Traduction

Document Number
133-20090309-ORA-01-01-BI
Parent Document Number
133-20090309-ORA-01-00-BI
Bilingual Document File
Bilingual Content

Non-Corrigé Traduction
Uncorrected Translation


CONI

CR 2009/6 (traduction)

CR 2009/6 (translation)

Lundi 9 mars 2009 à 10 heures

Monday 9 March 2009 at 10 a.m.

∗Reissued for technical reasons. - 2 -

8 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Je commencerai par noter

que le juge Shi, pour des raisons qu’il m’a fait connaître, n’est pas en mesure de siéger aujourd’hui.

La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre la République du Costa Rica en son second tour

d’observations orales. Je donne maintenant la parole à M. Crawford.

M. CRAWFORD :

1. Q UESTIONS GÉNÉRALES D ’INTERPRÉTATION

Introduction

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, dans cette première plaidoirie, j’examinerai

trois points qui revêtent un caractère général, sous lesquels je regrouperai les arguments exposés la

semaine dernière par différents conseils du Nicaragua.

A. Souveraineté et droit perpétuel de libre navigation

2. Le premier point est la relation entre souveraineté et droit perpétuel de libre navigation.

M.Brownlie l’a traité en détail 1 ⎯sans, toutefois, toujours éviter de verser dans la caricature

lorsqu’il rend compte de notre position. Ainsi nous a-t-il attribué l’idée que «le droit de navigation

énoncé dans le traité de1858 [serait], d’ une certaine manière, absolu ou impératif» (absolute or

2
peremptory) . En réalité, le mot «peremptory» (impératif) n’apparaît à aucun moment dans le

mémoire ou la réplique. L’adjectif «absolute» (abs olu) apparaît quatre fois dans l’original anglais

⎯ trois fois lorsque le Costa Rica cite l’arrêt de la Cour de justice centraméricaine affirmant que la

propriété exercée par le Nicaragua sur le fleuve n’est «ni absolue ni illimitée» 3, et une fois pour

indiquer que la souveraineté du Nicaragua n’est pas absolue, mais sujette à des limitations établies

4
par le traité . Les paragraphes de la réplique qu’a cités M. Brownlie énoncent que le Nicaragua ne

saurait restreindre le droit de navigation du Cost aRica, mais sans laisser entendre que le droit

1CR 2009/4, p. 19-20 (par. 4-9) et p. 29-35 (par. 46-67) (Brownlie).
2
Ibid., p. 30 (par. 53) (Brownlie), citant la RCR, par. 3.13-3.25.
3Mémoire du Costa Rica (MCR), par. 2.46 ; RCR, par. 2.10 ; RCR, par. 3.33.

4Réplique du Costa Rica (RCR), par. 3.09. - 3 -

conventionnel exercé par le Costa Rica prévaudrait sur la souveraineté du Nicaragua. Les

deux coexistent, comme ils coexistent à l’article VI du traité.

3. Cependant, je relèverai ic i que M.Brownlie a donné à entendre que l’emploi du mot

«impératif» pourrait se justifier ⎯ pas impératif au sens de l’article 53 de la convention de Vienne,

9 mais «impératif» au sens de quelque chose dema ndé ou exigé de plein droit; quelque chose dans

lequel il n’y a pas à s’immiscer. La Cour permanente a, dans l’affaire du Vapeur Wimbledon,

utilisé l’expression «caractère général et impératif» à propos de l’article 380 du traité de Versailles,

qui disposait que le canal de Kiel «ser[ait] toujours libr[e] et ouver[t] … aux navires de guerre et de

commerce de toutes les nations en paix avec l’Allemagne» ( Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923,

o
C.P.J.I. sérieA n 1, p.21): à l’évidence, les navires de commerce au sens de l’article380

comprenaient les navires transportant des passagers. L’article VI du traité de limites est bilatéral,

et non général, mais il n’en a pas moins un caract ère impératif au sens où la Cour permanente

employait ce terme.

4. (Onglet 52.) En 1858, le Costa Rica a expressément reconnu la souveraineté du Nicaragua

sur les eaux du fleuve SanJuan. Mais cette souve raineté est conditionnée par les droits de libre

navigation accordés au Costa Rica. Le Nicaragua l’a affirmé lui-même dans son contre-mémoire :

«Le droit de libre navigation apparaît comme une réserve à la souveraineté du
Nicaragua et est introduit par le terme «per o» (toutefois). Par conséquent, un droit

particulier du Costa Rica est présenté comme une réserve restreignant le droit général
attribué (sous la forme de titre [«dominio»] et de souveraineté [«sumo imperio»]) au
Nicaragua.» 5

Comme vous pouvez le voir à l’écran (onglet 52 de vos dossiers de plaidoiries), c’est le Nicaragua

lui-même qui a mis l’accent sur le mot «réserve». Son «dominio y sumo imperio» est présenté,

dans cette même phrase, comme limité par les droits de libre navigation du Costa Rica.

5. Le CostaRica souscrit à l’analyse développée dans ces passages du contre-mémoire

⎯ mais pas, apparemment, le Nicaragua ! A présent, la souverainet é primerait sur les droits — le

général prévaudrait sur le particulier. Ainsi, selon M. Brownlie,

«quelles que puissent être la nature et la portée précises des droits du Costa Rica …, le

Nicaragua doit avoir compétence exclusive pour exercer les pouvoirs de
réglementation suivants :

5
Contre-mémoire du Nicaragua (CMN), par. 2.1.48. - 4 -

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

e) maintenir les dispositions du traité qui prescrivent les conditions de navigation

conformes à ce traité, c’est-à-dire maintenir la discipline du traité en tant que tel,

6
de même que les dispositions de la sentence Cleveland» .

6. C’est là ⎯et je le dis avec tout le respect dû à mon contradicteur ⎯ une déclaration

inouïe ! Le Nicaragua devrait avoir «compétence exclusive» pour «maintenir la discipline du traité

en tant que tel». Voilà qui s’appare nte selon moi à de l’auto-interprétation ⎯ meilleur moyen de

favoriser l’indiscipline, et non la discipline ; et certainement pas le respect du droit international.

10 7. Ce n’est pas ainsi que la Cour permanente, votre devancière, comp renait la relation entre

souveraineté et obligation dans le contexte des droits de transit. Dans l’affaire du Vapeur

Wimbledon, l’Allemagne avait fait valoir que les dis positions d’un traité devaient être interprétées

de manière restrictive parce qu’elles portaient atteinte à sa souveraineté. Or la Cour ⎯ dans un des

passages les plus célèbres de sa jurisprudence ⎯ s’est

«refus[ée] à voir dans la conclusion d’ un traité quelconque, par lequel un Etat

s’engage à faire ou à ne pas faire quelque chose, un abandon de sa souveraineté. Sans
doute, toute convention engendrant une obliga tion de ce genre apporte une restriction
à l’exercice des droits souvera ins de l’Etat…mais la faculté de contracter des

engagements internationaux est précisément un a ttribut deola souveraineté de l’Etat.»
(Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A n 1, p. 25.)

8. M. Brownlie a cité un autre dictum célèbre, puisé cette fois dans l’arrêt rendu par la Cour

en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Temple de Préah Vihéar (C ambodge c. Thaïlande), fond,

arrêt, C.I.J.Recueil1962 , 34) 7, qui concerne le caractère définitif des règlements de frontières et

qu’il a commenté ainsi :

«En l’espèce, l’analogie avec l’affaire du Temple découle non de la ligne
frontière en tant que telle mais du risque que constituerait un régime de navigation qui
introduirait un élément de porosité et d’inst abilité juridiques dans une attribution de
8
territoire claire par ailleurs.»

9. Mais, ici, c’est le traité de 1858 lui-même qui autorise expressément un droit perpétuel de

libre navigation, navigation qui est elle-même une «procédure constamment ouverte», ou devrait

l’être. M. Brownlie vous invite à donner effet à la frontière définie dans la première partie de

6 CR 2009/4, p. 35-36, par. 67.
7
CR 2009/4, p. 20, par. 7.
8 CR 2009/4, p. 20, par. 8. - 5 -

l’article VI mais à interpréter de manière restrictiv e, sinon à vider de toute substance, le régime de

libre navigation introduit en espagnol par le mot «pero» (toutefois) et énoncé dans la seconde partie

de l’articleVI ainsi que dans d’autres passages du traité. C’est le Nicaragua qui s’emploie, ce

faisant, à opérer une revision ⎯ par opposition à une interprétation ⎯ du règlement de 1858.

B. N ATURE DU TRAITÉ DE LIMITES

10. Voilà qui me mène à mon deuxième point d’ordre général ⎯la nature du traité de

limites. A cet égard, le Nicaragua a présenté trois grands arguments.

a) Le «climat de contrainte» allégué par le Nicaragua

11. Le premier de ces arguments a été avancé en ces termes par l’éminent agent du

Nicaragua: «Au cours des trente a nnées qui suivirent la signature de ce traité, le fait qu’elle soit

11 intervenue dans un climat de contrainte suscita un fort ressentiment au Nicaragua.» 9 Certes, les

circonstances entourant la conclusion du traité de limites attestent l’existence d’un réel conflit sur

des questions ayant trait au tracé d’un canal, mais e lles sont bien loin d’établir l’existence d’une

contrainte, voire seulement d’ un climat de contrainte ⎯quant à moi, je ne sais ce que je préfère,

une contrainte ou un climat de contrainte. Trois faits, que j’ exposerai rapidement, viennent

démentir cette allégation…

12. Premièrement, les négociations ont eu lieu sous la médiation du représentant d’un Etat

neutre ⎯ le Salvador⎯, qui a également fait office de contresignataire. J’invite la Cour à prendre

connaissance de l’acte additionnel qui accompagne le traité de limites, dans lequel les négociateurs

expriment leur «gratitude» pour l’assistance «e stimable» et «impartial[e]» fournie par le

10
médiateur . Nulle trace, donc, de contrainte.

13. Deuxièmement, le décret du président du Nicaragua portant approbation et ratification du

traité de limites précisait expressément que celui-ci avait été conclu par le général Jerez de manière

9
CR 2009/4, p. 11, par. 13 (Argüello).
10MCR, annexe 7, p. 52-53. - 6 -

«pleinement conforme aux instructions qui lui avaient été communiquées à cette fin», constat que

le congrès nicaraguayen a par la suite avalisé 11.

14. Troisièmement, le Nicaragua lui-même n’a pas pl aidé la contrainte devant le

présidentCleveland, mais invoqué des argume nts constitutionnels dont GeorgeRives a estimé

12
qu’ils ne «p[ouvaient] être retenu[s]» .

15. Soit dit en passant, il nous a été donné à entendre, la semaine dernière, que Rives

partageait l’appréciation selon laquelle le traité aurait été inéquitable et injuste envers le

13
Nicaragua . Certainement pas! Dans le seu l passage de son rapport assimilable à un

commentaire sur le traité, Rives notait ceci :

«[L]e fait que le CostaRica ait, durant cette même période de près de
vingtannées [1838-1858], prétendu exercer sa souveraineté sur un territoire plus

étendu que ce qu’il a obtenu en vertu du traité de limites ressort clairement du «décret
sur les fondements et garanties» du8mars1841 ⎯qui proclame que le territoire du

CostaRica es14délimité par la rivière LaFlor, la rive du lac Nicaragua et le fleuve
San Juan» .

12 b) La «théorie Nicoya» est fausse ⎯ en tout état de cause, elle est dépourvue de pertinence aux
fins de l’interprétation du traité

16. Le deuxième argument présenté à cet égard par le Nicaragua est ce que j’appellerai la

«théorie Nicoya». Il a été exposé pour l’essentiel pa r M.Brownlie, mais avec le loyal soutien de

M. l’ambassadeur Argüello et de M. McCaffrey.

17. Le Nicaragua a produit une carte attribuée à Fermin Ferrer, qui accorde à la province

15
costa-ricienne de Guanacaste, assimilée à tort à Nicoya, un territoire surdimensionné . Ce que le

Nicaragua omet de mentionner, c’est que M.Ferre r était l’un des associ és de WilliamWalker, le

tristement célèbre flibustier, pour le compte duquel il fut successivement président par intérim et

ministre des affaires étrangères. Si l’on tient compte des visées notoires de Walker ⎯ faire main

basse non seulement sur le Nicaragua mais également sur le site d’un futur canal et, à terme, le

11 Ibid., annexe 207, p. 53.

12 Premier rapport de George L. Rives, 2 mars 1888, CMN, annexe 70, p. 7, 13, 15, 17.
13
CR 2009/5, p. 34, par. 21 (McCaffrey).
14 Premier rapport de George L. Rives, op. cit., p. 7.

15 CR 2009/4, p. 24, par. 22-23, (Brownlie). - 7 -

reste de l’Amérique centrale ⎯, l’on ne s’étonnera pas que, sur cette carte, Guanacaste s’étende, à

16
l’est, jusqu’à la mer des Caraïbes et, au sud, jusqu’au Río Colorado .

18. (Onglet 53.) Vous voyez apparaître à l’ écran le graphique établi par M.Brownlie

lui-même à partir de la carte de Ferrer. M.Brownlie nous a présenté la zone qui apparaît en vert

comme étant le «département de Nicoya av ant la conclusion du traité». Or, rien ⎯ ou presque ⎯,

dans cette carte, n’est exact. Le Nicaragua fait valoir que cette vaste zone lui a été enlevée de

17
manière illicite en1824 , en violation du principe de l’ uti possidetis, et que sa cession, ou son

18
abandon, par le Nicaragua est à la base du compromis inique que serait le traité de limites .

19. Je commencerai par relever qu’il n’y a eu aucune violation de l’ uti possidetis. Ce n’est

pas la première fois, dans l’histoire de l’Amérique latine, qu’une unité administrative était détachée

d’un territoire pour être intégrée à une autre, ou traitée comme distincte ⎯le Chiapas en est un

autre exemple. Sur le principe de l’uti possidetis, je prierais la Cour de se référer à nos écritures 19.

20. Le rattachement de Nicoya au Costa Rica fut librement décidé par sa population ⎯ il n’y

eut pas d’appropriation illicite ou d’usurpation. Le rattachement fut approuvé par les habitants de

Nicoya à pas moins de sept reprises 20. Il fut confirmé par le Congrès de la fédération d’Amérique

21 22
centrale en 1825 . M.Brownlie a fait grand cas de l’expression «[p]our l’instant», utilisée à

13 l’article1 du décret du Congrès. En réalité, la suite de ce même article apporte l’éclaircissement

voulu: «Pour l’instant, et jusqu’à ce que la démarcation du territoire de chaque Etat, telle qu’elle

est prévue par l’articleVII de la Constitution, so it effectuée…» L’articleVII disposait que la

démarcation des Etats intérieurs serait effectu ée par loi spéciale dès lors que les données requises

23
seraient disponibles . S’il ne fut jamais mis en Œuvre, le processus visé à l’articleVII était bien

un processus de démarcation, et non un processus consistant à retransférer à une province

réfractaire une population rétive. Comme l’a ffirmait Rives dans son rapport, «en 1858, le

16A propos de Ferrer, voir http://es.wikipedia.org/wiki/Ferm%C3%ADn_Ferrer.

17CR 2009/4, p. 10, par. 8 (Argüello).
18
CR 2009/4, p. 28, par. 40-41 (Brownlie).
19
RCR, par. 1.23, et app. 1, par. A15-A28.
20RCR, par. A.17.

21CMN, annexe 55 ; RCR, annexe 5 ; RCR, par. A.17.

22CR 2009/4, p. 25, par. 25-26.
23
www.asamblea.gob.ni/opciones/constituciones/1824-11-22.doc ; Premier rapport Rives, CMN, annexe 70, p. 4. - 8 -

CostaRica était en possession ininterrompue du di strict de Nicoya, en vertu d’un titre, qu’il

revendiquait depuis plus de trente-deux ans» 24.

21. La question de Nicoya se posa au président Cleveland de la manière suivante. Si Nicoya

faisait partie du Nicaragua avant 1858, sa cession, sans l’approbation des différents congrès, était

contraire à la constitution ⎯auquel cas le traité de limites ét ait nul. Rives, dans son premier

rapport, examina donc en détail cette question.

22. Selon Rives,

«[l]e district de Nicoya se trouve du côté Pacifique du continent et a globalement la
forme d’un triangle, dont le sommet est au sud. Il est bordé à l’ouest par l’océan

Pacifique et à l’est par le golfe de Nicoya et le Río del Salto…, petit cours d’eau qui
débouche dans le fond du gol fe et prend sa source non loin de la rive sud du lac
Nicaragua.» 25

La limite nord du district était constituée par le lac et (selon le Costa Rica) le Río La Flor, encore

que Rives n’eût pas été appelé à la fixer. Rives n’était pas davantage appelé à déterminer le tracé

de la ligne reliant la source du Río del Salto à «l ’embouchure du fleuve San Juan au niveau du port

de San Juan del Norte», mais n’en affirma pas mo ins qu’il n’y avait «nullement lieu de croire que

26
ce dût être une ligne droite» ⎯ à fortiori, la ligne droite figurée aujourd’hui par M. Brownlie.

23. (Onglet54.) Ce qui est clair, c’est que Nicoya n’aurait pu, contrairement à la

représentation qu’en fait le Nicaragua, s’étendre jusqu’à l’embouchure du Río Colorado. «Le

district de Nicoya se trouve du côté Pacifique du continent», comme l’écr ivait Rives; et même

lorsque Nicoya relevait de la capitainerie générale du Guatemala, sa limite, sur les cartes, s’étendait

du nord du Río del Salto au lac. Vous trouverez l’une de ces cartes à l’onglet 54 de vos dossiers de

14 plaidoiries 2. Tout à fait indépendamment de Nicoya, la frontière nord du CostaRica suivait le

28
cours du Desaguadero, ainsi qu’indiqué dans la charte royale de 1573 .

24Premier rapport Rives, CMN, annexe 70, p. 5 [traduction du Greffe].
25
Ibid., p. 3 [traduction du Greffe].
26
Ibid., p. 6 [traduction du Greffe].
27Voir : http://books.google.nl/books?id=iACOaiasV1oC&printsec=frontcover&dq=rio…+
obregon&hl=fr.

28Charte royale de Diego de Artieda, CMN, annexe 86. - 9 -

24. M.Brownlie a affirmé, une fois de plus, que «le fleuve SanJuan de Nicaragua

29
appartenait exclusivement à la province du Nicaragua depuis 1573» . C’est faux. Officiellement,

le Nicaragua n’a acquis un titre territorial sur la côte caraïbe qu’en 1745 et encore celle-ci était-elle

alors occupée par les Indiens Mosquitos dans le cadre d’un protectorat britannique qui ne prit fin

qu’en 1860. En 1858, le Nicaragua ne détenait pas le port de San Juan del Norte. Cela apparaît à

l’article V du traité de limites.

25. Au bout du compte, Rives conclut que la Constitution nicaraguayenne de 1838 «n’avait

30
pas définitivement fixé les frontières de l’Etat» et que le traité de 1858 était «un simple traité de

limites, définissant des frontières litigieuses, et non un traité impliquant une cession de territoire et

31
un amendement à la Constitution» . Il s’ensuit que le traité de limites était valable ⎯ conclusion

confirmée par le président Cleveland et qui compte au nombre des éléments revêtus de l’autorité de

la chose jugée en l’espèce.

26. Ainsi, le Nicaragua abandonna en1858 sa revendication sur Nicoya, mais il obtint la

zone située au sud du Río La Flor, une bande de territoire longeant la rive sud du lac, qui lui valut,

pour la première fois, le contrôle intégral sur celui-ci, ainsi que sur la totalité du cours du San Juan.

Ce n’était pas là un règlement inéquitable.

c) Les véritables buts et objets du traité de limites

27. Cela m’amène au troisième point ⎯l’objet et le but du traité de limites. M.Brownlie,

fidèle à la thèse sur Nicoya, l’a décrit comme concernant exclusivement la souveraineté territoriale.

28. Mais c’est nier l’évidence même. L’évidence ⎯le but évident du traité ⎯ c’était le

canal interocéanique. C’est pourquoi il fallait a ssurer la défense commune des baies communes à

15 chaque extrémité du tracé proposé pour le canal et prévoir, à l’article IX, la démilitarisation le long

de cette voie. C’est pourquoi la frontière to talement nouvelle passant au sud du lac était si

importante. C’est pourquoi la frontière des deux Et ats se trouvait sur la rive gauche du San Juan.

Et c’est pourquoi la libre navigation sur le cours commun du fleuve fut concédée en contrepartie :

c’était la seule route de la région ⎯elle l’est encore ⎯ et si la souveraineté sur cette route était

29CR 2009/5, p. 25, par. 29.
30
Premier rapport Rives, CMN, annexe 70, p. 12, par. 29 [traduction du Greffe].
31Ibid., p. 11 [traduction du Greffe]. - 10 -

conférée à un Etat, un droit d’usage étendu était conf éré à l’autre, dans le même article, dans la

clause «pero».

29. (Onglet 55.) George Rives comprend parfaitement la situation lorsqu’il définit les «droits

naturels» du CostaRica évoqués à l’articleVIII, répondant ainsi à la dixième question

d’interprétation douteuse. L’articleVIII définit le droit de regard du CostaRica à l’égard d’un

futur canal : si les «droits naturels» du Costa Rica ne sont pas affectés par le projet de canalisation,

son vote n’est que consultatif. Vous voyez à l’écr an, ainsi que dans votre dossier de plaidoiries,

comment Rives définit ces droits naturels. Et la phr ase essentielle est à la fin. Les droits naturels

du CostaRica sont ceux qu’il possède, entre autres , «dans la partie du delta du fleuve SanJuan

qu’il détient ou sur la partie du fleuve lui-même sur laquelle il a des droits perpétuels de libre

32
navigation et autres droits riverains» [traduction du Greffe]. C’est ainsi que Rives expose l’objet

du traité de limites d’un point de vue costa-ricien . La sentence Cleveland va dans le même sens

quoiqu’elle ajoute «ainsi éventuellement que d’autres droits qui ne sont pas énoncés expressément

ici»33, ce qui témoigne de l’interprétation extensive qu’en faisait Cleveland.

30. J’insiste sur ce point: les droits naturels du CostaRica, selon Rives, s’étendaient à «la

partie du fleuve lui-même sur laquelle il a des droits perpétuels de libre navigation et autres droits

riverains». Non pas que le traité de limites ne fût pas un règlement territorial ⎯le point de vue

que nous a imposé M. Brownlie. C’était un règlement territorial, mais il englobait le fleuve, et ce à

titre perpétuel. S’il y eut jamais traité établi ssant des «obligations et droits…se rapportant au

régime d’une frontière» au sens de l’artic le12 de la Convention de Vienne de 1878 34, c’est bien

celui-là.

16
C. Le droit perpétuel de libre navigation

31. J’en viens à ce que Rives appelait volontiers ⎯ tout court ⎯ «les droits perpétuels de

libre navigation» du Costa Rica. Je me dois ici de faire trois brèves remarques.

32Deuxième rapport de Rives, CMN, annexes complètes, annexe 71, p. 15.
33
Sentence Cleveland, point 10 : MCR, annexe 16, p. 35.
34Convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités, 23 mai 1978, 1946 UNTS 3, art. 11 b). - 11 -

a) Le droit est permanent de nature

32. Dans le cadre d’une autre de ses entreprises de révisionnisme, le Nicaragua laisse

entendre que «les droits de navigation du CostaRica [ne] seraient [pas] nécessairement

«perpétuels»». M.McCaffrey a indiqué que ces dr oits «prendrai[en]t effectivement fin avec la

transformation du fleuve en canal» 35. C’est une autre hypothèse, comme le dragage à grande

échelle, et la Cour n’a nul besoin de se prononcer sur cette question ni sur celle du dragage. Mais

vous comprendrez que la question, ayant été soulev ée par le Nicaragua, appelle une réponse. En

réalité, le traité de limites prévoit expressément la consultation du Costa Rica pour tous les projets

futurs de canalisation : c’est le non-respect de ce tte obligation par le Nicaragua qui est à l’origine

de l’instance introduite devant la Cour de justice centraméricaine. J’ai déjà mentionné

l’article VIII qui dispose que : «dans le cas où la tr ansaction [de canalisation] n’est pas de nature à

nuire aux droits naturels du Costa Rica, l’avis requi s n’aura qu’un caractère consultatif». J’ai déjà

cité la conclusion de Rives sur ce que sont ces droits naturels, y compris les «droits perpétuels de

libre navigation et autres droits riverains». Rives ajoute que si ces droits naturels étaient affectés

«le Costa Rica disposerait d’un droit de véto, et son accord étant essentiel à la validité de l’accord,

il deviendrait de fait partie à toute concession octroyée pour des canaux interocéaniques»

[traduction du Greffe], sans pour autant prétendre «à une part des bénéfices que la République du

Nicaragua pourrait se réserver 36» [traduction du Greffe] . Le président Cleveland a répondu à la

37
onzième question en conséquence . Ainsi, le traité de limites prévoyait l’éventualité d’une

canalisation, sous une forme qui préserverait la réal ité des «droits perpétuels de libre navigation et

autres droits riverains» du Costa Rica.

b) Même si l’articleVI renvoyait à des «artic les de commerce», ces mots traduiraient une

extension

33. Mon second point concerne les «articles de commerce» tant redoutés, auxquels selon nos

collègues, notre liberté serait limitée. M.K ohen examinera l’interpré tation de l’expression

«objetos de comercio». Je vais supposer, ce qui n’est pas le cas, que le Nicaragua a raison

35
CR 2009/5, p. 29, par. 6 (McCaffrey).
36
Deuxième rapport de Rives, CMN, annexes complètes, annexe 71, p. 15 (réponse au point 11).
37Sentence Cleveland, point 11 : MCR, annexe 16, p. 36. - 12 -

17 d’interpréter cette expression comme signifiant «articles de commerce». J’affirme que même si

elle signifie «articles de commerce», ces mots traduisent une extension, non une limitation.

34. Monsieur le président, Messieurs de la C our, si je vous donnais le droit de circuler sur

mon fleuve ⎯ un droit perpétuel de libre navigation ⎯ et si j’ajoutais plus tard l’expression «avec

des articles de commerce», je ne conditionne pas, ni ne limite ou réduit le droit que j’ai concédé

⎯ je le clarifie et l’élargis. Nous parlons de libre navigation ⎯ entres autres éléments, exempte de

taxes, d’impôts et de droits, y compris les droits de douane. Je pourrais vous concéder un droit de

navigation mais en exclure les marchandises que vous transportez. Un aspect très important du mot

«libre» concerne l’exemption des droits de douane. L’articleVI étendait même cette exonération

aux marchandises débarquées sur la rive opposée du fleuve, et l’articleV exonérait de droits de

douane les marchandises reçues à Punta de Castilla ta nt que le port de SanJuan del Norte alors

indépendant n’était pas repris et demeurait un port franc (free). L’ajout des mots «avec des articles

de commerce» ne vise pas à limiter le droit de libre navigation mais à pr éciser que cette liberté

s’étend aux marchandises que vous pouvez transporter avec vous. Ces mots ne traduisent tout

simplement pas une restriction.

35. A quoi ressemblerait un droit de libre navigation avec des articles de commerce

⎯ comment fonctionnerait-il ⎯ si l’expression «articles de commerce» impliquait une limitation

ou une restriction, comme le prétend à présent le Nicaragua ? Je partirais le matin avec mes Œufs

pour le marché, les Œufs produits par mes poules riveraines : de parfaits articles de commerce. Je

circulerais librement sur le fleuve ⎯ pas de visa, de taxe, de droit. J’arrive avec mes Œufs, intacts

je l’espère, au marché local très fréquenté de Sarapi quí et, en un rien de temps, tous mes Œufs sont

vendus. Mais maintenant je n’ai plus d’Œufs, plus d’articles de commerce : comment retourner à

mon poulailler? En vendant mes articles de commerce, j’ai vendu ma liberté de naviguer sur le

fleuve pour la journée. Je suis coincé ; je dois me rendre à San José pour obtenir un visa, ce faisant

je dépense tous les bénéfices que j’ai retirés de la vente de mes Œufs ! Cette liberté à sens unique

n’est pas du tout une liberté ⎯ la liberté de quitter le fleuve sans dr oit de retour. Et M. Reichler ne - 13 -

peut se contenter de répondre que les riverains sont exempts de visas 38: il s’agit d’une simple

tolérance. L’article VI ne fait pas de distinction entre riverains et non-riverains.

18 36. (Onglet 56.) Permettez-moi de lancer un défi formel à mes collègues de l’autre côté de la

barre. Trouvez-moi un traité qui confère la liberté de navigation à des personnes si, et seulement si,

elles transportent des marchandises. Une telle di sposition devrait être ainsi rédigée: «mais la

République du CostaRica disposera du droit perp étuel de libre navigation sur lesdites eaux si et

seulement si [si y sólo si] cette navigation s’effectue avec des articles de commerce…» 39 Ce n’est

pas ce que dit l’articleVI. L’argument nicaragua yen fondé sur les «articles de commerce» est,

avec tout le respect qui lui est dû, un non-sens manifeste.

c) L’argument nicaraguayen fondé sur les «articles de commerce» est inconséquent

37. La distinction qu’opère le Nicaragua entre les voyageurs avec et sans marchandises

commerciales ⎯des couvertures et des perles ⎯ pose toutefois un autre problème. Elle est

totalement inconséquente si on l’applique dans la pratique. J’admets, M.Argüello, m’être rendu

sur le fleuve: j’y suis allé sans articles de comme rce. Mais que j’en aie ou pas n’a rien changé.

Personne ne m’a demandé si je transportais des articles de commerce; personne n’a contrôlé la

sécurité du bateau, ni ce qu’il transportait ; nous avons fait halte, j’ai payé, le batelier a payé ⎯ il

était pourtant local ⎯ nous nous sommes arrêtés plusieurs fo is à des postes de l’armée; aucun

service n’a été assuré, aucun contrôle effectué ; nous avons fait halte, nous avons payé, nous avons

encore fait halte et finalement nous sommes par tis. L’expérience nous a certes appris quelque

chose ⎯ mais elle nous a appauvris sans que le Nicaragua nous ait rendu le moindre service.

38. Je serai bref sur ce point. L’argument du conseil fondé sur les «objetos de comercio» n’a

aucun rapport avec la procédure de présentation, de certification, de paiement et d’impôts

actuellement appliquée sur le fleuve. Les marchandises commerciales n’ont rien à voir avec cela.

38CR 2009/5, p. 24, par. 43 (Reichler).
39
Version espagnole :
«pero la República de Costa Rica tendrá el derecho perpetuo de libre navegación en dichas aguas, entre la
desembocadura de río y el punto, a tres milla inglede distancia de CastilloViejo, si y sólo si, esta
navegación es con artículos de comercio…». - 14 -

Les grandes lignes de la réplique du Costa Rica

39. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achèvent mes premières remarques

générales. Avec votre permission, Monsieur le président, M.Kohen va examiner plus en détail

l’interprétation de l’articleVI; M.Caflisch tr aitera du droit de réglementation et des diverses

mesures prises par le Nicaragua ; je reparlerai de la navigation publique avec des bateaux officiels,

des droits connexes et des réparations demandées, et M. Ugalde conclura.

Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler maintenant M. Kohen à la barre.

19 Le PRESIDENT: Je vous remercie, MonsieurCrawford, pour votre exposé. Je donne à

présent la parole à M. Kohen.

KOrH. EN:

II. Article VI of the Treaty refers to “purposes of commerce”

1. Mr.President, Members of the Court, during the first round of oral argument, our

opponents maintained their interpretation of the Spanish expression “con objetos de comercio” as

meaning only “merchandise” (or “marchandises” in French). It is true that counsel for Nicaragua

followed different practices. Antonio Remiro, and later AlainPellet, opted mainly for the French

wording “avec des objets de commerce” [“with object s of commerce”]. Mr. Remiro also used the

expressions “avec des choses faisant l’objet de commerce” [“with things which are the subject of

commerce”] and “avec des choses faisant l’objet d’ac tivités commerciales” [“with things on which

40
the activity of commerce falls”] . To be sure, he also affirmed that in good French that meant

“avec des marchandises” [“with goods”] 41. For their part, PaulReichler and StevenMcCaffrey

chose not to venture into the field of translation and used only the Spanish expression during their

presentations, despite the fact that even President Cleveland himself used the expression “purposes

42
of commerce” . For his part, IanBrownlie added, afte r correctly quoting from ArticleVI of the

Cañas-Jerez Treaty, “the words ‘for the purposes of commerce’ are not accepted by Nicaragua as

4CR 2009/4, pp. 36-37, paras. 2, 5 and 6.
41
CR 2009/4, p. 46, para. 42 (Remiro Brotóns).
4CR 2009/5, pp. 9-12, paras 6, 9, 11, 13 and 14 (Reichler) and pp. 28-31, paras. 4, 5, 7, 8 and 9 (McCaffrey). - 15 -

an accurate translation into English” 43. Mr.Brownlie did not indicate, however, when Nicaragua

began to reject this translation, or how Nicaragua had made that fact known to him.

2. It must be troubling for a Party which comes before the Court and which contests the

interpretation or translation of a Treaty not to be able to produce a version of the Treaty that

supports its claims. And this must be all the more true when the Court has in its hands the only

version of the Treaty that that Party has produced , which says exactly the opposite of what that

Party is claiming before the Court.

3. The object of my presentation will be to refute the arguments put forward by Nicaragua

20 last week about the disputed expression. In accordance with your instructions, I shall not go back

over matters that we raised during the first r ound, on which our opponents have maintained an

eloquent silence.

4. My presentation is in five parts. First, I shall examine the other side’s arguments

concerning the meaning of the term “con objetos de comercio” in general. Second, I shall turn to

the relevance for the present case of the identical translations done by the Parties on the occasion of

the arbitration by the President of the United States. Third, I shall look at the very narrow concept

that Nicaragua has adopted regarding the notion of “comercio”, showing that this includes the

transport of passengers in general, and of tourists in particular. Fourth, I shall look at subsequent

practice, which confirms our interpretation of ArticleVI of the Cañas-Jerez Treaty. And fifth, I

shall look at AlainPellet’s temporal digressions concerning the evolutionary interpretation of

treaties.

A. Interpretation of the phrase “con objetos de comercio”

5. Antonio Remiro accused us, and I quote, of transforming “the ordinary, natural meaning

of the phrase ‘objetos de comercio’, to which ArticleVI of the Treaty links the right of free

navigation, into an ‘end-oriented’ concept, according to which objects of commerce are not things,

goods, but purposes, commercial objectives” 44.

43
CR 2009/4, para. 19 (Brownlie).
44
CR 2009/4, p. 36, para. 3. - 16 -

6. First, my friend and opponent is very quick to assume, without any evidence to back him

up, that there is only one ordinary, natural mean ing of the expression “objetos de comercio” and

that it is “goods”. And second, we have not transformed anything whatsoever. If anyone has made

any change to what had been the commonly accepted interpretation, it is Nicaragua! Mr. President,

the “end-oriented” interpretation, as Antonio Remiro calls it, was in fact the interpretation adopted

by Nicaragua before PresidentCleveland when it used the translation “for the purposes of

commerce”; and Nicaragua even expanded upon that interpretation in its official publications in

45
1954 and 1974 when it spoke of Costa Rican navigation “con fines de comercio y fiscales” .

Frankly, Mr.President, I do not understand this process being mounted against us by the other

21 Party, when it stated itself in its Counter-Memorial that, and I quote, “the right of free navigation is

46
articulated in the form of a careful statement of purposes” .

7. Mr.Argüello did not appreciate it when I maintained that he translated the French

47
expression “sous le rapport du commerce” into Spanish as “con fines comerciales” . He did not

contradict me last Thursday, quite the contrary. The distinguished Agent of Nicaragua has also

given you his English translation of “con fines comerciales”, which is the Spanish rendering he

used to explain what “sous le rapport du commerce” means in Spanish. No surprise there: it is

rendered as “for commercial purposes” 48. And so he has come full circle: he arrives at an

equivalent variant of the translation of “con objet os de comercio” in English with which everyone

was in agreement before this dispute arose, including Nicaragua!

(a) The linguistic debate confirms Costa Rica’s interpretation

8. Antonio Remiro claimed that the Moreno de Alba report did not provide any documentary

49
evidence to support its conclusions . But each of that Spanish-American academician’s comments

4Nicaragua, Ministry of Foreign Affairs, Situación jurídica del Río San Juan , Managua, 1954, Memorial of
CostaRica (MCR), Vol.6, Ann.219; Ni caragua, Ministry of Foreign Affairs,Situación jurídica del Río San Juan ,

Managua, 1974, MCR, Vol. 6, Ann. 222. Judges’ folder, tab 18.
4Counter-Memorial of Nicaragua (CMN), para . 2.151.

4Carlos J. Argüello Gomez, Algunos aspectos jurídicos sobre el Tratado Jerez-Cañas y el Laudo Cleveland ,
Ministry of Foreign Affairs, Managua, 26August1998. Accessible at <http: //www.joseacontreras.net/dirinter/america/
Nicaragua_Rio_San_Juan.pdf> (webpage visited 1March2009 ). Until 27February 2009, was also accessible at

<http://www.euram.com.ni/pverdes/articulos/aspectos_juridicos_rio_san_ju…;. Judges’ folder, tab 27.
4CR 2009/4, p. 12, para. 16 (Argüello Goméz).

4CR 2009/4, p. 39, para. 14 (Remiro Brotóns). - 17 -

is backed up with concrete references showing the use of the terms examined. Moreover, the report

is supplemented by an appendix. The report is complete, specific, thoroughly researched and

relevant.

9. Like Mr. Seco, Antonio Remiro Brotóns brushed aside all the examples given in table 1 of

the Reply of Costa Rica 50 in which the word “objeto” in the singular means “purpose” . There are

62such examples, an impressive number indeed against a thesis which asserts that the word

52
“objetos” in the plural can never mean “purposes” ! And these examples have not been drawn

22 from literary works or newspapers unrelated to this context. It is purely a case of the word “objeto”

being used in the sense of “purpose”, whether in th e singular or in the plural, in treaties and public

contracts concluded through the nineteenth century by one or the other of the Parties. The Moreno

deAlba report explained why the claim that “objetos” in the plural cannot mean “purposes” is

53
incorrect, and I would refer you to it .

10. Still, the list contains 18 other examples where the word “objetos” in the plural is used in

the sense of “purposes”. Counsel for Nicaragua counted 16examples, but in fact, in one of the

texts the word is used in the sense of “purposes” twice. Never mind. Professor Remiro is trying to

brush aside a dozen cases on the pretext that the word “objetos” in the plural appears on its own 54.

Is this a valid reason? Did Nicaragua not tell us that “objetos” in the plural never meant

“purposes” 55?

11. Counsel for Nicaragua believes that, in view of the cases mentioned in the Corpus

diacrónico del español [Diachronic Corpus of Spanish] in which the expression “objetos de

comercio” is used in the sense of, and I quote, “things on which the activity of commerce falls”, the

56
only possible meaning of the expression “objetos de comercio” in Article VI is “goods” . I would

note that in none of these cases is the expression preceded by the preposition “con”, as it is in

5Reply of Costa Rica (RCR), table1, “Use of the te rm ‘objetos’ as meaning ‘purposes’ in 19th Century
documents”, pp. 99-126.

5RCR, table1, docs. 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 29, 30
and 31.
52
CMN, para. 4.1.27; Rejoinder of Nicaragua (RN), para. 3.12.
53
Documents annexed to the letter of 27 Nov. 2008 from the Agent of Costa Rica, Anns. I and III.
5CR 2009/4, p. 40, para. 18 (Remiro Brotóns).

5CMN, para. 4.1.27; DN, para. 3.12.

5CR 2009/4, pp. 39-40, para. 15. - 18 -

Article VI. Counsel for the other side too quickly forgets the importance of context in determining

the sense of terms which have several meanings. Nicaragua’s expert asserted this point, and

Professor Remiro cited it himself as well 57. True, Mr. Seco does not say what he is doing, but that

is another matter altogether.

12. To find a semantic and syntactic analysis, one must refer to Dr. Moreno de Alba’s report.

He sets about the following exercise. Stripped of all the elements not necessary for the central

analysis, the sentence can be summed up as follows: “The Republic of Costa Rica shall have . . .

a right . . . of free navigation . . . for purposes of commerce . . . with Nicaragua . . .” He shows that

the only meaning that the syntagma “con objetos de comercio” can assume is “for purposes of

23 commerce”. Indeed, if one reads “con objetos de comercio” as meaning “goods”, the result is

nonsense, both vis-à-vis the word “navigation” and vis-à-vis the syntagma “with Nicaragua”. In

the first case, vis-à-vis the word “navigation”, it would function as a complement resulting in the

meaning “navigation accompanied by goods” or “n avigation in cohabitation with goods” or

“navigation by means of goods”. In the second case, vis-à-vis the phrase “with Nicaragua”, it

would give the sentence, “The Republic of Cost a Rica shall have . . . a right . . . of free

navigation . . . with goods . . . with Nicaragua . . .” To that, Dr. Moreno de Alba would conclude,

“Navigation with Nicaragua? Goods with Nicaragua? Impossible. This is yet another piece of

nonsense because, in the reformulation, the noun ‘c ommerce’ loses its deverbal (that is, derived

from a verb) sense, thus leaving the syntagma ‘with Nicaragua’ without any semantic or syntactic

58
link” .

(b) Treaties of friendship, commerce and navigation concluded by the Parties at the same time
as the Cañas-Jerez Treaty

13. This linguistic analysis is borne out by practice prior to or contemporary with the

conclusion of the Cañas-Jerez Treaty. I would like to cite a few examples which are of interest not

only from the linguistic point of view but also, a nd more important, from th e legal point of view,

because these are treaties concluded by the Parties, and not just any treaties, for they are treaties

57
CR 2009/4, pp. 37-38, para. 8.
58
Documents annexed to the letter of 27 Nov. 2008 from the Agent of Costa Rica, Anns. I and VIII.2. - 19 -

that concern two terms which are essential to in terpreting ArticleVI of the 1858 Treaty, namely

“navigation” and “commerce”.

14. My friend Antonio Remiro has referred to treaties of commerce and navigation which,

since the Jay Treaty, have used the expression “para los objetos de su comercio” in Spanish and

“for the purposes of their commerce” in English. W ith reference to the two Parties in this case, he

has cited the treaty of friendship, commerce a nd navigation between Costa Rica and the United

States in 1851 (the Molina-Webster Treaty) and the three treaties of friendship, commerce and

navigation between the United States and Nicaragua in 1857 (the Cass-Irrisari Treaty), 1859 (the

59
Lamar-Zeledón Treaty) and 1867 (the Ayon-Dickinson Treaty) .

15. Shown on the screen now is a sample of the standard wording used in all these treaties, in

this case ArticleII of the 1857 Cass-Irrisari Treaty, in its Spanish and English versions, both of

24 which are authentic 60. Counsel for Nicaragua has not troubled himself to apply his linguistic

theory to the expression “para los objetos de su co mercio”. Clearly, to translate “para los objetos

de su comercio” into French as “pour les objets de son commerce” and then to claim that that

means “for goods” would have overs tepped the bounds of temerity. Nevertheless, he very bravely

61
concluded that these treaties do not prove that the word “objetos” means “purposes” .

16. Counsel for Nicaragua, contrary to his hab its, at least in the present case, has engaged in

an exercise which he might have called “end-oriented” to justify his interpretation to the effect that

“para los objetos de su comercio” means goods and only goods. He tells us, “Their commerce

plainly involves the goods they buy and sell and, logically, place and store in buildings and

warehouses.” 62 This raises a few questions. These citizens— who under the terms of these

treaties have the right to land on the territory of the other party— how do they arrive? Do they

have the right to arrive, taking Nicaragua’s interpretation as a basis, “without articles of

commerce”? I can accept that the function of a warehouse is to store goods, but that is not the

function of a dwelling. Could Professor Remiro te ll me what kind of goods Cornelius Vanderbilt’s

59CR 2009/4, p. 41, para. 21 (Remiro Brotóns).
60
Judges’ folder, tab 58.
61
CR 2009/4, p. 42, para. 26 (Remiro Brotóns).
62CR 2009/4, p. 42, para. 25 (Remiro Brotóns). - 20 -

Accessory Transit Company was buying and selling at the time it was engaging in commerce on

the San Juan River, transporting some 68,000 passengers between 1848 and 1869 63?

17. Moreover, Professor Remiro’s thesis com es up against an insurmountable problem. The

authentic English text of these treaties uses the wording “for the purposes of their commerce”.

And, pursuant to Article33, paragraph3, of the Vienna Convention on the Law of Treaties, “The

terms of the treaty are presumed to have the same meaning in each authentic text.” 64 This leaves

no room for doubt: “objetos” and “purposes” mean th e same thing. “Objetos de comercio” and

“objetos de su comercio” were being translated contemporaneously as “purposes of commerce” and

“purposes of their commerce”. I do not believe it is worthwhile to launch into a tedious discussion

25 of whether or not “objetos” in the plural can mean “purposes” when the word is used in

conjunction with “commerce”. At this point, the answer is obvious.

(c) Contemporaneous treaties used other expressions to refer to goods

18. I shall go on now to contemporaneous prac tice for referring to goods. In reference to

table2 in the Rejoinder of Costa Rica, Mr.Remiro says it does nothing but prove the richness of

65
the Spanish language . It is a pity he did not look at it a little more closely, though, because it

does not list even one text that uses the expression “objetos de comercio” to mean goods.

19. In fact, what do we find? We find that out of 218 examples cited, 43 use “artículos”,

with or without some qualifier, 32 use “mercancí as”, 19 use “mercaderías”, 26 use “efectos”, 28

use “productos”, 16 use “manufacturas”, 13 use “gén eros” or “jéneros” and 13 use “objetos” in a

66
context where there can be no mistaking the meaning. And there are still more expressions used .

20. Counsel for Nicaragua might have discerned that when the intent was to refer to goods,

the texts used expressions which were unambiguous. He might also have observed— given that

Nicaragua’s pleadings have made copious reference to the shipping of coffee— that when the

63
See <http://en.wikipedia.org/wik i/Accessory_Transit_Company> and <http://www.bruceruiz.net/Panama
History/argonauts.htm> (webpages visited 8 March 2009).
64
“Les termes d’un traité sont présumés avoir le même sens dans les divers textes authentiques.” Cf.
Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibia), Judgment, I.C.J. Reports 1999 (II), p. 1062, para. 25.
65CR 2009/4, p. 43, para. 27 (Remiro Brotóns).

66RCR, pp. 127-151. - 21 -

67
intent was to refer specifically to imported goods or exported goods, the texts explicitly said so ,

and likewise when the intent was to refer to na tural-resource products or domestically-produced

68
goods, again the texts explicitly said so . ArticleVI of the Cañas-Jerez Treaty is very far from

either of these hypotheses.

(d) Costa Rica’s approach to President Cleveland leads to an interpretation of ArticleVI that
goes well beyond the transport of goods

21. Alain Pellet and Steven McCaffrey thought they had discovered an argument supporting

69
Nicaragua’s interpretation in a passage in Cost a Rica’s submission to PresidentCleveland , by

26 making it say something it does not say and neglecti ng to mention Costa Rica’s response. It is a

passage that poses a general rhetorical question a bout the scope of the right of free navigation

70
deriving from Article VI . You can see the full response on the screen, and it also appears in your

folders at tab 59. I shall quote a few key passages concerned with the issue at hand:

“The answer seems to be very simple . . . It seems to be beyond discussion that

Costa Rica can navigate in the San Juan river with public vessels, which are not
properly men-of-war... Within the meaning of the words, commercial navigation,
both the revenue police, the carrying of the mails, and all other public services of the
71
same kind are necessarily included.”

22. Costa Rica’s response to its own rhetorical question is therefore altogether unambiguous.

Clearly, the answer is No. It is simply impossi ble to deduce from this text that for Costa Rica

“objetos de comercio” meant “goods”, or that the sole “commercial purpose” was the transport of

goods. On the contrary, “commercial navigation” and not “navigation with goods” was how Costa

Rica interpreted the expression “navegación con objetos de comercio” at the time.

67
RCR, table 2, docs. 1, 2, 3, 5, 8, 9, 11, 12, 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 24, 25 and 26.
6RCR, table 2, docs. 5, 9, 10, 15 and 22.

6CR 2009/4, pp. 58-59, paras. 20-21 (Pellet); and CR 2009/5, pp. 31-32, para. 13 (McCaffrey).

7MCR, Vol. 6, Ann. 207, p. 831 (p. 155).
71
French translation by the Registry: “La réponse semble être très simple . . . Il semble être indiscutable que le
Costa Rica peut naviguer sur le San Juan avec des bateaux publics qui ne sont pas des vrais navires de guerre . . . Le sens
de l’expression ‘navigation commerciale’ inclut nécessairement la police douanière, l’acheminement du courrier ainsi que
tout autre service public de même nature.” Ibid., pp. 831-832 (pp. 155-156), judges’ folder, tab 59. - 22 -

(e) If Nicaragua had had any doubts about the translation submitted to Presi
dent Cleveland, it

would have included the equivalent Spanish terms within parentheses

23. Let us now look at how Nicaragua has appro ached the issue. In the translation of the

1858 Treaty produced by Nicaragua and submitted to President Cleveland, wherever Nicaragua felt

that the translation needed clarification the original words in Spanish are shown within parentheses.

On the screen now you can see Article VI as Nicara gua submitted it to the arbitrator. As you can

see at tab 60 in your folders, Nicaragua resorted to th is clarification in four places, in regard to the

words or expressions “atracar”, “canalización”, “est e voto será consultivo” and “crédito activo” in

ArticlesVI, VII, VIII and IX respectively. It comes as no surprise that Nicaragua did not find it

necessary to insert the words “con objetos de comercio” within parentheses as an adjunct to its

translation “for the purposes of commerce”.

(f) The Cleveland Award becomes unreadable if we follow Nicaragua’s interpretation
27
24. In his oral arguments of 5March, Alain Pellet seemed to sow confusion in reading the

Cleveland Award and, in passing, showed a surfe it of imagination in attributing to me some

comments about the Award which I had not made 72. My opponent and dear friend blithely stated

that, “As ProfessorKohen has pointed out, this sen tence does not make a great deal of sense in

French, whether ‘[con] objetos de comercio’ is translated as ‘avec des marchandises’ [‘with

73
merchandise’] or as ‘à des fins commerciales’ [‘for purposes of commerce’].” The reality is that,

after reading the part of the Award containi ng the expression “purposes of commerce”, I stated,

“Nicaragua’s reading would produce the absurd result of enjoyment being limited to ‘articles of

74
trade’.” Thus, only a reading that follows Nicaragua’s line of argument would be absurd.

Moreover, Mr.President, in the Cleveland Award there is nothing to be translated from Spanish

because the arbitrator rendered the award in En glish and uses “purposes of commerce” in the

passage in question. This makes a great deal of sense, not only in English but also in the Registry’s

French translation.

25. Things did not stop there. In a fit of over-excitement, no doubt, Alain Pellet then decided

to plunge into deep and turbulent waters, far more so than the waters of the San Juan. He launched

7CR 2009/4, p. 59, para. 21 (Pellet).
73
Ibid., with the footnote omitted.
7CR 2009/2, p. 64, para. 58 (Kohen). - 23 -

an attack on the Cleveland Award, asserting that the reference to the enjoyment of “purposes of

commerce” was perhaps “merely an oversight by th e arbitrator”, or that the arbitrator— and I

quote my friend —

“did not want to get involved in interpre ting the expression ‘con objetos de comercio’
(which the parties had translated as ‘for purposes of commerce’) and deliberately
chose to use inverted commas to indicate that he was using the expression without

giving an opinion on a matter of interpre tation which the parties had not submitted to
him and about which they had presented no arguments” . 75

26. Here Alain Pellet displays the full reach of his imagination. Of course I can understand

that Article2 of the Cleveland Award places Nicar agua in a highly embarrassing position. The

inverted commas can be explained simply by th e fact that PresidentCleveland was quoting the

28 terms of Article VI as the two parties had translated them 76. Moreover, Alain Pellet makes an issue

of a “matter of interpretation” wh ich he knows does not exist, since he had earlier stated that there

was no disagreement between the Parties as to the meaning and scope of Article VI 77.

27. The text of Article2 of the Cleveland Award is clear and altogether unambiguous: the

“enjoyment of the ‘purposes of commerce’ accorded to her in said article” makes complete sense,

whereas the “enjoyment of the ‘goods’ accorded to her in said article” makes no sense whatsoever.

(g) The first Alexander Award: a broad approach to commerce

28. Alain Pellet also believed he had found support for the Nicaraguan thesis in the first

Arbitral Award rendered by General Alexander. In the Award, the arbitrator states that,

78
“throughout the treaty, the river is treated and regarded as an outlet of commerce” . In the eyes of

my eminent opponent, this is “an expressi on clearly concerned with commerce ‘with

79
merchandise’” . To my mind, this statement comes much closer to Costa Rica’s interpretation.

Alexander uses “commerce” rather than “trade” and, as Nicaragua has stated before the Court, in

75CR 2009/4, p. 59, para. 21 (Pellet).
76
RCR, paras. 3.66-3.68.
77CR 2009/4, p. 57, para. 19 (Pellet).

78Arbitral Award No.1, 30September1897, Pasicrisie Internationale 1794-1900 (Berne, Stampfli, 1902;
reprinted by P. M. Eisemmann, The Hague: M. Nijhoff, The Hague, 1997), p.531, MCR, Vol.2, Ann.18. MCR,
para. 4.24, French translation: “partout dans le traité, le fleuve est considéré comme un débouché pour le commerce”.

79CR 2009/4, p. 60, para. 22 (Pellet). - 24 -

English “commerce” is a broader concept than “t rade”, and goes beyond the buying and selling of

80
goods . It encompasses a variety of meanings, including the transport of people.

B. The Parties’ identical translations submitted to President Cleveland have legal effects

29. I now move on to the legal effects of th e Parties’ identical translations submitted to

President Cleveland. According to Antonio Remiro, “Costa Rica seeks to replace the interpretation

of the sole authoritative text, written in Spanish, with the interpretation of an English translation

made during the Cleveland arbitration proceedings, which Costa Rica finds better suited to its

claims” 81. Not at all, Mr. President. We are not seeking to replace anything whatsoever.

29 30. Of course, the text of the Treaty is in Sp anish. We are simply maintaining that the two

Parties translated Article VI in the same way: “for the purposes of commerce”.

31. Professor Pellet grants me that there w as no disagreement between the Parties as regards

the interpretation of the words “con objetos de comercio” in the Cleveland arbitration. But he adds

82
that “there was no agreement— for the excellent reason that there was no disagreement” .

Frankly, I have some difficulty in following the reasoning of my colleague here. Apparently, for

AlainPellet, in order for two States to agree on so mething, they must necessarily have disagreed

before. That is a strange approach to interna tional relations. No, Mr.President. Fortunately,

States come to agreement on many issues in the pursuit of common goals, without any need for

disputes or differences to have existed previously on the purposes of those agreements.

32. Let us go a little further into the specific question that concerns us here: the attitude of

the Parties in the Cleveland arbitration. There was no disagreement as to the scope of the

expression “con objetos de comercio”. No one raised any question of interpretation. Is that all?

No, that is not all. On what was there agreement in the Cleveland arbitration? On how to translate

that expression into English.

80
Memorial of Nicaragua (Questions of Jurisdiction and Admissibility), I.C.J. Pleadings, Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua, Vol. I, pp. 403-404.
81
CR 2009/4, p. 40, para. 16 (Brotóns).
82CR 2009/4, p. 57, para. 19 (Pellet). - 25 -

33. I pointed out last Monday that both Parties had translated the phrase which is now in

dispute in exactly the same way, with not an iota of difference 83. Alain Pellet has acknowledged

that 84. For me, this shows not only that there was no disagreement, but also that the Parties were in

agreement on how to translate “con objetos de comercio” into English.

34. Mr.President any translation has a significance. It is a question of how to express an

idea in a different language. AlainPellet do es not wish to draw any conclusion from this

remarkable coincidence in the proceedings before the arbitrator, whose task was to settle any doubt

over the interpretation of the Treaty. For our part, we draw the obvious conclusion.

30 35. And at this advanced stage of the pro ceedings, I would make the following observation:

I have waited in vain for the Respondent to explain why, in 1887, Nicaragua translated “con

objetos de comercio” in the way it is rejecting so forcefully today.

C. The term “comercio” is not restricted to the buying and selling of goods

36. Nicaragua has devoted a great deal of effort to stating the obvious, namely that the

transport of goods is covered by na vigation for the purposes of commerce 85. Contrary to the

86
statements of our friends and opponents , Costa Rica has no difficulty in accepting the primary

meaning of the term “commerce”. We are even ready to acknowledge that the buying and selling

of goods represents the most typical form of co mmercial activity. But it is not the only one!

Neither in the nineteenth century, nor today.

37. On the other hand, my colleagues Remiro and McCaffrey have great difficulty with the

second meaning of the term “commerce”, the one signifying communication 87. We referred to this

88
meaning back in our Memorial , but Nicaragua has made no reference to it in the written phase!

38. In Annexes58 and 60 to the Rejoinder, Nicaragua presents the entry “comercio”

contained in two bilingual English-Spanish dic tionaries, one dating from 1809 and the other from

8CR 2009/2, p. 50, para. 9 (Kohen).
84
CR 2009/4, p. 57, para. 19 (Pellet).
85
Ibid., pp. 43-46, paras. 28-42 (Brotóns).
8Ibid., p. 44, para. 34 (Brotóns).

8Ibid., pp. 44-45, paras. 33-35 (Brotóns); CR 2009/5, pp. 29-30, para. 7 (McCaffrey).

8MCR, paras. 4.52-4.72. - 26 -

1858. These are now shown on the screen. Both dictionaries refer not only to “commerce” and

“trade”, but also to “communication”.

39. In fact, Members of the Court, this Court has already considered in detail the scope of the

89
word “commerce” in the Oil Platforms case . I will not tax your patience by repeating that

comprehensive analysis, which is relevant for th e purposes of this case; you will find an extract

from it at tab 61 of your folders.

(a) Commercial navigation includes the transport of passengers
31
40. Counsel for Nicaragua has stated, without citing any specific reference in support, that

“[a]ll of the diplomatic documen ts and aborted treaties prior to the Jerez-Cañas Treaty tie

navigation on the SanJuanRiver to the tran sport of fruit, products, goods, especially coffee” 90.

That is not correct, and I would refer you to our pleadings dealing with these matters 91.

41. We have produced evidence showing that the transport of passengers is included in Costa

Rica’s right of free navigation deriving from Article VI of the Cañas-Jerez Treaty, and I shall not

92
return to that .

42. There is a deafening silence from Nicaragua regarding in particular the treaties which it

concluded in 1857 with the United States, in 1859 with France and in 1860 with Great Britain. All

three refer explicitly to the San Juan, to Costa Rica and to navigation with persons and goods, both

of the government and citizens 93. Even on the most favourable reading for Nicaragua, these three

treaties sound the knell of its interpretation of Article VI limiting that article solely to the transport

of goods and to private vessels.

43. I would add that Nicaragua’s interpretation excluding passengers leads to an absurd and

unreasonable outcome. Let us imagine a Costa Rican coffee producer in the nineteenth century. If

89Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Pr eliminary Objection, Judgment, I.C.J.

Reports 1996 (II), pp. 818-819, paras. 45-46, 48-49. Judges’ folder, tab 61.
90CR 2009/4, p. 47, para. 48 (Brotóns).

91RCR, paras. 2.53-2.54; CR 2009/2, pp. 66-67, paras. 64-68 (Kohen).
92
MCR, paras. 2.53-2.54; RCR, paras. 3.76-3.78.
93
United States-Nicaragua Tr eaty of Friendship, Commerce and Naviga tion, 16 November 1857, RCR, Vol.2,
Ann.10 (Art.XX, judges’ folder, tab 30); Treaty of Amity, Commerce and Navigation between France and Nicaragua,
signed on 11April1859, RCR, Vol.2, Ann.14 (Art.XXXIII, ju dges’ folder, tab28); Treaty of Friendship, Commerce
and Navigation between Great Britain and Nicaragua, 11Fe bruary1860, RCR, Vol.2, A nn. 15 (Art.XXVI, judges’
folder, tab 29). - 27 -

he wished to go to Europe to promote and sell his coffee, he would have to go via the Pacific and

sail round Cape Horn. Having returned to Costa Rica by the same route with his book of orders, he

could nevertheless despatch his coffee via the San Juan. But if he left for Europe with his cargo of

coffee via the San Juan, he would have to return round Cape Horn because he would be coming

back “without articles of trade”! Can it seriously be thought for one moment that this was the

attitude of the negotiators of the Cañas-Jerez Treaty?

b) The transport of tourists is covered by Article VI of the 1858 Treaty
32
44. Alain Pellet went so far as to claim that the right of free navigation could not include the

transport of tourists, for the simple reason th at tourism did not have the economic importance

which it has today and, according to him, had no connection whatever with commerce at the time

the Treaty was concluded 94.

45. There is no doubt at all that tourism ex isted at the time when the Cañas-Jerez Treaty was

concluded, albeit not on the scale of today. Alain Pellet was careful to avoid stating otherwise 95.

46. Indeed, there is a great deal of evidence that this activity was taking place. It is

interesting to note that the first recorded use of the word “turista” in Spanish is as an adjective

describing a specific activity— an excursi on— and dates from the decade preceding the

96
Cañas-Jerez Treaty . Mark Twain was probably the best-known traveller to have navigated on the

waters of the San Juan, which he did in 1863, shortly after the Treaty was concluded 97.

47. “Tourism — travelling for pleasure — appeared at the end of the seventeenth century in

England” according to one writer, who explains how it has turned from a luxury for the rich into a

98
mass leisure activity . Even in the days when it was the exclusive preserve of the rich, tourism

had to be organized: people had to travel, navigate, buy food and other “goods”— which our

opponents are obsessed with— and find accommodation elsewhere: surely all these goings-on,

94
CR 2009/4, p. 53, para. 9 (Pellet).
95Ibid., pp. 53-54, paras. 9-10 (Pellet).

96Juan Valera, Correspondencia 1847-1857 . Accessible at: http://corpus.rae.es/cordenet.htm (visited on
8 March 2009).

97http://maritimeheritage.org/vips/marktwain.html (visited on 8 March 2009).
98
Stéphane Lecler, “Une histoire du tourisme. D’un luxe de riches à un loisir de masse”, in Alternatives
Economiques, No2.71, July 2008 (http://www.alternatives-econom iques.fr/une-histoire-du-tourisme-d_un-luxe-de-
riches-a-un-loisir-de-masse_fr_art_735_38022.html) (visited on 8 March 2009). - 28 -

Mr.President, included commercial activities? In fact, I am surprised at the elitist position taken

by Alain Pellet. Apparently, if this were being engaged in by a handful of rich people, he would be

prepared to accept it for the San Juan, but not when it involves an activity open to a broad section

of the population.

33 48. I shall comment briefly on my opponent’s interpretation of the Kasikili/Sedudu case. In

the Kasane Communiqué of 24May 1992, which he cited 99, the Presidents of the two countries

noted that “navigation should remain unimpeded including free movement of tourists”

(Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibi a), Judgment, I.C.J. Reports 1999(II) , p. 107,

para. 102; emphasis added). “Remain”: that indicates the maintenance of something which exists

already, not a constituent agreement. And yet no treaty text conferred any specific right in

connection with tourist navigation. To stre ss the point: the basic interest of the Kasikili/Sedudu

Judgment is the interpretation of freedom of navigation as including tourist navigation.

49. In fact, Mr. President, the fundamental ques tion is not whether tourism existed or not at

the time when the Cañas-Jerez Treaty was c oncluded, but whether people who are travelling

between two points on Costa Rican territory shoul d be excluded from benefiting from the concept

of free navigation for the purposes of commerce, simply because they are tourists.

50. These tourists are going from one point on Costa Rican territory to another, for example

from Sarapiquí to Tortuguero. Tourists are also passengers. And they are in transit. Is every

passenger on Costa Rican vessels to be asked whethe r he or she is travelling for pleasure or for

other reasons, so as to establish whether or not they can benefit from the right of free navigation for

the purposes of commerce?

D. Subsequent practice exists, and confirms Costa Rica’s interpretation

51. Alain Pellet did his best to minimize the scope of the Parties’ practice in applying the

100
Treaty, even going so far as purely and simply to deny that such practice existed . To him I

would respond that there is a very broad array of elements of practice, which includes not only

boats, merchandise, waterm en, passengers and government offici als, but also the treaties and the

99
CR 2009/4, p. 55, para. 12 (Pellet).
100
Ibid., pp. 55-62, paras. 13-26 (Pellet), - 29 -

positions of the Parties. To be sure, it is easier to deny the existence of a practice than to respond

101
to the examples we have given of that practice. But it is not particularly helpful to Nicaragua’s

situation in these proceedings.

34 52. I am going to add some further referen ces with regard to the two decades preceding the

emergence of this dispute. Costa Rica has presente d proof that its right has been exercised more

for the transport of persons (private individuals or government officials) than for the transport of

102
goods, with Nicaragua expressing no opposition until the present dispute arose . It is a case, to

borrow Professor Pellet’s wording, of there having b een an “open consistent practice of one of the

Parties” which did “not . . . encounter any objection from the other” 103.

53. Affidavits from people working in transport show that the practice of transporting

tourists began in the 1970s 104. One affidavit from a Nicaraguan military officer confirms that that

was indeed the case 105.

E. Nicaragua’s contradictions in regard to evolutionary interpretation

106
54. AlainPellet invited us to discuss the evolutionary interpretation of treaties . The

Respondent is aware of the weakness of its interp retation of Article VI, and is seeking to minimize

the scope of the purposes of commerce to which the article refers.

55. There are several gaps in the reasoning followed by Nicaragua’s counsel. Although he

recalls that the ultimate criterion for addressing the problem of evolutionary interpretation is the

101
CR 2009/2, pp. 61-63, paras. 49-55 (Kohen); CR 2009/3, p. 36, para. 9 (Kohen).
10See the following, among others: affidavit sworn by Carlos Lao Jarquín on 27January2006, MCR, Vol.4,

Ann.84; affidavit sworn by Geovany Navarro Garro on 27Ja nuary2006, MCR, Vol.4, Ann. 85; affidavit sworn by
Pablo Gerardo Hernández Varela on 27 Janua ry 2006, MCR, Vol. 4, Ann. 86; affi davit sworn by Santos Martín Arrieta
Flores on 27 January 2006, MCR, Vol. 4, Ann. 87; affidavit sworn by Carlos Luis Alvarado Sánchez on
27January2006, MCR, Vol.4, Ann.88; affidavit sworn by Daniel Soto Montero on 27January2006, MCR, Vol.4,
Ann.89; affidavit sworn by Luis Ángel Jirón Angulo on 28 January2006, MCR, Vol.4, Ann.90; affidavit sworn by
Marvin Hay González on 28January2006, MCR, Vol.4, Ann. 91; and affidavit sworn by Armando Perla Pérez on
28 January 2006, MCR, Vol. 4, Ann. 92.

10CR 2009/4, pp. 55-56, para. 14 (Pellet).

10See the following, among others: affidavit sworn by Sa ntos Martín Arrieta Flores on 27 January 2006, MCR,
Vol.4, Ann.87; affidavit sworn by Marvin Hay González on 28January2006, M CR, Vol.4, Ann.91; and affidavit
sworn by Rubén Lao Hernández on 17 February 2006, MCR, Vol. 4, Ann. 103.

10Affidavit sworn by Brigadier General Denis Membreño Rivas on 10 March 2008, RN, Vol. II, Ann. 73.
106
CR 2009/4, pp. 49-55, paras. 3-12 (Pellet). - 30 -

107
intention of the parties , he does not explore the question of knowing what that intention

consisted of at the exact point in time that concerns us.

56. His line of argument is curious, to say the least. He accepts that “articles of commerce”

108
and means of navigation are by definition evolutionary concepts . Consequently, everything that

35 today constitutes goods or a vessel is encompassed by Article VI. However, in his view the word

109
“commerce” must retain the same meaning it had in 1858 . If one accepts ProfessorPellet’s

assertion, then his colleague Antonio Remiro must be wrong, because, according to him, the second

meaning of the term “comercio”— communicati on— should not be taken into account today

because it has fallen into disuse 110. I do believe, Mr.President, that as a matter of urgency our

opponents should start singing from the same hymn sheet.

57. Alain Pellet’s reference to the arbitral award made in the Sheikh of Abu Dhabi case falls

far short of backing up Nicaragua’s thesis. In that excerpt it is stated that, “there may well be a

presumption that a person transferring valuable proper ty rights to another intends only to transfer

the rights which he possesses at that time”. By ProfessorPellet’s line of argument, this was the

case of Nicaragua, “which cannot be presumed to have ceded to Costa Rica rights whose existence

111
no one even dreamed of in 1858” . First, there is no point looking in the Treaty of Limits for any

provision whereby Nicaragua cedes or grants rights to Costa Rica. In ArticleVI, recognition of

Nicaragua’s sovereignty and Costa Rica’s right of navigation go hand in hand. Second, the

transport of passengers on the San Juan River already existed at the time the Treaty was concluded,

112
and it is Nicaragua that has referred to it as a lucrative activity . The parallel cited with the

Sheikh of Abu Dhabi case is simply fallacious.

58. The proper legal response to the question is straightforward. To paraphrase the wording

used by this Court in the case of the Aegean Sea Continental Shelf , “commerce” is used in its

generic sense of any practices “properly to be considered as relating to” (Aegean Sea Continental

10Ibid., p. 50, para. 3 (Pellet).

10Ibid., pp. 51-52, para. 6 (Pellet).
109
Ibid., p. 52, para. 7 (Pellet).
110
Ibid., p. 44, para. 35 (Remiro Brotóns).
11Ibid., p. 54, para. 10 (Pellet).

11CMN, para. 4.1.37; RN, para. 3.91. - 31 -

Shelf, (Greece v. Turkey), Judgment , I.C.J. Reports 1978, p.31, para.74) that activity and

“correspond[ing] with the meaning attached to the expression” ( ibid., p.32, para.77) by the

circumstances prevailing at the time of interpretation. Otherwise, for every treaty of commerce and

navigation, would it be necessary to freeze its scope to encompass only those commercial activities

being carried on at the time the treaty is concluded?

36 59. That such was the Parties’ intent is further confirmed by qualifying the right of

navigation recognized for Costa Rica as “perpetual”. To return once again to what this Court has

said on an entirely comparable point where it was a question of an instrument of unlimited

duration, “it hardly seems conceivable that in such a convention [this term was]... intended to

113
have a fixed content regardless of the subsequent evolution” (ibid., p. 32, para. 77) .

60. This response applies all the more strongly given that the recent practice followed by the
114
Parties in applying the Treaty has left a reco rd of this understanding of the term “commerce” .

Nicaragua’s tourism minister himself has recognized that Costa Rica’s right of free navigation

includes navigation for purposes of tourism because tourism, in his view, is a modern form of

115
commerce .

Conclusion

61. Mr.President, Members of the Court, Costa Rica’s interpretation of ArticleVI is

supported by the rules of interpretation that this Court has always followed. It is backed up by all

the relevant facts. These facts leave no doubt as to the meaning that should be ascribed to the

expression “con objetos de comercio”. It is a right of free navigation encompassing both the

transport of passengers and the transport of goods, exercised by public and private vessels alike.

62. Mr.President, I thank you for your attention, and would ask that you next give the

floor — after a break, no doubt — to my friend and colleague, Professor Lucius Caflisch.

113
Case concerning Filleting within the Gulf of St. Lawrence between Canada and France, Decision of
17 July 1986, RIAA, Vol. XIX, p. 247, para. 37.
114
Ibid.
115MCR, para. 4.69 and Vol. 5, Anns. 138 and 139 (judges’ folder, tab 24). - 32 -

Le PRESIDENT: Je vous remercie de votre exposé, MonsieurKohen. Comme vous le

proposez, la Cour va faire une courte pause d’environ 10 minutes avant de reprendre l’audience.

L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 30.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne à présent la parole à M.
Caflisch.

37 M. CAFLISCH : Merci, Monsieur le président.

III. LA SOUVERAINETÉ DU N ICARAGUA SUR LE S AN JUAN ET LE DROIT PERPÉTUEL DE LIBRE
NAVIGATION DU C OSTA RICA

1. Introduction

1. Monsieur le président, Messieurs de laCour, mon exposé portera aujourd’hui sur deux

points: premièrement, le lien existant entre souveraineté du Nicaragua sur les eaux et le lit du

SanJuan et le droit perpétuel de libre navigtion du CostaRica; et, deuxièmement, le caractère

raisonnable et licite de la réglementation et des me sures prises par le Nicaragua relativement à la

partie du fleuve où la navigation est commune.

2. Avant d’aborder ces questions, je souhaiterais répondre à quatre remarques faites par

116
M. Arguëllo Gómez dans son exposé introductif .

3. Premièrement, M.ArguëlloGómez a dit que, en présentant ses demandes, le CostaRica

prétendait en réalité être co-souverain du fleu ve. Citant les propos de l’éminent juriste

latino-américain AndresBello sur la question du sumo imperio, il s’est interrogé sur ce qu’il

resterait de cet imperio s’il était fait droit aux demandes du Costa Rica. Cette question pourrait tout

aussi bien être posée dans l’autre sens: que rester ait-il du «droit» de navigation du CostaRica si

son exercice était entièrement subordonné au summum imperium du Nicaragua ?

4. Deuxièmement, l’éminent agent du Nicaragua a soutenu que le CostaRica aspirait à un

droit de navigation illimité: ainsi que l’attestent les écritures et les plaidoiries du CostaRica, tel

n’est pas le cas. Le CostaRica conteste une réglementation et des mesures invalidantes,

disproportionnées, inefficaces et discriminatoires. Ainsi que nous l’avons in diqué lors du premier

116
CR 2009/4, p. 12-14. - 33 -

tour de plaidoiries, le CostaRica ne serait, par exemple, pas opposé à ce que soient menées des

patrouilles fréquentes et vigilantes, pour, notamment , réduire le trafic de stupéfiants et la

contrebande 117. Ce à quoi le Costa Rica s’oppose, c’est aux mesures limitant considérablement son

droit de navigation, par exemple, l’obligation d’obtenir des certificats d’appareillage nicaraguayens

et le contrôle de chaque bateau costa-ricien, lors de chaque trajet ⎯ aussi bien aller que retour ⎯, à

chaque poste militaire nicaraguayen, ou le prélèvement de droits et taxes.

38 5. M. Argüello Gómez a enfin précisé que le Nicaragua détenait tous les pouvoirs de police,

et le Costa Rica aucun. La question se pose donc de savoir comment cela peut être conforme à la

décision rendue par le présidentCleveland lorsqu’il déclara, au paragraphe2 de sa sentence

de 1888, que le Costa Rica «peut naviguer sur ledit fleuve avec des bateaux du service des douanes

dans l’exercice du droit d’usage de ce fleuve «aux fins du commerce» que lui reconnaît [au

Costa Rica] ledit article [il s’agit bien évidemment de l’article VI], ou dans les cas nécessaires à la

118
protection de ce droit d’usage» .

6. La dernière remarque que je souhaiterais faire sur ce point concerne l’affirmation selon

laquelle, au confluent du SanJuan et du Colorado, 90%des eaux se déversent dans le Colorado.

Quel est le rapport avec la présente affaire ? L’on pourrait affirmer, de manière tout aussi justifiée,

que le Costa Rica apporte 70 % de ses eaux au San Juan, contre 30 % pour le Nicaragua.

2. La souveraineté du Nicaragua sur le San Juan et le droit perpétuel

de libre navigation du Costa Rica

7. Permettez-moi maintenant, Monsieur le pr ésident, Messieurs de la Cour, d’aborder la

relation entre la souveraineté et le droit perpétue l de libre navigation. M.Brownlie a indiqué, à

juste titre, que la stabilité est l’objectif principa l des traités établissant une frontière. Je dirais

même que l’instrument en question, le traité Cañas-Jerez de1858, avait également pour objet

d’assurer la stabilité, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’un traité ordinaire

établissant une frontière. Le Nicaragua étant resté extrêmement discret sur cette question, je

souhaiterais rappeler que le tra ité de1858 établit un régime juri dique global pour la zone du

SanJuan: établissement de la frontière internati onale sur la rive costa-ricienne du cours inférieur

117
CR 2009/3, p. 28.
118
MCR, vol. 2, p. 18. - 34 -

du SanJuan (art.II); droit pour les deux Etats riverains de naviguer sur la partie du fleuve où la

navigation est commune, et droit pour les bateaux de chacun des deux pays d’accoster sur la rive de

l’autre (art.VI); constitution en condominium des eaux situées à chaque extrémité de la frontière

(eaux de la baie de Salinas et de San Juan del Norte) (art. IV) ; défense commune du fleuve en cas

d’agression extérieure (art.IV); interdiction d es actes d’hostilité sur le fleuve, sur le lac de

Nicaragua et dans le port de SanJuan del Nort e (art.IX) et obligation pour le Nicaragua de

consulter le Costa Rica s’il envisage de réaliser des travaux de canalisation du fleuve (art. VIII).

39 8. J’ai vraiment du mal à admettre que nous soyons en présence d’un simple traité de

frontière. En fait, cet instrument combine différent s éléments qui établissent à la fois une frontière

et un régime. Pour reprendre les termes utilisés par mon ami et collègue Ian Brownlie, l’agrégation

de ces éléments donne naissance à une manière de «porosité» juridique, porosité qui se retrouve

dans d’autres instruments conventionnels similaires.

9. Qualifier le traité de1858 de traité front alier, sans guère lui reconnaître d’autre portée, a

conduit le Nicaragua à soutenir que l’élément principal de cet instrument était sa souveraineté sur

les eaux et le lit du fleuve, alors que le Costa Rica estime, comme le Nicaragua l’aura compris, que

ses droits de navigation prédominent. C’est ce point qui constitue la principale pomme de discorde

entre les Parties.

10. Le Nicaragua estime que sa souveraineté doit prévaloir et que toute exception à

l’exercice de cette souveraineté doit, en vertu de la jurisprudence de la Cour, être interprétée de

manière restrictive. J’ai déjà tenté de démontrer que cette jurisprudence n’était pertinente que s’il

119
existait un doute quant au sens de la disposition en question . En l’absence d’un tel doute,

l’interprétation doit être conforme aux principes énoncés dans la convention de Vienne de 1969 sur

le droit des traités, y compris le principe ut magis valeat quam pereat : on ne saurait priver d’effet

le principe de libre navigation en le subordonnant à la volonté du souverain territorial. Il ne saurait

être laissé à l’appréciation unilatérale de cet Etat.

11. Le CostaRica a une approche très différe nte de la question. Comme la plupart des

concepts du droit international, la souveraineté n’est pas absolue; elle est fonction des droits et

119
CR 2009/2, p. 43-44. - 35 -

obligations spécifiques de l’Etat concerné. Autr ement dit, ainsi que cela a été indiqué lors du

premier tour de plaidoiries, il n’y a pas une hiérarchie entre souveraineté et droit de navigation,

mais une souveraineté limitée par les obligati ons internationales inhérentes au régime

120
conventionnel . Il n’y a là rien d’extraordinaire.

12. Ce raisonnement semble être confirmé par le défendeur lui-même. En effet, dans sa

duplique 12, le Nicaragua prend soin de démontrer qu e la réglementation et les mesures qu’il a

adoptées sont «raisonnables». Pour le CostaRica, elles ne le sont pas, mais le fait même que le

Nicaragua cherche à les justifier revient à admettre que sa souveraineté est bel et bien limitée par

40 les obligations qui lui incombent en vertu du traité Cañas-Jerez, en particulier celles découlant du

droit perpétuel de libre navigation du Costa Rica.

13. Pour conclure cette première partie de mon exposé, j’insisterai sur les points suivants :

i) le traité de 1858 est un instrument qui étab lit une frontière et le régime international d’un

cours d’eau, régime présentant plusieurs aspects ;

ii) dès lors, la souveraineté et le droit de navigation sont deux éléments d’un seul et même

ensemble. Ils sont sur un pied d’égalité, en ce sens que l’on ne saurait dire, pour faire

simple, que l’un prévaut sur l’autre ; et,

iii)aux fins de la présente espèce, cela si gnifie que le Nicaragua ne saurait exercer sa

souveraineté par des mesures et une réglemen tation qui seraient illicites, discriminatoires

ou déraisonnables, en ce sens que les droits de navigation du Costa Rica seraient affectés

de manière disproportionnée. Cette réglementation et ces mesures doivent également être

efficaces, c’est-à-dire qu’elles doivent permettre de prévenir et de réduire certaines

activités indésirables telles que la contrebande et le trafic de stupéfiants.

14. Ces conclusions m’amènent à la deuxième question que je souhaite aborder, à savoir le

caractère licite et raisonnable de la réglementa tion et des mesures prises par le Nicaragua qui

limitent le droit perpétuel de libre navigation du Costa Rica.

120
CR 2009/3, p. 32-33, 36 et 45.
121
DN, vol. II, par. 4.34-4.98. - 36 -

3. Caractère licite et raisonnable de la réglementation et des mesures nicaraguayennes

a) Questions d’ordre général

15. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’en viens donc à la question du droit de

réglementer les utilisations des cours d’eaux tels que le San Juan. L’Etat défendeur a invoqué une

série d’autorités et de précédents pour étayer ce droit. M.Brownlie a cité un certain nombre

d’autorités afin de démontrer qu’il n’y a, dans la pratique latino-américai ne, ni droit général ni

122
liberté de navigation sur les fleuves ; nous n’avons pas dit qu’il y en avait. Nous n’avons pas

non plus fait la proposition «extravagante» 123selon laquelle ce droit de navigation ⎯ énoncé et pas

simplement «mentionné» da ns le traité de1858 ⎯ serait, et je cite M.Brownlie, «absolu ou

impératif». Ce que nous avons dit, et que nous maintenons, c’est que l’on ne saurait faire

disparaître un droit conventionnel de libre navigatio n à force de le réglementer en invoquant la

41 souveraineté du Nicaragua. Cette observation vaut aussi pour les passages de Wheaton et

O’Connell qui ont été cités.

16. Reste l’affaire James H. McMahan (Etats-Unis) c.Etats-Unis du Mexique , amplement

124
citée par M.Brownlie . Celle-ci avait trait à une partie du RíoGrande qui servait de frontière

entre les deux pays, dont le régime était celui de la libre navigation, et aux citoyens américains qui

l’empruntaient. La commission générale de réclamations Etats-Unis/Mexique jugea, à la majorité,

que le Mexique était «en droit d’exercer des pouvoirs de police, du moins certains pouvoirs de

police, sur le cours du Río Grande», sans pour auta nt les définir. Dans cette même décision figure

la réserve suivante :

«Il est … raisonnable de penser que ce pouvoir local ne doit pas être exercé de

manière à faire échec au passage innocent dans les eaux du fleuve, en particulier s’il
est établi par traité.»25 (Les italiques sont de nous.)

Cette observation est très pertinente pour la présente espèce. Il convient pourtant d’en faire encore

une autre, à savoir que, contrairement à la présente espèce, le RíoGrande est un fleuve dont les

eaux sont divisées entre ses deux riverains, probablement au milieu du thalweg, et sur lequel les

122CR 2009/4, p. 30.
123
Ibid.
124
Ibid., p. 32.
125Organisation des Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales internationales (RSAI), vol. IV, p. 490. - 37 -

mariniers ont toujours pu tenter de passer du cô té de l’Etat dont ils sont nationaux. Les

Costa-Riciens n’ont pas cette possibilité.

17. Dans son exposé du 6 mars 2009, M. Reichl er a mentionné trois autres textes portant sur

126
le pouvoir réglementaire des Etats . L’article6 du statut sur le régime des voies navigables

d’intérêt international, signé à Barcelone en1921, permet aux riverains de promulguer des lois et

règlements concernant la santé publique, la lutte contre les maladies, les mouvements de personnes

et les douanes,

«[étant] entendu que ces dispositions et ces mesures ne dépassant pas les nécessités et
appliquées sur un pied de parfaite égalité aux ressortissants, aux biens et aux pavillons

de l’un quelconque des Etats contractants, y compris l’Etat contractant qui les édicte,
ne devront pas, sans motif … entraver le libre exercice de la navigation » (les italiques
sont de nous).

18. Le projet de règlement international de navigation fluviale («Draft International

Regulation on River Navigation»), adopté en1887 pa r l’Institut de droit international, consiste

essentiellement en une série de règles internationales générales ne contenant rien de précis sur les

réglementations nationales. Tout ce que l’on peut lire à son article28, c’est que chaque riverain

42 préserve ses droits souverains su r ses parties des fleuves, mais «within the limits laid down by the

stipulations of this Regulation and by the Treaties and Conventions» (les italiques sont de nous).

19. Un autre texte cité par M.Reichler est celui des règles de Berlin sur les ressources en

eau, adoptées en2004 par l’Association de droit in ternational sans pour autant faire l’unanimité.

L’article 45 de ces règles permet à un Etat riverain de :

«réglementer, limiter ou suspendre la naviga tion, s’il l’estime nécessaire, aux fins de
la sécurité ou de la santé publiques et de la protection de l’environnement, sur la partie

du cours d’eau relevant de sa juridiction, pour autant qu’il n’entrave pas la navigation
d’un autre Etat riverain de manière discriminatoire et ne trouble pas de manière
déraisonnable la jouissance des droits de navigation…» 12. [LW]

20. Enfin, on ne voit vraiment pas que l rapport la convention de Montreux de1936

concernant le régime des détroits turcs peut avoir avec la présente espèce 12. Cette convention

concerne le droit de la mer, et nous les cour s d’eau. On a l’impression que le Nicaragua fait

l’amalgame entre le droit de la mer et celui des cours d’eau internationaux quand cela l’arrange.

126CR 2009/4, p. 13-14.
127
DN, vol. II, annexe 72 ; les italiques sont de nous.
128Société des Nations, Recueil des Traités, vol. 173, p. 215. - 38 -

De plus, aux termes de l’article cité, il y a une liberté de transit et de passage dans les détroits,

laquelle est réglementée ⎯ c’est-à-dire régie ⎯ par les dispositions de la convention. Je ne vois

pas ce que cela pourrait prouver dans le contexte de la présente affaire.

21. La Cour relèvera qu’aucun de ces textes ne porte sur les traités de frontière conférant un

droit de navigation. Aucun d’eux n’envisage le cas particulier d’une frontière qui longe la rive

d’un fleuve. On peut néanmoins en déduire que , lorsqu’ils mentionnent des réglementations, ils

précisent qu’elles doivent être raisonnables, non arbitraires et non discriminatoires. Telle a été, et

est toujours, la position du Costa Rica : les Etats riverains peuvent réglementer s’ils respectent ces

conditions. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, le moment est venu de se pencher sur les

réglementations et mesures nicaraguayennes.

b) Réglementations appliquées et mesures prises par le Nicaragua

i) bservatiog nénérale

22. Avant d’examiner ces réglementations et mesures une par une, je ferai deux observations

préliminaires ⎯ l’une de caractère particulier l’autre de car actère général. Il convient tout d’abord

43 de noter que l’engagement écologique du Nicaragua est indéniablement monté en puissance du fait

de la présente instance, bien que quelques réserve s puissent être émises en raison des insuffisances

129
que j’ai déjà relevées . En ce qui concerne la protection de l’environnement en général, le

Nicaragua a, entre autres, tenté de tirer argument de l’exploitation du bois en invoquant la

130
déclaration sous serment Molina . Rien ne permet cependant d’affirmer que le bois dont il est

question dans celle-ci ait effectivement été coupé au Nicaragua par d es Costa-Riciens. Nul ne sait

comment, par qui, quand et où a été prise la photographie reproduite dans la duplique du

Nicaragua 131.

23. Ma seconde observation est que pour être raisonnables les réglementations et mesures

doivent être efficaces, afin de réaliser l’objectif visé par leur adoption. Si elles ne sont pas

efficaces, elles ne sont d’aucune utilité et, par c onséquent, sont déraisonnables. La condition de la

non discrimination n’est, du moins à mon sens, pas remplie, si les redevances perçues ne sont pas

129CR 2009/3, p. 25-26.
130
DN, vol. II, annexe 72.
131DN, vol. I, p. 93. - 39 -

les mêmes pour tout le monde ou changent tout le temps. Enfin, l’interdiction de l’ arbitraire sert à

empêcher, entre autres, que des réglementati ons soient adoptées et des mesures prises sans

fondement juridique valide et sans être communi quées à ceux auxquels elles doivent s’appliquer,

en l’occurrence le CostaRica. La certitude et la transparence juridiques sont le meilleur moyen

d’éviter l’arbitraire.

ii) L’obligation de faire halte et de s’enregistrer

24. Je vais à présent examiner la première mesure spécifique, qui est l’obligation de faire

halte et de s’enregistrer. Cette obligation aura it une multitude d’objectifs qui ont été examinés très

en détail. Ses vertus préventives ont été vantées. L’une des principales objections du Costa Rica

est que pour chaque trajet un droit de 5 dollars des Etats-Unis doit être acquitté, auquel s’ajoutent

des frais de manutention de 2dollars des Etats-Unis à l’entrée et à la sortie du pays. Si cette

somme peut sembler insignifiante aux conseils plai dant devant la Cour, e lle est énorme pour les

habitants d’une région pauvre du CostaRica qui, au quotidien, sont tributaires du fleuve. On se

demande aussi quels sont, au fond, les services re ndus, étant donné que leur contribution à la

prévention de la criminalité et des accidents semble mince. Enfin, on pourrait se demander si tous

44 ces contrôles incessants ⎯deux par jours, pour chaque trajet, à chaque poste frontière ⎯ restent

dans les limites du raisonnable. Ne constituent-ils pas plutôt à une forme de harcèlement ?

iii) Les certificats d’appareillage

25. J’en viens à présent à la question des certificats d’appareillage. On nous a indiqué, à la

fin de la semaine dernière, que la délivra nce de ces certificats par le Nicaragua visait

essentiellement à assurer la sureté et la navigabilité des bateaux, et également à vérifier qui était à

leur bord et ce qu’ils transportaient 13. Les droits facturés, censés rémunérer des services rendus,

133
varient, comme le montre une annexe du mémoire du Costa Rica, entre 5 et 25dollars des

Etats-Unis – vous trouverez un reçu pour la somme de 25 dollars des Etats-Unis sous l’onglet 62 du

dossier de plaidoiries (projection) —et sont perçus pour chaque trajet. Pour les bateliers de la

région, 25dollars des Etats-Unis représentent une somme considérable comparée aux salaires et

132
CR 2009/5, p. 20.
133
MCR, vol. VI, annexe 241. - 40 -

bénéfices locaux. Ayant moi-même voyagé dans la région comme tous les conseils du Costa Rica,

et ergo in Arcadia , j’ai été témoin tant de la procédure d’arrêt et d’enregistrement que de

l’inspection des bateaux en vue de contrôler leur na vigabilité et l’identité de leur cargaison et de

leurs passagers. Je n’ai pas eu de chance; bien qu’une somme ait été versée, je n’ai vu aucune

inspection sur le bateau. Aucun service n’a été rendu pour lequel un droit pouvait être perçu.

26. Encore une fois, Monsieur le président, on se demande quel est le fondement juridique de

cette condition, puisqu’aucune législation à l’appui n’a été fournie sauf pour les visas et les cartes

de touriste. La valeur préventive revendiquée de la mesure est minime puisque celle-ci n’est pas

appliquée méthodiquement. La variation du montant des droits évoque l’arbitraire.

27. Il est toutefois allégué par la Partie adverse que des certificats d’appareillage sont

délivrés aux résidents costa-riciens de la ré gion «régulièrement» et sans frais, «[p]ar pure

courtoisie» comme l’a indiqué M. Reichler 134. La «régularité» exacte de cette pratique est

démontrée par les éléments de preuve soumis par le Costa Rica dans son mémoire et sa réplique :

sur six résidents locaux, quatre ont témoigné avoir dû s’acquitter de droits 135.

28. M. Reichler justifie l’imposition d’un dro it pour les certificats d’appareillage en disant

qu’il ne s’agit pas d’un «impôt», lequel violerait l’article VI, mais qu’«[i]l correspond à un service

45 rendu…une «redevance», pas une taxe» 136. Il a insisté sur ce point, suggérant que «tous les

137
éléments de preuve…contredi sent» la qualification de «taxe» que j’ai appliquée à ces droits.

M.Reichler ne cite aucun élément de preuve à l’appui de son affirmation 138selon laquelle des

services sont rendus, et celle-ci est contredite pa r ceux qui figurent dans le dossier, à savoir les

témoignages des bateliers costa-riciens, qui déclarent qu’aucune inspection n’a jamais été effectuée

et aucun service jamais rendu en échange d’un certificat d’appareillage 13. Ces preuves ne sont pas

reconnues dans la duplique du Nicaragua qui se contente d’affirmer, sans référence, qu’une

inspection est effectuée. Elles ne sont pas non plus reconnues par M. Reichler, qui a fait de même.

134CR 2009/5, p. 21.

135MCR, vol. IV, annexe 92, 96, 103 et 108 ; RCR, vol. II, annexes 50 et 51.
136
CR 2009/5, p.21-22.
137
CR 2009/5, p.22.
138CR 2009/3, p.29.

139RCR, annexe 51, p. 281-282, annexe 52, p. 283. - 41 -

29. Quelle que soit le nom que donne le Ni caragua à la somme versée pour obtenir un

certificat d’appareillage, en l’absence de service rendu et aussi modeste cette somme soit-elle, il

140
s’agit bel et bien d’une taxe . En outre, si un service est rendu, le droit perçu ne peut dépasser le

141
coût réel de l’inspection : son montant ne saurait dé pendre du bon vouloir du militaire

nicaraguayen en service. La distinction entre une taxe et la rémunération de services rendus 142 est

bien connue en droit international et dans la pratique et rien ne donne à penser qu’elle n’est pas

applicable en l’espèce. Les réfé rences étayant cette proposition figurent dans les notes de bas de

page de mon intervention.

30. Enfin, il y a la prétendue reconnaissance par le Costa Rica de la procédure relative aux

certificats d’appareillage suivie par le Nicara gua. La réunion, en 1997, de la commission

binationale concernait le trafic de drogue et visait à attirer l’attention des autorités nicaraguayennes

sur ce problème. La mesure débattue lors de la réunion consistait pour chaque Etat à veiller à ce

que les bateaux «naviguent uniquement s’ils ont ét é dûment enregistrés par les postes qui délivrent

les certificats de navigation correspondants, en l’espèce, les postes de Sa n Juan del Norte, de
46

SanCarlos et de Sarapiquí» 143. Cela signifie une obligation d’enregistrement auprès d’un poste

frontière –-costa-ricien ou nicaraguayen— habilité à délivrer de tels certificats. Il n’est indiqué

nulle part que les bateliers doivent obtenir, du Nicaragua, des certificats d’appareillage délivrés

pour chaque trajet ni, à fortiori, que le Costa Ri ca a admis une telle pratique. On est loin de

pouvoir conclure, comme l’a fait M. Reichler, que «le Costa Rica lui-même convenait que les

conditions d’enregistrement et d’obtention de cer tificats d’appareillage imposées par le Nicaragua

140Voir, par exemple, l’affaire 24/68, Commission c. Italie, 1969, Recueil de la jurisprudence , p.193 ;
affaire 18/71 Eunomia c. Italie, 1971, Recueil de la jurisprudence, p. 811 ; affaire 39/73 REWE-Zentralfinanz c. Direktor
der Landwirtschaftskammer Westfalen-Lippe, 1983, Recueil de la jurisprudence , p1.0; affai314/82
Commission c. Belgique, 1984, Recueil de la jurisprudence, p. 1543

141Voir, par exemple, l’affaire 18/87,Commission c. Allemagne, 1988, Recueil de la jurisprudence , p.5427;
affaire 132/82, Commission c. Belgique, 1983, Recueil de la jurisprudence, p. 1649 ; affaire 24/68 Commission c. Italie,
1969, Recueil de la jurisprudence, p. 192; Commission c. Belgique, 1984, Recueil de la jurisprudence , p.1543;
affaire 46/76 Bauhuis, 1977, Recueil de la jurisprudence , p.5. Voir également art. IIc) de l’accord général sur les

tarifs douaniers et le commerce de 1994; art.VIII.1 a) GATT de 1994; rapport du groupe spécial de l’OMC,
Inde ⎯Droits additionnels et droits add itionnels supplémentaires sur les impor tations en provenance des Etats-Unis ,
9juin2008, par. 7.301-7.394; rapport du groupe spécial de l’OMC, Etats-Unis ⎯Mesures à l’importa tion de certains
produits en provenance des Communautés européennes , 17 juillet 2000, par. 6.70 ; rapport du groupe spécial du GATT,
Etats-Unis ⎯Redevances pour les opérations douanières , 2 février 1988, par. 68-117; rapport du groupe spécial du
GATT, CEE ⎯Régime concernant les prix minim aux à l’importation, le certificat et le cautio nnement pour certains

produits transformés à base de fruits et légumes, 4 octobre 1978, par. 4.6.
142Art. II.2 c), GATT de 1994.

143DN, vol. II, annexe 4. - 42 -

144
se justifiaient pleinement et qu’il les approuvait comme telles» . Les développements consacrés à

la question dans le mémoire du Costa Rica montrent que celui-ci a contesté l’exigence de certificats

145
d’appareillage sans interruption de 1980 à aujourd’hui. .

iv) L’interdiction de naviguer de nuit

31. J’en viens maintenant à l’interdiction de naviguer de nuit. Comme cela a déjà été

146
indiqué , la navigation dans la portion supérieure du San Juan peut être dangereuse; elle l’est

bien moins dans la partie du fleuve qui est ouvert e à la navigation commune, partie où le San Juan

est large et où, hormis quelques branches mortes et bancs de sable ⎯comme il en existe dans la

plupart des autres cours d’eau navigables ⎯, les obstacles majeurs sont peu nombreux. Par le

passé, la navigation de nuit n’était pas interdite , mais peut-être nos amis nicaraguayens nous

147
diront-ils que le San Juan est de venu dangereux du fait du «Plan d’action» de l’armée. Ce plan

est, du moins à notre connaissance, la seule justification de ladite mesure, et le Nicaragua ne l’a pas

communiqué au Gouvernement costa-ricien. Il s’ agit là, de toute évidence, d’une très curieuse

façon d’entretenir des relations de bon voisinage . Sans doute est-ce dû à une conception par trop

optimiste de la «souveraineté» au sens du traité de 1858.

32. Lors de ma précédente intervention sur ce point, je me suis permis d’avancer qu’une

meilleure ⎯ et moins intrusive ⎯ manière de réduire ou de prévenir les risques liés à la navigation

de nuit serait peut-être de coopérer et de mettre en place des dispositifs lumineux sur les rives du

fleuve, tout en obligeant les embarcations naviguant de nuit à être équipées de feux de navigation.

Il s’agit là de mesures tout à fait classiques en matière de navigation de nuit, tant sur les fleuves

47 internationaux que dans les eaux côtières de tous les Etats, qu’ils soient riches ou pauvres.

M.Argüello Gómez a reconnu que j’étais animé de s meilleures intentions mais a estimé que je

connaissais mal le fleuve et n’étais guère au fait de l’extrême pauvreté de la majeure partie de la

148
population locale . Je le laisse juge de mon ignorance, mais une chose est sûre : l’utilisation de

144CR 2009/5, p. 21.

145MCR, vol. I, par. 5.11-5.26.
146
CR 2009/3, p. 31.
147DN, annexe 48.

148CR 2009/5, p. 23. - 43 -

feux de navigation, tout particu lièrement dans le cadre d’un acco rd, permettrait d’améliorer la

sécurité de la navigation au moins autant ⎯ et sans doute davantage ⎯ que les mesures hautement

intrusives prises par le Nicaragua pour interdire la navigation douze heures par jour.

33. S’agissant des activités nocturnes des bateaux nicaraguayens, M. Reichler a indiqué que

149
je «ne conna[issais] pas bien [ma] géographie» . C’est peut-être vrai. Le fait est, néanmoins, que

les bateaux nicaraguayens qui circulent de nuit le font dans les portions supérieures du SanJuan.

150
Deux illustrations actuellement projetées à l’écran l’attestent . Ces illustrations, sur lesquelles

sont indiqués les lieux et les horaires de départ et d’arrivée, apparaissent ⎯ comme je l’ai dit ⎯ à

o
l’écran, et elles figurent sous l’onglet n 63 du dossier de plaidoiries. Il s’agit là incontestablement

d’une question purement interne, mais cela montre bien que ce qui peut être considéré comme

dangereux pour certains ⎯et les portions supérieures du fleuve le sont ⎯ ne l’est pas pour

d’autres.

34. En résumé, l’interdiction que nous dénonç ons est illicite, déraisonnable, arbitraire et

dépourvue de tout fondement juridique autre que le «Plan d’action» de l’armée.

v) L’obligation d’arborer le pavillon nicaraguayen

35. J’en viens maintenant à l’obligation d’arborer le pavillon nicaraguayen. Je serai très bref

sur ce point. En dépit de mes pérégrinations sur le San Juan, je ne sais pas si cette obligation

s’impose à tous les bateaux costa-riciens, ou seulement à ceux qui sont équipés de mâts et de

151
tourelles, comme le prétend M.Reichler ; en effet, l’embarcation sur laquelle j’ai navigué

arborait un drapeau sur l’un de ses flancs. Comme elle n’avait ni mât et tourelle, peut-être

s’agissait-il d’un geste de courtoisie de son propriétaire; à moins —ce qui est plus

vraisemblable —, que celui-ci ait agi de la sorte par peur de sanctions. Ceci m’amène à une autre

affirmation de M.Reichler, à savoir que jamais aucun bateau costa-ricien ne s’est vu interdire de

149
CR 2009/5, p. 24.
150Voir http://www.nicatour.net/en/nicar agua/orario_lanchas_rio_san_juan.asp et http://www.visitariosanjuan.

com/elcastillo/elcastillo-comollegar-es.html.
151CR 2009/5, p. 26. - 44 -

152
48 naviguer parce qu’il n’arborait pas le pavillon nicaraguayen . Evidemment, puisque les bateliers

ne voulaient pas provoquer de tels incidents.

36. Au cours de ma précédente intervention sur ce point, j’ai indiqué qu’il pouvait exister

une pratique, inspirée de la courto isie internationale, voulant que l’ on arbore le pavillon de l’Etat

153
territorial en plus de celui de l’Etat du pavillon . Cela a conduit M. Reichler à conclure que «le

Nicaragua…en tant que souverain sur ces eaux …est en droit d’exiger cette courtoisie» 154.

Permettez-moi d’en douter sérieus ement: comment peut-on vouloir transformer une règle de la

courtoisie internationale en une réglementation interne contraignante relative à l’exercice d’un droit

conventionnel de navigation? Cette réglementation qui, soit dit en passant, est une autre

conséquence du «Plan d’action» de l’armée nicaraguayenne est, à mon sens, tout à fait inutile.

vi) Les obligations en matière d’immigration et de visas

37. J’en viens maintenant à la dernière série de mesures, à savoir les obligations en matière

d’immigration et de visas. M. Reichler soutient que, en pratique, l’obligation d’obtenir un visa ne

concerne qu’une minorité de personnes naviguant sur le fleuve à bord de ba teaux de tourisme, la

plupart d’entre eux y échappant. De plus, «par cour toisie», les riverains et bateliers costa-riciens

sont autorisés à circuler sans visa ou carte de touriste 155et, dès lors, ne doivent supporter aucune

charge financière.

38. Pourtant, le Costa Rica a démontré que les bateliers étaient bel et bien obligés d’obtenir

des visas pour exercer leur profession 156; d’ailleurs, certains touris tes n’ont pas pu achever leur

157
circuit parce que les bateliers qui les transportaient n’avaient pas de visa . Un batelier a en outre

été arrêté par l’armée nicaraguayenne parce qu’il n’était pas muni de son passeport. Il a dû ensuite

158
se rendre à San José à deux reprises pour s’y procurer, contre paiement, deux visas . Cela

démontre qu’il y a parfois des exceptions, mais pa rfois seulement. De plus, lorsque le Nicaragua

152Ibid.
153
CR 2009/3, p. 33.
154
CR 2009/5, p. 26.
155Ibid., p. 25.

156MCR, annexes 85, 87, 91, 92, 93, 95 et 189 ; RCR, annexes 51 et 52.

157MCR, annexe 86.
158
MCR, annexes 84, 238 et 244. - 45 -

précise que, par courtoisie, les riverains et bateliers sont dispensés d’obtenir un visa ou une carte de

touriste, cela signifie bien entendu qu’il peut revenir sur cette dispense quand bon lui semble.

49 39. Si ces mesures sont effectivement appliquées, et si l’on permet qu’elles restent en

vigueur, elles auront des conséquences financières considérables pour les bateliers : 25 dollars des

Etats-Unis par visa, auxquels s’ajoutent les frais de voyage pour se rendre à San José et en revenir,

5dollars des Etats-Unis par touriste plus 4dollars des Etats-Unis de droits d’immigration

⎯ également par touriste —, et de 5 à 25 dollars des Etats-Unis au titre du certificat d’appareillage.

Par conséquent, si un batelier deva it transporter des touristes sur le San Juan une fois par semaine

tout au long de l’année, il lui faudrait passer pl us de cent jours à l’ambassade du Nicaragua à

SanJosé pour obtenir des visas. Au total, cel a lui reviendrait à quelque 2800dollars des

Etats-Unis. Voilà donc ce que M.Reichler qualifie de «réglementation, peu contraignante, en

matière d’immigration» 159.

40. D’un point de vue juridique, les mesures en question sont extrêmement contestables.

Comme je l’ai indiqué lors d’une précédente in tervention, les bateliers et leurs passagers

160
empruntent le plus souvent le fleuve en transit, sans rester au Nicaragua . Cela signifie qu’ils ne

devraient en aucun cas être obligés de se munir d’un visa et d’une carte de touriste. J’ai également

tenté d’expliquer pourquoi la nécessité pour les Nicaraguayens d’obtenir un visa lorsqu’ils entrent

en territoire costa-ricien était dépourvue de pertinence à cet égar d. En effet, la différence est que

le CostaRica jouit de droits conventionnels de passage en transit sur le fleuve, alors que les

Nicaraguayens qui entrent au Costa Rica ne jouissent d’aucun droit de cette nature. Les mesures en

question, outre qu’elles sont déraisonnables, sont donc illicites.

4.C ONCLUSIONS

41. Monsieur le président, Messieurs de la C our, j’en arrive au terme de mon exposé. Mes

conclusions générales sont au nombre de trois :

i)Le CostaRica soutient que la souvera ineté du Nicaragua sur le SanJuan doit être

considérée comme une partie ⎯ une partie importante ⎯ du régime fluvial établi en 1858.

159
CR 2009/5, p. 25.
160
CR 2009/3, p. 28. - 46 -

ii) La réglementation adoptée par le Nicaragua ne doit pas entraver le droit perpétuel de libre

navigation du CostaRica. Cette réglementati on doit en particulier être licite, publique,

non arbitraire et non discriminatoire. De plus, elle doit être conçue pour atteindre un but

d’intérêt général légitime.

50 iii)Aucune des mesures appliquées par le Nicaragua ne remplit ces conditions; elles

constituent des violations du tr aité de1858, de la sentence Cleveland et de la décision

de 1916 de la Cour de justice centraméricaine.

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie pour votre attention et votre

patience. Puis-je me permettre de vous demander de bien vouloir appeler à la barre M. Crawford ?

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Caflisch, pour votre exposé. J’appelle

maintenant à la barre M. Crawford.

M. CRAWFORD :

IV. BATEAUX OFFICIELS ,DROITS CONNEXES ET RÉPARATIONS

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , dans cet exposé, je traiterai en premier lieu

de la question des bateaux officiels, en deuxième lieu, des droits connexes, particulièrement le droit

de pêche à des fins de subsistance et, en troisi ème lieu, des réparations. Etant donné les positions

prises par le Nicaragua sur les deux derniers points, je pourrai heureusement être bref.

Les droits de navigation du Costa Rica avec des bateaux officiels

2. Pour ce qui est des droits de navigation avec des bateaux officiels, M.Kohen a déjà

démontré que les bateaux de l’Etat costa-ricien j ouissaient des mêmes droits de navigation aux fins

du commerce que les bateaux privés costa-riciens. Je ne reviendrai pas là-dessus, si ce n’est pour

souligner un point important : un fonctionnaire, un ag ent de santé par exemple, peut emprunter le

fleuve au titre de la navigation commerciale. L es services de santé costa -riciens ne possèdent pas

leurs propres bateaux. Quand ils ont besoin de fournir des médicaments ou de prodiguer d’autres

formes de soins de santé aux communautés riveraines, leurs employés font ce que fait tout

particulier qui doit emprunter le fleuve et qui n’a pas de bateau : ils prennent, à Sarapiquí ou à un

autre port fluvial, l’un des bateaux locaux qui se loue nt à la journée. Or, ces bateaux costa-riciens - 47 -

exercent leur droit de libre navigation à des fins commerciales. Le fait que certains de leurs

passagers aillent apporter des médicaments ou traite r une épidémie due aux larves de la lucilie

bouchère n’a pas d’importance. La navigation rest e «commerciale», dans tous les sens du terme.

Les taxis londoniens ne peuvent pas prendre de voy ageurs sans permis. Ils assurent un service, ils

exercent une activité commerciale, même quand ils conduisent des ministres du cabinet qui sont en

retard à des réunions au 10DowningStreet. Il en irait de même pour des taxis fluviaux.
51

L’exercice par des bateaux privés costa-riciens de leur droit perpétuel de libre navigation ne dépend

pas des motivations des passagers. Si c’était le cas, nous assisterions à une fâcheuse forme de

sélection sur la rive du fleuve: les agents des services de santé publique chargés d’apporter des

médicaments aux communautés locales seraient exclus (à moins qu’ils ne soient allés, à chaque

fois, à SanJosé pour demander l’autorisation du gouvernement nicaraguayen de se rendre en

mission et pour obtenir un visa), alors que les représentants des laboratoires pharmaceutiques

étrangers qui vendent les mêmes médicaments en tant qu’articles de commerce seraient libres de

voyager. Cette sélection serait faite par du personnel militaire subalterne du côté nicaraguayen.

Voilà la version nicaraguayenne du droit perpétuel de libre navigation.

3. Mais je vais vous parler maintenant des bateaux officiels qui n’ exercent pas les droits

prévus à l’article VI de la manière que je viens de décrire.

a) La sentence Cleveland n’a pas déterminé les droits du Costa Rica de naviguer avec tous ses

bateaux officiels quels qu’ils soient

4. M. McCaffrey a déclaré que le président Cleveland «s’[était] prononcé sur la question de

savoir si le CostaRica avait le droit de navigue r sur le SanJuan avec ses bateaux de guerre ou

161
d’autres bateaux officiels» . Selon lui, la sentence Cleveland interdit la navigation de tous types

de bateaux officiels autres que ceux du service des douanes 16.

5. Ce n’est pas ce qui est dit dans la sentence Cleveland. La question soumise au

président Cleveland était rigoureusement circonscrite : elle visait à savoir «si le Costa Rica a[vait]

le droit de naviguer sur le fleuve SanJuan avec des bateaux de guerre ou des bateaux des

161
CR 2009/5, p. 31, par. 11 (McCaffrey) ; les italiques sont de nous.
162
CR 2009/5, p. 31, par. 11, p. 33, par. 18 (McCaffrey) ; les italiques sont de nous. - 48 -

163
douanes» . Le quatrième point d’interprétation douteuse soulevé par le Nicaragua était tout aussi

limité 164. Le Nicaragua fait abstraction de ces formulations restrictives. Les questions posées

étaient en réalité formulées pour mettre en éviden ce le véritable différend qui opposait les Parties à

l’époque. La correspondance échangée avant le recours à l’arbitrag e le confirme: il n’y est fait

référence qu’à la navigation sur le San Juan par la garde douanière 165.

52 6. Le Nicaragua soutient, sur la base d’une hypothétique question du Costa Rica qui occupe

quatre lignes dans une pièce de procédure de 181 pag es, que le «Costa Rica a soumis à l’arbitre la

question des droits généraux de navigation des bateaux officiels» 166. Cela n’est pas vrai. Le

CostaRica soulevait une question incidente dans le cadre de son argumentation, il ne reformulait

pas la question posée à l’arbitre. Dans sa propre argumentation devant le présidentCleveland, le

Nicaragua n’a fait référence à aucun bateau autr e que les bateaux de guerre et ceux du service des

douanes. Ni les parties ni l’arbitre n’ont abordé la question de la naviga tion des bateaux officiels

en général 167. En conséquence, la sentence répond à la question limitée du droit de navigation du

CostaRica avec des bateaux de guerre et des bateaux du service des douanes. Le

présidentCleveland n’a pas «rejet[é] l’idée» de droits généraux de navigation pour les bateaux

officiels 168, ni explicitement ni implicitement. Voyons ce qu’il a plutôt décidé.

b) La sentence Cleveland a reconnu aux bateaux des services des douanes un droit

conventionnel spécifique de navigation

7. M.McCaffrey a fait valoir que le préside ntCleveland était déterminé à «restreindre le

moins possible la souveraineté du Nicaragua» et que cette détermination ressortait «de la limitation

considérable des droits de navigatio n proposé par Rives pour le Costa Rica» 16. M.McCaffrey

s’est employé péniblement à montrer à la Cour que le présidentCleveland avait modifié «de sa

propre main» le projet de sentence préparé par Ri ves et l’avait «remplac[é] par sa propre décision,

163Art.VI, convention Esquivel--Roman, MCR, annexe14 ; voir aussi sentence Clev eland, MCR, annexe[1]6,
p. 457 (p. 98).

164MCR, annexe 207, p. 10.
165
CMN, annexes 28, 29, 30, 31 et 32.
166
CR 2009/5, p. 36, par. 26 (McCaffrey).
167Voir MCR, annexe 208, p. 48-49.

168CR 2009/5, p. [36], par. 2[6].

169CR 2009/5, p. 34, par. 21. - 49 -

beaucoup plus restrictive» 170. En réalité, les textes montrent exactement le contraire : là où Rives

proposait un simple «privilège», le présidentCleveland a prévu un droit conventionnel spécifique

de navigation pour les bateaux du service des douanes.

8. (Onglet 64.) Dans la version initiale de son projet, Rives proposait que les privilèges du

Costa Rica soient les mêmes que ceux dont bénéficie toute autre nation en temps de paix. Il faisait

référence à un «usage général…qui constitue un droit imparfait autorisant lesdits navires à

réclamer l’hospitalité» 171. Il proposait simplement que les bateaux de guerre et les bateaux du

service des douanes costa-riciens béné ficient du traitement réservé à ce ux de toute autre nation. Il

se fondait sur une pratique, tirée du droit international général et non du traité, consistant à accorder

des privilèges ⎯oui, des privilèges ⎯ aux bateaux étrangers dans les eaux territoriales. Pour

53 Rives, le Costa Rica ne possédait aucun droit conve ntionnel de navigation pour les bateaux de son

service des douanes, mais uniquement un droit impa rfait ou un privilège découlant de la pratique

internationale générale. Les droits conventionnels de navigation du Costa Rica se limitaient, selon

lui, aux droits de navigation commerciale et ne constituaient en aucun cas des droits de navigation

à titre officiel. Sur cette base, Rives proposait ce qui suit pour répondre à la deuxième question :

«les bateaux de guerre et ceux des servi ces des douanes appartenant au CostaRica
jouissent du même privilège de navigatio n sur le fleuve SanJuan que celui
généralement accordé par les nations civilisées dans leurs eaux territoriales aux

navires officiels de puissances amies en temps de paix ⎯ mais non de privilèges
différents ou plus importants» 172.

9. Le président Cleveland ne partagea pas ce point de vue, estimant que le Costa Rica avait

plus qu’un simple «privilège» accordé communéme nt à tout Etat. Les bateaux des douanes du

CostaRica pouvaient jouir d’un droit spécifique et perpétuel de navigation, consacré par le traité.

Autrement dit, qu’on le veuille ou non, le présidentCleveland a conclu à l’existence d’un droit

conventionnel de navigation pour les bateaux officiels visés dans la question qui lui était posée

⎯ les bateaux des douanes. Il a ainsi décidé que :

«La République du CostaRica, en vertu dudit traité et des dispositions de son
article VI, n’a pas le droit de naviguer sur le fleuve SanJuan avec des bateaux de
guerre, mais [il aurait dit «pero»] elle peut naviguer sur ledit fleuve avec des bateaux

170CR 2009/5, p. 3[3], par. 21.
171
CMN, documents originaux déposés au Greffe, vol II, annexe 71, p. 217 ; les italiques sont de nous.
17CMN, vol. II, annexe 7[1] ; les italiques sont de nous. - 50 -

du service des douanes pour autant que cela soit en rapport avec l’exercice du droit

d’usage de ce fleuve «aux fins du commerc e» que lui reconnaît ledit article, ou que
cela soit nécessaire à la protection de ce droit d’usage.» 173

10. Par cette décision faisant autorité, le président Cleveland établit que les bateaux des

douanes costa-riciens jouissaient d’un droit conventionnel de navigation «pour autant que cela [fût]

en rapport avec l’exercice du droit d’usage [du] fleuve «aux fins du commerce»» ou que cela [fût]

nécessaire à la protection de ce droit. Or , M.McCaffrey comme M.Reichler citent le

présidentCleveland de la manière suivante : «en rapport avec la navigation «con objetos de

174
comercio»» . Mais, bien qu’il comprît l’espagnol, Riv es écrivit en anglais et il écrivit «purposes

of commerce» [fins du commerce], parce que c’était l’expression qu’avaient employée les deux

parties et parce qu’elle traduisait la manière dont ce lles-ci entendaient les droits du Costa Rica. Le

président Cleveland décida que les bateaux des douanes du Costa Rica avaient le droit de naviguer

aux fins du commerce et le droit de naviguer pour protéger la navigation costa-ricienne aux fins du

commerce. C’était le point le plus important ⎯ de tous ceux examinés pendant l’arbitrage, c’était
54

le principal point de désaccord entre le présidentCleveland et Rives ⎯ et il traduisait une vision

plus large ⎯ et non pas plus étroite ⎯ des droits conventionnels du Costa Rica.

11. En particulier, alors que Rives estimait que le CostaRica devait s’acquitter de ses

obligations de protéger le commerce uniqueme nt à partir de sa propre rive du fleuve ⎯ les gardes

devant se déplacer entre les arbres à la recherche de choses à protéger, apparemment ⎯, la

formulation du présidentCleveland, que nous avons déjà citée, impliquait une interprétation plus

large. Dans le même contexte, M. McCaffrey a a ffirmé que «l’article IV ne conten[ait] … aucune

175
indication quant à l’emploi de bateaux à cette fin» : voilà qui est quelque peu étrange. Dans la

pratique, à l’époque comme aujourd’hui, la pr otection du commerce sur le fleuve se fait

uniquement par bateau. Je suppose que M.McCaffre y n’insinuait pas que le CostaRica devait

protéger le commerce sur le fleuve et dans les baies communes en faisant, disons, de la natation

synchronisée !

173
MCR, vol. II, annexe 16 ; les italiques sont de nous. Voir aussi, CMN, vol. II, annexe 72.
174CR2009/5, p.31, par.9 (McCaffrey); p.42, par.2 (Reichler); voir aussi p. 32, par. 17 (McCaffrey) ; p. 35,

par.24 (McCaffrey); p.45, par.9 (Reichler), p.46, par. 10 (Reichler); p.51, par.20 (Reichler); p.54, par.25
(Reichler) ; p. 56, par. 29 (Reichler).
175Ibid. - 51 -

12. Le CostaRica a expliqué dans ses écritu res que les fonctions remplies par la garde

douanière à l’époque de la sentence Cleveland ét aient à présent assurées par le service national de

176
gardes-côtes, la police fiscale, la police des frontières et les gardes rurale et civile . Le Nicaragua

n’a pas produit d’éléments de preuve ni fait de déclaration pour contredire cela. Monsieur le

président, Messieurs de la Cour, je le répète, ces faits sont chose jugée. M.Pellet a beau être

impressionné à la vue d’un bateau des douanes ⎯il me semble pourtant doté d’un courage plus

qu’ordinaire ⎯ la décision du présidentCleveland n’ en reste pas moins celle que je viens

d’exposer.

c) Les deux Parties conviennent que Cleveland a confirmé l’existence d’un droit de navigation
pour les bateaux officiels armés

13. (Onglet 65.) Durant le premier tour de plaidoiries, j’ai donné un aperçu de la navigation

costa-ricienne sur le SanJuan avec des bateaux ar més. Je l’ai fait parce que la Nicaragua avait

refusé de reconnaître que les bateaux du service des douanes étaient des bateaux armés et que

Cleveland avait confirmé l’existence, au bénéfi ce du CostaRica, de droits conventionnels de

navigation avec des bateaux officiels armés. Par exemple, dans son contre-mémoire, le Nicaragua

déclarait: «aucune navigation armée avec des navires costa-riciens n’est permise par le traité, tel

qu’il est interprété dans la sentence, sans l’autorisation préalable du Nicaragua» 177. Le Nicaragua a

178
maintenu cette position dans sa duplique , en défendant le décret présidentiel de2005 qui

55 disposait : «Le Gouvernement de la République du Nicaragua ne permettra pas la navigation armée

de forces étrangères [dans] les eaux territoriales nicaraguayennes.» 179 Ceci a toujours été un point

épineux, puisque le Nicaragua a fait valoir de vant Cleveland que les bateaux du service des

douanes étaient «des navires armés, capa bles de se faire obéir par la force» 180, et que le rapport

181
Rives en fait état . Mais il semble que l’histoire du Chandler et son épilogue heureux pour le

176CR 2009/3, p. 15, par. 28 (Crawford) ; MCR, appendice B.

177CMN, par. 3.1.58 d) ; voir aussi ibid., par. 3.1.9.
178
Voir, par exemple, DN, par. 5.33.
179
RCR, annexe 69 ; DN, par. 5.30-5.32.
180MCR, annexe 208, p. 49.

181CMN, annexe 70, p. 4. - 52 -

182
président ait finalement réglé la question ! Le CostaRica a le droit, confirmé par la sentence

Cleveland, de faire naviguer les bateaux armés de son service des douanes sur le San Juan, et le

183
Nicaragua l’a maintenant reconnu .

14. Ce point ayant maintenant été établi, la qu estion de la pratique est désormais totalement

accessoire. L’état du dossier sur le point de savoir si le CostaRica a exercé son droit

conventionnel de naviguer avec les bateaux armés de son service des douanes est dénué de

pertinence. J’ajouterai que les pièces écrites sont très peu nombreuses, de part et d’autre, et pour ce

qui est du Nicaragua, extrêmement ténues. Mais ce que je veux dire est qu’une fois qu’un droit est

né en vertu d’un traité valide et demeuré en vigueur, tel qu’interprété par un arbitre compétent avec

l’autorité de la chose jugée, ce droit survit indépendamment de son exercice.

15. Pendant que je suis, pour ainsi dire, à bord du Chandler, je relève que M. Pellet a donné

à la Cour des indications supplémentaires sur le type de bateau qu’envisageait Cleveland. Comme

il l’a fait observer, et cela est exact, le Chandler a servi en tant que bâtiment de la marine de guerre

184
et a été en service actif durant la guerre civile américaine . M. Pellet a dit ⎯ sans beaucoup de

conviction ⎯ craindre que le CostaRica arme immédiatement des ba teaux du même tonnage et

185
ayant les mêmes caractéristiques que le Chandler ou le Forward et les envoie sur le SanJuan .

Tel n’était pas mon but lorsque j’ai cité l’exemple du Chandler, et le CostaRica a mieux à faire

avec le budget limité dont il dispose que d’arme r de nouvelles vedettes du service des douanes à

cette échelle. Je l’ai cité uniquement pour dém ontrer deux choses: premièrement, le président

Cleveland savait parfaitement ⎯ et s’il ne le savait pas déjà, les parties le lui avaient dit ⎯ que les

bateaux du service des douanes étaient armés et, deuxièmement, qu’il sera it totalement paradoxal

56 que Cleveland ait autorisé des bateaux armés du service des douanes à naviguer sur le SanJuan

sans enfreindre l’interdiction faite aux bateaux de guerre et ait interdit dans le même temps la

navigation de ces humbles bateaux officiels costa-riciens, qui accomplissent les mêmes tâches, y

18CR 2009/3, p. 13-14, par. 23 (Crawford).
183
Voir, par exemple, CR 2009/5, p. 34-35, par. 23-24 (McCaffrey) ; ibid., p. 60, par. 10 (Pellet).
184
http://www.uscg.mil/history/webcutters/Jasmine_1866.pdf, cité dans CR 2009/5, p. 60, par. 10 (Pellet).
18CR 2009/5, p. 60, par. 10-11 (Pellet). - 53 -

compris celle, nécessaire, de ravitaillement des pos tes frontière gardant le fleuve sur la rive

costa-ricienne.

16. Comme je l’ai dit, le Nicaragua ayant admis que Cleveland a expressément autorisé la

navigation des bateaux armés du service des douanes su r le SanJuan, la constance de la pratique

ultérieure de navigation armée du Costa Rica revêt moins d’importance. Toutefois, M. Reichler a

déclaré que «le CostaRica n’a[vait] présenté à la Cour aucun document officiel ⎯ni, du reste,

aucun autre moyen ⎯ qui établirait … qu’il exerçait effectivement» ce droit de navigation avec des

186
bateaux du service des douanes . Ceci n’est pas vrai. J’ai appelé mardi votre attention sur les

preuves documentaires 187qui indiquent que la garde douanière exerçait les activités que le décret

188
de 1886 lui prescrivait d’exercer . Le fait même que le Nicaragua ait insisté sur ce point devant

Cleveland donne à penser que ces ba teaux naviguaient effectivement ⎯à défaut l’argument

n’aurait pas eu lieu d’être.

17. (Onglet 66.) L’affirmation de M.Reichler selon laquelle il n’y a pas de preuve de

l’exercice par le CostaRica de ce droit à une é poque plus récente peut être réfutée en citant

seulement un exemple. Le rapport de la gard e des douanes de Boca de San Carlos datée du

26 juillet 1968 indique que la garde a reçu une plainte concernant l’entreposage d’ipéca, une plante

toxique ⎯je crois comprendre que l’on utilise la racine de la plante ⎯ dans un endroit nommé

Infiernito (peut être bien nommé, puisqu’une plante toxique y était entreposée), un hameau situé

sur la rive du San Juan, et qu’elle s’est «rendu[e] dans ledit endroit» et a procédé à un inventaire de

l’ipéca qui s’y trouvait 189. Comme vous le voyez à l’écran, Boca San Carlos est distant d’environ

26kilomètres d’Infiernito si l’on emprunte le Sa nJuan, un trajet qui prend un peu moins d’une

heure en bateau. Le Nicaragua relève que ce rapport ne dit pas expressément «nous avons

emprunté le SanJuan», et il affirme qu’Infiernito est, à partir de Boca San Carlos, accessible par

190
voie terrestre . Il ne cite ni ne produit aucune carte à l’appui de cette allégation; la seule carte

186CR 2009/5, p. 44, par. 6 (Reichler).

187MCR, annexes 211, 212, 213, 215 et 216 ; RCR, annexes 31-38.
188
MCR, annexe 206, art. 5.
189RCR, annexe 33, p. 245.

190DN, par. 5.72. - 54 -

191
57 qu’il a produite est la carte Ecomapas , dont nous avons parlé, et sur laquelle ne figure ni

Infiernito ni aucune route dans ce secteur. En fait, il n’y pas de route directe entre Boca San Carlos

et Infiernito, mais seulement des pistes tortueuses carrossables durant la saison sèche. Mais

l’incident s’est produit en juillet, au milieu de la saison des pluies. Ceci est seulement un exemple ;

192
j’ai appelé l’attention de la Cour sur d’autres preuves documentaires . La pratique est corroborée

par les déclarations sous serment produites par le Nicaragua lui-même, qui confirment que des

bateaux de la garde civile costa-ricienne ont navigué sur le fleuve durant les années1960

et 1970 19.

d) Le communiqué conjoint Cuadro-Lizano confirme une pratique antérieure de notification et

non d’autorisation

18. (Onglet 67.) J’en viens à la description que donne M.McCaffrey du communiqué

conjoint Cuadro-Lizano qui, dit-il, «montre que [le CostaRica] reconnaît avoir besoin de

l’autorisation du Nicaragua pour naviguer sur le fle uve avec des bateaux officiels et armés afin de

194
ravitailler ses postes frontière» . M.McCaffrey n’a pas cité le texte du communiqué, ce qui se

comprend puisque les mots «permission» ou «autor isation» n’y apparaissent nulle part. Le

paragraphe du dispositif est projeté à l’écran et figure sous l’onglet67 de votre dossier de

plaidoiries. Je ne le lirai pas en entier, j’en soulignerai juste les mots clés :

«Troisièmement: Les deux ministres expriment leur volonté de régler les
incidents regrettables survenus ces derniers jours et, à cet effet, formulent les ordres

ci-après à l’intention de leurs subordonnés respectifs :

1. Les équipages des bateaux de la force publique du Costa Rica qui transportent le

personnel de police de relève et ravitaillen t les postes frontière établis sur la rive
droite du fleuve San Juan navigueront sur ledit fleuve après avoir donné le préavis
requis [aviso] , armés seulement de leurs armes normales, et les autorités

nicaraguayennes pourront accompagner les bateaux costa-riciens effectuant ces
déplacements sur le fleuve San Juan dans le urs propres moyens de transport. Si le
bateau nicaraguayen n’escorte pas les batea ux costa-riciens, ces derniers pourront

effectuer leur visite conformément a ux rapports correspondants des postes
frontière de la manière indiquée dans le présent accord.

191Ibid., p. 280.
192
Voir, par exemple, MCR, annexes 88, 90, 94 et 103.
193
DN, annexe 65, p. 404, par. 6 (Espinoza).
194CR 2009/5, p. 38-39, par. 36 (McCaffrey). - 55 -

2. Les autorités costa-riciennes devront signaler leur présence [reportarse] aux
postes nicaraguayens pendant tout leur trajet sur le fleuve San Juan.» (Les
italiques sont de nous.)

58 Un équilibre soigneusement établi, comme vous pouvez le voir.

19. Le Nicaragua affirme que ce communiqué exige que le CostaRica «[obtienne] la

permission du Nicaragua dans chaque cas» et que chaque voyage doit être précédé d’une demande

d’autorisation 195. Or, vous pouvez le lire par vous-mêmes : il n’exige qu’un préavis ; il autorise les

autorités nicaraguayennes à accompagner, sur leurs propres embarcations, les bateaux costa-riciens

sur le San Juan, mais il est clair que ces derniers n’ ont pas l’interdiction de naviguer si les autorités

nicaraguayennes décident de ne pas les accompagner; les bateaux costa-riciens doivent se

présenter aux postes nicaraguayens, mais rien n’indique qu’ils puissent être amenés à faire

demi-tour s’ils respectent les termes du communiqué. Ce système reflète la pratique de notification

et de présentation, et non d’autorisation, qui exis tait antérieurement. Cette pratique équilibrée est

maintenant déclarée interdite par le Nicaragua.

e) Le Nicaragua affirme que la pratique antérieu re relativement à la navigation de la police
était un système d’autorisation par les autorités nicaraguayennes

20. M.Reichler a consacré beaucoup d’énergie, vendredi dernier, à défendre sa thèse selon

laquelle le CostaRica n’avait produit aucun élémen t de preuve confirmant qu’il ravitaillait ses

postes frontière sur le SanJuan. Mais lui-même a dû reconnaître que «des bateaux de la police

costa-ricienne [avaient] traver sé le SanJuan pour ravitailler ou relever le personnel des postes

frontière ou pour mener des activités de maintie n de l’ordre» entre 1994 et 1998, comme en

témoignait un registre de police détaillé figurant à l’annexe227 du mémoire 196. Pour réfuter cet

élément de preuve, il s’est rabattu sur la thèse ni caraguayenne, bien connue mais non étayée, selon

laquelle la navigation devait être expressément autorisée par le Nicaragua, même si le document ne

197
fait pas mention de cela .

21. (Onglet 68.) Vous vous souviendrez que, dans sa duplique, le Nicaragua affirmait, en

198
invoquant un extrait de ce même registre , que le CostaRica avait envoyé ses bateaux sur le

195CR 2009/5, p. 39, par. 36.
196
CR 2009/5, p. 47, par. 12 ; voir MCR, annexe 227.
197
CR 2009/5, p. 47, par. 12.
198DN, par. 5.88. - 56 -

San Juan pour arrêter des Nicaraguayens. Mais, co mme l’a relevé M. Sergio Ugalde, l’arrestation

en question avait eu lieu à BocaTapada, à envi ron 25kilomètres à l’intérieur du territoire

199
costa-ricien . Le Nicaragua n’a plus fait valoir cet argument. A présent, M. Reichler soutient que

«le CostaRica se mit à faire naviguer ses batea ux de police sur le SanJuan avec des armes à

bord…dans le but d’intercepter des Nicara guayens qu’il soupçonnait de vouloir entrer

clandestinement en territoire costa-ricien». Se référant à la même page du même document, il a
59

prétendu que les propres preuves documentaires du CostaRica confirmaient que des policiers

costa-riciens «[avaie]nt escorté arme au poing des Nicaraguayens arrêtés sur le fleuve San Juan au

200
mois de juin1998» . Le passage pertinent du registre est projeté à l’écran et figure sous

l’onglet 68 de votre dossier. Je ne le relirai pas ; je vais simplement en résumer le contenu.

22. D’abord, les Nicaraguayens ont été arrê tés dans une exploitation agricole, et non

piscicole : celle de M. Gerardo Miranda-Alvarez, qui n’est pas située sur le fleuve. Il est inexact de

dire que l’arrestation a eu lieu sur le San Juan. Il apparaît en outre que ces Nicaraguayens n’ont pas

o
du tout été ramenés sur le fleuve. Selon le rapport, le «véhicule n 711» est venu les chercher.

Dans ce registre, le terme «bateau» est systéma tiquement employé pour désigner des embarcations

et le terme «véhicule», pour désigner des véhicules automobiles. En outre, le passage en question

ne fait aucune référence au SanJuan ni à aucune personne qui aurait été, d’une manière

quelconque, escortée «arme au poing».

23. M. Reichler reproche à la déclaration s ous serment de M. Navarro de pas mentionner le

201
compte rendu de juillet 2000 qui est annexé à la duplique . Il n’aura pas échappé à la Cour que

nous avons dû consacrer une large part de nos plaidoiries à répondre aux éléments de preuve

présentés dans la duplique, alors que ceux-ci auraient pu et dû être produits dans le

contre-mémoire. Et voici encore un exemple. P our sa part, l’agent du Nicaragua a reproché à la

Cour d’avoir permis au CostaRica de présenter n’importe quels documents nouveaux après le

dépôt de la duplique 202. A l’inverse, M.Reichler ⎯en bon avocat ⎯ a réclamé toujours plus de

199CR 2009/2, p. 27, par. 12 (Ugalde).
200
CR 2009/5, p. 52, par. 2[1] (Reichler).
201
DN, annexe 68.
202CR 2009/4, p. 17, par. 38 (Argüello). - 57 -

203
preuves ! La position de la Cour en ce qui concerne nos dépôts de pièces montre que nous avons

su trouver un juste équilibre.

24. Pour ce qui est du fond, j’ai déjà dit que rien n’indiquait que ce compte rendu de

60 juillet2000 eût jamais été vu ou a pprouvé par quiconque du côté cost a-ricien. Le Nicaragua n’a

produit aucun procès-verbal manuscrit de la réunion ni aucun enregistrement qui auraient permis de

vérifier l’authenticité du compte rendu et celle des signatures, si tant est que ces document aient été

signés. En outre, M.Reichler rejette trop pr écipitamment la déclaration sous serment de

M. Navarro : celui-ci y déclare explicitement que, ap rès l’interdiction de navi guer faite à la police

par le Nicaragua, «lors [des] réunions avec le pe rsonnel de l’armée nicaraguayenne auxquelles il

participait personnellement» ⎯dont celle de juillet2000, comme en attestent les documents

d’archives ⎯, «il n’a[vait] jamais été dit ni accepté qu’il était obligatoire ou d’usage de demander

l’autorisation des autorités nicaraguayennes pour la navigation de la police costa-ricienne sur le

204
fleuve San Juan» . Cette déclaration est claire et elle dément le compte rendu du colonel Molina

205
⎯ ou plutôt l’«authentification» du compte rendu du colonel Molina par le général Carrión.

25. La déclaration de M. Navarro, étayée par des éléments de preuve documentaire 206, remet

en question les cinq déclarations sous serment de militaires nicaraguayens déposées tardivement

avec la duplique du Nicaragua, qui constituent l es seules preuves de la prétendue «pratique»

d’autorisations préalables. Par conséquent, la thèse du Nicaragua selon laquelle les bateaux

officiels naviguant sur le SanJuan avaient pour pratique constante de demander des autorisations

devrait être rejetée.

f) Le Nicaragua a violé les droits du Costa Rica de faire naviguer des bateaux officiels pour
fournir des services médicaux, sociaux ou d’ autres services essentiels aux habitants de la

rive costa-ricienne

26. Mon dernier point porte sur le droit de naviguer aux fins de dispenser des services

médicaux, sociaux ou autres services essentiels aux habitants des collectivités situées sur la rive

203CR 2009/5, p. 47-48, par. 14.
204
Costa Rica, nouveaux documents produits le 27 novembre 2008, annexe [III].
205
CR 2009/5, p. 49, par. 1[6] (Reichler).
206Costa Rica, nouveaux documents produits le 27 novembre 2008, annexe [IV]. - 58 -

207
costa-ricienne du fleuve. M.Reichler a affi rmé qu’un tel droit de na vigation n’existait pas ;

mais il a dit aussi que «le Nicaragua n’interdi[sait] pas au Costa Rica … de naviguer sur le fleuve

pour fournir des services médicaux, éducatifs ou au tres services sociaux aux citoyens costa-riciens

sur la rive droite du fleuve»,exigeant seulement des bateaux officiels et des agents de l’Etat

costa-riciens qu’ils «s’enregistrent» et «respecten t les prescriptions éventuellement applicables en

matière de visas» 208. M.Reichler a démenti les violations manifestes en les attribuant à des

«lourdeurs bureaucratiques» ⎯une nouvelle circonstance excluant l’illicéité, semble-t-il ⎯ ayant

209
occasionné des retards dans la délivrance de «certains visas», dans des «cas isolés» .

27. En réalité, le Nicaragua a bel et bien interdit au Costa Rica de naviguer sur le fleuve pour

fournir des services médicaux, sociaux ou éducatifs aux riverains ou pour assurer leur sécurité. Le

Costa Rica a apporté des pre uves de cette interdiction 210. Par exemple, MmeLauraNavarro, qui

61 travaille dans un organisme costa-ricien de prot ection sociale, a évoqué «l’interdiction … imposée

211
par le Nicaragua aux agents publics costa-rici ens de…naviguer sur le fleuve San Juan» . De

même, selon M.MarvinChaves, également employé da ns le secteur de la protection sociale, les

autorités nicaraguayennes «exige[aient]…que les agents publics costa-riciens sollicitent une

212
permission» pour visiter les collectivités costa-riciennes . La preuve incontestée qui ressort du

témoignage de MmeChing est que celle-ci s’est entendu dire personnellement par l’ambassadeur

du Nicaragua qu’elle devait solliciter une «dem ande d’autorisation de navigation sur le

213
San Juan» . La déposition de MmeChing a été produite en juillet2008. Dans ces conditions,

c’est faire preuve de mauvaise foi que de laisser entendre que le Nicaragua «n’interdit pas au

CostaRica…de naviguer sur le fleuve pour fournir des services médicaux» et qu’il exige

214
seulement l’enregistrement des bateaux . Le fait de demander une autorisation implique qu’il

20CR 2009/5, p. 55, par. 26 (Reichler).
208
CR 2009/5, p. 54, par. 25 (Reichler).
209
CR 2009/5, p. 55, par. 28 (Reichler).
210
Voir, par exemple, MCR, annexes150, 52, 53, 166, 167, 168, 236, 237, 239,98, 99, 100 et 101; RCR,
annexes 45, 47, 55, 57, 56 et 49.
21RCR, annexe 57, p. 297.

21RCR, annexe 56, p. 295 ; les italiques sont de nous.

21RCR, annexe 55, p. 292.
214
CR 2009/5, p. 54, par. 25 (Reichler). - 59 -

existe un droit d’interdire. L’interdiction est assez distincte de la question des visas dont vous a

parlé M. Caflisch.

28. L’interdiction imposée par le Nicaragua à cette forme de navigation des bateaux officiels

a eu des conséquences préjudiciables pour la fo urniture des services essentiels. Cela ressort

clairement des éléments de preuve produits par le CostaRica, qui montrent par exemple que les

«activités de soins primaires» ont été suspendues da ns les localités proches du San Juan «en raison

215
des restrictions croissantes imposées à la libre navigation sur le fleuve» . Des personnels de

santé costa-riciens attestent qu’ils ont suspe ndu leurs services «en raison des problèmes rencontrés

en ce qui concerne la navigation» et «pour protéger l’intégrité physique du personnel…» 216. Les

éléments de preuve témoignent également des conséquences pour la population locale : les enfants

ne peuvent pas être vaccinés, les adultes ne peuvent pas recevoir les soins de santé de base 217 et,

d’une façon générale, l’accès des habitants de la région aux services médicaux s’en trouve

218
compromis .

29. On ne peut balayer de telles preuves en les qualifiant de «lourdeurs bureaucratiques

219
[ayant] occasionné des retards dans la délivrance de certains visas» . Ce n’est pas un visa qui a

220
62 été accordé au docteur Ching. C’est une «a utorisation…pour naviguer sur le San Juan» .

MmeChing ne demandait pas un visa, ni même des visas pour les employés qui allaient faire le

déplacement; elle a été obligée par l’ambassad eur du Nicaragua à demander une «autorisation»

221
pour la conduite du programme de services lui-même . M. Reichler a affirmé que depuis

mai 2007 le Nicaragua «délivrait rapidement des visas aux agents costa-riciens afin qu’ils puissent

222
dispenser des services» . Ce qui revient à confondre l’obligation d’obtenir un visa et l’obligation

d’obtenir une autorisation pour la conduite du programme. Le Costa Rica a fait observer dans sa

réplique que, dans certains cas, le Nicaragua avait accordé les autorisations demandées dans un

215MCR, annexe 239, p. 1047. Voir aussi MCR, annexes 236, 237, 98, 99 et 100.

216MCR, annexe 99, p. 527. Voir aussi MCR, annexes 98 et 100.
217
MCR, annexe 100, p. 531-532.
218
MCR, annexe 99, p. 527. Voir aussi RCR, annexe 55, p. 292 et annexe 59, p. 304.
21. CR 2009/5, p. 55, par. 28 (Reichler).

220CMN, annexe 53, p. 193.

221CMN, annexe 51, p. 189.
222
CR 2009/5, p. 55, par. 28 (Reichler). - 60 -

223 224
délai raisonnable , mais que, dans d’autres cas, les demandes étaient restées sans réponse , ce

qui, dans la pratique, se tra duisait par une interdiction, pour les fonctionnaires concernés,

d’emprunter le fleuve.

Pêche

30. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je me consacrerai à présent ⎯ bien que ce

ne soit pas dans mes habitudes ⎯ à la pêche de subsistance; mais, après l’élevage de poules, il

semble naturel de passer à la pêche. M. Kohen vous a expliqué pourquoi notre demande relative à

225
la pêche de subsistance était recevable , et M.Reichler, tout en réaffirmant la position

226
nicaraguayenne sur la recevabilité, n’ a aucunement réfuté ses arguments . Sur le fond de cette

demande, M. Reichler a affirmé que le Nicaragua n’ avait pas interdit la pêche de subsistance dans

le fleuve et qu’il «n’a[vait] nullement l’intention d’empêcher les résidents costa-riciens de se livrer

227
à [des activités qui en relèvent]» ⎯ nullement l’intention, je le répète, d’empêcher les résidents

costa-riciens de se livrer à la pêche de subsistance. M. Reichler a néanmoins souligné que la pêche

228
commerciale et la pêche s portive n’étaient pas autorisées . Voilà donc troispoints. En ce qui

concerne le premier ⎯ les faits ⎯, nous avons produit la preuve, sous forme de déclarations sous

serment, que des riverains s’étaient vu interdire de pratiquer la pêche et que leurs bateaux et leur

229
63 matériel de pêche avaient été confisqués . En ce qui concerne le deuxième, nous prions

respectueusement la Cour, si elle juge la demande recevable, de prendre acte, dans son dispositif,

pour suite à donner, de la position affichée par le Nicaragua selon laquelle la pêche de subsistance

pratiquée par les riverains, que ce soit de la rive costa-ricienne ou à partir de bateaux naviguant sur

le fleuve, ne doit pas être entravée. En ce qui concerne le troisièmepoint, le Costa Rica ne s’est

jamais prévalu ⎯ et ne se prévaut pas ⎯ d’un droit de pratiquer la pêche commerciale ou la pêche

223
RCR, par. 4.36-4.37.
224RCR, par. 4.34-4.36, vol. 2, annexes 49 et 56.

225CR 2009/3, p. 55-57, par. 13-22 (Kohen).

226CR 2009/5, p. 27, par. 48 (Reichler).
227
Ibid.
228
Ibid.
229Sur l’interdiction, avérée, de pêcher imposée par le Nicaragua, voir les déclarations sous sermentsuivantes:

MCR, annexes106, 107, 108, 109; RCR, annexe54, et l’article de presse reproduit à l’annexe59 de la réplique du
Costa Rica. Sur la confiscation de maté riel et de bateaux de pêche, ainsi qu e de poissons, voir MCR, annexes 105, 106,
107 et 109 ; RCR, annexes 54 et 59. - 61 -

sportive dans le fleuve, et nous n’avons aucune objection à ce que cela soit clairement indiqué dans

l’arrêt.

Réparations

31. Monsieur le président, Messi eurs de la Cour, j’ai traité la question des remèdes dans le

230
bref exposé que j’ai fait lors du premier tour de plaidoiries . M.Pellet, dans un exposé qui

n’avait rien de bref, vendredi, n’a guère soulev é de points appelant une réponse. Nous sommes

d’accord sur la nécessité pour la Cour de préciser, par la voie d’un jugement déclaratoire explicite,

les droits et obligations respectifs des Parties pour autant que ceux-ci sont en litige devant la

Cour 231. Là où nous ne sommes pas d’accord, c’est en ceci que le Nicaragua persiste apparemment

à demander une déclaration portant sur des questions hypothétiques qui ne sont pas ici en litige

⎯ comme celle du dragage 232. Le droit de dragage du Nicaragua est établi dans la réponse donnée

par le président Cleveland au sixi ème point d’interprétation incertaine 23. Qu’un programme de

dragage donné satisfasse ou non aux conditions énoncées par la sentence Cleveland dépendra de sa

portée, de son ampleur et de ses modalités de mise en Œuvre. Pour l’heure, aucune proposition n’a

été faite dans cette optique et la question est purement théorique. Il ne s’agit pas ici ⎯ vous serez

soulagés de l’apprendre ⎯ d’un avis consultatif.

32. Pour en venir à ce que M. Pellet persiste à appeler des injonctions 234, il va de soi que la

Cour n’émet pas des injonctions au sens que re vêt ce terme en droit national; elle émet des

instructions, souvent très claires et spécifiques, qui ont force obligatoire pour les Etats parties à

l’affaire. Je voudrais simplement, et très respectueusement, demander à la Cour de formuler son

dispositif de manière à ne ménager aucune possi bilité de dérobade. Les Parties doivent savoir

exactement où elles en sont sur les questions qui les opposent, afin qu’aucune excuse ne puisse être

invoquée pour justifier l’inexécution de l’arrêt, qu ’aucune nouvelle circonstance excluant l’illicéité

ne puisse être avancée, afin qu’elles puissent, enfin ⎯avec plus de bonheur qu’au cours des

230
CR 2009/3, p. 63-70, par. 1-28 (Crawford).
231
CR 2009/5, p. 57, par. 3 (Pellet).
232CR 2009/5, p. 59, par. 6 (Pellet).

233MCR, annexe 16, p. 99, par. 6.

234CR 2009/5, p. 61, par. 15 (Pellet). - 62 -

64 dernières décennies ⎯, coexister sur le fleuve qui, sur toute une partie de son cours, marque leur

frontière commune.

33. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je n’ai rien à ajouter sur la question des

dommages ; il me reste donc à vous remercier de l’ attention que vous avez eu la courtoisie de me

prêter tout au long de cette procédure et de vous prier, Monsieur le président, d’appeler à la barre

l’agent du Costa Rica, qui présentera nos observations et conclusions finales.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsie ur Crawford, de votre exposé. Je donne

maintenant la parole à l’agent du Costa Rica, M. l’ambassadeur EdgarUgalde, qui présentera ses

conclusions.

M. UGALDE-ALVAREZ :

V. C ONCLUSIONS

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, le CostaRica a achevé ses plaidoiries. Il

m’incombe de récapituler et de présenter à la Cour les conclusions finales du Costa Rica. Mais au

préalable, je mentionnerai brièvement les diverses inexactitudes qu’a avancées le Nicaragua au fil

de ses plaidoiries.

2. (Onglet 69 du dossier de plaidoiries) Premièrement, permettez-moi de rappeler que le

235
Costa Rica n’a pas d’armée. Le graphique présenté par le Nicaragua jeudi dernier , qui est censé

montrer les dépenses «militaires» du CostaRica, provient d’un site Internet 236qui lui-même tire

237
ces renseignements du World Factbook de la CIA. Il convient de noter que le Nicaragua omet

les dépenses affectées ses forces de police, pour in clure seulement celles qui sont destinées à ses

forces militaires. Le CostaRica rejette l’affirmation selon laquelle les montants mentionnés

correspondent à ses «dépenses militaires». En fait, la source ⎯ la CIA ⎯ citée sur le site indique

238
clairement que le Costa Rica n’a pas de forces militaires . Si le total des dépenses affectées à la

23CR 2009/4, p. 12, par. 18 (Argüello).
236
Voir http://www.militarybudget.info/WorldwideSpending.html.
23Voir https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/.

23Voir https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/cs.html. - 63 -

239
police et à l’armée sont prises en considération, comme cela aurait dû être le cas, alors les

dépenses de sécurité du Nicaragua, en valeur absolue, avoisinent 100millions de dollars, soit

environ un cinquième de plus que celles du CostaRi ca et ce, malgré une différence considérable

65 entre les PIB respectifs des deux pays. De su rcroît, comme vous pouvez le constater sur le

graphique projeté à l’écran, les dépenses de sécurité du Nicaragua sont bien plus élevées que celles

du CostaRica, tant en valeur réelle 240 qu’en pourcentage du PIB 241 (onglet70 du dossier de

plaidoiries).

242
3. En outre, le dernier Rapport mondial sur le développement humain établi par le

Programme des NationsUnies pour le développement indique que le CostaRica n’a engagé

aucune, je répète, aucune dépense militaire dans la période comprise entre 1990 et 2005.

4. Deuxièmement, la mention qu’a faite le Nicaragua de l’instance qu’il introduisit devant la

Cour en1986 243 ne peut et ne doit avoir aucun poids dans la présente affaire. Comme il l’a fait

observer, le Nicaragua se désista de cette instance en1987, avant que le CostaRica n’ait eu

l’occasion de répondre à son mémoire et a fortiori de comparaître devant la Cour 244. Quoiqu’il en

soit, le CostaRica rejette avec la plus grande insistance toutes les allégations qu’a pu faire le

Nicaragua à cette occasion.

5. Le Nicaragua semble se plaire à employer le temps compté de la Cour pour ouvrir de

nouveaux fronts, puisque c’est précisément ce qu’il fait en déclarant que le Costa Rica n’a pas réagi

à d’autres problèmes, comme les risques de polluti on dus à l’exploitation minière ou des questions

de délimitation maritime 245. S’agissant de ces problèmes, le CostaRica espère prendre bientôt

connaissance de la documentation concernant le projet de barrage hydroélectrique nicaraguayen sur

239Voir http://www12.georgetown.edu/sfs/clas/pdba/Security/citizensecurity/nica…

2008.pdf.
240Voir onglet 69 du dossier de plaidoiries. D onnées tirées de: http://www.militarybudget.info/
WorldwideSpending`.html ; https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/index.html ; et http://www12.

georgetown.edu/sfs/clas/pdba/Security/citizensecurity/nicaragua/presupuestos/gobernacion2008.pdf.
241Voir onglet 70 du dossier de plaidoiries. D onnées tirées de: http://www.militarybudget.info/

WorldwideSpendin`g.html ; https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/index.html ; etttp://www12.
georgetown.edu/sfs/clas/pdba/Security/citizensecurity/nicaragua/presupuestos/gobernacion2008.pdf.
242Voir http://hdr.undp.org/en/media/HDR_20072008_FR_Complete.pdf.

243CR 2009/4, p. 15, par. 29 (Argüello).

244CR 2009/2*, p. 12, par. 1 (Ugalde-Alvarez).
245
CR 2009/4, p. 16-17, par. 32-34 (Argüello). - 64 -

246
le SanJuan , assortie d’indications sur les conséquences environnementales que cela risque

d’avoir pour le fleuve et les deux Etats riverains, et le Costa Rica espère aussi que le Nicaragua va

enfin décider de la date à laquelle pourront repr endre les pourparlers sur la délimitation maritime

qu’il a suspendus de façon unilatérale en 2005.

66 6. Le Nicaragua tient à reprocher au Costa Rica d’appliquer, sur le territoire costa-ricien, ses

lois relatives à l’immigration. Comme la Cour a pu le constater, le Nicaragua a présenté de façon

247
inexacte les faits concernant cette question . Je tiens cependant à répondre à l’allégation du

Nicaragua selon laquelle en 1998, le Gouvernement costa-ricien adopta une nouvelle politique pour

faire face à ce qu’il considérait comme une recrudescence de l’immigration clandestine en

provenance du Nicaragua 248. Il a été prouvé que ces allégations sont fausses 249. En fait, c’est ce

même gouvernement qui a promulgué en 1998 la pl us vaste amnistie jamais adoptée dans ce

250
domaine au CostaRica , ce qui a concrètement permis à quelque 150000 émigrants

nicaraguayens de régulariser leur situation.

7. Enfin, l’agent du Nicaragua a jugé bon de d éclarer devant la Cour que, pour la première

fois depuis plus de 150 ans, il conteste des points c oncernant la situation des baies de San Juan et

de Salinas, communes aux deux Etats 251. Le Nicaragua se propose-t-il de mettre en cause, une fois

encore, le caractère définitif et perpétuel du traité de limites de1858, ainsi que l’autorité de la

chose jugée que revêt la sentence Cleveland de 1888 ?

8. Comme je l’ai indiqué, le CostaRica s’est adressé à la Cour internationale de Justice en

dernier ressort, afin que soient définitivemen t réglées les modalités selon lesquelles il peut

effectivement jouir de ses droits de libre navigation sur le San Juan 252. Le fleuve fait l’objet d’un

régime exceptionnel que reflètent les divers in struments et décisions qui s’y rapportent, en

particulier le traité de limites de 1858, la sente nce Cleveland de 1888, l’arrêt rendu en 1916 par la

246Voir http://www.elnuevodiario.com.ni/imprimir/4141; http://www.telesurtv.net/noticias/secciones/nota/
43824-NN/nicaragua-y-brasil-firman-acuerdo-sobre-plan-hidroelectrico/.

247CR 2009/2, p. 27, par. 12 (Ugalde). Voir aussi CR 2009/6, p. 50-64 (Crawford).
248
CR 2009/5, p. 51, par. 21 (Reichler).
249
CR 2009/2*, p. 25-27, para. 7-13 (Ugalde).
250Voir http://www.unhcr.org/refworld/publisher,NATLEGBOD,,CRI,3ae6b560c,0.htm.

251CR 2009/4, p. 17, par. 35 (Argüello).

252CR 2009/2*, p. 14, par. 9 (Ugalde-Alvarez). - 65 -

Cour de justice centraméricaine et l’accord de 1956. Nous ne dout ons pas que la Cour considérera

ce régime dans sa globalité et conclura qu’il appuie pleinement, en conjonction avec les éléments

de preuve produits, les conclusions du Costa Rica.

9. Nous sommes par conséquent convaincus que la Cour conclura que le Costa Rica possède

bien les droits de navigation aux fins du commerce que lui confèrent les instruments pertinents. Il

est très important que votre décision soit claire, afin que le CostaRica et le Nicaragua soient à

même d’admettre que les enfants puissent emprunter librement le fleuve pour aller à l’école, que

les mères et leurs enfants puissent avoir réellement accès aux services sanitaires et sociaux, que les
67

touristes puissent être transportés sans être fouillés et soumis à des mesures arbitraires et que les

communautés puissent recevoir une protection policière. C’est également important pour que

l’Etat du Costa Rica exerce pleinement ses droits et s’acquitte de toutes ses obligations, notamment

en ce qui concerne la protection et la garde du fleuve San Juan et de la baie de San Juan del Norte,

que détiennent conjointement les deux pays, de même que celle de Salinas. Nous espérons que ces

droits, s’il est bien établi qu’ils reviennent au CostaRica, pourront s’exercer de façon efficace et

rationnelle, sans faire constamment l’objet d’exasp érantes ingérences. Le peuple du CostaRica

souhaite seulement entretenir avec ses voisins de relations pacifiques et amicales, mais il tient aussi

à ce que les principes du droit international soient maintenus et pleinement respectés.

Conclusions

10. Monsieur le président, en application de l’article60 du Règlement de la Cour, je vais

maintenant donner lecture des conclusions finales de la République du Costa Rica.

La République du CostaRica prie la Cour de dire et juger que la République du Nicaragua

a :
a) l’obligation de permettre à t ous les bateaux costa-riciens et à leurs passagers de naviguer

librement sur le San Juan à des fins de co mmerce, y compris pour les communications, le
transport de passagers et le tourisme ;

b) l’obligation de n’imposer aux bateaux costa-riciens et à leurs passagers le versement d’aucun
droit ou redevance pour naviguer sur le fleuve ;

c) l’obligation de ne pas exiger des personnes exerçant le droit de libre navigation sur le fleuve
d’être munies de passeports et d’obtenir un visa du Nicaragua ;

d) l’obligation de ne pas exiger des bateaux costa-riciens et de leurs passagers qu’ils fassent halte à
un quelconque poste nicaraguayen situé le long du fleuve ; - 66 -

e) l’obligation de ne pas mettr e d’autres entraves à l’exercice du droit de libre navigation,
notamment sous la forme d’horaires de navigation et de conditions relatives aux pavillons ;

f) l’obligation de permettre aux bateaux costa-rici ens et à leurs passagers empruntant le San Juan
d’accoster librement en tout point du fleuve où la navigation est commune sans acquitter aucun
droit ni redevance, sauf accord exprès des deux gouvernements ;

68 g) l’obligation de reconnaître aux bateaux officiel s du CostaRica le droit de naviguer sur le San
Juan, notamment pour ravitailler et relever les membres du personnel des postes frontière
établis sur la rive droite du fleuve, munis de leur équipement officiel, de leurs armes de service
et de munitions, ainsi qu’à des fins de protection comme il est prévu dans les instruments

pertinents, en particulier l’article 2 de la sentence Cleveland ;

h) l’obligation de faciliter et d’accélérer la circul ation sur le San Juan, au sens du traité du
15avril 858 tel qu’interprété par la sen tence Cleveland de 1888, conformément à
l’article premier de l’accord bilatéral du 9 janvier 1956 ;

i) l’obligation de permettre aux ha bitants de la rive costa-ricienne de pratiquer la pêche de
subsistance.

11. En outre, la République du CostaRica prie la Cour de dire et juger que, en raison des

violations des obligations énoncées ci-dessus, le Nicaragua est tenu :
a) de cesser immédiatement toutes les violations des obligations revêtant un caractère continu ;

b) de dédommager le Costa Rica de tous les préjudices subis par celui-ci en raison des violations
des obligations du Nicaragua mentionnées plus haut, sous la forme du rétablissement de la
situation antérieure auxdites violations et d’une indemnisation dont le montant sera fixé lors

d’une phase ultérieure de la présente instance ; et

c) de fournir des assurances et garanties a ppropriées de non-répétition de son comportement
illicite, sous la forme que la Cour voudra bien ordonner.

12. Le CostaRica prie la Cour de rejete r la demande de déclaration présentée par le

Nicaragua.

13. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, le Gouvernement et le peuple du Costa Rica

expriment à la Cour leur gratitude pour l’occasi on qui a été donnée à celui-ci d’être entendu. Je

tiens aussi à remercier de leur excellent travail le Greffe de la Cour ainsi que l’équipe des

interprètes et des traducteurs. Le CostaRica ré affirme sa pleine confiance en la Cour et assure

qu’il acceptera l’arrêt qui sera rendu. Cet arrêt de vrait aider les deux pays à construire un avenir

fraternel et pacifique. Monsieur le président, je vous remercie. - 67 -

Le PRESIDENT: Merci beaucoup, Monsieur l’ambassadeur. La Cour prend note des

conclusions finales dont vous nous avez donné lecture au nom de la République du Costa Rica. La

République du Nicaragua présentera le second tour des ses plaidoiries le jeudi 12 mars de 10 heures
69

à 13 heures. L’audience est suspendue jusqu’à jeudi.

L’audience est levée à 13 heures.

___________

Document Long Title

Traduction

Links