Déclaration d'intervention de la Bulgarie

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182-20221118-WRI-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note : Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel.
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
DÉCLARATION D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT
DE LA RÉPUBLIQUE DE BULGARIE EN VERTU DE L’ARTICLE 63
DU STATUT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
11 novembre 2022
[Traduction du Greffe]
DÉCLARATION D’INTERVENTION DE LA RÉPUBLIQUE DE BULGARIE
A Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice (ci-après la «Cour»), la soussignée,
dûment autorisée par la République de Bulgarie, déclare ce qui suit :
1. Au nom de la République de Bulgarie, j’ai l’honneur de soumettre à la Cour, en vertu du
paragraphe 2 de l’article 63 de son Statut, une déclaration d’intervention en l’affaire relative à des
Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie).
2. Selon le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, un Etat qui désire se prévaloir
du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut doit déposer une déclaration qui
«précise l’affaire et la convention qu’elle concerne, et qui contient :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’Etat déclarant se considère comme
partie à la convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est
en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.»
3. Tous ces éléments sont précisés ci-dessous, après quelques observations liminaires.
Observations liminaires
4. Le 26 février 2022, l’Ukraine a introduit une instance contre la Fédération de Russie
concernant des allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (ci-après la «convention sur le génocide» ou la «convention»).
5. Dans sa requête introductive d’instance, l’Ukraine soutient que
«l’annonce et la mise en oeuvre, par la Fédération de Russie, de mesures à son encontre
et sur son territoire sous la forme d’une «opération militaire spéciale» lancée le
24 février 2022 sur le fondement d’un prétendu génocide, ainsi que la reconnaissance
qui a précédé cette opération, sont incompatibles avec la convention et violent le droit
de l’Ukraine de ne pas subir des actions illicites, notamment une attaque militaire, sous
le prétexte parfaitement fallacieux de prévenir et de punir un génocide» (paragraphe 26
de la requête).
L’Ukraine soutient en outre qu’il «existe, entre [elle-même] et la Fédération de Russie, un différend
au sens de l’article IX concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur
le génocide».
6. La Fédération de Russie n’a pas pris part à la procédure orale ; toutefois, le 7 mars 2022,
jour où s’est tenue l’audience, elle a communiqué à la Cour un document dans lequel elle a affirmé
que celle-ci n’était pas compétente en l’affaire.
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7. Le 16 mars 2022, comme suite à la demande en indication de mesures conservatoires
présentée par l’Ukraine, la Cour a prescrit ce qui suit :
«1) … La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations
militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ; …
2) … La Fédération de Russie doit veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou
unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son
appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou
sa direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires visées
au point 1) ci-dessus ; …
3) … Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.»
8. A la date de la présente déclaration, la Fédération de Russie ne s’est pas conformée aux
prescriptions de l’ordonnance et a intensifié et étendu ses opérations militaires sur le territoire de
l’Ukraine, aggravant ainsi le différend dont la Cour est saisie.
9. Le 30 mars 2022, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 63 du Statut, le greffier de
la Cour a dûment averti la République de Bulgarie, en sa qualité de partie contractante à la convention
sur le génocide, que, dans la requête de l’Ukraine, cette convention était «invoquée à la fois comme
base de compétence de la Cour et à l’appui des demandes de l’Ukraine au fond». Le greffier a
également fait observer que
«[l’Ukraine] entend[ait] fonder la compétence de la Cour sur la clause compromissoire
figurant à l’article IX de la convention, pri[ait] la Cour de déclarer qu’elle ne
commet[tait] pas de génocide, tel que défini aux articles II et III de la convention, et
soul[evait] des questions sur la portée de l’obligation de prévenir et de punir le génocide
consacrée à l’article premier de la convention. Il semble, dès lors, que l’interprétation
de [la convention sur le génocide] pourrait être en cause en l’affaire.»1
10. Par la présente déclaration, la République de Bulgarie, en sa qualité de partie à la
convention, se prévaut du droit d’intervention qu’elle tient du paragraphe 2 de l’article 63 du Statut
de la Cour. Conformément au paragraphe [1] de l’article 82 du Règlement, la République de Bulgarie
exerce ce droit2 en déposant sa déclaration «le plus tôt possible» et bien avant la tenue des audiences.
11. L’affaire soulève d’importantes questions concernant la convention sur le génocide.
L’interdiction du génocide est une norme impérative du droit international général (norme de jus
cogens)3. La Cour a qualifié de normes de jus cogens les obligations nécessaires «à la protection des
valeurs humanitaires essentielles»4. La République de Bulgarie rappelle en outre que, selon la Cour,
1 Lettre (no 156413) en date du 30 mars 2022 adressée aux Etats parties à la convention sur le génocide par le
greffier de la Cour, voir annexe A.
2 Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 76 ; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya
arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1981, p. 13, par. 21.
3 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 111, par. 161-162.
4 Ibid., p. 104, par. 147.
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«les droits et obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes»5.
Etant donné le rôle essentiel que joue l’interdiction du génocide dans la défense des intérêts de
l’humanité et le caractère erga omnes des droits et obligations des Etats en vertu de la convention, la
République de Bulgarie a, en tant que partie contractante, un intérêt direct dans l’interprétation que
pourrait donner la Cour des dispositions pertinentes de cet instrument, et elle souhaite voir toutes les
parties contractantes s’y conformer dans leur interprétation, application et exécution de la
convention. En conséquence, la République de Bulgarie a décidé de se prévaloir du droit d’intervenir
dans la présente instance que lui confère le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut.
12. Conformément à l’article 63 du Statut et à la jurisprudence de la Cour en la matière6, la
Bulgarie n’entend pas devenir partie à l’instance. Elle atteste par la présente que, en se prévalant de
son droit d’intervenir en vertu dudit article, elle accepte comme également obligatoire à son égard
l’interprétation de la convention que contiendra l’arrêt que la Cour rendra en l’espèce.
13. De plus, conformément à l’article 63 du Statut de la Cour, la République de Bulgarie limite
son intervention aux questions d’interprétation de la convention dans le contexte de la présente
espèce7.
14. La République de Bulgarie souhaite en outre assurer la Cour qu’elle a déposé sa déclaration
d’intervention «le plus tôt possible avant la date fixée pour l’ouverture de la procédure orale», comme
le prescrit l’article 82 du Règlement. Le 31 octobre 2022, le greffier de la Cour a fait savoir aux Etats
parties que, compte tenu du nombre de déclarations qui avaient été déposées en l’affaire en vertu de
l’article 63 du Statut, la Cour estimait qu’il serait dans l’intérêt de la bonne administration de la
justice et de l’économie procédurale que tout Etat souhaitant se prévaloir du droit d’intervention que
lui confère l’article 63 dépose sa déclaration au plus tard le jeudi 15 décembre 2022
(lettre no 157450). La présente déclaration a été déposée dès que la République de Bulgarie a
raisonnablement pu le faire.
15. La République de Bulgarie informe de surcroît la Cour qu’elle est disposée à l’aider en
joignant son intervention à d’autres interventions similaires émanant d’autres Etats, à des stades
ultérieurs de la procédure, si la Cour estime que cela irait dans le sens d’une meilleure administration
de la justice.
16. La République de Bulgarie se réserve le droit, une fois que la Cour aura déclaré sa
déclaration d’intervention recevable, de faire valoir dans des observations écrites d’autres arguments
concernant le champ d’application ratione materiae de la convention sur le génocide et la
compétence que l’article IX confère à la Cour. Elle demande à recevoir copie des pièces de procédure
déposées par les Parties et des documents y annexés, en application du paragraphe 1 de l’article 8[6]
du Règlement.
17. La République de Bulgarie limitera la présente déclaration d’intervention à des questions
juridictionnelles, c’est-à-dire au sens qu’il convient de donner à la clause compromissoire figurant à
l’article IX de la convention sur le génocide conformément aux règles d’interprétation du droit
5 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616, par. 31.
6 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande,
ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 5, par. 7.
7 Ibid., p. 9, par. 18.
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international coutumier codifiées dans les articles 26 et 31 de la convention de Vienne sur le droit
des traités.
Base sur laquelle la République de Bulgarie est partie à la convention
18. Le 21 juillet 19508, la République de Bulgarie a adhéré à la convention et déposé son
instrument d’adhésion conformément au paragraphe 4 de l’article XI de celle-ci. En application de
l’article XIII, la convention est entrée en vigueur pour la République de Bulgarie le 12 janvier 1951.
Lors de son adhésion, celle-ci a fait deux réserves concernant respectivement l’article IX et
l’article XII de la convention. Elle a retiré sa réserve à l’article IX le 24 juin 1992.
Dispositions de la convention qui sont en cause en l’espèce
19. L’article IX de la convention se lit comme suit :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»
20. Le sens du terme «différend» est établi depuis longtemps dans la jurisprudence de la Cour
et de sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale. Le différend, en tant que
«désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou
d’intérêts» entre les parties, est essentiel pour l’interprétation de l’article IX9. Pour qu’un différend
existe, «[i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste
de l’autre»10. Les parties doivent avoir des «points de vue quant à l’exécution ou à la non-exécution
de certaines obligations internationales [qui] sont nettement opposés»11. Qui plus est, «dans le cas où
le défendeur s’est abstenu de répondre aux réclamations du demandeur, il est possible d’inférer de
ce silence, dans certaines circonstances, qu’il rejette celles-ci et que, par suite, un différend existe»12.
La Cour a dit que le différend doit en principe exister à la date du dépôt de la requête13. En l’espèce,
il est clairement satisfait à ces conditions.
21. La République de Bulgarie se concentre donc sur l’interprétation du reste de l’énoncé de
l’article IX, à savoir que les différends visés doivent être «relatifs à l’interprétation, l’application ou
8 Voir annexe B.
9 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
10 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
11 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 414,
par. 18 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, dans lequel est cité Interprétation des
traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950,
p. 74.
12 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
13 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le
désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 851,
par. 42-43.
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l’exécution de la … Convention». Elle affirme que l’article IX est une clause juridictionnelle
générale qui autorise la Cour à statuer sur des différends concernant la prétendue exécution par une
partie contractante des obligations qui lui incombent au titre de la convention. En l’espèce, l’objet de
la requête porte sur la question de savoir si certains actes, tels que des allégations de génocide et des
opérations militaires entreprises dans le but déclaré de prévenir et de réprimer celui-ci, sont
conformes à la convention sur le génocide. Ce différend relève donc bien de l’article IX de la
convention.
22. L’article IX pris dans son sens ordinaire fonde la compétence de la Cour pour connaître de
la question de savoir si des actes de génocide ont été commis ou le sont, ou non14. La Cour a donc
aussi compétence ratione materiae pour constater l’absence de génocide. Il peut y avoir un différend
au sujet de l’interprétation, de l’application ou de l’exécution de la convention lorsqu’un Etat allègue
qu’un autre Etat a commis un génocide15.
23. Le second volet de son appréciation de l’interprétation, de l’application ou de l’exécution
de la convention consiste pour la Cour à déterminer si des déclarations et actes fondés sur des
allégations fallacieuses de génocide sont conformes à la convention, compte tenu du principe de
l’interprétation et de l’exécution de bonne foi des obligations. Sa compétence s’étend, en particulier,
aux différends concernant l’emploi unilatéral de la force militaire dans le but affiché de prévenir et
de punir un prétendu génocide16. A cet égard, selon l’approche téléologique de l’interprétation
exposée plus en détail ci-après, «tout instrument international doit être interprété et appliqué dans le
cadre de l’ensemble du système juridique»17.
24. Cette lecture de la clause compromissoire de la convention est en outre étayée par son
contexte. En particulier, l’emploi du terme «y compris» dans l’incise de l’article IX de la convention
indique que celui-ci a un champ d’application plus large18. Les différends relatifs à la responsabilité
d’un Etat en matière de génocide ou à raison de l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III ne sont donc qu’un des types de différends visés par l’article IX, «compris» dans la
formulation plus générale concernant les différends «relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution» de la convention19. Le contexte de l’expression «relatifs à» figurant à l’article IX
confirme donc que la compétence de la Cour va au-delà des différends entre Etats concernant la
responsabilité à raison d’actes de génocide allégués et s’étend également aux différends entre Etats
concernant l’absence de génocide et un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la
convention qui donne lieu à un abus de droit.
14 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, par. 43 ; Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020,
C.I.J. Recueil 2020, p. 14, par. 30.
15 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
16 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, par. 45.
17 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 53.
18 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
19 Voir également l’exposé écrit de la République de Gambie sur les exceptions préliminaires soulevées par la
République de l’Union du Myanmar, 20 avril 2021, p. 28-29, par. 3.22.
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25. En outre, l’article IX prévoit expressément que la Cour est compétente pour connaître d’un
différend soumis «à la requête d’une partie [à celui-ci]» (les italiques sont de nous). Cet énoncé fait
penser qu’un Etat accusé de commettre un génocide a le même droit de soumettre le différend à la
Cour que l’Etat qui formule l’accusation. En particulier, l’Etat accusé peut demander à la Cour de
prononcer un jugement déclaratoire «négatif» à l’effet de dire que les allégations par lesquelles
l’autre Etat l’accuse d’être responsable de génocide sont dénuées de fondement en fait et en droit.
26. Enfin, l’objet et le but de la convention viennent également à l’appui d’une interprétation
large de l’article IX. La Cour a noté que «[t]ous les Etats parties à la convention sur le génocide ont
donc, en souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun à veiller à ce
que le génocide soit prévenu, réprimé et puni»20. Selon la Cour21,
«[l]es fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention a été
manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut même
pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère,
puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes
humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus
élémentaires. Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts
propres ; ils ont seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins
supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne saurait,
pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des
Etats, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les
charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la
volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme.»
27. L’objet de la convention, qui est de protéger les principes de morale les plus élémentaires,
interdit également qu’un Etat partie puisse détourner ses dispositions à d’autres fins. La crédibilité
de la convention en tant qu’instrument universel visant à interdire le crime le plus abject qu’est le
génocide serait compromise si un Etat partie pouvait l’invoquer abusivement sans que la victime
d’un tel abus puisse se tourner vers la Cour. Le but de la convention plaide donc avec force en faveur
d’une lecture de l’article IX selon laquelle les différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou
à l’exécution de la convention comprennent les différends relatifs au recours abusif à l’autorité de
cet instrument pour justifier un acte d’un Etat partie à l’égard d’un autre Etat partie.
28. En conclusion, le sens ordinaire de l’article IX de la convention, son contexte et l’objet et
le but dudit instrument dans son ensemble montrent qu’un différend relatif à des actes qu’un Etat
commet contre un autre Etat sur le fondement d’allégations fallacieuses de génocide, relève de la
notion de «différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la … Convention». Il s’ensuit que la Cour est compétente pour constater l’absence de
génocide et un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la convention qui donne lieu à un
abus de droit. Sa compétence s’étend, en particulier, aux différends concernant l’emploi unilatéral
de la force militaire dans le but affiché de prévenir et de punir un prétendu génocide.
20 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
arrêt du 22 juillet 2022, par. 107.
21 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1951, p. 23.
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Documents à l’appui de la déclaration
29. Liste des documents fournis à l’appui de la déclaration et annexés à la présente :
a) lettre adressée par le greffier de la Cour internationale de Justice en application du paragraphe 1
de l’article 63 du Statut ;
b) copie de l’instrument d’adhésion par la République de Bulgarie à la convention sur le génocide
et de la communication du retrait de la réserve faite à l’article IX.
Conclusion
30. Au vu de ce qui précède, la République de Bulgarie se prévaut du droit que lui confère le
paragraphe 2 de l’article 63 du Statut d’intervenir en tant que non-partie à l’affaire portée devant la
Cour par l’Ukraine contre la Fédération de Russie.
31. Le Gouvernement de la République de Bulgarie a désigné la soussignée comme agente
aux fins de la présente déclaration. Le greffier de la Cour est invité à adresser toutes les
communications à l’adresse suivante :
Ambassade de la République de Bulgarie aux Pays-Bas
Duinroosweg 9
2597 KJ La Haye
L’agente de la République de Bulgarie,
(Signé) Dimana DRAMOVA.
___________
ANNEXE A
LETTRE ADRESSÉE PAR LE GREFFIER DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EN APPLICATION DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE 63 DU STATUT
COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE
INTERNATIONAL COURT
OF JUSTICE
156413 Le 30 mars 2022
J'ai l'honneur de me referer A ma lettre (n° 156253) en date du 2 mars 2022, par laquelle j'ai
porte A la connaissance de votre Gouvernement que l'Ukraine a, le 26 fevrier 2022, depose au Greffe
de la Cour internationale de Justice une requete introduisant une instance contre la Federation de
Russie en l'affaire relative A des Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention
et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie). Une copie de la requete etait
jointe a cette lettre. Le texte de ladite requete est egalement disponible sur le site Internet de la Cour
(www.icj-cij.org).
Le paragraphe 1 de l'article 63 du Statut de la Cour dispose que
«[1]orsqu'il s'agit de 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai».
Le paragraphe 1 de l'article 43 du Reglement de la Cour precise en outre que
«[1]orsque 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres Etats que
les parties en litige peut etre en cause au sens de l'article 63, paragraphe 1, du Statut, la
Cour examine quelles instructions donner au Greffier en la matiere».
Sur les instructions de la Cour, qui m'ont ete donnees conformement a cette derniere
disposition, j'ai l'honneur de notifier a votre Gouvernement ce qui suit.
Dans la requete susmentionnee, la convention de 1948 pour la prevention et la repression du
crime de genocide (ci-apres la «convention sur le genocide») est invoquee A la fois comme base de
competence de la Cour et a l'appui des demandes de l'Ukraine au fond. Plus precisement, celle-ci
entend fonder la competence de la Cour sur la clause compromissoire figurant A l'article IX de la
convention, prie la Cour de declarer qu'elle ne commet pas de genocide, tel que defini aux articles II
et III de la convention, et souleve des questions sur la portee de l'obligation de prevenir et de punir
le genocide consacree A Particle premier de la convention. Ii semble, des lors, que "'interpretation de
cette convention pourrait etre en cause en l'affaire.
./.
[Lettres aux Etats parties A la convention sur le genocide
(A l'exception de l'Ukraine et de la Federation de Russie)]
Palais de la Paix, Camegieplein 2
2517 KJ La Haye - Pays -Bas
Telephone: +31 (0) 70 302 23 23 - Facsimile : +31 (0) 70 364 99 28
Site Internet : www.icj-cij.org
Peace Palace, Carnegieplein 2
2517 KJ The Hague - Netherlands
Telephone: +31(0) 70 302 23 23 - Telefax: +31(0) 70 364 99 28
Website: www.icj-cij.org
COUR INTERNATIONALE INTERNATIONAL COURT
DE JUSTICE OF JUSTICE
Votre pays figure sur la liste des parties A la convention sur le genocide. Aussi la presente lettre
doit-elle etre regardee comme constituant la notification prevue au paragraphe 1 de l'article 63 du
Statut. J'ajoute que cette notification ne prejuge aucune question concernant l' application eventuelle
du paragraphe 2 de Particle 63 du Statut sur laquelle la Cour pourrait par la suite etre appelee A se
prononcer en l'espece.
Veuillez agreer, Excellence, les assurances de ma tres haute consideration.
Le Greffier de la Cour,
Philippe Gautier
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ANNEXE B
COPIE DE L’INSTRUMENT D’ADHÉSION PAR LA RÉPUBLIQUE DE BULGARIE
À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE ET DE LA COMMUNICATION
DU RETRAIT DE LA RÉSERVE FAITE À L’ARTICLE IX

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Déclaration d'intervention de la Bulgarie

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