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118-20080529-ORA-01-01-BI
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CrY

CR 2008/12 (traduction)

CR 2008/12 (translation)

Jeudi 29 mai 2008 à 10 heures

Thursday 29 May 2008 at 10 a.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT: Veuillez-vous asseoir. La séance est ouverte. La Cour se réunit

aujourd’hui pour entendre le deuxième tour de pl aidoiries de la Serbie en l’affaire relative à

l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie

c. Serbie). A la fin de la séance d’aujourd’hui, la Serbie présentera ses conclusions finales. La

Croatie présentera sa réplique orale demain, à 10 heures, puis ses conclusions finales à la fin de la

séance. Chaque Partie dispose d’un temps de parole de trois heures.

Je donne maintenant la parole à M. Varady, agent de la Serbie.

M. VARADY :

INTRODUCTION ET QUESTION DE L ’ACCÈS EN VERTU DU PARAGRAPHE 1 DE L ’ARTICLE 35

A. Introduction

1. Madame le président, Messieurs de la Cour. Ayant examiné les arguments et allégations

formulés par le demandeur lors du premier tour de plaidoiries, nous souhaiterions vous présenter

nos réponses. Selon nous, les arguments présentés par le demandeur ne réfutent pas, et ne sauraient

le faire, nos arguments démontrant que la C our n’a pas compétence en l’affaire. Voilà

probablement pourquoi, au lieu de présenter un f ondement convainquant à la compétence, le

demandeur n’a cessé d’insister sur son argument selon lequel, compte tenu de «l’importance

particulière de la convention de 1948», il ne serait «guère attrayant» 1—voire, d’une certaine

manière déplacé — de contester la compétence en la présente affaire.

2. Dès le premier jour de ses plaidoiries, le demandeur a indiqué que «la véritable cible de la

2
Serbie [était] l’arrêt rendu récemment par la Cour dans l’affaire de la Bosnie» . Il a ajouté qu’«il

serait exceptionnel et même étrange» 3et «bien étrange» 4 que la Cour ne se prononce pas de la

même manière sur la question de la compétence en la présente affaire et en l’affaire de la Bosnie. Il

1CR 2008/10, p. 29, par. 5-6 et p. 37, par. 25 (Sands).
2
CR 2008/10, p. 27-28, par. 2 (Sands).
3
CR 2008/10, p. 9, par. 8 (Šimonović).
4CR 2008/10, p. 9, par. 20 (Šimonović). - 3 -

a également souligné que faire droit aux arguments de la Serbie «causer[ait] d’énormes dommages

5
à l’état de droit au plan international et à la Cour» .

9 3. Madame le président, nous en sommes à la phase des exceptions préliminaires dans une

affaire en laquelle sont formulées des allégations de génocide, et nous ne pensons pas qu’il soit

déplacé de soumettre à votre attention notre convict ion et nos arguments démontrant que la Cour

n’a pas compétence en l’affaire. Oui, il s’agit d’ une affaire de génocide, laquelle revêt une gravité

particulière. Mais il s’agit aussi d’une affaire de génocide du point de vue du défendeur. Il s’agit

d’une affaire particulièrement grave pour les deux Parties.

4. Nous n’estimons pas que le fait que nous souhaitons procéder à un examen minutieux des

conditions juridiques relatives à la compétence en la présente affaire puisse causer un «énorme

dommage» à l’état de droit au plan international et à la Cour. Les règles régissant la compétence

ressortissent à l’état de droit. Nous ne voyons pas en quoi le nécessaire respect de ce principe nous

empêcherait d’examiner la question de savoir s’il existe un fondement juridique à la compétence en

la présente affaire.

5. De surcroît, notre cible n’est naturelle ment pas l’arrêt rendu «récemment» (2007) en

l’affaire de la Bosnie ni aucun autre arrêt en cette affaire. L’affaire de la Bosnie, laquelle portait

sur le plus grave des conflits de l’ex-Yougoslavie, est terminée. Notre «cible» est, bien entendu, la

présente instance — dont certains aspects sont liés à l’affaire de la Bosnie, sans pour autant être les

mêmes— et en laquelle les informations dont di spose la Cour sont radicalement différentes de

celles dont elle disposait en1996. Par ailleurs, en l’affaire de la Bosnie , certains des crimes

commis avaient déjà été qualifiés de génocide par le TPIY, avant qu’ils ne soient examinés par la

Cour et que cette qualification soit confirmée. En la présente affaire ⎯le TPIY n’ayant mis

personne en accusation pour un génocide qui aurait été commis en Croatie ⎯, cette qualification on

ne peut plus grave, qui était nécessaire pour que la Cour puisse se déclarer compétente, n’a pas été

étayée et apparaît excessive.

6. Le demandeur a également mis l’accent sur les liens existant entre les conflits en Bosnie et

en Croatie, s’attachant particulièrement à des conflits tels que celui de la ré gion de Prijedor. On ne

5
CR 2008/10, p. 39, par. 30 (Sands). - 4 -

saurait nier ⎯ et il n’y a aucune raison de le faire ⎯ qu’il existe un lien entre le conflit en Bosnie

et le conflit en Croatie, dès lors qu’il existe un lie n entre tous les conflits yougoslaves, y compris

celui de Slovénie. Toutefois, l’armée yougoslave et les prétendues aspirations à une Grande Serbie

ne sont certainement pas le seul lien. Dans un cer tain nombre de décisions rendues par le TPIY, il

a été établi que le conflit bosniaque avait impli qué «[l]’Etat indépendant de la République de

Croatie et son gouvernement, ses forces armées et représentants dans un conflit armé contre les

6
10 Musulmans de Bosnie sur le territoire de l’Etat indépendant de Bosnie-Herzégovine» [traduction

du Greffe]. Permettez-moi également d’indiquer que nous ne voyons pas comment la thèse de la

Croatie relative à la compétence pour génocide en la présente affaire pourrait être étayée par

l’existence d’un lien avec des conflits spécifiques qui se sont déroulés le long de la frontière entre

la Bosnie et la Croatie — tels que celui de la ré gion de Prijedor —, conflits dont la Cour a déjà dit

qu’ils n’étaient pas constitutifs de génocide.

7. Madame le président, je souhaiterais égal ement revenir brièvement sur quelques allusions

qui ont été faites au comportement du défendeur en la présente affaire. Cherchant à suggérer une

interprétation du comportement du défendeur, le demandeur établit un lien entre deux dates : celle

du mémoire et celle de notre notification d’adhésion à la convention sur le génocide. Il insinue

que, la notification de succession ayant été comm uniquée peu de temps après le mémoire, elle

aurait été motivée par celui-ci 7. Or, il est absolument évident que ce n’est pas par le mémoire du

er
1 mars2001 que le défendeur a été informé du fait que la Croatie le poursu ivait pour génocide.

Comme chacun sait, ce fait était connu depuis le mois de juillet 1999, date à laquelle a été déposée

la requête de la Croatie. La notification d’adh ésion à la convention sur le génocide n’a donc, de

toute évidence, pas été motivée par le mémoire. Elle a été effectuée après les importants

changements qui se sont produits au cours du mois d’octobre 2000 et a été suscitée par une lettre du

conseiller juridique en date du 8 décembre 2000, pa r laquelle celui-ci invitait la RFY à «accomplir,

si nécessaire, certaines formalités conventionnelles, s’agissant des traités en question, si son

6 TPIY, Le procureur c. Rajic, affaire n IT-95-12-S, chambre de première instance, j ugement du 8mai2006,
par. 66. La même conclusion a été formulée par les chambres de première instance dans les affaires Blaskic et Kordic (Le
procureur c. Blaskic, affaire nIT-95-14, jugement du 3mars2000, par.94 et Le procureur c. Kordic, affaire
no IT-95-14/2, jugement du 26 février 2001, par. 108-109).

7 CR 2008/10, p. 37, par. 26 (Sands). - 5 -

intention était d’assumer les droits et obligations juridiques pertinents en tant qu’Etat successeur»

[traduction du Greffe] 8. La convention sur le génocide était l’un des «traités en question».

Permettez-moi également de préciser que —bien que nous ne voyions pas l’importance que cela

pourrait avoir — la convention sur le génocide n’est pas le seul traité auquel la RFY a adhéré après

avoir été invitée à accomplir des formalités c onventionnelles si son intention était d’assumer

certains droits et obligations en la matière 9.

11 8. Un autre point que je souhaiterais abor der —dans le même ordre d’idées— est la

prétendue incohérence du défendeur. Il a été souligné que, entre 1992 et 2000, la RFY s’est

«absten[ue] de toute action» et qu’elle n’a pas contesté en 1996 la thèse selon laquelle elle était liée

10
par la convention sur le génocide , qu’elle «a agi en qualité de partie à un certain nombre de traités

auxquels l’ex-RFSY était partie», qu’elle a formulé une demande rec onventionnelle en l’affaire de

11
la Bosnie, qu’elle a déposé des requêtes contre des pays de l’OTAN en 1999 . Il a par ailleurs été

indiqué que la Croatie «avait le droit de faire fond sur la position adoptée par la RFY».

9. Madame le président, c’est un fait établi que, entre 1992 et 2000, la position de la RFY

était influencée par une conception po litique qui s’est révélée erronée. Il est également vrai que le

fait de se fonder sur cette conception, sans teni r compte de la position adoptée par la communauté

internationale, relevait de l’obstination. Mais il est tout aussi vrai que la position de la RFY — qui

s’est finalement révélée erronée — n’était pas une manŒuvre tactique conçue à des fins judiciaires.

En effet, la RFY s’en tenait à la thèse de la con tinuité, même lorsque cela allait à l’encontre de ses

intérêts —comme cela fut le cas lors de la phase des exceptions préliminaires en l’affaire de la

Bosnie. Elle campait sur sa position en dépit du fa it que cela l’a empêchée de devenir membre de

8Lettre datée du 8décembre2000, adressée au ministère des affaires étrangères de la République fédérale de
Yougoslavie par le conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies, dossier de plaidoiries, onglet 5.
9
Parmi les autres conventions figurent, par exemple, la convention culturelle européenne; la convention
européenne pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous conditions ; la convention de la pharmacopée
européenne ; la convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger ; la convention européenne
sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matches de football ;
la convention contre le dopage; la convention douanière relative à l’importa tion temporaire des emballages; la
convention douanière relative au matériel de bien-être destiné aux gens dmer; la convention douanière relative aux
facilités accordées pour l’importation de marchandises destinées à être présentées ou utilisées à une exposition, une foire,

un congrès ou une manifestation similaire ; la convention établissant le conseil de coopération douanière et son annexe ;
et la convention internationale de 1974 sur la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers.
10CR 2008/10, p. 20, par. 12 (Metelko-Zgombic).

11Ibid., p. 25, par. 37 (Metelko-Zgombic). - 6 -

l’Organisation des NationsUnies, ainsi que de nom breuses autres organisations internationales, et

de devenir partie à des traités.

10. Il est également établi que, après que d es centaines de milliers de manifestants ont

provoqué un changement de régime en octobre2 000, la RFY a finalement pris note de ce que la

thèse de la continuité n’était pas acceptée. Le nouveau gouvernement a alors agi sur la base de ce

qu’il considérait comme la réalité et toutes les conséquences en ont été tirées. La compétence de la

Cour a été contestée sur le fondement de la nouvelle approche en l’affaire de la Bosnie, ainsi qu’en

la présente affaire en laquelle la RFY est le défendeur. Cette même conception a par ailleurs

également été présentée à la Cour en l’affaire de la Licéité de l’emploi de la force , en laquelle la

RFY était le demandeur, et nous avons retiré notre demande reconventionnell e en l’affaire de la

Bosnie. A chaque fois, quel qu’ait été notre rôle ou notre situation, nous avons présenté la même

thèse, tant devant la Cour que devant d’autres autorités.

11. Certes, il est vrai que la thèse et les arguments que nous avons toujours présentés

diffèrent de ceux qu’avançait par l’ancien Gouvernement de la RFY. Permettez-moi cependant de

12 souligner que, là encore, il ne s’agissait pas d’une manŒuvre tactique, et que le changement du

mois d’octobre2000 n’était pas un simple change ment de gouvernement. C’était un changement

fondamental qui a conduit le pays à reconsidérer les fondements mêmes de son fonctionnement.

12. Par opposition, le manque de cohérence de la position adopt ée par la Croatie devant la

Cour et en-dehors est flagrant. Dans son cas, ledit changement ne résulte pas d’événements

importants. Des positions différentes ont été adoptées en même temps, au gré des buts poursuivis.

La Croatie avance désormais qu’e lle «avait le droit de faire f ond sur la position adoptée par la

RFY», lorsqu’elle a déposé sa requête en 1999. Or, un mois environ avant d’introduire sa requête

—laquelle était fondée sur l’hypothèse que la Cour était ouverte à la RFY—, la Croatie s’est

catégoriquement élevée, le 27mai1999, contre la déclaration faite par la RFY en vertu du

paragraphe2 de l’article36 du Statut, soulignant que cette dernière «ne pouvait pas assumer

automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies», et que, partant, elle - 7 -

ne pouvait pas être partie au Statut. Il était ajouté que la RFY essayait «délibérément…de faire

12
croire de façon erronée» qu’elle était partie au Statut .

13. Madame le président, cette position adoptée par la Croatie n’était ni fondée ni cohérente.

Au lieu de faire fond sur la «position adoptée pa r la RFY», la Croatie a saisi la moindre

occasion ⎯ à l’exception de la présente affaire ⎯ pour nier et contester «la position adoptée par la

RFY». La Croatie a appuyé la résolution 47/1, laquelle écartait la thèse de la continuité formulée

par la RFY. Depuis lors, et jusqu’à aujourd’hui, la Croatie a nié la thèse de la continuité devant les

13
organisations internationales qui étaient à même de trancher la question de la qualité de Membre, à

savoir l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle a plaidé contre la

13
qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies de la RFY , et contre sa qualité de partie à

certains traités 14. Elle a également soutenu et insisté sur le fait que la RFY n’était pas partie au

Statut 15.

14. Permettez-moi de souligne r de nouveau que la différence entre la position de la Croatie

en la présence affaire et celle qu’elle a adoptée en de nombreuses autres occasions ne résultait ni de

changements politiques fondamentaux ni d’inform ations nouvelles dont il aurait fallu tirer les

conséquences. Cette différence est simplement liée aux intérêts de la Croatie en la présence affaire,

lesquels diffèrent de ceux qu’elle avait toutes les autres fois que la question s’est posée de savoir si

la RFY assurait ou non la continuité de l’ex-You goslavie en tant que membre d’organisations

12Lettre datée du 27mai1999, adressé e au Secrétaire général par les représentants permanents de la
Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Slovénie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine auprès de
l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. A/53/992 (7juin 1999) ; dossier de plaidoiries, onglet 4.

13Voir, par exemple, la lettre daté e du 16 février 1994, adressée au Secrét aire général par le représentant
permanent de la Croatie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, document S/1994/1998

(19 février 1994).
14Voir par exemple, la lettre datée du 24 mai 1995, adressée au président de la Commission des droits de

l’homme par le Chargé d’affaires par intérim de la mission permanente de la Croatie auprès de l’Office des Nations Unies
à Genève, Nations Unies, doc. E/CN.4/1996/134 (1996); la note verbale datée du 20 avril 1998, adressée à la
Commission des droits de l’homme par la mission permanente de la Bosnie Herzé govine auprès de l’Office des Nations
Unies à Genève, lettre c onjointe de la Bosnie Herzégovine, de la Croatie, de la Macédoi ne et de la Slovénie, Nations
Unies, doc. E/CN.4/1998/171; l’aide mémo ire de la mission permanente de la Croatie daté du 23 août 1993, Nations
Unies, doc. S/26349(1993); la note verbale datée du 14 janvier 1994, adressée au Secrétaire général par la mission
permanente de la République de Croatie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc.CERD/SP/51
e
(1994) ; le procès-verbal de la 18réunion des Etats parties au pacte internati onal relatif aux droits civils et politiques du
16 mars 1994, Nations Unies, doc. CCPR/SP/SR.18 (1994) ; le procès-verbal de la 19 réunion des Etats parties au pacte
international relatif aux droits civils et politiques du 9 décembre 1994, Nations Unies, doc. CCPR/SP/SR.19 (1994).
15
Voir, par exemple, la lettre datée du 27 mai 1997, ad ressée au Secrétaire général par les représentants
permanents de la Bosnie Herzégovine, de la Croatie, de la Slovénie et de l’ex-République Yougoslave de Macédoine
auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. A /53/992 (7 juin 1999). - 8 -

internationales et quel était son statut conventio nnel. La Croatie n’a pas accepté la thèse de la

continuité et ne s’est pas fondée sur elle.

B. Absence d’accès en vertu du paragraphe 1 de l’article 35

B.1. La RFY n’avait pas accès à la Cour lorsque la requête a été introduite puisqu’elle n’était

pas partie au Statut

15. Madame le président, je vous avouerai qu’il est un peu difficile de croire qu’après avoir

rejeté pendant des années de manière catégori que toute manifestation —même indirecte— de

continuité de la qualité de Membre de la RFY au sein de l’Organisation des Nations Unies, au sein

d’autres organisations internationales et à l’égard de certains traités, la Croatie puisse aujourd’hui

alléguer que la RFY était d’une certaine manière partie au Statut. A maintes reprises, la Croatie a

affirmé et insisté sur le fait que la RFY n’éta it autre que l’un des «cinq Etats successeurs égaux».

Elle a adressé des lettres au Secrétaire général en soulignant que la RFY n’était pas partie au Statut.

Alors que cette position est désormais acceptée par tout le monde —y compris la RFY

14 elle-même—, la Croatie prétend-elle vraiment que la RFY n’était pas l’un des cinqEtats

successeurs égaux? La Croatie prétend-elle r éellement, comme elle l’a indiqué, que tous ses

16
efforts pour s’élever contre le statut particulier ont échoué
, alors même que tout le monde a

accepté la position qu’elle défendait ?

16. Le demandeur nous renvoie aujourd’hui à la lettre de 1992 du Con seiller juridique, dans

laquelle il était fait référence à la résolution 47/1 de l’Assemblée générale et qui se lit comme suit :

«[D]’un autre côté, la résolution ne met fin ni ne suspend la qualité de Membre de l’Organisation

de la Yougoslavie.» 17 [Traduction du Greffe.]

17. Or, dans le même temps, il a été pr écisé que la «Yougoslavie», dont la qualité de

Membre n’était ni terminée ni suspendue, n’était pas la RFY, mais l’ex-Yougoslavie. Cela a été

clairement et catégoriquement souligné par la Croatie. Par exemple, dans la lettre datée du

2août1995, adressée au Secrétaire général par le Chargé d’affaires par intérim de la Mission

permanente de la Croatie auprès de l’Organisati on des Nations Unies, il était indiqué : «Pour nous,

16
CR 2008/11, p. 22, par. 8 (Sands).
17Lettre en date du 29 septembre 1992, adressée aux représentants permanents de la Bosnie-Herzégovine et de la
Croatie auprès de l’Organisation des Nations Unies par le sous-secrétai re général, le conseiller juridique, NationsUnies,
doc. A/47/485 (30 septembre 1992). - 9 -

lorsqu’on parle de ‘Yougoslavie’ en tant qu’Etat dans le cadre de l’ONU, il ne peut s’agir que de

l’ex-République fédérative so cialiste de Yougoslavie, Etat Membre fondateur de

18
l’Organisation…» Non seulement la Croatie considéra it que la dénomination «Yougoslavie» ne

pouvait être interprétée que comme renvoyant à l’ex-Yougoslavie, mais elle défendait cette thèse et

insistait dessus.

18. Cette interprétation a été larg ement confirmée; ainsi, dans l’ Annuaire 1998 de

l’Organisation des Nations Unies était publiée une «l iste [officielle] des Nations Unies», liste dans

laquelle figurait la «Yougoslavie» et dans laquelle était indiqué en termes clairs et simples que ce

19
nom «renvo[yait] à l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie» [traduction du Greffe].

M.Sands se réfère désormais aux Annuaires de la Cour. Entre 1992 et 2000, ceux-ci faisaient

figurer la «Yougoslavie» en tant que Membre, tout en ajoutant le qualificatif déterminant de

Membre originaire— ce qui ne peut renvoyer qu’à l’ex-Yougoslavie.

19. Quand bien même des doutes auraient subsisté , ils auraient été dissipés par le Secrétaire

général, lequel a indiqué dans sa lettre datée du 27décembre2001, adressée au président de

l’Assemblée générale :

«J’ai l’honneur de me référer à la réso lution55/12 de l’Assemblée générale en
date du 1 enovembre2001, par laquelle l’Asse mblée a décidé d’admettre la

République fédérale de Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies.

15 Cette décision a mis fin ipso facto à la qualité de Membre de l’Organisation de
20
l’ex-Yougoslavie, qui avait été admise en 1945.»

La dénomination «Yougoslavie» ne renvoyait donc pas au défendeur en la présente affaire.

20. Madame le président, après bien des hésitations et des tergiversations, une position claire

et sans ambigüité a été adoptée par toutes les autor ités internationales compétentes — y compris la

Cour. La RFY n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies ni partie au Statut avant le

er
1 novembre 2000. Il n’existe tout simplement aucune raison ⎯ et aucun raisonnement logique —

qui pourrait aujourd’hui nous faire revenir à la situ ation juridique qui était, ainsi que vous l’avez

18
Lettre en date du 7 août 1995, adressée au Secrétaire géné ral par le Chargé d’affaires par intérim de la mission
permanente de la Croatie auprès de l’Organisation des NationsUnie s, NationsUnies, doc.A/53/333-S/1995/659
(7 août 1995).
19Annuaire de l’Organisation des Nations Unies, 1998, p. 1420, note de bas de page 9.

20Lettre datée du 27décembre2001, adressée au président de l’Assemblée générale par le Secrétaire général,
Nations Unies, doc. A/56/767 (9 janvier 2002) ; c’est moi qui souligne. - 10 -

indiqué, «ambiguë et ouverte à des appréciations dive rgentes». La RFY n’était pas partie au Statut

et n’avait pas accès à la Cour en juillet 1999.

B.2. Le défendeur n’avait pas accès à la Cour à l’époque considérée ⎯ et la Cour n’a pas non

plus été saisie de manière valable

21. Madame le président, Messieurs de la Cour, le fait que le défendeur n’était pas partie au

Statut lorsque la requête a été déposée ne conduit pas seulement à conclure que la Cour n’était pas

ouverte au défendeur, mais signifie également que la Cour n’a pas été vala blement saisie, qu’elle

n’a pas acquis la compétence de la compétence.

22. Dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , la Cour a jugé que le

demandeur «n’aurait pu saisir la Cour de manière valable» ( Licéité de l’emploi de la force

(Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.299,

par. 46) 2, parce qu’il n’était pas partie au Statut et n’ avait pas le droit d’ester devant la Cour.

Celle-ci n’avait pas acquis la compétence pour se prononcer sur la compétence.

23. La situation est identique en l’espèce. Il est généralement accepté qu’une saisine valable

peut être effectuée soit par notification conjointe so it de manière unilatérale. En l’espèce, il s’agit

d’une saisine unilatérale. La Croatie avait bien accès à la Cour au moment pertinent. Mais les

conditions d’une saisie unilatérale dans un différend donné ne sont jamais indépendantes de l’autre

Partie à ce différend. On ne saurait tout simplement faire fi des qualités de l’autre Partie. Sinon,

16 un Etat, partie au Statut, pourrait aussi saisir valablement la Cour d’une affaire contre un organisme

non étatique ou celle-ci pourrait être saisie d’une instance contre un Etat qui ne relève pas du

champ d’application de son autorité judiciaire.

24. M. Crawford a fait valoir qu’«[u]ne instan ce avait été dûment introduite devant la Cour

par la Croatie, et [qu’]il y avait donc saisine» 22. Il s’agit en l’espèce d’une saisine unilatérale.

Mais la saisine unilatérale ne peut se réduire à une partie prenant la parole devant la Cour. Ce

simple fait apparaît clairement dans l’affaire Nottebohm (Liechtenstein c.Guatemala), exception

préliminaire, arrêt, C.I.J.Recueil1953 ), dans laquelle la question éta it de savoir si la déclaration

21
On trouve exactement le même texte dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force : au paragraphe 45 dans les affaires concernant la France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le
Portugal et au paragraphe 44 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni.
22
CR 2008/11, p. 34, par. 8 (Crawford). - 11 -

du Guatemala (le défendeur) en vertu du paragraphe2 de l’ article36 permettait de saisir

valablement la Cour de manière unilatérale, compte tenu du fait qu’elle avait expiré après le dépôt

de la requête. Dans cette affaire, même le fait que les deux parties au différend étaient parties au

Statut n’a pas été considéré comme suffisant pour que la saisine soit valable. La Cour a cherché à

savoir si le défendeur remplissait d’autres conditions préalables et a indiqué : «Il est incontestable

qu’une requête déposée après l’expiration de cette période [celle de la validité de la déclaration du

Guatemala] n’aboutirait pas à saisir valablement la Cour.» ( Ibid., p.121.) Il ne suffisait pas que

l’affaire ait été «dûment introduite» par le dema ndeur. Le défendeur de vait remplir certaines

conditions préalables. L’arrêt Nottebohm a précisé la pertinence du statut du défendeur pour la

saisine. Il a aussi clairement indiqué que le mo ment pertinent pour juger les conditions préalables

de la saisine est celui du dépôt de la requête.

25. Une saisine valable signifie simplement la compétence de la compétence. Mais ce serait

contradictio in adiecto de parler de compétence de la compét ence dans une situation dans laquelle

la Cour n’a pas compétence pour présumer sa compétence. La Cour ne saurait être valablement

saisie, elle ne saurait avoir la compétence de la compétence, si l’une des parties au différend n’est

pas partie au Statut, si elle ne relève pas du champ d’application de la compétence de la Cour.

26. Il ne fait aucun doute qu’une saisine valable a des conséquences à la fois pour le

demandeur et pour le défendeur ⎯ et cela suppose qu’ils sont parties au Statut, qualité qui

constitue le point d’ancrage des effets de la pr océdure. L’existence de cette hypothèse a été

précisée dans l’arrêt rendu sur la compétence et la recevabilité en l’affaire de la Délimitation

maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), dans laquelle la Cour

a indiqué : «Une fois la Cour valablement saisie, les conséquences procédurales que le Statut et le

17 Règlement attachent au mode de saisine utilisé s’imposent aux deux Parties.» ( arrêt,

C.I.J. Recueil 1995, p. 24, par. 43.)

27. C’est assurément exact mais cela suppo se manifestement que les deux Etats soient

parties au Statut et, donc, qu’ils puissent être par ties à une affaire particulière soumise à la Cour.

Sinon, «les conséquences procédurales que le Statut et le Règlement attachent au mode de saisine

utilisé» ne s’imposeraient pas à eux. Il est géné ralement accepté que la saisine qui produit la

compétence de la compétence découle du Statut. Mais cela signifie également que l’Etat à l’égard - 12 -

duquel la compétence est revendiquée ⎯ et éventuellement établie ⎯ doit relever du champ

d’application du Statut. La Cour ne saurait avoir la compétence de la compétence si une partie au

différend n’est pas partie au Statut. Cette simple proposition a été reconnue comme un principe de

base dans l’affaire relative à l’ Incident aérien du 27 juillet 1955 , dans laquelle la Bulgarie était le

défendeur, et dans laquelle la Cour a indiqué: «[l] e Statut de la présente Cour ne pouva[i]t

entraîner d’obligation pour la Bulgarie qu’à partir de l’admission de celle-ci aux Nations Unies…»

(Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c. Bulgarie), arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 143).

28. Madame le président, Messieurs de la Cour, les Etats souverains parties au S
tatut ont

l’obligation de respecter la compétence de la compétence de la Cour à leur égard, dans les

conditions établies par le Statut. De même, la Cour n’est pas compétente pour juger de sa

compétence si l’un des Etats parties au différend ne relève pas du domaine de son autorité

judiciaire.

29. Nous avons déjà démontré que cette conclu sion simple et incontournable a reçu un large

soutien digne de foi. L’une des manifestations les plus évidentes de ce soutien apparaît dans les

affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, dans lesquelles la Cour précise on ne peut plus

clairement que l’accès a un caractère fondamental, qu’il est une condition préalable à la fonction

judicaire et donc, également, à la compétence. Elle a indiqué: «La Cour ne peut exercer sa

fonction judiciaire qu’à l’égard des seuls Etats auxque ls elle est ouverte en vertu de l’article 35 du

Statut. Et seuls les Etats auxquels la Cour est ouverte peuvent lui conférer compétence.» ( Licéité

de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt,

23
C.I.J. Recueil 2004, p. 299, par. 46.)

18 30. C’est parfaitement logique, puisque l’accès est bien une condition préalable à une saisine

valable en même temps qu’à la compétence. Ce tte position évidente ne saurait être interprétée

autrement que comme applicable tant au demandeur qu’au défendeur. La Cour ne peut exercer sa

fonction judiciaire à l’égard des parties qui ne relèvent pas du domaine d’application de sa fonction

judiciaire, à l’égard de celles qui n’ont pas accès à elle.

23
On trouve exactement le même texte dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force : au paragraphe 45 dans les affaires concernant la France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le
Portugal et au paragraphe 44 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 13 -

31. La même proposition simple et claire est également mise en évidence par Rosenne.

Partant de l’hypothèse que la capacité d’être pa rtie à des affaires contentieuses n’est réservée

qu’aux seuls Etats, Rosenne ajoute et souligne que :

«Cette qualité d’Etat doit être comp létée par des conditions de forme qui
établissent un lien juridique entre l’Etat et le Statut de la Cour… Seul un Etat qui

remplit l’une de ces conditions de forme a accès à la Cour quel que soit son objectif et
sa qualité. La Cour ne saurait connaître d’un e affaire contentieuse à l’encontre d’un
Etat défendeur qui n’est pas tout aussi qualifié.» 24 [Traduction du Greffe.]

32. Madame le président, nous avons cité la Cour qui indiquait, dans les affaires relatives à la

Licéité de l’emploi de la force qu’elle «ne p[ouvai]t exercer sa fo nction judiciaire qu’à l’égard des

seuls Etats auxquels elle [était] ouverte en vertu de l’article 35 du Statut» ( C.I.J. Recueil 2004,

p. 299, par. 46) 25. La question constituait donc un problème essentiel et c’est exactement le même

qui se pose en l’espèce. La Cour ne peut exercer sa fonction judiciaire ⎯ ce qui signifie aussi

qu’elle peut être correctement saisie ⎯ que dans un différend entre des Etats qui, tous deux, ont

accès à elle en vertu de l’article 35 du Statut. En l’espèce, l’une des Parties n’avait pas accès à la

Cour au moment du dépôt de la requête. En l’espèce, la saisine n’était pas valable.

B.3. Le «principe Mavrommatis» n’est pas applicable en l’espèce

33. M. Crawford a fait valoir dans sa plaidoirie d’hier que les condi
tions préalables à la

compétence ne devaient pas nécessairement être toutes réunies au moment du dépôt de la requête,

19 en supposant que la Cour avait été valablement saisi e. Il faisait notamment référence à l’affaire

26
Mavrommatis , dans laquelle il a effectivement été jugé que l’on ne saurait débouter une partie

pour un vice de forme qui existait au moment du dépô t de la requête et auquel il peut être aisément

remédié.

34. Je souhaiterais dire, tout d’abord, que la conclusion avancée par le demandeur est fondée

sur l’hypothèse que la Cour a été valablement saisie. Cette hypothèse n’existe tout simplement pas

24
S. Rosenne, The Law and the Practice of the International Court, 1920-2005 , 2006, Martinus Nijhoff
(dir. publ), Leiden, Boston, p. 588.
25
On trouve exactement le même texte également dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives
à la Licéité de l’emploi de la forc: au paragraphe 45 dans les affaires concer nant la France, le Canada, l’Italie, les
Pays-Bas et le Portugal et au paragraphe 44 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni.
26 o o
Concessions Mavrommatis en Palestioe, arrêt n 2, 1924, C.P.J.o. série A n 2 ; Certains intérêts allemands en
Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n6, 1925, C.P.J.I. sérieA n 6 ; Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicar agua cE.tats-Unis d’Amérique), compétence et recev abilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984 ; Application de la convention pour la préventi on et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II). - 14 -

dans la présente instance. Nous avons démontré que la Cour n’a pas été, en l’espèce, valablement

saisie. Mais il existe une autre difficulté. On ne saurait toujours faire abstraction d’un vice de

forme compte tenu de l’évolution ultéri eure. Celui dont nous parlons à présent ⎯ l’absence

d’accès ⎯ est d’une telle nature que l’on ne peut y re médier de la sorte. Nous voudrions apporter

d’autres arguments à l’appui de cette idée.

35. Les auteurs sont nombreux à soutenir que le moment du dépôt de la requête est la date

critique de la saisine et du titre juridictionnel. Comme l’a précisé Fitzmaurice, «[l]a saisine établit

27
la date critique pour l’efficacité du titre juridictionnel» [traduction du Greffe]. Shihata a souligné

exactement la même idée en indiquant : «[l]a saisi ne a un lien direct avec la compétence quant au

fond en ce qu’elle établit la date critique pour l’effi cacité du titre juridictionnel dont il est fait état

dans une affaire donnée.» 28 [Traduction du Greffe.]

36. Madame le président, la Croatie fait valo ir que, une fois que la Cour a été valablement

saisie par le demandeur, il est devenu possible d’établir ultérieurement la compétence à l’égard du

défendeur, après que celui-ci eut obtenu l’accès à la Cour. Cette interprétation est sans fondement

dans le cadre de la présente inst ance. Tout d’abord, le postulat de départ est faux. On ne saurait

dire que, en l’espèce, puisque la Cour a été valablement saisie au moment du dépôt de la requête, il

peut être porté ultérieurement remède à d’autres vices de forme. On ne saurait le dire car, comme

nous venons de le démontrer, la Cour n’a pas été valablement saisie au moment où la requête a été

déposée.

20 37. En outre, il existe bien des affaires dans lesquelles il a été remédié à un vice de forme au

vu de l’évolution ultérieure, mais il ne s’agit là en aucun cas d’une règle générale. Nous avons déjà

cité de nombreux exemples venant étayer le princi pe selon lequel la date pertinente est bel et bien

celle de la requête. Permettez- moi d’ajouter un seul autre exemple digne de foi à l’appui de cet

argument. Dans l’affaire de Lockerbie, la Cour a indiqué: «La date du 3 mars1992 à laquelle la

Libye a déposé sa requête est en effet la seule date pertinente aux fins d’apprécier la recevabilité de

celle-ci.» ( Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971

27
G, Fitzmaurice. «The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1951-4: Questions of
Jurisdiction, Competence and Procedure», BYBIL, vol. 34, 1958, p. 18.
28F.I. Shihata, The Power of the International Court to Deteine its Own Jurisdiction (Compétence de la
Compétence), La Haye, Martinus Nijhoff, 1965, p. 88. - 15 -

résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique),

exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 26, par. 44.)

38. Madame le président, permettez-moi de soulever une question évidente: pourquoi les

affaires citées par M. Crawford ⎯ Mavrommatis, Haute-Silésie et Nicaragua ⎯ n’ont-elles pas été

tranchées de la même façon que les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ? Dans

toutes les affaires qu’il a citées, où la Cour a permis de remédier à un vice de forme initial, celui-ci

était le fait du demandeur ⎯ ou était aussi le fait du demandeur, comme dans l’affaire

Mavrommatis.

39. Pourquoi ces affaires ont-elles alors été jugées différemment des affaires relatives à la

Licéité de l’emploi de la force ? Ce n’est manifestement pas parce que le vice de forme concernait

une partie différente. Que ce soit dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ou

dans celles que cite le demandeur, cela concernait la même partie. Il existait manifestement une

autre raison qui justifiait de traiter les affairesdifféremment. La raison est que, dans les affaires

relatives à la Licéité de l’emploi de la force, le problème était d’une autre nature et le vice de forme

était bien plus fondamental que dans les affaires citées par le demandeur.

40. C’est précisément cette nature fondamentale du vice de forme qui a conduit la Cour à

conclure, dans les affaires relatives à Licéité de l’emploi de la force , qu’elle ne pouvait exercer sa

fonction judiciaire si une partie ⎯ il s’agissait là du demandeur ⎯ n’avait pas accès à la Cour au

moment où la requête avait été déposée . Elle l’a formulé ainsi: «La question de savoir si la

Serbie-et-Monténégro était ou non partie au Statut de la Cour à l’époque de l’introduction des

29
présentes instances est une question fondamentale.» ( Licéité de l’emploi de la force

(Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.293,

par.30.) Cet exactement la même question fondamentale qui se pose à nous à présent en ce qui

concerne le statut de ce même Etat.

21 41. Permettez-moi d’indiquer que, si «un remède simple» était justifié en ce qui concerne

l’absence d’accès, cette solution aurait dû s’imposer dans les affaires relatives à la Licéité de

l’emploi de la force. S’il était possible de ne pas tenir compte de la gravité particulière du vice de

29
On trouve exactement le même texte dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force: au paragraphe 29 dans les affaires concernant la France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le
Portugal et au paragraphe 28 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 16 -

forme et de son importance en ce qui concerne la fonction judiciaire de la Cour, quod non, tel aurait

dû être également le cas dans lesdites a ffaires. La Serbie-et-Monténégro est effectivement devenue

partie au Statut après que la requête eut été soum ise et avant que la Cour se soit prononcée sur la

compétence.

42. Mais, dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , la Cour n’a pas

indiqué que le dépôt d’une nouvelle requête pouvait aisément remédier au vice de forme et que l’on

pouvait donc passer outre à celui-ci ⎯ ainsi que cela a été dit dans les affaires citées par la Croatie.

La Cour n’a pas dit cela, elle a insisté en revanche sur le fait que le moment pertinent est celui de

l’introduction de l’instance. Cette position est clai rement justifiée par la nature fondamentale du

vice de forme et c’est précisément la manière dont la Cour l’a justifiée. En l’espèce, il s’agit

exactement du même vice de forme. Quod ab initio vitiosum est, tr actu temporis convalescere
30
nequit .

43. Madame le président, la liberté n’est pas sans limites. Dans les affaires relatives à la

Licéité de l’emploi de la force , la Cour a mentionné, avec approbation, des affaires dans lesquelles

elle avait décidé que «lorsque sa compétence [éta it] contestée pour différents motifs, elle [était]

libre de baser sa décision sur un ou plusieurs motifs de son choix» ( Licéité de l’emploi de la force

(Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.299,

par. 46) 31, mais elle a ajouté que ce raisonnement ne s’applique pas lorsque l’absence d’accès est

l’un des motifs pour lesquels la compétence est contestée. La C our a précisé que les affaires qui

offrent la liberté de choisir le motif sur lequel une décision sur la compétence est fondée sont toutes

des affaires dans lesquelles les parties étaient, «à n’en pas douter, parties au Statut de la Cour et, de

ce fait, celle-ci leur était ouverte en vertu du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut» ( ibid., p. 298,

par.46). La Cour a indiqué que cette souplesse ne s’applique pas lorsque l’absence d’accès est

invoquée car «c’est cette question de l’accès à la Co ur qui distingue la présente affaire de toutes

celles qui sont mentionnées ci-dessus» (ibid., p. 298-299, par. 46).

30D. Paul, 50, 17, 29 ⎯ La Catoniana Regula.

31On trouve exactement le même texte également dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives
à la Licéité de l’emploi de la forceau paragraphe 45 dans les affaires concer nant la France, le Canada, l’Italie, les
Pays-Bas et le Portugal et au paragraphe 44 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 17 -

22 44. Et il s’agit là, j’insiste, de la question qui distingue notre affaire de celles que la Croatie a

citées. La question de savoir si un Etat a accès à la Cour, ⎯ et donc, s’il relève du domaine de la

fonction judiciaire de la Cour ⎯, précède simplement les autres. C’est logique car, en exerçant sa

fonction judiciaire, la Cour peut, bien évidemment , choisir librement entre différentes méthodes de

raisonnement, elle peut également décider d’accep ter qu’il soit porté remède à certains vices de

forme, mais cette souplesse ne s’applique pas lorsque la question est de savoir si la Cour peut ou

non exercer seulement sa fonction judiciaire.

45. Madame le président, Messieurs de la C our, que nous envisagions la question de l’accès

dans le cadre de la saisine ou d’une autre manière, le résultat est le même ⎯ et il montre qu’il n’y a

pas compétence en l’espèce. Il n’y a pas compéten ce, car le défendeur n’avait pas accès à la Cour,

la Cour n’a pas été valablement saisie et, par conséquent, elle n’est pas dotée de la compétence de

la compétence. En outre, l’absence d’accès est un vice de forme d’une nature si fondamentale qu’il

ne peut y être remédié «tractu temporis».

Je vous remercie et vous prie de bien vouloir donner à présent la parole à mon collègue

Vladimir Djerić.

Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur Varady, j’appelle maintenant à la barre

M. Djerić.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Varady. Je donne maintenant la parole à

M. Djerić.

DJME.RI Ć :

L’ACCÈS DU DÉFENDEUR À LA COUR AU TITRE DU PARAGRAPHE 2
DE L’ARTICLE 35 DU STATUT

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’examinerai quant à moi la question de

«l’accès du défendeur à la Cour au titre du paragr aphe2 de l’article35 du Statut». Hier,

M. Crawford nous a soutenu que le défendeur ava it qualité pour ester devant la Cour à ce titre, au

motif que la convention sur le génocide devait êt re considérée comme un «traité en vigueur» au

sens de cette disposition. Je dois dire que jbeaucoup apprécié sa brillante présentation et les - 18 -

efforts qu’il a déployés pour convaincre la Cour de revenir sur les arrêts récemment rendus par elle

au sujet de la Licéité de l’emploi de la force , dans lesquels elle avait c onclu précisément l’inverse.

Mais, avec tout le respect dû à mon éminent contra dicteur, l’enchantement d’hier s’est dissipé à

l’examen attentif de ses arguments — exam en dont je me propose de vous rendre compte

maintenant.

32
23 2. A titre liminaire, permettez-moi de dire que, n’en déplaise au demandeur , la question du

paragraphe2 de l’article35 a bel et bien été a bordée dans le cadre des exceptions préliminaires

soulevées dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, ainsi qu’il ressort des arrêts

eux-mêmes (voir, par exemple, Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),

exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 316-317, par. 96-97 (ci-après : «Licéité de

l’emploi de la force»)).

3. Selon le demandeur, le membre de phrase «traités en vigueur» est clair et signifie «les

traités en vigueur à la date …à laquelle l’ «autre» Etat vient à ester devant la Cour» 3. Le

demandeur poursuit en ces termes : «un traité ne sau rait être invoqué à moins d’être en vigueur au

moment où il est invoqué» 34. Mais s’il en allait réellement ainsi, les mots «en vigueur» seraient

superfétatoires: pourquoi ne pas se contenter du terme «traités», si un traité «ne saurait être

invoqué à moins d’être en vigueur» ? En outre, si l’expression «en vigueur» était effectivement à

interpréter comme signifian t simplement en vigueur au moment présent , pourquoi utiliser, au

paragraphe5 de l’article36 du Statut, le mot «encore» (les italiques sont de nous). Il semblerait

que l’expression «en vigueur» puisse, dans des c ontextes différents, avoir des significations

différentes — et ne se résume pas à celle que lui prête le demandeur.

4. Tel est du reste le constat que fait la Cour dans les affaires relatives à la Licéité de

l’emploi de la force, lorsqu’elle écrit que «l’expression «traités en vigueur» [dans] son sens naturel

et ordinaire, ne fournit pas d’indication quant à la date à laquelle les traités visés doivent être en

vigueur, et par conséquen… tpeut être interprétée de différentes manières» ( arrêt,

C.I.J. Recueil 2004, p. 318, par. 101).

32CR 2008/11, p. 39, par. 23 (Crawford).
33
Ibid., p. 40, par. 26 (Crawford).
34Ibid., p. 41, par. 27 (Crawford). - 19 -

5. Le paragraphe2 de l’article35 est une exception à la règle générale énoncée au

paragraphe1 de cet artic le, qui dispose que la Cour est ouverte aux Etats parties au Statut. Il

constitue une exception parce qu’il autorise d’autres Et ats, non parties au Statut, à ester devant la

Cour dans les conditions réglées par le Conseil de sécurité. Cette exception en renferme une

seconde —la précision «sous réserve des dispositions particulières des traités en vigueur». Si ce

membre de phrase devait être interprété comme l’envisage le demandeur, la règle énoncée au

paragraphe2 de l’article35 serait complètement superflue. Or , une expression, dans un texte

juridique, ne saurait être interpré tée dans un sens qui rendrait complè tement superflu le reste de la

disposition. Dans la logique de l’interprétation avancée par le demandeur, la Cour serait ouverte

24 aux Etats non parties au Statut qui auraient simplement conclu un traité prévoyant sa compétence et

qui échapperaient de ce fait aux cond itions et procédures prévues par la Charte et par le Statut. Le

reste du paragraphe2 de l’article35 du Statut serait dès lors sans objet; si l’on retenait

l’interprétation proposée par le demandeur, cela priverait de toute assise le paragraphe2 de

l’article 93 de la Charte.

6. Echappant aux conditions d’accès prévues au paragraphe 2 de l’article 93 de la Charte et

au paragraphe 2 de l’article 35 du Statut, les Etats non parties au Statut ne pourraient être astreints à

se conformer aux décisions rendues par la Cour dans des affaires auxquelles ils seraient parties ; en

outre, en cas de non-respect, le Conseil de sécurité ne pourrait être saisi. Ce serait là aller à

l’encontre d’une pratique ancienne et constante voulant que les Etats non membres de

l’Organisation des Nations Unies désireux d’ester devant la Cour — que ce soit en devenant parties

au Statut ou dans les conditions réglées par le Conseil de sécurité— sont tenus d’accepter toutes

les obligations incombant aux Membres de l’ Organisation des NationsUnies en vertu de

l’article 94 de la Charte 35.

7. En outre, si l’on suit l’interprétation avancée par le demandeur, cela revient à priver les

organes politiques de l’Organisation des Nations Unies du rôle qui leur incombe de déterminer

35Voir la résolution9 du Conseil de sécurité (1946), par.1; voir aussi la résolution11 du Conseil de sécurité
(1946) et la résolution91 (I) de l’Assemlée générale (Suisse); la résolution71 du Conseil de sécurité (1949) et la
résolution363 (IV) de l’Assemblée générale (Liechtenstein); la résolution102 duConseil de sécurité (1953) et la
résolution805 (VIII) de l’Assemblée générale (Japon); la résolution103 du Conseil de sécurité(1953) et la
résolution806 (VIII) de l’Assemblée générale (Saint-Marin); la résolution600 du Conseil de sécurité (1987) et la

résolution 42 (XXI) de l’Assemblée générale (Nauru). - 20 -

quels sont les Etats en droit d’ester devant la Cour et de participer au système judiciaire de

l’Organisation. Ce serait aller clairement à l’encontre des dispositions de la Charte.

8. Le demandeur affirme n’avoir trouvé trace d’aucun traité en vigueur à la date de l’entrée

36
en vigueur du présent Statut . Mais c’est là un élément dont la Cour avait conscience lorsqu’elle a

rendu ses arrêts dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force (C.I.J. Recueil 2004,

p.323, par.113). «Il était naturel», y préci sait-elle, «de réserver le cas de toute disposition

conventionnelle pertinente qui pouvait alors exister» ( ibid., p.319, par.102). En outre, le Statut

aurait pu entrer en vigueur à une date bien plus tardive et, dans l’
entre-temps, les Etats parties

auraient pu décider de conclure des traités prévoyant la saisine de la Cour, qui auraient alors été en

vigueur. Telle est d’ailleurs la situation qui a re ndu nécessaire l’incorporation de la clause relative

aux traités en vigueur dans le Statut de la Cour permanente, adopté après la conclusion des traités

de paix au lendemain de la première guerre mondiale.

25 9. Madame le président, le demandeur a consacré beaucoup de temps, hier, à la genèse du

paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour permanente et de la Cour. Je ne reviendrai pas sur

cette question de manière exhaustive — la Cour l’ a déjà fait dans les affaires relatives à la Licéité

de l’emploi de la force , et elle est parvenue à des conclusi ons différentes de celles du demandeur.

Mais il me faut, très respectueusement, noter qu’en présentant son analyse des travaux

préparatoires du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour permanente, le demandeur a omis

de mentionner la principale raison ayant motivé l’in corporation de la clause relative aux traités en

vigueur. Après qu’eut été soulevée la question de l’accès à la Cour en vertu des traités de paix

existants —épisode évoqué par le demandeur—, un petit comité de rédaction se vit confier la

tâche de reformuler le texte. C’est la formulation proposée par ce comité —«sous réserve des

dispositions particulières des traités en vigueur» — qui fut en définitive retenue dans le texte du

Statut de la Cour permanente 37. Madame le président, cette form ule fut choisie par le comité de

rédaction sur la base des instructions énon cées à l’unanimité par la sous-commission de la

Troisième Commission de la Société des Nations , qui prévoyaient entre autres qu’«on tiendra[it]

36
CR 2008/11, p. 40, par. 26 (Crawford).
37Société des Nations, Cour permanente de Justice internationale, Documents au sujet de mesures prises par le
Conseil de la Société des Nations aux termes de l’article 14 du Pacte et option par l’Assemblée du Statut de la
Cour permanente (ci-après : les «Documents»), p. 142. - 21 -

compte des parties qui peuvent se présenter devant la Cour en vertu des traités de paix» . Il fallait

donc tenir compte non pas de l’ensemble des «traités en vigueur» mais des «traités de paix». Voilà

qui montre quelle était l’intention sous-tendant cette disposition et permet d’en apprécier comme il

se doit la teneur.

10. En outre, le demandeur soutient que le «moment crucial» fut celui où M.Fromageot

déclara, en réponse à M.Huber, «que l’expressi on «les traités en vigueur» ne signifi[ait] pas

seulement les traités [alors] en vigueur, mais au ssi ceux qui le ser[aie]nt, dans l’avenir, à un

39
moment donné» . Toutefois, cet échange intervint dans le cadre de la discussion des articles33

et 34 ⎯tels qu’ils étaient alors numérotés ⎯ qui portaient sur la compétence ratione materiae .

L’article 32, qui allait devenir l’article 35, et son paragraphe 2 ⎯ qui est pertinent aux fins qui nous

occupent ici ⎯ furent examinés juste après. Rien ne permet de conclure avec certitude que le

propos de M.Fromageot visait l’expression «tra ités en vigueur» telle qu’employée dans ce qui

allait devenir le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut.

26 11. Madame le président, je relèverai encore que, dans son analyse pourtant méticuleuse du

paragraphe 2 de l’article 35, le demandeur a omis de signaler que les membres de la Cour avaient

aussi examiné cette disposition au moment de la revision du Règlement de 1926 et que cet examen

est mentionné dans les arrêts rendus dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force

(C.I.J. Recueil 2004, p. 321).

12. En 1926, le greffier adopta la position que défend aujourd’hui le demandeur, indiquant,

ainsi qu’il ressort du procès-verbal, que l’article 35 du Statut «donn[ait] à la Cour une compétence

absolue dans le cas de traités en vigueur». Le jugeAnzilotti émit des doutes sur cette

interprétation. L’examen de la question fut repor té à une séance ultérieure, dont vous trouverez le

40
procès-verbal à l’onglet 1 de vos dossiers d’audience . Lorsque, en définitive, elle fut examinée,

tant le président de la Cour, le jugeHuber, que le juge Anzilotti se dissocièrent du point de vue

exprimé par le greffier. Le jugeAnzilotti expliqua ainsi l’incorporation de la clause relative aux

traités en vigueur :

38Documents, p. 141 ; les italiques sont de nous.
39
CR 2008/11, p. 53, par. 59 et 61, citant les Documents, p. 144.
40Actes et documents relatifs à l’organisation de la Cour (1926), C.P.J.I. série D n° 2, Add., p. 76-77. - 22 -

«[l]es traités de paix imposent dans certains cas aux Etats centraux la juridiction de la

Cour ; en d’autres cas, on leur a accordé le droit d’introduire eux-mêmes une instance
devant la Cour. En admettant, dès lors, que le Conseil de la Société des Nations
puisse imposer d’autres conditions, on modifierait les traités de paix, ce que l’on ne
41
p[eut] faire. La clause dont il s’agit vise donc les traités de paix.»

13. Le président de la Cour, le juge Hube r, défendit ce raisonnement. Le procès-verbal

indique :

«Sur le fond de la question, [le pr ésident] estime, en tenant compte des

commentaires quasi-officiels du Statut que constitue le rapport de M.Hagerup, que
l’on peut bien arriver à l’interprétation large de l’article 35 du Statut adoptée par la
Cour dans l’affaire de la Haute-Silésie. Mais il faut, avant tout, interpréter la

résolution du Conseil selon les termes mêmes de cet article 35 auquel il se réfère, et le
président croit, avec MAnzilotti, que l’ on n’a pu viser, par l’exception inscrite à
l’article 35, que des situations prévues par les traités de paix.» 42

14. Ainsi, tant le président Huber que le j uge Anzilotti étaient d’avis que la clause relative

aux traités en vigueur visait les traités de paix. Certes, le fait que, dans l’affaire relative à la

o
Haute-Silésie (Certains intérêts allemands en Haute- Silésie polonaise, compétence, arrêt n 6,

1925, C.P.J.I. sérieA n o6), l’Allemagne avait esté devant la Cour sur le fondement de la

convention relative à la Haute-Silésie, conclue entr e elle et la Pologne, laquelle était entrée en

vigueur après l’entrée en vigueur du Statut de la Cour permanente, posa quelque difficulté.

27 Toutefois, ainsi qu’exposé par le juge Anzilotti ⎯ et, une fois de plus, son raisonnement est

retranscrit à la page 105 des Actes et documents de 1926, qui figure à l’onglet 1 de vos dossiers :

«Il s’agissait alors d’un traité —la convention de la Haute-Silésie— rédigé
sous les auspices de la Société des Nations et qui devait être considéré comme un

complément du traité de Versailles. Il est donc possible de faire rentrer le cas sur
lequel la Cour a alors statué dans l’expression générale «sous réserve des traités en
vigueur», tout en interprétant cette expression comme visant les traités de paix, et il

n’est pas nécessaire de la comprendre comme obligeant la Cour à en43er dans la voie
d’une interprétation aussi large que celle qui est proposée.»

15. J’ajouterai qu’en plus d’être défendue par le président Huber, l’interprétation du

jugeAnzilotti ne fut contestée par aucun de ses confrères. Madame le président, nous affirmons

que ce débat revêt une importance cruciale ⎯ tant le juge Anzilotti (alors le «commendatore»

Anzilotti) que le président Huber avaient participé aux examens de la Troisième Commission, et de

sa sous-commission, au moment de la rédaction du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour

41
Actes et documents relatifs à l’organisation de la Cour (1926), C.P.J.I. série D n° 2 Add. , p. 105 ; les italiques
sont de nous.
42
Ibid., p. 106.
43Add. n 2, p. 105. - 23 -

permanente. Ils avaient été «présents à la création», pour paraphraser le titre —«Present at the

creation» — de l’ouvrage de Dean Acheson. Et il en allait de même pour le juge Loder, qui avait

exercé les fonctions de président, et qui, dans le cadre du débat de 1926, ne s’opposa pas à eux sur

la question de la clause relative aux «traités en vigueur». (Comparer Actes et documents (1926),

C.P.J.I. série D n° 2 Add., p. 104 et Documents, p. 82).

16. Tout ce qui précède confirme ainsi clairement la conclusion à laquelle la Cour est

parvenue et qu’elle a exprimée en ces termes :

«l’histoire rédactionnelle du paragraphe de l’article 35 du Statut de la Cour
permanente montre que ses dispositions ét aient conçues comme une exception au
principe énoncé au paragraphe 1, en vue de couvrir les cas prévus par les accords

conclus immédiatement après le premier c onflit mondial, avant l’entrée en vigueur du
Statut».

17. Madame le président, j’en viens ma intenant, si vous le voulez bien, aux travaux

préparatoires du présent Statut. Ils n’apportent aucune indication sur le sens de l’expression

«traités en vigueur», telle qu’employée au paragraphe 2 de l’article 35. Le demandeur soutient que,

si les auteurs du présent Statut avaient voulu restreindre l’accès au titre de cette disposition, ils

44
l’auraient laissée de côté . Toutefois, si la question n’appa raît pas dans les débats de 1945,

j’aimerais relever que l’un des juges présents était le juge Manley Hudson, qui a exprimé l’avis que

le paragraphe 2 de l’article 35 devait être interprété de manière restrictive, et que l’affaire relative à

la Haute-Silésie ne devait pas servir de précédent universel 45.

28 18. Les auteurs du Statut ayant repris le texte de l’ancien paragraphe2 de l’article35 en y

apportant seulement quelques corrections de style mineures, il y a lieu de penser qu’ils souhaitaient

perpétuer également le sens qui était le sien dans le Statut de la Cour permanente. Qu’il n’y ait

peut-être pas eu de traités en vi gueur prévoyant la compétence de la nouvelle Cour à la date de

l’entrée en vigueur du Statut ne prouve pas grand-chose. Les auteurs du Statut étaient parfaitement

en droit de ménager cette autre possibilité d’accès à la Cour. De même ont-ils ménagé la

possibilité pour la Cour d’exercer sa compétence à l’égard des «c as spécialement prévus dans la

Charte» (par. 1 de l’article 36 du Statut), alors que, au bout du compte, la Charte n’en prévoit aucun

44
CR 2008/11, p. 48, par. 50.
45
Manley O. Hudson, The Permanent Court of International Justice 1920-1942, 1943, p. 391-392. - 24 -

(Incident aérien du 10 aoû1t999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt,

C.I.J. Recueil 2000, par. 48).

19. Madame le président, le demandeur soutient que la clause relative aux traités en vigueur

doit être interprétée comme visant les traités en vigueur à la date du dépôt de la requête. Nous

avons démontré que cette interprétation n’était pas défendable. Le demandeur, cependant, évoque,

sans jamais la développer, l’idée que la convention sur le génocid e ferait «partie des règlements

d’après-guerre» 46 ; dans cette optique, la Convention pou rrait être considérée comme un traité de

paix assimilable aux traités de ce type conclus au lendemain de la première guerre mondiale ; dès

lors, pour les mêmes raisons, le paragraphe 2 de l’article 35 pourrait lui être applicable.

20. Très respectueusement, nous soutenons qu’il n’en est rien. Premièrement, les travaux

préparatoires étayent clairement la conclusion à laquelle est parvenue la Cour ⎯ à savoir que seuls

les traités en vigueur à la date de l’entrée en vi gueur du présent Statut pourraient être couverts par

le paragraphe 2 de l’article 35. Deuxièmement, la convention su r le génocide n’avait pas vocation

à régler la situation issue de la seconde guerre m ondiale, comme c’était le cas des traités de paix

conclus au lendemain du premier conflit mondial. Ainsi que l’a démontré M.Zimmermann, elle

était orientée vers l’avenir et n’avait pas d’effet rétroactif 47— en d’autres termes, elle n’avait pas

vocation à régler des questions héritées de la guerre. En outre, la raison d’être de la Convention est

de toucher autant d’Etats que possible, et pas seulement les anciennes puissances belligérantes.

21. Troisièmement, enfin —et c’est la raison la plus importante ⎯, la pratique des Etats à

l’issue de la seconde guerre mondiale atteste clairement que les traités conclus après l’entrée en

vigueur du présent Statut ne furent jamais considérés comme des traités en vigueur au sens du

paragraphe 2 de l’article 35. Une bonne illustration nous en est fournie par le traité de paix avec le

29 48
Japon signé le 8 septembre 1951 . S’il y a un traité faisant partie des règlements de l’après-guerre,

c’est bien celui-ci. Or, ceux de ses signataires qui n’étaient pas parties au Statut — le Cambodge,

le Ceylan, le Laos, le Japon et le Vietnam— ont tous déposé des déclarations au titre de la

résolution9 du Conseil de sécurité. Ainsi, même à ce traité de paix par excellence, il n’était pas

46
CR 2008/11, p. 57, par. 75.
47
CR 2008/9, p. 20-21, par. 39 et 40.
48Traité de paix avec le Japon, signé à SanFr ancisco, le 8septembr e 1951, Nations Unies, Recueil des traités,
1952, p. 46, n 1832. - 25 -

prêté le pouvoir d’attraire devant la Cour des Etats non parties au Statut en vertu de la clause

relative aux traités en vigueur. Tous les Etats qui se trouvaient dans cette situation déposèrent des

déclarations en vertu de la résolution 9 du Conseil de sécurité 49.

22. En ce qui concerne spécifiquement la c onvention sur le génocide, invoquée en l’espèce,

nous avons en outre l’exemple de la République fédérale d’Allemagne, qui jugea nécessaire de

déposer une déclaration au titre de la résolution 9 du Conseil de sécurité aprè s être devenue partie à

la convention 50. Le libellé de la déclaration allemande est reproduit à l’onglet2 du dossier des

juges. Il en ressort que l’Allemagne, qui, à l’époque, n’était pas partie au Statut, considérait que la

convention sur le génocide, et son article IX, ne lui ouvraient pas l’accès à la Cour. Elle déposa en

conséquence une déclaration en vertu de la résolu tion9, sans soulever d’objections de la part des

autres Etats parties à la Convention. Il convient de noter que l’Allemagne déposa des déclarations

analogues à l’égard de cinq autres traités, dont la convention de Bruxelles, dont on pourrait soutenir

51
qu’elle faisait partie du règlement de l’après-seconde guerre mondiale . Le demandeur ne fait pas

la moindre mention de cette pratique.

23. Il convient également de relever que la pl ace reconnue à la Cour par la Charte dans le

système de l’Organisation de Nations Unies est di fférente de celle qu’occupait la Cour permanente

de Justice internationale dans le système de la Société des Nations. La Cour internationale de

Justice fait partie intégrante du système, ce qui n’était pas le cas de la Cour permanente, et ce

facteur a forcément des conséquences en ce qui co ncerne l’accès à la Cour. Gardons-nous de le

perdre de vue au moment d’interpréter le paragra phe 2 de l’article 35 du Statut. Gardons-nous, de

même, d’ouvrir la moindre brèche qui permettra it de contourner les conditions et procédures

régissant l’accès à la Cour, car une telle brèche modifierait l’équilibre délicat fixé par la Charte

entre les principaux organes de l’Organisation des Nations Unies. Le demandeur ne prend pas non

plus en compte cet élément.

30 24. Madame le président, il est clair que la pratique des Etats au lendemain de la seconde

guerre mondiale étaye davantage encore, et étaye so lidement, la conclusion à laquelle est parvenue

49
Annuaire 1951-1952, p. 208-209 (Japon et Ceylan) et 209-210 (Cambodge) ; Annuaire 1952-1953, p. 197-198
(Laos et Vietnam).
50
Annuaire 1955-1956, p. 210.
51Annuaire 1971-1972. - 26 -

la Cour dans ses arrêts sur la Licéité de l’emploi de la force , à savoir que la clause relative aux

traités en vigueur s’applique uniquement aux traités en vigueur à la date de l’entrée en vigueur du

présent Statut.

25. Hier, M.Crawford a consacré force temps et énergie, et usé de toute son autorité, pour

vous convaincre de retenir l’interprétation du paragraphe2 de l’article35 avancée par le

demandeur, et de revenir sur votre récente déci sion, dans laquelle vous vous étiez livrés à une

analyse détaillée de cette disposition. Néanmoins, ainsi que je l’ai dém ontré, son argument ne

résiste pas à l’examen, à la lumière du paragraphe 2 de l’article 35, de sa genèse et de la pratique

des Etats au lendemain de la seconde guerre mondiale.

26. De surcroît, si la Cour retenait cette in terprétation, cela reviendrait à donner à la Serbie

deux réponses distinctes à une même question posée da ns le cadre d’affaires qui non seulement ont

été introduites à peu près au même moment mais concernent en outre le même problème — savoir

si la Serbie avait qualité pour ester devant la Cour avant novembre 2000. Les arrêts rendus dans les

affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force concernent l’accès à la Cour et traitent

explicitement et en détail de cette question, ce qui n’est le cas d’aucun autre de vos arrêts. L’une

des questions examinées dans ce s affaires était de savoir si la convention sur le génocide pouvait

fonder l’accès à la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut. La Cour a apporté une

réponse à cette question et, Madame le président, M essieurs de la Cour, elle a apporté la réponse

qui s’imposait. La Serbie n’a pas qualité pour ester devant la Co ur en vertu du paragraphe2 de

l’article35 en la présente espèce, parce que la co nvention sur le génocide n’ est pas un traité en

vigueur au sens de cette disposition.

27. Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre aimable attention.

Nous pourrions poursuivre avec l’intervention de M.Zimmermann, ou marquer maintenant une

pause.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Djeri ć. Je pense que M.Zimmermann peut

commencer sa plaidoirie, s’il le veut bien, et essayer de trouver un moment opportun pour

s’interrompre d’ici environ 25 minutes. Je vous remercie. - 27 -

M. ZIMMERMAN :

I. NTRODUCTION

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, mes collègues ont examiné divers aspects de

31 la question de l’accès, dans le cadre de la première exception préliminaire de la Serbie. Cependant,

si cette première exception est fondée, ce n’est p as uniquement parce que le défendeur n’avait pas

accès à la Cour. Elle doit également être retenue parce que la Cour n’est pas compétente pour

connaître de la demande de la Croatie.

II.LA C OUR N ’EST PAS COMPÉTENTE POUR CONNAÎTRE DE LA PRÉSENTE AFFAIRE

2. Madame le président, les Parties conviennent qu’en l’espèce, la Cour peut uniquement

tirer sa compétence de l’article IX de la conve ntion sur le génocide. J’aurais cru qu’elles

s’accorderaient aussi à penser que la présente affaire couvre des qu
estions assez complexes de

personnalité juridique, de qualité d’Etat, de continuité et de succession.

3. Sur cette base, j’espérais effectivement entendre dans quelle exacte mesure, selon le

demandeur, l’article IX de la convention sur le génocide pouvait lier la Serbie.

Le PRESIDENT: MonsieurZimmerman, on me demande si vous pourriez parler un peu

plus lentement, s’il vous plaît.

M. ZIMMERMAN: Certainement. J’ai particulièrement eu cette atte nte parce que dans sa

plaidoirie de lundi, mon collègue, M. Tibor Varady, a invité la partie requérante à dire exactement

52
dans quelle mesure et à quelle date le défendeur est resté ou devenu lié par l’articleIX .

Malheureusement, son invitation semble être restée lettre morte.

4. Il est vrai que lors du premier tour de pl aidoiries, les conseils du demandeur ont été très

clairs ⎯ voire «absolument limpides» 53⎯au sujet du résultat: ils ont affirmé sans hésiter que

54
l’article IX était applicable au défe ndeur «à tous les moments pertinents» . Mais ni M. Crawford

ni M.Sands n’ont clairement dit pourquoi cela devrait être le cas. En essayant d’expliquer

52CR 20008/8, par. 48 et suiv., par. 19 et suiv. (Varady)
53
CR 2008/10, p. 32, par. 13 et p. 38, par. 29 (Sands) ; CR 2008/11, p. 23, par. 9 et p. 54, par. 65 (Crawford).
54CR 2008/10, p. 28, par. 3. - 28 -

comment ils sont parvenus à leurs résultats «absolument limpides», ils ont continué à avancer le

même mélange d’arguments inconciliables qui figure nt déjà dans les observations écrites de la

Croatie. Il s’agissait notamment :

32 ⎯ aux droits de l’homme, alors présentée comme couvrant également les dispositions relatives au

55
règlement des différends, toute autre approche étant jugée «troublante» ;

⎯ de commentaires sur la déclaration et la note du 27 avril 1992, que M.Sands n’a guère

56
analysées mais qu’il a qualifiées «[d]’engagement solennel» —qualifiant aussi de

«déplaisants» les arguments avancés sur ce point 57;

⎯ enfin, la partie requérante a fréquemment renvoyé, sans trop s’y attarder, aux notions de bonne

foi, de confiance et d’attentes légitimes qui, à l’en croire, justifient que la Croatie considère la

58
Serbie comme liée par l’article IX de la convention sur le génocide .

5. Si le résultat est censé être absolument limpide, le raisonnement qui y a conduit est loin de

l’être, si je puis dire.

6. Madame le président, Messieurs de la Cour, le demandeur a délibérément mélangé des

arguments inconciliables. Il l’a fait pour év iter d’avoir à prendre position sur les questions

juridiques complexes et difficiles qui se posent à ce state de la procédure.

7. Nous sommes aux prises avec des questions de formalité conven tionnelle, de qualité de

partie aux traités, de succession d’Etats et d’identité étatique. Ce sont des questions techniques au

sujet desquelles la communauté internationale des Etats, ainsi que les dépositaires des traités

insistent, à juste titre, sur la précision et la cl arté. Il ne s’agit pas d’un domaine du droit où

gouverne la philosophie du droit, où règnent l’objet et le but et dominent des notions d’une large

portée. Nous sommes confrontés à un domaine du droit où les Etats sont tenus d’être précis,

techniques, nuancés et exacts. Cela explique pour quoi, en 2006, même dans le cas incontesté de la

continuité d’Etat entre la Serbie-et-Monténégro d’ une part, et la Serbie, d’autre part, en sa qualité

55Ibid., p. 33, par. 16 (Sands).
56
Ibid., p. 30, par. 10 (Sands).
57
Ibid., p. 29, par. 6 (Sands).
58CR 2008/11, p. 9, par. 7 (Crawford). - 29 -

de dépositaire, le Secrétaire général a demandé à la Serbie de faire preuve de la plus grande

précision.

8. Bien que la demande de la Serbie, formulée par écrit par le président Tadić, n’ait alors pas

été contestée, le Secrétaire général a demandé à ce pays de confirmer expressément que ««[t]outes

33 les formalités [conventionnelles]…accomplies pa r la Serbie-et-Monténégro reste[raie]nt en

vigueur…et que, «[p]ar conséquent, la Ré publique de Serbie maintiendra[it] toutes les

déclarations, réserves et notifications faites par la Serbie-et-Monténégro» 59.

9. Le ministre serbe des affaires étrangères s’est acquitté de cette demande du Secrétaire

général 60. Pure formalité, dira-t-on, mais elle est essentielle quand il s’agit d’identité étatique et de

succession d’Etat.

10. Madame le président, bien entendu, M. Sands a le droit de trouver la position de la Serbie

déplaisante. Mais est-ce vraiment la question qui se pose en l’espèce ? Et plus particulièrement au

regard de la question de la succession ? La présente affaire n’est pas un concours de beauté dont le

vainqueur sera l’argument le plus plaisant. J’ai bien peur que les dispositions régissant la

succession aux traités soient un domaine technique du droit, qu’on les juge plaisantes ou pas. Un

mélange attrayant d’affirmations contradictoires ne saurait remplacer une évaluation détaillée des

manières dont la Serbie pourrait être devenue ou restée liée par l’article IX, quod non.

11. C’est à cette évaluation détaillée, qui inclut une analyse détaillée de la pratique pertinente

des Etats, que je vais me livrer par la suite . Permettez-moi donc de vous prévenir que je

prononcerai un discours que M. Sands, au moins, pourrait trouver déplaisant. Il s’agit néanmoins

d’un discours dans lequel je démontrerai qu’aucune des interprétations possibles ne montre que le

défendeur en l’espèce est lié par l’article IX de la convention sur le génocide.

12 Madame le président, Messieurs de la Cour , si l’on fait abstraction de la thèse de la

continuité, à laquelle il a été renoncé, il reste deux interprétations possibles. Le défendeur aurait pu

devenir lié par l’article IX :

⎯ soit par voie de succession automatique,

59
Lettre citée dans le courrier adressé le 19 juillet 2006 par la Cour à la Croatie et à la Serbie-et-Monténégro.
60Voir collection des traités des Nations Unies, traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au
15 novembre 2007, informations de nature historique, disponible sur
http://untreaty.un.org/ENGLISH/bible/englishinternetbible/historicalinf… - 30 -

⎯ soit par la déclaration et la note du 27 avril 1992.

Permettez-moi d’aborder ces deux questions l’une ap rès l’autre. Ensuite, par souci d’exhaustivité,

j’envisagerai une troisième possibilité à laquelle le conseil de la Partie requérante semble au moins

avoir fait allusion, sans vraiment l’analyser.

34 1. La Serbie n’a jamais succédé automatiquement à la convention sur le génocide

13. Madame le président, à en croire le c onseil de la Croatie, «[celle-ci] a succédé à la

convention sur le génocide par notifi cation de succession datée du 12 octobre 1992» 61. Je ne peux

qu’approuver cette observation. Ce pendant, le conseil de la Croa tie a beau essayer de laisser

entendre le contraire, la Serbie n’a jamais notif ié au dépositaire qu’elle succédait à la convention

62
sur le génocide .

14. De toute évidence, la Croatie a conscience de ce problème. C’est pour cette raison

qu’elle a invoqué un prétendu principe du droit inte rnational coutumier. Selon elle, ce principe

exige la succession automatique à tous les tra ités en cas de séparation. Subsidiairement,⎯ et ceci

est, pour ainsi dire, la version modérée de son argument ⎯ elle dit que la succession automatique

devrait au moins s’appliquer aux traités relatifs aux droits de l’homme.

15. Ces deux lignes d’argumentation doivent néanmoins être réfutées. Permettez-moi de

commencer par la version radicale des arguments de la Croatie, celle qui préconise la succession

automatique à tous les traités.

a) L’article 34 de la convention de Vienne de 1978 sur la succession des Etats en matière de
traités ne reflète pas le droit international coutumier

16. Madame le président, à l’appui de cet argu ment, le conseil du demandeur cite l’article 34

de la convention de Vienne de 1978 sur la succession des Etats en matière de traités. Or, cette

disposition ne s’appliquait visiblement pas à la dissolution de la Yougosla vie. Plus important

encore, elle ne reflète pas le dr oit international coutumier. Cela est confirmé par le fait qu’à ce

61
CR 2008/10, par. 9 (Sands).
62Voir CR 2008/10, p. 20, par. 13, où Mme Metelko-Zgombi ć déclare que la note concernée avait été envoyée
«au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, dépositaire des traité s des Nations Unies». Cependant, cette
désignation ne tient pas compte des diffé rentes fonctions du secrétai re général ni du fait que la note n’avait pas été
délibérément envoyée au dépositaire. - 31 -

jour, à savoir trente ans après son adoption, seuls 21 Etats ont adhéré à cette convention. Sur le

plan de la codification, cet instrument est clairement un échec.

17. Qui plus est, l’une des raisons de cet éche c est son article 34. La majorité des Etats

n’acceptent pas le principe étendu et vague de succession universelle défe ndu par le demandeur.

Au contraire, ces Etats acceptent l’opinion classique qui plaide en faveur d’une grande part de

liberté permettant aux Etats de décider s’ils pe uvent succéder ou non à certains ou à la totalité des

traités auxquels leurs prédécesseurs respectifs étaien t parties ou si, au contraire, ils veulent y

accéder et, dans l’affirmative, dans quelles conditions.

35 18. Permettez-moi de vous rappeler par ailleurs que jusqu’à présent, la Cour n’a jamais

accepté le caractère coutumier du principe contenu à l’article 34 de la c onvention de 1978 (affaire

relative au Projet Gab číkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaqui e), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p.71,

par. 123). Comme je l’ai déjà dit, vous avez plut ôt, ne serait ce qu’implicitement, pris une position

qui contredit l’idée même de succession automatique 63, comme ce fut le cas dans l’arrêt rendu en

l’affaire Congo c. Rwanda. Et justement, dans une affaire re lative à l’application de la convention

sur le génocide, cette question est au cŒur même des débats.

19. Il est au contraire plutôt curieux que le conseil de la Croatie renvoie à une déclaration de

celui qui était alors le représentant de l’Union sovi étique à la conférence de Vienne de 1977 sur la

succession des Etats, pour soutenir expressément la succession automatique à des traités «à

caractère universel». Cela est en effet très curie ux, car pendant ladite conférence diplomatique, la

proposition, susmentionnée, de préconiser expressém ent la succession automatique à ces traités à

«caractère universel» a été formellement retirée lo rsqu’il est devenu évident qu’elle ne recevrait

pas suffisamment d’appui 64.

63
CR 2008/8, p. 34, par. 9-13 (Zimmermann).
64Cf. M. Yasseen «La convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités» ; AFDI, 1978, p. 59
(107). - 32 -

b) Les traités des droits de l’homme et en particulier les clauses compromissoires qu’ils
contiennent ne sont pas soumis à la succession automatique

20. Madame le président, cela m’amène à la ve rsion modérée de l’argument de la Croatie:

l’article IX devrait lier le défendeur parce que ce dernier avait automatiquement succédé aux traités

des droits de l’homme auxquelles avait été partie l’ancienne Yougoslavie.

21. Une fois de plus, que la Croatie formul e un tel argument à ce stade de la procédure est

quelque peu étrange. Lors du pr emier tour de plaidoiries, mes collègues et moi-même avons

souligné certains des exemples les plus frappants montrant que la Croatie avait empêché la RFY de

participer au travail d’organes créés en vertu d’ instruments internationaux relatifs aux droits de

l’homme. Si la RFY avait automatiquement succédé à ces traités, elle n’aurait guère eu besoin de

présenter les notifications expresses de succession constamment réclamées (avec succès) par la

Croatie.

22. La pratique étatique propre de la Croatie contredit donc clairement l’idée même de

succession automatique aux traités des droits de l’ homme. Mais la Croatie n’est pas la seule à

36
rejeter la notion de succession automatique. Sa co nduite est analogue à celle de nombreux autres

Etats. Je constate qu’un nombre considérable d’Etats successeurs sur le territoire desquels la

convention sur le génocide avait été appliqu ée avant leur succession ont formellement accédé à

ladite Convention. Cette succession n’a jamais été contestée, à l’exception de celle de la Serbie, à

laquelle, cependant, seuls trois des 140 parties contractantes à la Convention ont formulé une

objection. Par ailleurs, deux de ces trois pays, ⎯ à savoir, la Croatie elle-même ainsi que la

Bosnie — avaient un intérêt litigieux non avoué.

23. On trouve la même caractéristique dans de nombreux autres traités relatifs aux droits de

l’homme. A titre d’exemple, permettez-moi de dire que par le passé, plus de 30 Etats successeurs

ont accédé à la convention relative au statut des réfu giés de 1951 même si cette convention était

déjà applicable sur leur territoire bien avant ce tte date. Il s’agit notamment des Etats successeurs

qui y ont accédé après que la Croatie elle-même fut devenue partie à cet instrument. Et une fois de

65
plus, la Croatie n’a nullement jugé nécessaire de s’opposer à ces adhésions .

65
A titre d’exemple; le Swaziland a ac cédé à la convention relative au statut des réfugiés le 14février 2000; le
Royaume-Uni a élargi la porté géographique de cette conntion au Swaziland en vert u d’une déclaration datée du
11 juillet 1960. - 33 -

24. Madame le président, Messieurs de la Cour, sur la question de la succession, la Croatie a

également cité des déclarations d’organes crées en vertu de traités relatifs aux droits de l’homme.

Il est vrai que ces organes jouent un rôle im portant au regard de l’évolution du régime

conventionnel relatif à la succession, et un rôle crucial dans son a pplication quotidienne.

Cependant, ces organes ont pour mandat de traite r d’un régime conventionnel précis et de ses

caractéristiques propres, et non de développer des règles générales de succession étatique. Leurs

déclarations ne sauraient remplacer la pratique des Etats, et en particulier celle des Etats

directement intéressés: cette observation s’applique d’autant plus quand cette pratique n’est pas

contestée par les autres parties contractantes.

25. Madame le président, quoi que l’on pense des traités des droits de l’homme comme tels,

il y a un autre aspect que le conseil de la partie demanderesse essaie d’occulter. Comme je l’ai dit

lors du premier tour de plaidoiries, une prét endue succession automatique est encore moins

envisageable au regard des clau ses compromissoires, et cette idée a été étayée par l’abondante

66
jurisprudence que nous avons invoquée dans nos exceptions préliminaires .

26. Le conseil de l’appliquant a qualifié de «troublante» la distinction entre clauses de fond

67
et clauses compromissoires , mais au-delà de ce constat, il n’a pas dit grand-chose pour réfuter

cette distinction. En fait, la nécessité de di stinguer les deux types de clauses— d’une part, les

37 obligations de fond et, d’autre part, les règles de procédure établissant des mécanismes spécifiques

de règlement de différends — est évidente si l’on accepte les raisons avancées par le conseil de la

Croatie à l’appui de la prétendue succession automatique aux traités relatifs aux droits de l’homme.

27. Selon le conseil de la Croatie, la succession automatique est justifiée parce que ces traités

68
confèrent des droits individuels et que les obligations contenues dans la convention relèvent

également du droit international coutumier 69. Cependant, l’articleIX de la convention sur le

génocide ⎯ la clause compromissoire en cause en l’espèce ⎯ ne présente aucune de ces

caractéristiques. Il ne crée pas de droits indivi duels. Il ne relève pas du droit international

66 Exceptions préliminaires, par. 3.93-3.103.
67
CR 2008/10, p. 33, par. 16 (Sands).
68
Ibid., p. 33 et suiv., par. 16-18 (Sands).
69 Ibid., p. 28 et suiv., par. 5 (Sands). - 34 -

coutumier et encore mois du jus cogens. Il régit uniquement les relations entre les Etats. Même

s’il doit être accepté pour les besoins de l’argumenta tion, le raisonnement du conseil de la partie

demanderesse ne s’applique tout simplement pas à l’article IX de la convention sur le génocide.

28. En réalité, même si l’on acceptait d’app liquer une règle de succession automatique aux

mécanismes de supervision des traités relatifs aux dr oits de l’homme tels que le pacte international

relatif aux droits civils et politiques, il n’y aurait toujours pas de succession automatique à

l’articleIX. La raison en est la suivante: les mécanismes de supervisi on du pacte international

relatif aux droits civils et politiques pourrait bien jouer un rôle central au regard de toute l’efficacité

des instruments en question. En revanche, outre l’article IX, la convention sur le génocide prévoit

beaucoup d’autres mécanismes de prévention de ce crime, telles que l’obligation précise d’en punir

les auteurs, ainsi que celle, contenue à l’artic le VI, de collaborer avec la cour criminelle

internationale compétente à cet égard. Cela e xplique également pourquoi l’article IX ne partage

pas le sort des obligations conventionnelles de fond même si, ne serait-ce que pour les besoins de

l’argumentation, on devait partir de l’hypothèse d’une succession automatique aux clauses de fond

de la Convention.

29. En dernier lieu, la distinction entre obligations de fond et clauses compromissoires est

également confirmée par la pratique. Permettez- moi de vous renvoyer à l’interprétation qui a été

donnée à la convention européenne de sauvegard e des droits de l’homme et des libertés

fondamentales, probablement l’un des traités modernes des droits de l’homme les plus importants,

après que la République tchèque et la République slovaque eurent notifié leur succession à cette

convention. Même dans ce cas, autrement dit, même après que les deux Etats successeurs eurent

indiqué leur volonté de continuer la qualité de partie au traité assumée par leur Etat prédécesseur,

une décision du comité des ministres du Conseil de l’Europe avait encore été jugée nécessaire à

38 leur adhésion ainsi qu’à l’élargissement de la compétence de la Cour européenne des droits de

l’homme à ces Etats successeurs 7.

30. Cela prouve une fois de plus que même lorsqu’elles sont contenues dans des traités

relatifs aux droits de l’homme, les dispositions conventionnelles prévoyant la compétence d’une

70
Voir J.-F. Flauss, «convention européenne des droide l’homme et succession d’Etats aux traités: une
curiosité, la décision du comité des ministres du Conseil de l’Europe en date du 13 juin 1993 concernant la république
tchèque et la Slovaquie», RUDH, 1994, p. 1 et suiv. - 35 -

instance judiciaire internationale ne peuvent p as faire automatiquement l’objet d’une succession.

Et cela est d’autant plus vrai pour un Etat qui n’a même pas notifié sa succession à un traité

contenant une clause compromissoire, mais a au contraire formulé une réserve à cette fin.

31. Madame le président, ce dernier point conclut mon exposé sur la question de la

succession automatique et je pense que le moment est venu de faire une pause.

Le PRESIDENT: Oui, MonsieurZimmermann. Merci beaucoup. La Cour va se retirer

brièvement.

L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 40.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Oui, Monsieur Zimmermann.

M. ZIMMERMANN: Je vous remercie, Madame le président. J’ai démontré, avant la

pause, que l’article IX de la c onvention sur le génocide n’était p as et n’aurait pu être soumis au

régime de la succession automatique par la RFY, à présent la Serbie. Permettez-moi maintenant de

passer au deuxième lien envisageable entre le défendeur et l’article IX, à savoir la déclaration et la

note du 27 avril 1992.

2. La déclaration de 1992 et la note qui a suivi n’ont pas entraîné la succession de la Serbie à
la convention sur le génocide

32. Les conseils du demandeur ont qualifié ce tte déclaration et cette note d’engagement

«solennel», et fait valoir que la Croatie les avait invoquées à bon droit71. Lundi, j’ai montré que la

déclaration et la note étaient dénuées de tout élém ent prouvant l’effectivité et la validité de la

notification de succession. Les conseils de la Croatie se sont contentés de juger l’argument

39 «déplaisant», et n’ont pas abordé ces sujets. Je ne répèterai pas ma position maintenant et porterai

plutôt mon attention sur une autre question: la Croatie s’est-elle réellement fondée sur la

déclaration et la note du 27 avril 1992? La répon se à cette question est claire : non. Cela tombe

peut-être même sous le sens. Mais pour les besoins du présent différend, elle a toujours écarté

l’idée que cette déclaration et cette note puissent avoir un effet q
uelconque. Je n’énumérerai pas

71
CR 2008/10, p. 30, par. 10 (Sands) ; également, CR 2008/11, p. 9, par. 7 (Crawford). - 36 -

les multiples exemples du comportement de la Croa tie, que l’on retrouve dans nos écritures. Je

donnerai juste un exemple :

«Attendu que la «République fédé rative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)» n’a pas notifié sa successi on aux Conventions relatives à l’esclavage,
elle ne saurait être considérée comme partie auxdites Conventions.» 72

Ce ne sont pas mes propos, c’est ce qui ressort d’une lettre adressée au Président de la Commission

des droits de l’homme le 24mai1995 par la mission permanente de la Croatie auprès de

l’Organisation des Nations Unies. Cette lettre a été écrite par la Croatie plus de trois ans après la

déclaration et la note de 1992 et de nombreuses déclarations de la Croatie vont dans le même sens.

33. Madame le président, la Croatie n’a jamais invoqué la déclarat ion et la note. Elle ne leur

a jamais accordé foi. La déclaration et la note étaient intrinsèquement liées à la thèse même de la

continuité que la Croatie, ainsi que les autres Etats successeurs, ont toujours rejetée. Que la Croatie

invoque des arguments de bonne foi à propos de documents qu’elle conteste vigoureusement

depuis des années est simplement déplacé.

34. Enfin, c’est précisément pour cette raison que la déclaration et la note de 1992 n’ont pas

produit d’effets juridiques autonomes à l’égard de la Croatie. Dans un bref passage de son exposé,

M. Crawford semble l’indiquer lorsqu’il les oppose à une offre qui doit être acceptée pour produire

des effets 73. Mais le droit de la succession d’Etats, comme je l’ai indiqué initialement, est

technique. Il prévoit des mécanismes distincts de transmission d’obligations aux Etats — tels que

les notifications de succession ou adhésions formelle s. Par ailleurs, même à les considérer comme

une forme de déclaration unilatérale, conformes à la jurisprudence de la Cour, elles seraient

soumises à des conditions strictes: elles devraient tout de même émaner d’autorités compétentes,

être spécifiques et être invoquées. Aucune de ces conditions n’est remplie en l’espèce.

40 35. Madame le président, Messieurs de la Cour, ces considérations concluent l’argument du

défendeur relatif à la première exception préliminaire. Permettez-moi de résumer. Cette exception

repose sur deux piliers : pas d’accès à la Cour et incompétence de celle-ci.

72
Lettre datée du 24 mai 1995 adressée au Président de Commission des droits de l’homme par le chargé
d’affaires par intérim de lmission permanente de la Croatie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève,
Nations Unies, doc. E/CN.4/1996/134 (1996).
73CR 2008/11, p. 9, par. 7 (Crawford). - 37 -

36. Mes collègues ont montré que le défendeur n’avait pas accès à la Cour. J’ai démontré

qu’il n’existait pas de base de compétence étan t donné que le défendeur n’était pas lié par

l’article IX de la convention sur le génocide à la date de la requê te, seul fondement allégué de cette

demande — ni par la voie de la succession automatique ni en vertu de la déclaration et de la note

du 27 avril 1992. En conséquence, la RFY — à présent la Serbie — était libre d’indiquer les traités

de l’Etat prédécesseur auxquels elle voulait succéd er en vertu d’une notification de succession

valable et ceux auxquels elle voulait adhérer.

37. La RFY a en effet déposé des notifications de succession à un nombre important de

traités, mais (contrairement aux allégations du demandeur) elle a également adhéré à plusieurs

autres traités. La convention sur le génocide fait partie de ce dernier groupe. Plus exactement, il

existe aussi d’autres traités auxquels la Serbie a adhéré et auxquels, pour certains, la Croatie était

déjà partie contractante 74. Et, encore une fois, aucun Etat —y compris la Croatie— n’a jamais

protesté contre aucune des autres adhésions, accepta nt ainsi que la RFY —à présent la Serbie—

puisse effectivement y adhérer.

38. En adhérant à la convention sur le génoc ide, la RFY pouvait dès lors évidemment se

prévaloir du droit de formuler une réserve à l’article IX de la Convention — du type de celles dont

la Cour confirme par ailleurs la validité depuis 1951 (voir plus récemment Activités armées sur le

territoire du Congo (nouvelle requête:2002) (Rép ublique démocratique du Congo c.Rwanda),

compétence de la Cour et recevabilité de la requête, C.I.J. Recueil 2006 , p. 21-33, par. 28-70). Il

n’était ainsi nullement question d’un quelconque effet rétroactif de la réserve serbe, comme veulent

nous le faire croire les conseils de la Croatie. Et , de fait, même la Croati e, l’un des rares Etats

ayant protesté en 2001 contre la réserve du dema ndeur à l’articleIX, semble récemment avoir

reconsidéré sa propre position sur cette réserve de la RFY. C’est du moins ce que paraît indiquer

sa conduite à l’égard d’un Etat qui, jusqu’à vendr edi dernier, était mentionné dans la présente

affaire : le Monténégro.

74Tels que la convention culturelleeuropéenne, ratifiée par la RFSY en 1987: la RFY y a adhéré le

28 février 2001 ; la Croatie y a succédé le 27 janvier 1993. - 38 -

41 39. On sait que le Monténégro est devenu un Etat indépendant en 2006. Comme il n’assurait

pas, contrairement à la Serbie, la continuité de la personnalité juridique de l’ancienne communauté

étatique de Serbie-et-Monténégro, il devait clar ifier sa position à l’égard des traités auxquels la

Serbie-et-Monténégro avait été partie. L’un de ces traités était la convention sur le génocide.

40. Le 26 octobre 2006, le Monténégro a notifié au Secrétaire général de l’Organisation des

Nations Unies son intention de succéder à la conve ntion sur le génocide. Cette notification reçue

par le dépositaire figure sous l’onglet3 de votre dossier de plaidoiries. Celle-ci, comme vous

pouvez le voir dans la note de bas de page 2 de ce document, renvoie spécifiquement à l’adhésion

de la RFY à la convention sur le génocide en 2001. A l’occasion de cette succession, le

Monténégro a par ailleurs confirmé la réserve à l’article IX qu’avait formulée la

Serbie-et-Monténégro lors de son adhésion à la Convention.

41. La notification de succession ainsi que la c onfirmation de la réserve à l’articleIX ont

dûment été transmises par le déposita ire à l’ensemble des parties au traité, dont la Croatie. En

octobre 2007, le délai de douze mois fixé pour le dépôt des protestations et objections à l’encontre

des réserves a expiré. A cette date, aucun Etat n’avait protesté contre la réserve à l’articleIX

formulée par le Monténégro et, ce qui est plus important, la Croatie ne l’avait pas fait.

42. Madame le président, Messieurs de la Cour , je vous prierais de réfléchir sur ce point un

instant: en acceptant la conduite du Monténégro, les autres Etats (dont la Croatie) ont admis que

celui-ci, en vertu de sa notification de succession, succédait au statut conventionnel de la

Serbie-et-Monténégro à l’égard de la convention sur le génocide résultant de l’ adhésion de la RFY

en 2001 — statut conventionnel qui incluait la réserve à l’article IX de la RFY.

43. En ne protestant pas contre ce statut conventionnel, les autres parties contractantes dont

la Croatie ont admis non seulement que la RFY était devenue liée par la convention sur le génocide

uniquement en vertu de son adhésion, mais aussi que la réserve à l’article IX de la convention sur

le génocide de la RFY était valable.

44. En d’autres termes, et s’agissant tout particulièrement du demandeur, la Croatie n’a

semble-t-il pas vu de raison de protester contre la réserve à l’article IX confirmée par le

Monténégro quand bien même —comme vous le ve rrez dans le dossier de plaidoiries— cette

notification faisait référence à la RFY proprement dite. - 39 -

42 45. Madame le président, la Croatie n’est p as à même d’invoquer la bonne foi dans la

présente procédure. Depuis le début, son comportement, comme l’a indiqué mon collègue

Tibor Varady, est motivé par des considérations tactiques. Le dernier épisode concernant la réserve

apparemment acceptable du Monténégro n’est que le dernier d’une série d’incohérences croates.

46. Madame le président, Messieurs de la C our, permettez-moi maintenant de faire quelques

très brèves remarques sur les décl arations des conseils de la Croatie à propos de notre troisième

exception préliminaire — ou plutôt sur ce qu’ils n’ont pas dit.

O
III. XCEPTION PRÉLIMINAIRE N 3

47. En ce qui concerne la remise de personnes, notre argument selon lequel la Cour n’est pas

compétente, en vertu de l’article IX, pour connaître de l’obligation qu’aurait la Serbie de punir les

auteurs d’actes de génocide prétendument commis en Croatie, à savoir en dehors de la Serbie, ou

de remettre des personnes à la Croatie, n’est pas contesté et doit être considéré comme ayant été

accepté.

48. Mutatis mutandis , la Croatie n’a pas non plus contesté l’argument selon lequel les

demandes de renseignements sur le sort de personnes disparues sont irrecevables puisque les

Parties sont convenues de régler la question par la voie d’un accord bilatéral.

49. Enfin, en ce qui concerne la restitution de biens culturels, permettez-moi de répéter que

conformément à la jurisprudence constante de la Cour, sa compétence ne s’étend à aucune forme de

saisie ou de destruction de biens culturels et ne peut donc non plus s’étendre à la restitution de ces

biens, et qu’il n’existe par ailleurs pas de dfférend entre les Parties à cet égard —ce dernier

argument n’ayant pas non plus été contesté par les conseils de la Croatie.

IV.L A COMPÉTENCE NE S ’ÉTEND PAS AUX ACTES ANTÉRIEURS AU 27 AVRIL 1992

50. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à un autre aspect de

ma plaidoirie, qui concerne les arguments du demandeur sur la deuxième exception préliminaire de

la Serbie — exception selon laquelle, en tout état de cause, la compétence ne saurait s’étendre à la

période antérieure au 27 avril 1992. J’examinerai les deux éléments suivants de cette exception :

⎯ premièrement, l’application dans le temps de l’article IX de la convention sur le génocide ; et - 40 -

⎯ deuxièmement, les questions soulevées par le paragraphe 2 de l’article 10 des articles de la CDI

sur la responsabilité de l’Etat.

43
1. L’application dans le temps de l’article IX de la convention sur le génocide

51. Madame le président, j’ai exposé lundi plus ieurs arguments dirigés contre l’application

75
rétroactive de l’article IX . Ces arguments venaient compléter notre thèse principale selon

laquelle le défendeur n’était jamais devenu lié par l’article IX, et visaient à exclure l’application de

l’articleIX à des événements an térieurs au 27 avril 1992, date à laquelle le défendeur est devenu

Etat successeur.

52. A l’appui de cette conclusion, j’ai considéré les conséquences de l’application de traités à

des entités qui n’existaient pas encore en tant qu’Etats. J’ai également attiré votre attention sur des

déclarations faites par la Croatie elle-même 76 et par le juge Shahabuddeen 77. J’ai examiné

l’article28 de la convention de Vienne sur le droit des traités, disposition qui régit les effets

78
rétroactifs des traités , et j’ai ensuite indiqué la manière dont des commentateurs éminents tels que

William Schabas 79 ou Nehemiah Robinson 80 avaient interprété la convention sur le génocide

proprement dite.

53. Je ne pense pas que le demandeur ait abordé ou encore moins réfuté aucun de ces

arguments dans ses plaidoiries. Bien entendu, les conseils du demandeur ont présenté une

conclusion qui diffère de la mie nne —à savoir que l’article IX s’ applique bien rétroactivement,

même à des événements antérieurs à l’existence du défendeur en tant qu’Etat. Ils ont néanmoins

ajouté bien peu de choses à l’appui de cette affirmation. Là encore —en ce qui concerne la

succession des Etats — tout était évident et tombait sous le sens pour M. Sands.

54. Madame le président, comme on dit, il ex iste beaucoup de réponses claires et faciles à

des questions complexes —le seul problème étant qu’elles sont presque inévitablement fausses.

Cela s’applique ici, je dois dire.

75CR 2008/9, p. 13 et suiv., par. 1 et suiv. (Zimmermann).
76
Ibid., par. 12-13 (Zimmermann).
77
Ibid., par. 21 (Zimmermann).
78Ibid., par. 29 et suiv. (Zimmermann).

79Ibid., par. 40 (Zimmermann).

80Ibid., par. 39 (Zimmermann). - 41 -

55. De même que pour la succession d’Etats, les choses ne sont pas aussi simples et

évidentes que M. Sands veut bien le faire croire. Selon lui, l’application rétroactive de l’article IX

est obligatoire puisque vous l’auriez décidé au pa ragraphe 34 de l’arrêt re ndu en l’affaire de la

Bosnie, et puisqu’il ne peut y avoir de délai dans l’application d’un traité comme la convention sur
44

le génocide. Aucune de ces affirmations n’est cependant convaincante.

56. Permettez-moi de dire pour commencer que, selon moi et je le démontrerai, la Croatie

fait erreur en invoquant le paragraphe 34 de votre arrêt de 1996.

a) Paragraphe 34 de l’arrêt de 1996

57. J’ai le regret d’indiquer que la manière dont la Croatie a tenté de transposer la conclusion

que vous avez tirée au paragraphe 34 de l’arrêt de 1996 en l’affaire de la Bosnie à la présente

affaire est erronée car cela ne tient aucun compte du cadre et du contexte de cette conclusion.

58. Premièrement, pourquoi la Cour a-t-elle dû se prononcer en 1996 sur le champ

d’application temporel de la Convention ? Elle l’a fait en raison du doute qui planait sur le statut

du demandeur à l’égard de la Conve ntion. Dans les sixième et se ptième exceptions préliminaires

— dont le texte figure sous l’onglet 4 de votre dossi er de plaidoiries — la RFY, le défendeur, a fait

valoir que la notification de succession de la Bosnie, datée du 29décembre1992, devait être

considérée comme une adhésion ou que, même si el le était réputée constituer une notification de

succession proprement dite, elle ne pouvait pas avoir d’effet rétroactif à la date d’indépendance de

la Bosnie-Herzégovine.

59. Ce sont les deux seuls arguments soulevés par le défendeur quant à la compétence

81
ratione temporis de la Cour, les deux seuls que les conseils des deux parties ont fait valoir à

l’époque, et la Cour s’est prononcée sur ces seuls points. Rien de plus et rien d’autre.

60. Aux paragraphes 23 et 24 de son arrêt de 1996, la Cour a d’abord déclaré que la Bosnie

avait effectivement succédé à la convention sur le génocide. Vient ensuite le paragraphe 34 de

l’arrêt —dont le texte figure sous l’onglet 5 de votre dossier— où est examiné l’effet ratione

temporis de cette succession.

81
CR 96/6, p. 20-33 (Etinsky), CR 96/10, p. 46-48 (Suy) ; voir également CR 96/9, p.35-42 et CR 96/11, p. 62-67
(Pellet). - 42 -

61. Après avoir noté les exceptions préliminai res du défendeur, la C our a conclu que la

convention sur le génocide ne comportait pas de clause excluant —contrairement à ce que

prétendait la RFY — qu’un Etat successeur puisse rétroactivement être lié à compter de la date de

son indépendance, même si sa notification de succession n’avait été déposée que beaucoup plus

tard.

45 62. C’est la raison sous-jacente pour laquelle la Cour, abordant la question de sa compétence

ratione temporis au paragraphe 34, a très justement aj outé, en pesant ses mots, que sa compétence

ratione temporis ne pouvait être limitée «de la sorte» —c’est-à-dire ne pouvait être limitée de la

manière exposée par le défendeur dans ses sixième et septième exceptions préliminaires.

63. La Cour a ainsi considéré que la Bosnie-Herzégovine était devenue liée par la convention

sur le génocide lors de son indépendance, en ra ison de sa notification de succession, à savoir le

6 mars 1992, même si cette notification n’avait été déposée que le 29 décembre 1992.

64. D’un autre côté, la RFY était à l’époque de l’arrêt de 1996 considérée comme partie à la

convention sur le génocide depuis 1950 (C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17). En conséquence,

il n’était pas douteux que le 6mars1992, la relation conventionnelle entre la Bosnie et la RFY

avait été établie.

65. Permettez-moi également de noter que le conflit en Bosnie-Herzégovine n’a débuté

qu’en avril 1992, à savoir environ un mois après que la relation conventionnelle, telle qu’elle était

comprise en 1996, avait été établie entre les deux Etats. Par conséquent, l
orsque la Cour déclare au

paragraphe 34 de l’arrêt de 1996 qu’elle est compétente au regard des «faits pertinents qui se sont

déroulés depuis le début du conflit dont la Bosnie-Herzégovine a été le théâtre» ( ibid., p.617,

par.34), il n’est nullement question d’appliquer la convention sur le génocide et son articleIX à

une période où la Bosnie-Herzégovi ne n’était pas encore liée par la Convention ou bien où elle

n’existait même pas.

66. Dans ces conditions, la Croatie interprète donc beaucoup trop largement le paragraphe 34

de l’arrêt de 1996. Il ne s’agit pas d’une déclara tion très générale exigeant l’application rétroactive

d’une convention à une période où l’une des parties n’existait pas.

67. La Cour confirme plutôt que la Bosnie a succédé à la convention sur le génocide, et que

sa succession peut prendre effet à partir de la date d’indépendance de la Bosnie, étant donné que la - 43 -

relation conventionnelle entre les deux Etats parties ét ait établie à l’époque. Rien de plus, rien de

moins, rien d’autre.

68. Quel est donc le véritable effet de cette conclusion, interprétée correctement, sur notre

affaire ? Nous affirmons qu’il est le suivant : la Cour a compétence ratione temporis à partir de la

46
date à laquelle une relation conven tionnelle aurait pu naître entre la Croatie et la RFY. Celle-ci

n’aurait pu exister, le cas échéant, que le 27 avril 1992, puisque la RFY n’existait pas encore avant

cette date.

69. Conformément à la conclusion qu’elle a é noncée au paragraphe 34 de l’arrêt de 1996, la

Cour peut donc en l’espèce être compétente — pour autant qu’elle le soit — pour donner effet à la

convention sur le génocide s’agissant de faits survenus après le 27 avril 1002.

70. Madame le président, permettez-moi à présent d’examiner le second argument de la

Croatie, par lequel celle-ci tente de demander l’application rétroactive de la Convention à une

période où le défendeur n’existait pas encore ; c’est l’allégation suivant laquelle toute autre chose

conduirait à une interruption inacceptable.

b) la thèse de l’interruption temporelle

71. Permettez-moi tout d’abord de faire obser ver que cette thèse ne tient pas compte des

travaux préparatoires de la convention et de la forte présomption de non-rétroactivité énoncée à

l’article 28 de la convention de Vienne sur le droit des traités.

72. Elle fait aussi abstraction des analyses de Robinson et Schabas que j’ai mentionnées

lundi82. Mais, ce qui est plus important, elle estompe la distinction fondamentale qu’il convient de

faire entre les différentes obligations découlant de la convention sur le génocide. En qualifiant la

convention de «traité universel» et mettant en garde contre les interr uptions temporelles, le conseil

du demandeur tente de transformer l’articleIX en disposition fourre-tout recouvrant aussi des

obligations découlant du droit coutumier et de cont ourner les règles usuelles de l’interprétation des

traités.

73. Madame le président, personne ne nie l’ importance cruciale et fondamentale de la

convention sur le génocide. Comme l’a fait observe r M.Sands, la jurisprudence de la Cour, qui

82
CR 2008/9, p. 20, par. 39-40 (Zimmermann). - 44 -

interprète la Convention depuis 1951, est d’une impo rtance extrême. Mais cette jurisprudence doit

être prise au premier degré. Cela dit, la prendre au premier degré nous oblige à faire la distinction

entre les différents types d’obligations qu’elle re nferme et nous permet d’avoir une vision plus

réaliste des mises en garde contre les interruptions temporelles.

74. D’abord, la jurisprudence établie par la Cour depuis 1951 ne saurait être interprétée

comme signifiant que tous les aspects de la Convention étaient décl aratoires. En fait, elle souligne

la distinction qu’il convient de faire entre différentes types d’obligations. Prenons l’exemple de

l’article IX, qu’il y a lieu de prendre en compte da ns notre affaire dans laquelle il occupe une place

47 centrale: comment une disposition sur le règlement des différends pourrait-elle être déclaratoire

dans un système de règlement des différends reposant sur des clauses compromissoires ?

75. Certes, les articles II et III de la convention confirmaient les obligations préexistantes,

mais le système de règlement des différends mis en place n’existait pas auparavant. Ou bien, pour

reprendre les termes employés par M.Crawford: il n’y a assurément pas deux types de génocide

—un génocide selon le droit des traités et un génocide selon le droit coutumier— et il ne peut

assurément y avoir qu’un type de compétence, c’est-à-dire une compétence fondée sur les traités.

76. Ainsi, au regard de l’articleIX, la Convention pourrait difficilement être qualifiée de

«traité de caractère déclaratoire qui consacre des règles juridiques universelles». Cet aspect est mis

en évidence très clairement par la jurisprudence de la Cour qui a maintes fois souligné la distinction

entre les obligations de fond et les moyens de procédure permettant de s’en acquitter (voir par

exemple Activités armées sur le territoire du C ongo (nouvelle requête:2002) (République

démocratique du Congo c.Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil2006 , p. 27,

par. 66-67).

77. Le conseil du demandeur a voulu bala yer cette approche nuancée et qualifier la

83
convention dans son ensemble de traité de caractère universel et déclaratoire . Ce faisant, il a

tenté de rendre moins spectaculaire la thèse de la rétroactivité développée par le demandeur. Alors

qu’elle est, incontestablement, spectaculaire.

83
CR 2008/10, p. 36, par. 21 (Sands). - 45 -

78. Je vous invite à réfléchir un moment aux conséquences de la thèse avancée par la

Croatie.

79. Imaginez ce qui pourrait se produire si l’article IX de la convention sur le génocide —

ou, en l’espèce, d’autres clauses compromissoires annexées aux traités— s’appliquaient

effectivement de manière rétroac tive et s’ils pouvaient s’appliquer aussi à des périodes auxquelles

n’existaient pas encore les entités qui allaient de venir des Etats indépendants, lesquels seraient

parties aux conventions en question.

80. Supposez que des demandes en matière de génocide portent sur des comportements

remontant au XIX esiècle et que l’articleIX soit transformé en un moyen de remédier à tous les

types d’injustices passées. Si nous acceptons la thèse du demandeur, il est difficile de voir

comment la boîte de Pandore pourrait à nouveau être refermée. Dans ses travaux sur le droit des

traités, la CDI avait certainement de bonnes rais ons d’être particulièrement prudente en ce qui

48
concerne les effets rétroactifs des clauses de rè glement des différends. Et , puisque le conseil du

demandeur a tenté de qualifier la convention sur le génocide dans son ensemble et les droits

individuels auxquels elle se rapporte, il est es sentiel de comprendre que cette thèse repose

entièrement sur l’application rétroactive d’une disposition de règlement des différents réservée

uniquement aux litiges interétatiques.

81. C’est sous cet angle qu’il convient de voir la deuxième assertion du demandeur: la

prétendue interruption temporelle évoquée par M. Sands.

82. Je dirai d’abord qu’il est difficile de comprendre jusqu’où exactement l’argument de

l’interruption temporelle nous conduit. La Croatie veut-elle dire que l’article IX devient applicable

à chaque fois qu’il y a une interruption temporelle? Ou veut-elle dire que l’existence d’une

interruption temporelle est en fait une autre manière de devenir lié par l’article IX ? Nous sommes

convaincus que cette dernière hypothèse n’est — à l’évidence — pas acceptable.

83. Mais permettez-moi de faire une observa tion : si nous examinons les règles universelles

en matière de génocide, telles que les a évoquées M.Sands, il n’y a en fait aucune interruption

temporelle. Jusqu’au 27avril1992, date de la création de la RFY, l’ex-Yougoslavie continuait à

exister et à être liée par la convention sur le génocide. C’est ce qu’a effectivement reconnu le - 46 -

conseil de la Croatie lorsqu’il a déclaré : «[a]ussi longtemps que la RFSY a continué d’exister, elle

84
est demeurée liée par les termes de la convention sur le génocide» .

84. Ce qui est plus important, comme nous l’a rappelé M. Sands, c’est que les règles

interdisant le génocide ne relèvent pas exclusivemen t du droit des traités. Comme la Cour l’a déjà

dit en1951, la commission d’un génocide est aussi prohibée par le droit coutumier. A l’heure

actuelle, son interdiction en droit c outumier revêt même un caractère de jus cogens . Par

conséquent, indépendamment de l’ application ou de la non-application de la convention sur le

génocide en tant que telle, le fait de commettre les actes visés aux articles II et III de la Convention

constitue une violation du droit international coutumier et peut, en tant que telle, engager la

responsabilité de l’Etat ou la responsabilité pénale des individus.

85. Il n’y a simplement aucune interruption tem porelle de l’interdiction du génocide ou de la

responsabilité en matière de génocide.

49 86. Ce à quoi la Croatie semble vouloir en ve nir en réalité, ce n’est pas à une interruption

temporelle de l’interdiction du génocide ou de la responsabilité —que ce soit celle des individus

ou de l’Etat—, mais à l’existence d’un type particulier de règlemen t des différends visé à

l’article IX.

87. Mais nous ne nous situons pas du tout, à ce stade, sur le plan des principes généraux

établis. Ce n’est pas seulement parce que, en règle générale, le type de différends visé à l’article IX

—les procédures de la Cour internationale de Justice visés dans une clause compromissoire—

doit, logiquement, avoir une base conventionnelle. Mais parce qu’en examinant l’article IX de plus

près, on ne peut guère dire qu’il y ait un consensus entre les Etats parties.

88. Sur les 140 Etats parties à la convention sur le génocide, 27
— c’est-à-dire un sur cinq —

ne sont ou, à un moment donné, n’étaient pas liés par l’article IX. La Cour a respecté leurs réserves

dans de nombreux cas, y compris dans les affaires introduites par le défendeur contre les Etats-Unis

et l’Espagne (voir les deux ordonnances rendues le 2 juillet 1999 dans les affaires relatives à la

Licéité de l’emploi de la force entre la Yougoslavie et l’Espagne, C.I.J. Recueil 1999, p. 761; et

84
CR 2008/10, p. 29, par. 8 (Sands). - 47 -

entre la Yougoslavie et les Etats-Unis, ibid., p. 916) ou plus récemment dans l’arrêt Congo

c. Rwanda (C.I.J. Recueil 2006, p. 21-33, par. 28-70).

89. La Cour a ainsi accepté que, si les défendeurs respectifs étaient liés par l’interdiction du

génocide, et si tout acte de génocide qui leurserait imputable entraînait une responsabilité, leur

responsabilité n’aurait pas pu être établie à travers le type particulier de différend visé à

l’article IX.

90. En s’inspirant de la terminologi e employée par M. Sands, on pourrait parler

d’«interruption temporelle» ; en fait, il s’agirait d’une interruption illimitée à laquelle il ne pourrait

être mis fin que si les Etats en question décidaie nt de retirer leurs réserves — réserves qui ont été

jugées valables. Mais c’est manifestement une «interruption» que la Cour a acceptée dans de

nombreux cas.

91. Madame le président, voilà qui nous conduit au sujet que je vais traiter ensuite, à savoir

que la Cour peut ne pas exercer sa compétence à l’ég ard de la Serbie en rais on de violations de la

convention du génocide commises par un prétendu mouvement au cours d’une période à laquelle le

défendeur n’existait pas encore.

V. L AC OUR NE PEUT EXERCER SA COMPÉTENCE À L ÉGARD DE LA S ERBIE EN RAISON DE
VIOLATIONS DE LA CONVENTION DU CRIME DE GÉNOCIDE COMMISES PAR

UN PRÉTENDU MOUVEMENT AU COURS D ’UNE PÉRIODE À LAQUELLE LE
DÉFENDEUR N ’EXISTAIT PAS ENCORE

92. Permettez-moi de vous montrer pourquoi no us continuons à croire, contrairement à ce

que M. Crawford a tenté de démontrer hier, que la Cour ne saurait exercer sa compétence en raison

50 de violations de la conventi on sur le génocide commises par un mouvement quelconque au cours

d’une période à laquelle le défendeur n’existait pas en core et, de ce fait, à l’entrée en vigueur de la

convention.

93. Je vais vous le démontrer en dével oppant ce que mon collègue Vladimir Djeri ć a

brièvement exposé lundi.

94. Madame le président, tout fait international illicite d’un Etat présuppose la violation

d’une obligation internationale et l’attribution du fait considéré à l’Etat en question. Par

conséquent, les règles en matière de responsabilité de l’Etat sont des règlsecondaires qui, par

leur nature même, présupposent l’existence de règles primaires. Et ce n’est que la violation d’une - 48 -

règle primaire de ce type qui peut éventuellement mettr e en cause la responsabilité de l’Etat, sous

réserve que la violation alléguée d’une règle primaire de ce type est imputable à un Etat donné.

95. Le paragraphe2 de l’artic le10 constitue une règle particuliè re en matière d’attribution.

Cela présuppose cependant qu’il y a eu violatio n d’une règle primaire, ce qui, en vertu du

paragraphe2 de l’article10, serait imputable à l’ Etat en question, qui serait, dans la présente

espèce, la Serbie.

96. Plus précisément en ce qui concerne la présente espèce, et pour que la Cour puisse

exercer sa compétence en vertu de l’article IX, la Cour doit être en mesure d’établir qu’il y a eu une

violation de la convention sur le génocide pouvant en définitive être imputée à la Serbie. Cela

résulte du fait que sa compétence en la présente espèce —si toutefois compétence il y a— se

limite à d’éventuelles violations de la convention.

97. Je rappelle que, pour permettre à la Cour d’ exercer sa compétence en la présente espèce,

il faut, logiquement, qu’une violation de la Conventio n ait pu être commise. La Cour aurait donc à

décider en fin de compte si une violation de la convention sur le génocide en tant que telle a pu être

commise dans la période antérieure au 27 avril 1992.

98. Pareille décision présuppose cependant que la convention sur le génocide, et donc aussi,

son article IX, étaient déjà applicables au cours de cette période.

99. Dans la présente espèce, la Convention est l’unique instrument contenant des obligations

primaires en vertu desquelles la Cour pourrait exercer sa compétence — si toutefois compétence il

y a. La question de savoir si la convention sur le génocide était applicable au cours de la période

pertinente ne peut être tranchée que par la C onvention elle-même et par les règles du droit des

traités. C’est ce qu’a confirmé la CDI qui a déclaré, dans son commentaire relatif à ses articles sur

la responsabilité de l’Etat :

51 «Ils ne traitent pas non plus de la question de savoir si des obligations primaires
particulières sont en vigueur à l’égard d’un Etat, et pour combien de temps. C’est au
droit des traités qu’il appartient de déterminer si un Etat est partie à un traité valide, si
ce traité est en vigueur…et pour quell es dispositions, et comment il doit être

interprété… Les articles envisagent les rè gles primaires du droit international telles
qu’elles existent et avec le contenu qu’ell es ont au moment considéré; ils aident à - 49 -

déterminer si les obligations qui en découlent pour chaque Etat ont été violées, et
quelles conséquences juridiques cela entraîne pour les autres Etats.» 85

100. Voilà qui nous conduit au pa ragraphe 2 de l’article 10. Toute tentative d’appliquer le

principe contenu au paragraphe 2 de l’article 10 à des faits qui auraient été commis avant le

27avril1992 suppose que l’existence d’une obligation primaire au moment décisif ait

préalablement été établie, c’est-à-dire bien avan t le 27avril1992. Or, les seules obligations

primaires pertinentes sont les obligations contenues dans la convention sur le génocide étant donné

que la compétence de la Cour repose exclusivement sur l’article IX de la Convention.

101. J’ai déjà démontré que les faits qui se ser aient produits au cours de cette période ne

pouvaient constituer des violations de la convention sur le géno cide par la RFY parce que la

convention sur le génocide n’aurait pas pu être en vigueur en RFY, étant donné que la RFY

n’existait pas avant le 27 avril 1992.

102. La Croatie tente à présent d’éluder cette ré alité en faisant fond sur le paragraphe2 de

l’article10 des articles de la CDI. Cette norme ne régit cependant que l’attribution qui est une

question secondaire. Or, cette question secondaire de l’attribution ne peut se poser que si la

violation d’une obligation primaire a préalablement été établie.

103. La question d’une violation de la conve ntion sur le génocide eu égard à des faits

antérieurs au 27 avril 1992 ne peut pas se poser, simplement parce que la RFY n’existait pas encore

et ne pouvait donc pas encore être liée par la Convention. De même, le mouvement allégué

n’aurait, à l’évidence, en aucune façon pu être partie à la convention sur le génocide.

104. Ce n’est pourtant qu’en raison de violati ons de la convention su r le génocide que la

Cour pourrait éventuellement exercer sa compétence en vertu de l’article IX de la Convention.

Cela dit, un mouvement —insurrectionnel ou au tre— ne saurait, logiquement, commettre des

violations d’un traité par lequel il n’est et ne peut être lié.

52 105. Madame le président, ce que le demande ur a tenté de faire, c’est d’estomper la

distinction cruciale et essentielle qu’il convient de faire entre une violation éventuelle d’une

obligation primaire, d’une part, et la question de l’attribution, de l’autre. D’un point de vue

objectif, la Croatie a invoqué la deuxième règle énoncée au paragraphe 2 de l’article 10 pour laisser

85
Paragraphe 4 du commentaire introductif des articles de la CDI sur la responsabilit é de l’Etat, reproduit dans
Nations Unies, doc. A/56/10, p. 43 et suiv. - 50 -

entendre que les obligations contenues dans la convention sur le génocide, et, par voie de

conséquence, la compétence de la Cour, pourraient s’étendre à une période à laquelle le défendeur

dans la présente affaire n’existait même pas. Pour ce faire, elle a affirmé que les actes de génocide

allégués, qu’aurait commis le prétendu mouvement au cours d’une période à laquelle le défendeur

n’existait pas encore, pouvaient être imputés à l’Etat défendeur.

106. Supposons un instant, aux seules fins de l’argumentation, que le prétendu mouvement

était effectivement un mouvement au sens du paragr aphe 2 de l’article 10 et que ce mouvement ait

commis des actes de génocide. Ces actes de génocide pourraient alors être imputés au défendeur et

engageraient la responsabilité de l’Etat pour ces actes de génocide. Cependant, cela ne suffit

toujours pas à donner compétence à la Cour, étant d onné que le mouvement n’aurait pas pu être lié

par la convention sur le génocide dont il n’était pas partie contractante.

107. En conséquence, même à supposer qu’il y avait une attribution au sens du paragraphe 2

de l’article10, la Cour pourrait toujours, pour cette seule raison, exercer sa compétence qui est

limitée aux violations de la convention sur le génocide en tant que telle.

108. Madame le président, cette exception d’incompétence que je viens d’exposer est

uniquement et exclusivement liée à l’exercice de la compétence de la Cour. Aucune conclusion

préalable quelconque quant aux faits n’est nécessaire pour pouvoir statuer sur elle; il suffit de

raisonner de manière logique. En fait, déjà dans l’affaire du Cameroun septentrional , le

jugeFitzmaurice a confirmé que «la demande doit être écartée comme irrecevable dès lors qu’il

apparaît clairement qu’elle vise une période où il était impossible a priori que l’Etat défendeur ait

aucune obligation» ( Cameroun septentrional (Cameroun c R.oyaume-Uni), exceptions

préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice, p. 129).

109. Madame le président, Messieurs de la Cour, voilà qui conclut ma plaidoirie. Mon

collègue, Tibor Varady, va maintenant démontrer qu’il y a encore un argument indiquant pourquoi

le paragraphe 2 de l’article 10 des articles de la CDI ne peut s’appliquer dans la présente espèce,

notamment parce qu’il n’y a pas eu, à un mome nt pertinent quelconque, de «mouvement» au sens

du paragraphe 2 de l’article 10. Je vous remercie. - 51 -

53 Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Zimmermann. J’appelle à présent M. Varady à la barre.

M. VARADY :

LA COMPÉTENCE NE PEUT ÊTRE ÉTENDUE RÉTROACTIVEMENT SUR LA BASE DE L ’ARTICLE 10

DES ARTICLES DE LA CDI

A. Introduction

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, je voudrais maintenant étayer au moyen de

quelques arguments supplémentaires et sous un angle différent notre deuxième exception

préliminaire. M.Crawford a souligné hier que «la règle applicable est codifiée à l’article10 des

articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat». Il a cité également l’article 10, dont il considère

que le second paragraphe est applicable aux circonstances de l’esp èce. Avec tout le respect que je

lui dois —et ça n’est pas qu’une façon de parl er, M.Crawford fait autorité—, je voudrais

démontrer que cette disposition n’est pas applicable.

2. Madame le président, Messieurs de la C our, pour que la compétence soit établie à l’égard

d’une personne, celle-ci doit être qualifiée de manière appropriée. Elle doit avoir accès à la Cour,

et elle doit être liée par son consentement. Mais il y a également une autre condition. Les

demandes formulées contre un défendeur ne sont r ecevables que si elles sont dirigées contre la

personne qui est également invitée à se présenter comme défendeur. Cette condition évidente n’est

pas remplie si le défendeur est la Serbie alors que les demandes sont dirigées contre le «mouvement

nationaliste serbe». En d’autres termes, cette condition préalable évidente ne peut tout simplement

pas être remplie si l’Etat défendeur n’existait pas à l’époque à laquelle les demandes sont liées. On

ne peut avoir compétence vis-à-vis d’un Etat en ce qui concerne des actes qui ont été commis avant

que cet Etat n’ait vu le jour. De telles demandes doivent aussi être considérées comme

irrecevables.

54 3. Nous n’ignorons pas que presque chaque principe souffre une ex ception. La question

s’est posée au sujet de situations particulièrayant précédé l’indépendance, avant qu’un Etat ne

voit le jour. Dans son traité intitulé The Law and Practice of the International Court ,

ShabtaiRosenne estime que la date d’accession à l’indépendance d’un Etat n’est pas

«automatiquement et à toutes fins la date d’excl usion», et il explique que la compétence d’une - 52 -

juridiction internationale peut en théorie parfois remonter jusqu’à une date précédant

l’indépendance lorsqu’un ancien mouvement devient le nouvel Etat 8.

4. Rosenne se hâte toutefois d’ajouter : «Néanmoins, par principe, la Cour ne devrait pas se

hâter d’exercer sa compétence pour connaître de di fférends nés avant qu’une partie commence à

exister en tant qu’Etat ou ayant trait à des situations ayant existé et des faits s’étant produits avant

cette date.» [Traduction du Greffe.] Il poursuit alors :

«La raison d’être de ce principe doit êt re recherchée dans le lien indubitable qui
existe toujours entre la responsabilité juridique et la personnalité juridique et, en droit

international, entre la responsabilité interna tionale et la personna lité internationale.
C’est ce lien surtout qui milite contre la ré troactivité jusqu’à une époque où ce facteur
essentiel faisait défaut.» 87 [Traduction du Greffe.]

5. Le tableau est clair. La compétence ne doit pas être rétroactivement étendue, en principe,

jusqu’à une période où la personnalité internationale faisait défaut —où l’Etat n’existait pas. Il

peut exister des exceptions dans certaines situ ations où des mouvements insurrectionnels finissent

pas créer un Etat, mais il ne faut pas faire de telles exceptions à la légère.

6. Madame le président, il semble que la Parties conviennent que les articles de la CDI sur la

responsabilité de l’Etat ont recensé les situations spécifiques dans lesquelles la responsabilité d’un

Etat peut être invoquée rétroactivement à raison d’ un comportement qui a précédé l’existence de

cet Etat. Nous allons maintenant démontrer que l es articles de la CDI n’étayent pas et ne peuvent

pas étayer l’argument selon lequel la compétence peut être éte ndue rétroactivement jusqu’à une

période antérieure au 27 avril 1992.

B. Ni la notion elle-même ni les trois éléments essentiels de cette notion ne correspondent
aux faits de l’espèce

Madame le président, l’article10 décrit deux cas de figure dans lesquels le comportement

d’un mouvement insurrectionnel peut être attribué à un futur Etat. Ils sont expliqués en détail dans

les commentaires qui accompagnent les articles 88. Les paragraphes 1 et 2 de l’article 10 ont trait à

86
Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005 , vol. II, «Jurisdiction», Nijhoff
(dir. publ.), 2006, p. 919.
87Ibid., p. 920.

88J. Crawford, The International Law Commissions Articles on State Responsability ⎯ Introduction, text and
Commentaries, 2002, Cambridge University Press (ci-après le «Commentaire»). - 53 -

ces deux cas de figure. La Croatie a choisi d’invoquer le cas de figure visé au paragraphe 2, qu’elle

89
cite dans ses observations écrites .

55 8. En ce qui concerne le paragraphe 2, le Commentaire explique :

«Le paragraphe 2 de l’article 10 couvre le second cas de figure c’est-à-dire celui
où les structures du mouvement révolutionnaire insurrectionnel, ou autre, sont
devenues celles d’un nouvel Etat, qui s’ est constitué par sécession ou décolonisation

d’une partie du territoire qui était précédemment soumis à la souveraineté ou à
l’administration de l’Etat prédécesseur.» 90

9. Le paragraphe 2 comporte trois éléments essentiels :

a) un mouvement luttant pour créer un nouvel Etat sur une partie du territoire d’un Etat préexistant

doit exister ;

b) ce mouvement doit être un mouvement insurrectionnel ou un mouvement analogue ;

c) ce mouvement doit réussir dans son entreprise.

10. Il est clair que ces éléments sont tous trois des conditions nécessaires à l’application de la

norme formulée au paragraphe 2 de l’article 10. Le comportement d’un mouvement

insurrectionnel ne peut être attribué au nouvel Etat que si la situation co rrespond au cas de figure

défini dans ce paragraphe2. Si un seul des éléments fait défaut, ça n’est plus le cas de figure

envisagé dans cette disposition. Nous allons montrer, Madame le président, qu’aucun des éléments

essentiels prévus au paragraphe 2 de l’article 10 n’est présent en l’espèce.

B.1. Aucun «mouvement» ne luttait pour créer la RFY en tant que nouvel Etat

11. Les tentatives faites pour étendre les termes du paragraphe 2 de l’article 10 aux faits de la

cause se heurtent d’emblée à un obstacle de taille. Le paragraphe2 de l’article10 vise les

mouvements luttant pour créer un nouvel Etat sur une partie du territoire d’un Etat préexistant.

Pour attribuer au défendeur un comportement antérieur à la naissance de la RFY, il faudrait d’abord

démontrer qu’un mouvement visant à créer la RFY en tant qu’Etat existait. Aucun mouvement de

ce type n’a toutefois été identifié, ni n’aurait pu l’être.

12. Lorsque le demandeur présente ses arguments dans le contexte de l’article10, le mot

«mouvement» apparaît, mais les références demeuren t vagues et imprécises. Une tentative a été

89
OEC, par. 3.21.
90
Ibid. - 54 -

faite dans les observations écrites pour décrire le «mouvement» en question. On peut y lire, au

paragraphe3.33: «Il ne saurait faire de doute que le mouvement nationaliste serbe qui est

finalement parvenu à créer la RFY (Serbie-et-M onténégro) en tant que nouvel Etat peut être

considéré comme un «mouvement insurrectionnel ou autre» aux fins du paragraphe 2 de l’article 10

des articles de la CDI.»

56 13. Madame le président, durant le conflit, il n’y avait aucun mouvement, aucune structure

appelé «mouvement nationaliste serbe». Ce rtes, on peut concevoir qu’un mouvement puisse

exister sans porter de nom. Ceci serait sans précédent, mais même si tel était le cas, il faudrait

définir ce mouvement d’une manière ou d’une autre. Le demandeur n’a donné aucune définition.

Il ne lui donne qu’un nom, qui n’est le nom d’ aucun mouvement ayant existé. Cette absence de

définition s’explique tout simplement par le fait qu’aucune définition ne peut être donnée qui

corresponde à l’objectif du demandeur. Il n’y av ait aucun mouvement qui visait à créer la RFY et

ait réussi à le faire.

14. De plus, pour proposer un cas de figure qui soit compatible avec l’article10, il est à

l’évidence nécessaire d’identifier un mouvement qui est ⎯aux termes du Commentaire ⎯ «en

lutte avec les autorités constituées»9. Cette caractéristique essentielle est elle aussi manifestement

absente. Le «mouvement» suggéré par le demandeur n’est manif estement pas un tel mouvement.

Même le demandeur ne le dit pas. Quoi que so it ce dont on parle dans la présente affaire, ça n’est

assurément pas une lutte entre ledit mouvement et l’au torité constituée. Il n’y avait pas de lutte de

ce type.

B.2. Absence de mouvement insurrectionnel ou mouvement analogue

15. Même si l’on pouvait d’une manière ou d’une autre ne pas tenir compte de l’absence de

mouvement identifiable luttant pour créer la RFY en tant que nouvel Etat, et même si un

mouvement de ce type existait (ce qui n’est pas le cas), ce mouvement ne correspondrait pas par sa

nature aux mouvements visés au para graphe2 de l’article10. Il est clair que la RFY n’a pas été

créée par une insurrection. N’ignorant pas que la notion de mouvement insurrectionnel ne fait pas

l’affaire, la Croatie souligne que la définiti on figurant au paragraphe2 de l’article10 vise un

91
Commentaire, p. 118, par. 2. - 55 -

mouvement «insurrectionnel ou autre». Ceci, à l’évidence est un fait. Mais il est aussi exact qu’un

contexte est défini par les termes «insurrectionnel ou autre». Ce contexte est expliqué dans le

Commentaire qui évoque les mouvement s insurrectionnels ou autres mouvements

révolutionnaires 92. Il ne s’agit pas de n’importe quel mouvement ; il doit s’agir d’un mouvement

contestant l’ordre établi.

16. De plus, le contexte et le cadre du paragraphe 2 de l’article 10 postulent une insurrection,

un soulèvement, une contestation sur le territoire qui devient celui du nouvel Etat . Là encore, cela

ne correspond pas aux faits de l’espèce. Il n’y avait ni insurrection ni révolution en RFY (en
57

Serbie-et-Monténégro), le conflit ne se déroulait pas en Serbie-et-Monténégro.

17. Expliquant l’attitude des mouvements insurrectionnels ou mouvements comparables

envers l’Etat préexistant, et expliquant dans quels cas leur comportement sera imputé à l’Etat en

gestation, le Commentaire vise le «comportement de tels mouvements, tout au long de leur lutte

93
avec les autorités constituées…» . Chacun sait que l’Etat préexistant, les autorités constituées,

étaient la RFSY, l’ex-Yougoslavie. Mais les forces serbes n’étaient assurément pas «en lutte» avec

la RFSY. Le comportement faisant l’objet de la demande n’est pas à l’évidence un comportement

durant une «lutte avec les autorités constituées». La RFY (aujourd’hui la Serbie) n’est pas accusée

d’actes qu’elle aurait commis contre les «autorités constituées», qui sont les autorités de

l’ex-Yougoslavie. Là encore, cela ne correspond tout simplement pas.

B.3. Il n’y a pas eu réussite

18. Un autre élément clé du cas de figure envi sagé au paragraphe2 de l’article10 est la

réussite. Le libellé de ce paragraphe2 le dit expressément, et ceci est également largement

souligné dans le Commentaire. Le Commentaire décrit la situation envisagée dans ce paragraphe 2

comme une situation dans laquelle «l e mouvement insurrectionnel ou autre réussit à créer un

nouvel Etat…» 94 Le Commentaire donne des exemples à l’appui des règles proposées, et dans tous

95
les exemples cités la réussite est une condition . Mais où est la réussite en l’espèce ?

92Commentaire, p. 121, par. 8 ; les italiques sont de nous.
93
Commentaire, p. 118, par. 2.
94
Commentaire, p. 120, par. 6 ; les italiques sont de nous.
95Commentaire, p. 123-124, par. 12-13. - 56 -

19. Madame le président, l’élément de réuss ite est manifestement absent en l’espèce. Un

mouvement qui réussit est un mouvement qui atteint ses objectifs. Ceci signifie que ce qui était

envisagé et revendiqué a aussi été accompli. La question se pose de savoir quels étaient les buts du

«mouvement nationaliste serbe dirigé par le président Miloševi ć». S’il y avait réellement eu un

mouvement insurrectionnel au sens du paragraphe2 de l’article10, il aurait été facile de l’établir.

Tel n’est pas le cas.

20. Il est toutefois facile de répondre à la questi on de savoir s’il y a eu réussite. Il est facile

d’y répondre parce qu’il est évident que le c onflit ne s’est pas terminé par la réussite du

58 nationalisme serbe ⎯que ce nationalisme serbe ait ou non donné naissance à un mouvement au

sens du paragraphe 2 de l’article 10.

21. Il n’y a pas eu réussite que l’on accepte comme objectif celui proclamé par M. Miloševi ć

et ses fidèles (la préservation de la RFSY), ou celui d ont la Croatie affirme qu’il était le but réel du

«mouvement nationaliste serbe dirigé par le président Milošević».

22. Point n’est besoin de démontrer que l’ex -Yougoslavie n’a pas été préservée. Elle a été

dissoute. Si l’on admet, pour la discussion, qu’a insi que l’allègue la Croatie, l’objectif réel du
96
«mouvement nationaliste serbe» était une «Grande Serbie» , là encore il n’y a rien qui ressemble à

une réussite. Aucune «Grande Serbie» n’a vu le jour. Aucune partie de la Croatie, aucune partie

de la Bosnie-Herzégovine ou de la Macédoine n’est devenue territoire serbe. Ceci est évident.

23. Madame le président, il y a peut-être des choses qui se sont passées durant le conflit dans

l’ex-Yougoslavie qui ne pourront être éclaircies, mais une chose est certaine. Le conflit ne s’est

pas terminé par un succès des aspirations serbes. N’ignorant pas que le succès est une condition

nécessaire, et pour essayer de créer de toutes pièces quelque chose qui y ressemble, le demandeur

affirme dans ses observations écrites que «le m ouvement nationaliste se rbe … est finalement

97
parvenu à créer la RFY» . Mais cette réussite ne corres pond pas à un but ou objectif déclaré ou

non. Il n’est pas non plus compatible avec la logique. Il n’y avait nul besoin d’un «mouvement

insurrectionnel ou autre» pour créer la RFY en tant qu’Etat. Ni la Croatie ni les autres républiques

de l’ex-Yougoslavie n’y étaient opposées.

96
Voir, par exemple, mémoire, par. 1.26, 2.04, 2.44, 2.71, 2.86, 3.03, 3.71 et 3.80.
97
Observations écrites, par. 3.33. - 57 -

C. Conclusions

24. Madame le président, Messieurs de la Cour, la règle énoncée au paragraphe2 de

l’article 10 a été conçue pour des situations dans lesquelles de nouveaux Etats se sont constitués par

sécession ou décolonisation. Ceci est indiqué expressément dans le Commentaire 9. L’article10

n’est pas censé s’appliq uer à tous les conflits possibles, ou à toutes les variantes de la

décomposition d’un Etat. Aussi ne faut-il pas c onsidérer comme inhabituel ni inattendu que les

circonstances précises de la dissolution d’un Etat des Balkans ne correspondent pas au cas de figure

envisagé au paragraphe 2 de l’article 10. Aucun des éléments de ce cas de figure ne correspond à

la situation en cause en l’espèce.

59 25. Rien ne correspond, parce que rien ne peut y correspondre. Les rédacteurs des articles de

la CDI visaient à créer une exception pour un type donné de situation qu’ils avaient à l’esprit. Il est

dit expressément dans le Commentaire que le cas de figure visé au paragraphe 2 de l’article 10 est

«celui où les structures du mouvement révolutionnaire insurrectionnel, ou autre, sont devenues

99
celles d’un nouvel Etat, qui s’est cons titué par sécession ou décolonisation…» . La situation à

laquelle nous sommes confrontés est totalement différente.

26. C’est pourquoi même une interprétation la rge du paragraphe2 de l’article10 ne peut

aboutir à un résultat différent. Aucun élément ne correspond. Pour commencer, il n’y avait tout

simplement pas de mouvement nationaliste serbe visant à créer la RFY en tant que nouvel Etat.

27. De plus, le terme «insurrection» peut être largement interprété -- mais il ne peut signifier

son contraire. On ne peut dire -- comme le fait la Croatie -- que les autorités et l’armée de l’Etat

préexistant (la RFSY) ont commis des actes condamnab les sous le contrôle d’un «mouvement

nationaliste serbe» et, dans le même temps, présenter ce «mouvement nationaliste serbe» comme

une insurrection, un mouvement révolutionnaire ou un mouvement analogue en lutte contre le

même Etat préexistant.

28. De même, la réussite peut elle aussi être largement interprétée, mais elle ne peut signifier

son contraire. Le nationalisme serbe n’a pas réussi.

98
Commentaire, p. 121, par. 8.
99
Ibid. - 58 -

29. Madame le président, Messieurs de la Cour , le paragraphe2 de l’article10 envisage un

cas de figure, un ensemble défini de circonstan ces. Les faits de l’espèce ne correspondent tout

simplement pas à ce cas de figure. Le paragra phe2 de l’article10 ne peut s’appliquer aux

circonstances de l’espèce. Le paragraphe2 de l’ar ticle10 ne saurait justifier une extension

rétroactive de la compétence de la Cour à un comportement antérieur à l’apparition de la RFY en

tant qu’Etat.

C ONCLUSIONS

1. Permettez-moi, Madame le président, de vous présenter nos conclusions. Je commencerai

mon exposé final en mentionnant brièvement certains arguments de principe avancés par la Croatie.

Dans son discours introductif, M.Šimonovi ć a déclaré que la reconnaissance de la responsabilité

juridique par la Cour «préparer[a] le terrain d’une paix durable, de la stabilité et de bonnes relations

de voisinage» 10. Nous pensons que cette a ffirmation mérite d’être considérée avec respect. Mais

60 permettez-moi de dire par ailleurs que les déce nnies passées ont montré qu’il n’est pas facile de

prévoir les mesures ou décisions qui amèneront la paix dans notre région. On pourrait dire aussi

que dans notre région ⎯ et peut-être pas seulement dans celle-ci ⎯ la confrontation incessante des

Etats attise les passions et risque aussi d’être vue comme le prolongement des rivalités ethniques.

2. Il n’est pas facile de prédire ce qui contribuera le plus à la paix. La justice y conduit

certainement. Mais elle présente de multiples facet tes. La prétendue compétence de la Cour en

l’espèce se limite au génocide et, comme nous l’av ons souligné, le TPIY s’est livré à un examen

approfondi des agissements commis en Croatie , sans que quiconque ne soit condamné ni même

accusé de génocide en Croatie. Il n’y a prima facie pas de génocide. Par conséquent, ce remède,

qui possède sa propre dignité et qui a apporté une aide inestimable à la compréhension et au

règlement des conflits dans les Balkans, n’est pe ut-être pas le plus adapté aux circonstances

spécifiques du présent différend.

3. De plus, la Serbie et la Croatie ont accompli des progrès tout à fait considérables depuis le

conflit et ont amélioré leurs relations mutuelles. On peut s’interroger sur les effets que l’examen

du fond d’un différend axé sur des accusations de génocide aurait aujourd’hui entre deux Etats.

100
CR 2008/10, p. 8, par. 5 (Šimonović). - 59 -

4. Madame le président, on s’accorde à reconnaître de nos jours que les crimes

internationaux ne doivent pas demeurer impunis. Ce principe est devenu partie intégrante de notre

civilisation et revêt une importance critique. Mais cela ne signifie pas qu’il n’existe ⎯ ou qu’il ne

devrait exister ⎯ qu’un seul moyen de juger les auteurs de crimes internationaux. Permettez-moi,

à ce stade, de me référer à une déclaration contenue dans l’opinion individuelle commune en

l’affaire du Mandat d’arrêt :

«Dans le même temps, le consensus international selon lequel les auteurs de

crimes internationaux ne doivent pas deme urer impunis est promu par une stratégie
souple, dans le cadre de laquelle les tribunaux pénaux internationaux nouvellement
créés, les obligations conventionnelles et les juridictions nationales ont tous leur rôle à
jouer. Nous repoussons l’idée que la lutte contre l’impunité est «transférée» aux traités

et tribunaux internationaux, les tribunaux na tionaux n’ayant pas compétence en la
matière.» ( Mandat d’arrêt du 11avril2000 (République démocratique du Congo
c.elgique), arrêt, C.I.J. Recueil002, opinion individuelle commune de
Mme Higgins et de MM. Kooijmans et Buergenthal, p. 78-79, par. 51.)

61 La Cour n’est pas compétente dans la présente espèce

5. Madame le président, Messieurs de la Cour, ce que j’essaie de dire, c’est qu’il existe bel et

bien diverses considérations de principe qui se j uxtaposent. Pour lutter contre l’impunité, il faut

adapter une stratégie souple, en envisageant da vantage de voies possibles pour que des décisions

soient prises. Mais permettez-moi d’ajouter que la question qui nous occupe à présent est une

question éminemment juridique.

6. Nous sommes convaincus ⎯et nous nous sommes efforcés de démontrer ⎯ que cette

Cour n’est pas compétente en l’espèce. Nous avons indiqué deux raisons majeures, chacune d’elles

suffisant à étayer la conclusion de son incompétence.

7. Premièrement, la Cour n’est pas compétente car le défendeur n’était pas partie au Statut et

n’avait pas accès à la Cour lors du dépôt de la requê te. Partant, une condition préalable essentielle

à l’exercice de sa fonction judiciaire fait défaut. La Cour n’a pas été valablement saisie. Il est

possible, à la rigueur, d’examiner des circonstances ultérieures lorsqu’un mécanisme judiciaire a

été dûment mis en branle, ce qui n’a pas été le cas ic i. La Cour n’a pas été valablement saisie, elle

n’a pas acquis la compétence de la compétence , qui lui aurait peut-être permis d’examiner de

nouvelles circonstances, et de statuer sur la compétence. - 60 -

8. Deuxièmement, cette Cour n’est pas compétente parce qu’il n’y a pas de base de

compétence. Madame le président, l’acceptation détermine seule la compétence. Evoquant la

réalité de l’acceptation, Fitzmaurice est parvenu à la conclusion suivante : «En résumé, pour éviter

de commettre une injustice à l’égard de l’une ou l’autre des parties, on exige non pas des

interprétations limitées ou libérales de clauses juridictionnelles, mais la stricte preuve du

consentement.» 101 Telle semble être la règle à suivre. Et même si l’on adoptait une interprétation

large ou libérale, l’acceptation n’est pas prouvée en l’espèce. La thèse de la continuité aurait pu

fonder la compétence mais a été rejetée sans équivoque. Rejet ne vaut certainement pas

acceptation.

9. Lorsque la RFY a accepté la proposition sel on laquelle elle ne pouva it devenir partie aux

traités qu’en vertu de formalités conventionnelles spécifiques, elle choisit d’être liée par la

convention sur le génocide ⎯mais de ne pas être liée par l’articleIX, qui constitue la base du

prétendu consentement et, partant, de la compét ence en la présente espèce. La réserve, qui fait

partie intégrante de la notification d’adhésion, l’ indique expressément. Il est de notoriété publique

62 que la RFY (à présent la Serbie) est partie à la convention sur le gé nocide depuis mars2001,

moyennant une réserve à l’article IX. Madame le président, dans certains cas, on peut à la rigueur

interpréter une acceptation ambiguë comme un consentement, mais on ne peut simplement pas

interpréter un refus d’acceptation comme un consentement.

10. Outre notre première exception prélimin aire, nous avons démontré que les arguments

portant sur la période antérieure au 27avril1992 sont irrecevables, et que la Cour n’est pas

compétente ratione temporis à l’égard de ces demandes. Nous avons également montré que l’on ne

peut pas étendre les demandes à une période antérieure à l’existence du défendeur sur la base du

paragraphe2 de l’article10 des articles de la CDI, les circonstances réelles ne répondant pas aux

critères de l’article10. Aucune des conditions du paragraphe2 de l’article10 n’est remplie ou

corroborée par les faits réels.

101
Fitzmaurice, «The Law and Procedure of the Internati onal Court of Justice, 1951-4: Questions of Jurisdiction,
Competence and Procedure», 34 BYBYL, 1958, p. 88. - 61 -

11. Dans notre troisième exception prélimin aire, nous avons démontré que les arguments

relatifs au jugement de personnes responsables, aux personnes disparues et aux biens culturels sont

irrecevables et en dehors de la compétence de la Cour.

La question de l’uniformité

12. Madame le président, près de deux décennies se sont écoulées depuis le début du

processus de dissolution de l’ex-Yougoslavie. Ce processus a été marqué par de vives

controverses, et aussi par des drames humains. Presque toutes les autorités internationales et les

organisations ont eu à prendre position sur des problèmes relatifs au conflit en ex-Yougoslavie. La

Cour internationale de Justice ne fait assurément pas exception. Il a, pendant longtemps, été

difficile de prendre position, parce qu’il n’était pas facile d’appliquer des modèles à ces situations

peu orthodoxes, parce qu’il existait des divergen ces profondes entre les points de vue exprimés,

parce que les éclaircissements tardaient à venir. On comprend très bien que les mesures prises par

diverses organisations et autorités internationa les aient été marquées à la fois par un souci

d’uniformité et par les difficultés rencontrées pour y parvenir.

13. S’agissant d’uniformité, en cherchant à invoquer l’arrêt rendu en1996 dans

l’affaire Bosnie comme précédent, le demandeur mise sur l’aspiration à l’uniformité. Le

demandeur, qui cherche à étayer sa position, met l’accent sur l’affaire Bosnie, dans laquelle la Cour

a considéré en 1996 que la RFY était partie à la convention sur le génocide et qu’elle avait accès à

la Cour. Je voudrais présenter des arguments montrant que les décisions prises dans

l’affaire Bosnie ne sauraient en aucun cas être invoquées comme précédent et qu’elles n’étayent pas

les affirmations du demandeur.

63 14. Pour invoquer un précédent, il convient manifestement de comparer les questions

précises tranchées dans l’affaire en question avec celles qui se posent en l’espèce. Si ces questions

ne sont pas les mêmes, il faut établir l’inapplicabilité de ce précédent à l’espèce, et non y avoir

recours. Cela a été formulé en des termes clairs et convaincants par le juge Shahabuddeen dans sa

monographie intitulée Precedent in the World Court . A propos de l’arrêt rendu dans l’affaire

relative à Certains emprunts norvégiens , qui était également un arrêt sur la compétence, le

jugeShahabuddeen souligne: «Ainsi, une ma nière d’établir l’inapplicabilité d’un précédent - 62 -

consiste à montrer que, bien que la décision puisse à première vue sembler applicable, elle n’en

102
reste pas moins une décision où le point particulier de droit n’était pas à l’examen.»

15. Il s’ensuit que pour établir si les conclusions de la Cour dans les arrêts Bosnie étayent les

affirmations du demandeur en la présente affaire, il convient tout d’abord de les examiner de plus

près, de déterminer quels étaient les points particulie rs de droit soulevés dans cette affaire et de les

comparer avec ces dernières. Le demandeur a présenté une liste impressionnante d’affaires

concernant le conflit en Bosnie. Un réexamen montrera d’emblée que la liste des affaires ayant

trait aux questions posées dans la présente affaire est en réalité bien plus courte que ne le laisse

entendre le demandeur. Dans les affaires con cernant des demandes en indication de mesures

conservatoires, la Cour n’avait pris qu’une pos ition provisoire sur les questions d’accès et de

compétence. Dans l’affaire en revision et dans l’a rrêt définitif de 2007, la Cour n’a pas examiné la

question de la compétence, et a en fait refusé de le faire. Cette longue liste qui était censée être

impressionnante se réduit en réalité à l’arrêt de1996. En outre, il n’est pas aisé de comparer les

«points de droit» examinés dans l’affaire de1996 avec ceux qui sont formulés dans la présente

affaire ⎯le demandeur n’ayant, en l’espèce, avancé aucun fondement juridique clair permettant

d’établir la base de compétence.

16. Il est toutefois certain que la «su ccession automatique» ou la qualification de la

déclaration et de la note de1992 comme notifi cation de succession ne faisaient partie ni des

éléments établis par l’arrêt Bosnie de 1996 ni de ceux qui ont été considérés dans l’arrêt rendu dans

la même affaire en2007 comme ayant l’autorité de la chose jugée. Ces points de droit n’étaient

«pas à l’examen» dans l’arrêt sur la compétence rendu dans l’affaire Bosnie en 1996.

17. Penchons-nous maintenant sur la question de l’accès à la Cour. L’arrêt de 1996 rendu en

l’affaire de la Bosnie ne l’abordait pas du tout. Mais allons un peu plus loin, et posons la question

de savoir si la logique des arguments que soutient le requérant en la présente espèce est directement

64 —ou même indirectement— confirmée par la jurisprudence Bosnie, ou par les postulats

sous-jacents à celle-ci. Là encore, la réponse est clairement négative. Le requérant fait valoir

principalement deux thèses et l’une d’elle est fondée sur le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut.

102
M. Shahabuddeen, Precedent in the World Court, 1996, Cambridge University Press, p. 119. - 63 -

L’arrêt de 1996 rendu en l’affaire de la Bosnie ne l’étaye en aucune manière. La deuxième thèse

principale est fondée sur la jurisprudence Mavrommatis: le requérant soutient que même si le

défendeur n’était peut-être pas partie au Statut et n’avait peut-être pas le droit d’ester devant la

Cour lorsque la requête a été déposée, elle y est de venue partie par la suite , et la Cour peut donc

remédier à ce vice initial. Cette thèse es t-elle confirmée dans l’arrêt sur la Bosnie ? Peut-on tirer

de cet arrêt quelque enseignement que ce soit ? Certainement pas.

18. Madame le président, si la Cour devait c onclure que, bien que le défendeur n’était pas

partie au Statut à l’époque du dépôt de la requête, il est possible d’y remédier avant jugement sur la

compétence, cela ne serait pas cohérent, pas même compatible avec la logique de l’arrêt Bosnie.

Dans cette affaire, la question du droit d’ester devant la Cour n’avait pas été soulevée ou débattue.

Selon une interprétation possible de cet arrêt, on peut dire que —en l’absence de contestation—

celui-ci est fondé sur un postulat: le défendeur était partie au Statut, et donc il avait accès à
la

Cour. Mais c’est un défi à la logique ou au si mple bon sens de soutenir que, aux termes de l’arrêt

de 1996, même si la RFY n’était pas partie au Statut lors du dépôt de la requête (le 20 mars 1993),

il a été remédié à ce vice parce que la RFY aurait acquis cette qualité entre 1993 et le

11 juillet 1996 lorsqu’a été rendu l’arrêt relatif à la compétence.

19. Madame le président, je voudrais insister sur une autre raison pour laquelle on ne peut

s’appuyer sur l’arrêt de 1996 sur la Bosnie, même à des fins de cohérence. Les suppositions qui

étaient concevables il y a 12 ans ne le sont plus aujourd’hui. Quand on parle de cohérence, on

l’apprécie à la lumière de ce qui est connu et accepté comme vrai. Ce qui est connu et accepté

comme vrai aujourd’hui ne l’était pas il y a 12 ans. Nul ne conteste aujourd’hui que l’on peut

discerner deux périodes distinctes dans la vision du conflit en Yougoslavie. Nous avons déjà

mentionné que la Cour en a donné une délimitation convaincante dans les arrêts relatifs à la Licéité

de l’emploi de la force de 2004. Elle alors dit que la première période allait de 1992 à 2000, et elle

a ajouté :

«De fait, de l’avis de la Cour, la s ituation juridique qui prévalut aux Nations

Unies pendant ces huit années à l’égard du statut de la République fédérale de
65 Yougoslavie après l’éclatement de la Républi que fédérative socialiste de Yougoslavie
demeura ambiguë et ouverte à des appréciations divergentes.» (Licéité de l’emploi de - 64 -

la force (Serbie-et-Monténégro cB . elgique), exceptions préliminaires, arrêt,
103
C.I.J. Recueil 2004, p. 305, par. 64.)

20. Depuis cette période, une nouvelle période de huit ans s’est écoulée au cours de laquelle

les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies ont formulé des conclusions qui font

autorité ; une vision fiable des événements a main tenant cours. Pendant cette nouvelle période, on

est parvenu à un consensus : la RFY n’était pas me mbre des Nations Unies et n’est devenue partie

er
au Statut qu’à compter du 1 novembre 2000, et l’on a tiré les conséquences de ces conclusions.

Dans l’affaire de la Bosnie, la Cour devait se prononcer sur la compétence quant à la période

relativement à laquelle il y avait un flou. Les arrêts relatifs à la Licéité de l’emploi de la force ont

été rendus au cours de la nouvelle période dans laquelle la Cour disposait d’éclaircissements

concluants. La présente espèce — et toutes les décisions qui doivent être prises — se rattachent à

cette nouvelle période.

21. Il est tout simplement impossible de concilier les arguments du requérant en l’espèce,

d’une part, et les enseignements des arrêts sur la Bosnie (ou les suppositions sous-jacentes à

ceux-ci), d’autre part. Nulle cohérence à y escompter. Mais on peut, en effe t, trouver la cohérence

ailleurs.

22. Madame le président, au cours des années 1990, la diplomatie yougoslave et croate a dû

faire face à un grand problème. Deux thèses, deux visions s’opposaient quant aux conséquences de

la dissolution de l’ex-Yougoslavie. La RFY soutenait la thèse de la continuité, et n’a épargné nul

effort pour la défendre. Elle ne s’est jamais écartée de la thèse de la continuité, même lors de la

phase des exceptions préliminaires de l’affaire de la Bosnie, même si c’était à son propre détriment,

et alors que nulle des parties n’avaient soulevé les questions centrales, ou tenté de donner à la Cour

les éclaircissements qui faisaient défaut et qui étaient nécessaires à l’époque. Parallèlement, la

Croatie a soutenu fermement qu’il n’ y avait pas continuité, elle n’a épargné aucun effort pour nier

qu’il y avait continuité et fait plutôt valoir qu’il y avait cinq successeurs qui devaient être traités sur

un pied d’égalité.

23. La thèse qu’a soutenue la RFY n’a pas donné lieu à autre chose que quelques ambiguïtés

et ajournements. Le principe qu’ont soutenu la Croatie et les autres Etats successeurs s’est imposé,

103On trouvera aussi ce texte identique dans les autres arrêts de 2004 relatifs à la Licéité de l'emploi de la force :
au paragraphe 63 des arrêts ayant pour pa rties la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et au paragraphe 62 des arrêts
ayant pour parties l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 65 -

et a été généralement accepté. Comme nous l’avons dit auparavant, dans sa lettre du

16 février 1994 adressée au Secrétaire général en qualité de dépositaire, la Croatie critiquait la RFY

et affirmait que celle-ci

66 «n’a pas agi conformément aux règles du droit international et aux résolutions…du
Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale. Au contraire, elle en a fait fi et a tenté

de participer aux travaux d’instances internationales en tant qu’Etat partie…»

vu sa déclaration de continuité. Ayant rejeté cette déclaration, la Croatie a conclu que si la RFY

voulait vraiment être partie aux traités en ques tion à titre de nouvel Etat, celle-ci devait présenter

104
des notifications de succession, que la «Croatie honorerait pleinement» .

24. Et en fin de compte, c’est ce que la RFY a fait. Elle a renoncé à invoquer le principe de

continuité, et elle n’a donc pas eu la qualité de membre d’organisati ons internationale ni de partie

aux traités. Elle a plutôt accepté sa qualité de nouvel Etat, elle a demandé son admission à

l’Organisation des Nations Unies et à d’autres or ganisations internationa les. Après avoir été

invitée par le conseiller juridique à «accomplir les formalités requises…si elle envisage[ait]

105
d’assumer, en qualité d’Etat successeur, les dr oits et obligations qui en découl[ai]ent» , la RFY a

accompli des formalités conventionnelles précis es par des notifications de succession ou

d’adhésion à tous les traités auxquels elle voulait être partie. La question qui se pose maintenant

est celle de savoir si la Croatie «honorerait pleinement» cette démarche (comme elle avait promis

de le faire), et si elle acceptait les consé quences de la vision selon laquelle il n’y avait pas

continuité, qu’il y avait cinq Etats successeurs égaux, cinq nouveaux Etats. L’absence de

continuité signifie qu’il n’y a pas d’appartenance ininterrompue aux organisations internationales,

pas de participation ininterrompue aux traités — mais cela signifie aussi que le nouvel Etat peut

choisir de demander son admission a ux organisations internationales et de succéder ou d’adhérer à

des traités spécifiques, ou non. Cela vaut aussi pour la convention sur le génocide. Il en va de

même pour les centaines d’autres formalités conventionnelles que la RFY a accomplies en 2001,

lesquelles ont été dûment acceptées et sont restées incontestées jusqu’à présent; tout cela serait

104
Voir la lettre en date du 16 février 1994 du représnt permanent de la Croati e auprès des NationsUnies
adressée au Secrétaire général, Nations Unies, doc.S/1994/198 (19 février 1994) citée dans nos observations finales le
26 mai 2008.
105Lettre en date du 8décembre2000, adressée par le Conseiller juridique des Nations Unies au ministre des
affaires étrangères de la République fédérale de Yougoslavie, produite à l’annexe 23 de nos exceptions préliminaires. - 66 -

soudainement réputé être nul et sans effet si l’on devait supposer que la déclaration de 1992 a fait,

d’une manière ou d’une autre, de la RFY une partie aux traités.

25. Madame le président, le principe qu’a défendu, notamment, la Croatie, lequel est

maintenant généralement accepté, est le seul qui assure une vision cohérent e de la situation.

Cependant, il n’y aurait aucune cohérence si l’on co ncluait que ce principe s’applique dans toutes

les circonstances — sauf lorsque cela ne convient pas à la Croatie.

67 Madame le président, Messieurs de la C our, il est maintenant 13heures; pourriez-vous

m’accorder quelques instants supplémentaires, cinq minutes tout au plus ?

Le PRESIDENT : Certainement.

M. VARADY : Je vous remercie.

26. La Yougoslavie a connu une suite de conflits tragiques qui ont aussi retenu l’attention de

la Cour car ils se sont traduits par des affrontements juridiques entre Etats. Le conflit en Croatie en

est le point de départ. Il a commencé en 1991. Après 17 ans, il est le seul qui perdure. Nous

sommes d’avis que l’on peut maintenant mettre fin à cette succession d’affrontements—et qu’on

peut le faire pour un motif juridique solide et convaincant.

27. Madame le président, en la présente espèc e, le requérant n’avait pas le droit d’ester

devant la Cour à l’époque où la procédure a ét é engagée; la Cour n’a donc pas été saisie de

manière appropriée. En la présente espèce, le seul fondement de compétence de la Cour qui a été

invoqué est l’article IX de la convention sur le génocide, et nul n’ignore que l’adhésion du

défendeur était assortie d’une réserve à l’article IX. En la présente espèce, un nombre considérable

de demandes se rapportent à la période pendant laquelle le défendeur n’existait tout simplement pas

—et certaines demandes se rapportent à une péri ode pendant laquelle le requérant n’existait pas

non plus. Là encore, un nombre considérable de demandes sont irrecevables, et aussi sans objet, vu

l’intervention du TPIY, vu l’intervention des tribunaux en Serbie et en Croatie, et vu la coopération

fructueuse des parties. En la présente espèce, vu le seul fondement de compétence de la Cour

invoqué, l’intervention de la Cour ne porterait que sur la question du génocide ; pourtant, au cours

de dix années de travail exhaustif, le TPIY n’a pas jugé bon de procéder à une seule inculpation de

génocide relativement aux agissements commis au cours du conflit dans l’ex-Yougoslavie. Le - 67 -

temps est venu de mettre un terme à cette succe ssion d’affrontements judiciaires auxquels a donné

lieu le conflit en Croatie. Tout cela n’a que trop duré et nulle raison juridique ne justifie le

maintien de l’instance. Je demande respectueusement à la Cour de décliner sa compétence en

l’espèce.

28. Et maintenant, avec votre permission, je vais exposer mes derniè res conclusions. Pour

les raisons exposées dans ses écritures et dans ses plai doiries, la Serbie demande à la Cour de dire

et de juger, premièrement, que la Cour n’a pas compétence ; deuxièmement, et subsidiairement :

a) que les demandes fondées sur les agissements et les omissions antérieurs au 27avril1992 ne
68

relèvent pas de la compétence de la Cour et sont irrecevables,

b) que les demandes tendant à ce que soient poursu ivies certaines personnes qui se trouvent sur le

territoire de la Serbie, à ce qu’elles produisen t des renseignements concernant les lieux où se

trouvent des citoyens croates portés disparus et à ce que soient rendus des biens culturels ne

relèvent pas de la compétence de la Cour et sont irrecevables.

Je vous remercie de votre attention.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Varady.

Ainsi s’achève le deuxième tour de plaidoiries et la Cour se réunira demain à 10 heures pour

entendre le deuxième tour de plaidoiries de la Croatie.

L’audience est levée.

L’audience est levée à 13 h 5.

___________

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