- 2 -
R ÉPONSE DU C OSTA R ICA À LA QUESTION DE M. LE JUGE B ENNOUNA
1. Au terme de la procédure orale consacrée à la requête du Costa Rica à fin d’intervention
en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) , le juge Bennouna a posé
au Costa Rica la question suivante :
«Le CostaRica a indiqué à la Cour qu’il n’a toujours pas ratifié le traité de
délimitation maritime dans la mer des Ca raïbes, qu’il a signé avec la Colombie, le
17mars1977, «dans le souci de conserve r de bonnes relations avec le Nicaragua,
lequel n’a pas cessé de lui demander de n’en rien faire tant que le différend n’a pas été
réglé avec la Colombie» (traduction du CR 2010/12, du 11 octobre 2010, p. 14, par. 8,
M. Brenes).
Est-ce que le CostaRica a différé la ratification du traité du 17mars1977, en
attente du jugement de la Cour au fond, da ns l’affaire pendante devant elle, opposant
le Nicaragua à la Colombie ?
En d’autres termes, est-ce que le Costa Rica attend le jugement de la Cour au
fond pour clarifier certaines hypothèses, mentionnées dans le même compte rendu
(traduction du CR 2010/12, p. 28, par. 13, M. Lathrop), hypothèses à partir desquelles
le traité de 1977 aurait été négocié et signé ?»
2. En ce qui concerne la première formula tion de la question, le CostaRica répond par
l’affirmative: il a effectivement différé la ratif ication de l’accord de1977 parce que le différend
persistant entre les Parties ⎯le Nicaragua et la Colombie ⎯ devait être tranché par la Cour. Le
24décembre1999, le président nicaraguayen, Ar noldoAlemán, annonçait que le Nicaragua avait
2
l’intention d’introduire devant la C our une instance contre la Colombie . La même année, le
président Alemán avertissait le CostaRica que, si celui-ci ratifiait son traité avec la Colombie
portant délimitation dans la mer des Caraïbes, une grave crise s’ensuivrait . Le 21 février 2001, le
ministre costa-ricien des affaires étrangères Robe rtoRojas annonçait pour sa part, au sujet de la
ratification de l’accord de 1977, que le Costa Ri ca «attendrait la décision de La Haye pour donner
davantage de précisions sur les zones qui appartienne nt véritablement au terri toire souverain de la
4
Colombie, et sur celles qui appartiennent du Nicaragua» . A l’époque, le traité de 1977 était déjà
devant l’Assemblée législative du Costa Rica . Le 12septembre2001, une commission de
l’Assemblée législative renvoya l’accord devant l’exécutif pour que celui-ci le resoumette à
l’Assemblée s’il le souhaitait. En fait, le 6 décembre2001, le Nicaragua déposa sa requête en
l’instance, dans laquelle il priait la Cour
«Premièrement, de dire et juger que la République du Nicaragua a la
souveraineté sur les îles de Providencia, San Andrés et Santa Catalina et toutes les îles
et cayes qui en dépendent, ainsi que sur l es cayes de Roncador, Serrana, Serranilla et
Quitasueño (pour autant qu’elles soient susceptibles d’appropriation) ;
1
CR 2010/17, p. 27 (M. le juge Bennouna).
2Observations écrites du Nicaragua sur les exceptions préliminaires de la Colombie, vol. I, p. 127, par. 3.91.
3Voir La Nación, San José, 25octobre2000, http://www.nacion .com/ln_ee/2000/octubre/25/ultima3.html («Le
président nicaraguayen, ArnoldoAlemán, a averti le CostaRica l’année dernière que, si le traité délimitant certaines
zones dans la mer des Caraïb es devait être approuvé, cela provoquergrave crise telle que celle à laquelle le
Honduras devait faire face en raison d’ucord similaire avec la Colombie[Traduction française établie par le
Greffe à partir de la traduction anglaise fournie par le Costa Rica.]
4La Nación, San José, 21février2001, http://wvw.naci on.com/ln_ee/2001/febrero/21/ultima1.html [traduction
française établie par le Greffe à partir de la traduction anglaise fournie par le Costa Rica]. - 3 -
Deuxièmement, à la lumière des conclusions auxquelles elle sera parvenue
concernant le titre revendiqué ci-dessus, de déterminer le tracé d’une frontière
maritime unique entre les portions de plateau continental et les zones économiques
exclusives relevant respectivement du Nicaragua et de la Colombie, conformément
aux principes équitables et aux circonstances pertinentes que le droit international
5
général reconnaît comme s’appliquant à une délimitation de cet ordre.»
3. Le pouvoir exécutif costa-ricien s’est donc jusqu’à ce jour abstenu de resoumettre l’accord
de 1977 à l’Assemblée pour examen. En ce sens, «le Costa Rica a différé la ratification du traité du
17 mars 1977, en attente du jugement de la Cour au fond, dans l’affaire … opposant le Nicaragua à
la Colombie».
4. Par souci d’exhaustivité , il convient de noter que si, en vertu de la Constitution du
Costa Rica, la gestion des relations extérieures, et notamment le pouvoir de négocier et de conclure
des accords internationaux, est dévolue au gouvernem ent, le pouvoir de lier définitivement l’Etat
par voie de ratification incombe en revanche à l’ Assemblée législative du CostaRica, c’est-à-dire
au Parlement. Ainsi, comme le Costa Rica l’a exposé à l’audience, la décision ultime de ratifier ou
6
non un traité, dès lors que celui-ci est pr ésenté à nouveau, «incombe à son parlement» . De plus,
ainsi que le veut tout processus démocratique, cet te décision sera naturellement prise en tenant
compte des divers avis exprimés par la société civile costa-ricienne et par les membres de
l’Assemblée à titre individuel.
5. En revanche, en ce qui concerne la seconde formulation de la question ⎯«est-ce que le
Costa Rica attend le jugement de la Cour au fond pour clarifier certaines hypothèses, mentionnées
dans le même compte rendu…, hypothèses à partir desquelles le traité de 1977 aurait été négocié et
signé ?» ⎯, le CostaRica répond par la négative. Celui-ci a présenté ces hypothèses dans sa
requête et à l’audience 8 pour démontrer que, dans son esprit —à l’époque de la conclusion de
l’accord de 1977 —, la Colombie était l’Etat avec lequel une délimitation était nécessaire dans cette
partie des Caraïbes . Que cette impression soit appelée à être confirmée ou infirmée par la décision
rendue en l’espèce ne constitue pas en soi une raison de ne pas ratifier l’accord de 1977. En outre,
ni les «hypothèses» visées dans la question de la Cour ni l’accord de 1977 lui-même ne constituent
un intérêt d’ordre juridique auquel la décision de la Cour en l’espèce risque, en tant que telle, de
porter atteinte. L’intérêt d’ordre juridique du Cost a Rica, tel qu’exposé dans sa requête et tout au
long de ses plaidoiries, «concerne l’exercice de ses droits souverains et de sa juridiction dans
l’espace maritime de la mer des Caraïbes auquel lui donne droit, selon le droit international, sa côte
10
bordant cette mer» .
5 Requête introductive d’instance, p. 8, par. 8.
6 CR 2010/12, p. 22, par. 8 (Brenes).
7 Requête à fin d’intervention de la République du Costa Rica, p. 3, par. 11.
8
CR 2010/12, p. 35, par. 13 (Lathrop).
9 o
Cette notion se retrouve dans une note diplomatique du Costa Rica (n 68.682-PE) du 18 octobre 1972
«relati[ve] à la situation des bancs de Quitasueño, Roncador et Serrana», qui sont tous situés bien au nord, au-delà de tout
espace auquel le Costa Rica peut prétendre en vertu des principes du droit international (mémoire du Gouvernement du
Nicaragua, vol. II, annexe 36, p. 133).
10
Requête à fin d’intervention de la République du Costa Rica, p. 2, par. 11 ; voir aussi le CR 2010/12, p. 30-31,
par. 10-14 (Vargas) ; CR 2010/12, p. 33, par. 4 (Lathrop) ; CR2010/15, p.17, par.18 (Lathrop); CR2010/15, p.18,
par. 3 (Ugalde). - 4 -
6. Ayant limité ses prétentions dans cette requête à fin d’intervention, le Costa Rica n’a pas,
tant s’en faut, demandé à la Cour de statue r sur la question de savoir si les hypothèses qui
sous-tendent l’accord de1977 étaient ou non fondées en droit. Il a simplement appelé l’attention
de la Cour sur les conséquences, sous l’angle de la portée géographique de ses intérêts juridiques,
que la décision de celle-ci pourrait avoir en tant qu’elle influerait sur les relations qu’il entretient
avec ses voisins dans la zone concernée par l’accord de 1977. Dans cette éventualité, la ratification
n’aurait plus lieu d’être et ne servirait à rien dans la pratique.
7. Enfin, le Costa Rica répète qu’il s’est conformé de bonne foi, et continuera à se
conformer, aux dispositions du traité de1977 et qu’il ne cherche pas, par le biais de la présente
affaire, à revenir d’une manière ou d’une autre sur ce traité.
L’ambassadeur et agent
du Costa Rica,
(Signé) M. Edgar U GALDE A LVAREZ .
(Sceau)
___________
Réponse écrite du Costa Rica à la question qui lui a été posée par M. le juge Bennouna au terme de l'audience tenue le 15 octobre 2010, à 17 heures (traduction)