Note : Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel.
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
DÉCLARATION D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR L’ESPAGNE EN VERTU DE
L’ARTICLE 63 DU STATUT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
29 septembre 2022
[Traduction du Greffe]
A Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, le soussigné, dûment autorisé par
le Gouvernement espagnol, déclare ce qui suit :
1. Au nom du Gouvernement espagnol, j’ai l’honneur de soumettre à la Cour, en vertu du
paragraphe 2 de l’article 63 de son Statut, une déclaration d’intervention en l’affaire relative à des
Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie).
2. Selon le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, un Etat qui désire se prévaloir
du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut doit déposer une déclaration qui précise
l’affaire et la convention qu’elle concerne, et qui contient :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’Etat déclarant se considère comme partie à la
convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.
3. Ces éléments sont précisés ci-dessous, après une série d’observations liminaires.
OBSERVATIONS LIMINAIRES
4. Le 26 février 2022, l’Ukraine a introduit une instance contre la Fédération de Russie dans
un différend concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la «convention sur le génocide»).
5. Aux paragraphes 4-12 de sa requête introductive d’instance, l’Ukraine affirme qu’il existe
entre elle-même et la Fédération de Russie un différend au sens de l’article IX concernant
l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur le génocide.
6. Sur le fond, l’Ukraine soutient que l’emploi de la force par la Fédération de Russie à son
encontre et sur son territoire depuis le 24 février 2022, sur le fondement d’un prétendu génocide,
ainsi que la reconnaissance qui a précédé l’opération militaire, sont incompatibles avec la convention,
dont elle cite les articles premier-III (par. 26-29 de la requête).
7. Le 16 mars 2022, par suite de la demande en indication de mesures conservatoires soumise
par l’Ukraine, la Cour a prescrit ce qui suit :
«1) la Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations
militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2) la Fédération de Russie doit veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou
unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son
appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou
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sa direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires visées
au point 1) ci-dessus ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3) les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.»
8. A la date de la présente déclaration, la Fédération de Russie ne s’est pas conformée aux
prescriptions de l’ordonnance, a intensifié et étendu ses opérations militaires sur le territoire de
l’Ukraine et a ainsi aggravé le différend dont la Cour est saisie.
9. Le 30 mars 2022, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour, le
greffier a dûment averti le Gouvernement espagnol, en sa qualité de partie à la convention sur le
génocide, qu’à la suite de la requête présentée par l’Ukraine, la convention sur le génocide «[était]
invoquée à la fois comme base de compétence de la Cour et à l’appui des demandes de l’Ukraine au
fond». Il a en outre fait observer que
«[l’Ukraine] entend fonder la compétence de la Cour sur la clause compromissoire
figurant à l’article IX de la convention, prie la Cour de déclarer qu’elle ne commet pas
de génocide, tel que défini aux articles II et III de la convention, et soulève des questions
sur la portée de l’obligation de prévenir et de punir le génocide consacrée à l’article
premier de la convention. Il semble, dès lors, que l’interprétation de [la convention sur
le génocide] pourrait être en cause en l’affaire.»1
10. L’Espagne considère que la convention sur le génocide est capitale pour la prévention et
la répression de ce crime. Tout acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un
groupe national, ethnique, racial ou religieux constitue un crime au regard du droit international.
L’interdiction du génocide est une norme de jus cogens en droit international2. Les droits et
obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes partes, ces
obligations étant dues à la communauté internationale dans son ensemble3. Face à une telle situation,
s’agissant d’un traité portant sur des questions d’intérêt collectif, le regretté juge Cançado Trindade
avait invité les Etats parties à apporter leur contribution à l’interprétation rigoureuse de cet instrument
en guise de «garantie collective du respect des obligations contractées par les Etats parties»4.
11. En soumettant la présente déclaration, l’Espagne se prévaut du droit d’intervention qu’elle
tient du paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour. Celle-ci a dit que cet article confère un
«droit» d’intervention5. Elle a aussi souligné qu’une intervention
1 Lettre du greffier de la Cour en date du 30 mars 2022 – voir annexe A.
2 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 111, par. 161-162.
3 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 3 avec d’autres renvois ; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), arrêt du 22 juillet 2022,
par. 107.
4 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande,
ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade, p. 33, par. 53.
5 Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 76 ; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya
arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1981, p. 13, par. 21.
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«se limite à la présentation d’observations au sujet de l’interprétation de la convention
concernée et ne permet pas à l’intervenant, qui n’acquiert pas la qualité de partie au
différend, d’aborder quelque autre aspect que ce soit de l’affaire dont est saisie la Cour ;
et qu’une telle intervention ne peut pas compromettre l’égalité entre les Parties au
différend»6.
12. Respectant la portée limitée des interventions prévue à l’article 63 du Statut, l’Espagne
exposera l’interprétation qu’elle donne des articles pertinents de la convention sur le génocide,
conformément aux règles coutumières d’interprétation telles que reflétées à l’article 31 de la
convention de Vienne sur le droit des traités7. Elle note que l’article 63 du Statut ne fait aucune
distinction entre les dispositions d’une convention qui ont trait à des questions de compétence et
celles qui ont trait au fond. Le juge Schwebel a fait observer que «l’intervention pendant la phase
juridictionnelle de l’instance fa[it] partie du droit que l’article 63 confère aux Etats»8. De fait, dans
les deux cas, les Etats peuvent offrir leur assistance à la Cour pour l’interprétation d’une convention
donnée. En conséquence, les interventions concernant l’un ou l’autre de ces deux aspects sont
permises9, le libellé de l’article 82 du Règlement selon lequel une déclaration doit être déposée «le
plus tôt possible» confirmant qu’une déclaration déposée au titre de l’article 63 est recevable au
présent stade de la procédure.
13. L’Espagne s’attachera d’abord à l’interprétation de l’article IX de la convention relatif à
la compétence de la Cour.
14. L’Espagne n’entend pas devenir partie à l’instance et accepte comme également
obligatoire à son égard l’interprétation de la convention sur le génocide que contiendra l’arrêt rendu
en l’espèce. Elle ne traitera pas dans son intervention de questions relatives à l’application de cette
convention.
15. L’Espagne souhaite en outre assurer la Cour qu’elle a déposé la déclaration d’intervention
«le plus tôt possible avant la date fixée pour l’ouverture de la procédure orale», comme le prescrit
l’article 82 du Règlement de la Cour. Elle demande, en application du paragraphe 1 de l’article 85
du Règlement, à recevoir copie de l’ensemble des pièces de procédure et documents y annexés
déposés par l’Ukraine et la Fédération de Russie. Elle informe en outre la Cour qu’elle est disposée
à l’aider en joignant son intervention à d’autres interventions similaires émanant d’autres Etats
membres de l’Union européenne, en vue des stades ultérieurs de la procédure, si la Cour estime
qu’une telle démarche serait utile dans l’intérêt d’une administration efficace de la justice.
6 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande,
ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 9, par. 18.
7 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
arrêt du 22 juillet 2022, par. 87 : «la Cour aura recours aux règles coutumières de droit international relatives à
l’interprétation des traités, telles que reflétées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités du
23 mai 1969» ; voir également Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 95, par. 75
avec d’autres renvois.
8 Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
déclaration d’intervention, ordonnance du 4 octobre 1984, C.I.J. Recueil 1984, opinion de M. le juge Schwebel,
p. 235-236.
9 MN Shaw (ed.), Rosenne’s Law and Practice of the International Court 1920-2015 (5th ed., Vol. III, Brill Nijhoff
2016), p. 1533 ; H. Thirlway, The Law and Procedure of the International Court of Justice: Fifty Years of Jurisprudence
(Vol. I, OUP 2013), p. 1031 ; A. Miron/C. Chinkin, “Article 63” in: Zimmermann/Tams/Oellers-Frahm/Tomuschat (eds),
The Statute of the International Court of Justice: A Commentary (3rd ed., OUP 2019), p. 1763, note 46.
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BASE SUR LAQUELLE L’ESPAGNE EST PARTIE À LA CONVENTION
16. Le 13 septembre 1968, l’Espagne a adhéré à la convention et a déposé son instrument
d’adhésion conformément au paragraphe 4 de l’article XI de la convention.
DISPOSITIONS DE LA CONVENTION QUI SONT EN CAUSE EN L’ESPÈCE :
COMPÉTENCE
17. L’article IX de la convention sur le génocide se lit comme suit :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»
18. L’Espagne fait valoir que la notion de «différend» est déjà bien établie dans la
jurisprudence de la Cour et confirme l’interprétation qui en est donnée en l’espèce. Elle convient
donc que l’on entend par ce terme «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction,
une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts» entre des parties10. Pour établir l’existence d’un
différend, «[i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition
manifeste de l’autre»11. Les deux parties doivent avoir des «points de vue … , quant à l’exécution ou
à la non-exécution de certaines obligations internationales, [qui] sont nettement opposés»12. En outre,
«dans le cas où le défendeur s’est abstenu de répondre aux réclamations du demandeur, il est possible
d’inférer de ce silence, dans certaines circonstances, qu’il rejette celles-ci et que, par suite, un
différend existe»13.
19. L’Espagne se concentre donc sur l’interprétation du reste de l’énoncé de l’article IX, à
savoir que les différends visés doivent être «relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de
la ... Convention». Elle affirme que l’article IX est une clause juridictionnelle générale qui autorise
la Cour à statuer sur des différends concernant la prétendue exécution par une partie contractante des
obligations qui lui incombent au titre de la convention. Comme l’a relevé le juge Oda, l’insertion du
terme «exécution» dans la disposition est «unique si on ... compare [celle-ci] aux clauses
compromissoires d’autres traités multilatéraux qui prévoient la soumission à la Cour internationale
de Justice des différends entre les parties contractantes ayant trait à leur interprétation ou
application»14.
10 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
11 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
12 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 414,
par. 18 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, citant Interprétation des traités de paix
conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
13 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
14 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration de M. le juge Oda, p. 627, par. 5 (les
italiques sont dans l’original).
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20. Le sens ordinaire du membre de phrase «relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la ... Convention» peut s’analyser en deux temps.
21. Le premier terme («relatifs à») établit un lien entre le différend et la convention.
22. Le second terme («l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention»)
recouvre de nombreux cas de figure. Ainsi que l’a relevé M. Kolb, l’article IX de la convention est «un
modèle de clarté et de simplicité, qui ouvre aussi largement que possible la voie à la saisine de la
Cour»15.
23. Il peut y avoir un différend au sujet de l’interprétation, de l’application ou de l’exécution
de la convention lorsqu’un Etat allègue qu’un autre Etat a commis un génocide16. Dans ce cas de
figure, la Cour examinera les faits sous-tendant cette allégation : si elle n’est pas convaincue que le
défendeur ait réellement commis des actes de génocide, elle pourra se déclarer incompétente, même
prima facie17.
24. Si ce cas de figure, dans lequel la responsabilité à raison d’actes de génocide est alléguée,
est souvent à l’origine des différends concernant «l’interprétation, l’application ou l’exécution» de
la convention, il n’est pas le seul. Ainsi, dans l’affaire (pendante) relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), la
demanderesse a fait valoir que le défendeur non seulement était responsable d’actes prohibés par
l’article III, mais manquait aussi aux obligations que lui impose la convention en ne prévenant pas
le génocide, en violation de l’article premier, et en ne punissant pas ce crime, en violation des
articles premier, IV et V18. Dans ce cas précis, un Etat allègue qu’un autre Etat ne respecte pas son
engagement de «prévenir» et de «punir» le génocide, au motif qu’il laisse impunis les actes de
génocide commis sur son territoire. Il s’ensuit qu’il peut aussi exister des différends concernant une
«inaction» constitutive de manquement aux obligations de fond énoncées aux articles susvisés.
25. Par conséquent, il ressort clairement du sens ordinaire de l’article IX qu’il n’est pas
nécessaire d’établir l’existence d’actes de génocide pour fonder la compétence de la Cour, mais que
celle-ci est compétente pour connaître de la question de savoir si des actes de génocide ont été
commis ou le sont, ou non19. La Cour a donc aussi compétence ratione materiae pour constater
l’absence de génocide et un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la convention qui
donne lieu à un abus de droit. Sa compétence s’étend, en particulier, aux différends concernant
15 R. Kolb, The Compromissory Clause of the Convention, in Paola Gaeta (ed.), The UN Genocide Convention: A
Commentary (OUP 2009), p. 420.
16 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
17 Voir Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 372-373, par. 24-31. Par la suite, la CIJ a conclu à son incompétence en l’affaire au motif que la
Serbie-et-Monténégro n’avait pas qualité pour ester devant la Cour au moment où l’instance a été introduite, en application
de l’article 35 du Statut (voir, par exemple, Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. France), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (II), p. 595, par. 50).
18 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
arrêt du 22 juillet 2022, par. 24, alinéas c), d) et e) du point 1).
19 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, par. 43 ; Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020,
C.I.J. Recueil 2020, p. 14, par. 30.
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l’emploi unilatéral de la force militaire dans le but affiché de prévenir et de punir un prétendu
génocide20.
26. Le contexte du membre de phrase «relatifs à» confirme également cette lecture. En
particulier, l’emploi inhabituel du terme «y compris» dans l’incise de l’article IX de la convention
indique que celui-ci a un champ d’application plus large que celui d’une clause compromissoire
classique21. Les différends relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou à raison de
l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III ne sont donc qu’un des types de différends
visés par l’article IX, «compris» dans la catégorie plus large des différends «relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution» de la convention22. En outre, l’article IX prévoit expressément que la
Cour est compétente pour connaître d’un différend soumis «à la requête d’une partie [à celui-ci]»
(les italiques sont de nous). Cet énoncé fait penser qu’un Etat accusé de commettre un génocide a le
même droit de soumettre le différend à la Cour que l’Etat qui formule l’accusation. En particulier,
l’Etat accusé peut demander à la Cour de prononcer un jugement déclaratoire «négatif» à l’effet de
dire que les allégations par lesquelles l’autre Etat l’accuse d’être responsable de génocide sont
dénuées de fondement en fait et en droit.
27. Le contexte de l’expression «relatifs à» figurant à l’article IX confirme donc que la
compétence de la Cour va au-delà des différends entre Etats concernant la responsabilité à raison
d’actes de génocide allégués et s’étend également aux différends entre Etats concernant l’absence de
génocide et un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la convention qui donne lieu à un
abus de droit.
28. Enfin, l’objet et le but de la convention viennent également à l’appui d’une interprétation
large de l’article IX. La Cour a noté que «[t]ous les Etats parties à la convention sur le génocide ont
[donc], en souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun à veiller à
ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni»23. Dans un passage célèbre de l’avis consultatif
qu’elle a rendu en 1951, elle a dit ceci24 :
«Les fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention
a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut
même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double
caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains
groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les
plus élémentaires. Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts
propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les
fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne
saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages
individuels des Etats, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les
20 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, par. 45.
21 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
22 Voir également exposé écrit de la République de Gambie sur les exceptions préliminaires soulevées par la
République de l’Union du Myanmar, 20 avril 2021, p. 28-29, par. 3.22 («Cette précision [quant aux différends relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide] signifie incontestablement que la responsabilité à l’égard d’actes de
génocide peut être l’objet d’un différend porté devant la Cour par toute partie contractante.»).
23 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
arrêt du 22 juillet 2022, par. 107.
24 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
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droits et les charges. La considération des fins supérieures de la convention est, en vertu
de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme.»
29. L’objet de la convention, qui est de protéger les principes de morale les plus élémentaires,
interdit également qu’un Etat partie puisse détourner ses dispositions à d’autres fins. La crédibilité
de la convention en tant qu’instrument universel visant à interdire le crime le plus abject qu’est le
génocide serait compromise si un Etat partie pouvait l’invoquer abusivement sans que la victime
d’un tel abus puisse se tourner vers la Cour. Le but de la convention plaide donc avec force en faveur
d’une lecture de l’article IX selon laquelle les différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou
à l’exécution de la convention comprennent les différends relatifs au recours abusif à l’autorité de
cet instrument pour justifier un acte d’un Etat partie à l’égard d’un autre Etat partie.
30. En conclusion, le sens ordinaire de l’article IX de la convention, son contexte et l’objet et
le but de l’instrument dans son ensemble montrent qu’un différend relatif à des actes qu’un Etat
commet contre un autre Etat sur le fondement d’allégations fallacieuses de génocide relève de la
notion de «différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, à l’application ou à
l’exécution de la … Convention». Il s’ensuit que la Cour est compétente pour constater l’absence de
génocide et un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la convention qui donne lieu à un
abus de droit. Sa compétence s’étend, en particulier, aux différends concernant l’emploi unilatéral
de la force militaire dans le but affiché de prévenir et de punir un prétendu génocide.
DOCUMENTS À L’APPUI DE LA DÉCLARATION
31. Liste des documents fournis à l’appui de la déclaration et annexés à la présente :
a) Lettre en date du 30 mars 2022 adressée à l’ambassadrice d’Espagne auprès du Royaume des
Pays-Bas par le greffier de la Cour internationale de Justice ;
b) Instrument d’adhésion par le Gouvernement espagnol à la convention sur le génocide ;
c) Retrait par l’Espagne de sa réserve à l’article IX.
CONCLUSION
32. Au vu de ces éléments, l’Espagne entend se prévaloir de son droit d’intervention fondé sur
le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut, en tant que non-partie à l’affaire portée devant la Cour par
l’Ukraine contre la Fédération de Russie.
33. Le Gouvernement espagnol a désigné les soussignés en qualité d’agent et de coagente aux
fins de la présente déclaration (M. Santiago Ripol Carulla et S. Exc. Mme l’ambassadrice
María Consuelo Femenía Guardiola). Toutes les communications peuvent leur être adressées par le
greffier de la Cour à l’ambassade d’Espagne à La Haye, Lange Voorhout 50, 2514 EG La Haye.
Veuillez agréer, etc.
L’agent du Gouvernement de l’Espagne,
(Signé) Santiago RIPOL CARULLA.
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Annexe A : Lettre en date du 30 mars 2022 adressée à l’ambassadeur d’Espagne auprès du
Royaume des Pays-Bas par le greffier de la Cour internationale de Justice ;
Annexe B : Instrument d’adhésion par le Gouvernement espagnol à la convention sur le
génocide ;
Annexe C : Retrait par l’Espagne de sa réserve à l’article IX.
___________
ANNEXE A
LETTRE EN DATE DU 30 MARS 2022 ADRESSÉE À L’AMBASSADEUR D’ESPAGNE AUPRÈS DU
ROYAUME DES PAYS-BAS PAR LE GREFFIER DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE
INTERNATIONAL COURT
OF JUSTICE
156413 Le 30 mars 2022
J'ai l'honneur de me referer A ma lettre (n° 156253) en date du 2 mars 2022, par laquelle j'ai
porte A la connaissance de votre Gouvernement que l'Ukraine a, le 26 fevrier 2022, depose au Greffe
de la Cour internationale de Justice une requete introduisant une instance contre la Federation de
Russie en l'affaire relative A des Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention
et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie). Une copie de la requete etait
jointe a cette lettre. Le texte de ladite requete est egalement disponible sur le site Internet de la Cour
(www.icj-cij.org).
Le paragraphe 1 de l'article 63 du Statut de la Cour dispose que
«[1]orsqu'il s'agit de 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai».
Le paragraphe 1 de l'article 43 du Reglement de la Cour precise en outre que
«[1]orsque 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres Etats que
les parties en litige peut etre en cause au sens de l'article 63, paragraphe 1, du Statut, la
Cour examine quelles instructions donner au Greffier en la matiere».
Sur les instructions de la Cour, qui m'ont ete donnees conformement a cette derniere
disposition, j'ai l'honneur de notifier a votre Gouvernement ce qui suit.
Dans la requete susmentionnee, la convention de 1948 pour la prevention et la repression du
crime de genocide (ci-apres la «convention sur le genocide») est invoquee A la fois comme base de
competence de la Cour et a l'appui des demandes de l'Ukraine au fond. Plus precisement, celle-ci
entend fonder la competence de la Cour sur la clause compromissoire figurant A l'article IX de la
convention, prie la Cour de declarer qu'elle ne commet pas de genocide, tel que defini aux articles II
et III de la convention, et souleve des questions sur la portee de l'obligation de prevenir et de punir
le genocide consacree A Particle premier de la convention. Ii semble, des lors, que "'interpretation de
cette convention pourrait etre en cause en l'affaire.
./.
[Lettres aux Etats parties A la convention sur le genocide
(A l'exception de l'Ukraine et de la Federation de Russie)]
Palais de la Paix, Camegieplein 2
2517 KJ La Haye - Pays -Bas
Telephone: +31 (0) 70 302 23 23 - Facsimile : +31 (0) 70 364 99 28
Site Internet : www.icj-cij.org
Peace Palace, Carnegieplein 2
2517 KJ The Hague - Netherlands
Telephone: +31(0) 70 302 23 23 - Telefax: +31(0) 70 364 99 28
Website: www.icj-cij.org
COUR INTERNATIONALE INTERNATIONAL COURT
DE JUSTICE OF JUSTICE
Veuillez agreer, Excellence, les assurances de ma tres haute consideration.
Le Greffier de la Cour,
Philippe Gautier
- 2 -
ANNEXE B
INSTRUMENT D’ADHÉSION PAR LE GOUVERNEMENT ESPAGNOL
À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
ANNEXE C
RETRAIT PAR L’ESPAGNE DE SA RÉSERVE À L’ARTICLE IX
(IV.1)
Attention : Les Services des traités des Ministères des affaires étrangères et des organisations
internationales concernés. Les notifications dépositaires sont actuellement publiées en formats papier et
électronique. Les missions permanentes auprès des Nations Unies peuvent consulter les notifications
dépositaires à l'adresse électronique suivante : [email protected]. Ces notifications sont également
disponibles sur le site Internet de la Collection des traités des Nations Unies à l'adresse
http://treaties.un.org, où les personnes intéressées peuvent souscrire au nouveau service automatisé
d'abonnement pour recevoir directement des notifications dépositaires par courriel. Les missions
permanentes sont invitées à se procurer les notifications dépositaires mises à leur disposition au bureau NL-
300.
Référence : C.N.635.2009.TREATIES-2 (Notification dépositaire)
CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE
GÉNOCIDE
NEW YORK, 9 DÉCEMBRE 1948
ESPAGNE : RETRAIT DE LA RÉSERVE CONCERNANT LA TOTALITÉ DE L’ARTICLE IX
(COMPÉTENCE DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE)
Le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, agissant en sa qualité de dépositaire,
communique :
L'action susmentionnée a été effectuée le 24 septembre 2009.
Le 24 septembre 2009
Déclaration d'intervention de l'Espagne