Annexe

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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel

16131

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

SENTENCE ARBITRALE DU 3 OCTOBRE 1899
(GUYANA c. VENEZUELA)

MÉMORANDUM DE LA RÉPUBLIQUE BOLIVARIENNE DU VENEZUELA
SUR LA REQUÊTE DÉPOSÉE PAR LA RÉPUBLIQUE COOPÉRATIVE
DU GUYANA AUPRÈS DE LA COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE LE 29 MARS 2018

ANNEXE

[Traduction du Greffe]

TABLE DES MATIÈRES

Page
I. La revendication territoriale du Venezuela et le processus de décolonisation de la
Guyane britannique (1961-1965) ............................................................................................. 1
II. La conférence de Londres (9 et 10 décembre 1965) ................................................................ 8
III. La conférence de Genève (16 et 17 février 1966) .................................................................. 11
IV. Le discours du ministre Iribarren Borges au Congrès national sur l’accord de Genève
prononcé le 17 mars 1966 ...................................................................................................... 14
V. La reconnaissance du Guyana par le Venezuela en mai 1966 ............................................... 20
VI. La commission mixte (1966-1970) ........................................................................................ 22
VII. Le protocole de Port of Spain (1970-1982) ........................................................................... 27
VIII. La réactivation de l’accord de Genève : choix du moyen de règlement par le Secrétaire
général de l’ONU (1982-1983) .............................................................................................. 39
IX. Le choix des bons offices (1983-1989) .................................................................................. 45
X. La procédure des bons offices (1989-2014) ........................................................................... 47
XI. La proposition de plan de travail : procédure des bons offices dans le cadre du
différend frontalier entre le Guyana et le Venezuela (2013) ................................................ 64
XII. Les faits ayant conduit à l’adoption du communiqué du Secrétaire général de l’ONU
en date du 30 janvier 2018 (2014-2018) ................................................................................ 65

___________

I. LA REVENDICATION TERRITORIALE DU VENEZUELA ET LE PROCESSUS
DE DÉCOLONISATION DE LA GUYANE BRITANNIQUE (1961-1965)

Severo Mallet-Prevost avait remis son mémorandum en date du 8 mars 1944 au juge
Otto Schoenrich, en l’autorisant à le publier après sa mort. Celle-ci survient le 10 décembre 1948.
Peu de temps après, le juge Schoenrich publie le mémorandum, accompagné d’une note liminaire,
dans l’American Journal of International Law (vol. 43, n
o
3

3, juillet 1949). Il n’est pas indifférent de
noter que Mallet-Prevost, commentant la sentence arbitrale du 3 octobre 1899 dans une lettre
adressée à John Foster Dulles le 18 mai 1944, soit cent jours exactement après avoir établi son
mémorandum, écrivait :

«Dans cette affaire, je sais que les deux arbitres américains, qui souhaitaient
appliquer ce qu’ils considéraient comme le droit, n’en ont pas moins été contraints,
contre leur volonté et pour éviter la menace d’une plus grande injustice, de souscrire à
une décision qui faisait entièrement fi des principes juridiques qu’ils jugeaient
applicables.»
Le Venezuela a toujours dit que c’est la publication du mémorandum de Mallet-Prevost qui
avait fait accéder au plan officiel et diplomatique une revendication qui existait depuis plusieurs
dizaines d’années dans l’âme collective des Vénézuéliens. Ce mémorandum révèle en effet ce que
le ministre vénézuélien des affaires étrangères, Falcon Briceño, dans un discours prononcé le
12 novembre 1962 à la Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation de
l’Assemblée générale des Nations Unies, a appelé «les dessous» de la sentence arbitrale :

«[N]ous ne connaissions pas les dessous de la sentence, nous ne savions pas
comment les choses s’étaient réellement passées. En fait, nous savions bien qu’on
nous avait spoliés, mais le Venezuela de 1899 et des années qui ont suivi était un
Venezuela accablé par la pauvreté et dévasté par une récente guerre civile.»
4

On trouvera un témoignage officiel, antérieur à la publication du mémorandum de
Mallet-Prevost, de l’existence de cette revendication dans le discours du chef de la délégation
vénézuélienne à la neuvième conférence interaméricaine (Bogotá, 30 mars-2 mai 1948),
Romulo Betancourt, qui déclarait «ne pas renoncer aux aspirations territoriales sur des zones
aujourd’hui sous régime colonial». Plus tôt encore, le 30 juin 1944, le député José A. Marturet avait
exigé devant la Chambre des députés «la révision des frontières [du Venezuela] et de la Guyane
britannique», et le président du Congrès, Manuel Egaña, avait exprimé et confirmé, pendant la
séance de clôture de la session, le 17 juillet 1944, cette «aspiration à réviser la décision par laquelle
l’impérialisme britannique a[vait] spoli[é le Venezuela] d’une grande partie de [son] Guayana».
La publication du mémorandum de Mallet-Prevost ayant coïncidé avec l’ouverture au public
des archives britanniques et des archives privées nord-américaines, le ministère vénézuélien des
affaires étrangères charge une équipe d’historiens de faire des recherches sur la question entre 1950
et 1955.

Pendant le régime dictatorial de Marcos Pérez Jiménez, la revendication vénézuélienne se
matérialise dans des déclarations faites dans le cadre de l’Organisation des Etats américains (OEA)
(déclaration du ministre des affaires étrangères, Luis Emilio Gómez Ruiz, à la quatrième réunion de
consultation des ministres des affaires étrangères tenue à Washington du 26 mars au 7 avril 1951 et
déclaration du conseiller juridique du ministère des affaires étrangères, Ramón Carmona, à la
dixième conférence interaméricaine, tenue à Caracas du 1
er
au 28 mars 1954), déclarations dans
lesquelles les représentants du Venezuela réservent l’intention de celui-ci de faire valoir ses justes
aspirations à obtenir réparation, dans le cadre d’une «rectification équitable», du préjudice qu’il a
subi du fait d’une injustice historique.
5

- 2 -
En février 1956, après la création de la Fédération des Antilles britanniques et bien que
celle-ci ne comprenne pas la Guyane britannique, le ministre vénézuélien des affaires étrangères,
José Loreto Arismendi, réaffirme que la position du Venezuela concernant les frontières de cette
colonie ne sera pas modifiée par tout éventuel changement de statut.
En mars 1960, alors que le Venezuela a adopté un régime démocratique, Rigoberto Henríquez
Vera présente en ces termes la position du Congrès vénézuélien à une délégation de parlementaires
du Royaume-Uni :

«Un changement de statut de la Guyane britannique ne saurait faire disparaître
les justes aspirations de notre peuple à obtenir réparation de façon équitable et par
accord amiable du préjudice considérable subi par la nation du fait de l’inique décision
de 1899.»
*
Le lancement du processus de décolonisation de la Guyane britannique dans le cadre de
l’ONU convainc enfin le Gouvernement vénézuélien de formuler une revendication formelle à cet
égard, pour empêcher que l’indépendance de cette colonie britannique, qu’il soutient par ailleurs,
ne fasse obstacle au règlement d’une revendication fondée sur la justice historique et justifiée par
les nombreuses causes de nullité de la sentence arbitrale de 1899  sentence arbitrale qui a privé
l’ancienne capitainerie générale du Venezuela de milliers de kilomètres carrés qu’elle avait hérités
de la Couronne d’Espagne quand elle avait accédé à l’indépendance en 1810 en tant que partie de
la Grande Colombie.
6

Le 18 décembre 1961, le premier ministre de la Guyane britannique fait une déclaration à la
Quatrième Commission de l’Assemblée générale sur l’indépendance de son pays (Nations Unies,
doc. A/C.4/515) et le 15 janvier 1962 le représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l’ONU
fait distribuer une lettre sur la même question (Nations Unies, doc. A/C.4/520). De son côté, le
9 février 1962, le représentant permanent du Venezuela, Carlos Sosa Rodríguez, adresse au
Secrétaire général une lettre dans laquelle il exprime des réserves au sujet du processus de
décolonisation annoncé, «parce qu’il existe un désaccord entre [s]on pays et le Royaume-Uni
concernant la démarcation de la frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique».
A cette lettre est joint un mémorandum explicatif qui demande que les justes réclamations du
Venezuela soient entendues, que «les injustices qui ont été commises soient corrigées de façon
équitable» et que soit réglée «par voie de négociations entre les parties concernées la question
pendante entre le Venezuela et le Royaume-Uni des frontières de la Guyane britannique».
Quelques jours plus tard, le 22 février 1962, l’ambassadeur Carlos Sosa Rodríguez fait, à la
1302
e
séance de la Quatrième Commission de l’Assemblée générale, une déclaration dans laquelle
il exprime l’espoir que le problème pourra être réglé par des «négociations amiables» entre le
Venezuela et le Royaume-Uni (Nations Unies, doc. A/C.4/540).

«A l’heure où la question de l’indépendance de la Guyane britannique et de la
légitime aspiration de sa population à parvenir au plein exercice de sa souveraineté à
l’issue de négociations pacifiques avec le Royaume-Uni a été soulevée dans l’enceinte
de l’ONU, le Gouvernement vénézuélien, qui soutient chaleureusement ces
aspirations, qui sont justes, se trouve dans l’obligation, au nom de la défense des droits
de sa propre population, de demander que sa revendication, qui ne l’est pas moins, soit
prise en compte et que l’injustice qui a été commise soit corrigée d’une manière
équitable. Mon pays espère y parvenir par des négociations amiables entre les parties
7

- 3 -
intéressées qui tiendront compte non seulement de leurs légitimes aspirations
respectives, mais aussi des circonstances qui prévalent actuellement et des intérêts
légitimes du peuple de Guyane britannique.» (Les italiques sont de nous.) [Traduction
du Greffe.]
Le 4 avril 1962, la Chambre des députés approuve à Caracas une déclaration tendant à
«soutenir la politique du Venezuela sur le différend frontalier entre la possession
britannique et notre pays au sujet du territoire dont nous avons été spoliés par le
colonialisme ; et, de l’autre côté, soutenir sans réserve l’indépendance totale de la
Guyane britannique et son intégration dans le concert des nations démocratiques».
Cette position est réaffirmée dans un «projet d’accord» adopté par le Congrès national le
13 octobre 1965, et elle a été traditionnellement reprise par le Venezuela tout au long du processus
de décolonisation de ce territoire.
Compte tenu de l’attitude négative du Gouvernement britannique, le Venezuela demande, le
18 août 1962, que la «question des limites entre le Venezuela et la Guyane britannique» soit
inscrite à l’ordre du jour de la dix-septième session de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Outre son discours du 1
octobre 1962 à l’Assemblée générale, le ministre vénézuélien des
affaires étrangères, Marcos Falcón Briceño, lit le 12 novembre 1962, devant la Commission des
questions politiques spéciales et de la décolonisation, une déclaration générale (Nations Unies,
doc. A/SPC/71) dans laquelle il recommande de trouver une solution pacifique à ce différend.
er
Le lendemain, à la 349
séance de la même Commission (doc. A/SPC/72), le représentant du
Royaume-Uni, M. C. T. Crowe, lui répond par une fin de non-recevoir et nie qu’il y ait entre le
Venezuela et le Royaume-Uni un problème de frontières non réglé en Guyane britannique. Le
représentant britannique ajoute cependant que, avec l’accord de la Guyane, son gouvernement est
disposé à discuter avec le Venezuela, par la voie diplomatique, des conditions d’un examen
tripartite de la masse de documents qui concernent cette question, afin de «dissiper tout doute
que le gouvernement pourrait continuer d’entretenir sur la validité de la sentence… Il vaut mieux
procéder de cette façon plutôt que de poursuivre nos discussions ici à l’ONU.»
e
8

Le 16 novembre 1962, la Commission décide de ne pas poursuivre son examen de la
question (350
séance, doc. A/SPC/73), compte tenu de «la possibilité de discussions directes entre
les parties intéressées».
e
*
Des experts vénézuéliens se rendent à Londres en février 1963 pour la première étape de
l’examen des documents concernés. Il s’agit des jésuites Hermann González Oropeza et Pablo Ojer
Celigueta, auxquels se joint ultérieurement l’ambassadeur du Venezuela au Nicaragua,
Rafael Armando Rojas.
Le 5 novembre 1963, les ministres Marcos Falcón Briceño et R. A. Butler se rencontrent à
Londres pour prendre connaissance des résultats des recherches menées par les experts. Le ministre
vénézuélien remet à son homologue britannique un aide-mémoire qui résume la position du
Venezuela. Sur la foi des éléments que ses experts ont mis au jour et compilés, le Venezuela
affirme qu’il détient des preuves concluantes du préjudice moral et juridique qu’il a subi lorsqu’il a
été trompé et que la sentence arbitrale de 1899 l’a privé d’un territoire qui devait lui revenir
légitimement. La vérité et la justice historique lui imposent maintenant de réclamer la restitution
complète du territoire dont il a été dépossédé. En d’autres termes, le Venezuela doit découvrir la
9

- 4 -
vérité historique de ce qui s’est tramé autour de la question des frontières et, sur cette base, obtenir
réparation de l’injustice commise contre lui.
Contrairement à la rencontre du 5 novembre 1963, qui était officieuse, les pourparlers du
lendemain sont officiels et réunissent l’ensemble des membres des deux délégations. Comme les
experts n’ont pas encore achevé leurs travaux, les ministres se limitent à échanger leurs avis
préliminaires et à confirmer la procédure à suivre.
Le 7 novembre 1963, les ministres vénézuélien et britannique signent un communiqué
commun. Ils y annoncent que la prochaine étape de cette procédure consistera, pour un expert
britannique agissant également au nom de la Guyane britannique, Sir Geoffrey Meade, à se rendre
à Caracas pour y examiner les documents pertinents conservés dans les archives vénézuéliennes —
ce qu’il fera, du 3 au 11 décembre 1963 —, les experts des deux parties devant ensuite se réunir
pour discuter des résultats de leur enquête et en faire rapport à leurs gouvernements respectifs.
Les experts des parties se rencontrent à 15 reprises entre février et mai 1964. Le rapport
présenté au gouvernement national par les experts vénézuéliens Hermann González Oropeza, S.J.,
et Pablo Ojer Celigueta, S.J., est daté du 18 mars 1965.

Sous couvert d’une note du 21 juin 1965, le ministre vénézuélien des affaires étrangères,
M. Iribarren Borges, transmet à l’ambassadeur du Royaume-Uni à Caracas, Anthony H. Lincoln, le
texte d’un communiqué vénézuélien sur les concessions d’exploration pétrolière dans la
Guayana Esequiba signé le 24 mai et rendu public le 25 mai 1965 :

«Le ministre des affaires étrangères a appris par des articles de presse publiés à
10

Londres que le Gouvernement de la Guyane britannique avait accordé trois
concessions d’exploration pétrolière à trois sociétés.
L’une ou l’autre de ces concessions risquant de concerner le territoire
revendiqué par le Venezuela, le ministère des affaires étrangères a cherché et obtenu
des informations fiables sur elles, accompagnées des cartes pertinentes.
Comme il appert que deux de ces concessions concernent le territoire que
revendique le Venezuela, et qui lui appartient de droit, ainsi que le plateau continental
correspondant, le ministère des affaires étrangères
1) se déclare surpris que des concessions qui concernent le territoire contesté aient été
accordées alors qu’un processus de négociations diplomatiques amiables sur le
différend frontalier entre le Venezuela et la Grande-Bretagne est en cours ;
2) informe les parties intéressées que le Venezuela ne reconnaît pas les
concessions accordées sur le territoire et le plateau continental qu’il revendique,
et formule en conséquence les réserves qui s’imposent quant aux effets qui
pourraient s’ensuivre…
Les efforts consentis par le Gouvernement vénézuélien pour observer la plus
grande discrétion sur les négociations en cours — y compris au prix de sacrifices
évidents — ne trouvent certes pas leur juste récompense dans l’octroi unilatéral de ces
concessions pétrolières dans un territoire revendiqué par la République.
Le Gouvernement vénézuélien se réserve de formuler de nouvelles observations
sur les questions touchant le plateau continental et la mer territoriale concernés par ces
concessions.»

- 5 -
Les gouvernements échangent le 3 août 1965 les rapports de leurs experts respectifs. Dans
une note datée du même jour (note 1140), l’ambassadeur du Venezuela à Londres,
Hector Santaella, exprime la satisfaction qu’inspire au Gouvernement vénézuélien «l’heureuse
conclusion de cette étape des négociations, telle que prévue par le communiqué commun signé le
7 novembre 1963 à Londres».
11

La même satisfaction est exprimée dans une note du 7 septembre 1965 répondant à une note
du 3 août 1965 du ministre britannique des affaires étrangères, Michael Stewart. La note du
7 septembre 1967 fait cependant état du désaccord du Venezuela avec le dernier paragraphe de la
note britannique, où il est dit que la bonne volonté dont fait preuve l’Honorable Gouvernement de
Sa Majesté n’implique nullement que celui-ci désire entamer des pourparlers qui concerneraient le
fond de la question des frontières entre le Venezuela et la Guyane britannique. La note du
Venezuela se poursuit ainsi :

«L’absolue conviction de la Nation vénézuélienne au sujet de l’injustice
commise dans la question des frontières entre le Venezuela et la Guyane britannique
ainsi que son attitude envers une sentence arbitrale de 1899 que le Venezuela estime
dépourvue de validité ne sont certes pas des éléments venus récemment à la
connaissance du Gouvernement de Son Excellence ; de même, la position actuelle de
mon gouvernement ne diffère en rien de celle qu’il avait aux étapes initiales de ces
pourparlers. Sur quel autre fondement pourrait s’appuyer le Venezuela dans cette
affaire, ou quelle autre motivation pourrait servir de fondement à tout ce qui a été fait,
sinon la légitime aspiration à réparer l’injustice qui a privé mon pays d’une partie
importante de son territoire ?
Au nom du Gouvernement et du peuple vénézuéliens, je réaffirme notre volonté
sans faille de recouvrer un territoire dont nous considérons qu’il fait partie intégrante
de notre patrimoine national. C’est à cette fin et dans ce but dénué d’ambiguïté que le
Venezuela a demandé que le processus en cours soit engagé. Il ne s’agissait pas pour
lui de satisfaire un simple intérêt pour la recherche historique ou de répondre à des
préoccupations académiques. La position du Venezuela sur ce problème est claire. Le
Venezuela a déclaré qu’il ne reconnaissait pas dans la sentence arbitrale de 1899 un
règlement définitif du différend et exprimé à l’honorable Gouvernement de Sa Majesté
son désir d’étudier, dans un esprit de confiance mutuelle, les moyens de corriger
l’injustice dont il a été victime à une heure sombre de son histoire que notre peuple ne
peut oublier, et de parvenir à une solution qui tienne compte des intérêts légitimes de
notre pays et de ceux de la population de la Guyane britannique.»
12

*
Dans un discours diffusé le 16 septembre 1965 à la radio et à la télévision nationales, le
ministre vénézuélien Iribarren Borges déclare ce qui suit :

«La Guyane britannique partage avec le Venezuela un même héritage
colonialiste, à cette différence près que notre pays recevait en partage le pillage tandis
que notre voisin héritait du butin. Si la Guyane britannique examine attentivement
l’arbre généalogique qu’elle héritera un jour de la Métropole, elle découvrira que
celle-ci s’est efforcée d’ajouter à son héritage un joyau — le territorio Esequibo —
dérobé au coffret à bijoux vénézuélien pendant la longue nuit des rêves d’Empire. La
Guyane britannique doit s’éveiller, au jour lumineux de son indépendance, avec un
héritage qui soit sans tache et qu’elle ne doive pas en partie à de sinistres origines.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

- 6 -
La mise en garde lancée par le Gouvernement national lorsqu’il a annoncé qu’il
ne reconnaîtrait pas les prétendues concessions d’exploration pétrolière accordées par
le Gouvernement de la Guyane britannique sur un territoire revendiqué par le
Venezuela vaut également pour toute autre concession de même source qui
concernerait ce territoire.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[I]l convient de souligner une fois de plus que le changement de statut de
13

l’actuelle colonie de la Guyane britannique, quel qu’il puisse être, ne produira aucun
effet sur la revendication par le Venezuela d’un territoire qui lui appartient
légalement… Cela équivaudrait à admettre que, parce que le processus de
décolonisation touche à sa fin sur la rive droite de l’Esequibo, il devrait se poursuivre
sur la rive gauche, consacrant ainsi pour toujours l’atroce injustice du Colonialisme.»
Dans le discours qu’il prononce le 6 octobre 1965 devant l’Assemblée générale des
Nations Unies à sa vingtième session, le ministre Iribarren Borges rappelle qu’«[i]l existe encore
des territoires qui, arrachés à un Etat indépendant sans autre raison que celle du plus fort, restent
sous l’autorité d’une puissance coloniale».
Le ministre, s’appuyant sur les résolutions adoptées par les conférences interaméricaines,
établit une distinction entre colonies et territoires occupés. Si les colonies ont vocation à parvenir à
l’indépendance par application du principe d’autodétermination, les territoires occupés ne sauraient
connaître d’autre forme de décolonisation que la réintégration dans l’Etat dont ils ont été séparés,
conformément à un principe consacré par le sixième paragraphe de la résolution 1514 (XV) [de
l’Assemblée générale] : «La question de la Guayana Esequiba, territoire vénézuélien occupé par
une puissance coloniale et intégré à une colonie, est précisément l’un des cas envisagés par ce
sixième paragraphe.»
Le ministre réaffirme la «position inébranlable» du Gouvernement vénézuélien, tempérée
toutefois par la précision suivante :

«Le fait que mon pays maintienne sa revendication alors même que le statut de
14

l’actuelle colonie de Guyane britannique est en train de changer ne veut pas dire que
nous dressions des obstacles sur le chemin de l’indépendance de cette colonie. Quel
que soit le statut de la Guyane britannique, les droits du Venezuela resteront les
mêmes.»
Le ministre rappelle les principes suprêmes de «la morale et de l’équité internationales»
invoqués par le président Raúl Leoni dans sa première déclaration au Congrès national.
Ces principes sont repris dans une note du 2 novembre 1965 que l’ambassadeur du
Venezuela à Londres, Hector Santaella, adresse au ministre des affaires étrangères,
Michael Stewart, à l’occasion de la conférence sur l’indépendance de la Guyane britannique. Après
avoir souligné le ferme soutien du Venezuela à l’indépendance de la Guyane britannique,
l’ambassadeur réaffirme la revendication d’une «frontière légitime» et la volonté du Venezuela de
«parvenir à un règlement amiable de la question». Il conclut en
«exprimant la volonté unanime des autorités et du peuple vénézuéliens de réaffirmer
de la façon la plus formelle et la plus catégorique la position de [s]on gouvernement, à
savoir qu’aucun changement de statut susceptible de découler pour la Guyane d’une
déclaration d’indépendance ou de toute autre cause ne saurait affecter les droits
territoriaux inaliénables et imprescriptibles qui font que le Venezuela a un titre
légitime sur la Guayana Esequiba».

- 7 -
Le 3 novembre 1965, le ministre Iribarren Borges envoie à son homologue britannique
Michael Stewart une note dans laquelle figure la déclaration suivante :

«Mon gouvernement tient à faire savoir officiellement qu’il verrait un acte
15

inamical de la part du Gouvernement de Sa Majesté dans une décision de transférer
sans réserve la souveraineté sur le territoire revendiqué par le Venezuela, transfert qui
ne saurait conférer plus de droits que ceux que possède légitimement le Gouvernement
qui les cède.»

- 8 -
II. LA CONFÉRENCE DE LONDRES
(9 ET 10 DÉCEMBRE 1965)
Le 1
décembre 1965, les parties conviennent d’un «ordre du jour de la reprise au niveau
ministériel des pourparlers gouvernementaux sur le différend entre le Venezuela et le
Royaume-Uni au sujet de la frontière avec la Guyane britannique, conformément au communiqué
commun du 7 novembre 1963». Les points à cet ordre du jour sont les suivants :
er
1. Echange de vues sur les rapports établis par les experts comme suite à leur examen des
documents, et discussion des conséquences qui en découlent. Nécessité de régler le différend.
2. Recherche de solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du différend survenu entre le
Venezuela et le Royaume-Uni du fait de la position du Venezuela, qui soutient que la
sentence arbitrale de 1899 relative à la frontière entre la Guyane britannique et le Venezuela
est nulle et non avenue.
3. Formulation de plans en vue d’une collaboration au développement de la Guyane britannique.
4. Fixation de délais pour l’exécution des accords qui auront pu être conclus sur les points 1, 2 et 3
de l’ordre du jour.
5. Communiqué commun sur les pourparlers.
16

Cet ordre du jour montre, comme le prouve son point 2, que les parties étaient disposées à
«rechercher des solutions satisfaisantes en vue d’un règlement pratique du différend», quelle que
fût la conclusion à laquelle elles pourraient parvenir sur la validité ou la nullité de la sentence de
1899 à l’issue de leur examen des rapports des experts.
*
A la séance du 9 décembre 1965, les parties conviennent rapidement que l’examen du
point 1 de l’ordre du jour ne leur permettrait guère de progresser vers un accord. Elles passent donc
au point 2, qui porte sur la «recherche de solutions en vue d’un arrangement pratique».

Interrogé sur la question de savoir ce que pourrait être pour lui une solution satisfaisante, le
ministre Iribarren Borges propose la restitution du territoire contesté, et ajoute qu’il est disposé à
examiner attentivement toute autre proposition.

Son homologue britannique, Michael Stewart, de son côté, invite le Venezuela à renoncer à
sa revendication territoriale ou, au moins, y surseoir, pour laisser le temps à la Guyane de se
consolider en tant qu’Etat ; il propose en conséquence à son homologue vénézuélien de concentrer
son attention sur les plans spécifiques de développement de la Guyane britannique.
M. Iribarren Borges décline cette proposition, en rappelant que c’est précisément pour
résoudre ce problème politique que les ministres se rencontrent à Londres. Le ministre vénézuélien
formule alors une deuxième proposition : 1) reconnaissance de la souveraineté du Venezuela sur le
territoire revendiqué et administration conjointe pour une période à convenir — qui pourrait être de
dix ans par exemple, avec des obligations pesant sur les deux pays, mais dans une proportion plus
large sur le Venezuela — afin de faciliter le développement du territoire ; et 2) collaboration du
Venezuela au développement de la Guyane britannique.
Cette deuxième proposition est rejetée par l’autre partie, qui n’y voit qu’une variante de la
première. M. Iribarren Borges fait donc une troisième proposition, qui consiste à nommer une
17

- 9 -
commission chargée de «régler le différend entre le Venezuela et le Royaume-Uni portant sur la
question territoriale entre le Venezuela et la Guyane britannique». Cette commission réunirait trois
représentants de chaque partie, qui devraient commencer leurs travaux le 20 janvier 1966 au plus
tard. Elle aurait pour mandat de : 1) régler le différend territorial ; 2) formuler des plans de
collaboration pour le développement de la Guayana Esequiba et de la Guyane britannique ;
3) exécuter les plans de développement conformément aux études préalables. Si la commission ne
réussit pas à s’entendre sur un accord complet ou sur un accord quelconque le 15 mai 1966 au plus
tard, les parties désigneront, dans un délai de trois mois au maximum, un ou plusieurs médiateurs
qui seront tenus de présenter, dans des délais raisonnables, des solutions de conciliation concernant
la ou les questions pendantes. Si les parties ne réussissent pas à s’entendre sur la désignation du ou
des médiateurs dans le délai prévu de trois mois, ou si le ou les médiateurs ne réussissent pas à
proposer des solutions de conciliation dans des délais raisonnables, on aura recours à un arbitrage
international pour résoudre la ou les questions pendantes. Dans ce cas, un compromis ou une
convention d’arbitrage définissant la base, les conditions et les règles de l’arbitrage devra être
conclu dans un délai de dix-huit mois courant à compter du 1
janvier 1966 (c’est-à-dire le
1
er
er
juillet 1967 au plus tard).
Cette proposition inclut donc : 1) une commission mixte ; 2) une médiation ; et 3) un
arbitrage, dont la base, les conditions et les règles restent à négocier.
Le lendemain, soit le 10 décembre 1965, M. Iribarren Borges déclare qu’il voit dans
l’arbitrage envisagé «une décision définitive, confiée à une entité totalement neutre et investie du
pouvoir de statuer», et il affirme le désir du Venezuela de collaborer au développement de son
voisin. Sa déclaration montre clairement que la question à soumettre à l’arbitrage n’est pas celle de
la validité ou de la nullité de la sentence arbitrale, mais celle de la question territoriale ou du
différend territorial.
18

M. Iribarren Borges rappelle que si le Venezuela assiste à la Conférence, c’est pour
rechercher et examiner une solution au problème territorial de sa frontière avec la
Guyane britannique. Cela ressort clairement, d’emblée, du titre de l’ordre du jour. Ensuite, la
dernière phrase du point 1 de l’ordre du jour reconnaît l’existence du différend et la nécessité de le
régler. Enfin, le point 2 prévoit qu’une solution satisfaisante doit être trouvée en vue du règlement
pratique du différend né de la revendication du Venezuela. M. Iribarren Borges considère donc
qu’il serait absurde de croire que le Venezuela est venu à cette conférence pour se contenter de
ratifier les positions antagonistes des parties sur la validité ou la nullité de la sentence de 1899.
Nous sommes venus, affirme-t-il, pour rechercher une solution au problème de territoire existant. Il
conteste par ailleurs l’intérêt qu’il y aurait à retourner à l’ONU. C’est de là que nous venons, dit-il.
C’est dans cette instance qu’ont pris forme nos discussions. L’ONU ne résoudra pas le problème ;
elle nous exhortera à continuer de nous parler, ce qui est précisément ce que nous faisons en ce
moment et que nous devons continuer de faire jusqu’à ce que nous ayons trouvé une solution.
Avant de commenter sa dernière proposition, le ministre souligne qu’elle a l’avantage de réunir
deux problèmes distincts dans une solution unique, à savoir le problème politique entre le
Venezuela et le Royaume-Uni, né de l’occupation du territoire, et le problème du développement
de la Guyane britannique, qui relève de la responsabilité du Royaume-Uni en sa qualité de
puissance coloniale.
*

- 10 -
A la fin de ces pourparlers, les parties signent une déclaration commune dont ressortent les
éléments suivants :
1. Ainsi que convenu aux termes du communiqué commun du 7 novembre 1963, des discussions
ont eu lieu à Londres … sur la base de l’ordre du jour [décidé]…
19

2. Les ministres ont examiné les rapports des experts sur la documentation relative à la sentence
arbitrale de 1899 et discuté des moyens de mettre un terme au différend qui menace de rompre
les relations traditionnellement amicales entre le Venezuela d’un côté et le Royaume-Uni et la
Guyane britannique de l’autre.
3. Diverses idées et propositions ont été échangées en vue d’un règlement pratique du différend.
Il a été convenu que certaines d’entre elles seraient soumises à un nouvel examen et que les
ministres devraient reprendre le fil de leurs discussions pendant la semaine commençant le
13 février 1966, à Genève, pour examiner lesdites propositions ainsi que toutes autres
propositions susceptibles d’être faites en accord avec l’ordre du jour susmentionné. Du fait
qu’aucune des deux parties n’a été en mesure d’accepter les conclusions des experts désignés
par l’autre, le point 1 ne sera pas examiné.
*

- 11 -
III. LA CONFÉRENCE DE GENÈVE
(16 ET 17 FÉVRIER 1966)
20

Le 4 février 1966, le ministère vénézuélien des affaires étrangères adresse un aide-mémoire à
l’ambassade du Royaume-Uni à Caracas pour y exprimer sa préoccupation et demander des
explications au sujet de déclarations faites par des représentants du ministère britannique des
affaires étrangères selon lesquelles il était prévu que «la revendication vénézuélienne» sur la
Guayana Esequiba ne serait pas examinée à la conférence de Genève. Ces déclarations contredisent
l’engagement pris dans l’ordre du jour signé le 1
décembre 1965 à Londres et le communiqué
commun du 10 décembre 1965. Les explications sollicitées par le Venezuela sont fournies le
8 février 1966 à la fois dans un aide-mémoire de l’ambassade du Royaume-Uni et en personne par
l’ambassadeur Sir Anthony Lincoln dans un entretien avec le ministre Iribarren Borges, et elles
sont reprises dans un communiqué de presse du ministère des affaires étrangères qui assure que le
sous-secrétaire d’Etat parlementaire aux affaires étrangères a été mal compris. Ni Lord Watson ni
aucun autre représentant du Gouvernement de Sa Majesté n’a tenu les propos qui leur ont été
attribués. Le Gouvernement britannique confirme par ailleurs l’ordre du jour convenu le
10 décembre 1965.
er
La conférence de Genève ne débattra à aucun moment de la question de la validité ou de la
nullité de la sentence de 1899. Ce débat est exclu de la négociation, qui est axée sur la recherche
d’un règlement définitif pratique et satisfaisant. A cette fin, des accords sur des plans concrets de
collaboration au développement de la Guyane pouvaient jouer un rôle important.
*
21

A l’ouverture de la première séance de la conférence, le 16 février 1966, le ministre
Iribarren Borges soulève la revendication du Venezuela sur la Guayana Esequiba, un territoire qui a
été usurpé par le Royaume-Uni et annexé à la Guyane britannique dans une parodie de justice. Il
assure que le Venezuela soutient sincèrement et avec enthousiasme une prompte accession de cette
colonie à l’indépendance, mais qu’il ne saurait accepter que les frontières du territoire du nouvel
Etat soient fixées au détriment du territoire vénézuélien du fait d’une décision prise à l’issue d’une
parodie de procédure arbitrale et qui témoignait du plus grand mépris pour le droit international. Le
ministre souligne ensuite que le Venezuela est ouvert à d’autres formules susceptibles d’offrir une
solution et rappelle qu’en décembre 1965, à Londres, il a déjà présenté à la Grande-Bretagne «des
moyens de mettre un terme au différend». M. Iribarren Borges invite donc son homologue
britannique, Michael Stewart, à prendre position sur les propositions du Venezuela ou à présenter à
son tour une proposition concrète et raisonnée qui puisse s’appliquer au cas d’espèce. Il rappelle
que, à la conférence de Londres, M. Stewart s’est contenté de décrire dans leurs grandes lignes les
principes sur lesquels est fondé le traité sur l’Antarctique, dont la situation présente cependant des
différences substantielles avec la revendication du Venezuela sur la Guayana Esequiba.
M. Stewart fait alors une proposition, mais celle-ci se limite au développement économique
conjoint de la Guyane britannique, contournant ainsi le problème politique pour lequel la
délégation vénézuélienne est venue à Genève, à savoir la revendication du Venezuela sur le
territoire de l’Esequibo. Comme la conférence de Genève a été convoquée expressément pour
rechercher des solutions pratiques au différend territorial, la proposition britannique est jugée
inacceptable.
La séance est alors suspendue pour ménager un entretien officieux entre les ministres avec
l’espoir qu’ils pourront parvenir à une amorce d’accord. Avant de se rendre à cet entretien, le
ministre Iribarren Borges expose à la délégation vénézuélienne les deux objectifs qu’il considère
comme fondamentaux : 1) le différend devrait trouver une forme ou une autre de «solution

22

- 12 -
définitive» à l’expiration d’une période donnée ; et 2) un régime spécial pour le développement de
la Guayana Esequiba devrait être établi. Une commission serait chargée d’en régler les détails, qui
seraient soumis à l’examen d’une future réunion de haut niveau.
A l’issue de son entretien officieux avec le ministre britannique des affaires étrangères, le
ministre vénézuélien rapporte aux membres de sa délégation que la «solution définitive» qu’il a
proposée aux Britanniques est l’arbitrage, et que ceux-ci ont répondu qu’ils ne pouvaient l’accepter,
«parce que ce serait accepter que la sentence arbitrale n’existe pas».
Les travaux préparatoires de l’accord de Genève montrent que le Venezuela voulait régler ce
différend territorial le plus tôt possible en recourant à l’arbitrage si un règlement pratique ne
pouvait être dégagé dans le cadre d’une commission mixte ou par un autre moyen de règlement
politique par tierce partie, tel que la médiation, dont la durée devait être limitée afin d’éviter qu’il
ne se prolonge indéfiniment. Ces points furent incorporés dans les contre-propositions du
Venezuela, qui se heurtaient toujours à l’opposition des Britanniques (et des Guyaniens). L’objet
de l’arbitrage que propose M. Iribarren Borges comme solution définitive devient encore plus
évident quand il fait observer qu’«il peut y avoir une autre solution que l’arbitrage : [les parties]
pourraient convenir de diviser le territoire».
M. Iribarren Borges propose alors un document de travail qui, après avoir été débattu au sein
de la délégation vénézuélienne, devient la première contre-proposition du Venezuela. Il s’agit de
nommer une commission, qui aurait pour mandat de
1) chercher des solutions en vue du règlement pacifique de la revendication vénézuélienne, y
compris avec une période de gel ;
2) envisager pour le territoire une forme de régime spécial qui permettrait de le développer
conjointement ;
3) établir des schémas de collaboration avec la Guyane britannique;
4) fixer les règles de l’arbitrage au cas où la recherche de solutions visée au point 1 du mandat
devait être infructueuse ; et
23

5) arrêter une date butoir pour la remise du rapport de la commission aux gouvernements.

Pour que le Venezuela accepte de continuer les pourparlers, explique M. Iribarren Borges à
sa délégation pendant un débat interne à celle-ci, il faut que la négociation en cours lui permette
d’obtenir, au minimum, un engagement à recourir à l’arbitrage, même si la base de cet arbitrage ne
peut pas encore être établie. S’il peut créer une commission dotée d’un tel mandat, c’est déjà leur
faire accepter l’arbitrage. L’idée est de faire accepter l’arbitrage, mais que la commission puisse
aussi rechercher d’autres types de solution. C’est la même proposition que celle qui a été faite à
Londres. Pour M. Iribarren Borges, l’arbitrage est «quelque chose de substantiel» qui peut être tiré
des pourparlers en cours, et sans quoi il serait mal venu pour son pays de poursuivre ces
négociations. L’objectif, conclut-il, est de parvenir à l’arbitrage. Le ministre continue d’insister sur
l’arbitrage «ou quelque chose qui ressemble à l’arbitrage» (il ira même jusqu’à évoquer la
médiation ou la conciliation). Un des membres de la délégation vénézuélienne, M. Diaz Gonzalez,
ajoute : «L’arbitrage est fondamental parce qu’il exclut la sentence arbitrale.» D’autres membres de
la délégation disent craindre que les Britanniques n’acceptent pas la formule de l’arbitrage ; le
ministre en convient, mais ils accepteront, assure-t-il, de «continuer de rechercher des solutions»
par le truchement d’une commission.
Le ministre Iribarren Borges part avec son document de travail pour s’entretenir en privé
avec le ministre britannique des affaires étrangères, Michael Stewart, et le premier ministre de la
Guyane britannique, Forbes Burnham. Au bout d’une demi-heure, il revient dans les bureaux de la

- 13 -
délégation vénézuélienne et déclare que les Britanniques (et en particulier Burnham) n’acceptent
pas les points 2, 3 et 4, mais qu’ils incluent dans le point 1 un examen des moyens de règlement
pacifique des différends conformément au droit international. En ce qui concerne le point 5, si le
ministre vénézuélien a proposé que la commission remette son rapport dans un délai de six mois,
tandis que les Britanniques (et Burnham) pensent plutôt «en termes d’années». M. Iribarren Borges
estime qu’il ne faut pas donner l’impression que la question pourrait être reportée indéfiniment, et
suggère un premier rapport suivi d’un rapport final.
24

Finalement, la contre-proposition guyano-britannique se présente comme suit :
Nommer une commission qui serait chargée de rechercher des solutions satisfaisantes pour le
règlement pratique du différend survenu du fait de la position du Venezuela qui soutient que la
sentence arbitrale de 1899 est nulle et non avenue, y compris en envisageant son règlement
pacifique conformément au droit international, et arrêter le délai dans lequel cette commission
devra remettre son rapport aux gouvernements à une réunion au niveau ministériel.
Bien que cette contre-proposition ait toutes les apparences d’une politique dilatoire, elle
constitue cependant, par rapport à la position guyano-britannique initiale, un progrès qui permet de
sortir de l’impasse. En effet, il est maintenant question d’une commission mixte chargée
d’examiner le différend territorial, y compris la solution de l’arbitrage, qui est présentée dans des
termes très généraux.
Le communiqué commun du 17 février 1966 annonce ce qui suit :

«Il y a eu un échange d’idées et de propositions en vue du règlement pratique
des problèmes en suspens … à l’issue des délibérations un accord a été dégagé, dont
les dispositions permettront de trouver une solution définitive à ces problèmes… Les
ministres des trois Gouvernements ont accueilli avec satisfaction cet accord, parce
qu’il offre les moyens de régler un différend qui menaçait de porter préjudice aux
relations entre deux voisins et qu’il augure favorablement de la future coopération
entre le Venezuela et le Guyana.»
*
25

- 14 -
IV. LE DISCOURS DU MINISTRE IRIBARREN BORGES AU CONGRÈS NATIONAL
SUR L’ACCORD DE GENÈVE PRONONCÉ LE 17 MARS 1966
Bien que l’accord de Genève fût entré en vigueur dès le jour de sa signature, soit le
17 février 1966, il devait encore faire l’objet d’un débat parlementaire au Venezuela. C’est le
ministre Iribarren Borges qui présenta l’accord au Congrès à la séance du 17 mars 1966.
Quelques jours plus tôt, le 11 mars 1966, le président Raul Leoni avait tenu les propos
suivants, dans sa deuxième déclaration au Congrès national :

«En signant l’accord de Genève, le Gouvernement national a non seulement
défendu l’intangibilité de notre territoire en replaçant notre revendication dans la
même situation que celle où se trouvait le différend frontalier lorsqu’il a été soumis à
arbitrage en 1897, mais encore confirmé la position internationale traditionnelle du
Venezuela, inspirée par les principes consacrés dans le Préambule de sa Constitution,
qui lui prescrivent de coopérer avec les autres nations … aux fins de la communauté
internationale, sur la base du respect réciproque de la souveraineté, du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes et du rejet de la guerre et de la conquête comme
instruments de politique internationale.»
*
Le discours du ministre Iribarren Borges sur l’accord de Genève à la séance du 17 mars 1966
du Congrès national est divisé en deux parties. La première partie évoque les étapes qui ont mené à
l’accord, et la seconde est consacrée à l’accord lui-même.
26

Le ministre commence sa première partie par une brève mention de la sentence arbitrale de
1899. Il rappelle «les douloureuses épreuves politiques, économiques et militaires que [la] Patrie
traversait à l’époque» et qui «empêchèrent le Gouvernement national de pousser jusque dans ses
dernières conséquences son rejet catégorique de cette décision». Mais, poursuit-il, «avec le déclin
de l’ère coloniale, l’espoir est revenu de voir un jour réparée l’injustice dont nous avions été les
victimes. Pendant de nombreuses années, cet espoir a inspiré les déclarations toujours plus franches
et catégoriques de l’Etat vénézuélien face à une sentence arbitraire. Cependant, quelque solides et
convaincants que fussent les arguments du Venezuela, le Royaume-Uni se refusait à entamer des
discussions tendant à réviser une sentence arbitrale qu’il considérait comme intangible» (les
italiques sont de nous).
Le ministre passe ensuite aux tout débuts de la négociation bilatérale et évoque en particulier
l’accord contenu dans la déclaration du 16 novembre 1962 du président de la Commission des
questions politiques spéciales de l’Assemblée générale des Nations Unies, accord qui tendait à
procéder à un examen tripartite de la documentation relative à la question territoriale : «Cet accord
a une indéniable valeur transcendentale puisqu’il constitue le point de départ d’un long processus
bilatéral qui doit inévitablement conduire à une révision de la prétendue sentence arbitrale de
1899.» Le ministre rappelle que cet accord du 16 novembre 1962
«avait pour objet d’examiner les documents, sans que la Grande-Bretagne eût accepté
en aucune façon d’aborder le fond du problème : la révision de la sentence de 1899 du
Tribunal arbitral… C’est pourquoi le Gouvernement vénézuélien entendait mener la
négociation au niveau gouvernemental le plus élevé et la conduire jusqu’à la révision
de la sentence du Tribunal. Pour atteindre ces objectifs, il fallait d’abord vaincre la
résistance manifeste du Gouvernement britannique. Dès mars 1963, en effet, la
Grande-Bretagne essaya de ramener les pourparlers au niveau d’un débat académique
27

- 15 -
entre experts, mais le Venezuela fit clairement savoir qu’il n’était pas question pour
lui d’entamer ces discussions tant que le Royaume-Uni ne prendrait pas l’engagement
préalable de discuter de la question au niveau ministériel… Le Venezuela a continué
d’insister jusqu’à ce que la Grande-Bretagne accepte que les discussions se déroulent
en deux phases : la première au niveau des experts et la seconde au niveau
ministériel.»
Le ministre évoque ensuite la première conférence de Londres, celle de novembre 1963.
M. Iribarren Borges considère que, à en juger par le libellé du communiqué, un progrès favorable
au Venezuela avait été réalisé puisque, à propos des rapports que les experts devraient remettre à
leurs gouvernements respectifs, il était précisé que «ces rapports servir[aient] de base à de
nouvelles discussions entre les gouvernements». Selon le ministre,
«[e]n conséquence, du fait qu’il ne qualifiait pas ces discussions, le communiqué nous
a permis de soutenir que les conversations au niveau gouvernemental auraient pour
objet d’examiner la question sur le fond».

Pendant les mois qui ont précédé la réunion ministérielle de décembre 1965, le ministère
vénézuélien des affaires étrangères a pris
«connaissance de déclarations répétées des premiers ministres de la Guyane
britannique, MM. Jagan et Burnham, affirmant qu’ils n’étaient pas disposés à discuter
du tracé arrêté par la sentence arbitrale, parce qu’ils ne reconnaissaient pas le différend
frontalier, estimant qu’il avait été réglé en 1899».

Faisant référence aux notes échangées en août et septembre 1965 comme suite à la
communication des rapports des experts le 3 août 1965, M. Iribarren Borges formule l’observation
suivante :

«Il était manifeste que la Grande-Bretagne répugnait à entamer des discussions
28

de fond sur une question aussi grave. Apparemment, elle considérait toujours que la
revendication vénézuélienne était sans fondement et elle n’était disposée qu’à une
discussion purement académique qui ne pouvait nullement déboucher sur un
règlement de ce vieux problème.»
C’est pour cette raison qu’il s’était exprimé à la radio et à la télévision, le 16 septembre
1965, «sur instruction expresse» du président Raul Leoni :

«Notre gouvernement pourrait à bon droit être accusé de n’être pas très sérieux
si, dans une affaire aussi grave … il devait se laisser entraîner à participer à des débats
gratuits et stériles, à des interprétations sémantiques de vieux documents.»
Et de conclure sur ce point :

«Notre position était par conséquent parfaitement claire : il n’était pas question
que nous nous rendions à une conférence ministérielle pour y avoir des discussion qui
n’aborderaient pas le fond du problème, c’est-à-dire la révision de la «sentence
arbitrale de 1899».»
Le ministre passe ensuite à la question de l’indépendance de la Guyane britannique :

«[N]otre revendication traditionnelle devait être exprimée de plus en plus
énergiquement à mesure que cette date [de l’accession de la Guyane britannique à
l’indépendance] approchait, parce qu’il fallait faire comprendre très clairement que
notre différend avec le Royaume-Uni, [qui était] la cause du problème frontalier, ne

- 16 -
s’éteindrait pas avec l’indépendance de la Guyane britannique, sauf en cas de solution
satisfaisante pour le Venezuela… Le principe selon lequel le changement de statut de
la colonie … n’aurait aucun effet sur la revendication territoriale du Venezuela a été
réaffirmé à de nombreuses reprises.»
29

Le ministre évoque également l’acte de Washington [de l’Organisation des Etats
américains], ainsi que le paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale [de
l’ONU], déjà mentionné dans son discours du 6 octobre 1965 à ladite Assemblée. Il se réfère
encore à la note qu’il a adressée le 3 novembre 1965 au ministre des affaires étrangères du
Royaume-Uni à l’occasion de la conférence sur l’indépendance de la Guyane britannique.
Au sujet de la deuxième conférence de Londres, le ministre se félicite de l’ordre du jour adopté
d’un commun accord «à l’issue de longues négociations menées par [l’]ambassadeur vénézuélien à
Londres pendant les mois d’octobre à décembre 1965». Cet ordre du jour «constituait un progrès
considérable et favorable à nos vues». Le ministre observe que, d’emblée, de par son titre,
«qui définit le caractère des pourparlers, [l’ordre du jour] indique que ces pourparlers
concernent «le différend entre le Venezuela et le Royaume-Uni». Cette reconnaissance
de l’existence d’«un différend frontalier avec la Guyane britannique» est confirmée
par la reconnaissance, dans le premier point de l’ordre du jour, de «la nécessité de
régler le différend». De plus, et pour écarter tout doute sur le caractère de ces
pourparlers, … il était stipulé dans le deuxième point qu’il s’agissait de «recherche[r]
de[s] solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du différend survenu entre le
Venezuela et le Royaume-Uni du fait de la position du Venezuela, [selon laquelle] la
sentence arbitrale de 1899 … [était] nulle et non avenue». Renforce encore cette
interprétation la mention, au quatrième point de l’ordre du jour, de la «fixation des
délais» pour l’exécution des accords qui auront pu être conclus. Il n’échappera à
personne que la position qui était celle du Royaume-Uni au début de ce processus, en
1962, avait déjà singulièrement évolué. Ce qui a été convenu dans l’ordre du jour [de
1965] est très différent de la première proposition formulée par le représentant
britannique, M. Crowe, dans la mesure où [les Britanniques] n’étaient disposés à
l’époque qu’à examiner la documentation relative à la sentence de 1899.»
Le ministre résume l’exposé qu’il a fait et les propositions successives qu’il a formulées pour
essayer de trouver une solution satisfaisante au différend. Il ajoute que
30

«[c]ette offre s’est heurtée à l’intransigeance de la Grande-Bretagne et de la Guyane
britannique qui, résolues à défendre la validité de la sentence de 1899, ont nié
l’existence d’un différend territorial entre le Venezuela et le Royaume-Uni au sujet de
la frontière avec la Guyane britannique».
Le ministre rappelle ensuite en quoi consistait la contre-proposition britannique, qui
«se contentait de formuler quelques idées empruntées à l’article IV du Traité sur
l’Antarctique et qui, appliquées à notre problème, devaient déboucher sur une solution
de développement économique de part et d’autre de la ligne frontière résultant de la
sentence arbitrale, tandis que les deux pays voisins devraient s’abstenir de faire valoir
leurs prétentions respectives pendant trente ans. Parallèlement à cela, ils assuraient
qu’il n’y avait d’autre solution que de renvoyer la question devant l’ONU en
informant celle-ci des conclusions de l’examen de la documentation.»

- 17 -

Pour expliquer les motifs l’ayant conduit à rejeter cette contre-proposition,
M. Iribarren Borges déclare qu’il
«ne pouvait admettre cette tentative d’éviter le problème juridico-politique de la
question de la frontière, de le réduire au point qu’il ne soit plus question que de
résoudre le problème économique du sous-développement de la Guayana Esequiba,
dont le Royaume-Uni était précisément responsable.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Après avoir rejeté une autre proposition britannique, tendant celle-là à reprendre
la discussion avec Lord Walston quand il se rendrait à Caracas en janvier 1966, nous
avons convenu de réunir la même conférence ministérielle dans la ville de
Genève… Une fois que le point relatif à l’examen de la documentation eut été retiré
de l’ordre du jour, les discussions ont été entièrement axées sur la recherche de
«solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du différend».»
31

Le dernier point de la première partie du discours du ministre au Congrès national est
consacré à la conférence de Genève. Le ministre rappelle l’échange de notes des 4 et 8 février et les
visites que lui a faites l’ambassadeur du Royaume-Uni à ces dates pour dissiper tout malentendu
concernant certains propos attribués à Lord Walston qui semblaient mettre en doute que la
revendication du Venezuela serait discutée à Genève et accréditer l’idée que les discussions
seraient limitées à l’aide économique à la Guyane britannique. «Il était évident, note-t-il, que la
fermeté manifestée par le ministre des affaires étrangères portait ses fruits.»
A la conférence de Genève, le Royaume-Uni avance à nouveau sa proposition inspirée par le
traité sur l’Antarctique, que le Venezuela rejette «au motif qu’elle fait abstraction de questions
qu’il juge fondamentales pour le règlement pratique du conflit, qui est l’objet même de la
conférence», en évitant complètement le problème territorial avec son plan conjoint de
développement de part et d’autre du tracé de la frontière résultant de la sentence et en gelant pour
trente ans la revendication du Venezuela.
M. Iribarren Borges continue :

«Après plusieurs contacts officieux, notre délégation décida de mettre sur la
table une formule qui ressemblait à la troisième proposition du Venezuela, qui avait
été rejetée à Londres, mais avec la possibilité d’un recours devant la Cour
internationale de Justice. Les délégations de la Grande-Bretagne et de la Guyane
britannique procédèrent à un examen approfondi de cette proposition, et bien qu’elles
eussent fini par se montrer réceptives, élevèrent des objections à la mention spécifique
du recours à l’arbitrage et à la Cour internationale de Justice.
Une fois l’objection contournée en substituant à cette mention spécifique la
référence à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, qui prévoit les deux procédures
que sont l’arbitrage et le recours à la Cour internationale de Justice, la possibilité de
parvenir à un accord redevint envisageable. C’est donc sur la base de la proposition du
Venezuela que l’accord de Genève a été conclu … une proposition vénézuélienne qui
avait été catégoriquement rejetée à Londres était maintenant acceptée à Genève !»
32

Et le ministre d’ajouter :

«De toute évidence, l’accord de Genève n’est pas la solution idéale du
problème, qui ne pourrait être autre chose que la restitution du territoire au Venezuela.
Mais ce n’est pas pour dicter les conditions d’une reddition sans conditions de
l’adversaire en jetant le glaive d’une victoire militaire sur le plateau de la balance que

- 18 -
nous sommes allés sur les bords du lac Léman. C’est pour trouver une solution
satisfaisante à la difficile question territoriale. Fruit d’un dialogue diplomatique et non
du monologue des vainqueurs, l’accord de Genève inscrit dans une nouvelle donne les
positions extrêmes de ceux qui exigent la restitution d’un territoire spolié en vertu
d’une sentence nulle et de ceux qui ne nourrissaient aucun doute quant à leur
souveraineté sur le territoire et n’étaient pas disposés à porter cette affaire devant un
tribunal. En tant que solution fondamentalement vénézuélienne, l’accord de Genève a
reçu l’appui unanime de la délégation.»
Le ministre Iribarren Borges emploie la seconde partie de son discours à commenter le
préambule et les huit articles de l’accord de Genève, tout en prévenant ses auditeurs que,
«pour bien comprendre [l’accord], il faut l’appréhender dans son ensemble, parce que
toutes ses dispositions, tant de fond que de procédure, portent l’empreinte de la
logique dont il procède».
33

Le ministre soutient que le Venezuela était partisan de la participation de la
Guyane britannique, «car s’y opposer, c’était admettre que la Grande-Bretagne, en tant que
puissance coloniale, pouvait résoudre de graves problèmes dans sa colonie sans la participation de
cette dernière». Exclure la Guyane britannique «aurait été une faute et aurait emporté de graves
conséquences pour le Venezuela».
M. Iribarren Borges dit voir dans la dernière partie du préambule
«la reconnaissance expresse de l’existence du différend qui oppose le Venezuela et la
Grande-Bretagne au sujet de la frontière avec la Guyane britannique, reconnaissance
qui est confirmée par l’article I de l’accord».
Cet article I, précise-t-il,
«contient deux points de grande importance, en ce qu’il : 1) confie les pourparlers à
une commission mixte, c’est-à-dire un organe ad hoc qui permet aux deux
gouvernements de communiquer facilement et à tout moment entre eux afin de
parvenir à un règlement du différend ; et 2) reconnaît expressément le différend
survenu du fait de la contestation par le Venezuela de la «sentence arbitrale de 1899».
Il convient de noter qu’il importe au plus haut point de poursuivre les pourparlers et
que ceux-ci pourraient bien déboucher sur une solution qui mettrait fin au différend de
façon satisfaisante sans qu’il soit nécessaire de recourir aux procédures prévues à
l’article IV de l’accord. De plus, l’existence de la commission mixte permet d’être en
contact direct et permanent avec la Guyane britannique pour traiter toutes autres
questions intéressant le différend.»
En ce qui concerne l’article III,
34

«naturellement, les représentants maintiendront le contact avec leurs gouvernements
respectifs et recevront constamment d’eux des instructions ; mais il ne sera pas inutile
d’avoir un rapport semestriel, qui devra être établi par la commission plénière,
c’est-à-dire par les quatre représentants, et constituera de ce fait un document de la
commission».
En ce qui concerne le délai de quatre ans assigné à la commission mixte, pour arriver à un
accord complet sur la solution du différend, «[s]i nous avons accepté un délai de quatre ans, c’est
après d’énergiques discussions avec les Britanniques, qui voulaient au départ un délai de
trente ans».

- 19 -
En ce qui concerne la procédure, au cas où le Secrétaire général de l’ONU devrait intervenir,
«[l]’article IV de l’accord de Genève énonce clairement ce qui suit : a) l’unique
fonction confiée au Secrétaire général de l’ONU est d’indiquer aux parties, à leur seul
usage, les moyens de règlement pacifique des différends visés à l’Article 33 de la
Charte ; et b) ces moyens sont les suivants : négociation, enquête, médiation,
conciliation, arbitrage, règlement judiciaire, recours aux organismes ou accords
régionaux. Telles sont, à strictement parler, les procédures qui doivent être mises en
œuvre jusqu’à ce que le différend soit résolu ou que ces procédures elles-mêmes aient
été épuisées.»
Le ministre signale que, pendant les derniers stades de la discussion, les Britanniques
proposèrent de confier le choix du moyen de règlement à l’Assemblée générale des Nations Unies,
et que le Venezuela rejeta cette proposition : 1) parce qu’il n’était pas indiqué de confier cette tâche
spécifique à une instance aussi éminemment politique et délibérative, car cela pourrait conduire à
des retards déraisonnables «dans la mesure où des éléments politiques extérieurs pourraient
aisément venir influencer la simple fonction consistant à choisir le moyen de règlement» ; et
2) parce que l’Assemblée générale ne se réunit en session ordinaire qu’une fois par an, pendant une
période d’environ trois mois, pour traiter de questions préalablement inscrites à son ordre du jour,
et en session extraordinaire uniquement à la demande du Conseil de sécurité ou d’une majorité de
membres des Nations Unies.
35

C’est alors, continue le ministre, que le Venezuela proposa d’assigner cette fonction du
choix du moyen de règlement à la Cour internationale de Justice, en sa qualité d’instance
permanente libre des contraintes susmentionnées. Quand les Britanniques rejetèrent cette
proposition, le Venezuela proposa de confier ce rôle au Secrétaire général. «En conclusion, … il
est admis sans équivoque que seul participera au choix du moyen de règlement le Secrétaire
général de l’ONU.»
Le commentaire de l’article IV se conclut ainsi :

«Enfin, conformément aux termes de l’article IV, s’il n’est pas trouvé de
solution satisfaisante pour le Venezuela, la prétendue sentence arbitrale de 1899, doit
être révisée par voie d’arbitrage ou de recours judiciaire.» (Les italiques sont de nous.)
En ce qui concerne l’article V de l’accord, le ministre explique que ses dispositions emportent
«reconnaissance des réserves du Venezuela à l’égard des concessions de toute nature déjà accordées
ou qui pourraient être accordées dans le territoire revendiqué».
*
La loi portant approbation de l’accord est adoptée le 13 avril 1966. Le président Leoni signe
et le ministre Iribarren Borges contresigne l’acte de ratification le 15 avril 1966. L’accord est
enregistré par l’ONU le 5 mai 1966. Bien que son article VII stipule que l’accord entrera en
vigueur à la date de sa signature, le ministre Iribarren Borges déclare, dans son discours du 17 mars
1966 au Congrès national, qu’«il va de soi qu’il entrera en vigueur à la date de la promulgation de
la loi portant approbation de l’accord, après son adoption par le Congrès souverain».

Par lettre du 4 avril 1966, le Secrétaire général de l’ONU U Thant accepte les attributions qui lui
36

sont confiées au titre du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord, les estimant «de nature à pouvoir être
assumées de manière appropriée par le Secrétaire général des Nations Unies».

- 20 -
V. LA RECONNAISSANCE DU GUYANA PAR LE VENEZUELA
EN MAI 1966

Par la note GG-00474 du 18 mai 1966 adressée à l’ambassadeur du Royaume-Uni,
Sir Anthony Lincoln, le ministre des affaires étrangères, Iribarren Borges, accepte l’invitation
faite au Venezuela d’envoyer une délégation aux cérémonies célébrant l’indépendance du
Guyana, mais prévient que
37

«la présence de la délégation vénézuélienne … ne saurait impliquer aucune
renonciation totale ou partielle du Venezuela à ses droits sur les territoires qu’il
revendique et n’emporte aucun effet sur les droits à la souveraineté correspondant à la
revendication qu’il a formulée en soutenant que la prétendue sentence arbitrale de
1899 relative à la frontière entre la Guyane britannique et le Venezuela était nulle et
non avenue. L’accord de Genève du 17 février 1966 prévoit des dispositions allant
dans le même sens. En conséquence, mon pays reconnaîtra en temps utile le nouvel
Etat du Guyana, avec la réserve expresse et susmentionnée concernant son territoire.»
Le 25 mai 1966, l’ambassadeur du Royaume-Uni, agissant d’ordre du ministre des affaires
étrangères, répond en ces termes à la note précitée :

«Puisque le paragraphe 2 de l’article V de l’accord de Genève stipule qu’aucun
acte ni aucune activité qui aura lieu pendant que le présent accord sera en vigueur ne
pourra servir de base pour affirmer, appuyer ou nier une revendication portant sur les
territoires du Venezuela ou de la Guyane britannique, ni pour créer aucun droit à la
souveraineté sur ces territoires, les réserves que le Gouvernement vénézuélien a
l’intention de formuler quand il reconnaîtra le Guyana ne semblent guère ajouter quoi
que ce soit à la position du Venezuela. C’est donc avec regret que le Gouvernement de
Sa Majesté note que le Gouvernement vénézuélien a jugé nécessaire de les formuler.
Cependant, puisque le Gouvernement vénézuélien a procédé de cette façon dans la
note susmentionnée de Votre Excellence, le Gouvernement de Sa Majesté, de son
côté, se croit obligé de réserver ses droits et ceux du Gouvernement de la Guyane
britannique en la matière.»
38

Le Venezuela envoie sa note portant reconnaissance du Guyana le jour même de
l’indépendance de ce pays, soit le 26 mai 1966. Dans cette note, le Gouvernement vénézuélien se
dit «désireux de nouer avec l’Etat du Guyana des relations fondées sur l’intérêt commun et le
respect réciproque et est disposé à échanger des représentants diplomatiques … lorsque les deux
pays le jugeront approprié».
Après les compliments et félicitations d’usage, la note rappelle que, aux termes de
l’article VIII de l’accord de Genève, le Guyana devient partie à l’accord dès ce jour. Elle ajoute ce
qui suit :

«En conséquence, et conformément aux dispositions de l’article V du même
accord, la reconnaissance du nouvel Etat du Guyana par le Venezuela n’implique de la
part de notre pays aucune renonciation totale ou partielle à ses droits sur les territoires
qu’il revendique et n’emporte aucun effet sur les droits à la souveraineté
correspondant à la revendication qu’il a formulée en soutenant que la prétendue
sentence arbitrale de Paris de 1899 relative à la frontière entre le Venezuela et la
Guyane britannique était nulle et non avenue. Le Venezuela reconnaît donc comme
territoire du nouvel Etat celui qui est situé à l’est de la rive droite de l’Essequibo et
réaffirme devant le nouveau pays et devant la communauté internationale qu’il réserve
expressément ses droits à la souveraineté sur l’intégralité de la zone située sur la rive
gauche dudit fleuve ; par conséquent, le territoire de la Guayana Esequiba sur lequel le
Venezuela réserve expressément ses droits à la souveraineté constitue la limite
39

- 21 -
orientale du nouvel Etat du Guyana, le long de la ligne tracée par l’Essequibo depuis
sa source jusqu’à son embouchure sur l’océan Atlantique.»
Le 21 juin 1966, le représentant du Venezuela, M. Zuloaga, y insiste dans une déclaration
qu’il fait au Conseil de sécurité :

«Le Venezuela déclare formellement que ni son appui à la demande
d’admission du Guyana à l’ONU ni cette admission lorsqu’elle sera confirmée ne
sauraient impliquer qu’il renonce totalement ou partiellement à ses droits souverains
sur le territoire situé sur la rive gauche de l’Essequibo ou qu’il reconnaisse en quelque
manière que ce soit la sentence arbitrale de Paris de 1899 relative à la frontière entre le
Venezuela et la Guyane britannique, comme l’atteste la réserve en bonne et due forme
qu’il a jointe à sa reconnaissance du nouvel Etat.»
Cette déclaration est renouvelée le 20 septembre 1966 devant l’Assemblée générale des
Nations Unies, lorsque le Guyana devient Membre de l’Organisation.
Le Gouvernement guyanien laisse passer plusieurs mois avant de répondre, le 19 août 1966,
à la note du 26 mai 1966 du Venezuela. La note, qui émane du premier ministre et ministre des
affaires étrangères, L. F. S. Burnham, contient le passage suivant :

«Mon gouvernement note que le Gouvernement vénézuélien a eu le plaisir de
reconnaître le Guyana, mais observe avec regret que le Gouvernement vénézuélien a
dit voir dans la ligne médiane de l’Essequibo la frontière occidentale de l’Etat du
Guyana, ce qui est contraire à l’accord de 1905 faisant suite aux travaux de la
commission de démarcation de la frontière.»
40

La note rappelle expressément que le paragraphe 2 de l’article premier de la Constitution du
Guyana, qui définit le territoire de l’Etat, inclut dans celui-ci tout l’espace qui, à la date de
l’indépendance, constituait la Colonie de la Guyane britannique. En même temps, le premier
ministre et ministre des affaires étrangères guyanien déclare :

«Je tiens à donner au Gouvernement de Votre Excellence toutes assurances que
le Gouvernement guyanien entend, conformément à une pratique internationale
constante, remplir toutes les obligations qui découlent de l’accord.»

Sur la question de l’établissement de relations diplomatiques, la note explique que le manque
de personnel qualifié et de moyens empêche le nouvel Etat d’établir une mission au Venezuela,
mais que le Gouvernement guyanien accepterait toute décision du Gouvernement vénézuélien
tendant à donner à son consulat général actuel le statut d’ambassade et à nommer un ambassadeur
pour le représenter.
*

- 22 -
VI. LA COMMISSION MIXTE
(1966-1970)
41

L’accord de Genève prévoyait que les parties désigneraient leurs représentants à la
commission mixte dans les deux mois qui suivraient l’entrée en vigueur de l’accord le 16 février
1966. Le Guyana désigne ses commissaires, Donald Jackson et Mohamed Shahabuddeen, le
14 avril 1966. Le Venezuela nomme les siens, Luis Loreto et Gonzalo Garcia Bustillos, deux jours
plus tard. Pendant ses quatre années d’existence, la commission, dont la composition est restée
inchangée, se réunit à 16 reprises.

Selon les dispositions de l’article III de l’accord de Genève, la commission mixte doit
présenter des rapports sur l’état d’avancement de ses travaux tous les six mois à partir de la date de
sa première séance. En revanche, le paragraphe 1 de l’article IV contient cette disposition :

«Si, dans les quatre ans qui suivront la date du présent accord, la Commission
mixte n’est pas arrivée à un accord complet sur la solution du différend, elle en
référera, dans son rapport final, au Gouvernement guyanien et au Gouvernement
vénézuélien pour toutes les questions en suspens.»
*
Une brochure publiée sous le titre de El reclamo de la Guayana Esequiba (la revendication
de la Guyana Esequiba) (République bolivarienne du Venezuela, ministère des affaires étrangères,
direction générale des frontières, Caracas, 1982, p. 10 à 12) offre une brève synthèse des activités
de la commission mixte. On peut y lire ceci :

«[U]ne différence d’approche radicale quant à l’interprétation de l’article I de
l’accord de Genève s’est fait jour dès le début des travaux de la commission mixte.
42

Selon le Venezuela, les Hautes Parties contractantes avaient chargé la
commission mixte de rechercher des solutions pratiques au différend territorial. Cette
interprétation s’appuyait sur :
a) le contexte des négociations diplomatiques qui avaient mené à l’accord de Genève,
puisque le point 1 de l’ordre du jour de la Conférence ministérielle de Londres
(1965) avait été exclu des délibérations de la Conférence de Genève. Ce point 1 de
l’ordre du jour concernait l’examen des documents relatifs à la nullité de la
«sentence arbitrale» ;
b) le texte de l’accord de Genève, qui prévoit la recherche de solutions satisfaisantes
pour le règlement pratique du différend ;
c) le caractère paritaire et diplomatique de la commission mixte.

Selon les représentants du Guyana, la commission mixte devait s’employer
d’abord à clarifier les raisons du différend entre les deux pays, c’est-à-dire la position
du Venezuela qui soutenait que la sentence arbitrale de 1899 était nulle et non avenue,
et devait par conséquent commencer par un examen des documents qui, selon le
Venezuela, justifiaient sa position.
La délégation vénézuélienne ne voulait pas se laisser entraîner dans un débat
juridique puisque, outre les raisons qui motivaient son interprétation de l’accord de
Genève, elle considérait qu’un débat de caractère juridique au sein d’une commission

- 23 -
mixte et diplomatique ne déboucherait sur aucune solution, étant donné qu’en fin de
compte les deux délégations ne démordraient pas de leurs positions respectives sur la
«sentence arbitrale».»
La brochure de 1982 sur la revendication de la Guayana Esequiba continue ainsi :

«Soucieux d’arracher la commission mixte à un débat stérile sur l’interprétation
43

de l’article I de l’accord de Genève, le Venezuela mit sur la table, à la quatrième
réunion de la commission, qui eut lieu à Georgetown en mars 1967, une substantielle
proposition de développement conjoint de la Guayana Esequiba. La réponse promise
par le Guyana fut donnée à la sixième réunion de la commission
(octobre-novembre 1967), après que la délégation vénézuélienne, faisant suite à une
demande du Guyana en ce sens, eut élargi sa proposition pour en faire un plan de
développement conjoint méticuleusement élaboré. D’interminables discussions
aboutirent finalement à la création d’une sous-commission d’experts chargés d’étudier
les projets constituant le plan de développement conjoint. Cette sous-commission s’est
réunie deux fois, à Georgetown, en février et juin 1968.»
Et d’ajouter :

«Cela dit, entre mai 1967 et juillet 1968, il devint apparent, tant au sein de la
commission mixte qu’au sein de la sous-commission d’experts, que le Guyana n’avait
pas vraiment l’intention d’explorer le principe du développement conjoint comme
moyen de parvenir à un règlement du différend.
Les discussions à la commission mixte et les contacts entre
gouvernements … avaient fait apparaître clairement que le Guyana n’accepterait
aucun plan de développement conjoint de la Guayana Esequiba en l’absence de
reconnaissance préalable par le Venezuela de la souveraineté guyanienne sur ce
territoire.
44

De surcroît, et alors même que le projet vénézuélien de développement conjoint
n’était pas exclusivement confiné à la Guayana Esequiba, qui en était cependant
l’objet principal, les contre-propositions guyaniennes excluaient délibérément ce
territoire ; le Guyana suggérait que le Venezuela accorde des crédits à très faible taux
d’intérêt, remboursables en cinquante ans, avec une période de dix ans exempte
d’intérêts, à trois projets guyaniens situés sur la rivière Canje, près de la
rivière Corentin qui marque la frontière avec le Surinam, à Georgetown et dans la
région centrale du district de Demerara.
En fin de compte, le Guyana :
1) n’acceptait pas que le plan de développement conjoint inclue la
Guayana Esequiba ;
2) n’acceptait pas que le Venezuela participe à l’administration du plan ou des projets
concrets ;
3) se servait des discussions sur la question pour épuiser le délai accordé à la
commission mixte et neutraliser au niveau international l’impact de la déclaration
par laquelle le Venezuela avait annoncé qu’il ne reconnaîtrait pas les concessions
accordées par le Guyana en Guayana Esequiba.»
*

- 24 -
Le 30 mars 1968, au début de la première séance de la huitième réunion de la commission
mixte, Luis Loreto lit une déclaration qui résume le sentiment des commissaires vénézuéliens sur
l’état d’avancement de leurs travaux. Deux des quatre années que l’accord de Genève a accordées à
la commission pour s’acquitter du mandat prévu à son article I sont déjà écoulées ; les
commissaires vénézuéliens invitent par conséquent leurs homologues guyaniens à méditer
sérieusement sur l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations.
Le commissaire vénézuélien fait une analyse impitoyable du travail accompli pendant les
réunions précédentes de la commission, mettant en évidence la politique obstructionniste et
dilatoire adoptée par les commissaires guyaniens et, à leur tour, par les membres guyaniens de la
sous-commission d’experts évoquée plus haut :

«A la première réunion de la commission, en juillet 1966, l’opposition
inflexible des commissaires guyaniens sur des points de pure forme a empêché
d’approuver le règlement intérieur dans son intégralité.
45

A la deuxième réunion, en septembre 1966, un temps considérable a d’abord été
perdu sur des points de procédure. Puis, lorsque les représentants du Venezuela eurent
proposé la restitution du territoire situé à l’ouest de l’Essequibo, les commissaires
guyaniens se sont vigoureusement efforcés de modifier le mandat donné à la
commission en vertu de l’accord de Genève, en essayant de faire porter les
délibérations sur la question de la validité ou de la nullité de la sentence arbitrale de
1899, alors que des délibérations juridiques de cette nature étaient : a) stériles étant
donné le caractère incontestablement diplomatique d’une commission ayant vocation à
négocier ; et b) hors sujet étant donné le mandat donné aux commissaires en vertu de
l’article I de l’accord.
A la troisième réunion, en décembre 1966, les commissaires guyaniens ont
empêché les négociations d’avancer au motif que le différend territorial avait encore
été aggravé par certaines actions telles que l’attaque contre le consulat du Venezuela
et la profanation du drapeau vénézuélien à Georgetown ; il en est résulté que seul le
premier rapport de la commission a pu être approuvé.
A la quatrième réunion, en mars 1967, les commissaires vénézuéliens
essayèrent une nouvelle voie pour trouver un terrain d’entente et proposèrent un plan
de développement conjoint. Leurs homologues guyaniens promirent une réponse pour
la cinquième réunion, prévue en juillet 1967, mais au lieu d’en fournir une, ils
demandèrent que le plan proposé soit élargi ; le Venezuela soumit donc une
proposition élargie à la sixième réunion de la commission, qui se déroula en deux
temps (octobre et décembre 1967). Après avoir tenté d’orienter les délibérations vers
des questions marginales et insignifiantes, les commissaires guyaniens voulurent
ramener la négociation au point où elle en était à la deuxième réunion en septembre
1966, soit quatorze mois plus tôt. Un tel comportement de leur part, loin de signaler un
réel et sincère désir de s’acquitter du mandat qu’ils tenaient de l’accord de Genève,
montrait à quel point ils entendaient d’en faire litière. C’est pourquoi les commissaires
vénézuéliens décidèrent de retourner dans leur pays et de quitter la réunion, à laquelle
ils ne revinrent qu’après que leurs homologues guyaniens les eurent informés qu’ils
étaient prêts à travailler sérieusement. Or, à l’issue d’un débat interminable et de
caractère parfois purement sémantique, le seul point sur lequel la commission mixte
put s’entendre fut la création d’une sous-commission d’experts. Et encore, il fallut
reporter à la septième réunion de la commission l’examen du calendrier de la création
et du fonctionnement de cette sous-commission, les commissaires guyaniens se
refusant à en discuter en décembre 1967.
46

- 25 -
Une fois la sous-commission créée, les Guyaniens freinèrent ses travaux en
n’autorisant pas les conseillers qui accompagnaient les experts à assister à ses séances
officielles et en refusant de considérer comme un document de travail le plan de
développement conjoint présenté par le Venezuela et qui avait été examiné dans ses
grandes lignes à la sixième réunion de la commission mixte en
octobre-décembre 1967. Les experts guyaniens déclarèrent que, de préférence à ce
plan de développement conjoint, ils attendaient du Venezuela qu’il accorde au Guyana
un prêt concessionnel pour l’aider à faire face à son endettement, ils refusèrent
d’examiner plus avant le plan de développement sous prétexte que le sens de
l’expression «développement économique» figurant dans le mandat de la souscommission
avait
besoin
d’être
explicité,
et
ils
firent
demander
à
la
commission
mixte

si
cette
expression
comprenait
le
«développement
social».
Cette
politique
dilatoire
et

obstructionniste

permettait aux experts guyaniens de gagner du temps et d’en faire
perdre à la commission. Le rapport de la sous-commission se réduisit à demander à la
commission si la sous-commission devrait étudier des domaines possibles de
coopération entre le Venezuela et le Guyana dans le financement et l’exécution de
projets de développement et d’échanges économiques, sociaux et culturels entre ces
deux pays. Un résultat par conséquent entièrement négatif.»

«Loin de trouver le chemin d’une entente, conclut le commissaire Luis Loreto,
47

le grave différend territorial entre les deux Etats est en train de s’aggraver en raison du
comportement obstructionniste adopté par le Guyana à la sous-commission et à la
commission mixte. Ce n’est pas une façon de traiter la question. Pour le Venezuela, la
solution pratique consiste à lui restituer le territoire dont il a été spolié. Cela ne nous a
pas empêchés d’avoir un comportement empreint de sympathie, à quoi vous avez
répondu en barrant toutes les voies qui pourraient nous permettre de nous comprendre.
Vous n’avez pas proposé de solution pratique. Nous aimerions savoir quelle est la
solution pratique proposée.»
*
A la 11
e
réunion de la commission mixte, tenue à Caracas les 28 et 29 décembre 1968, les
commissaires vénézuéliens publient une longue déclaration dans laquelle ils soulignent que,
«si les représentants du Guyana étaient disposés à rechercher de bonne foi des
solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du différend, le Venezuela serait
prêt à donner à la commission mixte le temps qu’il lui faudrait raisonnablement pour
accomplir sa mission et, par conséquent, il serait disposé à reconduire le mandat de cet
organe pour les périodes qu’il jugerait appropriées à cette fin. Voilà une proposition de
caractère pratique que nous avons faite. Si le Guyana ne modifie pas son attitude et
s’entête à soutenir la position théorique qui est la sienne, il ne fera, par ce
comportement, que confirmer sa volonté réitérée de faire fi de l’accord de Genève, et
en particulier de son article I.»
*
48

A la 12
e
réunion, tenue à Bridgetown (La Barbade) du 8 au 10 avril 1969, les commissaires
vénézuéliens proposent avec insistance de prévoir des projets de développement conjoint à l’ouest
de l’Essequibo : bien que cette proposition ne puisse pas constituer une solution de fond du

- 26 -
différend, elle permettrait au moins de s’en rapprocher, tout en évitant que le développement de la
région ne reste au point mort en raison du problème principal. Les grandes lignes de cette
proposition sont les suivantes : 1) l’ensemble du territoire guyanien pourra bénéficier de projets de
développement, sans que le territoire situé à l’ouest de l’Essequibo soit considéré comme
prioritaire ; 2) les projets seront planifiés et exécutés selon une formule d’administration conjointe
convenue par les parties ; et 3) les projets seront financés par des fonds d’origine nationale,
conjointe et internationale. La proposition est rejetée.
*
Les commissaires se réunissent à deux reprises pour établir leur rapport final, à Caracas du
13 au 16 mai 1970, et à Port of Spain les 15, 16 et 18 juin 1970, date à laquelle ils signent ce
rapport. Par leur brièveté et leur insignifiance même, les trois pages du rapport attestent l’échec des
parties. Des mémorandums distincts présentés sous forme d’annexes, mais faisant partie intégrante
du rapport, précisent que le fait que les parties aient signé le rapport ne constitue ni une acceptation
ni une reconnaissance de leurs positions respectives. Les rapports d’avancement qui ont été soumis
tous les six mois pendant le mandat de la commission sont eux aussi considérés comme faisant
partie intégrante du rapport final. Le mémorandum du Venezuela dénonce en ces termes ce qu’il
appelle le non-respect de l’accord de Genève :

«[C]e n’est pas qu’une solution satisfaisante pour le règlement pratique du
différend n’a pas été trouvée, mais que, en dépit des efforts déployés par le Venezuela,
il n’y a pas eu la moindre tentative de rechercher une solution.»
49

- 27 -
VII. LE PROTOCOLE DE PORT OF SPAIN
(1970-1982)
Le protocole de Port of Spain est signé le 18 juin 1970 ; le président du Venezuela est alors
Rafael Caldera (1968-1974), qui veut adopter une politique «caraïbe».
Ce protocole consiste en un préambule et six articles. Dans le préambule, les parties se disent
convaincues que «le développement d’une confiance mutuelle et de rapports positifs et amicaux
entre la Guyane et le Venezuela contribueront à une amélioration de leurs relations».
L’article I énonce que, tant que le protocole restera en vigueur, les deux gouvernements
«étudieront tous les moyens d’améliorer la compréhension entre eux-mêmes et entre
leurs peuples et, en particulier, procéderont par les voies diplomatiques normales à des
examens périodiques de leurs relations en vue d’en favoriser l’amélioration et de
réaliser des progrès constructifs dans ce domaine».
Aux termes du paragraphe 1 de l’article II,
«[t]ant que le présent Protocole restera en vigueur, aucune revendication résultant des
différends dont il est fait mention dans l’article I de l’Accord de Genève ne sera
formulée par la Guyane en ce qui concerne la souveraineté territoriale sur les
territoires vénézuéliens ou par le Venezuela en ce qui concerne la souveraineté
territoriale sur les territoires guyanais».
50

Aux termes de l’article III, tant que le protocole restera en vigueur,
«l’application de l’article IV de l’Accord de Genève sera suspendue. A la date à
laquelle le … Protocole cessera d’être en vigueur, l’application dudit article sera
reprise au point où elle aura été suspendue, c’est-à-dire comme si le rapport final de la
Commission mixte avait été présenté à ladite date, à moins que le Gouvernement
guyanais et le Gouvernement vénézuélien n’aient préalablement déclaré conjointement
par écrit qu’ils sont parvenus à un accord complet sur le règlement du différend dont il
est fait mention dans l’Accord de Genève ou qu’ils se sont entendus sur l’un des
moyens de règlement pacifique prévu à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies».
L’article IV stipule que l’article V de l’accord de Genève continuera de s’appliquer pendant
cette période.
L’article V établit la durée du maintien en vigueur du protocole, à savoir une période initiale
de douze ans renouvelable pour des périodes successives de même durée ou, par accord écrit, pour
des périodes moins longues mais d’au moins cinq ans, sachant que le protocole pourra être dénoncé
à condition que, six mois au moins avant la fin d’une période, l’un des deux Gouvernements
adresse à l’autre une notification écrite à cet effet.
L’article VI prévoit que le protocole sera désigné sous le titre de «protocole de Port of
Spain» et qu’il entrera en vigueur à la date de sa signature. Il est précisé que les textes en anglais et
en espagnol font également foi.
*

- 28 -
Dans l’exposé des motifs du projet de loi vénézuélien du 22 juin 1970 portant approbation du
protocole, on peut lire que le Gouvernement vénézuélien, quand il réalisa qu’il risquait de perdre le
contrôle
51

«[d’]une question aussi crucialement importante pour le Venezuela que peut l’être
celle du choix des moyens de règlement du différend, … entreprit d’examiner
attentivement l’état des relations entre les deux pays, ainsi que la situation générale de
la politique internationale dans la mesure où celle-ci pouvait affecter [ses] aspirations,
et conclut que le moment n’était pas opportun pour entamer cette nouvelle phase de la
procédure».
L’exposé des motifs continue ainsi :

«En effet, compte tenu de l’absence de tout progrès à la commission mixte et de
la déplorable mais indéniable détérioration des relations entre le Venezuela et le
Guyana, il était difficile, sinon impossible, d’envisager que le dispositif mis en place
par l’accord de Genève pourrait remplir sa fonction, qui était de produire une solution
satisfaisante pour le règlement pratique du différend, puisque la réalisation de cette
solution aurait nécessairement comme préalable à l’exécution de la solution envisagée
une disposition des deux parties à s’entendre.»

Il précise que le Gouvernement a procédé à de vastes consultations avec des politiques et des
experts, y compris en sollicitant «l’opinion d’experts étrangers de confiance», et, après avoir examiné
avec soin toutes les possibilités qui s’offraient à lui,
«a conclu que la plus raisonnable, bien qu’elle semblât aussi la plus ardue dans le
contexte actuel, était la voie des négociations avec le Guyana… Nonobstant des
positions de départ très éloignées, … il existait des indices d’une réelle disposition du
Guyana à négocier. Ce désir chez les deux parties de parvenir à une entente leur a
finalement permis de s’accorder sur le texte d’un protocole qui … ouvre la voie à la
mise en place des conditions nécessaires pour qu’un règlement pacifique, honorable et
équitable du différend devienne possible.»
52

De plus,
«[à] l’ouverture des négociations, le Gouvernement guyanien proposa une suspension,
trop longue de l’avis du Gouvernement vénézuélien, basée sur l’idée qu’il valait
mieux laisser à une nouvelle génération le soin de mener à son terme l’examen
complet de la question. Le Venezuela, de son côté, proposa une suspension qui parut
trop brève au Gouvernement guyanien. La suspension de douze ans … représente
donc une formule de compromis … mais plus proche de la proposition initiale du
Venezuela que de celle du Guyana.»
Les avantages du protocole sont les suivants : a) il maintient en vigueur la revendication du
Venezuela sur le territoire saisi par la sentence arbitrale de 1899 ; b) il permet d’éviter que le
différend ne sorte à court terme du cadre des négociations directes pour atterrir entre les mains de
tierces parties ; c) il accorde aux deux gouvernements un délai suffisamment long pour leur
permettre d’étudier tous les moyens d’améliorer la compréhension entre eux et entre leurs peuples,
et, en particulier, pour procéder par les voies diplomatiques normales à des examens périodiques de
leurs relations en vue d’en favoriser l’amélioration et de réaliser des progrès contructifs dans ce
domaine ; d) il permet d’envisager que, d’ici à la fin de ce délai, des conditions plus favorables se
soient fait jour, qui puissent conduire, selon les termes de l’accord de Genève et en fonction de la
situation internationale à ce moment, à un règlement du différend ou à la détermination des moyens
de le régler ; e) il donne au Venezuela la possibilité non seulement de faire baisser la tension
existant alors, mais encore d’améliorer considérablement son image en mettant en place une

53

- 29 -
collaboration économique intelligente, bien organisée et de vaste ampleur ; et f) il permet de créer
des conditions favorables à une reprise, à l’expiration des douze années de suspension, de la
procédure prévue à l’article IV de l’accord de Genève.

Il convient de souligner que le terme «geler» employé par certains exégètes ne correspond ni au
sens ni à l’intention véritables de ce traité, puisque la suspension de douze ans ne sera pas une période
d’inactivité ; bien au contraire, aux termes de l’article I du protocole, les parties s’engagent à faire des
efforts réels pendant cette période pour créer un climat de véritable compréhension qui ouvrira la voie
à un règlement du différend, tel que visé à l’article III. Tout ce que l’accord de Genève peut contenir
de favorable aux intérêts du Venezuela reste en l’état. A la date à laquelle le protocole cessera d’être en
vigueur, l’application de l’article IV de l’accord de Genève sera reprise au point où elle aura été
suspendue, c’est-à-dire comme si le rapport final de la commission mixte avait été présenté à ladite
date. L’article IV du protocole maintient en application l’article V de l’accord de Genève, dont il
corrige seulement quelques références anachroniques.

Selon le Gouvernement, le protocole ouvre des perspectives nouvelles et positives :

«[Ce protocole] est le résultat d’une volonté de se comprendre et le début d’une
nouvelle phase dans la recherche d’un règlement du différend, non seulement parce
qu’il permet d’éviter des mesures inappropriées ou inopportunes, mais surtout parce
qu’il met l’accent sur un effort constructif de création de nouveaux liens de
collaboration et de confiance entre le Venezuela et le Guyana.»
Non-renouvellement du protocole de Port of Spain
54

Le 4 avril 1981, à l’occasion d’une visite officielle à Caracas du président du Guyana,
Forbes Burnham, un communiqué du ministère vénézuélien des affaires étrangères fait savoir que
le président Herrera Campins a réaffirmé vigoureusement la validité de la revendication de
l’Essequibo, réitéré son rejet de «tout engagement incompatible» avec cette revendication et
confirmé «l’aspiration nationale à obtenir réparation de la grave injustice commise contre notre
pays par la voracité des empires coloniaux». Dans ce contexte, le président a «confirmé le rejet par
le Venezuela du projet de barrage hydroélectrique sur l’Alto Mazaruni», rappelé que le Venezuela
et le Guyana «[s’étaient] engagés à rechercher des solutions satisfaisantes pour le règlement
pratique du différend en suspens», et réaffirmé «la volonté du Venezuela de continuer d’étudier les
moyens les plus appropriés de parvenir à cette fin». Le président Campins a ainsi «déclaré
qu’aucune disposition n’était prise de notre côté pour renouveler le protocole de Port of Spain», qui
devait expirer le 18 juin 1982.
Cette dernière information est complétée le 10 avril 1981 par une déclaration du ministre
vénézuélien des affaires étrangères, José Alberto Zambrano Velasco :

«Le gouvernement estime qu’il faudrait étudier de nouveaux moyens de faire
aboutir notre revendication et considère qu’en prenant cette décision il exprime le
sentiment national … La conséquence immédiate de l’extinction du protocole de Port
of Spain est la pleine réactivation des procédures prévues par l’accord de Genève de
1966 … Nous devons évaluer si le Guyana et la Grande-Bretagne se sont acquittés de
bonne foi des obligations qui en découlent. Nous devons maintenant examiner les
divers moyens prévus par ce traité pour choisir celui qui, en accord avec les objectifs
fixés par les parties, convient le mieux à nos intérêts. L’unité des Vénézuéliens sera un
facteur décisif … pour que soit respecté le fondement éthique et juridique de notre
revendication en vue d’obtenir réparation du préjudice dont nous avons été victimes
du fait des empires coloniaux. Et pour que soit également respecté l’engagement pris
en 1966 par le Venezuela, le Guyana et le Royaume-Uni de trouver des solutions
satisfaisantes pour un règlement pratique du différend. Cette unité sera encore
nécessaire pour faire comprendre au Guyana et à la communauté internationale que le
55

- 30 -
Venezuela n’acceptera pas, tant qu’une solution satisfaisante du différend n’aura pas
été trouvée, qu’il puisse être disposé du territoire en cause par des actions décidées de
façon unilatérale, qui seraient susceptibles d’avoir un impact considérable et
reviendraient à faire fi de nos droits. Dans le cas précis du barrage sur
l’Alto Mazaruni, il doit être clair pour la communauté internationale que la réalisation
de cet ouvrage est inadmissible, pour le Venezuela, dans le contexte actuel et que, par
conséquent, nous ne reconnaîtrons aucun droit qui pourrait être invoqué sur le
fondement de l’hypothétique exécution de ce projet.»
Cette déclaration est suivie d’une autre, celle-ci du Gouvernement national, qui affirme
notamment, le 2 mai 1981, que «[l]e Venezuela s’est efforcé d’observer rigoureusement» les
principes de l’accord de Genève et, sans méconnaître le bien-fondé de certaines des critiques qui lui
sont adressées, est
«convaincu que si les deux parties ont l’intention de s’y conformer de bonne foi, son
but sera certainement atteint, qui est de trouver une solution satisfaisante pour le
règlement pratique du différend. En conséquence, le gouvernement insiste pour que
soient appliquées ses dispositions afin de trouver une solution à notre revendication.»
La déclaration du gouvernement national se poursuit en ces termes :

«Bien entendu, si les moyens de règlement prévus par l’accord de Genève
56

viennent à être épuisés sans que le différend ait été réglé, ou s’il continue d’être
manifeste que l’autre partie n’a aucune intention de se conformer à ses dispositions et
refuse de négocier des solutions satisfaisantes en vue du règlement pratique du
différend territorial, il faudra peut-être repenser l’orientation de l’action menée par le
Venezuela pour obtenir la réparation qui lui est due. Dans ce contexte, les récentes
déclarations du Gouvernement guyanien voulant que le problème territorial entre nos
pays soit limité au traité de 1897 et à la sentence de 1899 manifestent de toute
évidence l’intention de faire fi de l’accord de Genève. Or, refuser de négocier
conformément à ce qui a été convenu d’un commun accord, ce n’est pas seulement
ignorer l’injustice commise contre le Venezuela, c’est aussi refuser de tenir ses
engagements internationaux.»
Dans sa déclaration, le Gouvernement national ajoute ceci :

«L’accord de Genève impose aux parties l’obligation de rechercher des
solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du différend. C’est pourquoi, dès le
départ, le Venezuela s’est montré disposé à examiner tous les problèmes soulevés par
cette question, qu’ils soient de nature politique, maritime, culturelle, économique ou
sociale, et à ne pas se limiter à seulement examiner la nullité de la prétendue sentence
de 1899, comme semble le dire le Guyana. Le Venezuela considère qu’aucun
arrangement pratique ne sera possible si la question n’est pas saisie dans son
ensemble, et que toute approche différente constitue un manquement à l’obligation de
négocier une solution satisfaisante imposée par l’accord de Genève.»
La déclaration du gouvernement rappelle les termes de la reconnaissance du Guyana par le
Venezuela, et notamment sa réserve expresse concernant l’ensemble du territoire de l’Essequibo
jusqu’à ce qu’un règlement pratique du différend ait été obtenu.
Le Gouvernement conclut sa déclaration en ces termes :

«Le Venezuela est disposé à rechercher, conformément aux dispositions de
l’article IV de l’accord de Genève, un moyen approprié de trouver une solution
satisfaisante pour le règlement pratique du différend. Une telle attitude est
57

- 31 -
indispensable si l’on veut avoir recours aux moyens de règlement pacifique prévus par
le droit international. C’est pourquoi le Venezuela trouve préoccupantes certaines
attitudes du Gouvernement guyanien ou empruntées sous sa protection, qui semblent
incompatibles avec le but avoué de trouver le moyen de régler pacifiquement notre
différend.»
*

Sachant que le Venezuela a l’intention de reprendre l’application de l’article IV de l’accord
de Genève, le président Burnham lance une campagne internationale contre lui. Le 8 juillet 1982,
dans un discours au congrès des gouverneurs qui a lieu à Ciudad Bolivar, le ministre vénézuélien
Zambrano Velasco explique que
«M. Burnham croyait qu’il rentrerait dans son pays fort d’une décision du Venezuela
de souscrire au renouvellement du protocole de Port of Spain et de contribuer à la
construction du barrage sur le Mazaruni, qui est devenu le rêve ou la panacée censée
résoudre les problèmes économiques qui accablent le peuple guyanien frère».
Le président Herrera Campins ayant publiquement rejeté ces deux objectifs, poursuit le
ministre Zambrano Velasco dans son discours,
«la réaction guyanienne fut vive et agressive. Dans toutes les instances internationales,
qu’elles soient politiques ou techniques, le Guyana lança des accusations préméditées
et véhémentes contre le Venezuela, en le présentant sous les espèces d’un pays riche,
vaste et puissant convoitant les deux tiers du territoire d’un Etat de petite taille et
indépendant depuis peu, et se livrant à son encontre à une guerre économique et à une
politique d’agression.
58

Dans une intervention devant le bureau de coordination du Groupe des pays non
alignés réuni à La Havane en juin dernier, le ministre guyanien des affaires étrangères
a expliqué ainsi les intentions du Guyana : la stratégie guyanienne devait prendre fin
quelques jours avant la date fixée pour la cessation de l’application du protocole de
Port of Spain, avec une condamnation du Venezuela qui serait décrit comme un pays
agresseur.
Le Guyana avait l’intention de demander aux chefs d’Etat de la Communauté
des Caraïbes (CARICOM) de souscrire à cette éventuelle condamnation au cours
d’une réunion qui devait être convoquée à Georgetown en décembre et qui dut être
annulée faute d’avoir reçu un accueil favorable de la part des participants pressentis,
qui avaient compris le but de la manœuvre guyanienne… Au même moment, une autre
accusation d’agression par le Venezuela circulait au sein du Conseil de sécurité des
Nations Unies, émanant du Guyana.»
D’avril à décembre 1981, le Guyana engage dans plusieurs enceintes multilatérales une série
de manœuvres, dont chacune oblige les représentants du Venezuela à réagir. En avril 1981, à la
68
e
session de la conférence internationale du travail, à Genève, le représentant du Venezuela élève
ainsi une objection à «l’utilisation de cette instance pour examiner une question qui doit être réglée
sur le plan bilatéral et par les moyens pacifiques choisis par les parties à l’accord de Genève». Il en
va de même en mai 1981, à la 34
e
assemblée mondiale de la santé ; en juin, à la quatrième réunion
du groupe des Caraïbes pour la coopération en matière de développement économique, tenue à
Washington ; en août, à la Conférence des Nations Unies sur les sources d’énergie nouvelles et
renouvelables tenue à Nairobi ou en octobre, à la réunion des chefs de gouvernement des pays du

- 32 -
Commonwealth tenue à Melbourne — le ministère vénézuélien des affaires étrangères relevant
alors, dans un communiqué de presse publié le 7 octobre 1981, que la déclaration adoptée à cette
occasion l’a été alors que le secrétariat de la réunion était assuré par S. S. Ramphal, le ministre
guyanien qui avait signé le protocole de Port of Spain.

Il en va également ainsi devant la Banque mondiale en rapport avec le financement du projet
59

de barrage hydroélectrique sur l’Alto Mazaruni soumis par le Guyana. Le 17 juin 1981, d’ordre du
ministère des affaires étrangères, l’ambassade du Venezuela aux Etats-Unis publie un communiqué
annonçant que le ministre des affaires étrangères, Zambrano Velasco, a adressé au président de la
Banque mondiale une lettre datée du 8 juin dans laquelle il réaffirme la position du Venezuela sur
le projet :

«Le projet de barrage sur l’Alto Mazaruni est situé sur le territoire de
l’Essequibo, qui fait l’objet d’un différend territorial, et est issu d’une initiative
unilatérale du Gouvernement guyanien, qui ne respecte pas ses obligations
internationales… La construction de ce barrage … entraînerait des travaux
considérables qui modifieraient de façon profonde et irréversible cette région ainsi que
son environnement physique. Le Venezuela réaffirme sa ferme opposition à
l’accomplissement d’un acte unilatéral tendant à disposer d’un territoire qui relève de
sa souveraineté.»
Ce projet témoigne de
«l’absence [chez le Guyana] d’une véritable volonté de respecter les obligations
internationales qu’il tient de l’accord de Genève, qui impose aux Etats parties
l’obligation de rechercher une solution satisfaisante pour le règlement pratique du
différend. Les actes unilatéraux de ce type sont manifestement incompatibles avec la
conduite que doivent avoir des Etats tenus de négocier de bonne foi en vue de parvenir
à un règlement pacifique et pratique d’un différend pendant et insèrent d’inutiles
éléments de tension dans les relations internationales. L’opposition du Venezuela ne
fait qu’augmenter à mesure que l’objectif politique visé par le Guyana à l’aide de ce
projet devient plus évident.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
60

Le Gouvernement vénézuélien … confirme qu’il ne reconnaîtra aucun droit ni
aucune situation juridique susceptibles d’être invoqués à l’avenir par des Etats tiers,
des organisations ou entités internationales ou des sociétés privées sur le fondement
d’un éventuel acte unilatéral de disposition accompli par le Guyana sur le territoire de
l’Essequibo… Cela vaut également pour les crédits qui pourraient être accordés pour
financer les travaux… Le Venezuela estime qu’il serait incongru de la part de la
Banque mondiale … qu’elle en arrive à financer un acte unilatéral visant un territoire
contesté, acte unilatéral dont le but politique recherché par le Guyana est manifeste.»
Le 24 septembre 1981, le ministre des affaires étrangères, Zambrano Velasco, répond à une
intervention tendancieuse du premier ministre du Guyana à la trente-sixième session de
l’Assemblée générale des Nations Unies, taxant le Venezuela de pays expansionniste et
interventionniste qui s’emploie à malmener les plus faibles, dans les termes suivants :

«Le cœur du problème est celui-ci : le Guyana et le Venezuela ont librement et
sans pression ni menace assumé l’obligation de rechercher des solutions satisfaisantes
pour le règlement pratique du différend territorial qui existe entre eux.
Malheureusement, le Gouvernement guyanien a eu tendance à se montrer solidaire des
iniquités du passé. Les tentatives faites par le Venezuela pour nouer un dialogue se
sont heurtées à un mur d’intransigeance absolue, et le Gouvernement guyanien a pour

- 33 -
politique avouée de transformer à n’importe quel coût la situation de facto des
territoires visés par notre revendication, de façon à rendre tout règlement difficile ou
impossible.»
Et le ministre vénézuélien de continuer :

«L’inexprimable horreur du massacre de Jonestown a attiré l’attention du
61

monde sur les résultats désastreux de cette politique. Les Vénézuéliens sont conscients
des difficultés économiques et sociales de plus en plus graves que traverse la jeune
nation guyanienne… Nous considérons cependant qu’il faut résister à la tentation de
détourner vers des menaces qui n’existent pas l’attention d’un public préoccupé par
des problèmes immédiats et réels… Je dénonce sans ambages les actions et
déclarations du Gouvernement guyanien tendant à solliciter l’appui de la communauté
internationale, rendre compte de soutiens hypothétiques ou inexistants et susciter une
animosité contre le Venezuela. Je dénonce des activités qui sont autant de tentatives de
faire tomber le Venezuela dans le piège d’une réaction explosive… Les interventions
arrogantes, méprisantes, provocatrices, voire insultantes de certains membres du
Gouvernement guyanien actuel contre le Venezuela ne peuvent se comprendre que
comme autant d’excuses pour ne pas s’acquitter de l’obligation contractée par les
parties de négocier des solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du
différend… Je démens vigoureusement que le Venezuela nourrisse l’intention
d’agresser militairement le Guyana.»
Le ministre conclut en exhortant amicalement le Gouvernement guyanien à «s’acquitter
sincèrement et de bonne foi des obligations qu’il a librement assumées en devenant partie à
l’accord de Genève de 1966».
Ce n’est pas la fin de cette escarmouche. Le 9 novembre 1981, le Gouvernement guyanien
fait distribuer comme document de l’Assemblée générale des Nations Unies (doc. A/C.1/36/9), au
titre du point de l’ordre du jour relatif à l’«Examen de l’application de la Déclaration sur le
renforcement de la sécurité internationale», un mémorandum dans lequel le Venezuela voit «une
manœuvre de propagande indéfendable et visant, à grand renfort d’imagination, à présenter le
Venezuela comme un pays qui menace d’en attaquer un autre».
Le Venezuela répond par un autre mémorandum, daté du 20 novembre 1981 et publié par
l’ONU sous la cote A/C.1/36/12, dans lequel il dénonce, de la part du Gouvernement guyanien,
62

«des fausses représentations et des interprétations partiales et calomnieuses … [qui
font] ressortir à l’évidence une fois de plus que l’objectif de la Guyane est de se
soustraire à ses engagements et à ses devoirs internationaux. … En réalité, c’est la
Guyane qui enfreint systématiquement l’Accord de Genève de 1966, en refusant de
rechercher «des solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du différend»
(article I), de façon que celui-ci puisse «être résolu à l’amiable, d’une manière
acceptable pour les deux parties» (préambule). La Guyane a systématiquement refusé
de négocier avec le Venezuela une solution du type de celles qui sont décrites dans
l’Accord. … le seul différend pour lequel le Venezuela n’ait pas été en mesure
d’entamer de véritables négociations est précisément celui qui l’oppose à la Guyane,
en raison du refus obstiné du seul gouvernement que ce pays ait connu, depuis
quinze ans qu’il est indépendant, de remplir les obligations que lui impose l’Accord de
Genève.»

- 34 -
De l’accord de Genève, le Venezuela, dans son mémorandum, dit ceci :

«[Il] constitue ainsi le cadre juridique de la revendication territoriale
vénézuélienne et résulte de la volonté librement exprimée du Venezuela et de la
Guyane. … un accord officiel, par lequel les trois parties concernées se sont engagées
à rechercher des solutions pacifiques à un différend hérité du colonialisme. … Or, le
point sur lequel la Guyane insiste — saisir une instance multilatérale de l’affaire —
pourrait bien dénoter, outre un effort de propagande, son dessein de s’écarter de
l’instrument bilatéral appelé, de par notre volonté commune, à servir de moyen pour
résoudre le différend… On peut se demander comment la sécurité internationale
pourrait être affectée si un traité dont l’article IV prescrit expressément de recourir aux
moyens de règlement pacifique des différends énoncés à l’Article 33 de la Charte de
l’ONU est appliqué de bonne foi ? … Il est également préoccupant de constater que,
dans le cadre de sa manœuvre de propagande, la Guyane tente de présenter le
Venezuela comme un pays belliciste, au point d’oser affirmer que la région des
Caraïbes a vu sa paix et sa sécurité constamment menacées par la revendication du
Venezuela.»
Dans sa troisième déclaration au Congrès de la République, le 11 mars 1982, le président
Herrera Campins rapporte en le déplorant que,
63

«dans presque toutes les réunions internationales organisées après la visite du
président Burnham au Venezuela, nous avons été constamment victimes, de la part de
la délégation guyanienne, d’attaques auxquelles nous avons chaque fois réagi et que
nous avons repoussées tant sur le fond que dans la forme».
Le président Herrera Campins fait le même constat dans sa quatrième déclaration au
Congrès, le 10 mars 1983.
*
Conformément aux dispositions de l’article V du protocole, le Venezuela notifie
officiellement, par note GM-515 du 11 décembre 1981, son intention de dénoncer cet instrument à
l’expiration, le 18 juin 1982, de la période initiale de douze ans. Par la même note, il communique
au Guyana
«la ferme volonté du Gouvernement de la République du Venezuela de trouver, grâce
à l’application de bonne foi des dispositions de l’accord de Genève, une solution
satisfaisante pour le règlement pratique du différend territorial pendant, afin que
celui-ci puisse être réglé à l’amiable et de façon pacifique d’une manière acceptable
pour les deux parties».
Une note identique est adressée au ministère britannique des affaires étrangères sous
référence GM-516, et copie de ces deux notes est envoyée au Secrétaire général de l’ONU
Kurt Waldheim, sous couvert de la note GM-517.
Le même jour, le ministère vénézuélien des affaires étrangères publie un communiqué qui
annonce cette décision. Ce communiqué rapporte, entre autres, que,
«[p]endant les quatre années d’activité de la Commission mixte, le Guyana a maintenu
une position inflexible visant à éviter une négociation qui aurait permis de trouver une
solution satisfaisante en vue du règlement pratique du différend. Du fait de ce rejet
intransigeant, la Commission mixte a été dans l’incapacité de s’acquitter du mandat
64

- 35 -
qu’elle tenait de l’accord de Genève… Compte tenu de la situation internationale à
l’époque, du contexte immédiat au sein de la Commission mixte et de l’intérêt
supérieur du pays, le gouvernement national de l’époque a conclu que les
circonstances ne se prêtaient pas à une application immédiate de l’article IV de
l’accord de Genève. En conséquence de quoi le protocole de Port of Spain fut négocié
et signé … , sans que fût exclue, pour autant, la possibilité d’œuvrer, par d’autres
moyens, à la recherche d’une solution au différend en cause… La décision du
Gouvernement vénézuélien de ne pas renouveler le protocole de Port of Spain
s’accompagne d’une ferme volonté d’appliquer et de faire appliquer l’accord de
Genève, qui crée une obligation de négocier une solution satisfaisante pour le
règlement pratique du différend afin qu’il puisse être réglé d’une manière acceptable
par l’une et l’autre parties. Nous avons dénoncé à maintes reprises les manquements
du Guyana à son obligation de négocier de bonne foi. Aujourd’hui que la situation
prend un nouveau tournant, le Venezuela exprime à nouveau l’espoir que le Guyana
corrigera sa conduite et que de véritables négociations pourront être engagées… Nous
devons nous employer, dans le cadre de ce traité international, à rechercher une
solution qui, tout en tenant compte de tous les facteurs historiques, géographiques,
politiques, sociaux et juridiques entrant en ligne de compte, vise à réaliser l’objectif
fondamental du Venezuela, qui est la réalisation d’un arrangement pratique permettant
de redresser l’injustice que représente la spoliation frauduleuse dont nous avons été
victimes dans la Guayana Esequiba.»
65

Le Sénat et la Chambre des députés adoptent, les 14 et 15 décembre 1981 respectivement,
des résolutions approuvant la décision du gouvernement de ne pas renouveler le protocole de Port
of Spain et sa volonté «d’appliquer et de faire appliquer l’accord de Genève, à la recherche d’une
solution satisfaisante pour le règlement pratique du différend territorial en cause».
Dans une lettre du 11 mai 1982 adressée au président du Conseil de sécurité, le Guyana porte
des accusations et formule des allégations sans fondement faisant état de prétendues agressions
contre son pays et d’une invasion imminente des forces armées du Venezuela, contraignant celui-ci
à les démentir dans une lettre datée du 1
juin 1982 et distribuée comme document du Conseil de
sécurité sous la cote S/15208.
er
Dans ce document, le Venezuela rappelle que ces accusations ne sont pas nouvelles et
qu’elles répondent à l’intention du Guyana de faire du Conseil de sécurité des Nations Unies un
instrument de propagande à son encontre. Au sujet des activités de la commission mixte, il y est
dit :

«L’obstination avec laquelle le Guyana a maintenu un point de vue éloigné de la
réalité et contrevenant à l’obligation de négocier de bonne foi a imposé comme
préalable à la poursuite des négociations l’inutile exercice intellectuel qui consiste à
examiner la validité ou la nullité de l’Arbitrage de 1899, ce qui a paralysé les activités
de la Commission conjointe, allant ainsi à l’encontre de l’objet de l’Accord de Genève
qui est, aux termes de son article premier, de chercher des solutions pratiques, c’est-àdire

de caractère politique, par opposition à une solution purement spéculative,
théorique ou exclusivement juridique comme le serait une solution qui aurait trait à la
validité ou à la nullité d’une sentence arbitrale… Le Gouvernement guyanien a lancé
une campagne publicitaire, répétant sans cesse qu’il était victime d’une agression
vénézuélienne en violation des engagements pris pour améliorer les relations et par
conséquent des conventions internationales conclues entre les parties, comme si la
seule répétition de cette formule autorisait le Guyana à justifier le fait qu’il n’avait pas
respecté depuis seize ans l’obligation concrète de négocier de bonne foi pour trouver
une solution satisfaisante en vue de parvenir à un règlement pratique du différend.
66

- 36 -
Cette stratégie est devenue encore plus évidente depuis le mois d’avril 1981
lorsque Forbes Burnham, président du Guyana, s’est rendu au Venezuela où le
président Luis Herrera lui a annoncé, huit mois avant la date prévue dans le Protocole
de Port of Spain, que le Venezuela ne continuerait pas d’appliquer ledit Protocole… Il
convient maintenant de profiter de l’occasion qui nous est donnée pour rappeler que
l’Accord de Genève impose aux parties le devoir de chercher un règlement pratique du
problème, pour souligner que dès le premier moment, le Venezuela s’est montré
disposé à examiner tous les aspects de l’affaire, puisqu’une solution pratique comme
celle qui a été prévue exige que toutes les questions en jeu soient abordées
conjointement. En limitant les discussions à un aspect purement théorique et juridique,
on violerait l’obligation de bonne foi que les deux pays ont contractée lorsqu’ils ont
adopté l’Accord de Genève… Devant une telle situation, le Gouvernement guyanien
paraît chercher désespérément un expédient, une formule ou un mécanisme qui lui
permettrait de se soustraire à son obligation de négocier… Le non-respect, de manière
réitérée et systématique, de 1’obligation de négocier de bonne foi constitue une
atteinte au droit, un mépris envers l’autre partie, une forme voilée de violence et un
moyen permettant de détruire la foi dans les mécanismes de règlement pacifique des
différends.»
*
Le 17 juin 1982, à la veille de la fin effective de l’application du protocole de Port of Spain,
le ministre vénézuélien des affaires étrangères, M. Zambrano Velasco, prononce devant le Congrès
de la République un long discours dans lequel il fait notamment observer que «l’histoire de la
spoliation est l’histoire d’une manœuvre entre des hégémonies qui, se croyant éternelles, ont
prétendu faire du droit du plus fort un faux «Etat de droit»». Il décrit ensuite à grands traits le
processus historique relevant de la «farce judiciaire» qui a abouti à la sentence arbitrale de 1899, à
une époque où la faiblesse du Venezuela était extrême. Et il poursuit en ces termes :
67

«Après la seconde guerre mondiale, des faits nouveaux et d’une importance
jusqu’alors insoupçonnée justifièrent de façon probante le rejet par le Venezuela de la
sentence de 1899 et confortèrent notre revendication. Ces faits révélèrent les
conditions exactes dans lesquelles s’étaient déroulés les travaux du prétendu Tribunal
de Paris et mirent plus nettement en lumière le caractère scandaleux de sa sentence.
Vers ces années-là, le processus de décolonisation commençait, sous les auspices de
l’ONU, et inspirait aux peuples qui avaient été les victimes du colonialisme l’espoir de
recouvrer leur intégrité territoriale mise à mal par l’expansionnisme des empires.
Depuis 1948 donc, avant même la création de l’Organisation des Etats américains, le
Venezuela a régulièrement dénoncé la farce de l’arbitrage et l’usurpation colonialiste
dont il avait été victime et affirmé en conséquence sa revendication territoriale.»
Le ministre Zambrano Velasco évoque ensuite l’accord de Genève, «interprété dès le départ
comme actant notre revendication territoriale», l’application de cet accord et l’indépendance du
Guyana, que le Venezuela a reconnu «mais en réservant clairement ses droits sur le territoire
usurpé».
L’accord de Genève, dit encore le ministre des affaires étrangères,
«part de la constatation de l’existence d’un différend et établit la procédure à suivre
pour lui trouver une solution par des moyens pacifiques. Il prévoit expressément que
la question doit être résolue d’une manière acceptable pour les deux parties. L’article I
de l’accord oblige celles-ci à négocier une «solution satisfaisante pour le règlement

68

- 37 -
pratique du différend». Cela conduit à tenir compte non seulement des éléments
juridiques de la question, mais encore de toutes les considérations historiques,
morales, politiques, géographiques et autres susceptibles de favoriser un résultat
équilibré, pratique, acceptable et, en dernier ressort, équitable. Ce traité oblige
également les parties à aborder de bonne foi les négociations sur la question, afin que
ces négociations aient un sens et ne dégénèrent pas en une simple manifestation
d’intolérance.»
En ce qui concerne les travaux de la commission mixte :

«Le Venezuela s’est efforcé de remplir pleinement son obligation de négocier
de bonne foi, selon les critères définis par le droit international. Nos représentants ont
fait tout ce qui était en leur pouvoir, ont pris toutes les initiatives possibles, pour que
les négociations aient un sens et permettent de progresser. Les représentants
guyaniens, en revanche, plutôt que d’aborder la question de la revendication
territoriale comme ils étaient juridiquement tenus de le faire, se sont obstinément
refusés à envisager la possibilité d’une solution pratique et satisfaisante de la question.
Ils se sont contentés de soutenir que la sentence de 1899 était un fait accompli et
qu’aussi longtemps que le Venezuela n’aurait pas obtenu son annulation, il n’y avait
rien d’autre à discuter. Le comportement de la délégation guyanienne rendait
inopérants les mécanismes prévus par le traité. En fait, l’intention de subordonner la
possibilité d’une négociation à l’annulation préalable de la sentence arbitrale ou de
limiter l’application des moyens de règlement aux seuls aspects juridiques de la
question constitue une violation flagrante de l’esprit et de la lettre de l’accord de
Genève.

Selon cet accord en effet, le «différend» en cause n’est pas un différend
purement juridique, mais un différend plus large qui comprend des dimensions de
justice naturelle et de morale. L’approche retenue par la délégation guyanienne est en
contradiction avec la teneur de l’accord de Genève… Pour garantir que l’objectif
d’une solution mutuellement acceptable sera atteint, [l’accord] accorde un rôle
fondamental à la négociation. Celle-ci, à son tour, ne saurait se concevoir que comme
un mouvement réciproque de rapprochement des positions des parties, de façon à
pouvoir établir, grâce à cette manifestation concertée de souplesse, des points de
contact en nombre suffisant entre les aspirations des deux parties et obtenir un résultat
équilibré et mutuellement satisfaisant. Il va de soi que la validité ou la nullité d’une
sentence arbitrale ne peuvent pas être négociées, parce qu’on ne peut pas concevoir
qu’un résultat équilibré et mutuellement acceptable puisse être obtenu sur une telle
question. En réalité, l’accord de Genève écarte la sentence frauduleuse de 1899. Son
libellé souligne qu’il existe un différend et que les parties doivent négocier leur propre
solution. Le Venezuela s’est toujours opposé aux tentatives faites par le
Gouvernement guyanien pour éluder son obligation de négocier de bonne foi. Non
seulement parce qu’il est moralement inadmissible que le Guyana cherche, en basant
son argumentation sur la sentence de 1899, à imposer l’existence d’une véritable
fraude judiciaire, mais encore et surtout parce que nous ne pouvons admettre que soit
dénaturé l’accord de Genève, qui est un engagement international pris librement et
d’un commun accord et qui acte notre revendication territoriale». Avec un tel
précédent, poursuit le ministre, il n’est pas étonnant que la Commission mixte n’ait
pas pu remplir le mandat qui lui avait été confié.»
69

Evoquant les circonstances délicates dans lesquelles le protocole de Port of Spain a été signé,
dans un contexte de blocage des négociations, le ministre Zambrano Velasco considère qu’une
analyse objective montrerait que cet instrument a justifié son existence :

- 38 -

«Il a permis de démontrer au peuple guyanien que sa crise économique et
sociale permanente n’est pas due, comme son gouvernement voudrait le lui faire
croire, à un supposé harcèlement de la part du Venezuela… Par une action patiente et
sereine, le Venezuela a contrarié les tentatives visant à donner de lui l’image d’un
agresseur, et par des efforts diplomatiques soutenus, il a fait connaître aux pays du
monde les principes de justice élémentaires sur lesquels se fonde sa revendication,
ainsi que sa volonté constante de parvenir à des solutions raisonnables par des moyens
pacifiques. Un certain degré de détente a été atteint, qui a permis de renouer le
dialogue pendant la dernière période constitutionnelle. Il y a eu de nouvelles
initiatives, qui ont mis en évidence la continuité de notre revendication. Bien que ces
initiatives aient été prises au plus haut niveau, l’attitude du Guyana n’a pas permis de
mettre au point un projet de solution. Cependant, le Venezuela d’aujourd’hui, renforcé
dans tous les domaines et ayant acquis une solide et respectable réputation
internationale, peut aborder le nouveau processus de négociations dans des conditions
plus favorables.»
70

Le ministre vénézuélien des affaires étrangères explique ensuite ce qui se produira après le
18 juin 1982, quand arrivera le moment de prendre la décision visée au paragraphe 1 de l’article IV
de l’accord de Genève ; il conclut en évoquant la stratégie d’«internationalisation du problème»
mise en œuvre, sans résultat, par le Gouvernement guyanien, qui a soulevé la question du différend
sur un ton accusatoire dans les instances internationales les plus diverses et invoqué une supposée
agression pour susciter la condamnation du Venezuela : «Le fait que cette stratégie n’ait guère
obtenu de résultats nous laisse espérer un changement d’attitude du Guyana, ce qui faciliterait
l’ouverture de discussions constructives».
Le texte de ce discours est joint aux notes adressées le lendemain, 18 juin 1982, au ministre
guyanien des affaires étrangères, Rashleigh Jackson, sous la cote GM-135, et au ministre
britannique des affaires étrangères, Francis Pym, sous la cote GM-136, ces deux notes portant
ratification de la décision de ne pas renouveler le protocole de Port of Spain et reprenant la teneur
des notes du 11 décembre 1981.
*

- 39 -
VIII. LA RÉACTIVATION DE L’ACCORD DE GENÈVE : CHOIX DU MOYEN DE
RÈGLEMENT PAR LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ONU (1982-1983)
Le 1
juillet 1982, en application du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, le
Venezuela propose au Guyana d’adopter «le premier mode de règlement des différends prévu à
l’Article 33 [de la Charte des Nations Unies]», soit la négociation directe. Cette information est
communiquée au Secrétaire général de l’ONU par note DG-401 du 2 août 1982 et au ministre
britannique des affaires étrangères par note DG-406 du 4 août 1982.
er
71

Les raisons de cette proposition avaient déjà été exposées par le ministre Zambrano Velasco
dans un discours au Congrès national prononcé le 17 juin 1982 :

«Le moyen de règlement à retenir doit être adapté à la nature du différend et
respecter les conditions définies par les parties aux fins de résoudre ce différend,
puisque la logique qui sous-tend l’accord de Genève régit également cette phase. Pour
remplir ce critère, il faut que le stade des négociations directes, qui n’a pas encore eu
lieu, ait été accompli dans son entier

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il est clair que la négociation, qui n’a d’ailleurs jamais vraiment eu lieu, est loin
d’avoir épuisé toutes les possibilités de ménager une issue favorable à notre différend
territorial… Le gouvernement national est pleinement conscient des difficultés qui, à
en juger par le passé, attendent ce processus. Il n’en a pas moins jugé bon d’insister
sur la négociation. Premièrement, parce que c’est la méthode qui correspond le mieux
aux buts visés par l’accord de Genève, que nous appliquerons strictement.
Deuxièmement, parce que nous ne devons pas perdre l’espoir que les douze années qui
se sont écoulées depuis 1970 … auront permis d’amener à la table des négociations un
Gouvernement guyanien animé d’un esprit différent.»
72

Bien que le paragraphe 1 de l’article IV de l’accord de Genève fasse obligation aux parties,
si la commission mixte n’arrive pas à un accord, de choisir «sans retard» un des moyens de
règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, le Guyana prend son
temps, et son ambassadeur à Caracas s’emploie à créer la confusion en faisant des déclarations sur
de supposées intentions agressives du Venezuela (voir le communiqué de presse du 4 août 1982 du
ministère vénézuélien des affaires étrangères).

Par note du 20 août 1982, le Guyana rejette la proposition de négociations directes et suggère
la formule du règlement judiciaire par la Cour internationale de Justice. Dans un communiqué
publié le lendemain, le ministère vénézuélien des affaires étrangères répond :

«Il est incompréhensible qu’à une invitation à négocier aussi franche que celle
qu’a lancée le Venezuela il soit répondu par une proposition de recourir à des moyens
judiciaires… L’attitude du Gouvernement guyanien ne correspond objectivement pas
à la lettre et à l’esprit de l’accord de Genève. Nous ne devons pas oublier que la
solution du différend telle que la conçoit cet accord doit répondre à deux conditions :
premièrement, elle doit avoir un caractère pratique ; et deuxièmement, elle doit être
acceptable pour les deux parties ; ces deux conditions supposent de négocier de bonne
foi» (les italiques sont dans l’original).
Dans une note du 30 août 1982 (GM-185), le ministre des affaires étrangères,
Zambrano Velasco, s’adresse à son homologue guyanien en ces termes :

«Le Gouvernement vénézuélien ne laisse pas d’être surpris qu’à une amicale
invitation à négocier il soit répondu, une fois de plus, en des termes qui ne dénotent
73

- 40 -
pas la moindre disposition à discuter ou, tout au moins, à écouter. Le Venezuela juge
donc nécessaire de rappeler qu’il n’est pas possible de se conformer pleinement à
l’accord de Genève si l’on refuse d’envisager la négociation comme moyen de
résoudre le problème en cause, et il considère que la contre-proposition du
Gouvernement guyanien est étrangère à l’objet de ce traité.»
Et de continuer :

«En effet, l’accord de Genève dispose expressément qu’il a pour objet de régler
le différend en suspens au sujet de la frontière entre le Venezuela et le Guyana
(ex-Guyane britannique), afin que ce différend puisse «être résolu à l’amiable, d’une
manière acceptable pour les deux parties» (préambule). Il définit également, en son
article I, le but que les signataires de cet instrument international se proposent
d’atteindre, ainsi que sa véritable nature, en faisant obligation aux parties «de
rechercher des solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du différend». Dans
ce contexte, le Venezuela, soucieux de remplir fidèlement ses obligations, a maintenu,
depuis le début des travaux de la commission mixte, que, aux termes de l’accord de
Genève, la solution du différend devait satisfaire à deux conditions : la première est
que la solution du différend doit être pratique, et non théorique, hypothétique ou
exclusivement juridique ; et la seconde est que cette solution doit être acceptable pour
les deux parties.
Le règlement du différend, tel que le conçoit l’accord de Genève, se joue
essentiellement sur le plan de l’équité, de la justice naturelle et de l’éthique. C’est
pourquoi le Venezuela a eu pour position ne varietur de se montrer disposé à
envisager tous moyens susceptibles de conduire à une solution pratique acceptable
pour les deux parties. A cet égard, il est toujours disposé à examiner non seulement les
éléments étroitement liés au différend territorial en tant que tel, mais aussi tous les
éléments qui, dans le cadre de nos relations bilatérales, peuvent favoriser une solution
répondant aux conditions susmentionnées.
74

Dès avant l’accord de Genève, et a fortiori depuis son adoption, nous avons
proposé avec insistance la négociation comme moyen de régler le différend en suspens
entre les parties, parce que seuls des moyens diplomatiques pourront aboutir à un
règlement équilibré et pratique représentant une issue satisfaisante et acceptable pour
les deux parties. De ce qui précède, on doit conclure que le moyen proposé par le
Gouvernement guyanien n’est approprié ni à l’objet ni aux buts de l’accord de
Genève. Je renouvelle par conséquent, au nom du Gouvernement vénézuélien, notre
invitation à négocier sur la base la plus large en vue de rechercher une solution
satisfaisante pour le règlement pratique du différend.»
Cette note est également portée à l’attention du ministre des affaires étrangères de la
Grande-Bretagne, sous la cote GM-187, à la même date du 30 août 1982.
La réponse du Guyana est datée du 9 septembre 1982. Deux jours plus tôt, le 7 septembre
1982, le ministre vénézuélien des affaires étrangères, Zambrano Velasco, s’est entretenu à
New York avec le Secrétaire général de l’ONU, Javier Perez de Cuellar. Le communiqué de presse y
relatif indique que si le Venezuela et le Guyana ne se sont pas entendus avant le 18 septembre 1982
sur un moyen de règlement pacifique, le Secrétaire général en désignera un à la demande de l’une ou
l’autre des parties. Alors que le Venezuela attend toujours une réponse à sa dernière communication,
«les porte-parole officiels du Gouvernement guyanien s’attachent encore à le dépeindre comme un
pays agressif et menaçant».
*
75

- 41 -
Le délai de trois mois prévu au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève s’étant
écoulé sans que les parties soient parvenues à un accord sur l’un des moyens de règlement visés à
l’article 33 de la Charte des Nations Unies, le Gouvernement vénézuélien signifie au
Gouvernement guyanien, par note GM-210 du 19 septembre 1982, qu’il s’est convaincu que
«l’organe international le plus approprié pour choisir un moyen de règlement [était] le Secrétaire
général des Nations Unies».

Par conséquent, «le Gouvernement vénézuélien souhaite porter la question à l’attention du
Secrétaire général et apprécierait que le Gouvernement guyanien fasse de même».
Copie de cette note est adressée le même jour, soit le 19 septembre 1982, au ministre
britannique des affaires étrangères par note GM-212 et au Secrétaire général de l’ONU par
note GM-214.
Deux jours plus tôt, le 17 septembre 1982, le représentant du Guyana auprès de l’ONU a
adressé au président du Conseil de sécurité une lettre publiée sous la cote S/15398 dans laquelle il
formule de nouvelles accusations contre le Venezuela, dans la même veine que celles de sa lettre
du 11 mai 1982. De même que le représentant du Venezuela avait répondu à cette première lettre, il
répond à la seconde le 30 septembre 1982 :
76

«Il est curieux que les signes de ce genre apparaissent à des dates associées au
processus de sélection du moyen de régler le différend territorial au sujet de la
frontière entre le Venezuela et l’ex-Guyane britannique, aujourd’hui République
coopérative du Guyana, ce qui pourrait s’interpréter comme un signe supplémentaire
de l’intention de négliger l’essentiel dans le règlement du différend entre nos pays,
compte tenu de l’obligation imminente de confier à un organe international approprié
ou au Secrétaire général de l’ONU, comme le prévoit expressément le texte de
l’accord de Genève, le choix du moyen de règlement pacifique du différend
territorial.»
Le 27 septembre 1982, le ministre vénézuélien des affaires étrangères, Zambrano Velasco,
doit prononcer un discours à l’Assemblée générale des Nations Unies à sa trente-septième session.
Il saisit cette occasion pour rappeler ceci :

«Depuis cent soixante-douze ans qu’il est indépendant, le Venezuela n’a pas
connu la moindre guerre, n’a eu d’engagement armé avec aucun de ses
voisins… Pendant des années, les porte-parole du Guyana ont mené une campagne
systématique pour susciter la sympathie à l’égard de leur pays en donnant de celui-ci
l’image d’une nation faible et pauvre dont le territoire fait l’objet de la convoitise d’un
riche et puissant voisin, en même temps qu’ils essayaient d’accréditer l’idée que le
Venezuela était un agresseur faisant fi du droit, de la justice et de la solidarité qui
doivent prévaloir entre pays qui luttent pour leur développement… Alors que depuis
près de vingt ans le Guyana dénonce une agression imminente devant les instances
internationales, le fait est qu’aucune agression n’a jamais eu lieu.»

- 42 -

Puis le ministre des affaires étrangères vénézuélien annonce ce qui suit :

«[A]près plusieurs rejets successifs des invitations que nous avons
officiellement adressées au Gouvernement guyanien à entamer des négociations
ouvrant la voie à une solution satisfaisante et pratique, le Venezuela a décidé de
confier au Secrétaire général de l’ONU le soin de choisir un moyen de régler le
différend, ce qui met notre conduite en accord avec la lettre et l’esprit du traité
international signé par les parties et connu sous le nom d’accord de Genève.»
77

Le Venezuela saisit officiellement le Secrétaire général de la question par sa note GM-233
du 6 octobre 1982. Dès le surlendemain, le Guyana répond à la note vénézuélienne du
19 septembre par une note signée du ministre par intérim des affaires étrangères,
Mohamed Shahabuddeen. Cette lettre a manifestement une fonction dilatoire :

«Il est relevé que les dispositions du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de
Genève prévoient que le Gouvernement de la République coopérative du Guyana et le
Gouvernement de la République du Venezuela s’en remettront, pour ce choix [du
moyen de règlement], à un organisme international compétent sur lequel ils se
mettront d’accord, ou, s’ils n’arrivent pas à s’entendre sur ce point, au Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies. Le Gouvernement de la République
coopérative du Guyana tient le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies
en la plus haute estime et, si cela devenait nécessaire, accepterait volontiers qu’il
remplît le rôle prévu pour lui par l’accord de Genève. Cependant, le Gouvernement de
la République coopérative du Guyana préférerait l’inviter à jouer ce rôle quand le
moment en sera venu, afin de s’assurer que le Secrétaire général n’éprouvera aucun
doute sur sa compétence pour agir en vertu de l’accord de Genève, excepté dans le
rôle résiduel qui lui est expressément et spécifiquement réservé, dans la seconde
branche de l’alternative offerte par la disposition visée, c’est-à-dire au cas où les deux
Gouvernements ne seraient pas arrivés à s’entendre sur l’organisme international
compétent visé dans la première branche de l’alternative, cas qui ne s’est pas encore
produit. De surcroît, et quoi qu’il en soit, on observera que les termes de la proposition
du Gouvernement de la République du Venezuela ont été formulés par référence à la
seconde branche de l’alternative offerte par la disposition en question, en dépit du fait
que, comme il a été dit plus haut, la condition préalable — et dûment stipulée dans
l’accord — du recours à cette branche de l’alternative n’est pas encore remplie,
puisque les deux Gouvernements n’ont pas cherché, à ce jour, à s’entendre sur
l’organisme international compétent [à qui serait confié le choix du moyen de
règlement], comme l’envisage la première branche de l’alternative. Pour ces motifs, le
Gouvernement de la République coopérative du Guyana considère que la proposition
de la République du Venezuela est prématurée et irrecevable à ce stade. Cela dit, et
conformément à ses engagements au titre de l’accord de Genève, le Gouvernement de
la République coopérative du Guyana est disposé à essayer de s’entendre avec le
Gouvernement de la République du Venezuela sur l’organisme international
compétent visé par la première branche de l’alternative offerte par la disposition en
question.»
78

C’est le 11 octobre 1982, dans un discours à l’Assemblée générale des Nations Unies à sa
trente-septième session — et non par la voie diplomatique —, que le ministre guyanien des affaires
étrangères, Rasleigh Jackson, annonce sa contre-proposition : confier le soin de désigner le moyen
de règlement du différend à l’Assemblée générale, au Conseil de sécurité ou à la Cour
internationale de Justice. Il dénonce par ailleurs avec emphase les prétendues agressions et
mauvaises intentions du Venezuela.

- 43 -
Le représentant du Venezuela est bien forcé de répondre au discours du ministre guyanien
des affaires étrangères, ce qu’il fait le 15 octobre 1982. Ces seize dernières années, dit-il, le
Gouvernement guyanien
«s’est systématiquement dispensé d’appliquer l’accord de Genève et s’est limité à
calomnier et diffamer le Venezuela en essayant de le faire passer pour un agresseur, ce
que les faits ont démenti».
De même, le ministre guyanien [des affaires étrangères], faisant fi de la voie diplomatique,
79

«a formulé une contre-proposition dans le cadre d’un discours prononcé sur un ton
inadmissible. Nonobstant les sérieuses réserves qu’il nourrit à l’égard de propositions
qui ont été formulées dans de telles conditions, le Gouvernement vénézuélien les a
examinées attentivement. Cependant, … il n’y répondra pas aujourd’hui, mais, avec la
ferme volonté d’inscrire le règlement du différend dans le cadre de l’accord de
Genève, il empruntera la voie diplomatique normale que le Gouvernement guyanien a
décidé unilatéralement d’abandonner.»
Ce même 15 octobre 1982, le Venezuela communique sa réponse au Guyana par note
diplomatique GM-251 :

«Après avoir analysé ces options avec soin, le Gouvernement vénézuélien
réaffirme sa conviction que le plus pratique et le plus indiqué serait de confier le choix
du moyen de règlement au Secétaire général de l’ONU».
Et il ajoute :

«Puisqu’il est manifeste qu’aucun accord n’existe entre les parties quant au
choix d’un organisme international chargé de remplir les fonctions prévues au
paragraphe 2 de l’article IV, force est de constater que cette fonction relève désormais
du Secrétaire général.»
Copie de cette note diplomatique est adressée le 28 octobre 1982 au ministre des affaires
étrangères de la Grande-Bretagne (note GM-258) et au Secrétaire général de l’ONU
(note GM-260).
Le Guyana fait attendre sa réponse. Quatre mois plus tard, le 21 février 1983, son ministre
des affaires étrangères, M. Jackson, annonce que le gouvernement ne temporisera pas davantage,
mais les jours continuent de passer sans qu’il ne réponde.
Le 10 mars 1983, dans sa quatrième déclaration au Congrès national, le président
Herrera Campins s’exprime en ces termes :
80

«Nous avons invité le Gouvernement de la République coopérative du Guyana à
convenir d’un moyen de règlement pacifique et proposé une négociation directe entre
les deux Républiques en vue de trouver une solution amiable et acceptable. Ce geste
de bonne volonté n’a pas été accueilli aussi favorablement que nous le souhaitions par
le Gouvernement guyanien, qui a lancé une vigoureuse campagne d’attaques,
d’insultes et de fausses accusations contre le Venezuela dans toutes les réunions
internationales auxquelles il participait.»
Le même jour, le ministre des affaires étrangères, Zambrano Velasco, présente un Livre
jaune au Congrès national. En introduction, il y est indiqué que, au lieu de contenir le différend
dans le cadre bilatéral de l’accord de Genève, le Gouvernement guyanien

- 44 -
«a toujours cherché à l’internationaliser, dans le dessein de lui donner l’apparence
d’un conflit généralisé et de se soustraire aux mécanismes prévus par l’accord de
Genève. Conformément à ce dessein, il a soulevé la question de notre revendication
dans diverses instances internationales pour obtenir d’elles une résolution ou une
déclaration défavorables au Venezuela et pour attaquer le bien-fondé de ladite
revendication en la caricaturant. A l’ONU et dans plusieurs de ses institutions
spécialisées telles que la FAO, l’UNESCO, l’OMS et l’OIT, les délégations
guyaniennes ont lancé des accusations véhémentes et manifestement
disproportionnées contre le Venezuela. Ces accusations ont également été proférées
dans d’autres instances auxquelles notre pays n’est pas partie, et notamment à des
réunions de pays membres du Commonwealth, de la Communauté des Caraïbes et du
Mouvement des pays non alignés.»
81

Le Livre jaune mentionne les notes échangées par les parties pour satisfaire aux dispositions
de l’article IV de l’accord de Genève et rappelle que, en même temps, le ministre guyanien des
affaires étrangères, dans sa constante volonté d’internationaliser le différend, se servait de la
tribune offerte par l’Assemblée générale des Nations Unies pour présenter la position du Guyana
— détournement de procédure contre lequel le Venezuela a dû protester par note diplomatique.
*
C’est finalement le 28 mars 1983 que le Guyana répond à la proposition que lui a adressée le
Venezuela le 15 octobre 1982, proposition qu’il n’a eu d’autre choix que d’accepter.

Par note GM-95 du 23 mai 1983, le ministre Zambrano Velasco accuse réception de la note
guyanienne du 28 mars. Il écrit notamment :

«Bien que je ne puisse adhérer, et sois obligé de m’opposer, à bon nombre des
opinions avancées dans votre communication et malgré le caractère tardif de votre
réponse, je tiens à exprimer la satisfaction du Gouvernement vénézuélien de voir que
le Gouvernement guyanien accepte notre proposition de choisir le Secrétaire général
comme organisme international compétent pour exercer la fonction visée au
paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève.»

Il conclut sa note ainsi :

«En cette occasion, et à un moment où le différend territorial pendant entre nos
deux pays amorce une nouvelle étape, j’ai l’honneur de vous confirmer l’inébranlable
détermination du Gouvernement vénézuélien à respecter les dispositions de l’accord
de Genève et à en exiger le respect, avec la conviction qu’une solution satisfaisante
pour le règlement pratique du différend pourra ainsi être trouvée, de façon que ce
différend soit réglé à l’amiable et d’une manière acceptable pour les deux parties,
comme nous en somme convenus par ce traité.»
82

Le 31 mai 1983, donnant suite aux notes du 15 octobre 1982 et du 28 mars 1983 dont les
parties lui avaient adressé copie, le Secrétaire général de l’ONU fait savoir
«[que,] ayant maintenant acquis l’assurance que le Gouvernement guyanien et le
Gouvernement vénézuélien souhaitent l’un et l’autre que j’assume la responsabilité
que m’attribue le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, je
communiquerai à Votre Excellence et au Gouvernement guyanien, après mûr examen,
la conclusion à laquelle je parviendrai dans l’exercice de cette responsabilité».
*

- 45 -
IX. LE CHOIX DES BONS OFFICES (1983-1989)
En août 1983, le Secrétaire général de l’ONU Javier Pérez de Cuéllar dépêche
Diego Cordovez en mission exploratoire à Caracas et Georgetown. Il convient de noter qu’une
délégation guyanienne de haut niveau a assisté à l’inauguration du président Lusinchi le 2 février
1984, et qu’on a pu observer à cette occasion un certain désir, de la part du Guyana, de rétablir un
climat de cordialité avec le Venezuela.
83

Cela permet de lancer, parallèlement au processus conduit par M. Cordovez, un processus
officieux animé du côté guyanien par l’ancien ministre de la justice et ministre des affaires
étrangères, Shridat Ramphall, qui est alors secrétaire général du Commonwealth, et du côté
vénézuélien par Emilio Figueredo, représentant personnel du président Lusinchi et proche du
ministre des affaires étrangères Morales Paúl. Les ministres des affaires étrangères du Venezuela et
du Guyana s’entretiennent avec le Secrétaire général en septembre 1984 à New York, et, à partir de
novembre 1984, MM. Figueredo et Ramphall se rencontrent à plusieurs reprises.
Ce processus officieux a pour objectif d’évaluer, par l’intermédiaire de «facilitateurs», quel
genre d’option rendrait possible un «arrangement pratique», de déterminer ce que pourrait être un
tel arrangement pour le Guyana, et enfin de vérifier si ce pays est vraiment disposé à négocier. Ce
niveau de communication complétait les deux autres, à savoir la communication avec le Secrétaire
général représenté par Diego Cordovez et la ligne de communication officielle entre les ministres.
84

Emilio Figueredo résume ce dispositif comme suit : premièrement, on tenterait d’ouvrir des
canaux de communication formels et informels entre les parties, en vue de créer un terrain propice
à la formulation d’une proposition d’arrangement pratique ; deuxièmement, on procéderait à une
évaluation objective du rôle de l’ONU et de l’application de l’accord de Genève ; troisièmement,
on procéderait à des consultations pour identifier les aspects positifs et négatifs de la proposition
soumise par Diego Cordovez ; quatrièmement, on mettrait au point des dispositifs tactiques
permettant de sonder ce que pensait l’opinion publique sur le fond de la question et de voir dans
quelle mesure le pays s’intéressait véritablement au problème ; enfin, on jetterait les fondations
d’une analyse systématique de la question vue sous plusieurs angles.
De ces contacts officieux qui visent à évaluer des options susceptibles de conduire à un
règlement pratique du différend sont sorties quelques propositions. Tout en insistant sur le fait
qu’une solution symbolique ne devrait pas imposer au Guyana le sacrifice d’une partie importante
de son territoire, M. Ramphall formule une proposition concrète visant l’espace maritime, dont il
pense qu’elle constituerait une solution équitable.
Du 6 au 9 février 1985, le ministre vénézuélien des affaires étrangères, M. Morales Paúl, se
rend en visite officielle à Georgetown, accompagné de M. Figueredo qui a été récemment nommé
ambassadeur en mission extraordinaire accrédité auprès de l’ONU pour l’application de l’accord de
Genève.
Le 16 février 1985, les ministères des affaires étrangères du Venezuela et du Guyana
adressent au Secrétaire général de l’ONU des notes par lesquelles ils demandent que son
représentant Diego Cordovez se rende rapidement dans les deux pays. M. Cordovez se rend à
Caracas et Georgetown dès mars 1985, muni d’une première proposition : une commission de
conciliation de cinq membres dont le rapport final, qui serait soumis au Secrétaire général pour
examen, contiendrait un projet de solution.
En juillet 1985, MM. Figueredo et Ramphall reprennent leurs contacts, et le Venezuela porte
officiellement à la connaissance de M. Cordovez ses réserves sur le moyen de règlement que celui-ci a
proposé, à savoir la conciliation. La conciliation, en effet, est le plus juridique des moyens de
règlement politiques ; c’est une formule rigide, échappant au contrôle des parties, présentant des
ressemblances avec la voie arbitrale ou judiciaire, mais sans le caractère contraignant ; l’accepter
85

- 46 -
d’entrée de jeu, c’est se priver à l’avance des possibilités offertes par des moyens de règlement moins
envahissants tels que les bons offices ou la médiation ; par ailleurs, ce moyen laisse une trop grande
latitude au Secrétaire général.
En septembre 1985, en réponse à ces objections, M. Cordovez produit un deuxième, puis un
troisième texte, dans lesquels sa commission devient un groupe de contact qui n’aurait pas compétence
pour proposer des solutions. Le Venezuela, cependant, continue de suggérer la formule des bons
offices.
Le processus marque alors un temps d’arrêt en raison du désaccord du Venezuela avec la
proposition de M. Cordovez, de certaines fuites dans la presse qui tendent à troubler l’opinion
publique, et enfin du décès du président du Guyana, Forbes Burnham, survenu le 6 août 1985.

Il est relancé en mars 1987, à l’occasion de la visite que le nouveau président du Guyana,
Desmond Hoyte, fait à Caracas du 24 au 28 mars. Les parties décident d’inviter le Secrétaire général à
choisir les bons offices comme moyen de règlement.
L’invitation est formulée le 6 avril 1987 lors d’une rencontre des représentants permanents
du Venezuela et du Guyana auprès de l’ONU, Reinaldo Pabón et Samuel Insanally, avec le
Secrétaire général. Il est alors convenu que le nom de la personne pressentie pour exercer les bons
offices sera soumis à l’examen des deux gouvernements pour approbation avant sa nomination.
86

Les présidents Carlos Andrés Pérez et Desmond Hoyte donnent leur accord à la désignation
d’Alister McIntyre comme chargé des bons offices lors d’une rencontre à Tobago le 5 août 1989, et
cet accord est annoncé le 8 novembre 1989 lors d’une nouvelle rencontre entre eux, cette fois à
Puerto Ordaz. Il se passe encore un certain temps avant que le Secrétaire général ne nomme
M. McIntyre à ses nouvelles fonctions. Il aura pour mandat de «définir, de la façon la plus souple et
la plus informelle possible, des scénarios en vue d’une solution pratique» à soumettre aux parties.
A une réunion des ministres des affaires étrangères Reinaldo Figueredo et Rasleigh Jackson
avec Alister McIntyre tenue le 28 avril 1990 au Siège de l’ONU à New York, il est convenu qu’on
utilisera trois niveaux de communication, similaires à ceux qui avaient été en place pendant les années
précédentes : a) le chargé des bons offices avec les gouvernements ; b) le chargé des bons offices avec
les facilitateurs et les facilitateurs entre eux ; et c) les ministres des affaires étrangères entre eux.
*

- 47 -
X. LA PROCÉDURE DES BONS OFFICES
(1989-2014)
Alister McIntyre (1989-1999)
87

Les «facilitateurs» Emilio Figueredo pour le Venezuela et Barton Scotland pour le Guyana
ont tenu quatre réunions (New York, 13 août 1990 ; New York, 29 octobre 1990 ; Londres,
26 janvier 1991 ; et New York, 5 avril 1991) auxquelles le représentant personnel du Secrétaire
général, Alister McIntyre, a assisté en qualité de «témoin amical», avec l’idée que, «au fur et à
mesure que les pourparlers progresseraient, il pourrait jouer un rôle plus actif et aider à dissiper les
doutes sur les aspirations et les objectifs des parties». Le 5 avril 1991, le ministre des affaires
étrangères du Venezuela s’entretient également avec le Secrétaire général.

Selon le rapport présenté par le facilitateur vénézuélien, Emilio Figuredo, à son
gouvernement, à la première de ces réunions, le 13 août 1990, le Venezuela a suggéré de
distinguer, pour des raisons de commodité, trois grandes zones :
1. une zone côtière impliquant des cessions de territoire à définir en faveur du Venezuela, surtout
pour lui permettre de se projeter plus loin dans l’Atlantique ;
2. une zone centrale ou zone du Mazaruni, qui serait associée à une coopération en matière
énergétique, avec d’éventuelles implications territoriales ;
3. une zone où une solution de type réserve écologique (éventuellement binationale) pourrait être
envisagée.
Le facilitateur guyanien trouve intéressante cette approche par zone, qu’il serait possible de
compléter en lui ajoutant divers modes de coopération.
Les facilitateurs conviennent de respecter le caractère officieux des pourparlers et la
discrétion qui les entourent, et de ne pas faire de déclarations publiques.
88

M. Figueredo a l’impression que le facilitateur guyanien ne souhaite pas accélérer le rythme des
pourparlers avant les prochaines élections au Guyana.
A la deuxième réunion, le 29 octobre 1990, l’intention est exprimée de se concentrer sur les
aspects du problème relatifs à la géographie, au développement et à la coopération, sans formuler
d’observations précises d’ordre territorial, mais plutôt en insistant sur une évaluation générale des
paramètres d’intérêt commun et des points de convergence.
Le facilitateur guyanien se montre intéressé par un «scénario» des Vénézuéliens qui
envisagerait, entre autres, une solution dans la zone de l’éventuel barrage sur le Mazaruni ; il exclut
cependant toute possibilité de créer une réserve écologique dans la zone, au motif que le Guyana a
récemment pris un décret portant création d’une vaste zone de cette nature.
Le facilitateur guyanien souligne les difficultés, y compris d’ordre constitutionnel, que
suscitera tout arrangement territorial, et il indique que, à son avis, la plus importante contribution
que le Guyana pourrait faire en vue de résoudre le différend concerne la zone maritime. Il est
d’accord pour un couloir maritime vers l’Atlantique, peut-être accompagné d’un court segment de
littoral. Il existe donc une forte résistance à des solutions susceptibles de modifier de façon
importante la carte terrestre, ainsi qu’au partage du contrôle des ressources naturelles.
Ceci dit, le facilitateur guyanien est disposé à aborder sans idées préconçues toutes les
questions et toutes les zones géographiques et à se départir d’une conception purement juridique du
différend.

89

- 48 -
A la troisième réunion, le 26 janvier 1991, le représentant personnel du Secrétaire général,
Alister McIntyre, déclare que, nonobstant le caractère ouvert des pourparlers en cours, il convient
de garder à l’esprit le but poursuivi par la procédure des bons offices qui est de parvenir à un
accord permettant de régler le différend territorial, associé à un régime de coopération économique.
Le facilitateur guyanien avance qu’il faut rompre avec les formules traditionnelles et en
rechercher de nouvelles, et recommande de trouver un modus vivendi dans le secteur de la pêche en
signe de bonne volonté.
A la quatrième réunion, le 5 avril 1991, le facilitateur vénézuélien relève l’impudence qu’il y
a de la part du Guyana à prendre unilatéralement des mesures dans des zones contestées sans
consultation ou information préalable du Venezuela. Octroyer des concessions aurifères et
pétrolières, créer une zone protégée de près de 400 000 hectares et adopter un décret instituant une
zone économique exclusive (a fortiori en l’absence de délimitation et alors que la zone côtière est
importante pour les négociations) sont autant d’actes pour le moins «inamicaux».
Les facilitateurs conviennent d’en venir au fond de la question et d’essayer de définir en termes
généraux les zones d’intérêt du point de vue territorial ainsi que les paramètres de convergence et les
sujets d’intérêt commun en vue de les traduire en idées concrètes qui aideraient à envisager des
scénarios en vue du règlement du différend.
M. Figueredo s’interroge sur le pouvoir dont dispose le Secrétaire général de choisir le
moyen de règlement du différend et, après avoir consulté tous les conseillers juridiques
internationaux que le Gouvernement vénézuélien a pu mettre à sa disposition, il parvient aux
conclusions suivantes :
1. le moyen indiqué par le Secrétaire général doit recevoir l’agrément des parties ;
90

2. la mission du Secrétaire général est limitée au choix du moyen, qui doit recevoir le
consentement des parties ;
3. il existe une obligation de négocier entre les parties.
*
Les facilitateurs n’auront pas d’autres contacts entre le 5 avril 1991 et le 1
septembre 1993.
En revanche, plusieurs réunions ont lieu au niveau des ministres des affaires étrangères et des chefs
d’Etat, au cours desquelles il est convenu de suspendre la procédure des bons offices jusqu’à la
prochaine consultation électorale en Guyana. Celle-ci conduit à l’élection de M. Cheddi Jagan en
octobre 1992.
er
En février 1993, le président Jagan se rend à Caracas et améliore les relations entre les deux
pays en resserrant leur coopération dans les zones non contestées, et les deux présidents expriment leur
soutien aux bons offices de M. McIntyre.
Le 10 août 1993, le ministre vénézuélien des affaires étrangères, Fernando Ochoa Antich,
adresse à son homologue guyanien, Clement Rohee, une note sur l’octroi de concessions pétrolières
à la compagnie Mobil au large de la zone revendiquée.
Le 1
septembre 1993, les ministres se réunissent à New York avec le Secrétaire général,
Boutros Boutros-Ghali, et son représentant personnel, Alister McIntyre. Il est décidé à l’issue de
cette réunion que les pourparlers reprendront au point où ils en étaient restés le 5 avril 1991, et les
er

- 49 -
deux parties réaffirment leur volonté de rechercher un règlement pratique de leur différend
conformément aux dispositions de l’accord de Genève.
Dans une note au ministre Ochoa Antich sur cette réunion, le facilitateur Emilio Figueredo
met en exergue les éléments suivants :
1. Importance de ratifier le mécanisme de communication à trois niveaux.
91

2. Rôle d’Alister McIntyre consistant à «recevoir la position officielle des gouvernements, ainsi
qu’à transmettre les hypothèses qui peuvent émerger des conversations entre les facilitateurs, et
enfin à essayer d’amener les parties à s’entendre sur un règlement pratique du différend».
3. Les premiers ministres «devraient, dans un premier temps, imprimer un élan de caractère
procédural au mécanisme des facilitateurs. Dans un deuxième temps, et à condition que des
progrès aient été accomplis dans d’autres instances, … ils interviendront avec l’importante
mission de faire accepter l’accord et de le faire ratifier chacun de son côté. Il importe au plus
haut point de se rappeler qu’il vaut mieux ne pas poursuivre au niveau officiel le processus de
négociation, au risque de le bloquer».
4. Les facilitateurs «devraient être autorisés à agir avec la plus grande souplesse afin de multiplier,
sans aucune restriction, les options susceptibles de mener à un règlement pratique du
différend».
Dans une autre note de M. Figueredo sur la réunion du 1
septembre 1993 avec le Secrétaire
général Boutros Boutros-Ghali, on peut lire que le Secrétaire général a souligné «la nécessité de faire
abstraction de la dimension juridique dans le traitement du problème» ainsi que «l’importance de
renforcer le rôle de l’ONU dans la recherche d’une solution négociée, et le fait que la négociation
en cours devrait se dérouler en continu».
er
92

Le 24 septembre 1993, les ministres des affaires étrangères Ochoa Antich et Clement Rohee
s’entretiennent une nouvelle fois à New York avec le Secrétaire général et son représentant
personnel.
En octobre 1993, Alister McIntyre se rend à Caracas et à Georgetown.
Le 24 novembre 1993 a lieu à New York, avec la première dame Janet Jagan comme cheffe
de la délégation guyanienne, une réunion au cours de laquelle les bons offices sont confirmés. Le
reste de la conversation a pour objet le profil que devrait avoir le nouveau facilitateur du Guyana,
car Barton Scotland a été limogé la veille.
Le 23 mars 1994, M. MacIntyre reçoit les facilitateurs à New York (le facilitateur guyanien
est Harl N. Ramkarran) pour une réunion où sont récapitulées les conversations précédentes et est
établi un calendrier. Le Guyana s’efforce de gagner du temps et de retarder la procédure afin de
renforcer sa position, de préparer l’opinion publique et de consolider la stabilité économique et
politique du pays.
En mai 1994, le ministre vénézuélien des affaires étrangères, Burelli Rivas, reçoit M. McIntyre
à Caracas. Le ministre exprime à son visiteur sa préoccupation face à certaines informations publiées
dans la presse dénonçant les dommages causés à l’environnement par l’exploitation du bois d’œuvre
de la Guayana Esequiba à laquelle se livrent, sans discernement, des sociétés étrangères auxquelles le
Gouvernement guyanien a octroyé des concessions. Dans la même veine, l’ambassadeur du Venezuela
à Georgetown reçoit ordre d’exprimer sa préoccupation et de faire savoir que le Venezuela est disposé
à fournir l’assistance nécessaire pour organiser une exploitation rationnelle de la forêt compatible avec
un développement durable des ressources de la Guayana Esequiba.

93

- 50 -
Une nouvelle réunion des facilitateurs avec M. McIntyre a lieu le 10 juin 1994 et permet
d’avancer dans l’examen d’une méthode qui permettrait de travailler sur plusieurs scénarios de
négociation d’où pourrait émerger une formule appropriée au règlement pratique du différend
conformément à l’accord de Genève.
Le facilitateur vénézuélien, M. Emilio Figueredo, conclut en ces termes le rapport de cette
réunion :

«[P]lus de dix ans après que le Secrétaire général de l’ONU eut choisi la
procédure des «bons offices» en 1983, le bilan des progrès accomplis dans le volet du
processus négocié entre le Venezuela et le Guyana qui est consacré aux questions de
fond est plutôt maigre… Plusieurs facteurs ont influencé ce processus, avec
notamment les changements de gouvernement tantôt dans un pays et tantôt dans
l’autre, et plus récemment la crise institutionnelle qu’a traversée notre voisin… Des
progrès significatifs ont pourtant été faits pour ce qui est de définir les aspects
procéduraux… On peut dire que la procédure des «bons offices» a fait la preuve de
son utilité et que les deux parties ont réaffirmé leur confiance en elle.»

Pendant la deuxième moitié de 1994, les autorités guyaniennes sollicitent une réunion au niveau
des chefs d’Etat pour discuter de la «coopération frontalière». Elles jugent cette réunion nécessaire en
raison des mesures adoptées sous la présidence de Rafael Caldera pour prévenir le trafic illicite de
marchandises, et en particulier du carburant que se procurent les mineurs guyaniens dans le voisinage
de la frontière de facto. Ces mesures ont en effet provoqué quelques incidents sur le plan local.
En novembre 1994, le ministre des affaires étrangères recommande d’augmenter la pression sur
les régions proches de la zone visée par la revendication vénézuélienne, compte tenu du niveau de
dépendance de la Guayana Esequiba à l’égard du Venezuela, et de différer la rencontre susmentionnée
des chefs d’Etat, afin de proposer au Gouvernement guyanien de négocier simultanément, en parallèle
et dans une perspective globale, une hypothèse de solution satisfaisante de la question territoriale et un
projet de coopération et d’intégration frontalière.
94

Au début de mars 1995, le ministre des affaires étrangères Burelli Rivas rend visite à son
homologue Clement J. Rohee à Georgetown pour lui présenter une proposition qui répond à cette
exigence de globalité. Un communiqué de presse du ministère vénézuélien des affaires étrangères
daté du 3 mars 1995 annonce que les deux ministres ont examiné les points inscrits à l’ordre du
jour de leur rencontre afin d’évaluer la situation et «d’envisager des solutions pratiques aux
problèmes communs des deux pays, y compris la procédure des bons offices, … à la recherche d’un
règlement définitif du différend territorial».
M. McIntyre passe les 10 et 11 juillet 1995 à Caracas.
*
Le 1
er
novembre 1995, Carlos M. Ayala Corao est nommé facilitateur en remplacement
d’Emilio Figueredo. Selon le rapport d’activité de M. Ayala Corao pour la période allant de cette
date au 24 novembre 1998, le ministre des affaires étrangères Burelli Rivas fait le point de la
situation avec lui le 23 novembre 1995 : une proposition de délimitation maritime a été mise sur la
table, et il existe une possibilité de récupérer une partie du territoire contesté, tandis que l’autre
partie ferait l’objet d’un «bail» qui reste à définir. Quatre jours plus tard, le 27 novembre 1995,
M. Ayala Corao est reçu par le président Rafael Caldera, qui lui dit que les progrès accomplis par
les pourparlers et la disposition du Guyana à rechercher pour la première fois une solution du
différend lui paraissent de bon augure.

- 51 -
95

Les 14 et 15 décembre 1995, une première réunion est organisée à New York entre le chargé
des bons offices, Alister McIntyre, et les facilitateurs Carlos Ayala Corao et Harry Ramkarran. Elle
a pour objet de clarifier les règles procédurales et méthodologiques des discussions et de passer en
revue les questions qui ont été examinées jusque là. Dans ce cadre, la discussion porte notamment
sur des paramètres généraux de délimitation maritime favorables au Venezuela, ainsi que sur la
possibilité de «rendre» au Venezuela, avec pleine juridiction, un territoire situé au nord de la zone
revendiquée et de «donner à bail» au Guyana une autre portion de territoire vénézuélien. Mais
M. Ramkarran déclare que la situation politique au Guyana a changé et qu’en conséquence il ne
pense pas utile pour le moment d’aller plus avant dans l’examen de ces paramètres.
Les 26 et 27 avril 1996, une deuxième réunion a lieu à New York pour faire le point sur le
différend et sur les progrès accomplis. Les participants examinent la possibilité pour le chargé des
bons offices de proposer aux parties de discuter d’une éventuelle détermination des zones marines
et sous-marines par rapport à la limite de 200 milles marins, sans préjudice de la poursuite de leurs
discussions sur la partie continentale du différend territorial.
Les 21 et 23 juin 1996, un nouveau cycle de discussions a lieu à New York. Le facilitateur
guyanien fait alors savoir que son gouvernement n’est pas prêt à amorcer un processus de
délimitation maritime parce qu’il ne dispose pas des compétences voulues dans ce domaine et pour
des raisons de politique intérieure. Il n’en déclare pas moins son soutien résolu et sans réserve au
«processus McIntyre». M. Ayala Corao exprime son étonnement devant l’impossibilité invoquée
par M. Ramkarran et invite le chargé des bons offices à intervenir directement auprès des deux
gouvernements.
Les 26 et 27 août 1996, le chargé des bons offices s’entretient à Caracas avec le président
Caldera, le ministre des affaires étrangères Burelli et le facilitateur Ayala Corao. Avant de
rencontrer le président, M. McIntyre déclare qu’«il ne s’agit pas de négociations mais de
discussions. L’important, c’est que les deux gouvernements ont de bonnes relations en ce moment
et qu’ils sont disposés à discuter de leurs divergences dans le cadre de l’ONU.»
96

M. McIntyre se rend ensuite à Georgetown, les 2 et 3 septembre 1996, et affirme que les
deux parties coopèrent et semblent satisfaites de la façon dont la procédure des bons offices évolue.
Le Guyana a adopté une loi relative à la protection de l’environnement qui porte création d’un
organisme de protection de l’environnement. Le ministre guyanien des affaires étrangères affirme à
nouveau que son pays souhaite collaborer avec le Venezuela dans le secteur de la pêche, en
particulier pour mettre fin aux incidents. Il existe entre les deux pays un dialogue qui a pour objet
de clarifier le principe de «globalité» comme base de la coopération entre eux.
Dans une lettre du 13 septembre 1996, le ministre guyanien des affaires étrangères
Clement J. Rohee informe son homologue Burelli Rivas du bon déroulement de la visite du chargé de
bons offices, évoque leur prochaine rencontre à New York et dit que les deux ministres devraient saisir
cette occasion de réaffirmer leur adhésion et leur soutien au «processus McIntyre».
Le 4 octobre 1996, le sous-secrétaire général aux affaires politiques, Álvaro de Soto, reçoit à
New York le chargé des bons offices, les ministres des affaires étrangères et les facilitateurs des
parties. Dans une atmosphère très cordiale, M. de Soto invite les parties à entamer leurs discussions
sur la délimitation maritime. Le ministre guyanien répond que pour ce faire, un accord politique
préalable est indispensable, et qu’en outre le Guyana ne dispose pas des compétences nécessaires et
n’a aucune expérience dans ce domaine. Le ministre vénézuélien répond que la délimitation
maritime est en soi une composante normale des relations entre Etats côtiers et rappelle que le
consensus politique intervenu entre le Venezuela et le Guyana prévoit que l’on travaillera sur des
hypothèses concrètes et non abstraites. M. de Soto presse la délégation guyanienne de se déclarer
disposée à entamer des discussions sur la question et indique que l’ONU mettra des spécialistes du
droit de la mer à la disposition des parties. La délégation guyanienne accepte en définitive d’étudier
la question dans le cadre de conversations officieuses entre les facilitateurs. Comme suite à cette
97

- 52 -
réunion, M. McIntyre s’entretient avec les facilitateurs pour convenir de la méthode à retenir dans
l’examen des paramètres de la future délimitation maritime.
Les 14 et 15 décembre 1996, le chargé des bons offices reçoit les facilitateurs à New York.
M. Ayala Corao fait un bref exposé sur les conventions de délimitation maritime signées par le
Venezuela, et en particulier sur sa convention avec Trinité-et-Tobago. M. Ramkarran dit que le
Guyana n’a signé aucune convention dans ce domaine, mais qu’il présentera à la prochaine réunion
la loi guyanienne relative aux frontières maritimes.
Le 19 avril 1997, le chargé des bons offices reçoit à nouveau les facilitateurs à New York. Le
facilitateur guyanien présente la loi relative aux frontières maritimes de son pays, ainsi que
quelques décrets présidentiels y afférents. Il est donné à entendre qu’à la prochaine réunion,
l’insistance sera mise sur la possibilité de lancer une délimitation maritime par rapport à la ligne de
350 milles marins. Le Venezuela se dit une fois de plus préoccupé par l’exploitation sauvage des
ressources naturelles de la Guayana Esequiba. Son facilitateur suggère que le Guyana pourrait
communiquer régulièrement aux autorités vénézuéliennes des informations sur l’exploitation des
ressources naturelles et son impact sur l’environnement. Le Venezuela propose un accord relatif à
la coopération.
Le 24 mai 1997, le chargé des bons offices et les facilitateurs se réunissent encore à
New York. Le facilitateur guyanien annonce que son pays accepte de négocier un accord sur les
questions environnementales dans le cadre des bons offices de M. McIntyre. Celui-ci dit qu’il a
l’intention d’officialiser ce projet au cours de sa prochaine mission à Caracas et Georgetown, dont
il est convenu qu’elle aura lieu à la mi-juillet.
98

Le 14 juillet 1997, M. McIntyre est reçu par le président Caldera et le ministre des affaires
étrangères Burelli Rivas. Ce dernier exprime le souhait de voir des progrès du côté des accords sur
l’environnement et de la délimitation maritime. M. McIntyre se rend ensuite à Georgetown, du
20 au 23 juillet 1997. L’ambassadeur du Venezuela dans cette capitale, Hector Azócar, rend
compte à ses autorités de cette visite dans une dépêche du 23 juillet, où il écrit que M. McIntyre lui
a dit avoir trouvé une atmosphère très favorable tant à Caracas qu’à Georgetown. La proposition de
coopération environnementale renforcée a été favorablement accueillie par le président Sam Hinds,
et encore plus par le ministre des affaires étrangères Clement J. Rohee, mais l’un et l’autre se sont
montrés plus méfiants à l’égard de la délimitation maritime, «parce que nous devons d’abord savoir
quel objectif est visé dans ce cadre».
En conclusion de ce cycle de réunions, le Secrétaire général et son représentant personnel
rencontrent à New York, le 26 juillet 1997, les ministres des affaires étrangères, les représentants
permanents et les facilitateurs. Le même jour, M. McIntyre a des entretiens séparés avec les
facilitateurs.
*
Les réunions sont ensuite suspendues jusqu’au mois de mars 1998 en raison des élections au
Guyana. Les 20 et 21 mars 1998, le chargé des bons offices accueille à nouveau les facilitateurs à
New York. Le facilitateur guyanien souligne la délicate situation politique dans laquelle se trouve
son pays et réaffirme la décision du nouveau gouvernement de la présidente Janet Jagan d’accepter
la proposition de conclure un accord environnemental dans le cadre du «processus McIntyre».
En juillet 1998, la présidente Janet Jagan fait une visite officielle à Caracas, à l’issue de
laquelle est publié un communiqué conjoint dans lequel on peut lire :

«[L]es présidents ont évalué les progrès accomplis dans le processus qui doit
99

mener à une solution mutuellement satisfaisante du différend territorial existant entre

- 53 -
le Venezuela et le Guyana et ont réaffirmé leur ferme volonté de régler celui-ci
pacifiquement. Dans ce contexte, ils ont exprimé leur satisfaction à l’égard des efforts
déployés par Sir Alister McIntyre … et confirmé leur décision de continuer à soutenir
le Processus McIntyre en vue de parvenir à un règlement définitif, tel que prévu par
l’accord de Genève de 1966». (Souligné dans l’original.)
A cette occasion, les présidents décident que les questions figurant dans le programme commun
des deux pays seront traitées dans un cadre élargi et global, avec la création d’une commission
bilatérale de haut niveau présidée par leurs ministres des affaires étrangères et d’une série de
sous-commissions consacrées aux questions politiques, à l’environnement, aux échanges culturels, à
l’intégration économique et consulaire, à la culture, à la santé, à l’agriculture, à l’industrie alimentaire
et aux transports.
Le 24 octobre 1998, le chargé des bons offices accueille les deux facilitateurs à New York.
Le facilitateur guyanien déclare que la nouvelle de l’accord de coopération environnementale
annoncée dans le communiqué conjoint des présidents Caldera et Janet Jagan a suscité un tollé dans
la presse et l’opposition guyanienne, au point de forcer son gouvernement à différer toute
élaboration de cet accord. Celle-ci, si elle relève du «processus McIntyre», doit se faire sous le
régime des accords multilatéraux. Le facilitateur vénézuélien répond fermement que c’est l’accord
de Genève qui devra servir de cadre à l’accord de coopération environnementale, qui doit être un
premier pas sur le chemin devant mener à un règlement du différend.
*
100

Le Venezuela entrant à ce moment en période électorale, les réunions sont suspendues. Le
30 décembre 1998, cependant, le ministre guyanien des affaires étrangères, Clement J. Rohee,
déclare, lors d’une conférence de presse, qu’il serait politiquement malavisé de renoncer au
«processus McIntyre» et que le Gouvernement guyanien préfère éviter de négocier directement
avec le Venezuela.
Le 2 février 1999, Hugo Chávez Frías devient président du Venezuela, ce qui crée
l’occasion d’une rencontre avec la présidente Janet Jagan du Guyana, invitée à la cérémonie
d’investiture. Il résulte de cette rencontre que, le 30 mars 1999, un comité présidé par le ministre
des affaires étrangères, José Vicente Rangel, se rend en visite officielle à Georgetown pour y
signer le mandat de la commission bilatérale de haut niveau.
Quinze jours plus tôt, le 15 mars 1999, le ministre vénézuélien des affaires étrangères a reçu
le chargé des bons offices à Caracas. A cette occasion, il s’entretient avec M. McIntyre de la réunion
d’avril au cours de laquelle les facilitateurs devront établir un programme de travail sur des projets
concrets, notamment l’environnement et la délimitation maritime. José Vicente Rangel déclare que
ses relations avec le Guyana sont excellentes et qu’elles visent à renforcer la coopération,
notamment en matière culturelle et économique. Pour le ministre, la solution du différend doit être
«raisonnable, juste et équitable».
Le 15 juin 1999, M. Ayala Corao adresse au ministre une lettre dans laquelle il exprime le
souhait de continuer à exercer ses fonctions de facilitateur du Venezuela et rappelle les
principales caractéristiques de sa fonction, à savoir d’être un
1. agent personnel et officieux du ministre des affaires étrangères (et du président) ;
2. n’agissant que sur instructions expresses du ministre des affaires étrangères ;
3. et observant une réserve essentielle dans l’accomplissement de sa mission.
101

- 54 -
Dans l’une des annexes jointes à sa lettre — annexe A —, M. Ayala Corao a rédigé quelques
considérations sur la procédure des bons offices dans le contexte de l’accord de Genève. Il y rappelle
que le Secrétaire général a choisi les bons offices et qu’il les exerce par l’intermédiaire de son
représentant personnel. C’était la formule la plus proche de ce qu’avait proposé le Venezuela et la plus
éloignée de ce que souhaitait le Guyana.
Dans une note infrapaginale de cette annexe, M. Ayala Corao note que
«la position adoptée par le Gouvernement vénézuélien veut que le Secrétaire général
n’ait compétence que pour indiquer de façon générale le moyen de règlement, tout ce
qui concerne l’organisation et le fonctionnement de ce moyen devant être convenu
entre les parties».
Le 9 septembre 1999, le ministre Vicente Rangel adresse au chargé des bons offices,
Alister McIntyre, une lettre au sujet de l’octroi par le Guyana de concessions pétrolières offshore
aux sociétés Century GY et Exxon (octroi qui avait d’abord fait l’objet d’une note du ministre
vénézuélien à son homologue guyanien Clement J. Rohee en date du 13 juillet 1999).
Dans sa lettre au chargé des bons offices, le ministre observe que
«toutes les questions de délimitation des zones marines et sous-marines revêtent une
importance considérable dans la recherche d’une solution au différend pendant entre le
Guyana et le Venezuela», et il rappelle qu’aux termes de l’accord de Genève ce
différend devait être «résolu à l’amiable, d’une manière acceptable pour les deux
parties» et que celles-ci devaient «rechercher des solutions satisfaisantes pour le
règlement pratique du différend».
Dans la même lettre, le ministre souligne
102

«le droit qu’a le Venezuela, indépendamment du différend pendant et de son
règlement, d’étendre sa souveraineté ou sa juridiction à la mer territoriale, à la zone
économique exclusive et au plateau continental … correspondant à la projection de la
côte de Delta Amacuro entre les caps Punta Araguapiche et Punta Playa».

Il ajoute pour être plus clair que ce sont précisément ces zones qui ont été délimitées entre le
Venezuela et Trinité-et-Tobago, «et non celles correspondant à la projection de la côte de la zone
revendiquée.
Et il continue comme suit :

«Au mépris des obligations les plus essentielles imposées par l’accord de
Genève et le droit international, le Gouvernement guyanien a accordé unilatéralement
aux sociétés CENTURY GY et EXXON des concessions d’exploration
d’hydrocarbures qui, loin de se limiter aux zones sous-marines correspondant à la
zone revendiquée … couvrent des espaces … qui constituent la projection maritime de
la côte de Delta Amacuro entre les caps Punta Araguapiche et Punta Playa…», avec
«ces circonstances aggravantes que le Gouvernement guyanien a fait fi de la
protestation élevée par le Venezuela en août 1993 dans un cas similaire de concessions
d’hydrocarbures offshore à MOBIL. Le Gouvernement guyanien n’a pas davantage
tenu compte des nombreuses déclarations faites par le Gouvernement vénézuélien
précédent dans le cadre des bons offices.»
103

- 55 -
Et le ministre de conclure par ces mots :

«On ne peut qu’être surpris qu’un acte de cette nature ait été commis à un
moment où les relations bilatérales se renforçaient … en particulier grâce à la création
et à l’inauguration, le 30 mars 1999, de la commission bilatérale de haut niveau à
l’occasion de la visite officielle du ministre vénézuélien des affaires étrangères à
Georgetown. De plus, la signature par la présidente du Guyana à l’époque des
documents accordant ces concessions à EXXON a eu lieu quelques jours à peine avant
la date arrêtée par les deux gouvernements pour la réunion du groupe technique sur les
ressources marines, qui a été créé précisément pour prévenir et résoudre les incidents
de pêche qui ont pu se produire.»
Le 20 septembre 1999, M. Alister McIntyre démissionne de ses fonctions de représentant
personnel du Secrétaire général.
Oliver Jackman (1999-2007)
Oliver Jackman est nommé représentant personnel du Secrétaire général le 1
er
novembre
1999. Le nouveau chargé des bons offices se rend à Caracas et Georgetown au début du mois de
mars 2000.
Le président Hugo Chávez confirme son appui aux bons offices, mais exprime en même
temps sa vigoureuse opposition à l’installation d’une base aérospatiale dans l’Essequibo. Cela
n’empêcha pas le Guyana de signer, le 19 mai 2000, un accord avec la société des Etats-Unis
Beal Aerospace Technologies pour la construction d’une base de lancement de satellites dans le
nord-ouest de l’Essequibo. Le Venezuela proteste auprès du Guyana. Le 3 juillet 2000, le président
Chávez déclare : «Le Venezuela ne permettra pas qu’une base de lancement de fusées soit installée
sur ce territoire, qui est vénézuélien.»
104

Le président Chávez prévient qu’il constate un changement d’attitude de la part du Guyana,
qui devient agressif. Il considère, à la mi-août 2000, que les déclarations du ministre des affaires
étrangères, Clement J. Rohee, sont déplacées :

«Le Venezuela veut que la question soit traitée dans le cadre de l’accord de
Genève. Si nous ne reconnaissons pas qu’il y a un problème, où irons-nous chercher la
volonté de le régler ?», demande-t-il le 17 août 2000. «S’il était vrai que les frontières
sont déjà fixées, comme le prétend le ministre guyanien des affaires étrangères,
l’accord de Genève n’existerait même pas et il n’y aurait pas de visites de
M. Jackman.»
La procédure des bons offices reste paralysée pendant trois ans, jusqu’au 30 avril 2003,
quant les facilitateurs vénézuélien (Luis Herrera Marcano depuis le 25 février 2002) et guyanien
(Ralph Ramkarran) se rencontrent à Georgetown pour préparer leur réunion avec le chargé des
bons offices, Oliver Jackman, prévue pour le 23 mai 2003 à La Barbade. M. Jackman leur ayant
fait savoir que son rôle se limite à «faciliter la négociation entre les deux gouvernements»,
M. Ramkarran informe M. Herrera que cette clarification a pour origine une démarche du ministre
guyanien des affaires étrangères auprès du Secrétaire général de l’ONU.
Conformément à ce qui a été convenu préalablement à la réunion, M. Ramkarran affirme et
M. Herrera confirme que :
1. le Venezuela et le Guyana ont tous les deux connu récemment des situations intérieures
difficiles qui ont mobilisé l’attention de leurs gouvernements ;

- 56 -
2. s’en est suivi un arrêt virtuel de la procédure des bons offices depuis 2000, sans qu’il y ait
lieu d’y voir un manque d’intérêt de la part des parties ;
3. les deux pays ont imprimé un nouvel élan à leurs relations bilatérales ;
4. les deux pays sont d’accord pour attribuer un degré élevé de priorité à la prompte réactivation
de la procédure des bons offices ;
105

5. dans un premier temps, il serait préférable que cette procédure se concentre sur les mesures de
coopération afin de créer une atmosphère de confiance renouvelée ;
6. les deux gouvernements jugent très important de poursuivre cette procédure qui leur offre la
possibilité d’entretenir un dialogue constructif sous les auspices de l’accord de Genève et sans
le formalisme et les contraintes des contacts diplomatiques ;
7. les deux gouvernements ont une confiance sans réserve en l’ambassadeur Oliver Jackman en
sa qualité de chargé des bons offices.
La réunion se termine par un accord sur les prochaines étapes :
1. une réunion entre le chargé des bons offices, M. Jackman, et les ministres des affaires
étrangères à Santiago du Chili à l’occasion de l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats
américains les 7 et 8 juin 2003 ;
2. des missions de M. Jackman à Caracas et Georgetown en juillet 2003 ;
3. un entretien des ministres des affaires étrangères avec le Secrétaire général de l’ONU et
M. Jackman, en présence des facilitateurs, à l’occasion de l’Assemblée générale des
Nations Unies en septembre 2003.
Cette réunion a donc pour résultat de relancer la procédure des bons offices, mais n’a permis
aucune discussion sur le fond.
Le 8 juin 2003, comme prévu, M. Jackman a un entretien à Santiago du Chili avec le
ministre vénézuélien des affaires étrangères, Roy Chaderton. Malheureusement, il ne peut en faire
autant avec le ministre guyanien des affaires étrangères, Samuel Insanally, qui n’a pas pu se rendre
à Santiago pour des raisons de santé. Le ministre vénézuélien évoque sa récente visite officielle à
Georgetown et les résultats positifs de ses entretiens avec le président et son homologue guyanien.
106

Le chargé des bons offices, relançant une initiative qui remonte à la dernière réunion, en
2000, demande aux facilitateurs de lui présenter un document qui résumerait leurs vues sur la façon
dont la procédure des bons offices devrait être conduite. Les facilitateurs acceptent de préparer un
texte commun d’une demi-page. Dans ce texte rédigé par M. Ramkarran et accepté par M. Herrera
le 11 juillet 2013 avec des corrections mineures, on peut lire :

«2. La procédure des bons offices est placée sous la direction des parties ; en
même temps, celles-ci reconnaissent que le chargé des bons offices a pour mandat de
les aider à résoudre problèmes, divergences, différends et désaccords. 3. Les deux
parties déclarent qu’elles continuent d’avoir confiance en la procédure, de lui apporter
leur soutien, et de considérer qu’elle joue un rôle important en facilitant la préparation
des discussions et leur déroulement. 4. Le chargé des bons offices aide à organiser les
réunions des parties, représentées par leurs facilitateurs, dans les lieux et avec la
périodicité qu’elles décident et dont elles conviennent avec lui. L’ordre du jour des
réunions doit recevoir l’accord des parties. Le chargé des bons offices peut cependant
offrir des conseils et formuler des suggestions et des recommandations à cet égard.
5. Le chargé des bons offices préside les réunions auxquelles il participe. Il veille à ce

- 57 -
que les discussions soient claires et ne s’écartent pas de leur sujet. Il offre son avis sur
les questions qui peuvent surgir et qui bénéficieraient de sa contribution ou de celle du
Secrétaire général. Il résume les discussions et établit un relevé des conclusions et, si
nécessaire, des tâches à accomplir avant la réunion suivante. 6. Le chargé des bons
offices reste en contact avec les gouvernements et les informe officiellement du
déroulement des discussions. 7. Il détermine, en consultation avec le Secrétaire
général, la forme de ses relations, son degré d’engagement et, le cas échéant, le
contenu de ses rapports. 8. Il incarne la volonté des deux parties de résoudre leur
différend pacifiquement et à l’amiable. 9. Il s’efforce d’organiser sur une base
annuelle des réunions entre les ministres des affaires étrangères et le Secrétaire général
de l’ONU, auxquelles il peut envisager d’assister. Ces réunions servent à examiner les
progrès accomplis et à renouveler l’adhésion des parties à la procédure des bons
offices. 10. A cette fin, le chargé des bons offices envisage de se rendre à Caracas et
Georgetown chaque année avant l’ouverture de la session de l’Assemblée générale, en
particulier si une réunion entre les ministres des affaires étrangères et le Secrétaire
général est programmée à New York.»
107

Le 27 septembre 2003, les ministres des affaires étrangères du Venezuela et du Guyana,
Roy Chaderton et Samuel Insanally, se réunissent avec le Secrétaire général Kofi Annan, le chargé
des bons offices Oliver Jackman et les facilitateurs Luis Herrera Marcano et Ralph Ramkarran.
C’est la première réunion de haut niveau depuis 1999. Elle a pour objectif de relancer la procédure
des bons offices, en s’appuyant sur l’amélioration récente de la coopération entre les deux pays
dans les domaines de la santé et du commerce et en ce qui concerne les zones de pêche,
amélioration qui a aidé à créer une atmosphère de confiance. Dans une déclaration à la presse,
M. Jackman rappelle que la procédure des bons offices dépend des gouvernements et non de
l’ONU.
En décembre 2003, le Gouvernement vénézuélien nomme un nouveau facilitateur en la
personne d’Hector Azócar, qui a été ambassadeur du Venezuela au Guyana de 1997 à 2000.
Les 19 et 20 février 2004, le président Hugo Chávez fait une visite officielle en République
coopérative du Guyana, présidée alors par Bharrat Jagdeo. Il propose de donner aux mécanismes
d’intégration et d’échange la priorité sur les différends territoriaux, toujours dans le cadre de
l’accord de Genève. Le nouveau facilitateur vénézuélien, Hector Azócar, profite de l’occasion pour
contacter son homologue guyanien, Ralph Ramkarran.
108

Le communiqué conjoint publié à l’issue de la visite souligne l’esprit de cordialité qui a
imprégné le dialogue entre les parties, réaffirme leur adhésion à la procédure des bons offices et
salue le travail effectué par M. Jackman dans la recherche d’un règlement pacifique et pratique du
différend conformément à l’accord de Genève de 1966. En témoignage de solidarité, le président
Chávez accepte d’annuler la dette du Guyana auprès du Venezuela. Un an et demi plus tard, le
6 septembre 2005, le Guyana adhère à l’accord de coopération énergétique Petrocaribe.
Le 21 mai 2004, les facilitateurs vénézuélien et guyanien rencontrent le chargé des bons
offices à La Barbade. M. Ramkarran réaffirme l’adhésion du Guyana à la procédure des bons
offices et rappelle la visite du président Chávez dans son pays. Selon lui, il faut multiplier les
rencontres avec le chargé des bons offices et renforcer la participation de l’ONU. Les facilitateurs
devraient se rencontrer préalablement, pour clarifier ou définir entre eux les questions justifiant une
intervention du chargé des bons offices.
M. Jackman explique que le Secrétaire général participe à la procédure sur la base de
l’accord de Genève, que son propre rôle de chargé des bons offices consiste à offrir des conseils et
à faciliter les propositions des gouvernements, et que «la conception que les pays concernés ont de
l’accord [de Genève] lui serait très utile, en particulier en ce qui concerne son article IV».

- 58 -
Toujours selon M. Jackman, le Secrétaire général n’est pas habilité à diriger la procédure des
bons offices ; c’est aux gouvernements qu’il appartient de donner des lignes directrices et de
suggérer la voie à suivre. Les réunions ne doivent pas se limiter à des échanges de politesses et
d’amabilités.
109

A cette même réunion, le facilitateur vénézuélien dresse un vaste tableau des problèmes
auxquels son gouvernement a été confronté depuis décembre 2001, sans que sa volonté de continuer à
renforcer les relations avec le Guyana en soit diminuée en rien. Les déclarations que le président
Chávez a faites lors de sa visite au Guyana sont conformes à la conviction du facilitateur selon laquelle
les deux gouvernements devraient se consulter chaque fois que des projets sensibles sont en jeu, et que
le Venezuela ne devrait jamais s’écarter de l’esprit et de la teneur de l’accord de Genève, qui dispose
qu’aucun acte exécuté sur le territoire contesté ne saurait entraîner une extinction ou une diminution
des droits revendiqués par l’une ou l’autre des parties. Les déclarations du président Chávez doivent
s’interpréter dans le contexte d’un projet d’approfondissement de l’intégration de l’Amérique latine.
Toujours selon Hector Azócar :

«Le chargé des bons offices donnait l’impression qu’il désirait amener les
gouvernements à aborder les questions de fond et qu’il souhaitait obtenir une réponse
à la proposition du Secrétaire général d’établir une feuille de route. L’insistance avec
laquelle il a cherché à savoir quels effets les déclarations du président Chávez auraient
sur les prochaines étapes était sensible avant même la réunion des facilitateurs
eux-mêmes.»
Ban Ki-moon succède à Kofi Annan comme Secrétaire général des Nations Unies le
1
er
janvier 2007. Oliver Jackman décède le 24 janvier de la même année.
Norman Girvan (2009-2014)
En février 2007, le Venezuela adresse au Secrétaire général une note dans laquelle il dit
souhaiter que la procédure des bons offices se poursuive et le prie de nommer un nouveau chargé des
bons offices.
110

Depuis quelques mois en effet, et malgré les excellentes relations entre le Venezuela et le
Guyana sous les présidences de Hugo Chávez et Bharrat Jagdeo, les incidents se multiplient, et
notamment les immobilisations de navires de pêche et de leurs équipages par les autorités
guyaniennes, ou les interventions du Venezuela le long de la frontière de facto pour réprimer la
contrebande de carburant et les activités minières illégales ou pour protéger les rivières et
l’environnement. Ces incidents entraînent des échanges de notes diplomatiques, rédigées toutefois en
des termes mesurés pour éviter de provoquer leur destinataire. C’est dans ce contexte que, par note du
10 décembre 2007, le Venezuela propose de tenir une réunion de haut niveau pour préparer une
rencontre avec le Secrétaire général et promouvoir la procédure des bons offices, en faisant valoir que
celle-ci peut servir non seulement à rechercher des solutions satisfaisantes pour un arrangement
pratique, mais encore à mettre en place des canaux de communication rapides et souples pour éviter
des incidents qui menacent de compromettre les excellentes relations entre les deux pays.

Il faut attendre près de trois ans pour que Norman Girvan soit enfin nommé chargé des bons
offices, le 9 octobre 2009. On est alors à l’apogée de la politique de coopération, de solidarité et
d’intégration défendue par le président Chávez, qui accueille le président Bharrat Jagdeo à Caracas
les 20 et 21 juillet 2010. Il s’agit d’éviter que le différend territorial n’assombrisse cette atmosphère
de coopération.
Cependant, certaines initiatives du Guyana comme la demande de reconnaissance d’un
plateau continental au-delà de 200 milles marins qu’il dépose le 6 septembre 2011 à la commission
des limites du plateau continental ou encore les permis d’exploration pétrolière qu’il accorde non

111

- 59 -
seulement dans les zones maritimes correspondant à la projection de la côte de l’Essequibo, mais
jusque dans l’embouchure de l’Orénoque, provoquent des incidents compromettant la procédure
des bons offices.
C’est pourquoi, à l’issue d’une réunion qu’ils tiennent à Port of Spain le 30 septembre 2011,
les ministres vénézuélien et guyanien des affaires étrangères Nicolás Maduro et
Carolyn Rodrigues-Birkett signent une déclaration conjointe dans laquelle ils :
1) confirment le droit qu’a le Venezuela de donner à la commission des limites du plateau
continental son avis sur la demande du Guyana, ainsi que leur accord pour que les facilitateurs
des deux Etats en discutent et informent leurs gouvernements de la teneur de leurs discussions ;
2) reconnaissent que la délimitation des frontières maritimes est une question pendante qui appelle
des négociations ;
3) reconnaissent que «le différend au sujet de la sentence arbitrale de 1899 relative à la frontière
entre le Guyana et le Venezuela est encore pendant» et qu’il «est un héritage du colonialisme»,
et réaffirment leur «adhésion à l’accord de Genève et à la procédure des bons offices» ;
4) notent qu’ils informeront le représentant personnel du Secrétaire général de la teneur de leurs
entretiens ; et
5) se félicitent des excellentes relations que nourrissent les deux Etats et réaffirment leur volonté
de les maintenir à ce niveau.
Dans une communication datée du 9 mars 2012, le ministre des affaires étrangères
Nicolás Maduro informe le Secrétaire général de l’ONU que le Venezuela formule une objection à
la demande soumise par le Guyana à la commission des limites du plateau continental. En effet, le
plateau continental auquel prétend le Guyana constitue la projection d’une côte qui fait partie de la
zone revendiquée par le Venezuela, lequel a donc des droits sur lui en vertu du droit international
coutumier. Le Venezuela, écrit encore le ministre dans sa note, est cependant conscient des
avantages qui pourraient être tirés d’un dialogue constructif mené dans le cadre de la procédure des
bons offices à la recherche d’une solution pratique au différend territorial. Le ministre
Nicolás Maduro adresse le même jour à son homologue guyanien une communication couchée
dans des termes similaires.
112

Le 14 mars 2012, le Guyana répond en ces termes à la communication du ministre
vénézuélien des affaires étrangères :

«Mon gouvernement considère que le champ d’application de l’accord de
Genève du 17 février 1966 est clair et circonscrit. Les questions maritimes ne figurent
pas dans la liste des questions mentionnées dans cet accord ; elles n’entrent pas dans le
mandat de la commission mixte ; et elles ne peuvent par conséquent pas entrer dans le
mandat de la procédure des bons offices.»
Le Guyana nie que le différend soit de nature territoriale et affirme avec insistance que
l’accord de Genève a pour but de trancher la question de la validité ou de la nullité de la sentence
arbitrale de 1899. Selon lui, la délimitation maritime doit certes faire l’objet de négociations entre
les parties, mais pas dans le cadre de la procédure des bons offices.
A son tour, le 4 avril 2012, la ministre guyanienne des affaires étrangères,
Carolyn Rodrigues-Birkett, adresse une longue lettre au Secrétaire général de l’ONU,
Ban Ki-moon, avec copie au ministre vénézuélien des affaires étrangères. Elle demande au
Secrétaire général de ne pas tenir compte de l’objection formulée par le Venezuela à l’examen de la

- 60 -
demande du Guyana, nie l’existence d’un différend territorial et affirme que l’objet de l’accord de
Genève est limité au différend sur la validité ou la nullité de la sentence de 1899.
113

Dans ce contexte tendu, M. Girvan imagine d’ajouter à ses outils de chargé des bons offices
la formule des «ateliers techniques». Plutôt que de rester fixé sur le différend frontalier en attendant
que les parties adoptent une position, il veut essayer, par ces ateliers, de clarifier des concepts et
des questions utiles pour le règlement de conflits multidimensionnels et qui pourraient faire l’objet
de discussions futures intéressant le différend en cause. Grâce à ces ateliers, les autorités et les
équipes des parties pourraient apprendre à se connaître et à se faire mutuellement confiance, en
appliquant la «règle de Chatham House».
Le premier de ces ateliers a lieu le 15 mai 2012 à New York. Une demi-douzaine de
personnes y participent pour chacune des parties. Les délégations sont dirigées par les facilitateurs,
MM. Chaderton et Ramkarran.
Le deuxième atelier a lieu le 17 mai 2013 à Port of Spain. Y participent, dans une
atmosphère très positive, le chargé des bons offices, qui en assure la coordination, MM. Chaderton
et Ramkarran en leur qualité de facilitateurs, et les délégations des deux pays, à raison de dix
membres pour chaque partie. «Nous avons fait des progrès et nous continuerons d’en faire»,
déclare le facilitateur guyanien, M. Ramkarran. «Il est important de continuer à faire avancer ce
processus, quitte à le faire à petits pas plutôt qu’à grandes enjambées», conclut M. Girvan.
Après le décès du président Chávez survenu le 5 mars 2013, Nicolás Maduro fait sa première
visite officielle au Guyana en qualité de président de la République bolivarienne les 30 et 31 août
2013. C’est l’occasion pour la commission bilatérale de haut niveau (COBAN) de tenir sa
cinquième réunion, et des dispositions sont prises pour inaugurer le comité chargé des activités de
prévention, d’enquête et de résolution pacifique des incidents de pêche. Ce comité a été créé en
vertu d’un mémorandum d’accord signé le 21 juillet 2010 par les ministres des affaires étrangères à
l’occasion de la visite officielle à Caracas du président guyanien, M. Jagdeo. La déclaration
conjointe du 31 août 2013 signée par les présidents Nicolás Maduro et Donald Ramotar annonce
qu’un nouvel élan a été imprimé à la procédure des bons offices et que le renouvellement du
mandat de son responsable, Norman Givan, a été sollicité.
114

Le 10 octobre 2013, un bâtiment de la marine vénézuélienne, le Yekuana, arraisonne un
navire battant pavillon panaméen, le Teknik Perdana, qui a été affrété par la société Anadarko des
Etats-Unis pour mener des activités d’exploration pétrolière avec un permis guyanien sur le
plateau continental au large de la côte de l’Essequibo. Dans une note du 11 octobre 2013, le
Guyana élève une protestation contre cet arraisonnement, mais n’exclut pas que ce soit par erreur
que la marine vénézuélienne a situé le navire dans les eaux vénézuéliennes. Quand, ayant pris
connaissance de la note vénézuélienne du 15 octobre 2013, le Guyana apprend qu’il ne s’agissait
pas d’une erreur, il qualifie d’agression l’arraisonnement du navire par le Venezuela et dit
regretter que cet incident se soit produit à un moment où les relations bilatérales n’ont jamais été
aussi bonnes (note DG-7/10/2013).
Les ministres des affaires étrangères Elías Jaua et Carolyn Rodrigues-Birkett se
rencontrent à Port of Spain le 17 octobre 2013. Dans une déclaration conjointe, ils reconnaissent
l’importance d’aborder enfin la question de la délimitation des espaces maritimes pour éviter de
nouveaux incidents et conviennent d’étudier à cette fin les solutions que le droit international met
à leur disposition.
Le même jour, le ministre vénézuélien Elias Jaua s’entretient avec Norman Girvan à
Port of Spain. Suite à cet entretien, le chargé des bons offices adresse au ministre, le 29 octobre
2013, une lettre à laquelle est joint un projet détaillé de plan de travail. M. Girvan y informe le
ministre que le Secrétaire général a l’intention de procéder, pendant l’été 2014, à un examen des
progrès accomplis, et pourrait envisager d’autres moyens de régler le différend.

115

- 61 -

«Cependant», écrit M. Girvan dans sa lettre, «[j]e suis convaincu que la
procédure actuelle des bons offices offre plus de latitude aux deux Etats que n’importe
quelle autre formule et qu’il sera possible d’accomplir des progrès importants vers le
règlement du différend frontalier.»
Et il conclut en ces termes : «L’ONU reste déterminée à aider les parties dans leur recherche
d’une résolution mutuellement satisfaisante de leur différend frontalier.»
*

- 62 -
XI. LA PROPOSITION DE PLAN DE TRAVAIL : PROCÉDURE DES BONS OFFICES
DANS LE CADRE DU DIFFÉREND FRONTALIER ENTRE
LE GUYANA ET LE VENEZUELA (2013)
Le plan de travail est proposé en vue de faciliter la discussion entre les parties, étant
entendu :
116

 que les deux parties sont disposées à envisager des options concrètes en vue de résoudre le
différend frontalier ;
 que toute discussion ou suggestion sera sans préjudice de la position juridique des deux Etats ;
 que rien ne sera tenu pour convenu avant d’être inclus dans un accord signé et formalisé.
Plan de travail
 De la mi-novembre à la mi-décembre : réunion de deux jours à Port of Spain
(Trinité-et-Tobago), avec la participation des délégations des deux Etats. A cette occasion, les
questions suivantes seront examinées et discutées, sans autres obligations : 1) possibilités de
coopération et de développement économique ; 2) mécanisme de délimitation maritime ;
3) possibilités de dialogue binational (en tant que processus complémentaire visant à
promouvoir les échanges entre les sociétés civiles des deux pays) ; 4) autres moyens de
règlement possibles.
 Janvier : visites du représentant personnel du Secrétaire général de l’ONU dans les deux
capitales. Les ministres des affaires étrangères se verront remettre un rapport sur la réunion de
travail, qui pourra inclure des propositions relatives à de possibles suites concrètes à donner,
telles que la tenue de réunions de travail supplémentaires visant à mettre au point une série de
scénarios particuliers afin de régler le différend frontalier, ou encore l’organisation d’un
dialogue national.
117

 Février : à titre de suivi, démarches en vue d’obtenir les vues des deux parties et de convenir
d’un calendrier aux fins de développer et de mettre en œuvre toute suggestion qui aura été
retenue. Pourront également être prévues une série de réunions de travail de haut niveau afin
d’étudier plus en détail les différentes options.
 Mi-2014 : le représentant personnel, en collaboration étroite avec les deux parties et le
Secrétaire général de l’ONU, cherchera à déterminer où en est la procédure des bons offices,
dans l’idée de formuler des recommandations sur la marche à suivre : poursuivre la procédure,
par exemple, ou envisager d’autres moyens de régler le différend, ainsi que prévu par l’accord
de Genève de 1966.
Le représentant personnel sera régulièrement en contact avec les facilitateurs pour mettre en
œuvre le plan de travail et faire le point sur la situation.
*

- 63 -
XII. LES FAITS AYANT CONDUIT À L’ADOPTION DU COMMUNIQUÉ DU SECRÉTAIRE
GÉNÉRAL DE L’ONU EN DATE DU 30 JANVIER 2018
(2014-2018)
Le dernier chargé des bons offices agréé par les Parties, Norman Girvan, s’éteint le 9 avril
2014. Or, cette année-là, les relations entre le Venezuela et le Guyana n’avaient cessé de se tendre.
118

Le 8 avril 2014, le ministre vénézuélien des affaires étrangères adresse une note à son
homologue guyanienne, Carolyn Rodrigues-Birkett, en se référant à des informations émanant de
l’agence d’information du Gouvernement guyanien sur le partenariat conclu entre le Guyana et le
Brésil en vue de bâtir un complexe hydroélectrique sur la rivière Mazaruni. Il renvoie également à
des déclarations prêtées à la ministre, qui aurait indiqué ne pas s’attendre à une réaction négative
du Venezuela, «la zone n’étant plus en litige». Dans cette note, le ministre vénézuélien indique que,
bien au contraire, la revendication du Venezuela demeure pleinement d’actualité, rappelle la
position constante de son pays, et estime «nécessaire de préciser qu’il n’a pas été conclu de
négociations, arrangements ou accords bilatéraux aux termes desquels les deux Etats auraient
décidé de mettre fin à leur différend». Il relève que les déclarations de la ministre guyanienne des
affaires étrangères ne sont pas «en accord avec la procédure des bons offices … ni conformes à
l’esprit de compréhension et de coopération incarné dans l’accord de Genève», qui régit le
différend, et invoque le paragraphe 2 de l’article V de cet accord pour remettre en question le projet
guyano-brésilien de complexe hydroélectrique sur la rivière Mazaruni.
Le Guyana répond par une note en date du 14 avril 2014, en clarifiant que la citation
attribuée à sa ministre des affaires étrangères est inexacte, l’intéressée n’ayant pas affirmé que «la
zone n’[était] plus en litige», mais ceci : «Je ne puis prédire l’avenir mais je n’anticipe aucune
objection de la part de notre voisin ; et, quand bien même, la position du Guyana est qu’il n’existe
aucun différend territorial avec le Venezuela». Par la voix de sa ministre des affaires étrangères, il
soutient que la note du Venezuela prend le contrepied des attentes suscitées au Guyana par
l’ambitieuse vision dont le président Hugo Chavez a fait état, lorsqu’il a assimilé la question de la
frontière à une machination de l’impérialisme visant à faire obstacle à l’unité du continent
latino-américain. Le paragraphe 2 de l’article V de l’accord de Genève, affirme-t-il, ne limite pas
les activités du Guyana dans l’Essequibo et la position adoptée par le Gouvernement vénézuélien à
propos des investissements au Guyana représente un retour en arrière, susceptible de compromettre
le développement économique et social du pays. Et d’ajouter que les activités du Guyana dans
l’Essequibo n’entrent pas dans le cadre du mandat du chargé des bons offices, avant de réitérer
qu’il serait souhaitable de constituer un groupe technique chargé de discuter d’un mécanisme de
négociation d’un accord de délimitation maritime, conformément à l’engagement que les deux
Gouvernements ont contracté par le truchement de leurs ministres des affaires étrangères.
119

Un mois plus tard, dans une note en date du 14 mai 2014, le ministère vénézuélien des
affaires étrangères, faisant référence à Norman Girvan, dont le malencontreux décès a
«provisoirement paralysé le mécanisme des bons offices agréé par les parties», invite le Guyana à
demander formellement, et conjointement avec le Venezuela, au Secrétaire général de l’ONU de
nommer un chargé des bons offices et, ainsi, à «reprendre la procédure des bons offices [alors] en
cours au bénéfice des deux parties». Le ministère vénézuélien réitère qu’il tient à conclure avec le
Guyana un
«arrangement pratique permettant de régler le différend territorial existant entre les
deux Etats du fait de la nullité, et de l’invalidité correspondante, de la sentence du
3 octobre 1899, question dont ont accepté de prendre acte, en bonne entente,
l’ensemble des parties à l’accord de Genève de 1966».

- 64 -
Le Guyana répond officiellement par une note en date du 16 juin 2014, dans laquelle il se
dissocie derechef de la thèse de l’invalidité de la sentence de 1899 défendue par le Venezuela.
L’accord de Genève, y indique-t-il, offre au Gouvernement vénézuélien la possibilité de prouver sa
thèse ; or, il ne comporte aucune référence à l’existence d’un différend frontalier entre les parties.
Quant à la désignation d’un chargé des bons offices devant remplacer Norman Girvan, elle est «en
cours d’examen par le Gouvernement du Guyana».
120

Quatre jours plus tard, le 20 juin 2014, se tient à Port of Spain la première rencontre
technique des délégations vénézuélienne et guyanienne prévue par la déclaration commune du
17 octobre 2013. Le Venezuela soutient à cette occasion que la délimitation des espaces maritimes
est à la fois essentielle pour éviter les incidents  dans la zone où les revendications des deux Etats
entrent en concurrence  et inévitablement liée au règlement préalable du différend territorial
pendant entre les parties, dont le Guyana persiste à nier l’existence. A la réunion, il apparaît
clairement que le Guyana n’aspire nullement à ce que soit nommé un nouveau chargé des bons
offices.
Dans les premiers mois de l’année 2015, de nouveaux incidents éclatent en rapport avec les
activités d’exploration autorisées par le Guyana sur le plateau continental situé dans le
prolongement de la côte de l’Essequibo, conduisant à des échanges de notes diplomatiques.
Dans une note en date du 26 février 2015, la ministre vénézuélienne des affaires étrangères
proteste contre l’octroi de concessions en vue de prospections et de forages pétroliers dans le bloc
de Stabroek, situé au large de l’Essequibo — zone en litige — et pour partie sur le plateau
continental s’étendant dans le prolongement du delta de l’Orénoque, zone qui relève sans conteste
du Venezuela. Celui-ci n’a nullement été avisé de la mise en place de la plate-forme pétrolière
Deep Water Champion. Tout acte, précise-t-elle, est dépourvu d’effet. Enfin, la ministre appelle à
un dialogue pacifique et constructif et à la reprise de la procédure des bons offices, avec la
nomination d’un représentant personnel du Secrétaire général (suspendue en raison du refus du
Guyana). En parallèle, la lettre est envoyée au responsable local d’Esso Exploration.
Dans une note en date du 28 février, le Guyana demande instamment au Venezuela de cesser
de se comporter d’une manière susceptible de nuire à son développement et contraire, affirme-t-il,
au droit international, et il rejette les revendications du Venezuela.
121

Le Venezuela, quant à lui, réaffirme sa position dans une déclaration en date du 3 mars et
une note datée du 4 mars 2015. Dans la première, il met en avant sa contribution au développement
du Guyana, et évoque l’ingérence d’éléments étrangers. Dans la seconde, il qualifie de «déroutante
et fantasque» l’attitude du Guyana, et s’étonne de voir ce dernier adopter un comportement qui va à
l’encontre de la demande que le Gouvernement guyanien a officiellement formulée à Port of Spain
le 20 juillet 2014, lorsque sa ministre des affaires étrangères, Carolyn Rodriguez Birkett, avait
évoqué la nécessité de procéder à une délimitation des zones marines et sous-marines. La note
renvoie à un incident similaire survenu en 2000, et mettant en cause Esso et le même bloc, et
rappelle que, «compte tenu de l’existence avérée d’un différend frontalier, ladite compagnie,
reconnaissant la nécessité d’un règlement préalable de celui-ci entre les Etats concernés, a
officialisé son retrait». Enfin, le Venezuela demande une nouvelle fois le rétablissement, dans les
meilleurs délais, de la procédure des bons offices, sans ingérence d’éléments étrangers.
A propos de cet incident, le Venezuela publie, le 13 mars 2015, un communiqué dans un
média guyanien  le Kaieteur News , auquel le Guyana réagit le même jour. Dans sa réponse,
qui paraît le lendemain, soit le 14 mars, le Guyana rejette le lien entre, d’une part, les questions
relatives au plateau continental et à la zone économique exclusive et, d’autre part, la revendication
territoriale du Venezuela au titre de l’accord de Genève. Le Guyana qualifie même de «menace
subtile» le fait que, dans sa déclaration, le Venezuela indique se «[r]éserver le droit de prendre dans
le domaine diplomatique, et en conformité avec le droit international, toutes les mesures

122

- 65 -
nécessaires en vue de défendre et de préserver son indépendance et sa souveraineté sur
l’Essequibo».
*
David Granger remporte les élections le 11 mai 2015, devenant président de la République
coopérative du Guyana. Quatre jours plus tôt, le 7 mai, le Guyana annonçait qu’Exxon Mobil avait
découvert du pétrole dans le bloc de Stabroek.
Le 26 mai 2015, le Venezuela promulgue le décret n
1787 portant création de zones
opérationnelles maritimes insulaires de défense intégrale (ZODIMAIN, d’après l’acronyme
espagnol), qui est publié au journal officiel le lendemain.
o
Dans une note en date du 8 juin 2015, le Guyana déclare voir dans ce décret
«une grave provocation et une claire menace contre [sa] souveraineté et [son] intégrité
territoriale … ainsi qu’une menace à la sécurité et à la paix régionales … une volonté
d’exacerber les tensions … et une nouvelle et alarmante illustration de l’aventurisme
dont témoigne la revendication unilatérale et infondée du Venezuela sur le territoire du
Guyana».
Dans cette note, le Guyana ne fait aucun cas de l’accord de Genève et invite le Venezuela à
respecter «le traité international dont il a été l’une des parties signataires et dont découle la
sentence arbitrale de 1899».
Le même jour, le 8 juin 2015, le Venezuela republie le décret n
1787, en rectifiant certaines
erreurs, montrant qu’il ne s’agit pas de procéder à une délimitation maritime unilatérale, mais de
créer des zones opérationnelles de défense et de protection contre des menaces de différents ordres,
comme les catastrophes naturelles dont, malheureusement, le nombre, l’intensité et l’imprévisibilité
ont augmenté en conséquence du changement climatique. L’un des alinéas du préambule précise
ceci :
o
123

«L’Etat vénézuélien reconnaît l’existence de zones maritimes dont les limites
doivent être fixées conformément aux traités et accords internationaux signés par la
République bolivarienne du Venezuela, et dont il lui faut tenir compte jusqu’à leur
délimitation définitive et amiable.»
En ce qui concerne la zone dite «ZODIMAIN ATLANTIQUE», il est expressément prévu ce
qui suit : «Il est une zone maritime, définie par les points T-U-V, qui doit encore être délimitée, et
le sera une fois que le différend pendant entre la République bolivarienne du Venezuela et la
République coopérative du Guyana aura été réglé en vertu de l’accord de Genève de 1966.»
Le Venezuela réagit par ailleurs à la note du Guyana dans un communiqué en date du 9 juin,
ainsi que dans une note en date du 10 juin 2015. Dans le communiqué, il met l’accent sur la
nécessité de poursuivre la procédure des bons offices, et indique que la seule agression, qu’il
qualifie au demeurant de surprenante, est celle qu’a commise le Gouvernement guyanien en
autorisant une multinationale aussi puissante qu’Exxon Mobil, et qui n’a pas la moindre intention
de faire prévaloir le droit au développement du Guyana, à pénétrer sur le territoire en litige. Le
nouveau Gouvernement de la République coopérative du Guyana, estime-t-il, manifeste à son
encontre une inquiétante propension à la provocation, encouragée par cette puissante multinationale
américaine avide d’étendre son empire. Le Venezuela déclare regretter qu’un décret visant à
assurer l’organisation, avec l’aide des nouvelles technologies de l’information, d’activités
quotidiennes de protection maritime et de surveillance sans incidence aucune pour la République

124

- 66 -
coopérative du Guyana serve de prétexte à une crise, forgée de manière factice à grand renfort de
propos éminemment insultants. Il rappelle avoir beaucoup fait pour le développement du Guyana et
s’être employé à agir dans l’intérêt du peuple guyanien, citant en exemple Petrocaribe. Il propose
une nouvelle fois de rencontrer dans les plus brefs délais le ministre guyanien des affaires
étrangères afin de poursuivre, grâce au dialogue politique, les efforts de coopération et de régler le
différend historique opposant les deux Etats, qu’il attribue aux mesures frauduleuses prises par les
anciennes puissances coloniales à l’encontre du Venezuela.
Dans sa note du 10 juin 2015, celui-ci condamne le ton employé dans la communication du
Guyana et les graves accusations, qu’il conteste et dont il s’étonne, que celle-ci contient et qui
détonnent avec la diplomatie pacifique propre à la République bolivarienne. Il insiste sur les
objectifs poursuivis avec le décret n
1787, et déplore l’interprétation erronée qu’en fait la
République coopérative du Guyana, rappelant que c’est faire entorse, au regard droit international,
au principe de la bonne foi que d’endosser les accusations dépourvues de tout fondement dénonçant
les tentatives qu’aurait faites le Venezuela en vue de «spolier le Guyana d’un pan de son territoire».
L’absence de toute référence à l’accord de Genève dans la note du Guyana est jugée étrange et
alarmante, alors qu’il s’agit du cadre réglementaire devant permettre de résoudre le différend
territorial, puis de procéder à la délimitation des espaces maritimes. Par ailleurs, c’est le Guyana
qui a livré ces espaces aux velléités hégémoniques incarnées par une multinationale dont la cupidité
est quasiment sans égale dans le monde. Pour finir, la note rappelle que le Venezuela est disposé à
dialoguer, et exprime l’espoir qu’une rencontre se tienne prochainement avec le ministre guyanien
des affaires étrangères.
o
En dépit de cette attitude conciliante, le 10 juin 2015, Carl Greenidge, vice-président et
ministre des affaires étrangères du Guyana, lors d’une nouvelle intervention devant l’Assemblée
nationale guyanienne, qualifie le décret n
1787 de «tentative injustifiée et éhontée de spolier un
pan du territoire du Guyana», au mépris de toute règle et de tout principe du droit international. Et
d’évoquer l’occupation «illicite» d’Anakoko, les incursions en territoire guyanien, les obstacles aux
projets de développement du Guyana dans la région, tels que le projet hydroélectrique du
Haut Mazaruni ou des projets plus récents avec le Brésil, et les pressions visant à dissuader les
investissements étrangers — autant d’actes qu’il qualifie d’agression militaire, paramilitaire et
économique. M. Greenidge parle également d’«emploi de la force» à propos du Teknik Perdana,
peu après la venue du président Nicolas Maduro à Georgetown. La logique et la raison avaient
prévalu  soutient-il  dans la mesure où le Venezuela et le Guyana s’étaient assis autour de la
table pour discuter de la délimitation maritime, question jugée importante par l’un comme par
l’autre et devant être résolue par la voie de négociations, ainsi qu’ils l’avaient exposé dans leur
déclaration commune du 30 septembre 2011, mais les efforts du Guyana à cet égard se sont révélés
vains. Quarante-neuf ans durant, conclut-il, le Guyana a senti planer sur lui le spectre de la
revendication «illicite» du Venezuela. Le décret constitue une mise en garde, marquant l’intention
du Venezuela de continuer de faire pression sur le Guyana, et n’a fait qu’aggraver encore les
divergences entre les deux pays. La menace que représente cette épée de Damoclès demeure
d’actualité ; or, le moment est venu de conclure ce cycle et de rechercher une solution définitive
dans le cadre de l’accord de Genève, une fois constaté l’échec des bons offices.
o
125

Afin de se prémunir contre toute erreur d’interprétation, que le Guyana a soin de souffler aux
membres de la CARICOM le Venezuela choisit de substituer au décret n
1859,
en date du 6 juillet 2015 et publié ce même jour au journal officiel.
o
1787 le décret n
o
*

- 67 -
Le 6 juillet 2015, le président Nicolás Maduro prononce un important discours lors d’une
session extraordinaire de l’Assemblée nationale. Il annonce son intention de prendre langue avec le
Secrétaire général de l’ONU — Ban Ki-moon — en vue d’engager la procédure de nomination
d’un nouveau chargé de bons offices. L’Assemblée nationale adopte à l’unanimité une résolution
en ce sens.
126

Trois jours plus tard, le 9 juillet 2015, le président vénézuélien adresse une lettre au
Secrétaire général Ban Ki-moon, en lui demandant d’entamer la procédure de désignation d’un
chargé de bons offices, «puisque la méthode [correspondante] n’a pas été épuisée», notamment en
tant qu’il s’agit de «procéder à des recherches historiques pour maximiser les chances de succès de
la procédure et d’aider à la bonne conduite des négociations devant conduire à un arrangement
pacifique et acceptable de part et d’autre, ce qui correspond à l’objet et au but de l’accord de
Genève».
Dans sa lettre, le président rappelle que les parties ont reconnu la nécessité de résoudre le
différend territorial à l’amiable, d’une manière acceptable pour l’une comme pour l’autre
(préambule), et reproche au «nouveau Gouvernement guyanien de n’avoir fait aucun cas, sinon
d’avoir fait litière, de la validité de l’accord de Genève de 1966, en se montrant récalcitrant et
ambivalent, et d’avoir causé de graves torts à [s]on pays et à [s]on peuple».
La lettre appelle l’attention sur les actions unilatérales du Guyana, qui a opéré sans
notification, ni a fortiori d’accord, dans de vastes pans du territoire en litige. Elle précise quelles
sont les qualités que doit avoir le chargé des bons offices, et rappelle à quelles conditions
l’indépendance du Guyana a été reconnue.
Le lendemain, soit le 10 juillet 2015, la ministre vénézuélienne des affaires étrangères, Delcy
Rodríguez, s’adresse au Secrétaire général, au nom du président Maduro, pour l’inviter à désigner
le nouveau chargé de bons offices.
127

Toutefois, le 13 juillet 2015, le ministre guyanien des affaires étrangères, Carl Greenidge,
fait savoir  et ce, publiquement  au Secrétaire général qu’il ne voit aucun intérêt à la poursuite
de la procédure des bons offices, que le Venezuela, accusé de mener une politique dilatoire,
manipulerait «en vue de laisser irrésolu le différend frontalier». Pour le Guyana, la seule option qui
reste est de saisir la Cour internationale de Justice.
Le 28 juillet, le président Maduro dénonce les provocations du Guyana, et appelle à la
reprise de la procédure des bons offices.
Le Guyana publie ses coordonnées maritimes datées du 22 juillet 2015 dans le journal
officiel du 29. Par une note en date du 22 septembre 2015, adressée au Secrétaire général de
l’ONU, le Venezuela objecte à la ligne droite fermant l’embouchure de l’Essequibo.
Le 27 septembre 2015, Ban Ki-moon rencontre les présidents Maduro et Granger à
New York. A la suite de cette rencontre, le retour à Georgetown de l’ambassadeur vénézuélien, qui
avait été rappelé à Caracas pour consultation, est annoncé le 3 octobre 2015, de même que
l’agrément à la nomination du nouvel ambassadeur guyanien à Caracas. Une délégation (une
équipe technique dirigée par le chef de cabinet du Secrétaire général) se rend à Caracas et à
Georgetown les 13 et 14 octobre 2015. Quelques jours plus tard, elle fait paraître un document de
travail intitulé «A way forward» («La marche à suivre»).
*

- 68 -
128

Dans une lettre en date du 15 mars 2016 adressée au Secrétaire général Ban Ki-moon, la
ministre vénézuélienne des affaires étrangères, Delcy Rodríguez, se déclare préoccupée par les
«interprétations juridiques erronées que contient la proposition soumise par l’équipe technique que
[le Secrétaire général] a dépêchée». Le document de travail relatif à la «marche à suivre» reflète
l’esprit qui sous-tend les propositions du Gouvernement de la République coopérative du Guyana,
qui a cessé de témoigner le respect dû à l’accord de Genève, à rebours de l’engagement de parvenir
à un «règlement pratique, acceptable et satisfaisant pour les deux parties du différend» — qui se
trouve au cœur de cet instrument juridique.
La lettre met en exergue le manque de volonté politique de l’actuel Gouvernement de la
République coopérative du Guyana d’œuvrer en faveur d’un règlement amiable, sa réticence à ce
faire ainsi que l’agressivité inhabituelle dont il fait preuve, également manifestes dans l’adoption
d’une série de mesures unilatérales tendant à disposer du territoire et des espaces maritimes en
litige. Plus généralement, indique-t-elle, avec l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement (de
David Granger), les relations se sont subitement dégradées, au détriment d’une confiance
chèrement acquise. Aussi y a-t-il lieu de douter de la bonne foi de la partie guyanienne lorsque
celle-ci s’oppose à l’idée de ménager suffisamment de temps pour pouvoir aboutir à un résultat.
«La hâte liée à l’agressivité de l’une des Parties ne saurait déterminer le meilleur moyen de régler
le différend.»
Le 5 juillet 2016, la ministre vénézuélienne des affaires étrangères écrit derechef au
Secrétaire général, en insistant, conformément à l’esprit, au but et à la raison d’être de l’accord de
Genève, pour que soit trouvée une solution négociée à l’amiable au différend territorial (un
règlement pratique, acceptable et satisfaisant pour les deux parties) grâce aux bons offices du
Secrétaire général, qui désignerait à cet effet un nouveau représentant personnel ou chargé des bons
offices appelé à multiplier les contacts avec les deux Etats. Elle propose, à cette fin, la présentation
d’une série de candidats ayant le profil voulu.
Le 28 juillet 2016, le Secrétaire général Ban Ki-moon soumet, dans une lettre adressée à la
ministre vénézuélienne des affaires étrangères, une liste de candidats qu’il juge à même de mener à
bien la procédure de bons offices.
129

Le 18 août 2016, la ministre lui fait savoir que les candidats proposés n’ont pas l’agrément
du Venezuela, et suggère le nom d’une autre personne qu’elle espère pouvoir «inviter, dans les
meilleurs délais, au Venezuela en vue d’une rencontre avec le président de la République, Nicolás
Maduro Moros, l’objectif étant de pouvoir se prononcer définitivement sur l’opportunité de sa
nomination».
Le 31 octobre 2016, le Secrétaire général écrit à la ministre vénézuélienne des affaires
étrangères (qu’il a rencontrée le 13 du même mois) pour lui rappeler que l’intéressé n’est pas
disponible. Les autres candidats n’ayant pas été agréés par le Gouvernement vénézuélien, il ajoute
ce qui suit :

«J’ai le regret de vous informer que je ne serai pas en mesure de désigner un
représentant personnel aux fins de mener à bien la procédure des bons offices. Ainsi
que je l’ai indiqué dans mes précédentes communications, j’entends prendre la
mesure, en novembre prochain, des progrès réalisés en vue du règlement du différend,
dans l’idée de décider, avant la fin de mon mandat, de la marche qu’il convient de
suivre. Permettez-moi de répéter que j’attache la plus haute importance à la quête de
règlement du différend frontalier, et que j’ai l’intention de faire à cet effet le meilleur
usage du temps qu’il me reste jusqu’à la fin de l’année.»

- 69 -
Dans sa réponse en date du 4 novembre 2016, la ministre vénézuélienne des affaires
étrangères se déclare préoccupée par la position du Secrétaire général. Le choix d’un représentant
personnel — l’expérience le montre — est, affirme-t-elle, un processus difficile et complexe. Le
fait de ne pas avoir su trouver un candidat idoine en si peu de temps ne saurait conduire à renoncer
à la procédure. Le moment est venu de redoubler d’efforts.
130

La ministre poursuit en ces termes :

«Nous craignons que ne soit envisagée une issue à ce différend qui tournerait le
dos à la légalité internationale et fermerait la porte à la négociation pacifique devant
permettre d’aboutir à une solution négociée, dans une atmosphère de confiance entre
les Parties. Ce scénario laisse entrevoir un avenir incertain et conflictuel dans une
région que la communauté d’Etats latino-américains et Caraïbes (CELAC) a déclarée
zone de paix.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le Gouvernement guyanien a poussé à leur paroxysme les manquements et le
mépris à l’égard de cet instrument juridique valable et contraignant pour les Parties
(l’accord de Genève), en demandant à ce qu’il soit recouru à la Cour internationale de
Justice, faisant fi de sa valeur normative, et de ce qu’il suppose l’épuisement successif
des moyens de négociation politique visés par cet instrument. Tenter de recourir à la
voie judiciaire emporte violation pure et simple de l’instrument juridique en vigueur et
applicable au présent différend, dont l’esprit, la nature et la raison d’être excluent
expressément cette option … le but étant d’aboutir à un règlement pratique et
satisfaisant pour les deux parties. Plus strictement encore, il est impératif de garder
présent à l’esprit le fait que tout moyen de parvenir à un règlement suppose le
consentement mutuel des parties, comme l’a toujours prévu l’accord de
Genève … Pareille recommandation (consistant à recourir à la Cour) compromettrait à
ce point l’intérêt national du Venezuela et la stabilité régionale qu’il nous serait
impossible de l’accepter.»
Et de conclure :
131

«Nous savons que le peu de temps dont vous disposez encore avant l’expiration
de votre mandat exclut la possibilité de traiter cette délicate question en prenant en
compte toutes les considérations juridiques, politiques et diplomatiques qui
s’imposent. Aussi réitérons-nous la respectueuse demande qui vous a été présentée par
le président Maduro au cours de récents entretiens, tendant à porter le différend à
l’attention immédiate du Secrétaire général désigné pour vous succéder,
António Guterres.»
Dix jours plus tard, le 14 novembre 2016, la ministre vénézuélienne des affaires étrangères
adresse deux lettres au Secrétaire général. Dans la première, elle rapporte que les représentants du
gouvernement et de l’opposition se sont réunis le 12 novembre et sont à l’unanimité convenus
d’une position consistant à défendre les droits légitimes et inaliénables du Venezuela à l’égard de la
Guyana Esequiba, et l’accord de Genève.
Dans la seconde, elle dénonce les actes irresponsables du Gouvernement guyanien, en tant
qu’ils vont à l’encontre de l’obligation de se comporter de manière licite, responsable et en toute
bonne foi que suppose le respect effectif de l’accord de Genève. En 2015 et 2016, relève-t-elle, le
Gouvernement guyanien a intensifié la pratique abusive consistant à octroyer des concessions à des
sociétés transnationales en vue de l’exploration et de l’exploitation de ressources naturelles sur le
territoire, conduisant à une «dégradation spectaculaire de l’environnement … du poumon planétaire
qu’est l’Amazonie … une déprédation patente». Il en est allé de même dans les espaces maritimes

- 70 -
correspondant à la projection de l’Essequibo, ce qui paraît incompatible avec les principes
applicables en matière de règlement de différends tels qu’énoncés à l’article 8 de la
résolution 37/10 et à l’alinéa e) de l’article 2 de la résolution 53/101 de l’Assemblée générale des
Nations Unies. Si le comportement du Gouvernement guyanien justifie qu’on prête au Guyana
l’intention de ne pas respecter les obligations lui incombant en vertu de l’accord de Genève, celui
du Venezuela est resté empreint de circonspection et respectueux du droit face aux provocations, ce
qui a permis d’éviter l’escalade.
132

Le 15 décembre 2016, Ban Ki-moon écrit au président Maduro en lui proposant d’inclure un
élément de médiation dans la procédure des bons offices, procédure dont le terme, non négociable,
est fixé à «fin 2017» ; si, à cette date, le Secrétaire général devait conclure à l’absence de progrès
significatifs en vue d’aboutir à une solution du différend, il choisirait la Cour internationale de
Justice comme prochain moyen de règlement, sauf demande contraire présentée conjointement par
les parties.
Ban Ki-moon indique que, ayant communiqué ces conclusions au Secrétaire général désigné
pour lui succéder, António Guterres, il entend désormais nommer un représentant personnel de son
choix à même de formuler des propositions sur tout aspect de la relation bilatérale en vue de
faciliter un accord complet sur le règlement du différend. Il s’agira dans un premier temps
d’envisager avec les parties des mesures destinées à renforcer la confiance afin de créer un
environnement propice au dialogue.
Le président Maduro répond au Secrétaire général Ban Ki-moon, le 17 décembre 2016, que
le Venezuela est fermement résolu à parvenir à une solution négociée dans le cadre bien circonscrit
de l’accord de Genève. A cet effet, il déclare «espérer que, comme elles l’ont été lors de la
nomination des représentants personnels de tous les précédents secrétaires généraux, les parties
seront consultées avant que le nouveau Secrétaire général, António Guterres, ne procède à une
désignation».

Il souligne que le Venezuela est hostile à «l’intention [qui a été exprimée] de recommander
133

aux parties la saisine de la Cour», une recommandation qui n’est «conforme ni à la lettre ni à
l’objet de l’accord» de Genève.
En outre, précise-t-il,
«le seul fait d’en faire état … ne peut qu’inciter la partie qui insiste pour recourir à
cette voie à ne pas rechercher de solution négociée et à temporiser ; le Gouvernement
guyanien a poussé à leur paroxysme les manquements et le mépris à l’égard de
l’accord de Genève, faisant fi de sa valeur normative, et de ce qu’il prévoit
l’épuisement successif des moyens de négociations politiques visés par cet instrument.
Ce moyen de dernier recours est contraire à l’objet, au but et à la raison d’être de
l’accord de Genève  ainsi qu’à ses termes , puisqu’il s’agit de parvenir à un
règlement du différend amiable, pratique et satisfaisant pour les deux parties».
De fait, la communication du Secrétaire général Ban Ki-moon en date 15 décembre 2016 est
bien accueillie par le Gouvernement guyanien. A cet égard, le président Granger déclare le
22 décembre 2016 devant les forces armées guyaniennes que son pays a dû composer avec la
revendication du Venezuela depuis trop longtemps  cinquante et un ans  et que, partant, il
entend soumettre la question à la Cour internationale de Justice. M. Greenidge, son ministre des
affaires étrangères, avait tenu des propos similaires devant l’Assemblée nationale guyanienne le
20 décembre 2016. En outre, le président Granger adresse au président Maduro, le 21 décembre,
une communication qui dénote une même répugnance à négocier et une intention manifeste de
recourir à la Cour internationale de Justice. Tous ces actes revêtent une importance particulière en
tant qu’ils révèlent le dessein véritable du Guyana de ne pas du tout miser sur les moyens politiques
134

- 71 -
en vue du règlement des différends et de délégitimer, de la sorte, le recours à la procédure des bons
offices qui vient d’être annoncé  stratégie qui va d’ailleurs se révéler payante.
*
Le 23 février 2017, le nouveau Secrétaire général, António Guterres, écrit au
président Maduro, l’informant qu’il a désigné son représentant personnel en la personne de
Dag Nylander, et joignant le «mandat» de l’intéressé.
La ministre vénézuélienne des affaires étrangères, Delcy Rodríguez, lui adresse une lettre en
réponse le 25 février 2017. Relevons que, dans sa lettre, la ministre indique
1) que les chargés des bons offices ont toujours été désignés avec l’approbation des parties,
dûment consultées et que, à cet effet, dans le droit fil de la procédure traditionnellement suivie,
elle serait reconnaissante au candidat de se rendre à Caracas dans les meilleurs délais, afin de
rencontrer le président Maduro et son équipe ;
2) que le Venezuela entend collaborer étroitement et de bonne foi avec le représentant personnel
du Secrétaire général, une fois celui-ci agréé par les parties, en accordant une attention toute
particulière à l’intervalle de temps restreint au cours duquel le moyen désigné sera appliqué ;
ses possibilités d’action effectives sont en effet d’ores et déjà vouées à l’échec de par la brièveté
de ce délai, qui ne peut que conforter le Guyana dans sa stratégie de désengagement, puisque
l’immobilisme mènera automatiquement devant la Cour ;
135

3) qu’une recommandation du Secrétaire général en faveur de la saisine de la Cour serait par
ailleurs absolument inadmissible compte tenu des fondements mêmes de l’accord de Genève,
qui prévoit l’utilisation exhaustive et successive de moyens politiques en vue de régler le
différend. Le Venezuela ne peut souscrire à cette recommandation et, qui plus est, aucune base
de compétence ne permet d’y donner suite.
Le 27 mars 2017, le Secrétaire général Guterres informe par lettre le président Maduro que
son homologue guyanien, David Granger, s’est félicité de la désignation de Dag Nylander et a
confirmé que le Guyana coopérerait pleinement à tous les aspects du processus. Il ajoute ceci :
«M. Nylander, que j’ai désigné suivant les paramètres que l’ancien Secrétaire général Ban Ki-moon
avait définis dans ses lettres du 15 décembre 2016 … est disposé à se rendre dans votre pays ainsi
qu’au Guyana dans les meilleurs délais.»
Dag Nylander effectue une première visite exploratoire à Caracas le 11 avril 2017, puis une
seconde les 3 et 4 mai. Il s’agit essentiellement, pour lui, de proposer des mesures de nature à créer
un climat de confiance à court terme, en reconstituant par exemple la commission binationale de
haut niveau, en établissant un mécanisme permettant d’assurer une communication rapide et directe
entre les Parties en cas d’incident maritime ou frontalier ou en réamorçant l’échange «pétrole
contre riz» dans le cadre de Petrocaribe.
Dans une lettre du 7 mai 2017 au Secrétaire général Guterres, la ministre vénézuélienne des
affaires étrangères, Delcy Rodríguez, réitère certaines observations formulées dans sa lettre du
25 février. Elle note que le chargé des bons offices a toujours été désigné avec l’approbation des
parties à l’issue d’un tour de consultations ; c’est fort de ce constat que le Venezuela a «relevé que
cette bonne pratique n’a[vait] pas été respectée».
136

- 72 -

«Néanmoins», écrit-elle, «le candidat que vous avez désigné a le profil requis et la volonté
de restaurer un climat de confiance mutuelle … qui pourra être propice à la bonne conduite de la
procédure des bons offices.»
La ministre rappelle que, lors des visites de Dag Nylander, le Venezuela a réaffirmé «son
immuable conviction que toute recommandation tendant à recourir à la Cour internationale de
Justice, qui irait à l’encontre et ferait fi de l’objet et de la raison d’être de l’accord de Genève, serait
sans pertinence ou inadmissible».
Et d’ajouter :

«De la même façon, il est, selon nous, exclu d’envisager de limiter à quelques
mois la procédure des bons offices … puisque l’expérience  la nôtre, comme celle
d’autres pays  nous enseigne que le règlement des différends territoriaux s’inscrit
dans la durée … Il est primordial pour le Venezuela de parvenir, tôt ou tard, à un
règlement amiable, pratique et satisfaisant pour les deux parties. La procédure des
bons offices a été riche en enseignements au cours des années passées et grâce à
l’expérience ainsi acquise, nous avons les moyens, et la volonté, de franchir en pleine
connaissance de cause une nouvelle et importante étape dans la succession des moyens
politiques prévus par l’accord de Genève, en acceptant d’associer à la procédure des
bons offices des éléments de médiation … Il est crucial de réfléchir au très court délai
qu’il est question d’imposer, qui limiterait la mise en œuvre et les chances de succès
d’une solution résultant d’une nouvelle méthode politique aussi valable, complexe et
exigeante que ne l’est la procédure de bons offices doublée de médiation.»
137

Il convient de relever que, dans les observations de base sur le mandat du représentant
personnel jointes à la lettre de la ministre, il est indiqué qu’expérimenter une formule combinant
bons offices et éléments de médiation requerrait
«plus que la durée d’un an prévue par le Secrétaire général, d’autant qu’il s’en est
écoulé plus d’un tiers… Il est impossible de satisfaire à l’objectif de l’accord de
Genève dans un délai aussi rigoureux ; limiter la durée des bons offices reviendrait à
encourager le nouveau Gouvernement guyanien à ne guère déployer d’efforts en vue
de faire progresser les négociations par le biais de ce moyen politique.»
A propos de l’appréciation du plan d’action du représentant personnel, l’aspect suivant est
mis en exergue :

«Il n’existe toujours pas, à ce jour (3 mai 2017), de propositions de plan
d’action détaillé précisant les éléments, buts, objectifs et indicateurs concrets à l’aune
desquels apprécier si les deux parties s’acquittent effectivement et rigoureusement de
leurs obligations, en faisant preuve de la bonne foi à laquelle elles sont tenues … Il
convient également de relever que le candidat à la fonction de chargé des bons offices
n’a entrepris de visite exploratoire que cette semaine, du 3 au 6 mai 2017.»
La lettre se poursuit ainsi :

«Le Venezuela réitère qu’il n’acceptera en aucune circonstance le passage
138

indiquant que le Secrétaire général retiendra la Cour internationale de Justice comme
prochain moyen de parvenir à une solution, dans l’éventualité où aucun progrès
significatif n’aurait été réalisé en vue d’un règlement du différend, pour peu que son
représentant personnel le recommande et que les deux parties ne s’y opposent pas
conjointement. Cette disposition, conjuguée au très court délai dans lequel la
procédure des bons offices doublée de médiation devra avoir été épuisée, ne peut que
garantir l’échec de celle-ci, a fortiori sachant que l’une des parties (le Guyana) aspire

- 73 -
fervemment à recourir à la Cour, pour des motifs erronés et sous des prétextes
spécieux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le Venezuela réaffirme également qu’il n’existe aucune base de compétence
établie entre la République bolivarienne du Venezuela et la République coopérative du
Guyana qui permettrait à une éventuelle recommandation du Secrétaire général de
prospérer sans le consentement des deux parties. Si les parties à l’accord de Genève
avaient eu l’intention de convenir d’une telle base de compétence, elles l’auraient fait.
Or, c’est précisément de l’inverse qu’elles sont convenues, ainsi qu’il ressort des
dispositions de l’accord et de la logique sous-jacente, qui veut qu’il ne soit recouru à
de tels moyens qu’en dernier ressort, par voie d’accord  autrement dit au moyen
d’un compromis, qui réglementerait notamment ses multiples aspects  après
épuisement de tous les moyens politiques successifs.»
La lettre se conclut en ces termes :

«Le Venezuela n’acceptera pas de recommandation du Secrétaire général à cet
égard, et ce, non pas uniquement pour des raisons d’opportunité, mais simplement par
respect envers l’accord de Genève, qui n’a d’autre objet que de garantir un règlement
amiable, pratique et mutuellement satisfaisant, et qui fixe, à cet effet, les limites des
pouvoirs conférés au Secrétaire général de l’ONU.»
139

Le 9 mai 2017, le représentant personnel du Secrétaire général, Dag Nylander, écrit à la
ministre vénézuélienne des affaires étrangères, Delcy Rodríguez, en l’informant de son souhait de
«continuer à envisager des mesures destinées à développer la confiance et susceptibles d’être mises
en œuvre à court terme afin de promouvoir un climat propice à la procédure des bons offices», en
faisant référence à plusieurs aspects évoqués lors des rencontres des 3 et 4 mai à Caracas
(environnement, pêcheries, échanges commerciaux, renforcement des protocoles de
communication et de la coopération bilatérale en matière de sécurité). Il invite le Gouvernement
vénézuélien à proposer par écrit, avant le 20 mai, des idées concrètes à cet égard, de préférence
dans le cadre d’un document de travail.
Le 21 mai, la ministre vénézuélienne des affaires étrangères donne suite à cette demande. Le
document de travail intitulé «Mesures propices à renforcer, dans le cadre de la procédure des bons
offices, le respect de l’accord de Genève tendant à parvenir à un règlement pratique et
mutuellement satisfaisant du différend territorial relatif à l’Essequibo» inclut cinq propositions
transversales visant à être mises en œuvre dans les cinq domaines ciblés : l’environnement, les
pêcheries et espaces maritimes, l’agriculture, l’énergie, la sécurité et la défense.
Le représentant personnel du Secrétaire général se rend une troisième fois à Caracas du 5 au
8 juin 2017. A cette occasion, le Venezuela réaffirme qu’il lui apparaît impossible de poursuivre la
procédure combinant bons offices et éléments de médiation si le représentant personnel persiste à
soutenir que cette tâche ardue et complexe doit être menée à bien dans un délai rigoureusement
limité à quelques mois, une condition qui ne pourra être remplie, ce qui, d’avance, condamne cette
initiative à l’échec. Aucun précédent ne permet d’affirmer le contraire et n’importe qui comprendra
qu’un tel processus requiert davantage de temps. Il est rappelé à M. Nylander que l’accord de
Genève n’impose de délai pour aucun des cas de figure envisagés, et réitéré que le Venezuela
n’acceptera aucune recommandation du Secrétaire général tendant à porter l’affaire devant la Cour,
qui excéderait les limites que l’accord de Genève impose implicitement à l’exercice des attributions
du Secrétaire général.
140

- 74 -
Le 22 juin 2017, M. Nylander adresse à la ministre vénézuélienne des affaires étrangères une
communication incluant un document qui comporte des instructions pour le «processus de
négociation». Le document de huit pages est de nature essentiellement procédurale. Il évoque les
modalités pratiques, les aspects temporels et géographiques d’une médiation devant permettre aux
parties de résoudre le «problème essentiel», qui, selon le représentant personnel du Secrétaire
général, est le «différend frontalier» (tableau principal), en y associant des mesures destinées, selon
ses termes, à «instaurer un climat de confiance» (tableau technique secondaire).

Il convient de noter que le représentant personnel du Secrétaire général ne fait aucune
mention des observations faites et réitérées par le Venezuela quant au «mandat» dont le Secrétaire
général l’a investi, en dépit des mises en garde expresses du Venezuela sur ce qui constitue pour lui
des «lignes rouges»  essentiellement la très courte durée de la procédure combinant bons offices
et médiation, et l’annonce que le Secrétaire général recommanderait de recourir à la Cour
internationale de Justice si son représentant personnel devait estimer que le processus n’avait pas
dûment progressé, et à moins que les deux parties n’en demandent la continuation. Le vœu le plus
cher du Guyana étant de réduire le différend à la question de la validité ou de la nullité de la
sentence de 1899, et de le soumettre pour règlement à la Cour, le «mandat» du Secrétaire général
revient à cautionner avant la lettre

l’optique et les desseins qui sont les siens. Le document ne fait
aucune mention de l’objet de la médiation prévue dans le cadre de l’accord de Genève de 1966, qui
ne peut être autre que de parvenir à un «arrangement pratique» satisfaisant pour les deux parties.
141

Le document évoque un processus à plusieurs étapes en vue de parvenir à un arrangement
«dans les plus brefs délais», la nécessité de «progresser rapidement» et de travailler «intensément».
Or, nul besoin d’être grand clerc pour savoir qu’une médiation portant sur une question territoriale
complexe et séculaire ne saurait aboutir en l’espace de quelques mois. En revanche, en prenant le
temps qu’il faut, qui ne doit pas être limité d’emblée, elle peut permettre d’obtenir des résultats
satisfaisants. S’agissant des mesures tendant à «instaurer un climat de confiance», elles n’ont pas
lieu d’être introduites dans le cadre de la médiation à moins de pouvoir contribuer à l’objet
essentiel, à savoir aboutir à un «arrangement pratique» satisfaisant les deux parties au différend. Il
est nécessaire de ne pas confondre mesures tendant au règlement pratique du différend, d’une part,
et mesures visant à distinguer tel ou tel de ses aspects pour éviter de compromettre d’autres
composantes de la relation bilatérale.
Nonobstant, 1) la certitude que le fait d’imposer une durée fixe et non négociable à la
médiation ne permettra pas de réaliser de progrès significatifs en vue d’un règlement pratique et
satisfaisant du différend ; 2) l’imprudence manifeste que représente pour lui le fait d’envisager,
comme le fait le Secrétaire général, une décision  la recommandation de recourir à la Cour 
incompatible avec les termes de l’accord de Genève ; et 3) le maintien d’un «mandat» impliquant
une certaine convergence entre les intérêts du Guyana et certains médias influents au sein de
l’Organisation des Nations Unies, le Venezuela, tout en réitérant ses mises en garde, accepte de
coopérer de bonne foi à la procédure.

Pour poursuivre l’échange sur la «mise en œuvre d’un programme en vue de régler le
différend, y compris la définition d’éléments concrets de discussion relatifs au problème essentiel,
ainsi que de mesures d’instauration de la confiance», le représentant personnel se rend une nouvelle
fois à Caracas entre les 26 et 28 juin 2017.
142

A l’occasion de sa rencontre avec la délégation vénézuélienne, il insiste sur la méthode
illustrée par ses deux tableaux, le principal consacré au problème essentiel  le différend
frontalier —, l’autre, accessoire et d’ordre technique, aux mesures visant à instaurer un climat de
confiance. Cette présentation de deux tableaux distincts ne semble pas, de l’avis du Venezuela,


En français dans le texte.

- 75 -
aller dans le sens souhaité : que les mesures servent à renforcer la procédure des bons offices et à
contribuer à l’objectif visé par l’accord de Genève.
Ainsi que rapporté par le représentant personnel le 11 avril, le Guyana avait, dès la première
réunion, fait savoir qu’il n’accepterait pas que les mesures se rapportent au règlement du différend.
En conséquence, le Venezuela estime inutile d’insister sur de telles mesures, même si, comme suite
à la demande du représentant personnel (dans ses lettres du 9 mai), lui-même avait fait des
propositions à cet égard le 21 mai. Il est rappelé que M. Nylander n’a répondu à ces propositions
que le 27 juin, et l’a fait oralement, omettant, une fois de plus, la moindre référence aux
observations du Venezuela sur le cadre de son «mandat».
Un projet de préservation de l’environnement dans une partie circonscrite de l’Essequibo,
plan pilote qui engagerait les deux parties en tant que première étape d’un arrangement pratique et
satisfaisant, est avancé.
Le représentant personnel est invité à définir l’aune à laquelle un «progrès significatif»
pourra être constaté, dans l’idée de reporter le délai du 30 novembre 2017. M. Nylander répond que
cela sera difficile.
*
Le 7 juillet 2017, Dag Nylander rencontre à New York le ministre vénézuélien des affaires
étrangères, Samuel Moncada, et propose l’ordre du jour suivant pour la première réunion entre les
parties :
1) La position du Venezuela selon laquelle la sentence arbitrale rendue à Paris en 1899 au sujet de
l’Essequibo est nulle et non avenue.
143

2) Propositions de solutions :
a) question maritime ;
b) question environnementale ;
c) dimensions de la coopération bilatérale ;
d) autres.
3) Accords : mise en œuvre et suivi.
L’idée est de se réunir au plus tôt et à plusieurs reprises à Port of Spain (Trinité-et-Tobago),
pour des réunions d’une durée de trois jours. Les différents points de l’ordre du jour pourront être
traités dans le désordre, sans qu’il soit nécessaire d’épuiser une question pour pouvoir procéder à
l’examen de la suivante. Des services techniques, tels que la division des affaires maritimes et du
droit de la mer, pourront être invités à participer, la contribution d’experts pouvant aider à réduire
les tensions. La confidentialité sera assurée à tout moment. C’est le représentant personnel qui
rendra compte des éventuels progrès réalisés, mais les parties pourront formuler des conclusions,
sous réserve d’en être convenues au préalable entre elles.
Le représentant personnel, qui a formulé ces propositions oralement, demande à être informé
des vues du ministre vénézuélien avant le 11 juillet 2017. Le ministre formule toutefois d’ores et
déjà certaines observations, qui seront développées lors de la rencontre du 21 juillet.

- 76 -
Enfin, les rencontres entre les deux Etats et le représentant personnel du Secrétaire général se
tiennent à Greentree (New York).
144

Le 20 novembre 2017, le Venezuela propose d’observer un modus vivendi pendant la reprise
des négociations directes. Dans cet esprit, durant le déroulement de celles-ci, il n’entravera pas les
activités du Guyana sur le territoire de l’Essequibo, à condition que le Guyana fournisse en temps
voulu des renseignements sur les projets d’investissement et de développement susceptibles de
porter atteinte à l’environnement naturel et étant entendu, comme le prévoit le paragraphe 2 de
l’article V de l’accord de Genève, qu’aucune de ces activités ne pourra servir de base pour exercer
ou créer des droits à la souveraineté.

S’agissant des espaces maritimes correspondant à la projection de la côte de l’Essequibo, le
Venezuela propose de diviser celle-ci en trois segments ou couloirs : le segment ou couloir oriental
sera placé sous administration guyanienne, le segment ou couloir occidental, sous administration
vénézuélienne, et le segment ou couloir situé entre les deux sera une zone de réserve où les parties
prendront des mesures conjointes. Le Venezuela s’engage à ne pas entraver les activités
d’exploration et d’exploitation de ressources non biologiques du plateau continental exercées au
titre de permis octroyés par la République coopérative du Guyana jusqu’à l’adoption de ce
modus vivendi. Les nouveaux permis seront octroyés dans chaque couloir par la partie à qui en
incombe l’administration, après notification et consultation de l’autre. Dans la zone de réserve,
seuls seront octroyés des permis qui auront été agréés conjointement par les deux Etats.
Le Venezuela escompte que les parties ajusteront leurs projets pédagogiques afin de veiller à
ce que le différend territorial ne soit pas présenté en termes conflictuels, et de façon à promouvoir
l’empathie et la coopération dans le dessein de parvenir à une solution pratique et mutuellement
satisfaisante du différend.
Enfin, toujours selon la proposition vénézuélienne, si, d’ici au 31 décembre 2019, les parties
ne sont pas parvenues à s’entendre en tous points, le paragraphe 2 de l’article 4 de l’accord de
Genève, suspendu pendant la durée des négociations, sera réactivé au point où il l’aura été, à moins
qu’elles n’acceptent de poursuivre des négociations ou ne conviennent d’un autre moyen de
règlement.
145

La réponse du Guyana le 25 novembre laisse malheureusement à désirer : représentation
fallacieuse des propositions du Venezuela, confusion entre les propres revendications du Guyana et
des droits consolidés et non litigieux, mépris délibéré de la position de l’«autre», idée que négocier
consisterait à imposer son propre point de vue, méconnaissance de ce qu’un engagement résultant
de toute négociation de bonne foi impose aux parties de renoncer à leurs positions extrêmes pour
parvenir à un accord et utilisation, tout du long, d’un langage péremptoire pour délégitimer, de
manière dogmatique, l’adversaire. En bref, pour la République coopérative du Guyana, le seul
accord possible suppose l’acceptation sans conditions de toutes ses prétentions par le Venezuela.
Du 28 au 30 novembre 2017, une troisième et dernière réunion se tient, à la demande du
représentant personnel du Secrétaire général, à la fondation Greentree (New York) entre les
délégations des Parties, présidées par leurs ministres des affaires étrangères respectifs. A l’issue de
cette rencontre, il est clair que le Guyana n’a d’autre intention que de temporiser : il refuse de
négocier, ne fait aucune nouvelle proposition, s’en tenant à ses thèses extrêmes. Le discours
prononcé par le président Granger lors d’un déjeuner de Noël avec les forces armées guyaniennes,
le 22 décembre 2016, est devenu réalité : «Eh bien, nous avons déjà conclu avoir attendu cinquante
et une années de trop. C’est notre territoire et nous irons à la Cour prouver que c’est notre
territoire.»
Après ces trois rencontres, le Guyana décide d’envoyer son propre projet de mémorandum
d’accord, invitant le Venezuela à renoncer sans conditions à l’ensemble de ses droits. Cherchant à
masquer son intransigeance derrière ce document, le Guyana n’en fournit que la preuve la plus

146

- 77 -
éclatante. Le mémorandum est présenté comme un préaccord appelé à devenir un traité formel dans
les trois mois suivants ; à défaut, il implique que le Venezuela consent à soumettre à la Cour
internationale de Justice le différend tel que le conçoit le Guyana, dont l’objet serait limité à la
question de la validité ou de la nullité de la sentence de 1899.
Le 11 décembre 2017, le représentant personnel du Secrétaire général, Dag Nylander,
effectue une visite d’information à Caracas.
Le 18 décembre 2017, le président Maduro écrit au Secrétaire général Guterres. Dans sa
lettre, il met en contraste le comportement du Venezuela, à la fin de 2017, et celui du Guyana.
Alors que le Venezuela manifeste une volonté sans faille de voir aboutir les négociations, le
Guyana se contente de temporiser, fort de la promesse faite par le précédent Secrétaire général dans
sa communication du 15 décembre 2016. Cette simple annonce n’a pu que l’encourager à se
désintéresser de la recherche d’une solution négociée. Le Venezuela a signé l’accord de Genève
parce qu’il avait à cœur de parvenir à un arrangement pratique et mutuellement acceptable, et non
pour se soumettre à une compétence internationale à laquelle il n’a pas expressément consenti,
qu’il n’a jamais acceptée et qui va à l’encontre de l’objet, du but et de la raison d’être de l’accord
de Genève, ainsi qu’aux termes de celui-ci. En tout état de cause, l’accord des parties est essentiel
pour fonder la compétence. Pour conclure, le président Maduro demande au Secrétaire général de
continuer à faciliter les négociations en prolongeant pour une durée minimale de deux ans la
mission de bons offices et de médiation de son représentant personnel, et en renforçant au besoin le
mandat de celui-ci. «Le Venezuela», assure-t-il, «est fermement résolu à tenter de parvenir à une
solution négociée.»
*
Le 30 janvier 2018, le Secrétaire général Guterres informe le président Maduro que, dans le
«cadre défini par [s]on prédécesseur … et, aucun progrès significatif [n’ayant été
réalisé] en vue de parvenir à un règlement négocié du différend, [il] a retenu la Cour
internationale de Justice comme prochain moyen d’atteindre cet objectif».
147

Dans sa lettre, le Secrétaire général relève que le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de
Genève
«confère au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies le pouvoir et la
responsabilité de choisir, parmi les moyens de règlement prévus à l’article 33 de la
Charte des Nations Unies, celui qu’il convient de retenir pour régler le différend» et,
«[s]i le moyen ainsi choisi ne permet pas d’aboutir à un règlement du différend, … la
responsabilité d[’en] choisir un autre».
Renvoyant à la communication de son prédécesseur en date du 15 décembre 2016,
António Guterres indique que, avant de parvenir à la conclusion mentionnée plus haut, il a
«soigneusement analysé» l’évolution de la procédure des bons offices au cours de l’année 2017, à
l’occasion de laquelle son représentant personnel, Dag Nylander, n’a «pas ménagé ses efforts au
plus haut niveau».
Le Secrétaire général propose aux deux pays de «continuer de bénéficier des bons
offices … via une procédure complémentaire établie sur la base des pouvoirs que [lui] confère la
Charte», laquelle pourrait «[p]remièrement, … favoriser l’utilisation du moyen de règlement
pacifique retenu».

148

- 78 -
Dans un communiqué officiel publié le lendemain, soit le 31 janvier 2018, le ministère
vénézuélien des affaires étrangères indique ceci :

«Le Venezuela a dûment fait part de sa vive opposition à la lettre du
15 décembre 2016, relevant que les étapes annoncées outrepassent les pouvoirs
reconnus au Secrétaire général par l’accord de Genève, ce qui contrevient à l’esprit, au
but et à la raison d’être de celui-ci, ainsi qu’au principe d’équité convenu entre les
parties.»

Il poursuit ainsi :

«L’annonce du Secrétaire général ne fait aucun cas de la successivité des
moyens de règlement pacifique que prévoit l’accord de Genève en tant que méthode
retenue en vue de parvenir à une solution acceptable, pratique et satisfaisante du
différend.»
Et de conclure :

«Il convient de s’enquérir des raisons conduisant à recommander le recours à la
Cour internationale de Justice à deux Etats qui ne reconnaissent pas sa
compétence … Le Gouvernement de
la République bolivarienne du
Venezuela … réaffirme sa ferme volonté de … poursuivre la négociation politique sur
la base de l’accord de Genève de 1966, en tant que seul moyen de parvenir à une
solution pacifique, pratique et satisfaisante pour les deux parties.»
Le président Maduro écrit au Secrétaire général Guterres le 25 février 2018, indiquant avoir
pris connaissance,
«non sans inquiétude, étonnement et regret, du contenu de sa lettre, en tant qu’elle
outrepasse, comme le faisait la lettre signée le 15 décembre 2016 par son
prédécesseur, Ban Ki-moon, les pouvoirs qui lui sont conférés par l’accord de Genève,
dont elle contrevient en outre à l’esprit, au but et à la raison d’être».
Et de préciser :
149

«Le règlement judiciaire contrevient à l’accord de Genève car il va à l’encontre
des dispositions de son préambule, selon lequel le différend doit «être résolu à
l’amiable, d’une manière acceptable pour les deux parties». Il emporte également
violation de son article I, puisqu’il ne mène pas à une solution satisfaisante pour le
règlement pratique du différend.»
Le président continue ainsi : «En outre, … le Venezuela ne reconnaît pas la compétence de la
Cour … et, en ce sens, sa position est restée constante…», si bien que la proposition du Secrétaire
général «serait stérile, inacceptable et contraire aux intérêts du Venezuela et de son peuple».
Le Venezuela «juge important de poursuivre la procédure des bons offices … selon les modalités
initialement convenues par les parties dans le cadre de l’accord de Genève».
Le 28 mars 2018, le ministère vénézuélien des affaires étrangères adresse au Guyana une
note diplomatique l’informant de sa position quant à l’annonce faite par le Secrétaire général de
l’ONU le 30 janvier. La note reprend dans les grandes lignes celle adressée par le président Maduro
au Secrétaire général le 25 février 2018. Le ministère réitère à l’intention du Gouvernement
guyanien que le recours au règlement judiciaire est
150

«inacceptable, stérile et impraticable, et propose de relancer les efforts diplomatiques
afin de parvenir à un règlement pacifique et satisfaisant du différend territorial, ainsi

- 79 -
que d’évaluer conjointement l’opportunité de poursuivre la méthode des bons offices
sous les auspices du Secrétaire général de l’ONU».
Le 29 mars 2018, le Venezuela apprend par un communiqué public du ministère guyanien
des affaires étrangères que celui-ci a introduit une requête, avant de recevoir la communication
officielle du greffier de la Cour. Dans une déclaration de son ministère des affaires étrangères, faite
le 30 mars, il persiste à prôner la reprise des négociations et des efforts politiques afin de résoudre
le différend.
Le Guyana a répondu le 3 avril 2018 à la note du Venezuela en date du 28 mars, et sa
communication a fait l’objet d’une réponse du ministère vénézuélien des affaires étrangères datée
du 4 mai 2018.
*
Le Venezuela se fait fort de protester chaque fois que le Guyana octroie des permis
d’exploration et d’exploitation de ressources pétrolières dans des zones maritimes correspondant à
la projection de la côte de l’Essequibo. Il a adressé des lettres d’avertissement aux sociétés
concessionnaires et a mené des activités d’information in situ à l’intention de bateaux conduisant
des opérations de prospection dans ces espaces situés dans le territoire en litige, allant jusqu’à en
arraisonner un, qui n’en respectait pas les limites (Teknik Perdana, 10 octobre 2013).
En 2017, le nombre d’activités d’exploration et de concessions augmente brusquement. Pour
ne pas compromettre la procédure des bons offices, qui vient juste de débuter, le Venezuela sursoit
néanmoins à exprimer des protestations diplomatiques. En 2018, toutefois, ces activités font l’objet
d’une succession de notes verbales (DVMAL n
000307 à 000321, communiquées entre les 25 et
30 janvier 2018 ; DVMAL n
os
151

000322 à 000335 en date du 28 février, adressées conjointement
sous le couvert de la note DVMAL n
os
mars). Le Guyana répond à ces
communications (notes n
o
000338 du 1
er
301/2018 à
304/2018 communiquées le 27 mars 2018). Certaines de ces notes font également référence aux
activités minières entreprises sur le territoire terrestre.
os
366/2018 à 369/2018, communiquées le 21 mars ; et n
os

Fin 2018, l’un des scénarios les plus redoutés se concrétise : des bateaux affrétés par Exxon
Mobil se livrent à des activités de prospection dans des segments du bloc Stabroek en partie sis
dans la zone correspondant à la projection maritime de Delta Amacuro. Si la délimitation de ces
espaces n’entre pas dans le cadre de l’accord de Genève, elle est tributaire du règlement du
différend territorial auquel il s’agit de parvenir dans ce cadre.
Le 22 décembre 2018, un navire affrété par Exxon Mobil, le Ramform Thetis, est intercepté
par une unité de la marine vénézuélienne. Le Guyana envoie une note de protestation le même jour,
à laquelle le Venezuela répond le 27 décembre (non sans avoir déjà envoyé des notes
diplomatiques les 20 et 24). Dans sa note du 27 décembre, qui reprend les termes de sa
communication du 24, le Venezuela dénonce
«les conceptions erronées ainsi que le manichéisme sous-tendant l’approche du
Guyana et conduisant à des initiatives unilatérales qui, outre qu’elles sont illicites, sont
à l’origine de situations à même d’entraîner des incidents indésirables. Le ministère
des affaires étrangères de la République bolivarienne du Venezuela ne veut pas croire
que tel soit précisément l’objectif que poursuit le Guyana dans les circonstances
actuelles.»
152

- 80 -
Il rappelle ensuite que,
«parce qu’il existe un différend territorial entre eux à l’ouest de la ligne médiane du
fleuve Essequibo, aucun des deux Etats ne peut désigner des espaces maritimes
correspondant à la projection de ses côtes comme zones placées sous sa souveraineté
et sa juridiction, tant que le différend en question n’aura pas été résolu, et sachant que,
même lorsqu’il l’aura été, la question de la délimitation de leurs espaces respectifs
demeurera pendante».
Il relève encore que, dans le cas à l’examen,
«l’exploration de ressources en hydrocarbures en vertu de permis octroyés par le
Gouvernement guyanien à des sociétés transnationales s’étend jusque dans une zone
correspondant à la projection naturelle en mer de Delta Amacuro et mord sur la façade
atlantique d’une côte qui appartient indubitablement au Venezuela. Celui-ci subit ainsi
une violation flagrante de sa souveraineté, du fait d’actions et de revendications
unilatérales du Guyana qu’il ne saurait tolérer.»
Dénonçant la version erronée présentée par son homologue guyanien, qui a qualifié
l’intervention prudente et proportionnée de la marine vénézuélienne d’acte hostile et illicite
survenu au sein de la zone économique exclusive du Guyana, le ministre vénézuélien des affaires
étrangères s’arrête ensuite sur les fausses accusations de menaces et de terrorisme, qui visent, dans
les deux cas, à empêcher le Venezuela d’exercer ses droits souverains. A cet effet, la situation est
renvoyée devant le Secrétaire général de l’ONU.
153

Dans la note, le ministère réitère la préoccupation que lui inspire la série d’actes unilatéraux
et arbitraires menés dans des espaces maritimes en litige ou non délimités, par lesquels le Guyana
entend rendre irréversibles certaines situations ou créer des précédents destinés à servir ses intérêts.
Le Venezuela s’est abstenu tout ce temps d’opter pour une telle approche, foncièrement
déstabilisatrice, et demande que le Guyana en fasse autant. Dans sa note, il insiste sur la nécessité
d’éviter de forcer l’évolution de la situation en menant des activités d’exploration dans de tels
espaces, pareilles activités ne devant être exercées qu’avec le consentement mutuel des deux Etats
tant que, dans un premier temps, le différend n’aura pas été résolu et que, dans un second, les
espaces maritimes revenant à chacun d’eux n’auront pas été délimités.
La note se poursuit en ces termes :

«Le règlement pacifique du différend territorial et la délimitation des espaces
maritimes ne seront possibles qu’au moyen de négociations entre les parties,
éventuellement complétées par des moyens politiques tels que les bons offices, qui ont
été employés par le passé, ou la médiation, à même de mener à un règlement pratique,
satisfaisant et mutuellement acceptable du différend, tel que visé par l’accord de
Genève de 1966.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Contrairement à ce que le Guyana maintient dans sa note n
o
1863/2018, le
Venezuela soutient que la Cour internationale de Justice n’a pas compétence pour
connaître de la requête que le Guyana a unilatéralement soumise en n’invoquant pour
ce faire d’autre base qu’un choix fait par le Secrétaire général de l’ONU qui ne relève
pas des pouvoirs que confère à celui-ci le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de
Genève et qui, en tout état de cause, ne saurait en lui-même suffire à légitimer une
action unilatérale. Aussi le Venezuela refuse-t-il de participer à une procédure engagée

- 81 -
devant la Cour, laquelle est politiquement vouée à l’échec, même dans le meilleur des
cas de figure possibles pour le plaignant.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[Le Venezuela] n’exclut pas catégoriquement la quête d’une solution judiciaire
154

du différend territorial, une fois épuisés les moyens politiques destinés à faciliter les
négociations entre les parties, si celles-ci y consentent de part et d’autre, au moyen
d’un compromis accordant l’importance voulue à la justice dans sa dimension
historique à même de donner lieu à une décision équitable. Ce n’est que sur ce
fondement que des négociations relatives à la délimitation des espaces maritimes
pourront avoir lieu.»
Et de conclure :

«Au vu de ce qui précède, le Gouvernement vénézuélien propose au
Gouvernement guyanien la reprise des négociations directes dans le courant de l’année
à venir, à une date et en un lieu qu’il s’agira d’arrêter par consentement mutuel, et
sous les auspices du Secrétaire général de l’ONU. Le Gouvernement vénézuélien
considère que, si les parties sont guidées par le principe de la bonne foi, qui implique
que chacune prenne en compte les vues et intérêts de l’autre et accepte de renoncer à
défendre des positions extrêmes au bénéfice de concessions réciproques, un accord
pourra être conclu.»
La réponse du Guyana à la note du Venezuela en date du 27 décembre 2018 est datée du
8 janvier 2019. Comme dans une précédente note, datée du 28 décembre 2018, le Guyana avise le
Venezuela de son intention de poursuivre son programme de développement dans des zones sur
lesquelles il possède des droits souverains (impliquant qu’il possède de tels droits dans les zones où
se sont produits les faits objet de l’échange diplomatique).
155

Le ministre guyanien des affaires étrangères, Carl Greenidge, fera une longue déclaration à
ce propos devant l’Assemblée nationale du Guyana, le 3 janvier 2019. Il se réfère, une fois de plus,
à des «actes d’agression» du Venezuela. Le Guyana n’aura cessé de qualifier de «violation de son
intégrité territoriale» toute initiative vénézuélienne visant à l’empêcher d’exercer unilatéralement
des prérogatives dans des espaces maritimes qui sont en litige. Il est résolu à continuer d’appliquer
dans ces zones ses politiques unilatérales, nonobstant l’exacerbation des tensions, propices à des
incidents susceptibles de faire l’objet de manipulations diplomatiques et médiatiques, qui ne
manquera pas d’en résulter.

___________

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