COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
14173
AFFAIRE RELATIVE À LA
DÉLIMITATION MARITIME DANS L’OCÉAN INDIEN
SOMALIE c. KENYA
MÉMOIRE DE LA SOMALIE
VOLUME I
[Traduction fournie par la Somalie et ajustée par le Greffe] SOMMAIRE
CHAPITRE 1. INTRODUCTION...........................................................................1
Section I. Motif de la procédure visant le Kenya....................................2
Section II. Structure du présent mémoire...............................................10
CHAPITRE 2. GÉOGRAPHIE, GÉOLOGIE ET GÉOMORPHOLOGIE DE
LA SOMALIE ET DU KENYA..........................................................15
Section I. Situation géographique .........................................................15
A. Géographie de la Somalie..................................................15
B. Géographie du Kenya ........................................................21
Section II. Situation géologique et géomorphologique..........................24
CHAPITRE 3. HISTORIQUE DU DIFFÉREND.................................................27
Section I. Zones maritimes des Parties..................................................27
A. Somalie ..............................................................................27
B. Kenya.................................................................................30
Section II. Revendications des Parties concernant le plateau
continental étendu.................................................................38
A. Somalie ..............................................................................38
B. Kenya.................................................................................40
Section III. Efforts des Parties pour négocier un accord concernant
leur frontière maritime..........................................................42
CHAPITRE 4. EMPLACEMENT DU TERMINUS DE LA FRONTIÈRE
TERRESTRE, ET POINT DE DÉPART DE LA FRONTIÈRE
MARITIME .........................................................................................52
CHAPITRE 5. DÉLIMITATION DES EAUX TERRITORIALES......................62
Section II. Droit régissant la délimitation de la mer territoriale.............63
i A. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.........63
B. Lignes de base....................................................................66
C. Points de base et construction de la ligne
d’équidistance....................................................................68
D. Absence de circonstances spéciales...................................69
Section III. Revendication du Kenya réclamant une frontière basée
sur un parallèle de latitude....................................................72
CHAPITRE 6. DÉLIMITATION DE LA ZEE ET DU PLATEAU
CONTINENTAL EN DEÇÀ DE 200 M.............................................76
Section I. Droit applicable.....................................................................77
A. Régimes de la ZEE et du plateau continental ....................77
B. Pratique judiciaire et arbitrale internationale.....................80
Section II. Identification des côtes pertinentes et de la zone
pertinente...............................................................................82
B. Côtes pertinentes................................................................82
C. Zone pertinente ..................................................................87
Section III. Délimitation de la frontière maritime entre la Somalie et
le Kenya................................................................................90
A. Application de la méthode en trois temps..........................90
CHAPITRE 7. DÉLIMITATION DU PLATEAU CONTINENTAL AU-
DELÀ DE 200 M.................................................................................99
Section I. Compétence de la Cour concernant la délimitation du
plateau continental au-delà de 200 M.................................100
A. Rôles respectifs de la Cour et de la CLPC concernant
le plateau continental au-delà de 200 M..........................100
B. L'exercice par la Cour de sa compétence dans la
présente affaire n’empêche pas là CLPC d’examiner
les soumissions des deux Parties......................................108
ii Section II. Revendications respectives de la Somalie et du Kenya
au-delà de 200 M ................................................................114
Section III. Délimitation du plateau continental au-delà de 200 M.......118
A. Droit applicable................................................................118
B. Application à la présente affaire des principes
juridiques..........................................................................120
Section IV. Absence d’empiètement sur les droits de la Tanzanie
au-delà de 200 M ................................................................129
CHAPITRE 8. RESPONSABILITÉ DU KENYA VIS-À-VIS DES
ACTIVIT'ÉS ILLEGALES MENÉES DANS LA ZONE
LITIGIEUSE......................................................................................132
Section I. Recevabilité de la revendication de la Somalie
concernant la responsabilité du Kenya vis-à-vis des
activités illégales.................................................................132
Section II. La violation par le Kenya de la souveraineté et des
droits souverains de la Somalie engage sa responsabilité
internationale.......................................................................135
A. Principe d’exclusivité des droits dans les zones
maritimes..........................................................................135
B. Les activités unilatérales du Kenya dans la zone
litigieuse sont illicites ......................................................141
Section III. Conséquences de la responsabilité du Kenya .....................147
CONCLUSIONS..................................................................................................152
iii CHAPITRE 1. INTRODUCTION
1.1. La République fédérale de Somalie a introduit cette instance contre la
République du Kenya le 28 août 2014 par Requête soumise à la Cour
conformément à l’article 36, paragraphes 1 et 2, et à l’article 40 du Statut de la
Cour. Comme il est indiqué dans la Requête, la présente affaire porte sur
l’interprétation et l’application de la Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer de 1982 (ci-après, la « CNUDM » ou la « Convention ») et du droit
international coutumier en vue de l’établissement de :
« la frontière maritime unique séparant la Somalie
et le Kenya dans l’océan Indien et délimitant la mer
territoriale, la zone économique exclusive (ZEE) et
le plateau continental, y compris la partie de celui-
ci qui s’étend au-delà de la limite des 200 milles
1
marins … » .
1.2. Par ordonnance en date du 16 octobre 2014, la Cour a fixé au 13 juillet
2015 la date limite de dépôt du mémoire de la Somalie, et au 17 mai 2016 la date
limite de dépôt du contre-mémoire du Kenya. Le présent mémoire est soumis
conformément à cette ordonnance.
1.3. La Somalie a engagé cette procédure conformément à son adhésion sans
failles au principe de la primauté du droit international et dans le but d’identifier
ses frontières maritimes contestées avec le Kenya de manière pacifique, équitable
et juridiquement concluante.
1.4. Avant d’engager cette procédure, la Somalie a cherché à résoudre ce
différend avec le Kenya par voie de négociations de bonne foi. La Somalie a
1 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), Requête introductive
d’instance (28 août 2014), parag. 2.
1engagé le dialogue dans un esprit de respect, et en souhaitant promouvoir des
relations amicales avec un pays voisin important et avec lequel elle a en commun
de nombreux liens historiques et culturels et de nombreux intérêts. La Somalie
regrette que ces négociations n’aient pas permis d’aboutir à une solution
mutuellement acceptable.
1.5. La Somalie a déposé sa Requête auprès de la Cour dans ce même esprit de
respect et de coopération amicale, et conformément à la finalité de la Convention,
qui vise à « promouvoir l’usage pacifique des mers et des océans » . La Requête a
été soumise afin que la Cour délimite la frontière qui divisera les espaces
maritimes des deux États conformément aux exigences du droit international ; à
partir du terminus de la frontière terrestre des deux pays, à travers les eaux
territoriales et jusqu’à la zone économique exclusive (la « ZEE »), y compris le
plateau continental jusqu’à 200 milles marins (« M »), et jusqu’au plateau
continental au-delà de 200 milles marins.
Section I. Motif de la procédure visant le Kenya
1.6. La Somalie s’est vue contrainte d’engager cette procédure après que le
Kenya ait unilatéralement revendiqué une frontière maritime s’étendant franc est
dans l’océan Indien le long d’un parallèle de latitude débutant là où s’achèvent les
frontières terrestres de chacune des Parties. La frontière revendiquée par le Kenya
représente une tentative significative d’élargir la juridiction maritime du Kenya,
ainsi qu’un grave empiètement sur l’espace maritime somalien.
1.7. La Somalie estime que la revendication du Kenya est incompatible avec le
droit international pour les raisons évoquées dans les chapitres qui suivent. Une
2 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la « CNUDM »),
Préambule.
2frontière le long d’une ligne parallèle n’a aucune validité selon la Convention, et
ne peut en aucun cas être justifiée en faisant référence à de quelconques
considérations historiques, géographiques ou pratiques par l’une ou l’autre des
Parties puisque de telles considérations vont dans le sens d’une frontière basée
sur l’équidistance. La revendication du Kenya semble, d’ailleurs, notablement
contraire à la position officielle de ce pays à ce sujet, telle qu’énoncée dans sa
propre législation nationale.
1.8. La revendication sans précédent et injustifiable du Kenya viole l'intégrité
territoriale de la Somalie ainsi que ses droits et sa juridiction souverains. En
outre, le Kenya entend accorder des concessions pétrolières commerciales dans
les zones situées entre sa frontière du parallèle revendiquée et la ligne d’
équidistance réclamée par la Somalie. Ce faisant, le Kenya cherche à déposséder
la Somalie non seulement d’espaces maritimes significatifs, mais également de
ressources biologiques et non biologiques importantes.
1.9. En tant que pays adjacents situés sur la côte est de l'Afrique, la Somalie et
le Kenya ont une histoire commune faite de conquêtes impériales et de décennies
de régimes coloniaux, par l’Italie et par le Royaume-Uni pour ce qui concerne la
Somalie, et par le Royaume-Uni uniquement pour ce qui concerne le Kenya. Ces
deux États ont obtenu leur indépendance à seulement quelques années
d’intervalle : la Somalie en 1960, et le Kenya en 1963. Cependant, au cours du
demi-siècle qui s’est écoulé depuis la fin de l’ère coloniale, ces deux pays ont
évolué dans des directions divergentes.
1.10. Depuis son indépendance, le Kenya est une démocratie relativement stable
bénéficiant d’un développement économique continu. Aujourd’hui, il constitue la
première économie d’Afrique de l’Est, disposant de ressources naturelles
3substantielles et d’un PIB par habitant près de dix fois supérieur à celui de la
Somalie .3
1.11. La Somalie, par contre, a connu des décennies de guerre civile, de
désastres humanitaires et de campagnes terroristes qui ont épuisé ses ressources
naturelles limitées et, par moments, ont menacé sa capacité à fonctionner comme
un État stable. Depuis l’indépendance, le pays a été dominé tour à tour par
l’instabilité, la pauvreté et une guerre civile ayant entraîné l’effondrement du
gouvernement central pendant deux décennies. Depuis 1991, un certain nombre
d’acteurs étrangers ont cherché à bénéficier de cette absence de gouvernement
central pour exploiter le territoire et les ressources de la Somalie à leurs propres
fins. Le terrorisme s’y est largement répandu, et la stagnation économique du
pays a infligé des souffrances humanitaires considérables.
1.12. Depuis 2012, le gouvernement fédéral de la Somalie, avec le soutien de
partenaires internationaux, dirige le pays sur la base d’une nouvelle constitution
nationale, ce régime ayant placé l’État de droit, la démocratie parlementaire et les
droits de l’homme au cœur de l’ordre constitutionnel. Le pays dispose d’un
gouvernement fédéral fonctionnel dirigé par Son Excellence Hassan Sheikh
Mohamoud. Des institutions gouvernementales et régionales capables de fournir
des services adéquats à la population sont graduellement rétablies, et la vie a
repris ses droits dans les principales villes, y compris à Mogadiscio, Hargeisa,
Boosaaso, Kismaayo, Baldwayne, Baidoa et dans bien d'autres villes du pays. Les
3Selon la Base de données des Nations Unies sur les principaux agrégats des comptes
nationaux (United Nations National Accounts Main Aggregates Database), le PIB par habitant du
Kenya s’élevait à 1 227 dollars américains en 2013 (l’année la plus récente pour laquelle des
statistiques existent), alors que celui de la Somalie n’atteignait que 133 dollars americains. Voir
Nations Unies, Division des statistiques, Base de données sur les principaux agrégats des comptes
nationaux, « PIB par habitant en dollars américains » (décembre 2014), disponible sur
http://unstats.un.org/unsd/snaama/dnllist.asp (dernière consultation : 26 juin 2015). Mémoire de la
République de Somalie (« MS »), Vol. IV, Annexe 73.
4entreprises locales sont prospères, le système éducatif du pays produit une
nouvelle génération de Somaliens instruits, et un nombre significatif de membres
de la diaspora revient aujourd’hui vivre au pays.
1.13. Pour la première fois depuis l’indépendance, la Somalie est en mesure
d’utiliser de manière efficace les instruments régissant les litiges internationaux
afin de faire valoir ses droits au regard du droit international, y compris les droits
dont elle jouit sur ses ressources territoriales et maritimes, ce pour le bienfait de
l’ensemble de ses citoyens. La présente affaire représente un moment important
de la phase de transformation de la Somalie à cet égard.
1.14. La Somalie étant l'un des pays les plus pauvres au monde, ses ressources
maritimes constituent pour elle des actifs naturels particulièrement précieux.
Étant donné que ces ressources prendront graduellement de l'importance au sein
du développement de la Somalie dans les années à venir, toute décision en faveur
de la demande unilatérale du Kenya réclamant une frontière maritime suivant un
parallèle de latitude priverait la Somalie d’une partie de ses plus importantes
ressources marines et minérales, qui constituent des facteurs clé de son
développement économique, de sa stabilité et de sa sécurité.
1.15. Dans ce contexte, la Somalie poursuit deux objectifs principaux à travers
cette procédure. Premièrement, elle cherche à obtenir la délimitation définitive de
la frontière de sa mer territoriale, de sa zone économique exclusive et de sa
portion de plateau continental, y compris au-delà de la limite des 200 milles
marins. Deuxièmement, elle demande un jugement reconnaissant que le Kenya a
violé l’intégrité territoriale ainsi que les droits et la juridiction souverains de la
Somalie en octroyant des concessions pétrolières commerciales dans les eaux
territoriales, la ZEE et la partie du plateau continental somaliennes.
51.16. La compétence de la Cour à l’égard de ces questions est clairement établie
sur la base des déclarations faites par les Parties au titre de la clause facultative
figurant à l’article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour. La Déclaration de la
Somalie, effectuée le 11 avril 1963, ne contient aucun élément susceptible de
donner lieu à une quelconque limitation de la compétence de la Cour concernant
4
l’affaire présentée dans la Requête . La Déclaration du Kenya, effectuée le 19
avril 1965, contient quatre exceptions, mais aucune d’entre elles n’a pour objet de
rejeter la compétence de la Cour dans la présente affaire . La base consensuelle
4La Déclaration de la Somalie énonce ce qui suit :
« J'ai l'honneur de déclarer au nom du Gouvernement de la République de
Somalie que, conformément au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour
internationale de Justice, la République de Somalie accepte comme obligatoire
de plein droit et sans convention spéciale, sous condition de réciprocité et
jusqu'à notification de dénonciation, la juridiction de la Cour internationale de
Justice sur tous les différends d'ordre juridique à venir, en dehors des cas où
toute autre partie au différend n'aura accepté la juridiction obligatoire de la Cour
internationale de Justice qu'en ce qui concerne ce différend ou à ses fins et des
cas où la déclaration d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour au
nom de toute autre partie au différend aura été déposée ou ratifiée moins de
douze mois avant le dépôt de la requête portant le différend devant la Cour. La
République de Somalie se réserve le droit de compléter, modifier ou retirer à
tout moment tout ou partie des réserves ci-dessus, ou de celles qui pourront être
formulées ultérieurement, en adressant au Secrétaire général de l'Organisation
des Nations Unies une notification qui prendra effet à la date où elle aura été
donnée.. »
(Les Déclarations reconnaissant la compétence exécutoire de la Cour sont disponibles sur :
http://www.icj-cij.org/jurisdiction/?p1=5&p2=1&p3=3&code=SO.)
5La Déclaration du Kenya énonce ce qui suit :
« il accepte sous condition de réciprocité - et ce jusqu'à ce qu'il soit donné
notification de l'abrogation de cette acceptation - comme obligatoire de plein
droit et sans convention spéciale, la juridiction de la Cour sur tous les différends
nés après le 12 décembre 1963 concernant des situations ou des faits postérieurs
à cette date, autres que :
1. Les différends au sujet desquels les parties en cause auraient
convenu ou conviendraient d'avoir recours à un autre mode ou à
d'autres modes de règlement ;
2. Les différends avec le gouvernement d'un État qui, à la date de la
présente déclaration, est membre du Commonwealth britannique de
nations ou qui le deviendrait par la suite ;
6concernant la compétence de la Cour est pleinement établie par l’existence de
déclarations convergentes à l’article 36, paragraphe 2, qui « fournissent une base
concernant la compétence de la Cour » . Par conséquent, la Cour est pleinement
compétente pour juger le différend soumis par la Somalie, et il n’existe pas la
moindre raison pour laquelle la Cour pourrait décliner d’exercer cette
compétence.
1.17. Concernant le bien-fondé de l'affaire, un certain nombre de points
fondamentaux doivent être présentés. Premièrement, la géographie des côtes
somaliennes et kényanes est fort peu remarquable, compte tenu de leur aspect
anodin et régulier. Tel qu’illustré dans la figure 1.1 (après la page 8), le littoral de
chacune des Parties, contigu à la zone à délimiter, est droit et ne présente aucune
particularité . Il n’existe aucun renfoncement, protubérance ou autre formation
susceptible d’affecter le processus de délimitation. Contrairement à d’autres
affaires portant également sur des frontières maritimes litigieuses, dans la
3. Les différends relatifs à des questions qui, d'après les règles
générales du droit international, relèvent exclusivement de la
compétence du Kenya ;
4. Les différends concernant toute question relative à une occupation
de guerre ou à une occupation militaire ou à l'accomplissement de
fonctions en application d'une recommandation ou décision d'un
organe des Nations Unies conformément à laquelle le Gouvernement
de la République du Kenya a accepté des obligations, ou toute question
résultant d'une telle occupation ou de l'accomplissement de telles
fonctions.
Le Gouvernement de la République du Kenya se réserve le droit de compléter,
modifier ou retirer à tout moment les réserves ci-dessus, moyennant notification
adressée au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. Une telle
notification prendra effet à la date de sa réception par le Secrétaire général. »
6
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.
États-Unis d’Amérique), Compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, , parag. 110. Voir
également, par ex., ibid., parags. 59-60 ; Affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c.
Iran), compétence, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 103; Affaire relative à certains prêts norvégiens
(France c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p.19; Compétence en matière de pêcheries,
(Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, parag. 44.
7présente affaire il n’est pas demandé à la Cour d'examiner les effets de toutes les
particularités côtières complexes ou anormales, ni de modifier les principes
établis de délimitation maritime afin de prendre en compte toutes formations
terrestres instables. L’exercice de délimitation est donc très simple.
1.18. Deuxièmement, les Parties n'ont jamais signé le moindre accord, qu'il soit
écrit ou d’autre nature, concernant la délimitation de leurs frontières maritimes.
Toutes deux sont liées par la Convention et ont mis l’accent sur le fait qu’elle
sont déterminées à honorer toutes ses dispositions, y compris celles portant sur la
délimitation de leurs frontières maritimes respectives.
1.19. Troisièmement, la régularité du contour géographique du littoral, ainsi que
l'absence de tout accord bilatéral dérogeant aux principes applicables en vertu de
la Convention, font qu’il s’agit là d’un cas par excellence en matière
d’application de la règle de l’équidistance / circonstances spéciales (dans les eaux
territoriales), et de la règle, étroitement associée, de l’équidistance / circonstances
pertinentes (dans la ZEE et sur le plateau continental), conformément aux articles
15, 74 et 83 de la Convention.
7
1.20. L’équidistance est la « règle générale » et la « méthodologie habituelle »
8
applicable aux différends portant sur la délimitation maritime . Par conséquent, la
jurisprudence de la Cour établit que l’exercice de délimitation doit commencer
par le tracé d’une ligne équidistante provisoire, sauf s’il existe de « raisons
9
impérieuses » qui « ne le permettent pas » . Dans la présente affaire, il n'existe
7 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, parag. 281.
8
Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, 2014, parag. 184.
9 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009,
parag. 116.
8aucune raison, impérieuse ou autre, pour laquelle il serait difficile de tracer une
ligne équidistante provisoire ou pour laquelle ceci serait autrement infaisable. Au
contraire, la configuration du littoral de chacun des deux pays est telle qu’il est
particulièrement simple d’identifier des repères adéquats et de tracer une ligne
équidistante.
1.21. Il n'existe par ailleurs, et là un point important, aucune circonstance
spéciale ou pertinente justifiant d'ajuster la ligne équidistante afin d’aboutir à un
résultat « équitable ». Dans le contexte de la côte Somalie–Kenya, qui est droite
et n’a rien d’extraordinaire , l’équidistance constitue l’unique résultat équitable
possible. En effet, tout écart par rapport à l’équidistance ne tiendrait pas compte
du principe fondateur des délimitations maritimes, selon lequel « la terre domine
10
la mer » , étant donné que ceci produirait une coupure artificielle résultant d'une
frontière maritime irrégulière incompatible avec la configuration régulière de la
côte dont les droits maritimes découlent.
1.22. Contrairement à la ligne d’équidistance, la frontière parallèle que le
Kenya réclame ne repose sur aucune base juridique cohérente. Le Kenya a
antérieurement cherché à justifier la ligne parallèle en faisant vaguement
référence à des « principes d'équité », et en prétendant qu’une frontière
équidistante serait inéquitable compte tenu de la frontière maritime négociée par
le Kenya avec son voisin du sud, la Tanzanie, en 1976 et en 2009. Cette
argumentation est totalement infondée.
1.23. Le Kenya a librement négocié une frontière parallèle avec la Tanzanie et a
volontairement accepté d’être lié par une telle frontière maritime. Il ne peut
aujourd’hui invoquer ce qu’il perçoit comme les conséquences négatives de cet
10Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne / Pays-Bas),
arrêt, C.I.J. Recueil 1969, parag. 96.
9accord dans le but de chercher à diminuer les droits et la juridiction souverains de
la Somalie. Le Kenya doit assumer seul la responsabilité des conséquences de
l’accord qu’il a conclu avec la Tanzanie. En ce qui concerne la Somalie, les
accords entre le Kenya et la Tanzanie sont res inter alios acta (actes entre tierces
parties), et ne peuvent en aucun cas être invoqués contre la Somalie pour
« indemniser » le Kenya des conséquences d’un accord que ce dernier a conclu
concernant une région située à des centaines de kilomètres au sud.
1.24. Quoi qu’il en soit, il est clair qu’une ligne d’équidistance non ajustée entre
la Somalie et le Kenya ne permet pas de produire un résultat disproportionné
compte tenu de la côte concernée de chacune des Parties. Contrairement à la
revendication injustifiable du Kenya, il n’y a rien d’inéquitable au fait d’appliquer
la méthode de délimitation standard à la côte ordinaire de la Somalie et du Kenya.
Section II. Structure du présent mémoire
1.25. Le présent mémoire de la Somalie est divisé en quatre volumes. Le
volume I contient le texte principal du mémoire, ainsi qu'un échantillon de cartes
et de diagrammes. Le volume II contient une série complète de figures et de
cartes. Les volumes III et IV contiennent d’autres documents à l’appui du
mémoire.
1.26. Le volume I, texte principal du mémoire, est divisé en huit chapitres qui
sont suivis des soumissions de la Somalie. Suite à la présente introduction, le
chapitre 2 porte sur le contexte géographique, géologique et géomorphologique
de ce différend.
1.27. Le chapitre 3 revient sur l’historique du différend. Commençant par les
dispositions applicables des lois maritimes de chacune des Parties, il révèle ainsi
10la démarche contradictoire et imprévisible du Kenya concernant sa frontière
maritime avec la Somalie. Tel que pourra être observé à la simple lecture du
texte, les deux Parties ont promulgué des législations visant à aligner leur droit
national sur la Convention, ces législations étant compatibles avec une frontière
maritime équidistante. En particulier, la loi de 1972 sur les eaux territoriales et la
loi de 1989 sur les zones maritimes du Kenya prévoient expressément une
délimitation équidistante des eaux territoriales, tout en indiquant également que la
frontière de la ZEE « sera établie… conformément à un accord entre le Kenya et
11
la Somalie fondé sur le droit international » .
1.28. En dépit de ces dispositions, en 1979 puis de nouveau en 2005, le
Président du Kenya a proclamé de manière unilatérale que son pays revendiquait
une frontière parallèle concernant à la fois les eaux territoriales et la ZEE.
Conformément à de telles Proclamations présidentielles, le Kenya a proposé un
certain nombre de blocs pétroliers à des fins d’exploration et de forage en eaux
profondes dans des zones situées à cheval sur la ligne d’équidistance qui se
prolonge jusqu’à la frontière du parallèle revendiquée.
1.29. Ce chapitre porte ensuite sur les soumissions respectives des Parties
auprès de la Commission des limites du plateau continental (la « CLPC »)
concernant l’étendue – mais non la délimitation – du plateau continental au-delà
de 200 M. Il conclut avec une synthèse des initiatives non concluantes des Parties
visant à négocier un accord sur la frontière maritime, ainsi que la séquence
d’événements ayant finalement abouti à l’introduction de cette instance par la
Somalie.
11République du Kenya, Chapitre 371, loi sur les zones maritimes (du 25 août 1989), §
4, sous-paragraphe 4. MS, Vol. III, Annexe 20.
111.30. Le chapitre 4 précise où se situe le terminus de la frontière terrestre de
chacune des Parties, ce qui constitue à la fois le point de départ de leurs espaces
maritimes respectifs. Le terminus du territoire de chacune des Parties a été fixé
avec grande précision dans le cadre d'un traité, et d'un accord ultérieur, entre les
deux puissances coloniales de l’époque, en 1924 et 1927 respectivement. Le point
de départ de l’espace maritime reconnu est la laisse de basse mer, située à environ
41 m au sud-est de la dernière des balises de la frontière permanente (Balise
principale n° 29), dans un emplacement nommé « Dar-es-Salaam ».
1.31. Le chapitre 5 porte sur la délimitation des eaux territoriales. Il montre
que, depuis au moins 1972, la législation nationale du Kenya reconnaît
expressément que la frontière maritime avec la Somalie dans les eaux territoriales
doit suivre une ligne d’équidistance. La frontière du parallèle à present
revendiquée par le Kenya est en contradiction directe avec sa propre législation.
Dans de telles circonstances, rien ne permet de remplacer la présomption prévue
par l’article 15 de la Convention en faveur d’une ligne d’équidistance pour les
eaux territoriales.
1.32. Le chapitre 6 porte sur la délimitation de la ZEE et du plateau continental
au-delà de 200 M. Il présente la base juridique et factuelle de l’argumentation de
la Somalie, selon laquelle la frontière se prolonge le long d’une ligne strictement
équidistante orientée environ au N124.5°E, depuis la limite extérieure des eaux
territoriales jusqu’à la bordure extérieure de la ZEE.
1.33. Ce chapitre commence par une bref rappel du droit applicable, avant
d'expliquer pourquoi le cadre analytique standard en trois temps, appelé la
méthode « d’équidistance / circonstances pertinentes », représente la manière
appropriée d’analyser cette situation. Il montre comment l’application de cette
méthode permet de conclure que la ligne d’équidistance constitue une solution
12équitable pleinement justifiée compte tenu du fait que la côte de chacune des
Parties est particulièrement régulière et ordinaire. En effet, si l’équidistance n’est
pas appropriée dans ce cas précis, il est difficile d’imaginer tout autre cas dans
lequel elle le serait. À cet égard, le chapitre 6 illustre également la côte pertinente
de chacune des Parties, ainsi que la zone pertinente, et explique comment des
repères appropriés ont été sélectionnés conformément aux principes établis pour
tracer une ligne d’équidistance.
1.34. Le chapitre 7 porte sur la délimitation du plateau continental au-delà de
200 M. Il commence par démontrer la compétence de la Cour concernant la
délimitation du plateau continental « étendu ». À cet égard, il fait une distinction
entre la responsabilité de la Cour de délimiter la frontière maritime entre la
Somalie et le Kenya, et le rôle entièrement distinct de la CLPC, qui est
responsable de tracer avec précision les limites extérieures de la marge
continentale. En outre, le Kenya et la Somalie ont effectué des soumissions
complètes à la CLPC concernant la largeur de leurs plateaux continentaux
respectifs au-delà de 200 M. Par conséquent, rien sur le plan juridique ou pratique
n’empêche la Cour d’effectuer le tracé de la frontière maritime entre les Parties,
la CLPC étant quant à elle simultanément responsable de tracer intégralement les
limites de leurs plateaux continentaux au-delà de 200 M.
1.35. Les principes juridiques applicables à la délimitation du plateau
continental au-delà de 200 M sont identiques à ceux applicables à sa délimitation
en deçà de 200 M. Par conséquent, ce chapitre explique ensuite pourquoi, tel que
dans le cas de la délimitation de la ZEE et du plateau continental en deçà de 200
M, il n’existe aucune circonstance pertinente dans laquelle une modification de la
ligne d’équidistance provisoire au-delà de 200 M serait requise. Toute réduction
d’ensemble des droits maritimes du Kenya au-delà de 200 M pourrait uniquement
découler de l’accord bilatéral conclu entre le Kenya et la Tanzanie, en vertu
13duquel le Kenya s’est volontairement retiré d’un très large espace maritime situé
au sud de la frontière du parallèle négociée. Juridiquement parlant, la Somalie ne
peut être requise de compenser le Kenya pour les conséquences des actions
passées de ce pays.
1.36. Enfin, le chapitre 8 porte sur la responsabilité internationale du Kenya
concernant toutes activités illégales dans la zone maritime contestée. Ce chapitre
commence par expliquer comment l’exploitation économique unilatérale par le
Kenya de la zone maritime contestée constitue une violation des droits et de la
juridiction souverains de la Somalie. Il présente ensuite les mesures de
redressement auxquelles la Somalie a droit concernant ces violations en cours. Le
Kenya est requis de cesser toutes actions abusives, et de fournir à la Somalie
toutes données acquises dans le cadre de l’exploration des zones appartenant à la
Somalie. En outre, le Kenya est incapable de rectifier le tort causé à la Somalie
par voie de restitution, il est cependant requis de compenser la Somalie pour les
dommages causés à la fois par l'appropriation de, et ingérence dans sa
souveraineté, ainsi que dans ses droits et de sa juridiction souverains concernant
ses eaux territoriales, sa ZEE et le plateau continental.
1.37. Le mémoire conclut avec les soumissions de la Somalie.
14CHAPITRE 2. GÉOGRAPHIE, GÉOLOGIE ET GÉOMORPHOLOGIE
DE LA SOMALIE ET DU KENYA
2.1. Ce chapitre décrit les conditions géographiques, géologiques et
géomorphologiques de la délimitation de la frontière maritime entre la Somalie et
le Kenya. La section I décrit la situation géographique spécifiquement applicable
à la délimitation de la frontière maritime en deçà de 200 M, et la section II décrit
les conditions géologiques et géomorphologiques spécifiquement applicables à la
délimitation de la frontière maritime sur le plateau continental au-delà de 200 M.
Section I. Situation géographique
A. G ÉOGRAPHIE DE LA SOMALIE
2.2. La Somalie est située sur la côte est de l'Afrique entre les latitudes 12°00’
N et 1°40’ S, et entre les longitudes 41°00’ et 51°25’ E. Il s'agit du pays situé sur
le plus à l’est du continent africain et le plus important de la Corne d’Afrique, sa
forme pointue étant d’ailleurs à l’origine du nom « Corne ». L’emplacement
géographique de la Somalie est illustré dans la figure 2.1 (après la page 16).
2.3. La superficie de la Somalie est d’environ 640 000 km², et sa population
est estimée à 10,4 millions d’habitants. Elle partage des frontières terrestres avec
le Djibouti dans l’extrême nord-ouest, avec l’Éthiopie à l’ouest et avec le Kenya
au sud-ouest. La seule portion de ses frontières concernée par cette procédure est
le dernier segment de sa frontière terrestre avec le Kenya, qui débute au sud-est,
environ au méridien 41°33’ E, et se termine au terminus de sa frontière terrestre
15(le « TFT ») sur l’océan Indien. Cette portion de la frontière est décrite en détail
au Chapitre 4 en rapport à l’emplacement précis du TFT . 12
2.4. La première ville de Somalie est sa capitale, Mogadiscio, dont la
population est d'environ 1,35 million d'habitants. Elle est située à environ 641 km
au nord-est du TFT avec le Kenya, sur la côte de l’océan Indien. Son
emplacement géographique explique que ce pays soit un point névralgique en
matière de commerce international depuis le XIIème siècle . Bien que le port de
Mogadiscio ne soit plus en activité depuis plusieurs années, il demeure essentiel
au commerce international de la Somalie.
2.5. L’autre grande ville de Somalie sur la côte sud-est est Kismaayo, située à
environ 437 km au sud-ouest de Mogadiscio et à 204 km au nord-est du TFT.
Comme Mogadiscio, cette ville possède un important port en eau profonde, qui
constitue aujourd’hui le principal point d’expédition des exportations de la
Somalie.
2.6. La Somalie est à cheval sur l’Équateur près de son extrémité australe. Son
climat est principalement aride à semi-aride, et semi-désertique dans le nord et les
régions côtières . Dans la majorité du pays, les précipitations sont inférieures à
500 mm de pluie par an , la moyenne nationale annuelle étant de 250 mm . Sa 16
12Voir ci-après paragraphes 4.15 à 4.24.
13
Programme des Nations Unies pour l’environnement, The State of the Environment in
Somalia: A Desk Study (décembre 2005), p. 24. MS, Vol. IV, Annexe 88.
14
Ibid., pp. 38 et 40.
15 A. C. Beier et E. Stephansson, Environmental and Climate Change Policy Brief:
Somalia (28 octobre 2012), p. 4. MS, Vol. IV, Annexe 92.
16 F. Carbone et coll., “The Modern Coral Colonization of the Bajuni Barrier Island
(Southern Somalia): A Facies Model for Carbonate-Quartzose Sedimentation”, Geologica
Romana, Vol. 35 (1999), p. 114. MS, Vol. IV, Annexe 86.
16végétation est essentiellement sèche et constituée de buissons et de fourrés secs et
17 18
à feuilles caduques . Seul 1,73 % de sa terre est arable .
2.7. La Somalie possède la côte la plus longue d’Afrique de l’Est continentale.
Depuis la frontière avec Djibouti au nord-ouest, la côte somalienne évolue
globalement d’ouest en est le long du golfe d’Aden sur environ 1 000 km jusqu’à
la Corne de l’Afrique, où elle s’oriente brusquement vers le sud-ouest et suit
l’océan Indien sur environ 2 000 km supplémentaires jusqu’au TFT avec le
Kenya.
2.8. La côte de la Somalie sur l'océan Indien est divisée en deux segments. Le
premier débute sur la côte, à l'extrémité de la Corne, et se termine à un point situé
à environ 92 km au nord-est de Mogadiscio (juste au sud de Cadale) , 19
globalement orienté est-sud-est. Le second va de ce point jusqu’au TFT avec le
Kenya. Cette portion de la côte somalienne est d'environ 733 km de long et est
essentiellement orientée plein sud-est.
2.9. La côte de la Somalie orientée sud-est est globalement droite et sans
particularités, y compris la portion allant de Mogadiscio au TFT avec le Kenya.
Elle est constituée de plages de sable occasionnellement ponctuées par des
17Programme des Nations Unies pour l’environment, The State of the Environment in
Somalia: A Desk Study, p. 40. MS, Vol. IV, Annexe 88.
18 CIA, The World Factbook: Somalia, disponible sur
https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/so.html (dernière consultation :
3 avril 2015), p. 2. MS, Vol. IV, Annexe 96.
19 Ce point est situé aux coordonnées géographiques suivantes : 2°26’28.9” N -
46°01’26.1” E
17affleurements rocheux et des falaises. Cette partie du littoral est appelée Dhulka
Deexda en somali, c’est-à-dire la terre « sans arbustes ni arbres » . 20
2.10. Près du TFT, jusqu’ au sud-ouest de Ras Kaambooni (anciennement « Ras
Kiambone » ou « Dick’s Head »), se trouvent plusieurs îlots situés du côté
somalien de la frontière entre le Kenya et la Somalie . Ces îlots sont 21
collectivement appelés les « îles Diua Damasciaca » (ou Lama Shaaqa en somali),
et sont illustrés dans la figure 2.2 (après la page 18). Leur sol est rocailleux, et ils
sont essentiellement désertiques, simplement couverts de sable et parsemés ici et
là de quelques massifs d’arbustes. Des quatre îlots les plus importants, trois
forment un axe rectiligne directement au sud-ouest de Ras Kaambooni et parallèle
au littoral continental. Le quatrième et le plus important îlot est situé juste à l’est
de l’îlot le plus austral de la chaîne. Tous se situent à moins d’un mille marin de
la côte somalienne.
2.11. L’industrie de la pêche en mer est depuis très longtemps un élément
22
essentiel de l’économie et de la culture de la Somalie . Les populations côtières,
20Programme des Nations Unies pour l’environnement, The State of the Environment in
Somalia: A Desk Study, p. 14. MS, Vol. IV, Annexe 88.
21Traité entre l'Italie et le Royaume-Uni régissant certaines questions concernant les
frontières de leurs territoires respectifs en Afrique de l’Est, signé à Londres (15 juillet 1924),
Échange de notes définissant une portion des dites frontières, Rome, (16 et 26 juin 1925), 35
L.N.T.S. 380 (1925), art. 1, MS, Vol. III, Annexe 2. (qui décrit la frontière comme une ligne
courant « le long de la frontière provinciale jusqu'à un point situé plein nord par rapport au point
de la côte plein sud de l’îlot le plus sud des quatre îlots situés à proximité immédiate de Ras
Kiambone …. Ras Kiambone (Dick’s Head), et les quatre îlots susmentionnés font partie du
territoire qui est cédé à l’Italie »). L’accord de 1924 spécifiait qu’il y avait quatre îlots, mais lors
de la signature de l'accord de 1927, la Commission des frontières a rectifié cette erreur et indiqué
qu'il s'agissait en réalité de six îlots. Accord entre l’Italie et le Royaume-Uni dans lequel sont
enregistrées les décisions de la Commission mise en place vertu de l’article 12 du Traité entre Sa
Majesté Britannique et Sa Majesté le Roi d’Italie, signé à Londres le 15 juillet 1924, pour régir
certaines questions concernant les frontières de leurs territoires respectifs en Afrique de l’Est (17
décembre 1927), art. 6. MS, Vol. III, Annexe 3.
22
J.R. Vogel, Fishing for Answers to Piracy in Somalia, p. 1. MS, Vol. IV, Annexe 93.
18y compris celles des ethnies Baajuun et Reer Maanyo, sont constituées de
23
pêcheurs et de marins opérant depuis toujours le long de la côte somalienne , ce
24
qui leur offre un moyen de subsistance . Parmi les espèces de poissons et de
fruits de mer couramment pêchés le long de la côte orientée sud-est, on y retrouve
les petites espèces pélagiques, le thon, la raie, le requin et d’autres gros poissons,
ainsi que le homard. Ce dernier constitue d’ailleurs une ressource très importante
pour la Somalie, étant devenu l’un de ses produits les plus exportés . Selon le
Programme des Nations Unies pour l’environnement, l’écosystème marin actuel
de la Somalie dans le bassin somalien représente l’un des écosystèmes marins les
plus importants de l’océan Indien en raison de ses très importantes ressources
poissonnières .26
2.12. En effet, les eaux territoriales de la Somalie sont riches en espèces
pélagiques précieuses et de grande taille fortement demandées à travers le monde,
y compris le thon. La Somalie a toujours cherché à tirer parti de ses ressources
naturelles en développement son secteur de la pêche, particulièrement ses petites
coopératives d’artisans-pêcheurs. De nombreuses flottes de bateaux de pêche
hauturière du monde entier sont attirées par ces ressources et opèrent dans la ZEE
de la Somalie, souvent sans permis . Les recettes de cette activité de pêche
illégale en eau profonde le long des côtes somaliennes ont, rien qu'en 2005 (la
23
Programme des Nations Unies pour l’environnement, The State of the Environment in
Somalia: A Desk Study, p. 45. MS, Vol. IV, Annexe 88.
24Voir Mohamad D. Abdullahi, C ULTURE AND CUSTOMS OF SOMALIA (2001), p. 11. MS,
Vol. IV, Annexe 87. Godfrey Mwakikagile, Kenya: Identity of a Nation (2007), p. 102. MS, Vol.
IV, Annexe 89.
25
Programme des Nations Unies pour l’environnement, The State of the Environment in
Somalia: A Desk Study, p. 46. MS, Vol. IV, Annexe 88.
26
Ibid., p. 45.
27Bien qu'un grand nombre de chalutiers étrangers ou exploités conjointement (en joint-
venture)ait opéré légalement au large des côtes de Somalie entre l’année de son indépendance et
1991, depuis (et particulièrement ces dix dernières années), la pêche illégale est devenue effrénée
dans cette région.
19dernière année pour laquelle des données existent) atteint un montant estimé à
300 millions de dollars américains , soit plus de 5 % du PIB de la Somalie cette
année-là.
2.13. De telles importantes ressources de pêche représentent un potentiel
significatif pour l’économie somalienne. Reconnaissant cette situation, les
Nations Unies ont désigné le secteur de la pêche comme ressource clé de
l’économie somalienne pour les années à venir, ainsi qu’un facteur de stabilité
29
pour le pays dans son ensemble .
2.14. Par ailleurs, la Somalie a, récemment adopté des mesures afin de
commencer à explorer le potentiel du pays en matière d’exploration et de
production pétrolières terrestres et en mer (offshore). Bien que ce travail ait été
suspendu suite au début de la guerre civile en Somalie en 1991, les possibilités
d'une telle exploration prennent désormais de l'ampleur alors que le pays est sur la
voie du rétablissement et que les conditions de sécurité s'améliorent. La Somalie a
récemment engagé des discussions avec un certain nombre de grandes
compagnies pétrolières internationales dans le but de réactiver un certain nombre
de contrats dormants.
28
L. Persson et coll., “Failed State: Reconstruction of Domestic Fisheries Catches in
Somalia 1950-2010”, University of British Columbia Working Papers Series, Document de travail
n° 2014-10 (2014), p. 20. MS, Vol. IV, Annexe 94.
29
Ibid., p. 21. Voir également M.G. Hassan et M.H. Tako, “Current status of marine
fisheries in Somalia”, daSSESSMENT & M ONITORING OFM ARINE SYSTEM (S. Lokman et coll.
auteurs, 1999), pp. 4-6. MS, Vol. IV, Annexe 85 (qui relève une disparité considérable entre le
niveau de pêche potentiel et son niveau réel, et qui mentionne spécifiquement la pêche artisanale
comme celle ayant le plus fort potentiel).
20 B. GÉOGRAPHIE DU K ENYA
2.15. Le Kenya est situé sur la côte est de l'Afrique, au sud-ouest de la Somalie
entre les latitudes 5º 30’ N et 4º 41’ S, et entre les longitudes 33º 59’ E et 41º55’
E. En plus de la Somalie au nord-est, le Kenya partage des frontières avec
l’Éthiopie au nord, le Soudan du Sud au nord-ouest, l’Ouganda à l’ouest et la
Tanzanie au sud.
2.16. Les côtes du Kenya sont beaucoup moins importantes que celles de la
Somalie, puisqu’elles ne font au total qu’environ 550 km entre le TFT avec la
Somalie au nord et la frontière avec la Tanzanie au sud. Comme la côte de la
Somalie au sud de Mogadiscio, cette côte est globalement orientée au sud-est sur
l’océan Indien. La côte du Kenya est, elle aussi, particulièrement ordinaire. À
l’exception d’une petite anse appelée la Baie d’Ungama située environ à mi-
chemin entre la Somalie et la Tanzanie (à environ 180 km au sud-ouest de l’EFT
avec la Somalie), cette côte est notablement droite (voir figure 2.1, après la page
16).
2.17. La population du Kenya s’élève à environ 45 millions d’habitants. Nairobi
est à la fois la capitale et la plus grande ville du pays, avec une population
d’environ 3,38 millions d’habitants. Mombasa, la deuxième ville du Kenya et
dont la population est proche d’un million d’habitants, est située sur l’océan
Indien, à environ 430 km au sud-est du TFT avec la Somalie.
2.18. Comme la Somalie, le Kenya est à cheval sur l’Équateur. Son climat varie
d’une région à l’autre. On trouve des zones humides et tropicales quasiment tout
le long de son littoral, des zones arides et semi-arides près de la Somalie, des
zones tempérées dans les plaines luxuriantes de la savane des hauts plateaux
intérieurs, et des glaciers de haute altitude dans ses montagnes.
212.19. À l'inverse de la Somalie, le Kenya est riche en ressources naturelles. Plus
des trois quarts de son territoire sont « couverts de sols limoneux particulièrement
développés dans les régions semi-arides et désertiques », et de tels sols sont par
conséquent « parfaits pour l’agriculture» . Les hauts plateaux et le plateau
occidental du Kenya font partie des terres agricoles les plus fertiles et les plus
productives du continent africain . Le Kenya possède également une vie sauvage
abondante et particulièrement intéressante sur les plans scientifique, touristique et
32
économique, surtout dans la région des hauts plateaux .
2.20. Le secteur des hydrocarbures est en croissance au Kenya. Diverses
concessions pétrolières terrestres y sont exploitées sous licence depuis 1950, et le
forage en mer y existe depuis les années 70 . La récente découverte de gisements
de pétrole et de gaz en Tanzanie et en Ouganda — deux pays qui, selon les
géologues, ont des caractéristiques géologiques et géomorphologiques similaires
34
à celles du Kenya — a contribué à relancer l’intérêt des investisseurs
35
internationaux pour le secteur pétrolier kényan .
30
E.M. Mathu et T.C. Davies, “Geology and the environment in Kenya”, Journal of
African Earth Sciences, Vol. 23, N° 4 (novembre 1996), p. 516. MS, Vol. IV, Annexe 84.
31
CIA, The World Factbook: Kenya, disponible sur
https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/print/…
countrypdf_ke.pdf (dernière consultation : 3 avril 2015), p. 2. MS, Vol. IV, Annexe 97.
32
Ibid., p. 2.
33
Voir Banque africaine de développement, Centre d'information pour le secteur des
industries extractives (Information Centre for the Extractives Sector, ICES), “Oil & Gas”,
disponible sur http://ices.or.ke/sectors/oil-gas/ (dernière consultation : 22 mai 2015), p. 1. MS,
Vol. IV, Annexe 128.
34 Voir Luke Patey, Kenya: An African oil upstart in transition, Oxford Institute for
Energy Studies Paper Series No. WPM 53 (octobre 2014), p. Iii. MS, Vol. IV, Annexe 95 ; voir
également Lindsay Parson, Expert Review Paper, Geology and Geomorphology of the East Africa
Continental Margin, Indian Ocean (6 juillet 2015) (ci-après le « Rapport Parson »), pp. 11-13.
MS, Vol. IV, Annexe 80.
35
Voir Chris Lo, “Offshore Kenya: keeping up the neighbors”, Offshore Technology
Market & Customer Insight (13 janvier 2014), p. 2. MS, Vol. IV, Annexe 118.
222.21. Le taux de réussite est élevé. Neuf des quinze forages les plus récents ont
36
permis de découvrir des gisements de pétrole et de gaz . En 2012, par exemple,
Tullow Oil et ses partenaires ont découvert du pétrole dans la région de Turkana,
dans le nord-ouest du Kenya, et ont depuis évalué les réserves exploitables de
cette région à 600 millions de barils . En 2014, les réserves des autres régions
ont été estimées à 1 196 millions de barils , ce qui permet d’anticiper une
augmentation de l’exploration à des fins d’exploitation . 39
2.22. Les perspectives prometteuses du secteur des hydrocarbures au Kenya
sont démontrées par l’engagement récent de la Banque mondiale à aider ce pays à
développer son potentiel dans ce domaine. En 2014, la Banque mondiale a
octroyé une subvention de 50 millions de dollars américains à l’initiative Kenya
Petroleum Technical Assistance Project, qui a pour mission de « promouvoir les
activités pétrolières afin de contribuer aux recettes intérieures et extérieures » du
Kenya .40
36 Elayne Wangalwa, “World Bank approves US$50 million for Kenya’s oil and gas
sector”, CNBC Africa (12 février 2015), p. 2. MS, Vol. IV, Annexe 125.
37 ICES, “Oil & Gas”, p. 1. MS, Vol. IV, Annexe 128 ; Eduard Gismatullin, “Tullow
Finds More Kenyan Oil to Boost East Africa Exports”, Bloomberg Business (15 janvier 2014).
MS, Vol. IV, Annexe 119 ; Tullow Oil plc, Tullow in Kenya (2013), p. 10. MS, Vol. IV, Annexe
110.
38
ICES, “Oil & Gas”, p. 1. MS, Vol. IV, Annexe 128 (qui évalue les réserves des puits
de Ngamia, Amosing, Agete et Twinga respectivement à 660 millions, 231 millions, 163 millions
et 142 millions de barils).
39 Tullow Oil plc, Kenya exploration and appraisal update (11 mars 2015). MS, Vol. IV,
Annexe 127.
40 Banque mondiale, Communiqué de presse : Kenya: New World Bank project will
support country efforts to better manage oil and gas developments and revenues to invest in
lasting growth and development (24 juillet 2014). MS, Vol. IV, Annexe 121 ; voir également
Elayne Wangalwa, “World Bank approves US$50 million for Kenya’s oil and gas sector”, CNBC
Africa (12 février 2015), p. 1. MS, Vol. IV, Annexe 125.
23 Section II. Situation géologique et géomorphologique
2.23. Les processus géologiques qui sont à l'origine de la formation de l'océan
Indien contemporain ont produit plusieurs bassins sédimentaires au large de la
côte de l’Afrique de l’Est. L’un d’entre eux est le Bassin de Somalie, qui
constitue le principal facteur géologique dans l’océan Indien occidental au large
des côtes somaliennes et kényanes.
2.24. Le Bassin de Somalie, dont l’emplacement est illustré dans la figure 2.3
(après la page 24), est une zone en forme de haricot couvrant plus de 5 millions
de km 24. Il est bordé par les côtes somalienne, kényane et tanzanienne à l'ouest,
l’île de Socotra au nord, les flancs de la crête Carlsberg à l’est, et les monts sous-
marins Coco-de-Mer, le complexe de la crête-fosse Amirante, les îles Aldabra et
l’Archipel des Comores à l’est et au sud.
2.25. Tel qu’illustré dans la figure 2.3, le Bassin de Somalie est subdivisé en
trois sous-bassins : le bassin ouest, situé juste à l’est de la côte sud de la Somalie
et des côtes kényanes ; le bassin nord, situé à l’est de la côte nord de la Somalie,
juste sous la Corne ; et le bassin est. Parmi ces trois sous-bassins, seul le bassin
ouest est concerné par cette affaire.
2.26. Le bassin ouest de la Somalie est séparé des autres par l’Éperon de la
Somalie au nord, et les zones de fracture Dhow, VLCC et ARS à l’est. Le bassin
occidental est vieux d’au moins 125 millions d’années . Pendant cette longue
période, les écoulements d’eau et les rivières ont transporté des sédiments depuis
le continent africain jusqu’au bassin, entraînant ainsi la formation de très épaisses
41Rapport Parson, p. 9. MS, Vol. IV, Annexe 80.
42
Voir ibid., pp. 5-6, 8.
24couches sédimentaires (à hauteur de 7 kilomètres de sédiments dans le Bassin
central ). Diverses missions de forage ont permis de confirmer qu’un volume
considérable de sable a été transféré depuis le continent jusqu’aux eaux profondes
du bassin .44
2.27. Le transfert de sédiments depuis le territoire somalien, kényan ou
tanzanien jusqu'au bassin ouest se poursuit aujourd’hui . Les deux principaux
fleuves de Somalie, le Jubba et le Shebelé, se jettent dans le bassin, entraînant
avec eux des sédiments terrestres. Après avoir traversé l’étroit et profond plateau
physique situé juste au large de la côte sud de la Somalie , les sédiments
progressent globalement vers le sud-est le long d’un versant continental à
l’inclinaison très graduelle, et ce jusqu’à ses plus profonds contrebas situés à
47
4 500 – 4 800 m . Un tel transfert de sédiments est facilité par la présence de
canyons sous-marins, de canaux sédimentaires en éventail et de séries de petits
ravins qui caractérisent les portions supérieures du versant continental.
2.28. À une plus grande profondeur (au-delà de 4 000 mètres), la chaîne
somalienne émerge comme le plus important facteur de transfert continu de
sédiments le long d’un parcours sinueux se terminant à plus de 200 M au large de
la côte. Le long de cette chaîne, des flots sous-marins intermittents saturés en
43
Ibid., p. 6.
44
Ibid., pp. 9-12.
45 Ibid., pp. 12-13.
46 Au sud de l’Éperon central de Somalie, la largeur du plateau sous-marin du bassin ne
dépasse pas en moyenne 20 M (37 km) et une profondeur de 200 m (à savoir les 200 m
isobathes). Rapport Parson, p. 9. MS, Vol. IV, Annexe 80.
47 Ibid., p. 9.
25 48
sédiments transportent ceux-ci depuis le continent à travers le Bassin ouest et
49
jusqu’à la plaine abyssale .
2.29. Les processus décrits ci-dessus caractérisent les marges continentales à la
fois de la Somalie et du Kenya. En effet, le Bassin de Somalie connecte la côte
somalienne sud et l’ensemble de la côte kényane au sein d’un ensemble
homogène et continu de plus de 2 000 km de long. Les sédiments produits par le
bloc continental pendant plus de 160 millions d'années se sont régulièrement
déposés sur l'ensemble du fond du bassin, y compris au large des côtes kényanes.
La continuité de ces flots de sédiments s’écoulant depuis le bloc continental est-
africain jusqu’au plateau et au versant avant de se déposer au fond du bassin,
signifie que la prolongation naturelle des côtes somalienne et kényane va bien au-
delà des 200 M et atteint en réalité les limites de la marge continentale, telles que
décrites aux chapitres 3 et 7.
48
De tels flots sont également appelés des « courants de turbidité ».
49 La plaine est caractérisée par sa surface essentiellement plate, qui est uniquement
interrompue par des montagnes sous-marines et d'autres éléments proéminents. Rapport Parson,
pp. 9-11. MS, Vol. IV, Annexe 80.
26 CHAPITRE 3. HISTORIQUE DU DIFFÉREND
3.1. Ce chapitre décrit l’historique du différend entre la Somalie et le Kenya
concernant leur frontière maritime. La section I décrit la législation maritime et
les revendications de la Somalie et du Kenya. La section II examine les
soumissions concernant le plateau continental au-delà de 200 M. La section III,
enfin, retrace les négociations diplomatiques intervenues entre les Parties, et
montre que ces dernières ont pleinement échangé leurs vues sans pouvoir
cependant arriver à résoudre leur différend concernant leur frontière maritime.
Section I. Zones maritimes des Parties
A. S OMALIE
3.2. La Somalie a signé la CNUDM le 10 décembre 1982 et l’a ratifié six
50
années et demie plus tard, le 24 juillet 1989 .
3.3. Anticipant la ratification de la Convention, le Président de la Somalie a
51
promulgué la loi n° 5 le 26 janvier 1989 , qui valide la loi maritime de la
52
Somalie de 1988 . Cette loi stipule que les eaux territoriales de la Somalie
50
Note verbale de la Mission permanente de la République Démocratique de Somalie
auprès des Nations Unies adressée au Secrétaire général des Nations Unies, n° NY/UN-20/490/89
(20 juillet 1989). MS, Vol. III, Annexe 35 ; Note verbale du Secrétaire général des Nations Unies
adressée au Représentant permanent de la République Démocratique de Somalie auprès des
Nations Unies, n° LA 41 TR/221/1 (21-6) (8 août 1989). MS, Vol. III, Annexe 36 ; Mémorandum
du Secrétaire général des Nations Unies adressé au Services des traités des ministères des Affaires
étrangères et aux organisations internationales concernés, n° C.N.187.1989.TREATIES-2 (28 août
1989). MS, Vol. III, Annexe 53.
51République Démocratique de Somalie, loi n° 5, loi maritime somalienne (26 janvier
1989). MS, Vol. III, Annexe 11 ; voir également République démocratique de Somalie, décret
présidentiel n° 14, Instrument de ratification (9 février 1989). MS, Vol. III, Annexe 12.
52 République démocratique de Somalie, ministère de la Pêche et des Transports
maritimes, loi maritime somalienne (1988). MS, Vol. III, Annexe 10.
27 53
s’étendent jusqu’à 12 M des côtes . Elle prévoit stipule par ailleurs que la ZEE
s’étend jusqu’à 200 M , et que le plateau continental comprend la prolongation
naturelle du territoire de la Somalie jusqu’au rebord externe de la marge
55
continentale . Enfin, la loi n° 5 a abrogé toutes lois antérieures incompatibles
56
avec la loi maritime somalienne de 1988 .
3.4. Peu après, le 9 février 1989, la Somalie a promulgué la loi n° 11, qui
incorpore la CNUDM à son ordre juridique national . Le même jour, le décret
présidentiel n° 14 donnant effet à la loi n° 11 a été promulgué . 58
3.5. Agissant conformément à l’article 7, paragraphe 7 de la loi maritime
somalienne de 1988, qui prévoit que la Somalie « … établira des cartes et des
53 L’article 4, paragraphe 3) stipule que : « Les eaux territoriales de la République
Démocratique de Somalie s’étendent à hauteur de 12 milles marins dans l'océan à partir de la ligne
de départ. La limite extrême des eaux territoriales du pays correspondra donc à l’extension de la
ligne de base de 12 milles marins ». Ibid., art. 4, paragraphe 3.
54
L’article 7, paragraphe 1) stipule que : « La Zone économique exclusive de la
République démocratique de Somalie, qui est adjacente aux eaux territoriales, s’étend donc
jusqu’à 200 milles marins dans l’océan depuis la ligne de base à partir de laquelle l’étendue des
eaux territoriales est mesurée ». Ibid., art. 7(1).
55
L’article 8, paragraphe 1 stipule que : « Le plateau continental comprend les fonds et le
sous-sol marins des zones sous-marines qui s'étendent au-delà des eaux territoriales de la Somalie
à travers l’extension naturelle de son territoire jusqu’à la limite extérieure de la marge
continentale ». L’article 8, paragraphe 5 stipule par ailleurs que : « La juridiction complète de la
République démocratique de Somalie concernant les ressources existantes sur le plateau
continental s’étend jusqu’à la limite extérieure du plateau, à savoir 200 milles marins depuis la
ligne de base à partir de laquelle l’étendue des eaux territoriales est mesurée, ou, si le plateau
continental s’étend au-delà de 200 milles, celui-ci sera mesuré conformément à la Partie VI,
articles 76, 83, et 84 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ». Ibid., articles 8,
paragraphe 1 et 8, paragraphe 5.
56République démocratique de Somalie, loi n° 5, loi maritime somalienne (26 janvier
1989), art. 2. MS, Vol. III, Annexe 11 (« La loi maritime n° 1 du 21 février 1959, ainsi que toutes
autres lois et tout droit administratif incompatibles avec le droit maritime somalien ou qui en
diffèrent, ont été abrogés. »).
57République démocratique de Somalie, loi n° 11, Mandat – Approbation du Troisième
droit maritime des Nations Unies (9 février 1989). MS, Vol. III, Annexe 13.
58 République démocratique de Somalie, décret présidentiel n° 14, Instrument de
ratification (9 février 1989). MS, Vol. III, Annexe 12.
28listes de coordonnées géographiques détaillées si nécessaire, indiquant les limites
extérieures de la Zone économique exclusive » , le 30 juin 2014 le Président de
la Somalie a émis une Proclamation revendiquant une ZEE de 200 M mesurée à
partir d’un ensemble de lignes de départ normales et droites 60 (la Somalie utilise
des lignes de départ droites pour mesurer la limite extérieure de ses eaux
territoriales dans la zone des îles Baajuun, une chaîne d’îles bordant la côte
somalienne au sud de Kismaayo. Ceci est illustré dans la figure 3.1 (volume II
uniquement)). Le jour de cette Proclamation présidentielle, la Somalie a remis à
la Division des affaires maritimes et du droit de la mer des Nations Unies une
liste de coordonnées comprenant les 2 468 points indiquant avec précision la
61
limite extérieure de la ZEE .
3.6. Concernant la délimitation des frontières maritimes de la Somalie avec ses
pays frontaliers, l’article 4, paragraphe 6 de la loi maritime somalienne de 1988
stipule qu’en l’absence d’un accord, « la République démocratique de Somalie
jugera que la frontière entre la République démocratique de Somalie, la
République de Djibouti est la République du Kenya est une ligne droite orientée
62
vers la mer depuis la terre, tel qu’illustré sur les cartes ci-jointes » .
59 République démocratique de Somalie, ministère de la Pêche et des Transports
maritimes, loi maritime somalienne (1988), art. 7, paragraphe 7. MS, Vol. III, Annexe 10.
60
République fédérale de Somalie, Cabinet du Président, Proclamation du Président de
la République fédérale de Somalie (30 juin 2014), parag. 1. MS, Vol. III, Annexe 14.
61
République fédérale de Somalie, Limite extérieure de la Zone économique exclusive de
la Somalie (30 juin 2014). MS, Vol. III, Annexe 15. Voir également Nations Unies, Division des
affaires maritimes et du droit de la mer, Soumission d’une liste de coordonnées géographiques
par la République fédérale de Somalie, conformément à l’article 16, paragraphe 2, et à l’article
75, paragraphe 2, de la Convention, Doc.O.N.U. M.Z.N. 106.2014.LOS (3 juillet 2014). MS, Vol.
III, Annexe 68.
62 République démocratique de Somalie, ministère de la Pêche et des Transports
maritimes, droit maritime somalien (1988), art. 4(6). MS, Vol. III, Annexe 10. En somali, il
n’existe pas d’équivalent précis du terme « ligne d’équidistance ». Le gouvernement de la
Somalie estime que la phrase « ligne droite orientée vers la mer » a pour intention de signifier une
29 B. K ENYA
3.7. Comme la Somalie, le Kenya a signé la Convention le 10 décembre
63 64
1982 et l’a ratifiée le 2 mars 1989 .
1. Législation maritime et revendications
3.8. Dix ans avant de signer la Convention, le Kenya a promulgué sa loi de
1972 sur les eaux territoriales, dans laquelle il revendiquait des eaux territoriales
de 12 M . En 1989, le Kenya a promulgué sa loi sur les zones maritimes, grâce à
laquelle la législation nationale du Kenya est désormais alignée sur la
Convention. La loi de 1989 a fixé à 12 M ses eaux territoriales, en plus des 200 M
de sa ZEE . Pour autant que le sache la Somalie, le Kenya ne possède aucune
législation en vigueur concernant son plateau continental.
3.9. Le Kenya mesure l’étendue de ses eaux territoriales et de sa ZEE depuis
les lignes de base droites parcourant toute la longueur de sa côte. Ces lignes de
67
base ont été initialement annoncées par la loi de 1972 sur la mer territoriale , et
ligne d’équidistance. En outre, en raison de sa longue guerre civile, la plupart des documents
historiques de la Somalie, y compris dans certains cas des documents législatifs et documents
associés, ont été perdus ou détruits. Après enquête diligente, la Somalie n’est pas parvenue à
localiser la moindre copie des « cartes ci-jointes » mentionnées dans la loi maritime de 1988.
63
Nations Unies, Bureau des Affaires juridiques, Division des affaires maritimes et du
droit de la mer, Nations Unies, , Tableau récapitulatif de l’état de la Convention et des accords y
relatifs (10 octobre 2014), disponible sur
http://www.un.org/depts/los/reference_files/status2010.pdf. MS, Vol. IV, Annexe 72.
64 Ibid. Voir également République du Kenya, Chapitre 371, loi sur les zones maritimes
(25 août 1989). MS, Vol. III, Annexe 20.
65 République du Kenya, loi sur les eaux territoriales (16 mai 1972, telle qu’amendée en
1977), Tableau. MS, Vol. III, Annexe 17.
66 République du Kenya, loi sur les zones maritimes (25 août 1989), articles 3 et 4. MS,
Vol. III, Annexe 20.
67 L’annexe de la loi de 1972 sur les eaux territoriales prévoit un ensemble de lignes de
base droites. La loi kényane du 16 mai 1972 sur les eaux territoriales stipule que la zone des
« eaux territoriales de la République du Kenya s’étend depuis la côte adjacente aux Hautes mers
30modifiées en 2005 . En février 1989, le Kenya a soumis aux Nations Unies les
69
coordonnées géographiques fixant ses lignes de base . Ces coordonnées ont été
ultérieurement modifiées et communiquées aux Nations Unies en 2006, dans
deux listes spécifiant (1) les lignes de base droites à partir desquelles la largeur
des eaux territoriales du Kenya est mesurée, et (2) les limites extérieures de la
70
ZEE du Kenya . Les lignes de base droites revendiquées par le Kenya sont
illustrées dans la figure 3.2 (du volume II uniquement).
3.10. Concernant sa frontière maritime avec la Somalie, le Kenya estimait
initialement que les eaux territoriales des deux États devraient être divisées par
une ligne d’équidistance. Dans sa loi de 1972 sur les eaux territoriales, telle
qu’amendée, le Kenya affirme que sa frontière avec la Somalie dans les eaux
territoriales est « une ligne médiane dont tous les points sont équidistant des
jusqu’à une ligne de douze milles marins internationaux orientée vers la mer à partir des lignes de
base droites, des laisses de basse mer ou des hauts-fonds découvrants … ». République du Kenya,
loi sur les eaux territoriales (16 mai 1972, telle qu’amendée en 1977), Liste. MS, Vol. III, Annexe
17.
68 République du Kenya, Proclamation du Président de la République du Kenya (9 juin
2005). MS, Vol. III, Annexe 22.
69 République du Kenya, Coordonnées approximatives des points de base sur la carte
SK/74 (28 février 1979). MS, Vol. III, Annexe 18.
70 République du Kenya, Soumission, aux Nations Unies par la République du Kenya, de
listes de coordonnées géographiques de points, conformément à l’article 16, paragraphe 2, et à
l’article 75, paragraphe 2, de la Convention, ainsi que de la carte illustrative n° SK 90 et de la
Proclamation du Président de la République du Kenya du 9 juin 2005 (11 avril 2006). MS, Vol.
III, Annexe 22 ; Nations Unies, Division des affaires maritimes et du droit de la mer, Soumission,
aux Nations Unies par la République du Kenya, de listes de coordonnées géographiques de
points, conformément à l’article 16, paragraphe 2, et à l’article 75, paragraphe 2, de la
Convention, Doc. ONU M.Z.N. 58.2006.LOS (25 avril 2006). MS, Vol. III, Annexe 56 ;
République du Kenya, Avis juridique n° 82, Proclamation du Président de la République du
Kenya (9 juin 2005), publiée dans le supplément du numéro 55 de la Kenya Gazette (Supplément
législatif n° 34) (22 juillet 2005). MS, Vol. III, Annexe 21.
31points les plus proches des lignes de base à partir desquelles est mesurée la
largeur de la mer territoriale de chacun des deux États » . 71
3.11. Le 28 février 1979, Daniel Toroitich arap Moi, le Président du Kenya, a
émis une Proclamation présidentielle annonçant une ZEE de 200 M « mesurée à
partir de la ligne de base appropriée » . Concernant la frontière maritime avec la
Somalie, cette Proclamation présidentielle stipulait que « la Zone économique
exclusive du Kenya … (b) concernant la frontière la plus nord de ses eaux
territoriales avec la République de Somalie, sera située sur la latitude la plus à
l’est, au sud de l’île Diua Damasciaca, à savoir la latitude 1°38’ sud » . La 73
Somalie ne trouve pas d’explication à l’évidente contradiction entre les
dispositions de la loi kényane de 1972 sur les eaux territoriales, d’une part, et la
Proclamation présidentielle de 1979, d’autre part.
3.12. Dix ans après la Proclamation présidentielle de 1979, la loi kényane de
1989 sur les zones maritimes est revenue à la méthode initialement adoptée dans
la loi de 1972 sur les eaux territoriales. La loi de 1989 stipule que « la mer
territoriale du Kenya s’étend jusqu’à chacun des points équidistants des points les
plus proches des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la
74
mer territoriale de chacun des deux États. » .
71 République du Kenya, loi sur les eaux territoriales (16 mai 1972, telle qu’amendée en
1977), paragraphe 2, sous-paragraphe 4. MS, Vol. III, Annexe 17 (il est indiqué au paragraphe 2,
sous-paragraphe 4 de la loi que (citation intégrale) : « Sur la côte adjacente aux États voisins, les
eaux territoriales s’étendent jusqu’à une ligne médiane dont chaque point est équidistant des
points les plus proches sur les lignes de base à partir desquelles l’étendue des eaux territoriales de
chacun des États concernés est mesurée »).
72
République du Kenya, Proclamation présidentielle du 28 février 1979 (28 février
1979), parag. 1. MS, Vol. III, Annexe 19.
73
Ibid.
74
Kenya, loi sur les zones maritimes (25 août 1989), paragraphe 3, sous-paragraphe 4.
MS, Vol. III, Annexe 20. Le paragraphe 2, sous-paragraphe 4 de la loi sur les eaux territoriales
323.13. Concernant la frontière maritime de la ZEE, la loi de 1989 sur les zones
maritimes ne mentionne jamais la latitude 1°38’ S indiquée dans la Proclamation
présidentielle de 1979, et stipule plutôt que « la frontière la plus au nord de la
zone économique exclusive avec la Somalie sera délimitée par avis publié dans la
Gazette par le Ministre conformément à un accord entre le Kenya et la Somalie
75
fondé sur le droit international » .
3.14. Dix-sept ans plus tard, le Kenya a de nouveau révisé sa position et a, une
nouvelle fois, revendiqué une frontière parallèle. Dans une Proclamation
présidentielle en date du 9 juin 2005 qui ne mentionne jamais la loi de 1989 sur
les zones maritimes, le Kenya a déclaré que sa frontière maritime avec la Somalie
suit un parallèle de latitude débutant au TFT et se poursuivant plein est jusqu’à la
limite de la ZEE . Spécifiquement, la Proclamation de 2005 déclare que les
limites nord de la ZEE du Kenya seraient « sur une latitude est au sud de l’île
77
Diua Damasciaca, à savoir la latitude 1°39’34” degrés sud » (aucune explication
prévoit également des eaux territoriales, déclarant que : « Sur la côte adjacente aux États voisins,
les eaux territoriales s’étendent jusqu’à une ligne médiane dont chaque point est équidistant des
points les plus proches sur les lignes de base à partir desquelles l’étendue des eaux territoriales de
chacun des États concernés est mesurée. » République du Kenya, loi sur les eaux territoriales (16
mai 1972, telle qu’amendée en 1977), paragraphe 2, sous-paragraphe 4. MS, Vol. III, Annexe 17.
75
Kenya, loi sur les zones maritimes (25 août 1989), paragraphe 4, sous-paragraphe 4.
MS, Vol. III, Annexe 20.
76
République du Kenya, Soumission, aux Nations Unies par la République du Kenya, de
listes de coordonnées géographiques de points, conformément à l’article 16, paragraphe 2, et à
l’article 75, paragraphe 2, de la Convention, ainsi que de la carte illustrative n° SK 90 et de la
Proclamation du Président de la République du Kenya du 9 juin 2005 (11 avril 2006). MS, Vol.
III, Annexe 22 ; République du Kenya, Avis juridique n° 82, Proclamation du Président de la
République du Kenya (9 juin 2005), publiée dans le supplément du numéro 55 de la Kenya
Gazette (Supplément législatif n° 34). La première et la seconde annexes, ainsi que la carte
illustrative, représentent un ajustement de la Proclamation du Président de la République du
Kenya émise le 2 février 1979 et la remplacent.
77
République du Kenya, Soumission, aux Nations Unies par la République du Kenya, de
listes de coordonnées géographiques de points, conformément à l’article 16, paragraphe 2, et à
l’article 75, paragraphe 2, de la Convention, ainsi que de la carte illustrative n° SK 90 et de la
Proclamation du Président de la République du Kenya du 9 juin 2005 (11 avril 2006), paragraphe
1, sous-paragraphe b. MS, Vol. III, Annexe 22 ; République du Kenya, Avis juridique n° 82,
33n’est fournie concernant la différence entre le parallèle 1°38’ S revendiqué en
1979 et le parallèle 1°39’34” revendiqué en 2005).
3.15. La figure 3.3 (après la page 34) compare la ligne revendiquée à présent
par le Kenya avec la ligne d’équidistance.
3.16. Dans une Note verbale du 9 janvier 2014 adressée au Secrétaire général
des Nations Unies, le Kenya a réitéré sa revendication frontalière . L’objet 78
déclaré de cette Note verbale était de « fournir des informations générales sur les
frontières terrestres et maritimes du Kenya » . Kenya y réitère le contenu de sa
Proclamation présidentielle de 2005, et soumet également des cartes décrivant la
frontière du parallèle qu’elle revendique à la fois concernant ses eaux territoriales
80
et sa ZEE . La Note conclut en affirmant que : « Conformément à la Convention,
le Kenya a exercé et continuera d’exercer sa souveraineté et sa juridiction sur
81
ladite zone » .
3.17. La frontière maritime du Kenya avec son voisin au sud, la Tanzanie, a été
82
initialement délimitée par un échange de notes entré en vigueur en 1976 .
L’accord de 1976 prévoyait que, dans la zone située au-delà d’environ 21 M au
large de la côte, la frontière maritime entre les deux États serait définie par un
Proclamation du Président of the République du Kenya (9 juin 2005), publiée dans le supplément
du n° 55 de Kenya Gazette (Supplément législatif n° 34) (22 juillet 2005). MS, Vol. III, Annexe
21.
78Note Verbale de la Mission permanente de la République du Kenya auprès des Nations
Unies adressée au Secrétaire général des Nations Unies, n° 7/14 (9 janvier 2014). MS, Vol. III,
Annexe 40.
79Ibid., p. 1.
80Ibid.
81
Ibid., p. 2.
82
Échange de notes ayant valeur d’accord entre la République du Kenya et la
République unie de Tanzanie concernant la frontière maritime territoriale, 1039 R.T.N.U. 148 (17
décembre 1975 et 9 juillet 1976), entré en vigueur le 9 juillet 1976. MS, Vol. III, Annexe 5.
34parall1èle de latitude « qui s’étend à l’est jusqu’à un point où il croise les limites
extérieures de la frontière territoriale en mer de la zone de juridiction nationale
respective de chacun des deux États » . 83
3.18. Le 23 juin 2009, le Kenya et la Tanzanie ont conclu un nouvel accord
concernant la délimitation de la frontière maritime de la ZEE et du plateau
continental . La frontière convenue en 2009 suit le même parallèle de latitude
initialement fixé en 1976, et « s’étend vers l’est jusqu’à un point où elle croise les
limites extérieures du plateau continental et toute autre limite extérieure de la
juridiction nationale, selon ce qui pourrait être stipulé par le droit
international » .5
3.19. La frontière maritime Kenya-Tanzanie est illustrée dans la figure 3.4
(dans le volume II uniquement).
2. Initiatives unilatérales du Kenya
3.20. Selon des informations publiquement disponibles, le Kenya a commencé à
proposer des blocs de prospection et d’exploitation pétrolières en mer dans les
années 70 . Au moins jusqu’en 1996, aucun de ces blocs ne s’étendait au-delà de
83 Ibid., parag. 2(d).
84 Accord entre la République unie de Tanzanie et la République du Kenya concernant la
délimitation de la frontière maritime de la Zone économique exclusive et du plateau continental,
2603 R.T.N.U. 37 (23 juin 2009), entré en vigueur le 23 juin 2009. MS, Vol. III, Annexe 7.
85 L’article 2 de l’Accord de 2009 déclare : « Les Parties confirment que la base de
délimitation de la frontière maritime sera le parallèle de latitude tel que fixé par l’Accord de 1976
sur les frontières maritimes. Dans une telle mesure, et dans le but de promouvoir les objectifs de
cet Accord, les Parties conviennent que la ligne frontalière s’étend à l’est jusqu’à un point où elle
croise les limites extérieures du plateau continental et toutes autres limites extérieures de la
juridiction nationale, selon ce qui pourrait être stipulé par le droit international ». Ibid., art. 2.
86
National Oil Company of Kenya, “Oil and Gas Exploration History in Kenya”,
disponible sur http://nationaloil.co.ke/site/3.php?id=1 (dernière consultation le 10 juin 2015). MS,
35la ligne d’équidistance avec la Somalie. Les cartes produites par les compagnies
de services pétroliers indiquant l’ensemble des blocs proposés par le Kenya en
87 88 89 90 91 92 93 94
1978 , 1979 , 1982 , 1984 , 1985 , 1994 , 1995 et 1996 montrent que les
blocs en mer les plus au nord du Kenya respectent la ligne d’équidistance.
3.21. La figure 3.5A (après la page 36), par exemple, est extraite d’une carte
datant de 1978 produite par Petroconsultants, S.A. Sur cette carte, le bloc kényan
contigu à la Somalie s’étend en mer le long d’une ligne globalement orientée vers
le sud-est. En outre, cette ligne qui s’étend en direction de la mer est illustrée par
une ligne doublement pointillée (— • • —), dont la légende sur la carte indique
qu’il s’agit de la « frontière internationale ». La figure 3.5B (après la page 36)
permet de comparer cette ligne à une ligne d’équidistance. Tel que la Cour peut le
95
constater, ces deux lignes coïncident presque exactement . Les autres cartes
Vol. III, Annexe 30. Voir également Petroconsultants S.A., Kenya (Coastal Area): Synopsis 1978
(Including Current Activity) (janvier 1979). MS, Vol. II, Annexe M1.
87
Petroconsultants S.A., Kenya (Coastal Area): Synopsis 1978 (Including Current
Activity) (janvier 1979). MS, Vol. II, Annexe M1.
88
Petroconsultants S.A., Kenya (Coastal Area): Synopsis 1979 (février 1980). MS, Vol.
II, Annexe M2.
89
Petroconsultants S.A., Kenya (Coastal Area): Synopsis 1982 (janvier 1983). MS, Vol.
II, Annexe M3.
90Petroconsultants S.A., Kenya: Synopsis 1984 (janvier 1985). MS, Vol. II, Annexe M4.
91Petroconsultants S.A., Kenya: Synopsis 1985 (Including Current Activity) (avril 1986).
MS, Vol. II, Annexe M5.
92Petroconsultants S.A., Kenya: Synopsis 1994 (janvier 1995). MS, Vol. II, Annexe M6.
93Petroconsultants S.A., Kenya: Synopsis 1995 (juillet 1996). MS, Vol. II, Annexe M7.
94Petroconsultants S.A., Kenya: Current Status & Synopsis 1996 (juin 1997). MS, Vol.
II, Annexe M8.
95La Somalie a, elle aussi, proposé un bloc en mer , à savoir le bloc en mer Jorre, dont
les limites correspondent à la ligne d’équidistance. IHS Energy Group, Global Exploration &
Production Service: Somalia (mars 2002). MS, Vol. II, Annexe M9. L’emplacement de ce bloc
est illustré dans la figure 3.6 (dans le volume II uniquement). En 2001, Total S.A., la compagnie
pétrolière française, a signé un contrat de prospection séismique préliminaire d’un an 2D
concernant cette zone. African Energy, “SOMALIA - TotalFinaElf to explore en mer”, Financial
Times: Energy Newsletters (26 février 2001). MS, Vol. IV, Annexe 98. En 2007, Total en a
36indiquant les frontières des blocs pétroliers du Kenya jusqu’en 1996 confirment
que ceux-ci étaient limités au nord par la même ligne d’équidistance.
3.22. À partir de 2000 environ, le Kenya a procédé à un revirement en
commençant à agir sur la base de sa revendication unilatérale d’une frontière
parallèle, afin de prospecter et d’exploiter les ressources de part et d’autre d’une
96
ligne d’équidistance dans des zones situées au sud du parallèle . Plus
spécifiquement, le Kenya, depuis 2000, a proposé un certain nombre de blocs
pétroliers en mer à des fins d’exploration et de forage en eaux profondes, lesquels
s’étendent jusqu’à la frontière du parallèle qu’il revendique.
3.23. Les blocs pétroliers en mer actuels du Kenya sont illustrés dans la figure
3.7 (après les figures 3.5A et 3.5B). Les blocs intégralement ou partiellement
situés entre la ligne d’équidistance et la frontière parallèle revendiquée par le
Kenya sont les blocs L-5, L-13, L-21, L-22, L-23, L-24 et L-26.
3.24. Les activités du Kenya dans les zones situées côté somalien de la ligne
d’équidistance sont présentées de manière détaillée au chapitre 8, et constituent la
base des revendications de la Somalie présentées dans ce chapitre.
obtenu la concession en tant que zone d’évaluation technique. Barry Morgan, “Kenyan block still
attractive”, Biyokulule Online (13 avril 2012). MS, Vol. IV, Annexe 103.
96Voir National Oil Company of Kenya, “Oil and Gas Exploration History in Kenya”,
disponible sur http://nationaloil.co.ke/site/3.php?id=1 (dernière consultation le 10 juin 2015). MS,
Vol. III, Annexe 30. Voir également IHS Inc., Valid Blocks as of 1 January 2000 [Kenya] (juin
2015). MS, Vol. II, Annexe M10 ; IHS Inc., Valid Blocks as of 1 January 2001 [Kenya] (juin
2015). MS, Vol. II, Annexe M11 ; IHS Inc., EDIN Database, Kenya: Contracts Block L-05/Block
L05 (2015). MS, Vol. IV, Annexe 133.
37 Section II. Revendications des Parties concernant le plateau
continental étendu
3.25. La Somalie et le Kenya ont tous deux soumis à la Commission des limites
du plateau continental (la « CLPC ») un dossier complet concernant le plateau
continental au-delà de 200 M.
A. S OMALIE
3.26. Tel qu’indiqué, l’article 8, paragraphe 1 de la loi maritime de 1988 de la
Somalie stipule que le plateau continental de la Somalie :
« comprend les fonds et le sous-sol marins des
zones sous-marines qui s’étendent au-delà des eaux
territoriales somaliennes tout au long de l’extension
naturelle de son territoire jusqu’à la limite
extérieure de la marge continentale » .
3.27. Selon l’article 8, paragraphe 5 de cette loi, il est spécifiquement possible
que le plateau continental de la Somalie s’étende au-delà de 200 M :
« La juridiction complète de la République
démocratique de Somalie concernant les ressources
existantes sur le plateau continental s’étend jusqu’à
la limite extérieure du plateau, à savoir 200 milles
marins depuis la ligne de base à partir de laquelle
l’étendue des eaux territoriales est mesurée, ou, si
le plateau continental s’étend au-delà de 200 milles,
celui-ci sera mesuré conformément aux dispositions
de la Partie VI, articles 76, 83, et 84 de la
97 République démocratique de Somalie, ministère de la Pêche et des Transports
maritimes, loi maritime somalienne (1988), art. 8(1). MS, Vol. III, Annexe 10.
38 Convention des Nations Unies sur le droit de la
mer » .8
3.28. Le 14 avril 2009, dans le délai convenu par les États Parties à la
99
Convention , la Somalie a soumis à la commission des informations
préliminaires indicatives sur la limite extérieure de son plateau continental au-
delà de 200 milles marins 100. Le 21 juillet 2014, la Somalie a présenté son dossier
101
complet . En juillet 2015, la Somalie a soumis une Note de synthèse révisée.
Diverses modifications techniques seront prochainement apportées au dossier. La
Somalie prévoit de faire un exposé oral devant la CLPC au début de 2016.
3.29. Le 4 mai 2015, le Kenya a soumis une Note verbale au Secrétaire général
des Nations Unies pour l’informer que le Kenya s’oppose à ce que la CLPC
98
Ibid., art. 8, paragraphe 5.
99 e e
Telle que complétée par les décisions des 11 et 12 Réunions des États parties à la
Convention établies par l’article 4 de l’Annexe II. Convention des Nations Unies sur le droit de la
mer, Réunion des États parties, 11 Réunion, Décision concernant la date du début du délai de 10
ans prévu à l’article 4 de l’annexe II de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
pour effectuer les communications à la Commission des limites du plateau continental. Doc. ONU
SPLOS/72 (29 mai 2001). MS, Vol. III, ennexe 55 ; Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer, Réunion des États parties, 18 Réunion, Décision relative au volume de travail de la
Commission des limites du plateau continental et à la capacité des États, notamment des États en
développement, de s’acquitter de leurs obligations en vertu de l’article 4 de l’annexe II à la
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, et de respecter l’alinéa a) de la décision
figurant dans le document SPLOS/72, paragraphe (a), Doc. ONU SPLOS/183 (20 juin 2008).
MS, Vol. III, Annexe 58.
100
Voir République fédérale de Somalie, Soumission de la République fédérale de
Somalie concernant le plateau continental : note de synthèse (21 juillet 2014), pp. 2 et 3. MS,
Vol. IV, Annexe 70 ; République fédérale de Somalie, Informations préliminaires indicatives des
limites extérieures du plateau continental, et description de l’état de préparation du dossier avant
sa soumission à la Commission des limites du plateau continental pour la Somalie (14 avril 2009).
MS, Vol. III, Annexe 66 ; République fédérale de Somalie, Appendice 1 : Figures, jointe à
Informations préliminaires indicatives des limites extérieures du plateau continental, et
description de l’état de préparation du dossier avant sa soumission à la Commission des limites
du plateau continental pour la Somalie (14 avril 2009). MS, Vol. III, Annexe 67.
101
Nations Unies, Réception de la soumission de la République fédérale de Somalie à la
Commission des limites du plateau continental, Doc. ONU CLPC.74.2014.LOS (21 juillet 2014).
MS, Vol. III, Annexe 69 ; République fédérale de Somalie, Soumission de la République fédérale
de Somalie : note de synthèse (21 juillet 2014). MS, Vol. IV, Annexe 70.
39examine la Soumission de la Somalie. En particulier, cette Note indique qu’en
raison du différend entre les Parties concernant leur frontière maritime, « le
Kenya, conformément à la règle 46 et à l’Annexe II des règles de procédure de la
Commission, s’oppose à ce que la CLPC examine la Soumission de la Somalie, et
encourage fortement la Commission à ne prendre aucune décision à ce sujet » . 102
B. K ENYA
3.30. Le 6 mai 2009, le Kenya a déposé sa Soumission auprès de la CLPC
revendiquant des droits concernant le plateau continental qui s’étend jusqu’à 350
M dans la zone couverte par sa Soumission 103.
3.31. Le Kenya a présenté un exposé oral devant la Commission le 3 septembre
2009 104. La Commission a ensuite indiqué que « la demande serait examinée par
une sous-commission qui sera créée ... à une prochaine session ... en
plénière lorsqu’arrivera le tour pour celle-ci d’être examinée dans l’ordre dans
105
lequel elle a été reçue… » .
3.32. Le 4 février 2014, la Somalie a soumis une Note verbale au Secrétaire
général des Nations Unies pour l’informer que la Somalie s’oppose à ce que la
102
Note verbale de la Mission permanente de la République du Kenya à Son Excellence
M. Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, n° 141/15 (4 mai 2015), p. 2. MS, Vol.
III, Annexe 51.
103
République du Kenya, Soumission concernant le plateau continental au-delà de 200
milles marins à la Commission des limites du plateau continental : note de synthèse (avril 2009).
MS, Vol. III, Annexe 59.
104
Nations Unies, Commission des limites du plateau continental, Déclaration du
Président de la Commission des limites du plateau continental sur l’avancement des travaux de la
Commission, Doc. ONU CLPC/64 (1 octobre 2009), Point 22, Soumission du Kenya, parag. 93.
MS, Vol. III, Annexe 61.
105Ibid., Point 22, Soumission du Kenya, parag. 97.
40CLPC examine la Soumission du Kenya 106. Dans sa Note verbale, la Somalie
indiquait que, selon elle, « il existe un différend entre la République de Somalie
et la République du Kenya » concernant la délimitation de leur frontière
maritime 107. Faisant référence à la frontière revendiquée par le Kenya, la Somalie
déclare également que : « Eu égard au caractère abusif des revendications du
Kenya, à leur absence de fondement juridique et au grave préjudice qu’elles
entraîneraient pour la Somalie, tant à l’intérieur qu’au-delà des 200 milles marins,
la Somalie s’oppose formellement à l’examen de la demande du Kenya par la
Commission des limites du plateau continental. » 108.
3.33. Par la suite, lors de sa 34 réunion à New York entre janvier et mars 2014,
la Commission a pris note de la Note verbale de la Somalie et décidé « qu’en
dépit de la décision prise à sa vingt-quatrième session, selon laquelle la demande
serait examinée par une sous-commission qui serait créée lors d’une prochaine
session, la Commission n’était pas encore en mesure de créer cette sous-
commission » 109.
3.34. Le 7 juillet 2015, cependant, la Somalie a officiellement retiré son
opposition à ce que la Commission traite la Soumission du Kenya. Dans une
lettre adressée au Secrétaire général, la Somalie a déclaré :
106 Lettre de M. Abdirahman Beileh, Ministre des Affaires étrangères et de la
Coopération internationale de la République fédérale de Somalie à Son Excellence M. Ban Ki-
Moon, Secrétaire général des Nations Unies, n° MOFA/SFR/MO/259/2014 (4 février 2014). MS,
Vol. III, Annexe 41.
107Ibid., parag. 1.
108Ibid., parag. 4.
109
Nations Unies, Commission des limites du plateau continental, État d’avancement des
travaux de la Commission des limites du plateau continental : communication du président, Doc.
ONU CLPC/83 (31 mars 2014), Point 4, Charge de travail de la Commission, Création de
nouvelles sous-commissions, parag. 18. MS, Vol. III, Annexe 65.
41 «Étant donné qu’elle a demandé à la Cour
internationale de Justice de délimiter sa frontière
maritime avec le Kenya (y compris sur le plateau
continental au-delà de 200 milles marins), la
Somalie estime que son objection à l’examen de la
demande de celui-ci par la Commission n’a plus
lieu d’être, et elle consent par la présente à cet
examen» .110
3.35. En parallèle, la Somalie souligne que «[son] accord…à l’examen par la
Commission de la demande déposée par le Kenya ne change rien à son objection
aux prétentions de cet Etat, et en particulier à son objection à la revendication par
111
celui-ci d’une frontière maritime avec la Somalie qui suivrait un parallèle» .
Section III. Efforts des Parties pour négocier un accord concernant
leur frontière maritime
3.36. La Somalie et le Kenya non seulement contestent l'emplacement de leurs
frontières maritimes, mais sont également en désaccord concernant les principes à
employer pour définir cette frontière. Les négociations diplomatiques, dans le
cadre desquelles les Parties ont pu pleinement échanger leurs vues, n’ont pas
permis de résoudre ce différend.
3.37. Pour la Somalie, les principes applicables sont ceux systématiquement
appliqués par la Cour : (1) tracer une ligne d’équidistance provisoire ; (2)
déterminer s’il existe des circonstances pertinentes nécessitant d’ajuster cette
ligne ; et (3) déterminer si cette ligne produit un résultat excessivement
disproportionné. Le Kenya rejette cette méthode et insiste sur le fait que la
11Lettre de Son Excellence M. Abdusalam H. Omer, Ministre des Affaires étrangères et
de la Promotion des investissements de la République fédérale de Somalie, à Son Excellence M.
Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies (7 juillet 2015), p. 2. MS, Vol. III, Annexe
52.
111
Ibid.
42frontière doit suivre un parallèle de latitude, ce en dépit du fait que la Somalie n'a
jamais accepté une telle frontière.
3.38. Des discussions bilatérales sur ces questions ont eu lieu en 2009, en
prévision des demandes que les Parties s’apprêtaient à soumettre à la Commission
des limites. En avril 2009, celles-ci ont conclu un mémorandum d’accord
(ci-après, le «mémorandum d’accord de 2009») portant sur ces demandes. Le
Mémorandum d’accord commence par noter que la :
« délimitation du plateau continental entre la
République du Kenya et la République somalienne
(ci-après dénommées collectivement « les deux
États côtiers ») n’a pas encore été fixée. Cette
question non encore résolue de la délimitation entre
les deux États côtiers doit être considérée comme
un différend maritime. Les revendications des
deux États côtiers couvrent une zone de
chevauchement du plateau continental qui constitue
la « zone en litige »)2.
Le Mémorandum d’accord indique par ailleurs que « [l]es deux États côtiers sont
conscients que l’établissement des limites extérieures du plateau continental au-
delà de 200 milles marins est sans préjudice de la question de la délimitation
… » .113
3.39. Le Mémorandum d’accord stipule par ailleurs que : « [l]es deux États
côtiers conviennent que… chacun d’eux soumettra séparément une
112 Mémorandum d'accord entre le Gouvernement de la République du Kenya et le
Gouvernement fédéral de transition de la République de Somalie, afin d'accorder à chacun non-
objection à l'égard des communications à la Commission des limites du plateau continental sur les
limites extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins, 2599 R.T.N.U. 35 (7 avril
2009), p. 37. MS, Vol. III, Annexe 6.
113Ibid.
43communication à la [CLPC] … à l’égard des limites extérieures du
plateau continental au-delà de 200 milles marins, sans tenir compte des frontières
maritimes qui les séparent » . Il conclut en déclarant que :
« La délimitation des frontières maritimes dans la
zone en litige, y compris la délimitation du plateau
continental au-delà de 200 milles marins, fera
l’objet d’un accord entre les deux États côtiers sur
la base du droit international après que
la Commission aura achevé l’examen des
communications séparées effectuées par chacun des
deux États côtiers et formulé ses recommandations
aux deux États côtiers concernant
l’établissement des limites extérieures du plateau
continental au-delà de 200 milles marins » .115
3.40. Le 10 octobre 2009, la Somalie a informé le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies que le 1 août 2009, le parlement somalien
avait voté contre la ratification du Mémorandum de 2009. 11. Dans le numéro
d’octobre 2009 de la Note, il déclare que :
« Je souhaite informer Son Excellence que le
mémorandum d’accord mentionné ci-dessus entre
la Somalie et le Kenya a été examiné par le
Parlement fédéral de transition de la Somalie et que
les membres du Parlement ont voté contre sa
er
ratification le 1 août 2009.
Par conséquent, nous demandons aux services
compétents de l’Organisation des Nations Unies de
11Ibid., p. 38.
11Ibid.
116
Lettre de Son Excellence Omar Abdirashid Ali Sharmarke, Ministre du
Gouvernement fédéral de transition de la République de Somalie, à Son Excellence M. Ban Ki-
Moon, Secrétaire général des Nations Unies, n° OPM/IC/00./016/11/09 (10 Oct. 2009). MS, Vol.
III, Annexe 38.
44 prendre note de cette situation et de considérer le
mémorandum d’accord comme non opposable» . 117
3.41. Le 2 mars 2010, la Somalie a de nouveau écrit à l’Organisation des
Nations Unies pour lui demander de « prendre note » du rejet, par le parlement
somalien, du Mémorandum d’accord et de le traiter comme un document « non
opposable » 118. Le 12 mars 2010, les Nations Unies ont officiellement pris note
de la position de la Somalie selon laquelle le Mémorandum d’accord de 2009 est
« non opposable » étant donné qu’il a été rejeté par le parlement somalien. 119 Le
Kenya n’a formulé aucune objection. Le 4 février 2014, la Somalie a écrit aux
Nations Unies, demandant explicitement que le Mémorandum d’accord de 2009
soit retiré du registre des Nations Unies 12.
3.42. Le Mémorandum d'accord, quel que soit son statut, n’était pas censé
résoudre le différend entre les Parties concernant leur frontière maritime. Au
contraire, dans ce document, les Parties reconnaissaient expressément et
maintenaient leurs positions opposées concernant l’emplacement de cette
frontière. L'objet du Mémorandum d'accord consistait à garantir qu'aucune des
deux Parties ne s’opposerait à ce que les soumissions de l'autre Partie soient
examinées par la CLPC.
117
Ibid. (italiques annulées).
118La Somalie a inclut sa communication initiale en date du 10 octobre 2009 aux Nations
Unies. Lettre de M. Elmi Ahmed Duale, Représentant permanent de la République de Somalie
auprès des Nations Unies, à Son Excellence M. Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations
Unies, n° SOM/MSS/09/10 (2 mars 2010). MS, Vol. III, Annexe 39.
119Voir http://www.un.org/depts/los/clcs_new/commission_preliminary.htm .
120Lettre du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la
Somalie au Secrétaire général des Nations, n° MOFA/SFR/MO/258/2014 (4 février 2014). MS,
Vol. III, Annexe 42.
453.43. De négociations sur la délimitation de la frontière maritime ont eu lieu
entre les mois de février et d’août 2014. Le 19 février 2014, Son Excellence M.
Abdiweli Sheikh Ahmed, le premier ministre somalien, et Son Excellence M.
Wilham Ruto, le vice-président du Kenya, se sont rencontrés à Nairobi au Kenya.
Lors de cette rencontre, le secrétaire général du cabinet du ministre des Affaires
étrangères et du Commerce international du Kenya a indiqué que « le
gouvernement kényan était prêt à parler au gouvernement somalien à propos du
différend existant concernant la délimitation de la frontière maritime entre les
121
deux pays » . Concernant cette initiative, le Kenya a ensuite envoyé une lettre
datée du 7 mars 2014 dans laquelle il demande que soit organisée une rencontre
122
pour parler de la délimitation de la frontière maritime entre les Parties .
3.44. La Somalie a promptement répondu à l’invitation du Kenya par voie de
note diplomatique datée du 13 mars, dans laquelle elle confirme être disposée à
« rencontrer une délégation officielle représentant le gouvernement du Kenya »,
et souligne « la détermination de la Somalie à aboutir à une résolution rapide du
différend entre nos pays frères concernant notre frontière maritime » 123.
121
Lettre de Son Excellence M. Abdirahman Beileh, Ministre des Affaires étrangères et
de la Coopération internationale de la République fédérale de Somalie, à Son Excellence
Mme Amina Mohamed, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la
République du Kenya, n° MOFA/SER/MO/ /2014 (13 mars 2014). MS, Vol. III, Annexe 43.
122
Voir ibid. (en référence à la Lettre du Kenya, n° de réf. MFA PROT/7/8/1 (7 mars
2014) et constatant que sa demande d’organisation de cette rencontre y est mentionnée).
123Ibid.
463.45. Les ministres des Affaires étrangères des Parties se sont brièvement
rencontrés ultérieurement, le 21 mars 2014, et ont conclu qu’une réunion
124
technique entre les deux États devait être organisée « immédiatement » .
3.46. Des réunions bilatérales ont donc été organisées à Nairobi les 26 et 27
mars 2014 125. En préparation de ces réunions, la délégation kényane a produit un
projet d’ordre du jour dans lequel l’un des points était consacré au Mémorandum
d’accord de 2009. Après avoir lu ce projet d’ordre du jour, la délégation
126
somalienne a déclaré que le Mémorandum d’accord de 2009 était sans effet .
Elle a par conséquent insisté pour que toutes mentions du Mémorandum d’accord
127
de 2009 soient supprimées de l’ordre du jour . Le Kenya en a convenu et a
modifié l’ordre du jour en conséquence. Le seul point substantif de l’ordre du
jour convenu entre les Parties était alors : « Discussion sur la frontière
maritime » 128.
3.47. Les deux délégations ont échangé leurs vues concernant l’emplacement de
leur frontière maritime. La Somalie a défendu sa position, selon laquelle le
124
Gouvernement somalien et gouvernement kényan, Rapport collectif relatif aux
réunions concernant la frontière maritime Kenya – Somalie, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014), p. 1.
MS, Vol. III, Annexe 31.
125Ibid.
126
Ibid., pp. 1-2 ; République fédérale de Somalie, Rapport sur la réunion entre la
République fédérale de Somalie et la République du Kenya concernant le différend relatif à leur
frontière maritime, Nairobi, Kenya, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014), p. 1. MS, Vol. III, Annexe
24.
127République fédérale de Somalie, Rapport sur la réunion entre la République fédérale
de Somalie et la République du Kenyaeroncernant le différend relatif à leur frontière maritime,
Nairobi, Kenya, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014), p. 1. MS, Vol. III, Annexe 24.
128
Gouvernement somalien et gouvernement kényan, Rapport collecerf sur les réunions
concernant la frontière maritime Kenya – Somalie, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014), p. 8. MS,
Vol. III, Annexe 31. Voir également République fédérale de Somalie, Rapport sur la réunion
entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya concernant le différend relatif
à leur frontière maritime, Nairobi, Kenya, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014). MS, Vol. III, Annexe
24.
47« principe d’équidistance » est clairement établi par le droit international et la
jurisprudence. Elle a également mis l’accent sur le fait qu’aucun pays n’est en
droit de définir unilatéralement une frontière en l’absence de tout accord avec le
129
pays voisin concerné, comme le Kenya avait tenté de faire .
3.48. Pour sa part, la délégation du Kenya a mis l’accent sur les notions
« d’équité et de justice », qui, selon elle, permettraient d’aboutir au « parallèle de
latitude » reflété dans sa Proclamation présidentielle de 2005 130.
3.49. Les deux délégations ont poursuivi leurs négociations pendant deux jours,
sans cependant aboutir à un accord concernant le principe de droit international
applicable dans ce cas précis 131. La Somalie a continué d’insister sur les méthodes
et principes juridiques applicables, tels que reflétés dans la Convention et la
jurisprudence applicable, et le Kenya, quant à lui, a continué de mettre l’accent
sur la notion générale d’équité.
3.50. Nonobstant cette divergence de vues, les délégations ont convenu d’un
élément important, à savoir, « d’utiliser le Pilier BP29, tel que reflété dans le
129
Gouvernement somalien et gouvernement kényan, Rapport collectiersur les réunions
concernant la frontière maritime Kenya – Somalie, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014), p. 5. MS,
Vol. III, Annexe 31 ; République fédérale de Somalie, Rapport sur la réunion entre la République
fédérale de Somalie et la République du Kenya concernant le différend relatif à leur frontière
maritime, Nairobi, Kenya, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014), p. 2. MS, Vol. III, Annexe 24.
130« La délégation somalienne a demandé au Kenya d’expliquer pourquoi le Kenya avait
abandonné la méthodologie de ‘l’équidistance’ adoptée par son gouvernement dans la loi de 1972
sur eaux territoriales [telle qu’amendée en 1977] et la loi de 1989 sur les zones maritimes à la
Proclamation présidentielle de 2005 ». Gouvernement somalien et gouvernement kényan, Rapport er
collectif sur les réunions concernant la frontière maritime Kenya – Somalie, 26-27 mars 2014 (1
avril 2014), p. 2. MS, Vol. III, Annexe 31 ; République fédérale de Somalie, Rapport sur la
réunion entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya concernant le
différend relatif à leur frontière maritime, Nairobi, Kenya, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014), p. 2.
MS, Vol. III, Annexe 24.
131République fédérale de Somalie, Rapport sur la réunion entre la République fédérale
de Somalie et la République du Kenya erncernant le différend relatif à leur frontière maritime,
Nairobi, Kenya, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014), p. 2. MS, Vol. III, Annexe 24.
48Traité anglo-italien, comme point de départ exclusivement pour définir une
132
frontière maritime … » .
3.51. Les négociations de mars 2014 entre les Parties sont reflétées dans le
« Rapport commun du gouvernement de la République du Kenya et de la
République fédérale de Somali [sic] suite à la rencontre entre le Kenya et la
Somalie concernant leur frontière maritime », dûment signé par les représentants
133
des deux États .
3.52. La Somalie a proposé que la prochaine série de négociations ait lieu à
Mogadiscio ou à Djibouti. Le Kenya a, pour sa part, proposé qu’elle ait lieu à
134
Nairobi . La Somalie a accepté cette suggestion et les Parties se sont réunies à
Nairobi comme prévu, à la fin du mois de juillet 2014 13. Les deux délégations
ont échangé leurs présentations PowerPoint reflétant leurs vues concernant la
délimitation de la frontière maritime 136. La Somalie a effectué son exposé le
premier jour, et le Kenya le deuxième jour 137. Comme cela avait été le cas lors
des négociations en mars, la position de la Somalie a mis l’accent sur la loi telle
que reflétée dans la Convention et la jurisprudence internationale, alors que le
132Gouvernement somalien et gouvernement kényan, Rapport collectif sur les réunions
concernant la frontière maritime Kenya – Somalie, 26-27 mars 2014 (1 avril 2014), pp. 3-4. MS,
Vol. III, Annexe 31.
13Ibid., p. 6.
134
Note verbale du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international de la
République du Kenya, adressée au ministère des Affaires étrangères et de la Promotion des
investissements de la République fédérale de Somalie, n° MFA. PROT 7/17A VOL. IV(18) (11
juillet 2014). MS, Vol. III, Annexe 44.
135Les Parties n’ont pas abordé la question du Mémorandum d’accord lors de cette série
de réunions.
136Gouvernement somalien et gouvernement kényan, Rapport collectif sur les réunions
concernant la frontière maritime Kenya – Somalie, 28-29 juillet 2014 (juillet 2014). MS, Vol. III,
Annexe 32.
13Ibid.
49Kenya a continué d’insister sur le caractère central de la notion d’équité 138. Après
des discussions « intenses » mais sans résultats, les délégations ont convenu
d’ajourner leurs discussions et de les reprendre à Mogadiscio pour une troisième
139
et une quatrième série de négociations les 25 et 26 août 2014 .
3.53. Les négociations de juillet ont abouti à la rédaction d’un nouveau Rapport
140
commun (le « Deuxième rapport commun ») . Mme Mona Al-Sharmani, la
responsable de l’équipe technique somalienne, a signé le Deuxième rapport
commun avant de le transmettre à son homologue kényan par courriel le 5 août
141
2014 . Le 6 août 2014, Mme Juster Nkoroi, la responsable de l’équipe technique
kényane, a répondu en confirmant qu’elle signerait le Deuxième rapport
142
commun dès son retour au bureau le 11 août 2014 . Mme Nkoroi a également
indiqué qu’elle attendait avec impatience la prochaine série de réunions prévue
les 25 et 26 août 2014 à Mogadiscio 143.
3.54. Par la suite, la Somalie a demandé à plusieurs reprises si la rédaction du
Deuxième rapport commun progressait, et s’il était confirmé que la délégation du
Kenya devant participer aux négociations à Mogadiscio viendrait comme
138
Ibid.
139
Ibid. Voir lettre de Son Excellence M. Abdirahman Beileh, ministre des Affaires
étrangères et de la Promotion des investissements de la République fédérale de Somalie, adressée
à Mme Amina Mohamed, ministre des Affaires étrangères de la République du Kenya, n° 2231
(26 août 2014), p. 1. MS, Vol. III, Annexe 47.
140
Gouvernement somalien et gouvernement kényan, Rapport collectif sur les réunions
concernant la frontière maritime Kenya – Somalie, 28 - 29 juillet 2014 (juillet 2014). MS, Vol.
III, Annexe 32.
141
Échange par courriel entre Mme Mona Al Sharmani, conseillère spéciale auprès du
Président de la République fédérale de Somalie, et Mme Juster Nkoroi, République du Kenya,
concernant la signature du Rapport collectif sur les réunions concernant la frontière maritime
Kenya – Somalie, 28 - 29 juillet 2014 (6 - 16 août 2014), p. 4, Courriel du 5 août 2014. MS, Vol.
III, Annexe 46.
142Ibid., p. 2, courriel du 6 août 2014.
143
Ibid., 6 août 2014.
50prévu 144. Kenya n’a pas répondu, n’a jamais signé le Deuxième rapport commun
et n’a pas envoyé sa délégation à Mogadiscio pour les discussions prévues 145.
3.55. Le ministre des Affaires étrangères somalien a écrit à son homologue
146
kényan le 26 août 2014 . Dans cette lettre, il note que délégation somalienne
était prête à rencontrer la délégation kényane à Mogadiscio, tel que convenu. Le
ministre des Affaires étrangères somalien y rappelait également que les Parties
s’étaient déjà rencontrées deux fois, et concluait en indiquant que la Somalie était
147
déçue que les réunions prévues au mois d’août n’aient pas eu lieu .
3.56. Déçue par l’absence à la fois de réponse du Kenya et de progrès au cours
des deux séries de négociations précédentes, et par ailleurs de plus en plus
troublée par les actions unilatérales du Kenya concernant la zone litigieuse, la
Somalie a conclu qu’il était inutile de continuer. Par conséquent, elle a décidé
d’engager la présente procédure et de chercher à résoudre ce différend
conformément au droit international. Sa requête à la Cour a été soumise le 28
août 2014.
144Ibid., 11, 15 et 16 août 2014.
145
La seule communication du Kenya à ce sujet à ce moment-là est une lettre datée du 13
août 2014, qui manifestait un désaccord avec la Proclamation de la ZEE de 2014 de la Somalie et
la Soumission intégrale de la Somalie auprès de la CLPC. Lettre du Ministère des Affaires
étrangères et du Commerce international au Ministère des Affaires étrangères et de la Promotion
des investissements de la République fédérale de Somalie (13 août 2014). MS, Vol. III, Annexe
45.
146 Lettre de Son Excellence M. Abdirahman Beileh, Ministre des Affaires étrangères et
de la Promotion des investissements de la République fédérale de Somalie, adressée à
Mme Amina Mohamed, Ministre des Affaires étrangères de la République du Kenya, n° 2231 (26
août 2014). MS, Vol. III, Annexe 47.
147Ibid., p. 2.
51CHAPITRE 4. EMPLACEMENT DU TERMINUS DE LA FRONTIÈRE
TERRESTRE, ET POINT DE DÉPART DE LA
FRONTIÈRE MARITIME
4.1. Dans ce chapitre, la Somalie indique où se situe le terminus de la frontière
terrestre (le « TFT ») — là où commence la délimitation de la frontière maritime
— à savoir au point précis où la frontière terrestre entre les Parties aboutit sur
l’océan Indien.
4.2. L’emplacement du TFT a été fixé par une série d’accords entre les
gouvernements du Royaume-Uni et d’Italie conclus au début du XXe siècle, en
vertu desquels ces deux puissances coloniales cherchaient à délimiter leurs
« sphères d’influence » respectives dans certaines parties d’Afrique de l’Est. Ces
accords ont culminé avec l’adoption d’un traité bilatéral, et par la mise en place
ultérieure d’une commission mixte responsable de délimiter la frontière entre la
colonie britannique et la colonie italienne de Jubaland (qui a été plus tard
148
incorporée à la colonie italienne adjacente du Somaliland du Sud) . Les clauses
du traité, ainsi que la démarcation ultérieure de la frontière réalisée par la
Commission mixte, fixent l’emplacement de la frontière et du TFT de manière
très précise par référence aux cartes et graphiques disponibles à l’époque 14.
4.3. La frontière entre la Somalie et le Kenya d’aujourd’hui a initialement
servi à délimiter les sphères d’influence du Royaume-Uni et de l’Italie dans la
14Voir ci-après parags. 4.4 à 4.7.
149
La Somalie et le Kenya ont tous deux agi en supposant que l’extrémité de la frontière
des eaux territoriales se situe à l’emplacement indiqué dans ces instruments. Par conséquent, et
exclusivement dans le but de délimiter sa frontière maritime avec le Kenya, la Somalie s’est
préparée à procéder en supposant que ces instruments indiquaient correctement l’emplacement du
TFT.
52zone située entre le fleuve Daua 150 et l’océan Indien 151. Un traité anglo-italien de
1891 a initialement fixé une ligne de démarcation entre les possessions coloniales
de ces deux puissances européennes en Afrique de l’Est 152.
4.4. Trente-trois plus tard, la frontière entre ce qui, à cette époque-là,
correspondait au territoire de la Colonie du Kenya de la Grande-Bretagne et au
territoire italien de Jubaland a été modifiée par le « Traité de 1924 entre l’Italie et
le Royaume-Uni régissant certaines questions concernant les frontières de leurs
153
territoires respectifs en Afrique de l’Est » (le « Traité de 1924 ») .
4.5. La frontière établie par le Traité de 1924 allait de la confluence des
fleuves Ganale et Daua, au nord, jusqu’à l’océan Indien, au sud. L’article 1 du
Traité de 1924 établit le segment final de la frontière terrestre au sud à l’aide d’un
méridien de longitude aboutissant à la côte. Il prévoyait en particulier que :
« Depuis ce point le long de cette frontière
régionale jusqu’à un point plein nord du point situé
sur la côte plein ouest de l’îlot le plus sud des
150Également appelé le Daua Parma ou le Dawa. U.S. Department of State, International
Boundary Study No. 134: Kenya-Somalia Boundary, p. 2. MS, Vol. IV, Annexe 82.
151Ibid., p. 2.
152
Protocole entre les gouvernements britannique et italien concernant la démarcation de
leurs sphères d’influence respectives en Afrique de l’Est, depuis le fleuve Juba jusqu’au Blue Nile
(24 mars 1891), reproduit dans THE M AP OF AFRICA BY TREATY , Vol. II (E. Hertslet, éd., 1896).
MS, Vol. III, Annexe 1. L’article 1 de l’Accord de 1891 prévoyait que :
« La ligne de démarcation en Afrique de l’Est entre les sphères d’influence
respectivement réservées à la Grande-Bretagne et l’Italie suivra, depuis la mer,
le chenal central (thalweg) du fleuve Jube [Jubba] jusqu’à la latitude 6° nord,
Kismayn [Kismaayo], son territoire situé sur la rive droite de ce fleuve
demeurant par conséquent anglais ».
153 Traité entre l'Italie et le Royaume-Uni régissant certaines questions concernant les
frontières de leurs territoires respectifs en Afrique de l’Est, signé à Londres (15 juillet 1924), et
l’Échange de notes établissant une portion des dites frontières, Rome, (16 et 26 juin 1925), 35
L.N.T.S. 380 (1925) (ci-après le « Traité entre l’Italie et le Royaume-Uni (15 juillet 1924) »). MS,
Vol. III, Annexe 2.
53 quatre îlots situés à proximité immédiate de Ras
Kiambone …. Ras Kiambone (Dick’s Head) ;
depuis ce point, plein sud jusqu’à un tel point sur la
côte. Ras Kiambone (Dick’s Head) et les quatre
îlots susmentionné154ont partie du territoire qui est
cédé à l’Italie ») .
4.6. Le Traité de 1924 comprenait une carte, reproduite ici dans la figure 4.1
(dans le volume II uniquement). L’article 2 du Traité de 1924 stipule que : « En
cas de tout écart entre le texte et la carte, le texte prévaudra ».
4.7. En plus de fixer la frontière, le Traité de 1924 a établi une Commission
italo-britannique (la « Commisson Jubaland ») chargée de superviser l’ensemble
155
des questions relatives à la mise en œuvre concrète du Traité . La Commission
Jubaland a ultérieurement créé la Commission des frontières du Jubaland, un
organe subsidiaire chargé spécifiquement de délimiter, mesurer et démarquer la
frontière entre le Kenya et le Jubaland 15.
4.8. Un an après la signature du Traité de 1924, le Royaume-Uni et l’Italie ont
adopté une description modifiée de la portion la plus au sud de la nouvelle
frontière coloniale. Des notes diplomatiques ont été échangées entre les deux
États les 16 et 26 juin 1925. Ces notes déclaraient que :
« Concernant le fait que Ras Kiambone (Dick’s
Head) et les quatre îlots, qui sont situés à proximité
immédiate, fassent partie du territoire cédé à
l’Italie, il est entendu que, après avoir atteint le
méridien situé à l’est de Greenwich qui laisse en
154 Traité entre l’Italie et le Royaume-Uni (15 juillet 1924), art. 1. MS, Vol. III,
Annexe 2.
155Ibid., art. 12.
156
L.N. King, “The Work of the Jubaland Boundary Commission”, The Geographical
Journal, Vol. 72, n° 5 (novembre 1928), p. 418. MS, Vol. IV, Annexe 81.
54 territoire italien le puits d’El Beru (ou tout autre
méridien à l’est de Greenwich, selon ce qui pourrait
être recommandé par les Commissionnaires
conformément au paragraphe 3 de l’article 1 du
Traité), la frontière suivra ce méridien vers le sud
jusqu’au point d’intersection entre ce méridien et le
parallèle de latitude sud 0°50’ ; à partir de là,
allant depuis ce point dans une direction sud-est
jusqu’à un autre point situé à environ six
kilomètres au nord du point de la côte plein ouest
de l’îlot le plus sud des quatre îlots situés dans le
voisinage immédiat de Ras Kiambone (Dick’s
Head) ; et depuis ce point, plein sud jusqu’à un tel
point sur la côte. La côte est définie comme étant la
moyenne du niveau de la mer lors de marées de
157
printemps ordinaires » .
4.9. Entre 1925 et 1927, la Commission de la frontière de Jubaland a mesuré et
démarqué la nouvelle frontière dans son intégralité. Une fois cet exercice achevé,
la Commission de Jubaland a enregistré ses décisions dans un accord signé par les
responsables des missions britannique et italienne le 17 décembre 1927 (l’
« Accord de 1927 ») 158. L’Accord de 1927 entre le Royaume-Uni et l’Italie a été
officiellement adopté le 22 novembre 1933 15.
4.10. L’Accord de 1927 est divisé en cinq parties : le texte principal et quatre
annexes, fournissant (1) une description générale et détaillée de la frontière ; (2)
157
Traité entre l’Italie et le Royaume-Uni (15 juillet 1924), Note du 16 juin 1925
(italiques ajoutées). MS, Vol. III, Annexe 2.
158
Accord entre l’Italie et le Royaume-Uni dans lequel sont enregistrées les décisions de
la Commission mise en place vertu de l’article 12 du Traité entre Sa Majesté Britannique et Sa
Majesté le Roi d’Italie, signé à Londres le 15 juillet 1924, pour régir certaines questions
concernant les frontières de leurs territoires respectifs en Afrique de l’Est (17 décembre 1927).
MS, Vol. III, Annexe 3. Voir également Gouvernement britannique et gouvernement italien,
Procès-verbal de la 21e réunion (17 décembre 1927). MS, Vol. III, Annexe 33.
159Échange de notes entre le gouvernement de Sa Majesté au Royaume-Uni et le
gouvernement italien concernant la frontière entre le Kenya et le Somaliland italien (22 novembre
1933), U.K.T.S. n° 1, Cmd. 4491 (1934). MS, Vol. III, Annexe 4.
55le tableau des coordonnées géographiques ; (3) la carte de la frontière
démarquée ; et (4) l’index géographique de la carte, indiquant les orthographes
britannique et italienne des noms de lieux.
4.11. Le paragraphe 6 de l’Accord de 1927 indique où la frontière terrestre
rejoint l’océan Indien. Il utilise pour cela le point le plus au sud au sein d’un
groupe d’îlots proches de Ras Chiamboni (les îles Diua Damasciaca) en tant que
point de référence latéral permettant de déterminer l’emplacement du TFT :
« L’article I du Traité [de 1924] indique qu’il existe
quatre îlots à proximité de Ras Chiamboni.
La Commission A découvert qu’il existait en réalité
six îlots.
L’un d’entre eux est une extension de Ras
Chiamboni au nord.
Les cinq autres forment un groupe situé à environ 2
km au sud-ouest du point de contrôle de Ras
Chiamboni et sont collectivement désignés Diua
Damasciaca.
L’îlot le plus au sud dans ce groupe n’est pas
beaucoup plus important qu’un rocher quasi
circulaire d’environ 50 m de diamètre.
La Commission, dûment habilitée à le faire par les
deux gouvernements, a décidé que le parallèle de
latitude tangentiel à l’extrémité sud de ce dernier
îlot doit être utilisé pour établir la position du point
où la frontière rejoint la côte »60.
160
Accord entre l’Italie et le Royaume-Uni dans lequel sont enregistrées les décisions de
la Commission mise en place vertu de l’article 12 du Traité entre Sa Majesté Britannique et Sa
Majesté le Roi d’Italie, signé à Londres le 15 juillet 1924, pour régir certaines questions
564.12. L’Accord de 1927 note également une légère modification de
l’emplacement de la section longitudinale sud de la frontière, que les
commissionnaires de la frontière ont convenu de déplacer d’une distance de 15 m
à l’intérieur des terres. Ceci avait pour objectif de fournir un emplacement plus
adapté et plus stable pour l’établissement physique du pilier final de la frontière :
« La Commission, dûment habilitée à le faire par
les deux gouvernements, a décidé que le court
segment de frontière établi dans le Traité par un
méridien de longitude dans la région de Ras
Chiamboni doit être déplacé de façon à ce que le
point final soit situé 15 m à l’intérieur des terres
par rapport à la laisse de haute mer et sur le
parallèle de latitude mentionné au paragraphe 6 ;
les eaux côtières étant très peu profondes à cet
endroit, et la laisse de haute mer correspondant au
niveau de l’effritement du bord de la terrasse
sableuse.
161
Cette localité est dénommée Dar es Salam » .
4.13. Conformément à cette légère modification, la « Description générale » de
la frontière figurant à l’Appendice I circonscrit le segment final de la frontière
dans les termes suivants :
« Depuis ce point, sur une ligne droite orientée sud-
est, vers le point le plus élevé de Ras Chiamboni
jusqu’à ce que cette ligne croise le méridien de
longitude passant à travers un point à Dar Es Salam
15 mètres à l’intérieur des terres par rapport à la
laisse de haute mer et plein ouest à partir de
concernant les frontières de leurs territoires respectifs en Afrique de l’Est (17 décembre 1927),
parag. 6 (italiques ajoutés). MS, Vol. III, Annexe 3.
16Ibid., parag. 7 (italiques ajoutées)
57 l’extrémité sud du point le plus sud du groupe de
cinq îlots appelé Diua Damasciaca ;
Depuis ce point, plein sud le long de ce méridien et
jusqu’au 162nt situé à Dar Es Salam défini ci-
dessus » .
4.14. Après avoir atteint le point appelé Dar Es Salam, la frontière terrestre
continue alors jusqu’à la mer « dans une direction sud-est », le long « d’une ligne
droite à angle droit de l’orientation générale de la côte à Dar Es Salam ».
4.15. Selon la « Description détaillée » figurant à l’Appendice I, la longueur
totale de la frontière terrestre est marquée par un parcours traversant la
végétation, et elle est « signalée de manière plus permanente grâce à des balises
principales et secondaires espacées » 163. On y comptait un total de 29 balises,
dont la Balise principale n° 29 (décrite comme un « amer essentiellement
constitué de maçonnerie cimentée »), qui est la plus au sud et marque
l’emplacement du point situé à 15 m à l’intérieur des terres par rapport à la laisse
de haute mer à Dar Es Salam, tel qu’indiqué ci-dessus 164. Selon le tableau de
coordonnées géographiques figurant à l’Appendice II de l’Accord de 1927, la
Balise principale n° 29 était située à « S. 1 39 51.95 » et « E. 41 33 52.18 » 165.
4.16. Les seules exceptions à la démarcation physique étaient deux « courtes
longueurs de quelques mètres chacune » au sud et au nord de la frontière terrestre,
qui étaient « indiquées exclusivement par alignement ». La section vierge située à
162Ibid., Appendice I : Description de la frontière entre la Colonie et le Protectorat du
Kenya, d’une part, et le Somaliland italien, d’autre part, Première partie : Description générale.
163
Ibid., Appendice I, Deuxième partie : Description détaillée.
164
Ibid., Appendice I, Deuxième partie, § 5.
165Ibid., Appendice II : Tableau des coordonnées géographiques des points situés sur ou
à proximité de la frontière entre la Colonie et le Protectorat du Kenya, d’une part, et le Somaliland
italien, d’autre part, fourni par la Commission de la frontière anglo-italienne (Jubaland), p. 30.
58l’extrémité sud était décrite comme « une longueur au sud, depuis la Balise
166
principale n° 29 jusqu’à la mer » . Tel qu’indiqué, la description générale de la
frontière dans l’Appendice I établissait ce segment de la frontière par la ligne
« orientée sud-est » à « angle droit de l’orientation générale de la côte à Dar Es
Salam » .167
4.17. En plus de la description textuelle, l’Accord frontalier contenait également
une carte validée par les Parties montrant l’emplacement de la nouvelle frontière,
qui indiquait le parcours de l’ensemble de la frontière terrestre. Étant donné que
les distances en jeu sont limitées à simplement quelques mètres, la carte ne
montre pas la section non identifiée finale de la frontière terrestre depuis Dar Es
Salam jusqu’à la mer. Un extrait du segment de la frontière là où elle s’approche
de la côte est illustré dans la figure 4.2 (après la page 58).
4.18. Afin de déterminer l’emplacement précis de l’TFT des Parties au sein des
données actuelles (WGS-84), il est nécessaire de commencer par localiser
l’emplacement précis de la Balise principale n° 29. Bien que l’Appendice II
à l’Accord de 1927 fournisse les coordonnées exactes de l’emplacement de cette
balise, celles-ci découlaient, en raison de la technologie utilisée à l’époque, de
relevés astronomiques et ne peuvent, par conséquent, être directement converties
au WGS-84.
4.19. Cependant, il reste possible de déterminer l’emplacement exact de la
168
Balise principale n° 29 par d’autres moyens . Tel qu’indiqué, conformément à
l’Accord de 1927, la balise située plein ouest du point le plus au sud des îles Diua
166Ibid., Appendice I, Deuxième partie.
167
Ibid., Appendice I, Première partie.
168
Compte tenu des problèmes de sécurité en ce moment dans cette région, il n’est pas
possible de se rendre sur le terrain pour vérifier l’emplacement exact de la balise.
59Damasciaca, 15 mètres à l’intérieur des terres par rapport à la laisse de haute mer.
La figure 4.3 (après la figure 4.2) est une image satellite de ces îles datant de
février 2010. Comme cette figure le montre, le point le plus sud est situé à
1°39’43.30” S - 41°34’35.40” E (ces coordonnées et toutes les autres ci-après
figurent dans WGS-84).
4.20. Lorsque cette ligne est prolongée plein ouest, elle croise la ligne
longitudinale parallèle correspondant au parcours — la ligne traverse la
végétation de part en part — validé par la Commission de la frontière du Jubland
lorsque celle-ci a délimité la frontière terrestre en 1926-27 à un point situé
presque exactement à 15 mètres à l’intérieur des terres par rapport à la laisse de
haute mer. Tel est l’emplacement anticipé de la Balise principale n° 29, ce qui est
également illustré dans la figure 4.3. En effet, bien que ceci ne soit pas concluant,
l’image semble confirmer la présence d’un objet situé exactement au point où
l’on s’attendrait à trouver la Balise principale n° 29. Les coordonnées exactes de
ce point sont 1°39’43.30” S - 41°33’33.49” E.
4.21. Cette balise, cependant, n’est pas le TFT en tant que tel, étant donné qu’il
demeure nécessaire de connecter la balise à la laisse de basse mer. Tel
qu’expliqué ci-dessus, aux termes de l’Accord de 1927, la frontière terrestre court
de la Balise principale n° 29 jusqu’à la mer dans une direction sud-est « sur une
169
ligne droite à angle droit de l’orientation générale de la côte à Dar Es Salam » .
4.22. Dans la figure 4.4 (après la page 60), l’orientation générale de la côte à
Dar Es Salam — établie par référence à la carte de 1927 — est illustrée au moyen
169
Accord entre l’Italie et le Royaume-Uni dans lequel sont enregistrées les décisions de
la Commission mise en place vertu de l’article 12 du Traité entre Sa Majesté Britannique et Sa
Majesté le Roi d’Italie, signé à Londres le 15 juillet 1924, pour régir certaines questions
concernant les frontières de leurs territoires respectifs en Afrique de l’Est (17 décembre 1927),
parag. 6 (italiques ajoutés). Appendice I, Première partie. MS, Vol. III, Annexe 3.
60d’une ligne noire en pointillé. En traçant une ligne perpendiculaire à cette ligne
depuis la Balise principale n° 29 en direction de la mer, on obtient une ligne noire
qui croise la laisse de basse mer à quelque 41 mètres de cette balise. Les
coordonnées du point où cette ligne rejoint la mer sont 1°39’44.07” S -
41°33’34.57” E.
4.23. Sur la base de cette méthode, la Somalie estime que les coordonnées
spécifiées constituent le point de départ de la frontière maritime entre les Parties.
4.24. La Somalie ne pense pas que le Kenya proposera un point de départ de la
frontière maritime différent. Tel qu’indiqué au paragraphe 3.50 ci-dessus, en mars
2014, les Parties ont convenu « que le Pilier BP29 convenu d’un commun accord,
tel que reflété dans le Traité anglo-italien de 1924, constitue le point de départ
exclusivement aux fins d’établir une frontière maritime » . 170
170
Gouvernement somalien et Gouvernement kényan, Rapport collectif sur les réunions
concernant la frontière maritime Kenya – Somalie, 26 - 27 mars 2014 (1 avril 2014), pp. 3-4. MS,
Vol. III, Annexe 31.
61 CHAPITRE 5. DÉLIMITATION DES EAUX TERRITORIALES
5.1. Dans ce chapitre, la Somalie présente ses soumissions concernant la
délimitation des eaux territoriales, depuis l’emplacement du TFT (tel qu’indiqué
au chapitre précédent) jusqu’au point où les eaux territoriales rejoignent la ZEE et
le plateau continental à 12 M de la côte.
5.2. La règle générale, reflétée à l’article 15 de la CNUDM, prévoit que les
eaux territoriales entre les deux États côtiers adjacents seront délimitées par
rapport à une ligne médiane (équidistance). Cette règle peut uniquement être
supplantée dans des situations limitées, lorsqu’il existe un accord contraire ou un
titre historique, ou dans d’autres « circonstances spéciales ». Tel qu’indiqué au
chapitre 2 ci-dessus, la côte Somalie-Kenya n’offre aucune protubérance ou
concavité, ni aucune autre caractéristique particulière en vertu de laquelle utiliser
une ligne d’équidistance serait inadapté. Il n’existe pas non plus d’accord ou de
titre historique stipulant le contraire. Par conséquent, la règle générale
mentionnée à l’article 15 s’applique pleinement dans cette affaire.
5.3. Nonobstant diverses considérations géographiques et juridiques, le Kenya
juge que la frontière dans les eaux territoriales est un parallèle de latitude. Une
telle revendication est totalement injustifiable puisqu’elle n’est aucunement
fondée sur le droit international. Ceci est, par ailleurs, fondamentalement injuste
et dénué de tous principes. Ce qui est encore plus remarquable est que réclamer
cette ligne frontalière dans les eaux territoriales tel que le fait présentement le
Kenya est contraire à la position que ce pays a expressément inscrit dans sa
propre législation nationale il y a plus de trente ans.
5.4. Ce chapitre est divisé en deux sections. La section I, elle-même divisée en
quatre parties, décrit la méthodologie utilisée pour délimiter les eaux territoriales
62à partir du TFT. La partie A porte sur la Convention de 1982. La partie B porte
sur les lignes de base appropriées, en se fondant sur les principes du droit
international applicables au contour droit et relativement régulier de la côte
Somalie-Kenya. La partie C explique comment les points de base appropriés ont
été sélectionnés pour établir la ligne d’équidistance et la ligne elle-même. La
partie D explique pourquoi l’équidistance ne peut être supplantée « en aucune
circonstance ». La section II, ensuite, explique pourquoi l’affirmation du Kenya
selon laquelle la frontière correspond au parallèle de latitude est juridiquement et
insoutenable du point de vue des faits.
5.5. Tel qu’indiqué au chapitre 4, le TFT est dans le voisinage du lieu appelé
Dar Es Salaam sur la laisse de basse mer, aux coordonnées 1°39’44.07” S -
41°33’34.57” E. Depuis ce point, la frontière maritime dans les eaux territoriales
suit une ligne d’équidistance pendant 12 M, jusqu’au point où les eaux
territoriales rejoignent la ZEE et le plateau continental, aux coordonnées
1°47’54.60” S et 41°43’36.04” E.
Section II. Droit régissant la délimitation de la mer territoriale
A. C ONVENTION DES N ATIONS U NIES SUR LE DROIT DE LA MER
5.6. Le droit relatif aux eaux territoriales est bien établi. Après la Convention
de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë71, la CNUDM a regroupé les
principes de droit international existants en 1982 et a mis en place un régime
171Le Kenya a signé la Convention sur la mer territoriale et la zone contiguë le 20 juin
1969. La Somalie n’est pas partie à la Convention. Voir Collection des traités des Nations Unies,
État de la Convention sur les eaux territoriales et la zone contiguë, Déclarations et réserves,
disponible sur
https://treaties.un.org/doc/Publication/MTDSG/Volume%20II/Chapter%20XXI….
MS, Vol. III, Annexe 8.
63complet régissant le droit de la mer au sein d’un instrument juridique unifié. La
Somalie et le Kenya ont tous deux ratifié la CNUDM en 1989 172.
5.7. L’article 2 de la CNUDM inscrit le principe — déjà énoncé à l’article 1
de la Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë — selon
lequel chaque État côtier est souverain concernant ses eaux territoriales 173. La
Partie II de la CNUDM, qui inclut l’article 2, contient des règles détaillées sur les
limites des eaux territoriales. Tel que la Cour l’a déclaré, la spécificité de ces
dispositions reflète le fait que, en raison du statut souverain des eaux
territoriales : « Les méthodes régissant la délimitation des mers territoriales
ont nécessairement été définies plus clairement en droit international que celles
qui sont utilisées pour les autres espaces maritimes, plus fonctionnels » . 174
5.8. L’article 3 de la CNUDM reconnaît le droit de chaque État à établir
l’étendue de ses eaux territoriales dans une limite de 12 M. Cette limite doit être
« mesurée à partir de lignes de base établies conformément à la Convention » . 175
À cette fin, la limite extérieure des eaux territoriales est une ligne « dont chaque
point est à une distance à la largeur de la mer territoriale du point le plus proche
176
de la ligne de base » .
172République démocratique de Somalie, loi n° 5, loi maritime somalienne (26 janvier
1989). MS, Vol. III, Annexe 11 ; République démocratique de Somalie, Décret présidentiel n° 14,
Instrument de ratification (9 février 1989). MS, Vol. III, Annexe 12 ; République démocratique de
Somalie, loi n° 11, Mandat – Validation du Troisième droit maritime des Nations Unies (9 février
1989). MS, Vol. III, Annexe 13.
173« La souveraineté d’un État côtier s’étend, au-delà de son territoire terrestre et de ses
mers intérieures …, jusqu’à la ceinture de mer adjacente, que l’on appelle ses eaux territoriales ».
174Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), Fond, arrêt, C.I.J. Receuil 2007, (ci-après « Nicaragua c.
Honduras), parag. 269.
175CNUDM, art. 3.
176Ibid., art. 4.
645.9. L’article 15 régit la délimitation des eaux territoriales entre les États dont
les côtes sont opposées ou adjacentes 17. Il stipule que :
« Lorsque les côtes de deux États sont adjacentes
ou se font face, ni l'un ni l'autre de ces États n’est
en droit, sauf accord contraire entre eux, d'étendre
sa mer territoriale au-delà de la ligne médiane dont
tous les points sont équidistants des points les plus
proches des lignes de base à partir desquelles est
mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun
des deux États. Cette disposition ne s'applique
cependant pas dans le cas où, en raison de
l'existence de titres historiques ou d’autres
circonstances spéciales, il est nécessaire de
délimiter autrement la mer territoriale des deux
États » .78
5.10. L’article 15 est également reconnu comme l’incarnation d’une règle
179
établie du droit international général . Selon le tribunal de l’Annexe VII dans
l’affaire Guyane c. Surinam, l’article 15 « donne la primauté à la ligne médiane
en termes de ligne de démarcation entre les eaux territoriales » d’États
180
adjacents . À cet égard, il est désormais bien établi qu’une présomption
181
d’équidistance existe dans les cas d’eaux territoriales » .
177Hormis quelques « modifications éditoriales mineures » apportées au texte de l’article
12(1) de la Convention de 1958 sur les eaux territoriales, les dispositions de l’article 15 sont
« virtuellement identiques ». Nicaragua c. Honduras, parag. 280.
178CNUDM, art. 15 (italiques ajoutés).
179La C.I.J. a indiqué que l’article 15 « doit être considéré comme un article à caractère
coutumier ». Délimitation maritime et questions territoriales entre le Qatar et le Bahrain (Qatar
c. Bahrain), Fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, (ci-après « Qatar c. Bahrain »), parag. 176.
180Guyane c. Suriname, Arrêt, Tribunal de l’Annexe VII de la CNUDM (17 septembre
2007), parag. 296.
181 ème
B ROWNLIE ’SP RINCIPLES OFP UBLIC NTERNATIONAL L AW (James Crawford ed., 8
éd., 2012), p. 283. MS, Vol. IV, Annexe 91.
655.11. Établir une ligne d’équidistance requiert de procéder en trois temps
comme suit : (a) fixer l’emplacement des lignes de base; (b) identifier les points
de base spécifiques sur ces lignes de base de façon à permettre le calcul d’une
ligne d’équidistance ; et (c) tracer une ligne d’équidistance. Ces trois étapes
seront maintenant appliquées.
B. L IGNES DE BASE
5.12. L’article 3 de la CNUDM stipule que la largeur des eaux territoriales d’un
État doit « être mesurée à partir de lignes de base établies conformément à » la
Convention 18. L’article 5 établit alors le principe général selon lequel :
« Sauf disposition contraire de la Convention, la
ligne de base normale à partir de laquelle est
mesurée la largeur de la mer territoriale est la laisse
de basse mer le long de la côte, telle qu’elle est
indiquée sur les cartes marines à grande échelle
183
reconnues officiellement par l’État côtier » .
5.13. Les articles 6 à 13 contiennent des dispositions spécifiques susceptibles de
supplanter la règle normale aux termes de l’article 5 concernant certaines
184
caractéristiques côtières distinctives, telles que des îles en bordure , des mers
185 186
intérieures et des hauts-fonds découvrants . Selon l’article 14, un État
pourrait établir des lignes de base à l’aide de l’une ou l’autre des méthodes
prévues pour ces articles, sous réserve des conditions applicables. La Cour a
cependant indiqué que le fait d’employer des lignes de base droites constitue une
182
CNUDM, art. 3.
183Ibid., art. 5.
184Ibid., art. 7.
185
Ibid., art. 8.
186Ibid., art. 13.
66« exception » qui « peut uniquement être appliquée lorsqu’un certain nombre de
conditions sont réunies », et que ceci peut donc uniquement être effectué de façon
« limitée » 18.
5.14. Étant donné que les côtes de la Somalie et du Kenya dans le voisinage du
TFT — qui fixe l’emplacement de la ligne d’équidistance entre la Somalie et le
Kenya — ne sont aucunement exceptionnels, la Somalie utilise des lignes de base
188
normales pour mesurer la largeur des eaux territoriales . Le Kenya, par contre,
réclame les lignes de base droites mentionnées au chapitre 3 et illustrées dans la
figure 3.2 (dans le volume II). Du point de vue de la Somalie, le fait que le Kenya
utilise des lignes de base droites est manifestement incompatible avec la
CNUDM. Il n’existe aucun fondement juridique permettant d’employer des
lignes de base droites pour une portion de la côte kényane contiguë au TFT, ni
pour toute autre portion.
5.15. Quoi qu’il en soit, la Cour a déclaré que :
« la question de la détermination de la ligne de base
servant à mesurer la largeur du plateau continental
et de la zone économique exclusive et celle de la
définition des points de base servant à tracer une
ligne d’équidistance/médiane aux fins de délimiter
le plateau continental et la zone économique
187
Qatar c. Bahrain, parag. 212.
188La loi somalienne de 1972 sur les mers territoriales et les ports prévoit que la laisse de
basse mer constituerait la ligne de base normalement utilisée pour mesurer la largeur des eaux
territoriales. République démocratique de Somalie, loi n° 37, loi sur les mers territoriales et les
ports (10 septembre 1972), art. 2(1). MS, Vol. III, Annexe 9. La loi maritime somalienne de 1988
elle aussi utilise la laisse de basse mer en tant que « ligne de base normale ». République
démocratique de Somalie, Ministère de la Pêche et des Transports maritimes, loi maritime
somalienne (1988), art. 4(1). MS, Vol. III, Annexe 10.
67 exclusive entre deux États adjacents ou189 faisant
face sont deux questions distinctes » .
5.16. Le même raisonnement s’applique mutatis mutandis à la délimitation des
eaux territoriales. En effet, la Somalie n’a connaissance d’aucun cas dans lequel
la délimitation de la mer territoriale (ou au-delà) a été tracée en se référant aux
lignes de base déclarées par l’État concerné. Il est par conséquent approprié
d’employer les lignes de base normales (c’est-à-dire les laisses de basse mer) de
la Somalie et du Kenya pour construire la ligne d’équidistance entre les deux
pays.
C. POINTS DE BASE ET CONSTRUCTION DE LA LIGNE D ’ÉQUIDISTANCE
5.17. Dans le cas de la mer Noire, la Cour a expliqué qu’il « convient de tracer
la ligne d’équidistance et la ligne médiane à partir des points les plus pertinents
190
des côtes des deux États concernés » . À cet égard, les points appropriés sont
ceux « qui marquent une modification significative de la direction de la côte
de sorte que la figure géométrique formée par la ligne qui relie l’ensemble de ces
points reflète la direction générale de la ligne de côtes » 191.
5.18. Sur la base de la méthode énoncée dans la Convention, la Somalie a
employé « CARIS-LOTS », le logiciel le plus couramment utilisé à cette fin, qui
se base sur la carte marine du NGA n° 61220 pour identifier les points de base
suivants sur les côtes respectives des Parties.
189Délimitation maritime en Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, (ci-
après l’ « Affaire de la mer Noire »), parag. 137.
190Ibid., parag. 117.
191
Ibid., parag. 127.
685.19. Ces points de base du côté somalien du TFT affectent l’emplacement de la
ligne d’équidistance dans la limite des 12 M. Les points de base S1 et S2 sont
situés sur les îles Diua Damasciaca, respectivement à 1°39’43.30” S -
41°34’35.40” E et 1°39’35.90” S - 41°34’45.29” E. Le point de base S3 est un
haut-fond découvrant situé à 1°39’14.99” S - 41°35’15.68” E.
5.20. Les points de base appropriés du TFT du côté kényan ont été établis sur la
base du même critère : ils sont situés sur les points les plus proches de la mer sur
la côte à basse mer indiqués sur la carte. Deux points de base du côté kényan de la
frontière déterminent la ligne d’équidistance au sein des eaux territoriales. Le
point de base K1 est situé à 1°42’00.06” S - 41°32’47.38” E ; le point de base K2
est situé à 1°43’04.77” S - 41°32’37.18” E.
5.21. L’emplacement de chacun de ces points de base est illustré dans la figure
5.1 (après la page 68). À l’aide de ces points de base, on obtient la ligne
192
d’équidistance dans les eaux territoriales, également illustrée dans la figure 5.1 .
D. A BSENCE DE CIRCONSTANCES SPÉCIALES
5.22. Exceptionnellement, l’article 15 de la CNUDM autorise que l’on s’écarte
de l’équidistance en présence « des circonstances spéciales ». La jurisprudence
192
Les points d’inflexion de la ligne d’équidistance dans les eaux territoriales sont listés
dans le tableau ci-dessous :
Point d’inflexion Coordonnées
P1 1°40’05.92” S - 41°34’05.26” E
P2 1°41’11.45” S - 41°34’06.12” E
1°43’09.34” S - 41°36’33.52” E
P3
P4 1°43’53.72” S - 41°37’48.21” E
P5 1°44’09.28” S - 41°38’13.26” E
69indique clairement qu’il existe des circonstances spéciales uniquement lorsqu’en
raison d’une ou de plusieurs caractéristiques géographiques anormales du littoral,
l’équidistance produirait une frontière arbitraire, déraisonnable et intenable dans
les eaux territoriales.
5.23. Il n’existe aucune « circonstance spéciale » dans la présente affaire. À
l’inverse d’autres affaires, telles que Nicaragua c. Honduras et Qatar c. Bahrain,
la côte Somalie-Kenya à proximité du TFT a une configuration particulièrement
lisse et régulière, toute comme stable. Dans le cas qui nous occupe, il n’existe
aucun facteur géographique ou géologique qui justifie de s’écarter de
l’équidistance dans les eaux territoriales.
5.24. L’absence de circonstances spéciales est confirmée par la législation
kényane, qui, depuis plusieurs décennies, définit sa frontière maritime territoriale
avec la Somalie expressément par référence à l’équidistance. La loi kényane de
1972 sur les eaux territoriales se définit comme d’« Une loi parlementaire visant à
établir la délimitation des eaux territoriales du Kenya, et à toutes fins
associées » 193. Cette loi prévoit que la largeur des eaux territoriales kényanes
« sera mesurée selon la méthode stipulée dans la Liste de cette loi et calculée
conformément aux dispositions de la Convention sur les eaux territoriales et la
zone contiguë ». 194La section 2, sous-section 4 de la loi stipule que :
« Sur la côte adjacente aux États voisins, les eaux
territoriales s’étendront jusqu’à une ligne médiane
dont tous les points sont équidistants des points les
plus proches des lignes de base à partir desquelles
193République du Kenya, loi n° 2 of 1972, loi sur les eaux territoriales (16 mai 1972).
MS, Vol. III, Annexe 16.
194
Ibid., § 2(2).
70 est mesurée la largeur de195 mer territoriale de
chacun des deux États » .
5.25. Dix-sept ans plus tard, la législature kényane a promulgué la loi de 1989
sur les zones maritimes. Cette loi réitère de manière essentiellement identique les
dispositions sur les eaux territoriales de la loi de 1972. La loi de 1989 déclare
qu’elle vise, entre autres, à « consolider la loi sur les eaux territoriales … du
Kenya » 196. Elle fait référence aux dispositions sur les eaux territoriales de la
CNUDM, et adopte expressément une frontière maritime territoriale
« équidistante ». La section 3 prévoit que :
« (1) Sauf disposition contraire dans la sous-section
(4), l’étendue des eaux territoriales du Kenya sera
de douze milles marins.
(2) L’étendue des eaux territoriales sera mesurée de
la manière fixée dans la Première liste et calculée
conformément aux dispositions de la Convention
des Nations Unies sur le droit de la mer conclue à
Montego Bay le 10 décembre 1982. …
(4) « Sur la côte adjacente aux États voisins, les
eaux territoriales s’étendront jusqu’à chaque point
équidistant des points les plus proches des lignes de
base à partir desquelles est mesurée la large197de la
mer territoriale de chacun des deux États » .
5.26. Pour autant que la Somalie ait pu le déterminer, la loi de 1989 sur les
zones maritimes du Kenya demeure en vigueur. La loi kényane sur
195Ibid., § 2(4) (italiques ajoutées).
196Le nom intégral de la loi indique : « Une loi parlementaire visant à consolider la loi
sur les eaux territoriales et le plateau continental du Kenya ; à prévoir l’établissement et la
délimitation de la zone économique exclusive du Kenya ; à prévoir l’exploration, l’exploitation, la
conservation et la gestion des ressources des zones maritimes ; et ce à des fins associées ».
197
Ibid., § 3.
71l’interprétation et les dispositions générales (chap. 2) définit le terme « eaux
territoriales » comme signifiant « toute partie de la haute mer en deçà d’une limite
de 12 milles marins depuis la côte du Kenya mesurée conformément aux
198
dispositions de la loi sur les zones maritimes » . Cette définition des eaux
territoriales kényanes s’applique aux fins de « toute autre législation écrite, et à
tous les documents publics promulgués, établis ou émis avant ou après l’entrée en
199
vigueur de cette loi » .
Section III. Revendication du Kenya réclamant une
frontière basée sur un parallèle de latitude
5.27. Pour les raisons décrites ci-dessus, la présente affaire représente un
exemple paradigmatique d’affaire dans lequel la frontière dans les eaux
territoriales doit être établie en se basant sur l’équidistance. Rien, dans la
géographie de la côte de l’une ou l’autre des Parties, ne justifie que l’on s’écarte
de ce principe général. Il n’existe, par ailleurs, aucun élément, au cours de la
période pré-indépendance de chacun des deux pays ou au sein de leurs pratiques
depuis leur indépendance, justifiant que soit ici supplantée la présomption d’une
frontière d’équidistance dans les eaux territoriales.
5.28. En 2005, le Président du Kenya a émis une Proclamation (la
« Proclamation de 2005 »), dans laquelle il énonce une position déjà adoptée dans
une proclamation similaire en 1979. La Proclamation de 2005 ne portait pas
expressément sur l’emplacement de la frontière des eaux territoriales, mais visait
plutôt à établir la frontière nord de la ZEE du Kenya par référence à la frontière
nord putative des eaux territoriales kényanes le long d’un parallèle :
198République du Kenya, droit kényan, Chapitre 2, loi sur l’interprétation et les
dispositions générales (1983, version révisée en 2008), § 3. MS, Vol. III, Annexe 23.
199
Ibid., § 3(1).
72 « Sans préjudice de ce qui précède, la Zone
économique exclusive du Kenya : …
b. concernant la frontière nord de ses eaux
territoriales avec la République de Somalie, sera
située sur la latitude est, au sud de l’île Diua
Damascian [si200 à savoir la latitude 1°39’34”
degrés sud » .
5.29. La frontière parallèle revendiquée par le Kenya ne repose sur aucune base
historique ou juridique. Les puissances coloniales ne se sont pas entendues sur
une frontière maritime qui suivrait un parallèle, et les gouvernements de Somalie
et du Kenya n’ont conclu aucun accord à ce sujet depuis l’indépendance. Tel
qu’expliqué ci-dessus, depuis au minimum 1972, la législation kényane reconnaît
expressément une frontière d’équidistance dans les eaux territoriales, et la
législature de ce pays a réaffirmé l’existence d’une frontière « équidistante » en
1989. Par conséquent, nous ne comprenons pas bien sur quelle base juridique le
Kenya se fonde pour affirmer que cette frontière suit le parallèle de latitude qui
traverse le TFT.
5.30. Au-delà de la contradiction constatée entre le droit kényan et le droit
international, la méthode employée par le Kenya est arbitraire et aurait des
conséquences inapplicables. Premièrement, tel qu’illustré dans la figure 5.2
(après la page 72), compte tenu des coordonnées spécifiées dans la Proclamation
de 2005 201, le parallèle de latitude demandé par le Kenya couperait en deux la
200
République du Kenya, Avis juridique n° 82, Proclamation du Président de la
République du Kenya (9 juin 2005) publiée dans le supplément du numéro 55 de Kenya Gazette
(Supplément législatif n° 34) (22 juillet 2005), art. 1. MS, Vol. III, Annexe 21.
201
La Proclamation présidentielle déclare que la frontière des eaux territoriales kényanes
sera située « sur la latitude est, au sud des îles Diua Damascian, à savoir la latitude 1°39’34”
degrés sud ». Ibid., parag. 1(b). La Première liste contient les coordonnées de la ligne de base
utilisée pour déterminer l’étendue des eaux territoriales du Kenya aux fins de la Proclamation. La
première coordonnée dans cette liste est 1°39’34.25344”S - 41°34’44.19626”E, qui indique un
emplacement sur l’ile située au centre de la plus importante des îles Diua Damasciaca. Ibid.
73plus grande des îles Diua Damasciaca, et maintiendrait l’île la plus au sud
exclusivement dans les eaux territoriales kényanes. Pourtant, les îles Diua
Damasciaca ont de tout temps été considérées comme faisant partie du territoire
somalien. Le Traité de 1924 — ainsi que l’Accord de 1927 — indiquent
expressément que les îles Diua Damasciaca ne font pas partie du territoire italien
— une position appuyée par la loi kényane de 1972 sur les eaux territoriales et la
202
loi kényane de 1989 sur les zones maritimes . La souveraineté de ces îles n’a
jamais fait aucun doute, et il est donc difficile de comprendre sur quelle base le
Kenya se fonde pour réclamer la frontière parallèle mentionnée dans la
Proclamation de 2005.
5.31. Quoi qu’il en soit, étant donné que le TFT est située quasiment
exactement à l’opposé du point le plus au sud des îles Diua Damasciaca, toute
frontière maritime suivant le parallèle de latitude passant à travers l’TFT placerait
ces îles littéralement à quelques mètres des eaux territoriales kényanes. En
d’autres termes, la méthode proposée par le Kenya priverait concrètement les îles
Diua Damasciaca de larges sections d’eaux territoriales qui leur reviennent en
vertu de la CNUDM et du droit international général. La figure 5.3 (après la page
74) indique l’emplacement de cette ligne. Un tel résultat est incompatible avec la
Convention de 1982, ainsi qu’avec la jurisprudence de la Cour et d’autres cours et
tribunaux internationaux.
5.32. En résumé, il n’existe pas la moindre base juridique, géographique ou
historique en faveur d’une frontière maritime territoriale courant le long d’un
202
La partie finale de la Description générale de l’Appendice à l’Accord de 1927 déclare,
par exemple : « depuis ce point, dans une direction sud-est jusqu’à la limite des eaux territoriales
en ligne droite à angle droit de l’orientation générale de la côte à Dar Es Salam, ce qui maintient
les îlots de Diua Damasciaca en territoire italien ». Échange de notes entre le gouvernement de
Sa Majesté au Royaume-Uni et le gouvernement italien concernant la frontière entre le Kenya et
le Somaliland italien (22 novembre 1933), U.K.T.S. n° 1, Cmd. 4491 (1934), Appendice I,
Première partie : « Description générale » (italiques ajoutés). MS, Vol. III, Annexe 4.
74parallèle de latitude. Il en résulte que la tâche de la Cour concernant la
délimitation de la frontière maritime territoriale est simple : la frontière maritime
dans les eaux territoriales doit être établie en appliquant sans détour la méthode
de l’équidistance, tel qu’indiqué ci-dessus.
*
5.33. En conséquence, la frontière maritime territoriale entre la Somalie et le
Kenya doit être délimitée tel qu’illustré à la figure 5.1 (après la page 68).
L’extrémité de cette ligne est située à 1°47’54.60” S et 41°43’36.04” E, un point
qui constitue également le point de départ de la frontière entre les Parties sur le
plateau continental en-deçà de 200 M et de la ZEE. La question de cette frontière
est abordée au chapitre 6.
75CHAPITRE 6. DÉLIMITATION DE LA ZEE ET DU PLATEAU
CONTINENTAL EN DEÇÀ DE 200 M
6.1. Le chapitre 6 présente les arguments de la Somalie concernant la
délimitation de la ZEE et du plateau continental jusqu'à 200 M. Pour sa part, le
chapitre 7, porte sur la délimitation du plateau continental au-delà de 200 M.
6.2. La Somalie soutient que la ZEE et le plateau continental dans les 200
milles marins doivent être délimités sur la base d'une ligne d’équidistance
globalement orientée environ N124.5°E. Cette ligne, illustrée dans la figure 6.1
(après la page 76), débute à la limite extérieure de la frontière maritime
territoriale indiquée au chapitre 5, et s’étend jusqu'à la limite des 200 M.
L’extrémité de la ligne d’équidistance doit constituer à la fois la limite extérieure
de la ZEE et le point de départ de la délimitation du plateau continental extérieur,
tel qu’indiqué au chapitre 7.
6.3. La section I de ce chapitre examine le droit applicable, y compris la
jurisprudence internationale plus pertinente pour cette affaire. La section II
précise quelles sont les côtes et la zone concernées pour chacune des Parties aux
fins de l'établissement du contexte géographique dans lequel la délimitation doit
être effectuée. Enfin, la section III porte sur la délimitation de la frontière entre la
Somalie et le Kenya dans la ZEE et sur le plateau continental en deçà de 200 M.
La Somalie montrera qu’appliquer la méthode en trois temps, aujourd’hui
employée de façon standard, aux circonstances de la présente affaire, permet de
conclure qu’une ligne d’équidistance constitue la solution équitable requise par la
loi.
76 Section I. Droit applicable
A. R ÉGIMES DE LA ZEE ET DU PLATEAU CONTINENTAL
6.4. Les régimes de la ZEE et du plateau continental sont respectivement régis
par la partie V (y compris ses articles 55 à 75) et la partie VI (y compris ses
articles 76 à 85) de la Convention.
6.5. L’article 55 de la Convention définit ainsi la ZEE comme :
« une zone située au-delà de la mer territoriale et
adjacente à celle-ci, soumise au régime juridique
particulier établi par la présente partie, en vertu
duquel les droits et la juridiction de l’État côtier et
les droits et libertés des autres États sont gouvernés
par les dispositions pertinentes de la
Convention » . 203
203CNUDM, art. 55. L’article 56, paragraphe 1 énonce les droits, la juridiction et les
responsabilités de l’État côtier dans la ZEE. Il stipule que :
1. Dans la [ZEE], l’État côtier a:
(a) des droits souverains aux fins d’exploration et
d’exploitation, de conservation et de gestion des
ressources naturelles … des eaux surjacentes aux
fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol,
ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant
à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des
fins économiques… ;
(b) juridiction, conformément aux dispositions
pertinentes de la Convention en ce qui concerne : (i)
la mise en place et l’utilisation d’îles artificielles et
d’installations et d’ouvrages ; (ii) la recherche
scientifique marine ; et (iii) la protection et la
préservation du milieu marin ;
(c) les autres droits et obligations prévus par la
Convention.
776.6. L’article 57 prévoit que la ZEE « ne s’étend pas au-delà de 200 milles
marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer
204
territoriale » . Contrairement aux droits d’un État côtier concernant le plateau
205
continental, une ZEE doit être délibérément revendiquée .
6.7. L’article 76, paragraphe 1 de la CNUDM définit le plateau continental
comme comprenant :
« les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa
mer territoriale sur toute l’étendue du prolongement
naturel du territoire terrestre de cet État jusqu’au
rebord externe de la marge continentale, ou jusqu’à
200 milles marins des lignes de base à partir
desquelles est mesurée la largeur de la mer
territoriale, lorsque le rebord externe de la marge
continentale se trouve à une distance inférieure » 206.
6.8. Les États côtiers ont par conséquent droit à un plateau continental qui
s’étend soit (1) jusqu’à 200 M à partir de leurs lignes de base, soit (2) jusqu’à la
limite extérieure de la marge continentale lorsqu’une telle marge s’étend au-delà
de 200 M. Les critères employés pour définir les droits des parties concernant le
plateau continental au-delà de 200 M sont énoncés à l’article 76, paragraphe 4 et
204 Ibid., art. 57. Conformément à la Convention, le 30 juin 2014, le Président de la
Somalie a émis une Proclamation revendiquant une ZEE jusqu'à 200 M à partir des lignes de base
normales, et la Somalie a déposé auprès de la Division des affaires maritimes et du droit de la mer
des Nations Unies une liste de coordonnées définissant la limite extérieure de sa ZEE. Voir
République fédérale de Somalie, Cabinet du Président, Proclamation du Président de la
République fédérale de Somalie (30 juin 2014). MS, Vol. III, Annexe 14 ; Nations Unies, Division
des affaires maritimes et du droit de la mer, Soumission, par la République fédérale de Somalie,
d’une liste de coordonnées géographiques conformément à l’article 16, paragraphe 2, et à
l’article 75, paragraphe 2, de la Convention, Doc. ONU M.Z.N. 106.2014.LOS (3 juillet 2014).
MS, Vol. III, Annexe 68.
205
Comparer UNCLOS, art. 77, paragraphe 3 (qui stipule que les droits de plateau
continental sont indépendants de toute proclamation expresse), à CNUDM, arts. 56 et 57 (qui ne
lèvent aucune exigence en matière de proclamation).
206CNUDM, art. 76, paragraphe 1.
78sont sous réserve des restrictions prévues à l’article 76, paragraphe 5. Tel
qu’indiqué ci-après au chapitre 7, l’application de ces règles à la fois à la Somalie
et au Kenya donne droit à ces deux pays de revendiquer un plateau continental
qui s’étend jusqu’à 350 M au large de leurs côtes dans les zones maritimes
concernées dans la présente affaire 207.
6.9. Les droits d’un État côtier concernant le plateau continental « sont
indépendants de l’occupation effective ou fictive, aussi bien que de toute
208
proclamation expresse » . De tels droits existent en réalité ipso facto et ab
209
initio .
6.10. Les articles 74, paragraphe 1 et 83, paragraphe 1 régissent la délimitation
de la ZEE et du plateau continental. Tel que le Tribunal international du droit de
la mer (le « TIDM ») l’a noté, ces deux articles ont « un contenu identique » et
diffèrent uniquement en ce sens qu’ils s’appliquent à différentes zones
210
maritimes . Ils prévoient que la délimitation entre des États dont les côtes sont
opposées ou adjacentes sera réalisée par voie d’accord conforme au droit
international, tel que mentionné à l’article 38 du Statut de la Cour internationale
211
de Justice, afin d’aboutir à une solution équitable » .
207Voir ci-après, paragraphes 7.28 à 7.32.
208
CNUDM, art. 77, paragraphe 3.
209Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne / Pays-Bas),
arrêt, C.I.J. Recueil 1969 (ci-après les « Affaires de la mer du Nord »), parag. 19.
210Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le
Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh / Myanmar), Arrêt du 14 mars 2012, Rapports du
TIDM - 2012 (ci-après « Bangladesh / Myanmar »), parag. 182.
211Ibid., parag. 182.
79 B. P RATIQUE JUDICIAIRE ET ARBITRAL E INTERNATIONALE
6.11. Après avoir défini « une solution équitable » en tant que standard de
délimitation du plateau continental et de la ZEE, la Convention « ne dit rien quant
à la méthode à employer pour y parvenir » 212. « Donner à ce standard un contenu
spécifique » a été « laissé à la discrétion des États eux-mêmes, ou à celle des
tribunaux » .213
6.12. Appliquant ce standard dans la pratique judiciaire, la Cour a énoncé, et
d’autres tribunaux ont systématiquement appliqué, le cadre analytique en trois
214
temps appelé la « méthode de l’équidistance / circonstances pertinentes » . Cette
méthode, désormais conventionnelle, est très similaire à la règle de
215
« l’équidistance / circonstances spéciales » applicable aux eaux territoriales .
Elle a été conçue dans le but de minimiser la subjectivité caractérisant certaines
des affaires de délimitation initiales, tout en permettant d’obtenir un « haut degré
de transparence » 216.
212
Plateau continental (Libyan Arab Jamahiriya / Malte), Fond, Arrêt, C.I.J. Recueil
1985 (ci-après « Libye / Malte »), parag. 28.
213
Ibid., parag. 28.
214
Voir, par ex., Bangladesh / Myanmar, parag. 238.
215 Voir, par ex., ci-dessus les paragraphes 5.2 et 5.22 ; Délimitation maritime et
questions territoriales entre le Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), Fond, arrêt, C.I.J. Recueil
2001 (ci-après « Qatar c. Bahreïn »), parag. 231; Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigeria (Cameroun c. Nigeria ;Guinée équatoriale (intervenenant)), Fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, parag. 288 (les critères, principes et règles de délimitation applicables « sont
spécifiés dans la méthode dite des principes équitables/circonstances pertinentes. Cette méthode,
qui est très similaire à la méthode de l’équidistance / circonstances spéciales applicable à la
délimitation des eaux territoriales, consiste premièrement à tracer une ligne d’équidistance, puis à
déterminer si, pour obtenir un ‘résultat équitable’, cette ligne doit être ajustée ou déplacée en
raison de certains facteurs ».)
216
Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière
maritime du Golfe du Bengale (Bangladesh c. Inde), Sentence, Tribunal de l’Annexe VII de la
CNUDM (7 juillet 2014) (ci-après « Bangladesh c. Inde »), parag. 344 (« [S]elon le tribunal,
séparer les deux premières étapes lors de l’application de la méthode de
806.13. Cette méthodologie en trois temps a été éloquemment résumée par la Cour
dans l’Affaire de la mer Noire :
« La Cour commence par établir une ligne de
délimitation provisoire en utilisant des méthodes
objectives d’un point de vue géométrique et
adaptées à la géographie de la zone dans laquelle la
délimitation doit être effectuée. Lorsqu’il s’agit
de procéder à une délimitation entre côtes
adjacentes, une ligne d’équidistance est tracée, à
moins que des raisons impérieuses propres au cas
d’espèce ne le permettent pas. …
La Cour examinera donc, lors de la deuxième
phase, s’il existe des facteurs appelant un
ajustement ou un déplacement de la ligne
d’équidistance provisoire afin de parvenir à
un résultat équitable.
Enfin, la Cour s’assurera, dans une troisième étape,
que la ligne (une ligne d’équidistance provisoire
ayant ou non été ajustée en fonction des
circonstances pertinentes) ne donne pas lieu, en
l’état, à un résultat inéquitable du fait
d’une disproportion marquée entre le rapport des
longueurs respectives des côtes et le rapport des
zones maritimes pert217ntes attribuées à chaque
État par ladite ligne .
l'équidistance/circonstances pertinentes permet d’obtenir un haut degré de transparence ».). Voir
également Arbitrage entre La Barbade et la République de Trinité et Tobago relatif à la
délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ce deux pays,
Sentence, Tribunal de l’Annexe VII de la CNUDM (11 avril 2006) (ci-après « La
Barbade / Trinité et Tobago »), parag. 307 (qui, en référence à la méthode de
l’équidistance/circonstances pertinentes, déclare que : « Le Tribunal est par conséquent satisfait,
car la méthode de délimitation discutée permet à la fois de garantir d’être certain, et de prendre en
considération toutes circonstances éventuellement pertinentes afin d’aboutir à une solution
équitable »).
217
Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009
(ci-après l’ « Affaire de la mer Noire »), parags. 116 à 122.
816.14. Dans la section suivante, la Somalie montrera que l'application de cette
méthode en trois temps permet d'aboutir à la conclusion que la ligne
d’équidistance provisoire constitue non seulement le point initial approprié pour
la délimitation de la Somalie par rapport au Kenya, mais également le point final
approprié. Il n’existe aucune circonstance pertinente justifiant un ajustement en
faveur du Kenya ; par ailleurs, la ligne d’équidistance ne produit pas un résultat
disproportionné, encore moins un résultat tellement disproportionné que cette
délimitation devient inéquitable.
6.15. En effet, compte tenu du caractère totalement ordinaire de la géographie
concernée, il est difficile d’imaginer une affaire dans laquelle l’équidistance
produirait plus naturellement une solution équitable.
Section II. Identification des côtes pertinentes et de la zone
pertinente
6.16. Avant d'appliquer la méthode en trois temps aux spécificités de cette
affaire, il est approprié de commencer par examiner l'environnement
géographique au sein duquel cette délimitation sera effectuée, ce qui implique de
réaliser initialement une analyse de deux éléments associés : (a) les côtes
pertinentes des Parties, et (b) la zone pertinente.
B. C ÔTES PERTINENTES
6.17. Le principe de « côte pertinente » découle du principe selon lequel « la
terre domine la mer » 21. Un État acquiert un droit maritime à travers la projection
218
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), Fond, arrêt, C.I.J. Recueil
2012 (ci-après « Nicaragua c. Colombie »), parag. 140. (« Il est clairement établi que ‘le droit
d'un État vis-à-vis du plateau continental et de sa Zone économique exclusive est basé sur le
principe selon lequel la terre domine la mer à travers la projection de ses côtes ou fonds côtiers.’ »
(extrait de l’Affaire de la mer Noire, parag. 77).).
82 219
de ses côtes dans la mer . Dans l’affaire Tunisie / Libye, la Cour a observé que
« la côte du territoire de l’État constitue le facteur décisif concernant tout droit à
des zones sous-marines qui lui sont adjacentes » 220.
6.18. Dans l’Affaire de la mer Noire, la Cour a expliqué que :
« Le rôle des côtes pertinentes peut revêtir deux
aspects juridiques distincts, quoique étroitement
liés, dans le cadre de la délimitation du plateau
continental et de la zone économique exclusive. En
premier lieu, il est nécessaire d’identifier les
côtes pertinentes aux fins de déterminer quelles
sont, dans le contexte spécifique de l’affaire, les
revendications qui se chevauchent dans ces zones.
En second lieu, il convient d’identifier les côtes
pertinentes aux fins de vérifier, dans le cadre de
la troisième et dernière étape du processus de
délimitation, s’il existe une
quelconque disproportion entre le rapport des
longueurs des côtes de chaque État et celui des
espaces maritimes situés de part et d’autre de la
221
ligne de délimitation » .
6.19. La côte pertinente d’un État n’est pas nécessairement coextensive avec la
totalité de la côte de cet État. Pour être désignée « pertinente » aux fins de la
délimitation, une côte doit « générer des projections qui chevauchent celles de la
côte partie adverse » 222. Ceci s’explique par le fait que « la délimitation consiste à
219
Affaires de la mer Noire, parag. 96 (« [L]e territoire représente la source officielle du
pouvoir qu’un État est habilité à exercer sur toutes extensions territoriales vers la mer ») ; Affaire
de la mer Noire, parags. 77 et 99 ; Nicaragua c. Colombie, parag. 140.
220Plateau continental (Tunisie / Libyan Arab Jamahiriya), Fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1982, parag. 73.
221Affaire de la mer Noire, parag. 78.
222
Nicaragua c. Colombie, parag. 150 ; Affaire de la mer Noire, parag. 99.
83résoudre le problème du chevauchement des revendications en traçant une ligne
223
de séparation entre les espaces maritimes concernées » .
6.20. Par conséquent, toutes portions d’une côte qui ne génèrent pas de droits
maritimes empiétant sur les droits d’un autre État ne sont pas jugées pertinentes.
Dans l’affaire Tunisie / Libye, la Cour a expliqué que :
« ll n'y a pas à tenir compte de la totalité des côtes
de chacune [des Parties] ; tout segment du littoral
d'une Partie dont, en raison de sa situation
géographique, le prolongement ne pourrait
rencontrer celui du littoral de l'autre Partie 224
est à écarter de la suite du présent examen… » .
6.21. Dans son jugement de l’affaire Roumanie c. Ukraine, la Cour offre une
illustration utile de ce principe. En effet, la Cour avait déterminé que la côte
ukrainienne en forme de ‘U’ le long du Golfe de Karkinits’ka n’était pas
pertinente aux fins de la délimitation de la frontière avec la Roumanie, étant
donné que les « côtes de ce golfe se font face et leur prolongement ne peut
rencontrer celui de la côte roumaine. Elles ne se projettent pas dans la zone à
délimiter » 22. Ceci est illustré dans la figure 6.2, une reproduction de la carte
croquis n° 4 jointe au jugement de la Cour en 2009 (dans le volume II
uniquement). Les portions de la côte ukrainienne donnant sur le Golfe de
Karkinits’ka sont par conséquent exclues du calcul de la longueur de la côte
ukrainienne pertinente.
223Nicaragua c. Colombie, parag. 141 ; Affaire de la mer Noire, parag. 77.
224
Plateau continental (Tunisie / Libyan Arab Jamahiriya), Fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1982, parag. 75 ; Nicaragua c. Colombie, parag. 150.
225Affaire de la mer Noire, parag. 100 (italiques ajoutés). Voir également Nicaragua c.
Colombie, parag. 145 (La Cour a jugé qu’un court segment de la côte nicaraguayenne près de
Punta de Perlas n’était pas pertinent puisqu’il n’était inclus dans aucune prévision
d’empiètement.)
846.22. Pareillement, dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, la Cour a considéré
que, à l’exception d’un court segment à proximité de Punta Perlas orienté sud, et
donc en direction opposée à la zone de délimitation (qui est située à l’est de la
côte nicaraguayenne), l’intégralité de la côte orientée à l’est du territoire principal
226
de ce pays était pertinente . Ceci est illustré dans la figure 6.3, une reproduction
de la carte–croquis n° 6 jointe au jugement de la Cour en 2009 (dans le volume II
uniquement).
6.23. À ce jour, deux affaires ont porté sur la délimitation du plateau continental
au-delà de 200 M : Bangladesh / Myanmar, et Bangladesh c. Inde. Dans les deux
cas, il a été jugé que les États parties au litige ne détenaient chacun qu’une seule
côte pertinente ; en d'autres termes, il n'y avait pas une côte pertinente par rapport
à la délimitation en deçà de 200 M et une autre côte pertinente par rapport à la
délimitation au-delà de 200 M.
6.24. Cette méthode est conforme au principe selon lequel « il n’existe, au
regard de la loi, qu’un seul plateau continental, et non un plateau continental
227
intérieur et un autre plateau continental étendu ou extérieur » . Le TIDM a
souligné ce point dans son jugement dans l’affaire Bangladesh / Myanmar :
« L’article 76 de la Convention incarne le concept
d’un plateau continental unique. Conformément à
l’article 77, paragraphes 1 et 2, de la Convention,
l’État côtier exerce des droits souverains sur la
totalité du plateau continental, sans faire la moindre
distinction entre le plateau en deçà de 200 milles
marins et le plateau au-delà de cette limite. L’article
83 de la Convention, concernant la délimitation du
plateau continental entre États dont les côtes sont
226Nicaragua c. Colombie, parag. 145.
227La Barbade / Trinidad et Tobago, parag. 213.
85 adjacentes ou se font face, ne fait pareillement
228
aucune distinction de ce type » .
6.25. En outre, dans les deux affaires concernant le Bangladesh, les côtes
concernées comprenaient les segments de côte faisant face à l’ensemble des zones
d’empiètement revendiquées, dont l’empiètement au-delà de 200 M. Par
conséquent, les côtes concernées de Myanmar et de l’Inde s’étendent jusqu’à des
points situés pleinement à des distances de 550 et 645 km (mesurées de point à
229
point) de l’extrémité de la frontière terrestre avec le Bangladesh .
6.26. Les figures 6.4 et 6.5 (dans le volume II uniquement) sont des
reproductions des cartes croquis des côtes concernées des Parties figurant
respectivement dans le jugement du TIDM dans l’affaire Bangladesh / Myanmar
et dans la sentence du tribunal de l’Annexe VII dans l’affaire Bangladesh c. Inde.
1. Somalie
6.27. Si l’on applique les principes ci-dessus aux circonstances de cette affaire,
il semble que la côte somalienne pertinente s’étend depuis le TFT avec le Kenya
au sud jusqu’à la zone située juste au sud de Cadale, à quelques 92 km au nord de
Mogadiscio. La totalité de cette portion de la côte somalienne se projette
directement sur la zone où les droits des Parties se chevauchent, y compris les
zones au-delà de 200 M où les zones revendiquées dans les soumissions de la
Somalie et du Kenya à la CLPC se chevauchent. Au nord de ce point, la côte de la
Somalie s’infléchit graduellement depuis la zone où les droits se chevauchent et
n'est donc plus concernée par la délimitation avec le Kenya. La côte somalienne
228Bangladesh / Myanmar, parag. 361.
229
La totalité de la côte du Bangladesh a été jugée pertinente dans le cadre de ces deux
affaires. Bangladesh / Myanmar, parag. 201 ; Bangladesh c. Inde, parag. 280.
86concernée est illustrée dans la figure 6.6 (après la page 86). Ainsi définie, la côte
somalienne concernée fait 733 km de long.
2. Kenya
6.28. Ces mêmes principes permettent de conclure que, sauf si, et uniquement
dans la mesure où certaines portions de sa côte ne font pas face à la zone où les
droits se chevauchent, l’ensemble de la côte kényane est pertinente dans le cadre
de la présente affaire. Ces exceptions sont :
Les extrémités nord-est de la baie d’Ungama dans la portion
centrale de la côte kényane qui, quasiment comme Punta
Perlas dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, est orientée plein
sud et donc dans une direction opposée à celle de la zone de
délimitation ; et
La portion finale de la côte kényane là où celle-ci s’approche
de la Tanzanie, laquelle est orientée au sud en direction de l’île
de Pemba, et non vers la zone de chevauchement avec la
Somalie.
6.29. Prenant en compte ces exceptions, la côte kényane concernée fait 466 km
de long. Elle est illustrée dans la figure 6.7 (après la figure 6.6).
6.30. Le ratio des longueurs côtières est par conséquent de 733:466, soit 1.57:1,
en faveur de la Somalie.
C. ZONE PERTINENTE
6.31. De même que dans le cas des côtes pertinentes, seule une portion de la
zone maritime totale revenant aux Parties est concernée par cette délimitation.
Dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, la Cour a déclaré : « En fonction de
la configuration des côtes devant être retenues dans le contexte
87géographique général, la zone pertinente peut comprendre certains espaces
maritimes et en exclure d’autres qui ne présentent pas d’intérêt pour le cas
230
d’espèce » .
6.32. La « zone pertinente » est limitée à la zone maritime où les projections des
côtes pertinentes de chacune des Parties se chevauchent. Cette zone est distincte
des zones où les revendications des parties se chevauchent. Dans l’affaire Jan
Mayen, la Cour a expliqué que :
« La ‘zone de chevauchement des revendications’...
située entre les deux lignes qui représentent les
revendications des Parties, est d'une
pertinence évidente dans toute affaire où s'opposent
des revendications portant sur des lignes de
délimitation. Mais les revendications de limites
maritimes ont ceci de spécifique qu'il existe une
zone de chevauchement de titres, en ce sens qu'il y
a chevauchement entre les zones que chaque État
aurait été en mesure de revendiquer si l'autre État
n'avait pas été présent ; telle a été la base du
principe de non-empiétement énoncé dans les
affaires du Plateau continental de la mer du Nord
(C.Z.J. Recueil 1969, p. 36, par. 57 ; p. 53, par. 101
C 1). Il est clair que, dans la présente affaire, il est
possible de se faire une idée exacte du rapport
existant entre les revendications et les titres
qui s'opposent en examinant à la fois la zone de
chevauchement des revendications et la zone de
chevauchement des titres potentiels » 231.
6.33. Dans son jugement en 2012 dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, la Cour
a déclaré la même chose mais plus succinctement : « La zone pertinente
23Nicaragua c. Colombie, parag. 157.
231Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen
(Danemark c. Norvège), Arrêt, C.I.J. Recueil 1993, parag. 59 (sans les citations internes).
88correspond à la partie de l’espace maritime dans laquelle les droits potentiels des
232
parties se chevauchent » .
6.34. Le calcul de la côte concernée, cependant, « ne vise pas à la précision
et n’est qu’approximatif », et « l’objet de la délimitation est en effet de parvenir à
un résultat équitable et non à une répartition égale des espaces maritimes» 233.
6.35. Tel qu’indiqué plus haut, deux affaires ont déjà été jugées qui, de même
que la présente affaire, portaient sur la délimitation du plateau continental au-delà
de 200 M : Bangladesh / Myanmar et Bangladesh c. Inde. Dans ces deux affaires,
le TIDM (affaire Bangladesh / Myanmar) et le tribunal arbitral de l’Annexe VII
(affaire Bangladesh c. Inde) ont établi une seule zone pertinente, qui comprend
les zones maritimes à la fois en deçà et au-delà de 200 M. Cependant, à des fins
d’analyse, la Somalie estime que la Cour pourrait juger qu’il est plus commode
de procéder à l’examen de la zone concernée en deux temps : premièrement, dans
la zone en deçà de 200 M ; et deuxièmement, dans la totalité des zones
concernées, y compris celles au-delà de 200 M.
6.36. En deçà de 200 M, les zones où « l’espace maritime dans lequel les droits
234
potentiels des parties se chevauchent » sont faciles à identifier. « [E]n
235
l’absence de l’autre État » , chacune des Parties serait en droit de détenir la
totalité de l’espace maritime en-deçà de 200 M de ses côtes. Ces zones peuvent
être établies en traçant des enveloppes en forme d’arc à 200 M des côtes
pertinentes de chacune des Parties. L’intersection de ces arcs constitue la zone de
232Nicaragua c. Colombie, parag. 159.
233Ibid., parag. 158 (extrait de l’Affaire de la mer Noire, parag. 110).
234
Ibid., parag. 159.
235 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen
(Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, parag. 59.
89chevauchement des droits potentiels illustrée dans la figure 6.8 (après la page
88). Elle mesure 213,863 km (les zones situées au sud de la frontière Kenya-
Tanzanie reconnue, lorsque les intérêts d’un troisième État sont en jeu, ont été
exclues de cette zone).
6.37. Étendre à cette zone l’espace maritime au-delà de 200 M « dans lequel les
droits potentiels des parties se chevauchent » est également un processus très
simple. Au-delà de 200 M, la zone de chevauchement des droits potentiels des
Parties est constituée des zones au-delà de 200 M que chaque État aurait été en
mesure de revendiquer en l’absence de l’autre État. En plus de la zone de
chevauchement des droits potentiels au sein de 200 M, ces zones sont illustrées
236
dans la figure 6.9 (après la figure 6.8) .
6.38. Compte tenu des circonstances propres à cette affaire, la Somalie juge que
cette zone représente la zone pertinente dans son intégralité. Elle mesure 319 542
2
km .
Section III. Délimitation de la frontière maritime entre la Somalie et le
Kenya
A. A PPLICATION DE LA MÉTHODE EN TROIS TEMPS
1. Ligne d’équidistance provisoire
6.39. La première étape de la méthode en trois temps consiste, bien entendu, à
tracer une ligne d’équidistance provisoire. La Cour a expliqué, dans l’affaire de la
mer Noire, que la ligne d’équidistance provisoire doit être globalement établie à
236
La zone ici décrite comprend des zones revendiquées par le Kenya à titre de plateau
continental en-deçà de 200 M et qui sont dans les 200 M de la Somalie. Dans la mesure où ces
zones sont revendiquées par le Kenya à titre de plateau continental « étendu », la Somalie les a
inclues dans sa description de la zone où les droits potentiels de ces deux pays se chevauchent.
90 237
partir « des points les plus pertinents des côtes des deux États concernés ». Tel
que précédemment indiqué au chapitre 5, la Cour a déclaré que les « points [de
base] les plus appropriés » sont ceux « qui marquent une modification
significative de la direction de la côte de sorte que la figure géométrique formée
par la ligne qui relie l’ensemble de ces points reflète la direction générale de la
238
ligne de côtes » .
6.40. Comme indiqué au chapitre 2 concernant les facteurs géographiques, les
côtes de la Somalie et du Kenya sont caractérisées par le fait soient si dépourvus
de particularités 23. Depuis l’extrémité nord de la côte somalienne pertinente, à
environ 92 km au nord de Mogadiscio, jusqu’à l’extrémité sud de la côte kényane
concernée contiguë à la Tanzanie, les côtes des Parties sont globalement
régulières et ordinaires. Elles sont virtuellement orientées plein ouest. Par
conséquent, il n’y a pas de doute que l’on se doit, pour le tracé de la ligne
d’équidistance provisoire, d’utiliser des points de base « qui marquent une
modification significative de la direction de la côte ».
6.41. À l’inverse, dans le contexte de la présente affaire, les points de base
appropriés s’auto-sélectionnent, littéralement. Ceci est effectué à l'aide d'un
logiciel adapté basé sur les cartes marines de la région. Le logiciel sélectionne
automatiquement les points produisant une ligne d’équidistance (à savoir, la ligne
dont chaque point est équidistant des points les plus proches des lignes de base
des Parties). Comme indiqué au chapitre 5, la Somalie a utilisé CARIS LOTS, un
logiciel basé sur la carte marine du NGA n° 61220, grâce auquel elle a produit les
points de base reflétés dans la figure 6.10 (après la page 90). Les coordonnées
237
Affaire de la mer Noire, parags. 116 et 117 ; Nicaragua c. Colombie, parag. 191.
238Affaire de la mer Noire, parag. 127.
239
Voir ci-avant parags. 2.9 et 2.16.
91des points de base contrôlant la ligne d’équidistance entre 12 et 200 M sont
indiquées dans le tableau ci-dessous.
SOMALIE
Point de base Coordonnées
S3 1°39’14.99” S - 41°35’15.68” E
S4 1°35’37.21” S - 41°38’01.00” E
KENYA
Point de base Coordonnées
K2 1°43’04.77” S - 41°32’37.18” E
K3 1°46’10.97” S - 41°30’45.14” E
6.42. Ces points de base produisent la ligne d’équidistance provisoire illustrée
dans la figure 6.1 (après la page 76) et tracée jusqu’à la limite des 200 M.
6.43. La Cour voudra bien noter que la ligne d’équidistance provisoire est
notablement droite sur toute sa longueur. Au-delà du cinquième point d’inflexion,
soit à environ 6 M au large de la côte, cette ligne suit une orientation
virtuellement constante à environ N124.5°E jusqu’à la limite des 200 M. Cela
vient du fait que les côtes des Parties sont si régulières. En l'absence de toute
240
« modification significative de la direction de la côte , les points de base
produisant la ligne d’équidistance sur toute sa longueur sont relativement proches
du TFT des Parties à Dar Es Salam. Côté somalien, les points de base produisent
la ligne d’équidistance dans la zone entre 12 et 200 M, le plus éloigné d’entre eux
24Affaire de la mer Noire, parag. 127.
92étant situé à 11 kilomètres du TFT. Côté kényan, deux points de base contribuent
également à produire la ligne dans cette zone, le plus au sud d’entre eux étant
situé à 13 km du TFT. Ces points de base produisent une ligne clairement droite.
6.44. En raison du caractère relativement droit de cette ligne, il n'existe que
deux points d’inflexion sur la ligne d’équidistance dans la zone entre 12 et 200
241
M . La ligne croise la limite des 200 M au point situé à 3°34’57.05” S -
44°18’49.83” E.
2. Circonstances pertinentes
6.45. La deuxième étape du processus de délimitation consiste à déterminer
« s’il existe des facteurs appelant à faire un ajustement ou un déplacement de la
242
ligne d’équidistance provisoire afin de parvenir à un résultat équitable » .
6.46. Il est désormais bien établi que les circonstances pertinentes susceptibles
de justifier un ajustement de la ligne d’équidistance pour obtenir un résultat
243 244
équitable sont essentiellement de nature géographique . Un souci sécuritaire ,
ou, ce qui est encore plus exceptionnel, divers facteurs liés à l’accès aux
245
ressources sont, dans certains cas rares, susceptibles de justifier un ajustement
de la ligne d’équidistance. Par contre, les circonstances résultant de la conduite
des Parties ne peuvent en aucun cas constituer des circonstances pertinentes aux
241 Ces deux points d’inflexion sont situés à 2°19’01.09” S - 42°28’10.27” E et
2°30’56.65” S - 42°46’18.90” E.
242Affaire de la mer Noire, parag. 120.
243Voir par exemple ci-dessus au parag. 6.47.
244
245Libye / Malte, parag. 51 ; Affaire de la mer Noire, parag. 204.
Voir Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine
(Canada / États-Unis d’Amérique , arrêt, C.I.J. Receui1984, parag. 236 ; Affaire de la mer
Noire, parag. 198 ; Nicaragua c. Colombie, parag. 223 ; La Barbade / Trinité et Tobago, parag.
241.
93fins d’une quelconque délimitation maritime 246. A fortiori, aucun engagement pris
par l’une ou l’autre des Parties dans le cadre d’accords frontaliers avec des États
tiers qui ne sont pas concernés par la délimitation sub judice (en cours) ne saurait
constituer des circonstances pertinentes susceptibles de justifier l’ajustement de la
ligne d’équidistance. Toute autre méthode aurait pour effet de saper le principe
fondamental de res inter alios acta.
6.47. Les circonstances géographiques qui ont été reconnues par les cours et
tribunaux internationaux comme potentiellement pertinentes aux fins de
l’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire sont : l’effet d’amputation
évalué dans un contexte géographique général 247, l’effet produit par la concavité
de la côte, 248et la présence d’îles dans la zone pertinente 249.
6.48. Aucune de ces circonstances ne s’applique à la présente affaire. Il n’existe
par ailleurs aucune circonstance géographique inhabituelle ou anormale qui
pourrait être considérée pertinente. Au contraire, les côtes des Parties sont
relativement droites et ordinaires. Il n’existe rien qui rende ici la ligne
250
d’équidistance provisoire « extraordinaire, anormale ou déraisonnable » , ce qui
est nécessaire pour justifier un quelconque ajustement de la ligne d’équidistance
provisoire.
24Affaire de la mer Noire, parags. 189-197 ; Nicaragua c. Colombie, parag. 220.
24Voir, par exemple, Nicaragua c. Colombie, parags. 212 à 215.
248
Affaires de la mer du Nord, parag. 89 ; Affaire de la mer Noire, parags. 199 à 201 ;
Nicaragua c. Colombie, parag. 244 ; Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil
2014, parag. 181 ; Bangladesh / Myanmar, parags. 291 à 293, 325 ; Délimitation de la frontière
maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau, Sentence (14 février 1985), reproduite dans
R.I.A.A., Vol. XIX, p. 149, parag. 102 ; Bangladesh c. Inde, parags. 403 et 404, et 413 à 417.
249Libye / Malte, parag. 64 ; Qatar c. Bahreïn, parag. 219 ; Différend territorial et
maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras),
Fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2007, parags. 302 et suivants ; Affaire de la mer Noire, parag. 185 ;
Bangladesh / Myanmar, parags. 316 à 319.
25Voir Affaires de la mer du Nord, parag. 24.
946.49. À cet égard, la Somalie note que, bien que toute ligne de délimitation
entraîne par définition une réduction partielle des droits potentiels des parties,
l’objectif du processus de délimitation consiste à s’assurer qu’une telle réduction
soit répartie de manière raisonnable et équilibrée. Dans l'affaire de la mer Noire,
par exemple, la Cour a observé que les lignes revendiquées par chacune des
parties réduisaient de manière inéquitable les droits maritimes de l’autre partie.
Elle a déclaré :
« La Cour fait observer que la ligne de délimitation
que propose chaque Partie, notamment en son
segment initial, ampute sensiblement les droits de
l’autre au plateau continental et à une zone
économique exclusive. La ligne roumaine entrave
le droit que génère pour l’Ukraine sa côte adjacente
à celle de la Roumanie, d’autant que la côte
septentrionale de l’Ukraine vient renforcer ce droit.
La ligne ukrainienne limite, quant à elle, les droits
que la Roumanie tient de sa côte, en particulier du
segment initial de celle-ci, entre la digue de Sulina
et la péninsule de Sacaline » .51
6.50. Par contre, la ligne d’équidistance provisoire tracée par la Cour – et
finalement adoptée en tant que frontière maritime – « évite un tel inconvénient
puisqu'elle permet aux côtes adjacentes des Parties de produire leurs effets, en
termes de droits maritimes, d’une manière raisonnable et équilibrée pour chacune
d’entre elles »252.
6.51. Dans la présente affaire, la ligne d’équidistance provisoire a précisément
cet effet. De même qu’entre la Somalie et le Kenya, les côtes des Parties
produisent leurs effets en termes de droits maritimes de manière raisonnable et
251Affaire de la mer Noire, parag. 201.
252Ibid., parag. 201.
95mutuellement équilibrée. Ni l’une ni l’autre des Parties ne s’est trouvée amputée
253
de ses droits de façon disproportionnée par cette ligne .
6.52. Ceci est illustré dans la figure 6.11 (après la page 94), qui montre les
projections côtières des deux États au moyen de flèches orientées depuis les côtes
vers le large. Ces flèches ont été tracées perpendiculairement à l’orientation
générale des côtes pertinentes des Parties (déterminée par la ligne reliant les
extrémités des côtes pertinentes de chaque pays). Comme la Cour peut le
constater, les côtes du Kenya et de la Somalie produisent toutes deux leurs effets
de manière mutuellement équilibrée. Aucun des pays n’est amputé plus que
l’autre, voire pas du tout.
6.53. Le Kenya pourrait prétendre que l’accord qu’il a conclu avec la
Tanzanie 254 résulte d’une amputation de ses projections côtières. Cet accord,
cependant, est considéré res inter alios acta par la Somalie. En outre, son seul
effet consiste à priver le Kenya de certains de ses droits au-delà de 200 M. Le fait
que l’accord Kenya-Tanzanie soit sans objet dans le cadre de la présente affaire
sera expliqué au chapitre 7. Aux fins du présent chapitre, il suffit de noter qu’il
n’existe aucune raison de procéder à un quelconque ajustement de la ligne
d’équidistance provisoire.
253Dans sa requête, la Somalie a énoncé son point de vue, selon lequel il n'existe aucune
circonstance pertinente justifiant de procéder à un quelconque ajustement de la ligne
d’équidistance provisoire en faveur du Kenya. La Somalie soutient par ailleurs que, si un
quelconque ajustement à la ligne d’équidistance provisoire se révélait justifié, ce devrait être en
faveur de la Somalie. Grâce à une évaluation plus approfondie des faits, y compris les pratiques
des deux Parties, et grâce au droit qui doit être ici appliqué, la Somalie a réexaminé son point de
vue antérieur. Elle en a conclu que, pour les raisons énoncées dans ce Mémoire, il n’existe aucune
circonstance pertinente justifiant un quelconque ajustement de la ligne d’équidistance provisoire
en faveur de l’une ou l’autre des Parties.
254Voir par exemple ci-avant parags. 1.22 et 1.23.
96 3. Test de proportionnalité
6.54. Lors de la troisième et dernière étape, la Cour détermine si la ligne de
délimitation établie en appliquant les deux premières étapes « n’entraîne pas de
disproportion marquée entre les longueurs respectives des côtes et les espaces
répartis par ladite ligne »255.
6.55. L’objet de cet exercice ne consiste pas à garantir un résultat proportionné,
mais plutôt à effectuer une dernière vérification lorsque le déséquilibre est si
256
important que la délimitation proposée en devient inéquitable . C’est là « une
question que la Cour doit examiner au cas par cas, à la lumière de la géographie
257
de la région dans son ensemble » .
6.56. Diviser la zone où les droits des parties se chevauchent en deçà de 200 M
au moyen de la ligne d’équidistance provisoire produit une répartition de
2 2
103 627 km (48,5 %) pour la Somalie et 110 236 km (51,5 %) pour le Kenya ;
un ratio de 0,94:1 en faveur du Kenya. Ceci est illustré dans la figure 6.12 (après
la page 96). Étant donné que la côte somalienne concernée est plus longue que
celle du Kenya selon un ratio de 1,57:1, la ligne d’équidistance provisoire
favorise le Kenya en ce sens que celui-ci reçoit ainsi un espace maritime
substantiellement supérieur à ce qu'il aurait reçu en cas de délimitation
strictement proportionnelle.
6.57. Le résultat produit en utilisant la ligne revendiquée par le Kenya pour
diviser la zone des droits des parties se chevauchant en-deçà de 200 M, par
contre, est clairement déséquilibré. En effet, si l’on adopte la frontière du
255Affaire de la mer Noire, parag. 210.
256Voir mer du Nord, parag. 210 ; voir également ci-avant parag. 6.13.
257
Affaire de la mer Noire, parag. 213.
97parallèle réclamée par le Kenya, ce dernier obtiendrait une zone d’un total de 152
2 2
203 km (71 %), la Somalie se contentant de recevoir 61 600 km (29 %) (voir
figure 6.13 (après la figure 6.12). Le ratio serait de 0,41:1 en faveur du Kenya.
Compte tenu de l’écart de 1,57:1 entre les deux côtes pertinentes en termes de
longueur, l'iniquité manifeste d'un tel résultat, particulièrement par rapport à une
ligne d’équidistance, est évident.
*
6.58. Pour les raisons indiquées ci-dessus, la Somalie soutient respectueusement
que la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya dans la ZEE et sur le
plateau continental en deçà de 200 M devrait être fondée sur une ligne
d’équidistance. Une telle ligne produit la solution équitable requise par la loi, et il
n’existe aucune raison justifiant d’y apporter un quelconque ajustement. Compte
tenu du caractère complètement ordinaire de la géographie dominante
localement, si l’équidistance ne constitue pas la solution appropriée en la présente
affaire, il est difficile d’imaginer une affaire dans laquelle elle le serait.
6.59. Par conséquent, la frontière maritime entre 12 et 200 M depuis le TFT suit
le tracé ci-dessous :
depuis les limites des eaux territoriales jusqu’au point situé à
1°47’54.60” S - 41°43’36.04” E, le long d’une ligne géodésique
jusqu’au point situé à 2°19’01.09” S - 42°28’10.27” E ;
le long d’une ligne géodésique jusqu’au point situé à 2°30’56.65” S -
42°46’18.90” E ; et
le long d’une ligne géodésique jusqu’à la limite de 200 M située à
3°34’57.05” S - 44°18’49.83” E.
98CHAPITRE 7. DÉLIMITATION DU PLATEAU CONTINENTAL AU-
DELÀ DE 200 M
7.1. L’article 76, paragraphe 1 à 3, de la CNUDM prévoit l’établissement du
plateau continental d’un État côtier au-delà de 200 M sur la base de la
prolongation naturelle de sa masse terrestre dans les fonds marins adjacents. Les
paragraphes 4 à 7 du même article prévoient la manière dont les États peuvent,
dans certaines limites clairement précisées, établir un tel droit au-delà de 200 M.
L’article 76, paragraphe 8, exige, que les États soumettent des informations à la
CLPC. Celle-ci présente alors ses recommandations concernant le tracé des
258
limites extérieures du plateau continental , c’est-à-dire un tracé indiquant le
point où la juridiction de chaque État vis-à-vis du plateau continental se termine
et à partir duquel la mer est du ressort de l’Autorité internationale des fonds
marins 259. C’est uniquement sur la base de telles recommandations qu’un État est
habilité à établir les limites extérieures officielles de son plateau continental au-
delà de 200 M.
7.2. La section I du présent chapitre porte sur la compétence de la Cour
concernant la délimitation du plateau continental entre les Parties au-delà de 200
M, et montre que la compétence de la Cour à cet égard n’est nullement affectée
par l’absence de délimitation par la CLPC des limites extérieures de leurs zones
de droit respectives. La section II présente les Soumissions de la Somalie et du
Kenya à la CLPC. La section III examine les règles et principes applicables à la
258
À des fins de clarté, le présent Chapitre utilise le mot « tracé » pour désigner cette
opération (voir CNUDM, art. 76, parags. 4, sous-paragraphe a, alinéa (i) et 7 ; ibid., Annexe II :
Commission des limites du plateau continental), et le mot « délimitation » pour désigner
l'établissement de la frontière latérale entre des États.
259
L’article 1 de la CNUDM définit le mot « zone », à savoir la zone de juridiction de
l’Autorité internationale des fonds marins, pour désigner « les fonds marins et leur sous-sol au-
delà des limites de la juridiction nationale ».
99délimitation du plateau continental au-delà de 200 M, et démontre que leur
application dans la présente affaire conduit à une prolongation de la ligne
d’équidistance jusqu’à la limite extérieure des marges continentales des Parties.
La section IV, enfin, montre que la prolongation de la ligne d’équidistance
permet d’éviter tout empiètement sur de quelconques zones maritimes
revendiquées par un État tiers (dans ce cas, la Tanzanie).
Section I. Compétence de la Cour concernant la délimitation du plateau
continental au-delà de 200 M
7.3. La recevabilité des revendications de la Somalie concernant la
délimitation du plateau continental au-delà de 200 M ne peut être contestée sous
prétexte que la CLPC n’a pas encore présenté ses recommandations concernant
les Soumissions de la Somalie ou du Kenya. Le mandat de la CLPC comprend le
tracé des limites extérieures du plateau continental lorsqu'il est demandé à la
Cour d'établir une ligne de délimitation entre deux États adjacents (ici la Somalie
et le Kenya). Il s’agit là de deux exercices distincts et complètement indépendants
l’un de l’autre.
A. RÔLES RESPECTIFS DE LA COUR ET DE LA CLPC CONCERNANT LE PLATEAU
CONTINENTAL AU DELÀ DE 200 M
7.4. La CLPC ne détient aucun pouvoir de délimitation du plateau continental,
ni même de fournir des recommandations concernant les soumissions portant sur
les limites extérieures lorsqu’il existe un différend entre des États opposés ou
adjacents relatifs aux frontières de leur plateau continental. L’article 76,
paragraphe 10, de la CNUDM prévoit spécifiquement que :
« Le présent article ne préjuge pas de la question de
la délimitation du plateau continental entre des
100 États dont les côtes sont adjacentes ou se font
face ».
7.5. L’article 9 de l’Annexe II de la CNUDM prévoit pareillement que :
« Les actes de la Commission ne préjugent pas les
questions relatives à l’établissement des limites
entre États dont les côtes sont adjacentes ou se font
face ».
7.6. La CLPC a appliqué cette obligation à travers la règle 46 de ses Règles de
procédure :
« Toutes soumissions réalisées dans le cadre d’un
différend entre des États dont les côtes sont
adjacentes ou se font face, ou dans le cadre
d'autres différends terrestres ou maritimes non
résolus
1. En cas de différends résultant de la délimitation
du plateau continental entre des États dont les côtes
sont adjacentes ou se font face ou en cas d’autres
différends maritimes ou terrestres non résolus, des
demandes peuvent être soumises; elles sont alors
examinées conformément à l’annexe I du présent
Règlement» 260.
7.7. La section 5 de l’Annexe I des Règles prévoit en outre que :
« [d]ans le cas où il existe un différend terrestre ou
maritime, la Commission n’examine pas la
demande présentée par un État partie à ce différend
et ne se prononce pas sur cette demande. Toutefois,
avec l’accord préalable de tous les États parties à ce
260Nations Unies, Commission des limites du plateau continental, Règles de procédure
de la Commission des limites du plateau continental, Doc. ONU CLPC/40/Rév.1 (17 avril 2008),
Règle 46 (italiques ajoutés). MS, Vol. III, Annexe 57.
101 différend, la Commission peut examiner une ou
plusieurs demandes concernant des régions visées
261
par le différend » .
262
Par conséquent, conformément à ses Règles de procédure , la Commission a
toujours décliné d’examiner toute soumission concernant des zones contestées
263
lorsque l’un des États concernés s’oppose à un tel examen .
7.8. La distinction entre délimitation et tracé est désormais bien établie dans la
jurisprudence. Dans l’affaire du Golfe du Bengale (Bangladesh / Myanmar), le
TIDM a observé que :
« l’exercice de sa compétence en l’espèce ne peut
pas être considéré comme un empiètement sur les
fonctions de la Commission, de la même façon que
l’on n’estime pas que le règlement, par voie de
négociations, des différends entre Etats sur la
délimitation de leur plateau continental au-delà de
200 milles marins empêche l’examen, par la
Commission, des demandes dont elle est saisie ou
l’empêche de formuler des recommandations
appropriées à ce propos.
261Ibid., Annexe I, § 5(a).
262
Voir ci-dessus, parag. 7.6.
263Voir, par exemple, Nations Unies, Commission des limites du plateau continental,
État d’avancement des travaux de la Commission des limites du plateau continental : Déclaration
de la présidence de la Commission, Doc. ONU CLPC/76 (5 septembre 2012), parag. 57. MS, Vol.
III, Annexe 63 (« La Commission a ensuite poursuivi sa séance à huis clos. Elle a rappelé qu’à sa
vingt-quatrième session, elle avait pris acte des notes verbales de l’Argentine, datée du 21 avril
2009; du Royaume-Uni, datée du 6 août 2009; des États-Unis d’Amérique, datée du 19 août 2009;
et de la Fédération de Russie, datée du 24 août 2009. Elle a également pris acte des
communications reçues après la première présentation de l’Argentine, à savoir les notes verbales
de l’Inde, datée du 31 août 2009 ; des Pays-Bas, datée du 30 septembre 2009; du Japon, datée du
19 novembre 2009; et de l’Argentine, datée du 8 août 2012. Compte tenu de ces notes verbales,
et des deux présentations de la délégation argentine, la Commission a réitéré les instructions
qu’elle avait données à la Sous-Commission, conformément au Règlement intérieur, de ne pas
examiner ni de qualifier les parties de la demande qui faisaient l’objet d’un litige et de ne pas
examiner ni de qualifier la partie de la demande ayant trait au plateau continental jouxtant
l’Antarctique » (italiques ajoutés).).
102 Pour les raisons qui précèdent, le Tribunal conclut
que, dans les circonstances de l’espèce, afin de
s’acquitter des responsabilités qui lui incombent en
vertu de la partie XV, section 2, de la Convention,
il est tenu de régler le différend et de délimiter le
plateau continental entre les Parties au-delà de 200
milles marins. Une telle délimitation ne préjuge pas
de la fixation des limites extérieures du plateau
continental conforméme264à l’article 76, paragraphe
8, de la Convention » .
7.9. Dans l'affaire du golfe du Bengale (Bangladesh c. Inde), le Tribunal
arbitral s’est pareillement considéré compétent pour délimiter le plateau
continental au-delà de 200 M, bien que la CLPC n’avait pas encore présenté ses
recommandations :
« Le Tribunal note que dans la présente affaire, les
limites extérieures du plateau continental n’ont pas
encore été établies conformément à l’article 76 de
l’Annexe II de la Convention, pour ce qui concerne
la Commission des limites du plateau continental
(la « CLPC »). Cependant, rappelant le
raisonnement du Tribunal international du droit de
la mer dans l’affaire Bangladesh / Myanmar (Arrêt
du 14 mars 2012, paragraphes 369 à 394), le
Tribunal ne voit aucune raison pour laquelle il ne
devrait pas exercer sa compétence pour juger la
délimitation latérale du plateau continental au-delà
de 200 milles marins avant que les limites
extérieures de ce dernier n’aient été établies …
La Convention fait clairement une distinction entre
la délimitation du plateau continental en vertu de
l’article 83 de la Convention, d’une part, et le tracé
de ses limites extérieures en vertu de l’article 76
26Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le
Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh / Myanmar), Arrêt du 14 mars 2012, TIDM,
Rapports de TIDM -de 2012 (ci-après « Bangladesh / Myanmar »), parags. 393-394.
103 (Bangladesh / Myanmar), Arrêt du 14 mars 2012,
paragraphe 376 ; Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie), Arrêt du 19 novembre
2012, Arrêt, C.I.J. Recueil de 2012, pp. 624 à 669,
paragraphe 129). Bien que la responsabilité de
régler les différends concernant la délimitation de
frontières maritimes entre des États adjacents ou
opposés soit basée sur les procédures de règlement
de litiges en vertu de la partie XV de la Convention,
la CLPC joue un rôle indispensable concernant le
tracé du plateau continental au-delà de 200 milles
marins. D'un autre côté, les recommandations de la
CLPC « sont sous réserve des questions relatives à
la délimitation des frontières », (Convention,
Annexe III, art. 9), et d’un autre côté, la décision
d’une cour ou d’un tribunal international délimitant
la frontière latérale du plateau continental au-delà
de 200 milles marins est sous réserve du tracé des
limites extérieures de ce plateau. En résumé, les
mandats de ces différents organes se complètent
l’un l’autre »65.
7.10. Dans l’affaire La Barbade c. Trinité et Tobago, le Tribunal arbitral a mis
l’accent sur le fait qu’il était dans l’obligation de statuer sur l’intégralité du litige
qui lui était présenté, y compris les revendications des Parties concernant le
plateau continental au-delà de 200 M :
« Il existait un certain nombre de divergences entre
les Parties concernant la portée des questions au
centre du différend que le Tribunal était requis de
traiter, en particulier concernant ce que les Parties
appellent le « plateau continental étendu », terme
qui, selon celles-ci, désigne la partie du plateau
continental au-delà de 200 milles marins. Trinité et
Tobago ont soutenu que cette question faisait partie
du différend présenté au Tribunal, alors que la
26Arbitrage relatif à la frontière maritime entre le Bangladesh et l’Inde dans le golfe du
Bengale (Bangladesh c. Inde), Sentence, Tribunal de l’Annexe VII de la CNUDM (7 juillet 2014)
(ci-après « Bangladesh c. Inde »), parags. 76 et 80.
104 Barbade a soutenu qu’elle en était exclue par les
termes de sa notification écrite instituant
l’arbitrage, particulièrement sa description du
différend et la déclaration concernant les mesures
de redressement demandées. Le Tribunal estime
que le différend qu’il va juger couvre le plateau
continental extérieur étant donné que (i) soit celui-
ci fait partie du différend soumis par la Barbade,
soit il y est suffisamment étroitement associé, (ii) le
dossier des négociations montre que le plateau
continental faisait partie des sujets de discussion
lors de ces négociations, et (iii) quoi qu’il en soit,
au regard de la loi, il n'existe qu'un seul « plateau
continental », et non un plateau continental
intérieur et un plateau continental étendu ou
extérieur séparé »26.
7.11. La présente Cour a elle aussi reconnu qu’il existe une distinction entre un
tracé, qui résulte de la tâche confiée à la CLPC, et la délimitation, pour laquelle la
Cour est compétente :
« La Cour souligne que, dans l’affaire du Golfe du
Bengale, le demandeur et le défendeur étaient des
États Parties à la CNUDM et avaient
communiqué toutes les informations nécessaires à
la Commission (voir ibid., par. 449). La
délimitation du plateau continental effectuée par le
Tribunal en application de l’article 83 de la
CNUDM n’empêchait aucunement la Commission
de formuler d’éventuelles recommandations sur les
limites extérieures du plateau continental
conformément au paragraphe 8 de l’article 76 de la
convention. Le TIDM a en outre relevé que la
CNUDM établissait une « nette distinction » entre
266La Barbade / Trinidad et Tobago, Sentence, Tribunal de l’Annexe VII de la CNUDM
(11 avril 2006) (ci-après « La Barbade / Trinidad et Tobago »), parag. 213.
105 la délimitation du plateau continental et le tracé de
sa limite extérieure »67.
7.12. Certes, dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, la Cour a décidé de ne pas
exercer sa compétence concernant la revendication du Nicaragua vis-à-vis du
plateau continental au-delà de 200 M. Cependant, cette decision n’a pas été du
fait que le tracé confié à la CLPC constituait une quelconque priorité par rapport à
la délimitation, mais plutôt parce que la Cour estimait que le Nicaragua, n’ayant
pas effectué de soumission complète à la CLPC, n'avait pas démontré qu'il
détenait des droits vis-à-vis du plateau continental au-delà de 200 M. Elle a donc
déclaré que:
« La Cour fait observer que le Nicaragua n’a
communiqué à la Commission que des «
informations préliminaires » qui, comme l’admet
ce dernier, sont loin de satisfaire aux exigences
requises pour pouvoir être considérées comme des
informations que « [l]’État côtier communique …
à la Commission » sur les limites de son plateau
continental, lorsque celui‑ci s’étend au‑delà. de
200 milles marins, conformément au paragraphe 8
de l’article 76 de la CNUDM (voir paragraphe 120
ci‑dessus). Le Nicaragua a communiqué à la Cour
les annexes des ‘informations préliminaires’. Il a
précisé, à l’audience, que l’intégralité de ces
informations figurait sur le site de la Commission et
indiqué le lien permettant d’y avoir accès.
Toutefois, le Nicaragua n’ayant pas, dans la
présente instance, apporté la preuve que sa marge
continentale s’étend suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie
peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de
sa côte continentale, la Cour n’est pas en mesure de
267Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), Fond, arrêt, C.I.J. Recueil
de 2012 (ci-après « Nicaragua c. Colombie »), parag. 125.
106 délimiter les portions du plateau continental
relevant de chacune des Parties, comme le lui
demande le Nicaragua, même en utilisant la
formulation générale proposée par ce dernier » 268.
7.13. Depuis l'époque du jugement de la Cour, en 2012, le Nicaragua a présenté
une soumission complète à la CLPC conformément à l'article 76, paragraphe 8, et
a engagé une nouvelle procédure devant la Cour concernant « la délimitation
entre, d’une part, le plateau continental du Nicaragua s’étendant au-delà de 200
milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la
mer territoriale du Nicaragua et, d’autre part, le plateau continental de la
Colombie » .269
7.14. Il découle de ce qui précède que le mandat de la CLPC concernant les
soumissions de la Somalie et du Kenya, qui présentent chacune des
revendications concernant des zones du plateau continental au-delà de 200 M se
chevauchant, est sous réserve de la délimitation de leurs zones maritimes
respectives et n’affecte aucunement la compétence de la Cour à établir la frontière
maritime des Parties dans la zone au-delà de 200 M.
7.15. La Somalie a adopté cette position dès 2009 dans une lettre adressée par le
premier ministre de la Somalie au Secrétaire général des Nations Unies :
« La délimitation du plateau continental entre la
République de Somalie et la République du Kenya
n'a pas encore été définitivement établie. Il semble
que le Kenya revendique une zone qui s'étend
jusqu'à la latitude du point où la frontière terrestre
26Nicaragua c. Colombie, parags. 127, 129.
269
Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie
au-delà de 200 milles marins à partir de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie),
Requête introductive d’instance (16 septembre 2013), parag. 2.
107 aboutit à la côte, alors qu’ à l’inverse, et
conformément au droit international de la mer, une
ligne d’équidistance constitue normalement le point
de départ de la délimitation du plateau continental
entre deux États dans les côtes sont adjacentes. La
Somalie se base sur ce dernier point de vue.
Cette question de délimitation non résolue sera
traitée comme un « différend maritime » aux fins de
la règle 5 (a) de l'Annexe I des Règles de procédure
de la Commission. Les revendications du Kenya et
de la Somalie couvrent une zone de chevauchement
qui, aux mêmes fins, constitue « la zone
litigieuse ». Par conséquent, toute action de la
Commission sera, conformément à l’article 9 de l’
Annexe II de la CNUDM, sous réserve des
questions relatives à la délimitation du plateau
continental entre la République du Kenya et la
République de Somalie » .70
7.16. La Kenya a également admis que « les actions de la Commission sont
sous réserve de la délimitation des limites extérieures du plateau continental » .
B. Q UE LA COUR EXERCE SA COMPÉTENCE DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE
N EMPÊCHE PAS LÀ CLPC D’EXAMINER LES S OUMISSIONS DES DEUX PARTIES
7.17. Par conséquent, la compétence de la Cour à délimiter le plateau
continental au-delà de 200 M ne peut, logiquement, dépendre de l’action
préalable de la CLPC.
270
Lettre de Son Excellence Omar Abdirashid Ali Sharmarke, Ministre du
Gouvernement fédéral de transition de la République de Somalie, à Son Excellence M. Ban Ki-
Moon, Secrétaire général des Nations Unies, n° XRW/00506/08/09 (19 août 2009), p. 1 (italiques
ajoutés). MS, Vol. III, Annexe 37.
271
Note verbale de la Mission permanente de la République du Kenya auprès des Nations
Unies adressée à S.E. Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, n° 586/14 (24 Oct.
2014), p. 2. MS, Vol. III, Annexe 50.
1087.18. Tel que cela est montré, si la délimitation n'est pas acceptée par les deux
États (ou n’est pas fixée par un organe judiciaire), la CLPC n’examinera aucune
des soumissions des Parties au différend en l'absence de consentement expresse
des Parties intéressées. Tel que le TIDM l’a observé dans l’affaire
Bangladesh / Myanmar :
« [L]es conséquences de telles décisions (de
reporter l'examen des soumissions) de la part de la
CLPC sont telles que, si le Tribunal déclinait de
délimiter le plateau continental au-delà de 200
milles marins, la question des limites extérieures du
plateau continental de chacune des parties
demeurerait non résolue, sauf si les Parties
parvenaient à un accord. À la lumière des
nombreuses négociations infructueuses entre les
Parties, le Tribunal considère qu’un tel accord est
improbable. Par conséquent, et loin d’habiliter la
CLPC à agir, toute action de ce Tribunal, dans la
pratique, laisserait les Parties dans une position
dans laquelle elles seraient probablement
incapables de jouir pleinement de leurs droits
concernant le plateau continental. Le Tribunal ne
considère pas qu'un tel résultat serait compatible
avec l'objet et la finalité de la Convention » .
7.19. Jusqu’à récemment, bien que la Somalie et le Kenya aient tous les deux
présenté des soumissions complètes à la CLPC (le 21 juillet 2014 273 et le 6 mai
27Bangladesh c. Inde, parag. 82.
273
Voir République fédérale de Somalie, Soumission de la République fédérale de
Somalie relative au plateau continental : Note de synthèse (21 juillet 2014). MS, Vol. IV, Annexe
70 ; Nations Unies, Réception de la soumission de la République fédérale de Somalie auprès de la
Commission des limites du plateau continental, Doc. ONU CLPC.74.2014.LOS (21 juillet 2014).
MS, Vol. III, Annexe 69.
109 274
2009 respectivement ), leur examen par la Commission a été reporté en raison
d’une objection expresse de la part de la Somalie.
7.20. Suite au rejet par le Parlement somalien du le Mémorandum d'accord
signé le 7 avril 2009 par le Ministre de la Planification nationale et de la
Coopération internationale de la Somalie et le Ministre des Affaires étrangères du
Kenya, la Somalie a indiqué qu’elle s’opposait à ce que la Commission examine
la soumission du Kenya 275. L’objection de la Somalie découlait du fait que, dans
sa soumission à la CLPC, le Kenya se fondait sur une revendication, totalement
indéfendable, d’une frontière avec la Somalie suivant le parallèle de latitude 276.
7.21. La Somalie a initialement informé les Nations unies de son objection par
277
lettre du 10 octobre 2009 , puis réitéré son objection dans une autre lettre du 2
septembre 2014 :
« En lien avec cela, le gouvernement somalien
souhaite rappeler à l’attention de Son Excellence la
communication du Ministère des Affaires
étrangères et de la Coopération internationale de la
République fédérale de Somalie, REF
n° MOFA/SFR/MO/258/2014, en date du 4 février
274
Voir Nations Unies, Commission des limites du plateau continental, Déclaration du
Président de la Commission des limites du plateau continental relative à l’état d’avancement des
travaux de la Commission, Doc. ONU CLPC/64 (1 octobre 2009), parags. 93-97. MS, Vol. III,
Annexe 61.
275Voir ci-dessus, parags. 3.32 et 3.33.
276Voir République du Kenya, Soumission relative à la soumission concernant le plateau
continental au-delà de 200 milles marins effectuée auprès de la Commission des limites du
plateau continental : Note de synthèse (avril 2009), p. 9, KEN-ES-DOC-Map 1 : carte illustrant la
limite extérieure du plateau continental étendu du Kenya (reproduite dans la Figure 7.2 ci-
dessous). MS, Vol. III, Annexe 59.
277Lettre de S.E. Omar Abdirashid Ali Sharmarke, Premier ministre du Gouvernement
fédéral par intérim de la République de Somalie, à S.E. Ban Ki-Moon, Secrétaire général des
Nations Unies, n° OPM/IC/00./016/11/09 (10 octobre 2009). MS, Vol. III, Annexe 38.
110 [278]
2014 … dans laquelle le gouvernement
somalien déclarait, entre autres, qu’il existe un
différend maritime entre la Somalie et le Kenya et
que, conformément au paragraphe 5(a) de l’Annexe
I des Règles, la Somalie s’oppose (et par
conséquent ne donne pas son consentement) à ce
que les soumissions effectuées (ou qui seront
effectuées) ou présentées (ou qui seront présentées)
par le gouvernement du279nya soient examinées
par la Commission » .
Le Kenya a néanmoins pressé la « Commission d’examiner la soumission du
280
Kenya dès que possible » .
7.22. Ayant été informée des positions officielles des deux Parties, la CLPC a
reporté son examen de la soumission du Kenya en attendant que le différend
concernant la délimitation soit réglé ou que la Somalie lève son opposition :
« Rappelant la décision prise à la trente-quatrième
session (voir CLCS/83, parag. 18), et prenant note
de l’exposé présenté par le Kenya le 3 septembre
2014, la Commission, conformément à sa pratique,
a réitéré sa décision de reporter l’examen de
la demande et des communications du Kenya et de
la Somalie » .81
278
Lettre de M. Abdirahman Beileh, Ministre des Affaires étrangères et de la
Coopération internationale de la République fédérale de Somalie, adressée à Son Excellence M.
Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, n° MOFA/SFR/MO/259/2014 (4 février
2014). MS, Vol. III, Annexe 41.
279
Lettre de la Mission permanente de la République de Somalie auprès des Nations
Unies à S.E. Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, n° SOM/MSS/253/14 (2
septembre 2014), p. 1. MS, Vol. III, Annexe 48.
280
Note verbale de la Mission permanente de la République du Kenya auprès des Nations
Unies à S.E. Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, n° 586/14 (24 Oct. 2014), p. 2.
MS, Vol. III, Annexe 50.
281
Nations Unies, Commission des limites du plateau continental, État d’avancement des
travaux de la Commission des limites du plateau continental : Déclaration du Président de la
1117.23. Après avoir engagé la présente procédure, et ayant décidé de confier à la
Cour la délimitation de la frontière maritime entre les Parties, y compris dans la
zone au-delà de 200 M, la Somalie a par la suite décidé que son objection à
l’examen par la CLPC de la soumission du Kenya n’était plus nécessaire. La
Somalie a réalisé que ses droits maritimes seront pleinement protégés par la Cour,
qui établira la frontière maritime entre les Parties avec force exécutoire. Ainsi par
un geste de bonne volonté et de coopération, le 1 juillet 2015 la Somalie a
officiellement levé son opposition à ce que la Commission examine la soumission
du Kenya.
7.24. En particulier, le Ministre des Affaires étrangères et de la Promotion des
investissements de la Somalie a informé le Secrétaire général des Nations Unies
du fait que :
« Compte tenu de la requête de la Somalie soumise
à la CIJ concernant la délimitation de sa frontière
maritime avec le Kenya (y compris sur le plateau
continental au-delà de 200 milles marins), la
Somalie estime qu’il n’est plus nécessaire de
maintenir son objection à ce que la Commission
examine la soumission du Kenya, et par les
présentes elle étend son consentement à l’examen
de la soumission kényane par la Commission » . 282
7.25. Dans l'intervalle, le 4 mai 2015, le Kenya a notifié la CLPC qu'il
s'opposait à ce que la Commission examine la soumission de la Somalie
concernant la zone au-delà de 200 M, compte tenu du différend qui oppose les
Parties concernant leur frontière maritime dans cette zone. À ce jour, l'objection
Commission, Doc. ONU CLPC/85 (24 septembre 2014), parag. 64 (italiques ajoutés). MS, Vol.
IV, Annexe 71.
282
Lettre de S.E. Abdusalam H. Omer, Ministre des Affaires étrangères et de la
Promotion des investissements de la République fédérale de Somalie, adressée à S.E. Ban Ki-
Moon, Secrétaire général des Nations Unies (7 juillet 2015), p. 2. MS, Vol. III, Annexe 52.
112du Kenya constitue le seul obstacle à l’examen de la soumission de l'une ou
l’autre des Parties par la Commission. La Somalie espère que le Kenya suivra son
exemple et lèvera son objection concernant un tel examen par la CLPC, de façon
à ce que le tracé des limites extérieures de la marge continentale puisse être
réalisé en parallèle à la délimitation de la frontière maritime réalisée par la Cour.
7.26. Cependant, même s'il n’existait plus d’obstacles à l’examen des
soumssions des deux Parties par la Commission, il a est a présent estimé que, en
raison de l’accumulation de dossiers, la Commission ne sera pas en mesure de
rendre des recommandations concernant les limites extérieures du plateau
continental kényan avant la fin de l’année 2016 au plus tôt ; les recommandations
concernant la soumission de la Somalie seront rendues beaucoup plus tard.
7.27. Quoi qu'il en soit, pour les raisons expliquées ci-dessus, l'examen des
soumissions des Parties par la Commission n’affecterait aucunement la
compétence de la Cour concernant la délimitation du plateau continental au-delà
de 200 M. Les deux organes ont des mandats fondamentalement différents. En
outre, il ne serait pas conforme au principe de bonne administration de la justice
d’attendre des États qu’ils reviennent devant la Cour (ou devant tout autre organe
judiciaire ou arbitral) des années plus tard pour régler le différend relatif à la
question de la portion restante de leur frontière sur le plateau continental 283. Tel
283Tel que le président Basdevant l’a rappelé, « afin de garantir une bonne administration
de la justice, il est nécessaire de ne pas retarder le règlement du présent différend ». Asile
(Colombie / Pérou), Extension des limites temporelles, Ordonnance, C.I.J. Recueil 1949, p. 267.
Voir également, par exemple, Affaire Panevezys-Saldutiskis Railway, Objections préliminaires,
Ordonnance, 1938, P.C.I.J. Série A/B, n° 67, pp. 55 et 56 ; Affaire relative à la Barcelona
Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne) (Nouvelle requête : 1962),
Objections préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 42 ; Affaire relative à l’application de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Serbie et Monténégro), Demandes reconventionnelles, Ordonnance, C.I.J. Recueil 1997, parag.
30 ; Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Croatie c. Serbie), Objections préliminaires, Arrêt, C.I.J. Recueil de 2008, parag. 85.
113qu'il est clairement indiqué dans le chapeau de l'article 38 du Statut de la Cour, sa
« mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui
sont soumis ». Permettre, sans raison valable, qu'une portion significative d'un
différend demeure non résolue pendant de nombreuses années et soit une source
de tensions et d’instabilité au sein des relations entre les deux Parties ne serait pas
compatible avec le mandat de la Cour.
Section II. Revendications respectives de la Somalie et du Kenya au-delà
de 200 M
7.28. Dansles affaires Nicaragua c. Honduras et Nicaragua c. Colombie, la
Cour a estimé que « toute prétention [d’un État partie à la CNUDM] relative à des
droits sur le plateau continental au‑delà de 200 milles d[evait] être conforme à
l’article 76 de la CNUDM et examinée par la Commission des limites du plateau
continental constituée en vertu de ce traité » 284. Tel qu’indiqué au chapitre 3 ci-
avant, et tel réitéré ci-dessous, la Somalie et le Kenya ont tous deux respecté leurs
obligations en vertu de l’article 76.
7.29. Le 14 avril 2009, la Somalie a soumis des informations préliminaires à la
CLPC concernant les limites de son plateau continental au-delà de 200 M. Le 21
juillet 2014, la Somalie a déposé une soumission complète, y compris une
description détaillée des données scientifiques et techniques et des cartes,
procédures techniques et méthodologies scientifiques employées pour établir les
limites extérieures du plateau continental de la Somalie là où ces limites
284Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), Fond, Arrêt, Rapports de la C.I.J. de 2007, parag. 319, cité
dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, parag. 126.
114s’étendent au-delà de 200 M 285. En juillet 2015, une Note de synthèse révisée a
été déposée auprès des Nations Unies, et diverses modifications techniques
apportées à la soumission complète (qui n’ont pas d’impact significatif sur le
placement de la limite extérieure contiguë au Kenya) seront transmises en temps
voulu.
7.30. Sur la base de ces données, la revendication de la Somalie concernant un
plateau continental au-delà de 200 M couvre une zone totale d’environ
2
471 103 km . La limite de son plateau continental, telle que proposée et telle
qu’illustrée dans la figure 7.1 (après la page 112), est définie par 510 points fixes
établis conformément à l’article 76.
7.31. Le 6 mai 2009, le Kenya a soumis à la CLPC des informations sur les
286
limites de son plateau continental au-delà de 200 M . Le Kenya revendique une
zone totale du plateau continental au-delà de 200 M mesurant plus de 100 000
2287
km . La limite extérieure de la revendication du Kenya concernant un plateau
continental extérieur, tel que décrite dans sa soumission à la CLPC, est illustrée
dans la figure 7.2 (après la Figure 7.1).
285
Voir République fédérale de Somalie, Soumission de la République fédérale de
Somalie relative au plateau continental : Note de synthèse (21 juillet 2014). MS, Vol. IV, Annexe
70.
286
Nations Unies, Division des affaires maritimes et du droit de la mer, Réception de la
soumission de la République du Kenya auprès de la Commission des limites du plateau
continental, Doc. ONU CLPC.35.2009.LOS (11 mai 2009). MS, Soumission relative à la
soumission concernant le plateau continental au-delà de 200 milles marins effectuée auprès de la
Commission des limites du plateau continental : Note de synthèse (avril 2009). MS, Vol. III,
Annexe 59.
287
République du Kenya, Soumission relative à la soumission concernant le plateau
continental au-delà de 200 milles marins effectuée auprès de la Commission des limites du
plateau continental : Note de synthèse (avril 2009), parag. 8-3. MS, Vol. III, Annexe 59.
1157.32. La zone dans laquelle les revendications respectives de la Somalie et du
Kenya au-delà de 200 M se chevauchent mesure quelque 85 223 km , ce qui est
illustré dans la figure 7.3 (après la Figure 7.2).
7.33. Tel qu’illustré dans la figure 7.4 (après la page 114), les revendications
qui se chevauchent comprennent une zone maritime située dans les 200 M des
côtes somaliennes qui est revendiquée par le Kenya en tant que plateau
continental au-delà de 200 M. Dans cette « zone floue », la Somalie revendique
des droits de plateau continental et de ZEE, alors que le Kenya revendique
uniquement des droits de plateau continental. Cette « zone floue » couvre quelque
8 875,5 km .2
7.34. La Somalie convient que le Kenya détient au moins à première vue un
droit concernant un plateau continental qui s’étend au-delà de 200 M, sous
réserve, bien entendu, des recommandations de la CLPC concernant
l'emplacement précis des limites extérieures. Les documents soumis à la CLPC
par la Somalie soulignent également que la Somalie détient également un droit de
son côté. C'est précisément parce que les zones du plateau continental
revendiquées par le Kenya et la Somalie se chevauchent qu’une décision de la
Cour concernant la délimitation latérale de leur partie du plateau continental au-
delà de 200 M est nécessaire.
7.35. Les droits des Parties concernant le plateau continental au-delà de 200 M
ne sont contestés par aucune des Parties. Par conséquent, la Cour n’est pas
sollicitée, en principe, pour prononcer un jugement définitif concernant
l’existence et l’étendue des droits respectifs de la Somalie et du Kenya288.
28Tel que le Tribunal l'a souligné en l'arbitrage du golfe de Bengale : « Le Tribunal note
l'accord entre les Parties selon lequel les deux États détiennent des droits au-delà de 200 milles
1167.36. Cependant, si la Cour décide qu’il est nécessaire d’examiner les droits de
la Somalie et du Kenya concernant le plateau continental au-delà de 200 M, elle
pourrait procéder à une évaluation à première vue basée sur les soumissions des
deux Parties à la CLPC. Dansl’affaire Bangladesh / Myanmar, le TIDM s’est
déclaré satisfait des informations figurant dans les soumissions des Parties à la
CLPC :
« Les informations et rapports scientifiques
communiqués dans la présente affaire, et qui n’ont
pas été contestés, démontrent que le plateau
continental du Myanmar n’est pas limité à 200
milles marins en vertu de l’article 76 de la
Convention. Ils indiquent plu289 qu’il s’étend au-
delà de 200 milles marins » .
7.37. Tel que la Cour l’a elle-même observé dans l’affaire Nicaragua c.
Colombie, dans cette affaire, le TIDM :
« a souligné que, les fonds marins du golfe du
Bengale étant presque entièrement recouverts d’une
épaisse couche de roches sédimentaires, le golfe
présentait une situation tout à fait particulière
qui avait été reconnue au cours des négociations de
la troisième conférence des Nations Unies sur le
290
droit de la mer » .
marins, et note également qu’elles ont toutes deux effectué des soumissions auprès de la CLPC.
Les Parties conviennent par ailleurs que leurs droits au-delà de 200 milles marins sont déterminés
en appliquant les dispositions de l’article 76, § 4, de la Convention, et que ni l’une ni l’autre des
Parties n’est habilitée à revendiquer un droit supérieur en raison de facteurs géologiques ou
géomorphologiques dans la zone de chevauchement ». Bangladesh c. Inde, parag. 457.
289Bangladesh / Myanmar, parag. 448.
290
Nicaragua c. Colombie, parag. 125.
1177.38. Si la Cour le juge approprié, la Cour pourra également désigner un expert
indépendant chargé d’évaluer le bien-fondé des soumissions de la Somalie et du
Kenya, ce qui permettrait à la Cour de bénéficier des conseils d’un expert éclairé
concernant ces points techniques. Il est cependant important de réitérer qu’il n'est
pas demandé à la Cour d'établir l'emplacement exact des limites extérieures du
plateau continental (un tel tracé étant de la responsabilité de la CLPC).
Section III. Délimitation du plateau continental au-delà de 200 M
A. DROIT APPLICABLE
7.39. Alors que l'article76 de la CNUDM précise la définition
géomorphologique et géologique du plateau continental, et par conséquent
également les conditions des droits au plateau continental étendu, l’article 83,
paragraphe 1, énonce quant à lui les principes de délimitation. Ces principes
s'appliquent à la délimitation du plateau continental en-deçà et au-delà de 200 M
exactement de la même façon.
7.40. Tel que le Tribunal arbitral l’a souligné dans l’affaire Bangladesh c. Inde,
l’existence d’un plateau continental unique implique une application uniforme
des principes juridiques, que ce soit en-deçà ou au-delà de 200 M :
« Le Tribunal met l’accent sur le fait que l’article
76 de la Convention incarne le concept de l’unique
plateau continental. Cela est confirmé par l’article
77, paragraphe 1 et 2, de la Convention, selon
lequel un État côtier détient des droits souverains
exclusifs vis-à-vis du plateau continental dans son
intégralité. Cet article ne fait aucune distinction, au
sein de ses dispositions, entre le plateau continental
en deçà de 200 milles marins et le plateau
continental au-delà de cette limite. L’article 83 de
la Convention, qui porte sur la délimitation du
118 plateau continental entre États dont les côtes sont
opposées ou adjacentes, pareillement ne fait aucune
distinction de ce type. Ce point de vue est conforme
aux observations du Tribunal dans l’affaire La
Barbade / Trinité et Tobago, selon lesquelles “il
existe, de par la loi, un seul et unique ‘plateau
continental’, et non un plateau continental intérieur
et un plateau continental étendu ou extérieur
séparé.” (Arrêt du 11 avril 2006, RIAA, Vol.
XXVII, p. 147, pp. 208 et 209, paragraphe
291
213) » .
7.41. La méthode dite de « l’équidistance/circonstances pertinentes » s’applique
par conséquent pareillement au plateau continental au-delà de 200 M et à celui en
deçà de 200 M. Telle est la méthode adoptée par le TIDM dans l’affaire
Bangladesh / Myanmar :
« Le Tribunal note que l’article 83 de la Convention
porte sur la délimitation du plateau continental
entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font
face, sans restriction quant à l’espace concerné. Cet
article ne contient aucune référence aux limites
indiquées à l’article 76, paragraphe 1, de la
Convention. L’article 83 s’applique à la
délimitation du plateau continental tant en deçà
qu’au-delà de 200 milles marins
De l’avis du Tribunal, la méthode de délimitation à
employer, dans le cas d’espèce portant sur le
plateau continental au-delà de 200 milles marins, ne
diffère pas de celle utilisée en deçà de cette
distance. En conséquence, la méthode
équidistance/circonstances pertinentes reste
d’application pour délimiter le plateau continental
au-delà de 200 milles marins. Cette méthode est née
de la constatation que la souveraineté sur le
territoire terrestre constitue le fondement des droits
291Bangladesh c. Inde, parag. 77.
119 souverains et de la juridiction de l’Etat côtier à
l’égard tant de la zone 292nomique exclusive que
du plateau continental » .
7.42. Dans l’affaire Bangladesh c. Inde, c’est la méthode que le Tribunal
arbitral a employée :
« Les Parties et le Tribunal conviennent qu’il
n’existe qu’un seul plateau continental. Le Tribunal
estime que la méthode appropriée pour délimiter le
plateau continental demeure la même, que la zone à
délimiter se situe en deçà ou au-delà de 200 milles
marins. Ayant adopté la méthode de
l’équidistance/circonstances pertinentes concernant
la délimitation du plateau continental au-delà de
200 milles marins, le Tribunal emploiera la même
méthode pour délimiter le pl293au continental au-
delà de 200 milles marins » .
B. A PPLICATION À LA PRÉSENTE AFFAIRE DES PRINCIPES JURIDIQUES
1. Construction de la ligne d’équidistance
7.43. La ligne d’équidistance entre la Somalie et le Kenya dans la zone au-delà
de 200 M est construite en prolongeant la ligne d’équidistance établie pour
délimiter les eaux territoriales, la ZEE et le plateau continental jusqu’à 200 M. Le
point auquel la ligne d’équidistance croise la limite de 350 M est situé à
5°00’25.7’’ S - 46°22’33.4’’ E (voir figure 7.5, volume II uniquement).
29Bangladesh / Myanmar, parags. 454 et 455.
29Bangladesh c. Inde, parag. 458.
120 2. Absence de circonstances pertinentes
7.44. Tel qu’il est démontré au Chapitre 6, il n’existe aucune circonstance
pertinente, géographique ou autre, justifiant de procéder à un quelconque
ajustement de la ligne d’équidistance. Au contraire, la ligne d’équidistance
permet aux côtes des Parties de produire leurs effets en termes de droits
maritimes d'une manière raisonnable et mutuellement équilibrée. Ni la Somalie ni
le Kenya ne sont empêchés « d’étendre leurs frontières maritimes aussi loin en
mer que le droit international les y autorise » 294. Le littoral kényan génère des
droits substantiels en deçà et au-delà de 200 M. Si les droits maritimes du Kenya
semblent réduits au-delà de 200 M, c’est en raison de l’accord de délimitation que
ce pays a conclu avec la Tanzanie. Cela ne constitue pas pour autant une
circonstance pertinente opposable à la Somalie.
7.45. Par contre, la frontière parallèle revendiquée par le Kenya réduit
considérablement les droits de la Somalie jusqu'à 200 M et au-delà. En effet, bien
qu’elle génère des droits limités concernant le plateau continental au-delà de 200
M, la majeure partie de la côte somalienne concernée est privée de cet effet de
manière injustifiée par la ligne revendiquée par le Kenya, ce qui est illustré dans
la figure 7.6 (après la page 118).
7.46. Tel que le Tribunal arbitral l’a souligné dans l’affaire dite du Golfe du
Bengale :
« Ajuster la ligne d’équidistance n’apporterait
aucune amélioration à la situation si cela avait
29Bangladesh c. Inde, parag. 417.
121 simplement pour effet de transférer 295 telle
réduction d’une Partie à l’autre » .
7.47. La ligne de délimitation proposée par le Kenya n’est basée sur aucun
critère juridique préétabli, et elle produirait un résultat fondamentalement
inéquitable étant donné qu’une « solution équitable suppose que chaque État
puisse bénéficier de droits raisonnables dans les espaces correspondant aux
projections de ses côtes » 296. Il est clair que la frontière revendiquée par le Kenya
réduit les droits patents de la Somalie en deçà ainsi qu'au-delà de 200 M.
7.48. Dans la présente affaire, les projections côtières du Kenya ne peuvent pas
produire leur plein effet au-delà de 200 M exclusivement en raison de la ligne de
délimitation que ce pays a accepté lorsqu’il a conclu un accord avec la Tanzanie
297
le 23 juin 2009 , ce qui est illustré dans la figure 7.7 (après la figure 7.6).
Cependant, le Kenya ne peut invoquer les conséquences d'un traité qu’il a
délibérément conclu dans le but d'appuyer sa revendication contre la Somalie ; le
traité de 2009 ne peut pas être opposé à la Somalie dans le but de priver celle-ci
de ses droits maritimes.
7.49. La jurisprudence établit que les accords conclus avec un État tiers par
l’une des Parties à un différend de délimitation ne peuvent en aucun cas être
invoqués à titre de circonstances applicables contre l’autre Partie. Dans l’affaire
Nicaragua c. Colombie, la Cour a expliqué que :
295Ibid., parag. 419.
296
Nicaragua c. Colombie, parag. 216.
297Accord entre la République unie de Tanzanie et la République du Kenya relatif à la
délimitation de la frontière maritime de la zone économique exclusive et du plateau continental,
2603 U.N.T.S. 37 (23 juin 2009), entré en vigueur le 23 juin 2009. MS, Vol. III, Annexe 7.
122 « Il est un principe fondamental du droit
international qu’un traité conclu entre deux États ne
peut affecter par lui‑même les droits d’un État tiers.
Comme l’a dit le tribunal arbitral saisi de l’affaire
de l’Ile de Palmas, « [i]l est évident que, quelle que
puisse être la juste interprétation d’un traité,
celui‑ci ne peut être interprété
comme disposant des droits d’États tiers
indépendants. » (Rapports sur les sentences
arbitrales internationales (Reports of International
Arbitral Awards, RIAA)), Vol. II, p. 842)
(traduction française : Revue générale de droit
international public (RGDIP), t. XLII, 1935, p.
168). Conformément à ce principe, les traités que la
Colombie a conclus avec la Jamaïque et le Panama,
et celui qu’elle a signé avec le Costa Rica,
ne peuvent conférer à celle‑ci des droits vis‑à‑vis
du Nicaragua ; en particulier, ces accords ne
sauraient lui permettre de revendiquer, dans la zone
où se chevauchent les droits respectifs des deux
Parties, une portion plus importante que cel298qui
lui reviendrait en l’absence de tels traités » .
7.50. Pareillement, le Tribunal arbitral créé dans le but de résoudre le différend
de délimitation maritime entre la Barbade et Trinidad et Tobago a réaffirmé qu’un
État ayant conclu un traité de délimitation avec un État tiers ne peut demander à
être indemnisé par un tel État tiers en raison d’un traité désavantageux :
« Le Tribunal n’est pas concerné par les
considérations politiques susceptibles d’avoir
conduit les Parties à conclure l’Accord entre
Trinidad et le Venezuela de 1990, et clairement la
Barbade ne peut pas être tenue d’‘indemniser’
Trinidad et Tobago en raison des accords qu’elle a
conclus en déplaçant ses frontières maritimes en
298Nicaragua c. Colombie, parag. 227. Voir également : Délimitation maritime de la
région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993,
parag. 86.
123 faveur de Trinidad et Tobago… Le traité, de toute
évidence, est res inter alios ac299concernant la
Barbade et tout autre pays » .
7.51. Considérant le principe fondamental de res inter alios acta, le Kenya ne
peut en aucun cas se fonder sur les accords qu’il a passés avec la Tanzanie pour
étayer son argumentation contre la Somalie 300. Il doit être rappelé que l’Accord
de 1975-1976 délimitait les eaux territoriales entre le Kenya et la Tanzanie 301,
alors que l'Accord de 2009 établissait une seule frontière maritime entre le
plateau continental de chacun de ces deux États, étant entendu que cette ligne de
délimitation s’étendait jusqu’aux limites extérieures du plateau continental,
lesquels limites n’étaient pas expressément précisées :
« La ligne frontalière de la Zone économique
exclusive et du plateau continental entre les Parties
est délimitée en vertu des présentes le long du
parallèle de latitude, depuis le point T-C orienté est
jusqu’au point croisant les limites extérieures du
plateau continental » 302.
299La Barbade / Trinidad et Tobago, parag. 346. Voir également Bangladesh c. Inde,
parag. 411.
300
Voir Échange de notes ayant valeur d’accord entre la République du Kenya et la
République unie de Tanzanie concernant leur frontière maritime territoriale, 1039 U.N.T.S. 148
(17 décembre 1975 et 9 juillet 1976), entré en vigueur le 9 juillet 1976. MS, Vol. III, Annexe 5 ;
Accord entre la République unie de Tanzanie et la République du Kenya relatif à la délimitation
de la frontière maritime de la zone économique exclusive et du plateau continental, 2603 U.N.T.S.
37 (23 juin 2009), entré en vigueur le 23 juin 2009. MS, Vol. III, Annexe 7.
301L’article 1 de l’Accord de 2009 le rappelle : « 1.1 Les Parties réaffirme l'Accord
conclu entre elles et entré en vigueur le 9 juillet 1976, qui fixe la frontière maritime jusqu'à 12
milles marins (les eaux territoriales) ». (Accord entre la République unie de Tanzanie et la
République du Kenya relatif à la délimitation de la frontière maritime de la zone économique
exclusive et du plateau continental, 2603 U.N.T.S. 37 (23 juin 2009), entré en vigueur le 23 juin
2009, art. 1.1. MS, Vol. III, Annexe 7). Il est cependant nécessaire de mettre l’accent sur le fait
que l’extrémité de la délimitation établie par l’Accord de 1975-1976, n’est pas définie dans cet
Accord.
302Ibid., art. 3.
124 303 304
7.52. La Tanzanie , autant que le Kenya , voit dans l’Accord de 2009 un
instrument délimitant la frontière du plateau continental entre ces deux pays en
déca et au-delà de 200 M. L’Accord de 2009, par conséquent, prolonge la
frontière antérieurement acceptée par les parties jusqu’à une zone au-delà de 200
M, sans changer sa direction. L’article 2 de l’Accord de 2009 stipule que :
« Les parties confirment que la base de délimitation
de la frontière maritime sera le parallèle de latitude
tel que fixé par l’Accord de 1976 sur la frontière
maritime. Dans cette mesure et à l’appui des
objectifs de cet Accord, les Parties conviennent que
la ligne frontalière s’étend à l’est jusqu’à un point
où elle croise les limites extérieures du plateau
continental et toutes autres limites extérieures de la
juridiction nationale, selon ce qui pourrait être
stipulé par le droit international. »
7.53. Par cet Accord, le Kenya a concrètement renoncé à une partie de ses droits
vis-à-vis du plateau continental au-delà de 200 M. Cela est évident lorsque l’on
compare les résultats de l’Accord aux portions respectives du plateau continental
qui seraient revenues respectivement au Kenya et à la Tanzanie si ces deux pays
303Telle qu’indiquée dans sa soumission à la CLPC, la position de la Tanzanie est que :
« Grâce à leur Échange de notes, les deux pays ont convenu d’une frontière basée sur une ligne de
délimitation unique concernant les eaux territoriales et la zone économique exclusive (ZEE). De
plus, les deux pays ont convenu, par un accord signé le 23 juin 2009, d’étendre la frontière
maritime stipulée dans l’Accord de 1976 jusqu’aux limites extérieures de la juridiction nationale,
selon ce qui pourrait être stipulé par le droit international ». République unie de Tanzanie,
Soumission partielle à la Commission des limites du plateau continental relative au plateau
continental au-delà de 200 milles marins, conformément à la Partie VI et à l’Annexe II de la
Convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer : Note de synthèse (18 janvier 2012),
parag. 5.2. MS, Vol. III, Annexe 62.
304
La position du Kenya à ce sujet est la suivante : « Grâce à leur Échange de notes, les
deux pays ont convenu d’une frontière basée sur une ligne de délimitation unique concernant les
eaux territoriales et la zone économique exclusive. De plus, les deux pays ont convenu d’étendre
la frontière maritime stipulée dans l’Accord de 1976 jusqu’au plateau continental ». République
du Kenya, Soumission relative à la soumission concernant le plateau continental au-delà de 200
milles marins effectuée auprès de la Commission des limites du plateau continental : Note de
synthèse (avril 2009), parag. 7-2. MS, Vol. III, Annexe 59.
125avaient simplement adopté une ligne d’équidistance au-delà de 200 M. Eussent-
ils adopté une telle ligne, la portion du plateau continental revenant au Kenya au-
delà de 200 M aurait été considérablement plus importante que ce que l’Accord
de 2009 octroie à ce pays, ce qui peut aisément être constaté dans la figure 7.8
(après la page 122).
7.54. Le Kenya ne peut pas plausiblement prétendre ignorer les effets de ses
droits potentiels en vertu de son accord sur la frontière parallèle avec la Tanzanie.
Une analyse de l'accord original de 1976 entre le Kenya et la Tanzanie, publié
dans une revue maritime en 1981 par le Département d'État des États-Unis,
indique clairement que la prolongation vers la mer de la frontière convenue avec
la Tanzanie conduirait à confiner l’espace maritime kényan au sein d’un triangle
305
formé par la ligne convenue et la ligne d’équidistance avec la Somalie .
Cependant, pour des raisons que seul le Kenya pourrait expliquer, le Kenya a
expressément accepté ce résultat tel quel en 2009.
3. Absence de disproportions
7.55. Selon la méthodologie désormais bien établie de la Cour, laquelle
306
méthodologie est d’ailleurs systématiquement employée par le TIDM et par les
307
instances arbitrales :
« La troisième et dernière étape consiste pour la
Cour à vérifier si la ligne, telle qu’ajustée ou
déplacée, a pour effet de créer une
305Voir Département d’État des États-Unis, Bureau of Intelligence and Research, Limits
in the Seas, n° 92, Maritime Boundary: Kenya-Tanzania (23 juin 1981). MS, Vol. IV, Annexe 83.
306Bangladesh / Myanmar, parags. 497-499.
307
La Barbade / Trinidad et Tobago, parags. 376-379 ; Guyane c. Suriname, Sentence,
Tribunal de l’Annexe VII de la CNUDM (17 septembre 2007), parag. 392 ; Bangladesh c. Inde,
parags. 494-497.
126 disproportion marquée entre les espaces maritimes
attribués à chacune des Parties dans la zone
pertinente, par rapport à la longueur de leurs côtes
pertinentes respectives » 30.
7.56. Ce test doit prendre en compte la portion des droits de chacune des
Parties, et non la portion des zones respectivement revendiquées par elles. Par
conséquent, la zone pertinente dans le test de proportionnalité « couvre toutes les
zones en deçà et au-delà de 200 M dans lesquelles les projections vers la mer des
côtes pertinentes des Parties se chevauchent » . Tel que précédemment
310
indiqué , la zone concernée, en déca et au-delà de 200 M, a une surface totale
2
d’environ 319 542 km .
7.57. Concernant le plateau continental au-delà de 200 M, le test des
proportions s’applique par référence à l'ensemble de la zone concernée, et non
individuellement à chacune des zones, en deçà et au-delà de 200 M. Telle est la
méthode employée à la fois par le TIDM, dans l’affaire Bangladesh / Myanmar,
et par le Tribunal arbitral, dans l’affaire Bangladesh c. Inde :
« Tel qu’indiqué ci-dessus, la longueur de la côte
pertinente du Bangladesh est de 418,6 kilomètres.
La longueur de la côte pertinente indienne est de
803,7 kilomètres. Le ratio entre les longueurs des
côtes pertinentes des Parties est donc de 1:1,92.
Tel qu’indiqué ci-dessus, la zone pertinente est
d’une surface de 406 833 kilomètres carrés.
Ajustées de la ligne d’équidistance provisoire, les
308Nicaragua c. Colombie, parag. 193, citant Danemark c. Norvège, C.I.J. Receuil 1993,
parag. 64, et Délimitation maritime dans la mer Noire (Roumanie c. Ukraine), Arrêt, C.I.J.
Recueil 2009, parag. 122. Voir également ci-avant aux parags. 6.13 à 6.15, et 6.54 à 6.57.
309Bangladesh c. Inde, parag. 490.
310
Voir ci-avant parag. 6.38 ; voir également ci-avant parags. 6.31 à 6.38.
127 lignes de délimitation du Tribunal octroient une
surface d’environ 106 613 kilomètres carrés de la
côte pertinente au Bangladesh, et environ 300 220
kilomètres carrés de la côte pertinente à l’Inde. Le
ratio des zones octroyées est d’environ 1:2,81.
Le Tribunal estime que ce ratio ne produit aucune
disproportion significative en termes de répartition
des zones maritimes des parties en raison de
laquelle il serait nécessaire de modifier la ligne
d’équidistance ajustée pour garantir une solution
équitable » 311.
7.58. Dans la présente affaire, le ratio entre les longueurs des côtes pertinentes
des Parties, basé sur 733 km de côtes pour la Somalie et 466 km pour le Kenya,
312
est de 1,57:1 en faveur de la Somalie . Tel qu’illustré dans la figure 7.9 (après
la page 124), une frontière entre la Somalie et le Kenya basée sur l’équidistance
et prenant en compte la ligne de délimitation résultant de l’accord entre le Kenya
et la Tanzanie accorderait au Kenya 41 % de la zone pertinente (y compris
quelque 16 700 km au-delà de 200 M) et 59 % à la Somalie, à savoir un ratio of
1,44:1 en faveur de la Somalie. Il n’y a là aucune disproportion, ni importante ni
autre.
7.59. À l’inverse, la ligne frontalière proposée par le Kenya aurait un effet
excessivement disproportionné étant donné qu'elle entraînerait une répartition de
81 % de la zone au Kenya, laissant uniquement 19 % de la zone à la Somalie, soit
environ 1:4 en faveur du Kenya (voir figure 7.10 (après la figure 7.9)).
311Bangladesh c. Inde, parags. 495 à 497. Voir également Bangladesh / Myanmar,
parags. 495 à 499.
312
Voir ci-avant parags. 6.27 à 6.30.
128 Section IV. Absence d’empiètement sur les droits de la Tanzanie au-delà
de 200 M
7.60. Dans le cadre de sa Soumission initiale à la CLPC, la Somalie a déclaré
que :
« Sur la base de la présente soumission et des
informations publiées sur le site Internet de la
Commission concernant la Note de synthèse de la
soumission rédigée par la République fédérale de
Somalie, il est possible que les revendications
somaliennes et tanzaniennes concernant les zones
du plateau continental au-delà de 200 milles marins
se chevauchent. » 313
7.61. Cependant, après un examen plus approfondi, il est clair qu’une ligne
d’équidistance stricte entre la Somalie et le Kenya permet d'éviter tout
empiètement sur les droits de la Tanzanie. La Note de synthèse de la Soumission
somalienne à la CLPC a été modifiée en conséquence, et le dossier complet de la
Soumission révisée sera soumis en temps voulu. Tel qu'illustré dans la figure
7.11 (après la figure 7.10), la ligne d’équidistance n’empiète pas les droits de la
Tanzanie au-delà de 200 M, tels que reflétés dans les soumissions de la Tanzanie
à la CLPC.
7.62. Quoi qu'il en soit, s'il existe une zone dans la laquelle les revendications
des Parties au-delà de 200 M se chevauchent, la Somalie et la Tanzanie ont toutes
314
deux confirmé être prêtes à engager des discussions .
313République fédérale de Somalie, Soumission de la République fédérale de Somalie
relative au plateau continental : Note de synthèse (21 juillet 2014), p. 9. MS, Vol. IV, Annexe 70.
314
Note verbale de la Mission permanente de la République unie de Tanzanie auprès des
Nations unies adressée à la Commission des limites du plateau continental, n° TZNY/P.60/2 (17
octobre 2014). MS, Vol. III, Annexe 49.
1297.63. Ce qui est significatif est que la Cour n’ait pas été invitée à prendre une
décision concernant une délimitation affectant la revendication de la Tanzanie. En
effet,
« ... comme le précise l’article 59 du Statut de la
Cour, la décision de celle‑ci n’est obligatoire que
pour les parties en litige. En outre, la Cour a
toujours pris soin de ne pas tracer de frontière
pénétrant dans une zone où les droits d’États tiers
sont susceptibles d’être affectés. Le présent arrêt,
par lequel la Cour délimite la frontière, détermine
uniquement les droits du Nicaragua par rapport à la
Colombie et inversement, et est donc sans préjudice
de toute revendication d’un État tiers ou de toute
revendi315ion d’une des Parties à l’égard d’un État
tiers » .
7.64. L'Accord de 2009 entre la Tanzanie et le Kenya, cependant, a pour effet
de créer une zone située au sud de la frontière convenue entre le Kenya et la
Tanzanie, laquelle n’est revendiquée ni par le Kenya ni par la Tanzanie, bien
qu’elle soit située en deçà de 350 M de la Somalie et qu’elle est revendiquée par
ce pays (voir figure 7.12 (dans le Volume II uniquement)). Étant donné que le
Kenya a renoncé à toute revendication dans cette zone suite à cet Accord avec la
Tanzanie, cela ne peut être considéré comme faisant partie de la zone concernée
316
dans le cadre du présent différend .
*
315
Nicaragua c. Colombie, parag. 228.
316Voir Nicaragua c. Colombie, parag. 163 (« La Cour rappelle que la zone pertinente ne
peut s’étendre au-delà de celle dans laquelle les droits des Parties se chevauchent. Il s’ensuit que
les espaces sur lesquels l’une d’elles n’a aucun droit, soit parce qu’elle a conclu un accord avec un
État tiers, soit parce que l’espace en question est situé audelà d’une frontière fixée par voie
judiciaire entre elle et un État tiers, sont exclus de la zone pertinente pour les besoins du présent
examen »).
1307.65. Par conséquent, la délimitation entre la Somalie et le Kenya au-delà de
200 M suit la ligne d’équidistance indiquée au chapitre 6 ci-avant, jusqu’à un
point qui sera établi en fonction des recommandations de la CLPC.
131CHAPITRE 8. RESPONSABILITÉ DU KENYA VIS-À-VIS DES
ACTIVITÉS MENÉES DANS LA ZONE LITIGIEUSE
8.1. Tel que la Somalie l'a souligné dans sa requête, « le Kenya a
unilatéralement donné effet à cette prétendue frontière … en exploitant tant les
ressources biologiques comme non biologiques » 317dans la zone litigieuse. Il a
octroyé plusieurs blocs d’exploration, et créé ou autorisé diverses sociétés afin de
réaliser des études d’exploration. Ce faisant, le Kenya a violé la souveraineté ainsi
que les droits et la juridiction souverains de la Somalie, et principes stipulés dans
la CNUDM. Pour ces raisons, le Kenya a engagé sa responsabilité internationale.
8.2. À la section I du présent chapitre, la Somalie montre que sa revendication
relative à la responsabilité du Kenya est recevable dans la présente procédure. La
section II démontre que le Kenya a manqué et continue de manquer à ses
obligations internationales. Enfin, la section III établit que la cessation de telles
activités et un dédommagement constituent les formes appropriées de réparation
dans la présente affaire.
Section I. Recevabilité de la revendication de la Somalie concernant la
responsabilité du Kenya vis-à-vis des activités illégales
8.3. Cette Cour, ainsi que les tribunaux arbitraux internationaux, ont examiné
les revendications de responsabilité soumises dans le contexte de différents en
matière de délimitation territoriale maritime. Par conséquent, dans l’affaire du
Temple de Preah Vihear, la Cour a estimé que les revendications concernant le
retrait des forces armées et la restitution des objets culturels éventuellement retirés
de la zone du temple avaient des conséquences sur la revendication de
souveraineté :
317Différend relatif à la delimitation maritime dans l’Océan Indien (Somale c. Kenya),
Requête introductive d’instance (28 août 2014), parag. 25.
132 « La Cour, en présence des demandes que le
Cambodge et la Thaïlande lui ont respectivement
soumises concernant la souveraineté, ainsi contestée
entre ces deux États, sur Preah Vihear, décide
en faveur du Cambodge conformément à sa
troisième conclusion. Elle décide également en
faveur du Cambodge en ce qui concerne sa
quatrième conclusion relative au retrait des éléments
de forces armées.
Quant à la cinquième conclusion du Cambodge
concernant certaines restitutions, la Cour estime que
la demande contenue dans cette conclusion ne
représente pas une extension de la
demande primitive du Cambodge (auquel cas elle
aurait été irrecevable au stade auquel elle a été
présentée pour la première fois). Elle est plutôt,
comme la quatrième conclusion, implicite dans l318
revendication de souveraineté et en découle » .
8.4. Dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigéria, la Cour, se référant à l'affaire du Temple, a répondu aux revendications
du Cameroun relatives à la responsabilité du Nigéria pour des actes commis dans
319
des zones où la souveraineté territoriale du Cameroun est reconnue . De même
Dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), la
CIJ a jugé infondée la requête du Nicaragua priant « la Cour de dire et juger que la
‘ Colombie manqu[ait] à ses obligations au regard du droit international en
[l’]empêchant d’avoir accès à ses ressources naturelles à l’est du 82 méridien 320
et d’en disposer, ou lorsqu’elle limite le Nicaragua à cet égard’ 321. Dans ces deux
318
Affaire du Temple de Preah Vihear (Cambodge c. Thaïlande), Fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 1962, p. 36.
319Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria ((Cameroun c. Nigeria:
Guinée Equatoriale intervenant))Fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2002, parags. 312-324.
320Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua c. Colombie), Fond, Arrêt, Rapports de
la C.I.J. de 2012 (ci-après “Nicaragua c. Colombie”), parag. 248.
321
Ibid., parag. 250.
133dernières affaires, la Cour a donc estimé que les revendications relatives à la
responsabilité étaient recevables, même si elle les a rejetées sur le fond dans son
jugement.
8.5. Pareillement, en l’arbitrage Guyane c. Suriname, le Tribunal
« [a] rejeté l’argumentation du Surinam selon
laquelle, dans une affaire de délimitation maritime,
un incident engageant la responsabilité de l’État
dans une zone litigieuse rend irrecevable toute
revendication de réparation pour violation d’une
obligation prévue par la Convention et le droit
international » .
8.6. Plus récemment, dans son ordonnance en date du 25 avril 2015, la
chambre spéciale du TIDM dans l’affaire relative au Différend relatif à la
délimitation de la frontière maritime entre le Ghana et la Côte d’Ivoire dans
l’océan Atlantique a unanimement prescrit les mesures conservatoires suivantes :
« (a) Le Ghana prendra toutes les mesures
nécessaires pour veiller à ce qu’aucun nouveau
forage, que ce soit par le Ghana ou sous son
contrôle, ne soit effectué dans la zone litigieuse … ;
(b) Le Ghana prendra toutes les mesures nécessaires
pour empêcher toute utilisation de quelque manière
que ce soit au détriment de la Côte d'Ivoire des
informations résultant d'activités d’exploration
passées, présentes ou futures menées par le Ghana,
ou avec son autorisation, dans la zone litigieuse
lorsque de telles informations ne sont pas encore
tombées dans le domaine public ;
322Guyana c. Suriname, Sentence, CNUDM Annexe VII Tribunal (17 septembre 2007)
(ci-après « Guyana c. Suriname »), parags. 423.
134 (c) Le Ghana surveillera de manière stricte et
continue l'ensemble des activités du Ghana ou
menée avec son autorisation dans la zone litigieuse,
afin de veiller à ce qu’aucun dommage grave ne soit
causé à son environnement marin » . 323
Ce faisant, la Chambre Spéciale a reconnu que les actes et omissions du Ghana
faisaient partie intégrante de l’objet que les parties lui ont soumis concernant leur
différend relatif à la délimitation de leur frontière maritime.
8.7. Pareillement, dans la présente affaire, la Cour est compétente pour décider
au sujet des droits de la Somalie et du Kenya dans la zone litigieuse tout comme
pour tirer les conséquences de leur violation.
Section II. La violation, par le Kenya, de la souveraineté et des droits
souverains de la Somalie engage la responsabilité internationale
A. PRINCIPE D ’EXCLUSIVITÉ DES DROITS DANS LES ZONES MARITIMES
8.8. L’un des principes fondamentaux du droit international est que :
« Au sein des relations entre États, la souveraineté
… représente leur droit d’exercer, à l’exclusion de
tout autre État, les fonctions d’un État dans le cadre
de telles relations. La mise en place d’une
organisation nationale d’États au cours des derniers
siècles et, en corollaire, l’évolution du droit
international, ont établi ce principe de compétence
exclusive de l’État concernant son propre territoire
de façon à en faire le point de départ du règlement
32Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Ghana et la Côte
d’Ivoire dans l’océan Atlantique(Ghana/Côte d’Ivoire), Mesures conservatoires, Ordonnance du
25 avril 2015, TIDM (ci-après « Ghana / Côte d’Ivoire »), parag. 108(1).
135 de la plupart des questions portant sur des relations
internationales » 324.
8.9. Tel que la cour l’a déclaré dans l’affaire Nicaragua c. Colombie :
« Conformément aux principes du droit international coutumier établi de longue
date, un État côtier est souverain vis-à-vis des fonds marins et de la colonne d'eau
dans ses eaux territoriales… Par contre, concernant le plateau continental et la
zone économique exclusive, les états côtiers détiennent des droits spécifiques,
plutôt qu’un droit de souveraineté » 325.
8.10. Même s’il existe une distinction entre le pouvoir qu’un État côtier exerce
dans les eaux territoriales, d’une part, et dans la ZEE et sur le plateau continental,
d’autre part, il demeure cependant vrai que, dans les deux affaires :
« Les droits souverains en mer comprennent une
exclusivité en matière d’exploration et
d’exploitation des ressources, grâce à quoi d’autres
États sont empêchés d’exercer de telles activités. …
De la même façon, lorsqu’un État a des activités
relatives aux ressources d’un autre État, ou des
activités soumises au droit exclusif ou à la
juridiction d’un tel autre État dans ces zones
maritimes, il s’agit d’une violation des droits
exclusifs d’un tel autre État. Cela engage
nécessairement la responsabilité internationale du
premier État, qui est dans l’obligation de fournir des
324Affaire de l’Ile de Palma (Pays-Bas c. États-Unis) Sentence (4 avril 1928), R.I.A.A.,
Vol. II, at p. 838.
325Nicaragua c. Colombie, parag. 177. Voir Affaire de la délimitation maritime et des
questions territoriales entre Qatar and Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), Fond, arrêt, C.I.J. Recueil
2001, parag. 174.
136 réparati326 complètes en contrepartie du tort ainsi
causé » .
8.11. En tant que corollaire automatique de la souveraineté d’un État ou des
droits souverains dont celui-ci jouit de façon inhérente en vertu du droit
international, le principe d’exclusivité s’applique logiquement aux zones
maritimes en litige entre deux États ou plus. Le règlement d'un tel différend, par
voie de délimitation conventionnelle ou judiciaire des zones revenant à chacune
des Parties, n’établit pas le pouvoir de l'État concerné sur les zones maritimes dont
il est reconnu qu’elles appartiennent à un tel État. Comme la Cour l’a souligné
dans l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord, la délimitation « est un
processus impliquant d’établir les frontières d’une zone appartenant déjà, en
327
principe, à l’État côtier, et non d’identifier de novo une telle zone » .
8.12. Pour ces raisons, toute activité économiques menée dans une zone
maritime litigieuse appelle à des réparations lorsque de celles-ci constituent une
violation des droits exclusifs de l’État dont la juridiction sur les zones maritimes
pertinentes est reconnue depuis leur délimitation. De telles activités comprennent
l’exploration effectuée dans le but d'obtenir des informations sur l'existence de
ressources biologiques ou non biologiques exploitables, et incluent a fortiori
l’exploitation économique de telles ressources.
8.13. La Cour reconnaît précisément ce point dans son Ordonnance sur les
mesures conservatoires dans l’affaire du Plateau continental de la mer Égée, en
326
E. Milano and I. Papanicolopulu, “State Responsibility in Disputed Areas on Land and
at Sea”, Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht (ZaöRV), Vol. 71 (2011),
p. 588. MS, Vol. IV, Annexe 90.
327
Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne / Pays-Bas),
Arrêt, C.I.J. Receuil 1969, parag. 18. Voir également, par exemple, Délimitation maritime dans la
zone entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, parag.
64.
137laquelle la Grèce estimait que les études sismiques réalisées unilatéralement par la
Turquie constituaient des violations des droits souverains de la Grèce :
« Considérant que l’exploration sismique des
ressources naturelles du plateau continental
effectuée sans le consentement de l’État riverain
pourrait sans doute soulever une question de
violation du droit d'exploration exclusif de cet État ;
et que, par conséquent, si la Cour devait donner gain
de cause à la Grèce sur le fond, l'activité
d'exploration sismique de la Turquie pourrait alors
être considérée comme une telle violation et
être invoquée comme une cause de
préjudice éventuel aux droits exclusifs de la Grèce
dans les zones qui auraient été reconnues comme
relevant de cet État »328.
8.14. Même s’il est vrai que les circonstances de cette situation particulière « ne
suffisent pas à justifier l'exercice du pouvoir exceptionnel d'indiquer des mesures
329
conservatoires que la Cour tient de l'article 41 du Statut ; ... » la Cour a
cependant considéré que « la violation, reprochée à la Turquie, de l'exclusivité du
droit revendiqué par la Grèce de recueillir des renseignements sur les ressources
naturelles de zones du plateau continental pourrait, si ce droit était établi, donner
330
lieu à une réparation appropriée » .
8.15. Ce raisonnement a récemment été confirmé par la Chambre Spéciale du
TIDM dans son Ordonnance sur les mesures conservatoires annoncées dans le
cadre du Différend concernant la délimitation de la frontière maritime entre le
Ghana et la Côte d'Ivoire dans l’océan Atlantique. À cet égard, il faut noter que,
328Plateau continental dans la mer Égée (Grèce c. Turquie), Demande en indication de
mesures conservatoires, Ordonnance, C.I.J. Recueil 1976 (ci-après « Grèce c. Turquie »), parag.
31.
329Ibid., parag. 32.
330Ibid., parag. 33.
138comme dans la présente affaire, il avait été demandé à cette Chambre Spéciale
dans cette affaire d’appliquer les dispositions de la CNUDM :
« Considérant que la Chambre spéciale estime que
les droits de l'État côtier concernant sur le plateau
continental comprennent tous les droits qui sont
nécessaires et qui se rattachent à l’exploration et à
l’exploitation des ressources naturelles du plateau
continental et que le droit exclusif d’obtenir des
informations sur les ressources du plateau
continental fait partie de manière plausible de ces
droits ;
Considérant que l’acquisition et l’utilisation des
informations relatives aux ressources de la zone
litigieuse risquent de porter atteinte de façon
irréversible aux droits de la Côte d’Ivoire dans
l’éventualité où la Chambre spéciale, dans sa
décision sur le fond, reconnaîtrait que la Côte
d’Ivoire détient des droits sur tout ou partie de cette
zone » .31
8.16. Ceci reste vrai a fortiori si les ressources de la zone dont reconnue comme
appartenant à l'autre Partie sont exploitées. Dans son Ordonnance du 25 avril
2015, la Chambre Spéciale a expliqué que « les droits souverains comprennent
tous les droits nécessaires ou liés à l’exploration du plateau continental et à
l’exploitation de ses ressources naturelles » ; ils « relèvent des droits de
souveraineté sur la mer territoriale et sur son sous-sol (article 2, § 2, de la
Convention), et des droits souverains sur le plateau continental aux fins de son
exploration et de l’exploitation des ressources naturelles (articles 56, paragraphe
332
1, et 77, paragraphe 1, de la Convention) » . Cela s’applique de manière
33Ghana/Côte d’Ivoire, parags. 94 et 95.
33Ibid., parag. 61.
139identique aux ressources biologiques de la mer territoriale de la ZEE (article 2,
paragraphe 1, article 56, paragraphe 1, et articles 61 et 62 de la CNUDM).
8.17. En outre, tel que la Chambre Spéciale l’a également observé dans son
Ordonnance d’avril 2015, les activités de forage « entraînent une modification
importante et permanente du caractère matériel de la zone en litige », laquelle est
susceptible de causer (et cause en effet, inévitablement) un préjudice irréparable et
333
« ne peut être réparée complètement par une indemnisation financière » .
8.18. Cette Cour a elle-même déclaré que toutes activités causant des altérations
au sous-sol et toute appropriation ou utilisation des ressources sont préjudiciables
aux droits souverains de l’État côtier :
« Attendu que personne ne conteste que cette forme
d’exploration sismique implique un quelconque
risque de dommages matériels causés aux fonds et
au sous-sol marins ou à leurs ressources naturelles ;
attendu que les activités d’exploration sismique de
la Turquie en cours sont toutes d’une nature
transitoire identique à celle indiquée et ne portent
pas sur la mise en place d’installations sur les fonds
marins du plateau continental ou au-dessus de ceux-
ci ; et attendu que personne ne prétend que la
Turquie a engagé de quelconques activités portant
sur l'appropriation effective ou toute autre utilisation
des ressources naturelles des zones du plateau
continental litigieuses ... »34.
333Ibid., parag. 89. Voir également ibid., parag. 90.
334Grèce c. Turquie, parag. 30. Voir également Guyane c. Suriname, parags. 465 à 470.
140 B. L ES ACTIVITÉS UNILATÉRALES DU K ENYA DANS LA ZONE LITIGIEUSE SONT
ILLICITES
8.19. Comme indiqué dans le chapitre 3, plusieurs blocs d’exploration octroyés
par le Kenya à des compagnies pétrolières sont situés dans la zone litigieuse (voir
figure 8.1, après la page 136).
8.20. Parmi ces blocs, le Bloc L-13 est le plus proche du littoral des deux côtés
de la ligne d’équidistance. Selon certaines informations publiques, ce bloc a été
335
octroyé à SOHI Gas-Dodori Ltd en 2008 . En 2011, Zarara Oil & Gas Limited,
une filiale de Midway Resources International (« MRI ») en est devenue
336
l’opérateur à la place de SOHI Gas-Dodori Ltd . Ce contrat a été renouvelé à la
337
fin de l’année 2012 . Il semble qu’en 2013, cette société « a parachevé
l’acquisition, le traitement et l’interprétation de 6 262 kms de ligne de données
gravimétriques et magnétiques à travers l’ensemble de la zone initiale de ses
Blocs L4 et L13 exploités … , ce qui sera suivi d’un programme d’études
sismique supplémentaire mis en œuvre par MRI au cours des 24 prochains
338
mois » . Le 20 septembre 2014, le Ministre de la Justice somalien a adressé une
335IHS Inc., Base de données de l’EDIN, Kenya : Contrats du Bloc L-13 (2015). MS,
Vol. IV, Annexe 134.
336Ses partenaires de consortium étaient la Swiss Oil Company et la National Oil
Corporation of Kenya. Deloitte, “Kenya”, dHEsDELOITTEG UIDE TOO IL ANDG AS INEAST
AFRICA: UNIQUELY STRUCTURED (2014), p. 11. MS, Vol. IV, Annexe 116. Voir également
Midway Resources International, communiqué de presse : Midway Resources International («
MRI ») a achevé ses programmes d’acquisition de données gravimétriques et magnétiques
sismiques concernant les Blocs L13 et L4, Kenya (19 juillet 2013). MS, Vol. IV, Annexe 114 ;
République du Kenya, Ministère de l’Énergie et du Pétrole, Projet de politique nationale
concernant l’énergie et le pétrole (20 janvier 2015), Tableau 2-2. MS, Vol. III, Annexe 29.
337IHS Inc., « Base de données de l’EDIN, Kenya : Contrats du Bloc L-13 (2015). MS,
Vol. IV, Annexe 134.
338 Midway Resources International, communiqué de presse : Midway Resources
International (« MRI ») a achevé ses programmes d’acquisition de données sismiques par gravité–
magnétique concernant les Blocs L13 et L4, Kenya (19 juillet 2013), p. 2. MS, Vol. IV, Annexe
114.
141lettre à MRI afin de protester contre ses « violations flagrantes de la souveraineté
339
et de l’intégrité territoriale de la Somalie » .
8.21. Le Bloc L-5, lui aussi à cheval sur la ligne d’équidistance, a été
initialement proposé en juillet 2000 et comprenait, à l'époque, à la fois des zones
340
terrestres et des zones en mer . Star Petroleum International a signé un contrat
d’exploration en surface en octobre 2000 341. En avril 2001, Dana Petroleum est
devenue l’opérateur du bloc 342 et a réalisé des études sismiques en 2D et 3D 343. En
mai 2003, Woodside Petroleum a repris ce bloc et collecté des données sismiques
344
dans cette zone . Enfin, en 2006, Woodside a foré le tout premier puits en eaux
profondes au large du Kenya, le puits Pomboo-1, du côté somalien de la ligne
345 346
d’équidistance (cette exploration n’a rien donné ). Le contrat de Woodside est
arrivé à terme le 11 juillet 2008 347.
339
Lettre de S.E. Ahmed Ali Dahir, Ministre de la Justice de la République fédérale de
Somalie, à M. Peter Worthington, Président-Directeur général de Midway Resources International,
n° 02/124/XIG/2014 (20 septembre 2014), p. 2. MS, Vol. IV, Annexe 77.
340
IHS Inc., Base de données de l’EDIN, Kenya : Contrats du Bloc L-05/Block L05
(2015). MS, Vol. II, Annexe M10.
341
Ibid.
342
Ibid.
343Dana Petroleum plc, Annual Report & Accounts 2002 (2003), p. 6. MS, Vol. IV,
Annexe 99.
344
IHS Inc., Base de données de l’EDIN, Kenya : Contrats du Bloc L-05/Block L05
(2015). MS, Vol.erV, Annexe 133. Voir également Nina Rach, “Kenya forges ahead”,
oedigital.com (1 juillet 2013). MS, Vol. IV, Annexe 113 ; Thomas Pearmain, “Woodside Spuds
Offshore Well; Kenya’s Oil Future to Be Determined in 2007”, Global Insight (5 décembre 2006).
MS, Vol. IV, Annexe 100. Woodside dirigeait initialement un consortium d'entreprises
d’exploration indépendantes et était exploitait le Bloc L-5, dont il détenait 30 %. Les parts
restantes étaient détenues par Dana Petroleum (30 %), Repsol (20 %) et Global Petroleum (20 %).
Thomas Pearmain, “Woodside Well in Kenya a Duster”, Global Insight (23 janvier 2007). MS,
Vol. IV, Annexe 100.
345
Voir Chris Lo, “Offshore Kenya: keeping up the neighbors”, Offshore Technology
Market & Customer Insight (13 janvier 2014), p. 1. MS, Vol. IV, Annexe 118 ; Nina Rach,
“Kenya forges ahead”, oedigital.com (1 juillet 2013). MS, Vol. IV, Annexe 113. Ce puits avait
1428.22. En avril 2009, Kenya a proposé un L-5 à des fins d’exploration en surface
et de forage. En juin 2009, ce marché a été accordé à Anadarko Kenya
Corporation, une filiale d’Anadarko Petroleum Corporation, une entreprise basée
348
aux États-Unis . Total S.A., une entreprise française, a ultérieurement obtenu
349
20 % du bloc . Total a annoncé qu'elle allait réaliser en 2015 un forage de
reconnaissance au sein des blocs en mer que le Kenya lui a octroyés, mais les
350
informations publiques ne précisent pas où ce forage aura lieu exactement .
8.23. Le Bloc L-22, qui est à cheval sur la ligne d’équidistance dans les zones
situées entre environ 52 et 104 M de la côte, a été octroyé à Total S.A. en 2012. 351
En 2013, Total a réalisé une « étude sismique en 2D et un forage carottier en
352
mer » , suivis, en 2014, « d’opérations de forage carottier des fonds marins »
une profondeur de 2 193 m (7 195 pieds). Nina Rach, “Kenya forges ahead”, oedigital.com (1
juillet 2013), p. 2. MS, Vol. IV, Annexe 113.
346République du Kenya, Assemblée nationale, Rapport officiel (24 avril 2007), p. 858.
MS, Vol. III, Annexe 26 ; République du Kenya, Assemblée nationale, Rapport officiel (8 août
2007), p. 3057. MS, Vol. III, Annexe 27.
347
IHS Inc., Base de données de l’EDIN, Kenya : Contrats du Bloc L-05/Block L05
(2015). MS, Vol. IV, Annexe 133.
348 er
Ibid. ; Nina Rach, “Kenya forges ahead”, oedigital.com (1 juillet 2013). MS, Vol. IV,
Annexe 113. Ses partenaires de consortium étaient la société française Total et Gouvernment-
Kenya, PTTEP. Deloitte, “Kenya”, dans THE DELOITTE G UIDE TO O IL ANDG AS INE AST AFRICA :
U NIQUELY STRUCTURED (2014), p. 10. MS, Vol. IV, Annexe 116 ; Anadarko Petroleum
Corporation, Second-Quarter 2013 Operations Report (29 juillet 2013), p. 13. MS, Vol. IV,
Annexe 115.
349
Total S.A., communiqué de presse : Total Enters Exploration in Kenya by Acquiring a
40% Stake in Five Offshore Blocks in the Lamu Basin (21 septembre 2011). MS, Vol. IV, Annexe
102.
350“Anadarko to Drill Play-Opening Deepwater Well in Kenya”, Oil & News Kenya (15
mars 2015). MS, Vol. IV, Annexe 126.
351
Total S.A., communiqué de presse : Total Steps Up Exploration Activities in Kenya
with the Award of the Offshore L22 License in the Lamu Basin (27 juin 2012). MS, Vol. IV,
Annexe 102 ; Kennedy Senelwa, “Kenya ministry signs contracts for oil drilling”, The East
African (7 juillet 2012). MS, Vol. IV, Annexe 108.
352Total S.A., Factbook 2013 (2013), p. 85. MS, Vol. IV, Annexe 111.
143 353
supplémentaires et d’une « étude sismique en 3D » . Le 20 septembre 2014, le
ministre de la Justice somalien a protesté contre les « violations flagrantes de la
354
souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Somalie » commises par Total .
355
8.24. Les Blocs L-21, L-23 et L-24 — qui sont situés dans des zones
nettement plus profondes (dans le cas des blocs L-21 et L-23) ou, principalement
(dans le cas du L-24), du côté somalien de la ligne d’équidistance — ont été
octroyés à la société italienne Eni S.p.A. en 2012 356. Le 24 avril 2014, le ministre
des Affaires étrangères somalien a adressé une lettre à Eni S.p.A. afin de
l’informer que ces blocs « sont situés au sein des zones maritimes de la Somalie »
357
et pour « condamner » les activités d’Eni .
8.25. Le Bloc L-26 est lui aussi à cheval sur la ligne d’équidistance dans des
zones en mer très au large. Les négociations initiales avec l’entreprise
norvégienne Statoil concernant ce bloc ont été interrompues lorsque cette société
35Total S.A., Factbook 2014 (2014), p. 81. MS, Vol. IV, Annexe 117.
354Lettre de S.E. Ahmed Ali Dahir, Ministre de la Justice de la République fédérale de
Somalie, à M. Christophe de Margerie, Président-Directeur général de Total S.A.,
n° 03/125/XIG/2014 (20 septembre 2014), p. 2. MS, Vol. IV, Annexe 78.
355Pour autant que la Somalie puisse le constater, le Bloc L-25 semble situé hors de la
zone litigieuse. Cependant, les registres publics du Kenya concernant l’emplacement de ce bloc
sont contradictoires : un document le place à l’intérieur de la zone litigieuse (voir National Oil
Company of Kenya, Kenya Exploration Blocks (2006), disponible sur
http://www.nationaloil.co.ke/image/blockstatus.jpg. MS, Vol. III, Annexe 25), tandis qu’un autre
le place hors de cette zone (voir République du Kenya, Ministère de l’Énergie et du Pétrole, Projet
de politique nationale concernant l’énergie et le pétrole (20 janvier 2015), Figure 2-1). MS, Vol.
III, Annexe 29.
356Eni S.p.A., communiqué de presse : Eni enters Kenya with the acquisition of three
exploration blocks (2 juillet 2012). MS, Vol. IV, Annexe 106. Voir également IHS Inc., Base de
données de l’EDIN, Kenya : Contrats du Bloc L21 (2015). MS, Vol. IV, Annexe 135 ; IHS Inc.,
Base de données de l’EDIN, Kenya : Contrats du Bloc L23 (2015). MS, Vol. IV, Annexe 136; IHS
Inc., Base de données de l’EDIN, Kenya : Contrats du Bloc L24 (2015). MS, Vol. IV, Annexe
123.
35Lettre de M. Abdirahman Beileh, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération
internationale de la République Fédérale de Somalie, à M. Paolo Scaroni, Président-Directeur
général d’Eni S.p.A., n° MOFA/MO/1043/2014 (24 avril 2014), p. 1. MS, Vol. IV, Annexe 74.
144 358
s’est retirée après avoir appris que ce bloc est situé dans la zone litigieuse . Le
Kenya a ensuite, en juillet 2012, octroyé à Lamu Oil and Gas Limited, une co-
entreprise (joint-venture) entre la compagnie pétrolière jordanienne Edgo et la
359
Qatar First Investment Bank, un permis d’exploration . Cependant, ce permis a
été retiré en janvier 2013 en raison de difficultés techniques affectant le forage
dans les eaux très profondes [du bloc] » . Le Bloc L-26 ne semble pas être
361
présentement exploité .
8.26. Le gouvernement kenyan a également autorisé des entreprises qui ne sont
pas des opérateurs à mener des activités sismiques supplémentaires dans la zone
litigieuse. En 2008, des données sismiques ont été acquises par PGS en
collaboration avec la National Oil Corporation of Kenya, y compris des données
concernant le Bloc L-22 362. En 2013-2014, des études sismiques en 2D ont été
358Voir Royaume de Norvège, Ministère des Affaires étrangères : « La Norvège regrette
ce que déclare un rapport des Nations Unies qui associe les efforts de développement norvégiens à
des intérêts commerciaux en Somalie. » (25 juillet 2013). MS, Vol. III, Annexe 34. Voir Rawlings
Otini, “Kenya expels oil giant Statoil from exploration plan”, Business Daily Africa (5 novembre
2012). MS, Vol. IV, Annexe 109. Voir également Nations Unies, Groupe de contrôle pour la
Somalie et l'Érythrée, Rapport du Groupe de contrôle pour la Somalie et l'Érythrée conformément
à la résolution du Conseil de sécurité n° 2060 (2012) : Somalie, Doc. ONU S/2013/413 (12 juillet
2013), parag. 28. MS, Vol. III, Annexe 64.
359IHS Inc., Base de données de l’EDIN, Kenya : Contrats du Bloc L26 (2015). MS, Vol.
IV, Annexe 124 ; Kelly Gilblom, “Middle Eastern oil explorer gives up licence in Kenya”, Reuters
(28 janvier 2013). MS, Vol. IV, Annexe 112.
360
Kelly Gilblom, “Middle Eastern oil explorer gives up licence in Kenya”, Reuters (28
janvier 2013). MS, Vol. IV, Annexe 112 ; IHS Inc., Base de données de l’EDIN, Kenya : Contrats
du Bloc L26 (2015). MS, Vol. IV, Annexe 124.
361 er
Voir Nina Rach, “Kenyan explorers look deeper offshore”, oedigital.com (1 juillet
2014), p. 3. MS, Vol. IV, Annexe 120. Voir également République du Kenya, Ministère de
l’Énergie et du Pétrole, Projet de politique nationale concernant l’énergie et le pétrole (20 janvier
2015), Tableau 2-2. MS, Vol. III, Annexe 29.
362Voir Petroleum Geo-Services, “Kenya-Lamu Basin PGS MultiClient2D”, disponible
sur http://www.pgs.com/pageFolders/241891/kenya_lamu_mc2d_a3ds_0412_std.pdf (dernière
consultation : 8 juin 2015). MS, Vol. IV, Annexe 129.
145réalisées dans les blocs L-21, L-22, L-23, L-24 et L-26 par Schlumberger 363, qui a
364
obtenu un permis d’exploration non exclusif . Le gouvernement kényan entend
utiliser les informations ainsi acquises pour renforcer sa position lors des
365
prochaines négociations concernant les permis . En outre, il semble que,
« concernant le permis L22 en mer , un forage carottier des fonds marins a été
effectué au début de l’année 2014 et qu’une étude sismique en 3D a été
réalisée » 366.
8.27. Par conséquent, le gouvernement kényan a lui-même réalisé, ou a autorisé
des sociétés privées à réaliser, une étude sismique approfondie de la zone
litigieuse, collecté pour cette occasion des informations concernant la nature,
l’étendue et la viabilité économique des ressources potentielles de cette zone. Pour
sa part, la Somalie a protesté contre une telle exploration illicite menée dans les
367
zones maritimes qu’elle revendique . Elle a également ordonné aux entreprises
363 Voir Schlumberger, “Multiclient Latest Projects: Kenya Deepwater 2D 2013
Multiclient Seismic Survey”, disponible sur http://www.multiclient.slb.com/en/latest-
projects/africa/kenya_2d.aspx (dernière consultation : 9 juin 2015). MS, Vol. IV, Annexe 130 ;
Schlumberger, “Kenya Multiclient Seismic Surveys: 2D offshore data”, disponible sur
http://www.multiclient.slb.com/africa/east-africa/kenya.aspx (dernière consultation : 9 juin 2015).
MS, Vol. IV, Annexe 131 ; Schlumberger, “Kenya Multiclient Seismic Surveys Map”, disponible
sur http://www.multiclient.slb.com/africa/east-africa/kenya.aspx (dernière consultation : 9 juin
2015). MS, Vol. IV, Annexe 132.
364Voir l’Honorable Davis Chirchir, ministère de l’Énergie et du Pétrole, République du
e
Kenya, Allocution : Ouverture officielle de la 5 Conférence d’Afrique de l’Est sur le pétrole, le
gaz et l’énergie (29 avril 2014), p. 2. MS, Vol. III, Annexe 28.
365
Voir John Gachiri, “National Oil, American firm finish survey of Lamu oil blocks”,
Business Daily (2 décembre 2014). MS, Vol. IV, Annexe 122.
366
Total S.A., Factbook 2014 (2014), p. 81. MS, Vol. IV, Annexe 117.
367Voir Kelly Gilblom, « Kenya, Somalia border row threatens oil exploration », Reuters
(20 avril 2012). MS, Vol. IV, Annexe 104 ; et Kelly Gilblom, « Somalia challenges Kenya over oil
blocks », Reuters (6 juillet 2012). MS, Vol. IV, Annexe 107.
146associées au projet de cesser leurs activités 368, mais plusieurs d’entre elles ont
369
refusé .
8.28. Les activités unilatérales du Kenya « soulèvent bien évidemment la
question de la violation du droit exclusif de la Somalie en matière
370
d’exploration » , et engagent la responsabilité internationale du Kenya. Le
forage envisagé à des fins d'exploitation des ressources du plateau continental et,
peut-être, de la mer territoriale engagerait a fortiori la responsabilité du Kenya.
Section III. Conséquences de la responsabilité du Kenya
371
8.29. L’obligation de cesser l’acte illicite constitue la première des
conséquences de la violation, par le Kenya, des droits d’exploration exclusifs de la
368Voir lettre de M. Abdirahman Beileh, Ministre des Affaires étrangères et de la
Coopération internationale de la République Fédérale de Somalie, à M. Paolo Scaroni, Président-
Directeur général d’Eni S.p.A., n° MOFA/MO/1043/2014 (24 avril 2014). MS, Vol. IV, Annexe
74 ; Lettre de S.E. Ahmed Ali Dahir, Ministre de la Justice de la République fédérale de Somalie,
à M. Claudio Descalzi, Président-Directeur général d’Eni S.p.A., n° 01/115/XIG/2014 (16
septembre 2014). MS, Vol. IV, Annexe 76 ; Lettre de S.E. Ahmed Ali Dahir, Ministre de la Justice
République fédérale de Somalie, à M. Peter Worthington, Président-Directeur général de Midway
Resources International, n° 02/124/XIG/2014 (20 septembre 2014). MS, Vol. IV, Annexe 77 ;
Lettre de S.E. Ahmed Ali Dahir, Ministre de la Justice de la République fédérale de Somalie, à M.
Christophe de Margerie, Président-Directeur général de Total S.A., n° 03/125/XIG/2014 (20
septembre 2014). MS, Vol. IV, Annexe 78.
369
Voir lettre de M. Massimo Mantovani, Vice-Président de direction, Directeur Général
des Affaires juridiques, Eni S.p.A., à S.E. Abdirahman D. Beileh, Ministre des Affaires étrangères
de la République fédérale de Somalie, n° Prot. Dialeg 10 (9 juin 2014). MS, Vol. IV, Annexe 75 ;
Lettre de M. Claudio Descalzi, Président-Girecteur général d’Eni S.p.A., à S.E. Abdirahman D.
Beileh, Ministre des Affaires étrangères de la République fédérale de Somalie, et S.E. Ahmed Ali
Dahir, Ministre de la Justice de la République fédérale de Somalie, n° 85 (3 Oct. 2014). MS, Vol.
IV, Annexe 79.
370
Grèce c. Turquie, parag. 31. Voir également ci-avant parags. 8.8-8.15.
371Voir article 30 des Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite de la CDI:
« Cessation et non-répétition
L’État responsable du fait internationalement illicite a l’obligation :
(a) D’y mettre fin si ce fait continue ;
147Somalie. L'acquisition et la conservation de données représentent une violation, à
ce jour ininterrompue, d'une obligation internationale. Dans les affaires dans
lesquelles l’acte fautif consiste à acquérir, conserver dans la durée et analyser des
données confidentielles, ainsi qu’à les transmettre à des tierces parties (telles que
des compagnies pétrolières intéressées par l’exploitation des zones maritimes
pertinentes), la restitutio in integrum (une restitution intégrale) est impossible. Tel
que la Cour l’a déclaré dans son Ordonnance de mesures conservatoires du 3 mars
2014 dans l’affaire Certains documents et données entre le Timor oriental et
l’Australie,
« Toute violation de la confidentialité risquerait de
ne pas pouvoir être réparée, puisqu’il pourrait se
révéler impossible de revenir au statu quo ante après
372
la divulgation d’informations confidentielles » .
8.30. Par conséquent, il n’est pas suffisant que le Kenya cesse de collecter des
données sismiques suite à l’arrêt de la Cour concernant la délimitation. Il est
impératif d'ordonner également au Kenya de livrer à la Somalie l'intégralité des
données qu'il a acquises en lien avec les portions de la zone litigieuse dont il a
finalement été reconnu qu’elles appartiennent à la Somalie. De plus, il est
impératif d’ordonner au Kenya de cesser de disséminer les données acquises à ce
jour, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que les sociétés
ayant réalisé des études disséminent ces données. Si, dans le cadre de la présente
(b) D’offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées si les
circonstances l’exigent. »
Commission de Droit international, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour
fait internationalement illicite et commentaires , dans le Rapport de la Commission du droit
international sur les travaux de sa 53 session (23 avril – 1 juin et 2 juillet - 10 août 2001), dans
l’ANNUAIRE DE LA C OMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL , Vol. II, Partie 2 (2001), p. 88. MS,
Vol. III, Annexe 54.
372Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données
(Timor de l’Est c. Australie), Demande en indication de mesures conservatoires, Ordonnance du 3
mars 2014, C.I.J., parag. 42. Voir également Ghana/Côte d’Ivoire, parags. 47 et 92.
148procédure, la Somalie a de bonnes raisons de penser que le Kenya agit en
infraction à ses obligations, elle se réserve le droit de solliciter des mesures
conservatoires interdisant au Kenya de mener de telles activités.
8.31. Pareillement, il est important de rappeler que, tel qu’indiqué à l’article 29
des Articles de la Commission de Droit international (la « CDI ») concernant la
Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (Maintien du devoir
d’exécuter l’obligation) :
« Les conséquences juridiques d’un fait
internationalement illicite prévues dans la présente
partie n’affectent pas le maintien du devoir de l’État
responsable d’exécuter l’obligation violée ».
Cela est vrai en la présente affaire, et, en effet, le Kenya ne peut pas s’abriter
derrière le fait que la Cour ne s’est pas encore prononcée concernant la frontière
maritime entre les Parties pour continuer de violer son obligation de ne pas créer
un fait accompli dans la zone litigieuse.
8.32. Ceci s’applique également pendant toute la durée de la présente
procédure : le Kenya continue de développer sa stratégie d’exploration dans la
zone dans le but d'octroyer des concessions, de réaliser des études sismiques et
373
même de mener des opérations de forage , ce en dépit du fait qu’il est
parfaitement au courant de la revendication de la Somalie. Ce faisant, le Kenya
non seulement viole les droits souverains de la Somalie, mais aggrave également
le présent différend dont la Cour a été saisie.
8.33. Il va également de soi, dans le cas où les activités du Kenya affectaient les
droits de la Somalie de façon permanente, le Kenya serait dans « l’obligation de
37Voir ci-avant parags. 8.19-8.28.
149réparer intégralement le préjudice ... qui découle pour l’État responsable de la
374
commission d’un fait internationalement illicite » . En la présente affaire, une
restitution — qui « est la première forme de réparation à laquelle peut prétendre
375
un État lésé par un fait internationalement illicite » — est difficilement
envisageable. La Chambre spéciale du TIDM a récemment souligné que :
« Considérant que, quelle que soit sa nature, toute
indemnisation accordée ne permettrait jamais de
rétablir le statu quo d’antan concernant les fonds
marins et son sous-sol ; ... »
Considérant que l'acquisition et l'utilisation
d'informations sur les ressources de la zone
litigieuse entraîneraient un risque de préjudice
irréversible causé aux droits de la Côte d'Ivoire si la
Chambre spéciale, dans sa décision sur le fond, juge
que la Côte d’Ivoire détient des droits dans toute ou
dans une partie de la zone litigieuse ;
Considérant par conséquent que les activités
d’exploration et d’exploitation, telles qu’envisagées
par le Ghana, pourraient causer un préjudice
irréparable aux droits exclusifs invoqués par la Côte
d’Ivoire concernant le plateau continental et les
376
eaux surjacentes dans la zone litigieuse ... » .
8.34. Il en résulte que, « pour autant que » le préjudice causé par les actes
internationalement illicites du Kenya ne puisse pas être « compensé par voie de
374
CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite et commentaires y relatifs, dNNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL ,
Vol. II, Partie 2 (2001), art. 31(1). MS, Vol. III, Annexe 54. Voir également : Affaire relative à
l’usine de Chorzów, Fond, arrêt, 1928, C.P.J.I. Série A, n° 17, p. 47 ; Usine de pâte à papier sur
la fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), Arrêt, C.I.J. Recueil 2010, parag. 273.
375
CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite et commentaires y relatifs, dNNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL ,
Vol. II, Partie 2 (2001), art. 35, Commentaires, parag. 1. MS, Vol. III, Annexe 54.
376Ghana/Côte d’Ivoire, parags. 90, 95 et 96.
150restitution », le Kenya n’est « aucunement tenu de verser une indemnisation en
contrepartie du préjudice causé » 377. Une indemnisation, bien entendu,
constituerait le seul moyen de réparation si le Kenya décidait d’extraire ou
autorisait l’extraction de pétrole dans cette zone avant la fin de la présente
378
procédure , ou si le Kenya continue d’encourager ou d’autoriser la pêche dans la
zone maritime sous juridiction somalienne.
8.35. Par conséquent, la Somalie demande à la Cour de dire et juger que le
Kenya, de par son comportement, a engagé sa responsabilité internationale et que
la Somalie doit être indemnisée en contrepartie du préjudice qui lui est ainsi
causé. La Somalie se réserve le droit de revendiquer ultérieurement une
indemnisation concernant à la fois divers éléments d’enrichissement injuste
résultant du comportement illicite du Kenya dans les zones maritimes souveraines
de la Somalie et les dommages financiers subis par la Somalie 379.
377
CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite et commentaires y relatifs, daNNUAIRE DE LA C OMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL ,
Vol. II, Partie 2 (2001), art. 36(1). MS, Vol. III, Annexe 54. Voir également Affaire relative à
l’usine de Chorzów, Fond, Arrêt, 1928, C.P.J.I. Série A, n° 17, pp. 47 à 48 ; Projet Gabčíkovo-
Nagymaros (Hongrie / Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, parag. 15 ; Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo), Indemnisation due par la
République démocratique du Congo à la République de Guinée, Arrêt, C.I.J. Recueil 20er, parag.
13 ; Affaire M/V « Saiga » (n° 2) (Saint Vincent et les Grenadines c. Guinée), Arrêt du 1 juillet
1999, Rapport du TIDM -1999, parag. 170.
378
Voir Ghana / Côte d’Ivoire, parag. 88 ; Guyane c. Suriname, parags. 465-470.
379
Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), Arrêt, C.I.J. Recueil 1997, parags.
151-154 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),
Fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2010, parags. 160-164.
151 CONCLUSIONS
Compte tenu des éléments de fait et de droit mentionnés dans le présent mémoire,
la Somalie prie respectueusement la Cour :
1. De déterminer, sur la base du droit international, l’intégralité du tracé de la
frontière maritime entre la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien, y
compris sur le plateau continental au-delà de 200 milles marins.
2. D’établir que la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya dans
l’océan Indien suit une ligne reliant les points dont les coordonnées
géographiques sont les suivantes :
Point n° Latitude Longitude
1 1°39’44,07” S 41°33’34,57” E
(TFT)
2 1°40’05,92” S 41°34’05,26” E
3 1°41’11,45” S 41°34’06,12” E
4 1°43’09,34” S 41°36’33,52” E
5 1°43’53,72” S 41°37’48,21” E
6 1°44’09,28” S 41°38’13,26” E
7 1°47’54,60” S 41°43’36,04” E
(intersection de
la limite des
12 milles marins)
8 2°19’01,09” S 42°28’10,27” E
9 2°30’56,65” S 42°46’18,90” S
10 3°34’57,05” S 44°18’49,83” E
(intersection de
la limite des
200 milles
marins)
152 11 5°00’25,71” S 46°22’33,36” E
(intersection de
la limite des
350 milles
marins)
3. De dire et juger que, par son comportement dans la zone litigieuse, le
Kenya a violé ses obligations internationales concernant la souveraineté
ainsi que les droits et la juridiction souverains de la Somalie, et que, en
vertu du droit international, il est tenu de remédier à l’ensemble du
préjudice subi par la Somalie, entre autres en communiquant à celle-ci
toutes les données sismiques recueillies dans les zones dont la Cour aura
jugé qu’elles relèvent de la souveraineté et/ou des droits et de la juridiction
souverains de la Somalie, et de réparer l’intégralité du préjudice subi par
celle-ci, sous forme du versement d’indemnités appropriées.
(Toutes les coordonnées géographiques ont été établies sur la base du
système géodésique WGS 84.)
153 13 juillet 2015
___________________________
S.E. Abdusalam H. Omer
Ministre des Affaires étrangères et de la Promotion des investissements
Représentant la République fédérale de Somalie ATTESTATION
Je certifie que les annexes sont des copies certifiées conformes des documents
mentionnés, et que les traductions qui les accompagnent sont correctes.
___________________________
S.E. Abdusalam H. Omer
Ministre des Affaires étrangères et de la Promotion des investissements
Représentant la République fédérale de Somalie
___________
Mémoire de la Somalie