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12095

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE AUX IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L'ÉTAT

(ALLEMAGNE c.ITALIE)

ANNEXES À LA RÉPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE

5 OCTOBRE 2010

[Traduction du Greffe} Table des matières

Annexe 1. Procura Generale della Repubblica Exposé du 31 décembre2009 en l'affaire
Ugo Bonaiuti c. Allemagne .........................................................1..............
....................

Annexe 2. Corte di cassazione, arrêtno285, 2 février 1953 17 Zeitschrift für auslandisches
Recht und Volkerrecht 317 ........................................................10..............
..................

Annexe 3. Bundesgerichtschof, arrêt du 14 décembre 1955 Entscheidungen des

Bundesgerichtshofs in Zivilsachen (BGHZ) 19, 258..................................14............... Attestation

Le Gouvernement de la République fédéraled'Allemagne certifie par la présente que les
documents reproduits dans le volume d'annexes sont des copies conformes aux documents
originaux et que les traductions qu'il a fournies dans l'une ou l'autre langue officielle de la Cour
sont exactes.

Berlin, le 4 octobre 2010 ANNEXE 1

PROCURA GENERALE DELLA REPUBBLICA
EXPOSÉ DU 31 DÉCEMBRE 2009 EN L'AFFAIRE

UGO BONAIUTI C. ALLEMAGNE

[Traduction}

Cour suprême de cassation

Sections civiles réunies

No30838/2007, Rôle général ord no004

Rapp. ANIELLO NAPPI 324

Objet : Décision préliminaire sur la compétence

Conformément à l'article 377 du code de procédure civile, j'ai le plaisir de vous informer
que l'examen de l'appel forméen l'affaire :

0001 REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE

c.

0002 REPUBLIQUE ITALIENNE

0003 UGO BONAIUTI ET AUTRES

aura lieu lors d'une audience dans la chambre du conseille 16 mars 2010.

Rome, le 2 février2010. [Signature officielle]

0001

0002 A: Avvocatura Generale dello Stato
12 Via Dei Portoghesi- Rome

Si cet appel a traitun autre appel, merci d'en informer le Greffe, en fournissant si possible
le numéro d'enregistrement sur le rôle général. Les demandes et les exposés doivent êtredéposés
au Greffe dans le strict respect des avis et règlements de la Première présidence.

Copie de l'exposédéposépar le ministère public est jointela présente. - 2 -

Ministère public de la Cour suprême de cassation

N° 30838/2007, rôle général

Introduction

Par acte introductif d'instance du 3 janvier 2006, M. Ugo Buonaiuti a formé contre la
République fédéraled'Allemagne une réclamation portant sur des dommages subis en conséquence
de sa déportation en Allemagne et du travail forcé auquel il a étésoumis durant les hostilités

connues de tous.

La République fédéralea comparu devant la Cour et a fait valoir au premier chef que les
autorités judiciaires italiennes n'étaient, sur la base de nombreuses considérations, pas

compétentes.

Elle a étéautorisée à intervenir en qualité de partie à l'instance. La République italienne a
comparu en la personne de la présidence du conseil des ministres, laquelle a contestéla recevabilité

de son assignation et a, en outre, [réfuté] la défense avancée par la République fédérale
d'Allemagne.

Durant cette procédure, la République fédéraled'Allemagne a introduit la présente instance

en vue d'une décisionpréliminaire sur la compétence.

La présidence du conseil des ministres a comparu et présenté un exposé et le
contre-interrogatoire de l'ayant droit du requérant, à présent décédé,a étéversé au dossier de

l'affaire.

Attendu que

En premier lieu, il convient de faire droit à la demande d'une décision préliminaire sur la
compétence concernant des questions relatives à l'existence ou non d'une compétence italienne à
l'égard des entités étrangères. Cette demande ne saurait êtreécartéepar le fait qu'aux termes de

l'article 37 du code de procédure civile -tel qu'amendé par l'article 73 de la loi no218/1995 qui
en a abrogéle paragraphe 2 -, les juridictions ordinaires et spéciales ne sont incompétentes qu'à
l'égard de l'administration publique, étant donné que la référencedans l'article 41 du code de
procédure civile à l'article 37 de ce code en vue de déterminer la portée des décisions sur la

compétence concerne également l'article 11 de la loi 218/1995, laquelle régit l'absence de
compétence des juridictions italiennes (voir, notamment, sections réunies, 24 mars 2006, no6585 ;
2008, no 14210). En outre, une demande est recevable même si elle tend à faire ordonner

l'incompétence de toutes les juridictions (sections réunies,2002, n° 8157).

Lors de l'examen de la question de savoir s'il existe une compétence en matière civile à
l'égard de l'Etat allemand, il convient de noter, en premier lieu, que la Cour de justice des

Communautés européennes (sic), dans sa récente décision du 15 février2007 (en l'affaire
C-292/05) au sujet d'une action intentée devant les autorités judiciaires grecques contre la
République fédéraled'Allemagne par des membres de la famille de victimes d'actes commis par
les forces armées allemandes durant l'occupation nazie de la Grèce afin d'obtenir la réparation de

dommages financiers et moraux, a réaffirméle principe selon lequel il convient d'interpréter
l'expression «en matière civile» employée dans les règles relatives à la compétence prévues par la - 3 -

convention de Bruxelles de 1968 (à présent le règlement no44/2001 de la Communauté
européenne) comme ne concernant pas les actions en justice intentées par des personnes physiques

dans un Etat contractant contre un autre Etat contractant en vue d'obtenir la réparation d'une perte
ou d'un dommage subi par les ayants droits des victimes d'actes perpétréspar des forces arméesen
temps de guerre.

Il est clair que cette décision ne préjuge pas de la question de savoir si, dans le cas où cette
convention est déclaréeinapplicable, l'immunité de l'Etat à l'égardde demandes en réparation vaut
toujours.

Le requérant fait valoir au premier chef que l'absence de compétence découle du
paragraphe 4 de l'article 77 du traité de paix du 10 février 1947 par lequel l'Italie a notamment
renoncé, en son nom propre et au nom des ressortissants italiens, à toutes les réclamations portant
sur des pertes ou des dommages survenus durant la guerre.

Comme chacun sait, les sections civiles réunies de la Cour de cassation ont interprétéce
traitédans l'arrêt no235 du 29 janvier 1953, jugeant que comme suite à la conclusion de ce traité
-rendu applicable par voie du décretlégislatif no1430-, les juridictions italiennes n'étaientpas

compétentes pour connaître des demandes en réparation introduites par des ressortissants italiens.

Dans cet arrêt,après avoir soulignéque la renonciation ne pouvait êtreconsidéréecomme ne
s'appliquant qu'aux demandes introduites devant les juridictions et encore pendantes le 8 mai 1945

mais également à toutes les demandes existant à cette date ou, en tout étatde cause, ayant trait à
des accords conclus ou des actes nésou survenus après le 1erseptembre 1939, la Cour suprêmea
jugé que la renonciation en question, laquelle avait étéincorporée à la législation italienne par la
promulgation ultérieure du traité, était également opposable aux ressortissants italiens (à tout le

moins, la question pourrait se poser de savoir si, du fait de cette renonciation, le Gouvernement
italien devait indemniser ses propres ressortissants pour les dommages subis, mais la validitéde la
renonciation ne saurait êtrecontestée).

En 1961, de nouveaux accords ont étéconclus entre les Gouvernements de la République
italienne et de la République fédéraled'Allemagne concernant l'indemnisation des ressortissants
italiens. Ces accords sont, pour l'essentiel, entrésen vigueur par voie du décretdu président de la
République no 1263/1962, dont l'article premier prévoyait que l'Allemagne verserait 40 millions de

marks allemands à l'Italie pour régler les questions économiques pendantes et dont l'article 2
énonçait que le Gouvernement italien déclarait que toutes les demandes et réclamations formulées
par la République italienne, ou des personnes physiques et morales italiennes, du fait de droits nés

durant la guerre étaientdûment réglées; et aussi par voie du décretdu président de la République
no2043/1963 par lequel la République italienne a prévule partage des sommes verséesen vertu des
accords internationaux conclus avec la République fédéraled'Allemagne, notamment entre les
«travailleurs soumis au travail forcé» qui avaient étédéportésen Allemagne.

Iln'est donc pas douteux que les principes énoncéspar les sections réunies en 1953, dont le
fond a étéconfirmé dans leur arrêtno2188 du 2 mars 1987, s'appliquent aux accords de 1961
-ainsi qu'aux lois de mise en Œuvre internes pertinentes- qui doivent êtreconsidéréscomme

incorporant le traitéde paix de 1947.

L'obligation de respect de ces accords internationaux découle de l'application du principe
fondamental de droit international pacta sunt servanda, lequel est expressément consacré par la

convention de Vienne du 23 mai 1969 (également ratifiée par l'Italie), dont la validité
ininterrompue a étérécemment confirmée par la Cour européenne des droits de l'homme dans la
décisionqu'elle a rendue le 30 juin 2005 en l'affaire Bosphorus Hava Yollari Turizm c. Irlande. - 4 -

Il ne saurait non plus êtreaffirméque l'instrument en question est invalide au motif qu'il est
contraire aux normes impératives du droit international général(jus cogens), au sens de l'article 53

de la Convention. Cela s'explique par le fait que le droit à réparation de dommages civils ne relève
pas d'une norme ne souffrant aucune dérogation (parce que, contrairement à la vie ou à la santé,ce
droit peut êtretransféréou il peut y êtrerenoncé) et aussi par le fait que, si cet instrument devait
être déclaré invalide, cela serait de toute évidence dû à une modification de la situation

internationale et, partant, ne porterait pas atteinte à la validité des accords conclus par les
deux Etats (voir CEJ, 16 juin 1998, no 162). En outre, ces accords (similaires à ceux conclus entre
d'autres Etats belligérants après la deuxième guerre mondiale) constituent un compromis équitable
entre les droits de l'homme fondamentaux et la nécessitéde protégerles souverainetés réciproques,

promouvoir la courtoisie et les bonnes relations entre les Etats et prévenir une aggravation des
conflits. Dans ces conditions, ces accords peuvent êtreconsidéréscomme remplaçant le recours à
une action directe en justice.

On peut également affirmer que les dispositions des traités de 1947 et 1962 (sic), telles que
libellées,n'ont trait qu'aux questions juridiques de fond, non à la compétence, puisque le point de
vue opposéexpliquerait difficilement l'engagement pris par la République italienne d'«exonérer la
République fédéraled'Allemagne de toutes actions ou autres réclamations en justice».

En tout état de cause, il convient de répondre à la question de savoir si les juridictions
italiennes sont compétentes en appliquant le principe de droit international relatif à l'immunité de
l'Etat. Ce principe est demeuréune constante de la jurisprudence des sections réunies.

L'arrêtno 1653 du 6 juin 1974 a confirméque

«conformément au principe coutumier par in parem non habet jurisdictionem,

principe universellement reconnu entrant dans le champ du paragraphe 1 de
l'article0 de la Constitution, les Etats étrangers ne relèvent pas de la compétence
italienne, mêmepour des actes commis sur le territoire de la République, à condition
que lesdits actes servent leur intérpublic».

On peut trouver une décision similaire dans les arrêtsnos3062/1979, 5565/1994, 919/1996,
328/1999 et 11225/2005 des sections réunies.

Dans l'arrêtno530 du 3 août 2000 relatif à des dommages causés durant les exercices d'un
avion de chasse américain en territoire italien (l'affaire Cermis), les sections réunies ont précisé
plusieurs principes importants :

- Le principe de 1'immunité de juridiction civile des Etats étrangers à 1'égard des activités
jure imperii -bien que risquant par nature d'affecter les droits fondamentaux de l'homme,
notamment le droit à la vie, à l'intégritéphysique et à la santé- est sanctionné par une règle

de droit international coutumier antérieure à l'entréeen vigueur de la constitution italienne, et
revêt le statut de jus cogens dans notre ordre juridique en vertu de la disposition du
paragraphe 1 de l'article 10 de la Constitution relative à la conformité automatique avec les
règles de droit international généralementreconnues, non en vertu d'une règle ayant l'autorité

du droit commun.

Il s'ensuit que cette règle a étépleinement incorporée dans notre ordre juridique et que la
question de la compatibilité de ce principe avec notre système constitutionnel ne se pose pas ni

ne peut se poser compte tenu du principe avancé par la Cour constitutionnelle dan son arrêt
no48 du 12 juin 1979 selon lequel, conformément aux règles de droit international
généralementreconnues et antérieures à l'entréeen vigueur de la Constitution, le paragraphe 1
de l'article 10 de celle-ci incorpore automatiquement et pleinement ladite règle sans aucune

restriction ; le problème de la cohérence de règles homologues avec les principes
fondamentaux de la Constitution ne se pose que dans le cas de règles néesaprès cette date. - 5 -

Ce principe ne saurait davantage êtreréfutépar l'article 8 de la Déclaration universelle des

droits de l'homme approuvéepar l'Assemblée généraledes Nations Unies le 10 décembre 1948
aux termes duquel toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales
compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la
constitution ou par la loi. En effet, même en ignorant le fait que cette règle n'est pas

immédiatement applicable et qu'elle vise les Etats, il n'est pas douteux qu'elle se borne à régir
les relations entre les personnes et l'Etat dont elles sont ressortissantes (au sens où chaque Etat
doit assurer la protection juridique des droits fondamentaux de ses propres ressortissants) sans
chercher ni à régirla question tout autre de l'exception d'incompétence applicable à l'égardde

tous les Etats pour ce qui est des actes qui sont la manifestation extérieure de leur propre
souveraineté, ni à exclure ou limiter le principe de l'immunité de juridiction à l'égarddes actes
jure imperii.

Les sections réunies ont exprimé le mêmepoint de vue dans l'arrêtno8157 du 5 juin 2002,
réaffirmant le principe selon lequel les

«actes commis par un Etat durant une guerre ne peuvent en aucun cas êtreexaminés
par des juridictions ordinaires et administratives, dans la mesure où ces actes sont la
manifestation d'une fonction politique à l'égard de laquelle il est impossible de faire
valoir un intérêtlégitime d'une part et peuvent ou non correspondre à une définition

donnéede l'autre».

Toutefois, dans l'arrêtultérieur no5044 du 11 mars 2004 rendu dans une affaire portant
précisémentsur des préjudices causés à des civils par des soldats nazis durant la deuxième guerre

mondiale, la Cour suprêmea fait volte-face, adoptant une nouvelle position qui a étéconfirmée par
une séried'arrêtsrendus en 2008 (notamment les arrêtsnos14201 et 24210) ainsi que dans l'arrêt
no 1072 du 13 janvier 2009 rendu par la première section pénaleen l'affaire Milde.

Le raisonnement suivi par la Cour dans ces arrêtspeut êtrerésumécomme suit:

la classification de la déportation et du travail forcé en tant que «crime international» est

confirméepar les principes du droit international et les traitésinternationaux ;

il a étéinvariablement affirméque les crimes internationaux «menacent l'humanité en général
et sapent les fondements mêmesde la coexistence internationale» ; de fait, de part leur gravité

et leur caractère systématique, ces crimes entraînent des violations particulièrement graves des
droits fondamentaux de l'homme, dont la protection est garantie par des règles ne souffrant
aucune exception, qui se trouvent au sommet de l'ordre juridique international et qui prévalent

toutes les autres règles, que celles-ci soient énoncées dans des conventions ou dans les
principes du droit coutumier ; le caractère imprescriptible de ces crimes a donc étéreconnu et
tous les Etats sont tenus de sanctionner leurs auteurs, quel que soit le lieu où ils ont été
perpétrés,conformément aux principes de compétence universelle; pour la mêmeraison, il ne

fait aucun doute que le principe de compétence universelle s'applique également aux
procédures civiles découlant de ces crimes; reconnaître l'immunité de juridiction à l'égard
d'Etats ayant commis de tels crimes viole clairement les dispositions des traitésinternationaux
relatives à la répression des crimes internationaux parce qu'une telle reconnaissance, loin de

promouvoir, compromet, dans les faits, la protection de valeurs qui ont acquis le statut de
principes fondamentaux de l'ordre international et dont la protection est considéréecomme
capitale à la communauté internationale dans son ensemble.

En d'autres termes, ayant constaté la «coexistence» et l'«incompatibilité» de normes
internationales coutumières, la Cour est parvenue à la conclusion que la question de
l'incompatibilité devait êtrerégléesur la base d'u<~ugeme de valeur». - 6 -

Il est de fait difficile de concilier le privilège de l'immunité de juridiction et le droit
fondamental de l'homme à un recours judiciaire en vue de protéger des positions juridiques

subjectives.

Le problème tient au faitqu'au niveau international, ce raisonnement ne tient pas étantdonné
qu'une norme internationale respectée dans la pratique généraledes Etats et dont l'application

généraleest connue de tous ne saurait êtreécartéeau profit d'une autre norme qui ne jouit pas du
mêmesoutien.

Le fait est que la Cour a donné effet, dans l'ordre juridique italien, à une exception à

l'immunité qui, contrairement à l'obligation prévue au paragraphe 1 de l'article 10 de la
Constitution, n'est pas généralementreconnue.

La communauté des nations ne reconnaît pas, dans la pratique internationale, d'exception à

l'immunité d'un Etat étranger pour des raisons humanitaires, quelles que soient les conclusions
tiréesdes règles internationales relatives aux droits de l'homme.

L'ordre international, doté de ses règles coutumières et conventionnelles reconnues quasi

unanimement par les juridictions nationales et internationales, a systématiquement réaffirméla
nécessité«fondamentale» de reconnaître l'immunité de juridiction territoriale des Etats étrangers et
des autres entités régies par le droit international, afin de défendre la souveraineté réciproque, de
promouvoir la courtoisie et les bonnes relations entre les Etats et de prévenir l'aggravation des

conflits.

Le problème intrinsèque posépar la reconnaissance de l'immunité potestas judicandi tient
aux obligations généralesde non-ingérence et, comme les juridictions l'ont déclaré,au règlement

pacifique des différends internationaux et reflète également le principe de la séparation des
pouvoirs selon lequel l'autoritéjuridictionnelle de l'Etat du for ne saurait influer sur les décisions
en matière de politique internationale prises par un gouvernement ou un parlement à l'égardde ses
relations extérieures avec un Etat jouissant de l'immunité.

Les décisions ci-près rendues par des juridictions nationales d'autres Etats méritent d'être
relevées:

la décision du 17 septembre 2002 dans laquelle la Cour suprême grecque a réaffirmé le
principe de l'immunité de juridiction à l'égarddes actions civiles en réparation de dommages
résultantde l'occupation militaire allemande en 1944;

la décisiondu 26 juin 2003 dans laquelle la Cour de cassation fédéraleallemande a, au sujet de
la mêmequestion, confirmé l'immunité de juridiction mêmeen cas de violation de normes
impératives du droit international et a écartéla possibilité qu'«un principe existant de droit
international» ait vu le jour à cet égard;

la décision rendue par la Cour de cassation française le 16 décembre2003 qui a rejeté une
demande en réparation ayant trait au travail forcé en Allemagne durant la seconde guerre

mondiale en appliquant le principe de l'immunité de juridiction de la République fédérale
d'Allemagne, Etat successeur du Ille Reich;

l'immunité de l'Etat à l'égard de réclamations portant sur des dommages subis à la suite

d'actes de tortures -crime relevant d'une règle de jus cogens et puni sans conditions par la
loi, que ses auteurs soient ou non des agents de l'Etat- a étéconfirmée dans des opinions de
la Chambre des lords dans les affaires Pinochet et Al-Adsani (ultérieurement confirmée par la

Cour européenne des droits de l'homme) et, plus récemment, notamment dans l'affaire Jones c.
Ministry of Interior Al-Mamlaka Al-Arabiya AS Saudiya (Royaume d'Arabie saoudite), dont
l'opinion a longuement passé en revue la jurisprudence internationale sur la question et a - 7 -

critiquéla décision de la Cour de cassation italienne dans l'affaire Ferrini («la décisionrendue
dans l'affaire Ferrini ne saurait, à mon avis, êtretraité comme un énoncécorrect de droit

international, tel que nous le comprenons en général; de plus, un cas isolé ne donne pas
naissance à une règle de droit international») ;

la Cour supérieure de justice d'Ontario a procédéà une analyse similaire en l'affaire Houshang

Bouzari : la Cour canadienne a reconnu que l'interdiction de la torture constituait une règle de
jus cogens mais a estimé qu'elle ne donnait pas compétence pour connaître de demandes en
réparation contre un Etat étranger, soulignant que -malgré l'existence d'une règle nationale

sur la question - il existait une dérogation dans la pratique internationale, elle a examiné la
jurisprudence nationale et internationale mais a conclu qu'en l'état actuel du droit, le droit
coutumier ne prévoyaitpas de dérogation de cette nature ;

dans nombre de décisions (dont une longue liste figure dans l'appel), les juridictions des
Etats-Unis ont expressément confirmé le principe de l'immunité de l'Etat devant les
juridictions civiles, mêmeen cas de violations des droits de l'homme ;

d'autres décisions qui se sont rangées à l'avis contraire se fondent sur un amendement à la loi
de 1976 intitulée Foreign Sovereign Immunities Act 1976 qui introduit une dérogation à
l'immunité dans le cas d'actions civiles intentées contre certains Etats, expressément désignés
par le secrétaire d'Etat comme «finançant» le terrorisme, en vue d'obtenir réparation de

préjudices personnels causés par la torture, une exécution extrajudiciaire, le sabotage d'un
avion ou une prise d'otage (le requérant ou la victime devant êtredes ressortissants américains
au moment de l'acte et l'acte ne devant pas avoir eu lieu sur le territoire de l'Etat finançant le

terrorisme) : cet argument est toutefois contestable dans la mesure où la nécessité
d'amendement semble indiquer l'absence d'une règle qui jouerait dans le cas contraire (en
outre, la nature des mesures prises par les Etats-Unis pour lutter contre le terrorisme est
largement critiquée au sein de la communauté judiciaire internationale).

Passant à présent à l'examen des décisions rendues par des juridictions internationales sur le
plan du droit international coutumier, la Cour européenne des droits de l'homme a, dans
plusieurs décisions (rendues le 21 novembre 2001 en l'affaire Al-Adsani c. Royaume-Uni de

Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, le 12 décembre2002 en l'affaire Kalogeropoulou et
autres c. la Grèce et l'Allemagne et le 14 décembre2006 en l'affaire Markovic et autres c.
Italie- affaire déjàjugéedans l'arrêt8157/2002), énoncéles principes suivants:

l'existence de l'immunité n'a pas de conséquence sur les droits substantiels;

le droit de saisir les juridictions n'est pas absolu ; celui-ci peut êtrelimitépar les Etats,

lesquels ont une marge d'appréciation en la matière; il revient aux juridictions de
vérifier que ces limites ne portent pas atteinte au contenu du droit, que leur but est
légitimeet qu'elles lui sont proportionnelles ;

l'octroi de l'immunité de juridiction civile à un Etat étranger a pour objectif légitime de
respecter le droit international afin de promouvoir la courtoisie et les bonnes relations entre les
Etats en respectant leur souveraineté respective ;

la convention européenne doit être interprétée sur la base des principes énoncésdans la
convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, dont le paragraphe 3 de l'article 31
prévoit qu'il sera tenu compte de toute règle pertinente de droit international applicable dans

les relations entre les parties; les dispositions, adoptées par les Etats parties à la convention,
prévoyant le respect des règles de droit international relatives à l'immunité de juridiction des
Etats étrangers ne sauraient êtreconsidéréescomme des limitations disproportionnées ; - 8 -

l'interdiction de la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants est une
valeur fondamentale des sociétésdémocratiques consacrée par une norme impérative de droit

pénalinternational ;

on relève dans la pratique récente des Etats une tendance à insister tout particulièrement sur
l'interdiction de la torture, mais on ne saurait affirmer qu'une règle de droit international

interdisant l'immunité de juridiction des Etats à l'égardde demandes en réparation portant sur
des dommages causéspar des actes de torture commis en dehors de l'Etat du for a vu le jour.

Il est donc nécessaire de préciser que l'existence d'une règle de droit coutumier opposable

aux entitésrelevant du droit international ne saurait êtredéduitedu cadre normatif ou juridictionnel
régissant la responsabilité pénale individuelle. Cette distinction est claire pour la Cour
internationale de Justice qui, dans plusieurs décisions (le 14 février2002 en l'affaire République
démocratique du Congo c. Belgique et le 3 février2006 en l'affaire République démocratique de

Congo c. Rwanda), a refusé d'admettre qu'une violation du jus cogens permettait de conférer
compétence pour juger un Etat.

Le jus cogens ne constitue pas non plus, si l'on suit le raisonnement des juristes, une sorte de

droit international supérieur, qui serait toujours destiné à prévaloir les autres normes
internationales, conventionnelles ou coutumières.

S'agissant du droit conventionnel international, même la récente Convention des

Nations Unies sur l'immunitéjuridictionnelle des Etats, qui a étéadoptéepar l'Assemblée générale
le 2 décembre 2004 et n'est pas encore entréeen vigueur, ne prévoit aucune dérogation au principe
de l'immunité des Etats en cas de violations des droits de l'homme, en dépit du fait que cette

question a étéexaminéepar un groupe de travail spécial.

Force est de conclure de ce qui précède qu'il est difficile d'affirmer qu'il se dessine, dans
l'ordre juridique international, des règles coutumières ou conventionnelles qui privent un Etat dont

la responsabilité civile est engagée en raison de la commission de crimes internationaux de
l'immunité de juridiction.

Le principe de conformité énoncéau paragraphe 1 de l'article 10 de la Constitution est donc
dépourvu de tout effet.

Nous ne pouvons pas davantage ignorer l'observation formulée par la Cour constitutionnelle
dans la décision no48 qu'elle a rendue le 12juin 1979 en l'affaire Russel selon laquelle le principe
de l'immunité de l'Etat, fondésur les normes internationales généralementreconnues et antérieures

à la date d'entrée en vigueur de la Constitution, prévaut également les droits fondamentaux
consacrés par celle-ci, en conséquence de quoi le mécanisme automatique de conformité ne joue
que dans le cas de normes nées après cette date (la décision rendue en l'affaire Russel a été

explicitement confirmée par la Cour de cassation dans son arrêtno 1530 du 3 août 2000 en l'affaire
Federazione italiana lavoratori trasporti et plus récemment par la première section pénale en
l'affaire Lozano).

Nous réaffirmons donc les positions adoptées dans les appels précédents au sujet de
l'incompétence des juridictions italiennes à l'égard de l'action intentée contre la République
fédéraled'Allemagne.

Cette conclusion est corroborée par le récent arrêtdu 16juin 2009 rendu en l'affaire Gras c.

France par la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg (dont les décisions ne
sauraient à présent êtrecontestées conformément au traitéde Lisbonne et aux décisions de la Cour
constitutionnelle nos348/2007 et 349/2007). Cet arrêtqui portait sur une situation identique -à - 9 -

savoir une action intentéecontre l'Allemagne en vue d'obtenir réparation pour des dommages subis

en conséquence de la déportation et du travail forcé- a réaffirmél'existence d'une règle de droit
coutumier relative à l'immunité de juridiction des Etats qui étaitgénéralementreconnue et qui, bien
que limitant l'accès aux juridictions, ne violait pas l'article 6 de la Convention.

PAR CES MOTIFS

Le ministère public affirme que les sections réuniesde la Cour suprêmede Cassation doivent

faire droit à l'appel formépar la République fédéraled'Allemagne et déclarer que les juridictions
italiennesn'ont pas compétence pour connaître des réclamations formulées contre l'appelant.

Rome, le 31 décembre 2009.

Substitut du procureur

(Signé) Pasquale CIECOLO. - 10-

ANNEXE2

CORTE DI CASSAZIONE

ARRÊT N° 285, 2 FÉVRIER 1953

17 ZEITSCHRIFT FÜR AUSLANDISCHESRECHT UNDVOLKERRECHT 317

Arrêt de la Cour de cassation italienne du 2 février 1953 1

Cour de cassation, Sections réunies,2 février1953, no285

Azara, président ; Liguori, rapporteur; Pittiruti, procureur général (conf.) ; Mittelmeer (adv,

Cavallo); Società Alti forni Acciaierie d'ltalia (adv. Falcone, Are, Baghi) -Ditta Cavinato (adv.
Giuriati, timburrini). Pourvoi en cassation, Venise, 22 juillet 1950.

Conformément à l'article 77 du traité de paix entre l'Italie et les puissances alliées, les
ressortissants italiens (les personnes physiques ou morales ou les entités de facto) ne peuvent
intenter d'action en justice contre l'Etat allemand au sujet d'accords conclus ou d'événements
survenus entre le 1erseptembre 1939 et le 8 mai 1945.

Les effets de la renonciation formulée par l'Italie au nom de ses propres ressortissants à
l'article 77 du traité susmentionné concernant les réclamations contre l'Etat et les ressortissants

allemands ne s'étendent à aucun codébiteurd'une autre nationalité.

[Texte caviardé.]

Droit : Selon le premier moyen soulevé, il y a eu une violation et une application erronée de
l'article 77 du traité de paix entre l'Italie, les alliés et les puissances associées signé à Paris le
10 février 1947 et entré en vigueur en Italie par voie du décret-loi du chef de l'Etat provisoire

no 1430 du 28 novembre 1947 concernant les paragraphes 1, 3 et 4 de l'article 360 du code de
procédure civile, puisque, l'Italie ayant renoncé à l'article 77, en son nom et au nom des
ressortissants italiens, à toute réclamation contre l'Etat et les ressortissants allemands qui n'était

pas régléeau 8 mai 1945, le tribunal, en première instance, puis la Cour d'appel auraient dû juger
que, comme suite à l'entrée en vigueur du traité, l'action intentée par la sociétéitalienne ILVA
contre la sociétéallemande Mittelmeer Reederei, ayant son siège à Hambourg, en vue d'obtenir

réparation pour des événementssurvenus pendant la guerre, était devenue irrecevable et que les
autoritésjudiciaires italiennes n'avaient pas compétence pour connaître de cette affaire.

Cet argument est bien fondé.

Aux termes de l'article 77 du traitéde paix entre l'Italie, les alliéset les puissances associées
du 10 février 1947, entréen vigueur en Italie par voie du décret-loi du 28 novembre 1947, à dater

de son entrée en vigueur (le 16 septembre 1947), les biens en Allemagne de l'Etat et des
ressortissants italiens ne seront plus considéréscomme bien ennemis (par. 1), les biens identifiables
que les forces armées ou les autorités allemandes ont enlevés, par force ou par contrainte, du
territoire italien et emportés en Allemagne après le 3septembre 1943 donneront lieu à restitution

(par. 2) et le rétablissement des droits de propriétéainsi que la restitution des biens italiens en
Allemagne seront effectués conformément aux mesures qui seront arrêtéespar les puissances
occupant l'Allemagne (art. 3). Le paragraphe 4 ajoute que

1Jurisprudence italienne 1953, partie I, section I, p. 317 et suiv. - 11 -

«[s]ans préjudice de ces dispositions et de toutes autres qui seraient prises en faveur de
l'Italie et des ressortissants italiens par les puissances occupant l'Allemagne, l'Italie

renonce, en son nom et au nom des ressortissants italiens, à toutes réclamations contre
l'Allemagne et les ressortissants allemands, qui n'étaientpas régléesau 8 mai 1945, à
l'exception de celles qui résultent de contrats et d'autres obligations qui étaient en

vigueur ainsi que de droits qui étaient acquis avant le 1erseptembre 1939. Cette
renonciation sera considérée comme s'appliquant aux créances, à toutes les
réclamations de caractère intergouvernemental relatives à des accords conclus au
cours de la guerre et àtoutes les réclamations portant sur des pertes ou des dommages

survenus pendant la guerre.»

Il s'agit donc d'une renonciation globale et généralede l'Italie et des ressortissants italiensà
toute réclamation contre l'Allemagne et les ressortissants allemands, à l'exception de celles

concernant des contrats ou d'autres obligations qui étaient en vigueur avant le 1erseptembre 1939.
Cette renonciation est pleinement valide dans la mesure où les traités internationaux étant
considéréscomme ayant étéconclus de bonne foi, ceux-ci doivent êtreinterprétéset appliqués

comme tels, et le traitédu 10 février194 7 étantdevenu intégralement et pleinement applicable en
Italiepar voie du décret-loi susmentionné, remplissant ainsi toutes les formalités nécessaires à la
régularisation de cet instrument dans la législation italienne, cette renonciation, transposée dans le
droit italienpar voie de la promulgation du traité, est opposable aux ressortissants italiens. La

question reste ouverte de savoir si, du fait de la renonciation, le Gouvernement italien est tenu de
réparer ses propres ressortissants de tout préjudice causépar cette renonciation, mais l'application
de celle-ci ne fait aucun doute.

Ayant ainsi établique, comme suite à la renonciation, les ressortissants italiens -expression
désignant notamment les personnes physiques et morales ainsi que les entités de facto - ne
peuvent formuler contre l'Allemagne et les ressortissants allemands- expression devant être

comprise comme ayant le mêmesens que celle employée pour désigner les personnes tenues de
respecter la renonciation -la moindre réclamation au sujet d'accords conclus ou d'événements
survenus après le 1erseptembre 1939 et avant le 8 mai 1945, étant donné que la réclamation

présentée par ILVA (sociétéitalienne) contre Mittelmeer Reederei (sociétéallemande) vise à
obtenir réparation à l'égard d'événements survenus précisément durant cette période, il ne fait
aucun doute que cette demande est irrecevable du fait de l'entrée en vigueur du traité de paix

contenant ladite renonciation. Le tribunal de première instance puis la Cour d'appel n'ayant pas
reconnu cette irrecevabilité et, partant, l'incompétence des juridictions italiennes pour connaître de
la demande en question, il est donc évident que les griefs sont bien fondés. Le défendeur a soulevé
plusieurs exceptions, tant généralesque spécifiques au présentdifférend, à cette conclusion, faisant

valoir que l'article 77 du traitéde paix étaitprivé d'effet et ne saurait en aucun cas s'appliquer en
l'espèce.

Il maintient au premier chef que la renonciation formulée à l'article 77 est inopérante au

motif que, le principe de réciprocitéétantla pierre angulaire du jus gentium, celle-ci aurait dû, pour
avoir plein effet, êtrecomplétéepar une renonciation inverse et correspondante dans le traité de
paix avec l'Allemagne, toujours infieri, et aussi parce que, la renonciation étant contenue dans une

disposition en faveur de tiers, elle aurait dû êtreacceptée par ces derniers, ce qui n'est le cas ni de
l'Allemagne ni de Mittelmeer Reederei. En outre, cette dernière aurait, indépendamment de
l'entrée en vigueur du traité de paix entre l'Italie, les alliés et les puissances associées,
expressément accepté la compétence italienne et ne saurait, en vertu des dispositions, lues

conjointement, du paragraphe 1 de l'article 4 et de l'article 37 du code de procédure civile,
contester cette compétence.

Cela étant,aucun argument ne permet en aucune façon de conclure que la clause en question

est dépourvue d'effet. Il est toutà fait vrai que normalement un traitéinternational ne doit ni porter
préjudice ni favoriser un tiers et que lorsqu'un traitécontient une clause en faveur d'un tiers, étant
donné que cette clause doit être considérée comme ayant étéconclue au nom de celui-ci, - 12 -

l'acceptation du tiers est requise pour la rendre opérationnelle; mais si nous gardons à l'esprit que
de tels principes s'appliquent lors de la rédaction et de la conclusion d'un traitésur la base d'une

parité absolue, force est de constater que ces principes ne sauraient êtrelégitimement invoqués à
l'égard du traité du 10 février 1947, compte tenu de la position désavantageuse dans laquelle se
trouvaient l'Italie et l'Allemagne par rapport aux alliés et aux puissances associées après les
armistices de 1943 et 1945. A cela s'ajoute le fait que rien n'empêcheun Etat non partie au traité,

ou les ressortissants de cet Etat, de se prévaloir d'une disposition rédigéeen leur faveur puis
transposée dans le droit d'un pays à qui elle a étéimposée et de l'invoquer devant les juridictions
de ce pays. Si nous considérons ensuite que l'acceptation expresse ou tacite de la compétence
italienne par un Etat tiers, et l'impossibilité qui en découle de soulever une exception

d'incompétence, implique nécessairement que la compétence existe en théorie, situation qui ne se
pose pas en l'espèce, compte tenu de ce qui précède, force est de constater qu'il est impropre
d'invoquer le paragraphe 1 de l'article 4 et l'article37 du code de procédure civile pour réfuter
1'exception d'incompétence des juridictions italiennes pour connaître des demandes formulées par

ILVA.

S'agissant en particulier du présent différend, il est ensuite alléguéque la renonc1at10n
contenue à l'article 77 dudit traitédoit êtrejugée inapplicable en l'espèce puisqu'elle a trait à des

réclamations contre l'Allemagne et des ressortissants allemands portant sur des pertes ou des
dommages survenus durant la guerre qui n'étaient pas régléesau 8 mai 1945, et que outre le fait
que Mittelmeer n'est ni l'Allemagne ni une personne physique ayant les attributs d'un ressortissant,

la réclamation formulée contre cette sociétén'est devenue pendante que le 19 septembre 1945, date
d'introduction de la procédure qui ne concerne pas des réparations pour des pertes ou des
dommages subis durant la guerre mais des sanctions civiles relatives à la violation d'un contrat
ayant trait à sa gestion commerciale en Italie. En outre, l'exception devrait, en tout étatde cause,

êtreécartéeétantdonné qu'il n'a pas étéinvoquéde grief précislors de l'arrêtd'appel précédent.

Toutefois, il semble que mêmeces arguments soient dépourvus de fondement. En effet,
étant donné qu'il convient de considérer que l'expression «ressortissants» désigne, comme nous

l'avons déjà dit, non seulement les personnes physiques mais aussi des personnes morales et des
entités de facto et étant donné qu'il est établi que Mittelmeer est une société enregistrée
conformément à la loi, la renonciation en question, contrairement aux affirmations du défendeur, ne
s'applique pas uniquement aux réclamations en justice qui n'étaientpas régléesau 8 mai 1945 mais

à toutes les réclamations existant à cette date et, en tout état de cause, concernant des accords
conclus ou des événements survenus après le 1erseptembre 1939. Tel est bien le sens de
l'expression «a qualsiasi domanda» employée à l'article 77 du traité en question, lequel est
confirmé par le texte anglais du traité, publié dans le supplément du journal officiel no295 du

24 décembre 1947, dont l'expression correspondante est «all daims» («toutes réclamations»).
Etant donné que la primauté de l'irrecevabilité de l'action revient dans les faits à une véritable
exception d'incompétence, il est clairement erronéde maintenir que l'exception est rejetée au motif
qu'elle n'a pas étésoulevéedans les phases précédentesde la procédure sur le fond.

Vu qu'il découle de ce qui précèdeque, comme suite à l'entrée en vigueur du traitéde paix
du 10 février 1947, l'action engagée par ILVA contre Mittelmeer ne pouvait êtrepoursuivie en
justice et étant donné qu'il convient de faire droit aux exceptions soulevées dans le moyen en

question et d'y rattacher celles soulevées dans les deuxième et troisième moyens, l'arrêtd'appel,
dans la mesure où il a trait à Mittelmeer, est cassésans possibilité d'appel.

[Texte caviardé.]

L'on ne saurait davantage parvenir à une autre conclusion concernant l'appel incident formé
par Cavinato et joint à celui de Mittelmeer. Dans cet appel, il est alléguéque si l'action engagée
par ILVA contre Mittelmeer est jugée irrecevable en vertu de l'article 77 du traité de paix entre

l'Italie et les alliés et les puissances associées, cette irrecevabilité devrait avoir pour effet de
dégager Cavinato de ses obligations, compte tenu du fait que l'exception relève incontestablement - 13-

de l'ordre public. Toutefois, cette question est dépourvue de fondement du simple fait que, la
renonciation de l'Italie, également formulée au nom de ses ressortissants, étant limitée aux

réclamations contre l'Allemagne et les ressortissants allemands, sa portée ne saurait êtreétendue au
moindre codébiteur d'une autre nationalité. Il a certes étéobservé que bien que le tribunal ait
reconnu que Cavinato étaiten droit d'obtenir de Mittelmeer la somme devant êtrepayée à ILVA,
une telle décision ne pouvait pas êtreappliquée dans la pratique, en dépit du fait qu'elle était

devenue res judicata en vertu de l'article 77 du traitéde paix; toutefois, bien que cette affirmation
puisse poser problème en théorie, elle ne permet à l'évidence pas d'étendre les effets de ladite
renonciation au-delà des limites prévuesdans la disposition qui l'incorpore.

[Texte caviardé.] - 14-

ANNEXE3

BUNDESGERICHTSCHOF

ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 1955

ENTSCHEIDUNGEN DES BUNDESGERICHTSHOFS IN ZIVILSACHEN (BGHZ) 19, 258

Traduction anglaise : 22 ILR 611

[Traduction}

Traités-Application -Effets sur les droits des personnes -Traité de paix contenant une
renonciation aux droits des personnes -Traité de paix avec l'Italie, 1947 -Traité contenant une

renonciation aux réclamations formulées par des ressortissants italiens contre des ressortissants
allemands -Allemagne non partie au traité-Accord de Londres sur les dettes extérieures
allemandes, 1953 -Accord sur les dettes prévoyant l'application des clauses pertinentes du traité

de paix avec l'Italie-Question de savoir si un ressortissant italien est en droit de faire valoir une
réclamation contre un ressortissant allemand devant les juridictions allemandes.

Affaire de l'accord sur les dettes extérieures allemandes

Cour suprêmefédérale,Républiquefédéraled'Allemagne, le 14 décembre1955

EN FAIT -Conformément à la disposition pertinente de l'accord de Londres du
27 février 1953 sur les dettes extérieures allemandes, toutes les réclamations formulées par des
ressortissants des pays alliés de l'Allemagne durant la deuxième guerre mondiale (y compris les

ressortissants italiens) contre des ressortissants allemands 1'égard de dettes contractées entre le
1erseptembre 1939 et le 8 mai 1945 doivent êtretraitées conformément aux dispositions contenues
dans les «traités pertinents», notamment le traité de paix avec l'Italie du 10 février 1947, dont le

paragraphe 4 de l'article 77 prévoitque :

«l'Italie renonce, ... au nom des ressortissants italiens, à toutes réclamations
contre ... les ressortissantsallemands, qui n'étaient pas réglées au 8 mai 1945, à

l'exception de celles qui résultent de contrats ... qui étaient en vigueur ... avant le
1erseptembre 1939».

Cette renonciation porte sur toutes les réclamations relatives à des pertes ou des dommages

nésdurant la guerre, à savoir entre le 1erseptembre 1939 et le 8 mai 1945.

Le plaignant, un ressortissant italien, a introduit une action contre le défendeur, une société
allemande, au sujet du paiement d'une somme d'argent due en partie en vertu de contrats conclus

entre les parties entre leerseptembre 1939 et le 8 mai 1945 et en partie en raison de pertes ou de
dommages survenus durant cette période. Le plaignant a fait valoir qu'aucune renonciation de
1'Italie au nom des ressortissants italiens ne pouvait avoir d'effet sur son droit d'action étantdonné
que le traité de paix avec l'Italie conclu entre celle-ci et les puissances alliées était, pour

l'Allemagne et les ressortissants allemands, res inter alios acta. Le défendeur a fait valoir que
l'accord de Londres sur les dettes du 27 février 1953, auquel l'Allemagne était partie et selon
lequel les réclamations de cette nature devaient être traitées conformément aux dispositions

contenues dans les «traitéspertinents», faisait jouer le paragraphe 4 de l'article 77 du traitéde paix
avec l'Italie, de sorte que la présente réclamation ne relevait plus du plaignant, lequel n'était,n
conséquence, plus habilité à poursuivre son action devant les juridictions allemandes. - 15 -

Dit:

que l'action du plaignant ne pouvait êtremaintenue devant les juridictions allemandes étantdonné
qu'en vertu de la renonciation contenue dans le traitéde paix avec l'Italie, le plaignant avait perdu
le droit de faire valoir sa réclamation.

La Cour a déclaréque le paragraphe 4 de l'article 77 du traitéde paix avec l'Italie, signépar
celle-ci à Paris le 10 février1947, prévoyaitce qui suit :

«Sans préjudice de ces dispositions et de toutes autres qui seraient prises en
faveur de l'Italie et des ressortissants italiens par les puissances occupant l'Allemagne,

l'Italie renonce, en son nom et au nom des ressortissants italiens, à toutes réclamations
contre l'Allemagne et les ressortissants allemands, qui n'étaient pas réglées au
8 mai 1945, à l'exception de celles qui résultent de contrats et d'autres obligations qui

étaient en vigueur ainsi que de droits qui étaient acquis avant le 1erseptembre 1939.
Cette renonciation sera considéréecomme s'appliquant aux créances, à toutes les
réclamations de caractère intergouvernemental relatives à des accords conclus au
cours de la guerre et à toutes les réclamations portant sur des pertes ou des dommages

survenus pendant la guerre.»

Ce traité est devenu opposable aux ressortissants italiens par voie du décret no 1430 du
28 novembre 1947. Les chambres civiles réunies de la Cour de cassation italienne ont donc jugé,

dans l'arrêtno285 du 2 février1953, que la renonciation contenue dans le traité de paix était
pleinement valide et applicable à ceux-ci. Selon l'arrêt, le traité contenait une renonciation
intégrale de l'Italie et des ressortissants italiens à toute action contre l'Allemagne et les
ressortissants allemands, à l'exception de celles concernant des obligations antérieures au

1erseptembre 1939. Il s'ensuit que si le plaignant devait poursuivre son action devant les
juridictions italiennes, celle-ci serait vouée à l'échec parce que, comme l'a déclaréla Cour de
cassation, les ressortissants italiens ne peuvent introduire d'instance contre l'Etat ou les
ressortissants allemands au sujet d'accords conclus ou de faits survenus après le 1erseptembre 1939

et avant le 8 mai 1945, les juridictions italiennes n'ayant plus compétence à l'égardde réclamations
de cette nature. L'action ne saurait davantage aboutir devant les juridictions allemandes. Il est vrai
que l'Allemagne n'a pas signé le traité de paix avec l'Italie en tant que tel et ne l'a jamais
promulgué dans sa législation. En revanche, les juridictions allemandes doivent donner effet à la

renonciation contenue dans le traité de paix, conformément au paragraphe 4 de l'article 5 de
l'accord de Londres sur les dettes. Ce paragraphe prévoit que les réclamations formulées contre
l'Allemagne ou les ressortissants allemands par des Etats alliés du Ille Reich et par les
ressortissants de ces Etats après le 1erseptembre 1939 au sujet de dettes contractées entre le

1erseptembre 1939 et le 8 mai 1945 ou de droits acquis durant cette période doivent êtretraitées
conformément aux dispositions prévues dans les traités pertinents. L'accord sur les dettes a été
approuvé par le Parlement et incorporé dans la législation interne le 24 août 1953. Il a donc force

de loi dans la République fédérale. Les réclamations du plaignant entrent dans le champ du
paragraphe 4 de l'article 77 du traité de paix avec l'Italie. Elles résultent en partie de contrats
conclus et en partie de pertes ou dommages subis durant la guerre. Il découle du paragraphe 4 de
l'article 77 du Traitéque le plaignant a perdu le droit de formuler les réclamations présentéesdans

la présente espèce.

Le deuxième Sénat civil de la Cour suprême a estimé que (cf. BGHZ, vol. 16, p. 207)
lorsque les traités contiennent des renonciations, les créances concernées s'éteignent à la

conclusion du traité de paix y relatif. En revanche, le premier Sénat civil de la Cour suprêmea
jugé(cf. BGHZ, vol. 18, p. 22) que l'article 5 de l'accord de Londres sur les dettes a le mêmeeffet
juridique -pour ce qui est des créances ne relevant pas de l'accord sur les dettes et ce jusqu'à ce

qu'une disposition spécifique soit prévue par un accord international- qu'un moratoire conclu
pour une duréeillimitée. Selon cette position, la date d'échéancedes créances est provisoirement
prorogéeet les créancesdoivent êtreécartéescomme «n'étantpas encore échues». - 16 -

L'arrêtdu deuxième Sénatcivil portait sur la réclamation d'une sociétéautrichienne et a été
rendu avant la conclusion du traité avec l'Autriche. L'arrêtdu premier Sénat civil portait sur la

réclamation d'une sociétéde transport suédoiseau titre du paragraphe 3 de l'article 5 de l'accord de
Londres sur les dettes. La question, dont nous sommes actuellement saisis, de savoir si la
réclamation d'un ressortissant italien subsiste toujours et si elle peut êtreprésentéedevant une
juridiction allemande doit êtretranchéeconformément au paragraphe 4 de l'article 5 de l'accord de

Londres sur les dettes, en invoquant le seul paragraphe 4 de l'article 77 du traité de paix avec
l'Italie. On peut se demander si, s'agissant du sens et du but de cette dernière disposition, nous
devons approuver l'opinion du deuxième Sénat -formulée, soit dit en passant, qu'à titre

d'obiter- selon laquelle les réclamations des créanciers italiens se sont complètement éteintes du
fait de la renonciation. C'est uniquement dans leur propre intérêtque les Puissances alliées ont
absolument tenu à ce que l'Italie fasse cette renonciation. Elles voulaient éviterune diminution de
la capacité de paiement de l'Allemagne, qui aurait eu lieu si elles avaient laissé les réclamations

des anciens alliés de l'Allemagne et de leurs ressortissants avoir une incidence sur leurs propres
réclamations et sur celles de leurs ressortissants. La renonciation n'étaitpas destinéeà favoriser les
débiteurs, ni à régler le problème de manière définitive, parce que le paragraphe 4 de l'article 77
prévoit expressément que la renonciation est sans préjudice des dispositions qui seraient prises en

faveur de l'Italie et des ressortissants italiens par les Puissances occupant l'Allemagne ... La Cour
de cassation italienne, dans la décision susmentionnée, s'est bornée à dire que les réclamations ne
relevaient pas de la compétence des juridictions italiennes. Point n'est besoin ici de déterminer
l'effet juridique précisde la renonciation dans le domaine du droit civil. Il n'est pas douteux que,

conformément au sens et au but de la renonciation de l'Italie, le plaignant n'a plus le droit de faire
valoir sa réclamation. Si elle n'a pas étéentièrement éteinte et si une obligation financière survie
en la personne du débiteur, il appartient alors à la République fédérale,qui exerce une autorité

judiciaire sur le débiteur, de déterminer quel est le créancier habilité à faire valoir la réclamation.
Le plaignant, au vu de ce qui précède,n'est pas en droit d'introduire une action en paiement ou une
action visant à déclarer qu'une somme d'argent est due.

[Report: NJW, 9 (1956), p. 343]

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