Duplique du Gabon

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179-20230306-WRI-01-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À LA DÉLIMITATION TERRESTRE ET MARITIME ET SOUVERAINETÉ SUR DES ÎLES
(GABON/GUINÉE ÉQUATORIALE)
DUPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE GABONAISE
Volume I
6 mars 2023

TABLE DES MATIÈRES
Introduction .................................................................................................... 1
Chapitre I. L’objet du différend : la détermination des titres juridiques pertinents .. 7
I. L’objet du différend soumis à la Cour par le Compromis .................... 10
II. La définition des « titres juridiques » au sens du Compromis ............ 14
A. La confusion entretenue par la Guinée Équatoriale entre la vocation au titre (« entitlement ») et le titre lui-même ...................... 14
B. « Les titres juridiques, traités et conventions internationales » invocables par les Parties .................................................................. 24
III. L’absence de pertinence des effectivités aux fins du présent différend ................................................................................................................. 29
Chapitre II. La Convention de Bata fait droit entre les Parties .................................... 39
I. La Convention de Bata existe ............................................................... 44
II. La Convention de Bata est un traité qui fait droit entre les Parties ..... 55
A. Le texte de la Convention de Bata................................................ 56
B. Les circonstances de la conclusion de la Convention de Bata ..... 62
C. La force obligatoire de la Convention de Bata n’est pas remise en cause par la conduite ultérieure des Parties ....................................... 65
Chapitre III. Les titres juridiques concernant la frontière terrestre.............................. 73
I. La Convention de Bata constitue un titre juridique s’agissant de la délimitation de la frontière terrestre ......................................................... 73
II. Les prétendues modifications de la Convention de Paris invoquées par la Guinée Équatoriale sont dépourvues de tout fondement juridique et factuel ....................................................................................................... 87
A. Aucune modification de la frontière n’est intervenue dans la région de l’Outemboni ...................................................................... 89 i
1. La Convention de Paris n’a pas été modifiée conformément à son article 8 et à son annexe I ..................................................... 89
2. Les effectivités contra legem invoquées ne sauraient établir ou confirmer en fait une modification de la Convention de Paris . 100
B. Aucune modification de la frontière n’est intervenue dans les environs de la rivière Kyé ............................................................... 122
Chapitre IV. Le titre de souveraineté insulaire .............................................................. 131
I. La Guinée Équatoriale n’a pas apporté la preuve de son titre sur les îles en litige .................................................................................................. 132
A. Les éléments invoqués par la Guinée Équatoriale ne sont pas de nature à constituer un titre juridique ............................................... 133
B. Les effectivités invoquées par la Guinée Équatoriale ne sauraient valoir titre juridique ......................................................................... 141
C. L’introuvable reconnaissance d’un prétendu titre juridique espagnol sur les îles en litige ........................................................... 144
1. La Convention de Paris ne constitue pas, par création ou par confirmation, un titre juridique sur les îles en litige ................. 144
2. L’absence de reconnaissance ultérieure par la France ou par le Gabon d’un quelconque titre juridique espagnol sur les îles en litige .......................................................................................... 152
II. La Convention de Bata est le seul titre juridique qui fait droit s’agissant des îles en litige ..................................................................... 161
A. Contexte et signification des tensions de 1972 .......................... 162
B. La Convention de Bata attribue au Gabon un titre conventionnel univoque sur les îles en litige .......................................................... 169
C. Le Gabon n’a pas renoncé à son titre conventionnel .................. 173
Chapitre V. Le titre juridique relatif à la frontière maritime ..................................... 177
I. La Convention de Bata est le seul titre juridique faisant droit entre les Parties quant à la délimitation maritime ................................................ 178
A. La Convention de Bata délimite la frontière maritime entre le Gabon et la Guinée Équatoriale ...................................................... 178 ii
B. Les arguments en réponse de la Guinée Équatoriale ne convainquent pas ............................................................................. 181
C. La Convention de Bata prévaut sur les prétendus titres invoqués par la Guinée Équatoriale ................................................................ 185
II. Il n’existe aucun titre autre que la Convention de Bata faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation maritime ......................... 187
Conclusions ................................................................................................. 193
Liste des annexes ................................................................................................ 197
iii

INTRODUCTION
1. Conformément à l’ordonnance de la Cour en date du 6 mai 2022, la République de Guinée Équatoriale (ci-après « la Guinée Équatoriale ») a déposé une réplique le 5 octobre 2022. En exécution de la même ordonnance, la République Gabonaise (ci-après « le Gabon ») devait déposer une duplique au plus tard le 6 mars 2023. La présente duplique est présentée conformément à cette décision.
2. Tout en réaffirmant les positions adoptées dans son contre-mémoire et pour lesquelles il fournira des pièces supplémentaires en appui, le Gabon s’attachera dans la présente duplique à répondre aux inexactitudes et erreurs identifiées dans la réplique, tout en réfutant les nombreuses affirmations sans fondement de la Guinée Équatoriale.
3. Au préalable, le Gabon constate que les Parties ont confié à la Cour une mission clairement définie dans le Compromis, à savoir la détermination des « titres juridiques, traités et conventions internationales invoqués par les Parties » faisant droit « s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ». Or, la Guinée Équatoriale peine à identifier clairement les titres qu’elle invoque. Dans ses conclusions, elle liste pêle-mêle et sans aucune hiérarchie une multitude de prétendus fondements, laissant au Gabon et à la Cour le soin de déchiffrer s’ils sont invoqués séparément ou cumulativement. Cette approche témoigne de la faiblesse de la position de la Guinée Équatoriale. À l’inverse, les conclusions du Gabon sont claires et conformes au Compromis. Elles identifient, s’agissant de la frontière terrestre, maritime et la souveraineté sur les îles litigieuses, les titres juridiques, traités et conventions, faisant droit entre les Parties.
1
4. S’agissant de l’objet du différend et de la détermination des titres pertinents (Chapitre I), le Gabon démontrera que la Guinée Équatoriale entretient une confusion entre les différentes acceptions de la notion de « titre juridique » et celle envisagée par le Compromis et qu’elle assimile la vocation au titre (« entitlement ») et le titre juridique lui-même. Le Gabon rappellera qu’en vertu du Compromis du 15 novembre 2016, les Parties ne peuvent invoquer que des titres juridiques. Il sera démontré en particulier que les effectivités ne rentrent pas dans cette catégorie et n’ont dès lors aucune pertinence.
5. S’agissant de la Convention de Bata, la Guinée Équatoriale ne nie pas son existence même. Comme il sera développé dans cette duplique, cela tient au fait que l’inexistence de la Convention de Bata est insoutenable au regard des éléments devant la Cour (Chapitre II), y compris ceux soumis par la Guinée Équatoriale. En revanche, la Guinée Équatoriale tente en vain de remettre en cause la validité et la force obligatoire de cette Convention en invoquant la conduite ultérieure des Parties. Si elle abandonne l’argument fondé sur l’estoppel qu’elle avait invoqué dans son mémoire, les nouveaux arguments qu’elle soulève ne sont guère plus convaincants.
6. À propos des titres juridiques faisant droit concernant la frontière terrestre (Chapitre III), le Gabon réaffirme que la Convention de Bata constitue un tel titre et détermine la frontière terrestre entre les deux États. Puisqu’elle a repris, presque mot pour mot, la description de la frontière établie par les puissances coloniales dans l’article 4 de la Convention de Paris, le texte de cette dernière disposition continue de refléter ce titre partiellement. Du reste, malgré les tentatives de la Guinée Équatoriale de réduire à néant les dispositions de la Convention de Paris, les puissances coloniales n’ont jamais approuvé de quelconques modifications de cette Convention. Les allégations de la Guinée Équatoriale quant à de telles 2
modifications « in practice » et l’invocation de soi-disant effectivités infra legem restent dénuées de toute justification en droit et en fait.
7. Concernant le titre de souveraineté insulaire (Chapitre IV), le Gabon relève d’abord que la Guinée Équatoriale n’a pas apporté la preuve de son titre sur les îles en litige dès lors que les éléments invoqués par elle ne sont pas de nature à constituer un titre juridique, pas davantage que les prétendues effectivités présentées. Ni la France ni l’Espagne n’ayant considéré la Convention de Paris comme valant titre sur les îles en litige, la Convention de Bata est le seul titre juridique qui fait droit entre les Parties à ce sujet. De même que, le Gabon n’a jamais renoncé à ce titre ; au contraire, il a réaffirmé avec force et constance ses droits sur Mbanié, Cocotiers et Conga.
8. De fait, la Guinée Equatoriale éprouve les plus grandes difficultés à identifier le titre prévalant pour ses revendications insulaires. Ses conclusions se réfèrent à « the succession by the Republic of Equatorial Guinea to the title held by Spain on 12 October 1968 », et lorsqu’il s’agit de préciser le titre espagnol, le texte n’égrène pas moins de six éléments distincts, de nature fort différente : un acte conventionnel, quatre actes internes espagnols et la prétendue occupation effective par l’Espagne des îles en litige. Le silence de la Guinée Équatoriale sur la nature de son prétendu titre s’explique sans doute par le fait qu’aucun de ces éléments ne saurait constituer un titre qui fasse droit entre les Parties s’agissant de la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga. À l’opposé, la position du Gabon est limpide : la Convention de Bata vient régler de manière définitive le différend de souveraineté sur ces îles qui avait opposé la France et l’Espagne, pendant la période coloniale, ainsi que le Gabon et la Guinée Équatoriale après leurs indépendances respectives. Depuis, le Gabon a exercé d’une manière continue sa souveraineté sur ce groupe d’îles et donc rien ne permet de considérer qu’il aurait renoncé à son titre conventionnel. 3
9. À propos du titre juridique relatif à la frontière maritime (Chapitre V), il ressort des dernières écritures de la Guinée Équatoriale que les Parties s’entendent sur un élément fondamental : en présence d’un accord de délimitation maritime entre les Parties, ce titre prévaut sur tout autre instrument de nature à délimiter leur frontière maritime commune. Ceci est dorénavant acquis. En revanche, les Parties se heurtent à une double divergence : l’existence ou non d’un tel accord de délimitation d’une part, et l’existence ou non d’autres titres juridiques faisant droit entre les Parties d’autre part. En 1974, le Gabon et la Guinée Équatoriale ont conclu la Convention de Bata, portant délimitation de leur frontière maritime commune suivant une ligne parallèle au parallèle de latitude 1° Nord et en créant des enclaves autour des îles équato-guinéennes de Corisco, Elobey Grande et Elobey Chico situées au sud de cette ligne et donc dans l’espace maritime gabonais. La Convention de Bata est donc bien le titre juridique faisant droit entre les Parties s’agissant de leur délimitation maritime.
10. Les prétendus titres invoqués par la Guinée Équatoriale, à savoir la Convention de Paris, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la « CNUDM ») et le droit international coutumier, ne sont pas des titres juridiques faisant droit entre les Parties. Dans sa réplique, la Guinée Équatoriale est gênée dans ses démonstrations et ne convainc pas. Ces prétendus titres sont soit muets sur la délimitation maritime (à l’instar de la Convention de Paris qui ne fait que prévoir le point terminal de la frontière terrestre), soit sont de simples éléments établissant une vocation à un titre (« entitlement ») mais en aucun cas un titre (« title »), à l’instar de la CNUDM et du droit international coutumier. Les prétendus titres invoqués par la Guinée Équatoriale ne constituent pas des titres faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation maritime et sont insusceptibles de le devenir quelle que soit la position de la Cour s’agissant de la Convention de Bata. En effet, si par extraordinaire la Cour considérait que la Convention de Bata n’est pas un titre juridique faisant droit entre les Parties 4
s’agissant de la délimitation maritime, les éléments invoqués par la Guinée Équatoriale ne seraient toujours pas des titres au sens du Compromis et la Cour n’aurait d’autre choix que de constater qu’aucun titre juridique ne fait droit entre les Parties s’agissant de leur frontière maritime.
11. La présente duplique comporte, enfin, les conclusions du Gabon et une liste d’annexes. Elle est accompagnée de 60 annexes reproduites dans un volume II. 5

CHAPITRE I. L’OBJET DU DIFFÉREND : LA DÉTERMINATION DES TITRES JURIDIQUES PERTINENTS
1.1. L’article 1 du Compromis du 15 novembre 2016 se lit comme suit :
« 1. La Cour est priée de dire si les titres juridiques, traités et conventions internationales invoqués par les Parties font droit dans les relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga.
À cette fin :
2. La République Gabonaise reconnaît comme applicables au différend la Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique Occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée du 27 juin 1900 (Paris) et la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée équatoriale et du Gabon du 12 septembre 1974 (Bata).
3. La République de Guinée équatoriale reconnaît comme applicable au différend la Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique Occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée du 27 juin 1900 (Paris).
4. Chacune des Parties se réserve le droit d’invoquer d’autres titres juridiques ».
1.2. Ces dispositions – et, en particulier, le paragraphe 1er qui définit le différend – doivent être interprétées en appliquant les règles énoncées aux 7
articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités auxquelles les deux Parties reconnaissent une valeur coutumière1.
1.3. Certes, comme la Guinée Équatoriale l’affirme,
« Equatorial Guinea and Gabon are in agreement that the purpose of the Special Agreement is for the Court to resolve completely the Parties’ dispute regarding the applicable legal titles, treaties and international conventions ‘in so far as they concern the delimitation of their common maritime and land boundaries and sovereignty over the islands of Mbanié/Mbañe, Cocotiers/Cocoteros and Conga’ »2.
1.4. Mais les Parties sont profondément en désaccord sur la portée de cet « accord » (« agreement »).
1.5. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale s’était contentée de propos très généraux quant à la signification du Compromis du 15 novembre 2016 et s’était bornée à affirmer que :
« The Special Agreement determines the Court’s jurisdiction, which extends to deciding which of the legal titles, treaties and international conventions (‘Legal Titles’) invoked by either Party, in the Special Agreement or in the course of these proceedings, have the force of law between the Parties »3.
1.6. Le Gabon pour sa part a insisté, dans son contre-mémoire, sur les termes de l’article 1 du Compromis et a montré :
a) qu’il permet aux Parties d’invoquer des « titres juridiques » entendus comme des preuves documentaires ; 1 RGE, vol. I, par. 2.7. 2 Ibid., par. 2.15. 3 MGE, vol. I, par. 1.4. 8
b) que ces preuves de souveraineté ou de droits souverains ne peuvent être, comme le mentionne expressément le Compromis, que « des traités et conventions internationales » ; et
c) que, de façon plus générale, ni des effectivités ni un entitlement ne peuvent être assimilés à des « titres juridiques » au sens du Compromis4.
1.7. Cela a conduit la Guinée Équatoriale à s’attarder un peu plus longuement dans sa réplique sur le sens qu’elle attribue aux termes de l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis. Dans un premier temps, elle affirme l’existence d’un accord entre les Parties, qui s’avère être seulement un accord de façade, au sujet de la mission attribuée à la Cour par le biais du Compromis5. La Guinée Équatoriale caricature ensuite la position du Gabon en prétendant que ce dernier prie la Cour de limiter sa compétence à l’examen de la seule Convention de Bata comme titre juridique faisant droit entre les Parties « s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga »6. La Guinée Équatoriale soutient également que « [i]t is therefore erroneous to suggest, as Gabon does on the basis of an artificial distinction between title and entitlement, that certain juridical facts should not count as legal title »7. Plus loin dans sa réplique, la Guinée Équatoriale discute à nouveau longuement sur le rôle des effectivités dans la résolution du présent différend8.
1.8. Dans le présent chapitre, en réponse à ces allégations, le Gabon revient sur l’objet du Compromis et la mission attribuée à la Cour (I) puis précise à nouveau ce qu’il faut entendre par « titres juridiques, traités et conventions » au sens du 4 V. CMG, vol. I, chapitre V.II. 5 RGE, vol. I, pars. 2.1-2.3. 6 Ibid., pars. 2.4-2.6. 7 Ibid., par. 2.22 (note de bas de page omise). 8 Ibid., pars. 5.2-5.6. 9
Compromis (II) réitérant sa position sur la question de la non-pertinence des effectivités en vue de résoudre le différend soumis à la Cour (III).
I. L’objet du différend soumis à la Cour par le Compromis
1.9. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale s’est peu étendue sur la définition du différend défini à l’article 1 du Compromis9. Se contentant de reprendre presque tel quel le texte du Compromis, elle affirme :
« The Parties have seised the Court with jurisdiction to determine the Legal Titles applicable to sovereignty over the three disputed islands (Mbañe, Cocoteros y Conga), and identify the Legal Titles applicable to the delimitation of their land and maritime boundaries »10.
1.10. Malheureusement, loin de s’en tenir à cette assertion – exacte – et d’en tirer les conséquences qui s’imposent, la Guinée Équatoriale la contredisait tout au long de son mémoire. Elle la faisait suivre d’une description factuelle des différends existants entre les deux États au sujet, d’une part, de la délimitation terrestre et maritime et, d’autre part, de la souveraineté sur les îles. Quand bien même elle répétait ici et là qu’elle s’en tenait au strict respect du Compromis11, elle invitait la Cour à se prononcer sur des faits et des arguments juridiques allant très au-delà du mandat restreint qui lui avait été conféré par les Parties.
1.11. Cette présentation trompeuse a conduit le Gabon à revenir dans son contre-mémoire sur la portée de la mission confiée à la Cour. Le Compromis n’invite nullement la Cour à trancher des différends de délimitation ou un différend de souveraineté sur les îles mais seulement à résoudre un différend préalable 9 V. supra, par. 1.1. 10 MGE, vol. I, par. 1.7. 11 Ibid., pars. 7.8 et 7.20. 10
portant sur les titres juridiques faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière commune et l’attribution de la souveraineté sur certaines îles12.
1.12. Dans sa réplique, la Guinée Équatoriale a traité plus longuement de la question de l’objet du différend soumis à la Cour. Elle a, dans un premier temps, affirmé que les Parties étaient d’accord sur la portée du mandat confié à la Cour en affirmant que « [i]t has set out the facts in the Memorial exclusively for the purpose of establishing the legal titles, treaties and conventions that Equatorial Guinea invokes under Article 1 of the Special Agreement »13.
1.13. Pour autant, la Guinée Équatoriale ajoute une nouvelle fois de la confusion à son propos lorsqu’elle affirme que « the Parties agree that the Special Agreement asks the Court to decide on the legal effect of titles, treaties and international conventions invoked by them »14 ou lorsqu’elle avance que la Cour devrait vérifier « the nature and effect » de la Convention de Bata15. Le Gabon peine à comprendre le sens et la portée que donne la Guinée Équatoriale aux expressions « legal effect » ou « nature » utilisées abondamment par la Guinée Équatoriale dans sa réplique pour décrire le mandat conféré à la Cour par le Compromis16 (alors même que, quoi qu’elle en dise17, ces expressions n’apparaissaient pas dans son mémoire, non plus d’ailleurs que dans le texte même du Compromis).
1.14. Caricaturant ensuite la position du Gabon, la Guinée Équatoriale avance que « [t]he Special Agreement does not limit the Court’s Jurisdiction to deciding 12 V. CMG, vol. I, chapitre V.I, pars. 5.5 et s. 13 RGE, vol. I, par. 2.3. 14 Ibid., p. 6 (italiques ajoutés). 15 Ibid., par. 2.6. 16 Ibid., pars. 2.1, 3.6, 3.81, 4.57. 17 Ibid., par. 2.1. 11
only whether the Document Gabon presented in 2003 is a Legal Title having the Force of Law between the Parties »18 et que « Gabon’s interpretation of the Special Agreement seek[s] to limit the Court’s task to merely answering one ‘yes’ or ‘no’ question, regarding the nature and effect, if any, of the document presented in 2003 (which it calls the ‘Bata Convention’) »19.
1.15. Cette présentation ne correspond pas à la position du Gabon qui n’est pas de nier que les Parties au différend présenté à la Cour ne pourraient invoquer plusieurs titres juridiques. Simplement, le Gabon constate que l’un des titres juridiques qu’il invoque, la Convention de Bata, supplante les autres en ce qu’il les réaffirme en partie, les corrige à la marge et en comble les lacunes.
1.16. Du reste, l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis prévoit seulement que la Cour est appelée à déterminer quels sont « les titres juridiques, traités et conventions internationales invoqués par les Parties » et faisant droit entre elles. Si, tout comme le Gabon, la Guinée Équatoriale est invitée à soumettre tous « titres juridiques, traités et conventions internationales » qu’elle estime pertinents au sens du Compromis, rien n’indique que la Cour soit tenue de retenir que plusieurs titres juridiques font droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leurs frontières terrestre et maritime communes dès lors que l’un d’eux suffit à répondre aux questions dont elle est saisie. En toute logique, elle ne saurait en retenir plusieurs s’ils se contredisent réciproquement. Elle n’est d’ailleurs pas même tenue d’en retenir ne serait-ce qu’un seul si elle devait constater qu’aucun des titres juridiques invoqués par les Parties ne fait droit aux fins définies par le Compromis.
1.17. Dans son contre-mémoire, le Gabon a énuméré plusieurs affaires antérieures montrant, par analogie, comment le Compromis devait être interprété 18 RGE, vol. I, p. 7. 19 Ibid., par. 2.6. V. aussi, ibid., pars. 2.12 et 2.20. 12
dans la présente espèce20. Parmi ces affaires, celles du Plateau continental de la mer du Nord sont des précédents particulièrement éclairants afin de préciser l’office que la Cour est amenée à exercer. Dans les affaires qui ont fait l’objet des arrêts de 1969, les parties demandaient à la Cour de préciser les règles applicables à la délimitation de leur plateau continental. La Cour a répondu en affirmant notamment que :
« A) l’application de la méthode de délimitation fondée sur l’équidistance n’est pas obligatoire entre les Parties ;
B) il n’existe pas d’autre méthode unique de délimitation qui soit d’un emploi obligatoire en toutes circonstances »21.
La Cour n’ayant pas constaté l’existence d’une règle claire et établie de délimitation des plateaux continentaux n’en avait pas moins résolu complètement les différends qui lui étaient soumis.
1.18. Dans la présente affaire, il ne s’agit pas pour la Cour de se prononcer sur les règles applicables à la délimitation mais d’identifier quels titres juridiques font droit parmi ceux que les Parties pourraient invoquer dans le cadre de leur différend plus large. De la même manière que dans les affaires du Plateau continental, la Cour pourrait par exemple résoudre « completely »22 le différend qui lui est soumis en considérant qu’aucun des titres juridiques invoqués par les Parties ne fait droit s’agissant, par exemple, de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ou de la définition de leur frontière maritime. Dans cette situation, si la Cour en venait à accepter la position de la Guinée Équatoriale selon 20 CMG, vol. I, pars. 5.16 et s. 21 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 53, par. 101 ; Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 53, par. 101. 22 RGE, vol. I, par. 2.15. 13
laquelle la Convention de Paris de 1900 « did not create new or separate legal title to [the] islands »23 tout en refusant d’admettre que la Convention de Bata fasse droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière commune, il reviendrait aux Parties de négocier en vue de la conclusion d’un nouvel accord, de la même manière qu’elles sont parvenues à conclure un Compromis leur permettant de présenter leur différend concernant les titres juridiques applicables s’agissant de la délimitation de leurs frontières.
II. La définition des « titres juridiques » au sens du Compromis
1.19. Contrairement à ce qui était le cas dans son mémoire, la Guinée Équatoriale discute, dans sa réplique, le sens à attribuer à la notion de « titres juridiques » mentionnée dans le Compromis. Ce faisant, elle se refuse à distinguer entre l’origine du (ou la vocation au) titre (« entitlement ») et le titre lui-même (« title ») (A) et elle interprète (trop) largement la notion de « titres juridiques » pourtant limitée aux titres conventionnels par l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis (B).
A. LA CONFUSION ENTRETENUE PAR LA GUINÉE ÉQUATORIALE ENTRE LA VOCATION AU TITRE (« ENTITLEMENT ») ET LE TITRE LUI-MÊME
1.20. La Guinée Équatoriale affirme dans sa réplique que « Gabon is wrong in dismissing, for example, State succession as a source of legal title, when this is plainly a process under international law by which titles belonging to the previous sovereign pass over to the successor State »24. Selon la Guinée Équatoriale, 23 RGE, vol. I, par. 4.5. 24 Ibid., par. 2.22. 14
« [s]uccession is both the source of the rights of the successor State and a legal title »25.
1.21. Ces assertions illustrent bien une autre des confusions entretenues par la Guinée Équatoriale. Comme le Gabon l’a déjà montré dans son contre-mémoire,
« une (…) confusion est faite par la Guinée Équatoriale entre ce qui fonde le titre juridique et la possibilité de le détenir (‘an entitlement’) d’une part, et la possession du titre lui-même (‘title’) d’autre part. La Cour n’est pas appelée à se prononcer sur la possibilité pour les Parties de détenir un titre juridique (sur leur ‘entitlement’) mais sur la seule possession de ce titre juridique »26.
1.22. À l’appui de sa position, la Guinée Équatoriale cite le Dictionnaire de la terminologie du droit international de Basdevant qui définit la notion de « titre » comme un « [t]erme qui, pris dans le sens de titre juridique, désigne tout fait, acte ou situation qui est la cause et le fondement d’un droit »27. Cette définition cohabite dans le même dictionnaire avec une autre définition omise par la Guinée Équatoriale : « [d]ocument invoqué en vue d’établir l’existence d’un droit ou d’une qualité »28.
1.23. De son côté, le Dictionnaire Salmon, qui reprend cette dernière définition sub littera C (« titre-preuve »), propose en outre deux définitions alternatives du mot « titre » : « A. Cause, fondement, origine substantielle d’un droit. On peut, dans ce cas, parler de ‘titre-cause’ » ou « B. Opération juridique constituant une modalité d’attribution d’un droit. On peut alors parler de ‘titre- 25 RGE, vol. I, par. 2.23. 26 CMG, vol. I, par. 5.81. 27 RGE, vol. I, par. 2.24 ; J. Basdevant, Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, Sirey (1960), p. 604. 28 J. Basdevant, Dictionnaire de la terminologie du droit international, Sirey, Paris (1960) (RGE, vol. V, annexe 59), p. 605. 15
mode’ »29. Ces définitions sont différentes mais la conception qu’a la Guinée Équatoriale de la notion de titre ne cadre avec aucune ; elles supposent respectivement :
a) « titre-cause » (negotium juris) : que le titre invoqué soit directement à l’origine de la souveraineté ou des droits souverains de l’État qui s’en prévaut sur un territoire ou une zone maritime donnés ;
b) « titre-preuve » (instrumentum) : que le titre revendiqué soit étayé/démontré par un document auquel le droit international reconnaît une valeur intrinsèque;
c) « titre-mode » : que le titre à l’origine des droits de souveraineté soit attribué par l’opération en question.
1.24. Dans l’affaire Burkina Faso/Mali, la Cour s’est interrogée sur la notion de titre :
« Le mot ‘titre’ a en fait (…) été parfois employé de telle manière qu’on ne sait pas très bien parmi ses divers sens possibles lequel lui attribuer ; il est donc peut-être utile de rappeler certaines distinctions fondamentales. Comme l’a fait observer la Chambre constituée dans l’affaire du Différend frontalier, en général le mot ‘titre’ ne renvoie pas uniquement à une preuve documentaire, mais ‘peut (…) viser aussi bien tout moyen de preuve susceptible d’établir l’existence d’un droit que la source même de ce droit’ »30.
1.25. Ces deux acceptions correspondent aux définitions des « titres-causes » et « titres-preuves ». 29 J. Salmon, Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, (2001), p. 1084. 30 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, pp. 388-389, par. 45 ; Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18. 16
1.26. En matière d’attribution territoriale ou de délimitation, le titre-cause est la source de droits souverains d’un État sur un espace donné, c’est-à-dire le mode d’établissement de la souveraineté ou d’une frontière. Quant au « titre-preuve », la Cour, dans la même décision, a précisé qu’il s’agissait de tout « document auquel le droit international confère une valeur juridique intrinsèque aux fins de l’établissement des droits territoriaux »31. Tous les documents auxquels les Parties peuvent se référer ne disposent cependant pas de cette valeur juridique intrinsèque ; c’est notamment le cas des cartes, du moins lorsqu’elles ne sont pas annexées à un acte conventionnel32.
1.27. Le « titre-mode » doit être envisagé de façon distincte. Il renvoie uniquement aux modalités de l’opération permettant l’acquisition ou la prétention à des droits de souveraineté. Ce titre-mode peut revêtir différentes formes dont la succession d’États ou l’uti possidetis juris.
1.28. Ainsi, la Guinée Équatoriale ne peut établir qu’elle a succédé d’une manière ou d’une autre aux droits de l’Espagne que si elle est en mesure de démontrer l’existence du ou des titres juridiques dont disposait la puissance coloniale avant l’indépendance. Le propos inverse conduirait à faire des « titres juridiques » mentionnés à l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis des coquilles vides dont le contenu resterait indéterminé, et ne permettrait en aucun cas la résolution du différend soumis à la Cour. 31 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 582, par. 54 (italiques ajoutés). V. Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 667, par. 88 ; Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 723, par. 215 ; Île de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999, p. 1098, par. 84 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 661, par. 100. 32 CMG, vol. I, par. 5.88. 17
1.29. C’est exclusivement en ce sens que la Cour a, dans l’affaire Salvador/Honduras – citée par la Guinée Équatoriale non sans une certaine confusion –, assimilé la succession à un titre :
« [L]e ‘titre’ d’El Salvador ou du Honduras en ce qui concerne les zones en litige, au sens de source de leurs droits sur le plan international, est, comme les deux Parties le reconnaissent, celui de la succession des deux États à la Couronne espagnole pour ce qui est des territoires coloniaux de celle-ci, l’étendue de territoire dont chaque État a hérité étant déterminée par l’uti possidetis juris de 1821 »33.
1.30. Cet extrait tronqué n’a pas la portée générale que tend à lui attribuer la Partie équato-guinéenne. Dans son intégralité, il se lit ainsi :
« En un sens, le ‘titre’ d’El Salvador ou du Honduras en ce qui concerne les zones en litige, au sens de source de leurs droits sur le plan international, est, comme les deux Parties le reconnaissent, celui de la succession des deux États à la Couronne espagnole pour ce qui est des territoires coloniaux de celle-ci, l’étendue de territoire dont chaque État a hérité étant déterminée par l’uti possideti juris de 1821 »34.
1.31. Si l’on s’en tient à cet extrait, la succession semble pouvoir être envisagée, « en un sens », comme un « titre ». Mais la conclusion très générale qu’en tire la Guinée Équatoriale est trop hâtive35.
1.32. Dans cette affaire, la Cour était appelée, non pas à se prononcer seulement, comme en l’espèce, sur les titres applicables mais à
« 1. (…) délimiter la ligne frontière dans les zones ou secteurs non décrits à l’article 16 du traité général de paix du 30 octobre 1980. 33 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 389, par. 45 cité en anglais dans RGE, vol. I, par. 2.23. 34 Italiques ajoutés. 35 RGE, vol. I, par. 2.22. 18
2. (…) déterminer la situation juridique des îles et des espaces maritimes »36.
1.33. Si la Cour a assimilé « titre » et « succession » lorsqu’elle a procédé à la délimitation de la frontière terrestre entre le Salvador et le Honduras, elle n’en a pas moins immédiatement cherché à déterminer quel était le véritable titre ou fondement du droit sur lequel l’une ou l’autre des Parties pouvaient s’appuyer pour justifier ses prétentions sur le territoire disputé. Elle a affirmé à la suite de l’extrait mentionné par la Guinée Équatoriale :
« Deuxièmement, (...) un ‘titre’ peut être fourni, par exemple, par un décret royal espagnol attribuant certaines zones à l’une de ces subdivisions. Comme on l’a déjà fait observer, aucune des deux Parties n’a été en mesure de s’appuyer sur des ‘titres’ de cette nature qui valent pour la frontière terrestre, pour revendiquer telle ou telle ligne frontière. »37
1.34. La distinction entre la modalité d’attribution d’un droit et le titre juridique lui-même d’un État sur un territoire ou une zone maritime peut être illustrée par d’autres arrêts de la Cour. Dans son contre-mémoire, le Gabon a mentionné l’affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et la Colombie. Dans cette affaire la Cour a affirmé que « ‘[l]e titre d’un État sur le plateau continental et la zone économique exclusive est fondé sur le principe selon lequel la terre domine la mer du fait de la projection des côtes ou des façades côtières’ »38. Mais, poursuivant sa réflexion, et toujours en vertu de cette règle, elle a affirmé que « ‘[la] Cour ne s’intéressera, en la présente instance, qu’aux zones sur 36 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 357, par. 3. 37 Ibid., p. 389, par. 45. 38 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 674, par. 140, p. 680, par. 151. V. aussi ibid., p. 674, par. 140. 19
lesquelles la Colombie peut prétendre à un titre », se refusant ainsi à considérer que cette règle constituait en elle-même un titre39.
1.35. D’autres exemples peuvent être mentionnés dans lesquels la Cour a précisé la distinction à opérer entre « titre juridique » ou droit (« title ») d’un État et son origine ou les modalités de sa création ou de sa transmission (« entitlement »). Dans l’affaire Nicaragua c. Honduras, la Cour s’est déclarée :
« d’avis que les autorités honduriennes délivraient des permis de pêche en ayant la conviction que le Honduras détenait, sur la base de son titre sur les îles, des droits sur les espaces maritimes entourant celles-ci »40.
1.36. Autrement dit, la Cour a bien distingué d’une part le titre juridique que pensait détenir le Honduras sur des îles et, d’autre part, la possibilité qui pouvait en découler pour le Honduras s’agissant de ses droits potentiels sur les zones maritimes environnantes.
1.37. Certes, du fait qu’il succède à un État prédécesseur, l’État successeur peut, potentiellement, accéder à des droits de souveraineté sur un territoire donné. Pour autant, selon la définition communément admise de la succession d’États, cette expression s’entend seulement « de la substitution d’un État à un autre dans la 39 CMG, vol. I, par. 5.82 renvoyant à Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 674, par. 140 et p. 680, par. 151. V. aussi ibid., p. 692, par. 181. 40 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 718, par. 195. En anglais : « The Court is thus of the view that the Honduran authorities issued fishing permits with the belief that they had a legal entitlement to the maritime areas around the islands, derived from Honduran title over those islands. ». 20
responsabilité des relations internationales d’un territoire »41. La succession ne concerne donc que la modalité de transmission d’un droit (en la présente occurrence d’un titre territorial) mais elle ne peut en elle-même constituer ni le titre lui-même, ni la démonstration de son existence. Ainsi, la Guinée Équatoriale fait-elle, de temps à autre, utilement la distinction entre « titre juridique » et « succession ». Tel est le cas lorsqu’elle affirme, par exemple, que « [a]fter its independence in 1968, Equatorial Guinea continued to administer the Utamboni River Area consistent with the legal title it inherited from Spain »42. La succession d’États n’est pas un titre en elle-même : elle est le principe qui permet à un titre préexistant de passer à un nouveau détenteur qui en « hérite » – le titre reste le même ; c’est son titulaire qui change.
1.38. Mutatis mutandis, il en va de même de la confusion du même type réalisée par la Guinée Équatoriale au sujet du principe de l’uti possidetis juris en assimilant « the principle of respect for boundaries inherited from their colonial predecessors » à un titre juridique43.
1.39. Du reste, la Guinée Équatoriale se contredit lorsqu’elle affirme, par exemple, que : « Uti possidetis juris thus gave permanence to the boundary established in the 1919 Agreement and the report of the 1901 Commission, in the same way that it gave permanence to the administrative limits of Spain in the 41 V. Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de traités, 23 août 1978, Vienne, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1946, p. 3, art. 2, par. 1.b) ; Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’État, 8 avril 1983, Vienne, Nations Unies, Documents officiels de la Conférence des Nations Unies sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’Etat, vol. II, art. 2, 1., a). V. aussi Résolution 55/153 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 12 décembre 2000, Annexe : La nationalité des personnes physiques en relation avec la succession d’États, art. 2.a) ; Différend frontalier (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 598, par. 399.
42 RGE, vol. I, par. 5.48. 43 Ibid., par. 3.66. 21
Americas and France in Africa »44. Ce faisant, elle considère que les seuls titres juridiques valables seraient le prétendu accord de 1919 et le rapport de la Commission de 1901 – ce que le Gabon conteste45 – et non, à raison, le principe de l’uti possidetis juris lui-même46.
1.40. La confusion faite par la Guinée Équatoriale est plus flagrante encore lorsqu’elle se prévaut de « the application of international treaties regarding the law of the sea, notably UNCLOS »47. Elle affirme à cet égard que :
« under both UNCLOS and customary international law, the Parties’ titles and entitlement to the territorial sea, exclusive economic zone, and continental shelf emanate from their titles to insular and continental land territory.[48] These titles unquestionably ‘concern’ the delimitation of their maritime boundary. As numerous international courts and tribunals have recognized, ‘the land dominates the sea’ »49.
1.41. Ici encore, la Guinée Équatoriale prétend ériger le fondement de la prétention à un titre (« entitlement ») en ce titre lui-même. Autrement dit, la Guinée Équatoriale reconnaît que le titre (dès lors qu’il est avéré) d’un État sur un territoire terrestre donné permet à cet État de prétendre dans la zone maritime adjacente à une mer territoriale, une zone économique exclusive et à un plateau continental. Mais cela n’a rien de mécanique : il reste à procéder à la délimitation de ces zones et, s’agissant du plateau continental, à sa délinéation ; les titres à la souveraineté ou aux droits souverains de l’État côtier sur ces espaces seront constitués par l’accord que les États concernés doivent conclure à cette fin ou par la décision juridiquement 44 RGE, vol. I, par. 5.66. V. aussi ibid., par. 3.67. 45 V. infra, pars. 3.51–61. 46 RGE, vol. I, par. 5.48. 47 Ibid., par. 3.67. 48 Ibid., note 456 : « See Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area (Canada/United States of America), Judgment, I.C.J Reports 1984, p. 245, para. 103 ». 49 RGE, vol. I, par. 6.10. V. aussi plus généralement pars. 6.7-6.11. 22
obligatoire prise par un organe juridictionnel ou arbitral50. La CNUDM elle-même ne peut dès lors être érigée en un titre juridique ou élément de preuve de ce droit.
1.42. L’interprétation par le Gabon de l’article 1 du Compromis est largement confirmée par le contexte dans lequel s’inscrivent les termes de cette disposition ainsi que par le contexte, l’objet et le but du Compromis dans son ensemble. « Tout compromis (...) constitue un accord entre États qui doit être interprété selon les règles du droit international général régissant l’interprétation des traités » desquelles font partie les règles d’interprétation posées à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités51.
1.43. Le Gabon l’a déjà souligné52 : le contexte immédiat de l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis est constitué en premier lieu par les trois autres paragraphes du même article, qui sont pertinents pour interpréter le paragraphe 1er. Les paragraphes 2 et 3 ne mentionnent que deux sortes de « titres juridiques », des traités, qui sont des preuves documentaires de l’existence de la souveraineté d’un État sur un territoire ou de ses droits souverains sur une zone maritime. Sont ainsi énumérés comme « titres juridiques » invocables comme faisant « droit dans les relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga » la Convention de Paris du 27 juin 1900 et la Convention de Bata du 12 septembre 1974, ce qui se rattache aisément à l’expression « traités et conventions » ajoutée à la suite de « titres juridiques » dans le paragraphe 1er. Les paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 1 du Compromis ont été introduits à la seule fin de la mise en oeuvre du paragraphe 1 de 50 V. en particulier Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 10 décembre 1982, Montego, Nations Unies, Recueil des traités¸ vol. 1834, n° 31363, arts. 74, 83. 51 Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 69, par. 48. 52 V. supra, par. 1.2. 23
ce même article comme l’illustre l’expression « à cette fin » intercalée entre les paragraphes 1 et 2. C’est donc à la lumière de cette formule restrictive que les paragraphes 2 et 4 doivent être interprétés.
1.44. Par ailleurs, l’objet et le but même du Compromis est de permettre la résolution « du » différend existant entre les Parties s’agissant, encore une fois, exclusivement de celui portant sur les « titres juridiques » faisant « droit dans les relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ».
1.45. L’assimilation de la succession à un titre juridique – autrement dit à un document établissant le bien-fondé de la souveraineté revendiquée – ne peut dès lors dispenser la Guinée Équatoriale de démontrer l’existence antérieure du titre supposément transmis. Elle ne peut affirmer que l’Espagne lui a transmis des titres juridiques si les droits de cette dernière n’ont pas été prouvés : nemo potest plus iuris transferre quam ipse habeat53. Comme le prévoit en outre l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis, les Parties sont exclusivement invitées à présenter à la Cour des « titres juridiques, traités et conventions internationales » qui font droit.
B. « LES TITRES JURIDIQUES, TRAITÉS ET CONVENTIONS INTERNATIONALES » INVOCABLES PAR LES PARTIES
1.46. Dans son contre-mémoire, le Gabon a insisté sur le sens à attribuer à l’expression « titres juridiques, traités et conventions internationales ». Comme il 53 Affaire de l’Île de Palmas, 4 avril 1928, Recueil des sentences arbitrales, vol. II, p. 842 ; traduction française dans la Revue générale de droit international public, t. XLII, 1935, p. 164. 24
l’a montré, les termes « traités et conventions internationales » apportent une importante précision à la notion de « titres juridiques » évoqués immédiatement avant dans la même disposition54. La Guinée Équatoriale a contesté cette interprétation dans sa réplique, sans apporter aucun élément convaincant.
1.47. Selon la Guinée Équatoriale, l’interprétation par le Gabon de l’article 1, paragraphe 1er du Compromis est
« obviously contrary to the text of the Special Agreement, which lists distinct sources of legal rights that the Court must assess: legal titles, in addition to treaties and international conventions. There is nothing in the text that indicates or implies that ‘treaties and international conventions’ are intended to constitute the only sources of the ‘legal titles’ referred to in Article 1(1). There are many possible formulations the drafters could have used to express this intention, had it been the case, but they chose not to use them »55.
1.48. Au soutien de sa position la Guinée Équatoriale soutient que
« [t]he Court has repeatedly ruled that the interpretation of a special agreement must not render any of its provisions ‘devoid of purport or effect’. If, as Gabon asserts, ‘legal titles’ means only ‘treaties and international conventions’, the term ‘legal titles’ would be deprived of any ‘purport or effect’. The drafters of the Special Agreement could have referred to ‘treaties and international conventions’ without mentioning ‘legal titles’, but that is not what they chose to do. Rather, they included the latter term, which in common usage and international law has a different and broader meaning than ‘treaties and conventions’ »56.
1.49. Tout comme la Guinée Équatoriale, le Gabon considère que l’interprétation du Compromis, en tant que traité international, impose que chacun 54 CMG, vol. I, par. 5.70. 55 RGE, vol. I, par. 2.11. 56 Ibid., par. 2.12. Note de bas de page omise. 25
des termes qu’il emploie doit avoir un sens propre57. Tel est le cas de la position du Gabon : les Parties peuvent invoquer différents « titres juridiques », au sens de cette notion telle qu’elle est précisée par l’expression « traités et conventions internationales ». Les Parties auraient pu choisir de ne conserver que la mention des « traités et conventions internationales », mais, ce faisant, elles auraient élargi l’objet du différend puisque tous les « traités et conventions internationales » ne constituent pas des « titres juridiques »58. Les Parties auraient également pu ne conserver que la mention de « titres juridiques » – elles ont pourtant choisi d’y accoler l’expression « traités et conventions internationales » précisant (et réduisant du même coup) les titres invocables par les Parties dans la présente affaire.
1.50. À l’inverse, le principe de l’effet utile aux fins d’interprétation se retourne contre celle qu’avance la Guinée Équatoriale : si les Parties avaient l’intention, en insérant la notion de « titres juridiques » à l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis, de permettre aux Parties d’invoquer n’importe quel titre, elles auraient omis de juxtaposer à cette notion l’expression « traités et conventions internationales » qui font, très évidemment, partie des titres juridiques invocables. C’est l’interprétation contraire de cette disposition avancée par la Guinée Équatoriale qui revient à priver de tout effet utile l’insertion de cette mention dans l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis, qui a exactement la même signification que l’on y inclue la mention des « traités et conventions internationales » ou qu’on l’en ampute.
1.51. La Guinée Équatoriale prétend que « Gabon’s interpretation in effect rewrites the text of Article 1 by eliminating the term ‘legal title’ »59. Une telle réécriture est en réalité le fait de la Guinée Équatoriale, qui en fait d’ailleurs l’aveu 57 RGE, vol. I, par. 2.10. 58 V. supra, par. 1.43. 59 RGE, vol. I, par. 2.11. 26
lorsqu’elle affirme que « the Court must assess: legal titles, in addition to treaties and international conventions »60 alors que les termes « in addition » (« outre les traités et conventions ») ne sont justement pas insérés dans l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis.
1.52. Au surplus, la Guinée Équatoriale ignore le contexte et l’économie générale du Compromis que le Gabon a décrits dans son contre-mémoire61. Son interprétation de l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis est confortée par les paragraphes 2 et 3 du même texte. Sont ainsi exclusivement mentionnés comme « titres juridiques » faisant droit entre les Parties s’agissant de leur frontière terrestre et maritime commune et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga la Convention de Paris de 1900 et la Convention de Bata de 1974 côté gabonais et la Convention de Paris de 1900 côté équato-guinéen – tous instruments de nature purement conventionnelle – ce qui tend à prouver que lors de la discussion du Compromis, la Guinée Équatoriale n’avait à l’esprit ni la succession d’États, ni le principe uti possidetis, ni d’ailleurs la CNUDM, autant de pseudo-titres « découverts » ex post lorsqu’elle a pris conscience que la Convention de Paris n’était pas de nature à permettre la résolution ultérieure de l’ensemble des différends frontaliers et insulaire opposant les Parties.
1.53. Du reste, les travaux préparatoires, en tant qu’éléments pertinents pour confirmer l’interprétation du Compromis62, appuient l’interprétation gabonaise. Ainsi, dans une note adressée au médiateur des Nations Unies en mars 2001, le Gabon a insisté sur le fait que « les Parties elles-mêmes ont procédé au règlement de ces questions par voie conventionnelle. Le différend qui les oppose ne devrait 60 RGE, vol. I, par. 2.11 (italiques ajoutés). 61 CMG, vol. I, par. 5.70. 62 Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 69, par. 48. ; Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, pp. 21- 22, par. 41. 27
concerner que l’acceptation par l’une et par l’autre de la pertinence des titres aux seules fins de leur application normale ». Dans cette même note, le Gabon poursuivait en affirmant qu’il « ne pourrait acquiescer à toute formulation de l’objet du différend à soumettre à la Cour qui se substituerait à cette conception »63. Une version antérieure du Compromis prévoyait d’ailleurs en son article 1, paragraphe 1er :
« La Cour est priée de dire si les titres juridiques invoqués par les Parties font droit dans les relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée Equatoriale s’agissant de l’exercice de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga, et de la délimitation de leurs frontières communes »64.
1.54. L’article 1, paragraphe 1er, du projet de compromis ne mentionnait que les « titres juridiques » sans y accoler de précision.
1.55. À la suite du projet de compromis du 19 janvier 2016, le Gabon a proposé une nouvelle rédaction de l’article 1 du Compromis. Cette proposition, visait entre autres à accoler à l’expression « titres juridiques » celle de « traités et conventions internationales »65. Le sens même de cette proposition gabonaise qui s’avère être la rédaction actuelle du Compromis visait à préciser la catégorie des titres juridiques pouvant être invoqués par les Parties – en les limitant aux seuls traités et conventions. 63 Commission sur le différend Gabon/Guinée Équatoriale, Observations de la délégation gabonaise à propos du nouveau projet d’article 1er relatif à l’objet du différend tel que proposé aux Parties à la fin de la dernière session de la Médiation, Genève, 29-30 mars 2001 (DG, vol. II, annexe 52), p. 4, par. 7-1-2. 64 V. Note de Luigi Condorelli, 21 juillet 2011 (DG, vol. II, annexe 54) reproduisant le projet de Compromis tel que suggéré dans la lettre du Médiateur en date du 13 juillet 2011. V. aussi Note de Luigi Condorelli, 30 avril 2012 (DG, vol. II, annexe 55) reproduisant le projet de Compromis tel qu’annexé à la lettre du Médiateur du 26 avril 2012. V. aussi Projet de Compromis, 31 octobre 2013 (DG, vol. II, annexe 56) ; Projet de Compromis, 19 janvier 2016 (DG, vol. II, annexe 57). 65 Projet de Compromis, 19 janvier 2016 (DG, vol. II, annexe 57).
28
III. L’absence de pertinence des effectivités aux fins du présent différend
1.56. Malgré le caractère limitatif des titres invocables par les Parties conformément au Compromis, la Guinée Équatoriale s’en est affranchie pour invoquer à tout va des effectivités, pour en faire l’alpha et l’oméga des « titres » qu’elle invoque et leur faire dire ce qu’elles ne disent pas. Le paragraphe 1er de l’article 1 du Compromis n’évoque pourtant que les titres juridiques et en aucun cas les effectivités. Or comme l’admet la Guinée Équatoriale66, « effectivités » et « titres juridiques » ne sont pas assimilables. La Guinée Équatoriale le reconnaît clairement notamment en assortissant systématiquement ses références aux effectivités de la mention infra legem67 ; ainsi, de l’aveu même de la Partie équato-guinéenne, elles ne peuvent être, par définition, qu’infra titulum.
1.57. Cette distinction entre les deux notions ressort plus généralement de l’arrêt de la chambre de la Cour dans Burkina Faso/Mali, sur lequel la Guinée Équatoriale fait largement fond, dans lequel elle distingue avec la plus grande netteté titres juridiques et effectivités :
« As the Court has repeatedly made clear, the legal relationship between effectivités and legal title ‘must be drawn among several eventualities’:
(i)‘dans le cas (…) où une administration effective s’ajoute à l’uti possidetis juris, l’‘effectivité’ n’intervient en réalité que pour confirmer l’exercice du droit né d’un titre juridique’ ; 66 V. infra, par. 1.57. 67 V. notamment RGE, vol. I, pars. 5.2-5.5, 5.33, 5.37 ; MGE, vol. I, pars. 6.32, 6.33, 6.35, 6.37, 6.38, 6.40. 29
(ii) ‘dans le cas où (…) le territoire objet du différend est administré effectivement par un État autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre’ ;
(iii) ‘dans l’éventualité où ‘l’effectivité ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit inévitablement être prise en considération’ ;
(iv) ‘dans le cas où ‘le titre juridique n’est pas de nature à faire apparaître de façon précise l’étendue territoriale sur laquelle il porte’, ‘les ‘effectivités’ peuvent alors jouer un rôle essentiel pour indiquer comment le titre est interprété dans la pratique’ »68.
1.58. Chacune de ces quatre hypothèses mérite un bref commentaire au regard des circonstances particulières de la présente affaire, étant rappelé que le Compromis n’autorise la Cour qu’à se prononcer sur la pertinence des titres juridiques dont se prévalent les Parties.
1.59. Prétendant illustrer la première hypothèse (effectivités confirmatives), la Guinée Équatoriale renvoie à son mémoire : « (…) the Memorial documented numerous unchallenged administrative acts and agreements – infra legem effectivités – during the colonial period and after independence, which confirmed the agreed adjustments, or gave rise to a separate source of legal title »69. 68 RGE, vol. I, par. 5.3 citant l’arrêt de la Cour dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 586-587, par. 63. Les citations de l’affaire du Différend frontalier ont été insérées en français dans le texte. Elles figurent en anglais, dans la réplique de la Guinée Équatoriale : « As the Court has repeatedly made clear, the legal relationship between effectivités and legal title ‘must be drawn among several eventualities’: (i)‘where effective administration is additional to the uti possidetis juris, the only role of effectivité is to confirm the exercise of the right derived from a legal title’; (ii) ‘where the territory which is the subject of the dispute is effectively administered by a State other than the one possessing the legal title, preference should be given to the holder of the title’; (iii) where ‘the effectivité does not co-exist with any legal title, it must invariably be taken into consideration’; and (iv) where ‘the legal title is not capable of showing exactly the territorial expanse to which it relates’, ‘effectivités can then play an essential role in showing how the title is interpreted in practice’ ». 69 RGE, vol. I, par. 5.2. 30
1.60. La Guinée Équatoriale présente ces « agreed adjustments » comme « based on Article 8 and Annex 1 of the [1900 Paris] Convention prior to the independence of Equatorial Guinea and Gabon »70. Mais il va de soi qu’ils ne pourraient être « confirmés par des effectivités », quelles qu’elles soient, que si ces prétendus « ajustements » avaient été réalisés conformément à la Convention de Paris. Comme le Gabon en a déjà fait la démonstration71 – sur laquelle il revient ci-après dans le chapitre relatif au titre juridique faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière terrestre commune72 – aucune modification ultérieure de la Convention de Paris n’est venue entériner un changement de la frontière terrestre des deux États.
1.61. Au surplus, pour illustrer ces effectivités confirmatives, la Guinée Équatoriale cite longuement un ensemble d’éléments présentés comme des « effectivités infra legem ». Sont ainsi mentionnés un projet de traité daté de 1966 n’ayant pas pour objet la délimitation de frontière, et n’ayant été ni ratifié ni appliqué par le Gabon et l’Espagne73, l’existence d’une église74 ou encore des concessions forestières75. Indépendamment de la discussion de la véracité de ces faits et de leur présentation76, on voit mal en quoi ces éléments constitueraient des effectivités.
1.62. Quant à dire que ces prétendues effectivités infra legem « gave rise to a separate source of legal title », c’est contredire la seconde hypothèse « Burkina Faso/Mali » qui exclut que des effectivités puissent, par elles-mêmes, contredire un 70 V. notamment RGE, vol. I, pars. 2.19, 5.4. 71 CMG, vol. I, pars. 1.41 et s., 7.28 et s. 72 V. infra, pars. 3.23- 3.61. 73 RGE, vol. I, pars. 5.38 et s., 5.69-5.70. V. aussi CMG, vol. I, par. 2.56 ; infra, par. 3.48. 74 RGE, vol. I, par. 5.86. 75 Ibid., par. 5.45. V. aussi infra, par. 3.48. 76 V. infra, pars. 3.23- 3.61. 31
titre tel que défini ci-dessus77. C’est contredire tout aussi frontalement la position de la Cour dans l’affaire Burkina Faso/Niger dans laquelle elle a réaffirmé que « si une effectivité peut permettre d’interpréter un titre juridique obscur ou ambigu, elle ne saurait contredire le titre applicable »78. Si tel devait être le cas, elle ne serait d’ailleurs plus infra legem mais, très clairement, contra legem. Seul le consentement mutuel et clair des deux Parties pourrait permettre de transformer ces effectivités contra legem en effectivités infra legem.
1.63. La Guinée Équatoriale, consciente de cette exigence de consentement et obligée de se rendre à l’évidence de l’absence de convention pertinente en dehors des Conventions de Paris et de Bata, tente ainsi d’affirmer que les effectivités infra legem permettraient d’établir l’existence d’un acquiescement de la France puis du Gabon79. Ce faisant, la Guinée Équatoriale ne se contente pas d’invoquer les effectivités pour confirmer l’existence d’un titre mais elle assimile à tort ces prétendues effectivités à des titres. Elle ignore ainsi les principes qu’elle a pourtant elle-même rappelés plus tôt dans sa réplique : les effectivités ne peuvent être assimilées à des titres et lorsque des effectivités sont contraires à un titre, le titre prime. Comme l’établissait déjà la sentence arbitrale relative aux Frontières colombo-vénézuéliennes en 1922, « [d]es empiétements et des tentatives de colonisation intempestives de l’autre côté de la frontière, comme aussi les occupations de fait, [sont] sans portée ou sans conséquences en droit »80. 77 V. supra, par. 1.57. 78 Différend Frontalier (Burkina Faso/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 79, par. 78. V. aussi ibid, par. 79. V. Différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 120, par. 47 et pp. 148-149, par. 141. 79 RGE, vol. I, par. 5.51. 80 Sentence arbitrale du 24 mars 1922, Affaire des frontières Colombo-vénézuéliennes (Colombie c. Vénézuéla), RSA, vol. I, p. 228. 32
1.64. La position de la Guinée Équatoriale contredit totalement la seconde hypothèse présentée par la Cour : « dans le cas où (…) le territoire objet du différend est administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre »81. En fondant l’existence d’un acquiescement de la France et du Gabon sur de prétendues effectivités infra legem, la Guinée Équatoriale assimile à tort titres et effectivités et nie la primauté du titre sur les effectivités.
1.65. La Cour a d’ailleurs eu l’occasion de rejeter un argument semblable dans le cadre de l’affaire Cameroun c. Nigéria. Après avoir établi l’existence d’un titre quant à la délimitation de la frontière de ces deux États, la Cour avait constaté que les effectivités invoquées par le Nigéria au support de son argumentation concernant l’acquiescement à la modification ne pouvaient être considérées que comme des effectivités contra legem incapables de déplacer le titre82.
1.66. De même, dans l’affaire Libye/Tchad, la Cour a considéré que « l’effectivité de l’occupation des zones pertinentes dans le passé et la question de savoir si cette occupation a été constante, pacifique et reconnue ne sont pas des points que la Cour doit trancher dans la présente affaire (…) Le traité de 1955 a déterminé de manière complète la frontière entre la Libye et le Tchad »83.
1.67. Il en va de même dans le présent différend dans lequel les Parties s’accordent sur l’existence de la Convention de Paris de 1900 et sur sa qualification de titre juridique faisant droit entre elles ; les prétendues effectivités ultérieures 81 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 586-587, par. 63. 82 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 351, par. 64. 83 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 38, par. 76. V. aussi Minquiers et des Écréhous (France/Royaume-Uni), arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 67 ; Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, par. 127. 33
invoquées par la Guinée Équatoriale au sud du 1er parallèle de latitude Nord et à l’est du 9e méridien de longitude Est de Paris, si elles étaient établies, ne seraient dès lors que des effectivités contra legem insusceptibles de fonder un titre nouveau se substituant à la Convention de Paris.
1.68. En ce qui concerne la troisième hypothèse envisagée par l’arrêt de 1986, la chambre de la Cour a considéré que lorsque « l’‘effectivité’ ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit inévitablement être prise en considération »84. Nonobstant la difficulté de savoir ce qu’il faut entendre par « prise en considération », le Gabon ne remet nullement en cause cette position mais il convient de noter que cette hypothèse n’entre pas dans le cadre de la mission dévolue à la Cour par le Compromis. Comme le précisent le préambule et l’article 1, le différend porte – exclusivement – sur l’identification des titres juridiques faisant droit entre les Parties – la Cour n’est pas appelée à étudier l’existence, la pertinence et la force relative d’effectivités qui permettraient de combler l’absence d’un titre juridique85. Si elle constatait qu’en l’espèce aucun titre juridique ne fait droit entre les Parties en ce qui concerne la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et la souveraineté sur les îles, elle devrait se borner à constater qu’il en est ainsi et à renvoyer les Parties à régler leur différend par des moyens pacifiques.
1.69. Quand bien même les prétendues effectivités infra legem ne pourraient confirmer l’existence d’un titre ou s’y substituer, la Guinée Équatoriale soutient que ces éléments pourraient servir à l’interprétation en pratique des titres faisant droit entre les Parties conformément à la quatrième hypothèse envisagée par l’arrêt de 1986 et selon laquelle lorsque « le titre juridique n’est pas de nature à faire apparaître de façon précise l’étendue territoriale sur laquelle il porte (…) [l]es 84 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 586-587, par. 63. 85 V. supra, pars. 1.9-1.18. 34
‘effectivités’ peuvent alors jouer un rôle essentiel pour indiquer comment le titre est interprété dans la pratique »86. Mais il ne s’agit pas, ici, d’interprétation ; la Guinée Équatoriale invoque des effectivités pour justifier, au prétexte d’interprétation, une modification du titre conventionnel, qui établissait des lignes abstraites, et qui est maintenant censé établir des limites naturelles pour délimiter la frontière entre les deux États.
1.70. La Guinée Équatoriale affirme que les Parties « disagree on the territorial areas covered by their legal titles »87. Pour pallier cette incertitude prétendue, elle invoque l’ensemble des prétendues effectivités infra legem déjà mentionnées ainsi que des cartes88. Sauf si celles-ci sont annexées au texte d’un traité, en faisant corps avec lui89 – ce qui n’est pas le cas des cartes en question –, ni les unes ni les autres ne constituent des titres. En conséquence, cette quatrième hypothèse appelle les mêmes remarques que la précédente : ni ces effectivités ni ces cartes ne relèvent des éléments que la Cour peut prendre en considération pour résoudre le différend que les Parties lui ont soumis.
1.71. Le Gabon ne nie pas qu’il existe un différend territorial et frontalier entre les Parties sur les zones concernées par les titres juridiques qu’elles invoquent90. Pour autant, là aussi, au regard de la mission confiée à la Cour par le Compromis, le Gabon et la Guinée Équatoriale n’ont pas donné mandat à la Cour de prendre position sur ce différend ; ils lui ont seulement demandé de déterminer « les titres juridiques » faisant droit « s’agissant de la délimitation de leurs 86 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 586-587, par. 63. 87 RGE, vol. I, par. 5.4. V. aussi ibid., par. 4.2. 88 V. notamment MGE, vol. II, croquis 3.11, 3.12, 3.13. V. aussi RGE, vol. II, croquis R5.5 et R5.6. 89 Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 220. V. aussi CMG, vol. I, par. 5.88. 90 CMG, vol. I, pars. 5.6, 5.35 et 5.48. 35
frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga »91.
1.72. L’illustration la plus probante de l’assimilation par la Guinée Équatoriale de la discussion des effectivités à un différend de délimitation se trouve dans le chapitre V de sa réplique. Dans une sous-section intitulée « (b) Continuous and Unchallenged Infra Legem Effectivités », la Guinée Équatoriale énonce ce qu’elle présente comme des effectivités, qu’elle illustre ensuite par différents croquis qui représenteraient le tracé de la frontière terrestre si la Cour venait à accepter les prétendues effectivités qu’elle lui soumet92. Ce faisant, la Guinée Équatoriale transforme le différend relatif à la détermination de titres juridiques faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière en un pur et simple différend de délimitation. Pour les raisons développées dans ce chapitre93 et celles déjà exprimées dans son contre-mémoire94, le Gabon considère que la Cour n’a pas compétence pour trancher ce différend.
Conclusion
1.73. Il résulte de ce qui précède que :
a) Peu importe l’imbroglio qu’entretient la Guinée Équatoriale entre vocation à un droit ou modalité de sa transmission (« entitlement ») et le droit lui-même (« title »), la Guinée Équatoriale est tenue de démontrer l’existence d’un titre sur l’ensemble des territoires terrestres et insulaires ainsi que sur la frontière maritime, mentionnés dans le Compromis du 15 novembre 2016 ; 91 V. à cet égard les développements réalisés à ce sujet par le Gabon dans son contre-mémoire non contestés par la Guinée Équatoriale (CMG, vol. I, pars. 5.5.-5.55). 92 V. notamment les cartes et croquis de la Guinée Équatoriale R5.10 et R5.11. 93 V. supra, pars. 1.9-1.18. 94 CMG, vol. I, chapitre V.I.A. 36
b) Comme convenu par les Parties à l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis, les Parties sont invitées à présenter tous « titres juridiques, traités et conventions internationales » faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière commune et de la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga. Elles ont toute liberté pour ce faire, dans les limites de cette formulation – limites qui ne comprennent pas les effectivités. 37

CHAPITRE II. LA CONVENTION DE BATA FAIT DROIT ENTRE LES PARTIES
2.1. Dans son contre-mémoire, le Gabon a démontré que : (a) la Convention de Bata, dont une ampliation a été envoyée à l’ambassadeur de France au Gabon en octobre 1974, existe ; et que (b) la Convention de Bata est un traité qui lie les Parties95. Ces deux questions sont distinctes : l’une est factuelle et l’autre juridique. Néanmoins, la Guinée Équatoriale les confond. Ainsi, alors que son argumentaire dans la réplique vise à démontrer que la Convention de Bata n’est pas un « final and binding treaty establishing legal titles »96, elle remet en cause à plusieurs reprises son existence même. Il revient donc à la Cour de déterminer d’abord si la Convention de Bata existe, en considérant le faisceau de preuves qui corrobore son existence (I). Si la Cour résout cette question par l’affirmative, elle doit ensuite déterminer la question distincte de savoir si la Convention de Bata est un traité, en appréciant l’intention des Parties telle qu’elle ressort du texte de la Convention et des circonstances de son adoption (II).
2.2. En prélude à son argumentaire, la Guinée Équatoriale dresse une liste de « twelve propositions [that] appear not to be disputed by Gabon » concernant la Convention de Bata97. Cette liste comprend plusieurs représentations fausses ou trompeuses de la position du Gabon. Il convient de les corriger.
a) Contrairement à ce que prétend la Guinée Équatoriale, le Gabon conteste qu’il « bears the evidential burden of proving the authenticity of the document »98. En effet, selon le principe onus probandi incumbit actori, il revient à la partie 95 CMG, vol. I, chapitre VI. 96 RGE, vol. I, p. 28. 97 Ibid., par. 3.7. 98 Ibid., par. 3.7(1). 39
qui avance certains faits d’en démontrer l’existence. Dès lors, si la Guinée Équatoriale remet en cause l’authenticité de l’ampliation de 1974 de la Convention de Bata présentée par le Gabon à la Cour, il lui incombe d’apporter la preuve de son inauthenticité99.
b) La Guinée Équatoriale souligne que « [n]o original of the document has ever been produced »100. S’il est vrai qu’aucun original de la Convention n’a pu être retrouvé, l’ampliation sur laquelle le Gabon fonde ses arguments est celle envoyée par le président Bongo à l’ambassadeur de France au Gabon le 28 octobre 1974101. Cette ampliation n’est donc pas de « dubious origin », comme le prétend la Guinée Équatoriale102. Dans la lettre de transmission, le président Bongo avait confirmé avoir communiqué « deux ampliations, en langue[s] française et espagnole, de la Convention sur les frontières que le 99 CMG, vol. I, par. 6.25 ; et citations : Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique c. Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 224. V. aussi Tribunal irano-américain de réclamations, Abrahim Rahman Golshani c. Gouvernement de la République islamique d’Iran, sentence finale n°546-812-3, 2 mars 1993, par. 49 dans laquelle le tribunal a jugé : « The Tribunal believes that the analysis of the distribution of the burden of proof in this Case should be centered around Article 24, paragraph 1 of the Tribunal Rules which states that ‘[e]ach party shall have the burden of proving the facts relied on to support his claim or defence.’ It was the Respondent who, at one point during the proceedings in this Case, raised the defence that the Deed is a forgery. Specifically, the Respondent has contended that the Deed, dated 15 August 1978, was in fact fabricated in 1982. Having made that factual allegation, the Respondent has the burden of proving it. However, the Tribunal need only concern itself with the question whether the Respondent has met that burden if the Claimant has submitted a document inspiring a minimally sufficient degree of confidence in its authenticity. It is therefore up to the Claimant first to demonstrate prima facie that the Deed is authentic. » 100 RGE, vol. I, par. 3.7(3). 101 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 102 RGE, vol. I, par. 3.7(5). 40
Président [Macías] NGUEMA BIYOGHE et moi avons signé[e] à BATA le 12 Septembre de cette année »103.
c) La Guinée Équatoriale tente de remettre en cause la fiabilité de l’ampliation soumise par le Gabon devant la Cour en notant : « the Spanish version is cut off at the bottom of the signature page such that the names of the signatories and anything written below the signatures is not shown »104. Cependant, bien que les noms des signataires soient partiellement coupés sur l’ampliation de la version espagnole de la Convention105, les signatures et paraphes des deux présidents sont clairement visibles sur les deux versions (comme illustré ci-dessous)106.
Version française
Version espagnole
d) La Guinée Équatoriale persiste à soutenir que : « [t]here are material differences between the alleged photocopies of the document on which Gabon 103 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 104 RGE, vol. I, par. 3.7(3). 105 Ibid., par. 3.7(3). 106 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 41
now seeks to rely »107. Cependant, c’est sur l’ampliation de l’original signé de la Convention en langues française et espagnole envoyée par le président du Gabon à l’ambassadeur français au Gabon en 1974108, et non la retranscription soumise ultérieurement au Secrétariat des Nations Unies109 (ou toute autre copie de la Convention de Bata) que se fonde le Gabon.
e) La Guinée Équatoriale prétend également, sans donner d’explication, qu’il existe des « material differences (…) as between the French and Spanish versions of the document ». Ces différences ne sont pas « material », mais mineures. Elles sont sans incidence sur l’existence de la Convention de Bata ou sa validité110. Conformément au texte de la Convention, les deux versions « en langue française et espagnole (…) [font] également foi ».
f) De même, la Guinée Équatoriale soutient à tort que le Gabon ne conteste pas que « [t]he document presented by Gabon, rather than reflecting a final agreement on the Parties’ disputed sovereignty and boundary issues, contains material provisions requiring the Parties to take specific steps to resolve these issues »111. Pourtant, dans son contre-mémoire, le Gabon a démontré que les dispositions de la Convention de Bata sont claires, définitives et ont un effet immédiat112. Comme le Gabon l’a démontré dans 107 RGE, vol. I, par. 3.7(4.). 108 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 109 CMG, vol. I, note 507. 110 Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1155, n° 18232, p. 331, art. 33 (« 1. Lorsqu’un traité a été authentifié en deux ou plusieurs langues, son texte fait foi dans chacune de ces langues, à moins que le traité ne dispose ou que les parties ne conviennent qu’en cas de divergence un texte déterminé l’emportera. »). 111 RGE, vol. I, par. 3.7(7). 112 CMG, vol. I, pars. 6.36-6.53. 42
son contre-mémoire et le montre à nouveau ci-après,113 le simple fait que la délimitation actée par la Convention était sujette à une démarcation ultérieure ne saurait altérer la force obligatoire de cet instrument.
g) Contrairement à la position de la Guinée Équatoriale, l’absence d’approbation parlementaire de la Convention de Bata ne confirme pas que « Gabon understood that no treaty has been concluded »114. Au contraire, comme cela est exposé dans le contre-mémoire, le président Bongo avait déclaré qu’« [i]l s’agissait d’une convention (…) et non d’un traité afin d’éviter une ratification parlementaire qui aurait [pu] être prétexte à une nouvelle contestation, voire à une remise en cause de l’accord »115. L’absence d’approbation parlementaire ne résulte donc que de l’interprétation faite par le président Bongo des dispositions constitutionnelles gabonaises. Elle n’a aucun effet sur le plan international.
h) On ne saurait pas advantage admettre l’allégation de la Guinée Équatoriale selon laquelle « Gabon falsely represented to the UN Secretary-General that the Parties had no reservations or objections to the document despite the fact that Equatorial Guinea had protested its authenticity from the moment that Gabon first presented it on 23 May 2003 »116. La lettre adressée par le Gabon au secrétaire général certifiait qu’aucune réserve, déclaration ou objection n’avait été formulée lors de la signature de la Convention de Bata, conformément à l’article 5(5) du Règlement destiné à mettre en application 113 CMG, vol. I, pars. 6.36-6.53. V. aussi infra, pars. 2.24-2.25, 3.2-3.18. 114 RGE, vol. I, par. 3.7(9). 115 V. Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 3. 116 RGE, vol. I, par. 3.7(10). 43
l’article 102 de la Charte des Nations Unies117. La Guinée Équatoriale ne prétend pas avoir formulé une telle réserve ou déclaration lors de la signature.
I. La Convention de Bata existe
2.3. Dans sa réplique, la Guinée Équatoriale ne nie pas l’existence même de la Convention de Bata, ou du moins pas explicitement, comme elle l’avait fait en 2004118. Elle se limite à soutenir que le Gabon ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver son authenticité119. Pourtant, comme le Gabon l’a exposé dans son contre-mémoire, l’authenticité du texte de la Convention de Bata est établie par les signatures et paraphes des deux présidents, conformément aux règles codifiées dans la Convention de Vienne sur le droit des traités120. Si la Guinée Équatoriale objecte à l’admission de ce document car elle l’estime inauthentique, il lui incombe d’apporter la preuve de cette inauthenticité121. 117 Résolution 97(1) de l’Assemblée générale des Nations Unies, 14 décembre 1946, modifié par les résolutions 364-B (IV), 482 (V), 33/141-A et 73/210, adoptées par l’Assemblée générale le 1er décembre 1949, le 12 décembre 1950, le 19 décembre 1978, le 20 décembre 2018 et le 9 décembre 2021, respectivement (« S’agissant d’un traité ou d’un accord multilatéral, l’attestation comportera, outre les éléments énumérés au paragraphe 4 du présent article : a) La liste des parties au traité ou accord international, précisant, pour chacune d’elles, la date de dépôt de l’instrument par lequel elle a exprimé son consentement à être lié, la nature dudit instrument (ratification, approbation, acceptation, adhésion, etc.) et la date d’entrée en vigueur du traité à son égard ; b) Une déclaration certifiant que le texte comprend toutes les réserves ou déclarations faites par les parties. »). 118 Objection relative à l’authenticité de la Convention : Guinée Équatoriale, 7 avril 2004 (MGE, vol. VII, annexe 219). 119 RGE, vol. I, par. 3.38. 120 CMG, vol. I, par. 6.26. 121 Ibid., par. 6.25 ; et citations. 44
2.4. Cette tentative de la Guinée Équatoriale de renverser le fardeau de la preuve tient au fait que l’inexistence de la Convention de Bata, ou l’inauthenticité de son texte, est insoutenable au vu des éléments soumis à la Cour.
2.5. Premièrement, l’ampliation de la Convention de Bata a été envoyée par le président Bongo à l’ambassadeur de France au Gabon le mois suivant sa conclusion et elle est détenue depuis lors dans les archives du ministère des Affaires étrangères français122. La Guinée Équatoriale ne remet pas en cause l’authenticité de cette lettre. Elle a manifestement eu accès aux archives françaises lors de la préparation de sa réplique et a donc pu consulter l’original de ce document et sa pièce jointe. Cependant, elle tente de minimiser sa valeur probante en le décrivant comme : « a letter from President Bongo to the French Ambassador in Gabon of 28 October 1974 by which he transmits to the Ambassador a photocopy of a document he calls a ‘convention’ »123. Mais elle omet de préciser que ce n’est pas le Gabon qui a unilatéralement décidé de nommer ce document « convention » : cette mention apparaît en haut du document qui est joint à cette lettre. Ce document est bien la Convention de Bata, sur laquelle se fonde le Gabon.
2.6. Deuxièmement, les signatures des deux présidents apparaissant sur l’ampliation de la Convention de Bata sont conformes à celles qui sont apposées sur d’autres documents de l’époque et dont l’existence et l’authenticité ne sont pas contestées124. La Guinée Équatoriale ne conteste pas ce fait. 122 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 123 RGE, vol. I, par. 3.9(iii). 124 CMG, vol. I, par. 6.12. V. par exemple Lettre du président du Gabon au président de la Guinée Équatoriale, 30 août 1972 (CMG, vol. V, annexe 120) ; Lettre du président de la Guinée Équatoriale au secrétaire général des Nations Unies, 21 janvier 1969 (CMG, vol. V, annexe 110) ; Lettre du président de la Guinée Équatoriale au secrétaire général des Nations Unies, 30 août 1969 (CMG, vol. V, annexe 111). 45
2.7. Troisièmement, contrairement à la position de la Guinée Équatoriale125, une variété de preuves indirectes corrobore l’existence de la Convention de Bata126. En particulier, la Guinée Équatoriale a versé au dossier un courrier de l’ambassade espagnole au Gabon du 25 février 1977 qui confirme indéniablement l’existence de cette Convention. L’ambassadeur espagnol dit y joindre une copie, expliquant que la Convention avait été « signed but not publicized »127. Malgré les efforts déployés par le Gabon, ce courrier et ses pièces jointes n’ont pas pu être localisés dans les archives espagnoles128. Contrairement à l’argument de la Guinée Équatoriale, ce courrier n’indique aucunement que le ministre des Affaires étrangères gabonais aurait déclaré que la Convention de Bata « has fallen by the wayside for now »129. En effet, ce commentaire n’est que l’opinion de l’ambassadeur espagnol au Gabon, et non celle d’un représentant gabonais. En tout état de cause, ce commentaire confirme l’existence de la Convention de Bata. 125 RGE, vol. I, pars. 3.14 et s.
126 V. CMG, vol. I, pars. 6.10-6.23. 127 Lettre n° 84 du directeur général du ministère des Affaires étrangères espagnol à l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale, 25 février 1977 (RGE, vol. IV, annexe 44) joignant la lettre n°85 de l’ambassadeur d’Espagne à Libreville au ministre des Affaires étrangères espagnol (traduction de la Guinée Équatoriale de l’espagnol « acuerdo firmado, que no se dió a la publicidad »). Il convient de souligner qu’en droit constitutionnel gabonais, la publication des traités et accords internationaux n’a d’incidence que sur l’autorité supérieure de ces instruments à celle des lois internes (V. Loi constitutionnelle n° 1/61 promulguant la constitution de la République Gabonaise, 21 février 1961 (DG, vol. II, annexe 7), art. 54). 128 Note verbale n° 1514 du ministère des Affaires étrangères espagnol, 30 novembre 2022 (DG, vol. II, annexe 58) ; Note verbale n° 0613/23/ARGRERPGOMT/CABCMD/og de l’ambassade du Gabon en Espagne, 25 janvier 2023 (DG, vol. II, annexe 59) ; Note verbale n° 1/14 du ministère des Affaires étrangères espagnol, 14 février 2023 (DG, vol. II, annexe 60). 129 RGE, vol. I, par. 3.56 ; Lettre n° 84 du directeur général du ministère des Affaires étrangères espagnol à l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale, 25 février 1977 (RGE, vol. IV, annexe 44) (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol « Ha quedado en agua de borrajas, por ahora »). 46
2.8. De surcroît, le Gabon a joint à son contre-mémoire un reportage audiovisuel de 1974 avec des images de la visite du président Bongo en Guinée Équatoriale. La Guinée Équatoriale conteste la pertinence de cette vidéo au prétexte que la Convention de Bata n’y est pas mentionnée130. Elle prétend que le reportage « merely refers to talks between President Macias and President Bongo, which reportedly did no more than make it possible to ‘definitely resolve’ the sovereignty and boundary disputes »131. La position de la Guinée Équatoriale est contredite par le reportage, qui confirme que le différend frontalier entre les deux États fut résolu lors de la visite présidentielle :
« Les entretiens des deux chefs d’État ont permis ensuite de résoudre de manière définitive le problème de la délimitation des frontières entre la Guinée Équatoriale et le Gabon. C’est là un point capital qui supprime pour les deux pays une cause de litige parfois épineuse. »132
2.9. Le Gabon a également fourni un article du journal L’Union du 20 septembre 1974 qui corrobore l’existence de la Convention de Bata. D’après la Guinée Équatoriale, cet article confirme que « what was produced at the conclusion of that meeting, if anything, was nothing more than a ‘final communiqué’ »133. Mais l’article de L’Union publie un extrait du communiqué final signé entre les deux États ; ce communiqué final fait référence à « la signature d’une convention portant délimitation des frontières terrestres et maritimes entre la République Gabonaise et la République de Guinée Equatoriale »134. Ce même communiqué final a également été reproduit dans un courrier de l’ambassadeur d’Espagne au Gabon du 130 RGE, vol. I, par. 3.10. 131 Ibid., par. 3.10. 132 Reportage audiovisuel sur la visite d’État du président Bongo en Guinée Équatoriale et sa retranscription (CMG, vol. II, annexe V2) (italiques ajoutés). 133 RGE, vol. I, par. 3.12. 134 « ‘Tout est réglé !’ avec la Guinée Équatoriale », L’Union, 20 septembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 150). 47
25 septembre 1974135. Il est dès lors possible de conclure qu’un communiqué final et la Convention de Bata ont tous deux étés signés le 12 septembre 1974. Malgré les dénégations de la Guinée Équatoriale,136 il est donc évident que le président Bongo faisait bien référence à la Convention de Bata, et non à un quelconque communiqué final, dans sa lettre à l’ambassadeur de France au Gabon du 28 octobre 1974137.
2.10. Contrairement à ce que la Guinée Équatoriale prétend, l’existence de la Convention de Bata est également corroborée par de nombreuses correspondances diplomatiques de l’époque. Celles-ci s’y référent explicitement ou décrivent l’essence du traité conclu entre les Parties le 12 septembre 1974. Notamment, outre les correspondances décrites dans le contre-mémoire du Gabon,138 la signature de la Convention de Bata a été relatée dans les courriers diplomatiques espagnols de l’époque. Par exemple, dans une lettre du 10 octobre 1974, l’ambassadeur espagnol à Libreville confirmait la signature d’un accord frontalier entre la Guinée Équatoriale et le Gabon lors de la visite du président Bongo à Bata le 12 septembre 1974139. Il rapportait également les dires de l’ambassadeur de Guinée Équatoriale au Gabon, Clemente Ateba Nso, qui avait confirmé la renonciation de la Guinée Équatoriale au différend frontalier entre les deux États140.
2.11. De même, en octobre 1974, l’ambassadeur espagnol à Malabo rapportait que le président Macías Nguema avait exprimé sa gratitude envers 135 Lettre n° 191 de l’ambassadeur d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 25 septembre 1974 (DG, vol. II, annexe 45). 136 RGE, vol. I, par. 3.13. 137 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 138 V. CMG, vol. I, pars. 3.17-3.25. 139 Lettre n° 209 de l’ambassadeur d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 10 octobre 1974 (DG, vol. II, annexe 47). 140 Ibid. 48
l’Espagne « pour avoir découvert l’existence d’une enclave gabonaise au-dessus du parallèle 1, dans la région de Medouneu (district d’Acurenán), information qu’il ignorait et qu’il a[vait] pu utiliser dans ses négociations avec le président gabonais »141. Cela est reflété dans la Convention de Bata, qui prévoit en son article 2 un échange de portions de territoires le long de la frontière terrestre et au niveau de Médouneu.
2.12. La Convention de Bata est aussi mentionnée dans une note d’information de 1984 de l’ambassade française à Malabo adressée au ministère des Affaires étrangères équato-guinéen142. Cette note, envoyée suite à une demande d’information du président équato-guinéen, indiquait : « Les limites maritimes retenues entre la Guinée Équatoriale et le Gabon sont celles fixées par la Convention de 12 septembre 1974 »143. Le Gabon n’a pas connaissance d’une réponse de la Guinée Équatoriale à cette note verbale. Cependant, elle confirme bien que la Guinée Équatoriale n’a pu être « taken completely by surprise »144 en mai 2003 lorsque le Gabon lui a rappelé l’existence et le contenu de la Convention.
2.13. Dans la réplique, la Guinée Équatoriale tente de réinterpréter à son avantage les échanges diplomatiques de l’époque. Elle soutient, par exemple, que le Gabon ne peut se fonder sur deux câbles diplomatiques français et américain rapportant le discours du président Bongo à son retour de Bata en septembre 1974 car ils « do no more than report on the same unilateral statement by President 141 Lettre n° 568/74 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires étrangères espagnol, 9 octobre 1974 (DG, vol. II, annexe 46). Traduction de l’original en espagnol « Por haberle descubierto la existencia de un enclave gabonés por encima del paralelo 1, en la zona de Medoune (distrito de Acurenán), información que ignoraba y que ha permitido utilizarla en sus negociaciones con el Presidente Gabonés ». 142 Note verbale n° 83/AL/84 de l’ambassade de France à Malabo au ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale, 22 mars 1984 (DG, vol. II, annexe 49). 143 Ibid., p. 2. 144 RGE, vol. I, par. 3.7(12). 49
Bongo at his press conference at Libreville Airport »145. Cependant, ces correspondances corroborent le contenu de la déclaration du président Bongo telle que rapportée par le journal L’Union. Le Gabon est donc tout à fait légitime à s’en prévaloir. En outre, le câble diplomatique américain ne se limite pas à relater le discours du président Bongo, mais rapporte également que : « French embassy source says agreement acknowledges Gabonese rights to Mbagne island in exchange for concessions by Gabon along its northwest border area »146. Cette description est conforme à l’accord reflété dans la Convention de Bata.
2.14. La Guinée Équatoriale dément également que le discours du président Macías Nguema aux représentants du corps diplomatique en octobre 1974 confirme l’existence de la Convention de Bata147. Elle prétend que ce discours démontre que la signature d’un accord sur la frontière terrestre était conditionnée au paiement d’une compensation148. Pourtant, lors de ce discours le président équato-guinéen avait confirmé que « Bongo has categorically refused to grant any type of compensation » et que ce refus « would not result in any problem to Equatorial Guinea »149. De surcroît, la Guinée Équatoriale ignore que la description des concessions réciproques faite par le président équato-guinéen est conforme à la Convention de Bata et confirme ainsi son existence. Le président équato-guinéen a notamment reconnu que : 145 RGE, vol. I, par. 3.14. 146 Télégramme n° 1139 de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État américain, 14 septembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 149). 147 RGE, vol. I, par. 3.18. 148 Ibid., par. 3.18. 149 Lettre n°582/74 du premier secrétaire de l’ambassade d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 16 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 40). Traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « Bongo se ha negado rotundamente a cualquier tipo de compensación » et « que esto no supone ningún problema para Guinea Ecuatorial ». 50
a) Les deux chefs d’États ont discuté de la question des frontières à Bata150.
b) Les deux présidents sont convenus « d’un échange de territoires de superficies égales » 151. Cet échange est prévu à l’article 2 de la Convention de Bata. Le rapport des autorités britanniques sur ce discours confirme que cet accord concernant un échange de territoires avait résolu le différend relatif à la frontière terrestre152.
c) La Guinée Équatoriale « a entièrement abandonné ses droits de souveraineté sur M’Banie, Cocotier et Conga »153. Cet accord est inscrit à l’article 3 de la Convention de Bata.
d) La Guinée Équatoriale a consenti à accorder « aux navires gabonais un droit de passage innocent à travers ses eaux territoriales, avec réciprocité pour les 150 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153) (« C’est faute pour eux [les experts gabonais] d’avoir trouvé à Malabo un accord avec leurs homologues équato-guinéens que la question a été portée à Bata au niveau des deux Chefs d’Etat »). V. aussi Lettre n°582/74 du premier secrétaire de l’ambassade d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 16 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 40). 151 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), p. 4. 152 Résumé de l’adresse du président Macías Nguema aux membres du corps diplomatique du 13 octobre 1974, Foreign Commonwealth Office (RGE, vol. IV, annexe 32) ; Lettre du chargé d’Affaires de l’ambassade d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 16 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 40). 153 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153). V. aussi Résumé de l’adresse du président Macías Nguema aux membres du corps diplomatique du 13 octobre 1974, Foreign Commonwealth Office (RGE, vol. IV, annexe 32) ; Lettre du chargé d’Affaires de l’ambassade d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 16 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 40) (« With respect to Islet of Mbañe, President Macias asserted that he had already ceded it to Gabon »). 51
navires équato-guinéens dans les eaux territoriales gabonaises »154. Cette description est conforme à l’article 5 de la Convention de Bata.
2.15. La tentative du président Macías Nguema de remettre en cause la force obligatoire de l’accord, notamment en ce qui concerne la frontière maritime, ne saurait nier son existence ou contredire les termes clairs employés par les Parties dans cette Convention155.
2.16. La Guinée Équatoriale prétend aussi que le courrier de l’ambassadeur français au Gabon du 7 novembre 1974 « evidences more of a disagreement between the two Parties, and their failure to conclude a treaty »156. Pourtant, dans ce courrier, l’ambassadeur français avait rapporté les dires du président Bongo dans des termes non équivoques : « un accord avait [pu] être élaboré et une convention, datée du 12 Septembre, signée par les deux Chefs d’Etat »157. En outre, contrairement à la thèse de la Guinée Équatoriale158, la description de l’accord donnée par le président Bongo et rapportée dans ce courrier est conforme à celle donnée par le président équato-guinéen en octobre 1974159. En effet, le président gabonais avait confirmé que la souveraineté sur Mbanié avait été reconnue au Gabon et que des échanges de territoires avait été convenus le long de la frontière terrestre160.
154 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), p. 6. 155 V. infra, pars. 2.23-2.31. 156 RGE, vol. I, par. 3.22. 157 Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 2. 158 RGE, vol. I, par. 3.22.
159 V. supra, par. 2.14. 160 V. Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 2. 52
2.17. De même, le câble américain du 29 avril 1975 confirme qu’un accord gabono-équato-guinéen est intervenu en 1974161. Pour affirmer le contraire, la Guinée Équatoriale sélectionne une seule phrase de ce document selon laquelle : « Gabonese-Equatorial Guinean border problem [is] far from solved and may indeed be heating up »162. Elle omet cependant de préciser que, selon l’ambassadeur américain, ce différend était dû au fait que : « Macias feels last years ‘settlement’ was imposed upon him by Bongo » et que le « maritime bound[a]ry settlment [was] also very shaky »163. Le différend frontalier entre les Parties après 1974 trouve donc son origine dans la remise en cause de la Convention de Bata par la Guinée Équatoriale. Cette position est renforcée par la lettre de l’ambassadeur français en Guinée Équatoriale du 28 novembre 1976, dans laquelle il a confirmé la signature de la Convention de Bata, mais a décrit les difficultés dans les relations entre les deux États164.
2.18. Enfin, la Guinée Équatoriale se prévaut de quelques correspondances diplomatiques qui suggèrent qu’aucun accord n’est intervenu lors de la rencontre entre les deux présidents en septembre 1974165. La majorité de ces correspondances furent émises par les ambassadeurs français et espagnol en Guinée Équatoriale où
161 Télégramme n° 621 de l’ambassade des États-Unis au Gabon, 29 avril 1975 (CMG, vol. V, annexe 159). 162 RGE, vol. I, par. 3.25. 163 Télégramme n° 621 de l’ambassade des États-Unis au Gabon, 29 avril 1975 (CMG, vol. V, annexe 159). 164 Dépêche n° 255/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires étrangères français, 28 novembre 1976 (CMG, vol. V, annexe 160). 165 RGE, vol. I, pars. 3.15-3.17, 3.31 ; Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152) ; Lettre de l’ambassadeur d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 25 septembre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 34). 53
régnait un climat politique opaque166. Ces derniers se plaignaient fréquemment de la difficulté d’obtenir des informations au sujet des négociations entre les deux États167. En effet, les éléments devant la Cour suggèrent que les deux ambassadeurs n’auraient pris connaissance du texte même de la Convention de Bata qu’à la fin de l’année 1976 et au début de l’année 1977, respectivement168. Outre que leur ignorance avouée à la fin de l’année 1974 ne saurait remettre en cause l’existence de la Convention de Bata, par courrier diplomatique émis en 1979, l’ambassade de France en Guinée Équatoriale en a confirmé l’existence. En effet, l’ambassadeur français écrivait le 7 novembre 1979 :
« A ma connaissance, la convention du 12 septembre 1974 est toujours en vigueur. Les nouvelles autorités, en effet, ont précisé dès le début qu’elles entendaient respecter les traités et conventions signés par le régime précédent, sauf à en demander la r[é]vision si l’intérêt du pays le justifiait. » 169
2.19. En tout état de cause, les rares documents soulevant des doutes quant à l’existence de la Convention de Bata doivent être appréciés à la lumière de très nombreuses preuves devant la Cour. Ainsi par exemple, le rapport non daté, et dont l’auteur est inconnu de l’ambassade française au Gabon selon lequel un projet d’accord en 1974 « n’a finalement pas été signé » ne peut pas remettre en cause 166 V. par exemple Lettre de l’ambassadeur d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 25 septembre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 34) ; Lettre de l’ambassadeur de France à Malabo au ministère des Affaires étrangères français, 17 septembre 1974 (RGE vol. IV, annexe 33). V. aussi Note de renseignements de la gendarmerie gabonaise communiquée au ministère des Affaires étrangères français, 13 juillet 1972 (DG, vol. II, annexe 20). 167 V. par exemple, Lettre n° 524/74 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères espagnol, 2 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 38). 168 Lettre n° 84 du directeur général du ministère des Affaires étrangères espagnol à l’ambassadeur d’Espagne à Malabo, 25 février 1977 (RGE, vol. IV, annexe 44). 169 Télégramme n° 269/72 de l’ambassade de France à Malabo au ministère des Affaires étrangères, 7 novembre 1979 (DG, vol. II, annexe 48). 54
l’existence de la Convention de Bata170. Il est contredit par de nombreux documents, émanant notamment de l’ambassade française au Gabon, qui confirment la signature de la Convention de Bata171, et, surtout, par son ampliation reproduisant le document signé par les deux chefs d’État172.
II. La Convention de Bata est un traité qui fait droit entre les Parties
2.20. Dans le contre-mémoire, le Gabon a démontré que la Convention de Bata est un traité au regard du droit international car : (a) elle satisfait les conditions relatives à la conclusion d’un traité en droit international telles que contenues dans la Convention de Vienne ; et (b) le texte de la Convention et le contexte de sa conclusion confirment l’intention claire et non équivoque des Parties d’être liées au regard du droit international173.
2.21. Dans la réplique, la Guinée Équatoriale maintient que la Convention de Bata n’est pas un instrument contraignant établissant un titre juridique. L’argumentaire de la Guinée Équatoriale est centré sur son interprétation des circonstances dans lesquelles la Convention de Bata a été conclue174 et la conduite des Parties après sa signature175. Elle prétend que les éléments avancés par le Gabon sont insuffisants « to support its allegation that on 12 September 1974 the Parties 170 RGE, vol. I, par. 3.36. 171 V. par exemple Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155) ; Télégramme n° 691/692 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 13 septembre 1974 (CMG, vol. V annexe 148) ; Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156). 172 Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156).
173 CMG, vol. I, chapitre VI(III). 174 RGE, vol. I, chapitre 3(I). 175 RGE, vol. I, chapitre 3(II). 55
concluded a final and binding agreement »176. La Guinée Équatoriale omet cependant de préciser que, parmi les preuves avancées par le Gabon, se trouve en premier lieu l’ampliation de la Convention.
2.22. Conformément à la jurisprudence de la Cour177, le caractère obligatoire de la Convention est établi par le texte même de la Convention (A) ainsi que les circonstances dans lesquelles elle a été conclue (B). Ce caractère obligatoire ne peut pas être et n’est pas remis en cause par la conduite ultérieure des Parties (C).
A. LE TEXTE DE LA CONVENTION DE BATA
2.23. L’intention des parties est le facteur principal permettant de distinguer un instrument juridiquement non-obligatoire d’un traité178. Cette intention est déduite, en premier lieu, des termes employés par les parties dans l’instrument en question179. La Guinée Équatoriale ne conteste pas, et ne pourrait pas contester, cette règle interprétative fondamentale. Pourtant, elle fait abstraction des termes clairs et inconditionnels contenus dans la Convention de Bata180. Dans sa réplique, la Guinée Équatoriale passe notamment sous silence les éléments suivants :
a) l’instrument s’intitule « Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée-Équatoriale et du Gabon » ; 176 RGE, vol. I, par. 3.9. 177 Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1961, pp. 31-32 ; Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, pp. 120-122, par. 27. 178 CMG, vol. I, pars. 6.32-6.33. 179 Ibid., par. 6.35. 180 V. Ibid., pars. 6.36-6.53. 56
b) son préambule rappelle que les Parties « [c]onsidèrent que les traités et les conventions constituent un moyen important permettant de développer la coopération pacifique entre les Nations, quels que soient les régimes politiques de celles-ci » et désirent « jeter les bases durables de la paix entre leurs deux pays, notamment en établissant définitivement leurs frontières terrestres et maritimes communes » ;
c) les Parties y sont désignées comme étant des « hautes parties contractantes » ;
d) chaque Partie y « cède » des portions de territoires à l’autre ;
e) les Parties « reconnaissent » la souveraineté du Gabon sur l’île Mbanié et de la Guinée Équatoriale sur les îles Elobey et l’île Corisco ;
f) les deux États s’engagent à accorder des garanties et facilités réciproques à leurs navires ainsi qu’à conclure des arrangements relatifs aux rapports frontaliers, tel que le prévoyait la Convention de Paris ;
g) la Convention de Bata contient également des clauses-finales types caractéristiques des traités, y compris : la possibilité d’un règlement des différends conformément à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, le lieu et la date de signature, le nombre d’exemplaires originaux et les langues dont il est spécifié que les versions font toutes deux également foi.
2.24. Ignorant ces dispositions, qui sont difficiles à méconnaître, la Guinée Équatoriale prétend que la Convention de Bata ne peut être un traité car « it required the Parties to take additional steps to resolve the territorial issues and conclusively establish their boundaries »181. Pourtant, la Guinée Équatoriale accepte la thèse avancée par le professeur Shaw selon laquelle « the fact that an instrument provides 181 RGE, vol. I, par. 3.38. 57
for modification by mutual agreement of its terms does not detract from the fact that a fully delimited frontier line has been established »182. Le désaccord entre les Parties réside dans l’existence d’une délimitation frontalière dans la Convention de Bata.
2.25. Le processus de « délimitation » se réfère à la description d’une frontière avec des mots, avant que celle-ci se matérialise en tant que frontière au sol183. Il est indéniable que la Convention de Bata décrit les frontières communes aux Parties.
a) Les articles 1 et 2 décrivent la frontière terrestre entre les deux États. Ils prévoient notamment le point de départ de la frontière et le tracé de la frontière par rapport à des latitudes et longitudes précises184. Comme cela est exposé dans le contre-mémoire et ci-après dans le chapitre III,185 ces articles n’envisagent qu’un exercice de démarcation ultérieur visant à déterminer les portions de territoires « exactes » qui ont été « cédées » par chaque Partie sous l’article 2 de la Convention ainsi que la « matérialisation » des frontières186.
b) L’article 4 décrit la frontière maritime par référence à une latitude et en déterminant son point de départ. Il prévoit aussi des portions d’eau de largeurs précisément indiquées. La Guinée Équatoriale ne conteste pas que cet article décrit une frontière, mais prétend que cette dernière n’était pas finale en vertu 182 RGE, vol. I, par. 3.45. 183 R. Jennings, A. Watts, Oppenheim’s International Law, p. 662. 184 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 185 V. infra, pars. 3.2-3.18. 186 La Guinée Équatoriale soutient, à tort, que la version française de l’article 8 fait référence à la « délimitation matérielle » et non « matérialisation des frontières ». V. Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 58
du nota bene187. Contrairement à la thèse de la Guinée Équatoriale, le nota bene n’indique pas que l’article 4 de la Convention de Bata « was a placeholder for an agreement yet to be reached »188. Il envisage une « nouvelle rédaction », qui viendrait modifier et remplacer l’article 4. Le nota bene n’est donc rien de plus qu’un accord entre les Parties en vue de conclure un autre accord. Il reste qu’au moment de la signature de la Convention de Bata, les Parties sont néanmoins convenues de la rédaction initiale de l’article 4 qui décrit dans des termes non équivoques la frontière maritime entre les deux États. Rien ne suggère que les Parties voulaient priver cet article de force obligatoire jusqu’à sa modification. Cette conclusion est conforme au raisonnement de la Cour dans l’affaire Libye/Tchad189. En tout état de cause, ce nota bene, qui ne fait référence qu’à l’article 4, ne peut remettre en cause la force obligatoire de toute la Convention de Bata.
2.26. Les autres arguments soulevés par la Guinée Équatoriale concernant le texte de la Convention de Bata ne remettent pas non plus en cause l’intention objective des Parties de conclure un traité.
2.27. Premièrement, faisant fi de la jurisprudence de la Cour190, la Guinée Équatoriale conteste que les dispositions de la Convention de Bata concernant son entrée en vigueur confirment l’intention des Parties de lui attribuer un caractère contraignant191. Elle fait référence à cet égard aux dires du président Macías 187 RGE, vol. I, par. 3.43. 188 Ibid., par. 3.44. 189 La Guinée Équatoriale conteste la pertinence de cette affaire au cas d’espèce, en affirmant que, contrairement au Traité de 1955 en question dans Libye/Tchad, la Convention de Bata n’est pas finale et n’établit pas de régime territorial ou de frontières. Le Gabon a démontré le contraire dans son contre-mémoire et dans les présentes écritures. 190 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2017, p. 21, par. 42. 191 RGE, vol. I, par. 3.51. 59
Nguema, tels que rapportés par le ministre d’État chargé des Affaires étrangères équato-guinéen en 1984. Selon lui, le président équato-guinéen aurait inclus une mention manuscrite sur la Convention lors de sa signature indiquant « que ce texte ne serait valable avant la ratification par les assemblées nationales des deux pays »192. Outre qu’elles sont ambiguës, ces explications, données dix ans après la signature de la Convention et cinq ans après la chute d’un des présidents l’ayant signée, sont sans fondement et contredisent le texte de l’article 10 de la Convention de Bata, qui seul fait foi et prévoit que « [l]a présente Convention entrera en vigueur dès sa signature ». Ces explications ne sont dès lors déterminantes ni de l’intention des Parties en 1974 ni de la valeur juridique de la Convention, d’autant plus que cette mention manuscrite n’apparait pas dans l’ampliation de la Convention.
2.28. La Guinée Équatoriale insinue également que cette prétendue indication aurait été coupée de la version espagnole de la Convention. Elle soutient : « [i]t is thus more than coincidental that every copy of the Spanish version of the document is cut off on the last page, before the full signature line ».193 Cette insinuation n’est pas crédible. Seuls les noms des signataires sont partiellement coupés du texte de la version espagnole de l’ampliation de la Convention de Bata194. Du reste, la version espagnole est conforme et contient toutes les dispositions apparaissant sur la version française.
2.29. Deuxièmement, la Guinée Équatoriale soutient que les signatures des présidents gabonais et équato-guinéen ne peuvent dénoter leur intention de conclure un traité car ils n’avaient pas « the constitutional authority to conclude such an 192 Télégramme n° 254 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 3 septembre 1984 (CMG, vol. V, annexe 168). 193 RGE, vol. I, par. 3.51. 194 V. supra, par. 2.2.c). 60
agreement »195. À l’instar de l’affaire Qatar/Bahreïn, il n’existe aucun élément au dossier qui permettrait « de déduire de la méconnaissance éventuelle par [les Parties] de [leurs] règles constitutionnelles relatives à la conclusion des traités que [celles-ci] n’avai[ent] pas l’intention de conclure ou ne considérai[ent] pas avoir conclu un instrument de cette nature »196. En tout état de cause, comme la Cour l’a énoncé, « une telle intention, même si elle était établie, ne saurait prévaloir sur les termes mêmes de l’instrument concerné »197.
2.30. Qui plus est, le droit des traités tel que codifié par la Convention de Vienne reconnaît expressément qu’un traité peut être valablement conclu par un État, même en présence d’une violation d’une disposition de son droit interne198. Par conséquent, les dispositions constitutionnelles gabonaises et équato-guinéennes ne sont pas pertinentes pour cerner l’intention objective des Parties lors de la conclusion de la Convention. Elles ne sont pas non plus pertinentes quant à la validité de la Convention de Bata199. Les signatures des deux présidents témoignent de l’intention des chefs d’État d’engager réciproquement leur État sur le plan international. 195 RGE, vol. I, par. 3.52. 196 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 122, par. 29. 197 Ibid. 198 Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1155, n° 18232, p. 331, art. 46. 199 En vertu de l’article 46 de la Convention de Vienne, la Guinée Équatoriale ne peut invoquer le droit interne gabonais pour remettre en cause la validité de la Convention de Bata. Elle ne peut pas non plus invoquer son droit interne car elle n’a pas démontré qu’une telle violation était « manifeste » et « concerne une règle de son droit interne d’importance fondamentale » de sorte à vicier son consentement au traité (Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1155, n° 18232, p. 331, art. 46). V. aussi Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée-Equatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p.430, par. 265 ; Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2017, pp. 23-24, par. 48. 61
2.31. Troisièmement, la Guinée Équatoriale prétend que les annotations manuscrites sur la version française visant à remplacer le mot « traité » par « convention » « casts further doubt on the alleged finality of this purported ‘agreement’ »200. La position de la Guinée Équatoriale est infondée. Chaque inscription manuscrite est dûment paraphée, confirmant ainsi l’accord des deux présidents à ces modifications. Ainsi que le reconnaît la Guinée Équatoriale, « ‘convention’ and ‘treaty’ are normally used interchangeably in international law »201. Par ailleurs, ces modifications paraphées sont conformes à la description faite de la Convention de Bata par le président Bongo à l’ambassadeur de France au Gabon en 1974202.
B. LES CIRCONSTANCES DE LA CONCLUSION DE LA CONVENTION DE BATA
2.32. La pertinence des « circonstances dans lesquelles [la Convention de Bata] a été élaboré[e] » n’est pas contestée entre les Parties203. Dans sa réplique, la Guinée Équatoriale accepte qu’à la suite de certains incidents frontaliers intervenus entre 1970 et 1974, notamment le long de la frontière terrestre, les présidents Bongo et Macías Nguema, se sont rencontrés du 9 au 12 septembre 1974204. Bien que la 200 RGE, vol. I, par. 3.55. 201 Ibid. 202 Le président Bongo avait déclaré qu’« [i]l s’agissait d’une convention (…) et non d’un traité afin d’éviter une ratification parlementaire qui aurait [pu] être prétexte à une nouvelle contestation, voire à une remise en cause de l’accord ». V. Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 3. 203 Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 39, par. 96 ; Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 121, par. 23. 204 RGE, vol. I, par. 3.5. 62
description de ces évènements donnée par la Guinée Équatoriale soit incorrecte205, les Parties s’accordent toutefois sur le fait que la visite du chef d’État gabonais en Guinée Équatoriale en septembre 1974 visait à régler les différends territoriaux opposant les deux États206.
2.33. Néanmoins, la Guinée Équatoriale passe sous silence les négociations entre les deux États entreprises dès 1970 visant à la délimitation de leurs frontières communes207. La Convention de Bata doit s’apprécier dans ce contexte : elle est l’aboutissement de négociations entre le Gabon et la Guinée Équatoriale qui ont débuté après l’indépendance de cette dernière.
2.34. Ainsi, en juin 1970, des représentants du Gabon et de la Guinée Équatoriale avaient exprimé le souhait de fixer la frontière maritime « suivant les principes de droit international »208. Ce souhait avait déjà été exprimé par l’Espagne avant l’indépendance de la Guinée Équatoriale209. De nombreuses rencontres entre les autorités gabonaises et équato-guinéennes ont été organisées au sujet de la délimitation maritime. Comme le Gabon l’a exposé dans son contre-mémoire, trois réunions ont eu lieu entre février 1971 et juin 1972, sans qu’un accord ait pu être 205 V. à ce sujet, CMG, vol. I, pars. 2.49-2.59. 206 RGE, vol. I, par. 3.5. 207 V. à cet égard, Lettre n° 156 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministère des Affaires étrangères espagnol, 23 juin 1970 (DG, vol. II, annexe 13). 208 Note verbale n° 1966/MAE-C/DAAP du ministère des Affaires étrangères gabonais à l’ambassade de Guinée Équatoriale au Gabon, 4 juin 1970 (CMG, vol. V, annexe 112) ; Note n° 1524 du ministère des Affaires étrangères équato-guinéen à l’ambassadeur de Guinée Équatoriale au Gabon, 15 juin 1970 (CMG, vol. V, annexe 113). 209 Lettre du directeur général du ministère des Affaires étrangères espagnol au ministre des Affaires étrangères espagnol, 11 mai 1966 (DG, vol. II, annexe 8) ; Note d’information du ministère des Affaires étrangères espagnol, 8 juillet 1966 (DG, vol. II, annexe 9) ; Note verbale n° 04564/MAE/SG du ministère des Affaires étrangères gabonais au ministère des Affaires étrangères espagnol, 11 septembre 1967 (DG, vol. II, annexe 10) ; Lettre n° 585 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministère des Affaires étrangères espagnol, 3 décembre 1968 (DG, vol. II, annexe 11) ; Lettre du directeur général du ministère des Affaires étrangères espagnol au chargé d’affaires espagnol en Guinée Équatoriale, 16 décembre 1968 (DG, vol. II, annexe 12). 63
conclu210. Un incident sur Mbanié en 1972 a ravivé les négociations entre les deux États. Une rencontre a eu lieu à Dar-es-Salam en septembre 1972, au cours de laquelle une commission quadripartite chargée de permettre la résolution pacifique du différend frontalier entre les deux États a été créée211. Cette commission s’est réunie en septembre 1972 à Kinshasa et en novembre 1972 à Brazzaville212. Des incidents le long de la frontière terrestre, notamment au printemps 1974, ont amené les présidents à se rencontrer à nouveau213. À cette occasion, ils sont convenus de la création d’« une commission mixte qui aura pour tâche de vérifier et de fixer définitivement, sur toute sa longueur, le tracé de la frontière continentale entre le Gabon et la Guinée Équatoriale »214.
2.35. Dans le contexte de ces négociations, la Guinée Équatoriale a entrepris des consultations juridiques avec l’URSS et a sollicité l’aide d’experts espagnols, y compris en droit international215. De même, le Gabon a développé sa position sur la frontière maritime sur la base des principes de droit international216. L’intention des 210 CMG, vol. I, pars. 2.45-2.47. V. aussi, Télégramme n° 16 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 13 février 1971 (DG, vol. II, annexe 14) ; Lettre n° 118 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 29 juin 1972 (DG, vol. II, annexe 19). 211 CMG, vol. I, par. 2.51. 212 Ibid., pars. 2.52-2.54. 213 Ibid., pars. 2.57-2.59. 214 Télégramme n° 561/563 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 15 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 138). V. aussi CMG, vol. I, par. 3.4. 215 Télégramme n° 85 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 20 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 141). V. également, Lettre n° 6 de l’ambassade d’Espagne à Libreville au ministère des Affaires étrangères espagnol, 12 avril 1972 (DG, vol. II, annexe 18) ; Télégramme n° 72 de l’ambassade d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères espagnol, 5 avril 1972 (DG, vol. II, annexe 17). 216 CMG, vol. I, par. 3.6. 64
deux États de parvenir à un accord en droit international ressort donc clairement de ces négociations.
C. LA FORCE OBLIGATOIRE DE LA CONVENTION DE BATA N’EST PAS REMISE EN CAUSE PAR LA CONDUITE ULTÉRIEURE DES PARTIES
2.36. Si la Guinée Équatoriale ne conteste pas la pertinence des circonstances dans lesquelles la Convention de Bata a été élaborée, aucun des éléments qu’elle invoque ne s’y rapporte. Elle se fonde en effet uniquement sur des correspondances diplomatiques relatant les suites de la signature de la Convention de Bata217. Conformément à la jurisprudence de la Cour, la conduite ultérieure des parties à un traité, y compris les déclarations effectuées après sa signature par l’une des parties, ne peut remettre en cause les termes d’un traité lorsque ceux-ci prévoient clairement des engagements réciproques218. Dès lors, la Guinée Équatoriale ne peut prétendre invoquer la conduite ultérieure des Parties, et encore moins les correspondances diplomatiques d’ambassadeurs d’États tiers, pour remettre en cause le caractère obligatoire de la Convention de Bata219.
2.37. En tout état de cause, la conduite ultérieure des Parties est en réalité conforme à la Convention de Bata. En particulier, alors que les relations entre les deux États entre 1970 et 1974 avaient été rythmées par de nombreuses rencontres et aller-retours des deux chefs d’État visant à résoudre le différend frontalier, ces rencontres ont cessé au lendemain de la signature de la Convention de Bata, témoignant ainsi de la résolution du différend. Les seules discussions qui ont eu lieu sont celles prévues à l’article 7 de la Convention. En effet, conformément à cette 217 RGE, vol. I, pars. 3.28-3.37. 218 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 122, par. 29. 219 RGE, vol. I, par. 3.81. 65
disposition, le 23 septembre 1974, une rencontre s’est tenue entre des commissions gabonaise et équato-guinéenne afin de déterminer les limites de portions de territoire cédées entre les Parties le long de la frontière terrestre220. L’échec de ces négociations ne remet pas en cause le caractère juridiquement obligatoire de la Convention de Bata.
2.38. Du reste, les documents sur lesquels se fonde la Guinée Équatoriale ne jettent aucun doute sur la force obligatoire de la Convention de Bata. Certains n’illustrent que le souhait du président Macías Nguema de remettre en cause l’accord après sa conclusion221.
2.39. D’autres mettent en évidence le manque d’accès à des informations fiables de leurs auteurs, en particulier les ambassadeurs en poste à Malabo. Tel est notamment le cas de la lettre de l’ambassadeur français en Guinée Équatoriale du 17 septembre 1974. La Guinée Équatoriale prétend que « [t]he French Ambassador thus reported to Paris that no final and binding agreement had been reached on 12 September 1974 »222. Cependant, l’ambassadeur français avait confirmé n’avoir reçu que très peu d’informations au sujet de la visite du président Bongo223. Il avait notamment souligné qu’« à Malabo, où nous sommes privés de toute presse écrite et où la radio émet de plus en plus en dialecte fang, personne n’avait eu jusqu’au 220 Lettre n° 509/74 de l’ambassadeur d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 25 septembre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 34) ; Lettre n° 125 de l’ambassadeur d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 27 septembre 1974, (RGE, vol. IV, annexe 35). 221 Il ressort des éléments au dossier que le président Macías Nguema regrettait d’avoir conclu la Convention. V. par exemple Télégramme n° 134 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 23 décembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 157). 222 RGE, vol. I, par. 3.30. 223 Lettre de l’ambassadeur de France à Malabo au ministère des Affaires étrangères français, 17 septembre 1974 (RGE vol. IV, annexe 33) (« Aucun renseignement n’a filtré au sujet des entretiens que les deux chefs d’Etat devaient en principe avoir pendant la fin de la matinée et le déjeuner intime. »). 66
17 septembre la moindre indication sur le résultat de cette visite d’Etat et sur les décisions qu’elle avait pu comporter »224. Il avait aussi noté qu’il ne pouvait livrer des informations qu’« avec réserve » au vu du « silence fort suspect que continue à observer le gouvernement équato-guinéen, dont la radio officielle n’a même pas rendu compte des aspects purement protocolaires de la fin de la visite d’Etat »225. De même, l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale avait confirmé que « no public information about this matter had been provided as of yet, this was due to the fact that they were attempting to resolve the problem amicably and do not like to publicly air these petty disagreements »226.
2.40. Dans sa réplique, l’argumentaire de la Guinée Équatoriale repose aussi en grande partie sur son assertion selon laquelle « at no point during those twenty-four years did either Party rely on, or even mention, the document Gabon presented in 2003 »227. Alors qu’elle avait mentionné le principe d’estoppel dans son mémoire228, la Guinée Équatoriale semble abandonner cet argument dans sa réplique. Pour la première fois, elle soutient que, par ce prétendu silence, le Gabon a acquiescé à l’absence de force obligatoire de la Convention de Bata229. Sur ce fondement, la Guinée Équatoriale prétend que le Gabon est « precluded from 224 Lettre de l’ambassadeur de France à Malabo au ministère des Affaires étrangères français, 17 septembre 1974 (RGE vol. IV, annexe 33). 225 Ibid. 226 Lettre n° 509/74 de l’ambassadeur d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 25 septembre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 34) ; Lettre n° 125 de l’ambassadeur d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 27 septembre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 35). Traduction de la Guinée Équatoriale de l’espagnol « hasta ahora no se había suministrado información sobre este tema con carácter público, ello se debía a que se estaban tratando de arreglar amigablemente el problema y no les gustaba airear públicamente estas pequeñas diferencias ». 227 RGE, vol. I, par. 3.59. 228 MGE, vol. I, note 367. 229 RGE, vol. I, par. 3.81. 67
relying on that document for the purpose of seeking to establish legal title within the meaning of Article 1 of the Special Agreement »230.
2.41. À l’appui de son argumentaire, la Guinée Équatoriale invoque la décision de la Cour dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar. Elle soutient que « [t]he Court has held that the subsequent conduct of the Parties may be determinative of whether a treaty constitutes a valid legal title »231. Cependant, dans cette affaire, la Cour ne s’était pas prononcée sur l’acquiescement de la Thaïlande à l’existence ou à la validité de la convention de 1904 entre la France et le Siam, qui n’était pas contestée, mais à la souveraineté de la France sur le temple et ses environs 232.
2.42. En revanche, la thèse de la Guinée Équatoriale repose sur un acquiescement du Gabon non pas à la modification d’une frontière à un endroit donné, mais à l’absence de force obligatoire d’un traité, à savoir la Convention de Bata. Or, les conditions d’extinction et de suspension des traités sont codifiées de manière limitative aux articles 54 à 62 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. En vertu de ces règles, l’extinction d’un traité en l’absence d’une disposition spéciale à cet effet peut avoir lieu « par consentement de toutes les parties, après consultation des États contractants »233. La Guinée Équatoriale n’a démontré ni le consentement des Parties sous quelque forme que ce soit, ni l’existence de consultations. 230 RGE, vol. I, par. 3.81. 231 RGE, vol. I, note 170. 232 Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1961, pp. 31-32.
233 Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1155, n° 18232, p. 331, art. 54. 68
2.43. En tout état de cause, la Guinée Équatoriale ne saurait conclure à un acquiescement du Gabon à l’extinction de la Convention de Bata de l’absence de mention expresse de celle-ci dans les relations entre les Parties, puisque la conduite du Gabon est constamment restée conforme aux dispositions de la Convention. Notamment, le Gabon a protesté contre toute tentative de la Guinée Équatoriale de remettre en cause l’acquis de Bata.
2.44. En ce qui concerne les îles, le Gabon a protesté contre toute tentative d’empiètement sur sa souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga234. À plusieurs occasions, le Gabon a également réitéré sa souveraineté sur Mbanié, qu’il a utilisée comme point de base maritime235. Dans la mesure où le Gabon a agi conformément à la Convention de Bata, notamment en ce qui concerne sa souveraineté sur les îles, l’absence de mention expresse de la Convention de Bata dans les discussions entre les Parties ne peut remettre en cause sa force obligatoire.
2.45. En ce qui concerne la frontière terrestre, la Convention de Bata avait, en grande partie, reconnu de manière formelle une situation qui existait déjà sur le terrain236. Si le Gabon avait prudemment décidé de conserver le statu quo notamment le long de la rivière Kyé tant que la démarcation prévue par la 234 Traduction de la lettre n°412/90/Amb/Gab/DB de l’ambassade du Gabon à Londres au secrétaire d’État des Affaires étrangères et du Commonwealth, 28 juin 1990 (RGE, vol. IV, annexe 47) ; Note verbale n°00251/AMBAG/GE/99 de l’ambassade du Gabon en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères de la Guinée Équatoriale, 23 septembre 1999 (RGE, vol. IV, annexe 48) ; RGE, vol. I, pars. 3.73-3.75. 235 Décret n° 2066/PR/MHCUCDM du Gabon, Journal Officiel de la République Gabonaise, n° 48/52, décembre 1992 (RGE, vol. V, annexe 54) ; RGE, vol. I, par. 3.74. V. aussi J.D. Geslin, « L’île de toutes les convoitises », Jeune Afrique l’Intelligent, 10 au 23 août 2003 RGE, vol. V, annexe 64) ; RGE, vol. I, par. 3.78. V. aussi Télégramme n° 805 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 11 septembre 1984 (DG, vol. II, annexe 50).
236 CMG, vol. I, pars. 6.67, 7.19. 69
Convention de Bata n’était pas intervenue, il n’avait pas pour autant abandonné sa souveraineté sur ces territoires237.
2.46. De même, le simple fait que les Parties aient continué à négocier la délimitation de leurs frontières terrestres et maritimes après la conclusion de la Convention de Bata ne saurait constituer l’acquiescement prétendu. À cet égard, la Guinée Équatoriale fait grand cas des propos de l’ancien ministre des Affaires étrangères gabonais, Jean Ping, au sujet des négociations qui ont suivi la signature de la Convention de Bata. Les déclarations de M. Ping, qui n’a d’ailleurs pas participé à ces négociations, ne contredisent en rien la position du Gabon. Au contraire, dans l’interview de M. Ping du 29 septembre 2006 annexée par la Guinée Équatoriale à sa réplique, il confirme que les négociations de 1972 entre les deux États ont « abouti à la signature, le 12 septembre 1974 à B[a]ta, de la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes entre le Gabon et la Guinée Equatoriale » et que cette Convention « règle de façon globale et claire l’essentiel des questions objet de la dispute »238. Le simple fait que l’arrivée au pouvoir du président actuel de la Guinée Équatoriale ait ouvert « un nouveau cycle de négociations » ou la résurgence d’un différend concernant la souveraineté sur les îles au large du Gabon (ce qui indique qu’il avait été réglé auparavant) ne peut remettre en cause la validité de la Convention de Bata ou de la frontière qu’elle délimite.
Conclusion
2.47. Il ressort des éléments ci-dessus que : 237 Dépêche n° 92/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires étrangères français, 11 avril 1975 (CMG, vol. V, annexe 158). V. aussi infra, pars. 3.19-3.22. 238 J. Ping, « Gabon : Historique des pourparlers entre le Gabon et la Guinée Equatoriale sur l’île Mbanié », 29 septembre 2006 (RGE, vol. V, annexe 65). 70
a) La Convention de Bata existe et son texte est authentique. Son existence est indéniablement établie par l’ampliation de la Convention que le Gabon a soumis à la Cour. Elle est aussi corroborée par de nombreux éléments de preuves, y compris certains éléments soumis par la Guinée Équatoriale à la Cour.
b) La Convention de Bata est un instrument contraignant en droit international. Sa force obligatoire ressort clairement des termes employés par les Parties et elle ne peut être remise en cause unilatéralement par certaines déclarations postérieures du président équato-guinéen. La Guinée Équatoriale n’a pas démontré l’existence d’une cause d’extinction ou de suspension de ce traité et il n’en existe effectivement pas. Dès lors, la Convention de Bata fait droit entre les Parties. 71

CHAPITRE III. LES TITRES JURIDIQUES CONCERNANT LA FRONTIÈRE TERRESTRE
3.1. La Guinée Équatoriale soutient dans sa réplique que la Convention de Bata n’a pas pour objet de délimiter la frontière terrestre. Pourtant, l’article 1 de cette Convention ne fait que reprendre, presque mot pour mot, la description de la frontière terrestre contenue dans l’article 4 de la Convention de Paris. Si, comme la Guinée Équatoriale le confirme à juste titre, la Convention de Paris délimitait la frontière terrestre entre le Río Muni et le Gabon, la Convention de Bata le fait aussi, tout en ajoutant des modifications à cette frontière, prévues dans son article 2. Elle constitue donc un titre juridique qui fait droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière terrestre (I). En procédant de la sorte, la Guinée Équatoriale et le Gabon ont par ailleurs confirmé en 1974 qu’aucune modification de la frontière terrestre fixée par la Convention de Paris n’était intervenue auparavant. En effet, et contrairement à ce que la Guinée Équatoriale prétend, ni les puissances coloniales, ni les Parties n’ont jamais approuvé de telles modifications conformément aux dispositions de la Convention de Paris. Dès lors, les autres titres invoqués par la Guinée Équatoriale, y compris les prétendues modifications apportées « in practice », sont dépourvus de toute justification juridique et factuelle (II).
I. La Convention de Bata constitue un titre juridique s’agissant de la délimitation de la frontière terrestre
3.2. Dans sa réplique, la Guinée Équatoriale conteste la force obligatoire de la Convention de Bata et nie qu’elle constitue un titre juridique délimitant la frontière terrestre. En une seule phrase elle prétend que « Gabon’s reliance on that 73
document [i.e., la Convention de Bata] is misplaced, however, since (…) it does not have the force of law between the Parties »239. Il a été démontré ci-dessus que cette allégation de la Guinée Équatoriale est dénuée de tout fondement240.
3.3. En dehors de la question distincte de sa force obligatoire, la Guinée Équatoriale conteste par ailleurs que la Convention de Bata a pour objet de fixer la délimitation de la frontière terrestre. Toutefois, elle ne s’emploie pas à réfuter les développements présentés par le Gabon à cet égard241 qu’elle ne mentionne même pas. Elle se borne à prétendre à plusieurs reprises que la Convention de Bata « fails to delimit the continental territory pertaining to, or to be ceded to, either of the Parties »242.
3.4. Cette position conduit la Guinée Équatoriale à affirmer une chose et son contraire. Dès lors que –comme elle le reconnaît explicitement – la Convention de Paris « described the course of the agreed boundary between the Spanish territory of Río Muni and neighbouring French territory »243, elle ne saurait nier que la Convention de Bata soit, en sa forme et en sa substance, un titre juridique identique relatif à la délimitation de la frontière terrestre.
3.5. À l’exception de quelques modifications purement rédactionnelles et, en ce qui concerne l’article 1 de la Convention de Bata, de la réserve renvoyant à l’article 2, l’article 4 de la Convention de Paris et l’article 1 de la Convention de Bata sont identiques : 239 RGE, vol. I, par. 5.5. 240 V. supra, pars. 2.20-2.47. 241 CMG, vol. I, pars. 7.5-7.14. 242 RGE, vol. I, par. 3.42. V. également pars. 3.38 et 3.41. 243 MGE, vol. I, par. 3.36. V. également, CMG, vol. I, par. 7.17 et RGE, vol. I, pars. 5.1 et 5.4. 74
Article 4 de la Convention de Paris
Article 1er de la Convention de Bata
« La limite entre les possessions françaises et espagnoles sur la côte du Golfe de Guinée partira du point d’intersection du thalweg de la rivière Mouni avec une ligne droite tirée de la pointe Coco Beach à la pointe Diéké. Elle remontera ensuite le thalweg de la rivière Mouni et celui de la rivière Outemboni jusqu’au point où cette dernière rivière est coupée pour la première fois par le 1er degré de latitude Nord et se confondra avec ce parallèle jusqu’à son intersection avec le 9e degré de longitude Est de Paris (11° 20’ Est de Greenwich).
« Sous réserve des dispositions de l’article 2 ci-dessous, la limite entre la République de la Guinée Equatoriale et la République Gabonaise sur la côte du golfe de Guinée partira du point d’intersection du thalweg de la rivière Mouni avec une ligne droite tirée de la pointe Cocobeach à la pointe Diéké. Elle remontera ensuite le thalweg de la rivière Mouni et celui de la rivière Outemboni jusqu’au point où cette dernière rivière est coupée pour la première fois par le 1er degré de latitude nord et se confondra avec ce parallèle jusqu’à son intersection avec le 9ème degré de longitude est de Paris (11°20, est de Greenwich).
De ce point la ligne de démarcation sera formée par ledit méridien 9 Est de Paris jusqu’à sa rencontre avec la frontière méridionale de la Colonie allemande de Cameroun. »
De ce dernier point d’intersection, la deuxième démarcation entre les deux États se confondra avec le méridien 9 est de Paris (11°20, est de Greenwich) jusqu’à sa rencontre avec la frontière méridionale de la République Unie du Cameroun. »
3.6. Ces deux dispositions « describe the boundary line in words »244 et ce, de la même façon. Si, comme la Guinée Équatoriale le soutient et le Gabon l’accepte, « Article 4 of the [1900 Paris] Convention described the course of the land boundary between the Spanish territory of Río Muni and French Congo, as running along the thalweg of the Muni and Utamboni Rivers near the coast and then along the line of latitude 1 degree North (…) until turning north to follow the 244 RGE, vol. I, par. 3.41. 75
line of longitude 9 degrees East of Paris (…) to the boundary with German Kameroon »245, il s’ensuit que l’article 1 de la Convention de Bata décrit la même frontière.
3.7. La Guinée Équatoriale accepte également que l’article 8 et l’annexe I de la Convention de Paris établissaient les modalités de la démarcation de la frontière délimitée conformément aux termes de l’article 4246. Que ces procédures n’aient jamais été menées à leur terme247 – ce que la Guinée Équatoriale ne conteste pas – est sans incidence sur l’objet de l’article 4 de la Convention de Paris. Cette disposition n’en définit pas moins la frontière. Ainsi que le rappelle le contre-mémoire248, le fait de prévoir une méthode de démarcation précise de la frontière « présuppose également que celle-ci était considérée comme ayant été pour l’essentiel délimitée »249. C’est donc à raison que la Guinée Équatoriale ne remet pas en question la qualité de titre juridique de l’article 4 de la Convention de Paris.
3.8. Néanmoins, la Guinée Équatoriale persiste à voir dans l’article 8 de la Convention de Bata concernant la « matérialisation des frontières » la preuve que cette Convention n’a pas délimité la frontière terrestre entre les deux États. Selon elle, cette disposition « requires the precise boundary to be subsequently defined 245 MGE, vol. I, par. 3.19. 246 Ibid. (« The 1900 Convention, in Article 8 and Annex 1, provided that the exact boundary would be demarcated by the two States’ commissioners or local delegates (…) »). V. aussi RGE, vol. I, par. 3.41 (« The document presented in 2003 does not even deal with demarcation, since no agreement on delimitation was reached. The Parties did not ‘describe the boundary line in words’, as Oppenheim posits. In the case of Equatorial Guinea and Gabon, the delimitation of the boundary was yet to be completed in the future, as confirmed by the plain language of relevant provisions conspicuously ignored by Gabon. »). 247 V. CMG, vol. I, pars. 1.42–1.50. 248 Ibid., par. 7.12. 249 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 340, par. 49. V. aussi p. 359, par. 84. 76
by representatives of Gabon and Equatorial Guinea »250. C’est tout simplement faux.
3.9. L’article 8 de la Convention de Bata prévoit que :
« La matérialisation des frontières sera faite par une équipe composée des représentants des deux pays, en nombre égal, avec au besoin le concours ou la participation de techniciens et observateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine ou de toute autre organisme international, choisis d’un commun accord. »251
3.10. La version espagnole utilise également le terme de « materialisación de las fronteras »252. Les traducteurs professionnels engagés par la Guinée Équatoriale ont traduit ces termes d’une manière cohérente comme « materialization of the boundaries »253. La traduction préparée par les Nations Unies et reproduite dans le Recueil des traités utilise l’expression « marking of the frontiers »254. Les termes utilisés et les modalités prévues pour la « matérialisation des frontières », indiquent qu’il s’agit d’une démarcation, à savoir, l’abornement des frontières sur le terrain. Il serait pour le moins incongru de laisser à une équipe de représentants, d’observateurs et de techniciens d’une organisation internationale la responsabilité de délimiter une frontière nouvelle entre deux États.
3.11. Ainsi que la Guinée Équatoriale le reconnaît elle-même, « there could be no demarcation without prior delimitation »255. Partant, l’article 8 de la 250 RGE, vol. I, par. 3.42 (souligné dans l’original) ; MGE, vol. I, par. 7.19. 251 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155) (italiques ajoutés). 252 Ibid. 253 MGE, vol. VII, annexes 214, 215, 216 et 217. 254 Recueil des traités des Nations unies, vol. 2248, p. 102 (I-40037). 255 RGE, vol. I, par. 3.42. 77
Convention de Bata confirme que les Parties ont considéré leur frontière définie avec suffisamment de précision pour procéder à sa démarcation sur le terrain.
3.12. Par conséquent, les Parties à la Convention de Bata ont défini la frontière à l’article 1 de cette Convention comme les puissances coloniales l’avaient fait, auparavant, à l’article 4 de la Convention de Paris. En d’autres termes, par l’adoption de la Convention de Bata, la Guinée Équatoriale et le Gabon ont confirmé la délimitation de leur frontière terrestre fixée par la Convention de Paris sans pour autant entériner une quelconque modification prétendument intervenue avant 1974256. Tout en éclipsant la Convention de Paris, la Convention de Bata, qui constitue le titre juridique faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière terrestre commune, ne confirme pas moins que le texte de la Convention de 1900 continue de refléter, au moins en partie257, le titre juridique applicable à la frontière terrestre258. Si, par impossible, la Cour ne reconnaissait pas à la Convention de Bata la qualité de titre juridique faisant droit en ce qui concerne la délimitation de la frontière terrestre, l’article 4 de la Convention de Paris, dont le texte est identique à celui de l’article 1 de la Convention de Bata, constituerait un tel titre.
3.13. Or, c’est parce qu’en 1974, les Parties ont considéré que le texte de l’article 4 de la Convention de Paris définissait la frontière faisant droit dans leurs relations mutuelles qu’elles ont procédé à des ajustements et modifications de 256 V. aussi infra, pars. 3.23-3.61 257 V. infra, pars. 3.13-3.16. 258 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 37, pars. 72-73. 78
cette frontière dans les régions identifiées à l’article 2 de la Convention de Bata259. Ce faisant, elles confirmaient qu’aucune modification de la Convention de Paris n’était intervenue entre 1900 et 1974 et que toute nouvelle modification nécessitait la conclusion d’une nouvelle convention de délimitation.
3.14. Ces ajustements apportés par l’article 2 de la Convention de Bata à la frontière ainsi définie dans son article 1 ne changent rien au fait que la Convention de 1974 est un titre juridique s’agissant de la délimitation de la frontière terrestre. Certes, l’article 2 ne décrit pas le cours de la frontière résultant des échanges de territoires convenus entre le Gabon et la Guinée Équatoriale dans les régions de Médouneu, d’Ebebiyin (carrefour international), de Ngong et d’Allen. Il n’en demeure pas moins que cette disposition identifie les territoires cédés de part et d’autre de la frontière suffisamment pour en déduire que les Parties en avaient bien fixé la délimitation. Dans son contre-mémoire, le Gabon a montré que les autorités équato-guinéennes et gabonaises avaient une compréhension précise de l’étendue des territoires cédés260 et a indiqué sur le croquis no 3.1, reproduit ci-dessous, le cours de la frontière terrestre résultant de la combinaison des articles 1 et 2 de la Convention de Bata261. 259 V. Lettre n° 524/74 de l’ambassadeur d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 2 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 38); Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152) ; Lettre n° 568/74 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires étrangères espagnol, 9 octobre 1974 (DG, vol. II, annexe 46) ; Résumé de l’adresse du président Macías Nguema aux membres du corps diplomatique du 13 octobre 1974, Foreign Commonwealth Office (RGE, vol. IV, annexe 32) ; Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153) ; Télégramme n° 3385 de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État américain, 16 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 154) ; Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156). 260 CMG, vol. I, par. 7.11. 261 CMG, vol. II, croquis no 3.1, p. 103. 79

Croquis no 3.1. La frontière délimitée par la Convention de Bata
1°N
10°E 11°E
2°N 2°N
1°N
9°E Paris
1 : Grande et
Petite Elobey
1
Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
Cocobeach
Diéké
GABON
Bata
Libreville
O C É A N
ATLANTIQUE
Médouneu
Ngong
Ebebiyin
CAMEROUN
GUINÉE ÉQUATORIALE
Benito
Allen
Kyé
Outemboni
Outemboni
Mbanié Conga Cocotiers
Corisco
Mouni
2 5 0 10 milles marins
0 2 10 20 km
81

3.15. La Guinée Équatoriale n’a pas jugé nécessaire de commenter ces explications. Elle se limite à accuser le Gabon de « conspicuously ignore[] »262 les dispositions de l’article 7 de la Convention de Bata263. Cette disposition, amplement commentée dans le contre-mémoire264, prévoit que :
« Des protocoles d’accord seront pris, d’une part, pour déterminer les superficies et les limites exactes de la portion de terre cédée à la République gabonaise et de celle cédée la République de Guinée-Equatoriale, et d’autre part, pour préciser les modalités d’application de la présente Convention. »265
3.16. Contrairement aux allégations de la Guinée Équatoriale, cette disposition, interprétée selon le sens ordinaire des termes et dans son contexte, montre que les Parties ont bel et bien établi la frontière dans son ensemble, y compris dans les régions affectées par les cessions territoriales. La cession de « portions de terre » opérée par l’article 2 n’est pas conditionnée par l’adoption des protocoles d’accord au sens de l’article 7. Ces protocoles devaient seulement déterminer les superficies et les limites exactes des portions de terre cédées. De la même façon, les modalités d’application de la Convention – que les Parties sont convenues de préciser par protocole d’accord – ne sont que cela : des modalités d’application englobant un certain nombre de questions, comme le sort des populations vivant sur les « portions de terre » cédées ou la mise en oeuvre concrète des droits de navigation et de pêche reconnus par l’article 5 de la Convention. Elles n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier la Convention de Bata ou la définition de la frontière déterminée par l’effet combiné des articles 1 et 2. 262 RGE, vol. I, par. 3.41. 263 Ibid. 264 CMG, vol. I, pars. 6.40 et 7.11. 265 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 83
3.17. Par ailleurs, le préambule de la Convention de Bata confirme que les Parties n’ont pas souhaité renvoyer la délimitation de leur frontière ou de certaines de ses portions à un stade ultérieur. Les deux présidents se sont déclarés :
« Désireux de jeter les bases durables de la paix entre leurs deux pays, notamment en établissant définitivement leurs frontières terrestres et maritimes communes »266.
Le titre de la Convention confirme également que, dans l’intention des Parties, il s’agit d’un instrument « délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée-Équatoriale et du Gabon » (« delimitando las fronteras terrestres y marítimas de la Guinea Ecuatorial y del Gabón »).
3.18. Contrairement à ce que la Guinée Équatoriale soutient, l’objet et le but de la Convention de Bata était donc d’établir définitivement les frontières. Ce que les Parties ont fait267.
3.19. La Guinée Équatoriale tente néanmoins de priver ce titre juridique de tout effet en prétendant que « Equatorial Guinea has continued to administer and exercise sovereignty over all the disputed territory allegedly ceded to Gabon under that instrument »268. Elle affirme à cet égard qu’elle « [ha]s done so not only without protest by Gabon, but, in some areas, with Gabon’s active cooperation and consent »269. Il ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre du présent différend d’établir si les Parties ont effectivement respecté ou, le cas échéant, 266 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155). 267 CMG, vol. I, par. 7.13. V. également Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), p. 5. 268 RGE, vol. I, par. 3.82. 269 Ibid.
84
méconnu le titre juridique. La mission que les Parties lui ont confiée se limite à identifier les titres juridiques pertinents270. C’est justement en raison de difficultés persistantes sur ce point précis entre les Parties qu’elles ont investi la Cour de cette mission afin de pouvoir ensuite reprendre les négociations – ou recourir à d’autres moyens de règlement de leurs autres différends – sur une base juridiquement solide.
3.20. En tout état de cause, les soi-disant effectivités invoquées par la Guinée Équatoriale ne se basent sur aucun titre juridique271 et, pour cette raison, restent sans pertinence pour le différend soumis à la Cour272. Qui plus est, elles ne confirment aucunement, ni en fait ni en droit, les prétentions de la Guinée Équatoriale. Pour n’en donner qu’un exemple, l’accord de 2007 portant sur la construction conjointe de plusieurs ouvrages dans la région de Mongomo et d’Ebebiyin273, dont la Guinée Équatoriale fait grand cas274, ne mentionne pas la ligne frontalière et ne permet pas de tirer une quelconque conclusion relative à la frontière. Au contraire, la répartition des responsabilités des Parties pour la construction des ouvrages n’est pas déterminée selon qu’ils se situent en territoire gabonais ou équato-guinéen. L’accord de 2007 se contente de préciser que la Guinée Équatoriale assume les coûts de la construction du pont à l’est de Mongomo275, tandis que les coûts pour la construction de la route et des ouvrages à 270 V. supra, pars. 1.9-1.16. 271 V. infra, pars. 3.23-3.61. 272 V. supra, pars. 1.56-1.72. 273 Accord entre le Gabon et la Guinée Équatoriale relatif à la construction d’un pont frontalier et d’un tronçon de route bitumée avec des ouvrages entre les deux pays, 3 août 2007 (CMG, vol. VII, annexe 176), art. 1er (« Le présent accord est conclu en vue de la construction d’une part d’un pont frontalier et d’autre part d’un tronçon de route bitumée avec des ouvrages entre les deux pays. »). 274 RGE, vol. I, pars. 5.71-5.74. 275 Accord entre le Gabon et la Guinée Équatoriale relatif à la construction d’un pont frontalier et d’un tronçon de route bitumée avec des ouvrages entre les deux pays, 3 août 2007 (CMG, vol. VII, annexe 176), art. 7. 85
l’est d’Ebebiyin sont supportés à part égales par les deux États276. Les deux États sont également convenus des modalités de la construction et des autorisations conjointes des installations277. Ainsi, rien dans l’accord de 2007, la construction et l’inauguration de ces ouvrages ne permet de déduire une reconnaissance quelconque des Parties d’une frontière « as following the Kie River »278.
3.21. À plus forte raison, les « expéditions » organisées par les autorités équato-guinéennes accompagnées par leurs conseils et experts menées en 2021 et 2022279 après l’introduction de la présente instance donc, ne sauraient constituer en aucun cas des effectivités ou preuves pertinentes.
3.22. Pour ces raisons, la Convention de Bata, qui fait droit entre les Parties280, constitue un titre juridique relatif à la délimitation de la frontière terrestre. Elle détermine à suffisance la frontière terrestre entre les deux États. Par ailleurs, elle confirme qu’aucune modification de la Convention de Paris n’était intervenue avant 1974 et que le texte de la Convention de 1900 continue de refléter, pour autant que les Parties n’ont pas procédé à des ajustements de la frontière jugés nécessaires et appropriés dans l’article 2 de la Convention de Bata, le titre juridique applicable à la frontière terrestre281. 276 Accord entre le Gabon et la Guinée Équatoriale relatif à la construction d’un pont frontalier et d’un tronçon de route bitumée avec des ouvrages entre les deux pays, 3 août 2007 (CMG, vol. VII, annexe 176), art. 3. 277 Ibid., arts. 4 à 8. 278 RGE, vol. I, par. 5.82. 279 Déclaration de S.E. Domingo Mba Esono, président de la sous-commission technique de la Special Borders Commission, 25 septembre 2022 (RGE, vol. III, annexe 5). 280 V. supra, pars. 2.20-2.46. V. également, CMG, vol. I, pars. 6.1-6.76. 281 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 37, pars. 72-73. 86
II. Les prétendues modifications de la Convention de Paris invoquées par la Guinée Équatoriale sont dépourvues de tout fondement juridique et factuel
3.23. Malgré les explications détaillées données par le Gabon à ce sujet282 et le libellé clair du mandat conféré à la Cour par l’article 1 du Compromis283, la Guinée Équatoriale continue à soutenir, d’une part, que la France et l’Espagne ont modifié la Convention de 1900 par leur conduite et, d’autre part, que les soi-disant effectivités infra legem « constitute additional sources of its legal title to territory in the Utamboni River and Kie River Areas »284. En d’autres termes, selon la Guinée Équatoriale, ces effectivités seraient pêle-mêle : une source de titre juridique, un titre additionnel et une preuve confirmant les prétendues modifications apportées par les puissances coloniales à la Convention de Paris285.
3.24. Cette confusion dûment entretenue n’a qu’un seul objectif : faire prévaloir de prétendues effectivités au détriment du texte de la Convention de Paris.
3.25. Avant la signature de la Convention de Bata, la Guinée Équatoriale a très activement cherché auprès de l’ancienne puissance administrante des éléments permettant d’étayer des modifications de la Convention de Paris expliquant les incohérences sur le terrain286. Elle n’a jamais pu en trouver. Ainsi, comme les documents versés au dossier le confirment, de l’aveu du président équato-guinéen lui-même, la Guinée Équatoriale n’avait d’autre choix que de reconnaître les 282 CMG, vol. I, par. 7.18. 283 V. supra, pars. 1.9-1.18 et 1.46. 284 RGE, vol. I, par. 5.4. V. également, ibid., par. 5.51. 285 V. supra, pars. 1.56-1.72. 286 Lettre n° 435/74 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères, 24 août 1974 (DG, vol. II, annexe 44) ; Lettre n°524/74 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères espagnol, 2 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 38). 87
frontières rectilignes déterminées par le texte de la Convention de Paris287. En reprenant, en partie, la description de la frontière terrestre contenue dans l’article 4 de la Convention de Paris, la Convention de Bata confirme qu’aucune modification n’est intervenue avant sa signature288.
3.26. Les soi-disant effectivités que la Guinée Équatoriale invoque devant la Cour s’éloignent clairement des lignes de délimitation constituées par le 1er parallèle de latitude Nord et le 9e méridien de longitude Est de Paris retenues par la Convention de Paris. Elles étaient donc contraires au titre juridique applicable et ne pourraient constituer, en l’absence d’un titre juridique, que des effectivités contra legem289. Comme la Guinée Équatoriale le reconnaît elle-même290 :
« Dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet du différend est administré effectivement par un État autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre. »291
3.27. Afin d’échapper à cette conclusion, la Guinée Équatoriale tente – non sans difficulté – de fabriquer un pseudo-titre juridique sur lequel ces effectivités pourraient s’appuyer. 287 Lettre n°524/74 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères espagnol, 2 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 38). V. également Télégramme no 561/563 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 15 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 138) ; Bulletin de renseignements no 82/GAB/AFA/CD de l’attaché des forces armées auprès de l’ambassade de France au Gabon, 18 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 140). 288 V. supra, par. 3.12. 289 V. supra, pars. 1.61-1.67. 290 RGE, vol. I, par. 5.3. 291 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 587, par. 63 ; Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 38, pars. 75-76 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 353, par. 68. 88
3.28. Pourtant, la Guinée Équatoriale ne saurait réussir à transformer les effectivités contra legem en preuve d’un titre juridique ou d’une modification d’un tel titre, en un fondement de titre juridique et encore moins en titre juridique lui-même292. La raison en est simple : il n’y a jamais eu, avant 1974, d’autre titre juridique que la Convention de Paris. Outre que les soi-disant effectivités invoquées sont contraires à la Convention de Paris, elles ne confirment pas, en fait, les prétentions de la Guinée Équatoriale.
A. AUCUNE MODIFICATION DE LA FRONTIÈRE N’EST INTERVENUE DANS LA RÉGION DE L’OUTEMBONI
3.29. La Guinée Équatoriale continue à tort de considérer qu’une modification de la frontière dans la région du fleuve Outemboni a été opérée par l’Espagne et la France « by designating the 1901 Commission in accordance with Article 8 of the 1900 Convention, to modify the boundary and, by approving through subsequent practice, the Commission’s modifications in that area »293. Cette allégation est erronée tant en droit qu’en fait.
1. La Convention de Paris n’a pas été modifiée conformément à son article 8 et à son annexe I
3.30. L’affirmation de la Guinée Équatoriale selon laquelle l’Espagne et la France auraient investi la commission de 1901 de la mission de modifier la frontière et de replacer les lignes abstraites par une frontière suivant des obstacles naturels ou des éléments artificiels est contraire aux dispositions de la Convention de Paris et aux instructions données à la commission de 1901. Contrairement au postulat de 292 V. supra, pars. 1.23 et 1.63-1.66. 293 RGE, vol. I, par. 5.15. 89
la Guinée Équatoriale, le Gabon n’a jamais accepté que « the boundaries set out in the 1900 Convention had to be adjusted to conform to the reality on the ground »294. D’une part, le droit international n’impose pas aux États une méthode plutôt qu’une autre pour choisir leurs frontières. Bien qu’une frontière dite naturelle puisse avoir certains avantages (et inconvénients), elle n’est pas imposée juridiquement. D’autre part, le choix des lignes abstraites par l’Espagne et la France avait été largement assumé. Ainsi, à la demande de l’Espagne, les Parties ont retenu dans la région du fleuve Outemboni une frontière déterminée par le 1er parallèle de latitude Nord plutôt qu’une frontière déterminée par le cours de ce fleuve295. Le parallèle et le méridien retenus dans le texte de l’article 4 de la Convention de Paris ne sont pas de simples points de repère par rapport auxquels la frontière devait, ultérieurement, être délimitée ; ils constituent en eux-mêmes la délimitation agréée par les deux Parties. En prévoyant que les commissaires nommés respectivement « seront chargés de tracer sur les lieux les lignes de démarcation entre les possessions françaises et espagnoles, en conformité et suivant l’esprit des dispositions de la présente Convention »296, les termes de l’article 8 de la Convention de Paris ne laissent persister aucune ambiguïté à cet égard.
3.31. De même, les instructions données à la commission de 1901297 et les travaux de cette dernière le confirment. Ces travaux étaient avant tout destinés à identifier et à marquer sur le terrain des points permettant de déterminer le 1er parallèle de latitude Nord et le 9e méridien de longitude Est de Paris. Le capitaine 294 RGE, vol. I, par. 5.1. 295 CMG, vol. I, pars. 1.28-1.29. 296 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900 (CMG, vol. III, annexe 47), art. 8, alinéa 2. 297 Lettre du ministre des Colonies français au chef de la commission franco-espagnole, 19 juin 1901 (MGE, vol. IV, annexe 55). 90
Roche, membre de la section française, décrivait la mission et la méthode de travail de la commission de 1901 ainsi :
« La Commission ne pouvait évidemment marcher exactement suivant le parallèle & le méridien frontière : dans un pays aussi fourré & rempli d’obstacles si difficiles à franchir, il faut nécessairement suivre les sentiers. On aurait pu, il est vrai, faire une percée dans la forêt suivant ces deux directions (parallèle, méridien) mais c’eût été entreprendre un travail de géant, dont l’exécution eût demandé plusieurs années & dont il ne serait d’ailleurs plus resté trace au bout de peu de temps, attendu que la végétation eût rapidement comblé ces trouées. Il fallait donc s’en tenir aux sentiers indigènes, qui suivent le plus près possible la frontière, en faire le levé exact, reporter les résultats sur une carte &, d’après celle-ci, repérer la frontière, par rapport aux points relevés : dire, par exemple, que la frontière passe à égale distance de tel & tel village, qu’elle coupe un cours d’eau, ou qu’elle le suit, à tant de mètres en amont d’un confluent désigné, & ainsi de suite. C’est la méthode qui a été adoptée. »298
3.32. Les comptes rendus de la commission de 1901 confirment également qu’elle était chargée d’identifier, par des observations astronomiques permettant de déterminer des coordonnées géographiques, trois points nécessaires au tracé de la frontière rectiligne. Elle a ainsi identifié le lieu de la rencontre de l’Outemboni avec le 1er parallèle de latitude Nord299 (à partir duquel la frontière se confond avec ce parallèle), le lieu d’intersection entre ce parallèle et le 9e méridien de longitude Est de Paris300 et le lieu d’intersection entre ce méridien et la frontière sud du Cameroun. Ces lieux qui permettent d’identifier ces points, ainsi que quelques stations d’observation intermédiaires ont été reportés et inscrits sur la carte produite 298 Rapport au ministre des Colonies, par M. Bonnel de Mézières (DG, vol. II, annexe 1), p. 82. 299 Ibid., p. 98. 300 En ce qui concerne ce point, v. aussi Itinéraire suivi par la Commission de délimitation du golfe de Guinée (1901) (MGE, vol. III, annexe 12), pp. 7-8. 91
par la Guinée Équatoriale301 (identifiés par le symbole △) (v. croquis no 3.2) ; les coordonnées déterminées d’un commun accord ont été reportées dans les documents de la commission302.
3.33. Les membres de la section espagnole de la commission de 1901 partageaient entièrement cette compréhension de la mission qui leur avait été confiée. Ainsi, ils ont refusé de s’en tenir à une quelconque pratique de l’administration de l’une ou l’autre des puissances coloniales sur le terrain. Se référant aux instructions reçues par la commission, ils ont exigé que le placement d’une localité dans le Río Muni ou au Gabon soit déterminé au regard de sa position par rapport au 1er parallèle de latitude Nord303.
3.34. L’annexe I de la Convention de Paris confirme que la commission de 1901 n’a jamais été mandatée par l’Espagne et la France pour substituer la frontière abstraite par une frontière naturelle. Bien au contraire, selon l’annexe I, elle « dev[ai]t se baser sur la description des frontières telle qu’elle est formulée dans la Convention » pour accomplir sa mission. Les termes de l’annexe I se lisent comme suit :
« Bien que le tracé des lignes de démarcation sur les cartes annexées à la présente Convention (annexes nos 2 et 3) soit supposé être 301 RGE, vol. II, annexe MR1. La carte espagnole préparée par d’Almonte et publiée en 1903 sur ordre royal montre d’ailleurs la frontière telle que déterminée par l’article 4 de la Convention de Paris, tout en représentant les travaux de la commission de 1901, en particulier, les points de relevés astronomiques (marqués toujours par le signe △) (CMG, vol. II, carte C9). 302 Itinéraire suivi par la Commission de délimitation du golfe de Guinée (1901) (MGE, vol. III, annexe 12). V. aussi Rapport au ministre des Colonies, par M. Bonnel de Mézières (DG, vol. II, annexe 1), p. 103. 303 RGE, vol. III, annexe 8. Ce document contredit directement l’allégation faite par la Guinée équatoriale dans son mémoire que la commission « assigned French nationality to the village[] of Mitombe » (MGE, vol. I, par. 3.47). En effet, la commission a considéré que Mitombé, situé au nord du 1er parallèle de latitude Nord, se trouvait en Espagne. La commission a, par la suite, seulement proposé que cette localité soit française (MGE, vol. III, annexe 15). V. aussi infra, par. 3.34. 92
Croquis no 3.2. Les travaux de la commission de 1901 (RGE, Carte MR1; stations d’observations astronomiques △
et 1er parallèle de latitude Nord mis en surbrillance)
RGE, carte no MR1
Extrait 1 : Outemboni (M’Beto, Ekododo, confluent avec le Mitombé)
Extrait 2 : Ephong Extrait 3 : Etang-Abam Extrait 4 : Aquas
Extrait 5 : Intersection 1°N - 9°E
Extrait 1 Extrait 2 Extrait 3
Extrait 4
Extrait 5
93

généralement exact, il ne peut être considéré comme une représentation absolue, correcte de ces lignes, jusqu’à ce qu’il ait été confirmé par de nouveaux levés.
Il est donc convenu que les Commissaires ou Délégués locaux des deux Pays qui seront chargés, par la suite, de délimiter tout ou partie des frontières sur le terrain, devront se baser sur la description des frontières telle qu’elle est formulée dans la Convention. Il leur sera loisible, en même temps, de modifier lesdites lignes de démarcation en vue de les déterminer avec une plus grande exactitude et de rectifier la position des lignes de partage des chemins ou rivières, ainsi que des villes ou villages indiqués dans les cartes susmentionnées.
Les changements ou corrections proposés d’un commun accord par lesdits Commissaires ou Délégués seront soumis à l’approbation des Gouvernements respectifs. »304
3.35. Ainsi, toute proposition de modification des lignes de démarcation devait nécessairement faire l’objet d’un commun accord entre les commissaires et d’une approbation des Gouvernements respectifs. En d’autres termes, la commission de 1901 ne pouvait formuler que des propositions visant la modification de la frontière, propositions qui restaient soumises à l’approbation des États parties. En pratique, la commission de 1901 avait la même compréhension des termes de l’annexe I. Bien consciente des limites de son mandat, elle a simplement « proposé » son projet de frontière comme « frontière naturelle la plus convenable & la plus conforme à l’esprit de la Convention »305. Cette proposition ne reflète donc pas ce qui, dans l’opinion de la commission de 1901 était la frontière délimitée par la Convention de Paris, mais ce qui pourrait l’être à l’avenir de son point de vue. Ainsi, les tableaux annexés aux projets de la commission n’indiquent pas 304 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900 (CMG, vol. III, annexe 47), annexe I. 305 Commission franco-espagnole de délimitation du golfe de Guinée, projet de frontière : Frontière Sud, 1 janvier 1902 (MGE, vol. III, annexe 14). 95
lequel des deux États exerçait effectivement son autorité sur tel ou tel village, mais lequel des deux États pourrait – selon l’opinion de la commission dans son projet de frontière – le faire306. Bien consciente que ses propositions de modifications s’éloignaient de la définition de la frontière fixée à l’article 4, la commission avait noté :
« Néanmoins, les Commissaires proposent la frontière décrite, en raison des avantages qu’elle présente, par suite de sa détermination au moyen des accidents naturels du sol, laissant à leurs Gouvernement respectifs le soin de prendre une décision au sujet de cette différence & de la compensation à intervenir, le cas échéant. »307
3.36. Comme le Gabon l’a expliqué, la France et l’Espagne n’ont jamais approuvé les propositions de la commission de 1901308. Alors que dans son mémoire la Guinée Équatoriale passait opportunément la question de l’approbation des modifications largement sous silence, elle a, dans sa réplique, réduit cette condition à pratiquement rien. Elle relève que « in Annex 1 there were no special procedures adopted for ‘approval’ of boundary modification proposals »309 pour en déduire que « any form of approval by the contracting parties—including implied approval, or approval demonstrated by practice—sufficed in regard to boundary modifications mutually agreed to by the relevant Commissioners or local Delegates »310 ; elle va jusqu’à affirmer qu’aucun échange entre la France et 306 Tableaux des villages reconnus par la commission de délimitation de la Guinée espagnole avec les noms des chefs, des tribus et la nationalité d’après le projet de frontière (MGE, vol. III, annexe 15 et CMG, vol. IV, annexe 56). En raison d’une erreur technique, ce document n’est pas reproduit dans l’annexe 55 comme indiquée dans le contre-mémoire, mais dans l’annexe 56. 307 Note au sujet de l’évaluation des terrains cédés respectivement par la France et l’Espagne, d’après le projet de frontière présenté par la commission, 20 mars 1903 (CMG, vol. IV, annexe 55) (italiques ajoutés). 308 CMG, vol. I, pars. 1.44-1.49. 309 RGE, vol. I, par. 5.13. 310 Ibid. 96
l’Espagne n’était nécessaire pour approuver les propositions de modifications de la frontière311 de sorte que chacun des États pouvait approuver unilatéralement, par son seul silence, de telles propositions.
3.37. Cette nouvelle position de la Guinée Équatoriale est dépourvue de toute crédibilité et ignore largement le sens ordinaire des termes de l’annexe I de la Convention de Paris. En prévoyant que les propositions de changements ou de corrections soient « soumis[es] à l’approbation des Gouvernements respectifs » (« sometarán á la aprobacion de los Gobiernos respectivos » dans la version espagnole), le texte de la Convention exige non seulement la preuve que les gouvernements en aient pris connaissance (« soumis[es] à »), mais également qu’ils les approuvent explicitement. Là est bien le sens ordinaire du terme « approbation » qui vise l’action de consentir à quelque chose pour lui donner effet312.
3.38. La position de la Guinée Équatoriale est également contraire à l’objet et au but de la Convention de Paris, à savoir l’établissement d’une frontière stable313. Contrairement à ce qu’elle affirme, il n’était certainement pas dans l’intention des auteurs de la Convention de Paris que la frontière qu’ils avaient agréée – il faut le rappeler314 – après d’âpres négociations et transactions, puisse être modifiée par des commissaires sans aucune formalité supplémentaire au gré de la pratique subséquente d’une des parties. Au contraire, bien conscientes que l’établissement 311 RGE, vol. I, par. 5.13. 312 V. Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., en ligne : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9A2262 (« Action d’approuver ; agrément, assentiment, consentement. » ; italiques ajoutées). V. aussi, J. Salmon, Dictionnaire de droit international public, Bruylant, 2001, p. 74 (« Expression de l’accord ou du consentement d’un État avec ou sans portée juridique, donné à des actes, des propositions, des résolutions, élaborés par d’autres États avec ou sans la participation de cet État » ; italiques ajoutées) ; G. Cornu, Vocabulaire juridique, 12e éd., PUF, 2018, p. 77 (« Consentement donné par une autorité supérieure conférant plein effet à l’acte émané d’une autorité soumise à son contrôle » ; italiques ajoutées). 313 Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J Recueil 1962, p. 34. 314 V. CMG, vol. I, pars. 1.24-1.30. 97
d’une frontière permanente « est une question de grande importance » et qu’« un accord ne doit pas être présumé facilement »315, les parties à la Convention de Paris avaient pris soin de détailler les modalités permettant – ou non – d’entériner les propositions de la commission de 1901. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, les autorités françaises ont relancé leurs homologues espagnols pour qu’ « un accord intervienne » au sujet des « propositions »316, que les pourparlers aboutissent rapidement317 et qu’« une prompte réponse » au sujet des propositions soit obtenue318. Dans sa lettre mettant un coup d’arrêt définitif à la question des travaux de la commission de 1901, l’Espagne n’a d’ailleurs laissé aucun doute à ce sujet. Déclarant être dans « l’impossibilité (…) [de] donner une réponse catégorique » à ses homologues français, le ministre d’État espagnol expliquait :
« Il n’était pas possible, en effet, de traiter à la légère une question de l’importance de celle-ci, d’approuver ou de rejeter les travaux de la commission franco-espagnole de 1901 sans se rendre un compte exact de la valeur des travaux qu’elle a réalisés.
De là l’examen et l’étude approfondie et nécessairement lente, à laquelle ont dû se consacrer les délégués espagnols depuis 3 ans et demi pour arriver à déterminer le tracé exact d’une frontière, et au surplus, sauvegarder des intérêts qui sont aussi bien ceux de la France que ceux de l’Espagne. »319
3.39. De toute évidence, l’Espagne et la France n’ont jamais approuvé les travaux de la commission de 1901, même partiellement. Toutes deux ont exprimé 315 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 735, par. 253. 316 Lettre no 124 de l’ambassadeur de France en Espagne au ministre des Affaires étrangères français, 24 juillet 1905 (CMG, vol. IV, annexe 59). 317 Lettre no 391 du ministre des Affaires étrangères français au ministre des Colonies français, 31 juillet 1905 (CMG, vol. IV, annexe 60). 318 Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre des Colonies français, 19 septembre 1905 (CMG, vol. IV, annexe 61). 319 Lettre du ministre d’État espagnol à l’ambassadeur de France en Espagne, 20 avril 1907 (CMG, vol. IV, annexe 64), p. 6. 98
des doutes quant à la valeur de ces travaux et ont formulé les plus grandes réserves quant à la frontière proposée. Le fait que les deux Puissances aient souligné les erreurs les plus manifestes et les plus importantes à l’appui de leur refus, ne veut pas dire a contrario, qu’elles ont partiellement approuvé dans la pratique les propositions de la commission de 1901 dans la région du fleuve Outemboni. Dès 1903, les autorités françaises se sont interrogées sur la frontière proposée dans cette région et souhaitaient examiner si elles pourraient obtenir de l’Espagne qu’ « au lieu de suivre la ligne de l’Outemboni, [la frontière] suiv[e] celle de la rivière Bongué jusqu’à son confluent oriental avec l’Outemboni en laissant à la France la possession des terrains intermédiaires »320. Ces demandes étaient connues de l’Espagne et les membres de la section espagnole de la commission de 1901 admettaient qu’« il ne p[ouvait] y avoir aucun inconvénient »321 à y faire droit. Ces échanges confirment que les propositions de la commission dans leur ensemble n’étaient pas agréées par les deux États. L’Espagne considérait d’ailleurs que seule une révision de l’ensemble des travaux de la commission pouvait être envisagée et indiquait que, sur cette base, elle proposerait « un tracé de frontière naturelle le plus rapproché possible du méridien 9° est de Paris et du parallèle 1° de latitude nord »322.
3.40. Eu égard à ces considérations, en raison de l’absence de toute approbation, il ne pouvait tout simplement jamais y avoir eu, en droit, de « modifications to the boundary described in Article 4 of the 1900 Convention in 320 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français, 8 avril 1903 (CMG, vol. IV, annexe 57), pp. 58-59. 321 Rapport de Vilches et Nieves à la section coloniale du ministère d’État espagnol, 2 octobre 1905 (CMG, vol. IV, annexe 62). V. aussi Lettre de la section coloniale du ministère d’État, 20 avril 1907 (MGE, vol. IV, annexe 56). 322 Lettre du ministre d’État espagnol à l’ambassadeur de France en Espagne, 20 avril 1907 (CMG, vol. IV, annexe 64), p. 143. 99
accordance with the terms of the 1900 Convention and international law »323. La soi-disant pratique subséquente de l’Espagne ne saurait y remédier : elle n’est pas un succédané à l’absence d’approbation de toute modification de la frontière conformément aux dispositions de la Convention de Paris. Elle ne peut pas non plus, à elle seule modifier la définition de la frontière fixée par la Convention de Paris.
2. Les effectivités contra legem invoquées ne sauraient établir ou confirmer en fait une modification de la Convention de Paris
3.41. Privés de tout effet juridique, les actes dont la Guinée Équatoriale entend se prévaloir ne permettent pas plus d’identifier dans les faits une quelconque modification de la Convention de Paris. Les prétendues effectivités qui, en l’absence de modification de la Convention de Paris, demeurent des effectivités contra legem, ne confirment aucunement que l’Espagne et la France ont considéré les propositions de la commission de 1901 dans la région du fleuve Outemboni comme étant acquises. Il est à ce titre remarquable de constater que les autorités espagnoles n’ont jamais invoqué les modifications proposées par la commission de 1901 pour justifier leur occupation de la boucle de l’Outemboni et les territoires se trouvant au nord de la rivière Mitombé.
3.42. En ce qui concerne par exemple les soi-disant effectivités dans le village d’Asobla qui, selon les explications de la Guinée Équatoriale, semblait être un centre colonial espagnol dynamique324, il a été indiqué sur la carte de la commission de 1901 bien au nord de la frontière, à savoir le 1er parallèle de latitude Nord (v. croquis no 3.3). En 1963, les autorités espagnoles continuaient à situer ce village au 323 RGE, vol. I, p. 144 (point III (3) des conclusions). 324 Ibid., pars. 5.20, 5.21 et 5.32. 100
Croquis no 3.3. Localisation d’Asobla (Assoubéla) selon les travaux de
la commission de 1901 (surbrillances at annotation ajoutées)
RGE, carte no MR1 (extrait)
1er parallèle de latitude Nord identifié
par la commission de 1901
101

nord de ce parallèle325 (v. croquis no 3.4). Rien ne permet de conclure que les autorités coloniales considéraient Asobla comme appartenant à l’Espagne parce qu’il se trouvait au nord du 1er parallèle de latitude Nord ou parce qu’il se trouvait au nord de la frontière proposée par la commission de 1901 (à savoir l’Outemboni). Le même constat s’impose au sujet des recensements menés par les autorités espagnoles326.
3.43. De même, les propositions faites en 1913, par le gouverneur général de la Guinée espagnole, M. Barrera, aux autorités allemandes – dont la Guinée Équatoriale fait grand cas dans sa réplique327 – ne confirment en rien l’acceptation des propositions de la commission de 1901 dans la région de l’Outemboni. Contrairement à la présentation que la Guinée Équatoriale en fait dans sa réplique328, cet accord329 ne concerne pas la délimitation de la frontière. Il ne s’agit que d’un accord sur un modus vivendi permettant aux autorités de part et d’autre de la frontière de poursuivre des fugitifs jusqu’à environ 30 kilomètres à l’intérieur du territoire de l’autre partie330. M. Barrera confirmait qu’il ne s’agissait que de ses opinions personnelles et que le modus vivendi, ou le « special status quo », devait s’appliquer « while our Governments come to an agreement and a clear and stable 325 Plan de développement économique de la Guinée Équatoriale, années 1964 à 1967 (RGE, vol. IV, annexe 25) et RGE, vol. II, croquis no R5.14. 326 RGE, vol. I, par. 5.32 et RGE, vol. II, croquis no R5.5. 327 Ibid., pars. 5.24-5.25. 328 RGE, vol. I, par. 5.24. 329 Certification du chef des archives du gouvernement général des territoires espagnols dans le golfe de Guinée, 27 décembre 1948 (RGE, vol. III, annexe 14). 330 Ibid., p. 278. 103

Croquis no 3.4. Localisation d’Asobla selon la carte des écoles au Río Muni (1963)
(surbrillances ajoutées)
Extrait
RGE, croquis no R5.14
Extrait (agrandi)
105

delimitation that merits the approval of our respective Sovereigns »331 et « without, I repeat, prejudging anything »332.
3.44. Plus intéressants encore sont les propos du gouverneur-général Barrera qui rappelait spécifiquement que les travaux de la commission « did not later merit the approval of the French and Spanish governments »333. Il n’avait visiblement même pas connaissance des propositions formulées par la commission de 1901. Loin de suivre la frontière naturelle longeant la rivière Mitombé à l’est de l’Outemboni comme cela avait été proposé par la commission de 1901, il acceptait qu’à partir du confluent entre l’Outemboni et le Mitombé (identifié par la commission comme se trouvant légèrement au nord du parallèle à 1° 0′ 14,77″ de latitude Nord) la frontière suivait le 1er parallèle de latitude Nord telle qu’indiquée sur la carte Moisel. Ce faisant, en comparaison avec les allégations faites par la Guinée Équatoriale, la frontière se trouvait placée sensiblement plus au nord, laissant des villages attribués par la proposition de la commission de 1901 à l’Espagne (comme, par exemple, Mendong (Mandung), Angouma, Ebé et Mébé), et dont la Guinée Équatoriale réclame la souveraineté, au sud de la ligne de partage et donc en territoire allemand (croquis no 3.5). Ignorant les propositions de la commission de 1901334, il soulignait que le village de Mitombé, attribué à la France 331 Rapport n° 1196 du gouvernement du Kamerun au secrétaire d’État du bureau impérial des Colonies, 6 août 1913 (RGE, vol. III, annexe 9), p. 156 (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « y en tento que por nuestros Gobiernos no se llega a acuerdo y a una delimitación clara y estable que merezca la sanción de nuestro respectivos Soberanos »). 332 Ibid., p. 162 (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « sin que ello, repito, prejuzgue nada »). 333 Ibid., p. 159. (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « que si bien no merecieron despues la sancien de los gobiernos Frances y español »). 334 Tableau des villages reconnus par la commission de délimitation de la Guinée espagnole avec les noms des chefs, des tribus et la nationalité d’après le projet de frontière, 2 janvier 1905 (MGE, vol. III, annexe 15). 107

Croquis no 3.5. La proposition de Barrera de 1913, la proposition de la commission de 1901 et la position de
la Guinée Équatoriale (lignes et annotations ajoutées sur la carte Moisel, CMG, vol. II, annexe C12)
CMG, vol. II, annexe C12 (extrait)
Ligne de partage (1° N) proposée par Barrera en 1913
Frontière selon la Guinée Équatoriale (approximative)
(v. croquis no R5.1)
Confluent entre l’Outemboni et le Mitombé
Ebé Villages accordés à l’Espagne selon les proposition
de la commission de 1901
109

par les propositions de la commission de 1901, appartenait à l’Espagne335. Dans une correspondance avec ses autorités hiérarchiques, le gouverneur-général de la Guinée espagnole confirmait par ailleurs que son objectif n’était aucunement de confirmer avec les autorités allemandes la frontière proposée par la commission de 1901, dont il ignorait tout, mais de faire valoir certains intérêts de l’Espagne par rapport aux prétentions antérieures de la France336.
3.45. En 1914, les autorités espagnoles considéraient que leurs possessions dans le golfe de Guinée, alors entièrement entourées par des possessions allemandes, restaient « without the borders being delimited except for parallels 1° and 2°10′20″ north latitude, and the meridian 9° longitude east of Paris, intangible lines not established on the ground »337. Aucune mention d’une frontière modifiée suivant les propositions de la commission de 1901 dans la région de l’Outemboni ou de celle de la rivière Mitombé n’y est faite.
3.46. Les travaux de la commission hispano-allemande et le rapport établi en 1914 ne confirment pas davantage l’existence d’un accord sur la frontière proposée par la commission de 1901338. La Guinée Équatoriale persiste à refuser 335 Certification du chef des archives du gouvernement général des territoires espagnols dans le golfe de Guinée, 27 décembre 1948 (RGE, vol. III, annexe 14), p. 17. 336 V. aussi ibid., pp. 13-14 et p. 18. 337 Lettre du ministre des Affaires étrangères espagnol à l’ambassadeur d’Espagne auprès de l’Empire allemand, 4 février 1914 (MGE, vol. IV, annexe 62), p. 223 (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « sin que las fronteras esten delimitadas nada mas, que por los paralelos 1° y el de 2° 10′ y 20″ ambos de latitud Norte, y el meridiano 9° de longitud Este de Paris, lineas immateriales no fijadas sobre el terreno »). 338 MGE, vol. V, annexe 115. 111
d’en comprendre les termes – voire le titre339. Rien dans ce document n’indique que la commission hispano-allemande reconnaissait l’appartenance de certains villages par rapport à « the reality that Spain administered those villages »340. Selon le texte du rapport, la commission a fait ses constatations et conclusions sur la seule base d’« observations astronomiques faites par les deux sections » et « par les itinéraires levés », donc nécessairement par rapport à leur coordonnées géographiques et non pas par rapport à leur position au sud ou au nord du 1er parallèle de latitude Nord341. Le gouverneur général Barrera le confirmait en 1919 en expliquant qu’« it was seen that several of them [i.e., les localités] were located north of the first parallel north and therefore, were in Spanish territory »342. La situation géographique des localités mentionnées dans le compte rendu des travaux de la commission hispano-allemande par rapport à la frontière proposée par la commission de 1901 n’a pas été prise en considération.
3.47. En 1940, les autorités coloniales espagnoles reconnaissaient à nouveau qu’elles ignoraient sur quel fondement juridique elles occupaient les territoires au sud du 1er parallèle de latitude Nord. Tout en reconnaissant que la Convention de 339 Le Gabon note que la Guinée Équatoriale continue à se référer au document annexé à son mémoire sous le numéro 115 comme un « Decree Signed by the German Empire and the Kingdom of Spain for the Delimitation Between Spanish Guinea and the Protectorate of Cameroon » (v. par exemple RGE, vol. I, pp. 107-108, notes 328 et 330). Elle ajoute d’ailleurs en note de bas de page que « [a]ll of Equatorial Guinea’s translations of annexed documents are certified by professional translators » (RGE, vol. I, note 327). Or, la traduction de ce document fournie par la Guinée équatoriale et certifiée par ses traducteurs professionnels donne comme titre un simple « Record ». V. aussi CMG, vol. I, par. 2.6. 340 RGE, vol. I, par. 5.28. 341 CMG, vol. I, par. 2.7. 342 Lettre du gouverneur général de Guinée espagnole au gouverneur d’Afrique équatoriale française, 1er mai 1919 (MGE, vol. IV, annexe 67) (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « pero comprobada en 1914, sobre el terreno por la misión hispano-alemana de delimitación, la situación geográfica de algunos de aquellos lugares, se vió, que bastantes de entre ellos esban emplazados al Norte del paralelo de un grado de latitud Norte y por lo tanto, en territorio español »). V. aussi CMG, vol. I, par. 2.7. 112
Paris laissait la boucle de l’Outemboni à la France343, l’administrateur espagnol de la région confirmait son ignorance la plus complète d’une quelconque modification intervenue sur la base et suivant les propositions de la commission de 1901 ; il s’interrogeait :
« Qui nous prouve que les réserves inscrites dans l’annexe I [dont il n’avait pas de connaissance] ne disent justement pas que la frontière idéale sera, autant que possible, remplacée quand faire se pourra, par des frontières naturelles ? »344
3.48. Les autres effectivités invoquées par la Guinée Équatoriale ont les mêmes défauts. La concession forestière Miang ne saurait confirmer les modifications de la frontière proposées par la commission de 1901345. Selon la représentation de la Guinée Équatoriale elle-même, l’étendue des terres accordées en vertu de cette concession dépasse largement vers le sud la frontière proposée par la commission. La Guinée Équatoriale n’a fourni aucune explication à ce sujet. La concession forestière « Echam », quant à elle, infirme également les prétentions équato-guinéennes. La limite sud de cette concession est décrite comme correspondant au terrain « on the border with Gabon » (« terreno de la frontera con el Gabón »)346. Pourtant, la frontière proposée par la commission de 1901 se trouvait plus au sud (v. croquis no 3.6). De même, les listes de villages établies par l’Espagne et le Gabon dans le cadre des négociations de l’accord, jamais entré en vigueur, relatif à la circulation et les échanges transfrontaliers entre l’Espagne et le Gabon – en dehors de leur valeur probante douteuse347 – ne se conforment pas non 343 Lettre no 18 du chef de la subdivision de Cocobeach au chef du département de l’Estuaire, 9 mars 1940 (CMG, vol. IV, annexe 90). 344 Ibid. 345 Concession forestière de Río Miang (District de Kogo), 28 janvier 1961 (RGE, vol. III, annexe 19). 346 Décret espagnol n° 1505/1961, 20 juillet 1961 (RGE, vol. IV, annexe 24). 347 CMG, vol. I, par. 2.56. 113

Croquis no 3.6. Les concession forestières et la proposition de frontière naturelle de la
commission de 1901 (RGE, croquis no R.57 avec annotations et proposition ajoutées)
Proposition de frontière naturelle de la commission de 1901
(selon l’interprétation qu’en donne la Guinée Équatoriale, v.
croquis no R5.3) (ajoutée)
RGE, croquis no R5.7 (extrait)
115

plus aux propositions de la commission de 1901. En effet, les autorités espagnoles ont inclus dans leur liste de villages considérés comme se trouvant dans les possessions espagnoles, des villages attribués par la commission de 1901 à la France : c’est par exemple le cas de Masilé (Masili) et de Tom (nom utilisé par les Espagnols pour Mitombé348).
3.49. Les prétentions de la Guinée Équatoriale dans la présente procédure s’éloignent également des propositions de la commission de 1901. Elle avoue s’être trompée lorsqu’elle a transposé ces propositions sur ses propres croquis349. Dans sa réplique, elle propose une version corrigée de cette représentation. Mais, selon ses propres explications, ce n’est pas la proposition de la frontière qu’elle représente sur son croquis, mais l’itinéraire emprunté par la commission350. Ce n’est évidemment pas la même chose. Indépendamment de ces imprécisions, la Guinée Équatoriale n’a pas jugé nécessaire de modifier la représentation de la frontière qu’elle pense à tort pouvoir déduire des prétendus titres qu’elle invoque. Malgré son obstination quant à l’existence d’une frontière modifiée suivant les obstacles naturels et sur la base des propositions de la commission de 1901, elle se contente de relier par une simple ligne droite, un peu floue, le fleuve Outemboni à un point sur le parallèle, jamais identifié. Cette ligne ne correspond en rien aux propositions de la commission de 1901 (croquis no 3.7). Un peu gênée, la Guinée Équatoriale en donne un début d’explication dans une note de bas de page : « [T]hat is due to further uncontested administrative actions and agreements during and after the colonial period, which gave rise to additional adjustments to the Southwest boundary »351. Cela confirme que, de l’avis de la Guinée Équatoriale elle-même, 348 Lettre no 18 du chef de la subdivision de Cocobeach au chef du département de l’Estuaire, 9 mars 1940 (CMG, vol. IV, annexe 90). 349 RGE, vol. I, par. 5.17. V. à ce sujet, CMG, vol. I, pars. 7.31-7.33. 350 Ibid., par. 5.17, note 302. 351 Ibid., p. 113, note 354. 117

Croquis no 3.7. La proposition de frontière naturelle de la commission de 1901 et
la frontière selon la Guinée Équatoriale (croquis no R5.3 avec annotations ajoutées)
Frontière selon la Guinée Équatoriale (approximative)
(v. croquis no R5.1) (ajoutée)
RGE, croquis no R5.3
119

les propositions de la commission de 1901 ne constituent pas un titre juridique sur lequel les soi-disant effectivités peuvent se fonder. Ne correspondant pas au droit, les faits invoqués par la Guinée Équatoriale et ses effectivités restent donc contra legem.
3.50. En revanche, les autorités françaises (et allemandes) ont constamment confirmé que la frontière méridionale de la Guinée espagnole était déterminée par le 1er parallèle de latitude Nord à partir de sa première intersection en aval avec l’Outemboni. La règlementation fixant les limites des circonscriptions du Gabon français, ainsi que les nombreuses correspondances échangées entre les autorités locales352 confirment qu’à aucun moment ces autorités n’ont envisagé d’approuver les propositions de la commission de 1901. Elles estimaient, bien au contraire, qu’elles continuaient à jouir d’un titre juridique sur les territoires au sud de la frontière établie par l’article 4 de la Convention de Paris. Les documents soumis par la Guinée Équatoriale confirment d’ailleurs que les autorités coloniales espagnoles avaient exactement la même compréhension. Elles savaient que les autorités françaises considéraient la région de la boucle de l’Outemboni comme 352 V. CMG, vol. I, par. 7.33. V. notamment Lettre du ministre des Affaires étrangères espagnol à l’ambassadeur d’Espagne auprès de l’Empire allemand, 4 février 1914 (MGE, vol. IV, annexe 62) ; Lettre du gouverneur général des territoires espagnols d’Afrique au gouverneur du Gabon français, 22 novembre 1917 (MGE, vol. IV, annexe 65) ; Lettre du gouverneur général de Guinée espagnole au gouverneur d’Afrique équatoriale française, 1er mai 1919 (MGE, vol. IV, annexe 67) ; Lettre n° 439 du ministre des Colonies français au gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, 3 mai 1937 (CMG, vol. IV, annexe 88); Lettre du commissaire national aux Affaires étrangères au commissaire national aux Colonies, 27 février 1943 (CMG, vol. IV, annexe 91). 121
relevant de leur autorité353 et n’avaient aucune raison de croire que la France avait renoncé au titre juridique établi par la Convention de Paris.
B. AUCUNE MODIFICATION DE LA FRONTIÈRE N’EST INTERVENUE DANS LES ENVIRONS DE LA RIVIÈRE KYÉ
3.51. La Guinée Équatoriale continue également, toujours à tort, de prétendre que la frontière dans les environs de la rivière Kyé a été modifiée. Elle affirme que « Spain and France also agreed to a modification of the boundary set out in Article 4 of the 1900 Convention, pursuant to the procedures of Annex 1 »354. Selon elle, la modification de la frontière orientale aurait été effectuée par ce qu’elle appelle le « 1919 Governors’ Agreement »355, lequel aurait remplacé le 9e méridien de longitude Est de Paris par le cours de la rivière Kyé jusqu’à sa source.
3.52. De nouveau, la Guinée Équatoriale refuse de se rendre à l’évidence : le « 1919 Governors’ Agreement » ne rentre aucunement dans la procédure de l’annexe I de la Convention de Paris permettant de proposer des changements ou des corrections à la frontière délimitée par l’article 4 de la Convention sous réserve 353 Certification du chef des archives du gouvernement général des territoires espagnols dans le golfe de Guinée, 27 décembre 1948 (RGE, vol. III, annexe 14), pp. 13-14 (« The French who have apparently located, of their own accord, some points on the southern border of the territory [sic] placed the entire river N’vmy on which banks Asobla is located south of parallel 1° N. Therefore, if this is true, the town would belong to the Germans today, and if the borders are not rectified as soon as possible, I repeat, this would lead us again to constant friction in the south of our continental possessions ». Traduction de la Guinée Équatoriale de l’espagnol « los franceses que por lo visto han situado por su cuenta algunos puntos de la frontera Sur del territorio colocan todo el rio N’vym en cuyas orillas está situado Asobla al Sur del paralelo 1° de latitud Norte, y por lo tanto de ser cierto esto resultaría que dicha localidad pertenecería a los alemanes hoy día, y al no rectificar cuanto antes las fronteras no conduciría repito a constantes rozamientos en el Sur de nuestra Posesión Continental »). 354 RGE, vol. I, par. 5.51. 355 Lettre du gouverneur général des territoires espagnols d’Afrique au gouverneur du Gabon français, 22 novembre 1917 (MGE, vol. IV, annexe 65) ; Lettre no 03 du gouverneur-général de l’Afrique équatoriale française au gouverneur-général des territoires espagnols du golfe de Guinée, 24 janvier 1919 (MGE, vol. IV, annexe 66). 122
de leur approbation par les gouvernements respectifs356. Ni le gouverneur-général de la Guinée espagnole, ni le gouverneur-général de l’Afrique équatoriale française n’ont agi dans le cadre et dans les limites imposées par l’annexe I. Les dispositions de la Convention de Paris n’ont même pas été mentionnées par les deux gouverneurs dans leurs lettres respectives.
3.53. C’est à raison que leurs auteurs n’ont pas inclus de telles références. Comme il a été démontré ci-dessus357, la Convention de Paris n’exigeait pas le remplacement des frontières délimitées par l’article 4 par des limites naturelles. Ses dispositions « invite[d]» encore moins les commissaires ou délégués à procéder de la sorte, contrairement à ce que la Guinée Équatoriale prétend358. Surtout, ni le gouverneur-général de la Guinée espagnole, ni le gouverneur-général de l’Afrique équatoriale française n’étaient des « [d]élégués locaux (…) chargés, par la suite, de délimiter tout ou partie des frontières sur le terrain »359, c’est-à-dire, de la démarcation des frontières sur les lieux360. Ce n’est d’ailleurs pas ce qu’ils ont fait. Les deux gouverneurs n’ont procédé à cet échange de lettres qu’afin de s’accorder sur une frontière provisoire considérée plus convenable en attendant une solution définitive de la question sans qu’ils ne se soient rendus sur les lieux.
3.54. Les explications fournies par le gouverneur-général de la Guinée espagnole le confirment. Plutôt que de se considérer investi par les termes de la 356 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900 (CMG, vol. III, annexe 47), annexe I. 357 V. supra, par. 3.34. 358 RGE, vol. I, par. 5.54. 359 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900 (CMG, vol. III, annexe 47), annexe I. 360 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 340, par. 49.
123
Convention de Paris à « substitute natural lines for the artificial lines established as a boundary »361 ou de faire correspondre la ligne frontière à la « reality on the ground »362, il soumettait à son homologue français les explications suivantes :
« When the current European war was declared, the Imperial Governor of Kamerun had proposed to me that the part between the Benito River and the 2°10′20″N line of latitude, the Kié River, be temporarily considered the eastern border of Spanish Guinea and the western border of the Kamerun River territories, which I could not accept at that time. Because the campaign in Kamerun had started, I did not believe it was a good time to accept the proposal since it was the opposite of neutrality, and accepting the proposal would have allowed the Germans to withdraw the forces that defended the passage of the aforementioned river. »363
3.55. Le gouverneur-général ne faisait que reprendre une proposition initialement faite par les autorités allemandes. Cette proposition, qui n’était pas acceptable pendant la guerre (les autorités espagnoles souhaitant que les Allemands continuent de défendre le passage dans la rivière Kyé), fut reprise une fois la guerre terminée. La France occupant de nouveau cette partie du Gabon, le gouverneur-général proposa que :
« dans la partie orientale du territoire espagnol, entre le parallèle de 2° 10′ 20″ de latitude Nord et l’endroit où la rivière Kyé prend sa source, nous pouvons considérer cette rivière comme frontière provisoire, tant qu’une délimitation exacte de la frontière n’est pas 361 RGE, vol. I, par. 5.54. 362 Ibid., par. 5.1. V. aussi pars. 5.19, 5.23 et 5.28. 363 Lettre du gouverneur général des territoires espagnols d’Afrique au gouverneur du Gabon français, 22 novembre 1917 (MGE, vol. IV, annexe 65). Traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol « Al declararse la actual guerra europea al Gobernador Imperial de Camerún había propuesto a este Gobierno General, el considerar provisionalmente como frontera Este de la Guinea española y Oeste de los territorios del Rio Camerun, la parte comprendida entre el Benito y el paralele de 20-10’-20’’ de latitud Norte, el rio Kie, le que no pudo aceptar en aquello momentos éste Gobierno general, debido á que empezada la luche en Camerun, no consideré oportuno aceptar la proposición por considerar la opuesto a la neutralidad ya que de aceptarla hubiera permitido á los alemanes retirar las fuerzas que pudieren defender el paso del mencionado rio ». 124
encore arrêtée, ce qui permettra d’éviter tout motif d’incident dans pratiquement toute la moitié Nord de la frontière orientale de la Guinée espagnole (…) »364.
3.56. Les autorités françaises ont également confirmé qu’il ne s’agissait ni d’une délimitation de la frontière fixée par la Convention de Paris sur le terrain, ni de déterminer une frontière définitive. Le ministre des Colonies, tout en rappelant le caractère provisoire de l’arrangement, indiquait qu’il :
« est indispensable que je puisse faire vérifier la position de cette rivière [Kyé], afin de déterminer l’étendue de l’accroissement de territoire qui serait consenti à l’Espagne au cas où, la carte Moisel étant reconnue exacte, la frontière provisoire serait adoptée comme définitive »365.
3.57. Les travaux de reconnaissance d’une frontière naturelle dans la région, effectués en 1920366 et auxquels la Guinée Équatoriale fait référence dans sa réplique367, confirment tout autant que ni les autorités françaises, ni les autorités espagnoles – y compris le gouverneur-général de la Guinée espagnole qui a participé à ces travaux – n’ont appréhendé le « 1919 Governors’ Agreement » comme une modification de la Convention de Paris. Le gouverneur-général de la Guinée espagnole et le chef de la circonscription gabonaise Woleu-N’Tem ont souligné que l’exposé de l’étude d’une frontière naturelle concernant la frontière orientale était « susceptible de servir de base aux propositions qui seront faites 364 Lettre du gouverneur général des territoires espagnols d’Afrique au gouverneur du Gabon français, 22 novembre 1917 (MGE, vol. IV, annexe 65). Notre traduction en anglais de l’original en espagnol : « in the eastern part of the Spanish territory, between the parallel of latitude 2° 10’ 20” North and the location of the source of the Kié river, we can consider this river as a provisional border, as long as an exact delimitation of the border has not yet been established, which will remove any cause for incident in almost all the northern half of the eastern border of Spanish Guinea (…) ». V. CMG, vol. I, par. 2.18. 365 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français, 24 novembre 1919 (CMG, vol. IV, annexe 72), p. 219 (italiques ajoutés). 366 Exposé succinct de l’étude d’une frontière naturelle à l’est de la Guinée espagnole, 7 octobre 1920 (RGE, vol. III, annexe 10). 367 RGE, vol. I, par. 5.57. 125
ultérieurement aux deux gouvernements pour la substitution d’une frontière naturelle au 9° de longitude Est de Paris »368. Il n’est pas contesté que ces propositions n’ont jamais été approuvées par les gouvernements respectifs369. Leur simple existence prouve cependant qu’en 1920 – une année après le « 1919 Governors’ Agreement », les autorités locales, y compris un des auteurs de l’accord de 1919, restaient convaincues que la « substitution d’une frontière naturelle au 9° de longitude Est de Paris » n’était pas actée. Elles savaient que toute modification de la frontière délimitée par la Convention de Paris exigeait bien que des propositions soient faites et qu’elles soient soumises aux autorités gouvernementales afin d’être approuvées370.
3.58. L’absence de toute modification de la frontière orientale définie par la Convention de Paris a également été confirmée par des actes réglementaires adoptés par l’Espagne et par la France. En ce qui concerne la dernière, ses autorités ont confirmé en 1936 la ligne de délimitation de la frontière terrestre de 1900, à savoir le 9e méridien de longitude Est de Paris, mentionné expressément dans la définition des limites des subdivisions de Bitam et d’Oyem371. Et, n’en déplaise à la Guinée Équatoriale372, les textes adoptés par son ancienne puissance coloniale en 1935 définissaient la limite orientale des circonscriptions frontalières par une « linea recta » (ligne droite) et non pas par rapport à la limite naturelle de la rivière Kyé 368 Exposé succinct de l’étude d’une frontière naturelle à l’est de la Guinée espagnole, 7 octobre 1920 (RGE, vol. III, annexe 10), p. 1. 369 Note de la section de coordination de l’Afrique équatoriale française relative à la délimitation de la frontière entre le Gabon et la Guinée espagnole, 15 septembre 1952 (CMG, vol. IV, annexe 92), pp. 2-3. 370 Exposé succinct de l’étude d’une frontière naturelle à l’est de la Guinée espagnole, 7 octobre 1920 (RGE, vol. III, annexe 10), p. 1. 371 Arrêté du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, 5 novembre 1936 (CMG, vol. IV, annexe 87), pp. 2-3. 372 RGE, vol. I, par. 5.64. 126
ou, plus au sud, par d’autres rivières ou limites artificielles.373 Même si cette « linea recta » ne correspondait pas exactement au 9e méridien de longitude Est374, ces textes réglementaires confirment sans ambiguïté que les limites abstraites n’avaient pas été remplacées par des lignes naturelles.
3.59. L’arrangement provisoire entre les gouverneurs de 1919 n’est donc pas, et n’a jamais été compris comme, une modification de la Convention de Paris. Il n’était que ce que leurs auteurs ont voulu qu’il soit : un arrangement provisoire permettant d’éviter des incidents en attendant une révision plus complète de la frontière délimitée par la Convention de Paris. Comme la Cour l’a expliqué, « [m]ême s’il y avait eu une ligne provisoire jugée utile pour un certain temps, cela n’en ferait pas une frontière internationale »375. De même, le tribunal arbitral constitué dans l’affaire de la délimitation maritime et terrestre entre la Slovénie et la Croatie a souligné que :
« Th[e] legal boundary is not necessarily the same as what might be called the ‘practical’ boundary. In any particular place, it may have been the habit to treat that location as part of one or other republic—for example, for the purpose of allocating postal codes or connecting to public utilities such as gas, electricity, water and sewage—on the basis of practical convenience or local traditions or preferences, and without regard to the precise location of the legal boundary. »376 373 Décret portant statut organique, 13 avril 1935 (CMG, vol. IV, annexe 85), première base. 374 Les autorités espagnoles prétendaient, en effet, depuis 1920 que ce méridien se trouvait plus à l’est qu’il n’était porté sur les cartes existantes à l’époque. V. Note de la section de coordination de l’Afrique équatoriale française relative à la délimitation de la frontière entre le Gabon et la Guinée espagnole, 15 septembre 1952 (CMG, vol. IV, annexe 92), pp. 2-3. 375 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 735, par. 253. 376 Arbitrage entre la République de Croatie et la République de Slovénie, sentence finale, 29 juin 2017, par. 337. 127
3.60. Et, comme ce même tribunal arbitral l’a rappelé, le caractère impraticable d’une frontière déterminée en droit ne permet pas qu’il lui soit substitué une frontière plus appropriée en fait377.
3.61. Les actes invoqués par la Guinée Équatoriale – même opportunément qualifiés d’« administrative acts »378 – ne peuvent pas, dans ces circonstances, altérer le caractère provisoire de l’arrangement entre les gouverneurs. À vrai dire, il ne s’agit même pas d’effectivités, à savoir d’activités accomplies à titre de souverain. Les autorités espagnoles ne pouvaient ignorer que l’administration des territoires n’était autorisée par les autorités françaises qu’à titre provisoire, sous réserve d’une régularisation complète de la frontière orientale de la Guinée espagnole.
Conclusion
3.62. Pour les raisons exposées ci-dessus, le Gabon maintient ses conclusions quant aux titres juridiques faisant droit s’agissant de la délimitation de la frontière terrestre :
a) La Convention de Bata de 1974, qui confirme et reprend, en partie, la délimitation de la frontière découlant de l’article 4 de la Convention de Paris, constitue aujourd’hui le titre juridique faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière terrestre ; 377 Arbitrage entre la République de Croatie et la République de Slovénie, sentence finale, 29 juin 2017, par. 565. 378 RGE, vol. I, par. 5.62. Il est permis de douter de certaines de ces « effectivités », comme par exemple la prétendue construction d’un pont flottant sur le Kyé dans les environs d’Ebebiyin et « on the road to French Gabon » (ibid., vol. III, annexe 13). La carte sur laquelle la Guinée Équatoriale tente d’indiquer l’emplacement de ce pont flottant (en ajoutant la rivière et le pont) ne le montre pas. Qui plus est, la route sur laquelle la Guinée Équatoriale veut placer son pont flottant se trouve bien au nord du parallèle de 2° 10′ 20″ de latitude Nord et donc au-delà de la frontière septentrionale de la Guinée espagnole. 128
b) Aucun autre titre juridique relatif à la délimitation de la frontière terrestre n’existe ni ne fait droit entre les Parties. En particulier, aucune modification de la Convention de Paris n’est intervenue avant 1974.
129

CHAPITRE IV. LE TITRE DE SOUVERAINETÉ INSULAIRE
4.1. Les Parties affichent des positions diamétralement opposées au sujet des titre juridiques « faisant droit (…) [entre elles] s’agissant (…) de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga »379.
4.2. Dans sa réplique, la Guinée Équatoriale maintient la position exprimée dans son mémoire selon laquelle :
« The legal title that has the force of law in the relations between the Gabonese Republic and the Republic of Equatorial Guinea with respect to the sovereignty over the islands of Mbanié/Mbañe, Cocotiers/Cocoteros and Conga is the succession by the Republic of Equatorial Guinea to the title held by Spain on 12 October 1968 over Mbanié/Mbañe, Cocotiers/Cocoteros and Conga, which itself was founded on 1) the general cession of rights from Portugal in the 1778 Treaty of El Pardo, 2) Spain’s 1843 Declaration of Spanish Sovereignty for Corisco Island, 3) Spain’s 1846 Record of Annexation signed with King I. Oregek of Corisco Island, 4) Spain’s 1846 Charter of Spanish Citizenship Given to the Inhabitants of Corisco, Elobey and their Dependencies, 5) Spain’s 1858 Charter Reaffirming Spanish Possession of the Island of Corisco and 6) Spain’s uncontested effective and public sovereign occupation of these islands from 1843 until Equatorial Guinea’s independence in 1968 »380.
4.3. La Guinée Équatoriale ne précise pas si ces éléments sont censés former ensemble et cumulativement son titre juridique insulaire ou bien si chacun serait apte à y pourvoir. Comme la première section de ce chapitre le démontrera, aucun des éléments invoqués par la Guinée Équatoriale, analysé séparément et successivement, ne vaut titre juridique dans les rapports avec le Gabon concernant 379 Compromis, art. 1. 380 V. RGE, vol. I, p. 145, (par. IV des conclusions); v. aussi MGE, p. 144 (par. B des conclusions). 131
les îles en litige. Par conséquent, leur somme, dont la nature n’est guère définie, n’est pas plus à même de fournir un tel titre.
4.4. Pour le Gabon, la Convention de Bata est, au sens de l’article 1 du Compromis, le titre juridique faisant droit dans ses relations avec la Guinée Équatoriale s’agissant de la souveraineté insulaire381. Cette Convention scelle l’accord entre les Parties au sujet du titre souverain sur les îles en litige, puisqu’elles « reconnaissent (…) que l’île Mbanié fait partie intégrante du territoire de la République gabonaise ». Le Gabon n’ayant jamais abandonné ce titre, d’une quelconque manière, il continue à faire droit dans les rapports avec la Guinée Équatoriale, comme la seconde section de ce chapitre le démontrera.
I. La Guinée Équatoriale n’a pas apporté la preuve de son titre sur les îles en litige
4.5. L’argumentaire déployé par la Guinée Équatoriale au sujet du titre juridique sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga souffre d’insuffisances majeures. En effet, les éléments invoqués par la Guinée Équatoriale ne sont pas de nature à valoir titre juridique (A), pas plus que ne le sont les effectivités espagnoles auxquelles les écritures de la Guinée Équatoriale se réfèrent abondamment tout en dénaturant leur signification factuelle et juridique (B). L’argument équato-guinéen de la reconnaissance par la France, puis par son successeur le Gabon, d’un prétendu titre espagnol préexistant à la Convention de Paris, n’est pas davantage tenable (C). 381 V. CMG, vol. I, p. 291 (par. a) des conclusions) ; v. aussi pars. 8.48-8.60. 132
A. LES ÉLÉMENTS INVOQUÉS PAR LA GUINÉE ÉQUATORIALE NE SONT PAS DE NATURE À CONSTITUER UN TITRE JURIDIQUE
4.6. Le contre-mémoire du Gabon avait dénoncé les imperfections dirimantes et les contradictions de la thèse équato-guinéenne au sujet des titres juridiques sur les îles. Force est de constater que dans sa réplique la Guinée Équatoriale élude de nouveau la discussion sur (l’absence de) valeur juridique des éléments qu’elle qualifie de titres ; elle se borne à affirmer la souveraineté espagnole, sans préciser cependant à quelle règle de droit international elle les rattache. On ne peut que répéter ici, en analysant chacun des éléments invoqués par la Guinée Équatoriale pour établir son titre sur les îles en litige, les raisons pour lesquelles aucun d’entre eux ne remplit les conditions d’un titre juridique valable.
4.7. Il apparaît de ses conclusions que, s’agissant de souveraineté insulaire, la Guinée Équatoriale se réclame seulement de sa « succession (…) to the title held by Spain on 12 October 1968 »382. Mais la succession ne constitue pas en elle-même un titre juridique opposable à un autre État nouvellement indépendant, lui aussi successeur, qui revendique ce même territoire au titre de la succession383. Du reste, la Guinée Équatoriale l’admet384 et s’attelle à montrer que l’Espagne était elle-même détentrice d’un titre juridique sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga.
4.8. Cela étant, aucun des éléments invoqués à cette fin n’est capable d’établir le titre de l’Espagne et donc d’étayer les revendications insulaires équato-guinéennes. Or, comme le chapitre I l’a rappelé, pour qu’un élément puisse fonder la souveraineté d’un État, i.e. valoir titre (titre-cause ou titre-fondement), il doit être 382 V. RGE, vol. I, p. 147 (par. IV des conclusions,) ; v. aussi MGE, vol. I, p. 144 (par. B des conclusions). 383 V. supra, par. 1.37 (et plus généralement, pars. 1.27-1.37) et 1.45. 384 RGE, vol. I, pars. 2.22-2.23. 133
directement à l’origine de cette souveraineté alléguée ; de même, si ledit élément est invoqué comme la preuve du titre (titre-preuve), il doit étayer, en fait, les revendications qui se fondent sur lui et se voir attribuer une telle valeur par le droit international385.
4.9. D’une manière générale, lorsque deux États successeurs avancent des revendications concurrentes sur des territoires qui, comme dans le cas présent, faisaient également l’objet d’un différend entre deux États colonisateurs prédécesseurs386, le titre d’un des deux États successeurs pourrait en théorie être fondé sur un accord entre les États prédécesseurs qui scellerait le sort des territoires disputés387. Or la Guinée Équatoriale n’invoque nullement un titre qui résulterait d’un quelconque accord entre la France et l’Espagne.
4.10. Le seul titre conventionnel invoqué, en catimini, par la Guinée Équatoriale est le Traité du Pardo de 1778. Celui-ci n’est cependant pas mis en avant comme titre conventionnel – la Guinée Équatoriale ne s’étant aperçue que tardivement que la France y était effectivement partie388 – mais en tant que fondement d’une « cession générale de droits », dont la nature et l’étendue ne sont nullement précisées : « 1) the general cession of rights from Portugal in the 1778 Treaty of El Pardo »389.
4.11. Mais le titre espagnol fondé sur une cession conventionnelle manque en fait. En effet, le Traité du Pardo prévoit la cession par le Portugal à l’Espagne des 385 V. supra, par. 1.23. 386 La Guinée Équatoriale s’était gardée de faire une quelconque mention de ce différend franco-espagnol dans son mémoire, dont elle persiste à nier l’existence dans sa réplique. En revanche, v. CMG, vol. I, pars. 8.3-8.8 et 8.40-8.47. 387 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée Équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, par. 48. 388 CMG, vol. I, par. 1.4 et note 17. 389 RGE, vol. I, par. 4.2 et p. 145 (par. IV des conclusions). 134
îles d’Annobón et de Fernando Pó et de ces deux îles uniquement390. Le Gabon, comme la France, n’a jamais contesté la souveraineté équato-guinéenne sur ces îles, dont une, Annobón, se situe pourtant en face de ses côtes continentales. Toutefois, ce traité est tout simplement inapplicable aux territoires insulaires en litige, à savoir Mbanié, Cocotiers et Conga, qui ne sont nullement visés par ses dispositions391. La Guinée Équatoriale n’ayant pas répondu aux arguments du Gabon selon lequel le Traité du Pardo ne pouvait valoir titre sur les îles en litige, il n’est pas nécessaire de s’y attarder ici plus longuement.
4.12. Les autres prétendus titres-causes espagnols invoqués par la Guinée Équatoriale sont :
« 2) Spain’s 1843 Declaration of Spanish Sovereignty for Corisco Island,
3) Spain’s 1846 Record of Annexation signed with King I. Oregek of Corisco Island,
4) Spain’s 1846 Charter of Spanish Citizenship Given to the Inhabitants of Corisco, Elobey and their Dependencies,
5) Spain’s 1858 Charter Reaffirming Spanish Possession of the Island of Corisco »392.
4.13. Avant de réfuter la valeur probante de ces documents, il convient de noter qu’aucun d’entre eux ne relève de la catégorie des accords ou traités opposables à la France, donc au Gabon, et ne sont donc pas des instruments de 390 CMG, vol. I, par. 1.4 ; Traité d’amitié, de garantie et de commerce entre l’Espagne et le Portugal (« Traité du Pardo »), 11 mars 1778 (MGE, vol. III, annexe 1), art. XIII. 391 Ibid., par. 8.10. 392 RGE, vol. I, p. 145 (par. IV des conclusions) ; v. aussi RGE, vol. I, par. 4.2. 135
nature à valoir titre juridique. Ils sont d’ailleurs classés par la Guinée Équatoriale393 dans plusieurs catégories incluant des actes unilatéraux de l’Espagne. Ceux-ci pourraient tout au plus constituer des actes de l’Espagne à titre de souverain, donc des effectivités. Or les effectivités ne sont pas en elles-mêmes constitutives d’un titre et leur invocation indépendamment de tout titre, constitue en réalité une admission implicite de l’absence d’un titre juridique394.
4.14. Le document reproduit dans l’annexe 110 du mémoire de la Guinée Équatoriale, baptisé Spain’s 1843 Declaration of Spanish Sovereignty for Corisco Island, alors que l’original ne comporte aucun intitulé, est un acte signé par Juan José de Lerena, commandant du brigantin Nervión, qui entend annexer l’île de Corisco suivant l’ancienne pratique des conquistadores, sur le fondement non pas d’un titre conventionnel tiré du Traité du Pardo, mais de la « découverte » et de l’occupation395. Cela étant, les territoires africains n’étaient plus considérés à l’époque comme des terrae nullius – à supposer qu’ils l’aient jamais été396. En lui- 393 Ces catégories sont « Historical Correspondence and Official Documents (…) » (MGE, vol. IV, comprenant Spain’s 1846 Charter of Spanish Citizenship Given to the Inhabitants of Corisco, Elobey and their Dependencies (MGE, vol. IV, annexe 47) et Spain’s 1858 Charter Reaffirming Spanish Possession of the Island of Corisco (MGE, vol. IV, annexe 48)), distinguée de « Colonial Legislation, Census and Official Reports (…) » (MGE, vol. V, incluant Spain’s 1843 Declaration of Spanish Sovereignty for Corisco Island (MGE, vol. V, annexe 110) et Record of Annexation, 18 février 1846 (MGE, vol. V, annexe 112)). 394 V. supra, pars. 1.56-1.72 ; infra, pars. 4.22-4.27, spéc. par. 4.23. 395 V. Arbitrage relatif à l’île de Palmas, Cour permanente d’arbitrage, sentence du 4 avril 1928, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. II, p. 839. V. aussi Statut juridique du Groënland oriental, C.P.J.I. série A / B n° 53, 5 avril 1933, p. 45 et 46. 396 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 39, par. 80 (« Quelles qu’aient pu être les divergences d’opinions entre les juristes, il ressort de la pratique étatique de la période considérée [fin XIXème] que les territoires habités pas des tribus ou des peuples ayant une organisation sociale et politique n’étaient pas considérés comme terra nullius. On estimait plutôt en général que la souveraineté à leur égard ne pouvait s’acquérir unilatéralement par l’occupation de la terra nullius en tant que titre originaire, mais au moyen d’accords conclus avec des chefs locaux. Il est vrai que le terme occupation était parfois employé dans un sens non technique, comme désignant simplement l’acquisition de la souveraineté ; cela ne signifiait cependant pas que l’acquisition de la souveraineté par voie d’accords conclus avec les autorités du pays était considérée comme l’occupation d’une terra nullius au sens propre de ces termes »). 136
même, ce document n’est donc pas susceptible de valoir titre juridique, puisque le droit international ne lui reconnaît aucune valeur particulière. Du reste, la France avait elle aussi « découvert » ces mêmes territoires, comme en témoigne la description qu’en a faite dès 1839 le lieutenant de vaisseau Bouët-Willaumez397, sous l’autorité duquel le comptoir du Gabon sera créé en 1843398.
4.15. Le troisième document invoqué par la Guinée Équatoriale, reproduit à l’annexe 112 de son mémoire, intitulé Record of Annexation (18 February 1846), est une déclaration par laquelle le dénommé « S. Orejeck », désigné comme étant le « King of the Island of Corisco, Elobey, and dependencies », s’engage à se soumettre à la souveraineté espagnole, « [r]ecognizing that the Island of Corisco, Elobey and its current dependencies are Spanish »399.
4.16. Pour autant que ce document relève de la catégorie des accords avec les chefs locaux indigènes au sens de la jurisprudence de la Cour400 – ce que la Guinée Équatoriale ne prétend ni ne démontre – il ne saurait fonder un titre juridique espagnol alors opposable à la France. Plusieurs raisons contribuent à lui dénier la nature d’un « titre juridique ». D’une part, comme précisé par la Cour dans l’avis consultatif portant sur le statut du Sahara occidental, « on voyait dans ces accords avec les chefs locaux, interprétés ou non comme opérant une cession effective du territoire, un mode d’acquisition dérivé et non pas des titres originaires acquis par 397 V. MGE, vol. I, par. 1.7 et L.-E. Bouët-Willaumez, Description nautique des côtes de l’Afrique Occidentale comprises entre le Sénégal et l’Équateur (commencée en 1838 et terminée en 1845), 1848 (CMG, vol. III, annexe 7). 398 V. MGE, vol. I, par. 1.9. Bouët-Willaumez était alors devenu gouverneur du Sénégal.
399 MGE, vol. V, annexe 112 (traduction de la Guinée Équatoriale de l’espagnol « Reconociendo que la Isla de Corisco, Elobey y sus actuales dependencias son españolas »). 400 V. Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, pp. 404-407, pars. 203-209, spécialement pars. 205 et 207. Pour une analyse nuancée des différents types d’accords avec les chefs locaux et leur portée juridique variable, v. M. Hébié, Souveraineté territoriale par traité. Une étude des accords entre puissances coloniales et entités politiques locales, PUF, 2015, spéc. pp. 515-551. 137
l’occupation d’une terra nullius »401. En eux-mêmes, ils ne peuvent valoir titre juridique autonome et leur portée est d’autant plus incertaine que l’étendue de l’autorité des chefs locaux en question est sujette à discussion402. En outre, ces actes ne se voyaient reconnaître une certaine portée juridique en matière territoriale que pour autant qu’il était établi qu’ils concernaient des territoires habités ou qu’ils constituaient des possessions des chefs autochtones403, ce qui n’est pas le cas des îles en litige. Enfin, et en tout état de cause, la France avait conclu elle aussi des accords avec d’autres chefs locaux – le roi et les chefs de la Grande Elobey, puis les chefs de la Petite Elobey, qui portaient sur les mêmes territoires insulaires404.
4.17. Un autre document daté, comme le précédent, du 18 février 1846 et reproduit dans l’annexe 47 du mémoire de la Guinée Équatoriale, s’intitule Letter of Spanish Citizenship Given to the Inhabitants of Corisco, Elobey and their Dependencies405. Il s’agit d’un autre acte unilatéral, par lequel l’Espagne attribue la citoyenneté espagnole aux habitants de Corisco et de ses dépendances. Il appelle les mêmes remarques que l’annexe 110 discutée ci-dessus : cet acte n’était pas de nature à constituer un titre juridique dans les relations entre l’Espagne et la France.
4.18. La même conclusion s’impose s’agissant du document reproduit dans l’annexe 48 du mémoire de la Guinée Équatoriale, Spain’s 1858 Charter Reaffirming Spanish Possession of the Island of Corisco (20 juillet 1858). Par cet 401 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 39, par. 80. 402 V. Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, par. 207. 403 Sentence arbitrale entre le Portugal et le Royaume-Uni relative au différend concernant la souveraineté sur l’île de Bulama, et sur une partie du territoire continental adjacent, 21 avril 1870, R.S.A., vol. XXVIII, p. 136. 404 CMG, vol. I, par. 1.10. 405 C’est l’intitulé de l’annexe 47. Le document lui-même s’intitule « Charter of Spanish Citizenship Given to the inhabitants of Corisco, Elobey and dependencies »/« Carta de Nacionalidad Española dada á los habitantes de Corisco, Elobey, y sus dependencias ». 138
acte, le capitaine de frégate Chacon y Michelena, « Gouverneur général des îles de Fernando Po, Annobon, Corisco et dépendances et chef de la division navale du golfe de Guinée », entend reprendre possession de l’île de Corisco, dont les Espagnols avaient été chassés par les Anglais depuis 1841, comme il le reconnaît lui-même406. Du fait de cette précision, le document jette en lui-même un doute sur l’effectivité de l’occupation espagnole des territoires concernés par les trois documents précités. Mais, ce qui est plus significatif en l’espèce, c’est que ce document n’est pas plus apte à fournir un titre juridique à la Guinée Équatoriale, puisque les mêmes considérations conduisant à écarter les autres actes unilatéraux espagnols s’appliquent à lui : il était inopposable à la France et le droit international ne lui reconnaît aucunement valeur de titre territorial407.
4.19. Enfin, le dernier titre espagnol invoqué par la Guinée Équatoriale est le suivant : « 6) Spain’s uncontested effective and public sovereign occupation of these islands from 1843 until Equatorial Guinea’s independence in 1968 »408. Comme on le verra ci-après, le fondement manque en fait – puisque la France et le Gabon ont de longue date émis des revendications concurrentes aux îles en litige, ce qui relève de la contestation409. Il importe toutefois de souligner à ce stade que l’occupation ne saurait pas, en toute hypothèse, constituer un titre juridique valable 406 Lettre du ministère d’État espagnol, 20 juillet 1958 (MGE, vol. IV, annexe 48), p. 1 (« Spaniards have been established on the island of Corisco and its dependencies for many years without any nation disputing their possession and rights. They left due to burning and looting by an English warship without the authorization of its government in 1841 ». Traduction de la Guinée Équatoriale de l’espagnol « habiendo establecido los españoles desde muchos años sin que ninguna otra Nación les haya disputado su posesión ni derecho, abandonado por ellos en vigor del incendio y saqueo efectuado por un buque de guerra inglés sin autorización de su gobierno en el año 1841 »). 407 V. supra, pars. 4.14 et 4.17. 408 V. RGE, vol. I, p. 145 (par. IV des conclusions) ; v. aussi RGE, vol. I, par. 4.2. 409 V. infra, pars. 4.41-4.42, 4.48-4.49, 4.53, 4.63-4.73. 139
s’agissant des îles en litige. En effet, celles-ci n’étaient, juridiquement, pas considérées comme terrae nullius, or :
« L’occupation étant en droit un moyen originaire d’acquérir pacifiquement la souveraineté sur un territoire, autrement que par voie de cession ou de succession, l’une des conditions essentielles d’une occupation valable était que le territoire considéré fût une terra nullius – un territoire sans maître – au moment de l’acte qui était censé constituer l’occupation »410.
4.20. Quant au prétendu « titre historique » de l’Espagne que la Guinée Équatoriale mentionne dans un passage de sa réplique411, sans le reprendre dans ses conclusions, il est dépourvu de fondement comme de portée. En effet, comme la Cour l’a souligné dans son arrêt Cameroun c. Nigéria,
« [L]a notion de consolidation historique n’a jamais été utilisée comme fondement d’un titre territorial dans d’autres affaires contentieuses, que ce soit dans sa propre jurisprudence ou dans celle d’autres organes juridictionnels. (…)
Le Nigéria soutient que la doctrine a développé la notion de consolidation historique et il se réclame de cette théorie, qui serait associée à la maxime quieta non movere.
La Cour note que la théorie de la consolidation historique a fait l’objet de nombreuses controverses et estime que cette notion ne saurait se substituer aux modes d’acquisition de titre reconnus par le droit international, qui tiennent compte de nombreux autres facteurs importants de fait et de droit. »412 410 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, par. 79, faisant référence à Statut juridique du Groënland oriental, C.P.J.I. série A / B n° 53, p. 44 et 45, p. 63 et 64. 411 RGE, vol. I, par. 1.7 (« historic legal title »). 412 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, par. 65. 140
4.21. En outre, les prétendus titres juridiques espagnols identifiés par la Guinée Équatoriale diffèrent de celui que l’Espagne avait cru identifier quand la question lui a été posée en 1972413. Celle-ci se fondait principalement sur des arguments géomorphologiques et la théorie de l’adjacence, ainsi que sur les effectivités414. Ces divergences de position entre l’État successeur et l’État prédécesseur, alors que le premier est réputé avoir hérité le titre juridique du second, montrent que le différend relatif au titre de souveraineté insulaire n’a en effet été réglé qu’avec la signature de la Convention de Bata415.
B. LES EFFECTIVITÉS INVOQUÉES PAR LA GUINÉE ÉQUATORIALE NE SAURAIENT VALOIR TITRE JURIDIQUE
4.22. La thèse équato-guinéenne tend en substance à dégager un titre juridique à partir de quelques actes de souveraineté que l’Espagne aurait accomplis à l’égard de l’île de Corisco et de ses « dépendances ». Cette thèse doit cependant être écartée pour plusieurs raisons, étant rappelé qu’il est de jurisprudence constante que les effectivités n’équivalent pas en elles-mêmes à un titre juridique416.
4.23. La jurisprudence de la Cour dans les affaires Nicaragua c. Honduras et Nicaragua c. Colombie est représentative de l’articulation entre titre et effectivités relatifs à des îles non habitées de taille réduite. Dans ces affaires, la Cour s’est, dans un premier temps, interrogée sur l’existence d’un titre juridique, pour conclure qu’il lui était impossible de l’identifier en l’espèce. Ce n’est que dans un second temps, 413 V. infra, par. 4.70 ; v. aussi CMG, vol. I, pars. 2.52-2.53. 414 Lettre du ministre des Affaires étrangères espagnol à l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale, 19 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 34). V. aussi Mémorandum espagnol sur la souveraineté sur les îles Mbanié, Conga et Cocotiers et leur administration, 16 octobre 1972 (CMG, vol. V, annexe 130). 415 V. infra, pars. 4.74 et s. 416 V. supra, pars. 1.56-1.72 ; v. aussi CMG, vol. I, pars. 5.89-5.94. 141
clairement distingué du premier, que la Cour a fait appel aux effectivités, afin de remplir pleinement son office, qui était celui de déterminer la souveraineté insulaire :
« 65. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que, dans la présente affaire, le principe de l’uti possidetis juris ne permet pas de déterminer qui détient la souveraineté sur les formations maritimes en litige entre le Nicaragua et la Colombie, car aucun élément ne vient clairement attester que les formations en question ont été attribuées aux provinces coloniales du Nicaragua ou à celles de la Colombie avant leur indépendance ou à cette date. La Cour estime en conséquence que ni le Nicaragua ni la Colombie n’ont établi qu’ils détenaient un titre sur les formations maritimes en litige en vertu de l’uti possidetis juris.
66. Ayant conclu qu’aucun titre sur les formations maritimes en litige ne pouvait être établi sur la base du traité de 1928 ou de l’uti possidetis juris, la Cour se penchera à présent sur la question de savoir si la souveraineté peut être établie sur la base des effectivités. »417
4.24. La présente affaire se distingue nettement des hypothèses précitées, car le Compromis ne demande pas à la Cour de résoudre le différend de souveraineté, mais seulement d’identifier les titres juridiques qui font droit dans les rapports entre les Parties. En effet, si une décision judiciaire peut se fonder sur les effectivités pour résoudre un différend de souveraineté insulaire, ce raisonnement ne conduit pas à confondre titre juridique et effectivités.
4.25. Il va de soi que, dans la présente affaire, la Cour ne pourrait, sans contredire une jurisprudence constante, conclure que les effectivités invoquées par la Guinée Équatoriale pourraient constituer un titre juridique. En outre, ces 417 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, pars. 65-66 (italiques ajoutés) ; v. aussi Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, pp. 710-711, par. 167. 142
effectivités ne concernent pas les îles en litige et n’ont donc aucune valeur probante dans le cas d’espèce.
4.26. Il appartient à la Guinée Équatoriale de démontrer que les îles en litige avaient été incluses parmi les « dépendances de Corisco » dans les documents dont elle se prévaut comme titre. En réalité, dans ses écritures, elle met au défi le Gabon de démontrer que les îles en litige étaient « treated separately from Corisco Island in regard to sovereignty »418. La Guinée Équatoriale souhaite visiblement renverser la charge de la preuve, ce tour de passe-passe visant clairement à dissimuler le fait que son raisonnement repose sur des petitiones principii419. Rien ne permet d’établir que les termes « Corisco Dependencies » utilisés dans certains des documents invoqués par la Guinée Équatoriale comme titres couvriraient Mbanié, Cocotiers et Conga. En effet, aucune de ces îles n’est mentionnée dans les six prétendus titres invoqués par la Guinée Équatoriale. La position de la Guinée Équatoriale repose donc sur une présomption dépourvue de tout fondement. La répétition incantatoire et en majuscule des termes « Corisco Dependencies » dans les écritures de la Guinée Équatoriale ne saurait fournir à cette présomption une base crédible.
4.27. Comme le Gabon l’a souligné dans son contre-mémoire, le terme « dépendances » utilisé dans ces documents se référait nécessairement à des territoires habités420, ce qu’aucune des îles n’était. Telle est d’ailleurs l’interprétation que l’Espagne avançait à l’époque, y compris dans ses relations avec la France, en réclamant à ce titre de vastes territoires continentaux, depuis l’embouchure du fleuve Campo au nord jusqu’au cap Santa Clara au sud pour inclure l’ensemble de la baie de Corisco421. L’interprétation contemporaine faite 418 RGE, vol. I, par. 4.22. 419 V. infra, par. 4.43. 420 CMG, vol. I, pars. 8.17-8.19. 421 Ibid., par. 1.18, c). V. aussi CMG, vol. I, pars. 8.24-8.26. 143
par l’Espagne du terme de « dépendances » tel qu’utilisé dans ses propres actes diffère donc de celle que la Guinée Équatoriale propose dans cette procédure. C’est probablement parce qu’elle n’a eu aucun argument à opposer à cette démonstration que la Guinée Équatoriale a choisi de l’ignorer dans sa réplique.
4.28. En conclusion, les six prétendus titres invoqués par la Guinée Équatoriale pour étayer sa thèse relative aux territoires insulaires n’ont pas, par nature, la force d’un titre juridique, ni du reste une quelconque valeur probante s’agissant des îles en litige, puisqu’ils ne se rapportent nullement à Mbanié, Cocotiers et Conga.
C. L’INTROUVABLE RECONNAISSANCE D’UN PRÉTENDU TITRE JURIDIQUE ESPAGNOL SUR LES ÎLES EN LITIGE
4.29. Tout comme le Gabon, la Guinée Équatoriale ne considère pas la Convention de Paris entre la France et l’Espagne comme un titre juridique faisant droit s’agissant de la souveraineté insulaire. Cela étant, la Guinée Équatoriale y voit à tort la preuve de la reconnaissance par la France d’un titre espagnol préexistant sur les îles en litige (1). Du reste, rien dans le comportement ultérieur de la France ou du Gabon ne témoigne d’une telle reconnaissance (2).
1. La Convention de Paris ne constitue pas, par création ou par confirmation, un titre juridique sur les îles en litige
4.30. La Convention de Paris de 1900 ne figure pas parmi les instruments énumérés dans les écritures de la Guinée Équatoriale comme les titres-fondements dont elle se prévaut s’agissant des îles en litige422. Tout au plus lui attribue-t-elle 422 V. supra, par. 4.2 (pour la discussion de ces titres-fondements v. pars. 4.6-4.21). 144
une valeur confirmative, donc celle d’un élément de preuve subsidiaire, de la reconnaissance par la France de la souveraineté espagnole sur les îles disputées, puisqu’elle affirme que :
« The 1900 Convention Is Premissed Upon a Recognition of Spain’s Existing Legal Title to the Islands of Corisco Bay »423.
« The 1900 Convention neither created nor transferred any legal title to the islands of the Corisco Bay »424.
4.31. Outre qu’il s’agit là d’une interprétation erronée de la Convention de Paris s’agissant des îles425, aucun des six éléments invoqués par la Guinée Équatoriale comme des fondements de son prétendu titre juridique, et examinés ci-dessus, n’est pourtant susceptible de se voir attribuer cette qualification de titre (espagnol) préexistant426. Dès lors, la Convention de Paris ne pouvait confirmer un titre qui ne s’était pas formé en droit.
4.32. Du reste, comme le Gabon l’a souligné dans son contre-mémoire, les négociations entre la France et l’Espagne, qui portaient à la fois sur les îles de la baie de Corisco situées à l’embouchure de la Mondah, mais aussi sur la côte continentale du golfe de Guinée, ont achoppé sur la question du titre juridique.
4.33. La commission mixte franco-espagnole s’est réunie de mars 1886 à juin 1891 « en vue de la délimitation des Possessions Françaises et Espagnoles dans l’Afrique Occidentale au nord du Sénégal et du Gabon »427. Or cette commission 423 RGE, vol. I, p. 75 (titre de la section B du chapitre 4). V. aussi MGE, vol. I, par. 3.19. 424 Ibid., par. 4.19. Note de bas de page omise. 425 Pour la juste interprétation de la Convention de Paris au regard des territoires insulaires v. infra, pars. 4.35-4.43. 426 V. supra, pars. 4.6-4.21. 427 Protocole n° 1 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon, 22 mars 1886 (DG, vol. II, annexe 2). V. aussi CMG, vol. I, pars. 1.15-1.20. 145
mixte a achevé ses travaux par un aveu d’échec, dû à l’impossibilité pour les deux États d’identifier ou départager les titres juridiques servant de fondement à leurs revendications respectives428. Ainsi que la commission l’exprimait :
« [l]’étude des droits que chaque nation croit avoir sur les pays en litige a été faite consciencieusement de part et d’autre, mais n’a point eu pour résultat de déterminer l’étendue des droits respectifs de l’Espagne et de la France sur ces contrées. Toutefois, le gouvernement espagnol, et sans doute aussi le gouvernement français étant disposés à une transaction, il y a lieu d’examiner sur quelles bases elle pourra se faire »429.
4.34. Certains des éléments qu’invoque aujourd’hui la Guinée Équatoriale comme titres relatifs aux territoires insulaires avaient été mis en avant par l’Espagne à l’occasion de ces travaux430, mais sans succès. L’échec dans la recherche des titres juridiques a conduit les deux puissances coloniales à fonder les pourparlers ultérieurs sur la volonté d’aboutir à un accord de nature transactionnelle431.
4.35. C’est ainsi à tort que la Guinée Équatoriale demande à la Cour de céans de consacrer comme titres juridiques les documents que les deux puissances coloniales n’ont pas considérés comme tels à l’époque. Celles-ci ont renoncé à invoquer leurs éventuels titres passés pour se contenter de transiger sur la souveraineté sur les territoires du golfe de Guinée concernés, que la Convention de 1900 partage, attribue sans équivoque à l’une et à l’autre de ses parties432. 428 CMG, vol. I, par. 8.33. 429 Protocole n° 31 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon, 17 octobre 1887 (DG, vol. II, annexe 3), p. 2. V. aussi Protocole n° 32 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon, 31 octobre 1887 (CMG, vol. III, annexe 32), p. 1 ; CMG, vol. I, par. 1.19. 430 CMG, vol. I, par. 8.24. 431 Ibid., pars. 1.19-1.23 et 8.33-8.34. 432 Ibid.
146
4.36. Contrairement à la thèse équato-guinéenne suivant laquelle elle n’aurait fait que confirmer un titre espagnol préexistant433, la Convention de 1900 a bien créé, dans les rapports entre la France et l’Espagne, un titre de souveraineté sur le territoire terrestre et sur les îles Corisco et Elobey. En effet, telle a été la vision qu’en ont eu les parties après sa signature434. De plus, en tant qu’États successeurs, la Guinée Équatoriale et le Gabon s’y sont constamment référés comme au seul instrument juridique potentiellement pertinent pour déterminer l’étendue de leurs territoires, avant que la Convention de Bata – qui mentionne d’ailleurs la Convention de Paris – vienne solder les questions laissées en suspens à Paris435.
4.37. Cela étant, la Convention de Paris n’attribue pas à la Guinée Équatoriale la souveraineté sur les îles en litige. La Guinée Équatoriale ne saurait, par extrapolation – ou « extension » comme elle l’écrit436 – appliquer la Convention de 433 RGE, vol. I, par. 4.19. 434 CMG, vol. I, par. 1.21. V. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français, 26 janvier 1900 (CMG, vol. III, annexe 40), p. 3 ; Lettre n° 18 de l’ambassadeur de France en Espagne au ministre des Affaires étrangères français, 8 février 1900, résumant une note jointe du 6 février 1900 du ministre d’État espagnol (CMG, vol. III, annexe 41), p. 3, ainsi que la Note du ministre d’État espagnol à l’ambassadeur de France en Espagne, 6 février 1900 jointe à la lettre n° 18 de l’ambassadeur de France en Espagne au ministre des Affaires étrangères français, 8 février 1900 (CMG, vol. III, annexe 41), p. 2. 435 V. par exemple Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199), p. 1 ter (les parties « déclarent adopter [la Convention de Paris] comme document de base pour la délimitation des frontières maritimes ») et p. 4, par. 5-2 (la Guinée Équatoriale indique que sa souveraineté insulaire « date de l’année 1900, d’après la Convention de Paris du 27 juin 1900 ») ; Lettre du président de la Guinée Équatoriale au président du Gabon, 20 juillet 1972 (CMG, vol. V, annexe 119) (« Je suis (…) heureux de constater que Votre Excellence reconnaît la souveraineté de la de la République de Guinée Équatoriale sur les îles Elobey et Corisco, comme le stipule la Convention du 27 juin 1900 »), et la réponse du président du Gabon dans la Lettre du président du Gabon au président de la Guinée Équatoriale, 30 août 1972 (CMG, vol. V, annexe 120), p. 1 (« je constate avec satisfaction que vous vous référez essentiellement à la Convention du 27 Juin 1900 (…) Au demeurant, cette Convention a toujours été et reste pour nous le texte de base qui détermine de manière non équivoque les frontières terrestres entre nos deux Pays »). 436 RGE, vol. I, par. 4.19. 147
1900 aux îles en litige, au motif qu’elles seraient des « dépendances » de Corisco437. Non seulement Mbanié, Cocotiers et Conga ne sont pas mentionnées dans la Convention – ce qu’admet la Guinée Équatoriale438 –, mais en outre le terme même de « dépendances », quel qu’en soit le sens, en est absent.
4.38. La Cour s’est toujours refusée à fonder un titre de souveraineté sur l’interprétation par « extension » d’un terme conventionnel (qui du reste est absent dans le cas d’espèce). Ainsi, dans l’affaire Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), elle s’est abstenue d’interpréter par extrapolation un traité et les ordonnances de l’époque coloniale à la base de l’uti possidetis juris, de manière à l’étendre à des îles en litige alors qu’ils n’y faisaient pas explicitement référence :
« 53. [L]’article premier du traité de 1928 mentionne effectivement ‘les autres îles, îlots et récifs qui font partie de l’archipel de San Andrés’. Cette disposition pourrait être interprétée comme englobant au moins les formations maritimes les plus proches des îles nommément désignées dans cet article. (…). Quoi qu’il en soit, de l’avis de la Cour, la question de la composition de l’archipel ne peut être tranchée en se fondant uniquement sur la situation géographique des formations maritimes en litige ou sur les documents historiques invoqués à cet égard par les Parties, faute d’indications suffisamment claires. (…)
55. La Cour relève en outre que les sources historiques invoquées par les Parties à l’appui de leurs positions respectives n’établissent pas de manière concluante la composition de l’archipel de San Andrés. En particulier, les documents historiques ne désignent pas nommément les formations qui étaient considérées comme en faisant partie. (…)
64. La Cour fait observer, à propos des revendications de souveraineté formulées par les deux Parties sur la base de l’uti possidetis juris à la date de leur indépendance vis-à-vis de l’Espagne, qu’aucune des 437 V. CMG, vol. I, pars. 8.37-8.39. 438 RGE, vol. I, par. 4.19. 148
ordonnances datant de l’époque coloniale citées par l’une ou par l’autre ne fait spécifiquement référence aux formations maritimes en litige. »439
4.39. La Guinée Équatoriale revient dans sa réplique sur le fondement de la prétendue reconnaissance par la France du fait que les îles en litige seraient des « dépendances » de Corisco, reconnaissance qui prédaterait la Convention de Paris et qui se refléterait implicitement dans ses dispositions440. Cette affirmation repose sur une mention issue des procès-verbaux de la commission mixte franco-espagnole selon laquelle les îlots Laval et Mbanié (ou Baynia) étaient des « dépendances géographiques » ou des « dépendances naturelles » de Corisco441.
4.40. On ne saurait, sans dénaturer l’esprit et la lettre de ces échanges, y voir une forme de reconnaissance par la France de la souveraineté espagnole sur les îles en litige. Comme le Gabon l’a déjà souligné dans son contre-mémoire, le commissaire français répondait à la thèse espagnole selon laquelle le concept de « dépendances » devait englober des portions considérables du territoire continental. Il rapprochait la notion même de celle d’adjacence442, sans accepter pour autant que les documents invoqués par l’Espagne, à savoir la déclaration de souveraineté du 16 mars 1843, l’« Acta de anexion » et la « Carta de Nacionalidad Española dada á los habitantes de Corisco, Elobey, y sus dependencias » du 18 février 1846, et la « lettre réaffirmant la possession espagnole de l’île de Corisco » 439 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, pars. 53, 55, et 64 (italiques ajoutés). 440 RGE, vol. I, pars. 4.5 et 4.19. 441 Ibid., par. 4.11, citant respectivement les Protocoles n° 17 et n° 30 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon des 24 décembre 1886 et 16 septembre 1887 (MGE, vol. III, annexes 11 et 3). 442 CMG, vol. I, pars. 8.20-8.22. 149
du 20 juillet 1858, valaient un titre juridique opposable à la France443. La Guinée Équatoriale ne saurait dès lors conclure que la France « recognized [the Corisco island and its dependencies] as belonging to Spain long before the Convention was signed »444, alors que précisément les travaux de la commission mixte sur lesquels elle s’appuie se sont soldés par un échec, parce que son mandat constituait justement à identifier les titres juridiques respectifs de la France et de l’Espagne sur les territoires en litige445. La Guinée Équatoriale ne peut aujourd’hui opposer au Gabon, au motif d’une prétendue reconnaissance, une position de négociation avancée par la France en opposition à celle de l’Espagne, qui ne s’est nullement cristallisée en un accord entre les deux États446.
4.41. Du reste, après la clôture des travaux de cette commission, les deux parties ont continué à avancer des revendications concurrentes sur les territoires insulaires actuellement en litige. Ce n’est qu’en dénaturant ou en ignorant les documents qui contredisent sa thèse447 que la Guinée Équatoriale s’autorise à nier que la France avait émis des prétentions à l’égard de ces îles avant même la signature de la Convention de Paris448. Ces revendications concurrentes reflètent à 443 Annexe au protocole n° 30 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon du 16 septembre 1887 (MGE, vol. III, annexe 3), pp. 12-13 de l’annexe – passage dans lequel la délégation française démontre longuement pourquoi « il ressort avec évidence qu’on [la délégation espagnole] a cherché à donner au texte des actes de 1843, 1846 et 1858 une extension qu’ils ne peuvent comporter » (ibidem, p. 12). La Guinée Équatoriale a en réalité produit dans l’annexe 3 à son mémoire, sous l’intitulé « Protocole n° 30 », de très courts extraits choisis (quelques pages dans le désordre) de ce bref protocole (3 pages dans l’original) et de sa longue annexe (39 pages dans l’original) soumise par la délégation française. 444 RGE, vol. I, par. 4.21. 445 CMG, vol. I, par. 8.31. 446 Ibid., pars. 8.28-8.29. 447 RGE, vol. I, pars. 4.9-4.10 et 4.14-4.15. 448 V. CMG, vol. I, par. 8.8 et Lettre n° 367 du gouverneur général de Fernando Póo au ministre des possessions espagnoles d’outre-mer, 21 novembre 1895 (MGE, vol. IV, annexe 49) et Lettre n° 368 du gouverneur général de Fernando Póo au commissaire général du Congo français, 22 novembre 1895 (MGE, vol. IV, annexe 50). 150
la fois l’échec des négociations et l’absence de reconnaissance par la France du lien entre Corisco et les îles en litige, au titre des « dépendances ».
4.42. C’est dans ce contexte qu’est intervenue la Convention de Paris. Mais alors qu’elle solde le différend de souveraineté relatif aux îles Elobey et à l’île de Corisco449, la Convention reste silencieuse au sujet de Mbanié, Cocotiers et Conga. Les trois îles, bien que connues de longue date450, n’apparaissent ni dans le texte ni sur la carte de l’annexe III de la Convention de Paris. Cette exclusion ne pouvait être fortuite, compte tenu du fait qu’elles avaient fait l’objet de discussions au sein de la commission mixte et que les deux États avaient émis des prétentions divergentes au sujet de Mbanié, réitérées la veille des négociations451.
4.43. Dès lors, la thèse de la Guinée Équatoriale selon laquelle « the lack of depiction of the Corisco Dependencies confirmed that the Parties to the 1900 Convention did not consider those islands to be separated from Corisco »452 manque de crédibilité. Ce n’est qu’une illustration de la pétition de principe équato-guinéenne qui repose sur une série de présomptions nullement étayées :
a) la présomption selon laquelle l’Espagne détenait un titre de souveraineté sur Corisco, opposable à la France, qui prédaterait la Convention de 1900, quod non453 ; 449 CMG, vol. I, pars. 8.35-8.36. La Guinée Équatoriale soutient que la France et l’Espagne n’avaient pas de différend à leur sujet. Cette affirmation est pour le moins surprenante, puisque les négociations ont porté également sur ces îles (v. CMG, vol. I par. 8.34 et note 729) et qu’elles ont fait l’objet de discussions ardues au sein de la commission mixte franco-espagnole (v. CMG, vol. I, par. 1.18 b) et notes 54 et 56). 450 CMG, vol. I, par. 1.7. 451 Ibid., pars. 1.18 c) et 1.20. 452 RGE, vol. I, par. 4.23. 453 V. supra, pars. 4.33-4.36. 151
b) la présomption selon laquelle les îles en litige étaient juridiquement des « dépendances » de Corisco, quod non454 ;
c) la présomption selon laquelle ce rapport de « dépendance » avait été reconnu comme tel par la France, quod non455 ;
d) et la présomption selon laquelle la seule mention de l’île de Corisco dans la Convention de 1900 devait forcément couvrir les trois îles en litige, qui est contredite par le texte même, lu à l’aune du contexte des revendications concurrentes sur Mbanié.
2. L’absence de reconnaissance ultérieure par la France ou par le Gabon d’un quelconque titre juridique espagnol sur les îles en litige
4.44. La Guinée Équatoriale se réfère ensuite à une prétendue reconnaissance par la France du titre juridique espagnol, qui serait intervenue ultérieurement à 1900456. Avant d’examiner les documents qu’elle produit à cette fin, il convient de faire quelques observations liminaires.
4.45. À ce stade, la Guinée Équatoriale n’a ni démontré l’existence, ni identifié la nature de ce prétendu titre juridique. Dès lors, il est difficile d’envisager qu’il ait pu être reconnu, puisque la reconnaissance ne peut porter que sur une prétention clairement identifiée457. Du reste, seule la reconnaissance par la France ou le Gabon, visés par l’incertaine prétention espagnole, pourrait avoir une certaine 454 V. supra, pars. 4.37-4.38. 455 V. supra, pars. 4.39-4.41. 456 RGE, vol. I, pars. 4.26 et s. 457 Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 138, auquel renvoie Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, par. 51.
152
pertinence : l’attitude d’autres États n’a aucune signification pour la question du titre juridique. Pour cette raison, les documents internes d’États tiers, tels ceux émanant du Royaume-Uni à l’occasion du naufrage du Pierre Loti 458, ne peuvent par nature pas servir de preuve à une prétendue reconnaissance par la France ou le Gabon de la souveraineté espagnole. Les documents en cause sont d’ailleurs imprécis, puisqu’ils évoquent des « waters adjacent to a Spanish colony »459 sans la nommer.
4.46. En tout état de cause, la Guinée Équatoriale ne considère pas la reconnaissance comme étant constitutive d’un titre juridique autonome ; elle lui attribue tout au plus une valeur confirmative d’un titre préexistant, comme elle l’avait fait pour la Convention de 1900. Mais la Guinée Équatoriale élude, d’une manière générale, le débat sur les conditions dans lesquelles la reconnaissance ou l’acquiescement pourrait contribuer à parfaire un titre imparfait ou lacunaire. Dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar, l’acquiescement de la Thaïlande à l’exercice par la France de sa souveraineté sur le temple et ses environs est venu parfaire un titre conventionnel imparfait que le Cambodge tirait d’une convention conclue en 1904 entre le Siam et la France, auquel le Cambodge avait succédé. La Cour a examiné le comportement des deux États comme élément d’interprétation de l’article 1er de cette Convention, qui fixait la frontière460. Elle a considéré la carte dont se prévalait le Cambodge à titre de preuve de sa souveraineté sur le temple comme faisant partie du « règlement conventionnel »461. Pour affermir son interprétation du « règlement conventionnel », et en particulier de l’élément de 458 V. MGE, vol. I, pars. 3.24-3.25 ; RGE, vol. I, par. 4.27. 459 Rapport sur Libreville et Port Gentil du ministère anglais du transport de guerre, 22 juin 1943, (MGE, vol. IV, annexe 80). 460 Affaire du temple de Préah Vihear (Cambodge c. Thaïlande), Fond, Arrêt du 15 juin 1962 : C.I.J. Recueil 1962, pp. 16-17. 461 Affaire du temple de Préah Vihear (Cambodge c. Thaïlande), Fond, Arrêt du 15 juin 1962 : C.I.J. Recueil 1962, p. 33. 153
preuve cartographique mis en avant par le Cambodge, la Cour s’est également appuyée sur le comportement des parties, qui est venu confirmer la reconnaissance par la Thaïlande du titre conventionnel imparfait sur lequel s’appuyait le Cambodge462.
4.47. Dans le cas d’espèce, et contrairement à l’affaire du Temple de Préah Vihéar, la Guinée Équatoriale n’invoque nullement un titre conventionnel applicable aux territoires insulaires en litige. Comme démontré ci-dessus463, les six éléments dont elle se prévaut, qui ne sont pas de nature conventionnelle, ne valent pas, ni individuellement ni collectivement, titre(s) juridique(s) et ne sont pas opposables au Gabon. Dès lors, quel que soit le sens du comportement de la France, celui-ci ne saurait avoir la portée juridique que la Guinée Équatoriale lui attribue, puisqu’il ne peut pas parfaire un titre inexistant.
4.48. C’est dans ce contexte qu’il faut situer les échanges entre la France et l’Espagne au sujet de la balise installée par la France sur Cocotiers. En février 1955, la France a commencé à construire une balise sur l’îlot Cocotiers464, sans requérir une quelconque autorisation préalable de l’Espagne. L’affirmation de la Guinée Équatoriale suivant laquelle « France began work on the beacon in 1955 believing it had received Spanish authorization in 1954 for such work, but Spain had only authorized temporary installations, not permanent ones » est entièrement fausse465. Aucun des documents produits par la Guinée Équatoriale ne démontre que préalablement à février 1955 une autorisation espagnole aurait été demandée par la 462 Affaire du temple de Préah Vihear (Cambodge c. Thaïlande), Fond, Arrêt du 15 juin 1962 : C.I.J. Recueil 1962, pp. 30-31. 463 V. supra, pars. 4.6-4.21. 464 Les travaux de construction de la balise ont été menés par l’équipe du Beautemps-Beaupré, qui avait l’année précédente procédé à la reconnaissance de la baie de Corisco aux fins d’y installer des balises et sondes (Croquis français « Reconnaissance de la baie de Corisco », novembre 1954 (DG, vol. II, annexe 4)). 465 RGE, vol. I, par. 4.29. 154
France (et accordée par l’Espagne) pour la construction de balises sur Cocotiers (ou Mbanié, ou Conga). La seule autorisation espagnole sur demande française date de février 1954 et concerne la « intended visit of the French hydrographic boat BEAUTEMPS-BEAUPRE to Corisco Bay in the years 1954, 55 and 56 »466. Quant à la lettre du 22 mars 1955 – donc postérieure au début de la construction de la balise par la France – du gouverneur général des territoires espagnols du golfe de Guinée au haut-commissaire de la République (française) en Afrique équatoriale française, elle ne fait aucune référence à une quelconque autorisation préalable de construire. Elle renvoie simplement aux discussions ayant eu lieu entre les commandants du Beautemps-Beaupré et du navire espagnol Canovas del Castillo dont il était résulté que « all the necessary facilities would be provided for the construction – on territory under Spanish sovereignty – of as many signals as necessary to carry out the hydrographic work, as long as they are of temporary nature »467.
4.49. Ces circonstances témoignent de ce que la France se jugeait elle-même souveraine sur cet îlot, à rebours de l’allégation équato-guinéenne d’une « reconnaissance » de la souveraineté espagnole sur celui-ci468. Du reste, le haut-commissaire de la République en Afrique équatoriale française interprétait la protestation espagnole quant à cette construction, illustrée par un débarquement de troupes sur l’îlot le 28 février 1955, comme étrangère à une affirmation de 466 Lettre n° 87 du ministre espagnol des Affaires étrangères au département du Maroc et des Colonies, 24 février 1954 (traduction de la Guinée Équatoriale de l’espagnol « proyectada visita del barco hidrográfico francés BEAUTEMPS-BEAUPRE a la Bahía de Corisco en los años 1954, 55 y 56 » MGE, vol. IV, annexe 81). 467 Lettre du gouverneur général des territoires espagnols du golfe de Guinée au haut-commissaire pour l’Afrique équatoriale française, 22 mars 1955 (traduction de la Guinée Équatoriale de l’espagnol « cuantas facilidades fueran precisas para el levantamiento en territorio de Soberanía española, de cuantas señales fueran necesarias para llevar a cabo los trabajos hidrográficos, siempre que tuviesen un carácter eventual », MGE, vol. IV, annexe 93). 468 RGE, vol. I, par. 4.29. 155
souveraineté : « ce n’est pas que les autorités espagnoles revendiquent à proprement parler la possession de l’îlot du Cocotier. Elles manifestent simplement leur étonnement de ne pas avoir été consultées préalablement [conformément à l’article 5 de la Convention de 1900 relatifs à la navigation et au balisage dans la zone] ». Il concluait :
« Il est permis de penser que ce léger incident sera réglé localement. Néanmoins, dans le cas où les autorités espagnoles nous contesteraient la possession de l’îlot du Cocotier, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me faire savoir s’il existe dans les archives du Département ou dans celles du Quai d’Orsay des documents établissant les droits respectifs de la France et de l’Espagne sur les îlots de la baie de Corisco »469.
4.50. Et de fait, ce « léger incident » a été réglé localement (i.e., sans engagement des autorités centrales et donc des représentants autorisés des États français et espagnols) : le même jour, sans attendre le retour de son ministre de tutelle, le haut-commissaire de la République en Afrique équatoriale française a demandé à son homologue espagnol son accord pour achever la construction de la balise et pour prévenir tout incident ultérieur a annoncé que « [q]uelle que soit la portée juridique de l’article 5 de la Convention du 27 juin 1900, que je demande à Paris de me préciser, je tiendrai désormais à vous informer des travaux de balisage à exécuter dans la baie de Corisco »470. L’incident a été définitivement clos par une réunion du 15 septembre 1955 entre les commandants du Beautemps-Beaupré (français) et du Canovas del Castillo (espagnol), qui devait prévoir le paiement du 469 Lettre n° 956 AP 3 du gouverneur général de la France outre-mer, haut-commissaire de la République en Afrique équatoriale française, 14 mars 1955 (DG, vol. II, annexe 5). 470 Lettre n° 955 AP 3 du gouverneur général de la France outre-mer, haut-commissaire de la République en Afrique équatoriale française, au gouverneur général des établissements espagnols du golfe de Guinée, 14 avril 1955 (DG, vol. II, annexe 6). Le ministre des Affaires étrangères français a recommandé à sa suite que l’incident soit réglé localement (Lettre n° 438/AL du ministre des Affaires étrangères au ministre de la France d’Outre-mer, 6 mai 1955 (MGE, vol. IV, annexe 94)). 156
remboursement des frais de construction de la balise de Corisco là encore au niveau local – comme le souligne la réplique –, i.e. par les autorités de Puerto Iradier (Guinée espagnole) entre les mains de celles de Cocobeach (Gabon)471.
4.51. Nulle part dans ces échanges franco-espagnols – à supposer qu’il faille en tenir juridiquement compte malgré leur portée seulement locale, quod non472 – n’est exprimée une quelconque reconnaissance de souveraineté espagnole sur Cocotiers (ou Mbanié ou Conga). La seule reconnaissance par le commandant du Beautemps Beaupré, dans ce dernier document décrivant l’ordre du jour de la réunion du 15 septembre 1955, concernait la propriété (espagnole) de la balise de Cocotiers473.
4.52. La Guinée Équatoriale fait preuve de la même légèreté dans le traitement des faits et des documents lorsqu’elle affirme que le Gabon a lui aussi reconnu la souveraineté espagnole sur les îles en litige474.
4.53. C’est ainsi qu’elle tire argument d’un croquis illustrant une concession accordée à une compagnie pétrolière espagnole en 1962, sur lequel les îles en litige sont marquées comme espagnoles475, au prétexte que le Gabon aurait manqué de protester. Or, d’une part, il apparaît que l’Espagne n’a pas notifié ces concessions 471 RGE, vol. I, par. 4.32 ; Note n° 207 de la marine nationale espagnole d’Afrique centrale, 6 septembre 1955 (RGE, vol. III, annexe 18). 472 La Guinée Équatoriale n’ose d’ailleurs pas prétendre que le haut-commissaire de la République en Afrique équatoriale française aurait eu compétence pour engager internationalement la France en matière de souveraineté sur les territoires dont il était chargé de l’administration. 473 Note n° 207 de la marine nationale espagnole d’Afrique centrale, 6 septembre 1955 (RGE, vol. III, annexe 18) (« [t]he French side has acknowledged in the correspondence regarding the COCOTEROS islet buoy that this buoy was Spanish property », traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol « en la correspondencia cruzada sobre la baliza del islote COCOTEROS, se ha reconocido por parte francesa que esta baliza era propiedad española »). 474 RGE, vol. I, pars. 4.36-4.39 et 4.46-4.47. 475 MGE, vol. II, croquis 3.5, mentionné dans RGE, par. 4.36. 157
ou cette carte – qui n’a d’ailleurs aucune valeur probante476 – au Gabon, notification pourtant nécessaire pour déclencher un devoir de protestation477 ; d’autre part, à l’époque, le Gabon a commencé à délivrer ses propres concessions pétrolières, dont, contrairement à ce que soutient la Guinée Équatoriale478, rien ne permet de dire qu’elles étaient basées sur le postulat que les îles en litige appartenaient à l’Espagne479.
4.54. Les deux croquis mis en avant par la Guinée Équatoriale, illustrant prétendument le fait que « Gabon’s Libreville Marin Permit Northern Limit is a Median Line Using Corisco Dependencies as Spanish Basepoints »480, ne sauraient tromper la Cour : ils n’émanent pas des autorités gabonaises, mais de la compagnie Shell qui a dessiné elle-même ces limites à une époque où elle cherchait à développer ses activités de prospection dans la région481. Du reste, les croquis de 476 La Guinée Équatoriale indique que ce croquis serait basé sur MGE, vol. VI, annexe 163 (RGE, vol. I, par. 4.36), or ladite annexe est une circulaire du 19 septembre 1972 à laquelle n’est jointe aucune carte et qui n’a pas aucun rapport avec des concessions pétrolières. Il s’agit en réalité, contrairement à la manière officielle dont la Guinée Équatoriale le présente (comme une carte de la concession pétrolière accordée par l’Espagne à la Spanish Gulf Oil Company et la Compañía Española de Petróleos), d’une carte préparée par la Spanish Gulf Oil Company elle-même et intitulée « Mapa Mostrando la zona de interes proxima à la frontera entre Guinea Espanola y Gabon », c’est-à-dire sans aucune référence à une quelconque concession pétrolière espagnole (MGE, vol. II, croquis 3.23). 477 Il est de jurisprudence constante que, pour être considéré comme appelant une réaction des autres États, un acte étatique doit être, notamment, notoire (Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, par. 51, renvoyant à Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 138-139). 478 RGE, vol. I, pars. 4.36 et 4.39. 479 CMG, vol. I, pars. 2.38-2.39. 480 MGE, vol. II, croquis 3.21. 481 Ibid., croquis 3.21 (« Map of Permit Areas and Oil fields of Gabon and Congo », dont l’auteur est la compagnie Shell et sur laquelle le bloc pétrolier « Libreville », pour l’attribution duquel celle-ci candidatait à l’époque, apparaît en cours d’instruction (le bloc Libreville est annoté ainsi : « Application made 7th September 1964 ») et MGE, vol. II, croquis 3.23 (idem en 1967, Shell se présentant cette fois sur sa carte comme l’attributaire du bloc pétrolier « Libreville »). 158
Shell n’illustrent pas les îles en litige et n’ont pas pour objet de dessiner la frontière maritime, qu’ils n’indiquent pas.
4.55. Par contraste, le décret n° 391 du 2 août 1967 adopté ultérieurement par le gouvernement gabonais, définit la limite nord du « Permis marin de Libreville » comme la « frontière maritime commune du Gabon et de la Guinée Équatoriale », mais celle-ci n’est pas tracée et il n’y a aucune référence à une quelconque ligne médiane ou à des points de base espagnols sur les îles en litige. Cette ligne a été ultérieurement précisée, pour correspondre à la revendication de frontière maritime formulée par le Gabon dans les négociations avec la Guinée équatoriale en prolongation de la frontière terrestre, suivant le parallèle tracé à partir du point d’intersection entre le thalweg du Rio Muni et la ligne droite tracée entre Coco Beach et la pointe Diéké482.
4.56. Enfin, l’Espagne elle-même se refusait à faire de ces îles ses points de base pour une délimitation : lorsqu’en 1967, elle a proposé au Gabon des pourparlers afin de délimiter leur frontière maritime commune, elle avait conscience que « if we start from the island Cocotier or Bane, we greatly fear that those negotiations will be clouded with difficulties »483.
4.57. On note la même propension à la dénaturation des documents dans la présentation que fait la Guinée Équatoriale du protocole d’application conformément à l’organisation des signaux maritimes pour le balisage et la 482 CMG, vol. I, par. 6.21. V. aussi Lettre de l’ambassadeur d’Espagne au Gabon au sous-secrétaire du ministère des Affaires étrangères espagnol, 23 mars 1971 (DG, vol. II, annexe 15) ; Note « Permis de recherches d'hydrocarbures off shore dans la zone contestée entre le Gabon et la Guinée Equatoriale » de l’ambassade de France au Gabon, 5 octobre 1972 (DG, vol. II, annexe 38). 483 Rapport confidentiel du ministère de l’Industrie espagnol, 12 juillet 1966 (MGE, vol. IV, annexe 103) (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original espagnol : « si nosotros partimos de la isla Cocotier o la de Bañe, mucho nos tememos que dichas negociaciones van a estar sombradas de dificultades ») ; v. aussi CMG, vol. I, par. 2.40. 159
signalisation de la baie de Corisco et du Rio Muni du 23 mai 1962, dont l’article 3(C) se référerait « to the beacon on Cocoteros placed by the French as falling under Spanish authority and paid for by Spain »484. En réalité, cette disposition se lit ainsi :
« After broad discussions regarding the installation of a light on the Cocoteros Island beacon, the parties agree to halt construction and propose to exchange the Baynia buoy for another one that is taller and more visible »485.
4.58. Loin de documenter « Spain’s sovereign authority and responsibility »486, ce document apparaît plutôt comme instaurant un régime conjoint de gestion des phares et balises dans la baie de Corisco et de la Mondah et n’est dès lors nullement indicatif de la souveraineté sur les îles en litige.
4.59. La Guinée Équatoriale met enfin en avant la supposée construction d’une antenne radio sur les îles « Corisco, Bayna, or Laval », contre laquelle le Gabon n’aurait pas protesté487. Rien ne permet d’établir que le projet se serait effectivement concrétisé, ni, s’il l’a été, que cette antenne ait été construite sur Mbanié. Les documents sur lesquels la Guinée Équatoriale s’appuie consistent en un échange de lettres entre la société candidate au projet et l’autorité espagnole, qui n’a pas été porté à la connaissance du Gabon. 484 RGE, vol. I, par. 4.37. Le titre de l’original espagnol de ce protocole d’application produit par la Guinée Équatoriale est « Protocolo de aplicación de conformidad con la organización de señales maritimas para el balizaje y señalización de la bahia de Corisco y del Rio Muni » (RGE, vol. III, annexe 1). 485 RGE, vol. III, annexe 1 (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original espagnol : « Después de amplias discursiones sobre la instalación de una luz en la baliza de la Isla de Cocoteros se acuerda desistir de esta instalación y proponer el cambio de la boya Baynia por otra mas alta y de mayor visibilidad »). 486 RGE, vol. I, par. 4.37. 487 Ibid., par. 4.38. 160
4.60. Pour conclure, qu’on les examine objectivement ou à l’aune d’une introuvable reconnaissance par le Gabon ou avant lui par la France, aucun des six éléments invoqués par la Guinée Équatoriale ne présente les caractéristiques nécessaires à la qualification de titre juridique, a fortiori relatif aux îles en litige – de sorte que la Convention de Bata apparaît comme le seul titre juridique aujourd’hui opposable aux Parties susceptible de régir la souveraineté sur ces îles.
II. La Convention de Bata est le seul titre juridique qui fait droit s’agissant des îles en litige
4.61. Lors de son accession à l’indépendance en 1960, le Gabon avait hérité d’une situation où aucun titre juridique sur les îles en litige n’était établi488. La question a été remise sur la table lors des discussions portant sur la frontière maritime avec la Guinée Équatoriale, qui ont commencé peu après l’indépendance de cette dernière489. C’est dans ce contexte qu’il faut situer les tensions de 1972 entre les deux États (A), que la Convention de Bata a résolues en fixant pour la première fois et d’une manière univoque le titre de souveraineté sur les territoires insulaires en litige (B). Rien dans l’attitude ultérieure du Gabon ne permet de conclure à une renonciation par celui-ci au titre conventionnel indubitable qu’il détenait ainsi sur les îles en litige (C). 488 CMG, vol. I, pars. 8.40-8.45. 489 Ibid., par. 2.40. 161
A. CONTEXTE ET SIGNIFICATION DES TENSIONS DE 1972
4.62. Dans sa réplique, la Guinée Équatoriale porte de graves accusations à l’encontre du Gabon, lui imputant une invasion et une annexion territoriale490 lorsqu’en 1972, il a installé un poste de gendarmerie permanent sur Mbanié. La gravité de ces accusations appelle une clarification de cet épisode, déjà évoqué dans le contre-mémoire491.
4.63. Il s’inscrit dans le contexte plus large des négociations relatives à la fixation de la frontière maritime entre les Parties. Celles-ci s’étaient ouvertes fin février 1971 à l’initiative du Gabon, par la visite d’une délégation gabonaise à Bata492. Lors de la seconde réunion entre les délégations des Parties, cette fois à Libreville, du 25 au 29 mars 1972, la Guinée Équatoriale a persisté à revendiquer la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga, dans la lignée de son décret n° 17/790 du 24 septembre 1970 qu’elle prétendait opposer au Gabon. Cette prétention s’est heurtée aux revendications du Gabon sur ces trois îles, réaffirmée par le décret 670/PR/MNERH-DMG du 14 mai 1970 et l’ordonnance 1/72-PR du 5 janvier 1972 qui avait porté à 30 milles marins la limite des eaux territoriales du Gabon. Celui-ci a d’ailleurs proposé, lors de cette seconde réunion, que la frontière maritime parte de l’intersection du thalweg de la rivière Muni avec la ligne droite tirée de la pointe de Cocobeach à la pointe Diéké (i.e. le thalweg à l’embouchure de la rivière Muni) et s’étende vers l’ouest en suivant le parallèle sur lequel se trouve ce point, et que soient prévues des zones de 3 milles nautiques de mer territoriale autour des îles Corisco, Elobey Chico et Grande ainsi partiellement 490 RGE, vol. I, pars. 4.54-4.56. 491 CMG, vol. I, pars. 2.49-2.54. 492 Dépêche n° 57/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 23 mars 1971 (CMG, vol. V, annexe 115). 162
enclavées dans les eaux gabonaises493. Le Gabon indiquait que la Guinée Équatoriale ne pouvait revendiquer d’autres îles que celles-ci « dans la zone sous-marine constituant le prolongement naturel du territoire gabonais »494.
4.64. Les incidents se multipliaient depuis quelques mois autour de Mbanié : à plusieurs reprises des pêcheurs gabonais opérant depuis Mbanié et Cocotiers avaient essuyé des tirs de forces armées venues de Guinée Équatoriale495 ; une fusillade de ces mêmes forces armées a même « failli[] coûter la vie à une famille, française, d’inoffensifs amateurs de pêche, dont une femme et un enfant »496. Pour arrêter cette escalade, et permettre que les négociations de la frontière maritime, qui piétinaient497, puissent se poursuivre néanmoins, le chef de l’État gabonais a proposé le 18 juillet 1972 l’institution d’une zone neutre dans la baie de Corisco, à exploiter conjointement, et contrôlée par une police maritime mixte498. Son 493 Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199). 494 Lettre n° 55/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 1er avril 1972 (DG, vol. II, annexe 16), p. 2. 495 Philippe Decraene, « Une mauvaise querelle entre la Guinée Equatoriale et le Gabon », Le Monde Diplomatique, octobre 1972 (DG, vol. II, annexe 37), p. 11. V. aussi Interview du président de la République gabonaise par l’AFP et l’AGB, 10 septembre 1972 (RGE, vol. V, annexe 60). 496 Lettre n° 162/DAM de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires étrangères français (DAM), 9 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 122), p. 5. V. aussi Lettre n° 118 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 29 juin 1972 (DG, vol. II, annexe 19). 497 V. Communiqué final de la Commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale (24-27 juin 1972 à Bata), transmis par Lettre de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre français des affaires étrangères, 6 juillet 1972 (CMG, vol. V, annexe 118). La commission notait que les points de vue des deux délégations demeuraient inconciliables et renvoyait la recherche d’une solution à une rencontre entre les deux chefs d’État. 498 Interview du président de la République gabonaise par l’AFP et l’AGB, 10 septembre 1972 (RGE, vol. V, annexe 60). 163
homologue équato-guinéen a refusé tout net cette proposition et s’est arc-bouté sur sa position relative à la frontière maritime et à la souveraineté sur les îles499.
4.65. Face à l’attitude d’obstruction de son homologue équato-guinéen et pressé par l’urgence de faire cesser les incidents afin de protéger la sécurité de ses ressortissants, le chef de l’État gabonais a décidé le 23 août 1972 l’installation d’un poste de gendarmerie sur Mbanié500. Il a par ailleurs fait en sorte de poursuivre les échanges indispensables à la tentative de règlement du différend territorial : une semaine plus tard, il a indiqué au président Macías Nguema qu’il déplorait son refus de neutralisation de la baie de Corisco, en soulignant qu’il « serait très regrettable que nos deux gouvernements ne puissent pas trouver un terrain d’entente et qu’il faille recourir à un arbitrage ou à des solutions de force », et en rappelant qu’il demeurait « ouvert à toute proposition constructive de nature à aboutir à un règlement équitable pour nos deux Pays »501.
4.66. Malgré ces efforts continus du gouvernement gabonais en faveur d’un règlement négocié de la question de la frontière maritime et des îles, le président Macías Nguema a refusé tout dialogue, préférant imposer dans la population équato-guinéenne, soumise à la censure et à une répression féroce – en particulier celle de Corisco, qui a vu ses deux députés être pour l’un « exécuté à coups de 499 Lettre du président de la Guinée Équatoriale au président du Gabon, 20 juillet 1972 (CMG, vol. V, annexe 119). 500 V. CMG, vol. I, pars. 2.49-2.50. 501 Lettre du président de la République du Gabon au président de la République de Guinée Équatoriale, 30 août 1972 (CMG, vol. V, annexe 120). 164
crosse lors de la grande purge de [mai 1972] » et pour l’autre fuir le pays502 –, une culture de haine à l’égard du peuple gabonais503.
4.67. Les réactions du chef de l’État équato-guinéen adressées (indirectement) à son homologue gabonais se sont limitées à protester contre (i) la décision du Gabon, notifiée le 14 août à la France504 et le 23 août à la Guinée Équatoriale, d’étendre les limites de la mer territoriale gabonaise à 100 milles marins505 et (ii) la présence dans les eaux équato-guinéennes de la baie de Corisco de deux navires gabonais (le Léon Mba et le Albert-Bernard Bongo)506. La Guinée Équatoriale a d’ailleurs transmis une copie de ces notes verbales à l’ONU et à l’OUA le 7 septembre 1972507. Le même jour, son président a fait au corps 502 Lettre n° 162/DAM de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des affaires étrangères français, 9 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 122), p. 3 (« [q]uant à M. Etanguino [opposant au régime], d’après l’Ambassadeur d’Espagne, il serait allé récemment dénoncer à New York pour dénoncer à l’ONU les crimes du régime guinéen et demander, au nom de ses compatriotes de Corisco, le rattachement de l’île au Gabon »). Pour un témoignage de la situation dramatique en Guinée Équatoriale. V. aussi, par exemple, Lettre n° 007/CF de l’ambassadeur du Gabon en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères du Gabon, 2 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 25). 503 Philippe Decraene, « Une mauvaise querelle entre la Guinée Equatoriale et le Gabon », Le Monde Diplomatique, octobre 1972 (DG, vol. II, annexe 37), p. 11. 504 V. Note verbale n° 86/MPG-C1 de la mission permanente de la République gabonaise auprès de l’ONU à Genève à la mission permanente de la France, 14 août 1972 (DG, vol. II, annexe 21). 505 V. Note verbale n° 2549 du ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale aux missions diplomatiques accréditées en Guinée Équatoriale, 31 août 1972 (DG, vol. II, annexe 22) ; Note verbale n° 2581 du ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale aux missions diplomatiques accréditées en Guinée Équatoriale, 1er septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 23). La Guinée Équatoriale déclarait voir dans cette extension des limites de la mer territoriale gabonaise une tentative d’annexion de Corisco et des îlots adjacents. 506 Note verbale n° 2581 du ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale aux missions diplomatiques accréditées en Guinée Équatoriale, 1er septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 23) ; Note verbale n° 2574 du ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale aux missions diplomatiques accréditées en Guinée Équatoriale, 1er septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 24). 507 Télégramme n° 41/43 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale, 8 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 26). 165
diplomatique une présentation outrageusement mensongère de l’activité gabonaise dans la baie de Corisco, affirmant que « [d]epuis le 23 août, l’Armée gabonaise s’est emparée de toutes les îles et de tous les îlots de la Baie de Corisco, qui font partie du territoire guinéen »508.
4.68. Ceci a conduit le Gabon à écrire au secrétaire général des Nations Unies pour l’informer « des raisons qui ont motivé la mise en place d’un poste de gendarmerie sur l’îlot de Mbanié et ramener l’affaire à ses vraies proportions »509. Le Gabon a cherché à rétablir la vérité de son intervention du 23 août 1972, limitée au rétablissement de l’ordre sur Mbanié et Cocotiers en défense de ses pêcheurs, également par les canaux médiatique510 et diplomatique511 – en particulier auprès de la Conférence de l’Afrique centrale et orientale qui confiait au même moment une mission de médiation aux chefs d’État de la République populaire du Congo et du Zaïre pour aider au règlement du différend512. Il a enfin protesté directement auprès de la Guinée Équatoriale, en rejetant sa présentation des faits et en réaffirmant la souveraineté gabonaise sur Mbanié et Cocotiers513.
4.69. Le chef de l’État équato-guinéen n’en a pas moins persisté dans ses représentations mensongères auprès des Nations Unies, demandant au Conseil de 508 Lettre n° 162/DAM de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires étrangères français, 9 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 122), p. 1. 509 Télégramme n° 430/431 de l’ambassadeur de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 9 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 27). 510 Interview du président de la République du Gabon par l’AFP et l’AGB, 10 septembre 1972 (RGE, vol. V, annexe 60). 511 Lettre n° 005194/MAEC/SG du ministre des Affaires étrangères du Gabon aux missions diplomatiques et consulaires accréditées au Gabon, 12 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 123). 512 V. Télégramme n° 426/429 de l’ambassadeur de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 9 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 28). 513 Message n° 5192/MAEC/SG du ministère des Affaires étrangères du Gabon au ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale, 11 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 29). 166
sécurité d’intervenir dans le conflit en réaction à la prétendue invasion par le Gabon de toutes les îles équato-guinéennes le 23 août, et à la tout autant prétendue destruction par les deux navires militaires gabonais évoqués plus haut des navettes qui reliaient Corisco au continent514. Son homologue gabonais s’est opposé à la tenue d’une réunion du Conseil de sécurité sur le différend et a écrit au secrétaire général des Nations Unies pour, à nouveau, décrire la vérité sur l’intervention du 23 août sur Mbanié, et confirmer son souhait de voir les présidents congolais et zaïrois jouer le rôle de co-médiateurs515. Le lendemain 14 septembre 1972, la Guinée Équatoriale a demandé à ce qu’aucune suite ne soit donnée pour le moment à sa demande de réunion du Conseil de Sécurité516. Elle dépêchait en même temps « un agent secret au ministère de la Marine à Madrid afin d’obtenir une carte espagnole de la Guinée Équatoriale du début du siècle, sur laquelle les îlots de la baie de Corisco figurent comme étant français »517.
4.70. Elle s’accordait finalement avec le Gabon pour « régler leur différend dans le cadre africain et par des voies pacifiques »518, et la conférence des quatre chefs d’États (Congo, Zaïre, Guinée Équatoriale, Gabon) convenait de créer une 514 Lettre du président de la République de Guinée Équatoriale au président du Conseil de sécurité des Nations Unies demandant son intervention dans le conflit entre les parties autour de Mbanié, 11 septembre 1972, telle que reproduite dans le Télégramme n° 4028/31 du représentant permanent de la France à l’ONU au ministère des Affaires étrangères français et aux ambassades françaises au Gabon et en Guinée Équatoriale, 12 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 30). 515 Télégramme n° 4045/46 du représentant français à l’ONU au ministère des Affaires étrangères français, 13 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 31). 516 Télégramme n° 4067 du représentant français à l’ONU aux ambassades françaises au Zaïre, au Gabon et en Guinée Équatoriale, 14 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 32). 517 Télégramme n° 34 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 15 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 33) (traduction de « agente secreto a Madrid a Ministerio de Marina para conseguir mapa español de Guinea Ecuatorial de principio siglo, en el que islotes de la bahia Corisco figuran como franceses »). 518 Communiqué final de la réunion d’une conférence entre les chefs d’État du Congo, du Zaïre, de la Guinée Équatoriale et du Gabon, Kinshasa, 17 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 125), p. 1. 167
commission ad hoc quadripartite chargée de parvenir à une solution définitive519. Dès le 18 septembre 1972, cette commission se réunissait aux fins d’échange par les délégations des Parties de leurs thèses respectives quant au fondement de leur souveraineté sur les îles en litige520, pour transmission aux gouvernements français et espagnols dont l’avis était sollicité521.
4.71. L’opportunité donnée aux Parties d’« élever » l’intervention du 23 août 1972 et ses suites au cadre de négociation africain et la diligence de la commission quadripartite ont permis de dissiper peu à peu la tension entre les Parties : le 23 septembre 1972 déjà, l’ambassadeur de la Guinée Équatoriale s’apprêtait à se rétablir au Gabon, et la diplomatie française poussait l’ambassadeur du Gabon à regagner son poste à Malabo522 ; le 12 octobre, jour de la fête nationale guinéenne, le président Macías Nguema a prononcé un discours « très pacifique, sans faire allusion au différend qui oppose la Guinée Equatoriale au Gabon »523, tandis que le président Bongo de son côté appelait la presse gabonaise à « mettre fin aux attaques contre la République soeur »524.
4.72. Le 13 novembre 1972, à Brazzaville, les Parties parvenaient à se réconcilier grâce à la médiation de l’OUA, en se mettant d’accord sur « A - la 519 Communiqué final de la réunion d’une conférence entre les chefs d’État du Congo, du Zaïre, de la Guinée Équatoriale et du Gabon, Kinshasa, 17 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 125), p. 1. 520 Télégramme n° 673/681 de l’ambassadeur de France au Zaïre au ministère des Affaires étrangères français, 19 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 35). 521 Télégramme n° 670/672 de l’ambassade de France à Kinshasa au ministère des Affaires étrangères français, 19 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 126). 522 Télégramme n° 52/53 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 23 septembre 1972 (DG, vol. II, annexe 36). 523 Télégramme n° 58 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1972 (DG, vol. II, annexe 39). 524 Télégramme n° 598 de l’ambassadeur de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 17 octobre 1972 (DG, vol. II, annexe 40). 168
neutralisation de la zone litigieuse dans la baie de Corisco ; B - la délimitation par la Commission ad hoc de l’OUA des frontières maritimes entre la République Gabonaise et la République de Guinée Equatoriale dans la baie de Corisco »525.
4.73. Après le sommet de Brazzaville, les deux États ont normalisé leurs relations526. Cela étant, à partir de l’été 1973, et avec plus d’intensité en 1974, d’autres incidents frontaliers ont éclaté à l’est le long de la frontière terrestre, près d’Ebebiyin527. C’est dans ce contexte que les deux chefs d’États ont conclu la Convention de Bata528.
B. LA CONVENTION DE BATA ATTRIBUE AU GABON UN TITRE CONVENTIONNEL UNIVOQUE SUR LES ÎLES EN LITIGE
4.74. La Convention de Bata règle le différend de souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga. Elle prévoit à ce sujet dans son article 3 :
« Les hautes parties contractantes reconnaissent, d’une part, que l’île MBANIE fait partie intégrante du territoire de la République gabonaise, et d’autre part, que les îles ELOBEY et l’île CORISCO font partie intégrante du territoire de la République de Guinée Equatoriale ».
4.75. Le texte de l’article 3 de la Convention de Bata est clair. Les deux États ont reconnu la souveraineté gabonaise sur l’île Mbanié, d’une part, et la 525 Extrait du communiqué final du 13 novembre 1972 de la Conférence quadripartite pour résolution du différend entre le Gabon et la GE à Brazzaville du 11 au 13 novembre 1972, tel que reproduit dans la Note de synthèse n° 45/46-72 de l’ambassade de France au Gabon, 20 novembre 1972 (DG, vol. II, annexe 42). V. aussi Lettre n° 512 de l’ambassadeur d’Espagne au Zaïre au ministre des Affaires étrangères espagnol, 15 novembre 1972 (DG, vol. II, annexe 41). 526 Lettre n° 35/73 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires étrangères espagnol, 18 janvier 1973 (DG, vol. II, annexe 43). 527 CMG, vol. I, pars. 2.57-2.59. 528 V. supra, pars. 2.34-2.35. 169
souveraineté équato-guinéenne sur Corisco et les îles Elobey, d’autre part. Quelle que puisse être la situation juridique concernant la souveraineté sur les îles inhabitées avant la signature de la Convention de Bata, et indépendamment de cette situation, l’article 3 de la Convention règle la question définitivement529. Cette disposition couvre le groupe de trois îles en litige, qui étaient regardées comme un tout par les Parties. L’article 4 de la Convention le confirme. Il définit les limites de l’enclavement des îles – équato-guinéennes – de Corisco et Elobey dans les eaux territoriales gabonaises, alors que le groupe Mbanié-Cocotiers-Conga, situé au sud de la frontière maritime, n’est pas enclavé, indiquant ainsi l’appartenance de ces trois îles au Gabon530.
4.76. La perception du toponyme « Mbanié » comme couvrant l’île Mbanié elle-même ainsi que Conga et Cocotiers ne fait pas de doute. La Guinée Équatoriale semble le contester à présent, au détour d’une note de bas de page531, et sans fournir aucune réponse à la démonstration faite par le Gabon à ce sujet dans son contre-mémoire532. Outre cette démonstration non réfutée par la Guinée Équatoriale, il convient de noter que les négociations préalables à la signature de la Convention de Bata portaient sur la souveraineté des trois îlots mentionnés dans le Compromis et des documents soumis par la Guinée Équatoriale le confirment d’ailleurs533. Le toponyme Mbanié est communément utilisé pour désigner le groupe Mbanié- 529 V. Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, pp. 38-39, pars. 75-76. 530 V. CMG, vol. II, croquis n° 8.1. 531 RGE, vol. I, p. 94, note 290. 532 CMG, vol. I, pars. 8.52-8.59. 533 V. inter alia, Lettre n° 0002967 du ministre des Affaires étrangères du Gabon au ministre des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale, 28 août 1971 (MGE, vol. VI, annexe 154) ; Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199), pp. 1, 5-6. V. aussi Lettre du président de la Guinée Équatoriale au président du Gabon, 20 juillet 1972 (CMG, vol. V, annexe 119), Lettre du président du Gabon au président de la Guinée Équatoriale, 30 août 1972 (CMG, vol. V, annexe 120). 170
Conga-Cocotiers534, y compris et plus récemment par la Guinée Équatoriale elle-même535.
4.77. Par ailleurs, dans les jours qui ont suivi la signature de la Convention de Bata, les autorités respectives des deux pays ont exprimé des vues concordantes au sujet de la souveraineté concernant le groupe d’îles. Ainsi le vice-ministre par intérim des relations extérieures de Guinée Équatoriale a-t-il fait savoir à l’ambassadeur de France à Malabo que :
« les îlots de M’Banie, Cocotier et Conga seront juridiquement déclarés gabonais et les eaux territoriales en litige dans cette région seront abandonnées au Gabon »536.
4.78. L’ambassadeur du Gabon en Guinée Équatoriale a également expliqué à son homologue français que « le Gabon a[vait] obtenu la reconnaissance de jure de sa souveraineté sur M’Banie, Cocotier et Conga »537. Le président équato-guinéen Macías Nguema a également rapporté lors d’un entretien avec 534 V. le croquis illustratif joint à la Lettre n° 55/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 1er avril 1972 (DG, vol. II, annexe 16), par laquelle le chargé d’affaires français adressait au ministère le procès-verbal dressé le 29 mars 1972 par la Commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972 (ce procès-verbal est aussi produit en MGE, vol. VII, annexe 199). V. aussi Lettre n° 118 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 29 juin 1972 (DG, vol. II, annexe 19) ; Télégramme n° 304/12 du ministère des Affaires étrangères français à l’ambassade de France à Kinshasa, 27 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 128). 535 Communiqué du premier ministre équato-guinéen, 11 mars 2003 (RGE, vol. IV, annexe 51). 536 Dépêche d’actualité n° 39/DA/DAM de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 23 septembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 151), p. 6. 537 Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152), p. 3 ; Lettre n°582/74 du premier secrétaire de l’ambassade d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 16 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 40). 171
l’ambassadeur français en Guinée Équatoriale qu’« il avait abandonné au Gabon la souveraineté de jure sur M’Banie, Cocotier et Conga »538.
4.79. Lors de sa présentation devant les représentants diplomatiques présents à Malabo, le 13 octobre 1974, le président Macías Nguema a de nouveau rappelé que la Guinée Équatoriale avait
« entièrement abandonné ses droits de souveraineté sur M’Banie, Cocotier et Conga, bien que la commission désignée par l’OUA et le document signé par les quatre chefs d’Etat qui la composaient eussent formellement stipulé en 1972 que ces îlots constitueraient une zone neutre »539.
4.80. Ainsi, si l’interprétation donnée par le président Macías Nguema de la Convention de Bata a pu osciller au sujet de la frontière maritime, il a toujours et invariablement admis qu’elle avait pour effet de reconnaître la souveraineté du Gabon sur Mbanié, Cocotiers et Conga.
4.81. Par conséquent, la Convention de Bata constitue le titre juridique sur la base duquel la question de la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga est réglée entre les deux Parties au regard du droit international. 538 Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152), p. 7. 539 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), p. 5. Dans le même sens, v. Lettre n°582/74 du premier secrétaire de l’ambassade d’Espagne à Malabo au ministère des Affaires étrangères espagnol, 16 octobre 1974 (RGE, vol. IV, annexe 40). V. également supra, pars. 2.14, 2.16. 172
C. LE GABON N’A PAS RENONCÉ À SON TITRE CONVENTIONNEL
4.82. Ce titre de souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga demeure détenu par le Gabon, qui n’a jamais consenti depuis au transfert de cette souveraineté à la Guinée Équatoriale. Celle-ci ne le prétend d’ailleurs pas.
4.83. Elle s’abstient, dans ses écritures, d’avancer le moindre argument subsidiaire à son intenable thèse de l’inexistence de la Convention de Bata comme instrument en vigueur fixant définitivement le titre sur les îles en litige. Par ailleurs la Guinée Équatoriale rappelle que le Gabon n’a pas cessé d’affirmer sa souveraineté sur lesdites îles, à l’occasion de :
a) l’exercice effectif de cette souveraineté, par exemple en fixant des lignes de base s’appuyant sur Mbanié par décret n° 2066/PR du 4 décembre 1992540, en accordant à la compagnie Shell des blocs pétroliers dits « Mbanié » et « Mbanié Ouest » couvrant ladite île ainsi que Cocotiers et Conga541, en utilisant Mbanié comme point de base aux fins de la délimitation maritime542, ou encore en maintenant sur Mbanié une garnison de gendarmes visitée par le ministre de la défense gabonais entre autres le 26 février 2003543.
b) protestations contre les prétentions contraires de la Guinée Équatoriale, telles que la délivrance d’un permis d’exploration pétrolière à la société Clarion Petroleum en 1989 dont le Gabon relevait qu’il « empiète largement 540 V. RGE, vol. I, par. 3.74 et Décret n° 2066/PR/MHCUCDM du Gabon, Journal Officiel de la République Gabonaise, n° 48/52, décembre 1992 (RGE, vol. V, annexe 54). 541 V. RGE, vol. I, par. 3.77 (concession qui a soulevé la protestation de la Guinée Equatoriale par une Lettre n° 4005 de son ministre des Affaires étrangères, 3 janvier 2001 (RGE, vol. IV, annexe 49)). 542 V. supra, par. 2.44. 543 V. RGE, vol. I, pars. 3.78-3.79 (visite rapportée dans J.D. Geslin, « L’île de toutes les convoitises », Jeune Afrique, 10-23 août 2003 (RGE, vol. V, annexe 64)). 173
le territoire gabonais non seulement en englobant l’île Mbanié, mais encore en ne respectant pas la ligne médiane qui va du Talweg du Muni au point de coordonnées géographiques 0° 50′ 24″ N 9° 20′ 36″ E, point situé à équidistance de Mbanié et Corisco » et incluant ainsi « [l]es îles Mbanié, Conga et Cocotiers étant en territoire gabonais »544 ; ou la délimitation de son espace maritime de telle façon que la « ligne frontière passe au sud de l’île Mbanié qui se retrouve ainsi en territoire équatoguinéen »545.
c) négociations bilatérales avec la Guinée Équatoriale, en particulier dans le cadre de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée Équatoriale des 10-16 novembre 1985 et des 17-19 janvier 1993546 – session de 1993 au cours de laquelle s’est manifestée l’âpreté des discussions concernant les revendications des Parties sur les îles547.
Lors de la session suivante de cette commission, huit ans plus tard, la Guinée Équatoriale, face à la revendication constante de souveraineté du Gabon sur Mbanié, Cocotiers et Conga, proposa la méthode de négociation suivante pour la délimitation maritime : d’abord tracer une ligne médiane en « faisant 544 Lettre n° 293 du ministre des Affaires étrangères gabonais à l’ambassadeur de Guinée Équatoriale au Gabon, 4 mai 1990 (RGE, vol. IV, annexe 46). V. RGE, vol. I, pars. 3.72-3.73. 545 Note verbale n° 1989/MAECF/SG/D1 du ministère des Affaires étrangères du Gabon au ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale, 13 septembre 1999 (RGE, vol. IV, annexe 48), protestant contre la loi N/1/1999 de la Guinée Équatoriale du 6 mars 1999 portant fixation de lignes de base et délimitation de son espace maritime (MGE, vol. VI, annexe 193). V. aussi RGE, vol. I, par. 3.75. 546 V. RGE, vol. I, notamment pars. 3.64, 3.66-3.68 (négociations de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée Equatoriale des 10-16 novembre 1985 et des 17-19 janvier 1993). 547 Note de l’ambassadeur de France au Gabon non datée, inclue dans un bordereau d’envoi au ministère des Affaires étrangères français du 1er février 1993 (DG, vol. II, annexe 51). V. aussi Rapport de la sous-commission « Frontières » de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée Équatoriale, Libreville, 19 janvier 1993 (MGE, vol. VII, annexe 209). 174
abstraction » de ces îles aux fins du tracé d’une ligne médiane, et ensuite seulement « examiner la situation des îles »548.
4.84. Il n’est ainsi pas débattu entre les Parties que le Gabon a toujours fait valoir sa souveraineté sur les îles en litige après que la Convention de Bata a été conclue. C’est que, en effet, le Gabon détient avec cette convention un titre juridique qui, ainsi que l’article 1er du Compromis l’envisage, fait droit dans ses relations avec la Guinée Équatoriale s’agissant de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga.
Conclusion
4.85. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Convention de Bata est le seul titre juridique applicable à la question, non traitée par la Convention de Paris, de la souveraineté sur les îles en litige ; le titre invoqué par la Guinée Équatoriale, à savoir la succession à d’introuvables titres juridiques espagnols préexistants, n’en est pas un. 548 Procès-verbal de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée Équatoriale, Libreville, 31 janvier 2001 (MGE, vol. VII, annexe 212), p. 4 ; v. CMG, vol. I, par. 4.19. Cette session sera la dernière. 175

CHAPITRE V. LE TITRE JURIDIQUE RELATIF À LA FRONTIÈRE MARITIME
5.1. Le raisonnement de la Guinée Équatoriale quant aux titres faisant droit entre les Parties s’agissant de leur frontière maritime commune repose sur un unique postulat : dans la mesure où, selon la Guinée Équatoriale, il n’existe pas de traité de délimitation maritime entre les Parties, il convient de se référer à d’autres instruments juridiques, à savoir :
« 1. the 1900 Convention in so far as it establishes the terminus of the land boundary in Corisco Bay,
2. the United Nations Convention on the Law of the Sea signed on 10 December 1982 at Montego Bay, and
3. customary international law in so far as it established that a State’s title and entitlement to adjacent maritime areas derives from its title to land territory »549.
5.2. Ce postulat est doublement erroné : la Convention de Bata est le seul titre juridique faisant droit entre les Parties quant à la délimitation maritime (I). Il n’en existe aucun autre ; et si par extraordinaire la Cour considérait que la Convention de Bata ne fait pas droit en l’espèce, alors il n’existerait, à l’heure actuelle, aucun titre faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière maritime (II). 549 RGE, vol. I, p. 146, par. V des conclusions. 177
I. La Convention de Bata est le seul titre juridique faisant droit entre les Parties quant à la délimitation maritime
5.3. La Convention de Bata est le seul titre juridique faisant droit entre les Parties : elle délimite la frontière maritime entre le Gabon et la Guinée Équatoriale (A), les arguments en réponse de la Guinée Équatoriale ne convainquent pas (B) et elle prévaut sur les prétendus titres invoqués par la Guinée Équatoriale (C).
A. LA CONVENTION DE BATA DÉLIMITE LA FRONTIÈRE MARITIME ENTRE LE GABON ET LA GUINÉE ÉQUATORIALE
5.4. La Convention de Bata détermine clairement la frontière maritime entre les deux États. Comme développé par le Gabon dans son contre-mémoire 550, l’article 4 de la Convention de Bata définit la « frontière maritime entre la République de Guinée Équatoriale et la République gabonaise », à savoir les trois segments qui la constituent : la ligne parallèle au parallèle de latitude 1° Nord, qui commence au point terminal de la frontière terrestre et les deux enclaves autour des îles équato-guinéennes – celle de Corisco d’une part, et celles d’Elobey Grande et Elobey Chico d’autre part – se situant du « mauvais » 551 côté de la ligne, au sud du premier segment susvisé et donc dans l’espace maritime du Gabon. L’article 5 de la Convention prévoit quant à lui que « pour l’accès par mer à la rivière Mouni ainsi qu’aux îles ELOBEY et CORISCO, les navires équato-guinéens jouiront, dans les eaux territoriales gabonaises, de toutes les facilités dont pourront bénéficier les 550 CMG, vol. I, pars. 9.3-9.5. 551 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 624, par. 198 ; Délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et République française (1977), RSA, vol. XVIII, p. 223-224, par. 183 ; ILR, vol. 54, p. 96 ; Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 4, par. 309. 178
navires gabonais ». L’espace maritime situé au sud de la ligne frontière relève de la souveraineté ou des droits souverains du Gabon (hormis les enclaves autour de Corisco et des deux Elobey) et la Guinée Équatoriale bénéficie d’importantes facilités d’accès et de passage.
5.5. Contrairement à la position soutenue par la Guinée Équatoriale552, la Convention de Bata a bien vocation à délimiter la frontière maritime entre les deux États. Le contexte de la conclusion de la Convention de Bata, que la Guinée Équatoriale cherche à passer sous silence, confirme leur volonté commune de résoudre l’ensemble de leurs différends territoriaux et frontaliers553. Ces négociations, qui avaient débuté avant l’indépendance de la Guinée Équatoriale 554, se sont intensifiées après, lorsque les imprécisions de la Convention de Paris sur le tracé de la frontière terrestre et son silence quant à la frontière maritime et la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga, ont fait prendre conscience aux Parties que la conclusion d’un accord juridiquement obligatoire était indispensable. Après le début des négociations, certains incidents intervenus sur Mbanié555 ainsi que le long de la frontière terrestre556 ont rendu encore plus urgent le règlement des questions de la souveraineté sur les îles de la baie de Corisco et de la délimitation de leur frontière maritime. La Guinée Équatoriale, consciente de la nécessaire résolution du conflit avec le Gabon, a contacté à plusieurs reprises l’Espagne afin qu’elle lui apporte une assistance technique et juridique sur le différend frontalier, ce que l’Espagne a accepté de faire557. 552 RGE, vol. I, pars. 6.5-6.6 : « it does not even purport to delimit a maritime boundary, in whole or in part, between the Parties ». 553 CMG, vol. I, pars. 2.49-2.54, 6.54-6.61 ; v. supra, pars. 2.32-2.35. 554 CMG, vol. I, pars. 2.38-2.41. 555 Ibid., pars. 2.49-2.54. 556 Ibid., pars. 2.55-2.58. 557 V. supra, par. 2.35. 179
5.6. Un retour sur les négociations de la conclusion de la Convention de Bata montre que cette dernière entérine précisément les propositions discutées entre les Parties à savoir le principe d’une frontière maritime en plusieurs segments : une ligne droite tracée à partir du point terminal de la frontière terrestre et la création d’enclaves autour des îles de Corisco, et celles d’Elobey Grande et Elobey Chico558. En effet, lors de la première réunion de négociation de février 1971, le Gabon a proposé que « la frontière coïncide au large avec le parallèle tracé à partir du milieu du Rio Muni à son embouchure » tout en aménageant des zones d’eaux territoriales équato-guinéennes autour des îles Elobey et Corisco559. Lors de la réunion suivante, en mars 1972, le Gabon a réitéré et précisé la proposition faite lors de la première réunion de Bata, à savoir le tracé d’une ligne droite et d’enclaves dont les coordonnées étaient précisément décrites par la délégation gabonaise 560. Durant l’été 1974, après la reprise des négociations à la suite des incidents intervenus sur Mbanié561 ainsi que le long de la frontière terrestre562, les plus hautes autorités gabonaises et équato-guinéennes se sont rencontrées à plusieurs reprises afin de trouver une solution à la question de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre et à celle de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga563, jusqu’à la rencontre entre les deux présidents en septembre 1974, au cours de laquelle ils ont conclu la Convention de Bata. Quelques jours avant cette rencontre, le conseiller juridique du ministère gabonais des Mines, de l’Industrie, de l’Énergie et des Ressources hydrauliques a proposé de délimiter la frontière maritime 558 CMG, vol. I, pars. 2.45-2.48 ; CMG, vol. II, croquis 2.2. 559 Dépêche n° 57/DAM de l’ambassadeur de France à Libreville au ministre des Affaires étrangères français, 23 mars 1971 (CMG, vol. V, annexe 115). 560 Procès-verbal dressé par la Commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199), par. 4.1. 561 CMG, vol. I, pars. 2.49-2.54. 562 Ibid., pars. 2.55-2.58. 563 Ibid., pars. 3.3-3.5 ; v. supra, pars. 2.32-2.35. 180
commune le long d’une ligne droite tout en créant des enclaves autour des deux Elobey et de Corisco564. C’est précisément ce tracé de frontière maritime qui sera entériné dans la Convention de Bata conclu le 12 septembre 1974.
5.7. En signant la Convention de Bata, le Gabon et la Guinée Équatoriale mettaient fin à près de quatre années de négociations sur leur frontière maritime et confirmaient leur volonté pleine et entière de procéder à sa délimitation, telle qu’elle ressort du texte même de la Convention : dans le préambule de la Convention, les deux Parties ont clairement consigné l’objectif de « jeter les bases durables de la paix entre leurs deux pays, notamment en établissant définitivement leurs frontières terrestres et maritimes communes »565.
B. LES ARGUMENTS EN RÉPONSE DE LA GUINÉE ÉQUATORIALE NE CONVAINQUENT PAS
5.8. La Guinée Équatoriale soutient à tort que la Convention de Bata « does not even purport to delimit a maritime boundary, in whole or in part, between the Parties »566. S’agissant de la frontière maritime, elle se fonde en premier lieu sur la présence d’un nota bene 567 prévoyant que « [l]es deux Chefs d’Etat conviennent de procéder ultérieurement à une nouvelle rédaction de l’article 4, afin de la mettre 564 Note du conseiller technique sur les frontières maritimes entre la Guinée Équatoriale et le Gabon, 6 août 1974 (CMG, vol. V, annexe 145), p. 1. 565 CMG, vol. I, par. 9.7 ; Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155) préambule, 3e considérant (italiques ajoutés). 566 RGE, vol. I, par. 6.5. 567 Ibid., pars. 3.43-3.50. 181
en conformité avec la Convention de 1900 » 568. Le fait que les signataires ont inclus un nota bene n’enlève rien au fait établi que la Convention de Bata détermine la frontière maritime entre les deux États en son article 4. À nouveau, le contexte de la conclusion de la Convention de Bata, que la Guinée Équatoriale persiste à passer sous silence, permet de comprendre l’esprit et le texte de ce nota bene. Quelques jours après la signature de la Convention de Bata, le président équato-guinéen a fait part aux différents représentants diplomatiques de sa frustration quant au tracé de la frontière maritime retenu dans la Convention et notamment, deux éléments importants : son point de départ et les eaux territoriales de Corisco et de deux Elobey. Ainsi, à l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale, il a précisé que le Gabon avait « exig[é] »569 la frontière maritime telle que décrite dans l’article 4 de la Convention et qu’« [i]l aurait souhaité toutefois que la limite des eaux territoriales entre les deux pays fut fixée, comme la frontière terrestre, sur le 1° de latitude Nord et qu’il n’y ait pas de solution de continuité entre les eaux territoriales attenantes au Rio Muni et celles qui ent[our]eraient l’ensemble des îles Corisco, Elobey Grande et Elobey Chico »570. D’autres représentants diplomatiques à qui le président équato-guinéen a personnellement présenté la solution retenue par la Convention de Bata quant à la frontière maritime 571 – et sa frustration quant au point de départ de celle-ci et aux eaux territoriales des îles équato-guinéennes – 568 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155) ; la version espagnole prévoit quant à elle « El articulo 4º sera examinado por los dos Jefes de Estado ulteriormente, conforme la Convención de 1900. ». 569 Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152), p. 8. 570 Ibid., p. 7. 571 Tel que rapporté par l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale. 182
relèvent le « ton résigné, douloureux et passionnel »572 du président Macias. En décembre 1974, il a réitéré sa frustration, précisant qu’« il voulait et avait toujours voulu la paix et ne pouvait d’ailleurs pas se risquer à un conflit avec un pays frère comme le Gabon, malgré l’injustice dont il était victime au sujet des eaux territoriales de Corisco et des deux Elobey »573.
5.9. Le président Macias avait conscience que la Convention de Bata avait pour finalité de « tir[er] un trait définitif »574 sur les questions de souveraineté terrestre, insulaire et maritime et que la conclusion d’une telle Convention impliquait nécessairement des concessions de sa part, certaines désavantageuses. C’est indéniablement dans cet esprit que le nota bene a été ajouté à la Convention de Bata : les Parties s’engageaient à négocier une nouvelle rédaction de son article 4.
5.10. Ce nota bene avait clairement pour but de permettre aux deux États de conclure un accord global sur les questions épineuses de frontières terrestre et maritime et de souveraineté insulaire, malgré leur désaccord sur certains points relatifs à la frontière maritime. Il permettait aux parties de négocier de bonne foi une nouvelle formulation de l’article 4 de la Convention de Bata le cas échéant575. Immédiatement après la conclusion de cette dernière, le président Macías Nguema n’a pas sollicité de nouvelles discussions au sujet de cette frontière maritime. En revanche c’est précisément dans cet esprit que les Parties ont plus tard discuté de la 572 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), pp. 6-7. 573 Télégramme n° 134 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères, 23 décembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 157). 574 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), p. 5. 575 CMG, vol. I, pars. 6.49-6.53. V. supra, par. 2.25. 183
délimitation de leur frontière maritime afin de déterminer si elles devaient entériner un tracé différent de celui fixé par la Convention de Bata et s’entendre sur « des propositions susceptibles de préserver la paix et la fraternité entre les deux pays »576. Ce nota bene faisait simplement peser sur les Parties l’engagement de négocier de bonne foi la rédaction d’un nouvel article 4 de la Convention. Le Gabon a au demeurant toujours été disposé à engager des négociations à cette fin et le demeure.
5.11. En second lieu, la Guinée Équatoriale soutient que les Parties n’ont jamais considéré que la Convention de Bata délimitait la frontière maritime entre elles en invoquant un prétendu silence du Gabon sur l’existence de ce traité au cours des années suivant sa signature, ainsi que la pratique ultérieure du Gabon577.
5.12. Cette position est trompeuse et ne constitue pas le reflet de la réalité. Le Gabon a répondu à suffisance tant dans son contre-mémoire que dans la présente duplique sur l’absence d’acquiescement pouvant en découler578.
5.13. Bien plus, quand bien même le Gabon n’aurait pas mentionné expressément la Convention de Bata lors des négociations postérieures à la signature de la Convention de Bata, sa conduite est conforme à la frontière maritime déterminée dans cet instrument :
a) les négociations qui ont abouti à la conclusion de l’Accord de coopération pétrolière en 1979 étaient centrées sur la coopération pétrolière entre les deux États et non sur la délimitation de leur frontière maritime579, et aucune 576 Lettre du Président de la République Gabonaise au secrétaire général des Nations Unies, 14 mai 2007 (DG, vol. II, annexe 53), p. 1. 577 RGE, vol. I, pars. 6.5-6.6. 578 CMG, vol. I, pars. 6.66-6.75 ; v. supra, pars. 2.36-2.46. 579 CMG, vol. I, par. 4.6. 184
disposition de l’Accord de coopération pétrolière de 1979 n’a remis en cause la délimitation maritime prévue par la Convention de Bata ;
b) les discussions au sein de la commission ad hoc en 1982 ont concerné la question de la coopération pétrolière entre les deux États580 et aucune de ces discussions n’a remis en cause la frontière maritime prévue par la Convention de Bata ;
c) les négociations ultérieures portant sur le rédaction de l’article 4 se sont inscrites dans l’esprit du nota bene de la Convention de Bata qui supposait la rédaction d’une nouvelle formulation de l’article 4.
5.14. Cette convention fait droit entre les Parties s’agissant de la délimitation de la frontière maritime entre les Parties.
C. LA CONVENTION DE BATA PRÉVAUT SUR LES PRÉTENDUS TITRES INVOQUÉS PAR LA GUINÉE ÉQUATORIALE
5.15. Il ressort des dernières écritures de la Guinée Équatoriale que les Parties s’entendent sur un élément fondamental : en présence d’un accord de délimitation maritime entre les Parties, ce titre prévaut sur tout autre instrument de nature à délimiter leur frontière maritime commune. 580 RGE, vol. I, pars. 3.74-3.78 ; Décret n° 2066/PR/MHCUCDM du Gabon, Journal Officiel de la République Gabonaise, n° 48/52, décembre 1992 (RGE, vol. V, annexe 54) et J.D. Geslin, « L’île de toutes les convoitises », Jeune Afrique l’Intelligent, 10 au 23 août 2003 (RGE, vol. V, annexe 64). 185
5.16. Si ce postulat n’était qu’effleuré dans son mémoire581, la Guinée Équatoriale l’admet clairement dans sa réplique : « Because the document presented in 2003 does not have the force of law between the Parties in relation to delimitating their maritime boundary, Equatorial Guinea submits that the ‘legal titles, treaties and international conventions’ that have the force of law concerning the maritime areas adjacent to the Parties’ coasts include: i. the 1900 Convention, ii. the U.N. Convention on the Law of the Sea (“UNCLOS”), and iii. legal titles to maritime areas adjacent to Equatorial Guinea’s land territory derived under UNCLOS and customary international law »582.
Plus loin, la Guinée Équatoriale affirme : « Because there is no agreement delimiting the Parties’ maritime boundary, UNCLOS is an international convention with the force of law that ‘concern[s]’ the Parties’ maritime boundary delimitation »583.
5.17. Comme il l’a déjà établi dans son contre-mémoire, le Gabon maintient que la Convention de Bata ayant force obligatoire prévaut sur les prétendus titres invoqués par la Guinée Équatoriale. S’agissant de la Convention de Paris, dans la mesure où la Convention de Bata reprend en des termes quasiment identiques ceux de la Convention de Paris relatifs au point terminal de la frontière terrestre, la Convention de Bata prévaut sur la Convention de Paris. S’agissant des prétendus autres titres invoqués par la Guinée Équatoriale, le Gabon a d’ores et déjà établi que les méthodes de délimitation maritime prévus par la CNUDM, la jurisprudence 581 MGE, vol. I, par. 6.54 (« in the absence of an agreement, the delimitation of their respective areas is to be carried out in accordance with the principles set forth in UNCLOS Articles 15, 74 and 83 and the body of maritime delimitation jurisprudence of the Court in interpreting and applying those principles », italiques ajoutés). 582 RGE, vol. I, par. 6.7. 583 Ibid., par. 6.9. 186
internationale et la coutume ne s’appliquent qu’en l’absence de titre conventionnel584.
II. Il n’existe aucun titre autre que la Convention de Bata faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation maritime
5.18. Si par extraordinaire, la Cour considérait que la Convention de Bata n’était pas un titre faisant droit entre les Parties s’agissant de leur frontière maritime commune, elle devrait alors retenir qu’il n’en existe aucun.
5.19. Aucun des prétendus titres invoqués par la Guinée Équatoriale, à savoir la Convention de Paris, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et la coutume internationale585, ne sont des titres faisant droit entre les Parties aux fins de la délimitation de leur frontière maritime commune.
5.20. La Convention de Paris est muette sur le tracé de la frontière maritime : elle n’en détermine pas le tracé, ni la direction, ni n’apporte aucune information sur l’espace maritime entourant les îles équato-guinéennes de Corisco, la Grande Elobey et la Petite Elobey586. La Convention de Paris ne peut donc pas constituer le titre juridique entre les Parties en ce qui concerne la délimitation de leur frontière maritime commune. La Guinée Équatoriale considère qu’elle constitue un titre au cas d’espèce dans la mesure où elle établit le point terminal de la frontière terrestre commune587. Dans sa réplique, la Guinée Équatoriale n’explique pas en quoi la Convention de Paris constitue un titre juridique entre les Parties, elle se contente de relever qu’elle est « pertinente » pour la délimitation maritime en ce qu’elle établit 584 CMG, vol. I, pars. 5.83, 9.15 ; v. supra, pars. 1.40-1.41, 1.52. 585 MGE, vol. I, p. 144. 586 CMG, vol. I, pars. 9.9-9.10. 587 RGE, vol. I, par. 6.8. 187
le point terminal de la frontière terrestre588. Le Gabon admet volontiers qu’un traité établissant le point terminal d’une frontière terrestre est pertinent en matière de délimitation maritime en ce qu’il détermine en principe le point de départ de la frontière maritime. Néanmoins, en aucune manière, un tel traité ne constitue-t-il un titre aux fins de la délimitation maritime au-delà de ce point.
5.21. La CNUDM n’est pas non plus un titre faisant droit entre les Parties. Elle n’est pas un titre (« title ») mais un instrument établissant une simple vocation à un titre (« entitlement »). Elle est insusceptible de constituer un titre : elle offre aux États qui n’ont pas conclu de traité de délimitation maritime des orientations générales leur permettant d’établir leur titre juridique par voie amiable ou contentieuse589. En matière de délimitation maritime, le titre n’est pas la CNUDM ; le titre serait l’accord de délimitation ou, en cas d’échec des négociations bilatérales, la décision de délimitation maritime rendue par une juridiction internationale.
5.22. Le fait que la CNUDM soit une convention internationale relative à la délimitation maritime ne fait pas d’elle une convention valant titre juridique au sens de l’article 1 du compromis. La Guinée Équatoriale prétend que « as the Special Agreement makes clear, the Court’s task is not limited to determining titles but also treaties and conventions concerning maritime delimitation »590. Comme précédemment développé591, les Parties peuvent valablement invoquer dans la présente instance tout traité et convention internationale faisant droit entre les Parties sous réserve que ces traités et conventions internationales constituent des titres juridiques. Si la CNUDM fait droit entre les Parties (tant le Gabon que la 588 RGE, vol. I, par. 6.8. 589 CMG, vol. I, pars. 9.12-9.16. 590 RGE, vol. I, par. 6.9. 591 V. supra, pars. 1.46-1.55. 188
Guinée Équatoriale y sont Parties), elle n’est pas un titre juridique aux fins de la délimitation de leur frontière maritime commune.
5.23. S’agissant de la coutume internationale, la Guinée Équatoriale soutient à tort qu’elle constitue un titre juridique entre les Parties « in so far as it establishes that a State’s title and entitlement to maritime areas derives from its title to land territory »592. Son raisonnement est simpliste : il revient à dire que, dans la mesure où il existe un titre sur la terre et où en vertu du droit international coutumier, le titre sur la mer « dérive » du titre sur la terre, le droit international coutumier vaut titre. À nouveau, le Gabon admet volontiers que le droit international coutumier et notamment le principe selon lequel « la terre domine la mer » invoqué par la Guinée Équatoriale593 sont pertinents pour la délimitation maritime et sont régulièrement utilisés par la jurisprudence internationale pour établir une frontière maritime. Pour autant, si ce droit international coutumier a vocation à permettre l’établissement d’un titre, il n’est en aucune manière un titre juridique. De manière trompeuse, la Guinée Équatoriale entretient délibérément la confusion entre les notions de titre (« title ») et de vocation au titre (« entitlement ») en les accolant sans les distinguer : « customary international law (…) recognizes that a coastal State’s entitlement and legal title to adjacent maritime areas derive from its title to land territory » 594. Cette confusion ne leurrera pas la Cour : de la même manière que la CNUDM, le droit international coutumier ne peut être que le fondement du titre juridique (l’entitlement) quant à la délimitation maritime mais non le titre (title) lui-même.
5.24. Aucun des trois éléments invoqués par la Guinée Équatoriale ne sont donc des titres faisant droit entre les Parties s’agissant de leur délimitation maritime. Ils ne le seraient toujours pas si, par extraordinaire, la Cour considérait que la 592 MGE, vol. I, p. 144. 593 RGE, vol. I, par. 6.10. 594 Ibid., par. 6.11 (italiques ajoutés). 189
Convention de Bata n’était pas un titre faisant droit entre les Parties s’agissant de leur frontière maritime commune. Dans cette hypothèse, les instruments invoqués par la Guinée Équatoriale ne seraient toujours pas des titres juridiques au sens du Compromis et la Cour n’aurait d’autre choix que de constater qu’aucun titre juridique ne fait droit entre les Parties s’agissant de leur frontière maritime. Le Gabon et la Guinée Équatoriale se trouveraient alors dans la même situation que la très grande majorité des États côtiers désireux de délimiter leur frontière maritime commune : en l’absence d’accord, ils procèderaient à la délimitation de leur frontière maritime commune par voie amiable ou judiciaire en se fondant sur les règles et les principes permettant d’établir in fine leur titre sur leur espace maritime respectif. À l’image de l’ensemble des États qui n’ont pas conclu d’accord de délimitation, ils se référeraient aux méthodes de délimitation mentionnées dans la CNUDM et complétées par le droit international coutumier, utilement précisé par la jurisprudence de la Cour, pour établir le titre de chacun d’eux sur leur espace maritime respectif en vue d’aboutir à une solution équitable.
5.25. Cette hypothèse est néanmoins purement hypothétique : le Gabon et la Guinée Équatoriale ont fixé leur frontière maritime commune dans la Convention de Bata et cette Convention est l’unique titre faisant droit entre les Parties aux fins de la délimitation maritime.
Conclusion
5.26. Il résulte des développements ci-dessus que :
a) la Convention de Bata constitue le titre juridique s’agissant de la frontière maritime entre le Gabon et la Guinée Équatoriale ; 190
b) ni la Convention de Paris ni la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ni le droit international coutumier ne constituent des titres juridiques faisant droit entre les Parties s’agissant de leur frontière maritime ;
c) si par extraordinaire, la Cour considérait que la Convention de Bata n’était pas un titre juridique faisant droit entre les Parties s’agissant de leur frontière maritime commune, elle devrait alors retenir qu’il n’en existe aucun. 191

CONCLUSIONS
Au vu des arguments présentés dans la présente duplique et de tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin même d’office, la République Gabonaise prie la Cour de bien vouloir
a) Déclarer que
(i) la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon du 12 septembre 1974 (Bata) et la Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée du 27 juin 1900 (Paris), sous réserve des modifications apportées à la frontière par la Convention de Bata, sont les titres juridiques qui font droit dans les relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale s’agissant de la délimitation de leur frontière terrestre commune ;
(ii) la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon du 12 septembre 1974 (Bata) est le titre juridique qui fait droit dans les relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale s’agissant de la délimitation de leur frontière maritime commune et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga.
b) Rejeter toute prétention contraire de la République de Guinée Équatoriale. 193
* * *
Le Gabon se réserve le droit de modifier ou d’amender le cas échéant les présentes conclusions, conformément aux dispositions du Statut et du Règlement de la Cour.
La Haye, le 6 mars 2023 194
Attestation
Je certifie par la présente que les documents reproduits comme annexes sont des copies conformes aux documents originaux et que les traductions dans l’une ou l’autre langue officielle de la Cour sont exactes.
La Haye, le 6 mars 2023 195

LISTE DES ANNEXES
VOLUME II
Annexe 1.
Rapport au ministre des Colonies, par M. Bonnel de Mézières
Annexe 2.
Protocole n° 1 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon, 22 mars 1886
Annexe 3.
Protocole n° 31 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon, 17 octobre 1887
Annexe 4.
Croquis français « Reconnaissance de la baie de Corisco », novembre 1954
Annexe 5.
Lettre n° 956 AP 3 du gouverneur général de la France outre-mer, haut-commissaire de la République en Afrique équatoriale française, 14 mars 1955
Annexe 6.
Lettre n° 955 AP 3 du gouverneur général de la France outre-mer, haut-commissaire de la République en Afrique équatoriale française, au gouverneur général des établissements espagnols du golfe de Guinée, 14 avril 1955
Annexe 7.
Loi constitutionnelle n° 1/61 promulguant la constitution de la République Gabonaise, 21 février 1961
Annexe 8.
Lettre du directeur général du ministère des Affaires étrangères espagnol au ministre des Affaires étrangères espagnol, 11 mai 1966
Annexe 9.
Note d’information du ministère des Affaires étrangères espagnol, 8 juillet 1966
Annexe 10.
Note verbale n° 04564/MAE/SG du ministère des Affaires étrangères gabonais au ministère des Affaires étrangères espagnol, 11 septembre 1967
Annexe 11.
Lettre n° 585 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministère des Affaires étrangères espagnol, 3 décembre 1968
197
Annexe 12.
Lettre du directeur général du ministère des Affaires étrangères espagnol au chargé d’affaires espagnol en Guinée Équatoriale, 16 décembre 1968
Annexe 13.
Lettre n° 156 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministère des Affaires étrangères espagnol, 23 juin 1970
Annexe 14.
Télégramme n° 16 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 13 février 1971
Annexe 15.
Lettre de l’ambassadeur d’Espagne au Gabon au sous-secrétaire du ministère des Affaires étrangères espagnol, 23 mars 1971
Annexe 16.
Lettre n° 55/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 1er avril 1972
Annexe 17.
Télégramme n° 72 de l’ambassade d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères espagnol, 5 avril 1972
Annexe 18.
Lettre n° 6 de l’ambassade d’Espagne à Libreville au ministère des Affaires étrangères espagnol, 12 avril 1972
Annexe 19.
Lettre n° 118 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 29 juin 1972
Annexe 20.
Note de renseignements de la gendarmerie gabonaise communiquée au ministère des Affaires étrangères français, 13 juillet 1972
Annexe 21.
Note verbale n° 86/MPG-C1 de la mission permanente de la République Gabonaise auprès de l’ONU à Genève à la mission permanente de la France, 14 août 1972
Annexe 22.
Note verbale n° 2549 du ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale aux missions diplomatiques accréditées en Guinée Équatoriale, 31 août 1972
Annexe 23.
Note verbale n° 2581 du ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale aux missions diplomatiques accréditées en Guinée Équatoriale, 1er septembre 1972 198
Annexe 24.
Note verbale n° 2574 du ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale aux missions diplomatiques accréditées en Guinée Équatoriale, 1er septembre 1972
Annexe 25.
Lettre n° 007/CF de l’ambassadeur du Gabon en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères du Gabon, 2 septembre 1972
Annexe 26.
Télégramme n° 41/43 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale, 8 septembre 1972
Annexe 27.
Télégramme n° 430/431 de l’ambassadeur de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 9 septembre 1972
Annexe 28.
Télégramme n° 426/429 de l’ambassadeur de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 9 septembre 1972
Annexe 29.
Message n° 5192/MAEC/SG du ministère des Affaires étrangères du Gabon au ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale, 11 septembre 1972
Annexe 30.
Télégramme n° 4028/31 du représentant permanent de la France à l’ONU au ministère des Affaires étrangères français et aux ambassades françaises au Gabon et en Guinée Équatoriale, 12 septembre 1972
Annexe 31.
Télégramme n° 4045/46 du représentant français à l’ONU au ministère des Affaires étrangères français, 13 septembre 1972
Annexe 32.
Télégramme n° 4067 du représentant français à l’ONU aux ambassades françaises au Zaïre, au Gabon et en Guinée Équatoriale, 14 septembre 1972
Annexe 33.
Télégramme n° 34 de l’ambassade d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 15 septembre 1972
Annexe 34.
Lettre du ministre des Affaires étrangères espagnol à l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale, 19 septembre 1972
Annexe 35.
Télégramme n° 673/681 de l’ambassadeur de France au Zaïre au ministère des Affaires étrangères français, 19 septembre 1972 199
Annexe 36.
Télégramme n° 52/53 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 23 septembre 1972
Annexe 37.
Philippe Decraene, « Une mauvaise querelle entre la Guinée Equatoriale et le Gabon », Le Monde Diplomatique, octobre 1972
Annexe 38.
Note « Permis de recherches d’hydrocarbures off shore dans la zone contestée entre le Gabon et la Guinée Equatoriale », de l’ambassade de France au Gabon, 5 octobre 1972
Annexe 39.
Télégramme n° 58 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 14 octobre 1972
Annexe 40.
Télégramme n° 598 de l’ambassadeur de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 17 octobre 1972
Annexe 41.
Lettre n° 512 de l’ambassadeur d’Espagne au Zaïre au ministre des Affaires étrangères espagnol, 15 novembre 1972
Annexe 42.
Note de synthèse n° 45/46-72 de l’ambassade de France au Gabon, 20 novembre 1972
Annexe 43.
Lettre n° 35/73 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires étrangères espagnol, 18 janvier 1973
Annexe 44.
Lettre n° 435/74 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères, 24 août 1974
Annexe 45.
Lettre n° 191 de l’ambassadeur d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 25 septembre 1974
Annexe 46.
Lettre n° 568/74 de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires étrangères espagnol, 9 octobre 1974
Annexe 47.
Lettre n° 209 de l’ambassadeur d’Espagne au Gabon au ministre des Affaires étrangères espagnol, 10 octobre 1974
Annexe 48.
Télégramme n° 269/72 de l’ambassade de France à Malabo au ministère des Affaires étrangères, 7 novembre 1979
200
Annexe 49.
Note verbale n° 83/AL/84 de l’ambassade de France à Malabo au ministère des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale, 22 mars 1984
Annexe 50.
Télégramme n° 805 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français, 11 septembre 1984
Annexe 51.
Note de l’ambassadeur de France au Gabon non datée, inclue dans un bordereau d’envoi au ministère des Affaires étrangères français, 1er février 1993
Annexe 52.
Commission sur le différend Gabon/Guinée Équatoriale, Observations de la délégation gabonaise à propos du nouveau projet d’article 1er relatif à l’objet du différend tel que proposé aux Parties à la fin de la dernière session de la Médiation, Genève, 29-30 mars 2001
Annexe 53.
Lettre du Président de la République Gabonaise au secrétaire général des Nations Unies, 14 mai 2007
Annexe 54.
Note de Luigi Condorelli, 21 juillet 2011
Annexe 55.
Note de Luigi Condorelli, 30 avril 2012
Annexe 56.
Projet de Compromis, 31 octobre 2013
Annexe 57.
Projet de Compromis, 19 janvier 2016
Annexe 58.
Note verbale n° 1514 du ministère des Affaires étrangères espagnol, 30 novembre 2022
Annexe 59.
Note verbale n° 0613/23/ARGRERPGOMT/CABCMD/og de l’ambassade du Gabon en Espagne, 25 janvier 2023
Annexe 60.
Note verbale n° 1/14 du ministère des Affaires étrangères espagnol, 14 février 2023 201

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Duplique du Gabon

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