Non-Corrigé Traduction
Uncorrected Translation
∗
CONI
CR 2009/6 (traduction)
CR 2009/6 (translation)
Lundi 9 mars 2009 à 10 heures
Monday 9 March 2009 at 10 a.m.
∗Reissued for technical reasons. - 2 -
8 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Je commencerai par noter
que le juge Shi, pour des raisons qu’il m’a fait connaître, n’est pas en mesure de siéger aujourd’hui.
La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre la République du Costa Rica en son second tour
d’observations orales. Je donne maintenant la parole à M. Crawford.
M. CRAWFORD :
1. Q UESTIONS GÉNÉRALES D ’INTERPRÉTATION
Introduction
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, dans cette première plaidoirie, j’examinerai
trois points qui revêtent un caractère général, sous lesquels je regrouperai les arguments exposés la
semaine dernière par différents conseils du Nicaragua.
A. Souveraineté et droit perpétuel de libre navigation
2. Le premier point est la relation entre souveraineté et droit perpétuel de libre navigation.
M.Brownlie l’a traité en détail 1 ⎯sans, toutefois, toujours éviter de verser dans la caricature
lorsqu’il rend compte de notre position. Ainsi nous a-t-il attribué l’idée que «le droit de navigation
énoncé dans le traité de1858 [serait], d’ une certaine manière, absolu ou impératif» (absolute or
2
peremptory) . En réalité, le mot «peremptory» (impératif) n’apparaît à aucun moment dans le
mémoire ou la réplique. L’adjectif «absolute» (abs olu) apparaît quatre fois dans l’original anglais
⎯ trois fois lorsque le Costa Rica cite l’arrêt de la Cour de justice centraméricaine affirmant que la
propriété exercée par le Nicaragua sur le fleuve n’est «ni absolue ni illimitée» 3, et une fois pour
indiquer que la souveraineté du Nicaragua n’est pas absolue, mais sujette à des limitations établies
4
par le traité . Les paragraphes de la réplique qu’a cités M. Brownlie énoncent que le Nicaragua ne
saurait restreindre le droit de navigation du Cost aRica, mais sans laisser entendre que le droit
1CR 2009/4, p. 19-20 (par. 4-9) et p. 29-35 (par. 46-67) (Brownlie).
2
Ibid., p. 30 (par. 53) (Brownlie), citant la RCR, par. 3.13-3.25.
3Mémoire du Costa Rica (MCR), par. 2.46 ; RCR, par. 2.10 ; RCR, par. 3.33.
4Réplique du Costa Rica (RCR), par. 3.09. - 3 -
conventionnel exercé par le Costa Rica prévaudrait sur la souveraineté du Nicaragua. Les
deux coexistent, comme ils coexistent à l’article VI du traité.
3. Cependant, je relèverai ic i que M.Brownlie a donné à entendre que l’emploi du mot
«impératif» pourrait se justifier ⎯ pas impératif au sens de l’article 53 de la convention de Vienne,
9 mais «impératif» au sens de quelque chose dema ndé ou exigé de plein droit; quelque chose dans
lequel il n’y a pas à s’immiscer. La Cour permanente a, dans l’affaire du Vapeur Wimbledon,
utilisé l’expression «caractère général et impératif» à propos de l’article 380 du traité de Versailles,
qui disposait que le canal de Kiel «ser[ait] toujours libr[e] et ouver[t] … aux navires de guerre et de
commerce de toutes les nations en paix avec l’Allemagne» ( Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923,
o
C.P.J.I. sérieA n 1, p.21): à l’évidence, les navires de commerce au sens de l’article380
comprenaient les navires transportant des passagers. L’article VI du traité de limites est bilatéral,
et non général, mais il n’en a pas moins un caract ère impératif au sens où la Cour permanente
employait ce terme.
4. (Onglet 52.) En 1858, le Costa Rica a expressément reconnu la souveraineté du Nicaragua
sur les eaux du fleuve SanJuan. Mais cette souve raineté est conditionnée par les droits de libre
navigation accordés au Costa Rica. Le Nicaragua l’a affirmé lui-même dans son contre-mémoire :
«Le droit de libre navigation apparaît comme une réserve à la souveraineté du
Nicaragua et est introduit par le terme «per o» (toutefois). Par conséquent, un droit
particulier du Costa Rica est présenté comme une réserve restreignant le droit général
attribué (sous la forme de titre [«dominio»] et de souveraineté [«sumo imperio»]) au
Nicaragua.» 5
Comme vous pouvez le voir à l’écran (onglet 52 de vos dossiers de plaidoiries), c’est le Nicaragua
lui-même qui a mis l’accent sur le mot «réserve». Son «dominio y sumo imperio» est présenté,
dans cette même phrase, comme limité par les droits de libre navigation du Costa Rica.
5. Le CostaRica souscrit à l’analyse développée dans ces passages du contre-mémoire
⎯ mais pas, apparemment, le Nicaragua ! A présent, la souverainet é primerait sur les droits — le
général prévaudrait sur le particulier. Ainsi, selon M. Brownlie,
«quelles que puissent être la nature et la portée précises des droits du Costa Rica …, le
Nicaragua doit avoir compétence exclusive pour exercer les pouvoirs de
réglementation suivants :
5
Contre-mémoire du Nicaragua (CMN), par. 2.1.48. - 4 -
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
e) maintenir les dispositions du traité qui prescrivent les conditions de navigation
conformes à ce traité, c’est-à-dire maintenir la discipline du traité en tant que tel,
6
de même que les dispositions de la sentence Cleveland» .
6. C’est là ⎯et je le dis avec tout le respect dû à mon contradicteur ⎯ une déclaration
inouïe ! Le Nicaragua devrait avoir «compétence exclusive» pour «maintenir la discipline du traité
en tant que tel». Voilà qui s’appare nte selon moi à de l’auto-interprétation ⎯ meilleur moyen de
favoriser l’indiscipline, et non la discipline ; et certainement pas le respect du droit international.
10 7. Ce n’est pas ainsi que la Cour permanente, votre devancière, comp renait la relation entre
souveraineté et obligation dans le contexte des droits de transit. Dans l’affaire du Vapeur
Wimbledon, l’Allemagne avait fait valoir que les dis positions d’un traité devaient être interprétées
de manière restrictive parce qu’elles portaient atteinte à sa souveraineté. Or la Cour ⎯ dans un des
passages les plus célèbres de sa jurisprudence ⎯ s’est
«refus[ée] à voir dans la conclusion d’ un traité quelconque, par lequel un Etat
s’engage à faire ou à ne pas faire quelque chose, un abandon de sa souveraineté. Sans
doute, toute convention engendrant une obliga tion de ce genre apporte une restriction
à l’exercice des droits souvera ins de l’Etat…mais la faculté de contracter des
engagements internationaux est précisément un a ttribut deola souveraineté de l’Etat.»
(Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A n 1, p. 25.)
8. M. Brownlie a cité un autre dictum célèbre, puisé cette fois dans l’arrêt rendu par la Cour
en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Temple de Préah Vihéar (C ambodge c. Thaïlande), fond,
arrêt, C.I.J.Recueil1962 , 34) 7, qui concerne le caractère définitif des règlements de frontières et
qu’il a commenté ainsi :
«En l’espèce, l’analogie avec l’affaire du Temple découle non de la ligne
frontière en tant que telle mais du risque que constituerait un régime de navigation qui
introduirait un élément de porosité et d’inst abilité juridiques dans une attribution de
8
territoire claire par ailleurs.»
9. Mais, ici, c’est le traité de 1858 lui-même qui autorise expressément un droit perpétuel de
libre navigation, navigation qui est elle-même une «procédure constamment ouverte», ou devrait
l’être. M. Brownlie vous invite à donner effet à la frontière définie dans la première partie de
6 CR 2009/4, p. 35-36, par. 67.
7
CR 2009/4, p. 20, par. 7.
8 CR 2009/4, p. 20, par. 8. - 5 -
l’article VI mais à interpréter de manière restrictiv e, sinon à vider de toute substance, le régime de
libre navigation introduit en espagnol par le mot «pero» (toutefois) et énoncé dans la seconde partie
de l’articleVI ainsi que dans d’autres passages du traité. C’est le Nicaragua qui s’emploie, ce
faisant, à opérer une revision ⎯ par opposition à une interprétation ⎯ du règlement de 1858.
B. N ATURE DU TRAITÉ DE LIMITES
10. Voilà qui me mène à mon deuxième point d’ordre général ⎯la nature du traité de
limites. A cet égard, le Nicaragua a présenté trois grands arguments.
a) Le «climat de contrainte» allégué par le Nicaragua
11. Le premier de ces arguments a été avancé en ces termes par l’éminent agent du
Nicaragua: «Au cours des trente a nnées qui suivirent la signature de ce traité, le fait qu’elle soit
11 intervenue dans un climat de contrainte suscita un fort ressentiment au Nicaragua.» 9 Certes, les
circonstances entourant la conclusion du traité de limites attestent l’existence d’un réel conflit sur
des questions ayant trait au tracé d’un canal, mais e lles sont bien loin d’établir l’existence d’une
contrainte, voire seulement d’ un climat de contrainte ⎯quant à moi, je ne sais ce que je préfère,
une contrainte ou un climat de contrainte. Trois faits, que j’ exposerai rapidement, viennent
démentir cette allégation…
12. Premièrement, les négociations ont eu lieu sous la médiation du représentant d’un Etat
neutre ⎯ le Salvador⎯, qui a également fait office de contresignataire. J’invite la Cour à prendre
connaissance de l’acte additionnel qui accompagne le traité de limites, dans lequel les négociateurs
expriment leur «gratitude» pour l’assistance «e stimable» et «impartial[e]» fournie par le
10
médiateur . Nulle trace, donc, de contrainte.
13. Deuxièmement, le décret du président du Nicaragua portant approbation et ratification du
traité de limites précisait expressément que celui-ci avait été conclu par le général Jerez de manière
9
CR 2009/4, p. 11, par. 13 (Argüello).
10MCR, annexe 7, p. 52-53. - 6 -
«pleinement conforme aux instructions qui lui avaient été communiquées à cette fin», constat que
le congrès nicaraguayen a par la suite avalisé 11.
14. Troisièmement, le Nicaragua lui-même n’a pas pl aidé la contrainte devant le
présidentCleveland, mais invoqué des argume nts constitutionnels dont GeorgeRives a estimé
12
qu’ils ne «p[ouvaient] être retenu[s]» .
15. Soit dit en passant, il nous a été donné à entendre, la semaine dernière, que Rives
partageait l’appréciation selon laquelle le traité aurait été inéquitable et injuste envers le
13
Nicaragua . Certainement pas! Dans le seu l passage de son rapport assimilable à un
commentaire sur le traité, Rives notait ceci :
«[L]e fait que le CostaRica ait, durant cette même période de près de
vingtannées [1838-1858], prétendu exercer sa souveraineté sur un territoire plus
étendu que ce qu’il a obtenu en vertu du traité de limites ressort clairement du «décret
sur les fondements et garanties» du8mars1841 ⎯qui proclame que le territoire du
CostaRica es14délimité par la rivière LaFlor, la rive du lac Nicaragua et le fleuve
San Juan» .
12 b) La «théorie Nicoya» est fausse ⎯ en tout état de cause, elle est dépourvue de pertinence aux
fins de l’interprétation du traité
16. Le deuxième argument présenté à cet égard par le Nicaragua est ce que j’appellerai la
«théorie Nicoya». Il a été exposé pour l’essentiel pa r M.Brownlie, mais avec le loyal soutien de
M. l’ambassadeur Argüello et de M. McCaffrey.
17. Le Nicaragua a produit une carte attribuée à Fermin Ferrer, qui accorde à la province
15
costa-ricienne de Guanacaste, assimilée à tort à Nicoya, un territoire surdimensionné . Ce que le
Nicaragua omet de mentionner, c’est que M.Ferre r était l’un des associ és de WilliamWalker, le
tristement célèbre flibustier, pour le compte duquel il fut successivement président par intérim et
ministre des affaires étrangères. Si l’on tient compte des visées notoires de Walker ⎯ faire main
basse non seulement sur le Nicaragua mais également sur le site d’un futur canal et, à terme, le
11 Ibid., annexe 207, p. 53.
12 Premier rapport de George L. Rives, 2 mars 1888, CMN, annexe 70, p. 7, 13, 15, 17.
13
CR 2009/5, p. 34, par. 21 (McCaffrey).
14 Premier rapport de George L. Rives, op. cit., p. 7.
15 CR 2009/4, p. 24, par. 22-23, (Brownlie). - 7 -
reste de l’Amérique centrale ⎯, l’on ne s’étonnera pas que, sur cette carte, Guanacaste s’étende, à
16
l’est, jusqu’à la mer des Caraïbes et, au sud, jusqu’au Río Colorado .
18. (Onglet 53.) Vous voyez apparaître à l’ écran le graphique établi par M.Brownlie
lui-même à partir de la carte de Ferrer. M.Brownlie nous a présenté la zone qui apparaît en vert
comme étant le «département de Nicoya av ant la conclusion du traité». Or, rien ⎯ ou presque ⎯,
dans cette carte, n’est exact. Le Nicaragua fait valoir que cette vaste zone lui a été enlevée de
17
manière illicite en1824 , en violation du principe de l’ uti possidetis, et que sa cession, ou son
18
abandon, par le Nicaragua est à la base du compromis inique que serait le traité de limites .
19. Je commencerai par relever qu’il n’y a eu aucune violation de l’ uti possidetis. Ce n’est
pas la première fois, dans l’histoire de l’Amérique latine, qu’une unité administrative était détachée
d’un territoire pour être intégrée à une autre, ou traitée comme distincte ⎯le Chiapas en est un
autre exemple. Sur le principe de l’uti possidetis, je prierais la Cour de se référer à nos écritures 19.
20. Le rattachement de Nicoya au Costa Rica fut librement décidé par sa population ⎯ il n’y
eut pas d’appropriation illicite ou d’usurpation. Le rattachement fut approuvé par les habitants de
Nicoya à pas moins de sept reprises 20. Il fut confirmé par le Congrès de la fédération d’Amérique
21 22
centrale en 1825 . M.Brownlie a fait grand cas de l’expression «[p]our l’instant», utilisée à
13 l’article1 du décret du Congrès. En réalité, la suite de ce même article apporte l’éclaircissement
voulu: «Pour l’instant, et jusqu’à ce que la démarcation du territoire de chaque Etat, telle qu’elle
est prévue par l’articleVII de la Constitution, so it effectuée…» L’articleVII disposait que la
démarcation des Etats intérieurs serait effectu ée par loi spéciale dès lors que les données requises
23
seraient disponibles . S’il ne fut jamais mis en Œuvre, le processus visé à l’articleVII était bien
un processus de démarcation, et non un processus consistant à retransférer à une province
réfractaire une population rétive. Comme l’a ffirmait Rives dans son rapport, «en 1858, le
16A propos de Ferrer, voir http://es.wikipedia.org/wiki/Ferm%C3%ADn_Ferrer.
17CR 2009/4, p. 10, par. 8 (Argüello).
18
CR 2009/4, p. 28, par. 40-41 (Brownlie).
19
RCR, par. 1.23, et app. 1, par. A15-A28.
20RCR, par. A.17.
21CMN, annexe 55 ; RCR, annexe 5 ; RCR, par. A.17.
22CR 2009/4, p. 25, par. 25-26.
23
www.asamblea.gob.ni/opciones/constituciones/1824-11-22.doc ; Premier rapport Rives, CMN, annexe 70, p. 4. - 8 -
CostaRica était en possession ininterrompue du di strict de Nicoya, en vertu d’un titre, qu’il
revendiquait depuis plus de trente-deux ans» 24.
21. La question de Nicoya se posa au président Cleveland de la manière suivante. Si Nicoya
faisait partie du Nicaragua avant 1858, sa cession, sans l’approbation des différents congrès, était
contraire à la constitution ⎯auquel cas le traité de limites ét ait nul. Rives, dans son premier
rapport, examina donc en détail cette question.
22. Selon Rives,
«[l]e district de Nicoya se trouve du côté Pacifique du continent et a globalement la
forme d’un triangle, dont le sommet est au sud. Il est bordé à l’ouest par l’océan
Pacifique et à l’est par le golfe de Nicoya et le Río del Salto…, petit cours d’eau qui
débouche dans le fond du gol fe et prend sa source non loin de la rive sud du lac
Nicaragua.» 25
La limite nord du district était constituée par le lac et (selon le Costa Rica) le Río La Flor, encore
que Rives n’eût pas été appelé à la fixer. Rives n’était pas davantage appelé à déterminer le tracé
de la ligne reliant la source du Río del Salto à «l ’embouchure du fleuve San Juan au niveau du port
de San Juan del Norte», mais n’en affirma pas mo ins qu’il n’y avait «nullement lieu de croire que
26
ce dût être une ligne droite» ⎯ à fortiori, la ligne droite figurée aujourd’hui par M. Brownlie.
23. (Onglet54.) Ce qui est clair, c’est que Nicoya n’aurait pu, contrairement à la
représentation qu’en fait le Nicaragua, s’étendre jusqu’à l’embouchure du Río Colorado. «Le
district de Nicoya se trouve du côté Pacifique du continent», comme l’écr ivait Rives; et même
lorsque Nicoya relevait de la capitainerie générale du Guatemala, sa limite, sur les cartes, s’étendait
du nord du Río del Salto au lac. Vous trouverez l’une de ces cartes à l’onglet 54 de vos dossiers de
14 plaidoiries 2. Tout à fait indépendamment de Nicoya, la frontière nord du CostaRica suivait le
28
cours du Desaguadero, ainsi qu’indiqué dans la charte royale de 1573 .
24Premier rapport Rives, CMN, annexe 70, p. 5 [traduction du Greffe].
25
Ibid., p. 3 [traduction du Greffe].
26
Ibid., p. 6 [traduction du Greffe].
27Voir : http://books.google.nl/books?id=iACOaiasV1oC&printsec=frontcover&dq=rio…+
obregon&hl=fr.
28Charte royale de Diego de Artieda, CMN, annexe 86. - 9 -
24. M.Brownlie a affirmé, une fois de plus, que «le fleuve SanJuan de Nicaragua
29
appartenait exclusivement à la province du Nicaragua depuis 1573» . C’est faux. Officiellement,
le Nicaragua n’a acquis un titre territorial sur la côte caraïbe qu’en 1745 et encore celle-ci était-elle
alors occupée par les Indiens Mosquitos dans le cadre d’un protectorat britannique qui ne prit fin
qu’en 1860. En 1858, le Nicaragua ne détenait pas le port de San Juan del Norte. Cela apparaît à
l’article V du traité de limites.
25. Au bout du compte, Rives conclut que la Constitution nicaraguayenne de 1838 «n’avait
30
pas définitivement fixé les frontières de l’Etat» et que le traité de 1858 était «un simple traité de
limites, définissant des frontières litigieuses, et non un traité impliquant une cession de territoire et
31
un amendement à la Constitution» . Il s’ensuit que le traité de limites était valable ⎯ conclusion
confirmée par le président Cleveland et qui compte au nombre des éléments revêtus de l’autorité de
la chose jugée en l’espèce.
26. Ainsi, le Nicaragua abandonna en1858 sa revendication sur Nicoya, mais il obtint la
zone située au sud du Río La Flor, une bande de territoire longeant la rive sud du lac, qui lui valut,
pour la première fois, le contrôle intégral sur celui-ci, ainsi que sur la totalité du cours du San Juan.
Ce n’était pas là un règlement inéquitable.
c) Les véritables buts et objets du traité de limites
27. Cela m’amène au troisième point ⎯l’objet et le but du traité de limites. M.Brownlie,
fidèle à la thèse sur Nicoya, l’a décrit comme concernant exclusivement la souveraineté territoriale.
28. Mais c’est nier l’évidence même. L’évidence ⎯le but évident du traité ⎯ c’était le
canal interocéanique. C’est pourquoi il fallait a ssurer la défense commune des baies communes à
15 chaque extrémité du tracé proposé pour le canal et prévoir, à l’article IX, la démilitarisation le long
de cette voie. C’est pourquoi la frontière to talement nouvelle passant au sud du lac était si
importante. C’est pourquoi la frontière des deux Et ats se trouvait sur la rive gauche du San Juan.
Et c’est pourquoi la libre navigation sur le cours commun du fleuve fut concédée en contrepartie :
c’était la seule route de la région ⎯elle l’est encore ⎯ et si la souveraineté sur cette route était
29CR 2009/5, p. 25, par. 29.
30
Premier rapport Rives, CMN, annexe 70, p. 12, par. 29 [traduction du Greffe].
31Ibid., p. 11 [traduction du Greffe]. - 10 -
conférée à un Etat, un droit d’usage étendu était conf éré à l’autre, dans le même article, dans la
clause «pero».
29. (Onglet 55.) George Rives comprend parfaitement la situation lorsqu’il définit les «droits
naturels» du CostaRica évoqués à l’articleVIII, répondant ainsi à la dixième question
d’interprétation douteuse. L’articleVIII définit le droit de regard du CostaRica à l’égard d’un
futur canal : si les «droits naturels» du Costa Rica ne sont pas affectés par le projet de canalisation,
son vote n’est que consultatif. Vous voyez à l’écr an, ainsi que dans votre dossier de plaidoiries,
comment Rives définit ces droits naturels. Et la phr ase essentielle est à la fin. Les droits naturels
du CostaRica sont ceux qu’il possède, entre autres , «dans la partie du delta du fleuve SanJuan
qu’il détient ou sur la partie du fleuve lui-même sur laquelle il a des droits perpétuels de libre
32
navigation et autres droits riverains» [traduction du Greffe]. C’est ainsi que Rives expose l’objet
du traité de limites d’un point de vue costa-ricien . La sentence Cleveland va dans le même sens
quoiqu’elle ajoute «ainsi éventuellement que d’autres droits qui ne sont pas énoncés expressément
ici»33, ce qui témoigne de l’interprétation extensive qu’en faisait Cleveland.
30. J’insiste sur ce point: les droits naturels du CostaRica, selon Rives, s’étendaient à «la
partie du fleuve lui-même sur laquelle il a des droits perpétuels de libre navigation et autres droits
riverains». Non pas que le traité de limites ne fût pas un règlement territorial ⎯le point de vue
que nous a imposé M. Brownlie. C’était un règlement territorial, mais il englobait le fleuve, et ce à
titre perpétuel. S’il y eut jamais traité établi ssant des «obligations et droits…se rapportant au
régime d’une frontière» au sens de l’artic le12 de la Convention de Vienne de 1878 34, c’est bien
celui-là.
16
C. Le droit perpétuel de libre navigation
31. J’en viens à ce que Rives appelait volontiers ⎯ tout court ⎯ «les droits perpétuels de
libre navigation» du Costa Rica. Je me dois ici de faire trois brèves remarques.
32Deuxième rapport de Rives, CMN, annexes complètes, annexe 71, p. 15.
33
Sentence Cleveland, point 10 : MCR, annexe 16, p. 35.
34Convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités, 23 mai 1978, 1946 UNTS 3, art. 11 b). - 11 -
a) Le droit est permanent de nature
32. Dans le cadre d’une autre de ses entreprises de révisionnisme, le Nicaragua laisse
entendre que «les droits de navigation du CostaRica [ne] seraient [pas] nécessairement
«perpétuels»». M.McCaffrey a indiqué que ces dr oits «prendrai[en]t effectivement fin avec la
transformation du fleuve en canal» 35. C’est une autre hypothèse, comme le dragage à grande
échelle, et la Cour n’a nul besoin de se prononcer sur cette question ni sur celle du dragage. Mais
vous comprendrez que la question, ayant été soulev ée par le Nicaragua, appelle une réponse. En
réalité, le traité de limites prévoit expressément la consultation du Costa Rica pour tous les projets
futurs de canalisation : c’est le non-respect de ce tte obligation par le Nicaragua qui est à l’origine
de l’instance introduite devant la Cour de justice centraméricaine. J’ai déjà mentionné
l’article VIII qui dispose que : «dans le cas où la tr ansaction [de canalisation] n’est pas de nature à
nuire aux droits naturels du Costa Rica, l’avis requi s n’aura qu’un caractère consultatif». J’ai déjà
cité la conclusion de Rives sur ce que sont ces droits naturels, y compris les «droits perpétuels de
libre navigation et autres droits riverains». Rives ajoute que si ces droits naturels étaient affectés
«le Costa Rica disposerait d’un droit de véto, et son accord étant essentiel à la validité de l’accord,
il deviendrait de fait partie à toute concession octroyée pour des canaux interocéaniques»
[traduction du Greffe], sans pour autant prétendre «à une part des bénéfices que la République du
Nicaragua pourrait se réserver 36» [traduction du Greffe] . Le président Cleveland a répondu à la
37
onzième question en conséquence . Ainsi, le traité de limites prévoyait l’éventualité d’une
canalisation, sous une forme qui préserverait la réal ité des «droits perpétuels de libre navigation et
autres droits riverains» du Costa Rica.
b) Même si l’articleVI renvoyait à des «artic les de commerce», ces mots traduiraient une
extension
33. Mon second point concerne les «articles de commerce» tant redoutés, auxquels selon nos
collègues, notre liberté serait limitée. M.K ohen examinera l’interpré tation de l’expression
«objetos de comercio». Je vais supposer, ce qui n’est pas le cas, que le Nicaragua a raison
35
CR 2009/5, p. 29, par. 6 (McCaffrey).
36
Deuxième rapport de Rives, CMN, annexes complètes, annexe 71, p. 15 (réponse au point 11).
37Sentence Cleveland, point 11 : MCR, annexe 16, p. 36. - 12 -
17 d’interpréter cette expression comme signifiant «articles de commerce». J’affirme que même si
elle signifie «articles de commerce», ces mots traduisent une extension, non une limitation.
34. Monsieur le président, Messieurs de la C our, si je vous donnais le droit de circuler sur
mon fleuve ⎯ un droit perpétuel de libre navigation ⎯ et si j’ajoutais plus tard l’expression «avec
des articles de commerce», je ne conditionne pas, ni ne limite ou réduit le droit que j’ai concédé
⎯ je le clarifie et l’élargis. Nous parlons de libre navigation ⎯ entres autres éléments, exempte de
taxes, d’impôts et de droits, y compris les droits de douane. Je pourrais vous concéder un droit de
navigation mais en exclure les marchandises que vous transportez. Un aspect très important du mot
«libre» concerne l’exemption des droits de douane. L’articleVI étendait même cette exonération
aux marchandises débarquées sur la rive opposée du fleuve, et l’articleV exonérait de droits de
douane les marchandises reçues à Punta de Castilla ta nt que le port de SanJuan del Norte alors
indépendant n’était pas repris et demeurait un port franc (free). L’ajout des mots «avec des articles
de commerce» ne vise pas à limiter le droit de libre navigation mais à pr éciser que cette liberté
s’étend aux marchandises que vous pouvez transporter avec vous. Ces mots ne traduisent tout
simplement pas une restriction.
35. A quoi ressemblerait un droit de libre navigation avec des articles de commerce
⎯ comment fonctionnerait-il ⎯ si l’expression «articles de commerce» impliquait une limitation
ou une restriction, comme le prétend à présent le Nicaragua ? Je partirais le matin avec mes Œufs
pour le marché, les Œufs produits par mes poules riveraines : de parfaits articles de commerce. Je
circulerais librement sur le fleuve ⎯ pas de visa, de taxe, de droit. J’arrive avec mes Œufs, intacts
je l’espère, au marché local très fréquenté de Sarapi quí et, en un rien de temps, tous mes Œufs sont
vendus. Mais maintenant je n’ai plus d’Œufs, plus d’articles de commerce : comment retourner à
mon poulailler? En vendant mes articles de commerce, j’ai vendu ma liberté de naviguer sur le
fleuve pour la journée. Je suis coincé ; je dois me rendre à San José pour obtenir un visa, ce faisant
je dépense tous les bénéfices que j’ai retirés de la vente de mes Œufs ! Cette liberté à sens unique
n’est pas du tout une liberté ⎯ la liberté de quitter le fleuve sans dr oit de retour. Et M. Reichler ne - 13 -
peut se contenter de répondre que les riverains sont exempts de visas 38: il s’agit d’une simple
tolérance. L’article VI ne fait pas de distinction entre riverains et non-riverains.
18 36. (Onglet 56.) Permettez-moi de lancer un défi formel à mes collègues de l’autre côté de la
barre. Trouvez-moi un traité qui confère la liberté de navigation à des personnes si, et seulement si,
elles transportent des marchandises. Une telle di sposition devrait être ainsi rédigée: «mais la
République du CostaRica disposera du droit perp étuel de libre navigation sur lesdites eaux si et
seulement si [si y sólo si] cette navigation s’effectue avec des articles de commerce…» 39 Ce n’est
pas ce que dit l’articleVI. L’argument nicaragua yen fondé sur les «articles de commerce» est,
avec tout le respect qui lui est dû, un non-sens manifeste.
c) L’argument nicaraguayen fondé sur les «articles de commerce» est inconséquent
37. La distinction qu’opère le Nicaragua entre les voyageurs avec et sans marchandises
commerciales ⎯des couvertures et des perles ⎯ pose toutefois un autre problème. Elle est
totalement inconséquente si on l’applique dans la pratique. J’admets, M.Argüello, m’être rendu
sur le fleuve: j’y suis allé sans articles de comme rce. Mais que j’en aie ou pas n’a rien changé.
Personne ne m’a demandé si je transportais des articles de commerce; personne n’a contrôlé la
sécurité du bateau, ni ce qu’il transportait ; nous avons fait halte, j’ai payé, le batelier a payé ⎯ il
était pourtant local ⎯ nous nous sommes arrêtés plusieurs fo is à des postes de l’armée; aucun
service n’a été assuré, aucun contrôle effectué ; nous avons fait halte, nous avons payé, nous avons
encore fait halte et finalement nous sommes par tis. L’expérience nous a certes appris quelque
chose ⎯ mais elle nous a appauvris sans que le Nicaragua nous ait rendu le moindre service.
38. Je serai bref sur ce point. L’argument du conseil fondé sur les «objetos de comercio» n’a
aucun rapport avec la procédure de présentation, de certification, de paiement et d’impôts
actuellement appliquée sur le fleuve. Les marchandises commerciales n’ont rien à voir avec cela.
38CR 2009/5, p. 24, par. 43 (Reichler).
39
Version espagnole :
«pero la República de Costa Rica tendrá el derecho perpetuo de libre navegación en dichas aguas, entre la
desembocadura de río y el punto, a tres milla inglede distancia de CastilloViejo, si y sólo si, esta
navegación es con artículos de comercio…». - 14 -
Les grandes lignes de la réplique du Costa Rica
39. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achèvent mes premières remarques
générales. Avec votre permission, Monsieur le président, M.Kohen va examiner plus en détail
l’interprétation de l’articleVI; M.Caflisch tr aitera du droit de réglementation et des diverses
mesures prises par le Nicaragua ; je reparlerai de la navigation publique avec des bateaux officiels,
des droits connexes et des réparations demandées, et M. Ugalde conclura.
Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler maintenant M. Kohen à la barre.
19 Le PRESIDENT: Je vous remercie, MonsieurCrawford, pour votre exposé. Je donne à
présent la parole à M. Kohen.
KOrH. EN:
II. Article VI of the Treaty refers to “purposes of commerce”
1. Mr.President, Members of the Court, during the first round of oral argument, our
opponents maintained their interpretation of the Spanish expression “con objetos de comercio” as
meaning only “merchandise” (or “marchandises” in French). It is true that counsel for Nicaragua
followed different practices. Antonio Remiro, and later AlainPellet, opted mainly for the French
wording “avec des objets de commerce” [“with object s of commerce”]. Mr. Remiro also used the
expressions “avec des choses faisant l’objet de commerce” [“with things which are the subject of
commerce”] and “avec des choses faisant l’objet d’ac tivités commerciales” [“with things on which
40
the activity of commerce falls”] . To be sure, he also affirmed that in good French that meant
“avec des marchandises” [“with goods”] 41. For their part, PaulReichler and StevenMcCaffrey
chose not to venture into the field of translation and used only the Spanish expression during their
presentations, despite the fact that even President Cleveland himself used the expression “purposes
42
of commerce” . For his part, IanBrownlie added, afte r correctly quoting from ArticleVI of the
Cañas-Jerez Treaty, “the words ‘for the purposes of commerce’ are not accepted by Nicaragua as
4CR 2009/4, pp. 36-37, paras. 2, 5 and 6.
41
CR 2009/4, p. 46, para. 42 (Remiro Brotóns).
4CR 2009/5, pp. 9-12, paras 6, 9, 11, 13 and 14 (Reichler) and pp. 28-31, paras. 4, 5, 7, 8 and 9 (McCaffrey). - 15 -
an accurate translation into English” 43. Mr.Brownlie did not indicate, however, when Nicaragua
began to reject this translation, or how Nicaragua had made that fact known to him.
2. It must be troubling for a Party which comes before the Court and which contests the
interpretation or translation of a Treaty not to be able to produce a version of the Treaty that
supports its claims. And this must be all the more true when the Court has in its hands the only
version of the Treaty that that Party has produced , which says exactly the opposite of what that
Party is claiming before the Court.
3. The object of my presentation will be to refute the arguments put forward by Nicaragua
20 last week about the disputed expression. In accordance with your instructions, I shall not go back
over matters that we raised during the first r ound, on which our opponents have maintained an
eloquent silence.
4. My presentation is in five parts. First, I shall examine the other side’s arguments
concerning the meaning of the term “con objetos de comercio” in general. Second, I shall turn to
the relevance for the present case of the identical translations done by the Parties on the occasion of
the arbitration by the President of the United States. Third, I shall look at the very narrow concept
that Nicaragua has adopted regarding the notion of “comercio”, showing that this includes the
transport of passengers in general, and of tourists in particular. Fourth, I shall look at subsequent
practice, which confirms our interpretation of ArticleVI of the Cañas-Jerez Treaty. And fifth, I
shall look at AlainPellet’s temporal digressions concerning the evolutionary interpretation of
treaties.
A. Interpretation of the phrase “con objetos de comercio”
5. Antonio Remiro accused us, and I quote, of transforming “the ordinary, natural meaning
of the phrase ‘objetos de comercio’, to which ArticleVI of the Treaty links the right of free
navigation, into an ‘end-oriented’ concept, according to which objects of commerce are not things,
goods, but purposes, commercial objectives” 44.
43
CR 2009/4, para. 19 (Brownlie).
44
CR 2009/4, p. 36, para. 3. - 16 -
6. First, my friend and opponent is very quick to assume, without any evidence to back him
up, that there is only one ordinary, natural mean ing of the expression “objetos de comercio” and
that it is “goods”. And second, we have not transformed anything whatsoever. If anyone has made
any change to what had been the commonly accepted interpretation, it is Nicaragua! Mr. President,
the “end-oriented” interpretation, as Antonio Remiro calls it, was in fact the interpretation adopted
by Nicaragua before PresidentCleveland when it used the translation “for the purposes of
commerce”; and Nicaragua even expanded upon that interpretation in its official publications in
45
1954 and 1974 when it spoke of Costa Rican navigation “con fines de comercio y fiscales” .
Frankly, Mr.President, I do not understand this process being mounted against us by the other
21 Party, when it stated itself in its Counter-Memorial that, and I quote, “the right of free navigation is
46
articulated in the form of a careful statement of purposes” .
7. Mr.Argüello did not appreciate it when I maintained that he translated the French
47
expression “sous le rapport du commerce” into Spanish as “con fines comerciales” . He did not
contradict me last Thursday, quite the contrary. The distinguished Agent of Nicaragua has also
given you his English translation of “con fines comerciales”, which is the Spanish rendering he
used to explain what “sous le rapport du commerce” means in Spanish. No surprise there: it is
rendered as “for commercial purposes” 48. And so he has come full circle: he arrives at an
equivalent variant of the translation of “con objet os de comercio” in English with which everyone
was in agreement before this dispute arose, including Nicaragua!
(a) The linguistic debate confirms Costa Rica’s interpretation
8. Antonio Remiro claimed that the Moreno de Alba report did not provide any documentary
49
evidence to support its conclusions . But each of that Spanish-American academician’s comments
4Nicaragua, Ministry of Foreign Affairs, Situación jurídica del Río San Juan , Managua, 1954, Memorial of
CostaRica (MCR), Vol.6, Ann.219; Ni caragua, Ministry of Foreign Affairs,Situación jurídica del Río San Juan ,
Managua, 1974, MCR, Vol. 6, Ann. 222. Judges’ folder, tab 18.
4Counter-Memorial of Nicaragua (CMN), para . 2.151.
4Carlos J. Argüello Gomez, Algunos aspectos jurídicos sobre el Tratado Jerez-Cañas y el Laudo Cleveland ,
Ministry of Foreign Affairs, Managua, 26August1998. Accessible at <http: //www.joseacontreras.net/dirinter/america/
Nicaragua_Rio_San_Juan.pdf> (webpage visited 1March2009 ). Until 27February 2009, was also accessible at
<http://www.euram.com.ni/pverdes/articulos/aspectos_juridicos_rio_san_ju…;. Judges’ folder, tab 27.
4CR 2009/4, p. 12, para. 16 (Argüello Goméz).
4CR 2009/4, p. 39, para. 14 (Remiro Brotóns). - 17 -
is backed up with concrete references showing the use of the terms examined. Moreover, the report
is supplemented by an appendix. The report is complete, specific, thoroughly researched and
relevant.
9. Like Mr. Seco, Antonio Remiro Brotóns brushed aside all the examples given in table 1 of
the Reply of Costa Rica 50 in which the word “objeto” in the singular means “purpose” . There are
62such examples, an impressive number indeed against a thesis which asserts that the word
52
“objetos” in the plural can never mean “purposes” ! And these examples have not been drawn
22 from literary works or newspapers unrelated to this context. It is purely a case of the word “objeto”
being used in the sense of “purpose”, whether in th e singular or in the plural, in treaties and public
contracts concluded through the nineteenth century by one or the other of the Parties. The Moreno
deAlba report explained why the claim that “objetos” in the plural cannot mean “purposes” is
53
incorrect, and I would refer you to it .
10. Still, the list contains 18 other examples where the word “objetos” in the plural is used in
the sense of “purposes”. Counsel for Nicaragua counted 16examples, but in fact, in one of the
texts the word is used in the sense of “purposes” twice. Never mind. Professor Remiro is trying to
brush aside a dozen cases on the pretext that the word “objetos” in the plural appears on its own 54.
Is this a valid reason? Did Nicaragua not tell us that “objetos” in the plural never meant
“purposes” 55?
11. Counsel for Nicaragua believes that, in view of the cases mentioned in the Corpus
diacrónico del español [Diachronic Corpus of Spanish] in which the expression “objetos de
comercio” is used in the sense of, and I quote, “things on which the activity of commerce falls”, the
56
only possible meaning of the expression “objetos de comercio” in Article VI is “goods” . I would
note that in none of these cases is the expression preceded by the preposition “con”, as it is in
5Reply of Costa Rica (RCR), table1, “Use of the te rm ‘objetos’ as meaning ‘purposes’ in 19th Century
documents”, pp. 99-126.
5RCR, table1, docs. 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 29, 30
and 31.
52
CMN, para. 4.1.27; Rejoinder of Nicaragua (RN), para. 3.12.
53
Documents annexed to the letter of 27 Nov. 2008 from the Agent of Costa Rica, Anns. I and III.
5CR 2009/4, p. 40, para. 18 (Remiro Brotóns).
5CMN, para. 4.1.27; DN, para. 3.12.
5CR 2009/4, pp. 39-40, para. 15. - 18 -
Article VI. Counsel for the other side too quickly forgets the importance of context in determining
the sense of terms which have several meanings. Nicaragua’s expert asserted this point, and
Professor Remiro cited it himself as well 57. True, Mr. Seco does not say what he is doing, but that
is another matter altogether.
12. To find a semantic and syntactic analysis, one must refer to Dr. Moreno de Alba’s report.
He sets about the following exercise. Stripped of all the elements not necessary for the central
analysis, the sentence can be summed up as follows: “The Republic of Costa Rica shall have . . .
a right . . . of free navigation . . . for purposes of commerce . . . with Nicaragua . . .” He shows that
the only meaning that the syntagma “con objetos de comercio” can assume is “for purposes of
23 commerce”. Indeed, if one reads “con objetos de comercio” as meaning “goods”, the result is
nonsense, both vis-à-vis the word “navigation” and vis-à-vis the syntagma “with Nicaragua”. In
the first case, vis-à-vis the word “navigation”, it would function as a complement resulting in the
meaning “navigation accompanied by goods” or “n avigation in cohabitation with goods” or
“navigation by means of goods”. In the second case, vis-à-vis the phrase “with Nicaragua”, it
would give the sentence, “The Republic of Cost a Rica shall have . . . a right . . . of free
navigation . . . with goods . . . with Nicaragua . . .” To that, Dr. Moreno de Alba would conclude,
“Navigation with Nicaragua? Goods with Nicaragua? Impossible. This is yet another piece of
nonsense because, in the reformulation, the noun ‘c ommerce’ loses its deverbal (that is, derived
from a verb) sense, thus leaving the syntagma ‘with Nicaragua’ without any semantic or syntactic
58
link” .
(b) Treaties of friendship, commerce and navigation concluded by the Parties at the same time
as the Cañas-Jerez Treaty
13. This linguistic analysis is borne out by practice prior to or contemporary with the
conclusion of the Cañas-Jerez Treaty. I would like to cite a few examples which are of interest not
only from the linguistic point of view but also, a nd more important, from th e legal point of view,
because these are treaties concluded by the Parties, and not just any treaties, for they are treaties
57
CR 2009/4, pp. 37-38, para. 8.
58
Documents annexed to the letter of 27 Nov. 2008 from the Agent of Costa Rica, Anns. I and VIII.2. - 19 -
that concern two terms which are essential to in terpreting ArticleVI of the 1858 Treaty, namely
“navigation” and “commerce”.
14. My friend Antonio Remiro has referred to treaties of commerce and navigation which,
since the Jay Treaty, have used the expression “para los objetos de su comercio” in Spanish and
“for the purposes of their commerce” in English. W ith reference to the two Parties in this case, he
has cited the treaty of friendship, commerce a nd navigation between Costa Rica and the United
States in 1851 (the Molina-Webster Treaty) and the three treaties of friendship, commerce and
navigation between the United States and Nicaragua in 1857 (the Cass-Irrisari Treaty), 1859 (the
59
Lamar-Zeledón Treaty) and 1867 (the Ayon-Dickinson Treaty) .
15. Shown on the screen now is a sample of the standard wording used in all these treaties, in
this case ArticleII of the 1857 Cass-Irrisari Treaty, in its Spanish and English versions, both of
24 which are authentic 60. Counsel for Nicaragua has not troubled himself to apply his linguistic
theory to the expression “para los objetos de su co mercio”. Clearly, to translate “para los objetos
de su comercio” into French as “pour les objets de son commerce” and then to claim that that
means “for goods” would have overs tepped the bounds of temerity. Nevertheless, he very bravely
61
concluded that these treaties do not prove that the word “objetos” means “purposes” .
16. Counsel for Nicaragua, contrary to his hab its, at least in the present case, has engaged in
an exercise which he might have called “end-oriented” to justify his interpretation to the effect that
“para los objetos de su comercio” means goods and only goods. He tells us, “Their commerce
plainly involves the goods they buy and sell and, logically, place and store in buildings and
warehouses.” 62 This raises a few questions. These citizens— who under the terms of these
treaties have the right to land on the territory of the other party— how do they arrive? Do they
have the right to arrive, taking Nicaragua’s interpretation as a basis, “without articles of
commerce”? I can accept that the function of a warehouse is to store goods, but that is not the
function of a dwelling. Could Professor Remiro te ll me what kind of goods Cornelius Vanderbilt’s
59CR 2009/4, p. 41, para. 21 (Remiro Brotóns).
60
Judges’ folder, tab 58.
61
CR 2009/4, p. 42, para. 26 (Remiro Brotóns).
62CR 2009/4, p. 42, para. 25 (Remiro Brotóns). - 20 -
Accessory Transit Company was buying and selling at the time it was engaging in commerce on
the San Juan River, transporting some 68,000 passengers between 1848 and 1869 63?
17. Moreover, Professor Remiro’s thesis com es up against an insurmountable problem. The
authentic English text of these treaties uses the wording “for the purposes of their commerce”.
And, pursuant to Article33, paragraph3, of the Vienna Convention on the Law of Treaties, “The
terms of the treaty are presumed to have the same meaning in each authentic text.” 64 This leaves
no room for doubt: “objetos” and “purposes” mean th e same thing. “Objetos de comercio” and
“objetos de su comercio” were being translated contemporaneously as “purposes of commerce” and
“purposes of their commerce”. I do not believe it is worthwhile to launch into a tedious discussion
25 of whether or not “objetos” in the plural can mean “purposes” when the word is used in
conjunction with “commerce”. At this point, the answer is obvious.
(c) Contemporaneous treaties used other expressions to refer to goods
18. I shall go on now to contemporaneous prac tice for referring to goods. In reference to
table2 in the Rejoinder of Costa Rica, Mr.Remiro says it does nothing but prove the richness of
65
the Spanish language . It is a pity he did not look at it a little more closely, though, because it
does not list even one text that uses the expression “objetos de comercio” to mean goods.
19. In fact, what do we find? We find that out of 218 examples cited, 43 use “artículos”,
with or without some qualifier, 32 use “mercancí as”, 19 use “mercaderías”, 26 use “efectos”, 28
use “productos”, 16 use “manufacturas”, 13 use “gén eros” or “jéneros” and 13 use “objetos” in a
66
context where there can be no mistaking the meaning. And there are still more expressions used .
20. Counsel for Nicaragua might have discerned that when the intent was to refer to goods,
the texts used expressions which were unambiguous. He might also have observed— given that
Nicaragua’s pleadings have made copious reference to the shipping of coffee— that when the
63
See <http://en.wikipedia.org/wik i/Accessory_Transit_Company> and <http://www.bruceruiz.net/Panama
History/argonauts.htm> (webpages visited 8 March 2009).
64
“Les termes d’un traité sont présumés avoir le même sens dans les divers textes authentiques.” Cf.
Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibia), Judgment, I.C.J. Reports 1999 (II), p. 1062, para. 25.
65CR 2009/4, p. 43, para. 27 (Remiro Brotóns).
66RCR, pp. 127-151. - 21 -
67
intent was to refer specifically to imported goods or exported goods, the texts explicitly said so ,
and likewise when the intent was to refer to na tural-resource products or domestically-produced
68
goods, again the texts explicitly said so . ArticleVI of the Cañas-Jerez Treaty is very far from
either of these hypotheses.
(d) Costa Rica’s approach to President Cleveland leads to an interpretation of ArticleVI that
goes well beyond the transport of goods
21. Alain Pellet and Steven McCaffrey thought they had discovered an argument supporting
69
Nicaragua’s interpretation in a passage in Cost a Rica’s submission to PresidentCleveland , by
26 making it say something it does not say and neglecti ng to mention Costa Rica’s response. It is a
passage that poses a general rhetorical question a bout the scope of the right of free navigation
70
deriving from Article VI . You can see the full response on the screen, and it also appears in your
folders at tab 59. I shall quote a few key passages concerned with the issue at hand:
“The answer seems to be very simple . . . It seems to be beyond discussion that
Costa Rica can navigate in the San Juan river with public vessels, which are not
properly men-of-war... Within the meaning of the words, commercial navigation,
both the revenue police, the carrying of the mails, and all other public services of the
71
same kind are necessarily included.”
22. Costa Rica’s response to its own rhetorical question is therefore altogether unambiguous.
Clearly, the answer is No. It is simply impossi ble to deduce from this text that for Costa Rica
“objetos de comercio” meant “goods”, or that the sole “commercial purpose” was the transport of
goods. On the contrary, “commercial navigation” and not “navigation with goods” was how Costa
Rica interpreted the expression “navegación con objetos de comercio” at the time.
67
RCR, table 2, docs. 1, 2, 3, 5, 8, 9, 11, 12, 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 24, 25 and 26.
6RCR, table 2, docs. 5, 9, 10, 15 and 22.
6CR 2009/4, pp. 58-59, paras. 20-21 (Pellet); and CR 2009/5, pp. 31-32, para. 13 (McCaffrey).
7MCR, Vol. 6, Ann. 207, p. 831 (p. 155).
71
French translation by the Registry: “La réponse semble être très simple . . . Il semble être indiscutable que le
Costa Rica peut naviguer sur le San Juan avec des bateaux publics qui ne sont pas des vrais navires de guerre . . . Le sens
de l’expression ‘navigation commerciale’ inclut nécessairement la police douanière, l’acheminement du courrier ainsi que
tout autre service public de même nature.” Ibid., pp. 831-832 (pp. 155-156), judges’ folder, tab 59. - 22 -
(e) If Nicaragua had had any doubts about the translation submitted to Presi
dent Cleveland, it
would have included the equivalent Spanish terms within parentheses
23. Let us now look at how Nicaragua has appro ached the issue. In the translation of the
1858 Treaty produced by Nicaragua and submitted to President Cleveland, wherever Nicaragua felt
that the translation needed clarification the original words in Spanish are shown within parentheses.
On the screen now you can see Article VI as Nicara gua submitted it to the arbitrator. As you can
see at tab 60 in your folders, Nicaragua resorted to th is clarification in four places, in regard to the
words or expressions “atracar”, “canalización”, “est e voto será consultivo” and “crédito activo” in
ArticlesVI, VII, VIII and IX respectively. It comes as no surprise that Nicaragua did not find it
necessary to insert the words “con objetos de comercio” within parentheses as an adjunct to its
translation “for the purposes of commerce”.
(f) The Cleveland Award becomes unreadable if we follow Nicaragua’s interpretation
27
24. In his oral arguments of 5March, Alain Pellet seemed to sow confusion in reading the
Cleveland Award and, in passing, showed a surfe it of imagination in attributing to me some
comments about the Award which I had not made 72. My opponent and dear friend blithely stated
that, “As ProfessorKohen has pointed out, this sen tence does not make a great deal of sense in
French, whether ‘[con] objetos de comercio’ is translated as ‘avec des marchandises’ [‘with
73
merchandise’] or as ‘à des fins commerciales’ [‘for purposes of commerce’].” The reality is that,
after reading the part of the Award containi ng the expression “purposes of commerce”, I stated,
“Nicaragua’s reading would produce the absurd result of enjoyment being limited to ‘articles of
74
trade’.” Thus, only a reading that follows Nicaragua’s line of argument would be absurd.
Moreover, Mr.President, in the Cleveland Award there is nothing to be translated from Spanish
because the arbitrator rendered the award in En glish and uses “purposes of commerce” in the
passage in question. This makes a great deal of sense, not only in English but also in the Registry’s
French translation.
25. Things did not stop there. In a fit of over-excitement, no doubt, Alain Pellet then decided
to plunge into deep and turbulent waters, far more so than the waters of the San Juan. He launched
7CR 2009/4, p. 59, para. 21 (Pellet).
73
Ibid., with the footnote omitted.
7CR 2009/2, p. 64, para. 58 (Kohen). - 23 -
an attack on the Cleveland Award, asserting that the reference to the enjoyment of “purposes of
commerce” was perhaps “merely an oversight by th e arbitrator”, or that the arbitrator— and I
quote my friend —
“did not want to get involved in interpre ting the expression ‘con objetos de comercio’
(which the parties had translated as ‘for purposes of commerce’) and deliberately
chose to use inverted commas to indicate that he was using the expression without
giving an opinion on a matter of interpre tation which the parties had not submitted to
him and about which they had presented no arguments” . 75
26. Here Alain Pellet displays the full reach of his imagination. Of course I can understand
that Article2 of the Cleveland Award places Nicar agua in a highly embarrassing position. The
inverted commas can be explained simply by th e fact that PresidentCleveland was quoting the
28 terms of Article VI as the two parties had translated them 76. Moreover, Alain Pellet makes an issue
of a “matter of interpretation” wh ich he knows does not exist, since he had earlier stated that there
was no disagreement between the Parties as to the meaning and scope of Article VI 77.
27. The text of Article2 of the Cleveland Award is clear and altogether unambiguous: the
“enjoyment of the ‘purposes of commerce’ accorded to her in said article” makes complete sense,
whereas the “enjoyment of the ‘goods’ accorded to her in said article” makes no sense whatsoever.
(g) The first Alexander Award: a broad approach to commerce
28. Alain Pellet also believed he had found support for the Nicaraguan thesis in the first
Arbitral Award rendered by General Alexander. In the Award, the arbitrator states that,
78
“throughout the treaty, the river is treated and regarded as an outlet of commerce” . In the eyes of
my eminent opponent, this is “an expressi on clearly concerned with commerce ‘with
79
merchandise’” . To my mind, this statement comes much closer to Costa Rica’s interpretation.
Alexander uses “commerce” rather than “trade” and, as Nicaragua has stated before the Court, in
75CR 2009/4, p. 59, para. 21 (Pellet).
76
RCR, paras. 3.66-3.68.
77CR 2009/4, p. 57, para. 19 (Pellet).
78Arbitral Award No.1, 30September1897, Pasicrisie Internationale 1794-1900 (Berne, Stampfli, 1902;
reprinted by P. M. Eisemmann, The Hague: M. Nijhoff, The Hague, 1997), p.531, MCR, Vol.2, Ann.18. MCR,
para. 4.24, French translation: “partout dans le traité, le fleuve est considéré comme un débouché pour le commerce”.
79CR 2009/4, p. 60, para. 22 (Pellet). - 24 -
English “commerce” is a broader concept than “t rade”, and goes beyond the buying and selling of
80
goods . It encompasses a variety of meanings, including the transport of people.
B. The Parties’ identical translations submitted to President Cleveland have legal effects
29. I now move on to the legal effects of th e Parties’ identical translations submitted to
President Cleveland. According to Antonio Remiro, “Costa Rica seeks to replace the interpretation
of the sole authoritative text, written in Spanish, with the interpretation of an English translation
made during the Cleveland arbitration proceedings, which Costa Rica finds better suited to its
claims” 81. Not at all, Mr. President. We are not seeking to replace anything whatsoever.
29 30. Of course, the text of the Treaty is in Sp anish. We are simply maintaining that the two
Parties translated Article VI in the same way: “for the purposes of commerce”.
31. Professor Pellet grants me that there w as no disagreement between the Parties as regards
the interpretation of the words “con objetos de comercio” in the Cleveland arbitration. But he adds
82
that “there was no agreement— for the excellent reason that there was no disagreement” .
Frankly, I have some difficulty in following the reasoning of my colleague here. Apparently, for
AlainPellet, in order for two States to agree on so mething, they must necessarily have disagreed
before. That is a strange approach to interna tional relations. No, Mr.President. Fortunately,
States come to agreement on many issues in the pursuit of common goals, without any need for
disputes or differences to have existed previously on the purposes of those agreements.
32. Let us go a little further into the specific question that concerns us here: the attitude of
the Parties in the Cleveland arbitration. There was no disagreement as to the scope of the
expression “con objetos de comercio”. No one raised any question of interpretation. Is that all?
No, that is not all. On what was there agreement in the Cleveland arbitration? On how to translate
that expression into English.
80
Memorial of Nicaragua (Questions of Jurisdiction and Admissibility), I.C.J. Pleadings, Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua, Vol. I, pp. 403-404.
81
CR 2009/4, p. 40, para. 16 (Brotóns).
82CR 2009/4, p. 57, para. 19 (Pellet). - 25 -
33. I pointed out last Monday that both Parties had translated the phrase which is now in
dispute in exactly the same way, with not an iota of difference 83. Alain Pellet has acknowledged
that 84. For me, this shows not only that there was no disagreement, but also that the Parties were in
agreement on how to translate “con objetos de comercio” into English.
34. Mr.President any translation has a significance. It is a question of how to express an
idea in a different language. AlainPellet do es not wish to draw any conclusion from this
remarkable coincidence in the proceedings before the arbitrator, whose task was to settle any doubt
over the interpretation of the Treaty. For our part, we draw the obvious conclusion.
30 35. And at this advanced stage of the pro ceedings, I would make the following observation:
I have waited in vain for the Respondent to explain why, in 1887, Nicaragua translated “con
objetos de comercio” in the way it is rejecting so forcefully today.
C. The term “comercio” is not restricted to the buying and selling of goods
36. Nicaragua has devoted a great deal of effort to stating the obvious, namely that the
transport of goods is covered by na vigation for the purposes of commerce 85. Contrary to the
86
statements of our friends and opponents , Costa Rica has no difficulty in accepting the primary
meaning of the term “commerce”. We are even ready to acknowledge that the buying and selling
of goods represents the most typical form of co mmercial activity. But it is not the only one!
Neither in the nineteenth century, nor today.
37. On the other hand, my colleagues Remiro and McCaffrey have great difficulty with the
second meaning of the term “commerce”, the one signifying communication 87. We referred to this
88
meaning back in our Memorial , but Nicaragua has made no reference to it in the written phase!
38. In Annexes58 and 60 to the Rejoinder, Nicaragua presents the entry “comercio”
contained in two bilingual English-Spanish dic tionaries, one dating from 1809 and the other from
8CR 2009/2, p. 50, para. 9 (Kohen).
84
CR 2009/4, p. 57, para. 19 (Pellet).
85
Ibid., pp. 43-46, paras. 28-42 (Brotóns).
8Ibid., p. 44, para. 34 (Brotóns).
8Ibid., pp. 44-45, paras. 33-35 (Brotóns); CR 2009/5, pp. 29-30, para. 7 (McCaffrey).
8MCR, paras. 4.52-4.72. - 26 -
1858. These are now shown on the screen. Both dictionaries refer not only to “commerce” and
“trade”, but also to “communication”.
39. In fact, Members of the Court, this Court has already considered in detail the scope of the
89
word “commerce” in the Oil Platforms case . I will not tax your patience by repeating that
comprehensive analysis, which is relevant for th e purposes of this case; you will find an extract
from it at tab 61 of your folders.
(a) Commercial navigation includes the transport of passengers
31
40. Counsel for Nicaragua has stated, without citing any specific reference in support, that
“[a]ll of the diplomatic documen ts and aborted treaties prior to the Jerez-Cañas Treaty tie
navigation on the SanJuanRiver to the tran sport of fruit, products, goods, especially coffee” 90.
That is not correct, and I would refer you to our pleadings dealing with these matters 91.
41. We have produced evidence showing that the transport of passengers is included in Costa
Rica’s right of free navigation deriving from Article VI of the Cañas-Jerez Treaty, and I shall not
92
return to that .
42. There is a deafening silence from Nicaragua regarding in particular the treaties which it
concluded in 1857 with the United States, in 1859 with France and in 1860 with Great Britain. All
three refer explicitly to the San Juan, to Costa Rica and to navigation with persons and goods, both
of the government and citizens 93. Even on the most favourable reading for Nicaragua, these three
treaties sound the knell of its interpretation of Article VI limiting that article solely to the transport
of goods and to private vessels.
43. I would add that Nicaragua’s interpretation excluding passengers leads to an absurd and
unreasonable outcome. Let us imagine a Costa Rican coffee producer in the nineteenth century. If
89Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Pr eliminary Objection, Judgment, I.C.J.
Reports 1996 (II), pp. 818-819, paras. 45-46, 48-49. Judges’ folder, tab 61.
90CR 2009/4, p. 47, para. 48 (Brotóns).
91RCR, paras. 2.53-2.54; CR 2009/2, pp. 66-67, paras. 64-68 (Kohen).
92
MCR, paras. 2.53-2.54; RCR, paras. 3.76-3.78.
93
United States-Nicaragua Tr eaty of Friendship, Commerce and Naviga tion, 16 November 1857, RCR, Vol.2,
Ann.10 (Art.XX, judges’ folder, tab 30); Treaty of Amity, Commerce and Navigation between France and Nicaragua,
signed on 11April1859, RCR, Vol.2, Ann.14 (Art.XXXIII, ju dges’ folder, tab28); Treaty of Friendship, Commerce
and Navigation between Great Britain and Nicaragua, 11Fe bruary1860, RCR, Vol.2, A nn. 15 (Art.XXVI, judges’
folder, tab 29). - 27 -
he wished to go to Europe to promote and sell his coffee, he would have to go via the Pacific and
sail round Cape Horn. Having returned to Costa Rica by the same route with his book of orders, he
could nevertheless despatch his coffee via the San Juan. But if he left for Europe with his cargo of
coffee via the San Juan, he would have to return round Cape Horn because he would be coming
back “without articles of trade”! Can it seriously be thought for one moment that this was the
attitude of the negotiators of the Cañas-Jerez Treaty?
b) The transport of tourists is covered by Article VI of the 1858 Treaty
32
44. Alain Pellet went so far as to claim that the right of free navigation could not include the
transport of tourists, for the simple reason th at tourism did not have the economic importance
which it has today and, according to him, had no connection whatever with commerce at the time
the Treaty was concluded 94.
45. There is no doubt at all that tourism ex isted at the time when the Cañas-Jerez Treaty was
concluded, albeit not on the scale of today. Alain Pellet was careful to avoid stating otherwise 95.
46. Indeed, there is a great deal of evidence that this activity was taking place. It is
interesting to note that the first recorded use of the word “turista” in Spanish is as an adjective
describing a specific activity— an excursi on— and dates from the decade preceding the
96
Cañas-Jerez Treaty . Mark Twain was probably the best-known traveller to have navigated on the
waters of the San Juan, which he did in 1863, shortly after the Treaty was concluded 97.
47. “Tourism — travelling for pleasure — appeared at the end of the seventeenth century in
England” according to one writer, who explains how it has turned from a luxury for the rich into a
98
mass leisure activity . Even in the days when it was the exclusive preserve of the rich, tourism
had to be organized: people had to travel, navigate, buy food and other “goods”— which our
opponents are obsessed with— and find accommodation elsewhere: surely all these goings-on,
94
CR 2009/4, p. 53, para. 9 (Pellet).
95Ibid., pp. 53-54, paras. 9-10 (Pellet).
96Juan Valera, Correspondencia 1847-1857 . Accessible at: http://corpus.rae.es/cordenet.htm (visited on
8 March 2009).
97http://maritimeheritage.org/vips/marktwain.html (visited on 8 March 2009).
98
Stéphane Lecler, “Une histoire du tourisme. D’un luxe de riches à un loisir de masse”, in Alternatives
Economiques, No2.71, July 2008 (http://www.alternatives-econom iques.fr/une-histoire-du-tourisme-d_un-luxe-de-
riches-a-un-loisir-de-masse_fr_art_735_38022.html) (visited on 8 March 2009). - 28 -
Mr.President, included commercial activities? In fact, I am surprised at the elitist position taken
by Alain Pellet. Apparently, if this were being engaged in by a handful of rich people, he would be
prepared to accept it for the San Juan, but not when it involves an activity open to a broad section
of the population.
33 48. I shall comment briefly on my opponent’s interpretation of the Kasikili/Sedudu case. In
the Kasane Communiqué of 24May 1992, which he cited 99, the Presidents of the two countries
noted that “navigation should remain unimpeded including free movement of tourists”
(Kasikili/Sedudu Island (Botswana/Namibi a), Judgment, I.C.J. Reports 1999(II) , p. 107,
para. 102; emphasis added). “Remain”: that indicates the maintenance of something which exists
already, not a constituent agreement. And yet no treaty text conferred any specific right in
connection with tourist navigation. To stre ss the point: the basic interest of the Kasikili/Sedudu
Judgment is the interpretation of freedom of navigation as including tourist navigation.
49. In fact, Mr. President, the fundamental ques tion is not whether tourism existed or not at
the time when the Cañas-Jerez Treaty was c oncluded, but whether people who are travelling
between two points on Costa Rican territory shoul d be excluded from benefiting from the concept
of free navigation for the purposes of commerce, simply because they are tourists.
50. These tourists are going from one point on Costa Rican territory to another, for example
from Sarapiquí to Tortuguero. Tourists are also passengers. And they are in transit. Is every
passenger on Costa Rican vessels to be asked whethe r he or she is travelling for pleasure or for
other reasons, so as to establish whether or not they can benefit from the right of free navigation for
the purposes of commerce?
D. Subsequent practice exists, and confirms Costa Rica’s interpretation
51. Alain Pellet did his best to minimize the scope of the Parties’ practice in applying the
100
Treaty, even going so far as purely and simply to deny that such practice existed . To him I
would respond that there is a very broad array of elements of practice, which includes not only
boats, merchandise, waterm en, passengers and government offici als, but also the treaties and the
99
CR 2009/4, p. 55, para. 12 (Pellet).
100
Ibid., pp. 55-62, paras. 13-26 (Pellet), - 29 -
positions of the Parties. To be sure, it is easier to deny the existence of a practice than to respond
101
to the examples we have given of that practice. But it is not particularly helpful to Nicaragua’s
situation in these proceedings.
34 52. I am going to add some further referen ces with regard to the two decades preceding the
emergence of this dispute. Costa Rica has presente d proof that its right has been exercised more
for the transport of persons (private individuals or government officials) than for the transport of
102
goods, with Nicaragua expressing no opposition until the present dispute arose . It is a case, to
borrow Professor Pellet’s wording, of there having b een an “open consistent practice of one of the
Parties” which did “not . . . encounter any objection from the other” 103.
53. Affidavits from people working in transport show that the practice of transporting
tourists began in the 1970s 104. One affidavit from a Nicaraguan military officer confirms that that
was indeed the case 105.
E. Nicaragua’s contradictions in regard to evolutionary interpretation
106
54. AlainPellet invited us to discuss the evolutionary interpretation of treaties . The
Respondent is aware of the weakness of its interp retation of Article VI, and is seeking to minimize
the scope of the purposes of commerce to which the article refers.
55. There are several gaps in the reasoning followed by Nicaragua’s counsel. Although he
recalls that the ultimate criterion for addressing the problem of evolutionary interpretation is the
101
CR 2009/2, pp. 61-63, paras. 49-55 (Kohen); CR 2009/3, p. 36, para. 9 (Kohen).
10See the following, among others: affidavit sworn by Carlos Lao Jarquín on 27January2006, MCR, Vol.4,
Ann.84; affidavit sworn by Geovany Navarro Garro on 27Ja nuary2006, MCR, Vol.4, Ann. 85; affidavit sworn by
Pablo Gerardo Hernández Varela on 27 Janua ry 2006, MCR, Vol. 4, Ann. 86; affi davit sworn by Santos Martín Arrieta
Flores on 27 January 2006, MCR, Vol. 4, Ann. 87; affidavit sworn by Carlos Luis Alvarado Sánchez on
27January2006, MCR, Vol.4, Ann.88; affidavit sworn by Daniel Soto Montero on 27January2006, MCR, Vol.4,
Ann.89; affidavit sworn by Luis Ángel Jirón Angulo on 28 January2006, MCR, Vol.4, Ann.90; affidavit sworn by
Marvin Hay González on 28January2006, MCR, Vol.4, Ann. 91; and affidavit sworn by Armando Perla Pérez on
28 January 2006, MCR, Vol. 4, Ann. 92.
10CR 2009/4, pp. 55-56, para. 14 (Pellet).
10See the following, among others: affidavit sworn by Sa ntos Martín Arrieta Flores on 27 January 2006, MCR,
Vol.4, Ann.87; affidavit sworn by Marvin Hay González on 28January2006, M CR, Vol.4, Ann.91; and affidavit
sworn by Rubén Lao Hernández on 17 February 2006, MCR, Vol. 4, Ann. 103.
10Affidavit sworn by Brigadier General Denis Membreño Rivas on 10 March 2008, RN, Vol. II, Ann. 73.
106
CR 2009/4, pp. 49-55, paras. 3-12 (Pellet). - 30 -
107
intention of the parties , he does not explore the question of knowing what that intention
consisted of at the exact point in time that concerns us.
56. His line of argument is curious, to say the least. He accepts that “articles of commerce”
108
and means of navigation are by definition evolutionary concepts . Consequently, everything that
35 today constitutes goods or a vessel is encompassed by Article VI. However, in his view the word
109
“commerce” must retain the same meaning it had in 1858 . If one accepts ProfessorPellet’s
assertion, then his colleague Antonio Remiro must be wrong, because, according to him, the second
meaning of the term “comercio”— communicati on— should not be taken into account today
because it has fallen into disuse 110. I do believe, Mr.President, that as a matter of urgency our
opponents should start singing from the same hymn sheet.
57. Alain Pellet’s reference to the arbitral award made in the Sheikh of Abu Dhabi case falls
far short of backing up Nicaragua’s thesis. In that excerpt it is stated that, “there may well be a
presumption that a person transferring valuable proper ty rights to another intends only to transfer
the rights which he possesses at that time”. By ProfessorPellet’s line of argument, this was the
case of Nicaragua, “which cannot be presumed to have ceded to Costa Rica rights whose existence
111
no one even dreamed of in 1858” . First, there is no point looking in the Treaty of Limits for any
provision whereby Nicaragua cedes or grants rights to Costa Rica. In ArticleVI, recognition of
Nicaragua’s sovereignty and Costa Rica’s right of navigation go hand in hand. Second, the
transport of passengers on the San Juan River already existed at the time the Treaty was concluded,
112
and it is Nicaragua that has referred to it as a lucrative activity . The parallel cited with the
Sheikh of Abu Dhabi case is simply fallacious.
58. The proper legal response to the question is straightforward. To paraphrase the wording
used by this Court in the case of the Aegean Sea Continental Shelf , “commerce” is used in its
generic sense of any practices “properly to be considered as relating to” (Aegean Sea Continental
10Ibid., p. 50, para. 3 (Pellet).
10Ibid., pp. 51-52, para. 6 (Pellet).
109
Ibid., p. 52, para. 7 (Pellet).
110
Ibid., p. 44, para. 35 (Remiro Brotóns).
11Ibid., p. 54, para. 10 (Pellet).
11CMN, para. 4.1.37; RN, para. 3.91. - 31 -
Shelf, (Greece v. Turkey), Judgment , I.C.J. Reports 1978, p.31, para.74) that activity and
“correspond[ing] with the meaning attached to the expression” ( ibid., p.32, para.77) by the
circumstances prevailing at the time of interpretation. Otherwise, for every treaty of commerce and
navigation, would it be necessary to freeze its scope to encompass only those commercial activities
being carried on at the time the treaty is concluded?
36 59. That such was the Parties’ intent is further confirmed by qualifying the right of
navigation recognized for Costa Rica as “perpetual”. To return once again to what this Court has
said on an entirely comparable point where it was a question of an instrument of unlimited
duration, “it hardly seems conceivable that in such a convention [this term was]... intended to
113
have a fixed content regardless of the subsequent evolution” (ibid., p. 32, para. 77) .
60. This response applies all the more strongly given that the recent practice followed by the
114
Parties in applying the Treaty has left a reco rd of this understanding of the term “commerce” .
Nicaragua’s tourism minister himself has recognized that Costa Rica’s right of free navigation
includes navigation for purposes of tourism because tourism, in his view, is a modern form of
115
commerce .
Conclusion
61. Mr.President, Members of the Court, Costa Rica’s interpretation of ArticleVI is
supported by the rules of interpretation that this Court has always followed. It is backed up by all
the relevant facts. These facts leave no doubt as to the meaning that should be ascribed to the
expression “con objetos de comercio”. It is a right of free navigation encompassing both the
transport of passengers and the transport of goods, exercised by public and private vessels alike.
62. Mr.President, I thank you for your attention, and would ask that you next give the
floor — after a break, no doubt — to my friend and colleague, Professor Lucius Caflisch.
113
Case concerning Filleting within the Gulf of St. Lawrence between Canada and France, Decision of
17 July 1986, RIAA, Vol. XIX, p. 247, para. 37.
114
Ibid.
115MCR, para. 4.69 and Vol. 5, Anns. 138 and 139 (judges’ folder, tab 24). - 32 -
Le PRESIDENT: Je vous remercie de votre exposé, MonsieurKohen. Comme vous le
proposez, la Cour va faire une courte pause d’environ 10 minutes avant de reprendre l’audience.
L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 30.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne à présent la parole à M.
Caflisch.
37 M. CAFLISCH : Merci, Monsieur le président.
III. LA SOUVERAINETÉ DU N ICARAGUA SUR LE S AN JUAN ET LE DROIT PERPÉTUEL DE LIBRE
NAVIGATION DU C OSTA RICA
1. Introduction
1. Monsieur le président, Messieurs de laCour, mon exposé portera aujourd’hui sur deux
points: premièrement, le lien existant entre souveraineté du Nicaragua sur les eaux et le lit du
SanJuan et le droit perpétuel de libre navigtion du CostaRica; et, deuxièmement, le caractère
raisonnable et licite de la réglementation et des me sures prises par le Nicaragua relativement à la
partie du fleuve où la navigation est commune.
2. Avant d’aborder ces questions, je souhaiterais répondre à quatre remarques faites par
116
M. Arguëllo Gómez dans son exposé introductif .
3. Premièrement, M.ArguëlloGómez a dit que, en présentant ses demandes, le CostaRica
prétendait en réalité être co-souverain du fleu ve. Citant les propos de l’éminent juriste
latino-américain AndresBello sur la question du sumo imperio, il s’est interrogé sur ce qu’il
resterait de cet imperio s’il était fait droit aux demandes du Costa Rica. Cette question pourrait tout
aussi bien être posée dans l’autre sens: que rester ait-il du «droit» de navigation du CostaRica si
son exercice était entièrement subordonné au summum imperium du Nicaragua ?
4. Deuxièmement, l’éminent agent du Nicaragua a soutenu que le CostaRica aspirait à un
droit de navigation illimité: ainsi que l’attestent les écritures et les plaidoiries du CostaRica, tel
n’est pas le cas. Le CostaRica conteste une réglementation et des mesures invalidantes,
disproportionnées, inefficaces et discriminatoires. Ainsi que nous l’avons in diqué lors du premier
116
CR 2009/4, p. 12-14. - 33 -
tour de plaidoiries, le CostaRica ne serait, par exemple, pas opposé à ce que soient menées des
patrouilles fréquentes et vigilantes, pour, notamment , réduire le trafic de stupéfiants et la
contrebande 117. Ce à quoi le Costa Rica s’oppose, c’est aux mesures limitant considérablement son
droit de navigation, par exemple, l’obligation d’obtenir des certificats d’appareillage nicaraguayens
et le contrôle de chaque bateau costa-ricien, lors de chaque trajet ⎯ aussi bien aller que retour ⎯, à
chaque poste militaire nicaraguayen, ou le prélèvement de droits et taxes.
38 5. M. Argüello Gómez a enfin précisé que le Nicaragua détenait tous les pouvoirs de police,
et le Costa Rica aucun. La question se pose donc de savoir comment cela peut être conforme à la
décision rendue par le présidentCleveland lorsqu’il déclara, au paragraphe2 de sa sentence
de 1888, que le Costa Rica «peut naviguer sur ledit fleuve avec des bateaux du service des douanes
dans l’exercice du droit d’usage de ce fleuve «aux fins du commerce» que lui reconnaît [au
Costa Rica] ledit article [il s’agit bien évidemment de l’article VI], ou dans les cas nécessaires à la
118
protection de ce droit d’usage» .
6. La dernière remarque que je souhaiterais faire sur ce point concerne l’affirmation selon
laquelle, au confluent du SanJuan et du Colorado, 90%des eaux se déversent dans le Colorado.
Quel est le rapport avec la présente affaire ? L’on pourrait affirmer, de manière tout aussi justifiée,
que le Costa Rica apporte 70 % de ses eaux au San Juan, contre 30 % pour le Nicaragua.
2. La souveraineté du Nicaragua sur le San Juan et le droit perpétuel
de libre navigation du Costa Rica
7. Permettez-moi maintenant, Monsieur le pr ésident, Messieurs de la Cour, d’aborder la
relation entre la souveraineté et le droit perpétue l de libre navigation. M.Brownlie a indiqué, à
juste titre, que la stabilité est l’objectif principa l des traités établissant une frontière. Je dirais
même que l’instrument en question, le traité Cañas-Jerez de1858, avait également pour objet
d’assurer la stabilité, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’un traité ordinaire
établissant une frontière. Le Nicaragua étant resté extrêmement discret sur cette question, je
souhaiterais rappeler que le tra ité de1858 établit un régime juri dique global pour la zone du
SanJuan: établissement de la frontière internati onale sur la rive costa-ricienne du cours inférieur
117
CR 2009/3, p. 28.
118
MCR, vol. 2, p. 18. - 34 -
du SanJuan (art.II); droit pour les deux Etats riverains de naviguer sur la partie du fleuve où la
navigation est commune, et droit pour les bateaux de chacun des deux pays d’accoster sur la rive de
l’autre (art.VI); constitution en condominium des eaux situées à chaque extrémité de la frontière
(eaux de la baie de Salinas et de San Juan del Norte) (art. IV) ; défense commune du fleuve en cas
d’agression extérieure (art.IV); interdiction d es actes d’hostilité sur le fleuve, sur le lac de
Nicaragua et dans le port de SanJuan del Nort e (art.IX) et obligation pour le Nicaragua de
consulter le Costa Rica s’il envisage de réaliser des travaux de canalisation du fleuve (art. VIII).
39 8. J’ai vraiment du mal à admettre que nous soyons en présence d’un simple traité de
frontière. En fait, cet instrument combine différent s éléments qui établissent à la fois une frontière
et un régime. Pour reprendre les termes utilisés par mon ami et collègue Ian Brownlie, l’agrégation
de ces éléments donne naissance à une manière de «porosité» juridique, porosité qui se retrouve
dans d’autres instruments conventionnels similaires.
9. Qualifier le traité de1858 de traité front alier, sans guère lui reconnaître d’autre portée, a
conduit le Nicaragua à soutenir que l’élément principal de cet instrument était sa souveraineté sur
les eaux et le lit du fleuve, alors que le Costa Rica estime, comme le Nicaragua l’aura compris, que
ses droits de navigation prédominent. C’est ce point qui constitue la principale pomme de discorde
entre les Parties.
10. Le Nicaragua estime que sa souveraineté doit prévaloir et que toute exception à
l’exercice de cette souveraineté doit, en vertu de la jurisprudence de la Cour, être interprétée de
manière restrictive. J’ai déjà tenté de démontrer que cette jurisprudence n’était pertinente que s’il
119
existait un doute quant au sens de la disposition en question . En l’absence d’un tel doute,
l’interprétation doit être conforme aux principes énoncés dans la convention de Vienne de 1969 sur
le droit des traités, y compris le principe ut magis valeat quam pereat : on ne saurait priver d’effet
le principe de libre navigation en le subordonnant à la volonté du souverain territorial. Il ne saurait
être laissé à l’appréciation unilatérale de cet Etat.
11. Le CostaRica a une approche très différe nte de la question. Comme la plupart des
concepts du droit international, la souveraineté n’est pas absolue; elle est fonction des droits et
119
CR 2009/2, p. 43-44. - 35 -
obligations spécifiques de l’Etat concerné. Autr ement dit, ainsi que cela a été indiqué lors du
premier tour de plaidoiries, il n’y a pas une hiérarchie entre souveraineté et droit de navigation,
mais une souveraineté limitée par les obligati ons internationales inhérentes au régime
120
conventionnel . Il n’y a là rien d’extraordinaire.
12. Ce raisonnement semble être confirmé par le défendeur lui-même. En effet, dans sa
duplique 12, le Nicaragua prend soin de démontrer qu e la réglementation et les mesures qu’il a
adoptées sont «raisonnables». Pour le CostaRica, elles ne le sont pas, mais le fait même que le
Nicaragua cherche à les justifier revient à admettre que sa souveraineté est bel et bien limitée par
40 les obligations qui lui incombent en vertu du traité Cañas-Jerez, en particulier celles découlant du
droit perpétuel de libre navigation du Costa Rica.
13. Pour conclure cette première partie de mon exposé, j’insisterai sur les points suivants :
i) le traité de 1858 est un instrument qui étab lit une frontière et le régime international d’un
cours d’eau, régime présentant plusieurs aspects ;
ii) dès lors, la souveraineté et le droit de navigation sont deux éléments d’un seul et même
ensemble. Ils sont sur un pied d’égalité, en ce sens que l’on ne saurait dire, pour faire
simple, que l’un prévaut sur l’autre ; et,
iii)aux fins de la présente espèce, cela si gnifie que le Nicaragua ne saurait exercer sa
souveraineté par des mesures et une réglemen tation qui seraient illicites, discriminatoires
ou déraisonnables, en ce sens que les droits de navigation du Costa Rica seraient affectés
de manière disproportionnée. Cette réglementation et ces mesures doivent également être
efficaces, c’est-à-dire qu’elles doivent permettre de prévenir et de réduire certaines
activités indésirables telles que la contrebande et le trafic de stupéfiants.
14. Ces conclusions m’amènent à la deuxième question que je souhaite aborder, à savoir le
caractère licite et raisonnable de la réglementa tion et des mesures prises par le Nicaragua qui
limitent le droit perpétuel de libre navigation du Costa Rica.
120
CR 2009/3, p. 32-33, 36 et 45.
121
DN, vol. II, par. 4.34-4.98. - 36 -
3. Caractère licite et raisonnable de la réglementation et des mesures nicaraguayennes
a) Questions d’ordre général
15. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’en viens donc à la question du droit de
réglementer les utilisations des cours d’eaux tels que le San Juan. L’Etat défendeur a invoqué une
série d’autorités et de précédents pour étayer ce droit. M.Brownlie a cité un certain nombre
d’autorités afin de démontrer qu’il n’y a, dans la pratique latino-américai ne, ni droit général ni
122
liberté de navigation sur les fleuves ; nous n’avons pas dit qu’il y en avait. Nous n’avons pas
non plus fait la proposition «extravagante» 123selon laquelle ce droit de navigation ⎯ énoncé et pas
simplement «mentionné» da ns le traité de1858 ⎯ serait, et je cite M.Brownlie, «absolu ou
impératif». Ce que nous avons dit, et que nous maintenons, c’est que l’on ne saurait faire
disparaître un droit conventionnel de libre navigatio n à force de le réglementer en invoquant la
41 souveraineté du Nicaragua. Cette observation vaut aussi pour les passages de Wheaton et
O’Connell qui ont été cités.
16. Reste l’affaire James H. McMahan (Etats-Unis) c.Etats-Unis du Mexique , amplement
124
citée par M.Brownlie . Celle-ci avait trait à une partie du RíoGrande qui servait de frontière
entre les deux pays, dont le régime était celui de la libre navigation, et aux citoyens américains qui
l’empruntaient. La commission générale de réclamations Etats-Unis/Mexique jugea, à la majorité,
que le Mexique était «en droit d’exercer des pouvoirs de police, du moins certains pouvoirs de
police, sur le cours du Río Grande», sans pour auta nt les définir. Dans cette même décision figure
la réserve suivante :
«Il est … raisonnable de penser que ce pouvoir local ne doit pas être exercé de
manière à faire échec au passage innocent dans les eaux du fleuve, en particulier s’il
est établi par traité.»25 (Les italiques sont de nous.)
Cette observation est très pertinente pour la présente espèce. Il convient pourtant d’en faire encore
une autre, à savoir que, contrairement à la présente espèce, le RíoGrande est un fleuve dont les
eaux sont divisées entre ses deux riverains, probablement au milieu du thalweg, et sur lequel les
122CR 2009/4, p. 30.
123
Ibid.
124
Ibid., p. 32.
125Organisation des Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales internationales (RSAI), vol. IV, p. 490. - 37 -
mariniers ont toujours pu tenter de passer du cô té de l’Etat dont ils sont nationaux. Les
Costa-Riciens n’ont pas cette possibilité.
17. Dans son exposé du 6 mars 2009, M. Reichl er a mentionné trois autres textes portant sur
126
le pouvoir réglementaire des Etats . L’article6 du statut sur le régime des voies navigables
d’intérêt international, signé à Barcelone en1921, permet aux riverains de promulguer des lois et
règlements concernant la santé publique, la lutte contre les maladies, les mouvements de personnes
et les douanes,
«[étant] entendu que ces dispositions et ces mesures ne dépassant pas les nécessités et
appliquées sur un pied de parfaite égalité aux ressortissants, aux biens et aux pavillons
de l’un quelconque des Etats contractants, y compris l’Etat contractant qui les édicte,
ne devront pas, sans motif … entraver le libre exercice de la navigation » (les italiques
sont de nous).
18. Le projet de règlement international de navigation fluviale («Draft International
Regulation on River Navigation»), adopté en1887 pa r l’Institut de droit international, consiste
essentiellement en une série de règles internationales générales ne contenant rien de précis sur les
réglementations nationales. Tout ce que l’on peut lire à son article28, c’est que chaque riverain
42 préserve ses droits souverains su r ses parties des fleuves, mais «within the limits laid down by the
stipulations of this Regulation and by the Treaties and Conventions» (les italiques sont de nous).
19. Un autre texte cité par M.Reichler est celui des règles de Berlin sur les ressources en
eau, adoptées en2004 par l’Association de droit in ternational sans pour autant faire l’unanimité.
L’article 45 de ces règles permet à un Etat riverain de :
«réglementer, limiter ou suspendre la naviga tion, s’il l’estime nécessaire, aux fins de
la sécurité ou de la santé publiques et de la protection de l’environnement, sur la partie
du cours d’eau relevant de sa juridiction, pour autant qu’il n’entrave pas la navigation
d’un autre Etat riverain de manière discriminatoire et ne trouble pas de manière
déraisonnable la jouissance des droits de navigation…» 12. [LW]
20. Enfin, on ne voit vraiment pas que l rapport la convention de Montreux de1936
concernant le régime des détroits turcs peut avoir avec la présente espèce 12. Cette convention
concerne le droit de la mer, et nous les cour s d’eau. On a l’impression que le Nicaragua fait
l’amalgame entre le droit de la mer et celui des cours d’eau internationaux quand cela l’arrange.
126CR 2009/4, p. 13-14.
127
DN, vol. II, annexe 72 ; les italiques sont de nous.
128Société des Nations, Recueil des Traités, vol. 173, p. 215. - 38 -
De plus, aux termes de l’article cité, il y a une liberté de transit et de passage dans les détroits,
laquelle est réglementée ⎯ c’est-à-dire régie ⎯ par les dispositions de la convention. Je ne vois
pas ce que cela pourrait prouver dans le contexte de la présente affaire.
21. La Cour relèvera qu’aucun de ces textes ne porte sur les traités de frontière conférant un
droit de navigation. Aucun d’eux n’envisage le cas particulier d’une frontière qui longe la rive
d’un fleuve. On peut néanmoins en déduire que , lorsqu’ils mentionnent des réglementations, ils
précisent qu’elles doivent être raisonnables, non arbitraires et non discriminatoires. Telle a été, et
est toujours, la position du Costa Rica : les Etats riverains peuvent réglementer s’ils respectent ces
conditions. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, le moment est venu de se pencher sur les
réglementations et mesures nicaraguayennes.
b) Réglementations appliquées et mesures prises par le Nicaragua
i) bservatiog nénérale
22. Avant d’examiner ces réglementations et mesures une par une, je ferai deux observations
préliminaires ⎯ l’une de caractère particulier l’autre de car actère général. Il convient tout d’abord
43 de noter que l’engagement écologique du Nicaragua est indéniablement monté en puissance du fait
de la présente instance, bien que quelques réserve s puissent être émises en raison des insuffisances
129
que j’ai déjà relevées . En ce qui concerne la protection de l’environnement en général, le
Nicaragua a, entre autres, tenté de tirer argument de l’exploitation du bois en invoquant la
130
déclaration sous serment Molina . Rien ne permet cependant d’affirmer que le bois dont il est
question dans celle-ci ait effectivement été coupé au Nicaragua par d es Costa-Riciens. Nul ne sait
comment, par qui, quand et où a été prise la photographie reproduite dans la duplique du
Nicaragua 131.
23. Ma seconde observation est que pour être raisonnables les réglementations et mesures
doivent être efficaces, afin de réaliser l’objectif visé par leur adoption. Si elles ne sont pas
efficaces, elles ne sont d’aucune utilité et, par c onséquent, sont déraisonnables. La condition de la
non discrimination n’est, du moins à mon sens, pas remplie, si les redevances perçues ne sont pas
129CR 2009/3, p. 25-26.
130
DN, vol. II, annexe 72.
131DN, vol. I, p. 93. - 39 -
les mêmes pour tout le monde ou changent tout le temps. Enfin, l’interdiction de l’ arbitraire sert à
empêcher, entre autres, que des réglementati ons soient adoptées et des mesures prises sans
fondement juridique valide et sans être communi quées à ceux auxquels elles doivent s’appliquer,
en l’occurrence le CostaRica. La certitude et la transparence juridiques sont le meilleur moyen
d’éviter l’arbitraire.
ii) L’obligation de faire halte et de s’enregistrer
24. Je vais à présent examiner la première mesure spécifique, qui est l’obligation de faire
halte et de s’enregistrer. Cette obligation aura it une multitude d’objectifs qui ont été examinés très
en détail. Ses vertus préventives ont été vantées. L’une des principales objections du Costa Rica
est que pour chaque trajet un droit de 5 dollars des Etats-Unis doit être acquitté, auquel s’ajoutent
des frais de manutention de 2dollars des Etats-Unis à l’entrée et à la sortie du pays. Si cette
somme peut sembler insignifiante aux conseils plai dant devant la Cour, e lle est énorme pour les
habitants d’une région pauvre du CostaRica qui, au quotidien, sont tributaires du fleuve. On se
demande aussi quels sont, au fond, les services re ndus, étant donné que leur contribution à la
prévention de la criminalité et des accidents semble mince. Enfin, on pourrait se demander si tous
44 ces contrôles incessants ⎯deux par jours, pour chaque trajet, à chaque poste frontière ⎯ restent
dans les limites du raisonnable. Ne constituent-ils pas plutôt à une forme de harcèlement ?
iii) Les certificats d’appareillage
25. J’en viens à présent à la question des certificats d’appareillage. On nous a indiqué, à la
fin de la semaine dernière, que la délivra nce de ces certificats par le Nicaragua visait
essentiellement à assurer la sureté et la navigabilité des bateaux, et également à vérifier qui était à
leur bord et ce qu’ils transportaient 13. Les droits facturés, censés rémunérer des services rendus,
133
varient, comme le montre une annexe du mémoire du Costa Rica, entre 5 et 25dollars des
Etats-Unis – vous trouverez un reçu pour la somme de 25 dollars des Etats-Unis sous l’onglet 62 du
dossier de plaidoiries (projection) —et sont perçus pour chaque trajet. Pour les bateliers de la
région, 25dollars des Etats-Unis représentent une somme considérable comparée aux salaires et
132
CR 2009/5, p. 20.
133
MCR, vol. VI, annexe 241. - 40 -
bénéfices locaux. Ayant moi-même voyagé dans la région comme tous les conseils du Costa Rica,
et ergo in Arcadia , j’ai été témoin tant de la procédure d’arrêt et d’enregistrement que de
l’inspection des bateaux en vue de contrôler leur na vigabilité et l’identité de leur cargaison et de
leurs passagers. Je n’ai pas eu de chance; bien qu’une somme ait été versée, je n’ai vu aucune
inspection sur le bateau. Aucun service n’a été rendu pour lequel un droit pouvait être perçu.
26. Encore une fois, Monsieur le président, on se demande quel est le fondement juridique de
cette condition, puisqu’aucune législation à l’appui n’a été fournie sauf pour les visas et les cartes
de touriste. La valeur préventive revendiquée de la mesure est minime puisque celle-ci n’est pas
appliquée méthodiquement. La variation du montant des droits évoque l’arbitraire.
27. Il est toutefois allégué par la Partie adverse que des certificats d’appareillage sont
délivrés aux résidents costa-riciens de la ré gion «régulièrement» et sans frais, «[p]ar pure
courtoisie» comme l’a indiqué M. Reichler 134. La «régularité» exacte de cette pratique est
démontrée par les éléments de preuve soumis par le Costa Rica dans son mémoire et sa réplique :
sur six résidents locaux, quatre ont témoigné avoir dû s’acquitter de droits 135.
28. M. Reichler justifie l’imposition d’un dro it pour les certificats d’appareillage en disant
qu’il ne s’agit pas d’un «impôt», lequel violerait l’article VI, mais qu’«[i]l correspond à un service
45 rendu…une «redevance», pas une taxe» 136. Il a insisté sur ce point, suggérant que «tous les
137
éléments de preuve…contredi sent» la qualification de «taxe» que j’ai appliquée à ces droits.
M.Reichler ne cite aucun élément de preuve à l’appui de son affirmation 138selon laquelle des
services sont rendus, et celle-ci est contredite pa r ceux qui figurent dans le dossier, à savoir les
témoignages des bateliers costa-riciens, qui déclarent qu’aucune inspection n’a jamais été effectuée
et aucun service jamais rendu en échange d’un certificat d’appareillage 13. Ces preuves ne sont pas
reconnues dans la duplique du Nicaragua qui se contente d’affirmer, sans référence, qu’une
inspection est effectuée. Elles ne sont pas non plus reconnues par M. Reichler, qui a fait de même.
134CR 2009/5, p. 21.
135MCR, vol. IV, annexe 92, 96, 103 et 108 ; RCR, vol. II, annexes 50 et 51.
136
CR 2009/5, p.21-22.
137
CR 2009/5, p.22.
138CR 2009/3, p.29.
139RCR, annexe 51, p. 281-282, annexe 52, p. 283. - 41 -
29. Quelle que soit le nom que donne le Ni caragua à la somme versée pour obtenir un
certificat d’appareillage, en l’absence de service rendu et aussi modeste cette somme soit-elle, il
140
s’agit bel et bien d’une taxe . En outre, si un service est rendu, le droit perçu ne peut dépasser le
141
coût réel de l’inspection : son montant ne saurait dé pendre du bon vouloir du militaire
nicaraguayen en service. La distinction entre une taxe et la rémunération de services rendus 142 est
bien connue en droit international et dans la pratique et rien ne donne à penser qu’elle n’est pas
applicable en l’espèce. Les réfé rences étayant cette proposition figurent dans les notes de bas de
page de mon intervention.
30. Enfin, il y a la prétendue reconnaissance par le Costa Rica de la procédure relative aux
certificats d’appareillage suivie par le Nicara gua. La réunion, en 1997, de la commission
binationale concernait le trafic de drogue et visait à attirer l’attention des autorités nicaraguayennes
sur ce problème. La mesure débattue lors de la réunion consistait pour chaque Etat à veiller à ce
que les bateaux «naviguent uniquement s’ils ont ét é dûment enregistrés par les postes qui délivrent
les certificats de navigation correspondants, en l’espèce, les postes de Sa n Juan del Norte, de
46
SanCarlos et de Sarapiquí» 143. Cela signifie une obligation d’enregistrement auprès d’un poste
frontière –-costa-ricien ou nicaraguayen— habilité à délivrer de tels certificats. Il n’est indiqué
nulle part que les bateliers doivent obtenir, du Nicaragua, des certificats d’appareillage délivrés
pour chaque trajet ni, à fortiori, que le Costa Ri ca a admis une telle pratique. On est loin de
pouvoir conclure, comme l’a fait M. Reichler, que «le Costa Rica lui-même convenait que les
conditions d’enregistrement et d’obtention de cer tificats d’appareillage imposées par le Nicaragua
140Voir, par exemple, l’affaire 24/68, Commission c. Italie, 1969, Recueil de la jurisprudence , p.193 ;
affaire 18/71 Eunomia c. Italie, 1971, Recueil de la jurisprudence, p. 811 ; affaire 39/73 REWE-Zentralfinanz c. Direktor
der Landwirtschaftskammer Westfalen-Lippe, 1983, Recueil de la jurisprudence , p1.0; affai314/82
Commission c. Belgique, 1984, Recueil de la jurisprudence, p. 1543
141Voir, par exemple, l’affaire 18/87,Commission c. Allemagne, 1988, Recueil de la jurisprudence , p.5427;
affaire 132/82, Commission c. Belgique, 1983, Recueil de la jurisprudence, p. 1649 ; affaire 24/68 Commission c. Italie,
1969, Recueil de la jurisprudence, p. 192; Commission c. Belgique, 1984, Recueil de la jurisprudence , p.1543;
affaire 46/76 Bauhuis, 1977, Recueil de la jurisprudence , p.5. Voir également art. IIc) de l’accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce de 1994; art.VIII.1 a) GATT de 1994; rapport du groupe spécial de l’OMC,
Inde ⎯Droits additionnels et droits add itionnels supplémentaires sur les impor tations en provenance des Etats-Unis ,
9juin2008, par. 7.301-7.394; rapport du groupe spécial de l’OMC, Etats-Unis ⎯Mesures à l’importa tion de certains
produits en provenance des Communautés européennes , 17 juillet 2000, par. 6.70 ; rapport du groupe spécial du GATT,
Etats-Unis ⎯Redevances pour les opérations douanières , 2 février 1988, par. 68-117; rapport du groupe spécial du
GATT, CEE ⎯Régime concernant les prix minim aux à l’importation, le certificat et le cautio nnement pour certains
produits transformés à base de fruits et légumes, 4 octobre 1978, par. 4.6.
142Art. II.2 c), GATT de 1994.
143DN, vol. II, annexe 4. - 42 -
144
se justifiaient pleinement et qu’il les approuvait comme telles» . Les développements consacrés à
la question dans le mémoire du Costa Rica montrent que celui-ci a contesté l’exigence de certificats
145
d’appareillage sans interruption de 1980 à aujourd’hui. .
iv) L’interdiction de naviguer de nuit
31. J’en viens maintenant à l’interdiction de naviguer de nuit. Comme cela a déjà été
146
indiqué , la navigation dans la portion supérieure du San Juan peut être dangereuse; elle l’est
bien moins dans la partie du fleuve qui est ouvert e à la navigation commune, partie où le San Juan
est large et où, hormis quelques branches mortes et bancs de sable ⎯comme il en existe dans la
plupart des autres cours d’eau navigables ⎯, les obstacles majeurs sont peu nombreux. Par le
passé, la navigation de nuit n’était pas interdite , mais peut-être nos amis nicaraguayens nous
147
diront-ils que le San Juan est de venu dangereux du fait du «Plan d’action» de l’armée. Ce plan
est, du moins à notre connaissance, la seule justification de ladite mesure, et le Nicaragua ne l’a pas
communiqué au Gouvernement costa-ricien. Il s’ agit là, de toute évidence, d’une très curieuse
façon d’entretenir des relations de bon voisinage . Sans doute est-ce dû à une conception par trop
optimiste de la «souveraineté» au sens du traité de 1858.
32. Lors de ma précédente intervention sur ce point, je me suis permis d’avancer qu’une
meilleure ⎯ et moins intrusive ⎯ manière de réduire ou de prévenir les risques liés à la navigation
de nuit serait peut-être de coopérer et de mettre en place des dispositifs lumineux sur les rives du
fleuve, tout en obligeant les embarcations naviguant de nuit à être équipées de feux de navigation.
Il s’agit là de mesures tout à fait classiques en matière de navigation de nuit, tant sur les fleuves
47 internationaux que dans les eaux côtières de tous les Etats, qu’ils soient riches ou pauvres.
M.Argüello Gómez a reconnu que j’étais animé de s meilleures intentions mais a estimé que je
connaissais mal le fleuve et n’étais guère au fait de l’extrême pauvreté de la majeure partie de la
148
population locale . Je le laisse juge de mon ignorance, mais une chose est sûre : l’utilisation de
144CR 2009/5, p. 21.
145MCR, vol. I, par. 5.11-5.26.
146
CR 2009/3, p. 31.
147DN, annexe 48.
148CR 2009/5, p. 23. - 43 -
feux de navigation, tout particu lièrement dans le cadre d’un acco rd, permettrait d’améliorer la
sécurité de la navigation au moins autant ⎯ et sans doute davantage ⎯ que les mesures hautement
intrusives prises par le Nicaragua pour interdire la navigation douze heures par jour.
33. S’agissant des activités nocturnes des bateaux nicaraguayens, M. Reichler a indiqué que
149
je «ne conna[issais] pas bien [ma] géographie» . C’est peut-être vrai. Le fait est, néanmoins, que
les bateaux nicaraguayens qui circulent de nuit le font dans les portions supérieures du SanJuan.
150
Deux illustrations actuellement projetées à l’écran l’attestent . Ces illustrations, sur lesquelles
sont indiqués les lieux et les horaires de départ et d’arrivée, apparaissent ⎯ comme je l’ai dit ⎯ à
o
l’écran, et elles figurent sous l’onglet n 63 du dossier de plaidoiries. Il s’agit là incontestablement
d’une question purement interne, mais cela montre bien que ce qui peut être considéré comme
dangereux pour certains ⎯et les portions supérieures du fleuve le sont ⎯ ne l’est pas pour
d’autres.
34. En résumé, l’interdiction que nous dénonç ons est illicite, déraisonnable, arbitraire et
dépourvue de tout fondement juridique autre que le «Plan d’action» de l’armée.
v) L’obligation d’arborer le pavillon nicaraguayen
35. J’en viens maintenant à l’obligation d’arborer le pavillon nicaraguayen. Je serai très bref
sur ce point. En dépit de mes pérégrinations sur le San Juan, je ne sais pas si cette obligation
s’impose à tous les bateaux costa-riciens, ou seulement à ceux qui sont équipés de mâts et de
151
tourelles, comme le prétend M.Reichler ; en effet, l’embarcation sur laquelle j’ai navigué
arborait un drapeau sur l’un de ses flancs. Comme elle n’avait ni mât et tourelle, peut-être
s’agissait-il d’un geste de courtoisie de son propriétaire; à moins —ce qui est plus
vraisemblable —, que celui-ci ait agi de la sorte par peur de sanctions. Ceci m’amène à une autre
affirmation de M.Reichler, à savoir que jamais aucun bateau costa-ricien ne s’est vu interdire de
149
CR 2009/5, p. 24.
150Voir http://www.nicatour.net/en/nicar agua/orario_lanchas_rio_san_juan.asp et http://www.visitariosanjuan.
com/elcastillo/elcastillo-comollegar-es.html.
151CR 2009/5, p. 26. - 44 -
152
48 naviguer parce qu’il n’arborait pas le pavillon nicaraguayen . Evidemment, puisque les bateliers
ne voulaient pas provoquer de tels incidents.
36. Au cours de ma précédente intervention sur ce point, j’ai indiqué qu’il pouvait exister
une pratique, inspirée de la courto isie internationale, voulant que l’ on arbore le pavillon de l’Etat
153
territorial en plus de celui de l’Etat du pavillon . Cela a conduit M. Reichler à conclure que «le
Nicaragua…en tant que souverain sur ces eaux …est en droit d’exiger cette courtoisie» 154.
Permettez-moi d’en douter sérieus ement: comment peut-on vouloir transformer une règle de la
courtoisie internationale en une réglementation interne contraignante relative à l’exercice d’un droit
conventionnel de navigation? Cette réglementation qui, soit dit en passant, est une autre
conséquence du «Plan d’action» de l’armée nicaraguayenne est, à mon sens, tout à fait inutile.
vi) Les obligations en matière d’immigration et de visas
37. J’en viens maintenant à la dernière série de mesures, à savoir les obligations en matière
d’immigration et de visas. M. Reichler soutient que, en pratique, l’obligation d’obtenir un visa ne
concerne qu’une minorité de personnes naviguant sur le fleuve à bord de ba teaux de tourisme, la
plupart d’entre eux y échappant. De plus, «par cour toisie», les riverains et bateliers costa-riciens
sont autorisés à circuler sans visa ou carte de touriste 155et, dès lors, ne doivent supporter aucune
charge financière.
38. Pourtant, le Costa Rica a démontré que les bateliers étaient bel et bien obligés d’obtenir
des visas pour exercer leur profession 156; d’ailleurs, certains touris tes n’ont pas pu achever leur
157
circuit parce que les bateliers qui les transportaient n’avaient pas de visa . Un batelier a en outre
été arrêté par l’armée nicaraguayenne parce qu’il n’était pas muni de son passeport. Il a dû ensuite
158
se rendre à San José à deux reprises pour s’y procurer, contre paiement, deux visas . Cela
démontre qu’il y a parfois des exceptions, mais pa rfois seulement. De plus, lorsque le Nicaragua
152Ibid.
153
CR 2009/3, p. 33.
154
CR 2009/5, p. 26.
155Ibid., p. 25.
156MCR, annexes 85, 87, 91, 92, 93, 95 et 189 ; RCR, annexes 51 et 52.
157MCR, annexe 86.
158
MCR, annexes 84, 238 et 244. - 45 -
précise que, par courtoisie, les riverains et bateliers sont dispensés d’obtenir un visa ou une carte de
touriste, cela signifie bien entendu qu’il peut revenir sur cette dispense quand bon lui semble.
49 39. Si ces mesures sont effectivement appliquées, et si l’on permet qu’elles restent en
vigueur, elles auront des conséquences financières considérables pour les bateliers : 25 dollars des
Etats-Unis par visa, auxquels s’ajoutent les frais de voyage pour se rendre à San José et en revenir,
5dollars des Etats-Unis par touriste plus 4dollars des Etats-Unis de droits d’immigration
⎯ également par touriste —, et de 5 à 25 dollars des Etats-Unis au titre du certificat d’appareillage.
Par conséquent, si un batelier deva it transporter des touristes sur le San Juan une fois par semaine
tout au long de l’année, il lui faudrait passer pl us de cent jours à l’ambassade du Nicaragua à
SanJosé pour obtenir des visas. Au total, cel a lui reviendrait à quelque 2800dollars des
Etats-Unis. Voilà donc ce que M.Reichler qualifie de «réglementation, peu contraignante, en
matière d’immigration» 159.
40. D’un point de vue juridique, les mesures en question sont extrêmement contestables.
Comme je l’ai indiqué lors d’une précédente in tervention, les bateliers et leurs passagers
160
empruntent le plus souvent le fleuve en transit, sans rester au Nicaragua . Cela signifie qu’ils ne
devraient en aucun cas être obligés de se munir d’un visa et d’une carte de touriste. J’ai également
tenté d’expliquer pourquoi la nécessité pour les Nicaraguayens d’obtenir un visa lorsqu’ils entrent
en territoire costa-ricien était dépourvue de pertinence à cet égar d. En effet, la différence est que
le CostaRica jouit de droits conventionnels de passage en transit sur le fleuve, alors que les
Nicaraguayens qui entrent au Costa Rica ne jouissent d’aucun droit de cette nature. Les mesures en
question, outre qu’elles sont déraisonnables, sont donc illicites.
4.C ONCLUSIONS
41. Monsieur le président, Messieurs de la C our, j’en arrive au terme de mon exposé. Mes
conclusions générales sont au nombre de trois :
i)Le CostaRica soutient que la souvera ineté du Nicaragua sur le SanJuan doit être
considérée comme une partie ⎯ une partie importante ⎯ du régime fluvial établi en 1858.
159
CR 2009/5, p. 25.
160
CR 2009/3, p. 28. - 46 -
ii) La réglementation adoptée par le Nicaragua ne doit pas entraver le droit perpétuel de libre
navigation du CostaRica. Cette réglementati on doit en particulier être licite, publique,
non arbitraire et non discriminatoire. De plus, elle doit être conçue pour atteindre un but
d’intérêt général légitime.
50 iii)Aucune des mesures appliquées par le Nicaragua ne remplit ces conditions; elles
constituent des violations du tr aité de1858, de la sentence Cleveland et de la décision
de 1916 de la Cour de justice centraméricaine.
Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie pour votre attention et votre
patience. Puis-je me permettre de vous demander de bien vouloir appeler à la barre M. Crawford ?
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Caflisch, pour votre exposé. J’appelle
maintenant à la barre M. Crawford.
M. CRAWFORD :
IV. BATEAUX OFFICIELS ,DROITS CONNEXES ET RÉPARATIONS
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , dans cet exposé, je traiterai en premier lieu
de la question des bateaux officiels, en deuxième lieu, des droits connexes, particulièrement le droit
de pêche à des fins de subsistance et, en troisi ème lieu, des réparations. Etant donné les positions
prises par le Nicaragua sur les deux derniers points, je pourrai heureusement être bref.
Les droits de navigation du Costa Rica avec des bateaux officiels
2. Pour ce qui est des droits de navigation avec des bateaux officiels, M.Kohen a déjà
démontré que les bateaux de l’Etat costa-ricien j ouissaient des mêmes droits de navigation aux fins
du commerce que les bateaux privés costa-riciens. Je ne reviendrai pas là-dessus, si ce n’est pour
souligner un point important : un fonctionnaire, un ag ent de santé par exemple, peut emprunter le
fleuve au titre de la navigation commerciale. L es services de santé costa -riciens ne possèdent pas
leurs propres bateaux. Quand ils ont besoin de fournir des médicaments ou de prodiguer d’autres
formes de soins de santé aux communautés riveraines, leurs employés font ce que fait tout
particulier qui doit emprunter le fleuve et qui n’a pas de bateau : ils prennent, à Sarapiquí ou à un
autre port fluvial, l’un des bateaux locaux qui se loue nt à la journée. Or, ces bateaux costa-riciens - 47 -
exercent leur droit de libre navigation à des fins commerciales. Le fait que certains de leurs
passagers aillent apporter des médicaments ou traite r une épidémie due aux larves de la lucilie
bouchère n’a pas d’importance. La navigation rest e «commerciale», dans tous les sens du terme.
Les taxis londoniens ne peuvent pas prendre de voy ageurs sans permis. Ils assurent un service, ils
exercent une activité commerciale, même quand ils conduisent des ministres du cabinet qui sont en
retard à des réunions au 10DowningStreet. Il en irait de même pour des taxis fluviaux.
51
L’exercice par des bateaux privés costa-riciens de leur droit perpétuel de libre navigation ne dépend
pas des motivations des passagers. Si c’était le cas, nous assisterions à une fâcheuse forme de
sélection sur la rive du fleuve: les agents des services de santé publique chargés d’apporter des
médicaments aux communautés locales seraient exclus (à moins qu’ils ne soient allés, à chaque
fois, à SanJosé pour demander l’autorisation du gouvernement nicaraguayen de se rendre en
mission et pour obtenir un visa), alors que les représentants des laboratoires pharmaceutiques
étrangers qui vendent les mêmes médicaments en tant qu’articles de commerce seraient libres de
voyager. Cette sélection serait faite par du personnel militaire subalterne du côté nicaraguayen.
Voilà la version nicaraguayenne du droit perpétuel de libre navigation.
3. Mais je vais vous parler maintenant des bateaux officiels qui n’ exercent pas les droits
prévus à l’article VI de la manière que je viens de décrire.
a) La sentence Cleveland n’a pas déterminé les droits du Costa Rica de naviguer avec tous ses
bateaux officiels quels qu’ils soient
4. M. McCaffrey a déclaré que le président Cleveland «s’[était] prononcé sur la question de
savoir si le CostaRica avait le droit de navigue r sur le SanJuan avec ses bateaux de guerre ou
161
d’autres bateaux officiels» . Selon lui, la sentence Cleveland interdit la navigation de tous types
de bateaux officiels autres que ceux du service des douanes 16.
5. Ce n’est pas ce qui est dit dans la sentence Cleveland. La question soumise au
président Cleveland était rigoureusement circonscrite : elle visait à savoir «si le Costa Rica a[vait]
le droit de naviguer sur le fleuve SanJuan avec des bateaux de guerre ou des bateaux des
161
CR 2009/5, p. 31, par. 11 (McCaffrey) ; les italiques sont de nous.
162
CR 2009/5, p. 31, par. 11, p. 33, par. 18 (McCaffrey) ; les italiques sont de nous. - 48 -
163
douanes» . Le quatrième point d’interprétation douteuse soulevé par le Nicaragua était tout aussi
limité 164. Le Nicaragua fait abstraction de ces formulations restrictives. Les questions posées
étaient en réalité formulées pour mettre en éviden ce le véritable différend qui opposait les Parties à
l’époque. La correspondance échangée avant le recours à l’arbitrag e le confirme: il n’y est fait
référence qu’à la navigation sur le San Juan par la garde douanière 165.
52 6. Le Nicaragua soutient, sur la base d’une hypothétique question du Costa Rica qui occupe
quatre lignes dans une pièce de procédure de 181 pag es, que le «Costa Rica a soumis à l’arbitre la
question des droits généraux de navigation des bateaux officiels» 166. Cela n’est pas vrai. Le
CostaRica soulevait une question incidente dans le cadre de son argumentation, il ne reformulait
pas la question posée à l’arbitre. Dans sa propre argumentation devant le présidentCleveland, le
Nicaragua n’a fait référence à aucun bateau autr e que les bateaux de guerre et ceux du service des
douanes. Ni les parties ni l’arbitre n’ont abordé la question de la naviga tion des bateaux officiels
en général 167. En conséquence, la sentence répond à la question limitée du droit de navigation du
CostaRica avec des bateaux de guerre et des bateaux du service des douanes. Le
présidentCleveland n’a pas «rejet[é] l’idée» de droits généraux de navigation pour les bateaux
officiels 168, ni explicitement ni implicitement. Voyons ce qu’il a plutôt décidé.
b) La sentence Cleveland a reconnu aux bateaux des services des douanes un droit
conventionnel spécifique de navigation
7. M.McCaffrey a fait valoir que le préside ntCleveland était déterminé à «restreindre le
moins possible la souveraineté du Nicaragua» et que cette détermination ressortait «de la limitation
considérable des droits de navigatio n proposé par Rives pour le Costa Rica» 16. M.McCaffrey
s’est employé péniblement à montrer à la Cour que le présidentCleveland avait modifié «de sa
propre main» le projet de sentence préparé par Ri ves et l’avait «remplac[é] par sa propre décision,
163Art.VI, convention Esquivel--Roman, MCR, annexe14 ; voir aussi sentence Clev eland, MCR, annexe[1]6,
p. 457 (p. 98).
164MCR, annexe 207, p. 10.
165
CMN, annexes 28, 29, 30, 31 et 32.
166
CR 2009/5, p. 36, par. 26 (McCaffrey).
167Voir MCR, annexe 208, p. 48-49.
168CR 2009/5, p. [36], par. 2[6].
169CR 2009/5, p. 34, par. 21. - 49 -
beaucoup plus restrictive» 170. En réalité, les textes montrent exactement le contraire : là où Rives
proposait un simple «privilège», le présidentCleveland a prévu un droit conventionnel spécifique
de navigation pour les bateaux du service des douanes.
8. (Onglet 64.) Dans la version initiale de son projet, Rives proposait que les privilèges du
Costa Rica soient les mêmes que ceux dont bénéficie toute autre nation en temps de paix. Il faisait
référence à un «usage général…qui constitue un droit imparfait autorisant lesdits navires à
réclamer l’hospitalité» 171. Il proposait simplement que les bateaux de guerre et les bateaux du
service des douanes costa-riciens béné ficient du traitement réservé à ce ux de toute autre nation. Il
se fondait sur une pratique, tirée du droit international général et non du traité, consistant à accorder
des privilèges ⎯oui, des privilèges ⎯ aux bateaux étrangers dans les eaux territoriales. Pour
53 Rives, le Costa Rica ne possédait aucun droit conve ntionnel de navigation pour les bateaux de son
service des douanes, mais uniquement un droit impa rfait ou un privilège découlant de la pratique
internationale générale. Les droits conventionnels de navigation du Costa Rica se limitaient, selon
lui, aux droits de navigation commerciale et ne constituaient en aucun cas des droits de navigation
à titre officiel. Sur cette base, Rives proposait ce qui suit pour répondre à la deuxième question :
«les bateaux de guerre et ceux des servi ces des douanes appartenant au CostaRica
jouissent du même privilège de navigatio n sur le fleuve SanJuan que celui
généralement accordé par les nations civilisées dans leurs eaux territoriales aux
navires officiels de puissances amies en temps de paix ⎯ mais non de privilèges
différents ou plus importants» 172.
9. Le président Cleveland ne partagea pas ce point de vue, estimant que le Costa Rica avait
plus qu’un simple «privilège» accordé communéme nt à tout Etat. Les bateaux des douanes du
CostaRica pouvaient jouir d’un droit spécifique et perpétuel de navigation, consacré par le traité.
Autrement dit, qu’on le veuille ou non, le présidentCleveland a conclu à l’existence d’un droit
conventionnel de navigation pour les bateaux officiels visés dans la question qui lui était posée
⎯ les bateaux des douanes. Il a ainsi décidé que :
«La République du CostaRica, en vertu dudit traité et des dispositions de son
article VI, n’a pas le droit de naviguer sur le fleuve SanJuan avec des bateaux de
guerre, mais [il aurait dit «pero»] elle peut naviguer sur ledit fleuve avec des bateaux
170CR 2009/5, p. 3[3], par. 21.
171
CMN, documents originaux déposés au Greffe, vol II, annexe 71, p. 217 ; les italiques sont de nous.
17CMN, vol. II, annexe 7[1] ; les italiques sont de nous. - 50 -
du service des douanes pour autant que cela soit en rapport avec l’exercice du droit
d’usage de ce fleuve «aux fins du commerc e» que lui reconnaît ledit article, ou que
cela soit nécessaire à la protection de ce droit d’usage.» 173
10. Par cette décision faisant autorité, le président Cleveland établit que les bateaux des
douanes costa-riciens jouissaient d’un droit conventionnel de navigation «pour autant que cela [fût]
en rapport avec l’exercice du droit d’usage [du] fleuve «aux fins du commerce»» ou que cela [fût]
nécessaire à la protection de ce droit. Or , M.McCaffrey comme M.Reichler citent le
présidentCleveland de la manière suivante : «en rapport avec la navigation «con objetos de
174
comercio»» . Mais, bien qu’il comprît l’espagnol, Riv es écrivit en anglais et il écrivit «purposes
of commerce» [fins du commerce], parce que c’était l’expression qu’avaient employée les deux
parties et parce qu’elle traduisait la manière dont ce lles-ci entendaient les droits du Costa Rica. Le
président Cleveland décida que les bateaux des douanes du Costa Rica avaient le droit de naviguer
aux fins du commerce et le droit de naviguer pour protéger la navigation costa-ricienne aux fins du
commerce. C’était le point le plus important ⎯ de tous ceux examinés pendant l’arbitrage, c’était
54
le principal point de désaccord entre le présidentCleveland et Rives ⎯ et il traduisait une vision
plus large ⎯ et non pas plus étroite ⎯ des droits conventionnels du Costa Rica.
11. En particulier, alors que Rives estimait que le CostaRica devait s’acquitter de ses
obligations de protéger le commerce uniqueme nt à partir de sa propre rive du fleuve ⎯ les gardes
devant se déplacer entre les arbres à la recherche de choses à protéger, apparemment ⎯, la
formulation du présidentCleveland, que nous avons déjà citée, impliquait une interprétation plus
large. Dans le même contexte, M. McCaffrey a a ffirmé que «l’article IV ne conten[ait] … aucune
175
indication quant à l’emploi de bateaux à cette fin» : voilà qui est quelque peu étrange. Dans la
pratique, à l’époque comme aujourd’hui, la pr otection du commerce sur le fleuve se fait
uniquement par bateau. Je suppose que M.McCaffre y n’insinuait pas que le CostaRica devait
protéger le commerce sur le fleuve et dans les baies communes en faisant, disons, de la natation
synchronisée !
173
MCR, vol. II, annexe 16 ; les italiques sont de nous. Voir aussi, CMN, vol. II, annexe 72.
174CR2009/5, p.31, par.9 (McCaffrey); p.42, par.2 (Reichler); voir aussi p. 32, par. 17 (McCaffrey) ; p. 35,
par.24 (McCaffrey); p.45, par.9 (Reichler), p.46, par. 10 (Reichler); p.51, par.20 (Reichler); p.54, par.25
(Reichler) ; p. 56, par. 29 (Reichler).
175Ibid. - 51 -
12. Le CostaRica a expliqué dans ses écritu res que les fonctions remplies par la garde
douanière à l’époque de la sentence Cleveland ét aient à présent assurées par le service national de
176
gardes-côtes, la police fiscale, la police des frontières et les gardes rurale et civile . Le Nicaragua
n’a pas produit d’éléments de preuve ni fait de déclaration pour contredire cela. Monsieur le
président, Messieurs de la Cour, je le répète, ces faits sont chose jugée. M.Pellet a beau être
impressionné à la vue d’un bateau des douanes ⎯il me semble pourtant doté d’un courage plus
qu’ordinaire ⎯ la décision du présidentCleveland n’ en reste pas moins celle que je viens
d’exposer.
c) Les deux Parties conviennent que Cleveland a confirmé l’existence d’un droit de navigation
pour les bateaux officiels armés
13. (Onglet 65.) Durant le premier tour de plaidoiries, j’ai donné un aperçu de la navigation
costa-ricienne sur le SanJuan avec des bateaux ar més. Je l’ai fait parce que la Nicaragua avait
refusé de reconnaître que les bateaux du service des douanes étaient des bateaux armés et que
Cleveland avait confirmé l’existence, au bénéfi ce du CostaRica, de droits conventionnels de
navigation avec des bateaux officiels armés. Par exemple, dans son contre-mémoire, le Nicaragua
déclarait: «aucune navigation armée avec des navires costa-riciens n’est permise par le traité, tel
qu’il est interprété dans la sentence, sans l’autorisation préalable du Nicaragua» 177. Le Nicaragua a
178
maintenu cette position dans sa duplique , en défendant le décret présidentiel de2005 qui
55 disposait : «Le Gouvernement de la République du Nicaragua ne permettra pas la navigation armée
de forces étrangères [dans] les eaux territoriales nicaraguayennes.» 179 Ceci a toujours été un point
épineux, puisque le Nicaragua a fait valoir de vant Cleveland que les bateaux du service des
douanes étaient «des navires armés, capa bles de se faire obéir par la force» 180, et que le rapport
181
Rives en fait état . Mais il semble que l’histoire du Chandler et son épilogue heureux pour le
176CR 2009/3, p. 15, par. 28 (Crawford) ; MCR, appendice B.
177CMN, par. 3.1.58 d) ; voir aussi ibid., par. 3.1.9.
178
Voir, par exemple, DN, par. 5.33.
179
RCR, annexe 69 ; DN, par. 5.30-5.32.
180MCR, annexe 208, p. 49.
181CMN, annexe 70, p. 4. - 52 -
182
président ait finalement réglé la question ! Le CostaRica a le droit, confirmé par la sentence
Cleveland, de faire naviguer les bateaux armés de son service des douanes sur le San Juan, et le
183
Nicaragua l’a maintenant reconnu .
14. Ce point ayant maintenant été établi, la qu estion de la pratique est désormais totalement
accessoire. L’état du dossier sur le point de savoir si le CostaRica a exercé son droit
conventionnel de naviguer avec les bateaux armés de son service des douanes est dénué de
pertinence. J’ajouterai que les pièces écrites sont très peu nombreuses, de part et d’autre, et pour ce
qui est du Nicaragua, extrêmement ténues. Mais ce que je veux dire est qu’une fois qu’un droit est
né en vertu d’un traité valide et demeuré en vigueur, tel qu’interprété par un arbitre compétent avec
l’autorité de la chose jugée, ce droit survit indépendamment de son exercice.
15. Pendant que je suis, pour ainsi dire, à bord du Chandler, je relève que M. Pellet a donné
à la Cour des indications supplémentaires sur le type de bateau qu’envisageait Cleveland. Comme
il l’a fait observer, et cela est exact, le Chandler a servi en tant que bâtiment de la marine de guerre
184
et a été en service actif durant la guerre civile américaine . M. Pellet a dit ⎯ sans beaucoup de
conviction ⎯ craindre que le CostaRica arme immédiatement des ba teaux du même tonnage et
185
ayant les mêmes caractéristiques que le Chandler ou le Forward et les envoie sur le SanJuan .
Tel n’était pas mon but lorsque j’ai cité l’exemple du Chandler, et le CostaRica a mieux à faire
avec le budget limité dont il dispose que d’arme r de nouvelles vedettes du service des douanes à
cette échelle. Je l’ai cité uniquement pour dém ontrer deux choses: premièrement, le président
Cleveland savait parfaitement ⎯ et s’il ne le savait pas déjà, les parties le lui avaient dit ⎯ que les
bateaux du service des douanes étaient armés et, deuxièmement, qu’il sera it totalement paradoxal
56 que Cleveland ait autorisé des bateaux armés du service des douanes à naviguer sur le SanJuan
sans enfreindre l’interdiction faite aux bateaux de guerre et ait interdit dans le même temps la
navigation de ces humbles bateaux officiels costa-riciens, qui accomplissent les mêmes tâches, y
18CR 2009/3, p. 13-14, par. 23 (Crawford).
183
Voir, par exemple, CR 2009/5, p. 34-35, par. 23-24 (McCaffrey) ; ibid., p. 60, par. 10 (Pellet).
184
http://www.uscg.mil/history/webcutters/Jasmine_1866.pdf, cité dans CR 2009/5, p. 60, par. 10 (Pellet).
18CR 2009/5, p. 60, par. 10-11 (Pellet). - 53 -
compris celle, nécessaire, de ravitaillement des pos tes frontière gardant le fleuve sur la rive
costa-ricienne.
16. Comme je l’ai dit, le Nicaragua ayant admis que Cleveland a expressément autorisé la
navigation des bateaux armés du service des douanes su r le SanJuan, la constance de la pratique
ultérieure de navigation armée du Costa Rica revêt moins d’importance. Toutefois, M. Reichler a
déclaré que «le CostaRica n’a[vait] présenté à la Cour aucun document officiel ⎯ni, du reste,
aucun autre moyen ⎯ qui établirait … qu’il exerçait effectivement» ce droit de navigation avec des
186
bateaux du service des douanes . Ceci n’est pas vrai. J’ai appelé mardi votre attention sur les
preuves documentaires 187qui indiquent que la garde douanière exerçait les activités que le décret
188
de 1886 lui prescrivait d’exercer . Le fait même que le Nicaragua ait insisté sur ce point devant
Cleveland donne à penser que ces ba teaux naviguaient effectivement ⎯à défaut l’argument
n’aurait pas eu lieu d’être.
17. (Onglet 66.) L’affirmation de M.Reichler selon laquelle il n’y a pas de preuve de
l’exercice par le CostaRica de ce droit à une é poque plus récente peut être réfutée en citant
seulement un exemple. Le rapport de la gard e des douanes de Boca de San Carlos datée du
26 juillet 1968 indique que la garde a reçu une plainte concernant l’entreposage d’ipéca, une plante
toxique ⎯je crois comprendre que l’on utilise la racine de la plante ⎯ dans un endroit nommé
Infiernito (peut être bien nommé, puisqu’une plante toxique y était entreposée), un hameau situé
sur la rive du San Juan, et qu’elle s’est «rendu[e] dans ledit endroit» et a procédé à un inventaire de
l’ipéca qui s’y trouvait 189. Comme vous le voyez à l’écran, Boca San Carlos est distant d’environ
26kilomètres d’Infiernito si l’on emprunte le Sa nJuan, un trajet qui prend un peu moins d’une
heure en bateau. Le Nicaragua relève que ce rapport ne dit pas expressément «nous avons
emprunté le SanJuan», et il affirme qu’Infiernito est, à partir de Boca San Carlos, accessible par
190
voie terrestre . Il ne cite ni ne produit aucune carte à l’appui de cette allégation; la seule carte
186CR 2009/5, p. 44, par. 6 (Reichler).
187MCR, annexes 211, 212, 213, 215 et 216 ; RCR, annexes 31-38.
188
MCR, annexe 206, art. 5.
189RCR, annexe 33, p. 245.
190DN, par. 5.72. - 54 -
191
57 qu’il a produite est la carte Ecomapas , dont nous avons parlé, et sur laquelle ne figure ni
Infiernito ni aucune route dans ce secteur. En fait, il n’y pas de route directe entre Boca San Carlos
et Infiernito, mais seulement des pistes tortueuses carrossables durant la saison sèche. Mais
l’incident s’est produit en juillet, au milieu de la saison des pluies. Ceci est seulement un exemple ;
192
j’ai appelé l’attention de la Cour sur d’autres preuves documentaires . La pratique est corroborée
par les déclarations sous serment produites par le Nicaragua lui-même, qui confirment que des
bateaux de la garde civile costa-ricienne ont navigué sur le fleuve durant les années1960
et 1970 19.
d) Le communiqué conjoint Cuadro-Lizano confirme une pratique antérieure de notification et
non d’autorisation
18. (Onglet 67.) J’en viens à la description que donne M.McCaffrey du communiqué
conjoint Cuadro-Lizano qui, dit-il, «montre que [le CostaRica] reconnaît avoir besoin de
l’autorisation du Nicaragua pour naviguer sur le fle uve avec des bateaux officiels et armés afin de
194
ravitailler ses postes frontière» . M.McCaffrey n’a pas cité le texte du communiqué, ce qui se
comprend puisque les mots «permission» ou «autor isation» n’y apparaissent nulle part. Le
paragraphe du dispositif est projeté à l’écran et figure sous l’onglet67 de votre dossier de
plaidoiries. Je ne le lirai pas en entier, j’en soulignerai juste les mots clés :
«Troisièmement: Les deux ministres expriment leur volonté de régler les
incidents regrettables survenus ces derniers jours et, à cet effet, formulent les ordres
ci-après à l’intention de leurs subordonnés respectifs :
1. Les équipages des bateaux de la force publique du Costa Rica qui transportent le
personnel de police de relève et ravitaillen t les postes frontière établis sur la rive
droite du fleuve San Juan navigueront sur ledit fleuve après avoir donné le préavis
requis [aviso] , armés seulement de leurs armes normales, et les autorités
nicaraguayennes pourront accompagner les bateaux costa-riciens effectuant ces
déplacements sur le fleuve San Juan dans le urs propres moyens de transport. Si le
bateau nicaraguayen n’escorte pas les batea ux costa-riciens, ces derniers pourront
effectuer leur visite conformément a ux rapports correspondants des postes
frontière de la manière indiquée dans le présent accord.
191Ibid., p. 280.
192
Voir, par exemple, MCR, annexes 88, 90, 94 et 103.
193
DN, annexe 65, p. 404, par. 6 (Espinoza).
194CR 2009/5, p. 38-39, par. 36 (McCaffrey). - 55 -
2. Les autorités costa-riciennes devront signaler leur présence [reportarse] aux
postes nicaraguayens pendant tout leur trajet sur le fleuve San Juan.» (Les
italiques sont de nous.)
58 Un équilibre soigneusement établi, comme vous pouvez le voir.
19. Le Nicaragua affirme que ce communiqué exige que le CostaRica «[obtienne] la
permission du Nicaragua dans chaque cas» et que chaque voyage doit être précédé d’une demande
d’autorisation 195. Or, vous pouvez le lire par vous-mêmes : il n’exige qu’un préavis ; il autorise les
autorités nicaraguayennes à accompagner, sur leurs propres embarcations, les bateaux costa-riciens
sur le San Juan, mais il est clair que ces derniers n’ ont pas l’interdiction de naviguer si les autorités
nicaraguayennes décident de ne pas les accompagner; les bateaux costa-riciens doivent se
présenter aux postes nicaraguayens, mais rien n’indique qu’ils puissent être amenés à faire
demi-tour s’ils respectent les termes du communiqué. Ce système reflète la pratique de notification
et de présentation, et non d’autorisation, qui exis tait antérieurement. Cette pratique équilibrée est
maintenant déclarée interdite par le Nicaragua.
e) Le Nicaragua affirme que la pratique antérieu re relativement à la navigation de la police
était un système d’autorisation par les autorités nicaraguayennes
20. M.Reichler a consacré beaucoup d’énergie, vendredi dernier, à défendre sa thèse selon
laquelle le CostaRica n’avait produit aucun élémen t de preuve confirmant qu’il ravitaillait ses
postes frontière sur le SanJuan. Mais lui-même a dû reconnaître que «des bateaux de la police
costa-ricienne [avaient] traver sé le SanJuan pour ravitailler ou relever le personnel des postes
frontière ou pour mener des activités de maintie n de l’ordre» entre 1994 et 1998, comme en
témoignait un registre de police détaillé figurant à l’annexe227 du mémoire 196. Pour réfuter cet
élément de preuve, il s’est rabattu sur la thèse ni caraguayenne, bien connue mais non étayée, selon
laquelle la navigation devait être expressément autorisée par le Nicaragua, même si le document ne
197
fait pas mention de cela .
21. (Onglet 68.) Vous vous souviendrez que, dans sa duplique, le Nicaragua affirmait, en
198
invoquant un extrait de ce même registre , que le CostaRica avait envoyé ses bateaux sur le
195CR 2009/5, p. 39, par. 36.
196
CR 2009/5, p. 47, par. 12 ; voir MCR, annexe 227.
197
CR 2009/5, p. 47, par. 12.
198DN, par. 5.88. - 56 -
San Juan pour arrêter des Nicaraguayens. Mais, co mme l’a relevé M. Sergio Ugalde, l’arrestation
en question avait eu lieu à BocaTapada, à envi ron 25kilomètres à l’intérieur du territoire
199
costa-ricien . Le Nicaragua n’a plus fait valoir cet argument. A présent, M. Reichler soutient que
«le CostaRica se mit à faire naviguer ses batea ux de police sur le SanJuan avec des armes à
bord…dans le but d’intercepter des Nicara guayens qu’il soupçonnait de vouloir entrer
clandestinement en territoire costa-ricien». Se référant à la même page du même document, il a
59
prétendu que les propres preuves documentaires du CostaRica confirmaient que des policiers
costa-riciens «[avaie]nt escorté arme au poing des Nicaraguayens arrêtés sur le fleuve San Juan au
200
mois de juin1998» . Le passage pertinent du registre est projeté à l’écran et figure sous
l’onglet 68 de votre dossier. Je ne le relirai pas ; je vais simplement en résumer le contenu.
22. D’abord, les Nicaraguayens ont été arrê tés dans une exploitation agricole, et non
piscicole : celle de M. Gerardo Miranda-Alvarez, qui n’est pas située sur le fleuve. Il est inexact de
dire que l’arrestation a eu lieu sur le San Juan. Il apparaît en outre que ces Nicaraguayens n’ont pas
o
du tout été ramenés sur le fleuve. Selon le rapport, le «véhicule n 711» est venu les chercher.
Dans ce registre, le terme «bateau» est systéma tiquement employé pour désigner des embarcations
et le terme «véhicule», pour désigner des véhicules automobiles. En outre, le passage en question
ne fait aucune référence au SanJuan ni à aucune personne qui aurait été, d’une manière
quelconque, escortée «arme au poing».
23. M. Reichler reproche à la déclaration s ous serment de M. Navarro de pas mentionner le
201
compte rendu de juillet 2000 qui est annexé à la duplique . Il n’aura pas échappé à la Cour que
nous avons dû consacrer une large part de nos plaidoiries à répondre aux éléments de preuve
présentés dans la duplique, alors que ceux-ci auraient pu et dû être produits dans le
contre-mémoire. Et voici encore un exemple. P our sa part, l’agent du Nicaragua a reproché à la
Cour d’avoir permis au CostaRica de présenter n’importe quels documents nouveaux après le
dépôt de la duplique 202. A l’inverse, M.Reichler ⎯en bon avocat ⎯ a réclamé toujours plus de
199CR 2009/2, p. 27, par. 12 (Ugalde).
200
CR 2009/5, p. 52, par. 2[1] (Reichler).
201
DN, annexe 68.
202CR 2009/4, p. 17, par. 38 (Argüello). - 57 -
203
preuves ! La position de la Cour en ce qui concerne nos dépôts de pièces montre que nous avons
su trouver un juste équilibre.
24. Pour ce qui est du fond, j’ai déjà dit que rien n’indiquait que ce compte rendu de
60 juillet2000 eût jamais été vu ou a pprouvé par quiconque du côté cost a-ricien. Le Nicaragua n’a
produit aucun procès-verbal manuscrit de la réunion ni aucun enregistrement qui auraient permis de
vérifier l’authenticité du compte rendu et celle des signatures, si tant est que ces document aient été
signés. En outre, M.Reichler rejette trop pr écipitamment la déclaration sous serment de
M. Navarro : celui-ci y déclare explicitement que, ap rès l’interdiction de navi guer faite à la police
par le Nicaragua, «lors [des] réunions avec le pe rsonnel de l’armée nicaraguayenne auxquelles il
participait personnellement» ⎯dont celle de juillet2000, comme en attestent les documents
d’archives ⎯, «il n’a[vait] jamais été dit ni accepté qu’il était obligatoire ou d’usage de demander
l’autorisation des autorités nicaraguayennes pour la navigation de la police costa-ricienne sur le
204
fleuve San Juan» . Cette déclaration est claire et elle dément le compte rendu du colonel Molina
205
⎯ ou plutôt l’«authentification» du compte rendu du colonel Molina par le général Carrión.
25. La déclaration de M. Navarro, étayée par des éléments de preuve documentaire 206, remet
en question les cinq déclarations sous serment de militaires nicaraguayens déposées tardivement
avec la duplique du Nicaragua, qui constituent l es seules preuves de la prétendue «pratique»
d’autorisations préalables. Par conséquent, la thèse du Nicaragua selon laquelle les bateaux
officiels naviguant sur le SanJuan avaient pour pratique constante de demander des autorisations
devrait être rejetée.
f) Le Nicaragua a violé les droits du Costa Rica de faire naviguer des bateaux officiels pour
fournir des services médicaux, sociaux ou d’ autres services essentiels aux habitants de la
rive costa-ricienne
26. Mon dernier point porte sur le droit de naviguer aux fins de dispenser des services
médicaux, sociaux ou autres services essentiels aux habitants des collectivités situées sur la rive
203CR 2009/5, p. 47-48, par. 14.
204
Costa Rica, nouveaux documents produits le 27 novembre 2008, annexe [III].
205
CR 2009/5, p. 49, par. 1[6] (Reichler).
206Costa Rica, nouveaux documents produits le 27 novembre 2008, annexe [IV]. - 58 -
207
costa-ricienne du fleuve. M.Reichler a affi rmé qu’un tel droit de na vigation n’existait pas ;
mais il a dit aussi que «le Nicaragua n’interdi[sait] pas au Costa Rica … de naviguer sur le fleuve
pour fournir des services médicaux, éducatifs ou au tres services sociaux aux citoyens costa-riciens
sur la rive droite du fleuve»,exigeant seulement des bateaux officiels et des agents de l’Etat
costa-riciens qu’ils «s’enregistrent» et «respecten t les prescriptions éventuellement applicables en
matière de visas» 208. M.Reichler a démenti les violations manifestes en les attribuant à des
«lourdeurs bureaucratiques» ⎯une nouvelle circonstance excluant l’illicéité, semble-t-il ⎯ ayant
209
occasionné des retards dans la délivrance de «certains visas», dans des «cas isolés» .
27. En réalité, le Nicaragua a bel et bien interdit au Costa Rica de naviguer sur le fleuve pour
fournir des services médicaux, sociaux ou éducatifs aux riverains ou pour assurer leur sécurité. Le
Costa Rica a apporté des pre uves de cette interdiction 210. Par exemple, MmeLauraNavarro, qui
61 travaille dans un organisme costa-ricien de prot ection sociale, a évoqué «l’interdiction … imposée
211
par le Nicaragua aux agents publics costa-rici ens de…naviguer sur le fleuve San Juan» . De
même, selon M.MarvinChaves, également employé da ns le secteur de la protection sociale, les
autorités nicaraguayennes «exige[aient]…que les agents publics costa-riciens sollicitent une
212
permission» pour visiter les collectivités costa-riciennes . La preuve incontestée qui ressort du
témoignage de MmeChing est que celle-ci s’est entendu dire personnellement par l’ambassadeur
du Nicaragua qu’elle devait solliciter une «dem ande d’autorisation de navigation sur le
213
San Juan» . La déposition de MmeChing a été produite en juillet2008. Dans ces conditions,
c’est faire preuve de mauvaise foi que de laisser entendre que le Nicaragua «n’interdit pas au
CostaRica…de naviguer sur le fleuve pour fournir des services médicaux» et qu’il exige
214
seulement l’enregistrement des bateaux . Le fait de demander une autorisation implique qu’il
20CR 2009/5, p. 55, par. 26 (Reichler).
208
CR 2009/5, p. 54, par. 25 (Reichler).
209
CR 2009/5, p. 55, par. 28 (Reichler).
210
Voir, par exemple, MCR, annexes150, 52, 53, 166, 167, 168, 236, 237, 239,98, 99, 100 et 101; RCR,
annexes 45, 47, 55, 57, 56 et 49.
21RCR, annexe 57, p. 297.
21RCR, annexe 56, p. 295 ; les italiques sont de nous.
21RCR, annexe 55, p. 292.
214
CR 2009/5, p. 54, par. 25 (Reichler). - 59 -
existe un droit d’interdire. L’interdiction est assez distincte de la question des visas dont vous a
parlé M. Caflisch.
28. L’interdiction imposée par le Nicaragua à cette forme de navigation des bateaux officiels
a eu des conséquences préjudiciables pour la fo urniture des services essentiels. Cela ressort
clairement des éléments de preuve produits par le CostaRica, qui montrent par exemple que les
«activités de soins primaires» ont été suspendues da ns les localités proches du San Juan «en raison
215
des restrictions croissantes imposées à la libre navigation sur le fleuve» . Des personnels de
santé costa-riciens attestent qu’ils ont suspe ndu leurs services «en raison des problèmes rencontrés
en ce qui concerne la navigation» et «pour protéger l’intégrité physique du personnel…» 216. Les
éléments de preuve témoignent également des conséquences pour la population locale : les enfants
ne peuvent pas être vaccinés, les adultes ne peuvent pas recevoir les soins de santé de base 217 et,
d’une façon générale, l’accès des habitants de la région aux services médicaux s’en trouve
218
compromis .
29. On ne peut balayer de telles preuves en les qualifiant de «lourdeurs bureaucratiques
219
[ayant] occasionné des retards dans la délivrance de certains visas» . Ce n’est pas un visa qui a
220
62 été accordé au docteur Ching. C’est une «a utorisation…pour naviguer sur le San Juan» .
MmeChing ne demandait pas un visa, ni même des visas pour les employés qui allaient faire le
déplacement; elle a été obligée par l’ambassad eur du Nicaragua à demander une «autorisation»
221
pour la conduite du programme de services lui-même . M. Reichler a affirmé que depuis
mai 2007 le Nicaragua «délivrait rapidement des visas aux agents costa-riciens afin qu’ils puissent
222
dispenser des services» . Ce qui revient à confondre l’obligation d’obtenir un visa et l’obligation
d’obtenir une autorisation pour la conduite du programme. Le Costa Rica a fait observer dans sa
réplique que, dans certains cas, le Nicaragua avait accordé les autorisations demandées dans un
215MCR, annexe 239, p. 1047. Voir aussi MCR, annexes 236, 237, 98, 99 et 100.
216MCR, annexe 99, p. 527. Voir aussi MCR, annexes 98 et 100.
217
MCR, annexe 100, p. 531-532.
218
MCR, annexe 99, p. 527. Voir aussi RCR, annexe 55, p. 292 et annexe 59, p. 304.
21. CR 2009/5, p. 55, par. 28 (Reichler).
220CMN, annexe 53, p. 193.
221CMN, annexe 51, p. 189.
222
CR 2009/5, p. 55, par. 28 (Reichler). - 60 -
223 224
délai raisonnable , mais que, dans d’autres cas, les demandes étaient restées sans réponse , ce
qui, dans la pratique, se tra duisait par une interdiction, pour les fonctionnaires concernés,
d’emprunter le fleuve.
Pêche
30. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je me consacrerai à présent ⎯ bien que ce
ne soit pas dans mes habitudes ⎯ à la pêche de subsistance; mais, après l’élevage de poules, il
semble naturel de passer à la pêche. M. Kohen vous a expliqué pourquoi notre demande relative à
225
la pêche de subsistance était recevable , et M.Reichler, tout en réaffirmant la position
226
nicaraguayenne sur la recevabilité, n’ a aucunement réfuté ses arguments . Sur le fond de cette
demande, M. Reichler a affirmé que le Nicaragua n’ avait pas interdit la pêche de subsistance dans
le fleuve et qu’il «n’a[vait] nullement l’intention d’empêcher les résidents costa-riciens de se livrer
227
à [des activités qui en relèvent]» ⎯ nullement l’intention, je le répète, d’empêcher les résidents
costa-riciens de se livrer à la pêche de subsistance. M. Reichler a néanmoins souligné que la pêche
228
commerciale et la pêche s portive n’étaient pas autorisées . Voilà donc troispoints. En ce qui
concerne le premier ⎯ les faits ⎯, nous avons produit la preuve, sous forme de déclarations sous
serment, que des riverains s’étaient vu interdire de pratiquer la pêche et que leurs bateaux et leur
229
63 matériel de pêche avaient été confisqués . En ce qui concerne le deuxième, nous prions
respectueusement la Cour, si elle juge la demande recevable, de prendre acte, dans son dispositif,
pour suite à donner, de la position affichée par le Nicaragua selon laquelle la pêche de subsistance
pratiquée par les riverains, que ce soit de la rive costa-ricienne ou à partir de bateaux naviguant sur
le fleuve, ne doit pas être entravée. En ce qui concerne le troisièmepoint, le Costa Rica ne s’est
jamais prévalu ⎯ et ne se prévaut pas ⎯ d’un droit de pratiquer la pêche commerciale ou la pêche
223
RCR, par. 4.36-4.37.
224RCR, par. 4.34-4.36, vol. 2, annexes 49 et 56.
225CR 2009/3, p. 55-57, par. 13-22 (Kohen).
226CR 2009/5, p. 27, par. 48 (Reichler).
227
Ibid.
228
Ibid.
229Sur l’interdiction, avérée, de pêcher imposée par le Nicaragua, voir les déclarations sous sermentsuivantes:
MCR, annexes106, 107, 108, 109; RCR, annexe54, et l’article de presse reproduit à l’annexe59 de la réplique du
Costa Rica. Sur la confiscation de maté riel et de bateaux de pêche, ainsi qu e de poissons, voir MCR, annexes 105, 106,
107 et 109 ; RCR, annexes 54 et 59. - 61 -
sportive dans le fleuve, et nous n’avons aucune objection à ce que cela soit clairement indiqué dans
l’arrêt.
Réparations
31. Monsieur le président, Messi eurs de la Cour, j’ai traité la question des remèdes dans le
230
bref exposé que j’ai fait lors du premier tour de plaidoiries . M.Pellet, dans un exposé qui
n’avait rien de bref, vendredi, n’a guère soulev é de points appelant une réponse. Nous sommes
d’accord sur la nécessité pour la Cour de préciser, par la voie d’un jugement déclaratoire explicite,
les droits et obligations respectifs des Parties pour autant que ceux-ci sont en litige devant la
Cour 231. Là où nous ne sommes pas d’accord, c’est en ceci que le Nicaragua persiste apparemment
à demander une déclaration portant sur des questions hypothétiques qui ne sont pas ici en litige
⎯ comme celle du dragage 232. Le droit de dragage du Nicaragua est établi dans la réponse donnée
par le président Cleveland au sixi ème point d’interprétation incertaine 23. Qu’un programme de
dragage donné satisfasse ou non aux conditions énoncées par la sentence Cleveland dépendra de sa
portée, de son ampleur et de ses modalités de mise en Œuvre. Pour l’heure, aucune proposition n’a
été faite dans cette optique et la question est purement théorique. Il ne s’agit pas ici ⎯ vous serez
soulagés de l’apprendre ⎯ d’un avis consultatif.
32. Pour en venir à ce que M. Pellet persiste à appeler des injonctions 234, il va de soi que la
Cour n’émet pas des injonctions au sens que re vêt ce terme en droit national; elle émet des
instructions, souvent très claires et spécifiques, qui ont force obligatoire pour les Etats parties à
l’affaire. Je voudrais simplement, et très respectueusement, demander à la Cour de formuler son
dispositif de manière à ne ménager aucune possi bilité de dérobade. Les Parties doivent savoir
exactement où elles en sont sur les questions qui les opposent, afin qu’aucune excuse ne puisse être
invoquée pour justifier l’inexécution de l’arrêt, qu ’aucune nouvelle circonstance excluant l’illicéité
ne puisse être avancée, afin qu’elles puissent, enfin ⎯avec plus de bonheur qu’au cours des
230
CR 2009/3, p. 63-70, par. 1-28 (Crawford).
231
CR 2009/5, p. 57, par. 3 (Pellet).
232CR 2009/5, p. 59, par. 6 (Pellet).
233MCR, annexe 16, p. 99, par. 6.
234CR 2009/5, p. 61, par. 15 (Pellet). - 62 -
64 dernières décennies ⎯, coexister sur le fleuve qui, sur toute une partie de son cours, marque leur
frontière commune.
33. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je n’ai rien à ajouter sur la question des
dommages ; il me reste donc à vous remercier de l’ attention que vous avez eu la courtoisie de me
prêter tout au long de cette procédure et de vous prier, Monsieur le président, d’appeler à la barre
l’agent du Costa Rica, qui présentera nos observations et conclusions finales.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsie ur Crawford, de votre exposé. Je donne
maintenant la parole à l’agent du Costa Rica, M. l’ambassadeur EdgarUgalde, qui présentera ses
conclusions.
M. UGALDE-ALVAREZ :
V. C ONCLUSIONS
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, le CostaRica a achevé ses plaidoiries. Il
m’incombe de récapituler et de présenter à la Cour les conclusions finales du Costa Rica. Mais au
préalable, je mentionnerai brièvement les diverses inexactitudes qu’a avancées le Nicaragua au fil
de ses plaidoiries.
2. (Onglet 69 du dossier de plaidoiries) Premièrement, permettez-moi de rappeler que le
235
Costa Rica n’a pas d’armée. Le graphique présenté par le Nicaragua jeudi dernier , qui est censé
montrer les dépenses «militaires» du CostaRica, provient d’un site Internet 236qui lui-même tire
237
ces renseignements du World Factbook de la CIA. Il convient de noter que le Nicaragua omet
les dépenses affectées ses forces de police, pour in clure seulement celles qui sont destinées à ses
forces militaires. Le CostaRica rejette l’affirmation selon laquelle les montants mentionnés
correspondent à ses «dépenses militaires». En fait, la source ⎯ la CIA ⎯ citée sur le site indique
238
clairement que le Costa Rica n’a pas de forces militaires . Si le total des dépenses affectées à la
23CR 2009/4, p. 12, par. 18 (Argüello).
236
Voir http://www.militarybudget.info/WorldwideSpending.html.
23Voir https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/.
23Voir https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/cs.html. - 63 -
239
police et à l’armée sont prises en considération, comme cela aurait dû être le cas, alors les
dépenses de sécurité du Nicaragua, en valeur absolue, avoisinent 100millions de dollars, soit
environ un cinquième de plus que celles du CostaRi ca et ce, malgré une différence considérable
65 entre les PIB respectifs des deux pays. De su rcroît, comme vous pouvez le constater sur le
graphique projeté à l’écran, les dépenses de sécurité du Nicaragua sont bien plus élevées que celles
du CostaRica, tant en valeur réelle 240 qu’en pourcentage du PIB 241 (onglet70 du dossier de
plaidoiries).
242
3. En outre, le dernier Rapport mondial sur le développement humain établi par le
Programme des NationsUnies pour le développement indique que le CostaRica n’a engagé
aucune, je répète, aucune dépense militaire dans la période comprise entre 1990 et 2005.
4. Deuxièmement, la mention qu’a faite le Nicaragua de l’instance qu’il introduisit devant la
Cour en1986 243 ne peut et ne doit avoir aucun poids dans la présente affaire. Comme il l’a fait
observer, le Nicaragua se désista de cette instance en1987, avant que le CostaRica n’ait eu
l’occasion de répondre à son mémoire et a fortiori de comparaître devant la Cour 244. Quoiqu’il en
soit, le CostaRica rejette avec la plus grande insistance toutes les allégations qu’a pu faire le
Nicaragua à cette occasion.
5. Le Nicaragua semble se plaire à employer le temps compté de la Cour pour ouvrir de
nouveaux fronts, puisque c’est précisément ce qu’il fait en déclarant que le Costa Rica n’a pas réagi
à d’autres problèmes, comme les risques de polluti on dus à l’exploitation minière ou des questions
de délimitation maritime 245. S’agissant de ces problèmes, le CostaRica espère prendre bientôt
connaissance de la documentation concernant le projet de barrage hydroélectrique nicaraguayen sur
239Voir http://www12.georgetown.edu/sfs/clas/pdba/Security/citizensecurity/nica…
2008.pdf.
240Voir onglet 69 du dossier de plaidoiries. D onnées tirées de: http://www.militarybudget.info/
WorldwideSpending`.html ; https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/index.html ; et http://www12.
georgetown.edu/sfs/clas/pdba/Security/citizensecurity/nicaragua/presupuestos/gobernacion2008.pdf.
241Voir onglet 70 du dossier de plaidoiries. D onnées tirées de: http://www.militarybudget.info/
WorldwideSpendin`g.html ; https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/index.html ; etttp://www12.
georgetown.edu/sfs/clas/pdba/Security/citizensecurity/nicaragua/presupuestos/gobernacion2008.pdf.
242Voir http://hdr.undp.org/en/media/HDR_20072008_FR_Complete.pdf.
243CR 2009/4, p. 15, par. 29 (Argüello).
244CR 2009/2*, p. 12, par. 1 (Ugalde-Alvarez).
245
CR 2009/4, p. 16-17, par. 32-34 (Argüello). - 64 -
246
le SanJuan , assortie d’indications sur les conséquences environnementales que cela risque
d’avoir pour le fleuve et les deux Etats riverains, et le Costa Rica espère aussi que le Nicaragua va
enfin décider de la date à laquelle pourront repr endre les pourparlers sur la délimitation maritime
qu’il a suspendus de façon unilatérale en 2005.
66 6. Le Nicaragua tient à reprocher au Costa Rica d’appliquer, sur le territoire costa-ricien, ses
lois relatives à l’immigration. Comme la Cour a pu le constater, le Nicaragua a présenté de façon
247
inexacte les faits concernant cette question . Je tiens cependant à répondre à l’allégation du
Nicaragua selon laquelle en 1998, le Gouvernement costa-ricien adopta une nouvelle politique pour
faire face à ce qu’il considérait comme une recrudescence de l’immigration clandestine en
provenance du Nicaragua 248. Il a été prouvé que ces allégations sont fausses 249. En fait, c’est ce
même gouvernement qui a promulgué en 1998 la pl us vaste amnistie jamais adoptée dans ce
250
domaine au CostaRica , ce qui a concrètement permis à quelque 150000 émigrants
nicaraguayens de régulariser leur situation.
7. Enfin, l’agent du Nicaragua a jugé bon de d éclarer devant la Cour que, pour la première
fois depuis plus de 150 ans, il conteste des points c oncernant la situation des baies de San Juan et
de Salinas, communes aux deux Etats 251. Le Nicaragua se propose-t-il de mettre en cause, une fois
encore, le caractère définitif et perpétuel du traité de limites de1858, ainsi que l’autorité de la
chose jugée que revêt la sentence Cleveland de 1888 ?
8. Comme je l’ai indiqué, le CostaRica s’est adressé à la Cour internationale de Justice en
dernier ressort, afin que soient définitivemen t réglées les modalités selon lesquelles il peut
effectivement jouir de ses droits de libre navigation sur le San Juan 252. Le fleuve fait l’objet d’un
régime exceptionnel que reflètent les divers in struments et décisions qui s’y rapportent, en
particulier le traité de limites de 1858, la sente nce Cleveland de 1888, l’arrêt rendu en 1916 par la
246Voir http://www.elnuevodiario.com.ni/imprimir/4141; http://www.telesurtv.net/noticias/secciones/nota/
43824-NN/nicaragua-y-brasil-firman-acuerdo-sobre-plan-hidroelectrico/.
247CR 2009/2, p. 27, par. 12 (Ugalde). Voir aussi CR 2009/6, p. 50-64 (Crawford).
248
CR 2009/5, p. 51, par. 21 (Reichler).
249
CR 2009/2*, p. 25-27, para. 7-13 (Ugalde).
250Voir http://www.unhcr.org/refworld/publisher,NATLEGBOD,,CRI,3ae6b560c,0.htm.
251CR 2009/4, p. 17, par. 35 (Argüello).
252CR 2009/2*, p. 14, par. 9 (Ugalde-Alvarez). - 65 -
Cour de justice centraméricaine et l’accord de 1956. Nous ne dout ons pas que la Cour considérera
ce régime dans sa globalité et conclura qu’il appuie pleinement, en conjonction avec les éléments
de preuve produits, les conclusions du Costa Rica.
9. Nous sommes par conséquent convaincus que la Cour conclura que le Costa Rica possède
bien les droits de navigation aux fins du commerce que lui confèrent les instruments pertinents. Il
est très important que votre décision soit claire, afin que le CostaRica et le Nicaragua soient à
même d’admettre que les enfants puissent emprunter librement le fleuve pour aller à l’école, que
les mères et leurs enfants puissent avoir réellement accès aux services sanitaires et sociaux, que les
67
touristes puissent être transportés sans être fouillés et soumis à des mesures arbitraires et que les
communautés puissent recevoir une protection policière. C’est également important pour que
l’Etat du Costa Rica exerce pleinement ses droits et s’acquitte de toutes ses obligations, notamment
en ce qui concerne la protection et la garde du fleuve San Juan et de la baie de San Juan del Norte,
que détiennent conjointement les deux pays, de même que celle de Salinas. Nous espérons que ces
droits, s’il est bien établi qu’ils reviennent au CostaRica, pourront s’exercer de façon efficace et
rationnelle, sans faire constamment l’objet d’exasp érantes ingérences. Le peuple du CostaRica
souhaite seulement entretenir avec ses voisins de relations pacifiques et amicales, mais il tient aussi
à ce que les principes du droit international soient maintenus et pleinement respectés.
Conclusions
10. Monsieur le président, en application de l’article60 du Règlement de la Cour, je vais
maintenant donner lecture des conclusions finales de la République du Costa Rica.
La République du CostaRica prie la Cour de dire et juger que la République du Nicaragua
a :
a) l’obligation de permettre à t ous les bateaux costa-riciens et à leurs passagers de naviguer
librement sur le San Juan à des fins de co mmerce, y compris pour les communications, le
transport de passagers et le tourisme ;
b) l’obligation de n’imposer aux bateaux costa-riciens et à leurs passagers le versement d’aucun
droit ou redevance pour naviguer sur le fleuve ;
c) l’obligation de ne pas exiger des personnes exerçant le droit de libre navigation sur le fleuve
d’être munies de passeports et d’obtenir un visa du Nicaragua ;
d) l’obligation de ne pas exiger des bateaux costa-riciens et de leurs passagers qu’ils fassent halte à
un quelconque poste nicaraguayen situé le long du fleuve ; - 66 -
e) l’obligation de ne pas mettr e d’autres entraves à l’exercice du droit de libre navigation,
notamment sous la forme d’horaires de navigation et de conditions relatives aux pavillons ;
f) l’obligation de permettre aux bateaux costa-rici ens et à leurs passagers empruntant le San Juan
d’accoster librement en tout point du fleuve où la navigation est commune sans acquitter aucun
droit ni redevance, sauf accord exprès des deux gouvernements ;
68 g) l’obligation de reconnaître aux bateaux officiel s du CostaRica le droit de naviguer sur le San
Juan, notamment pour ravitailler et relever les membres du personnel des postes frontière
établis sur la rive droite du fleuve, munis de leur équipement officiel, de leurs armes de service
et de munitions, ainsi qu’à des fins de protection comme il est prévu dans les instruments
pertinents, en particulier l’article 2 de la sentence Cleveland ;
h) l’obligation de faciliter et d’accélérer la circul ation sur le San Juan, au sens du traité du
15avril 858 tel qu’interprété par la sen tence Cleveland de 1888, conformément à
l’article premier de l’accord bilatéral du 9 janvier 1956 ;
i) l’obligation de permettre aux ha bitants de la rive costa-ricienne de pratiquer la pêche de
subsistance.
11. En outre, la République du CostaRica prie la Cour de dire et juger que, en raison des
violations des obligations énoncées ci-dessus, le Nicaragua est tenu :
a) de cesser immédiatement toutes les violations des obligations revêtant un caractère continu ;
b) de dédommager le Costa Rica de tous les préjudices subis par celui-ci en raison des violations
des obligations du Nicaragua mentionnées plus haut, sous la forme du rétablissement de la
situation antérieure auxdites violations et d’une indemnisation dont le montant sera fixé lors
d’une phase ultérieure de la présente instance ; et
c) de fournir des assurances et garanties a ppropriées de non-répétition de son comportement
illicite, sous la forme que la Cour voudra bien ordonner.
12. Le CostaRica prie la Cour de rejete r la demande de déclaration présentée par le
Nicaragua.
13. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, le Gouvernement et le peuple du Costa Rica
expriment à la Cour leur gratitude pour l’occasi on qui a été donnée à celui-ci d’être entendu. Je
tiens aussi à remercier de leur excellent travail le Greffe de la Cour ainsi que l’équipe des
interprètes et des traducteurs. Le CostaRica ré affirme sa pleine confiance en la Cour et assure
qu’il acceptera l’arrêt qui sera rendu. Cet arrêt de vrait aider les deux pays à construire un avenir
fraternel et pacifique. Monsieur le président, je vous remercie. - 67 -
Le PRESIDENT: Merci beaucoup, Monsieur l’ambassadeur. La Cour prend note des
conclusions finales dont vous nous avez donné lecture au nom de la République du Costa Rica. La
République du Nicaragua présentera le second tour des ses plaidoiries le jeudi 12 mars de 10 heures
69
à 13 heures. L’audience est suspendue jusqu’à jeudi.
L’audience est levée à 13 heures.
___________
Translation