Réplique de la Guinée équatoriale

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179-20221005-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
19823
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DÉLIMITATION TERRESTRE ET MARITIME ET SOUVERAINETÉ SUR DES ÎLES
(GABON/GUINÉE ÉQUATORIALE)
RÉPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE ÉQUATORIALE
VOLUME I
5 octobre 2022
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE 1. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
CHAPITRE 2. LE DIFFÉREND DONT LA COUR EST SAISIE .................................................................... 5
I. Les Parties s’accordent à dire que le compromis invite la Cour à se prononcer sur les
effets juridiques des titres, traités et conventions internationales qu’elles invoquent ............. 5
II. Le compromis ne donne pas compétence à la Cour uniquement pour déterminer si le
document présenté par le Gabon en 2003 est un titre juridique faisant droit entre les
Parties....................................................................................................................................... 5
A. L’interprétation donnée au compromis par le Gabon est contraire au texte de son
préambule et de son article premier et le prive d’effet utile ............................................... 6
B. L’interprétation proposée par le Gabon est contraire au but du compromis ....................... 8
III. La jurisprudence de la Cour n’accrédite pas le second sens que le Gabon donne à
l’expression « titres juridiques » ............................................................................................ 10
CHAPITRE 3. LE DOCUMENT PRÉSENTÉ PAR LE GABON EN 2003 N’ÉTABLIT PAS DE TITRE
JURIDIQUE NI NE FAIT DROIT DANS LES RELATIONS ENTRE LES PARTIES ............... 14
I. Les circonstances de la conclusion alléguée du document présenté en 2003 attestent qu’il
n’est pas un traité définitif et contraignant établissant des titres juridiques au sens de
l’article premier du compromis .............................................................................................. 18
A. Le Gabon n’a produit aucun élément de preuve convaincant à l’appui de son
affirmation selon laquelle les Parties avaient conclu un accord contraignant le
12 septembre 1974 ............................................................................................................ 18
B. Les sources historiques confirment que, le 12 septembre 1974, les Parties ne sont pas
parvenues à un accord qui a « définitivement réglé » leur différend relatif aux
frontières terrestre et maritime et à la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga ...... 25
II. Les Parties n’ont jamais considéré ou traité le document présenté en 2003 comme faisant
droit dans leurs relations ou établissant un titre juridique au sens de l’article premier du
compromis ............................................................................................................................. 28
A. Les Parties n’ont jamais pris l’une quelconque des mesures nécessaires pour
parachever ou appliquer la prétendue « convention de Bata » ......................................... 28
B. Les Parties ont continué à déployer des efforts pour régler leurs différends relatifs à
la souveraineté et aux frontières sans invoquer le document présenté en 2003,
s’appuyant au contraire sur d’autres titres juridiques ....................................................... 34
CHAPITRE 4. TITRE JURIDIQUE SUR LES ÎLES ET ÎLOTS DE LA BAIE DE CORISCO ............................. 42
I. L’Espagne possédait un titre juridique sur les dépendances de Corisco .................................. 44
A. La période antérieure à la conclusion de la convention de 1900....................................... 44
- ii -
B. La convention de 1900 repose sur la reconnaissance du titre juridique existant de
l’Espagne sur les îles de la baie de Corisco ...................................................................... 48
C. Le statut de l’île Corisco et de ses dépendances est resté inchangé au cours de la
période allant de la conclusion de la convention de 1900 à l’accession de la Guinée
équatoriale à l’indépendance ............................................................................................ 50
II. La Guinée équatoriale a succédé au titre juridique que détenait l’Espagne sur les
dépendances de Corisco ......................................................................................................... 59
III. Le Gabon ne possède aucun titre juridique sur les dépendances de Corisco ........................ 61
CHAPITRE 5. TITRES JURIDIQUES SUR LE TERRITOIRE CONTINENTAL .............................................. 64
I. La convention de 1900 et ses procédures de modification de la frontière terrestre ................. 67
II. La frontière terrestre dans la zone de l’Outemboni ................................................................ 69
A. La commission de 1901 .................................................................................................... 69
B. La commission de 1914 ..................................................................................................... 74
C. La période antérieure à l’accession à l’indépendance courant à compter de la
rétrocession du territoire concerné à la France par l’Allemagne ...................................... 77
D. La période postérieure à l’accession à l’indépendance ..................................................... 85
III. La frontière terrestre dans la zone du kyé ............................................................................. 94
A. L’accord des gouverneurs de 1919 ................................................................................... 94
B. La période antérieure à l’accession à l’indépendance ....................................................... 97
C. La période postérieure à l’accession à l’indépendance ................................................... 101
CHAPITRE 6. TITRES JURIDIQUES SUR LES EAUX ADJACENTES AUX CÔTES DES PARTIES .............. 118
CONCLUSIONS .............................................................................................................................. 121
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1.1. La République de Guinée équatoriale soumet la présente réplique (ci-après la « RGE »)
conformément à l’ordonnance rendue le 6 mai 2022 par la Cour, qui a fixé au 5 octobre 2022 et au
6 mars 2023, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt de la réplique de la
Guinée équatoriale et de la duplique de la République gabonaise. La Cour a été saisie du présent
différend le 5 mars 2021, à réception de la notification officielle par la Guinée équatoriale du
« compromis entre la République gabonaise et la République de Guinée équatoriale » conclu le
15 novembre 2016 (ci-après le « compromis »).
1.2. L’article premier du compromis se lit comme suit :
« Soumission à la Cour et objet du différend
1. La Cour est priée de dire si les titres juridiques, traités et conventions
internationales invoqués par les Parties font droit dans les relations entre la République
Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale s’agissant de la délimitation de leurs
frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié,
Cocotiers et Conga.
À cette fin :
2. La République Gabonaise reconnaît comme applicables au différend la
Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans
l’Afrique Occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée du 27 juin
1900 (Paris) et la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la
Guinée Équatoriale et du Gabon du 12 septembre 1974 (Bata).
3. La République de Guinée Équatoriale reconnaît comme applicable au différend
la Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans
l’Afrique Occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée du 27 juin
1900 (Paris).
4. Chacune des Parties se réserve le droit d’invoquer d’autres titres juridiques. »1
1.3. Les Parties ont ainsi donné compétence à la Cour pour déterminer les titres juridiques,
traités et conventions internationales qu’elles peuvent appliquer pour régler la question de la
souveraineté sur trois îles litigieuses (Mbanié, Cocotiers et Conga), ainsi que ceux qu’elles peuvent
appliquer pour délimiter leurs frontières terrestre et maritime. Dans son mémoire, la Guinée
équatoriale a invoqué les titres juridiques, traités et conventions mentionnés ci-après et a établi que
les Parties pouvaient les appliquer pour régler leurs différends relatifs à la souveraineté et aux
frontières :
« A. En ce qui concerne … la frontière terrestre,
1) par voie de succession d’États, la convention spéciale sur la délimitation des
possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique occidentale, sur la côte du
1 Compromis entre la République Gabonaise et la République de Guinée équatoriale en date du 15 novembre 2016
(original français versé au dossier), article premier.
- 2 -
Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, signée à Paris le 27 juin 1900 (ci-après
la « convention de 1900 »), telle qu’appliquée par la France et l’Espagne
jusqu’à l’accession du Gabon à l’indépendance, le 17 août 1960, puis par le
Gabon et l’Espagne jusqu’à l’accession de la Guinée équatoriale à
l’indépendance, le 12 octobre 1968 ;
2) le titre juridique que la République de Guinée équatoriale a acquis en succédant
à l’ensemble des titres détenus par l’Espagne sur le territoire, en ce compris les
limites de ce territoire, compte tenu des modifications apportées à la frontière
décrite à l’article IV de la convention de 1900, conformément aux termes de
cet instrument et au droit international, … ; et
3) le titre juridique que la République gabonaise a acquis en succédant à
l’ensemble des titres détenus par la France sur le territoire, en ce compris les
limites de ce territoire, compte tenu des modifications apportées à la frontière
décrite à l’article IV de la convention de 1900, conformément aux termes de
cet instrument et au droit international … ;
B. En ce qui concerne la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga,
1) le titre que la Guinée équatoriale a acquis, le 12 octobre 1968, par voie de
succession au titre juridique de l’Espagne sur Mbanié, Cocotiers et Conga…
C. En ce qui concerne [les frontières] maritimes …,
1) la convention de 1900, en ce qu’elle a placé le point terminal de la frontière
terrestre dans la baie de Corisco, et reconnu la souveraineté de l’Espagne sur
les îles Corisco, Elobey Grande et Elobey Chico ;
2) la convention des Nations Unies sur le droit de la mer signée le 10 décembre
1982 à Montego Bay ; et
3) le droit international coutumier, en ce qu’il établit que le titre d’un État sur des
espaces maritimes et la prétention que peut faire valoir celui-ci à cet égard
découlent du titre qu’il possède sur le territoire terrestre. »2
1.4. Dans son contre-mémoire (ci-après le « CMG »), le Gabon n’apporte aucun des éléments
de preuve nécessaires pour réfuter ceux que la Guinée équatoriale a produits en grand nombre à
l’effet d’établir l’existence et l’applicabilité de ces titres juridiques. Il fait valoir plutôt que la
prétendue « convention de Bata », document qu’il a présenté pour la première fois en 2003, est le
seul titre juridique sur lequel la Cour doit se prononcer pour trancher l’ensemble des questions dont
elle a été saisie. Ainsi que la Guinée équatoriale l’a démontré au chapitre 7 de son mémoire, ce
document, qui n’avait été porté à sa connaissance pour la première fois que 29 ans après la prétendue
création de ce dernier, n’a aucun effet juridique et ne peut être considéré comme un titre juridique,
un traité ou une convention internationale faisant droit dans les relations entre les deux Parties, et
plus précisément en matière de délimitation de leurs frontières maritime et terrestre et de souveraineté
sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga. Au contraire, comme le montrent clairement les éléments de
preuve versés au dossier devant la Cour, l’invocation dudit document ne constitue rien d’autre qu’une
manoeuvre tendant à fabriquer de toutes pièces, après coup, un titre juridique sur des îles équatoguinéennes
que le Gabon a occupées par l’usage illégal de la force en 1974 et continue de maintenir
illégalement en sa possession.
2 Voir le mémoire de la Guinée équatoriale (ci-après le « MGE »), vol. I, conclusions.
- 3 -
1.5. Après la présente introduction, la Guinée équatoriale réfute au chapitre 2 l’affirmation du
Gabon selon laquelle l’article premier du compromis ne confère compétence à la Cour que pour se
prononcer sur l’applicabilité du seul titre juridique qu’il invoque, à savoir le document qu’il a
présenté à la Guinée équatoriale pour la première fois en 2003. Elle y démontre que la Cour a pour
mandat d’examiner tous les titres juridiques invoqués par les deux Parties, y compris ceux qui sont
fondés sur le droit international par application des principes régissant la succession d’États.
1.6. Au chapitre 3, la Guinée équatoriale établit que le Gabon n’a pas prouvé que le document
qu’il lui avait présenté en 2003 avait une quelconque valeur juridique ou pouvait être invoqué comme
titre juridique, traité ou convention faisant droit entre les Parties dans le cadre de leurs différends
frontalier et territorial. Elle y montre que le Gabon a donné une version incomplète et dénaturée des
faits et que les éléments de preuve disponibles — y compris ceux produits par le Gabon —
confirment que les Parties n’avaient pas conclu de traité ni d’autre accord contraignant réglant l’un
quelconque de leurs différends le 12 septembre 1974. Elle rappelle à cet égard les éléments clairs et
cohérents qu’elle a exposés dans son mémoire pour prouver que le Gabon et elle n’ont jamais agi en
partant du principe qu’un tel instrument était en vigueur entre eux. En outre, elle apporte des éléments
de preuve supplémentaires accréditant la conclusion que, jusqu’à ce que le Gabon l’invoque
soudainement pour la première fois en 2003 et qu’elle le rejette, aucune des Parties n’avait jamais
dit ou considéré que le document de 1974 était un accord définitif ou contraignant réglant leurs
différends frontalier et territorial.
1.7. Au chapitre 4, la Guinée équatoriale établit que le Gabon n’a produit aucun élément de
preuve contredisant ceux qu’elle avait exposés clairement et abondamment dans son mémoire pour
mettre en évidence le titre juridique historique de l’Espagne sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga
et prouver qu’elle avait succédé à ce titre lors de son accession à l’indépendance en 1968. Elle
souligne que, dans son contre-mémoire, le Gabon n’allègue pas que la France ou lui aient jamais
détenu ou fait valoir un titre sur ces îles avant 1972, l’année où il a soudainement occupé Mbanié par
la force. Elle établit également que, depuis au moins 1843, il n’y a jamais eu, contrairement à ce que
le Gabon prétend aujourd’hui, d’incertitudes concernant le titre de l’Espagne et le sien sur l’ensemble
des îles situées dans la baie de Corisco, dont Mbanié, Cocotiers et Conga.
1.8. Au chapitre 5, la Guinée équatoriale rappelle avoir démontré dans son mémoire que
l’Espagne et la France avaient eu recours aux procédures prévues par la convention de 1900 pour
modifier certaines parties de la frontière terrestre dans la zone de l’Outemboni au sud-ouest et celle
du Kyé au nord-est. Elle montre que le Gabon n’a présenté aucun élément de preuve tendant à réfuter
ceux qu’elle avait produits pour établir l’existence de ces modifications concertées, ou à démentir
l’occupation souveraine et continue par l’Espagne et elle-même des parties des zones de l’Outemboni
et du Kyé échues à l’Espagne à raison desdites modifications depuis le début du XXe siècle jusqu’à
présent. Elle montre également que même les preuves apportées par le Gabon confirment que les
parties en cause relèvent des titres juridiques successifs de l’Espagne et de la Guinée équatoriale.
1.9. Au chapitre 6, la Guinée équatoriale rappelle avoir démontré dans son mémoire que les
titres juridiques, traités et conventions internationales faisant droit entre les Parties en matière de
délimitation de leur frontière maritime sont ceux qui établissent leurs titres respectifs sur les îles et
le territoire terrestre côtier, ainsi que la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982
(ci-après la « CNUDM ») et le droit international coutumier. Elle montre que les moyens tirés par le
Gabon de la prétendue inapplicabilité de ces titres juridiques, traités et conventions internationales à
la délimitation de leur frontière maritime sont totalement dénués de fondement.
- 4 -
1.10. Les conclusions de la Guinée équatoriale suivent le chapitre 6 et marquent la fin du texte
principal du volume I de la présente réplique. Celle-ci comprend également quatre volumes
d’annexes. Le volume II reproduit les cartes, figures, photos et vidéos que la Guinée équatoriale vise
dans le volume I, tandis que les volumes III à V contiennent les pièces jointes étayant ses prétentions.
- 5 -
CHAPITRE 2
LE DIFFÉREND DONT LA COUR EST SAISIE
I. LES PARTIES S’ACCORDENT À DIRE QUE LE COMPROMIS INVITE LA COUR À
SE PRONONCER SUR LES EFFETS JURIDIQUES DES TITRES, TRAITÉS ET
CONVENTIONS INTERNATIONALES QU’ELLES INVOQUENT
2.1. Dans son mémoire, la Guinée équatoriale a établi que le compromis conclu entre les
Parties invitait la Cour à se prononcer sur les effets juridiques des titres, traités et conventions
internationales qu’elles invoquent dans deux matières distinctes mais connexes : i) la détermination
de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga, et ii) la délimitation des frontières terrestre
et maritime des Parties3.
2.2. Dans son contre-mémoire, le Gabon semble souscrire à la position de la Guinée
équatoriale4. Il consacre plusieurs pages à ce sujet, concluant, comme la Guinée équatoriale, que la
Cour a pour mission non pas de déterminer la souveraineté sur les îles disputées ni de délimiter les
frontières terrestre et maritime séparant les Parties, mais plutôt de « déterminer les titres juridiques
applicables »5. Malgré cette concordance de vues, le Gabon déclare que la Guinée équatoriale
« postule implicitement que la Cour est invitée à se prononcer [sur la question de la délimitation des
frontières et celle de la souveraineté territoriale] »6 en s’employant à « décrire le différend frontalier
et territorial qui oppose les deux États sans davantage prêter attention aux termes du Compromis »7.
2.3. La Guinée équatoriale n’a pas fait une telle « postulation implicite ». Elle n’expose les
faits dans son mémoire que dans le but d’établir les titres juridiques, traités et conventions qu’elle
invoque au titre de l’article premier du compromis. Elle retient les faits survenus de 1789 à 1968,
période de la colonisation espagnole, du fait qu’ils établissent l’existence des titres juridiques
espagnols auxquels elle a succédé lors de son accession à l’indépendance. Quant aux faits survenus
après 1968, ils mettent en évidence la continuité de ces titres depuis l’accession à l’indépendance
jusqu’à ce jour.
II. LE COMPROMIS NE DONNE PAS COMPÉTENCE À LA COUR UNIQUEMENT POUR
DÉTERMINER SI LE DOCUMENT PRÉSENTÉ PAR LE GABON EN 2003 EST
UN TITRE JURIDIQUE FAISANT DROIT ENTRE LES PARTIES
2.4. Dans son mémoire, la Guinée équatoriale a relevé que l’expression « titres juridiques,
traités et conventions internationales » employée au paragraphe 1 de l’article premier du compromis
et la possibilité d’invoquer d’« autres titres juridiques » visée au paragraphe 4 du même article
3 MGE, vol. I, par. 1.4. Voir également ibid., par. 1.7 (« Les Parties ont donné compétence à la Cour pour
déterminer les titres juridiques qu’elles peuvent appliquer pour régler la question de la souveraineté sur les trois îles
litigieuses …, ainsi que ceux qu’elles peuvent appliquer pour délimiter leurs frontières terrestre et maritime. » Voir en outre
le compromis entre la République gabonaise et la République de Guinée équatoriale, en date du 15 novembre 2016 (original
français versé au dossier), article premier, par. 1 (« La Cour est priée de dire si les titres juridiques, traités et conventions
internationales invoqués par les Parties font droit dans les relations entre la République Gabonaise et la République de
Guinée Équatoriale s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté
sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga. »).
4 [CMG], vol. I, par. 5.2 (« Le Gabon n’a rien à redire à cette affirmation qui est une simple glose de l’article 1 du
Compromis. »).
5 Ibid., par. 5.5-5.62.
6 Ibid., par. 5.4.
7 Ibid., par. 5.3.
- 6 -
attestaient que les Parties étaient convenues que la Cour avait pour mission de déterminer tous les
titres juridiques faisant droit entre elles qui pouvaient être appliqués pour régler leurs différends
territorial et frontalier.
2.5. Selon toute apparence, le Gabon adopte une approche différente. Premièrement, il semble
soutenir que le compromis reflète l’intention des deux États de limiter la compétence de la Cour à la
question de savoir si un, et un seul, instrument — le document qu’il a présenté en 2003 — est un titre
juridique faisant droit entre eux. À l’appui de ce moyen, il interprète l’expression « titres juridiques »
comme désignant uniquement les traités et conventions. Comme il sera expliqué ci-dessous, cette
interprétation est contraire aux dispositions mêmes du compromis et incompatible avec son objet et
son but. Deuxièmement, le Gabon fait valoir qu’ainsi que le paragraphe 4 de l’article 31 de la
convention de Vienne sur le droit des traités (ci-après la « CVDT ») en prévoit la possibilité, les
Parties ont entendu donner un sens particulier à l’expression « titres juridiques », à savoir celui de
« preuves documentaires »8, de sorte que tous les autres titres territoriaux fondés sur le droit
international ne sauraient être considérés comme des « titres juridiques » dans le cadre du
compromis.
2.6. Par ces moyens, erronés comme la Guinée équatoriale le démontrera ci-dessous, le Gabon
cherche à exclure du champ de la compétence de la Cour l’examen des titres juridiques, traités et
conventions qu’elle invoque. Le Gabon soutient que la Cour a pour mission de se prononcer sur
l’applicabilité d’un et un seul titre juridique présumé : le prétendu traité présenté en 2003 qu’il
invoque devant la Cour. Selon lui, les dispositions pertinentes du compromis
« mettent en évidence le fait que le coeur du différend repose sur l’applicabilité de
conventions ou plus exactement sur l’applicabilité de la Convention de Bata du
12 septembre 1974, que le Gabon considère comme applicable. Pour ce qui est de la
Convention de Paris du 27 juin 1900, le postulat de son applicabilité est accepté par les
deux Parties. »9
Comme indiqué ci-dessous, le sens ordinaire à attribuer aux termes du compromis dans leur contexte
et à la lumière de son objet et de son but n’accrédite pas l’interprétation donnée au compromis par le
Gabon, selon laquelle la Cour n’a pour mission que de répondre, par « oui » ou par « non », à une et
une seule question concernant la nature et, le cas échéant, l’effet du document présenté en 2003 (qu’il
qualifie de « convention de Bata »).
A. L’interprétation donnée au compromis par le Gabon est contraire au texte
de son préambule et de son article premier et le prive d’effet utile
2.7. Les Parties s’accordent à dire que les règles coutumières régissant l’interprétation des
traités, telles qu’elles sont énoncées aux articles 31 et 32 de la CVDT, s’appliquent à l’interprétation
du compromis.
2.8. Le préambule du compromis fait état d’un différend opposant les Parties tel qu’il est défini
à l’article premier. Celui-ci définit le différend dont la Cour est saisie, ainsi que les limites des
questions qu’elle peut trancher. Plus précisément, la Cour est priée de déterminer ceux des « titres
juridiques, traités et conventions internationales » invoqués par chacune des Parties qui font droit
dans les relations entre elles « s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre
communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ». Elle n’est pas invitée à
8 Ibid., par. 5.69.
9 Ibid., par. 5.30 (les italiques sont de nous ; notes de bas de page omises).
- 7 -
régler un quelconque différend relatif à la souveraineté et aux frontières, mais à se prononcer sur la
nature juridique et la validité des titres invoqués par les Parties qui pourraient être utiles à la
délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et à la détermination de la
souveraineté sur les îles susvisées.
2.9. Le Gabon convient qu’un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire
à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but10. Cependant, il
méconnaît par la suite le sens ordinaire des termes du compromis, rendant une grande partie de son
texte superflue et sapant son objet et son but.
2.10. Contrairement à ce que le Gabon affirme, le paragraphe 1 de l’article premier du
compromis ne prévoit pas que la Cour examine le seul prétendu titre qu’il invoque pour déterminer
les « titres juridiques, traités et conventions » applicables. Les termes « titres juridiques, traités et
conventions internationales » sont incontestablement écrits au pluriel. Ils indiquent donc à l’évidence
qu’il s’agit d’examiner plus d’une source de droits juridiques. Pour le Gabon, le pluriel ne vise qu’à
prendre en compte la convention de 1900 et le document qu’il a présenté pour la première fois en
2003, mais il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur l’applicabilité de la convention, car
les Parties s’accordent à dire qu’elle est applicable, laissant seulement à la Cour le soin de se
prononcer sur l’applicabilité du document. La Guinée équatoriale estime à l’inverse que l’emploi du
pluriel atteste que l’interprétation donnée au compromis par le Gabon ne peut être correcte : la Cour
est priée d’examiner tous les titres juridiques, traités et conventions possibles invoqués par les
Parties, et pas seulement le prétendu titre invoqué par le Gabon. S’il en avait été autrement, le
compromis aurait simplement invité la Cour à déterminer si ce seul titre est applicable, sans viser
d’autres « titres juridiques, traités et conventions ». L’interprétation donnée par le Gabon rend donc
la majeure partie du texte de l’article premier superflue, en violation du principe de l’effet utile.
2.11. De plus, l’argument avancé par le Gabon découle de ce que ce dernier considère que
dans le membre de phrase « les titres juridiques, traités et conventions internationales invoqués par
les Parties », les termes « traités » et « conventions internationales » ne sont qu’une « précision »
apportée à « l’expression “les titres juridiques” »11. Or cela est manifestement contraire au texte du
compromis, qui énumère des sources distinctes de droits juridiques que la Cour doit apprécier : il
s’agit non seulement des titres juridiques, mais également des traités et des conventions
internationales. Ce texte ne contient rien qui indique expressément ou implicitement que les « traités
et conventions internationales » sont censés constituer les seules sources des « titres juridiques »
visés au paragraphe 1 de l’article premier. Il existe de nombreuses formules possibles que les
rédacteurs auraient pu utiliser pour le dire si tel avait été le cas, mais ils ont choisi de ne pas les
utiliser. En fait, ils ont énuméré des termes distincts, séparés par une virgule et une conjonction, sans
préciser que les deux derniers éléments étaient censés être synonymes du premier, intégrés dans
celui-ci ou n’en être que des composantes. L’interprétation proposée par le Gabon revient en réalité
à réécrire le texte de l’article premier en éliminant l’expression « titres juridiques », en assimilant
ceux-ci aux traités et conventions et en rendant ainsi l’expression redondante et sans intérêt.
10 Voir CMG, vol. I, par. 5.7.
11 CMG, vol. I, par. 5.70.
- 8 -
2.12. La Cour a déclaré à maintes reprises qu’il convenait d’interpréter un traité en veillant à
ce qu’aucune de ses dispositions ne soit « privée de portée ou d’effet »12. Si, comme l’affirme le
Gabon, les « titres juridiques » ne s’entendaient que des « traités et conventions internationales »,
l’expression « titres juridiques » serait privée « de portée ou d’effet ». Les rédacteurs du compromis
auraient pu viser les « traités et conventions internationales » sans mentionner les « titres
juridiques », mais ce n’est pas ce qu’ils ont choisi de faire : ils ont pris en considération ces derniers
qui, dans l’usage courant et en droit international, ont un sens différent de celui des « traités et
conventions » et plus large. Le Gabon ne peut pas priver la Cour de la compétence que les Parties lui
ont conférée, à savoir la compétence pour se prononcer sur l’applicabilité des titres juridiques
invoqués par la Guinée équatoriale dans son mémoire, y compris ceux qui ne sont ni des « traités »
ni des « conventions internationales ». Il ne peut pas non plus exclure du mandat juridictionnel de la
Cour le pouvoir de se prononcer sur l’applicabilité des traités et conventions invoqués par la Guinée
équatoriale autres que la convention dite de Bata qu’il invoque.
B. L’interprétation proposée par le Gabon est contraire au but du compromis
2.13. L’interprétation limitée et à effet d’exclusion que le Gabon donne au texte du compromis
est contraire au but fondamental de celui-ci tel qu’il le décrit lui-même. Dans sa présentation de la
portée du consentement des Parties à la compétence de la Cour, le Gabon dit au sujet du but du
compromis ce qui suit :
« [L]’arrêt que la Cour est invitée à rendre est évidemment destiné à “affecter les
droits ou obligations juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude
dans leurs relations juridiques” et les Parties seront “à même de prendre des mesures”
pour y donner suite. »13
2.14. Le Gabon convient en outre que « [l]a question posée à la Cour porte sur “les titres
juridiques, traités et conventions internationales” qui permettront ultérieurement aux Parties de
déterminer à la fois le tracé de leurs frontières maritime et terrestre et la souveraineté sur les trois îles
citées »14. Il convient également que la Cour doit régler le différend opposant les Parties tel qu’il est
défini dans le compromis (mais, bien entendu, sans outrepasser le mandat que les Parties lui ont
confié)15. De plus, il postule que si la Cour accomplit sa mission, cela aura des « conséquences
concrètes » et constituera une « une étape importante en vue de la solution » du différend qui oppose
les Parties au sujet de la délimitation de leurs frontières terrestre et maritime et de la souveraineté sur
les trois îles disputées16.
2.15. Il est donc manifeste que la Guinée équatoriale et le Gabon s’accordent sur le fait que le
compromis a pour but d’obtenir de la Cour le règlement intégral du différend qui oppose les Parties
au sujet des titres juridiques, traités et conventions internationales applicables « s’agissant de la
délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles
12 Détroit de Corfou (Royaume–Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 24 (« Il serait en effet contraire
aux règles d’interprétation généralement reconnues de considérer qu’une disposition de ce genre, insérée dans un
compromis, soit une disposition sans portée et sans effet ») ; voir également Différend territorial (Jamahiriya arabe
libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 25, par. 51 ; et Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex,
ordonnance du 19 août 1929, C.P.J.I. série A no 22, p. 13.
13 CMG, vol. I, par. 5.57 (notes de bas de page omises).
14 Ibid., par. 5.11.
15 Ibid., par. 5.55.
16 Ibid., par. 5.56-5.59.
- 9 -
Mbanié, Cocotiers et Conga ». Les Parties pourraient ensuite procéder pacifiquement au règlement
de leurs différends concernant ces questions en s’appuyant sur l’arrêt rendu par la Cour.
2.16. La position du Gabon selon laquelle la Cour n’a compétence que pour trancher la seule
question de l’applicabilité du document qu’il a présenté en 200317 va cependant à l’encontre de ce
but. Premièrement, elle empêcherait la Cour de régler intégralement le différend qui lui est soumis
en ce qu’elle exclut les titres juridiques, traités ou conventions invoqués par la Guinée équatoriale à
l’exception de la convention de 1900. Deuxièmement, elle empêcherait la Cour de dissiper « toute
incertitude dans leurs relations juridiques »18 pour permettre aux Parties de négocier le règlement
pacifique de leurs différends relatifs aux frontières et à la souveraineté.
2.17. Le Gabon fait valoir qu’il ne serait plus facile aux Parties de régler ces différends sousjacents
dans le cadre de négociations ultérieures que si la Cour limitait la portée de sa décision à
l’applicabilité de la convention de 1900 (qui est acceptée par les deux Parties) et du document
présenté en 2003 (qui n’est invoqué que par le Gabon).
2.18. Cela n’est pas exact. Le Gabon ne tient pas compte des titres juridiques supplémentaires
invoqués par la Guinée équatoriale qui permettraient aux Parties de régler intégralement la question
de la souveraineté sur les îles ainsi que les principaux points litigieux concernant la frontière terrestre
au cas où la Cour les jugerait applicables en même temps que la convention de 1900. Par exemple,
en ce qui concerne les îles Mbanié, Cocotiers et Conga, le titre territorial hérité par la Guinée
équatoriale de l’Espagne par voie de succession d’États lors de son accession à l’indépendance établit
que ces trois îles relèvent de la souveraineté de la Guinée équatoriale. Si la Cour retient que ce titre
juridique fait droit entre les Parties, celles-ci pourront l’appliquer pour régler définitivement cette
partie de leur différend. En revanche, le texte du document présenté par le Gabon en 2003 ne
mentionne même pas les îles Cocotiers et Conga, sans compter le fait que la Guinée équatoriale
conteste qu’il puisse engendrer un titre juridique.
2.19. De même, le titre juridique sur le territoire continental que la Guinée équatoriale a acquis
lors de son accession à l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne permet aux Parties de déterminer
l’emplacement exact de leur frontière terrestre dans les zones disputées. Ce titre met en évidence la
frontière décrite dans la convention de 1900 et les ajustements que la France et l’Espagne y ont
apportés d’un commun accord sur le fondement de l’article VIII et de l’annexe I de la convention
avant l’accession de la Guinée équatoriale et du Gabon à l’indépendance. Les Parties peuvent se
fonder sur les titres juridiques conférés par la convention, tels qu’ils ont été modifiés de concert, pour
régler leur différend relatif à leur frontière terrestre sans qu’il soit nécessaire de mener de nouvelles
négociations sur le tracé de celle-ci. En revanche, le document présenté par le Gabon en 2003
n’indique ni complètement ni de façon précise l’emplacement de la frontière terrestre ; de plus, non
seulement son statut juridique est litigieux, mais il n’offre aux Parties que peu d’indications
susceptibles de faciliter le règlement de leur différend frontalier.
2.20. Enfin, comme on le verra au chapitre 3 ci-dessous, non seulement ce document n’est pas
un traité en vigueur entre les Parties, mais il montre par son libellé qu’un différend persistant oppose
les Parties au sujet de la délimitation de leur frontière maritime, sans indiquer comment cette
délimitation doit être effectuée ni le lieu où elle doit avoir lieu.
17 Voir CMG, vol. I, par. 5.61-5.62.
18 CMG, vol. I, par. 5.57 (note de bas de page omise).
- 10 -
2.21. L’interprétation intéressée que le Gabon donne au compromis en considérant qu’il ne
s’applique qu’au texte initial de la convention de 1900, non compris les ajustements de frontière
réalisés ultérieurement par l’Espagne et la France en application des dispositions de ladite
convention, exclurait également de manière arbitraire les titres juridiques valables sur le territoire
terrestre que la Guinée équatoriale a invoqués dans son mémoire. Le compromis constate l’accord
des Parties sur l’applicabilité de la convention de 1900 à leurs différends terrestre et maritime,
c’est-à-dire sur le fait que celle-ci est une source de leurs titres juridiques. Toutefois, le Gabon
voudrait figer dans le temps les titres établis par les puissances coloniales en 1900, et méconnaître
les ajustements de frontière (et de titre) opérés par l’Espagne et la France et mis en oeuvre, en
particulier dans les zones de l’Outemboni et du Kyé, dans le sud-ouest et le nord-est respectivement.
Si la convention de 1900 est une source de titres juridiques sur le territoire terrestre ainsi que les
Parties s’accordent à dire, les ajustements de frontière effectués d’un commun accord par les
puissances coloniales en application de ses dispositions et avant l’accession de la Guinée équatoriale
et du Gabon à l’indépendance doivent également être des sources de titres juridiques sur le territoire
terrestre. L’effet utile du compromis commande donc que la Cour se prononce sur l’applicabilité de
ces ajustements en tant que titres juridiques potentiels. Ce n’est qu’ainsi que la Cour pourra se
prononcer comme il se doit sur l’applicabilité de la convention de 1900 « s’agissant de la délimitation
de[s] … frontières maritime et terrestre communes [des Parties] ».
III. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR N’ACCRÉDITE PAS LE SECOND SENS QUE
LE GABON DONNE À L’EXPRESSION « TITRES JURIDIQUES »
2.22. Un titre juridique territorial peut découler d’un acte juridique tel qu’un traité de
délimitation de frontière ou d’un fait juridique tel qu’une succession d’États ou un consentement
tacite19. Il est donc erroné d’affirmer, ainsi que le fait le Gabon sur la base d’une distinction artificielle
entre le titre (« title ») et la possibilité de le détenir (qualifiée d’« entitlement » par le Gabon) ou son
fondement (qualifié également d’« entitlement » par le Gabon)20, que certains faits juridiques ne
devraient pas être considérés comme des sources de titre juridique. Selon la Guinée équatoriale, le
Gabon a tort d’écarter, par exemple, la succession d’États de l’éventail des sources de titre juridique,
celle-ci étant manifestement un processus de droit international par lequel les titres appartenant au
souverain précédent passent à l’État successeur21. La succession d’États est un fait juridique par
lequel l’État successeur acquiert un titre juridique sur le territoire de son prédécesseur.
2.23. La succession est à la fois la source des droits de l’État successeur et un titre juridique.
En effet, comme l’a relevé la Chambre de la Cour constituée pour connaître de l’affaire du Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), le titre
juridique s’entend en droit international de la source des droits territoriaux de l’État :
« [L]e “titre” d’El Salvador ou du Honduras en ce qui concerne les zones en litige,
au sens de source de leurs droits sur le plan international, est, comme les deux Parties
le reconnaissent, celui de la succession des deux États à la Couronne espagnole pour ce
qui est des territoires coloniaux de celle-ci, l’étendue de territoire dont chaque État a
hérité étant déterminée par l’uti possidetis juris de 1821. »22
19 Voir G. Distefano, L’ordre international entre légalité et effectivité : le titre juridique dans le contentieux
territorial (2001), sect. 1.4.1 et 2.2, RGE, vol. V, annexe 62. Voir également, pour ce qui est du titre territorial découlant
d’un acte juridique ou d’un fait juridique, P.M. Dupuy et Y. Kerbrat, Droit international public (2022), p. 62-63, par. 59.
RGE, vol. V, annexe 68.
20 CMG, vol. I, par. 5.81 et 9.14.
21 Ibid., par. 5.79.
22 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 389, par. 45.
- 11 -
2.24. De même, le Dictionnaire de la terminologie du droit international définit le terme
« titre » comme suit : « [t]erme qui, pris dans le sens de titre juridique, désigne tout fait, acte ou
situation qui est la cause et le fondement d’un droit »23. Ainsi, l’expression « titre juridique » et le
terme « titre » sont synonymes dans le lexique du droit international : ils désignent toute source de
droits territoriaux relevant du droit international, notamment, mais sans s’y limiter, la succession
d’États.
2.25. Comme l’a en outre relevé la Chambre de la Cour constituée pour connaître de l’affaire
du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), le titre peut également s’entendre de documents attestant l’existence d’un titre
juridique, tel qu’un « décret royal [colonial] attribuant certaines zones à [une subdivision
administrative coloniale] » dont l’État successeur a hérité du territoire24. Le Gabon affirme que
l’expression « titres juridiques » employée dans le compromis ne désigne que « les documents
attestant l’existence d’un titre juridique ». Son approche vise à exclure de la définition des « titres
juridiques » les titres juridiques réels des Parties relevant du droit international, notamment les traités
et conventions qui constituent les sources de leurs droits. Le Gabon n’a apporté aucune preuve ni
aucun autre élément accréditant l’idée que les Parties entendaient donner un sens aussi restreint à
l’expression « titres juridiques ». Ne pouvant établir que le compromis attribue à celle-ci un sens
particulier, le Gabon cherche à étayer sa position par le paragraphe 18 de l’arrêt rendu par la Chambre
de la Cour constituée pour connaître de l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République
du Mali)25. Cependant, il interprète mal ce paragraphe.
2.26. En réalité, le paragraphe 18 de cet arrêt décrédibilise l’interprétation étroite que le Gabon
donne à l’expression « titre juridique ». Selon les propres termes de la Chambre, celle-ci se devait de
« dissiper un malentendu » découlant de ce que « l’expression titre juridique sembl[ait] se référer
exclusivement à l’idée de preuve documentaire »26. À cette fin, elle a apporté la précision suivante :
« Il est à peine besoin de rappeler que ce n’est pas là la seule acception du mot
“titre”. Les Parties ont d’ailleurs fait usage de ce terme en des sens divers. En réalité la
notion de titre peut également et plus généralement viser aussi bien tout moyen de
preuve susceptible d’établir l’existence d’un droit que la source même de ce droit. »27
Il est donc clair que, contrairement à ce que le Gabon affirme, la Chambre n’a pas défini l’expression
« titre juridique » comme désignant exclusivement les preuves documentaires. En fait, elle a rejeté
cette définition.
2.27. Contrairement à ce que le Gabon soutient, la Chambre constituée pour connaître de
l’affaire El Salvador/Honduras n’a pas fait de distinction entre le « titre juridique » et les autres
« titres » territoriaux. De fait, elle a utilisé les termes « titre » et « titre juridique » indifféremment,
en déclarant ce qui suit :
« Les deux Parties ont invoqué, au sujet de cette prétention d’El Salvador,
1’analyse que l’on trouve dans l’arrêt de la Chambre constituée par la Cour dans l’affaire
23 J. Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law (8th edition), p. 212, citant Basdevant,
Dictionnaire de la terminologie du droit international (1960). RGE, vol. V, annexe 59.
24 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 389, par. 45.
25 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18.
26 Ibid., p. 564, par. 18.
27 Ibid., p. 564, par. 18.
- 12 -
du Différend frontalier au sujet de la relation entre les “titres” et les
“effectivités” … Comme on l’a déjà fait observer, la Chambre, dans cette affaire, traitait
des “effectivités coloniales”, c’est-à-dire du comportement des autorités administratives
à l’époque coloniale, alors que les actes invoqués par El Salvador dans la présente
affaire se sont produits après l’indépendance des deux États, et dans certains cas ces
toutes dernières années. La Chambre constituée dans l’affaire du Différend frontalier a
aussi évoqué (entre autres choses) l’hypothèse de l’administration d’un territoire en
litige par un État (pas une subdivision coloniale) autre que celui qui possède le titre
juridique … ; on peut considérer qu’elle avait également à l’esprit les effectivités
postcoloniales. »28
2.28. La Chambre a également utilisé les termes « titre juridique » et « titre » indifféremment
au paragraphe 6[1] de l’arrêt, où elle a examiné « la relation juridique qui existe entre les
“effectivités” et les titres servant de base à la mise en oeuvre du principe de l’uti possidetis ». Dans
ce même paragraphe, elle a parlé de l’État « qui possède le titre juridique »29.
2.29. Le Gabon ne peut non plus s’appuyer sur le paragraphe 45 de l’arrêt, traitant de la
définition du terme « titre », qui confirme la proposition suivante :
« Comme l’a fait observer la Chambre constituée dans l’affaire du Différend
frontalier, en général le mot “titre” ne renvoie pas uniquement à une preuve
documentaire, mais “peut ... viser aussi bien tout moyen de preuve susceptible d’établir
l’existence d’un droit que la source même de ce droit”. »30
Cet arrêt conforte donc pleinement la position de la Guinée équatoriale selon laquelle les titres
juridiques ne s’entendent pas uniquement des « preuves documentaires », leur définition étant en fait
suffisamment large pour inclure la source du droit territorial, telle que la succession ou l’acquisition
dudit droit par une administration effective et de longue durée du territoire en cause, c’est-à-dire les
effectivités, admise par d’autres États.
2.30. En l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine,
la Chambre constituée par la Cour pour en connaître a également utilisé les termes « titre » et « titre
juridique » comme des synonymes et a conclu à l’existence de titres juridiques portant sur des espaces
maritimes, sans viser ce que le Gabon qualifie de « preuves documentaires » :
« Mais il ne faut pas oublier que le “titre juridique” sur certaines étendues
maritimes ou sous-marines est toujours et uniquement l’effet d’une opération juridique.
Il en va de même pour la limite jusqu’à laquelle ce titre s’étend. C’est d’une règle de
droit que cette limite découle, et non d’une quelconque vertu intrinsèque que posséderait
le fait purement physique. De l’avis de la Chambre, il est donc correct de dire que le
droit international attribue à l’État côtier un titre juridique sur un plateau continental
adjacent ou sur une zone maritime adjacente à ses côtes ; il ne le serait pas de dire que
le droit international reconnaît le titre attribué à l’État par l’adjacence de ce plateau et
28 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 398, par. 61 (les italiques sont de nous, références omises).
29 Ibid., p. 398, par. 61 (les italiques sont de nous).
30 Ibid., p. 388, par. 45.
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de cette zone, comme si le seul fait naturel de l’adjacence entraînait par lui-même des
conséquences juridiques. »31
2.31. En résumé, le Gabon cherche à exclure de la compétence de la Cour certains des titres
invoqués par la Guinée équatoriale, notamment les titres relatifs à ses territoires terrestre et insulaire
découlant de la succession d’États et d’effectivités, ainsi que les titres relatifs à ses espaces maritimes
découlant de la CNUDM et du droit international coutumier.
2.32. Or le compromis autorise clairement la Guinée équatoriale à invoquer tous les titres,
quelle qu’en soit la source, qui vont dans le sens de ses prétentions territoriales et maritimes
concernant la délimitation des frontières terrestre et maritime des Parties et la souveraineté sur les
îles Mbanié, Cocotiers et Conga et à obtenir de la Cour une décision statuant sur l’applicabilité de
ces titres. La Guinée équatoriale a dûment invoqué ces derniers dans son mémoire, où elle les a
exposés de manière très détaillée. Elle démontrera à nouveau qu’ils existent et sont applicables aux
différends sous-jacents qui opposent les Parties en matière territoriale et de souveraineté aux
chapitres 4 à 6 ci-dessous, après avoir réfuté au chapitre 3 l’allégation du Gabon selon laquelle le
document qu’il a présenté pour la première fois en 2003 — et qu’il qualifie de « convention de
Bata » — est la source d’un titre sur un territoire terrestre ou insulaire, ou sur un espace maritime.
31 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 296, par. 103 (les italiques sont de nous).
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CHAPITRE 3
LE DOCUMENT PRÉSENTÉ PAR LE GABON EN 2003 N’ÉTABLIT PAS DE TITRE JURIDIQUE
NI NE FAIT DROIT DANS LES RELATIONS ENTRE LES PARTIES
3.1. Le présent chapitre traite du document que le Gabon a présenté pour la première fois à la
Guinée équatoriale le 23 mai 2003 (ci-après le « document de 2003 »). Selon le Gabon, ce document
est un instrument juridiquement contraignant signé par le président Francisco Macias Nguema de la
Guinée équatoriale et le président Albert Bernard Bongo du Gabon (qui a pris par la suite le nom
d’Omar Bongo Ondimba) vingt-neuf ans plus tôt, le 12 septembre 1974 à Bata. Le Gabon affirme
qu’il « a résolu les différends et autres difficultés entre les deux États en ce qui concerne la
délimitation de leurs frontières terrestre et maritime et la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers
et Conga »32.
3.2. Comme indiqué au chapitre 5 du mémoire et aux chapitres 4 et 5 de la présente réplique,
après l’accession de la Guinée équatoriale à l’indépendance en 1968, deux conflits territoriaux sont
nés entre les Parties à raison i) de l’occupation de Mbanié par le Gabon en 1972 et des prétentions
que ce dernier a émises au sujet de la frontière maritime à la suite de l’occupation, sur le fondement
de son prétendu titre sur Mbanié, ainsi que ii) de l’occupation par le Gabon, en 1974, d’un territoire
continental situé à l’ouest du Kyé, non loin d’Ebebiyin, et de sa prétention à la souveraineté sur ce
territoire. Dans ces deux conflits, le Gabon a revendiqué en toute illégitimité la souveraineté sur des
territoires appartenant incontestablement à la Guinée équatoriale, puis les a envahis et occupées.
3.3. Plus précisément, le 23 août 1972, les forces armées gabonaises ont attaqué l’îlot Mbanié.
À cette occasion, elles ont arrêté et maltraité quatre soldats équato-guinéens qui avaient remplacé les
membres de la garde coloniale espagnole stationnés sur l’îlot ; en outre, elles ont placé en détention
et maltraité vingt-quatre pêcheurs équato-guinéens qui se trouvaient également sur l’îlot33. La Guinée
équatoriale a protesté contre l’invasion de l’îlot auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies34,
mais, malgré les efforts de médiation qui ont été déployés sous les auspices de l’Organisation de
l’unité africaine, le Gabon a refusé de s’en retirer et fait valoir depuis lors en toute illégitimité un
titre sur l’îlot sur le fondement de la possession qu’il a acquise par l’usage illégal de la force.
3.4. Un peu moins de deux ans plus tard, en juin 1974, le Gabon a investi et occupé un autre
territoire équato-guinéen, cette fois dans le nord-est de la région continentale de la Guinée
équatoriale ; ce territoire faisait l’objet d’un titre détenu incontestablement par l’Espagne en vertu de
la convention de 1900 et de l’accord des gouverneurs de 1919, puis par la Guinée équatoriale en sa
qualité d’État successeur. Avant son invasion par le Gabon, le territoire en cause avait été occupé,
contrôlé et administré par l’Espagne et la Guinée équatoriale depuis au moins 1919 sans interruption,
objection ou protestation de la part de la France ou du Gabon.
3.5. C’est dans ce contexte marqué par la prise de territoires insulaire et continental équatoguinéens
par le Gabon et les protestations de la Guinée équatoriale que le président Bongo a eu une
rencontre avec le président Macias à Bata le 12 septembre 1974. Le Gabon soutient que cette brève
rencontre a débouché sur un accord international définitif et contraignant réglant tous les différends
relatifs à la souveraineté et aux frontières en sa faveur. Les éléments de preuve qu’il a produits devant
32 CMG, vol. I, par. 6.1.
33 Ibid., par. 4.9.
34 Ibid., par. 4.10.
- 15 -
la Cour contredisent cet argument et ceux que la Guinée équatoriale a produits le détruisent
irrévocablement.
3.6. Dans son mémoire, la Guinée équatoriale a établi les faits suivants :
i) le Gabon ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombait de prouver l’authenticité du
document présenté en 200335 ;
ii) la Guinée équatoriale et le Gabon n’ont jamais considéré que ce document faisait droit dans
les relations entre eux au sens de l’article premier du compromis36 ;
iii) en tout état de cause, il ressort de son libellé que ce document n’est ni un accord parachevé
ni un traité définitif37 ;
iv) dans les années qui ont suivi son apparition soudaine en 2003, aucune des Parties ne s’est
comportée comme si la prétendue « convention de Bata » avait des effets juridiques38.
3.7. Dans son contre-mémoire, le Gabon a admis bon nombre des faits que la Guinée
équatoriale avait établis dans son mémoire au sujet du document en cause ou du moins ne les a pas
contestés. En particulier, il semble ne pas contester au moins douze propositions :
1) La charge de la preuve de l’authenticité du document incombe au Gabon39.
2) Bien que le Gabon allègue que le document a été signé le 12 septembre 1974, il ne l’a présenté à
la Guinée équatoriale pour la première fois que le 23 mai 2003.
3) L’original du document n’a jamais été produit. Le Gabon a déclaré ne pas posséder d’original, ne
disposant que de prétendues photocopies dont certaines parties sont à peine lisibles. De plus, le
texte espagnol, tronqué au bas de la page de signature, est amputé des noms des signataires et de
tout ce qui est écrit en dessous des signatures40.
35 Ibid., par. 7.1-7.7.
36 Ibid., par. 7.8-7.14.
37 Ibid., par. 7.15-7.20.
38 Ibid., par. 7.21-7.23.
39 Ibid., par. 7.7. Voir Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 71, par. 162 (la Cour déclare que, « selon le principe bien établi onus probandi incumbit actori,
c’est à la partie qui avance certains faits d’en démontrer l’existence »). Voir aussi Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua c. États‑Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984,
p. 437, par. 101 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 128, par. 204 ; Délimitation maritime en
mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 86, par. 68 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée
c. République démocratique du Congo), indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 332, par. 15.
40 MGE, vol. I, par. 7.2, 7.7 et 7.26 ; CMG, vol. I, par. 3.12 : « Malgré tous ses efforts, le Gabon n’a pas pu retrouver
dans ses archives un original de la Convention de Bata signée le 12 septembre 1974 ». Il ressort des éléments de preuve
versés au dossier par le Gabon même qu’il n’a jamais produit l’original du document présenté en 2003. Le président Bongo
a fait tenir une simple photocopie de ce document à l’ambassadeur de France au Gabon, affirmant avoir joint « deux
ampliations, en langue française et espagnole, de la Convention sur les frontières » (CMG, vol. V, annexe 172, p. 404).
L’ambassadeur de France au Gabon confirme que la France dispose de l’original de la lettre de transmission signée par le
président Bongo et que c’est une photocopie du document présenté en 2003 qui y était jointe (Voir CMG, vol. V,
annexe 172, p. 403 : « Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint copie de l’original de la lettre de transmission de
l’Accord de 1974, signée par le Président BONGO le 28 octobre 1974, et du photostate de la Convention qui se trouve en
notre possession » (les italiques sont de nous). Ainsi, le document figurant à l’annexe 155 du contre-mémoire du Gabon
est, au mieux, une photocopie d’une photocopie du document présenté en 2003.
- 16 -
4) Il existe des différences importantes que le Gabon a toutes passées sous silence, comme si elles
n’existaient pas, entre les prétendues photocopies du document sur lesquelles il cherche
maintenant à s’appuyer41, notamment entre les textes français et espagnol.
5) La prétention du Gabon à un titre juridique sur les espaces insulaires, terrestres et maritimes
disputés repose donc entièrement sur des photocopies des textes français et espagnol du
document, d’origine douteuse, qui contiennent des incohérences importantes inexpliquées42.
6) Le président Bongo (l’un des deux signataires présumés) est resté en fonction jusqu’au 8 juin
2009 ; or il ressort des éléments de preuve produits devant la Cour qu’avant 2003, l’intéressé n’a
jamais fait état de l’existence d’un accord conclu avec le président Macias lors de leur rencontre
à Bata en 1974. De plus, ni lui ni son gouvernement n’ont publié ou produit une copie d’un tel
accord.
7) Le document présenté par le Gabon ne constitue nullement un accord définitif sur les questions
relatives à la souveraineté et aux frontières qui opposent les Parties ; il contient plutôt des
dispositions importantes faisant obligation aux Parties de prendre des mesures spécifiques pour
régler ces questions, notamment en concluant de nouveaux accords de délimitation de leurs
frontières terrestre et maritime43, ce qui indique que des points essentiels du différend étaient
toujours en suspens à la clôture de la rencontre de septembre 1974.
8) La Guinée équatoriale et le Gabon n’ont pris aucune des mesures requises pour régler les
questions susvisées ou pour mettre en oeuvre les dispositions du document de Bata ; ils n’ont pas
non plus conclu l’un quelconque des accords de détermination de la souveraineté et de
délimitation des frontières prévus dans ce document44.
9) La prétendue « convention de Bata » n’a jamais été soumise au suffrage du peuple gabonais ni
au Parlement gabonais pour ratification comme l’exige la Constitution gabonaise en ce qui
41 MGE, vol. I, par. 7.2-7.6.
42 Le premier texte espagnol du document produit par le Gabon en 2003 est tronqué à la dernière page, ayant été
amputé d’une partie des signatures ou des noms des signataires présumés (MGE, vol. I, par. 7.4). Comme il a été expliqué
dans le mémoire, le Gabon a par la suite produit une deuxième version espagnole (prétendument redactylographiée) du
document, qu’il a soumise au Secrétaire général de l’ONU en 2004 aux fins d’enregistrement à la Section des traités de
l’ONU (MGE, vol. 1, par. 7.27-7.29). Dans cette deuxième version redactylographiée, il a ajouté une ligne de signatures,
les noms des signataires présumés et un nota bene (MGE, vol. I, par. 7.4-7.5). Le Gabon ne justifie nullement ces
incohérences dans son contre-mémoire. Pire encore, il présente à l’annexe 155 de son contre-mémoire une autre version
espagnole du document, qui est incompatible avec la version redactylographiée qu’il avait soumise à la section des traités
de l’ONU en 2004. Cette troisième version espagnole est toujours tronquée au niveau de la ligne de signatures, les noms
des signataires n’étant que partiellement visibles (seule la ligne portant la signature du président Bongo, qui se trouve à
droite, est visible) ; par-dessus tout, dans la marge gauche figure un nota bene manuscrit qui diffère de celui que le Gabon
avait inséré dans la version redactylographiée soumise au Secrétaire général de l’ONU en 2004. Voir CMG, vol. V,
annexe 155 (« El artículo 4º será examinado por los dos Jefes de Estado ulteriormente, conforme la Convención de 1900
») (« L’article 4 sera examiné ultérieurement par les deux chefs d’État, à la lumière de la convention de 1900 ») ; voir
également MGE, vol. VII, annexe 216 (« Los dos jefes de Estado convienen de procedir (sic) ulteriormente a una nueva
redacción del artículo 4, para ponerla en conformidad con la Convención de 1900 ») (« Les deux Chefs d’État conviennent
de procéder ultérieurement à une nouvelle rédaction de l’article 4, afin de le mettre en conformité avec la Convention de
1900 »). Dans la même troisième version espagnole, la ligne portant la signature du président Bongo apparaît à droite, alors
qu’elle est à gauche dans la version espagnole redactylographiée que le Gabon a soumise au Secrétaire général de l’ONU
en 2004 (cf. CMG, vol. V, annexe 155 ; et MGE, vol. VII, annexe 216).
43 MGE, vol. I, par. 7.10-7.20. Voir infra, chap. 3, sect. II.A. Le Gabon tente de s’appuyer sur le croquis no 3.1 pour
créer l’illusion qu’il existe un accord définitif concernant les frontières, en affirmant que ce croquis présente les frontières
visées aux articles 1 à 4 du document soumis en 2003 (CMG, vol. I, par. 3.13 d)). Cependant, ce croquis — établi par le
Gabon pour les besoins de la présente instance — n’est qu’une simple illustration, comme le reconnaît le Gabon dans le
texte en petits caractères figurant en bas à droite : « Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration. Projection : WGS84.
Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022 » (CMG, vol. I, p. 103).
44 MGE, vol. I, par. 7.11-7.21. Voir infra, chap. 3, sect. II.A.
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concerne les traités ayant une incidence sur le territoire45. Le Gabon admet que le président Bongo
a cherché à « éviter une ratification parlementaire [du document] qui aurait p[u] être prétexte à
une nouvelle contestation, voire à une remise en cause de l’accord »46. Le fait qu’il reconnaît
n’avoir pas respecté ses propres dispositions constitutionnelles imposant l’obligation de ratifier
l’accord allégué confirme qu’il comprend qu’aucun traité n’a été conclu.
10) Le Gabon n’a pas fait enregistrer le document en cause à la Section des traités du Secrétariat de
l’Organisation des Nations Unies « le plus tôt possible » comme l’exige l’Article 102 de la Charte
des Nations Unies47. Ce n’est que le 5 février 2004 qu’il en a soumis une photocopie, illisible, au
Secrétaire général de l’Organisation, ce à quoi la Guinée équatoriale a réagi immédiatement en
faisant officiellement objection à l’enregistrement du document48. À l’époque, le Gabon a
faussement déclaré au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies que les Parties
n’avaient pas de réserves ni d’objections à l’égard du document, alors que la Guinée équatoriale
en contestait l’authenticité depuis que le Gabon l’avait présenté pour la première fois le 23 mai
200349.
11) Pendant près de trois décennies après la signature alléguée du document, les Parties ont fondé
leur comportement sur le principe qu’aucun accord de ce type n’avait été conclu : elles ont
maintenu intégralement les prétentions aux espaces terrestres, insulaires et maritimes disputés
qu’elles avaient formulées avant 1974 en invoquant d’autres titres juridiques. Tout au long de
cette période, elles ont à plusieurs reprises mené des négociations bilatérales intensives visant à
régler leurs différends relatifs à la souveraineté sur les dépendances de Corisco et à la délimitation
de leurs frontières terrestre et maritime (c’est-à-dire les questions mêmes dont le Gabon dit
qu’elles ont été « réglé[es] » ou « résolu[es] » par le document présenté en 2003), mais ce
document n’a jamais été évoqué ni même présenté comme une source de titre ou d’autres droits
juridiques lors desdites négociations50. En fait, les Parties ont constamment invoqué, fait valoir
et réaffirmé le principe du respect des frontières héritées de leurs prédécesseurs coloniaux ainsi
que l’applicabilité de la convention de 1900, des modifications apportées par la suite à celle-ci
45 MGE, vol. I, par. 7.12.
46 CMG, vol. I, par. 3.19. Voir également la dépêche no 85 de l’ambassadeur d’Espagne au Gabon en date du 25
février 1977, communiquée à l’ambassadeur d’Espagne en Guinée équatoriale par le directeur général compétent du
ministère espagnol des affaires étrangères (« Letter No. 85 from the Director General of the Ministry of Foreign Affairs to
the Spanish Ambassador in Malabo (25 February 1977) », dans laquelle l’ambassadeur reconnaît que le document présenté
en 2003 « n’a pas été soumis au Parlement [gabonais] ni ratifié » et qu’il « est tombé dans l’oubli pour l’instant ». RGE,
vol. IV, annexe 44.
47 MGE, vol. I, par. 7.23.
48 Ibid., par. 7.27. Voir également la lettre en date du 5 février 2004 adressée au Secrétaire général de l’Organisation
des Nations Unies par le ministre d’État gabonais des affaires étrangères. CMG, vol. V, annexe 174. Ainsi que la Guinée
équatoriale l’a relevé au paragraphe 7.29 du volume I de son mémoire, l’enregistrement d’un instrument à l’Organisation
des Nations Unies « ne confère ... pas à l’instrument le statut de traité ou d’accord international s’il ne l’a pas déjà » (citant
la lettre en date du 22 mars 2004 adressée au représentant permanent de la République de Guinée équatoriale auprès de
l’Organisation des Nations Unies par le Sous-Secrétaire général de l’ONU chargé du Bureau des affaires juridiques, p. 3
(citant le Manuel des traités établi par la Section des traités du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, subdivision
5.3.1, p. 29) (le soulignement est omis). MGE, vol. III, annexe 32).
49 La Guinée équatoriale a protesté contre les efforts déployés par le Gabon pour faire enregistrer à la Section des
traités du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies le document présenté en 2003 ; voir la lettre en date du 10 mars
2004 adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par le ministère équato-guinéen des affaires
étrangères (« Letter from the Ministry of Foreign Affairs of the Republic of Equatorial Guinea to the Secretary-General of
the United Nations (10 March 2004) »). MGE, vol. III, annexe 31 ; voir également la lettre no 179/05 en date du 11 mars
2005 adressée au directeur de la Division des affaires maritimes et du droit de la mer du Secrétariat de l’Organisation des
Nations Unies par la Mission permanente de la République de Guinée équatoriale auprès de l’Organisation des Nations
Unies (« Letter No. 179/05 from the Permanent Mission of the Republic of Equatorial Guinea to the United Nations to the
Director of the United Nations Division of Ocean Affairs and Law of the Sea (11 March 2005) »). MGE, vol. III, annexe 36.
50 MGE, vol. I, par. 7.1, 7.9, 7.13 et 7.24. Voir également CMG, vol. I, par. 3.17, 3.24 c) et 3.25.
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d’un commun accord et de la CNUDM comme étant les éléments de droit sur lesquels elles
devaient s’appuyer pour régler leurs différends et déterminer leurs titres respectifs.
12) Le document ayant été totalement absent des négociations entre les Parties pendant près de trois
décennies, les membres de la délégation équato-guinéenne ont été totalement pris de court et ont
répondu qu’ils ne l’avaient jamais vu ni n’en avaient jamais entendu parler lorsqu’il leur a été
subitement présenté le 23 mai 200351.
3.8. Le Gabon ne conteste aucun de ces points dans son contre-mémoire. Il présente au
contraire un récit partiel et très sélectif des circonstances de la « conclusion » alléguée, intervenue
en 1974, de ce qu’il prétend maintenant être un traité réglant en sa faveur tous les différends opposant
les Parties. Il est révélateur que les seuls « éléments de preuve » sur lesquels il s’appuie soient des
déclarations unilatérales et intéressées faites par ses propres autorités. Ces déclarations sont
totalement insuffisantes pour battre en brèche deux conclusions susceptibles d’être tirées de
l’ensemble des éléments de preuve produits devant la Cour :
 premièrement, les circonstances dans lesquelles le document en cause aurait été créé en 1974 et
son absence dans toutes les discussions qui ont eu lieu entre les Parties au cours des trente années
suivantes établissent que, ni en septembre 1974 ni à aucun moment par la suite, les Parties n’ont
considéré qu’elles avaient conclu un accord définitif et contraignant sur leurs titres juridiques
respectifs concernant les îles, le territoire continental ou les espaces maritimes adjacents disputés
qui font l’objet de l’article premier du compromis ;
 deuxièmement, à supposer même que son existence puisse être établie (quod non), l’accord du
12 septembre 1974 allégué n’est pas un instrument définitif ou contraignant ayant
« définitivement réglé » le différend qui opposait les Parties au sujet de la souveraineté sur les
îles Mbanié, Cocotiers et Conga ou ceux qui les opposaient au sujet du territoire continental ou
des espaces maritimes adjacents. Il s’interprétait tout au plus comme une tentative faite pour
parvenir à un accord sur ces questions qui n’a jamais été parachevé ni même suivie d’effet,
comme le confirme le fait que le Gabon lui-même a considéré le document comme nul et non
avenu pendant les trois décennies suivantes.
I. LES CIRCONSTANCES DE LA CONCLUSION ALLÉGUÉE DU DOCUMENT PRÉSENTÉ EN 2003
ATTESTENT QU’IL N’EST PAS UN TRAITÉ DÉFINITIF ET CONTRAIGNANT ÉTABLISSANT
DES TITRES JURIDIQUES AU SENS DE L’ARTICLE PREMIER DU COMPROMIS
A. Le Gabon n’a produit aucun élément de preuve convaincant à l’appui de
son affirmation selon laquelle les Parties avaient conclu un accord
contraignant le 12 septembre 1974
3.9. La Cour a souligné que « [l’]établissement d’une frontière … permanente [était] une
question de grande importance, et un accord ne [devait] pas être présumé facilement »52 ; elle a
également souligné que la présence d’éléments de preuve convaincants était nécessaire pour
déterminer les frontières séparant des parties en litige53. Le Gabon n’a présenté aucun élément de
preuve convaincant à l’appui de son allégation selon laquelle, le 12 septembre 1974, les Parties
51 MGE, vol. I, par. 5.19.
52 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c.
Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 735, par. 253.
53 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 37, par. 72 (citant Temple
de Preah Vihear (Cambodge c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 34 ; Plateau continental de la mer Égée (Grèce
c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 36) ; voir aussi Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks
et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 51, par. 122.
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avaient conclu un accord définitif et contraignant « sur la délimitation des frontières “terrestres et
maritimes” », lequel avait « définitivement réglé » leurs différends relatifs aux frontières et à la
souveraineté54. L’allégation du Gabon n’est fondée que sur les éléments suivants :
i) une vidéo non datée, que le Gabon qualifie de reportage audiovisuel du service de télévision
du Gouvernement gabonais sur une visite de quatre jours effectuée par le président Bongo
en Guinée équatoriale en septembre 197455 ;
ii) une déclaration unilatérale et intéressée du président Bongo publiée dans un et un seul article
de l’hebdomadaire gabonais L’Union56 ;
iii) une lettre en date du 28 octobre 1974 adressée à l’ambassadeur de France au Gabon par le
président Bongo, par laquelle ce dernier fait tenir à l’ambassadeur photocopie d’un
document qu’il qualifie de « convention » ;
iv) des passages cités de manière sélective de quelques comptes rendus fournis par des
diplomates français et américains.
3.10. Ces éléments n’accréditent pas la conclusion du Gabon selon laquelle, le 12 septembre
1974, les Parties ont conclu un accord de délimitation des frontières définitif et contraignant. En ce
qui concerne le reportage vidéo, la Cour constatera qu’il ne fait état d’aucun traité ni d’aucune
convention, se bornant à évoquer les entretiens entre les présidents Macias et Bongo, qui n’auraient
que permis de « résoudre de manière définitive » les différends relatifs à la souveraineté et aux
frontières57. La vidéo comprend une déclaration unilatérale du président Bongo, prétendument faite
à son retour à Libreville, selon laquelle « tout est réglé ». Cependant, le document présenté par le
Gabon en 2003 n’est nullement mentionné par le président Bongo ni montré dans la vidéo. Il n’y est
pas non plus fait mention d’une autre convention ou d’un autre traité à caractère bilatéral. La vidéo
ne fait état que d’un « communiqué final »58. Il est évident qu’un tel document ne peut être considéré
comme une source de titre juridique au sens du paragraphe 1 de l’article premier du compromis.
3.11. L’article du journal gabonais L’Union, daté du 20 septembre 1974, prétend citer la même
déclaration du président Bongo que celle incluse dans le reportage vidéo diffusé. Dans la version
imprimée, comme dans la vidéo, il est dit que le président a déclaré ce qui suit : « Tout est réglé ».
Contrairement à la vidéo, le journal fait état d’une prétendue « convention » sur les frontières
terrestre et maritime, mais la seule chose qu’il indique dans la légende de la photo est qu’un
« communiqué final », et non un traité ou une convention, a été signé59.
3.12. Pris ensemble, ces deux comptes rendus établis à l’époque des faits  unilatéralement
par le Gabon — contredisent et non pas accréditent la thèse de ce dernier selon laquelle, le
54 CMG, vol. I, par. 3.17.
55 Reportage audiovisuel sur la visite d’État du président Bongo en Guinée Équatoriale et sa retranscription. CMG,
vol. II, annexe V2.
56 « “Tout est réglé !” avec la Guinée Équatoriale », L’Union (20 septembre 1974), p. 1. CMG, vol. V, annexe 150.
57 Reportage audiovisuel sur la visite d’État du président Bongo en Guinée équatoriale et sa retranscription. CMG,
vol. II, annexe V2 (« Les entretiens des deux chefs d’État ont permis ensuite de résoudre de manière définitive le problème
de la délimitation des frontières entre la Guinée Équatoriale et le Gabon »).
58 Ibid. (« Avant de quitter la Guinée Équatoriale le jeudi 12 septembre, le président et son homologue
équato-guinéen ont signé le communiqué final. Ce document officialise leur pleine concordance de vues et concrétise la
volonté des deux pays de développer leurs échanges et d’accroître leur coopération dans tous les domaines. »).
59 « “Tout est réglé !” avec la Guinée Équatoriale », L’Union (20 septembre 1974), p. 3. CMG, vol. V, annexe 150.
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12 septembre 1974, les Parties ont conclu un accord définitif et contraignant qui « a résolu les
différends territoriaux et frontaliers entre le Gabon et la Guinée Équatoriale »60. Ils montrent que le
document produit à l’issue de la rencontre du 12 septembre 1974 n’était rien d’autre qu’un
« communiqué final », indiquant ainsi que les Parties avaient l’intention de continuer à travailler au
règlement des questions relatives à la souveraineté et aux frontières qui les opposaient.
3.13. Ce n’est que le 28 octobre 1974 que, dans une lettre adressée à l’ambassadeur de France,
le président Bongo a qualifié pour la première fois de « convention » le « communiqué final » issu
de la rencontre qui avait eu lieu à Bata un mois plus tôt. À cette occasion, il semble cependant avoir
délibérément évité de qualifier le communiqué de « traité », l’article 52 de la Constitution gabonaise
imposant l’obligation de soumettre au suffrage des populations intéressées et à la ratification
parlementaire les « traités » portant cession, échange ou adjonction de territoire. La lettre du
président Bongo ne constitue donc pas la preuve qu’il estimait avoir signé un traité portant cession,
échange ou adjonction de territoire.
3.14. Le Gabon ne peut non plus s’appuyer sur quelques sources de deuxième ou troisième
main qu’il a triées sur le volet pour soutenir que le document présenté pour la première fois en 2003
est un accord définitif et contraignant. C’est, par exemple, à tort qu’il s’appuie sur les comptes rendus
établis par l’ambassadeur de France au Gabon61 et l’ambassade des États-Unis au Cameroun62,
lesquels ne font que rapporter la même déclaration unilatérale faite par le président Bongo lors de sa
conférence de presse à l’aéroport de Libreville le 12 ou 13 septembre 1974 qu’il a déjà versée au
dossier sous la forme d’un reportage vidéo et d’un article d’un journal local63. Les deux comptes
rendus diplomatiques de la déclaration du président Bongo n’accréditent en rien la position du Gabon
sur la convention dite de Bata. Ils ne font nullement état d’un tel accord ni ne présentent a fortiori
son contenu, ses dispositions ou sa valeur juridique. Le compte rendu américain relève, en particulier,
que le Gouvernement gabonais « n’a pas publié les détails du règlement du différend frontalier »64.
3.15. Fait plus important, le Gabon passe complètement sous silence le compte rendu de son
propre représentant diplomatique  son ambassadeur en Guinée équatoriale  qui a informé
60 CMG, vol. I, par. 3.25.
61 L’ambassadeur de France rapporte que lors d’une conférence de presse qui a eu lieu le 13 septembre 1974, le
président Bongo a déclaré qu’un accord sur la délimitation des frontières terrestres et maritimes avait été signé et que « ce
problème était définitivement réglé ». Télégramme no 691/692 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des affaires
étrangères français (13 septembre 1974). CMG, vol. V, annexe 148. (« Il a annoncé qu’il avait signé avec le président
Macias Nguema un accord sur la délimitation des frontières “terrestres et maritimes” entre les deux pays et que ce problème
était définitivement réglé. »)
62 Selon un télégramme de l’ambassade des États-Unis au Cameroun en date du 14 septembre 1974, le président
Bongo a tenu une conférence de presse à l’aéroport de Libreville le 12 septembre (et non le 13 septembre comme le rapporte
l’ambassadeur de France), au cours de laquelle il a annoncé que « le problème frontalier opposant les deux pays avait été
définitivement réglé ». Télégramme no 1139 de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État américain
(14 septembre 1974). CMG, vol. V, annexe 149.
63 Télégramme no 691/692 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des affaires étrangères français
(13 septembre 1974). CMG, vol. V, annexe 148 ; télégramme no 1139 de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au
secrétaire d’État américain (14 septembre 1974). CMG, vol. V, annexe 149.
64 Télégramme no 1139 de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État américain (14 septembre
1974). CMG, vol. V, annexe 149.
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l’ambassadeur de France au Gabon qu’« aucune décision définitive »65 n’avait été prise à Bata le
12 septembre 1974. Dans son contre-mémoire, non seulement il n’explique pas pourquoi il n’en tient
pas compte, mais il ne mentionne pas non plus le fait que le président Macias a donné à l’ambassadeur
de France un compte rendu identique à celui de l’ambassadeur du Gabon, à savoir que les entretiens
de Bata n’ont abouti qu’à la définition des « principes généraux d’un accord »66 et que :
« le séjour du Chef d’État gabonais ayant été trop bref et son départ un peu précipité,
les négociations laissent dans l’ombre un certain nombre de points de détail sur lesquels
la délégation gabonaise “n’a rien voulu entendre” et c’est pourquoi, ne voulant pas
préjuger des décisions finales qui seront sans doute prises au retour de Chine du
Président Bongo, la Guinée Équatoriale s’est abstenue jusqu’à présent de toute
déclaration »67.
3.16. Le Gabon affirme dans son contre-mémoire que le président Macias a présenté à
l’ambassadeur de France « les dispositions envisagées » lors des entretiens avec le président Bongo68.
Il omet cependant de préciser qu’un compte rendu plus détaillé a été donné à l’ambassadeur de France
par l’ambassadeur du Gabon en Guinée équatoriale  M. Dépenaud Ndouna  qui a souligné que
les conversations ayant eu lieu à Bata les 11 et 12 septembre 1974 s’étaient « déroulées avec difficulté
dans une atmosphère pénible »69, ce qui avait entraîné des conséquences :
« Au terme d’un après-midi de discussions épineuses, le Chef d’État gabonais,
fatigué de ces palinodies, a finalement regagné sa capitale sans que rien ait pu être signé
définitivement, sauf un communiqué de pure forme dont le texte n’a donné lieu qu’à
une faible publicité. »70
3.17. Le récit de l’ambassadeur du Gabon va dans le même sens. En présentant « l’état des
négociations » à l’issue des entretiens du 12 septembre 1974, il déclare qu’« aucune décision
65 Dépêche d’actualité no 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale à la direction des
affaires africaines et malgaches du ministère des affaires étrangères français (2 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 152,
p. 252 (« Monsieur Jesus Oyono persistant, selon l’Ambassadeur Ndouna, à “finassieren” et à influencer de ses arguties le
Président Macias, aucune décision définitive ne put être prise avant le départ du Président Bongo et mon collègue gabonais
ne sait pas encore aujourd’hui si un résultat définitif a pu être obtenu par la délégation d’experts gabonais venue à Bata
vers le 20 septembre. »).
66 Ibid., p. 253.
67 Ibid., p. 253.
68 Ibid., p. 253.
69 Ibid., p. 250.
70 Ibid., p. 250 ; Letter from the Spanish Ambassador in Malabo to the Spanish Minister of Foreign Affairs
concerning Conversation with the Ambassador of Gabon (2 October 1974), RGE, vol. IV, annexe 39. Selon une dépêche
distincte émanant de l’ambassadeur d’Espagne en Guinée équatoriale — que le Gabon n’a pas prise en compte —,
l’ambassadeur du Gabon aurait fait d’autres déclarations qui contredisent directement les dispositions du document présenté
en 2003, notamment celle-ci :
« [L] intransigeance et les mauvaises manières dont la Guinée équatoriale a fait preuve au cours de
ces deux dernières années ont finalement conduit le président Bongo et son gouvernement à faire valoir
pleinement leurs droits et à revenir par conséquent à la frontière établie dans la convention de Paris de 1900
entre la France et l’Espagne, cette convention étant le seul texte juridique applicable en la matière, car,
comme dans le cas de l’Amérique espagnole dans le passé, le principe de l’uti possidetis a été strictement
appliqué lors de la décolonisation de l’Afrique. »
L’ambassadeur du Gabon a en outre déclaré que le Gabon était disposé à céder la région de Medouneu (dans le
district d’Akurenam) à la Guinée équatoriale. Là encore, il s’agit de propos contredisant directement les dispositions de
l’article 2 du document présenté en 2003.
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définitive ne put être prise avant le départ du Président Bongo »71. Trois semaines après la rencontre,
l’ambassadeur du Gabon en Guinée équatoriale a fait savoir plus directement encore qu’aucun traité
réglant les différends qui opposaient les deux États en matière de souveraineté et de frontières n’avait
été conclu le 12 septembre 197472.
3.18. Le Gabon tente en vain de trouver dans des propos tenus par le président Macias le
13 octobre 1974 à une réunion avec les représentants diplomatiques des éléments accréditant son
argument selon lequel un accord définitif et contraignant avait été conclu à Bata. Sa source principale
est l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale, qui a participé à la réunion. Or, selon
l’ambassadeur de France, le président Macias aurait simplement déclaré « qu’il “avait tiré un trait
définitif sur cette affaire” et qu’il avait “renoncé à toute discussion ultérieure au sujet des frontières
terrestres” ». De toute évidence, la déclaration du président correspond à un refus de conclure un
accord frontalier avec le Gabon et non pas à l’acceptation d’un tel accord. Il ressort des éléments de
preuve versés au dossier que le président Macias a effectivement « tiré un trait définitif » sur l’affaire
en demandant au Gabon une indemnisation adéquate pour les 3000 ressortissants équato-guinéens
qu’il faudrait évacuer (ainsi que pour les écoles, dispensaires, campements militaires, ateliers, ponts
et installations routières) à la suite d’un éventuel échange de territoires, lequel avait été débattu « en
principe »73. Le Gabon omet de citer intégralement l’observation faite par le président Macias, dans
laquelle ce dernier a clairement indiqué qu’il n’y aurait pas de nouvelles discussions sur la frontière
terrestre en l’absence d’une telle indemnisation (qui n’a jamais été acceptée par le Gabon)74 :
71 Dépêche d’actualité no 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale à la direction des
affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français (2 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 152,
p. 251 et 252.
72 Dépêche d’actualité no 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale à la direction des
affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français (2 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 152.
73 CMG, vol. I, par. 3.21, citant Dépêche d’actualité no 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée
équatoriale à la direction des affaires africaines et malgaches du ministère des affaires étrangères français (14 octobre
1974). (CMG, vol. V, annexe 153, p. 5) ; ministère espagnol des affaires étrangères, Aide-Mémoire from the Spanish
Ministry of Foreign Affairs concerning the Cartography Requested by the Ambassador of Spain in Equatorial Guinea
(27 septembre 1974), p. 2 (« Notre ambassade à Malabo indique cependant que tel n’est pas le cas et que le conflit se
poursuit »). REG, vol. IV, annexe 36. Il en ressort également que c’est un simple « accord de principe » qui a été conclu :
« Selon les informations reçues de notre ambassade à Libreville, les présidents Macias et Bongo  lequel a effectué
récemment une visite à Malabo  sont parvenus à un accord de principe ».
74 Il ressort des éléments de preuve produits par le Gabon même que les présidents Macias et Bongo n’ont pas pu
parvenir à un accord sur l’indemnisation des Équato-guinéens qu’il fallait déplacer. Dépêche d’actualité no 43/DA/DAM-2
de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale à la direction des affaires africaines et malgaches du ministère des
affaires étrangères français (14 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 153, p. 266 (« Par surcroît, révèle le Président Macias,
selon le rapport qui lui a été fait par une délégation équato-guinéenne, envoyée récemment à Libreville, le Président Bongo
refuse absolument de verser, en échange de cette évacuation, une indemnisation que la Guinée Équatoriale demandait “à
titre humanitaire” et qu’elle avait évaluée à 192 000 000 pesetas »). Voir également Dépêche no 141/DAM de
l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des affaires étrangères français (7 novembre 1974). CMG, vol. V,
annexe 156, p. 2 (« Le Chef de l’État Gabonais a souligné, d’autre part, qu’il n’avait jamais été question de verser une
indemnité aux Équato-Guinéens pour leur permettre de dédommager ceux de leurs ressortissants qui seraient contraints
d’évacuer certaines parcelles du territoire gabonais où ils s’étaient installés indûment. Au demeurant, ce point ne figurait
pas dans le texte de la convention. “Sans doute, a poursuivi le Président Bongo, ai-je fait comprendre au Président Macias
que je pourrais lui envoyer quelques fonds pour qu’il soit en mesure de remplir ses obligations de Chef d’État. C’est
pourquoi dès mon retour à Libreville je lui ai dépêché mon neveu (M. Martin Bongo, ministre de l’Éducation nationale)
qui lui a remis, de ma part, vingt millions de francs CFA. Loin de me remercier, mon collègue estimant que je ne donnais
pas assez, m’a aussitôt envoyé une délégation de rang ministériel qui m’a demandé une somme exorbitante et que j’ai
éconduite. C’est probablement pour cette raison qu’il a décidé de donner sa version des faits aux diplomates accrédités à
Malabo. Cette version est fausse et le Président Macias a menti en affirmant que nous avions discuté du principe d’une
indemnité.” »). Ce désaccord entre les présidents Macias et Bongo sur la question de l’indemnisation est un élément
supplémentaire qui indique qu’ils ne sont parvenus à aucun accord définitif et contraignant le 12 septembre 1974.
- 23 -
« Le Président Macias a donc renoncé à toute discussion ultérieure au sujet des frontières terrestres,
mais il n’en est cependant pas de même en ce qui concerne les frontières maritimes. »75
3.19. Ce compte rendu officiel français ne dit nulle part qu’un accord frontalier définitif a été
conclu. Au contraire, il indique que le président Macias a clairement déclaré qu’aucun accord n’avait
encore été signé : « [D]ès la signature de l’accord, il évacuera, dit-il, les écoles, dispensaires,
campements militaires, ateliers, ponts et installations routières de toute la partie sud de la zone, ainsi
que les 3000 habitants qui l’occupent… »76.
3.20. Le président Macias aurait également déclaré au sujet des frontières maritimes ce qui
suit : « En effet, l’impasse dans laquelle on se trouve actuellement à leur sujet se situe au niveau de
la négociation des experts et les deux chefs d’État n’en ont pas encore personnellement débattu. »77
3.21. Il ressort donc clairement des éléments de preuve sur lesquels le Gabon s’appuie qu’au
13 octobre 1974, soit un mois après la naissance de la prétendue « convention », les négociations
entre les Parties n’avaient pas encore abouti et qu’aucun accord définitif et contraignant n’avait été
conclu ou signé78.
3.22. Le Gabon cite une dépêche de l’ambassadeur de France au Gabon datée du mois suivant,
précisément du 7 novembre 1974, rendant compte d’un entretien qu’il aurait eu avec le
président Bongo (à une date inconnue), au cours duquel ce dernier aurait affirmé qu’un accord avait
été signé par les deux présidents le 12 septembre 197479. Le Gabon omet cependant des observations
clés faites par l’ambassadeur de France dans le même document qui présentent un tableau différent :
premièrement, les Gabonais « n’avaient donné aucune indication sérieuse »80 au sujet de l’accord
prétendument signé ; deuxièmement, le compte rendu donné aux représentants diplomatiques par le
président Macias à Malabo le 13 octobre 1974 était, dans une large mesure, différent de celui du
président Bongo. La dépêche diplomatique française ne met pas en évidence l’existence d’un accord
définitif et contraignant entre les Parties, mais plutôt atteste que celles-ci étaient en désaccord et
qu’elles n’ont conclu aucun traité.
75 Dépêche d’actualité no 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale à la direction des
affaires africaines et malgaches du ministère des affaires étrangères français (14 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 153,
p. 267 (les italiques sont de nous).
76 Ibid., p. 266 (les italiques sont de nous).
77 Ibid., p. 267. Dans le même ordre d’idées, le compte rendu britannique de la réunion, consigné dans une note du
ministère des affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni, dit en conclusion qu’il y aura d’autres discussions
entre les chefs d’État. Foreign and Commonwealth Office, The National Archives, Summary of Address to the Diplomatic
Corps at Malabo given by President Macías on Sunday 13 October, 1974. RGE, vol. IV, annexe 32.
78 Le Gabon cite également des propos de l’ambassadeur de France, selon lesquels le président Macias a concédé
avoir « entièrement abandonné ses droits de souveraineté sur M’Banié, Cocotier et Conga ». CMG, vol. I, par. 3.21. Voir
également Dépêche d’actualité no 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale à la direction des
affaires africaines et malgaches du ministère des affaires étrangères français (14 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 153,
p. 267. Toutefois, dans la phrase qui précède immédiatement le passage cité, l’ambassadeur de France indique que cette
prétendue concession découlait de ce que [la Guinée équatoriale] « demandait » au cours des pourparlers, et non d’un
prétendu accord définitif et contraignant : « Afin de disposer d’eaux territoriales continues devant le Rio Muni et autour
des îles Corisco, Elobey Grande, et Elobey Chico, la Guinée Équatoriale demandait que la limite entre ses eaux et les eaux
territoriales gabonaises soit fixée le long du 1° de lat. N. ».
79 Dépêche no 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des affaires étrangères français
(7 novembre 1974). CMG, vol. V, annexe 156, p. 290.
80 Ibid., p. 289.
- 24 -
3.23. Le Gabon évoque un autre entretien qui aurait eu lieu entre le président Macias et
l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale le 23 décembre 197481, plus de trois mois après la
conclusion d’un accord alléguée par le Gabon. Or le compte rendu de cet entretien établi par
l’ambassadeur de France ne fait état d’aucun traité ou accord ni d’aucune convention entre la Guinée
équatoriale et le Gabon qui auraient été conclus le 12 septembre 1974 (ou à une date ultérieure).
Ainsi, entre septembre 1974 et la fin de cette année-là, la Guinée équatoriale a nié à plusieurs reprises
et systématiquement l’existence d’un accord avec le Gabon sur les questions litigieuses relatives à la
souveraineté et à la délimitation des frontières. Il n’existe aucune preuve contraire produite par le
Gabon ou émanant de toute autre source.
3.24. Pour avancer de telles preuves, le Gabon dénature un compte rendu diplomatique français
daté du 11 avril 1975 qui a été rédigé par l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale. Selon le
Gabon, l’ambassadeur de France a déclaré que le président Macias lui avait dit qu’« un règlement
des questions relatives à la délimitation des frontières terrestres et maritimes et de celle concernant
la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga [était] bel et bien intervenu » le 12 septembre
197482. Ce n’est cependant pas ce que l’ambassadeur de France a déclaré. En fait, il a écrit que le
président Macias s’était borné à réitérer la position qu’il avait exprimée lors d’entretiens précédents
tenus avec lui le 1er octobre 197483 et avec les représentants diplomatiques le 13 octobre 197484, à
savoir que les Parties ne s’étaient entendues à Bata que sur les principes généraux d’un futur accord
(non encore signé à la date du compte rendu) et sur les « dispositions envisagées » de cet accord85.
3.25. Le Gabon invoque un télégramme de l’ambassade des États-Unis à Libreville daté du
29 avril 1975, mais ce document contredit également son argument selon lequel les Parties ont conclu
un accord contraignant en septembre 1974. Selon le télégramme en question, « le problème frontalier
entre le Gabon et la Guinée équatoriale était loin d’être réglé et peut-être même en train de
s’aggraver »86. Ce compte rendu confirme que, quel que soit l’objet des discussions qui auraient eu
lieu à Bata dix-neuf mois plus tôt, les Parties n’ont pas considéré qu’elles avaient réglé à cette
occasion leurs différends relatifs à la souveraineté ou aux frontières ni que le résultat des discussions
constituait un traité définitif et contraignant suffisant pour établir un titre juridique au sens de l’article
premier du compromis.
3.26. Enfin, le Gabon s’appuie sur une dépêche de l’ambassadeur de France en Guinée
équatoriale datée du 28 novembre 1976, dans laquelle le document présenté en 2003 est qualifié de
« solution générale »87. La dépêche relève en outre que « [l]es années 1975 et 1976 n’apportèrent ni
amélioration ni détérioration des relations entre les deux pays à part les survols récents qui ont
81 CMG, vol. I, par. 3.23. Voir également le télégramme no 134 de l’ambassade de France en Guinée équatoriale au
ministère des affaires étrangères français (23 décembre 1974). CMG, vol. V, annexe 157.
82 CMG, vol. I, par. 3.23.
83 Dépêche d’actualité no 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale à la direction des
affaires africaines et malgaches du ministère des affaires étrangères français (2 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 152,
p. 252-253.
84 Dépêche d’actualité no 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale à la direction des
affaires africaines et malgaches du ministère des affaires étrangères français (14 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 153,
p. 1.
85 Dépêche d’actualité no 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale à la direction des
affaires africaines et malgaches du ministère des affaires étrangères français (2 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 152,
p. 253.
86 Télégramme no 621 de l’ambassade des États-Unis au Gabon (29 avril 1975). CMG, vol. V, annexe 159, p. 307.
Voir également CMG, vol. I, par. 3.24 b).
87 Dépêche no 255/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale au ministre des affaires étrangères
français (28 novembre 1976). CMG, vol. V, annexe 160, p. 315.
- 25 -
provoqué les réactions du Chef de l’État »88. Là encore, le compte rendu n’accrédite pas l’affirmation
du Gabon selon laquelle il a été signé en 1974 un traité ou une convention à caractère définitif et
contraignant qui a « définitivement réglé »89 les différends relatifs aux frontières et à la souveraineté
opposant les Parties90.
3.27. En résumé, le Gabon n’a pas produit la preuve convaincante que la photocopie d’un
document prétendument créé en septembre 1974, qu’il avait présentée pour la première fois à la
Guinée équatoriale en 2003, a été considérée un jour par les Parties comme un traité ou une
convention authentique ou à caractère définitif ou contraignant réglant leurs différends relatifs à la
souveraineté insulaire, au territoire terrestre ou aux espaces maritimes, ou que ce document était
suffisant pour confirmer un titre juridique sur un territoire insulaire ou continental ou sur un espace
maritime adjacent ou pour conférer un tel titre. De fait, ses propres éléments de preuve sont plus
compatibles avec la conclusion qu’aucun accord définitif et contraignant n’a été conclu par les
présidents Macias et Bongo le 12 septembre 1974.
B. Les sources historiques confirment que, le 12 septembre 1974, les Parties ne sont
pas parvenues à un accord qui a « définitivement réglé » leur différend relatif
aux frontières terrestre et maritime et à la souveraineté sur Mbanié,
Cocotiers et Conga
3.28. Le Gabon ne tient pas compte des sources historiques relatives aux « circonstances dans
lesquelles [le document présenté en 2003] a [prétendument] été élaboré »91, qui montrent que les
Parties ne sont parvenues à aucun accord le 12 septembre 1974, et encore moins à un accord qui
aurait « définitivement réglé »92 leur différend relatif aux frontières terrestre et maritime et à la
souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga, et qu’elles ont poursuivi les négociations sur ces
questions litigieuses en septembre et octobre 1974, au lendemain immédiat de la conclusion de
l’« accord » allégué.
3.29. Dans une dépêche datée du 17 septembre 1974 — cinquième jour suivant la conclusion
de l’accord allégué du 12 septembre —, l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale a fait savoir
au ministère français des affaires étrangères ce qui suit :
« Il était annoncé que, le 12 septembre, avant le départ du Président Bongo pour
sa capitale, un communiqué conjoint serait signé. Je présume que notre ambassade au
Gabon est en possession de ce texte, — s’il existe — mais à Malabo, où nous sommes
privés de toute presse écrite et où la radio émet de plus en plus en dialecte fang, personne
n’avait eu jusqu’au 17 septembre la moindre indication sur le résultat de cette visite
d’État et sur les décisions qu’elle avait pu comporter, notamment en ce qui concerne la
88 Ibid., p. 315.
89 CMG, vol. I, par. 3.17, citant Télégramme no 691/692 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des
affaires étrangères français (13 septembre 1974). CMG, vol. V, annexe 148, p. 227.
90 Il convient également de noter qu’à cette dépêche est jointe une copie présumée du document présenté en 2003
qui contient cependant un grand nombre de différences importantes par rapport à la photocopie produite par le Gabon. Voir
Dépêche no 255/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée équatoriale au ministre des affaires étrangères français
(28 novembre 1976). CMG, vol. V, annexe 160, p. 316-319 ; lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au
Gabon (28 octobre 1974). CMG, vol. V, annexe 155, p. 281-283.
91 Plateau continental de la mer Égée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 39, par. 96 ; Délimitation
maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1994, p. 121, par. 23.
92 CMG, vol. I, par. 3.17, citant Télégramme no 691/692 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des
affaires étrangères français (13 septembre 1974). CMG, vol. V, annexe 148.
- 26 -
délimitation de la frontière du Río Muni. J’aurais apprécié que les renseignements,
probablement recueillis par M. Ribo [l’ambassadeur de France au Gabon], me fussent
communiqués par télégramme. Privé de lumières en provenance de Libreville, et en
l’absence de mon collègue gabonais (d’ailleurs depuis deux mois fermé comme une
porte de prison), c’est forcément avec réserve que je livre l’information qui m’est
parvenue aujourd’hui de Bata et qui pourrait bien fournir l’explication du silence fort
suspect que continue à observer le gouvernement équato-guinéen, dont la radio
officielle n’a même pas rendu compte des aspects purement protocolaires de la fin de la
visite d’État. Bien que le président Bongo ait accepté de prolonger de quelques heures,
le 12 septembre, son séjour à Bata, aucun terrain précis d’entente sur la question des
frontières n’aurait pu être trouvé entre le Président du Gabon et son difficile et
soupçonneux interlocuteur. Celui-ci aurait en outre essuyé un refus catégorique de
M. Bongo lorsqu’il avait réclamé, une fois de plus, que lui fussent livrés les membres
de son opposition jouissant du droit d’asile au Gabon.
Les deux présidents se seraient donc quittés sans avoir signé aucun communiqué,
toutes les questions litigieuses entre les deux pays restant en suspens jusqu’à de
nouveaux et hypothétiques entretiens. »93
3.30. L’ambassadeur de France a donc signalé à Paris qu’aucun accord définitif et contraignant
n’avait été conclu le 12 septembre 1974. Il n’était pas le seul à le penser. Les représentants du
Gouvernement espagnol ont confirmé que les Parties n’avaient pas conclu d’accord définitif et
contraignant le 12 septembre 1974 et qu’elles poursuivaient les négociations en vue de régler leurs
différends relatifs à la souveraineté et aux frontières.
3.31. Selon l’ambassade d’Espagne en Guinée équatoriale, le 23 septembre 1974  onze jours
seulement après la date à laquelle le Gabon prétend qu’un accord définitif et contraignant a été
signé —, une délégation équato-guinéenne s’est rendue à Libreville « pour poursuivre les
négociations tendant au règlement du conflit frontalier avec le Gabon »94. Le lendemain, le
24 septembre 1974, la délégation équato-guinéenne est rentrée à Malabo avec une délégation
gabonaise pour poursuivre ces négociations. Malgré ces efforts, l’ambassade d’Espagne a indiqué
que les négociations n’avaient pas abouti à « un accord entre les deux parties » et qu’il était
« fondamentalement faux de penser que la Guinée équatoriale cèderait la moindre portion du
territoire national »95. Ces faits, consignés à l’époque par des tiers crédibles  les représentants
diplomatiques de la France et de l’Espagne , infirment sans réserve la thèse du Gabon selon
laquelle les différends relatifs aux frontières et à la souveraineté qui opposaient les Parties ont été
définitivement « réglés » le 12 septembre 1974.
3.32. Le 24 septembre 1974, la Guinée équatoriale a adressé à l’Espagne une demande de
documents relatifs à la frontière territoriale orientale, dans laquelle elle a expliqué que c’était ce qui
« intéress[ait] le plus le président Macias dans la phase actuelle du conflit et des négociations
93 Dépêche d’actualité no 38/DA/DAM en date du 17 septembre 1974 adressée au ministère français des affaires
étrangères par l’ambassade de France en Guinée équatoriale au sujet de la visite d’État effectuée par le président Bongo du
9 au 12 septembre 1974, p 4-5. RGE, vol. IV, annexe 33, p. 174-175 (les italiques sont de nous).
94 Letter No. 509/74 from the Spanish Ambassador in Malabo to the Spanish Minister of Foreign Affairs concerning
the Conflict with Gabon (25 septembre 1974), p. 1 (« [Une] commission gouvernementale de ce pays s’est rendue à
Libreville pour poursuivre les négociations tendant au règlement du conflit frontalier avec le Gabon. … [L]es négociations
n’ont pas encore abouti à un accord entre les deux parties »). RGE, vol. IV, annexe 34.
95 Letter No. 509/74 from the Spanish Ambassador in Malabo to the Spanish Minister of Foreign Affairs concerning
the Conflict with Gabon (25 septembre 1974). RGE, vol. IV, annexe 34.
- 27 -
correspondantes »96. Deux jours plus tard, le 26 septembre 1974, elle a réitéré la demande du
président Macias à l’Espagne, précisant qu’elle avait besoin d’ingénieurs pour délimiter la frontière
terrestre conformément à la convention de 1900, et que « cette délimitation était une condition
préalable à la conclusion d’accords de principe entre le Gabon et la Guinée équatoriale »97. Là
encore, il s’agit d’une correspondance datant de l’époque des faits qui infirme la thèse du Gabon
selon laquelle les deux Parties sont parvenues à un accord définitif et contraignant, au moins au sujet
de la frontière terrestre, le 12 septembre 1974.
3.33. Le 28 septembre 1974, au cours d’une longue conversation avec l’ambassadeur
d’Espagne en Guinée équatoriale, le président Macias n’a fait état d’aucun accord qui aurait été
conclu avec le Gabon98. Au contraire, parlant expressément des demandes formulées par le Gabon
au sujet de la frontière maritime, il a déclaré au représentant de l’Espagne que la divergence des vues
des parties sur la délimitation des eaux territoriales dans la baie de Corisco était « la raison pour
laquelle le conflit n’a[vait] pas encore été réglé »99. L’ambassadeur d’Espagne a ensuite dûment
rapporté que les parties n’étaient pas encore parvenues à un accord100. Deux jours plus tard, le
30 septembre 1974, le ministère espagnol des affaires étrangères a fait tenir à l’ambassadeur
d’Espagne à Malabo les documents que le président Macias avait demandés le 24 septembre, « pour
le cas où ils pourraient lui être utiles dans le cadre du différend l’opposant au Gouvernement gabonais
au sujet de la souveraineté sur les îles en cause »101. Il s’ensuit là encore qu’à la fin de
septembre 1974, ni les deux Parties ni les puissances coloniales dont elles ont sollicité l’assistance
ne considéraient qu’un accord avait été conclu au début du mois pour régler les questions litigieuses
relatives à la souveraineté et aux frontières, lesquelles faisaient toujours l’objet de négociations.
3.34. Après septembre, les négociations se sont poursuivies en octobre 1974, mais aucun
progrès n’a été accompli sur la voie de la conclusion d’un accord définitif et contraignant. Comme
indiqué plus haut102, lors de son allocution au corps diplomatique le 13 octobre 1974, le
président Macias a expliqué que l’absence d’entente sur la délimitation des eaux territoriales dans la
baie de Corisco était un des problèmes qui empêchaient la signature d’un accord entre les Parties103.
3.35. Le président Macias a sollicité le concours de la communauté diplomatique pour
persuader le Gabon d’accepter ses conditions de conclusion d’un accord, notamment de cesser
d’occuper Mbanié et de reconnaître la souveraineté de la Guinée équatoriale sur cette île. Il s’est
adressé, entre autres, à la France. En réponse, le 22 octobre 1974, le ministère français des affaires
96 Letter No. 125 from the Spanish Ambassador in Malabo to the Spanish Minister of Foreign Affairs (27 septembre
1974), p. 2 (les italiques sont de nous). RGE, vol. IV, annexe 35.
97 Letter No. 125 from the Spanish Ambassador in Malabo to the Spanish Minister of Foreign Affairs (27 septembre
1974), p. 2 (« dicha delimitación es previa condición para llevar buen término acuerdos de principio entre Gabón y Guinea
Ecuatorial ») (les italiques sont de nous). RGE, vol. IV, annexe 35.
98 Letter No. 524/74 from the Ambassador of Spain to the Spanish Minister of Foreign Affairs concerning Meeting
in Bata with the President for Life (2 octobre 1974). RGE, vol. IV, annexe 38.
99 Letter No. 524/74 from the Ambassador of Spain to the Spanish Minister of Foreign Affairs concerning Meeting
in Bata with the President for Life (2 octobre 1974), p. 4, point 25 (« es la causa de que el conflicto no se haya resuelto
aun »). REG, vol. IV, annexe 38.
100 Letter No. 524/74 from the Ambassador of Spain to the Spanish Minister of Foreign Affairs concerning Meeting
in Bata with the President for Life (2 octobre 1974), p. 5. RGE, vol. IV, annexe 38.
101 Letter from the Director General of the Ministry of Foreign Affairs to the Spanish Ambassador in Malabo
concerning Submission of Documents Concerning Corisco (30 septembre 1974). RGE, vol. IV, annexe 37.
102 Voir supra, par. 3.18.
103 Letter No. 582/74 from the Spanish Embassy in Malabo to the Spanish Minister of Foreign Affairs concerning
Statements by the President for Life Before Heads of Missions Accredited Here (16 octobre 1974), p. 6, point 10. RGE,
vol. IV, annexe 40.
- 28 -
étrangères a indiqué qu’il accueillerait favorablement une visite du président Macias, mais a averti
qu’il ne s’immiscerait pas dans le différend en cours entre la Guinée équatoriale et le Gabon104. Là
encore, il ressort de la correspondance officielle de l’époque entre les gouvernements bien informés
de la situation qu’ils considéraient tous qu’aucun accord n’avait été conclu en septembre 1974 et que
les différends relatifs à la souveraineté et aux frontières qui opposaient la Guinée équatoriale et le
Gabon se poursuivaient. Le président Macias a également sollicité le concours des États-Unis et du
Royaume-Uni dans le cadre de ces différends qui n’avaient pas encore été réglés105.
3.36. La France estimait sans équivoque qu’aucun accord définitif et contraignant n’avait été
conclu à Bata en septembre 1974. Un rapport de l’ambassade de France au Gabon, non daté mais
inclus dans les archives officielles françaises de la correspondance diplomatique produite au cours
de la période allant de 1986 à 1994, dit à cet égard que « [l]e projet d’Accord qui devait être signé
en 1974 entre [le] Président Macias Nguema et le Président Bongo qui attribuait les Îles litigeuses de
Bagnet, Conga et Coctier n’a finalement pas été signé »106. Pour la France, qui avait suivi de près les
négociations diplomatiques entre la Guinée équatoriale et le Gabon, le document présenté en 2003
n’était qu’un « projet d’Accord », lequel n’est jamais entré en vigueur entre les deux Parties, laissant
ainsi en suspens leurs différends relatifs à la souveraineté et aux frontières.
3.37. Les éléments de preuve datant de l’époque des faits, constitués principalement de
déclarations et de la correspondance officielles des quatre États les mieux informés des faits
essentiels, conduisent donc à une seule conclusion, à savoir que dans les jours, les semaines, les mois
et les années qui ont suivi les entretiens tenus à Bata le 12 septembre 1974, la Guinée équatoriale,
l’Espagne, la France et le Gabon (par l’intermédiaire de son propre ambassadeur en Guinée
équatoriale) ont tous confirmé qu’aucun accord définitif ou contraignant n’avait été conclu, que les
différends relatifs à la souveraineté et aux frontières qui avaient été abordés lors de la rencontre de
Bata étaient demeurés en suspens et que les efforts déployés par la suite, notamment les nouvelles
négociations entre les deux Parties, n’avaient jamais permis de régler ces différends. En résumé, il
n’a jamais été conclu d’accord réglant les différends relatifs à la souveraineté, les différends
territoriaux ou les différends maritimes entre les Parties qui soit suffisant pour constituer un titre
juridique au sens de l’article premier du compromis.
II. LES PARTIES N’ONT JAMAIS CONSIDÉRÉ OU TRAITÉ LE DOCUMENT PRÉSENTÉ EN 2003
COMME FAISANT DROIT DANS LEURS RELATIONS OU ÉTABLISSANT UN TITRE
JURIDIQUE AU SENS DE L’ARTICLE PREMIER DU COMPROMIS
A. Les Parties n’ont jamais pris l’une quelconque des mesures nécessaires pour
parachever ou appliquer la prétendue « convention de Bata »
3.38. À supposer même que le Gabon se soit acquitté de la charge de la preuve de l’authenticité
du document qu’il avait présenté en 2003, ce qui n’est pas le cas, il ressort clairement du libellé
même de ce document qu’il ne règle pas définitivement les différends relatifs à la souveraineté et
104 Télégramme no 69-70 du ministère français des affaires étrangères en date du 22 octobre 1974 concernant la
visite d’une mission ministérielle, p. 1. RGE, vol. IV, annexe 41. Par la suite, le ministère français des affaires étrangères
a confirmé que le différend frontalier en cours entre la Guinée équatoriale et le Gabon ne serait pas abordé au cours de la
visite (voir le télégramme no 106 du ministère français des affaires étrangères en date du 26 octobre 1974 concernant la
visite du président Macias en France, p. 1. RGE, vol. IV, annexe 42).
105 Voir le télégramme no 1113-14 de l’ambassade de France en République unie du Cameroun en date du
10 décembre 1974 concernant la démarche du président Macias auprès de l’ambassadeur des États-Unis. RGE, vol. IV,
annexe 43. Voir également le télégramme no 69-70 du ministère français des affaires étrangères en date du 22 octobre 1974
concernant la visite d’une mission ministérielle, p. 1. RGE, vol. IV, annexe 41.
106 Rapport du ministère français des affaires étrangères faisant le point sur la coopération Gabon-Guinée
équatoriale (1986-1994), p. 1. RGE, vol. IV, annexe 45, p. 291.
- 29 -
aux frontières qui opposent les Parties. En particulier, le document faisait obligation aux Parties de
prendre des mesures supplémentaires pour régler leurs problèmes territoriaux et établir
définitivement leurs frontières107. Le Gabon convient que les Parties n’ont pris aucune de ces
mesures108 et cherche à combler cette faille rédhibitoire dans son argumentation par une réécriture
des dispositions du prétendu accord.
3.39. Premièrement, le Gabon fait valoir que les articles premier et 2 relatifs à une prétendue
frontière terrestre « sont revêtus d’une force contraignante immédiate », au motif que « nombreux
sont les traités territoriaux qui prévoient un exercice de démarcation ultérieur à l’instar de la
Convention de Paris [de 1900 entre la France et l’Espagne] dont la valeur contraignante est acceptée
par les deux Parties »109. Ce moyen est manifestement inopérant. À la différence de la prétendue
« convention de Bata » de 1974, la convention de Paris de 1900 prévoit la démarcation ultérieure
d’une frontière déjà définie et délimitée, en ces termes :
« Les frontières déterminées par la présente Convention sont inscrites sous les
réserves formulées dans l’annexe numéro 1 à la présente Convention, sur les cartes cijointes
(annexes numéros 2 et 3). Les deux Gouvernements s’engagent à désigner, dans
le délai de quatre mois à compter de la date de l’échange des ratifications, des
Commissaires qui seront chargés de tracer sur les lieux les lignes de démarcation entre
les possessions espagnoles et françaises, en conformité et suivant l’esprit des
dispositions de la présente Convention (a). »110
3.40. Comme indiqué ci-dessous, le document présenté en 2003 est différent de la convention
de Paris en ce qu’il prévoit la délimitation de frontières non encore définies, et non la démarcation
matérielle de frontières déjà définies d’un commun accord. La seule source du droit sur laquelle le
Gabon s’appuie — l’ouvrage intitulé Oppenheim’s International Law — fait clairement la distinction
entre la délimitation d’une frontière et l’opération de démarcation qui a lieu par la suite
conformément à cette délimitation :
« La pratique courante en matière de frontières terrestres consiste à décrire
verbalement la ligne frontière dans un traité frontalier ou une décision de justice, c’està-
dire à la “délimiter”, puis à désigner des commissions de délimitation, généralement
mixtes, chargées d’appliquer la délimitation sur le terrain et, si nécessaire, de marquer
la ligne frontière au moyen de bornes ou d’autres éléments analogues, c’est-à-dire de la
“démarquer”. »111
3.41. Le document présenté en 2003 ne traite même pas de la démarcation, aucun accord sur
la délimitation n’ayant été conclu. Les Parties n’ont pas « décri[t] verbalement la ligne frontière »
comme le veut le principe énoncé par Oppenheim. Dans le cas de la Guinée équatoriale et du Gabon,
la délimitation de la frontière ne devait être achevée que dans l’avenir, ainsi que le confirme le libellé
des dispositions pertinentes du document que le Gabon n’a manifestement pas pris en considération.
L’article 7 se lit comme suit :
107 MGE, vol. I, par. 7.15-7.20.
108 CMG, vol. I, par. 4.3 (« À la suite de la conclusion de la Convention de Bata, les questions concernant les
frontières terrestre et maritime, d’une part, et la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga, d’autre part, n’ont
plus été abordées entre les deux États. »).
109 Ibid., par. 6.40.
110 MGE, vol. III, annexe 4, art. VIII.
111 R. Jennings et A. Watts, Oppenheim’s International Law, Ninth Edition (1996), p. 662. RGE, vol. V, annexe 61.
- 30 -
« Des protocoles d’accord seront pris … pour déterminer les superficies et les
limites exactes de la portion de terre cédée à la République gabonaise et de celle cédée
à la République de Guinée-Équatoriale, et … pour préciser les modalités d’application
de la présente Convention. »112
Le Gabon convient qu’aucun protocole de ce type n’a jamais été établi en application de l’article 7
ou sur un autre fondement pour déterminer les « superficies et les limites exactes » des terres qui
auraient été cédées ou « pour préciser les modalités d’application » de l’« accord » de 1974 allégué.
Il suit de là qu’aucune délimitation n’a été effectuée par l’« accord » lui-même ni en application de
ses dispositions.
3.42. L’article 8 exige également que la frontière précise soit définie ultérieurement par des
représentants du Gabon et de la Guinée équatoriale. Il est ainsi libellé :
« La matérialisation des frontières sera faite par une équipe composée des
représentants des deux pays, en nombre égal, avec au besoin le concours ou la
participation de techniciens et observateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine ou
de tout autre organisme international, choisis d’un commun accord. »113
Le Gabon convient qu’aucune équipe de représentants, de techniciens ou d’observateurs de
l’Organisation de l’unité africaine ou de tout autre organisme international n’a été constituée pour
procéder à la « matérialisation des frontières ». La tentative qu’il fait pour assimiler la
« matérialisation des frontières » à leur démarcation future114 est vouée à l’échec si l’on tient compte
d’une autre version française de l’article 8 qu’il a produite qui se lit comme suit :
« La délimitation matérielle des frontières sera faite par une équipe composée de
représentants en nombre égal des deux pays, avec — si cela est nécessaire — le
concours ou la participation de spécialistes ou d’observateurs de l’Organisation de
l’Unité Africaine, ou de tout autre organisme international. »115
En tout état de cause, à supposer même, quod non, que le texte de l’article 8 puisse être interprété
comme visant la démarcation et non pas la délimitation, il ne saurait y avoir de démarcation sans
délimitation préalable ; or l’accord allégué de 1974 ne délimite pas le territoire continental qui
appartient ou doit être cédé à chacune des Parties.
3.43. Deuxièmement, le Gabon évoque le nota bene relatif à l’article 4 de l’« accord » allégué,
qui précise que « [l]es deux Chefs d’État conviennent de procéder ultérieurement à une nouvelle
rédaction de l’article 4, afin de le mettre en conformité avec la Convention de 1900 »116. Cette
précision confirme le point de vue de la Guinée équatoriale selon lequel l’« accord » de 1974 était
incomplet et, loin d’être conçu ou compris comme un accord définitif sur les frontières, il était
considéré par les deux Parties comme le précurseur d’un accord ultérieur qu’elles prévoyaient, et en
particulier d’un accord qui serait conforme à la délimitation des frontières effectuée par la convention
112 République de Guinée équatoriale et République gabonaise, convention délimitant les frontières terrestres et
maritimes de la Guinée-Équatoriale et du Gabon (12 septembre 1974) (photocopie du texte français), art. 7. MGE, vol. VII,
annexe 215 (les italiques sont de nous).
113 République de Guinée équatoriale et République gabonaise, convention délimitant les frontières terrestres et
maritimes de la Guinée-Équatoriale et du Gabon (12 septembre 1974) (photocopie du texte français), art. 8. MGE, vol. VII,
annexe 215 (les italiques sont de nous).
114 CMG, vol. I, par. 6.45.
115 CMG, vol. V, annexe 160, p. IV, art. 8 (les italiques sont de nous).
116 MGE, vol. VII, annexe 215, p. 3, nota bene.
- 31 -
de 1900. Cet accord ultérieur n’a jamais vu le jour et l’« accord » sur les frontières énoncé dans le
document de 1974 est resté incomplet, non conclu et non définitif.
3.44. Le Gabon s’appuie de manière peu convaincante sur l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire
du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad) et sur des observations faites par
Malcolm N. Shaw pour faire valoir erronément que « le simple fait que le nota bene envisage une
révision ultérieure de l’article 4 de la Convention de Bata ne peut remettre en question la force
obligatoire de cet article ou de la Convention de Bata dans son ensemble »117. En fait, il ressort
clairement du libellé du nota bene que l’article 4 ne devait pas être compris comme un accord
définitif sur la délimitation de la frontière terrestre ayant force obligatoire. Il s’agissait plutôt d’un
point de repère d’un accord qui n’avait pas encore été conclu, ce qui indique en outre qu’il fallait
aller plus loin dans la délimitation des frontières avant de pouvoir considérer qu’un « accord » liant
les Parties avait été conclu.
3.45. L’observation de Malcolm N. Shaw selon laquelle « le fait qu’un instrument prévoie la
possibilité de modifier ses dispositions d’un commun accord n’enlève rien au fait qu’une ligne
frontière entièrement délimitée a été établie » part du principe qu’une « ligne frontière entièrement
délimitée » préexiste118. Loin d’accréditer la thèse du Gabon, elle la contredit, car la prétendue
« convention de Bata » ne contient aucune « ligne frontière entièrement délimitée ».
3.46. En l’affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), la Libye a fait
valoir qu’aucune frontière n’existait entre les deux parties et a prié la Cour d’en déterminer une, alors
que le Tchad affirmait que la frontière avait été déterminée par le traité d’amitié et de bon voisinage
entre la France et la Libye de 1955, auquel le Tchad était partie pour avoir succédé à la France. La
question que la Cour devait trancher d’entrée de jeu était de savoir si le traité de 1955 avait établi de
façon concluante une frontière et, dans l’affirmative, si les parties avaient respecté cette frontière
dans leur comportement ultérieur. La Cour a estimé qu’« il ressort[ait] des termes du traité que les
parties reconnaissaient … l’ensemble des frontières entre leurs territoires respectifs »119. Elle a
également souligné que le texte du traité « tradui[sai]t clairement l’intention des parties d’assurer un
règlement définitif de la question de leurs frontières communes »120 et que « [r]ien n’indiqu[ait] dans
le traité de 1955 que la frontière convenue devait être provisoire ou temporaire ; la frontière port[ait]
au contraire toutes les marques du définitif »121. Ayant conclu qu’une frontière ressortait du traité de
1955 et établi le tracé de cette frontière, la Cour a examiné le comportement ultérieur des parties.
Elle a retenu que « les Parties [avaient] reconnu l’existence d’une frontière déterminée et [avaient]
agi en conséquence »122. Aucune des parties n’avait remis en cause la validité du traité de 1955, pas
117 CMG, vol. I, par. 6.53.
118 Ibid., par. 6.51 (les italiques sont de nous).
119 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, par. 43 et 48.
120 Ibid., par. 51.
121 Ibid., par. 72.
122 Ibid., par. 66 (« Aucun accord ultérieur entre la France et la Libye ou entre la Libye et le Tchad n’a remis en
cause la frontière dans cette région, découlant du traité de 1955. Tout au contraire, si l’on considère les traités postérieurs
à l’entrée en vigueur du traité de 1955, ceux-ci confortent la thèse selon laquelle, après 1955, les Parties ont reconnu
l’existence d’une frontière déterminée et ont agi en conséquence. L’accord conclu le 2 mars 1966 entre la Libye et le Tchad
porte, comme le traité de 1955, sur les relations de bon voisinage et d’amitié entre les parties et traite des questions de
frontière. Les articles 1 et 2 se réfèrent à “la frontière” entre les deux pays, sans laisser entendre qu’il existerait la moindre
incertitude à son sujet. L’article 1 vise le maintien de l’ordre et de la sécurité “sur la frontière”, et l’article 2 la circulation
des populations installées “de part et d’autre de la frontière”. L’article 4 traite des cartes de circulation frontalière et
l’article 7 des autorités frontalières. Si un différend sérieux avait vraiment existé au sujet des frontières, onze ans après la
conclusion du traité de 1955, il y a tout lieu de penser qu’un tel différend aurait trouvé son expression dans le traité de
1966. »)
- 32 -
plus que la Libye n’avait remis en cause le droit du Tchad d’invoquer contre elle les dispositions de
ce traité relatives aux frontières du Tchad123.
3.47. En l’espèce, la situation est tout à fait différente. Comme la Guinée équatoriale l’a
démontré dans son mémoire, le document présenté en 2003 n’a établi de façon concluante aucune
frontière ni aucun régime territorial. Contrairement au traité de 1955 dont la Cour était saisie en
l’affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), ce document ne porte pas « les
marques du définitif » en ce qui concerne le « règlement définitif de la question de[s] frontières
communes »124 des Parties. En outre, contrairement au comportement ultérieur des parties en l’affaire
du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), il ne ressort pas de celui de la Guinée
équatoriale et du Gabon que ceux-ci « ont reconnu l’existence d’une frontière déterminée et ont agi
en conséquence »125. En fait, c’est tout le contraire qui en ressort, comme on le verra ci-dessous dans
la sous-section II.B.
3.48. Le Gabon convient que le nota bene prévoit la reformulation de l’article 4, mais il tente
faiblement de la présenter comme une simple reformulation ultérieure potentielle126. Or le libellé du
nota bene va dans le sens contraire. Il prévoit expressément une « nouvelle rédaction » de l’article 4
et non une rédaction potentielle : « Les deux Chefs d’État conviennent de procéder ultérieurement à
une nouvelle rédaction de l’article 4, afin de le mettre en conformité avec la Convention de 1900. »127
3.49. Trois conclusions se dégagent inéluctablement des termes du nota bene :
 il établit que l’article 4 était incompatible avec la convention de 1900 et que les deux chefs d’État
n’étaient pas disposés à accepter des dérogations à cette convention ;
 une « nouvelle rédaction de l’article 4 » était nécessaire pour le « mettre en conformité » avec la
convention ; et
 le nota bene n’indique nullement en quoi consisterait la « nouvelle rédaction », ni comment
l’article 4 serait reformulé (afin de le mettre en conformité avec la convention), ni si les deux
chefs d’État avaient la même idée de ce qui était concrètement nécessaire pour atteindre cet
objectif.
3.50. Ce qui est certain dans le nota bene, c’est que l’article 4 devait être reformulé pour être
conforme à la convention de 1900. Il est tout aussi certain, et incontesté, que cela n’a jamais eu lieu.
Il s’ensuit que l’article 4 était, tout au plus, une entente de principe conclue pour tenter de négocier
un accord définitif et contraignant sur le fondement de la convention de 1900. Cela n’ayant jamais
été fait, aucun accord définitif et contraignant n’a vu le jour.
3.51. Le Gabon fait valoir que le document présenté en 2003 « prévoit expressément qu’[il]
“entrera en vigueur dès sa signature” »128. Cependant, cette disposition n’est pas « une indication de
123 Ibid., par. 36.
124 Ibid., par. 72.
125 Ibid., par. 68.
126 CMG, vol. I, par. 6.50-6.51.
127 MGE, vol. VII, annexe 215, p. 3, nota bene.
128 CMG, vol. I, par. 6.47.
- 33 -
son caractère contraignant » comme l’allègue le Gabon129. Au contraire, il ressort des éléments de
preuve versés au dossier par le Gabon même que le président Macias « y aurait écrit de sa main que
ce texte ne serait valable avant la ratification par les assemblées nationales de deux pays. Tel n’avait
pas été le cas. »130 C’est donc plus qu’une simple coïncidence si tous les exemplaires de la version
espagnole du document sont tronqués à la dernière page, avant la ligne de signature complète. Par
conséquent, la page de signature est amputée des noms des signataires et de tout ce qui est écrit en
dessous des signatures.
3.52. Si les signatures apparaissent bien sur la photocopie du texte français présentée par le
Gabon en 2003, elles ne prouvent pas que les Parties sont parvenues à un règlement juridiquement
contraignant de leurs différends relatifs à la souveraineté et aux frontières. Ni le président Macias ni
le président Bongo ne détenaient le pouvoir constitutionnel nécessaire pour conclure un tel accord.
L’article 7 de la Constitution équato-guinéenne de 1973 dispose que « [l]a Guinée équatoriale
considère comme illégaux et nuls les conventions ou traités qui violent ou amputent sa juridiction ou
sa souveraineté sur une portion quelconque du territoire national, de la mer territoriale ou de l’espace
aérien »131.
3.53. La conclusion d’un accord par lequel la Guinée équatoriale aurait cédé une portion de
territoire au Gabon aurait donc nécessité la modification de sa Constitution par son parlement
national, en application des articles 59 et 72 de sa Constitution de 1973132. Le 13 décembre 1973,
celle-ci a été communiquée à tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies, dont le
Gabon133. C’est pourquoi le président Macias « aurait écrit de sa main que ce texte [le document
présenté en 2003] ne serait valable avant la ratification par les assemblées nationales de deux pays »,
comme il a été relevé dans les éléments de preuve versés au dossier par le Gabon même134.
3.54. De même, la Constitution gabonaise interdisait au président Bongo de conclure sans
ratification parlementaire et référendum tout accord ayant les effets territoriaux que le Gabon attribue
au document qu’il invoque devant la Cour. Aux termes de l’article 52 de la Constitution gabonaise
de 1972 :
« Les traités de paix, les traités de commerce, les traités relatifs à l’organisation
internationale, les traités qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient les
dispositions de nature législative, qui sont relatifs à l’état des personnes ou qui
comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés qu’en
vertu d’une loi. »
129 Ibid., par. 6.47.
130 CMG, vol. V, annexe 168, p. 3.
131 Letter No. OR 511 EQGU from the Permanent Representative of the Republic of Equatorial Guinea in the United
Nations to the Secretary General of the United Nations concerning the Distribution of the Constitution of the Republic of
Equatorial Guinea of 4 August 1973 (13 décembre 1973), p. 5, art. 7. RGE, vol. III, annexe 7 (« La Guinea Ecuatorial
considera ilegales y nulos los pactos o tratados que atenten o disminuyan su jurisdicción y soberanía sobre cualquier porción
del territorio nacional, mar territorial, y espacio aéreo. »).
132 L’article 59 habilite l’Assemblée nationale populaire (Parlement national) à modifier la Constitution et
l’article 72 dispose que celle-ci peut être modifiée avec l’accord des deux tiers des membres de l’Assemblée nationale et
l’approbation du président de la République donnée en Conseil des ministres.
133 Letter No. OR 511 EQGU from the Permanent Representative of the Republic of Equatorial Guinea in the
United Nations to the Secretary General of the United Nations concerning the Distribution of Constitution of the Republic
of Equatorial Guinea of 4 August 1973 (13 décembre 1973). RGE, vol. III, annexe 7.
134 CMG, vol. V, annexe 168, p. 3.
- 34 -
Le même article dispose que « [n]ulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est
valable sans le consentement du peuple gabonais appelé à se prononcer par référendum, après
consultation des populations intéressées »135.
3.55. Le texte français du document présenté en 2003 comporte des modifications manuscrites
qui remplacent le terme « traité » par « convention ». Le Gabon n’a pas indiqué l’auteur de ces
modifications ni leur date ; il n’a pas non plus indiqué si elles avaient été approuvées par les parties.
Leur existence jette un doute supplémentaire sur le caractère définitif de ce prétendu « accord ». Dans
son contre-mémoire, le Gabon se contente de dire que le document a été qualifié de « convention »
plutôt que de « traité » afin de contourner les exigences de l’article 52 de sa Constitution136. Alors
que les termes « convention » et « traité » sont en principe utilisés de manière interchangeable en
droit international, l’explication donnée par le Gabon indique que le président Bongo les a compris
différemment dans le but d’exercer les pouvoirs que lui conférait la Constitution gabonaise, laquelle
lui interdisait de conclure un « traité[] … comport[a]nt cession, échange ou adjonction de
territoire »137 sans le soumettre à l’Assemblée nationale aux fins de ratification par une loi et à un
référendum permettant au peuple gabonais de se prononcer.
3.56. Le Gabon ne nie pas qu’aucun des deux pays n’a ratifié l’« accord » de 1974 allégué ni
que celui-ci n’a pas été soumis au peuple gabonais afin qu’il se prononce par référendum. Le
25 février 1977, le ministre gabonais des affaires étrangères a déclaré que le document n’avait jamais
été « soumis au Parlement [gabonais] ni ratifié » et qu’il était « tombé dans l’oubli pour l’instant »138.
3.57. Le fait que les deux chefs d’État n’étaient pas habilités à conclure des traités relatifs à la
cession ou à l’échange de territoires sans l’intervention du Parlement — et que cette formalité
parlementaire n’a pas été remplie par la suite — constitue une nouvelle preuve que les
présidents Macias et Bongo n’ont pas conclu — ou n’avaient pas l’intention de conclure — un traité
définitif et contraignant le 12 septembre 1974.
B. Les Parties ont continué à déployer des efforts pour régler leurs différends relatifs
à la souveraineté et aux frontières sans invoquer le document présenté en 2003,
s’appuyant au contraire sur d’autres titres juridiques
3.58. Pour régler leurs différends relatifs à la souveraineté et aux frontières, les Parties sont
retournées à la table des négociations de novembre 1979 à mai 2003. Trois conclusions essentielles
peuvent être tirées des éléments de preuve, y compris ceux du Gabon, concernant les négociations
qui ont eu lieu au cours de cette période de vingt-quatre ans :
i) les Parties comprenaient que leurs différends relatifs à la souveraineté et aux frontières
— les mêmes que ceux abordés dans la prétendue « convention de Bata » — n’avaient
toujours pas été réglés après le 12 septembre 1974 ;
135 MGE, vol. VI, annexe 189, art. 52 (les italiques sont de nous).
136 CMG, vol. I, par. 3.19, citant CMG, vol. V, annexe 156.
137 République gabonaise, Constitution de la République gabonaise (29 juillet 1972), p. 3, art. 52. MGE, vol. VI,
annexe 189.
138 Dépêche no 85 de l’ambassadeur d’Espagne au Gabon en date du 25 février 1977, communiquée à l’ambassadeur
d’Espagne en Guinée équatoriale par le directeur général compétent du ministère espagnol des affaires étrangères (« Letter
No. 85 from the Director General of the Ministry of Foreign Affairs to the Spanish Ambassador in Malabo (25 February
1977) », p. 2. RGE, vol. IV, annexe 44.
- 35 -
ii) de 1979 à 2003, les Parties ont mené des négociations bilatérales intensives sur toutes les
questions prétendument « réglées » par l’« accord » allégué ;
iii) pendant toute cette période de négociations fréquentes et suivies, les Parties ont considéré
que l’« accord » allégué n’existait pas, ni le Gabon ni la Guinée équatoriale ne l’ayant jamais
— pas même une seule fois — invoqué pour prétendre à quelque titre sur un territoire
insulaire, terrestre ou maritime au sens de l’article premier du compromis.
3.59. Il convient de souligner qu’à aucun moment au cours de ces vingt-quatre années, l’une
ou l’autre des Parties n’a invoqué ni même mentionné le document présenté par le Gabon en 2003.
Au contraire, elles se sont appuyées exclusivement sur d’autres sources de titre juridique pour étayer
leurs prétentions à la souveraineté sur Mbanié, Conga et Cocotiers, leurs prétentions antagoniques
au territoire continental et leurs droits à des espaces maritimes.
3.60. Nonobstant ces faits bien établis, le Gabon allègue effrontément dans son
contre-mémoire qu’« [à] la suite de la conclusion de la [prétendue “convention de Bata”], les
questions concernant les frontières terrestre et maritime, d’une part, et la souveraineté sur les îles
Mbanié, Cocotiers et Conga, d’autre part, n’ont plus été abordées entre les deux États »139. Il s’agit
là d’une incroyable dénaturation des faits, y compris ceux admis par le Gabon ou présentés dans son
propre contre-mémoire, ainsi qu’il a été relevé ci-dessus et sera démontré ci-dessous.
3.61. Par exemple, le Gabon reconnaît qu’à partir de 1979, les Parties ont tenté de conclure un
arrangement provisoire de caractère pratique, comme le prévoient maintenant les paragraphes 3 des
articles 74 et 83 de la CNUDM, en attendant le règlement de leur différend relatif à la souveraineté
sur les îles de la baie de Corisco et la délimitation de la frontière maritime dans cette zone140.
Toutefois, le croquis no 4.1 qu’il a établi dans son contre-mémoire présente de manière erronée la
zone de développement conjoint faisant l’objet de cet arrangement provisoire141. Plus précisément,
le croquis présente des lignes entourant Corisco et les îles Elobey, comme si ces lieux étaient enclavés
dans des eaux appartenant au Gabon. Ces lignes ne figurent dans aucun texte de 1979. Elles semblent
avoir été ajoutées par le Gabon dans son contre-mémoire pour donner l’impression (erronée) que la
délimitation maritime qu’il recherche a été acceptée, au moins provisoirement, par la Guinée
équatoriale. Tel n’est pas le cas. Au contraire, les négociations se sont poursuivies entre les Parties
pendant des années par la suite dans le cadre des différends en cours sur les mêmes questions  la
souveraineté sur Mbanié, Conga et Cocotiers ainsi que la frontière maritime adjacente  dont le
Gabon dit maintenant (tardivement) qu’elles ont été réglées par l’« accord » prétendument conclu en
1974.
3.62. Le ministre gabonais des affaires étrangères, Jean Ping, a fait des déclarations qui
contredisent directement la position adoptée par le Gabon devant la Cour, à savoir que le document
invoqué par le Gabon aurait mis fin aux tensions entre les Parties et que l’accord de coopération
pétrolière de 1979 ne concernait aucun différend frontalier142. En 2006, M. Ping a affirmé ce qui
suit :
« Avec l’arrivée au pouvoir à Malabo du Président Theodoro Obiang Nguema
Mbasogo [en 1979], un nouveau cycle de négociations va s’ouvrir. L’acte premier des
139 CMG, vol. I, par. 4.3 (les italiques sont de nous).
140 Ibid., par. 4.9.
141 Ibid., par. 4.6 b) et p. 115.
142 Ibid., par. 4.1, 4.4, 4.6-4.8 et 6.22.
- 36 -
négociations avec les nouvelles autorités de Malabo, sur les questions touchant la
frontière est constitué par la signature à Libreville le 22 septembre (sic) 1979 … d’un
Accord de coopération pétrolière. »143
Il n’y a pas de preuve qu’au cours de ces négociations, qui ont commencé en novembre 1979 et se
sont poursuivies jusqu’en septembre 1984, l’une ou l’autre des Parties ait invoqué l’« accord » dont
le Gabon fait état maintenant ou affirmé que l’une quelconque des questions faisant l’objet des
négociations avait été réglée par ce prétendu instrument.
3.63. À la reprise des négociations en 1984, les Parties ont discuté de la zone maritime qui
serait couverte par les arrangements provisoires qu’elles pourraient conclure. Le Gabon admet
aujourd’hui que la Guinée équatoriale « a estimé l’ensemble de la zone comme relevant de sa seule
souveraineté »144. Là encore, l’« accord » dont le Gabon fait état maintenant n’a jamais été
mentionné. Aucune des Parties n’y a fait référence dans des circonstances qui commandaient
manifestement de l’invoquer. À l’inverse, il a été fait référence à la CNUDM et à l’article 7 de la
Constitution de la Guinée équatoriale145.
3.64. Le Gabon reconnaît que, lors de nouvelles négociations qui ont eu lieu en novembre
1985, les Parties ont discuté de la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga146. Là encore, le
résumé présenté en 2006 par le ministre gabonais des affaires étrangères, Jean Ping, en dit long.
Selon ce dernier, le différend relatif à la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga avait fait l’objet
de négociations tenues en 1985 et 1993 qui avaient échoué à plusieurs reprises, du fait que chaque
Partie prétendait à la souveraineté sur ces îlots147. Fait révélateur, bien que le Gabon ait fait valoir sa
souveraineté sur ces trois formations insulaires, il n’a jamais cité d’accord antérieur sous-tendant ses
prétentions à la souveraineté ou par lequel la Guinée équatoriale aurait reconnu lesdites prétentions.
3.65. En particulier, bien que le Gabon ait voulu établir un point de base sur Mbanié à des fins
de délimitation, il n’a pas cherché à le justifier par le document qu’il invoque devant la Cour, ce qu’il
aurait presque certainement fait s’il avait pensé que la question de sa souveraineté sur Mbanié avait
été réglée par l’accord allégué148. Le Gabon n’a pas non plus fait valoir que la prétention de la Guinée
équatoriale à la souveraineté sur Mbanié était incompatible avec les dispositions d’un quelconque
accord en vigueur.
143 J. Ping, « Gabon : Historique des pourparlers entre le Gabon et la Guinée équatoriale sur l’île Mbanié »,
all Africa (29 septembre 2006), p. 2, points 10 [et 11]. RGE, vol. V, annexe 65.
144 CMG, vol. I, par. 4.10.
145 Comme indiqué dans le procès-verbal des négociations de septembre 1984 entre les Parties, l’article 7 de la
Constitution équato-guinéenne de 1982 cite au nombre des composantes du territoire équato-guinéen non seulement les
îles énumérées par le Gabon au paragraphe 4.10 de son contre-mémoire, mais aussi les « îlots adjacents » (« islotes
adyacentes »), dont font partie Mbanié, Conga et Cocotiers. MGE, vol. VII, annexe 205, p. 140, République de Guinée
équatoriale, Constitution de 1982 (15 septembre 1982). RGE, vol. V, annexe 53. Il convient de noter que la Constitution
de la République de Guinée équatoriale de 1972 inclut également ces « îlots adjacents » (« islotes adyacentes ») dans son
territoire national. Voir Letter No.OR 511 EQGU from the Permanent Representative of the Republic of Equatorial Guinea
in the United Nations to the Secretary General of the United Nations concerning the Distribution of Constitution of the
Republic of Equatorial Guinea of 4 August 1973 (13 décembre 1973), p. 5, art. 5. RGE, vol. III, annexe 7.
146 CMG, vol. I, par 4.1 (« Ce n’est qu’en 1999 que le différend frontalier s’est cristallisé »). Voir également ibid.,
par. 4.11-4.12.
147 J. Ping, « Gabon : Historique des pourparlers entre le Gabon et la Guinée équatoriale sur l’île Mbanié », all
Africa (29 septembre 2006), p. 2, point 10. RGE, vol. V, annexe 65.
148 CMG, vol. I, par. 4.12.
- 37 -
3.66. Les Parties ont finalement abandonné l’idée de conclure un arrangement provisoire de
caractère pratique, au profit d’un traité délimitant leurs frontières maritime et terrestre. Comme on le
verra ci-dessous, tout au long des négociations qui ont eu lieu entre novembre 1985 et janvier 2001,
elles n’ont invoqué aucun accord en vigueur ni présenté le document que le Gabon invoque devant
la Cour comme fondement de leurs prétentions à un titre sur le territoire insulaire ou continental ou
sur des espaces maritimes adjacents. En fait, elles ont constamment invoqué, fait valoir et réaffirmé
le principe du respect des frontières héritées de leurs prédécesseurs coloniaux ainsi que l’applicabilité
de la convention de 1900 (y compris les modifications apportées à celle-ci d’un commun accord) et
de la CNUDM comme étant les éléments de droit sur lesquels elles devaient s’appuyer pour régler
leurs différends et déterminer leurs titres respectifs.
3.67. Par exemple, lors d’une réunion de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée
équatoriale qui s’est tenue du 10 au 16 novembre 1985, les deux Parties ont revendiqué la
souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga, entre autres, partant du principe que leur différend
relatif à ces îles n’était pas réglé. Elles ont ensuite signé, le 16 novembre 1985, un acte par lequel
elles reconnaissaient i) le principe de l’acceptation des frontières héritées des anciennes puissances
coloniales, en particulier celles définies dans la convention de 1900, ii) le principe de l’application
des instruments internationaux relatifs au droit de la mer, notamment la CNUDM, et iii) le principe
du respect de la souveraineté de chaque État sur son propre territoire national149. L’acte de 1985 ne
fait référence à aucun accord en vigueur entre la Guinée équatoriale et le Gabon et certainement pas
au document que le Gabon invoque devant la Cour et qu’il n’a même pas mentionné jusqu’en 2003.
3.68. De même, les différends opposant les Parties au sujet de la souveraineté sur les îles et de
leurs frontières terrestre et maritime ont persisté lors de réunion de la commission ad hoc des
frontières Gabon-Guinée équatoriale qui s’est tenue à Libreville du 17 au 19 janvier 1993. Les Parties
ont à nouveau affirmé que la convention de 1900 et la CNUDM étaient les instruments juridiques
applicables pour déterminer leurs titres juridiques150. Là encore, le Gabon convient qu’aucune des
Parties n’a fait mention du document qu’il invoque devant la Cour.
3.69. Au paragraphe 4.14 de son contre-mémoire, le Gabon reconnaît que « la question de la
souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga et celle y relative des frontières » ont été examinées par
la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée équatoriale à Libreville du 17 au 19 janvier 1993
et que la Guinée équatoriale « a à nouveau revendiqué la souveraineté sur Mbanié, Conga et
Cocotiers »151. Aussi étonnant que cela paraisse et au mépris de toutes les preuves du contraire
disponibles, le Gabon affirme allègrement qu’il s’agit de la seule occasion où ces questions ont été
examinées152. En fait, les Parties les ont soulevées à plusieurs reprises, ainsi qu’il est indiqué aux
paragraphes 5.2 à 5.17, 7.9, 7.24 et 7.25 du mémoire de la Guinée équatoriale, et dans tous les cas en
partant du principe que le différend n’avait jamais été réglé.
3.70. Le Gabon méconnaît, entre autres, la réunion tenue à Libreville du 29 au 31 janvier 2001
sous les auspices de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée équatoriale, au cours de
laquelle le chef de la délégation gabonaise a, dans son allocution d’ouverture, parlé du « cadre
juridique » nécessaire pour régler les différends territoriaux et frontaliers opposant les Parties, lequel
comprenait selon lui i) la convention de 1900, ii) la Charte des Nations Unies, iii) la Charte de
149 MGE, vol. I, par. 5.10.
150 Ibid., par. 5.11-5.13.
151 CMG, vol. I, par. 4.14.
152 Ibid., par. 4.14 (« la question de la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga et celle y relative des frontières
n’ont été évoquées qu’en une seule occasion ») (les italiques sont de nous).
- 38 -
l’Organisation de l’unité africaine et iv) la CNUDM. Rien d’autre153. Aucun membre de la délégation
gabonaise n’a dit qu’un « accord » qui aurait été conclu en 1974 faisait partie de ce cadre juridique
ni fait état de toute autre manière d’un quelconque accord antérieur entre les Parties.
3.71. Le comportement manifesté par les Parties en dehors du cadre des négociations
officielles confirme également qu’elles n’ont jamais considéré qu’un prétendu « accord » conclu en
1974 avait réglé la question de leurs prétentions antagoniques relatives à la souveraineté insulaire,
aux frontières territoriales ou aux espaces maritimes. Leurs vues s’illustrent en particulier par les
prétentions maritimes respectives qu’elles ont fait valoir, les négociations qu’elles ont menées avec
des États tiers au sujet de leurs frontières maritimes avec ceux-ci et leurs accords de concession
pétrolière et gazière portant sur des espaces maritimes disputés. Dans aucun de ces cas, le Gabon et
la Guinée équatoriale n’ont fait valoir de droits ou de titres juridiques sur les zones qu’ils
revendiquaient sur le fondement du document que le Gabon invoque devant la Cour. Aucune des
Parties n’a non plus invoqué un prétendu accord pour justifier ses activités militaires à l’intérieur et
autour des îles disputées ou ses protestations contre les activités de l’autre Partie. En voici quelques
exemples.
3.72. Le 4 mai 1990, le ministère gabonais des affaires étrangères a adressé à l’ambassade
équato-guinéenne à Libreville une lettre de protestation contre un permis d’exploration que la Guinée
équatoriale avait accordé à Clarion Petroleum, au motif que la zone faisant l’objet de la concession
mordait sur le prétendu espace maritime gabonais adjacent à Mbanié154. Le Gabon a demandé à
l’époque à la Guinée équatoriale de suspendre toute activité d’exploration pétrolière jusqu’à ce que
la frontière soit définie dans cette zone, sans faire référence à quelque accord qui aurait été conclu.
3.73. Le 28 juin 1990, le chargé d’affaires de l’ambassade du Gabon à Londres a prié le
Secrétaire d’État britannique de demander à Clarion Petroleum de suspendre ses activités
d’exploration dans la zone disputée jusqu’à ce que le Gabon et la Guinée équatoriale délimitent leur
frontière maritime155. Le Gabon soutenait que le permis empiétait sur le territoire gabonais en ce qu’il
« inclu[ait] l’île Mbanié, laquelle appartient au Gabon »156. Là encore, il l’a fait sans invoquer
quelque accord que les Parties auraient conclu ni affirmer de toute autre manière que celles-ci étaient
convenues que la souveraineté sur Mbanié appartenait au Gabon.
3.74. Le 4 décembre 1992, le Gabon a pris le décret no 2066/PR qui visait à établir une mer
territoriale de douze milles marins mesurée à partir de lignes de base droites et de lignes de base
normales, en utilisant Mbanié comme un des points d’une ligne de base droite allant de Cocobeach
au cap Lopez157. Ni son décret ni d’autres documents connexes n’ont fait référence au document qu’il
153 MGE, vol. I, par. 5.15-5.16.
154 Lettre no 293 en date du 4 mai 1990 adressée à l’ambassade de la République de Guinée équatoriale au Gabon
par le ministre gabonais des affaires étrangères et de la coopération au sujet de la note no 253/89/AMGE du 16 octobre
1989 relative au permis Clarion Petroleum délivré à la société du même nom. RGE, vol. IV, annexe 46. Cette lettre de
protestation indiquait également que la concession ne respectait pas la ligne médiane allant du thalweg du Río Muni au
point géographique situé à équidistance de Mbanié et Corisco.
155 Letter No. 412/90/Amb/Gab/DB from the Embassy of the Gabonese Republic in London to the Secretary of
State for Foreign Affairs and the Commonwealth (28 juin 1990). RGE, vol. IV, annexe 47.
156 Ibid., p. 2. RGE, vol. IV, annexe 47.
157 République gabonaise, Journal officiel de la République gabonaise no 48/52-385, contenant le
décret no 2066/PR/MHCUCDM du 4 décembre 1992, p. 4. RGE, vol. V, annexe 54. Le 16 juillet 1972, le Gabon a étendu
sa mer territoriale à 100 milles marins à partir de la laisse de basse mer.
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invoque maintenant comme étant le fondement juridique de l’utilisation de Mbanié comme point de
base158.
3.75. Le 6 mars 1999, la Guinée équatoriale a pris le décret-loi no 1/1999 établissant sa
frontière avec le Gabon sur une ligne médiane159. Elle a placé des points de base à Mbanié, Cocotiers
et Conga, revendiquant ainsi un territoire et des espaces maritimes qui appartiendraient au Gabon
selon le document présenté en 2003 qu’il qualifie d’« accord » conclu en 1974160. Le Gabon reconnaît
avoir « immédiatement protesté » contre le décret-loi équato-guinéen no 1/1999 « par une note
verbale de son ambassade à Malabo » le 13 septembre 1999161. Dans cette même note verbale, il a
également revendiqué la souveraineté sur les îles susmentionnées et les espaces maritimes
adjacents162. Il ne s’est cependant fondé sur aucun accord en vigueur pour justifier sa position dans
cette note verbale.
3.76. Dans son contre-mémoire, le Gabon reconnaît que, le 26 juin 1999, la Guinée équatoriale
a conclu un accord de délimitation maritime avec Sao Tomé-et-Príncipe et relève que la ligne de
délimitation se trouvait « nettement au sud » de la frontière maritime qui, selon lui, avait été
« déterminée » par un « accord » en 1974163. Toutefois, il n’a nullement fait mention d’un tel accord
dans sa note de protestation.
3.77. Le 21 décembre 2000, la Guinée équatoriale a protesté contre un permis d’exploration et
d’exploitation pétrolières que le Gabon avait octroyé à Shell pour les blocs dénommés « Mbanié » et
« Mbanié Ouest »164, en précisant que ce permis portait atteinte à la souveraineté de la Guinée
équatoriale sur Mbanié et sa zone maritime. Elle a souligné qu’elle ne reconnaîtrait pas les actes
unilatéraux du Gabon et a préconisé à ce dernier la poursuite des négociations pour régler leur
différend relatif à la souveraineté et délimiter leur frontière maritime.
3.78. Le 26 février 2003, le ministre gabonais de la défense s’est rendu à Mbanié, accompagné
de hauts gradés de l’armée gabonaise et de la presse165. Il a fait valoir la prétention du Gabon à la
souveraineté sur Mbanié, mais, fait révélateur, il n’a pas invoqué le document que le Gabon a
présenté quatre mois plus tard comme un « accord » conclu en 1974.
158 Voir MGE, vol. II, fig. 6.2.
159 Voir MGE, vol. II, fig. 6.1.
160 République de Guinée équatoriale, président de la République, décret-loi no 1/1999 du 6 mars 1999 portant
désignation de la ligne médiane comme frontière maritime de la République de Guinée équatoriale (6 mars 1999). REG,
vol. V, annexe 57 (version française accessible à l’adresse suivante : www.un.org/depts/los/doalos_publications/
LOSBulletins/bulletinfr/bul40fr.pdf, p. 28).
161 CMG, vol. I, par. 4.17.
162 Note verbale no 001989/MAECF/SG/D1 en date du 13 septembre 1999 adressée au ministère des affaires
étrangères de la République de Guinée équatoriale par le ministère des affaires étrangères, de la coopération et de la
francophonie de la République gabonaise au sujet du décret-loi no 1/1999 du 6 mars 1999. RGE, vol. IV, annexe 48.
163 CMG, vol. I, par. 4.18.
164 Letter No. 4005 from the Ministry of Foreign Affairs, International Cooperation and Francophonie of the
Republic of Equatorial Guinea to the Ministry of Foreign Affairs, International Cooperation and Francophonie of the
Gabonese Republic (3 janvier 2001). RGE, vol. IV, annexe 49.
165 J.-D. Geslin, « L’île de toutes les convoitises », Jeune Afrique L’Intelligent (10-23 août 2003), p. 1. RGE, vol. V,
annexe 64.
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3.79. Le 1er mars 2003, le ministre équato-guinéen des affaires étrangères a protesté contre
l’occupation illégale de Mbanié par le Gabon, réaffirmant la souveraineté de la Guinée équatoriale
sur l’île et invitant le Gabon à se retirer de celle-ci166. Cette protestation a été réitérée dans des
déclarations officielles les 11 et 12 mars 2003 par le premier ministre équato-guinéen167, lequel a
souligné que la Guinée équatoriale avait toujours revendiqué Mbanié comme étant son territoire
souverain168 et a exprimé « sa profonde préoccupation et son indignation » face à l’occupation
illégale de l’île par le Gabon.
3.80. Ce n’est que le 23 mai 2003 que le Gabon a invoqué — pour la première fois — une
photocopie de mauvaise qualité d’un document qui, selon lui, était un traité de 1974 réglant tous les
différends ayant fait l’objet de négociations et de discussions intensives entre les Parties pendant
trois décennies. Comme l’indique la Guinée équatoriale dans son mémoire, les membres de la
délégation équato-guinéenne, totalement pris de cours, ont répondu qu’ils n’avaient jamais vu ce
document ni entendu parler de celui-ci et qu’ils n’avaient pas la moindre idée de son existence169. Le
Gabon ne le conteste pas dans son contre-mémoire.
3.81. Il ressort donc des éléments de preuve versés au dossier que, jusqu’à ce qu’elle soit
soudainement présentée par le Gabon le 23 mai 2003, la « convention de Bata » alléguée n’avait
jamais été mentionnée, et encore moins comprise ou traitée comme un instrument adopté ou faisant
droit au regard de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ou de la délimitation des
frontières terrestre ou maritime communes des Parties. En effet, pendant trois décennies après la
« conclusion » alléguée du document, les Parties ont continué à traiter toutes ces questions litigieuses
comme si elles n’avaient jamais été réglées et elles ont mené des négociations approfondies visant à
les régler sans jamais invoquer un quelconque « accord » qui aurait été conclu en 1974. Dans ces
conditions, le Gabon est loin de s’être acquitté de la charge qui lui incombait de démontrer que les
Parties avaient conclu un accord définitif et contraignant le 12 septembre 1974. De plus, n’ayant
jamais fait valoir (ni même mentionné) le document présenté en 2003 pendant près de trente ans dans
des circonstances qui commandaient manifestement de l’invoquer, le Gabon reconnaît tacitement par
ce comportement que ledit document n’a pas d’effet juridique entre les Parties. Il ne saurait donc
s’appuyer sur le document en cause pour tenter d’établir un titre juridique au sens de l’article premier
du compromis170.
3.82. Une autre preuve irréfutable que les Parties n’ont jamais considéré le document invoqué
par le Gabon comme un traité définitif ou juridiquement contraignant réside dans le comportement
qu’elles ont manifesté de 1974 à aujourd’hui au sujet du territoire continental qui aurait été délimité,
166 Note Verbale No. 0295 from the Ministry of Foreign Affairs, International Cooperation and Francophonie of
the Republic of Equatorial Guinea to the Embassy of the Gabonese Republic in Equatorial Guinea (1er mars 2003). RGE,
vol. IV, annexe 50.
167 Republic of Equatorial Guinea, Communiqué from H.E. the Prime Minister-Head of the Government concerning
the Visit Carried Out by the Gabonese Minister of National Defense on 26 February to the Islet of Mbañe (11 mars 2003).
RGE, vol. IV, annexe 51 ; J.-D. Geslin, « Gabon-Guinée équatoriale : L’îlot de la discorde », Jeune Afrique L’Intelligent
(16-22 mars 2003). RGE, vol. V, annexe 63.
168 Republic of Equatorial Guinea, Communiqué from H.E. the Prime Minister-Head of the Government concerning
the Visit Carried Out by the Gabonese Minister of National Defense on 26 February to the Islet of Mbañe (11 mars 2003).
RGE, vol. IV, annexe 51 ; J.-D. Geslin, « Gabon-Guinée équatoriale : L’îlot de la discorde », Jeune Afrique L’Intelligent
(16-22 mars 2003). RGE, vol. V, annexe 63.
169 MGE, vol. I, par. 5.19.
170 Selon la jurisprudence de la Cour, le comportement ultérieur des parties peut permettre de déterminer si un traité
constitue un titre juridique valable. Voir Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1962, p. 32 (« Même s’il existait un doute sur l’acceptation par le Siam en 1908 de la carte, et par conséquent de la frontière
qui y est indiquée, la Cour, tenant compte des événements ultérieurs, considérerait que la Thaïlande, en raison de sa
conduite, ne saurait aujourd’hui affirmer qu’elle n’a pas accepté la carte. »).
- 41 -
selon le Gabon, par ce prétendu « accord ». De fait, la Guinée équatoriale a continué à exercer sa
souveraineté sur l’ensemble du territoire disputé prétendument cédé au Gabon dans le cadre de cet
instrument et à l’administrer. Elle l’a fait non seulement sans protestation de la part du Gabon, mais,
dans certaines zones, avec sa coopération active et son consentement.
3.83. Par exemple, comme elle l’explique en détail au chapitre 5 de la présente réplique, la
Guinée équatoriale a continué à administrer la zone de l’Outemboni sans interruption après son
accession à l’indépendance en 1968, ce qui cadre parfaitement avec sa thèse selon laquelle aucun
accord définitif ou contraignant n’a été conclu le 12 septembre 1974171. De même, les entretiens du
12 septembre 1974 n’ont apporté aucune modification à la frontière qui existait dans la zone du Kyé
depuis la conclusion de l’accord des gouverneurs de 1919. L’accord de 2007 relatif à la construction
d’un pont frontalier et d’un tronçon de route bitumée avec des ouvrages entre les deux pays ne
mentionne pas l’« accord » de 1974 dont fait état le Gabon. Au contraire, il contredit directement ce
document en disposant que la frontière terrestre suit le Kyé (et non le méridien situé à 9° de longitude
est de Paris mentionné à l’article premier du document que le Gabon invoque devant la Cour). Les
Parties sont convenues de la construction de deux ponts frontaliers sur le Kyé, les ont ensuite
inaugurés et ont admis que les localités situées à l’ouest du Kyé étaient des territoires équatoguinéens172.
Tous les villages énumérés au paragraphe 5.86 de la présente réplique qui
appartiendraient au Gabon selon l’« accord » de 1974 allégué relèvent toujours de la souveraineté de
la Guinée équatoriale, au su du Gabon et avec son plein consentement, ce qui confirme que le
document présenté pour la première fois en 2003 n’a jamais fait droit dans les relations entre les
Parties.
171 Voir infra, chap. 5, sect. II.D.
172 Voir infra, chap. 5, sect. III.C.2 a).
- 42 -
CHAPITRE 4
TITRE JURIDIQUE SUR LES ÎLES ET ÎLOTS DE LA BAIE DE CORISCO
4.1. Ainsi que la Guinée équatoriale l’a démontré aux chapitres 3 et 6 de son mémoire, le droit
des successions joue un rôle de premier plan dans les titres juridiques qui font droit dans les relations
entre le Gabon et la Guinée équatoriale s’agissant de la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga,
la Guinée équatoriale ayant succédé aux titres juridiques détenus par l’Espagne sur ces îles lors de
son accession à l’indépendance.
4.2. Ainsi que la Guinée équatoriale l’a également exposé dans son mémoire, l’Espagne a
acquis et conservé à l’époque coloniale un titre juridique sur les îles de la baie de Corisco en vertu
de divers actes spécifiques, à savoir :
 la cession générale des droits du Portugal opérée en sa faveur dans le traité du Pardo de 1778173 ;
 la déclaration de souveraineté espagnole de 1843 concernant l’île Corisco174 ;
 l’acte d’annexion signé par l’Espagne en 1846 avec I. Oregek, roi de l’île Corisco175 ;
 la charte de nationalité espagnole donnée aux habitants de Corisco, d’Elobey et de leurs
dépendances, établie en 1846176 ;
 la lettre de 1858 réaffirmant l’appartenance de l’île Corisco à l’Espagne177 ; et
 l’occupation publique et effective incontestée de ces îles, leur administration et l’exercice de la
souveraineté sur elles par l’Espagne de 1843 jusqu’à l’accession de la Guinée équatoriale à
l’indépendance le 12 octobre 1968178.
4.3. Nonobstant ces faits juridiques, le Gabon soutient dans son contre-mémoire que le
document qu’il a présenté en 2003 constitue le seul titre juridique applicable aux dépendances de
Corisco179. Or, ainsi que cela a été exposé au chapitre 3 de la présente réplique et au chapitre 7 du
mémoire, ce document ne fait pas — et ne saurait faire — droit entre les Parties en ce qui concerne
la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga (ou toute autre question en cause).
173 Voir MGE, vol. I, par. 3.2 ; Traité d’amitié, de garantie et de commerce conclu entre les cours royales
d’Espagne et de Portugal, signé au Pardo (11 mars 1778), art. 13. MGE, vol. III, annexe 1. La France a également adhéré
au traité du Pardo, voir CMG, vol. I, par. 1.4.
174 Voir MGE, vol. I, par. 3.3 ; Kingdom of Spain, Royal Commissioner for the Islands Fernando Póo, Annobón
and Corisco on the Coast of Africa, Declaration of Corisco (16 mars 1843). MGE, vol. V, annexe 110.
175 Voir MGE, vol. I, par. 3.5 ; Kingdom of Spain, Ministry of State, Record of Annexation (18 février 1846). MGE,
vol. V, annexe 112.
176 Voir MGE, vol. I, par. 3.5 ; Kingdom of Spain, Ministry of State, Letter of Spanish Citizenship Given to the
Inhabitants of Corisco, Elobey and their Dependencies (18 février 1846). MGE, vol. IV, annexe 47.
177 Voir MGE, vol. I, par. 3.6 ; The Spanish State, Ministry of State, Letter Reaffirming Spanish Possession of the
Island of Corisco (21 juillet 1858). MGE, vol. IV, annexe 48.
178 Voir MGE, vol. I, par. 3.2-3.35, 3.85-3.101.
179 CMG, par. 8.48-8.52. Telles qu’elles sont définies dans le mémoire, les « dépendances de Corisco » s’entendent
des îlots Mbanié, Cocotiers et Conga. MGE, vol. I, par. 2.4.
- 43 -
4.4. Le Gabon fait valoir que des incertitudes régnaient sur le titre relatif aux dépendances de
Corisco jusqu’à l’accession du Gabon et de la Guinée équatoriale à l’indépendance et immédiatement
après180. Aucun élément de preuve n’accrédite cet argument. Comme l’explique le chapitre 3 du
mémoire, il ressort clairement, sans ambiguïté, des sources historiques que l’Espagne possédait un
titre juridique sur les dépendances de Corisco et exerçait sa souveraineté sur celles-ci, que la France
reconnaissait sans réserve ce titre et qu’elle n’a jamais contesté les actes de souveraineté accomplis
par l’Espagne. Il n’y a pas eu de différends relatifs aux dépendances de Corisco après 1843 entre
l’Espagne et la France ni entre l’Espagne et le Gabon. Un différend n’est né entre la Guinée
équatoriale et le Gabon qu’en mars 1972, l’année où, pour la première fois, le Gabon a revendiqué
les îles, puis a envahi et occupé Mbanié en août181.
4.5. Le Gabon n’affirme pas que la France ait jamais possédé un titre juridique sur les
dépendances de Corisco ou exercé sa souveraineté sur celles-ci. Comme il a été relevé ci-dessus, il
soutient au contraire qu’il existait des incertitudes sur le titre y afférent qui n’avaient pas été dissipées
dans la convention de 1900182 et que ces incertitudes ont subsisté jusqu’à l’accession du Gabon et de
la Guinée équatoriale à l’indépendance. Cela n’est pas exact, comme le montre clairement le dossier
soumis à la Cour : la souveraineté espagnole sur les dépendances de Corisco a toujours été manifeste
et n’a jamais été contestée par la France après 1843. Cette souveraineté a été confirmée par la
convention de 1900, dont les dispositions tirent leur origine de la reconnaissance du titre juridique
de l’Espagne sur les îles de la baie de Corisco par les puissances coloniales. La convention de 1900
n’a pas créé de titre juridique nouveau ou distinct sur ces îles.
4.6. Après la conclusion de la convention de 1900, le titre juridique de l’Espagne a été confirmé
chaque fois que la question du titre sur les dépendances de Corisco a été abordée. Le Gabon soutient
que les prétentions à la souveraineté sur certaines îles de la baie de Corisco émises par la France
avant 1900 « touchaient par moments » aux dépendances de Corisco183 ; cependant, il n’indique pas
le moindre cas où la France aurait revendiqué la souveraineté sur les dépendances de Corisco sur une
période d’histoire coloniale de quelque deux cents ans. Il ne peut même pas citer une seule fois où la
France a contesté la souveraineté de l’Espagne sur ces dépendances. Il ne présente pas la moindre
preuve que la France ait jamais revendiqué des îles dans la baie de Corisco après 1900, la raison en
étant qu’elle ne l’a jamais fait. Le Gabon ne présente pas non plus le moindre document établissant
qu’après son accession à l’indépendance en 1960, il a revendiqué l’une quelconque des dépendances
de Corisco avant 1972.
4.7. Le présent chapitre traite de la dénaturation par le Gabon de l’histoire des dépendances de
Corisco qui, correctement interprétée, atteste clairement que l’Espagne possédait un titre juridique
sur ces îles (I), établit que la Guinée équatoriale a succédé au titre juridique de l’Espagne sur lesdites
îles (II) et confirme que le Gabon ne possède aucun titre juridique sur les dépendances de
Corisco (III).
180 Voir CMG, vol. I, par. 12 et 8.2.
181 MGE, vol. I, par. 6.24.
182 Voir, par exemple, CMG, vol. I, par. 12 et 8.2.
183 Voir CMG, vol. I, par. 8.4.
- 44 -
I. L’ESPAGNE POSSÉDAIT UN TITRE JURIDIQUE SUR
LES DÉPENDANCES DE CORISCO
4.8. En soutenant dans son contre-mémoire que des incertitudes régnaient sur le titre juridique
relatif aux dépendances de Corisco à l’époque coloniale, le Gabon méconnaît totalement les sources
historiques présentées dans le mémoire de la Guinée équatoriale. Ces sources mettent clairement en
évidence la souveraineté de l’Espagne sur les dépendances de Corisco et la reconnaissance expresse
de cette souveraineté par la France. Les efforts déployés par le Gabon pour semer le doute sur les
sources historiques sont totalement dénués de fondement. D’ailleurs, ils confirment qu’à la date de
l’accession de la Guinée équatoriale à l’indépendance, l’Espagne possédait un titre juridique sur les
dépendances de Corisco, lequel n’était contesté ni par la France ni par le Gabon.
A. La période antérieure à la conclusion de la convention de 1900
4.9. Le Gabon reconnaît dans son contre-mémoire que l’Espagne a pris possession de l’île
Corisco, ainsi que d’autres territoires insulaires, au milieu des années 1800184. Il énumère divers
accords que la France aurait conclus avec des chefs locaux à cette époque, mais n’affirme pas que
l’un quelconque de ces accords visait à intégrer l’île Corisco ou ses dépendances dans les possessions
françaises185. De fait, en résumant les prétentions que l’Espagne et la France avaient à la fin des
années 1800, le Gabon fait savoir clairement qu’il n’existait pas de prétentions françaises ni de titre
juridique français concernant l’île Corisco ou ses dépendances186.
4.10. Le Gabon fait valoir que la France a protesté contre certaines prétentions de l’Espagne
dans le golfe de Guinée en 1860. Or il ressort clairement des éléments de preuve versés au dossier
que les protestations de la France concernaient la prétention espagnole à un territoire situé sur la côte
continentale et non l’affirmation par l’Espagne de sa souveraineté sur l’île Corisco ou les
dépendances de celle-ci187. À l’époque, l’Espagne prétendait à un titre juridique sur ce territoire au
motif que celui-ci était rattaché à Corisco et aux îles Elobey188. Si la France a contesté la thèse
espagnole du rattachement du territoire continental aux îles, elle n’a jamais contesté les prétentions
espagnoles sur les îles elles-mêmes ou, plus précisément, contesté que les îles Mbanié, Cocotiers et
Conga étaient des dépendances de Corisco relevant du titre espagnol.
4.11. Ainsi que la Guinée équatoriale l’a démontré dans son mémoire, au cours des discussions
de la commission mixte qui eurent lieu de 1886 à 1891, la France affirma  dans deux documents
distincts datés de 1886 et 1887  que les « dépendances naturelles » ou « dépendances
184 CMG, vol. I, par. 1.5 et 1.11 ; voir MGE, vol. I, par. 3.3-3.6.
185 CMG, vol. I, par. 1.8-1.10 ; accords conclus entre la France et les chefs locaux jusqu’en 1885. CMG, vol. I,
croquis 1.2.
186 CMG, vol. I, par. 1.16.
187 Ibid., par. 1.11.
188 MGE, vol. I, par. 3.10. L’Espagne incluait aussi expressément Mbanié dans les dépendances de Corisco. Voir
Letter No. 368 from the Spanish Governor-General of Fernando Póo to the Commissioner-General of the French Congo
(22 novembre 1895), p. 1-2. MGE, vol. IV, annexe 50 (« Puisque Corisco appartient à l’Espagne, Embagna [Mbanié] est
une dépendance qui s’y rattache »).
- 45 -
géographiques » de Corisco étaient « Laval [Leva] » et « Baynia [Mbanié] »189. Dans son contremémoire,
le Gabon tente de limiter l’effet des déclarations de la France en soutenant que les
responsables français ont seulement indiqué que « du point de vue géographique le terme
“dépendances” dans les accords conclus par l’Espagne … pourrait, tout au plus, renvoyer aux îlots »
Leva et Mbanié190. Le texte des documents susvisés montre le contraire. Les responsables français
ne disent pas que le terme « dépendances » désigne « tout au plus » Leva et Mbanié , mais que « [l]es
dépendances géographiques de Corisco sont : Laval [Leva] et celle nommée Baynia [Mbanié] »191.
La France a en outre déclaré que Mbanié faisait partie du territoire acquis par l’Espagne sur le
fondement de la déclaration de souveraineté espagnole de 1843 concernant l’île Corisco et que Leva
et Mbanié se trouvaient dans les eaux territoriales de l’île Corisco : « En effet, l’acte de 1843 est
celui auquel l’Espagne doit l’annexion de Corisco et de ses dépendances naturelles, les îlots Laval et
Baynia, compris dans la zone des eaux territoriales de cette île. »192
4.12. Le Gabon cherche à minimiser l’importance de ces déclarations déterminantes en faisant
valoir que les parties ne sont pas liées par les positions qu’elles prennent dans les négociations193 ; or
ce principe est inapplicable en l’espèce. Il ressort des protocoles de la commission mixte que la
France reconnaissait ainsi la souveraineté espagnole en considération de la situation juridique
existante, et non à titre d’offre de règlement dans laquelle elle était disposée à faire des concessions
pour obtenir des concessions correspondantes de l’Espagne. Le Gabon ne semble pas contester ce
point ; au contraire, il confirme que tel était bien le cas. En effet, il déclare que « [l]es négociations
de la commission mixte avaient été guidées par la volonté d’identifier, parmi les titres juridiques
invoqués par chacun des deux États, lequel ou lesquels faisaient droit »194. C’est dans ce contexte
que les responsables français ont affirmé à deux reprises, à un an d’intervalle, que l’Espagne
possédait un titre juridique sur Laval et Mbanié en tant que dépendances naturelles de l’île Corisco,
sur le fondement de la déclaration de souveraineté espagnole de 1843 concernant l’île Corisco. Le
Gabon ne conteste pas qu’il s’agissait effectivement de la position officielle et solennelle de la
France.
4.13. Le Gabon fait valoir que la déclaration de 1843, l’acte d’annexion de 1846, la charte de
nationalité espagnole de 1846 et la lettre de 1858 réaffirmant l’appartenance de l’île Corisco à
l’Espagne ne définissent pas les « dépendances » de l’île Corisco195. Là encore, le Gabon se raccroche
aux branches. Comme indiqué ci-dessus, la France a expressément reconnu que Leva et Mbanié
étaient des dépendances de l’île Corisco, et donc soumis à la souveraineté espagnole, sur le
fondement de la déclaration de 1843. De plus, lors d’incidents survenus en 1895 et 1896, l’Espagne
a clairement fait savoir à la France que Mbanié était une dépendance de Corisco et que les habitants
189 Voir MGE, vol. I, par. 3.11 ; Commission franco-espagnole, conférence sur la délimitation de l’Afrique de
l’Ouest, archives du ministère français des affaires étrangères, annexe au protocole no 17 (24 décembre 1886), p. 2. MGE,
vol. III, annexe 11 (« Les dépendances géographiques de Corisco sont : Laval et celle nommée Baynia » ; Commission
franco-espagnole, conférence sur la délimitation de l’Afrique de l’Ouest, archives du ministère français des affaires
étrangères, protocole no 30, séance du 16 septembre 1887 entre le Royaume d’Espagne et la République française (extrait),
p. 13. MGE, vol. III, annexe 3 (« En effet, l’acte de 1843 est celui auquel l’Espagne doit l’annexion de Corisco et de ses
dépendances naturelles, les îlots Laval et Baynia, compris dans la zone des eaux territoriales de cette île »).
190 CMG, vol. I, par. 8.27.
191 Commission franco-espagnole, conférence sur la délimitation de l’Afrique de l’Ouest, archives du ministère
français des affaires étrangères, annexe au protocole no 17 (24 décembre 1886), p. 2 (les italiques sont de nous). MGE,
vol. III, annexe 11.
192 Commission franco-espagnole, conférence sur la délimitation de l’Afrique de l’Ouest, archives du ministère
français des affaires étrangères, protocole no 30, séance du 16 septembre 1887 entre le Royaume d’Espagne et la
République française (extrait), p. 13. MGE, vol. III, annexe 3.
193 CMG, vol. I, par. 8.28-8.29.
194 Ibid., par. 8.33.
195 Ibid., par. 8.19.
- 46 -
de Corisco avaient occupé Mbanié et y menaient leurs activités depuis des temps immémoriaux,
créant ainsi un droit de possession sur cet îlot : la France n’a pas contesté la position de l’Espagne à
cet égard196.
4.14. Le Gabon tente de justifier le fait que la France n’a jamais émis de prétentions à l’époque
coloniale en faisant valoir qu’il s’agit « d’îles inhabitées d’une superficie réduite » et que, pour cette
raison, « elles n’ont pas constitué un point de friction dans les rapports entre les puissances
coloniales »197. Cet argument ne tient pas compte des éléments de preuve disponibles, notamment
des comptes rendus détaillés des cas où l’Espagne a fait valoir son titre et de ceux où la France l’a
reconnu expressément et tacitement. Le Gabon ne peut pas rejeter ou effacer aussi allègrement le fait
incontesté que la France n’a jamais revendiqué l’une quelconque des dépendances de Corisco.
4.15. Dans l’espoir de trouver des éléments permettant de contester le titre juridique de
l’Espagne sur les dépendances de Corisco (par opposition à l’île Corisco elle-même), le Gabon
cherche maintenant à dénaturer les échanges qui eurent lieu entre l’Espagne et la France en
1895-1896 pour faire valoir qu’il en ressort qu’un certain degré d’incertitude existait quant au statut
de ces dépendances198. Les éléments de preuve disponibles dissipent tout soupçon d’incertitude.
Ainsi que la Guinée équatoriale l’a indiqué dans son mémoire, le gouverneur général espagnol de
Fernando Póo avait adressé au commissaire général du Congo français en 1895 une lettre relative à
une rumeur qui prêtait à la France l’intention d’établir un poste à Mbanié199. Dans cette lettre, il avait
souligné que « Corisco appart[enait] à l’Espagne, Embagna [Mbanié] [était] une dépendance qui s’y
rattach[ait] » et que « l’usage [que les habitants de Corisco faisaient de Mbanié] depuis des temps
immémoriaux équiva[lait] à un droit de possession … auquel l’Espagne ne p[ouvait] renoncer »200.
Le commissaire général français lui avait répondu que la rumeur était « dénuée[] de fondement »201.
Il n’avait pas nié que Corisco « appart[enait] à l’Espagne » ni que Mbanié « [était] une
dépendance qui s’y rattach[ait] ». Il n’y avait pas de prétentions françaises sur ces formations
insulaires ni d’incertitudes quant à leur appartenance à l’Espagne202.
4.16. Le Gabon invoque une note établie en 1899 par l’« Union coloniale française », un
« groupement d’intérêts commerciaux »203, c’est-à-dire ne faisant pas officiellement partie de l’État
français, mais favorable à la colonisation, pour affirmer qu’à l’époque, l’ensemble des îles du golfe
196 Voir MGE, vol. I, par. 3.14 ; Letter No. 368 from the Spanish Governor-General of Fernando Póo to the
Commissioner-General of the French Congo (22 novembre 1895), p. 1-2. MGE, vol. IV, annexe 50.
197 CMG, vol. I, par. 8.3.
198 Ibid., par. 1.20 et 8.8.
199 Voir MGE, vol. I, par. 3.14 ; Letter No. 368 from the Spanish Governor-General of Fernando Póo to the
Commissioner-General of the French Congo (22 novembre 1895), p. 1-2. MGE, vol. IV, annexe 50.
200 Letter No. 368 from the Spanish Governor-General of Fernando Póo to the Commissioner-General of the French
Congo (22 novembre 1895), p. 10-11 (« Desde que Corisco pertenece a España, viene Embagna siendo una dependencia
anexa a ella ... es indudable que el uso hecho de ella desde tiempos inmemoriales [por los Coriscos], constituye un derecho
de posesión, derecho al que no puede España renunciar »). MGE, vol. IV, annexe 50.
201 Voir MGE , vol. I, par. 3.15 ; lettre no 203 en date du 4 février 1896 adressée au gouverneur général espagnol
de Fernando Póo et ses dépendances par le commissaire général du Gouvernement français au Congo français, p. 1 (« Les
informations qu’elle mentionne au sujet de l’établissement d’un poste sur un îlot situé à 6 milles au S.E. de Corisco sont
dénuées de fondement. »). MEG, vol. IV, annexe 51.
202 Voir France, Exposé des droits de l’Espagne sur certains territoires du golfe de Guinée (1896). CMG, vol. III,
annexe 35 (indiquant que la France n’avait pas de prétentions sur les dépendances de Corisco et qu’elle reconnaissait la
souveraineté de l’Espagne sur Corisco et ses dépendances).
203 CMG, vol. I, par. 8.31.
- 47 -
de Guinée « restait disputé »204. Or non seulement cette note est sans intérêt, mais il en ressort le
contraire de ce que prétend le Gabon : « L’Espagne occupe actuellement … Corisco », « les
Espagnols se sont établis dans cette Ile & nous n’avons jamais protesté depuis cinquante-cinq ans »
et « le chef Boucaro, de Corisco, cédait à l’Espagne, l’Ile Corisco & ses dépendances »205. Les vues
exprimées par ce groupement d’intérêts commerciaux favorable à la colonisation au XIXe siècle,
comme celles du Gouvernement français, confirment donc que l’Espagne possédait un titre juridique
sur « Corisco & ses dépendances » à la veille de la conclusion de la convention de 1900.
4.17. Ne disposant pas de preuves documentaires, le Gabon tente de s’appuyer sur un petit
nombre de cartes pour créer des « incertitudes » quant au titre juridique sur les îles de la baie de
Corisco. Cependant, comme la Guinée équatoriale l’a démontré dans son mémoire, des preuves
cartographiques datant de 1899 confirment qu’à l’époque, la France estimait officiellement que
Mbanié relevait de la souveraineté espagnole206. En particulier, une carte tirée de l’Atlas des colonies
françaises plaçait Corisco et Mbanié sous la souveraineté espagnole207. L’année suivante, l’Atlas
Larousse qualifia d’espagnoles l’île Corisco et la baie de Corisco208. Voir la figure R4.1. Les cartes
françaises plus anciennes mentionnées par le Gabon ne contredisent pas ces affirmations manifestes
de la souveraineté espagnole209.
204 Ibid., par. 8.30.
205 Ibid., par. 8.31.
206 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 583, par. 56 (qualifiant
les cartes de « preuves à caractère auxiliaire ou confirmatif »).
207 MGE, vol. I, par. 3.16 ; carte d’origine française représentant les dépendances de Corisco comme étant
espagnoles (1899). MGE, vol. II, fig. 3.3.
208 Atlas Larousse, Colonies françaises d’Afrique (1900). MGE, vol. II, annexe M1.
209 Voir Service géographique de l’armée française, feuille no 34 (Libreville) de la carte de l’Afrique (région
équatoriale), échelle au 1/2.000.000, dressée et dessinée par le chef de bataillon du génie Regnauld de Lannoy de Bissy
(dite « carte Lannoy ») (1892). CMG, vol. II, annexes C4 et C7 ; Service géographique des colonies (J. Hansen), Carte du
Congo français, échelle au 1/1.500.000 (avec tracé des propositions de frontières) (1895). CMG, vol. II, annexe C6. Le
Gabon invoque des cartes de 1892 et 1896 établies par le Service géographique de l’armée française, ainsi qu’une carte de
1895 établie par le Service géographique des colonies françaises. Ces cartes confirment que Corisco appartenait à l’Espagne
et représentent Mbanié à proximité géographique de Corisco. Voir également A. Largent (chef du service des douanes de
la colonie), Carte générale du Gabon, échelle de 0,004 par mille, feuille 1 et feuille 3 (avril 1884). CMG, vol. II, annexe C1.
La carte encore plus ancienne établie en 1884 par A. Largent, chef du service des douanes de la colonie française, ne
présente pas non plus d’intérêt et est contredite par les avis exprimés officiellement par la France au sujet de Mbanié en
1886 et 1887 au cours des discussions de la Commission mixte.
- 48 -
Figure R4.1
Carte française de 1900 représentant l’île Corisco et la baie de Corisco
comme étant espagnoles
Source : Atlas Larousse, Colonies d’Afrique — Sénégal et Soudan français, établissement de la côte, Congo
français (1900). Extrait de carte, annotations ajoutées
4.18. En somme, il n’y avait pas d’incertitudes quant au titre juridique de l’Espagne sur Mbanié
en 1900, l’année où a été adoptée la convention franco-espagnole.
B. La convention de 1900 repose sur la reconnaissance du titre juridique
existant de l’Espagne sur les îles de la baie de Corisco
4.19. La convention de 1900210 n’a ni créé ni transféré de titre juridique portant sur les îles de
la baie de Corisco. Elle a plutôt accordé à la France un « droit de préférence » pour le cas où
l’Espagne voudrait céder les îles Elobey ou l’île Corisco à un État tiers211. En lui accordant ce droit,
la convention partait du principe que la France reconnaissait le titre juridique préexistant de
l’Espagne sur les îles Elobey et Corisco. Ainsi, la convention de 1900 a confirmé le titre juridique de
l’Espagne sur Corisco et, par extension, sur Mbanié, Cocotiers et Conga qui, bien qu’elles n’aient
pas été expressément mentionnées dans la convention, avaient été reconnues par la France comme
des dépendances de Corisco avant 1900212.
4.20. Le Gabon semble avoir deux avis sur les conséquences juridiques de la convention de
1900. D’une part, il convient que, par l’acceptation du droit de préférence, la France a reconnu que
les îles Elobey et Corisco appartenaient à l’Espagne : « l’incorporation de ce droit de préférence
équivaut, de la part de la France, à une reconnaissance de l’appartenance de ces îles nommément
210 Convention de 1900, MGE, vol. III, annexe 4.
211 Ibid., art. VII.
212 Voir supra, par. 4.11.
- 49 -
identifiées à l’Espagne »213. D’autre part, il affirme que la convention « a permis de résoudre … un
différend territorial vieux de quarante ans … en attribuant à l’Espagne la souveraineté sur les îles
Elobey et sur l’île de Corisco »214. Cependant, ainsi que cela a été démontré ci-dessus et dans le
mémoire, il n’existait en 1900 aucun « différend territorial » portant sur l’île Corisco ou ses
dépendances, y compris Mbanié, et encore moins un différend « vieux de quarante ans ». Néanmoins,
le Gabon soutient que « ce n’est qu’à partir de [l’]adoption [de la convention de 1900] que la
souveraineté espagnole devient opposable à la France »215. Les éléments de preuve vont totalement
dans le sens contraire. En effet, il en ressort que le titre juridique de l’Espagne sur les îles en cause,
acquis au XIXe siècle et reconnu comme tel par la France avant la conclusion de la convention de
1900, était déjà opposable à la France. C’est le droit de préférence accordé à la France par la
convention qui est devenu opposable à l’Espagne. La convention de 1900 a donc servi de moyen de
confirmation de la reconnaissance du titre juridique préexistant de l’Espagne par la France.
4.21. Selon le Gabon, le fait que la convention de 1900 ne mentionne pas Mbanié, Cocotiers
et Conga216 indique que leur statut doit avoir été litigieux. Là encore, les faits prouvent le contraire :
c’est précisément parce qu’il était entendu qu’il s’agissait de dépendances de l’île Corisco, dont la
France reconnaissait l’appartenance à l’Espagne bien avant la signature de la convention, qu’il n’était
pas nécessaire que celle-ci les mentionne expressément. Comme indiqué ci-dessus, au cours des
discussions de la commission mixte qui ont eu lieu en 1886 et 1887, la France a clairement indiqué
qu’elle reconnaissait le titre juridique de l’Espagne sur Corisco et ses dépendances insulaires et a
précisé que celles-ci étaient Leva et Mbanié. La France et l’Espagne considéraient que ces
dépendances étaient inséparables de l’île Corisco.
4.22. Le Gabon n’indique aucun document de la France datant de cette époque, ou de toute
autre époque allant jusqu’à la conclusion de la convention de 1900, qui montre que les dépendances
de Corisco ont au moins une fois été traitées séparément de l’île Corisco du point de vue de la
souveraineté. Il fait observer que le deuxième projet d’article 7 de la convention « reflétait des
discussions antérieures entre les parties au sujet des îles Elobey et de Corisco »217. Ce texte
n’accrédite cependant pas son argument. Parmi les discussions antérieures en cause figurent les
réunions de la commission mixte, au cours desquelles les puissances coloniales ont exprimé de façon
claire et précise leurs vues communes sur le titre juridique de l’Espagne sur les dépendances de
Corisco. De plus, le texte de l’article 7 (tant le deuxième projet que la version finale) juxtaposait
clairement les « possessions [de l’Espagne] de la Côte, telles qu’elles lui sont reconnues par la
présente Convention », et « les îles Elobey et l’île Corisco », qui étaient simplement désignées
comme des territoires espagnols soumis au nouveau droit de préférence de la France établi par la
convention.
4.23. Le Gabon relève également que la carte jointe en annexe III à la convention de 1900 ne
représentait pas Mbanié, Cocotiers et Conga dans la baie de Corisco218. C’est exact, mais la
non-représentation des dépendances de Corisco confirme que les parties à la convention de 1900 ne
considéraient pas que ces îles étaient distinctes de Corisco. Celles-ci faisaient partie intégrante de
Corisco : elles partageaient son statut juridique et n’étaient pas disputées.
213 CMG, vol. I, par. 8.36.
214 Ibid., par. 1.50.
215 Ibid., par. 8.36.
216 Ibid., par. 8.37.
217 Ibid., par. 1.27.
218 Ibid., par. 8.37.
- 50 -
4.24. Le Gabon fait valoir en outre que « [l]es cartes espagnoles dressées en 1900 pour rendre
compte des résultats de la Convention de Paris illustrent cette mise à l’écart des trois îles par les
parties »219 ; or les cartes qu’il cite ne font que confirmer l’appartenance de ces îles à l’Espagne.
Premièrement, la carte de 1900 intitulée « Depósito de la Guerra » n’apporte aucune nuance sur
l’une quelconque des dépendances de Corisco, pas même Leva, traitant ainsi toutes les dépendances
insulaires de Corisco de la même manière, à savoir comme faisant partie de celle-ci220.
Deuxièmement, la carte non datée intitulée « Mapa del Muni » n’est pas une carte du Gouvernement
espagnol221. Le fait qu’elle ne représente pas les dépendances de Corisco n’a donc aucune
importance.
4.25. Contrairement à ces cartes non probantes présentées par le Gabon, la Guinée équatoriale
a versé au dossier de nombreuses cartes officielles qui confirment les titres juridiques de l’Espagne
et de la Guinée équatoriale sur l’île Corisco et ses dépendances. Il s’agit notamment de cartes du
Gouvernement français antérieures et postérieures à la conclusion de la convention de 1900 qui
mettent en évidence l’appartenance de Corisco et de ses dépendances à l’Espagne ou à la Guinée
équatoriale222.
C. Le statut de l’île Corisco et de ses dépendances est resté inchangé au cours de
la période allant de la conclusion de la convention de 1900 à l’accession
de la Guinée équatoriale à l’indépendance
4.26. Le Gabon affirme que « [j]usqu’à la fin de la période coloniale, les plus grandes
incertitudes ont subsisté concernant la souveraineté sur les [dépendances de Corisco] »223. Dans son
contre-mémoire, il n’est cependant pas en mesure d’apporter la moindre preuve crédible à l’appui de
cette affirmation sans nuance et manifestement erronée224. En fait, le titre juridique de l’Espagne sur
les dépendances de Corisco a été à plusieurs reprises et expressément confirmé par la France et
reconnu par d’autres États au cours la période considérée.
4.27. Par-dessus tout, mis en présence de toutes les preuves du titre juridique espagnol et de
sa reconnaissance par la France, le Gabon n’apporte la preuve d’aucun cas où la France aurait eu des
prétentions sur les dépendances de Corisco au cours des soixante-huit années qui se sont écoulées
entre la conclusion de la convention de 1900 et l’accession de la Guinée équatoriale à l’indépendance.
Il méconnaît totalement les sources historiques exposées en détail dans le mémoire qui rendent
compte de la présence espagnole à Mbanié, notamment du déploiement de fonctionnaires et de
soldats et du hissage du drapeau espagnol ayant eu lieu sans la moindre protestation de la part de la
France225. Il méconnaît également l’incident du Pierre Loti, dans lequel des responsables
britanniques ont confirmé que l’épave gisant près de Mbanié se trouvait dans des eaux « adjacentes
à une colonie espagnole »226. Il ne conteste cependant pas que l’Espagne a fait valoir sans équivoque
219 Ibid., par. 8.39.
220 Depósito de la Guerra, Mapa de la Guinea Española, échelle au 1/500.000 (1900). CMG, vol. II, annexe C8.
221 Annuarios Bailly Baillière y Riera Reunidos, Mapa del Muni. CMG, vol. II, annexe 21.
222 Voir supra, par. 4.17 ; carte d’origine française représentant les dépendances de Corisco comme étant
espagnoles (1899). MGE, vol. II, fig. 3.3 ; Atlas Larousse, Colonies françaises d’Afrique (1900). MGE, vol. II, annexe M1.
Voir également la carte officielle française représentant les dépendances de Corisco comme étant équato-guinéennes
(1968). MGE, vol. I, fig. 3.25.
223 CMG, vol. I, par. 2.31.
224 Ibid., par. 2.32-2.36.
225 MGE, vol. I, par. 3.20-3.23.
226 Ibid., par. 3.24-3.25.
- 51 -
son titre juridique lors de l’incident né de la construction d’une balise par la France sur l’îlot
Cocotiers en 1954 et 1955227 ni ne nie la reconnaissance incontestable de ce titre par la France
quelques années seulement avant l’accession du Gabon à l’indépendance228.
227 Ibid., par. 3.26-3.33.
228 Ibid., par. 3.32.
- 52 -
Figure R4.2
Emplacement de la balise de Mbanié dans la baie de Corisco
Source : Services hydrographiques français, baie de Corisco — Mondah et Río Muni (1960). Extrait de carte,
annotations ajoutées.
Légende :
Mbañe = Mbanié
Cocoteros = Cocotiers
Channel into Mondah River = Chenal du Mondah
Area enlarged = Zone représentée dans l’encadré
- 53 -
4.28. Le Gabon ne conteste pas non plus les éléments de preuve qui montrent clairement que
de 1911 à 1916, l’époque où l’Allemagne possédait les territoires continentaux entourant la Guinée
espagnole qui sont aujourd’hui le Gabon, ni la convention de Berlin ni la déclaration de Berne n’ont
dit que les îles de la baie de Corisco faisaient partie du territoire cédé à l’Allemagne par la France229.
En définissant le territoire qu’elle avait reçu de la France, l’Allemagne a simplement dit que la
frontière occidentale était « la mer » ; là encore, aucune île n’a été désignée230. Cela cadre avec la
position adoptée par la France au sujet de ces îles depuis au moins 1843 : la France n’avait pas de
prétentions sur celles-ci ni ne possédait de titre juridique susceptible d’être transféré à l’Allemagne.
4.29. Le Gabon relève que « [l]es autorités françaises ont régulièrement effectué des travaux
de balisage » dans la mer à proximité des dépendances de Corisco, afin de marquer le chenal du
Mondah231. Voir la figure R4.2. Or le seul incident concernant ces travaux qu’il examine  celui né
de la construction d’une balise par la France sur l’îlot Cocotiers en 1954 et 1955  confirme la
reconnaissance par la France du titre espagnol sur Mbanié et Cocotiers et, par extension, sur les autres
dépendances de Corisco. Ainsi que le précise la Guinée équatoriale dans son mémoire232, la France
a commencé les travaux de construction de la balise en 1955, croyant avoir reçu de l’Espagne une
autorisation de construction en 1954 alors que l’Espagne n’avait autorisé que des installations
temporaires, écartant ainsi les installations permanentes. Lorsque l’Espagne a ordonné l’arrêt des
travaux en 1955, la France a obtempéré, car elle convenait qu’il s’agissait d’un territoire espagnol.
Par la suite, la France a demandé à l’Espagne l’autorisation de reprendre les travaux et l’Espagne l’a
accordée, ayant fait valoir sans contestation sa souveraineté sur Cocotiers. Lorsque, à la suite de cet
incident, l’Espagne a ordonné la poursuite du déploiement de sa garde coloniale à Mbanié en février
1955, la France n’a pas émis de protestations233.
4.30. Le Gabon cite un document de son gouvernement établi après son invasion de Mbanié
en 1972 pour affirmer que « [l]es autorités françaises s’estimaient dans leur bon droit » à propos de
l’installation d’une balise à Cocotiers234. Or les actes que la France a accomplis et les déclarations
qu’elles a faites sur la question à l’époque des faits contredisent l’affirmation tardive et intéressée du
Gabon. En effet, non seulement elle a reconnu sans équivoque le titre juridique espagnol à l’occasion
du retrait de ses agents de Cocotiers sur ordre de l’Espagne, mais il ressort de manière concluante
d’un extrait d’une lettre adressée au ministre de la France d’outre-mer par le ministre français des
affaires étrangères en 1955 que la France considérait l’Espagne comme la détentrice de la
souveraineté sur Mbanié :
« [L]’île Baynia [Mbanié] a été à plusieurs reprises, au cours des cinquante
dernières années, occupée par les Espagnols sans protestation ou sans occupation
alternée de notre part.
[L]’île Baynia [Mbanié] se trouve située à l’intérieur des six milles marins
formant la limite des eaux territoriales espagnoles. … De plus la situation de l’îlot à
229 Voir CMG, vol. I, par. 2.2-2.3.
230 Reich allemand, arrêté du gouverneur impérial portant création de circonscriptions administratives au
Nouveau-Cameroun (6 mars 1913), CMG, vol. IV, annexe 70, p. 3 (« Frontière[] … Ouest : la mer »).
231 CMG, vol. I, par. 2.32 ; voir également CMG, vol. IV, annexes 79, 82, et 84.
232 Voir MGE, vol. I, par. 3.26-3.33.
233 MGE, vol. I, par. 3.29.
234 CMG, vol. I, par. 2.34.
- 54 -
l’intérieur des eaux territoriales de Corisco … place [la France] dans une position
juridique de base désavantageuse. »235
4.31. Une lettre de 1955, annexée par le Gabon à son contre-mémoire, qui avait été adressée
au gouverneur de la France d’outre-mer par le capitaine français du Beautemps-Beaupré va dans le
même sens. Le capitaine dit que Cocotiers appartient à l’Espagne, le qualifiant de « Cocotier
(espagnol[]) » et relevant que « l’accord espagnol » serait nécessaire pour installer un feu sur la
balise236. Une autre lettre annexée au contre-mémoire du Gabon, établie par le directeur français du
service des phares et balises en 1956, rend aussi compte de la reconnaissance par la France du titre
juridique de l’Espagne sur Mbanié et Cocotiers :
« installation d’un feu sur la balise Cocotier, après accord des autorités espagnoles dont
la souveraineté a été reconnue sur l’îlot Cocotier … À la suite d’un léger différend avec
les autorités espagnoles, la souveraineté espagnole a dû être reconnue sur l’îlot de
Baynie [Mbanié] et sur l’îlot Cocotier. Les Espagnols ont autorisé l’achèvement, par
les services français, de la construction de la balise de l’îlot Cocotier ainsi que la mise
en place, par ces mêmes services, d’un feu au sommet de la balise, sous réserve que les
dépenses engagées pour ces travaux soient remboursées par la nation souveraine
espagnole. »237
La France a même émis en juin 1955 un avis officiel à l’intention des navigateurs dans lequel elle a
déclaré que « [l]a souveraineté espagnole sur l’îlot Cocotier ayant été reconnue par les Hautes
Autorités Françaises, la balise Cocotier située en territoire espagnol [était] espagnole »238. De plus,
en indiquant les coordonnées de cette balise en 1958, le Service hydrographique de la marine
française a précisé de nouveau que l’îlot était espagnol239.
4.32. Le Gabon affirme sans preuve que l’Espagne n’a « jamais supporté les charges de
l’installation et de l’entretien de la balise »240. En fait, il ressort clairement des éléments de preuve
produits que l’Espagne avait pris des dispositions pour verser à la France les 800 000 francs qui
avaient été dépensés pour construire la balise de Cocotiers241, mais qu’il a été convenu que
235 République française, lettre en date du 6 mai 1955 adressée au ministre de la France d’outre-mer par le ministre
français des affaires étrangères, p. 2-3 (« que l’îlot “Cocotier” doit être considéré comme suivant le sort de l’île Baynia
dont il est une dépendance géographique … Que l’île Baynia a été à plusieurs reprises, au cours des cinquante dernières
années occupée par les Espagnols sans protestation ou sans occupation alternée de notre part. Que l’île Baynia se trouve
située à l’intérieur des six milles marins formant la limite des eaux territoriales espagnoles. … De plus la situation de l’îlot
à l’intérieur des eaux territoriales de Corisco nous place dans une position juridique de base désavantageuse. »). MGE,
vol. IV, annexe 94. Dans une autre lettre adressée au ministre de la France d’outre-mer par le ministre français des affaires
étrangères une semaine seulement après, ce dernier réitère ces conclusions concernant les dépendances de Corisco.
République française, lettre en date du 13 mai 1955 adressée au ministre de la France d’outre-mer par le ministre français
des affaires étrangères. RGE, vol. III, annexe 16.
236 Lettre no 247 du 8 octobre 1955 adressée au gouverneur de la France d’outre-mer par le capitaine du
Beautemps-Beaupré et de la mission hydrographique de la côte ouest d’Afrique. CMG, vol. IV, annexe 101.
237 République française, lettre en date du 26 janvier 1956 adressée au directeur général des travaux publics de
l’Afrique équatoriale française par le directeur du service des phares et balises. CMG, vol. IV, annexe 102, p. 2-4 (les
italiques sont de nous).
238 Bulletin pour avis à donner aux navigateurs, bulletin d’information no 626 (1955), p. 1. RGE, vol. III, annexe 17.
239 République française, Service hydrographique de la marine, Feux et signaux de brume, Manche et Atlantique
Est [no 212] (12 avril 1958), p. 294, numéro 9054. MGE, vol. V, annexe 132.
240 CMG, vol. I, par. 2.34.
241 Spanish Territories of the Gulf of Guinea, Bulletin of Information No. 2 (1955). RGE, vol. III, annexe 15.
- 55 -
« le remboursement serait effectué directement par les autorités de Puerto-Iradier et de
Cocobeach »242.
4.33. Tout comme elle a demandé et obtenu l’autorisation de l’Espagne pour construire la
balise de Cocotiers, la France a également demandé en bonne et due forme à l’Espagne l’autorisation
de permettre à l’ambassadeur de France à Libreville de se rendre à Mbanié pour pêcher243.
4.34. Le Gabon fait valoir que les décrets espagnols de 1931 et 1935 ne mentionnaient pas
expressément Mbanié, Cocotiers et Conga. Pour les motifs énoncés ci-dessus, il n’était pas nécessaire
de le faire. Ces îlots ayant toujours été considérés comme des dépendances de l’île Corisco, le fait de
mentionner expressément celle-ci dans la législation était jugé suffisant pour les y inclure. En tout
état de cause, nombreux sont les décrets et lois coloniales espagnols qui ont utilisé l’expression « îlots
adjacents » pour prendre en considération les dépendances de Corisco244. Les textes ultérieurs,
présentés ci-dessous, confirment que l’Espagne a toujours considéré les îlots adjacents à Corisco
comme faisant partie de son territoire.
4.35. Premièrement, le projet de loi de 1958 réorganisant les territoires espagnols mentionnait
initialement « l’îlot Mbanié », mais la version adoptée en 1959 a retenu l’expression générique « îlots
adjacents » afin de prendre en compte tous les îlots rattachés à Corisco, dont Mbanié, Cocotiers et
Conga245. Pour d’autres États, dont le Royaume-Uni, l’expression « îlots adjacents » incluait
Mbanié246. Deuxièmement, la résolution du 21 octobre 1961 prise par le gouverneur général de la
Guinée espagnole, que le Gabon ne mentionne pas, a officiellement défini Corisco comme
comprenant « les îlots Mbanye [Mbanié], Leva, Hoko, Tombambiko [Cocotiers] et
Newgemanga »247. Cela était conforme à la pratique que l’Espagne appliquait et aux vues qu’elle
avait de longue date en la matière, le terme « Corisco » employé dans la législation et les documents
officiels espagnols incluant les îlots qui étaient considérés comme ses dépendances depuis le milieu
du XIXe siècle.
242 Aide-Mémoire No. 207 from Guyot Navy to the Governor of Spanish Territories of the Gulf of Guinea
(6 septembre 1955), p. 2. RGE, vol. III, annexe 18 (« Se ha convenido que la liquidación de este reembolso se realizará
directamente entre las Autoridades de Puerto-Iradier y Cocobeach. »).
243 Voir, par exemple, Telegram No. 14 from the Ministry of Foreign Affairs to General Commissioner concerning
the Request of Permission for the Ambassador of France (11 mai 1972). RGE, vol. IV, annexe 29.
244 Voir, par exemple, F. Olesa Muñido, « Criminal Law Applicable to the Natives of the Spanish Territories of the
Gulf of Guinea » (original espagnol : Derecho penal aplicable a indígenas en los territorios españoles del Golfo de
Guinea), Institut d’études africaines, Conseil supérieur de la recherche scientifique, Madrid (1953) (relevant que la loi
organique de 1938 relative à la justice indigène s’appliquait à « Corisco et ses îlots adjacents »). RGE, vol. V, annexe 58 ;
The Spanish State, Decree of 22 March 1946 Stipulating the Division of the Coast of the Spanish Territories of Sovereignty
of Morocco, Western Africa, and Guinea and Adjacent Islands into Maritime Provinces and Districts (22 mars 1946)
(définissant les frontières de la Guinée continentale comme incluant « les îles Corisco et Elobey, ainsi que les îlots
adjacents »). RGE, vol. IV, annexe 23 ; The Spanish State, Law 191/1963, on Bases on the Autonomous Regime of
Equatorial Guinea (30 décembre 1963) (définissant le territoire de Fernando Póo comme incluant « les îles Corisco, Elobey
Grande, Elobey Chico et les îlots adjacents »). RGE, vol. IV, annexe 26.
245 MGE, vol. I, par. 3.34.
246 Royaume-Uni, lettre no 10132/14 en date du 4 août 1959 adressée à l’ambassade de Grande-Bretagne en Espagne
par le ministère des affaires étrangères, p. 1 (« La province de Río Muni comprendra les territoires de la Guinée continentale
ainsi que les îles Corisco, Elobey Grande, Elobey Chico et Mbanié »). MGE, vol. IV, annexe 96.
247 The Spanish State, Official Bulletin of 15 November 1961 (15 novembre 1961). MGE, vol. V, annexe 138
(« CORISCO – Comprende la isla de dicho nombre delimitada por sus costas en la Bahia de Corisco y además los islotes
Mbanye, Leva, Hoko, Tombambiko y Newgemanga »). Tombambiko est le nom de Cocotiers en benga. Republic of
Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono (25 septembre 2022), par. 5.
- 56 -
4.36. Comme la Guinée équatoriale l’a relevé dans son mémoire248, le règlement espagnol de
1959 relatif aux concessions pétrolières et gazières incluait « Elobey et Corisco ainsi que leurs eaux
juridictionnelles » dans les blocs de concession de l’Espagne249. Une carte de 1960 représentant une
concession accordée par l’Espagne en vertu de ce règlement à la Spanish Gulf Oil Company et à la
Compañía Española de Petróleos, S.A.U. (« CEPSA »)250 présente Corisco, Mbanié et Conga comme
des îles espagnoles et situe la frontière avec le Gabon sur une ligne d’équidistance utilisant ces îles
comme points de base espagnols251. Dans son contre-mémoire, le Gabon méconnaît totalement la
concession et la carte en question, ainsi que le fait que ni la France avant 1960 ni lui-même après son
accession à l’indépendance n’ont protesté contre la concession ou la carte. L’absence de réaction de
sa part est compréhensible, car, comme on le verra plus loin, le Gabon a utilisé une ligne médiane
presque identique, également tracée à partir des points de base espagnols situés sur les dépendances
de Corisco, pour établir son permis marin de Libreville accordé à la société Gulf Oil et la société
Shell au cours de cette période252.
4.37. Comme la France, pendant plus de dix ans après son accession à l’indépendance, le
Gabon a reconnu le titre juridique de l’Espagne sur Mbanié, Cocotiers et Conga. L’Espagne et le
Gabon ont conclu un protocole réglementant la signalisation maritime dans la baie de Corisco et sur
le Río Muni le 23 mai 1962 (ci-après le « protocole maritime de 1962 »)253. Ce protocole met en
évidence l’autorité souveraine de l’Espagne et la responsabilité qui lui incombait d’entretenir les
signaux maritimes dans l’ensemble de la baie de Corisco. Le Gabon devait en informer l’Espagne un
mois à l’avance avant d’entreprendre des travaux de balisage, lesquels devaient être « effectués en
présence du Gouvernement espagnol et sous son autorité »254. Dans ce contexte, le paragraphe C de
l’article 3 du protocole maritime de 1962 dispose que la balise de Cocotiers placée par les Français
relève de l’autorité espagnole et a été payée par l’Espagne255. Ainsi, comme la France, le Gabon a
reconnu le titre juridique de l’Espagne sur Cocotiers au moment de son accession à l’indépendance.
248 MGE, vol. I, par. 3.35.
249 Voir le décret espagnol no 977/1959 du 12 juin 1959. CMG, vol. IV, annexe 103, p. 450 (« La carte des zones 1
comprend les îles d’Elobey et de Corisco et leurs eaux [juridictionnelles] (aguas jurisdiccionales) »).
250 H. D. Hedberg, « Summary of Wildcat Drilling in 1959 », Petroleum Developments in Africa (1959). MGE,
vol. VII, annexe 227.
251 Carte de la Spanish Gulf Oil Company représentant les dépendances de Corisco comme étant espagnoles (1960).
MGE, vol. II, fig. 3.5 (Circular No. 142 from the Ministry of Foreign Affairs of the State of Spain to the Ambassadors of
the Spanish State to the Republic of Equatorial Guinea, to The Gabonese Republic, to The Ethiopian Empire, The French
Republic, and the Permanent Representative at the United Nations (19 septembre 1972). MGE, vol. VI, annexe 163.
252 CMG, vol. I, par. 2.39 ; voir également MGE, vol. I, par. 3.98 ; la limite septentrionale du permis marin de
Libreville octroyé par le Gabon est une ligne médiane tracée à partir de points de base espagnols placés sur les dépendances
de Corisco (1967). MGE, vol. I, fig. 3.23.
253 Implementation Protocol in Compliance with the Maritime Signal Organization for the Buoyage and Signaling
of Corisco Bay and the Muni River (23 mai 1962). RGE, vol. III, annexe 1.
254 Ibid., art. 2 (« se llevará a cabo en presencia de las autoridades españolas y bajo su responsabilidad … »).
255 Ibid., art. 3 (par. C)).
- 57 -
Figure R4.3
La limite septentrionale du permis marin de Libreville octroyé par le Gabon est une ligne
médiane tracée à partir de points de base équato-guinéens placés sur les dépendances
de Corisco (1969)
Légende :
Equatorial Guinea = Guinée équatoriale
Corisco Bay = Baie de Corisco
Libreville Marin 1969 = Permis marin de Libreville de 1969
Gabon Estuary = Estuaire du Gabon
4.38. À peu près à la même époque en 1962, la société Petroleos del Africa Ecuatorial a
cherché à construire une station radio et topographique sur « l’une des îles espagnoles Corisco,
Mbanié ou Laval »256. Elle a finalement sollicité l’autorisation d’installer la station plutôt à Cocotiers
et l’Espagne la lui a accordée en juillet 1963, sous les conditions suivantes : inspection par les
autorités espagnoles, coordination avec les autorités navales espagnoles et déploiement du drapeau
espagnol sur la station257. Le Gabon n’a pas apporté la preuve qu’il avait protesté contre ces actes
d’exercice de la souveraineté espagnole.
256 Explanatory Note on the Installation of a Toran Station at a Point on One of the Spanish Islands of Corisco,
Bayna, or Laval, Petróleos del Africa Ecuatorial (29 décembre 1962) (« Explicaciones sobre instalación de una estación
Toran en un punto de ... una de las islas españolas de Corisco, Bayna o Laval »), p. 1. RGE, vol. III, annexe 20.
257 Letter No. 819 from the General Governor of the Equatorial Region to the Civil Governor of Rio Muni
concerning the Authorization for Installation of Radio and Topographical “Toran” Station (22 juillet 1963). RGE, vol. III,
annexe 21.
- 58 -
4.39. La façon dont le Gabon a défini la zone couverte par le permis marin de Libreville
 demandé par la société Shell en 1964, délivré en 1967 et renouvelé en 1969, comme le montre la
figure R4.3  atteste également qu’il convenait que les dépendances de Corisco relevaient de la
souveraineté espagnole258. Dans son contre-mémoire, il méconnaît les éléments de preuve qui
établissent que la limite de cette zone suivait une ligne médiane séparant son territoire continental et
les possessions insulaires de l’Espagne, dont Mbanié, Cocotiers et Conga259. La ligne médiane
gabonaise en cause  tracée à partir des points de base espagnols situés sur ces formations
insulaires — est représentée sur les cartes de la concession octroyée à la société Shell de 1964 et
1967260.
4.40. À peu près à la même époque, dans une lettre adressée en 1965 au ministre français des
affaires étrangères par l’ambassadeur de France à Libreville, la France a reconnu à nouveau que
l’Espagne possédait les îles de la baie de Corisco et a convenu qu’une délimitation maritime
s’imposait en raison des forages d’hydrocarbures en mer prévus261.
4.41. Le Gabon va jusqu’à dénaturer le texte d’un mémorandum intérieur espagnol de 1966,
dans le but de semer le doute sur le statut juridique des îlots. Dans ce rapport confidentiel, l’Espagne
réagit à un décret gabonais de 1966 créant une ligne de délimitation à travers la baie de Mondah. Fait
révélateur, cette ligne de délimitation n’intègre pas Mbanié, Cocotiers et Conga dans les eaux
territoriales gabonaises. Le Gabon affirme à tort que les auteurs du mémorandum espagnol
craignaient que l’utilisation par l’Espagne des points de base situés sur les dépendances de Corisco
ne vienne « entach[er] » les négociations avec lui. Au contraire, c’est sa nouvelle ligne de base droite,
sa « ligne A-B », que l’Espagne soupçonnait d’avoir été tracée dans l’intention de maximiser ses
prétentions sur les éventuelles ressources en hydrocarbures situées en mer, et non les points de base
espagnols, qui a fait craindre à l’Espagne que « les négociations ne soient entachées de difficultés ».
Contrairement à ce que le Gabon en dit, le rapport indique que les eaux de l’Espagne pourraient être
mesurées à partir de n’importe laquelle de ses îles, dont Corisco, Cocotiers et Mbanié. D’ailleurs,
ainsi que la Guinée équatoriale le relève dans son mémoire, plusieurs autres mémorandums intérieurs
de l’Espagne, assortis de représentations cartographiques, confirment que l’Espagne détenait la
souveraineté sur les dépendances de Corisco, qu’elle a utilisé ces îles pour établir une frontière
maritime potentielle avec le Gabon et que ce dernier ne les a jamais revendiquées262.
4.42. Enfin, le Gabon fait valoir que certaines cartes françaises de 1932, 1935 et 1950
illustraient la souveraineté espagnole sur Corisco, mais sans y inclure ses dépendances. Il omet de
préciser que ces cartes ne faisaient pas non plus état de la souveraineté française sur les dépendances
258 Voir supra, par. 4.36 ; MGE, vol. I, par. 3.92-3.98.
259 Exception faite des indications fournies par les cartes de la société Shell, la ligne médiane marquant la limite
septentrionale est la seule forme que peut logiquement revêtir cette limite lorsque l’on allie les coordonnées établies par le
Gabon (qui définissent clairement certains points terminaux du bloc) et les superficies spécifiques indiquées dans les
permis. Les coordonnées du point A de la zone couverte par le permis de 1969  le point le plus septentrional de la limite
occidentale et le seul point défini pour la limite septentrionale  tombent exactement sur une ligne médiane tracée entre
la côte continentale du Gabon et les formations insulaires espagnoles de Conga, Mbanié et Cocotiers. CMG par. 2.39 ;
MGE, vol. VI, annexe 183, p. 275-276. Voir la figure R4.3. Il en va de même pour la définition de la zone couverte par le
permis figurant dans le décret de 1967. Voir MGE, vol. I, par. 3.98 et fig. 3.23.
260 MGE, vol. II, fig. 3.21 et 3.23.
261 République française, lettre en date du 4 février 1965 adressée au ministre français des affaires étrangères par
l’ambassadeur de France au Gabon. CMG, vol. IV, annexe 108 (« les échancrures profondes de la côte gabonaise et la
présence au large d’îles rattachées à la Guinée Équatoriale nécessiteront tôt ou tard la délimitation du domaine maritime
des deux pays. Cette question est maintenant d’actualité en raison des forages en mer prévus par la COSREG et du
contentieux qui pourrait s’ouvrir en cas de découverte de nappes d’huile ou de gaz. »).
262 MGE, vol. I, par. 3.87-3.90.
- 59 -
de Corisco. Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, c’est parce que la France, comme l’Espagne, avait
toujours considéré que Mbanié, Cocotiers et Conga faisaient partie de Corisco, de sorte qu’il n’était
pas nécessaire de préciser leur statut juridique. En tout état de cause, des cartes françaises de 1899,
1900 et 1968 placent explicitement Mbanié sous la souveraineté espagnole ou équato-guinéenne263.
Là encore, les preuves cartographiques confirment que la France a constamment reconnu le titre
juridique de l’Espagne sur Mbanié et les autres dépendances de Corisco.
4.43. En résumé, pour l’ensemble de la période allant de la conclusion de la convention de
1900 à l’accession du Gabon et de la Guinée équatoriale à l’indépendance, les éléments de preuve
produits confirment que l’Espagne possédait un titre juridique incontesté sur les dépendances de
Corisco, dont les îles Mbanié, Conga et Cocotiers. Il ressort desdits éléments de preuve que ni la
France ni le Gabon n’ont revendiqué ces îles ou îlots et que leurs actes et déclarations mettent en
évidence leur reconnaissance et leur acceptation du titre juridique de l’Espagne sur ces îles et îlots.
II. LA GUINÉE ÉQUATORIALE A SUCCÉDÉ AU TITRE JURIDIQUE QUE DÉTENAIT
L’ESPAGNE SUR LES DÉPENDANCES DE CORISCO
4.44. Comme indiqué dans le mémoire, le titre juridique de l’Espagne sur les dépendances de
Corisco trouve son origine dans la cession des droits du Portugal opérée au profit de l’Espagne par
le traité du Pardo de 1778, puis dans l’occupation pacifique et l’annexion de ces dépendances par
elle à partir de 1843. Les droits de l’Espagne sur les îles ont été mis en évidence et étayés par de
nombreux accords conclus avec les chefs locaux de ces îles et par des déclarations de souveraineté
espagnole. Pendant les 125 années qui ont suivi 1843, la France et le Gabon ont successivement
reconnu le titre juridique de l’Espagne.
4.45. Le 12 octobre 1968, la Guinée équatoriale a accédé à l’indépendance vis-à-vis de
l’Espagne et a acquis le titre juridique de celle-ci sur l’île Corisco et ses dépendances, dont Mbanié,
Cocotiers et Conga, en sa qualité d’État successeur de l’Espagne. Sa Constitution en vigueur au
moment de son accession à l’indépendance définissait expressément la province du Río Muni comme
comprenant « les îles Corisco, Elobey Grande et Elobey Chico, ainsi que les îlots adjacents ».
L’emploi de l’expression « îlots adjacents » cadre avec le fait que l’Espagne l’utilisait pour désigner
les dépendances de Corisco dans sa législation relative à son territoire colonial264.
4.46. Au cours des douze premières années qui ont suivi sa propre accession à l’indépendance
en 1960, le Gabon a reconnu le titre juridique de l’Espagne (de 1960 à 1968), puis de la Guinée
équatoriale (de 1968 à 1972), sur les dépendances de Corisco. Au moment de l’accession de la Guinée
équatoriale à l’indépendance, il n’a pas fait objection à l’inclusion des « îlots adjacents » dans le
territoire équato-guinéen par la Constitution de 1968. Il n’a pas non plus fait objection au décret
équato-guinéen no 17/1970 du 24 septembre 1970 qui disposait expressément que Mbanié, Cocotiers
et Conga faisaient partie du territoire de la Guinée équatoriale et plaçait la frontière maritime sur la
ligne médiane séparant ces îles et le Gabon265. Ce décret a été envoyé à tous les États Membres de
l’Organisation des Nations Unies, dont le Gabon, assorti d’une communication indiquant qu’il fixait
263 Carte d’origine française représentant les dépendances de Corisco comme étant espagnoles (1899). MGE, vol. I,
fig. 3.3 ; carte officielle française représentant les dépendances de Corisco comme étant équato-guinéennes (1968). MGE,
vol. I, fig. 3.25 ; Atlas Larousse, Colonies françaises d’Afrique (1900). MGE, vol. I, annexe M1.
264 Voir supra, par. 4.35-4.36. Voir également Exposé des droits de l’Espagne sur certains territoires du golfe de
Guinée (1896). CMG, vol. III, annexe 35 (mettant en évidence la reconnaissance par la France de la souveraineté de
l’Espagne sur la base de ces différentes formes de titre juridique).
265 MGE, vol. I, par. 6.22 ; Republic of Equatorial Guinea, Presidential Decree No. 17/1970 (24 septembre 1970).
MGE, vol. VI, annexe 186.
- 60 -
« les limites des eaux territoriales guinéennes autour des îles Elobey et Corisco, ainsi que des îlots
Mbanié, Conga et Cocotiers, qui [faisaient] partie intégrante du territoire national de la Guinée »266.
Le Gabon n’a pas prouvé avoir protesté contre ce décret à l’époque267.
4.47. La reconnaissance par le Gabon de la souveraineté de la Guinée équatoriale sur les
dépendances de Corisco, en l’occurrence Mbanié, Cocotiers et Conga, a été confirmée un an plus
tard. En 1971, la Guinée équatoriale a octroyé des concessions d’exploration pétrolière sur le
fondement du décret no 17/1970 pris l’année précédente268. Le Gabon n’a pas contesté son titre
juridique sur Mbanié, Cocotiers et Conga. Il n’a protesté que contre le recours fait à la méthode de
l’équidistance par la Guinée équatoriale pour tirer avantage de « ces îlots [auxquels il était attribué]
un maximum possible de mer territoriale », estimant que l’application de la règle de l’équidistance
« empiét[ait] sur [son] plateau continental »269.
4.48. Il ressort donc clairement des éléments de preuve produits que la Guinée équatoriale a
acquis par voie de succession le titre juridique de l’Espagne sur l’intégralité de son territoire colonial
comme un tout indissociable comprenant Mbanié, Cocotiers et Conga et que le Gabon a reconnu ce
titre juridique270. L’Espagne elle-même a également affirmé qu’elle possédait un titre juridique sur
ces îles, lequel a été transféré à la Guinée équatoriale lors de son accession à l’indépendance271.
4.49. Dans ses écritures, le Gabon souscrit à l’applicabilité des principes du droit international
relatifs à la succession d’États et ne nie pas que la règle de « l’intangibilité des frontières qui
existaient au moment de l’accession des États africains à l’indépendance » s’impose dans ses
relations avec la Guinée équatoriale272. Il tente néanmoins de contester le titre juridique de la Guinée
équatoriale en faisant valoir que
« la succession elle-même n’est pas un “titre”, même entendu au sens large. Elle est
seulement le phénomène par lequel les titres antérieurs acquis par l’État prédécesseur
se transmettent à l’État successeur — ce dont, du reste, la Guinée Équatoriale semble
convenir, quoique de manière ambiguë »273.
4.50. Ce moyen ne contredit pas la position de la Guinée équatoriale, mais plutôt la conforte.
En concédant que la « succession » est un « phénomène par lequel les titres antérieurs acquis par
l’État prédécesseur se transmettent à l’État successeur »274, le Gabon convient nécessairement que la
Guinée équatoriale a succédé aux titres précédemment acquis par l’Espagne et qu’en tant que
successeur, elle détient désormais ces titres. Les éléments de preuve produits montrent sans laisser
266 Cable from the UN to Permanent Missions (13 October 1970), enclosing Letter from Equatorial Guinea to UN
Secretary-General (8 October 1970). MGE, vol. III, annexe 23, p. 4.
267 MGE, vol. I, par. 6.22. Voir CMG, vol. I, par. 2.44.
268 Ibid., par. 6.23 ; lettre no 002967 en date du 28 août 1971 adressée au ministère des affaires étrangères de la
République de Guinée équatoriale par le ministère des affaires étrangères et de la coopération de la République gabonaise.
MGE, vol. VI, annexe 154.
269 Ibid.
270 Voir MGE, vol. I, par. 6.17-6.21.
271 Mémorandum espagnol sur la souveraineté sur les îles Mbanié, Conga et Cocotiers et leur administration
(16 octobre 1972). CMG, vol. V, annexe 130.
272 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 566, par. 24. Voir CMG,
vol. I, par. 5.79. Voir également MGE, vol. I, par. 6.1-6.9.
273 CMG, vol. I, par. 5.79.
274 Ibid., par. 5.79.
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subsister le moindre doute que la souveraineté de l’Espagne s’est étendue sans interruption à l’île
Corisco et à ses dépendances depuis au moins le milieu du XIXe siècle jusqu’à l’accession de la
Guinée équatoriale à l’indépendance en 1968. Selon la conception juridique de la succession adoptée
par le Gabon même, cette souveraineté a été transférée à la Guinée équatoriale au moment de son
accession à l’indépendance. Que le titre juridique de la Guinée équatoriale sur les dépendances de
Corisco soit compris comme un titre successoral ou un titre hérité de l’Espagne, il n’y a pas de doute
qu’il fait droit entre les Parties.
III. LE GABON NE POSSÈDE AUCUN TITRE JURIDIQUE SUR
LES DÉPENDANCES DE CORISCO
4.51. La France n’a jamais possédé de titre juridique sur Mbanié, Cocotiers et Conga. Le
Gabon n’a présenté aucun élément de preuve documentaire ou non documentaire établissant qu’elle
avait revendiqué ces îlots à un moment quelconque avant l’accession du Gabon à l’indépendance en
1960. Au contraire, les sources historiques exposées par la Guinée équatoriale au chapitre 3 de son
mémoire et dans la section I ci-dessus établissent que la France a reconnu le titre juridique de
l’Espagne sur l’île Corisco et ses dépendances insulaires, dont Mbanié, Cocotiers et Conga.
4.52. Il s’ensuit que le Gabon n’a hérité d’aucun titre juridique sur Mbanié, Cocotiers et Conga
lors de son accession à l’indépendance en 1960. Sa Constitution en vigueur au moment de son
accession à l’indépendance ne dispose pas que tel ou tel territoire insulaire situé dans la baie de
Corisco fait partie intégrante de son territoire souverain275. Aucune des îles de la baie de Corisco n’a
non plus été incluse dans la description de son territoire faite lors de sa présentation à l’Organisation
des Nations Unies en vue de son admission comme État Membre276. De plus, lors de la proclamation
de son indépendance par son président, Léon M’ba, ce dernier a décrit son territoire, hérité de la
France, comme étant le territoire acquis par la France dans le traité d’alliance conclu en 1839 entre
la France et le roi Denis. Ce traité, fondé sur la reconnaissance d’un titre successoral, n’incluait dans
son champ d’application aucun territoire insulaire ni ne transférait aucune île ni aucun îlot à la
France277.
4.53. Dans un avis juridique interne français émis en septembre 1972, la France affirme que
le Gabon n’a hérité d’aucun titre juridique sur les dépendances de Corisco, la direction des affaires
juridiques de son ministère des affaires étrangères y ayant clairement déclaré ce qui suit :
« Dans le cas précis des îles M’Banie, la Direction des Affaires juridiques doit
souligner que la réponse qui lui paraîtrait la plus exacte ne serait guère favorable au
Gabon. … [N]ous manquons d’une base juridique sûre pour affirmer que, à la veille de
l’indépendance du Gabon, la France avait la responsabilité de l’administration des îles
en question. C’était déjà l’avis du Département lors de l’incident de 1955 et la Direction
des Affaires juridiques voit d’autant moins de raison de revenir sur cet avis que la
275 MGE, vol. I, par. 3.91. Préambule de la Constitution de la République gabonaise du 14 novembre 1960. MGE,
vol. VI, annexe 180.
276 MGE, vol. I, par. 3.91 ; Nations Unies, Conseil de sécurité, 890e séance, tenue le 23 août 1960 à New York,
documents officiels du Conseil de sécurité, doc. S/PV.890 (23 août 1960). MGE, vol. III, annexe 17.
277 Voir MGE, vol. I, par. 3.91. Nations Unies, Conseil de sécurité, 890e séance, tenue le 23 août 1960 à New York,
Documents officiels du Conseil de sécurité, doc. S/PV.890 (23 août 1960), par. 1[5]8. MGE, vol. III, annexe 17 ;
convention passée entre le roi Denis, le lieutenant de vaisseau Edouard Bouët et le capitaine Broquant, délégué de la
chambre de commerce de Bordeaux, signée au Gabon le 9 février 1839. MGE, vol. III, annexe 2.
- 62 -
manière dont cet incident s’est réglé (et qui demeure malheureusement inconnue) risque
d’être un argument majeur à l’appui des prétentions de la Guinée équatoriale. »278
4.54. Après avoir reconnu le titre juridique de l’Espagne et de la Guinée équatoriale sur les
dépendances de Corisco pendant les douze premières années de son existence en tant qu’État, le
Gabon a officiellement revendiqué ces îlots pour la première fois en mars 1972279. Cinq mois plus
tard, le 23 août 1972280, les forces armées gabonaises ont envahi Mbanié, arrêté et maltraité quatre
soldats équato-guinéens en poste sur l’îlot ; elles ont également placé en détention et maltraité
vingt-quatre pêcheurs équato-guinéens qui s’y trouvaient281. Les soldats équato-guinéens présents à
l’époque marquaient la suite d’une présence espagnole et équato-guinéenne ininterrompue à Mbanié
remontant au moins à 1907282.
4.55. Faisant recours à la terminologie du maintien de l’ordre pour masquer la nature militaire
de ses actes, le Gabon qualifie par euphémisme l’invasion de Mbanié qu’il a perpétrée en 1972
d’« opération de police » par laquelle il a mis en place un « poste léger de gendarmerie » sur l’îlot283.
Il se borne à citer ses propres affirmations non étayées et intéressées pour tenter de fournir un prétexte
à l’invasion284. Comme les responsables espagnols l’avaient craint dès 1966285, c’est la volonté du
Gabon de maximiser son accès aux ressources en hydrocarbures en mer qui a motivé l’invasion,
laquelle n’a eu lieu qu’après que le président Macias eut rejeté la proposition du Gabon d’exercer
conjointement la souveraineté sur la zone que la Guinée équatoriale avait héritée de l’Espagne et de
l’exploiter aussi conjointement286. Réagissant quelques jours après l’invasion, l’ambassadeur de
France en Guinée équatoriale a confirmé qu’elle était motivée par l’intérêt du Gabon à accéder aux
hydrocarbures en mer, tout en doutant de sa légalité :
« Le Gouvernement gabonais pourrait employer la force, mais son adversaire, en
restant sur le plan du droit et en s’en tenant à des voies pacifiques, l’emporterait
finalement. … Pour nous, nos intérêts pétroliers, qui coïncident avec ceux des
Gabonais, primeraient toute autre considération. … [le] Commandement gabonais, dont
le Gouvernement, jaloux de ses prérogatives, ne nous a certainement pas consultés sur
l’opportunité de cette manoeuvre, présentée tout d’abord à Libreville comme un exercice
de routine. … Je me permettrai seulement de manifester l’impression que le bien-fondé
278 République française, note en date du 21 septembre 1972 adressée au secrétaire général du ministère français
des affaires étrangères par la direction des affaires juridiques dudit ministère au sujet de l’île Mbanié, p. 2. RGE, vol. IV,
annexe 31.
279 MGE, vol. I, par. 6.24-6.25.
280 CMG, vol. I, par. 2.49.
281 MGE, vol. I, par. 4.9.
282 Voir MGE, vol. I, par. 3.20.
283 CMG, vol. I, par. 6, 2.49 et 2.50.
284 Voir CMG, vol. I, par. 2.49.
285 Voir supra, par. 4.42.
286 CMG, vol. V, annexe 122, p. 69-70. « Interview accordée aux journalistes à Libreville le 10 septembre 1972 par
S. Exc. M. Albert Bernard Bongo, Président de la République Gabonaise au sujet de l’incident de frontières entre le Gabon
et la Guinée équatoriale » (10 septembre 1972). RGE, vol. V, annexe 60 (« [J]’ai proposé, le 18 juillet 1972, au Président
Francisco Macias NGUEMA, que soit instituée pour nos deux Nations, une zone neutre dans la baie de Corisco. … [L]e
Président Macias … a décliné mon invitation et refusé le dialogue … J’ai donc estimé que je me devais de garantir la
sécurité de mes compatriotes et j’ai décidé la mise en place permanente d’un poste léger de gendarmerie. »).
- 63 -
de la position gabonaise n’est pas péremptoirement démontré, sur le plan purement
juridique. »287
4.56. Les conséquences juridiques sont claires : la prise et l’annexion du territoire d’un État
par la force sont des actes illicites et non valables qui ne peuvent dès lors aboutir au transfert du titre
juridique de cet État à l’État occupant288. En outre, étant donné que le différend juridique opposant
les Parties s’est cristallisé en mars 1972, les actes unilatéraux accomplis par le Gabon après cette
date ne peuvent avoir aucune incidence sur le titre juridique de la Guinée équatoriale sur les
dépendances de Corisco289.
4.57. Le Gabon affirme que la prétendue « convention de Bata » qu’il a présentée en 2003 a
établi son titre juridique sur les dépendances de Corisco. Ainsi qu’il a été indiqué au chapitre 3 de la
présente réplique et au chapitre 7 du mémoire, ce moyen est dénué de tout fondement : le document
en cause n’a jamais eu d’effet juridique dans les relations entre le Gabon et la Guinée équatoriale.
Un tel document, dont l’authenticité n’est pas prouvée et qui ne comporte pas les éléments d’un traité
définitif et juridiquement contraignant, ne peut, comme le voudrait le Gabon, transformer une
invasion et une occupation illicites en un titre juridique290.
287 Lettre no 161/DAM en date du 6 septembre 1972 adressée au ministère français des affaires étrangères par
l’ambassade de la République française en Guinée équatoriale au sujet des manoeuvres de l’armée gabonaise dans la baie
de Corisco, p. 2-3. REG, vol. IV, annexe 30.
288 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 171, par. 87 (« les principes énoncés dans la Charte au sujet de l’usage de la force reflètent le
droit international coutumier … ; cela vaut également pour ce qui en est le corollaire, l’illicéité de toute acquisition de
territoire résultant de la menace ou de l’emploi de la force »). Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV)
intitulée Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre
les États conformément à la Charte des Nations Unies (24 octobre 1970), par. 80. RGE, vol. III, annexe 6.
289 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 697, par. 117 ; Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan
(Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 682, par. 135.
290 Le prétendu document de 2003 ne mentionne que Mbanié ; il est muet sur les îlots Cocotiers et Conga. Ces trois
îlots étant disputés depuis mars 1972, l’omission de Cocotiers et Conga signifie que ledit document ne constituerait pas un
titre juridique sur ces deux derniers s’il faisait droit (quod non).
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CHAPITRE 5
TITRES JURIDIQUES SUR LE TERRITOIRE CONTINENTAL
5.1. Lors de leur accession à l’indépendance, le Gabon et la Guinée équatoriale,
respectivement, ont succédé aux titres juridiques de la France et de l’Espagne sur leur territoire
continental ainsi qu’aux traités et conventions internationales concernant ce territoire auxquels la
France et l’Espagne étaient parties. Les Parties s’accordent à dire que la convention de 1900 est
applicable à leur différend relatif à leur frontière terrestre commune. Elles s’accordent également à
dire qu’il y avait lieu d’ajuster les frontières définies dans ladite convention afin de les mettre en
conformité avec les réalités du terrain et que la convention prévoyait des procédures d’ajustement
des frontières par voie d’accords entre des commissaires ou délégués locaux désignés.
5.2. Dans son mémoire, la Guinée équatoriale a établi que l’Espagne et la France avaient eu
recours à ces procédures pour ajuster certaines parties de leur frontière terrestre dans la zone de
l’Outemboni, au sud-ouest, et dans celle du Kyé, au nord-est, comme le montre la figure R5.1. Ces
ajustements ont été effectués par les commissaires et les délégués locaux conformément aux
dispositions de la convention de 1900, avant les dates respectives de l’accession des Parties à
l’indépendance. En outre, le mémoire expose de nombreux actes administratifs non contestés et
accords  effectivités infra legem  intervenus pendant la période coloniale et après l’accession à
l’indépendance qui ont confirmé les ajustements convenus ou donné lieu à une source distincte de
titre juridique291.
291 Voir MGE, vol. I, par. 3.36-3.84, 3.102-3.111 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 353-355, par. 68-70 ; Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992,
p. 401 et 408, par. 67 et 80.
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Figure R5.1
Les Parties ont ajusté les lignes définies par l’article IV dans les zones
de l’Outemboni et du Kyé
Légende :
Germany = Allemagne
Gulf of Guinea = Golfe de Guinée
Boundary undefined = Frontière non définie
Kie River Area = Zone du Kyé
Spain = Espagne
Utamboni River Area = Zone de l’Outemboni
Corisco Bay = Baie de Corisco
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5.3. Ainsi que la Cour l’a précisé à plusieurs reprises, « plusieurs éventualités doivent être
distinguées » dans la relation juridique qui existe entre les effectivités et le titre juridique :
i) « Dans le cas où … une administration effective s’ajoute à l’uti possidetis juris,
l’“effectivité” n’intervient en réalité que pour confirmer l’exercice du droit né d’un titre
juridique » ;
ii) « Dans le cas où … le territoire objet du différend est administré effectivement par un État
autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre » ;
iii) Dans le cas où « l’“effectivité” ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit
inévitablement être prise en considération » ; et
iv) Dans le cas où « le titre juridique n’est pas de nature à faire apparaître de façon précise
l’étendue territoriale sur laquelle il porte », « [l]es “effectivités” peuvent alors jouer un rôle
essentiel pour indiquer comment le titre est interprété dans la pratique »292.
La Cour qualifie les effectivités relevant de la deuxième catégorie d’effectivités contra legem293. En
revanche, les effectivités qui relèvent de la première ou de la quatrième catégorie  celles qui
interviennent « pour confirmer l’exercice du droit né d’un titre juridique » ou « pour indiquer
comment le titre est interprété dans la pratique »  sont des effectivités infra legem294.
5.4. Il n’existe pas de désaccord entre la Guinée équatoriale et le Gabon sur l’applicabilité de
la convention de 1900 à leur différend. Cependant, les Parties ne s’entendent pas sur le point de
savoir si la frontière décrite à l’article IV de la convention de 1900 a été modifiée conformément aux
dispositions de l’article VIII et de l’annexe I ou conformément aux règles du droit international ni
sur les zones territoriales couvertes par leurs titres juridiques. La Guinée équatoriale a apporté de
nombreuses preuves des effectivités infra legem réalisées par l’Espagne conformément aux
dispositions de la convention de 1900 telles qu’elles étaient appliquées par les parties. Pour elle, il
s’agit là de sources supplémentaires de son titre juridique sur le territoire situé dans les zones de
l’Outemboni et du Kyé.
5.5. Dans son contre-mémoire, le Gabon prie la Cour de ne pas tenir compte des modifications
apportées à la frontière terrestre avant l’accession à l’indépendance, ni de son acceptation de ces
modifications, ni des effectivités infra legem réalisées par les Parties et leurs prédécesseurs
coloniaux. En revanche, il affirme que le document qu’il a présenté pour la première fois en 2003
constitue la seule source de titre juridique sur les territoires terrestres respectifs des Parties. Le Gabon
a cependant tort d’invoquer ce document, celui-ci ne faisant pas droit entre les Parties, comme il a
été démontré au chapitre 7 du mémoire et au chapitre 3 de la présente réplique.
5.6. Le présent chapitre vise à répondre aux moyens invoqués par le Gabon dans son
contre-mémoire au sujet de la convention de 1900 et des procédures de modification de la frontière
terrestre qu’elle a établies (I) ainsi qu’au sujet des modifications concertées effectuées dans la zone
de l’Outemboni (II) et celle du Kyé (III) telles que confirmées par les effectivités infra legem
292 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 586, par. 63.
293 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 351, par. 64 (« les éventuelles effectivités nigérianes doivent bien être
considérées, du point de vue de leurs conséquences juridiques, comme des actes contra legem »).
294 Voir, par exemple, Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986,
p. 567-568, par. 28 (examen de la question de l’application de l’équité infra legem).
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réalisées par des deux Parties et leurs prédécesseurs coloniaux avant et après l’accession à
l’indépendance.
I. LA CONVENTION DE 1900 ET SES PROCÉDURES DE MODIFICATION
DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE
5.7. Ainsi qu’il ressort du mémoire de la Guinée équatoriale, la France et l’Espagne sont
convenues, à l’article VIII et à l’annexe I de la convention de 1900, des procédures à suivre pour
modifier les frontières décrites à son article IV. Dans son contre-mémoire, le Gabon jette la confusion
sur ces procédures afin d’éluder les conséquences des modifications de frontière que la France et
l’Espagne y ont eu recours pour effectuer, lesquelles ont été acceptées par les parties et mises en
oeuvre dans les zones frontalières pendant plus d’un siècle. La présente section explique les
procédures énoncées à l’annexe I et les modifications de frontière que l’Espagne et la France y ont
eu recours pour effectuer avant l’accession de la Guinée équatoriale et du Gabon à l’indépendance,
ainsi que les modifications apportées par ces derniers aux frontières par la suite.
5.8. Contrairement à l’article VIII de la convention qui faisait obligation à la France et à
l’Espagne de « désigner, dans le délai de quatre mois à compter de la date de l’échange des
ratifications, des Commissaires », l’annexe I ne fixe pas de délai ni ne vise uniquement les
commissaires désignés. En effet, elle dispose que « les Commissaires ou Délégués locaux » des
parties contractantes « qui seront chargés, par la suite, de délimiter tout ou partie des frontières sur
le terrain » peuvent proposer des modifications à apporter aux frontières décrites à l’article IV de la
convention. Ainsi, tous les « les Commissaires ou Délégués locaux » « chargés, par la suite, » de
délimiter « tout ou partie des frontières », qu’ils soient ou non spécialement désignés par les parties
contractantes, entrent dans le champ d’application de l’annexe I.
5.9. L’annexe I définissait le mandat de ces « Commissaires ou Délégués locaux ». Tout
d’abord, ils devaient « se baser sur la description des frontières telle qu’elle [était] formulée dans la
Convention ». Toutefois, l’annexe I ne leur faisait pas obligation de respecter strictement les
dispositions de l’article IV ou la carte figurant à l’annexe III ; elle exigeait seulement qu’ils
commencent par prendre pour base de travail la description de la frontière formulée à l’article IV.
L’annexe I disposait en outre qu’
« [i]l leur sera[it] loisible, en même temps, de modifier les dites lignes de démarcation
en vue de les déterminer avec une plus grande exactitude et de rectifier la position des
lignes de partage des chemins ou rivières, ainsi que des villes ou villages indiqués dans
les cartes susmentionnées ».
5.10. Ainsi, selon les dispositions expresses de l’annexe I, les « Commissaires ou Délégués
locaux » étaient habilités à modifier les frontières définies à l’article IV pour tenir compte des
formations naturelles ou anthropiques telles que les rivières, les villages et les chemins. C’est donc
erronément que le Gabon affirme que les commissaires et délégués locaux chargés de la commission
de 1901 et de l’accord des gouverneurs de 1919 ont outrepassé leur mandat lorsqu’ils ont utilisé les
rivières, les villages et les chemins pour justifier les modifications apportées aux lignes de
démarcation définies dans la convention de 1900295. De fait, l’interprétation restrictive que le Gabon
donne au mandat des commissaires et des délégués locaux est manifestement incompatible avec la
dernière phrase de l’article VIII, qui leur reconnaît le pouvoir d’attribuer la souveraineté sur les îles
de l’Outemboni. Cette phrase montre que l’Espagne et la France entendaient conférer aux
commissaires et aux délégués locaux, dans les limites de l’article IV et de l’annexe I, des pouvoirs
295 Voir, par exemple, CMG, vol. I, par. 1.41 et 7.41.
- 68 -
importants permettant de conclure des accords d’attribution d’un territoire à l’une ou l’autre des
parties.
5.11. De même, le Gabon a tort d’exclure de l’annexe I les termes « ou Délégués locaux »,
comme si seuls les « Commissaires » étaient habilités à modifier les frontières. S’appuyant sur cette
dénaturation du texte, il rejette l’accord des gouverneurs de 1919 comme étant une modification de
frontière qui n’entrait pas dans le cadre de la convention, au motif que les deux gouverneurs n’avaient
pas été « désignés » comme commissaires. Or l’annexe I habilite les « les Commissaires ou Délégués
locaux » « qui seront chargés, par la suite, de délimiter tout ou partie des frontières sur le terrain » à
modifier les frontières terrestres décrites à l’article IV. Certes, les gouverneurs coloniaux n’étaient
pas des « commissaires » proprement dits, mais ils étaient des « délégués locaux » au sens de
l’annexe I.
5.12. Le Gabon tente également, à tort, de s’appuyer sur l’article VIII de la convention pour
limiter le mandat des « Commissaires ou Délégués locaux » établi par l’annexe I. Cet article, qui était
assorti d’un délai et ne s’appliquait qu’à la commission de 1901, disposait que les « Commissaires
[désignés] … ser[aie]nt chargés de tracer sur les lieux les lignes de démarcation entre les possessions
espagnoles et françaises, en conformité et suivant l’esprit des dispositions de la présente
Convention ». Le mandat confié par l’article VIII aux commissaires désignés était distinct de celui
confié par l’annexe I aux « Commissaires ou Délégués locaux ». Les deux mandats s’appliquaient
aux travaux de la commission de 1901, mais le mandat confié par l’annexe I à ceux qui « ser[aie]nt
chargés, par la suite, de délimiter » s’appliquait également aux travaux de la commission de 1914 et
à l’accord des gouverneurs de 1919.
5.13. L’annexe I disposait que « [l]es changements ou corrections proposés d’un commun
accord par les dits Commissaires ou Délégués ser[aie]nt soumis à l’approbation des Gouvernements
respectifs ». Alors que l’article X de la convention de 1900 prévoyait l’obligation de la ratifier et de
procéder à l’échange de ratifications, l’annexe I ne prévoyait aucune procédure particulière
d’« approbation » des propositions de modification des frontières. Ainsi, toute forme d’approbation
retenue par les parties contractantes — y compris l’approbation implicite ou l’approbation mise en
évidence par la pratique — suffisait pour les modifications de frontière effectuées d’un commun
accord par les commissaires ou délégués locaux compétents. En particulier, l’annexe I n’exigeait pas
d’accord supplémentaire entre les deux « Puissances Contractantes », mais l’approbation des
« Gouvernements » respectifs. Elle n’exigeait donc pas d’échange bilatéral. Chacun des
gouvernements pouvait approuver unilatéralement les modifications proposées pour qu’elles
prennent effet.
5.14. Comme on le verra dans les sections suivantes, qui traitent respectivement de la zone de
l’Outemboni et de celle du Kyé, rien dans le contre-mémoire ne remet en question le fait que
l’Espagne et la France ont approuvé les modifications apportées aux frontières dans ces zones
conformément aux procédures énoncées à l’annexe I de la convention de 1900.
- 69 -
II. LA FRONTIÈRE TERRESTRE DANS LA ZONE DE L’OUTEMBONI
5.15. Les Gouvernements espagnol et français ont modifié la frontière dans la zone de
l’Outemboni296 en désignant, conformément à l’article VIII de la convention de 1900, la commission
de 1901 chargée de la modifier et en approuvant, par leur pratique ultérieure, les modifications
effectuées par la commission dans cette zone. L’approbation de ces modifications a été attestée par
le comportement de l’Espagne, de la France et de l’Allemagne pendant toute la période antérieure à
l’accession à l’indépendance, ainsi que par les actes de la Guinée équatoriale et du Gabon après leur
accession à l’indépendance.
A. La commission de 1901
5.16. Les Parties s’accordent à reconnaître que l’Espagne et la France ont créé la commission
de 1901 conformément à l’article VIII de la convention297 et que cette commission a achevé ses
travaux et soumis des propositions de modification de la frontière à l’est et au sud298. Elles
s’accordent également à reconnaître que, si la commission a commis des erreurs géographiques lors
de la détermination de la frontière en raison du mauvais fonctionnement de ses instruments, ces
erreurs concernaient principalement la mesure des longitudes dans la partie orientale de la
frontière299. Le Gabon ne conteste pas que, au lieu de maintenir le parallèle situé à 1° de latitude nord
qui avait été retenu à l’article IV de la convention, la commission de 1901 a proposé qu’au sud-ouest
la frontière suive l’Outemboni jusqu’à son confluent avec le Mitombé, puis remonte ce dernier
jusqu’à sa source, en passant par les monts de Cristal, et se prolonge au-delà300. La frontière issue
des modifications effectuées par la commission dans cette zone est indiquée sur une carte élaborée
par la commission à l’époque des faits, dont la partie pertinente est représentée sur la figure R5.2.
5.17. Se fondant sur de nouveaux éléments d’information dont elle dispose, notamment sur
une version entièrement numérisée de la carte élaborée par la commission et sur un exposé de
première main de l’itinéraire de l’expédition établi à l’époque des faits par le commissaire espagnol
296 Voir MGE, vol. I, par. 2.13 (« Comme le montre la figure [R5.1], la zone de l’Outemboni est celle qui s’étend
autour de ce cours d’eau et de ses affluents, dans le sud-ouest du Río Muni et dans la région côtière du nord-ouest du Gabon
qui donne sur la baie de Corisco. À la différence de sa partie occidentale, de faible altitude, la partie orientale de cette zone
est occupée par les monts de Cristal, une chaîne montagneuse d’orientation nord-sud située entre la région équatoguinéenne
du Río Muni et le Gabon. L’Outemboni prend sa source dans ces massifs du Río Muni, puis traverse deux fois
le parallèle situé par 1 degré de latitude nord, avant de se jeter dans le fleuve Muni, à proximité de la côte de la baie de
Corisco. »).
297 Voir MGE, vol. I, par. 3.42-3.43 ; CMG, vol. I, par. 1.41.
298 Voir MGE, vol. I, par. 3.51 ; CMG, vol. I, par. 1.44.
299 Voir MGE, vol. I, par. 3.52 ; CMG, vol. I, par. 1.46.
300 Le Mitombé est également appelé Ntom ou Ntomo sur certaines cartes. La commission de 1901 a proposé qu’à
partir du confluent de l’Outemboni et du Mitombé, la frontière suive successivement ce dernier jusqu’à sa source située
dans les monts de Cristal ; le chemin reliant les villages espagnols Mandung et Anguma ; le chemin reliant Anguma et le
village français Masile jusqu’à son point de rencontre avec la rivière Adu (Aduo) ; le cours de l’Adu jusqu’au Bekon
(Beikon), son affluent ; le cours du Bekon jusqu’à sa source, rejoignant ensuite le chemin de Masile ; le chemin menant de
Masile à Ebe jusqu’à son point de rencontre avec la rivière Abobo ; et le chenal de l’Abobo jusqu’à Akoniké, le deuxième
village espagnol. Voir Vilches’ Diary of Operations, The Territory of Biafra, Franco-Spanish Delimitation Commission
(1901). RGE, vol. III, annexe 8.
- 70 -
Lopez Vilches301, la Guinée équatoriale a révisé son tableau des modifications proposées par la
commission, comme le montre la figure R5.3302.
5.18. Le Gabon ne conteste pas que la commission a proposé une frontière suivant les rivières
et les chemins dans la zone de l’Outemboni. Il affirme plutôt que cette proposition n’était pas
conforme à l’esprit de la convention303. Ce moyen n’est pas fondé. Le mandat confié à la commission
de 1901 consistait à adopter une frontière qui fût « la plus conforme à l’esprit de la Convention »304
(suivant l’article VIII), en tenant compte des rivières, des villages et des chemins (suivant l’annexe I),
ce qui est précisément ce que la commission a fait. Le Gabon invoque un passage du rapport de la
commission de 1901 qui indique que la proposition formulée par celle-ci était « la plus conforme à
l’esprit de la Convention »305. Fait révélateur, il ne cite aucun élément de preuve espagnol ou français
de l’époque portant à croire que l’une ou l’autre des puissances coloniales estimait que la commission
de 1901 avait outrepassé son mandat ou agi d’une manière contraire à l’esprit de la convention de
1900 dans la zone de l’Outemboni306.
301 Voir Vilches’ Diary of Operations, The Territory of Biafra, Franco-Spanish Delimitation Commission (1901),
p. 18, 24, 28 et 30. RGE, vol. III, annexe 8.
302 Cette révision rend compte du fait que la commission a choisi de suivre le bras méridional du Mitombé au lieu
de son bras septentrional, la rivière M’Bian [Midyobo], et décidé de passer directement par les monts de Cristal pour
atteindre Anguma à l’est au lieu d’emprunter l’itinéraire détourné, mais moins escarpé, qui remontait la rivière M’Bian et
redescendait ensuite la rivière Miang pour arriver à Anguma. Voir Vilches’ Diary of Operations, The Territory of Biafra,
Franco-Spanish Delimitation Commission (1901). RGE, vol. III, annexe 8.
303 CMG, vol. I, par. 7.31.
304 MGE, vol. I, par. 3.43.
305 Voir CMG, vol. I, par. 7.30 (citant Commission franco-espagnole de délimitation du golfe de Guinée, projet de
frontière (frontière méridionale) (1er janvier 1902), p. 1. MGE, vol. III, annexe 14.
306 306 Le Gabon fait également valoir qu’étant donné que les parties contractantes avaient initialement envisagé
d’établir la frontière au sud-ouest sur le cours de l’Outemboni jusqu’à sa source, mais finalement opté pour le libellé de
l’article IV, aucune commission dûment constituée n’aurait pu logiquement proposer une telle modification de frontière
dans le respect de l’esprit de la convention. CMG, vol. I, par. 7.31. Selon cette logique, aucune modification de frontière
ayant éventuellement été envisagée lors du processus de négociation de la convention de 1900 ne pouvait être proposée. Ni
l’article VIII ni l’annexe I ne soumet le mandat de la commission à une telle limite.
- 71 -
Figure R5.2
Carte de la zone de l’Outemboni établie par la commission de 1901
Légende :
Spanish towns = Localités espagnoles
French towns = Localités françaises
Area Enlarged = Zone représentée dans l’encadré
Map excerpt, annotations added = Extrait de carte, annotations ajoutées
- 72 -
Figure R5.3
Frontière proposée par la commission de 1901 dans la zone de l’Outemboni
Légende :
Germany = Allemagne
Gulf of Guinea = Golfe de Guinée
Spain = Espagne
Area of map = Zone représentée sur la carte
Utamboni = Outemboni
Spanish towns = Localités espagnoles
French towns = Localités françaises
1901 Commission’s proposed boundary
(approximate)
= Frontière proposée par la commission de 1901
(approximation)
- 73 -
5.19. En proposant que l’Outemboni et le Mitombé, entre autres, servent de frontière dans la
zone de l’Outemboni, la commission de 1901 a non seulement respecté l’ordre de tenir compte des
rivières qui lui avait été donné, mais également pris en compte les réalités du terrain dans la zone. Le
Gabon ne conteste pas que la commission a attribué la nationalité espagnole ou française à plusieurs
villages de la zone de l’Outemboni sur la base de l’emplacement de ces villages par rapport à la
frontière qu’elle a proposée : Assang, Mandung, Anguma, Ebé et Mebé ont été déclarés espagnols,
tandis que Mitombé et Masilé ont été déclarés français307. Comme l’a expliqué la commission
elle-même, en créant une frontière composée d’une série continue de rivières, de ruisseaux et de
chemins, elle permettait un usage partagé de ces cours d’eau et chemins par les ressortissants des
deux parties, suivant l’esprit de la convention : « Chaque fois que la frontière emprunte un sentier, il
est entendu que celui-ci définit la frontière et que l’usage en est réservé aux ressortissants des deux
nations, de la même façon qu’il a été convenu pour les rivières. »308 Rien n’autorise le Gabon à faire
valoir qu’en proposant une telle frontière, la commission de 1901 a outrepassé le mandat que lui
conférait la convention de 1900.
5.20. Le moyen tiré par le Gabon du rejet des propositions de la commission de 1901 relatives
à la zone de l’Outemboni par la France et l’Espagne est également sans fondement309. Il est vrai que
les puissances coloniales ont refusé d’approuver la frontière proposée par la commission de 1901
plus à l’est, celle-ci ayant commis des erreurs de mesure importantes dans cette zone. Toutefois, elles
ont approuvé la modification de frontière proposée au sud-ouest, c’est-à-dire dans la zone de
l’Outemboni, comme en témoignent les actes qu’elles y ont accomplis par la suite. En particulier, la
France a, par son comportement, consenti sans équivoque et sans contestation ni protestation à
l’administration par l’Espagne des villages implantés dans ladite zone et d’autres villages implantés
au sud du parallèle situé à 1° de latitude nord, qui avait été retenu à l’article IV de la convention,
mais au nord de l’Outemboni et du Mitombé. Par exemple, comme l’explique de façon détaillée le
mémoire, en plus des villages espagnols mentionnés par la commission de 1901, l’Espagne a
administré Asobla, où elle a établi un poste de douane, déployait des forces de police et percevait des
impôts310. Elle a également administré, entre autres, le village Ngamb [Ngabe], situé à l’ouest
d’Asobla, et les villages Mibonde, Elon, Midyobo [Michobo] et Anguma, situés à l’est de
l’Outemboni et au sud du premier degré de latitude nord, sans protestation de la part de la France ou
du Gabon311. Il est à noter que la France n’a pas indiqué que les villages espagnols situés au sud du
premier degré de latitude nord (c’est-à-dire du côté français du parallèle selon l’article IV de la
convention de 1900) devaient être abandonnés ou changer de nationalité.
5.21. Étant incapable de contester ou de décrédibiliser les éléments de preuve établissant que,
pendant au moins soixante-sept ans, l’Espagne a administré sans contestation le territoire situé au
nord de la frontière proposée par la commission de 1901 dans la zone de l’Outemboni, le Gabon
souligne qu’il n’existe aucun instrument officiel matérialisant les modifications apportées à cette
frontière. L’annexe I de la convention de 1900 n’imposait pas un tel formalisme. Seules les
approbations respectives des deux gouvernements étaient nécessaires et aucune forme particulière
d’approbation n’était requise. L’approbation pouvait donc se manifester par les actes des parties : par
307 MGE, vol. I, par. 3.47 ; ibid., fig. 3.8.
308 Commission franco-espagnole de délimitation du golfe de Guinée, projet de frontière (frontière méridionale)
(1er janvier 1902), p. 3. RGE, vol. III, annexe 14.
309 CMG, vol. I, par. 1.47 et 7.32.
310 MGE, vol. I, par. 3.55, 3.60-3.63.
311 Ibid., par. 3.55, 3.60-3.65. Aujourd’hui encore, nombre de ces anciens villages espagnols, dont Ngamb [Ngabe],
Asobla, Elon, Mibonde et Midyobo (Esemvus) [Michobo], restent des lieux d’habitation administrés et contrôlés par la
Guinée équatoriale ; ils sont dotés d’écoles, de postes militaires, de centres de santé, d’églises, de cimetières et de cases à
palabres (casas de palabra). Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono, Vice-President of
Commerce and Promotion of Small and Middle Sized Enterprises, and President of the Sub-technical Division of the
Special Borders Commission (25 septembre 2022), par. 8. RGE, vol. III, annexe 5.
- 74 -
exemple, la désignation par l’Espagne d’Asobla comme chef-lieu d’une subdivision administrative
de la circonscription coloniale d’Elobey dans un décret officiel espagnol publié en 1907, et
l’acceptation par la France de cette désignation et d’autres actes d’administration espagnols312.
Comme on le verra plus loin dans la section II.C., ces autres actes administratifs accomplis à Asobla
sont notamment la mise en place d’un poste de douane, de forces de police, d’un service postal, d’un
mécanisme de collecte d’impôts et d’une école, le déploiement de soldats et la réalisation de
recensements, le tout sans protestation de la part de la France313.
B. La commission de 1914
5.22. En vertu d’un traité conclu en 1911, l’Allemagne a succédé au territoire précédemment
détenu par la France dans une zone située au sud et à l’est du territoire espagnol, qu’elle a rebaptisé
Neukamerun. Le Gabon affirme que « [c]e transfert de territoires entre la France et l’Allemagne n’a
pas remis en question la frontière terrestre avec la Guinée espagnole établie par, et décrite dans, la
Convention de [1900] »314. Certes, la frontière terrestre avec la Guinée espagnole a fait l’objet de
contestations à l’époque, mais celles-ci concernaient des zones situées à l’est de celle de
l’Outemboni ; le transfert n’a pas remis en question la frontière terrestre établie par la convention de
1900 telle que modifiée par la commission de 1901 dans la zone de l’Outemboni et approuvée dans
la pratique par l’Espagne et la France.
5.23. L’Allemagne était au courant des travaux de la commission de 1901315, des inexactitudes
que ces travaux recelaient dans la zone située à l’est de celle de l’Outemboni et du fait que l’Espagne
administrait, occupait et contrôlait les villages établis au sud du premier degré de latitude nord dans
toute la zone de l’Outemboni, conformément à la proposition faite par la commission dans cette
zone316. En novembre 1912, un chef de station allemand a déclaré dans son compte rendu i) que les
villages Tung, Abenelang, Umvam et Asobla étaient considérés comme espagnols même s’ils se
trouvaient au sud du premier degré de latitude nord sur les cartes en sa possession, ii) qu’Asobla
abritait un poste militaire espagnol tenu par des soldats espagnols, iii) que des marchands européens
ayant des comptoirs au sud du premier degré de latitude nord (à Tung et au confluent de l’Outemboni
et du Bongue) avaient dit être en territoire espagnol et agissaient dans ce sens en matière de droits de
douane et iv) qu’il avait été informé que « que la frontière espagnole se trouvait peu après Ategue
[Tage] », localité située sur la rive gauche ou méridionale du Mitombé, juste au sud de la frontière
telle que modifiée en 1901317.
312 CMG, vol. I, par. 3.55.
313 MGE, vol. I, par. 3.60-3.65.
314 CMG, vol. I, par. 2.3.
315 Report No. 1196 from the Government of Kamerun (German Colony) to the State Secretary of the Imperial
Colonial Office Berlin W. concerning Agreements with the Spanish Governor-General Regarding a Certain Amount of
Freedom of Movement for our Troops on the Spanish-Muni Border (6 août 1913) (Dans une lettre adressée à Olshausen,
Barrera rend compte des travaux de la commission de 1901 et propose la conclusion d’un accord d’établissement d’un statu
quo relatif à la frontière méridionale). RGE, vol. III, annexe 9.
316 Avant et après les travaux de la commission de 1914, les responsables allemands étaient parfaitement conscients
du rapport entre le premier degré de latitude nord et les villages implantés dans la zone de l’Outemboni. Olshausen, par
exemple, dit à juste titre qu’Elum [Elon] est un village situé à proximité du point d’intersection du premier degré de latitude
nord et de l’Outemboni (MGE, vol. IV, annexe 63, p. 234) et qu’Asobla se trouve « à environ 4 km au sud du premier degré
de latitude » (CMG, vol. IV, annexe 71, p. 207).
317 CMG, vol. IV, annexe 69, p. 177 (« À Ategue, on m’a dit que la frontière espagnole se trouvait peu après
Ategue »). Voir la figure R5.3 pour l’emplacement de ces villages par rapport au premier degré de latitude nord et à la
proposition de la commission de 1901.
- 75 -
5.24. En juillet 1913, le gouverneur général de la Guinée espagnole, Angel Barrera, et le
délégué allemand ont conclu un accord d’établissement d’un « statu quo spécial » relatif à la frontière
de la Guinée espagnole au sud et au sud-est318. Contrairement à ce que le Gabon tente de faire
valoir319, il ne ressort pas de cet accord que le parallèle situé à 1° de latitude nord a continué à servir
de frontière dans la zone de l’Outemboni. Au contraire, l’accord place au confluent du Mitombé et
de l’Outemboni le point de départ de la « frontière théorique » à l’est320. À l’est de ce point, les parties
ont présumé que les lignes indiquées sur la carte allemande la plus récente étaient exactes, en
attendant d’avoir la possibilité d’effectuer une visite sur les lieux321. L’accord excluait la zone située
à l’ouest du confluent, celle-ci étant déjà limitée par l’Outemboni dans la proposition de la
commission de 1901 retenue dans la pratique par l’Espagne et la France322.
5.25. En 1914, les responsables des deux États ont reconnu, selon une correspondance interne,
que l’accord de juillet 1913 demeurait valable323 et l’ont attribué aux relations étroites et amicales
existant entre l’Espagne et l’Allemagne324. Ainsi, dans la zone de l’Outemboni, le mode
d’administration et de contrôle est resté inchangé325. Sur cette base, l’Espagne et l’Allemagne ont
créé la « commission de 1914 » qui, en juillet 1914, a entrepris d’identifier sur le terrain les villages
situés en territoire espagnol et ceux situés en territoire allemand.
5.26. La Guinée équatoriale et le Gabon s’accordent à reconnaître que l’Espagne et
l’Allemagne ont créé une commission de démarcation de la frontière en 1914, que la commission de
1914 s’est réunie dans la zone de l’Outemboni (dans les villages espagnols Asobla et Mebonde) et a
mené des travaux plus à l’est en juillet 1914 et qu’elle possédait les cartes Moisel de la zone publiées
en 1914326. Ils s’accordent également à reconnaître que, bien que la commission de 1914 n’ait pas
achevé ses travaux, elle a créé un document, signé par les commissaires espagnol et allemand, Barrera
et Olshausen, qui atteste ses constatations. Que ce document soit qualifié de procès-verbal, d’acte ou
de décret327, son importance est la même : il rend compte de la conclusion de la commission de 1914
318 Certification from Head of Archives of the General Government of the Spanish Territories on the Gulf of Guinea
of Frontiers Delimitation (27 décembre 1948), p. 11. RGE, vol. III, annexe 14.
319 319 CMG, vol. I, par. 2.5 b).
320 Report No. 1196 from the Government of Kamerun (German Colony) to the State Secretary of the Imperial
Colonial Office Berlin W. concerning Agreements with the Spanish Governor-General Regarding a Certain Amount of
Freedom of Movement for our Troops on the Spanish-Muni Border (6 août 1913), p. 25 (proposition de Barrera à
Olshausen : « Sur cette base, j’estime qu’il faut retenir le point fixé au confluent du Mitombé et de l’Outemboni, tel
qu’indiqué ci-dessus, et prendre pour bornes frontières ceux qui sont placés à l’est de ce lieu… »). RGE, vol. III, annexe 9.
321 CMG, vol. II, annexe C11 (carte Moisel de 1912).
322 Certification from Head of Archives of the General Government of the Spanish Territories on the Gulf of Guinea
of Frontiers Delimitation (27 décembre 1948) p. 11-12 (Le 12 août 1913, Barrera rend compte de son accord avec
Olshausen comme suit : « Pour établir ce statu quo, nous avons pris pour point de départ le confluent du Mitombé et de
l’Outemboni, ce confluent étant présumé situé en territoire espagnol, précisément à 1° 0' 1" 77 de latitude nord et
7° 37' 3" 67 de longitude est de Paris, sans modifier les points situés à l’ouest du confluent, ceux-ci devant rester
inchangés »). RGE, vol. III, annexe 14.
323 MGE, vol. IV, annexe 63, p. 234 (Le 16 juin 1914, Olshausen écrit ce qui suit : « à cet égard est toujours valable
l’accord conclu en juillet de l’année dernière, selon lequel la frontière théorique telle qu’elle a été tracée sur la carte Moisel
doit être impérativement maintenue jusqu’à ce que les nouvelles frontières soient déterminées ».).
324 Ibid., annexe 62, p. 224 (Le 4 février 1914, le ministre d’État espagnol Marques de Lema écrit ce qui suit : « les
autorités de ces colonies, dont les relations sont heureusement très étroites et amicales aujourd’hui, grâce aux avis échangés
au sujet des frontières entre les gouverneurs de la Guinée espagnole et du Cameroun, lesquels sont finalement convenus du
maintien du statu quo en ce qui concerne notre frontière méridionale et une partie de la frontière orientale… »).
325 Ibid., annexe 62, p. 224.
326 MGE, vol. I, par. 3.58 ; CMG, vol. I, par. 2.5-2.6.
327 Voir CMG, vol. I, par. 2.6. Toutes les traductions des documents annexés à ses écritures que la Guinée
équatoriale a produites sont certifiées par des traducteurs professionnels.
- 76 -
selon laquelle certains villages de la zone de l’Outemboni se trouvaient en territoire espagnol et
d’autres en territoire allemand. La commission de 1914 a constaté que, entre autres, les villages
Asobla, N’sogodam, Anguma et Mebe se trouvaient en territoire espagnol et que le village Mitombé
se trouvait en territoire allemand, comme le montre la figure R5.4328.
5.27. Il s’ensuit que, dans la zone de l’Outemboni, la commission de 1914 n’a pas respecté la
frontière décrite à l’article IV de la convention de 1900. Elle a plutôt divisé ce territoire suivant la
frontière établie par la commission de 1901 : les quatre villages déclarés espagnols se trouvent tous
au nord de la frontière établie par la commission de 1901. Les deux commissions ont expressément
situé Anguma et Mebe en territoire espagnol et Mitombé en territoire français devenu allemand. La
commission de 1914 a constaté qu’Asobla et N’sogodam, tous deux implantés au nord de la ligne
proposée par la commission de 1901, se trouvaient en territoire espagnol329.
Figure R5.4
Villages désignés dans l’« acte » de la commission de 1914
Source : Staatsbibliothek zu Berlin (cote Kart. C13401. Carte du Cameroun établie par M. Moisel, feuilles I1 :
Ukoko et I2 : Ojĕm, 1er mai 1914. Extrait de carte, annotations ajoutées
Légende :
In Spanish territory = En territoire espagnol
In German territory = En territoire allemand
Area Enlarged = Zone représentée dans l’encadré
Vertical canal banks = Rives verticales du canal
328 MGE, vol. I, par. 3.60 ; acte en date du 18 août 1914 signé par l’Empire allemand et le Royaume d’Espagne aux
fins de délimitation entre la Guinée espagnole et le protectorat du Kamerun. MGE, vol. V, annexe 115. La localité Mitombé
se trouve au confluent des rivières Mitombé et Outemboni, au sud de la première et à l’est de la seconde.
329 MGE, vol. I, par. 3.59-3.60.
- 77 -
5.28. Le Gabon ne conteste pas qu’il s’agit là des constatations opérées par la commission de
1914, mais il soutient que, selon les procès-verbaux des réunions de ladite commission, les
commissaires ont fait leurs constatations sur la base d’« observations astronomiques » et des
« itinéraires levés », et non de la nationalité attribuée aux villages330. Il est à côté de la plaque. La
commission de 1914 n’a pas « attribué » de nationalité aux villages ; elle a plutôt rendu compte de
ce qu’elle avait constaté, et plus précisément de ce que les villages implantés au nord de l’Outemboni
et du Mitombé (mais au sud du parallèle situé à 1° de latitude nord) se trouvaient en territoire
espagnol, comme le Gabon le reconnaît dans son contre-mémoire331. Cela s’explique par le fait que
les modifications de frontière proposées par la commission de 1901 avaient été acceptées et traduites
en actes par l’Espagne et la France. Si les modifications proposées n’avaient pas été acceptées, ces
villages implantés au sud du parallèle auraient été considérés comme français. Comme la commission
de 1901, la commission de 1914 a constaté que l’Espagne administrait les villages en cause et que la
frontière établie dans cette zone devait tenir compte de l’appartenance de ces villages au territoire
colonial de l’Espagne332.
5.29. Le Gabon affirme à tort que l’Allemagne a protesté contre la présence de l’Espagne à
Asobla333. En fait, les responsables allemands n’ont fait que se déclarer surpris (dans des
communications internes) de constater que l’Espagne contrôlait Asobla334. En outre, comme
l’indiquent les conclusions de la commission de 1914, le commissaire allemand a reconnu qu’Asobla
se trouvait en territoire espagnol335.
5.30. En résumé, la commission de 1914 a confirmé les constatations de la commission de
1901 et a identifié divers villages implantés dans la zone de l’Outemboni, au sud du parallèle situé à
1° de latitude nord, comme relevant de la souveraineté espagnole. L’Allemagne n’a pas protesté
contre l’administration de ces villages par l’Espagne ; au contraire, elle a accepté la présence de
l’Espagne dans ceux-ci et le contrôle que l’Espagne y exerçait. Les constatations de la commission
de 1914 ont donc confirmé que l’Espagne administrait les villages en cause et que la proposition de
la commission de 1901 de modifier la frontière au sud-ouest pour suivre l’Outemboni et le Mitombé
avait été approuvée dans la pratique par l’Espagne et la France.
C. La période antérieure à l’accession à l’indépendance courant à compter de
la rétrocession du territoire concerné à la France par l’Allemagne
5.31. Le transfert du territoire concerné de la France à l’Allemagne n’a eu aucun effet sur la
division effectuée par la commission de 1901 dans la zone de l’Outemboni, pas plus que la
réoccupation dudit territoire par la France en 1916 ou l’abandon officiel du Neukamerun par
l’Allemagne en 1919. Conformément à la modification apportée à la frontière dans la zone de
l’Outemboni, l’Espagne a continué à administrer le territoire situé au nord de l’Outemboni et du
Mitombé. La France savait parfaitement que l’Espagne l’administrait et n’y a pas fait objection.
Lorsqu’elle a repris le contrôle de son ancien territoire colonial à l’Allemagne en 1916, elle a
continué à accepter que l’Espagne administre le territoire détenu au sud du parallèle situé à 1° de
330 CMG, vol. I, par. 2.7 (citant l’acte en date du 18 août 1914 signé par l’Empire allemand et le Royaume
d’Espagne aux fins de délimitation entre la Guinée espagnole et le protectorat du Kamerun. MGE, vol. V, annexe 115).
331 Voir CMG, vol. I, par. 2.5 c), notant qu’Asobla se trouve au sud du parallèle situé à 1° de latitude nord sur les
cartes de la région établies par Moisel.
332 Voir MGE, vol. I, fig. 3.10.
333 CMG, vol. I, par. 2.5 c).
334 Voir MGE, vol. I, par. 3.59 ; CMG, vol. I, par. 2.4.
335 MGE, vol. I, par. 3.60 ; acte en date du 18 août 1914 signé par l’Empire allemand et le Royaume d’Espagne aux
fins de délimitation entre la Guinée espagnole et le protectorat du Kamerun. MGE, vol. V, annexe 115.
- 78 -
latitude nord, et ce jusqu’à l’accession du Gabon à l’indépendance en 1960. Dans son
contre-mémoire, le Gabon n’apporte la preuve d’aucun acte de souveraineté accompli par la France
dans la zone de l’Outemboni pendant la période coloniale ni d’aucun cas où la France aurait remis
en question l’autorité de l’Espagne dans cette zone.
5.32. Le Gabon ne tient pas compte des nombreux actes administratifs non contestés de
l’Espagne qui mettent en évidence sa souveraineté sur le territoire situé au nord de l’Outemboni et
du Mitombé. Ces actes, dont la plupart ont été exposés dans le mémoire, sont notamment les
suivants :
 en 1907, la création d’un avant-poste et d’un poste de douane à Asobla, localité également dotée
d’un dispensaire, d’une trésorerie, d’un service postal, de forces de police et d’un mécanisme de
collecte d’impôts, ainsi que la désignation d’Asobla comme chef-lieu d’une subdivision
administrative de la circonscription d’Elobey336 ;
 en 1916, l’accroissement des infrastructures d’Asobla par la construction de la résidence du
commandant du poste ainsi que le déploiement de quarante à cinquante soldats espagnols dans
la localité337 ;
 en 1927, la tenue d’une école à Asobla338 ;
 en 1932, la réalisation d’un recensement concernant les localités suivantes implantées au sud du
parallèle situé à 1° de latitude nord : Akánabúr, Anguma, Asobla, Bo, Edjuba, Elon, Mebonde,
Michoba, Ngámbé, Sogocham, Tekg et Tum339 ;
 en 1942, la réalisation d’un recensement concernant les localités suivantes implantées au sud du
parallèle situé à 1° de latitude nord, comme le montre la figure 3.11 du mémoire : Akanabor
(Abaiñ), Anguma, Asobla, Echuba, Elon (Yesuk), Michobo (Esembus), Ngabe, Nniefala,
Sugocham (Esembus), Tek et Tom340 ;
 en 1950, la réalisation d’un recensement concernant les localités suivantes implantées au sud du
parallèle situé à 1° de latitude nord, comme le montre la figure 3.12 du mémoire : Akanabor
(Abé), Angume, Asobla, Binguala, Boo, Echuba, Elon, Enigabe, Michobo (Esembus), Ngambe,
Nniefala, Sugocham, Tek et Tom341 ;
 en 1953, la confirmation, par une loi pénale, des fonctions assignées aux administrateurs
coloniaux en poste à Asobla en matière judiciaire et d’application de la loi pénale dans ces
contrées342 ;
336 MGE, vol. I, par. 3.55.
337 Ibid., par. 3.60.
338 Ibid., par. 3.62.
339 Spanish Territories of the Gulf of Guinea, Statistical Office of the General Government, Statistical Summaries:
Province of Rio Muni 1932 (1932) (dans The Spanish State, Ministry of Labor, Health and Social Security, Population and
Nomenclature of the Spanish Possessions of the Gulf of Guinea (1936)), p. 38, 40, 44 et 46. RGE, vol. III, annexe 11.
340 MGE, vol. I, par. 3.63 et fig. 3.11.
341 Ibid., par. 3.65 et fig. 3.12.
342 Ibid., par. 3.62.
- 79 -
 des années 1920 aux années 1960, l’octroi de concessions forestières, dont la concession
« Miang », dans ces contrées343. L’exploitation des concessions nécessitait la construction
d’infrastructures importantes, notamment la mise en place d’une grue à Elon et d’infrastructures
routières s’étendant profondément dans la zone de la concession Miang.
Les villages et les concessions mentionnés ci-dessus sont représentés sur les figures R5.5
(recensement de 1932) et R5.6 (zone de la concession Miang). Les activités liées aux concessions
menées par la suite dans cette zone, qui seront exposées de façon plus détaillée ci-dessous à la
sous-section D.1.b), sont représentées sur les figures R5.7 (Miang et concessions voisines) et R5.8
(infrastructures liées aux concessions).
5.33 Le Gabon ne conteste aucune de ces effectivités infra legem réalisées dans la zone de
l’Outemboni, mais évoque un petit nombre d’incidents survenus à la frontière méridionale, en dehors
de ladite zone, qui ont fait l’objet de lettres échangées entre la France et l’Espagne et ont été
mentionnés dans des communications internes espagnoles et françaises entre 1917 et 1928344. Il
n’évoque ces incidents qu’en termes généraux, leurs détails montrant clairement qu’ils n’étaient pas
liés à l’acceptation par l’Espagne et la France de la frontière modifiée dans la zone de l’Outemboni.
5.34 Tous les villages visés dans ces lettres sont situés loin à l’est de la zone de l’Outemboni.
La correspondance citée par le Gabon mentionne : i) N’vanaya (1917)345, ii) « N’Kolanvan et
N’Volensok » (1919)346 ; iii) « de multiples incidents » (1920 et 1927)347 ; iv) Nkouala,
Akounam (où les Espagnols avaient construit un poste militaire), Oveng, Ayong, Adjafane et Ouègne
(1927)348 ; et v) « les villages contestés » en général (1928)349. La correspondance interne espagnole
de 1928 fait état d’incidents survenus dans les villages Enkuala, Ayafen (Efak), Medume,
Enkolambam, Akok (Oyek), Embengayon (Oyek), Asogombe (Oyek), Olón (Oyek), Akulensó,
Eyamayon, Asongóngué (Oyek), Ebian (Obuk), Akoga (Abé) et Engolensó (Abé)350. Ces villages ne
se trouvent pas dans la zone de l’Outemboni, mais plutôt plus à l’est, comme le montre la figure
R5.9, qui indique l’emplacement des villages disputés351. Il y a de bonnes raisons à cette constance :
contrairement à la zone de l’Outemboni, la partie orientale de la frontière méridionale n’a été
modifiée ni par les commissions ni par le comportement ultérieur des puissances coloniales.
343 Ibid., par. 3.64-3.65 ; Spanish Equatorial Provinces of Fernando Póo and Rio Muni, Forestry Section, Forestry
Concession of Miang River (District of Kogo) (28 janvier 1961), p. 5 et 22 (concession attribuée à Sbarbi Martin en 1929
pour une durée de vingt ans et prorogée à plusieurs reprises ; dernière prorogation accordée à Vasco Africana en 1961 pour
une durée de cinq ans). RGE, vol. III, annexe 19.
344 CMG, vol. I, par. 2.12.
345 MGE, vol. IV, annexe 65.
346 Lettre en date du 1er mai 1919 adressée au gouverneur général de l’Afrique équatoriale française par le
gouverneur général de la Guinée espagnole, p. 2. MGE, vol. IV, annexe 67. La commission de 1914 a déclaré à propos de
N’Kolanvan ce qui suit : « Quant au village de N’Kolamban celui-ci est si près du parallèle du premier degré qu’il faut
faire la comprobation des chronomètres avant de préciser leur situation. » Acte en date du 18 août 1914 signé par l’Empire
allemand et le Royaume d’Espagne aux fins de délimitation entre la Guinée espagnole et le protectorat du Kamerun. MGE,
vol. V, annexe 115.
347 CMG, vol. I, par. 2.13.
348 Ibid., vol. I, par. 2.12 ; lettre no 212 en date du 16 août 1927 adressée au gouverneur général des territoires
espagnols du golfe de Guinée par le lieutenant gouverneur français du Gabon, p. 1. MGE, vol. IV, annexe 76.
349 CMG, vol. I, par. 2.14.
350 MGE, vol. IV, annexe 76.
351 Les autres incidents allégués par le Gabon ne peuvent être représentés sur une carte, leur lieu étant inconnu.
- 80 -
Figure R5.5
Localités couvertes par le recensement espagnol de 1932 (zone de l’Outemboni)
Légende :
Spain = Espagne
Gulf of Guinea = Golfe de Guinée
France (Cameroon) = France (Cameroun)
Utamboni River Area = Zone de l’Outemboni
- 81 -
Figure R5.6
Concession Miang de Vasco Africana (1944-1966)
Source : Service géographique de l’armée espagnole, carte topographique et forestière de la Guinée, feuille
d’Asobla (1re édition, avril 1952). Extrait de carte, annotations ajoutées.
Légende :
Spanish road under construction = Route espagnole en cours de construction
Area Enlarged = Zone représentée dans l’encadré
- 82 -
Figure R5.7
Concessions forestières espagnoles (1960-1968) (zone de l’Outemboni)
Légende :
Spain = Espagne
Gulf of Guinea = Golfe de Guinée
France (Cameroon) = France (Cameroun)
Utamboni River Area = Zone de l’Outemboni
- 83 -
Figure R5.8
Infrastructures forestières espagnoles (1960-1968) (zone de l’Outemboni)
Source : France, Institut géographique national – Paris, Carte de l’Afrique centrale, Kango 3c et Libreville 4d
(1961). Extrait de carte, annotations ajoutées.
Légende :
Spanish-built landing stage = Débarcadère construit par l’Espagne
Spanish-built roads = Routes construites par l’Espagne
Area Enlarged = Zone représentée dans l’encadré
Utamboni River Area = Zone de l’Outemboni
- 84 -
Figure R5.7
Lieux des incidents frontaliers (1917-1928)
Légende :
Spain = Espagne
Utamboni = Outemboni
Gulf of Guinea = Golfe de Guinée
France (Cameroon) = France (Cameroun)
Area of map = Zone représentée sur la carte
- 85 -
5.35. Le Gabon n’est pas fondé à faire valoir qu’en 1937 la modification apportée à la frontière
au sud-ouest a été « vigoureusement rejetée » par la France352. La source qu’il cite est une lettre
adressée au gouverneur général de l’Afrique équatoriale française par le ministre français des
colonies qui explique le texte de la convention de 1900, tel que modifié par la proposition de la
commission de 1901353. Cette communication interne française n’était pas une protestation contre
l’administration de la zone de l’Outemboni par l’Espagne ni ne démentait le fait que la France
approuvait l’administration de cette zone par l’Espagne, conformément à la proposition de la
commission de 1901, comme on l’a vu plus haut354.
5.36. En résumé, le Gabon n’a pas établi que la France avait au moins une fois contesté le titre
de l’Espagne sur la zone de l’Outemboni, lequel découlait de l’acceptation par les puissances
coloniales des modifications de frontière proposées dans cette zone par la commission de 1901.
D. La période postérieure à l’accession à l’indépendance
5.37. Après l’accession du Gabon à l’indépendance vis-à-vis de la France en 1960, l’Espagne
et, plus tard, la Guinée équatoriale ont continué à administrer les territoires détenus dans la zone de
l’Outemboni, au sud du parallèle situé à 1° de latitude nord, sans protestation de la part du Gabon.
Comme la France avant lui, le Gabon n’a accompli aucun acte de souveraineté dans cette zone. Au
contraire, et ainsi que l’on le verra ci-dessous, il a reconnu sans équivoque le titre de l’Espagne sur
la zone par un accord de 1966 (1) et par l’acceptation des effectivités infra legem réalisées par
l’Espagne, puis la Guinée équatoriale (2).
1. La période allant de l’accession du Gabon à l’indépendance en 1960 à l’accession de la
Guinée équatoriale à l’indépendance en 1968
a) L’accord de 1966 entre l’Espagne et le Gabon
5.38. Le 11 juin 1966, le Gabon et l’Espagne ont signé un accord intitulé « accord entre l’État
espagnol et la République gabonaise concernant la circulation et les échanges transfrontaliers entre
le Río Muni et le Gabon » (ci-après l’« accord de 1966 »). En ce qui concerne le territoire des deux
États, il était entendu que cet accord constituait « l’expression fidèle des vues communes des parties
à l’époque de la signature »355. Selon le Gabon, les négociations menées pour le conclure « n’avaient
aucunement pour but et objet de définir ou de préciser le cours de la frontière terrestre »356. C’est
exact, mais l’accord de 1966 n’a pas « défini ou précisé » le cours de la frontière dans la zone de
l’Outemboni parce qu’il n’était pas nécessaire de le faire, la France et l’Espagne ayant déjà défini la
frontière dans cette zone avant l’accession du Gabon à l’indépendance. Dans l’accord de 1966,
l’Espagne et le Gabon ont simplement reconnu la frontière existante. Cet accord est donc la preuve
que le tracé de la frontière dans le sud-ouest et le titre juridique de l’Espagne sur le territoire situé de
352 CMG, vol. I, par. 2.16.
353 Ibid., par. 2.16 et 7.33.
354 Le Gabon relève que le croquis sur lequel la Guinée équatoriale représente la frontière proposée par la
commission de 1901 dans le sud-ouest diffère de la carte équato-guinéenne des modifications apportées par les parties dans
le sud-ouest. CMG, vol. I, par. 7.35. Comme indiqué dans la section II.A., cette discordance s’explique par le fait que de
nouveaux actes administratifs non contestés et accords sont intervenus pendant et après la période coloniale et ont donné
lieu à de nouveaux ajustements de la frontière dans le sud-ouest.
355 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 2001, p. 68, par. 89.
356 CMG, vol. I, par. 2.56.
- 86 -
son côté de cette frontière n’étaient pas contestés au moment de l’accession du Gabon à
l’indépendance.
5.39. Le Gabon a engagé les négociations tendant à la conclusion de l’accord de 1966 dans le
but de « définir les relations frontalières entre les deux pays », « d’arrêter la liste des villages qui, de
part et d’autre de la frontière seraient à inclure dans la zone dite frontalière » et « de déterminer les
points de passages autorisés » le long de la frontière357. Cet accord « constituait une reconnaissance
des frontières » délimitées par l’Espagne et la France358, puisqu’il définit une « zone frontalière » de
dix kilomètres de large de part et d’autre de la frontière terrestre pour laquelle chaque partie a fourni
une liste de villages situés de son côté de la frontière359.
5.40. Les listes de villages échangées par le Gabon et l’Espagne en application de l’accord360
confirment que le Gabon reconnaissait la souveraineté de l’Espagne dans la zone de l’Outemboni, au
sud du parallèle situé à 1° de latitude nord, conformément à la proposition de la commission de 1901,
ainsi que l’acceptation de cette souveraineté par les deux puissances coloniales et les constatations
de la commission de 1914.
5.41. Comme le montre la figure 3.26 du mémoire, l’Espagne a présenté au Gabon une liste
de vingt villages implantés au sud du parallèle situé à 1° de latitude nord qui étaient sous son
administration dans la zone de l’Outemboni et les zones adjacentes361. Le Gabon ne s’est pas insurgé
contre l’inclusion de l’un quelconque de ces villages dans la liste ni n’a protesté contre leur
administration par l’Espagne qui se faisait notoirement et de longue date.
5.42. La liste du Gabon comprenait vingt-deux villages implantés près de la frontière au
sud-ouest qu’il affirmait administrer. Vingt de ces villages étaient situés en dehors de la zone de
l’Outemboni. Seuls deux y étaient situés et la Guinée équatoriale n’a trouvé aucun élément attestant
que le Gabon ou la France avaient au moins une fois accompli des actes d’occupation ou
d’administration dans l’un ou l’autre de ces villages362. Au contraire, ceux-ci  Eloun et Aloun 
étaient administrés et contrôlés sans interruption par l’Espagne depuis 1901363.
5.43. Les faits sautent donc aux yeux : le Gabon a reconnu le titre juridique de l’Espagne sur
la zone de l’Outemboni, en particulier sur le territoire s’étendant de ce cours d’eau jusqu’au parallèle
situé à 1° de latitude nord, dans le respect de la frontière proposée par la commission de 1901,
357 Note verbale en date du 10 décembre 1963 adressée au ministère espagnol des affaires étrangères par
l’ambassade du Gabon en Espagne. MGE, vol. IV, annexe 97.
358 MGE, vol. I, par. 3.103 ; État espagnol, lettre no 109 en date du 30 mai 1964 adressée au ministère espagnol des
affaires étrangères par l’ambassade du royaume d’Espagne au Gabon, p. 1. MGE, vol. IV, annexe 98.
359 MGE, vol. I, par. 3.104.
360 Ces listes n’étaient pas « que des propositions unilatérales » comme l’affirme le Gabon. CMG par. 2.56. Elles
étaient requises par les dispositions de l’accord de 1966, et chacune des parties a accepté les listes de l’autre, ainsi que la
liste des postes frontières qui a fait l’objet de négociations entre elles.
361 MGE, vol. I, par. 3.104 et fig. 3.26.
362 Ibid., par. 3.104.
363 Ces deux villages sont plus connus sous les noms d’Elon et Midyobo (Esemvus) et étaient étroitement liés à la
concession forestière Miang attribuée à Vasco Africana par l’Espagne, laquelle était encore une concession espagnole en
activité à l’époque où le Gabon a inclus par erreur lesdits villages dans sa liste. Voir la figure R5.6.
- 87 -
acceptée par l’Espagne et la France et reconnue dans leur pratique constante jusqu’à l’accession du
Gabon à l’indépendance en 1960.
b) Les effectivités infra legem continues et non contestées
5.44. Après l’accession du Gabon à l’indépendance, l’Espagne a continué ouvertement, et sans
objection, à administrer les territoires situés dans la zone de l’Outemboni. Les actes d’administration
continus et non contestés qu’elle y a accomplis confirment son titre juridique découlant de la
convention de 1900, telle que modifiée par la France et elle conformément aux travaux de la
commission de 1901. En outre, ils constituent une source distincte et indépendante du titre juridique
de la Guinée équatoriale sur cette zone.
5.45. Les concessions forestières octroyées par l’Espagne au cours de la première moitié du
XXe siècle ont poursuivi leur existence après l’accession du Gabon à l’indépendance, ce qui atteste
que l’Espagne a administré sans interruption la zone. La concession « Miang » détenue par Vasco
Africana a été prorogée en 1961 pour une durée de cinq ans, soit jusqu’en 1966364. Vasco Africana
s’est également vu attribuer la concession « Echam » en 1961 pour une durée de vingt ans courant
donc jusqu’en 1981365. En outre, la concession « Alejandro » lui a été attribuée en 1965366 pour une
durée d’un an. Dans le cadre de cette concession, des parcelles de terre ont été réservées aux villages
de la localité, proportionnellement à leur population telle qu’elle ressortait d’un recensement spécial
effectué à cette fin en 1964, afin de leur permettre de continuer à cultiver les zones concernées367.
Cinq villages ont été retenus dans ce recensement spécial de 1964 ; par conséquent, cinq réserves
agricoles ont été créées parallèlement à la concession « Alejandro » : Mbenam (Yesuc), Ngonekie
(Osumu), Acanabor (Esemvus), Acanabor (Abein) et Anguma (Osumu). Les zones faisant l’objet de
concessions et les terres agricoles réservées sont représentées sur la figure R5.7 ci-dessus. Les
infrastructures liées aux concessions, notamment les routes et un débarcadère, dont la construction
s’est poursuivie sont représentées sur la figure R5.8 ci-dessus.
5.46. En 1964, l’Espagne a créé une réserve de terres destinée à l’extraction de bitume qui
couvrait des localités implantées au sud du parallèle situé à 1° de latitude nord dans la zone de
l’Outemboni, dont le village Anguma368. En 1965, elle a effectué un recensement concernant
notamment les localités suivantes situées au sud de ce parallèle, comme le montre la figure R5.10 :
Michobo-Esenvus, Michobo-Ndong, Michobo-Osumu, Mebonde I, Elon et Anguma.369
364 Spanish Equatorial Provinces of Fernando Póo and Rio Muni, Forestry Section, Forestry Concession of Miang
River (District of Kogo) (28 janvier 1961), p. 5 et 22 (concession attribuée à Sbarbi Martin en 1929 pour une durée de
vingt ans et prorogée à plusieurs reprises ; dernière prorogation accordée à Vasco Africana en 1961 pour une durée de
cinq ans). RGE, vol. III, annexe 19.
365 The Spanish State, Decree 1505/1961 (20 juillet 1961), p. 9 (décret de 1961 attribuant la concession Echam à
Vasco Africana pour une durée de vingt ans). RGE, vol. IV, annexe 24.
366 Equatorial Guinea, Forestry Service, Entry Register No. 4040 (16 septembre 1965), p. 21 (décision de 1965
attribuant à Vasco Africana une concession d’une superficie de 1000 hectares située à proximité d’Anguma et de la
concession Echam pour une durée maximale d’un an). RGE, vol. III, annexe 22 ; Letter from Antonio Zamora Ariemendi
of Vasco Africana to the Forestry Service (4 août 1965). RGE, vol. IV, annexe 27.
367 Equatorial Guinea, Forestry Service, Entry Register No. 4040 (16 septembre 1965), p. 13-15, 18-19 et 23. RGE,
vol. III, annexe 22 ; Letter from Antonio Zamora Ariemendi of Vasco Africana to the Forestry Service (4 août 1965). RGE,
vol. IV, annexe 27.
368 MGE vol. I, par. 3.105 et fig. 3.27.
369 Government of Equatorial Guinea, Regional Statistics Department, Summary Demographic of the Demarcation
(Years 1932 to 1965) and Catalogue of Units and Settlements for 1965 (1965), p. 37, 55, 69 et 71. RGE, vol. IV, annexe 28.
- 88 -
5.47. Rien ne prouve que le Gabon a protesté au moins une fois contre ces concessions
espagnoles ou contre les activités de recensement menées par l’Espagne dans ces parties de la zone
de l’Outemboni.
2. La période postérieure à l’accession de la Guinée équatoriale à l’indépendance en 1968
5.48. Après son accession à l’indépendance en 1968, la Guinée équatoriale a continué à
administrer la zone de l’Outemboni conformément au titre juridique qu’elle avait hérité de l’Espagne.
Elle administre et contrôle concrètement les villages cités ci-après, représentés sur la figure R5.11,
comme l’Espagne l’avait fait avant elle depuis le début des années 1900.
 Asobla, comme le montre la figure R5.12, reste une localité équato-guinéenne animée dotée de
divers services administrés par l’État. Il abrite toujours l’école publique ouverte dans les années
1920, dont le fonctionnement se poursuit et est cité dans l’ensemble du dossier370.
 Le village riverain Elon, qui fait aujourd’hui partie du groupement Mebonde-Elon, abrite
toujours le débarcadère et la grue de Vasco Africana qui servaient à charger sur des barges le
bois arrivé par voie terrestre de la concession forestière Miang afin qu’il soit acheminé par
flottage jusqu’à Cogo, comme le montre la figure R5.13. Un petit groupe de maisons se trouve
à proximité de la grue et du débarcadère371.
 Mebonde, la plus grande des deux zones d’implantation, était le lieu de résidence des membres
du personnel de Vasco Africana. La présence de ces derniers est attestée notamment par un
ancien bâtiment scolaire, plusieurs maisons de l’époque coloniale et une pompe à eau372. Malgré
le départ de Vasco Africana, Mebonde reste un village important doté d’infrastructures
d’approvisionnement en eau, d’un nouveau bâtiment scolaire de grandes dimensions et d’un
ensemble de nouvelles maisons en construction373.
 - Midyobo Esemvus, représenté à la figure R5.13, est relié à Mebonde et Elon par l’ancienne
route de Vasco Africana, qui traverse plusieurs petits ponts et permet aujourd’hui de se rendre à
pied de l’un des deux villages à l’autre. Il dispose d’une école, d’un centre de santé, d’un poste
370 Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono, Vice-President of Commerce and
Promotion of Small and Middle Sized Enterprises, and President of the Sub-technical Division of the Special Borders
Commission (25 septembre 2022), par. 8 et annexe P.U26. RGE, vol. III, annexe 5 ; Office of the President of the
Government, Commissariat of the Economic Development Plan, Economic Development Plan for Equatorial Guinea,
Years 1964 to 1967 (octobre 1963), p. 185. RGE, vol. IV, annexe 25. Voir également Republic of Equatorial Guinea,
Minutes of Village Council Elections in the District of Kogo, Village Council of Midjobo Esenvus, Ngonekieñ, Mebonde-
Elon Ngambe and Asobla (Years 1996, 1997 and 1998). RGE, vol. V, annexe 55.
371 Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono, Vice-President of Commerce and
Promotion of Small and Middle Sized Enterprises, and President of the Sub-technical Division of the Special Borders
Commission (25 septembre 2022), par. 8 et annexes P.U10 (poste militaire), P.U11 (grue), P.U12 (débarcadère) et P.U13
(maisons). RGE, vol. III, annexe 5. Voir également Republic of Equatorial Guinea, Minutes of Village Council Elections
in the District of Kogo, Village Council of Midjobo Esenvus, Ngonekieñ, Mebonde-Elon, Ngambe and Asobla (Years
1996, 1997 and 1998). RGE, vol. V, annexe 55.
372 Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono, Vice-President of Commerce and
Promotion of Small and Middle Sized Enterprises, and President of the Sub-technical Division of the Special Borders
Commission (25 septembre 2022), par. 8 et annexes P.U2 et P.U3 (école de l’époque coloniale), P.U4 (maison de l’époque
coloniale) et P.U8 et P.U9 (pompe à eau de l’époque coloniale). RGE, vol. III, annexe 5.
373 Ibid., par. 8 et annexes P.U1 (nouvelle école), P.U5 (nouvelles maisons) et P.U6 et P.U7 (nouveau dispositif
d’approvisionnement en eau). Voir également Republic of Equatorial Guinea, Minutes of Village Council Elections in the
District of Kogo, Village Council of Midjobo Esenvus, Ngonekieñ, Mebonde-Elon Ngambe and Asobla (Years 1996, 1997
and 1998). RGE, vol. V, annexe 55.
- 89 -
militaire, d’une église et d’un cimetière, en plus des maisons de ses quelque 200 habitants374.
Comme la plupart des villages de la zone de l’Outemboni, il a fait l’objet de recensements des
ménages, comme en témoignent les autocollants apposés sur les portes des maisons375.
Figure R5.10
Localités couvertes par le recensement espagnol de 1965
(zone de l’Outemboni)
Légende :
Spain = Espagne
Utamboni = Outemboni
Gulf of Guinea = Golfe de Guinée
Cameroon = Cameroun
Utamboni River Area = Zone de l’Outemboni
374 Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono, Vice-President of Commerce and
Promotion of Small and Middle Sized Enterprises, and President of the Sub-technical Division of the Special Borders
Commission (25 septembre 2022), par. 8 et annexes P.U14 et P.U15 (école), P.U16 (centre de santé), P.U17 (église), P.U18
et P.U19 (poste militaire), P.U20 (cimetière) et P.U25 (casernement militaire). RGE, vol. III, annexe 5.
375 Ibid., par. 8 et annexes P.U21 et P.U22 (preuves de recensement) et P.U24 et P.U25 (preuves de campagne
électorale). RGE, vol. III, annexe 5. La Guinée équatoriale continue à mener régulièrement des activités de recensement
dans la zone de l’Outemboni depuis son accession à l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. Voir également Republic of
Equatorial Guinea, Minutes of Village Council Elections in the District of Kogo, Village Council of Midjobo Esenvus,
Ngonekieñ, Mebonde-Elon Ngambe and Asobla (Years 1996, 1997 and 1998). RGE, vol. V, annexe 55.
- 90 -
Figure R5.11
Zone de l’Outemboni aujourd’hui
Légende :
Utamboni = Outemboni
Gulf of Guinea = Golfe de Guinée
- 91 -
Figure R5.12
Asobla aujourd’hui/
Ngamb (Yesuc) aujourd’hui
- 92 -
Figure R5.13
Mebonde-Elon aujourd’hui
Légende :
Colonial Era School = École de l’époque coloniale
Vasco Africana Road = Route de Vasco Africana
New School = Nouvelle école
Landing/Crane = Débarcadère/grue
- 93 -
Figure R5.13 (suite)
Midyobo (Esemvus) aujourd’hui
Légende :
Vasco Africana Road = Route de Vasco Africana
Military Post = Poste militaire
School = École
Health Clinic = Centre de santé
5.49. Le Gabon fait valoir que le document qu’il a présenté en 2003 a ramené la frontière
séparant les Parties dans le sud-ouest au parallèle situé à 1° de latitude nord où l’avait établie
l’article IV de la convention de 1900. La Guinée équatoriale a déjà expliqué au chapitre 3 de la
présente réplique et au chapitre 7 de son mémoire pourquoi ce document ne fait pas droit entre les
Parties. De plus, celles-ci n’ont jamais tenté de le mettre en oeuvre sur le terrain. La Guinée
équatoriale administre sans interruption la zone de l’Outemboni depuis son accession à
l’indépendance en 1968, exactement comme si  ainsi qu’elle le soutient  aucun accord définitif
ou contraignant allant dans le sens contraire n’avait été conclu à Bata en 1974376. Il y a donc eu plus
d’un siècle d’administration espagnole et équato-guinéenne constante dans cette zone, sur le
fondement du titre juridique créé par la convention de 1900 telle que modifiée par l’Espagne et la
France conformément à la proposition de la commission de 1901. Cela se reflète également dans la
pratique constante de l’Espagne et de la France et, par la suite, dans celle de la Guinée équatoriale et
du Gabon.
376 Voir la figure R5.11.
- 94 -
5.50. En résumé, la frontière telle que modifiée par la commission de 1901 dans la zone de
l’Outemboni a été approuvée par la pratique constante de l’Espagne, de la France, de l’Allemagne et
du Gabon. La Guinée équatoriale a succédé à ce territoire et a continué à administrer et à contrôler
la zone située au nord de la ligne proposée par la commission de 1901 sans que le Gabon ne proteste
jusqu’à ce jour. Ces faits confirment le titre juridique de la Guinée équatoriale dans la zone et en font
partie.
III. LA FRONTIÈRE TERRESTRE DANS LA ZONE DU KYÉ
5.51. Dans la zone du Kyé377, l’Espagne et la France ont également décidé d’un commun
accord de modifier la frontière établie à l’article IV de la convention de 1900, suivant les procédures
prévues à l’annexe I. Dans cette zone située au nord-est du territoire continental de la Guinée
équatoriale, la modification de la frontière initiale a été réalisée par l’accord des gouverneurs de
1919, négocié et exécuté par les gouverneurs coloniaux respectifs. Depuis 1919, des mesures
administratives non contestées prises par l’Espagne et la Guinée équatoriale, qui lui a succédé,
confirment la modification de la frontière terrestre effectuée sur le fondement de l’accord de 1919 et
constituent une source distincte du titre juridique de la Guinée équatoriale. Les effectivités infra
legem réalisées par l’Espagne et la Guinée équatoriale dans la zone du Kyé et les cas où la France et
le Gabon y ont acquiescé sont nombreux et avérés. En outre, des accords que le Gabon a conclus
avec l’Espagne et par la suite avec la Guinée équatoriale confirment qu’il convient que la frontière
telle qu’ajustée par l’accord des gouverneurs de 1919 est la frontière licite et permanente séparant
les Parties dans le nord-est, confirmant ainsi que la Guinée équatoriale a hérité du titre juridique de
l’Espagne par voie de succession en 1968.
A. L’accord des gouverneurs de 1919
5.52. Les Parties s’accordent sur le fait que l’accord des gouverneurs de 1919 entre l’Espagne
et la France, conclu par les gouverneurs généraux respectifs de celles-ci, a établi sur le Kyé leur
frontière terrestre provisoire dans le nord-est378. Elles s’accordent également sur le fait que cet accord
ne s’appliquait qu’aux zones situées au nord de la source du Kyé et n’intéressait donc pas celles
situées au sud de la source379. Elles s’accordent en outre — en ce sens que le Gabon ne le conteste
pas — sur le fait que l’accord des gouverneurs de 1919 n’a jamais été dénoncé380.
5.53. Les responsables espagnols et français qui ont négocié l’accord des gouverneurs de 1919
étaient, selon les pouvoirs qui leur avaient été conférés par leurs gouvernements respectifs, des
« Délégués … chargés, par la suite, de délimiter tout ou partie des frontières » entre les États
respectifs, comme indiqué à l’annexe I de la convention de 1900. Le Gabon fait valoir maintenant
que les gouverneurs généraux n’étaient pas spécialement « désignés » à cette fin381. Cependant,
comme indiqué ci-dessus, l’annexe I n’exige pas que les « Délégués » soient spécialement désignés.
377 Voir MGE, vol. I, par. 2.15 (« Représentée à la figure [R5.1], la zone du Kyé s’étend de part et d’autre de cette
rivière, qui s’écoule vers le nord, dans le nord-est du Río Muni et le nord-ouest du Gabon. Le Kyé, affluent du fleuve Ntem
(également appelé Campo) au Cameroun, prend sa source au sud-est de la ville de Mongomo. Il s’écoule vers le nord entre
la Guinée équatoriale et le Gabon, avant de traverser la frontière, non définie dans ce secteur, entre celle-ci et le Cameroun.
Au nord de cette frontière, le Kyé marque la frontière entre le Cameroun et le Gabon, conformément au traité francoallemand
de 1908, qui remplaça par des formations naturelles les frontières rectilignes décrites dans l’accord francoallemand
de 1885. Entre sa source et la frontière camerounaise, le Kyé franchit au moins quatre fois le 9e méridien est de
Paris. »).
378 MGE, vol. I, par. 3.69 ; CMG, vol. I, par. 2.18-2.19.
379 MGE, vol. I, par. 3.69 ; CMG, vol. I, par. 2.18-2.19.
380 MGE, vol. I, par. 3.84.
381 CMG, vol. I, par. 7.40.
- 95 -
Elle exige seulement qu’ils soient « chargés » de délimiter les frontières, ce qui, bien entendu, dépend
de l’étendue de leurs pouvoirs.
5.54. Le Gabon fait valoir également que les gouverneurs généraux n’avaient pas « le pouvoir
de substituer des lignes naturelles aux lignes artificielles établies comme frontière »382. Cette
allégation est sans fondement. L’annexe I habilite les délégués à « modifier les dites lignes de
démarcation en vue de … rectifier la position des … chemins ou rivières, ainsi que des villes ou
villages ». Ainsi, contrairement à ce que le Gabon soutient, l’annexe I invite effectivement les
délégués à « substituer des lignes naturelles aux lignes artificielles établies comme frontière ». Il suit
de là qu’en modifiant la frontière pour qu’elle suive le cours du Kyé, une limite naturelle, les
gouverneurs généraux se sont conformés à l’annexe I.
5.55. Un document produit par le Gabon même — une lettre adressée au ministre français des
affaires étrangères par le ministre français des colonies en novembre 1919 — confirme que le
Gouvernement français a non seulement « chargé » le gouverneur général de délimiter la frontière
dans la zone du Kyé, mais aussi expressément approuvé la délimitation faite dans l’accord des
gouverneurs de 1919. En effet, le ministre des colonies y dit avoir
« autorisé le 21 Novembre 1918 le Gouverneur Général de l’Afrique équatoriale
française à accepter un règlement provisoire, proposé par les autorités ibériques qui fixe
comme ligne de démarcation entre les deux possessions à partir du 2° 10' 10" de latitude
nord le cours de la Kié jusqu’à la source de cette rivière »383.
Ainsi, non seulement le gouverneur général était chargé de la délimitation, mais celle-ci a été
approuvée par le Gouvernement français, par l’intermédiaire du ministre des colonies, conformément
à l’annexe I de la convention de 1900.
5.56. Le Gabon soutient que « les autorités françaises ne disposaient pas à l’époque
d’informations géographiques fiables » concernant l’emplacement du Kyé384, insinuant ainsi qu’il
existait des incertitudes qui les empêchaient d’accepter que le Kyé serve de frontière385. Il omet
cependant de mentionner une expédition conjointe hispano-française d’une durée de cinq semaines
qui a été menée par la suite le long de la frontière orientale de la Guinée espagnole, y compris le long
du Kyé, de la fin d’août au début d’octobre 1920 ; cette expédition était dirigée par le gouverneur
général espagnol Barrera et le capitaine français Raffalli, du bataillon indigène du Gabon et chef de
la circonscription du Wolleu-N’Tem386.
5.57. Barrera et Raffalli ont passé douze jours à explorer les deux rives du Kyé entre Akonandji
et Mongomo ; par la suite, ils ont passé une semaine à explorer les différentes sources possibles du
Kyé, en ont identifié la source et ont décidé du meilleur moyen de relier celle-ci aux affluents qui
s’écoulent vers le sud et se jettent dans le Benito [Woleu]. Les membres de l’expédition ont
382 Ibid., par. 7.41.
383 CMG, vol. IV, annexe 72, p. 219. Voir également République française, note de la section de coordination de
l’Afrique équatoriale française relative à la délimitation de la frontière entre le Gabon et la Guinée espagnole (15 septembre
1952), CMG, vol. IV, annexe 92, p. 2 (« le Ministère des Affaires Étrangères donnait en 1918 son accord pour que la
frontière orientale de la Guinée espagnole, au Nord des sources du Woleu, soit fixée provisoirement sur la rivière Kyé »).
384 CMG, vol. I, par. 2.26.
385 Voir CMG, vol. I, par. 2.23-2.24.
386 Voir Note du gouverneur général des possessions espagnoles du golfe de Guinée en date du 7 octobre 1920
concernant l’étude d’une frontière naturelle à l’est de la Guinée espagnole. RGE, vol. III, annexe 10. Voir également CMG,
vol. IV, annexe 92, p. 2.
- 96 -
notamment mesuré les coordonnées astronomiques de lieux situés le long de la frontière orientale,
examiné et affiné les cartes de la région établies par le cartographe allemand Moisel et le capitaine
français Roussel et déterminé les villages qui reviendraient à l’une ou l’autre des puissances
coloniales, à la lumière du segment proposé pour relier la source du Kyé, remontant vers le nord, aux
affluents du Benito, coulant vers le sud. À la fin de l’expédition, nul ne pouvait soutenir que la France
ne disposait pas d’informations géographiques fiables sur l’emplacement du Kyé.
5.58. Le Gabon fait valoir que, à supposer même que l’Espagne et la France aient décidé d’un
commun accord en 1919 que la frontière suivrait le Kyé au nord-est, l’accord de 1919 ne prévoit pas
que celle-ci s’étende de la source du Kyé, au sud, jusqu’au méridien situé à 9° de longitude est de
Paris, comme le montre une carte insérée dans le mémoire387. Cette représentation de la frontière au
sud de la source du Kyé est fondée sur les effectivités infra legem ultérieures de l’Espagne et de la
Guinée équatoriale, ainsi que sur l’expédition Barrera-Raffalli388.
5.59. Le Gabon lui-même prouve clairement que la France a compris que l’accord des
gouverneurs de 1919 avait modifié la frontière terrestre dans le nord-est afin qu’elle suive le cours
du Kyé. Dans une note confidentielle en date du 8 juillet 1953 établie par l’inspecteur général des
services géographiques d’outre-mer de la France, ce dernier dit ce qui suit :
« Les Espagnols pourraient faire remarquer qu’ayant accepté en 1919 la KYE
comme frontière pratique, nous ne pouvons considérer l’occupation par eux du territoire
de la rive Ouest et la construction d’une route, comme un empiètement. C’est exact mais
cela n’empêche pas la surface acquise ainsi par l’Espagne d’entrer en ligne de compte
dans le règlement définitif. »389
5.60. Ce que ce document révèle éloquemment, c’est que, trente-quatre ans après la conclusion
de l’accord des gouverneurs et sept ans seulement avant l’accession du Gabon à l’indépendance, la
position de la France sur la frontière dans la zone du Kyé était la suivante :
i) La France avait accepté ce cours d’eau comme « frontière pratique » en 1919 ;
ii) Le territoire situé à l’ouest du Kyé que l’article IV de la convention de 1900 avait attribué à
la France avait été par la suite « acquis[] … par l’Espagne » en 1919 ; et
iii) La France « ne pouv[ait] considérer l’occupation par [l’Espagne] du territoire de la rive
Ouest et la construction d’une route, comme un empiètement ».
5.61. Il n’a jamais été dit que l’acquisition du territoire en cause par l’Espagne avait un
caractère « provisoire ». La seule réserve formulée par la France était que la zone acquise par
l’Espagne pouvait « entrer en ligne de compte dans le règlement définitif » de la question de la
délimitation générale de la frontière terrestre. Cette réserve ne diminuait cependant en rien la
reconnaissance de l’entrée en possession du territoire par l’Espagne en vertu de l’accord des
gouverneurs de 1919 et des activités infra legem que cette dernière avait menées ultérieurement à
l’ouest du cours d’eau.
387 CMG, vol. I, par. 7.45 ; MGE, vol. I, fig. 3.9 et 3.14.
388 Note du gouverneur général des possessions espagnoles du golfe de Guinée en date du 7 octobre 1920 concernant
l’étude d’une frontière naturelle à l’est de la Guinée espagnole. RGE, vol. III, annexe 10.
389 Note no 545 de l’Institut géographique national pour la direction des affaires politiques (8 juillet 1953). CMG,
vol. IV, annexe 98.
- 97 -
B. La période antérieure à l’accession à l’indépendance
5.62. Le Gabon ne conteste pas qu’en vertu de l’accord des gouverneurs de 1919, l’Espagne a
accompli des actes administratifs non contestés qui mettent en évidence son titre sur le territoire situé
à l’ouest du Kyé ; il n’a pas non plus établi que la France avait protesté contre ces actes ni n’a apporté
le moindre indice révélateur d’activités souveraines qu’elle aurait menées dans la zone en cause.
Ainsi qu’ils ont été exposés de façon détaillée dans le mémoire, ces actes sont notamment les
suivants :
 en 1922, la création d’un poste militaire à Ebebiyin, sans protestation de la part de la France
(contrairement au poste d’Akonangui contre lequel la France s’est élevée au motif qu’il se
trouvait trop au nord, sur le territoire du Cameroun français)390 ;
 de 1925 à 1931, la construction d’une route menant d’Ebebiyin à Mongomo le long de la rive
occidentale du Kyé et son entretien par la suite, y compris l’exécution de travaux publics
connexes, afin de relier plusieurs villages administrés par l’Espagne, comme le montrent les
figures 3.15 et 3.17 du mémoire391 ;
 en 1926, la création de nouveaux postes militaires à Alen et Mongomo, comme le montre la
figure 3.16 du mémoire392 ;
 la création et l’administration d’écoles à Alen, Mbiralen et Mibang393 (voir la figure R5.14) ;
 la construction d’un pont sur le Kyé à proximité d’Ebebiyin, comme le montre la figure
R5.15394 ;
 la construction, l’entretien et l’administration d’installations et d’institutions à Ebebiyin,
notamment d’écoles, d’un campement de gardes coloniaux, d’un hôpital, d’un bureau de poste,
d’une station radiotélégraphique, de marchés indigènes et d’un centre de traitement de la lèpre,
visibles sur la figure 5.15395 ;
 la réalisation, en 1932, d’un recensement concernant la circonscription d’Ebebiyin et les localités
suivantes implantées à l’est du méridien situé à 9° de longitude est de Paris : Achajo, Alen,
Anongon, Biben, Edun, Ekok, Etete, Malen, Masama, Mban, Mbelalen, Mboma, Mebang,
Ngomite, Ekoembe, Ntuk, Oveng et San Carlos, comme le montre la figure R5.16396 ;
 la réalisation, en 1942, d’un recensement concernant la circonscription d’Ebebiyin, dans le Río
Muni, et plusieurs localités implantées à l’est du méridien situé à 9° de longitude est de Paris, à
savoir : Achap (Angok), Alen (Angok), Anongono, Ayabilon, Bibe, Edum, Ekok, Ete-Ete, Malen
390 MGE, vol. I, par. 3.73.
391 Ibid., par. 3.74 et 3.76 et fig. 3.15 et 3.17.
392 Ibid., par. 3.75 et fig. 3.16.
393 Office of the President of the Government, Commissariat of the Economic Development Plan, Economic
Development Plan for Equatorial Guinea, Years 1964 to 1967 (octobre 1963), p. 155. RGE, vol. IV, annexe 25.
394 MGE, vol. I, par. 3.74, 3.76 et figures 3.15 et 3.17. The Spanish State, Territories of the Gulf of Guinea, Ebebiyin
Land Administration, Ebebiyin Land Demarcation (27 novembre 19[3]8) (faisant état de la construction d’un pont flottant
sur le Kyé sur la route menant au Gabon français). RGE, vol. III, annexe 13 ; The Spanish State, Territories of the Gulf of
Guinea, N’sork Land Administration, Letter from Military Administrator (18 novembre 1938) (décrivant les travaux
d’entretien et de construction menés sur la route reliant N’Sork à Mongomo en passant par Asok). RGE, vol. III, annexe 12.
395 MGE, vol. I, par. 3.77-3.78.
396 Spanish Territories of the Gulf of Guinea, Statistical Office of the General Government, Statistical Summaries:
Province of Rio Muni 1932 (1932) (dans The Spanish State, Ministry of Labor, Health and Social Security, Population and
Nomenclature of the Spanish Possessions of the Gulf of Guinea (1936)), p. 24, 26, 28, 30 et 32. RGE, vol. III, annexe 11.
- 98 -
(Nkoye), Masama (Esaben), Mban, Mbang (Onvang), Mbayop (Esatuk), Mbiralem, Mboman,
Mibang, Molo, Nfula, Ngomete, Nkoete, Nkombe, Ntu, Oveng (Esaben) et San Carlos, comme
le montre la figure 3.18 du mémoire397 ;
 la réalisation, en 1950, d’un recensement concernant les circonscriptions d’Ebebiyin et de
Mongomo ainsi que les localités suivantes implantées à l’est du méridien situé à 9° de longitude
est de Paris : Adyap (Angok), Alen (Angok), Anungon, Ayabilon, Bibeñ, Etete, Masama
(Esabaiñ), Mbiralem, Mbomang, Melo, Nfua, Ngomete, Nkoekie, Ntu, Edum, Ekok, Mokom,
Malen, Mbam, Mbayop, Mibang (Esaguong), Nvan (Omvang), Oveng et San Carlos, comme le
montre la figure 3.19 du mémoire398 ; et
 l’octroi de concessions foncières à l’intérieur ou à proximité d’Ebebiyin, la création de zones
d’implantation au bord de la route du Kyé et l’exécution de projets d’infrastructure dans ces
zones399.
Figure R5.14
Carte scolaire du Rio Muni de 1963
Source : État espagnol, Présidence, Commissariat au plan de développement économique, Economic
Development Plan for Equatorial Guinea, Years 1964 to 1967 (octobre 1963), p. 155. Annotations ajoutées.
397 MGE, vol. I, par. 3.79 et fig. 3.18.
398 Ibid., par. 3.80 et fig. 3.19.
399 Ibid., par. 3.82.
- 99 -
Figure R5.15
Infrastructures espagnoles dans le nord-est d’Ebebiyin
Source : Service géographique de l’armée espagnole, carte topographique et forestière de la Guinée, feuille
d’Ebebiyin (1re éd., juin 1949). Extrait de carte, annotations ajoutées.
Légende :
9°00' E (of Paris) = 9° 00' E (de Paris)
Area Enlarged = Zone représentée dans l’encadré
Highlights on map = Éléments essentiels de la carte
River added = Cours d’eau ajouté
1939 bridge added = Pont de 1939 ajouté
Kie River = Kyé
Spanish-built bridge (c. 1939) = Pont construit pas l’Espagne (vers 1939)
- 100 -
Figure R5.16
Localités couvertes par le recensement espagnol de 1932 (zone du Kyé)
Source : Service géographique de l’armée espagnole, carte topographique et forestière de la Guinée, feuille
d’Ebebiyin (1re éd., juin 1949). Extrait de carte, annotations ajoutées.
Légende :
France (Cameroon) = France (Cameroun)
9°00' E (of Paris) = 9° 00' E (de Paris)
Boundary undefined = Frontière non définie
Gulf of Guinea = Golfe de Guinée
Kie River Area = Zone du Kyé
Kie = Kyé
Spain = Espagne
- 101 -
5.63. La Guinée équatoriale a produit dans son mémoire des éléments de preuve établissant
que la France était au courant de ces effectivités infra legem et qu’elle n’avait jamais élevé de
protestations ou d’objections à ce sujet400. Le Gabon les a renforcés par des documents français datant
de 1953 et 1954 annexés à son contre-mémoire qui confirment que la France était au courant de
l’administration manifeste et continue des zones en cause par l’Espagne et qu’elle ne s’y est pas
opposée401. Selon lui, il ressort de ces documents que « [l]es autorités diplomatiques françaises
avaient … bien conscience que [l]es divergences ne pourraient être réglées que par des négociations
avec l’Espagne »402. En fait, les documents en question ne mettent en évidence aucune « divergence »
entre la France et l’Espagne ; ils montrent au contraire que la France considérait les comportements
de l’Espagne dans les zones en cause comme des actes légitimes d’administration souveraine fondés
sur les modifications apportées par l’accord des gouverneurs de 1919 à la ligne frontière définie dans
la convention de 1900403. L’incapacité du Gabon à produire des preuves d’actes de souveraineté
accomplis par la France dans les territoires situés à l’ouest du Kyé confirme cette réalité404.
5.64. Le Gabon soutient que les textes législatifs espagnols situent la frontière orientale sur
une « ligne droite » et non sur le Kyé405. Le décret espagnol de 1935 qu’il invoque ne fait état
d’aucune « ligne droite » longeant le méridien situé à 9° de longitude est de Paris ; au contraire, la
frontière orientale part de l’intersection du Kyé (« el Quie ») et de la limite avec le Cameroun, d’où
elle descend en « ligne droite » jusqu’à son point de rencontre avec le Benito406. Loin d’aider le
Gabon, ce décret montre que c’est le Kyé, et non le méridien situé à 9° de longitude est de Paris, qui
était considéré comme la frontière au nord-est.
C. La période postérieure à l’accession à l’indépendance
5.65. Les actes accomplis par la Guinée équatoriale et le Gabon après leur accession à
l’indépendance confirment que l’Espagne et la France avaient modifié la frontière afin qu’elle suive
le cours du Kyé. En outre, en application du principe de l’uti possidetis juris, la frontière établie par
l’accord des gouverneurs de 1919 est devenue une frontière internationale permanente au moment
de l’accession du Gabon et de la Guinée équatoriale à l’indépendance respectivement en 1960 et
1968.
5.66. Le principe de l’uti possidetis juris confère une permanence juridique aux frontières
existant au moment de l’accession à l’indépendance407. Il consacre non seulement les frontières
établies par voie conventionnelle, mais aussi les frontières internationales non permanentes établies
400 Ibid., par. 3.81.
401 Voir CMG, vol. I, par. 2.28-2.30.
402 CMG, vol. I, par. 2.30.
403 CMG, vol. IV, annexe 94 (« Les frontaliers ont adopté tacitement un modus vivendi fondé sur les habitudes
prises par les Espagnols et en gros conforme à la convention du 27 juin 1900 interprétée par la carte Moisel. … Il faut
reconnaître que les Espagnols ont été francs ; ils n’ont pas fait de publicité à leurs cartes, mais ils n’en ont pas truqué la
rédaction. En somme, la carte de délimitation qu’on attend depuis plus de 50 ans, la voici à peu de chose près. »).
404 Selon le Gabon, la France n’a jamais changé de position sur la délimitation de cette frontière. CMG, vol. I,
par. 2.25. Or après la conclusion de l’accord des gouverneurs de 1919, et comme le montre clairement une note
confidentielle en date du 8 juillet 1953 établie par l’inspecteur général des services géographiques d’outre-mer de la France,
celle-ci considérait l’Espagne comme le pays détenant légitimement la souveraineté sur les territoires situés à l’ouest du
Kyé dans le nord-est. Note no 545 de l’Institut géographique national pour la direction des affaires politiques, (8 juillet
1953). CMG, vol. IV, annexe 98.
405 CMG, vol. I, par. 2.26.
406 Décret portant statut organique (13 avril 1935). CMG, vol. IV, annexe 85.
407 MGE, vol. I, par. 6.2-6.8.
- 102 -
dans des instruments juridiques de toutes sortes (tels que ceux définissant les limites administratives
de l’ancienne puissance coloniale) ou dans des accords de fait tendant à la délimitation des frontières
qui étaient en place au moment de l’accession à l’indépendance, mais n’avaient pas encore été menés
à bien. Ces accords de délimitation de fait sont utiles à la Cour pour apprécier les titres juridiques
hérités par les États nouvellement indépendants, car ils font partie de « l’“instantané territorial” à la
date critique »408. Ainsi que la Cour l’a relevé dans son arrêt statuant sur l’affaire du Différend
frontalier (Burkina Faso/République du Mali), « si une limite possédant au moins cette valeur
existait … [c]e serait alors cette limite de facto qui aurait défini le legs colonial de 1960 »409. Le
principe a pour but de rendre permanentes les limites qui existaient entre les entités coloniales afin
que les États issus de la décolonisation puissent assurer la stabilité de leurs frontières et conjurer le
type de différend que le Gabon a créé par l’invasion du territoire de la Guinée équatoriale en 1974.
Le principe de l’uti possidetis juris a donc donné un caractère permanent à la frontière établie dans
l’accord de 1919 et le rapport de la commission de 1901, de la même manière qu’il a donné un
caractère permanent aux limites administratives de l’Espagne dans les Amériques et à celles de la
France en Afrique.
1. La période allant de l’accession du Gabon à l’indépendance en 1960 à l’accession de la
Guinée équatoriale à l’indépendance en 1968
5.67. Comme indiqué dans le mémoire410, après l’accession du Gabon à l’indépendance,
l’Espagne et, par la suite, la Guinée équatoriale ont continué à administrer les territoires situés à
l’ouest du Kyé sans que le Gabon ne proteste. De fait, les accords conclus et les effectivités infra
legem réalisées de façon continue pendant cette période confirment que le Gabon, comme la France
avant lui, a accepté et reconnu les titres juridiques de l’Espagne, puis de la Guinée équatoriale, sur
les contrées situées à l’ouest du Kyé que l’accord des gouverneurs avait attribuées à l’Espagne. Dans
son contre-mémoire, le Gabon n’a pas produit la preuve que des protestations avaient été élevées
contre les actes d’administration souverains accomplis par l’Espagne ou la Guinée équatoriale dans
ces contrées.
408 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 568, par. 30.
409 Ibid., p. 597, par. 81. La Cour a également relevé ce qui suit : « [I]l importe peu que le gouverneur général de
l’Afrique occidentale française n’ait pu mener à bien son projet de “fixer par un texte, la limite dont il s’agit”. Ce qui
compte, en l’espèce, c’est de déterminer quelle était cette limite en prenant en considération tous les indices disponibles ... »
Ibid.
410 MGE, vol. I, par. 3.107-3.111.
- 103 -
Figure R5.17
Localités couvertes par le recensement espagnol de 1965 (zone du Kyé)
Source : Service géographique de l’armée espagnole, carte topographique et forestière de la Guinée, feuille
d’Ebebiyin (1re éd., juin 1949). Extrait de carte, annotations ajoutées.
Légende :
Cameroon = Cameroun
9°00' E (of Paris) = 9° 00' E (de Paris)
Boundary undefined = Frontière non définie
Gulf of Guinea = Golfe de Guinée
Kie River Area = Zone du Kyé
Kie = Kyé
Spain = Espagne
- 104 -
5.68. Le Gabon n’a pas élevé d’objections lorsque l’Espagne a déclaré que le Kyé constituait
sa frontière avec lui dans le rapport qu’elle a adressé en 1961 au Comité des renseignements relatifs
aux territoires non autonomes de l’Organisation des Nations Unies411. En 1965, l’Espagne a procédé
à un recensement concernant les circonscriptions d’Ebebiyin et de Mongomo ainsi que trente
localités implantées à l’est du méridien situé à 9° de longitude est de Paris, comme le montre la
figure R5.17412.
5.69. L’accord de 1966 et les listes de villages échangées par le Gabon et l’Espagne en
application de son article premier confirment que le Gabon a reconnu le titre juridique de l’Espagne
sur les territoires situés à l’ouest du Kyé. Il existe une parfaite symétrie entre les listes de villages
présentées par le Gabon et l’Espagne pour la zone du Kyé, comme le montre la figure 3.28 du
mémoire. Parmi les villages que la Guinée équatoriale a pu localiser, les soixante-dix-neuf villages
espagnols de la zone sont tous situés à l’ouest du Kyé et les quarante villages gabonais à l’est413.
Aucune des parties n’a formulé d’objections à l’égard de l’un quelconque des villages figurant sur
les listes. Dans sa liste des postes-frontières, qui a été acceptée par les parties, le Gabon a
expressément reconnu qu’Ebebiyin, Ngong, Alen, Anunguong, Ngomete, Mibang et Mongomo
 tous situés à l’ouest du Kyé  se trouvaient en territoire espagnol414.
5.70. Le Gabon affirme que « l’ensemble des documents versés au dossier par la Guinée
Équatoriale ne sont que des propositions unilatérales faites lors des négociations »415. Il se trompe.
Les documents annexés au mémoire comprennent la version finale de l’accord de 1966 qui a été
signée par le Gabon et l’Espagne et soumise au Parlement espagnol aux fins de ratification416. Ils
comprennent également les listes de villages qui ont été soumises à l’Espagne par le Gabon en
application de l’article premier de l’accord417 et expressément acceptées par l’Espagne418. Les
documents versés au dossier sont clairs et sans équivoque : le Gabon a reconnu sans réserve et
constamment le titre juridique de l’Espagne sur le territoire situé à l’ouest du Kyé.
411 Nations Unies, Assemblée générale, rapport du Comité des renseignements relatifs aux territoires non
autonomes, documents officiels : seizième session, supplément no 15 (A/4785), New York (1er septembre 1961) (extrait).
MGE, vol. III, annexe 18.
412 Government of Equatorial Guinea, Regional Statistics Department, Summary Demographic of the Demarcation
(Years 1932 to 1965) and Catalogue of Units and Settlements for 1965 (1965). RGE, vol. IV, annexe 28.
413 MGE, vol. I, par. 3.108 et fig. 3.28.
414 Ibid., par. 3.108 ; The Spanish State, Letter No. 223 from the Ambassador of Spain in Rio Muni to the Spanish
Ministry of Foreign Affairs (6 mai 1965) (lettre portant transmission d’une lettre du vice-président gabonais à laquelle est
jointe la liste gabonaise des localités incluses dans la zone frontalière). MGE, vol. IV, annexe 99.
415 CMG, vol. I, par. 2.56.
416 Parlement de l’État espagnol, accord conclu entre l’État espagnol et la République gabonaise concernant la
circulation et les échanges transfrontaliers entre le Río Muni et le Gabon, Journal officiel no 931 (4 octobre 1966), article 1.
MGE, vol. III, annexe 7 ; Convention between The Spanish State and The Gabonese Republic Concerning Cross-Border
Exchanges and Movement Between Rio Muni and Gabon, Appendix 2 Concerning the Towns or Urban Areas to be
Included in the 10 KM Zone Referred to in the Convention (1966) (Spain’s list of towns in border zone). MGE, vol. III,
annexe 8.
417 The Spanish State, Letter No. 223 from the Ambassador of Spain in Rio Muni to the Spanish Ministry of Foreign
Affairs (6 mai 1965) (lettre portant transmission d’une lettre du vice-président gabonais à laquelle est jointe la liste
gabonaise des localités incluses dans la zone frontalière). MGE, vol. IV, annexe 99.
418 État espagnol, lettre no 383 en date du 20 octobre 1965 adressée au ministère espagnol des affaires étrangères
par la présidence du gouvernement (portant acceptation de la liste des postes-frontières et des localités frontalières fournie
par le Gabon). MGE, vol. IV, annexe 100.
- 105 -
2. La période postérieure à l’accession de la Guinée équatoriale à l’indépendance en 1968
a) La construction de ponts frontaliers dans le nord-est
5.71. La Guinée équatoriale a démontré dans son mémoire que la construction de deux ponts
frontaliers sur le Kyé, inaugurés par les chefs d’État des Parties en 2011, venait aussi confirmer son
titre juridique sur le territoire situé à l’ouest du Kyé419. Fait révélateur, le Gabon ne le conteste pas.
D’ailleurs, il a annexé à son contre-mémoire l’instrument conclu entre les Parties qui avait conduit à
la construction de ces ponts, à savoir l’accord entre le Gabon et la Guinée équatoriale relatif à la
construction d’un pont frontalier et d’un tronçon de route bitumée avec des ouvrages entre les deux
pays, conclu en 2007420.
5.72. L’accord de 2007 a confirmé non seulement que le Gabon reconnaissait que le Kyé
constituait la frontière séparant les Parties au nord-est, mais également que la Guinée équatoriale
détenait la souveraineté sur Ebebiyin, Mongomo et les autres contrées situées à l’ouest du Kyé.
L’article 2 précisait qu’Ebebiyin et Mongomo étaient des villes situées « en Guinée Équatoriale ».
D’ailleurs, lors de l’inauguration des ponts frontaliers en cause, le président gabonais Ali Bongo
Ondimba l’a expressément reconnu :
« Plus précisément celui-ci [l’ouvrage inauguré à Meyo Kie] résulte de l’accord
signé entre nos deux pays en 2007 et qui comporte deux points, d’une part la
construction d’un pont frontalier situé sur la rivière Kie entre le village Medzeng en
territoire Gabonais et la ville de Mongomo en territoire de Guinée Équatorial[e] et
d’autre part la construction d’un tronçon de route tiré de 3,5 km au nord [de la] localité
Gabonaise de Meyo Kie et [de la localité] Équato-Guinéenne d’Ebebiyin avec un pont
sur la rivière Kie et un autre sur la rivière Mveze. »421
5.73. Lors de la cérémonie d’inauguration organisée du côté équato-guinéen du pont
d’Ebebiyin, le président équato-guinéen Obiang a souhaité la bienvenue en Guinée équatoriale au
président Bongo et ce dernier l’a remercié de l’accueil qui lui a été réservé422. Les figures 3.30 et
3.31 du mémoire présentent des images satellites des villes équato-guinéennes Ebebiyin et
Mongomo, ainsi que les ponts construits sur le Kyé. À cheval sur le méridien situé à 9° de longitude
est de Paris, Ebebiyin s’étend jusqu’au Kyé et le pont se trouve sur ce dernier à l’extrême est de la
419 MGE, vol. I, par. 3.109-3.111.
420 Accord entre le Gabon et la Guinée équatoriale relatif à la construction d’un pont frontalier et d’un tronçon de
route bitumée avec des ouvrages entre les deux pays (3 août 2007). CMG, vol. V, annexe 176.
421 République de Guinée équatoriale, service de presse présidentiel, vidéo relative à l’« inauguration des ponts
d’Ebebeyin et de Mongomo » (4 août 2011), à 23:28. RGE, vol. V, annexe 66, République de Guinée équatoriale, service
de presse présidentiel, vidéo relative à l’« inauguration des ponts d’Ebebeyin et de Mongomo » (4 août 2011) (annexe V3),
transcription fournie par la République de Guinée équatoriale, p. 6. RGE, vol. II, annexe V3 (les italiques sont de nous).
422 République de Guinée équatoriale, service de presse présidentiel, vidéo relative à l’« inauguration des ponts
d’Ebebeyin et de Mongomo » (4 août 2011), à 7:40 et 20:32. RGE, vol. V, annexe 66, République de Guinée équatoriale,
service de presse présidentiel, vidéo relative à l’« inauguration des ponts d’Ebebeyin et de Mongomo » (4 août 2011)
(annexe V3), transcription fournie par la République de Guinée équatoriale, p. 2 et 5. RGE, vol. II, annexe V3.
- 106 -
Figure R5.18
Pont frontalier reliant Ebebiyin et Meyo-Kyé
Légende :
Kie River = Kyé
Equatorial Guinea = Guinée équatoriale
Customs and Immigration = Douane et immigration
Ebebiyin – Meyo-Kie Border Bridge = Pont frontalier reliant Ebebiyin et Meyo-Kyé
- 107 -
Figure R5.19
Pont frontalier reliant Mongomo et Assok-Medzeng
Légende :
Kie River = Kyé
Equatorial Guinea = Guinée équatoriale
Customs and Immigration = Douane et immigration
Mongomo – Assok-Medzeng Border Bridge = Pont frontalier reliant Mongomo et
Assok-Medzeng
- 108 -
ville, bien à l’est du méridien423. La figure R5.18 et la vidéo figurant à l’annexe V1 présentent une
vue plus rapprochée du pont frontalier reliant Ebebiyin à Meyo-Kyé. L’autre pont, construit à
Mongomo, se trouve à l’ouest du méridien situé à 9° de longitude est de Paris, ce qui montre
clairement que les Parties reconnaissaient que le Kyé constituait leur frontière, celui-ci serpentant de
part et d’autre du méridien424. La figure R5.19 et la vidéo figurant à l’annexe V2 présentent une vue
plus rapprochée du pont frontalier reliant Mongomo à Assok-Medzeng. Des postes frontaliers
 notamment des postes de douane, d’immigration et de santé  sont installés du côté
équato-guinéen et du côté gabonais de ces ponts, comme le montre la vidéo de ceux-ci annexée à la
présente réplique425.
5.74. En résumé, l’accord de 2007 et les ponts construits en application de ses dispositions
confirment que, dans le respect des modifications apportées à la convention de 1900 conformément
à l’accord des gouverneurs de 1919, la Guinée équatoriale et le Gabon ont reconnu que le Kyé était
la frontière internationale établie dans la zone du même nom (depuis sa source au sud-est de
Mongomo jusqu’à la frontière avec le Cameroun au nord-est d’Ebebiyin) et que chacune des Parties
détenait donc un titre juridique valable sur le territoire situé de son côté du cours d’eau. Tel est
toujours le cas aujourd’hui.
b) Les effectivités infra legem continues et non contestées
5.75. Depuis son accession à l’indépendance en 1968, la Guinée équatoriale administre le
territoire situé à l’ouest du Kyé. Les effectivités infra legem continues et non contestées qu’elle y a
réalisées confirment son titre juridique sur ce territoire.
5.76. Le Gabon appelle l’attention de la Cour sur « plusieurs incidents » qui se seraient
produits à proximité d’Ebebiyin entre mars et juin 1974426. Ces incidents — qualifiés à l’époque par
l’attaché des forces armées auprès de l’ambassade de France au Gabon d’« insignifiant[s] et, en tous
cas, sans commune mesure avec les réactions qu’il[s] [ont] suscitées du côté gabonais »427 — n’ont
montré en rien que la Guinée équatoriale s’écartait de la frontière existant depuis la conclusion de
l’accord des gouverneurs de 1919. Au contraire, comme l’a rapporté l’ambassade des États-Unis,
« le Gabon est entré sur le territoire traditionnel [de la Guinée équatoriale] » et a occupé « le territoire
de la GE … à l’endroit où le Kyé s’infléchit vers l’ouest »428, tout comme il l’avait fait par l’invasion
et l’occupation illégales de Mbanié en 1972.
423 MGE, vol. I, fig. 3.30.
424 Ibid., fig. 3.31.
425 Voir l’annexe V1 et l’annexe V2 ; voir également Gabonews Info, vidéo « GABON/ASSOK MEDZENG :
Le contraste Gabon  Guinée Équatoriale » (14 mai 2020). RGE, vol. V, annexe 67, accessible à l’adresse suivante :
https://www.youtube.com/watch?v=RIPfvRxQ5z0 (dernière consultation le 27 septembre 2022) (vidéo montrant le poste
frontière établi par le Gabon de son côté du pont qui relie Mongomo à Medzeng (Assok) et comportant une interview
accordée par un garde-frontière gabonais qui confirme que le Kyé a servi de frontière sans interruption dans cette zone sous
la France avant 1960 et sous le Gabon après son accession à l’indépendance).
426 CMG, vol. I, par. 2.57.
427 CMG, vol. V, annexe 140, p. 1.
428 Selon certaines informations datant de l’époque des faits, le Gabon cherchait à se doter d’une voie de
communication terrestre qui le relierait directement au Cameroun en suivant la route menant de Meyo-Kyé à Ebebiyin
construite par les Espagnols, sans imposer la nécessité de transiter par le territoire de la Guinée équatoriale. Message Text
from the US Department of State EO Systematic Review concerning Equatorial Guinea-Gabon Land Border Problem
(20 juin 2005) (déclassifiant le télégramme U.S. Department of State, Cable from U.S. Embassy Yaounde to U.S. Secretary
of State (15 août 1974)), p. 2. RGE, vol. IV, annexe 52 (« [L’ambassadeur d’Espagne] l’attribue à la volonté du Gabon de
contrôler la route menant du Cameroun au Gabon, dont un petit tronçon passerait par la GE dans le cas contraire. »).
- 109 -
5.77. Les faits liés à ces incidents ne sont pas tout à fait clairs. L’attaché des forces armées
françaises a indiqué dans un bulletin d’information confidentiel qu’une grande partie des
renseignements fournis sur lesdits incidents relevaient de « l’affabulation pure et simple » :
« Tous les renseignements fournis par la suite sur le renforcement du dispositif
Équato-Guinéen, l’occupation du terrain entre la frontière et la KYÉ, la construction
d’un poste militaire à l’Est d’EBEBYIN relèvent de l’affabulation pure et simple. Tous
ces renseignements émanaient soit de la Gendarmerie, soit de l’administration
gabonaises. »429
5.78. L’attaché des forces armées françaises a également indiqué que « [l]e seul incident,
indiscutable et digne d’être retenu, [était] la pose par les Équato-Guinéens d’un poteau frontière sur
la rive Ouest de la rivière KYÉ et son enlèvement par le Chef de la brigade de Gendarmerie de
Meyo-Kyé »430. Selon son rapport, « le soi-disant poste dont la construction avait déclenché l’affaire
était en réalité un débit de boissons »431.
5.79. Quoi qu’il en soit, il est clair que tous les incidents allégués432 se sont produits sur le
territoire situé à l’ouest du Kyé, territoire sur lequel l’Espagne détenait un titre en vertu de l’accord
des gouverneurs de 1919 et que l’Espagne et la Guinée équatoriale ont occupé, contrôlé et administré
sans objection ni protestation de la part de la France ou, pendant quatorze ans, du Gabon jusqu’à la
survenance de ces incidents en 1974.
5.80. Les discussions qui ont eu lieu entre la Guinée équatoriale et le Gabon à l’effet de régler
ces incidents, notamment dans le cadre d’une visite conjointe effectuée dans la région d’Ebebiyin,
ont confirmé, comme l’a indiqué l’attaché des forces armées françaises, les faits suivants : i) « les
autorités Équato-Guinéennes locales … consid[éraient] que la rivière Kyé constitu[ait] bien la
frontière traditionnelle entre les deux pays » ; ii) « il existait une excellente route entre la Kyé et le
carrefour international [entre la Guinée équatoriale et le Cameroun] », au bord de laquelle se
trouvaient « trois gros villages habités par des Équato-Guinéens » ; et iii) la garnison militaire
d’Ebebiyin, construite à l’origine par les Espagnols en 1922, était toujours là et gérée par la Guinée
équatoriale et elle se réduisait à « une petite compagnie (effectif compris entre 50 et 100 suivant les
estimations) »433.
429 CMG, vol. V, annexe 140, p. 1.
430 Ibid., annexe 140 p. 1.
431 Ibid., annexe 140, p. 3-4.
432 Ibid., annexe 133.
433 Ibid., annexe 140.
- 110 -
Figure R5.20
Ebebiyin aujourd’hui
Légende :
Meyo-Kie = Meyo-Kyé
9°00' E (of Paris) = 9° 00' E (de Paris)
Municipal cemetery = Cimetière municipal
Kie River = Kyé
Guardia Colonial Post = Poste de la garde coloniale
Spanish Tribunal = Palais de justice espagnol
Spanish Administrative Building = Bâtiment administratif espagnol
Spanish Hospital = Hôpital espagnol
Spanish Market = Marché espagnol
Equatorial Guinea = Guinée équatoriale
- 111 -
Figure R5.21
Zone du Kyé aujourd’hui
Légende :
9°00' E (of Paris) = 9° 00' E (de Paris)
Kie River = Kyé
Equatorial Guinea = Guinée équatoriale
- 112 -
5.81. Comme indiqué au chapitre 3 de la présente réplique et aux chapitres 5 et 7 du mémoire,
les Parties ont poursuivi leurs négociations tendant à la délimitation des frontières en septembre 1974
et pendant près de trois décennies par la suite, sans rien changer au statu quo qui existait dans la zone
du Kyé depuis la conclusion de l’accord des gouverneurs de 1919. La tentative faite par le Gabon
pour fabriquer de toutes pièces un différend territorial sur la frontière au nord-est s’est soldée par un
échec.
5.82. Le Gabon fait valoir que le document qu’il a présenté en 2003 a apporté « une nouvelle
définition de la frontière » dans le nord-est434 ; tel n’est cependant pas le cas. Comme indiqué au
chapitre 7 du mémoire et au chapitre 3 de la présente réplique, ce document ne fait pas droit entre les
Parties. Fait révélateur, l’accord de 2007 relatif à la construction de ponts frontaliers  conclu
trente-quatre ans après la prétendue création du document de 2003 et quatre ans après la première
présentation de celui-ci à la Guinée équatoriale  ne fait nullement mention de ce document ni de
son contenu et, à sa différence, indique que la frontière suit le cours du Kyé et non le méridien situé
à 9° de longitude est de Paris.
5.83. En outre, nul autre que le président du Gabon a publiquement et expressément reconnu,
lors de l’inauguration des deux ponts, que le Kyé constituait la frontière entre les deux États et que
le territoire situé à l’ouest de ce cours d’eau relevait de la souveraineté de la Guinée équatoriale.
Cette annonce n’était pas entièrement nouvelle à l’époque. Pendant quatre-vingt-huit ans, depuis
1919, la France et l’Espagne, puis le Gabon et la Guinée équatoriale, avaient constaté et admis que
le Kyé constituait la frontière dans cette zone, et chacun d’entre eux avait accompli des actes
d’administration souverains de son côté du cours d’eau sur cette base et sans protestation de la part
de l’autre partie.
5.84. Aujourd’hui, la moitié orientale de la ville équato-guinéenne Ebebiyin se trouve à l’est
du méridien situé à 9° de longitude est de Paris. Cette moitié de la ville abrite des bâtiments datant
de l’époque coloniale et comprend également la première route espagnole menant hors d’Ebebiyin
dans le sud, d’importantes habitations et installations industrielles, la moitié du périphérique de la
ville, une tour cellulaire appartenant à la société Guinea Ecuatorial de Telecomunicaciones, Sociedad
Anonima (GETESA) et toutes les infrastructures publiques équato-guinéennes liées à un postefrontière
international435. Ces lieux sont représentés sur la figure R5.20. Depuis sa création au début
des années 1920 jusqu’à aujourd’hui, Ebebiyin s’est développée dans le plein respect de la ligne de
démarcation établie d’un commun accord dans l’accord des gouverneurs de 1919, à savoir le Kyé.
5.85. Il en va de même pour tous les villages équato-guinéens implantés à l’est du méridien
situé à 9° de longitude est de Paris au bord de la route reliant Ebebiyin à Mongomo, du nord au sud.
Le pont sur l’Abos, construit par l’Espagne, constitue toujours le principal point d’accès à la route
434 CMG, vol. I, par. 7.47.
435 Voir Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono, Vice-President of Commerce
and Promotion of Small and Middle Sized Enterprises, and President of the Sub-technical Division of the Special Borders
Commission (25 septembre 2022), par. 8 et annexes P.E1 (poste d’immigration de la Guinée équatoriale), P.E2 (poste de
douane de la Guinée équatoriale), P.E3 (poste de santé de la Guinée équatoriale), P.E4 (poste de contrôle aux frontières du
Gabon), P.E5 (panneau de signalisation du Kyé), P. E6 (tour cellulaire de la société GETESA), P.E7 (périphérique), P.E8
et P.E9 (pont frontalier d’Ebebiyin), P.E10 (cimetière), P.E11 et P.E12 (poste de la garde coloniale), P.E13 (cimetière
colonial espagnol), P.E14 (palais de justice colonial espagnol), P. E15 (prison coloniale espagnole), P.E16 (bâtiment
administratif colonial espagnol), P.E17-P.E18 (points d’arpentage coloniaux espagnols), P.E20 (hôpital colonial espagnol,
aujourd’hui poste de police équato-guinéen) et P.E21 et P.E22 (marché colonial espagnol, aujourd’hui centre commercial
équato-guinéen). RGE, vol. III, annexe 5.
- 113 -
du Kye lorsque l’on part du nord436. Cette route traverse au moins vingt villages, commençant au
nord par Ngon (Abos) et se terminant au sud par San Carlos (Ncoye).
5.86 Plusieurs de ces villages, qui sont concrètement administrés et contrôlés par la Guinée
équatoriale, sont représentés sur la figure R5.21.
 Alen, importante ville marchande depuis l’époque coloniale, abrite non seulement le poste
militaire aujourd’hui abandonné établi par l’Espagne en 1926, mais aussi un important
établissement scolaire (colegio nacional), un centre de santé et un hôpital récemment construit,
comme le montre la figure R5.22437.
 Plusieurs autres villages sont implantés au bord de la route menant du sud d’Alen à Masama,
dont Miboman. Masama, représenté sur la figure R5.22, abrite un campement militaire. On y
retiendra en particulier la tour cellulaire de la société GETESA, construite sur le point le plus
élevé de la ville et facilement visible du Gabon voisin, juste de l’autre côté du Kyé, à l’est.
L’électricité est acheminée du centre de Masama pour alimenter les poteaux d’éclairage installés
au bord de la rivière à un endroit où une petite passerelle menant au Gabon la traverse438.
 Au sud de Masama, la route du Kyé traverse Anugom et Adjapelon avant d’arriver au village
Mbiralen, représenté sur la figure R5.23. Ce village abrite une école datant de l’époque
coloniale439, ainsi qu’un puits central et un point de contrôle astronomique du Service
géographique de l’armée espagnole datant de la fin des années 1940. Outre le fait que Mbiralen
figure sur toutes les listes de villages espagnols de 1920 à 1965, son cimetière est une preuve
supplémentaire de la présence ancienne et continue de l’Espagne dans la région440.
 Après la traversée de Ngomete, la prochaine grande localité située sur la route du Kyé est
Mibang, également représentée sur la figure R5.23. Mibang abrite la troisième école de l’époque
coloniale de la région (après celle d’Alen et celle de Mbiralen), ainsi qu’un second bâtiment
scolaire plus récent. Elle abrite aussi un important poste militaire, une vieille église catholique
et plusieurs cimetières établis en bordure de route441.
436 Voir MGE, vol. I, fig. 3.17 ; Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono
(25 septembre 2022), par. 8 et annexe P.K1.
437 Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono (25 septembre 2022), par. 8 et
annexes P.K2 et P.K3 (poste de la garde coloniale), P.K4 (établissement scolaire), P.K5 (hôpital), P.K6 (centre de santé),
P.K7 (maisons), P.K8 (église), P.K9 (marché) et P.K10 (pièce d’identité). Voir également Republic of Equatorial Guinea,
Ebebiyin District, Alen Angok Town Council (Years 1997, 1998, 2005) (procès-verbaux des activités des conseils de village
dans ces localités équato-guinéennes). RGE, vol. V, annexe 56.
438 Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono (25 septembre 2022), par. 8 et
annexes P.K11 (passerelle), P.K12 (tour cellulaire de la société GETESA), P.K13 (éclairage au bord de la rivière) et P.K14
(campement militaire).
439 Office of the President of the Government, Commissariat of the Economic Development Plan, Economic
Development Plan for Equatorial Guinea, Years 1964 to 1967 (octobre 1963), p. 155. RGE, vol. IV, annexe 25.
440 Republic of Equatorial Guinea, Declaration of H.E. Domingo Mba Esono (25 septembre 2022), par. 8 et
annexes P.K16 (puits municipal), P.K17 (cimetière), P.K18 (église), P.K19 (maisons), P.K20 (preuves du recensement de
2015), P.K21 (preuves de l’enquête auprès des ménages de 2020) et P.K22 (preuves de la campagne électorale de 2017).
441 Ibid., par. 8 et annexes P.K23 (maisons), P.K24 (école), P.K25 (ancien cimetière), P.K26 (nouveau cimetière),
P.K27 et P.K28 (église catholique), P.K29 (preuves de l’enquête auprès des ménages de 2020) et P.K30 et P.K31
(aménagement routier).
- 114 -
Figure R5.22
Alen (Angok) aujourd’hui /
Masama aujourd’hui
Légende :
Hospital = Hôpital
Health Clinic = Centre de santé
School = Établissement scolaire
Guardia Colonial Post = Poste de la garde coloniale
GETESA Tower = Tour de la société GETESA
Military Camp = Campement militaire
- 115 -
Figure R5.23
Mbiralen aujourd’hui /
Mibang aujourd’hui
Légende :
Town Well = Puits municipal
School = École
Military Camp = Campement militaire
- 116 -
Figure R5.24
Mongomo aujourd’hui
Légende :
9°00' E (of Paris) = 9° 00' E (de Paris)
Kie River = Kyé
Equatorial Guinea = Guinée équatoriale
Border Control (EG) = Contrôles aux frontières (GE)
Border Control (Gabon) = Contrôles aux frontières (Gabon)
Urbanization Project = Projet d’urbanisation
 Au sud de Mibang, la Guinée équatoriale a réalisé d’importants projets d’aménagement routier
le long de la route du Kyé. Les travaux de reconstruction de ponceaux, de nivellement et
d’élargissement de l’étroite route de terre avaient atteint Mibang en mars 2022, tandis que les
travaux de bitumage et de construction d’ouvrages de régulation des eaux en bordure de route
avaient atteint le nord de la ville suivante, Edum, qui abrite un bâtiment scolaire en plus de
maisons et d’une nouvelle église442.
442 Ibid., par. 8 et annexes P.K32 (maisons), P.K33 (école), P.K34 (église), P.K35 et P.K36 (preuves du recensement
de 2015 et de l’enquête auprès des ménages de 2020) et P.K37 (route bitumée et caniveaux).
- 117 -
 Au sud d’Edum, à San Carlos Ncoye comme dans tous les autres villages établis au bord de la
route du Kyé, les autocollants de recensement apposés sur toutes les portes des maisons attestent
manifestement que la zone est administrée par la Guinée équatoriale443.
 Enfin, à l’est d’Acoacan et au sud-est de Mongomo, comme le montre la figure R5.24, un projet
d’urbanisation est en cours d’exécution dans les zones qui se trouvent à l’est du méridien situé à
9° de longitude est de Paris et à l’ouest de la frontière établie sur le Kyé, la mise en place
d’infrastructures de base destinées à viabiliser un nouveau lotissement ayant débuté444.
5.87. En résumé, les effectivités infra legem continues et non contestées réalisées par la Guinée
équatoriale dans la zone du Kyé, dans le respect de l’accord des gouverneurs de 1919, confirment
son titre juridique sur le territoire situé à l’ouest du Kyé, qui sert de frontière dans cette région et
façonne la vie des populations qui y vivent depuis plus d’un siècle.
443 Ibid., par. 8 et annexes P.K38 (preuves du recensement de 2015) et P.K39 (église). La Guinée équatoriale
continue à mener régulièrement des activités de recensement dans la zone du Kyé depuis son accession à l’indépendance
vis-à-vis de l’Espagne.
444 Ibid., par. 8 et annexes P.MO10 et P.MO11 (urbanisation).
- 118 -
CHAPITRE 6
TITRES JURIDIQUES SUR LES EAUX ADJACENTES
AUX CÔTES DES PARTIES
6.1. Dans son mémoire, la Guinée équatoriale a établi que les titres juridiques, traités et
conventions internationales faisant droit entre les Parties au regard des espaces maritimes adjacents
à leurs côtes étaient ceux qui se rapportaient à leur territoire terrestre côtier, y compris les îles, tels
qu’ils ont été exposés aux chapitres 3 et 4 de la présente réplique, ainsi que la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.
6.2. Au chapitre 9 de son contre-mémoire, le Gabon fait valoir que le document qu’il a présenté
en 2003 est le seul titre juridique, le seul traité ou la seule convention internationale qui fait droit
s’agissant de la délimitation de sa frontière maritime avec la Guinée équatoriale445.
6.3. Ce moyen repose sur deux propositions : i) l’expression « titres juridiques, traités et
conventions internationales » employée dans le compromis ne désigne que les « preuves
documentaires » ; ii) le document présenté en 2003 est un titre juridique faisant droit entre les Parties.
Ainsi qu’il a été démontré aux chapitres 2 et 3, respectivement, ces deux prémisses sont erronées.
6.4. Pour ce qui est de la première proposition, la Guinée équatoriale a démontré au chapitre 2
de la présente réplique que la mission confiée à la Cour consistait à dire si les titres, traités ou
conventions invoqués par les Parties pouvaient être appliqués pour déterminer la souveraineté et
délimiter leurs frontières, et que la compétence de la Cour ne se limitait pas aux « preuves
documentaires », mais s’étendait à l’ensemble des « titres juridiques, traités et conventions
internationales » applicables446.
6.5. En ce qui concerne la seconde proposition, la Guinée équatoriale a démontré au chapitre 3
de la présente réplique que le document présenté en 2003 n’était pas un titre juridique, un traité ou
une convention faisant droit entre les Parties. Contrairement à ce que le Gabon allègue447, ce
document ne vise même pas à délimiter, en tout ou en partie, la frontière maritime séparant les Parties.
En fait, celles-ci n’ont jamais considéré qu’il établissait et régissait leur frontière maritime. Elles ne
l’ont jamais invoqué dans les contextes où il aurait pu l’être. Elles n’y ont pas fait référence
lorsqu’elles tentaient de conclure des arrangements provisoires de caractère pratique pour exploiter
leurs ressources naturelles ; elles ne l’ont pas mentionné pour justifier leurs prétentions maritimes ou
pour contester celles de l’autre Partie ; elles ne s’y sont jamais appuyées pour attribuer leurs
concessions pétrolières et gazières dans les zones maritimes qu’elles revendiquaient448.
6.6. D’ailleurs, le Gabon a lui-même admis par son propre comportement que le document en
cause ne lui donnait pas droit à la zone maritime s’étendant (à partir du point d’intersection du
thalweg du Río Muni avec une ligne droite tracée de la pointe Cocobeach à la pointe Diéké) jusqu’à
une ligne parallèle au premier degré de latitude nord, tracée légèrement au nord de celui-ci, qu’il
revendique aujourd’hui. Cela ressort clairement de sa pratique et de son comportement qui ont été
exposés au chapitre 3 de la présente réplique, ainsi que de l’accord de délimitation de la frontière
445 CMG, vol. I, par. 9.3-9.8.
446 Voir supra, par. 2.32.
447 CMG, vol. I, par. 9.3.
448 Voir supra, par. 3.71.
- 119 -
maritime qu’il a conclu en 2001 avec Sao Tomé-et-Principe. Comme le montre la figure R6.1
(insérée dans le volume II uniquement), cet accord fixe le point terminal septentrional de la frontière
maritime séparant les deux États à 0° 44' 03" de latitude nord et 8° 14' 00" de longitude est449. Si le
Gabon avait estimé qu’il jouissait de droits souverains dans la zone maritime située au nord de ce
point et que celle-ci relevait de sa juridiction  ce qui serait le cas s’il considérait que le document
présenté en 2003 avait délimité sa frontière maritime avec la Guinée équatoriale , son accord avec
Sao Tomé-et-Principe aurait étendu leur frontière au-delà de ce point jusqu’au parallèle situé à 1° de
latitude nord. Or leur frontière maritime se termine au sud de ce parallèle.
6.7. Le document présenté en 2003 ne faisant pas droit entre les Parties s’agissant de la
délimitation de leur frontière maritime, les « titres juridiques, traités et conventions internationales »
qui le font au regard des espaces maritimes adjacents à leurs côtes sont, selon la Guinée équatoriale,
les suivants :
i) la convention de 1900 ;
ii) la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« CNUDM ») ; et
iii) les titres juridiques sur les espaces maritimes adjacents au territoire terrestre de la Guinée
équatoriale qui découlent de la CNUDM et du droit international coutumier.
6.8. Le Gabon ne conteste pas que la convention de 1900450 fait droit entre les Parties. Bien
qu’il soutienne qu’elle est « muette s’agissant du tracé de la frontière maritime », il concède qu’elle
« ne fait référence qu’à deux éléments pertinents pour les espaces maritimes », dont l’un est « le point
terminal de la frontière terrestre »451. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que tout traité
qui définit le point terminal de la frontière terrestre est pertinent pour la délimitation de la frontière
maritime séparant les parties452. Par conséquent, la convention de 1900 s’applique en l’occurrence
avec toute sa vigueur, car elle définit le point terminal de la frontière terrestre permettant de procéder
à la délimitation maritime entre les Parties.
6.9. Dans son contre-mémoire, le Gabon « admet volontiers que la Convention de Montego
Bay [CNUDM] … régit les principes applicables à la délimitation maritime entre deux États dont les
côtes se font face ou sont adjacentes »453. Cependant, il cherche, à tort, à la rendre inapplicable en
faisant valoir qu’elle « établi[t] une vocation à un titre » et non le titre lui-même454. Premièrement,
ainsi que l’indique clairement le compromis, la mission confiée à la Cour ne se limite pas à la
449 Accord portant délimitation de la frontière maritime entre la République gabonaise et la République
démocratique de Sao Tomé-et-Principe (26 avril 2001), art. 3. RGE, vol. III, annexe 3. Il convient de noter que la frontière
maritime entre la Guinée équatoriale et Sao Tomé-et-Principe, qui a fait l’objet d’un accord en 1999, s’étend jusqu’au sud
du point septentrional de la frontière entre le Gabon et Sao Tomé-et-Principe. Voir également le traité concernant la
délimitation de la frontière maritime entre la République de Guinée équatoriale et la République démocratique de
Sao Tomé-et-Principe (26 juin 1999), art. 2. RGE, vol. III, annexe 2. Cela confirme qu’en 1999 la Guinée équatoriale n’a
pas utilisé le document présenté en 2003 par le Gabon ; aucune des Parties n’a non plus insisté sur l’application dudit
document dans ses relations bilatérales avec Sao Tomé-et-Principe.
450 Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique occidentale, sur
la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, conclue entre le Royaume d’Espagne et la République française (signée
le 27 juin 1900 et ratifiée le 27 mars 1901). MGE, vol. III, annexe 4.
451 CMG, vol. I, par. 9.9.
452 Voir, par exemple, Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021,
p. 240-241, par. 98.
453 CMG, vol. I, par. 9.14.
454 Ibid., par. 9.14.
- 120 -
détermination des titres, mais s’étend à celle des traités et conventions qui font droit s’agissant de la
délimitation maritime. Comme il n’existe pas d’accord délimitant la frontière maritime des Parties455,
la CNUDM est une convention internationale qui fait droit « s’agissant » de la délimitation de leur
frontière maritime.
6.10. Deuxièmement, selon la CNUDM et le droit international coutumier, les titres et les
droits des parties sur la mer territoriale, la zone économique exclusive et le plateau continental
émanent de leurs titres sur les territoires insulaires et continentaux456. Ces derniers titres font donc
incontestablement droit s’agissant de la délimitation de la frontière maritime des parties. Ainsi que
le reconnaissent de nombreuses juridictions internationales, « la terre domine la mer »457.
6.11. Pour les motifs exposés dans son mémoire et dans la présente réplique, la Guinée
équatoriale prie la Cour de dire et juger que les titres juridiques, traités et conventions internationales
qui font droit s’agissant de la délimitation de la frontière maritime commune des Parties sont :
i) la convention de 1900, en ce qu’elle a placé le point terminal de la frontière terrestre dans
la baie de Corisco et reconnu la souveraineté de l’Espagne sur les îles Corisco, Elobey
Grande et Elobey Chico ;
ii) la convention des Nations Unies sur le droit de la mer signée le 10 décembre 1982 à Montego
Bay ; et
iii) le droit international coutumier, en ce qu’il établit que le titre juridique d’un État côtier sur
des espaces maritimes adjacents et la prétention que peut faire valoir celui-ci à cet égard
découlent du titre qu’il possède sur le territoire terrestre.
455 Voir supra, par. 3.37.
456 Voir Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 296, par. 103.
457 Voir, par exemple, The North Atlantic Coast Fisheries Case (Great Britain, United States), sentence du
7 septembre 1910, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XI, p. 205 ; Grisbadarna Case (Norway, Sweden), sentence
du 23 octobre 1909, RSA, vol. XI, p. 159 ; et Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale
d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 51, par. 96.
- 121 -
CONCLUSIONS
Se réservant le droit de compléter ou de modifier ses conclusions, la République de Guinée
équatoriale prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
I. Le compromis habilite la Cour à déterminer tous les titres juridiques, traités et conventions
internationales qui font droit s’agissant de la délimitation des frontières maritime et terrestre
communes des Parties et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ;
II. Le document que le Gabon qualifie de « convention de Bata » ne fait pas droit ni n’a d’effets
juridiques dans les relations entre la République gabonaise et la République de Guinée
équatoriale ;
III. Les titres juridiques, traités et conventions internationales qui font droit dans les relations entre
la République gabonaise et la République de Guinée équatoriale s’agissant de la délimitation de
leur frontière terrestre commune sont les suivants :
1. par voie de succession d’États, la convention spéciale sur la délimitation des possessions
françaises et espagnoles dans l’Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du
golfe de Guinée, signée à Paris le 27 juin 1900 (ci-après la « convention de 1900 »), telle
qu’appliquée par la France et l’Espagne jusqu’à l’accession du Gabon à l’indépendance, le
17 août 1960, puis par le Gabon et l’Espagne jusqu’à l’accession de la Guinée équatoriale à
l’indépendance, le 12 octobre 1968 ;
2. la succession, par la République de Guinée équatoriale, à l’ensemble des titres territoriaux, y
compris les titres sur les limites territoriales, que l’Espagne détenait avant le 12 octobre
1968, date de l’accession de la République de Guinée équatoriale à l’indépendance, sur le
fondement des modifications apportées à la frontière décrite à l’article IV de la convention
de 1900 en application des dispositions de celle-ci et du droit international, notamment de
l’accord entre le gouverneur de l’Afrique équatoriale française et le gouverneur de la Guinée
espagnole conclu en 1919 ; et
3. la succession, par la République gabonaise, à l’ensemble des titres territoriaux, y compris les
titres sur les limites territoriales, que la France détenait avant le 17 août 1960, date de
l’accession de la République gabonaise à l’indépendance, sur le fondement des
modifications apportées à la frontière décrite à l’article IV de la convention de 1900 en
application des dispositions de celle-ci et du droit international, notamment de l’accord entre
le gouverneur de l’Afrique équatoriale française et le gouverneur de la Guinée espagnole
conclu en 1919 ;
IV. Le titre juridique qui fait droit dans les relations entre la République gabonaise et la République
de Guinée équatoriale s’agissant de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga est la
succession, par la République de Guinée équatoriale, au titre que l’Espagne détenait sur ces îles
le 12 octobre 1968, lequel était fondé sur 1) la cession générale des droits du Portugal opérée
dans le traité du Pardo de 1778, 2) la déclaration de souveraineté espagnole de 1843 concernant
l’île Corisco, 3) l’acte d’annexion signé par l’Espagne en 1846 avec I. Oregek, roi de l’île
Corisco, 4) la charte de nationalité espagnole donnée aux habitants de Corisco, d’Elobey et de
leurs dépendances, établie en 1846, 5) la lettre espagnole de 1858 réaffirmant l’appartenance de
l’île Corisco à l’Espagne et 6) l’occupation souveraine, publique et effective incontestée de ces
îles par l’Espagne de 1843 à l’accession de la Guinée équatoriale à l’indépendance en 1968 ;
V. Compte tenu des points III et IV ci-dessus, les titres juridiques, traités et conventions
internationales qui font droit dans les relations entre la République gabonaise et la République de
Guinée équatoriale s’agissant de la délimitation de leur frontière maritime commune sont les
suivants :
- 122 -
1. la convention de 1900, en ce qu’elle a placé le point terminal de la frontière terrestre dans la
baie de Corisco ;
2. la convention des Nations Unies sur le droit de la mer signée le 10 décembre 1982 à Montego
Bay ; et
3. le droit international coutumier, en ce qu’il établit que le titre d’un État sur des espaces
maritimes adjacents et la prétention que peut faire valoir celui-ci à cet égard découlent du
titre qu’il possède sur le territoire terrestre.
La République de Guinée équatoriale se réserve le droit de compléter ou de modifier en tant
que de besoin les présentes conclusions à la lumière de pièces de procédure ultérieures.
Le tout respectueusement soumis,
Le 5 octobre 2022.
L’agent de la République de Guinée équatoriale,
ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de
la République de la République de Guinée équatoriale auprès
du Royaume des Pays-Bas, du Royaume du Danemark
et du Grand-Duché de Luxembourg,
(Signé) S. Exc. M. Carmelo NVONO-NCÁ.
___________
- 123 -
ATTESTATION
Je soussigné atteste que les annexes ci-jointes sont des copies conformes des documents visés
et que leurs traductions fournies font foi et sont fidèles.
Le 5 octobre 2022.
L’agent de la République de Guinée équatoriale,
ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de
la République de la République de Guinée équatoriale auprès
du Royaume des Pays-Bas, du Royaume du Danemark
et du Grand-Duché de Luxembourg,
(Signé) S. Exc. M. Carmelo NVONO-NCÁ.
___________
- 124 -
VOLUME I
FIGURES
Page
FIGURE R4.1 CARTE FRANÇAISE DE 1900 REPRÉSENTANT L’ÎLE CORISCO ET LA BAIE DE
CORISCO COMME ÉTANT ESPAGNOLES. .................................................................. 48
FIGURE R4.2 EMPLACEMENT DE LA BALISE DE MBANIÉ DANS LA BAIE DE CORISCO ................. 52
FIGURE R4.3 LA LIMITE SEPTENTRIONALE DU PERMIS MARIN DE LIBREVILLE OCTROYÉ PAR
LE GABON EST UNE LIGNE MÉDIANE TRACÉE À PARTIR DE POINTS DE BASE
ÉQUATO-GUINÉENS PLACÉS SUR LES DÉPENDANCES DE CORISCO (1969) .............. 57
FIGURE R5.1 LES PARTIES ONT AJUSTÉ LES LIGNES DÉFINIES PAR L’ARTICLE IV DANS LES
ZONES DE L’OUTEMBONI ET DU KYÉ ...................................................................... 65
FIGURE R5.2 CARTE DE LA ZONE DE L’OUTEMBONI ÉTABLIE PAR LA COMMISSION DE 1901 ..... 71
FIGURE R5.3 FRONTIÈRE PROPOSÉE PAR LA COMMISSION DE 1901 DANS LA ZONE DE
L’OUTEMBONI ......................................................................................................... 72
FIGURE R5.4 VILLAGES DÉSIGNÉS DANS L’« ACTE » DE LA COMMISSION DE 1914 ..................... 76
FIGURE R5.5 LOCALITÉS COUVERTES PAR LE RECENSEMENT ESPAGNOL DE 1932 (ZONE DE
L’OUTEMBONI) ....................................................................................................... 80
FIGURE R5.6 CONCESSION MIANG DE VASCO AFRICANA (1944-1966) ...................................... 81
FIGURE R5.7 CONCESSIONS FORESTIÈRES ESPAGNOLES (1960-1968) (ZONE DE
L’OUTEMBONI) ....................................................................................................... 82
FIGURE R5.8 INFRASTRUCTURES FORESTIÈRES ESPAGNOLES (1960-1968) (ZONE DE
L’OUTEMBONI) ....................................................................................................... 83
FIGURE R5.7 LIEUX DES INCIDENTS FRONTALIERS (1917-1928) ................................................. 84
FIGURE R5.10 LOCALITÉS COUVERTES PAR LE RECENSEMENT ESPAGNOL DE 1965 (ZONE DE
L’OUTEMBONI) ....................................................................................................... 89
FIGURE R5.11 ZONE DE L’OUTEMBONI AUJOURD’HUI .................................................................. 90
FIGURE R5.12 ASOBLA AUJOURD’HUI/ NGAMB (YESUC) AUJOURD’HUI ....................................... 91
FIGURE R5.13 MEBONDE-ELON AUJOURD’HUI .............................................................................. 92
MIDYOBO (ESEMVUS) AUJOURD’HUI ..................................................................... 93
- 125 -
FIGURE R5.14 CARTE SCOLAIRE DU RIO MUNI DE 1963................................................................ 98
FIGURE R5.15 INFRASTRUCTURES ESPAGNOLES DANS LE NORD-EST D’EBEBIYIN ........................ 99
FIGURE R5.16 LOCALITÉS COUVERTES PAR LE RECENSEMENT ESPAGNOL DE 1932 (ZONE DU
KYÉ) ..................................................................................................................... 100
FIGURE R5.17 LOCALITÉS COUVERTES PAR LE RECENSEMENT ESPAGNOL DE 1965 (ZONE DU
KYÉ) ..................................................................................................................... 103
FIGURE R5.18 PONT FRONTALIER RELIANT EBEBIYIN ET MEYO-KYÉ ........................................ 106
FIGURE R5.19 PONT FRONTALIER RELIANT MONGOMO ET ASSOK-MEDZENG ........................... 107
FIGURE R5.20 EBEBIYIN AUJOURD’HUI ....................................................................................... 110
FIGURE R5.21 ZONE DU KYÉ AUJOURD’HUI ................................................................................ 111
FIGURE R5.22 ALEN (ANGOK) AUJOURD’HUI / MASAMA AUJOURD’HUI ..................................... 114
FIGURE R5.23 MBIRALEN AUJOURD’HUI / MIBANG AUJOURD’HUI ............................................. 115
FIGURE R5.24 MONGOMO AUJOURD’HUI ..................................................................................... 116
___________

Document file FR
Document Long Title

Réplique de la Guinée équatoriale

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