać, président de la commission de la RFY chargé des questions

humanitaires et des personnes disparues, et le colonel IvanGruji ć, président de la commission
croate chargée des personnes détenues et des personn es disparues, ont signé le procès-verbal d’une
réunion qui s’est tenue à Belgrade les 6 et 7 novembre 2001, en présence des représentants du

CICR et de la Commission internationale pour les personnes dispar130. Ce procès-verbal reflète
une très nette évolution et un niveau élevé de compréhension .

120 5.11. La Croatie et la RFY ont Œuvré de conserve pendant des années sans jamais affirmer,
voire seulement insinuer, que la forme qu’avait prise la coopération en ce qui concerne les
personnes disparues (celle de deux commissions éta tiques, avec la participation d’organisations

humanitaires internationales) était inadéquate, ou devait être complétée ou remplacée par quelque
mécanisme international. La forme que doit prendre la poursuite de ces efforts n’est pas celle d’un
différend devant la Cour internati onale de Justice. La conclusion du demandeur est irrecevable et
sans objet.

C. L A DEMANDE DE RESTITUTION DE BIENS CULTURELS EST IRRECEVABLE ET SANS OBJET

5.12. Parmi les conclusions spécifiques de la Croatie figure en outre la demande tendant à ce
que la RFY restitue «tout bien culturel relevant de sa juridiction ou de son contrôle saisi dans le
cadre des actes de génocide dont elle porte la responsabilité» (conclusion 2 c), MC, p.414). Le

défendeur soutient que l’on ne saurait en aucun cas étendre la prétendue compétence relative au
génocide à des demandes de restitution d’objets d’art. Cette demande, donc, est irrecevable.

5.13. Le défendeur reconnaît que certains des bi ens culturels appartenant à la Croatie se sont
trouvés placés sous la «juridiction ou [le] contrôle» de la RFY. Ces objets ont été apportés sur le
territoire yougoslave pendant les années de conflit. Certes, les interprétations divergeront peut-être
quant aux circonstances de leur transfert. D’ap rès la Yougoslavie, ces biens ont été évacués de
121
zones dévastées et non protégées (qui, en 1991, relevaient toujours d’un même pays) et mis à l’abri.
Cette explication ne fait pas l’unanimité. Toutefoi s, quelle que soit la bonne interprétation, il ne
fait aucun doute, aux yeux de l’act uel Gouvernement de la RFY, que les biens culturels dont les

propriétaires légitimes se trouvent en Croatie doivent être restitués à la Croatie.

5.14. Si certains dilemmes ont surgi, c’est uniquement dans le cas d’objets de culte

provenant d’un certain nombre d’églises orthodoxes serbes en Croatie. A mesure que ces églises
étaient détruites, endommagées ou abandonnées, les objets en question étaient introduits sur le
territoire de la RFY. L’Eglise orthodoxe serbe affirme en être le propriétaire, mais elle est disposée

à les restituer à leurs détenteurs initiaux, à sa voir les églises orthodoxes serbes en Croatie, lorsque

129
Voir la lettre en date du 29novembre2001 adressée au ministère des affaireétrangères de la RFY par
M. Maksim Korać, président de la commission du Gouvernement de la RFY chargé des questions humanitaires et des
personnes disparues. Cette lettre renvoie à huit réunions conjointes, et indique que 1093protocoles ont été remis à la
partie croate (annexe 54).
130
Pour le texte de ce procès-verbal, voir l’annexe 55. - 56 -

celles-ci pourront de nouveau assumer les fonc tions qui sont normalement les leurs.
Conformément à sa position, la RFY a pris part à des négociations de bonne foi concernant la
restitution à la Croatie de ces biens culturels.

5.15. La question de la restitution des biens culturels a été à l’ordre du jour de plusieurs
discussions entre représentants yougoslaves et croates 13. Nul ne conteste que les biens originaires

122 de Croatie (essentiellement de Vukovar) ont été en tre de bonnes mains et traités avec le soin
nécessaire au musée municipal de NoviSad et au musée de Vojvodine. C’est ce qu’a confirmé
M.Imhoff, au nom d’une commission d’enquête du Conseil de l’Europe 132. Pendant un temps,

c’est à propos des modalités de la restitution que le bât a blessé. D’un côté, on estimait que cette
restitution devait faire l’objet d’un accord culturel entre la RFY et la Croatie (telle était la position
yougoslave, ainsi qu’indiqué dans la proposition d’accord de coopération entre la RFY et la Croatie

dans le domaine de la culture et de l’éducation, présentée à la Partie croate le 12juin2001). Du
côté croate, on considérait que la RFY devait commencer par restituer la «collection Bauer», à titre
de mesure distincte, indépendamment de tout autre arrangement.

5.16. Ces divergences mineures dans la manière d’aborder la question n’ont pas conduit à

une impasse. Le 11novembre2001, M.GoranSvilanovi ć, ministre des affaires étrangères de la
RFY, et M.ToninoPicula, son homologue croate, ont publié à NewYork une déclaration
commune, ainsi libellée :

123
«Des avancées encourageantes en matière de coopération ayant été réalisées par
les experts des institutions des deux pays, les ministres ont annoncé le retour

d’urgence des collections de Vukovar, et é voqué le début de négociations en vue de
parvenir à un accord sur la coopération culturelle et la restitution aux Serbes et à
l’Eglise orthodoxe serbe de Croatie de leurs biens culturels.» 133

5.17. Le «retour d’urgence des collections de Vukovar» annoncé eut bien lieu. Le

13décembre2001, non seulement la «collection Bauer», mais aussi d’autres biens culturels
provenant des musées et galeries de Vukovar, ainsi que des objets d’art ou de culte appartenant à
des églises catholiques et à une église orthodoxe furent dûment restitués à la Croatie ⎯ ce qu’ont
134
confirmé dans les formes les autorités croates . Il est clair que les autorités yougoslaves et
croates sont parfaitement à même de régler cette question de manière satisfaisante.

5.18. Pour ces raisons, la conclusion 2 c) du demandeur est irrecevable et sans objet.

131Citons par exemple celle du 25mai2001 entre M.Svilanovi ć, ministre des affaires étrangères de la RFY, et
M.Picula, son homologue croate, à Split; ou encore celle qui a eu lieu les 18 et 19septembre à Belgrade, entre
Mme Joksimović, vice-ministre des affaires étrangères de la RFY, et M. Paro, son homologue croate.

132Conseil de l’Europe, assemblée parlementaire, «Destruc tion par la guerre du patrimoine culturel de Croatie et
de Bosnie-Herzégovine», septiè me rapport d’information, doc.7308, 15mai1995. Les conclusions pertinentes de la
mission d’enquête dirigée par M.Imhoff fi gurent aux paragraphes33 à 43. Au paragraphe33, il est ainsi indiqué que
«[l]es milliers d’objets et de pièces en provenance du mus ée municipal de Vukovar, essentiellement des fragments de
céramique présentant un intérêt archéologique, déposés au musée sont dans un en vironnement convenable, bien disposés
dans un espace bien utilisé, apparemment bien inventoriés, cons ervés et traités avec soin et compétence». Au sujet de la

collection Bauer, le rapport indique, au paragraphe 39 : «Au nombre de plusieurs centaines, ces tableaux et Œuvres d’art
sur papier sont bien entretenus et semblent être conservés dans de bonnes conditions. Leur manutention semble être
correcte et exécutée avec soin.» (Le texte figure dans son intégralité à l’annexe 56.)
133Pénultième paragraphe de la déclaration conjointe Picula-Svilanović du 11 novembre 2001 (annexe 57).

134Voir le procès-verbal des travaux du groupe d’experts du 10 décembre2001, et l’addendum du
13 décembre 2001 (annexe 58). - 57 -

124 Il s’ensuit que :

Les conclusions du demandeur relatives à

⎯ l’adoption de mesures effectives destinées à traduire en justice des personnes comme
M. Milošević,

⎯ la communication de renseignements concernant le sort des citoyens croates portés disparus, et

⎯ la restitution de biens culturels,

sont inadmissibles, et sont devenues sans objet. - 58 -

CONCLUSIONS FINALES
125

Pour les raisons exposées ci-dessus, la République fédérale de Yougoslavie prie la Cour :

de retenir la première exception préliminaire, et de dire et juger qu’elle n’a pas compétence pour
connaître des demandes formées pa r la République de Croatie à l’encontre de la République

fédérale de Yougoslavie.

Ou, à titre subsidiaire,

a) de retenir la deuxième excepti on préliminaire, et de dire et juger que les demandes renvoyant à

des actes ou omissions antérieurs à la création de la RFY (c’est-à-dire antérieures au
27 avril 1992) sont irrecevables ;

et

b) de retenir la troisième excep tion préliminaire, et de dire et juger que les demandes spécifiques
concernant

⎯ l’adoption de mesures effectives destin ées à traduire en justice M.Miloševi ć et d’autres

personnes,

⎯ la communication d’informations concernant le sort des citoyens croates portés disparus, et

⎯ la restitution de biens culturels,

sont irrecevables et sans objet.

Le défendeur se réserve le droit de compléter ou de modifier ses conclusions à la lumière de
la suite de la procédure.

Septembre 2002 Tibor V ARADY ,

Agent de la République fédérale de Yougoslavie.

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Exceptions préliminaires de la République fédérale de Yougoslavie

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